ÉTUDE d’impact
Projet de loi
relatif à la bioéthique
NOR : SSAX1917211L/Bleue-1
24 juillet 2019
Table des matières
Tableau synoptique des consultations
Tableau synoptique des mesures d’application
Article 1er Clarifier la notion d’âge de procréer
Article 2 Supprimer le recueil du consentement du conjoint pour le don de gamètes
Article 8 Organiser la transmission d’une information génétique dans certaines situations
Article 11 Préserver une garantie humaine dans l’interprétation des résultats
Article 12 Encadrer les finalités de recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale
Article 13 Encadrer les dispositifs de neuro-modulation
Article 14 Distinguer les régimes juridiques d’autorisation s’appliquant à l’embryon (maintien des conditions en vigueur) et aux cellules souches embryonnaires et article 15 Réguler, en recherche fondamentale, certaines utilisations des cellules souches pluripotentes induites
Article 14 Fixer une limite de développement des embryons en recherche
Article 19 Reconnaître la médecine fœtale et rénover la définition du diagnostic prénatal
Article 19 Renforcer l’information de la femme enceinte et du couple
Article 20 Encadrer les interruptions volontaires partielles de grossesse multiple
Article 20 Supprimer le délai de réflexion dans l’interruption de grossesse pour raison médicale
Article 22 Permettre la greffe de tissu germinal pour rétablir une fonction hormonale
Article 23 Elargir les missions des conseillers en génétique
Article 24 Garantir une transmission sécurisée des résultats de génétique entre laboratoires
Article 26 Sécuriser l’utilisation du microbiote fécal
Article 28 Diverses mises en cohérence
Article 30 Simplification des missions de l’Agence de la biomédecine
Article 30 Simplification des instances de l’Agence de la biomédecine
Article 32 Poursuivre une évaluation des lois de bioéthique à échéance régulière
1. Le législateur a prévu la révision périodique du cadre bioéthique[1] pour débattre à intervalles réguliers de son périmètre au regard des avancées de la science et des évolutions de la société.
La dernière loi de bioéthique du 7 juillet 2011 prévoit, dans son article 47[2], un nouvel examen d'ensemble par le Parlement dans un délai maximal de sept ans, précédé de l’organisation d’états généraux confiée au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé[3].
2. Ouvrant un nouveau processus de révision de la loi de bioéthique par le Parlement, le Comité consultatif national d’éthique a lancé des états généraux de la bioéthique en janvier 2018 en invitant à la fois les citoyens, profanes ou avertis, mais aussi les experts, à exprimer leurs opinions et à discuter ensemble. Véritable exercice de démocratie sanitaire (avec 270 débats publics, 150 auditions d’associations et de sociétés savantes, plus de 65 000 contributions recueillies sur le site Internet dédié, ainsi que la mise en place d’un comité citoyen pour accompagner le processus et se prononcer sur des sujets de leur choix), il a permis le déploiement d’une vaste consultation de la société. Le Comité consultatif national d’éthique a remis un rapport de synthèse des états généraux le 5 juin 2018[4].
D’autres travaux importants ont été rendus publics par la suite. Le 10 juillet 2018, à la suite de la saisine du Premier ministre, le Conseil d’Etat a remis son étude sur le cadrage juridique préalable au réexamen de la loi relative à la bioéthique[5]. Le 25 septembre 2018, l’avis n° 129 du Comité consultatif national d’éthique[6] a été rendu publique puis, le 25 octobre 2018, l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)[7] a remis son évaluation de l’application de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 et du rapport de synthèse des états généraux de la bioéthique par. Enfin, le 15 janvier dernier, la Mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique, mise en place à l’Assemblée nationale a rendu son rapport[8].
A partir de ces travaux préparatoires[9], le Gouvernement a travaillé au présent projet de loi dans un contexte marqué, d’une part, par des sauts technologiques inédits qui posent de nouvelles questions éthiques et nécessitent un accompagnement dans leurs utilisations et leurs applications et, d’autre part, la manifestation de revendications au nom de l’exercice d’une liberté qui ne porterait pas atteinte à autrui.
3. Le Gouvernement ne peut ignorer que la société française évolue vers plus d’ouverture et de tolérance mais aussi vers une radicalisation de certains groupes de pensée et, par ailleurs, que des marchés se développent, des pratiques prospèrent dans d’autres pays et que les frontières s’effacent.
Dans son ouvrage, le Gouvernement a souhaité dessiner un cadre permettant à la liberté de chacun de s'exprimer, dans le respect de l'intérêt collectif en cherchant ce point d’équilibre entre ce que la science propose, ce que la société revendique et les valeurs fondamentales qui soutiennent l’identité bioéthique de la France, pionnière en matière de législation dans le domaine de la bioéthique, tout en accordant une place particulière aux situations de souffrance voire de drame que rencontrent certaines personnes.
Les questions bioéthiques se caractérisent par leur complexité et le Gouvernement s’est attaché à tirer le fil de leurs implications, à court et à long terme, pour l’individu et pour la société.
Le projet de loi est articulé autour de six axes structurants.
Le premier de ces axes (Titre Ier) élargit l’accès aux technologies déjà disponibles en matière de procréation tout en continuant de les encadrer. Les mesures qu’il contient ouvrent des droits qui ne sont contraires à aucun principe bioéthique, et qui peuvent être exercés dans un cadre protecteur en particulier pour l’enfant à naître.
Le deuxième axe (Titre II) traduit le souhait du Gouvernement d’encourager la solidarité entre les personnes, notamment par le don d’éléments et produits du corps humain, sans renoncer au respect et à la protection des droits individuels.
L’appui à une diffusion de nouveaux progrès scientifiques et technologiques dans le respect des principes éthiques constitue le troisième axe du projet (Titre III).
Le quatrième axe (Titre IV) traduit la volonté du Gouvernement de soutenir une recherche libre et responsable, au service de la santé humaine. Pour encourager une recherche visant à mieux comprendre les mécanismes biologiques de la vie humaine dans une perspective médicale, il faut lever certains verrous juridiques et supprimer les contraintes infondées, tout en portant les valeurs éthiques françaises sur la scène de la recherche internationale.
La poursuite de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques concernées par le champ bioéthique constitue un cinquième axe (Titre V).
Le dernier axe (Titre VI) regroupe les mesures qui permettront d’installer une gouvernance bioéthique adaptée au rythme des avancées des sciences et des techniques.
Un titre VII permet de prévoir plusieurs ordonnances[10].
Les grandes orientations du projet de loi du Gouvernement accordent de nouveaux droits, apportent les ajustements rendus nécessaires par les évolutions tant techniques et technologiques que sociétales, et s’intègrent à l’édifice bioéthique qui assure, depuis vingt-cinq ans en France, un équilibre entre le respect de la dignité de la personne humaine, l’autonomie de chacun et la solidarité de tous.
Tableau synoptique des consultations
Article |
Objet de l’article |
Consultations menées |
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1er |
Etendre l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées
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Caisse nationale d’assurance maladie (avis du 2 juillet 2019) Conseil central d’administration de la caisse nationale de la mutualité sociale agricole (avis du 26 juin 2019) Union nationale des caisses d’assurance maladie Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (avis du 3 juillet 2019) Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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2 |
Autoriser sans l’encourager l’autoconservation de gamètes (et supprimer le dispositif d’autoconservation dans le cadre du don)
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Caisse nationale d’assurance maladie (avis du 2 juillet 2019) Conseil central d’administration de la caisse nationale de la mutualité sociale agricole (avis du 26 juin 2019) Union nationale des caisses d’assurance maladie Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire (avis du 3 juillet 2019) Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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3 |
Reconnaître les droits des enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur en leur permettant d’accéder à l’identité de leur donneur sous réserve de l’accord exprès de ce dernier sans revenir sur le principe d’anonymat du don des éléments et produits du corps humain Gérer au niveau national les traitements de données relatifs aux tiers donneurs, à leurs dons et aux enfants nés de ces dons |
Commission nationale de l'informatique et des libertés (délibération du 11 juillet 2019) Conseil national de la protection de l'enfance Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019)
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4 |
Sécuriser l’établissement de la filiation des enfants nés d’assistance médicale avec tiers donneur réalisée par un couple de femmes |
Conseil national d'évaluation des normes (avis du 11 juillet 2019) Conseil supérieur du notariat (avis du 5 juillet 2019) |
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5 |
Etendre le don croisé d’organes à plus de deux paires de donneurs/receveurs pour améliorer l’accès à la greffe |
Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019)
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6 |
Permettre le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses père et mère pour accroitre les possibilités de greffes intrafamiliales en l’absence d’autre alternative thérapeutique |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) Conseil national de la protection de l'enfance
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7 |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019)
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8 |
Permettre la réalisation d’examens de génétique après le décès d’une personne au profit des membres de sa famille
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Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) Conseil national de l’Ordre des médecins (avis du 4 juillet 2019) |
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8 |
Organiser la transmission d’une information génétique dans certaines situations |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) Conseil national de l’Ordre des médecins (avis du 4 juillet 2019) |
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9 |
Organiser la transmission d’une information génétique dans les situations de rupture du lien de filiation biologique dans le strict respect de l’anonymat des personnes concernées |
Conseil nationale de la protection de l’enfance Conseil national d’accès aux origines personnelles (avis du 26 juillet 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019)
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10 |
Rénover l’information et le consentement des personnes à l’ère de la médecine génomique tout en maintenant un haut niveau de protection des personnes concernées |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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11 |
|
Commission nationale de l'informatique et des libertés (délibération du 11 juillet 2019)
Conseil national de l’Ordre des médecins (avis du 4 juillet 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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12 |
Encadrer les finalités de recours aux techniques d’enregistrement de l’activité cérébrale
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Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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13 |
Encadrer les dispositifs de neuromodulation |
Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (avis du 8 juillet 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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14 et 15 |
Distinguer les régimes juridiques d’autorisation s’appliquant à l’embryon (maintien des conditions en vigueur) et aux cellules souches embryonnaires Réguler, en recherche fondamentale, certaines utilisations des cellules souches pluripotentes induites Fixer une limite de développement des embryons en recherche |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019)
Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) |
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16 |
Fixer une limite de conservation des embryons proposés à la recherche et non inclus dans un protocole après 5 ans |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) |
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17 |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) |
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18 |
Encourager les passerelles soin/recherches par l’utilisation facilitée d’échantillons conservés à d’autres fins |
Commission nationale de l'informatique et des libertés (délibération du 11 juillet 2019)
Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (avis du 4 juillet 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
||
19 |
Reconnaître la médecine fœtale et rénover la définition du diagnostic prénatal
|
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019)
|
||
19 |
Renforcer l’information de la femme enceinte et du couple |
Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) Agence national de sécurité du médicament et des produits de santé (avis du 8 juillet 2019) |
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20 |
Encadrer les interruptions partielles de grossesse multiple Supprimer le délai de réflexion dans l’interruption de grossesse pour raison médicale |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
||
21 |
Clarifier les conditions d’interruption de grossesse pour raison médicale pour les mineures |
Conseil national de la protection de l'enfance
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
||
22 |
Permettre la greffe de tissu germinal pour rétablir une fonction hormonale |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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23 |
Conseil national de l’Ordre des médecins (avis du 4 juillet 2019) Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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24 |
Garantir une transmission sécurisée des résultats de génétique entre laboratoires |
Commission nationale de l'informatique et des libertés (délibération du 11 juillet 2019)
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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25 |
Assurer, pour les patients concernés, la passerelle entre la génétique somatique et la génétique constitutionnelle |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) |
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26 |
Sécuriser l’utilisation du microbiote fécal
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Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence national de sécurité du médicament et des produits de santé (avis du 8 juillet 2019) |
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27 |
Assouplir la possibilité de préparer des médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement |
Haute autorité de santé (avis du 12 juillet 2019) Agence national de sécurité du médicament et des produits de santé (avis du 8 juillet 2019) |
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28 |
Diverses mises en cohérence |
Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (avis du 8 juillet 2019) |
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29 |
Redéfinir la place, le rôle et le fonctionnement du CCNE Organiser et favoriser un débat bioéthique permanent au sein de la société |
Comité national consultatif d’éthique (avis du 28 juin 2019) |
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30 |
Simplifier les missions de l’Agence de la biomédecine Rénover la Gouvernance de l’Agence de la biomédecine |
Agence de la biomédecine (avis du 26 juin 2019) |
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Tableau synoptique des mesures d’application
Article |
Objet de l’article |
Nature du texte d’application |
Objet du texte d’application |
Administration compétente |
1er |
Etendre l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées Clarifier la notion d’âge de procréer Lever l’interdiction du double-don de gamètes et laisser le choix entre accueil d’embryon et double don de gamètes |
Décrets en Conseil d’Etat (2)
|
- Conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation (après avis de l’Agence de la biomédecine) - Modification du 2° de l’article R. 160-17 du code de la sécurité sociale (ticket modérateur) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS ; DSS) |
2 |
Autoriser sans l’encourager l’autoconservation de gamètes (et supprimer le dispositif d’autoconservation dans le cadre du don) Supprimer le recueil du consentement du conjoint pour le don de gamètes |
Décret en Conseil d’Etat
|
Conditions d’âge pour être éligible à la mesure (après avis de l’Agence de la biomédecine) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
3 |
Reconnaître les droits des enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur en leur permettant d’accéder à l’identité de leur donneur sous réserve de l’accord exprès de ce dernier sans revenir sur le principe d’anonymat du don des éléments et produits du corps humain Gérer au niveau national les traitements de données relatifs aux tiers donneurs, à leurs dons et aux enfants nés de ces dons |
Décrets en Conseil d’Etat (5)
Décret simple (1) |
- Modalités de recueil de l’identité des enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur Durée de conservation des données par l’Agence de la biomédecine - Nature des données non identifiantes - Nature des pièces à joindre à la demande d’une personne née de don qui s’adresse à la Commission - Composition de la Commission ad’hoc - Date à partir de laquelle ne pourront être utilisés pour toute insémination et toute tentative d’assistance médicale à la procréation que les embryons proposés à l’accueil et les gamètes issus de dons réalisés à compter du premier jour du treizième mois à compter de la promulgation de la loi.
|
Ministère des solidarités et de la santé (DGS et DGOS) |
4 |
Sécuriser l’établissement de la filiation des enfants nés d’assistance médicale avec tiers donneur réalisée par un couple de femmes |
Décret en Conseil d’Etat (1) Arrêté du ministre chargé de la Justice Arrêté conjoint du ministère de la justice et du ministère de l'Économie et des Finances. |
- Adaptation réglementaire pour le nom et la délivrance de livret de famille (décret) - Modèle de livret de famille (arrêté) - Tarification de la déclaration de volonté devant notaire (arrêté conjoint) |
Ministère de la Justice (DACS) |
5 |
Etendre le don croisé d’organes à plus de deux paires de donneurs/receveurs pour améliorer l’accès à la greffe |
Décrets en Conseil d'Etat (2) |
- Dispositions applicables au don croisé d'organes - Conditions de fonctionnement du comité donneur vivant |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
6 |
Permettre le prélèvement de cellules souches hématopoïétiques sur un mineur ou un majeur protégé au bénéfice de ses père et mère pour accroitre les possibilités de greffes intrafamiliales en l’absence d’autre alternative thérapeutique |
Décret en Conseil d'Etat (1) |
- Modalités d’application de la mesure |
|
8 |
Organiser la transmission d’une information génétique dans certaines situations |
Décret en Conseil d'Etat (1)
Arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition de l’Agence de la biomédecine |
- Modalités d’application de la mesure - Critères déterminant les situations médicales justifiant, chez une personne hors d’état d’exprimer son consentement ou décédée, la réalisation d’un examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS et DGOS) |
9 |
Décrets en Conseil d’Etat (2) |
- Conditions de transmission des informations par le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles - Adaptation des dispositions en vigueur dans le cadre du don de gamètes |
Ministère des solidarités et de la santé (DGCS) |
|
10 |
Décret en Conseil d’Etat (1) |
Révision des dispositions réglementaires du champ concerné
|
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
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13 |
Si nécessaire, décret après avis de la Haute Autorité de santé |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
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Distinguer les régimes juridiques d’autorisation s’appliquant à l’embryon (maintien des conditions en vigueur) et aux cellules souches embryonnaires Fixer une limite de développement des embryons en recherche |
Décret en Conseil d’Etat (1) |
Modalités du nouveau régime juridique s’appliquant aux recherches portant sur les cellules souches embryonnaires |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) Ministère de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (DGRI) |
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15 |
Réguler, en recherche fondamentale, certaines utilisations des cellules souches pluripotentes induites |
Décret en Conseil d’Etat (1) |
Modalités du nouveau régime juridique s’appliquant aux recherches à partir de cellules souches pluripotentes induites |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) Ministère de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (DGRI) |
16 |
Décret en Conseil d’Etat (1) Décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Agence de la biomédecine |
- Conditions de consultation des deux membres du couple ou de la femme (devenir des embryons) - Conditions de la poursuite de la conservation des embryons (intérêt particulier pour la recherche) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) Ministère de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (DGRI) |
|
18 |
Décret simple |
Modalités d’information des personnes et celles permettant l’expression de leur opposition (utilisation d’échantillons biologiques conservés à d’autres fins) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) Ministère de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (DGRI) |
|
19 |
Reconnaître la médecine fœtale et rénover la définition du diagnostic prénatal Renforcer l’information de la femme enceinte et du couple |
Décret en Conseil d’Etat (1)
Arrêtés du ministre chargé de la santé (5) |
- Modalités d’information de l’autre membre du couple - Bonnes pratiques relatives - aux centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (sur proposition de l'Agence de la biomédecine) - aux examens de biologie médicale concourant au diagnostic prénatal (Sur proposition de l'Agence de la biomédecine et après avis de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) - - au diagnostic préimplantatoire (sur proposition de l’Agence de la biomédecine) - aux modalités de réalisation des examens d'imagerie concourant au diagnostic prénatal (après avis de l’Agence de la biomédecine et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) - Critères médicaux justifiant la communication à la femme enceinte des caractéristiques génétiques fœtales sans relation certaine avec l’indication initiale de l’examen (sur proposition de l’Agence de la biomédecine) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
23 |
Décret en Conseil d’Etat (après avis de l’Académie nationale de médecine) |
Modalités de mise en œuvre et notamment modalités de communication des résultats à la personne concernée par le médecin qualifié en génétique
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Ministère des solidarités et de la santé (DGS et DGOS) |
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25 |
Décret en Conseil d’Etat (1) |
Modalités d’information des personnes avant la réalisation d’examens de génétique somatique |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS et DGOS) |
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26 |
Sécuriser l’utilisation du microbiote fécal |
Décret (1) |
Modalités d’application du chapitre (utilisation thérapeutique de selles d’origine humaine) |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
27 |
Assouplir la possibilité de préparer des médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement |
Décret en Conseil d’Etat (1) |
Conditions applicables à la préparation ainsi que type de médicaments concernés |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
29 |
Redéfinir la place, le rôle et le fonctionnement du CCNE Organiser et favoriser un débat bioéthique permanent au sein de la société |
Décrets simples (2)
Décret en Conseil d’Etat (1) |
- Liste des ministres proposant quinze personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence et de leur intérêt pour les problèmes d’éthique - Liste des organismes proposant quinze personnalités appartenant au secteur de la santé et de la recherche - Conditions de désignation des membres, notamment modalités de renouvellement par moitié et modalités du respect des règles de parité |
Ministère des solidarités et de la santé (DGS)
Ministère de l’Enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (DGRI) |
31 |
Habilitations |
Ordonnances (4) |
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Ministère des solidarités et de la santé (DGS) |
Article 1er Etendre l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées
Aux termes du premier alinéa de l’article L. 2141-1 du code de la santé publique, l'assistance médicale à la procréation (AMP) s'entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d'embryons et l'insémination artificielle.
Elle s’adresse actuellement à des couples formés d’un homme et d’une femme engagés dans un projet parental sans référence au statut matrimonial du couple ou à d’autres conditions de stabilité de l’union[11]. Le couple doit être vivant, en âge de procréer et avoir préalablement consenti à l’assistance médicale à la procréation devant le notaire :
« L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination. Font obstacle à l'insémination ou au transfert des embryons le décès d'un des membres du couple, le dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l'homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l'assistance médicale à la procréation. » (deuxième alinéa de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique).
Le premier alinéa de l’article précité dispose que :
« L'assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l'infertilité d'un couple ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité. Le caractère pathologique de l'infertilité doit être médicalement diagnostiqué. »
La démarche du couple est donc une démarche médicale. De fait, trois types de situations conduisent à mettre en œuvre les techniques d’assistance médicale à la procréation :
- Une infertilité du couple dont le caractère pathologique doit être médicalement diagnostiqué ;
- Le risque de transmission à l’enfant d’une maladie d’une particulière gravité (maladie génétique par exemple) ;
- Le risque de transmission à l’un des membres du couple, lors de la conception de l’enfant, d’une maladie d’une particulière gravité (maladies virales comme l’infection par le VIH par exemple).
Par ailleurs, les techniques d’AMP sont représentées par :
- L’insémination artificielle (insémination intra-utérine) réalisée par des gynécologues et le plus souvent précédée d’une stimulation ovarienne ; le sperme (le cas échéant provenant d’un tiers donneur) est préparé en laboratoire avant l’insémination ;
- La fécondation in vitro (FIV) qui comporte les phases de stimulation ovarienne, ponction des follicules[12], préparation des gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) en laboratoire, mise en fécondation, développement embryonnaire, transfert in utero de l’embryon cultivé in vitro 2 à 3 jours (jusqu’à 6 jours dans certains cas) ; la FIV classique (fécondation naturelle des gamètes mis en contact in vitro) se distingue de la fécondation par micro-injection des spermatozoïdes dans l’ovocyte[13], proposée dans certaines circonstances[14].
Les autres points saillants de l’encadrement de l’assistance médicale à la procréation peuvent être ainsi résumés :
- Les embryons « surnuméraires » dont le développement est satisfaisant sont congelés pour être conservés (toutefois la mise en œuvre de l’AMP doit privilégier les pratiques et les procédés qui permettent de limiter le nombre d’embryons conservés[15]) ;
- Un couple dont des embryons sont conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant leur transfert, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons[16] ;
- Un embryon conçu par AMP doit l’être avec des gamètes provenant d’au moins un des membres du couple et le double don de gamètes (don de spermatozoïdes et don d’ovocyte) est interdit[17] ;
- En cas d’abandon du projet parental ou de décès, les deux membres du couple donneur ou le membre survivant peuvent consentir par écrit à ce que leurs embryons surnuméraires soient accueillis par un autre couple[18] (les modalités de l’accueil d’embryon sont précisées aux articles).
Enfin, le couple consent par écrit à l’assistance médicale à la procréation après plusieurs entretiens avec l’équipe clinico-biologique pluridisciplinaire d’AMP[19] qui permettent de délivrer au couple une information la plus complète possible ainsi que de vérifier s’il répond aux conditions d’éligibilité et, plus globalement, de recours aux techniques de procréation. L’équipe clinico-biologique pluridisciplinaire du centre dispose d’une marge de manœuvre sur l’acceptation du couple au regard des intérêts de l’enfant à naître.
Aux termes de l’arrêté du 30 juin 2017 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation :
« L’équipe pluridisciplinaire peut à tout moment différer ou refuser la prise en charge dans les limites fixées par la loi et le code de déontologie, dans la mesure où tout médecin doit tenir compte des avantages et inconvénients des différentes investigations et thérapeutiques possibles, et dans la mesure où les textes régissant l’AMP prévoient un délai de réflexion supplémentaire lorsque l’équipe le considère nécessaire. Les raisons en sont expliquées aux personnes concernées. »[20].
Résumé de l’activité et des résultats d’AMP en 2016[21]
|
Nombre de centres actifs* |
Tentatives** |
Grossesses échographiques |
Accouchements |
Enfants nés vivants |
Statut vital des nouveau-nés inconnu |
Intraconjugal |
. |
. |
. |
. |
. |
. |
Insémination intra-utérine |
180 |
49498 |
6285 |
5254 |
5688 |
16 |
FIV hors ICSI |
100 |
19913 |
4193 |
3641 |
3847 |
229 |
ICSI |
100 |
40722 |
8699 |
7646 |
7853 |
637 |
TEC |
100 |
31693 |
7095 |
6080 |
6030 |
456 |
Spermatozoïdes de donneur |
. |
. |
. |
. |
. |
. |
Insémination intra-utérine |
90 |
2870 |
611 |
544 |
590 |
3 |
Insémination intra-cervicale |
0 |
. |
. |
. |
. |
. |
FIV hors ICSI |
33 |
145 |
31 |
28 |
28 |
1 |
ICSI |
86 |
872 |
208 |
189 |
208 |
13 |
TEC |
79 |
510 |
132 |
116 |
109 |
12 |
Don d'ovocytes |
. |
. |
. |
. |
. |
. |
FIV hors ICSI |
6 |
50 |
13 |
12 |
13 |
0 |
ICSI |
28 |
872 |
200 |
157 |
159 |
25 |
TEC |
25 |
381 |
74 |
54 |
59 |
0 |
Accueil d'embryons |
. |
. |
. |
. |
. |
. |
TEC |
19 |
154 |
32 |
24 |
25 |
0 |
Non renseigné*** |
. |
. |
. |
. |
. |
. |
FIV hors ICSI |
1 |
34 |
0 |
0 |
0 |
0 |
ICSI |
1 |
15 |
0 |
0 |
0 |
0 |
TEC |
1 |
1 |
0 |
0 |
0 |
0 |
Total |
180 |
147730 |
27573 |
23745 |
24609 |
1392 |
*Centres actifs : centres ayant déclaré une activité et envoyé leur rapport d'activité à l'Agence en 2016
**Tentatives : cycles d'insémination artificielle (IIU, IIC) + ponctions d'ovocytes dans le cadre des fécondations in vitro (FIV, ICSI) + transferts d'embryons congelés (TEC) + mises en fécondation (don d’ovocytes)
***Non renseignée : origine du sperme non renseignée
L’activité d’assistance médicale à la procréation peut être ainsi synthétisée[22] :
- En 2016, 147 730 tentatives d’AMP ont été recensées, regroupant les inséminations (IIU pour inséminations intra-utérines), les fécondations in vitro (FIV avec ou sans micromanipulation dite ICSI) et les transferts d’embryons congelés (TEC) avec gamètes et embryons de différentes origines ;
- Si le volume global des activités d’AMP évolue peu depuis 2013, on note toutefois que le nombre des TEC augmente chaque année, ce qui traduit l’évolution des pratiques avec le développement du transfert mono-embryonnaire et de la technique de vitrification embryonnaire, l’objectif poursuivi étant de limiter le nombre de grossesses multiples ;
- Pour 96% des AMP, les tentatives (IIU, FIV hors ICSI, ICSI et TEC) sont réalisées avec les gamètes des deux membres du couple. Dans 4% des cas, les tentatives utilisent des spermatozoïdes, des ovocytes ou des embryons issus de don ;
- Les inséminations artificielles (52 368 cycles), bien qu’en diminution, occupent toujours une large place au sein des activités d’AMP (35% de l’ensemble des tentatives). Principalement réalisées en intraconjugal, les inséminations intra-utérines font appel aux spermatozoïdes de donneur dans 5,5% des cas ;
- En 2016, le recours à l’ICSI représente 68% de l’ensemble des tentatives de fécondation in vitro quelle que soit l’origine des gamètes utilisés ; ce taux est stable depuis 2013. On peut remarquer que la pratique d’ICSI reste majoritaire lorsqu’il est fait appel à des ovocytes ou des spermatozoïdes issus de don ;
- Mise en œuvre dans 19 centres, l’activité d’accueil d’embryons reste minime avec 154 transferts embryonnaires en 2016 ;
- Les différences observées sur les taux de grossesse et d’accouchement en fonction des techniques et de l’origine des gamètes sont davantage liées aux indications de ces différentes AMP (causes de l’infertilité, pathologies associées, etc.) qu’aux procédés eux-mêmes ;
- Globalement les taux d’implantation embryonnaire semblent augmenter progressivement au cours de ces dernières années pour l’ensemble des techniques ;
- Des chances de succès supplémentaires sont réellement offertes aux couples dès lors qu’il a été possible de conserver des embryons après la fécondation in vitro ; les couples pourront ainsi bénéficier d’un ou de plusieurs transferts embryonnaires supplémentaires ;
- Selon l’INSEE, en 2016, 798 948 nouveau-nés ont vu le jour en France. Les enfants nés vivants, conçus après une AMP réalisée en 2016, au nombre de 24 609[23], représentent 3,1% des enfants nés de la population générale ;
- Le nombre d’enfants conçus par AMP parmi les enfants nés chaque année en France augmente légèrement depuis 2009 (2,6% en 2009, 2,7% en 2010, 2,9% en 2013, 3,1% en 2014, 3,1% en 2015 et 2016). On estime qu’un enfant sur 32 est issu d’une AMP ;
- Parmi les 26 355 enfants nés issus d’une AMP réalisée en 2016 :
- Enfin 5% des enfants conçus par AMP sont nés grâce à un don (1 263 enfants).
Evolution du don de gamètes de 2013 à 2016[24]
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
Don de spermatozoïdes |
|
|
|
|
Donneurs |
|
|
|
|
Nombre de donneurs acceptés dont le sperme a été congelé dans l'année |
268 |
242 |
255 |
363 |
Dons |
|
|
|
|
Nombre de paillettes congelées dans l'année issues des donneurs acceptés dans l'année |
11837 |
11316 |
12038 |
17841 |
Nombre de paillettes congelées/donneur |
44.2 |
46.8 |
47.2 |
49.1 |
Nombre de paillettes utilisées dans l'année |
8142 |
8409 |
7554 |
6710 |
Nombre de paillettes/grossesse |
26.9 |
25.9 |
24.9 |
20 |
Nombre de paillettes en stock au 31 décembre de l'année |
113219 |
90363 |
87660 |
89896 |
Couples receveurs |
|
|
|
|
Nombre de demandes d'AMP avec spermatozoïdes de donneur dans l'année |
2427 |
2278 |
2530 |
2209 |
Nombre de demandes d'AMP dans l'année/donneur accepté dans l'année |
9.1 |
9.4 |
9.9 |
6.1 |
Nombre de couples ayant effectué au moins une tentative d'AMP avec les spermatozoïdes d'un donneur dans l'année |
2459 |
2450 |
2382 |
1760 |
Don d'ovocytes |
|
|
|
|
Donneuses |
|
|
|
|
Ponctions réalisées dans l'année |
454 |
500 |
540 |
746* |
• Dons au cours d'une FIV/ICSI |
8 |
16 |
14 |
32 |
• Non renseigné |
0 |
0 |
1 |
13 |
% de dons au cours d'une FIV |
1.8 |
3.2 |
2.6 |
4.3 |
Couples receveurs |
|
|
|
|
Nouvelles demandes acceptées |
1035 |
871 |
801 |
931 |
Couples ayant bénéficié d'une AMP avec don d'ovocytes |
756 |
861 |
818 |
968 |
Couples en attente de don d'ovocytes au 31/12 de l'année |
2673 |
2452 |
2516 |
2512 |
*En 2016, parmi les 746 ponctions en vue de don, 32 ont été faites dans le cadre d’une fécondation in vitro associées à un don
L’activité de don de gamètes peut être pour sa part résumée de la façon suivante[25]:
- Dans 4% des cas, les tentatives d’AMP font appel aux gamètes issus d’un don ;
- L’activité de don d’ovocytes augmente régulièrement en France mais reste insuffisante pour répondre à la demande et satisfaire la liste des couples inscrits en attente ;
- En 2016, 746 prélèvements d’ovocytes ont été effectués en vue de don ;
- Dans les 29 centres actifs et autorisés pour l’activité de don d’ovocytes (19 régions), 922 tentatives de fécondations in vitro ont été réalisées pour des couples receveurs et 381 transferts d’embryons congelés issus de don d'ovocytes sont venus s’ajouter aux tentatives de fécondation in vitro la même année ;
- Au total, en 2016, 1 147 transferts embryonnaires ont été réalisés pour 968 couples ayant bénéficié au cours de l’année d’au moins une tentative ;
- 259 enfants ont été conçus grâce à un don d'ovocytes ;
- Le nombre de couples inscrits sur les listes d’attente de don d'ovocytes a beaucoup augmenté entre 2009 et 2013[26]. Il semble s’être stabilisé depuis 2014.
- Un équilibre semble exister depuis 2014 entre les nouvelles demandes acceptées dans l’année et le nombre de couples ayant bénéficié d’au moins une tentative la même année ; en 2016, 931 nouvelles demandes ont été enregistrées et 968 couples ont pu bénéficier d’au moins une tentative ;
- Concernant le don de spermatozoïdes, on constate en 2016 une augmentation du nombre de donneurs acceptés dans l’année avec, dans les 29 centres actifs autorisés pour le don de spermatozoïdes, 363 donneurs ont été acceptés et leur sperme congelé en 2016 ;
- Le nombre de demandes d'AMP avec spermatozoïdes de donneur ainsi que le nombre de couples ayant effectué au moins une tentative d'AMP avec les spermatozoïdes d'un donneur ont diminué (principalement du fait d’une diminution du nombre d’Inséminations intra-utérines) par rapport aux années précédentes[27] ;
- En 2016, 1 760 couples ont bénéficié d’au moins une tentative d’AMP avec les spermatozoïdes d’un donneur ;
- Les précédents rapports de l’Agence de la biomédecine montrent que ce nombre n’a cessé de décroitre depuis les dix dernières années puisqu’il était de 2 880 couples en 2007[28] ;
- En résumé, les 363 nouveaux donneurs de 2016 ont permis de congeler environ 18 000 nouvelles paillettes de sperme (les paillettes sont des petits tubes dans lesquels sont conservés les échantillons de sperme sachant qu’il il faut environ 20 paillettes par grossesse) ; ces 18 000 paillettes peuvent être mises en regard des 6 700 paillettes issues de donneurs utilisées en 2016 pour 1760 couples nécessitant un don de spermatozoïdes ;
- Enfin, les délais d’attente pour une AMP avec don de spermatozoïdes sont en général inférieurs à un an[29] dans ce contexte de diminution des demandes.
Dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a considéré qu'aucune disposition du Préambule de la Constitution de 1946 ne fait obstacle à ce que les conditions du développement de la famille soient assurées par des dons de gamètes ou d'embryons dans les conditions prévues par la loi.
1.3.1 La Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine[30] (Convention d’Oviedo) comporte , un seul article en matière d’assistance médicale à la procréation ; l’article 14 précise que « l’utilisation des techniques d’assistance médicale à la procréation n’est pas permise pour choisir le sexe de l’enfant à naître, sauf en vue d’éviter une maladie héréditaire grave liée au sexe ».
1.3.2 L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale » et son article 14 interdit la discrimination, notamment à raison de l’orientation sexuelle.
Dans un arrêt de Grande chambre rendu le 3 novembre 2011, S.H. c. Autriche n°57813/00, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que « le droit des couples à concevoir un enfant et à recourir pour ce faire à la procréation médicalement assistée relève de la protection de l’article 8, pareil choix constituant une forme d’expression de la vie privée et familiale » mais a reconnu que les Etats bénéficient d’une large marge d’appréciation dans ce domaine au regard des « délicates interrogations d’ordre moral et éthiques » que suscite notamment la fécondation in vitro[31].
S’agissant de la fermeture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes, la Cour a relevé, à l’occasion d’une affaire dans laquelle une femme voulait adopter l’enfant de sa conjointe, que le dispositif français d’assistance médicale à la procréation, en ce qu’il a une visée thérapeutique, ne peut pas être considéré « comme étant à l’origine d’une différence de traitement dont les requérantes seraient elles victimes », les couples de femmes ne se trouvant pas dans la même situation que les couples hétérosexuels infertiles[32].
En tout état de cause, bien qu’elle ait été saisie de cette question[33], la Cour n’a jamais eu l’occasion de statuer sur une affaire concernant directement l’accès des couples de femmes ou des femmes seules à l’assistance médicale à la procréation en France.
1.4.1 En Europe, plusieurs Etats ont ouvert l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes célibataires.
En Belgique, la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée ne mentionne pas de restrictions à l’accès à l’AMP. Toutefois, la loi précise que chaque centre est libre de refuser une demande d’AMP (en indiquant par écrit les raisons médicales du refus ou en invoquant la clause de conscience). Ainsi, il n’y a pas de limitation légale du recours à l’AMP - ouverte aux personnes vivant seules, aux couples mariés ou non, hétérosexuels ou homosexuels - mais les centres élaborent leurs propres critères d’accès[34].
Au Danemark, il n’y a pas de restrictions à l’accès à l’AMP[35].
En Espagne, la loi n° 14 du 26 mai 2006 portant sur les techniques de procréation médicalement assistée autorise le recours à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes célibataires (disposition similaire dans la loi de 1988) [36].
En Finlande, la loi sur les traitements d’assistance à la fertilité (laki hedelmöityshoidoista ; 1237/2006) est entrée en vigueur le 1er septembre 2007. La législation nationale repose sur les notions de « couple » et de « bénéficiaire du traitement ». Les dispositions de certains articles de la loi varient selon que le traitement est proposé à un couple ou à une femme non mariée ou ne vivant pas dans une relation comparable au mariage avec une personne de sexe opposé[37].
Aux Pays-Bas, la loi du 20 juin 2002 sur les embryons comporte peu de règles sur l’AMP. Les questions non abordées par cette loi sont réglées par d’autres textes, notamment la loi du 2 mars 1994 sur l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes qui interdit toute discrimination. Ainsi, ni l’état civil ni l’orientation sexuelle ne peuvent constituer des critères limitant l’accès à l’AMP. Le principe de base veut qu’aucune différence d’accès n’existe entre une femme célibataire et une femme homosexuelle. Toutefois, certains centres de FIV appliquent une politique de sélection plus stricte que d’autres[38].
Au Royaume-Uni, le Human Fertilisation and Embryology Act de 1990 n’interdit pas l’accès à l’AMP aux couples homosexuels ou aux femmes célibataires. Dans le HFE Act de 2008, en son article 13, la nécessité de prendre en compte le besoin de l'enfant d'avoir un père a été supprimée[39].
En Suède, la loi sur l’intégrité génétique est entrée en vigueur le 1er juillet 2006. Un changement à la législation, entré en vigueur le 1er avril 2016, autorise l’accès à l’AMP pour les femmes célibataires. Auparavant, l’accès à l’AMP était réservé aux couples stables. Les couples de femmes ont accès à l’AMP depuis 2005[40],[41],[42].
Certains pays européens ont ouvert l’accès à l’AMP pour les couples de femmes mais pas pour les femmes célibataires.
En Norvège, la loi relative à l’application de la biotechnologie dans la médecine humaine a été adoptée en 2003. Une modification de la législation, entrée en vigueur le 1er janvier 2009, autorise l’accès à l’AMP aux couples de femmes, mais pas aux femmes célibataires[43],[44].
En Autriche, l’accès à l’AMP est ouvert aux couples hétérosexuels et aux couples de femmes, mais pas aux femmes célibataires. Cela fait suite à une décision de la Cour constitutionnelle autrichienne, rendue publique le 17 janvier 2014, levant l’interdiction de l’accès à l’AMP pour les couples de femmes[45].
A l’inverse, certains pays européens ont ouvert l’accès à l’AMP pour les femmes célibataires mais pas pour les couples de femmes.
En Grèce, la loi 3305/2005 sur l’application de la procréation médicalement assistée stipule que toutes les personnes adultes ont un droit d’accès aux méthodes d’AMP. Elle ne fait toutefois spécifiquement référence qu’aux couples mariés hétérosexuels et aux femmes célibataires ou vivant en couple hétérosexuel. La loi ne mentionne pas les couples homosexuels, mais leur interdit indirectement l’accès aux services d’AMP[46].
En Russie, il n’existe pas de loi spécifique dans le domaine de l’AMP. L’accès à l’AMP n’est pas réservé aux couples hétérosexuels ; les femmes célibataires y ont également accès puisque, selon les dispositions réglementaires du ministère de la Santé, l’absence de partenaire sexuel constitue une indication de l’AMP[47].
Certains pays européens interdisent l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes célibataires.
En Italie, la loi n° 40/2004 relative aux techniques de procréation médicalement assistée comporte des dispositions très restrictives. L’accès à l’AMP est réservé aux couples hétérosexuels, mariés ou menant une vie commune, dont les deux membres sont vivants et en âge de procréer. Le couple doit fournir un certificat médical attestant l’existence d’une stérilité ou d’une infertilité pour lesquelles il n’existe aucune autre solution possible[48].
En Pologne, la nouvelle législation sur les techniques de procréation assistée, adoptée en juin 2015 et entrée en vigueur le 1er novembre 2015, exclut les couples de femmes et les femmes célibataires de l’accès à l’AMP[49].
En Suisse, la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée du 18 décembre 1998 est entrée en vigueur le 1er janvier 2001. L’accès à l’AMP est réservé aux couples hétérosexuels[50].
En Allemagne, la loi sur la protection de l'embryon (Embryonenschutzgesetz) entrée en vigueur en 1991 ne définit pas explicitement le cadre juridique de l’AMP ; aucune restriction relative aux bénéficiaires de l’AMP n’est évoquée dans la loi. La ligne directrice de l'Ordre fédéral des médecins allemands sur la reproduction assistée de 2006, proscrivant l’AMP pour les femmes célibataires et les couples de femmes, a été abrogée en 2018. Il en résulte, dans ces situations, une absence d’interdiction. La nouvelle directive de l’Association médicale allemande de 2018 ne contient plus de déclarations professionnelles. L’Association médicale allemande considère que les questions d’accès à l’AMP doivent être décidés politiquement. Actuellement, les directives des associations médicales régionales restent en vigueur et les différences de pratique selon les districts persistent[51],[52],[53].
En Irlande, les services d’AMP ne sont pas réglementés par une législation spécifique relative à la santé mais un projet de loi relatif à l’AMP était en cours d’élaboration en 2016. Conformément au principe d’égalité et de non-discrimination, il est proposé d’inclure dans la législation une disposition selon laquelle les services d’AMP doivent être accessibles à tous indépendamment du genre, de l’état matrimonial ou de l’orientation sexuelle, sous réserve de considération du bien-être de l’enfant à venir[54],[55].
1.4.2 En dehors de l’Europe, aux Etats-Unis, l’AMP est ouverte selon les États aux seuls couples hétérosexuels ou à toutes les femmes. Les Etats-Unis souffrent d’un manque de réglementation dans ce domaine. Au-delà du droit adopté par les États, la communauté scientifique et médicale adhère aux recommandations de bonnes pratiques (guidelines) élaborées par des autorités professionnelles indépendantes siégeant à un niveau fédéral (ASRM – American Society of Reproductive Medicine)[56],[57].
Au Canada, la loi sur la procréation assistée a été adoptée le 29 mars 2004. L’accès à l’AMP est ouvert aux couples de femmes et aux femmes célibataires dans toutes les provinces. Les restrictions d’accès ne doivent pas dépendre de l’orientation sexuelle ou du statut matrimonial des personnes. Dans la mesure où ils respectent le principe de non-discrimination, les centres et leurs médecins peuvent définir leurs propres politiques concernant l’acceptation des patients[58].
En Israël, l’accès à la FIV ne fait l’objet d’aucune restriction (réglementation de la FIV de 1987) [59].
2.1.1 La société française a évolué et le modèle familial contemporain ne se résume plus à une configuration unique[60].
A côté du mariage, de nouveaux modes de conjugalité se sont fait jour avec le pacte civil de solidarité et le concubinage. En outre, avec l’accroissement du divorce, de nouvelles configurations familiales ont émergé : la part des familles monoparentales ou recomposées a beaucoup augmenté ces vingt dernières années. Aujourd’hui, près de 60% des naissances ont lieu hors mariage. Par ailleurs, la reconnaissance des couples homosexuels, rendue possible « parce que dans l’esprit commun le couple en général s’était déjà redéfini autrement »[61], a permis l’apparition progressive des familles homoparentales.
Aujourd’hui, les couples de femmes qui revendiquent un accès à l’assistance médicale à la procréation invitent à une remise en question du modèle au sein duquel « les trois grandes composantes de la filiation (biologique, sociale/éducative et juridique/symbolique) » devaient obligatoirement se retrouver « rassemblées sur une seule tête masculine, le père, et une seule tête féminine, la mère »[62].
Désormais, il y a plusieurs manières de devenir parent. La parenté sociale occupe une place de plus en plus importante au côté de la parenté biologique alors que, dans les débats actuels, elles sont sans cesse opposées. Certains auteurs invitent à dépasser cette opposition en faisant l’hypothèse que « ce qui se passe aujourd’hui n’est ni une biologisation ni une mentalisation de la filiation » mais plutôt une « dématrimonialisation » de la filiation, indissociable d’une « remise en cause du principe de complémentarité hiérarchique des sexes »[63].
Cette évolution de la société qui distingue de plus en plus la parentalité de la conjugalité se traduit dans l’évolution des opinions. Depuis 2004, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) demande à l’institut de sondages BVA de réaliser le « Baromètre d’opinion »[64] des Français. Les résultats[65] de la consultation 2018 ont été rendus publics en avril 2019.
Ainsi, en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, 65 % des Français se disent favorables à ce que les couples de femmes puissent y recourir (31 % ne sont pas favorables et 4 % ne se prononcent pas). Un résultat en progression de dix points depuis 2014 et qui culmine à son plus haut niveau.
2.1.2 En matière d’adoption, le droit reconnait depuis longtemps la monoparentalité[66] et la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe leur a également ouvert l’adoption. Comme l’a constaté le Conseil d’Etat, cette loi « en autorisant un égal accès à l’adoption de tous les couples mariés, a normalisé la situation des familles qui en sont issues. »[67].
Cette position a été confortée par la Cour de cassation qui, dans deux avis rendus le 22 septembre 2014[68], a estimé que le recours à l’insémination artificielle avec donneur à l’étranger, alors que la pratique est interdite en France, ne fait pas obstacle à l’adoption, en France, de l’enfant par la conjointe de la mère[69].
Si, comme l’a souligné le Conseil d’Etat[70], l’adoption (en tant qu’elle permet d’accueillir un enfant déjà né) doit être distinguée de la procréation médicalement assistée (qui vise à concevoir un enfant), il n’en reste pas moins que le législateur, le Conseil constitutionnel et les deux hautes juridictions ont considéré qu’aucun grand principe ni aucun droit fondamental ne faisait obstacle à ce qu’un enfant ait un seul parent ou deux parents de même sexe.
Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes comme le défenseur des droits considèrent, par conséquent, que la question de la légitimité d’un projet mono ou homoparental a déjà été tranchée par les textes[71].
C’est, par conséquent, « au nom de l’égalité des projets parentaux » qu’est revendiquée la « liberté de procréer et de transmettre, en tant qu’expression de l’autonomie personnelle ».[72]
La majorité des membres du Comité consultatif national d’éthique considère d’ailleurs « qu’un maintien du statu quo législatif [dans les conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation] pourrait stigmatiser ces nouvelles formes familiales. »[73]
2.1.3 La situation actuelle apparait donc incohérente. Les grossesses qui résultent de ces procréations initiées hors du territoire national sont en effet suivies en France, les enfants naissent en France, leur filiation est légalement établie en France bien qu’une partie de la démarche a eu lieu dans l'illégalité à l'étranger[74].
En outre, ce passage des frontières, réservé aux femmes les plus aisées aboutit à une situation d’inégalité[75]. Plus encore, les femmes, qui restent exclues de l’assistance médicale à la procréation sur le territoire national, sont amenées à se rendre à l’étranger, le plus souvent en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas ou au Danemark, ou conduites à prendre des risques sanitaires pour fonder une famille.
Par ailleurs, les banques de sperme privées (comme Cryos basée au Danemark[76]) prétendent envoyer très régulièrement des paillettes de sperme de donneurs en France, soit chez des particuliers, soit chez des gynécologues qui contournent la loi pour inséminer des femmes non éligibles à l’assistance médicale à la procréation dans le cadre en vigueur[77]. Cela donne donc lieu à des inséminations hors la loi (même si le sperme utilisé a été contrôlé).
Il existe également des sites Internet (non liés à ces banques privées) où des hommes proposent leurs services aux femmes qui le souhaitent. Certaines femmes, enfin, font appel à des géniteurs inconnus par le biais de petites annonces.
Des femmes ont donc recours à des inséminations artificielles « artisanales » (qui ont lieu le plus souvent au domicile, sans médecin) sans connaitre l’origine du sperme acheté via Internet. Ces situations sont parfois assorties d’un défaut de suivi médical.
Il est dommageable que des femmes, qui n’ont pas accès à l’assistance médicale à la procréation en France et faute de pouvoir assumer des soins coûteux à l’étranger, n’aient pas d’autre choix que de se mettre en danger en ayant recours à des donneurs trouvés sur Internet dont ni les motivations, ni l’état de santé ne sont connus ni vérifiés. Ces situations aboutissent à une prise de risques sanitaires. En outre, le recours à de tels procédés est difficile à expliquer et à entendre pour l’enfant par la suite.
L’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes est indissociable de la volonté du Gouvernement d’encadrer ces dérives et d’apporter la sécurité à ces familles en leur offrant des conditions de sécurité médicales et juridiques satisfaisantes.
2.1.4 Les données relatives à ces procréations non encadrées réalisées à l’étranger ou sur le territoire national sont éparses et non officielles de sorte qu’il est difficile de les préciser.
En particulier, s’il existe des données sur les soins réalisés à l’étranger via le Centre national des soins à l’étranger[78], elles ne sont pas disponibles pour les recours transfrontaliers à l’assistance médicale à la procréation des couples de femmes et des femmes seules qui ne sont aujourd’hui éligibles à aucune prise en charge dans ce cadre. Ainsi, si une partie des examens et des traitements préalables sont, parfois prescrits et, en tout état de cause, réalisés et pris en charge en France, l’assurance maladie ne peut identifier les situations concernées.
Le Comité consultatif national d'éthique dans son avis n° 126[79] fait mention de « deux à trois mille femmes françaises » qui passeraient les frontières chaque année pour accéder aux techniques d’assistance médicale à la procréation[80].
La fédération nationale des biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'œuf (BLEFCO), dans sa contribution aux Etats généraux de la bioéthique[81], rapporte que 85% des Françaises qui réalisent un « tourisme procréatif » sont prises en charge en Belgique. Elle précise que 2 288 couples de femmes français sont venus en Belgique en 2017 dans ce cadre.
Par ailleurs, une centaine d’enfants naitrait chaque année d’une assistance médicale à la procréation au bénéfice de femmes célibataires[82].
Le Pr. François Olivennes[83], quant à lui précise que « Des études effectuées à partir d’extrapolations de la situation en Belgique permettent d’estimer qu’en France 2 000 à 4 000 femmes par an seraient concernées » par une assistance médicale à la procréation hors du cadre national.
2.1.5 Si le Conseil d’Etat, dans son étude bioéthique, conclut qu’aucun argument juridique « n’impose de maintenir les conditions actuelles d’accès à l’AMP. »[84], il considère à l’inverse que les « ricochets du principe d’égalité ne semblent imposer la solution à retenir »[85].
Tout d’abord, considérant que l’invocation d’un droit à l’enfant étant sans portée[86], il a écarté, sur ce terrain, l’invocation de la méconnaissance du principe d’égalité (qui suppose l’existence préalable d’un droit).
Par ailleurs, il a considéré que les couples de femmes ou les femmes célibataires (ou toute autre situation que les couples hétérosexuels infertiles) ne pouvaient revendiquer un traitement analogue au nom du principe d’égalité ou de non-discrimination. En effet, « Eu égard à la finalité de compensation d’une infertilité pathologique que la loi assigne à la procréation médicalement assistée, [ces personnes] sont placées dans des situations différentes de celle des couples hétérosexuels infertiles puisque l’impossibilité de procréer à laquelle elles sont confrontées ne résulte pas d’une pathologie. »[87]. Dans un arrêt récent[88], la Haute juridiction administrative a confirmé cette position.
Toutefois, cette différence de traitement, qui repose sur une supposée différence de situation a été nuancée par d’autres avis[89] préparatoires à la révision bioéthique au regard de deux catégories d’arguments :
- le fait, que, dans la pratique de l’assistance médicale à la procréation, le critère du caractère pathologique de l’infertilité ne soit pas toujours satisfait. En effet, dans 10 à 15%[90] des cas, aucune cause médicale à l’infertilité n’est identifiée (tous les travaux préparatoires sont convergents sur ce constat). Si une recherche des causes de l’infertilité est systématiquement réalisée, son caractère pathologique n’est pas toujours établi à l’issue de cette recherche. Or, ainsi que le précise le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : « Cette configuration [où ce caractère pathologique n’est pas acquis] ouvre pourtant aux couples hétérosexuels le droit d’avoir recours à une AMP. »[91]
- rappelant la présentation habituellement retenue dans le débat public sur l’accès à l’assistance médicale à la procréation qui oppose le « besoin médical » des couples hétérosexuels au « problème social » des couples de femmes et des femmes célibataires (« assistance sociétale à la procréation »), la Commission nationale consultative des droits de l’homme note que ces deux dimensions « se recoupent déjà en partie dans le cadre légal actuel de l’AMP. En effet, pour les couples à qui l’on propose les gamètes d’un tiers, la médecine de la reproduction ne remédie pas à une infertilité au sein du couple mais elle organise le recours aux gamètes d’un tiers pour la pallier. »[92]. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes est sur la même ligne[93].
Autrement formulé, quand seul le recours à un tiers donneur de gamètes permet de pallier l’infertilité du conjoint, il s’agit autant d’une assistance médicale à la procréation que d’une assistance sociale qui est apportée au couple.
L’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques note de son côté : « Si [le désir d’enfant non réalisé] résulte d’une infertilité de caractère pathologique, l’assistance médicale à la procréation ne soignera pas, mais tendra à permettre de contourner le « blocage » physiologique, en utilisant le procédé le mieux adapté à la situation. S’il tient aux choix de vie, le « blocage » pourrait être également contourné en utilisant le procédé le mieux adapté, qui serait utilisé d’une façon identique à ce que son utilisation aurait été dans le cas d’une infertilité pathologique. »[94]
Ces approches conduisent à nuancer l’absence d’atteinte au principe d’égalité. En effet, elles ne font pas apparaître autant de différences entre la situation des couples hétérosexuels pour lesquels le recours à un tiers donneur est la seule solution pour procréer et la situation des couples de femmes et des femmes célibataires qui, dans le même objectif, ont également besoin d’un don de spermatozoïdes.
C’est également le point de vue des associations[95] qui martèlent que personne n’imaginerait dire aux femmes hétérosexuelles dont le conjoint est infertile qu’elles devraient se résoudre à ne pas avoir d’enfants ou à changer de partenaire. Ces associations considèrent ainsi que l’interdiction faite à une femme d’accéder à une technique procréative parce qu’elle est homosexuelle ou célibataire est une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou le statut matrimonial.
Dans son avis n° 126[96], le Comité consultatif national d'éthique soutient, au demeurant, que « le maintien du cadre légal actuel - qui réserve l’IAD aux couples formés d’un homme et d’une femme (…) pourrait constituer une injustice de la part de la société à l’égard des demandeuses ».
2.1.6 Le Gouvernement souhaite que toutes les familles trouvent leur place dans la société et soient respectées.
La critique qui consiste à titrer une consécration d’un droit à l’enfant de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes ne repose sur aucun argument sérieux.
Il n’a jamais été question de reconnaître un tel droit qui, du reste, n’a « aucune consistance juridique dès lors qu’un enfant est une personne, un sujet de droit, et qu’il ne saurait être envisagé comme l’objet du droit d’un tiers »[97].
Un tel reproche avait déjà été exprimé lors l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Conduit à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi, le Conseil constitutionnel avait rappelé, dans sa décision, que l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe ne consacrait pas un droit à l’enfant, puisque ces couples sont soumis aux mêmes conditions que les autres pour adopter[98].
Le même raisonnement s’applique à l’extension de l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Le cadre juridique impose des conditions aux couples hétérosexuels - qui ne disposent pas plus que les autres d’un droit à l’enfant (la naissance d’un enfant n’est d’ailleurs jamais garantie par les centres d’assistance médicale à la procréation). Ces conditions s’appliqueront pareillement aux couples de femmes et aux femmes célibataires (notamment la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à naître déjà prévu à l’article L. 2141-10 du code de la santé publique).
De façon unanime, les travaux préparatoires à la révision bioéthique ont écarté ou condamné cette notion de droit à l’enfant et confirmé que l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes ne repose ni sur l’idée d’un droit à l’enfant, ni sur celle de créer ou de consacrer un tel droit.
Il apparait plutôt que la seule revendication est celle du droit au désir d’enfant. Or, le désir de parentalité n’a rien de spécifique, il est totalement indépendant de l’orientation sexuelle ou du statut matrimonial. Ainsi que le note le rapporteur de la mission d’information parlementaire : « la famille (…) reste « traditionnelle » au regard de l’irrépressible désir d’engendrement »[99].
Le Gouvernement est par ailleurs attaché au respect des droits de l’enfant et à la protection de l’enfance dont il a fait une priorité (loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant).
Dans son approche, le Conseil d’Etat, a estimé « que la notion juridique d’intérêt supérieur de l’enfant ne saurait faire obstacle à l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules[100] ».
Le Comité consultatif national d’éthique souligne que « La structure de la famille compte beaucoup moins que le soutien de l’environnement, la dynamique familiale, la qualité des relations entre parents et enfants ainsi qu’entre les parents eux-mêmes. »[101]. Les parents (qui peuvent être un père et une mère, deux mères ou une seule mère) insèrent l’enfant dans leur lignage et ainsi dans la continuité familiale ; ces lignages parentaux, l’existence de grands-parents, d’oncles/tantes, cousins/cousines… participent au cadre qui favorise et assure le développement de l’enfant.
L’essentiel apparait bien être l’affection, l’attention, le sentiment de sécurité qu’apportent le ou les parents et l’entourage familial ; la « bonne » famille est celle qui donne de l’amour à l’enfant, qui n’est pas dans la violence et lui apporte une sécurité.
Or, ce n’est pas l’orientation sexuelle ou le statut matrimonial qui déterminent l’amour et les valeurs transmises à l’enfant mais le projet parental. La notion de « projet parental », « placée par la loi au cœur de l’AMP », « ne renvoie pas seulement à la demande des adultes » mais également « à l’intérêt de l’enfant, qui a toujours été placé au premier rang des préoccupations du législateur ».[102] A cet égard, il convient de noter que certains enfants, nés sans recours à l’assistance médicale à la procréation, n’ont pas nécessairement la chance d’être le fruit d’un projet parental.
Des études ont été menées depuis plus de quarante ans et, ainsi que le souligne le rapporteur de la mission d’information parlementaire, « aucun élément probant n’a jamais été apporté à l’appui des thèses qui agitent l’idée d’un enfant perturbé, malheureux ou entravé dans son développement par le fait qu’il grandirait dans un cadre familial « non traditionnel ». Toute personne qui se prévaut d’une démarche scientifique devra donc convenir, en toute honnêteté, que l’intérêt de l’enfant n’est pas menacé, en l’état des connaissances disponibles. »[103]
A ce propos, une étude anglaise[104] a permis de montrer que les enfants élevés par des femmes (célibataires ou couples de femmes) depuis l’enfance évoluent bien lorsqu’ils atteignent l’âge adulte : il n’existe aucune différence avec les familles traditionnelles en termes de qualité de la parentalité et d’adaptation psychologique de leurs enfants ; les relations familiales sont positives et on constate un meilleur bien-être psychologique (meilleure estime personnelle, moindre niveau d’anxiété, de dépression, d’hostilité et de consommation d’alcool) parmi les jeunes adultes élevés par des femmes comparés à ceux élevés dans des familles traditionnelles.
Enfin, ce n’est pas du côté de la structure familiale qu’il faut chercher une différence entre les enfants nés au sein de couples de femmes ou de femmes célibataires et les autres enfants, mais du côté de la société et des regards portés sur eux, des discours dont ils sont l’objet, de la perception de ce modèle dans la société[105].
2.1.7 Il n’est pas question de nier la place et le rôle du père dans la construction d’un enfant et le Gouvernement poursuit l’objectif de soutenir et d’encourager l’implication des pères à l’égard de leurs enfants. Mais il faut accepter, à côté d’une vision traditionnelle (altérité masculin/féminin), une autre conception.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelle « la distinction fondamentale qui existe entre les catégories juridiques de parenté, assimilées à des liens juridiques établis entre des personnes, et les catégories sociales de parentalité, susceptibles d’investissements psychologiques, imaginaires, marqués par la plus grande diversité. »[106]
Dans la même approche, le Comité consultatif national d’éthique a précisé dans son avis 126, que « Sous le terme de « père », revient s’unifier de manière complexe tout ce que les disjonctions propres à l’AMP amènent à séparer : le géniteur masculin (donneur de sperme), le père juridique reconnu selon les règles de filiation, la figure masculine par opposition au féminin, le double lignage généalogique par opposition à l’unicité des familles monoparentales, la différence au sein du couple, chacun de ces facteurs étant important pour l’enfant, sur un plan matériel, psychique et symbolique, dans la construction de soi, ainsi que pour la société dans son ensemble. »[107]
- En ce qui concerne le donneur de gamètes
Si certaines personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur expriment des difficultés (s’interrogent sur « leur » donneur), elles sont pour partie liées au secret qui a entouré les circonstances de leur conception et dont la révélation a pu être douloureuse. Un tel secret est moindre à l’égard d’enfants dont les deux parents sont de même sexe ou qui sont nés d’une mère célibataire. Pour le Comité consultatif national d'éthique, la technique d’assistance médicale à la procréation peut même s’avérer « parfois moins énigmatique que la sexualité des parents, et plus simple à expliquer. »[108]. Et par ailleurs, l’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur de gamètes est prévu dans le présent projet de loi.
- En ce qui concerne le père juridique
Ainsi que cela a été précisé, l’adoption est ouverte aux femmes célibataires et personne ne s’est offusqué de l’absence de référent paternel à leurs côtés ; cette réforme a été adoptée, la société reconnaissant qu’une femme seule peut prendre en charge un enfant et être un bon parent. Et, par ailleurs, l’adoption est également ouverte aux couples de même sexe, le législateur, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation admettant ainsi qu’un enfant pouvait très bien avoir deux parents de même sexe.
- En ce qui concerne la figure masculine (par opposition à féminine)
Tout d’abord, le couple est moins « genré » qu’auparavant : chacun, dans un couple, s’investit en fonction de ses compétences ; parfois, selon les sujets, la femme tient le rôle traditionnellement paternel et l’homme le rôle classiquement maternel.
Par ailleurs, à côté d’une vision traditionnelle (altérité masculin/féminin), le Comité consultatif national d'éthique fait émerger une autre vision : « La fonction paternelle n’est pas identique ni réductible à la différence des sexes. Dans l’inconscient de l’enfant, le couple parental est formé d’un père et d’une mère plutôt que d’un homme et d’une femme. L’absence d’homme dans le foyer ne veut pas dire que l’enfant exclut la représentation symbolique du père, pas plus que la représentation de l’autre sexe. »[109]
- En ce qui concerne la différence au sein du couple
Les enfants élevés par des couples de femmes peuvent tout à fait bénéficier d’une altérité des caractères et des positions parentales.
L’essentiel est que puisse fonctionner « la triangulation de la fonction paternelle[110] au terme d’une dynamique structurante marquée par un déplacement des investissements affectifs sur un autre personnage que la mère » estiment certains professionnels « Mais rien ne dit que cette fonction doive nécessairement être assumée par un homme. »[111]
Par ailleurs, le Comité consultatif national d’éthique souligne également « l’importance de tenir compte des repères sexués, symboliques et sociaux, au-delà du couple de femmes ou de la femme seule. »[112]. Les fonctions du père peuvent se distribuer entre plusieurs personnes. La famille ne se limite pas aux parents ou à la personne qui donne naissance à l’enfant. Une famille est constituée de grands-pères, de grands-mères, d’oncles, de tantes, de cousins, de cousines, de parrains et de marraines…
Enfin, affirmer qu’une famille formée d’un homme et d’une femme est nécessairement une bonne famille apparait risqué dans la mesure où les relations parfois conflictuelles au sein des couples hétérosexuels sont loin d’être toujours idéales et que les enfants peuvent en souffrir. « Comme l’ont souligné les psychologues et pédopsychiatres (…) toutes les constructions familiales sont à risque ».[113]
2.1.8 Depuis plusieurs dizaines d’années, des enfants sont conçus par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur au sein de couples hétérosexuels et le principe de précaution n’a jamais été évoqué à leur endroit. Comment l’extension des techniques de procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires pourrait-elle être à l’origine d’un risque spécifique ?
Le Conseil d’État, dans son étude de juin 2018[114], considère non seulement que ce principe ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce mais que, même si tel était le cas, il serait nécessaire de « fixer une contrainte de méthode au législateur, en lui imposant d’objectiver les risques encourus et les bénéfices attendus de chaque scénario en fonction des éléments disponibles au moment où la décision est prise, sans dicter ou exclure par avance telle ou telle option. Ce principe ne peut donc être utilement invoqué au soutien du maintien des conditions actuelles d’accès à l’AMP. »
2.1.9 La Commission nationale consultative des droits de l’homme note que « les évolutions de la médecine au 20ème siècle, avec la chirurgie réparatrice, puis la chirurgie esthétique, d’une part, et l’avortement d’autre part, laissent à penser qu’un acte médical n’est rien d’autre qu’un acte réalisé par un médecin. »[115]. L’Académie de médecine établit le même constat : « De la chirurgie plastique à la médecine sportive, nombreux sont les actes et les missions qui peuvent être confiés au médecin sans que la finalité soit de corriger un état pathologique ou de se substituer à une fonction défaillante. »[116]
Il convient également de rappeler que les techniques d’assistance médicale à la procréation ne soignent pas (ne guérissent pas les couples de leur infertilité) mais « agissent comme des techniques de parenté »[117], en particulier en cas de recours à un tiers donneur. Il en est de même lorsque l’indication de l’assistance médicale à la procréation est liée à l’âge de la femme sans autre cause médicale. Dans ces deux exemples, , s’il y a bien un acte médical, l’assistance apportée par le médecin est moins médicale que sociale.
En outre, il est à nouveau rappelé que le caractère pathologique de l’infertilité exigé par la loi n’est pas toujours établi, ce qui n’empêche pas l’intervention de la médecine pour permettre à des couples infertiles sans cause médicale objective de procréer.
Au surplus, soigner, c’est non seulement prévenir, diagnostiquer et traiter, mais c’est aussi considérer les personnes dans leur entièreté physique, psychique, morale, culturelle, et sociale. La souffrance ressentie du fait d’une infécondité consécutive à des orientations personnelles, qui ne sont pas choisies, doit également être reconnue et prise en compte.
Le Conseil national de l’ordre des médecins estime d’ailleurs que l’extension de l’assistance médicale à la procréation ne se heurte à aucun obstacle majeur face aux règles fondamentales de l’éthique du médecin.
Dans son avis du 20 septembre 2018[118] sur l’extension de l’assistance médicale à la procréation, il analyse qu’ « aucun article [du code de déontologie médicale] aujourd’hui ne permet de repousser une telle évolution au motif d’atteinte à la déontologie. »
Il détaille la mesure à l’aulne des quatre principes de l’éthique médicale[119] et conclut que « Les quatre principes ne seraient en aucun cas ébranlés par une éventuelle évolution de la loi en faveur des femmes seules ou homosexuelles en couple. »
Enfin, dernier argument si besoin, le fait d’éviter que des femmes procèdent à des inséminations dangereuses pour elles apporte une valeur ajoutée médicale certaine.
2.1.10 L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation sera sans incidence sur l’interdiction de la gestation pour autrui.
En effet, la gestation pour autrui se heurte à des objections spécifiques.
Elle est contraire au « respect de la personne humaine, [au] refus de l’exploitation de la femme, [au] refus de la réification de l’enfant, [à l’] indisponibilité du corps humain et de la personne humaine. »[120].
Elle s’oppose au principe de non-patrimonialité du corps humain lorsqu’elle est rémunérée. Et encore, le Conseil d’Etat précise-t-il que « l’argument tiré de ce que la gestation pour autrui pourrait être « éthique », c’est-à-dire pratiquée hors de toute finalité marchande, ne lève pas sa contrariété aux principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes eu égard, notamment, à la difficulté de s’assurer du caractère désintéressé du geste de la mère porteuse. » [121].
Elle comporte des risques de violences « d’ordre économique, juridique, médical et psychique »[122] pour la gestatrice comme pour l’enfant alors que les techniques d’assistance médicale à la procréation sont exemptes de violence à l’égard d’un tiers.
Au regard du respect des quatre principes de l’éthique médicale : l’autonomie de la personne, la bienfaisance, l’absence de maltraitance, l’équité, M. Jean-Marie Faroudja, président de la section « Ethique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins a déclaré : « les réponses sont très différentes si l’on s’interroge au sujet de l’AMP d’une part, au sujet de la gestation pour le compte d’autrui d’autre part. » [123].
En résumé, si l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation interroge la structure familiale, la gestation pour autrui questionne les grands principes éthiques.
2.1.11 Au vu de ces différents éléments, il apparait au Gouvernement que le cadre juridique actuel relatif à l’assistance médicale à la procréation, qui réserve l’assistance médicale à la procréation aux couples formés d’un homme et d’une femme, doit évoluer.
L’accès à l’assistance médicale à la procréation est ouvert aux femmes en couple et aux femmes célibataires sur le territoire national.
Elle vise à apporter des conditions de sécurité médicales et juridiques pour protéger les familles monoparentales et homoparentales ayant recours à l’assistance médicale à la procréation.
Au regard des options qui se présentent à lui, le Gouvernement fait le choix d’ouvrir l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées sans exclure aucune technique et sans introduire de clause de conscience spécifique qui ciblerait certains publics. Le critère médical d’infertilité, qui aujourd’hui conditionne l’accès à l’assistance médicale à la procréation, est supprimé. La prise en charge par l’assurance maladie reste identique et est étendu aux nouveaux publics éligibles.
La première option qui se présente est celle d’ouvrir l’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation aux seuls couples de femmes ou de l’ouvrir aussi aux femmes non mariées.
Le Conseil d’Etat a confirmé qu’ « aucun principe juridique n’interdit d’ouvrir l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules et rien ne s’oppose à faire une éventuelle distinction entre ces deux publics ».[124]
Les deux situations ont en commun la nécessité du recours à un don de sperme et le fait qu’il n’y aura pas de père juridiquement institué dans la vie de l’enfant[125].
Comme cela a été souligné dans plusieurs travaux préparatoires à la révision bioéthique, dans la première situation, celle des couples de femmes désirant un enfant, deux personnes apportent des disponibilités complémentaires vis-à-vis des besoins, des aléas de la vie et de l’éducation de l’enfant. Elles insèrent l’enfant dans un double lignage. Dans le modèle monoparental, un seul parent est présent et un seul lignage est impliqué.
Cette situation n’est pas exceptionnelle. Le rapport de l’Insee[126] de 2015 indique qu’il existait, en France en 2013, 1,8 million de familles monoparentales sur 7,8 millions de familles au total (soit 23 %). Dans 85 % des cas, il s’agit d’une femme et pour 79 % d’entre elles, la situation résulte d’une séparation. Ces familles font l’objet d’interventions sociales prioritaires, la situation de monoparentalité apportant des contraintes reconnues, qui ne sont pas uniquement d’ordre financière.
Cependant, comme le souligne le Comité consultatif national d'éthique dans son avis n° 129[127], si « des études (…) s’accordent à souligner la plus grande vulnérabilité des familles monoparentales », elles portent, pour la plupart, sur des femmes avec enfant « devenues seules ». Et, comme le souligne Susan Golombok[128], les difficultés de ces enfants (problèmes émotionnels ou de comportement, moins bonne réussite scolaire[129]) sont moins directement liées à la monoparentalité en tant que telle, qu’à des facteurs tels que le désavantage socioéconomique[130], le manque de soutien social, les conflits entre les parents[131], la dépression parentale suite au divorce[132], etc.
Or, les familles monoparentales « par choix » pourraient se révéler fort différentes de celles pour lesquelles cette situation est subie. D’une part, parce que les mères célibataires par choix ont pris la décision active d’avoir un enfant seules et ont souvent mûrement réfléchi ce projet, à l’inverse de la situation de monoparentalité non programmée des mères « devenues seules ». D’autre part, parce que les facteurs de risque précédemment mentionnés ne les concernent a priori pas. En effet, les enfants de ces familles n’ont pas été exposés à des conflits parentaux et n’auront à vivre ni le choc psychologique de la séparation des parents, ni la dépression réactionnelle du parent avec lequel ils restent. En outre, les mères célibataires par choix exercent souvent une activité professionnelle leur assurant une sécurité financière et elles bénéficient d’un bon réseau de soutien social.[133]
Il convient également de noter que la plupart des mères célibataires par choix disent qu’elles auraient préféré avoir des enfants dans le cadre d’un schéma familial traditionnel ; elles se préoccupent de l’absence d’un père dans la vie de leur enfant et recherchent activement des personnes de leur entourage qui pourraient jouer ce rôle de modèle masculin.[134] A ce propos, l’association Mam’en solo a déclaré[135] : « Nous avons réfléchi à des référents, des parrains, des oncles, des tantes, des grands-parents. Nous n’élevons pas seules nos enfants »[136]. Le risque de situation de fusion à l’égard du seul parent, évoqué dans l’étude du Conseil d’Etat[137], ne peut être complètement exclu mais il peut être ainsi diminué.
Par ailleurs, par rapport aux mères en couple hétérosexuel qui ont recours à l’insémination artificielle avec donneur, les mères célibataires par choix ne sont pas exposées à l’expérience potentiellement stressante de l’infertilité de leur partenaire. Les mères en couple hétérosexuel seraient d’ailleurs plus susceptibles que les mères célibataires d’exprimer des sentiments neutres, ambivalents ou négatifs quant au fait d’avoir eu recours à un donneur[138]. Alors que les mères célibataires auraient plus tendance que les couples hétérosexuels à révéler à leurs enfants le recours à une insémination artificielle avec donneur, et ce à un âge plus précoce[139].
Comme le soulignent les Pr. François Olivennes[140] et Susan Golombok[141], il y a peu de données scientifiques concernant ces mères célibataires par choix.
Toutefois, les quelques études disponibles - qui ont comparé des familles de mère célibataire par choix à des familles biparentales hétérosexuelles, les deux types de famille ayant un ou des enfants conçus par don - semblent montrer que les relations au sein de ces familles monoparentales sont plutôt bonnes et que les enfants vont plutôt bien. Le point fort de ces études est que les enfants du groupe témoin (familles biparentales) ont également été conçus par insémination artificielle avec donneur, contrôlant ainsi le recours à la conception par donneur chez les mères célibataires par choix.
Dans la première année de vie de l’enfant[142], il n’y a pas de différences en termes de bien-être psychologique des mères, d’implication émotionnelle, de liens avec leurs enfants, etc. Lorsque les enfants atteignent l’âge de 2 ans[143], les mères célibataires ne sont pas plus susceptibles d’éprouver un stress associé à la parentalité ou de présenter des symptômes d’anxiété ou de dépression, et on retrouve moins de problèmes émotionnels et de comportement chez leurs enfants. Lorsque les enfants ont entre 4 et 9 ans[144], il n’y a pas non plus de différences ni en termes de qualité de la parentalité (excepté moins de conflits mères-enfants dans les familles dirigées par des mères célibataires par choix, ce qui apparait comme un avantage) ni en termes de problèmes émotionnels et de comportement chez l’enfant.
Les adolescents conçus par don et élevés par une mère célibataire prévoient davantage de demander l’identité de leur donneur à l’âge de 18 ans que ceux élevés par deux parents.[145] Ceci dit, la majorité d’entre eux recherche leur donneur parce qu’ils éprouvent une forme de curiosité, et non parce qu’ils souhaiteraient une sorte de relation paternelle avec leur donneur ou qu’ils vivraient mal le fait d’être nés d’un don[146].
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 126, a émis des critiques à l’égard de ces études : « Il s’agit d’études anglaises qualitatives sur de petits effectifs et sur des enfants encore très jeunes. »[147] Dans son livre Modern Families, Susan Golombok pointe en premier lieu le fait que la validité scientifique des études sociologiques ou psychologiques n’avait rarement été autant questionnée. Ensuite, concernant la taille des échantillons, elle rappelle que les chercheurs ont réalisé plusieurs méta-analyses aboutissant toutes aux mêmes conclusions. Quant au soi-disant défaut de représentativité, elle considère cette critique comme non valide étant donné que le recrutement ne s’est pas fait sur la seule base du volontariat. Enfin, les études menées ont utilisé plusieurs modalités d’enquêtes (observations, entretiens, test psychologiques, questionnaires, etc.). Elle souligne à ce propos que : « Ce qui est frappant avec ces investigations menées en différents lieux pendant 40 ans, étant donnée la diversité des méthodes employées, c’est la cohérence des résultats. »
Les résultats de toutes ces études suggèrent que la monoparentalité en elle-même n’a pas de conséquences psychologiques préjudiciables pour ces enfants. Ainsi que cela a déjà été rappelé, la structure de la famille compte beaucoup moins que le soutien de l’environnement, la dynamique familiale, la qualité des relations entre parents et enfants.[148] Le lignage parental, même s’il est unique, participe au cadre qui favorise et assure le développement de l’enfant.
En outre, pour une plus grande sécurité, rien n’interdit à la femme qui s’apprête à être mère célibataire de désigner de façon officielle un tuteur qui s’engagera à prendre son relais au cas où, pour une raison ou une autre, elle serait empêchée, momentanément ou définitivement.[149] A cet égard, même si ce n’est pas l’option retenue, certains centres d’assistance médicale à la procréation en Belgique n’acceptent de prendre en charge les femmes célibataires qu’à condition qu’elles puissent indiquer une personne référente pouvant s’engager pour l’avenir[150].
Enfin, il parait opportun de rappeler à nouveau que les équipes médicales, lorsqu’elles sont confrontées à des demandes d’assistance médicale à la procréation qui leur semblent présenter des risques particuliers pour l’enfant à naître, peuvent, en l’état actuel du droit, différer la réalisation de l’acte en considération de l’intérêt de l’enfant[151]). Et qu’en tout état de cause, l’assistance médicale à la procréation est précédée « d'entretiens particuliers des demandeurs avec les membres de l'équipe médicale clinico-biologique pluridisciplinaire du centre, qui peut faire appel, en tant que de besoin, au service social institué au titre VI du code de la famille et de l'aide sociale ».
La Commission nationale consultative des droits de l’homme[152] « préconise l’ouverture de l’AMP aux femmes célibataires, tout en invitant les équipes pluridisciplinaires chargées d’apprécier l’intérêt de l’enfant à naître à être vigilantes à l’égard des motivations des personnes célibataires souhaitant accéder à une technique d’AMP. ».
Dans ses avis n° 126 et 129, le Comité consultatif national d'éthique donne un avis favorable à l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation à toutes les femmes (incluant les femmes célibataires).
L’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation sera, par conséquent, ouvert aux couples de femmes et aux femmes non mariées.
La question du maintien ou non de l’exigence du caractère pathologique de l’infertilité comme condition d’accès à l’assistance médicale à la procréation pour les couples hétérosexuels a été évoquée.
Le maintien de ce critère d’accès pour les couples hétérosexuels alors qu’il n’existera pas pour les femmes en couple ou non mariées – bien que certaines d’entre elles présenteront de tels problèmes aboutirait à créer une nouvelle inégalité, source potentielle de contentieux.
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblé nationale[153] indique : « Le maintien du critère pathologique n’apparaît pas tenable dans la mesure où, déjà aujourd’hui, l’AMP apportée aux couples hétérosexuels ne s’appuie pas toujours sur des critères pathologiques. Il serait alors logique d’égaliser les conditions d’accès ».
Le Conseil d’Etat note : « Toutes les questions posées (…) ont en commun de revendiquer un assouplissement des conditions d’accès aux techniques d’AMP, ou d’en autoriser de nouvelles, ce qui aurait pour effet de supprimer la condition d’existence d’une pathologie. »[154]
Il s’interroge également sur les conséquences de cette suppression : « Si l’accès à l’AMP n’est plus conditionné par une infertilité, se pose alors la question du maintien de cette condition pour les couples hétérosexuels. Actuellement, les inconvénients, liés au caractère éprouvant de la technique de FIV et à ses risques, l’emportent sur les avantages mais, à terme, certains couples pourraient considérer que les progrès effectués en matière de DPI rendent cette technique comparativement moins aléatoire qu’une procréation charnelle. »[155]. Toutefois, les contraintes et les désagréments d’un parcours en assistance médicale à la procréation (a fortiori en fécondation in vitro, technique rendue nécessaire pour un diagnostic préimplantatoire) ne laissent pas présager d’un recours massif aux techniques d’assistance médicale à la procréation par des couples hétérosexuels qui pourraient procréer naturellement.
En tout état de cause, si la vérification de l’origine pathologique de l’infertilité ne peut plus constituer un critère d’accès, une évaluation médicale et psychologique préalable à toute assistance médicale à la procréation (qu’il s’agisse d’insémination artificielle ou de techniques plus lourdes) doit être maintenue pour tous les publics, notamment parce que toute contre-indication doit être écartée au regard de la balance bénéfices/risques.
Si les couples hétérosexuels continueront de relever d’un bilan d’infertilité classique (non pour objectiver l’existence d’une origine pathologique de leur infertilité mais pour adapter la prise en charge procréative et, le cas échéant, apporter des traitements complémentaires), les femmes en couple de même sexe ou non mariées bénéficieront également des entretiens et consultations préalables prévus à l’article L. 2141-10 du code de la santé publique.
Outre l’intérêt propre d’un temps de questions/réponses lors des entretiens avec l’équipe clinico-biologique, ces temps médicaux permettront d’identifier, au cas par cas (en fonction des éventuels risques personnels ou familiaux identifiés) et après un examen médical clinique, les examens complémentaires qui s’avèreront nécessaires avant de poursuivre la prise en charge. Il convient en effet de rappeler que les femmes concernées ne sont pas à l’abri d’anomalies de l’ovulation, d’obstruction des trompes de Fallope, d’obstacles mécaniques au niveau de l’utérus ou de maladies comme l’endométriose, toutes ces situations devant être connues et prises en compte pour la suite de la démarche.
Enfin les conditions d’âge pour accéder à l’assistance médicale à la procréation concerneront tous les publics et s’appliqueront aux hommes et aux femmes quelle que soit leur situation.
Au total, si le caractère pathologique de l’infertilité n’est plus un critère d’accès, l’assistance médicale à la procréation s’inscrira toujours dans un parcours médical.
La question de l’accès à toutes les techniques aujourd’hui disponibles en assistance médicale à la procréation (insémination artificielle, fécondation in vitro, accueil d’embryons) pour tous les publics éligibles est également posée.
Si le Comité consultatif national d'éthique, dans ses avis n° 126 et 129, n’évoque que la technique d’insémination artificielle, le Conseil d’Etat estime qu’ : « Il ne paraît pas pertinent de distinguer l’IAD, à laquelle il sera recouru le plus souvent, de la fécondation in vitro, ou même de l’accueil d’embryon. En effet, s’il est décidé d’ouvrir l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, il paraîtrait incohérent de leur fermer l’AMP en cas de problèmes de fertilité physiologique. Or, le recours à une technique plutôt qu’à l’autre repose sur le seul état de santé de la femme. »[156]. En effet, la mise en évidence d’une obstruction tubaire bilatérale, par exemple, rendra nécessaire le recours à une fécondation in vitro.
Si l’insémination artificielle apparait comme une technique « légère » incitant à ce qu’elle soit privilégiée (« En toute circonstance, devrait être retenue la technique la plus légère possible » dit le Conseil d’Etat[157]), il convient néanmoins de préciser que les techniques de fécondation in vitro permettent de limiter le risque de grossesses multiples par le transfert d’un embryon unique, contrairement à l’insémination avec sperme de donneur. Or, la naissance d’un enfant unique chez les femmes célibataires doit également être prise en considération.
En outre, l’échec de plusieurs inséminations pourrait conduire à indiquer une fécondation in vitro (comme pour les couples hétérosexuels).
Dans le cadre des techniques utilisées, la question de l’accueil d’embryon constitue un point spécifique.
Si l’interdiction du double don de gamètes était maintenue, les femmes qui seraient dans l’incapacité de concevoir avec leurs propres ovocytes, devraient avoir recours à un accueil d’embryon. En effet, elles ne pourraient bénéficier, en sus d’un don de sperme, d’un don d’ovocyte.
En résumé, les nouveaux publics éligibles à l’assistance médicale à la procréation auront accès à toutes les techniques disponibles. L’indication de recourir à une technique plutôt qu’à une autre sera posée par l’équipe médicale.
La question de l’introduction d’une clause de conscience spécifique, c’est-à-dire la possibilité explicite qu’un médecin refuse de prendre en charge lui-même en assistance médicale à la procréation un couple de femmes ou une femme seule (tout en orientant ces personnes vers un confrère à même de le faire), a également été débattue.
Certaines sociétés savantes[158] l’ont évoqué sur le modèle de ce qui est prévu, par exemple, dans le cadre de l’interruption volontaire de grossesse pour laquelle l’article L. 2212-8 du code de la santé publique dispose :
« Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention (…) Aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse. (…) »).
Le Conseil d’Etat considère que « s’il est toujours possible à un médecin d’opposer à une situation individuelle donnée la clause de conscience générique prévue par l’article R4127-47 du code de la santé publique, il paraît juridiquement impossible de créer une clause de conscience spécifique à l’AMP qui ciblerait certains publics. »[159].
Il est rappelé en effet que le code de déontologie médicale prévoit, de manière générale, que
« Quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades doit être assurée. Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins. » (Article R. 4127-47 du code de la santé publique).
Le rapporteur de la mission d’information parlementaire[160], s’il considère également que l’introduction d’une clause de conscience spécifique ne saurait se concevoir dans le cadre de l’extension d’une assistance médicale à la procréation aux couples de femmes ou aux femmes seules car « Elle entrerait en contradiction avec l’article 7 du code de déontologie médicale (article R. 4127-7[161] du code de la santé publique) qui prohibe toute discrimination. », ajoute que « Le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Éthique et déontologie du conseil national de l’ordre des médecins, a été on ne peut plus clair lors de son audition : « les médecins ne peuvent s’abriter derrière la clause de conscience pour opérer une discrimination » ».
Il n’y aura donc pas d’introduction d’une clause de conscience spécifique pour les médecins.
3.5.1 En France, les bilans et les soins liés l’infertilité, qui concernent donc les seuls couples hétérosexuels dont l’infertilité est médicalement constatée, sont pris en charge, sous condition d’entente préalable, à 100% avec exonération du ticket modérateur et ce jusqu'au 43ème anniversaire de la femme.
Cette prise en charge se limite à une seule insémination artificielle par cycle, avec un maximum de six inséminations et quatre tentatives de fécondation in vitro pour obtenir une grossesse.
L'organisation et la prestation des soins de santé relèvent de la responsabilité des pays membres de l’Union européenne, celle-ci n’imposant pas de règles quant à la prise en charge financière de l’assistance médicale à la procréation. Elle diverge donc d'un pays à l'autre.
3.5.2 L’Agence de la biomédecine distingue les pays remboursant en partie les traitements d’assistance médicale à la procréation (Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Israël, Italie, Macédoine, Monaco, Monténégro, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Québec, République tchèque, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Turquie) et ceux qui n’interviennent pas dans ce cadre (Irlande, Suisse, Ukraine, Chypre, Estonie, Lettonie, Luxembourg, Malte, Roumanie)[162].
En Autriche, un fonds a été mis en place pour couvrir environ 70 % des coûts liés à la fécondation in vitro et aux traitements, sous certaines conditions. Un des critères pour la prise en charge est notamment la stérilité de l’homme et/ou de la femme[163].
En Belgique, si la patiente est âgée de moins de 43 ans, les coûts liés à l’ensemble des activités de laboratoire requises pour la fécondation in vitro ne lui sont pas facturés et, depuis 2008, l’assurance-maladie invalidité octroie également un remboursement forfaitaire pour les spécialités pharmaceutiques utilisées dans le cadre d’une insémination[164].
En Espagne, l’existence d’un trouble de la capacité de reproduction, documents à l'appui, conditionne la prise en charge par le système national de santé. La limite d’âge pour les femmes est de 40 ans[165].
Au Royaume-Uni, l’accès au traitement dans le cadre du service de santé national (National Health Service ou NHS) n’est pas identique partout parce que les différents conseils de santé (« clinical commissioning groups » locaux) définissent les services de soins de santé à financer pour un groupe de population, appliquent leurs propres niveaux de prestation et critères de sélection. Le National Institute of Clinical Health and Excellence (NICE)[166] publie des recommandations[167] (prise en charge par le NHS de 3 cycles de fécondation in vitro pour les personnes remplissant les critères d’éligibilité) que les conseils de santé appliquent ensuite au niveau local. Puisqu’il s’agit de recommandations et non d’obligations, en pratique, les inégalités géographiques en termes d’accès sont importantes (« postcode lottery » ou loterie du code postal). Selon les conseils de santé, le nombre de cycles de fécondation pris en charge peut ainsi varier énormément.[168]
En Israël, les procédures d’AMP sont entièrement prises en charge jusqu’à la naissance de deux enfants. Toutefois, la limite d’âge a été posée à 45 ans[169].
En Suède, la prise en charge ne concerne que les fécondations in vitro à un embryon chez les femmes âgées de moins de 35 ans.[170] La situation peut être variable selon le comté mais, généralement, un certain nombre de tentatives d’assistance médicale à la procréation sont prises en charge (en conformité avec la recommandation nationale de l’Association suédoise des pouvoirs locaux et régionaux) [171].
En Norvège, tous les couples qui se voient proposer une assistance médicale à la procréation dans le cadre du système de santé national bénéficient d’une prise en charge partielle du traitement par le Système national de soins de santé. Dans la pratique, les centres privés peuvent proposer un traitement aux femmes âgées de plus de 40 ans alors que les centres relevant du système national de santé ne sont pas en mesure de donner la priorité à ces patientes[172].
3.5.3 Il est légitime de poser la question de l’extension de la prise en charge par l’assurance maladie des techniques d’assistance médicale à la procréation aux nouveaux publics qui y seront éligibles. Ainsi que le note le Conseil d’Etat, « La question de l’allocation la plus juste des ressources de l’assurance maladie se pose avec d’autant plus d’acuité dans un contexte de tension sur les finances publiques. ».[173].
Tout d’abord, le Comité consultatif national d'éthique indique, dans son avis n° 129[174], que : « Cette question [de la prise en charge] fait partie intégrante des aspects éthiques du sujet et la solution adoptée (prise en charge complète, ou différenciée sous conditions de ressources quel que soit le type de demande, financement par les mutuelles, ou autres) devra être soigneusement étudiée au regard des critères de justice. ».
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale[175] estime que « l’égalité des droits est un fort argument en faveur d’une prise en charge. », rappelant également qu’« Aujourd’hui, des parcours d’AMP sont remboursés alors même qu’aucune infertilité pathologique n’est clairement établie. ».
De son côté, la Commission consultative nationale des droits de l’homme[176] tranche : « le principe d’égalité ferait obstacle à une telle différence de traitement. » et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes[177] recommande d’« Aligner la prise en charge financière des actes de PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires sur les modalités de prise en charge prévues pour les couples hétérosexuels (…) afin de garantir une égalité sociale d’accès à la technique ».
Pour le Conseil d’Etat « Il paraît exclu, pour des raisons juridiques, d’établir un régime différent de prise en charge au regard de la seule orientation sexuelle. Le seul critère pertinent serait la visée thérapeutique, à l’instar de ce qui existe pour distinguer la chirurgie esthétique de la chirurgie réparatrice.
Toutefois, ce critère apparaît peu adapté dans la mesure où l’on observe aujourd’hui des prises en charge en AMP de situations qui ne répondent pas à proprement parler à l’exigence d’une infertilité « médicalement constatée », mais qui peuvent être par exemple banalement liées à l’âge. La mise en œuvre de l’AMP, dans ces conditions, ne s’inscrit pas dans un contexte pathologique. Organiser une prise en charge pour les uns et non pour les autres apparaîtrait dès lors périlleux. »[178].
Au regard de cette analyse et rappelant qu’une des priorités des politiques publiques est de chercher à limiter les inégalités sociales liées aux revenus, le Gouvernement ne peut ouvrir un droit qui serait réservé aux femmes les plus aisées[179]. Le Conseil d’Etat souligne d’ailleurs que « la solidarité étant une composante importante du modèle bioéthique français, l’équité commande de ne pas écarter les personnes les plus démunies de la prise en charge des techniques d’AMP »[180].
La question d’une distinction entre les couples hétérosexuels, d’une part, et les couples de femmes et les femmes non mariées, d’autre part, au regard de la seule exonération du ticket modérateur doit être analysée selon le même prisme tant juridique qu’éthique.
Par conséquent, le Gouvernement étendra la prise en charge de l’assistance médicale à la procréation selon les règles en vigueur pour les couples hétérosexuels à toutes les femmes.
D'un point de vue pratique, ce terme est également apparu préférable à celui de "femme célibataire" ou de "femme ne vivant pas en couple" parce qu'il est davantage objectif et permet aux praticiens qui seront chargés de mettre en œuvre l'assistance médicale à la procréation de disposer d'un critère factuel. Il est également plus clair pour certaines femmes (veuves, divorcées ou toujours mariées mais séparées) qui pourraient ne pas savoir clairement si elles ont accès ou non à l’assistance médicale à la procréation.
La présente conduira à modifier le code de la santé publique.
Le premier alinéa de l’article L. 2141-2 de ce code sera abrogé. La fin du premier alinéa de l’article L. 2141-6 (« lorsque les techniques d'assistance médicale à la procréation au sein du couple ne peuvent aboutir ou lorsque le couple, dûment informé dans les conditions prévues à l'article L. 2141-10, y renonce ») et l’article L. 2141-7 sont par ailleurs supprimés.
En effet, toutes les conséquences doivent être tirées de la suppression du critère pathologique de l’infertilité[181].
Le deuxième alinéa de l’article L. 2141-6 est également modifié pour prendre en compte les nouvelles modalités de filiation.
L’article L. 2141-10 est modifié sur plusieurs points
- le premier alinéa est toiletté pour mettre à jour les renvois (l’équipe médicale fait appel, en tant que de besoin, à un assistant de service social inscrit sur la liste mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 411-2 du code de l’action sociale et des familles) ;
- ce premier alinéa est mis en cohérence et clarifié sur le fait que les entretiens particuliers du ou des demandeurs se font avec un ou plusieurs médecins de l’équipe clinico-biologique pluridisciplinaire du centre d’assistance médicale à la procréation (la formulation en vigueur laissait supposer que toute l’équipe devait être présente au moment de tels entretiens) ;
- il précise qu’il doit être procédé à la vérification de la motivation des deux membres du couple ou de la femme non mariée et à leur évaluation médicale et psychologique ;
- il est simplifié, deux items (1° et c) du 3°) renvoyant à l’information sur la possibilité d’adopter un enfant (a fortiori dans le contexte de chute du nombre d’enfants à adopter ; il est choisi de supprimer cette mention au 1° et de la laisser au c) du 3° ;
- bien que les termes utilisés (« demande » et « à l’issue du dernier entretien ») conduisent à une certaine confusion, il se déduit des dixième et onzième alinéa de cet article que le consentement du couple à l’assistance médicale à la procréation, mentionné à l’article L. 2141-2, doit faire l’objet d’une confirmation par écrit après un délai de réflexion d’un mois ; il parait préférable de clarifier ces deux alinéas, d’utiliser le terme « consentement » et d’éviter la mention au « dernier entretien » qui a peu de sens, de dernier entretien ne pouvant être identifié en cours de démarche (nouvelle rédaction : « le consentement du couple ou de la femme est confirmé par écrit à l’expiration d’un délai de réflexion d’un mois après réalisation des étapes mentionnées au 1°, 2°, 3°, 4° et 5° ») ;
- à l’avant dernier alinéa, il est précisé que le médecin qui, après concertation au sein de l'équipe clinicobiologique pluridisciplinaire, estime qu'un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire aux demandeurs dans l'intérêt de l'enfant à naître, doit avoir participé aux entretiens avec le ou les demandeurs ;
- au dernier alinéa, la mention aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité est supprimée pour mettre en cohérence le code de la santé publique avec le code civil (le pacte civil de solidarité est un contrat sans effet sur la filiation des enfants issus du couple, ce sur plan ce couple est considéré comme "non marié", comme les concubins).
Par ailleurs, une mise en cohérence de l’ensemble des dispositions concernées est effectuée (mention d’un couple sans précision de sa composition et ajout de la femme non mariée).
4.1.2 La présente mesure a également pour objet de modifier le code de la sécurité sociale.
La rédaction du 12° de l’article L. 160-14 du code de la sécurité sociale sera modifié pour ne renvoyer qu’aux investigations nécessaires au diagnostic de l’infertilité (terme préférable à celui de stérilité).
Il sera ajouté un 26° renvoyant au nouveau cadre de l’assistance médicale à la procréation :
4.1.3 S’agissant du droit de l’Union, le principe de libre circulation des personnes dans l’espace européen[182] n’empêche pas les Etats de déterminer, conformément à leur droit interne, les modalités d’accès aux techniques médicales concernées.
La directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, si elle consacre la jurisprudence de la CJUE relative au droit des patients à bénéficier d’un traitement médical dans un autre État membre que le leur, porte principalement sur le remboursement des frais engagés par une personne assurée qui reçoit des soins de santé transfrontaliers, « si les soins de santé en question font partie des prestations auxquelles la personne assurée a droit dans l’Etat membre d’affiliation ».
Les centres d’assistance médicale à la procréation vont faire face à des demandes plus importantes émanant des nouveaux publics éligibles (dans une proportion et à un rythme qu’il est difficile d’anticiper). Toutefois, cette demande sera répartie sur l’ensemble des centres.
L’évaluation de la situation au plan médical sera beaucoup moins lourde pour les couples de femmes et les femmes non mariées que pour les couples hétérosexuels pour lesquels un bilan d’infertilité continuera d’être réalisé.
L’augmentation du nombre de demandes d’assistance médicale à la procréation avec don de spermatozoïdes concernera plus spécifiquement les CECOS. Mais il est rappelé dans le même temps que ces centres seront allégés de leur mission de conservation et de gestion des données, qu’elles soient identifiants ou non, relatives aux donneurs de gamètes (qui incombera à l’Agence de la biomédecine).
La Fédération des CECOS envisage une multiplication des demandes par deux ou trois[183].
Le Pr. François Olivennes[184], considère que « l’augmentation de l’âge des premières grossesses et le fait que de plus en plus de couples se séparent peut laisser penser que de plus en plus de femmes seules voudront des enfants [par le biais des techniques de procréation] ». Il précise recevoir « de plus en plus de ces femmes en consultation, entre cinq et dix par mois, contre deux par mois il y a quelques années. ». Cependant, il ne croit pas à une augmentation significative de la part des femmes célibataires : « Il s’agit en effet d’une démarche à laquelle peu de femmes aspirent, mais à laquelle elles se résolvent faute d’autre solution et non sans s’être posé toutes les questions qui se rattachent à cette situation. ».
Toute projection est délicate puisqu’il est impossible de prédire finement le nombre de couples et, a fortiori, le nombre de femmes célibataires qui solliciteront les centres d’assistance médicale à la procréation.
Néanmoins, à partir de l’enquête Familles et logements de l’Insee de 2011[185], de la dernière enquête santé et protection sociale (ESPS) de l’Irdes[186] et de la prise en compte de différents paramètres, le coût total annuel de l’ouverture de l’accès de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires peut être estimé entre 10 et 15 millions d’euros.
Il apparait donc que l’enjeu de la réforme est modeste pour les finances publiques puisqu’il représente 5 % du coût total de l’assistance médicale à la procréation aujourd’hui[187].
Actuellement, les dons de spermatozoïdes couvrent la demande et la situation est considérée comme équilibrée.
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 126[188], a posé la question de la disponibilité limitée des ressources biologiques (gamètes issus de don) et, au-delà, celle du risque de « marchandisation » des produits du corps humain. Ces questions constituent, pour lui, un « point de butée qui ne peut être ni évacué, ni minimisé ».
A ce stade, aucune estimation fiable des nouveaux besoins en don ne peut être réalisée (ni le nombre de femmes qui solliciteront les centres d’assistance médicale à la procréation ni le nombre de nouveaux donneurs qui se manifesteront ne peuvent être approchés rigoureusement).
Dans ce contexte, plusieurs pistes pour améliorer la réserve en spermatozoïdes ont été évoquées. Parmi ces pistes, seront écartés (Cf. infra) la rémunération du don de gamètes, le recours aux gamètes conservés dans des banques étrangères ou l’instauration d’un ordre de priorité au sein des demandeurs.
Tout d’abord, si la gratuité légale du don en France participe certainement à la situation de tension actuelle voire de pénurie de gamètes, le Gouvernement exclut toute rémunération du don de gamètes et ce, même si le don de sperme ne porte pas atteinte à l’intégrité physique du donneur.
En France, l’ensemble des dons d’éléments et produits du corps humain est gratuit et placé hors du secteur privé à but lucratif pour se protéger de tout risque de dérive commerciale.
L’interdiction de tout profit dans ce domaine fait l’objet article 21 de la Convention dite d’Oviedo qui dispose que :
« Le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit. »
Le Comité consultatif national d'éthique a constaté que l’expérience de pays, comme l’Espagne, qui « ont fait le choix d’augmenter l’offre de gamètes par la perspective d’une rémunération » (même si elle est présentée comme une indemnisation), « montre que l’argent gagné décide quelqu’un à faire ce qu’il ne voulait pas faire gratuitement, ce qui constitue une nouvelle figure de violence ».[189]
En autorisant la rémunération du don de gamètes, un véritable marché de la procréation pourrait se constituer. Et une fois le principe de la gratuité rompu sur les gamètes, celui sur les autres produits et éléments du corps humain, y compris les organes, pourrait être à son tour interrogé.
Le Gouvernement ne remettra donc pas en cause le principe de non commercialisation du corps humain et de ses éléments qui constitue l’un des piliers des lois de bioéthique, vise à protéger la dignité de la personne et contribue à la qualité et à la sécurité du don.
Par ailleurs, la Fédération des CECOS[190] a indiqué à plusieurs reprises qu’elle avait eu des échanges avec des représentants de la banque Cryos[191] (Danemark) qui se préparerait à la possibilité d’exporter des spermatozoïdes en France « dans un circuit légal ». Or, l’activité de cette banque étant purement commerciale, il lui sera impossible d’importer gratuitement des gamètes fussent-ils « éthiques » (au sens d’une non rémunération des donneurs) en France.
Certains pays, dont la Belgique, ont passé des accords avec des banques étrangères (notamment Cryos et Nordic Cryobank situées au Danemark) sélectionnées sur la base d’un cahier des charges précis incluant des conditions éthiques de recrutement des donneurs. Toutefois, ces paillettes sont achetées.
Mais le cas de la Belgique n’est pas celui de la France. En effet, dans ce pays, le poids des publics étrangers, s’il n’est pas précisément connu, pèse indéniablement sur les besoins nationaux.
En effet, au sein de l’Union européenne, le don de sperme est essentiellement réalisé dans trois pays : deux pays, le Danemark et la Belgique, qui ne représentent respectivement que 1 % et 2 % des naissances de l’Union européenne assurent 26 % et 20 % des dons de sperme de l’Union européenne, et l’Espagne, qui représente 8 % des naissances, assure 19 % des dons de sperme.
Au sein de l’Union européenne, l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur se concentre donc dans quelques pays qui accueillent les européens qui ne peuvent accéder au don de gamètes chez eux. Cela aboutit à une très forte concentration du don dans ces pays, souvent de petite taille. Pour répondre à la demande de la population européenne, ces pays doivent recruter un nombre important de donneurs qui ne peut reposer sur le seul altruisme de la population locale.[192]
Il convient par ailleurs de noter que les centres belges de médecine de la reproduction qui recrutent les donneurs, ne sont autorisés à aucune publicité.[193]
Au final, le Gouvernement n’envisage pas de recourir à des banques étrangères.
Enfin, certains (en particulier certaines sociétés savantes) souhaitent qu’une priorité soit donnée aux couples hétérosexuels souffrant d’infertilité ayant une origine pathologique.
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 126[194], écarte cette option. Il considère en effet que « D’un point de vue juridique, la constitutionnalité de cette solution serait douteuse » et, « d’un point de vue pratique, il n’est pas non plus évident de savoir comment procéder : faudrait-il instaurer deux listes d’attente séparées ? De ce fait, sauf augmentation inattendue du nombre de donneurs de sperme, l’ouverture de l’IAD aux femmes en couple ou seules ne déboucherait que sur des occasions très rares pour celles qui le souhaiteraient de bénéficier effectivement d’un don de sperme. »
Le Conseil d’Etat tranche la question : « Tous les couples ayant besoin d’un don de sperme pourraient être confrontés à un délai d’attente plus long, sans que l’on puisse juridiquement organiser un droit de priorité pour les couples hétérosexuels. »[195]
Le Gouvernement ne fixera donc aucune priorité de prise en charge qui serait discriminatoire pour les couples de femmes ou les femmes non mariées. Les droits ouverts doivent être effectifs.
Aujourd’hui déjà, les professionnels ont recours à des critères objectifs liés à l’âge de la femme ou à la durée de parcours du couple en assistance médicale à la procréation pour établir des priorités de prise en charge. Ces critères relèvent des bonnes pratiques professionnelles et il n’y a aucune raison de les modifier ou de les prévoir dans la loi.
Si le risque de prolonger, pour tous ceux qui ont besoin d’un don de sperme, les délais d’attente existe, cette situation n’est ni avérée ni inéluctable. Elle repose, en effet, sur l’hypothèse d’une stagnation voire d’une diminution du nombre de donneurs. Or, ce nombre peut, au contraire, augmenter, l’adoption d’un nouveau modèle d’assistance médicale à la procréation plus en adéquation avec l’évolution de la société étant susceptible de susciter de nouvelles vocations.
En tout état de cause, le Gouvernement compte amoindrir cet éventuel impact par le renforcement des campagnes d’information et de recrutement de nouveaux donneurs conduites par l’Agence de la biomédecine[196].
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 126[197], insiste pour que soient menées des campagnes de promotion du don « énergiques, répétées dans le temps, dans le but d’augmenter les dons de sperme et de répondre aux besoins ».
Une (importante) marge de manœuvre existe. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater les résultats du baromètre d’opinions sur les dons de gamètes de l’Agence de la biomédecine[198] : 85% des hommes et 79% des femmes en âge de donner se disent mal informés sur le don de gamètes. Cette tendance est encore plus marquée chez les 18-24 ans qui ne sont que 11% à se sentir bien ou suffisamment informés sur le sujet.
A cet égard, la suppression de la condition de procréation antérieure, couplée à d’autres facteurs comme la campagne nationale en faveur du don de l’Agence de la biomédecine, a eu un effet direct sur le recrutement de donneurs qui a augmenté de 42% entre 2015 et 2016[199].
Le guide pour la mise en œuvre du principe d’interdiction du profit relatif au corps humain et à ses parties provenant de donneurs vivants ou décédés du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe précise en outre que : « les activités de promotion peuvent être acceptables dès lors que les mesures impliquées sont des mesures « à vocation altruiste », qui sont considérées comme compatibles avec l’interdiction du profit. »[200].
Le Gouvernement renforcera donc les campagnes de dons de gamètes.
La réforme n’entraîne pas de changement de finalité du don de gamètes qui permet la réalisation d’une assistance médicale à la procréation indépendamment de l’identification des bénéficiaires.
En tout état de cause, chaque ancien donneur garde la faculté de révoquer, s’il le souhaite, son consentement, comme l’autorise l’article L. 1244-2 du code de la santé publique qui prévoit que « le consentement peut être révoqué à tout moment jusqu’à l’utilisation des gamètes ».
La mesure envisagée étend un droit existant à toutes les femmes qu’elles soient en couple hétérosexuel, de même sexe ou non mariées. Elle réduit donc les inégalités entre les femmes qui résultaient du cadre actuel de l’assistance médicale à la procréation.
Si certains ont évoqué le risque de recours accru aux techniques médicales de procréation par des couples hétérosexuels non infertiles, il parait difficile de l’envisager dans le cadre actuel autrement que de façon marginale. En effet, les sujétions seraient majeures pour ces couples et non compensées par des bénéfices. En tout état de cause, les équipes clinico-biologiques d’assistance médicale à la procréation pourraient, sauf justification exceptionnelle, récuser de telles sollicitations.
S’agissant de la mesure relative à l’ouverture de l’accès aux données (identifiantes ou non) du donneur de gamètes par les enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ne doit pas être considérée comme une conséquence nécessaire de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Ce serait occulter le débat qui a eu lieu auparavant sur cette question pour les enfants issus d’un don de gamètes au sein d’un couple hétérosexuel.
Certes, la connaissance de ses origines est un élément structurant de l’identité des personnes et il est raisonnable d’anticiper le fait que les enfants issus d’une assistance médicale à la procréation réalisée au sein d’un couple de femmes ou au bénéfice d’une femme non mariée seront confrontés à un besoin de quête identitaire, plus ou moins pressant mais cette quête est également vraie dans l’absolu.
L’Académie de médecine note d’ailleurs que les pays qui ont autorisé l’accès à l’identité du donneur de gamètes ne l’ont jamais fait en lien avec l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation (et inversement, la Belgique, qui permet aux couples de femmes et aux femmes célibataires de procréer, a maintenu l’anonymat du don de gamètes) [201].
Ont été consultés
- La Caisse nationale d’assurance maladie ; elle a rendu son avis le 2 juillet 2019 ;
- L’Union nationale des caisses d’assurance maladie ;
- L’Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire ; elle a remis son avis le 3 juillet 2019 ;
- Le Conseil central d’administration de la caisse nationale de la mutualité sociale agricole ; elle a transmis son avis le 26 juillet 2019 ;
- La Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.
Enfin, la Haute autorité de la santé a été consultée en application du 6° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale. Elle a rendu son avis le 12 juillet 2019.
La préparation et la publication du décret mentionné ci-dessous pouvant être anticipées, l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation sera effective le lendemain de la promulgation de la loi.
Le présent article du projet de loi s’applique en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon.
Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, sont applicables directement les dispositions du code de la sécurité sociale mentionnées au II, qui complètent l’article L. 160-14 dont l’application est déjà prévue à l’article 9 de l’ordonnance n° 77-1102 du 26 septembre 1977 portant extension et adaptation au département de Saint-Pierre-et-Miquelon de diverses disposions relatives aux affaires sociales.
En revanche, ces mêmes dispositions du II du présent article visant la modification de l’article L. 160-14 du code de de sécurité sociale ne sont pas applicables à Mayotte, dont le régime d’assurance maladie régi par l’ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre1996 a fixé des règles différentes pour la participation des assurés (article 20-2).
Le 2° de l’article R 160-17 du code de la sécurité sociale devra être complété par décret en Conseil d’Etat car actuellement l’exonération du ticket modérateur est prévue en cas d’infertilité et sous réserve de l’avis du service du contrôle médical. La consultation de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie en application et de l'Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire sera nécessaire pour avis.
Article 1er Clarifier la notion d’âge de procréer
1.1.1 La notion d’« âge de procréer » est inscrite dans l’article L. 2141-1 du code de la santé publique et constitue l’une des conditions légales d’accès aux techniques d’assistance médicale à la procréation depuis les premières lois de bioéthique de 1994 :
« L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l'insémination »[202].
Les travaux préparatoires à la loi n° 94-954 du 19 juillet 1994 relative à la bioéthique montrent que cette notion relevait des « restrictions » « indiquées dans l'intérêt de l'enfant à naître, afin qu'il ne souffre pas des conséquences du recours à une assistance médicale ; elles sont également précisées dans l'intérêt de la femme, les techniques de stimulation ovarienne étant éprouvantes et peut être pas sans risque pour sa santé. Elles visent enfin à protéger la société eu égard au coût élevé pour la sécurité sociale des techniques d'assistance médicale la procréation »[203].
Selon le rapport d’information fait au nom de la mission parlementaire sur la révision des lois de bioéthique du 20 janvier 2010[204], « des préoccupations sociales et éthiques ont conduit à retenir la notion de couples « en âge de procréer ». Elle répond au souci d’éviter que les femmes ménopausées aient recours à l’assistance médicale à la procréation ».
S’il considère dans son étude de 2009[205] que ce critère répond « à la logique « biologique » du législateur et à la prise en compte des limites naturelles de la reproduction », le Conseil d’Etat analyse, dans de récentes décisions[206], que « la condition relative à l’âge de procréer, (…) revêt, pour le législateur, une dimension à la fois biologique et sociale ».
1.1.2 Les données d’âge de la mère et du père constatées en France, toutes naissances confondues (incluant les naissances après assistance médicale à la procréation), sont représentées dans le tableau qui suit.
Répartition des nouveau-nés de 2015 selon les âges de leurs parents (en %)
Âge de la mère |
Âge du père |
Ensemble |
|||
Moins de 30 ans |
De 30 à 39 ans |
De 40 à 49 ans |
50 ans ou plus |
||
Moins de 30 ans |
23,9 |
17,0 |
1,7 |
0,2 |
42,8 |
De 30 à 39 ans |
3,4 |
37,4 |
10,0 |
1,2 |
52,0 |
40 ans ou plus |
0,1 |
1,3 |
3,2 |
0,6 |
5,2 |
Ensemble |
27,4 |
55,7 |
14,9 |
2,0 |
100,0 |
Champ : France.
Source : Insee, statistiques de l'état civil.
Le pourcentage de grossesses non menées à termes (fausses couches) va également s’accroître avec l’âge. S’il est d’environ 12 % vers 25 ans, il atteint 20 % à 37 ans et 30 % à 43 ans.[207]
Toutefois, des femmes d’un âge avancé peuvent débuter une grossesse grâce à un don d’ovocytes (et une prise en charge spécifique) et, hors de France, des exemples défraient régulièrement la chronique[208].
Contrairement à l’ovogenèse (formation des ovules à partir des ovocytes) chez la femme, la spermatogenèse (formation des spermatozoïdes) est continue chez l’homme en bonne santé (le vieillissement chez l’homme n’entraîne pas systématiquement son arrêt). Même si le délai pour concevoir un enfant augmente avec l’âge du père (de 6 mois avant 30 ans, il passe à 32 mois à 50 ans et plus[209]) et que ce délai peut conduire à un recours accru à l’assistance médicale à la procréation à partir d’un certain âge, les exemples de paternité tardive ne sont pas rares, y compris en France, et indépendamment de toute assistance médicale à la procréation.
1.1.3 L’âge des pères concernés par une assistance médicale à la procréation n’est pas colligé par l’Agence de la biomédecine. En revanche, la répartition des âges des femmes en assistance médicale à la procréation est connue (et stable) :
Age des femmes en assistance médicale à la procréation
Source : Agence de la biomédecine, rapport médical et scientifique 2017
|
2016 |
|
Age à l'AMP |
N |
% |
<30 ans |
23677 |
21,1% |
30 - 34 ans |
38968 |
34,7% |
35 - 37 ans |
22258 |
19,8% |
38 - 39 ans |
11802 |
10,5% |
40 - 42 ans |
13689 |
12,2% |
>=43 ans |
1769 |
1,6% |
Total renseigné |
112163 |
100,00% |
Non renseigné |
2828 |
. |
Dans deux décisions du 3 avril 2019[210], le Conseil d’Etat considère que le refus d’exportation de gamètes opposé aux requérants par l’Agence de la biomédecine au motif de leur âge (en lien avec les dispositions de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique) « ne peut être regardé, eu égard aux finalités d’intérêt général que ces dispositions poursuivent et en l’absence de circonstances particulières propres au cas d’espèce, comme constituant une ingérence excessive dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » et, par ailleurs, que « la mise en œuvre de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique ne peut être regardée comme instaurant une discrimination dans l’exercice des droits protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales entre des hommes du même âge prohibée par l’article 14 de cette convention, dès lors que ceux-ci sont placés dans une situation différente selon qu’ils procréent naturellement ou ont recours à une assistance médicale à la procréation. »
Une limite à l’âge maternel des femmes prises en charge en assistance médicale à la procréation est souvent mentionnée dans les sources disponibles. Elle reflète probablement l’ancienneté des données et des connaissances en matière de risques médicaux pour la femme à partir d’un certain âge.
Les données en matière de risques médicaux liés à l’âge du père sont relativement plus récentes, expliquant peut-être qu’elles ne soient pas encore beaucoup prises en compte.
Il existe des limites d’âge dans plusieurs pays, y compris concernant les hommes[211] :
- Autriche : âge de la mère jusqu’à 40 ans, âge du partenaire jusqu’à 50 ans.
- Allemagne : les limites d’âge sont de 25 à 40 ans pour les femmes et de 25 à 50 ans pour les hommes.
- Belgique : âge maximum de la femme fixé à 42 ans.
- Espagne : femmes entre 18 et 40 ans et hommes entre 18 et 55 ans au début du bilan de l’infertilité.
- Croatie : pour les femmes jusqu’à 42 ans (âge naturel de procréation, estimé par le corps médical).
- Danemark : les femmes de plus de 45 ans ne peuvent bénéficier d’un traitement.
- Finlande : les procédures sont accessibles aux femmes jusqu’à 40 ans dans le système public de santé ; les femmes de plus de 40 ans sont également prises en charge si le pronostic est bon ; les frais sont remboursés par le régime d’assurance maladie jusqu’à l’âge de 43 ans ; pour les femmes plus âgées, la couverture d’assurance maladie est examinée au cas par cas au regard des données médicales de la patiente concernée.
- Luxembourg : âge limite de la femme fixé à 40 ans.
- Norvège : dans la pratique, les centres privés peuvent proposer un traitement aux femmes âgées de plus de 40 ans alors que les centres relevant du système national de santé (dans la plupart des cas, des centres hospitaliers) ne sont pas en mesure de donner la priorité à ces patientes (principalement en raison du faible rapport coût-efficacité du traitement).
- Suède : de manière générale, une femme âgée de plus de 40 ans ne pourra bénéficier du traitement à moins qu’elle ne dispose d’embryons congelés avant l’âge de 40 ans, auquel cas ils devront être utilisés avant qu’elle n’atteigne l’âge de 45 ans. Ce principe s’applique indépendamment de la prise en charge financière. L’autre parent ne doit pas être âgé de plus de 56 ans.
Par ailleurs, il n’y aurait aucune limite légale d’âge dans les pays suivants : Chypre, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Roumanie et Slovaquie[212].
2.1.1 Sur la notion d’âge de procréer, l’étude du Conseil d’Etat de 2009[213] concluait : « L’équilibre actuel fondé sur l’articulation entre une loi posant une règle très générale et une pratique où l’appréciation est laissée aux médecins, paraît satisfaisante. Il est cependant impératif que soit mieux prise en considération l’incidence de l’âge de la femme – et même, à titre subsidiaire, de l’homme – sur la procréation, les études réalisées soulignant un grand déficit d’information en la matière : une certaine illusion technicienne fait croire que les limites naturelles peuvent désormais être aisément dépassées, ce qui n’est pas le cas et doit être réaffirmé. »
Dix ans plus tard, ce critère particulièrement large et imprécis pose des difficultés en pratique alors qu’il existe des arguments incontestables pour limiter l’âge du recours à l’assistance médicale à la procréation : les risques médicaux des paternités et des maternités tardives ainsi que les risques liés à l’écart d’âge entre les parents et l’enfant.
2.1.2 De nombreux travaux ont documenté une atteinte de la spermatogenèse chez l’homme âgé : atteinte quantitative (nombre de spermatozoïdes produits) et qualitative (mobilité, formes anormales).
L’avis du conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine en date du 8 juin 2017[214] rapporte un lien entre l’augmentation de l’âge du père et la survenue de syndromes génétiques, de troubles neurodéveloppementaux de l’enfant, de schizophrénie (risque trois fois plus élevé lorsque le père est âgé de plus de 50 ans comparé aux pères de moins de 25 ans), d’autisme (risque multiplié par six si le père est âgé de plus de 50 ans comparé aux pères de moins de 29 ans).
Les données du séquençage nouvelle génération (nouvelle technique utilisée en génétique) ont démontré qu’un père de 20 ans transmet en moyenne 25 mutations génétiques à son enfant, un père de 40 ans environ 65, et un père de 60 ans environ 85 (chaque année supplémentaire ajoute en moyenne 2 nouvelles mutations à la descendance)[215].
En outre, certaines complications de la grossesse (fausses couches, prématurité) seraient également liées à l’âge du père.
2.1.3 L’âge est un déterminant important de la mortalité maternelle. En France, comparées aux femmes de 20 à 29 ans, les femmes de 40-44 et de plus de 45 ans ont un risque de décès respectivement multiplié par 4,9 et 7,9[216].
Par ailleurs, les grossesses tardives sont causes de morbidité. Chez les femmes de plus de 45 ans, les risques de survenue de pathologies cardiaques (infarctus x 5,4, arrêt cardiaque x 6,4, détresse cardiaque x 2,4), pulmonaires (embolie x 3,9, pneumonie x 1,4), thrombotiques (thrombose veineuse profonde x 3,7), rénales (insuffisance rénale x 3,0) et infectieuses (choc septique x 1,5) sont significativement augmentés[217].
Pour le fœtus, le risque d’anomalies chromosomiques augmente avec l’âge de la femme.
Si le recours au don d’ovocytes permet, en principe, de s’affranchir d’un certain nombre de risques (les ovocytes proviennent de femmes plus jeunes, de moins de 37 ans en France), il ne permet pas de s’affranchir de l’âge de la femme concernée par la grossesse et donc des risques de morbidité-mortalité susmentionnés.
En outre, le don d’ovocytes pourrait être source de difficultés spécifiques. En effet, comme le souligne le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine dans son avis précité relatif à l’âge de procréer, de nombreuses études suggèrent que les grossesses obtenues par dons d’ovocytes seraient plus à risque de complications par rapport aux grossesses obtenues avec des ovocytes autologues (fécondation in vitro ou grossesse spontanée). Le recours au don d’ovocytes augmente le risque de grossesse multiple[218], de prééclampsie[219],[220], d’hémorragies du post-partum[221], d’accouchement prématuré[222],[223] de faible poids de naissance[224],[225],[226], de césarienne[227] et d’hypertension artérielle gravidique[228]. Le don d’ovocytes serait donc un facteur de risque indépendant de complications obstétricales et périnatales. Sur la base de ces résultats, la maternité tardive associée au don d’ovocytes apparaît comme particulièrement à risque.
2.1.4 La responsabilité des professionnels qui interviennent dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation est également engagée vis-à-vis de l’enfant à naître.
L’article L. 2141-10 du code de la santé publique prévoit d’ailleurs que l’assistance médicale à la procréation « ne peut être mise en œuvre par le médecin (…) lorsque le médecin, après concertation au sein de l'équipe clinico-biologique pluridisciplinaire, estime qu'un délai de réflexion supplémentaire est nécessaire aux demandeurs dans l'intérêt de l'enfant à naître. »
Comme le rapporte le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine dans son avis précité, des études ont montré que les parents âgés pouvaient expérimenter davantage de difficultés dans l’éducation de leurs enfants à l’adolescence[229].
Par ailleurs, la paternité tardive serait associée à d’autres risques[230],[231],[232],[233].
En matière d’adoption, les textes n’imposent pas de limite d’âge supérieure pour une personne souhaitant adopter mais l’enquête psychosociale, réalisée pour toute demande d’agrément en vue d’adoption, évalue les capacités des parents candidats à assumer l’éducation d’un enfant : « Concernant l’adoption d’un enfant né en France, les conseils de famille confient rarement un nourrisson à un ou des parent(s) ayant plus de 40 ans. Certains pays étrangers prévoient un écart d’âge maximum entre parents et enfant et ne confient pas de nourrisson à des parents âgés de plus de 40 ans. »[234]. Il doit être accueilli par des adultes en mesure de l’accompagner jusqu’à un âge où il sera autonome. Or, la parentalité tardive réduit les chances que les deux parents soient vivants lorsque leurs enfants atteignent la majorité ou deviennent eux-mêmes parents[235]. En effet, pour un âge de 45 ans à la naissance de l'enfant, 5,5 % des femmes et 12,1 % des hommes seront décédés avant que l’enfant soit âgé de 18 ans[236]. Plusieurs études ont par ailleurs mis en évidence une association entre la perte d’un parent au cours de l’enfance et un risque accru de suicide chez l’enfant[237] et de répercussions sur la santé mentale à long terme[238].
En outre, la parentalité tardive augmente le risque pour les enfants de devoir s’occuper de leurs parents âgés ou malades à un âge relativement jeune[239]..
Pourtant, malgré ces éléments factuels sur les risques médicaux des paternités et maternités tardives ainsi que sur les risques liés à l’écart d’âge entre les parents et l’enfant, les équipes médicales sont confrontées à des difficultés en pratique et il existe des contentieux contre l’Agence de la biomédecine reposant sur l’interprétation de la notion d’âge de procréer.
2.1.5 La notion d’ « âge de procréer », en ce qu’elle ne comporte pas de limite chiffrée, pose des difficultés d’application aux praticiens d’assistance médicale à la procréation, auxquels il revient d’apprécier si les membres des couples qui les consultent sont en « âge de procréer », et , le cas échéant, de leur imposer des limites. En outre, les différences éventuelles d’appréciation, d’une équipe médicale à l’autre (pour espérer de meilleurs résultats et être plus attractifs par exemple), sont susceptibles de créer des inégalités d’accès.
Pour les femmes, les professionnels font valoir les moins bons résultats avec l’élévation de l’âge et les risques des grossesses tardives pour la mère et l’enfant. Ils s’appuient, en pratique, sur la limite de fait que constitue l’interruption de la prise en charge par l’assurance maladie au 43ème anniversaire de la femme[240]. Si une telle limite ne définit pas « l’âge de procréer » pour les femmes, elle aboutit symboliquement à ce qu’il existe, en France, une limite à cet âge.
Pour les hommes, les équipes médicales sont plus en difficulté. Dans les faits, elles ne prennent pas en charge un couple dont le père est âgé de plus de 59/60 ans.
Il est symptomatique de constater qu’aucun texte réglementaire n’est venu préciser cette notion d’âge de procréer. Dans l’arrêté du 30 juin 2017 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation[241], le terme « âge de procréer » est mentionné à cinq reprises sans être précisé et, si l’âge des deux membres du couple apparait bien comme un critère limitant la prise en charge en assistance médicale à la procréation (plusieurs occurrences dont les extraits ci-dessous), aucune limite précise (ni même aucune « fourchette » permettant de prendre en compte les éventuelles différences clinico-biologiques individuelles) n’y figure.
Ainsi, l’arrêté précité stipule que : « Pour chaque couple et chaque tentative, la balance bénéfice-risque du recours à l’assistance médicale à la procréation est évaluée par l’équipe pluridisciplinaire. Elle prend en compte notamment l’âge de chaque membre du couple, la durée d’infertilité et les éventuels facteurs de risques de la stimulation ovarienne ou de la grossesse. » (II.2 de l’annexe de l’arrêté)
Ce constat témoigne de la gêne à préciser ce que le législateur entend par la formule « âge de procréer ».
Et cette difficulté se retrouve dans la prise en charge des personnes confrontées à une maladie ou un traitement potentiellement stérilisant qui peuvent, en application de l’article L. 2141-11 du code de la santé publique, bénéficier de la conservation de leurs gamètes ou tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à leur bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de leur fertilité.
En effet, l’arrêté précité mentionne que :
« La préservation de fertilité est réalisée en vue d'une assistance médicale à la procréation ou d'une greffe ultérieure dans un but de restauration de la fertilité. Quelles que soient les modalités de réutilisation des gamètes et des tissus germinaux, la prise en charge thérapeutique tient compte de la situation personnelle, de l’état de santé et de l’âge du patient. Elle est discutée au sein de l’équipe pluridisciplinaire, en tenant compte de la balance bénéfice/risque. » (IV.3 de l’annexe de l’arrêté)
La notion d’âge de procréer devrait intervenir pour exclure du dispositif les personnes au-delà d’un certain âge (par exemple, les hommes au-delà de 60 ans) et éviter les conservations de spermatozoïdes inappropriées mais néanmoins effectuées en l’absence de limite chiffrée opposable[242].
Il est à noter qu’il n’y a pas eu de difficulté dans l’arrêté précité pour préciser les âges limites pour les donneurs de gamètes dans le cadre de la démarche de « sélection du donneur ». Plus encore, des limites d’âge précises pour les membres du couple[243] qui n’ont plus de projet parental et destinent leurs embryons surnuméraires à l’accueil par un autre couple sont également explicitées dans cet arrêté :
- Donneur de gamètes (V.2 de l’annexe de l’arrêté)
« Parmi les critères d’acceptation des donneurs et des donneuses figurent (…) l’âge au moment du recueil de gamètes : de 18 ans à moins de 38 ans s’il s’agit d’une donneuse et de 18 ans à moins de 45 ans s’il s’agit d’un donneur »
- Couple donneur d’embryons (VI.2 de l’annexe de l’arrêté)
« Parmi les critères d’acceptation figurent (…) l’âge au moment de la conception des embryons qui doit être de moins de 38 ans pour la femme et de moins de 45 ans pour l’homme »
2.1.6 L’Agence de la biomédecine, qui délivre les autorisations d’exportation de gamètes en application de l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique, est confrontée à des recours devant les tribunaux. En effet, dans certains cas, l’exportation de gamètes est sollicitée pour passer outre la condition portant sur l’âge de procréer et permettre l’accès à l’assistance médicale à la procréation hors du territoire national[244].
La règle envisagée par le Gouvernement permettra de supprimer la notion imprécise d’âge de procréer qui figure dans la loi et constitue une des conditions d’accès à l’assistance médicale à la procréation, au profit d’une interprétation incontestable de ce critère avec des limites d’âge fixées par décret en Conseil d’Etat et prenant en compte les risques médicaux des paternités et des maternités tardives, ainsi que les risques liés à l’écart d’âge entre les parents et l’enfant à naître.
Elle permettra d’harmoniser les pratiques des centres d’assistance médicale à la procréation et d’anticiper tout contentieux contre ces centres et contre l’Agence de la biomédecine fondé sur la notion d’âge de procréer.
La première option envisagée par le Gouvernement est celle du Conseil d’Etat dans son étude précitée : « considérant que cette question a fait l’objet de décisions récentes qui ont confirmé la légalité du refus d’exportation de gamètes à deux couples dont les hommes étaient âgés de 68 et 69 ans, le Conseil d’Etat n’a pas préconisé de faire figurer des limites d’âge dans la loi mais estime qu’une recommandation de l’Agence de la biomédecine devrait être prise »[245].
Or, une recommandation de l’Agence de la biomédecine ne permettra pas de donner la sécurité juridique attendue (puisque les décisions de l’Agence font justement l’objet de contentieux).
En outre, la révision de la loi de bioéthique est bien l’occasion d’aligner le droit positif avec la jurisprudence la plus récente pour éviter tout nouveau contentieux dans l’avenir, voire toute évolution jurisprudentielle.
Enfin, il est nécessaire de clarifier les règles applicables en matière d'assistance médicale à la procréation et de savoir de façon incontestable comment doit être interprétée la loi de bioéthique dans ce domaine.
Cette option n’a donc pas été retenue.
La deuxième option consisterait à faire figurer dans la loi des limites chiffrées à l’âge de procréer.
Cette solution, qui ne permet guère de souplesse si les données de la science évoluaient et qui ne parait pas relever du domaine de la loi, n’a pas été retenue.
C’est cette dernière option qui a été retenue. Elle consiste à renvoyer à un décret en Conseil d’Etat le soin de préciser les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation.
La présente mesure a pour objet de modifier la rédaction de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique pour supprimer la notion d’âge de procréer et renvoyer à un décret le soin de préciser les conditions d’âge requises pour bénéficier d’une assistance médicale à la procréation.
La présente mesure allègera les centres clinico-biologiques d’assistance médicale à la procréation qui auront à se prononcer au regard de limites d’âge objectives.
La mesure participera à garantir l’intérêt de l’enfant à naître puisqu’il a été montré que les parents âgés pouvaient rencontrer davantage de difficultés dans l’éducation de leurs enfants à l’adolescence ou que la parentalité tardive modifiait les liens intergénérationnels. Elle permet que l’enfant soit accueilli par des adultes en mesure de l’accompagner jusqu’à un âge où il sera autonome.
L’Agence de la biomédecine est favorable à la mesure envisagée par le Gouvernement puisqu’elle note :
« Au total, cette disposition de la loi qui ne définit pas précisément l’âge de procréer, notamment chez l’homme, place les professionnels et l’Agence de la biomédecine en difficulté face aux demandes et augmente le risque de recours contentieux envers les établissements de santé, ou contre l’Agence de la biomédecine en cas de demande d’export, par des couples récusés en raison de l’âge. »
La présente mesure ne nécessite pas d’adaptation des acteurs ni de dispositions transitoires. Elle s’appliquera dès publication du décret mentionné en infra.
Le présent article du projet de loi s’applique en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon.
Les limites à l’âge de procréer seront fixées par décret en Conseil d’Etat (hommes 59 ans et femmes 43 ans - étant précisé que la prise en charge par l’assurance maladie s’interrompt au 43ème anniversaire de la femme).
Article 1er Lever l’interdiction du double-don de gamètes et laisser le choix entre accueil d’embryon et double don de gamètes
1.1.1 En assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur, le double don de gamètes (don de spermatozoïdes et don d’ovocytes) est interdit par le premier alinéa de l’article L. 2141-3 du code de la santé publique :
« Un embryon ne peut être conçu in vitro que dans le cadre et selon les objectifs d'une assistance médicale à la procréation telle que définie à l'article L. 2141-1. Il ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple. »
1.1.2 En cas de « double infertilité », les couples relèvent de l’ « accueil d’embryon »[246]. Ce dispositif, encadré aux articles L. 2141-5 et L. 2141-6 du code de la santé publique, prévoit qu’en cas d’abandon du projet parental par un couple (ou de décès d’un de ses membres), ce couple dit donneur (ou son membre survivant) peut consentir par écrit à ce que ses embryons surnuméraires en cours de conservation soient accueillis par un autre couple.
Si l’accueil d’embryon a été introduit dès les premières lois de bioéthique de 1994, la pratique effective n’a débuté qu’en 2003-2004 comme le précise, dans son avis n° 90, le Comité consultatif national d’éthique[247].
Depuis la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, les consentements du couple (ou du membre survivant) donneur et du couple demandeur sont recueillis par le notaire et il a été mis fin aux « investigations permettant d'apprécier les conditions d'accueil que le couple est susceptible d'offrir à l'enfant à naître sur les plans familial, éducatif et psychologique » qui rapprochaient l’accueil d’embryon d’une procédure d’adoption.
1.1.3 L’offre d’embryons surnuméraires destinés à être accueillis dépasse le nombre de transferts d’embryons proposés à l’accueil chaque année.
Ainsi, l’activité reste modeste en 2016 avec 154 transferts réalisés chez 138 couples receveurs. Ces transferts ont conduit à la naissance de 25 enfants.
Comme au cours des années précédentes, la mise en œuvre effective reste très faible au regard du nombre d’embryons conservés et disponibles en théorie pour l’accueil. Au cours de l’année 2016, en effet, 704 couples ont proposé que leurs embryons soient accueillis et cela représente potentiellement 2 030 embryons conservés[248].
Abandon du projet parental de 2013 à 2016, quelle que soit l'année de congélation, pour les consentements signés dans l’année (Source Agence de la biomédecine)
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
||||
|
Embryons |
Couples |
Embryons |
Couples |
Embryons |
Couples |
Embryons |
Couples |
Proposés à l'accueil |
1900 |
596 |
1807 |
616 |
1528 |
534 |
2030 |
704 |
Accueil d’embryons de 2013 à 2016 (Source : Agence de la biomédecine)
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
|
Couples donneurs |
. |
. |
. |
. |
Couples ayant confié leurs embryons à l'accueil |
128 |
134 |
148 |
174 |
Couples dont les embryons ont été accueillis |
170 |
131 |
137 |
142 |
Couples receveurs |
. |
. |
. |
. |
Couples ayant bénéficié d'un accueil d'embryons |
170 |
138 |
128 |
138 |
Nouveaux couples ayant eu un premier entretien spécifique en vue d’un accueil |
150 |
112 |
114 |
90 |
Dans une décision du 19 janvier 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité à la Constitution de l’interdiction du double don de gamètes prévue par l’article L. 2141-3 du code de la santé publique, au motif que le Conseil avait déjà, dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, déclaré cette disposition, alors codifiée à l’article L. 152-3 du code de la santé publique, conforme à la Constitution[249].
Cette décision de non-renvoi est sans incidence sur la présente mesure.
1.3.1 Accueil d’embryons
L’accueil d’embryon est possible en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Finlande, en Grèce, au Royaume-Uni ou encore en Pologne. Il n’est pas pratiqué en Italie, en Norvège, en Suède, en Suisse, en Autriche ou en Israël[250].
1.3.2 Double don de gamètes
En Belgique, le recours au double don de gamètes est autorisé[251].
Il est également possible en Espagne, en République Tchèque et au Portugal (trois pays où se rendent prioritairement les couples et les femmes célibataires) ainsi qu’en Grèce. Les tarifs des cliniques espagnoles ou tchèques varieraient entre 4000 et 7000 euros pour un double don (et de 1200 à 2000 euros pour un accueil d’embryon) [252].
Le recours au double don est également possible au Royaume-Uni[253].
En Suède, les dons d’ovocytes et de sperme sont autorisés mais il est interdit de combiner des dons d'ovules et des dons de sperme dans le même traitement[254].
En Slovénie, les procédures de procréation avec double don de gamètes sont interdites sur la base du principe selon lequel l’enfant issu d’une telle procédure devrait avoir des liens génétiques avec l’un au moins de ses parents[255].
En Allemagne, en Norvège et en Suisse, le don d’ovocytes est interdit, ce qui interdit de facto le recours au double don de gamètes[256][257].
Les motifs ayant conduit le législateur à l’interdiction du double don de gamètes relèvent d’un contexte où coexistent une pénurie de gamètes et l’existence d’embryons surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet parental et peuvent être accueillis par d’autres couples.
Dans son avis n° 90 du 24 novembre 2005[258], le Comité consultatif national d'éthique notait déjà : « On peut remarquer et s’étonner de ce que le double don de gamètes, aboutissant de fait à un don d’embryon, biologiquement équivalent à l’accueil d’un embryon abandonné, soit interdit par la loi, même si le processus décisionnel est différent. »
Or, l’activité d’accueil d’embryons, qui ne présente pourtant pas de difficulté technique particulière, ne s’est jamais développée à hauteur de ce qui était espéré.
« Le faible développement de cette activité est sans relation avec le nombre d’embryons potentiellement cédés à l’accueil par les couples après réalisation de leur projet parental : de nombreux embryons proposés à l’accueil sont conservés dans les centres d’AMP » précise l’Agence de la biomédecine dans son bilan d’évaluation de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011[259].
Dans son rapport médical et scientifique[260], l’Agence de la biomédecine expose que l’activité d’accueil d’embryon reste modeste, en raison notamment de « la difficulté de la démarche pour les couples concernés, au plan psychologique, à la hauteur de la représentation qu’ils ont de ces embryons conservés, qu’ils soient en situation de donner comme d’accueillir des embryons, et au plan des démarches administratives imposées au couple. »
En effet, la dimension psychosociale de ce mode de procréation est à prendre en compte. Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis précité[261], considère que « Le don d’embryon est fortement connoté d’un sentiment d’abandon » [262].
Des pistes explicatives apparaissent dans l’enquête qualitative menée par deux sociologues[263] auprès de femmes françaises (en couple hétérosexuel ou célibataires) qui, s’étant adressées à des établissements situés hors du territoire national, ont eu le choix entre accueil d’embryon et double don de gamètes, et ont très majoritairement opté pour la deuxième solution[264].
Ces travaux font apparaitre que le double don est « plus simple à expliquer » à l’enfant qui est alors le fruit d’un « projet unique, sans histoire préalable et sans fratrie clandestine ». La crainte d’hériter d’une histoire inconnue et le poids du « spectre de l’abandon » pèsent également sur les motivations.
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale[265] reprend à son compte les enseignements de cette enquête : « du point de vue psychologique, les deux démarches ne semblent pas équivalentes. Dans un cas, celui du don d’embryon autorisé en France, le couple hérite d’un enfant potentiel conçu par d’autres. Dans le cas du double don, le couple reçoit les ovules et les spermatozoïdes étrangers l’un à l’autre et la rencontre fécondante tient à leur seule responsabilité » ; « alors que l’embryon donné a déjà une histoire, l’embryon issu d’un double don commence son histoire avec le ou les parents qui le souhaitent ».
Dans la même approche, le groupe d’études sur le don d’ovocytes (GEDO, société savante) écrit, dans sa contribution aux Etats généraux de la bioéthique[266] : « dans la situation du double don on assiste à une démarche positive de projection des donneuses d’ovocytes et des donneurs de spermatozoïdes et une seule démarche, un seul projet parental, celui des couples receveurs. Ici pas de deuil, pas de don ou d’abandon en vue d’accueil après clôture du projet parental initial ».
Par ailleurs, la levée de l’interdiction du double don de gamètes peut également se justifier au regard de critères médicaux.
En effet, les donneurs de gamètes sont plus jeunes que les donneurs d’embryons (même si des limites d’âge parental sont fixées pour ceux-ci dans l’arrêté du 30 juin 2017 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation[267]) et surtout sans problème connu d’infertilité qui pourrait être à l’origine de risques potentiels de complications obstétricales ou périnatales pour les receveurs.
En outre, le double don qui aboutit à la constitution de plusieurs embryons, dont certains peuvent être conservés, permet davantage de possibilités de transferts d’embryons ultérieurs et donc plus de chances de réussites en termes d’enfants vivants à terme.
La majorité des différentes instances qui se sont prononcées en amont de la révision bioéthique est favorable à la levée de l’interdiction du double don de gamètes.
C’était déjà la position du Comité consultatif national d'éthique dès 2005[268].
L’Agence de la biomédecine, dans son rapport sur l’application de la loi de bioéthique du 11 janvier 2018[269], relève que « l’interdiction du double don de gamètes peut soulever des incompréhensions, à la fois pour les professionnels qui sont amenés à traiter des cas de double infertilité masculine et féminine, et pour les couples potentiellement concernés. »
Le rapporteur de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[270] juge « difficile et incohérent » de maintenir dans la loi l’interdiction du double don de gamètes « dans la mesure où des couples infertiles peuvent accueillir des embryons surnuméraires conçus par d’autres couples dans le cadre d’un projet parental ».
La Commission nationale consultative des droits de l’homme[271] recommande également de lever l’interdiction du double don de gamètes.
C’est aussi la préconisation du rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale[272] (Proposition n° 6 « Lever l’interdiction du double don de gamètes. »).
Le Conseil d’Etat, quant à lui, dans son étude préalable à la révision de bioéthique, renvoie la décision au législateur : « Le CCNE et l’agence de la biomédecine ont posé la question de la pertinence du maintien de l’interdiction du double de don de gamètes, d’ailleurs indépendamment de la question de l’ouverture de l’AMP. Il appartient au législateur de trancher en tenant compte du contexte de pénurie de gamètes, des risques attachés à la stimulation ovarienne et de l’existence de nombreux embryons surnuméraires. »
Enfin, si cette question de l’interdit du double don de gamètes n’est pas nouvelle, elle se pose spécifiquement dans le cadre de l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées.
Tout d’abord, le recours à un tiers donneur de spermatozoïdes étant systématique dans ce cas, toute difficulté à concevoir avec les propres ovocytes de la femme (ou des deux femmes) conduira, sans modification sur ce point, à indiquer un don d’embryon. Ces situations, en partie liées à l’âge de la femme, pourraient ne pas être rares.[273]
Par ailleurs, si actuellement l’accueil d’embryon par des couples hétérosexuels apparait comme une dernière chance après un long et souvent douloureux parcours en assistance médicale à la procréation, les femmes en couple de même sexe ou les femmes célibataires seront majoritairement dans un projet initial de procréation, sans « antécédents » dans ce domaine.
Il parait souhaitable au Gouvernement que ces femmes aient le choix entre l’accueil d’embryon et le double don de gamètes, et que la première option ne leur soit pas imposée.
Elle permettra d’offrir un réel choix aux couples ainsi qu’aux femmes entre un accueil d’embryon et un double don de gamètes compte tenu de la dimension psychosociale de l’accueil d’embryon.
Le Gouvernement décide de lever l’interdiction du double-don de gamètes.
Il maintient néanmoins le dispositif actuel d’accueil d’embryons qui tient compte de l’existence d’embryons surnuméraires proposés à l’accueil par des couples qui n’ont plus de projet parental. Il considère que l’accueil d’embryons reste une solution tout à fait acceptable (pour des raisons de délai d’attente par exemple - ce délai étant plus court pour un accueil d’embryon que pour un double don de gamètes) dès lors qu’il relève d’un choix effectué librement par le couple ou la femme.
La rédaction de l’article L. 2141-3 du code de la santé publique sera modifiée pour supprimer l’interdiction du double don de gamètes.
Cela emportera des conséquences au niveau de l’article L. 2141-9 du même code qui encadre les déplacements d’embryons (entrée ou sortie du territoire national).
En effet, l’article L. 2141-9 dispose que :
« Seuls les embryons conçus avec les gamètes de l'un au moins des membres d'un couple et dans le respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil peuvent entrer sur le territoire où s'applique le présent code ou en sortir. Ces déplacements d'embryons sont exclusivement destinés à permettre la poursuite du projet parental de ce couple ; ils sont soumis à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine. »
La mention aux embryons conçus avec les gamètes de l’un au moins des membres du couple est supprimée.
Par ailleurs, l’article est complété pour prévoir que l’autorisation délivrée soit soumise au respect des dispositions prévues au chapitre relatif à l’assistance médicale à la procréation en sus du respect des principes fondamentaux prévus par les articles 16 à 16-8 du code civil.
En effet, le renvoi aux articles 16 à 16-8 du code civil permet de s’assurer du recueil du consentement du couple et du respect du principe de gratuité mais il ne couvre pas le respect des conditions qui sont prévues au Chapitre Ier du Titre IV du Livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique et portent sur le couple (l’âge de procréer par exemple).
La présente mesure aura enfin pour effet de modifier la rédaction de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique et d’abroger l’article L. 2141-7 du même code.
La réforme devrait avoir un impact limité sur les ressources en gamètes destinés au don.
En effet, le don de spermatozoïdes va bénéficier du renforcement des campagnes de don évoqué dans le cadre de l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation.
Par ailleurs, la possibilité d’un double don de gamètes ne devrait pas augmenter de manière sensible les besoins actuels en matière de don d’ovocytes au regard de la faible activité constatée en matière d’accueil d’embryons (138 couples en 2016). En outre, même si elle reste insuffisante, l’activité de don d’ovocytes augmente régulièrement en France (en 2016, 746 prélèvements d’ovocytes ont été effectués en vue de don contre 454 en 2013). L’augmentation est de 38% par rapport à 2015 et 85 % par rapport à 2011. La levée de la condition de procréation antérieure a eu un impact certain qui devrait se confirmer dans les prochaines années.
Enfin, l’autorisation de l’autoconservation ovocytaire avec la possibilité d’orienter secondairement les gamètes vers le don (si la femme y consent), également prévue par le projet de loi, permet d’envisager une amélioration sensible de la ressource en ovocytes en vue de don, toutefois à plus long terme.
Un véritable choix va pouvoir s’ouvrir pour les couples et les femmes relevant de cette situation entre un double don de gamètes et un accueil d’embryon.
La mesure s’applique dès le lendemain de la promulgation de la loi.
Le présent article du projet de loi s’applique en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon.
Article 2 Supprimer le recueil du consentement du conjoint pour le don de gamètes
1.1 L’article L. 1244-2 du code de la santé publique prévoit le recueil du consentement du conjoint du donneur de gamètes :
« Le consentement des donneurs et, s'ils font partie d'un couple, celui de l'autre membre du couple sont recueillis par écrit et peuvent être révoqués à tout moment jusqu'à l'utilisation des gamètes. ».
Chaque année, entre mille cinq cents et deux mille candidats au don (femmes et hommes) se présentent auprès de la trentaine de centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) qui maille le territoire national. Après examens, un peu plus de la moitié des candidats seront acceptés pour un don de gamètes[274].
1.2 La législation française est la seule en Europe à imposer le recueil du consentement du conjoint pour un don de gamètes[275].
2. Nécessité de légiférer et objectifs poursuivis
2.1 Bien que le rapport de l’IGAS[276] de 2011 notât que « La réflexion sur la primo-maternité[277] doit être associée à un examen de l’exigence juridique actuelle de recueillir le consentement du conjoint à l’acte de don. Dans les faits et d’après les témoignages recueillis, le projet est principalement assumé par la donneuse qui en porte les principales contraintes. Beaucoup de conjoints signent les formulaires sous la réserve qu’il s’agit d’abord du choix de leur compagne. Il ne parait pas logique de conserver cette obligation si celle portant sur la primo-maternité est levée. », le législateur, lors de la révision de bioéthique en 2011, a supprimé la condition de maternité (et paternité) antérieure mais a maintenu le recueil du consentement du conjoint.
Ce maintien est d’autant plus surprenant qu’en levant la condition de procréation antérieure, le législateur a abrogé le modèle retenu pour le don jusque-là, à savoir celui d’un couple, déjà parents, qui permet à un autre couple de le devenir (ce qui participait à justifier le consentement du conjoint).
La possibilité d’accès à l’identité du tiers donneur en assistance médicale à la procréation plaide pour la suppression de cette condition. En effet, les deux consentements n’auront pas (ou plus) la même portée - même en considérant que le partenaire puisse, d’une certaine manière, se sentir concerné par une demande d’accès à l’identité du donneur.
En tout état de cause, indépendamment de la mesure portant sur l’accès aux origines pour les enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, le maintien du consentement du conjoint se pose en raison d’une révocation du don toujours possible à la suite d’une décision unilatérale de ce partenaire qui prive le donneur de la liberté de maintenir son don. L’interrogation sur le maintien de cette condition de consentement est renforcée dans le contexte de l’évolution de la société et de la stabilité des couples.
Au surplus, une autre difficulté résulte de la nécessité de recueillir le consentement du conjoint (qui découle de l’article L. 1244-2 du code de la santé publique) lorsqu’une personne, dont les gamètes sont conservés dans le cadre de la préservation de la fertilité ou lors d’une assistance médicale à la procréation en intraconjugal décide d’orienter ses gamètes vers le don (situations précisées aux articles R. 2141-17 et R. 2141-18 du code de la santé publique).
Dans son rapport sur l’application de la loi de bioéthique[278], l’Agence de la biomédecine considère que la condition de recueil du consentement du conjoint « ne paraît plus d’actualité. »
Les rapporteurs de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[279] se déclarent « favorables au maintien du consentement du conjoint ou du partenaire de vie comme préalable au don de gamètes d’une personne vivant en couple. En revanche, ce consentement ne saurait être révocable quel que soit le devenir de ce couple. ».
Toutefois leur argumentation[280], si elle légitime l’information et l’accord du partenaire, ne justifie pas la formalité de son recueil. En outre, il parait impossible de ne pas assortir tout consentement d’une possibilité de sa révocation.
2.2 La règle envisagée par le Gouvernement permettra de clarifier le cadre du don de gamètes, l’adapte aux évolutions de la société et le sécurise en permettant au seul donneur de gamètes de révoquer son consentement.
3. Options possibles et dispositif retenu
3.1. Options envisagées
Une première option consisterait à remplacer, à l’article L. 1244-2 du code de la santé publique, le consentement du conjoint par une information de ce dernier qui serait réalisée par le candidat au don.
Toutefois, cette option ferait peser sur les équipes clinico-biologiques d’assistance médicale à la procréation une responsabilité puisque l’information du conjoint, ainsi prévue par la loi, garderait un caractère obligatoire. Or, comment vérifier l’existence d’un partenaire si le candidat au don ne souhaite pas le mentionner ? Comment s’assurer que la nécessité d’informer ce partenaire a été bien comprise ? C’est la raison pour laquelle, l’Agence de la biomédecine, consultée sur cette question, s’est déclarée favorable à la suppression du consentement du conjoint sans maintenir au niveau de la loi une mention à l’information de ce conjoint.
3.2. Option retenue
La suppression du consentement du conjoint sans maintenir dans la loi une mention à l’information de ce conjoint constitue l’option retenue par le Gouvernement. Ce choix réserve à la sphère privée du couple l’information, les échanges et la décision finale.
Par ailleurs, pour les anciens donneurs qui souhaiteront se manifester auprès de la Commission ad hoc (Cf. article 3) pour donner leur accord à un accès à leur identité (en cas de demande en ce sens par une personne née de leur dons), le consentement de l’éventuel conjoint (qui aurait exprimé son accord au moment du don) ne sera pas requis. Cela alourdirait inutilement la procédure étant précisé que, dans un certain nombre de cas, le conjoint au moment du don ne sera plus le partenaire du donneur. Il appartient au donneur d’informer en responsabilité son conjoint (s’il est toujours son partenaire) de sa démarche.
4. Analyse des impacts des dispositions envisagées
4.1 La rédaction de l’article L. 1244-2 sera modifiée pour supprimer la mention au recueil du consentement du conjoint du couple.
4.2 Les CECOS[281] qui accueillent les candidats au don de gamètes et sont chargés du recueil du consentement du donneur mais également, le cas échéant, de celui de l’autre membre du couple seront déchargés de cette formalité.
Le gain de temps n’est pas significatif pour les équipes dans la mesure où l’information préalable était délivrée pour les deux membres du couple simultanément. Un allègement en termes de traçabilité est néanmoins attendu.
La mesure s’appliquera dès le lendemain de la promulgation de la loi.
Le présent article du projet de loi s’appliquera en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon.
1.1.1 La possibilité pour une personne, homme ou femme, de conserver ses propres gamètes (spermatozoïdes après leur recueil ou ovocytes après leur prélèvement) en vue d’une utilisation ultérieure pour procréer est autorisée dans deux situations[282] :
- Lorsque la fertilité de cette personne est menacée par un traitement médical (telle une chimiothérapie) ou une pathologie susceptible d’altérer prématurément la fertilité (comme l’endométriose) en application de l’article L. 2141-11 du code de la santé publique[283]. La loi prévoit ainsi la conservation des gamètes ou des tissus germinaux chaque fois qu’une pathologie ou son traitement menace la fertilité, sans se prononcer sur le caractère malin de la pathologie en cause ; ainsi, le champ de la préservation de la fertilité s’étend aux pathologies non oncologiques[284] ;
- Lors d’un don de gamètes comme le prévoit l’article L. 1244-2[285] du code de la santé publique dans le cas où le candidat au don n’a pas encore eu d’enfants et demande à conserver pour lui-même une partie des gamètes obtenus dans le cadre du don. Cette faculté d’autoconservation d’une partie des gamètes dans le cadre du don, offerte aux seuls donneurs n’ayant pas procréé, a été ouverte par le législateur lors de la révision bioéthique intervenue en 2011 à la suite d’un amendement du rapporteur de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale en première lecture ; la loi n’a pas précisé comment partager les gamètes obtenus et des règles de répartition ont dû être définies au niveau réglementaire (Cf. point « nécessité de légiférer ») ; les donneurs et les donneuses qui n’ont pas procréé et souhaitent conserver des gamètes pour eux-mêmes sont préalablement informés de ces conditions.
En outre, en assistance médicale à la procréation intraconjugale, dans certaines circonstances bien définies[286], une autoconservation peut être décidée par l’équipe clinico-biologique. Ces autoconservations ne sont a priori pas destinées à être poursuivies sur le long terme puisqu’elles sont réalisées au cours d’une prise en charge en assistance médicale à la procréation programmée.
En dehors de ces indications, toute autoconservation de gamètes est aujourd’hui interdite.
1.1.2 Au niveau national, les données relatives à la conservation des gamètes ne concernent que celles réalisées dans un cadre légal.
Préservation de la fertilité
Conservation de gamètes et de tissus germinaux en 2016 (Source : Agence de la biomédecine[287])
|
2016 |
Spermatozoïdes |
. |
Nombre de centres concernés |
48 |
Nouvelles conservations (patients) |
4727 |
Conservations au 31 décembre (patients) |
53545 |
Ovocytes ou embryons |
. |
Nombre de centres concernés |
40 |
Nouvelles conservations (patients) |
1323 |
Conservations au 31 décembre (patients) |
3292 |
Tissus testiculaires |
. |
Nombre de centres concernés |
13 |
Nouvelles conservations (patients) |
124 |
Conservations au 31 décembre (patients) |
637 |
Tissus ovariens |
. |
Nombre de centres concernés |
28 |
Nouvelles conservations (patients) |
299 |
Conservations au 31 décembre (patients) |
2845 |
Les points saillants de l’activité de préservation de la fertilité en France peuvent être ainsi résumés[288] :
- Au cours de l’année 2016
Au total, au 31 décembre 2016, 60 319 patients disposaient de gamètes et/ou de tissus germinaux conservés en vue de préservation de la fertilité.
Conservation dans le cadre du don pour les donneuses n’ayant pas procréé[289]
En 2016, sur les 743 dons d’ovocytes, 147 (soit 20 %) l’ont été par des femmes nullipares. Deux classes d’âge sont surreprésentées chez les donneuses nullipares par rapport aux autres (18-25 ans et 25-29 ans).
Parmi les 147 donneuses n’ayant pas procréé, 93 étaient en don exclusif et une autoconservation n’a été souhaitée que par 51 femmes (soit 29%) et réalisée pour 46.
Parmi ces femmes, celles pour lesquelles plus de 5 ovocytes ont été obtenus ont fréquemment renoncé à une conservation pour elle-même quand un ou deux ovocytes seulement étaient disponibles pour l’autoconservation.
Au final, les donneuses nullipares qui ont souhaité et pu conserver pour elles-mêmes une partie des ovocytes obtenus dans le cadre du don, ont, en moyenne, 6,2 ovocytes vitrifiés dans le cadre de l’autoconservation.
Conservation dans le cadre du don pour les donneurs (hommes) n’ayant pas procréé
Pour les hommes, les données émanent d’un travail préliminaire réalisé par les CECOS[290] et sont à prendre avec précaution[291].
Parmi les 148 donneurs n'ayant pas procréé et dont le dossier a été accepté, 47% d'entre eux ont souhaité une autoconservation de sperme ; la moyenne d'âge est de 33,4 ans pour ceux qui ont demandé une autoconservation et de 34,4 ans pour ceux qui ne l'ont pas demandé ; leur situation familiale (célibataire ou en couple) ne semble pas influer sur leur décision.
Conservation au cours d’une assistance médicale à la procréation en intraconjugal
- En 2016, selon les données fournies par l’Agence de la biomédecine, 5 507 patients ont bénéficié d’une conservation de spermatozoïdes au cours d’une prise en charge en assistance médicale à la procréation. Cette activité apparait stable au cours de ces dernières années ;
- Ainsi en 2016, 3 872 tentatives d’assistance médicale à la procréation ont été réalisées avec des paillettes de spermatozoïdes conservés et 734 enfants en sont nés ;
- Moins développée pour les ovocytes, l’autorisation de la technique de vitrification étant d’application plus récente, l’activité de conservation des ovocytes a concerné 812 patientes en 2016 ;
- Dans 28 % des cas, seule une partie de la cohorte ovocytaire prélevée a été conservée, le reste de la cohorte ayant été mis en fécondation ;
- En 2016, 615 tentatives d’ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde qui est une technique de fécondation in vitro dans laquelle le spermatozoïde est injecté dans l'ovocyte) et de transfert d’embryons congelés ont été réalisées avec des ovocytes préalablement vitrifiés et 84 enfants en sont nés.
En Europe, la situation est loin d’être homogène. Selon les pays, l’autoconservation ovocytaire pour motif non médical peut être autorisée par la loi, ou bien tolérée en l’absence de loi spécifique, ou encore interdite par la loi. Aucun pays européen ne prend en charge par un financement public l’autoconservation ovocytaire lorsque le motif est non médical[292].
Au Royaume Uni, il est légal de conserver ses ovocytes depuis 2000 sous le contrôle de l’organisme de régulation, la Human Fertilization and Embryology Authority (HFEA). Cette autoconservation hors raisons médicales n’est pas prise en charge par le National Health Service (NHS).[293]
L’Espagne a autorisé simultanément l’autoconservation ovocytaire pour raison médicale et pour « convenance personnelle » par la loi n°14 du 26 mai 2006 portant sur les techniques de procréation médicalement assistée. Toute femme peut légalement faire congeler ses ovocytes (mais il est recommandé de le faire avant 35 ans). L’offre est majoritairement assurée par des cliniques privées qui recrutent une forte clientèle espagnole mais également étrangère.[294]
En Italie, les cliniques privées pratiquent l’autoconservation ovocytaire pour motif non médical au bénéfice de jeunes femmes souhaitant préserver leur fertilité tout en repoussant leur projet de maternité. Les coûts varient entre 600 à 4 000 euros (auxquels il faut ajouter entre 200 et 300 euros par an pour la conservation des ovocytes). Chaque année, environ 3 000 femmes auraient recours à cette pratique.[295]
Selon l’Académie nationale de médecine, l’autoconservation ovocytaire est autorisée par une loi ou bien tolérée par absence d’interdiction dans de nombreux pays européens, à l’exception de l’Autriche, de Malte et de la France qui n’autorisent pas cette pratique.[296] Ainsi, la majorité des pays proches de la France (Royaume Uni, Belgique, Italie, Espagne) autorise l’autoconservation ovocytaire.
Au demeurant, la European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE) a rendu en 2012 un avis favorable à cette pratique, jugeant notamment que les arguments contre son autorisation n’étaient pas convaincants. Cependant, l’ESHRE recommande que cette congélation se fasse avant 35 ans. En 2012 et 2013 respectivement, la ESHRE et l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM) ont supprimé le label « expérimental » pour la cryoconservation des ovocytes.[297],[298]
En dehors de l’Europe, l’autoconservation ovocytaire est légale notamment au Brésil, aux États-Unis, en Israël, au Canada et au Japon.[299]
Aux Etats-Unis, l’autoconservation ovocytaire hors raison médicale n’est pas interdite par la loi. Elle est réalisée dans des cliniques privées sans que l’Etat n’intervienne pour encadrer la technique ou la financer. Ces cliniques se livrent souvent à un marketing agressif (campagnes de promotion de type « Egg Freezing Parties »[300], comme la Three F’ : Fun, Fertility and Freeze).
La démarche peut également être financée par certaines entreprises comme Facebook, Google et Apple à leurs employées[301],[302] ainsi que par l’armée américaine dans le cadre de la couverture des risques professionnels potentiels relatifs à la fertilité. Aux Etats-Unis, l’ensemble de la procédure (stimulation hormonale, suivi médical, ponction des ovocytes, vitrification) coûte entre 10 000 et 15 000 dollars (auxquels il faut ajouter entre 500 et 1000 dollars par an pour la conservation des ovocytes).[303]
En Israël, l’autoconservation ovocytaire est autorisée par la loi depuis octobre 2011 dans le cadre de la Ovum Preserving Law[304]. Elle est réservée aux femmes entre 30 et 41 ans qui peuvent bénéficier de 4 stimulations ovariennes au maximum (jusqu’à l’obtention de 20 ovocytes). La conservation est assurée par période de 5 ans à l’issue de laquelle la femme se prononce sur sa poursuite ou non. L’âge maximal de récupération des ovocytes est fixé à 54 ans. L’offre est essentiellement le fait de cliniques privées. Seule une autoconservation pour raison médicale est prise en charge par la Health Maintenance Organization (HMO).
L’Académie nationale de médecine, dans son rapport sur la conservation des ovocytes[305] rapporte que :
- La demande d’autoconservation semble avoir considérablement augmenté en Europe depuis quelques années. Elle est passée, dans l’étude espagnole multicentrique IVI (Institut de Valence contre l’Infertilité), de 2,9 % en 2010 à 24,2 % en 2015 (dont 42 demandes françaises), soit 1468 vitrifications pour indications non médicales. En 2015, la demande d’autoconservation pour palliation de l’infertilité liée à l’âge a été de 110 en Belgique et 110 aux Pays Bas ;
- En Espagne, cette demande d’autoconservation provient pour 75.6% de célibataires hétérosexuelles, pour 23.9% de femmes en couple ayant des relations hétérosexuelles mais pas de projet de grossesse, et pour 0.4% d’homosexuelles ;
- Au Symposium International Timefreezede mars 2015 sur la conservation des ovocytes, la demande d’autoconservation pour raison non médicale à la clinique Eugyn de Barcelone avait augmenté de 60%, l’âge des femmes effectuant la démarche était de 38-39 ans, dont 92% étaient célibataires, 96% à haut niveau de formation, 20% médecins et 56% françaises ;
- Ces chiffres ont certainement encore évolué depuis.
2.1.1 L’âge moyen de la première grossesse est passé de 24 ans en 1974 à 28,5 ans en 2015. La première grossesse intervient donc presque cinq années plus tard qu’il y a environ quarante ans[306]. Désormais, le premier enfant est conçu au moment où la fertilité de la femme est déjà en baisse.
En effet, la femme a un stock définitif d’ovocytes à la naissance et ses capacités reproductives (sa fertilité naturelle) vont diminuer avec l’âge, sensiblement à partir de 35 ans et drastiquement après 40 ans. L’âge moyen de la ménopause se situe aux alentours de 50 ans mais la réserve ovarienne – déterminant directement la probabilité d’avoir naturellement un enfant - diminue bien plus précocement.
La fertilité baisse avec l’âge essentiellement parce que les ovocytes se réduisent en quantité et en qualité mais aussi du fait d’un très fort taux de fausses couches et de complications obstétricales à un âge plus avancé. Le taux de conception (à 12 mois) est à 30 ans de 75,4 %, à 35 ans de 66 %, à 40 ans de 44,3 %. À 40 ans, près de 80 % des ovocytes soumis à fécondation sont aneuploïdes (nombre anormal de chromosomes), ce qui induit un taux de fausses couches spontanées d’environ 30 %[307].
L’augmentation constante de la durée de vie, en particulier ces dernières années (en 2017, l’espérance de vie en France atteint 79,5 ans pour les hommes et 85,4 ans pour les femmes[308]), ne se traduit pas par un allongement proportionnel de la durée de fertilité[309].
Évolution de l’âge moyen à l’accouchement, par rang de naissance de l’enfant
Champ : France métropolitaine.
Source : Insee, statistiques d’état civil et estimations de population. Rangs de naissance redressés à partir des recensements 1968 à 2008 et de l’enquête annuelle de recensement 2011.
Répartition des premières naissances selon l’âge de la mère
Note : Calculs d’après les taux de fécondité.
Lecture : En 2010, 8 % des premiers bébés ont une mère âgée de 28 ans. En 1967, c’était 4 %.
Champ : France métropolitaine.
Source : Insee, statistiques d’état civil et estimations de population. Rangs de naissance redressés à partir des recensements 1968,1990 et 2008 et de l’enquête annuelle de recensement 2011.
2.1.2 Avant la révision de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, le donneur de gamètes devait avoir déjà procréé pour pouvoir faire un don[310]. Cette obligation législative ne trouvait son équivalent dans aucun autre pays européen[311].
Au regard de l’autre condition qui pèse actuellement sur le don (le recueil du consentement du conjoint), il apparait que le modèle était alors celui d’un couple, déjà parent, qui permet à un autre couple de le devenir.
L’article 29 de la loi du 7 juillet 2011 susmentionnée a levé cette condition de procréation antérieure[312] en espérant ainsi l’élargissement du cercle des donneurs – essentiellement des donneuses d’ovocytes avec un rajeunissement des candidates au don (compte tenu du recul régulier de l’âge des femmes à la naissance de leur premier enfant[313]).
Le législateur a assorti la suppression du critère de paternité ou maternité antérieures de la possibilité d’autoconservation d’une partie des gamètes destinés au don (au bénéfice exclusif du donneur ou de la donneuse n’ayant pas procréé).
Les débats parlementaires sur cette question s’inscrivaient dans le contexte de la publication d’un rapport de l’IGAS portant sur le don d’ovocytes[314].
Or, ce rapport, qui renvoyait la décision au législateur dans le cadre de la révision des lois bioéthiques, précisait : « Dans l’hypothèse où les débats parlementaires inclineraient vers la levée de l’exigence de primo-maternité[315], la mission souhaite souligner deux points qui lui paraissent importants pour minimiser les risques de cette évolution : – d’une part, il est essentiel de pouvoir proposer à la donneuse non mère de conserver, et donc vitrifier, ses propres ovocytes pour supprimer les risques futurs éventuels pour sa fertilité[316], – d’autre part, des mesures réglementaires et pratiques semblent nécessaires pour préserver les plus jeunes filles. »[317]
Suivant ces orientations, la suppression de la condition de procréation antérieure a été argumentée par la pénurie de don d’ovocytes dans un contexte de « tourisme procréatif », et la possibilité pour le donneur n’ayant pas procréé de conserver une partie des gamètes à son bénéfice a été justifiée par la nécessaire compensation des contraintes liées au don d’ovocytes, notamment la prévention des cas de stérilité ultérieure, y compris en raison du don (femmes qui seraient « victimes de leur don »)[318].
2.1.3 Or, si la suppression de la condition de maternité ou paternité antérieures a eu un effet sur le recrutement des donneurs de gamètes[319], il apparait aujourd’hui que la possibilité pour le donneur n’ayant pas procréé de conserver une partie des gamètes à son bénéfice pose de nombreuses difficultés.
Tout d’abord, le risque allégué d’infertilité liée au don chez la donneuse est en réalité très faible. Par ailleurs, ce risque vaut également pour les femmes ayant déjà procréé qui souhaiteraient avoir d’autres enfants, ce qui conduit à une rupture d’égalité.
Surtout, de nombreuses critiques ont été formulées, dès 2012, à l’égard de ce dispositif[320], notamment en tant qu’il s’inscrit dans une logique de contrepartie constituant ainsi une entorse au principe de gratuité du don, ou encore, dans le cadre spécifique du don d’ovocytes, le fait qu’il génère une « illusion » chez la donneuse, les ovocytes vitrifiés pour elle-même pouvant ne jamais aboutir à une grossesse.
En effet, le législateur n’a pas tenu compte du nombre limité d’ovocytes prélevés à chaque cycle (10 en moyenne). Or, cette limite physiologique induit un effet pervers car, si les ovocytes étaient partagés à part égale entre le don et l’autoconservation, il y aurait diminution des ressources ovocytaires dédiées au don sans pour autant assurer de réelles chances de grossesse à la donneuse (il faudrait vitrifier au minimum 15 ovocytes pour avoir des chances acceptables de grossesse).
Des règles de répartition ont donc dû être définies, l’objectif premier devant rester le don de gamètes (les donneurs sont informés de ces conditions avant de consentir au don[321]). Elles ont été fixées comme suit : « jusqu’à 5 ovocytes matures obtenus, tous les ovocytes sont destinés au don et la conservation au bénéfice de la donneuse n’est alors pas réalisée ; de 6 à 10 ovocytes matures obtenus, au moins 5 ovocytes matures sont destinés au don ; au-delà de 10 ovocytes matures obtenus, au moins la moitié des ovocytes matures est dirigée vers le don »[322].
De ce fait, la disposition introduite par le législateur en 2011 a été contesté, notamment dans le cadre des travaux menés devant le Comité consultatif national d’éthique[323] à l’occasion des Etats généraux de la bioéthique, parfois qualifié de « leurre » et de « médicalement et éthiquement inacceptable »[324].
Par ailleurs, dans son rapport sur l’application de la loi bioéthique de 2011, l’Agence de la biomédecine écrit[325] : « Proposer au donneur ou à la donneuse le recueil et la conservation d'une partie de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue d'une éventuelle réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une AMP peut poser des difficultés aux professionnels, à la fois pour s’assurer de la motivation des donneurs par le seul don et pour justifier auprès des donneuses ayant déjà procréé qu’elles n’aient pas accès à cette autoconservation. »
Le Conseil d’Etat, dans son étude de juin 2018[326], note également : « Un consensus se dégage pour considérer que le dispositif actuel d’autoconservation contre don est contraire au principe de gratuité du don. En effet, il consiste à inciter à donner ses ovocytes en créant une forme de contrepartie au don ». Il recommande « de supprimer l’autoconservation liée au don et de traiter la question de l’autoconservation ovocytaire indépendamment de la question du don ».
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 129 de septembre 2018[327], exprime lui aussi une position critique sur cette disposition : « On peut considérer, dans cette situation, que la notion de « don gratuit » n’existe plus et qu’il s’agit d’un marché, marché par ailleurs biaisé, puisqu’il est difficilement possible d’estimer par avance le nombre d’ovocytes « en bon état » obtenus lors d’un prélèvement ». Il considère qu’il serait « plus juste de séparer clairement les deux démarches : un don gratuit et la prise en charge d’une conservation ovocytaire de précaution sous conditions ».
Les rapporteurs de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[328] estiment « que la législation actuelle incite les femmes jeunes n’ayant pas eu d’enfant, pour lesquelles la probabilité d’obtenir des ovocytes fécondables est élevée, à faire un don avec autoconservation alors qu’elles ont des chances non négligeables de pouvoir procréer naturellement. ». Ils suggèrent de « bien distinguer le don altruiste et gratuit d’ovocytes de la possibilité d’autoconservation d’ovocytes chez la femme n’ayant pas eu d’enfant. »
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale ajoute à ces constats des difficultés d’ordre matériel, « aucune base juridique ne prévoyant explicitement le financement de la conservation du don ». Il conclut également : « Il conviendrait en premier lieu de dissocier l’autoconservation du don » [329].
Le Défenseur des droits, dans son avis du 10 octobre 2018, demande également la suppression de cette mesure estimant que « compte tenu de la large priorité accordée au don, les chances pour les donneuses d’en conserver pour elles-mêmes sont quasi nulles » [330].
En outre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis relatif à l’assistance médicale à la procréation[331], dénonce une inégalité entre les femmes et les hommes induite par ce dispositif, les hommes pouvant plus facilement conserver leurs gamètes : « La question ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes pour les donneurs de sperme, puisqu’ils peuvent, sans traverser les épreuves physiologiques et médicales auxquelles sont confrontées les femmes, préserver leurs spermatozoïdes. » Elle estime, par conséquent, que « La possibilité ouverte par la loi de 2011 de conserver une partie des gamètes issues d’un don n’est pas satisfaisante en l’état actuel de la réglementation ».
2.1.4 Si des techniques de conservation des spermatozoïdes ont été rapidement développées, elles n’étaient pas transposables aux ovocytes jusqu’à récemment. En effet, la congélation dite lente n’est pas adaptée aux gamètes féminins. Des cristaux se forment pendant le processus de baisse en température avec le risque de provoquer, lors de la décongélation, des déchirures de la cellule.
Il a donc fallu attendre la mise au point des techniques de vitrification (ou de congélation ultra-rapide), qui empêchent la formation de ces cristaux, pour envisager le développement de la congélation des ovocytes. Depuis, la vitrification ovocytaire s’est considérablement développée partout dans le monde.
En France, la technique de vitrification a été autorisée par la loi de 2011, sur la base des données rassurantes des autres pays européens. En effet, il a été montré que les taux de fécondation et de grossesse avec des ovocytes vitrifiés étaient quasi-égaux à ceux avec des ovocytes frais. Par ailleurs, les enfants nés d’ovocytes vitrifiés fécondés ne présentent pas plus d’anomalies. Ainsi, la vitrification est devenue la technique de référence qui doit être proposée en priorité en matière de préservation de la fertilité dans le cadre de l’article L. 2141-11 du code de la santé publique.
De fait, la vitrification d’ovocytes matures recueillis après stimulation ovarienne représente, avec la congélation de tissu ovarien (après ovariectomie par cœlioscopie), la technique la plus utilisée en matière de préservation de la fertilité féminine.
Il convient de préciser que la vitrification des ovocytes implique d’utiliser ultérieurement la technique d’ICSI (Injection intracytoplasmique de spermatozoïde) en cas de recours à l’assistance médicale à la procréation.
2.1.5 Pour certains, l’évolution des comportements en matière de désir d’enfant serait liée à un défaut d’information sur la chute de la fertilité avec l’âge et qu’il suffirait que les femmes soient mieux informées pour qu’elles décident d’avoir leurs enfants plus jeunes.
D’une part, ce raisonnement s’apparente à une injonction à la maternité qui empiète sur la liberté individuelle des femmes à déterminer le moment auquel elles souhaitent avoir des enfants. D’autre part, même bien conduites, de telles campagnes d’information n’apporteront pas tous les résultats escomptés car les causes du recul de l’âge de la première maternité sont plurielles.
Le report de l’âge de la première maternité ne peut être imputé aux seules femmes. En effet, le report de la première grossesse procède moins de la volonté de femmes carriéristes que d’autres raisons extrinsèques. Comme en témoigne le Dr Joëlle Belaisch Allart, dans toutes les études « anglo-saxonnes, australiennes et américaines », « Quand on demande aux femmes pourquoi elles ont fait une autoconservation, elles répondent à 80 %, 85 % ou 86 % selon les études, qu’elles n’avaient pas rencontré le partenaire avec qui faire un enfant »[332]. Le même constat figure dans le rapport de l’Académie de médecine sur la conservation des ovocytes : « La raison largement dominante de la demande personnelle de conservation d’ovocytes est l’absence de partenaire »[333].
Le Conseil consultatif national de bioéthique de Belgique analyse quant à lui : « L’assimilation entre femmes qui congèlent leurs ovules et femmes uniquement attachées à leur carrière n’est pas seulement gratuite et dépourvue de fondements scientifiques, elle se déduit aussi directement de l’idée que le premier rôle de la femme doit être celui d’être mère »[334].
En somme, si l’âge de la première naissance recule parfois jusqu’à 35 voire 40 ans, « c’est moins le fait des seules femmes que celui d’un mouvement global qui concerne les hommes et les femmes, les femmes célibataires ou en couple, les couples entre eux, les couples qui se défont et se refont. »[335], conclut le Dr Joëlle Belaisch Allart.
Or, ce mouvement d’ampleur ne devrait pas s’inverser parce qu’il résulte de « changements considérables survenus dans le comportement socio-économique et reproductif au cours des dernières décennies. »[336]. Et l’auteur de citer « une combinaison complexe de raisons » telles que des aspirations scolaires et professionnelles plus étendues, des ruptures plus fréquentes dans les relations conjugales, la réalisation de « l’épanouissement personnel » par des voies autres que celles de la parentalité, les obstacles économiques à la réalisation d'une image « idéalisée » de la parentalité (avec des objectifs préalables en matière de logement ou de carrière).
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 129[337], estime également « les difficultés matérielles et les défauts d’organisation de la société qui peuvent détourner les femmes jeunes de la possibilité d’avoir des enfants ».
En tout état de cause, le recul de l’âge de la maternité ne doit pas être en soi systématiquement dénigré – sous réserve de rester compatible avec des impératifs de santé. Ainsi, l’Académie de médecine évoque le « gain théorique » des grossesses plus tardives avec des enfants qui naissent dans un contexte de stabilité des couples, de conditions socioéconomiques favorables, de meilleure préparation à la parentalité et de meilleure maturité psychologique[338]. Certains de ces arguments sont également mis en avant par le Comité consultatif de bioéthique de Belgique[339] : « À cela s’ajouteraient des études qui démontrent qu’une parentalité plus tardive peut également présenter des avantages. (…) de plus faibles pertes de revenus et des interruptions de carrière moins longues pour les mères[340], une plus grande stabilité́ du couple[341], de meilleures situations en termes de finances et de logement, un sentiment plus fort de détenir les compétences nécessaires à la réalisation du projet parental[342], voire des degrés de bonheur plus élevés des parents[343]».
2.1.6 Si un déni de la chute de la fertilité avec l’âge a pu être évoqué[344], ce déni peut aussi s’expliquer par une confiance excessive dans les techniques d’assistance médicale à la procréation[345].
Or, le taux de succès de l’assistance médicale à la procréation diminue avec l’âge de la femme.
Toutes les techniques (inséminations intra-utérines, fécondation in vitro, injection intra cytoplasmique de spermatozoïdes) voient leur taux de succès diminuer dès 35 ans : 30,1 % à 34 ans, 23,6 % à 38 ans, 16,5 % à 43 ans[346].
En revanche, le recours à un don d’ovocytes (gamètes plus jeunes) permet d’amoindrir cet effet de l’âge sur le taux de succès de la technique utilisée.
Quand les ovocytes pour la fécondation in vitro proviennent de donneuses (réglementairement âgées de moins de 37 ans), le taux de succès de l’assistance médicale à la procréation reste encore de 46 % au-delà de 40 ans[347].
Or, si le recours aux techniques d’assistance médicale à la procréation apparait inéluctable à partir d’un certain âge, il est de très loin préférable d’utiliser les ovocytes de la femme (conservés antérieurement) plutôt que ceux d’une donneuse (la femme étant alors exposée à une fréquence accrue de prééclampsies et de retards de croissance intra-utérins), a fortiori dans un contexte de pénurie d’ovocytes.
Dans ce cadre, l’autoconservation préalable des ovocytes relève bien d’une prévention de l’infertilité liée à l’âge et s’inscrit dans le champ médical.
2.1.7 Au plan technique, l’autoconservation ovocytaire suppose une stimulation ovarienne, puis un prélèvement chirurgical des ovocytes (sous anesthésie locale ou générale), et, enfin, une vitrification des ovocytes obtenus (avant qu’ils ne soient conservés dans l’azote liquide à – 196° jusqu’à leur utilisation). Un deuxième cycle peut s’avérer nécessaire pour obtenir au moins 15 à 20 ovocytes au total afin d’augmenter les chances de grossesse ultérieures.
S’agissant des risques médicaux liés à la stimulation et au prélèvement d’ovocytes, ils sont considérés comme « rares » par l’Académie de médecine et négligeables[348] par certains auteurs, ne menaçant pas la fertilité ultérieure et n’affectant pas les résultats de futures stimulations. Ces risques sont aujourd’hui estimés inférieurs à 1 %[349]. Par ailleurs, ce sont les mêmes risques auxquels les donneuses sont exposées aujourd’hui au bénéfice d’autres femmes. Il est difficilement soutenable d’accepter au plan médical qu’une femme (en l’absence de contre-indication et informée de tous ces risques) puisse consentir à les prendre pour d’autres femmes tout en lui interdisant de les prendre pour elle-même.
Les contributions aux Etats généraux de la bioéthique ont montré qu’il y a un consensus des professionnels de santé en faveur d’une légalisation de la pratique (de façon encadrée et sans l’encourager) qui est assimilée à une mesure de prévention face au vieillissement physiologique de la réserve ovocytaire. Par ailleurs, un sondage au sein du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) témoigne que 80 % des professionnels soutiennent la demande d’autoconservation. Les médecins eux-mêmes, qui sont particulièrement vigilants sur la balance bénéfices/risques, ne récusent donc pas l’autoconservation ovocytaire sur ce motif.
2.1.8 L’effectivité de l’autonomie des femmes dans le cadre d’une possibilité d’autoconservation de leurs ovocytes fait l’objet d’un débat dont les travaux préparatoires à la révision bioéthique se sont faits l’écho.
A titre liminaire, il convient de rappeler que des articles de presse en 2014[350] ont fait état de propositions de financement d’une autoconservation ovocytaire par des entreprises américaines à leur personnel féminin. L’argument avancé par ces sociétés était que ces femmes pourraient ainsi consacrer leur talent et leur énergie à leur travail, et remettre à plus tard leur éventuel projet de grossesse.
Dans les travaux préparatoires, certains ont donc noté que l’autoconservation ovocytaire pourrait se révéler être une contrainte sociale et professionnelle.
« Le risque qu’une telle mesure réduise, consciemment ou non, la liberté de la femme de pouvoir procréer pendant sa période de fertilité n’est pas mineur » note le Conseil d’Etat[351]. Le rapporteur de la mission d’information parlementaire évoque, quant à lui, une promesse émancipatrice portée par les techniques qui pourrait se heurter « à la réalité d’une organisation sociale pensée par et pour les hommes. »[352]. D’une manière plus générale, mais dans le même contexte d’émancipation des personnes, le Comité consultatif national d’éthique évoque la disponibilité des techniques qui pourrait aboutir, « de proche en proche, en une contrainte qui s’exprimerait sous la forme « puisque c’est possible, il faut le faire » »[353].
A contrario, l’autoconservation est apparue comme une mesure émancipatrice pour les femmes en leur permettant notamment de se libérer des contraintes liées à l’horloge biologique[354].
Le Comité consultatif national d’éthique considère que « Dans [le] contexte, la possibilité d’une autoconservation ovocytaire apparaîtrait comme un espace dans lequel la liberté des femmes pourrait s’exercer sans qu’elles compromettent leur maternité future »[355] et que « Par cette mesure, les femmes exercent aussi leur autonomie et leur liberté (vouloir ou ne pas vouloir), (…) ce choix s’effectuant en toute connaissance des difficultés de la procédure médicale. »[356]
Le Conseil d’Etat analyse que « La temporalité des cycles de vie a évolué (allongement de la durée des études et de la période d’insertion professionnelle, mais aussi de la vie amoureuse avant le projet d’enfant) alors que la période de fertilité d’une femme reste inchangée. Dans ce contexte, l’autoconservation ovocytaire pourrait répondre à ces difficultés de décalage temporel. »[357].
En tout état de cause, l’initiative de certaines sociétés américaines encourage une vision des femmes selon laquelle travail et maternités sont incompatibles, la femme étant forcée de choisir. Elle ouvre également la porte à des pressions professionnelles accrues sur la maternité de la part de l’employeur[358] et conduit les femmes à soumettre leur désir d’enfant aux contraintes du marché du travail.
Une telle initiative (le financement par l’entreprise du report de la grossesse), présentée pourtant comme une mesure d’égalité entre les femmes et les hommes, n’est en réalité qu’une mesure d’asservissement des femmes aux intérêts de l’entreprise, en somme une mesure portant atteinte à cette égalité.
Ces initiatives, qui ont eu lieu aux Etats-Unis par des sociétés américaines, sont souvent mises en exergue à l’encontre de l’autoconservation ovocytaire par ceux qui s’opposent à son autorisation. Mais, le contexte français est différent de celui des Etats Uni et il est possible d’être à la fois favorable à l'autorisation de l’autoconservation ovocytaire (sous conditions) tout en étant opposé à de telles pratiques.
2.1.9 Si une maternité à partir des ovocytes vitrifiés ne pourra jamais être garantie, une étude de 2017 montre que congeler 10 ovocytes à 35 ans ou moins donne à la femme 69% de chances d’obtenir une naissance mais ce pourcentage tombe à 50% pour les femmes de 37 ans et à 30% pour celles de 40 ans[359].
L’Académie nationale de médecine rapporte, quant à elle, que : « Toutes indications confondues (dons, indications médicales et non médicales), ce sont les résultats internationaux après vitrification des ovocytes qui sont les plus explicites[360]. Ils indiquent que, globalement, lors d’une procédure de vitrification, le nombre d’ovocytes recueillis est de 8 à 13 par cycle, le taux de survie des ovocytes après dévitrification autour de 85 %, le taux de fécondation par ICSI[361] autour de 70 %, le taux global de grossesses autour de 40 %. »[362]
2.1.10 L’autoconservation d’ovocytes n’apparait contraire à aucun principe bioéthique.
Elle serait de nature à améliorer la réussite de l’assistance médicale à la procréation quand le moment serait venu de recourir à ces ovocytes (puisqu’ils seraient alors plus jeunes que la femme) ; cela éviterait, par conséquent « la multiplication des tentatives [d’assistance médicale à la procréation] infructueuses, éprouvantes pour le couple et couteuses pour l’assurance‐maladie »[363]. Ce point est développé dans la rubrique impacts.
Cette autorisation aurait pour double effet, d’une part de réduire la demande de dons d’ovocytes (puisque les propres ovocytes de la femme conservés antérieurement seraient utilisés) et, d’autre part, d’augmenter le nombre d’ovocytes disponibles pour le don, dans l’hypothèse où, n’en ayant pas eu besoin, la femme les donnerait finalement pour qu’ils bénéficient à d’autres femmes.
Il s’agit d’offrir cette possibilité aux femmes et aux hommes qui le souhaitent avec des conditions strictes d’accès et de mise en œuvre (notamment en termes de limites d’âge).
Ils seront pris en charge par l’équipe pluridisciplinaire des centres d’assistance médicale à la procréation. L’information qui sera délivrée en amont à la femme souhaitant conserver ses ovocytes devra être loyale, notamment sur les conditions de prélèvement, les chances de grossesse et les risques d’échec. L’absence de contre-indication à la stimulation hormonale et au prélèvement ovocytaire sera vérifiée dans tous les cas, ainsi que le contexte psychologique (existence d’une pression professionnelle ou commerciale). Un suivi médical du traitement et de ses éventuelles complications sera garanti.
Les arguments ne doivent pas être inversés : l’autoconservation des ovocytes ne sera jamais la cause du recul de l’âge de la première naissance - elle permet seulement d’en pallier les conséquences. Au surplus, laisser se développer de façon non contrôlée la conservation des ovocytes à l’étranger n’aidera en rien à éviter les grossesses tardives.
Enfin, le Gouvernement met fin au dispositif introduit en 2011 (autoconservation en cours de don de gamètes).
Dans son avis n° 126, le Comité consultatif national d'éthique recommande d’encourager les maternités plus précoces plutôt que l’autoconservation des ovocytes. Il considère en effet qu’il appartient à la société de rechercher les « moyens permettant aux femmes, selon leur désir et leur choix de vie, de procréer naturellement et plus tôt, sans considérer comme inéluctable d’avoir à différer l’âge de la maternité »[364].
3.1. Le Gouvernement décide d’ouvrir l’autoconservation de gamètes aux femmes et aux hommes.
En effet, des risques procréatifs liés à l’âge sont également documentés chez les hommes. Ouvrir la faculté d’autoconservation des gamètes chez les femmes seulement conduirait à une discrimination envers les hommes.
3.2. Le Gouvernement souhaite ne pas encourager l’autoconservation de gamètes ; il enserre donc la réforme de conditions strictes d’accès en termes d’âge qui seront fixées par voie réglementaire mais peuvent d’ores et déjà être précisées.
Avant 32 ans, la femme a toutes les chances de procréer naturellement sans avoir besoin de recourir aux ovocytes qu’elle aurait conservés (78 % des femmes font leur premier enfant avant 35 ans). La balance bénéfices/risques ne serait donc pas favorable.
En revanche, au-delà de cet âge, et en particulier à partir de 33-35 ans, quand une femme, célibataire ou qui vient de rompre, est certaine de vouloir des enfants, le risque de recourir ultérieurement à une assistance médicale à la procréation est grand.
Par conséquent, la limite d’âge inférieure d’accès à la mesure est fixée à 32 ans et sera étendue aux hommes.
Pour garantir la qualité des gamètes prélevés ou recueillis, un âge supérieur est également retenu : celui des donneurs de gamètes soit 37 ans pour les femmes[365] et 45 ans pour les hommes.
Enfin, le Gouvernement, dans un souci de cohérence d’ensemble, choisit de faire correspondre la limite d’âge d’utilisation des ovocytes conservés avec celle de la prise en charge par l’assurance maladie de l’assistance médicale à la procréation, soit jusqu’au 43ème anniversaire de la femme[366]. Pour les hommes, l’âge de 59 ans sera retenu (il correspond également à l’âge limite en assistance médicale à la procréation).
3.3. Le Gouvernement souhaite réserver cette activité aux centres publics et privés à but non lucratif.
En effet, les gamètes non utilisés seront orientés, si la personne concernée y consent, vers le circuit du don. Or, le don de gamètes ne peut être mis en œuvre que dans les secteurs publics et privés à but non lucratif. Le transfert des gamètes vers le secteur du don sera ainsi facilité.
Par ailleurs, le Gouvernement est soucieux de ne pas inciter à cette autoconservation, tout profit devant être exclu de l’activité.
Si les sociétés savantes, notamment le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et l’association de biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l'œuf (BLEFCO), demandent que l’autoconservation ovocytaire soit possible dans tous les centres d’assistance médicale à la procréation, l’Académie de médecine[367] précise, quant à elle : « Pour éviter la malfaisance liée aux insuffisances d’équipement et/ou aux démarches mercantiles, seuls devraient être autorisés les centres publics à but non lucratifs, offrant toutes les garanties techniques de succès de conservation des ovocytes. ».
En outre, ces activités ne pourront être exercées dans le cadre de l’activité libérale prévue à l’article L. 6154-1 du code de la santé publique.
3.4. La question de la prise en charge des actes doit être tranchée au regard de différents paramètres.
3.4.1 Tout d’abord, dès lors que l’autoconservation est assimilée à une technique de prévention de l’infertilité́ liée à l’âge, et donc à de la médecine préventive, elle peut, pour partie au moins, être prise en charge par l’assurance maladie.
3.4.2 Par ailleurs, l’autoconservation ovocytaire est de nature à améliorer considérablement la réussite de l’assistance médicale à la procréation et à éviter la multiplication de tentatives infructueuses. Ainsi, la femme qui utilise ses ovocytes préalablement conservés lorsqu’elle recourt à une assistance médicale à la procréation subira moins de traitements invasifs (stimulations, prélèvements ovocytaires) pour une naissance qui arrivera plus vite et autorisera, le cas échéant, une deuxième naissance[368].
En somme, elle conduit à une meilleure efficience de l’assistance médicale à la procréation et un meilleur rapport coût-bénéfices-risques, ce qui rend légitime la couverture d’une partie des dépenses engagées au titre de l’autoconservation.
3.4.3 Financée par les femmes les plus aisées qui peuvent se rendre à l’étranger, au prix de plusieurs milliers d’euros, l’autoconservation est inaccessible aux femmes défavorisées. Il existe donc une discrimination par l’argent incompatible avec le principe éthique de justice.
Les travaux préparatoires à la révision sont convergents sur la question de la prise en charge.
Le Comité consultatif national d'éthique, dans son avis n° 129[369], estime que l’autoconservation ovocytaire « doit être intégralement prise en charge » arguant qu’il s’agit d’une « démarche de prévention en situation d’accompagnement médical ».
Le Conseil d’Etat justifie la prise en charge par la réduction espérée du nombre de parcours en assistance médicale à la procréation par femme, l’augmentation possible de la ressource en don d’ovocytes et la prévention des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes[370].
Le Défenseur des droits est favorable à une prise en charge par l’assurance maladie[371].
La Commission nationale consultative des droits de l’homme considère que les avantages attendus d’une autorisation de l’autoconservation ovocytaire justifient une prise en charge des frais par la sécurité sociale. « D’une part, ces autoconservations d’ovocytes favoriseront les chances de réussite d’une AMP réalisée ultérieurement. D’autre part, un système permettant de réorienter vers le don des gamètes qui ne seraient pas utilisés avant un âge donné – l’âge limite pour accéder à l’AMP, pourrait accompagner cette réforme. »[372].
L’Académie de médecine pousse le raisonnement plus loin encore : « l’infertilité liée à l’âge n’est pas une maladie, mais, comme bien d’autres, une pathologie liée au vieillissement. Les femmes qui n’en tiennent pas compte et qui, sur le tard désirent une grossesse, recourent à la FIV, peu efficace avec leurs propres ovocytes, obligeant à puiser dans la réserve insuffisante des ovocytes du don. Cette démarche « négligente » est prise en charge par l’Assurance Maladie. Pourquoi stigmatiser par le terme de « convenance » les femmes dont la lucidité les a conduites à conserver leurs ovocytes quand il était temps. »[373].
Parmi les options qui se présentent[374], le Gouvernement décide que l’acte sera remboursé par l’assurance maladie mais que le coût de la conservation annuelle restera à la charge de la personne concernée.
En effet, l’effort consenti est déjà important. La durée de conservation est aléatoire puisque certaines personnes n’auront jamais besoin d’utiliser leurs gamètes ainsi conservés. Certaines pourraient décider la destruction de leurs gamètes à l’issue de cette conservation (il parait impossible de contraindre à faire un don des spermatozoïdes ou des ovocytes non utilisés).
Enfin, le Gouvernement n’envisage pas un remboursement des frais engagés pour la conservation des gamètes dans le cas où, ne les ayant pas utilisés, les personnes décideraient de les orienter vers le don. En effet, la somme qui pourrait être conséquente, selon le nombre d’années concernées, s’apparenterait à une contrepartie au don. En outre, même si le risque parait mineur, un tel remboursement pourrait être susceptible d’inciter à conserver ses gamètes.
3.4.4 La personne dont les gamètes sont conservés sera consultée chaque année pour consentir par écrit à la poursuite de cette conservation. Si elle ne souhaite plus la maintenir, elle pourra consentir à ce que ses gamètes fassent l'objet d'un don, d'une recherche ou à ce qu'il soit mis fin à leur conservation. En l’absence de réponse de la personne durant dix années consécutives ou en cas de décès, il sera mis fin à la conservation des gamètes.
3.4.5 Au regard des nombreuses critiques formulées et d’une position unanime contre le maintien de ce dispositif dans les travaux préparatoires, la suppression de la possibilité de conserver des gamètes pour soi-même au moment du don s’impose au Gouvernement.
A cet égard, il est rappelé qu’en lien avec l’article 21[375] de la Convention d’Oviedo, le récent guide pour la mise en œuvre du principe d’interdiction du profit relatif au corps humain et à ses parties provenant de donneurs vivants ou décédés du Comité de bioéthique du Conseil de l’Europe précise que « Les mesures à vocation non altruiste qui sont incompatibles avec l’interdiction du profit incluent les initiatives offrant des avantages en nature pour encourager les personnes qui n’auraient autrement pas envisagé de faire un don (…) »[376].
En revanche, l’ouverture du don aux personnes n’ayant pas procréé est maintenu. Rien n’empêche ces personnes de faire, à la suite d’un don, une deuxième démarche distincte pour conserver pour elles-mêmes leurs gamètes recueillis ou prélevés dans un cadre clair excluant toute contrepartie.
La présente disposition remplacera l’actuel article L. 2141-12 du code de la santé publique par de nouvelles dispositions qui prévoient qu’une personne majeure qui répond à des conditions d’âge précisées par décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Agence de la biomédecine peut bénéficier, après une prise en charge médicale par l’équipe clinico-biologique pluridisciplinaire d’assistance médicale à la procréation évaluation médicale, du recueil ou du prélèvement et de la conservation de ses gamètes, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation.
Le consentement écrit de l'intéressé est recueilli par écrit après information sur les conditions, les risques et les limites de la démarche et de ses suites. Il doit être confirmé après un délai de réflexion de trois mois. Seuls les établissements publics ou privés à but non lucratif autorisés à cet effet peuvent conserver les gamètes ainsi recueillis ou prélevés.
La personne dont les gamètes sont ainsi conservés est consultée chaque année pour consentir par écrit à la poursuite de cette conservation. Si elle ne souhaite plus la maintenir, elle consent par écrit à ce que ses gamètes fassent l'objet d'un don, à ce que ses gamètes fassent l'objet d'une recherche, à ce qu'il soit mis fin à la conservation de ses gamètes.
En l’absence de réponse de la personne durant dix années consécutives, il est mis fin à la conservation des gamètes.
L’actuel article L. 2141-12 deviendra l’article L. 2141-13 du code de la santé publique.
La présente disposition conduira par ailleurs à la modification de la rédaction de l’’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale pour préciser que la protection sociale contre le risque et les conséquences de la maladie comporte la couverture des frais relatifs aux actes et traitements liés à la préservation de la fertilité et à l’assistance médicale à la procréation, à l’exception de ceux afférents à la conservation des gamètes pour des assurés non atteints d’une pathologie altérant leur fertilité.
L’article L. 1244-2 du code de la santé publique sera modifié pour supprimer la faculté de conserver pour soi-même une partie des gamètes dans le cadre du don pour les donneurs n’ayant pas procréé (suppression du troisième alinéa).
Cette disposition est par ailleurs clarifiée : elle laisse en effet supposer qu’un principe de procréation antérieure demeure et qu’une dérogation est prévue pour une partie des donneurs.
Les Centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) gèreront les demandes d’autoconservation de gamètes comme ils gèrent actuellement les candidatures au don de gamètes. Ils conserveront également les gamètes et assureront leur traçabilité avec l’interrogation annuelle des personnes concernées.
Chaque CECOS pourrait ainsi voir sa charge augmenter. Toutefois, ces demandes seront a priori réparties entre les 29 centres qui maillent le territoire.
En contrepartie, dans un certain nombre de cas, les femmes qui n’auront pas utilisé leurs ovocytes pourront les orienter vers le circuit du don. L’activité de don d’ovocytes et d’assistance médicale à la procréation avec don d’ovocytes serait ainsi dynamisée et les délais d’attente des couples concernés seraient raccourcis.
Par ailleurs, la suppression du dispositif établi en 2011 est de nature à alléger la charge des professionnels intervenant dans l’accueil des candidats au don de gamètes, étant rappelé que dans son rapport sur l’application de la loi de bioéthique de 2011[377], l’Agence de la biomédecine écrit que ce dispositif « peut poser des difficultés aux professionnels, à la fois pour s’assurer de la motivation des donneurs par le seul don et pour justifier auprès des donneuses ayant déjà procréé qu’elles n’aient pas accès à cette autoconservation. »
En revanche, la suppression de ce dispositif ne devrait pas avoir d’impact sur l’augmentation constatée du recrutement de donneurs eu égard aux donnés mentionnées au point « cade actuel » qui témoignent que la motivation des donneurs n’ayant pas procréé n’est pas, en priorité, l’autoconservation.
Aucune société savante (la majorité est favorable au dispositif) ne se risque à avancer un taux de recours. L’une d’entre elles, le Groupe d’études sur le don d’ovocytes (GEDO), affirme néanmoins que « Peu de femmes y auraient recours en raison de la lourdeur du protocole, de l’incertitude d’en avoir le besoin, des chances aléatoires d’avoir un enfant »[378] (Cette société savante ajoute, par ailleurs, que « selon des études internationales [pays où la pratique est autorisée], moins de 10% des femmes sur une période de 7 à 8 ans ont demandé à récupérer leurs ovocytes. »)
Tout recours massif est à écarter. A ce propos, le Président du Comité consultatif national d’éthique s’est ainsi exprimé : « Sur cette question, faisons confiance aux femmes. Certaines jeunes femmes souhaiteront avoir accès, au nom de l’autonomie et de leur propre capacité, à l’autoconservation des ovocytes, tandis que d’autres ne le voudront pas ».[379]
Toute projection est délicate puisqu’il est impossible de prédire finement le nombre de femmes (entre 32 et 37 ans) et le nombre d’hommes (entre 32 et 45 ans) qui demanderont une autoconservation de gamètes.
Néanmoins, à partir de la nomenclature des actes de biologie médicale et de la prise en compte de différents paramètres, le coût total annuel de l’accès à l’autoconservation de gamètes (femmes et hommes) peut être estimé entre 10 et 15 millions d’euros.
Il est précisé que le coût annuel de l’autoconservation, qui restera à la charge des personnes est de 40,5 € (source : nomenclature des actes de biologie médicale).
Mise en œuvre dans les conditions sus-précisées, la mesure devrait participer à renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes.
En effet, l’autoconservation des ovocytes pourrait permettre de relâcher la pression à laquelle sont soumises les femmes, et de réduire l’impact de l’écart biologique entre les hommes et les femmes.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme estime « que ce sont tout à la fois les principes d’égalité et de liberté qui plaident en faveur d’une reconnaissance de la possibilité d’une autoconservation de ses gamètes. »[380]. Le Conseil d’Etat considère que la faculté d’autoconservation ovocytaire peut également apparaître comme une mesure émancipatrice pour la femme qui serait ainsi libérée de l’horloge biologique.[381]
La suppression du dispositif mis en place en 2011 permettra également de rétablir une égalité entre les femmes et les hommes étant rappelé que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, dans son avis relatif à l’assistance médicale à la procréation, dénonce une inégalité entre les femmes et les hommes induite par ce dispositif, les hommes pouvant facilement conserver leurs spermatozoïdes par ce biais[382], ce qui n’est pas le cas pour les femmes.
La mesure ouvre un droit nouveau, sous certaines conditions (notamment d’âge), aux personnes qui souhaitent conserver leurs gamètes à un moment favorable afin de les utiliser ultérieurement si besoin (sous conditions également) pour réaliser leur projet parental.
La mesure pourrait à terme permettre d’éviter, ou du moins diminuer de manière significative, les déplacements hors frontières des couples qui recourent aux techniques de procréation avec don d’ovocytes hors du territoire national. D’une part, parce que ces femmes auront leurs propres ovocytes conservés antérieurement et, d’autre part, parce que la ressource en ovocytes pourrait être améliorée par ce biais (les femmes qui n’utiliseront pas leurs ovocytes pouvant les orienter vers le don) participant à diminuer les délais d’attente constatés aujourd’hui.
Elle permet également de diminuer les déplacements à l’étranger pour autoconservation.
Ont été consultés
- La Caisse nationale d’assurance maladie ; elle a rendu son avis le 2 juillet 2019 ;
- L’Union nationale des caisses d’assurance maladie ;
- L’Union nationale des organismes d'assurance maladie complémentaire ; elle a remis son avis le 3 juillet 2019 ;
- Le Conseil central d’administration de la caisse nationale de la mutualité sociale agricole ; elle a transmis son avis le 26 juillet 2019 ;
- La Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants.
Enfin, la Haute autorité de la santé a été consultée en application du 6° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale. Elle a rendu son avis le 12 juillet 2019.
Le présent article du projet de loi s’appliquera en France métropolitaine et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon.
Pour Saint-Pierre-et-Miquelon, seront applicables directement les dispositions du code de la sécurité sociale mentionnées au II, qui complètent l’article L. 160-8 dont l’application est déjà prévue à l’article 9 de l’ordonnance n° 77-1102 du 26 septembre 1977 portant extension et adaptation au département de Saint-Pierre-et-Miquelon de diverses disposions relatives aux affaires sociales.
En revanche, ces mêmes dispositions du II du présent article visant la modification de l’article L. 160-8 du code de de sécurité sociale ne seront pas applicables à Mayotte, dont le régime d’assurance maladie régi par l’ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre1996 a fixé des règles différentes pour la participation des assurés (article 20-2).
Les conditions d’âge pour être éligibles à la mesure seront précisées par décret en Conseil d’Etat pris après avis de l’Agence de la biomédecine.
1.1.1. Dans environ 4% des cas[383], l’assistance médicale à la procréation nécessite le recours à un « tiers donneur » (donneur de spermatozoïdes, donneuse d’ovocytes ou couple donneur d’embryons).
De manière générale, le caractère anonyme du don d’éléments et produits du corps humain (quel qu’il soit) vient renforcer son caractère bénévole (sa gratuité) pour empêcher, sauf exceptions, que le receveur connaisse l’identité du donneur, et réciproquement.
L’anonymat du don permet ainsi d’éviter toute pression entre donneurs et receveurs et de limiter les risques de trafic.
En 1994, lors des premières lois de bioéthique, le principe d’anonymat qui prévalait déjà pour les autres dons a été étendu aux gamètes, le législateur souhaitant proposer un cadre commun de principe pour l’ensemble des produits et éléments du corps humain alors que, précise le Conseil d’Etat[384] « ce choix (…) n’avait rien d’évident et constituait aux yeux des parlementaires une solution par défaut. ». L’intérêt de l’enfant, expose l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[385], était alors « compris comme résultant du bon épanouissement de sa famille – c’est-à-dire de lui-même et de ses parents et non de lui seul ».
1.1.2. Le principe d’anonymat du don d’éléments et produits du corps humain figure aux articles 16-8 du code civil et L. 1211-5 du code de la santé publique :
« Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur ni le receveur celle du donneur. » (Article 16-8 du code civil)
« Le donneur ne peut connaître l'identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d'identifier à la fois celui qui a fait don d'un élément ou d'un produit de son corps et celui qui l'a reçu ne peut être divulguée.
Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique. » (Article L. 1211-5 du code de la santé publique)
Il est strictement interprété en dehors de l’accès - réservé au médecin - à des informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique.
Cette faculté est rappelée spécifiquement dans le chapitre relatif au don de gamètes :
« Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu à partir de gamètes issus de don. » (premier alinéa de l’article L. 1244-6 du code de la santé publique).
La nécessité thérapeutique couvre, dans le champ du don de gamètes, la prévention des risques de consanguinité pour deux personnes en couple issues d’AMP avec tiers donneur. C’est-à-dire qu’un médecin peut, à leur demande, vérifier qu’elles ne sont pas issues d’un même donneur et ce, sans remise en cause de l’anonymat.
Par ailleurs, lorsqu’une personne a procédé, antérieurement à la réalisation d’un examen de génétique, à un don de gamètes et que le diagnostic génétique suspecté est confirmé, cette personne peut autoriser son médecin à informer le centre d’assistance médicale à la procréation où elle a fait son don afin qu’il prévienne les enfants issus du don (cette procédure se déroule là encore sans rupture du principe d’anonymat).
« Lorsqu'est diagnostiquée une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins chez une personne qui a fait un don de gamètes ayant abouti à la conception d'un ou plusieurs enfants ou chez l'un des membres d'un couple ayant effectué un don d'embryon, cette personne peut autoriser le médecin prescripteur à saisir le responsable du centre d'assistance médicale à la procréation afin qu'il procède à l'information des enfants issus du don dans les conditions prévues au quatrième alinéa. » (Dernier alinéa de l’article L. 1131-1-2 du code de la santé publique)
Le principe d’anonymat concerne également l’accueil d’embryon[386] encadré aux articles L. 2141-5 et L. 2141-6 du code de la santé publique. Le couple accueillant l’embryon et celui ayant renoncé à son projet parental ne peuvent connaître leurs identités respectives sauf, à nouveau, en cas de nécessité thérapeutique.
Enfin, le principe d’anonymat s’étend, dans le cadre en vigueur, aux données non identifiantes que sont par exemple les caractéristiques physiques du donneur, sa situation familiale, son âge ou sa catégorie socio-professionnelle au moment du don.
- Le don est toujours révocable (jusqu’à utilisation des gamètes) ; le consentement du conjoint du donneur est également recueilli et peut être également révoqué jusqu’à utilisation des gamètes :
« Le consentement des donneurs et, s'ils font partie d'un couple, celui de l'autre membre du couple sont recueillis par écrit et peuvent être révoqués à tout moment jusqu'à l'utilisation des gamètes. » (Premier alinéa de l’article L. 1244-2 du code de la santé publique) ;
- En cas d’AMP avec tiers donneur, c’est le notaire qui recueille le consentement du couple à l’AMP :
« Les époux, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l'intervention d'un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement au notaire. » (Dernier alinéa de l’article L. 2141-10 du code de la santé publique) ;
« Un couple répondant aux conditions prévues à l'article L. 2141-2 peut accueillir un embryon lorsque les techniques d'assistance médicale à la procréation au sein du couple ne peuvent aboutir ou lorsque le couple, dûment informé dans les conditions prévues à l'article L. 2141-10, y renonce.
Le couple demandeur doit préalablement donner son consentement à un notaire. Les conditions et les effets de ce consentement sont régis par l'article 311-20 du code civil. » (Premier alinéa de l’article L. 2141-6 du code de la santé publique) ;
- Le double don de gamètes n’est pas autorisé :
« [Un embryon] ne peut être conçu avec des gamètes ne provenant pas d'un au moins des membres du couple. » (Premier alinéa de l’article L. 2141-3 du code de la santé publique) ;
- Les activités d’AMP faisant intervenir un tiers donneur (c’est-à-dire les activités de sélection des donneurs, conservation, appariement et distribution des gamètes…) ne peuvent être pratiquées dans des structures privées à but lucratif :
« Les activités cliniques et biologiques d'assistance médicale à la procréation relatives aux gamètes en vue de don ne peuvent être pratiquées que dans des organismes et établissements de santé publics, ou dans des organismes et établissements de santé privés à but non lucratif. Aucune rémunération à l'acte ne peut être perçue par les praticiens au titre de ces activités. » (Troisième alinéa de l’article L. 2142-1 du code la santé publique) ;
- La donneuse d'ovocytes doit être particulièrement informée des conditions de la stimulation ovarienne et du prélèvement ovocytaire, des risques et des contraintes liés à cette technique :
« La donneuse d'ovocytes doit être particulièrement informée des conditions de la stimulation ovarienne et du prélèvement ovocytaire, des risques et des contraintes liés à cette technique, lors des entretiens avec l'équipe médicale pluridisciplinaire. » (Deuxième alinéa de l’article L. 1244-7 du code de la santé publique) ;
- Le donneur qui n’a pas procréé se voit proposer, s’il le souhaite, de conserver pour lui-même (pour une utilisation ultérieure dans le cadre d’une AMP) une partie de ses gamètes :
« Le donneur peut ne pas avoir procréé. Il se voit alors proposer le recueil et la conservation d'une partie de ses gamètes ou de ses tissus germinaux en vue d'une éventuelle réalisation ultérieure, à son bénéfice, d'une assistance médicale à la procréation, dans les conditions prévues au titre IV du livre Ier de la deuxième partie. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement du donneur. » (Deuxième alinéa de l’article L. 1244-2 du code de la santé publique).
Les données relatives au donneur sont conservées dans des conditions strictes par les structures autorisées par les agences régionales de santé à mettre en œuvre les activités relatives au don de gamètes ; seuls certains praticiens peuvent avoir accès au dossier du donneur :
« Ce dossier est conservé pour une durée minimale de quarante ans et quel que soit son support sous forme anonyme. L'archivage est effectué dans des conditions garantissant la confidentialité.
Le donneur doit, avant le recueil ou le prélèvement des gamètes, donner expressément son consentement à la conservation de ce dossier.
Les informations touchant à l'identité des donneurs, à l'identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens répondant aux critères mentionnés aux articles R. 2142-10 et R. 2142-11 pour exercer les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à ces informations. » (11ème, 12ème et 13ème alinéa de l’article R. 1244-5 du code de la santé publique).
Il n’existe pas actuellement de fichier centralisé des donneurs et des dons. Ainsi, la Fédération française des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS), structure associative qui regroupe au sein d’un réseau les différents CECOS du territoire national, si elle constitue un réseau national dans le domaine de l’AMP avec tiers donneur et de la préservation de la fertilité (en jouant notamment un rôle dans l’harmonisation des pratiques cliniques et biologiques, l’information, la formation des professionnels de santé et le développement des projets de recherche dans les domaines concernés) ne conserve pas de façon centralisée les données relatives aux donneurs et aux dons de gamètes[387].
Par ailleurs, l’article L. 2141-7 du code de la santé publique prévoit le cadre de mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur de gamètes :
« L'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur peut être mise en œuvre lorsqu'il existe un risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à un membre du couple, lorsque les techniques d'assistance médicale à la procréation au sein du couple ne peuvent aboutir ou lorsque le couple, dûment informé dans les conditions prévues à l'article L. 2141-10, renonce à une assistance médicale à la procréation au sein du couple. »
Enfin, le code civil précise qu’aucun lien de filiation entre l’auteur du don (tiers donneur et accueil d’embryons) et l’enfant issu d’une AMP n’est possible et aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur.
La filiation entre l’enfant et les deux membres du couple ayant recours à l’AMP avec tiers donneur n’est pas contestable (sauf cas spécifiques, par exemple quand la preuve est faite que l’enfant n’est pas issu de l’AMP).
Dès 1994, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions garantissant l’anonymat des tiers donneurs et interdisant aux enfants de connaître l’identité de ceux-ci.
Il a en effet validé comme étant conforme à la Constitution l’article 311-19 du code civil dans sa décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994 à l’occasion de l’examen de la première loi de bioéthique et a jugé « que les dispositions de cette loi n'ont eu ni pour objet ni pour effet de régir les conditions d'attribution de paternité en cas d'assistance médicale à la procréation ; qu'aucune disposition ni aucun principe à valeur constitutionnelle ne prohibe les interdictions prescrites par le législateur d'établir un lien de filiation entre l'enfant issu de la procréation et l'auteur du don et d'exercer une action en responsabilité à l'encontre de celui-ci »[388].
En 1994, il était notamment reproché à la loi de bioéthique le fait « que la possibilité d'avoir des enfants dont le parent naturel est un "tiers donneur" met en cause les droits de la famille tels qu'ils ont été conçus et garantis par le Préambule de la Constitution de 1946 ; que l'interdiction faite aux enfants qui seront nés d'une fécondation in vitro faisant intervenir un "tiers donneur" de connaître leur identité génétique et leurs parents naturels porte atteinte au droit à la santé de l'enfant et au libre épanouissement de sa personnalité »[389]. Dans le considérant n°11, le Conseil constitutionnel répond « qu'aucune disposition du Préambule de la Constitution de 1946 ne fait obstacle à ce que les conditions du développement de la famille soient assurées par des dons de gamètes ou d'embryons dans les conditions prévues par la loi ; que l'interdiction de donner les moyens aux enfants ainsi conçus de connaître l'identité des donneurs ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé telle qu'elle est garantie par ce Préambule ».
En 2012, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la question de l’accès aux origines dans le contexte de l’accouchement sous le secret. Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des articles L.147-6 et L.22-6 du code de l’action sociale et des familles qui encadrent le droit à l’accouchement sous le secret, le Conseil les a déclarés conformes à la Constitution, ces dispositions ne portant pas atteinte « au respect dû à la vie privée (ni) au droit de mener une vie familiale normale » [390].
Le commentaire de cette décision[391] permet de comprendre quelles sont les exigences constitutionnelles en matière de droit au respect à la vie privée et de droit à la vie familiale normale, et de mesurer l’écart qui existe entre ces exigences constitutionnelles et celles issues de la Convention européenne des droits de l’homme. Le commentaire de la décision explique en quoi « le droit au respect de la vie privée n’implique pas un droit d’accès aux origines » en précisant que le droit à la protection de la vie privée tel qu’il ressort de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ne recouvre pas tout-à-fait le même sens que le droit au respect de la vie privée énoncé par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. En effet, le droit à la vie privée tel qu’il se dégage de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme est « entendu de manière assez classique, comme une protection les intrusions publiques ou privées au sein de la sphère d’intimité de chacun », alors que la Cour européenne des droits de l’homme « retient une interprétation plus extensive » en exigeant « que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain ». Pareillement, « le droit pour toute personne de connaître ses origines ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit de mener une vie familiale normale », parce que la conception de « droit constitutionnel à une vie familiale normale doit être entendu dans un sens concret (possibilité de vivre ensemble), plus que dans un sens proprement formel qui impliquerait une consécration en droit des liens biologiques ».
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel conclut « qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, de substituer son appréciation à celle du législateur sur l'équilibre ainsi défini entre les intérêts de la mère de naissance et ceux de l'enfant ». En faisant le choix du terme « intérêts de la mère et « intérêts de l’enfant » et non celui de « droits », le Conseil a souligné que ce qui est en jeu dans la question de l’accès aux origines est bien un « conflit d’intérêts » et non des « droits » résultant d’exigences constitutionnelles.
Ces décisions sont toutefois intervenues avant une décision très récente du 21 mars 2019 dans laquelle le Conseil est venu consacrer la notion de « protection de l’intérêt supérieur de l’enfant » en lui reconnaissant une valeur constitutionnelle sur le fondement des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946[392].
1.3.1. Plusieurs instruments internationaux témoignent d’une évolution vers une reconnaissance progressive d’un droit d’accès aux origines.
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant de 1989 prévoit en son article 7 que l’enfant a, « dans la mesure du possible », le droit de connaître ses parents mais elle ne concerne que les enfants[393].
1.3.2. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale »[394].
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme montre que l’accès aux origines relève d’un élément du droit au respect de la vie privé qui consiste donc également à la protection de son identité.
Dès 1989[395], la Cour reconnaît que le droit à la vie privée implique de pouvoir « établir les détails de son identité d’être humain » (elle affirme l’intérêt primordial pour une personne d’avoir accès à son dossier d’aide sociale pour connaître et comprendre son enfance et ses années de formation)[396].
Ainsi, l’article 8 protège le « droit à l’identité et à l’épanouissement personnel », qui inclut le droit d’accès aux informations permettant d’établir « quelques racines de son histoire »[397].
La Cour a jugé que l’obtention « des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, par exemple l'identité de ses géniteurs » contribuait à l'établissement des détails de l’identité et à l’épanouissement personnel, qui relèvent d’un « intérêt vital » protégé par l’article 8[398].
Dans l’arrêt de grande chambre Odièvre contre France[399] (qui concerne le cas d’un enfant né sous le secret et recherchant l’identité de sa mère de naissance), la Cour européenne des droits de l’homme considère que le droit au respect de la vie privée protège un droit à l’identité et à l’épanouissement personnel, dont contribuent l’établissement des détails de son identité d’être humain et l’intérêt vital à obtenir des informations nécessaires à la découverte de la vérité concernant un aspect important de son identité personnelle, dont l’identité de ses géniteurs[400]. Elle estime néanmoins que la législation française qui prévoit l’anonymat de l’accouchement sous X ne viole pas l’article 8 de la Convention en ce qu’elle tend à atteindre un équilibre et une proportionnalité suffisante entre les intérêts en cause.
Elle a également affirmé que les personnes ont un « intérêt vital »[401], protégé par la Convention, « à obtenir les informations qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle »[402].
Cependant, comme en témoignent les arrêts de la Cour, ce droit de connaître ses origines n’est pas absolu et doit toujours être mis en balance avec les intérêts des autres parties concernées (juste équilibre entre les intérêts concurrents). Ainsi, la Cour a eu l’occasion de rappeler que l’expression « toute personne » dans l’article 8 vise aussi bien l’enfant qui a le droit de connaître ses origines que le géniteur qui a droit à protéger sa vie privée ainsi que celle de sa famille. Deux interprétations du même droit au respect de sa vie privée et familiale sont donc mises en concurrence s’agissant de l’accès aux origines, tant pour l’enfant né sous le secret vis-à-vis de sa mère de naissance[403] que pour l’enfant dont le géniteur présumé refuse de se soumettre à un test de paternité[404].
Au demeurant, la Cour reconnait une marge d’appréciation aux Etats-membres dans la mesure où il n’existe pas « de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe[405], que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates »[406].
A ce jour, aucune des décisions de la Cour ne concerne spécifiquement le droit d’une personne conçue grâce à un don de gamètes d’accéder à des informations sur le donneur.
1.4.1. Plusieurs pays européens reconnaissent le droit d’accès aux origines :
La Suède a été le premier au monde à reconnaitre le droit de connaître ses origines pour les personnes conçues par don. Le principe de l'anonymat des donneurs a été abandonné en mars 1985, lors de l’entrée en vigueur de la loi de 1984, garantissant aux enfants nés par insémination artificielle avec donneur le droit de connaître leurs origines. Le même droit a été reconnu en 2003 pour les enfants nés grâce à un don d'ovocytes. Ainsi, un enfant conçu par don a le droit, lorsqu’il atteint l’âge de 18 ans (ou avant si l’intéressé présente « une maturité suffisante »), de connaître l’identité de son donneur[407],[408],[409],[410].
En Suisse, la Constitution fédérale reconnaît depuis 1992 le droit de connaître ses origines génétiques. La loi fédérale du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assistée et l'ordonnance prise pour son application organisent la collecte et la transmission des informations sur les donneurs. Dès l’âge de 18 ans, l’enfant peut demander à l'Office fédéral de l'état civil (OFEC) la communication des informations portant sur l'identité de son donneur. L’OFEC tient le registre des donneurs de sperme depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2001 et a pu enregistrer les premières demandes d'information en 2019 (les premières personnes nées d'un don de sperme après le 1er janvier 2001 ayant atteint leur majorité) [411],[412],[413]. En mars 2018, le Conseil fédéral avait annoncé une révision partielle de l'ordonnance sur la procréation médicalement assistée visant à simplifier la procédure en permettant l’envoi des données relatives au donneur de sperme par courrier postal, directement au domicile des personnes concernées. En novembre 2018, le Conseil fédéral a décidé de faire entrer en vigueur cette modification de l’ordonnance le 1er janvier 2019[414],[415].
En Autriche, la loi du 4 juin 1992 relative à la médecine de la reproduction permet aux personnes issues d’un don de gamète d’accéder à l’identité du donneur ou de la donneuse dès l’âge de 14 ans[416],[417],[418],[419].
En Norvège, la loi de 2003 donne le droit aux personnes nées d’un don de sperme (conçues à partir de 2005) d’accéder à l’identité du donneur à partir de l’âge de 18 ans. La création d’un registre national d’identité des donneurs de sperme est prévue par la loi. Le don d’ovocytes est interdit[420],[421],[422].
Aux Pays-Bas, l’adoption de la loi du 25 avril 2002 sur les informations relatives aux donneurs en matière de procréation médicalement assistée a permis l’abandon du double régime du don de gamètes, qui permettait aux donneurs de choisir de rester anonyme ou non. Cette loi, qui s'applique aux dons postérieurs au 1er juin 2004, permettra aux enfants issus de ces dons d’accéder à des données non identifiantes dès 12 ans et à l’identité du donneur dès 16 ans. Lorsqu’un enfant conçu par don naît, le centre de fertilité doit recueillir et adresser à la Fondation les informations relatives au donneur[423],[424],[425].
Au Royaume-Uni, les enfants conçus par don peuvent accéder, à partir de 16 ans, à des données non identifiantes sur le donneur et ceux nés d’un don postérieur au 1er avril 2005 peuvent, à partir de 18 ans, accéder à l’identité du donneur en s’adressant à la HFEA (Human Fertilisation and Embryology Authority). Depuis 1991 (date de l’entrée en vigueur de la loi de 1990), la HFEA est chargée de tenir un registre contenant des informations sur les services d’assistance à la procréation réglementés au Royaume-Uni. Les enfants nés d’un don entre 1991 et 2005 peuvent accéder à l’identité du donneur, à condition que le donneur ait fait le choix de pouvoir être identifié. A partir de 18 ans, les personnes conçues par don peuvent s’inscrire dans un registre géré par la HFEA, le Donor Sibling Link, qui permet de prendre contact avec les personnes issues du même donneur[426],[427],[428],[429],[430].
En Finlande, depuis une loi de 2006, les personnes conçues par don peuvent accéder à l’identité du donneur à partir de 18 ans. L’autorité compétente tient un registre national des dons de gamètes et d’embryons[431],[432].
En Irlande, depuis la loi de 2015 (The Children and Family Relationships Act), une personne conçue par don peut demander, à partir de l’âge de 18 ans, l’accès à l’identité de son donneur, en s’adressant au ministère de la santé. Ce dernier gère le registre national des personnes conçues grâce à un don ; lorsqu’il ajoute une personne conçu par don dans le registre, il notifie l’information aux services d’état civil[433],[434],[435].
En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale reconnaît depuis 1989 à toute personne le droit de connaître ses origines. La loi de 2017 consacre ce droit pour les personnes issues de don de sperme (le don d’ovocytes n’étant pas autorisé en Allemagne) et prévoit la création d’un registre centralisé pour conserver les informations. A partir de 16 ans, l’enfant conçu par don de sperme peut demander à connaître l’identité du donneur. Avant la loi de 2017, les directives de l’Ordre fédéral des médecins sur la procréation médicalement assistée recommandaient aux professionnels de conserver les informations sur les donneurs pour les enfants nés après 2007. Par conséquent, les personnes nées avant l’entrée en vigueur de la loi qui souhaitent connaître l’identité de leur donneur doivent s’adresser au médecin ou à l’établissement hospitalier ayant réalisé l’insémination[436],[437],[438],[439].
Au Portugal, dans une décision du 24 avril 2018, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel le régime de l’anonymat des donneurs de gamètes (régime en vigueur depuis la loi n° 32/2006 qui autorise notamment la divulgation d’informations de nature génétique, mais pas sur l’identité du donneur). Ce qui donne force de loi au droit de chacun de connaître ses origines génétiques. Le Parlement portugais doit à présent légiférer sur les dons de gamètes[440],[441],[442].
1.4.2. Certains pays européens permettent un accès partiel aux origines.
En Islande, depuis une loi de 1996, le donneur choisit au moment du don s’il souhaite rester anonyme ou non. S’il ne demande pas l’anonymat, l’institution doit conserver les informations sur son identité dans un dossier spécifique et les enfants issus de son don pourront, à partir de l’âge de 18 ans, accéder à ce dossier. Si le donneur a souhaité rester anonyme, l’enfant ne pourra pas obtenir les informations sur son identité[443],[444],[445].
En Belgique, la loi du 6 juillet 2007 relative à la procréation médicalement assistée pose le principe de l'anonymat tout en autorisant le don de gamètes non anonyme si celui-ci résulte d’un accord entre le donneur et le ou les receveurs. Le cas échéant, seuls les parents ont connaissance de l’identité du donneur[446],[447],[448],[449].
Au Danemark, la loi de 2006 sur la fécondation artificielle érigeait l'anonymat du don de gamètes en principe (ce texte ne s’appliquait qu’aux actes réalisés par des médecins ; les sages-femmes qui pratiquaient des inséminations artificielles n’étaient pas tenues au respect de ce principe). Depuis 2012, la loi autorise les parents à choisir ; en cas de recours à un donneur anonyme au moment du don mais qui accepte un accès ultérieur à son identité par l’enfant à naître, cet accès peut se faire à partir de l’âge de 18 ans. Ainsi, la possibilité pour un enfant conçu par don d’accéder à ses origines dépend du choix de ses parents[450],[451],[452].
1.4.3. Certains pays européens n’autorisent pas l’accès aux origines.
En Espagne, la loi n° 14 du 26 mai 2006 sur les techniques de reproduction humaine assistée érige l'anonymat du don de gamètes en principe. La loi prévoit la levée du secret à titre exceptionnel (en cas de nécessité pour la santé de l’enfant notamment) [453],[454].
En Pologne, en l’absence de dispositions légales spécifiques, l’anonymat du don de gamètes découle du secret médical qui lie le médecin envers le donneur et le receveur[455],[456].
En Grèce, l’identité du donneur ne peut en aucun cas être révélée (la loi adopte le principe de l’anonymat pour tout don). Seul l’accès aux informations médicales relatives au donneur est possible pour des raisons liées à la santé de l’enfant[457].
1.4.4. Aux Etats-Unis, les solutions varient en fonction des États mais aucun n’a légiféré sur cette question. Selon les banques de gamètes, les receveurs peuvent choisir entre un don anonyme ou non : ils consultent les profils fournis par les donneurs et font un choix sur catalogue à partir notamment de l’accord du donneur pour rencontrer l’enfant à sa majorité. Toutefois, même si le donneur avait choisi de rester anonyme, il est relativement facile pour les personnes américaines conçues par don de retrouver leurs origines génétiques, notamment via la réalisation de tests ADN auprès de sociétés commerciales[458],[459],[460],[461].
En Australie, l’accès aux origines est possible dans tous les États australiens depuis 2005 (à l’exception de l’État de Victoria où l’anonymat avait été supprimé en 1998). Quatre États ont adopté une législation spécifique, notamment l’État de Victoria où, depuis le 1er mars 2017, les personnes conçues par don, quelle que soit l’année de leur conception, peuvent accéder à l’identité de leur donneur, y compris si ce dernier n’a pas donné son accord. Les autres États disposent d’un guide de recommandations éthiques, établi au niveau fédéral. Les cliniques ont l’obligation de respecter ce guide pour obtenir leur accréditation[462],[463],[464]..
2.1.1. La société a évolué depuis les premières lois de bioéthique posées en 1994 qui ont introduit l’anonymat du don de gamètes[465].
La France est un des rares pays à avoir opté pour un principe absolu d’anonymat du donneur à l’égard du couple infertile et de l’enfant[466].
« La vision française de l’anonymat est radicale : c’est une interdiction absolue, qui porte tant sur l’identité que sur les « données non identifiantes » (…). Il est impossible pour l’enfant, même devenu adulte, de connaître l’identité du donneur. »[467].
Si le vote de 1994 a fait entrer les gamètes dans le même cadre que celui des autres éléments et produits du corps humain dans l’objectif d’assurer le caractère altruiste et volontaire du don, d’éviter ainsi toute pression et de limiter les risques de trafic, les débats montrent que le but poursuivi était également de protéger la famille légale[468], de maintenir « l’unité de la famille légale, qui pouvait ainsi choisir ou non de révéler l’existence d’un tiers donneur, sans que pèse sur cette révélation l’ombre d’un « père biologique » »[469].
Comme le détaille Irène Théry et Anne-Marie Leroyer[470] dans leur rapport de 2014 un lien direct a été institué entre le secret du mode de conception et l’anonymat du don, conforté par la création d’une filiation « pseudo-charnelle ». Il explique en partie le malaise parfois suscité par les personnes nées de don qui revendiquent de connaître leurs origines[471].
Le secret a donc été au cœur des règles juridiques posées en matière d’assistance médicale à la procréation avec don. « Tout le système, qu’il soit juridique – conditions d’accès, établissement de la filiation – ou médical, a été orienté vers l’idée que le secret n’appartient qu’aux parents et que c’est à eux de dire éventuellement à l’enfant comment il a été conçu et s’il a été conçu grâce à un don. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la médecine[472] a accompagné le mouvement juridique. »[473].
Toutefois, dans les débats ayant conduit à retenir l’anonymat strict du don de gamètes, « les parlementaires étaient déjà conscients du caractère imparfait du choix qu’ils faisaient » et considéraient qu’il faudrait probablement revoir le caractère irréversible de l’anonymat dès qu’un bilan pourrait être envisagé de l’expérience tant des couples que des enfants concernés[474].
En tout état de cause, vingt-cinq ans plus tard, l’importance de ce « ni vu, ni connu »[475], est désormais beaucoup moins sensible au regard des nouvelles familles au sein desquelles il n’est pas rare, à la faveur de la recomposition, que plusieurs adultes concourent à l’éducation des enfants[476].
Le Conseil d’Etat admet également que « la diversification des modèles familiaux tend à banaliser la dissociation entre filiation juridique et biologique et atténue aujourd’hui la dimension potentiellement déstabilisante de la revendication de l’accès aux origines. »[477].
S’agissant plus spécifiquement du secret sur le mode de procréation, le Comité consultatif national d'éthique indique, dans son rapport de synthèse des Etats généraux de la bioéthique[478], qu’un consensus sur la vérité due aux enfants quant à leur mode de conception s’est dégagé : « un consensus existe sur le fait de ne pas cacher aux enfants l’histoire de leur conception ». Par ailleurs, la Présidente de la fédération française des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) a indiqué de son côté : « Nous [CECOS] insistons pour que l’enfant reçoive cette information ; mais personne ne peut à l’heure actuelle vérifier que cela se traduit effectivement dans les faits »[479].
Enfin, le projet de loi déposé par le Gouvernement lors de la précédente révision bioéthique aménageait un droit d’accès aux origines pour les enfants concernés mais cette solution n’a finalement pas été retenue « les parlementaires craignant tout à la fois une confusion entre filiation biologique et filiation par le droit et l’éducation, une baisse du nombre de donneurs et enfin un risque d’occultation plus fréquente des circonstances de la conception de l’enfant. »[480].
Pour certains, cet échec s’explique par « la confusion qui fut entretenue sur la filiation (…). L’accusation faite aux jeunes de vouloir chercher des « parents », voire même de prôner une « biologisation de la filiation » fut omniprésente chez les défenseurs du statu quo. »[481].
2.1.2. Les recherches de sociologues et de psychologues ont montré que l’application radicale du principe d’anonymat édicté en 1994 comporte à long terme des effets préjudiciables sur l’enfant, essentiellement parce que ce dernier est privé d’une dimension de son histoire qui le concerne pourtant intimement (le donneur est, à tout le moins, un acteur d’hérédité pour les personnes nées de son don). Ainsi, « de nombreux psychologues témoignent des conséquences délétères d’une identité fondée sur l’effacement de l’intervention d’un tiers.[482] ».
Un certain nombre de personnes nées de don témoignent de leur souffrance : « À l’heure actuelle, c’est comme un deuil impossible à faire pour l’enfant issu du don de gamètes. Tant que la personne n’a pas vu le corps d’un proche décédé, elle ne peut faire son deuil. De même, tant que l’enfant n’a pas accès à ses origines, il porte ses interrogations »[483].
Pourtant, cette souffrance apparait souvent mal comprise : « [Nombreux sont ceux qui] ne parviennent pas à se représenter quel peut être le « drame » vécu par des enfants qui ont été voulus, attendus et souhaités par leurs deux parents. »[484].
Le Comité consultatif national d’éthique dans son avis n° 90 rappelle qu’ « Il importe (…) de se souvenir que la dissociation volontaire des dimensions biologiques et sociales de la filiation[485] ne doit pas masquer le fait que l’enfant, lui, hérite de fait de ces deux dimensions et de toute l’histoire qui a abouti à sa conception dans une unique filiation »[486]. Or, comme l’expose Irène Théry : « Par le seul effet de la loi, l’enfant sera interdit de pouvoir se situer complètement dans la chaîne de transmission de la vie humaine, chaîne qui pour lui fut répartie sur deux transmissions complémentaires : par ses parents, (et donc par la filiation) et par son donneur (qui par hypothèse ne s’inscrit pas dans la filiation). En supprimer arbitrairement une, c’est décider de priver la personne d’une partie d’elle-même. »[487].
C’est ce qu’illustrent régulièrement les témoignages de personnes nées de don de gamètes : « Pour nous autres enfants nés par PMA, notre donneur est constitutif du début de notre vie mais fait aussi partie de notre univers mental. »[488].
La connaissance du donneur apparait également importante pour les personnes nées de don dans le rapport avec une troisième génération : « C’est aussi un don d’hérédité que je vais transmettre à mes enfants qui transmettront eux-mêmes cette part d’inconnu » [489].
2.1.3. Le nombre de personnes potentiellement concernées – certains avancent que très peu d’enfants ressentent le besoin d’accéder à l’identité du donneur – n’est pas un argument en soi. Pas plus que leur stigmatisation qui accompagne souvent ces considérations[490].
De fait, les études sont difficiles à réaliser et peu de données sont disponibles sur le nombre potentiel de personnes issues d’une procréation avec tiers donneur souhaitant accéder à l’identité du donneur[491].
« Peu importe que la part des 70 000 enfants conçus avec l’aide d’un tiers donneur et souhaitant accéder à ses origines soit « faible » ou « élevée » – selon quel critère, d’ailleurs ? Une demande existe, dont la satisfaction ne nuirait en rien aux intérêts de ceux qui ne souhaitent pas accéder à leurs origines. » tranche le rapporteur de la mission d’information parlementaire[492].
2.1.4. La revendication d’accès aux origines personnelles est distincte, et même contradictoire, avec une supposée demande d’établir un lien de filiation.
Personne n’a jamais envisagé d’établir une quelconque filiation entre le tiers donneur et les personnes nées de son don. Cette question n’a jamais fait partie du débat sur « l’accès aux origines ». Cela a également été souligné lors des Etats généraux de la bioéthique, concernant l’anonymat du don, « un consensus existe (…) sur la distinction entre un donneur et un « père » » [493].
Dans tous les pays qui ont choisi la levée de l’anonymat des donneurs, celle-ci n’a eu aucune conséquence en matière de filiation.
A cet égard, il convient de rappeler que dans le cadre de l’accouchement dans le secret, l’article L. 147-7 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l'Etat dispose que
« L'accès d'une personne à ses origines est sans effet sur l'état civil et la filiation. Il ne fait naître ni droit ni obligation au profit ou à la charge de qui que ce soit. »
2.1.5. Pour certains psychanalystes, une ambiguïté de référence identitaire se produirait avec la connaissance de l’identité du donneur : « Le risque d’une levée de l’anonymat serait de créer une attirance fantasmatique constante vers cet ailleurs, qui empêcherait l’ici et le maintenant de la famille nécessaire à l’enfant pour s’originer à partir de lui. Cela favoriserait donc les échecs filiatifs, par une réification du lien biologique. »[494]. Le rapporteur de la mission d’information parlementaire cite également d’autres propos tenus lors des auditions qu’il a menées : « En dissociant la filiation biologique des deux autres piliers, l’AMP – comme l’adoption – requiert un renforcement du pilier psychique, qui doit être « cohérent et crédible si l’on veut pouvoir dépasser le lien du sang ». Un grand nombre de difficultés vient de l’« idéalisation du lien du sang », qui est bien souvent responsable des « échecs filiatifs ». L’anonymat permettrait donc, (…), « de ne pas donner trop de réalité au donneur » »[495].
Or, l’idée que le donneur et le parent seraient « deux figures rivales en compétition pour une seule place à prendre » est exactement ce que dénonce le rapport Filiation, origines, parentalité précité[496]. Dans ce modèle de représentation, détaillent les auteurs : « il n’y a aucune place pour la coexistence des parents et des donneurs. L’hypothèse est toujours celle de l’alternative, de l’exclusivité et de la rivalité. Or c’est justement dans le passage de la logique traditionnelle du « ou » (père ou donneur) à une nouvelle logique du « et » (parents et donneur) que s’inscrivent les jeunes générations qui revendiquent l’accès à leurs origines. »[497].
Il n’y a, en effet, pas d’ambiguïté du côté des personnes nées d’un don de gamètes. « Mon père, c’est celui qui m’a élevé. » témoigne l’une d’entre elles qui a rencontré son donneur « Face à la réalité, le fantasme disparait. »[498]. La « vraie » parentalité résulte bien du lien noué avec ceux qui les ont élevés, aimés, qui ont pourvu à leurs besoins et à leur éducation.
Ainsi que le précise Martine Gross, la distinction entre la dimension biologique – « être né de » – et la filiation instituée – « être fils ou être fille de » est assimilée. L’enfant peut être né grâce à l’intervention d’un donneur mais il reste le fils ou la fille de ceux ou celles qui se sont engagés à être ses parents[499].
D’une manière générale, la plupart des études montrent que les motivations des personnes nées de don à la connaissance de la dimension biologique de leur identité personnelle sont diverses mais qu’il s’agit principalement d’une démarche tendant à mieux se construire personnellement et psychologiquement et non de rechercher un autre père ou une autre mère.
L’accès aux origines n’emporte donc aucun risque que la « filiation » soit réduite à la parenté biologique.
En tout état de cause, comme le note le Comité consultatif national d'éthique dans son avis n° 90[500], si « le social n’est pas réductible au biologique », « le biologique ne peut être exclu du social »[501]. Et il existe un équilibre où ces deux dimensions peuvent être reconnues chacune pour ce qu’elles sont. Ainsi, s’il préconise d’« éviter de réduire plus ou moins consciemment l’enfant conçu, du moins dans les premiers stades de sa vie à sa seule dimension biologique », il recommande également d’ « éviter de survaloriser la projection mentale du désir d’enfant en négligeant la dimension corporelle de la conception » [502].
2.1.6. L’accès à l’identité du tiers donneur ne remet pas en cause le principe d’anonymat du don.
Le don de gamètes ne peut être assimilé aux autres dons d’éléments et produits du corps humain.
D’une part, il n’est pas destiné à soigner la personne ou le couple concerné de son infertilité (il pallie la fonction de reproduction de cette personne ou de ce couple). D’autre part, s’il implique initialement deux parties : le donneur et le receveur, trois catégories de personnes résultent du don car au donneur et au receveur, s’ajoute l’enfant né du don. Ainsi, « Le don d’organes sauve une vie, alors que le don de gamètes en crée une. »[503]. La place de cette troisième personne s’est peu à peu affirmée : « Les années passées depuis l’institutionnalisation de l’insémination artificielle avec tiers donneur ont vu apparaître un nouvel acteur, concerné au premier chef : l’enfant issu de ce don. »[504].
Or, le principe d’anonymat s’exerce entre le donneur et le receveur et l’enfant né du don n’est ni l’un ni l’autre. Il constitue un tiers tant à l’égard du donneur qu’à l’égard du receveur.
Il convient donc de distinguer d’emblée l’anonymat qui concerne les relations entre les donneurs et les receveurs et un droit d’accès à des informations (identifiantes ou non) qui concerne les relations entre les donneurs et les personnes nées du don[505].
A cet égard, comme le note le Comité consultatif national d’éthique dans son avis n° 90 : « le secret du mode de conception n’existe que pour l’enfant, le secret anonymat de la personne ressource concerne parents et enfants. »[506].
Dans son avis n° 126[507], il poursuit son approche : « Il faut distinguer le droit à l’accès à ses origines personnelles (« élément structurant de l’identité des personnes ») et le droit à l’anonymat garanti aux donneurs de sperme, ces deux normes ne devant pas être confondues ».
Les Etats généraux de la bioéthique ont abouti au même constat : si « le débat persiste quant aux informations qui pourraient être dévoilées et leurs modalités d’accès », « la distinction est clairement faite entre une information non identifiante et le dévoilement de l’identité du donneur, ce qui n’est pas assimilé à la levée de l’anonymat. »[508].
2.1.7. Une autre difficulté est apparue avec le développement et l’accès facilité aux tests génétiques.
Le Conseil national consultatif d’éthique, dans son avis n° 129[509], affirme que « continuer à défendre l’anonymat à tout prix est un leurre à l’ère présente et future de la génomique et du « Big data » ».
Très populaires aux Etats-Unis et de diffusion plus récente en Europe, les tests génétiques « récréatifs » sont utilisés dans l’objectif de connaître les origines géographiques d’ancêtres immigrés et retrouver des parents plus ou moins éloignés avec lesquels il est possible d’entrer en contact. Aujourd’hui, plus de quinze millions de personnes figurent dans les quatre principales bases de données existantes[510] et ce nombre ne cesse de progresser.
Le système juridique français prohibe le recours à de tels tests dont la finalité n’est ni médicale, ni scientifique ni judiciaire (seules voies ouvertes à la réalisation d’examens de génétiques sur le territoire national). Ainsi, l’article 226-28-1du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 dispose que :
« Le fait, pour une personne, de solliciter l'examen de ses caractéristiques génétiques ou de celles d'un tiers ou l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques en dehors des conditions prévues par la loi est puni de 3 750 € d'amende. »
Néanmoins, le contournement du cadre national est aisé puisqu’il suffit de commander de tels tests via Internet à des sociétés implantées à l’étranger pour recevoir un kit discret à domicile. Après prélèvement de salive, le dispositif est retourné à l’étranger de façon tout aussi discrète. Les coûts sont de moins en moins prohibitifs.
C’est ce que font certaines personnes nées d’assistance médicale avec tiers donneur en France. Les résultats arrivent quelques semaines plus tard avec l’identification des personnes qui, au sein de la base, partagent des fragments d’ADN avec elles. En consultant l’arbre généalogique de ces dernières, en général accessible sur Internet, et après un travail d’enquête génétique (et de déductions), les personnes nées d’assistance médicale à la procréation parviennent de plus en plus fréquemment à identifier leur donneur.
D’après plusieurs communications dans la presse[511], une vingtaine de membres de l’association PMAnonyme aurait fait de tels tests. En avril 2019, quinze personnes auraient ainsi retrouvé leur donneur et cinquante-cinq autres personnes issues de ces mêmes donneurs auraient été identifiées.
Les associations[512] qui soutiennent ces démarches considèrent que les chances de retrouver un donneur augmentent chaque jour puisque quotidiennement de nouvelles personnes (de plus en plus souvent en provenance d’Europe y compris de France) effectuent des tests, enrichissent les bases étrangères et permettent l’apparition de nouveaux liens de parenté.
Le Président de l’association Origine prédit la survenue d’« une lame de fond »[513].
Or, les rencontres qui s’organisent entre donneurs et personnes nées du don dans ce cadre se font spontanément et sans accompagnement.
Dans sa contribution aux Etats généraux de la bioéthique[514], le Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) dénonce ces « dévoilements sauvages » qui ne sont pas évalués. Il considère par ailleurs que tout donneur de gamètes doit désormais, au préalable, être informé que de telles recherches de son identité sont possibles pour un consentement réellement éclairé de la portée de son geste.
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale[515] conclut : « La combinaison d’internet et de la génétique frappe de quasi caducité l’anonymat du donneur, quand bien même le législateur choisirait d’en maintenir strictement le principe. ».
Il apparait nécessaire de prévenir les dérives de l’évolution de ces technologies en encadrant la communication des informations.
2.1.8. Au regard du contexte et de l’ensemble des éléments du débat ci-dessus détaillés, le Gouvernement, s’il entend maintenir le principe d’anonymat et ne permettre ni au donneur ni au receveur de connaître leurs identités respectives au moment du don, pas plus qu’ultérieurement, souhaite compléter le cadre actuel de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur en accordant, aux seules personnes conçues par don anonyme, un droit d’accès à des informations relatives au donneur. Il souhaite plus exactement ne pas les priver par la loi de ces informations.
Le droit positif en matière d’anonymat n’est donc pas modifié.
Ainsi, le principe d’anonymat sera maintenu au moment du don (sauf, comme c’est déjà le cas, à l’égard de l’équipe médicale), sera maintenu à l’égard des receveurs (le couple qui porte le projet parental pour éviter toute démarche de sélection par ce couple[516]), sera maintenu à l’égard de la société et finalement à l’égard de toute personne autre que l’enfant qui sera le seul bénéficiaire de ce droit à l’âge de dix-huit ans. Il ne s’agit donc ni de cesser d’anonymiser les gamètes, ni de modifier les procédures de sélection des donneurs en permettant aux parents de les choisir.
Enfin, le Gouvernement ouvre aussi, sans condition, l’accès aux données non identifiantes relatives au donneur aux enfants nés du don dès leur majorité.
2.1.9. Ouvrir un droit n’oblige en rien à en faire usage. Le respect des personnes nées d’une assistance médicale avec tiers donneur qui ne souhaitent pas accéder à l’identité de ce donneur (ou à toute autre information le concernant) sera garanti puisque seules celles qui le souhaiteront pourront effectuer une démarche en ce sens.
Ainsi, les personnes nées de don disposeront d’un droit d’accès qu’elles seront libres d’exercer ou non (« il ne serait aucunement porté atteinte à la liberté de ne pas vouloir connaître ses origines »[517]).
Du reste, aucun des pays qui a reconnu un droit d’accès aux origines n’a imposé la communication à l’enfant de l’identité du donneur.
2.1.10. Cette évolution n’est pas une conséquence directe et nécessaire de l’ouverture de l’accès à l’assistance médicale à la procréation.
Certes, la connaissance de ses origines est un élément structurant de l’identité des personnes et il est raisonnable d’anticiper le fait que les enfants, ou certains d’entre eux, issus d’une assistance médicale à la procréation réalisée au sein d’un couple de femmes ou au bénéfice d’une femme non mariée seront confrontés à un besoin de quête identitaire, plus ou moins pressant.
Mais certains enfants nés de tiers donneur au sein de couples hétérosexuels revendiquent un droit d’accès à l’identité de leur donneur depuis longtemps déjà. Le débat sur ces questions qui a nourri les échanges parlementaires lors des précédentes révisions bioéthiques, et en particulier celle de 2011, ne peut ainsi être occulté.
La décision du Gouvernement d’ouvrir un nouveau droit aux personnes nées de procréation avec tiers donneur ne résulte pas d’un « effet domino »[518].
La règle nouvelle a pour objectif d’ouvrir un nouveau droit aux personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur[519] qui, à leur majorité, auront la possibilité, sans condition, d’accéder aux informations non identifiantes relatives au tiers donneur ainsi qu’à l’identité de ce dernier.
Le Gouvernement, dans les options qu’il a retenues, a cherché le meilleur équilibre entre les droits et les intérêts des parties concernées : enfants/personnes nés d’un don, donneurs, parents légaux. Il a mis l’accent sur les droits de la personne conçue qui se trouve dans une position plus vulnérable. Le principe d’anonymat du don est maintenu ainsi qu’une filiation sécurisée pour les parents et pour l’enfant.
3.1.1. Trois options principales sont classiquement distinguées pour les nouveaux donneurs.
Schématiquement :
- Dans la deuxième option, le donneur aurait le choix, au moment du don, entre l’accord ou non à l’accès à son identité (quitte à changer d’avis dans l’intervalle le séparant d’une demande effective) ;
- Dans la troisième option, le donneur serait informé, au moment où il effectue le don, de la possibilité de demande d’accès ultérieur à son identité par les enfants qui naîtraient de son don mais son consentement exprès serait en tout état de cause sollicité au moment même de cette éventuelle demande.
Le Gouvernement souhaite écarter d’emblée l’hypothèse d’un double système (deuxième option) où les donneurs pourraient choisir, au moment du don, l’accès à leur identité ou non – même en admettant que certains d’entre eux pourraient évoluer favorablement entre leur don et le moment où un enfant né de ce don demanderait l’accès à leur identité (soit au moins dix-huit ans plus tard).
En effet, l’inconvénient principal de cette option serait « de créer ab initio deux catégories de donneurs » avec le risque que les futurs parents revendiquent de pouvoir choisir entre ces deux catégories, comme l’a noté le Conseil d’Etat dans son étude[522].
Un tel double système serait alors source d’une inégalité entre les enfants nés de don selon le choix opéré par leurs parents. Ainsi que le note le Comité consultatif national d'éthique dans son avis n° 90[523] : « L’existence d’enfants informés et non informés en fonction du seul souhait des parents est une question éthique dans la mesure où elle privilégie la liberté des parents et non celle des enfants et où elle créée nécessairement une discrimination. »
La troisième option n’exclut pas l’éventuel refus du donneur à l’accès à son identité au moment de la demande d’une personne née d’un don devenue majeure.. Elle est donc d’emblée inégalitaire pour les personnes nées de don.
Certains considèrent que, dans cette hypothèse, la transmission à la personne née d’un don d’informations non identifiantes pourrait répondre en partie à son attente. Toutefois, les demandeurs souhaitent, sinon pouvoir rencontrer leur donneur, à tout le moins se projeter dans une histoire - ce qui suppose des éléments de contexte qui ne seront pas toujours disponibles.
Dans son étude[524], le Conseil d’Etat considère que, parmi les options qui se présentent, le schéma qui paraît susciter « le moins d’inconvénients » est celui où « le donneur donnerait son consentement au moment de la demande formulée par le premier enfant né de son don. ». En effet dans le cadre de la première option, le consentement irrévocable est délivré au minimum 18 ans avant la demande émanant de la personne née du don.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme[525], le Défenseur des droits[526] et le rapporteur de la mission d’information parlementaire[527] sont favorables à cette option.
Toutefois, si elle apparait comme une solution équilibrée qui prend en compte l’ensemble des intérêts en présence, elle constitue surtout une solution de compromis qui expose la personne née de don à un refus d’accès à l’identité du donneur.
La première option, si elle peut apparaitre radicale, présente l’avantage majeur de placer tous les enfants issus de don sur un pied d’égalité.
Elle pourrait, pour une période transitoire au moins, déstabiliser le don mais, en réalité, toute réforme concernant le don (y compris celle consistant à recueillir l’accord du donneur au moment d’une demande effective d’accès à son identité) aura temporairement un effet sur le don de gamètes comme cela a été observé dans la plupart des pays qui ont modifié leur législation dans ce domaine.
Dans son avis n° 90 précité, le Comité consultatif national d'éthique a rappelé qu’ « Il faut chercher, dans la complexité de chaque type de situation, l’équilibre le plus adapté au bien de l’enfant […] » [528]. Dans son avis n° 129[529], il recommande de favoriser la levée du secret du mode de conception, de respecter l’anonymat entre les donneurs et les receveurs, de permettre que l’enfant ait accès à des informations non identifiantes en maintenant l’anonymat des donneurs et souhaite « que soit rendu possible la levée de l’anonymat des futurs donneurs de sperme, pour les enfants issus de ces dons. »
La rapporteure de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[530] « estime nécessaire de conditionner la recevabilité de la candidature d’un donneur à son acceptation d’une communication des données identifiantes à la majorité de l’enfant né grâce au don. »[531].
Le Gouvernement retient cette option qui donne acte aux personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur de la légitimité de leur demande d’accès à l’identité du donneur et ouvre un droit aux personnes nées de don qui sera effectif en pratique .
3.1.2. Le décès du donneur (entre son don et la demande d’une personne née du don) doit être pris en compte. Dans son étude[532], le Conseil d’Etat précise qu’en cas de refus ou de décès du donneur, « des données non identifiantes pourraient être portées à la connaissance de l’enfant comme le proposent les CECOS. ».
Dans le cadre de l’accouchement dans le secret, l’article L. 147-6 du code de l’action sociale et des familles prévoit que :
« Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité de la mère de naissance :
(…)
-si la mère est décédée, sous réserve qu'elle n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille de la mère de naissance et lui propose un accompagnement.
Si la mère de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celle-ci, si elle ne s'est pas opposée à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L. 147-2.
Le conseil communique aux personnes mentionnées au 1° de l'article L. 147-2, après s'être assuré qu'elles maintiennent leur demande, l'identité du père de naissance :
(…)
-si le père est décédé, sous réserve qu'il n'ait pas exprimé de volonté contraire à l'occasion d'une demande d'accès à la connaissance des origines de l'enfant. Dans ce cas, l'un des membres du conseil ou une personne mandatée par lui prévient la famille du père de naissance et lui propose un accompagnement.
Si le père de naissance a expressément consenti à la levée du secret de son identité ou, en cas de décès de celui-ci, s'il ne s'est pas opposé à ce que son identité soit communiquée après sa mort, le conseil communique à l'enfant qui a fait une demande d'accès à ses origines personnelles l'identité des personnes visées au 3° de l'article L. 147-2.
(…) »
Par cohérence avec l’option retenue par le Gouvernement (le consentement du donneur aura été donné au moment du don) le décès du donneur ne fera pas obstacle à la communication de son identité à la personne née de son don qui en ferait la demande.
A titre liminaire, il convient de préciser que les donneurs dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés dans le cadre juridique actuel (ainsi que les couples ayant confié leurs embryons à l’accueil par un autre couple) ne peuvent relever du nouveau cadre envisagé, fût-il aménagé à leur endroit.
Le Conseil d’Etat[534] juge qu’ « il n’est constitutionnellement envisageable de porter une atteinte aux situations nées antérieurement que si la révélation de l’identité du donneur est subordonnée à son consentement exprès. »[535].
Il considère même que le simple fait de réinterroger les anciens donneurs – et ainsi de les informer que leur don a permis la naissance d’un enfant devenu majeur – n’est pas dénué d’impact, alors qu’il leur avait été garanti que leur don n’emporterait aucune conséquence pour eux.
Le rapporteur de la mission d’information de l’Assemblée nationale reprend à son compte cette analyse[536].
La Commission nationale consultative des droits de l’homme[537] précise de son côté « rien ne s’opposerait à ce que soient sollicitées les personnes ayant réalisé un don sous le régime antérieur de l’anonymat, si un enfant issu d’un don en faisait la demande, en garantissant aux donneurs le droit de refuser la révélation d’informations identifiantes ». Les rapporteurs de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques[538], rappelant que les donneurs ont reçu l’assurance de l’anonymat absolu et définitif, considèrent que « La moins mauvaise solution serait vraisemblablement d’interroger le donneur, et son partenaire au sein du couple, pour obtenir l’autorisation de répondre à la demande d’information. ».
Il se dégage donc des travaux préparatoires à la révision bioéthique un consensus sur la possibilité de ne pas exclure les anciens donneurs du dispositif, à condition qu’ils y consentent expressément, ce qui suppose qu’ils soient contactés spécifiquement à cet effet.
Cependant, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) invoquent le manque de moyens pour réaliser des recherches et envoyer des courriers aux anciens donneurs : « Pour notre part, nous jugeons impossible aujourd’hui de retrouver les donneurs de spermatozoïdes des quarante dernières années. Chaque dossier demanderait de procéder à de véritables fouilles archéologiques pour lesquelles nous n’avons pas les moyens matériels et humains. » a déclaré la Présidente de la Fédération nationale des CECOS lors de son audition par l’Assemblée nationale[539].
La question apparait d’ailleurs dépasser celle des moyens : « Cela ne fait pas appel uniquement à la loi de bioéthique, mais aussi au code de déontologie médicale et à notre rôle de médecin. Lorsque nous avons rencontré ces donneurs, nous leur avons fait signer un consentement et nous nous sommes engagés à respecter l’anonymat qui leur était alors garanti. Je ne vois pas comment nous pourrions revenir sur cette parole donnée. Si des changements réglementaires interviennent, ce ne sont assurément pas les professionnels de santé qui recontacteront les donneurs : cette approche fait l’unanimité au sein de la Fédération des CECOS. Si l’Etat demande d’entrer à nouveau en contact avec les anciens donneurs, alors il lui appartiendra de gérer cette démarche. »[540]
Néanmoins, le Gouvernement ne peut exclure que des « anciens » donneurs consentent à ce que leurs données non identifiantes voire leur identité soient transmises aux personnes nées de leur don si ces dernières en faisaient la demande[541].
Il souhaite favoriser l’application d’un dispositif rétroactif où la seule solution véritablement respectueuse de chacun, en tenant compte des développements précédents, lui parait être celle où les anciens donneurs se manifestent, à leur initiative, auprès de la structure spécifique qui sera mise en place (Cf. infra, Commission ad hoc). Ils préciseront alors leur accord à la communication de leurs seules données non identifiantes ou de celles-ci et de leur identité aux personnes nées de leur don qui en feraient la demande.
3.3.1. L’option selon laquelle un organisme, fût-il d’Etat, détenant les informations et l’identité du donneur et celle des enfants nés de son don, adresserait à ces derniers, à leur majorité, un courrier les informant qu’il possède des données relatives aux circonstances de leur naissance leur laissant pour seule liberté de ne pas y donner suite ou de le faire au moment jugé opportun n’est pas retenu.
En effet, cette solution n’apparait pas respectueuse des droits et des intérêts en présence notamment du droit à la vie privée et du droit de ne pas savoir.
3.3.2. Les éventuels bénéficiaires de l’ouverture d’un accès à l’identité du donneur ne seront pas distingués en fonction du type de don (spermatozoïdes, ovocytes ou accueil d’embryons).
Tous sont concernés par la mesure dès qu’ils auront atteint l’âge de dix-huit ans, le Gouvernement retenant l’âge de la majorité pour ouvrir le droit d’accès tant aux informations non identifiantes qu’à l’identité du tiers donneur. En effet, ce délai permet à l’enfant de se construire au sein de sa famille légale et de conserver durant le même temps un strict anonymat au donneur.
Certaines situations s’avèreront plus complexes que d’autres.
Ainsi, en matière d’accueil d’embryons, la personne devenue majeure pourra accéder à l’identité du couple dont il est issu sous réserve de l’accord des deux membres de ce couple. Les rapporteurs de l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s’interrogent à ce sujet[543]. Pour autant, il parait difficile, pour des raisons d’égalité, d’écarter ces personnes d’un droit d’accès à leurs origines.
Par ailleurs, les enfants nés d’un don réalisé à l’étranger dans des pays où le don de gamètes est anonyme se heurteront à un obstacle infranchissable.
3.3.3. Le droit d’accès à l’identité du tiers donneur n’est pas un droit de rencontre mais un droit à la connaissance d’une information. Par conséquent, il n’ouvre pas un droit à contacter le tiers-donneur ou à s’immiscer dans la famille de celui-ci (et inversement pour le donneur).
L’article 9 du code civil portant sur le respect de la vie privée aura vocation à s’appliquer pour protéger l’un comme l’autre :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée.
« Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. »
3.3.4 Il ne sera pas nécessaire d’apporter la preuve d’être né d’un don de gamètes ou d’embryon pour saisir la Commission. Certaines personnes peuvent avoir des doutes en ce sens sans révélation de leurs « origines » par leurs parents légaux.
Elles pourront s’adresser à la Commission en fournissant des éléments d’ordre administratif et en expliquant les raisons de leur démarche (les pièces à joindre à une demande adressée à la Commission seront fixées par décret en Conseil d’Etat).
S’il s’avérait toutefois que ces personnes ne soient pas nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur (après consultation de l’Agence de la biomédecine par la Commission), le rôle de la Commission prendra fin.
3.4.1. Le Gouvernement opte pour une liste de données non identifiantes qui seront renseignées par le donneur au moment du don.
La loi précise les principales rubriques de données concernées, outre l’âge du donneur : état général tel qu’il le décrit, caractéristiques physiques, situation familiale et professionnelle, pays de naissance, motivations du don.
Les informations non identifiantes seront fixées plus précisément par voie réglementaire (exemples : taille, poids, couleur des yeux, des cheveux, de la peau, signes particuliers, nombre et sexe de ses enfants, formation, profession, centres d’intérêt, …).
La Fédération des centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS), si elle souhaite maintenir le principe d’anonymat du don de gamètes, a évoqué dans le contexte des Etats généraux de la bioéthique[544] la possibilité de transmettre à l’enfant à sa majorité des données non identifiantes, sous forme d’une lettre du donneur, dans le but de l’« humaniser » et afin qu’il ne soit plus « une image abstraite bienfaisante mais un être humain ».
La proposition a été critiquée par le Groupe d’études sur le don d’ovocytes[545] dans sa contribution aux mêmes Etats généraux[546] : « les CECOS proposent « de transmettre à l’enfant une « lettre de motivation », lettre anonyme, dont le contenu ne sera pas connu et qui pourrait être préjudiciable à l’enfant et/ou à ses parents ; on imagine pour l’enfant dans ces conditions les interrogations voire les souffrances qu’une telle lettre à laquelle il lui sera interdit de répondre peut générer. On aura introduit un tiers dans la construction de la famille en sortant de l’anonymat sans donner véritablement l’accès à l’identité du donneur ».
Cette option envisagée par la Fédération des CECOS vaut surtout comme alternative à l’accès à l’identité du donneur. Le Gouvernement ayant fait le choix d’un accès pour tous les enfants, ne retient donc pas cette alternative.
Les données non identifiantes relatives au donneur (et disponibles) seront obtenues par les personnes issues du don à leur majorité par l’intermédiaire de la Commission ad hoc (Cf. infra)
3.4.2. La création d’une structure dédiée mise en place par l’Etat s’impose pour la transmission des données non identifiantes et identifiantes aux demandeurs, pour accompagner les demandeurs comme les donneurs et, le cas échéant, pour les mettre en relation.
Le rapporteur de la mission d’information parlementaire, évoquant les modalités d’accès aux informations relatives au donneur, détaille : « Dans son étude, le Conseil d’État écarte l’hypothèse de confier cette mission aux CECOS. Ce point de vue est partagé par les parlementaires de la mission qui estiment nécessaire d’investir de ces attributions une instance spécifique, sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui pour la levée de l’anonymat entourant l’adoption. Afin d’éviter toute rupture d’égalité, de faciliter les circuits administratifs et de permettre l’accès effectif à l’information, cette instance doit être unique, établie au niveau national. ».[547]
Il envisage alors deux hypothèses : la création d’une Commission ad hoc ou l’élargissement des missions de l’actuel Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), qui est aujourd’hui le point d’accès aux origines personnelles des personnes nées dans le secret (sous X).
La Commission nationale consultative des droits de l’homme[548] note pour sa part : « Le CNAOP, fort de son expérience développée depuis 2002 en matière d’adoption, pourrait constituer un intermédiaire entre un enfant, désireux d’en savoir plus sur l’identité de son donneur, et ce dernier. Les enfants issus d’un don auraient ainsi la possibilité, en s’adressant au CNAOP, d’accéder à des informations relatives à leur donneur, tout en préservant, le cas échéant, le droit du donneur de ne pas acquiescer à la demande de levée de l’anonymat. »
3.4.3. Dans une première approche, le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), créé par la loi du 22 janvier 2002, pourrait sembler légitime pour remplir ce rôle dans la mesure où son objectif essentiel est, en effet, de faciliter l’accès aux origines personnelles.
Le dispositif s’adresse aux personnes pupilles de l’Etat ou adoptées qui ne connaissent pas l’identité de leurs parents de naissance car ceux-ci ont demandé la préservation du secret de leur identité lors de l’accouchement (nés sous X) ou lorsqu’ils ont confié l’enfant à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance ou à un organisme autorisé pour l’adoption. Il s’adresse également aux parents de naissance qui, ayant demandé le secret de leur identité, peuvent à tout moment s’adresser au CNAOP pour lever ce secret ou, n’ayant donné aucun renseignement, décident de déclarer leur identité. Cette mission est assurée en liaison avec les départements, les collectivités d’outre-mer et les organismes autorisés pour l’adoption.
Après examen attentif, il s’avère cependant que le CNAOP intervient dans un contexte qui s’accorde mal avec la spécificité de la situation du don de gamètes. La création d’une Commission ad hoc s’impose donc car elle ne peut être assimilée au CANOP même si elle peut tirer profit de son expérience.
En effet, la situation tant juridique que psychologique des enfants issus d’un don de gamètes et de ceux qui ont été abandonnés ou confiés à leur naissance est radicalement différente.
De même, le « don » de gamètes, conçu comme un acte solidaire et responsable, ne place, en aucun cas, le donneur dans une situation de dilemme ou de détresse assimilable à celle qui caractérise l’abandon d’enfant.
Confier les missions propres au don de gamètes au CNAOP créerait un parallélisme infondé entre la situation des enfants nés sous X ou abandonnés et celle des enfants nés d’une assistante médicale à la procréation avec tiers donneur.
Des effets délétères pourraient en résulter tant pour les donneurs (en conférant une portée au don qui n’est pas légitime et qui peut constituer un frein à leur démarche) que pour les enfants nés d’AMP avec tiers donneur (en suggérant que leur situation est identique à celles des enfants relevant du CNAOP avec le risque de générer, par cet amalgame, un ressenti de « manque » et, par voie de conséquence, une souffrance inutile).
Enfin, du fait du rapprochement avec les problématiques spécifiques au don de gamètes et à l’assistance médicale à la procréation, la procédure de l’accouchement sous X pourrait s’en trouver déstabilisée.
Il convient également de préciser, même si l’argument n’est pas sur le même plan, que la composition actuelle du CNAOP ne lui permettrait pas d’examiner avec pertinence les demandes des enfants issus d’un don de gamètes. La spécificité de ces dernières demandes légitime la présence de représentants différents (par exemples : professionnels exerçant dans une structure autorisée à pratiquer les activités d’assistante médicale à la procréation relatives aux gamètes en vue de don, représentants de l’Agence de la biomédecine, représentants d’amodiations concernées, etc.). Le CNAOP devrait ainsi, pour s’adapter aux nouvelles problématiques de l’assistance médicale à la procréation, se scinder en deux commissions de composition distincte. Un tel fonctionnement générerait des coûts et limiterait de facto l’intérêt économique que représenterait la fusion des deux institutions.
3.4.4. A titre indicatif, des données relatives à l’activité du CNAOP sont précisées. Elles ne peuvent toutefois permettre de tirer des conclusions sur le nombre effectif de demandes qui seront adressés à la Commission ad hoc par des enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.
En 2016 (dernières données disponibles), 201 personnes ont eu accès à l’identité d’au moins un de leurs parents de naissance par l’intermédiaire du CNAOP. Depuis 2002, 2 496 personnes ont eu accès à l’identité d’au moins un de leurs parents de naissance par l’intermédiaire du CNAOP.
En 2016 :
- 547 nouvelles demandes recevables ont été enregistrées
- 548 dossiers ont fait l’objet d’une clôture
Depuis 2002 :
- 7804 nouvelles demandes recevables ont été enregistrées
- 7940 dossiers ont fait l’objet d’une clôture
3.4.5. L’association Origine[549] propose la mise en place d’une « plateforme informatique d'échange anonyme ». Elle s’adresserait aux personnes conçues par tiers donneur qui souhaiteraient contacter leur(s) donneur(s) et les personnes conçues avec le même donneur. Sa vocation serait d’accompagner ces personnes dans l’accès à la connaissance de leurs origines. La gestion de cette plate-forme serait confiée à une « équipe pluridisciplinaire dédiée »[550] qui constituerait un institut dédié à l’accès aux origines.
Si les missions et les objectifs de la plate-forme et de l’organe pluridisciplinaire seront remplis par la Commission ad hoc et la base de données relative aux donneurs et aux dons hébergée et gérée par l’Agence de la biomédecine (à l’exception de la mise en relation des personnes issues d’un même donneur[551]), deux inconvénients majeurs apparaissent dans le dispositif envisagé par les associations :
- « Les anciens donneurs seront recherchés et contactés de manière confidentielle » afin notamment de leur proposer de s’inscrire sur la plate-forme ; cette solution n’apparait pas protectrice de la vie privée des anciens donneurs (le Gouvernement fait le choix d’enregistrer leur accord à la suite d’une démarche volontaire de leur part) ;
- « Pour établir les correspondances entre le(s) donneur(se)s et les individu(s) issu(s) de leurs dons et identifier les personnes issues du même donneur, un test ADN sera expédié à l’adresse renseignée par les volontaires qui s'inscriront sur la plateforme sous un pseudonyme. (…) Le test ADN sera envoyé au laboratoire et analysé » : le test mentionné est un test d’identification d’une personne par ses empreintes génétiques qui relève aujourd’hui de l’article 16-11 du code civil et de finalités précises[552] qui ne recouvrent pas la situation d’espèce ; il ne saurait être envisagé de légaliser un tel test génétique dans ces circonstances au regard des risques encourus (le Gouvernement prévoit d’établir le lien entre donneur et enfants à partir des données qui seront conservées, dans des conditions sûres, par l’Agence de la biomédecine et, pour les anciens donneurs, par les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS)).
En outre, l’association prévoit la communication, aux personnes nées du don, de l’identité du donneur lorsque ce dernier est décédé y compris s’il s’agit d’un ancien donneur et en dépit de l’absence de consentement de ce dernier.
Pour ces raisons, le Gouvernement n’a pas retenu la mise en place d’une telle plate-forme.
3.4.6. La réforme pourra être mise en œuvre dans des conditions sécurisées grâce à la mise en place, en parallèle, d’un fichier national des donneurs, des dons et des enfants nés de ces dons sous la responsabilité de l’Agence de la biomédecine. Ce dispositif est détaillé à l’article 3.2.
La Commission ad hoc sera saisie de demandes d’accès à des données non identifiantes relatives au tiers donneur et de demandes d’accès à l’identité du tiers donneur par des personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec don. Elle sollicitera l’Agence de la biomédecine qui conservera ces données[553].
La Commission informera le tiers donneur, dans des conditions de nature à préserver son anonymat, de la démarche initiée par une personne majeure née de son don.
La Commission fera droit la demande qui lui a été soumise.
Le cas échéant, elle mettra en œuvre les moyens nécessaires pour retrouver les tiers donneurs afin de solliciter leur consentement et de le recueillir.
La commission se prononcera également, à la demande d’un médecin, sur le caractère non identifiant de certaines données préalablement à leur recueil.
La présente mesure créera un chapitre III au Titre IV du Livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique.
Ce chapitre comportera neuf articles qui permettent notamment
- de définir le tiers donneur ;
- de poser le principe d’accès des enfants nés d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à leur majorité aux informations non identifiantes relatives au donneur, d’une part, et à l’identité de ce donneur, d’autre part ;
- de poser le principe d’un consentement exprès du donneur à l’accès à son identité préalablement au don ;
- de fixer les catégories de données non identifiantes ;
- de préciser que le médecin recueille l’identité du donneur au moment du don et celle de chaque enfant né de ce donneur ;
- de préciser que ces données sont transmises et conservées par l’Agence de la biomédecine ;
- de préciser les modalités d’accès par l’enfant devenu majeur aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur ;
- de fixer la composition et les missions de la Commission ad hoc ;
- de détailler les missions de cette Commission ;
- de préciser que l’Agence de la biomédecine est tenue de communiquer les données qu’elle détient à la Commission sur demande de celle-ci.
Par ailleurs, la présente mesure créera un nouvel article 16-8-1 au Chapitre II du Titre Ier du Livre Ier du code civil.
La mesure modifiera également l’article 511-10 du code pénal (et par conséquent l’article L.1273-3 du code de la santé publique) pour exclure de l’incrimination pénale prévue par ces articles le cas que prévoient les dispositions de l’article 16-8-1 du code civil.
La mesure introduira un nouveau rôle à l’Agence de la biomédecine en ajoutant un 13° à l’article L. 1418-1 du code de la santé publique qui précise que l’agence sera chargée de gérer les traitements de données relatifs aux tiers donneurs, à leurs dons et aux enfants nés de ces dons, à l’exclusion des données médicales initiales ou recueillies ultérieurement au don.
Par ailleurs, la mesure conduira à préciser à l’article L. 1244-2 du code de la santé publique ainsi qu’à celui qui concerne les dons (« accueils ») d’embryons (article L. 2141-5 du code de la santé publique) que le tiers donneur est dûment informé des dispositions législatives et réglementaires relatives au don de gamètes et notamment du dispositif d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur.
Lors de sa dernière session plénière, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté sa Recommandation[554],2156 (2019) – « Don anonyme de sperme et d’ovocytes : trouver un équilibre entre les droits des parents, des donneurs et des enfants » qui a été transmis au Comité des ministres[555]. Le Comité des ministres devra décider si ces recommandations doivent à terme devenir juridiquement contraignantes.
Le rapport adossé au projet de recommandations souligne que le principe d’anonymat des donneurs de gamètes est aujourd’hui remis en cause, car il pose un problème de santé publique (la personne conçue à l’issue d’un don ne peut être informée des antécédents médicaux de son donneur, et il existe des risques de consanguinité) ; il soulève la question éthique de la place de la personne née d’un don (l’accès à l’identité du donneur est un aspect essentiel de la construction identitaire), et ce principe devient obsolète en raison du développement des technologies génétiques (qui permettent d’avoir facilement accès à ses données génétiques et donc de retrouver son donneur).
La commission souligne toutefois que le droit de connaître ses origines doit être en équilibre avec les intérêts des autres parties impliquées (notamment des donneurs et des parents légaux).
Selon les parlementaires, l’identité du donneur et les informations sur les circonstances de la naissance ne devraient être révélées qu’au 16ème ou 18ème anniversaire de l’enfant (de préférence par l’État), et non pas au moment du don à la famille. La commission a aussi souligné que la levée de l'anonymat ne devrait avoir aucune conséquence juridique sur la filiation. S’agissant de dons faits dans le passé, la commission estime qu’il ne faut pas lever cet anonymat de manière rétroactive, sauf pour raisons médicales ou lorsque le donneur y a consenti.
Il est difficile de prévoir combien de personnes se manifesteront auprès de la Commission ad hoc. En effet, le nombre de demandes susceptibles d’être adressées à cette commission, nombre qui conditionne en partie l’économie du dispositif, ne peut être raisonnablement approché.
D’une part, il n’est pas possible de connaître précisément le nombre d’enfants issus de techniques recourant à des gamètes issus de don (les associations estiment qu’en France, environ 70 000 enfants sont nés d’une insémination artificielle avec tiers donneur à ce jour) et, d’autre part, la part des enfants issus de don qui saisiront effectivement la Commission d’une demande d’accès à des informations relatives au donneur relève de l’inconnu.
Les personnes qui relèveront de plein droit du nouveau dispositif (personnes conçues à partir d’une date postérieure à la promulgation de la loi et qui sera fixée par voie réglementaire) ne pourront se manifester que dix-huit plus tard (au minimum).
Les personnes nées d’un « ancien » donneur et qui souhaiteront accéder à son identité sont difficiles à estimer. Si certains considèrent que l’immense majorité des 70 000 personnes conçues par don en France ne sont pas informées de leur mode de conception, aucune étude scientifique ne permet de l’étayer (Cf. point 4.4.2). L’association PMAnonyme recense, quant à elle, 169 personnes conçues par dons qui ont contacté ou adhéré à l’association et qui partagent ses objectifs.
Aujourd’hui, dans le domaine de l’accouchement dans le secret, le coût de fonctionnement de la Commission d’accès aux origines personnelles (CNAOP) est estimé à 30 323 € (dont 2 333 € de frais de déplacement des 17 membres incluant son Président et 27 990 € correspondant à un ETP affecté à la préparation des séances plénières)[556].
4.3.1. Si des rumeurs persistantes prévoient une baisse du nombre de donneurs en lien avec la présente mesure[557], ce risque se heurte à la réalité des faits.
En effet, une des principales controverses concernant la levée de l’anonymat est que celle-ci engendrerait une diminution du nombre de dons. Or, si une baisse transitoire du nombre de donneurs de gamètes a pu être observée juste après le changement législatif en question, la tendance semble ensuite s’inverser pour repartir à la hausse et dépasser les chiffres initiaux. Ce fut notamment le cas en Suède[558], en Australie[559], en Finlande[560] ou encore au Royaume-Uni[561].
En Suède, alors qu’une enquête réalisée peu après la levée de l’anonymat en 1984 révélait des chiffres alarmants, le nombre de donneurs devait finalement augmenter de 6% l’année suivant la mise en place du nouveau dispositif[562].
Au Royaume-Uni, les chiffres publiés par la Human Fertilisation and Embryology Authority montrent que, après une diminution transitoire entre 2005 et 2006, le nombre de donneurs a ensuite globalement augmenté. Entre 2005 et 2008, le nombre de donneurs avait déjà significativement augmenté et, au final, ce nombre a doublé depuis l’instauration de la nouvelle loi[563],[564].
Ainsi, si la levée de l’anonymat est susceptible d’avoir un impact initial sur le nombre de dons, il apparaît néanmoins exagéré de prévoir une baisse radicale à moyen et à long terme.
C’est également ce que confirme Mme Petra de Sutter dans son rapport : « L’argument systématiquement invoqué par les cliniques pratiquant les IAD est celui d’une baisse du nombre de donneurs en cas de levée de l’anonymat des dons. Cependant, les statistiques ne permettent pas de confirmer cet argument. (…) Les différentes études conduites permettent de constater une modification sensible du profil des donneurs, ceux-ci étant généralement plus âgés et ayant mieux mûri leur geste, et non une réduction de leur nombre. »[565].
Enfin, « les alarmes sur la chute éventuelle des dons de sperme qui pèsent si lourdement sur le débat français, portent non pas sur plusieurs milliers de personnes, comme on l’imagine souvent, mais sur de très petits chiffres : moins de 500 donneurs par an, en France comme au Royaume-Uni. Sur de si petits effectifs, il est facile de comprendre que dans un pays de 66 millions d’habitants, la moindre campagne d’appel au don, si elle est bien faite, aura des résultats immédiats. » [566].
Par ailleurs, le Conseil consultatif national d’éthique évoque certains risques « un changement dans les motivations du don (qui existe déjà) et une modification du profil des donneurs ; un risque de tentation de recours au système marchand »[567].
Le Gouvernement n’a nullement l’intention de remettre en cause la gratuité du don des éléments du corps humain. Et il convient de noter que l’anonymat n’existe pas pour le donneur vivant d’organes (donneur et receveur se connaissent). Pour autant, contrairement aux craintes qui avaient été exprimées, l’absence d’anonymat n’a généré ni trafic ni rémunération illicite.
4.3.2. Les anciens donneurs pourront se manifester, à leur initiative, auprès de la Commission ad hoc.
Cela n’entraînera aucune surcharge de travail pour les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) qui n’auront pas à rechercher les anciens donneurs pour recueillir leur intention et leur éventuel consentement à la communication de donnés non identifiantes ou de leur identité aux personnes nées de leur don.
Le stock de gamètes (obtenus dans le cadre de la législation antérieure) sera utilisé avant une date suivant la promulgation de la loi qui sera fixée par voie réglementaire.
4.3.3. Un « effet domino » est peu probable sur les autres dons en raison de la spécificité des cellules reproductrices.
4.4.1. La mesure crée des droits nouveaux au bénéfice des personnes nées d’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur. Elles pourront, si elles le souhaitent, obtenir des informations non identifiantes et des données identifiantes sur le tiers donneur soit parce qu’elles relèveront du nouveau dispositif (personnes conçues après la promulgation de la loi) soit parce qu’issues d’anciens donneurs, ces derniers se seront manifestés auprès de la commission mise en place.
4.4.2. Il semblerait qu’une grande partie des enfants nés avec tiers donneur ne connaissent pas leur modalité de conception. « Sur les 70 000 personnes ainsi nées en France, 64 000 l’ignoreraient. »[568]
Pour des raisons évidentes, aucune étude n’a jamais été menée sur de grandes cohortes, en France comme à l’étranger, pour vérifier directement auprès des enfants la réalité de cette information.
En tout état de cause, faute de pouvoir l’étayer scientifiquement, il est difficile de se prononcer sur un risque d’aggravation de l’occultation des circonstances de la conception (qui supposerait déjà de connaitre sa part de réalité actuelle). Il est en revanche certain que cette question est agitée comme une menace par ceux qui s’opposent à toute évolution du cadre actuel de l’accès aux origines alors que ce supposé argument ne peut être pris en compte isolément et n’est donc pas décisif.
Les résultats de la première enquête nationale suédoise (qui date de janvier 2011) sur l’attitude des parents receveurs de dons (de sperme, d’ovocytes) à l’égard du secret sur le mode de conception de l’enfant montrent que « 90% des parents receveurs de dons interrogés déclarent qu’ils informeront l’enfant de son mode de conception, précisant qu’ils considèrent cela comme un devoir élémentaire « d’honnêteté » à son égard, et de respect de ses « droits » »[569] (les parents interrogés - échantillon représentatif de 564 personnes- reçoivent les gamètes qu’on leur propose dans les cliniques de fertilité agréées, et sont informés de la loi suédoise qui autorise l’accès à l’identité du donneur).
La mesure repose en partie sur la mise en place de traitements de données relatifs aux donneurs et aux dons qui fait l’objet d’une mesure spécifique dans la présente étude d’impact. La consultation de la CNIL et celle de l’Agence de la biomédecine sont mentionnées pour cette mesure spécifique.
Le conseil national de la protection de l’enfance a également été consulté.
Des dispositions transitoires permettent d’organiser le passage vers la réforme.
Cf. schéma récapitulatif.
- Les dispositions des articles L. 2141-5, L. 1244-2, L. 2143-3 et L. 2143-5, L. 2143-7 et L. 2143-8 (consentement du tiers donneur, données recueillies par les CECOS dans le cadre de la réforme au moment du don, modalités d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du donneur, installation de la Commission ad hoc, obligation de communication des données à la Commission par l’Agence de la biomédecine) entrent en vigueur le premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi ;
- Les dispositions des articles L. 2134-4 (conservation des données) et L. 2143-6 (missions de la Commission) entrent en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 13ème jour suivant la promulgation de la loi ;
- La réforme s’applique, quand elles seront majeures, aux personnes conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à compter d’une date suivant la promulgation de la présente loi qui sera fixée par voie réglementaire ;
- Les tiers donneurs dont les embryons ou les gamètes sont utilisés avant cette date (anciens donneurs) peuvent manifester auprès de la Commission leur accord à la transmission aux personnes majeures nées de leur don de leurs données non identifiantes d’ores et déjà détenues par les CECOS ;
- Les personnes majeures, conçues par assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à partir des embryons ou des gamètes utilisés jusqu’à la date qui sera fixée par voie réglementaire (personnes nées des dons des anciens donneurs), peuvent se manifester, si elles le souhaitent, auprès de la Commission pour demander l’accès aux données non identifiantes et, le cas échéant, à l’identité de leur tiers donneur ;
- La Commission fait droit à leur demande si le tiers donneur concerné s’est manifesté auprès de la Commission ;
- Les CECOS sont tenus de communiquer à la Commission sur sa demande les données qu’ils détiennent nécessaires à l’exercice des missions de celles-ci ;
- Le point de départ des demandes des personnes nées des dons des anciens donneurs qui souhaitent accéder aux données non identifiantes et à l’identité de leur tiers donneur correspond au premier jour du treizième mois suivant la promulgation de la loi.