N° 1212

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juillet 2018

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE LÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, adoptÉ par le SÉnat aprÈs engagement de la procÉdure accÉlÉrÉe,
relatif à la lutte contre la fraude ( 1142)

PAR Mme Émilie CARIOU

Députée

——

 

 Voir les numéros :

Sénat : 385, 600, 602, 603 et T.A. 133 (2017-2018)

Assemblée nationale : 1142 et 1188


 


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  SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

Exposé général

I. Le projet de loi initial et les modifications introduites par le sÉnat

A. Le texte initial : un projet améliorant significativement la lutte contre la fraude

1. Le renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière

2. Le renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

B. Le projet de loi adoptÉ par le Sénat

II. les travaux de la commission des finances de lassemblÉe nationale : lexamen dun texte majeur dans des dÉlais trÈs contraints

III. les principales modifications apportées par la commission des finances

1. Le rétablissement du rattachement dune police fiscale à Bercy

2. La rationalisation des mesures touchant les plateformes en ligne

3. Le renforcement de lefficacité des sanctions en cas de manquement

4. Lenrichissement des mesures contre lévasion fiscale internationale

5. La fin du « verrou de Bercy »

Examen en commission

Examen des articles

TITRE IER : RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE

Article 1er A (article L. 10 B du livre des procédures fiscales) Concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment

Après l’article 1er A

Article 1er B (article L. 228 C [nouveau] du livre des procédures fiscales) Instauration dun examen préjudiciel en urgence par le juge de limpôt avant toute décision sur laction publique

Article 1er Renforcement de la police fiscale

I. Le droit existant

A. Les agents de la police fiscale : les officiers fiscaux judicIaires

B. La procÉdure denquÊte judiciaire fiscale

1. Les présomptions caractérisées de fraude

2. Laménagement de la procédure de déclenchement de lenquête

C. Les services de la police fiscale : la brigade nationale de rÉpression de la dÉlinquance fiscale

II. Le dispositif proposé

A. Le projet de loi initial

B. Les modifications apportÉes par le SÉnat

III. La position de la commission

Article 1er bis (nouveau) (articles 28-2, 41-5, 99-2, 230-10, 230-20 et 695-9-31 du code de procédure pénale) Alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires

Article 2 (articles 65 quater, 413 quater et 4161 [nouveaux] du code des douanes, L. 80 O et L. 96 J du livre des procédures fiscales et 1795 du code général des impôts) Renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière

I. Le droit existant

A. Les comptabilités informatisées

1. Définition des comptabilités informatisées

2. Régularité des comptabilités informatisées

B. LES LOGICIELS « PERMISSIFS »

C. UN ARSENAL LÉGISLATIF SPÉCIFIQUE POUR Les agents de la direction générale des finances publiques

1. Le volet « éditeurs, concepteurs, distributeurs » des logiciels

a. Un droit de communication spécifique portant sur la conception du logiciel

b. Une amende fiscale en cas dopposition à ce droit de communication spécifique

c. Une amende fiscale en cas de détection dun logiciel « permissif »

2. Le volet « utilisateurs » des logiciels

a. Lobligation dutiliser un logiciel sécurisé faisant lobjet dune attestation ou dun certificat

b. Un droit de contrôle inopiné

c. Une amende fiscale en cas de non possession du certificat ou dattestation

D. UN DISPOSITIF QUI NE PEUT PAS ÊTRE MIS EN œUVRE PAR Les agents de la direction générale des douanes et droits indirects

II. Le dispositif proposé

A. Le projet de loi initial

1. Un droit de communication spécifique des agents des douanes pour les logiciels

2. Une amende fiscale en cas dopposition à ce droit de communication

3. Une amende fiscale en cas de détection dun logiciel « permissif »

B. Les modifications apportées par le Sénat

1. Lextension à la DGDDI du volet « utilisateurs » du dispositif de lutte contre les logiciels permissifs

2. Lharmonisation du montant de lamende applicable en cas dopposition au droit de communication

III. La position de la commission

Après l’article 2

Article 2 bis (article 415 du code des douanes) Sécurisation du délit douanier de blanchiment

I. Le droit existant

II. Le dispositif proposé

III. La position de la commission

Article 3 Échange dinformations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude

I. Le droit existant

A. Laccès aux informations fiscales

B. LACCÈS aux informations sociales

C. LES ÉCHANGES ENTRE LADMINISTRATION DES DOUANES ET LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

II. Le dispositif proposé

A. Lélargissement de laccès aux informations fiscales

1. Lélargissement aux assistants spécialisés

a. Présentation des assistants spécialisés de la DGFiP

b. Ouverture dun accès direct à plusieurs fichiers de la DGFiP

2. Lélargissement aux agents de linspection du travail et à certains agents chargés du recouvrement dans les organismes de sécurité sociale

3. Lélargissement aux agents des organismes de sécurité sociale

4. Lélargissement aux agents des douanes

a. Sagissant du fichier FICOVIE

b. Sagissant des informations sur la résidence fiscale des voyageurs

5. Lélargissement aux officiers et agents de police judiciaire et agents de la police fiscale

B. Lélargissement de laccès aux informations sociales

C. Lapprofondissement des ÉCHANGES ENTRE LADMINISTRATION DES DOUANES ET LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

D. Les autres dispositions concernant les douanes

1. Lélargissement au profit des assistants spécialisés des douanes de laccès aux informations douanières

2. Lapprofondissement des échanges dinformation entre les douanes et les agents publics du domaine agricole

III. La position de la commission

Après l’article 3

Article 3 bis (article 1649 A du code général des impôts) Obligations déclaratives pour les comptes détenus à létranger

I. Le droit existant

1. La portée de lobligation déclarative

2. Le champ de lobligation déclarative

3. Les sanctions applicables

II. Les dispositions adoptées par le Sénat

III. La position de la commission

Article 3 ter (article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale) Suspension des prestations en cas de fraude documentaire

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

II. La position de la commission

Article 4 (articles L. 1117 du code de la consommation, 242 bis, 1649 quater A bis, 1731 ter, 1736 et 1754 du code général des impôts, L. 114-19-1 du code de la sécurité sociale, et 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017) Précision des obligations déclaratives fiscales  des plateformes déconomie collaborative

I. Le droit existant

A. léconomie collaborative, un modèle en plein essor

B. Lobligation pour les plateformes dinformer leurs utilisateurs

1. Linformation des utilisateurs sur leurs obligations et sur les transactions effectuées

2. La certification des plateformes par un tiers indépendant

C. Lobligation différée de transmission par les plateformes des revenus des utilisateurs à ladministration

II. Le dispositif proposé

A. Lamélioration et la simplification des obligations déclaratives des plateformes en ligne

1. La fusion des dispositifs dobligations déclaratives des plateformes : le renforcement de lefficacité et de la lisibilité du droit

2. La suppression de lobligation de certification par un tiers indépendant

3. Les sanctions en cas de manquements aux obligations déclaratives

4. Un dispositif applicable quel que soit le lieu détablissement des plateformes

5. La transmission du dispositif à la Commission européenne

B. Les modifications apportées par le sénat

III. La position de la commission

A. Un dispositif nécessaire et utilement complété par le Sénat sur le volet social

B. Des modifications proposées par le Sénat à lopportunité incertaine

1. La modification incertaine de la définition des plateformes

2. La qualification des revenus par les plateformes : une obligation lourde et inopportune

3. La mention du numéro de TVA : un ajout a priori superflu

4. Les incertitudes liées à la solidarité en matière damende

C. Des points de vigilance supposant un suivi régulier de la mise en œuvre du dispositif

1. La question de la territorialité du dispositif proposé

2. Les interrogations soulevées à légard de certaines données à transmettre

3. La question de la sujétion aux obligations déclaratives des transactions portant sur des revenus exonérés

4. Les interrogations sur le calendrier des déclarations

Article 4 bis (article 155 C [nouveau] du code général des impôts) Abattement forfaitaire de 3 000 euros applicable aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes en ligne

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

A. Un traitement particulier des utilisateurs percevant des revenus de plateformes en ligne

1. Lintroduction dun abattement forfaitaire de 3 000 euros

2. Une dispense daffiliation sociale obligatoire jusquà 3 000 euros de revenus

B. Un dispositif motivé par des considérations dincitation et de simplification

II. La position de la commission

A. un dispositif déjà rejeté plusieurs fois par lassemblée nationale

B. un dispositif juridiquement contestable au coût non évalué

1. Un dispositif constitutionnellement fragile et difficile à justifier

2. Un dispositif au coût non évalué mais potentiellement coûteux

Article 4 ter (articles 283 bis [nouveau] et 293 A ter [nouveau] du code général des impôts) Responsabilité solidaire des plateformes en ligne  en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

1. La TVA applicable aux importations et aux acquisitions intracommunautaires

2. La mise en place par le Sénat dune responsabilité solidaire dans le paiement de la TVA

II. La position de la commission

1. Les récentes initiatives européennes en matière de TVA limitent lopportunité du dispositif proposé

2. Un dispositif présentant une certaine fragilité juridique

Article 4 quater (article 283 ter [nouveau] du code général des impôts) Paiement scindé de la TVA en matière de commerce en ligne

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

II. La position de la commission

Après l’article 4 quater

Article 4 quinquies (article 1754 du code général des impôts) Solidarité des entreprises liées en matière damendes fiscales  pour obstacle au droit de communication

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

A. Le droit de communication non nominatif

B. La proposition sénatoriale dintroduire une responsabilité solidaire dans le paiement de lamende pour obstacle au droit de communication non nominatif

II. La position de la commission

Article 4 sexies (article 45 de la loi n° 20171775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017) Interdiction pour les plateformes en ligne deffectuer des versements  sur des cartes prépayées

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

II. La position de la commission

Article 4 septies (nouveau) (article 168 du code général des impôts) Taxation doffice des œuvres dart et objets de collection

I. Le droit existant

II. Lextension du champ de la procédure de taxation doffice aux œuvres dart et objets de collection

Article 4 octies (nouveau) (articles L. 16-0 BA et L. 252 B du livre des procédures fiscales) Aménagement de la procédure de flagrance fiscale

Article 4 nonies (nouveau) (article L. 621-10-2 du code monétaire et financier) Procédure dautorisation daccès aux données de connexion par lAutorité des marchés financiers

Après l’article 4 sexies

Titre II : Renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 5 (article 1741 du code général des impôts) Publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale

I. Le droit existant

1. Les sanctions du délit de fraude fiscale

a. Les sanctions pénales du délit de fraude fiscale

b. Des peines complémentaires obligatoires ou facultatives

2. La peine complémentaire daffichage et de publicité, une sanction aujourdhui très marginalement prononcée

II. Le dispositif proposé

1. Rendre plus fréquent le prononcé de la peine complémentaire

2. Un dispositif a priori conforme à la Constitution

III. la position de la commission

Article 6 (articles 1729 A bis [nouveau] du code général des impôts et L. 228 du livre des procédures fiscales) Publication des sanctions administratives appliquées aux professionnels à raison des manquements fiscaux dune particulière gravité

I. Le droit existant

A. Les sanctions fiscales renforcées pour les fraudes les plus graves

B. La publicité des sanctions

1. À létranger, certains systèmes juridiques prévoient la publicité des sanctions administratives en matière fiscale

2. En France, la publicité des sanctions prononcées par certaines autorités administratives indépendantes est prévue

II. Le dispositif proposé

1. Une application limitée aux infractions les plus graves

2. Une publicité dont les conditions sont encadrées

a. Le champ et la durée de la publication sont précisés dans la loi

b. La décision de publication est conditionnée à lavis conforme dune commission spécialement créée

i. Le projet de loi initial

ii. Les modifications apportées par le Sénat

c. La procédure de publication offre des garanties pour le contribuable

i. Le projet de loi initial

ii. Les modifications apportées par le Sénat concernant le caractère définitif des sanctions

III. La position de la commission

1. Sur la commission chargée démettre un avis conforme préalable à la publication des sanctions

2. Sur le dispositif de publication des sanctions

Article 7 (articles 1740 A bis [nouveau] et 1753 du code général des impôts, L. 80 E du livre des procédures fiscales, L. 114181 [nouveau] du code de la sécurité sociale) Sanction à légard des tiers complices de graves manquements fiscaux et sociaux

I. Le droit existant

A. La sanction des complices de fraude fiscale sous le seul angle pénal

1. Seuls les contribuables auteurs dagissements frauduleux peuvent cumuler sanctions fiscales et pénales

a. Les sanctions fiscales des agissements frauduleux ou très graves

b. La sanction pénale du délit de fraude fiscale

c. Larticulation des sanctions fiscales et pénales

2. La sanction exclusivement pénale des complices de fraude fiscale

B. Labsence de sanction des complices de fraude sociale

C. La directive « DAC 6 » sur la déclaration et léchange des montages fiscaux potentiellement agressifs

II. Le dispositif proposé

A. La création dune amende ciblant les intermédiaires ayant rendu possible des agissements abusifs ou frauduleux

1. Les personnes visées

2. Les éléments constitutifs du manquement

a. Les agissements du contribuable sanctionné

b. Les prestations fournies par lintermédiaire

3. Les caractéristiques de lamende et les garanties prévues

a. Lamende prévue

b. Les garanties accompagnant lamende fiscale

c. Les garanties accompagnant lamende sociale

4. Linterdiction de siéger dans certains organismes

5. Une sanction applicable aux futures prestations

B. Les modifications apportées par le sénat

1. La subordination du prononcé de lamende contre lintermédiaire au caractère définitif de la sanction du contribuable ou du cotisant

2. Le caractère limitatif des prestations susceptibles dêtre réalisées par lintermédiaire

3. Lextension de linterdiction de participer aux travaux de certaines instances

III. La position de la commission

A. Un dispositif opportun à lier à la directive « DAC 6 » mais risquant de se heurter au secret professionnel

1. La sanction administrative des intermédiaires comble opportunément un vide juridique

2. La combinaison de cette sanction et de la déclaration des montages agressifs permet une dissuasion élevée

3. Le secret professionnel reste opposable : un dispositif ciblant surtout les officines fiscales

B. Des modifications du Sénat à lopportunité variable ayant conduit la commission à dimportants ajustements

1. La suppression de lexigence du caractère définitif de la sanction du contribuable et le rétablissement des garanties offertes à lintermédiaire

2. Une énumération exhaustive des prestations qui renforce la lisibilité de la loi

3. Linclusion opportune de la commission des infractions fiscales parmi les instances auxquelles ne peut participer lintermédiaire sanctionné

C. Faire preuve de mesure dans déventuelles hypothèses dun renforcement du dispositif

Après l’article 7

Article 8 (article 1741 du code général des impôts) Aggravation des peines damende encourues en cas de fraude fiscale

I. Le droit existant

1. Pour les personnes physiques

2. Pour les personnes morales

3. Les peines prononcées par les tribunaux

II. Le dispositif proposé

1. Un nouveau critère pour déterminer le montant de lamende encourue

a. Pour les personnes physiques

b. Pour les personnes morales

2. Un dispositif a priori proportionné

III. La position de la commission

Après l’article 8

Article 9 (articles 49516 et 804 du code de procédure pénale) Extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à la fraude fiscale

I. le droit existant

A. Domaine dapplication de la crpc

B. Mise en œuvre de la CRPC

1. La phase de proposition

2. Laudience dhomologation

II. Le dispositif proposé

III. La position de la commission

Après l’article 9

Article 9 bis (article 41-1-2 du code de procédure pénale) Convention judiciaire dintérêt public en matière de fraude fiscale

I. Le droit existant

1. Le champ dapplication de la CJIP

2. Le contenu de la CJIP

3. La phase dhomologation de la CJIP

4. La publicité des CJIP

II. Le dispositif proposé

III. La position de la commission

Article 9 ter (article L. 228 du livre des procédures fiscales) Possibilité pour le parquet dengager la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale

I. le droit existant

II. Le dispositif proposé

III. La position de la Commission

Article 10 (articles 413 bis et 431 du code des douanes) Aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

I. Le droit existant

1. Le droit de communication des agents des douanes

a. Létat du droit

b. Lapplication du droit

2. Les sanctions en cas dinjures, de maltraitance ou de trouble à lexercice des fonctions des agents des douanes

II. Le dispositif proposé

1. Renforcer les sanctions applicables pour lutter contre certaines fraudes douanières

2. Un dispositif a priori compatible avec les droits et libertés que la Constitution garantit

III. La position de la commission

Après l’article 10

Article 10 bis (article 575 F du code général des impôts) Présomption de détention de tabac à des fins commerciales

I. Les dispositions adoptées par le Sénat

1. Le droit en vigueur

2. Le dispositif proposé

II. La position de la commission

Article 10 ter (article 1791 ter du code général des impôts) Renforcement des sanctions applicables en cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicite de tabac

I. Les dispositions adoptées par le SÉnat

II. La position de la commission

Article 10 quater (article 6 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004) Information du public sur les risques associés à lachat et à la vente de tabac en ligne

I. Les dispositions adoptées par le SÉnat

1. Le droit en vigueur

a. Linterdiction de vente à distance de produits du tabac manufacturé

b. Lobligation dinformation des risques associés aux activités illégales de jeux dargent

2. Le présent article

II. La position de la commission

Article 10 quinquies (nouveau) (articles L. 3512-23 à L. 3512 26 et L. 3515-4 du code de la santé publique, L. 80 N du livre des procédures fiscales et 28-1 du code de procédure pénale) Dispositif national de traçabilité des produits du tabac

I. Le droit existant

II. Les compléments apportés au dispositif national de traçabilité des produits du tabac

Article 11 (articles 39 duodecies, 39 terdecies, 119 bis, 125-0 A, 125 A, 145, 150 ter, 163 quinquies C, 163 quinquies C bis, 182 A bis, 182 A ter, 182 B, 187, 219, 238-0 A, 244 bis, 244 bis B et 792-0 bis du code général des impôts et L. 62 A du livre des procédures fiscales) Élargissement de la liste des États et territoires non coopératifs

III. Le droit existant

A. La liste française des États et territoires non coopÉratifs et les contre-mesures associÉes

1. Les États et territoires non coopératifs au sens de larticle 2380 A du code général des impôts

a. Les critères initiaux de qualification dun ETNC

b. Les modalités dévolution de la liste des ETNC : critères dinscription et de retrait

2. La liste des ETNC

3. Les contre-mesures applicables aux transactions impliquant un ETNC

a. Lobjet des contre-mesures

b. Les clauses de sauvegarde prévues

B. la liste européenne commune des juridictions non coopératives

1. Les critères retenus : transparence et coopération, équité fiscale et application des mesures contre lérosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices

a. La transparence fiscale

b. Léquité fiscale

c. La mise en œuvre du projet « BEPS »

d. Lapplication des critères en 2017

2. Lévolution de la « liste noire » européenne

a. Les listes initiales du 5 décembre 2017

b. Les évolutions de la « liste noire »

IV. Le dispositif proposé

A. Lintégration en droit français des pays figurant sur la liste européenne et lajustement des contre-mesures applicables

1. La transposition de la liste européenne commune des juridictions non coopératives

2. Lapplication modulée des contre-mesures en fonction du motif dinscription sur la liste et linsertion de clauses de sauvegarde

B. Les modifications apportées par le Sénat

1. La modification des critères français à travers la prise en compte des échanges automatiques de renseignements

2. La modification des modalités de référence au critère portant sur les montages offshore

3. Les précisions apportées à la motivation des évolutions de la liste des ETNC

V. La position de la commission

A. La suppression des trois principales modifications apportées par le Sénat

1. Le rétablissement des critères français actuels en raison des difficultés que pourrait poser la seule prise en compte de léchange automatique

2. Le rétablissement de la définition dans la loi des montages offshore et la précision linguistique apportée

3. La suppression des exigences de motivation, redondantes avec le droit proposé

B. Une liste dETNC bienvenue mais dont le suivi est nécessaire et qui ne résout pas intégralement la question de la fraude et de lévasion fiscales

1. Lindispensable suivi de lapplication des critères européens : lintroduction dune « clause de revoyure »

2. La suppression de lexclusion des États membres de lUnion européenne de la liste française des ETNC

3. La liste des ETNC na pas vocation à résoudre tous les problèmes et marque un progrès dans un mouvement plus général en faveur de la justice fiscale

Article 11 bis A (nouveau) (article 209 B du code général des impôts) Extension du régime des sociétés étrangères contrôlées aux États et territoires non coopératifs

Le droit existant

II. Lextension du régime des sociétés étrangères contrôlées à celles établies dans un ETNC

Article 11 bis B (nouveau) (article 238 A du code général des impôts) Relèvement du plafond sous lequel un régime fiscal est qualifié de privilégié

III. Le droit existant

IV. Lextension du champ dapplication des rÉgimes fiscaux privilÉgiÉs par un relÈvement du plafond dimposition

Après l’article 11

Article 11 bis C (nouveau) (article 6 de la loi n° 2013672 du 26 juillet 2013) Débat sur lapplication au sein de lUnion européenne des bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises

Après l’article 11

Article 11 bis Interdiction pour le groupe Agence française de développement de participer au financement de projets dont lactionnaire de contrôle est immatriculé dans un ETNC

V. Les dispositions adoptées par le Sénat

VI. La position de la commission

Article 12 (articles L. 247 et L. 251 A du livre des procédures fiscales) Rétablissement de la faculté transactionnelle de ladministration fiscale en cas de poursuites pénales

VII. le droit existant

A. Le pouvoir de transaction de ladministration fiscale

B. Larticulation du pouvoir de transaction administrative et de la poursuite pénale de la fraude fiscale

C. linformation sur les transactions fiscales

VIII. Le dispositif proposé

A. Le rétablissement de la faculté transactionnelle lorsque la voie pÉnale est envisagÉe ou engagÉe

B. le renforcement de linformation sur les transactions conclues

IX. La position de la commission

Titre III : Réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale

Article 13 (articles L. 188 B, L. 228 et L. 228 A du livre des procédures fiscales, 131-26-2 du code pénal et 282, 705 et 706-1-1 du code de procédure pénale) Conditions du dépôt des plaintes pour fraude fiscale par ladministration fiscale

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXVII. Le droit existant

A. La répression pÉnale de la fraude fiscale sajoute aux sanctions administratives

B. Les origines anciennes du « verrou de bercy »

C. Le champ dapplication du « verrou de Bercy »

D. La sélection des dossiers transmis au procureur

E. Le rôle limité du procureur

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXVIII. Le dispositif proposé par le sénat

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXIX. La position de la commission

A. Un mécanisme de transmission automatique au parquet des affaires ayant donné lieu aux pÉnalitÉs administratives les plus importantes

B. Le maintien de la faculté de déposer plainte pour ladministration, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales

C. La suppression de lavis de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de prÉsomptions caractérisÉes

D. Lintroduction pour le parquet de la facultÉ de poursuivre les fraudes fiscales connexes À celles dont il est dÉjÀ saisi

E. Une levée du secret fiscal à légard du procureur de la RÉpublique

F. Un aménagement du « verrou de Bercy » plus important que celui adoptÉ par le Sénat en premiÈre lecture

Article 9 ter (suite) [précédemment réservé]

Après l’article 13

Article 14 (nouveau) (article L. 229 du livre des procédures fiscales) Services de ladministration fiscale compétents en matière de dépôt de plainte

Après l’article 13

Article 15 (nouveau) (article 128 de la loi n° 20051720 du 30 décembre 2005) Enrichissement du document de politique transversale sur la lutte contre lévasion et la fraude fiscales

Après l’article 13

Liste des personnes auditionnées


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   INTRODUCTION

 

 

 

MESDAMES, MESSIEURS,

 

Attaque contre la démocratie, coup porté au pacte républicain, manquement civique... La condamnation de la fraude et de l’évasion non seulement fiscales, mais aussi sociales et douanières, est unanime et a fait l’objet de très nombreuses expressions. Il est en effet absolument intolérable que certains, particuliers ou entreprises, alors qu’ils bénéficient des services et infrastructures financés par l’impôt, s’efforcent de ne pas acquitter leur juste contribution en fonction de leurs facultés. Principe au cœur de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, le consentement à l’impôt, également à l’origine de la révolution américaine qui avait précédé de quelques années la française, ne peut que se dégrader face à de tels comportements qui limitent les politiques publiques et creusent les inégalités.

La condamnation de la fraude ne se traduit pas seulement par des déclarations, elle est concrétisée par des actes. Lutter contre la fraude a toujours été l’une des principales missions de l’administration, parallèlement aux opérations normales de recouvrement et de conseil des contribuables. Depuis 2008 et la crise financière mondiale, toutefois, le rythme des réactions publiques s’est substantiellement accéléré en raison de la nécessité accrue pour les différents États de disposer de recettes suffisantes pour financer leurs politiques publiques. Initiatives internationales, réactions européennes et évolutions législatives françaises se sont multipliées, toutes dans la même direction et avec le même objectif : renforcer les moyens de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, récupérer les sommes éludées par ceux qui s’y livrent et sanctionner ceux‑ci.

Au cours des cinq dernières années, ont été adoptés le plan daction international le plus ambitieux jamais produit face à lévasion fiscale des multinationales, un grand nombre de directives européennes renforçant la lutte contre la fraude et améliorant la transparence et la coopération fiscales, et plusieurs lois allant dans le même sens. Face à un tel foisonnement de productions juridiques, un nouveau texte était-il nécessaire ? La réponse est, indubitablement, oui.

 

Beaucoup a été fait, plus encore reste à faire. L’efficacité de la lutte contre la fraude suppose des adaptations constantes et des évolutions régulières, la création de nouveaux outils juridiques, le renforcement des moyens des administrations et des juges et le développement de sanctions plus dissuasives.

Outils, moyens, sanctions, tels sont les trois aspects du présent projet de loi, texte ambitieux qui s’inscrit dans la modernisation accrue des services chargés d’enquêter, de contrôler et de sanctionner ceux qui échappent à leurs obligations fiscales légitimes.

Nerf de la guerre, l’information sera substantiellement développée, à travers l’échange de renseignements entre administrations ou encore l’amélioration des déclarations incombant aux plateformes collaboratives. Le renforcement de la police fiscale, quant à lui, facilitera la détection et la dissolution des fraudes les plus complexes.

Les sanctions seront également étoffées et rendues plus dissuasives à travers un durcissement des condamnations pénales et une plus grande publicité. Les intermédiaires fiscaux qui, par leurs prestations, rendent possibles des agissements frauduleux ou de graves manquements, feront quant à eux face à une amende spécifique.

La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales sera également améliorée à travers l’enrichissement opportun de la liste des États et territoires non coopératifs.

Enfin, certaines procédures spécifiques seront mises en place pour assurer à la réponse judiciaire une efficience maximale. À cet égard, il convient de noter l’évolution historique apportée aux conditions de dépôt des plaintes pour fraude fiscale, désignées communément sous l’appellation du « verrou de Bercy », dans la continuité des travaux conduits par la mission d’information commune aux commissions des finances et des lois de l’Assemblée nationale.

Chacun des points précédemment évoqués a fait l’objet de modifications importantes, d’abord au Sénat, puis à l’Assemblée nationale, conduisant à ce que soient désormais en discussion trente‑neuf articles qui seront présentés en détail dans les développements qui suivent.

Le présent projet de loi forme un ensemble cohérent avec le texte pour un État au service d’une société de confiance, qui a mis en place le « droit à l’erreur » en partant du principe que les contribuables sont de bonne foi. La confiance doit être au cœur de l’action publique, mais elle a nécessairement pour corollaire une responsabilité accrue : la bonne foi est reconnue, la fraude est plus durement sanctionnée. Ces deux faces de la même pièce assurent une action publique juste et efficace.

 

Ce texte marque un progrès certain et important dans la lutte contre la fraude. Il ne règle pas toutes les questions que pose cette dernière, mais apporte un grand nombre de réponses de qualité. L’effort dans cette lutte doit être maintenu, la vigilance doit être constante, et ces efforts et cette vigilance prendront corps à travers les moyens et outils prévus par ce texte.

La volonté du Gouvernement et de la majorité est claire : face à la fraude, seule la fermeté est de rigueur. Sur un tel sujet, la rapporteure ne doute pas que tous les groupes, toutes les sensibilités politiques, appuieront cette démarche et soutiendront le présent projet de loi.

 


—  1  —

   Exposé général

I.   Le projet de loi initial et les modifications introduites par le sÉnat

Comptant à l’origine onze articles, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, à l’issue de son examen par le Sénat, en comportait vingt-neuf (dont un supprimé).

A.   Le texte initial : un projet améliorant significativement la lutte contre la fraude

Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été adopté en Conseil des ministres le 28 mars 2018. Il comportait alors onze articles répartis en deux titres, le premier renforçant les moyens alloués à la lutte contre la fraude, le second dédié aux sanctions.

1.   Le renforcement des moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière

Larticle 1er permet d’affecter des officiers fiscaux judiciaires au sein du ministère chargé du budget, en complément des moyens dont dispose la police judiciaire du ministère de l’intérieur. Cela renforce les outils de l’État pour détecter et sanctionner les fraudes les plus complexes.

Larticle 2 permet de renforcer les moyens pour lutter contre les logiciels dits « permissifs », conçus pour permettre et dissimuler la fraude. Les agents des douanes pourront se faire communiquer le code source et la documentation des logiciels. L’article prévoit également un dispositif de sanctions spécifique aux infractions relevées dans ce cadre.

Larticle 3 prévoit de renforcer l’accès à l’information utile à l’accomplissement des missions de contrôle et de recouvrement des agents chargés de la lutte contre la fraude.

Larticle 4 précise les obligations fiscales et sociales imposées aux plateformes d’économie collaborative (obligation d’information des utilisateurs depuis 2017, et de déclaration à l’administration des revenus réalisés par ces derniers à compter de 2020 pour les transactions réalisées à partir de 2019).

2.   Le renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

Larticle 5 prévoit l’application, par défaut, de la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pour fraude fiscale, dont le prononcé est aujourd’hui laissé à la libre appréciation du juge répressif.

Larticle 6 crée une sanction administrative, complémentaire des sanctions financières existantes, permettant de rendre publics les rappels d’impôts et majorations appliqués aux personnes morales, dans les cas de fraude les plus graves.

Larticle 7 crée une sanction administrative, exclusive des sanctions pénales, applicable aux personnes qui concourent, par leurs prestations de services, à l’élaboration de montages frauduleux ou abusifs.

Larticle 8 aggrave la répression pénale des délits de fraude fiscale en prévoyant que le montant des amendes puisse être porté au double du produit tiré de l’infraction.

Larticle 9 vise à ouvrir la faculté au procureur de la République de recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en matière de fraude fiscale (procédure dite de « plaider-coupable »).

Larticle 10 renforce les sanctions applicables en cas d’injures, de maltraitance ou encore de troubles à l’exercice des fonctions des agents des douanes, ainsi qu’en cas de refus de communication des documents demandés.

Larticle 11 complète la liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale afin qu’elle intègre celle adoptée par l’Union européenne en décembre 2017. Il module les contre-mesures prévues par le droit existant afin de les concentrer sur les manquements les plus graves.

B.   Le projet de loi adoptÉ par le Sénat

Le projet de loi adopté par le Sénat en première lecture le 3 juillet 2018 comprend vingt-neuf articles, dont un supprimé (il s’agit de l’article 1er, relatif à la police fiscale). Le tableau suivant résume le texte dont l’Assemblée nationale a été saisie.

Projet de loi relatif À la lutte contre la fraude
adoptÉ par le SÉnat en premiÈre lecture

Article

Libellé

1er A
(nouveau)

Concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment

1er B
(nouveau)

Articulation du procès pénal et du contentieux fiscal

1er
(supprimé)

Renforcement de la police fiscale

2

Renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière

2 bis
(nouveau)

Sécurisation du délit douanier de blanchiment

3

Échange d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude

3 bis
(nouveau)

Obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger

3 ter
(nouveau)

Suspension des prestations en cas de fraude documentaire

4

Précisions des obligations déclaratives fiscales des plateformes d’économie collaborative

4 bis
(nouveau)

Abattement forfaitaire de 3 000 euros applicable aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes en ligne

4 ter
(nouveau)

Responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires

4 quater
(nouveau)

Paiement scindé de la TVA en matière de commerce en ligne

4 quinquies
(nouveau)

Solidarité des entreprises liées en matière d’amendes fiscales pour obstacle au droit de communication

4 sexies
(nouveau)

Interdiction pour les plateformes en ligne d’effectuer des versements sur des cartes prépayées

5

Publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale

6

Publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison des manquements fiscaux d’une particulière gravité

7

Sanction à l’égard des tiers complices de fraude fiscale et sociale

8

Aggravation des peines d’amendes encourues en cas de fraude fiscale

9

Extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRCP) à la fraude fiscale

9 bis
(nouveau)

Convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale

9 ter
(nouveau)

Possibilité pour le parquet d’engager la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale

10

Aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

10 bis
(nouveau)

Présomption de détention de tabac à des fins commerciales

10 ter
(nouveau)

Renforcement des sanctions applicables en cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicites de tabac

10 quater
(nouveau)

Information du public sur les risques associés à l’achat et à la vente de tabac en ligne

11

Élargissement de la liste des paradis fiscaux avec l’intégration de la liste européenne

11 bis
(nouveau)

Interdiction pour l’Agence française de développement de participer au financement de projets dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire non coopératif

12
(nouveau)

Rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales

13
(nouveau)

Conditions du dépôt des plaintes pour fraude fiscale par l’administration

II.   les travaux de la commission des finances de l’assemblÉe nationale : l’examen d’un texte majeur dans des dÉlais trÈs contraints

Déposé au Sénat le 28 mars 2018, le projet de loi a été examiné par sa commission des finances le 27 juin suivant puis a été discuté en séance publique le 3 juillet 2018.

Il a été enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 juillet 2018 et renvoyé à la commission des finances, qui a nommé sa rapporteure le 10 juillet suivant.

La commission des finances a examiné le projet de loi, dans sa version résultant des travaux du Sénat, les 24 et 25 juillet 2018.

La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, saisie pour avis du texte ([1]), a désigné M. Jean Terlier rapporteur pour avis le 10 juillet et a examiné le texte le 24 juillet.

Seulement vingt jours ont séparé la transmission du texte et l’examen en commission, délai manifestement trop court pour l’accomplissement serein et exhaustif des travaux nécessaires pour l’examen d’un texte dédié à un sujet aussi essentiel que la lutte contre la fraude. L’insuffisance de ce délai est d’autant plus prononcée que le texte, s’il comportait initialement onze articles, en comptait vingt-neuf après son passage au Sénat.

Malgré ces délais très resserrés et le quasi-triplement du volume du texte, un cycle d’auditions dense et riche a pu être organisé pour entendre, sinon l’intégralité des acteurs intéressés, du moins l’ensemble des secteurs administratifs, professionnels et sociaux concernés par chacun des articles. Au cours des douze auditions et tables rondes réalisées, ont ainsi pu être entendus les services et cabinets des ministères financiers, du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur, les représentants de la magistrature, notamment du parquet, des opérateurs de plateformes, des avocats et des cabinets de conseil ainsi que plusieurs organisations non gouvernementales.

Les vingt jours laissés à la commission ont été mis à profit pour examiner en détail les dispositions contenues dans le texte, qu’il s’agisse des articles initiaux ou des apports du Sénat, afin d’en apprécier la pertinence mais aussi d’identifier et préparer les pistes d’enrichissement et d’amélioration du texte.

Au cours de deux séances représentant près de 9 heures de discussion, la commission des finances de l’Assemblée nationale a examiné 205 amendements, dont 37 déposés par la rapporteure. En tout, 87 amendements ont été adoptés pour modifier le texte, soit un taux d’adoption particulièrement élevé (plus de 42 %).

Les débats, qui se sont déroulés dans un climat serein et constructif, ont vu au moins un amendement de chacun des groupes parlementaires adopté, et 14 des 87 amendements adoptés sont issus des différentes oppositions. Témoignant d’une ouverture indéniable et d’un travail commun important, ce résultat est également l’illustration du caractère consensuel de la nécessité de lutter contre la fraude et de renforcer les moyens consacrés à cette lutte, dont l’importance non seulement économique, mais aussi voire surtout démocratique et sociale, transcende les clivages partisans.

III.   les principales modifications apportées par la commission des finances

La commission des finances a substantiellement modifié le texte dont elle a été saisie :

– elle a rétabli l’article 1er qu’avait supprimé le Sénat ;

– elle a supprimé neuf des dix-huit articles introduits par le Sénat ;

– elle a ajouté dix nouveaux articles ;

– elle a réécrit l’article 13, consacré à ce qu’il est convenu d’appeler le « verrou de Bercy », dans la lignée des travaux de la mission d’information commune accomplis au printemps ([2]) ;

– elle a apporté plusieurs modifications, de fond ou de forme, à d’autres articles.

Sept articles du texte n’ont en revanche fait l’objet d’aucune modification (il s’agit des articles 2 bis, 5, 8, 9, 10, 10 bis et 10 ter).

Si les modifications apportées au texte adopté par le Sénat peuvent, de prime abord, sembler importantes et traduire une vision différente de la part de la commission des finances de l’Assemblée, il existe en réalité de nombreux points de convergence qui peuvent laisser augurer d’une conclusion positive de la commission mixte paritaire dont la réunion pourrait être provoquée par le Gouvernement à l’issue de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale en séance publique.

1.   Le rétablissement du rattachement d’une police fiscale à Bercy

La commission des finances a rétabli larticle 1er permettant le rattachement d’un service composé d’officiers fiscaux judiciaires (OFJ) à Bercy.

2.   La rationalisation des mesures touchant les plateformes en ligne

L’article 4, consacré aux obligations déclaratives des plateformes en ligne, avait, avant son examen par la commission, fait l’objet d’importants contresens ou d’erreurs, certains le présentant comme conduisant à fiscaliser des revenus jusque-là exonérés. Il n’en est naturellement rien, l’article précisant les modalités de transmission d’informations qui, pour la plupart, sont déjà en vigueur. L’article n’a ni pour objet ni pour effet de modifier le traitement fiscal des revenus tirés de l’économie collaborative.

Sur le fond, la commission est revenue sur certaines des modifications apportées par le Sénat afin d’assurer au dispositif un équilibre entre la nécessité pour l’administration de disposer d’informations fiables et le souci de ne pas faire peser sur les plateformes une charge disproportionnée. Ainsi, certaines informations introduites par le Sénat ont été supprimées de la liste des éléments à communiquer, tandis que la définition des plateformes soumises aux obligations déclaratives a été précisée pour éviter que des opérateurs non préparés et actuellement exclus du dispositif y soient soumis.

C’est également cette exigence d’équilibre qui a conduit la commission à supprimer la responsabilité solidaire dans le paiement des amendes applicables en cas de manquement, par la plateforme, aux obligations prévues à l’article 4. La même logique a justifié la suppression de l’article 4 quinquies, qui prévoit une responsabilité solidaire dans le paiement de l’amende applicable en cas d’obstacle au droit de communication non nominatif de l’administration.

L’article 4 bis, consacrant un abattement de 3 000 euros sur les revenus perçus par l’intermédiaire d’une plateforme, a lui aussi été supprimé, en cohérence avec la position constante de l’Assemblée nationale sur ce point, déjà manifestée lors des débats budgétaires de l’automne dernier et reposant notamment sur le souci d’éviter toute rupture d’égalité entre contribuables.

La commission n’a pas non plus retenu les dispositifs portant sur la collecte et le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) par les plateformes. En plus de difficultés d’ordre juridique, ces dispositifs se heurtent à la directive du 5 décembre 2017 sur la TVA et les activités en ligne ([3]), qui devrait être transposée d’ici au 1er janvier 2021. En conséquence, les articles 4 ter et 4 quater ont été supprimés.

Enfin, la généralisation de l’interdiction des cartes prépayées à toutes les plateformes, introduite par le Sénat à l’article 4 sexies, a également été supprimée.

Si, en apparence, la position de la commission sur les plateformes semble très éloignée des choix retenus par le Sénat, il convient en réalité de souligner l’accord des deux assemblées sur la nécessité de mettre en œuvre des dispositifs adaptés vis-à-vis des plateformes et de lutter le plus efficacement possible contre les fraudes à la TVA. Ce sont donc les moyens proposés par le Sénat, plus que la fin visée par ce dernier, qui ont suscité une réserve de la part de la commission des finances.

Notons enfin que si les plateformes doivent faire l’objet d’obligations particulières en raison de leur poids croissant dans l’économie et compte tenu du légitime souci d’assurer à l’ensemble des contribuables une égalité devant l’impôt, ces obligations doivent être adaptées et mesurées. La question des transactions qui, par leur objet, ne sauraient conduire à la perception d’un revenu imposable ([4]), devra faire l’objet d’une réflexion conjointe du Parlement, du Gouvernement et des acteurs économiques concernés, afin d’identifier les moyens susceptibles de garantir une bonne information de l’administration et lui permettre d’exercer son pouvoir de contrôle, tout en évitant que des obligations trop lourdes grèvent les plateformes et conduisent leurs utilisateurs à opter pour des voies moins transparentes.

3.   Le renforcement de l’efficacité des sanctions en cas de manquement

● Les articles 5 et 6, qui organisent les conditions de la publication et de la diffusion des sanctions pénales (article 5) et administratives (article 6), visent à renforcer le caractère dissuasif des sanctions et s’inscrivent ainsi dans une optique d’efficacité de la lutte contre la fraude.

L’article 5 modifie les conditions dans lesquelles la peine complémentaire d’affichage et de publication est ordonnée pour que celle-ci soit systématiquement prononcée, sauf décision spécialement motivée du juge.

L’article 6 crée une peine de publicité comparable pour les sanctions administratives les plus graves, lorsque les manquements n’ont pas fait l’objet d’un dépôt de plainte. La commission n’a pas retenu les modifications apportées par le Sénat à cet article, estimant, d’une part, que le fait de conditionner la publicité au caractère définitif des sanctions revenait in fine à limiter la portée des effets dissuasifs associés à la publication et, d’autre part, que le dispositif initial présentait de sérieuses garanties pour les contribuables. La commission a également élargi le champ d’application de l’article 6 aux sanctions les plus graves infligées aux personnes physiques.

● S’agissant des amendes fiscales et sociales prévues à l’article 7, qui sanctionne les intermédiaires complices de graves manquements de la part des contribuables et des cotisants et cible notamment les officines de conseil proposant des montages abusifs hors de tout cadre réglementé, la commission a été animée par le souci d’équilibre, entre efficacité du dispositif et garanties offertes aux personnes qu’il concerne. À titre liminaire, il convient de souligner que, contrairement à ce qui a parfois pu être dit de cet article 7, ce dernier ne portera pas atteinte au secret professionnel, qui reste applicable lorsqu’il est prévu.

La subordination de la sanction de l’intermédiaire au caractère définitif de celle infligée au contribuable, introduite par le Sénat, a été supprimée : elle privait l’article 7 de tout effet concret, sans constituer pour autant une exigence juridique. En miroir de cette suppression, la commission a renforcé les garanties offertes à l’intermédiaire, notamment s’agissant des possibilités de contestation de la sanction du contribuable.

Le reste des modifications apportées par le Sénat a en revanche été conservé, parfois avec des aménagements rédactionnels.

4.   L’enrichissement des mesures contre l’évasion fiscale internationale

La commission des finances a également complété le projet de loi dans son volet relatif à l’évasion fiscale internationale.

● L’article 11, prévoyant l’enrichissement de la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), a été substantiellement modifié dans le sens d’un renforcement des moyens consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale.

Outre le rétablissement des critères français actuellement en vigueur, qui ont semblé à la commission plus efficaces et pertinents que ceux adoptés par le Sénat, reposant sur des considérations tout à fait légitimes mais susceptibles d’entraîner des effets pernicieux non désirés, il a été mis un terme à l’exclusion de principe des États membres de l’Union européenne de la liste française des ETNC.

Cette modification importante, résultant de l’adoption d’amendements de quatre groupes différents dont trois d’opposition, traduit l’existence au sein de l’Union européenne de pays ayant des pratiques fiscales dommageables contre lesquelles il faut lutter et qui supposent, de la part des institutions européennes et des États membres – la France en premier lieu –, un accompagnement pour permettre à ces pays d’évoluer vers des modèles économiques plus vertueux.

● C’est précisément à cette ambition nécessaire que répond le nouvel article 11 bis C, qui prévoit que le débat annuel sur les ETNC consacré par l’article 6 de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ([5]) soit enrichi d’une partie consacrée aux pratiques fiscales dans l’Union et aux modalités de réponse envisageables, notamment dans le cadre du semestre européen.

● Deux autres nouveaux accroissent les moyens juridiques de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales en étendant le champ d’application de deux outils anti-abus précieux :

– l’article 11 bis A rend applicable le régime des sociétés étrangères contrôlées prévu à l’article 209 B du CGI aux entités établies dans un ETNC ;

– l’article 11 bis B relève de 50 % à 60 % de l’impôt français le plafond en deçà duquel un régime fiscal est considéré comme privilégié.

● Enfin, l’article 15 complète utilement cet ensemble d’articles nouveaux en prévoyant que le document de politique transversale sur la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, créé en 2017, analyse les outils anti-abus qui existent (présentation, utilisation, rendement), identifie des pistes d’amélioration et présente en détail les moyens humains et techniques affectés à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

5.   La fin du « verrou de Bercy »

Larticle 13 a été intégralement réécrit par la commission des finances.

Les affaires ayant donné lieu aux pénalités administratives les plus importantes, caractérisant une intention d’éluder l’impôt, seront transmises automatiquement au parquet pour que celui-ci examine l’opportunité d’exercer des poursuites pénales.

L’administration pourra transmettre d’autres dossiers, par voie de plainte, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

L’avis de la CIF ne sera toutefois plus nécessaire pour les plaintes dénonçant une présomption caractérisée de fraude fiscale.

En outre, le parquet disposera de la faculté de poursuivre les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi.

Enfin, il est prévu une levée du secret fiscal à l’égard du procureur de la République pour l’examen de ces affaires. La levée de ce secret est de nature à favoriser et renforcer le dialogue entre l’autorité judiciaire et l’administration fiscale comme l’a recommandé la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales ([6]).

*

*     *

 

Le tableau ci‑après dresse la synthèse du texte adopté par la commission.

Article

Libellé

Position de la commission

1er A

Concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment

Supprimé

1er B

Articulation du procès pénal et du contentieux fiscal

Supprimé

1er

Renforcement de la police fiscale

Rétabli

1er bis
(nouveau)

Alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires (OFJ) sur celles des officiers des douanes judiciaires (ODJ)

Introduit

2

Renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière

Modifié

2 bis

Sécurisation du délit douanier de blanchiment

Non modifié

3

Échange d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude

Modifié

3 bis

Obligations déclaratives pour les comptes détenus à l’étranger

Modifié

3 ter

Suspension des prestations en cas de fraude documentaire

Supprimé

4

Précisions des obligations déclaratives fiscales des plateformes d’économie collaborative

Modifié

4 bis

Abattement forfaitaire de 3 000 euros applicable aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes en ligne

Supprimé

4 ter

Responsabilité solidaire des plateformes en ligne en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires

Supprimé

4 quater

Paiement scindé de la TVA en matière de commerce en ligne

Supprimé

4 quinquies

Solidarité des entreprises liées en matière d’amendes fiscales pour obstacle au droit de communication

Supprimé

4 sexies

Interdiction pour les plateformes en ligne d’effectuer des versements sur des cartes prépayées

Supprimé

4 septies
(nouveau)

Taxation d’office des œuvres d’art et objets de collection

Introduit

4 octies
(nouveau)

Aménagement de la procédure de flagrance fiscale

Introduit

4 nonies
(nouveau)

Procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’Autorité des marchés financiers (AMF)

Introduit

5

Publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale

Non modifié

6

Publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison des manquements fiscaux d’une particulière gravité

Modifié

7

Sanction à l’égard des tiers complices de graves manquements fiscaux et sociaux

Modifié

8

Aggravation des peines d’amendes encourues en cas de fraude fiscale

Non modifié

9

Extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRCP) à la fraude fiscale

Non modifié

9 bis

Convention judiciaire d’intérêt public en matière de fraude fiscale

Non modifié

9 ter

Possibilité pour le parquet d’engager la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale

Supprimé

10

Aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

Non modifié

10 bis

Sanction des circuits illicites de vente du tabac manufacturé

Non modifié

10 ter

Sanctions en cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicites de tabac

Non modifié

10 quater

Information du public sur les risques associés à l’achat et à la vente de tabac en ligne

Modifié

10 quinquies
(nouveau)

Dispositif national de traçabilité des produits du tabac

Introduit

11

Élargissement de la liste des paradis fiscaux avec l’intégration de la liste européenne

Modifié

11 bis A
(nouveau)

Extension du régime des sociétés étrangères contrôlées aux États et territoires non coopératifs

Introduit

11 bis B
(nouveau)

Relèvement du plafond sous lequel un régime fiscal est qualifié de privilégié

Introduit

11 bis C
(nouveau)

Débat sur lapplication au sein de lUnion européenne des bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises

Introduit

11 bis

Interdiction pour l’Agence française de développement de participer au financement de projets dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire non coopératif

Modifié

12

Rétablissement de la faculté transactionnelle de l’administration fiscale en cas de poursuites pénales

Modifié

13

Conditions du dépôt des plaintes pour fraude fiscale par l’administration

Modifié

14
(nouveau)

Services de l’administration fiscale compétents en matière de dépôt de plainte

Introduit

15
(nouveau)

Enrichissement du document de politique transversale sur la lutte contre lévasion et la fraude fiscales

Introduit

*

*     *

 


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   Examen en commission

Lors de ses réunions des 24 et 25 juillet 2018, la commission examine, sur le rapport de Mme Émilie Cariou, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude (n° 1142).

M. Laurent Saint-Martin, président. Je rappelle que le projet de loi a été déposé au Sénat le 28 mars dernier et que le ministre nous a présenté le 10 avril les onze articles que comptait alors le texte. À l’issue de sa première lecture, achevée le 3 juillet, le Sénat a supprimé un article, en a adopté ou modifié dix et en a ajouté dix-huit. Vingt-neuf articles sont donc en discussion.

Comme vous le savez, notre commission, saisie au fond de ce texte, a désigné le 10 juillet Émilie Cariou comme rapporteure, et la commission des lois s’est saisie pour avis de quelques-uns des articles, qu’elle a examinés ce matin sur le rapport de notre collègue Jean Terlier.

Enfin, je vous indique que le projet de loi est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique de notre Assemblée à partir du mercredi 12 septembre prochain.

Mme Émilie Cariou, rapporteure. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été adopté en Conseil des ministres le 28 mars.

Texte thématique hors loi de finances, il appelle chacun d’entre nous, comme chacun de nos groupes politiques, à prendre clairement position face au phénomène de la fraude à l’impôt. Nos concitoyens nous le font savoir chaque jour un peu plus : la fraude fiscale n’est pas qu’un problème d’argent en moins dans les caisses de l’État ; par son ampleur, elle atteint nos exigences de solidarité, ainsi que l’égalité entre citoyens et entre entreprises. Nous nous devons de la combattre efficacement, sans quoi nous ne pourrons que constater la corrosion profonde causée par l’inéquité fiscale, qui atteint le cœur de notre pacte républicain. Ce texte de lutte contre la fraude s’emploie à redonner des outils à l’État pour l’aider à juguler ce phénomène.

Le projet de loi comportait initialement onze articles, répartis en deux titres. Le premier titre – articles 1er à 4 – vise à renforcer les moyens alloués à la lutte contre la fraude fiscale.

L’article 1er crée une police fiscale rattachée au ministère des finances. Cet article a été supprimé par le Sénat. Nous aurons l’occasion d’en rediscuter. L’article 2 renforce les prérogatives des agents des douanes en matière de contrôle des logiciels dits « permissifs », grâce auxquels des fraudeurs parviennent à dissimuler l’encaissement de recettes en espèces. L’article 3 renforce les échanges d’informations entre administrations. L’article 4 porte sur les obligations des plateformes.

Le second titre du projet de loi porte sur les sanctions. L’article 5 prévoit que la peine complémentaire de publication de la condamnation pour fraude fiscale deviendra la règle, celle-ci ne pouvant être écartée que sur décision spécialement motivée du juge. L’article 6 crée une nouvelle sanction administrative consistant à publier, sous certaines conditions, les sanctions administratives appliquées aux personnes morales – name and shame en anglais. L’article 7 crée une sanction administrative spéciale applicable aux prestataires qui ont élaboré des montages frauduleux. L’article 8 renforce les amendes prévues en matière de fraude fiscale. L’article 9 étend la procédure de comparution immédiate sur reconnaissance de culpabilité à la fraude fiscale. L’article 10 renforce certaines sanctions douanières. Enfin, l’article 11 complète la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) afin qu’elle intègre celle adoptée par l’Union européenne.

Le Gouvernement a engagé la procédure accélérée permettant la réunion d’une commission mixte paritaire (CMP) après une seule lecture devant chaque assemblée.

Le Sénat a adopté le texte en première lecture le 3 juillet dernier. Alors qu’il a disposé de trois mois pour étudier ce texte, nous avons dû optimiser les vingt et un jours dont nous disposions pour examiner les modifications apportées par le Sénat !

Le Sénat a supprimé l’article 1er sur la police fiscale, sensible probablement aux arguments du Conseil d’État, sans parler du débat sur les nouveaux moyens. Il a également ajouté dix-huit articles. Je proposerai la suppression de quatre de ces articles additionnels. De nombreux apports du Sénat devraient être conservés à l’issue de l’examen de ce texte par notre commission, même si je soutiendrai également un certain nombre d’amendements de réécriture de ces articles.

Je proposerai bien évidemment la réécriture de l’article 13, introduit par le Sénat, qui aménage le dispositif dit du « verrou de Bercy », en vertu duquel la poursuite de la fraude fiscale par le parquet est subordonnée à une plainte préalable de l’administration fiscale ayant recueilli un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

Je l’indique d’emblée – même si la discussion interviendra à la fin de l’examen de ce texte, puisque l’article concerné est le dernier du projet de loi –, le dispositif introduit par le Sénat va dans la bonne direction, mais pas assez loin.

La réécriture globale de l’article répondra à l’essentiel des recommandations que la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales – dont j’ai été rapporteure et qui était présidée par notre collègue Éric Diard, de la commission des lois – avait adoptées à l’unanimité. Plusieurs membres de cette mission sont d’ailleurs présents ce soir.

Je salue les évolutions récentes du Gouvernement en la matière. L’investissement sur le long terme des parlementaires et le sérieux de nos travaux, en collaboration avec toutes les administrations concernées, ont porté leurs fruits.

Nous allons mettre en place les moyens de la résolution de l’équation du « verrou de Bercy », en soutenant et en instituant un dialogue continu entre la justice et le fisc – en particulier grâce à la levée ciblée du secret fiscal.

Je profiterai également de ce propos liminaire pour apporter quelques précisions sur certains articles qui ont pu susciter des incompréhensions et des interprétations erronées.

Tout d’abord, l’article 4 sur les obligations des plateformes n’a ni pour objet, ni pour effet, de modifier le traitement fiscal des revenus tirés desdites plateformes. Ainsi, les vendeurs occasionnels de biens d’occasion passant par une plateforme continueront, comme avant, à ne pas payer d’impôt sur les revenus tirés de ces ventes. Par ailleurs, les obligations que cet article met en œuvre sont pour beaucoup déjà en vigueur depuis plus de deux ans – seule la mise en application de certaines avait été retardée. J’appelle donc à un retour à la réalité sur cet article touchant l’économie numérique.

L’article 7 a suscité certaines interrogations, notamment de la part des avocats. Sanctionnant les intermédiaires qui rendent possibles des montages engendrant des manquements fiscaux graves, il ne remplace pas la complicité de fraude fiscale et n’aura pas pour effet de méconnaître les obligations liées au secret professionnel. Il cible essentiellement les officines fiscales qui proposent des prestations douteuses en dehors de tout cadre réglementé – notre collègue Fabien Roussel nous avait d’ailleurs présenté le film publicitaire d’un de ces organismes en février.

Enfin, l’article 11 concerne la liste des ETNC. Ces « paradis fiscaux » sont surtout des pays qui ne coopèrent pas. La liste française, complétée par la « liste noire » européenne, peut certes apparaître timide, mais la liste européenne a vocation à évoluer en 2019. Nous aurons donc à cœur de vérifier les engagements pris par les États figurant sur la « liste grise » européenne. En outre, la lutte contre les pratiques dommageables passe aussi par les nombreux autres outils antiabus que comporte le droit français et qui permettent des redressements de plusieurs centaines de millions d’euros : la liste ne règle pas tout, mais ce n’est pas sa vocation.

S’agissant du périmètre de notre discussion, le projet de loi vise à renforcer la lutte contre la fraude, et plus précisément les fraudes dont sont victimes les administrations publiques. Il porte sur la fraude fiscale, la fraude aux contributions douanières et la fraude sociale. Il ne porte pas sur les fraudes dont peuvent être victimes nos concitoyens en matière de droit de la consommation, en matière bancaire, ou en toute autre matière. Ces sujets sont essentiels, mais relèvent d’autres textes et concernent d’autres commissions que la commission des finances.

Ce projet de loi n’est pas non plus un projet de loi de finances. J’émettrai donc des avis majoritairement défavorables concernant les amendements portant essentiellement sur des mesures fiscales. J’entends la nécessité de les déposer et de les défendre à plusieurs reprises, mais ces amendements pourront être redéposés dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2019.

Enfin, je voudrais rappeler que, s’agissant de l’évasion fiscale, une mission d’information est en cours, dirigée par notre collègue Bénédicte Peyrol
– ici présente – et devrait rendre ses conclusions à la rentrée. Le présent texte s’attaque à la fraude, mais d’autres textes viseront l’évasion fiscale, à l’aune des travaux de la mission. Le PLF 2019 pourra également être un véhicule approprié.

Nous avons pu procéder à un certain nombre d’auditions dans le délai très court qui nous a été imparti. Nous avons entendu les administrations concernées – direction générale des finances publiques (DGFiP), brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) –, mais aussi des représentants des avocats, des procureurs, des plateformes, des organisations non gouvernementales (ONG), et des syndicats.

Je remercie nos collègues qui ont participé à ces différentes auditions. Vingt‑neuf articles sont en discussion et nous allons examiner 203 amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Je salue l’important travail réalisé par votre rapporteure, Émilie Cariou, à la fois avec ses collègues de tous les groupes au sein de la mission d’information commune, mais également dans le cadre de l’examen de ce texte. J’espère que ce projet de loi sera adopté dans les meilleurs délais en commission, puis en septembre dans l’hémicycle. Au sein des différents groupes, je remercie tous ceux qui ont participé à l’élaboration de ce texte, plus particulièrement votre collègue Jean Terlier, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui l’a examiné ce matin.

Je reviendrai très rapidement sur le fond pour rappeler la méthode du Gouvernement. Nous avons pris le temps de l’écoute, après les débats dans l’hémicycle autour du « verrou de Bercy », lors du projet de loi rétablissant la confiance dans l’action publique porté par la garde des sceaux. C’était une bonne méthode, à la fois de confiance dans le travail du Parlement et dans les capacités d’écoute du Gouvernement. Nous avons tenu notre parole, sans toutefois agir dans la précipitation. Je n’ai pas souhaité d’amendement gouvernemental sur ce sujet dans le projet de loi. C’est bien le Parlement qui portera ces modifications et les amendements présentés par votre rapporteure recevront mon soutien. Le sujet du « verrou » est difficile, étonnant et paradoxal : nous allons introduire dans la loi un dispositif qui n’y figurait pas mais était mis en œuvre depuis cent ans !

C’est par ailleurs un texte court, comprenant très peu d’articles. Avec tout le respect que je dois au travail parlementaire, je souhaiterais qu’il reste le plus court possible, afin d’être efficace. Il répond en quelque sorte au projet de loi dit « sur le droit à l’erreur », auquel beaucoup d’entre vous ont longuement participé, dont Stanislas Guerini, son rapporteur, que je salue : en effet, si l’erreur est humaine, persévérer est diabolique. Nous avons traité l’erreur humaine dans le projet de loi précité et nous traiterons ici la persévérance diabolique.

Enfin, vous l’aurez constaté, le Gouvernement ne présente aucun amendement, en raison de l’important travail réalisé en amont et des échanges intenses avec tous les groupes et la mission d’information commune. Nous sous-amenderons peut-être, ou apporterons simplement quelques rectifications mineures dans l’hémicycle.

Quelques sujets nous tiennent plus particulièrement à cœur. En premier lieu, le rétablissement de la police fiscale : vos collègues de la commission des lois l’ont évoqué ce matin. Je remercie les parlementaires qui ont déposé un amendement de rétablissement de ce dispositif.

En deuxième lieu, nous souhaitons que les douanes disposent de moyens renforcés en matière de contrebande fiscale, plus particulièrement – Mme la rapporteure l’a bien compris et je l’en remercie – en matière de lutte contre le tabac de contrebande ; des dispositions ont été introduites en ce sens en séance au Sénat. Aujourd’hui, deux très belles prises ont d’ailleurs été opérées par les douaniers : plus d’une tonne de drogue a été saisie aux antilles et plus d’une tonne de tabac à Dunkerque. Je sais que votre président de séance, par ailleurs rapporteur spécial, en est friand !

Dernier sujet important, les plateformes collaboratives, mais je n’aurai pas de meilleurs arguments que ceux portés par Mme la rapporteure.

Enfin, nous aurons sans doute un débat plus politique autour des paradis fiscaux. Le Gouvernement n’a pas déposé d’amendement modifiant les dispositions adoptées par le Sénat. Il apportera son soutien à certaines dispositions proposées par les parlementaires, quel que soit leur groupe politique.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Ce texte souligne combien la lutte contre la fraude est une des priorités de la législature. Je le dis en tant que rapporteur général, mais également au regard des fonctions professionnelles que j’ai exercées avant d’être parlementaire. Ce projet de loi est bienvenu et permettra de renforcer la lutte contre les fraudes dont sont victimes les administrations publiques et, à travers elles, l’ensemble de la société.

Je regrette que le Sénat ait supprimé l’article 1er prévoyant la création d’une police fiscale rattachée à Bercy. Je ne crois pas à une « guerre des services » avec la BNRDF qui est, elle, rattachée au ministère de l’intérieur. Je crois au contraire que les magistrats sauront parfaitement quel service saisir en fonction de la nature des dossiers. Ils le font déjà dans d’autres domaines.

 

Ce projet de loi contribuera à l’amélioration de la détection des fraudes grâce aux échanges d’informations. C’est une excellente nouvelle. Il renforce les prérogatives des services douaniers. Les sanctions seront également plus dissuasives grâce aux nouveaux mécanismes de publication, tant pour les sanctions administratives que pénales. Les sanctions des infractions fiscales liées à différents montages financiers seront plus dissuasives.

Enfin, je salue le travail en profondeur de notre rapporteure – et la compréhension du Gouvernement – sur l’aménagement du dispositif dit du « verrou de Bercy ». Tous les groupes politiques de l’Assemblée ont convergé pour toiletter un système de poursuite de la fraude fiscale qui datait des années 1920, était soumis à l’exigence d’une plainte préalable, et depuis 1977 à un avis conforme de la CIF. Je suis très heureux que l’amendement de la rapporteure permette d’aboutir à une solution équilibrée.

J’ai déposé un seul amendement sur ce texte, reprenant l’article 24 du projet de loi relatif au plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »). Cet article concerne l’utilisation des « fadettes » par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Cette procédure, qui permet à l’AMF d’exercer pleinement ses prérogatives, est garante d’efficacité en termes de sanctions. L’AMF nous a alertés sur le fait que des dispositions devaient être prises avant le 31 décembre prochain pour éviter tout vide juridique. Le projet de loi « PACTE » semblait le bon véhicule, mais son adoption risque d’être postérieure au 31 décembre. C’est la raison du dépôt de cet amendement dans le présent projet de loi.

Je vous remercie pour la qualité de votre travail, qui fera probablement consensus sur beaucoup de bancs de cette assemblée.

Mme Marie-Christine Dalloz. Le groupe Les Républicains salue certaines avancées, mais la droite, sous l’impulsion d’Éric Woerth, alors ministre de François Fillon, avait en son temps également beaucoup lutté contre la fraude fiscale.

Le Sénat a amélioré le projet de loi à différents niveaux : élargissement de l’application de la convention judiciaire d’intérêt public ou renforcement de la lutte contre la fraude à la TVA dans les commerces en ligne par exemple.

Concernant le commerce en ligne, madame la rapporteure, je reviendrai sur l’article 4. J’entends vos explications concernant les ventes des particuliers sur les plateformes. Mais ces plateformes en ligne vendent également des prestations de location de meublés ou d’hôtels. Le plafond proposé risque de créer un déséquilibre entre les différents acteurs. Je tenais à relayer cette inquiétude qui me semble fondée.

 

Mme Sarah El Haïry. Le groupe Mouvement Démocrate et apparentés salue la méthode et la qualité du travail de la commission – les conclusions du rapport de la mission d’information commune ont été, je le rappelle, votées à l’unanimité.

La problématique du « verrou de Bercy », évoquée dès le débat sur les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, trouve dans ce texte un aboutissement équilibré et concret. Le sujet était important, tenait à cœur à beaucoup de parlementaires et le ministre a tenu parole. Je le salue donc également.

Plus largement, ce projet de loi nous convient, car il rappelle que la fraude fiscale est un coup de canif dans le pacte républicain. Les nouvelles dispositions permettront de lutter contre elle, en renforçant à la fois les sanctions et les moyens de l’administration, grâce à la création d’une police fiscale.

Bien entendu, notre groupe proposera d’enrichir le texte par un certain nombre d’amendements.

Mme Christine Pires Beaune. Le groupe Nouvelle Gauche salue cette initiative du Gouvernement. Lutter contre les fraudes est évidemment une bonne chose.

Ce texte est le prolongement de plusieurs lois adoptées sous la précédente mandature : loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Malgré le vote de ces deux lois, le sentiment d’impunité perdure, notamment pour les plus gros fraudeurs...

Ce projet de loi comporte deux volets : le premier améliore les moyens de lutte contre la fraude – renforcement des pouvoirs douaniers, facilitation des échanges entre les administrations, meilleur encadrement des pratiques liées aux plateformes en ligne. Il nous satisfait même si nous proposerons quelques amendements. Le second volet, visant à renforcer les sanctions contre la fraude, nous satisfait également : name and shame, sanction des tiers complices de fraude, aggravation des peines et des sanctions douanières, renforcement des moyens de lutte contre le commerce illicite du tabac.

L’assouplissement du « verrou de Bercy » focalise les opinions. Cette exception bien française octroie un monopole en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Il institue une justice à deux vitesses, entre les fraudeurs fiscaux et les délinquants de droit commun.

Sous la précédente législature, plusieurs initiatives ont été prises pour supprimer ce « verrou ». Elles ont malheureusement toutes échoué. Nous vous accompagnerons dans cet assouplissement, mais souhaitons aller plus loin : nous proposerons donc un amendement de suppression du « verrou », avec une date de mise en œuvre permettant à la justice de se doter de moyens efficaces, le « verrou de Bercy » ne pouvant être supprimé du jour au lendemain.

Enfin, vos propositions nous semblent timides sur les paradis fiscaux. Nous souhaitons aller plus loin. En effet, il s’agira probablement d’un sujet important de la future campagne pour les élections européennes.

M. Éric Coquerel. Le groupe La France insoumise regrette cet examen en commission fin juillet, qui nous oblige à travailler dans la précipitation car le sujet est d’importance. L’examen en séance étant programmé le 12 septembre, nous aurions pu examiner le texte en commission en septembre. Par ailleurs, sans esprit de polémique, la fraude et l’optimisation fiscales sont tellement graves que les mesures prévues par ce texte risquent d’être très largement un coup d’épée dans l’eau...

Bien sûr, quelques mesures vont dans le bon sens, mais les sanctions ne sont pas suffisamment dissuasives : on crée une police fiscale qui, en réalité, existe déjà ; on transpose la liste européenne des paradis fiscaux dont nous savons tous ce qu’elle est quasiment vide ; on crée des procédures – de type « plaider-coupable » – qui permettront aux fraudeurs de négocier.

Plus globalement, nous considérons que l’optimisation fiscale – appelons plutôt cela l’évasion fiscale ! – est causée par l’absence d’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, alors même que le libre-échange alimente le dumping fiscal entre certains États membres. Malheureusement, tant qu’une telle situation perdure, nous risquons de continuer à alimenter ce dumping...

Concernant le « verrou de Bercy », j’ai apporté ma contribution au rapport d’Émilie Cariou – que je remercie – et nous l’avons salué. Je regrette que l’amendement déposé ne reprenne pas toutes les mesures du rapport, même si cette évolution constitue un progrès notable. Nous proposerons un amendement plus fidèle aux conclusions du rapport.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les attentes sont grandes en matière de lutte contre la fraude fiscale. Pas une semaine, pas un mois sans qu’une nouvelle affaire ne vienne mettre un coup de canif au pacte républicain. La fraude et l’évasion fiscale ne sont ni plus ni moins que des atteintes à la République.

Avec ce projet de loi, monsieur le ministre, on reste au milieu du gué et sur notre faim ! Certaines mesures vont dans le bon sens, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) les salue. Monsieur le ministre, vous avez annoncé vouloir mettre fin au « verrou de Bercy » : prenez vos responsabilités et nous serons à vos côtés. Appuyons-nous sur les travaux de grande qualité menés par Mme la rapporteure.

La mise en place du name and shame à l’article 5 va plutôt dans le bon sens : elle permet de compléter les sanctions à l’égard des délits de fraude fiscale. Plus généralement, tout ce qui permet de mettre à mal le sentiment d’impunité fiscale recueille notre assentiment.

Mais le compte n’y est pas, ou n’y est pas encore : on retrouve dans ce projet de loi un empilement de mesures cosmétiques et clinquantes. Si l’on gratte un peu, on se rend compte que leur effectivité est proche de zéro... C’est le cas du prétendu renforcement de la liste française des paradis fiscaux : encore une fois, les gros poissons – européens ou pas – échappent aux mailles du filet ! De même, vous annoncez la création d’une police fiscale, nouveau service de 30 à 50 agents : elle est en réalité issue de redéploiements internes, alors même que la DGFiP voit régulièrement ses effectifs amputés par milliers depuis vingt ans !

Pire, ce projet de loi contient des dispositions nocives, à rebours des attentes de celles et ceux qui se battent contre la fraude fiscale : c’est le cas de l’extension à la fraude fiscale de la procédure dite du « plaider-coupable ». Les puissants sauront tirer profit de cette justice à bas coût, expéditive.

De même, le Sénat a adopté l’extension à la fraude fiscale de la procédure de convention judiciaire d’intérêt public. Symbole d’une justice à deux vitesses, cette procédure permet d’échapper à toute condamnation en l’échange d’un chèque ! Nous nous y opposerons.

Dans cet esprit, nous vous proposerons différents amendements pour donner de la vigueur et de l’ambition à ce projet de loi. Nous souhaitons renforcer notre arsenal juridique à l’égard de tous les intermédiaires – banques, conseillers juridiques, officines du chiffre, cabinets d’optimisation fiscale. Leur rôle dans la fraude, l’optimisation et l’évasion fiscale n’est plus à démontrer. Nous devons prendre des mesures vigoureuses pour encadrer leurs activités.

Concernant les paradis fiscaux, je me ferai le porte-voix de mon collègue Fabien Roussel, qui a conduit les travaux menés sur ce sujet par le groupe GDR en début d’année. Appuyons-nous sur des critères modernes, transparents et démocratiques pour élaborer cette liste !

Par ailleurs, il faut accompagner celles et ceux qui aident notre administration dans la lutte contre la fraude fiscale internationale. Notre amendement proposant de leur verser une indemnisation a malheureusement été déclaré irrecevable, mais nous reviendrons avec un amendement solide pour la séance publique.

M. Daniel Labaronne. Le groupe La République en Marche salue le travail extrêmement consciencieux et rigoureux d’Émilie Cariou, mais aussi sa force de conviction et ses talents pédagogiques. Son rapport d’information a été adopté à l’unanimité ! L’action du ministre doit également être saluée : il a respecté sa parole, en laissant les parlementaires déposer différents amendements sans imposer les siens. Dans ce contexte, la préparation du projet de loi a été de grande qualité.

 

Ce texte nous donne les moyens juridiques, techniques et humains de démasquer la fraude fiscale. Il renforce les sanctions fiscales, douanières et sociales, mais également les sanctions à l’égard de tiers qui faciliteraient le montage d’opérations de fraude fiscale. Le name and shame, c’est-à-dire la publication des sanctions et des condamnations, est aussi un progrès.

En outre, nous allons renforcer les moyens de la lutte contre la fraude liée au tabac. Nos buralistes seront heureux de constater que nous nous y engageons de façon résolue et volontariste.

La justice va être dotée de nouveaux instruments d’enquête judiciaire, grâce à la création d’une police fiscale rattachée au ministère des finances. Par ailleurs, les juges pourront utiliser le plaider-coupable ou les conventions judiciaires d’intérêt public.

Le groupe La République en Marche a travaillé de manière extrêmement constructive à l’élaboration de ce projet de loi, grâce à l’excellente collaboration entre les membres de votre cabinet, la rapporteure et le responsable de ce texte pour notre groupe.

Mme Lise Magnier. Le groupe UDI, Agir et Indépendants s’associe à la volonté du Gouvernement de lutter contre la fraude fiscale et salue également le travail effectué par Mme la rapporteure. Nous abordons régulièrement la fiscalité dans nos travaux législatifs. Nos visions de la fiscalité française sont parfois convergentes, parfois divergentes. Mais nous pouvons nous accorder sur un point : l’inquiétante baisse de l’acceptation de l’impôt par nos concitoyens... La lutte contre la fraude fiscale ne peut que renforcer le pacte républicain et favoriser la participation de chacun à ses obligations fiscales.

Nous discuterons des différentes dispositions au cours des débats sur les amendements. Deux sujets primordiaux retiennent notre attention : la lutte contre la vente de tabac illicite et la réforme du « verrou de Bercy », sur laquelle nous avons déposé des amendements.

La commission en vient à l’examen des articles du projet de loi adopté par le Sénat.

 

 

 


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   Examen des articles

   TITRE IER : RENFORCER LES MOYENS ALLOUÉS À LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE FISCALE, SOCIALE ET DOUANIÈRE

Article 1er A
(article L. 10 B du livre des procédures fiscales)
Concours des agents de la direction générale des finances publiques aux enquêtes du procureur de la République en cas de blanchiment

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 1er A est issu d’un amendement présenté par Mme Nathalie Goulet et adopté par la commission des finances du Sénat.

Il étend au blanchiment la liste des infractions pénales pour lesquelles les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) peuvent concourir aux enquêtes menées sur instruction du procureur de la République.

Amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 1er A a été supprimé par l’adoption de deux amendements identiques présentés par la rapporteure et par M. Jean Terlier, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois.

I.   le droit existant

Les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP) peuvent prêter leur concours à la recherche de certaines infractions.

Depuis 1997, l’article L. 10 A du livre des procédures fiscales habilite les agents de la direction générale des impôts (devenue DGFiP) à rechercher et constater certaines infractions au code du travail ([7]).

En 2001, l’article L. 10 B du livre des procédures fiscales ([8]) a élargi à certaines infractions du droit pénal général les possibilités de concours de ces agents en matière de recherche d’infractions.

Article L. 10 B du livre des procédures fiscales

« En outre, les agents de la direction générale des finances publiques concourent à la recherche des infractions réprimées par les articles 222-38, 222-39-1, 225-4-8, 225-5, 225-6, 321-1, deuxième alinéa, 321-6, 421-2-3 et 450-2-1 du code pénal dans le cadre des enquêtes menées sur instructions du procureur de la République. À cette fin, ils procèdent à des recherches de nature fiscale permettant de contribuer à la preuve desdites infractions. Ils en portent le résultat à la connaissance du procureur de la République. »

Ce concours intervient dans le cadre des enquêtes du procureur de la République. La mission des agents est de procéder à des recherches de nature fiscale permettant de contribuer à la preuve des infractions concernées. Ils en portent le résultat à la connaissance du procureur de la République.

L’article L. 10 B s’applique essentiellement à des infractions dont l’un des éléments constitutifs est le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie.

À l’origine, l’article L. 10 B s’appliquait principalement :

– au blanchiment de capitaux ou au train de vie injustifié en lien avec un trafic de stupéfiants visés aux articles 222-38 et 222-39-1 du code pénal ;

– et au train de vie injustifié, en lien avec des crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement, visé à l’article 321-6 du code pénal.

Il visait également les infractions de proxénétisme (articles 225-5 et 225-6 du code pénal) et de recel du produit d’un crime ou d’un délit (premier alinéa de l’article 321-1 du code pénal).

Dans la même logique, il a été étendu en 2004 ([9]) aux infractions relatives au train de vie injustifié en lien avec des actes de terrorisme (article 421-2-3 du code pénal), au train de vie injustifié en lien avec des personnes participant à une association de malfaiteurs (article 450-2-1 du code pénal) et à la traite d’êtres humains (article 225-4-8 du code pénal).

En résumé, le dispositif actuel permet au procureur de la République de bénéficier du concours des agents de l’administration fiscale pour la recherche des infractions en matière de lutte contre léconomie souterraine et les trafics locaux, et plus précisément en matière de trafic de stupéfiants, de proxénétisme, ou de recel.

En 2017, 52 500 réquisitions ont en été adressées à la direction générale des finances publiques (DGFiP) par les juridictions.

En pratique, les agents instruisant ces demandes sont les agents des brigades de contrôle et de recherche BCR (environ 700 agents en 2017) répartis sur tout le territoire ainsi que les agents de la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF)

À la réception d’une réquisition judiciaire nominative, l’agent des finances publiques doit s’assurer de la communicabilité des documents, que les conditions de fond et de forme sont remplies. Il analyse le cadre et l’objet de l’enquête motivant la demande, et s’assure de la qualité d’officier de police judiciaire de l’émetteur de la réquisition judiciaire.

Source : réponse au questionnaire de la rapporteure adressé au Gouvernement.

II.   Le dispositif proposé

L’article 1er A a été inséré par la commission des finances du Sénat par un amendement présenté par Mme Nathalie Goulet (groupe Union centriste).

Il étend la liste des infractions pour lesquelles les agents de la DGFiP peuvent concourir aux enquêtes menées par le procureur de la République aux infractions de blanchiment simple et de blanchiment aggravé, définies aux articles 324-1 à 324-6-1 du code pénal.

Article 1er A du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée par le Sénat en première lecture)

À l’article L. 10 B du livre des procédures fiscales, après la référence : « 321-6, » sont insérées les références : « 324-1 à 324-6-1, ».

En séance publique, le Gouvernement a présenté un amendement de suppression de cet article, qui a été rejeté par le Sénat, après avoir recueilli un avis défavorable de la commission des finances.

Au soutien de sa position, le Gouvernement a fait valoir dans l’exposé sommaire de son amendement que l’extension des cas de coopération des agents de la DGFiP « conduirait à la mobilisation de ladministration fiscale en appui de la procédure pénale, au détriment de lexercice habituel des missions de contrôle fiscal normalement dévolues à cette administration ». Il a ajouté que l’autorité judiciaire peut en tout état de cause saisir la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et pourra saisir à l’avenir les officiers fiscaux judiciaires qui seraient affectés à la DGFiP comme le propose l’article 1er du projet de loi.

III.   La position de la commission

Le blanchiment se définit notamment par « le fait dapporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect dun crime ou dun délit » (article 324-1 du code pénal). Autrement dit, il peut être décelé par des flux de revenus ou des éléments patrimoniaux.

L’extension des possibilités de concours des agents de l’administration fiscale aux hypothèses de blanchiment ne pose donc pas de problème de principe puisque l’article L. 10 B vise d’ores et déjà, dans sa rédaction actuelle, des infractions révélées par des flux de revenus illicites.

La question posée est davantage une question de moyens et d’organisation des services administratifs. Il convient de déterminer s’il est plus opportun de saisir une police fiscale dédiée ou s’il peut être envisagé de permettre au ministère public de saisir n’importe quel service de la DGFiP en fonction des recherches à effectuer.

Lors des auditions menées par la rapporteure, le Gouvernement a pris des engagements importants concernant les moyens qui seront alloués à la future police fiscale rattachée au ministère chargé du budget. Une cinquantaine d’agents devrait à terme y être affectée. En outre, les moyens de la BNRDF seront maintenus.

De surcroît, l’accès à l’information fiscale pour l’autorité judiciaire sera facilité tant par la levée du secret professionnel des agents de l’administration fiscale prévue par l’article 13 que par la faculté reconnue, à l’article 3, aux assistants spécialisés de la direction générale des finances publiques (DGFiP) placés auprès des juridictions d’accéder aux bases de données de leur administration d’origine.

Dans ces conditions, la rapporteure considère qu’il est plus opportun de supprimer l’article 1er A et de rétablir l’article 1er permettant de créer un nouveau service de police fiscale rattaché au ministère chargé du budget.

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La commission examine les amendements identiques CF178 de la rapporteure, CF216 de la commission des lois et CF74 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à supprimer l’article 1er A, introduit par le Sénat, qui prévoit que les agents de la DGFiP peuvent prêter leur concours à la recherche de certaines infractions. Ces dispositions sont déjà prévues à l’article L. 10 A du livre des procédures fiscales. De même, l’article L. 10 B permet au procureur de la République de bénéficier du concours d’agents de l’administration fiscale pour la recherche d’infractions en matière de lutte contre l’économie souterraine et les trafics locaux – trafic de stupéfiants, proxénétisme ou recel.

En 2017, plus de 52 000 demandes ont été adressées à la DGFiP, pour être ensuite instruites par les agents des brigades de contrôle et de recherche (BCR) ou de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF).

Cet article a été introduit par la commission des finances du Sénat, suite au vote d’un amendement présenté par Mme Nathalie Goulet, que je salue et avec qui nous avons d’ailleurs réfléchi concernant le verrou de Bercy. Il étend la liste des infractions pour lesquelles les agents de la DGFiP peuvent concourir aux enquêtes menées par le procureur aux infractions de blanchiment simple et aggravé.

Cet amendement risque de mobiliser démesurément l’administration fiscale en appui de la procédure pénale. Il s’agit à la fois d’une question de moyens et d’organisation de services administratifs. Par ailleurs, nous proposons ultérieurement de réintroduire la police fiscale qui avait été proposée par le Gouvernement. L’ensemble de ces services suffira à assister les procureurs.

M. Jean Terlier, rapporteur pour avis de la commission des lois. Un amendement identique à celui de Mme la rapporteure a été adopté en commission des lois afin de supprimer l’extension du concours des agents de la DGFiP aux enquêtes de blanchiment diligentées par le procureur de la République, leur expertise pouvant l’aider à recueillir des éléments de preuve.

Cette extension de périmètre aux opérations de blanchiment conduirait à une mobilisation massive de l’administration fiscale, au détriment de l’exercice habituel des missions de contrôle fiscal.

En outre, la préoccupation exprimée par cet article est satisfaite puisque l’autorité judiciaire peut d’ores et déjà saisir les services d’enquête spécialisés – BNRDF ou service national des douanes judiciaires (SNDJ).

M. Daniel Labaronne. Nous proposons également de supprimer cet article introduit par le Sénat qui remplace l’article initial, instaurant la police fiscale. En l’état actuel de sa rédaction, cet article prévoit de mettre à disposition du juge d’instruction ou du procureur des agents de la DGFiP dans les cas de blanchiment. Cette extension conduirait à mobiliser démesurément l’administration fiscale en appui de la procédure pénale, au détriment de l’exercice habituel des missions de contrôle fiscal dévolues à cette administration. Enfin, M. Terlier l’a rappelé, l’autorité judiciaire dispose déjà de service d’enquêtes judiciaires spécialisés en matière fiscale – BNRDF, SNDJ, officiers fiscaux judiciaires (OFJ) dans le cadre de la police fiscale que nous souhaitons mettre en place.

M. le ministre. Avis favorable.

Mme Christine Pires Beaune. Je ne suis pas d’accord : l’introduction de ces dispositions au Sénat allait dans le bon sens. Elles permettaient une meilleure coopération, étendue au blanchiment. Ce qui pèche, Mme Cariou l’a souligné, c’est le manque de moyens. Mais il ne saurait justifier la suppression de l’article...

M. Éric Coquerel. Je partage l’avis de Mme Pires Beaune. Il était intéressant que les agents de la DGFiP puissent concourir aux enquêtes menées par les procureurs en cas d’infraction de blanchiment. Vous évoquez la complexité du dispositif, mais il ne s’agit que d’un manque de moyens. Nous devrions plutôt adopter un amendement pour stopper les suppressions d’effectifs au ministère des finances... Si l’on estime que la lutte est nécessaire, il faut y mettre les moyens !

Mme Véronique Louwagie. Je regrette également ces amendements de suppression car l’article concourt au renforcement des moyens de lutte contre la fraude – et vous partagez cet objectif. Il permet au juge d’instruction, comme peut actuellement le faire le procureur de la République, de solliciter la coopération de l’administration fiscale.

Vous évoquez les difficultés que cela va générer au niveau de l’organisation de l’administration fiscale. Mais quand on veut lutter contre la fraude, il faut s’en donner les moyens. Nous aurions pu envisager une expérimentation, limitée dans le temps. Je regrette ce renoncement.

M. Charles de Courson. Il n’y a pas débat sur le fond : personne n’est hostile à cette extension. Il s’agit simplement d’un problème de moyens. Madame la rapporteure, a-t-on une idée des moyens qu’il faudrait engager si on maintenait cet article ? Le blanchiment n’est pas, on le sait, le principal chef de poursuites, mais en représente-t-il 3 % à 4 % – auquel cas les arguments de Mme la rapporteure et de nos collègues tombent –, ou bien 30 % à 40 %. Dans ce dernier cas, l’extension ne serait pas raisonnable.

Mme la rapporteure. Un certain nombre d’agents sont déjà mis à disposition des procureurs et des parquets. Des agents des impôts sont à disposition de la BNRDF et de la brigade nationale d’enquêtes économiques (BNEE). En résumé, beaucoup d’agents du fisc travaillent actuellement en dehors de l’administration fiscale.

Le délit de blanchiment est très large, voire infini. De très nombreuses enquêtes tournent autour du blanchiment, en dehors de la fraude fiscale. Nous ne savons pas l’évaluer et, par conséquent, ne savons pas combien d’agents de la DGFiP pourraient être réquisitionnés pour ces enquêtes.

M. le ministre. La question de M. de Courson fait écho aux interventions précédentes. Sur les moyens, je répondrai d’abord à M. Coquerel car le débat risque de durer un certain temps : une contre-vérité répétée cent cinquante-sept fois n’est pas pour autant une vérité.

M. Éric Coquerel. Ce n’est pas la peine de polémiquer ! Nous sommes en commission !

 

M. le ministre. Monsieur Coquerel, je sais que vous souffrez quand mes arguments contredisent vos propos... Je vous l’ai déjà dit, les deux gouvernements qui nous ont précédés, représentant deux majorités différentes, ont supprimé 30 000 postes à la DGFiP, mais cela n’a absolument pas touché le contrôle fiscal. Doit-on mettre plus de moyens sur le contrôle fiscal ? La question est importante, on peut en débattre, mais on ne peut affirmer que MM. Woerth ou Eckert ont diminué les effectifs affectés au contrôle fiscal lorsqu’ils étaient ministres.

Au-delà des effectifs, c’est aussi grâce aux moyens informatiques et juridiques dont disposent les agents que le contrôle fiscal peut être plus efficace. Si les services fiscaux n’ont pas les moyens juridiques nécessaires pour pénaliser ceux qui permettent l’évasion fiscale, par exemple, augmenter les effectifs, même de plusieurs milliers de personnes, ne reviendra qu’à essayer de remplir le tonneau des Danaïdes.

Le blanchiment, dont le champ est beaucoup plus large que celui de la fraude, peut donner lieu dans certains cas au règlement d’une amende, mais aussi à l’ouverture d’une enquête par le procureur de la République, indépendamment du « verrou de Bercy » – ce qui arrive assez fréquemment.

En 2017, il y a eu 19 000 demandes de renseignements dans le cadre de réquisitions judiciaires et 52 000 demandes de consultation d’applications informatiques. Ne pas supprimer l’article adopté par le Sénat se traduirait par une multiplication à l’infini des demandes d’ouverture d’enquête et de renseignements, donc par un considérable accroissement de la tâche des agents de la DGFiP. Celle-ci est déjà appelée à augmenter prochainement avec la circulaire que nous allons prendre avec la garde des sceaux, ayant pour objet de favoriser la coopération entre les parquets, notamment en facilitant les mécanismes de transmission : si l’on veut que la DGFiP soit en mesure de répondre aux questions que poseront demain les parquets, il faut qu’elle ait les moyens de le faire.

La question du blanchiment est intéressante intellectuellement et je peux comprendre qu’elle intéresse particulièrement les parlementaires qui souhaitent lutter contre la fraude, mais je rappelle que le blanchiment est sanctionné par des amendes à caractère forfaitaire. À cet égard, la disposition prévue par le Sénat paraît contraire à l’efficacité que vous souhaitez tous – à moins d’augmenter de 200 000 ou 300 000 personnes les effectifs de la DGFiP, ce qui n’est certainement pas ce que vous envisagez.

La commission adopte les amendements identiques CF178, CF216 et CF74.

L’article 1er A est ainsi supprimé.

 

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Après l’article 1er A

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CF15 de M. Matthieu Orphelin et les amendements identiques CF41 de M. Jean-Paul Dufrègne et CF165 de Mme Sabine Rubin.

M. Matthieu Orphelin. Les associations ne peuvent actuellement se constituer partie civile que pour des infractions limitativement énumérées par la loi. Ainsi, l’article 2-23 du code de procédure pénale énumère les infractions pour lesquelles les associations compétentes peuvent se constituer partie civile dans des domaines connexes à celui qui nous rassemble aujourd’hui.

C’est le cas des infractions relatives à la probité, à la corruption, au trafic d’influence, au blanchiment, et des infractions au code électoral. Le présent amendement propose d’ajouter à cette liste les infractions de fraude fiscale. Les associations agréées depuis au moins cinq ans et se proposant par leurs statuts de lutter contre la corruption, pourront donc exercer les droits reconnus à la partie civile pour ces infractions.

Les associations sont des acteurs majeurs de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale. Leur permettre de se constituer partie civile dans ce domaine constituerait une reconnaissance de leur travail, mais nous doterait également d’une force de frappe supplémentaire. Tel est l’objet de l’amendement CF15.

M. Jean-Paul Dufrègne. L’amendement CF41 vise à ouvrir la possibilité aux associations de lutte contre la délinquance financière d’intervenir dans les dossiers de fraude fiscale en exerçant les droits reconnus à la partie civile. Cet amendement a notamment été proposé par des représentants de la société civile, actifs dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Mme Sabine Rubin. Comme vient de le dire M. Dufrègne, il s’agit de permettre aux associations de lutte contre la délinquance financière d’intervenir dans les dossiers de fraude fiscale. Cela répond à la volonté du Président de la République de mieux intégrer la société civile et ses acteurs au sein des procédures démocratiques et de revivifier ainsi nos institutions par trop sclérosées.

Des ONG telles qu’Oxfam ont acquis une riche expérience dans la lutte contre la fraude fiscale, tant du point de vue de la connaissance des acteurs qui frayent dans le milieu de la délinquance financière, que des mécanismes parfois complexes d’évitement de l’impôt par le détournement du sens initial de la loi fiscale.

 

 

Les ONG qui seraient ainsi agréées sont de plus une garantie d’indépendance et de transparence afin de faire de la lutte contre la fraude fiscale une priorité de l’action de l’État, impliquant pour châtier les présumés fraudeurs un large panel d’associations mobilisées contre la délinquance financière.

En cas de lutte contre la corruption, le proxénétisme, la délinquance routière ou le trafic de stupéfiants, la loi permet d’ores et déjà à des ONG de se constituer partie civile lors des procès au titre de l’article 2-23 du code de procédure pénale, lorsque les associations concernées ont pour objet de « défendre des intérêts collectifs de portée générale ». L’amendement CF165 vise tout simplement à étendre ce principe à la fraude fiscale.

Mme la rapporteure. Ces trois amendements visent à étendre le nombre d’exceptions prévues par le code de procédure pénale, afin d’ouvrir la possibilité à des associations agréées de se porter partie civile.

Si la lutte contre la fraude est effectivement la priorité de notre législature, la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales n’avait pas souhaité s’engager sur cette voie. Le contentieux fiscal est extrêmement technique, c’est pourquoi nous préférons ouvrir des possibilités d’action au parquet, en association avec l’administration fiscale. Je propose que l’on revienne sur ces sujets dans le cadre de la discussion de l’article 13, qui prévoit d’ouvrir le périmètre dans lequel le procureur pourra examiner l’opportunité de poursuivre. Le fait d’ouvrir le secret fiscal au procureur, comme nous le proposons également dans l’article 13, va permettre aux associations de porter certains faits à la connaissance des juges – à charge pour le procureur d’ouvrir ensuite une enquête en collaboration avec les services fiscaux.

M. Matthieu Orphelin. Nous évoquons ici une question extrêmement technique pour laquelle il me semble que nous avons plutôt intérêt à poursuivre la discussion en vue de la séance publique. Je retire donc mon amendement.

M. Jean-Louis Bricout. Pour notre part, nous soutenons ces amendements, car il ne nous paraît pas souhaitable de nous priver du concours de la société civile, en l’occurrence de la participation des ONG, reconnues pour leur compétence et leur spécialisation.

L’amendement CF15 est retiré.

La commission rejette les amendements CF41 et CF165.

Elle en vient à l’amendement CF59 de M. Olivier Gaillard.

M. Olivier Gaillard. La nouvelle police fiscale, dont l’article 1er permet la création, aura des compétences très proches de celles de la BNRDF. Le Conseil d’État a souligné le risque de création d’une situation de nature à susciter de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions.

Étant donné l’objectif de cette police fiscale, qui est de gagner significativement en efficacité, il importe que sa complémentarité avec l’existant soit évaluée. Tel est l’objet de l’amendement CF59.

Mme la rapporteure. Cet amendement contient deux dispositions.

D’abord, il sollicite des engagements du Gouvernement sur les moyens en termes de police fiscale : il s’agit là d’une injonction au Gouvernement, contraire aux règles constitutionnelles. Les moyens sont débattus à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances et peuvent faire l’objet d’un contrôle tout au long de l’année par les rapporteurs spéciaux.

Ensuite, votre amendement sollicite un rapport – remis au plus tard quatre ans après la promulgation de la présente loi – d’évaluation de la mise en œuvre, par les OFJ placés au sein du ministère chargé du budget, de leurs missions. Or, il existe déjà un certain nombre de rapports qui peuvent traiter du sujet, notamment le rapport spécial et le document de politique transversale. J’émets donc un avis défavorable.

L’amendement est retiré.

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Article 1er B
(article L. 228 C [nouveau] du livre des procédures fiscales)
Instauration dun examen préjudiciel en urgence par le juge de limpôt avant toute décision sur laction publique

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 1er B est issu de deux amendements adoptés au Sénat en séance publique, l’un présenté par Mme Nathalie Goulet, et l’autre par les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Ces amendements ont recueilli un avis de sagesse de la commission des finances du Sénat, et un avis défavorable du Gouvernement.

Cet article additionnel institue un examen préjudiciel en urgence par le juge de l’impôt à la demande des personnes visées par une action pénale pour fraude fiscale. Le juge de l’impôt de première instance disposerait alors de six mois pour statuer au fond, délai réduit à deux mois si la personne visée par l’action pénale est en détention provisoire. Les mêmes délais s’imposeraient au juge d’appel et de cassation. La décision sur l’action publique ne pourrait pas intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué, à l’exception des décisions d’ouverture d’une information judiciaire ou de mise en œuvre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. La décision du juge de l’impôt aurait l’autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge pénal.

Amendements adoptés par la commission des finances

L’article 1er B a été supprimé par l’adoption de quatre amendements identiques présentés par la rapporteure, par M. Jean Terlier, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, par M. Charles de Courson et d’autres membres du groupe UDI Agir et Indépendants ainsi que par M. Jean‑Louis Bourlanges et d’autres membres du groupe Mouvement Démocrate et apparentés.

I.   Le droit existant

A.   Le principe d’indépendance des procédures devant le juge de l’impôt et le juge pénal

Le but du contrôle fiscal est d’appréhender l’ensemble des manquements fiscaux, qu’ils soient commis de bonne foi ou de manière délibérée. Les rectifications d’impositions à l’issue d’un contrôle fiscal sont des décisions administratives pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge de limpôt.

Les mêmes manquements fiscaux peuvent, en outre, faire l’objet de peines appliquées par le juge pénal lorsqu’ils constituent des infractions. Par exemple, le premier alinéa de l’article 1741 du code général des impôts réprime le délit général de fraude fiscale simple : « quiconque sest frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à létablissement ou au paiement total ou partiel des impôts […] est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, dune amende de 500 000 € et dun emprisonnement de cinq ans ».

Le juge pénal statue alors sur les mêmes faits que ceux examinés par le juge de l’impôt. Il se déroule deux contentieux parallèles.

Selon une position constante de la Cour de cassation, il existe un principe d’ « indépendance des procédures » ([10]). Autonomes dans leur nature et leur objet, la procédure pénale et la procédure administrative poursuivent des finalités différentes, la seconde ne tendant qu’à la fixation de l’assiette et de l’étendue des impositions tandis que la première vise à réprimer un comportement délictueux.

De même, le juge pénal n’est pas dans l’obligation de surseoir à statuer lorsque le juge de l’impôt est saisi d’une contestation. Les risques de contrariété de décisions sont donc réels et se sont déjà réalisés.

Toutefois, selon les explications données par le ministre de l’action et des comptes publics lors des débats au Sénat, « dans les faits, le juge pénal suspend et demande au tribunal administratif de juger » pour éviter un risque de contrariété de décisions dans les affaires les plus litigieuses.

B.   L’encadrement jurisprudentiel des risques de contrariété de décisions

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont élaboré des jurisprudences visant à limiter les risques de contrariété de décisions entre le juge pénal et le juge de l’impôt.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel a jugé, dans ses décisions QPC M. Jérôme C. ([11]) et M. Alec W. ([12]) du 24 juin 2016, que « les dispositions de larticle 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre quun contribuable qui a été déchargé de limpôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale ».

Par conséquent, la contrariété de décisions n’est pas possible pour un motif de fond lorsque la décision de décharge du juge administratif intervient avant celle du juge pénal. Eu égard au principe de nécessité des délits, un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ne peut être condamné pénalement pour fraude fiscale.

En second lieu, le Conseil d’État juge de façon constante, y compris en matière fiscale, que l’autorité de la chose jugée, appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s’imposent aux juridictions administratives, sattache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif ([13]).

Par ailleurs, par son arrêt Thomas du 16 février 2018, le Conseil d’État a posé le principe selon lequel l’autorité de chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives peut être invoquée pour la première fois devant le Conseil d’État, en tant que juge de cassation, même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi. L’autorité de la chose jugée s’attache alors à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif.

C.   Les risques subsistants de contrariétés de décisions

Pour autant, les risques de contrariété de décisions subsistent dans certaines hypothèses notamment lorsque – comme c’est le cas généralement – le juge pénal statue avant de connaître la décision définitive du juge de l’impôt, susceptible de prononcer une annulation des redressements fiscaux pour des motifs de fond ou de forme.

Par ailleurs, selon la jurisprudence du Conseil dÉtat, lautorité de la chose jugée au pénal ne saurait sattacher aux motifs dun jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce quun doute subsiste sur leur réalité.

Les contrariétés de décisions demeurent également possibles en cas de décharge d’imposition par le juge de l’impôt pour d’autres motifs intervenant postérieurement à une décision de condamnation définitive du juge pénal.

Il est certes théoriquement possible de recourir à la procédure de révision pour y remédier.

Article 622 du code de procédure pénale

« La révision dune décision pénale définitive peut être demandée au bénéfice de toute personne reconnue coupable dun crime ou dun délit lorsque, après une condamnation, vient à se produire un fait nouveau ou à se révéler un élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à établir linnocence du condamné ou à faire naître un doute sur sa culpabilité. »

Mais cette procédure est complexe. Elle nécessite au préalable la saisine d’une commission d’instruction des demandes en révision et en réexamen. Cette commission décide ensuite de saisir ou non la formation de jugement de la cour de révision et de réexamen. Enfin, cette dernière peut, lorsqu’elle accepte la révision, demander un nouveau procès devant un nouveau tribunal.

II.   Le dispositif proposé

Le dispositif proposé par l’article 1er B vise à remédier aux risques de contrariétés de décisions en instituant un mécanisme d’examen en urgence par le juge de l’impôt des affaires renvoyées devant le juge pénal.

Il est issu de deux amendements adoptés au Sénat en séance publique, l’un présenté par Mme Nathalie Goulet (groupe Union centriste), et l’autre par les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Ces amendements ont recueilli un avis de sagesse de la commission des finances du Sénat, et un avis défavorable du Gouvernement.

Cet article additionnel insère un article L. 228 C au livre des procédures fiscales prévoyant un examen préjudiciel en urgence par le juge de limpôt à la demande des personnes visées par une action pénale.

Le juge de l’impôt de première instance disposerait alors de six mois pour statuer au fond, délai réduit à deux mois si la personne visée par l’action pénale est en détention provisoire. Les mêmes délais s’imposeraient au juge d’appel et de cassation. La décision sur l’action publique ne pourrait intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué, à l’exception des décisions d’ouverture d’une information judiciaire ou de mise en œuvre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

La décision du juge de l’impôt aurait l’autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge pénal.

Article 1er B du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée par le Sénat en première lecture)

Après l’article L. 228 B du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 228 C ainsi rédigé :

« Art. L. 228 C. – Avant toute décision sur l’action publique hors ouverture d’une information judiciaire ou comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de fraude fiscale, de recel de fraude fiscale ou de blanchiment de fraude fiscale, la personne visée peut saisir en urgence le juge de l’impôt afin que celui-ci détermine si les impositions visées dans l’enquête sont dues et le montant de celles-ci.

« La décision sur l’action publique mentionnée au premier alinéa ne peut alors intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué définitivement.

« Le procureur de la République lui transmet une copie de la procédure pénale.

« L’administration fiscale est appelée en la procédure.

« En cas d’ouverture d’une information judiciaire, le contribuable mis en examen ou ayant le statut de témoin assisté peut également saisir en urgence le juge de l’impôt.

« Le juge d’instruction lui transmet une copie de la procédure pénale.

« Une ordonnance de renvoi ne peut alors intervenir avant que le juge de l’impôt n’ait statué définitivement.

« Le juge de l’impôt de première instance statue dans les deux mois de sa saisine si une personne est en détention provisoire dans le cadre de l’enquête pénale et dans les six mois en cas contraire. Les mêmes délais s’imposent au juge d’appel et au juge de cassation.

« Si le juge de l’impôt est déjà saisi au moment de l’engagement des poursuites pénales, la personne poursuivie l’informe par voie de mémoire ou conclusions pour bénéficier des dispositions des deuxième ou sixième alinéas. Les délais mentionnés au huitième alinéa s’imposent alors au juge de l’impôt.

« Le contribuable est recevable à soulever l’ensemble des moyens de légalité externe et interne qu’il considère pertinents.

« Les décisions du juge de l’impôt rendues en application du présent article ont l’autorité de la chose jugée vis-à-vis du juge pénal.

« Si le contribuable a fait le choix de la procédure d’urgence prévue au présent article, il ne peut contester les mêmes impositions selon la procédure classique. »

III.   La position de la commission

Le dispositif adopté par le Sénat présente plusieurs inconvénients :

– il affaiblit le juge pénal au détriment du juge de l’impôt ;

– il autorise des manœuvres dilatoires qui permettent de retarder durant au moins dix-huit mois le procès pénal si le requérant exerce chaque voie de recours (appel, puis pourvoi en cassation) ;

– il institue des délais très courts pour chaque degré de juridiction (six mois) qui seront difficiles, voire impossibles, à tenir dans les dossiers complexes.

Les auteurs de l’amendement adopté au Sénat ont eux-mêmes admis durant les débats que la rédaction du dispositif pourrait être améliorée. Le Rapporteur général a expliqué qu’il était « conscient des limites des amendements qui sont sans doute perfectibles » et qu’il ne proposait pas d’avis favorable dans la mesure où ceux-ci prévoient « des délais très compliqués méritant sans doute dêtre retravaillés ».

Le ministre de l’action et des comptes publics a suggéré que « peut-être lAssemblée nationale pourrait-elle chercher une solution correspondant à la philosophie de cette proposition » mais qu’il s’opposait à un tel dispositif en l’état car il permet trop facilement « aux contribuables de suspendre les poursuites ».

Il est important en effet de mieux prévenir les risques ou de mieux remédier aux contrariétés de décisions, d’autant que celles-ci pourraient être accrues en cas d’assouplissement ou de suppression du « verrou de Bercy » et d’engagement facilité des poursuites pénales.

Une meilleure articulation du contentieux devant le juge de l’impôt et le juge pénal est, par ailleurs, nécessaire pour permettre une accentuation de la politique pénale de poursuite des fraudes les plus complexes. Actuellement, l’aléa contentieux devant le juge de l’impôt profite trop souvent aux fraudeurs les plus astucieux qui, de fait, sont moins souvent poursuivis pénalement par crainte d’une annulation de l’établissement de l’impôt.

Pour autant, la prévention du risque de contrariété de décisions pourrait prendre une autre forme que celle consistant à offrir un recours dilatoire à l’ensemble des personnes poursuivies pour fraude fiscale.

Elle pourrait, par exemple, prendre la forme d’un sursis à statuer plus systématique, voire obligatoire, du juge pénal dans les dossiers les plus complexes. Mais cette option ne semble pas à privilégier car elle pourrait inciter certains prévenus à nourrir artificiellement un contentieux sur le fond pour mettre en relief la prétendue complexité de leur affaire. En outre, la sanction pénale perd de son sens et de son intérêt lorsqu’elle intervient tardivement.

Sans instituer une procédure accélérée dans la loi, on pourrait tout aussi utilement réfléchir à un système de fléchage des dossiers les plus complexes qui feraient l’objet d’un examen prioritaire par le juge de l’impôt. Ce système de fléchage pourrait être organisé par voie de circulaire dans le cadre d’une bonne administration de la justice.

En tout état de cause, la rapporteure propose la suppression de l’article 1er B.

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La commission est saisie des amendements identiques CF179 de la rapporteure, CF221 de la commission des lois, CF24 de M. Charles de Courson et CF127 de M. JeanLouis Bourlanges.

Mme la rapporteure. L’objectif du contrôle fiscal est d’appréhender l’ensemble des manquements fiscaux, qu’ils soient commis de bonne foi ou de manière délibérée. Les rectifications à l’issue du contrôle fiscal constituent des décisions administratives, pouvant faire l’objet d’un recours devant le juge de l’impôt. Les mêmes manquements fiscaux peuvent également se voir appliquer des peines par le juge pénal lorsqu’ils constituent des infractions, notamment celle constitutive de fraude fiscale – mais il peut aussi s’agir d’escroqueries à la TVA, par exemple.

Le juge pénal statue sur les mêmes faits que ceux examinés par le juge de l’impôt, et il se déroule donc deux contentieux parallèles. Le juge pénal n’est pas dans l’obligation de surseoir à statuer lorsque le juge de l’impôt est saisi d’une contestation. Le risque de voir apparaître des contrariétés de décisions existe, et s’est d’ailleurs déjà réalisé. Cela étant, le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions de l’article 1741 du code général des impôts ne sauraient méconnaître le principe de nécessité des délits et permettre qu’un contribuable déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive puisse être condamné pour fraude fiscale.

La contrariété de décisions n’est pas possible pour un motif de fond, puisque lorsque la décharge est prononcée par le juge administratif, le juge pénal en tire les conséquences. L’article 1er B, qui vise à mettre fin à ces problèmes de contrariétés, est issu de deux amendements adoptés au Sénat et a pour objet d’insérer un nouvel article L. 228 C dans le livre des procédures fiscales. Pour ma part, je propose de supprimer cet article, car il affaiblit le juge pénal au détriment du juge de l’impôt, il autorise potentiellement des manœuvres dilatoires qui permettraient de retarder durant au moins dix-huit mois le procès pénal si les requérants exercent toutes les voies de recours, et il institue des délais très courts, donc difficiles à respecter, pour chaque degré de juridiction. Enfin, il méconnaît l’indépendance des ordres de juridiction et il faudrait l’étendre à toutes les affaires qui posent à la fois une question de droit administratif et une question relevant d’un autre droit – par exemple l’urbanisme.

Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de cet article.

 

M. le rapporteur pour avis. L’amendement CF221, identique à celui que vient de présenter Mme la rapporteure, vise à la suppression de la saisine préjudicielle du juge de l’impôt. L’article 1er B introduit par le Sénat permet à la personne visée par une enquête pénale en matière de fraude fiscale de saisir le juge de l’impôt afin de déterminer dans un délai de six mois si les impositions sont effectivement dues, ainsi que leur montant.

Cette disposition ne semble pas opportune, pour plusieurs raisons que je ne reprendrai pas intégralement. Je veux simplement souligner, d’une part, l’importance du principe d’indépendance des ordres de juridiction et de la plénitude du juge pénal, qui s’oppose à la mise en place d’un renvoi préjudiciel systématique vers le juge de l’impôt, d’autre part, le risque que des conseils mal intentionnés n’incitent à exercer des manœuvres dilatoires en saisissant le juge de l’impôt pour retarder la procédure pénale plus que de raison.

M. Charles de Courson. L’article 1er B prévoit que tout contentieux fiscal susceptible de faire l’objet d’une procédure devant les tribunaux soit soumis à un examen préjudiciel par un juge ne représentant aucune des parties en cause. Cet article n’apportant aucune valeur ajoutée et contribuant à complexifier la procédure, il convient de le supprimer : tel est l’objet de l’amendement CF24.

La commission adopte les amendements.

L’article 1er B est ainsi supprimé.

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Article 1er
Renforcement de la police fiscale

Résumé du dispositif proposé

Dans le projet de loi déposé par le Gouvernement, cet article supprimait à l’article 28-2 du code de procédure pénale, la mention selon laquelle les officiers fiscaux judiciaires sont placés « au sein du ministère de lintérieur ». L’objectif était de permettre de rattacher ces derniers au ministre chargé du budget, afin de créer un nouveau service à compétence nationale de police fiscale au sein de l’administration fiscale.

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 7 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a étendu la compétence des officiers fiscaux judiciaires aux cas les plus complexes de délit de blanchiment de fraude fiscale.

 

Modifications apportées par le Sénat

La commission des finances du Sénat a adopté deux amendements identiques de suppression de cet article, dont un présenté par Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Principaux amendements adoptés par la commission des finances

L’article 1er a été rétabli dans sa rédaction du projet de loi initial par l’adoption de six amendements identiques présentés par la rapporteure, par M. Jean Terlier, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, par M. Charles de Courson et d’autres membres du groupe UDI Agir et Indépendants, par Mme Sarha El Haïry, par Mme Christine Pires Beaune et d’autres membres du groupe Nouvelle Gauche ainsi que par M. Daniel Labaronne et d’autres membres du groupe La République en Marche.

L’article 1er du projet de loi a pour objet de permettre la création, au sein du ministère chargé du budget, d’un nouveau service à compétence nationale chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale.

I.   Le droit existant

On désigne habituellement sous l’appellation « police fiscale » les agents et les services en charge spécifiquement de la recherche des infractions fiscales. La police fiscale intervient dans le cadre réglementé de la procédure d’enquête judiciaire fiscale.

A.   Les agents de la police fiscale : les officiers fiscaux judicIaires

Les officiers de police judiciaire (OPJ) ont une compétence générale pour constater les infractions à la loi pénale, en rassembler les preuves et en rechercher les auteurs. Cette compétence générale est encadrée par le code de procédure pénale.

Contrairement aux OPJ, les officiers fiscaux judiciaires ont une compétence limitée à certaines infractions fiscales. Ce sont des agents des services fiscaux spécialement habilités à effectuer des enquêtes judiciaires et disposant des mêmes prérogatives que les OPJ.

Les règles régissant les officiers fiscaux judiciaires sont codifiées à l’article 28-2 du code de procédure pénale. Le III de cet article dispose que les officiers fiscaux judiciaires sont placés sous la direction du procureur de la République et « au sein du ministère de lintérieur ».

Cet article prévoit également les conditions dans lesquelles des agents des services fiscaux peuvent être désignés pour effectuer des enquêtes judiciaires. Il fixe également la liste des infractions pour lesquelles ils sont compétents.

Les officiers fiscaux judiciaires ne peuvent exercer d’autres attributions. Leur activité est encadrée, notamment par une claire séparation avec le contrôle fiscal. Les fonctions de contrôle et les fonctions judiciaires sont séparées par « une cloison étanche » ([14]) pour reprendre une formule employée lors des débats parlementaires.

Les officiers fiscaux judiciaires ne peuvent pas participer à des contrôles fiscaux. Ils ne peuvent pas non plus participer à des enquêtes judiciaires portant sur des contrôles fiscaux auxquels ils auraient participé avant leur nomination. Réciproquement, même après la fin de leur habilitation, ils ne peuvent pas effectuer des contrôles fiscaux sur des affaires qu’ils ont eu à connaître lors d’une enquête judiciaire.

C’est en vertu de ce principe de séparation des fonctions de contrôle et des fonctions judiciaires que l’article 28-2 du code de procédure pénale prévoit, dans sa rédaction actuelle, un rattachement des officiers fiscaux judiciaires au ministère de l’intérieur.

Article 28-2 du code de procédure pénale

« I.- Des agents des services fiscaux de catégories A et B, spécialement désignés par arrêté des ministres chargés de la justice et du budget, pris après avis conforme dune commission dont la composition et le fonctionnement sont déterminés par décret en Conseil dÉtat, peuvent être habilités à effectuer des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge dinstruction.

« Ces agents ont compétence pour rechercher et constater, sur lensemble du territoire national, les infractions prévues par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts et le blanchiment de ces infractions lorsquil existe des présomptions caractérisées que les infractions prévues par ces articles résultent dune des conditions prévues aux 1° à 5° de larticle L. 228 du livre des procédures fiscales, ainsi que les infractions qui leur sont connexes.

« II.- Les agents des services fiscaux désignés dans les conditions prévues au I doivent, pour mener des enquêtes judiciaires et recevoir des commissions rogatoires, y être habilités personnellement en vertu dune décision du procureur général.

« La décision dhabilitation est prise par le procureur général près la cour dappel du siège de leur fonction. Elle est accordée, suspendue ou retirée dans des conditions fixées par décret en Conseil dÉtat.

« Dans le mois qui suit la notification de la décision de suspension ou de retrait de lhabilitation, lagent concerné peut demander au procureur général de rapporter cette décision. Le procureur général doit statuer dans un délai dun mois. À défaut, son silence vaut rejet de la demande. Dans un délai dun mois à partir du rejet de la demande, lagent concerné peut former un recours devant la commission prévue à larticle 16-2 du présent code. La procédure applicable devant cette commission est celle prévue par larticle 16-3 et ses textes dapplication.

« III.- Les agents des services fiscaux habilités dans les conditions prévues au II sont placés exclusivement sous la direction du procureur de la République, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de linstruction dans les conditions prévues par les articles 224 à 230. Ils sont placés au sein du ministère de lintérieur.

« IV.- Lorsque, sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire dun juge dinstruction, les agents des services fiscaux habilités dans les conditions prévues au II du présent article procèdent à des enquêtes judiciaires, ils disposent des mêmes prérogatives et obligations que celles attribuées aux officiers de police judiciaire.

« Ces agents sont autorisés à déclarer comme domicile ladresse du siège du service dont ils dépendent.

« V.- Les agents des services fiscaux habilités dans les conditions prévues au II du présent article ne peuvent, à peine de nullité, exercer dautres attributions ou accomplir dautres actes que ceux prévus par le présent code dans le cadre des faits dont ils sont saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire.

« VI.- Les agents des services fiscaux habilités dans les conditions prévues au II ne peuvent participer à une procédure de contrôle de limpôt prévue par le livre des procédures fiscales pendant la durée de leur habilitation. Ils ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires dans le cadre de faits pour lesquels ils ont participé à une procédure de contrôle de limpôt avant dêtre habilités à effectuer des enquêtes. Ils ne peuvent, même après la fin de leur habilitation, participer à une procédure de contrôle de limpôt dans le cadre de faits dont ils avaient été saisis par le procureur de la République ou toute autre autorité judiciaire au titre de leur habilitation. »

L’article 28-2 du code de procédure pénale est issu de l’article 23 de la loi n° 2009-1764 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009. Avant 2010, les agents des services fiscaux ne pouvaient pas se voir attribuer des pouvoirs judiciaires.

L’adoption de cet article faisait suite aux conclusions d’une mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur les paradis fiscaux ([15]).

Il a été introduit par l’Assemblée nationale à l’initiative de MM. Gilles Carrez, rapporteur général, au nom de la commission des finances, Didier Migaud, président, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli, Jean-François Mancel et Nicolas Perruchot. La proposition a fait l’objet d’un avis favorable du Gouvernement, représenté par le ministre du budget, M. Éric Woerth, après l’adoption de plusieurs sous-amendements présentés par celui-ci, dont l’un prévoyant le rattachement au ministère de l’intérieur.

La mesure a été directement inspirée des enquêtes judiciaires auxquelles peuvent procéder certains agents des douanes, dans les conditions prévues par l’article 28-1 du code de procédure pénale. Ces agents sont regroupés au sein du service national de douane judiciaire (SNDJ).

Le service national de douane judiciaire (SNDJ)

Créé par un arrêté du 5 décembre 2002, le SNDJ regroupe l’ensemble des agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires, communément appelés officiers de douane judiciaire.

Le SNDJ est un service exclusivement chargé de missions de police judiciaire, placé sous la direction d’un magistrat. Répartis dans huit unités locales, les 250 officiers de douane judiciaire ont tous une compétence nationale. Le SNDJ réalise les enquêtes qui lui sont confiées par le procureur de la République ou le juge d’instruction.

B.   La procÉdure d’enquÊte judiciaire fiscale

Les pouvoirs des officiers fiscaux judiciaires sont, en outre, limités par le fait qu’ils ne peuvent être saisis d’une affaire qu’en cas de présomptions caractérisées de fraude fiscale, après un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF) (second alinéa du I de l’article 28-2 du code de procédure pénale).

La procédure devant la CIF est toutefois aménagée pour éviter un risque de dépérissement des preuves.

Cet aménagement ainsi que les pouvoirs conférés aux officiers fiscaux judiciaires sont habituellement désignés sous l’appellation « procédure d’enquête judiciaire fiscale ». L’aménagement de la procédure devant la CIF est codifié aux alinéas trois à huit de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. Il est également issu de l’article 23 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

Article L. 228 du livre des procédures fiscales

« Sous peine dirrecevabilité, les plaintes tendant à lapplication de sanctions pénales en matière dimpôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre daffaires, de droits denregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par ladministration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui linvite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations quil jugerait nécessaires.

« Toutefois, la commission examine laffaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait valoir quexistent des présomptions caractérisées quune infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :

«  Soit de lutilisation, aux fins de se soustraire à limpôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès dorganismes établis à létranger ;

«  Soit de linterposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à létranger ;

«  Soit de lusage dune fausse identité ou de faux documents au sens de larticle 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

«  Soit dune domiciliation fiscale fictive ou artificielle à létranger ;

«  Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer ladministration.

« Le ministre est lié par les avis de la commission.

« Un décret en Conseil dÉtat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »

1.   Les présomptions caractérisées de fraude

L’intervention des officiers fiscaux judiciaires est subordonnée à l’existence de présomptions caractérisées que les infractions répondent à l’une des conditions mentionnées aux 1° à 5° de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, c’est-à-dire que la fraude :

– est réalisée à l’aide de comptes ouverts ou de contrats souscrits à l’étranger ;

– a été obtenue grâce à l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme établi à l’étranger ;

– résulte de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ;

– résulte d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

– a été réalisée grâce à toute autre manœuvre visant à égarer l’administration.

Les infractions sur lesquelles travaillent les officiers fiscaux judiciaires relèvent donc de la fraude fiscale complexe.

2.   L’aménagement de la procédure de déclenchement de l’enquête

Les poursuites en matière de fraude fiscale sont subordonnées au dépôt d’une plainte de l’administration ayant recueilli un avis favorable de la CIF.

La plupart du temps, la CIF est saisie après les opérations de contrôle fiscal, c’est-à-dire après la notification des rectifications d’imposition. Dans ce type de dossiers (dit « dossiers de droit commun »), la CIF informe le contribuable de sa saisine par lettre recommandée avec accusé de réception et l’invite à fournir, dans un délai de trente jours, ses observations.

Par exception, le contribuable nest pas informé de la saisine pour les dossiers de présomptions caractérisées dinfraction fiscale (dit « dossiers de police fiscale »). Cette dérogation est justifiée par un risque de dépérissement des preuves.

Cette procédure permet à ladministration fiscale de déposer plainte, avant le début des opérations de contrôle fiscal, en vue de faire rechercher, avec des prérogatives de police judiciaire, des éléments de nature à caractériser et à sanctionner les fraudes les plus complexes et difficiles à appréhender.

Autrement dit, ladministration peut déposer plainte sur le seul fondement des présomptions caractérisées. Dans ce cas, la CIF peut examiner laffaire dont elle est saisie sans que le contribuable ne soit avisé de sa saisine ni informé de son avis. Cette confidentialité assure bien évidemment une meilleure efficacité des investigations judiciaires, telles que les perquisitions et les écoutes téléphoniques.

Cest ensuite sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire dun juge dinstruction saisi de la plainte déposée par ladministration fiscale, dans les conditions spécifiques précitées, que lenquête est confiée à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

C.   Les services de la police fiscale : la brigade nationale de rÉpression de la dÉlinquance fiscale

L’article 28-2 du code de procédure pénale, inséré en 2009, a permis la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) l’année suivante.

Le décret n° 2010‑1318 du 4 novembre 2010 a institué, au sein du ministère de l’intérieur, la BNRDF, qui dépend de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Elle comprend des officiers et agents de police judiciaire, ainsi que des officiers fiscaux judiciaires, qui disposent d’une compétence nationale et qui sont habilités à l’exercice de certaines missions de police judiciaire en application de l’article 28-2 du code de procédure pénale.

Actuellement, la brigade emploie quarante agents, avec une parité quasi parfaite entre officiers fiscaux judiciaires (vingt-deux) et OPJ (dix-huit). Ils sont répartis dans deux sections, dont l’une est placée sous l’autorité d’un policier et l’autre d’un inspecteur des finances publiques. Elle est dirigée par un commissaire de police, avec un adjoint issu de l’administration des finances publiques.

L’intérêt de cette brigade est de regrouper les compétences de fonctionnaires de la police judiciaire, rompus au travail d’enquête, et celles des fonctionnaires de l’administration des finances publiques, bons connaisseurs de la législation fiscale et des montages financiers frauduleux. Les OPJ affectés à la brigade reçoivent une formation à l’école nationale des finances publiques avant leur prise de fonction, tandis que les officiers fiscaux judiciaires suivent une formation à l’école nationale de la police nationale.

La BNRDF est compétente pour enquêter sur les infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que sur le blanchiment de ces infractions.

Comme le service de douane judiciaire, la BNRDF est saisie sur réquisition du procureur ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction. L’étude d’impact annexée au projet de loi indique que la brigade a été saisie de plus de cinq cents plaintes depuis sa création, ce qui a permis de récupérer environ 209 millions d’euros d’impôts et pénalités.

La BNRDF ne peut pas procéder directement aux rehaussements d’imposition en vertu de la règle posée à l’article 28-2 du code de procédure pénale de séparation des fonctions de contrôle et des fonctions judiciaires. Les éléments de preuve qu’elle découvre dans le cadre de ses enquêtes sont transmis aux services de contrôle de la direction générale des finances publiques afin que ceux-ci procèdent à la fiscalisation du dossier.

II.   Le dispositif proposé

A.   Le projet de loi initial

L’article 1er du projet de loi vise à permettre le rattachement des officiers fiscaux judiciaires auprès de n’importe quel ministère, et en particulier le ministre chargé du budget.

Il prévoit ainsi que « la dernière phrase du III de larticle 28-2 du code de procédure pénale est abrogée ». Autrement dit, il supprime la phrase de l’article 28-2 du code de procédure pénale selon laquelle « ils sont placés au sein du ministère de lintérieur ».

Ce faisant, le projet de loi permet la création d’un nouveau service d’enquête judiciaire en matière fiscale qui serait complémentaire à la BNRDF.

Selon l’étude d’impact annexée au projet de loi, ce nouveau service serait placé sous l’autorité d’un magistrat judiciaire.

Ce service emploierait notamment des officiers fiscaux judiciaires, c’est-à-dire des agents des services fiscaux spécialement habilités à effectuer des enquêtes judiciaires et disposant des mêmes pouvoirs que les OPJ. Ils pourraient ainsi mettre en œuvre des techniques de police dont ne disposent pas habituellement les agents des services fiscaux (gardes à vue, filatures, écoutes téléphoniques, perquisitions) et exécuter des commissions rogatoires internationales. Le service pourrait enquêter sur réquisition du parquet ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction.

 

Ce service compterait au total une trentaine d’agents selon cette même étude d’impact, une cinquantaine selon les informations recueillies par la rapporteure auprès du Gouvernement lors des auditions. Le nouveau service de lutte contre la fraude fiscale pourrait s’appuyer sur l’expérience du SNDJ et mutualiser des moyens et des locaux. Il pourrait soit prendre la forme d’un service autonome du SNDJ, soit former avec celui-ci un seul et même service, placé sous l’autorité du magistrat qui dirige actuellement le SNDJ. Ce service comporterait alors deux départements, l’un en charge de la douane judiciaire, l’autre des enquêtes fiscales judiciaires. Cette organisation unifiée aurait alors pour but de favoriser le travail commun entre les services des douanes et ceux des impôts. Cette seconde option serait retenue selon les informations recueillies par la rapporteure auprès du Gouvernement lors des auditions.

Sur le plan juridique, la création de ce nouveau service implique de modifier l’article 28-2 du code de procédure pénale.

B.   Les modifications apportÉes par le SÉnat

La commission des finances du Sénat a adopté deux amendements identiques de suppression de cet article, dont un présenté par Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Il ressort des débats que la position des sénateurs repose sur deux arguments principaux : éviter une « guerre des services » et conserver l’efficacité des enquêtes que permettrait la réunion dans un même service d’OPJ et d’officiers fiscaux judiciaires.

Dans son rapport pour avis, Mme Nathalie Delattre « sinquiète du risque de concurrence entre services » qui pourrait en résulter. Elle observe que le Conseil d’État a rendu, dans son avis, un jugement sévère sur ce projet, estimant que sa création « ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration ».

Par ailleurs, elle souligne « lintérêt de réunir dans un même service les compétences techniques pointues des officiers fiscaux judiciaires et celles des officiers de police judiciaire (OPJ), rompus aux techniques denquête et à lexercice de la contrainte ». Elle estime que « le nouveau service logé à Bercy ne bénéficierait pas de lenrichissement mutuel que la coexistence dans un même service dOPJ et dofficiers fiscaux judiciaires peut apporter ». Elle fait valoir « lintérêt de centraliser dans un même service denquête les affaires complexes afin de pouvoir effectuer des rapprochements entre des affaires qui paraissent au départ distinctes ».

En séance publique, le Gouvernement a présenté un amendement de rétablissement de l’article 1er mais celui-ci a été rejeté, après avoir recueilli un avis défavorable de la commission des finances.

 

Pour répondre aux objections des sénateurs, le ministre de l’action et des comptes publics a pourtant fait valoir que l’objectif poursuivi par le Gouvernement n’était pas de « diminuer les effectifs de la BNRDF mais [de] créer un nouveau service denquêtes spécialisé » dans un contexte où « avec la montée des risques terroristes, les priorités du ministère de lintérieur ont un peu changé ». Il en a souligné qu’« il ne sagit pas dune guerre des polices mais dun élargissement des moyens affectés au juge ».

L’autorité judiciaire aurait en effet la faculté de saisir, selon la nature des dossiers, soit la BNRDF, soit cette nouvelle police fiscale rattachée à Bercy.

III.   La position de la commission

La rapporteure propose le rétablissement de l’article 1er.

Il permettra de renforcer les moyens de la lutte contre la fraude fiscale par la création d’un nouveau service, complémentaire à la BNRDF, offrant ainsi la possibilité de mieux couvrir les différents risques de fraude.

*

*     *

La commission examine les amendements identiques CF180 de la rapporteure, CF217 de la commission des lois, CF25 de M. Charles de Courson, CF73 de Mme Sarah El Haïry, CF75 de Mme Christine Pires Beaune et CF81 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. Le Sénat a supprimé l’article 1er du projet de loi.

L’amendement CF180 propose de rétablir cet article, donc de supprimer, à l’article 28‑2 du code de procédure pénale, la mention selon laquelle les OFJ sont placés « au sein du ministère de l’intérieur ». Ces derniers pourraient ainsi être rattachés au ministre chargé du budget, ce qui permettrait la création d’un nouveau service à compétence nationale de police fiscale au sein de l’administration fiscale, complémentaire de la BNRDF.

Il ressort des auditions auxquelles nous avons procédé, notamment de celles de la DGFiP et du ministre, que le nouveau service sera placé sous l’autorité d’un magistrat judiciaire. Il a été précisé que ce service comporterait deux départements, à savoir l’actuel service douanier d’enquête qu’est le SNDJ et cette nouvelle police fiscale, les deux étant dirigés par un même magistrat.

On nous a assuré que ni les moyens de la BNRDF, ni les effectifs aujourd’hui mis à disposition des juges, n’auraient vocation à diminuer. Les magistrats pourront choisir le service approprié pour leurs enquêtes, en fonction de l’objet desdites enquêtes.

M. le rapporteur pour avis. L’amendement CF217, identique à celui que vient de présenter Mme la rapporteure, a été adopté par la commission des lois. Il vise à rétablir la rédaction initiale de l’article 1er du projet de loi déposé au Sénat, ayant pour objet de permettre la création d’une police fiscale au sein du ministère des finances.

En l’état actuel du droit, les OFJ sont uniquement affectés au ministère de l’intérieur. La modification proposée va ouvrir la voie à un décret permettant de les placer au sein du ministère chargé du budget. Cette réforme organisationnelle nous paraît utile, notamment parce qu’elle vise à créer un service d’enquête judiciaire fiscale spécialisé dans la lutte contre la fraude fiscale, sous la direction d’un magistrat et auprès du pôle judiciaire formé par le SNDJ. Par ailleurs, il nous semble pertinent que cette police fiscale soit en mesure de répondre directement aux défis que posent l’augmentation et la technicité croissante des dossiers sur lesquels la justice doit enquêter. La spécialisation des services d’enquête judiciaire fiscale est une bonne chose, rendue nécessaire par la complexité des dossiers ayant à être traités.

M. Charles de Courson. Si nous voulons des services fiscaux efficaces – nous reverrons ce point lors de l’examen du « verrou de Bercy » –, il faut qu’ils puissent travailler la main dans la main avec les services judiciaires. De ce point de vue, l’abrogation par le Sénat de l’article 1er est une erreur : il faut le rétablir, ce qui est l’objet de l’amendement CF25.

Mme Sarah El Haïry. Lors d’une réunion de notre commission, M. le ministre nous avait rassurés en nous confirmant que les moyens existants ne seraient pas affaiblis. Tout ce qui permet de lutter efficacement contre la fraude nous paraît aller dans le bon sens ; c’est pourquoi nous sommes favorables au rétablissement de cette police fiscale : c’est ce que nous proposons par l’amendement CF73.

Mme Christine Pires Beaune. L’amendement CF75, identique à ceux qui viennent d’être présentés, vise lui aussi à rétablir l’article 1er, supprimé au Sénat, qui avait pour objet d’instituer à Bercy un nouveau service à compétence nationale, chargé de mener des enquêtes judiciaires en matière de fraude fiscale. Il s’agit en quelque sorte de créer l’équivalent du SNDJ, qui a d’ailleurs prouvé son efficacité.

La seule question que je me pose est celle des moyens affectés à ce nouveau service. On sait que le SNDJ compte environ 200 agents, et nous avons entendu M. le ministre, ainsi que M. Parent, directeur général des finances publiques, affirmer ici même que 30 à50 personnes seraient affectées au nouveau service. J’aimerais obtenir une nouvelle confirmation du fait que ces personnes seront issues d’un recrutement extérieur, et non d’un redéploiement de personnes provenant de services existants de lutte contre la fraude.

M. Daniel Labaronne. Le Sénat a supprimé l’article 1er, qui visait à abroger la disposition prévoyant l’affectation des OFJ au sein du seul ministère de l’intérieur. Or, pour lutter plus efficacement contre la fraude fiscale, il est nécessaire de donner aux agents du ministère chargé du budget des moyens d’enquête importants.

Le rétablissement de l’article 1er permettra d’affecter également des OFJ au ministère chargé du budget et de constituer ainsi un nouveau service, complémentaire à la BNRDF, offrant ainsi la possibilité de mieux couvrir les différents risques de fraude, à la fois complexes et techniques. Tel est l’objet de l’amendement CF81.

M. le ministre. Je voudrais d’abord remercier Mme la rapporteure et l’ensemble des auteurs d’amendements ayant pour objet de rétablir l’article 1er, supprimé par le Sénat. Mme la rapporteure de la commission des lois du Sénat, auteure de l’amendement de suppression, s’appuyait essentiellement sur l’argument consistant à vouloir éviter la guerre des polices pouvant résulter de la création d’un service supplémentaire.

J’insiste sur le fait que le nouveau service n’aurait pas vocation à s’autosaisir : c’est le procureur de la République ou un juge qui déciderait de confier telle ou telle enquête à un service instructeur – la BNRDF, le SNDJ, la police fiscale ou la police judiciaire. Il me semble pour le moins étonnant de reconnaître que la justice dispose des compétences et de l’opportunité des poursuites en matière de fraude fiscale, tout en refusant de la laisser choisir, entre les différents services susceptibles d’intervenir, celui qui lui paraît le plus compétent pour chaque affaire.

Si le service de police fiscale dispose aujourd’hui de compétences importantes – il peut notamment procéder à des perquisitions –, la question de ses moyens, en particulier de ses effectifs, se pose. Pour répondre à la question qui m’a été posée, je vous confirme que ses effectifs ne seront pas pris sur ceux de la BNRDF, c’est-à-dire du ministère de l’intérieur. Il y a, au sein du ministère de l’intérieur, des agents du fisc français – personnellement, je regrette qu’ils ne soient pas responsables des enquêtes, ce qui pose parfois problème.

Il ne s’agit pas, pour le ministère de l’action et des comptes publics – j’ai d’ailleurs écrit en ce sens au ministre de l’intérieur, et je tiens à disposition des rapporteurs les documents engageant mon administration sur ce point –, de retirer des effectifs équivalents temps plein à la BNRDF ni au ministère de l’intérieur. Pour répondre précisément à la question de Mme Pires Beaune, nous allons créer dans un premier temps, c’est-à-dire d’ici à la fin de 2019 ou au début de 2020, une trentaine de postes, puis une cinquantaine d’ici la fin du quinquennat. Le temps sera alors venu d’évaluer le fonctionnement de ce service – je pense qu’il est important que le Parlement et que les administrations le fassent.

Le service d’enquête douanière instauré il y a quelques années par M. Perben et qui avait, lors de sa création, suscité à peu près les mêmes débats, a largement démontré son efficacité, et c’est bien à côté de ce service d’enquête douanière, qui a atteint un excellent niveau de maturité et de compétence, que doit prendre place le nouveau service de police fiscale – quand je dis « à côté », c’est aussi au sens littéral du terme, car les locaux des deux services seront proches, et partageront certaines formations dispensées par les douaniers.

Je vous confirme que le service sera créé grâce à des recrutements spécifiques, même s’il sera fait appel aux compétences et au savoir-faire propres aux services de contrôle fiscal existants, et je précise qu’il interviendra dans des domaines très spécialisés, notamment celui de la TVA, qui constitue une grande partie des plaintes fiscales déposées – ce qui est assez somme toute logique, dans la mesure où la TVA représente la principale recette fiscale de l’État. Les enquêtes relatives au blanchiment, à la contrefaçon ou aux stupéfiants sont généralement confiées au service des enquêtes douanières, alors que celles concernant des sujets plus larges relèvent plutôt des attributions de la BNRDF, qui a un grand nombre de plaintes à instruire – à ma connaissance, elle en a plus de 500 à traiter à l’heure actuelle, certaines nécessitant parfois plusieurs années d’enquête, et elle règle entre 30 et 50 affaires par an. Quant aux affaires relevant manifestement de la fraude fiscale, on peut imaginer qu’elles seront plutôt confiées à la police fiscale. Cela dit, il appartiendra au juge et au procureur de la République de choisir tel ou tel service, en fonction de la nature de l’affaire.

Pour conclure, je vous redis que nous ne prendrons pas d’effectifs à la BNRDF pour créer la police fiscale, et je suis disposé à le réaffirmer dans l’hémicycle le moment venu.

M. Éric Coquerel. Si j’ai bien entendu les assurances que vient de nous donner M. le ministre, je constate que les textes, eux, laissent plutôt penser que les effectifs de la nouvelle police fiscale seront prélevés sur ceux d’autres services...

Pour commencer, l’article 1er ne crée pas la nouvelle police fiscale, mais modifie l’article, datant de 2010, qui a porté création de la BNRDF, pour supprimer la mention précisant que cette police doit être rattachée au ministère de l’intérieur. En fait, cette police fiscale traiterait simplement d’une partie des dossiers auparavant traitée par la brigade spécialisée du ministère de l’intérieur : sur ce point, il ne s’agit donc que d’une nouvelle répartition de compétences entre les ministères.

Par ailleurs, il est indiqué dans l’étude d’impact que les effectifs de cette police seront prélevés sur les effectifs de la DGFiP et que tous les moyens matériels et de formation mis à sa disposition proviendront de la mutualisation des moyens existants du SNDJ. M. le ministre nous a expliqué tout à l’heure que les suppressions d’emplois – dont il faut reconnaître qu’elles ne sont pas seulement le fait de l’actuel gouvernement, loin de là – n’avaient pas affaibli nos forces dans la lutte contre l’évasion fiscale. Sur ce point, je me permets de citer le dossier de presse du syndicat Solidaires Finances Publiques de la DGFiP, qui affirme l’inverse. Parlant de votre plan, monsieur le ministre, le syndicat dit en effet : « Le plan est annoncé alors que, de toute évidence, toutes les missions de la direction générale des finances publiques sont fragilisées par des années de suppressions d’emplois et de restructurations, un management de plus en plus contraignant et inadapté, des moyens matériels et budgétaires également insuffisants. On assiste par conséquent à une dégradation sans précédent des conditions de vie au travail et de l’efficacité des missions. » Pour ce qui est du contrôle fiscal, longtemps présenté à tort comme sanctuarisé, il n’est pas épargné, tant s’en faut, et je ne suis pas sûr qu’il faille encore aller chercher des moyens du côté de la DGFiP.

Enfin le Conseil d’État note que la création du nouveau service risque d’introduire une concurrence entre services qui sera contre-productive, estimant que « la création d’un second service d’enquête judiciaire fiscal hors du ministère de l’intérieur ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions ».

Notre groupe est donc d’accord avec le Sénat, et défavorable à ces amendements de rétablissement de l’article 1er.

M. Jean-Paul Dufrègne. Certains des arguments que M. Coquerel vient d’exposer l’ont déjà été précédemment, notamment celui du Conseil d’État. Pour notre part, nous sommes un peu dubitatifs au sujet de ce projet. Si les intentions qui le motivent sont louables, nous ne pouvons faire abstraction du fait que 40 000 postes ont été supprimés à la DGFiP depuis 2002. Nous craignons que la mesure annoncée n’ait qu’un effet cosmétique, sans moyens humains et financiers suffisants, donc sans effets. Affecter au nouveau service 30 agents au départ, pour passer à 50 à la fin du quinquennat, nous semble manquer singulièrement de consistance, d’autant que nous ne savons pas s’il s’agira de vraies créations de postes ou de simples redéploiements, ni comment ce service doit s’articuler avec ceux qui existent déjà.

Mme la rapporteure. Je précise qu’il est prévu de rattacher ces agents au SNDJ, un service qui a été plébiscité par les procureurs et les juges du siège pour la compétence et le professionnalisme de ses agents. Le fait de prévoir des formations communes permettra de mutualiser certains moyens. Enfin, nous aurons une discussion au sujet des effectifs dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.

La commission adopte les amendements.

L’article 1er est ainsi rétabli.

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Article 1er bis (nouveau)
(articles 28-2, 41-5, 99-2, 230-10, 230-20 et 695-9-31 du code de procédure pénale)
Alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires

Le présent article résulte de ladoption par la commission dun amendement de M. Daniel Labaronne et dautres membres du groupe La République en Marche, ayant fait lobjet dun avis de sagesse de la rapporteure.

Il prévoit diverses dispositions de coordination afin de permettre aux officiers fiscaux judiciaires (OFJ) qui pourront désormais être affectés au ministère de l’action et des comptes publics (voir commentaire de l’article 1er) de diligenter en toute autonomie les enquêtes judiciaires qui leur seront confiées par le procureur de la République ou le juge d’instruction en application de l’article 28‑2 du code de procédure pénale.

Il étend ainsi les prérogatives des OFJ à celles confiées à des services ou unités de police ou de gendarmerie spécialement désignés. Il modifie en ce sens l’article 28-2 du code de procédure pénale.

En particulier, il étend les prérogatives des OFJ à celles dont bénéficient les officiers des douanes judiciaires (ODJ).

L’article 1er bis accorde au futur service d’OFJ rattaché au ministère chargé du budget en application de l’article 1er :

– la possibilité de se voir remettre à titre gratuit des biens saisis – sous les conditions prévues aux articles 41-5 et 99-2 du code de procédure pénale ;

– les possibilités d’accès aux fichiers des antécédents prévues sous les conditions définies à l’article 230-10 du code de procédure pénale ;

– le droit de créer des logiciels destinés à faciliter l’exploitation et le rapprochement d’informations sur les modes opératoires recueillies durant les enquêtes judiciaires, droit prévu à l’article 230-20 du code de procédure pénale ;

– et la faculté d’échanger des informations avec des États de l’Union européenne par application de la décision-cadre 2006/960/JAI du Conseil du 18 décembre 2006, faculté prévue à l’article 695-9-31 du code de procédure pénale.

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La commission est saisie de l’amendement CF100 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le renforcement de la police fiscale est l’objet de l’une des principales mesures du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Il est donc nécessaire de donner à cette police fiscale les moyens d’enquête adéquats.

L’amendement CF100 propose des dispositions de coordination, afin de permettre aux OFJ qui seront affectés au ministère chargé du budget de diligenter en toute autonomie les enquêtes judiciaires qui leur seront confiées par le procureur de la République ou le juge d’instruction.

Pour l’accomplissement de leurs missions, les OFJ disposeront des mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire (OPJ) ou que les officiers de douane judiciaire (ODJ), permettant la mise en œuvre de moyens de police très spécifiques – gardes à vue, filatures, écoutes téléphoniques, perquisitions –, y compris l’exécution de commissions rogatoires internationales, ce qui permettra au nouveau service dans lequel les agents des services fiscaux seront affectés de s’intégrer dans la coopération judiciaire internationale.

Cet alignement du régime des OFJ sur celui des ODJ est dans la logique de leur regroupement au sein d’un service unique d’enquêtes judiciaires douanières et fiscales, en complément des officiers fiscaux judiciaires affectés au ministère de l’intérieur.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à aligner les prérogatives des OFJ sur celles des ODJ. Dès lors que les OFJ sont appelés à exercer dans un service rattaché à Bercy, sans OPJ, comme le prévoit l’article 1er, il peut paraître opportun d’aligner leurs prérogatives sur celle des ODJ, qui exercent au sein du SNDJ.

Je regrette de ne pas avoir eu le temps d’auditionner les syndicats et les représentants des personnels sur ces questions. J’émets pour le moment un avis de sagesse, étant précisé que nous aurons l’occasion de recevoir les représentants des fonctionnaires avant l’examen du texte en séance publique.

M. Charles de Courson. Puisque Mme la rapporteure est hésitante et s’en remet à la sagesse de la commission, il serait intéressant de connaître la position du Gouvernement sur ce point délicat avant que nous ne passions au vote.

M. le ministre. Comme je l’ai dit au départ, ma position sera systématiquement identique à celle de Mme la rapporteure sur ce texte. En l’occurrence, comme elle, je m’en remets à la sagesse de votre commission en attendant les auditions complémentaires auxquelles il doit être procédé et qui permettront de prendre position en toute connaissance de cause lors du débat en séance publique.

M. Éric Coquerel. Notre groupe s’abstiendra sur cet amendement, qui est en lien avec le précédent. J’en profite pour préciser, au sujet de l’étude d’impact que j’ai évoquée tout à l’heure, qu’on peut y lire la phrase suivante : « Cette évolution concernera une trentaine d’agents par redéploiement d’effectifs de la DGFiP » : il s’agit donc bien d’un redéploiement, et non de créations de postes.

La commission adopte l’amendement.

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Article 2
(articles 65 quater, 413 quater et 4161 [nouveaux] du code des douanes, L. 80 O et L. 96 J du livre des procédures fiscales et 1795 du code général des impôts)
Renforcement des capacités de contrôle informatique en matière douanière

 

Résumé du dispositif proposé

L’article 2 permet de renforcer les moyens dont disposent les agents de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) pour lutter contre les logiciels dits « permissifs », conçus pour dissimuler des recettes.

À l’instar de ce qui existe pour les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), il instaure un droit de communication spécifique permettant aux agents des douanes de se faire communiquer par les éditeurs, concepteurs, distributeurs ou toute personne susceptible de manipuler les logiciels, le code source et la documentation des logiciels qu’ils proposent. Celui-ci est codifié, pour les contributions douanières, à l’article 65 quater du code des douanes et, pour les contributions directes, à l’article L. 96 J du livre des procédures fiscales.

Ce nouveau droit de communication est assorti d’un régime spécifique de sanction.

En cas d’opposition au droit de communication, l’article 2 prévoit une amende, par logiciel ou système de caisse vendu ou par client, de :

– 10 000 euros en matière de contributions indirectes ;

– et de 1 500 euros en matière douanière, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 50 000 euros.

L’article 2 prévoit également une amende égale à 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de logiciels ou systèmes de caisse frauduleux

Modifications apportées par le Sénat

La commission des finances du Sénat a adopté trois amendements de son rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier.

Le premier a porté de 1 500 euros à 10 000 euros l’amende prévue en matière douanière en cas d’opposition au droit de communication. Cet amendement n’a toutefois pas modifié le plafond d’amende de 50 000 euros.

 

Le deuxième étend aux agents des douanes les pouvoirs dont disposent les agents des impôts en matière de contrôle inopiné des logiciels auprès des utilisateurs.

Le troisième est un amendement de précision sur la date d’entrée en vigueur du dispositif.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 2 a été adopté avec des modifications issues de deux amendements de la rapporteure, l’un rédactionnel, l’autre supprimant l’extension à l’administration des douanes du droit de contrôle inopiné auprès des utilisateurs de logiciels prévu, pour les agents de l’administration fiscale, à l’article L. 80 O du livre des procédures fiscales.

L’article 2 du projet de loi a pour objet de renforcer les moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels dits « permissifs ».

I.   Le droit existant

A.   Les comptabilités informatisées

1.   Définition des comptabilités informatisées

Les articles L. 13 et L. 47 A du livre des procédures fiscales (LPF) prévoient expressément que les contribuables astreints à la tenue d’une comptabilité peuvent tenir celle-ci « au moyen de systèmes informatisés ».

La tenue d’une comptabilité informatisée n’est jamais obligatoire. En théorie, rien n’empêche une entreprise de tenir une comptabilité sous un format papier même si elle réalise des milliers d’écritures comptables. En pratique, les comptabilités informatisées sont largement répandues, y compris dans les petites entreprises. Elles sont souvent tenues par un expert-comptable.

Il n’existe pas de définition légale plus précise de la notion de comptabilité informatisée. La jurisprudence est rare. À titre d’exemple, le Conseil d’État a jugé que la comptabilité d’une société tenue au moyen d’un progiciel de comptabilité sur lequel sont reportées les recettes journalières des différentes activités de la société et d’un logiciel informatique de caisse doit être regardée comme étant tenue au moyen de systèmes informatisés ([16]).

Selon la doctrine administrative ([17]), une comptabilité est dite « informatisée », dès lors que l’entreprise utilise « une combinaison de ressources matérielles et de programmes informatiques, qui permet :

«  lacquisition dinformations, selon une forme conventionnelle ;

«  le traitement de ces informations ;

«  la restitution de données ou de résultats, sous différentes formes.

« Sont donc soumis à contrôle tous les systèmes informatisés comptables, les systèmes de gestion des recettes ou des ventes, et notamment, toutes les caisses enregistreuses dotées de procédés de mémorisation et de calcul, dont les informations, données et traitements concourent directement ou indirectement à la formation des résultats comptables et à lélaboration des déclarations obligatoires.

« Sont également concernés les divers systèmes informatisés relatifs au domaine de gestion ou de gestion commerciale (gestion de la production, des achats, des stocks, du personnel, par exemple), quand leurs informations, données et traitements permettent délaborer ou de justifier indirectement tout ou partie des écritures comptables ou des déclarations soumises à contrôle. »

2.   Régularité des comptabilités informatisées

Une comptabilité informatisée doit respecter certaines règles pour être regardée comme régulière et probante, et donc opposable à l’administration. À défaut, la comptabilité peut être rejetée. L’administration peut alors procéder à une évaluation d’office des bases imposables par application de l’article L. 74 du LPF.

Tout d’abord, le caractère intangible ou de l’irréversibilité des écritures doit être assuré par une procédure de validation qui interdit toute modification ou suppression des écritures comptables. Cette règle est la traduction pour les comptabilités informatisées de la règle selon laquelle les comptabilités tenues sur papiers doivent être sans blanc ni altération d’aucune sorte (article L. 123-22 du code de commerce).

Ensuite, après la clôture de l’exercice, les fonctions du logiciel doivent permettre la consultation des écritures, l’édition ou la réédition des états comptables. La réouverture d’un exercice clos à des fins de modification ou de suppression des écritures comptables est interdite. Ces règles mettent en application le principe d’une procédure de clôture périodique des enregistrements chronologiques résultant de l’article L. 123-12 du code de commerce.

Enfin, conformément à l’article 410-3 du plan comptable général, les comptabilités informatisées doivent permettre une traçabilité des informations. Cette règle est la traduction du principe de « permanence du chemin de révision » selon lequel tout enregistrement comptable doit préciser l’origine, le contenu et l’imputation de chaque donnée, ainsi que les références de la pièce justificative qui l’appui. La force probante d’une comptabilité peut être remise en cause en cas de doute sur la traçabilité des informations.

B.   LES LOGICIELS « PERMISSIFS »

Certains logiciels frauduleux, communément appelés logiciels « permissifs », permettent à leurs utilisateurs de dissimuler des recettes encaissées en espèces. Cette fraude, courante et coûteuse pour les finances publiques, permet notamment d’échapper à la collecte de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA).

Ces logiciels permettent en effet d’effacer les recettes de la comptabilité de l’entreprise et de reconstituer fictivement les tickets de caisse, sans que cette manipulation puisse être décelée. La manipulation est très simple pour les utilisateurs fraudeurs, puisqu’il suffit bien souvent d’appuyer sur une touche du clavier de la caisse pour faire disparaître les recettes.

L’Association des constructeurs, éditeurs, distributeurs et installateurs de systèmes d’encaissement (Acédise) estimait en 2013 que la fraude portait sur plus de 10 milliards d’euros par an (lien).

Ce type de fraude peut prendre sa source dans le logiciel ou système de caisse lui‑même, au moment de l’encaissement ou de l’exportation des données vers le logiciel de comptabilité ou de gestion. Mais il peut aussi résulter de l’utilisation de logiciels dits « intégrés » proposant plusieurs fonctionnalités (caisse, comptabilité, gestion).

Les logiciels de comptabilité et de gestion

L’administration fiscale définit les logiciels de comptabilité et les logiciels de gestion de la manière suivante :

– un logiciel de comptabilité est « un programme informatique permettant à un appareil informatique dassurer tout ou partie des tâches de la comptabilité dune entreprise en enregistrant et traitant toutes les transactions réalisées par lentreprise dans différents modules fonctionnels (comptabilité fournisseurs, comptabilité clients, paie, grand livre, etc.) » ;

– un logiciel de gestion est « un programme informatique permettant à un appareil informatique dassurer des tâches de gestion commerciale (gestion automatisée des devis, des factures, des commandes, des bons de livraison, suivi des achats et des stocks, suivi du chiffre daffaires, etc.) ».

Les logiciels et systèmes de caisse

L’administration fiscale définit les systèmes de caisse comme des systèmes d’information dotés d’un ou de plusieurs logiciels permettant l’enregistrement des opérations d’encaissement. Elle définit trois types de système de caisse :

« – les systèmes de caisse autonomes, souvent dénommés "caisses enregistreuses" : ils ont la capacité denregistrer des données de règlement mais ils nont pas la capacité dêtre paramétrés pour avoir un fonctionnement en communication avec dautres systèmes de caisse ou avec un système centralisateur dencaissement ;

«  les systèmes de caisse reliés à un système informatisé capables denregistrer, de sécuriser et darchiver les données dencaissement en temps réel directement dans le système ; selon le cas, ils génèrent ou non directement les écritures comptables ;

«  les logiciels dencaissement installés sur un ordinateur ou des ordinateurs (en réseau ou non) : outre les fonctionnalités denregistrement, de sécurisation et darchivage des données dencaissement en temps réel directement dans le système, ils disposent de fonctionnalités comptables (tenue des écritures comptables) et plus largement incorporent une gestion comptable et financière ».

Source : Bulletin officiel des finances publiques.

C.   UN ARSENAL LÉGISLATIF SPÉCIFIQUE POUR Les agents de la direction générale des finances publiques

Le législateur a réagi face à cette fraude coûteuse et massive en instituant un arsenal législatif spécifique dont peuvent user les seuls agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP).

Cet arsenal comprend deux volets :

– le premier, créé en 2013, concerne les éditeurs, concepteurs et distributeurs des logiciels ;

– le second, créé en 2016, concerne les utilisateurs des logiciels.

Les pouvoirs spécifiques des agents de la DGFIP en matière de lutte contre les logiciels « permissifs »

Volet

Dispositif

Article

Volet

« éditeurs, concepteurs, distributeurs »

Droit de communication spécifique

L. 96 J du LPF

Amende « opposition au droit de communication » : 1 500 euros puis 10 000 euros à compter du 1er janvier 2019

1734 du CGI, troisième alinéa

Amende « détection d’un logiciel permissif » : 15 % du chiffre d’affaires

1770 undecies du CGI

Volet

« utilisateurs »

Obligation d’utilisation d’un logiciel sécurisé

bis de l’article 286 du CGI

Droit de contrôle inopiné

L. 80 O du LPF

Amende en l’absence de certificat ou d’attestation : 7 500 euros

1770 duodecies

LPF : livre des procédures fiscales ; CGI : code général des impôts.

Cet arsenal n’est bien évidemment pas exclusif :

– d’éventuels rappels d’imposition pour les utilisateurs fraudeurs ;

– ni d’éventuelles poursuites pénales pour fraude fiscale tant à l’encontre des utilisateurs que des éditeurs, concepteurs et distributeurs des logiciels « permissifs ».

Les poursuites pénales pour fraude fiscale

Dans les cas les plus graves, l’administration fiscale peut demander l’engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale et complicité de fraude fiscale à l’encontre des éditeurs, concepteurs, distributeurs ou utilisateurs des logiciels « permissifs ». La commission des infractions fiscales (CIF) a plusieurs fois donné un avis favorable à des poursuites y compris lorsque le montant de la fraude était inférieur à 100 000 euros dans la mesure où l’utilisation de tels logiciels témoigne d’une intention frauduleuse manifeste. Ces dernières années, des plaintes ont notamment été engagées à l’encontre de pharmaciens, de coiffeurs, de restaurateurs ou encore de pressings suite à la découverte d’un logiciel ou système de caisse frauduleux.

1.   Le volet « éditeurs, concepteurs, distributeurs » des logiciels

L’article 20 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a institué une première série de mesures à disposition des agents de la DGFiP.

a.   Un droit de communication spécifique portant sur la conception du logiciel

Cet article a créé un droit de communication spécifique, codifié à l’article L. 96 J du livre des procédures fiscales (LPF).

Article L. 96 J du livre des procédures fiscales

« Les entreprises ou les opérateurs qui conçoivent ou éditent des logiciels de comptabilité, de gestion ou des systèmes de caisse ou interviennent techniquement sur les fonctionnalités de ces produits affectant, directement ou indirectement, la tenue des écritures mentionnées au 1° de larticle 1743 du code général des impôts sont tenus de présenter à ladministration fiscale, sur sa demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui sy rattachent. »

Il permet à l’administration fiscale de demander aux éditeurs et concepteurs des logiciels de comptabilité ou de gestion ou des systèmes de caisse lensemble des codes, données, traitements ou documentation qui s’y rattachent. Ce droit de communication peut aussi s’exercer auprès de toute personne intervenant techniquement sur les fonctionnalités de ces produits affectant, directement ou indirectement, la tenue du livre-journal.

Pour permettre à l’administration fiscale de disposer de ces informations dans la durée, l’article L. 102 D du livre des procédures fiscales dispose que « les codes, données, traitements ainsi que la documentation doivent être conservés jusquà lexpiration de la troisième année suivant celle au cours de laquelle le logiciel ou le système de caisse a cessé dêtre diffusé ».

 

Selon les renseignements recueillis par la rapporteure auprès du Gouvernement, le droit de communication prévu à l’article L. 96 J du LPF est en pratique exclusivement mis en œuvre par la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF). Cette dernière a mis en œuvre cette procédure quatre fois en 2015, six fois en 2016, et dix fois en 2017. Les codes ont fait l’objet d’une analyse technique permettant d’améliorer la connaissance des logiciels en question et de confirmer ou d’infirmer la suspicion de permissivité.

b.   Une amende fiscale en cas d’opposition à ce droit de communication spécifique

Une amende fiscale par logiciel, application ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans l’année, est applicable en cas d’opposition au droit de communication (troisième alinéa de l’article 1734 du code général des impôts).

Le montant de cette amende est actuellement fixé à 1 500 euros. Il a été relevé, à compter du 1er janvier 2019, à 10 000 euros par l’article 106 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Cet article a également précisé que l’amende s’applique non seulement à chaque logiciel ou système de caisse vendu, mais également à chaque « application » vendue, ce qui permet de traiter le cas de solutions déployées sur plusieurs terminaux différents.

Article 1734 du code général des impôts, troisième alinéa – version en vigueur

« Les manquements aux obligations prévues aux articles L. 96 J et L. 102 D du livre des procédures fiscales entraînent lapplication dune amende égale à 1 500 euros par logiciel ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans lannée. »

Article 1734 du code général des impôts, troisième alinéa – version en vigueur à compter du 1er janvier 2019

« Les manquements aux obligations prévues aux articles L. 96 J et L. 102 D du livre des procédures fiscales entraînent lapplication dune amende égale à 10 000 euros par logiciel, application ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans lannée. »

Selon les renseignements recueillis par la rapporteure auprès du Gouvernement, cette amende n’a jamais été appliquée car toutes les entreprises contrôlées ont répondu à l’obligation prévue à l’article L. 96 J du LPF.

c.   Une amende fiscale en cas de détection d’un logiciel « permissif »

Une amende fiscale est prévue à l’article 1770 undecies du code général des impôts en cas de commercialisation de logiciels ou systèmes de caisse frauduleux ou de prestations réalisées pour développer les fonctionnalités frauduleuses. Elle s’applique donc également aux distributeurs des logiciels « permissifs » et pas seulement aux éditeurs et concepteurs. Elle est égale à 15 % du chiffre d’affaires provenant de cette commercialisation ou de ces prestations.

Article 1770 undecies du code général des impôts

« I. – Les personnes mentionnées à larticle L. 96 J du livre des procédures fiscales qui mettent à disposition les logiciels ou les systèmes de caisse mentionnés au même article sont passibles dune amende lorsque les caractéristiques de ces logiciels ou systèmes ou lintervention opérée ont permis, par une manœuvre destinée à égarer ladministration, la réalisation de lun des faits mentionnés au 1° de larticle 1743 en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen dun dispositif électronique, sans préserver les données originales.

« Lamende prévue au premier alinéa sapplique également aux distributeurs de ces produits qui savaient ou ne pouvaient ignorer quils présentaient les caractéristiques mentionnées au même alinéa.

« Cette amende est égale à 15 % du chiffre daffaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou systèmes de caisse ou des prestations réalisées.

« II. – Les personnes mentionnées au I sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés mis à la charge des entreprises qui se servent de ces logiciels et systèmes de caisse dans le cadre de leur exploitation et correspondant à lutilisation de ces produits. »

Cette amende est applicable lorsque les fonctionnalités du logiciel ou système ont permis, « par une manœuvre destinée à égarer ladministration », de se livrer à une fraude fiscale « en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen dun dispositif électronique, sans préserver les données originales ». En outre, les personnes passibles de l’amende sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés mis à la charge de l’utilisateur d’un logiciel ou système de caisse frauduleux.

Selon les renseignements recueillis par la rapporteure auprès du Gouvernement, l’amende visée à l’article 1770 undecies du CGI n’a pas encore été appliquée car sa mise en œuvre suppose la démonstration, dans le cadre d’un contrôle fiscal, de l’usage frauduleux du logiciel. Des contrôles seraient en cours à ce sujet.

2.   Le volet « utilisateurs » des logiciels

Avant 2016, il n’existait aucune disposition législative interdisant aux entreprises de détenir ou d’utiliser un dispositif frauduleux, seule leur commercialisation étant sanctionnée. Pourtant, la disparition de l’offre frauduleuse en logiciels « permissifs » passe aussi par un tarissement de la demande des utilisateurs.

 

Dans ce contexte, l’article 88 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a ajouté un volet relatif aux utilisateurs de ces logiciels. Celui consiste en une obligation d’utiliser un logiciel sécurisé faisant l’objet d’un certificat ou d’une attestation. Les agents de la DGFiP peuvent exercer un droit de contrôle inopiné et la méconnaissance de l’obligation est sanctionnée par une amende fiscale.

a.   L’obligation d’utiliser un logiciel sécurisé faisant l’objet d’une attestation ou d’un certificat

L’article 88 de la loi de finances pour 2016 a, tout d’abord, créé une obligation pour les assujettis à la TVA d’utiliser un logiciel sécurisé, c’est-à-dire « satisfaisant à des conditions dinaltérabilité, de sécurisation, de conservation et darchivage des données en vue du contrôle de ladministration fiscale », prévue au 3° bis de l’article 286 du code général des impôts.

Un champ dapplication limité aux logiciels et systèmes de caisse
et à certains utilisateurs

L’article 105 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a toutefois limité l’obligation d’utiliser un dispositif sécurisé aux seuls logiciels ou systèmes de caisse, afin de ne pas faire peser sur les entreprises des contraintes excessives. En effet, les données contenues dans les logiciels de gestion et de comptabilité peuvent être recoupées par d’autres moyens, et notamment par la mise en œuvre de traitements informatiques sur les comptabilités informatisées, ainsi que par le contrôle inopiné des comptabilités informatisées. En revanche, les logiciels « mixtes », c’est-à-dire les logiciels de comptabilité ou de gestion comportant des fonctionnalités de caisse, demeurent dans le champ de l’obligation.

Ce même article a également exempté de cette obligation les assujettis à la TVA pour lesquels les risques de fraude à la TVA sont réduits : assujettis bénéficiant de la franchise en base TVA ou effectuant exclusivement des opérations exonérées de TVA, et assujettis effectuant des livraisons de biens et des prestations de service à d’autres professionnels.

Concrètement, les quatre conditions d’inaltérabilité, de sécurisation, de conservation et d’archivage des données doivent être attestées soit par un certificat délivré par un organisme tiers accrédité dans les conditions prévues à l’article L. 115-28 du code de la consommation, soit par une attestation individuelle de l’éditeur, fournie spécifiquement au nom de l’entreprise utilisatrice du logiciel, sur la base d’un modèle établi par l’administration fiscale.

À ce jour, deux organismes certificateurs ont été accrédités par le Comité français d’accréditation (Cofrac), instance nationale d’accréditation : AFNOR certification, et le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE).

b.   Un droit de contrôle inopiné

L’article 88 de la loi de finances pour 2016 précité a également doté l’administration fiscale dun droit de contrôle inopiné spécifique, prévu à l’article L. 80 O du LPF afin d’assurer le respect de cette nouvelle obligation.

Les agents de la DGFiP peuvent ainsi intervenir dans les locaux professionnels d’un assujetti dans le but de vérifier la détention du certificat ou de l’attestation garantissant que le logiciel est sécurisé.

Article L. 80 O du livre des procédures fiscales

« Les agents de ladministration fiscale ayant au moins le grade de contrôleur peuvent intervenir de manière inopinée dans les locaux professionnels dune personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, à lexclusion des parties de ces locaux affectées au domicile privé, pour vérifier la détention par cette personne de lattestation ou du certificat prévu au 3° bis du I de larticle 286 du code général des impôts pour chacun des logiciels de comptabilité ou de gestion ou systèmes de caisse quelle détient.

« À cette fin, ils peuvent intervenir entre huit heures et vingt heures ou, en dehors de ces heures, durant les heures dactivité professionnelle de lassujetti.

« Au début de leur intervention, les agents de ladministration remettent à lassujetti ou à son représentant un avis dintervention.

« À lissue de leur intervention, ils établissent un procès-verbal consignant les références du ou des logiciels ou systèmes de caisse détenus par lassujetti ainsi que les éventuels manquements à lobligation prévue au 3° bis du I de larticle 286 du code général des impôts. Le procès-verbal est signé par les agents de ladministration ainsi que par lassujetti ou son représentant. En cas de refus de signer, mention en est faite au procèsverbal. Une copie de celui-ci est remise à lintéressé.

« Lorsque les agents de ladministration constatent un manquement à lobligation prévue au 3° bis du I du même article 286 et appliquent lamende prévue à larticle 1770 duodecies du même code, le procès-verbal mentionne les dispositions du second alinéa du même article 1770 duodecies et informe lassujetti quil dispose dun délai de trente jours pour formuler ses observations et, le cas échéant, fournir lattestation ou le certificat prévus au 3° bis du I de larticle 286 dudit code. Les observations de lassujetti sont annexées au procès-verbal. Si lintéressé apporte les justificatifs demandés dans le délai imparti, lamende nest pas appliquée.

« Dans le cas où lassujetti ou son représentant refuse lintervention des agents de ladministration, ceux-ci en dressent procès-verbal et font application de lamende prévue à larticle 1770 duodecies du même code.

« Lintervention des agents de ladministration sur le fondement du présent article ne relève pas des procédures de contrôle de limpôt régies par les articles L. 10 à L. 54 A du présent livre. »

 

c.   Une amende fiscale en cas de non possession du certificat ou d’attestation

L’article 88 de la loi de finances pour 2016 a également institué une amende fiscale spécifique de 7 500 euros par logiciel de comptabilité ou de gestion ou système de caisse frauduleux, à la charge des détenteurs (qu’ils soient propriétaires ou locataires), prévue à l’article 1770 duodecies du code général des impôts.

En cas d’application de l’amende, le détenteur dispose d’un délai de soixante jours pour se mettre en conformité, sous peine de se voir appliquer de nouveau la même amende.

Ces dispositions sont en vigueur depuis le 1er janvier 2018.

Article 1770 duodecies du code général des impôts

« Le fait, pour une personne assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, de ne pas justifier, par la production de lattestation ou du certificat prévus au 3° bis du I de larticle 286, que le ou les logiciels ou systèmes de caisse quelle détient satisfont aux conditions dinaltérabilité, de sécurisation, de conservation et darchivage des données prévues par ces mêmes dispositions est sanctionné par une amende de 7 500 € par logiciel ou système de caisse concerné.

« Lorsquil lui est fait application de lamende mentionnée au premier alinéa du présent article, lassujetti dispose dun délai de soixante jours pour se mettre en conformité avec lobligation prévue au 3° bis du I de larticle 286. Ce délai court à compter de la remise ou de la réception du procès-verbal mentionné à larticle L. 80 O du livre des procédures fiscales, de la proposition prévue au premier alinéa de larticle L. 57 du même livre ou de la notification mentionnée au premier alinéa de larticle L. 76 de ce livre.

« Passé ce délai, lassujetti qui ne sest pas mis en conformité est passible à nouveau de lamende mentionnée au premier alinéa du présent article. »

Le niveau de l’amende a été fixé en valeur absolue et à un niveau raisonnable, afin de tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne les éventuelles atteintes au principe de proportionnalité des peines. Ainsi, dans une décision du 29 décembre 2013 ([18]), le Conseil a déclaré contraire à la Constitution, pour la répression de l’absence de respect d’obligations documentaires, la fixation d’amendes d’un montant égal à 0,5 % du chiffre d’affaires déclaré par exercice soumis à contrôle. Il avait en effet considéré que ces critères de calcul « en proportion du chiffre daffaires » de l’entreprise contrôlée étaient « sans lien avec les infractions [et] revêt[ai]ent un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité des infractions réprimées ».

D.   UN DISPOSITIF QUI NE PEUT PAS ÊTRE MIS EN œUVRE PAR Les agents de la direction générale des douanes et droits indirects

L’arsenal législatif décrit – tant dans son volet « éditeurs, concepteurs et distributeurs » introduit en 2013 que dans son volet « utilisateurs » introduit en 2016 – peut à ce jour être mis en œuvre par les seuls agents de la DGFiP.

Pourtant, le recours à des logiciels permissifs de caisse et surtout de comptabilité et de gestion est également susceptible de donner lieu à des fraudes massives en matière de droits et taxes relevant de la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) : droits de douane, TVA à l’importation et contributions indirectes.

Les fraudes qui peuvent être facilitées par des logiciels permettant de dissimuler des recettes, des dépenses ou des flux financiers ou physiques (entrée/sortie d’un entrepôt etc.) sont de plusieurs types :

– la minoration de la valeur déclarée à l’importation pour le calcul des droits de douane et de la TVA à l’importation. D’après l’étude d’impact du projet de loi, « la douane lutte contre un phénomène de sous-évaluation en douane des importations, permettant déluder massivement les droits de douane, qui constituent des ressources propres de lUnion européenne et la TVA à limportation. Or, la valeur en douane étant assise sur le prix payé ou à payer, seul lexamen dune comptabilité commerciale probante est de nature à déceler les éventuelles minorations de valeur ou fausse facturation. Cette fraude est estimée par la Commission européenne à plusieurs milliards deuros » ;

– le blanchiment douanier, défini par l’article 415 du code des douanes comme « une opération financière entre la France et létranger portant sur des fonds [provenant], directement ou indirectement, dun délit prévu [par le code des douanes] ou dune infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants » ;

– la violation des embargos économiques (article 459 du code des douanes) et des sanctions commerciales ;

– l’importation de diverses marchandises prohibées ou soumises à des restrictions : stupéfiants, armes, espèces protégées etc. ;

– et la fraude en matière de contributions indirectes, en particulier les accises sur les tabacs, alcools et boissons alcooliques.

II.   Le dispositif proposé

A.   Le projet de loi initial

L’article 2 vise à transposer, pour les droits et taxes relevant de la DGDDI, le volet « éditeurs, concepteurs et distributeurs » du dispositif de lutte contre les logiciels permissifs institué en 2013 pour les agents de la DGFiP.

1.   Un droit de communication spécifique des agents des douanes pour les logiciels

Il prévoit un droit de communication spécifique permettant aux agents des douanes de demander aux éditeurs et concepteurs des logiciels de comptabilité ou de gestion ou des systèmes de caisse tous codes, données, traitements ou documentation qui s’y rattachent. Ce dispositif, strictement identique à celui qui existe pour la DGFiP, serait codifié à l’article 65 quater du code des douanes pour les contributions douanières, et à l’article L. 96 J du livre des procédures fiscales pour les contributions indirectes.

Article 65 quater du code des douanes

(dans sa rédaction prévue par larticle 2
du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude)

« Les personnes qui conçoivent ou éditent des logiciels de gestion, de comptabilité, des systèmes de caisse ou interviennent techniquement sur les fonctionnalités de ces produits affectant directement ou indirectement la tenue des écritures, la conservation ou lintégrité des documents originaux nécessaires aux contrôles de ladministration des douanes sont tenus de présenter aux agents de cette administration, sur leur demande, tous codes, données, traitements ou documentation qui sy rattachent.

« Pour lapplication du premier alinéa, les codes, données, traitements ainsi que la documentation doivent être conservés jusquà lexpiration de la troisième année suivant celle au cours de laquelle le logiciel ou le système de caisse a cessé dêtre diffusé. »

Article L. 96 J du livre des procédures fiscales, deuxième alinéa

(dans sa rédaction prévue par larticle 2
du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude)

« Lalinéa précédent est également applicable en cas de demande des agents des douanes portant sur des logiciels de gestion, de comptabilité ou des systèmes de caisse, affectant, directement ou indirectement, la conservation ou lintégrité des documents originaux nécessaires aux contrôles de cette administration. »

2.   Une amende fiscale en cas d’opposition à ce droit de communication

L’article 2 crée des amendes fiscales applicables en cas d’opposition au droit de communication institué.

Le montant de l’amende ne serait toutefois pas le même selon le fondement juridique du droit de communication.

En matière de contributions indirectes – pour un droit de communication exercé en application de l’article L. 96 J du LPF – l’amende résulterait de la rédaction actuelle du troisième alinéa de l’article 1734 du code général des impôts, qui ne serait pas modifiée. Elle s’élèverait donc, par logiciel, application ou système de caisse vendu ou par client :

– à 1 500 euros jusqu’au 31 décembre 2018 ;

– et, à compter du 1er janvier 2019, à 10 000 euros.

En matière douanière, en revanche – pour un droit de communication exercé en application de l’article 65 quater du code des douanes – l’article 413 quater du code des douanes prévoirait une amende de 1 500 euros par logiciel ou système de caisse vendu ou par client, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 50 000 euros.

Article 413 quater du code des douanes

(dans sa rédaction prévue par larticle 2
du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude)

« Est passible dune amende de 1 500 euros par logiciel ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans lannée tout manquement aux obligations prévues par larticle 65 quater, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 50 000 euros. »

3.   Une amende fiscale en cas de détection d’un logiciel « permissif »

L’article 2 crée, en outre, une amende égale à 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de logiciels ou systèmes de caisse frauduleux.

Cette amende serait codifiée à l’article 1795 du code général des impôts s’agissant des contributions indirectes, et à l’article 416-1 du code des douanes en matière douanière.

Ces dispositions sont identiques à celles qui sont prévues pour la DGFiP par l’article 1770 undecies du code général des impôts. Elles s’appliqueraient donc tant aux éditeurs et concepteurs qu’aux distributeurs de logiciels.

Les amendes proportionnelles sur le chiffre daffaires prévues en matière fiscale par les articles 1770 undecies et 1795 du code général des impôts, et en matière douanière par larticle 416-1 du code des douanes seraient exclusives les unes des autres.

Article 416-1 du code des douanes

(dans sa rédaction prévue par larticle 2
du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude)

« I. - Les personnes mentionnées à larticle 65 quater qui mettent à disposition les logiciels ou les systèmes de caisse mentionnés au même article sont passibles dune amende lorsque ces logiciels, systèmes ou interventions techniques sont conçus pour permettre la commission de lun des délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459, en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen dun dispositif électronique, sans préserver les données originales.

« Lamende prévue au premier alinéa sapplique également aux distributeurs de ces produits qui savaient ou ne pouvaient ignorer quils présentaient les caractéristiques mentionnées au même alinéa.

« Lamende encourue est de 15 % du chiffre daffaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou systèmes de caisse ou des prestations réalisées, correspondant à lannée au cours de laquelle lamende est prononcée et aux cinq années précédentes.

« Lapplication de lamende prévue au présent article exclut celles prévues aux articles 1770 undecies et 1795 du code général des impôts à raison des mêmes logiciels, systèmes ou interventions et du même chiffre daffaires.

« II. - Les personnes mentionnées au I sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés correspondant à lutilisation de ces logiciels et systèmes de caisse mis à la charge des entreprises ayant commis les délits mentionnés aux articles 414, 415 et 459 et qui se sont servis de ces produits dans le cadre de leur exploitation. »

Article 1795 du code général des impôts

(dans sa rédaction prévue par larticle 2
du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude)

« I. - Les personnes mentionnées à larticle L. 96 J du livre des procédures fiscales qui mettent à disposition les logiciels ou les systèmes de caisse mentionnés au même article sont passibles dune amende lorsque ces logiciels, systèmes ou interventions techniques sont conçus pour permettre la réalisation de lun des faits mentionnés au 1° de larticle 1743, à larticle 1791 ter, aux 3° et 5° de larticle 1794, à larticle 1797 et aux 3°, 8° et 10° de larticle 1810 en modifiant, supprimant ou altérant de toute autre manière un enregistrement stocké ou conservé au moyen dun dispositif électronique, sans préserver les données originales.

« Lamende prévue au premier alinéa sapplique également aux distributeurs de ces produits qui savaient ou ne pouvaient ignorer quils présentaient les caractéristiques mentionnées au même alinéa.

« Cette amende est de 15 % du chiffre daffaires provenant de la commercialisation de ces logiciels ou systèmes de caisse ou des prestations réalisées, correspondant à lannée au cours de laquelle lamende est appliquée et aux cinq années précédentes.

« Lapplication de lamende prévue au présent article exclut celles prévues à larticle 1770 undecies du présent code et à larticle 416-1 du code des douanes à raison des mêmes logiciels, systèmes ou interventions et du même chiffre daffaires.

« II. - Les personnes mentionnées au I sont solidairement responsables du paiement des droits rappelés correspondant à lutilisation de ces logiciels et systèmes de caisse mis à la charge des entreprises qui ont commis les faits visés au même I qui se servent de ces produits dans le cadre de leur exploitation. »

B.   Les modifications apportées par le Sénat

1.   L’extension à la DGDDI du volet « utilisateurs » du dispositif de lutte contre les logiciels permissifs

L’article 2 concerne le seul volet « éditeurs, concepteurs et distributeurs » du dispositif de lutte contre les logiciels « permissifs ».

L’article 88 de la loi de finances pour 2016 précité a toutefois complété ce volet « éditeurs, concepteurs et distributeurs » par un volet « utilisateurs », consistant en l’obligation faite aux commerçants d’utiliser un logiciel ou système de caisse sécurisé.

Le Sénat a jugé opportun d’étendre le volet « utilisateurs » aux agents de la DGDDI au motif que ces derniers sont eux aussi susceptibles de rencontrer des cas d’utilisation de logiciels de caisse permissifs au cours de leurs contrôles portant sur les contributions indirectes, à l’égard de commerçants relevant de leur compétence (débits de tabac ou de boissons, etc.).

La commission des finances du Sénat a adopté un amendement en ce sens de son rapporteur général. Celui-ci étend aux agents des douanes le droit de contrôle inopiné, prévu à l’article L. 80 O du LPF, de la possession d’un certificat ou d’une attestation portant sur l’utilisation d’un logiciel sécurisé.

2.   L’harmonisation du montant de l’amende applicable en cas d’opposition au droit de communication

L’article 2 a pour effet d’instituer une différence :

– entre le montant de l’amende pour opposition au droit de communication applicable en matière fiscale (notamment pour les contributions indirectes), qui serait de 10 000 euros à compter du 1er janvier 2019 par logiciel, application ou système de caisse vendu ;

– et le montant applicable en matière douanière, qui serait de 1 500 euros par logiciel ou système de caisse vendu, dans la limite de 50 000 euros.

Cette différence résulte du relèvement de 1 500 euros à 10 000 euros de l’amende de l’article 1734 du code général des impôts, prévu par l’article 106 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, mais dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2019.

Les sénateurs ont entendu harmoniser le montant des amendes. La commission des finances du Sénat a adopté en ce sens un amendement de son Rapporteur général, prévoyant une amende de 10 000 euros en matière douanière en cas d’opposition au droit de communication, par logiciel, application ou système de caisse vendu.

Article 413 quater du code des douanes

(version issue de larticle 2 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude adopté par le Sénat en première lecture)

« Est passible dune amende de 10 000 euros par logiciel ou système de caisse vendu ou par client pour lequel une prestation a été réalisée dans lannée tout manquement aux obligations prévues par larticle 65 quater, sans que le total des amendes puisse être supérieur à 50 000 euros. »

III.   La position de la commission

La rapporteure salue l’extension aux agents des douanes du volet « éditeurs, concepteurs, distributeurs » du dispositif de lutte contre les logiciels « permissifs ». Elle permettra aux agents de la DGDDI de mieux lutter contre la fraude en matière fiscale et douanière permise par les logiciels de caisse, de comptabilité et de gestion permissifs. Il appartiendra aux services de l’administration des douanes de se saisir pleinement.

La rapporteure approuve également la modification du Sénat consistant à porter de 1 500 euros à 10 000 euros l’amende prévue en matière douanière en cas d’opposition au droit de communication.

En revanche, la rapporteure propose la suppression de lextension aux agents des douanes du volet « utilisateurs » permettant de sassurer que toute personne assujettie à la TVA détient lattestation ou le certificat (attestant des conditions dinaltérabilité, de sécurisation, de conservation et darchivage des données) prévus au 3°bis du I de larticle 286 du code général des impôts pour chacun des logiciels de comptabilité ou de gestion ou systèmes de caisse quelle détient.

En effet, lors des auditions, la rapporteure a pu constater que l’administration des douanes n’était pas demandeuse d’une telle prérogative.

Cette position se justifie par le fait que cette prérogative relève d’un domaine de compétence de la direction générale des finances publiques, en charge du contrôle de la TVA intracommunautaire. Les agents des douanes ne contrôlent que la TVA à l’importation, laquelle ne fait pas l’objet d’un enregistrement par un système de caisse.

La rapporteure propose l’adoption de cet article ainsi modifié.

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*     *

La commission examine, en discussion commune, les amendements CF181 de la rapporteure et CF175 de M. Éric Coquerel.

Mme la rapporteure. L’amendement rédactionnel CF181 vise à modifier la numérotation retenue pour les nouvelles dispositions du code des douanes, créées à l’article 2.

En effet, un amendement a été adopté par le Sénat, qui vise à modifier le montant de l’amende légalement encourue pour opposition au droit de communication des agents des douanes à l’égard des éditeurs et concepteurs de logiciels de comptabilité, de gestion ou de caisse, ce montant passant de 1 500 euros à 10 000 euros. Contraventionnelle à l’origine, la sanction est donc ainsi devenue délictuelle. Sans remettre en cause le montant de l’amende retenu par le Sénat, nous proposons de déplacer la mesure dans le paragraphe du code des douanes dédié aux délits douaniers, plus précisément dans un nouvel article 416-2.

M. Éric Coquerel. L’amendement CF175 vise à renforcer les qualités de l’article 2, qui oblige les éditeurs de logiciels à fournir le code source et la documentation des logiciels qu’ils proposent et qui touchent au travail de contrôle des douanes. Si tout cela va dans le bon sens, les sanctions prévues sont trop faibles, puisque ce sont les mêmes que celles qui existaient déjà pour la DGFiP : afin d’y remédier, nous proposons d’en doubler le montant.

Mme la rapporteure. Le nouveau droit de communication créé par l’article 2 est assorti d’un régime spécifique de sanctions. En cas d’opposition au droit de communication, l’article 2 prévoit une amende par logiciel ou par système de caisse ou par client de 10 000 euros, ainsi qu’une amende pouvant atteindre 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de logiciels ou de systèmes de caisse frauduleux, et il me semble que ces amendes sont déjà substantielles. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement, qui a pour objet de doubler les amendes prévues.

La commission adopte l’amendement CF181.

En conséquence, l’amendement CF175 tombe.

La commission est saisie de l’amendement CF182 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’article 2 renforce les moyens dont disposent les agents des douanes pour lutter contre les logiciels permissifs, en instaurant à leur profit un droit – similaire à celui dont disposent les agents de la DGFiP – de se faire communiquer par les éditeurs, les concepteurs ou les distributeurs, le code source et la documentation des logiciels, codifié à l’article 65 quater du code des douanes et à l’article L. 96 J du livre des procédures fiscales.

Ce nouveau droit de communication est assorti d’un régime spécifique de sanctions. La commission des finances du Sénat avait adopté un amendement étendant aux agents des douanes des pouvoirs dont disposent aujourd’hui les agents des impôts en matière de contrôles inopinés des logiciels auprès des utilisateurs. Par l’amendement CF182, nous proposons la suppression de cette extension adoptée par le Sénat, donc la suppression de l’article L. 80 O du livre des procédures fiscales. Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, l’administration des douanes a indiqué ne pas être elle-même demandeuse d’une telle prérogative, car elle relève surtout du contrôle de la TVA interne – un domaine qui n’est pas de la compétence de la DGDDI, qui ne s’occupe que de TVA à l’importation. Les douanes nous ayant signalé que ce dispositif ne leur servirait pas, nous en proposons la suppression.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

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*     *

Après l’article 2

La commission examine en présentation commune les amendements CF9, CF10, CF11 et CF12 de Mme Lise Magnier.

Mme Lise Magnier. Lors des toutes premières semaines des travaux de notre législature, nous avons eu à nous pencher sur un texte relatif à la moralisation de la vie publique et politique. Si l’objectif premier de ce texte était de rétablir la confiance entre les Français et leurs élus, lors de son examen, le choix s’est porté sur le durcissement des règles applicables aux élus agissant dans le strict respect de la loi, sans durcir pour autant les sanctions applicables à ceux qui n’auraient pas respecté la loi.

Nous comptons en France plus de 615 000 élus locaux, nationaux et européens, dont, fort heureusement, l’immense majorité est honnête, dévouée, passionnée et engagée au service de l’intérêt général – ce que je dis là au sujet de l’engagement est d’autant plus vrai en ce qui concerne les élus locaux ruraux, très majoritairement bénévoles. Jeter le discrédit sur l’ensemble des élus en élaborant des règles toujours plus strictes, et en exigeant de plus en plus de transparence, ne résoudra nullement la perte de confiance des Français. En effet, ils ont l’impression que ceux qui ne respectent pas les règles ne sont jamais réellement sanctionnés et qu’ils peuvent poursuivre leur carrière politique en toute impunité.

Alors que nous examinons ce projet de loi de lutte contre la fraude, et qu’il est normal que chacun respecte les règles qui s’imposent à tous, je considère que, lorsque l’on est élu, on doit être totalement exemplaire sur nos obligations fiscales et sociales. C’est pourquoi je vous propose de renforcer les sanctions applicables à tout élu municipal, départemental, régional ou parlementaire qui serait reconnu coupable de fraude fiscale ou sociale, en instaurant une inéligibilité de quinze ans complémentaire à la peine prononcée dans le cadre de la fraude, mais aussi d’allonger à quinze ans l’inéligibilité qui peut être prononcée par le Conseil constitutionnel lorsqu’un député n’a pas satisfait à ses obligations fiscales.

Mme la rapporteure. Si je comprends et je partage votre volonté de rendre inéligibles des personnes qui ne sont pas dignes d’être élues en raison de leurs manquements à la probité, j’émettrai cependant un avis défavorable à ces amendements.

La peine complémentaire de perte de droits civiques, civils et de famille, déjà prévue par le code pénal en son article 131-26, emporte l’inéligibilité et peut être prononcée par le juge sans qu’il en ait toutefois l’obligation. Elle ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit.

La possibilité de cette peine complémentaire est expressément prévue à l’article 1741 du code général des impôts, qui réprime la fraude fiscale. J’ajoute que l’article 1er de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance de la vie politique a rendu obligatoire cette peine complémentaire, sauf décision spécialement motivée du juge pour les délits portant atteinte à la probité, dont celui relatif à la fraude fiscale.

Vos amendements créent une automaticité qui pourrait être sanctionnée par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, ils amendements comportent des imperfections rédactionnelles, notamment en ce qu’ils ne visent pas de manière très claire la liste des délits.

Pour toutes ces raisons, mais surtout parce qu’il existe déjà de nombreux textes visant à sanctionner la fraude fiscale des élus par des peines d’inéligibilité, j’émets un avis défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Mme Lise Magnier. Je remercie Mme la rapporteure pour ses explications et, considérant que mes amendements sont satisfaits, je les retire.

Les amendements sont retirés.

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Article 2 bis
(article 415 du code des douanes)
Sécurisation du délit douanier de blanchiment

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 2 bis a été introduit en séance au Sénat par deux amendements identiques des membres du groupe Union centriste, d’une part, et des membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, d’autre part. Ils ont recueilli un avis favorable tant de la commission des finances que du Gouvernement.

Il prévoit de clarifier le régime de répression du délit douanier de blanchiment en prévoyant que celui-ci est puni de dix ans d’emprisonnement, au lieu de « deux à dix ans demprisonnement ». Il modifie en ce sens l’article 415 du code des douanes en supprimant le minimum de deux ans d’emprisonnement.

Amendements adoptés par votre commission des finances

I.   Le droit existant

L’article 415 du code des douanes punit notamment « de deux à dix ans » d’emprisonnement le délit de blanchiment d’une infraction douanière.

Article 415 du code des douanes

« Seront punis dun emprisonnement de deux à dix ans, de la confiscation des sommes en infraction ou dune somme en tenant lieu lorsque la saisie na pas pu être prononcée, de la confiscation des biens et avoirs qui sont le produit direct ou indirect de linfraction et dune amende comprise entre une et cinq fois la somme sur laquelle a porté linfraction ou la tentative dinfraction ceux qui auront, par exportation, importation, transfert ou compensation, procédé ou tenté de procéder à une opération financière entre la France et létranger portant sur des fonds quils savaient provenir, directement ou indirectement, dun délit prévu au présent code ou dune infraction à la législation sur les substances ou plantes vénéneuses classées comme stupéfiants. »

Cet article reste marqué par les anciennes méthodes légistiques qui prévoyaient des échelles des peines avec un minimum et un maximum d’emprisonnement.

Il ne s’agit toutefois pas d’une « peine plancher », le juge pénal demeurant libre de ne pas prononcer d’emprisonnement. Il peut prononcer d’autres sanctions comme la confiscation ou une amende. Le plancher de deux ans ne s’applique que si le juge pénal décide de sanctionner le délit de blanchiment douanier par une peine d’emprisonnement.

La Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur ce point le 19 juin 2018 (lien).

La QPC est ainsi rédigée :

« Larticle 415 du code des douanes, disposant que le délit de blanchiment douanier est puni dun "emprisonnement de deux à dix ans" est-il conforme aux principes de nécessité et dindividualisation des peines posées par larticle 8 de la Déclaration des droits de lhomme et du citoyen ? »

Dans sa décision, la Cour de cassation a estimé que la question était sérieuse « au regard des principes constitutionnels de nécessité et dindividualisation des peines en ce que, si le juge peut, en application de larticle 369 du code des douanes, dispenser le coupable des sanctions pénales prévues par ce code, ordonner quil soit sursis à leur exécution ou décider que la condamnation ne sera pas mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire, il ne peut néanmoins, sil décide de prononcer une peine demprisonnement, fixer la durée de celle-ci en-deçà du seuil de deux ans ».

II.   Le dispositif proposé

L’article additionnel prévoit de clarifier le régime de répression du délit douanier de blanchiment en prévoyant que celui-ci est puni de « dix ans demprisonnement ». Il modifie en ce sens l’article 415 du code des douanes en supprimant le minimum de deux ans d’emprisonnement.

Cet article additionnel a été introduit en séance au Sénat par deux amendements identiques des membres du groupe Union centriste, d’une part, et des membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, d’autre part. Ils ont recueilli un avis favorable tant de la commission des finances que du Gouvernement.

Article 2 bis du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée au Sénat en première lecture)

À l’article 415 du code des douanes, les mots : « deux à » sont supprimés.

III.   La position de la commission

L’article 2 bis n’apporte aucun changement dans le droit positif mais entend sécuriser sur le plan constitutionnel le régime de répression du délit douanier de blanchiment.

La rapporteure souligne toutefois que la décision du Conseil constitutionnel interviendra avant la fin de la discussion du projet de loi au Parlement. Le but de sécurisation juridique du délit de blanchiment douanier ne pourra donc pas être atteint par cet article.

L’article 2 bis serait caduc dans l’hypothèse où le Conseil constitutionnel censurerait le minimum de deux ans d’emprisonnement prévu par l’article 415 du code des douanes.

Pour autant, le maintien de cet article présente un intérêt dans l’hypothèse où la décision du Conseil constitutionnel rejetait la QPC transmise. En effet, dans ce cas, l’article 2 bis permettrait d’accroître les possibilités d’individualisation de la peine par le juge pénal sans affaiblir la répression du délit de blanchiment douanier.

La rapporteure propose dès lors d’adopter cet article sans modification.

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La commission adopte l’article 2 bis sans modification.

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Article 3
Échange dinformations entre administrations
à des fins de lutte contre la fraude

Résumé du dispositif proposé

L’article 3 du projet de loi vise à renforcer les dispositifs d’échanges d’informations entre administrations, organismes et autorités chargées de la lutte contre la fraude. Il ouvre un accès direct à certains fichiers de la direction générale des finances publiques (DGFiP) au profit :

– des assistants spécialisés affectés au sein des juridictions ;

– des agents des organismes sociaux, de l’inspection du travail et des agents de police judiciaire, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal.

Il élargit l’accès au répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS) dans le cadre de la lutte contre la fraude sociale et contre le travail illégal.

Enfin, il étend à la fraude fiscale le dispositif d’échanges d’informations entre la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et la direction générale de la protection des risques.

Modifications apportées par le Sénat

La commission des finances du Sénat a adopté un amendement, présenté par Mme Nathalie Goulet, permettant aux agents des douanes d’accéder, de manière automatique, aux informations détenues par la DGFiP relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs.

En séance publique, le Sénat a adopté, outre un amendement rédactionnel, un amendement du Gouvernement – ayant recueilli un avis favorable de la commission des finances – prévoyant de nouveaux droits d’accès à l’information et de nouvelles dérogations au secret professionnel.

Il prévoit de donner accès à des fichiers de la DGFiP qui comportent des informations essentiellement patrimoniales aux agents de plusieurs organismes de sécurité sociale et aux agents des douanes.

Il étend le domaine des échanges d’informations entre les douanes et la direction générale de la prévention des risques pour faciliter les contrôles portant sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Il introduit en faveur des assistants spécialisés des douanes auprès des juridictions l’accès à de nouveaux fichiers.

Il autorise les agents des douanes et les agents du ministère de l’agriculture, de FRANCEAGRIMER et d’ODEADOM à s’échanger des informations pour les besoins de leurs missions de contrôle portant sur les ressources propres de l’Union européenne et des taxes nationales.

Enfin, il étend au-delà du projet de loi initial la liste des personnes disposant d’un accès aux données du RNCPS.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 3 a été adopté avec une modification issue d’un amendement de la rapporteure qui supprime une disposition introduite par le Sénat tendant à permettre aux agents des douanes l’accès, de manière automatique, aux informations détenues par la DGFiP relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs.

I.   Le droit existant

Les échanges d’informations entre administrations sont en principe limités par le secret professionnel.

Toutefois il existe de très nombreuses exceptions, qui reposent sur plusieurs types de base juridique. Elles ont été instituées par le législateur au cas par cas et de manière progressive. Elles présentent donc des modalités hétérogènes.

Les échanges peuvent ainsi être, selon les cas :

– automatiques ou à la demande sous forme d’accès directe à certaines bases de données ;

– limités à certaines missions limitativement énumérées des administrations et entités concernées, ou prévus pour l’ensemble de leurs missions respectives ;

– réciproques ou à sens unique.

A.   L’accès aux informations fiscales

Les informations détenues par l’administration fiscale sont en principe protégées par le secret professionnel.

L’article L. 103 du livre des procédures fiscales (LPF) prévoit à cet égard que « lobligation du secret professionnel, telle quelle est définie aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, sapplique à toutes les personnes appelées à loccasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans lassiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts ».

Des dérogations nombreuses sont toutefois prévues par les articles L. 113 à L. 166 F du LPF. Il s’agit de dérogations :

– en matière d’assistance fiscale internationale (articles L. 114 et L. 114 A) ;

– au profit de certaines administrations, autorités administratives, collectivités, services et organismes publics (articles L. 115 à L. 135 ZI) ;

– au profit de diverses commissions (articles L. 136 à L. 139 B) ;

– au profit des autorités judiciaires et des juridictions (articles L. 140 à L. 147 C) ;

– au profit des officiers ministériels (articles L. 148 à L. 151 B) ;

– au profit des autorités et des organismes chargés de l’application de la législation sociale (articles L. 152 à L. 162 B) ;

– et au profit d’organismes divers (articles L. 163 à L. 166 F).

Les administrations et autres personnes publiques bénéficiaires d’une dérogation au secret fiscal, par application des articles L. 115 à L. 135 ZI du LPF, sont :

– le Défenseur des droits ;

– la direction générale de la concurrence et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ;

– l’Autorité de la concurrence ;

– la direction générale des finances publiques (DGFiP) elle-même, dans le cadre des échanges avec d’autres services internes ;

– l’Agence de services et de paiement ;

– les commissaires du Gouvernement auprès d’un conseil de l’ordre des experts-comptables ;

– le ministère du logement ;

– l’observatoire nominatif des logements indignes et des locaux impropres à l’habitation ;

– les services municipaux chargés du logement ;

– les agents de l’État chargés de la constatation, de la poursuite et de la répression de certaines infractions ;

– la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;

– Pôle emploi ;

– la cellule de renseignement financier Tracfin ;

– l’Autorité des marchés financiers ;

– les chambres de commerce et d’industrie ;

– les chambres de métiers et de l’artisanat ;

– la Banque de France ;

– les agences de l’eau ;

– les services de renseignement ;

– l’Autorité de régulation des jeux en ligne ;

– les officiers de police judiciaire et la gendarmerie nationale ;

– le ministère des transports ;

– la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;

– et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

L’étendue des échanges d’informations possibles est fixée au cas par cas par le LPF pour chacun de ces bénéficiaires.

Par ailleurs, les articles L. 83 à L. 84 du LPF prévoient une série de droits de communication de l’administration fiscale, pour l’exercice de ses missions, à l’égard d’administrations, d’entreprises publiques, d’établissements ou organismes administratifs.

Lorsque ces droits de communication sont réciproques, ils constituent une base juridique pour les échanges d’informations entre les administrations concernées.

Par exemple, l’article L. 83 A du LPF permet les échanges réciproques entre la DGFiP, la DGDDI et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui « peuvent se communiquer spontanément ou sur demande tous documents et renseignements détenus ou recueillis dans le cadre de lensemble de leurs missions respectives ».

Le tableau qui suit, communiqué par le Gouvernement à la demande de la rapporteure, fournit un état des lieux de l’ensemble des accès aux fichiers de la DGFiP (entités pouvant y accéder, fichiers concernés, accès direct ou sur demande).

 

Applications DGFiP relatives au contrôle fiscal

Entité accédant aux données

Base juridique

Accès

FICOVIE

 

Fichier des contrats d’assurance vie prévu par l’article 1649 ter du code général des impôts

 

Service national de la douane judiciaire

Art. L. 83A, L. 134 et

L. 134 C du LPF

Direct

(en cours de déploiement)

Cellule de renseignements TRACFIN

Art. L. 561-27 du COMEDI

Art. L. 134 B du LPF

Direct

Les notaires

Art. 5 de l’arrêté du 1er septembre 2016

Direct

Les particuliers

Art. 7 de l’arrêté du 1er septembre 2016

Sur demande auprès du service des impôts des particuliers (SIP) compétent

 

TSE

 

Transparence Structure Ecran

 

DGDDI

Protocole de coopération entre la DGFiP et la DGDDI de mars 2011

Direct

TRACFIN

Art. L. 134 B du LPF

Direct

SIRIUS-PRO

 

(application informatique de détection des fraudes des professionnels)

DGDDI

Protocole de coopération entre la DGFiP et la DGDDI de mars 2011

Direct

 

ALPAGE

 

(application informatique de suivi des contrôles fiscaux)

TRACFIN

Art. L. 134 B du LPF

Direct

FICOBA

 

Fichier national des comptes bancaires et assimilés prévu par l’article 1649 A du code général des impôts

 

 

TRACFIN

Art. L. 561-27 du COMOFI

Art. L. 134 B du LPF

Direct

Les officiers de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale (OPJ), les officiers des douanes judiciaires (ODJ) et les officiers fiscaux judiciaires (OFJ)

 

Art. L. 135 ZC du LPF

Direct

Les notaires

 

Art. L. 151 B du LPF

Direct

La DGCCRF

 

Art. L. 116 du LPF

Direct

 

Les organismes et services chargés de la gestion d’un régime obligatoire de sécurité sociale, les institutions de retraite complémentaire chargées de déterminer l’assiette, le montant et le recouvrement des cotisations et contributions, les services chargés de la gestion et du paiement des pensions aux fonctionnaires de l’État et assimilés et Pôle Emploi :

 

RSI (fusion CANANAM, CANCAVA et ORGANIC)

 

 

 

 

Art. L. 152 du LPF

Art. L. 152 A du LPF

 

 

Direct,

Semi-direct 6

Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)

Direct

Direction des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts et consignations

Direct

Caisse nationale des affaires familiales (CNAF)

Direct,

Semi-direct 7

Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN)

Direct

Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA)

Direct,

Semi-direct 7

Caisse nationale d’allocations vieillesse (CNAV)

Direct,

Semi-direct 7

Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG)

Direct,

Semi-direct 7

Branche recouvrement de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS)

Direct

Pôle emploi

Direct,

Semi-direct 7

Institutions chargées de mettre en œuvre les régimes de retraite complémentaire et affiliées aux deux grandes fédérations ARRCO et AGIRC

 

Sur demande

 

Banque de France, Institut d’émission des départements d’outre-mer et Institut d’émission d’outre-mer

Art. L. 135 I du LPF

Semi-direct 7

La DGDDI

Protocole de coopération entre la DGFiP et la DGDDI de mars 2011

 

Art. L. 83 A du LPF

Art. L. 134 du LPF

 

 

 

 

Semi-direct 7

Direct

Établissements bancaires

Art. L. 166 A du LPF

Semi-direct 7

Membres des commissions chargées d’allouer une indemnité à certaines victimes de dommages corporels

Art. L. 146 du LPF

Semi-direct 7

Les officiers et agents de police judiciaire

Art. L. 141 du LPF

Sur réquisition

Agence nationale pour l’indemnisation des Français rapatriés d’Outre-Mer

Art. L. 128 du LPF

Sur demande

Autorité des marchés financiers

Art. L. 135 F du LPF

Sur demande

Commission des infractions fiscales

Art. L. 1741 A du CGI

Art. L. 137 du LPF

Sur demande

Magistrats de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes et rapporteurs auprès de la Cour de discipline budgétaire et financière

Art. L. 140 du LPF

Sur demande

Agents comptables du budget annexe de l’aviation civile

Art. L. 81 al. 3 du LPF

Sur demande

Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres infractions

Art. L. 135 M du LPF

Sur demande

Agents comptables des établissements publics, des groupements d’intérêt public et des autorités indépendantes

Art. L. 135 ZE du LPF

Sur demande

Direction générale du Trésor

Art. L. 135 T du LPF

Sur demande

Huissiers de justice

Art. L. 151 du LPF

Art. L. 151 A du LPF

Sur demande

Comptables des établissements publics nationaux

Art. L. 135 ZE du LPF

Sur demande

Conseils départementaux

Art. L. 153 A du LPF

Art. L. 158 du LPF

Sur demande

B.   L’ACCÈS aux informations sociales

L’accès des administrations aux informations détenues par les organismes de sécurité sociale est lui aussi régi par des dispositions diverses.

Le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS), prévu par l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale, est un fichier unifié destiné à faciliter les échanges d’informations en matière de protection sociale.

Il permet de simplifier les démarches et procédures de transmission d’informations et d’accroître l’efficacité du contrôle du versement des prestations et de la lutte contre les fraudes.

Ce répertoire, créé par l’article 138 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007, est commun aux organismes chargés d’un régime obligatoire de base, aux caisses assurant le service des congés payés, aux organismes chargés de la gestion d’un régime de retraite complémentaire ou additionnel obligatoire et aux organismes servant des prestations chômage. Il est ouvert :

– aux organismes de la branche recouvrement ainsi qu’au Centre de liaisons européennes et internationales de sécurité sociale ;

– et aux collectivités territoriales ainsi qu’aux centres communaux d’action sociale.

Il comprend pour chaque assuré social son numéro de sécurité sociale (NIR) et ses données d’état civil. Sont concernés les bénéficiaires des branches maladie, famille, vieillesse ainsi que les bénéficiaires de Pôle emploi et des caisses de congés payés. Figurent ainsi dans le répertoire l’ensemble des assurés sociaux et leurs ayants droit résidant en France, ou résidant le cas échéant à l’étranger notamment lorsqu’ils bénéficient d’une pension de retraite.

Le RNCPS contient des informations sur la plupart des prestations versées par les organismes de sécurité sociale.

La liste des entités et organismes disposant d’un accès au RNCPS est fixée par l’arrêté du 21 mars 2011. Celui-ci vise exclusivement des organismes de protection sociale.

L’accès direct au RNCPS n’est donc pas possible pour les agents de l’inspection du travail ni pour les officiers et agents de police judiciaire.

C.   LES ÉCHANGES ENTRE L’ADMINISTRATION DES DOUANES ET LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

Les agents de la DGDDI et ceux de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) sont habilités à s’échanger des informations relevant du secret professionnel par application de l’article 59 octies du code des douanes.

Article 59 octies du code des douanes

« Les agents des douanes et les agents de la direction générale de la prévention des risques et de ses services déconcentrés sont autorisés, pour les besoins de leurs missions de contrôle des transferts transfrontaliers de déchets et de contrôle des substances et produits chimiques, à se communiquer, sur demande ou spontanément, tous les renseignements et documents détenus ou recueillis dans lexercice de leurs missions respectives. »

II.   Le dispositif proposé

L’article 3 prévoit de renforcer l’accès à l’information utile à l’accomplissement des missions de contrôle et de recouvrement des agents chargés de la lutte contre la fraude.

Dans sa version initiale, l’article 3 prévoyait deux mesures pour élargir l’accès aux informations fiscales aux assistants spécialisés de la DGFiP et à certains agents chargés de la lutte contre la fraude. Il prévoyait également :

– un élargissement de l’accès aux informations sociales pour les agents de contrôle de l’inspection du travail ainsi que pour les officiers et agents de police judiciaire ;

– et un approfondissement des échanges entre la DGDDI et la DGPR.

L’article a été profondément enrichi lors de la discussion du texte en première lecture au Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement du Gouvernement ayant recueilli un avis favorable de la commission des finances, d’une part, et d’un amendement présenté par Mme Nathalie Goulet, d’autre part.

A.   L’élargissement de l’accès aux informations fiscales

L’élargissement de l’accès aux informations fiscales porte essentiellement sur quatre applications de la DGFiP contenant des données patrimoniales utiles à la lutte contre la fraude :

– le fichier FICOBA (fichier national des comptes bancaires et assimilés), prévu par l’article 1649 A du code général des impôts ;

– le fichier FICOVIE (fichier des contrats d’assurance vie), prévu par l’article 1649 ter du code général des impôts ;

- la base PATRIM (recherche des transactions immobilières), service à destination principalement des particuliers, qui permet d’estimer la valeur d’un bien, prévu par l’article L. 107 B du livre des procédures fiscales ;

– la base BNDP (base nationale des données patrimoniales), qui contient les données relatives aux mutations à titre onéreux ou gratuit.

1.   L’élargissement aux assistants spécialisés

a.   Présentation des assistants spécialisés de la DGFiP

Les assistants spécialisés de la DGFiP sont des agents de l’administration fiscale affectés, par application de l’article 706 du code de procédure pénale, au sein des juridictions spécialisées dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Ils ont été créés par la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.

Article 706 du code de procédure pénale

« Peuvent exercer des fonctions dassistant spécialisé auprès dun pôle de linstruction mentionné à larticle 52-1 ou dun tribunal de grande instance mentionné aux articles 704 ou 705 les fonctionnaires de catégorie A ou B ainsi que les personnes titulaires, dans des matières définies par décret, dun diplôme national sanctionnant une formation dune durée au moins égale à quatre années détudes supérieures après le baccalauréat qui remplissent les conditions daccès à la fonction publique et justifient dune expérience professionnelle minimale de quatre années.

Les assistants spécialisés suivent une formation obligatoire préalable à leur entrée en fonction.

Les assistants spécialisés participent aux procédures sous la responsabilité des magistrats, sans pouvoir toutefois recevoir délégation de signature, sauf pour les réquisitions prévues par les articles 60-1, 60-2, 77-1-1, 77-1-2, 99-3 et 99-4.

Ils accomplissent toutes les tâches qui leur sont confiées par les magistrats et peuvent notamment :

 Assister les juges dinstruction dans tous les actes dinformation ;

 Assister les magistrats du ministère public dans lexercice de laction publique ;

 Assister les officiers de police judiciaire agissant sur délégation des magistrats ;

 Remettre aux magistrats des documents de synthèse ou danalyse qui peuvent être versés au dossier de la procédure ;

 Mettre en œuvre le droit de communication reconnu aux magistrats en application de larticle 132-22 du code pénal.

Le procureur général peut leur demander dassister le ministère public devant la juridiction dappel.

Ils ont accès au dossier de la procédure pour lexécution des tâches qui leur sont confiées et sont soumis au secret professionnel sous les peines prévues à larticle 22613 du code pénal.

Un décret en Conseil dÉtat précise les modalités dapplication du présent article, notamment la durée pour laquelle les assistants spécialisés sont nommés et les modalités selon lesquelles ils prêtent serment. »

Les assistants spécialisés peuvent être sollicités par les magistrats du siège et du parquet à tout moment de l’enquête aux fins d’assistance dans leurs dossiers. Ils constituent ainsi une ressource indispensable au bon fonctionnement du parquet national financier (PNF), des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et des juridictions spécialisées que sont les pôles économiques et financiers.

Spécialistes des matières comptable, bancaire, boursière, fiscale, douanière ou encore des marchés publics, ils apportent aux juridictions spécialisées leur compétence spécifique pour traiter les dossiers complexes de manière plus rapide et plus approfondie. Ils constituent une alternative précieuse aux expertises, souvent coûteuses, sollicitées auprès de tiers.

Les assistants spécialisés sont soit des fonctionnaires détachés ou mis à disposition, soit des agents recrutés à titre contractuel. Au 1er février 2018, on comptait vingt-deux assistants spécialisés affectés dans diverses juridictions, à savoir quatorze en JIRS et huit en tribunal de grande instance, dont un auprès du PNF.

Les assistants spécialisés de la DGFiP ne disposent toutefois d’aucun droit d’accès aux différents fichiers de leur administration d’origine, dont les données relèvent du secret fiscal. Pour disposer des informations contenues dans ces applications, les magistrats ou les assistants spécialisés disposant d’une délégation de signature doivent procéder, comme pour toute demande à un tiers à la procédure, par voie de réquisitions auprès de la DGFiP. D’après l’étude d’impact du projet de loi, 70 000 réquisitions liées à la consultation de ces applications ont été adressées en 2017 dans ce cadre.

b.   Ouverture d’un accès direct à plusieurs fichiers de la DGFiP

Le projet de loi ouvre aux assistants spécialisés affectés au sein des juridictions un accès direct aux fichiers suivants de la DGFiP : FICOBA, FICOVIE, PATRIM, BNDP.

Ces dispositions seraient codifiées au nouvel article L. 135 ZJ du LPF.

2.   L’élargissement aux agents de l’inspection du travail et à certains agents chargés du recouvrement dans les organismes de sécurité sociale

Le projet de loi ouvre également l’accès aux fichiers FICOBA, FICOVIE, PATRIM, BNDP aux agents de l’inspection du travail, des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) et des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA), pour les seules missions relatives à la lutte contre le travail illégal tel que défini par l’article L. 8211-1 du code du travail.

Ces dispositions seraient codifiées au nouvel article L. 135 ZK du livre des procédures fiscales.

3.   L’élargissement aux agents des organismes de sécurité sociale

L’amendement du Gouvernement adopté par le Sénat a ouvert l’accès aux fichiers FICOBA, FICOVIE, PATRIM, BNDP aux agents aux agents de la CNAM ([19]), la CNAV ([20]), de la CNAF ([21]), de la CCMSA ([22]) et de Pôle emploi.

Ces dispositions seraient codifiées au nouvel article L. 134 CA du LPF.

4.   L’élargissement aux agents des douanes

a.   S’agissant du fichier FICOVIE

L’amendement du Gouvernement adopté par le Sénat prévoit de donner accès aux agents des douanes aux informations contenues dans le fichier FICOVIE.

Ces dispositions seraient codifiées au nouvel article L. 135 ZL du LPF.

b.   S’agissant des informations sur la résidence fiscale des voyageurs

La commission des finances du Sénat a adopté un amendement permettant aux agents des douanes d’accéder, de manière automatique, aux informations détenues par la DGFiP relatives au pays de résidence fiscale des voyageurs.

Il offre expressément la possibilité pour les agents de la DGDDI d’accéder, de manière automatique, aux informations détenues par la DGFiP, afin de vérifier si les voyageurs qui sollicitent un visa permettant de bénéficier d’une restitution de la TVA remplissent effectivement la condition de non-résidence fiscale en France ou dans l’Union européenne.

Aux termes du 2° du I de l’article 262 du code général des impôts, les voyageurs qui ont leur résidence habituelle dans un État non membre de l’Union européenne (UE) peuvent en effet bénéficier d’une restitution de la TVA acquittée sur les marchandises achetées en France. Le visa du bureau de douane du point de sortie de l’UE accorde au vendeur le bénéfice définitif de l’exonération de la TVA. Il appartient aux commerçants de procéder au remboursement de la détaxe au vu du visa douanier.

Toutefois, en l’absence d’un accès direct des agents de la DGDDI au fichier de la DGFiP relatif aux contribuables qui ont leur résidence fiscale en France, ceux-ci sont bien souvent dans l’incapacité de vérifier les conditions exigées par l’article 262 du code général des impôts pour bénéficier de la détaxe. La présentation, par les voyageurs, d’un passeport étranger n’implique en effet pas nécessairement que ceux-ci ne résident pas en France ou dans l’Union européenne. Il en résulte une fraude difficile à chiffrer mais néanmoins reconnue par les représentants de la DGDDI.

Cet élargissement doit permettre aux agents de la DGDDI présents dans les aéroports et autres points de sortie du territoire d’accéder, en temps réel, au système d’information de la DGFiP pour vérifier cette information.

Il convient toutefois de noter que l’article L. 84 A du livre des procédures fiscales, relatif aux échanges entre la DGFiP et la DGDDI au titre de l’ensemble de leurs missions respectives, pourrait d’ores et déjà permettre la mise en œuvre d’une telle procédure. Toutefois, dans la mesure où aucune mesure réglementaire n’a été prise en ce sens, la commission des finances du Sénat a estimé utile d’adopter cet élargissement.

5.   L’élargissement aux officiers et agents de police judiciaire et agents de la police fiscale

Par amendement du Gouvernement, le Sénat a prévu de donner accès aux fichiers BNDP et PATRIM aux officiers et agents de police judiciaire ainsi qu’aux agents des impôts et des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires.

Cet accès doit compléter celui d’ores et déjà ouvert pour les fichiers FICOBA et FICOVIE.

Ces dispositions seraient codifiées à l’article L. 135 ZC du LPF.

B.   L’élargissement de l’accès aux informations sociales

Le projet de loi permet l’accès au RNCPS pour les agents de contrôle de l’inspection du travail ainsi que les officiers et agents de police judiciaire, dans le cadre de la lutte contre le travail illégal et la fraude sociale, définie de manière large à l’article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale.

L’amendement du Gouvernement adopté par le Sénat étend au-delà du projet de loi initial la liste des personnes disposant d’un accès aux données du RNCPS.

Ces dispositions seraient prévues au 6° de l’article L. 114-12-1 du code de la sécurité sociale relatif au RNCPS.

L’accès à ce fichier pourra être utile, notamment dans le cadre des missions de lutte contre le travail illégal.

C.   L’approfondissement des ÉCHANGES ENTRE LADMINISTRATION DES DOUANES ET LA DIRECTION GÉNÉRALE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES

Les échanges entre la DGDDI et la DGPR sont restreints à deux missions spécifiques : le contrôle des transferts transfrontaliers de déchets et le contrôle des substances et produits chimiques.

La lutte contre la fraude fiscale ne fait donc pas partie des missions pour lesquelles ce dispositif est susceptible d’être mise en œuvre.

Le projet de loi étend le droit de communication entre les agents de la DGDDI et de la DGPR à la lutte contre la fraude fiscale, qui viendrait s’ajouter au contrôle des transferts transfrontaliers de déchets et le contrôle des substances et produits chimiques. Ceci doit faciliter les contrôles portant sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP).

Par amendement du Gouvernement, le droit de communication a également été étendu entre les douanes et la direction générale de la prévention des risques aux conditions de traitement des déchets, toujours dans le but de faciliter les contrôles de la TGAP.

L’article 59 octies du code des douanes serait modifié à cet effet.

Cet approfondissement pourrait être utile à la DGDDI, notamment dans le cadre du contrôle et du recouvrement de la fiscalité écologique, et en particulier de la TGAP.

L’étude d’impact du présent article indique en effet que la DGPR et ses services déconcentrés disposent d’informations sur les sites industriels soumis à autorisation ou enregistrement au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et les stations d’épuration des eaux usées (STEU), qui permettraient à la DGDDI de mieux cibler ses contrôles en matière de TGAP sur les émissions de substances polluantes dans l’atmosphère.

Les données relatives aux quantités de déchets traitées et déclarées par un opérateur auprès de la DGPR pourraient également être comparées aux quantités de déchets déclarées auprès de la DGDDI en matière fiscale, afin de déceler d’éventuels écarts.

D.   Les autres dispositions concernant les douanes

1.   L’élargissement au profit des assistants spécialisés des douanes de l’accès aux informations douanières

L’amendement du Gouvernement adopté par le Sénat étend les accès aux fichiers de leur administration d’origine aux assistants spécialisés des douanes.

Il introduit en faveur des assistants spécialisés des douanes auprès des juridictions l’accès à de nouveaux fichiers.

2.   L’approfondissement des échanges d’information entre les douanes et les agents publics du domaine agricole

L’amendement du Gouvernement adopté par le Sénat autorise les agents des douanes et les agents du ministère de l’agriculture, de FRANCEAGRIMER et d’ODEADOM à s’échanger des informations pour les besoins de leurs missions de contrôle portant sur les ressources propres de l’Union européenne et des taxes nationales.

III.   La position de la commission

La rapporteure approuve la philosophie générale de cet article, l’échange d’informations entre administrations devant contribuer à améliorer la détection des fraudes.

Toutefois, la rapporteure propose la suppression de la création d’un article L. 83 A bis dans le livre des procédures fiscales, qui a été ajouté par le Sénat au projet de loi initial.

Cette suppression est motivée par le fait qu’il existe déjà dans le livre des procédures fiscales un article L. 83 A prévoyant que les agents de la DGFiP et de la DGDDI peuvent se voir communiquer spontanément ou sur demande tous documents et renseignements détenus ou recueillis dans le cadre de l’ensemble de leurs missions respectives.

Par ailleurs, il convient de souligner que malgré un objectif spécifique visant à permettre aux agents des douanes de s’assurer de l’effectivité de la « non-résidence » fiscale des voyageurs souhaitant bénéficier de la détaxe à l’exportation pour leurs achats en France, la rédaction de l’article L. 83 A bis nouveau du livre des procédures fiscales est très générale (« droit daccès direct aux informations détenues par la direction générale des finances publiques... »).

En conséquence, par rapport au dispositif existant, ce nouvel article ne constituerait pas, de fait, une avancée pour l’administration des douanes dans l’accès aux traitements automatisés d’informations mis en place par la DGFiP.

*

*     *

La commission est saisie de l’amendement CF184 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le présent amendement vise à revenir sur la création par le Sénat, dans le livre des procédures fiscales, d’un article L. 83 A bis, dont l’objectif était d’aider les douanes à connaître la résidence fiscale des voyageurs lors des opérations de détaxes de TVA. Lors des auditions, les services des douanes ont indiqué qu’ils n’étaient pas demandeurs de ce dispositif, qui n’est pas opérationnel puisqu’il n’existe pas un fichier des résidences fiscales – la résidence fiscale se démontrant à partir d’un faisceau d’indices. En tout état de cause, ils peuvent accéder à un certain nombre d’informations à la demande, par application de l’article L. 83 A du livre des procédures fiscales, pour les aider dans leurs recherches.

C’est pourquoi je vous propose de supprimer les alinéas 11 et 12 de l’article 3.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 modifié.

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*     *

 

 

 

 

Après l’article 3

La commission examine l’amendement CF64 de M. Jean-Noël Barrot.

M. Jean-Noël Barrot. Dans le cadre d’une procédure pénale, les banques peuvent être conduites à transmettre à l’OPJ, sur autorisation du procureur de la République, des copies des relevés de compte des personnes visées par la procédure. Toutefois, bien souvent, ces copies sont transmises sous des formats très difficilement exploitables par l’OPJ. Aussi le présent amendement vise-t-il à ce que le format auquel ces informations sont transmises soit précisé par un décret en Conseil d’État.

Je citerai l’un des exemples qui ont motivé cette proposition. Une enquête sur un trafic de stéroïdes a conduit à l’analyse de mouvements de fonds soigneusement cachés par le biais de sociétés-écrans. On a compté 80 comptes bancaires susceptibles de figurer dans l’association de malfaiteurs. Les banques détentrices de ces comptes ont transmis des dizaines de fichiers-images que les forces de l’ordre ont dû traiter manuellement, mobilisant deux réservistes pendant quatre semaines. Si les banques avaient pu transmettre les données dans un format directement exploitable informatiquement, le temps de préparation des données aurait été de deux jours par homme soit un vingtième de l’effort finalement déployé.

Mme la rapporteure. Votre amendement propose de modifier l’article 77-1-1 du code de procédure pénale pour que la transmission des informations s’effectue sous un format exploitable dont les spécifications techniques seraient précisées par décret. Toutefois, selon les informations que nous avons recueillies au cours de ces derniers jours, l’amendement n’a pas fait l’objet d’une concertation avec le secteur bancaire. Comme nous ne disposons d’aucune étude d’impact, il conviendrait d’examiner votre proposition de manière plus approfondie d’ici à la séance publique. En outre, le présent amendement ne paraît pas totalement entrer dans le champ du projet de loi. Avis défavorable.

M. le ministre. Je comprends le souci de M. Barrot, mais le dernier argument de Mme la rapporteure est le bon : comme il s’agit de procédures pénales, cette proposition aurait davantage sa place dans le texte que Mme la garde des sceaux défendra sans doute à l’automne prochain. Cela éviterait en outre de rendre le texte plus compliqué qu’il ne l’est. Je suggère donc à M. le député de bien vouloir retirer son amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine en présentation commune les amendements CF72 et CF71 de M. Jean-Paul Dufrègne.

 

M. Jean-Paul Dufrègne. Par l’amendement CF72, nous souhaitons insérer dans le code du travail un alinéa prévoyant qu’en cas de travail dissimulé l’employeur rembourse toute aide publique attribuée par l’État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements, ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d’une mission de service public durant les cinq derniers exercices clos. Il s’agit de lutter en particulier contre les cas de travail dissimulé.

L’amendement CF71 est semblable, mais combat la fraude sociale, en l’espèce le prêt illicite de main-d’œuvre.

Mme la rapporteure. Le travail dissimulé peut entraîner un certain nombre de sanctions dont le remboursement des aides publiques, prévu par l’article L. 8222-2 du code du travail.

Les sanctions administratives applicables aux employeurs ayant fait l’objet d’un procès-verbal relevant une infraction de travail illégal sont les suivantes : suppression des aides publiques ; remboursement des aides publiques déjà perçues au cours des douze derniers mois ; exclusion des contrats publics pour une durée maximale de six mois ; fermeture administrative temporaire ; redressement forfaitaire de cotisations sociales. Ces sanctions administratives sont indépendantes des suites données par l’autorité judiciaire au procès-verbal pour travail illégal.

Votre amendement propose d’aller plus loin mais, considérant l’arsenal répressif comme déjà très important, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

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Article 3 bis
(article 1649 A du code général des impôts)
Obligations déclaratives pour les comptes détenus à létranger

Résumé du dispositif proposé

Introduit par le Sénat, le présent article vise à compléter le champ des obligations déclaratives des contribuables s’agissant des comptes qu’ils détiennent à l’étranger. Il a été adopté avec un avis favorable du Gouvernement et de la commission des finances du Sénat.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement rédactionnel visant à simplifier l’énumération des comptes soumis à l’obligation de déclaration. Sont ainsi désormais visés les comptes « ouverts, détenus ou clos » à l’étranger.

I.   Le droit existant

1.   La portée de l’obligation déclarative

Actuellement régies par le deuxième alinéa de l’article 1649 A du code général des impôts (CGI), les obligations déclaratives relatives aux comptes détenus à l’étranger s’appliquent aux personnes physiques, associations et sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliés ou établies en France.

La portée de l’obligation s’étend aux références des comptes financiers ouverts, utilisés ou clos à l’étranger, que les contribuables en soient titulaires ou qu’ils détiennent sur ces comptes une procuration.

2.   Le champ de l’obligation déclarative

Pour l’application du deuxième alinéa de l’article 1649 A, des précisions sont apportées aux articles 344 A et 344 B de l’annexe III du même code ainsi que dans une instruction publiée au BOFIP ([23]).

Les comptes soumis à l’obligation de déclaration sont ceux qui ont été ouverts, utilisés ou clos hors de France au cours de l’année ou de l’exercice concerné par la déclaration, par le déclarant, l’un des membres de son foyer fiscal ou une personne rattachée à son foyer. Un compte est réputé avoir été utilisé par l’une des personnes astreintes à l’obligation de déclaration dès lors que celle-ci a effectué au moins une opération de crédit ou de débit pendant la période visée par la déclaration.

3.   Les sanctions applicables

Les sanctions applicables en cas de méconnaissance de l’obligation déclarative de l’article 1649 A du CGI sont différentes selon que la déclaration contienne des inexactitudes ou omissions ou qu’elle n’ait pas été effectuée.

Dans le premier cas, si le contribuable a déposé une déclaration comportant des omissions ou inexactitudes, une amende de 15 euros par omission ou inexactitude peut lui être appliquée, dans la limite d’un montant maximal de 10 000 euros ([24]).

Dans le cas d’un défaut de déclaration, les sanctions sont plus lourdes. Le contribuable s’expose, conformément au 2 du IV de l’article 1736 du CGI, à une amende de 1 500 euros par compte non déclaré. Ce montant est porté à 10 000 euros lorsque l’obligation déclarative concerne un État qui n’a pas conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales permettant l’accès aux renseignements bancaires.

Toutefois, lorsque le défaut de déclaration donne lieu à une majoration de 80 % des droits dus à raison des sommes figurant sur le ou les comptes non déclarés, l’amende prévue au 2 du IV de l’article 1736 CGI ne s’applique pas ([25]). La majoration de 80 % est alors la seule sanction applicable et son montant ne peut être inférieur à celui de l’amende prévue au 2 du IV de l’article 1736 du CGI.

II.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte d’un amendement présenté par M. Éric Bocquet et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, adopté par le Sénat avec avis favorable de la commission des finances et du Gouvernement.

L’amendement vise à compléter les dispositions de l’article 1649 A du CGI, qui régit les obligations déclaratives applicables s’agissant des comptes à l’étranger.

En l’état, le texte précise qu’il s’agit des comptes « ouverts, utilisés ou clos » à l’étranger. Considérant qu’un doute existe quant à l’application de cette disposition aux comptes « dormants » détenus à l’étranger, l’amendement prévoit de compléter le deuxième alinéa de l’article 1649 A du CGI afin d’y ajouter les comptes « détenus » à l’étranger.

Le texte ainsi modifié, l’obligation déclarative s’appliquera à tous les comptes détenus par le contribuable à l’étranger, que ceux-ci aient ou non été utilisés lors de l’année correspondant aux revenus ou aux résultats concernés par la déclaration.

III.   La position de la commission

Favorable à une telle extension du champ de l’obligation déclarative, la rapporteure a proposé, dans un souci de clarté, de modifier l’énumération des comptes visés à l’article 1649 A du CGI pour indiquer qu’il s’agit des comptes « ouverts, détenus ou clos » à l’étranger pendant la période couverte par la déclaration. Le remplacement du terme « utilisés » par le mot « détenus » semble plus clair que la coexistence des deux termes. Le mot « détenus » couvre l’ensemble des comptes détenus à l’étranger, que ceux-ci soient ou non utilisés.

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La commission examine l’amendement CF134 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Le présent amendement vise à élargir aux personnes morales l’obligation de déclarer auprès de l’administration fiscale les comptes détenus à l’étranger, ainsi que les comptes des personnes physiques qu’elles gèrent.

En effet, dans le cadre juridique actuel, seules les personnes physiques sont astreintes à cette obligation déclarative, alors que l’évasion fiscale par le biais d’entreprises représente une atteinte grave et manifeste aux recettes de l’État. En jouant sur les différentiels d’imposition entre les différents pays, c’est-à-dire en organisant un dumping fiscal nuisible à la bonne santé budgétaire des nations, les mouvements intempestifs et libres de capitaux constituent un facteur de déstabilisation économique majeur.

À titre d’exemple, dans son livre publié en 2012, Antoine Peillon, grand reporter au journal La Croix, estimait à près de 600 milliards d’euros le montant des avoirs français dissimulés à l’étranger, soit une fortune considérable qui échappe ainsi au contrôle de l’État et de son administration fiscale, à rebours de l’objectif d’une plus stricte gestion budgétaire que poursuit le Gouvernement. Il est à noter que la majorité de cette somme – près de 450 milliards d’euros – serait détenue par des entreprises.

Obliger les personnes morales à déclarer leurs comptes à l’étranger, c’est d’abord répondre à un principe de transparence mais aussi d’égalité devant la loi puisque particuliers et associations tombent d’ores et déjà sous le coup de cette obligation.

Par ailleurs, une telle obligation déclarative, en supposant la sincérité des personnes morales concernées, permettrait à l’État de mieux mesurer le volume des comptes présents à l’étranger ainsi que les pays « cibles » que choisissent ces entreprises. Aussi un tel dispositif permettrait-il de mieux lutter contre l’évasion fiscale en s’assurant d’une plus grande visibilité sur la présence de comptes bancaires détenus par des personnes morales à l’étranger.

Mme la rapporteure. Je partage votre volonté de lutter contre les pratiques d’évasion fiscale. Votre amendement présente néanmoins plusieurs imperfections légistiques qui introduisent une confusion sur les objectifs poursuivis.

De plus, il tend à « écraser » tout simplement les modifications apportées par le Sénat qui incluent dans le champ de la déclaration les comptes détenus à l’étranger au cours de la période de déclaration, ce qui ne me semble pas opportun.

Vous proposez en outre de compléter la liste des personnes assujetties à l’obligation de déclaration des comptes pour y inclure les sociétés commerciales. Or ces sociétés sont déjà largement soumises à des obligations déclaratives concernant leur état financier, leur politique fiscale – je vous informe incidemment que, dans le cadre des contrôles fiscaux, l’accès aux comptes bancaires est bien évidemment requis.

Enfin, vous souhaitez compléter l’article 1649 A du code général des impôts pour y inclure une obligation pour certaines personnes morales de déclarer les comptes des personnes physiques qu’elles administrent, complément qui ne paraît pas nécessaire puisqu’il est déjà prévu que les personnes qui reçoivent habituellement en dépôt des valeurs mobilières, titres ou espèces doivent déclarer à l’administration des impôts l’ouverture et la clôture des comptes de toute nature.

Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CF176 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit de substituer le mot « détenus » au mot « utilisés ». Le champ de l’obligation déclarative inclura ainsi, outre les comptes ayant été ouverts ou clos pendant la période de référence, les comptes détenus à l’étranger, que ceux-ci soient ou non utilisés.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 3 bis modifié.

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Article 3 ter
(article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale)
Suspension des prestations en cas de fraude documentaire

Résumé du dispositif proposé

Introduit par le Sénat, le présent article vise à compléter l’article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale pour préciser que la fraude documentaire peut entraîner la suspension du bénéfice des prestations. Le présent article a été adopté, en dépit de la demande de retrait du Gouvernement et d’un avis de sagesse de la commission des finances du Sénat.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté les amendements identiques de suppression de l’article, présentés par la rapporteure, le groupe La République en Marche, le groupe Nouvelle Gauche et M. Éric Alauzet.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte de l’adoption par le Sénat d’un amendement présenté par Mme Nathalie Goulet et les membres du groupe Union centriste. Il a reçu un avis de sagesse de la commission des finances et donné lieu à une demande de retrait du Gouvernement.

L’article ainsi inséré prévoit de compléter l’article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale pour indiquer que la suspension des prestations de santé et de maladie ne peut être décidée, sauf en cas de fraude documentaire.

II.   La position de la commission

Plusieurs dispositions du code de la sécurité sociale permettent de sanctionner les fraudes commises en matière sociale et de suspendre, le cas échéant, le versement des prestations obtenues de manière frauduleuse.

L’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale prévoit ainsi que, sauf cas de force majeure, la non-présentation par le demandeur de pièces justificatives, « la présentation de faux documents ou de fausses informations (…) entraînent la suspension, selon le cas, soit du délai dinstruction de la demande pour une durée maximale fixée par décret, soit du versement de la prestation jusquà la production des pièces demandées ».

Par ailleurs, depuis la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012 ([26]), la constatation de l’obtention frauduleuse, notamment à l’aide de faux documents ou de fausses déclarations, d’un numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques entraîne la suspension du versement des prestations dans les conditions prévues à l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale et le réexamen du droit à l’ensemble des prestations versées par les organismes mentionnés à l’article L. 114-12 du même code.

Larticle L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale pose, pour sa part, un principe général selon lequel la perte du bénéfice de la prise en charge des frais de santé en cas de maladie et maternité ne peut intervenir que si la personne cesse de remplir la condition de résidence mentionnée à larticle L. 160-1 du même code ou si elle est présumée absente dans les conditions prévues par larticle 112 du code civil.

Les débats en séance publique au Sénat ont soulevé une question portant sur l’articulation entre ces deux dispositions, l’une, générale, et l’autre, particulière. La rédaction de l’article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale, en énumérant les conditions dans lesquelles le bénéfice des prestations peut, par exception au principe de l’article, être perdu entretient, en effet, un doute quant à l’application combinée de ces deux dispositions.

Les informations transmises à la rapporteure par le cabinet de la ministre des solidarités et de la santé confirment toutefois que les dispositions communes de l’article L. 161-1-4 du code de la sécurité sociale peuvent s’appliquer aux prestations de maladie et de maternité. Il a ainsi été indiqué à la rapporteure qu’en cas de fraude documentaire, les prestations de sécurité sociale, dont la prise en charge des frais de santé, sont bien suspendues, voire fermées si l’assuré ne fournit pas de pièces complémentaires.

Par conséquent, les précisions apportées au code de la sécurité sociale à l’article 3 ter du projet de loi ne semblent pas indispensables. La rapporteure a donc proposé la suppression de l’article 3 ter.

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La commission examine les amendements identiques CF177 de la rapporteure, CF45 de M. Éric Alauzet, CF76 de Mme Christine Pires Beaune et CF83 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. Il s’agit de supprimer l’article 3 ter, qui introduit une exception au principe selon lequel la perte du bénéfice de la prise en charge des frais de santé en cas de maladie et de maternité ne peut être effective que dans des cas limités. L’extension du dispositif à la fraude documentaire ne me paraît pas opportune, car plusieurs dispositions permettent déjà de sanctionner les fraudes commises en matière sociale et de suspendre, le cas échéant, le versement des prestations obtenues de manière frauduleuse.

M. Jean-Louis Bricout. L’amendement CF76 vise à supprimer un article déjà satisfait par le droit en vigueur. J’ajoute qu’il est parfois difficile de distinguer la fraude documentaire de l’erreur.

M. Daniel Labaronne. Par l’amendement CF83, nous proposons également de supprimer l’article 3 ter, dont nous doutons qu’il soit efficace, et qui contrevient, de notre point de vue, aux principes fondamentaux de solidarité nationale et du système de sécurité sociale. Nous pensons en outre que la fraude documentaire peut être combattue par d’autres moyens beaucoup plus efficaces comme l’ouverture des fichiers – comme du reste le propose le texte.

M. Charles de Courson. Il est vrai que, dans le code de la sécurité sociale, deux articles – L. 161-15-1 et L. 164-1-4 – ne sont pas tout à fait cohérents ; mais, pour confirmer l’hypothèse de la justice selon laquelle le législateur est intelligent, considérons que l’article 3 ter n’est pas utile. Il suffirait d’ailleurs que le ministre le confirme.

M. le ministre. Je suis favorable aux amendements identiques qui viennent d’être défendus. L’article L. 161-15-1 du code de la sécurité sociale dispose qu’« une personne ne peut perdre le bénéfice de la prise en charge des frais de santé en cas de maladie et maternité que si elle cesse de remplir la condition de résidence mentionnée à l’article L. 160-1 ou si elle est présumée absente dans les conditions prévues par l’article 112 du code civil ». Et vous avez raison de souligner que l’article L. 161‑1-4 dudit code prévoit déjà la possibilité de suspendre la prise en charge des frais de santé en cas de fraude.

La commission adopte les amendements.

L’article 3 ter est ainsi supprimé.

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Article 4
(articles L. 1117 du code de la consommation, 242 bis, 1649 quater A bis, 1731 ter, 1736 et 1754 du code général des impôts, L. 114-19-1 du code de la sécurité sociale, et 60 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017)
Précision des obligations déclaratives fiscales
des plateformes déconomie collaborative

Résumé du dispositif proposé

Le présent article actualise et renforce les obligations déclaratives pesant sur les plateformes en ligne. Il fusionne au sein de l’article 242 bis du code général des impôts (CGI) trois obligations déclaratives :

– celles d’informer les utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales et de leur transmettre un récapitulatif annuel des transactions réalisées, qui figuraient déjà à cet article ;

– celle de transmettre à l’administration fiscale, une fois par an, un document récapitulant les éléments transmis aux utilisateurs, notamment les revenus encaissés (cette obligation figure actuellement à l’article 1649 quater A bis du CGI, qui n’est pas encore entrée en vigueur et que le présent article abroge en conséquence).

Ces trois obligations s’appliquent à toutes les plateformes, qu’elles soient établies en France ou non. Par ailleurs, leur non-respect entraîne l’application de sanctions :

– une amende forfaitaire fixée dans la limite d’un plafond de 50 000 euros en cas de manquement à l’information de l’utilisateur de ses obligations fiscales et sociales :

– une amende de 5 % des sommes non déclarées auprès de l’utilisateur et de l’administration.

Ce dispositif s’appliquera aux revenus perçus à compter de 2019, pour des premières déclarations en 2020.

Modifications apportées par le Sénat

Outre des amendements rédactionnels et légistiques, le Sénat a modifié le présent article sur plusieurs points :

– la définition des plateformes en ligne a été alignée sur celle prévue par le code de la consommation ;

– a été introduite l’obligation pour la plateforme de communiquer le numéro de taxe sur la valeur ajoutée de l’utilisateur, la catégorie des revenus perçus et la mention éventuelle de leur caractère exonéré par nature ;

– une responsabilité solidaire dans le paiement des amendes à l’égard des entreprises françaises liées à un opérateur de plateforme a été mise en place ;

– a été prévue la transmission à la sécurité sociale du document transmis par la plateforme.

 

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 87 de la loi de finances pour 2016 a prévu, à travers l’article 242 bis du CGI, une obligation pour les plateformes en ligne d’informer leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales et de leur communiquer le résumé des transactions effectuées.

L’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 a introduit dans le CGI un nouvel article 1649 quater bis prévoyant pour les plateformes une obligation de déclaration auprès de l’administration fiscale des revenus perçus par leurs utilisateurs, censée entrer en vigueur le 1er janvier 2019.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

Outre l’adoption de plusieurs amendements rédactionnels de la rapporteure, la commission :

– a rétabli la définition initialement prévue des opérateurs de plateforme soumis au présent article, à l’initiative de la rapporteure ;

– a précisé que les informations à transmettre ne concernent que les transactions dont l’opérateur de plateforme a connaissance, en adoptant un amendement en ce sens de la rapporteure ;

– a supprimé, là encore à l’initiative de la rapporteure, les éléments à communiquer aux utilisateurs et à l’administration qu’avait ajoutés le Sénat (mention du numéro de taxe sur la valeur ajoutée et qualification fiscale des revenus) ;

– à l’initiative de la rapporteure et du groupe La République En Marche, est revenue sur l’ajout du Sénat relatif au champ d’application du dispositif, cet ajout étant redondant avec la rédaction prévue ;

– a supprimé le régime de responsabilité solidaire dans le paiement des amendes, en adoptant un amendement en ce sens du groupe La République En Marche ;

– a précisé, à l’initiative de la rapporteure et du groupe majoritaire, que la transmission des informations à la sécurité sociale est faite par l’administration.

I.   Le droit existant

Compte tenu de la place de plus en plus importante occupée par l’économie collaborative et la croissance sans précédent des revenus qu’elle permet de dégager, plusieurs initiatives législatives ont encadré certains de ses secteurs, notamment les plateformes. Après une première obligation d’information de leurs utilisateurs, celles-ci se sont vu imposer de déclarer à l’administration le montant des revenus perçus par eux – cette nouvelle obligation n’étant pas encore entrée en vigueur.

A.   l’économie collaborative, un modèle en plein essor

L’économie collaborative est un concept qui recouvre des réalités diverses mais qui connaît depuis plusieurs années un essor considérable, notamment en raison de l’utilisation croissante des nouvelles technologies et des possibilités permises par Internet.

● D’un point de vue fonctionnel, trois types de plateformes collaboratives peuvent être identifiés :

– celles relevant de l’économie du partage, caractérisée par des échanges entre particuliers sans but lucratif (tel est le cas du partage de frais de véhicules avec Blablacar) ;

– celles fournissant des services à la demande, les plateformes procédant à l’appariement des utilisateurs professionnels et des consommateurs (c’est le modèle d’Uber) ;

– celles qualifiées de places de marché, pouvant mettre en relation des particuliers mais aussi des professionnels (Le Bon Coin, Airbnb, etc.).

Une grande partie des plateformes existantes sont de création récente : en 2016, Pascal Terrasse, à qui le Gouvernement avait confié un rapport sur l’économie collaborative, relevait que 79 % des plateformes collaboratives avaient moins de huit ans, et 48 % à peine quatre ans ([27]).

● Alors que le chiffre d’affaires global de l’économie collaborative en 2016 s’est élevé, pour l’Union européenne, à 28 milliards d’euros (dont 24 milliards pour les particuliers et 4 milliards pour les plateformes), les estimations publiées par le cabinet de conseil PwC dans le cadre d’une étude réalisée pour la Commission européenne prévoient, à l’horizon 2025, un chiffre d’affaires total de 570 milliards, ainsi que l’illustre le tableau suivant.

chiffre d’affaires des principaux secteurs de l’économie collaborative
(2016-2025)

(en milliards d’euros)

 

2016

2025 (prévisions)

Rapport 2025/2020

Particuliers

Plateforme

Total

Particuliers

Plateforme

Total

Chiffre daffaires

24

4

28

487

83

570

2 036 %

NB : les cinq principaux secteurs sont la finance, l’hébergement, le transport, les services à la personne et les services aux entreprises.

Source : PwC, Future of the Sharing Economy in Europe 2016, 2016.

La France se caractérise par une forte présence dans l’économie collaborative, étant avec le Royaume-Uni le pays qui compte le plus d’entreprises dans ce secteur (plus de cinquante pour chacun de ces deux pays sur un total identifié de 275 dans neuf grands pays européens ([28])).

B.   L’obligation pour les plateformes d’informer leurs utilisateurs

Face à l’importance économique de ces activités et à leurs perspectives de croissance, les pouvoirs publics ont adopté une série de dispositifs pour accompagner le dynamisme de ce secteur, mais aussi protéger ses travailleurs et assurer une fiscalité équitable.

Dans la mesure où l’économie collaborative génère pour ses acteurs des revenus de plus en plus importants, pouvant aller au-delà du complément d’appoint pour constituer dans certains cas de réelles rémunérations autosuffisantes, un renforcement de la transparence fiscale et sociale apparaissait nécessaire.

À cette fin, le législateur, à l’occasion la loi de finances pour 2016 ([29]), a introduit dans le code général des impôts (CGI) un nouvel article 242 bis prévoyant pour les plateformes en lignes des obligations déclaratives auprès de leurs utilisateurs. Cet article définit ces plateformes comme les entreprises « qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente dun bien, de la fourniture dun service ou de léchange ou du partage dun bien ou service ».

1.   L’information des utilisateurs sur leurs obligations et sur les transactions effectuées

● En vertu de l’article 242 bis, les plateformes sont tenues de fournir à leurs utilisateurs :

– lors de chaque transaction, « une information loyale, claire et transparente sur les obligations fiscales et sociales » qui incombent à ceux-ci, en vertu du I de cet article ([30]) ;

– un lien vers des sites administratifs permettant de se conformer à ces obligations fiscales et sociales, en vertu du même I ;

– en janvier de chaque année, un récapitulatif du montant brut des montants perçus au titre des transactions réalisées, en vertu de son II.

● Le contenu des informations devant être transmises annuellement en application du II de l’article 242 bis est défini à l’article 171 AX de l’annexe II du CGI, et comporte :

– la date d’émission du document transmis ;

– le nom, l’adresse et les références de la plateforme (numéro de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) intracommunautaire, numéro d’immatriculation au Registre du commerce et des sociétés (RCS) ([31]) ou numéro d’immatriculation auprès de l’administration du pays de résidence si la plateforme est établie hors de France) ;

– le nom de l’utilisateur, son adresse postale et, le cas échéant, physique ;

– le numéro de TVA intracommunautaire si l’utilisateur est une entreprise (ou, à défaut de disposer d’un tel numéro, celui d’immatriculation au RCS ou celui d’immatriculation à l’étranger) ;

– le nombre de transactions réalisées ;

– les montants perçus par l’utilisateur au titre de ces transactions, hors commissions perçues par la plateforme.

● Aux termes du III de l’article 242 bis, ces obligations d’information s’appliquent aux utilisateurs résidant en France ou qui y réalisent des ventes ou des prestations de service (les opérations effectuées en France étant définies par renvoi aux articles 258 à 259 D du CGI relatifs à la territorialité de la TVA).

2.   La certification des plateformes par un tiers indépendant

● Le IV de l’article 242 bis prévoit une certification annuelle du respect des obligations précédemment mentionnées par la plateforme, faite par un tiers certificateur.

Les modalités de certification et le contenu du certificat sont précisés à l’article 171 AY de l’annexe II du CGI.

Le tiers certificateur peut être un commissaire aux comptes, un cabinet d’audit ou toute personne (physique ou morale) établie dans l’Union européenne. Il doit démontrer son indépendance, son intégrité, son honorabilité et effectuer la certification en dehors de tout conflit d’intérêts. Il ne peut ainsi y avoir de lien de dépendance avec la plateforme en cours de certification ([32]).

Le certificat délivré à la plateforme atteste de la prise par celle-ci des dispositions nécessaires pour se mettre en conformité avec les obligations lui incombant vis-à-vis de ses utilisateurs. Il doit être communiqué à l’administration par voie électronique avant le 15 mars, en application de l’article L. 102 AD du livre des procédures fiscales (LPF).

● L’absence de production par la plateforme de ce certificat est punie d’une amende de 10 000 euros, en vertu de l’article 1731 ter du CGI. Cette absence de production est constatée dans les conditions prévues à l’article L. 80 P du LPF.

C.   L’obligation différée de transmission par les plateformes des revenus des utilisateurs à l’administration

Poursuivant la transparence initiée par l’article 242 bis du CGI, le législateur a mis en place à l’occasion de la loi de finances rectificative pour 2016 ([33]) une obligation pour les plateformes de communiquer à l’administration les revenus perçus par leurs utilisateurs.

● Prévue à l’article 1649 quater A bis du CGI ([34]), cette obligation, dont le non-respect n’est assorti d’aucune sanction, consiste en la transmission une fois par an des informations suivantes :

– les éléments d’identification de l’utilisateur (nom, prénom et date de naissance pour les personnes physiques, dénomination, adresse et numéro SIREN pour une personne morale) ;

– l’adresse électronique de l’utilisateur ;

– le statut de particulier ou de professionnel mentionné sur la plateforme ;

– le montant des revenus perçus par l’utilisateur pendant l’année civile par l’intermédiaire de la plateforme (notion qui recouvre à la fois les revenus tirés d’activités sur la plateforme et ceux versés par l’intermédiaire de celle-ci) ;

– la catégorie des revenus.

Le dernier alinéa du I de cet article prévoit la transmission à l’utilisateur d’une copie des informations ainsi transmises qui le concernent directement.

● Les plateformes concernées par l’article 1649 quater A bis sont celles définies à l’article L. 111‑7 du code de la consommation, qui vise un champ plus large que la définition prévue à l’article 242 bis du CGI.

L’opérateur de plateforme en ligne
au sens du code de la consommation

Modifié par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique (1), l’article L. 111‑7 du code de la consommation définit ce qu’est un opérateur de plateforme en ligne.

Aux termes du I de cet article, il s’agit de « toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

 Le classement ou le référencement, au moyen dalgorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;

 Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente dun bien, de la fourniture dun service ou de léchange ou du partage dun contenu, dun bien ou dun service. »

(1) Article 49 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique

● Conformément au II de l’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 précitée, l’article 1649 quater A bis est censé s’appliquer aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2019, conduisant à ce que les premières déclarations à l’administration interviennent en 2020.

Ce décalage temporel, introduit à l’initiative du Gouvernement, avait pour objectif de garantir l’effectivité du dispositif, notamment d’un point de vue technique.

Les éléments à transmettre en vertu de l’article 1649 quater A bis souffrent en effet d’une relative inadéquation aux besoins concrets de l’administration fiscale et n’offrent pas à cette dernière la possibilité d’une identification robuste des utilisateurs assise sur des informations fiables.

II.   Le dispositif proposé

A.   L’amélioration et la simplification des obligations déclaratives des plateformes en ligne

Le présent article 4 procède à une refonte des obligations déclaratives pesant sur les plateformes en ligne. De manière synthétique, il peut être vu comme fusionnant les deux dispositifs actuels, en les améliorant sur des aspects substantiels et en prévoyant des sanctions, pour garantir leur effectivité.

À titre liminaire, soulignons que la définition des plateformes retenue par le dispositif initial est celle figurant actuellement à l’article 242 bis, non celle prévue au I de l’article L. 111‑7 du code de la consommation auquel renvoie l’article 1649 quater A bis du CGI.

1.   La fusion des dispositifs d’obligations déclaratives des plateformes : le renforcement de l’efficacité et de la lisibilité du droit

Le I du présent article réécrit l’article 242 bis du CGI afin d’y faire figurer l’ensemble des obligations incombant aux plateformes, évitant toute redondance et harmonisant le droit applicable.

● Le  de larticle 242 bis ainsi rédigé porte sur l’obligation d’informer des utilisateurs sur leurs obligations fiscales et sociales. Il s’agit d’une reprise de l’actuel I de cet article ([35]).

● Son  porte sur l’obligation de transmettre annuellement à chaque utilisateur un document récapitulant ses éléments d’identification, le nombre de transactions réalisées et les montants perçus au titre de l’activité conduite sur la plateforme.

Il s’agit de l’obligation dont le principe est actuellement prévu au II de l’article 242 bis dans une formulation relativement lapidaire : seuls les montants bruts des transactions sont mentionnés. Le détail des éléments que la plateforme doit transmettre est prévu, ainsi qu’il a été vu, au III de l’article 171 AX de l’annexe II du CGI précédemment mentionné.

Ces éléments portant sur les transactions dont l’opérateur de la plateforme a connaissance, le dispositif s’appliquera dans les faits à ceux qui servent d’intermédiaires de paiement.

Dans la mesure où les éléments prévus par ce 2° sont également ceux que la plateforme devra transmettre à l’administration en application du  de larticle 242 bis dans sa version proposée, il apparaît utile d’étudier le contenu de ces éléments, non seulement au regard de l’actuelle obligation d’information de l’utilisateur, mais aussi à l’aune de l’obligation d’information de l’administration prévue à l’actuel article 1649 quater A bis.

À cet effet, le tableau suivant compare les différents contenus actuels et celui proposé par le présent article 4.

analyse comparée du contenu des informations
transmises par les plateformes

Droit existant

Droit proposé

Information de lutilisateur
(III de larticle 171 AX pris pour lapplication du II de larticle 242 bis

Information de ladministration (article 1649 quater A bis)

Information de lutilisateur
et de ladministration
(2° et 3° de larticle 242 bis proposé)

Nom complet et adresse de la plateforme (et numéro de TVA intracommunautaire dimmatriculation au RCS ou dimmatriculation à létranger) (2°)

Éléments d’identification de la plateforme concernée (a)

Utilisateur personne physique : nom complet et adresse électronique (et postale si possible) (3°)

Utilisateur personne physique : nom, prénom, date de naissance, adresse électronique (1° et 3°)

Éléments d’identification de l’utilisateur (b)

Utilisateur personne morale : nom complet et adresse électronique (et postale si possible) ainsi que les numéros de TVA intracommunautaire, dinscription au RCS ou dimmatriculation à létranger (3°)

Utilisateur : dénomination, adresse, numéro SIREN, adresse électronique (2° et 3°)

Statut de particulier ou de professionnel (4°)

Statut de particulier ou de professionnel (c)

Nombre de transactions réalisées (4°)

Nombre de transactions réalisées (d)

Montant total brut des sommes perçues (5°)

Montant total brut des sommes perçues (5°)

Montant total brut des sommes perçues (d)

Catégorie de rattachement des revenus (6°)

Si elles sont connues, les coordonnées bancaires de l’utilisateur (e)

Source : commission des finances.

Le contenu prévu par le dispositif proposé et défini au 2° de la nouvelle version de l’article 242 bis auquel renvoie le 3° de ce même article, est plus riche que les autres contenus existants :

– par rapport à l’actuelle obligation d’informer l’utilisateur, figurent en plus :

– par rapport à l’actuelle obligation d’informer l’administration prévue à l’article 1649 quater A bis, figurent en plus :

La circonstance que le dispositif proposé se borne à préciser que sont exigés « les éléments didentification de lutilisateur » (b du 2°) ne doit pas conduire à voir dans la nouvelle version de l’article 242 bis une ambition moindre dans les éléments devant être transmis par les plateformes.

Ainsi qu’il a été vu, l’actuelle version de cet article est très sommaire, ne renvoyant qu’aux montants bruts des transactions. Les précisions ont été apportées par l’article 171 AX, de nature réglementaire.

Il appartiendra donc au pouvoir réglementaire de préciser les éléments d’identification des utilisateurs, que ceux-ci soient des entreprises ou des particuliers. La seule différence avec le droit actuellement en vigueur sera que ces précisions s’appliqueront également au contenu transmis à l’administration.

Enfin, et d’après les confirmations obtenues de l’administration fiscale, les données collectées par l’administration devraient être pré‑affichées sur la déclaration de revenu en ligne de chaque utilisateur particulier (à compter de 2020), l’identification de la catégorie dans laquelle déclarer les revenus et celle du régime d’imposition applicable incombant au contribuable (avec l’assistance et les conseils de l’administration). La rapporteure précise ici que ce pré-affichage ne se traduira en aucun cas par un pré-renseignement, de la part de l’administration, des différents éléments à remplir dans les déclarations de revenu (qui est par exemple fait s’agissant des traitements et salaires) : l’administration n’est en effet pas en mesure de présupposer la nature et le régime fiscal des revenus perçus par l’intermédiaire des plateformes. Les cases des déclarations devront donc être remplies par les contribuables.

2.   La suppression de l’obligation de certification par un tiers indépendant

La certification par un tiers indépendant que prévoit le IV de l’article 242 bis dans sa version actuelle vise à garantir le respect par la plateforme de son obligation d’information auprès de l’utilisateur, afin que celui-ci déclare les revenus qu’il a perçus.

Dès lors qu’est prévue une obligation de communication de ces informations à l’administration, l’intérêt de la certification perd de sa substance : l’administration sera en mesure de s’assurer du respect par la plateforme de ses obligations. Maintenir la certification ferait donc peser sur les plateformes une charge finalement peu utile.

En conséquence, la réécriture de l’article 242 bis à laquelle procède le I du présent article supprime l’obligation de certification des plateformes.

Le IV du présent article finit de tirer les conséquences de la suppression de la certification en abrogeant :

– le chapitre Ier septies du LPF, comprenant un unique article L. 80 P portant sur les modalités de constatation du défaut de production du certificat ;

– l’article L. 102 AD du LPF, portant sur les modalités de communication du certificat à l’administration.

3.   Les sanctions en cas de manquements aux obligations déclaratives

Afin de garantir au dispositif la plus grande efficacité possible, le présent article prévoit de renforcer le volet répressif face aux éventuels manquements des plateformes à leurs obligations déclaratives.

● Son  réécrit l’article 1731 ter du CGI afin de prévoir une « amende forfaitaire globale » plafonnée à 50 000 euros (contre une amende de 10 000 euros actuellement) en cas de non-respect par la plateforme de son obligation d’informer ses utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales, par renvoi au 1° de la version proposée de l’article 242 bis.

Le fait de ne viser que le 1° de cet article limite le champ de l’amende forfaitaire, qui concernait jusque-là également le manquement à l’obligation de transmission à l’utilisateur des informations sur les transactions effectuées.

Cette circonstance n’est cependant pas de nature à poser de difficulté : il est prévu par ailleurs de sanctionner un tel manquement.

Aux termes de la version proposée de cet article 1731 ter, les éventuels manquements sont constatés à l’occasion d’un contrôle par l’administration.

● Le  du présent article introduit une nouvelle sanction applicable en cas de non-respect par les plateformes de leurs obligations de transmission des éléments précédemment étudiés aux utilisateurs et à l’administration (obligations prévues aux 2° et 3° de l’article 242 bis dans sa version proposée).

Cette sanction est celle prévue au III de l’article 1736 du CGI, qui cible le défaut de déclaration de certaines sommes par les tiers déclarants. Elle consiste en une amende correspondant à 5 % des sommes non déclarées.

L’introduction de cette amende est opportune, l’actuel article 1649 quater A bis actuel ne prévoyant aucune sanction.

4.   Un dispositif applicable quel que soit le lieu d’établissement des plateformes

Le dernier alinéa de la version proposée de l’article 242 bis prévoit une application large des obligations incombant aux plateformes puisqu’il ne restreint pas le dispositif à celles établies en France.

De la même manière, ces obligations s’appliquent à l’égard des utilisateurs qui résident en France ou qui y réalisent des prestations de vente ou de services ([36]).

5.   La transmission du dispositif à la Commission européenne

L’article 242 bis du CGI, dans sa rédaction prévue au présent article 4, devra être soumis à la Commission européenne en application des articles 5 et 6 de la directive du 9 septembre 2015 dite « société de l’information » ([37]), à la suite de quoi une consultation publique aura lieu au cours d’un délai de trois mois à compter de la transmission, durant lequel le dispositif ne sera pas opposable aux tiers.

Le dispositif proposé relève en effet de la notion de projet de règles techniques au sens des b, ef et g de l’article 1er de cette directive, dans la mesure où il met en place des exigences relatives à une activité de services fournis à distance par voie électronique à la demande de particuliers et contre rémunération.

Le Conseil d’État, dans son avis, préconise toutefois de ne pas transmettre le texte législatif sans les mesures réglementaires prises pour son application, seules ces dernières permettant d’appréhender correctement le dispositif proposé.

La rapporteure considère qu’une transmission en amont de la nouvelle version de l’article 242 bis aurait pu permettre à la Commission européenne de prendre connaissance le plus tôt possible des règles techniques prévues, les dispositions réglementaires transmises ultérieurement complétant alors ce premier envoi. Néanmoins, une transmission scindée présente le risque de faire courir deux fois le délai de trois mois pendant lequel le dispositif n’est pas applicable. De la même manière, tout changement apporté au dispositif suppose en principe une nouvelle transmission, qui fait courir un nouveau délai de trois mois. Le Gouvernement, d’après les informations obtenues, a donc pris le parti d’attendre que l’article 4 du présent projet de loi soit suffisamment stabilisé pour procéder à la notification des différentes dispositions.

La rapporteure partage ce souci et appelle le Gouvernement à procéder à la transmission au plus tard le 30 septembre 2018 pour faire en sorte que les obligations déclaratives soit bien applicables dès le 1er janvier 2019 (sans quoi les transmissions d’informations par les plateformes pourraient ne pas pouvoir intervenir dès 2020).

B.   Les modifications apportées par le sénat

Si le Sénat s’est réjoui du dispositif proposé par le Gouvernement, il l’a néanmoins trouvé trop timide sur certains aspects, expliquant les modifications apportées par l’autre assemblée et qui sont présentées ci-après (ont également été apportées deux corrections légistiques).

● En premier lieu, à l’initiative du Rapporteur général de sa commission des finances, également rapporteur du texte, le Sénat a modifié la définition des plateformes en lignes en substituant à celle actuellement prévue à l’article 242 bis du CGI, que reprenait le dispositif initial, celle prévue au 2° du I de l’article L. 111‑7 du code de la consommation.

● En deuxième lieu, toujours à l’initiative du rapporteur, le numéro de TVA a été ajouté aux éléments d’identification de l’utilisateur. Par ailleurs, le Sénat a introduit un nouvel alinéa afin, selon ses explications, d’étendre l’application du dispositif aux utilisateurs établis en dehors de l’Union européenne.

Le I du présent article a également été complété d’un nouveau 4° modifiant l’article 1754 du CGI, relatif à la solidarité du paiement d’amendes et de majorations. Cet article 1754 voit ainsi son V complété d’un nouveau 9 prévoyant que les entreprises françaises liées à l’opérateur de la plateforme en ligne ([38]) sont solidairement responsables du paiement des deux amendes (amende forfaitaire plafonnée à 50 000 euros et amende de 5 % des sommes non déclarées).

Ces mesures s’inscrivent dans un cadre plus général intégrant également les articles 4 ter, 4 quater et 4 quinquies introduits par le Sénat au présent projet de loi, et ont pour ambition affichée d’assurer au dispositif proposé une efficacité maximale.

● En troisième lieu, par deux amendements du rapporteur, la liste des éléments devant être transmis par les plateformes a été complétée sur deux nouveaux points :

– la précision de la catégorie des revenus perçus par l’utilisateur, reprenant ici un élément qui figure à l’actuel article 1649 quater A bis du CGI, non encore entré en vigueur ;

– l’indication que les revenus perçus, en raison de leur nature, bénéficient d’une exonération fiscale. Sont notamment concernés la vente de meubles meublants, d’appareils ménagers, d’automobile et plus généralement la vente de meubles autres que les métaux précieux si le prix de cession n’excède pas 5 000 euros ([39]).

Les revenus exonérés par nature

Si les plateformes permettent à leurs utilisateurs de dégager des revenus, tous ne sont pas nécessairement imposables : la loi et la doctrine fiscale prévoient plusieurs hypothèses d’exonération.

● En premier lieu, la vente de biens d’occasion par un particulier est, aux termes de l’article 150 UA du CGI, exonérée lorsqu’elle porte sur :

– des meubles meublants, des appareils ménagers et des voitures ;

– d’autres meubles, si le prix de cession n’excède pas 5 000 euros (cela inclut les bijoux ou encore les objets d’art).

● En second lieu, la co-consommation est exonérée en vertu de la doctrine fiscale (1). Pour y prétendre, l’utilisateur doit satisfaire aux conditions suivantes :

– l’utilisateur doit bénéficier de la prestation (par exemple, du déplacement en cas de co-voiturage) ;

– l’activité doit être réalisée entre particuliers ;

– les revenus ne doivent pas excéder le montant des coûts directs engagés, part de l’utilisateur concerné non comprise.

Dans ces hypothèses, les revenus n’ont pas à être déclarés.

(1) Bulletin officiel des finances publiques, BOI-IR-BASE-10-10-10-10, § 40 à 150, instruction du 28 novembre 2016.

● Enfin, le Sénat a ajouté l’obligation pour l’administration fiscale de transmettre à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) les éléments que lui ont communiqués les plateformes, en complétant à cet effet l’article L. 114‑19‑1 du code de la sécurité sociale d’un nouvel alinéa.

La transmission doit intervenir au plus tard le 31 janvier de chaque année (soit la même date butoir que celle imposée aux plateformes). Est également prévue la possibilité de lier les données transmises par les plateformes à celles recueillies par les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), afin de renforcer leurs actions en matière de lutte contre la fraude.

Cet ajout résulte d’une initiative en commission des finances du sénateur Jean‑Marie Vanlerenberghe (Union centriste). Adopté par la commission, le dispositif ainsi introduit prévoyait à l’origine que la plateforme transmette elle‑même à l’ACOSS les éléments demandés.

En séance, l’adoption d’un amendement du Gouvernement a permis d’alléger et de simplifier ce dispositif social en organisant la transmission directement entre administrations, sans que la plateforme soit associée (du moins tel était l’objectif de l’amendement).

III.   La position de la commission

En plus d’adopter plusieurs amendements rédactionnels et de précision de la rapporteure, la commission est revenue sur certaines modifications introduites par le Sénat, à l’initiative de la rapporteure et du groupe La République En Marche.

A.   Un dispositif nécessaire et utilement complété par le Sénat sur le volet social

● Le dispositif proposé par le Gouvernement permettra enfin de concrétiser la volonté du législateur manifestée en 2016 à travers l’article 1649 quater A bis du CGI, opportun dans son principe mais techniquement inadéquat à l’époque.

La fusion des obligations déclaratives dans le même article est un gage de lisibilité accrue et permet une harmonisation des informations à transmettre.

Par ailleurs, le fait de consacrer dans la loi la communication des coordonnées bancaires est de nature à renforcer l’effectivité du dispositif, tout comme les sanctions prévues qui inciteront les plateformes à respecter leurs obligations.

Enfin, la précision apportée par la commission, à l’initiative de la rapporteure et avec le soutien du Gouvernement, selon laquelle ne sont transmises que les informations relatives aux transactions dont l’opérateur a connaissance, prémunira ce dernier d’une obligation impossible à satisfaire en pratique.

● La modification relative à la transmission d’informations à l’ACOSS, introduite par le Sénat, complète utilement le dispositif en garantissant aux administrations sociales la disposition de données permettant de rendre les contrôles et la mission de lutte contre la fraude sociale plus efficaces.

Afin de lever toute ambiguïté, la commission a adopté deux amendements identiques de la rapporteure et du groupe La République En Marche ayant fait l’objet d’un avis favorable du Gouvernement et précisant que cette transmission incombe bien à l’administration fiscale, non à la plateforme.

B.   Des modifications proposées par le Sénat à l’opportunité incertaine

Les autres modifications introduites par le Sénat, à l’exception des corrections légistiques réalisées par le rapporteur du texte et le Gouvernement, emportent plus difficilement la conviction, soit qu’elles alourdissent le dispositif, soit qu’elles se révèlent déjà satisfaites.

1.   La modification incertaine de la définition des plateformes

Dans un souci affiché de cohérence, le Sénat a aligné la définition des plateformes sur celle prévue au 2° du I de l’article L. 111‑7 du code de la consommation. Si cette dernière définition est voisine de celle qui figure actuellement à l’article 242 bis que reprend le dispositif proposé, elle n’y est pour autant pas identique.

Ainsi, le code de la consommation fait expressément état de l’échange ou du partage d’un contenu, ce que n’inclut pas la définition que proposait le Gouvernement, qui ne visait que la vente d’un bien, la fourniture d’un service ou l’échange ou le partage d’un bien ou d’un service.

Le fait de retenir une définition plus large que celle en vigueur en matière d’obligation déclarative des plateformes pourrait avoir pour effet d’inclure dans le champ du dispositif des personnes qui en étaient jusque-là exclues et qui ne disposent pas nécessairement des moyens pour se conformer rapidement aux nouvelles obligations auxquelles elles devraient faire face ([40]).

Revoir le régime de responsabilité des hébergeurs de contenus sur Internet

La question de la diffusion sur les plateformes d’un contenu permet à la rapporteure d’aborder un sujet qui, bien qu’en dehors du champ du présent projet de loi, est cardinal en matière de communication et d’information en ligne : celui de la responsabilité des hébergeurs.

Les hébergeurs, comme les autres intervenants informatiques, sont soumis à une obligation générale de prudence et de diligence au titre de leur activité (assurer le stockage d’un contenu pour le mettre à disposition du public à travers différents moyens techniques). Leur incombe également une obligation de surveillance des contenus dans trois hypothèses très sensibles (apologie des crimes contre l’humanité, incitation à la haine raciale, pornographie enfantine) (1).

Un hébergeur peut engager sa responsabilité a posteriori, notamment face à la publication sur Internet d’un contenu illégal (qu’il relève de l’injure, du racisme, de l’atteinte à la vie privée ou de la violation de droits de propriété intellectuelle), mais de façon très encadrée. La responsabilité principale et directe incombe, elle, à l’auteur du contenu hébergé.

L’engagement de la responsabilité de l’hébergeur n’est possible que si l’hébergeur a délibérément mis en ligne le contenu litigieux ou si, malgré un signalement, il n’a pas promptement agi pour retirer un tel contenu. Ces modalités sont précisées à l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (2). Dès lors, si l’hébergeur n’a pas connaissance du contenu illicite ou s’il a accompli les diligences nécessaires pour le retirer, il ne peut être tenu responsable civilement ni pénalement.

Un régime similaire est prévu vis-à-vis du directeur de la publication d’un service de communication au public en ligne, lorsqu’un tel service met un message d’un internaute à la disposition du public dans un espace de contributions personnelles (3).

La récente proposition de directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (4) propose de modifier les règles applicables, notamment, aux hébergeurs, en renforçant le respect des droits de propriété intellectuelle. Elle prévoit ainsi :

 lobligation pour les plateformes en ligne de conclure des accords avec les ayants droits ;

– à défaut d’accord, la mise en place d’un mécanisme empêchant la diffusion d’œuvres couvertes par le droit d’auteur, notamment à travers l’examen de l’activité des utilisateurs.

Jugeant ces modalités excessives, le Parlement européen a, le 5 juillet 2018, rejeté la proposition de directive. De nouveaux débats sont prévus à partir de septembre.

Le rejet du Parlement européen a suivi un intense travail de la part de représentants d’intérêts de divers horizons, mais surtout des géants du numérique peu friand des nouvelles obligations qui leur étaient appliquées.

La rapporteure, tout en souhaitant un indispensable équilibre entre fluidité d’Internet et protection des droits des auteurs, appelle à ce que la responsabilité des plateformes pratiquant le « B to C » et aujourd’hui considérées comme des hébergeurs soit réformée, dans la lignée de la proposition de la directive, pour éviter que de grandes plateformes puissent dégager des revenus au détriment des artistes et ayants droit.

(1) Il convient de noter que la future version de la directive « Services de médias audiovisuels » (« SMA ») prévoit une obligation pour les États membres de garantir que les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos mettent en place, idéalement à travers une corégulation, les mesures nécessaires pour assurer la protection des mineurs et la lutte contre les incitations à la haine ou à la violence. La proposition de directive a fait lobjet dun accord définitif intervenu le 6 juin 2018, le Comité des représentants permanents (Coreper) ayant confirmé le texte de compromis final le 13 juin suivant. Le texte a été transmis au Parlement pour approbation et adoption, et devrait être finalement adopté par le Conseil au cours de lautomne prochain (Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, compte tenu de lévolution des réalités du marché, 25 mai 2016, COM(2016) 287 final).

(2) Article 6 de la loi n° 2004575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans léconomie numérique.

(3) En vertu du dernier alinéa de larticle 933 de la loi n° 82652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle.

(4) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit dauteur dans le marché unique européen, 14 septembre 2016, COM/2016) 593 final.

En conséquence, la commission, à l’initiative de la rapporteure et avec l’avis favorable du Gouvernement, a rétabli la définition initialement prévue par le projet de loi.

2.   La qualification des revenus par les plateformes : une obligation lourde et inopportune

L’obligation de communiquer la catégorie à laquelle les revenus de l’utilisateur se rattachent et d’indiquer, le cas échéant, si certains revenus sont par nature exonérés, est de nature à alourdir la charge pesant sur les plateformes pour des résultats incertains.

Le rapporteur du texte au Sénat indiquait que ces informations ne relèveraient que d’une présomption, l’administration pouvant toujours procéder aux requalifications nécessaires.

Cette dernière précaution semble nécessaire dans la mesure où les plateformes ne sont pas toujours en mesure de qualifier les revenus (catégorie de rattachement ou caractère exonéré par nature), mais les difficultés auxquelles les plateformes sont confrontées pour procéder à une telle qualification amenuisent substantiellement l’opportunité d’inclure celle-ci dans les obligations déclaratives.

Au demeurant, ces mentions pourraient induire une certaine confusion chez l’utilisateur en cas de requalification ultérieure. En dernière analyse, cela pourrait le conduire à tort à ne pas déclarer certains revenus au motif que l’utilisateur les pense exonérés, ou à penser qu’il pourra prétendre à un régime fiscal particulier du fait de la catégorie de revenus indiquée. Si la requalification s’accompagnait alors d’un redressement et que l’utilisateur devait payer des majorations, quid d’une éventuelle responsabilité de la plateforme qui aurait induit en erreur son usager ?

Enfin, le fait que l’administration connaisse désormais les revenus des utilisateurs devrait suffire. C’est elle qui dispose de l’expertise pour les qualifier, et qui est l’interlocuteur des contribuables en cas de questions.

À l’initiative de la rapporteure, la commission, suivant l’avis favorable du Gouvernement, a supprimé les éléments portant sur la qualification fiscale des revenus.

3.   La mention du numéro de TVA : un ajout a priori superflu

Autre modification apportée par le Sénat, l’inclusion parmi les éléments d’identification de l’utilisateur du numéro de TVA. Le Sénat indique que « le champ dapplication de larticle 4 est limité aux utilisateurs résidant en France » ([41]), ce qui ne serait pas cohérent avec la réalité économique. En conséquence, il propose l’ajout des références en matière de TVA pour les vendeurs établis en dehors de l’Union européenne.

● La lettre du nouvel article 242 bis du CGI, dans la version proposée par le Gouvernement, ne semble pas restreindre son application aux seuls utilisateurs établis en France : son dernier alinéa vise expressément ceux-ci « ou [ceux] qui réalisent des ventes ou des prestations de service en France au sens des articles 258 à 259 D » du CGI.

À cet égard, il paraît utile de se reporter à l’article 171 AX du CGI qui fait mention, parmi les utilisateurs – définis de manière identique à ce qui vient d’être vu au titre du dispositif proposé – des « entreprises non résidentes ».

● En tout état de cause, s’agissant plus spécifiquement du numéro de TVA, il convient de relever qu’il pourra figurer parmi les éléments définis par voie réglementaire. Tel est déjà le cas, ainsi qu’il a été vu, avec l’article 171 AX. La rédaction volontairement large du b du 2° du nouvel article 242 bis en ce qui concerne les éléments d’identification des utilisateurs permettra d’enrichir en tant que de besoin les points devant faire l’objet d’une communication par la plateforme, sans passer par la loi mais en s’appuyant sur l’arrêté prévu à l’avant‑dernier alinéa de cet article.

Par ailleurs, le numéro de TVA ne constitue pas nécessairement une donnée systématiquement pertinente. Certains opérateurs de plateforme disposent ainsi du numéro SIREN de leurs utilisateurs, lorsqu’ils sont professionnels, mais le numéro de TVA reste saisi manuellement par ceux-ci, pouvant conduire à des erreurs. Prévoir dans les textes réglementaires d’application une alternative afin de ne pas exiger exclusivement le numéro de TVA semblerait à cet égard une proposition opportune. La rapporteure estime néanmoins, sur ce dernier point, que les plateformes devraient veiller, lorsqu’elles agissent avec des professionnels, à ce que les numéros de TVA qui leur sont transmis présentent un degré de fiabilité suffisant pour permettre les vérifications dans des conditions optimales.

● Compte tenu de ces éléments, la commission a supprimé la mention du numéro de TVA en adoptant un amendement en ce sens de la rapporteure ayant fait l’objet d’un avis favorable du Gouvernement.

4.   Les incertitudes liées à la solidarité en matière d’amende

La solidarité dans le paiement des amendes instaurée par le Sénat entre une plateforme étrangère et ses filiales françaises est, dans son principe, une mesure susceptible d’assurer à l’article 4 du projet de loi une effectivité accrue et un recouvrement réel des sommes dues.

L’intérêt pratique de cette responsabilité solidaire est donc difficilement contestable. Néanmoins, le dispositif ainsi ajouté suscite plusieurs interrogations.

● En premier lieu, si ce sont les filiales qui sont visées et censées être solidaires, la rédaction prévue et la référence au 12 de l’article 39 du CGI pourrait conduire à un champ d’application plus large. Rappelons en effet qu’au sens de ce 12, des liens de dépendances entre entreprises existent si :

– l’une détient la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision (relation mère-fille) ;

– les deux sont placées vis-à-vis d’une troisième entreprise dans la situation précédemment décrite (sociétés sœurs).

Dès lors, une entreprise établie en France et liée à l’opérateur de la plateforme peut être la filiale de ce dernier, mais aussi sa mère ou sa sœur. Par ailleurs, aucune référence au lieu d’établissement de la plateforme n’est prévue, cette dernière pouvant donc se trouver en France, rendant alors la pertinence de la solidarité du paiement de l’amende moins saillante.

 En second lieu, si, comme lindique le rapporteur du texte au Sénat, les hypothèses de paiement solidaires sont nombreuses en droit fiscal, elles ne correspondent pas tout à fait à la situation couverte par le dispositif introduit au Sénat.

Ce sont en effet des manquements graves qui sont visés par la solidarité de paiement, tels que les abus de droit, les dissimulations ou encore la violation des règles encadrant les trusts. Par ailleurs, la solidarité sexerce entre des personnes qui ont participé aux manquements en question, et non vis-à-vis de toute personne liée ([42]).

En étendant un tel dispositif aux filiales des plateformes et en faisant peser le poids financier de la sanction sur une entité qui n’a pas de pouvoir de contrôle sur sa mère, qui n’a pas nécessairement contribué au manquement et qui n’en avait pas forcément connaissance, le dispositif proposé par le Sénat semble présenter une fragilité juridique importante du fait de sa contrariété avec le caractère personnel des amendes.

● En adoptant un amendement du groupe La République En Marche ayant fait l’objet d’un avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, la commission a supprimé le régime de responsabilité solidaire introduit par le Sénat.

C.   Des points de vigilance supposant un suivi régulier de la mise en œuvre du dispositif

1.   La question de la territorialité du dispositif proposé

Ainsi qu’il a été vu, la nouvelle version de l’article 242 bis du CGI a vocation à s’appliquer au-delà des seules frontières françaises, quel que soit le lieu d’établissement des plateformes.

Se pose alors la question de l’effectivité des obligations au regard des règles de territorialité, point d’ailleurs soulevé par Albéric de Montgolfier dans son rapport ([43]).

D’après les éléments indiqués par le ministre à la commission des finances de l’Assemblée nationale le 10 avril dernier, 70 % des 276 plateformes d’économie collaborative comptées en France y ont leur siège social. Si seuls 30 % se trouvent ainsi concernées par les questions de territorialité, il s’agit de plateformes au poids économique considérable (Airbnb ou Uber, par exemple).

La rapporteure considère que l’effectivité du dispositif proposé ne sera totale que si les opérateurs étrangers s’y plient. Les opérateurs étrangers ont indiqué, lors des auditions conduites par la rapporteure, qu’ils se plieraient nécessairement aux obligations légales qui leur incombent en vertu de la loi française.

Si elle ne peut naturellement que se réjouir d’un tel engagement, la rapporteure appelle néanmoins l’administration à procéder, de façon régulière, à l’évaluation de la mise en œuvre du dispositif afin d’identifier d’éventuelles lacunes de la part d’entreprises établies hors de France et de trouver les moyens idoines pour que celles-ci, dans l’hypothèse où elles ne respecteraient pas la loi, se soumettent aux obligations leur incombant en vertu du présent article.

2.   Les interrogations soulevées à l’égard de certaines données à transmettre

Si les données dont la transmission est prévue par le texte du Gouvernement, rétabli par la commission sur ce point, sont pertinentes, certains éléments paraissent devoir faire l’objet d’une attention particulière.

● Ainsi, s’agissant des coordonnées bancaires, il semble indispensable que l’administration, en partenariat avec les opérateurs de plateformes, s’assure du parfait respect de la sécurité : les moyens de transmissions devront garantir la confidentialité de ces données.

● Par ailleurs, le dispositif proposé n’est pas le seul fondement juridique obligeant des opérateurs de plateforme à communiquer à l’administration des données. L’article L. 3120‑6 du code des transports, introduit par l’article 2 de la loi du 29 décembre 2016 sur le transport public particulier de personnes, dite « loi Grandguillaume » ([44]), impose aux opérateurs de plateforme mettant en relation des chauffeurs et des particuliers la transmission des données ([45]) nécessaires pour :

– contrôler le respect des règles en matière d’accès et d’exercice des professions du transport public particulier de personnes ;

– appliquer utilement les dispositions légales en matière de prix et de concurrence (possibilité de fixation des prix et encadrement des pratiques anti‑concurrentielles) ;

– disposer d’une connaissance statistique du secteur du transport public particulier de personnes.

Les modalités d’application de ce dispositif, notamment l’objet et le format des données à transmettre, doivent être précisées par un décret en Conseil d’État qui, à l’heure de la rédaction du présent rapport, n’a pas encore été adopté.

La rapporteure juge nécessaire que, si certaines données transmises au titre de l’article L. 3120‑6 du code des transports se retrouvaient dans les données transmises au titre de l’article 242 bis du CGI dans sa rédaction résultant du présent article, celles-ci fassent l’objet d’une harmonisation afin d’alléger le plus possible la charge administrative et informatique des opérateurs concernés.

À cet égard, une coopération entre les administrations des transports et fiscales paraît indispensable.

Là encore, un suivi régulier par l’administration serait opportun, en association avec les opérateurs concernés.

3.   La question de la sujétion aux obligations déclaratives des transactions portant sur des revenus exonérés

S’il n’appartient pas aux opérateurs de plateforme de qualifier fiscalement les revenus, cette tâche incombant aux utilisateurs sous le contrôle de l’administration fiscale, il convient de noter que certaines plateformes ne mettent en relation des utilisateurs que pour des échanges exonérés, notamment :

– le partage de frais, lorsque les conditions posées par la doctrine fiscale sont remplies ;

– la vente de biens d’occasion, selon les modalités définies au II de l’article 150 UA du CGI.

S’il semble nécessaire que les utilisateurs de ces plateformes soient informés de leurs obligations fiscales et sociales, et s’il est certainement utile qu’ils soient également informés des transactions réalisées et des montants associés, la transmission de ces informations à l’administration, lorsque la transaction est par nature exonérée et qu’il est objectivement aisé de le savoir, pose plus de questions.

Notons, à titre liminaire, que l’application des obligations déclaratives aux seules opérations dont l’opérateur aura connaissance et la circonstance, rappelée par le ministre en commission, que ne seront concernées que les transactions pour lesquelles l’opérateur intervient comme intermédiaire de paiement, seront de nature à réduire la charge pesant sur les opérateurs de plateforme et constituent déjà une rationalisation des obligations prévues.

Plusieurs pistes sont envisageables pour répondre à ce qui pourrait être vu comme une charge excessive pour ces plateformes :

– exclure du champ de la transmission les transactions exonérées, notamment celles réalisées entre particuliers en fonction du profil indiqué par l’utilisateur, tout en permettant à l’administration, dans le cadre d’un contrôle, de demander à l’opérateur les éléments jugés utiles (cela conduirait donc à passer, en quelque sorte, d’une logique d’échanges automatiques à une logique d’échanges à la demande) ;

– sans aller jusqu’à une exclusion a priori, prévoir un seuil annuel par utilisateur en deçà duquel la plateforme serait dispensée de ses obligations de transmission ;

– dans les textes réglementaires pris pour l’application du dispositif proposé, ainsi que dans la doctrine fiscale qui sera produite, adapter les obligations déclaratives en fonction de la nature de l’activité des plateformes. Une telle souplesse, bienvenue, risque cependant d’être vue comme contra legem.

4.   Les interrogations sur le calendrier des déclarations

Le dispositif est censé s’appliquer aux transactions réalisées à compter du 1er janvier 2019, pour des premières déclarations en 2020.

Néanmoins, l’application dès janvier 2019 supposera que les textes réglementaires, indispensables pour que les opérateurs connaissent précisément les modalités de leurs obligations, soient prêts suffisamment tôt pour permettre une transmission à la Commission européenne et une effectivité du dispositif au 1er janvier.

*

*     *

La commission examine l’amendement CF189 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le présent amendement rétablit la définition initialement prévue par le Gouvernement – celle actuellement en vigueur à l’article 242 bis du code général des impôts – des opérateurs de plateforme concernés par les obligations de communication prévues au présent article. Le Sénat a en effet élargi la définition des plateformes de façon à inclure des opérateurs qui ne sont pas dans le champ du dispositif actuel et devraient dès lors se mettre rapidement en conformité, comme les plateformes de partage de contenus.

M. le ministre. Je dirai quelques mots sur la philosophie de l’article 4, qui répond à une demande très ancienne du Parlement et, en particulier, à une attente de l’Assemblée sous la législature précédente.

Nous entendons rendre opérantes des dispositions votées en 2015 et 2016, et dont l’entrée en vigueur était prévue, pour certaines, pour 2019. Le principe en est simple : les plateformes d’économie collaborative, les locations de meublés, les locations de voitures, les services à domicile, les transports avec chauffeur, etc., transmettront désormais à l’administration fiscale le montant des revenus produits par leurs utilisateurs afin que ceux‑ci soient imposés comme le prévoit justement la loi. Qui plus est, l’introduction d’une sanction fiscale particulièrement dissuasive constitue une preuve de la détermination du Gouvernement à assurer la réussite de ce dispositif.

J’ajoute que l’obligation ne sera effective qu’en 2020 – il n’y a pas de violence particulière, si je puis dire, dans le choix de cette échéance. En outre, elle ne concerne que les plateformes intermédiaires de paiement et en aucun cas toutes les plateformes collaboratives. Nous avons déjà eu un débat sur une plateforme bien connue d’économie collaborative dans le secteur du logement.

Il s’agit, ni plus ni moins, de faire ce que dans le monde réel les Français et les entreprises font déjà, à savoir payer leurs impôts sur tout revenu fiscal. Il ne s’agit en aucun cas de soumettre à l’impôt des revenus qui n’y sont pas soumis aujourd’hui : si vous vendez votre poussette d’occasion sur une plateforme, vous ne serez pas fiscalisé. Il n’est pas question de taxer dans le monde numérique ce qui ne l’est pas dans le monde physique – nous avons également eu une discussion sur les questions de logement et notamment sur une plateforme bien connue dont le nom commence par « Air » et se termine par « bnb ». Ni les frais de partage – on pense à la plateforme BlaBlaCar – ni la revente d’occasion – c’est le cas de la plateforme Le Bon Coin – ne seront taxés.

Cependant, nous n’avons pas souhaité exclure ce type de modèle de l’obligation de transmission, dans la mesure où, de ces plateformes, émergent toutes sortes d’annonces, y compris certaines donnant lieu à taxation et qu’il leur revient par conséquent, et c’est bien normal, de faire ce que nous demandons à toutes les plateformes qui produisent des revenus fiscaux. Nous faisons le pari que ces plateformes sont capables de différencier les biens et les services taxables des autres. C’est ainsi que nous procédons dans le monde physique et il n’y a rien de très original en cela.

Le principe de l’article 4 n’est donc pas de taxer ce qui n’est pas taxé aujourd’hui, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse ; il n’est donc pas de décourager une économie collaborative intéressante et intelligente, qui permet parfois des compléments de revenus mais qu’il n’y a aucune raison de moins taxer que le monde physique. La question de savoir si le niveau de taxation est le bon est un autre débat que celui de la lutte contre la fraude et elle doit être discutée dans le cadre d’un projet de loi de finances.

Je suis favorable à l’amendement de la rapporteure.

Mme Véronique Louwagie. Vous avez déjà répondu, monsieur le ministre, à certaines de mes interrogations, mais je voudrais les reformuler pour être sûre d’avoir bien compris.

Toutes les plateformes n’ont pas une obligation d’identifier et de communiquer les identités. Seules les plateformes qui procèdent à des moyens de paiement ont cette obligation. Ensuite, les plateformes intermédiaires de paiement, qu’elles soient animées par des particuliers ou par des professionnels, doivent procéder à une déclaration. Ensuite l’administration fiscale différenciera les particuliers des professionnels. C’est ce que j’ai cru comprendre.

Par ailleurs, des plateformes se mettent en place qui ne travaillent pas forcément avec des monnaies traditionnelles mais des monnaies fictives – je pense en particulier à la plateforme Goni : est-elle considérée comme ayant une obligation de faire une déclaration ? Chaque prestation donne ici en effet droit à une unité d’œuvre qui est ensuite utilisée pour éventuellement procéder à d’autres achats ou à des échanges, notamment de services.

M. le ministre. Sauf erreur de ma part, il n’est ici question que d’échanges monétaires. J’ai déjà eu l’occasion, par ailleurs, d’évoquer les monnaies virtuelles comme le bitcoin : quand il dégage un bénéfice, il est assujetti à l’impôt sur le revenu. Mais, je le répète, il n’est ici question que d’échanges monétaires, donc les plateformes d’échanges de services ne sont pas concernées : on ne va pas fiscaliser un échange de services.

M. Charles de Courson. Votre amendement, madame la rapporteure, vise‑t‑il les échanges en crypto-monnaie ? Ma question est une variante de celle de Mme Louwagie.

M. le ministre. La réponse est non. La crypto-monnaie n’est pas considérée comme de la monnaie.

M. Charles de Courson. Mais si je n’utilise pas l’euro, est-ce que j’échappe à l’amendement Cariou ?

M. le ministre. Vous pouvez fort bien payer en dollars.

Mme la rapporteure. Les transactions peuvent s’effectuer en devises étrangères. Quant aux crypto-monnaies, le ministre a répondu.

Mme Marie-Christine Dalloz. C’est la plus-value produite par la crypto‑monnaie qui est imposable.

M. Charles de Courson. La crypto-monnaie peut être utilisée soit dans un but spéculatif, soit pour des échanges. Or, comme ces formes se développent, je souhaitais savoir si les crypto-monnaies étaient concernées par l’amendement CF189 ; il me semblait en effet que c’était plutôt le cas, madame la rapporteure, puisqu’il s’agit d’un moyen d’échange.

Mme Bénédicte Peyrol. Le Conseil d’État a rendu un arrêt, fin 2017 ou début 2018, qui précise, comme l’a rappelé Mme Dalloz, que la plus-value produite par la crypto-monnaie est imposable. Par ailleurs, une mission d’information de la commission des finances est en train d’examiner le sujet. Nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi de finances.

M. le ministre. Une transaction qui produit des revenus monétaires est taxable. En revanche, des gains en crypto-monnaie, par exemple en bitcoins, ne sont taxables que lorsqu’on convertit ladite crypto-monnaie en monnaie réelle ou, si vous préférez, traditionnelle. Le texte ne prévoit donc pas la taxation des crypto-monnaies utilisées pour des échanges sur une plateforme.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CF190 de la rapporteure.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CF193 et CF191 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Bien que l’article 4 ne vise pas à changer les règles d’imposition, on peut se demander si certaines obligations, en particulier celle de transmission d’éléments à l’utilisateur ou à l’administration fiscale, ne seraient pas disproportionnées s’agissant de transactions par nature exonérées, ce qui est le cas d’échanges de biens meubles d’occasion entre particuliers ou de la co-consommation. Imposer aux plateformes de tout transmettre représente une charge assez lourde pour un résultat concret difficile à mesurer, puisque les ventes de biens d’occasion par les particuliers ne sont pas imposables. On peut par ailleurs se demander si l’administration ne sera pas submergée par ces transmissions et comment elle pourra les exploiter.

L’amendement CF193 ne vise pas à imposer à la plateforme de qualifier la nature des revenus, mais à la dispenser de transmission lorsque l’objet de la transaction répond à ceux définis par l’amendement et qui par nature concerne des transactions exonérées.

L’obligation d’informer les utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales est quant à elle bien maintenue.

M. Charles de Courson. J’ai une question, madame la rapporteure, sur les plateformes de covoiturage. Le covoiturage consiste en un partage de charges mais la limite entre ceux qui procèdent à un vrai partage de charges et ceux qui se font un peu de gratte, fait‑elle partie du champ couvert par l’amendement ?

Mme la rapporteure. Quand on vise des activités de co-consommation, il s’agit bien de ce type d’activités de partage de charges – comme celles de la plateforme BlaBlaCar, pour être concret. La doctrine fiscale avait d’ailleurs bien précisé la manière de traiter ce partage de charges, dans une instruction du 28 novembre 2016 : le seul partage de charges réellement engagées – et qui n’implique aucune réalisation de marge – n’est pas imposable.

M. le ministre. On peut imaginer que, lorsque vous partagez les charges en faisant du covoiturage, monsieur de Courson, vous ne soyez pas imposé. J’y insiste afin de couper le cou à des canards qui semblent malgré tout voler encore : le texte ne prévoit pas de taxer les activités qui, jusqu’à présent, relevaient de l’économie du partage. En revanche, si vous louez votre véhicule pour une semaine, cette activité est de nature différente – et en l’occurrence taxable.

Je rappelle de nouveau que le texte ne prévoit pas de taxation d’activités de partage qui ne serait pas déjà prévue : le texte ne crée pas de nouvelle fiscalité.

Pour le reste, je suis favorable, sur le fond, à l’amendement. La rapporteure sait qu’une des mesures proposées risque de se révéler « fraudogène » car on ne peut pas vraiment distinguer le revendeur particulier du revendeur professionnel sous couvert d’une plateforme. Je propose par conséquent à la rapporteure soit de retirer son amendement afin qu’elle le retravaille dans la perspective de la séance, soit que la commission le vote, pour peu que nous nous engagions collectivement à le réécrire afin d’éviter que des dispositions permettent à des utilisateurs professionnels de frauder, ce qui serait le comble pour un texte visant à lutter contre la fraude...

Mme la rapporteure. Je le retirer l’amendement CF193 afin de le reformuler, mais je pensais nécessaire que nous en discutions. Nous devons trouver une solution pour que ces plateformes ne deviennent pas un repoussoir, ne deviennent pas anxiogènes. Les plateformes ont d’ailleurs elles-mêmes intérêt à lutter contre les faux particuliers, qui sont en réalité des professionnels, parce que, souvent, elles sont gratuites pour les particuliers mais payantes pour les professionnels.

L’amendement CF191, pour sa part, précise que les informations transmises par la plateforme sont celles portant sur les transactions dont elle a connaissance.

L’amendement CF193 est retiré.

La commission adopte l’amendement CF191.

Puis elle adopte l’amendement de précision CF192 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement CF194 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le Sénat a ajouté à la liste des éléments devant être communiqués par les opérateurs de plateformes le numéro de TVA du vendeur ou du prestataire. Or, certaines plateformes ne disposent pas de numéros de TVA fiables, mais disposent en revanche du numéro du système d’identification du répertoire des entreprises (SIREN). C’est pourquoi je propose que toutes les informations soient transmises, mais sans pour autant les « formater ». L’amendement vise donc à supprimer l’ajout du Sénat au texte de loi de la mention du numéro de TVA relevant en tout état de cause du niveau réglementaire.

Mme Véronique Louwagie. Je suis surprise de cette proposition de suppression. Vous avez déclaré que la fraude à la TVA était très importante. Or, le numéro de TVA est un élément permettant de bien identifier un professionnel, donc de lutter contre la fraude à la TVA à l’échelle communautaire – le numéro SIREN ne suffit en effet pas forcément dès qu’on passe les frontières. Le numéro de TVA donne les références d’une entreprise, d’un professionnel, et donc, par définition, la preuve d’un assujettissement à la TVA. Aussi est-ce à mes yeux un élément très important qui doit être fourni à l’administration fiscale et qui peut contribuer à faire gagner du temps quand il s’agit de procéder à des recoupements. C’est pourquoi, même si je comprends bien que c’est pour servir les plateformes, je suis vraiment surprise, je le répète, que vous proposiez la suppression de l’ajout sénatorial, d’autant qu’il est ici question d’un projet de loi de lutte contre la fraude.

M. Charles de Courson. Comme Mme Louwagie, je ne comprends pas la position de Mme la rapporteure. Les deux arguments invoqués sont en effet faibles, le second consistant à faire valoir que les opérateurs dont les utilisateurs disposent d’un tel numéro n’en ont pas une connaissance nécessairement fiable. J’en suis désolé, mais ce n’est pas un argument. Quant au premier, selon lequel de nombreux utilisateurs ne disposent pas de numéro de TVA, cela va de soi s’il s’agit de particuliers, mais si ce sont des professionnels, ils ont bel et bien un numéro de TVA et il faut donc qu’ils le transmettent, ce qui facilitera la lutte contre la fraude. Supprimer l’ajout du Sénat me semble donc affaiblir la portée du dispositif puisque cela complique la recherche d’éventuels fraudeurs.

Mme la rapporteure. Le code général des impôts prévoit des cas d’obligation de transmission du numéro de TVA – ils sont précisés à l’article 171 AX de l’annexe 2 du code, pris pour l’application de l’article 242 bis. Figer une telle disposition dans la loi lui donnerait une portée plus générale qui ne paraît pas opportune étant donné la multiplicité des plateformes. Tous les opérateurs, on l’a dit, ne disposent pas d’un numéro de TVA. La portée de l’ajout du Sénat, je le répète, me paraît trop générale ; l’annexe 2 du code général des impôts, à laquelle je viens de faire référence, semble parfaitement adaptée et suffisante. Encore une fois, toutes les plateformes ne travaillent pas de la même façon, avec les mêmes clients, avec les mêmes prestataires...

M. Jean-Paul Dufrègne. Je rejoins l’avis de mes collègues : les arguments avancés en faveur de l’amendement sont faibles. En effet, pour les nombreux utilisateurs ne disposant pas de numéro de TVA, il suffirait d’ajouter les mots : « et le numéro de TVA s’il existe. » Ainsi ne nous poserions-nous plus la question de savoir si beaucoup ont ce numéro ou non.

M. Éric Coquerel. Je suis d’accord avec les arguments de Mme Louwagie et des deux collègues qui viennent de s’exprimer. Parler de complexité du seul fait que les plateformes devraient transmettre des informations est un peu paradoxal puisqu’elles sont censées gérer quotidiennement des tonnes de données. Leur demander d’en transmettre une partie à l’administration fiscale n’est en ce sens pas trop leur demander.

Mme Marie-Christine Dalloz. Quand il n’y a pas de numéro de TVA, c’est qu’il n’y a pas d’assujettissement, donc la transmission n’a ici pas de sens. En revanche, quand la plateforme est assujettie, le numéro de TVA est connu. Si nous voulons lutter contre la fraude à la TVA, l’ajout du Sénat paraît mesuré et justifié, et le supprimer serait une erreur.

Mme la rapporteure. Je répète que cette obligation déclarative figure déjà dans l’article 171 AX de l’annexe 2 du code général des impôts, qui précise l’article 242 bis et la liste détaillée de toutes les informations qui doivent être fournies par les plateformes – alors que l’ajout du Sénat a une portée beaucoup plus générale. Cet ajout, j’y insiste, est déjà satisfait pour les entreprises et reste trop global pour les plateformes.

La commission adopte l’amendement.

Elle étudie ensuite l’amendement CF195 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le Sénat a imposé aux plateformes la transmission de la catégorie fiscale des revenus perçus par l’utilisateur. Il n’appartient pas aux plateformes de qualifier les revenus des utilisateurs : cela relève, d’une part, du contribuable, sous le contrôle de l’administration ; d’autre part, en cas d’erreur, le risque est grand pour l’utilisateur ; enfin, la plateforme n’est pas systématiquement en mesure de le faire. La vente de biens d’occasion est à cet égard un cas d’espèce puisqu’un particulier qui se livre à cette activité n’est pas imposable mais les revenus qu’un antiquaire tirerait de la vente de biens d’occasion sur une plateforme, dans la mesure où il s’agit d’une activité professionnelle, s’ajouteraient à son revenu imposable. Ne voyant donc pas comment les plateformes pourront remplir l’obligation prévue par le Sénat, je propose de la supprimer.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle se penche sur l’amendement CF196 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Le Sénat a ajouté aux éléments à transmettre par les plateformes la mention du caractère exonéré par nature des revenus. Pour des raisons similaires à celles évoquées précédemment, je demande la suppression de l’alinéa 11. En effet, là aussi, la plateforme risque de mal informer ses utilisateurs et d’entraîner une certaine confusion.

M. Charles de Courson. Il faut bien admettre que la rédaction de l’alinéa est un peu rock’n’roll : « Le cas échéant, et si les opérateurs en ont connaissance, l’exonération d’impôt dont les revenus perçus par l’utilisateur sont présumés bénéficier en raison de leur nature »... Franchement, il vaut mieux supprimer tout ça.

Mme Véronique Louwagie. En effet, c’est là beaucoup demander aux opérateurs – des éléments qu’ils ne sont d’ailleurs pas en mesure de vérifier. En revanche, au regard de l’importance de l’activité des plateformes, l’administration est-elle en mesure d’exploiter toutes les données qui seront communiquées par les plateformes ? Elle devra de surcroît identifier les entreprises – et parmi ces dernières, celles dont les revenus sont assujettis à la TVA –, les particuliers... Je m’interroge.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CF121 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. Je souhaite que nous ajoutions que les plateformes de co‑consommation ne sont pas soumises aux obligations déclaratives prévues par le nouvel article 242 bis du code général des impôts.

Je vais toutefois retirer mon amendement, mais il me semble très important que nous ayons ce débat en séance publique afin d’éclairer les acteurs économiques. Plusieurs questions se posent en effet. Par exemple, quid de la plateforme qui ferait à la fois de la coconsommation, mais dont certaines activités produiraient également des revenus imposables ? Devra-t-elle transmettre les données des seuls utilisateurs qui dégagent des revenus ou bien l’ensemble des données ?

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements identiques CF197 de la rapporteure et CF84 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. L’amendement CF197 vise à supprimer l’alinéa 16, introduit par le Sénat, et qui étend l’application de l’article 4 aux utilisateurs établis hors de l’Union européenne. En effet, l’alinéa 15 de l’article 4 le prévoit déjà.

M. Daniel Labaronne. Le Sénat a introduit une obligation déclarative, dans le cadre de l’article 242 bis du code général des impôts, à l’égard des utilisateurs de plateformes établies dans un État ou un territoire n’appartenant pas à l’Union européenne. Or il se trouve que cette disposition est déjà satisfaite. C’est pourquoi l’amendement CF84 vise lui aussi à supprimer l’alinéa 16.

La commission adopte les amendements.

Elle en vient à l’amendement CF153 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Si l’article 4 n’est pas révolutionnaire, il va dans le bon sens puisqu’il vise à rendre le droit en vigueur plus effectif. Reste que les sanctions prévues ne sont pas assez fortes, à notre avis, pour être dissuasives. Il me semble même que c’est ce qu’avait indiqué le ministre Darmanin lors de la présentation du texte ; c’est pourquoi nous proposons de les doubler.

Mme la rapporteure. L’amendement entend aggraver les sanctions pour méconnaissance par les plateformes de leurs obligations déclaratives, en portant leur plafond de 50 000 à 100 000 euros. Le plafond concerné par l’amendement porte sur le non-respect de l’obligation d’information des utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales ; or ces informations ne concernent pas que les revenus taxables. Le dispositif prévoit d’autres sanctions qui punissent les défauts de transmission d’informations sur les transactions à l’utilisateur et à l’administration, et elles ne sont pas négligeables, puisqu’elles portent sur un montant correspondant à 5 % des revenus concernés. Je rappelle en outre que l’article porte l’amende de 10 000 à 50 000 euros, ce qui est déjà une augmentation substantielle.

La sanction d’un manquement à une obligation d’information doit rester proportionnée. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CF85 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le Sénat a inséré les alinéas 20 et 21 à l’article 4 afin de permettre à l’administration de réclamer aux filiales françaises des plateformes étrangères les amendes dues par ces dernières en cas de non-respect de leurs obligations déclaratives et d’information. Si l’on peut partager l’objectif du Sénat d’assurer l’effectivité des obligations imposées aux plateformes, il reste que cela pose sans doute une difficulté majeure au regard du principe constitutionnel de personnalité des peines. Il nous semble donc nécessaire de supprimer ces deux alinéas.

Mme la rapporteure. Si je partage et comprends le souci qui a incité le Sénat à instaurer cette responsabilité solidaire, je souscris néanmoins à votre analyse juridique. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CF198 de la rapporteure et CF86 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. L’amendement CF198 vise à préciser que les informations transmises à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) le sont par l’administration fiscale.

M. Daniel Labaronne. L’amendement CF86 vise de même à préciser que les informations collectées par l’administration fiscale auprès des plateformes en ligne sont transmises à l’ACOSS par l’administration fiscale selon la démarche appelée « dites-le nous une fois ». Les informations que les plateformes en ligne auront déclarées à l’administration fiscale n’auront donc plus à faire l’objet d’une déclaration auprès de l’ACOSS, dans un objectif de simplification des démarches administratives.

La commission adopte les amendements.

Elle adopte l’amendement de précision CF199 de la rapporteure.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CF103 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Cet amendement d’appel vise à supprimer le IV de l’article, qui porte sur l’obligation de certification des plateformes, cette certification portant sur le respect des obligations portant sur les plateformes d’informer leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales. Pourquoi supprimer cette certification ? Cette suppression ne présente-t-elle pas un risque en termes d’obligations fiscales et sociales ?

Mme la rapporteure. Votre amendement vise à revenir sur la suppression de l’obligation de certification. Pour vous rassurer, permettez-moi de vous indiquer que la certification visait à s’assurer que les plateformes informaient correctement leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et des transactions réalisées ainsi que des revenus perçus. Dès lors que ces informations sont également communiquées à l’administration fiscale, comme le prévoit l’article 4, il n’est plus nécessaire d’obliger les plateformes à être certifiées car l’administration pourra apprécier elle-même le respect de leurs obligations, en précisant qu’il est possible d’aller jusqu’à 5 % des sommes non déclarées. Je vous propose donc de retirer l’amendement ; à défaut, j’y serai défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement de précision CF200 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 4 modifié.

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*     *

Article 4 bis
(article 155 C [nouveau] du code général des impôts)
Abattement forfaitaire de 3 000 euros applicable aux revenus déclarés automatiquement par les plateformes en ligne

Résumé du dispositif proposé

Le présent article prévoit un régime fiscal et social spécifique pour les revenus perçus par l’intermédiaire de plateformes en ligne et relevant des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), des bénéfices non commerciaux (BNC) et des revenus fonciers :

– abattement forfaitaire de 3 000 euros, avec des mesures propres aux régimes micro‑fiscaux ;

– dispense d’affiliation obligatoire au régime social des travailleurs indépendants non agricoles si les revenus perçus par l’intermédiaire des plateformes n’excèdent pas 3 000 euros.

Concrètement, si les revenus tirés d’une activité réalisée au moyen d’une plateforme en ligne n’excédaient pas ce seuil de 3 000 euros, aucun impôt ne serait dû à leur titre et leurs titulaires ne seraient pas considérés comme des professionnels. S’ils étaient supérieurs à ce seuil, les revenus ne seraient imposés que pour leur part excédentaire.

Le dispositif ne concerne que les plateformes satisfaisant à lobligation dinformation des utilisateurs et de ladministration faisant lobjet de larticle 4 du présent projet de loi.

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 87 de la loi de finances pour 2016 a prévu à travers l’article 242 bis du code général des impôts (CGI) une obligation pour les plateformes en ligne d’informer leurs utilisateurs de leurs obligations fiscales et sociales.

L’article 24 de la loi de finances rectificative pour 2016 a introduit un nouvel article 1649 quater bis du CGI prévoyant pour les plateformes une obligation de déclaration auprès de l’administration fiscale des revenus perçus par leurs utilisateurs, censée entrer en vigueur le 1er janvier 2019.

L’article 4 du présent projet de loi complète et ajuste cette obligation.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de la rapporteure, des députés membres du groupe UDI, Agir et Indépendants et des membres du groupe Nouvelle Gauche, la commission a supprimé cet article.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte de l’adoption par le Sénat d’un amendement de sa commission des finances, à l’initiative de M. Albéric de Montgolfier, Rapporteur général de cette commission et rapporteur du présent projet de loi, malgré l’opposition du Gouvernement qui a déposé en séance un amendement de suppression du dispositif, rejeté.

S’inscrivant dans la continuité des travaux conduits par la commission des finances du Sénat en matière d’économie collaborative, il concrétise les propositions n°s 1 et 2 du groupe de travail de la commission des finances du Sénat publiées le 29 mars 2017 ([46]).

Il est renvoyé aux commentaires de l’article 4 du présent projet de loi pour le détail des obligations déclaratives pesant sur les plateformes et les évolutions proposées par ledit article. Ne seront ici abordés que les éléments relatifs au présent article 4 bis.

A.   Un traitement particulier des utilisateurs percevant des revenus de plateformes en ligne

1.   L’introduction d’un abattement forfaitaire de 3 000 euros

● Le I du présent article introduit dans le code général des impôts un nouvel article 155 C ([47]) qui met en place un régime fiscal dérogatoire au profit des contribuables exerçant par l’intermédiaire de plateformes en ligne des activités dégageant des revenus relevant :

– des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) ;

– des bénéfices non commerciaux (BNC) ;

– des revenus fonciers.

● En application du II de ce nouvel article 155 C, ces revenus font l’objet d’un abattement forfaitaire :

– pour les contribuables relevant d’un régime réel d’imposition, cet abattement est de 3 000 euros (étant prévu que seule la fraction des charges déductibles supérieure à cette somme peut être effectivement déduite) ;

–– pour les contribuables relevant d’un régime micro-fiscal, l’abattement prévu au titre de ces régimes ne pourra être inférieur à 3 000 euros. Ne sont concernés que les régimes micro-fiscaux touchant les revenus fonciers, les BIC et les BNC, le II du nouvel l’article 155 C visant exclusivement les articles 32 (« micro-foncier »), 50‑0 (« micro-BIC ») et 102 ter (« micro-BNC ») du CGI.

Les régimes micro-fiscaux

Les régimes micro-fiscaux, applicables sous un certain plafond de revenu, prévoient des règles simplifiées de détermination de l’assiette imposable à travers l’application aux recettes brutes enregistrées d’un abattement forfaitaire variable selon la catégorie de revenus :

– le régime « micro-foncier », prévu à l’article 32 du CGI, s’applique jusqu’à 15 000 euros de chiffre d’affaires et prévoit un abattement de 30 % ;

– le régime « micro–BIC », prévu à l’article 50‑0 du CGI :

● s’applique jusqu’à 170 000 euros de chiffre d’affaires pour les activités de commerce et d’hébergement, l’abattement applicable étant de 71 % ;

● s’applique jusqu’à 70 000 euros de chiffre d’affaires pour les prestations de services et les locations meublées, l’abattement applicable étant de 50 % ;

– le régime « micro‑BNC », prévu à l’article 102 ter du CGI, s’applique jusqu’à 70 000 euros de chiffre d’affaires et prévoit un abattement de 34 % ;

– le régime « micro-bénéfices agricoles » (« micro-BA »), prévu à l’article 64 bis du CGI, s’applique jusqu’à 82 800 euros de chiffre d’affaires et prévoit un abattement de 87 %.

Dans le cadre des régimes « micro-BIC », « micro-BNC » et « micro-BA », l’abattement ne peut être inférieur à 305 euros.

NB : les plafonds de chiffre daffaires des régimes « micro-BIC » et « micro-BNC » résultent de larticle 22 de la loi n° 20171837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

Dans le cadre du dispositif proposé par le Sénat, l’abattement serait applicable tant qu’il conduirait à un avantage supérieur par rapport au régime de droit commun. Pour les contribuables au réel, ce seuil serait atteint dès lors que les charges déductibles excéderaient 3 000 euros.

Pour les contribuables relevant d’un régime micro-fiscal, il serait atteint pour un niveau de revenu au titre duquel l’abattement prévu dans le cadre de ces régimes excède 3 000 euros. Ces seuils sont résumés dans le tableau suivant.

seuils de revenu à partir desquels le dispositif sénatorial s’éteint

Activité

Régime

Fondement
(article du CGI)

Plafond de chiffre daffaires
(en euros)

Abattement

Seuil de revenu
(en euros)

Rapport seuil / plafond de CA

Commerce et hébergement

BIC

50‑0

170 000

71 %

4 225

2,5 %

Prestations de services et locations meublées

BIC

50‑0

70 000

50 %

6 000

8,6 %

Activités non commerciales

BNC

102 ter

70 000

34 %

8 824

12,6 %

Revenus fonciers

Revenus fonciers

32

15 000

30 %

10 000

66,7 %

Source : commission des finances.

● L’application du dispositif d’abattement forfaitaire de 3 000 euros porte exclusivement sur les revenus perçus par l’intermédiaire de plateformes en ligne, ainsi qu’en dispose le III du nouvel article 155 C du CGI qui renvoie à cet effet à l’article 242 bis du CGI.

En guise de garde-fou, ce III prévoit que les revenus sont éligibles à l’abattement à la condition qu’ils aient été transmis au contribuable et à l’administration selon les modalités résultant de l’article 4 du présent projet de loi.

En conséquence, seuls les revenus tirés d’une plateforme dont l’opérateur satisfait aux obligations lui incombant en application de l’article 242 bis (dans sa rédaction résultant du même article 4) sont concernés par le présent article.

2.   Une dispense d’affiliation sociale obligatoire jusqu’à 3 000 euros de revenus

Le II du présent article dispense d’affiliation obligatoire au régime social des travailleurs indépendants non agricoles les personnes dont les revenus retirés d’activités exercées par l’intermédiaire de plateformes en ligne n’excèdent pas 3 000 euros.

La possibilité de s’affilier à ce régime reste néanmoins ouverte, sur option du contribuable.

Enfin, le dernier alinéa de ce II prévoit, pour les contribuables déjà affiliés à ce régime social, que les revenus perçus par l’intermédiaire des plateformes ne revêtent un caractère professionnel que s’ils proviennent d’activités de même nature que les activités professionnelles exercées par ailleurs.

B.   Un dispositif motivé par des considérations d’incitation et de simplification

La justification avancée par le Sénat à l’appui du présent article est d’assurer un meilleur recouvrement de l’impôt et de clarifier le régime fiscal et social des utilisateurs des plateformes en ligne.

Selon l’autre assemblée, l’abattement de 3 000 euros serait de nature à inciter ces utilisateurs à déclarer leurs revenus et à utiliser au titre de leur activité celles des plateformes qui respectent l’obligation de déclaration prévue à l’article 4 du présent projet de loi. Cette incitation conduirait à un meilleur recouvrement de l’impôt en réduisant les défauts de déclaration de la part des contribuables.

Par ailleurs, cet abattement « permettrait dexonérer de manière simple et lisible les petits compléments de revenus occasionnels » ([48]).

Pour le Sénat, le dispositif créerait « un cercle vertueux permettant dassurer la juste imposition des activités économiques significatives. » ([49])

Enfin, et de façon sans doute plus ambitieuse, il ressort des travaux du Sénat que la mesure s’inscrirait dans le cadre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et le principe d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

II.   La position de la commission

La rapporteure ne remet pas en cause l’intérêt d’appréhender l’économie collaborative de façon ambitieuse et de prévoir pour elle un cadre fiscal cohérent et adapté. Les travaux du Sénat en la matière, nombreux et nourris, doivent être salués en ce qu’ils nous invitent tous à réfléchir à la fiscalité des plateformes et des revenus qu’elles génèrent.

Cependant, et pour des motifs déjà exposés à l’automne dernier, les modalités proposées par le Sénat ne paraissent pas devoir prospérer. La commission a donc supprimé le présent article en adoptant trois amendements en ce sens, l’un de la rapporteure, l’autre présenté par M. Charles de Courson et plusieurs de ses collègues, le troisième présenté par les membres du groupe Nouvelle Gauche.

A.   un dispositif déjà rejeté plusieurs fois par l’assemblée nationale

Lors des débats sur le projet de loi de finances pour 2018, un dispositif similaire à celui proposé avait été rejeté, d’abord par la commission des finances, puis par l’Assemblée nationale dans son ensemble le 20 octobre 2017, le Gouvernement étant également défavorable à l’amendement alors discuté.

Le Sénat, lors de la première lecture du même texte, y avait introduit un nouvel article 2 bis A correspondant, à quelques ajustements près, au présent article 4 bis.

Saisie du texte en nouvelle lecture, la commission des finances avait alors adopté un amendement de son Rapporteur général, M. Joël Giraud, tendant à la suppression de cet article 2 bis A. Cet amendement de suppression, devenu amendement de la commission des finances, avait ensuite été adopté par l’Assemblée avec un avis favorable du Gouvernement le 15 décembre 2017.

B.   un dispositif juridiquement contestable au coût non évalué

Le dispositif introduit par le Sénat présente plusieurs faiblesses juridiques, ne paraît pas absolument évident sur le plan des principes fiscaux et, de surcroît, pourrait induire un coût conséquent pour les finances publiques.

1.   Un dispositif constitutionnellement fragile et difficile à justifier

La commission des finances du Sénat, dans son rapport sur le présent projet de loi, s’est attachée à démontrer point par point la constitutionnalité du dispositif au regard du principe d’égalité devant l’impôt. Si l’effort est louable, les arguments développés ne semblent toutefois guère convaincants.

● Si le Sénat indique à juste titre que l’avantage prévu, c’est-à-dire l’abattement de 3 000 euros, n’est pas lié à la nature des revenus mais aux modalités déclaratives qui permettraient une plus grande sécurité, c’est précisément cette différence de traitement pour la même catégorie de revenu qui pose un problème constitutionnel. Notons à cet égard que ce n’est pas tant la façon dont les revenus sont déclarés que le fait de percevoir des revenus par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne, laquelle est soumise à certaines obligations déclaratives, qui déclenche le bénéfice de l’avantage.

Les arguments tirés des avantages de simplicité pour le contribuable et de sécurisation des déclarations, s’ils peuvent être entendus, ne constituent pas pour autant des justifications acceptables, pas plus que ceux reposant sur l’existence de dispositifs similaires dans d’autres pays européens ([50]).

● De fait, le dispositif risquerait d’entraîner une rupture d’égalité entre acteurs de l’économie collaborative, en prévoyant un régime particulier au seul bénéfice des utilisateurs de plateformes en ligne. Or, l’économie collaborative réside aussi dans des échanges physiques et des annonces publiées par voie de presse ou d’affichage.

La circonstance que les revenus de l’économie collaborative sont générés depuis une plateforme en ligne ne semble pas devoir justifier une telle différence de traitement ([51]).

● En outre, s’agissant des arguments reposant sur l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, le lien avec le dispositif ne semble pas absolument flagrant.

Il n’est en effet pas évident qu’une exonération fiscale soit le meilleur moyen de lutter contre la fraude ([52]).

Ainsi que le relevait le ministre de l’action et des comptes publics devant l’Assemblée nationale, « il est curieux de vouloir lutter contre la non-déclaration des revenus en créant une exonération » ([53]), point de vue partagé par la rapporteure qui déclarait alors qu’il était « étrange de commencer par créer une franchise pour taxer des revenus » et dénonçait une « rupture dégalité » ([54]).

Au demeurant, si l’objectif est d’aboutir à une meilleure connaissance par l’administration fiscale des revenus des utilisateurs de plateforme, l’article 4 du présent projet de loi y répond.

● Par ailleurs, s’agissant de la lisibilité du droit, il convient de souligner que le dispositif, loin de l’accroître, risque au contraire d’introduire une confusion importante, surtout en matière sociale.

L’ambition du dispositif est de fixer à 3 000 euros un « seuil de nonprofessionnalité » ([55]), mais toutes les conséquences de ce principe ne sont pas tirées. En effet, pour les locations, le caractère professionnel d’une activité de location est reconnu :

– à partir de 23 000 euros pour les locations de biens immobiliers ;

– à partir de 7 720 euros pour les locations de biens meubles ([56]).

En créant un nouveau seuil, le présent article nuit à la compréhension des règles sociales et pourrait même entraîner une inintelligibilité du droit en raison d’une contradiction juridique. Le présent valant impératif, la lecture contrario du II du présent article impose aux personnes dont les revenus excèdent 3 000 euros une affiliation au régime social des travailleurs indépendants. Or, ainsi qu’il a été vu, ce seuil est inférieur à ceux prévus par le code de la sécurité sociale.

● Enfin, la rapporteure souhaite rappeler que si l’économie collaborative mérite une réflexion appuyée, les règles fiscales actuelles sont adaptées à ses particularismes.

Tel est notamment le cas des régimes micro-fiscaux présentés plus haut, qui ciblent spécifiquement les petites exploitations et les revenus accessoires et qui prévoient des règles de détermination d’assiette simplifiées, des allégements d’obligations administratives et, le cas échéant, un régime social plus simple.

2.   Un dispositif au coût non évalué mais potentiellement coûteux

De façon étonnante dans la mesure où le rapporteur du présent projet de loi au Sénat n’est autre que le Rapporteur général de sa commission des finances, la question du coût du dispositif n’a pas été abordée.

Il est vrai que tout chiffrage sur ce sujet est délicat, l’assiette précise concernée par la mesure étant inconnue. Des estimations restent néanmoins probablement possibles et, en les attendant, des ordres de grandeur conséquents peuvent être mentionnés – ils figuraient déjà dans le rapport d’information du Sénat précité du 29 mars 2017 :

– en 2016, 350 000 annonces ont été publiées sur le site Airbnb, pour qui Paris est le premier marché mondial ;

– la même année, près de 100 millions de transactions ont été réalisées à partir de la plateforme Le Bon Coin, pour un total de 21 milliards d’euros.

S’ils ne permettent naturellement pas de connaître, même de façon imprécise, le coût de la mesure, ces éléments donnent une idée de l’ampleur qu’occupe désormais l’économie collaborative et du volume potentiellement conséquent des pertes de recettes qu’entraînerait l’article 4 bis.

*

*     *

La commission examine les amendements identiques CF201 de la rapporteure, CF26 de M. Charles de Courson et CF77 de Mme Christine Pires Beaune.

Mme la rapporteure. L’article 4 bis, introduit par le Sénat, vise à instaurer un abattement de 3 000 euros sur les revenus perçus via une plateforme en ligne. Nous avions déjà examiné et rejeté cette proposition lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2019. Elle ne saurait en effet prospérer tant il est curieux, pour améliorer le rendement d’un impôt, de prévoir une exonération allant jusqu’à 3 000 euros. En outre, les régimes « micro-BIC » et « micro-BNC » permettent déjà de déclarer facilement les petites sommes assorties d’un abattement forfaitaire. Enfin, la mise en place d’un abattement en fonction des modalités de perception des revenus risque d’entraîner une rupture d’égalité devant l’impôt, et sa généralisation à tous les petits revenus, y compris dans le monde physique, s’accompagnerait d’un coût nettement plus élevé et encore non chiffré. C’est pourquoi nous proposons de supprimer cet article.

M. Charles de Courson. Il est paradoxal, en effet, que le maintien de l’article adopté par le Sénat ait pour effet de durcir le dispositif, puisque les seuils des régimes « micro-BIC » et « micro-BNC » sont supérieurs à 3 000 euros. Il ne me semble donc pas opportun de conserver cette mesure ; mieux vaut la supprimer.

Mme Christine Pires Beaune. Je propose également la suppression de cet article pour les mêmes raisons, la première d’entre elles tenant au risque d’inconstitutionnalité pour rupture d’égalité devant l’impôt.

Mme Véronique Louwagie. Je suis tout à fait favorable à la suppression de cet article qui entraînerait une véritable distorsion de concurrence selon le mode de transaction retenu.

La commission adopte les amendements.

L’article 4 bis est ainsi supprimé.

*

*     *

Article 4 ter
(articles 283 bis [nouveau] et 293 A ter [nouveau] du code général des impôts)
Responsabilité solidaire des plateformes en ligne
en matière de TVA due par les vendeurs et prestataires

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article met en place un mécanisme de responsabilité solidaire des opérateurs de plateforme en ligne pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) en introduisant à cet effet dans le code général des impôts (CGI) deux nouveaux articles 283 bis et 293 A ter.

Ces articles prévoient, lorsqu’existent des présomptions qu’une personne se livrant à des activités en France par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne se soustraie à ses obligations en matière de TVA, que l’administration puisse demander, puis mettre en demeure l’opérateur de la plateforme de prendre les mesures permettant à la personne en cause de régulariser sa situation. En l’absence de régularisation, la plateforme est solidairement tenue au paiement de la TVA due par cette personne.

Dernières modifications intervenues

Le 7 avril 2016, la Commission européenne a présenté un plan d’action sur la TVA afin d’améliorer les modalités de paiement et de contrôle de cet impôt.

Le 5 décembre 2017, a été adoptée une directive apportant plusieurs modifications en vue de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA.

D’autres projets d’actes européens, notamment un règlement sur le renforcement de la coopération des autorités nationales en matière de contrôle, sont également en cours de discussion.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs de ses collègues du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés soutenus par la rapporteure et le Gouvernement, la commission a supprimé cet article.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Introduit par le Sénat à l’initiative du Rapporteur général de sa commission des finances Albéric de Montgolfier, le présent article vise à mettre en place une responsabilité solidaire des plateformes en ligne dans le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) due par les vendeurs et prestataires recourant à ces plateformes.

1.   La TVA applicable aux importations et aux acquisitions intracommunautaires

Rappelons qu’en l’état du droit et aux termes de l’article 293 A du code général des impôts (CGI), à l’importation, la TVA est exigible et doit être acquittée par le destinataire du bien (désigné comme tel sur la déclaration d’importation).

L’importation, en vertu de l’article 291 du CGI, est définie comme l’entrée en France d’un bien provenant d’un pays tiers à l’Union européenne ou comme la mise à la consommation sur le territoire français d’un bien qui, lors de son entrée sur le territoire, a été placé sous l’un des régimes prévus au b du 2 du I de cet article ([57]).

Lorsque la vente est réalisée par une personne établie dans l’Union européenne au profit d’une entreprise française, on parle d’acquisition intracommunautaire, le redevable de la TVA étant l’acquéreur. Si elle est réalisée au profit d’un particulier français, non assujetti à la TVA, il s’agit d’une vente à distance taxable pour le vendeur.

Enfin, des dispositions spécifiques régissent les achats à distance :

– si les envois d’un vendeur professionnel établi hors de l’Union européenne à un particulier établi en France peuvent être exonérés de droits de douane et de TVA s’ils constituent des « envois de valeur négligeable » (EVN) ([58]), aucune franchise n’est prévue pour les ventes par correspondance, l’expéditeur devant déclarer le contenu en valeur du colis et l’acquéreur régler les droits et la TVA ([59]) ;

– les envois d’un vendeur professionnel établi dans un État membre de l’Union et destinés à un particulier en France sont, sauf produits particuliers, exonérés de droits de douane, la TVA étant due au moment de l’achat et devant être déclarée et collectée par le vendeur.

Du fait du caractère déclaratif de la TVA à l’importation et du développement croissant du commerce en ligne, les risques de fraude sont élevés : les administrations ne disposent en effet pas des moyens suffisants pour procéder aux contrôles de tous les colis et envois afin de vérifier que les obligations en matière de TVA ont été respectées (et notamment pour s’assurer que les colis qualifiés d’EVN en sont bien).

2.   La mise en place par le Sénat d’une responsabilité solidaire dans le paiement de la TVA

Pour apporter un début de réponse à ces difficultés, le Sénat propose d’introduire deux nouveaux articles 283 bis et 293 A ter dans le CGI, le premier portant sur les opérations intracommunautaires et le second sur les importations relevant de la direction générale des douanes et droits indirects.

D’inspiration britannique, ces deux nouveaux articles mettent en place un dispositif de signalement de l’administration aux plateformes, susceptible d’être suivi d’une responsabilité solidaire de ces dernières dans le paiement de la TVA.

Ils s’appliqueraient aux opérateurs de plateforme (définis à l’article L. 111‑7 du code de la consommation) dont le nombre de visiteurs uniques par mois excède cinq millions ([60]).

Concrètement, la procédure s’appliquerait si l’administration présumait qu’une personne résidant en France ou y réalisant des livraisons ou des prestations (nouvel article 283 bis), ou établie dans un pays tiers à l’Union européenne (nouvel article 293 A ter), et qui exerce ces activités par l’intermédiaire d’une plateforme, méconnaissait ses obligations déclaratives et de paiement de la TVA.

La procédure suivrait les trois étapes suivantes :

– l’administration signalerait la personne à l’opérateur de la plateforme, afin que celui-ci prenne les mesures idoines pour que cette personne se mette en règle (II des nouveaux articles) ;

– en cas de persistance des présomptions après l’écoulement d’un délai d’un mois, l’administration pourrait mettre l’opérateur de la plateforme en demeure de prendre les mesures prévues au II ou d’exclure la personne en cause (III des nouveaux articles) ;

– si la situation persistait, toujours après un délai d’un mois, le IV des nouveaux articles prévoit que la TVA serait solidairement due par la plateforme.

Ces dispositions entreraient en vigueur à compter du 1er janvier 2019.

II.   La position de la commission

Le dispositif proposé par le Sénat entend renforcer les moyens de lutte contre la fraude à la TVA et à résorber l’écart de TVA ([61]).

Si cette proposition est intéressante, elle est néanmoins susceptible de présenter plusieurs difficultés, dont certaines avaient d’ailleurs conduit l’Assemblée nationale, à l’initiative du Rapporteur général de sa commission des finances, à supprimer un dispositif similaire lors de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2018 ([62]).

1.   Les récentes initiatives européennes en matière de TVA limitent l’opportunité du dispositif proposé

Une directive adoptée le 5 décembre 2017 vise à apporter des réponses aux difficultés justement soulevées par le Sénat ([63]).

● Devant être transposée pour 2021, cette directive prévoit notamment :

– l’extension du mini-guichet unique ([64]) aux ventes à distance intracommunautaires de biens matériels ainsi qu’aux ventes à distance de biens provenant de pays tiers à l’Union européenne ;

– la mise en place d’un régime de déclaration et de paiement simplifié pour la TVA à l’importation (lorsqu’elle n’a pas été acquittée à travers le mini‑guichet unique) ;

– plus généralement et surtout, l’association des plateformes facilitant les échanges à distance à la perception de la TVA :

La directive du 5 décembre 2017, pour le Gouvernement, « paraît constituer la réponse pertinente pour sattaquer au problème de la fraude à la TVA dans le domaine soit des importations de biens à destination de consommateurs finaux, soit des ventes à distance intracommunautaires. Les nouvelles règles garantissent le paiement de la TVA dans lÉtat membre du consommateur final. Cela permet de consolider la nouvelle approche en matière de perception de la TVA dans lUnion européenne déjà en place pour les prestations de services électroniques et de respecter un engagement central de la stratégie pour un marché unique numérique en Europe » ([67]).

Il convient en effet de souligner l’importance de l’apport de cette directive dans la lutte contre la fraude et dans la modernisation de la perception de la TVA : le fait que la plateforme soit, en application du nouvel article 14 bis, réputée ayant reçu et livré les biens dans le cadre d’une transaction la rend redevable de la TVA due au titre de cette transaction (la plateforme est considérée comme un intermédiaire opaque qui est destinataire d’une livraison puis fournisseur de celle‑ci). Introduite tardivement dans le projet de texte par la présidence estonienne, cette mesure a été favorablement accueillie par tous les États membres et a permis d’enrichir utilement la directive.

Par ailleurs, un règlement européen sur la coopération entre États membres en matière de contrôle de la TVA est attendu d’ici 2021 ([68]) afin de renforcer les échanges d’informations entre administrations, associant également les services répressifs (à travers « Eurofisc »), et en permettant de meilleurs contrôles à travers la participation des services d’un État membre aux opérations conduites dans l’État membre du vendeur, notamment dans le cadre d’audits conjoints associant plusieurs administrations nationales.

Toutes ces mesures s’inscrivent dans le cadre du plan d’action sur la TVA présenté le 7 avril 2016 par la Commission européenne et synthétisé dans le graphique suivant ([69]).

Synthèse du plan d’action sur la TVA proposé par la Commission européenne

Source : Commission européenne. https://ec.europa.eu/taxation_customs/business/vat/action-plan-vat_fr

 

 

 

● Le Gouvernement relevait en outre devant le Sénat que le dispositif proposé par ce dernier était « moins opportun et moins robuste que la solution retenue par la directive » ([70]). Ce dispositif devrait en tout état de cause être modifié une fois la directive transposée, les « dispositifs purement nationaux dans le domaine de la perception de la TVA [… n’étant] pas en conformité avec la directive » ([71]).

2.   Un dispositif présentant une certaine fragilité juridique

Au-delà des considérations reposant sur la directive européenne de décembre dernier, l’opportunité du dispositif proposé par le Sénat est incertaine sous l’angle juridique.

● En premier lieu, d’un point de vue opérationnel, le dispositif ne prévoit aucune garantie pour que la personne présumée se soustraire à ses obligations en matière de TVA puisse se justifier. Or, il est possible que les présomptions sur lesquelles s’appuie l’administration soient infondées.

Par ailleurs, tout incombe à l’opérateur de plateforme, qui doit informer cette personne mais ne peut la contraindre à régler sa situation. S’il est bien prévu que la plateforme peut l’exclure, rien ne garantit que la personne ait régularisé sa situation pour autant. En conséquence, et alors que l’opérateur aurait accompli toutes les diligences requises, il serait néanmoins tenu au paiement de la TVA.

La situation est relativement bien distincte de celle dans laquelle, en application du 4 bis de l’article 283 du CGI, l’acquéreur peut être tenu responsable solidairement du paiement de la TVA s’il savait ou ne pouvait ignorer que le fournisseur n’avait pas satisfait à ses obligations. Elle est également différente des situations de paiement solidaire incombant aux vendeurs de certains biens, prévues au même article 283.

En outre, ainsi que le soulignait le Gouvernement lors des débats au Sénat, le dispositif proposé pourrait se révéler « peu efficace, voire inefficace lorsque la plateforme et le vendeur sont hors Union européenne » ([72]).

● En second lieu, le fait que le paiement solidaire de la TVA ne repose que sur des présomptions est de nature à accroître la fragilité juridique du dispositif, ce d’autant plus que les conditions d’établissement de cette présomption et les éléments qui la fondent ne sont pas précisés. Cela risque de laisser à l’administration une trop grande marge de manœuvre, circonstance susceptible de conduire à une censure pour incompétence négative du législateur.

 

 

● Pour l’ensemble de ces considérations, et tout en reconnaissant la nécessité et l’urgence d’agir contre la fraude à la TVA et en soulignant l’intérêt des travaux que le Sénat a conduit en la matière, la commission n’a pas jugé opportun que le dispositif proposé soit adopté.

Elle a donc adopté l’amendement de suppression déposé par M. Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs de ses collègues du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés et ayant fait l’objet d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement.

La rapporteure appelle toutefois à ce que l’action nationale et européenne en matière de TVA, singulièrement pour lutter contre la fraude, soit la plus ferme possible et demande que les propositions faites par la Commission européenne, certaines déjà traduites par des actes juridiques adoptés, répondent à l’ensemble des préoccupations soulevées par le Sénat et l’Assemblée nationale et que, dans l’hypothèse où des lacunes persisteraient, de nouveaux dispositifs plus ambitieux puissent voir le jour.

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La commission examine l’amendement CF173 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges. L’amendement CF173, qui vise à supprimer l’article 4 ter, et l’amendement CF171, qui vise à supprimer l’article 4 quater, sont de même nature : l’un et l’autre article partagent en effet la caractéristique d’être tout à la fois des prématurés et des « Tanguy » – autrement dit, ils arrivent à la fois trop tôt et trop tard. La directive européenne adoptée en décembre 2017 modifie profondément les choses, mais elle n’est pas encore transposée. Il va de soi que les propositions du Sénat, dont nous approuvons l’inspiration, aboutiront à la création d’un dispositif national alors que l’enjeu est européen. Elles sont donc prématurées puisque la directive sera bientôt transposée, mais ressemblent à Tanguy puisqu’il faudra les remettre en cause dès lors que la transposition aura été faite. Les deux articles doivent donc être liés à la transposition de la directive ; c’est pourquoi j’en propose la suppression.

Mme la rapporteure. Je souscris en tous points à l’argumentaire de M. Bourlanges. Avis favorable, ainsi qu’à l’amendement suivant.

La commission adopte l’amendement.

L’article 4 ter est ainsi supprimé.

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Article 4 quater
(article 283 ter [nouveau] du code général des impôts)
Paiement scindé de la TVA en matière de commerce en ligne

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, introduit par le Sénat, met en place pour les opérateurs de plateforme recevant plus de cinq millions de visiteurs uniques par an un système de paiement scindé de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à travers un nouvel article 283 ter du code général des impôts (CGI).

En vertu de ce dispositif, l’opérateur de plateforme retiendrait sur le montant brut de la transaction réalisée par son intermédiaire le montant de TVA, pour le reverser à l’administration fiscale. À défaut de disposer des éléments devant être communiqués par le vendeur sur le taux ou les exonérations applicables, serait retenu le taux normal de 20 %.

Les opérateurs effectuant ce paiement scindé seraient dispensés du paiement solidaire prévu aux nouveaux articles 283 bis et 293 A ter du CGI introduits par l’article 4 ter du présent projet de loi.

Ce dispositif entrerait en vigueur le 1er janvier 2019, sous réserve d’avoir été autorisé par le Conseil de l’Union européenne.

Dernières modifications législatives intervenues

Le 7 avril 2016, la Commission européenne a présenté un plan d’action sur la TVA afin d’améliorer les modalités de paiement et de contrôle de cet impôt.

Le 5 décembre 2017, a été adoptée une directive apportant plusieurs modifications en vue de renforcer la lutte contre la fraude à la TVA.

D’autres projets d’actes européens, notamment un règlement sur le renforcement de la coopération des autorités nationales en matière de contrôle, sont également en cours de discussion.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs de ses collègues du groupe Mouvement Démocrate et Apparents, et suivant les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, la commission a supprimé cet article.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article, introduit par le Sénat à l’initiative de sa commission et finances et à la suite de l’adoption par cette dernière d’un amendement de son Rapporteur général, également rapporteur du texte, et contre l’avis du Gouvernement qui avait manifesté son opposition en séance, s’inscrit dans une logique voisine de celle de l’article 4 ter précédemment présenté. Il vise à mettre en place à l’égard des opérateurs de plateforme en ligne la possibilité de prélever la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour le compte du vendeur, à travers un système de paiement scindé.

À cet effet, serait introduit dans le code général des impôts (CGI) un nouvel article 283 ter ([73]) concernant, aux termes du I de cet article, les opérateurs de plateforme dont le nombre de visiteurs uniques annuels excède cinq millions (il s’agit du même champ d’application que celui des dispositifs proposés à l’article 4 ter du présent projet de loi, au commentaire duquel il est renvoyé pour plus de détails).

Ce mécanisme dérogerait aux modalités actuellement prévues par le CGI en matière de collecte et de paiement de la TVA, définies aux articles 283 (aux termes duquel la taxe est acquittée par le preneur ou l’acquéreur, un paiement solidaire du vendeur pouvant être prévu), 293 A (en vertu duquel, en matière d’importations, la TVA est due par la personne désignée comme destinataire du bien) et 1695 (qui encadre l’autoliquidation de la TVA à l’importation).

D’un point de vue pratique, l’opérateur de la plateforme retiendrait sur le montant brut de la transaction, lors de celle-ci, le montant de la TVA.

Pour ce faire, l’opérateur se verrait communiquer par le vendeur ou le prestataire le taux applicable ou, le cas échéant, l’existence d’une exonération. Faute de tels éléments transmis, l’opérateur retiendrait sur le montant payé une somme correspondant à l’application à la transaction du taux normal de TVA de 20 % prévu à l’article 278 du CGI (III du nouvel article 283 ter).

Ainsi, pour une transaction d’un montant toutes taxes comprises de 120 euros avec application du taux normal de TVA de 20 %, le paiement scindé conduirait à ce que l’opérateur de la plateforme verse directement au Trésor public 20 euros.

La mise en œuvre de ce mécanisme par l’opérateur dispenserait ce dernier de la responsabilité solidaire du paiement de la TVA proposée aux nouveaux articles 283 bis et 293 A ter du CGI introduits par l’article 4 ter du présent projet de loi.

L’entrée en vigueur du dispositif est prévue au 1er janvier 2019, aux termes du II du présent article, sous réserve d’avoir été autorisé par le Conseil de l’Union européenne ([74]).

II.   La position de la commission

Pour les mêmes raisons que celles précédemment évoquées dans le commentaire de l’article 4 ter du présent projet de loi, le dispositif proposé par le Sénat est intéressant dans son principe mais présente plusieurs difficultés.

Soulignons à titre liminaire que ce dispositif n’est pas inconnu de l’Assemblée nationale, qui avait supprimé à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2018 une proposition similaire qu’avait introduite le Sénat ([75]).

● Ainsi qu’il a été vu au titre de l’article 4 ter, de nombreuses initiatives européennes sont en cours pour réformer la TVA dans l’Union, au premier rang desquelles se trouve la directive du 5 décembre 2017 ([76]) dont la transposition en droit interne devra intervenir au plus tard pour une application au 1er janvier 2021.

Une initiative nationale en la matière risque donc de se heurter aux évolutions proposées par l’Union européenne, ce que soulignait d’ailleurs le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics Olivier Dussopt devant le Sénat en relevant que « linstauration de dispositifs purement nationaux dans le domaine de perception de la TVA sur les opérations de-commerce ne nous semble pas souhaitable, ne serait-ce que parce que de tels dispositifs ne seraient pas en conformité avec la directive. Il nous paraît plus efficace de jouer collectif avec lUnion européenne. » ([77])

● Par ailleurs, et ce point avait lui aussi été soulevé par le Gouvernement au Sénat, le dispositif proposé risque de se révéler inefficace si les opérateurs de plateforme sont établis en dehors de l’Union européenne.

● Enfin, il convient de souligner que le parallèle fait par le Rapporteur général de la commission des finances du Sénat avec le dispositif de paiement scindé de la TVA applicable en Italie, s’il est intéressant, ne semble pas totalement pertinent et transposable à ce qui est proposé ici.

D’une part, et ainsi que le rapport d’information de la commission des finances du Sénat sur la TVA et le commerce en ligne le précisait, le dispositif italien autorisé par le Conseil était limité dans sa durée et dans son étendue, deux circonstances qui avaient permis l’obtention de l’autorisation et sans lesquelles la dérogation aurait très certainement été refusée ([78]).

Dautre part, et surtout, le paiement scindé italien, qui sapplique en matière de marchés publics, prévoit que la TVA payée sur les achats de biens et de services par les autorités publiques est directement versée par lacheteur public au lieu dêtre collectée par le vendeur. Le mécanisme nimplique donc pas de tiers, puisque cest lacheteur qui est concerné. Dans le dispositif proposé par le Sénat à travers le présent article, en revanche, cest lopérateur de plateforme, cest-à-dire un tiers intermédiaire, qui serait concerné.

● À l’aune de ces éléments et en cohérence avec sa position sur l’article 4 ter du présent projet de loi, la commission a adopté un amendement déposé par M. Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs de ses collègues du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés et ayant fait l’objet d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, tendant à supprimer le présent article.

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Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement CF171 de M. Jean-Louis Bourlanges.

L’article 4 quater est ainsi supprimé.

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Après l’article 4 quater

La commission est saisie de l’amendement CF144 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement vise à appliquer une démarche préventive à l’attribution des numéros de TVA afin de lutter contre la fraude à cet impôt, à l’image de ce qui se fait en Belgique par exemple. Plutôt que d’attribuer automatiquement un numéro d’identification TVA, nous proposons que l’administration effectue une petite enquête pour déterminer s’il faut ou non donner un numéro individuel.

Mme la rapporteure. Je partage votre objectif de lutter contre la fraude à la TVA. Cependant, l’administration peut déjà procéder à la « petite enquête » que vous proposez avant de délivrer un numéro individuel d’identification TVA : l’article L. 10 BA du livre des procédures fiscales prévoit qu’elle est en droit, « avant ou après la délivrance » de ce numéro, de solliciter la transmission des pièces que vous souhaitez. En outre, la Commission européenne a lancé un plan d’action visant à lutter contre la fraude à la TVA. Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

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Article 4 quinquies
(article 1754 du code général des impôts)
Solidarité des entreprises liées en matière damendes fiscales
pour obstacle au droit de communication

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article complète l’article 1754 du code général des impôts (CGI) en prévoyant un mécanisme de responsabilité solidaire du paiement de l’amende prévue en cas d’obstacle au droit de communication de l’administration, vis-à-vis des entreprises françaises liées à une entreprise à l’égard de laquelle l’administration exerce son droit de communication non nominatif.

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 21 de la loi de finances rectificative pour 2014 a modifié l’article L. 81 du livre des procédures fiscales pour y inclure au profit de l’administration un droit de communication non nominatif.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de Jean‑Louis Bourlanges, la commission, suivant les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, a supprimé cet article.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte de l’adoption par la commission des finances du Sénat d’un amendement de son Rapporteur général, Albéric de Montgolfier, et sur lequel le Sénat n’est pas revenu lors de l’examen du texte en séance malgré les réserves exprimées par le Gouvernement à cette occasion.

Il consiste à mettre en place une responsabilité solidaire du paiement des amendes fiscales prévues en cas d’obstacle au droit de communication non nominatif de l’administration, cette responsabilité solidaire s’appliquant aux entreprises françaises liées (filiales, sœurs ou mères) à celle à l’égard de laquelle l’administration exerce ce droit.

A.   Le droit de communication non nominatif

En application de l’article L. 81 du livre des procédures fiscales (LPF), le droit de communication permet aux agents de l’administration d’avoir connaissance des documents nécessaires à l’établissement de l’assiette et au contrôle et au recouvrement des impôts.

Aux termes du deuxième alinéa de cet article, introduit par la seconde loi de finances rectificative pour 2014 ([79]), ce droit peut porter sur des informations concernant des personnes non identifiées, permettant à l’administration d’obtenir des informations sur des types d’opérations (par exemple les transactions excédant un certain montant, celles portant sur un bien ou un service donné, etc.).

Les conditions d’exercice de ce droit de communication non nominatif ont été précisées par un décret du 28 août 2015 ([80]) qui a rétabli dans le LPF un article R. 81‑3 précisant les éléments devant figurer dans la demande de l’administration :

– nature de la relation juridique ou économique entre la personne soumise au droit de communication et les personnes dont l’identification est demandée ;

– informations relatives aux personnes qui font l’objet de la recherche (situation géographique, seuil portant sur la quantité, le nombre, la fréquence ou les montants des opérations, mode de paiement utilisé) ;

– période sur laquelle la recherche porte (elle ne peut excéder dix-huit mois).

La demande doit émaner d’un agent ayant au moins le grade d’inspecteur divisionnaire des finances publiques ou d’inspecteur régional des douanes.

Conformément à l’article 1734 du code général des impôts (CGI), le refus de communiquer les éléments demandés par l’administration au titre de son droit de communication est passible d’une amende de 5 000 euros (cette amende sera de 10 000 euros à compter du 1er janvier 2019 ([81])).

Dans la mesure où ce droit de communication ne revêt pas de portée extraterritoriale, l’administration, lorsqu’elle souhaite obtenir des renseignements concernant des personnes établies à l’étranger, doit recourir aux procédures d’assistance administrative internationale.

B.   La proposition sénatoriale d’introduire une responsabilité solidaire dans le paiement de l’amende pour obstacle au droit de communication non nominatif

Le Sénat, considérant que l’absence de portée extraterritoriale de ce droit pénalise l’administration, a prévu à travers le présent article la mise en place d’une responsabilité solidaire du paiement de l’amende prévue à l’article 1734 du CGI.

L’article 1754 du même code serait à cet effet complété d’un nouveau 10 ([82]), le paiement solidaire visant les entreprises françaises liées au sens du 12 de l’article 39 du CGI à celle à l’égard de laquelle le droit de communication est exercé par l’administration.

Pour mémoire, des entreprises sont liées au sens de ces dispositions si l’une détient la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision (relation mère-fille), ou si les entreprises sont détenues ou contrôlées dans les mêmes conditions que celles précédemment exposées par une autre entreprise (entreprises sœurs).

II.   La position de la commission

La question de la responsabilité solidaire du paiement des amendes fiscales entre entreprises liées a déjà été abordée dans le cadre de l’article 4 du présent projet de loi, le Sénat ayant également introduit un dispositif similaire à celui prévu au présent article s’agissant des sanctions pécuniaires applicables aux opérateurs de plateforme en ligne, en cas de non-respect de leurs obligations déclaratives.

Les considérations alors exposées s’appliquent également au présent article.

À titre liminaire, il y a lieu de reconnaître l’intérêt pratique d’un mécanisme de paiement par une société établie en France d’une amende qui ne serait autrement pas acquittée, afin d’inciter les opérateurs économiques étrangers à faire droit aux demandes émanant de l’administration française.

Cependant, le dispositif proposé semble présenter plusieurs faiblesses.

● Les hypothèses de paiement solidaires de sanctions fiscales prévues à l’article 1754 du CGI visent des agissements témoignant de graves manquements (abus de droit, dissimulation d’une partie du prix d’un contrat, omission irrégulière de l’identité du bénéficiaire d’une distribution, etc.) et, surtout, concernent des personnes qui ont été parties prenantes à ces agissements.

Les hypothèses de paiement solidaire des sanctions fiscales

Le paiement solidaire des sanctions fiscales est prévu actuellement dans huit hypothèses, en application du V de l’article 1754 du CGI :

– abus de droit ou dissimulation d’une partie du prix d’un contrat, la solidarité visant les parties au contrat ;

– délivrance irrégulière par une société de documents permettant de bénéficier d’un avantage indu, la solidarité visant les dirigeants de cette société ;

– distribution par une société de revenus à des personnes dont l’identité n’est irrégulièrement pas mentionnée, la solidarité visant les dirigeants de cette société ;

– déduction d’une fausse dette pour la perception des droits de mutation par décès, la solidarité visant le déclarant et le prétendu créancier ayant faussement attesté l’existence de la dette ;

– dissimulation d’une partie du prix dans un contrat, la solidarité visant les cocontractants et la personne complice de manœuvres destinées à éluder le paiement d’impôts ;

– défaut ou insuffisance de timbre, la solidarité visant les parties aux actes non timbrés ou insuffisamment timbrés ainsi que les personnes qui ont élaboré des actes énonçant des actes ou livres non timbrés ;

– déchéance du taux réduit de taxe de publicité foncière et de droit d’enregistrement lorsqu’elle est du fait du sous-acquéreur, la solidarité visant ce dernier et l’acquéreur ;

– manquement déclaratif au titre du registre des trusts, la solidarité visant le constituant, les bénéficiaires et l’administrateur du trust.

Le dispositif proposé par le Sénat, sécartant de la cohérence densemble de larticle 1754, conduirait à rendre une filiale dun opérateur de plateforme étranger solidairement responsable du paiement dune amende, alors même que ladite filiale na pas nécessairement de leviers ou de moyens pour inciter sa mère à faire droit à la communication demandée par ladministration et peut ne pas être impliquée dans lopération au titre de laquelle le droit de communication est exercé.

Le caractère personnel de l’amende serait ainsi méconnu, pouvant sérieusement entacher le paiement solidaire prévu d’un risque juridique élevé et l’exposant pour ce motif à une censure de la part du Conseil constitutionnel.

● Par ailleurs, la rédaction proposée par le Sénat, en renvoyant aux liens de dépendance prévus au 12 de l’article 39 du CGI, réduit la pertinence du dispositif en ce que si ce dernier cible dans son esprit les filiales françaises d’opérateurs étrangers, il s’appliquerait également aux sœurs de ces filiales ou encore aux sociétés mères, aux filiales ou aux entreprises sœurs d’entreprises françaises (pour lesquelles le dispositif n’est pas requis, le droit de communication et l’amende prévue s’appliquant alors normalement).

 

● Compte tenu de ces éléments, à l’initiative de Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs membres du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés, et suivant l’avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement, la commission a supprimé le présent article.

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La commission examine l’amendement CF172 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement de suppression repose sur le même principe que l’amendement de M. Labaronne que nous venons d’examiner à l’article 4 : c’est en quelque sorte une récusation de la loi « anti-casseurs ». L’article vise en effet à faire payer aux filiales françaises des amendes dues par les plateformes étrangères dont elles dépendent ; en cela, il se heurte fortement au principe de personnalisation des peines que le Conseil constitutionnel a solennellement confirmé.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

M. Charles de Courson. J’ajoute que cet article me semble manifestement anti‑européen.

La commission adopte l’amendement.

L’article 4 quinquies est ainsi supprimé.

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Article 4 sexies
(article 45 de la loi n° 20171775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017)
Interdiction pour les plateformes en ligne deffectuer des versements
sur des cartes prépayées

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, introduit par le Sénat, interdit aux opérateurs de plateforme en ligne d’effectuer des versements sur des cartes prépayées au profit de leurs utilisateurs résidant en France ou qui y réalisent des prestations soumises à la taxe sur la valeur ajoutée.

Il généralise à l’ensemble des plateformes l’interdiction votée lors de la seconde loi de finances pour 2017 vis-à-vis des seules plateformes d’hébergement.

Cette interdiction s’appliquerait à compter du 1er janvier 2019.

Dernières modifications législatives intervenues

La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, a introduit dans le code monétaire et financier (CMF) un article L. 315‑9 prévoyant le principe du plafonnement des cartes prépayées.

L’article 45 de la seconde loi de finances rectificative pour 2017 a introduit dans le CMF un nouvel article L. 112‑6‑1 A interdisant les cartes prépayées aux plateformes d’hébergement à compter du 1er janvier 2019. 

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs membres du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés, la commission a supprimé cet article en suivant les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article, résultant de l’adoption par la commission des finances du Sénat d’un amendement de son Rapporteur général et d’une absence de remise en cause en séance malgré une position réservée du Gouvernement, interdit aux plateformes en ligne de réaliser des versements sur des cartes prépayées (dont la définition juridique est une valeur monétaire stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d’un support physique).

● Une telle interdiction est déjà prévue – quoique sans être encore applicable – pour les professionnels assurant un service de réservation, de location ou de mise en relation en vue de la location d’un hébergement situé en France, en application de l’article L. 112‑6‑1 A du code monétaire et financier (CMF).

Cet article avait été introduit par le Sénat lors de l’examen de la seconde loi de finances rectificative pour 2017, et son entrée en vigueur avait été différée au 1er janvier 2019 par l’Assemblée nationale ([83]).

La méconnaissance de cette interdiction sera passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 5 % des sommes ainsi irrégulièrement versées, en application des dispositions combinées des articles L. 112‑7 du CMF et 1840 J du code général des impôts (CGI).

L’interdiction des cartes prépayées par la seconde loi de finances rectificative pour 2017 s’inscrivait dans un contexte particulier à la suite de révélations sur l’inclusion dans l’offre de moyens de paiement de la plateforme Airbnb de la carte prépayée Payoneer Mastercard émise à Gibraltar ([84]), et s’appuyait sur les risques de fraude, voire de blanchiment, que ces instruments pouvaient entraîner.

Rappelons en effet, comme avait pu le souligner le Rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale lors des débats sur ce texte ([85]), que les cartes prépayées ne sont pas adossées à un compte bancaire et échappent ainsi à l’échange automatique d’informations.

● Par ailleurs, si un plafonnement de la capacité d’emport des cartes prépayées (10 000 euros) et du montant des chargements et retraits et remboursements (1 000 euros par mois) a récemment été mis en place ([86]), ces mesures ne s’appliquent pas aux cartes délivrées à l’étranger.

Poursuivant la démarche entamée à l’automne dernier, le Sénat a généralisé à l’ensemble des plateformes l’interdiction d’effectuer au profit de leurs utilisateurs des versements par carte prépayée, dès lors que ces utilisateurs résident en France ou y réalisent des prestations soumises à la TVA.

L’article L. 112‑6‑1 A du CMF est donc modifié à cet effet, la référence aux plateformes d’hébergement étant remplacée par celle relative aux opérateurs de plateforme en ligne au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation.

II.   La position de la commission

● Il convient de rappeler que l’interdiction votée à l’automne dernier avait suscité l’adhésion du Parlement dans son ensemble, et si le Gouvernement avait initialement souhaité en décaler l’entrée en vigueur au 1er juillet 2019, cette date avait été avancée de six mois, au 1er janvier 2019, à l’invitation du Rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

En outre, le dispositif proposé par le Sénat n’entend pas interdire toutes les cartes prépayées et bannir l’usage de cet instrument : son champ est circonscrit aux versements effectués par les opérateurs de plateforme en ligne à leurs utilisateurs.

Enfin, si une concertation avec les acteurs du secteur apparaît opportune, rappelons que le ministre avait jugé qu’une entrée en vigueur au 1er janvier 2019 était « un bon compromis » ([87]). Or, le Sénat n’a pas modifié cette date, dont le maintien assure une cohérence d’ensemble à toutes les dispositions relatives aux plateformes, telles que les nouvelles obligations déclaratives prévues à l’article 4 du présent projet de loi.

● Cependant, et malgré ces considérations, il n’est pas certain que le dispositif proposé par le Sénat soit pleinement opportun.

Depuis l’adoption de l’interdiction des cartes prépayées à l’égard des plateformes d’hébergement, les choses ont évolué, notamment à travers la cinquième directive anti-blanchiment adoptée le 14 mai 2018 ([88]) qui, entre autres mesures, renforce l’encadrement des cartes prépayées :

– le seuil à partir duquel les titulaires de ces cartes devront être identifiés est abaissé, passant de 250 à 150 euros ;

– les exigences relatives à la vérification de l’identité des clients sont élargies.

Par ailleurs, ainsi que le soulignait le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin devant l’Assemblée, interdire brutalement les cartes prépayées pourrait non seulement présenter des problèmes juridiques, mais risquerait également d’entraîner des difficultés économiques pour certains secteurs, qu’il s’agisse des buralistes avec le Nickel (anciennement Compte-Nickel) ou, plus directement, de la « fintech » ([89]).

Si la lutte contre la fraude et, plus généralement, les comportements d’évitement de l’impôt, exige volonté et fermeté, elle ne doit pas pour autant, à travers des mesures trop larges et pas assez calibrées, produire des effets indésirables susceptibles de nuire à l’innovation et à des secteurs économiques légitimes et sérieux.

● En conséquence, la commission a décidé de supprimer le présent article, en adoptant à cet effet un amendement déposé par M. Jean‑Louis Bourlanges et plusieurs membres du groupe Mouvement Démocrate et Apparentés ayant fait l’objet d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement.

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La commission est saisie de l’amendement CF174 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. Jean-Louis Bourlanges. Une fois de plus, cet article, quoique bien inspiré, est inutile puisque l’administration disposera de toutes les informations lui permettant d’éviter l’inconvénient et de frapper les bénéficiaires des revenus dans des conditions satisfaisantes. J’en propose donc la suppression.

Mme la rapporteure. Je souscris à cet argument en précisant que la cinquième directive anti-blanchiment prévoit un renforcement de l’encadrement des cartes prépayées, notamment pour l’identification de leurs titulaires. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

L’article 4 sexies est ainsi supprimé.

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Article 4 septies (nouveau)
(article 168 du code général des impôts)
Taxation doffice des œuvres dart et objets de collection

Le présent article a été introduit par la commission à linitiative des députés du groupe La République en Marche et avec un avis favorable de la rapporteure. Il complète la liste des éléments de train de vie de larticle 168 du code général des impôts pouvant donner lieu à une taxation doffice par ladministration fiscale.

I.   Le droit existant

L’article 168 du CGI permet à l’administration fiscale, lorsqu’elle constate qu’il existe, entre les revenus déclarés par le contribuable et son train de vie, une disproportion marquée, de procéder à une taxation d’office de certains éléments dont il dispose.

La liste des éléments pouvant donner lieu à une telle taxation, le barème applicable et les conditions dans lesquelles la taxation peut intervenir sont précisés à l’article 168 du CGI.

Sont ainsi énumérés dans l’article les éléments de train de vie suivants :

– résidence principale, résidences secondaires ;

– employés de maison, précepteurs et gouvernantes ;

– voitures automobiles, motocyclettes ;

– yachts ou bateaux de plaisance à voiles, avec ou sans moteur ;

– avions de tourisme ;

– chevaux de course et de selle ;

– location de droits de chasse et participation dans les sociétés de chasse, participation dans les clubs de golf et abonnements payés en vue de disposer de leurs installations.

Chaque élément fait l’objet d’un barème particulier, également précisé à l’article 168 du CGI. Ainsi, la base d’imposition sur le revenu peut-elle être portée à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à certains éléments le barème applicable, lorsque cette somme est supérieure ou égale à un montant défini par la loi ([90]) et relevé chaque année dans la même proportion que la limite supérieure de la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu.

II.   L’extension du champ de la procédure de taxation d’office aux œuvres d’art et objets de collection

Alors que les investissements dans les œuvres d’art et objets de collection connaissent une régulière progression et qu’ils servent parfois des objectifs frauduleux, ceux-ci ne sont – étonnamment – pas inclus dans la liste des éléments de train de vie pouvant donner lieu à une taxation d’office.

Le présent article complète donc la liste en ajoutant les œuvres d’art et objets de collection. Ces derniers pourront ainsi faire l’objet d’une taxation forfaitaire, selon le barème suivant : « valeur dacquisition du bien si celle-ci est connue ou, à défaut, la valeur vénale du bien à la date dacquisition ou, à défaut, la valeur vénale du bien au 31 décembre de lannée dimposition ».

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La commission est saisie de l’amendement CF89 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Cet article additionnel vise à renforcer la lutte contre la fraude fiscale des particuliers. L’article 168 du code général des impôts permet à l’administration, lorsqu’une disproportion marquée est établie entre le train de vie d’un contribuable et les revenus qu’il a déclarés, de procéder à une évaluation forfaitaire minimale du revenu soumis à l’impôt par la prise en compte de certains éléments du train de vie, définis dans un barème.

Ce dispositif, qui s’inscrit clairement dans la lutte contre les comportements les plus frauduleux, prend notamment en compte les employés de maisons, les avions de tourisme et les chevaux de course et chevaux de selle. De manière surprenante, il n’est cependant pas tenu compte des œuvres d’art et des objets de collection. Il est donc proposé de compléter le barème en y intégrant les œuvres d’art et les objets de collection. Les contribuables investissent en effet aujourd’hui fréquemment dans ce type de biens. Ainsi complété, ce dispositif permettrait par exemple de taxer forfaitairement, sur la base des éléments du train de vie, un contribuable qui dispose de plusieurs véhicules de collection mais qui ne déclare que de faibles revenus. Ces éléments du train de vie seraient retenus pour leur valeur vénale.

Mme la rapporteure. Cet amendement pose la question des raisons qui ont justifié la non-inclusion des œuvres d’art et objets de collection dans les éléments constitutifs du train de vie. Il est vrai que les œuvres d’art peuvent à l’évidence constituer un objet de blanchiment d’argent. Sans doute le marché de l’art réagira-t-il de manière très frileuse à ce type d’amendements, mais j’émets un avis favorable.

M. Charles de Courson. Les œuvres d’art font l’objet, depuis des dizaines d’années, de débats homériques en commission des finances. Le problème est le suivant : comment savoir que les contribuables possèdent des œuvres d’art ? Il faudrait que des inspecteurs spécialisés pénètrent chez eux pour détecter d’éventuelles œuvres d’art, puis en évaluer la valeur ! La question s’est également posée pour l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) – qui, contrairement à ce que l’on a prétendu, n’était pas l’affaire de M. Fabius, malgré son origine familiale. Il se pose un problème de méthode. On peut toujours se faire plaisir, mais comment appliquer ce dispositif ? Voilà le problème auquel nous nous heurtons depuis des dizaines d’années ; le rapporteur général – qui a quelques heures de vol derrière lui... – peut en témoigner.

M. Jean-Paul Dufrègne. En l’espèce, je suis d’accord avec M. de Courson. Pour nous, cette mesure est cosmétique. Rappelez-vous la suppression de l’ISF : on allait voir ce qu’on allait voir et, en contrepartie, une taxe sur les yachts serait instaurée. Combien a-t-elle rapporté ? 82 500 euros !

 

Mme Christine Pires Beaune. Nous voterons en faveur de cet amendement. Je rejoins M. de Courson. C’est un bon amendement : il y a deux ans, trois ans, quatre ans, nous avions déjà essayé d’inclure les œuvres d’art dans la base de l’ISF.

La commission adopte l’amendement.

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Article 4 octies (nouveau)
(articles L. 16-0 BA et L. 252 B du livre des procédures fiscales)
Aménagement de la procédure de flagrance fiscale

Le présent article résulte de ladoption par la commission dun amendement de M. Vincent Ledoux et dautres membres du groupe UDI Agir et Indépendants, ayant fait lobjet dun avis favorable de la rapporteure. Il aménage la procédure de flagrance fiscale prévue à larticle L. 16-0 BA du livre des procédures fiscales.

● La procédure de flagrance fiscale a été créée par l’article 15 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007. Le dispositif a déjà été modifié à trois reprises afin daméliorer son efficacité et de rendre sa mise en œuvre plus efficace pour les services par larticle 19 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, larticle 11 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 et les articles 86 et 91 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015.

Il permet aux agents de l’administration fiscale qui effectuent un contrôle sur place de dresser un procès-verbal pour constater soit l’exercice d’une activité non déclarée, soit l’existence d’une comptabilité non probante, soit la délivrance de factures fictives, soit un certain nombre d’infractions au droit du travail.

Ce procès-verbal emporte des conséquences importantes puisqu’il permet d’effectuer un certain nombre de saisies conservatoires et qu’il peut servir de preuves pour des rappels ultérieurs d’imposition.

La procédure de flagrance fiscale n’est cependant pas autonome puisque ce n’est qu’à l’occasion de l’exercice d’une procédure annexe (droit de visite et de saisie, contrôle inopiné préalable à une vérification de comptabilité, etc.) que l’administration fiscale, constatant une fraude en cours de réalisation, peut y avoir recours.

● L’article 4 octies procède à quatre aménagements de la procédure de flagrance fiscale. Il :

– étend le champ de la flagrance fiscale au contrôle du respect des seuils de paiement en espèces ;

– généralise les faits constitutifs de flagrance fiscale aux cas de défaillance déclarative des principaux impôts et taxes ; actuellement, seuls les contribuables défaillants en matière de TVA peuvent faire l’objet d’un procès-verbal de flagrance fiscale ;

– assouplit les conditions dans lesquelles les agents de l’administration dressent le procès-verbal de flagrance fiscale ; le procès-verbal pourrait être signé par le représentant du contribuable ou par toute personne recevant les agents des finances publiques, comme c’est déjà le cas notamment lors de la mise en œuvre du droit d’enquête ;

– et renforce les garanties juridictionnelles offertes au contribuable en étendant à quinze jours le délai pour saisir le juge du référé administratif au lieu de huit actuellement.

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La commission en vient à l’amendement CF23 de M. Vincent Ledoux.

M. Vincent Ledoux. Quittons le domaine de l’art pour celui de la flagrance fiscale. Cet amendement vise à rendre la procédure en la matière plus efficace et à faciliter le contrôle fiscal des contribuables les moins respectueux du droit. Il est donc proposé d’étendre le champ des procédures au cours desquelles la flagrance fiscale peut être constatée, de généraliser les faits constitutifs de flagrance fiscale en cas de défaillance déclarative des principaux impôts et taxes, d’assouplir les conditions dans lesquelles les agents de l’administration dressent le procès-verbal de flagrance, d’harmoniser les garanties juridictionnelles offertes au contribuable avec celles qui sont prévues pour le contentieux des référés relatif au refus par les comptables des garanties offertes par les contribuables et, enfin, d’étendre à quinze jours – au lieu de huit – le délai accordé au contribuable pour saisir le juge du référé administratif.

Mme la rapporteure. Je suis favorable à cet amendement qui apporte plusieurs précisions à la procédure de flagrance fiscale.

La commission adopte l’amendement.

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Article 4 nonies (nouveau)
(article L. 621-10-2 du code monétaire et financier)
Procédure dautorisation daccès aux données de connexion par lAutorité des marchés financiers

Le présent article résulte de ladoption par la commission dun amendement de son Rapporteur général, M. Joël Giraud, ayant bénéficié dun avis favorable de la rapporteure.

Il vise à transférer dans le présent projet de loi l’article 24 du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (« PACTE »).

● En l’état du droit, par application de l’article L. 621-10 du code monétaire et financier, les agents de l’Autorité des marchés financiers (AMF) habilités à conduire les enquêtes qu’elle ordonne peuvent se faire communiquer les données de connexion détenues par les opérateurs de communications électroniques, les fournisseurs d’accès à un service de communication au public en ligne ou les hébergeurs de contenu sur un tel service.

Mais le Conseil constitutionnel a jugé que « le législateur na pas entouré la procédure prévue par les dispositions contestées de garanties propres à assurer une conciliation équilibrée entre, dune part, le droit au respect de la vie privée et, dautre part, la prévention des atteintes à lordre public et la recherche des auteurs dinfractions » (décision n° 2017-646/647 QPC du 21 juillet 2017 2018 : lien).

Le Conseil constitutionnel a reporté les effets de cette abrogation au 31 décembre 2018.

● L’article 24 du projet de loi « PACTE » instaure un dispositif susceptible de s’appliquer après l’abrogation des dispositions actuellement en vigueur jusqu’au 31 décembre prochain.

Sur le fond, il introduit un nouvel article L. 612‑10‑2 dans le code monétaire et financier, afin d’établir une procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’AMF.

Cette procédure prévoit que l’AMF peut, dans le cadre d’une enquête en matière d’abus de marché (opérations d’initié, manipulations de cours ou diffusion de fausse information), demander à une entité administrative indépendante unipersonnelle dénommée « contrôleur des demandes de données de connexion », l’autorisation d’accéder aux données techniques de téléphonie et de communication, à l’exclusion de celles relatives au contenu des communications.

Dans son avis, le Conseil d’État a estimé que l’article 24 du projet de loi « PACTE », instaurait « un régime présentant des garanties suffisantes, conformes aux exigences constitutionnelles ainsi quà celles relevant du droit de lUnion européenne en matière de respect du droit à la vie privée ».

● Compte tenu du décalage de calendrier du projet de loi « PACTE », il est peu probable que ce texte puisse répondre à temps à la décision d’inconstitutionnalité, pourtant reportée de près de dix-huit mois. Or, il apparaît indispensable de respecter la décision du Conseil constitutionnel, afin de sécuriser juridiquement la situation.

Ainsi, le présent article est identique à l’article 24 du projet de loi « PACTE », qui instaure un dispositif susceptible de s’appliquer après l’abrogation des dispositions actuellement en vigueur jusqu’au 31 décembre prochain.

Il permet l’adoption en temps utile d’une réponse à la décision d’inconstitutionnalité précitée.

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La commission aborde l’amendement CF39 du rapporteur général.

M. le rapporteur général. Cet amendement vise à apporter une réponse à la décision d’inconstitutionnalité du 20 juillet 2017 relative aux « fadettes », dont le Conseil constitutionnel a reporté les effets au 31 décembre 2018 et, pour ce faire, à établir une nouvelle procédure d’autorisation d’accès aux données de connexion par l’AMF – l’Autorité des marchés financiers, s’entend, et non l’Association des maires de France...

Dans sa sagesse, le Gouvernement a revu cette procédure dans l’article 24 du projet de loi « PACTE », qui correspond parfaitement aux exigences constitutionnelles, comme l’a constaté le Conseil d’État, mais il se pose un problème de calendrier, lié au fait que l’ancien système tombera au 31 décembre et que ledit projet de loi ne sera pas définitivement adopté à cette date. Pour éviter de créer un trou dans le droit et pour s’assurer que l’AMF puisse continuer à exercer son travail légitime concernant les opérations d’initiés, la diffusion de fausses informations et la manipulation de cours, je vous propose d’intégrer l’article 24 du projet de loi « PACTE » dans le présent texte.

Mme la rapporteure. En tant qu’ancienne de l’AMF – celle que vous visez, et non l’autre –, je suis favorable à cet amendement étant donné l’urgence des textes et la nécessité d’assurer leur continuité afin que les services d’enquête puissent continuer de fonctionner.

M. Charles de Courson. J’y suis également favorable sur le fond mais, en cas de recours devant le Conseil constitutionnel, cette mesure sera censurée au motif qu’elle est un cavalier – au vu de son lien avec la lutte contre la fraude fiscale... Qu’à cela ne tienne, nous pouvons toujours essayer !

Mme Amélie de Montchalin. Encore faut-il que quelqu’un dénonce ce « cavalier » devant le Conseil...

M. Charles de Courson. Peut-être au Sénat...

La commission adopte l’amendement.

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Après l’article 4 sexies

La commission examine l’amendement CF62 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement a une histoire qui remonte au combat que la majorité socialiste avait mené avec les écologistes dans le cadre de ce que j’appelle ses « gros travaux » contre l’évitement fiscal, notamment par les amendements à la loi de séparation bancaire, en 2013, qui visaient à assurer la transparence et à lutter contre les paradis fiscaux. À l’époque, des directives européennes nous empêchaient d’étendre aux holdings et autres sociétés ces obligations de transparence des activités, des emplois et des déclarations d’impôt après ou avant activité. C’est désormais possible et nous avons, dans la loi « Sapin 2 », adopté un amendement qui visait à étendre les prérogatives des banques aux autres sociétés. Il a été jugé inconstitutionnel au nom de la liberté d’entreprise et de propriété, étant considéré que la transparence publique des informations données sur l’activité industrielle des grands groupes était de nature à gêner la libre concurrence et leur liberté d’entreprendre dans le monde.

Nous sommes nombreux à avoir été scandalisés par cet avis et nous avons accueilli avec beaucoup d’optimisme la proposition qu’a fait le Sénat suite à un rapport d’Antoine Dulin, vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), dans lequel il proposait de contourner le verrou constitutionnel – bien plus solide, en l’espèce, que le « verrou de Bercy » qui nous réunit aujourd’hui – en communiquant les informations fiscales susmentionnées non pas au grand public mais aux institutions représentatives du personnel ou plutôt, selon le droit social issu des ordonnances sur le travail, aux conseils sociaux dans le cadre du dialogue social. Cette extension du dialogue social aux stratégies fiscales permettrait de se conformer à la Constitution tout en assurant la transparence des grands groupes qui donnent lieu à des manœuvres d’évitement fiscal au moins aussi conséquentes que les banques, comme le reconnaissent toutes les parties prenantes.

C’est donc un amendement capital.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à compléter l’information du comité social et économique des entreprises en mettant à sa disposition des éléments qui s’apparentent, au regard de son contenu, à une déclaration pays par pays.

J’en comprends l’objectif mais la mesure paraît plutôt relever du projet de loi « PACTE ». Je rappelle à cet égard que la participation du personnel aux orientations stratégiques des entreprises est une préoccupation que nous partageons, ledit projet de loi prévoyant d’ailleurs d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés au sein des conseils d’administration.

La déclaration pays par pays, prévue à l’article 223 quinquies C du code général des impôts, incombe aux entreprises dont le chiffre d’affaires consolidé est d’au moins 750 millions d’euros. Elle permet à l’administration de procéder, le cas échéant, à des vérifications. Sa transmission au comité social et économique, même sous une forme un peu allégée, n’est à mon sens pas forcément opportune. Notons d’ailleurs que le champ des deux dispositifs n’est pas le même, ce qui peut conduire des sociétés exemptes de la déclaration pays par pays à supporter une nouvelle charge administrative à laquelle elles ne sont pas préparées.

S’agissant enfin du caractère public d’une déclaration pays par pays – ou à tout le moins de l’absence de mention claire des obligations de confidentialité –, je rappelle que des négociations sont en cours ; la Commission européenne a présenté une proposition de directive en avril 2016. Compte tenu de l’encadrement constitutionnel de ces données, il est préférable d’attendre la fin du processus européen pour disposer d’une base juridique plus solide.

M. Dominique Potier. Le présent texte doit lutter contre l’évitement fiscal. Bien entendu, nous présenterons de nouveau cet amendement lors de l’examen du projet de loi « PACTE » mais l’argument qu’il relève davantage de la loi sur l’évitement fiscal risque alors de nous être opposé. Il faut assumer le fait qu’il concerne pleinement la matière que nous examinons aujourd’hui.

D’autre part, vous évoquez des charges administratives : elles sont sans commune mesure avec l’élargissement de l’assiette de l’impôt qui résulterait de cette mesure, qui pourrait même permettre de baisser le taux d’imposition pour compenser ladite charge.

Enfin, la révision de la Constitution aurait pu être une belle occasion de revenir sur l’interprétation de la notion de liberté d’entreprendre, qui offense le sens commun. Je regrette profondément que votre majorité ait refusé d’examiner cette proposition pourtant très mesurée, qui est au moins équivalent à la mesure significative que nous avons adoptée en 2013 sur la transparence des paradis fiscaux dans le système bancaire.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CF131 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Si l’on considère, comme en conviennent de nombreux rapports, que les salariés ont un rôle à jouer dans la lutte contre la fraude fiscale, alors le moment est venu d’intégrer ces mesures dans le projet de loi. En effet, les salariés possèdent une connaissance approfondie de leur entreprise. Il faut s’appuyer sur cette force, parce que les salariés sont parfois victimes de l’évitement fiscal, comme on l’a constaté dans un certain nombre d’entreprises qui ont massivement réduit la participation des salariés et, par conséquent, la rémunération qui devait légitimement leur revenir. C’est pourquoi cet amendement vise à ce que l’information et la consultation des salariés porte sur la politique des prix de transfert.

Mme la rapporteure. Comme d’autres sujets, celui-ci me semble plutôt relever du projet de loi « PACTE ». Je rappelle en outre que les articles L. 2312-18 et L. 2312-36 du code du travail, introduits par les ordonnances de septembre 2017, prévoient la mise à disposition du comité social et économique de l’entreprise d’une base de données recensant plusieurs éléments, notamment les flux financiers destinés à l’entreprise et les flux commerciaux et financiers entre les entités du groupe, la rémunération des financeurs ou encore les éléments de rémunération des dirigeants. Il est donc possible de faire vivre cette base de données qui apporte une information substantielle au comité social et économique. C’est pourquoi à ce stade, j’émets un avis défavorable.

M. Charles de Courson. En outre, il s’agit d’un cavalier, qui aurait davantage sa place dans le projet de loi « PACTE ».

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CF42 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Cet amendement de transparence porte non pas sur les résultats financiers de l’entreprise, mais sur les dispositifs de planification fiscale. Ce sujet m’a été inspiré par un travail de longue haleine de l’agence Vigeo, qui cible l’évaluation sociale et environnementale des entreprises, mais aussi par la situation d’Exxon Mobil, actuellement dans le collimateur de la justice américaine pour avoir mis en danger ses actionnaires en ne les ayant pas informés des risques que présentent certaines pratiques d’exploration pétrolière en termes d’effondrement des cours de taxation et autres.

En s’inspirant des dispositions du projet de loi « PACTE » sur la responsabilité sociétale des entreprises, nous souhaitons aboutir à une communication au conseil d’administration – je me limite à cette instance – de sorte que ce cercle relativement fermé soit informé. La transparence évite les dérives. Cette mesure permettra de lutter contre l’optimisation fiscale agressive.

Mme la rapporteure. Ces dispositions relèvent plutôt du code de commerce et des modalités d’organisation des entreprises, et donc du projet de loi « PACTE », que d’une loi sur la fraude fiscale. D’autre part, pourquoi ne cibler que les sociétés anonymes avec conseil d’administration alors qu’il existe de nombreuses formes de sociétés ? Enfin, votre amendement porte sur l’article 209 quinquies du code général des impôts, lequel concerne le régime du bénéfice mondial consolidé, que j’ai bien connu à une époque et qui a disparu à la fin de 2011.

M. Éric Alauzet. Je retire l’amendement pour le retravailler.

L’amendement est retiré.

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   Titre II : Renforcement des sanctions de la fraude fiscale, sociale et douanière

Article 5
(article 1741 du code général des impôts)
Publicité des décisions de condamnation pour fraude fiscale

Résumé du dispositif proposé

L’article 5 du projet de loi prévoit une publication par défaut mais non automatique de la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pénales pour fraude fiscale.

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 106 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 a notamment augmenté le montant maximal de l’amende applicable en cas de fraude fiscale aggravée (de 2 à 3 millions d’euros) et rendu obligatoire le prononcé de la peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et de famille en cas de fraude fiscale aggravée, commise en bande organisée ou de blanchiment de fraude fiscale.

Modifications apportées par le Sénat

Aucune modification n’a été apportée au présent article par le Sénat, ni en commission ni en séance publique.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Le droit existant

Prévue à l’article 1741 du code général des impôts (CGI), qui régit le délit de fraude fiscale, la sanction complémentaire d’affichage et de diffusion des décisions de justice est, aujourd’hui, prononcée à titre facultatif et laissée à la libre appréciation du juge.

Elle peut, à l’instar, de la peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et de famille, être prononcée en cas de fraude fiscale, indépendamment des sanctions fiscales applicables.

1.   Les sanctions du délit de fraude fiscale

a.   Les sanctions pénales du délit de fraude fiscale

L’article 1741 du CGI définit ainsi la fraude fiscale : « quiconque sest frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à létablissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification ».

La fraude peut résulter d’une omission de déclaration, d’une dissimulation des sommes sujettes à l’impôt, de l’organisation par le contribuable de son insolvabilité ou d’autres manœuvres frauduleuses de nature à mettre en obstacle le recouvrement de l’impôt. Elle donne lieu à une amende de 500 000 euros et une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Une sanction spécifique est prévue en cas de fraude fiscale aggravée ou lorsque la fraude est commise en bande organisée. L’amende est alors portée à 3 millions d’euros ([91]) et la peine d’emprisonnement à sept ans.

La fraude fiscale est considérée comme aggravée lorsqu’elle est réalisée ou facilitée au moyen :

– soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

– soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

– soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents, au sens de larticle 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

– soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

– soit d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.

b.   Des peines complémentaires obligatoires ou facultatives

L’article 1741 du CGI prévoit également des peines complémentaires qui peuvent ou doivent, le cas échéant, être prononcées par le juge :

– la peine de privation des droits civiques, civils et de famille, selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, est réservée aux faits les plus graves, c’est-à-dire la fraude fiscale aggravée ou commise en bande organisée. La loi de finances pour 2018 a rendu obligatoire le prononcé de cette sanction complémentaire, sauf décision spécialement motivée du juge, pour toute personne morale coupable du délit de fraude fiscale aggravée ou commise en bande organisée ou de blanchiment de fraude fiscale ;

– la peine d’affichage et de diffusion de la sanction prononcée, laquelle est susceptible de s’appliquer tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales, respectivement dans les conditions prévues à l’article 131-35 et 131-39 du code pénal. Le prononcé de cette sanction est aujourd’hui laissé à la libre appréciation du juge. Cest le régime de cette peine complémentaire que larticle du projet de loi entend modifier.

Les conditions d’affichage et de diffusion prévues
aux articles 131-35 et 131-39 du code pénal

Larticle 131-35 du code pénal précise le contenu et les modalités d’application de la peine d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée s’agissant des personnes physiques. Aux termes de cet article :

« La peine daffichage de la décision prononcée ou de diffusion de celle-ci est à la charge du condamné. Les frais daffichage ou de diffusion recouvrés contre ce dernier ne peuvent toutefois excéder le maximum de lamende encourue.

« La juridiction peut ordonner laffichage ou la diffusion de lintégralité ou dune partie de la décision, ou dun communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci. Elle détermine, le cas échéant, les extraits de la décision et les termes du communiqué qui devront être affichés ou diffusés.

« Laffichage ou la diffusion de la décision ou du communiqué ne peut comporter lidentité de la victime quavec son accord ou celui de son représentant légal ou de ses ayants droit.

« La peine daffichage sexécute dans les lieux et pour la durée indiqués par la juridiction ; sauf disposition contraire de la loi qui réprime linfraction, laffichage ne peut excéder deux mois. En cas de suppression, dissimulation ou lacération des affiches apposées, il est de nouveau procédé à laffichage aux frais de la personne reconnue coupable de ces faits.

« La diffusion de la décision est faite par le Journal officiel de la République française, par une ou plusieurs autres publications de presse, ou par un ou plusieurs services de communication au public par voie électronique. Les publications ou les services de communication au public par voie électronique chargés de cette diffusion sont désignés par la juridiction. Ils ne peuvent sopposer à cette diffusion.

« Laffichage et la diffusion peuvent être ordonnés cumulativement. »

Larticle 131-39 du code pénal permet l’affichage et la diffusion de la décision prononcée à l’encontre d’une personne morale, soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique.

Par ailleurs, la peine complémentaire de confiscation, prévue à l’article 131-21 du code pénal, est applicable de plein droit en cas de fraude fiscale.

2.   La peine complémentaire d’affichage et de publicité, une sanction aujourd’hui très marginalement prononcée

Prévue à l’article 1741 du CGI, qui régit le délit de fraude fiscale, la sanction complémentaire d’affichage et de diffusion des décisions de justice est, aujourd’hui, prononcée à titre facultatif et laissée à la libre appréciation du juge.

Très rarement prononcée en complément des sanctions administratives et/ou pénales applicables aux infractions constatées, cette peine ne concerne que 5 % des affaires en moyenne, soit environ 1 000 affaires par an ([92]). Le tableau ci‑dessous indique même un léger recul, observable en 2016 par rapport aux deux années précédentes.

Évolution du nombre de personnes condamnées pour fraude fiscale et du prononcé de la peine complémentaire d’affichage et de diffusion

 

2014

2015

2016

Nombre de personnes condamnées pour fraude fiscale

1 027

1 024

939

dont nombre de condamnations définitives

514

507

430

dont nombre de condamnations à une peine daffichage et/ou de diffusion

 

 dont définitives

 dont non définitives

 

69

 

35

34

 

52

 

26

26

 

47

 

16

31

Détail des peines prononcées

 affichage

 diffusion

 

33

64

 

20

46

 

24

41

Source : étude d’impact.

II.   Le dispositif proposé

1.   Rendre plus fréquent le prononcé de la peine complémentaire

Le présent article vise à rendre obligatoire le prononcé de la peine complémentaire de publication pour délit de fraude fiscale prévue par l’article 1741 du CGI.

En proposant de rendre automatique le prononcé de cette peine complémentaire, tout en ménageant au juge, sur décision motivée, la possibilité d’y déroger, le projet de loi entend concilier la volonté de renforcer le caractère dissuasif de la lutte contre la fraude fiscale, d’une part, et la nécessité de respecter le principe d’individualisation des peines et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, d’autre part.

2.   Un dispositif a priori conforme à la Constitution

Le dispositif proposé vise à ce que la peine complémentaire soit prononcée de manière automatique, tout en ménageant la possibilité pour le juge d’y déroger. Ainsi, lorsque les circonstances de l’espèce le justifieront, le juge pourra décider de ne pas prononcer ladite peine. Le projet de loi prévoit de compléter le onzième alinéa de l’article 1741 du CGI et précise que la décision du juge est prise en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

Dans son avis du 22 mars 2018 rendu sur le projet de loi, le Conseil d’État a considéré que les dispositions proposées par le Gouvernement ne portent atteinte ni au principe de la nécessité des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ni à celui de l’individualisation des peines au respect duquel le Conseil constitutionnel veille avec attention.

À cet égard, il est intéressant de rappeler que la faculté aujourd’hui reconnue au juge résulte d’une modification législative introduite à la suite d’une décision d’inconstitutionnalité rendue par le Conseil constitutionnel dans le cadre de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ([93]). Jusqu’en 2011, la peine complémentaire d’affichage et de publication était systématique, l’article 1741 du CGI indiquant que « le tribunal ordonnera dans tous les cas la publication intégrale ou par extraits des jugements dans le Journal officiel de la République française ainsi que dans les journaux désignés par lui et leur affichage intégral ou par extraits pendant trois mois sur les panneaux réservés à laffichage des publications officielles de la commune où les contribuables ont leur domicile ainsi que sur la porte extérieure de limmeuble du ou des établissements professionnels de ces contribuables. Les frais de la publication et de laffichage dont il sagit sont intégralement à la charge du condamné. »

Conduit à se prononcer sur la conformité de cette disposition aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel a estimé que l’obligation pour le juge de prononcer la peine complémentaire, sans pouvoir en modifier la durée et les modalités de l’affichage, n’était pas conforme aux principes de nécessité et d’individualisation des peines.

La volonté de promouvoir la publicité, outil de dissuasion de la politique de lutte contre la fraude fiscale, se retrouve, après la décision du Conseil constitutionnel, dans la circulaire interministérielle justice-budget du 22 mai 2014. Elle invite notamment les procureurs de la République à « veiller à requérir systématiquement cette peine complémentaire ».

Le projet de loi s’inscrit donc dans cette perspective et la rédaction proposée à l’article 5 tient compte de cette décision et explique que le projet de loi ménage la possibilité pour le juge de ne pas prononcer la sanction.

III.   la position de la commission

La publication des sanctions, dans des conditions respectueuses des droits et libertés que la Constitution garantit, est un instrument utile de la lutte contre la fraude fiscale. Le présent article vise à renforcer l’effectivité du prononcé de la peine complémentaire d’affichage et de diffusion et participe du renforcement du caractère dissuasif des sanctions.

Non modifié au Sénat, le présent article a été également adopté sans modification par la commission des finances.

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*     *

La commission adopte l’article 5 sans modification.

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Article 6
(articles 1729 A bis [nouveau] du code général des impôts et L. 228 du livre des procédures fiscales)
Publication des sanctions administratives appliquées aux professionnels à raison des manquements fiscaux dune particulière gravité

Résumé du dispositif proposé

L’article 6 du projet de loi crée une sanction administrative complémentaire visant à rendre publiques les infractions les plus graves commises par les professionnels.

La décision de publication serait soumise à l’avis conforme d’une commission spécialement créée. Elle pourrait faire l’objet d’un recours du contribuable concerné dans un délai de soixante jours.

Modifications apportées par le Sénat

La commission des finances du Sénat a adopté deux amendements de son Rapporteur général. Le premier propose de confier à la commission des infractions fiscales, prévue à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, le soin d’émettre les avis motivés sur la décision de publication que l’administration envisage de prendre. Le second vise à conditionner la publication de la sanction à la décision juridictionnelle la rendant définitive.

En séance, un amendement de Mme Sophie Taillé-Polian (groupe socialiste et républicain), adopté avec avis favorable du Gouvernement et de sagesse de la commission des finances, a modifié les modalités de publication, prévoyant qu’elle soit effectuée soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, aux frais de la personne sanctionnée.

 

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission des finances a adopté un amendement, présenté par le groupe La France insoumise, étendant le champ de la publication aux sanctions prononcées à l’encontre des personnes physiques, ainsi que deux amendements identiques de la rapporteure et du groupe Mouvement Démocrate et apparentés rétablissant le dispositif initial du projet de loi s’agissant des conditions de publication des sanctions. La commission a également adopté un amendement de la rapporteure rétablissant la publication sur le site de l’administration fiscale, pour une durée ne pouvant excéder un an.

I.   Le droit existant

A.   Les sanctions fiscales renforcées pour les fraudes les plus graves

Conformément à l’article 1729 du code général des impôts (CGI), certains comportements frauduleux ([94]) donnent lieu à une majoration dont le taux dépend de la nature du manquement constaté.

Il est de 40 % pour les manquements délibérés et de 80 % en cas d’abus de droit (au sens de l’article L. 64 du livre des procédures fiscales) ou de manœuvres frauduleuses notamment.

B.   La publicité des sanctions

Les manquements fiscaux peuvent être sanctionnés par des sanctions administratives et des sanctions pénales.

En matière de fiscalité, la publicité des sanctions administratives n’existe pas. Seules les sanctions pénales peuvent donner lieu au prononcé de la peine complémentaire d’affichage et de publication, dans les conditions prévues aux articles 131-35 du code pénal pour les personnes physiques et 131-39 du code pénal pour les personnes morales (cf. commentaire de l’article 5).

1.   À l’étranger, certains systèmes juridiques prévoient la publicité des sanctions administratives en matière fiscale

En Espagne et au Royaume-Uni, les sanctions fiscales prononcées par l’administration pour manquement délibéré peuvent faire l’objet d’une publicité. Cette dernière concerne les sanctions commises par les contribuables lorsque l’acte frauduleux excède un certain seuil : 1 million d’euros en Espagne et 28 600 euros au Royaume-Uni.

Comme l’indique le Rapporteur général de la commission des finances du Sénat dans son rapport sur le présent projet de loi ([95]), depuis 2009, l’administration fiscale britannique publie régulièrement, sous certaines conditions ([96]), la liste des contribuables sanctionnés.

2.   En France, la publicité des sanctions prononcées par certaines autorités administratives indépendantes est prévue

En dehors du champ fiscal, les sanctions administratives prononcées par certaines autorités administratives indépendantes peuvent faire l’objet d’une publicité. C’est notamment le cas pour :

– l’Autorité des marchés financiers (AMF), dont les sanctions sont rendues publiques dans les publications, journaux ou supports qu’elle désigne, dans un format proportionné à la faute commise et à la sanction infligée (article L. 621-15 du code monétaire et financier) ;

– la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui peut rendre publiques les sanctions qu’elle prononce et ordonner notamment leur insertion dans des publications, journaux et supports qu’elle désigne ;

– l’Autorité de la concurrence, qui peut ordonner la publication, la diffusion ou l’affichage de tout ou partie de sa décision selon les modalités qu’elle précise.

De même, certaines sanctions prononcées par l’administration peuvent être publiées, à l’instar des sanctions ou injonctions prononcées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), conformément à l’article L. 522-6 du code de la consommation.

Dans l’ensemble de ces cas, les frais associés à la diffusion de la sanction sont à la charge des personnes sanctionnées.

II.   Le dispositif proposé

Le dispositif proposé crée une sanction administrative complémentaire visant à rendre publiques les sanctions prises à l’encontre des personnes morales en cas de manquements délibérés à leurs obligations fiscales, lorsque ceux-ci sont d’une particulière gravité. Pour assurer la conformité du dispositif à la Constitution, plusieurs précautions et garanties sont prévues.

1.   Une application limitée aux infractions les plus graves

Le présent article prévoit ainsi que la publicité concerne :

– les seules personnes morales. Tenant compte de l’avis du Conseil d’État, le projet de loi ne prévoit plus une application aux personnes morales et aux personnes physiques agissant à titre professionnel ;

– les manquements qui présentent un caractère de gravité particulière, caractérisée par un montant minimum de droits fraudés de 50 000 euros ainsi que le recours à une manœuvre frauduleuse, laquelle entraîne une majoration de 80 %.

Les deux critères sont cumulatifs. Selon les éléments transmis au Sénat ([97]), 300 dossiers par an seraient concernés.

Le dispositif exclut toutefois la publicité lorsque les manquements en cause ont fait l’objet d’un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration.

La levée du secret fiscal auquel sont soumis les agents de la direction générale des finances publiques (DGFiP), en application de l’article L. 103 du livre des procédures fiscales, peut intervenir dans certains cas limitativement énumérés par la loi. Dans le dispositif proposé dans le projet de loi, seuls les manquements les plus graves pourraient faire l’objet d’une publication.

Lors des auditions conduites par la rapporteure, plusieurs personnes ([98]) ont émis des réserves sur l’application concrète de ce nouveau dispositif. Reconnaissant, par principe, l’efficacité dissuasive de la publication des sanctions, elles ont évoqué la possibilité que seul un très petit nombre de dossiers fasse l’objet d’une telle publication. Selon elles, compte tenu de la gravité des manquements considérés, il est probable que les dossiers remplissant les critères fixés à l’article 6 du projet de loi donnent lieu à des sanctions pénales et soient donc exclus du champ du dispositif. Le nombre de sanctions administratives publiées risquerait ainsi d’être résiduel.

2.   Une publicité dont les conditions sont encadrées

Le projet de loi initial prévoyait un encadrement du champ, de la durée et des conditions de la publication des sanctions. Le Sénat a modifié le dispositif initial sur les deux derniers points.

a.   Le champ et la durée de la publication sont précisés dans la loi

Le projet de loi initial prévoyait que la publicité soit effectuée pour une durée maximale d’un an, sur le site internet de l’administration fiscale. Cette disposition a été modifiée par le Sénat pour prévoir une publication par voie de presse ou par voie de communication électronique.

En séance, un amendement de Mme Sophie Taillé-Polian (groupe socialiste et républicain) a ainsi modifié le dernier alinéa du I de l’article 1729 A bis dont le projet de loi propose la création. L’encadrement de la durée de publication et le lieu de la publication (site internet de l’administration) ont été supprimés, à la faveur d’une réécriture de l’alinéa prévoyant que la publication se fait « soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, aux frais de la personne sanctionnée ».

Le projet de loi initial précisait également les informations pouvant être rendues publiques : il s’agirait de la nature et du montant des droits fraudés, des majorations ou amendes appliquées ainsi que de l’activité professionnelle, du nom ou de la dénomination du contribuable, du lieu d’exercice de l’activité ou du siège de ce dernier. Cette disposition n’a pas été modifiée au Sénat.

b.   La décision de publication est conditionnée à l’avis conforme d’une commission spécialement créée

i.   Le projet de loi initial

Le projet de loi initial prévoyait que la décision de publication soit prise par l’administration, après avis conforme et motivé d’une commission spécialement créée, dite de publication des sanctions fiscales. Cette commission devait être composée de membres du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de magistrats de la Cour de cassation et chargée d’apprécier si la publication est justifiée, au regard des manquements constatés et des circonstances dans lesquelles ils ont été commis.

ii.   Les modifications apportées par le Sénat

À l’initiative du Rapporteur général de la commission des finances du Sénat, le soin d’émettre un avis sur la publication des sanctions administratives que l’administration envisage de prendre a été confié à la commission des infractions fiscales, créée en 1977 ([99]) et codifiée à l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. Le Sénat a ainsi repris à son compte les doutes formulés par le Conseil d’État dans son avis quant à l’opportunité de créer une nouvelle structure.

c.   La procédure de publication offre des garanties pour le contribuable

i.   Le projet de loi initial

Informé de la saisine de la commission par l’administration, le contribuable disposerait d’un délai de trente jours pour faire valoir ses observations écrites. La publication de la sanction ne pourrait intervenir avant l’expiration d’un délai de soixante jours à compter de la saisine de la commission.

 

Par ailleurs, dans le cas où le contribuable introduirait, avant l’expiration de ce délai de soixante jours, un recours contre les impositions, amendes ou majorations pour lesquelles l’administration envisage la publication, la publication serait suspendue tant que les sanctions ne sont pas devenues définitives. Dans le cas où un tel recours interviendrait après l’expiration du délai de soixante jours, la publication serait retirée jusqu’à la décision juridictionnelle confirmant, le cas échéant, de manière définitive la sanction.

Les conditions d’application de l’article 1729 A bis ainsi créé ont vocation à être précisées par un décret en Conseil d’État.

 

ii.   Les modifications apportées par le Sénat concernant le caractère définitif des sanctions

À la faveur d’un amendement présenté par le Rapporteur général de la commission des finances du Sénat, la publication de la sanction a été conditionnée au caractère définitif des sanctions, c’est-à-dire à l’expiration des voies de recours contentieuses. S’inspirant du dispositif existant au Royaume-Uni, la modification visait à éviter qu’un contribuable sanctionné à tort ne pâtisse d’un risque de réputation injustifié. Elle impliquerait toutefois que la publication intervienne avec un grand décalage temporel, pouvant aller jusqu’à plusieurs années après les manquements.

Le risque de publier des sanctions susceptibles d’être annulées par le juge de l’impôt, qui sous-tend la position du Sénat, semble globalement maîtrisé dans le dispositif proposé par le Gouvernement, compte tenu du délai incompressible de soixante jours avant lequel la publication ne peut intervenir et des conséquences d’un recours introduit contre les amendes ou majorations (suspension ou retrait de la publication, selon les cas).

III.   La position de la commission

La rapporteure propose de retenir les apports du Sénat sur la commission chargée de rendre l’avis préalable à la publication des sanctions. En revanche, elle propose de rétablir le dispositif initial concernant les modalités de la publication et ne pas retenir les modifications apportées par le Sénat sur le dispositif de publication des sanctions.

1.   Sur la commission chargée d’émettre un avis conforme préalable à la publication des sanctions

Sensible aux arguments du Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi, la rapporteure estime que la création d’une nouvelle structure n’est pas opportune. Le rôle initialement dévolu à la nouvelle commission de publication des sanctions fiscales a été confié, par le Sénat, à la commission des infractions fiscales, dont la charge de travail pourrait, sous réserve de l’évolution de l’article 13 (nouveau) du présent projet de loi, diminuer. Cette modification permet d’éviter de créer une charge administrative supplémentaire.

2.   Sur le dispositif de publication des sanctions

Considérant que le dispositif initial proposé dans le projet de loi est équilibré et permet notamment de concilier le caractère dissuasif de la publication des sanctions, d’une part, et le respect des droits des contribuables, d’autre part, la rapporteure propose de rétablir le texte du projet de loi.

Compte tenu du caractère administratif des sanctions, la publication par voie de presse écrite ou par tout moyen de communication au public par voie électronique semble quelque peu disproportionnée. La publication sur le site de l’administration fiscale paraît plus appropriée.

Le projet de loi prévoit par ailleurs des garanties particulières pour le contribuable, notamment en amont de la publication. Prévoyant que le recours contre les amendes ou majorations, lorsqu’il est introduit dans un délai de soixante jours à compter de la notification au contribuable de la saisine de la commission chargée de rendre un avis sur la publication, suspend la publication et que, s’il est exercé après ce délai de soixante jours, la publication est retirée, le dispositif permet d’assurer la poursuite des objectifs associés à la lutte contre la fraude, dans le respect des droits du contribuable.

Les modifications apportées par le Sénat, en exigeant que les sanctions soient devenues définitives, avant de procéder à la publication, revenaient à vider de sa substance le dispositif et à rendre la publication in fine peu utile, voire préjudiciable aux contribuables.

Par ailleurs, subordonner la décision de publication au caractère définitif des sanctions impliquerait d’attendre l’épuisement et l’extinction des voies de recours. Cela risquerait de créer, de manière inopportune, une incitation pour le contribuable à introduire le plus tard possible un recours contre les majorations ou amendes ; ce qui, compte tenu des délais de prescription existants en matière fiscale, retarderait considérablement le moment de la publication. Le délai de reprise de l’administration fiscale étant, sauf disposition contraire, de trois ans et le délai de prescription de quatre ans (sauf dispositions dérogatoires) pour l’action en recouvrement, il pourrait, avec le dispositif envisagé par le Sénat, s’écouler plusieurs années entre les actions frauduleuses et la publication des sanctions afférentes. Or, la contemporanéité de la sanction est importante, à plus forte raison lorsqu’elle est assortie d’une peine de publication. Elle est aussi un gage d’acceptabilité des sanctions.

De manière paradoxale, le fait d’attendre que les sanctions soient devenues définitives pourrait même porter préjudice au contribuable, en particulier dans le cas où il ne contesterait pas les amendes et majorations. Alors que l’objectif poursuivi par le Sénat était précisément de limiter les préjudices infligés aux contribuables en publiant des sanctions susceptibles d’être annulées par le juge de l’impôt, une publication très éloignée du moment où les faits ont été commis pourrait mettre en lumière des manquements, plusieurs années après leur réalisation, alors même que le contribuable aurait pu avoir, depuis, un comportement fiscalement vertueux.

À l’initiative de la rapporteure, la commission a adopté deux amendements visant à rétablir la publication sur le site de l’administration fiscale ainsi que le régime initial de publication des sanctions, tout en conservant les modifications du Sénat relatives à la commission chargée de rendre un avis.

La commission a également adopté, avec un avis de sagesse de la rapporteure, un amendement présenté par le groupe La France insoumise étendant le champ de la publication aux sanctions prononcées à l’encontre des personnes physiques.

*

*     *

La commission examine l’amendement CF154 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Nous regrettons que le dispositif prévu à l’article 6 ne soit pas obligatoire, ce qui le fragilise, et surtout qu’il ne concerne pas les personnes physiques. Il est prévu que la sanction concerne les fraudes les plus graves ne faisant pas l’objet d’une plainte pénale. Or, les fraudes les plus graves devraient, selon nous, absolument être transmises à la justice, en cohérence avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et donc ne pas être seulement pénalisées par ce procédé dit de name and shame. Il convient d’étendre ce procédé, notamment aux personnes physiques.

Mme la rapporteure. Le projet de loi initial prévoyait que l’article 6 s’applique aux personnes morales et aux personnes physiques agissant pour des besoins professionnels. Le Conseil d’État a considéré que cette différence de traitement entre personnes physiques n’était pas justifiée et que le dispositif présentait un risque de rupture d’égalité. A priori, l’amendement écarterait ce risque puisqu’il vise toutes les personnes physiques. Sur le fond, je ne vois d’ailleurs pas pourquoi les personnes physiques seraient exclues du champ d’application de l’article. Je m’en remets donc à la sagesse de la commission.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CF185 de la rapporteure et CF65 de Mme Sarah El Haïry.

Mme la rapporteure. Le projet de loi initial prévoyait l’encadrement de la durée et des conditions de publication des sanctions. Le Sénat a profondément modifié le dispositif initial sur ces deux points. À l’origine, il était prévu que la décision de publication soit prise par l’administration après avis conforme et motivé d’une commission spécialement créée. Le Sénat a quant à lui prévu que la publication ne puisse intervenir que lorsque les sanctions sont devenues définitives, c’est-à-dire à l’expiration de toutes les voies de recours contentieux – ce qui peut avoir pour effet de renvoyer la publication à une date très lointaine, une quinzaine d’années plus tard par exemple, auquel cas elle n’aurait plus guère d’intérêt.

L’amendement CF185 vise donc à rapprocher la publication de la date des sanctions en prévoyant un délai de deux mois durant lequel le contribuable peut exercer un recours contentieux. En l’absence de recours, les sanctions sont publiées ; en cas de recours ultérieur, la publication est retirée. Cela semble plus équilibré, même si je comprends l’objectif du Sénat.

Mme Sarah El Haïry. Après les propos très complets de la rapporteure, je me contenterai de rappeler que l’amendement CF65, identique, permet simplement de rétablir la contemporanéité entre le manquement constaté et la publicité : plus c’est proche, plus c’est logique. Il ne s’agit donc que de rétablir l’écriture initiale de l’article.

La commission adopte les amendements.

Elle étudie l’amendement CF187 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Cet amendement vise à rétablir la rédaction initiale du Gouvernement sur les modalités de publication des sanctions. Le Sénat avait prévu une publication par voie de presse et par voie électronique ; nous rétablissons la publication sur le site internet de l’administration pendant une durée ne pouvant excéder un an.

La commission adopte l’amendement.

Mme Véronique Louwagie. Je profite de la présence de M. le ministre pour l’interroger sur l’article 6, qui prévoit qu’un décret en Conseil d’État en précise les conditions d’application. Que prévoira ce décret ? L’article et les amendements adoptés comportent déjà de nombreuses précisions.

M. le ministre. Il est vrai que cet article, tel qu’amendé, va plus loin que ce qu’envisageait le Gouvernement, notamment parce qu’il inclut désormais les personnes physiques. Ce qui est sûr, c’est que le Conseil d’État a formulé plusieurs observations, y compris dans son avis préparatoire, et que le Conseil constitutionnel a censuré des dispositions analogues dans de précédents textes. Nous avons inversé la charge, en quelque sorte, d’où l’aval donné par le Conseil d’État.

Le décret en Conseil d’État – je le préciserai davantage dans l’hémicycle si le texte est ainsi adopté par l’Assemblée et le Sénat, sauf si la CMP n’est pas conclusive en raison de la question des personnes physiques, mais j’imagine qu’elle le sera sur un texte consensuel – permettra de garantir les libertés liées à la protection de la vie privée. Les choses ne se présentent pas de la même manière pour les personnes physiques et pour les entreprises, et le Conseil d’État – comme le Conseil constitutionnel – sera particulièrement attentif à ce que les libertés individuelles et la protection de la vie privée soient garanties, même en cas de publication des sanctions.

En outre, madame la députée, il convient de distinguer entre les sanctions administratives et les sanctions pénales. À cet égard, le décret pourra également apporter des précisions.

La commission adopte l’article 6 modifié.

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*     *

Article 7
(articles 1740 A bis [nouveau] et 1753 du code général des impôts, L. 80 E du livre des procédures fiscales, L. 114181 [nouveau] du code de la sécurité sociale)
Sanction à légard des tiers complices de graves manquements fiscaux et sociaux

Résumé du dispositif proposé

Le présent article introduit une sanction, sous la forme d’une amende, contre les personnes complices de fraude fiscale ou sociale, de manœuvres frauduleuses ou d’abus de droit à travers la fourniture intentionnelle à un contribuable d’une prestation ayant directement permis les agissements sanctionnés, l’objet des prestations en cause étant précisé de façon non exhaustive. Son dispositif vise notamment les officines qui fournissent aux contribuables ou aux cotisants des montages leur permettant d’échapper à l’impôt ou aux cotisations.

Cette sanction s’applique dès que le contribuable conseillé voit prononcée à son encontre par l’administration une majoration de 80 % fondée sur les agissements précédemment décrits.

Elle consiste en une amende correspondant à 50 % des gains tirés de la prestation ainsi fournie, sans pouvoir être inférieure à 10 000 euros.

Les garanties offertes au contribuable redressé sont étendues au conseil complice. Par ailleurs, la remise en cause du bien-fondé des majorations prononcées contre le contribuable entraîne celle de l’amende prononcée contre le complice.

Enfin, le complice ainsi sanctionné ne peut siéger dans les différents comités et commissions intervenant en matière fiscale.

 

 

Modifications apportées par le Sénat

En plus d’aménagements rédactionnels, le Sénat a limitativement énuméré l’objet des prestations susceptibles de conduire à la sanction prévue.

Par ailleurs, il a subordonné le prononcé de celle-ci au caractère définitif de la majoration prononcée contre le contribuable.

Enfin, il a complété la liste des organismes au sein desquels le complice sanctionné ne peut siéger en y intégrant le comité de l’abus de droit fiscal et la commission des infractions fiscales.

Dernières modifications intervenues ou prévues

L’article 8 du présent projet de loi prévoit d’augmenter la sanction de la fraude fiscale aggravée.

Une directive du 25 mai 2018 prévoit, d’ici 2020, la transmission à l’administration des montages transfrontaliers susceptibles de présenter un risque fiscal et l’échange de ces montages entre administrations.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

À l’initiative de la rapporteure, la commission, outre plusieurs amendements rédactionnels et de précision :

– a supprimé l’exigence du caractère définitif de la sanction du contribuable ou du cotisant ;

– a rétabli les garanties et voies de recours offertes au conseil complice en matière fiscales et les a étendues à la matière sociale ;

– a précisé l’objet des prestations susceptibles de conduire à la sanction prévue au présent article.

I.   Le droit existant

A.   La sanction des complices de fraude fiscale sous le seul angle pénal

1.   Seuls les contribuables auteurs d’agissements frauduleux peuvent cumuler sanctions fiscales et pénales

En l’état du droit, les contribuables auteurs d’agissements frauduleux peuvent être sanctionnés à la fois par des majorations et des amendes fiscales et par des sanctions pénales sur le fondement du délit de fraude fiscale.

a.   Les sanctions fiscales des agissements frauduleux ou très graves

Le droit fiscal prévoit un arsenal répressif relativement robuste pour sanctionner les personnes qui sont responsables des manquements les plus graves à leurs obligations fiscales, ces manquements n’étant pas tous constitutifs de fraude fiscale.

● L’article 1728 du code général des impôts (CGI) punit le défaut de production, dans les délais prescrits, des déclarations ou actes requis pour arrêter l’assiette ou la liquidation d’un impôt. Sont prévues trois majorations en fonction de la gravité du manquement, la découverte d’une activité occulte étant assortie d’une majoration de 80 % ([100]).

● L’article 1729 du CGI prévoit, face aux inexactitudes ou omissions affectant la détermination de l’assiette ou l’octroi d’un avantage fiscal :

– une majoration de 40 % si le manquement est délibéré ;

– une majoration de 80 % en cas d’abus de droit (défini à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales) ([101]) ;

– une majoration de 80 % également en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation du prix d’un contrat.

L’abus de droit

En application de l’article L. 64 du LPF, l’administration peut écarter des actes qui sont constitutifs d’un abus de droit, la définition de cette notion étant donnée par l’article.

L’abus de droit est composé de deux branches distinctes :

– l’abus de droit par simulation, recouvrant les actes fictifs ou déguisés et l’interposition de personnes (tel un prête-nom) ;

– l’abus de droit par fraude à la loi, qui recouvre les hypothèses dans lesquelles un acte ou une opération, tout en respectant la lettre de la loi, en méconnaît l’esprit et est motivé par des considérations exclusivement fiscales.

● L’article 1729‑0 A du CGI sanctionne d’une majoration de 80 % les insuffisances de déclaration portant sur les comptes ouverts à l’étranger, les contrats de capitalisation souscrits auprès d’organismes établis hors de France et les actifs placés dans un trust.

b.   La sanction pénale du délit de fraude fiscale

Prévu à l’article 1741 du code général des impôts (CGI), le délit de fraude fiscal est défini comme le fait, pour un contribuable, de s’être frauduleusement soustrait ou d’avoir tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt en ayant :

– volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits ;

– volontairement dissimulé une part de l’assiette imposable ;

– organisé son insolvabilité ;

– fait obstacle au recouvrement de l’impôt par d’autres manœuvres ;

– ou en agissant « de toute autre manière frauduleuse ».

Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, ces peines étant portées à sept ans d’emprisonnement et 3 millions d’euros d’amende lorsqu’il est commis en bande organisée ou réalisé ou facilité à travers des procédés caractérisant de graves manquements ([102]).

Si le délit est commis par une personne morale, la peine consiste en une amende de 2,5 millions d’euros (et 15 millions d’euros en cas de fraude aggravée) ([103]).

Précisons également que l’article 8 du présent projet de loi prévoit de porter le montant de l’amende au double du produit tiré de l’infraction, si le montant résultant de ce dispositif est supérieur à celui de l’amende actuelle.

Par ailleurs, en application des articles 131‑26 et 131‑26‑1 du code pénal, la peine peut être assortie d’une privation des droits civiques, civils et de famille.

En outre, la juridiction peut décider l’affichage et la diffusion de la décision prononcée, aux frais du condamné, en vertu de l’article 131‑35 du même code.

Enfin, aux termes de l’article 1745 du CGI, le complice peut être solidairement tenu au paiement de l’impôt fraudé et des pénalités fiscales afférentes.

c.   L’articulation des sanctions fiscales et pénales

Si la doctrine fiscale indiquait que les sanctions pénales « sont applicables indépendamment des sanctions fiscales […], sans que puisse être invoquée la règle non bis in idem qui interdit que les mêmes faits puissent être sanctionnés deux fois » ([104]), une décision du Conseil constitutionnel rendue le 24 juin 2016 est venue tempérer cette affirmation ([105]).

Le Conseil constitutionnel a en effet considéré que, si le cumul des sanctions fiscales et pénales était possible, notamment pour garantir la satisfaction de l’article XIII de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen posant le principe d’une contribution commune due par chacun à raison de ses facultés, le principe de nécessité des peines consacré à l’article VIII de cette même Déclaration supposait d’encadrer ce cumul.

Concrètement, l’application des sanctions pénales prévues à l’article 1741 du CGI aux personnes ayant déjà fait l’objet de sanctions fiscales ne doit concerner que les cas « les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à limpôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention » ([106]).

2.   La sanction exclusivement pénale des complices de fraude fiscale

Si les contribuables auteurs d’agissements frauduleux peuvent être sanctionnés fiscalement et pénalement, le cumul obéissant aux réserves précitées posées par le Conseil constitutionnel, il en va autrement s’agissant des tiers complices.

● Les personnes complices d’un contribuable condamné sur le fondement du délit de fraude fiscale peuvent, en application de l’article 1742 du CGI, faire l’objet de poursuites et être sanctionnées en cette qualité.

Il s’agit de l’application des règles générales du droit pénal, et plus particulièrement des articles 121‑6 et 121‑7 du code pénal relatifs à la complicité.

Rappelons que le complice se définit, aux termes de l’article 121‑7, comme une personne « qui sciemment, par aide ou assistance, […] a facilité la préparation ou la consommation [d’un crime ou d’un délit] », et qu’il encourt les mêmes peines que celle de l’auteur de l’infraction pénale.

● En vertu de l’article 1743, qui vise le « délit comptable », peuvent également être sanctionnés des peines prévues en matière de fraude fiscale les personnes qui :

– ont sciemment omis de faire passer des écritures comptables ou ont inscrit dans la comptabilité des écritures erronées ou fictives ;

– ont facilité pour autrui le transfert de titres à l’étranger ;

– ont volontairement fourni de fausses informations en vue de l’obtention de certains agréments en matière fiscale.

● Enfin, les personnes condamnées sur le fondement des articles 1742 et 1743 précités peuvent être tenus solidairement responsables du paiement des sommes dues au titre de l’impôt fraudé (droits et pénalités fiscales).

● En dehors de ces hypothèses, il n’existe pas de fondement juridique pour sanctionner les tiers complices, notamment les intermédiaires qui fournissent une assistance aux contribuables à travers des conseils ou des prestations diverses.

Rappelons toutefois que si le caractère punissable de l’acte principal (la fraude, en l’occurrence) est nécessaire pour que des poursuites puissent être engagées à l’encontre d’un complice (la complicité d’un délit ou d’un crime supposant par définition qu’il y ait eu délit ou crime), elle est suffisante pour de telles poursuites. Autrement dit, la poursuite de l’auteur principal n’est pas une condition à celle du complice : « Si la complicité nest incriminée que lorsque linfraction principale est punissable, cela ne signifie pas que cette infraction doit être effectivement punie. [… Il] nest pas nécessaire que lauteur principal soit effectivement puni pour que la complicité soit réprimée, lemprunt de criminalité concernant le fait principal et non la personne de lauteur des faits » ([107]).

En droit pénal, une personne peut donc être condamnée pour complicité même si l’auteur n’est pas poursuivi (tel est le cas, notamment, lorsque l’auteur est décédé, n’est pas identifié ou encore que les poursuites n’ont pas encore été diligentées contre lui ou que le parquet estime les poursuites inopportunes).

B.   L’absence de sanction des complices de fraude sociale

En matière sociale, la situation des tiers complices est encore plus tranchée puisqu’ils ne peuvent faire l’objet d’aucune sanction particulière : seuls les cotisants ayant commis les agissements frauduleux les plus graves et les tiers déclarants sont passibles de sanction.

C.   La directive « DAC 6 » sur la déclaration et l’échange des montages fiscaux potentiellement agressifs

Le 25 mai 2018, a été adoptée une importante directive sur la transparence des montages fiscaux potentiellement propices à l’évasion ou à la fraude fiscales ([108]).

Communément appelée « DAC 6 », pour « directive for administrative cooperation 6 » (soit « directive pour la coopération administrative n° 6 »), cette directive prévoit à l’égard des intermédiaires fiscaux, financiers ou comptables l’obligation de déclarer à l’administration d’un État membre les dispositifs transfrontières répondant à certains critères (correspondant aux montages potentiellement agressifs).

Les intermédiaires visés sont définis comme étant « toute personne qui conçoit, commercialise ou organise un dispositif transfrontière devant faire lobjet dune déclaration, le met à disposition aux fins de sa mise en œuvre ou en gère la mise en œuvre. »

Les dispositifs transfrontières devant être déclarés sont ceux qui contiennent l’un des nombreux marqueurs prévus et susceptibles de laisser penser que le montage est réalisé à des fins purement fiscales.

Une fois le dispositif reçu, l’administration fiscale l’adresse aux autres États membres.

La directive prévoit un tempérament lorsque l’intermédiaire est, en vertu du droit de l’État membre dans lequel il exerce, soumis au secret professionnel. Dans une telle hypothèse, l’État membre doit prendre les mesures nécessaires pour que l’intermédiaire notifie à un autre intermédiaire ou au contribuable qu’il assiste ses obligations déclaratives. C’est alors à ce second intermédiaire ou, à défaut, au contribuable lui-même, qu’il incombe de déclarer le montage ([109]).

Cette directive devrait être transposée en droit français dans le courant de l’année 2019, d’après les informations obtenues de la rapporteure auprès de l’administration.

II.   Le dispositif proposé

Pour pallier le vide juridique empêchant de sanctionner autrement que par la voie pénale les complices des contribuables ou cotisants auteurs d’agissements frauduleux ou abusifs, le présent article introduit une sanction spécifique vis-à-vis des intermédiaires juridiques, financiers et comptables.

À titre liminaire, il convient de préciser que le titre de l’article choisi par le Gouvernement semble impropre dans la mesure où les agissements des contribuables conduisant à la sanction des intermédiaires, si ceux-ci remplissent les conditions exigées par le dispositif proposé, ne relèvent pas nécessairement de la fraude et du délit pénal associé.

A.   La création d’une amende ciblant les intermédiaires ayant rendu possible des agissements abusifs ou frauduleux

Le présent article introduit dans le CGI un nouvel article 1740 A bis prévoyant une amende pour les intermédiaires complices d’un contribuable sanctionné pour des manquements fiscaux graves. Un dispositif miroir est également introduit dans le code de la sécurité sociale (CSS) à travers un nouvel article L. 114‑18‑1.

1.   Les personnes visées

Sont concernées par chacune des deux nouvelles amendes, l’une fiscale, l’autre sociale, les personnes physiques ou morales qui, à titre professionnel :

– fournissent des conseils à caractère juridique, financier ou comptable ;

– ou détiennent des biens ou des fonds pour le compte de tiers.

Ces catégories renvoient donc aux professionnels du droit et du chiffre mentionnés au a de l’article L. 86 du livre des procédures fiscales (LPF).

Les sanctions disciplinaires applicables à l’ordre des avocats

La profession d’avocats, réglementée, est organisée par un décret du 27 novembre 1991 (1) dont le titre IV est consacré à la discipline (article 180 à 199).

Les avocats encourent au titre des sanctions disciplinaires, aux termes de l’article 184 du décret de 1991 :

– l’avertissement ;

– le blâme ;

– l’interdiction temporaire (au maximum pendant trois ans) ;

– la radiation ou le retrait de l’honorariat.

Des sanctions complémentaires peuvent accompagner les trois premières sanctions (privation du droit de faire partie des organismes de la profession – conseil de l’ordre, Conseil national des barreaux, etc. – ou d’exercer la profession de bâtonnier).

La procédure disciplinaire prévoit une enquête déontologique réalisée par le bâtonnier, lancée de sa propre initiative, sur saisine du parquet ou à la suite de la plainte de toute personne intéressée. Un rapport sur le lancement d’une action disciplinaire est réalisé. Si une telle action est décidée, l’instance disciplinaire est saisie, la procédure applicable étant contradictoire et, en principe, publique.

En cas de sanction, appel peut être interjeté devant la cour d’appel.

(1) Décret n° 911197 du 27 novembre 1991 organisation la profession davocat.

2.   Les éléments constitutifs du manquement

Pour être passibles de l’amende, deux conditions cumulatives doivent être remplies.

a.   Les agissements du contribuable sanctionné

En premier lieu, le contribuable à qui la prestation est fournie doit avoir fait l’objet de la part de l’administration du prononcé d’une majoration au titre d’un manquement grave à ses obligations fiscales ou sociales.

Les hypothèses de manquement sont limitativement énumérées et identifiées à travers les fondements juridiques des majorations prononcées.

En matière fiscale, le I du nouvel article 1740 A bis du CGI prévoit les hypothèses suivantes :

– majoration de 80 % au titre du c de l’article 1728 du CGI, qui vise les activités occultes ;

– majoration de 80 % au titre des b ou c de l’article 1729 du CGI, qui visent respectivement l’abus de droit (b) et les manœuvres frauduleuses ou la dissimulation d’une partie du prix d’un contrat (c) ;

– majoration de 80 % au titre de l’article 1729‑0 A, qui vise les insuffisances de déclarations d’avoirs détenus à l’étranger ou placés dans un trust.

Le nombre de dossiers concernés par ces majorations serait de plus de 2 500 par an d’après les éléments fournis par l’administration au Sénat ([110]). Les éléments transmis à la rapporteure font état, pour l’abus de droit, les manœuvres frauduleuses et les activités occultes, d’environ 1 800 à 2 000 dossiers par an, ce qu’illustre le tableau suivant.

nombre de dossiers ayant fait l’objet de majorations de 80 % (2015-2017)

 

2015

2016

2017

Activités occultes

1 157

1 047

984

Abus de droit

134

74

152

Manœuvres frauduleuses

734

739

752

Total

2 025

1 860

1 888

Source : administration fiscale.

En matière sociale, le nouvel article 114‑18‑1 du CSS vise les hypothèses d’abus de droit social, par renvoi :

– à l’article L. 243‑7‑2 du CSS, définissant sur le modèle de l’article L. 64 du LPF un abus de droit social vis-à-vis des cotisations sociales dues ;

– à l’article L. 725‑25 du code rural et de la pêche maritime, consacrant sur le même modèle l’abus de droit social en matière de cotisations agricoles.

b.   Les prestations fournies par l’intermédiaire

En deuxième lieu, l’intermédiaire doit avoir intentionnellement fourni au contribuable une prestation permettant à ce dernier de commettre les manquements précédemment évoqués.

Cette prestation peut consister en :

– la dissimulation de l’identité du contribuable (fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom, interposition d’une entité établie à l’étranger) ;

– la dissimulation de la situation ou de l’activité du contribuable par un acte fictif ou comportant des mentions fictives ou par l’interposition d’une entité fictive ;

– le bénéfice indu au profit du contribuable d’un avantage fiscal ([111]) à travers la délivrance irrégulière de documents ;

– la réalisation pour le compte du contribuable d’un procédé destiné à égarer l’administration.

Le caractère intentionnel de la fourniture de la prestation au contribuable exclut par exemple les hypothèses dans lesquelles le contribuable aurait utilisé des prestations réalisées pour d’autres personnes.

L’intentionnalité doit être établie par l’administration, à qui incombera la charge de démontrer l’utilisation par le contribuable d’éléments issus de la prestation (en utilisant pour ce faire tous les outils mis à sa disposition par le droit en vigueur).

Cette exigence permettra d’assurer au dispositif proposé la robustesse juridique qui avait fait défaut à la tentative effectuée à l’occasion de la loi de finances pour 2015, dont l’article 79 prévoyait une sanction similaire pour les intermédiaires. Le dispositif avait été censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu’il ne permettait pas, en l’état de sa rédaction, de déterminer si l’infraction fiscale était constituée en raison d’un abus de droit ou du seul fait qu’une majoration avait été prononcée ([112]).

3.   Les caractéristiques de l’amende et les garanties prévues

a.   L’amende prévue

● En application des II de l’article 1740 A bis du CGI et L. 114‑18‑1 du CSS, l’amende correspond à 50 % des revenus perçus par l’intermédiaire en contrepartie de sa prestation. Son montant ne peut être inférieur à 10 000 euros.

● La sanction fiscale doit être prononcée par un agent ayant au moins le grade d’inspecteur divisionnaire, en application du II du présent article 7 ([113]).

La sanction sociale est prononcée par le directeur de l’organisme de recouvrement ou de la caisse de mutualité sociale agricole lésé, en application du III du nouvel article L. 114‑18‑1 du CSS.

● Par ailleurs, la prescription quadriennale est applicable à chacun des types de sanction :

– en vertu du droit commun consacré au deuxième alinéa de l’article L. 188 du LPF s’agissant de la sanction fiscale ;

– en vertu du dernier alinéa du II du nouvel article L. 114‑18‑1 du CSS pour la sanction sociale.

b.   Les garanties accompagnant l’amende fiscale

● L’amende fiscale fait l’objet de plusieurs garanties procédurales, permettant à l’intermédiaire de contester :

– les faits reprochés au contribuable sur le fondement desquels la sanction a été prononcée, l’intermédiaire bénéficiant des garanties et voies de recours offertes au contribuable (troisième alinéa du II de l’article 1740 A bis, dans sa rédaction initialement proposée par le Gouvernement) ;

– les manquements directement reprochés à l’intermédiaire à travers la procédure prévue à l’article L. 80 D du LPF (deuxième alinéa du même II).

L’application de l’article L. 80 D oblige l’administration à motiver sa décision. Cette motivation doit être écrite et comporter l’énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent. En cas d’urgence absolue faisant obstacle à la satisfaction de ces conditions, et sur demande de l’intermédiaire sanctionné, l’administration doit communiquer à l’intéressé les motifs de la sanction. Par ailleurs, la sanction ne peut être prononcée avant l’expiration d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de l’administration, permettant au contribuable de présenter ses observations.

● En outre, le droit commun de la contestation des décisions de l’administration fiscale consacré à l’article L. 190 du LPF demeure applicable, et la sanction ainsi infligée à l’intermédiaire pourra être attaquée par celui-ci devant le juge administratif ([114]).

 

● Enfin, le dernier alinéa du I du nouvel article 1740 A bis exclut le prononcé de la sanction fiscale lorsque l’intermédiaire fait l’objet de poursuites pénales pour complicité de fraude fiscale au titre de l’article 1742 du CGI. Il s’agit là d’une mise en œuvre de l’encadrement du cumul des sanctions fiscales et pénales par le Conseil constitutionnel.

c.   Les garanties accompagnant l’amende sociale

S’agissant de l’amende sociale, l’intermédiaire a également la possibilité de la contester, le III du nouvel article L. 114‑18‑1 du CSS prévoyant les modalités selon lesquelles l’administration sociale lui notifie les faits reprochés et lui permet de présenter ses observations en réponse.

En revanche, la possibilité de contester directement les faits reprochés au cotisant en bénéficiant des garanties et voies de recours offertes à ce dernier n’est pas expressément ouverte, à la différence de ce qui est prévu pour l’amende fiscale.

Cette circonstance ne porte cependant pas atteinte au droit au recours effectif de l’intermédiaire, ce dernier pouvant à l’occasion de la contestation de son amende critiquer le bien-fondé de la qualification d’abus de droit retenue contre le cotisant.

4.   L’interdiction de siéger dans certains organismes

● Le III du nouvel article 1740 A bis prévoit que l’intermédiaire sanctionné ne peut participer aux travaux de différentes instances :

– commissions communale et intercommunale des impôts directs prévues aux articles 1650 et 1650 A du CGI ;

– commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue aux articles 1651 à 1651 G du CGI ;

– commission nationale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires prévue aux articles 1651 H à 165 J du CGI ;

– commission centrale permanente compétente en matière d’appels contre les tarifs des évaluations foncières prévue à l’article 1652 bis ;

– commission départementale de conciliation prévue à l’article 1653 A du CGI ;

– comité de l’abus de droit fiscal prévu à l’article 1653 C ;

– comité consultatif du crédit d’impôt pour dépenses de recherche (CIR) prévu à l’article 1653 F.

● Le  du I du présent article vient par ailleurs compléter la liste des instances aux travaux desquelles ne peut participer un contribuable condamné par la justice pour fraude fiscale ou opposition à contrôle fiscal, en y ajoutant le comité de l’abus de droit fiscal et le comité consultatif du CIR.

Ce dernier enrichissement concerne bien le contribuable et non l’intermédiaire (qui ne peut au demeurant participer à ces travaux, ainsi qu’il vient d’être vu).

5.   Une sanction applicable aux futures prestations

Conformément au IV du présent article, la sanction des intermédiaires ne s’appliquera qu’aux prestations réalisées à compter de la prise d’effet de la présente loi. Il s’agit d’une exigence de sécurité juridique, le fait de sanctionner les intermédiaires pour des prestations passées sur la base de règles qui n’existaient alors pas portant atteinte à la garantie des droits.

B.   Les modifications apportées par le sénat

En plus de deux amendements de précision du rapporteur sur les modalités d’entrée en vigueur du présent article, le Sénat a adopté trois modifications principales.

1.   La subordination du prononcé de l’amende contre l’intermédiaire au caractère définitif de la sanction du contribuable ou du cotisant

À l’initiative du rapporteur Albéric de Montgolfier, auteur d’un amendement adopté par la commission des finances et non remis en cause en séance malgré un amendement en ce sens du Gouvernement, le Sénat a limité la possibilité de sanctionner l’intermédiaire en application du dispositif proposé aux hypothèses dans lesquelles la sanction du contribuable ou du cotisant, selon qu’il s’agisse de l’amende sociale ou fiscale, revêt un caractère définitif.

Concrètement, cela a pour effet d’empêcher le prononcé de toute sanction tant que les délais de recours contre la sanction initiale du contribuable ne sont pas expirés ou, en cas de recours, tant qu’une décision de justice insusceptible de recours n’a pas été prononcée.

Cette modification est motivée par deux séries d’arguments :

– en premier lieu, le fait que le dispositif initial pourrait conduire à sanctionner l’intermédiaire, alors que la sanction du contribuable est encore susceptible d’être remise en cause, conduirait à une certaine confusion et surtout au risque que l’intermédiaire soit sanctionné sans fondement ([115]) ;

– en second lieu, les incertitudes sur la possibilité pour l’intermédiaire sanctionné de conseiller le contribuable dans l’action de ce dernier contre la sanction qui lui est infligée (cela concernant donc les avocats et conseils juridiques, qui ne sont pas les seuls visés par le dispositif proposé).

Cette exigence du caractère définitif des sanctions s’est accompagnée de la suppression de l’ouverture au bénéfice de l’intermédiaire sanctionné des garanties et voies de recours offertes au contribuable.

2.   Le caractère limitatif des prestations susceptibles d’être réalisées par l’intermédiaire

Alors que la liste des prestations mentionnées par le dispositif initialement proposé était précédée du mot « notamment », signifiant une absence d’exhaustivité, le Sénat, là encore à l’initiative du rapporteur, a souhaité restreindre le champ des prestations en donnant à ladite liste un caractère limitatif.

Il s’agit selon le Sénat d’un impératif de sécurité juridique, le caractère non-limitatif de la liste initiale exposant le dispositif à une faiblesse juridique.

3.   L’extension de l’interdiction de participer aux travaux de certaines instances

Enfin, en séance et à l’initiative des sénateurs du groupe La République En Marche, deux amendements ayant recueilli les avis favorables de la commission et du Gouvernement ont expressément étendu l’interdiction pour l’intermédiaire sanctionné de siéger au sein du comité mentionné à l’article L. 64 du LPF (le comité de l’abus de droit fiscal) et de la commission des infractions fiscales (CIF) prévue à l’article L. 228 du même code.

III.   La position de la commission

La commission a validé le principe du dispositif proposé, à savoir la sanction fiscale et sociale des intermédiaires qui ont intentionnellement permis de graves manquements de la part de contribuables ou de cotisants.

Conservant certaines modifications du Sénat et en supprimant d’autres, elle a été animée de la volonté de rendre le dispositif le plus efficace possible, dans le respect des principes juridiques applicables.

A.   Un dispositif opportun à lier à la directive « DAC 6 » mais risquant de se heurter au secret professionnel

1.   La sanction administrative des intermédiaires comble opportunément un vide juridique

● Prévoir une amende administrative, fiscale ou sociale, à l’encontre des intermédiaires qui, par leurs prestations, participent activement aux manquements volontaires des contribuables, est une initiative dont il faut se réjouir.

Rappelons en effet que c’est souvent grâce à ces prestations, qui fournissent aux contribuables et aux cotisants les outils pour échapper à leurs obligations fiscales et sociales, que la fraude et plus généralement l’évitement fiscal et social sont rendus possibles. Le dispositif proposé est donc bienvenu, permettant de sanctionner les abus des conseils en dehors des hypothèses de complicité de fraude fiscale ou en l’absence de poursuites engagées sur ce fondement.

La sanction apparaît proportionnée et conforme aux exigences constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel admet en effet que, en cas de manquements, les sanctions puissent être élevées lorsqu’elles ont pour objet de mettre un terme à ces manquements et « déviter la réitération de tels agissements » ([116]).

Notons par ailleurs que le Conseil constitutionnel a déjà admis la constitutionnalité de majorations de 100 % du montant de sommes dues ([117]).

En outre, la proportionnalité d’une peine « sapprécie à laune de la nature et de la gravité du comportement que le législateur cherche à réprimer » ([118]). Le Conseil constitutionnel a ainsi admis une amende égale à 50 % des sommes non déclarées en cas de méconnaissance de certaines obligations déclaratives ([119]). La fourniture intentionnelle d’une prestation permettant des agissements constitutifs d’abus de droit, de manœuvres frauduleuses ou encore d’activités occultes paraît, à l’évidence, constituer un comportement plus grave qu’un défaut déclaratif, et doit faire l’objet d’un traitement en conséquence.

Une telle amende ne paraît pas non plus poser de difficulté particulière sous l’angle de la protection du droit de propriété à travers l’article 1er du premier protocole additionnel (article 1P1) à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), à l’aune duquel, notamment, la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) est amenée à connaître des amendes fiscales. Si la Cour a ainsi pu juger que des amendes pouvant aller jusqu’au décuple du montant initialement dû méconnaissaient l’article 1P1 de la CEDH ([120]), elle admet sans difficulté des amendes proportionnées – ce qui est le cas avec celle proposée – et reconnaît à la matière fiscale « une exigence defficacité nécessaire pour préserver les intérêts de lÉtat » ([121]).

Enfin, et cet élément paraît indissociable du volet répressif du dispositif proposé, d’importantes garanties sont prévues pour l’intermédiaire sanctionné, afin de prémunir le dispositif de toute application excessive.

● Si le montant de l’amende a pu être jugé par certains insuffisamment élevé, il convient de noter qu’il correspond à la moitié des gains tirés de la prestation, ce qui n’est pas modique. Par ailleurs, l’idée de mettre en place une responsabilité solidaire du conseil dans le paiement de l’amende, en apparence séduisante, ne paraît pas opportune :

– si l’agissement relève de la qualification pénale de fraude fiscale, le conseil, s’il est considéré comme complice au sens pénal, peut déjà être tenu solidairement responsable du paiement en application de l’article 1745 du CGI ;

– si le contribuable ou le cotisant sanctionné paie ses majorations, la solidarité est dépourvue d’effet ;

– la portée dissuasive d’une responsabilité solidaire n’est pas garantie, du moins semble-t-elle moins tangible qu’à travers une sanction dédiée. C’est d’ailleurs ce motif qui a conduit le Gouvernement à expressément écarter l’idée d’une responsabilité solidaire qu’il avait considérée, ainsi qu’il ressort de l’étude d’impact du présent projet de loi.

2.   La combinaison de cette sanction et de la déclaration des montages agressifs permet une dissuasion élevée

La sanction proposée doit également être mise en regard avec la déclaration des montages agressifs prévue par la directive « DAC 6 » :

– cette déclaration revêt un aspect préventif ;

– la sanction a un caractère répressif.

Combinés, les deux outils offriront un effet dissuasif considérable vis‑à‑vis des intermédiaires.

3.   Le secret professionnel reste opposable : un dispositif ciblant surtout les officines fiscales

● Le secret professionnel qui s’attache aux prestations que certains intermédiaires pourront fournir, tels que les avocats, pourrait compromettre la réelle applicabilité du dispositif proposé.

L’administration ne sera en effet pas en mesure de s’affranchir de ce secret vis-à-vis des intermédiaires. Ainsi que l’a souligné Albéric de Montgolfier dans son rapport, si l’article L. 13‑0 A du LPF permet aux agents de demander toute information sur les versements et recettes perçus par des dépositaires du secret professionnel, il fait néanmoins obstacle à ce qu’ils puissent demander des renseignements sur la nature des prestations fournies par ces dépositaires.

À cet égard, le parallèle avec la directive « DAC 6 » illustre les limites auxquelles l’administration est confrontée en matière de secret professionnel. Ainsi qu’il a été vu, dans une telle situation, l’obligation déclarative incombe non à l’intermédiaire, mais au contribuable (ou à un autre intermédiaire).

● Notons toutefois que si les avocats bénéficieront du secret professionnel, cela ne fera pas obstacle à ce que l’administration puisse bénéficier d’informations d’autres sources (notamment du contribuable lui-même).

Surtout, cette circonstance n’empêchera pas l’application pleine et entière du dispositif aux autres professions, notamment les officines de conseil qui proposent souvent, à des conditions défiant toute concurrence, des offres fiscales alléchantes mais juridiquement risquées, pour ne pas dire plus.

Lutter contre ces officines, en plus de sanctionner des pratiques dommageables, permettra de réorienter les contribuables vers des conseils de qualité et soumis à un devoir de probité que sont les avocats, améliorant ainsi doublement la vertu fiscale des contribuables.

B.   Des modifications du Sénat à l’opportunité variable ayant conduit la commission à d’importants ajustements

La commission est revenue sur certaines des modifications apportées par le Sénat jugées non souhaitables. En revanche, elle en a conservé d’autres lorsque celles-ci paraissaient opportunes et bienvenues.

1.   La suppression de l’exigence du caractère définitif de la sanction du contribuable et le rétablissement des garanties offertes à l’intermédiaire

La limitation de la possibilité de sanctionner l’intermédiaire aux seules hypothèses dans lesquelles la sanction infligée au contribuable ou au cotisant revêt un caractère définitif, si ses motivations apparentes sont louables, est de nature à priver le dispositif proposé de son efficacité.

● Compte tenu des délais de jugement dans les contentieux fiscaux, une telle limitation est susceptible de produire trois effets pernicieux :

– elle pourrait retarder considérablement le prononcé de la sanction, pouvant conduire à une dégradation des éléments matériels de preuve à partir desquels l’administration doit établir l’intentionnalité de l’intermédiaire ;

– du fait de la prescription quadriennale, cette limitation risquerait de vider de son contenu la nouvelle sanction ;

– le caractère dissuasif du dispositif se trouverait considérablement réduit, pour ne pas dire effacé.

Comme le Gouvernement le soulignait devant le Sénat, pourrait même être envisagé le fait que les conseils des contribuables sanctionnés suggèrent à ces derniers l’introduction de recours dilatoires pour priver de toute portée le dispositif proposé ([122]).

● Notons par ailleurs que la possibilité d’infliger à l’intermédiaire une sanction sans attendre que celle prononcée contre le contribuable soit devenue définitive avait déjà été contestée par les sénateurs dans leur saisine du Conseil constitutionnel à l’appui de leurs conclusions dirigées contre l’article 79 de la loi de finances pour 2015 précitée.

Or, si le Conseil constitutionnel avait bien censuré le dispositif qui lui était soumis, cette censure reposait sur des motifs distincts.

En outre, rappelons que, sous l’angle pénal, le complice peut être poursuivi sans que l’auteur le soit, et donc a fortiori sans exiger une sanction définitive de ce dernier. Certaines des réserves soulevées au Sénat vis-à-vis d’une possible sanction d’un complice sans que l’auteur ait été définitivement sanctionné peuvent donc paraître étonnantes.

● Il convient également de noter que la sanction ne cible que des comportements bien spécifiques et caractérisés par une particulière gravité. Il s’agit donc, à travers cette sanction, d’adopter un dispositif suffisamment coercitif pour être dissuasif.

Pour autant, des garanties sont prévues, ainsi qu’il a été vu, notamment à travers le sort réservé à l’amende infligée à l’intermédiaire en cas de dégrèvement ou de décharge du contribuable.

Par ailleurs, dans sa version initiale, le texte prévoyait d’étendre à l’intermédiaire les garanties et voies de recours dont le contribuable bénéficie, élément qu’a supprimé le Sénat.

● Prenant en compte l’ensemble de ces éléments, à l’initiative de la rapporteure et de M. Jean‑Louis Bourlanges, et suivant l’avis favorable du Gouvernement, la commission :

– a supprimé l’exigence du caractère définitif de la sanction du contribuable ou du cotisant ;

– a rétabli le fait que l’intermédiaire puisse bénéficier des garanties et voies de recours offertes au contribuable.

En outre, à l’initiative de la rapporteure, là encore avec l’avis favorable du Gouvernement, la commission a expressément consacré dans le volet social du dispositif l’ouverture à l’intermédiaire des garanties et voies de recours dont bénéficie le cotisant – une telle possibilité ne figurait en effet pas dans le texte initial ([123]).

Ce dispositif, assurant un équilibre entre sanction et protection des droits, apparaît ainsi non seulement plus efficace, mais aussi mieux proportionné.

2.   Une énumération exhaustive des prestations qui renforce la lisibilité de la loi

● En cantonnant expressément aux quatre prestations mentionnées au nouvel article 1740 A bis l’application de la sanction fiscale, le Sénat a entendu assurer au dispositif une sécurité juridique maximale.

Là encore, il s’agit d’un objectif louable, mais la modification ainsi apportée ne semblait pas indispensable dans la mesure où les différents objets sur lesquelles les prestations portent ne sont pas l’un des éléments constitutifs du manquement. Ce dernier repose en effet sur :

– un élément moral, à savoir l’intention de l’intermédiaire ;

– un élément matériel, c’est-à-dire la commission par le contribuable d’un agissement sanctionné résultant directement de la prestation fournie. Ces agissements, ainsi qu’il a été vu, sont expressément et précisément énumérés au premier alinéa du I du nouvel article 1740 A bis (par renvoi aux majorations pertinentes) et satisfont, dès lors, l’exigence constitutionnelle liée à la précision de la loi.

En poussant le raisonnement jusqu’au bout, il serait possible de considérer que la liste des prestations était inutile dans la mesure où elle consiste en réalité à fournir des exemples.

Cela étant, la supprimer ne serait pas opportun en ce qu’elle permet d’avoir des illustrations précises sur l’objet d’une prestation condamnable.

Dans ces conditions, et malgré les réserves indiquées, la modification du Sénat visant à l’exhaustivité a été conservée, offrant au dispositif une meilleure lisibilité et une plus grande prévisibilité.

● Une précision sur l’objet de certaines prestations est néanmoins apparue opportune : en l’état du texte, le 3° du I du nouvel article 1740 A bis proposé vise les prestations permettant le bénéfice indu d’une déduction du revenu, d’une réduction d’impôt ou d’un crédit d’impôt.

Bien que le 4° de ce même I constitue une disposition « balai », il a semblé préférable, dans le même souci d’intelligibilité qui a poussé le Sénat à rendre exhaustive l’objet des prestations, d’ajouter au 3° les prestations permettant l’octroi d’une exonération.

À l’initiative de la rapporteure, cette précision a été apportée par la commission, là aussi avec l’avis favorable du Gouvernement.

3.   L’inclusion opportune de la commission des infractions fiscales parmi les instances auxquelles ne peut participer l’intermédiaire sanctionné

S’agissant des évolutions proposées en séance au Sénat consistant à élargir la liste des instances au sein desquelles l’intermédiaire sanctionné ne pourrait siéger, il convient d’opérer une distinction. Deux nouvelles instances ont été ajoutées à la liste déjà fournie prévue par le dispositif initial :

– le comité de l’abus de droit fiscal ;

– la CIF.

● L’ajout de la CIF est opportun, d’une manière générale par cohérence avec les autres instances aux travaux desquelles l’intermédiaire ne pourra plus participer, et au cas particulier des missions de cette commission qui, en l’état du droit, joue un rôle majeur en matière de poursuites pénales.

● En revanche, il est plus étonnant qu’ait été adopté l’amendement portant sur le comité de l’abus de droit fiscal. Non que ce dernier ne doive pas figurer sur la liste des instances fermées à l’intermédiaire sanctionné, au contraire, mais simplement parce qu’il était déjà inclus dans la liste. Cette dernière fait en effet expressément référence à l’article 1653 C du CGI qui porte précisément sur ce comité.

Dans ces conditions, il y a lieu de s’interroger sur l’utilité de mentionner deux fois le même comité, la seconde occurrence paraissant pouvoir être supprimée.

Plus généralement, dans un souci d’harmonisation rédactionnelle, il apparaît préférable d’inscrire la CIF dans l’énumération initialement prévue plutôt que de lui consacrer une phrase dédiée utilisant des termes différents (bien que le résultat soit le même).

La commission a ainsi adopté un amendement de la rapporteure ayant fait l’objet d’un avis favorable du Gouvernement et visant à clarifier la rédaction du dispositif, sans en limiter la portée s’agissant des organismes aux travaux desquels l’intermédiaire ne peut participer.

C.   Faire preuve de mesure dans d’éventuelles hypothèses d’un renforcement du dispositif

La sanction des intermédiaires fiscaux constitue un progrès dans la lutte contre les différentes formes de fraude et d’évasion fiscales. Son alourdissement éventuel, notamment en cas de récidive, doit toutefois être abordé avec prudence pour assurer le nécessaire équilibre entre libre exercice par les conseils de leur activité et prévention et lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et sociales.

La rapporteure, sans s’interdire toute évolution qui se révélerait opportune, estime donc indispensable de retenir sur cet article une approche mesurée, mesure qui ne dissimule ni timidité ni complaisance, mais qui repose sur des considérations juridiques et objectives.

Le délai séparant l’examen du texte en commission de son passage en séance publique sera ainsi mis à profit pour expertiser certaines initiatives afin d’en apprécier l’opportunité et la robustesse juridique.

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La commission examine l’amendement CF120 de Mme Marie-Christine Dalloz.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’article 7 crée une sanction administrative exclusive des sanctions pénales. C’est assez particulier, notamment en ce qui concerne les prestataires de services de conseil et d’élaboration de montages financiers.

Ne confondons pas l’optimisation fiscale, qui est légale et autorisée, et la fraude fiscale ouverte. Or, cet article crée un amalgame entre l’une et l’autre. En cas de montages frauduleux ou abusifs, la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2013 relative à l’obligation de déclaration des schémas d’optimisation fiscale s’applique : en l’absence de déclaration, le risque d’amende existe, et si un montage frauduleux ou abusif est constaté, il va de soi qu’une procédure pénale peut être engagée.

En l’espèce, cet article crée une amende administrative sanctionnant des comportements non sanctionnés pénalement. Cela pose une véritable question concernant la hiérarchie de notre droit et des sanctions. En effet, cette disposition ne respecte aucunement le principe de la légalité des peines ; cela me semble dommageable au regard de la volonté affichée de lutter contre la fraude.

Mme la rapporteure. Je rappelle que la cible principale de cet article est les officines fiscales qui, en dehors de la profession réglementée d’avocat, proposent des schémas abusifs et des défiscalisations, et qui font de la prospection par toutes les voies possibles.

En ce qui concerne vos arguments, je ne vois pas en quoi l’article 7 contournerait la décision que le Conseil constitutionnel a rendue sur le projet de loi de finances pour 2014. À l’époque, le Conseil avait censuré l’obligation de déclaration des schémas d’optimisation au motif que sa définition était trop imprécise. Ce n’est pas le cas ici.

D’autre part, le fait que la sanction soit applicable à des comportements non sanctionnés sur le plan pénal ne pose pas non plus de difficulté particulière car les agissements visés sont les plus graves et peuvent ou non faire l’objet de poursuites pour fraude. L’objet de l’article consiste à permettre la sanction de conseils qui auraient incité au recours à des montages en chaîne, par exemple, pour lesquels toutes les parties ne sont pas poursuivies au pénal mais qui, en matière de défiscalisation par exemple, causent un préjudice conséquent au Trésor. Actuellement, dans de telles hypothèses, s’il n’y a pas fraude, les conseils en question ne peuvent pas être poursuivis pour complicité de fraude fiscale. C’est pourquoi le Gouvernement nous propose cette sanction administrative.

Enfin, je ne vois pas en quoi la légalité des peines serait méconnue puisque les manquements sont clairement identifiés, la prestation doit avoir été intentionnelle et la liste des prestations est désormais limitative. Le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas émis de réserves. Je suis donc défavorable à la suppression de cet article.

M. le ministre. Permettez-moi de rassurer Mme Dalloz en complétant la réponse de Mme la rapporteure. M. Coquerel pourrait nous reprocher de ne pas aller assez loin, mais il ne s’agit pas de revenir sur l’activité des conseils en optimisation, ni de rompre le lien entre les avocats et leurs clients en termes de conseil. Il s’agit simplement de pouvoir sanctionner ceux qui aident à l’évasion – car on s’évade rarement seul – ainsi que les ingénieurs de la fraude qui proposent des montages à leurs clients. Le client est naturellement responsable mais l’auteur de la proposition de montage frauduleux doit l’être aussi.

Cette idée nous est notamment venue au fil des rencontres avec les contrôleurs fiscaux : même lorsque des perquisitions fiscales sont conduites, des courriers électroniques et des propositions émanant de ces officines apparaissent, et contiennent des dispositions absolument contraires à la loi qui ne relèvent pas de l’activité de conseil.

Je propose donc à Mme Dalloz de se concentrer sur la proposition figurant à l’article 7 : les personnes incriminées ne seront pas à l’origine de « petites » propositions de conseil. Les quatre dispositions sont clairement établies et portent sur les prestations suivantes : tout d’abord, « permettre au contribuable de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ou d’un prête-nom ou par l’interposition d’une personne physique ou morale ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ». Convenons en toute franchise qu’une officine ou une personne proposant à un contribuable ou à son client de dissimuler son identité par la fourniture d’une identité fictive ne fait pas du conseil en optimisation fiscale légale ! Autres prestations visées : « Permettre au contribuable de dissimuler sa situation ou son activité par un acte fictif ou comportant des mentions fictives ou par l’interposition d’une entité fictive ; permettre au contribuable de bénéficier à tort d’une déduction du revenu, d’un crédit d’impôt ou d’une réduction d’impôt par la délivrance irrégulière de documents » – c’est-à-dire la production de faux – « ou réaliser pour le compte du contribuable tout acte destiné à égarer l’administration ». Tout ceci, madame la députée, ne me semble pas relever de l’acceptable, ni même de l’interprétation, ni de la relation entre le conseil et son client, mais de la création d’un montage totalement frauduleux qui vise clairement à tromper l’administration et le contrôle.

Il me semble totalement orthogonal de vouloir lutter contre la fraude fiscale d’ampleur tout en refusant à la loi les moyens de pénaliser ceux qui proposent des montages parfois industriels, ce qui règlerait sans doute une partie des moyens et des effectifs dont dispose l’administration.

M. Charles de Courson. Cet article est intéressant, mais présente de nombreux problèmes. Le premier a trait à la territorialité : le danger lié aux cabinets de conseil concerne généralement des cabinets internationaux, qui fournissent des conseils à partir de l’étranger. Comment appliquer l’article 7 à un cabinet situé à Londres qui conseille tel ou tel mécanisme à une entreprise française ?

Deuxième problème : l’intentionnalité. Je ne suis pas opposé à l’article 7, mais j’ai quelques doutes sur son applicabilité, voire quelques craintes qu’il n’incite à la délocalisation de ces officines – même si l’on pourra arguer que ce ne serait pas un drame. S’il existait un texte européen de ce type, alors nous serions beaucoup plus forts. À ma connaissance, cependant, il n’existe pas de projet de directive sur ce sujet.

Mme Bénédicte Peyrol. Si, justement.

M. le ministre. L’argument selon lequel ces conseils peuvent être fournis depuis l’étranger nous conduirait loin dans la non-interdiction de faits délictueux ou même du trafic de marchandises, car il pourrait être étendu à de nombreux domaines : il suffirait qu’un État étranger propose des produits illicites pour ne pas les interdire en France. Cet argument me semble donc absurde.

Ensuite, il ne me paraît pas naturel de considérer que, parce que l’Europe ou telle organisation internationale ne va pas assez loin – nous proposons justement une mesure nouvelle donc originale –, il ne faudrait pas que la France des moyens très forts d’unifier sa politique de lutte contre la fraude fiscale de grande ampleur.

Enfin, en imaginant qu’un conseil installé à l’étranger qui serait absolument frauduleux et relèverait de la loi soit confondu, il serait condamnable à ce titre sur le sol national. Il faut mesurer la difficulté : lorsque des faits sont constatés – depuis la grande enquête jusqu’au simple courrier électronique proposant un montage frauduleux de grande ampleur –, l’administration fiscale – dont il faut comprendre la frustration des contrôleurs – dispose sans doute des moyens de prouver qu’ils ne sont pas légaux, parce qu’ils ne sont aujourd’hui ni condamnés ni condamnables. Qui peut le plus peut le moins : certes, rien n’est parfait, et il existera toujours des moyens d’échapper à la législation nationale, mais au moins nous envoyons un message fort et nous nous donnons les moyens de pouvoir condamner ceux qui se trouvent sur le sol français. C’est déjà bien de pouvoir interdire ces comportements sur le sol français et d’accompagner un mouvement européen et international pour lutter contre ce phénomène. J’entends qu’il y a des effets de bord, monsieur de Courson, mais votre argumentation ne peut suffire à justifier que l’on refuse de conserver cette pénalisation originale.

M. Mohamed Laqhila. Cet article 7 me causait aussi des inquiétudes, mais l’intervention de la rapporteure et du ministre les ont dissipées. J’ai bien noté qu’on établit une distinction entre optimisation fiscale et fraude fiscale et que les professions réglementées, en tant que telles, ne sont pas visées par ce texte.

On a beaucoup parlé d’ « officines », tandis que les professions réglementées, comme leur nom l’indique, sont sous tutelle du ministère des finances. Me voilà donc rassuré.

Mme la rapporteure. A priori, ces professions sont dans le champ couvert par l’article. Mais les obligations de confidentialité qui sont les leurs sont inviolables ; ce sera donc difficile à appliquer à la profession d’avocat. J’espère cependant que le conseil de l’ordre des avocats remplit sa fonction de veille, comme nous l’ont dit les avocats que nous avons reçus en audition.

En tout état de cause, prouver l’intentionnalité ne sera pas simple, sauf à ce que le client allègue tel ou tel conseil donné par son avocat, mettant ainsi lui-même fin à la confidentialité des échanges. En ce cas, je ne vois pas pourquoi ne pas sanctionner l’avocat qui aurait été à l’origine du montage.

M. le ministre. Il y a deux types de choses.

Premièrement, ceux qui exercent une profession réglementée sont, en général, soumis à un code de déontologie et à un ordre. Cet ordre sanctionne tout manquement à la déontologie de la profession, avec une sévérité d’autant plus grande qu’il veut en protéger la bonne réputation. Si un expert-comptable, un avocat ou un notaire en vient à proposer à son client de dissimuler son identité ou d’adopter une identité fictive, il se situe déjà largement hors du champ de son code de déontologie.

L’expert-comptable, l’avocat ou le notaire véreux, qui ne constitue à chaque fois qu’une infime partie de la profession, est déjà très lourdement sanctionné aujourd’hui, indépendamment de la loi que nous proposons. Mais les quatre points de l’article que nous examinons le concernent aussi.

Une difficulté se présente cependant à nous : indépendamment des professions réglementées, il existe des officines qui opèrent elles aussi, dans un cadre européen et dans un cadre national – celui pour lequel nous devons, monsieur de Courson, d’abord régler le problème, même si nous aurons bientôt à transposer également une directive européenne.

L’article répertorie quatre cas de figure où le conseil donné est à l’orthogonale de l’optimisation normalement proposée. Comme l’a dit la rapporteure, le secret ne fait pas problème, dans la mesure où le client peut le lever lui-même, s’il est condamné. Il peut alléguer avoir reçu une proposition de montage frauduleux, y compris en invoquant sa bonne foi. Ce dernier argument ne saura certes être tout le temps accepté, notamment quand il s’agit de dissimulation d’identité.

Bien qu’il soit le défenseur des libertés et des professions réglementées, le Conseil d’État a d’ailleurs rendu, sur cet article, un avis très encourageant pour le Gouvernement.

M. Charles de Courson. Quand la directive européenne sera-t-elle adoptée ? En 2019 ? Je crains que nous n’ayons alors à délibérer de nouveau pour réécrire l’article 7, en faveur duquel je vote néanmoins d’ores et déjà.

Mme la rapporteure. Adoptée le 25 mai 2018, la directive « DAC 6 » porte sur la communication aux administrations fiscales des schémas potentiellement agressifs. S’ils ne sont pas communiqués au fisc, une sanction tombe.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CF218 de la commission des lois.

M. le rapporteur pour avis. Déposé par plusieurs collègues de la majorité, cet amendement va dans un sens assez différent. Les faits envisagés par cet article 7 sont des faits d’une particulière gravité. Cela devrait justifier que les personnes appréhendées pour leur commission fassent aussi l’objet d’une poursuite pénale – je pense notamment au contribuable qui en serait l’auteur.

 

Mon amendement n’a pas pour objet la suppression de l’article 7, mais la subordination de la sanction administrative du conseil à la condamnation pénale définitive du contribuable. Il vise ainsi à encadrer de manière plus précise la possibilité de prendre des sanctions administratives à l’encontre des tiers, en subordonnant ces sanctions administratives à la condamnation pénale définitive des auteurs de fraude fiscale.

Cette souplesse offre la possibilité de prendre des sanctions administratives. En fait, elle permet à l’administration de combattre la fraude fiscale lorsque celle-ci concerne les cas les plus significatifs, pour lesquels le juge pénal a rendu une condamnation définitive sanctionnant les auteurs.

Il me semble que cet amendement sécurise le dispositif de l’article 7 et renforce les garanties procédurales auxquelles les conseils ont droit, en consacrant la condamnation pénale des auteurs de la fraude fiscale comme l’élément indispensable à la prise de sanctions administratives à l’encontre des tiers.

M. de Courson a évoqué tout à l’heure l’intentionnalité des faits reprochés. Je pense que cet amendement permettrait précisément au juge judiciaire de caractériser les éléments de la fraude fiscale, parmi lesquels l’intentionnalité. À ce titre, il permettrait, une fois la condamnation pénale établie, de poursuivre le conseil, soit par des sanctions administratives, soit par des poursuites pénales pour complicité de fraude fiscale.

Mme la rapporteure. Ce que vous proposez va bien plus loin encore que ce qu’a voté le Sénat, qui a subordonné la sanction de l’intermédiaire au caractère définitif de la sanction du contribuable.

Votre amendement empêche la sanction du conseil en l’absence de toute condamnation pénale du contribuable fautif. Or, l’article 7 a au contraire pour objet de permettre de sanctionner les conseils, même en l’absence de condamnation pénale du contribuable pour fraude fiscale. Vous empêchez en outre l’amende alors même que la sanction fiscale du contribuable serait définitive, y compris après une procédure contentieuse administrative.

Enfin, compte tenu des délais de jugement, l’objection faite à l’égard du dispositif sénatorial trouve également à s’appliquer au vôtre : l’article 7 serait inapplicable dans les faits, et le caractère dissuasif de l’amende serait anéanti.

Avis défavorable, par conséquent.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite les amendements identiques CF202 de la rapporteure et CF130 de M. Jean-Louis Bourlanges.

Mme la rapporteure. Le Sénat a subordonné la sanction de l’intermédiaire complice au caractère définitif de la majoration infligée au contribuable.

Rappelons tout de même qu’en matière pénale, le complice peut être poursuivi pour fraude même si le contribuable ne l’est pas ou n’a pas été définitivement sanctionné. Par ailleurs, les majorations fiscales peuvent être infligées au contribuable sans attendre l’épuisement des voies de recours.

Attendre que la sanction du contribuable devienne définitive priverait de toute efficacité le dispositif. C’est pourquoi je suis favorable à une réécriture de l’article 7, tout en prévoyant des garanties : si le contribuable fait l’objet d’une décharge ou d’un dégrèvement, le sort du contribuable et celui de son conseil sont liés. Le dispositif prévoyait de faire bénéficier l’intermédiaire des garanties et voies de recours offertes au contribuable, de sorte qu’il peut faire porter ses observations, je propose de rétablir ces garanties.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je n’insisterai pas.

M. Charles de Courson. Mais si, à la suite d’un recours, le contribuable est acquitté, son conseil n’aura-t-il pas été condamné à tort ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Certes, mais l’infraction ou la fraude reprochée au tiers n’est pas forcément liée à l’existence d’un comportement frauduleux du contribuable. J’en veux pour exemple l’incitation à falsifier son identité : elle constitue une infraction en tant que telle. Ce qui est reproché au tiers n’est pas de même nature que ce qui est reproché au contribuable.

Mme la rapporteure. L’alinéa 12 de l’article 7 prévoit que « lorsque les majorations mentionnées au I du présent article font l’objet d’un dégrèvement ou d’une décharge pour un motif lié à leur bien-fondé, l’amende qui a été prononcée à l’encontre du tiers fait l’objet d’une décision de dégrèvement ». Il me paraît donc, monsieur de Courson, répondre à votre préoccupation.

La commission adopte les amendements.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CF78 de Mme Christine Pires Beaune et CF159 de M. Éric Coquerel.

Mme Christine Pires Beaune. À la page 42 de l’étude d’impact du projet de loi, le Gouvernement souligne à juste titre la nécessité de légiférer pour sanctionner les professionnels complices de montages frauduleux. L’idée de cet article est simple et devrait être efficace : responsabiliser les partenaires et les conseils des contribuables. Nous y sommes donc favorables.

Malheureusement, après avoir énoncé un objectif général, l’article 7 restreint le champ des tiers potentiellement concernés, puisque ne sont visés que les conseils de fraudeurs ayant subi la rare pénalité d’une majoration de 80 % de leur impôt. La très grande majorité des dossiers de fraude fiscale fait en effet l’objet une pénalisation de 40 % seulement.

Nous partageons tous l’objectif éminent de lutter contre la fraude. Il doit s’appliquer largement. À mon sens, nous ne pouvons pas absoudre les conseils des fraudeurs les plus nombreux : je rappelle que la pénalité de 40 % est imposée pour manquement délibéré. Il me semble que le libellé illustre bien la gravité des actes commis.

Cet amendement a pour but de ne pas laisser les prestataires prospérer dans des fraudes pénalisées à hauteur de 40 %. Il n’y a pas de petite fraude et de grande fraude.

Mme Sabine Rubin. Il me semble indispensable de renforcer les sanctions frappant les intermédiaires qui se rendent complices de cette fraude. Comme l’amendement précédent, cet amendement vise à élargir aux obligations fiscales qui sont passibles d’une majoration de 40 % les sanctions prévues dans le présent article aux manquements délibérés.

Mme la rapporteure. L’amendement CF78 paraît manquer sa cible puisque la suppression de la mention des 80 % ne s’accompagne pas de celle des références aux articles mentionnés, qui visent précisément des majorations de 80 %.

Sur le fond, la cible visée serait d’ailleurs trop large, puisqu’on ne peut aujourd’hui être soumis à cette pénalité de 40 % pour l’absence de remise d’une déclaration malgré une mise en demeure. Avis défavorable aux deux amendements.

Mme Christine Pires Beaune. Puisque le ministre est là, est-il possible de savoir combien de dossiers font l’objet d’une pénalité de 40 % et combien d’une pénalité de 80 % ? Je n’ai pas trouvé d’éléments dans l’étude d’impact.

M. le ministre. Je comprends la philosophie des amendements en question, mais nous nous heurtons ici aux mêmes difficultés que celles qui se feront probablement jour à propos de l’amendement sur le « verrou de Bercy ».

Nous raisonnons sur la base de pénalités prononcées par l’administration fiscale, à un taux normalement d’autant plus élevé que l’infraction est plus grave. Mais lorsque nous modifions les références, nous nous intéressons seulement à un taux, non aux qualifications sous-jacentes. Si je prends l’exemple des pénalités de 80 %, elles correspondent à des manœuvres frauduleuses complexes, à des abus de droit et à des établissements stables. Mais les pénalités de 40 % peuvent elles aussi recouvrir des manœuvres frauduleuses. C’est donc la même incrimination qui sert de base aux deux taux, même si les faits ne sont pas de même nature. On peut imaginer que l’essentiel des contrôles donnant lieu à des pénalités de 40 % soit le fait de gens qui se livrent à des manœuvres frauduleuses dans un contexte non complexe, simplement en commettant des erreurs répétées alors qu’ils ne peuvent ignorer l’état du droit – à plus forte raison si des rectifications ont déjà été ordonnées. La pénalité de 80 % pour manœuvre frauduleuse est manifestement, quant à elle, le fait de quelqu’un qui ne pourrait pas échapper à l’impôt, ou essayer de le faire, sans un conseil extérieur et un montage frauduleux.

Je suis donc défavorable aux deux amendements.

Pour répondre à la question de Mme Pires Beaune, les fraudes faisant l’objet d’une pénalité de 80 % ou plus représentent plus de 44 000 contrôles, celles à 100 % un peu moins de 2 000. Sur ces 2 000 dossiers, entre 200 et 300 concernent l’abus de droit et 900 concernent l’établissement stable, d’entreprises du secteur numérique par exemple. Le reste correspond à des cas de manœuvre frauduleuse. Quant aux fraudes donnant lieu à une pénalité de 40 %, elles représentent 15 000 cas.

M. Jean-Louis Bricout. Quel est le montant moyen respectif des fraudes faisant l’objet de pénalités de 80 % et de 40 % ? La réponse nous permettrait de savoir s’il faut aller plus loin dans les sanctions et dans les recherches de responsabilités.

M. le ministre. Je pourrai vous fournir les chiffres demain, quand nous examinerons les dispositions relatives au « verrou de Bercy ». La question me semble assez peu importante maintenant, car nous ne parlons ici que des montages. Quand un conseil propose la dissimulation d’identité ou que des documents frauduleux sont produits, la sanction doit être prononcée quel que soit le montant en cause.

En effet, l’article 7 ne pénalise pas le client, mais le montage et celui qui organise la fraude. C’est pourquoi nous ne vous proposons pas de montant à partir duquel le montage deviendrait ou non passible de pénalités.

Mme Christine Pires Beaune. Je retire mon amendement s’il y a un problème de rédaction, mais je le déposerai à nouveau, sous une forme améliorée, en séance car, si j’ai bien compris quelles sont les proportions de dossiers à 40 % et à 80 %, je crains que nous ne soyons en train de légiférer que pour un tout petit nombre de dossiers.

M. le ministre. On vient de me communiquer les chiffres demandés par M. Bricout. S’agissant de l’année 2017 et des dossiers d’un montant supérieur à 100 000 euros, des pénalités de 40 % ont été prononcées pour 1 207 cas de défaillance, 1 255 cas de manquements délibérés et cinq cas d’abus de droit ; des pénalités de 80 % ont été prononcées pour 291 cas d’activités occultes, 389 cas de manœuvres frauduleuses et 102 cas d’abus de droit ; quant aux pénalités de 100 %, visant des cas tels que des oppositions à contrôle, elles ont concerné 897 dossiers ; le nombre total de dossiers de plus de 100 000 euros a été de 5 046 pour les trois pénalités.

L’amendement CF78 est retiré.

La commission rejette l’amendement CF159.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CF203 de la rapporteure.

Puis elle examine l’amendement CF204 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit de préciser que les prestations visées peuvent également porter sur des mesures permettant de bénéficier d’une réduction « ou d’une exonération d’impôt ».

La commission adopte l’amendement.

Elle aborde ensuite, en discussion commune, l’amendement rédactionnel CF205 de la rapporteure ainsi que les amendements CF156 et CF157 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Monsieur le ministre, vous exagérez : nous ne vous demandons pas toujours de faire plus – par exemple en ce qui concerne les cadeaux fiscaux aux plus riches...

Sur cet article, cependant, nous nous efforçons de vous aider, car l’article 7 nous semble partir d’un bon sentiment. Certaines sanctions consistent dans le simple remboursement des bénéfices retirés d’une activité jugée critiquable : pour notre part, nous considérons qu’offrir à des cambrioleurs de conserver la moitié de leur butin n’est pas assez dissuasif !

Nous avons déposé cinq amendements pour améliorer cet article. Je ne doute pas que vous serez satisfait de notre coopération.

Mme la rapporteure. Je crains que ces amendements ne soient un peu excessifs. L’amendement CF156 triple ainsi le quantum pour le porter à 150 % des gains, ce qui me semble disproportionné, notamment au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de celle de la Cour européenne des droits de l’homme.

L’amendement CF157 l’est tout autant, selon moi, puisque les prestations incluses dans l’assiette de l’amende sont l’ensemble des prestations rendues, et non uniquement celles qui concourent à la manœuvre frauduleuse. J’émets donc un avis défavorable à ces deux amendements.

La commission adopte l’amendement CF205.

En conséquence, les amendements CF156 et 157 tombent.

La commission examine les amendements identiques CF16 de M. Matthieu Orphelin, CF52 de M. Jean-Paul Dufrègne, CF79 de Mme Christine Pires Beaune et CF155 de M. Éric Coquerel.

M. Matthieu Orphelin. L’article 7 permet de sanctionner les intermédiaires qui ont intentionnellement fourni une prestation permettant la réalisation d’une fraude fiscale. C’est une avancée, mais l’amende prévue reste assez modeste, puisque le texte prévoit une amende de 10 000 euros au minimum, pouvant être portée, si ce montant est supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation frauduleuse.

Une telle amende à montant limité permettra aux intermédiaires d’intégrer ce risque dans le prix de leur prestation. C’est pourquoi l’amendement proposé ajoute que les intermédiaires seront également solidairement redevables des pénalités fiscales à la charge du contribuable auteur de la faute, comme cela est d’ailleurs prévu pour les éditeurs de logiciel, à l’article 2 du projet de loi.

Le fait d’être solidairement redevable de l’amende à laquelle peut être soumis le contribuable sanctionné est plus dissuasif et permet en outre de faire face au risque d’insolvabilité. J’ajoute que le présent amendement nous a été suggéré par une ONG luttant contre la fraude fiscale.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous devons avoir les mêmes sources, puisque mon amendement tend à ce que le présent article rende passibles d’une amende les professionnels, personnes physiques ou morales, qui proposent à leurs clients, ou réalisent à leur demande, des montages abusifs ou frauduleux leur permettant de se soustraire à leurs obligations sociales ou fiscales.

Cet amendement complète cet article en proposant que les intermédiaires soient également solidairement redevables des pénalités fiscales à la charge du contribuable auteur de la fraude.

Certes, l’article propose une amende, de l’ordre de 10 000 euros au minimum, montant pouvant être porté, s’il est supérieur, à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie. Mais ce montant est limité et il est à craindre que les intermédiaires intègrent le risque dans le prix de leur prestation.

M. Jean-Louis Bricout. Il s’agit de compléter l’article 7, qui sanctionne les intermédiaires et les conseils ayant intentionnellement fourni une prestation permettant directement la commission d’une fraude, en prévoyant que les intermédiaires soient solidairement redevables des majorations à la charge du contribuable condamné définitivement. Cela permet en outre de faire face au risque d’insolvabilité.

Mme la rapporteure. Concernant la fraude fiscale, l’article 1745 du code général des impôts prévoit déjà que l’intermédiaire, ou du moins le complice de fraude fiscale, peut être tenu solidairement responsable du paiement des impôts et majorations. Pour les autres cas, l’amende proposée à l’article 7 paraît plus proportionnée aux faits reprochés. Avis défavorable.

L’amendement CF16 est retiré.

La commission rejette les amendements CF52, CF79 et CF155.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CF206 de la rapporteure et CF129 de M. Jean-Louis Bourlanges.

 

Mme la rapporteure. L’ajout par le Sénat du comité de l’abus de droit fiscal à la liste des organismes dont sont exclues les personnes sanctionnées est inutile, puisque celui-ci est déjà visé à travers la référence à l’article 1653 C du code général des impôts. Je propose donc de supprimer cet ajout redondant. En revanche, la mention de la CIF, également ajoutée par le Sénat, est tout à fait pertinente.

J’invite notre collègue Bourlanges à retirer son amendement, celui que je propose étant de nature à le satisfaire.

L’amendement CF129 est retiré.

La commission adopte l’amendement CF206.

Elle examine ensuite l’amendement CF158 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Il s’agit d’édicter une interdiction temporaire d’exercer pour les avocats qui se rendraient coupables d’une atteinte grave au civisme fiscal. Leur pratique rejaillissant de manière négative sur leur profession, une simple pénalité financière ne suffit pas.

Mme la rapporteure. Je comprends votre volonté de rendre le dispositif plus dissuasif, mais je pense qu’il faut garder une certaine proportionnalité. Interdire l’exercice professionnel de l’activité semble aller trop loin. Avis défavorable.

M. le rapporteur pour avis. Je serais assez d’accord avec notre collègue Coquerel, car les avocats qui se livrent à de la fraude fiscale avérée mériteraient sans doute une forme temporaire d’interdiction d’exercer, à laquelle il faudrait que nous réfléchissions. Mais l’automaticité prévue par l’amendement n’est pas souhaitable. Il revient plutôt à l’ordre des avocats de faire respecter la déontologie de la profession.

M. Charles de Courson. Il n’y a pas seulement des avocats, mais aussi des professionnels n’ayant pas, à ma connaissance, de statut particulier. Tel qu’il est rédigé, votre amendement mérite peut-être réécriture.

M. Éric Coquerel. J’accepte votre proposition de le réécrire ensemble d’ici à la séance...

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CF213 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Il s’agit d’étendre les garanties et voies de recours aux sanctions pour manquements sociaux. Le Conseil d’État avait relevé à juste titre qu’il n’y avait pas de raison de ne pas prévoir, pour des manquements de même type, les mêmes garanties de procédure.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CF207 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 7 modifié.

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*     *

Après l’article 7

La commission examine, en discussion commune, les amendements CF136 de M. Éric Coquerel, CF58 de M. Jean-Paul Dufrègne et CF43 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Coquerel. La frontière est parfois mince entre l’optimisation fiscale et la fraude fiscale. Ainsi Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a-t-il pu parler d’« une zone grise, qui va du gris clair au gris foncé, sachant que le gris foncé est l’abus de droit », lors de son audition par le Sénat le 20 février 2013.

C’est pourquoi nous proposons d’exiger que soit déclaré à l’administration fiscale tout schéma d’optimisation fiscale préalablement à sa commercialisation, afin de faire toute la lumière sur ces pratiques à la légalité parfois douteuse. Ce devoir de transparence est un premier pas vers une lutte efficace contre l’optimisation fiscale.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous entendons pointer du doigt les pratiques de certains professionnels du droit et du chiffre, qui proposent des montages d’une sophistication parfois toute singulière, qui rend le travail impossible à notre administration fiscale. Notre amendement propose une solution concrète pour qui veut lutter efficacement contre la fraude fiscale. Nous proposons en effet que ces apprentis sorciers de la fiscalité aient l’obligation de communiquer ces montages à l’administration.

M. Éric Alauzet. Mon amendement consiste tout simplement à anticiper la transposition de la directive européenne concernant la communication à l’administration fiscale des schémas d’optimisation fiscale.

Mme la rapporteure. La directive « DAC 6 » a été adoptée le 25 mai dernier. Elle prévoit l’obligation, pour les intermédiaires, de communiquer à l’administration fiscale, sous peine de sanctions, les montages fiscaux transfrontaliers jugés à risque. D’après les informations dont nous disposons, sa transposition aura lieu en 2019.

 

L’amendement CF136 reprend, à une exception près, l’article 96 de la loi de finances pour 2014, qui avait été censuré par le Conseil constitutionnel comme étant trop imprécis. Je crains que nous ne nous heurtions de nouveau à la même difficulté. Cette observation vaut également pour l’amendement CF58, la notion d’optimisation fiscale n’étant pas juridiquement définie. Enfin, l’amendement CF43 s’écarte de la directive, notamment en ce qu’il ne traite pas des questions de confidentialité, et renvoie en outre à un décret le soin de définir une sanction, ce qui crée un problème d’incompétence négative.

Avis défavorable, donc, à ces trois amendements, sachant que la transposition prochaine de la directive devrait répondre aux attentes de leurs auteurs.

M. Charles de Courson. Tout conseiller fiscal est, d’une certaine façon, un conseiller en optimisation fiscale... Une collègue fort experte nous présentera son rapport en septembre sur ces questions. Nous ne saurions, en tout cas, adopter pareilles dispositions, qui seraient à coup sûr annulées par le Conseil constitutionnel.

L’amendement CF43 est retiré.

La commission rejette successivement les amendements CF136 et CF58.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CF36 de M. JeanPaul Dufrègne, CF137 de M. Éric Coquerel et CF35 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Notre amendement CF36 tend à définir l’incitation à la fraude fiscale et à prévoir un régime de sanction efficace, notamment pour ces plateformes numériques qui incitent nos concitoyens à placer leur argent à l’étranger. Notre collègue Fabien Roussel nous a ainsi montré, ici même, le spot publicitaire de la société d’expertise conseil SFM lorsque nous avons examiné sa proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux.

M. Éric Coquerel. Par la voie publicitaire sont en fait diffusés des appels à se soustraire à ses obligations civiques. Nous proposons donc d’innover en instituant un délit d’incitation à la fraude fiscale. Ce serait un élément supplémentaire dans l’arsenal répressif.

M. Jean-Paul Dufrègne. Reprenant une proposition du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion fiscale, l’amendement CF35 tend également à la création d’un délit d’incitation à la fraude fiscale.

Si l’incitation à commettre un délit constitue un manquement aux obligations déontologiques de certaines professions, il apparaît nécessaire de sanctionner les opérateurs qui proposent à leurs clients des schémas de fraude fiscale « clefs en mains ». Nonobstant les questions que soulèvent les conditions dans lesquelles un tel délit pourrait être poursuivi et sanctionné, notamment lorsque le démarchage et l’offre de services frauduleux émanent de sites internet consultables en France mais installés à l’étranger, il apparaît nécessaire de doter notre pays d’un outil de répression du démarchage et de la publicité pour les dispositifs d’évasion fiscale.

Mme la rapporteure. S’agissant de l’amendement CF36, l’intermédiaire complice d’une fraude peut déjà être poursuivi sur le fondement de l’article 1742 du code général des impôts, et la notion d’optimisation fiscale est elle-même mal définie. Quant aux schémas d’optimisation, je vous mets de nouveau en garde contre l’imprécision de cette notion. En ce qui concerne les amendements CF137 et CF35, leur dispositif a déjà été écarté plusieurs fois en raison du risque de censure par le Conseil constitutionnel, la rédaction en étant trop imprécise.

Avis défavorable, donc, à ces trois amendements.

La commission rejette successivement les amendements.

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Article 8
(article 1741 du code général des impôts)
Aggravation des peines damende encourues en cas de fraude fiscale

Résumé du dispositif proposé

L’article 8 du projet de loi renforce la répression pénale des délits de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée, définis à l’article 1741 du CGI, en prévoyant que le montant des amendes puisse être porté au double du produit tiré de l’infraction pour les personnes physiques, et, par voie de conséquence, au décuple pour les personnes morales.

Modifications apportées par le Sénat

Au Sénat, l’examen du présent article a été délégué par la commission des finances à la commission des lois. Il a été adopté sans modification, en commission comme en séance publique.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Le droit existant

Définie à l’article 1741 du code général des impôts (CGI) comme le fait de se soustraire (ou de tenter de se soustraire) à l’établissement ou au paiement – total ou partiel – des impôts visés par le CGI, la sanction prononcée en cas de fraude fiscale dépend de la nature du contribuable et de la gravité de la fraude.

De manière générale, la fraude est caractérisée, que le comportement résulte d’une omission ou d’une dissimulation ou de toute manœuvre visant faisant obstacle au recouvrement de l’impôt.

1.   Pour les personnes physiques

Pour les personnes physiques, la sanction du délit de fraude fiscale est punie d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende.

Lorsque la fraude est aggravée, les sanctions sont portées à sept ans d’emprisonnement et 3 000 000 d’euros d’amende. Les quanta résultent des modifications intervenues dans la loi de finances pour 2018 et n’ont donc encore jamais trouvé à s’appliquer.

Également définie à l’article 1741 du CGI, la fraude est considérée comme aggravée lorsqu’elle :

– est commise en bande organisée ; réalisée ou facilitée au moyen de comptes ouverts ou de contrats souscrits à l’étranger ;

– réalisée grâce à l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme établi à l’étranger ;

– résulte de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents ou de toute autre falsification ; de l’usage d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ; d’un acte fictif ou artificiel ou de l’interposition d’une entité fictive ou artificielle.

2.   Pour les personnes morales

Pour les personnes morales, le montant de l’amende est cinq fois plus élevé, conformément à l’article 131-38 du code pénal. Il s’élève ainsi à 2 500 000 euros pour la fraude simple et 15 000 000 d’euros en cas de fraude aggravée.

3.   Les peines prononcées par les tribunaux

Il ressort de l’étude d’impact du projet de loi que les sanctions prononcées par les tribunaux en matière de fraude fiscale connaissent un mouvement de recul assez marqué.

Sur la période 2010-2016 ([124]), le nombre de condamnations pour fraude fiscale, lorsque celle-ci constitue l’infraction principale, est passé de 744 à
524 (– 20 %), les peines d’emprisonnement de 698 à 454 (– 35 %). Le montant moyen ferme prononcé a, en revanche, enregistré une progression de 31 %, passant de près de 9 670 euros en 2010 à plus de 14 000 euros en 2014.

Un mouvement similaire est observable pour les condamnations et peines prononcées lorsqu’une seule infraction est visée. Sur la même période, le nombre de condamnations est passé de 238 à 163 (– 30 %), le nombre des peines d’emprisonnement de 211 à 128 (– 40 %), tandis que le montant moyen de l’amende ferme a légèrement augmenté, passant de plus de 8 200 euros à près de 11 000 euros (+ 34 %).

Sur la période, le quantum ferme moyen des peines d’emprisonnement s’établit autour de dix mois dans les deux cas mais il connaît davantage de fluctuations lorsqu’il s’agit de l’unique infraction.

Le montant des peines prononcées semble ainsi particulièrement faible au regard des quanta prévus par la loi. Le rapport de la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, notamment conduite par la rapporteure ([125]), avançait, à la lumière des auditions effectuées tout au long de la mission d’information, plusieurs éléments d’explication :

– ce sont souvent des dossiers simples qui sont présentés devant le tribunal correctionnel ;

– les prévenus ne sont généralement pas en situation de récidive ;

– beaucoup ont régularisé leur situation avant la tenue du procès.

II.   Le dispositif proposé

1.   Un nouveau critère pour déterminer le montant de l’amende encourue

a.   Pour les personnes physiques

Le projet de loi introduit un nouveau critère permettant de porter le montant de l’amende encourue au double du produit tiré de l’infraction lorsque le montant est supérieur aux plafonds fixés par la loi.

Le produit tiré de l’infraction correspond aux impôts éludés grâce aux mécanismes frauduleux mis en œuvre dans le cadre de la fraude.

Ainsi, lorsque le montant de l’amende, calculé à partir de ce nouveau critère, est supérieur à 500 000 euros en cas de fraude fiscale et à 3 000 000 d’euros en cas de fraude aggravée, le tribunal pourra décider de sanctionner plus lourdement le contrevenant.

 

Comme rappelé dans le rapport du Sénat sur le présent projet de loi ([126]), le dispositif s’inspire des propositions formulées par Mme Sandrine Mazetier et M. Jean-Luc Warsmann dans un rapport d’information du 8 février 2017 ([127]). Ce dernier envisageait ainsi la possibilité de confier au juge, en cas de fraude fiscale aggravée, la faculté de prononcer une amende dont le montant serait susceptible d’être porté au double du produit tiré de l’infraction.

b.   Pour les personnes morales

L’article 131-38 du code pénal prévoit que le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction.

Par conséquent, l’application du critère relatif au produit tiré de l’infraction pourrait porter le montant de l’amende au décuple du produit de l’infraction.

2.   Un dispositif a priori proportionné

Dans son avis rendu sur le projet de loi, le Conseil d’État a considéré que l’ensemble du dispositif semblait conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier veille en effet à ce que les quanta de peines ne présentent pas de disproportion manifeste par rapport à l’infraction qui les commande et que la sanction pénale soit directement liée au produit de l’infraction.

Il est intéressant de rappeler que le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de confirmer l’importance de ce dernier point en déclarant contraire à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen une disposition qui déterminait le montant de la peine en proportion du chiffre d’affaires de la personne morale prévenue ou accusée ([128]).

Pour les personnes morales, le caractère éventuellement disproportionné d’une amende de l’ordre du décuple du produit tiré de l’infraction commise pourrait être objecté. Toutefois, comme l’indique la rapporteure pour avis de la commission des lois du Sénat, Mme Nathalie Delattre ([129]), ce point n’a pas été soulevé par le Conseil d’État dans son avis et laisse penser que le dispositif proposé n’est pas problématique.

En pratique, la possibilité pour les tribunaux d’apprécier, avant le prononcé des sanctions et la détermination du montant de l’amende, les circonstances d’espèces, permet de réguler le montant des amendes prononcées. Il est probable que cette disposition ne trouve à s’appliquer que dans un nombre très limité de cas. En tout état de cause, le montant de l’amende ne pourra s’affranchir du respect du principe de proportionnalité au respect duquel le Conseil constitutionnel veille avec attention.

Dans ses travaux, le Sénat souligne que « le nombre de dossier pour lesquels ce doublement pourrait présenter un intérêt sera limité. Chaque année, le nombre de dossiers répressifs avec des droits notifiés supérieurs à 100 000 euros oscille autour de 4 500 et un millier est transmis à la justice. Seul un petit nombre de dossiers avec des droits notifiés supérieurs à 250 000 euros pourrait justifier le recours à la mesure de doublement » ([130]).

III.   La position de la commission

La possibilité pour le juge de prononcer une amende pouvant aller jusqu’au double du produit tiré de l’infraction, lorsque les droits éludés sont supérieurs aux seuils définis par la loi, participe d’un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

Non modifié au Sénat, le présent article a été également adopté sans modification par la commission des finances.

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La commission adopte l’article 8 sans modification.

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Après l’article 8

La commission examine l’amendement CF132 de Mme Sabine Rubin.

Mme la rapporteure. Il est excessif de porter de 80% à 150 % les pénalités administratives en matière d’abus de droit. L’échelle des sanctions administratives ne me paraît pas devoir être modifiée, et je serai défavorable à tous les amendements allant dans ce sens.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CF170 de Mme Sabine Rubin.

M. Éric Coquerel. L’objectif poursuivi est le même que pour l’un de nos précédents amendements, qui interdisait à un avocat de plaider lorsqu’il avait été condamné pour fraude fiscale. Il s’agit de muscler l’article 8 en interdisant à une personne condamnée pour fraude fiscale de bénéficier de tout dispositif de crédit ou de réduction d’impôt sur le revenu des personnes physiques pendant un maximum de cinq ans – ou de dix ans en cas de récidive.

Mme la rapporteure. Vous proposez de créer une peine complémentaire à celle encourue pour fraude fiscale, qui est actuellement de 500 000 euros d’amende et cinq ans d’emprisonnement, et même de 3 millions d’euros d’amende et sept ans d’emprisonnement en cas de fraude fiscale aggravée. L’arsenal judiciaire existant est donc déjà lourd. Il faudrait veiller à faire réellement appliquer les peines, avant de songer à les augmenter.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette également l’amendement CF133 de Mme Sabine Rubin.

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Article 9
(articles 49516 et 804 du code de procédure pénale)
Extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à la fraude fiscale

Résumé du dispositif proposé

L’article 9 du projet de loi a pour objet d’étendre à la fraude fiscale la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC). Il modifie en ce sens l’article 495-16 du code de procédure pénale, inséré par l’article 137 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat n’a pas apporté de modification à l’article, à l’exception de l’adoption d’un amendement rédactionnel présenté par Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   le droit existant

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) est régie par les articles 495-7 à 495-16 du code de procédure pénale. Cette modalité de poursuite a été instituée par larticle 137 de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ([131]).

La CRPC est communément désignée comme un « plaider-coupable » car elle permet d’éviter un procès à une personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés et qui accepte la peine proposée par le procureur de la République.

Cette procédure permet d’apporter une réponse pénale plus rapide pour certaines infractions reconnues par leur auteur.

A.   Domaine d’application de la crpc

La CRPC est applicable aux personnes physiques majeures et aux personnes morales.

Elle est applicable à tous les délits, à lexception :

– des délits datteintes volontaires et involontaires à lintégrité des personnes et dagressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal lorsqu’ils sont punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans ;

– des délits de presse ;

– des délits dhomicides involontaires ;

– des délits politiques ;

– et des délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale, tel le délit général de fraude fiscal prévu par l’article 1741 du code général des impôts ou encore, ou tels les délits à laudience des cours et tribunaux.

Article 495-7 du code de procédure pénale

« Pour tous les délits, à lexception de ceux mentionnés à larticle 495-16 et des délits datteintes volontaires et involontaires à lintégrité des personnes et dagressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal lorsquils sont punis dune peine demprisonnement dune durée supérieure à cinq ans, le procureur de la République peut, doffice ou à la demande de lintéressé ou de son avocat, recourir à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité conformément aux dispositions de la présente section à légard de toute personne convoquée à cette fin ou déférée devant lui en application de larticle 393 du présent code, lorsque cette personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés.

Article 495-16 du code de procédure pénale

« Les dispositions de la présente section ne sont applicables ni aux mineurs de dix-huit ans ni en matière de délits de presse, de délits dhomicides involontaires, de délits politiques ou de délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale. »

B.   Mise en œuvre de la CRPC

La procédure se déroule en deux phases : une phase de proposition et une phase d’homologation.

1.   La phase de proposition

Le procureur de la République peut d’office, ou à la demande de l’intéressé ou de son avocat, décider de proposer une CRPC à la personne poursuivie.

Il doit alors la convoquer. Lors de l’entretien, la personne poursuivie doit être obligatoirement assistée dun avocat. Si la personne reconnaît les faits, le procureur de la République lui propose d’exécuter une ou plusieurs peines.

Il peut s’agir de toutes les peines principales et complémentaires encourues. Toutefois, s’il propose une peine demprisonnement, celle-ci ne peut excéder un an ni la moitié de la peine encourue.

Le procureur peut proposer que ces peines soient assorties en tout ou partie du sursis. Il peut également proposer qu’elles fassent l’objet d’une mesure d’aménagement. S’il propose une peine d’emprisonnement ferme, il doit préciser s’il entend que cette peine soit immédiatement mise à exécution ou si la personne sera convoquée devant le juge de l’application des peines pour que soient déterminées les modalités de son exécution, notamment la semi-liberté, le placement à l’extérieur ou le placement sous surveillance électronique.

La personne peut librement s’entretenir avec son avocat, hors la présence du procureur de la République, avant de faire connaître sa décision. Elle peut demander à disposer d’un délai de dix jours avant de faire connaître si elle accepte ou si elle refuse la ou les peines proposées.

Si un délai de réflexion est demandé, le procureur peut décider de saisir le juge des libertés et de la détention pour qu’il ordonne un placement sous contrôle judiciaire, un placement sous bracelet électronique ou un placement en détention provisoire. Une telle détention est possible uniquement si l’une des peines proposées est égale ou supérieure à deux mois d’emprisonnement ferme et à condition que le procureur ait demandé sa mise à exécution immédiate.

2.   L’audience d’homologation

Si la proposition est acceptée, le procureur saisit le président du tribunal correctionnel en vue d’une audience dhomologation. Dans le cas contraire, le procureur doit saisir le tribunal correctionnel pour que le procès puisse se tenir selon la procédure ordinaire.

L’auteur des faits et son avocat sont entendus par le président du tribunal ou un magistrat qu’il délègue à cette fin.

La victime peut se constituer partie civile et demander réparation de son préjudice lors de l’audience d’homologation.

Le juge peut décider d’homologuer ou de refuser la proposition du procureur. Il ne peut ni la modifier, ni la compléter. L’audience est publique et la décision doit être rendue le même jour.

Le juge rend une ordonnance d’homologation qui a la même valeur qu’un jugement classique. L’ordonnance doit être notifiée à l’intéressé qui dispose alors d’un délai de dix jours francs pour faire appel.

Si le juge refuse l’homologation, le procureur de la République doit saisir le tribunal correctionnel pour qu’un procès se tienne suivant la procédure de droit commun.

II.   Le dispositif proposé

L’article 9 du projet de loi étend le champ d’application de la CRPC à la fraude fiscale.

Il modifie en ce sens l’article 495-16 du code de procédure pénale pour faire disparaître la mention selon laquelle les délits dont la procédure de poursuite est régie par une loi spéciale sont en dehors du champ d’application de la CRPC.

Article 9 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée par le Sénat en première lecture)

I. - A l’article 495-16 du code de procédure pénale, les mots : « de délits politiques ou de délits dont la procédure de poursuite est prévue par une loi spéciale » sont remplacés par les mots : « ou de délits politiques ».

II. - Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° ..... du ..... relative à la lutte contre la fraude, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions. »

L’objectif est « dassurer une réponse pénale plus rapide et plus efficace » selon l’exposé des motifs du projet de loi, sans amoindrir le niveau des peines.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État a estimé que l’extension proposée ne soulève pas de problème de principe dès lors « que ne sont pas affectées les garanties des droits du prévenu et de la partie civile attachées à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ».

Il est à noter qu’en supprimant la mention des délits dont la poursuite est régie par une loi spéciale, cet article du projet de loi emporte aussi extension de la CRPC aux infractions commises à l’audience des cours et tribunaux, qui obéissent à une procédure particulière figurant aux articles 675 à 677 du code de procédure pénale.

Le Sénat a adopté sans modification l’article 9, à l’exception d’un amendement purement rédactionnel.

III.   La position de la commission

La mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales a recommandé l’extension de la procédure de CRPC à la fraude fiscale ([132]).

Étendre la procédure de CRPC à la fraude fiscale présente en effet plusieurs avantages.

Elle est adaptée dans les cas simples lorsque l’auteur des faits a régularisé sa situation. Dans ce type de dossiers, une réponse pénale tardive présente souvent peu d’intérêt et est un des facteurs de la faiblesse des peines constatées en matière de fraude fiscale.

Elle peut être aussi adaptée lorsqu’une fraude fiscale est établie à l’occasion d’une autre enquête et que l’établissement de l’impôt est intervenu trop tardivement pour rattacher les faits de fraude au procès pénal principal.

Dans le cadre des travaux de la mission d’information précitée, la rapporteure a constaté que dans ce type de dossiers l’administration s’abstenait parfois de transmettre le dossier à la commission des infractions fiscales au motif que le procès pénal principal était déjà audiencé et qu’il n’était plus possible d’y adjoindre l’aspect relatif à la fraude fiscale. La procédure de CRPC pourrait dans ce cas présenter une alternative utile et permettre que la fraude fiscale fasse également l’objet d’une peine.

Plusieurs personnes auditionnées par la rapporteure, y compris des organisations non gouvernementales (ONG), se sont déclarées favorables à une telle extension du « plaider-coupable » à la fraude fiscale.

L’extension de la CRPC à la fraude fiscale devrait permettre aux poursuites de gagner en rapidité et un léger désengorgement des audiences des tribunaux correctionnels.

La rapporteure préconise que la CRPC soit utilisée pour les dossiers les moins importants et ne soit jamais retenue pour les affaires les plus emblématiques.

Lors des auditions de la rapporteure, les représentants des avocats ont fait valoir que le développement de la procédure de CRPC en matière de fraude fiscale pourrait être freiné par l’impossibilité de transiger sur les pénalités administratives lorsqu’une action pénale est envisagée (article L. 247 du livre des procédures fiscales).

Toutefois, cet argument n’est pas totalement convaincant car une personne poursuivie peut souhaiter éviter un procès pénal sans pour autant contester les pénalités administratives mises à sa charge à l’issue du contrôle fiscal.

Au surplus, l’article 12 du projet de loi, inséré par le Sénat, prévoit le rétablissement de la faculté de transiger sur les sanctions administratives même lorsqu’un procès pénal est envisagé. Ce rétablissement peut se justifier dans le cadre de l’aménagement de la procédure de déclenchement des poursuites prévu à l’article 13.

Pour toutes ces raisons, la rapporteure propose l’adoption de cet article sans modification.

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La commission examine les amendements identiques CF27 de M. Charles de Courson, CF37 de M. Jean-Paul Dufrègne et CF160 de Mme Sabine Rubin.

M. Charles de Courson. L’application à la fraude fiscale de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dite « plaider-coupable », risquerait de conduire à un affaiblissement de la répression pénale de celle-ci, et donc de la dissuasion. En effet, contrairement au droit commun, dans lequel tous les délits sont soumis à la justice, les poursuites pénales pour fraude fiscale ne concernent que les faits les plus graves, pour lesquels la procédure de la CRPC n’est pas sérieusement concevable.

Mon amendement CF27 vise à attirer l’attention de la commission sur les dangers de sa mise en œuvre étendue à la fraude fiscale.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le présent article étend la procédure de CRPC à la fraude fiscale. Cette procédure, communément appelée « plaider-coupable », n’est pas convaincante. En effet, elle vient bien souvent apporter une solution dégradée, tentant de pallier la faiblesse des moyens humains et financiers de la justice. Étendre une telle procédure à la fraude fiscale envoie un message inadapté si l’on veut punir avec exemplarité ces atteintes manifestes au pacte social et à la cohésion nationale. Notre amendement CF37 tend par conséquent à supprimer cette disposition.

M. Éric Coquerel. Je suis du même avis que mes deux collègues. Le « plaider-coupable » n’est pas une solution adéquate en matière de fraude fiscale. Pire, il s’agit d’une incitation à transiger afin que la justice ne se mêle pas du délit. Vous avancez que cela va désengorger les tribunaux : donnons plutôt à la justice les moyens de travailler. Le « plaider-coupable » ne peut servir de palliatif à cette absence de moyens ! L’amendement CF160 vise donc à supprimer l’article 9.

Mme la rapporteure. La CRPC est une modalité de poursuite instituée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben 2 ». Elle est communément désignée comme un « plaider-coupable » car elle permet d’éviter un procès lorsque la personne reconnaît les faits qui lui sont reprochés et accepte la peine proposée par le procureur de la République.

La CRPC est déjà applicable à certains délits. L’article 9 du projet de loi propose de l’étendre à la fraude fiscale. C’était l’une des propositions de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales.

J’y vois plusieurs avantages. Dans les cas simples, lorsque l’auteur des faits a régularisé sa situation, cela permettra d’appliquer une peine – et donc la reconnaissance de culpabilité –, tout en évitant le procès public. La conférence nationale des procureurs nous a indiqué qu’en matière d’infractions financières, la CRPC ne conduisait pas forcément à prononcer des peines inférieures à celles qui prononcées par le tribunal en jugement oral et plénier. Il ne s’agit donc pas d’une peine au rabais.

En revanche, cette procédure permet d’accélérer le traitement des dossiers. L’aménagement du « verrou de Bercy » risquant de faire affluer plus de dossiers vers le parquet, toutes les voies d’application des peines doivent être explorées. Il en est de même pour la convention judiciaire d’intérêt public, même si les motifs sont un peu différents.

Enfin, les procureurs et le parquet national financier le demandent, et la chancellerie y est favorable.

M. le ministre. Comme Mme la rapporteure, je souhaite convaincre la commission de l’intérêt de la CRPC. Entre 2012 et 2016, pour les délits punis d’une peine maximale de cinq ans de prison, sur les 367 000 condamnations délictuelles prononcées chaque année, près de 75 000 procédures ont été traitées par CRPC. Elles n’ont donc pas remplacé les condamnations, notamment pour les délits prévus par la loi « Perben 2 ».

De surcroît, la durée moyenne d’une affaire traitée par CRPC a été de moins de six mois, quand il faut compter en moyenne deux ans et neuf mois entre le dépôt d’une plainte par l’administration fiscale et l’audience.

En matière de fraude fiscale, les parquets traitent actuellement 800 à 1 000 dossiers de fraude fiscale par an. Demain, l’adoption de l’amendement de Mme la rapporteure fera probablement augmenter ce chiffre, sachant qu’environ 50 affaires sont classées sans suite chaque année.

Cette procédure nous permettra de gagner en efficacité, en obtenant plus vite réparation pour les comptes publics, mais aussi pour la société – je pense que c’est la volonté de chacun.

Enfin, comme Mme la rapporteure l’a indiqué, les peines ne sont pas forcément inférieures à celles issues d’un procès.

M. Charles de Courson. Il y a une différence entre le champ actuel de la CRPC et son extension à la fraude fiscale : cette dernière nuit à l’ensemble de la collectivité, alors que les dégâts sont limités quand le conflit concerne deux personnes.

Ce mécanisme supprime le procès public. Or l’exemplarité de la peine est l’une des fonctions d’une justice bien menée. Vos arguments concernant les moyens de la justice, l’accélération des procédures, les recettes générées ne sont pas particulièrement respectables si l’on se place du point de vue de la cohésion d’une société.

En conséquence, je maintiens mon amendement.

M. le rapporteur pour avis. La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité me paraît très pertinente, car adaptée et efficace. L’ayant moi-même beaucoup mise en œuvre – en tant que conseil et non en tant que prévenu, je le précise... –, je peux vous dire que ce n’est pas du tout la procédure au rabais décrite par M. Coquerel. Le dispositif, assez méconnu, se déroule en deux étapes. Dans un premier temps, le parquet apprécie la nature de l’infraction, et propose au prévenu une sanction que celui-ci peut accepter ou refuser. Dans un second temps, si un accord a été trouvé, un juge est chargé de son homologation, en vérifiant au préalable que la peine proposée ne se situe pas trop en deçà de celle devant s’appliquer à l’infraction considérée.

M. Jean-Louis Bourlanges. Pour ma part, il me paraît gênant de fractionner les principes juridictionnels : dans la mesure où nous avons développé cette procédure de reconnaissance préalable de culpabilité, créer maintenant une nouvelle procédure ayant pour objet d’y déroger constituerait une espèce de verrue juridique.

Par ailleurs, le « plaider-coupable » n’a pas pour objet de réduire le paiement, mais de l’accélérer. Il répond donc, pour le délinquant, au désir d’échapper au « complexe de Damoclès » défini par Gaston Bouthoul en 1970, selon lequel un individu préfère parfois se jeter sur l’épée qui le menace plutôt que de rester dans une attente qui lui semble intolérable. En l’occurrence, le « plaider-coupable » vise à encourager le contribuable à payer au plus vite afin de mettre fin à la procédure fiscale dont il fait l’objet.

Mme la rapporteure. Je veux rassurer M. de Courson en insistant sur le fait que le pénal est bien distinct de la réparation du préjudice constituée par les rehaussements, les intérêts de retard et les pénalités que le contribuable doit régler en plus. Dans la mesure où le pénal vient appliquer une peine infamante à des comportements ayant déjà été sanctionnés par la procédure administrative, la société n’est pas lésée. Le préjudice que vous évoquez, cher collègue, est avant tout un préjudice financier et, de ce point de vue, la CRPC me semble répondre à nos objectifs.

M. le ministre. J’aimerais moi aussi convaincre M. de Courson, d’abord en reprenant l’argument de M. Bourlanges sur la nécessité de maintenir un principe d’unité juridictionnelle : à défaut, nous risquons de rendre le dispositif juridique difficilement compréhensible pour les personnes incriminées.

Par ailleurs, nous ne devons pas perdre de vue l’un des avantages essentiels de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité, à savoir l’accélération qu’elle permet. Aujourd’hui, le procès dure environ trois ans entre le dépôt de plainte initial et le moment où la personne concernée est éventuellement condamnée en première instance – encore peut-elle faire appel de la décision prononcée, ce qui rallonge la procédure d’un an ou deux.

Deux autres arguments me semblent plaider en faveur de la CRPC. Premièrement, dans la mesure où l’adoption de ce texte va se traduire par une augmentation sensible du nombre de dossiers à traiter – on estime qu’il pourrait y en avoir deux fois plus –, il me semble opportun de faire en sorte qu’au moins une partie de ces dossiers puisse faire l’objet d’un traitement plus rapide.

Deuxièmement, il me semble que le principe d’une audience publique est insuffisant pour avoir, par son aspect infamant, un rôle réellement dissuasif sur la fraude fiscale pratiquée par les cols blancs : quand les procès ne sont pas relayés par la presse parce qu’ils ne concernent pas des personnes connues du grand public, il faut bien reconnaître que les décisions auxquelles ils aboutissent restent relativement confidentielles. Nous remédions à cela en mettant en œuvre un dispositif de publication des peines prononcées par voie administrative ou pénale qui me paraît bien plus efficace.

M. Charles de Courson. Je pourrais être convaincu par votre argumentation si les peines prononcées faisaient systématiquement l’objet d’une publication, monsieur le ministre, mais ce n’est pas le cas.

M. le ministre. L’article 5 prévoit que la publication devient le principe...

M. Charles de Courson. Les sanctions seront-elles systématiquement publiées ? Je ne pense pas que ce soit le cas, et ce qui me gêne est précisément le fait que certains contribuables puissent bénéficier d’une justice rendue à l’abri des regards. Même l’amendement de M. Coquerel visant à élargir la publication des sanctions administratives aux personnes physiques ne prévoyait que la possibilité d’une publication...

Mme la rapporteure. L’article 5 du projet de loi prévoit qu’au onzième alinéa de l’article 1741 du code général des impôts, les mots : « peut, en outre, ordonner » sont remplacés par le mot : « ordonne », ce qui implique une publication de principe – à laquelle il ne peut être dérogé que par une décision spécialement motivée.

M. le ministre. Effectivement, l’article 5 prévoit la publication systématique des sanctions, sauf décision expresse et spécialement motivée du juge – nous avons veillé à ce que le dispositif soit conforme aux décisions déjà prises sur ce point par le juge constitutionnel. Par conséquent, même les décisions prises dans le cadre de la procédure du « plaider-coupable » donneront lieu à une publication des sanctions qu’elles comportent – à moins que le juge n’en ait décidé autrement, par exception.

En termes de publicité, la procédure de « plaider-coupable » assortie du name and shame me paraît beaucoup plus efficace qu’une décision publique dont peu de gens auront connaissance en dehors des personnes directement concernées, quand ces personnes ne sont pas suffisamment connues pour que la presse se fasse l’écho de la décision rendue à leur encontre.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 9 sans modification.

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Après l’article 9

La commission est saisie de l’amendement CF46 de M. Éric Alauzet.

M. Éric Alauzet. Si nous nous félicitons de la mise en œuvre de la procédure du « plaider-coupable », nous nous interrogeons sur les éventuelles distorsions qu’elle pourrait susciter en matière d’égalité devant la loi, en fonction des moyens financiers des contribuables concernés. L’amendement CF46 propose donc l’adoption d’un rapport, deux ans après la mise en place de la nouvelle procédure, afin de s’assurer que l’ensemble des justiciables bénéficient bien de l’accès à cette procédure, quels que soient leurs moyens financiers.

Mme la rapporteure. Si je suis d’accord avec le principe d’une évaluation, je ne pense pas opportun d’y consacrer tout un rapport : à mon sens, cette évaluation peut figurer dans le rapport spécial ou dans le document de politique transversale.

La commission rejette l’amendement.

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Article 9 bis
(article 41-1-2 du code de procédure pénale)
Convention judiciaire dintérêt public en matière de fraude fiscale

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 9 bis a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite d’un amendement de Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Il autorise la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière de fraude fiscale et modifie en ce sens l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.

Amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Le droit existant

La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) a été instituée par l’article 22 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « loi Sapin 2 »).

Elle s’inspire du dispositif de la procédure de deferred prosecution agreement (DPA) américaine, qui a permis d’accroître significativement la répression de la délinquance économique sans subir la lourdeur d’une poursuite longue et coûteuse débouchant sur un procès à l’issue incertaine.

Les règles encadrant la CJIP sont codifiées à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.

1.   Le champ d’application de la CJIP

La conclusion d’une CJIP n’est possible qu’avant la mise en mouvement de l’action publique.

Elle permet à un officier de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République, de transiger avec l’auteur des faits.

Elle ne peut être proposée qu’aux personnes morales et pour certains délits relevant de la délinquance économique, notamment pour le blanchiment du délit de fraude fiscale.

La première CJIP a été homologuée le 14 novembre 2017 et a porté sur un cas de blanchiment de fraude fiscale d’une grande banque. Cette dernière a reconnu les faits et accepté de payer une amende de 300 millions d’euros, soit près de 20 % des avoirs des clients soustraits à l’impôt (1,6 milliard d’euros). Les clients, auteurs de la fraude fiscale, ont fait l’objet parallèlement de rappels d’imposition assortis de sanctions administratives.

La conclusion d’une CJIP n’est en revanche pas possible en matière de fraude fiscale.

2.   Le contenu de la CJIP

La CJIP peut mettre à la charge de la personne morale :

– le versement d’une amende d’intérêt public au Trésor public ;

– et l’obligation de suivre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, un programme de mise en conformité.

3.   La phase d’homologation de la CJIP

En cas d’accord, le procureur saisit par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de validation.

Le président du tribunal procède à l’audition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime. À l’issue de cette audition, le président du tribunal prend la décision de valider ou non la proposition de convention. Sa décision n’est pas susceptible de recours.

La personne morale dispose, à compter du jour de la validation, d’un délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation.

L’ordonnance de validation n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Elle nest pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire.

4.   La publicité des CJIP

La CJIP doit faire l’objet d’un communiqué de presse du procureur de la République. L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur le site internet de lAgence française anticorruption.

Article 41-1-2 du code procédure pénale

« I.- Tant que laction publique na pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus aux articles 433-1, 433-2, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 445-1, 445-1-1, 445-2 et 4452-1, à lavant-dernier alinéa de larticle 434-9 et au deuxième alinéa de larticle 43491 du code pénal, pour le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes, à lexclusion de celles prévues aux mêmes articles 1741 et 1743, de conclure une convention judiciaire dintérêt public imposant une ou plusieurs des obligations suivantes :

«  Verser une amende dintérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre daffaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres daffaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ;

«  Se soumettre, pour une durée maximale de trois ans et sous le contrôle de lAgence française anticorruption, à un programme de mise en conformité destiné à sassurer de lexistence et de la mise en œuvre en son sein des mesures et procédures énumérées au II de larticle 131-39-2 du code pénal.

« Les frais occasionnés par le recours par lAgence française anticorruption à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées, pour lassister dans la réalisation danalyses juridiques, financières, fiscales et comptables nécessaires à sa mission de contrôle sont supportés par la personne morale mise en cause, dans la limite dun plafond fixé par la convention ;

« Lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par linfraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an.

 

 

« La victime est informée de la décision du procureur de la République de proposer la conclusion dune convention judiciaire dintérêt public à la personne morale mise en cause. Elle transmet au procureur de la République tout élément permettant détablir la réalité et létendue de son préjudice.

« Les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques. Ils sont informés, dès la proposition du procureur de la République, quils peuvent se faire assister dun avocat avant de donner leur accord à la proposition de convention.

« II.- Lorsque la personne morale mise en cause donne son accord à la proposition de convention, le procureur de la République saisit par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de validation. La proposition de convention est jointe à la requête. La requête contient un exposé précis des faits ainsi que la qualification juridique susceptible de leur être appliquée. Le procureur de la République informe de cette saisine la personne morale mise en cause et, le cas échéant, la victime.

« Le président du tribunal procède à laudition, en audience publique, de la personne morale mise en cause et de la victime assistées, le cas échéant, de leur avocat. A lissue de cette audition, le président du tribunal prend la décision de valider ou non la proposition de convention, en vérifiant le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de lamende aux limites prévues au 1° du I du présent article et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements. La décision du président du tribunal, qui est notifiée à la personne morale mise en cause et, le cas échéant, à la victime, nest pas susceptible de recours.

« Si le président du tribunal rend une ordonnance de validation, la personne morale mise en cause dispose, à compter du jour de la validation, dun délai de dix jours pour exercer son droit de rétractation. La rétractation est notifiée au procureur de la République par lettre recommandée avec demande davis de réception. Si la personne morale mise en cause nexerce pas ce droit de rétractation, les obligations que la convention comporte sont mises à exécution. Dans le cas contraire, la proposition devient caduque.

« Lordonnance de validation nemporte pas déclaration de culpabilité et na ni la nature ni les effets dun jugement de condamnation.

« La convention judiciaire dintérêt public nest pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire. Elle fait lobjet dun communiqué de presse du procureur de la République.

« Lordonnance de validation, le montant de lamende dintérêt public et la convention sont publiés sur le site internet de lAgence française anticorruption.

« La victime peut, au vu de lordonnance de validation, demander le recouvrement des dommages et intérêts que la personne morale sest engagée à lui verser suivant la procédure dinjonction de payer, conformément aux règles prévues par le code de procédure civile.

« III.- Si le président du tribunal ne valide pas la proposition de convention, si la personne morale mise en cause décide dexercer son droit de rétractation ou si, dans le délai prévu par la convention, la personne morale mise en cause ne justifie pas de lexécution intégrale des obligations prévues, le procureur de la République met en mouvement laction publique, sauf élément nouveau. Si la convention a été conclue dans le cadre dune information judiciaire, le dernier alinéa de larticle 180-2 est applicable. En cas de poursuites et de condamnation, il est tenu compte, sil y a lieu, de lexécution partielle des obligations prévues par la convention.

« Si le président du tribunal ne valide pas la proposition de convention ou si la personne morale exerce son droit de rétractation, le procureur de la République ne peut faire état devant la juridiction dinstruction ou de jugement des déclarations faites ou des documents remis par la personne morale au cours de la procédure prévue au présent article.

« À peine de nullité, le procureur de la République notifie à la personne morale mise en cause linterruption de lexécution de la convention lorsque cette personne ne justifie pas de lexécution intégrale des obligations prévues. Cette décision prend effet immédiatement. Le cas échéant, elle entraîne de plein droit la restitution de lamende dintérêt public versée au Trésor public prévue au 1° du I. Elle nentraîne cependant pas la restitution des éventuels frais supportés par la personne morale et occasionnés par le recours par lAgence française anticorruption à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées pour lassister dans la réalisation danalyses juridiques, financières, fiscales et comptables nécessaires à sa mission de contrôle.

« IV.- La prescription de laction publique est suspendue durant lexécution de la convention.

« Lexécution des obligations prévues par la convention éteint laction publique. Elle ne fait cependant pas échec au droit des personnes ayant subi un préjudice du fait des manquements constatés, sauf lÉtat, de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile.

« Le président du tribunal de grande instance peut désigner, aux fins de validation de la convention judiciaire dintérêt public, tout juge du tribunal.

« V.- Les modalités dapplication du présent article sont fixées par décret en Conseil dÉtat. »

II.   Le dispositif proposé

L’article 9 bis a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite d’un amendement de Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Il modifie l’article 41-1-2 du code de procédure pénale afin d’autoriser la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) en matière de fraude fiscale.

Il supprime en conséquence les mots du premier alinéa de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale qui excluent le recours de la CJIP pour les infractions de fraude fiscale prévues aux articles 1741 à 1743 du code général des impôts.

Article 9 bis du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée en première lecture par le Sénat)

Au premier alinéa du I de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, les mots : « le blanchiment des infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion de celles prévues aux mêmes articles 1741 et 1743 » sont remplacés par les mots : « les infractions prévues aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ainsi que pour des infractions connexes ».

III.   La position de la commission

Il est vrai que la CJIP a été conçue initialement pour lutter contre la corruption. Le programme de mise en conformité prévu par l’article 41-1-2 du code de procédure pénale est adapté à ce type de délinquance et pas nécessairement à la lutte contre la fraude fiscale.

Toutefois, malgré le fait que le volet « programme de mise en conformité » ne soit pas calibré sur la lutte contre la fraude fiscale, la rapporteure souligne que l’article 9 bis offre un outil supplémentaire au ministère public pour lutter contre la fraude fiscale.

La mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales avait d’ailleurs proposé l’extension de la CJIP à la fraude fiscale. Le rapport adopté par la mission indique qu’« étendre la CJIP à la fraude fiscale serait particulièrement adapté aux hypothèses de complicité de fraude fiscale réalisée par des personnes morales, lorsque les équipes de direction de cette dernière ont changé et ont pris des mesures pour ne plus reproduire la fraude. Ces dernières, sensibles au risque réputationnel, seraient sans doute prêtes à contribuer à une meilleure indemnisation des intérêts financiers du Trésor en contrepartie de lextinction de laction publique » ([133]).

Lors de son audition par la rapporteure, la procureure de la République financier a fait valoir que l’extension de la CJIP à la fraude fiscale pouvait être adaptée à certains types de dossiers et qu’il était en tout état de cause nécessaire que la gamme d’outils dont dispose le ministère public soit élargie en cas d’aménagement du « verrou de Bercy ».

La rapporteure propose dès lors l’adoption de cet article sans modification.

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*     *

La commission est saisie des amendements identiques CF28 de M. Charles de Courson, CF38 de M. Jean-Paul Dufrègne, CF80 de Mme Christine Pires Beaune et CF161 de Mme Sabine Rubin.

M. Charles de Courson. La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) existe, hélas, mais actuellement elle ne concerne pas la fraude fiscale ; en revanche, elle concerne le blanchiment de fraude fiscale. À ma connaissance, le premier cas d’application a été l’affaire HSBC, banque qui a organisé la fraude fiscale en France – elle n’est pas la seule – et qui, grâce à cette CJIP, a échappé à un procès public.

Vous me direz que, pour déclencher la CJIP, la culpabilité de l’intéressé doit avoir été reconnue, et que la sanction est publique. Mais le danger est que le peuple français considère qu’il s’agit d’une justice à deux vitesses, ce qui s’est passé pour l’affaire HSBC. Les très gros poissons plaideront coupable, car leur souci n’est pas de payer un milliard ou un milliard et demi d’euros, mais d’éviter la dégradation de leur image par un procès au cours duquel leurs turpitudes seront étalées au grand jour. Ils sont donc prêts à payer pour une moindre dégradation de leur réputation.

Cette procédure n’est donc pas assez dissuasive. C’est pourquoi la suppression de l’article 9 bis, introduit par le Sénat, vous est proposée.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous demandons aussi la suppression de cette disposition, ajoutée par le Sénat, autorisant la conclusion d’une CJIP en matière de fraude fiscale.

La procédure de CJIP a été instaurée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Elle permet la conclusion d’une transaction entre le procureur de la République et la personne mise en cause, transaction homologuée ensuite par un juge.

Or, à quoi revient cette procédure ? À autoriser notre justice à transiger avec l’auteur de l’infraction qui, pour sa part, échappe ainsi à toute reconnaissance de culpabilité, donnant par là le sentiment d’une justice à double vitesse.

Depuis 2016, deux affaires de grande ampleur, impliquant les banques HSBC et Société Générale, se sont conclues par des CJIP, permettant certes de recouvrer des amendes de l’ordre de 300 et 200 millions d’euros, mais ces sommes restent minimes au regard de l’ampleur de la fraude.

Étendre cette procédure à la fraude fiscale, alors que l’objet du projet de loi est précisément de lutter contre ce fléau, apparaît malvenu et inadapté.

Mme Christine Pires Beaune. La CJIP a été instituée par la loi « Sapin 2 », prenant prétexte de la quasi-absence de condamnation pour les faits de corruption d’agent public étranger. Cette convention est validée par le juge, qui met fin aux poursuites judiciaires et fixe certes le montant d’une amende, sans pour autant donner lieu à une reconnaissance publique de culpabilité.

C’est bien ce dernier point qui nous gêne, et c’est pourquoi nous sommes opposés à l’extension de la CJIP à la fraude. L’absence de reconnaissance publique de culpabilité dispense en effet d’inscription au casier judiciaire, et la société concernée échappe à des conséquences importantes, comme l’interdiction de répondre à des appels d’offres publics. À l’heure où le « verrou de Bercy » est remis en cause, introduire un nouveau système dérogatoire paraît curieux. Cela ne peut qu’aggraver l’impression de justice à deux vitesses et, en l’absence de débat public, encourager la fraude.

Mme Sabine Rubin. Nous nous étions élevés, à l’article 9, contre l’extension de la procédure de « plaider-coupable » à la fraude fiscale ; nous refusons à plus forte raison celle de la CJIP, qui n’emporte pas de reconnaissance de culpabilité. Les sociétés concernées échapperont à l’inscription au casier judiciaire et pourront négocier avec le procureur, ce qui reviendrait à instituer une justice à deux vitesses. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.

Mme la rapporteure. La convention judiciaire d’intérêt public a été instituée par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 ». Elle s’inspire du dispositif de la procédure de deferred prosecution agreement (DPA) américaine qui a permis d’accroître significativement la répression de la délinquance économique sans imposer la lourdeur induite par un procès pénal. La conclusion d’une CJIP n’est possible qu’avant la mise en mouvement de l’action publique. Elle peut mettre à la charge de la personne morale mise en cause le versement d’une amende ainsi que le suivi d’un programme de mise en conformité.

Les amendements visent à empêcher l’extension de cette procédure à la fraude fiscale elle-même, dont le principe a été décidé par le Sénat. Compte tenu de l’aménagement du « verrou de Bercy » que je proposerai à l’article 13, le parquet va être amené à examiner davantage de dossiers qu’aujourd’hui. Il est donc utile de lui donner une gamme d’outils diversifiée pour traiter ces affaires.

Par ailleurs, nous avons tous demandé que les parquets disposent de plus de pouvoirs pour pénaliser et sanctionner la fraude fiscale. On ne peut donc pas se plaindre que les parquets choisissent de recourir à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) ou à une CJIP. Si nous ne faisons pas confiance à la justice ni à l’administration fiscale, vers qui nous tournerons-nous ? Il faut faire confiance au fisc pour les affaires fiscales et au juge pour les affaires pénales.

À ce jour, deux CJIP ont été conclues pour blanchiment de fraude fiscale, qui ont concerné HSBC et la Société Générale. Dès lors que, du fait de la publicité de la décision, le nom de l’entreprise est rendu public et associé à des faits de corruption et de blanchiment de fraude fiscale, il me semble qu’il y a bien reconnaissance de culpabilité de facto.

La CJIP sera d’ailleurs particulièrement adaptée aux hypothèses de complicité de fraude fiscale réalisée par des personnes morales, notamment lorsque les équipes de direction de ces dernières ont changé, ce qui se produit fréquemment, et ont pris des mesures pour ne plus reproduire la fraude. Nous ne parlons pas d’entreprises qui disparaissent deux ans après leur création, mais de sociétés qui ont plus de cent ans d’âge.

Je rappelle qu’au titre des instruments opposables figurent les redressements fiscaux, qui portent sur l’impôt dû, les intérêts de retard et les pénalités financières. La CJIP emporte une amende allant au-delà de la récupération d’impôt effectuée par les services fiscaux – amendes qui ont été respectivement de 200 et 300 millions d’euros dans les deux affaires citées : on peut se demander si un procès pénal aurait abouti à un tel résultat.

L’arsenal se compose donc d’amendes très lourdes susceptibles d’être prononcées et de la publication des noms des personnes morales impliquées, qui précise la nature des faits qui leur sont reprochés ; à ce titre il me paraît complet.

Nous avons eu l’occasion d’organiser de nombreuses auditions, et si la plupart des ONG étaient favorables à la CRPC, certaines se sont montrées défavorables à la CJIP ; pour sa part, l’association Transparency International s’y est déclarée favorable, considérant que la CJIP faciliterait le prononcé de sanctions en évitant le risque d’un enlisement procédural susceptible de durer des décennies.

Il n’y a pas de justice à deux vitesses : l’impôt sera redressé par l’administration fiscale, qui fait son travail de la même manière pour les petits comme pour les gros poissons, et il sera encaissé par l’État avec les indemnités, les pénalités de retard, etc. La sanction pénale interviendra par surcroît, et les montants auxquels ont abouti les deux CJIP évoquées me paraissent aller bien au-delà de ce qui aurait pu être obtenu par une procédure pénale, ce qui m’a été confirmé par des magistrats.

Encore une fois, la CJIP doit figurer dans la boîte à outils des magistrats, afin de traiter les nouveaux dossiers qui se présenteront devant la justice pénale.

Pour ces raisons, je suis défavorable aux amendements.

M. Charles de Courson. Vous en êtes réduite à considérer, madame la rapporteure, que la recette fiscale obtenue par la CJIP sera plus importante que par la voie pénale. Cet argument est grave...

Mme la rapporteure. Je n’ai pas parlé de recette, j’ai parlé de peine prononcée.

M. Charles de Courson. Votre argument est grave, au sens latin du mot gravitas, car il signifie que la personne morale ou physique coupable accepte de payer plus afin d’éviter le procès. C’est votre argument, qui d’ailleurs n’est pas faux, mais si les intéressés acceptent...

Mme la rapporteure. Je dis simplement que les aléas de la procédure pénale sont nombreux.

M. Charles de Courson. ...il n’en demeure pas moins que l’argument portant sur la productivité fiscale de la CJIP est grave, et vous ne faites qu’illustrer mon propos.

HSBC, qui n’est pas à 100 millions d’euros près, peut payer plus pour éviter le procès. S’il existait une République, cette société devrait se voir interdit tout exercice en France, et sa licence aurait dû être suspendue pour peu que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) soit allée jusqu’au bout de sa démarche. On ne peut accepter davantage que des institutionnels comme la Société Générale aient fait cela : songez qu’ils allaient jusqu’à démarcher les clients ! On leur a épargné le procès, en invoquant toujours les mêmes bons arguments, la direction du Trésor prétextant que la Société Générale est un peu fragile, etc.

Pour ma part, je me place du côté du contribuable, de celui qui paie ses impôts, du bon citoyen qui sait qu’il n’aura jamais accès à ces procédures. Car qui y aura accès, sinon les puissants ?

Mme la rapporteure. Pourquoi cela ? La CRPC et la CJIP sont ouvertes à tous !

M. Charles de Courson. Quels sont les deux premiers cas de mise en œuvre de la CJIP ? HSBC, mes chers collègues, démarchait les grandes fortunes, non pas pour leur proposer un montage d’optimisation, mais pour organiser la fraude ! Et la Société Générale a fait de même !

Cet outil ne servira qu’aux puissants, il n’est pas destiné aux gens modestes. Or je considère que notre rôle de parlementaires consiste à défendre les citoyens, singulièrement les citoyens modestes, contre les puissants de ce monde, qui n’ont pas besoin de nous pour leur défense. C’est pourquoi je considère qu’adopter cet article 9 bis serait une énorme erreur, et demande donc sa suppression.

M. le ministre. Monsieur de Courson, je ne suis absolument pas d’accord avec vous, et je vais vous expliquer pourquoi.

Sur le plan des principes, on peut comprendre vos arguments. Pour ma part, je me range aux côtés de Mme la rapporteure, ce qui ne surprendra personne ; quiconque à ma place, comme c’était le cas jadis, ferait la même chose. Lorsque l’on fait de la recherche de fraude fiscale, il n’est pas absurde de se préoccuper de rapporter des recettes à l’État.

Je constate que les critiques portées contre le Gouvernement, ainsi que contre son prédécesseur, visaient le fait de savoir si l’argent que les intéressés auraient dû payer l’avait finalement été – ce qui demeure en effet le but de la lutte contre la fraude fiscale, et il n’est donc pas totalement illégitime de considérer que récupérer des recettes constitue la finalité du contrôle fiscal et des poursuites susceptibles de s’ensuivre.

Par ailleurs, la CJIP, à l’instar de la procédure du « plaider-coupable » qui a fait l’objet des mêmes critiques lors de son instauration, aboutira à un nombre accru de peines prononcées. Je peux entendre l’argument selon lequel les grands fraudeurs échapperont à la sanction grâce au recours à la CJIP que nous proposons, et qu’ils préféreront payer une amende de quelques milliards d’euros, qui ne représente que peu de chose par rapport à leur surface financière comme par rapport au montant d’une possible condamnation, afin d’éviter une mauvaise publicité. Ils n’en connaîtront pas moins, le fait même que nous l’évoquions en commission le prouve, l’opprobre public : la conclusion même de la CJIP signera leur culpabilité, qui pourra être évoquée publiquement par tout un chacun sans crainte d’être contredit.

J’ajoute qu’il faut parfois attendre cinq, six, voire sept ans l’aboutissement d’un procès, au terme duquel il arrive de surcroît que l’État perde. Dans l’affaire Wildenstein, par exemple, qui portait sur des centaines de millions d’euros, aucune condamnation n’a été prononcée au terme des sept années de procédure. Il n’y a eu ni reconnaissance de culpabilité, ni audience publique, ni récupération de recettes.

Enfin, je précise que ce n’est pas Bercy qui va négocier : la procédure n’a rien à voir avec le fameux « verrou ». La CJIP sera homologuée par le juge. L’argument qui est le vôtre depuis de nombreux mois est curieux, puisqu’il consiste à considérer que c’est au juge qu’il revient de connaître de ces questions fiscales en toute liberté ; or, dès que nous proposons de lui laisser le choix de proposer une CJIP, vous criez au déni de démocratie !

Vos trois arguments sont donc parfaitement réversibles et ne servent pas la cause que vous semblez vouloir défendre.

Mme Christine Pires Beaune. J’avoue ne pas avoir été convaincue par les arguments de la rapporteure et du ministre.

Lors de l’examen de la loi « Sapin 2 », le Conseil d’État avait émis un avis négatif au sujet du dispositif dit « de convention de compensation d’intérêt public », finalement remplacé par la CJIP, notamment au regard de la complexité des affaires de corruption. Je ne doute pas qu’il émettrait le même avis sur l’extension de la CJIP aux faits de fraude fiscale, qui sont tout aussi complexes.

Par ailleurs, nous avons relevé hier la différence de traitement entre les personnes physiques et les personnes morales, et il me semble que seules ces dernières seront concernées par la CJIP.

Enfin, ce qui me gêne le plus dans cette procédure, c’est que l’aspect financier de l’infraction prenne le pas sur l’aspect moral. Je peux entendre l’argument du rendement financier, mais, au cours de procès dont la durée moyenne est légèrement inférieure à treize ans, la Société Générale ou HSBC sont stigmatisés pendant une durée bien plus longue que les trois ou quatre mois nécessaires à la passation d’une convention.

Mme Marie-Christine Dalloz. En aucun cas, monsieur le ministre, nous ne mettons Bercy en cause. Ce qui nous gêne, dans la CJIP, c’est la notion de transaction, car nous n’avons pas affaire à une procédure classique, qui certes implique quelque longueur, mais aboutit à un jugement.

Vous avez considéré, madame la rapporteure, que les deux conventions conclues ont rapporté plus d’argent que ne l’auraient fait des procédures de justice. On ne peut pas dire une chose pareille : la justice n’a pas prononcé de jugement dans ces deux dossiers ; seule la convention a reconnu la culpabilité des intéressés. J’entends que cela a été le fait d’un procureur et de juges, mais il ne s’agit pas d’un jugement public : c’est cette notion même de transaction, donc d’absence de transparence, qui pose un vrai problème.

M. le rapporteur pour avis. Je ne partage absolument pas le point de vue de M. de Courson. Comme l’a expliqué le ministre hier soir, l’aménagement du « verrou » multipliera par deux le nombre de dossiers traités. Le parquet, c’est-à-dire des magistrats, appréciera alors en opportunité s’il y a lieu d’attraire devant le tribunal correctionnel le contribuable auteur de l’infraction pénale, ou s’il est préférable de recourir à la CRPC, ce qui est un peu plus rapide, ou à la CJIP.

Il me semble que qui dit justice ne dit pas nécessairement longueur de celle-ci. Il faut aussi avoir le souci de l’efficacité de la justice, et que celle-ci fasse preuve de pragmatisme. Il faut faire confiance au juge pour opérer le bon choix entre un tribunal correctionnel traditionnel, la CRPC ou ce type de convention.

Enfin, non seulement ce sont des magistrats qui décideront en opportunité, et en fonction des éléments du dossier, d’en passer par ce type de convention, mais c’est encore un autre juge qui homologuera la transaction. La transparence dont vous déplorez l’absence est présente dans cette procédure, qui me semble bien cadrée.

Mme Véronique Louwagie. Vous avez pris pour argument, madame la rapporteure, la question du manque de moyens de l’administration fiscale, que vous aviez déjà évoquée hier soir en réponse à des demandes de suppression de l’article 1er A. Cela ne me paraît pas recevable, car si les orientations d’une politique sont bonnes, il faut se donner les moyens de les conduire à bien ; on ne saurait fonder une décision sur ce seul critère.

En l’occurrence, c’est une question de moralité qui est posée, car il s’agit de fraude fiscale, qui ne peut pas être appréciée de la même manière que d’autres domaines relevant du litige, de l’appréciation ou de l’interprétation. S’agissant de fraude, nous sommes confrontés à une problématique réelle que vous n’appréciez pas à sa juste mesure.

Mme Sabine Rubin. Je souhaiterais revenir sur deux de vos arguments, madame la rapporteure. En premier lieu, dans le cadre d’une CJIP, la culpabilité des entreprises mises en cause n’est précisément pas établie. Par ailleurs, mettre en avant le manque de moyens de la justice n’est pas recevable : si justice il doit y avoir, les moyens doivent être au rendez-vous.

M. Daniel Labaronne. L’objet de ce projet de loi est de remettre la justice au cœur de la lutte contre la fraude fiscale ; et je souhaite rappeler la cohérence de notre démarche.

En amont de l’intervention du juge, nous mettons en place de nouveaux moyens d’investigation, particulièrement la police fiscale, à côté de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) et de la police douanière. En aval, nous proposons au juge un certain nombre de dispositifs comme la CRPC ou la CJIP, qu’il lui sera loisible de déployer dans le cadre du principe d’opportunité des poursuites. Il faut donc apprécier la démarche globale.

Si, par surcroît, le rendement est intéressant, que le nom des banques impliquées est mentionné, et que la dénonciation est publique, nous aurons mis sur pied un arsenal que nous appelons de nos vœux depuis très longtemps. A ceux qui, maintenant que cela se réalise, nous adressent des critiques, je réponds qu’il faut conserver présent à l’esprit que c’est le juge qui appréciera en opportunité les moyens par lesquels il souhaite instruire un dossier, lequel sera bien « ficelé » grâce au travail de la police fiscale.

M. Charles de Courson. Je souhaite répondre à M. le ministre. En premier lieu, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas lui-même introduit cette disposition dans le projet de loi ? C’est probablement qu’il a considéré que cela aurait un effet contreproductif ; si d’ailleurs j’avais été son conseiller, je l’aurais invité à s’en abstenir.

Par ailleurs, nous sommes aussi libres que le Sénat d’adopter les dispositions que nous voulons.

Ensuite, l’affaire Wildenstein constitue un très mauvais exemple, puisque les intéressés ont gagné : dans ces conditions, pourquoi auraient-ils réclamé une CJIP, alors qu’ils pensaient l’emporter ?

De plus, madame la rapporteure, monsieur le ministre, vous ne répondez pas à la question de savoir qui pourra bénéficier de cette CJIP. Ce seront les puissants de ce monde, c’est évident ! Celui qui peut payer quelques millions d’euros supplémentaires, puisqu’il s’agit de personnes morales et non de personnes physiques, s’empressera de le faire. Les deux premiers exemples le montrent à l’envi : la Société Générale et HSBC ne sont tout de même pas de « petites boîtes » ! Vous forgez bel et bien un outil destiné aux puissants, qui paieront un peu plus – ce qui sera tant mieux pour l’État, dirait M. le ministre chargé des comptes publics, mais attention aux dégâts !

Enfin, cette procédure n’est pas un cadeau fait aux juges, qui devront choisir de recourir à cette procédure ou non. Et, quelle que soit in fine leur décision, ce n’est plus Bercy qui sera attaqué, mais la justice, car les gens s’interrogeront sur ce choix ; ils verront que l’entreprise potentiellement condamnée à verser 60 millions d’euros transigera en acceptant d’en payer 100. Les juges se trouveront dans une situation épouvantable.

Telles sont les raisons, mes chers collègues, pour lesquelles je fais appel à vos sentiments républicains, et vous invite à supprimer cet article provenant d’un amendement du Sénat, et non pas du Gouvernement.

Mme Amélie de Montchalin. Au terme de ce débat, il me semble bon de rappeler quelques principes.

Si l’on croit à la République, il faut croire aux institutions et à la séparation des pouvoirs, donc à la capacité des juges et des procureurs à proposer la meilleure issue, au regard de la connaissance qu’ils ont des dossiers.

Vous considérez que la CJIP est un outil destiné aux puissants ; c’est en réalité un outil pour les procureurs. Rien n’est écrit qui expliquerait que certains contribuables disposant d’une surface financière supérieure à celle des autres seraient plus à même de demander à bénéficier de cette procédure en faisant éventuellement pression sur les magistrats – ce qui reviendrait à bien mal considérer ceux-ci dans leur travail.

Nous sommes ici devant un cas d’espèce, pour lequel nous cherchons à donner au procureur la capacité de décider de la manière dont il aboutira à la sanction, et avec quel outil, susceptible d’être plus rapide et efficace qu’un long procès pouvant s’engluer, il trouvera une solution favorable aux intérêts de l’État en lui évitant de perdre.

Si l’on croit à la République, à l’indépendance des juges, et si l’on considère qu’ils sont bien là pour accomplir la mission qui leur est confiée, nous ne sommes pas là pour secourir les puissants, mais pour assister les procureurs. Et les arguments défendus par la rapporteure, le ministre et le représentant de notre groupe sont de nature à nous rassurer. Notre objectif est clair, il s’agit de donner à ceux qui, au quotidien, combattent la fraude fiscale et se trouvent souvent pénalisés par le manque d’outils mis à leur disposition, les moyens permettant de prononcer des sanctions

M. Jean-Louis Bricout. Je remercie Mme de Montchalin de soutenir à sa façon la suppression du « verrou de Bercy », car elle vient de nous délivrer tous les arguments militant en ce sens, en appelant à la confiance en notre justice.

Il me semble que le cœur de nos préoccupations doit demeurer le contribuable « lambda », qui pourrait penser qu’au titre de l’accélération des procédures on s’accommode d’une certaine immoralité. Comme l’a souligné M. de Courson, l’impression sera que les personnes morales les plus riches pourront d’une certaine façon acheter la justice.

Cela est donc, je le répète, profondément immoral, et nos concitoyens pourraient très mal recevoir l’institution de cette CJIP.

La commission rejette les amendements.

Elle examine ensuite l’amendement CF29 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Vous avez hélas entériné cette mauvaise idée du Sénat que constitue la CJIP. Au moins pourrions-nous essayer de l’encadrer, en prévoyant qu’elle est utilisée pour éviter la voie judiciaire classique, donc en la réservant aux seules « petites » affaires. Ceux qui relèvent de la transmission prévue à l’article 13, en particulier pour les montants supérieurs à 100 000 euros, n’y auraient pas accès. Nous verrions bien si cette procédure, réservée aux poissons petits et moyens, prospère.

Mme la rapporteure. Je comprends parfaitement votre motivation. Je considère malgré tout que l’appréciation relève du pouvoir du parquet. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle examine ensuite l’amendement CF30 de M. Charles de Courson. 

M. Charles de Courson. Il convient d’éviter qu’un contribuable n’ait recours aux conventions judiciaires pour payer moins par ce biais qu’il n’aurait payé à la suite d’un redressement contre lequel il aurait en vain intenté un recours. L’amendement est donc ainsi rédigé : « Le montant de cette amende ne peut être inférieur à 50 % du produit brut de l’infraction. » Cela veut dire que, par exemple, si je fais l’objet d’un redressement fiscal de 30 millions d’euros, l’amende ne pourra être inférieure à 15 millions d’euros.

Mme la rapporteure. Le montant ne peut jamais être inférieur à ce qui est dû à l’issue du contrôle fiscal. Les impôts dus sont en effet calculés à l’issue d’une procédure administrative pouvant prendre en compte parfois de longues périodes antérieures, pour lesquelles sont appliqués des intérêts de retard et des pénalités s’échelonnant de 40 % à 80 %, voire 100 %.

Remettre des impôts alors qu’ils sont dus ne constituerait d’ailleurs rien de moins qu’un délit de concussion. Aussi le redressement ne sera-t-il jamais inférieur à l’impôt dû. Là encore, je préfère que nous laissions la décision au parquet, comme nous le faisons pour des délits pénaux très graves, comme les atteintes aux personnes : les procureurs proposent, les magistrats du siège disposent.

 

Le montant de l’impôt dû ayant déjà été sanctionné à l’issue de la procédure fiscale, laissons à la justice le soin de conduire la procédure pénale.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 9 bis sans modification.

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*     *

Article 9 ter
(article L. 228 du livre des procédures fiscales)
Possibilité pour le parquet dengager la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 9 ter a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Il prévoit de transcrire, dans la loi, la jurisprudence de la Cour de cassation en vertu de laquelle la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale est autonome et n’est soumise ni à l’avis conforme de la commission des infractions fiscales, ni à la plainte préalable de l’administration prévus l’un et l’autre par l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

Il modifie en ce sens l’article L. 228 du livre des procédures fiscales.

Amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 9 ter a été supprimé par l’adoption de deux amendements présentés par M. Jean Terlier, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, et par M. Daniel Labaronne et d’autres membres du groupe La République en Marche.

I.   le droit existant

L’article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF) constitue une exception au principe de libre exercice de l’action publique par le parquet. Il conditionne les poursuites devant les autorités judiciaires pour fraude fiscale au dépôt d’une plainte sur décision du ministre chargé du budget, après un avis conforme de la commission des infractions fiscales (CIF).

Ce dispositif est habituellement désigné sous l’expression « verrou de Bercy » (voir commentaire de l’article 13).

Seules les infractions fiscales définies par le code général des impôts sont soumises à la procédure du « verrou de Bercy ». Il s’agit principalement du délit général de fraude fiscale défini à l’article 1741 du code général des impôts.

En revanche, les infractions fiscales de droit commun, relevant du code pénal, n’y sont pas soumises, même si elles ont un objet fiscal. Tel est le cas par exemple de l’escroquerie lorsqu’elle porte sur la TVA.

Article L. 228 du livre des procédures fiscales

« Sous peine dirrecevabilité, les plaintes tendant à lapplication de sanctions pénales en matière dimpôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre daffaires, de droits denregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par ladministration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui linvite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations quil jugerait nécessaires.

« Toutefois, la commission examine laffaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait valoir quexistent des présomptions caractérisées quune infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :

«  Soit de lutilisation, aux fins de se soustraire à limpôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès dorganismes établis à létranger ;

«  Soit de linterposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à létranger ;

«  Soit de lusage dune fausse identité ou de faux documents au sens de larticle 4411 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

«  Soit dune domiciliation fiscale fictive ou artificielle à létranger ;

«  Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer ladministration.

« Le ministre est lié par les avis de la commission.

« Un décret en Conseil dÉtat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »

La procédure du « verrou de Bercy » ne s’applique pas non plus au blanchiment de fraude fiscale.

Par son arrêt « Talmon » du 20 février 2008, la Cour de cassation a jugé que le blanchiment de fraude fiscale était une infraction générale, distincte et autonome, et qu’elle n’était donc pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du LPF. Par conséquent, un prévenu peut être déclaré coupable de blanchiment de fraude fiscale même en l’absence de poursuites préalablement engagées au titre de la fraude fiscale. Il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses.

Le délit de blanchiment

Le blanchiment est un délit de droit commun réprimé par l’article 324-1 du code pénal.

Le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur d’un crime ou d’un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.

Constitue également un blanchiment le fait d’apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d’un crime ou d’un délit.

Le blanchiment est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende.

En pratique, les parquets ont donc utilisé l’incrimination de blanchiment de fraude fiscale pour contourner la procédure du « verrou de Bercy ».

Les travaux de la rapporteure ont mis en évidence que l’intention des parquets n’était pas tant de contourner l’administration fiscale – avec laquelle ils collaborent aisément – que de ne pas ralentir leurs investigations à cause du délai inhérent à la saisine et à l’obtention de l’avis de la CIF.

Ce contournement pose toutefois des difficultés car la justice doit établir précisément l’existence des éléments constitutifs de la fraude fiscale, pour démontrer ensuite l’infraction de conséquence, le blanchiment.

II.   Le dispositif proposé

L’article 9 ter a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis de la commission des lois.

Il prévoit de transcrire, dans la loi, la jurisprudence Talmon de la Cour de cassation en vertu de laquelle la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale est autonome et n’est soumise ni à l’avis conforme de la CIF, ni à la plainte préalable de l’administration prévus par l’article L. 228 du LPF.

Il modifie en ce sens cet article L. 228. La rédaction retenue par le Sénat consiste à prévoir que « la poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale nest pas soumise aux dispositions » de l’article L. 228.

Article 9 ter du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée en première lecture par le Sénat)

L’article L. 228 du livre des procédures fiscales est complété par un III ainsi rédigé :

« III. - La poursuite du délit de blanchiment de fraude fiscale n’est pas soumise aux dispositions du présent article. »

III.   La position de la Commission

L’inscription dans la loi de la solution retenue par l’arrêt Talmon figure parmi les recommandations de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales ([134]).

La fragilité de la jurisprudence Talmon a été soulignée à plusieurs reprises, notamment par des hauts magistrats, au cours des auditions de cette mission d’information.

Il était donc apparu opportun de transcrire dans la loi les apports de cette jurisprudence.

Néanmoins, au cours des auditions de la rapporteure préparatoires à l’examen du présent projet de loi, les représentants du ministère de la justice ont fait valoir que cette transcription comportait des risques. Il pourrait en effet en résulter une incertitude, par une interprétation a contrario, sur l’applicabilité du « verrou de Bercy » aux autres infractions de droit commun présentant un objet fiscal, telles que les infractions reposant sur le recel, l’escroquerie ou l’association de malfaiteurs.

Au nom du principe « le mieux est lennemi du bien », le directeur général des affaires criminelles et des grâces a recommandé d’en rester à la jurisprudence Talmon, qui lui paraît solide, et de ne pas la transcrire dans la loi.

Pour ces raisons, la rapporteure a décidé d’émettre un avis de sagesse sur les amendements de suppression de l’article.

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*     *

 


La commission examine les amendements identiques CF91 de M. Daniel Labaronne et CF219 de la commission des lois.

M. Daniel Labaronne. Le Sénat a inscrit dans le projet de loi la jurisprudence de la Cour de cassation qui précise que les poursuites pour blanchiment de fraude fiscale ne sont pas, à la différence de celles pour fraude fiscale, subordonnées à une plainte préalable de l’administration fiscale. Ce n’est pas une bonne idée.

Nous ne souhaitons pas revenir sur l’état du droit et la possibilité pour le procureur de la République de poursuivre les auteurs du délit de blanchiment de fraude fiscale sans plainte préalable de l’administration fiscale. Nous proposons donc la suppression de l’article.

M. le rapporteur pour avis. La légalisation de la jurisprudence dite « Talmon » ne nous semble pas non plus nécessaire, puisqu’elle est claire et bien établie depuis dix ans.

Par ailleurs, l’infraction de blanchiment étant une infraction autonome, il apparaît curieux d’introduire une disposition indiquant que le régime juridique de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales applicable aux poursuites concernant une autre infraction, à savoir la fraude fiscale, ne lui serait pas applicable.

Nous risquons en outre de rendre possible un raisonnement a contrario malvenu. En effet, l’introduction d’une telle disposition pour les faits de blanchiment n’est pas cohérente, puisqu’il existe d’autres infractions autonomes qui peuvent trouver à s’appliquer à des faits de fraude fiscale et dont la poursuite n’est pas subordonnée à une plainte préalable de l’administration fiscale : c’est le cas, par exemple, du délit d’escroquerie à la TVA. Cette modification pourrait conduire, par un raisonnement a contrario, à signifier que d’autres infractions trouvant leur origine dans la fraude fiscale pourraient désormais être soumises aux dispositions de l’article L. 228.

Mme la rapporteure. Dans le cadre de la mission d’information commune sur le « verrou de Bercy », les auditions de hauts magistrats avaient permis de nous éclairer sur la fragilité de la jurisprudence Talmon. Nous avions donc envisagé d’élever au niveau législatif l’autonomie de la plainte pour blanchiment de fraude fiscale. Depuis cette date, nous avons entendu cependant des avis partagés, notamment sur la rédaction ici proposée. Cela m’a conduit à revoir mon jugement.

D’usage autonome, le blanchiment de fraude fiscale est une arme aujourd’hui assez pratique pour les procureurs. Il ne faudrait pas que nous resserrions trop les cas d’emploi, en induisant des effets a contrario sur d’autres cas. Je rends donc un avis de sagesse, dans l’attente d’une formulation plus sûre. Vous pourrez naturellement être associés à sa rédaction.

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous étions dans une situation où le blanchiment échappait de facto au « verrou de Bercy ». En arrivant à la quasi-suppression de celui-ci, nous aurions tort, cependant, de revenir sur les possibilités d’intervention des procureurs. Nous enverrions un signal politique extrêmement négatif et extrêmement contraire à l’objectif que nous poursuivons.

Je pense, comme la rapporteure, que nous pouvons faire mieux que cette formulation. Je voterai cependant en faveur de cet amendement, à titre conservatoire, tout en proposant que nous améliorions, en plénière, son articulation avec les dispositions que nous prendrons sur le verrou de Bercy.

M. Charles de Courson. Nous ne devrions en fait discuter de l’article 9 ter qu’après avoir discuté de l’article 13. Tout dépend en effet de ce que nous voterons alors : si d’aventure nous n’adoptons pas l’article 13, il faudrait en effet maintenir l’article 9 ter. Si, en revanche, nous l’adoptons, il faudra supprimer l’article 9 ter.

Mme Amélie de Montchalin. Madame la présidente, pouvons-nous réserver l’article 9 ter ?

M. Joël Giraud, rapporteur général. Je me rappelle m’être intéressé à la lutte contre le blanchiment lorsque la jurisprudence Talmon n’existait pas encore. Elle est arrivée à point nommé pour que nous puissions mener des investigations dans de bonnes conditions. C’est pourquoi je ne voudrais pas que nous déstabilisions, par une formulation erronée, une jurisprudence si pratique et si bien établie. Une élévation au niveau législatif présente cependant un intérêt, vu le caractère par définition instable de la jurisprudence. Ce qui serait de bonne politique serait donc d’adopter une rédaction plus sûre de l’amendement proposé, en vue de la séance publique.

Mme MarieChristine Verdier-Jouclas, présidente. En accord avec la rapporteure, je vous propose de reporter le vote sur cet article après notre discussion sur l’article 13.

Les votes sur les amendements et sur l’article 9 ter sont réservés jusqu’après l’article 13.

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*     *

Article 10
(articles 413 bis et 431 du code des douanes)
Aggravation des sanctions douanières en cas de refus de coopérer

Résumé du dispositif proposé

L’article 10 du projet de loi vise à renforcer les sanctions douanières applicables en cas de refus de coopérer avec les agents des douanes. Il prévoit de porter à 3 000 euros le montant maximum de l’amende prévue à l’article 413 bis du code des douanes et de multiplier par dix le montant de l’astreinte prévue à l’article 431 du même code.

Modifications apportées par le Sénat

Aucune modification n’a été apportée au présent article par le Sénat, ni en commission ni en séance publique.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Le droit existant

1.   Le droit de communication des agents des douanes

a.   L’état du droit

Défini à l’article 65 du code des douanes, le droit de communication permet aux agents des douanes d’exiger, dans la recherche de la fraude douanière et de l’établissement des impositions douanières, la « communication des papiers et documents de toute nature relatifs aux opérations intéressant leur service, quel quen soit le support ».

Le refus de communication des documents exigés est passible d’une peine d’un mois d’emprisonnement et d’une amende de 90 à 450 euros, conformément à l’article 413 bis du code des douanes.

Une astreinte peut également être prononcée à l’encontre du contrevenant aux fins de présentation des documents dont il a refusé la communication aux agents des douanes. Le montant de l’astreinte est fixé à l’article 431 du code des douanes à 1,50 euro par jour de retard.

b.   L’application du droit

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, le 1er mars 1994, la peine d’emprisonnement n’est plus applicable.

 

 

Par ailleurs, comme le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, le juge pénal a la faculté de réduire le montant des amendes douanières prononcées, jusqu’à un montant inférieur à leur montant minimal ([135]). Par conséquent, alors que l’amende prévue à l’article 413 bis du code des douanes est comprise entre 90 et 430 euros, le juge peut décider, s’il l’estime justifié au regard de l’ampleur et de la gravité de l’infraction commise et de la personnalité de son auteur, de fixer une amende inférieure à 90 euros.

Le montant de l’astreinte est, pour sa part, trop faible pour être réellement contraignant et donc efficace.

2.   Les sanctions en cas d’injures, de maltraitance ou de trouble à l’exercice des fonctions des agents des douanes

La sanction prévue à l’article 413 bis du code des douanes s’applique également aux comportements visés à l’article 53 du même code. Par conséquent, les injures, maltraitances et troubles envers les agents des douanes dans l’exercice de leurs fonctions sont passibles de la même peine que le refus de communication des documents exigés.

II.   Le dispositif proposé

1.   Renforcer les sanctions applicables pour lutter contre certaines fraudes douanières

Le présent article prévoit de porter à 3 000 euros le montant maximum de l’amende prévue à l’article 413 bis du code des douanes, ce qui représente une hausse de 85 à 97 %.

Il prévoit également de multiplier par dix le montant de l’astreinte fixée à l’article 431 du code des douanes.

2.   Un dispositif a priori compatible avec les droits et libertés que la Constitution garantit

Dans son avis rendu sur le présent projet de loi, le Conseil d’État :

– considère que laugmentation de lamende prévue à l’article 413 bis du code des douanes nest pas manifestement hors de proportion avec la gravité des manquements constatés.

Il convient de noter qu’un tel relèvement du montant maximal de l’amende rapprocherait le régime des sanctions de celui prévu à l’article 1734 du code général des impôts (CGI), applicable en cas de refus de communiquer certains documents à l’administration en matière fiscale. En pareils cas, l’amende est de 5 000 euros ;

– rappelle une jurisprudence de la Cour de cassation estimant que l’astreinte n’est ni une peine complémentaire ni une peine accessoire mais une condamnation pécuniaire prononcée à titre comminatoire à l’encontre du débiteur d’une obligation de faire pour le contraindre à exécution ([136]) ; que par conséquent, le relèvement du montant de lastreinte proposé dans le présent article ne soulève pas de difficulté particulière, en dépit de son caractère important.

III.   La position de la commission

Visant à renforcer les sanctions applicables en cas de refus de communiquer les documents demandés par les agents des douanes ainsi que le montant de l’astreinte pouvant être prononcée, le présent article ne soulève pas de difficulté particulière. Il n’a pas été modifié au Sénat.

Il réaffirme l’importance pour les agents des douanes de ne pas être entravés dans leur mission de lutte contre la fraude et devrait limiter les comportements d’obstruction à la poursuite de cet objectif.

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La commission examine l’amendement CF162 de Mme Sabine Rubin. 

Mme Sabine Rubin. Cet article va dans le bon sens, puisqu’il renforce les sanctions douanières, notamment en portant le montant maximal de l’amende de 450 à 3 000 euros. Nous proposons de renforcer encore les sanctions, en portant ce montant à 5 000 euros, c’est-à-dire le montant prévu par le code général des impôts pour refus de communiquer des documents à l’administration fiscale. Cela nous paraît la moindre des choses pour que la sanction soit réellement dissuasive.

Mme la rapporteure. Le présent amendement propose d’aligner le montant de l’amende sur celui prévu par l’article 1734 du code général des impôts en cas de refus de communiquer certains documents à l’administration fiscale.

Sur le fond, le souci d’aligner le montant des sanctions est gage de cohérence, mais il me semble toutefois que cela impliquerait une requalification de la contravention en délit.

À ce stade, je m’en remets à la sagesse de la commission, et souhaite entendre l’avis du ministre.

M. le ministre. Mon avis est plutôt défavorable. En portant l’amende maximale à 5 000 euros, on créerait un délit douanier qui ne relèverait pas de l’article 413 bis du code des douanes. C’est pourquoi la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) nous a proposé un simple doublement. Les faits réprimés relèvent aujourd’hui d’une contravention douanière, qui ne peut dépasser, si je ne m’abuse, 3 750 euros. Porter l’amende au-delà nous ferait changer de catégorie, ce qui créerait de la complexité.

M. Charles de Courson. Ne pourrions-nous, par exemple, fixer le montant maximal à 3 500 euros, afin de rester juste au-dessous du seuil ?

M. le ministre. Madame Rubin, si vous proposez, en séance, de porter le montant maximal à 3 700 euros seulement, je donnerai un avis favorable. Mais ne rendons pas maintenant pour les douanes la situation plus complexe qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Mme Sabine Rubin. Je suis d’accord pour le redéposer en séance, en indiquant un nouveau montant.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CF1 de Mme Marie-Christine Dalloz. 

Mme Marie-Christine Dalloz. Cet article va effectivement dans le bon sens, mais je peine à comprendre son alinéa 5. Il évoque « tout refus de communication des documents et renseignements demandés par les agents des douanes dans l’exercice du droit de communication prévu par l’article 65 ou tout comportement faisant obstacle à la communication », avant de préciser : « Cette amende s’applique par demande, dès lors que tout ou partie des documents ou renseignements sollicités ne sont pas communiqués ».

Lorsqu’une entreprise fait du commerce international et ne peut rassembler l’ensemble des documents requis, je crains que des services zélés n’imposent une amende à des contribuables de bonne foi. C’est pourquoi je trouve que la dernière phrase citée élargit beaucoup trop le champ.

Je propose donc de sanctionner seulement la volonté délibérée de ne pas fournir les documents, en ajoutant : « en raison de manœuvres à des fins dilatoires ». La rédaction actuelle me semble erronée.

Mme la rapporteure. Votre amendement propose en effet de limiter l’application des sanctions aux seuls cas où les documents ne sont pas communiqués en raison de manœuvres à des fins dilatoires. Je comprends votre souci, mais je trouve que votre amendement va trop loin. Son adoption compliquerait considérablement le travail de la douane, que nous souhaitons au contraire rendre plus facile. C’est pourquoi je vous propose de retirer l’amendement, pour que nous trouvions une autre formulation.

M. le ministre. Je suis défavorable à l’amendement pour deux raisons.

D’abord, nous sommes sur le point de consacrer le droit à l’erreur, dans un projet de loi actuellement en nouvelle lecture au Sénat. Grâce à sa portée générale, la bonne foi sera par principe du côté des contribuables et des entreprises.

L’article 10 prévoit ensuite que les douaniers constatent une infraction de refus de communication, avant que l’administration décide de lancer des poursuites. La bonne foi du contribuable est donc par nature prise en compte, puisqu’il faut un refus – non une simple absence – de communication.

M. Jean-Louis Bourlanges. Il peut en effet y avoir plusieurs raisons de ne pas communiquer des documents, certaines étant légitimes, mais demander à l’administration de prouver le caractère dilatoire des mesures serait trop restrictif. Je crois donc que la formulation proposée par le ministre est tout à fait juste. La loi doit seulement préciser que les documents « font l’objet d’un refus de communication ».

Mme Marie-Christine Dalloz. L’alinéa 5, tel qu’il est rédigé, n’a pas de sens. L’amende s’applique dès lors que manque une partie des documents. C’est tout de même extraordinaire !

Je retire l’amendement, mais j’en déposerai un nouveau en séance.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 10 sans modification.

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Après l’article 10

La commission examine, en discussion commune, les amendements CF33 et CF34 de M. Charles de Courson. 

M. Charles de Courson. Selon le rapport du 30 mars 2015 du Centre d’analyse du terrorisme, « la contrebande de cigarette représente plus de 20 % des sources criminelles de financement des organisations terroristes, un phénomène qui prend de l’ampleur depuis l’an 2000 ». Effectivement, la contrebande de cigarettes est facile à mettre en œuvre, extrêmement rentable et peu risquée. Les sanctions sont en effet beaucoup plus faibles que pour le trafic de drogues ou pour la prostitution. Cette contrebande alimente en outre le terrorisme et le crime organisé. Quelle en est l’ampleur ? Certains l’estiment actuellement que, sur les 20 % à 25 % de cigarettes importées, 10 % seraient des cigarettes de contrebande. Une grosse partie vient d’Algérie, par Marseille.

 

L’amendement CF33 a pour objet de donner à l’État des moyens renforcés et d’augmenter les sanctions. L’amendement CF34 constitue un amendement de repli, prévoyant les mêmes dispositions, à l’exception du renvoi au code de procédure pénale.

Mme la rapporteure. L’article 414 du code des douanes définit le délit douanier de contrebande. Cet article général prévoit une modulation des sanctions encourues en fonction de la nature des produits concernés, ainsi que de la façon dont la contrebande a été mise en place. Outre les amendes, l’article prévoit une peine de trois ans d’emprisonnement pour le délit de contrebande. Cette peine est portée à cinq ans lorsque la contrebande porte sur des objets mixtes, civils et militaires dont les conditions de circulation sont encadrées par le droit de l’Union européenne. Elle est portée à dix ans dans le cas de contrebande de marchandises dangereuses.

Le premier amendement vise à sanctionner plus lourdement la contrebande commise en bande organisée, mais pose plusieurs problèmes, de fond comme de forme.

La première partie du dispositif supprime la peine de dix ans d’emprisonnement en cas de contrebande commise en bande organisée, au profit d’une nouvelle peine de réclusion criminelle de vingt ans. Cela appelle plusieurs remarques. L’amendement crée une infraction criminelle, catégorie qui n’existe pas en matière douanière, sauf si elle est accessoire à un autre crime. Par ailleurs, cela pose une question de fond. À titre d’illustration, le code pénal prévoit une peine de vingt ans de réclusion criminelle pour la torture ou les actes de barbarie commis sur un mineur ou une personne vulnérable. Je ne nie pas l’importance de la lutte contre la contrebande, mais ce seul exemple montre qu’on doit modérer les sanctions en fonction des crimes et délits. En outre, la formulation est peu précise en l’état.

S’agissant de la seconde partie du dispositif, la lecture combinée du III et de l’exposé sommaire semble indiquer que l’objectif de l’amendement est de renforcer les sanctions applicables à la contrebande de tabac. Or, je rappelle que l’article 414 concerne tous les délits de contrebande.

Pour toutes ces raisons, je vous suggère de retirer vos amendements. À défaut, j’émettrais un avis très défavorable. Je considère que l’échelle des peines qui existe aujourd’hui est satisfaisante.

M. le ministre. Je suis sensible, monsieur de Courson, à votre argumentation, mais trois raisons m’empêchent de m’y ranger.

Je ne sais pas si les cigarettes de contrebande représentent vraiment 10 % des cigarettes importées, mais leur volume est en tout cas très important, et elles ont des origines géographiques diverses.

Le tabac est cependant une marchandise légale. Vous voulez le traiter de la même manière que les stupéfiants. Ce n’est pourtant pas tout à fait la même chose... Que le commerce, ou le trafic, de ces deux substances différentes fasse encourir les mêmes peines, voilà qui me dérange.

Ensuite, votre amendement conduirait à traduire devant les cours d’assises tous les trafiquants de cigarettes, alors que les prises, de plus en plus nombreuses, conduisent aujourd’hui à des comparutions immédiates. Cette procédure lourde des assises ralentirait les procédures de lutte contre la contrebande.

Enfin, il est évident que des réseaux internationaux existent. Récemment encore, c’est une tonne entière qui a été saisie à Dunkerque. Mais nous avons aussi affaire à une contrebande de « fourmis », organisée, le cas échéant, par colis. Il peut aussi s’agir d’une contrebande qui exploite la proximité de la frontière avec d’autres États membres de l’Union européenne.

La réponse que vous proposez ne me semble donc pas être la réponse adéquate, notamment à cause de l’échelle des peines que vous prévoyez.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je suis très partagé sur ce sujet. Vous faites, monsieur de Courson, une remarque très juste et très profonde en soulignant qu’est sous-estimée l’importance de l’atteinte à l’ordre public financier que représente cette contrebande.

Mais ma gêne est due aux mêmes raisons que celles de notre rapporteure : vous isolez le tabac dans la hiérarchie des peines. Or je ne suis pas sûr que le fait que les substances soient licites ou illicites suffise à exclure une identité des peines. Il y a d’autres enjeux, telle l’atteinte à l’ordre public financier.

Ne peut-on, d’ici la séance publique, trouver un mécanisme qui permette une substantielle aggravation des peines, tout en ne faisant pas du tabac une substance dont la contrebande mène en cour d’assises ?

M. Charles de Courson. Vous me parlez de contrebande de « fourmis », de contrebande par colis, mais la réalité dont je parle, c’est celle des bandes organisées.

M. le ministre. Eh oui, les fourmis sont connues pour être organisées !

M. Charles de Courson. Dans la fourmilière, il y a une reine...

Pourquoi ne pas augmenter la peine jusqu’à vingt de réclusion, comme pour les stupéfiants ? Si ce traitement identique paraît excessif, on peut se contenter de quinze ans. Mais il faut dissuader les trafiquants !

Quant à la comparution devant une cour d’assises, elle me semble méritée quand nous sommes en présence de bandes organisées. Il s’agit en effet, comme en matière de stupéfiants, d’une question de santé publique.

Je vais néanmoins retirer mes amendements pour les calibrer sur un format moins ambitieux, si vous êtes prêts à les soutenir.

M. le ministre. Je partage avec vous la conviction que la lutte doit être plus efficace, non seulement pour des raisons de santé publique, mais aussi pour venir en aide aux buralistes, pour améliorer les rentrées fiscales, et pour lutter contre les bandes organisées.

Je souligne néanmoins que la peine maximale de dix ans n’est déjà pas appliquée aujourd’hui. Je m’engage à vous fournir, pour la séance, des statistiques sur les trois ou quatre dernières années.

Enfin, le projet de loi de réforme de la justice arrivera bientôt devant vous. C’est le véhicule législatif adéquat. Je suis prêt, en amont de son examen, à travailler avec vous sur cette question, mais porter la peine maximale à vingt ans de réclusion ne peut se faire qu’en liaison avec Mme la garde des sceaux.

M. Charles de Courson. Êtes-vous d’accord pour durcir la législation ? Je vais donc retirer mes amendements. Au surplus, la loi de finances rectificative me semble aussi fournir un véhicule législatif adéquat.

Les amendements sont retirés.

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Article 10 bis
(article 575 F du code général des impôts)
Présomption de détention de tabac à des fins commerciales

Résumé du dispositif proposé

Introduit au Sénat à l’initiative du Gouvernement, le présent article crée une présomption de détention de produits du tabac manufacturé à des fins commerciales dès lors que les seuils définis à l’article 32 de la directive 2008/118/CE sont dépassés.

Il vise également à limiter les marges d’appréciation de l’administration douanière en cas de contrôle.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte d’un amendement présenté par le Gouvernement et ayant reçu un avis de sagesse de la commission des finances du Sénat.

Il vise à rétablir l’article 575 F du code général des impôts (CGI), lequel a été abrogé en 2000, en introduisant une présomption de détention de produits du tabac manufacturé à des fins commerciales, compatible avec le droit de l’Union européenne.

1.   Le droit en vigueur

Jusqu’en 2014, la législation française et la pratique administrative des contrôles étaient contraires au droit de l’Union européenne applicable à la détention par les particuliers de tabac manufacturé en provenance d’un autre État membre.

En premier lieu, les articles 575 G et 575 H du CGI fixaient, un seuil minimal pour plusieurs catégories distinctes de tabac, alors que la directive « nautorise les États membres à établir des seuils par poids des produits du tabac détenus, tous produits confondus, quà la condition de respecter chacun de ces seuils minimaux » ([137]).

En second lieu, les autorités françaises utilisaient, pour déterminer si les produits du tabac sont détenus à des fins commerciales ou personnelles, un critère purement quantitatif ([138]) – le respect de seuils – dont le respect était apprécié, lors des contrôles, par véhicule individuel et non par personne.

Le recours en manquement engagé à l’encontre de la France par la Commission européenne a donné lieu à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière a constaté, dans un arrêt du 14 mars 2013, les manquements de la France à ses obligations résultant du droit de l’Union européenne, de manière générale, et, en particulier, de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 relative au régime général d’accise et abrogeant la directive 92/12/CEE.

Pour tirer les conséquences de cette décision, les articles litigieux du CGI ont été abrogés au 1er janvier 2014 et les règles applicables à la circulation et à la taxation des tabacs manufacturés détenus par les particuliers précisées dans une circulaire du 3 septembre 2014.

Désormais conformes au droit de l’Union européenne, les seuils retenus pour apprécier le caractère commercial ou personnel de la détention de tabac manufacturé sont indiqués dans cette circulaire. Est donc réputée être une détention à usage commercial, toute possession de tabac supérieure aux seuils suivants :

– 800 cigarettes ;

– 400 cigarillos ;

– 200 cigares ;

– 1 kilogramme de tabac à fumer.

Ces seuils sont ceux définis à l’article 32 de la directive 2008/118/CE précitée. Par ailleurs, la directive énumère un certain nombre d’éléments que les contrôleurs peuvent prendre en considération pour orienter leur décision et déterminer la nature de la détention.

2.   Le dispositif proposé

Le présent article vise à introduire dans la loi une présomption de détention de tabac à des fins commerciales dès lors que les quantités sont supérieures aux seuils définis à l’article 32 de la directive 200/118/CE précitée et reproduits dans la circulaire du 3 septembre 2014.

Le dernier alinéa précise que les dispositions s’appliquent également à toute personne qui transporte ces quantités à bord d’un moyen collectif de transport.

Lors d’un contrôle, il appartiendra donc à la personne contrôlée d’apporter la preuve que l’ensemble des produits du tabac qu’elle transporte est détenu pour son usage personnel. À défaut, elle devra s’acquitter des droits exigibles sur le territoire français.

II.   La position de la commission

Lors de son audition par votre rapporteure, le directeur général des douanes et droits indirects a rappelé que les contrôles effectués pour déterminer la finalité, commerciale ou personnelle, de la détention de produits du tabac manufacturé prennent du temps.

L’introduction dans la loi de critères quantitatifs devrait permettre, à moyens constants des services douaniers, de mener des contrôles à la fois plus efficaces et plus nombreux. Elle limite la marge d’appréciation de l’administration douanière et garantit une plus grande efficacité ainsi qu’une plus grande égalité dans les contrôles.

Parmi les éléments portés à la connaissance de la rapporteure, les divergences, particulièrement marquées ([139]), qui existent actuellement sur le prix du tabac au sein du marché intérieur entretiennent les trafics et réseaux de commercialisation occultes. L’administration des douanes estime, par conséquent, que le renforcement des contrôles que permet l’introduction de seuls critères quantitatifs pour déterminer la nature de la détention des produits, participe de l’amélioration de la lutte contre les trafics illégaux de produits du tabac, en particulier tant que le prix du tabac ne fera pas l’objet d’une harmonisation au sein du marché intérieur.

La rapporteure regrette que ces dispositions aient été introduites par le Gouvernement par voie d’amendement car de plus amples détails sur ces mesures auraient opportunément éclairé le débat parlementaire. Elle n’a toutefois pas proposé de modifier le présent article.

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La commission adopte l’article 10 bis sans modification.

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Article 10 ter
(article 1791 ter du code général des impôts)
Renforcement des sanctions applicables en cas de fabrication, de détention, de vente ou de transport illicite de tabac

Résumé du dispositif proposé

Introduit au Sénat à l’initiative du Gouvernement, le présent article double le montant minimal de l’amende applicable en cas de fabrication, détention, vente et au transport illicite de tabac.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission a adopté le présent article sans modification.

I.   Les dispositions adoptées par le SÉnat

Le présent article résulte d’un amendement présenté par le Gouvernement et ayant reçu un avis de sagesse de la commission des finances.

Il vise à doubler le montant des sanctions prévues à l’article 1791 ter du CGI, applicables à la fabrication, la détention, la vente et au transport illicite de tabac et actuellement fixé à 500 à 2 500 euros.

Le présent article porte ce montant à 1 000 à 5 000 euros.

II.   La position de la commission

Cet article s’inscrit dans une volonté de plus durement sanctionner les activités illégales de trafic de tabac. Il a été adopté sans modification par la commission des finances.

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La commission adopte l’article 10 ter sans modification.

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Article 10 quater
(article 6 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004)
Information du public sur les risques associés à lachat
et à la vente de tabac en ligne

Résumé du dispositif proposé

Introduit au Sénat par un amendement de M. Jean-Pierre Grand, le présent article vise à introduire une obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet d’informer les visiteurs de l’illégalité et des risques encourus pour l’achat de tabac en ligne.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

La commission des finances a adopté, sur avis favorable de la rapporteure, un amendement présenté par le groupe La République en Marche visant à corriger, pour le rendre plus opérant, le dispositif introduit par le Sénat concernant l’obligation, pour les hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet, d’informer leurs utilisateurs des risques encourus par les actes d’achat, de vente ou d’importation de produits du tabac manufacturé dans le cadre d’une vente à distance.

I.   Les dispositions adoptées par le SÉnat

Le présent article résulte d’un amendement présenté par M. Jean-Pierre Grand (groupe Les Républicains), accepté par le Gouvernement et ayant reçu un avis de sagesse de la commission des finances.

Il vise à introduire une obligation pour les fournisseurs d’accès à Internet d’informer les visiteurs de l’illégalité et des risques encourus pour l’achat de tabac sur Internet. La rédaction proposée par le Sénat va toutefois plus loin et appelle plusieurs correctifs.

1.   Le droit en vigueur

a.   L’interdiction de vente à distance de produits du tabac manufacturé

Conformément à l’article 568 ter du code général des impôts (CGI), la vente à distance de produits du tabac manufacturé, y compris lorsque l’acquéreur est situé à l’étranger, le cas échéant dans un pays membre de l’Union européenne, est interdite.

b.   L’obligation d’information des risques associés aux activités illégales de jeux d’argent

Le cinquième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit que les fournisseurs d’accès à Internet, plus précisément les personnes mentionnées aux 1 et 2 de l’article 6 ([140]), sont tenus d’informer leurs abonnés des risques encourus « du fait dactes de jeux [dargent] réalisés en violation de la loi » et de mettre en place un dispositif « facilement accessible et visible permettant de signaler à leurs abonnés les services de communication au public en ligne tenus pour répréhensibles par les autorités publiques compétentes en la matière ».

2.   Le présent article

En s’inspirant des obligations existant s’agissant des jeux d’argent en ligne, le présent article complète les obligations des fournisseurs d’accès à Internet pour inclure dans leur champ la vente de tabac à distance.

II.   La position de la commission

La rapporteure comprend les intentions qui sous-tendent le présent article. Toutefois, la stricte duplication des obligations pesant sur les fournisseurs d’accès à Internet et les hébergeurs en matière de jeux d’argent en ligne ne semble pas pertinente. En effet, la vente de tabac à distance étant strictement interdite en France, il serait curieux d’imposer à ces acteurs d’identifier, pour les signaler, les sites proposant du tabac et se trouvant donc dans une situation d’illégalité.

La recherche des auteurs d’infractions ne saurait leur être ainsi déléguée et il n’est pas raisonnable de leur imposer les mêmes obligations que pour les jeux d’argent en ligne. Pour ces derniers, la question se pose avec plus de facilité étant donné que l’activité peut être, selon les cas, légale ou illégale.

 

À l’initiative du groupe La République en Marche, la commission a adopté un amendement redéfinissant les contours de l’obligation faite aux fournisseurs d’accès à Internet et aux hébergeurs. Ces derniers doivent informer les risques encourus par leurs abonnés dans le cadre de la vente ou de l’achat de tabac à distance.

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La commission examine l’amendement CF102 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le présent amendement a pour objet de préciser l’obligation prévue à l’article 10 quater, qui dispose que les hébergeurs et fournisseurs d’accès à internet doivent mettre en place un dispositif signalant à leurs abonnés les sites internet identifiés par les autorités publiques comme vendant illégalement du tabac.

Il n’y a pas de réel intérêt à faire connaître au public l’existence de tels sites illégaux. En revanche, le fait d’informer les abonnés de l’illégalité de toute opération de vente ou d’achat de tabac sur internet en France participerait au renforcement de la lutte contre le marché parallèle des ventes de tabac à prix réduits.

Notre amendement propose donc d’ajouter à l’article 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique un alinéa dédié à cette obligation d’information du public concernant le caractère illégal de telles activités sur internet, ainsi que les sanctions légalement encourues par les auteurs de telles infractions. En cas de manquement à cette obligation, les hébergeurs de sites et les fournisseurs d’accès à internet seraient passibles des sanctions prévues par la loi du 21 juin 2004 précitée.

Enfin, la rédaction proposée permettrait d’informer les abonnés des fournisseurs d’accès à internet ainsi que des hébergeurs de sites, des sanctions légalement encourues tant en cas d’achat de tabac sur internet, qu’en cas de vente, d’introduction depuis un autre État membre ou d’importation en provenance d’un pays tiers de produits du tabac dans le cadre d’une vente à distance.

Mme la rapporteure. Votre amendement rend plus cohérent le dispositif adopté par le Sénat. Mon avis est donc favorable.

La commission adopte l’amendement.

L’article 10 quater est ainsi rédigé.

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Article 10 quinquies (nouveau)
(articles L. 3512-23 à L. 3512 26 et L. 3515-4 du code de la santé publique, L. 80 N du livre des procédures fiscales et 28-1 du code de procédure pénale)
Dispositif national de traçabilité des produits du tabac

Le présent article a été introduit par la commission à l’initiative des députés du groupe UDI, Agir et Indépendants, avec un avis de sagesse de la rapporteure et un avis favorable du Gouvernement. Il vise à préciser le dispositif national de traçabilité des produits du tabac mis en place, conformément et en application de la directive n° 2014/40/UE du Parlement et du Conseil du 3 avril 2014 relative à la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac ([141]).

I.   Le droit existant

Constatant que « des volumes considérables de produits illicites » ([142]) circulent au sein du marché intérieur, la directive n° 2014/40/UE vise à harmoniser les législations des États membres s’agissant de la fabrication, de la présentation et de la vente des produits du tabac. Son article 15, notamment, impose aux États membres de mettre en place un « système interopérable didentification et de traçabilité ainsi que des dispositifs de sécurité » ([143]).

La directive n° 2014/40/UE a été transposée en droit interne par lordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 ([144]). Les articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 351225, L. 351226 et L. 3515-4 du code de la sécurité sociale précisent notamment les obligations des personnes intervenant dans la chaîne dapprovisionnement ainsi que les sanctions applicables.

Le règlement dexécution (UE) 2018/574 de la Commission du 15 décembre 2017 relatif aux normes techniques pour la mise en place et le fonctionnement dun système de traçabilité des produits du tabac et la décision dexécution (UE) 2018/576 de la Commission du 15 décembre 2017 concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac ont apporté des précisions sur la directive n° 2014/40/UE.

II.   Les compléments apportés au dispositif national de traçabilité des produits du tabac

Le présent article complète, substantiellement, les dispositions du code de la santé publique relatives au dispositif national de traçabilité des produits du tabac et opère des coordinations avec les dispositions existantes, notamment du livre des procédures fiscales et du code pénal.

Dispositif principal de la directive, l’identifiant unique permet de garantir la traçabilité des produits du tabac, tout au long de la chaîne de fabrication ainsi que des mouvements de ces produits. Les personnes intervenant dans la chaîne d’approvisionnement doivent conserver un relevé complet et précis de toutes les opérations concernées. Enfin, l’obligation est faite aux fabricants de tabac de fournir à toutes les personnes concernées par le commerce de ces produits l’équipement nécessaire pour en assurer la traçabilité. Ces obligations figurent à l’article L. 3512-23 du code de la santé publique.

Le A du présent article complète et précise certaines de des obligations de l’article L. 3512-23 du code de la santé publique, à la lumière des actes d’exécution adoptés pour l’application de la directive n° 2014/40/UE.

Le B précise et complète les dispositions L. 3512-24 du code de la santé publique concernant les conditions de conservation des données relatives à l’identifiant unique et au contrôle des activités du tiers indépendant avec lequel est conclu le contrat de stockage des données.

Le C précise et complète les dispositions de l’article L. 3512-25 du code de la santé publique relatif au dispositif de sécurité associé à l’identifiant unique, en particulier s’agissant des éléments authentifiants requis pour assurer le caractère « infalsifiable » du dispositif de sécurité. Il ajoute un III conférant au ministre chargé des douanes la faculté de décider de mettre en œuvre ou de retirer un système de rotation des dispositifs de sécurité ; d’exiger le remplacement d’un dispositif de sécurité susceptible d’être compromis et de définir les orientations générales relatives à la sécurité des procédures de production et de distribution.

Le D complète l’article L. 3512-26 du code de la santé publique relatif au champ d’application du décret en Conseil d’État devant préciser les conditions d’application du chapitre du code relatif aux produits du tabac.

Le E concerne les sanctions applicables en cas de non-respect des obligations des articles L. 3512-23 à L. 3512-25 du code de la santé publique. Il dispose également que ces infractions sont recherchées, constatées et poursuivies comme en matière de contributions indirectes et qu’elles peuvent également être recherchées et constatées par les officiers de police judiciaire ; il complète par conséquent les articles 28-1 du code de procédure pénale et L 80 N du livre des procédures fiscales.

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La commission examine l’amendement CF22 de M. Vincent Ledoux.

M. Charles de Courson. L’article 15 de la directive du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes prévoit que les États membres font en sorte que chaque unité de conditionnement des produits porte un identifiant unique – c’est ce que l’on appelle la traçabilité totale. La Commission a édicté un règlement d’exécution du 15 décembre 2017 concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac, complété par la décision d’exécution 2018/576 du 15 décembre 2017 de la Commission concernant les normes techniques nécessaires pour les dispositifs de sécurité appliqués aux produits du tabac.

Seules certaines dispositions du règlement d’exécution sont d’application directe. En outre, la décision 2018/576 précitée désigne comme destinataires les seuls États membres. Il importe donc de compléter le droit national quand la réglementation européenne laisse à l’État membre le soin de choisir le dispositif applicable, afin que les dispositions concernées soient opposables à tous.

Par ailleurs, compte tenu de l’élargissement du champ des articles du code de la santé publique concernés, il est nécessaire de modifier l’article L. 3515-4 de ce code afin d’assurer la sanction de l’ensemble des infractions commises.

Enfin, les articles L. 80 N du livre des procédures fiscales et 28-1 du code de procédure pénale sont modifiés pour permettre aux agents en charge des contrôles et des enquêtes de disposer des pouvoirs et habilitations nécessaires à l’exercice de leur mission.

Il s’agit de tirer les conséquences de l’adoption de ces textes européens, puisqu’il semble que cela n’a pas été fait, monsieur le ministre.

Mme la rapporteure. Votre amendement complète substantiellement le code de la santé publique en ce qui concerne la traçabilité des produits du tabac, pour tenir compte des précisions récemment apportées par les actes d’exécution de la directive de 2014. Il est très technique mais semble en grande partie tirer les conséquences des dispositions d’application de cette directive.

Je m’interroge toutefois sur la pertinence d’en discuter dans le cadre du présent projet de loi, étant donné qu’il ne s’agit pas directement de fraude fiscale ou douanière. Mais nous l’examinerons dans le détail d’ici la séance publique. Je m’en remettrai à la sagesse de mes collègues.

M. le ministre. Je suis très favorable à cet amendement technique, de transposition de dispositions européennes. M. de Courson l’a très bien expliqué. J’ajouterai que, comme tous les députés de la dixième circonscription du Nord, M. Ledoux est toujours extrêmement précis, mais c’est historique dans cette circonscription...

La commission adopte l’amendement.

*

*     *

Article 11
(articles 39 duodecies, 39 terdecies, 119 bis, 125-0 A, 125 A, 145, 150 ter, 163 quinquies C, 163 quinquies C bis, 182 A bis, 182 A ter, 182 B, 187, 219, 238-0 A, 244 bis, 244 bis B et 792-0 bis du code général des impôts et L. 62 A du livre des procédures fiscales)
Élargissement de la liste des États et territoires non coopératifs

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article ajoute à la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) prévue à l’article 238‑0 A du code général des impôts (CGI) les États et territoires qui figurent sur la liste commune européenne des juridictions non coopératives (qui repose sur trois critères : transparence ; équité fiscale – dont un sous‑critère sur les montages offshore ; respect des mesures contre l’érosion des bases imposables et le transfert de bénéfices).

L’article introduit également une modulation dans l’application des contre-mesures prévues par le droit français à l’encontre des opérations impliquant un ETNC :

– les ETNC inscrits au titre des critères français continuent à se voir appliquer l’intégralité des contre-mesures (aucune modification n’est apportée) ;

– ceux inscrits sur la liste européenne au titre du critère portant sur les montages offshore se verraient également appliquer l’intégralité de ces contre-mesures ;

– ceux inscrits sur la liste européenne pour un autre motif ne se verraient appliquer qu’une partie de ces contre-mesures (celles qui facilitent l’application d’outils anti‑abus).

Enfin, le dispositif inclut dans les contre-mesures qui en étaient dépourvues une clause de sauvegarde, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Les modifications apportées par le Sénat

Le Sénat, outre des ajustements rédactionnels, a modifié les critères français actuels permettant l’inscription ou le retrait de pays de la liste des ETNC, qui reposent sur l’effectivité des échanges de renseignements à la demande, pour y substituer l’effectivité des échanges automatiques de renseignements.

Il a également précisé la motivation par le Gouvernement des ajouts et retraits de la liste lorsqu’ils interviennent au titre des critères européens, et a remplacé la mention des montages offshore par la référence au critère européen correspondant.

Dernières modifications intervenues

La loi de finances rectificative pour 2016 a inséré dans plusieurs dispositifs relatifs aux ETNC une clause de sauvegarde, afin de se conformer à la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Le 5 décembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a arrêté une liste commune des juridictions non coopératives reposant sur trois critères (« liste noire »), ainsi qu’une « liste grise » regroupant les pays ayant pris des engagements formels de respecter ces critères. Depuis, la liste a évolué et est passée de dix-sept à sept pays, les autres ayant basculé sur la « liste grise » (le respect des engagements formels sera vérifié par les institutions européennes).

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

En plus d’un amendement de précision de la rapporteure, la commission :

– est revenue sur les critères introduits par le Sénat en matière d’échange automatique de renseignements, à l’initiative du groupe La République en Marche et avec l’avis favorable de la rapporteure et du Gouvernement ;

– a rétabli, ici aussi à l’initiative du groupe majoritaire et avec le soutien de la rapporteure et du Gouvernement, la rédaction initiale du critère reposant sur les montages offshore, tout en remplaçant ce mot anglais par la notion française d’extraterritorialté ;

– a supprimé une précision introduite par le Sénat, jugée redondante, en matière de motivation des évolutions de la liste des ETNC (ici encore à l’initiative du groupe La République en Marche, avec l’accord de la rapporteure et du Gouvernement) ;

– a mis un terme à l’exclusion de principe des États membres de l’Union européenne de la liste des ETNC au regard des critères français, à l’initiative de députés membres des groupes Gauche démocrate et républicaine, Mouvement Démocrate et apparentés, Nouvelle Gauche et La France insoumise, suivant les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement ;

– à l’initiative de la rapporteure, et suivant l’avis favorable du Gouvernement, a mis en place une « clause de revoyure » à travers un mécanisme d’information précise des commissions permanentes des deux assemblées compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères.

III.   Le droit existant

A.   La liste française des États et territoires non coopÉratifs et les contre-mesures associÉes

Les « paradis fiscaux » ne sont pas juridiquement définis et renvoient à différentes acceptions. Dans le droit français, ils sont appréhendés essentiellement à travers deux notions :

– les pays à régime fiscal privilégié, définis à l’article 238 A du code général des impôts (CGI) et qui correspondent aux pays dans lesquels une personne n’est pas imposable ou est assujettie à un impôt sur les bénéfices ou revenus dont le montant correspond à moins de 50 % de ce qui aurait été dû en France (la notion peut inclure des États membres de l’Union européenne) ;

– les États ou territoires non coopératifs, prévus à l’article 238‑0 A du CGI et sur lesquels porte le présent article.

1.   Les États et territoires non coopératifs au sens de l’article 238‑0 A du code général des impôts

Depuis 2010 ([145]), la France est dotée d’une liste d’États ou territoires non coopératifs (ETNC) arrêtée par les ministres chargés de l’économie et du budget, après avis du ministre chargé des affaires étrangères.

a.   Les critères initiaux de qualification d’un ETNC

Aux termes du 1 de l’article 238‑0 A du CGI, est qualifiée d’ETNC une juridiction fiscale ([146]) qui, à la date du 1er janvier 2010, remplissait les conditions suivantes :

– ne pas être membre de l’Union européenne ([147]) ;

– avoir vu sa situation en matière d’informations fiscales et de transparence faire l’objet d’un examen par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ;

– ne pas avoir conclu avec la France une convention d’assistance administrative en matière fiscale rendant possible l’échange de renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale des parties ;

– ne pas avoir signé une telle convention avec douze autres juridictions fiscales.

Le critère d’identification des ETNC porte sur la transparence et la coopération, ce qui est cohérent avec l’appellation retenue. La question d’éventuelles pratiques fiscales dommageables n’est donc pas abordée par ce dispositif ; elle l’est à travers la notion de régime fiscal privilégié prévue à l’article 238 A du CGI, ainsi qu’à travers d’autres outils anti-abus.

b.   Les modalités d’évolution de la liste des ETNC : critères d’inscription et de retrait

Le 2 de l’article 238‑0 A du CGI précise les modalités d’évolution de la liste des ETNC, qui doit être mise à jour au moins une fois par an. Plusieurs critères permettent à des juridictions d’être inscrites sur la liste ou, à l’inverse, à celles qui y figurent d’en être retirées.

● Trois hypothèses peuvent conduire une juridiction à être inscrite sur la liste des ETNC :

– la juridiction a conclu avec la France une convention d’assistance administrative, mais l’obtention des renseignements nécessaires à l’application de la législation fiscale française s’est révélée impossible (soit en raison des stipulations de la convention, soit du fait d’une mise en œuvre inadéquate par la juridiction) (b du 2) ;

– la juridiction n’a pas conclu de convention d’assistance administrative alors que la France le lui avait proposé (cette proposition devant être intervenue avant le 1er janvier de l’année précédente) (b du 2) ;

– la juridiction, qui n’a pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative et à qui la France n’a pas proposé de le faire, est considérée par le Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations en matière fiscale ([148]) comme ne procédant pas à l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application des législations fiscales (c du 2).

● Trois hypothèses peuvent conduire une juridiction à être retirée de la liste des ETNC :

– la juridiction a conclu avec la France une convention d’assistance administrative (a du 2) ;

– la juridiction a conclu avec la France une convention d’assistance administrative et a modifié sa législation ou ses pratiques administratives pour rendre effectifs les échanges de renseignements ([149]) ;

– la juridiction n’a pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative, la France ne le lui a pas proposé mais elle est considérée par le Forum mondial comme procédant à l’échange des renseignements voulus (c du 2).

● Ces critères sont empreints d’un certain réalisme : si la conclusion d’une convention avec la France permet de sortir de la liste ou de ne pas y figurer, le fait de ne pas respecter cette convention conduit à y être (ré)inscrit. L’engagement formel est pris en compte, mais doit se concrétiser de manière effective ([150]).

● Enfin, en application du dernier alinéa du 2 de l’article 238‑0 A du CGI, l’arrêté fixant la liste des ETNC doit préciser le motif ayant conduit à ajouter ou retirer une juridiction.

2.   La liste des ETNC

La liste actuelle des ETNC résulte d’un arrêté du 8 avril 2016 et compte sept juridictions mentionnées dans le tableau ci-après.

Liste actuelle des États et territoires non coopératifs

(arrêté du 8 avril 2016)

Botswana

Nauru

Brunei

Niue

Guatemala

Panama

Îles Marshall

 

Depuis 2010 et sa création, la liste a connu de nombreuses et substantielles évolutions, ainsi que l’illustrent les deux tableaux suivants.

Évolution du nombre d’ETNC sur la liste française (2010-2018)

Fondement

Arrêté du 12 février 2010

Arrêté du 14 avril 2011

Arrêté du 4 avril 2012

Arrêté du 21 août 2013

Arrêté du 17 janvier 2014

Arrêté du 21 décembre 2015

Arrêté du 8 avril 2016

Période deffet

18 février – 31 décembre 2010

1er janvier – 31 décembre 2011

1er janvier 2012– 28 août 2013

29 août 2013 – 19 janvier 2014

20 janvier 2014 – 22 décembre 2015

24 décembre 2015 – 10 avril 2016

Depuis le
11 avril 2016

Nombre dETNC

18

18

8

10

8

6

7

Variation N–1

0

– 10

+ 2

– 2

– 2

+ 1

 

Évolution de la liste des etnc (2010-2018)

Arrêté du 12 février 2010

Arrêté du 14 avril 2011

Arrêté du 4 avril 2012

Arrêté du 21 août 2013

Arrêté du 17 janvier 2014

Arrêté du 21 décembre 2015

Arrêté du 8 avril 2016

18 février – 31 décembre 2010

1er janvier – 31 décembre 2011

1er janvier 2012– 28 août 2013

29 août 2013 – 19 janvier 2014

20 janvier 2014 – 22 décembre 2015

24 décembre 2015 – 10 avril 2016

Depuis le
11 avril 2016

Anguilla

Anguilla

Belize

Belize

Bermudes

Botswana

Botswana

Botswana

Botswana

Botswana

Brunei

Brunei

Brunei

Brunei

Brunei

Brunei

Brunei

Costa Rica

Costa Rica

Dominique

Dominique

Grenade

Grenade

Guatemala

Guatemala

Guatemala

Guatemala

Guatemala

Guatemala

Guatemala

Îles Cook

Îles Cook

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Marshall

Îles Turques-et-Caïques

Îles Vierges britanniques

Îles Vierges britanniques

Jersey

Liberia

Liberia

Montserrat

Montserrat

Montserrat

Montserrat

Montserrat

Nauru

Nauru

Nauru

Nauru

Nauru

Nauru

Nauru

Niue

Niue

Niue

Niue

Niue

Niue

Niue

Oman

Panama

Panama

Panama

Philippines

Philippines

Philippines

Saint-Kitts-et-Nevis

Sainte-Lucie

Saint-Vincent-et-les-Grenadines

Saint-Vincent-et-les-Grenadines

NB : les dates sous la référence de l’arrêté sont celles entre lesquelles l’arrêté était en vigueur.

Source : commission des finances, à partir des textes d’application de l’article 238‑0 A du CGI.

3.   Les contre-mesures applicables aux transactions impliquant un ETNC

L’inscription d’une juridiction sur la liste des ETNC entraîne d’importantes conséquences : elle conduit en effet à appliquer toute une batterie de contre-mesures prévues par le CGI et le livre des procédures fiscales (LPF) qui frappent les opérations et flux à destination ou en provenance d’un ETNC.

Aux termes du 3 de l’article 238‑0 A du CGI, ces contre-mesures s’appliquent à compter du premier jour du troisième mois qui suit la publication de l’arrêté portant liste des ETNC. Jusqu’à la loi « Sapin II » du 9 décembre 2016, l’application des contre-mesures intervenait à compter du 1er janvier de l’année suivant celle de l’inscription ([151]).

a.   L’objet des contre-mesures

Les contre-mesures peuvent être regroupées en trois catégories :

– certaines privent l’opération du bénéfice de régimes fiscaux avantageux (tels que le régime mère-fille ou la quasi-exonération touchant les plus-values de long terme résultant de la cession de titres de participation – dite « niche Copé ») ;

– d’autres majorent les taux applicables à certaines formes d’imposition (par exemple, à 75 % pour la retenue à la source sur les montants distribués, lorsqu’ils le sont à une personne établie dans un ETNC) ;

– d’autres, enfin, assouplissent les conditions d’application de certains dispositifs anti-abus prévus par le droit fiscal.

Précision utile, ces contre-mesures ne s’appliquent pas aux ETNC en tant que tels, mais touchent les personnes, particuliers ou entreprises, qui réalisent des opérations avec d’autres personnes établies dans un ETNC ou portant sur des bénéfices ou des biens logés dans un ETNC.

Les trois tableaux ci-après présentent les contre-mesures correspondant à chacune de ces catégories.

ETNC - contre-mesures excluant l’application d’un régime préférentiel

Fondement
(CGI, sauf mention contraire)

Dispositif

Contre-mesure si ETNC

39 duodecies, 2, c

PV résultant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé – cession de titres de sociétés acquis depuis au moins deux ans

Application du régime des PVCT (et non des PVLT) si les titres cédés sont ceux d’une société établie dans un ETNC

39 terdecies, 5

Régime des PVLT des cessions de titres par une société de capital-risque

Exclusion du régime si les titres cédés sont ceux d’une société établie dans un ETNC

145, 6, d

Régime mère-fille

Exclusion du régime si la filiale est établie dans un ETNC

163 quinquies C, II, 2

Distributions par une société de capital-risque prélevées sur les bénéfices réalisés dans le cadre de son objet social

Exclusion de l’exonération si la distribution est payée dans un ETNC

163 quinquies C bis

Distributions par une société unipersonnelle d’investissement à risque

Exclusion de l’exonération de la RAS du 119 bis si payées dans un ETNC

219, I, a sexies0 ter

Régime des PVLT de titres de participation – exonération sauf QPFC 12 % (« niche Copé »)

Exclusion de l’exonération si les titres cédés sont ceux d’une société établie dans un ETNC

L. 62 A du LPF

Demande du redevable tendant à la dispense de RAS sur les bénéfices transférés à l’étranger qualifiés de revenus distribués

Exclusion de la dispense si le bénéficiaire des revenus est situé dans un ETNC

PVLT/PVCT : plus-values de long terme/court terme ; RAS : retenue à la source ; QPFC : quote-part pour frais et charges.

Source : commission des finances.

ETNC - contre-mesures majorant le taux d’imposition

Fondement
(CGI)

Dispositif

Contre-mesure si ETNC

125-0 A, II bis

Prélèvement sur les produits de bons ou contrats de capitalisation bénéficiant à une personne établie dans un ETNC

Majoration du taux à 75 %

125 A, III

Prélèvement sur les produits de placement à revenu fixe payés dans un ETNC

Majoration du taux à 75 %

150 ter, 3

Profits réalisés lors de la cession ou du dénouement de contrats financiers (instruments financiers à terme) lorsque le teneur de compte ou le cocontractant est établi dans un ETNC

Majoration du taux à 50 %

163 quinquies C,
II, 1

Distributions par une société de capital-risque prélevées sur les PV nettes de cessions de titres et payées dans un ETNC

Majoration du taux à 75 % (renvoi à la RAS du 2 du 119 bis)

182 A bis, VI

RAS sur les rémunérations de prestations artistiques réalisées en France et versées à une personne établie hors de France

Majoration du taux à 75 %

182 A ter, V

RAS sur la cession par une personne établie hors de France de titres correspondant à la souscription d’actions/à des attributions gratuites d’actions

Majoration du taux à 75 %

182 B, III

RAS sur certains revenus de prestations intellectuelles et libérales

Majoration du taux à 75 %

187, 2

RAS sur les montants distribués prévus au 2 de l’article 119 bis

Majoration du taux à 75 %

244 bis

Profits relevant des BIC tirés d’immeubles par des personnes établies hors de France

Majoration du taux à 75 %

244 bis B

Gains tirés de la cession ou du rachat de droits sociaux réalisés par des personnes établies hors de France

Majoration du taux à 75 %

792-0 bis, II, 2, dernier al.

Droits de donation/mutation par décès sur biens placés dans un trust

Imposition à 60 % si l’administrateur du trust est soumis à la loi d’un ETNC (dernier taux du III de l’article 777)

RAS : retenue à la source ; PV : plus-values

Source : commission des finances.

ETNC - contre-mesures facilitant ou assouplissant
la mise en œuvre d’outils anti-abus

Fondement
(CGI, sauf mention contraire)

Dispositif

Contre-mesure si ETNC

57

Réintégration au résultat imposable d’une société établie en France les bénéfices qu’elle a transférés à une société étrangère qui la contrôle ou qu’elle contrôle, dès lors que ce transfert octroie un avantage à cette société étrangère

Condition de dépendance entre l’entreprise française et l’étrangère non exigée

123 bis

Imposition à l’IS français des bénéfices d’une société étrangère contrôlée par une personne physique établie en France (contrôle à travers une détention d’au moins 10 % des actions, parts ou droits)

Condition de contrôle présumée satisfaite si la société étrangère est établie dans un ETNC

209 B

Imposition à l’impôt sur les sociétés français des bénéfices d’une société étrangère contrôlée par une personne morale établie en France ; imputation sur l’IS français des RAS prélevées sur les revenus passifs provenant d’une autre juridiction que celle où la société étrangère est établie

Pas d’imputation de RAS sur l’IS si la juridiction tierce est un ETNC (1)

238 A

Refus de la déductibilité de certaines charges financières versées à une entreprise étrangère soumise à un régime fiscal privilégié, sauf si l’entreprise française débitrice établit que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne sont ni anormales, ni exagérées (clause de sauvegarde)

Durcissement de la clause de sauvegarde : s’ajoute aux éléments précédemment évoqués la démonstration du fait que les opérations auxquelles les dépenses correspondent ont principalement un objet et un effet autre que la localisation des sommes dans l’ETNC

792-0 bis, II, 2, avant-dernier al.

Régime des droits de mutation à titre gratuit dus au titre de la transmission de biens et droits placés dans un trust : paiement par l’administrateur du trust

Responsabilité solidaire du paiement des droits entre les bénéficiaires et l’administrateur si ce dernier est soumis à la loi d’un ETNC (2)

L. 13 AB du LPF

Article L. 13 AA du LPF : documentation en matière de prix de transfert

Documentation complémentaire lorsque des transactions sont réalisées avec des entreprises liées établies dans un ETNC

(1) Jusqu’en 2012, la clause de sauvegarde sur l’application de l’article 209 B prévoyait un dispositif spécifique vis-à-vis des ETNC. Ce dispositif a été supprimé par la deuxième loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012‑958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012, article 14).

(2) Cette solidarité de paiement prévue à l’avant-dernier alinéa du 2 du II de l’article 792‑0 bis ne doit pas être confondue avec le dispositif prévu au dernier alinéa du même 2, prévoyant une majoration du taux des droits de mutation (cfsupra, tableau des contre-mesures majorant le taux d’imposition).

RAS : retenue à la source.

Source : commission des finances.

b.   Les clauses de sauvegarde prévues

Certaines des contre-mesures applicables aux opérations concernant des ETNC sont assorties d’une clause de sauvegarde qui permet au contribuable d’échapper à leur application s’il apporte la preuve que l’opération est réelle et n’était pas motivée par la localisation de bénéfices dans un ETNC ([152]).

L’existence d’une telle clause de sauvegarde est une exigence posée par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 20 janvier 2015 et portant sur plusieurs dispositifs ciblant les opérations réalisées avec les ETNC. Le Conseil constitutionnel a estimé que « les dispositions contestées ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au principe dégalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que, à linstar de ce que le législateur a prévu pour dautres dispositifs fiscaux applicables aux opérations réalisées dans un État ou territoire non coopératif [...], le contribuable puisse être admis à apporter la preuve que la prise de participation [...] correspond à des opérations réelles qui nont ni pour objet ni pour effet de permettre [...] la localisation des bénéfices dans un tel État ou territoire » ([153]).

Cette réserve d’interprétation implique donc l’application de la clause de sauvegarde même si la loi ne la prévoit pas – sans quoi la mesure serait contraire à la Constitution.

À la suite de cette décision, le législateur, à travers la loi de finances rectificative pour 2016 ([154]), a complété plusieurs contre-mesures d’une telle clause de sauvegarde ([155]).

B.   la liste européenne commune des juridictions non coopératives

● Jusqu’en décembre 2017, l’Union européenne ne disposait pas de liste commune identifiant des juridictions non coopératives. Seule existait, en plus des listes nationales, la liste dite « Moscovici » sur laquelle figuraient trente juridictions.

Cette « liste Moscovici », toutefois, ne correspondait pas à une position institutionnelle européenne dans la mesure où elle consistait à compiler les listes des États membres pour en extraire les trente juridictions ayant le plus d’occurrences dans ces listes.

● Le 25 mai 2016, le Conseil de l’Union européenne a décidé de se doter d’une liste commune, dont les critères ont été arrêtés le 8 novembre suivant. Le 5 décembre 2017 ([156]), après un travail de plus d’un an, le Conseil a adopté :

– une liste commune des juridictions fiscales non coopératives – la fameuse « liste noire » ;

– une « liste grise » ;

– une liste provisoire, dite « ouragan », réunissant les juridictions durement frappées par les événements cycloniques de la fin de l’année 2017.

1.   Les critères retenus : transparence et coopération, équité fiscale et application des mesures contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices

Trois critères ont été arrêtés le 8 novembre 2016 :

– la transparence fiscale ;

– l’équité fiscale ;

– la mise en œuvre des mesures du projet « BEPS » (pour « base erosion and profit shifting », soit « érosion de la base imposable et transfert de bénéfices ») de l’OCDE.

Chacun de ces critères est subdivisé en sous-critères, certains s’appliquant seulement pour le futur. Ils sont précisés à l’annexe V des conclusions du Conseil du 5 décembre 2017 qui a arrêté les différentes listes (« noire », « grise » et « ouragan »).

a.   La transparence fiscale

Le critère de la transparence repose sur l’échange de renseignements à des fins fiscales. Un critère initial et des critères futurs sont prévus ; ils sont cumulatifs.

● Le critère initial prévoit :

– le respect des standards permettant la mise en œuvre effective en 2018 de la norme commune de déclaration (NCD) ([157]) dans le cadre de l’échange automatique de renseignements ;

– la capacité à échanger des renseignements avec les États membres de l’Union européenne, soit en signant l’Accord multilatéral entre autorités compétentes sur la NCD ([158]), soit à travers des accords bilatéraux (critère 1.1).

● Les critères futurs prévoient :

– une notation « largement conforme » ([159]) par le Forum mondial en matière d’échanges automatiques de renseignements et d’échanges de renseignements à la demande (critères 1.1 ([160]) et 1.2) ;

 

– le fait d’avoir ratifié, d’être en passe de ratifier ou de s’être engagé à rendre effective la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale ([161]), ou le fait de disposer au 31 décembre 2018 d’un réseau conventionnel permettant les échanges automatiques et à la demande avec l’ensemble des États membres de l’Union (critère 1.3).

Un critère futur de plus long terme porte sur l’échange de renseignements sur les bénéficiaires effectifs (critère 1.4).

● Le Conseil de l’Union européenne, afin de laisser aux juridictions le temps nécessaire pour se conformer à ces critères, a prévu que, jusqu’au 30 juin 2019, une juridiction est réputée remplir le critère de la transparence fiscale si elle respecte au moins deux des trois critères 1.1, 1.2 et 1.3 (cette date passée, les trois devront être respectés) ([162]).

b.   L’équité fiscale

Le critère reposant sur l’équité fiscale se décompose en deux sous‑critères :

– l’absence de mesures fiscales préférentielles susceptibles d’être vues comme dommageables, le caractère dommageable étant apprécié à l’aune du Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises ([163]) (critère 2.1) ;

– le fait de ne pas faciliter des structures offshore ou des mesures prévues pour attirer des bénéfices qui ne reflètent aucune activité économique réelle dans la juridiction (critère 2.2).

L’annexe VII des conclusions du Conseil du 5 décembre 2017 précise certains aspects du critère 2.2 ([164]).

Les mesures fiscales potentiellement dommageables
au sens du Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises

Le Conseil ECOFIN a consacré à travers le Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises du 1er décembre 1997 la notion de mesures fiscales potentiellement dommageables, définies comme les mesures « établissant un niveau dimposition effective nettement inférieur, y compris une imposition nulle, par rapport à ceux qui sappliquent normalement dans lÉtat membre concerné ».

Pour apprécier le caractère dommageable de telles mesures, cinq facteurs alternatifs sont pris en considération :

– si les avantages sont accordés exclusivement à des non-résidents ou pour des transactions conclues avec des non-résidents ;

– si les avantages sont totalement isolés de l’économie domestique, de sorte qu’ils n’ont pas d’incidence sur la base fiscale nationale ;

– si les avantages sont accordés même en l’absence de toute activité économique réelle et de présence économique substantielle à l’intérieur de l’État membre offrant ces avantages fiscaux ;

– si les règles de détermination des bénéfices issus des activités internes d’un groupe multinational divergent des principes généralement admis sur le plan international, notamment les règles approuvées par l’OCDE ;

– si les mesures fiscales manquent de transparence, y compris lorsque les dispositions légales sont appliquées de manière moins rigoureuse et d’une façon non transparente au niveau administratif.

c.   La mise en œuvre du projet « BEPS »

Le troisième et dernier critère repose sur la mise en œuvre par la juridiction des mesures prévues dans le cadre du projet « BEPS » de l’OCDE.

Le projet « BEPS »

Pour réaligner le lieu d’imposition des bénéfices avec celui de leurs activités et assurer une imposition de ces bénéfices là où ils sont effectivement réalisés, l’OCDE, sous mandat du G20 et dans le cadre de l’ambitieux projet « BEPS », a identifié quinze actions, dont quatre considérées comme standards minimums (ces quatre actions apparaissent en gras dans la liste ci-dessous) :

– action n° 1 : relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique ;

– action n° 2 : neutraliser les effets des dispositifs hybrides ;

– action n° 3 : concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées ;

– action n° 4 : limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et d’autres frais financiers ;

 action n° 5 : lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance ;

 action n° 6 : empêcher lutilisation abusive des conventions fiscales lorsque les circonstances ne sy prêtent pas ;

– action n° 7 : empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable ;

– actions n° 8 à 10 : aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur ;

– action n° 11 : mesure et mise en œuvre du « BEPS » ;

– action n° 12 : règles de communication obligatoire d’informations ;

 action n° 13 : documentation des prix de transfert et déclaration pays par pays ;

 action n° 14 : accroître lefficacité des mécanismes de règlement des différends ;

– action n° 15 : convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir le « BEPS ».

Ici aussi, un critère initial et un critère futur sont prévus :

– le critère initial consiste à s’engager, d’ici la fin de l’année 2017, à accepter les standards minimums du projet « BEPS » et à permettre leur mise en œuvre ;

– le critère futur repose sur l’appréciation positive du Cadre inclusif « BEPS » s’agissant de l’application des standards minimums.

d.   L’application des critères en 2017

Le processus d’appréciation des juridictions fiscales à l’aune de ces critères a été conduit tout au long de l’année 2017 à partir des 213 juridictions pré‑identifiées.

Finalement, 92 juridictions ont été retenues pour examen :

– 20 ont été jugées conformes aux critères ;

– 72 ont fait l’objet d’un examen approfondi, conduisant à l’élaboration des trois listes arrêtées le 5 décembre 2017.

2.   L’évolution de la « liste noire » européenne

a.   Les listes initiales du 5 décembre 2017

Le 5 décembre 2017, trois listes ont été arrêtées :

– la « liste noire », réunissant 17 juridictions ;

– la « liste grise », réunissant 47 juridictions ayant pris des engagements formels pour prochainement satisfaire aux critères qu’elles méconnaissaient ;

– la « liste ouragan », réunissant 8 juridictions auxquelles un délai supplémentaire a été laissé pour faire part des engagements formels de haut niveau au regard des critères européens.

Les tableaux suivants font état des juridictions inscrites sur chacune de ces trois listes au 5 décembre 2017, en précisant les motifs d’inscription.

« LISTE NOIRE » COMMUNE EUROPÉENNE
(au 5 décembre 2017)

Bahreïn (1) (2) (3)

Namibie (1) (2) (3)

Barbade (2)

Palaos (2)

Corée du Sud (2)

Panama (2)

Émirats arabes unis (3)

Sainte-Lucie (2) (3)

Grenade (1)

Samoa (2) (3)

Guam (1) (3)

Samoa américaines (1) (3)

Macao (1)

Trinité-et-Tobago (1) (2)

Îles Marshall (2) (3)

Tunisie (2)

Mongolie (1) (3)

 

NB : les parenthèses indiquent le ou les critères au titre desquels la juridiction figure sur la liste : (1) : transparence ; (2) : équité fiscale ; (3) : mesures « anti-BEPS ».

Source : Assemblée nationale, XVe législature, Fabien Roussel, Rapport sur la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux (n° 683, 21 février 2018).

« LISTE GRISE » COMMUNE EUROPÉENNE
(au 5 décembre 2017)

Albanie (3)

Hong Kong (1) (2)

Oman (1)

Andorre (2)

Jamaïque (1)

Pérou (1)

Arménie (1) (2) (3)

Jersey (2)

Qatar (1)

Aruba (2) (3)

Jordanie (1) (2) (3)

Saint-Marin (2)

Belize (2)

Liechtenstein (2)

Saint-Vincent-et-les-Grenadines
(2) (3)

Bermudes (2)

Ancienne république yougoslave de Macédoine (1) (3)

Serbie (1) (3)

Bosnie-Herzégovine (1) (3)

Malaisie (Labuan) (2)

Seychelles (2)

Botswana (2)

Labuan (2)

Suisse (2)

Îles Caïmans (2)

Maldives (1) (2) (3)

Swaziland (1) (3)

Cap-Vert (1) (2) (3)

Île de Man (2)

Taïwan (1) (2) (3)

Îles Cook (2) (3)

Maroc (1) (2) (3)

Thaïlande (1) (2)

Curaçao (1) (2)

Île Maurice (2)

Turquie (1) (2)

Îles Féroé (3)

Monténégro (1) (3)

Uruguay (2)

Fidji (1) (2) (3)

Nauru (3)

Vanuatu (2) (3)

Groenland (3)

Niue (3)

Vietnam (1) (2)

Guernesey (2)

Nouvelle-Calédonie (1) (3)

 

NB : les parenthèses indiquent le ou les critères au titre desquels la juridiction figure sur la liste et qui devront faire l’objet de progrès au regard des engagements pris : (1) : transparence ; (2) : équité fiscale ; (3) : mesures « anti-BEPS ».

Source : Fabien Roussel, rapport précité.

« LISTE OURAGAN »

Anguilla

Saint-Kitts-et-Nevis

Antigua-et-Barbuda

Îles Turques-et-Caïques

Bahamas

Îles Vierges américaines

Dominique

Îles Vierges britanniques

Source : Conseil de l’Union européenne.

b.   Les évolutions de la « liste noire »

À la suite de cette publication initiale, trois actualisations de la « liste noire » sont intervenues pour tirer les conséquences de la prise d’engagements formels de certaines juridictions et de l’examen des juridictions inscrites sur la « liste ouragan ».

● Le tableau suivant illustre cette évolution, en indiquant les changements intervenus à chacune des trois actualisations faites le 23 janvier, le 13 mars et le 25 mai 2018.

liste européenne des juridictions non coopératives
(décembre 2017-mai 2018)

5 décembre 2017

23 janvier 2018

13 mars 2018

25 mai 2018

17 juridictions

9 juridictions
(– 8)

9 juridictions
(– 3 ; + 3)

7 juridictions
(– 2)

Bahreïn

Bahreïn

Retrait

 

Barbade

Retrait

 

 

Corée du Sud

Retrait

 

 

Émirats arabes unis

Retrait

 

 

Grenade

Retrait

 

 

Guam

Guam

Guam

Guam

Macao

Retrait

 

 

Îles Marshall

Îles Marshall

Retrait

 

Mongolie

Retrait

 

 

Namibie

Namibie

Namibie

Namibie

Palaos

Palaos

Palaos

Palaos

Panama

Retrait

 

 

Sainte-Lucie

Sainte-Lucie

Retrait

 

Samoa

Samoa

Samoa

Samoa

Samoa américaines

Samoa américaines

Samoa américaines

Samoa américaines

Trinité-et-Tobago

Trinité-et-Tobago

Trinité-et-Tobago

Trinité-et-Tobago

Tunisie

Retrait

 

 

Bahamas (1)

Retrait

Saint-Christophe-
et-Niévès (1)

Retrait

Îles Vierges américaines (1)

Îles Vierges
américaines

(1) Bahamas, Saint-Christophe-et-Niévès et îles Vierges américaines : passage de la « liste ouragan » à la « liste noire ».

Source : Commission des finances, à partir des données du Conseil de l’Union européenne.

● À l’heure actuelle, la « liste noire » européenne ne compte plus que sept juridictions, tandis que la « liste grise » en compte soixante-cinq. Les quatre graphiques suivants illustrent en détail les évolutions apportées depuis le 5 décembre à la composition de chacune des listes (ces documents, produits par la Commission européenne, sont en anglais).

Composition des listes européennes le 5 décembre 2017

Source : Commission européenne.

 

Composition des listes européennes le 23 janvier 2018

Source : Commission européenne.

 

Composition des listes européennes le 13 mars 2018

Source : Commission européenne.

 

Composition des listes européennes le 25 mai 2018

Source : Commission européenne.

● Les listes ont encore vocation à évoluer : si les engagements formels pris par les juridictions ont pu permettre à ces dernières de figurer sur la « liste grise » plutôt que sur la « liste noire », encore faudra-t-il que ces engagements soient effectivement suivis d’effets et que les critères européens soient bien respectés.

 

Dès 2019, la vérification de ces engagements sera effectuée par les institutions européennes : le Conseil, au moins une fois par an, actualisera la liste sur la base d’un rapport du groupe « Code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises » et avec l’assistance technique de la Commission européenne.

En cas de non-respect des critères, malgré ses engagements, la juridiction en cause sera inscrite sur la « liste noire », étant par ailleurs rappelé que les critères futurs seront alors appliqués et qu’ils sont plus stricts que les critères initiaux.

Ainsi, ce sont potentiellement soixante-cinq juridictions qui pourraient rejoindre la « liste noire » si elles méconnaissaient toutes leurs engagements. Si certaines n’y sont pas inscrites, ce sera en raison de leur évolution positive en matière de pratique fiscale.

IV.   Le dispositif proposé

Le présent article 11 a essentiellement pour objet d’adapter la liste française des ETNC en y intégrant les juridictions inscrites sur la « liste noire » européenne. Il procède par ailleurs, en conséquence de cette intégration, à une modulation des contre-mesures applicables en fonction de la gravité du manquement constaté, et ajoute expressément une clause de sauvegarde aux dispositifs qui n’en bénéficiaient pas déjà. Sans remettre en cause son économie générale, le Sénat a apporté plusieurs modifications à cet article.

A.   L’intégration en droit français des pays figurant sur la liste européenne et l’ajustement des contre-mesures applicables

Le présent article ajoute la liste européenne des juridictions non coopératives aux ETNC et module les contre-mesures, tout en insérant là où c’est nécessaire une clause de sauvegarde.

Aux termes de son III, ces modifications entreront en vigueur à compter du premier jour du deuxième mois qui suit la publication de la loi.

1.   La transposition de la liste européenne commune des juridictions non coopératives

Le  du A du I du présent article procède à l’intégration dans le droit français de la « liste noire » européenne en introduisant, à cet effet à l’article 238‑0 A du CGI, un nouveau 2 bis.

 

Précision liminaire, la « liste noire » européenne s’ajoute à la liste française des ETNC, sans s’y substituer. En conséquence, et en l’état des deux listes, la catégorie des ETNC regrouperait quatorze juridictions (aucune des deux listes n’ayant de juridiction en commun).

● L’inscription est faite par renvoi à l’annexe I des conclusions du Conseil de l’Union européenne du 5 décembre 2017, qui dresse la « liste noire ». Les actualisations de cette annexe I sont prises en compte.

Concrètement, une juridiction figurant sur la liste de l’annexe I à la date de publication de l’arrêté ministériel dressant la liste des ETNC sera inscrite sur cette liste.

Le premier alinéa de ce nouveau 2 bis exclut expressément les juridictions françaises qui pourraient figurer sur la liste européenne afin que ne puisse être qualifiée d’ETNC une collectivité de la République ([165]).

● Les motifs d’inscription d’une juridiction sur la « liste noire » européenne font l’objet d’une distinction :

– le  du nouveau 2 bis renvoie au non-respect du critère relevant de l’équité fiscale ciblant les structures offshore destinées à attirer artificiellement des bénéfices, c’est-à-dire au respect du critère 2.2 ;

– son  renvoie au non-respect de l’un des autres critères (transparence fiscale ; critère 2.1 de l’équité fiscale ; mise en œuvre des mesures du projet « BEPS »).

● En raison de l’intégration dans la liste française des ETNC de la « liste noire » européenne, le  du A du I du présent article procède également à un ajustement de la motivation de l’arrêté ministériel établissant la liste : aux motifs actuels d’actualisation sont ajoutés les motifs liés à la « liste noire » européenne, par renvoi aux 1° et 2° du nouveau 2 bis.

Cette motivation actualisée est prévue à un nouveau 2 ter.

Tirant les conséquences de ce nouveau 2 ter, le  du A du I du présent article supprime le dernier alinéa de l’actuel 2 de l’article 238‑0 A (qui prévoyait la même exigence de motivation au regard des critères existants) ([166]).

● Le tableau suivant illustre la liste des ETNC correspondant au dispositif proposé, en faisant état du fondement d’inscription prévu à l’article 238‑0 A, dans sa version résultant du présent article.

Liste des etnc résultant du dispositif proposé
(au regard du contenu des listes actuelles à la date du 25 juillet 2018)

Juridiction

Fondement de linscription
(article 2380 A CGI)

Juridiction

Fondement de linscription
(article 2380 A CGI)

Botswana

2

Niue

2

Brunei

2

Palaos

bis, 1°

Guam

bis, 2°

Panama

2

Guatemala

2

Samoa

bis, 2°

Îles Marshall

2

Samoa américaines

bis, 2°

Namibie

bis, 2°

Trinité-et-Tobago

bis, 2°

Nauru

2

Îles Vierges américaines

bis, 2°

NB : 2 : ETNC au regard des critères français existants ; 2 bis, 1° : ETNC au regard du critère européen lié aux régimes « offshore » ; 2 bis, 2° : ETNC au regard des autres critères européens.

Source : commission des finances, à partir des conclusions du Conseil de l’Union européenne.

Parmi les sept nouveaux ETNC, un seul, Palaos, relève du 1° du nouveau 2 bis relatif au critère « offshore ».

2.   L’application modulée des contre-mesures en fonction du motif d’inscription sur la liste et l’insertion de clauses de sauvegarde

● Les B à İ du I et le II du présent article prévoient une modulation des contre-mesures applicables en fonction du motif d’inscription sur la liste, afin d’adapter ces contre-mesures à la gravité des comportements justifiant l’inscription d’une juridiction.

Concrètement, ils réservent l’application de la totalité des contre-mesures existantes aux opérations associant les ETNC :

– inscrits sur le fondement des critères français, en application du 2 de l’article 238‑0 A du CGI (il n’y a ici aucune modification du droit existant) ;

– inscrits au titre du critère européen 2.2 relatif aux régimes offshore, prévu au 1° du nouveau 2 bis du même article.

Les opérations concernant les ETNC inscrits au titre des autres critères européens (1, 2.1 ou 3), quant à elles, ne seront plus susceptibles de faire l’objet des contre-mesures relevant des première et deuxième catégories précédemment définies (exclusion de régimes préférentiels et taux majorés). Seront en revanche toujours applicables les contre-mesures relevant de la troisième catégorie, à savoir celles assouplissant ou facilitant les conditions d’application des outils anti-abus.

● Le présent article enrichit également plusieurs dispositifs afin d’y inclure la clause de sauvegarde exigée par la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel (décision n° 2014‑437 QPC précitée) :

– le  du B du I inclut une telle clause au 5 de l’article 39 terdecies du CGI ;

– le C du même I l’inclut au II bis de l’article 125‑0 A ;

– le E dudit I l’inclut au V de l’article 182 A ;

– le F dudit I l’inclut au III de l’article 182 B, qui est réécrit : dans sa rédaction actuelle, ce III compte un a, dépourvue de clause de sauvegarde, et un b, qui lui en est bien doté ([167]) ;

– les G et H dudit I l’incluent, respectivement, aux articles 244 bis et 244 bis B ;

– le II l’inclut à l’article L. 62 A du LPF.

● Le tableau suivant, qui reprend l’ensemble des contre-mesures existantes, précise celles applicables en fonction du motif d’inscription de l’ETNC au regard des critères européens et celles enrichies d’une clause de sauvegarde par le présent article.

Il est rappelé que, vis-à-vis des ETNC inscrits au titre des critères français actuels prévus au 2 de l’article 238‑0 A, l’intégralité des contre-mesures s’appliquent.

modulation des contre-mesures applicables
au regard du dispositif proposé

Fondement
(CGI, sauf mention contraire)

Dispositif

Contre-mesure

Application aux ETNC de la liste UE ne respectant pas le critère offshore

Application aux ETNC de la liste UE respectant le critère offshore

Référence dans larticle 11

Clause de sauvegarde (référence article 11)

57

Réintégration au résultat d’une entreprise française des bénéfices transférés à une entité étrangère contrôlant ou contrôlée par l’entreprise française

Dispense de la condition de contrôle ou de dépendance si l’entité étrangère est dans un ETNC

X

X

123 bis

Imposition en France des revenus d’une entité étrangère soumise à un régime fiscal privilégié détenue à hauteur d’au moins 10 % par une personne physique domiciliée en France

Présomption de détention à hauteur d’au moins 10 % si l’entité étrangère est dans un ETNC

X

X

209 B

Imposition en France des revenus d’une société étrangère soumise à un régime fiscal privilégié contrôlée par une société établie en France

Exclusion de l’imputation sur l’IS français des RAS prélevées sur les revenus passifs perçus par la société étrangère s’ils proviennent d’un ETNC

X

X

238 A

Limitation de la déductibilité de certaines charges financières versées à une personne soumise à un régime fiscal privilégié

Durcissement de la clause de sauvegarde si les versements sont effectués dans un ETNC

X

X

7920 bis, II, 2, avant-dernier al.

Droits de mutation à titre gratuit lors de la transmission d’un trust : paiement des droits par l’administrateur du trust

Responsabilité solidaire du paiement des droits entre les bénéficiaires du trust et l’administrateur si ce dernier est établi dans un ETNC

X

X

L. 13 AB du LPF

Documentation en matière de prix de transfert (prévue à l’article L. 13 AA)

Documentation complémentaire si des entreprises du groupe sont établies dans un ETNC

X

X

39 duodecies, 2, c

PV résultant de la cession d’éléments de l’actif immobilisé – cession de titres de sociétés acquis depuis au moins deux ans

Application du régime des PVCT si les titres cédés sont ceux d’une société établie dans un ETNC

X

 

İ du I

Existante

39 terdecies, 5

Régime des PVLT des cessions de titres par une société de capital-risque

Exclusion du régime si les titres cédés sont ceux d’une société établie dans un ETNC

X

 

1° du B du I

Ajoutée
(2° du B du I)

125-0 A, II bis

Prélèvement sur les produits de bons ou contrats de capitalisation bénéficiant à une personne établie dans un ETNC

Majoration du taux à 75 %

X

 

C du I

Ajoutée
(C du I)

125 A, III

Prélèvement sur les produits de placement à revenu fixe payés dans un ETNC

Majoration du taux à 75 %

X

 

İ du I

Existante

145, 6, d

Régime mère-fille

Exclusion du régime si la filiale est établie dans un ETNC

X

 

İ du I

Existante

150 ter, 3

Profits réalisés lors de la cession ou du dénouement de contrats financiers (instruments financiers à terme) lorsque le teneur de compte ou le cocontractant est établi dans un ETNC

Majoration du taux à 50 %

X

 

İ du I

Existante

163 quinquies C, II, 1

Distributions par une société de capital-risque prélevées sur les PV nettes de cessions de titres et payées dans un ETNC

Majoration du taux à 75 % (renvoi à la RAS du 2 du 119 bis)

X

 

İ du I

163 quinquies C, II, 2

Distributions par une société de capital-risque prélevées sur les bénéfices réalisés dans le cadre de son objet social

Exclusion de l’exonération si la distribution est payée dans un ETNC

X

 

İ du I

163 quinquies C bis

Distributions par une société unipersonnelle d’investissement à risque

Exclusion de l’exonération de la RAS du 119 bis si payées dans un ETNC

X

 

İ du I

182 A bis, VI

RAS sur les rémunérations de prestations artistiques réalisées en France et versées à une personne établie hors de France

Majoration du taux à 75 %

X

 

D du I

Existante

182 A ter, V

RAS sur la cession par une personne établie hors de France de titres correspondant à la souscription d’actions/à des attributions gratuites d’actions

Majoration du taux à 75 %

X

 

E du I

Ajoutée
(E du I)

182 B, III

RAS sur certains revenus de prestations intellectuelles et libérales

Majoration du taux à 75 %

X

 

F du I

Ajoutée
(F du I)

187, 2

RAS sur les montants distribués prévue au 2 de larticle 119 bis

Majoration du taux à 75 %

X

 

İ du I

Existante

219, I,
a sexies-0 ter

Régime des PVLT de titres de participation – exonération sauf QPFC 12 % (« niche Copé »)

Exclusion de l’exonération si les titres cédées sont ceux d’une société établie dans un ETNC

X

 

İ du I

Existante

244 bis

Profits relevant des BIC tirés d’immeubles par des personnes établies hors de France

Majoration du taux à 75 %

X

 

G du I

Ajoutée
(G du I)

244 bis B

Gains tirés de la cession ou du rachat de droits sociaux réalisés par des personnes établies hors de France

Majoration du taux à 75 %

X

 

H du I

Ajoutée
(H du I)

792-0 bis, II, 2, dernier al.

Droits de donation/mutation par décès sur biens placés dans un trust

Imposition à 60 % si l’administrateur du trust est soumis à la loi d’un ETNC (dernier taux du III de l’article 777)

X

 

İ du I

L. 62 A du LPF

Demande du redevable tendant à la dispense de RAS sur les bénéfices transférés à l’étranger qualifiés de revenus distribués

Exclusion de la dispense si le bénéficiaire des revenus est situé dans un ETNC

X

 

II

Ajoutée
(II)

NB : PVLT/PVCT : plus-values de long terme/court terme ; RAS : retenue à la source ; QPFC : quote-part pour frais et charges.

Source : commission des finances, à partir du projet de loi.

B.   Les modifications apportées par le Sénat

Outre une modification rédactionnelle et légistique ayant conduit à l’insertion au I du présent article d’un nouveau J reprenant une partie du contenu du İ du même I ([168]), le Sénat a procédé à trois modifications principales, sans pour autant remettre en cause l’économie générale du dispositif.

1.   La modification des critères français à travers la prise en compte des échanges automatiques de renseignements

S’il n’a pas touché, sauf à la marge et essentiellement pour des motifs rédactionnels ou de légistique, le fond du dispositif proposé au présent article 11, le Sénat a apporté une modification aux critères français d’inscription sur la liste des ETNC ([169]).

Ainsi qu’il a été vu, les critères français prévus au 2 de l’article 238‑0 A du CGI reposent sur l’échange de renseignements à la demande.

La commission des finances, à l’initiative de son Rapporteur général et sans que le Sénat ne revienne dessus, a modifié ces critères pour y substituer la prise en compte de l’échange automatique de renseignements.

La logique d’ensemble du 2 de l’article 238‑0 A (présentée au 1 du A du I du présent commentaire) est conservée, mais les conditions d’application des hypothèses de retrait ou d’ajout évoluent : si la conclusion d’une convention portant sur l’échange de renseignements, son application effective ou encore l’appréciation portée par le Forum mondial sont maintenues, elles portent désormais sur l’échange automatique.

● D’une part, est ajoutée la signature de l’accord multilatéral entre autorités compétentes sur l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014 et mettant en œuvre la norme commune de déclaration, dit « accord de Berlin » et également connu sous son acronyme anglais « CRS MCAA » ([170]).

Ainsi, le fait de ne pas avoir signé le « CRS MCAA », ou de l’avoir signé sans qu’il soit effectif, est un motif d’inscription sur la liste.

 Dautre part, les conventions dassistance administrative dont labsence de conclusion – y compris après une proposition française en ce sens  ou le nonrespect emporte également inscription doivent, dans le texte du Sénat, porter sur léchange automatique.

● Enfin, le critère reposant sur l’appréciation portée par le Forum mondial est substantiellement modifié puisqu’il repose désormais sur le fait d’avoir obtenu l’évaluation « largement conforme » en matière d’échange automatique de renseignements (là où, en l’état du droit existant, est exigé que le Forum mondial considère que la juridiction procède à l’échange à la demande).

À défaut d’une telle évaluation, et si elle n’a par ailleurs pas conclu avec la France de convention sur l’échange automatique, la juridiction sera inscrite sur la liste des ETNC.

2.   La modification des modalités de référence au critère portant sur les montages offshore

À l’initiative de son Rapporteur général, la commission des finances du Sénat, là encore suivie en séance, a modifié la rédaction du 1° du nouveau 2 bis de l’article 238‑0 A qu’introduit le présent article, afin de substituer à la mention des montages offshore, la référence au critère européen les consacrant, soit le critère 2.2 de l’annexe V des conclusions du Conseil de l’Union européenne du 5 décembre 2017.

Cette modification a été motivée par le souci de ne pas consacrer dans la loi française un terme anglais, la référence directe au critère correspondant étant jugée plus sûre par le Sénat.

3.   Les précisions apportées à la motivation des évolutions de la liste des ETNC

Enfin, toujours à l’initiative du rapporteur du texte et en commission, la motivation de l’arrêté établissant la liste des ETNC a été complétée afin que, lorsqu’un ajout ou un retrait de la liste est réalisé sur le fondement des critères européens, c’est-à-dire du nouveau 2 bis de l’article 238‑0 A, l’arrêté précise quels critère(s) et sous-critère(s) européens ont justifié cette évolution.

V.   La position de la commission

En plus d’adopter des amendements de précision de la rapporteure, la commission a substantiellement remanié l’article 11, pour lui garantir une efficacité maximale, mais aussi veiller au bon suivi et à la bonne information du Parlement sur les évolutions que pourrait connaître la liste des ETNC, notamment dans son volet européen.

A.   La suppression des trois principales modifications apportées par le Sénat

L’examen par le Sénat du présent article a conduit à l’adoption de trois modifications principales qui, si elles reposent sur des motivations partagées par la commission, ont néanmoins été jugées peu opportunes par celle-ci.

1.   Le rétablissement des critères français actuels en raison des difficultés que pourrait poser la seule prise en compte de l’échange automatique

La prise en compte de l’échange automatique de renseignements entre administrations fiscales, comme le souligne fort justement le rapporteur du texte au Sénat, est une initiative opportune et s’inscrit dans la modernité des moyens administratifs.

Cependant, le dispositif adopté par le Sénat, quoique motivé par des considérations justifiées, n’apparaît pas opportun pour plusieurs motifs.

● En premier lieu, en supprimant toute référence aux échanges à la demande, ce dispositif réduit la portée effective de la coopération internationale qui est au cœur de la notion de juridictions fiscales coopératives ou non coopératives. Si les échanges automatiques sont utiles – et même nécessaires –, ceux à la demande restent indispensables dans la mesure où ils répondent à des demandes ciblées des administrations nationales et permettent l’obtention par celles-ci d’informations précises.

Dès lors, la disparition de la prise en compte des échanges à la demande risque de conduire à qualifier d’ETNC des juridictions qui coopèrent efficacement avec la France et qui répondent à ses demandes.

● En deuxième lieu, en exigeant, de façon alternative, la conclusion d’une convention bilatérale permettant l’échange automatique ou la signature de l’accord de Berlin de 2014, le dispositif sénatorial, indubitablement contre la volonté de son auteur, pourrait affaiblir la notion d’ETNC en excluant de cette qualité des pays qui ne coopèrent pas avec la France.

Il est en effet tout à fait possible qu’un pays ait conclu cet accord et le mette en œuvre de telle façon qu’il bénéficie d’une évaluation « largement conforme », sans pour autant échanger avec la France. Dans une telle hypothèse, et alors que ce pays ne serait pas coopératif avec le nôtre, il ne relèverait pourtant pas de la qualité d’ETNC.

 Enfin, en troisième et dernier lieu, tous les États signataires de laccord de Berlin ne se sont pas engagés pour une mise en œuvre immédiate : certains lont fait pour 2017, dautres pour 2018, dautres encore pour 2019. Dès lors, exiger une mise en œuvre effective de cet accord de la part de ses signataires, sans distinguer selon la nature des engagements pris par ces derniers, risquerait dinclure dans la catégorie des ETNC des pays qui nont rien fait pour mériter cela.

Il peut d’ailleurs sembler étonnant que le Sénat propose ce dispositif, alors que c’était à l’initiative de sénateurs que le Conseil constitutionnel, en décembre 2013, avait censuré la modification apportée aux critères d’identification des ETNC reposant sur l’échange automatique de données au motif qu’elle revêtait, à l’époque, « un caractère disproportionné à lobjectif poursuivi » ([171]).

Si les choses ont évolué depuis, il n’en reste pas moins certain que s’appuyer sur l’effectivité de la conclusion de l’accord de Berlin, sans tenir compte du fait que des pays aient pu prendre des engagements reportant sa mise en œuvre, risque de toucher des pays ne relevant objectivement pas de la qualification d’ETNC.

● En conséquence, et à l’initiative du groupe La République en Marche, la commission a adopté un amendement ayant fait l’objet d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement et tendant à rétablir les critères français actuels à la place de ceux proposés par le Sénat.

2.   Le rétablissement de la définition dans la loi des montages offshore et la précision linguistique apportée

Le Sénat, à l’initiative du rapporteur du texte, a modifié, dans le cadre de l’intégration en droit français de la « liste noire » européenne, le critère relatif aux montages offshore afin, ainsi qu’il a été vu, de substituer à sa mention en toutes lettres, incluant un terme anglais, le renvoi à la numérotation des critères.

Si le souci linguistique du Sénat est naturellement partagé par la rapporteure et la commission, la modification apportée par le Sénat n’en présente pas moins deux inconvénients.

● D’une part, en substituant une référence à la description complète des pratiques visées, elle rend l’article 238‑0 A du CGI moins lisible et limite l’intelligibilité du droit.

Il faudra en effet au contribuable se reporter aux conclusions du Conseil de l’Union européenne du 5 décembre 2017 pour savoir de quel critère il s’agit. Or, ce critère revêt une importance singulière dans la mesure où il est le seul, parmi tous les critères européens, à entraîner l’application de l’intégralité des contre-mesures prévues par le droit fiscal français en raison de la gravité des pratiques qu’il recouvre.

● D’autre part, les conclusions du Conseil ne sont pas figées, et pourraient être complétées par de nouveaux critères, conduisant à une modification de la numérotation. Dans une telle hypothèse, qui ne constitue pas un cas d’école, il faudrait modifier la loi afin de corriger la référence devenue caduque.

Un tel procédé serait lourd et inévitablement plus lent qu’une actualisation instantanée permise, non par un renvoi à travers une référence, mais par la mention du fond du critère.

● En conséquence, à l’initiative du groupe La République en Marche et suivant les avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement, la commission a rétabli la définition initialement proposée dans le projet de loi.

Cependant, pour tenir compte des préoccupations légitimes du Sénat, ce rétablissement a fait l’objet d’un sous-amendement de la rapporteure, adoptée par la commission, qui a substitué au terme anglais « offshore » la notion française d’extraterritorialité.

3.   La suppression des exigences de motivation, redondantes avec le droit proposé

La précision apportée par le Sénat sur l’indication, dans l’arrêté modifiant la liste, des critères européens retenus pour justifier le retrait ou l’ajout d’un pays, procède là encore d’une intention louable que partage la rapporteure : l’information du Parlement et des citoyens et la transparence de l’action fiscale du pays.

Néanmoins, ici non plus, l’opportunité de la modification n’est pas évidente.

D’une part, la motivation prévue dans la version initiale du texte, que le Sénat a conservée – il l’a simplement complétée – prévoit déjà d’indiquer les raisons ayant conduit à un ajout ou un retrait de la liste, soit au regard des critères français (renvoi au 2 de l’article 238‑0 A), soit au regard des critères européens (renvoi aux 1° et 2° du 2 bis du même article, introduit par le présent article).

D’autre part, toutes les précisions relatives aux critères européens et aux raisons qui, à leur aune, justifient le retrait ou l’ajout d’une juridiction de la « liste noire » européenne, figurent dans les conclusions du Conseil publiées à chaque actualisation de la liste.

En conséquence, la modification du Sénat est satisfaite et son maintien se révélerait redondant avec la première phrase du nouveau 2 ter de l’article 238‑0 A introduit par le présent article.

Suivant ce raisonnement, la commission a supprimé l’ajout fait par le Sénat sur ce point en adoptant un amendement du groupe La République en Marche ayant fait l’objet d’un avis favorable de la rapporteure.

B.   Une liste d’ETNC bienvenue mais dont le suivi est nécessaire et qui ne résout pas intégralement la question de la fraude et de l’évasion fiscales

Les listes de juridictions non coopératives, si elles sont utiles, ne résolvent pas à elles seules les questions liées à la fraude et à l’évasion fiscales internationales.

1.   L’indispensable suivi de l’application des critères européens : l’introduction d’une « clause de revoyure »

● L’adoption par l’Union européenne d’une liste commune de juridictions non coopératives constitue une avancée bienvenue dont il faut se réjouir, et qui s’inscrit plus généralement dans un vaste mouvement européen tendant à améliorer de façon très substantielle la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

Par ailleurs, ainsi qu’il a été vu, si l’existence de la « liste grise » offre aux juridictions qui s’y trouvent un sursis, ce dernier n’est que provisoire : les engagements formels pris par les autorités de ces pays pour se conformer aux exigences européennes leur ont permis, à l’heure actuelle, de sortir de la « liste noire », mais la réalité de ces engagements fera ensuite l’objet d’une analyse détaillée de la part des institutions européennes.

Dès lors, tout pays ne respectant pas les critères malgré ses déclarations fera l’objet d’une inscription sur la « liste noire ». Cette inscription, grâce au présent article, conduira à ce que le pays en question soit ajouté à la liste française, entraînant l’application des contre-mesures prévues par le droit existant selon les modalités précédemment définies en fonction des motifs d’inscription.

La liste européenne, et par ricochet la liste française, est donc un outil vivant et évolutif.

● C’est précisément en raison de ce caractère évolutif qu’une information régulière et exhaustive du Parlement par le Gouvernement est indispensable. Seule la mise en œuvre d’une « clause de revoyure », permettant aux commissions compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères des deux assemblées d’exercer pleinement leurs prérogatives de contrôle et d’évaluation, garantira l’effectivité de la liste et la bonne application par les institutions européennes des critères adoptés.

Il ne s’agit pas ici d’appeler à ce que la « liste noire » soit la plus longue possible : le chemin le plus efficace vers davantage de justice fiscale réside non dans les sanctions, mais dans le changement des pratiques dommageables auxquelles certains États ou territoires se livrent. Une « liste noire » modeste serait à cet égard une bonne nouvelle si elle traduisait effectivement une évolution de la part de ces pays à la vertu fiscale toute relative, voire inexistante.

En revanche, il est indispensable de s’assurer que, dans l’hypothèse où le contenu de cette « liste noire » serait peu fourni, ce contenu reflète fidèlement la réalité et qu’il ne résulte pas d’arrangements diplomatiques ou d’une application trop souple, voire laxiste, des critères pertinents de l’Union européenne.

● Aussi, afin de concrétiser cette « clause de revoyure », la commission des finances, à l’initiative de la rapporteure, a adopté un amendement organisant la bonne information des commissions compétentes. La possibilité d’un débat ([172]) a également été introduite par cet amendement et précisée par un sous-amendement de Mme Véronique Louwagie favorablement accueilli par la rapporteure et le Gouvernement.

La tenue d’un tel débat permettra d’assurer l’expression de toutes les sensibilités politiques sur un sujet dont l’enjeu, à l’évidence, transcende les clivages partisans.

2.   La suppression de l’exclusion des États membres de l’Union européenne de la liste française des ETNC

La liste européenne n’intègre pas les États membres de l’Union européenne, par principe et par choix des institutions européennes, ces dernières considérant que les règles au sein de l’Union permettent d’éviter les pratiques dommageables.

Une telle affirmation peut laisser perplexe face aux constats tirés de la pratique de certains États. L’Irlande est ainsi souvent désignée comme paradis fiscal, de même que le Luxembourg, Chypre ou encore les Pays‑Bas – ces derniers ayant toutefois témoigné d’une évolution importante à travers des modifications législatives ou encore des choix ambitieux dans le cadre de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ([173]). Malte est également un paradis fiscal notoire avec des dispositifs offshore réputés pour leur générosité à l’égard des entreprises étrangères ne réalisant pas dans l’État méditerranéen d’activités.

L’Union européenne dispose pourtant depuis 1997 d’un Code de conduite déjà présenté. Son respect par les États membres devrait faire l’objet d’une attention plus prononcée de la part des institutions européennes.

Il est donc regrettable qu’aucun État membre ne puisse par principe figurer sur la « liste noire » européenne, et cette absence illustre les limites des listes : instruments empreints d’une dimension diplomatique, les listes sont rarement d’une objectivité exhaustive.

● La liste des ETNC au regard des critères français exclut également les États membres de l’Union européenne, pour des motifs plus juridiques : les contre-mesures applicables sont en effet pour beaucoup d’entre elles incompatibles avec le droit européen.

Néanmoins, en ce que ces critères français portent sur la coopération fiscale et la transparence, il est presqu’assurément acquis que tous les États membres les respectent – il s’agit d’ailleurs d’obligations européennes traduites par six directives dites « DAC » (pour « directive on administrative cooperation », ou « directives sur la coopération administrative »).

À supposer que l’un des États membres méconnaisse ces critères français, une action vigoureuse devrait nécessairement être entreprise, non seulement par la France mais aussi par la Commission européenne.

Pour envoyer un signal fort et bien montrer que, en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, nul ne peut bénéficier d’un blanc-seing sans contreparties concrètes, la commission a supprimé l’exclusion de principe des États membres de l’Union de la liste des ETNC établie au regard des critères français.

Cette suppression résulte de l’adoption de quatre amendements identiques déposés par les députés appartenant aux groupes de la Gauche démocrate et républicaine, Nouvelle Gauche et La France insoumise ainsi que par Mme Sarah El Haïry et plusieurs membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, ayant fait l’objet d’avis favorables de la rapporteure et du Gouvernement.

3.   La liste des ETNC n’a pas vocation à résoudre tous les problèmes et marque un progrès dans un mouvement plus général en faveur de la justice fiscale

La liste des ETNC, incluant des juridictions au regard des critères français et celles inscrites sur la « liste noire » européenne, ne saurait et ne devrait être vue comme la panacée aux maux éminemment complexes de la fraude et de l’évasion fiscales internationales.

Un tel constat ne doit naturellement pas conduire à faire preuve de pessimisme ou, pis encore, de fatalisme face aux fléaux que sont la fraude et l’évasion fiscales internationales.

Les listes, en effet, ne sont qu’un outil permettant d’exercer une pression diplomatique et politique sur les juridictions qui y figurent, afin que ces dernières évoluent dans le bon sens. Les listes européennes, la « noire » et la « grise », en fournissent une parfaite illustration.

L’existence de contre-mesures puissantes, le droit français étant à cet égard particulièrement bien fourni, ne vise d’ailleurs pas un objectif de rendement ou de récupération de sommes éludées, mais a en réalité une portée dissuasive : par leur ampleur et leurs conséquences, ces contre-mesures prémunissent la multiplication d’opérations avec des ETNC.

● Pour lutter contre les abus des contribuables, c’est vers les outils anti‑abus qu’il faut se tourner. Notre pays, là encore, est bien doté et dispose d’un arsenal robuste puisqu’il permet chaque année, pour la seule évasion fiscale internationale des entreprises, des redressements de plusieurs milliards d’euros en base. Des évolutions sont néanmoins envisageables, et devront être réalisées.

Enfin, la lutte efficace contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, dont les paradis fiscaux ne sont qu’un avatar parmi d’autres, suppose une action ambitieuse de l’Union européenne et de la communauté internationale :

– les nombreuses initiatives européennes sur le sujet, tout particulièrement depuis 2015, témoignent de la volonté de l’Union à traiter le problème ([174]) ;

– sur la scène internationale, l’important projet « BEPS » de l’OCDE est porteur de promesses dont la Convention multilatérale précitée n’est qu’une des manifestations.

Tous ces sujets font d’ailleurs l’objet d’une mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée, présidée par M. Jean‑François Parigi et dont la rapporteure est Mme Bénédicte Peyrol. La restitution de ses travaux, attendue pour septembre, devrait permettre d’alimenter utilement les prochains débats budgétaires et, d’une manière générale, apporter un éclairage précieux et bienvenu sur ces questions complexes et techniques mais à l’importance politique et démocratique capitale.

Ceux qui, comme la rapporteure, sont attachés à la justice fiscale – et ils sont nombreux – ne doivent donc pas voir dans le présent article l’aboutissement de la lutte contre les fléaux fiscaux. Il ne s’agit que d’une étape dans un parcours qui sera long et tortueux, mais qu’il faudra nécessairement parcourir. Une simple étape, donc, mais une étape importante qui marque incontestablement un progrès par rapport à la situation antérieure et qui devrait, de ce fait, susciter une adhésion unanime.

*

*     *

La commission examine, en discussion commune, les amendements identiques CF55 de M. Fabien Roussel et CF82 de Mme Christine Pires Beaune, ainsi que l’amendement CF163 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Paul Dufrègne. L’amendement CF55 propose une réforme volontariste de la liste française des États et territoires non coopératifs (ETNC) – communément appelés « paradis fiscaux » – fondée sur une refonte puissante des critères définissant les ETNC afin de les rendre plus conformes à la réalité fiscale mondiale actuelle – transparence fiscale, assistance et coopération, régimes fiscaux dommageables.

Il propose également de placer l’élaboration de cette liste sous le regard des parlementaires – et donc des citoyens, protégeant ainsi cette nouvelle nomenclature nationale de la force diplomatique d’États ou territoires peu enclins à participer à la coopération fiscale internationale.

Cet amendement reprend l’article premier de la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, portée par M. Fabien Roussel et l’ensemble des députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) et examinée en début d’année 2018 par notre assemblée. En définissant des critères plus aboutis et ambitieux, en s’appuyant sur l’arsenal des sanctions d’ores et déjà prévues par le code général des impôts, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale en sortirait renforcée.

Il est clair que cet amendement apporterait une solution plus adéquate que celle proposée en l’état par le présent projet de loi. Ce dernier n’opère qu’une transposition de la liste européenne des paradis fiscaux, dont la substance est toute relative puisqu’elle ne contient aucun paradis fiscal !

C’est clairement insuffisant : pays de l’Union européenne a priori exclus – Irlande, Pays-Bas, Malte, Chypre – alors que ce sont des paradis fiscaux notoires ; manque de transparence dans le suivi de cette liste européenne – un comité Théodule en ayant la charge. L’opacité règne : où sont les pays des Caraïbes, paradis fiscaux s’il en est ? Où sont Hong Kong et la Suisse ?

Le compte n’y est pas. Notre droit a un point fort – ce sont les sanctions qu’il prévoit à l’égard des paradis fiscaux –, mais vous voulez maintenir son point faible – la liste. Nous proposons un amendement ambitieux car des sanctions adaptées ne servent à rien si on ne peut les mettre en œuvre du fait d’une liste trop restreinte.

Mme Christine Pires Beaune. Les montants placés dans les paradis fiscaux sont difficiles à estimer. Certains économistes parlent de 350 milliards d’euros de recettes fiscales évaporées dans le monde, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) table sur une fourchette de 100 à 240 milliards, les Nations unies les évaluent à 600 milliards... Que l’on retienne l’estimation la plus basse ou la plus haute, il s’agit de sommes colossales, qui minent la confiance des citoyens dans leurs gouvernements. C’est notamment le cas des citoyens européens, car de nombreux paradis fiscaux se situent en Europe : l’Irlande, le Luxembourg ou les Pays-Bas, pour n’en citer que trois.

Notre amendement CF82 réécrit l’article 11, sur la base des excellentes dispositions prévues par la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux, discutée récemment.

Mme Sabine Rubin. La simple transposition de la liste européenne des paradis fiscaux ne s’attaquera pas aux pratiques d’évasion fiscale, puisque cette liste ne comporte plus que sept États, et aucun paradis fiscal notoire.

Notre amendement CF163 a pour objectif de redéfinir des critères pertinents, ainsi que les modalités de validation de ces critères. Les critères proposés reposent sur la transparence fiscale, les normes de base d’imposition et le transfert de bénéfices – base erosion and profit shifting (BEPS) – ainsi que l’absence de mise en place d’un régime fiscal dommageable, conformément aux préconisations du Conseil de l’Union européenne et de l’OCDE.

En outre, cet amendement renforce le poids du Parlement, en lui permettant de débattre de l’application effective des critères et de cette liste, sur la base d’un rapport remis par le Gouvernement. Dans ce cadre, le Parlement aura le dernier mot concernant la liste, en décidant de la valider, ou non.

Enfin, l’amendement prévoit une clause de sauvegarde au bénéfice des pays reconnus comme les moins avancés par l’Organisation des Nations unies et qui ne disposent pas d’un centre financier. En effet, il ne faut pas pénaliser les États socialement et économiquement les plus fragiles dans notre combat contre la grande délinquance financière.

Mme la rapporteure. En proposant une nouvelle rédaction de l’article 11, ces amendements écrasent les dispositions concernant la modulation des contre‑mesures en fonction de la gravité des actes. Or, il me semble que M. Roussel n’était pas hostile au principe de cette modulation. Par ailleurs, les critères retenus nous paraissent trop larges : il suffit d’en remplir un seul pour être un ETNC, d’autant plus que certains sont déjà intégrés à la liste européenne.

En outre, faire figurer ces pays dans la liste des ETNC n’est pas le seul moyen de lutter contre la fuite de capitaux vers les pays à fiscalité privilégiée : l’article 238 A du code général des impôts est également souvent utilisé. C’est un moyen d’action puissant puisque les entreprises françaises ne peuvent déduire les charges qu’elles versent aux personnes localisées dans ces pays. Peuvent également être mentionnés l’article 209 B – qui permet d’imposer en France les filiales situées dans ces pays – ou encore l’article 57 sur les prix de transfert abusifs.

Enfin, le dispositif des ETNC a aussi pour objectif de faire entrer les États dans des logiques de coopération.

Je suis donc défavorable à vos amendements.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques CF54 de M. Fabien Roussel, CF66 de Mme Sarah El Haïry, CF87 de Mme Christine Pires Beaune et CF164 de Mme Sabine Rubin.

M. Jean-Paul Dufrègne. Je peine à me remettre du sort réservé à notre précédent amendement...

La multiplication des exemptions nuit à l’efficacité de la liste des ETNC. Notre amendement CF54 propose de ne pas exclure a priori les juridictions appartenant à l’Union européenne. Aujourd’hui, on fait de grandes déclarations mais on ne touche pas aux copains !

 

Mme Sarah El Haïry. Suite au travail mené par M. Roussel, du groupe GDR, notre amendement CF66 vise à ne pas exclure par principe et sans raison les États membres de l’Union européenne. L’appartenance à l’Union européenne ne doit pas être considérée comme un bouclier contre des sanctions potentielles. Plus la transparence prévaudra, mieux ce sera. Elle permettra d’ailleurs de mieux lutter contre les paradis fiscaux, mais aussi de renforcer l’Union européenne.

Mme Christine Pires Beaune. Bien sûr, madame la rapporteure, la liste noire n’est pas le seul outil pour lutter contre les paradis fiscaux, mais une liste aussi réduite est une véritable plaisanterie !

Notre amendement CF87 vise spécifiquement les États européens. Cette liste ne peut exclure d’emblée les paradis fiscaux situés dans l’Union européenne. C’est presque une question de survie pour cette dernière : les élections approchent et il va s’agir d’un important sujet de campagne. Vous devriez y réfléchir.

Mme Sabine Rubin. Notre amendement CF164 vise à supprimer l’exclusion des pays membres de l’Union européenne de la liste française des ETNC. Je vous soumets deux arguments supplémentaires. Le premier prend appui sur les propos d’Emmanuel Macron. Il n’a certes jamais désigné les Pays-Bas, Malte et le Luxembourg comme paradis fiscaux, mais il a tout de même indiqué : « Ce sont des États dont les règles permettent aujourd’hui des contournements massifs. »

La concurrence fiscale agressive de certains pays de l’Union européenne engendre des pertes estimées à 2 % ou 3 % des produits intérieurs bruts nationaux dans l’Union européenne, pour un coût estimé à 15 milliards d’euros pour les seules finances publiques françaises. Il faudrait en tenir compte !

Mme la rapporteure. La liste des ETNC, comme leur nom l’indique, cible les États et territoires non coopératifs. Si certains États membres étaient considérés comme « non coopératifs », ils seraient probablement en infraction avec le droit communautaire puisque cinq directives s’appliquent en la matière et qu’une sixième vient d’être adoptée. Aucun pays européen n’appartient actuellement à la liste des ETNC. Pour autant, des redressements peuvent être notifiés au titre de l’article 238 A relatif aux pays à fiscalité privilégiée.

Je partage votre souci de ne pas empêcher l’inscription de pays européens sur cette liste. Je serai donc favorable à vos amendements, en espérant qu’aucun pays européen n’y sera inscrit...

M. le ministre. Conformément à l’engagement que j’avais pris lors de l’examen du projet de loi de finances et lors de celui de la proposition de loi de M. Roussel, je donne également un avis favorable à ces amendements.

 

Mme Amélie de Montchalin. Lors de l’examen de la proposition de loi portée par M. Roussel, nous avions longuement débattu de l’importance d’une liste suffisamment large et nous nous étions accordés sur la nécessité de réfléchir aux sanctions. L’avis favorable rendu par Mme la rapporteure et M. le ministre souligne que nous avons tenu cet engagement collectif.

M. Éric Coquerel. Ces amendements visent à mettre fin à l’inégalité de traitement entre les fraudeurs « utilisant » des paradis fiscaux hors Union européenne et les autres, puisque les pays qui les hébergeaient n’étaient pas sur la liste au motif qu’ils appartenaient à l’Union européenne. On peut d’ailleurs s’interroger sur la constitutionnalité de cette inégalité de traitement géographique. En l’état actuel du droit, l’article 238-0 A ne peut être utilisé car il ne s’agit pas de paradis fiscaux. Nous devons donc inclure les pays européens qui sont effectivement des paradis fiscaux.

M. Daniel Labaronne. À l’occasion de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Roussel, nous avions pris l’engagement de réfléchir à ses propositions, notamment s’agissant des pays de l’Union européenne se rapprochant d’États non coopératifs. Nous tenons notre engagement. Le groupe La République en Marche soutiendra ces amendements.

Mme Sarah El Haïry. Nous avions beaucoup débattu de ce point pendant l’examen de la proposition de loi du groupe GDR. Ces amendements sont une belle avancée. Nous aurons désormais une réponse juridique. Bravo pour l’audace !

Mme Bénédicte Peyrol. Madame Pires Beaune, vous nous avez interpellés sur la survie de l’Union européenne et la nécessité de règles européennes harmonisées. Vous avez raison. Il est par ailleurs extrêmement important que ces États siègent à table des négociations concernant les futures directives relatives à l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS).

En outre, la France doit être motrice pour que l’Union européenne accompagne ces États dans leur transition. En effet, leur modèle économique, fondé sur les services, est assis sur cette fiscalité très attractive.

Mme Christine Pires Beaune. Je remercie la rapporteure et le ministre pour cet avis favorable. C’est un premier pas. Je rejoins Bénédicte Peyrol, le chemin est encore long...

M. Jean-Louis Bourlanges. J’aurais souhaité ne pas avoir à voter cet amendement, car l’Union européenne devrait d’office exclure ce type de comportement. Mais je le voterai car il serait paradoxal que l’appartenance à l’Union européenne aboutisse à soustraire ces États au principe de coopération !

 

M. Jean-Paul Dufrègne. Ne voulant pas être en reste par rapport à mes collègues, je salue à mon tour le travail réalisé et les avis donnés par Mme la rapporteure et M. le ministre. Un avis favorable est tellement rare ! M. Roussel, qui ne peut malheureusement pas être là et le regrette vivement, sera heureux de la décision que nous allons prendre.

La commission adopte les amendements à l’unanimité.

 

Elle en vient à l’examen de l’amendement CF122 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement repense la définition des ETNC, avec des critères plus complets, et revisés, afin de lutter plus efficacement contre le phénomène de fraude.

Mme la rapporteure. J’y suis défavorable, pour les raisons précédemment évoquées. Par ailleurs, la liste « Hurricane » que vous mentionnez dans votre amendement n’existe plus car il s’agissait d’une liste temporaire. Votre amendement conduirait à exclure des pays comme les îles Vierges américaines de la liste des ETNC.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CF94 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Vous me permettrez de défendre conjointement les amendements CF94, CF211 et CF212. Nous nous proposons de revenir sur certaines modifications introduites à l’article 11 à l’occasion de l’examen du projet de loi par le Sénat.

Le premier amendement propose de revenir sur l’ajout d’un critère lié à l’échange automatique de données au 2 de l’article 238‑0 A du code général des impôts. L’effectivité de l’échange automatique de renseignements est en effet déjà prise en compte par la liste européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales que le Gouvernement a décidé de transposer à ce même article. Cette précision serait donc redondante.

Le critère retenu par le Sénat s’écarte par ailleurs de celui prévu par la liste européenne et est donc contraire à notre volonté d’appliquer strictement les critères adoptés à l’unanimité par les États membres.

L’amendement CF211, pour sa part, tend à modifier l’alinéa 12 du présent article, afin de ne pas mentionner directement dans la loi française la numérotation des critères adoptée par le Conseil de l’Union européenne. Cette numérotation peut évoluer, ce qui obligerait à amender les textes à chacune des modifications. La rédaction proposée permet de se prémunir contre cette éventualité. Elle garantit une meilleure intelligibilité de la norme en inscrivant dans la loi la définition retenue par le Conseil européen.

Enfin, l’amendement CF212 modifie l’alinéa 14 pour éviter une redondance, étant donné que ce même alinéa prévoit déjà que l’arrêté modifiant la liste des ETNC indique le motif justifiant l’ajout ou le retrait de la liste. Il n’est donc pas nécessaire de préciser qu’il doit mentionner les critères ayant présidé à la modification ou l’ajout.

Mme la rapporteure. Concernant l’amendement CF94, la rédaction du Sénat se fonde uniquement sur l’échange automatique de renseignements, laissant de côté l’échange à la demande. Elle pourrait conduire à ce que des pays ne soient pas qualifiés d’ETNC, alors même qu’ils ne coopèrent pas avec la France. Je suis donc favorable à votre amendement.

La commission adopte l’amendement.

 

La commission examine l’amendement CF67 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Cet amendement vise à imposer la tenue d’un débat annuel devant les parlementaires, a minima devant les commissions compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat, en présence du ministre chargé de l’économie et des finances.

Mme la rapporteure. Je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement au profit de l’amendement CF215 que j’ai déposé, et qui prévoit lui aussi l’information des commissions compétentes, avec la possibilité d’un débat.

L’amendement est retiré.

 

L’amendement CF56 de M. Fabien Roussel tombe du fait de l’adoption de l’amendement CF94.

 

La commission en vient à l’amendement CF211 de M. Daniel Labaronne, faisant l’objet du sous-amendement CF214 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Avis favorable, sous réserve de l’adoption de mon sous‑amendement consistant à substituer au mot « offshore » le mot « extraterritoriaux ».

La commission adopte le sous-amendement, puis l’amendement ainsi sous-amendé.

 

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, elle adopte l’amendement CF212 de M. Daniel Labaronne.

 

Elle est saisie de l’amendement CF60 de M. Fabien Roussel.

Mme la rapporteure. Je demande le retrait de cet amendement au profit de mon amendement CF215, évoqué voici un instant.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’amendement de précision CF208 de la rapporteure.

 

Elle examine, en discussion commune, les amendements CF215 de la rapporteure et CF97 de M. Daniel Labaronne.

Mme la rapporteure. L’amendement CF215 prévoit que le Gouvernement informe chaque année les commissions permanentes compétentes en matière de finances et d’affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Sénat de l’évolution de la liste des ETNC. Contrairement à l’amendement CF97, il précise que l’information doit avoir lieu devant les deux commissions concernées, non uniquement devant la commission des finances.

M. Daniel Labaronne. Dans un souci de transparence et d’information de la représentation nationale, le présent amendement propose que l’évolution de la liste des ETNC fasse tous les ans l’objet d’une information.

Mme la rapporteure. Monsieur Labaronne, je vous suggère de bien vouloir retirer votre amendement au profit du mien.

L’amendement CF97 est retiré.

M. Jean-Paul Dufrègne. Ne pourrait-on sous-amender l’amendement de Mme la rapporteure pour prévoir un débat en séance publique ?

Mme la rapporteure. La constitutionnalité d’une telle disposition pose problème, car les assemblées sont maîtresses de leur ordre du jour. Le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur des dispositions similaires et les a censurées.

M. le ministre. Je me range à l’avis de la rapporteure, mais il me semble que M. Dufrègne évoque une possibilité, non une obligation.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, la dernière phrase de votre amendement est inutile, car nos commissions sont également maîtresses de leur agenda. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la loi, d’autant qu’il s’agit d’une simple possibilité. Par ailleurs, les arrêtés listant les pays concernés sont publiés.

Malgré tout, je voterai cet amendement car il n’est pas inutile de prévoir que le Gouvernement peut venir s’expliquer, mais je souhaite déposer un sous-amendement supprimant la dernière phrase.

Mme Véronique Louwagie. Contrairement à M. de Courson, je propose pour ma part un sous-amendement CF232 tendant à supprimer les mots « devant ces mêmes commissions », ce qui ménage la possibilité d’un débat en séance publique.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je suis d’accord avec M. de Courson sur le fait que le sujet peut être débattu en commission et en séance, et opposé à la mention du débat en séance pour une raison simple : cela transformerait la compétence de droit commun de nos commissions en une compétence d’attribution. Cela laisserait entendre, en effet, que tout ne pourrait pas faire l’objet d’un débat. Or, c’est à nous d’en décider !

Mme la rapporteure. La dernière phrase de mon amendement évoque un débat infra-annuel, ce qui signifie que si une évolution survient en cours d’année, elle pourra faire l’objet d’un débat. Je suis plutôt favorable au sous-amendement de Mme Louwagie, qui ouvre la possibilité d’un débat en commission comme en séance.

Mme MarieChristine VerdierJouclas, présidente. Le sous-amendement CF232 de Mme Louwagie est ainsi rédigé : « Après les mots : “peut faire l’objet d’un débatˮ, supprimer la fin de la seconde phrase. »

La commission adopte le sous-amendement CF232 de Mme Véronique Louwagie, puis l’amendement CF215 ainsi sous-amendé.

 

Enfin, elle adopte l’article 11 modifié.

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Article 11 bis A (nouveau)
(article 209 B du code général des impôts)
Extension du régime des sociétés étrangères contrôlées
aux États et territoires non coopératifs

Le présent article a été introduit par la commission à linitiative de Mme Bénédicte Peyrol et avec un avis favorable de la rapporteure. Il étend aux entreprises établies dans des États ou territoires non coopératifs le régime des sociétés étrangères contrôlées.

  Le droit existant

 Prévu à larticle 209 B du code général des impôts, le régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) est lun des nombreux outils anti-abus de larsenal juridique français face à la fraude et à lévasion fiscales.

Il permet dimposer en France les bénéfices dune société étrangère placée sous le contrôle dune société établie en France, dès lors que la société étrangère est soumise à un régime fiscal privilégié au sens de larticle 238 A du CGI. Pour mémoire, est soumise à un tel régime fiscal privilégié une société dont limpôt acquitté à létranger est inférieur de plus de moitié à limpôt sur les sociétés (IS) quelle aurait supportée si elle avait été en France.

Des clauses de sauvegarde sont prévues, permettant à lentreprise française de montrer que la présence de sa filiale dans un pays à régime fiscal privilégié répond à des considérations économiques valables et nest pas motivée par le dessein déluder limpôt français.

 Si lentreprise étrangère est implantée dans un pays qualifié dÉtat ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de larticle 2380 A du CGI ([175]), en revanche, le régime des SEC ne sapplique pas (sauf, naturellement, si lETNC est en plus un pays à régime fiscal privilégié).

Cette exclusion nest pas totalement incongrue dans la mesure où la logique du régime des SEC repose sur une imposition insuffisante de la société étrangère dans sa juridiction détablissement, là où celle des ETNC repose sur la transparence et la coopération administrative en matière fiscale.

Cependant, elle nest pas totalement satisfaisante.

II.   Lextension du régime des sociétés étrangères contrôlées à celles établies dans un ETNC

 Les ETNC constituent des « trous noirs » de linformation financière et fiscale internationale, justifiant à cet égard les très nombreuses contre-mesures prévues par le droit français et présentées exhaustivement dans le commentaire de larticle 11 du présent projet de loi.

À cet égard, dans le cadre du régime des SEC prévu à larticle 209 B, un dispositif particulier cible les ETNC :

 en principe, la retenue à la source prélevée sur les revenus passifs provenant dune autre juridiction que celle où la société étrangère est établie est imputable sur lIS français ;

 si cette juridiction tierce est un ETNC, en revanche, limputation de la retenue à la source est exclue.

Plus généralement, la présence dune entreprise dans un ETNC conduit à exclure certains régimes fiscaux avantageux et entraîne de lourdes majorations de retenues à la source, démonstration que la dimension coopérative se traduit bien par des conséquences fiscales portant sur les taux et lassiette.

Dans ces conditions, il paraît légitime de faciliter limposition à lIS français des bénéfices logés dans des pays caractérisés par un manque de coopération et une forte opacité.

 En conséquence, et suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission a, à la suite de ladoption dun amendement de Mme Bénédicte Peyrol, introduit dans le texte le présent article 11 bis A.

Son I modifie le premier alinéa de larticle 209 B du CGI pour permettre lapplication du régime des SEC, non seulement aux entreprises soumises à un régime fiscal privilégié, mais aussi à celles établies ou constituées dans un ETNC, nonobstant le degré réel dimposition dans ledit ETNC.

Son II précise les modalités dentrée en vigueur du nouveau dispositif, qui ne sappliquera quaux implantations dans un ETNC à venir  afin déviter toute rétroactivité dommageable.

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La commission examine, en présentation commune, les amendements CF49, CF50 et CF51 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. L’amendement CF49 vise à renforcer les sanctions applicables aux ETNC en leur étendant l’application du régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) défini à l’article 209 B du code général des impôts, qui constitue un outil très efficace de lutte contre l’évasion fiscale.

Quant à l’amendement CF50, il s’attaque à une autre forme que peuvent revêtir les paradis fiscaux, celle des pays à régime fiscal privilégié. Le régime fiscal privilégié est une notion qui permet d’appliquer un certain nombre de mesures aux pays pratiquant un seuil d’imposition inférieur de plus de 50 % à l’imposition française, notamment l’imposition en France des bénéfices d’une SEC, l’encadrement strict de la déduction de certaines charges ou encore l’assouplissement de l’application de l’article 57 du code général des impôts pour les prix de transfert. Afin de renforcer les mesures contre les pays qui pratiquent des taux d’imposition très inférieurs aux taux français, l’amendement CF50 propose ainsi d’élever de 50 % à 60 % de l’impôt français le seuil d’imposition en deçà duquel une entreprise est réputée soumise à un régime fiscal privilégié.

Enfin, l’amendement CF51 vise à enrichir le débat sur les ETNC, prévu par la loi bancaire de 2013, d’un volet relatif à l’application au sein de l’Union européenne des principes de justice fiscale des entreprises

Mme la rapporteure. Avis favorable à ces trois amendements.

La commission adopte l’amendement CF49.

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Article 11 bis B (nouveau)
(article 238 A du code général des impôts)
Relèvement du plafond sous lequel un régime fiscal est qualifié de privilégié

Le présent article a été introduit par la commission à linitiative de Mme Bénédicte Peyrol et avec un avis favorable de la rapporteure. Il relève le plafond en deçà duquel un régime fiscal est considéré comme privilégié, étendant lapplication de cette notion.

III.   Le droit existant

Aux termes du deuxième alinéa de larticle 238 A du code général des impôts (CGI), un régime fiscal est qualifié de privilégié si lentreprise qui y est soumise acquitte un impôt sur ses bénéfices inférieur de plus de la moitié à limpôt qui aurait été dû en France si elle y avait été établie.

Schématiquement, pour un taux normal dimpôt sur les sociétés (IS) de 33 1/3 %, un tel régime sera constaté si le taux dimposition de lentreprise à létranger est inférieur à 16 2/3 %.

La qualification de régime fiscal privilégié, qui peut trouver application aux États membres de lUnion européenne, entraîne dimportantes conséquences :

 en vertu de larticle 238 A, certaines charges (revenus passifs et rémunération de prestations) versées par une entreprise française à une personne étrangère soumise à un tel régime ne sont pas admises en déduction du résultat, sauf démonstration de la réalité et de labsence danormalité des opérations auxquelles ces charges se rattachent ;

 elle permet lapplication du régime des sociétés étrangères contrôlées (SEC) défini à larticle 209 B du CGI ([176]) ;

 elle facilite lapplication de larticle 57 du CGI, qui permet de réintégrer au résultat imposable à lIS les bénéfices abusivement transférés par une société française à une société étrangère qui la contrôle ou est contrôlée par elle : la condition de dépendance entre les deux sociétés nest alors pas exigée ;

 elle facilite lapplication du dispositif dit « rent a star » prévu à larticle 155 A du CGI, aux termes duquel est imposable en France la rémunération versée à une personne établie hors de France en contrepartie dun service réalisé par une personne domiciliée en France.

IV.   Lextension du champ dapplication des rÉgimes fiscaux privilÉgiÉs par un relÈvement du plafond dimposition

 En application de larticle 84 de la loi de finances pour 2018 ([177]), le taux normal de lIS français va progressivement diminuer pour atteindre 25 % à compter de 2022. Cette mesure, qui sinscrit dans la trajectoire de baisse du taux adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2017 ([178]) et qui accentue celle-ci, est motivée par des considérations de compétitivité et dattractivité.

Néanmoins, elle aura pour effet de rendre plus difficile lapplication des dispositions touchant les entreprises soumises à régime fiscal privilégié dans la mesure où, en raison de la baisse du taux, le plafond de 50 % de lIS français en deçà duquel une entreprise est réputée être soumise à un tel régime sera plus rarement atteint : sur la base du taux normal, ce plafond est actuellement fixé à 16 2/3 % et sera, à compter de 2022, fixé à 12,5 %.

Or, larticle 238 A du CGI exige que limpôt étranger dû soit « inférieur de plus de la moitié » à lIS français, ce qui conduirait à exclure certains pays, notamment lIrlande dont le taux normal est, précisément, de 12,5 %.

 En conséquence, il est apparu opportun à la commission de relever ce plafond pour étendre le champ du régime fiscal privilégié.

Suivant lavis favorable de la rapporteure, la commission a ainsi adopté un amendement présenté par Mme Bénédicte Peyrol introduisant le présent article 11 bis B.

Son I modifie le deuxième alinéa de larticle 238 A afin de fixer un nouveau plafond établi à 60 % de lIS français, le droit proposé prévoyant la reconnaissance dun régime fiscal privilégié dès lors que limpôt étranger est « inférieur de 40 % ou plus » à lIS français.

Le II du présent article prévoit lapplication du dispositif à compter de 2020.

Le tableau suivant illustre, pour la période 2020-2022, les effets du présent article sur la base du taux normal dIS.

PLafond du rÉgime fiscal privilÉgiÉ

Année

Taux normal dIS

Droit actuel
(plafond à 50 %)

Droit proposé
(plafond à 60 %)

2020

28 %

< 14 %

 16,8 %

2021

26,5 %

< 13,25 %

 15,9 %

2022

25 %

< 12,5 %

 15 %

Source : commission des finances.

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Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement CF50.

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Après l’article 11

La commission est saisie de l’amendement CF53 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. L’amendement CF53 propose d’enrichir l’arsenal des sanctions françaises applicable aux ETNC pour y inclure l’interdiction faite aux établissements de crédit français d’y exercer leurs activités.

À visée préventive, ce dispositif contribuera à lutter efficacement contre le rôle souvent stratégique occupé par les établissements bancaires dans l’évitement fiscal international. Jouant sur les asymétries des législations nationales et l’opacité entretenue par de nombreuses juridictions fiscales et bancaires – dont certaines très proches de la France –, des banques font transiter chaque année des milliers de milliards d’euros par les paradis fiscaux.

Afin de définir le meilleur équilibre possible, cet amendement subordonne l’interdiction d’exercice dans les paradis fiscaux au fait que cet exercice n’a qu’une finalité : échapper à l’impôt, en l’absence de toute activité économique réelle. L’amendement entend ainsi ne pas affecter la conduite d’activités bancaires pouvant être légitimes dans certains États ou territoires non coopératifs en matière fiscale – je pense notamment au financement de projets de développement ou à la fourniture aux populations locales de services bancaires légitimes.

Par ailleurs, pour renforcer l’efficacité des échanges de renseignements fiscaux et bancaires et rendre effectives et concrètes les obligations déclaratives, cet amendement impose également aux banques françaises s’établissant dans des paradis fiscaux reconnus de constituer leurs implantations locales sous une forme juridique les soumettant aux lois françaises en matière de déclaration des comptes et informations bancaires. Sans cela, la création d’entités dans des paradis fiscaux opaques peut conduire à priver d’effet les obligations déclaratives.

J’ajoute que le dispositif proposé, au-delà de la seule question fiscale, contribue à la lutte indispensable contre le blanchiment d’argent issu d’activités criminelles, blanchiment qui repose en très grande partie sur les facilités offertes par les paradis fiscaux et la présence d’établissements bancaires peu regardants sur l’origine des fonds qui y circulent.

Mme la rapporteure. Cet amendement reprend l’article 2 de votre proposition de loi sur les paradis fiscaux, monsieur Dufrègne. Je comprends l’objectif que vous visez, mais je crains qu’il ne se heurte à des obstacles juridiques très importants.

Si vous avez pris la précaution d’inclure une clause de sauvegarde pour ne cibler que les opérations relevant de l’abus de droit, cette précaution reste insuffisante pour assurer au dispositif sa conformité à la Constitution, mais aussi au droit de l’Union européenne – je rappelle que les pays à régime fiscal privilégié peuvent être des États membres. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

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Article 11 bis C (nouveau)
(article 6 de la loi n° 2013672 du 26 juillet 2013)
Débat sur lapplication au sein de lUnion européenne
des bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises

Le présent article, introduit par la commission à linitiative de Mme Bénédicte Peyrol avec un avis favorable de la rapporteure, complète le contenu dun débat annuel déléments relatifs à la mise en œuvre au sein de lUnion européenne des règles en matière de fiscalité des entreprises, pour identifier ce qui est fait et les évolutions susceptibles dêtre apportées.

Larticle 6 de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ([179]) prévoit la tenue dun débat annuel sur les États et territoires non coopératifs (ETNC) ([180]) devant les commissions permanentes compétentes en matière de finances et daffaires étrangères de chacune des deux assemblées parlementaires.

Le présent article enrichit cet article 6 sur deux points.

Dune part, son  précise que la tenue du débat doit intervenir lors de lexamen du projet de loi de finances. Cet encadrement temporel, en plus de favoriser la tenue effective du débat  qui na jamais eu lieu –, offrira la possibilité déchanges nourris sur les sujets dévasion et de fraude fiscales à un moment propice, celui de la discussion de la politique budgétaire et fiscale de lannée à venir (voire des suivantes).

Son , sans doute plus ambitieux encore, complète le contenu du débat afin de létendre aux questions européennes. Seront abordées :

 lapplication du Code de conduite de 1997 sur la fiscalité des entreprises ([181]), qui vise notamment à prévenir de la part des États membres les pratiques fiscales dommageables ([182]) ;

 les recommandations formulées par la Commission européenne à loccasion de son analyse de la situation économique et sociale des États membres réalisée dans le cadre du semestre européen.

Rappelons que, le 7 mars 2018, M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes, avait, précisément dans le cadre du semestre européen, souligné les pratiques dommageables de sept États membres (Belgique, Chypre, Hongrie, Irlande, Luxembourg, Malte et PaysBas).

Les nouveaux éléments prévus par le présent article permettront de disposer dune meilleure connaissance de la situation fiscale des plus proches partenaires de la France et dappréhender laction en ce domaine des institutions européennes.

Ils offriront également lopportunité dune réflexion sur lévolution de ces États membres, dont le modèle économique repose souvent sur une forte attractivité fiscale, voire des pratiques dommageables. Lutter contre de telles pratiques est nécessaire et constitue un impératif, mais cette lutte doit être réfléchie et suppose, dans ce cadre, daccompagner les États membres concernés afin de leur assurer une transition vertueuse, ainsi que le soulignait Mme Peyrol en commission.

La France, compte tenu de son poids économique et politique dans lUnion européenne, se doit dêtre en pointe dans une telle démarche. Le débat rénové induit par le présent article sinscrit pleinement dans cette ambition.

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Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte l’amendement CF51.

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Après l’article 11

La commission examine l’amendement CF57 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le 2 février 2017, l’Assemblée nationale adoptait à une large majorité la résolution « Pour une conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscale », défendue par notre ancien collègue Alain Bocquet.

Cette proposition de résolution invitait, notamment, l’exécutif français à être à l’initiative d’une grande conférence internationale, placée sous l’égide des Nations unies, portant sur la régulation mondiale de la finance et l’harmonisation et la justice fiscales, et dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et l’ouverture régulière de nouvelles négociations sur ces questions.

Il est urgent d’avancer vers une régulation mondiale du secteur financier et d’attaquer de front les mécanismes à l’œuvre permettant la fraude, l’optimisation et l’évasion fiscales. Il est essentiel de traiter ces problèmes à l’échelle planétaire, en y associant l’ensemble des pays, notamment ceux en voie de développement, souvent mis à l’écart des discussions internationales et pourtant victimes majeures des phénomènes dont il est ici question.

Le présent amendement propose une information du Parlement sur les initiatives prises par le Gouvernement suite à l’adoption de cette résolution.

Mme la rapporteure. Sans préjuger de l’opportunité d’une COP fiscale, je rappellerai que des travaux nourris sont conduits par l’OCDE sur le sujet. Si l’OCDE est souvent présentée comme le « club des pays riches », ses travaux ont été largement ouverts à tous et associent des pays en développement. Surtout, le projet BEPS a été mené dans l’objectif d’améliorer la justice entre les pays développés et ceux en voie de développement : sur ce point, je vous invite à prendre connaissance des travaux de Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, où il expose un engagement total en ce sens.

M. Éric Coquerel. J’appuie sans réserve cet amendement, en faisant remarquer que, lors d’un récent débat dans l’hémicycle, M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, a émis la même idée, ce qui montre que nous pouvons nous rejoindre pour la défense des grandes causes – dont l’organisation d’une COP fiscale fait partie, même si ses enjeux peuvent paraître moins cruciaux que ceux relatifs au climat : la fraude fiscale ne met peut-être pas en péril la survie de l’espèce humaine, mais n’en constitue pas moins une plaie à l’échelle internationale.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle est saisie de l’amendement CF68 de Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Pour donner une réelle portée à une liste nationale des ETNC, le renforcement du volet relatif aux sanctions est impératif. Cet amendement vise à permettre la préparation d’un tel volet d’ici à 2021, qui entrerait en vigueur en 2022. Il est également proposé de mettre en place une taxe sur les flux financiers entre la France et les ETNC, à un taux faible, afin d’encourager États et territoires à prendre les mesures nécessaires à la sortie de cette liste, de pénaliser les flux financiers à destination de ces territoires, et de remettre ainsi sur le droit chemin les pays qui douteraient encore de la nécessité de lutter contre les pratiques abusives.

Mme la rapporteure. Vous demandez un rapport sur un nouveau volet sanctions visant les ETNC. Je vous rappelle qu’il existe plus d’une vingtaine de contre-mesures, allant de l’exclusion du régime mère-fille à des majorations de 75 % des retenues à la source, et je ne suis donc pas certaine qu’un rapport visant à enrichir cet arsenal soit nécessaire.

Mme Marie-Christine Dalloz. Il s’agit d’un rapport sur les sanctions !

Mme la rapporteure. À chaque fois qu’une demande de rapport sera faite, je suggérerai à son auteur de se rallier soit au rapport spécial de notre commission, soit – de préférence – au document de politique transversale créé l’année dernière par la loi de règlement, et dont la première édition, encore parcellaire lors de sa première publication dans le cadre de la loi de finances pour 2018, va s’enrichir progressivement.

Mme Sarah El Haïry. Nous n’avons pas l’habitude de demander des rapports sans nécessité, et j’insiste sur le fait qu’il s’agirait en l’occurrence d’un rapport axé très spécifiquement sur les sanctions, qui pourrait être utile pour les volets 2021 et 2022.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle examine l’amendement CF69 de M. Fabien Roussel.

M. Jean-Paul Dufrègne. En sus d’une implication renforcée dans l’élaboration de la liste des ETNC, il apparaît opportun d’adjoindre au Parlement une structure ad hoc pour traiter des questions d’évitement fiscal et d’échanges de renseignements. Un observatoire indépendant rattaché au Parlement paraît à cet égard constituer une formule intéressante, pouvant s’inspirer du modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Cet office bicaméral est composé en nombre égal de députés et de sénateurs, et se trouve assisté d’un conseil scientifique constitué de vingt‑quatre personnalités de haut niveau. L’observatoire pourrait ainsi reprendre cette formule bicamérale associant également des experts des questions fiscales, financières et économiques, pour apprécier en toute sérénité les problématiques liées à l’évitement fiscal et les progrès ou reculs enregistrés.

Mme la rapporteure. Je suis désolée de vous décevoir, mais il ne me semble pas nécessairement opportun de créer de nouveaux organes quand ceux qui existent disposent de toutes les prérogatives pour atteindre le même résultat. Nous nous sommes engagés sur la voie d’une meilleure évaluation, d’un contrôle exercé de manière plus efficace et plus approfondie, mais les commissions permanentes disposent déjà de toutes les prérogatives utiles pour mener leurs travaux législatifs et de contrôle. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Jean-Louis Bourlanges. Le principal problème auquel nous ayons à faire face est un problème d’effectivité, et non d’évaluation. Pour employer une image un peu osée, je dirai que le voyeurisme est la conséquence de l’impuissance, mais qu’il ne permet pas d’en guérir...

La commission rejette l’amendement.

 

Elle étudie l’amendement CF70 de M. Jean-Paul Dufrègne.

M. Jean-Paul Dufrègne. Les auteurs du présent amendement proposent au Gouvernement de mettre à l’étude la création d’un observatoire parlementaire indépendant, chargé d’assister le Parlement dans le traitement des problématiques liées à l’évitement fiscal. Il nous semble en effet important de pouvoir bénéficier d’un tel accompagnement.

Mme la rapporteure. Il me paraît étrange que le Gouvernement puisse être chargé de remettre au Parlement un rapport sur l’opportunité de créer au sein de ce dernier un observatoire indépendant en matière de lutte contre l’évitement fiscal : si le Parlement veut se saisir, il peut le faire. Par ailleurs, j’estime que nous sommes en mesure d’exercer nos missions de contrôle sans qu’il soit nécessaire pour cela de créer de nouveaux organismes. Je suis donc défavorable à cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

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Article 11 bis
Interdiction pour le groupe Agence française de développement de participer au financement de projets dont lactionnaire de contrôle est immatriculé dans un ETNC

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article, introduit par le Sénat, interdit au groupe Agence française de développement (AFD) de financer tout projet, quel que soit le pays dans lequel il est réalisé, dès lors que son actionnaire de contrôle est établi dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de l’article 238‑0 A du code général des impôts (CGI).

Il s’agit de la consécration législative d’une pratique relevant jusque-là de la politique du groupe AFD à l’égard des juridictions non coopératives.

Dernières modifications législatives intervenues

L’article 11 du présent projet de loi modifie les critères de qualification d’un ETNC en intégrant à la liste française les pays figurant sur la liste européenne commune des juridictions non coopératives, adoptée le 5 décembre 2017 et qui a depuis connu plusieurs évolutions.

Principaux amendements adoptés par votre commission des finances

Outre un amendement de précision, la commission, à l’initiative de la rapporteure et suivant l’avis favorable du Gouvernement, a introduit une clause de sauvegarde pour éviter que des projets légitimes soient empêchés par l’application du dispositif proposé, lorsque l’immatriculation de l’actionnaire de contrôle dans un ETNC répond à des considérations économiques réelles.

V.   Les dispositions adoptées par le Sénat

Le présent article résulte de l’adoption par le Sénat d’un amendement de Mme Sophie Tallié-Polian et des membres du groupe socialiste et républicain, qui a fait l’objet d’avis favorables de la commission des finances et du Gouvernement.

Il vise à interdire au groupe Agence française de développement (AFD) toute participation à des projets dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) au sens de l’article 238‑0 A du code général des impôts (CGI) ([183]).

● Le groupe AFD est constitué :

– de l’AFD proprement dite, établissement public de l’État à caractère industriel et commercial (EPIC) ([184]) ;

– de la société de promotion et participation pour la coopération économique (PROPARCO), à la fois société anonyme et société de financement et majoritairement détenue par l’AFD ([185]).

Une seconde filiale devrait prochainement rejoindre le groupe, Expertise France (l’« Agence française d’expertise technique internationale »), EPIC de l’État – comme l’AFD – créé par l’article 13 de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale ([186]). L’intégration d’Expertise France au sein du groupe AFD devrait se faire « à lhorizon mi-2019 » ([187]).

● Le code de conduite du groupe AFD de juillet 2016 ([188]) prévoit déjà un fort encadrement des opérations autorisées et des projets éligibles au financement faisant intervenir un ETNC ([189]) :

– dans le cadre des activités de gestion de trésorerie du groupe, l’usage de contreparties ou de véhicules financiers immatriculés dans un ETNC est interdit ;

– le financement de véhicules d’investissement immatriculés dans un ETNC et n’y ayant aucune activité réelle est interdit ;

– le financement de projets mettant en jeu des montages artificiels, comprenant des contreparties dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un ETNC est interdit, sauf si cette immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel ;

– en revanche, le financement d’un projet dans un ETNC est possible.

Le présent article 11 bis a donc pour effet d’inscrire dans la loi une partie du code de conduite du groupe AFD.

VI.   La position de la commission

Le dispositif proposé par le Sénat consacre dans la loi ce qui, aujourd’hui, relève de la politique de financement à laquelle s’est astreint le groupe AFD et qui est justifiée par le fait d’éviter que le financement de projets d’aide au développement ne profite qu’à des personnes ou entités établies dans des ETNC et qui détournent les flux destinés à soutenir les populations.

Précisons à titre liminaire que ce dispositif n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de stigmatiser l’AFD ou son action, bien au contraire. Il s’agit de reconnaître les efforts importants entrepris par le groupe AFD en les consacrant dans la loi : à l’heure actuelle, les règles d’encadrement des financements ne figurent qu’indirectement dans un texte législatif puisqu’elles ne se trouvent qu’au point 4.2 du rapport annexé à l’article 2 de la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale précitée. Or, la valeur normative d’un rapport annexé à un article de loi est toute relative et, en tout état de cause, beaucoup moins forte qu’une disposition expresse.

● Ce dispositif fait directement écho aux travaux de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux du député Fabien Roussel ([190]). Avait en effet été présenté en commission, en février 2018, un amendement de M. Jean-Louis Bricout, Mme Christine Pires Beaune, M. François Pupponi et Mme Valérie Rabault visant, initialement, à empêcher non seulement les projets dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un ETNC, mais aussi les projets réalisés dans un ETNC ([191]).

À l’initiative de M. Fabien Roussel, rapporteur de ce texte, la commission avait, avec le total assentiment des auteurs de l’amendement, adopté un sous‑amendement ([192]) limitant l’interdiction à la situation de l’actionnaire de contrôle : les projets réalisés dans les ETNC peuvent être tout à fait légitimes, nombre de ces pays ayant besoin d’aide publique au développement ([193]).

Si la proposition de loi avait finalement été rejetée par la commission et fait, en séance, l’objet d’une motion de renvoi en commission, ce n’était pas ce dispositif, que le présent article reprend littéralement, qui avait motivé ce sort.

● Une réserve pourrait toutefois naître du caractère absolu de l’interdiction proposée. Ainsi que cela a été vu, si le groupe AFD s’interdit déjà tout projet dont l’actionnaire de contrôle est immatriculé dans un ETNC, une exception est néanmoins prévue lorsque l’immatriculation dans l’ETNC est justifié par de réelles considérations économiques.

Tel qu’il est rédigé, l’article 11 bis risquerait donc de faire obstacle à un projet réalisé dans un ETNC où l’actionnaire de contrôle est immatriculé de façon tout à fait légitime, soit pour des raisons historiques (il s’agit de son pays d’origine), soit par exemple parce qu’il participe au développement de l’ETNC.

En conséquence, à l’initiative de la rapporteure et suivant l’avis favorable du Gouvernement, la commission a adopté un amendement introduisant dans le dispositif proposé une clause de sauvegarde, afin d’éviter de pénaliser des projets légitimes et nécessaires : seraient autorisés les projets dont l’actionnaire est immatriculé dans un ETNC lorsque cette immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel.

Cette rédaction, qui a pu susciter quelques interrogations en commission, ne sera en aucun cas d’un maniement délicat par l’AFD et les personnes travaillant avec elle, de même qu’elle ne sera pas source d’incertitude juridique :

– il s’agit de la formulation actuellement retenue par la politique de financement du groupe AFD ([194]), elle est donc connue et maîtrisée ;

– des clauses de sauvegarde (ou au contraire anti-abus) en vigueur retiennent des formulations similaires et également propices aux interrogations précédemment mentionnées, sans pour autant en susciter :

La réalité économique est donc une notion familière au droit fiscal français.

● Par ailleurs, une modification d’ordre rédactionnel a été apportée, ici aussi à l’initiative de la rapporteure et avec les faveurs du Gouvernement. Elle consiste à préciser la notion de « groupe Agence française de développement » qui, si elle renvoie à une réalité, ne paraît pas correspondre à un sujet juridique précisément identifié par le droit en vigueur.

*

*     *

La commission examine les amendements identiques CF61 de M. Marc Le Fur, CF63 de M. Vincent Ledoux et CF88 de M. Bruno Fuchs.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’amendement CF61, déposé par Marc Le Fur, vise à la suppression de l’article 11 bis introduit en première lecture au Sénat par amendement. L’amendement sénatorial visait à donner une valeur législative à un code de conduite du groupe Agence française de développement (AFD) et à l’appliquer à l’ensemble des États et territoires non coopératifs au sens de l’article 238-0 A du code général des impôts.

Or, cette disposition est superfétatoire, puisque l’interdiction que le Sénat souhaitait créer par cet article 11 bis figure déjà dans la loi du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale (LOPDSI) et les textes administratifs qui en précisent les modalités d’application.

M. Charles de Courson. Effectivement, le Sénat semble méconnaître la loi du7 juillet 2014 et les textes administratifs qui en précisent les modalités d’application, dans lesquels figure déjà la disposition contenue dans l’article 11 bis. Par ailleurs, il me paraît contreproductif de viser uniquement l’AFD. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement CF63, de supprimer l’article11 bis.

M. Bruno Fuchs. L’article 11 bis, introduit par le Sénat, nous semble non seulement inutile, mais encore néfaste. Le Sénat fait référence à une politique interne de l’AFD datant de 2013, alors qu’entre-temps, nous avons adopté la LOPDSI, dont une lettre du ministre des finances et des comptes publics du 2 février 2016 est venue préciser les modalités. Les contraintes actuellement imposées à l’AFD sont donc plus précises et plus sévères que celles auxquelles se réfère l’article 11 bis.

 

Par ailleurs, l’AFD est soumise aux dispositions et interdictions applicables aux établissements de crédit en France. Stigmatiser spécifiquement une institution française ayant vocation à favoriser le développement international revient à lui porter préjudice en termes d’image.

Pour toutes ces raisons, nous proposons de supprimer l’article 11 bis.

Mme la rapporteure. L’article 11 bis, introduit par le Sénat sur avis favorable de sa commission des finances et du Gouvernement, avait également été adopté par notre commission lors de la discussion de la proposition de loi de M. Roussel, qui avait finalement été rejetée.

Cet article n’a nullement pour objet de stigmatiser l’AFD, dont le rôle essentiel et central dans l’aide au développement n’a plus à être souligné. Cependant, j’entends l’argument sur le caractère restrictif de l’article 11 bis par rapport à la politique interne de l’AFD, et c’est pourquoi j’ai déposé l’amendement CF210 qui introduit dans l’article une clause de sauvegarde, afin que le financement soit possible même si l’actionnaire du projet est immatriculé dans un ETNC, dès lors que cette immatriculation est légitime.

Je suis donc défavorable à ces amendements de suppression.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement de précision CF209 de la rapporteure.

 

Elle examine ensuite l’amendement CF210 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Venant compléter l’article 11 bis, l’amendement CF210 ne supprime rien, mais introduit la clause de sauvegarde que j’ai évoquée tout à l’heure.

M. Bruno Fuchs. La rédaction proposée par le Sénat prévoyait deux dérogations : premièrement, un intérêt économique réel dans l’État ou le territoire concerné – c’est la dérogation que vous avez reprise dans votre amendement –, deuxièmement, un projet réalisé dans un État ou un territoire non coopératif. J’ignore si vous avez oublié cette seconde dérogation ou si vous l’avez volontairement omise mais en tout état de cause, j’estime qu’il convient de la rétablir.

Mme la rapporteure. L’amendement CF210 a pour objet de compléter le texte du Sénat en prévoyant une dérogation – celle d’un actionnaire établissant que son immatriculation est justifiée par un intérêt économique réel dans l’État ou le territoire concerné. Il ne retranche ou n’oublie donc rien par rapport au texte du Sénat : il ajoute.

M. Charles de Courson. Il me semble, madame la rapporteure, que vous n’avez pas répondu à l’argument invoqué à l’appui des trois amendements de suppression de l’article 11 bis, selon lequel cette disposition est superfétatoire, l’interdiction que le Sénat souhaite créer par cet article figurant déjà dans la LOPDSI. Or, ce point est essentiel, car si l’interdiction est déjà prévue, l’article 11 bis est bel et bien inutile...

Mme la rapporteure. En fait, l’interdiction ne figure pas dans la loi de 2014 elle‑même, mais dans un rapport annexé à l’article 2 de cette loi, et n’a donc pas la valeur normative d’une loi.

M. Charles de Courson. Ce n’est pas ce que dit l’AFD : ainsi notre collègue Vincent Ledoux, rapporteur spécial pour l’aide extérieure de l’État, estime-t-il que l’interdiction est déjà prévue.

Mme la rapporteure. Je vous confirme que l’interdiction ne figure pas dans la loi, mais seulement dans un rapport annexé. Au demeurant, je ne comprends pas pourquoi vous semblez opposé à une clause de sauvegarde qui va dans le sens de la position que vous défendez. Afin que nous puissions avancer, je vous propose que nous en reparlions avant la séance publique.

Mme Véronique Louwagie. La rédaction de l’amendement CF210, fondée sur l’existence d’un « intérêt économique réel dans l’État ou le territoire concerné », m’inquiète un peu, car ce critère implique une appréciation subjective, ce qui est toujours dangereux : il est permis de se demander si nous ne sommes pas en train d’ouvrir la boîte de Pandore. J’ai l’impression que, n’étant satisfaite ni par la rédaction du Sénat, ni par la suppression que nous vous avons proposée, vous vous efforcez tant bien que mal de trouver une voie intermédiaire. Or, celle que vous avez définie me paraît être source de contentieux.

Mme la rapporteure. La référence à un « intérêt économique réel » est connue et commentée, car elle est aujourd’hui utilisée dans toutes les clauses de sauvegarde ou les clauses anti-abus, notamment dans l’exclusion du régime mère-fille.

M. Charles de Courson. Sans vouloir faire du juridisme, on peut tout de même se demander qui définira l’intérêt économique réel. Le conseil d’administration de l’AFD devra‑t-il faire remonter chaque dossier au ministre ?

Mme la rapporteure. Les clauses de sauvegarde définies selon la formulation que j’ai retenue sont nombreuses dans le code général des impôts. Si je comprends bien, vous souhaiteriez remettre en cause toutes les notions fiscales élaborées au cours des vingt dernières années : cela risque de représenter une lourde tâche... La fiscalité est rarement binaire, et nous sommes aujourd’hui fréquemment confrontés à des montages juridiques nécessitant un important travail de démonstration.

 

M. Bruno Fuchs. Si l’interdiction figure pour le moment dans une annexe de la loi du 7 juillet 2014, elle n’en a pas moins valeur d’une contrainte s’appliquant aux activités quotidiennes de l’AFD. Or, la formulation que vous proposez est plus souple que cette contrainte. Puisque l’AFD est soumise aux interdictions applicables aux établissements de crédit en France, pourquoi ne pas étendre l’interdiction dont il est ici question à l’ensemble des établissements de crédit opérant dans le monde entier ? À défaut, l’AFD se trouve stigmatisée par une disposition ne s’appliquant qu’à elle.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 11 bis modifié.

*

*     *

Article 12
(articles L. 247 et L. 251 A du livre des procédures fiscales)
Rétablissement de la faculté transactionnelle de ladministration fiscale en cas de poursuites pénales

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 12 a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de son Rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier.

Il rétablit la faculté pour l’administration de procéder à des transactions sur les pénalités administratives, y compris dans les cas où des poursuites pénales seraient engagées, comme elle pouvait le faire avant 2013. Il modifie en ce sens l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

Il complète le contenu du rapport annuel du ministre chargé du budget sur les transactions fiscales en prévoyant que celui-ci mentionne le nombre, le montant total et le montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques. Il prévoit également la notification au président et au rapporteur général des commissions des finances des deux assemblées des transactions portant sur plus de 200 000 euros ou ayant fait l’objet d’une plainte. Il modifie en ce sens l’article L. 251 A du livre des procédures fiscales.

Amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 12 a été adopté avec une modification issue d’un amendement de M. Daniel Labaronne et d’autres membres du groupe La République en Marche qui supprime la notification annuelle au président et au rapporteur général des commissions des finances de la liste nominative des transactions conclues par l’administration dont le montant de l’atténuation est supérieur à 200 000 euros ou qui portent sur des faits ayant fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale.

VII.   le droit existant

A.   Le pouvoir de transaction de l’administration fiscale

La transaction est un contrat conclu par l’administration fiscale et le contribuable ayant pour effet d’éteindre le litige : « aucune procédure contentieuse ne peut plus être engagée ou reprise » (article L. 251 du livre des procédures fiscales). Elle facilite le recouvrement par une réduction des contentieux.

Entre 2013 et 2017, le nombre de transactions annuelles a baissé de 3 953 à 3 307, pour un montant moyen de 38 000 euros par contribuable. Les transactions ont représenté un montant total de 526 millions d’euros sur la période 2011-2016.

Le pouvoir de transaction de l’administration fiscale est très encadré par l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

En effet, la faculté de transiger ne porte que sur les pénalités, et jamais sur les droits. La transaction ne peut donc jamais aboutir une remise sur les rectifications d’imposition.

Seul le ministre chargé du budget est compétent pour signer une transaction au-delà de 200 000 euros de remises de pénalités. De plus, en application de l’article 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977, la décision du ministre est précédée d’un avis du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes (CCFDC).

En 2016, le CCFDC a rendu 105 avis dont 23 défavorables. Les avis défavorables du CCFDC sont motivés.

La transaction ne doit pas être confondue avec la pratique administrative du règlement d’ensemble.

La transaction fiscale et le règlement densemble

La Cour des comptes a examiné la pratique des transactions fiscales et du règlement d’ensemble d’un dossier dans son rapport public annuel 2018 (*).

Elle a relevé qu’en 2015, le montant moyen des remises accordées à la suite d’une transaction était de 38 000 euros et a regretté des « insuffisances en matière de suivi et de pilotage » ainsi que des « pratiques hétérogènes datténuation de pénalités lors de la conclusion de transactions ».

En outre, pour la Cour des comptes, « la pratique sécarte parfois du cadre en vigueur » avec la mise en œuvre de « règlement densemble, qui peut conduire à des diminutions voire abandons dimpôts ». Elle estime que le règlement d’ensemble, encadré par une note de la direction générale des finances publiques du 20 juin 2004, « ne repose sur aucun fondement légal clairement établi ».

La pratique est cependant parfaitement légale puisqu’il s’agit simplement d’encadrer la discussion qui a lieu en fin de contrôle dans des dossiers complexes. Concrètement, le contribuable accepte certains rappels mis à sa charge et en contrepartie l’administration renonce à certains rappels, les plus fragiles dans la perspective d’un contentieux.

Cette pratique habituelle de conclusion des contrôles fiscaux complexes se distingue ainsi clairement de la transaction fiscale.

(*) Cour des comptes, rapport public annuel 2018, février 2018 (lien).

B.   L’articulation du pouvoir de transaction administrative et de la poursuite pénale de la fraude fiscale

L’article 15 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a encadré le pouvoir de transaction de l’administration fiscale.

L’administration ne peut transiger « lorsquelle envisage de mettre en mouvement laction publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts ».

En pratique, c’est la transmission du dossier à la commission des infractions fiscales qui est considérée comme marquant l’intention de l’administration de déposer plainte pour fraude fiscale.

Cette règle se justifie par le fait que l’administration ne peut à la fois se montrer bienveillante en accordant une atténuation des pénalités fiscales par voie de transaction et, dans le même temps, faire preuve de rigueur en demandant l’application de sanctions pénales.

Autrement dit, l’administration ne peut transiger dans les dossiers qu’elle entend transmettre à la commission des infractions fiscales, ce qui lui laisse au demeurant une totale liberté d’appréciation pour déterminer si le dossier présente ou non un profil pénal. De même, elle ne peut pas transiger lorsque l’instance pénale a été engagée.

A contrario, l’administration ne peut plus transmettre à la commission des infractions fiscales un dossier dans lequel elle a transigé avec le contribuable. Cette règle est de nature à inciter à un contribuable à conclure une transaction dans la mesure où elle ferme de façon définitive la voie pénale.

Article L. 247 du livre des procédures fiscales

(extraits)

« Ladministration peut accorder sur la demande du contribuable :

[…]

«  Par voie de transaction, une atténuation damendes fiscales ou de majorations dimpôts lorsque ces pénalités et, le cas échéant, les impositions auxquelles elles sajoutent ne sont pas définitives.

« Les dispositions [du] 3° sont le cas échéant applicables sagissant des sommes dues au titre de lintérêt de retard visé à larticle 1727 du code général des impôts.

[…]

« Ladministration ne peut transiger :

« 1°) Lorsquelle envisage de mettre en mouvement laction publique pour les infractions mentionnées au code général des impôts ;

« 2°) Lorsque le contribuable met en œuvre des manœuvres dilatoires visant à nuire au bon déroulement du contrôle. »

C.   l’information sur les transactions fiscales

L’article 15 de la loi du 6 décembre 2013 a prévu la remise d’un rapport annuel sur l’application de la politique de remises et de transactions.

L’article L. 251 A du livre des procédures fiscales prévoit ainsi que le ministre chargé du budget publie chaque année un rapport sur l’application de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par l’administration fiscale.

Celui-ci peut faire l’objet d’un débat devant les commissions des finances des deux assemblées.

Ce rapport n’a été déposé pour la première fois que le 14 avril 2017. Dans son rapport public annuel 2018, la Cour des comptes a regretté que les informations communiquées « restent dune fiabilité insuffisante et doivent encore être complétées » et que l’administration n’établit « aucune analyse qualitative » de son action.

Article L. 251 A du livre des procédures fiscales

« Chaque année, le ministre chargé du budget publie un rapport sur lapplication de la politique de remises et de transactions à titre gracieux par ladministration fiscale. Ce rapport peut faire lobjet dun débat chaque année devant les commissions permanentes compétentes en matière de finances de lAssemblée nationale et du Sénat. »

VIII.   Le dispositif proposé

L’article 12 a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de son Rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier.

Il rétablit la faculté pour l’administration de procéder à des transactions sur les pénalités administratives, y compris dans les cas où des poursuites pénales seraient engagées, comme elle pouvait le faire avant 2013.

Il complète le contenu du rapport annuel du ministre chargé du budget sur les transactions fiscales en prévoyant que celui-ci mentionne le nombre, le montant total et le montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques. Il prévoit également la notification au président et au rapporteur général des commissions des finances des deux assemblées des transactions portant sur plus de 200 000 euros ou ayant fait l’objet d’une plainte.

Article 12 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude

(version adoptée par le Sénat en première lecture)

(extraits)

Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

[…]

2° L’article L. 251 A est ainsi modifié :

a) La première phrase est complétée par les mots : « , qui mentionne le nombre, le montant total et le montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques » ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

Sont notifiées chaque année au président et au rapporteur général des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances les transactions conclues par l’administration en application du 3° de l’article L. 247 et dont le montant de l’atténuation accordée est supérieur à 200 000 € ou qui portent sur des faits ayant fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale. La notification mentionne l’identité du contribuable, le montant de l’atténuation accordée et les motifs ayant conduit l’administration à l’accorder.

A.   Le rétablissement de la faculté transactionnelle lorsque la voie pÉnale est envisagÉe ou engagÉe

L’article 12 rétablit la possibilité pour l’administration de transiger, quelles que soient les suites envisagées ou données au dossier sur le plan des poursuites pénales, comme c’était le cas avant 2013.

Il supprime l’interdiction, introduite en 2013, prévue au a de l’article L. 247 du livre des procédures fiscales.

En clair, il serait désormais permis à l’administration de transiger avec les contribuables sur les pénalités même si une plainte au pénal a été déposée ou si le ministère public a engagé des poursuites.

B.   le renforcement de l’information sur les transactions conclues

L’article 12 a également été introduit par le Sénat dans l’objectif de renforcer la transparence qui s’attache à la pratique transactionnelle de l’administration.

Il prévoit que les transactions d’un montant supérieur à 200 000 euros ainsi que les transactions portant sur des faits ayant par ailleurs fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale soient notifiées, une fois par an, au président et au rapporteur général des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui auraient la possibilité de demander des précisions.

Le seuil de 200 000 euros correspond au montant qui détermine l’autorité compétente pour accorder une transaction, c’est-à-dire, d’un côté, les chefs des services déconcentrés pour les transactions inférieures à ce montant, et, de l’autre, le ministre chargé du budget, après avis du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes (CCFDC), pour les transactions supérieures à ce montant.

Le Sénat a également prévu de compléter le rapport annuel du ministre chargé du budget sur les transactions fiscales par l’indication du nombre, du montant total et du montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques.

IX.   La position de la commission

Devant la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales ([195]), le ministre de l’action et des comptes publics avait regretté que l’impossibilité de transiger lorsqu’une action pénale est envisagée aboutisse à créer un « verrou inversé » empêchant l’administration d’obtenir un règlement du dossier sur le plan administratif.

Pour la rapporteure, le rétablissement de la pleine faculté transactionnelle peut être envisagé à condition qu’il s’accompagne d’un aménagement du « verrou de Bercy ». Il est important que la transaction fiscale ne puisse jamais, de facto, empêcher que les poursuites pénales soient envisagées si le dossier répond à des critères de gravité définis par le législateur.

Pour cette raison, la rapporteure n’est pas hostile au rétablissement de la faculté transactionnelle lorsque la voie pénale est envisagée ou engagée.

De même, il est utile de compléter le rapport annuel du ministre chargé du budget par l’indication du nombre, du montant total et du montant moyen des remises accordées, répartis par type de remise accordée et par imposition concernée, pour les personnes morales et pour les personnes physiques.

Ces différents apports du Sénat méritent d’être conservés.

En revanche, la communication nominative des transactions supérieures à 200 000 euros ou ayant fait l’objet d’une plainte paraît superflue au regard des prérogatives générales dont sont d’ores et déjà investis, en application de l’article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le président et le rapporteur général. Ces prérogatives leur permettent d’obtenir toutes informations de cette nature.

*

*     *

La commission est saisie de l’amendement CF32 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Pour s’assurer de l’égalité de tous les citoyens devant la loi, il convient de supprimer l’article 12, qui vise à redonner à l’administration fiscale la possibilité de transiger lorsqu’elle envisage de déposer plainte pour fraude fiscale.

Mme la rapporteure. En l’état du droit, l’administration fiscale ne peut plus effectuer de transactions sur les pénalités avec un contribuable dès lors qu’elle envisage une action pénale. Autrement dit, la saisine de la commission des infractions fiscales rend impossible une transaction sur les pénalités.

L’article 12 inséré par le Sénat prévoit de rétablir cette faculté transactionnelle qui existait avant 2013. Cet article me paraît acceptable, à condition que l’article 13 soit aménagé dans un sens plus important que celui prévu par le Sénat. J’émets donc un avis défavorable à cet amendement de suppression de l’article 12.

M. Charles de Courson. Si je comprends bien, madame la rapporteure, vous proposez de reporter la discussion de l’article 12 après l’article 13. Dans ce cas, tout dépend de ce que nous voterons à l’article 13...

M. le ministre. J’appelle votre attention sur le fait que nous visons un double objectif. Il s’agit d’abord de récupérer des recettes d’un montant important – ce qui est le cas lorsque des contribuables convaincus de fraude fiscale doivent payer le juste impôt, assorti de pénalités , afin que la Nation ne se trouve pas flouée.

Mais nous souhaitons également poursuivre les cas les plus graves : nous serons amenés à nous pencher sur cette notion dans le cadre de l’examen de l’article 13, qui définit notamment les cas susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales.

Je ne comprends pas la proposition de suppression de l’article 12, car ce n’est pas parce qu’on transige sur les recettes que l’action pénale se trouve éteinte.

M. Charles de Courson. En fait, monsieur le ministre, je suis hostile par principe à la transaction, qui revient à placer l’administration fiscale dans une situation où ses décisions feront toujours l’objet de commentaires, voire de suspicions de corruption.

M. le ministre. Vous reconnaissez donc être idéologiquement opposé à la transaction, en méconnaissant le fait que, lorsque l’administration se lance dans une procédure, elle finit souvent par ne rien récupérer du tout... Au demeurant, j’insiste sur le fait qu’une transaction sur les recettes n’éteint pas l’action publique : le procès pénal peut se poursuivre.

M. Éric Coquerel. Je soutiens l’amendement de Charles de Courson. Le débat que nous avons sur l’article 12 rejoint celui portant sur le « verrou de Bercy » en ce qu’il pose au fond la même question : quand il y a fraude fiscale, vaut-il mieux aller au bout de l’action pénale ou transiger – ce qui constitue l’assurance de récupérer des recettes ? Pour notre part, nous estimons que la transaction n’est pas une bonne idée, et nous ne saurions donc voter un article allant à l’encontre des quelques progrès contenus dans l’article 13. Inefficace et injuste, le recours au « plaider-coupable » nous paraît également constituer un message très négatif à l’adresse de tous les Français qui paient leurs impôts sans tricher.

Mme Bénédicte Peyrol. Le ministre vient de le rappeler : la transaction n’éteint pas l’action publique. Ne nous faites pas croire qu’on ne pourra pas aller jusqu’au bout de l’action pénale !

La commission rejette l’amendement.

 

Elle en vient à l’amendement CF95 de M. Daniel Labaronne.

M. Daniel Labaronne. Le présent amendement vise à supprimer une disposition, introduite par le Sénat, qui apparaît comme superfétatoire au regard des prérogatives générales, importantes, attribuées au président et au rapporteur général de la commission des finances.

Mme la rapporteure. Avis favorable.

Mme Véronique Louwagie. Je suis au contraire, pour ma part, très défavorable à cet amendement : il s’oppose à la transparence, à un contrôle du Gouvernement par le Parlement. La notification de la liste nominative des transactions conclues par l’administration dont le montant de l’atténuation est supérieur à 200 000 euros ou qui portent sur des faits ayant fait l’objet d’une plainte de l’administration fiscale me paraît essentielle. Si l’on peut faire confiance à l’administration – je ne suis pas totalement opposée au mécanisme des transactions –, je souhaite qu’il y ait, j’y insiste, un minimum de transparence. Il s’agit par là d’éviter la suspicion.

Mme la rapporteure. Il existe déjà un rapport qui fait état de toutes les transactions conclues au cours de l’année, et pour ce qui est de l’accès aux données nominatives, je rappelle que le président et le rapporteur général de la commission jouissent déjà de prérogatives qui leur permettent d’accéder à ce type de document.

Mme Véronique Louwagie. Ce n’est pas la même chose.

M. le rapporteur général. Il est vrai que le président de la commission et moi‑même avons la possibilité de demander tout ce que nous voulons. Aussi la disposition ajoutée par le Sénat est-elle superfétatoire puisque, j’y insiste, elle prévoit le transfert automatique de données que nous sommes de toute façon à même de demander – et vous avez du reste pu le constater récemment avec le rapport d’information sur l’application des mesures fiscales. Plutôt que de s’encombrer chaque année de tonnes de données qui nous parviendront automatiquement, mieux vaut les demander à chaque fois que nous avons des investigations à mener.

Mme Christine Pires Beaune. J’en profite pour rappeler au ministre que je lui ai envoyé il y a quelques semaines un questionnaire, précisément au sujet des transactions, auquel je n’ai toujours pas obtenu de réponse.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je comprends très bien l’argument du rapporteur général mais il est tout de même très différent d’obtenir de droit les éléments considérés par une procédure automatique qui ne met en aucune façon en cause l’honorabilité de la personne sur laquelle on demande des renseignements, et de les obtenir suivant une procédure active, qu’elle soit positive ou négative, consistant à dire : sur celui-là, on voudrait bien avoir quelque information... Les deux démarches, j’y insiste, ne sont pas de même nature, et l’idée de l’automaticité de la transmission des données sur tous les bénéficiaires des transactions en question est en soi satisfaisante.

Mme la rapporteure. Le rapporteur général peut demander la liste de tous les bénéficiaires des transactions...

Mme Véronique Louwagie. Certes, et je remercie le rapporteur général d’avoir rappelé quelles sont ses prérogatives, dont nous savons qu’il use avec une grande vigilance. Reste que si le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux jouissent de prérogatives qu’ils exercent à juste titre et avec discernement, nous demandons, ce qui n’est pas la même chose, la notification annuelle, donc régulière, de la liste nominative des transactions – ce qui est de nature à leur donner une certaine force – alors que son droit, le rapporteur général l’exerce de façon exceptionnelle dans des cas bien particuliers. Il faut sans doute faire évoluer la manière dont l’administration réagit par rapport à un certain nombre de contentieux, et la transaction peut à cet égard se révéler un dispositif intéressant mais qu’il faut contenir, sécuriser afin d’éviter toute faille.

M. Daniel Labaronne. Le Parlement est informé chaque année du traitement de ces dossiers par le comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, dont l’avis est obligatoire pour les demandes d’atténuation dépassant 200 000 euros. L’information est donc déjà transmise, directement, au Parlement.

M. le ministre. Nous répondrons intégralement au questionnaire que nous a envoyé Mme Pires Beaune. Je peux d’ores et déjà lui indiquer qu’en 2016, par exemple, le nombre de transactions conclues après mise en recouvrement était inférieur à 2 000 et représentait moins de 0,15 % du total des demandes. Le nombre de transactions conclues avant mise en recouvrement est assez comparable d’une année à l’autre : en 2016, il y avait eu 1 270 transactions après mise en recouvrement, et 1 724 avant mise en recouvrement.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 12 modifié.

*

*     *

   Titre III : Réforme de la procédure de poursuite pénale de la fraude fiscale

Article 13
(articles L. 188 B, L. 228 et L. 228 A du livre des procédures fiscales, 131-26-2 du code pénal et 282, 705 et 706-1-1 du code de procédure pénale)
Conditions du dépôt des plaintes pour fraude fiscale par ladministration fiscale

Résumé du dispositif introduit par le Sénat

L’article 13 a été introduit par la commission des finances du Sénat à la suite de l’adoption d’un amendement de son rapporteur général, M. Albéric de Montgolfier. Il a été complété en séance publique par un amendement rédactionnel du rapporteur général, et un amendement du Gouvernement.

Il régit conditions de dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administraiton fiscale.

Amendements adoptés par votre commission des finances

L’article 13 a été adopté après avoir fait l’objet d’une réécriture globale à la suite de l’adoption de deux amendements identiques, l’un de la rapporteure, l’autre de M. Daniel Labaronne et d’autres membres du groupe La République en Marche, sous‑amendés par deux sous-amendements identiques de Mme Laurence Vichnievsky et d’autres membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés, et de M. Charles de Courson et d’autres membres du groupe UDI, Agir et Indépendants.

L’article 13 adopté par la commission des finances de l’Assemblée nationale instaure un mécanisme de transmission automatique au parquet des affaires ayant donné lieu aux pénalités administratives les plus importantes dès lors que les droits éludés dépassent un seuil fixé à 100 000 euros par les deux sous-amendements adoptés.

Il maintient la faculté pour l’administration de déposer des plaintes sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. Par exception, il permet le dépôt de plainte par l’administration fiscale sans avis de la commission des infractions fiscales pour les affaires de présomptions caractérisées de fraude fiscale.

Il introduit pour le parquet la faculté de poursuivre les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi.

Enfin, il prévoit une levée du secret fiscal à l’égard du procureur de la République.

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXVII.   Le droit existant

La fraude fiscale est un délit défini et réprimé par l’article 1741 du code général des impôts. Elle fait l’objet de modalités de poursuites qui sont dérogatoires au droit commun.

La poursuite de la fraude fiscale est, en effet, subordonnée à une plainte préalable de l’administration fiscale ayant recueilli un avis favorable de la commission des infractions fiscales (CIF).

Cette exception au libre exercice de l’action publique par le parquet est habituellement désignée par l’expression « verrou de Bercy ».

Ce dispositif a fait l’objet d’un examen approfondi par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, qui a rendu son rapport le 23 mai 2018 ([196]).

 

Article L. 228 du livre des procédures fiscales

« Sous peine dirrecevabilité, les plaintes tendant à lapplication de sanctions pénales en matière dimpôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre daffaires, de droits denregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par ladministration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui linvite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations quil jugerait nécessaires.

« Toutefois, la commission examine laffaire sans que le contribuable soit avisé de la saisine ni informé de son avis lorsque le ministre chargé du budget fait valoir quexistent des présomptions caractérisées quune infraction fiscale pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves résulte :

«  Soit de lutilisation, aux fins de se soustraire à limpôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès dorganismes établis à létranger ;

«  Soit de linterposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à létranger ;

«  Soit de lusage dune fausse identité ou de faux documents au sens de larticle 4411 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

«  Soit dune domiciliation fiscale fictive ou artificielle à létranger ;

«  Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer ladministration.

« Le ministre est lié par les avis de la commission.

« Un décret en Conseil dÉtat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »

A.   La répression pÉnale de la fraude fiscale s’ajoute aux sanctions administratives

L’expression « verrou de Bercy » est parfois source de confusion. L’existence de ce dispositif ne limite en rien la programmation, la réalisation et la sanction administrative des contrôles fiscaux.

Tous les manquements fiscaux ont vocation à être sanctionnés dans le cadre des contrôles fiscaux qui sont programmés chaque année par l’administration fiscale.

Les pénalités s’échelonnent de 40 à 100 % des droits éludés lorsque le manquement commis est intentionnel : refus de dépôt d’une déclaration malgré une mise en demeure, activité occulte, manquement délibéré, manœuvres frauduleuses, et opposition à contrôle fiscal.

Les sanctions administratives des manquements fiscaux

Les principales sanctions administratives sont définies aux articles 1728, 1729 et 1732 du code général des impôts. Elles sont exprimées en pourcentage des droits éludés.

En cas de manquements aux obligations déclaratives, l’article 1728 prévoit des sanctions de :

– 10 % en l’absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l’acte dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure ;

– 40 % lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure ;

– et 80 % en cas de découverte d’une activité occulte.

En cas d’insuffisance de déclaration, l’article 1729 prévoit des sanctions de :

– 40 % en cas de manquement délibéré ;

– et 80 % en cas d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses.

En cas d’opposition au contrôle fiscal nécessitant la mise en œuvre d’une procédure d’évaluation d’office, l’article 1732 prévoit une pénalité de 100 %.

Ces sanctions administratives sont déjà très importantes. Dans certains pays, comme en Allemagne, elles n’existent pas et l’administration fiscale doit saisir un juge pour pouvoir appliquer des sanctions similaires.

En France, la répression pénale de la fraude fiscale intervient en complément des sanctions administratives.

C’est la raison pour laquelle, le Conseil constitutionnel a limité le champ de la répression pénale de la fraude fiscale aux cas les plus graves. Dans ses décisions QPC M. Jérôme C. ([197]) et M. Alec W. ([198]) du 24 juin 2016, il a posé trois critères pour définir la politique pénale à adopter, reposant sur le quantum de la fraude, les agissements et les circonstances.

Décisions n° 2016-545 et n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016, considérant 21

« 21. Le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant lengagement de procédures conduisant à lapplication de plusieurs sanctions afin dassurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de larticle 1741 ne sappliquent quaux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à limpôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. »

B.   Les origines anciennes du « verrou de bercy »

Les origines du monopole de l’administration fiscale, en matière de déclenchement des poursuites en cas de fraude aux contributions, sont lointaines.

Au XIXe siècle, l’administration possédait le plus souvent un pouvoir de transaction dont la jurisprudence avait finalement déduit l’existence d’un monopole pour la poursuite ([199]).

La fraude fiscale n’est devenue un délit qu’en 1920. Le monopole de l’administration a été, dans le même temps, inscrit dans la loi. Il était ainsi prévu que « les poursuites seront engagées à la requête de ladministration compétente » (article 112 de la loi du 25 juin 1920 portant création de nouvelles ressources fiscales).

Le « verrou de Bercy » en matière délictuelle est donc une institution presque centenaire.

Il a été aménagé en 1977. La recevabilité des plaintes de l’administration fiscale a été soumise à un avis conforme de la CIF (article 1er de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière).

La CIF est un organisme administratif indépendant, non juridictionnel. Elle a été créée pour protéger les contribuables contre les éventuelles plaintes abusives de l’administration fiscale. L’exposé des motifs du projet de loi mentionnait qu’une commission des infractions fiscales devait être instituée « afin daméliorer les garanties offertes aux contribuables et déliminer toute présomption de partialité dans le déroulement des procédures ».

 

Composition de la CIF

La CIF est placée sous la présidence d’un conseiller d’État, en activité ou honoraire, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État. Elle est également composée de :

– huit conseillers d’État, en activité ou honoraires, élus par l’assemblée précitée ;

– huit conseillers maîtres à la Cour des comptes, en activité ou honoraires, élus par la chambre du conseil en formation plénière de la Cour des comptes ;

– huit magistrats honoraires à la Cour de cassation, élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;

– deux personnalités qualifiées, désignées par le président de l’Assemblée nationale ;

– et deux personnalités qualifiées, désignées par le président du Sénat.

Source : article 1741 A du code général des impôts.

C.   Le champ d’application du « verrou de Bercy »

Seules les infractions fiscales définies par le code général des impôts sont soumises à la procédure du « verrou de Bercy ». Il s’agit principalement du délit général de fraude fiscale défini à l’article 1741 du code général des impôts.

La fraude fiscale simple est caractérisée par la soustraction frauduleuse « à létablissement ou au paiement total ou partiel des impôts ».

Cette soustraction frauduleuse est définie de manière très large par l’article 1741 du code général des impôts puisqu’elle est établie dès lors que l’auteur a volontairement :

– « omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » ;

– ou « dissimulé une part des sommes sujettes à limpôt » ;

– ou « organisé son insolvabilité ou mis obstacle par dautres manœuvres au recouvrement de limpôt »,

– ou encore agi « de toute autre manière frauduleuse ».

La liste des agissements punissables est donc vaste et non exhaustive. Ils ont pour point commun de reposer sur une intention de ne pas payer limpôt dû.

Pour les cas de dissimulation des sommes soumises à l’impôt, un seuil est en outre prévu par l’article 1741 du code général des impôts, égal à un « dixième de la somme imposable » ou « 153  ». Mais ce seuil est très bas, presque symbolique. Il est issu de la loi du 25 juin 1920, qui a créé le délit général de fraude fiscale – il était à l’époque de 1 000 francs et n’a pas été revalorisé depuis...

 

En pratique, le délit de fraude fiscale est donc susceptible de s’appliquer très largement à tous les contribuables ayant fait l’objet d’une pénalité administrative qui révèle une intentionnalité de se soustraire aux obligations fiscales.

En revanche, les infractions fiscales de droit commun, relevant du code pénal, n’y sont pas soumises, même si elles ont un objet fiscal. Tel est le cas principalement de l’escroquerie lorsqu’elle porte sur la TVA et du blanchiment de fraude fiscale.

Par son arrêt Talmon du 20 février 2008 ([200]), la Cour de cassation a jugé que le blanchiment de fraude fiscale était une infraction générale, distincte et autonome, et qu’elle n’était donc pas soumise aux dispositions de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales. Par conséquent, un prévenu peut être déclaré coupable de blanchiment de fraude fiscale même en l’absence de poursuites préalablement engagées au titre de la fraude fiscale. Il suffit que soient établis les éléments constitutifs de l’infraction principale ayant procuré les sommes litigieuses.

D.   La sélection des dossiers transmis au procureur

L’administration fiscale doit saisir la CIF lorsqu’elle envisage un dépôt de plainte pour fraude fiscale.

Le nombre de dossiers transmis à la CIF chaque année à la suite d’un contrôle fiscal achevé est d’environ un millier. Cela représente environ 2 % des dossiers de contrôle fiscal externe, mais 7 % des dossiers qui ont fait l’objet de pénalités exclusives de bonne foi (révélant une intentionnalité d’éluder l’impôt) et parmi ceux-ci environ 20 à 25 % des dossiers pour lesquels les droits notifiés ont excédé 100 000 euros.

Dossiers issus du contrôle fiscal transmis à la CIF

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre de contrôles fiscaux externes

51 529

51 452

50 968

49 661

48 540

47 900

Nombre de dossiers répressifs*

16 194

16 166

15 943

15 374

15 065

14 228

Nombre de dossiers répressifs avec des droits notifiés supérieurs à 100 000 €

4 124

4 406

4 480

4 520

4 423

4 785

Nombre de dossiers transmis à la CIF

1 068

1 102

1 050

961

874

946

* Il s’agit, d’une part, des dossiers faisant l’objet d’une proposition de poursuites pénales, et d’autre part des dossiers pour lesquels sont appliquées des pénalités exclusives de bonne foi :

– dont le montant est supérieur à 50 % du total des montants des sanctions ;

– ou bien dont le montant est d’au moins 7 500 euros et supérieur à 30 % des droits rappelés.

Source : Direction générale des finances publiques.

 

Depuis 2010 ([201]), l’administration fiscale transmet également à la CIF des dossiers en cas de présomptions caractérisées d’infractions fiscales avant la clôture, voire l’ouverture, d’une opération de contrôle fiscal. La CIF est ainsi saisie d’un dossier portant, non pas sur une fraude établie et démontrée à l’issue d’une procédure de contrôle, mais sur des « présomptions caractérisées de fraude mises au jour à loccasion dune enquête, dun contrôle ou de toute autre activité de gestion ou comptable » ([202]).

Par construction, le montant des droits fraudés ne peut pas être connu au stade de la saisine de la CIF.

Ce type de dossiers fait l’objet, en cas d’avis favorable de la CIF, d’une procédure judiciaire denquête fiscale qui permet aux autorités judiciaires d’être saisies avant la clôture des opérations de contrôle fiscal (voir commentaire de l’article 1er).

L’existence de cette procédure de transmission des dossiers pour présomptions caractérisées de fraude se justifie par le fait que l’administration fiscale ne dispose pas, en l’état actuel, des moyens d’enquête lui permettant d’établir la fraude dans un certain nombre de cas.

Ces dossiers sont de l’ordre de plusieurs dizaines à une centaine par an.

Dossiers de prÉsomptions caractérisÉes transmis à la CIF

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre

57

80

89

100

70

27

Source : Direction générale des finances publiques.

La plupart du temps, la CIF est donc saisie après les opérations de contrôle fiscal, c’est-à-dire après la notification des rectifications d’imposition. Dans ce type de dossiers (dit « dossiers de droit commun »), la CIF informe le contribuable de sa saisine par lettre recommandée avec accusé de réception et l’invite à fournir, dans un délai de trente jours, ses observations ([203]).

Par exception, le contribuable n’est pas informé de la saisine pour les dossiers de présomptions caractérisées d’infraction fiscale (dit « dossiers de police fiscale »). Cette dérogation est justifiée par un risque de dépérissement des preuves.

 

Nombre de dossiers transmis à la CIF

Année

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Total

1 125

1 182

1 139

1 061

944

973

Dossiers de droit commun*

1 068

1 102

1 050

961

874

946

Dossiers de police fiscale

57

80

89

100

70

27

* dossiers issus de contrôles fiscaux achevés.

Source : commission des infractions fiscales.

Les avis de la CIF ne sont pas motivés.

La proportion d’avis favorables a progressé au fil du temps pour atteindre 95 % en 2017 (au lieu de 81,3 % pour la première année d’activité de la CIF), ce qui signifie que l’administration fiscale a progressivement intériorisé la jurisprudence de la CIF.

Nombre et sens des avis rendus par la CIF

Année

1978

1980

2000

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Dossiers examinés

96

435

928

1 081

1 113

1 155

1 086

1 063

992

Avis favorables

78

393

860

987

1 018

1 069

1 027

997

944

Avis défavorables

18

42

68

92

95

86

59

66

47

Pourcentage davis favorables

81,3 %

90,3 %

92,7 %

91,3 %

91,5 %

92,6 %

94,6 %

93,8 %

95,0 %

Source : commission des infractions fiscales.

Les avis de la CIF ne peuvent pas faire l’objet d’un recours, s’agissant d’un acte préparatoire à la décision du parquet. En revanche, la régularité de la procédure suivie peut être contestée devant le juge pénal ([204]).

La loi n° 2013-117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a traité en partie de la CIF.

L’article 9 a élargi les possibilités de saisine pour présomptions caractérisées.

L’article 13 a revu sa composition pour y ajouter des personnalités qualifiées, désignées par le président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat.

L’article 16 a prévu la publication annuelle d’un rapport d’activité à l’attention du Gouvernement et du Parlement (article L. 228 B du livre des procédures fiscales).

Les avis de la CIF lient la décision du ministre. Autrement dit, l’administration fiscale ne peut pas renoncer à la voie pénale et doit déposer plainte en cas d’avis favorable. Inversement, elle ne peut pas déposer plainte en cas d’avis défavorable.

E.   Le rôle limité du procureur

Une fois la plainte déposée, le parquet demeure libre de mettre en mouvement ou non l’action publique. Il peut également procéder à une enquête complémentaire.

Il est saisi in rem c’est-à-dire « de lensemble des faits constatés » ([205]). Il s’ensuit que le procureur « peut poursuivre toutes personnes, même non visées dans la plainte, contre lesquelles il estime quil existe des charges suffisantes davoir commis les délits dénoncés » ([206]).

En revanche, le procureur ne peut pas étendre le champ de la plainte aux fraudes fiscales connexes, par exemple lorsqu’il découvre dans le cadre de son enquête des faits similaires portant sur d’autres années ou d’autres impôts que ceux pour lesquels il est saisi.

À l’issue de son enquête, le parquet peut classer sans suite le dossier ou bien poursuivre soit par renvoi devant un tribunal correctionnel, soit par l’ouverture d’une information judiciaire avec saisine d’un juge d’instruction.

Dans ce dernier cas, l’administration fiscale a la possibilité de se constituer partie civile par application de l’article L. 232 du livre de procédures fiscales.

En 2016, le taux de réponse pénale s’élevait à 93,4 % (au lieu de 83 % en moyenne pour les autres infractions), ce qui signifie que les classements sans suite sont peu nombreux en matière de fraude fiscale. Cela s’explique en grande partie par le processus de sélection préalable des dossiers par l’administration.

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXVIII.   Le dispositif proposé par le sénat

Le Sénat a introduit un dispositif qui a été présenté par le rapporteur général de la commission des finances comme une suppression du « verrou de Bercy ».

Le Sénat a défini des critères qui doivent entraîner « obligatoirement » un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l’administration.

Toutefois, les critères retenus n’aboutiraient à déposer plainte que dans un nombre de cas très limités.

Le dépôt de plainte n’interviendrait en effet que si les deux conditions suivantes sont remplies :

– l’affaire a donné lieu à l’application d’une pénalité d’au moins 80 % sur des droits d’un montant supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État ;

– le contribuable a déjà été sanctionné par une pénalité d’au moins 80 % pour des faits identiques pendant deux des quatre années précédentes, ou bien les faits sont susceptibles de relever de la fraude fiscale aggravée.

Autrement dit, le dépôt de plainte obligatoire ne concernerait que les hypothèses :

– de réitération dans des délais très courts de manquements sanctionnés par des pénalités d’au moins 80 % ;

– et de fraude fiscale aggravée sanctionnée préalablement par une pénalité d’au moins 80 %.

La fraude fiscale aggravée

Les circonstances aggravantes de la fraude fiscale sont définies à l’article 1741 du code général des impôts. Il s’agit de la commission de l’infraction en bande organisée, ou de l’emploi de certains moyens tels que :

– des « comptes ouverts ou de[s] contrats souscrits auprès dorganismes établis à létranger » ;

– « linterposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à létranger »

– « lusage dune fausse identité ou de faux documents » ;

– « une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à létranger » ;

– « un acte fictif ou artificiel » ou « linterposition dune entité fictive ou artificielle ».

Sur amendement du Gouvernement ayant recueilli un avis favorable de la commission des finances du Sénat, le critère relatif à la réitération d’un manquement fiscal sanctionné par une pénalité d’au moins 80 % a été restreint aux personnes soumises à des obligations prévues à l’article 1er de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

Par ailleurs, même si les critères sont réunis, l’administration pourrait ne pas déposer plainte « pour des motifs propres aux faits concernés ».

Le parquet en serait alors informé et pourrait décider, de sa propre initiative, l’engagement de poursuites. Le Sénat a également prévu une levée du secret professionnel des agents de l’administration fiscale à l’égard du procureur pour ces dossiers remplissant les critères mais n’ayant pas donné lieu au dépôt de la plainte. Ainsi, le « verrou de Bercy » serait très partiellement supprimé.

Enfin, le Sénat a prévu la remise d’un rapport par le Gouvernement présentant le bilan de la mise en œuvre de ce nouveau dispositif et indiquant « en les répartissant par impôts, droits et taxes ainsi que par catégories socio-professionnelles et en précisant le montant des droits visés pénalement » :

– le nombre de plaintes déposées sur une année civile ;

– le nombre de dossiers pour lesquels l’administration a considéré qu’il n’y avait pas lieu de déposer plainte ;

– le nombre des dossiers ayant fait l’objet de poursuites ;

– et les suites données par l’autorité judiciaire aux dossiers ayant fait l’objet de poursuites.

Article 13 du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude
(version adoptée au Sénat en première lecture)

I. – Le livre des procédures fiscales est ainsi modifié :

1° L’article L. 228 est ainsi modifié :

a) Avant le premier alinéa, il est ajouté un I ainsi rédigé :

« I. – L’administration est tenue de déposer une plainte tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre dès lors que les faits qu’elle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à l’article L. 10 remplissent les critères cumulatifs suivants :

« 1° Les majorations prévues au c du 1 de l’article 1728 du code général des impôts, au début des b ou c de l’article 1729, au I de l’article 1729-0 A, à l’article 1732 ou au dernier alinéa de l’article 1758 du même code ont été appliquées à des droits dont le montant est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État ;

« 2° Soit le même contribuable est soumis, du fait de l’exigence de dignité, de probité et d’impartialité qui s’attache à ses fonctions ou à ses mandats électifs, aux obligations prévues à l’article 1er de la loi organique n° 2013-906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ou a déjà été sanctionné pour des faits identiques et relevant du 1° du présent I pendant deux des quatre années précédentes, soit les faits sont susceptibles de relever des deuxième à septième alinéas de l’article 1741 du code général des impôts.

« Si toutefois l’administration considère, pour des motifs propres aux faits concernés, qu’il n’y a pas lieu de déposer plainte alors même que ceux-ci remplissent ces critères, elle en informe le parquet compétent. Celui-ci peut demander à l’administration toutes informations relatives aux faits concernés, dans les conditions prévues à l’article L. 141 B du présent livre, et engager l’action publique. » ;

b) Le premier alinéa est ainsi modifié :

– au début, est ajoutée la mention : « II. - » ;

– après le mot : « plaintes », sont insérés les mots : « , autres que celles prévues au I, » ;

2° L’article L. 228 A est abrogé ;

3° Après l’article L. 141 A, il est inséré un article L. 141 B ainsi rédigé :

« Art. L. 141 B. - Les agents de l’administration sont déliés du secret professionnel à l’égard du procureur de la République pour la mise en œuvre du dernier alinéa du I de l’article L. 228. » ;

4° À l’article L. 232, après le mot : « impôts », sont insérés les mots : « , ou en application du dernier alinéa du I de l’article L. 228, ».

II. – (Supprimé)

III. – Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard dix-huit mois après le 1er janvier de l’année suivant l’entrée en vigueur du I, un rapport présentant le bilan de la mise en œuvre de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction résultant de la présente loi. Ce rapport indique, en les répartissant par impôts, droits et taxes ainsi que par catégories socio-professionnelles et en précisant le montant des droits visés pénalement :

– le nombre de plaintes déposées sur une année civile en application des premier à troisième alinéas du I du même article L. 228 ;

– le nombre de dossiers pour lesquels l’administration a considéré, en application du dernier alinéa du même I, qu’il n’y avait pas lieu de déposer plainte ;

– parmi les dossiers mentionnés au troisième alinéa du présent III, le nombre des dossiers ayant fait l’objet de poursuites ;

– les suites données par l’autorité judiciaire aux dossiers ayant fait l’objet de poursuites.

IV (nouveau). – À l’article L. 188 B du livre des procédures fiscales, au 8° du II de l’article 131-26-2 du code pénal, au deuxième alinéa du I de l’article 28-2, au 5° de l’article 705 et au 2° de l’article 706-1-1 du code de procédure pénale, après les références : « aux 1° à 5° », est insérée la référence : « du II ».

MMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMMCLXIX.   La position de la commission

Le Sénat a introduit un dispositif qui va dans la bonne direction mais qui ne va pas assez loin.

La rapporteure propose un amendement qui s’inspire largement des recommandations adoptées à l’unanimité de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales.

Cet amendement aménage le dispositif dit du « verrou de Bercy » dans le but d’accroître les prérogatives du parquet concernant le déclenchement des poursuites des infractions de fraude fiscale. Il procède à une réécriture globale de l’article introduit par le Sénat.

A.   Un mécanisme de transmission automatique au parquet des affaires ayant donné lieu aux pÉnalitÉs administratives les plus importantes

La rapporteure propose d’instituer une obligation à la charge de l’administration d’informer le parquet de tous les manquements fiscaux, sur des droits dépassant un certain seuil, et ayant donné lieu aux pénalités administratives les plus importantes, soit les majorations de :

– 100 % en cas d’évaluation d’office ;

– 80 % en cas de découverte d’une activité occulte, d’abus de droit, de manœuvres frauduleuses, ou d’absence de déclaration de certaines sommes et certains actifs.

L’obligation de transmission porte aussi sur les manquements réitérés ayant donné lieu à une pénalité de 40 % lorsque la déclaration ou l’acte n’a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d’une mise en demeure, ou en cas de manquement délibéré.

Les affaires relatives à des personnes tenues à une exigence renforcée d’exemplarité seront transmises au parquet dès le premier manquement ayant donné lieu à la pénalité d’au moins 40 %, et même si le montant des droits éludés est inférieur au seuil fixé.

Le parquet exerce ensuite librement l’opportunité des poursuites sur les dossiers transmis.

Le dispositif dit du « verrou de Bercy » ne s’appliquerait donc plus sur ce vivier de dossiers.

Par exception, les dossiers ne sont pas transmis au parquet lorsque la pénalité appliquée résulte d’une déclaration rectificative déposée spontanément par le contribuable, c’est-à-dire avant l’engagement d’un contrôle fiscal.

Le périmètre des dossiers sur lesquels le ministère public pourra exercer l’opportunité des poursuites sera ainsi considérablement élargi. Il intégrera l’ensemble des affaires dépassant le seuil fixé et ayant fait l’objet de sanctions administratives manifestant une intention d’éluder l’impôt, à l’exception de celles révélant un premier manquement délibéré ou un premier manquement à l’obligation de déposer une déclaration dans les trente jours d’une mise en demeure (pénalités à 40 %).

La constitution de ce vivier de dossiers répond à trois préoccupations.

Premièrement, cela permet au législateur de se réapproprier les critères de sélection des dossiers présentant un profil pénal à l’issue d’un contrôle fiscal.

Deuxièmement, cela met fin à la suspicion infondée selon laquelle certains dossiers importants seraient hors de la vue des parquets.

Troisièmement, et surtout, cela accroît le périmètre des dossiers sur lesquels le parquet pourra exercer ses prérogatives de juge de l’opportunité des poursuites.

I de larticle L. 228 du livre des procédures fiscales
(rédaction proposée par lamendement de la rapporteure)

« I.  Sans préjudice des plaintes dont elle prend linitiative, ladministration est tenue de dénoncer au procureur de la République les faits quelle a examinés dans le cadre de son pouvoir de contrôle prévu à larticle L. 10, qui ont conduit à lapplication, sur des droits dont le montant est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil dÉtat :

«  Soit de la majoration de 100 % prévue à larticle 1732 du code général des impôts ;

«  Soit de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de larticle 1728, au b ou c de larticle 1729, au I de larticle 17290 A ou au dernier alinéa de larticle 1758 du même code ;

« 3° Soit de la majoration de 40 % prévue au b du 1 de larticle 1728 ou au a ou b de larticle 1729 du même code, lorsque le contribuable a déjà fait lobjet lors dun précédent contrôle de lapplication des majorations visées aux 1° à 3° ou dune plainte de ladministration.

« Ladministration est également tenue de dénoncer les faits au procureur de la République lorsque des majorations de 40 %, 80 % ou 100 % ont été appliquées à un contribuable soumis aux obligations prévues à larticle 1er de la loi organique n° 2013906 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique et aux articles 4 et 11 de la loi n° 2013907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, quel que soit le montant sur lequel elles ont été appliquées.

« Lorsque ladministration dénonce des faits en application du présent I, laction publique pour lapplication des sanctions pénales est exercée sans plainte préalable de ladministration.

« Les dispositions du présent I ne sont pas applicables aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative. »

B.   Le maintien de la faculté de déposer plainte pour l’administration, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales

L’amendement prévoit que l’administration conserve la faculté de déposer plainte, sur avis conforme de la CIF, pour les affaires ne répondant pas aux critères précédemment définis.

L’amendement de la rapporteure prévoit, dans la nouvelle rédaction proposée de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, que :

« Sous peine dirrecevabilité, les plaintes tendant à lapplication de sanctions pénales en matière dimpôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre daffaires, de droits denregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre portant sur des faits autres que ceux [répondant aux critères de transmission automatique au parquet] sont déposées par ladministration à son initiative sur avis conforme de la commission des infractions fiscales.

« La commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui linvite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations quil jugerait nécessaires.

« Le ministre est lié par les avis de la commission.

« Un décret en Conseil dÉtat fixe les conditions de fonctionnement de la commission. »

Ainsi, pour les dossiers qui n’ont pas fait l’objet des pénalités administratives les plus importantes, une plainte préalable demeurerait nécessaire pour le déclenchement des poursuites par le parquet.

Le rôle de la CIF sera ainsi recentré sur sa mission originelle qui était de vérifier l’absence de plaintes abusives de l’administration.

C.   La suppression de l’avis de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de prÉsomptions caractérisÉes

L’avis de la CIF, en revanche, serait supprimé pour les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale. L’administration pourra ainsi déposer plainte directement pour ces dossiers de suspicion de fraude fiscale.

L’amendement de la rapporteure prévoit en effet, dans la nouvelle rédaction proposée de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, que :

« Lavis de la commission nest pas requis en cas de présomptions caractérisées quune infraction fiscale a été commise et pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves et qui résulte :

«  Soit de lutilisation, aux fins de se soustraire à limpôt de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès dorganismes établis à létranger ;

«  Soit de linterposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à létranger ;

«  Soit de lusage dune fausse identité ou de faux documents au sens de larticle 4411 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

«  Soit dune domiciliation fiscale fictive ou artificielle à létranger ;

«  Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer ladministration. »

Cela permettra en pratique au parquet détendre plus rapidement ses investigations lorsquil découvrira une fraude fiscale connexe à une infraction sur laquelle il enquête déjà. Il suffira en effet au parquet de solliciter le dépôt dune plainte de la part de ladministration. Ce dépôt interviendra rapidement compte tenu de labsence de passage du dossier devant la commission des infractions fiscales.

Cette disposition a donc pour effet de satisfaire la recommandation formulée par la mission d’information tendant à supprimer le « verrou de Bercy » pour les fraudes fiscales découvertes de manière incidente dans le cadre des enquêtes judiciaires.

D.   L’introduction pour le parquet de la facultÉ de poursuivre les fraudes fiscales connexes À celles dont il est dÉjÀ saisi

L’amendement de la rapporteure permet également au parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi, c’est-à-dire pour les fraudes qui portent sur d’autres impôts et d’autres périodes que la fraude initialement visée.

Il crée pour ce faire un nouvel article L. 228 C dans le livre des procédures fiscales qui prévoit que :

« Lorsque ladministration a déposé une plainte tendant à lapplication de sanctions pénales en matière dimpôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre daffaires, de droits denregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre ou dénoncé les faits au procureur de la République, laction publique peut être exercée sans nouvelle plainte ou dénonciation en cas de découverte de faits de fraude fiscale concernant le même contribuable et portant sur des impôts ou sur une période différents de ceux mentionnés dans la plainte ou la dénonciation initiale. »

E.   Une levée du secret fiscal à l’égard du procureur de la RÉpublique

L’amendement de la rapporteure délie les agents de l’administration fiscale du secret professionnel à l’égard du procureur de la République avec lequel ils pourront échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l’existence d’une plainte, d’une transmission ou d’une procédure judiciaire en cours.

Il crée pour ce faire un nouvel article L. 142 A dans le livre des procédures fiscales qui prévoit que :

« Les agents des finances publiques sont déliés du secret professionnel à légard du procureur de la République avec lequel ils peuvent échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de lexistence dune plainte ou dune dénonciation déposée en application de larticle L. 228 ou dune procédure judiciaire en cours. »

Cette levée du secret est indispensable pour permettre le bon fonctionnement de l’aménagement proposé du « verrou de Bercy ». Il permettra à l’administration fiscale et au parquet de discuter en amont sur certains dossiers de façon à déterminer de façon conjointe le traitement approprié : sanctions administratives ou poursuite pénale.

Cela va dans le sens des recommandations de la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. La mission avait en effet recommandé que la coopération et le dialogue soient renforcés entre l’administration fiscale et le parquet, comme cela se pratique dans beaucoup de pays.

F.   Un aménagement du « verrou de Bercy » plus important que celui adoptÉ par le Sénat en premiÈre lecture

La réécriture de l’article 13 proposée par l’amendement de la rapporteure substitue au mécanisme de dépôt de plainte obligatoire proposé par le Sénat un mécanisme de transmission obligatoire.

Elle permet aussi un aménagement du « verrou de Bercy » plus important que celui adopté par le Sénat sur cinq points. Elle :

– supprime la nécessité d’une réitération du manquement ou d’une qualification de fraude aggravée pour les affaires ayant donné lieu à des pénalités d’au moins 80 % ;

– ajoute aux critères de transmission obligatoire au parquet celui de la réitération d’un manquement délibéré sanctionné par une pénalité de 40 % ;

– supprime l’avis de la commission des infractions fiscales pour les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale ;

– permet au parquet de poursuivre directement les fraudes fiscales connexes à celles dont il est déjà saisi ;

– et élargit la levée du secret professionnel à l’égard des parquets à toutes les affaires et pas seulement à celles répondant aux critères et n’ayant pas donné lieu au dépôt d’une plainte.

La levée du secret professionnel à l’égard des parquets répond à la recommandation tendant à renforcer le dialogue et la coopération entre la justice et l’administration fiscale qui avait été formulée par la mission d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. Il appartiendra au Gouvernement de prendre dans les meilleurs délais une nouvelle circulaire pour définir les modalités de ce dialogue rénové.

*

*     *

La commission examine, en discussion commune, les deux amendements identiques CF186 de la rapporteure et CF112 de M. Daniel Labaronne, faisant l’objet des sous-amendements CF225 de M. Charles de Courson, CF224 et CF223 de Mme Laurence Vichnievsky, CF226, CF227, CF228, CF230 et CF229 de M. Charles de Courson, ainsi que l’amendement CF93 de Mme Christine Pires Beaune, les amendements identiques CF99 de Mme Christine Pires Beaune et CF117 de M. Jean-Paul Dufrègne, et l’amendement CF166 de M. Éric Coquerel.

Mme la rapporteure. Je vais prendre le temps de m’exprimer, car il est très important que je vous explique bien clairement le dispositif que je vous propose par le biais de l’amendement CF186.

Le « verrou de Bercy » est une exception au libre exercice de l’action publique par le parquet. Il subordonne la poursuite pénale de la fraude fiscale à une plainte préalable de l’administration fiscale, après avis favorable de la commission des infractions fiscales (CIF).

Je rappelle que les manquements fiscaux ont vocation à être sanctionnés dans le cadre des contrôles fiscaux programmés chaque année par l’administration fiscale. Des pénalités administratives sont appliquées lorsque le manquement commis est intentionnel – l’administration fiscale redresse l’impôt, applique des intérêts de retard et applique, quand le manquement est intentionnel, des pénalités qui vont de 40 % à 100 %.

Les sanctions pénales viennent en plus. Elles n’ont d’ailleurs vocation à s’appliquer, comme l’a jugé le Conseil constitutionnel, qu’aux fraudes les plus graves, celles pour lesquelles la sanction pénale présente une plus-value par rapport aux sanctions administratives. De ce point de vue, le « verrou de Bercy » se justifiait par le fait qu’on considérait que l’administration était la mieux placée pour apprécier l’atteinte aux intérêts financiers du Trésor.

Reste que la perception de la société a changé à l’égard des manquements fiscaux. La fraude fiscale, auparavant considérée comme une simple atteinte aux intérêts financiers de l’État, est aujourd’hui perçue comme un trouble à l’ordre public et une atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi. C’est pourquoi nous avons souhaité la création d’une mission d’information commune afin de trouver des solutions pour améliorer les procédures.

Le présent amendement reprend en grande partie les propositions du rapport de la mission d’information.

En premier lieu, l’amendement institue une obligation à la charge de l’administration d’informer le parquet – au-delà d’un certain seuil de droits rappelés – de tous les manquements fiscaux ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes révélant une intentionnalité d’éluder l’impôt : soit les pénalités de 100 % et de 80 % et les pénalités de 40 % en cas de réitération du manquement. Pour ces dossiers, l’amendement prévoit un seuil déterminé par décret en Conseil d’État – nous allons sans doute discuter du fait de savoir si ce seuil devrait plutôt figurer dans le texte même. J’envisage un seuil de 100 000 euros ; le ministre pourra nous dire ce qu’il en pense.

Pour les personnes soumises à des exigences de transparence en application des lois organique et ordinaire du 11 octobre 2013 – à savoir les personnes qui déposent une déclaration aujourd’hui auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – les affaires sont transmises sans seuil dès lors qu’elles sont assorties de pénalités d’au moins 40 %.

La constitution de ce vivier de dossiers répond à trois préoccupations : elle permet tout d’abord au législateur de se réapproprier les critères de sélection des dossiers présentant un profil pénal à l’issue du contrôle fiscal ; elle met fin ensuite à la suspicion infondée selon laquelle certains dossiers importants échapperaient aux parquets ; enfin, elle accroît le périmètre des dossiers sur lesquels les parquets pourront librement exercer leurs prérogatives de juge de l’opportunité de poursuites pénales.

En deuxième lieu, la possibilité est prévue pour l’administration d’être à l’initiative du déclenchement des poursuites pénales pour les dossiers qui ne répondraient pas aux critères précités. L’avis de la CIF est maintenu pour les plaintes spontanées de l’administration. Pourquoi ? Parce que le principe d’automaticité de transmission de dossiers répondant à certains critères ne nécessite pas l’avis de la CIF. Dans les autres cas, on en revient au rôle originel de la CIF visant à garantir les droits du contribuable et donc veiller à ce que l’administration juge en toute objectivité la transmission des dossiers au pénal.

En troisième lieu, l’amendement concerne les cas de présomption caractérisée de fraude fiscale ; il s’agit des dossiers transmis à la BNRDF pour qu’elle enquête avant même la vérification fiscale. Jusqu’à présent cette transmission passait par la CIF et l’amendement propose que ce ne soit plus le cas, l’administration pouvant dès lors déposer plainte directement. Les investigations et les dépôts de plainte s’en trouveront accélérés.

Quatrièmement, il s’agit de permettre au parquet de poursuivre directement les fraudes connexes à celles dont il est déjà saisi – ce que nous avions appelé la « petite connexité », à savoir les fraudes qui vont porter sur d’autres périodes et d’autres impôts que la fraude initialement visée. C’était, ici aussi, une proposition du rapport.

Cinquième et dernier point, je propose de délier les agents de l’administration fiscale du secret professionnel à l’égard du procureur de la République – je vous demande de mesurer cette avancée substantielle – avec lequel ils pourront échanger des informations couvertes par ce secret indépendamment de l’existence d’une plainte. On permet ainsi au juge un dialogue avec l’administration.

Je vous propose d’ouvrir la discussion sur le fondement de cette présentation.

M. Daniel Labaronne. Le groupe La République en Marche se félicite de l’amendement de la rapporteure, qui était également rapporteure de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales. Je tiens à souligner la cohérence de la démarche de la majorité, qui a commencé son travail en la matière par le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, travail qui s’est poursuivi par la demande de création d’une mission d’information, celle que je viens de mentionner, qui a œuvré très rigoureusement et dans un esprit très ouvert, sans a priori aucun, et qui a remis un rapport dont les propositions ont été adoptées à l’unanimité – propositions elles-mêmes reprises dans le présent texte. Il s’agit, disons-le, de supprimer le « verrou de Bercy » en place depuis quelque cent ans. En douze mois, tranquillement, de manière rigoureuse, j’y insiste, et convaincante, nous avons avancé sur ce dossier.

Ensuite, malgré les divergences initiales, nous avons pu, grâce aux nombreux échanges organisés entre le ministère de l’action et des comptes publics et les groupes politiques du Parlement, parvenir à un point d’équilibre entre les nécessités propres à l’administration fiscale, légitimes, et la remise, au cœur du système, de la justice en matière de fraude fiscale. Aussi le texte satisfait-il un très grand nombre de parties prenantes à ce dossier.

Nous nous félicitons donc de cette avancée et, bien sûr, nous soutenons l’amendement d’Émilie Cariou – identique à l’amendement CF112 que je défends. Sur ce dossier quelque peu explosif il y a un an, nous aboutissons donc posément mais non sans détermination, à une proposition contentant, je le répète, un très grand nombre d’acteurs.

M. Charles de Courson. L’amendement Cariou, appelons-le ainsi, est un amendement de compromis entre ceux qui voulaient supprimer purement et simplement le « verrou de Bercy » et ceux qui voulaient le maintenir.

Le point positif est qu’on supprime le « verrou de Bercy » pour tous les dossiers satisfaisant aux critères ici définis – hormis le montant au-delà duquel l’administration informe le parquet des manquements fiscaux ayant donné lieu à des pénalités administratives importantes révélant une intentionnalité d’éluder l’impôt. Il y a automaticité du transfert et « mixage » de l’autorité des juges avec celle des autorités fiscales pour faire le tri, mais ce sont, bien entendu, les premiers qui choisiront in fine.

Je n’en ai pas moins relevé plusieurs points négatifs.

D’abord, on conserve le « verrou de Bercy » pour les dossiers qui ne satisfont pas aux critères et pour lesquels on maintient le rôle de la CIF. On supprime le « verrou » pour 2 000 dossiers au lieu de 1 000 actuellement alors que de 12 000 à 13 000 dossiers seront – ou non – susceptibles d’être transmis par l’administration fiscale.

Ensuite, un régime dérogatoire est prévu pour les élus et les hauts fonctionnaires : si des majorations leur sont appliquées sans qu’il y ait de seuil de montant, leurs dossiers sont automatiquement transmis. Cette dérogation présente à mes yeux un risque d’inconstitutionnalité.

Je soutiens donc la partie de l’amendement Cariou qui supprime le dispositif en vigueur, mais je pense que le texte, plutôt que d’en renvoyer la fixation à un décret en Conseil d’État, devra lui-même déterminer le seuil évoqué au début de mon intervention. Je pense également qu’il faut supprimer le régime dérogatoire pour les élus et les hauts fonctionnaires, qui doivent être traités comme tous les citoyens et ne doivent donc bénéficier d’aucun privilège ni d’aucune sanction – comme ici – particuliers.

L’ensemble des sous-amendements CF225 à CF230 que je défends ici, on l’aura compris, vont dans le sens d’une suppression totale du verrou de Bercy.

Mme Sarah El Haïry. La méthode suivant laquelle la commission a travaillé sur le « verrou de Bercy » s’est révélée exemplaire, et les députés du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés soutiennent sans réserve l’amendement dit, désormais, « Cariou ». Nous sommes en effet très satisfaits du point d’équilibre auquel nous sommes parvenus. Nous n’en défendons pas moins deux sous-amendements pour éclaircir certains points.

Le sous-amendement CF224 a pour objet de faire dépendre l’obligation de dénonciation, de la situation objective de fraude, constituée par les agissements ou les omissions du contribuable, dès lors bien sûr que l’administration fiscale en aura eu connaissance, sans y ajouter la condition que la fraude ainsi révélée ait fait de surcroît l’objet d’une notification de majoration de droits. Le sous-amendement CF223, quant à lui, vise à fixer à 100 000 euros le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel l’administration sera tenue de dénoncer certaines fraudes fiscales au procureur de la République.

Mme la rapporteure. Il est étrange que vous affirmiez vouloir supprimer le « verrou de Bercy », monsieur de Courson, puisque vous souhaitez une transmission automatique pour les dossiers satisfaisant aux critères – et un verrouillage complet pour tous les autres ! Les dossiers émanent par définition de l’administration fiscale, puisque c’est elle qui constate les infractions et qui calcule l’impôt. Aujourd’hui, certains dossiers de moins de 100 000 euros passent déjà devant le juge pénal lorsqu’ils comportent des actes très graves. Pour les autres dossiers, l’administration va constater qu’il y a un caractère de gravité dans d’autres dossiers, et dans ce cas elle va les porter devant le juge.

Le sous-amendement CF224 vise, à l’alinéa 6, avant les mots : « ont conduit » à insérer les mots : « sont passibles ou ». Je ne comprends pas du tout ce que cela signifie parce qu’il faut bien que l’infraction soit constituée, qu’un redressement soit écrit et motivé avec un montant d’impôt... L’ajout que vous proposez est donc trop flou.

Pour ce qui est des amendements CF223 et CF226 et de la fixation du seuil à 100 000 euros, nous en rediscuterons plus tard et je m’en remettrai à la sagesse de la commission.

M. Daniel Labaronne. Pendant les travaux de la mission d’information commune, monsieur de Courson, vous ne cessiez de dire qu’en définitive le « verrou de Bercy » n’attrapait pas les gros poissons. Le présent dispositif le permettra automatiquement. Très logiquement, vous ajoutiez que le « verrou » ne concernait que les petits poissons. Eh bien, il s’agit ici d’attraper à la fois les gros et les petits puisque, s’agissant des gros, le Parlement reprend la main, et que, s’agissant des petits, l’administration fiscale aura toujours la possibilité de considérer que certains dossiers ne remplissant pas les critères méritent tout de même de suivre la voie pénale – mais il y aura un sas pour protéger les contribuables : le maintien du rôle de la CIF. Ensuite, sur avis conforme de celle-ci, les dossiers en question suivront ou non la voie pénale et le juge aura toujours l’opportunité de poursuivre ces petits poissons.

Mme la rapporteure. J’ajoute que le gros requin est parfois accompagné d’un petit poisson pilote... et que le dispositif permet de le prendre également et de le conduire au pénal.

Mme Véronique Louwagie. Cette discussion s’inscrit dans le prolongement des travaux de la mission d’information commune dont vous avez été la rapporteure, madame Cariou, sous la présidence d’Éric Diard.

J’estime qu’on ne peut pas, compte tenu de l’orientation prise, ne pas déterminer un montant. On peut discuter du fait de savoir si celui de 100 000 euros, proposé par le sous‑amendement CF223, est le bon ; il semble correspondre en tout cas à l’usage. Reste qu’il nous appartient à nous, parlementaires, de l’inscrire dans le texte.

Ensuite, notre collègue de Courson l’a évoqué, un dispositif dérogatoire est prévu pour les élus et les hauts fonctionnaires. Son existence me gêne également : le droit commun doit en effet s’appliquer – et le risque d’inconstitutionnalité est en effet bien réel.

M. Jean-Louis Bourlanges. Nous devons saluer ces amendements, qui sont l’aboutissement du grand travail auquel s’est livrée la rapporteure, un travail intéressant qui a permis de revoir un certain nombre d’a priori. Nous étions en effet partis avec l’idée, souvent évoquée par Charles de Courson, que le « verrou de Bercy » protégeait les « gros », qu’il reposait sur une volonté claire de l’administration fiscale de dessaisir l’autorité judiciaire. Nous étions également partis avec l’idée, plus juste mais difficile à remettre en cause, que tout ce système était exagérément centralisé. Nous nous sommes en réalité aperçus que le « verrou » ne protégeait pas nécessairement les gros, et qu’il avait pour objet d’assister, d’aider la justice qui parfois était très empêtrée dans cette affaire. Nous avons compris que le « verrou » n’avait pas été imposé par Bercy à la justice, mais au contraire demandé par les magistrats, qui avaient le sentiment depuis longtemps, dès la création de l’impôt sur le revenu, de manquer de conseils techniques et que c’était donc sur le fondement d’une coopération insuffisante que s’était organisé tout cela.

Sur ces différents points, nous pensons vraiment que le système ici proposé est très satisfaisant. C’est un compromis rendu possible par l’attitude ouverte du ministre. On n’a pas supprimé la CIF mais on a fixé des critères automatiques. L’automaticité prévient contre tout risque d’arbitraire dans le domaine où ces critères sont appliqués. Il ne s’agissait pas seulement, comme on pouvait le penser en écoutant les premières interventions de M. Darmanin, très justes d’ailleurs, de donner à la loi la possibilité de fixer des critères aujourd’hui définis entre Bercy et la justice ; mais, au-delà de la fixation par la loi, c’est l’automaticité qui est importante et qui est une garantie fondamentale.

Ensuite, je ne suis pas d’accord avec Charles de Courson sur le fait qu’on maintiendrait le « verrou de Bercy ». C’est en fait l’anti-« verrou de Bercy », puisque la possibilité est donnée à Bercy de s’intéresser à des contribuables qui n’obéissent pas aux critères définis, alors que sans cette possibilité, ils se trouveraient miraculeusement protégés – ce n’est pas parce que des gens gagnent peu que ce ne sont pas de profonds scélérats... Il faut vraiment distinguer la gravité de la faute de l’importance du montant gagné. Il eût donc été absurde que l’administration fiscale ne puisse déférer à la justice ceux qui ne répondaient pas aux critères.

Enfin, la proposition de délier les agents de l’administration fiscale du secret professionnel à l’égard du procureur, même si cette disposition ne sera facile d’application ni pour Bercy ni pour personne, ouvre la porte à des commencements de coopération décentralisée au niveau des différents parquets. C’est en tout cas là un très grand progrès.

Nous soutenons ce compromis.

J’en viens plus précisément au sous-amendement CF224. Notre collègue Laurence Vichnievsky est inquiète, c’est sa nature et son métier qui le veulent... Quand on a été si longtemps juge d’instruction, on se méfie à juste titre de tout le monde ! Or, après les discussions que nous avons eues avec la rapporteure et avec le ministre, nous avons bien vu que la réalité de l’infraction potentielle ne pouvait se matérialiser, s’évaluer qu’après la notification. Par sympathie, je voterais bien son sous-amendement, mais ma raison résiste à mon cœur...

M. Éric Coquerel. Revenons-en au contexte. Le texte initial du Gouvernement ne comportait aucune disposition sur le « verrou de Bercy ». Le texte tel qu’il nous est parvenu du Sénat ne propose rien de significatif et mérite vraiment qu’on parle de coup d’épée dans l’eau. Nous avons discuté et le compromis auquel nous sommes parvenus est une version dégradée de la version « optimum » pour laquelle nous nous étions engagés à l’issue des travaux de la mission d’information dite « Cariou ». Nous avions même plaisanté, alors, sur l’idée d’un « serment de Lamartine » – puisque nous étions salle Lamartine – liant les membres de la mission et consistant à défendre jusqu’au bout cette version exigeante.

Je note que, certes, l’amendement d’Émilie Cariou comporte d’importants progrès puisqu’il reprend une partie non négligeable des propositions que nous avions élaborées, et la levée du secret professionnel des agents du fisc à l’égard du procureur n’est pas la moindre de ces avancées.

Reste que notre amendement CF166 reprend de manière plus condensée les sous‑amendements de notre collègue de Courson, non pas pour le seul plaisir de demeurer fidèles à notre « serment », mais parce qu’il nous paraît que ce que nous avons appelé la « version recommandée 1 », celle sur laquelle nous nous étions engagés, était beaucoup plus efficace pour atteindre le but fixé.

Il nous semble nécessaire que le seuil du montant des droits éludés au-delà duquel l’administration sera tenue de dénoncer certaines fraudes fiscales au procureur, ne soit pas fixé par décret en Conseil d’État mais par l’Assemblée. Il serait de 100 000 euros – idée admise par le ministère.

Nous avons gardé, contrairement à l’amendement d’Émilie Cariou, les cas de majoration de 40 % dans d’autres cas que celui de récidive. C’est important car nous savons que, sans cette mesure, on divisera à peu près par deux le nombre de dossiers : on passerait de 4 000 à 2 000 dossiers, soit une différence quantitative importante.

Le deuxième problème qui nous semble important est celui des infractions connexes, que nous incluons toutes dans notre amendement – qu’il s’agisse du trafic de drogue ou d’une autre infraction – alors que le projet de loi ne porte que sur les infractions concernant un autre impôt.

Se pose enfin la question de la disparition de la CIF. Je rappelle que le projet de loi prévoit de supprimer la CIF et de permettre au parquet de poursuivre directement les dossiers qu’il a sélectionnés à l’issue de l’examen conjoint avec l’administration fiscale – examen dont nous estimions en effet qu’il devait avoir lieu par la suite, mais dont la mission a recommandé qu’il soit conduit à l’échelle départementale. Conserver la CIF nous paraît problématique, car le texte s’en trouverait amoindri. J’ai entendu Mme Cariou répondre à M. de Courson en parlant d’administration « verrouillée », mais je vous rappelle que nous avons prévu le dispositif ensemble – il est présenté à la page 64 du rapport de la mission d’information, qui a recommandé un examen systématique par l’administration et le parquet. Il est donc bien prévu que lorsque les dossiers ne sont pas inclus dans les critères, l’administration ne décide pas seule ; il est procédé à un examen systématique et conjoint des dossiers par l’administration fiscale et la justice. Nous avions d’ailleurs expliqué que c’est à la justice de trancher en dernière instance sur l’opportunité des poursuites. La disparition de cette proposition avec le maintien de la CIF atténue la portée du texte et je le regrette ; c’est pourquoi nous voterons en faveur des sous-amendements de M. de Courson et défendons notre amendement CF166.

Mme Christine Pires Beaune. Avant de présenter mes deux amendements CF93 et CF99, je tiens à saluer le travail de la mission d’information conduite par notre rapporteure Émilie Cariou, car c’est grâce à ce travail que nous pouvons désormais avancer. L’amendement CF186, qui sera certainement adopté, risquant de faire tomber les suivants, permettez-moi tout de même d’en dire deux mots.

Je commencerai par rappeler l’origine paradoxale du régime dérogatoire que constitue le « verrou de Bercy ». Il a été institué à une époque où l’administration était jugée trop intrusive, où les poursuites étaient trop nombreuses et où il fallait protéger le contribuable. Depuis, le contexte a changé du tout au tout, au point que l’on adresse le reproche inverse à l’administration – celui de ne pas recourir assez souvent aux poursuites. Le sentiment d’une pénalisation insuffisante de la fraude existe bel et bien. Sur le plan intellectuel, le monopole qu’est « le verrou de Bercy » ne saurait nous satisfaire puisqu’il constitue une exception à la règle de droit commun.

L’amendement CF93 vise simplement à supprimer le « verrou de Bercy » sans le faire de but en blanc, du jour au lendemain, mais avec une date d’effectivité fixée au 1er janvier 2022, ce qui permettra de réunir les conditions nécessaires pour que tout se passe bien et pour que la justice puisse se muscler. L’amendement CF99 est un amendement de repli qui vise à assouplir le « verrou de Bercy » en fonction des conclusions de la mission d’information.

J’ajoute que l’amendement adopté au Sénat ne nous convient évidemment pas du tout puisqu’il prévoit des critères cumulatifs et que ce n’est pas la voie que nous souhaitons emprunter.

M. Jean-Paul Dufrègne. Nous nous félicitons à notre tour des travaux accomplis par la mission d’information. L’amendement CF117, qui s’appuie sur ces travaux, vise également à mettre fin à l’anomalie démocratique que constitue le « verrou de Bercy ». Il est proposé d’inscrire dans la loi les critères à partir desquels l’administration fiscale présente de manière obligatoire les dossiers de contrôle fiscal au procureur de la République. L’amendement renvoie à un décret en Conseil d’État les modalités d’examen conjoint des dossiers concernés par l’administration et par l’autorité judiciaire, et ouvre la voie au parquet pour poursuivre les faits de fraude fiscale connexes ou découverts de manière incidente.

Plusieurs questions restent en suspens : de combien de dossiers la justice sera-t-elle saisie ? Aujourd’hui, ce nombre est de l’ordre de 1 000 ; le ministre nous en annonce 2 000, mais il y aurait plus de 4 000 dossiers fiscaux représentant un montant supérieur à 100 000 euros. Quid des 2 000 dossiers restants ? Passeront-ils entre les mailles du filet ? Enfin, selon nous, le maintien de la CIF pose également problème.

M. le ministre. Je vais tâcher de ne pas abuser de votre temps, même si ce moment des travaux de la commission est important.

La position du Gouvernement peut s’exprimer en trois temps.

Tout d’abord, je constate avec vous que le Gouvernement a tenu sa parole quant à la façon dont il a travaillé avec le Parlement, en premier lieu dans le texte sur la confiance que vous a présenté Mme la garde des sceaux, puis lors de la création de la mission d’information commune suite à diverses discussions que nous avons eues au cours de l’examen des lois de finances, puis encore en ayant laissé la mission travailler – j’ai à cette occasion apporté l’une des solutions qui a été complétée, corrigée et largement amendée et qui a consisté à donner les clés du « verrou » au Parlement. À cet égard, je m’étonne des propos de M. Coquerel, qu’il a tenus sans malice et que je me permettrai de compléter : il ne faut pas interpréter l’absence de disposition gouvernementale concernant le « verrou » dans le texte initial, puisque le Gouvernement a d’emblée annoncé qu’il ne ferait pas de mauvaise manière au Parlement, notamment à l’Assemblée nationale, et qu’il lui laisserait le soin d’apporter les compléments, modifications et autres suppressions du « verrou de Bercy » – dont je rappelle qu’il n’existe pas dans les textes. Le grand paradoxe, en effet, est que ce « verrou » existe depuis un siècle sans être prévu nulle part ailleurs que dans la jurisprudence administrative et constitutionnelle. Vous allez donc en inscrire les critères dans la loi et c’est un progrès, mais nous pouvons considérer que c’est tout de même un paradoxe – et ce n’est pas le seul de cette ténébreuse affaire.

Ensuite, je me félicite du travail accompli en commun, en particulier celui de l’excellente mission d’information conduite par M. Diard et par votre rapporteure. Je remercie également l’administration – celle de la justice et celle de Bercy – qui a su accompagner les évolutions et éclairer les débats. Elle s’est constamment tenue à votre disposition et, même avec des points de vue parfois différents, vous a apporté les éléments qui vous permettent aujourd’hui de prendre une décision en toute connaissance de cause.

Je crois comprendre que l’amendement défendu par Mme Cariou fera l’objet d’une belle unanimité. Il ne s’arrête pas à la question des critères – j’y reviendrai – mais évoque également la connexité, un sujet très important dont on sait que le champ est réduit, et la possibilité de lever le secret fiscal et professionnel, auquel vous savez à quel point l’administration et les ministres des comptes publics sont attachés, lorsqu’aura lieu le dialogue entre l’autorité judiciaire, en particulier le procureur de la République, et l’administration chargée du contrôle fiscal. Mme la rapporteure l’a dit dans son propos liminaire : il ne faut pas sous-estimer cette avancée. C’est une forme de confiance collective que nous nous faisons en permettant la levée de ce secret fiscal alors même que des poursuites ne seront pas systématiquement engagées au sujet de tel ou tel dossier personnel. Je rappelle en effet que la levée du secret fiscal, le lancement d’une procédure de contrôle fiscal voire l’engagement de poursuites ne se traduisent pas toujours par une condamnation : il arrive que le contribuable visé ait raison contre l’administration – cela se produit même plus souvent qu’on ne le souhaite.

Connexité et levée du secret pour le dialogue entre administration et justice sont donc deux éléments du rapport de votre mission d’information. Il ne faudrait pas que le seul montant des critères cache la forêt de l’évolution des relations entre l’autorité judiciaire, la fonction du Parlement et l’activité de Bercy.

Permettez-moi néanmoins une pique que j’ai déjà formulée plusieurs fois à l’endroit de la représentation nationale, avec tout le respect que j’ai pour elle : nous sommes face à la conséquence de la non-utilisation des pouvoirs du Parlement, pourtant inscrits dans les textes, car depuis sept ans, mesdames et messieurs les députés – cela vaut aussi pour les sénateurs –, vous n’avez auditionné ni la CIF ni le directeur général des finances publiques sur les dossiers relatifs à ce « verrou ». Vous auriez pourtant dû le faire car la loi le prévoit, en particulier la loi portant création de la CIF à la fin des années 1970. Aucune des commissions, quelles que soient les majorités, ne l’a fait, à commencer par celle de l’année dernière ; c’est dommage.

Peut-être, cela dit, de telles auditions n’auraient-elles pas porté leurs fruits. Il se pose en effet un problème tenant au fait que la CIF ne répond devant personne puisqu’elle est indépendante par sa composition et qu’elle a pour mission de protéger les contribuables – c’était même sa raison d’être ; je reviendrai plus tard sur l’autre sujet qu’est l’opportunité de son maintien. Je constate qu’aujourd’hui, le directeur général des finances publiques, sur les conseils que lui donne son administration de transmettre ou non tel ou tel dossier au procureur de la République, passe par la CIF, qui donne un avis, et que 90 % de ces avis sont suivis ; les plaintes sont ensuite déposées en conséquence. Le ministre des comptes publics ne donne aucun avis sur la transmission des dossiers – du moins ne l’ai-je jamais fait en quinze mois, et il me semble que ce fut aussi le cas de mes prédécesseurs depuis qu’il n’existe plus de cellule de contrôle fiscal. Sur ce point précis, le ministre ne contrôle donc pas son administration, notamment le directeur général des finances publiques – en qui j’ai toute confiance mais sait‑on jamais, un changement de directeur finira bien par arriver un jour, comme il se produira sans doute un changement de ministre. En clair, c’est le directeur général des finances publiques – qui n’est donc pas contrôlé par le ministre – qui transmet les dossiers ; quant à la CIF, personne ne la contrôle puisque vous ne l’auditionnez pas. Résultat : une plainte fiscale arrive sur le bureau d’un procureur ou d’un juge alors que personne n’a encore regardé comment les choses se sont passées. C’est là où l’opacité était selon moi la plus grande.

Cela étant dit, je laisserai une totale liberté au Parlement – tout en donnant un avis favorable à l’amendement de Mme Cariou – quant à la fixation des critères. Faut-il fixer aussi le montant – qui intéresse tout le monde ici et sans doute aussi à l’extérieur de cette assemblée – à 100 000 euros, c’est-à-dire, grosso modo, celui qu’ont retenu la direction générale des finances publiques (DGFiP), la CIF et, in fine, la justice, pour juger des dossiers ? Je pense que c’est un bon niveau, mais s’il appartient au Parlement de fixer les critères, alors il lui appartient aussi de fixer les montants. Il serait plus utile et plus simple de passer par un décret en Conseil d’État, comme le prévoit l’amendement du Sénat, mais je comprends la frustration que cela entraîne pour les parlementaires et je ne serais aucunement choqué qu’ils fixent eux-mêmes le montant de ces critères dans la loi – à ceci près qu’il faudra changer la loi pour changer les critères, notamment le montant, alors que l’on pourrait se contenter de changer un décret. Quoi qu’il en soit, je laisse au Parlement le soin d’en décider et je ne m’opposerai pas à l’une ou l’autre solution.

Faut-il ou non supprimer la CIF ? Je déduis de l’argumentation de M. Coquerel et de celle de M. de Courson que le « verrou » se réduit par abus de langage à la CIF. Je conçois que le moment quelque peu original que constitue le passage par la CIF des dossiers qui ne sont pas soumis au critère d’automaticité soit assimilé au « verrou ». En réalité, le « verrou » est le monopole laissé à l’administration de porter plainte au nom de celui qui a été lésé, c’est‑à‑dire le contribuable représenté par le ministre des comptes publics. Je trouverais dommage – je le dis en toute franchise – qu’un dispositif qui protège le contribuable contre une volonté éventuellement néfaste du politique – le fait de transmettre tel dossier et non tel autre peut en effet susciter le doute, ce doute qui a poussé le gouvernement de Raymond Barre et la majorité parlementaire d’alors à prévoir une protection face à ce que pourrait faire un ministre des comptes publics avec l’arme du contrôle fiscal dont il dispose en transmettant des dossiers à la justice mais, par un présage heureux ou malheureux, la CIF a désormais le monopole de l’opacité – je trouverais dommage, disais-je, que vous supprimiez la CIF et je me range plutôt à l’avis de Mme la rapporteure : gardons la CIF pour traiter les dossiers qui ne sont pas soumis à l’automaticité, quitte à en changer la composition, même si elle est actuellement composée de membres indépendants et sans lien avec le pouvoir politique. Je ne m’opposerai cependant pas à sa suppression si vous la souhaitez, s’agissant d’une protection du contribuable voulue par les parlementaires.

Troisième point : l’intervention de M. de Courson sur la HATVP fait écho à un débat public intéressant. Je peine davantage à comprendre Mme Louwagie et je constate hélas qu’après avoir beaucoup parlé du « verrou de Bercy » depuis quelques mois, aucun député du groupe Les Républicains n’est présent pour porter la contradiction alors que nous nous apprêtons à le supprimer, ce que je regrette. Je le dis sans méchanceté aucune : dans l’opposition, vous souhaitiez tous supprimer le « verrou », et une fois dans la majorité, vous n’avez jamais poussé votre ministre à le faire – au point de le mettre en minorité lorsque vous apparteniez à la majorité, monsieur de Courson. C’est aussi le cas des députés socialistes et des députés Les Républicains. Je suis heureux de constater que c’est nous, notamment la majorité des groupes La République en Marche et MoDem, qui ont créé les conditions politiques permettant de supprimer ce « verrou » ; c’est une grande victoire politique qu’il convient de souligner. C’est plus facile à faire dans la majorité, quand on est responsable, que dans l’opposition où l’on ne fait que parler.

Quoi qu’il en soit, la question de la HATVP est intéressante. C’est le Gouvernement, par ma voix, qui a souhaité déposer un amendement visant à ce que tous les responsables politiques et hauts fonctionnaires remplissent une déclaration particulière consistant à publier leur patrimoine – un acte qui me semble normal, mais dont il faut convenir qu’il n’est pas l’ordinaire du commun des citoyens, monsieur de Courson : il faut tout de même distinguer entre ceux qui ont une autorité particulière, notamment politique, et ceux qui n’en ont pas.

En pratique, l’administration fiscale transmet les dossiers inférieurs à 100 000 euros qui ne relèveraient pas du cheminement jurisprudentiel normal entre la DGFiP et la CIF vis‑à‑vis de la justice, parce que les contribuables concernés ont une personnalité particulière. Lorsqu’un ministre ne déclare ou ne paye pas ses impôts, par exemple, même si le montant est inférieur à 100 000 euros, la responsabilité est prise d’en transmettre le dossier à la CIF qui l’adresse à la justice, laquelle condamne manifestement ces personnes.

Un point de votre argumentation me semble très étonnant, monsieur de Courson : il faudrait absolument supprimer le « verrou », dites-vous, et faire confiance à la justice – ce que nous faisons en très grande partie – tout en considérant qu’un doute demeure concernant les élus et personnalités qui font une déclaration à la HATVP, et qu’il vaudrait mieux qu’ils soient traités comme les autres citoyens. Il me semble qu’étant donné l’exigence de probité – on peut la regretter mais elle reflète la société dans laquelle nous vivons –, on ne comprendrait pas que des dossiers qui sont aujourd’hui transmis automatiquement même lorsqu’ils n’atteignent pas 100 000 euros ni ne correspondent à vos critères, parce que les intéressés sont député, ministre, sénateur, préfet ou directeur d’administration centrale, ne soient plus transmis grâce ou à cause de l’amendement que vous allez adopter. Le Gouvernement maintiendra donc sa position dans l’hémicycle ; le Parlement prendra alors ses responsabilités en souhaitant éventuellement supprimer la distinction entre l’ensemble des contribuables et les personnes qui adressent des déclarations à la HATVP, mais j’estime que cela n’irait pas dans le sens de la vertu, pour reprendre les termes de l’échange que le Premier ministre a eu avec M. Mélenchon.

Se pose enfin la question de la date. J’ai compris que Mme la rapporteure souhaitait décaler la mise en place de la disposition pour que nous nous mettions tous d’accord. En ce qui me concerne, je laisserai le Parlement en décider. Il me semble que cela enverrait plutôt un mauvais signal, car un report laisserait croire que nous ne sommes pas prêts ; je peux vous dire que l’administration que je dirige sera évidemment prête, le jour où la loi sera promulguée, à l’appliquer à la date que le Parlement aura votée, et le plus tôt sera le mieux. Avant même le vote définitif de la loi, je publierai avec Mme la garde des sceaux les circulaires que j’ai promises à la rapporteure et à l’ensemble des parlementaires, notamment sur le fonctionnement de la connexité et du dialogue déconcentré.

Je vous remercie pour ce beau travail. Il s’agit à mon sens de l’un des moments les plus intéressants que nous ayons eu à connaître de la relation entre le Parlement et le Gouvernement – pour ce qui me concerne en tout cas, après 250 heures passées devant l’Assemblée nationale depuis ma nomination au Gouvernement.

Mme la rapporteure. Le sous-amendement CF225 de M. de Courson vise à supprimer la possibilité de déposer des plaintes en dehors des critères ; j’y suis défavorable pour les raisons que j’ai dites.

Même avis défavorable au sous-amendement CF224 de Mme Vichnievsky relatif à la distinction entre dossiers sanctionnés et dossiers passibles de sanction. Son sous-amendement CF223 vise à fixer le montant de 100 000 euros dans la loi : je m’en remets à la sagesse de la commission. Même avis de sagesse en ce qui concerne le sous-amendement CF226 de M. de Courson.

Avis défavorable au sous-amendement CF227 de M. de Courson. Son sous‑amendement CF228 porte sur les exigences de transparence et les personnes tenues de déposer une déclaration à la HATVP : je n’ai pas spécialement envisagé d’instituer un dispositif dérogatoire pour ces personnes, mais le Sénat l’a adopté. Je n’ai pas souhaité mettre en cause le devoir d’exemplarité ; avis défavorable.

Le sous-amendement CF230 de M. de Courson, qui n’a pas été évoqué, porte sur les déclarations rectificatives. Il est déjà possible de déposer des déclarations rectificatives spontanées, la notion de spontanéité ayant déjà été définie comme suit car elle vaut dans le droit commun, notamment à l’article 1758 A du code général des impôts : avant toute mise en demeure, avant l’engagement d’un examen de la situation fiscale personnelle – le contrôle fiscal de la personne physique – et avant l’avis de vérification pour l’entreprise. Autrement dit, dès lors qu’un avis de vérification est envoyé, l’administration fiscale n’accepte plus les déclarations rectificatives. Sont également prévus d’autres cas, notamment avant proposition de rectification lorsqu’elles sont faites sans engagement de vérification de la situation fiscale personnelle, ce qui peut arriver. Dans tous ces cas de figure, il n’est plus possible de corriger spontanément une déclaration non pas à l’issue du contrôle mais dès l’engagement du contrôle – car sinon, ce serait trop facile. Je suis donc défavorable à ce sous-amendement.

Enfin, le sous-amendement CF229 vise à permettre la rectification à une date antérieure à celle de la notification du contrôle fiscal, mais il faut retenir la date d’engagement du contrôle. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Permettez-moi simplement de demander une précision : il nous a été dit que 15 000 dossiers étaient susceptibles d’être transmis, et 4 000 relevant des critères. Les critères étant légèrement modifiés par rapport à la pratique habituelle, seuls 2 000 dossiers seront transmis automatiquement ; il en reste donc 13 000, mais le ministre a-t-il une idée du nombre de ces dossiers pour lesquels la procédure ancienne pourrait être utilisée ? Une centaine ?

M. le ministre. Qu’appelez-vous « procédure ancienne » ?

M. Charles de Courson. Le maintien du passage par la CIF pour les dossiers inférieurs aux seuils, puisque les dossiers dépassant les seuils sont automatiquement transmis. Ces dossiers étant plus modestes, combien d’entre eux seront transmis ? Cent ? Deux cents ?

 

M. le ministre. M. Bourlanges a employé une belle et convaincante métaphore pour nous expliquer qu’un petit montant cache parfois un montage frauduleux important et qu’inversement, les montants importants ne sont pas toujours le signe d’un montage frauduleux. Quoi qu’il en soit, au-dessus de 100 000 euros, il y a un peu plus de 4 000 dossiers bon an mal an ; si vous adoptez le dispositif proposé par Mme Cariou, quelque 2 000 dossiers seront automatiquement transmis à la justice sans autre forme de procès, si j’ose dire. La DGFiP aura la possibilité – soit qu’il s’agisse de dossiers récurrents, soit de personnalités, soit de politiques conduites par le ministère des comptes publics – de communiquer tous les autres dossiers à la CIF pour transmission éventuelle à la justice.

M. Charles de Courson. Mais combien le seront ?

M. le ministre. Potentiellement, tous.

M. Charles de Courson. L’administration limitait déjà les transmissions à mille dossiers ; combien le seront désormais ? Cent ? Deux cents ? Mille ? C’est déjà énorme !

M. le ministre. Si 2 000 des 4 000 dossiers sont automatiquement transmis, la DGFiP peut potentiellement transmettre tous les autres à la CIF – si vous la conservez.

M. Charles de Courson. J’avais présenté six sous-amendements pour avoir un débat. Je pense que quelques centaines de dossiers seulement passeront par la CIF. Dans ce cas, je déposerai peut-être un sous-amendement en séance publique pour supprimer la CIF, dont l’intérêt sera dès lors limité. En attendant, je retire le sous-amendement CF225.

Le sous-amendement CF225 est retiré.

La commission, successivement, rejette le sous-amendement CF224, adopte les sousamendements identiques CF223 et CF226, et rejette les sousamendements CF227, CF228, CF230 et CF229.

Puis elle adopte à l’unanimité les amendements identiques CF186 et CF112 sousamendés.

L’article 13 est ainsi rédigé et les amendements CF93, CF99, CF117 et CF166 tombent.

Mme Christine Pires Beaune. Je tiens à préciser à M. le ministre que nous n’avons en effet jamais auditionné la CIF mais que nous sommes certainement plusieurs à avoir comme moi rencontré le directeur départemental des finances publiques de notre circonscription, notamment pour évoquer la CIF. Le rapport que la direction départementale des finances publiques (DDFiP) du Puy-de-Dôme m’avait transmis sur les activités de la CIF en 2016 est très éclairant et fourni, et comporte des données statistiques ventilées par catégorie socioprofessionnelle et par zone géographique.

Nous venons d’adopter cet amendement à l’unanimité mais après le vote de cet amendement, les juges ne seront toujours pas en mesure de s’autosaisir et d’ouvrir des poursuites judiciaires pour fraude fiscale.

Mme Amélie de Montchalin. Je remercie M. le ministre et Mme la rapporteure pour cette avancée. La jeune parlementaire que je suis, comme dirait notre collègue de Courson, avait été assez marquée par les échanges que nous avons eus voici un an dans l’hémicycle, sur un sujet certes technique, qui a donné lieu il y a des années à des débats interminables et sur lequel notre majorité est aujourd’hui capable d’avancer.

Je suis seulement un peu déçue que nos collègues du groupe Les Républicains qui, dans l’hémicycle, ont été très virulents et même vitupérants sur ce sujet, ne soient pas là aujourd’hui pour voter cette avancée. Alors que nous cherchons à avoir un Parlement fort, nous avions là l’occasion parfaite de montrer qu’une mission parlementaire qui a conduit un travail sérieux et précis sur un sujet complexe est parvenue à l’unanimité et que nous manquons aujourd’hui de représentants. Nous sommes certes, monsieur de Courson, très mobilisés sur d’autres textes, mais le signal que nous donnons est celui-ci : les travaux parlementaires semblent davantage intéresser certains d’entre nous lorsqu’ils se déroulent dans l’hémicycle que dans les moments où le Parlement est effectivement fort et obtient des avancées.

Mme Christine Pires Beaune. Permettez-moi simplement de réagir : ce que nous vivons aujourd’hui est une illustration du mauvais fonctionnement du Parlement. Se tiennent simultanément la réunion de la commission des lois, qui est ouverte à tous, l’examen en séance publique d’un projet de loi essentiel sur l’avenir professionnel, qui doit tous nous intéresser même si nous ne siégeons pas dans la commission saisie au fond, et les travaux de la commission des finances sur un sujet qui nous occupe depuis longtemps. Je ne peux donc pas laisser tenir de tels propos ; j’ignore quel pourcentage des commissaires du groupe majoritaire est représenté aujourd’hui mais, de notre côté, nous sommes deux, soit 50 % des commissaires aux finances du groupe Nouvelle Gauche, et les deux absents auraient certainement aimé être avec nous, mais il se trouve qu’ils siègent dans d’autres réunions à l’Assemblée.

Mme Amélie de Montchalin. Au moins votre groupe est-il représenté, lui !

M. le rapporteur pour avis. Permettez-moi à mon tour de rebondir sur les propos de Mme de Montchalin pour dire que j’avais déposé, au nom de la commission des lois, un amendement identique à celui de Mme Cariou, dont je me félicite qu’il ait été adopté. J’ajoute que la commission des lois a achevé sa réunion et que ses membres auraient donc pu rejoindre la nôtre.

M. Daniel Labaronne. Je précise que notre collègue Éric Diard, président de la mission d’information, a déposé en commission des lois un amendement identique à celui de Mme Cariou. Certes, les membres du groupe Les Républicains ne sont pas présents, mais je salue la démarche de M. Diard qui, en définitive, s’était associé à la volonté réformatrice qui inspire cet amendement en accord avec le ministre.

M. Charles de Courson. Je me félicite du résultat obtenu : ce fut long et difficile, mais nous avons progressé. Certes, rien n’est parfait, mais nous avons progressé. Si je puis vous donner un modeste conseil, madame la jeune députée, évitez ce genre de remarques, car le pourcentage de représentants de la majorité n’est pas très élevé non plus – à peine un tiers de vos commissaires aux finances. Arrêtons donc ce genre de commentaires. Les collègues doivent siéger dans bien d’autres commissions...

Mme Amélie de Montchalin. Il n’y a personne sur leurs bancs !

M. Charles de Courson. ...et je devrais moi-même siéger dans une délégation depuis plus d’une heure, mais je suis resté jusqu’au bout. Si j’étais parti, vous auriez pu dire que mon groupe n’était pas représenté non plus.

Mme Amélie de Montchalin. Précisément : vous êtes resté !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. Permettez-moi simplement, monsieur de Courson, de reformuler l’observation de Mme de Montchalin : nous avons tous des contraintes et des priorités en fonction desquelles il faut composer notre agenda. Nous remarquons qu’aucun député du groupe Les Républicains n’a fait le choix d’être ici lors du vote. Ce n’est pas une critique mais un constat, étant entendu que nous avons tous les mêmes contraintes de temps.

M. Jean-Louis Bourlanges. Il me semble sincèrement que cette comptabilité n’a pas lieu d’être ici. M. Diard, du groupe Les Républicains, a joué un rôle très important dans l’élaboration du compromis en présidant la mission d’information. Nous savons tous que nous sommes tenus par des contraintes simultanées qui diffèrent selon les groupes. L’opinion publique nous rappelle assez que nous ne sommes pas des saints pour que nous nous persuadions que nous n’avons pas le don d’ubiquité et que nous ne pouvons pas être présents dans trois endroits à la fois. Jetons donc un voile pudique sur les absences et les présences des uns et des autres : chacun fait ce qu’il peut avec un emploi du temps ingérable !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. Je confirme que nous n’avons pas ce don.

Mme la rapporteure. Il est vrai que M. Diard est absent alors qu’il avait déposé un amendement identique au nôtre. Je tiens à saluer son action en tant que président de la mission d’information. Nous avons travaillé en bonne entente. Tous les membres de cette mission ont contribué activement aux auditions, nous ont tous fait progresser dans une voie qui a abouti à cette solution. Je tiens donc à lui rendre hommage.

*

*     *

Article 9 ter (suite) [précédemment réservé]

La commission reprend l’examen des amendements identiques CF91 de M. Daniel Labaronne et CF219 de la commission des lois.

M. Daniel Labaronne. Je vous propose de supprimer cet article, qui vise à inscrire dans la loi la jurisprudence Talmon. Dans la mesure où l’infraction de blanchiment est autonome, il peut sembler curieux, en effet, d’introduire dans le texte une disposition indiquant que le régime juridique applicable aux poursuites concernant une autre infraction, à savoir la fraude fiscale, ne s’applique pas en la matière. J’y vois un premier problème juridique.

En outre, il serait préférable de ne pas introduire dans le code général des impôts des dispositions de procédure pénale qui sont relatives à des infractions ne figurant pas dans ce code. Pour des raisons de lisibilité, il vaudrait mieux que les dispositions procédurales permettant la répression des infractions prévues par le code pénal figurent dans le code de procédure pénale.

Autre difficulté, l’introduction d’une telle disposition pour les faits de blanchiment ne me paraît pas cohérente : il existe d’autres infractions autonomes qui peuvent trouver à s’appliquer à des faits de fraude fiscale et dont la poursuite n’est pas subordonnée à une plainte préalable – c’est le cas, par exemple, du délit d’escroquerie à la TVA.

M. la rapporteur pour avis. Sans reprendre tout ce que j’ai déjà eu l’occasion d’indiquer, je voudrais redire qu’il ne me paraît pas pertinent de légaliser une jurisprudence de la Cour de cassation qui a dix ans d’âge.

Mme la rapporteure. J’ai expliqué tout à l’heure mes doutes sur cette disposition, et je maintiens mon avis de sagesse.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 9 ter est supprimé.

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Après l’article 13

La commission est saisie de l’amendement CF152 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Nous avons déposé une série d’amendements pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. En ce qui concerne le calendrier, je m’étonne que l’on examine aujourd’hui un texte relatif à la fraude alors qu’un rapport d’information sur l’optimisation et l’évasion fiscales doit être remis en septembre : à nos yeux, ce sujet en est un pendant absolument nécessaire.

Lors de l’examen de la proposition de loi relative à la protection du secret des affaires, nous avons proposé de préciser ce qui relève ou non de cette notion, mais l’amendement que nous avons déposé a été rejeté. Dans le cadre du présent projet de loi, il nous semble parfaitement légitime de demander que tout ce qui touche à la fraude et à l’évasion fiscales soit, a minima, exclu du champ du secret des affaires.

Nous proposons ainsi de limiter, dans la définition même du secret des affaires, ce qui peut en relever, au regard de l’intérêt général légitime que peuvent représenter certaines informations afin de lutter contre la fraude fiscale. Nous voulons préciser que les informations de nature fiscale relatives à l’optimisation fiscale et à l’existence de montages fiscaux ainsi que les informations de toute nature qui permettent d’établir l’existence d’une fraude ou d’une évasion fiscale ne relèvent pas du secret des affaires.

Mme la rapporteure. La proposition de loi relative à la protection du secret des affaires a été définitivement adoptée le 21 juin 2018 – elle est en cours d’examen au Conseil constitutionnel. Le débat sur les dérogations au secret des affaires a donc déjà eu lieu, et je pense qu’il n’est pas du tout opportun de le rouvrir dans le cadre du présent projet de loi. Je voudrais aussi rappeler que des dérogations au secret des affaires sont prévues par les articles L. 151-6, L. 151-7 et L. 151-8, nouveaux, que cette proposition de loi vise à introduire dans le code de commerce.

Par ailleurs, je trouve que votre amendement est trop large : il vise notamment des informations de nature fiscale relatives à l’optimisation fiscale. Or le fait de créer une filiale et de faire de l’intégration fiscale constitue une optimisation qui n’est pas illégale – c’est même fait pour. Pour toutes ces raisons, je donne un avis défavorable.

Mme Sabine Rubin. Le but est de lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales. Si les informations dont nous parlons relèvent du secret des affaires, alors on hésitera à faire des révélations, comme celles des Panama Papers, par exemple. Nous souhaitons que ce soit autorisé.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle examine l’amendement CF150 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement s’inscrit dans le prolongement du précédent. Nous voulons préciser les différents intérêts publics légitimes pour lesquels il est possible de déroger au droit des affaires. À cet effet, et pour que le texte soit le plus protecteur et le plus précis possible pour les lanceurs et les lanceuses d’alerte, nous proposons d’introduire une référence explicite à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

La proposition de loi qui a été adoptée est floue et limitée, car elle mentionne seulement « la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national, et notamment pour la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la santé publique ». Afin d’éviter une incertitude juridique qui pourrait dissuader les lanceurs et les lanceuses d’alerte de bonne foi, et surtout légitimes quand un intérêt public est menacé, notre amendement précise que les dérogations à la protection des affaires concernent notamment la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.

L’objectif est le même que celui de l’amendement précédent, mais dans des termes différents.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

 

Mme Marie-Christine Dalloz. Je demande la parole pour réagir aux accusations proférées contre les membres du groupe Les Républicains, qui seraient censément trop peu nombreux dans cette salle, voire absents, alors qu’ils participent à d’autres travaux, notamment dans l’hémicycle ! De telles mises en cause sont parfaitement insupportables.

 

La commission examine l’amendement CF147 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. Dans la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, le Gouvernement a introduit une peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pour atteinte à la probité. Notre amendement CF147 va dans le même sens : en vue de renforcer la confiance dans la vie économique, de rassurer les actionnaires et les salariés, ainsi que d’assurer la longévité des emplois et des investissements, nous proposons d’interdire – temporairement, dans un premier temps – qu’un dirigeant ayant œuvré dans des paradis fiscaux ou qui a été jugé coupable de fraude fiscale puisse exercer un mandat social. L’interdiction vaudrait pour cinq ans à la suite d’un premier manquement, puis elle serait prononcée à vie en cas de récidive. Cette mesure aurait évidemment une portée dissuasive.

Mme la rapporteure. Je comprends bien ce qui vous motive, mais il me semble qu’une condamnation pour fraude ou complicité de fraude emporte déjà des conséquences sur l’exercice des mandats sociaux. Je trouve également curieux que l’amendement ne concerne que les sociétés anonymes, et non celles ayant une autre forme. Autre problème, vous demandez qu’une interdiction soit prononcée en cas de transactions avec des ETNC, alors que de vraies entreprises peuvent y être implantées et qu’il peut, en outre, s’agir de pays en développement. J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle est saisie de l’amendement CF135 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Par l’amendement CF135, nous vous proposons de mettre en place un impôt universel, qui fait partie des propositions phares de notre programme « L’Avenir en commun », et dont la source d’inspiration est, en l’espèce, la fiscalité en vigueur aux États-Unis.

Cet impôt, lié à la nationalité française, s’appliquerait aux expatriés payant un faible impôt dans leur pays d’accueil. Ce serait un outil très efficace pour la lutte contre l’évasion fiscale, car plus aucun citoyen français n’aurait intérêt à s’expatrier dans le seul but d’échapper à l’impôt. Cette disposition, par le principe de taxation différentielle qui est en son cœur – les ressortissants français devraient s’acquitter de la différence entre l’impôt effectivement acquitté à l’étranger sur leurs revenus et le montant qu’ils auraient dû payer s’ils étaient résidents en France –, s’articule parfaitement avec les conventions bilatérales visant à éviter les doubles impositions. Une telle mesure est, vous l’aurez compris, de nature à lutter contre l’évasion fiscale.

Mme la rapporteure. Nous avons déjà examiné cet amendement à l’occasion du dernier projet de loi de finances. Le présent projet de loi, relatif à la fraude, n’est pas le bon véhicule pour des dispositions relatives à l’assiette fiscale : ce sont des sujets relevant de la loi de finances. Ce que vous proposez constituerait, par ailleurs, une modification de très grande ampleur qui conduirait à revoir nos conventions fiscales. J’ajoute que le dispositif américain est perçu comme une anomalie sur le plan de la répartition des impôts entre les États – vous savez que le système français repose, quant à lui, sur la notion de domiciliation fiscale. Je suis donc très défavorable à votre proposition.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CF146 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. S’agissant du précédent amendement, je regrette que vous souhaitiez écarter l’optimisation et l’évasion fiscales de ce projet de loi. Les évaluations des pertes fiscales sont, en effet, très importantes.

L’amendement CF146 permettra de lutter contre les pratiques d’évasion fiscale des grandes multinationales, qui ne représentent pas rien : elles sont, au contraire, massives, comme l’a montré Gabriel Zucman dans son ouvrage intitulé La Richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux. Nous souhaitons réarmer l’État contre les pratiques agressives des multinationales. Elles sont censées répartir les bénéfices entre leurs filiales comme si celles-ci constituaient des entités indépendantes qui échangent des biens et des services au prix du marché. Or, dans la réalité, des cabinets comptables trafiquent les prix des transactions intragroupes pour faire apparaître des bénéfices dans les paradis fiscaux et des pertes dans les États ayant une fiscalité plus élevée. Le résultat est « magique », si je puis dire : Google, par exemple, a déclaré 15,5 milliards de dollars de bénéfices en 2015 aux Bermudes, où les profits sont taxés à un taux de 0 %. Cela revient à supposer que chaque habitant de l’archipel a généré 260 000 dollars de bénéfices au profit de cette entreprise...

Gabriel Zucman a proposé de se concentrer sur le chiffre d’affaires, quand d’autres organisations, comme Oxfam, privilégient la prise en compte de plusieurs critères, notamment le nombre de salariés et d’utilisateurs. Nous proposons de laisser l’administration fiscale choisir parmi différents critères : selon les secteurs d’activité, ce ne sont pas toujours les mêmes éléments qui sont les plus révélateurs de l’activité réelle d’une entreprise. Dans ce cadre, l’administration fiscale pourra déterminer quels sont les bénéfices réels dans notre pays et demander le paiement des impôts en conséquence.

Mme la rapporteure. Gabriel Zucman a proposé ce type d’action, en effet, mais cela conduirait à dénoncer toutes les conventions fiscales en vigueur – et il serait un peu compliqué d’avoir à le faire à la suite d’un simple amendement : comme le dispositif que vous proposez s’inscrit dans le cadre de l’impôt sur les sociétés, il serait neutralisé par nos conventions fiscales. Par ailleurs, les critères sont trop imprécis et relèvent plus de la logique de l’établissement stable, et donc du droit d’imposer, que de la valorisation des bénéfices. Enfin, je voudrais rappeler qu’il existe déjà un certain nombre de dispositifs qui remplissent l’objectif visé, comme l’article 209 B du code général des impôts et son article 57, que vous connaissez bien, puisqu’il permet de lutter contre les prix de transfert abusifs. J’émets donc un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Puis elle aborde l’amendement CF145 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Je n’ai pas pu bien expliquer la logique de l’amendement CF146, mais j’y reviendrai de façon plus précise dans l’hémicycle. Il faut quand même prendre en compte le manque à gagner pour les finances publiques françaises.

J’en viens à l’amendement CF145. Alors même que le Gouvernement a supprimé l’impôt de solidarité sur la fortune dans la dernière loi de finances en le remplaçant par un impôt sur la fortune immobilière, il nous paraît primordial d’autoriser les saisies, par le Trésor public, de biens immobiliers qui se cachent derrière les sociétés civiles immobilières (SCI) lorsque l’un des associés est mis en cause.

Mme la rapporteure. Vous proposez de compléter l’article 1929 ter du code général des impôts pour prévoir que l’hypothèque légale du Trésor puisse être inscrite sur les biens détenus par une société civile, à hauteur des parts sociales détenues par le contribuable. Les règles applicables en matière d’hypothèque sont clairement établies. Vous mettez en place une procédure particulièrement lourde qu’il conviendrait d’approfondir. De plus, le nantissement des parts sociales n’est qu’une solution imparfaite dans le cas de l’hypothèque car il ne permet pas d’obtenir la vente des biens de la SCI. Ainsi, votre dispositif ne tient pas compte de la capacité du redevable à aliéner l’immeuble détenu par la SCI dans laquelle il possède des parts. Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à cet amendement même si je trouve l’idée intéressante.

La commission rejette l’amendement.

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Article 14 (nouveau)
(article L. 229 du livre des procédures fiscales)
Services de ladministration fiscale compétents en matière de dépôt de plainte

Le présent article résulte de ladoption par la commission de deux amendements identiques, lun de M. JeanLouis Bourlanges et dautres membres du groupe Mouvement Démocrate et apparentés, et lautre de M. Jean Terlier, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois et de plusieurs membres du groupe Mouvement Démocrate et apparentés. Ces amendements identiques ont fait lobjet dun avis favorable de la rapporteure.

● En l’état du droit, les plaintes pour fraude fiscale sont déposées par « le service chargé de lassiette ou du recouvrement de limpôt » (article L. 229 du livre des procédures fiscales). Le dépôt de plainte est effectué auprès du parquet territorialement compétent.

Autrement dit, les services spécialisés dans le contrôle – qui n’effectuent ni des opérations d’assiette ni des opérations de recouvrement – ne peuvent pas déposer directement des plaintes.

 

Lorsque la constatation de l’infraction est réalisée par une des directions nationales ou spécialisées de contrôle fiscal, ces directions doivent faire déposer plainte par la direction départementale ou régionale des finances publiques territorialement compétente.

Tel est le cas par exemple pour la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) ou pour les directions spécialisées de contrôle fiscal (DIRCOFI).

● L’article 14 simplifie ce dispositif en permettant aux directions de contrôle de porter directement plainte elles-mêmes. Il modifie en ce sens l’article L. 229 du livre des procédures fiscales.

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La commission examine les amendements identiques CF220 de la commission des lois et CF128 de M. Jean-Louis Bourlanges.

M. le rapporteur pour avis. L’amendement CF220, adopté par la commission des lois, a été déposé par des membres du groupe du Mouvement Démocrate et apparentés et défendu par Mme Vichnievsky. Comme c’est le dernier amendement de la commission des lois à être examiné, j’en profite pour remercier les administrateurs de cette commission pour leur travail et leur mobilisation rapide.

Cet amendement vise à étendre aux services chargés du contrôle de l’impôt la faculté de déposer plainte pour fraude fiscale. Aujourd’hui, ces plaintes doivent être déposées par les services chargés de l’assiette et du recouvrement de l’impôt, ce qui exclut les services chargés uniquement du contrôle. Cet amendement devrait apporter de la souplesse.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la commission adopte les amendements.

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Après l’article 13

La commission étudie l’amendement CF48 de Mme Bénédicte Peyrol.

Mme Bénédicte Peyrol. Comme l’a rappelé M. le ministre dans son propos liminaire, on a du mal à évaluer ce que représentent l’optimisation, l’évasion et la fraude fiscales. Dans le cadre de la mission d’information dont je suis la rapporteure et qui est présidée par M. Parigi, nous avons examiné cette question. Cet amendement propose d’ouvrir au public, en open data, certaines données de l’administration fiscale en préservant le secret fiscal pour permettre une meilleure évaluation de ces trois phénomènes. La DGFiP remet actuellement deux documents dont les données ne peuvent pas être exploitées par les chercheurs et les universitaires.

Mme la rapporteure. Je comprends tout à fait l’esprit de cet amendement. Cela étant, j’émettrai un avis défavorable car on ne sait pas quelles données vous souhaitez rendre accessibles en open data : s’agit-il de données nominatives ou pas ? D’autre part, la date du 1er février pose problème car à ce moment-là, les comptes de l’année fiscale précédente ne sont pas encore clos.

M. le ministre. Je suis favorable, sur le principe, à l’amendement de Mme la députée. Je lui demanderai néanmoins de le retirer pour qu’elle le retravaille avec Mme la rapporteure d’ici à la séance, afin de préciser que les données rendues publiques ne sont pas nominatives.

L’amendement est retiré.

 

La commission examine l’amendement CF169 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement vise à rendre automatique la transmission des notes du service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) au parquet national financier. Il s’agit d’une proposition émanant de la mission relative à la poursuite des infractions fiscales et tendant à en améliorer l’efficacité.

TRACFIN est aujourd’hui un outil majeur de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, dont le volume d’activité a quintuplé entre 2009 et 2014. Malgré des moyens humains et matériels limités, cet organisme contribue grandement à la détection des fraudes fiscales et les notes d’information qu’il a produites en 2016 ont permis à l’administration fiscale de récupérer près de 900 millions d’euros en rappels d’imposition et de pénalités, ce qui me paraît une somme non négligeable.

Mme la rapporteure. Ce n’est pas l’article L. 561-31 du code monétaire et financier qu’il faudrait viser mais l’article L. 561-30-1. Je vous propose de retirer votre amendement et de le redéposer pour la séance, sachant que cette mesure faisait partie des recommandations de la mission d’information.

M. le ministre. Je suis absolument opposé à cet amendement. TRACFIN est sous mon autorité, mais de manière indépendante, si je puis dire, puisqu’il est dirigé par un magistrat. Il s’agit d’un service de renseignement au même titre que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ou la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et qui produit des fiches de renseignement. Il n’est pas question de transmettre systématiquement ces fiches à la justice – même si elles portent sur des sujets fiscaux. Elles sont destinées au ministre, au coordinateur de la sécurité ou parfois à la DGSI ou à la DGSE.

Quand le directeur de TRACFIN repère une infraction financière, il saisit automatiquement le procureur de la République. Vous pourriez peut-être l’auditionner d’ici à la séance pour qu’il vous explique le fonctionnement de cette petite entité très agile et très efficace, mais il n’est pas de bonne pratique de transmettre des fiches de renseignement à la justice alors qu’elles ne sont pas toujours exactes, qu’elles demandent parfois à être vérifiées ou recoupées, voire à rester secrètes. Imaginez la même disposition pour la DGSI : le débat aurait été vite tranché ! Je vous encourage à organiser cette audition et si vous le souhaitez, nous vous accueillerons avec grand plaisir à TRACFIN pour que vous vous fassiez un avis.

Mme Sabine Rubin. Je retire mon amendement et vérifierai ces informations.

L’amendement est retiré.

 

La commission aborde l’amendement CF167 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Nous proposons d’instaurer un véritable reporting public pays par pays pour mettre un terme à l’évasion fiscale. Il s’agit de savoir où les grandes entreprises réalisent leurs activités et où elles paient leurs impôts pour les empêcher de déplacer artificiellement leurs bénéfices. Cet amendement fait écho à l’amendement CF146 dont j’ai eu du mal, tout à l’heure, à vous expliquer la logique. Le reporting public a été imposé aux banques par la loi de séparation bancaire, ce qui démontre qu’il est possible d’instaurer un tel reporting quand on en a la volonté politique.

Mme la rapporteure. Il y a, là encore, une petite erreur. Vous évoquez dans l’exposé sommaire le reporting public pays par pays mais l’amendement renvoie à un article relatif au registre des bénéficiaires effectifs, document bien différent. Je vous rappelle que la cinquième directive anti-blanchiment, qui a fait l’objet d’un accord politique en mai dernier, va bientôt être transposée et qu’elle prévoit une publicité étendue du registre des bénéficiaires effectifs. C’est pourquoi je vous demanderai de retirer votre amendement, sans quoi j’y serai défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle étudie l’amendement CF168 de Mme Sabine Rubin.

Mme Sabine Rubin. Cet amendement de repli vise à ouvrir la consultation des informations contenues dans le reporting public aux seuls parlementaires. En effet, le Conseil constitutionnel a pu considérer par le passé que le caractère public de ces informations pourrait nuire à la liberté d’entreprendre. Des concurrents pourraient utiliser ce reporting. Confier les informations délivrées par le reporting public aux parlementaires permettrait de passer outre ces arguments.

Mme la rapporteure. Cet amendement comporte encore une fois une erreur, car il renvoie au registre des bénéficiaires effectifs et non au reporting public. Par ailleurs, sans minorer le rôle et la légitimité des parlementaires, je ne suis pas sûre qu’il relève de notre mandat de député ou de sénateur d’accéder, en cette seule qualité, à ces données protégées. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle est saisie de l’amendement CF149 de M. Éric Coquerel.

Mme Sabine Rubin. Actuellement de 100 millions d’euros, le plafond des sanctions applicables aux banques par l’ACPR n’est absolument pas dissuasif. Un établissement comme BNP Paribas, avec un bilan de 2 500 milliards d’euros, absorbe de telles amendes sans difficulté. Les sanctions appliquées aux banques, intermédiaires financiers de la fraude et de l’évasion fiscales, doivent être proportionnées au préjudice subi par la société, aux gains illégalement réalisés ainsi qu’aux capacités financières des banques afin d’être réellement dissuasives.

Mme la rapporteure. Vous souhaitez rehausser les sanctions de manière excessive et l’amende que vous souhaitez instaurer vise les manquements aux règles bancaires du code des assurances et de la mutualité. Ce n’est pas l’objet de ce texte. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

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Article 15 (nouveau)
(article 128 de la loi n° 20051720 du 30 décembre 2005)
Enrichissement du document de politique transversale sur la lutte contre lévasion et la fraude fiscales

Le présent article résulte de ladoption par la commission dun amendement de Mme Bénédicte Peyrol sous-amendé par la rapporteure. Il enrichit substantiellement le document de politique transversale (DPT) sur la lutte contre lévasion et la fraude fiscales.

La lutte contre la fraude et lévasion fiscales, impératif économique mais surtout démocratique, suppose pour être efficace des moyens, quils soient humains, techniques ou juridiques. À cet égard, la France peut se targuer de disposer dune administration efficace et réactive et dun droit bien fourni en outils anti-abus.

 Comme toute politique et toute action publique, cette lutte doit pouvoir être utilement évaluée. Le présent article répond à cette exigence en prévoyant :

 la description des outils fiscaux existants, en précisant notamment pour chacun dentre eux leur contenu, leur utilisation et leur rendement ;

 les perspectives dévolution de ces outils, dans le souci dune plus grande efficacité ;

 la présentation des moyens humains et techniques dédiés à la lutte contre la fraude et lévasion fiscales.

Ces éléments intègrent également un volet international, inévitable dans une telle matière.

 Initialement prévues dans un « jaune budgétaire », ces informations, à la suite de ladoption dun sous-amendement de la rapporteure, figureront finalement dans le DPT sur la lutte contre lévasion et la fraude fiscales créé à linitiative de la rapporteure par larticle 7 de la loi de règlement du budget et dapprobation des comptes de lannée 2016 ([207]). Ce DPT est prévu au 21° du I de larticle 128 de la loi de finances rectificative pour 2005 ([208]).

Lenrichissement du DPT existant est apparu pertinent et permettra détoffer son contenu, la première production réalisée à loccasion du projet de loi de finances pour 2018 sétant révélée décevante.

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La commission en vient à l’amendement CF47 de Mme Bénédicte Peyrol, faisant l’objet du sous-amendement CF231 de la rapporteure.

Mme Bénédicte Peyrol. Toujours dans un souci de chiffrage et d’évaluation des outils anti-abus, je propose que soit annexé au projet de loi de finances un état des lieux des outils de lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, concernant leur utilisation, leur rendement individuel et les modifications susceptibles de leur être apportées. Dans le cadre de notre mission d’information, nous avons pu avoir accès à quelques données, ce dont je remercie l’administration fiscale. C’est fort utile pour apprécier la qualité des outils anti‑abus.

Mme la rapporteure. Je souscris à la volonté de Mme Peyrol d’avoir plus d’informations sur les outils permettant de lutter contre l’évasion fiscale. Je propose, par mon sous-amendement CF231, que ces informations soient versées non pas dans un nouveau document mais dans le document de politique transversale que nous avons créé l’année dernière à l’occasion de l’examen du projet de loi de règlement. J’émets donc un avis favorable, sous réserve de l’adoption de ce sous-amendement.

La commission adopte le sous-amendement, puis l’amendement ainsi sous-amendé.

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Après l’article 13

Enfin, la commission examine l’amendement CF44 de M. Éric Alauzet. 

M. Éric Alauzet. Hier, j’ai suggéré que nous demandions aux grandes entreprises d’informer les membres de leur conseil d’administration sur les dispositifs de planification fiscale. Il ne s’agit pas ici d’imposer une obligation mais de créer un label grâce auquel les entreprises pourraient s’engager de façon volontaire dans cette démarche. L’objectif est de garantir la confiance, de protéger les actionnaires et d’adopter une vision moderne de l’entreprise, fondée sur la notion de responsabilité sociétale des entreprises.

Mme la rapporteure. Il me semble que votre souhait est déjà pris en compte dans le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance. Je rappelle que l’article 7 a été complété, à l’initiative de Bénédicte Peyrol, par un volet consacré à la reconnaissance de la vertu fiscale des entreprises – notamment à travers une labellisation. Cette reconnaissance fera l’objet d’ordonnances. Il n’est pas opportun de mettre en place deux dispositifs parallèles ; c’est pourquoi je vous invite à retirer cet amendement.

M. le ministre. Monsieur le député, je partage totalement les attendus de votre amendement ainsi que vos arguments. Mme Peyrol a eu l’occasion d’évoquer cette question dans le cadre du projet de loi sur le droit à l’erreur, et je crois que cela figurera aussi dans les travaux de sa mission d’information. Dans le cadre de ce projet de loi, nous avons énoncé le principe de la relation de confiance. Une consultation a été lancée cette semaine en vue de rédiger l’ordonnance prévue par le texte. Nous avons dix-huit mois mais je me suis engagé à publier cette ordonnance avant le 31 décembre de cette année. Si cela vous intéresse, vous pourriez peut-être participer au suivi parlementaire des textes sur le droit à l’erreur et nous aider à améliorer cette relation de confiance pour faire naître ce que vous appelez le civisme fiscal, sur un modèle à l’anglaise comportant peut-être des spécificités françaises. Il faut effectivement informer les conseils d’administration de la situation fiscale des grandes entreprises. Je vous propose donc de retirer votre amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte, à l’unanimité moins une abstention, l’ensemble du projet de loi modifié.

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Mme Marie-Christine Dalloz. Madame la présidente, je souhaite faire une mise au point suite aux propos qui ont été tenus par l’une de nos collègues.

Il y a des règles, madame de Montchalin. Vous allez apprendre. La vie parlementaire, vous en avez pris conscience récemment, n’est pas un long fleuve tranquille. Mais une chose est sûre : si les députés de votre groupe sont habitués à être aux ordres, ce ne sera jamais le cas des députés Les Républicains. Nous pouvons être en séance publique ou non, et si nous n’y sommes pas, c’est que nous travaillons ailleurs : laissez à chacun sa liberté et contentez‑vous de gérer votre groupe. Tout à l’heure, et c’était tout aussi passionnant car cela témoigne d’un manque de respect de la démocratie au sein de notre assemblée, votre groupe a refusé de faire droit à une demande d’auditions complémentaires par la commission des lois au titre de ses pouvoirs de commission d’enquête. Vous auriez dû précisément y être attentive, plutôt que de vous préoccuper exclusivement de ce qui se passait en commission des finances.

Enfin, madame de Montchalin, les donneurs de leçons ne sont jamais les plus irréprochables.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, présidente. J’ai été très fière de présider aujourd’hui notre commission pour l’examen de ce texte très important, qui met notamment fin au « verrou de Bercy ». Beaucoup en ont rêvé, nous l’avons fait ! Je tiens donc à féliciter Émilie Cariou, notre rapporteure, et Daniel Labaronne, porte-parole du groupe La République en Marche sur ce texte, ainsi que M. le ministre, pour avoir accepté des compromis qui ont rendu possible cette belle victoire. Il ne s’agit, certes, que d’une première étape, mais elle est importante.

M. Daniel Labaronne. Le groupe La République en Marche se félicite du travail de co-construction accompli par le ministère de l’action et des comptes publics et les députés. Nous avons ainsi pu aboutir à un texte opérationnel qui permettra de lutter efficacement contre la fraude fiscale, douanière et sociale.

Je relève que, sur les 205 amendements que nous avons examinés, nous en avons adopté 87, issus de tous les groupes politiques, soit un taux – remarquable – de 43 %.

Un point nous a peut-être échappé dans le feu de l’action. Il me semble que, grâce à ce projet de loi, nous contribuons à la construction d’une nouvelle matière juridique hybride, qui fait le pari d’une association efficace et harmonieuse de l’administration fiscale et de l’autorité judiciaire, des cultures et des pratiques du droit fiscal, matière de droit public, et du droit pénal, matière de droit privé, dans un monde économique en profonde mutation.

Ce texte témoigne ainsi de notre capacité à adapter notre arsenal législatif en matière de droit fiscal et pénal au nouveau défi que représente la fraude fiscale, une fraude de plus en plus sophistiquée et complexe, aux ramifications souvent internationales. Par l’amendement que notre groupe a soutenu aux côtés d’Émilie Cariou, nous avons introduit trois modifications majeures – l’automaticité, la connexité et la collégialité – qui font objectivement sauter le « verrou de Bercy ». Ce faisant, nous avons été, me semble-t-il, fidèles au « serment de Lamartine ». C’est, pour nous, un motif légitime de fierté et de satisfaction.

Pour conclure, je veux remercier M. le ministre et Mme la rapporteure, qui ont permis que soit élaboré en bonne intelligence ce projet de loi qui, je n’en doute pas, fera date.

Mme la rapporteure. Je me félicite également que nous ayons pu aboutir à ce beau résultat. Sachez cependant que ce projet de loi n’est qu’une étape dans la lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscale agressive, lutte qui a commencé bien avant l’élaboration de ce texte. Je pense en particulier au travail de l’administration, qui s’efforce de corriger notamment les défauts des conventions fiscales. Cette matière forme un tel millefeuille qu’il est, aujourd’hui, extrêmement complexe de remettre en cause les schémas de fraude et d’optimisation fiscale.

Au-delà de ce texte, l’enjeu se situe dans les instances internationales. C’est pourquoi le Parlement doit accompagner le Gouvernement, qui doit le tenir informé de la ligne qu’il adopte, dans les négociations qui sont en cours à l’échelle de l’OCDE et de l’Union européenne. Nous avons d’autres combats à mener : la lutte contre l’optimisation fiscale ne saurait se limiter à ce projet de loi.

M. Charles de Courson. Il est si rare que nous adoptions un texte presque à l’unanimité, en tout cas sans vote contre ! Moi qui siège à l’Assemblée depuis vingt-cinq ans, je voudrais dire à mes jeunes collègues que j’en ai voté, des textes contre la fraude fiscale... Mais, comme le disait notre rapporteure, qu’il faut remercier pour le travail qu’elle a accompli, la grande lutte contre ce phénomène doit être menée à l’échelon international. Ne nous illusionnons donc pas trop sur ce que nous faisons, même si ce texte marque un progrès.

M. Daniel Labaronne. Ne boudez pas votre plaisir !

M. Charles de Courson. Vous êtes tout jeune, mon cher collègue, et je ne voudrais pas que vous soyez déçu !

M. Jean-Louis Bourlanges. Je veux tout d’abord m’associer, au nom du groupe Mouvement Démocrate et apparentés, aux compliments qui ont été adressés à Mme la rapporteure. Bien que notre assemblée connaisse actuellement des tumultes assez intenses, les différents groupes savent travailler de manière convergente lorsque nous abordons des questions fondamentales, précises, qui requièrent certaines compétences. Ainsi, Mme Dalloz, quoique mécontente des propos que l’on a tenus sur son groupe, n’en a pas moins voté le projet de loi. Le président de la mission parlementaire sur le « verrou de Bercy » a su travailler en très bonne intelligence avec Mme Cariou et les autres membres de la mission. L’approche des groupes de gauche, de droite et du centre a été, à bien des égards, convergente sur les finalités, même si, bien entendu, nous n’avons pas toujours été d’accord sur les moyens. Cela devrait nous rappeler que nous formons un pays et que notre sens du bien commun et de l’intérêt général peut nous rassembler, malgré les passions démocratiques de cette maison sans fenêtres.

Mme Christine Pires Beaune.  Je veux m’associer, au nom du groupe Nouvelle Gauche, à ce bel hommage quasi unanime. Cependant, les mots ont un sens. Si nous avons beaucoup avancé sur le « verrou de Bercy » – et je tiens à en remercier la mission d’information, notamment Émilie Cariou, pour ses travaux –, celui-ci aura disparu lorsqu’un juge pourra s’autosaisir. Néanmoins, ce texte comporte d’autres dispositions, qu’il s’agisse de la lutte contre les paradis fiscaux ou de la création d’un nouveau service de lutte contre la fraude fiscale rattaché à Bercy. À cet égard, nous jugerons l’effectivité du texte en fonction des moyens, j’insiste sur ce point, qui seront alloués à ce nouveau service sans que soient pour autant déshabillés les services existants.

Mme Sabine Rubin. Le groupe La France insoumise s’est abstenu, car ce texte est en demi-teinte. Il comporte, certes, des avancées, parmi lesquelles on peut mentionner l’amélioration de l’accès à l’information, l’adoption du principe name and shame à propos des sanctions pénales et administratives ou le renforcement des sanctions en matière de fraude fiscale. Mais certaines de ses dispositions relèvent de l’effet d’annonce. Ainsi, la police fiscale qu’il tend à créer semble déjà exister et consister en un simple redéploiement de personnels. Par ailleurs, si nous nous félicitons que la liste des paradis fiscaux n’exclue plus les pays de l’Union européenne, nous regrettons que les critères demeurent insuffisants. De même, nous saluons l’avancée concernant le « verrou de Bercy », mais celle-ci se limite à un aménagement. Enfin, la grande absente de ce texte est l’évasion fiscale, qui est pourtant à l’origine d’un important manque à gagner.

M. Jean-Paul Dufrègne. Je ne reviendrai pas sur le fond, car nous avons largement débattu de toutes ces questions. J’insisterai plutôt sur la forme en soulignant que le respect mutuel et la prise en compte de toutes les sensibilités permettent de progresser, même si l’on n’atteint pas toujours le but que l’on s’était fixé. Je tenais à relever cet aspect de nos discussions, car ce n’est pas si fréquent, et féliciter celles et ceux qui ont contribué à ce que nos débats se déroulent dans un climat serein.

M. le ministre. J’espère, si le texte est adopté dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, que la commission mixte paritaire (CMP) sera conclusive, car cela nous ferait gagner de précieux mois. Je veux saluer le travail que nous avons accompli avec l’Assemblée nationale. À ce propos, je remarque, en tant qu’observateur un peu lointain...

M. Jean-Louis Bourlanges. Il faut se méfier des observateurs par les temps qui courent...

M. le ministre. ...que, lorsque l’on privilégie la réflexion plutôt que les réflexes et lorsque l’on prend le temps nécessaire, on peut, sans renoncer à ses convictions, avoir des échanges qui, parce qu’ils sont fondés sur des données scientifiques, relèvent davantage de la vérité que de l’opinion. C’est heureux, car il est parfois difficile de débattre de questions fiscales ou budgétaires sans céder aux passions, voire à l’idéologie.

Je remercie M. Diard et Mme Cariou, ainsi que tous les membres de votre mission d’information et l’ensemble des groupes politiques, pour ce débat constructif. Je remercie particulièrement les collaborateurs du Gouvernement – je pense au directeur général des finances publiques et à ses collaborateurs, qui ont accompli un travail considérable pour que nous puissions répondre aux innombrables questions que vous nous avez légitimement posées – ainsi que mon cabinet, qui a été à votre écoute. Enfin, je remercie Mme la présidente, Mme la rapporteure et les services de l’Assemblée nationale, qui ont contribué à vérifier que l’exécutif ne disait pas trop de bêtises...

Il me paraît important que nous ayons désormais un débat sur l’évaluation de la fraude, auquel je vous invite tous à participer. J’organiserai à Bercy, au mois de septembre, une première réunion avec les organisations non gouvernementales, les parlementaires qui le souhaitent et des représentants de l’OCDE notamment, pour tenter d’évaluer le montant de cette fraude, car il est important que nous disposions de données fiables en la matière. Certes, ce texte n’apporte pas une solution à tous les problèmes, mais il réglera, me semble-t-il, une grande partie des difficultés que nous rencontrons au plan national, même si cette question est avant tout internationale.

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*     *

 


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   Liste des personnes auditionnées

 

– M. Mathieu Lefèvre, conseiller en charge des relations avec le Parlement et M. Florian Colas, conseiller, du cabinet de M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et Mme Manon Perrière, conseillère juridique, cabinet de M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ;

– Mme Manon Aubry, responsable de plaidoyer Justice fiscale & inégalités d’Oxfam France* ;

– M. Marc-André Feffer, président, et Mme Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer, de Transparency International* ;

– Mme Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer financement du développement, de CCFD-Terre solidaire* ;

– M. François Molins, procureur de la République, TGI de Paris, et M. Christophe Barret, procureur de la République, TGI de Montpellier, représentants de la Conférence nationale des procureurs de la République ;

– M. Rodolphe Gintz, directeur général des douanes et droits indirects, et M. Michel Baron, chef du bureau affaires juridiques et contentieuses, de la direction générale des douanes et droits indirects ;

– M. Vincent Charmoillaux, secrétaire national du Syndicat de la magistrature ;

– M. Thomas de Ricolfis, chef de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ;

– M. Tony Sartini, chef de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) ;

– M. Vincent Talvas, délégué général, Mme Sophie Blégent-Delapille, Mme Catherine Cassan et M. Jean-Pierre Lieb de la Fédération Française des Firmes Pluridisciplinaires (F3P)* ;

– M. Marc-François Bornhauser, président, Mme Ève Obadia, et M. Rodolphe Vincent de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux (IACF)* ;

– M. Jacques Taquet, membre du Conseil national des barreaux ;

– M. Emmanuel Marill, directeur général, et M. Franck Avignon, directeur juridique d’Airbnb en France ;

– M. Sviatoslav Beysens, responsable des affaires publiques de Drivy ;

– Mme Clara Brenot, senior public policy associate, et Mme Cécile Michel, juriste, de Uber ;

– M. Bruno Parent, directeur général des finances publiques, et Mme Maïté Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal et M. Édouard Marcus, chef du service juridique de la fiscalité (DGFiP) ;

– Mme Éliane Houlette, procureur financier, et M. Jean-Luc Blachon, premier vice-procureur financier ;

– M. Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, M. Thibault Cayssials, chef du bureau de la législation pénale spéciale, et M. Manuel Rubio-Gullon, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales ;

– M. Jérôme Simon, conseiller politique pénale auprès de la garde des sceaux ;

– Mme Servane Forest, directrice juridique, M. Arnaud Jacques, responsable des affaires publiques, du Boncoin, et M. David Roizen, directeur associé chez Plead et conseil du Boncoin ;

– M. Grégoire Dulin, conseiller justice de M. Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

*Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


([1]) Saisine portant sur les articles 1er A, 1er B, 1er, 7, 8, 9, 9 bis, 9 ter et 13.

([2]) Assemblée nationale, XVe législature, Éric Diard (président) et Émilie Cariou (rapporteure), Rapport d’information sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018).

([3]) Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

([4]) C’est-à-dire les transactions générant des revenus exonérés par nature, telles que la vente de biens d’occasion entre particuliers ou encore les activités de co-consommation.

([5]) Loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

([6])  Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([7]) Article 11 de la loi n° 97-210 du 11 mars 1997 relative au renforcement de la lutte contre le travail illégal.

([8]) Créé par l’article 59 de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne.

([9]) Article 15 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

([10]) Par exemple, Cour de cassation, chambre criminelle, 2 octobre 2002, pourvoi n° 01-87996.

([11]) Décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (lien).

([12]) Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 (lien).

([13]) Par exemple, Conseil d’État, 14 décembre 1984, requête, 37199.

([14]) Assemblée nationale, séance du 10 décembre 2009 (lien).

([15]) Assemblée nationale, XIIIe législature, MM. Didier Migaud, Jean-Pierre Brard, Henri Emmanuelli, Jean-François Mancel et Nicolas Perruchot, rapport d’information sur les paradis fiscaux (n° 1920, 10 septembre 2009) (lien).

([16]) Conseil d’État, 10e et 9e sous-sections réunies, 24 août 2011, n° 318144.

([17]) Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP), BOI-BIC-DECLA-30-10-20-40-20131213, § 170 et 180.

([18]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014 (considérant n° 110).

([19]) Caisse nationale d’assurance maladie.

([20]) Caisse nationale d’assurance vieillesse.

([21]) Caisse nationale des allocations familiales.

([22]) Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole.

([23]) BOI-CF-CPF-30-20-20170308.

([24]) Des précisions sont apportées sur l’application de la sanction dans l’instruction BOI-CF-INF-10-40-10-20171206.

([25]) Article 1729-0 A du CGI.

([26]) Article 118.

([27]) Pascal Terrasse, Rapport au Premier ministre sur l’économie collaborative, février 2016, p. 19.

([28]) Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suède et Royaume‑Uni. Source : PwC, Future of the Sharing Economy in Europe 2016, 2016.

([29]) Article 87 de la loi n° 2015‑1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

([30]) L’article L. 114‑19‑1 du code de la sécurité sociale prévoit également l’obligation pour les plateformes d’informer leurs utilisateurs de leurs obligations sociales.

([31])  Défini au premier alinéa de l’article R. 123‑221 du code de commerce.

([32])  Le critère de la dépendance est fixé par renvoi au 12 de l’article 39 du CGI, et correspond à la situation dans laquelle une entreprise détient la majorité du capital d’une autre entreprise ou exerce de fait le pouvoir de décision, ou à celle dans laquelle deux entreprises sont sous le contrôle d’une troisième selon les modalités précédemment définies.

([33])  Article 24 de la loi n° 2016‑1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

([34])  Qui constitue l’unique article du nouveau chapitre 0000I ter du titre Ier de la troisième partie du livre Ier du CGI.

([35]) Le II du présent article procède également à une coordination à l’article L. 114‑19‑1 du code de la sécurité sociale, portant sur l’information des utilisateurs de plateformes de leurs obligations sociales.

([36]) Il s’agit de la reprise du IV de l’article 171 AX de l’annexe III du CGI.

([37]) Directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information.

([38]) Le lien entre les entreprises étant défini par renvoi au 12 de l’article 39 du CGI.

([39]) En application du II de l’article 150 UA du CGI.

([40]) La circonstance que l’article 1649 quater A bis du CGI renvoie à la définition de l’article L. 111‑7 du code de la consommation est à cet égard inopérante : cet article n’est pas encore entré en vigueur.

([41]) Albéric de Montgolfier, Rapport sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 602, 27 juin 2018, p. 63.

([42]) Pour une présentation détaillée des hypothèses de paiement solidaire prévues à l’article 1754, il est renvoyé au commentaire de l’article 4 quinquies du présent projet de loi.

([43]) Albéric de Montgolfier, Rapport précité, p. 65-66.

([44]) Loi n° 2016‑1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.

([45]) Qui excluent les données à caractère personnel relatives aux usagers.

([46])  Rapport dinformation relatif à ladaptation de la fiscalité à léconomie collaborative, Sénat, session ordinaire de 2016‑2017, n° 481, 29 mars 2017. Ces propositions avaient été formalisées aux articles 1er et 2 de la proposition de loi relative à l’adaptation de la fiscalité à l’économie collaborative (n° 481), enregistrée à la Présidence du Sénat le 29 mars 2017.

([47])  Qui constitue un nouveau 8 complétant le VIII de la première sous-partie de la section II du chapitre Ier du titre Ier de la première partie du premier livre du CGI.

([48]) Rapport sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 602, 27 juin 2018, p. 71.

([49]) Ibid.

([50]) Les régimes juridiques et les règles constitutionnels variant d’un pays à l’autre, une comparaison reposant sur les pratiques étrangères n’est pas d’un grand secours sous l’angle strictement juridique.

([51]) À cet égard, la fiscalité des gains tirés des jeux d’argent peut servir de point de comparaison : ces gains obéissent au même régime, que les jeux soient physiques ou en ligne, et ne sont imposés que s’ils présentent un caractère régulier ou si leur montant excède une certaine somme. La distinction selon le moyen utilisé existe, mais pour l’exploitant du jeu, non le joueur. Peut être également citée le 1 du III de l’annexe B de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, qui indique que « le seul fait de réaliser des activités par le biais dune plateforme numérique ne modifie pas la nature même de lactivité et ne doit donc pas impliquer un environnement juridique différent, dans un souci déquité avec les activités comparables au sein de léconomie traditionnelle » (loi n° 2016‑1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017, annexe B).

([52])  Sauf à aller jusqu’au bout du raisonnement et considérer qu’en annulant l’impôt, on rend la fraude à cet impôt impossible, mais ce n’est sans doute pas l’objectif du Sénat.

([53])  Assemblée nationale, XVe législature, session ordinaire de 2017-2018, compte rendu intégral, troisième séance du vendredi 20 octobre.

([54]) Ibid.

([55]) Rapport précité, p. 71. Le terme de « plafond » paraît plus approprié.

([56]) En application des 6° et 7° de l’article L. 611‑1 du code de la sécurité sociale, par renvoi au 2° du IV de l’article 155 du CGI (qui fixe le seuil de 23 000 euros) et à un montant correspondant à 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale.

([57]) Conduite en douane, magasins et aires de dépôt temporaire, zone franche, entrepôt franc, entrepôt d’importation, perfectionnement actif, admission temporaire en exonération totale des droits à l’importation, transit externe ou sous le régime du transit communautaire interne.

([58]) Qualifiés de tels s’ils n’excèdent pas une certaine valeur : 150 euros pour les droits de douane, 22 euros pour la TVA.

([59]) Les envois de particuliers à particuliers portant sur une valeur n’excédant pas 45 euros sont également exonérés.

([60])  En application de l’article D. 111‑15 du code de la consommation, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er janvier 2019. Cet article D. 111‑15 a été introduit par l’article 1er du décret n° 2017‑1435 du 29 septembre 2017 relatif à la fixation d’un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plateformes en ligne élaborent et diffusent des bonnes pratiques pour renforcer la loyauté, la clarté et la transparence des informations transmises aux consommateurs.

([61]) L’écart de TVA s’est élevé en 2015 à 151,5 milliards d’euros dans l’Union européenne et à 20,1 milliards d’euros en France. Ces montants ne correspondent cependant pas exclusivement à de la fraude : d’autres phénomènes peuvent l’expliquer, tels que des faillites ou des insolvabilités d’entreprises qui réduisent le montant de TVA effectivement collectée.

([62])  Dispositif qui prévoyait une proposition de nouvel article 293 A ter introduit par le I de l’article 6 sexies du projet de loi de finances pour 2018.

([63])  Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

([64]) Le mini-guichet unique permet de réaliser des prestations au sein de l’Union européenne sans devoir s’inscrire dans chacun des État membres.

([65]) Nouvel article 14 bis de la directive 2006/112/CE, introduit par l’article 2 de la directive du 5 décembre 2017.

([66]) Nouvel article 242 bis de la directive 2006/112/CE, introduit par l’article 2 de la directive du 5 décembre 2017.

([67]) Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.

([68])  Proposition modifiée de règlement du Conseil modifiant le règlement (UE) nº 904/2010 en ce qui concerne des mesures de renforcement de la coopération administrative dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée ({SWD(2017) 428 final} – {SWD(2017) 429 final}, 30 novembre 2017, COM(2017) 706 final, 2017/0248 (CNS)).

([69])  Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social concernant un plan d’action sur la TVA, Vers un espace TVA unique dans l’Union  Lheure des choix, 7 avril 2018 [COM(2016) 148].

([70]) Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.

([71]) Ibid.

([72])  Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.

([73])  La numérotation tenant compte de la proposition faite à l’article 4 ter du présent projet de loi d’introduire un nouvel article 283 bis.

([74])  En application de l’article 395 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission européenne, « peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à (cette) directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou déviter certaines fraudes ou évasions fiscales. »

([75])  Il s’agissait de la proposition de nouvel article 293 A quater du CGI introduit par l’article 6 sexies du projet de loi de finances pour 2018, qui contenait également un dispositif similaire à celui prévu à l’article 4 ter du présent projet de loi.

([76])  Directive (UE) 2017/2455 du Conseil du 5 décembre 2017 modifiant la directive 2006/112/CE et la directive 2009/132/CE en ce qui concerne certaines obligations en matière de taxe sur la valeur ajoutée applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens.

([77]) Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.

([78]) Rapport dinformation fait au nom de la commission des finances sur le e-commerce : propositions pour une TVA payée à la source, Sénat, session extraordinaire de 2014-2015, n° 691, 17 septembre 2015, p. 58.

([79]) Article 21 de la loi n° 2014‑1655 du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014.

([80])  Décret n° 2015-1091 du 28 août 2015 fixant les conditions d’exercice du droit de communication mentionné au deuxième alinéa de l’article L. 81 du livre des procédures fiscales.

([81]) En application de l’article 106 de la loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

([82])  La numérotation tient compte du paiement solidaire de l’amende prévu à l’article 4 du présent projet de loi qu’a introduit le Sénat.

([83])  Article 45 de la loi n° 2017‑1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017. Le IV de cet article prévoit l’entrée en vigueur différée.

([84])  Retirée par Airbnb de son offre à la suite d’une demande en ce sens du Gouvernement français.

([85])  Joël Giraud, Rapport sur le projet de loi de finances rectificative pour 2017, Assemblée nationale, XVe législature, n° 501, 18 décembre 2017, p. 75.

([86])  Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure, dont l’article 31 a créé l’article L. 315‑9 du CMF, précisé par l’article D. 315‑2 du même code.

([87]) Ibid.

([88])  Le Conseil a adopté le 14 mai 2018 la proposition de directive modifiant la directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission.

([89]) Assemblée nationale, XVe législature, session ordinaire de 2017-2018, compte rendu intégral, troisième séance du mardi 19 décembre 2017.

([90]) Ce montant s’élève, au moment de la rédaction du présent rapport, à 45 906 euros.

([91]) Loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, article 106.

([92]) Étude d’impact du projet de loi.

([93]) Décision n° 2010-72/75/82 QPC du 10 décembre 2010.

 

([94])  « Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant lindication déléments à retenir pour lassiette ou la liquidation de limpôt ainsi que la restitution dune créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de lÉtat ».

([95]) Sénat, session ordinaire de 2017-2018, rapport de M. Albéric de Montgolfier (n° 602, 27 juin 2018).

([96]) La procédure de publication concerne toute personne, individu, société ou trust lorsque trois conditions sont réunies : une amende a été infligée, la perte pour l’État est supérieure à 25 000 livres et aucune procédure de régularisation volontaire n’a été mise en œuvre.

([97]) Sénat, session ordinaire de 2017-2018, rapport de M. Albéric de Montgolfier précité (n° 602, 27 juin 2018).

([98]) Une contribution écrite de CCFD-Terre Solidaire, du Syndicat de la magistrature, d’OXFAM, de Sherpa et d’Anticor a été adressée à la rapporteure, à la suite des auditions conduites dans le cadre du présent rapport.

([99]) Loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière, article 1er.

([100]) Le dépôt de l’acte ou de la déclaration après mise en demeure est assorti d’une majoration de 10 %, l’absence d’un tel dépôt dans les trente jours suivant une mise en demeure est assortie d’une majoration de 40 %.

([101]) Si le contribuable n’était pas à l’initiative principale de l’abus de droit ou n’en est pas le principal bénéficiaire, la majoration est ramenée à 40 %.

([102]) Ouverture de comptes ou souscription de contrats auprès d’organismes établis à l’étranger, interposition de personnes établies à l’étranger, usage de faux documents, domiciliation artificielle ou fictive à l’étranger, usage d’actes ou interposition de personnes fictifs ou artificiels.

([103]) En application de l’article 131‑38 du code pénal, qui prévoit pour les personnes morales des sanctions pécuniaires correspondant au quintuple de celles encourues par les personnes physiques.

([104]) Bulletin officiel des finances publiques, BOI-CF-INF-40-10-10-50, 18 juin 2015, § 20.

([105]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016‑545 QPC du 24 juin 2016, Alec W. et autres [Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale].

([106]) Id., § 21.

([107]) Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Droit pénal général, Economica, quinzième édition, p. 523.

([108])  Directive (UE) 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018 modifiant la directive 2011/16/UE en ce qui concerne l’échange automatique et obligatoire d’informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration.

([109]) En vertu des 6 et 7 du nouvel article 8 ter de la directive n° 2011/16/UE introduit par la directive « DAC 6 ».

([110]) Albéric de Montgolfier, Rapport sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 602, 27 juin 2018, p. 123.

([111]) Pouvant consister en une déduction de revenu, une réduction d’impôt ou un crédit d’impôt.

([112]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014‑707 DC du 29 décembre 2014, Loi de finances pour 2015, § 54‑55.

([113]) Et en vertu des articles L. 80 E et R. 80 E‑1 du LPF.

([114]) Ainsi que le précise l’étude d’impact accompagnant le présent projet de loi (p. 43) et comme a pu le confirmer l’administration fiscale lors des auditions conduites par la rapporteure.

([115]) Ainsi que l’indiquait M. Emmanuel Capus lors des débats au Sénat, « Il me paraît effectivement dangereux de sanctionner un professionnel du droit au motif quil sest rendu complice dune fraude fiscale qui na pas encore été définitivement jugée. » (Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.)

([116]) Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n° 2011‑225 QPC du 30 mars 2012, Société Unibail Rodamco [Majorations de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Île-de-France], p. 8.

([117]) Conseil constitutionnel, décision n° 2011‑225 QPC du 30 mars 2012, Société Unibail Rodamco [Majorations de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux en Île-de-France] ; Conseil constitutionnel, décision n° 2013‑341 QPC du 27 septembre 2013, M. Smaïn Q. et autre (Majoration de la redevance d’occupation du domaine public fluvial pour stationnement sans autorisation].

([118])  Commentaire de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012‑267 QPC du 20 juillet 2012, Mme Irène L. [Sanction du défaut de déclaration des sommes versées à des tiers], p. 9.

([119])  Conseil constitutionnel, décision n° 2012‑267 QPC du 20 juillet 2012, Mme Irène L. [Sanction du défaut de déclaration des sommes versées à des tiers].

([120]) Cour EDH, 11 janvier 2007, Mamidakis c. Grèce, n° 35533/04.

([121]) Cour EDH, 7 juin 2012, Segame S.A. c. France, n° 4837/06, § 59.

([122]) Sénat, compte rendu intégral des débats, session extraordinaire de 2017-2018, séance du 3 juillet 2018.

([123]) Si cette asymétrie initiale était dépourvue de conséquence sur le droit à un recours effectif de l’intermédiaire, elle nuisait à la cohérence d’ensemble du dispositif, ce qu’avait d’ailleurs relevé le Conseil d’État dans son avis sur le présent projet de loi. Il semble par ailleurs difficilement justifiable en opportunité de traiter différemment les deux amendes en termes de recours.

([124]) Les données de l’année 2016 fournies dans l’étude d’impact sont provisoires.

([125]) Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018).

([126]) Rapport n° 602 du 27 juin 2018 précité.

([127]) Assemblée nationale, XIVe législature , rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et de la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier (n° 4457, 8 février 2017).

([128]) Décision n° 2013‑679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

([129]) Sénat, session ordinaire de 2017-2018, avis de Mme Nathalie Delattre (n° 600, 26 juin 2018).

([130])  Sénat, session ordinaire de 2017-2018, rapport de M. Albéric de Montgolfier (n° 602, 27 juin 2018).

([131]) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.

([132])  Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([133]) Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([134]) Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([135]) Conformément au d du 1 de l’article 369 du code des douanes.

([136]) Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt n° 70.91-744 du 7 décembre 1972.

([137]) Cour de justice de l’Union européenne, arrêt du 14 mars 2013.

([138]) Alors que la directive énonce plusieurs critères permettant de guider les contrôleurs dans l’établissement du caractère commercial des produits détenus.

([139]) Lors de son audition par la rapporteure, le directeur général des douanes et droits indirects a évoqué des différences de prix pouvant, selon les pays considérés, varier du simple au quadruple ou au quintuple.

([140]) « Les personnes dont lactivité est doffrir un accès à des services de communication au public en ligne » et « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, décrits, dimages, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ».

([141]) Directive n° 2014/40/UE du Parlement et du Conseil du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, et abrogeant la directive 2001/37/CE.

([142]) Ibid.

([143]) Ibid.

([144]) Ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la directive 2014/40/UE sur la fabrication, la présentation et la vente des produits du tabac et des produits connexes.

([145]) Article 22 de la loi n° 2009‑1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

([146]) Le terme de juridiction fiscale, commun en fiscalité internationale, permet d’appréhender à la fois les États souverains, mais aussi les territoires qui en dépendent (tels que les îles Anglo-Normandes pour le Royaume-Uni ou Curaçao pour les Pays‑Bas).

([147]) Le texte actuel mentionne la Communauté européenne.

([148]) Créé par la décision du conseil de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du 17 septembre 2009.

([149]) Bien que non expressément prévue à l’article 238‑0 A, cette hypothèse est le pendant du cas d’inscription reposant sur l’ineffectivité d’une convention. Elle est expressément mentionnée par le Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) (BOI-INT-DF-20-50, § 100).

([150]) Ainsi qu’il sera vu, la liste commune européenne des juridictions non coopératives repose sur une logique similaire.

([151]) Les nouvelles dispositions résultent de l’article 57 de la loi « Sapin II » (loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique). Il convient de noter que le BOFiP n’a pas été mis à jour depuis, faisant toujours état des anciennes modalités d’application (la dernière actualisation du BOFiP sur les ETNC date du 11 février 2014).

([152]) Tel est par exemple le cas des mesures prévues aux articles 125 A et 182 A et au b du III de l’article 182 B du CGI.

([153]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014‑437 QPC du 20 janvier 2015, Association française des entreprises privées et autres [Régime fiscal dopérations réalisées avec des États ou territoires non coopératifs].

([154]) Loi n° 2016‑1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016, article 91.

([155]) Contre-mesures prévues aux articles 39 duodecies, 187 et 219 du CGI.

([156]) Conseil de l’Union européenne, 5 décembre 2017, Liste européenne des juridictions non coopératives à des fins fiscales, 15429/14, FISC 342 ECOFIN 1088.

([157]) Ou « CRS » en anglais pour « common reporting standard ».

([158]) « Multilateral Competent Authority Agreement », ou « MCAA », pris en application de l’article 6 de la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale.

([159]) La notation compte quatre degrés : « non conforme », « partiellement conforme », « largement conforme » (ou « conforme pour lessentiel ») et « conforme ».

([160]) La notation « largement conforme » sur l’échange automatique relève du critère 1.1.

([161]) Convention signée à Strasbourg le 25 janvier 1988 et modifiée par le protocole d’amendement de Paris du 27 mai 2010.

([162]) Une exception est prévue : le fait pour une juridiction d’avoir obtenu la note « non conforme » sur l’échange à la demande ou de ne pas avoir obtenu la note « largement conforme » au 30 juin 2018 exclut l’application de la mesure de souplesse.

([163]) Conseil ECOFIN du 1er décembre 1997, Résolution du Conseil et représentants des États membres, réunis au sein du Conseil, du 1er décembre 1997, sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises.

([164]) Ainsi, si le critère 2.1 n’est pas applicable, les cinq facteurs prévus par le Code de conduite de 1997 peuvent être appliqués aux fins de déterminer la satisfaction du critère 2.2. Par ailleurs, le refus par une juridiction d’engager avec les institutions européennes un dialogue utile ou de fournir les informations nécessaires afin d’apprécier la satisfaction du critère 2.2, conduit à considérer que la juridiction méconnaît ce critère.

([165]) Actuellement, la Nouvelle-Calédonie, seule juridiction française retenue par le Conseil de l’Union européenne, figure sur la « liste grise ».

([166]) Deux autres mesures de coordination sont prévues. Le 1° du A du I du présent article substitue aux termes « Communauté européenne » les termes « Union européenne », requis depuis le Traité de Lisbonne et la disparition de la Communauté. Le 4° du même A, quant à lui, ajoute au 3, portant sur l’application des contre-mesures, la nouvelle référence du 2 bis dans les fondements d’inscription sur la liste.

([167]) Ce F ajoute également que la retenue à la source prévue au III de l’article 182 B est libératoire de l’impôt sur le revenu est n’est pas remboursable. Un complément identique est fait par le 2° du D du présent article, qui modifie le VI de l’article 182 A bis.

([168]) Concernant la retenue à la source prévue à l’article 119 bis du CGI, dont le taux est majoré à 75 % face à un ETNC en application de l’article 187.

([169]) Ces critères ont été présentés au 1 du A du I du présent commentaire.

([170]) Pour « common reporting standard - multilateral competent authority agreement ».

([171]) Conseil constitutionnel, décision n° 2013‑679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, § 51.

([172]) Le débat prévu n’est pas obligatoire, afin de ne pas exposer cette partie du dispositif à la censure du Conseil constitutionnel, qui juge contraire à la Constitution le fait d’imposer la tenue d’un débat, en raison de l’atteinte aux modalités de fixation de l’ordre du jour des assemblées parlementaires déterminées par l’article 48 de la Constitution (voir à titre d’illustration la décision relative au débat sur le rapport du Gouvernement relatif à la composition du Comité économique, social et environnemental rendue en juin 2010 (Conseil constitutionnel, décision n° 2010‑608 DC du 24 juin 2010, Loi organique relative au Conseil économique, social et environnemental).

([173]) Pour une présentation détaillée de cet instrument et des choix français – et néerlandais –, il est renvoyé à l’avis très complet fait au nom de la commission des finances par Mme Bénédicte Peyrol sur le projet de loi autorisant sa ratification : Assemblée nationale, XVe législature, Bénédicte Peyrol, Avis sur la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir lérosion de la base dimposition et le transfert de bénéfices (n° 1093, 20 juin 2018).

([174]) Voir à cet égard l’avis précité de Mme Bénédicte Peyrol, pp. 19-21.

([175]) Pour la présentation complète de la notion d’ETNC, il est renvoyé au commentaire de l’article 11 du présent projet de loi.

([176]) Ainsi que celle de son pendant pour les personnes physiques, prévu à l’article 123 bis du CGI. Le régime des SEC est présenté au commentaire de l’article 11 bis A du présent projet de loi.

([177]) Loi n° 2017‑1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018.

([178]) Loi n° 2016‑1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017, article 11.

([179]) Loi n° 2013‑672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

([180]) Pour plus de détails sur la notion d’ETNC, il est renvoyé au commentaire de l’article 11 du présent projet de loi.

([181]) Conseil ECOFIN du 1er décembre 1997, Résolution du Conseil et représentants des États membres, réunis au sein du Conseil, du 1er décembre 1997, sur un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises.

([182]Cf. supra, commentaire de l’article 11.

([183]) La notion d’ETNC est présentée dans le commentaire de l’article 11 du présent projet de loi, auquel il est renvoyé pour plus d’informations sur le sujet.

([184]) Ainsi que le prévoit l’article R. 515‑6 du code monétaire et financier.

([185]) Peut aussi être mentionné, bien que non distinct de l’AFD et n’apparaissant pas sur l’organigramme du groupe, le Centre d’études financières, économiques et bancaires (CEFEB), qui est l’institut de formation de l’AFD. Par ailleurs, le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), dont l’AFD assure le secrétariat et la gestion financière ainsi que, en partenariat avec plusieurs ministères, le pilotage, est également parfois présenté comme appartenant au groupe AFD ; il ne figure toutefois pas sur l’organigramme du groupe ni dans la présentation de ce dernier faite par l’AFD.

([186]) Loi n° 2014‑773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, précisée par le décret n° 2014‑1656 du 29 décembre 2014 relatif à l’Agence française d’expertise technique internationale.

([187]) Groupe AFD – Résultats 2017 ; AFD, Rapprochement de lAFD et dExpertise France : déclaration conjointe, 9 février 2018.

([188]) Groupe AFD, Politique du groupe AFD à légard des juridictions non-coopératives, juillet 2016.

([189]) Le terme de « juridiction non coopérative », ou « JNC », est retenu dans le document du groupe AFD. La notion de JNC au sens de ce document vise, entre autres juridictions, les ETNC au sens de l’article 238‑0 A du CGI.

([190]) Assemblée nationale, XVe législature, proposition de loi créant une liste française des paradis fiscaux (n° 585, 24 janvier 2018).

([191]) Amendement CF1 sur la proposition de loi n° 585.

([192]) Sous-amendement CF10.

([193]) Pour plus de détails, il est renvoyé au rapport fait sur cette proposition de loi : Assemblée nationale, XVe législature, Fabien Roussel, Rapport sur la proposition de loi créant une liste des paradis fiscaux (n° 683, 21 février 2018).

([194]) Groupe AFD, Politique du groupe AFD à légard des juridictions non-coopératives, juillet 2016, p. 3.

([195]) Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([196])  Assemblée nationale, XVe législature, M. Éric Diard (président) et Mme Émilie Cariou (rapporteure), rapport de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales (n° 982, 23 mai 2018) (lien).

([197]) Décision n° 2016-546 QPC du 24 juin 2016 (lien).

([198]) Décision n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 (lien).

([199]Ainsi, le 18 janvier 1828, il fut jugé par la Cour de cassation que « le droit de poursuivre la répression des contraventions aux lois sur les contributions indirectes n’appartient qu’à la régie ».

([200]) Cour de cassation, chambre criminelle, 20 février 2008, Bull. n° 43, pourvoi n° 07-82977.

([201]) Article 23 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

([202]) BOI-CF-INF-40-10-10-30-20150618, § 50.

([203]) Toutefois, il ne s’agit pas réellement d’une procédure contradictoire puisque le contribuable n’a pas accès à certains éléments produits par l’administration et les observations de ce dernier ne sont pas systématiquement transmises à l’administration fiscale. En cela, le fonctionnement de la CIF s’écarte de celui d’un organisme juridictionnel. Les séances de la CIF ne sont d’ailleurs pas publiques.

([204]) Tribunal des conflits, 19 décembre 1988, n° 02548.

([205]) Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 1984, Bulletin criminel, 1984, n° 151, pourvoi n° 83-92934.

([206]) Cour de cassation, chambre criminelle, 28 juin 2017, à paraître au Bulletin criminel, pourvoi n° 16-81697.

([207]) Loi n° 2017‑1206 du 31 juillet 2017 de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2016.

([208]) Loi n° 2005‑1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005.