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N° 495

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à modifier
les conditions de déclenchement
du référendum d’initiative partagée

 

PAR M. Matthias TAVEL

Député

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Voir le numéro : 291.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRoduction......................................................... 5

I. La question de la participation du peuple en démocratie

A. Le peuple français, seul titulaire de la souveraineté nationale

B. une participation directe à la démocratie qui reste limitée

1. Le référendum sous la Vème République reste un outil aux mains du Président de la République

2. L’initiative citoyenne est par ailleurs peu utilisée

II. Le référendum d’initiative partagée, des paroles aux actes

A. un outil au service d’une democratie plus dynamique et plus efficace

1. Remettre les citoyens au cœur du débat public

2. Favoriser la délibération publique

3. Renforcer la légitimité des décisions ainsi adoptées, pour une action publique plus efficace

B. pour une initiative accessible et réellement partagée

EXAMEN DE L’ARTICLE

Article unique (article  11 de la Constitution)  Assouplissement des conditions de déclenchement de la procédure de référendum d’initiative partagée

1. Le droit existant

2. Les modifications proposées

3. La position de la Commission

compte rendu des débats

PERSONNES ENTENDUES


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Mesdames, Messieurs,

En 2008, la France s’est engagée dans la voie du référendum d’initiative partagée. L’article 11 de la Constitution, modifié par la loi constitutionnelle du 23 août 2008, prévoit une procédure permettant de soumettre au référendum une proposition de loi portée par un cinquième des parlementaires, soutenus par un dixième des électeurs, si cette proposition n’a pas été examinée par le parlement.

L’idée est nécessaire : il s’agit d’élargir l’initiative du référendum législatif pour mettre fin au monopole dont dispose pour l’instant le président de la République sur son déclenchement. D’autres États européens pratiquent déjà des formes d’initiative citoyenne selon des modalités bien plus souples – en Italie, il suffit de 50 000 signatures pour proposer une initiative législative ([1]) .

Pourtant, près de quinze ans après la révision constitutionnelle, le bilan n’est pas satisfaisant. Loin d’insuffler un renouveau citoyen à nos procédures démocratiques, le référendum d’initiative partagée est resté largement lettre morte.  Les Gilets jaunes ne s’y sont pas trompés, et ont fait du référendum d’initiative citoyenne une de leurs revendications centrales.

En 1870, une caricature d’Honoré Daumier parue dans le Charivari montrait des citoyens interrogeant : « m’sieur l’Maire, quoi donc que c’est qu’un bibiscite ? » et le maire de répondre : « c’est un mot latin qui veut dire oui ». Le temps est venu de dépasser l’équation simpliste « référendum = plébiscite » et les mauvais procès faits à un peuple trop souvent considéré comme incapable de se prononcer de façon éclairée.

La présente proposition de loi pourra sembler mesurée aux défenseurs du référendum d’initiative citoyenne tel que souhaité par les Gilets jaunes, objectif partagé par le rapporteur. Mais elle propose une réforme significative et, aux yeux du groupe La France Insoumise – Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale qui la porte, largement acceptable par l’ensemble des groupes politiques

Elle abaisse le nombre de soutiens parlementaires et citoyens requis, tout en permettant aux citoyens d’être aussi à l’origine de la procédure. Ce faisant, elle donne enfin une chance aux citoyens de s’emparer de cette procédure avec une réelle possibilité de succès. Elle ne remet pas en cause le principe d’un contrôle du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi soumise au référendum.

Notre démocratie en sortira grandie.

 

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I.   La question de la participation du peuple en démocratie

Dans la Constitution de 1958, le peuple français est le seul titulaire de la souveraineté nationale. Pourtant, une crise démocratique se manifeste selon des formes différentes et parfois antinomiques, dans un contexte de tarissement du recours au référendum et, plus généralement, d’inefficacité des processus institutionnalisés d’initiative populaire.

A.   Le peuple français, seul titulaire de la souveraineté nationale

Traditionnellement pensées comme opposées, les notions de souveraineté nationale et populaire sont réconciliées dans la Constitution de 1958.

L’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 reflète le principe de la souveraineté nationale ; il dispose que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation ». À contrario, la notion de souveraineté populaire est souvent associée à des mécanismes de démocratie directe ou participative : référendums ou consultations des citoyens, assemblées délibératives…

L’article 3 de la Constitution de 1958, dans la continuité de la Constitution de 1946, concilie souveraineté nationale et souveraineté populaire. Il dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser cette notion, en considérant que « seuls peuvent être regardés comme participant à l'exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions de la République » ([2]), ce qui est le cas des membres du Parlement ([3]) .

Comme de nombreux pays européens, la France connaît toutefois une crise de la démocratie représentative qui prend des formes variables.

La montée de l’abstention en est la manifestation principale. Pour s’en tenir aux élections nationales, l’abstention s’est établie à 26,3 % au premier tour et 28 % au second tour des élections présidentielles de 2022, deuxièmes niveaux les plus élevés depuis 1965. Pour les élections législatives de 2022, l’abstention était de 52,5 % au premier tour – un taux jamais observé depuis 1958 – et 53,8% au second tour. Ces élections ont pourtant été, depuis longtemps, les plus mobilisatrices. Le taux élevé d’abstention illustre le caractère insatisfaisant de ce qui reste la modalité la plus fréquente d’exercice par le peuple de sa souveraineté. 

Dans le même temps, le dernier référendum organisé date de 2005 soit près de vingt ans, et son résultat a ensuite été contourné par le vote du Parlement.

Dans ce contexte, l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne effectif s’est imposé, aux côtés des revendications sociales, comme l’une des revendications principales du mouvement des « Gilets jaunes », apparu à l’automne 2018. Le référendum réclamé par les Gilets jaunes présente plusieurs composantes :  les citoyens devraient pouvoir initier une révision constitutionnelle, abroger une loi, révoquer un élu et adopter une mesure d’ordre législatif ([4]).

B.   une participation directe à la démocratie qui reste limitée

L’apparente désuétude du référendum dans le contexte politique actuel, comme la méconnaissance des autres outils en faveur de l’initiative populaire, illustrent les limites de la démocratie dite « directe » ou « semi-directe ».

1.   Le référendum sous la Vème République reste un outil aux mains du Président de la République

La pratique des plébiscites bonapartistes avait largement décrédibilisé l’usage du référendum, qui s’était limité à l’adoption de textes constitutionnels depuis la chute du Second empire ([5]). Le référendum législatif n’a pleinement fait son retour dans le dispositif constitutionnel français qu’en 1958.

Deux types de référendums à l’échelle nationale sont ainsi prévus dans le texte adopté en 1958 :

– l’article 11 permet au Président de la République de soumettre au référendum un projet de loi portant sur des domaines précis, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics » ou « la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Par la suite, le champ possible du référendum a été élargi aux « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » ([6]) .

– l’article 89 prévoit un référendum pour l’approbation de toute révision de la Constitution. Une procédure alternative est toutefois prévue : le projet de révision peut aussi être soumis au Parlement convoqué en Congrès, qui doit l’approuver à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

D’autres types de référendum ont été inscrits dans la Constitution depuis 1958. Il s’agit de référendums d’ordre local, du référendum de l’article 88-5 permettant aux électeurs de valider « tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne » ([7]) et du référendum d’initiative partagée introduit en 2008.

La pratique de l’outil référendaire a surtout été mise en œuvre que sous la présidence du général De Gaulle, avant de s’essouffler. À titre d’exemple, sur les 24 révisions constitutionnelles effectuées à ce jour, seules deux ont été validées par référendum : la fin du septennat en 2000 et l’instauration de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962 ([8]) .

La victoire du « non » lors du référendum de 2005 sur la Constitution européenne avec près de 70% de participation semble avoir durablement marginalisé le recours au référendum en France par les présidents de la République

Le rôle clef du Président de la République doit ici être pris en compte. C’est lui qui, certes sur proposition du Gouvernement, peut soumettre au référendum un projet de loi portant sur les matières énumérées à l’article 11. C’est également lui qui, en décidant de convoquer le Parlement réuni en Congrès, peut décider de s’affranchir du recours au référendum pour l’adoption d’une révision constitutionnelle. Faute de pouvoir être déclenché à l’initiative du Parlement ou des citoyens, le référendum est, en quelque sorte, « confisqué ». Cet état de fait n’est pas étranger au risque de dérive plébiscitaire. Il s’agit d’un des principaux arguments avancés à l’encontre du référendum, certains considérant que les citoyens se prononcent parfois moins sur la question que sur la personne qui la pose – le Président.

2.   L’initiative citoyenne est par ailleurs peu utilisée

Dans ce contexte, l’introduction d’un « référendum d’initiative partagée » à l’article 11, à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a pu apparaître comme une avancée. Il permet l’organisation d’un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa de cet article à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Le mécanisme, précisé par la loi organique du 6 décembre 2013, s’est avéré hybride et inutilisable.

Inutilisable, car les seuils d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs (soit environ 4,7 millions de personnes), sont trop élevés pour permettre l’exercice effectif de ce droit. En pratique, ils ne permettent pas aux électeurs de se saisir pleinement des possibilités offertes par cet article.

Les seuils nécessaires à l’initiative populaire : quelques exemples étrangers

En Italie, dont la population est comparable à celle de la France, 500 000 signatures suffisent pour demander l’abrogation d’une loi en vigueur. 50 000 électeurs peuvent par ailleurs exercer une initiative législative.

En Suisse, souvent citée en modèle, 50 000 signatures sont requises pour demander un référendum législatif abrogatoire, ce qui représente environ 0,9 % d’un corps électoral de 5,5 millions de personnes. Pour une initiative tendant à réviser la Constitution, 100 000 signatures sont requises.

Aux États-Unis, le nombre de signatures requises est souvent défini par rapport au nombre de votants aux dernières élections et non par rapport au total des inscrits : en Californie, 5 % du nombre de votants.

Hybride, car même si ces seuils sont atteints, cela ne suffit pas pour déclencher un référendum. Le Président de la République ne soumet la proposition de loi à référendum que si elle n’est pas examinée par les deux assemblées dans le délai de six mois fixé par la loi organique. Elle peut ainsi être rejetée, substantiellement modifiée ou vidée de sa substance.

Pour reprendre les mots du juriste Antonin Gelblat, auditionné par votre rapporteur, ce dispositif semble avoir « été conçu pour ne pas servir ». De fait, les seuils requis n’ont jamais été atteints. Dans sa décision du 9 mai 2019 ([9]) , le Conseil constitutionnel a jugée conforme aux conditions fixées par l’article 11 de la Constitution une proposition de loi cosignée par plus de 185 parlementaires visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris. S’est donc ouverte une période de neuf mois, au cours de laquelle la proposition a recueilli le soutien de 1 093 030 personnes. Le 26 mars 2020, le Conseil a donc constaté que cette proposition de loi n’avait pas atteint le seuil de signatures requis malgré des chiffres significatifs.

Il s’agit de la seule fois où la phase de recueil des signatures a été mise en œuvre ; plus récemment, le 25 octobre 2022, le Conseil s’est prononcé sur la proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Il a jugé qu’elle ne portait pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique économique de la nation et ne satisfaisait donc pas aux conditions posées ([10]). C’était seulement la deuxième fois en quatorze ans que le Conseil était saisi par plus de 185 parlementaires.

Préparé à la suite du Grand débat national après le mouvement des Gilets jaunes, le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau démocratique ([11]) prévoyait déjà l’élargissement du champ du référendum et l’assouplissement des conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagé.

Son article 2 prévoyait, en particulier, l’extension du champ possible du référendum de droit commun et du référendum d’initiative partagée, pour inclure les questions de société et l’organisation des pouvoirs publics territoriaux. L’article 9 prévoyait le partage de l’initiative entre parlementaires et citoyens, et abaissait le nombre de soutiens requis pour déclencher la procédure de référendum d’initiative partagée.

Sa discussion ayant été abandonnée, ces dispositions n’ont jamais pu être adoptées ni même débattues.

Les autres dispositifs d’initiative citoyenne

Le dispositif se rapproche en certains points, d’une simple initiative en matière législative, par laquelle les citoyens demandent à une assemblée ou une institution de se prononcer sur un sujet, sans pour autant être amenés à prendre position par référendum.

Il apparaît donc pertinent de présenter brièvement les dispositifs existant en ce sens, qui, d’une façon générale, souffrent d’un manque de visibilité.

Les pétitions devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE)

Selon l’article 69 de la Constitution, le CESE peut être saisi par voie de pétition, dans les conditions fixées par une loi organique ([12]) . Les conditions relatives à la recevabilité de la pétition sont plus souples que pour le référendum d’initiative partagée : 150 000 personnes (contre 500 000 avant 2021), âgées de seize ans et plus, de nationalité française ou résidant régulièrement en France.

Le CESE examine les pétitions reçues et fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner, par un avis en assemblée pleinière. Il a ainsi rendu une dizaine d’avis dans ce cadre depuis la création du dispositif.

Les pétitions devant les assemblées parlementaires

Un droit de pétition existe aussi devant les assemblées parlementaires ([13]). En ce qui concerne l’Assemblée nationale, elles sont adressées au Président et renvoyées à la commission compétente, qui décide de les classer ou de les examiner. Sur proposition du président de la commission compétente ou d’un président de groupe, un débat sur un rapport relatif à une pétition signée par plus de 500 000 pétitionnaires, domiciliés dans trente départements ou collectivités d’outre‑mer au moins, peut être inscrit à l’ordre du jour par la Conférence des présidents.

La procédure, méconnue, paraît aujourd’hui délaissée au profit d’autres modes d’interaction entre les citoyens et les parlementaires.

L’initiative citoyenne européenne et les pétitions devant le Parlement européen

Au niveau européen, l’initiative citoyenne européenne mise en place en 2011 ([14])  permet à un million de citoyens européens provenant d’un quart des États membres d’interpeller la Commission européenne pour lui demander de légiférer dans un domaine relevant de sa compétence. Depuis 2012, 5 initatives dans ce cadre ont abouti, obligeant la Commission euroépenne à apporter une réponse.

Les citoyens ont aussi un droit de pétition devant le Parlement européen ([15]). Celui-ci reçoit dans ce cadre environ un millier de pétition par an, à la suite desquelles il peut appeler la Commission à agir.

 

II.   Le référendum d’initiative partagée, des paroles aux actes  

A.   un outil au service d’une democratie plus dynamique et plus efficace

Le référendum d’initiative partagée présente des avantages intrinsèques et apparaît comme un élément de réponse à certaines difficultés rencontrées par la démocratie.

1.   Remettre les citoyens au cœur du débat public

Contrairement à ce qui est souvent défendu, en particulier par les opposants au référendum, l’appel direct aux citoyens par la voie du référendum ne doit pas être pensé comme concurrent du rôle du Parlement. Au contraire, le référendum d’initiative partagée présente un réel intérêt dans le système institutionnel français, marqué par la concentration du pouvoir aux mains d’un Président de la République politiquement irresponsable, ainsi qu’une polarisation des débats publics autour de sa personne et de son élection :

– L’initiative partagée, citoyenne soutenue par le Parlement ou inversement, permettrait de briser le monopole actuel du Président sur le recours au référendum et contribuerait à rapprocher citoyens et parlementaires. L’initiative citoyenne favoriserait la diversification des instigateurs de l’agenda politique au-delà du président de la République et du gouvernement ;

– Le cas échéant, si le processus aboutit à l’organisation d’un référendum, il permettrait une expression directe plus fréquente de la souveraineté nationale en dehors des seules phases d’élections.

Ces dynamiques éloigneraient également le référendum de sa lecture plébiscitaire.

Le niveau actuel de l’abstention ne doit pas être considéré comme un obstacle, si l’on considère que cette dernière est, au moins en partie, due à un sentiment d’inutilité du vote ou d’absence d’identification à un candidat ([16]) . Le référendum d’initiative partagée permet aux citoyens de prendre une décision directement, à l’issue d’un processus ayant impliqué également les parlementaires, dans une logique de complémentarité et non de concurrence.

2.   Favoriser la délibération publique

Un autre argument à l’encontre du recours au référendum est le caractère impulsif, irraisonné et irrationnel des décisions qu’il engendrerait.

Dans le processus législatif « classique », la discussion parlementaire doit permettre de confronter les différents arguments pour faire émerger une décision éclairée. Pourquoi, dès lors, ne pas envisager que le référendum soit précédé d’une phase de délibération collective organisée de façon institutionnalisée, afin de permettre un réel débat citoyen et d’éclairer les électeurs sur les conséquences de leur choix ? Léon Gambetta, dans un discours sur le projet de plébiscite visant à modifier la Constitution impériale en mai 1870, observait que « pour que le peuple prenne science et conscience, il faut qu’il y ait eu débat, il faut qu’il y ait eu controverse, il faut qu’il y ait eu discussion ». 

Plusieurs pays étrangers prévoient déjà d’associer des mécanismes de délibération à l’organisation des référendums. L’Oregon en est le principal exemple. Avant la mise au vote d’une initiative populaire, une assemblée de 25 personnes est tirée au sort. Elle est chargée de travailler sur les principaux enjeux et arguments pour et contre la proposition soumise au vote, et produit une note qui est fournie aux électeurs. En Irlande, à partir de 2012, une convention de citoyens tirés au sort et de parlementaires a travaillé sur plusieurs sujets pour fournir des recommandations, dont une partie a été soumise à référendum à partir de 2015 ([17]).

Associé à ce type de mécanismes, le référendum d’initiative populaire ne tire pas sa valeur du seul fait qu’il permet l’expression citoyenne le jour du vote ; il met aussi en œuvre une démocratie délibérative, complémentaire de la démocratie directe. 

3.   Renforcer la légitimité des décisions ainsi adoptées, pour une action publique plus efficace

Enfin, la participation directe des citoyens à la délibération et à la décision pourrait permettre d’améliorer l’acceptabilité des mesures qui en découlent, perçues comme plus consensuelles ou au moins plus légitimes. Pour le politologue Bastien François, auditionné par votre rapporteur, le caractère plus inclusif de la décision – prise non par les seuls « sachants », mais par l’ensemble des citoyens – permettra de répondre plus efficacement aux enjeux politiques ou environnementaux qui se poseront au cours des décennies à venir et qui nécessitent des choix nets.

B.   pour une initiative accessible et réellement partagée

La présente proposition de loi, loin d’épuiser le sujet, a néanmoins vocation à constituer un premier pas vers une meilleure expression des citoyens. Elle tend à rendre effectif un dispositif qui, dans son principe, paraît largement souhaité par l’ensemble du spectre politique, puisqu’il a été introduit dans la Constitution sous la présidence de Nicolas Sarkozy et aurait dû être révisé sous la présidence d’Emmanuel Macron et que les partis politiques composant la Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale ont été à l’initiative des deux tentatives d’y avoir recours. Le moment est donc venu d’initier une réforme dans une logique de compromis, sans attendre une révision constitutionnelle de plus grande ampleur.

En premier lieu, l’initiative permettant de soumettre un texte au référendum en l’absence d’examen parlementaire aurait besoin du soutien d’un dixième des parlementaires (soit 93) et d’un million d’inscrits sur les listes électorales.

La question des seuils est au cœur des débats sur l’initiative citoyenne. Il s’agit de trouver un juste équilibre entre un niveau suffisamment élevé, pour éviter que des propositions qui ne reflètent pas une préoccupation de la société puissent passer ce seuil, mais suffisamment accessible pour ne pas constituer un obstacle.

En tout état de cause, selon la juriste Caroline Cerda-Guzman, auditionnée par votre rapporteur, il n’appartient pas au seuil de faire office de garde-fou : c’est davantage l’objet de la définition des matières sur lesquelles peut porter la proposition, et du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel. Or, la présente proposition de loi ne modifie ni l’un, ni l’autre : contrairement à la révision constitutionnelle envisagée en 2019, elle n’élargit pas le champ des matières concernées, qui reste le même que celui qui est ouvert au référendum « classique », et le rôle du Conseil constitutionnel est maintenu.

En second lieu, la proposition de loi permet de rendre l’initiative réellement partagée. À l’heure actuelle, elle doit émaner des parlementaires, puis recueillir le soutien des citoyens. L’inverse devrait aussi être rendu possible : les citoyens pourraient prendre l’initiative de présenter une proposition de texte, qui devrait ensuite recevoir le soutien des parlementaires.

Cette réforme devrait, en tout état de cause, être précisée par la loi organique, dont l’existence est déjà prévue par la rédaction actuelle de la Constitution.

Ce facteur n’est pas de nature à retarder l’examen de la proposition de loi constitutionnelle, et ce d’autant plus qu’une révision constitutionnelle issue d’une proposition de loi est une procédure plus longue que la modification d’une loi organique.

 

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EXAMEN DE L’ARTICLE

Article unique
(article  11 de la Constitution)
Assouplissement des conditions de déclenchement de la procédure de référendum d’initiative partagée

Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article assouplit les conditions de déclenchement de la procédure de référendum d’initiative partagée, en abaissant le nombre de soutiens citoyens et parlementaires requis et en permettant aux citoyens d’être à l’origine de la proposition.

Dernières modifications législatives intervenues

Ces dispositions n’ont pas été modifiées depuis leur introduction dans la Constitution en 2008.

Modifications apportées par la Commission

La Commission des Lois a rejeté cet article.

1.   Le droit existant

La procédure du référendum d’initiative partagée a été précisée par la loi organique du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution.

Article 11 de la Constitution – dispositions relatives au référendum d’initiative partagée

Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. […]

Elle se compose de plusieurs étapes :

– Dépôt sur le bureau de l’une des deux assemblées parlementaires d’une proposition de loi en application du troisième alinéa de l’article 11 ;

– Transmission de la proposition de loi au Conseil constitutionnel par le président de l’assemblée saisie ;

– Vérification par le Conseil constitutionnel, dans un délai d’un mois, que la proposition de loi est signée par au moins un cinquième des parlementaires, que son objet respecte les conditions posées à l’article 11 et que ses dispositions sont conformes à la Constitution ;

– Recueil des soutiens citoyens pendant neuf mois, sous forme électronique ;  ([18])

– Décision du Conseil constitutionnel pour déclarer si la proposition a recueilli le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ;

– Si ce seuil est atteint, soit la proposition est examinée dans les six mois au moins une fois par chaque assemblée, soit le Président de la République la soumet au référendum.

2.   Les modifications proposées

La révision proposée laisserait inchangée la procédure lorsque les parlementaires sont à l’initiative de la proposition de loi, sauf en ce qui concerne les seuils.

Elle permettrait de créer une procédure inverse, où l’initiative émane des citoyens et doit être soutenue par les parlementaires. Sous réserve des éventuelles précisions qui seraient apportées par la loi organique, la procédure pourrait ainsi être la suivante :

– Période de recueil des soutiens des citoyens ;

– Transmission de la proposition de loi au Conseil constitutionnel ;

– Vérification par le Conseil constitutionnel que la proposition est signée par au moins un million des électeurs inscrits sur les listes électorales, que son objet respecte les conditions posées à l’article 11 et que les dispositions de la proposition de la loi sont conformes à la Constitution ;

– Recueil des soutiens parlementaires ;

– Décision du Conseil constitutionnel pour déclarer si la proposition a recueilli le soutien d’au moins un dixième des parlementaires ;

– Si ce seuil est atteint, soit la proposition est examinée dans les six mois au moins une fois par chaque assemblée, soit le Président de la République la soumet au référendum.

3.   La position de la Commission

La Commission des Lois n’a pas apporté de modifications à cet article unique, qu’elle a rejeté par 17 voix contre 16.

La nécessité d’une intervention citoyenne plus importante et de référendums plus nombreux a été défendue par l’ensemble des orateurs des groupes, même si certains ont exprimé quelques réserves à l’encontre de la proposition de loi.

Dans ce contexte, votre rapporteur ne peut regretter que la proposition ait été rejetée alors qu’aucun amendement n’avait été déposé en vue de l’examen en commission.

 

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   compte rendu des débats

Lors de sa seconde réunion du mercredi 16 novembre 2022, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier les conditions de déclenchement du référendum d’initiative partagée (n° 291) (M. Mathias Tavel, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/AdtsFk

M. le président Sacha Houlié. Le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale a fait inscrire cette proposition de loi (PPL) à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire du jeudi 24 novembre.

M. Matthias Tavel, rapporteur. L’article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » C’est donc bien la souveraineté que cette proposition de loi constitutionnelle vise à renforcer, en faisant de la Constitution un texte vivant, qui accorde aux citoyens des droits pouvant être effectivement mis en œuvre.

Près de quinze ans après la révision constitutionnelle de 2008, nous pouvons tous convenir que le bilan du référendum d’initiative partagée n’est pas satisfaisant – c’est le moins que l’on puisse dire.

L’article 11 de la Constitution, modifié en 2008, prévoit certes une procédure permettant de soumettre au référendum une proposition de loi soutenue par un cinquième des parlementaires et un dixième des électeurs, si ce texte n’a pas été examiné par le Parlement. Mais le référendum d’initiative partagée est largement resté lettre morte. À ce jour, seule la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris, cosignée par plus de 185 parlementaires, a fait l’objet d’une campagne de collecte de signatures dans ce cadre, en 2019 ; elle a recueilli le soutien de plus d’un million de nos concitoyens, mais cela n’a pas été suffisant pour aller au terme de la procédure. Celle-ci s’avère quasiment impossible à mettre en œuvre à cause des seuils fixés par la Constitution. De surcroît, elle ne peut être engagée qu’à l’initiative des parlementaires, et non des citoyens, lesquels ont uniquement la possibilité de soutenir une proposition de loi préalablement déposée par des députés et sénateurs.

Le 17 novembre 2018, il y a quatre ans quasiment jour pour jour, commençait le mouvement des gilets jaunes. Ces derniers ne s’y sont pas trompés : à côté de leurs revendications sociales, ils ont fait du référendum d’initiative citoyenne l’une de leurs revendications centrales, sous diverses formes – référendum abrogatif, législatif, constituant, révocatoire… L’une des figures majeures du mouvement, Jérôme Rodrigues, a souligné lors d’une audition l’intérêt tant du référendum d’initiative citoyenne que du référendum d’initiative partagée pour redonner de la voix à la France silencieuse et réintéresser nos concitoyens à la chose et au débat publics, à l’heure où l’abstention progresse.

Sans aller aussi loin que les propositions des gilets jaunes, le projet de loi constitutionnelle déposé en 2019, à la suite de ce mouvement, constituait un premier pas vers une plus grande effectivité du référendum d’initiative partagée. Mais le texte n’a malheureusement pas été discuté – pas même au sein de notre commission.

La présente proposition de loi constitutionnelle, cosignée par l’ensemble des membres du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, reprend deux dispositions de la réforme envisagée en 2019. D’une part, elle abaisse le nombre de soutiens parlementaires et citoyens requis pour le déclenchement de la procédure : 1 million de citoyens, au lieu de 4,7 millions, et 10 % des parlementaires, soit 93 députés et sénateurs au lieu de 185, suffiront. D’autre part, elle permet aux citoyens d’être aussi à l’origine de la procédure, plutôt que de se contenter de soutenir l’action des parlementaires. C’est donc un droit à l’initiative citoyenne qu’il vous est proposé de créer.

Notre proposition de loi constitutionnelle ne remet pas en cause le principe d’un contrôle du Conseil constitutionnel sur la proposition de loi soumise au référendum. Elle ne modifie pas non plus le champ d’intervention du Conseil, par souci de cohérence avec la rédaction actuelle de l’article 11 de la Constitution. Mais elle donne aux citoyens le droit de s’emparer de la procédure, avec une réelle possibilité de succès, grâce à des seuils qui restent exigeants mais deviennent beaucoup plus raisonnables et atteignables.

L’article 11 de la Constitution prévoit déjà qu’une loi organique fixe les conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée. Cette loi organique aurait naturellement vocation à être également révisée, en cas d’adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle, pour préciser certains sujets – je pense au délai de collecte des signatures citoyennes et parlementaires, à la temporalité du contrôle du Conseil constitutionnel, ou encore au soutien technique apporté aux citoyens dans la rédaction de leur proposition de loi.

Allons maintenant au cœur du débat. Le référendum fait encore trop souvent l’objet de mauvais procès. J’aimerais donc revenir sur quelques avantages qu’il présente, notamment lorsqu’il résulte d’une initiative partagée, et qu’ont évoqués plusieurs personnalités que nous avons auditionnées – juristes, professeurs de droit public et constitutionnel, politistes et figures du mouvement des gilets jaunes.

En faisant en sorte que le référendum résulte d’autre chose que de la simple volonté du Président de la République, dont nous entendons briser le monopole actuel, nous remettrons le citoyen au cœur du débat public et nous préserverons le scrutin du risque de dérive plébiscitaire. Si le processus aboutit à l’organisation d’un référendum, il permettra une expression directe plus fréquente de la souveraineté nationale, qui ne se limitera plus aux seules phases d’élections. À l’heure où l’antiparlementarisme se répand et où la défiance règne souvent entre représentants et représentés, le fait que l’initiative soit partagée permettra également de rapprocher les citoyens des parlementaires que nous sommes.

La participation directe des citoyens à la délibération et à la décision, par le biais de ces référendums, est aussi de nature à améliorer l’acceptabilité et la légitimité des mesures qui en découlent, et donc de répondre plus efficacement aux grands enjeux politiques et environnementaux que l’évolution de la situation internationale et climatique rend encore plus criants. Il s’agit là d’une remarque absolument cruciale, exprimée par plusieurs personnalités auditionnées : le référendum d’initiative partagée permettra d’asseoir la légitimité de décisions qui font débat et qui occasionnent la construction de majorités parfois transversales, en tout cas différentes de celles qui résultent des élections législatives ou sénatoriales singulièrement déformées par le scrutin majoritaire.

Enfin, le référendum d’initiative partagée ne tire pas sa valeur du seul fait qu’il permet l’expression citoyenne le jour du vote ; il sera aussi au service d’une démocratie continue, délibérative, complémentaire de la démocratie représentative qu’il n’est nullement question de remettre en cause. La campagne de collecte de signatures puis, le cas échéant, la période précédant le référendum ont vocation à être des moments de délibération citoyenne et de débat public permettant à la nation de se prononcer librement, souverainement, en étant éclairée.

Certains trouveront notre proposition de loi constitutionnelle trop timorée. Nous y voyons cependant l’occasion de faire, par la réforme de la Ve République, « œuvre commençante » de VIe République, pour paraphraser Jean Jaurès. Surtout, la réforme que nous défendons se veut efficace, significative et acceptable par l’ensemble des groupes politiques qui composent notre assemblée. C’est bien dans cet esprit que nous avons travaillé. Rappelons que le référendum d’initiative partagée a été introduit dans la Constitution sous la présidence de Nicolas Sarkozy, que le projet de révision constitutionnelle dont nous nous inspirons a été déposé par le gouvernement d’Édouard Philippe, lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, et que les partis politiques composant la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale sont de ceux qui se sont emparés de ces initiatives. C’est donc un très large spectre de notre assemblée et, je crois, de la population française qui approuve ce principe.

Je forme le vœu que cette proposition de loi constitutionnelle soit adoptée sans attendre une hypothétique révision constitutionnelle dont le calendrier et les modalités ne sont pas encore connus. La précédente tentative, qui date de 2019, est restée au stade de projet de loi non discuté – pas même en commission. Je vous invite donc à voter ce texte pour ouvrir un droit nouveau à nos concitoyens sans remettre à plus tard ce qui peut être fait aujourd’hui.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Erwan Balanant (Dem). La France fait face à une véritable crise de confiance des citoyens envers leurs représentants politiques. Tous réclament des élus que nous sommes une meilleure écoute et une plus grande considération de leur opinion. Alors que les Français n’ont jamais eu autant envie de participer à la décision politique, ils n’ont jamais été si nombreux à ne pas voter. Nous devons trouver des éléments de réponse à cette injonction paradoxale.

Issu de la révision constitutionnelle de 2008, le référendum d’initiative partagée est une avancée majeure pour notre démocratie, dans la mesure où il offre à nos concitoyens une nouvelle forme de participation à la vie politique et démocratique. Cependant, même s’il est plus simple, depuis le 1er janvier 2015, de soutenir une proposition de loi référendaire, la démarche reste assez compliquée.

Dans une décision du 18 juin 2020, le Conseil constitutionnel a dressé un bilan de la première mise en œuvre de cette procédure, qu’il a jugée « dissuasive et peu lisible pour [les] citoyens ». Les Sages ont pointé du doigt différentes failles constituant un frein à son déploiement : le nombre très élevé de soutiens de citoyens à collecter, l’absence d’organisation d’un débat public une fois les 4,7 millions de signatures recueillies, l’absence de précision quant au rôle des partis politiques dans ces opérations de collecte des soutiens. Le constat est clair : la procédure est difficile à mettre en œuvre.

Le groupe Démocrate considère que le référendum d’initiative partagée doit évoluer. Nous ne remettons pas en question la nécessité de transformer cette procédure afin de lui donner l’ampleur qu’elle mérite. Le Président de la République a d’ailleurs affirmé sa volonté d’aller plus loin dans ce domaine, tout en simplifiant les règles.

La question posée aujourd’hui ne concerne pas uniquement le référendum d’initiative partagée : elle porte sur la façon d’articuler démocratie participative et démocratie représentative. De nombreuses pistes de réflexion ont été ouvertes – je vous invite à lire le rapport rédigé au cours du quinquennat précédent par M. Bernasconi, auquel j’ai contribué –, et elles vont bien au-delà du référendum d’initiative partagée (RIP) ou du référendum d’initiative citoyenne (RIC). Il serait même contre-productif de se concentrer sur ces seules procédures.

Si le RIC peut paraître séduisant, cette idée me semble en réalité assez dangereuse. Avant que le peuple se prononce dans le cadre d’un RIP ou d’un référendum plus classique, un certain nombre de représentants de la nation se sont penchés sur la question et ont décidé de la poser aux électeurs : en prenant cette initiative, ils en deviennent en quelque sorte responsables. En revanche, qui assumerait la responsabilité de l’organisation d’un RIC ? Le peuple tout entier ? Serions-nous tous responsables d’une erreur commise collectivement ? C’est un vrai problème, car le secret d’une démocratie qui fonctionne bien, c’est que des représentants sans mandat impératif sont responsables du travail qu’ils effectuent au quotidien.

M. Gilles Le Gendre (RE). Cette proposition de loi constitutionnelle a deux intentions : l’une, visible, à laquelle le groupe Renaissance peut aisément souscrire, l’autre, cachée, qui nous empêchera de voter ce texte.

Oui, les dispositions actuelles relatives au référendum d’initiative partagée rendent cet instrument de facto inutilisable. Les seuils qui l’encadrent – un cinquième des parlementaires et 10 % des électeurs – sont trop élevés, tandis que la procédure est « dissuasive et peu lisible », comme l’a déploré le Conseil constitutionnel dans une décision de 2020.

Oui, notre démocratie souffre d’une grave crise de confiance dont l’abstention est le symptôme le plus visible. Cette crise requiert des réponses fortes ; la possibilité de donner la parole aux citoyens plus souvent et plus facilement en est une parmi beaucoup d’autres. C’est une voie que la majorité avait elle-même préconisée lors du précédent quinquennat.

Oui, le projet de loi constitutionnelle de 2019 élargissait lui aussi aux citoyens l’initiative d’un référendum en fixant des seuils identiques à ceux qui nous sont proposés aujourd’hui : un dixième des parlementaires ou un million d’électeurs.

Pourtant, monsieur le rapporteur, je vais vous décevoir. En dépit de vos efforts, l’intention cachée de votre texte n’échappe à personne. Cette proposition de loi est une sorte de Canada Dry constitutionnel : elle a la couleur, la saveur et l’odeur du référendum d’initiative partagée, mais la recette du référendum d’initiative citoyenne, le fameux RIC concocté dans les alambics du druide Mélenchon.

Ce n’est pas l’élargissement aux citoyens de l’initiative d’un référendum qui pose problème – au contraire ! –, mais le fait que votre texte autorise une concurrence délétère entre le pouvoir nouveau qui leur serait ainsi reconnu et celui de la représentation nationale. Interdire ou imposer une disposition en cours de discussion au Parlement : avec vous, ce serait permis ; avec nous, non. Revenir sur une loi normalement votée et non encore promulguée : avec vous, ce serait permis ; avec nous, non. Abroger des dispositions promulguées un an plus tôt : avec vous, ce serait permis ; avec nous, il faudrait attendre trois ans. Réciproquement, nous interdirions au Parlement de revenir sur une loi adoptée par la voie du référendum d’initiative partagée durant la même législature. Nous voulons donner à nos concitoyens le droit de proposer ; vous leur accordez le droit d’abroger.

Nous croyons aux vertus de la démocratie participative et aux moyens de la développer, mais nous ne voulons pas qu’elle abîme la démocratie représentative. Le groupe Renaissance ne votera donc pas cette proposition de loi constitutionnelle.

Notre position se justifie aussi par une seconde raison. Revitaliser notre démocratie et redonner du souffle à nos institutions sont des objectifs que nous partageons tous ici, mais qui exigent une réforme complète, cohérente, systémique et non saucissonnée au gré d’initiatives dispersées. Ce sera l’objet de la commission transpartisane sur les institutions que le Président de la République installera dans les prochaines semaines. Une réinvention du référendum d’initiative partagée devra assurément figurer au menu de ses travaux.

Mme Gisèle Lelouis (RN). Le Rassemblement national a toujours voulu renforcer la démocratie en donnant davantage la parole au peuple. Or l’esprit de la Ve République, qui accordait une large place au référendum, a disparu. Le processus référendaire avait un sens, celui de soumettre toute question importante à la souveraineté populaire ; par le passé, il engageait le Président, qui ne craignait pas le verdict des urnes et tirait avec honneur les conclusions du scrutin. Les référendums ont tous suscité une importante participation du corps électoral. Au temps du général de Gaulle, la pratique référendaire était courante, puisque pas moins de quatre référendums ont été organisés pendant les dix années de sa présidence. Pendant les cinquante-deux ans qui ont suivi, cinq référendums seulement, dont trois sur l’Union européenne, se sont tenus. Mais voilà, le Président de la République, qui a le plus de facilité à prendre l’initiative d’un référendum, n’utilise plus cet outil alors même que la crise de défiance et le sentiment de dépossession de l’électorat s’accentuent. La pratique du référendum devrait être plus fréquente, notamment sur les grands sujets de société et en ce qui concerne la révision de notre Constitution.

Il est aujourd’hui trop complexe d’organiser un référendum d’initiative partagée. Le nombre de soutiens d’élus et de citoyens à recueillir est trop élevé. Nous estimons, pour notre part, que l’on pourrait très bien se passer de l’avis des parlementaires, qui téléguident aujourd’hui la procédure. En ne recueillant que les soutiens populaires, qui ne sont pas négociables, l’exercice serait plus direct. La barre de 4,5 millions de citoyens est trop haute ; il paraît plus pertinent de l’abaisser à 500 000 signatures de Français inscrits sur les listes électorales, ce qui reste élevé. Cette révolution référendaire donnerait plus de pouvoir aux Français.

Au Rassemblement national, nous proposons qu’un référendum d’initiative citoyenne permette d’adopter une nouvelle loi, de modifier ou d’abroger une disposition législative existante. En revanche, si un nouveau texte est validé par le vote des Français, seul un nouveau référendum pourra le modifier. Si ce texte est rejeté par le peuple, il ne pourra plus être proposé durant quinze ans. Des propositions peuvent être inconstitutionnelles ou non souhaitables d’un point de vue juridique ou éthique ; aussi les sujets touchant par exemple à la force de dissuasion nucléaire ou aux intérêts vitaux des Français seront-ils automatiquement exclus du champ du référendum, afin d’éviter des abus dont la présente proposition de loi constitutionnelle ne parle d’ailleurs pas – probablement parce que vous comptez abuser de cette procédure.

Vous l’écrivez vous-même, monsieur le rapporteur, votre propre proposition de loi constitutionnelle est trop mesurée par rapport aux attentes des gilets jaunes, qui demandent un référendum d’initiative citoyenne et non une semi-amélioration du référendum d’initiative partagée.

L’idée d’améliorer la démocratie par le référendum est bonne ; c’est pourquoi nous ne voterons pas contre votre proposition. En revanche, le fait que vous vous éloigniez trop du RIC et d’une démocratie plus directe ne nous permet pas de voter pour. Pourquoi ne pas être plus ambitieux alors que vous soulignez vous-même que le modèle italien est plus souple ? Pourquoi se contenter d’une demi-proposition ? Ayez le courage d’aller au bout et nous voterons votre texte. Malgré une réflexion intéressante, vous comprendrez que le groupe Rassemblement national s’abstiendra tant que cette proposition de loi constitutionnelle ne lui paraîtra pas assez poussée.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Il est l’heure d’entendre les voix qui s’élèvent dans le pays pour réclamer davantage de pouvoir citoyen et de démocratie.

En tant que législateurs, nous avons le pouvoir de définir la volonté générale mais ce pouvoir est drastiquement limité, non pas par l’intervention citoyenne comme semble le craindre M. Le Gendre, mais par l’exécutif. Telle est la réalité constitutionnelle dans laquelle nous vivons. Nous en avons fait l’expérience récemment avec le recours au dispositif prévu à l’article 49.3 de la Constitution. Cet article qui permet de considérer comme adopté un texte qui ne l’a pas été et, pire encore, d’annuler des dispositions qui, elles, ont été adoptées, constitue une brutalité démocratique que les Français réprouvent.

Il en est une autre, plus pernicieuse : la maîtrise de l’ordre du jour. La niche n’est qu’un espace restreint dédié à l’initiative parlementaire dans un ordre du jour contrôlé par l’exécutif. En 2008, lorsqu’il instaure le référendum d’initiative partagée, Nicolas Sarkozy donne la possibilité aux citoyens d’aider le législateur à modifier l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le RIP ne remet pas en cause pas les prérogatives du législateur, au contraire, il renforce sa capacité à exister dignement face au pouvoir exécutif.

Les Français ont très bien compris l’essence monarchique de la Ve République. Ils savent que le Président de la République concentre de très nombreux pouvoirs mais est irresponsable. Pourtant la plupart des pays démocratiques consacrent la responsabilité politique. Les gouvernants rendent compte de leur action devant le Parlement mais aussi devant les citoyens lorsque ce droit fantastique de révoquer les élus en cours de mandat leur est reconnu.

En France, la volonté générale se heurte aux murs de l’Élysée – les gilets jaunes l’ont bien compris. Toutefois, il n’est pas question ici d’instaurer le référendum d’initiative citoyenne que ces derniers revendiquaient, il s’agit de mettre en œuvre la réforme proposée par les macronistes eux-mêmes. Monsieur Le Gendre, vous l’avez dit, vous approuvez l’élargissement du recours au RIP. Puisque cette idée fait consensus, pourquoi s’obliger à trouver des désaccords là où il n’y en a pas ?

Ce matin, nous avons adopté une avancée constitutionnelle majeure avec la reconnaissance du droit à l’interruption volontaire de grossesse alors continuons sur cette belle lancée !

La souveraineté, c’est l’apanage de celui qui n’a pas de maître. Les Français veulent la souveraineté et la démocratie. Nous devons les entendre.

M. Hervé Saulignac (SOC). La réforme constitutionnelle de 2008 a donné, ou essayé de donner, plus de pouvoirs au Parlement et aux citoyens, notamment par le biais du référendum d’initiative partagée.

Si l’intention était louable, force est de constater qu’aucun RIP ne pourra jamais être organisé en France pour les raisons qui ont déjà été exposées : le très grand nombre de signatures de parlementaires qu’il faut rassembler, le contrôle scrupuleux exercé par le Conseil constitutionnel, une collecte de parrainages exorbitante, mais aussi la possibilité de contourner le référendum en faisant examiner le texte par le Parlement. Le RIP s’apparente à un parcours d’obstacles.

Lorsqu’on institue un simulacre de démocratie participative, on accroît la défiance de nos concitoyens et on aboutit finalement à un résultat inverse de celui que l’on prétendait rechercher. Si nous faisons croire aux citoyens que nous les associons alors que manifestement nous les écartons, il ne faut pas s’étonner de leur désintérêt à l’égard de nos institutions. Le taux de participation de 46,23 % aux élections législatives en est la preuve : nos concitoyens ne se sentent plus représentés. Pourquoi en serait-il autrement puisque, une fois leur devoir électoral accompli, ils retournent à leur impuissance citoyenne ?

Pourtant, nombreux sont celles et ceux qui aspirent à contribuer à la fabrique de la loi, comme le prévoit l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en vertu duquel « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ». C’est notre rôle en tant que responsables politiques de redonner à chacune et à chacun le goût de la démocratie, du débat et de la délibération afin qu’ils retrouvent la confiance dans nos institutions.

Lors du grand débat national organisé par le Président de la République, une forte demande de démocratie participative s’était exprimée. Selon certains sondages effectués alors, près de 75 % de la population était favorable à l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne. À ce sujet, le groupe Socialistes est partagé ; nous préférons que les parlementaires soient associés à toute initiative en la matière. Lors des débats sur la réforme constitutionnelle en 2019, nous prônions une amélioration de l’outil référendaire afin de le mettre au service de la démocratie directe. L’objectif était de placer les parlementaires et les citoyens sur un pied d’égalité, dans une sorte de RIP inversé, dont les seuils seraient plus faciles à atteindre. C’est donc sans surprise que nous soutenons la proposition de loi constitutionnelle.

M. Philippe Pradal (HOR). Les constituants de 1958 ont fait le choix d’une démocratie représentative dans laquelle prennent place une majorité et une ou des oppositions. Celle-ci permet de relayer et de structurer les débats qui animent notre société selon des procédures claires et surtout un mode de désignation qui assoit la légitimité de ceux qui font la loi, le suffrage universel direct.

Ce mode de fonctionnement permet d’aborder un très large éventail de sujets, d’exprimer des opinions souvent divergentes, mais aussi de clore les discussions par des compromis raisonnables. C’est une condition de la stabilité et de l’efficacité de notre démocratie.

Notre rôle et notre devoir de parlementaires sont d’échanger avec les Françaises et les Français pour porter leur voix dans l’enceinte du Parlement. Tel est le principe qui fonde la démocratie représentative. Mais force est de reconnaître que notre modèle souffre, d’une part, parce que la participation aux élections recule et, d’autre part, parce que les interrogations de nos concitoyens sont de plus en plus nombreuses et leur besoin de participer directement à la vie de la nation, plus vif.

Alors oui, il était nécessaire d’instaurer des mécanismes de démocratie directe pour que les citoyens puissent être davantage associés aux débats nationaux. C’était l’objectif que recherchait la réforme constitutionnelle de 2008 en créant le référendum d’initiative partagée. Toutefois, un tel mécanisme ne saurait opposer les souverainetés ; il n’est pas sain que la représentation nationale puisse corriger ce qu’a voté le peuple et inversement.

Nous souscrivons à l’assouplissement des conditions de recours au référendum mais dans le respect des prérogatives de chacun. Cela implique donc une limitation dans le temps, comme la réforme constitutionnelle de 2019 le prévoyait : le texte soumis à référendum ne devrait ni avoir pour objet ou pour effet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins de trois ans, ni porter sur le même objet qu’une disposition introduite au cours de la législature et en cours d’examen au Parlement ou définitivement adoptée par ce dernier et non encore promulguée.

Conscients du manque de réalisme du dispositif initial, nous sommes favorables à une réforme visant à rendre le RIP plus accessible, mais celle-ci doit s’inscrire dans une réforme des institutions plus globale destinée à renouveler le fonctionnement de notre démocratie. Le renforcement de la participation citoyenne ne saurait être cantonné à la modification des conditions de recours au référendum.

Nous ne pourrons donc pas voter la proposition de loi constitutionnelle en l’état et souhaitons que ce sujet fasse l’objet d’une discussion transpartisane afin de repenser notre fonctionnement institutionnel et démocratique.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le groupe GDR-NUPES votera en faveur de la proposition de loi constitutionnelle. Tous les orateurs ont dressé, avec leurs mots, le constat d’une démocratie représentative en crise, ce que confirment nos échanges avec les habitants de nos circonscriptions et la faible participation aux élections. Toutefois, l’aspiration à la démocratie reste très forte. Or la concentration du pouvoir et les conditions de son exercice éloignent depuis plusieurs années les citoyens de la prise de décision. L’hyperprésidentialisation et l’usage immodéré du 49.3 renforcent le grippage de notre démocratie.

Dans l’attente de la VIe République que nous appelons de nos vœux, il faut, pour redonner du souffle à notre démocratie, partager la prise de décision et les pouvoirs. Ces dernières années, plusieurs mouvements, parmi lesquels Nuit debout et les gilets jaunes, sont venus questionner la démocratie représentative et réclamer plus de démocratie directe. L’élection de personnes ne peut plus être le seul objet du vote ; nous devons accroître la participation citoyenne entre les rendez-vous électoraux.

La Constitution comporte un outil intéressant, le RIP, dont l’utilisation est toutefois très complexe. Ceux qui, comme moi, ont milité en faveur d’un référendum sur la privatisation d’Aéroports de Paris ont mesuré la difficulté de l’exercice. Les seuils imposés rendent le RIP inaccessible en pratique. Ce vernis démocratique ne saurait restaurer les fondations de notre démocratie. Il est dangereux de prétendre donner des outils aux citoyens qui s’avèrent inutilisables. En tant que parlementaires, nous devrions être interpellés par la perspective d’une démocratie sans peuple.

Monsieur Le Gendre, j’espère que la Convention citoyenne pour le climat, dont seulement 10 % des recommandations ont été retenues, ou les 400 000 pages de doléances du grand débat national qui prennent aujourd’hui la poussière n’illustrent pas votre conception de la démocratie participative. Le Président de la République avait lui-même suggéré d’abaisser le seuil de signataires à un million pour faciliter le recours au RIP et rendre ainsi la démarche plus sincère.

Le groupe de La France insoumise vous propose une mesure plus acceptable que la VIe République que nous prônons, mais vous avez, semble-t-il, du mal avec la démocratie.

M. Ian Boucard (LR). Nous sommes tous convaincus de l’insuffisance de la consultation citoyenne dans notre pays. La tentative de RIP sur la privatisation d’Aéroports de Paris a montré les limites de l’exercice. Partisan d’une consultation des Français, j’ai constaté sur le terrain la complexité du processus – le simple enregistrement de la signature d’un citoyen et les 4,7 millions de signatures à réunir sont autant d’obstacles. Jamais un RIP ne pourra être organisé dans notre pays sans une révision de ses modalités, qui devrait faire l’objet de débats parlementaires.

Je souhaiterais ainsi voir certains aspects de la proposition de loi modifiés. Sans être oiseau de mauvais augure, je crains, monsieur le rapporteur, que le positionnement comme huitième point de l’ordre du jour de votre texte ne laisse que peu d’espoir de le voir examiné en séance publique jeudi prochain. Mais le débat a le mérite d’avoir lieu en commission.

Il ne faut pas avoir peur du référendum. Certes, notre pays est dépourvu de culture en la matière, à la différence d’un pays frontalier de ma circonscription, la Suisse. À chaque fois, les référendums se transforment en un vote pour ou contre le Président de la République parce qu’ils sont trop rares. En Suisse, les citoyens sont appelés à se prononcer au moins tous les ans sur des sujets essentiels et les résultats des consultations sont souvent, au grand étonnement de la presse, à rebours des intérêts individuels. Le référendum n’est pas un gadget politique à la main du pouvoir en place ou des opposants, il est un élément de la culture politique. Pour résoudre la crise démocratique qui frappe tous les partis politiques – il ne suffit pas de renvoyer dos à dos majorité et oppositions –, nous devons accroître l’association du peuple français à la décision politique sur des sujets d’importance et développer une culture politique en la matière.

À titre personnel, je suis favorable à la proposition de loi constitutionnelle.

M. Matthias Tavel, rapporteur. Je remercie tous les orateurs et singulièrement ceux qui, quelle que soit leur étiquette politique, ont exprimé leur soutien à la proposition de loi.

Vous avez tous défendu, et je m’en réjouis, la nécessité d’une intervention citoyenne accrue et de référendums plus nombreux. J’y vois une éclatante victoire idéologique des partisans que nous sommes, depuis les débuts de la Ve République, de l’intervention citoyenne. Je salue aussi le représentant des héritiers du parti gaulliste, qui, fidèle à la pratique référendaire, s’est prononcé en faveur de la proposition de loi, preuve qu’elle est capable de rassembler défenseurs de la Ve République et promoteurs d’une autre constitution.

J’entends les réserves que certains ont exprimées. Pourquoi, dès lors, ne pas avoir déposé d’amendements ? Je vous invite à le faire pour la séance publique et nous les examinerons dans un esprit de rassemblement.

Certains disent craindre les abus d’une proposition de loi qu’ils jugent trop timorée. J’avoue avoir du mal à suivre le raisonnement de nos collègues du Rassemblement national.

Le texte propose de créer des droits nouveaux sans en retrancher aucun. Il peut être amélioré. Travaillons-y !

Invoquer le contexte, plutôt que de se prononcer sur le texte, est une attitude regrettable car, alors, jamais personne – puisque nul ne peut prétendre être majoritaire dans cette assemblée – ne s’efforcera d’atteindre la majorité. Or nous avons fait la démonstration, avec la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’IVG et à la contraception, de notre capacité à dépasser nos divergences, dès lors que le fondamental est en jeu. C’est le cas lorsqu’il s’agit des droits du citoyen.

Plusieurs d’entre vous ont expliqué que cette discussion devrait se tenir dans le cadre d’une réforme plus large. Que n’avez-vous fait adopter le texte de 2019, quand vous disposiez d’une majorité absolue ? Vous osez nous reprocher de vouloir remettre l’ouvrage sur le métier, alors que vous n’y avez pas travaillé quand vous aviez la pleine maîtrise du métier à tisser.

De grâce, mettons-nous en marche, avançons ! Il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle et le chemin à parcourir avant son adoption définitive est encore long ; ses dispositions pourront toujours être réintroduites dans une révision plus large.

Il est question d’une commission transpartisane ; est-ce à dire que le projet de 2019 est définitivement caduc ? Nous ne savons rien des objectifs, des modalités, du calendrier, du champ de cette commission. Pourquoi le Parlement devrait-il attendre que l’exécutif l’autorise à engager une réflexion constitutionnelle, alors qu’il peut, et doit, jouer ce rôle, y compris dans le pouvoir constituant que lui reconnaît la Constitution ?

J’ai cru que M. Le Gendre allait appeler à une assemblée constituante, mais il s’est arrêté à temps ! Il a, en tout cas, expliqué qu’il fallait une révision systémique de la Constitution. Nous y sommes aussi favorables mais nous pensons que cette réforme doit se faire avec les citoyens ; nous serions irresponsables de prétendre la mener au débotté, à la faveur d’une niche parlementaire ! Cela ne doit pas nous empêcher d’acter des droits nouveaux, au fur et à mesure que nous trouvons des points d’accord dans cette assemblée.

M. Balanant a pointé le risque d’une concurrence entre citoyens et parlementaires. La logique même du RIP est de les rapprocher, de les réconcilier, les uns proposant, les autres appuyant, et réciproquement. Les parlementaires pourront toujours enjoindre aux citoyens qui leur reprocheraient de ne pas les représenter de trouver un million de signatures, en s’engageant à soutenir leur proposition. Il y a là une manière paisible de combler cette distance, qui peut être, en effet, un poison pour la démocratie – qu’elle soit directe ou représentative. Qu’on ne fasse pas valoir les droits des citoyens, ou ceux des parlementaires, la démocratie est toujours perdante, et c’est la monarchie présidentielle qui y gagne.

Enfin, le groupe RN nous reproche de ne pas proposer le RIC. Le groupe LFI a déposé en 2019 une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer la possibilité de référendums d’initiative citoyenne – nous avons inscrit ses dispositions dans les programmes de l’élection présidentielle et des élections législatives, ayant constaté l’impossibilité de recueillir une majorité de voix, ce qui serait encore le cas aujourd’hui. Je tiens à rappeler que le jour de l’examen de cette proposition de loi constitutionnelle en séance publique, Mme Le Pen était absente de l’hémicycle. Nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Cette proposition de loi constitutionnelle est un premier pas pour redonner confiance aux citoyens et leur faire une place plus importante dans la vie des institutions. Il serait logique que nos collègues de la majorité votent en sa faveur puisqu’une proposition similaire figurait dans le programme d’Emmanuel Macron. Les raisons avancées par l’oratrice du groupe RN pour justifier la position du groupe ne sont pas très claires ; je ne comprends pas que celle-ci-ci s’abstienne sur ce qui constitue un renforcement du pouvoir des citoyens. M. Le Gendre a parlé du druide Mélenchon ; je lui rétorquerai que la potion magique peut avoir des effets utiles et que la Ve République atteignant l’âge d’Agecanonix, il serait temps de la réviser. Je terminerai en citant l’article 28 de la Constitution – celle de 1793 : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures. » Avec ce texte, nous proposons un petit pas vers une VIe République.

M. Gilles Le Gendre (RE). Un mot pour nous réjouir de ce qui nous réunit. Nous sommes d’accord – et ce n’était pas si évident il y a quelques années –, que notre démocratie va mal et que cela exige des réponses fortes. Nous sommes aussi d’accord pour dire que le RIP, en l’état, ne fonctionne pas bien.

Nous aussi avons proposé d’abaisser le seuil, mais en assortissant cette disposition de verrous pour éviter un recours abusif. Je note que vous n’avez pas répondu sur ce point. Nous aurions bien aimé aller jusqu’au bout en 2019, mais il n’aura échappé à personne que certaines contingences ont fortement perturbé le travail du législateur jusqu’en 2021. Enfin, renvoyer le sujet à une commission transpartisane n’est pas un argument de circonstance : c’est sur ce fondement que nos alliés du Modem ont accepté de retirer leur proposition de loi visant à introduire la proportionnelle – un mode de scrutin auquel certains membres de la majorité sont très favorables – et que nous avons refermé le débat sur le cumul des mandats au sein de notre propre groupe.

Nous répondrons volontiers à votre invitation à travailler sur les institutions, mais dans le cadre de cette commission transpartisane. Je ne doute pas que ce débat enrichira ses travaux et parie que nous parviendrons, ensemble, à nos fins.

M. Matthias Tavel, rapporteur. L’impossibilité de déposer une PPL qui viserait à abroger des dispositions adoptées depuis moins d’un an figure déjà dans la Constitution. Vous proposez que cette interdiction concerne les dispositions adoptées depuis moins de trois ans : ce n’est pas rien, mais je ne crois pas que ce soit de nature à justifier un refus. Proposez donc un amendement, je l’examinerai volontiers !

Vous craignez une remise en cause frontale des travaux du Parlement. Dois-je rappeler que c’est le débat sur la modification du statut des aéroports de Paris qui a motivé la proposition de 2019 et qu’à l’époque, l’initiative citoyenne n’était pas possible ? La protection supplémentaire que vous souhaitez apporter n’est donc pas justifiée par le fait d’ouvrir l’initiative aux citoyens ; il fallait alors l’introduire dès 2008 et limiter aussi le pouvoir des parlementaires !

L’éventualité d’une commission transpartisane ne doit pas être une excuse pour ne pas avancer. Vous ne nous en voudrez pas de nous montrer insoumis à cette requête. Puisque nous sommes tous d’accord sur le constat, votons ce texte et, forts de ce premier pas, poursuivons la discussion !

                   Article unique

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi rejeté.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à modifier les conditions de déclenchement du référendum d’initiative partagée (n° 291)

 

 

 

 


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   PERSONNES ENTENDUES

   Mme Carolina Cerda-Guzman, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux

   M. Antonin Gelblat, maître de conférences en droit public à l’université de Rouen

   M. Bastien François, professeur de science politique à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

   M. Jérôme Rodrigues, figure du mouvement des Gilets jaunes

   Mme Alexandra Stoltz-Valette, administratrice de l'État, cheffe du bureau du droit constitutionnel et du droit public général

 

 


([1]) Article 71 de la Constitution italienne.

([2]) Décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, Décision du Conseil des communautés européennes relative à l’élection de l’Assemblée des Communautés au suffrage universel direct (lien).

([3]) Décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique (lien).

([4]) D’où l’acronyme de « CARL » parfois utilisé, pour « constituant, abrogatoire, révocatoire, législatif ».

([5]) Elle-même adoptée par référendum, la Constitution de 1946 prévoyait dans certaines conditions l’intervention d’un référendum pour valider les révisions  constitutionnelles.

([6]) Lois constitutionnelles n° 95-880 du 4 août 1995 et n° 2008-724 du 23 juillet 2008.

([7]) Son usage n’est toutefois pas obligatoire.  

([8])  Encore cette dernière a-t-elle été soumise au référendum sur le fondement de l’article 11 et non pas de l’article 89.

([9]) Décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris (lien).

([10])  Décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, Proposition de loi portant création d’une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises (lien).

([11]) Projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique n° 2203, déposé à l’Assemblée nationale le 29 août 2019 (lien).

([12]) Loi organique n° 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental.

([13]) L’article 4 de l’ordonnance de 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose que « Les règlements de ces deux assemblées fixeront les conditions dans lesquelles des pétitions écrites pourront leur être présentées. ». Pour l’Assemblée nationale, le traitement des pétitions est déterminé par les articles 147 à 151 du Règlement.

([14]) Article 11 du traité sur l’Union européenne.

([15]) Article 227 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

([16])  C’est ce qui ressort de l’enquête Harris Interactive d’octobre 2021 : les deux tiers des abstentionnistes interrogés invoquent « l’absence de choix » ou « d’utilité », 40 % ne se reconnaissent dans un aucun candidat et un tiers sont d’accord avec l’idée que « voter ne sert pas à pas à grand-chose car les responsables politiques ne tiennent pas compte de la volonté des électeurs » (lien).

([17]) L’exemple le plus célèbre est le référendum sur le mariage entre personnes de même sexe.

([18]) Si une élection législative ou présidentielle intervient dans les six mois qui suivent la décision du Conseil constitutionnel, cette période est décalée de manière à commencer au premier jour du deuxième mois suivant cette élection. En cas de dissolution, la période de recueil des soutiens est suspendue.