N° 684

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2023.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à sécuriser l’approvisionnement des Français
en produits de grande consommation (n° 575)

PAR M. FrÉdÉric Descrozaille

Député

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 Voir le numéro : 575.


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SOMMAIRE

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Pages

avant propos

Commentaires d’articles

Article 1er (art. L. 443-9 [nouveau] du code de commerce) Garantir l’application du titre IV du livre IV du code de commerce à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français ainsi qu’affirmer la compétence des tribunaux français en la matière

Article 2  (art. 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020) Prorogation des dispositions relatives au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions

Article 2 bis (nouveau) (art. 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020) Mise en place d’un contrôle annuel qui conditionne la reconduction des mesures relatives à la revalorisation de 10 % du seuil de revente à perte

Article 3  (art. L. 441-4 et L. 442-1 du code du commerce)  Prix applicable en l’absence d’accord entre les parties à l’échéance au 1er mars de la période légale des négociations commerciales

Article 3 bis (nouveau) (art. L. 441-17 et L. 441-18 du code de commerce et art. L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime) Plafonnement et, en cas de crise d’une ampleur exceptionnelle, interdiction des pénalités logistiques

Article 4  (art. L. 441-1-1 du code de commerce)  Attestation du tiers indépendant fournie en amont de la négociation dans le cadre de la troisième option prévue par l’article L. 441-1-1 du code de commerce pour assurer la transparence des négociations commerciales concernant la matière première agricole

Article 5 (nouveau) (art. L. 441‑1‑1, L. 441-1-2 [nouveau] et L. 441‑3‑1 [nouveau]  du code de commerce) Dispositions relatives aux grossistes

Article 6 (nouveau) (art. L. 441‑8 du code de commerce) Exclusion des contrats portant sur certains produits agricoles et alimentaires du champ de l’obligation de comporter une clause de renégociation du prix

Article 7 (nouveau) (L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime) Exclusion dans le cadre des contrats « à terme » de l’obligation faite à l’acheteur de communiquer, avant le premier jour de la livraison des produits, le prix qui sera payé

examen en commission

Liste des personnes auditionnées


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  avant propos

Depuis des décennies, les chaînes de valeur des secteurs de l’alimentation sont caractérisées par un modèle économique qui privilégie la maîtrise de faibles taux de marge appliqués à des flux croissants en volume. Dit autrement, les entreprises de l’alimentaire dégagent un résultat relativement faible, comparativement aux autres secteurs et rapporté à leur chiffre d’affaires, par le jeu de la concurrence qui exerce une forte pression à la baisse sur les prix, les salaires et les marges.

C’est particulièrement le cas de la grande consommation, dont l’accès au marché est conditionné par les acteurs de la grande distribution. L’exercice même du métier de distributeur, consistant notamment à « jongler » sur les positionnements marketing des produits mis en rayon pour attirer le consommateur, le fidéliser et construire son expérience client dans le magasin, se traduit par des promotions agressives conjuguées à quelques cas de fort dégagement de marges, selon les saisons et les événements calendaires. À intervalles réguliers, ce jeu de péréquation du « mix » marketing déstabilise les chaînes de valeur amont, contraintes de subir une pression sur leurs tarifs pour se plier aux conditions de la mise en vente conjuguée des différentes catégories de produits.

De plus, la concurrence féroce que se livrent les distributeurs, dont l’argument maître demeure l’accès aux prix les plus bas, les a conduits à bâtir leurs propres marges sur l’exercice de leur « fonction achat ».

C’est ainsi que le secteur de l’alimentation propose des rémunérations relativement plus faibles que dans bien d’autres secteurs, pour des formations, des expériences professionnelles et des périmètres de responsabilités comparables. Les difficultés que rencontrent les industriels de l’alimentaire dans le recrutement et la fidélisation de leurs salariés sont aujourd’hui inédites, y compris pour des postes de cadres traditionnellement attractifs et à forte valeur dans un parcours professionnel.

Enfin, il est à noter que les Lois Egalim 1 ([1]) et 2 ([2]) se sont avérées efficaces pour soustraire les prix agricoles à cette pression généralisée à la baisse, exercée tout au long des chaînes de valeur : mais les industriels s’en sont retrouvés dans une position intermédiaire durcie, traduite par une baisse substantielle de leur excédent brut d’exploitation (EBE). Selon un récent rapport de l’inspection générale des finances (IGF) présenté au mois de novembre 2022, l’EBE de l’industrie agroalimentaire a baissé de 16 % entre 2019 et le premier semestre 2022, sous l’effet de la hausse des coûts de production.

Dans ce contexte, la présente proposition de loi a pour objet la correction du déséquilibre structurel dans lequel sont placés ces acteurs de l’industrie vis-à-vis de leurs acheteurs. Le terme qui caractérise le plus souvent ce maillon de la « grande consommation » est celui de monopsone : en miroir de la notion de monopole, il désigne la position dominante d’un seul acheteur au contact d’un très grand nombre de fournisseurs. Même lorsqu’il s’agit d’un industriel lui-même dominant sur son secteur à l’échelle internationale, la part de chiffre d’affaires que représente son acheteur est souvent dix fois supérieure à celle que représente son propre produit dans le chiffre d’affaires du distributeur.

Il s’agit donc, pour le législateur, de réunir les conditions dans lesquelles les fournisseurs industriels auront moins de difficultés à transmettre une partie de la hausse des coûts qu’ils affrontent, particulièrement forte depuis fin 2021, dans les tarifs qu’ils négocient avec leurs acheteurs de la distribution.

Les distributeurs étant eux-mêmes confrontés à une hausse de leurs charges et habitués à de faibles taux de marge, il doit être considéré l’impact potentiel sur les prix à la consommation de cette possible hausse, qui doit rester modérée, des tarifs en vigueur entre industriels et distributeurs. Les ménages français étant confrontés à une hausse brutale du coût de la vie, il faut évidemment avoir à l’esprit cette incidence à la hausse sur les prix payés dans les magasins. Mais cette priorité donnée à la lutte contre la hausse des prix ne doit pas faire oublier l’enjeu, à plus long terme, de la santé économique de la première industrie de France : l’industrie agroalimentaire. Il en est attendu des investissements lourds dans les transitions numérique et écologique, ainsi qu’une capacité à mieux rémunérer ses salariés : il faut prévenir les situations de fermeture de lignes de production et de chômage technique, les décisions de report ou d’annulation d’investissements, voire les dépôts de bilan.

La France est un pays que caractérise une plus faible variation qu’ailleurs des prix à la consommation, une plus grande habitude des promotions, une moindre rentabilité des investissements et des capitaux de l’industrie des secteurs de la grande consommation, ainsi qu’une férocité plus redoutable de la négociation commerciale. Il revient au législateur d’agir pour tempérer ces caractéristiques et protéger, à moyen et long terme, l’emploi et les capacités d’investissements de la première de nos industries.


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   Commentaires d’articles

Article 1er
(art. L. 443-9 [nouveau] du code de commerce)
Garantir l’application du titre IV du livre IV du code de commerce à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français ainsi qu’affirmer la compétence des tribunaux français en la matière

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article a pour objet de contrer les stratégies de contournement du droit applicable mis en place par certains grands distributeurs via la constitution de centrales d’achat internationales.

L’article précise que les dispositions du code de commerce relatives aux négociations commerciales s’appliquent, dès lors que les produits ou services concernés sont vendus sur le territoire français. Il s’agit ici d’affirmer le caractère de lois de police de ces dispositions. Concernant la juridiction compétente, l’article précise que les tribunaux français sont compétents, sous réserve de l’application du droit de l’Union européenne ou du droit international.

I.   l’État du droit : les enjeux relatifs à l’application du titre IV DU LIVRE IV DU CODE DE COMMERCE AUX Négociations commerciales impliquant des centrales d’achat internationales

A.   le titre IV du code de commerce : les fondements du cadre juridique visant À garantir l’Équilibre des relations commerciales

Le titre IV du code de commerce dans sa rédaction actuelle est issu en grande partie des modifications apportées par l’ordonnance n° 2019-359 du
24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce ([3]) , ainsi que des modifications introduites par la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite loi « Egalim 2 ». Il porte sur la transparence, les pratiques restrictives et les autres pratiques prohibées. C’est donc ce titre qui prévoit le cadre applicable aux relations commerciales. Les règles fixées par le législateur visent à garantir un équilibre dans les relations commerciales entre professionnels et plus spécialement entre fabricants et distributeurs. Le titre est composé de quatre chapitres, dont les apports principaux sont résumés rapidement ci-après.

1.   Le chapitre préliminaire : la commission d’examen des pratiques commerciales

Le chapitre préliminaire concerne la commission d’examen des pratiques commerciales. Créé par la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, cet organe donne son avis et formule des recommandations sur les questions et pratiques concernant les relations commerciales entre producteurs, fournisseurs et revendeurs, et exerce un rôle d’observatoire des pratiques.

2.   Le chapitre Ier : les règles relatives à la transparence

Le chapitre Ier comporte un ensemble de règles relatives à la transparence dans les relations commerciales.

La section 1 (articles L. 441-1 à L. 441-2) encadre les conditions générales de vente (CGV). Celles-ci comprennent notamment les conditions de règlement, ainsi que les éléments de détermination du prix tels que le barème des prix unitaires et les éventuelles réductions de prix. L’article L. 441-1-1, introduit par l’article 4 de la loi Egalim 2, porte spécifiquement sur les produits alimentaires et produits pour animaux. Cet article renforce la transparence dans le cadre des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sur la part des matières premières agricoles dans le volume et le tarif des produits alimentaires. Tout manquement à l’obligation de communication des conditions générales de vente à un acheteur est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale.

La section 2 comprend les règles relatives à la négociation et la formalisation de la relation commerciale.

Une première sous-section (articles L. 441-3 à L. 441-7) pose l’obligation de conventions écrites. L’article L. 441-3 prévoit qu’une convention écrite est obligatoirement conclue entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services ([4]). Cette convention fixe les obligations réciproques des parties, dans des conditions précisées à l’article. La convention est conclue pour une durée allant d’un à trois ans, au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou services soumis à un cycle de commercialisation spécialisée. À ce régime général s’ajoute un régime de convention propre aux produits de grande consommation (épicerie, liquides, entretien, hygiène par exemple), prévu à l’article L. 441-4 du code de commerce.

Tout manquement à l’obligation de communication des CGV à un acheteur est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 15 000 € pour une personne physique et 75 000 € pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

La sous-section comporte également un article L. 441-7, introduit par la loi Egalim 2, qui encadre la relation entre fabricant et distributeur, dans le cadre de la production des marques de distributeurs (MDD). Une deuxième soussection concerne les clauses de renégociation, renforcées par la loi Egalim 2.

La section 3 porte sur la facturation (article L. 441-9) et les délais de paiement (L. 441-10) et la section 4 sur les pénalités logistiques (articles L. 441‑17 et L. 441-19), ces dernières dispositions ayant été introduites par la loi Egalim 2.

3.   Le chapitre II : les pratiques commerciales déloyales

Le chapitre II porte sur les pratiques commerciales déloyales entre entreprises. La première section concerne les pratiques restrictives de concurrence (articles L. 442-1 à L. 442-8) et la deuxième porte sur d’autres pratiques prohibées (articles L. 442-9 à L. 442-11). Ces dispositions ont pour objectif de favoriser une meilleure répartition de la valeur et un rééquilibrage des relations commerciales, en particulier entre la grande distribution et les filières agroalimentaires ([5]). Les principales pratiques restrictives de concurrence prévues par le chapitre II sont l’avantage sans contrepartie, le déséquilibre significatif (article L. 442-1 I), et la rupture brutale de la relation commerciale (article L. 442‑1 II). Le chapitre II sanctionne également les manquements aux obligations du règlement européen dit « P2B », qui porte sur les services d’intermédiation en ligne ([6]).

Le chapitre prévoit également les sanctions encourues et actions envisageables (articles L. 442-4 et L. 470-1, III du code de commerce). Les pratiques restrictives de concurrence sont passibles d’une amende civile et les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont susceptibles de prendre des mesures d’injonction sous astreinte. Pour ce qui concerne la sanction des pratiques prohibées par les articles L. 442-1, L. 442-2 et L. 442- 3 du code de commerce, le I de l’article L. 442-4 du code de commerce prévoit qu’une action peut être introduite devant la juridiction civile ou commerciale par toute personne justifiant d’un intérêt, le ministère public, le ministre chargé de l’économie et, sous certaines conditions, le Président de l’autorité de la concurrence. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public peuvent demander la cessation des pratiques, la constatation de la nullité des clauses ou contrats illicites, la restitution des avantages indûment obtenus et le prononcé d’une amende civile dont le montant ne peut excéder le plus élevé des trois plafonds suivants : 5 millions d’euros, le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus ou 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

4.   Le chapitre III : les dispositions spécifiques aux produits agricoles et denrées alimentaires

Enfin, le chapitre III regroupe les dispositions spécifiques aux produits agricoles et denrées alimentaires : informations et dispositions relatives aux promotions (article L. 443-1), renforcement de l’encadrement relatif aux rabais et ristournes (article L. 443-2), règles relatives aux bons de commandes (article L. 443‑3), informations relatives à la matière première agricole (article L. 443-4), encadrement des annulations de commande (article L. 443-5), sanctions en cas de non-respect du secret des affaires (article L. 443-6), règles spécifiques à l’obligation de conventionnement annuel, avec notamment la clause de révision automatique des prix en fonction de la variation de la matière première agricole, introduite par la loi Egalim 2 (article L. 443-8).

B.   une stratÉgie de contournement de la loi applicable et du juge compÉtent mise en œuvre par certains acteurs de la grande distribution

Le fonctionnement du commerce et de la grande distribution pose aujourd’hui un certain nombre de questions juridiques quant à l’application des dispositions précitées, dès lors que les négociations commerciales sont conclues en dehors du territoire français.

1.   Une stratégie de contournement du droit français par certains acteurs de la grande distribution

Un certain nombre d’acteurs de la grande distribution effectue une partie des négociations commerciales dans le cadre de centrales d’achats communes avec des acteurs étrangers, situés en dehors de nos frontières. Les centrales internationales ont connu un développement rapide ces dernières années avec des restructurations et des changements d’alliances fréquents.

Les principales centrales d’achat ou de services situées à l’étranger impliquant des distributeurs français

Centrales d’achat :

La centrale d’achat EPIC, dont le siège est situé en Suisse, composée de SYSTEME U, EDEKA (Allemagne), PICNIC (Pays Bas), MIGROS (Suisse), Jeronimo Martins (Portugal) et ICA (Suède).

La centrale d’achat EURECA, dont le siège est situé en Espagne, créée par Carrefour et chargée d’acheter exclusivement pour Carrefour, pour les 6 pays européens dans lesquels l’enseigne est présente (Espagne, Italie, Belgique, Roumanie, France, Pologne). EURECA coexiste avec CWT.

La centrale d’achat EURELEC, dont le siège est situé en Belgique, composée de LECLERC et de REWE (Allemagne).

Centrale de services :

Carrefour World Trade (CWT) : CWT a pour objet de proposer et coordonner des prestations internationales auprès d’une centaine de grands industriels agroalimentaires de dimension internationale. CWT couvre une trentaine de pays sur quatre continents : l’Amérique latine, l’Europe, l’Afrique Moyen-Orient, et l’Asie. CWT a des contrats de partenariat à l’international avec une centaine de grands industriels internationaux agroalimentaires.

Source : DGCCRF, contribution écrite

Ces pratiques avaient été dénoncées par la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs ([7]), comme un moyen de contournement de la loi française. Le rapport notait ainsi qu’avec le développement de la centrale d’achat EURELEC Trading, « il devient possible de s’affranchir de certaines règles françaises (…) en organisant une véritable extraterritorialité. Sur ce point, il y a un risque avéré de non effectivité de certains des principes posés par la loi Egalim ([8]) ». Le rapport mettait également en exergue le risque particulier lié au respect du calendrier des négociations. Selon M. Stéphane de Prunelé, secrétaire général du Mouvement E. Leclerc auditionné dans le cadre de la commission d’enquête : « en France, la négociation est contrainte dans le temps, il y a une date limite qui fait que la négociation se passe entre la réception par le Galec ([9]) des conditions générales du fournisseur et le 28 février, date limite de la négociation. Ce n’est pas le cas dans les autres structures […] ce type de contrainte n’existe pas en Belgique ».

2.   La question du droit applicable

a.   L’action volontariste de la DGCCRF

La DGCCRF s’est saisie de ce sujet et dénonce des pratiques « consistant à délocaliser la négociation commerciale » avec « de fortes dégradations des tarifs sans contrepartie et de nombreuses mesures de rétorsion contre les fournisseurs » ([10]). L’action du ministère sur ce sujet s’est avérée particulièrement volontariste, pour contrer ce phénomène d’évasion juridique et garantir la volonté du législateur.

Comme elle l’a rappelé à votre rapporteur : « La DGCCRF estime que le formalisme contractuel obligatoire prévu par le code de commerce est applicable aux contrats signés par une centrale d’achat installée à l’étranger avec des fournisseurs français dès lors que son objet consiste dans la distribution de produits auprès de consommateurs français. La DGCCRF considère également que les dispositions impératives du code de commerce relatives aux pratiques restrictives de concurrence sont applicables aux centrales d’achat situées à l’étranger, dès lors qu’il existe un lien de rattachement avec la France, consistant par exemple dans le fait que l’exécution des contrats signés a eu lieu en France ».

Plusieurs sanctions, de nature administrative et civile, ont été prononcées ces dernières années pour manquements au formalisme contractuel consécutifs à des pratiques mises en œuvre par des centrales internationales.

La première a visé EURELEC, centrale d’achat de l’enseigne LECLERC située en Belgique. Une amende de 6,34 millions d’euros (M€) a ainsi été prononcée à son encontre le 28 août 2020 pour non-respect de la date butoir du 1er mars dans la signature des conventions conclues avec ses fournisseurs français pour la distribution de leurs produits dans les magasins français à l’enseigne LECLERC.

La seconde sanction a visé Intermarché alimentaire international (ITM AI), au titre des pratiques mises en œuvre par l’intermédiaire d’ITM Belgique et d’AGECORE. Le 7 janvier 2022, une amende administrative de 19,20 M€ lui a été infligée pour n’avoir fait figurer dans les conventions signées en France avec ses fournisseurs français, ni les sommes versées à ITM Belgique et AgeCore en rémunération de services de coopération commerciale rendus en France, ni la description de ces services alors qu’ils étaient pris en compte dans la détermination du prix convenu. Comme la DGCCRF l’a indiqué à votre rapporteur, ITM AI a formé un recours contentieux contre cette sanction devant le tribunal administratif.

Des enseignes de grande distribution alimentaire et une centrale internationale ont été assignées par le ministre chargé de l’économie devant les juridictions civiles pour des pratiques contrevenant au titre IV livre IV du code de commerce.

En 2019, le ministère de l’économie et des finances a assigné devant le tribunal de commerce de Paris EURELEC et trois entités du mouvement Leclerc pour pratiques commerciales abusives (déséquilibre significatif et obtention d’avantages sans contrepartie) commises par la centrale d’achat du mouvement implantée en Belgique, « EURELEC Trading ». Outre le paiement d’une amende de 117,3 millions d’euros, il est demandé à la justice de constater et de faire cesser des pratiques commerciales constitutives d’un « déséquilibre significatif » dans les droits et obligations des parties à un contrat de distribution ([11]).

En 2021, trois sociétés d’INTERMARCHE ont été assignées pour avoir facturé à leurs fournisseurs des services internationaux – via la centrale internationale AGECORE dont INTERMARCHE était membre jusqu’en 2021 – sans que les sommes ne soient assorties de contreparties, ou bien sans qu’elles ne soient proportionnées au regard de la valeur de la contrepartie consentie. Une amende civile de 150,75 millions d’euros a été demandée par le ministre chargé de l’économie pour ces pratiques.

b.   Le juge administratif comme le juge judiciaire ont régulièrement été amenés à considérer que les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce relèvent des lois de police

La jurisprudence civile a déjà retenu que les dispositions du code de commerce relatives à l’interdiction de soumission à un déséquilibre significatif étaient applicables à des opérateurs situés en dehors du territoire français en ce qu’elles revêtaient le caractère de loi de police, dès lors que la relation commerciale a été exécutée en France ([12]).

La notion de loi de police dans les textes européens

L’article 3 du règlement du 17 juin 2008, dit « Rome I », prévoit que le contrat est régi par la loi choisie par les parties. À défaut de choix, le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle (article 4).

Toutefois, l’article 9.1 du règlement prévoit les exceptions applicables à la loi de police, qui « est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement (…). Pour décider si effet doit être donné à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non-application ». En outre, l’article 16 du règlement Rome II ([13]) dispose que : « Les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l’application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l’obligation non contractuelle ».

Dans une récente décision, le tribunal administratif de Paris s’est également appuyé sur la notion de loi de police pour considérer que les dispositions de l’article L441-3 du code de commerce étaient applicables aux contrats conclus par le groupe EURELEC. Le tribunal administratif de Paris a également jugé que les obligations prévues par ce code en matière de formalisme contractuel ne portaient pas atteinte aux libertés (d’établissement, de circulation des marchandises et de prestation de services) protégées par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

 

 

La décision du tribunal administratif de Paris du 23 juin 2022

 

La société EURELEC Trading a demandé l’annulation d’une sanction administrative, prononcée par la DIRECTE d’Île-de-France le 28 août 2020, pour un montant de 6,134 millions d’euros, au titre de 21 manquements relevés par la DGCCRF aux dispositions du code de commerce.

EURELEC Trading a demandé au juge l’annulation de la décision du 28 août 2020 ainsi que l’introduction de questions préjudicielles devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), relatives à la compatibilité de l’application du droit national aux négociations conduites par la société de droit belge EURELEC avec notamment la libre circulation de marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services.

La décision du tribunal administratif de Paris confirme, à ce stade, la conformité de la sanction prise par la DGCCRF. EURELEC Trading a annoncé faire appel, l’affaire devrait donc être examinée prochainement par la cour administrative d’appel de Paris.

 

La décision du tribunal administratif de Paris éclaire donc l’application des dispositions du code de commerce aux contrats conclus en dehors des frontières françaises. Ainsi, se prononçant sur le bien-fondé de la sanction, le juge rejette les arguments d’EURELEC Trading, arguant que les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce ne lui sont pas opposables, dès lors que ces contrats de vente conclus avec ses fournisseurs sont soumis à la loi belge.

Dans son considérant 12, le tribunal administratif de Paris considère ainsi que les dispositions du code de commerce concernées – soit l’article L. 441-3 précité – s’appliquent « en tant que loi de police à toute convention conclue entre un fournisseur et un distributeur ayant pour objet la distribution de produits sur le marché français, sans qu’y fassent obstacle les circonstances que la convention est régie par une autre loi choisie par les parties, a été conclue dans un autre pays ou prévoit également la distribution de produits en dehors du marché français », et que « contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des débats et rapports parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi n° 2005-882 qui a introduit l’article L. 441-7 du code de commerce, désormais codifié à l’article L. 441-3 du même code, et de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 qui a modifié la rédaction de cet article, que l’exigence de conclure en début d’année une convention unique formalisant le résultat de la négociation commerciale entre les parties n’a pas pour objet principal de faciliter les contrôles administratifs, afin de veiller au respect des autres dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce, mais vise à assurer une plus grande transparence de la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs et à prévenir les déséquilibres dans leurs relations contractuelles. Ces dispositions poursuivent ainsi un objectif de défense de l’ordre public économique et permettent, par leur effet dissuasif, un fonctionnement équilibré du marché dans son ensemble. Dans ces conditions, et dès lors qu’il est constant, en l’espèce, que les produits visés par les conventions litigieuses, toutes conclues avec des fournisseurs français, sont destinés au marché français, c’est à bon droit que le DIRECTE d’Île-de-France a opposé à la société requérante les dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce ».

Le tribunal administratif développe également la question de la compatibilité de la sanction infligée avec le droit européen (considérant 20 à 29). Il ressort de l’analyse du juge qu’il n’est pas besoin de saisir la CJUE de questions préjudicielles :

 le juge rejette le motif de non-conformité de la sanction avec les dispositions de l’article 34 du TFUE, qui porte sur la libre circulation des marchandises : le juge indique que les dispositions de l’article L. 441-3 régissent les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs et non les caractéristiques des produits vendus. Celles-ci s’appliquent à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le territoire français et affectent de la même manière, en droit et en fait, la commercialisation des produits nationaux et celles des produits en provenance d’autres État membres ;

 le juge rejette également la méconnaissance du principe de liberté d’établissement prévu à l’article 49 du TFUE, au motif que les dispositions de l’article en cause n’ont ni pour objet, ni pour effet, de limiter la faculté des opérateurs économiques de s’établir sur le territoire d’un autre État membre, mais seulement de régir les relations contractuelles entre fournisseurs et distributeurs ;

 enfin, concernant la libre prestation de services garantie par l’article 56 du TFUE, le juge rappelle que, si l’article s’oppose à toute mesure nationale de nature à prohiber, gêner ou rendre moins attrayant l’exercice par les ressortissants de l’UE de la prestation de services, des restrictions peuvent être prévues dès lors que des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient et que les dispositions en cause sont proportionnées. La jurisprudence de la CJUE citée dans la décision du tribunal permet de considérer que la protection de la loyauté des transactions commerciales et la lutte contre la concurrence déloyale sont au nombre des raisons qui permettent de justifier des restrictions à la libre prestation de services, à condition d’être nécessaires et proportionnées. Ainsi, le juge considère que « les objectifs poursuivis par le législateur national sont justifiés par des raisons impérieuses d’intérêt général, dès lors qu’ils tendent à assurer une transparence des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs et à parvenir à un rééquilibrage de cette relation ».

c.   Le récent arrêt rendu par la CJUE sur l’une des affaires concernant EURELEC reste pour le moment sujet à interprétation

Comme cela a déjà été indiqué, le ministre de l’économie et des finances a assigné EURELEC et trois sociétés du mouvement Leclerc devant le tribunal de commerce de Paris le 19 juillet et 27 septembre 2019 afin que soient reconnues des pratiques restrictives de concurrence. Le ministre a demandé au tribunal de commerce, sur le fondement de l’ancien article L. 4426 du code de commerce (devenu L. 442-1), de prononcer une amende de 117,30 millions d’euros, d’enjoindre les sociétés à cesser les pratiques visées et de prévoir des mesures de publication du jugement.

Dans ce cadre, le ministre a invoqué l’application du règlement « Bruxelles I bis »  1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale pour fonder la compétence des juges français pour poursuivre et sanctionner les déséquilibres significatifs dont EURELEC et les sociétés mises en cause sont à l’origine, quand bien même ces personnes ne sont pas domiciliées sur le territoire français.

 

 

Principes posés dans le règlement « Bruxelles I bis », qui porte sur la compétence des tribunaux

Les règles régissant les conflits de juridictions sont prévues par le règlement (UE) n° 215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit « Bruxelles I bis »). Ce règlement n’est applicable qu’en matière civile et commerciale telle que définie par la Cour de justice de l’Union européenne et donc pas aux sujets qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Le règlement dispose en son article 1er, paragraphe 1 :

« Le règlement (…) s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique ».

L’article 4.1 de ce règlement prévoit que : « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre ».

 

Toutefois des exceptions sont prévues. En particulier, l’article 7 prévoit qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre, dans un certain nombre de cas prévus. C’est notamment le cas, en vertu de l’article 7.2, « en matière délictuelle ou quasi délictuelle », auquel cas, le litige peut être porté « devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». C’est sur fondement que le ministre a cherché à justifier sa compétence et celle du tribunal de commerce dans l’affaire dite « EURELEC ».

Les sociétés mises en cause ont contesté l’applicabilité de ce même règlement en arguant que l’action du ministre ne relèverait pas de la matière civile et commerciale, en raison de prérogatives de puissance publique utilisées dans le cadre de ce dossier (opérations de visite et de saisie) et parce qu’il est la seule partie au litige qui peut demander au juge de prononcer une amende civile d’un montant conséquent.

Alors que le tribunal de commerce avait en première instance considéré que le litige relevait bien du règlement Bruxelles I bis, la cour d’appel a décidé de surseoir à statuer et d’adresser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en ce sens.

La CJUE a rendu sa décision le 22 décembre 2022 et considéré que l’action du ministère ne relevait pas de la matière civile et commerciale au sens de Bruxelles I bis, en raison des prérogatives de puissance publique utilisée.

 

Extrait de l’arrêt de la CJUE rendu le 22 décembre 2022

« Dans ces conditions, en mettant en œuvre l’action en cause au principal, le ministre de l’économie et des finances agit « ʺdans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii)ʺ, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012, de telle sorte que cette action ne relève pas de la notion de ʺ matière civile et commerciale ʺ, visée à ladite disposition, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

« Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la notion de « matière civile et commerciale », au sens de cette disposition, n’inclut pas l’action d’une autorité publique d’un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis dans le premier État membre, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d’agir en justice ou des pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers ».

C’est la première fois en droit français des relations commerciales qu’intervient une décision de la CJUE. À ce stade la procédure, les implications de cette décision restent difficiles à appréhender, comme l’ont confirmé les auditions conduites par votre rapporteur. En particulier, la CJUE renvoie à la juridiction nationale (en l’espèce la cour d’appel de Paris) le soin de trancher le litige de la compétence du juge. Sans préjuger aucunement des suites qui seront données à cette affaire, il pourrait être possible qu’un autre fondement juridique permette de justifier la compétence des tribunaux français.

II.   l’article 1ER de la proposition de loi

L’article 1er de la présente proposition de loi complète le chapitre préliminaire du titre IV du livre IV du code de commerce par un nouvel article L. 4402.

Ce nouvel article dispose que le titre IV du livre IV du code de commerce s’applique à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français. L’article précise que toute clause contraire est réputée non écrite.

Il est également prévu que tout litige portant sur l’application des dispositions du titre relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve de l’application d’une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen ou un traité international ratifié par la France.

Cet article a donc un double objet :

– d’une part, affirmer en droit que les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce ont le caractère de loi de police, en pleine cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation et du juge administratif en la matière ;

– d’autre part, garantir la compétence des tribunaux français pour traiter des litiges en question, sauf en cas de dispositions contraires prévues par le droit européen.

III.   les MODIFICATIONS apportées par la commission

La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE62 de votre rapporteur. Cet amendement réécrit l’article 1er de la proposition de loi afin d’y apporter certaines clarifications et de coordinations par rapport à la version initiale de l’article 1er de la proposition de loi. Il s’agit ainsi de bien préciser les deux objectifs poursuivis par l’article 1er :

– premièrement, affirmer en droit que les dispositions des chapitres I, II et III du livre IV du code de commerce sont d’ordre public. Il s’agit ici notamment d’affirmer le caractère de loi de police au sens du droit européen, en pleine cohérence avec la jurisprudence de la Cour de cassation et du juge administratif en la matière. Avec cette nouvelle rédaction de l’article 1er, le législateur français explicite très clairement sa volonté de voir appliquer les dispositions du code de commerce concernant la transparence, les pratiques restrictives de concurrence et les autres pratiques prohibées à l’ensemble des relations commerciales, dès lors que les produits concernés sont commercialisés sur le territoire français ;

– deuxièmement, sécuriser la compétence des tribunaux français pour traiter des litiges en question, sauf en cas de dispositions contraires prévues par le droit européen ou international.

Notons également que par rapport à la version initiale, la rédaction retenue n’intègre plus le chapitre préliminaire du titre IV, qui comprend les dispositions relatives à la commission d’examen des pratiques commerciales qu’il n’était pas pertinent d’inclure dans le champ de l’article 1er. En outre, on peut également souligner que sur le plan légistique, l’article créé un nouveau chapitre IV dans le titre IV du livre IV du code de commerce.

 

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Article 2
(art. 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020)
Prorogation des dispositions relatives au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article proroge les mesures de majoration du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions concernant les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie introduites par l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018, prise en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim », puis prolongées jusqu’au 15 avril 2023 par la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi « ASAP ».

Un amendement adopté en commission prévoit cette prorogation pour une durée de trois ans.

I.   l’État du droit

A.   les dispositions introduites par l’ordonnance n° 2018-1128, prise en application de l’article 15 de la loi egalim

L’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires, prise sur le fondement de l’article 15 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim », a pour objectif de susciter un mécanisme de transfert de la marge des distributeurs, pour offrir de meilleures conditions d’achat à leurs fournisseurs. Cette ordonnance s’inscrit dans un ensemble de mesures destinées à revaloriser le prix des productions agricoles et alimentaires, en évitant d’en faire des produits d’appel et les variables d’ajustement des prix pratiqués par la grande distribution. Ces dispositions étaient le fruit des conclusions des États généraux de l’alimentation (EGA) de 2017, au sein desquels les acteurs du secteur ont travaillé de manière collective sur la problématique du rééquilibrage des relations commerciales et la création de valeur dans la chaîne agroalimentaire.

À cet effet, l’ordonnance prévoit une expérimentation, initialement applicable pour une durée de deux ans en France métropolitaine, au cours de laquelle le seuil de revente à perte (SRP) est relevé et l’encadrement des promotions en volume et en valeur renforcé.

1.   La majoration du seuil de revente à perte

 

L’article 2 de l’ordonnance précitée a majoré de 10 % le seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, dans le cadre de l’expérimentation initialement prévue pour une durée de 2 ans. Cette expérimentation visait la protection des fournisseurs dans les négociations avec les industriels, pour favoriser in fine la résilience et le développement de l’amont de la chaîne de production via des capacités de rémunération et d’investissement accrues.

 

La définition et l’interdiction du seuil de revente à perte dans le code de commerce

La revente à perte est définie par l’article L. 442-5 du code de commerce comme « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d’annoncer la revente d’un produit en l’état à un prix inférieur à son prix d’achat effectif ». Depuis la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, le prix d’achat effectif est défini comme « le prix unitaire net figurant sur la facture d’achat, minoré du montant de l’ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d’affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport ».

La revente à perte est punie de 75 000 euros d’amende, hormis dans le cas des sept exceptions précisées à l’article L. 442-5 du code de commerce ([14]).

Le seuil de revente à perte peut être modulé, via l’affectation d’un coefficient au prix effectif. Outre l’expérimentation ouverte par l’ordonnance prévue en application de la loi Egalim, le droit prévoit ainsi une minoration de ce seuil pour les grossistes : « Le prix d’achat effectif est affecté d’un coefficient de 0,9 pour le grossiste qui distribue des produits ou services exclusivement à des professionnels qui lui sont indépendants et qui exercent une activité de revendeur au détail, de transformateur ou de prestataire de services final. » (Article L. 442-5 du code de commerce).

2.   L’encadrement des promotions

L’encadrement des promotions, également introduit dans l’expérimentation, poursuit l’objectif de lutte contre la déflation des prix des produits agricoles, dont certains sont vendus à perte comme « produits d’appels » en grande surface. Elle vise par ailleurs à résoudre les problématiques de gaspillage alimentaire ainsi que de complexité de l’information fournie aux consommateurs, induites par les promotions.

L’encadrement des promotions en valeur de certains produits alimentaires a été introduit dans notre droit par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. L’article L. 441-4 du code de commerce dispose ainsi que, concernant les avantages promotionnels auxquels s’engage le fournisseur, « Pour les produits agricoles mentionnés à l’article L. 443-2 [produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture], le lait et les produits laitiers, ces avantages ne peuvent dépasser 30 % de la valeur du barème des prix unitaires, frais de gestion compris ».

L’article 3 de l’ordonnance précitée est venu instaurer un cadre expérimental spécifique pour l’encadrement des promotions des produits alimentaires et de ceux destinés aux animaux de compagnie, avec :

– l’encadrement des promotions en valeur à 34 % du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité équivalente. Ce taux permet aux distributeurs de continuer à pratiquer des offres telles que « deux produits achetés, un produit offert », mais ne permet pas d’offres plus avantageuses ;

– l’encadrement des promotions en volume à 25 %, que les avantages promotionnels soient accordés par le distributeur ou par le fournisseur. L’assiette à laquelle s’applique ce taux est précisée selon les catégories de produits : 25 % du chiffre d’affaires prévisionnel fixé par la convention unique prévue par l’article L. 441-7 du code de commerce (devenu l’article L. 441-4 du code de commerce), 25 % du volume prévisionnel convenu entre le distributeur et le fournisseur pour les produits sous marques de distributeurs (MDD) et 25 % des engagements en volume portant sur des produits périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture. Ces dispositions d’encadrement des promotions ne s’appliquent pas aux produits périssables et menacés d’altération rapide, à condition que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente.

Tout manquement aux obligations nouvelles concernant l’encadrement des promotions est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder, pour une personne physique, 75 000 euros et, pour une personne morale, 375 000 euros ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l’avantage promotionnel. En cas de réitération du manquement, les amendes peuvent être doublées.

À noter que, conformément à ce qui était prévu dans l’article d’habilitation, l’ordonnance prévoit, en son article 4, la remise d’un rapport au Parlement mesurant les effets de l’ordonnance avant le 1er octobre 2020, dont les conclusions sont synthétisées infra ([15]).

Le rehaussement du seuil de revente à perte est entré en vigueur au 1er février 2019 et l’encadrement des promotions au 1er janvier 2019, pour une durée initialement fixée à deux ans.

B.   la prolongation de l’EXPÉRIMENTATION PAR LA LOI relative à diverses dispositions liÉes À la crise sanitaire, À d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union europÉenne, PUIS PAR LA LOI ASAP

1.   Les dispositions de la loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne

L’article 54 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, issue de la reprise de l’article 44 du projet de loi ASAP, dont la poursuite de l’examen avait été reportée dans le contexte de la crise sanitaire, a autorisé le Gouvernement à prolonger par ordonnance l’expérimentation prévue par l’ordonnance résultant de la loi Egalim.

L’article 54 a, plus précisément, habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance, les mesures nécessaires pour :

– prolonger, sur une période ne pouvant excéder quatorze mois, la durée pendant laquelle sont applicables en tout ou partie les dispositions de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 ;

– renforcer le contrôle du respect des dispositions de cette ordonnance ;

– modifier les dispositions relatives à l’encadrement des promotions, dans l’objectif de faciliter la commercialisation de certains produits, notamment pour les denrées alimentaires dont la vente présente un caractère saisonnier marqué et d’établir des conditions de négociation plus favorables pour les fournisseurs et de meilleur équilibre dans les filières alimentaires.

Cette ordonnance n’a pas été publiée, au vu des dispositions finalement votées quelque mois plus tard dans la loi ASAP.

2.   Les dispositions de la loi ASAP

Le projet de loi ASAP comportait initialement les dispositions reprises sous forme d’habilitation dans la loi n° 2020-734 précitée. Alors que cette loi a été promulguée le 17 juin 2020, la navette parlementaire du projet de loi ASAP a repris au mois de septembre 2020. Issu d’un amendement de la majorité voté en séance publique, l’article 125 de la loi ASAP a repris les dispositions de l’ordonnance Egalim en les inscrivant directement en « dur », tout y apportant quelques modifications.

Le I de l’article 125 de la loi ASAP reprend les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance Egalim, relatives au relèvement de 10 % du seuil de revente à perte.

Le II du même article reprend les dispositions de l’article 3 de l’ordonnance Egalim, relatives à l’encadrement en valeur (34 %) et en volume (25 %) des promotions.

L’avant dernier alinéa du II renforce les possibilités de contrôle : les agents de la DGCCRF sont expressément habilités à rechercher les manquements aux dispositions de l’article 125. Le dernier alinéa porte sur les sanctions, tout comme dans l’ordonnance Egalim, les manquements aux obligations du II sont passibles d’une amende qui ne peut excéder, pour une personne physique, 75 000 euros et, pour une personne morale, 375 000 euros ou la moitié des dépenses de publicité effectuée, avec un doublement de l’amende en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

Le III de l’article introduit une nouvelle disposition afin de permettre des dérogations aux règles d’encadrement des promotions en volume pour certains produits saisonniers (C du II) : un arrêté du ministre de l’économie fixe la liste des denrées ou catégories de denrées alimentaires pour lesquelles les dispositions relatives à l’encadrement en volume des promotions prévues au II ne sont pas applicables. La liste des produits concernés est arrêtée en respectant les règles suivantes :

– plus de la moitié des ventes de l’année civile aux consommateurs des denrées ou catégories de denrées alimentaires concernées est, de façon habituelle, concentrée sur une durée n’excédant pas douze semaines au total ;

– cette dérogation fait l’objet d’une demande, motivée et accompagnée de toutes données utiles pour l’appréciation de la saisonnalité des ventes par l’interprofession représentative des denrées ou catégories de denrées concernées, ou lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de denrées ou de catégorie de denrées, par une organisation professionnelle représentant des producteurs ou des fournisseurs des denrées ou catégories de denrées concernées.

Un arrêté ([16]) modifié à plusieurs reprises – liste les produits concernés par ces dérogations. Il s’agit des confiseries de chocolat saisonnières, des produits issus des palmipèdes à foie gras, des champignons sylvestres, en conserve, surgelés ou déshydratés, des escargots et des dindes de Noël, oies, chapons, mini chapons, poulardes et chapons de pintade. La dérogation est prévue, selon la date fixée par l’arrêté, jusqu’au 1er mars 2023.

L’article 125 prévoit la remise d’un rapport au Parlement, avant le 1er octobre 2022, permettant d’évaluer les effets de l’article (voir infra).

Comme le prévoyait déjà l’ordonnance issue de la loi Egalim, l’article 125 de la loi ASAP prévoit, sous condition, qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, puisse suspendre l’application des dispositions. Dans ce cas, l’Assemblée nationale et le Sénat en seraient informés sans délai.

Les dispositions de l’article 125 de la loi ASAP s’appliquent jusqu’au 15 avril 2023. L’article abroge également l’ordonnance issue de la loi Egalim.

3.   Les compléments apportés par l’article 9 de la loi Egalim 2 à l’article 125 de la loi ASAP

Lors des discussions autour de la proposition de loi Egalim 2 ([17]), des ajouts ont été apportés aux dispositions de l’article 125 de la loi ASAP.

En premier lieu, la loi Egalim 2 a introduit un I ter à l’article 125 de la loi ASAP, qui prévoit qu’un arrêté du ministre chargé de l’agriculture peut fixer une liste de fruits et légumes pour lesquels, par dérogation, les dispositions de l’article 125 relative au SRP + 10 ne sont pas applicables. Pour cela, il faut réunir un certain nombre de conditions : (1) l’application du seuil de revente à perte se traduit par une baisse du revenu du producteur agricole en raison de la saisonnalité des produits concernés et de leurs ventes ou de modalités particulières de commercialisation ; (2) la dérogation doit faire l’objet d’une demande, motivée et accompagnée par l’interprofession représentative des denrées ou catégories de denrées concernées ou, lorsqu’il n’existe pas d’interprofession pour ce type de denrées ou de catégorie de denrées, par une organisation professionnelle représentant des producteurs. Le rapport d’application de la loi Egalim 2 indique qu’un tel arrêté n’a pour l’heure pas été pris, « du fait de la résistance d’une des familles de la grande distribution siégeant au sein de l’interprofession ([18]) ».

En deuxième lieu, la loi a exclu du calcul du seuil de revente à perte (SRP), pour les alcools, la part liée aux droits de consommation et à la cotisation « alcool », compte tenu de la forte inflation constatée sur ces produits depuis l’application du relèvement du seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires.

En troisième et dernier lieu, la loi complète les éléments devant figurer dans le rapport du Gouvernement au Parlement devant être remis avant le 1er octobre 2022 pour y inclure des informations sur l’usage par les distributeurs, depuis 2019, du surplus de chiffre d’affaires résultant du relèvement du SRP.

 

Les deux rapports d’évaluation rendus au Parlement

Deux rapports du Gouvernement ont été rendus au Parlement – le premier en septembre 2020 et le second en février 2022 –  sur l’efficacité de l’expérimentation relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions ([19]).

Ces rapports montrent que l’impact inflationniste de ces mesures est globalement faible – plus faible que prévu –  sur les produits alimentaires. Ainsi, « seule une faible part de l’écart d’inflation observé pour les produits alimentaires vendus en grandes et moyennes surfaces entre 2019 et 2018 est attribuable aux mesures. Pour quatre des neuf postes alimentaires constitués pour le rapport et analysés, l’inflation attribuable aux mesures expérimentales est toutefois plus significative. ».

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Les deux rapports ne permettent pas de chiffrer avec certitude la création de valeur dans la chaîne alimentaire et de mesurer précisément la revalorisation du revenu agricole lié à ces mesures, ce qui rend nécessaire une poursuite de l’expérimentation et des analyses qui en seront faites.

En outre, les études montrent qu’en réaction à l’encadrement des promotions en volume et en valeur, on assiste depuis 2019 à l’émergence de nouveaux outils promotionnels, telles que des informations commerciales de vente, des réductions de prix non chiffrées (prix chocs), ainsi qu’une intensification des promotions dans d’autres rayons tel que le secteur de la droguerie-parfumerie-hygiène.

Le dernier rapport en date appelle à la poursuite des travaux afin de conforter l’évaluation des impacts de la loi. Des études ultérieures permettraient « d’étudier précisément la significativité statistique des résultats d’inflation générés par la loi », en se concentrant notamment sur des produits particuliers (« au-delà des semi-agrégats étudiés dans ce rapport ») et en calculant leurs élasticités-prix.

II.   l’article 2 de la proposition de loi

L’article 2 abroge le VIII de l’article 125 de la loi ASAP, qui fixe au 15 avril 2023 la date d’expiration des mesures de majoration du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions. La prolongation de ces mesures s’inscrit dans une volonté claire et forte de votre rapporteur de protéger et d’encourager la création de valeur au sein de la chaîne de production agroalimentaire française.

La durée de la prolongation des mesures visées à cet article reste à définir par voie d’amendement. En effet, votre rapporteur considère qu’il est pertinent de renouveler l’expérimentation. Si celle-ci est entrée en vigueur au début de l’année 2019, la situation conjoncturelle a été rapidement marquée par des évènements exceptionnels (crise sanitaire, puis guerre en Ukraine), qui ont compliqué l’analyse des effets de l’expérimentation et rendent nécessaires sa prolongation pour mieux en mesurer l’impact.

Notons que si les rapports du Gouvernement au Parlement ne permettent pas d’établir précisément que ces mesures ont permis une revalorisation du prix d’achat à l’amont, de nombreux acteurs entendus par votre rapporteur considèrent que ces mesures ont été globalement utiles et souhaitent leur prorogation. Ainsi, à titre d’exemple, pour Coop de France « le relèvement du seuil de revente à perte a néanmoins eu le mérite de limiter la guerre des prix entre distributeurs sur des produits stratégiques dits " d’appels " en ne permettant plus aux distributeurs de vendre à " prix coûtant ". Quant aux promotions, celles-ci ont permis, toujours d’après Coop de France, de « mettre un terme à l’inflation promotionnelle constatée pendant les EGA et dénoncée par l’ensemble des organisations de producteurs et de transformateurs. Ce dispositif, bien ancré désormais dans les processus de négociation, a porté ses fruits sur les produits concernés en mettant un frein aux plans promotionnels démesurés ». 80 % des adhérents de l’ILEC (Institut de liaison et d’études des industries de consommation) sont attachés au maintien du SRP + 10, « persuadés qu’en son absence, les demandes et les attentes des enseignes seraient plus agressives, afin de tenter de compenser ce qui constituerait un " manque à gagner " ». Pour ce qui concerne l’encadrement promotionnel, il s’agit d’une disposition soutenue par l’écrasante majorité des fédérations représentatives des industriels concernés.

III.   les MODIFICATIONS apportées par la commission

La commission a adopté l’amendement CE63 de votre rapporteur, qui proroge l’expérimentation jusqu’au 15 avril 2026.

Votre rapporteur considère en effet que l’entrée en vigueur de l’expérimentation au début de l’année 2019, a été suivie une période marquée par des évènements exceptionnels (crise sanitaire, puis guerre en Ukraine), qui ont compliqué l’analyse de ses effets et rendent nécessaires sa prolongation pour mieux en mesurer l’impact. La prolongation de ces mesures s’inscrit dans une volonté claire et forte de votre rapporteur de protéger et d’encourager la création de valeur au sein de la chaîne de production agroalimentaire française.

 

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Article 2 bis (nouveau)
(art. 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020)
Mise en place d’un contrôle annuel qui conditionne la reconduction des mesures relatives à la revalorisation de 10 % du seuil de revente à perte

Introduit par la commission

I.   les modifications apportées par la commission

La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE33 de M. Potier (Soc).

Le nouvel article 2 bis issu de cet amendement insère un nouveau paragraphe à l’article 125 de la loi ASAP, afin d’indiquer que les dispositions relatives au seuil de revente à perte majoré (SRP + 10) sont reconductibles, sous réserve d’un contrôle annuel démontrant que la valeur qui en est issu est répartie équitablement entre les différents acteurs de la filière.

 

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Article 3
(art. L. 441-4 et L. 442-1 du code du commerce)
Prix applicable en l’absence d’accord entre les parties à l’échéance au 1er mars de la période légale des négociations commerciales

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article prévoit qu’en l’absence d’accord entre fournisseurs et distributeurs au terme légal des négociations commerciales annuelles (1er mars), toute commande effectuée par le distributeur s’effectue sur la base du tarif et des conditions générales de vente communiqués par le fournisseur au plus tard le 1er décembre précédent la date « butoir ».

La commission a réécrit cet article pour prévoir une période transitoire de négociations d’une durée d’un mois, sous l’égide du médiateur, pour s’entendre sur les termes d’un préavis de rupture commerciale ou d’un nouveau contrat permettant la poursuite de la relation. Au cours de cette période de transition, la convention échue est prolongée. En cas d’échec de cette procédure, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base des conditions générales de vente en vigueur (c’est-à-dire adressées au distributeur au début de la période de négociation, au plus tard le 1er décembre), y compris le barème des prix unitaires. L’article précise, par ailleurs, qu’engage la responsabilité de la partie qui s’en rend responsable le fait de ne pas avoir mené des négociations de bonne foi dans le cadre de l’article L. 441‑4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir du 1er mars prévue par ledit article ou à l’échéance de la durée d’un mois visée audit article.

I.   L’état du droit

A.   L’article L. 441-3 du code de commerce ne précise pas ce qu’il advient de la relation commerciale en cas d’absence, au 1er mars, d’une convention écrite entre le fournisseur et le distributeur.

L’article L. 441-3 du code de commerce formalise la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs. Il dispose qu’une convention écrite est conclue entre le distributeur et le fournisseur au plus tard le 1er mars de l’année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier.

Cette convention est établie soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat-cadre et des contrats d’application.

La convention fixe :

1° les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix, et le cas échéant les types de situation dans lesquelles et les modalités selon lesquelles des conditions dérogatoires de l’opération de vente sont susceptibles d’être appliquées ;

2° les services de coopération commerciale, propres à favoriser la commercialisation des produits ou services du fournisseur, que le distributeur ou le prestataire de service lui rend, ne relevant pas des obligations d’achat et de vente, en précisant l’objet, la date prévue, les modalités d’exécution, la rémunération de ces services ainsi que les produits ou services auxquels ils se rapportent et la rémunération globale afférente à l’ensemble de ces obligations ;

3° les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services, en précisant pour chacune l’objet, la date prévue et les modalités d’exécution, ainsi que la rémunération ou la réduction de prix globale afférente à l’ensemble de ces obligations.

4° l’objet, la date, les modalités d’exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d’un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié.

Le fournisseur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente (CGV) au distributeur dans un délai raisonnable avant le 1er mars ou, pour les produits ou services soumis à un cycle de commercialisation particulier, avant le point de départ de la période de commercialisation.

Les dispositions de l’article L. 441-4 du code de commerce complètent et précisent celles de l’article L. 441-3 en ce qui concerne les produits de grande consommation définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation. L’article L. 441-4 précise que les conditions générales de vente doivent être communiquées au distributeur par le fournisseur au plus tard trois mois avant le 1er mars ou, pour les produits soumis à un cycle de commercialisation particulier, deux mois avant le point de départ de la période de commercialisation.

Aucune disposition du code de commerce ne dispose explicitement que la relation commerciale est rompue en cas de non-accord au 1er mars, ni ne définit les conditions de son éventuelle poursuite.

Aux termes de l’article L. 441-6 du même code, tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 et L. 441-4 du code de commerce est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est porté à 150 000 € pour une personne physique et 750 000 € pour une personne morale en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive.

B.   La poursuite, dans les faits, de la relation commerciale dans des conditions défavorables au fournisseur exige une clarification du législateur

La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC), dans son avis n° 10-15 sur l’application de la LME à certaines relations fournisseurs/distributeurs décrit clairement la situation qui survient en cas de non-accord au 1er mars entre le fournisseur et le distributeur, qui se traduit dans de nombreux cas par une poursuite de la relation commerciale dans des conditions défavorables au fournisseur : « Lorsque aucun accord n’a été trouvé à l’issue des négociations commerciales annuelles, il arrive pourtant que des distributeurs passent commande. Ils sont alors livrés et facturés au nouveau tarif qu’ils ont refusé, mais déduisent de leur règlement l’écart entre le nouveau tarif et l’ancien ».

La CEPC déplore cette situation de fait et considère, quant à elle, que la relation commerciale doit être considérée comme inexistante – en conséquence, aucune commande ne devrait être passée, ni aucune livraison effectuée : « En l’absence de convention et d’accord sur le prix, aucun contrat de vente ne peut se former. Le distributeur ne devrait pas passer commande ; s’il le fait, le fournisseur ne devrait pas le livrer. Si une commande est néanmoins passée et livrée, il appartiendrait au juge de déterminer, en fonction des circonstances propres à chaque cas, à quelles conditions la vente a été conclue. Il pourra ainsi estimer que, si une contre-proposition a été formulée, elle est réputée acceptée si l’autre partie lui a donné suite (en ce sens : CA Paris 11 mars 1999). Il pourra également rechercher dans des éléments de fait la survivance de conditions contractuelles antérieures. » ([20]).

L’article L. 442-1 du code de commerce, en revanche, proscrit la rupture brutale, même partielle, d’une relation commerciale établie et crée, en la matière, une certaine confusion. Elle est considérée comme survenant en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Une clarification du législateur serait donc bienvenue, à l’heure où ces conflits sont portés devant le juge ou le Médiateur des relations commerciales agricoles.

II.   l’article 3 de la proposition de loi

L’article 3 de la proposition de loi complète le IV de l’article L. 441‑3 du code de commerce pour préciser qu’en cas d’absence d’accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente (CGV) en vigueur.

Le tarif et les CGV en vigueur doivent être entendus comme ceux communiqués annuellement par le fournisseur au distributeur au plus tard le 1er décembre pour ce qui concerne les produits alimentaires et les produits de grande consommation, conformément à l’article L. 441-4 du code de commerce.

III.   LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR LA COMMISSION

La commission a adopté un amendement CE65 du rapporteur réécrivant entièrement l’article 3.

Le dispositif adopté prévoit, en cas d’absence de signature d’une convention au 1er mars, que les fournisseurs et les distributeurs disposent d’une période de transition d’un mois pour, sous l’égide du médiateur, pour s’entendre sur les termes d’un préavis de rupture commerciale ou d’un nouveau contrat permettant la poursuite de la relation. Au cours de cette période de transition, la convention échue est prolongée. À défaut de la conclusion de la convention écrite ou de l’accord fixant les conditions d’un préavis à l’expiration de ce délai d’un mois, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base des conditions générales de vente en vigueur (c’est-à-dire adressées au distributeur au début de la période de négociation, au plus tard le 1er décembre), y compris le barème des prix unitaires.

L’amendement précise, par ailleurs, qu’engage la responsabilité de la partie qui s’en rend responsable le fait de ne pas avoir mené des négociations de bonne foi dans le cadre de l’article L. 441‑4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue par ledit article ou à l’échéance de la durée d’un mois visée audit article.

 

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Article 3 bis (nouveau)
(art. L. 441-17 et L. 441-18 du code de commerce et art. L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime)
Plafonnement et, en cas de crise d’une ampleur exceptionnelle, interdiction des pénalités logistiques

Introduit par la commission

 

L’article 3 bis dispose que les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur ne peuvent être supérieures à 2 % de la valeur des produits commandés. Aucune pénalité ne peut être infligée par le distributeur au fournisseur lorsque le taux de service se trouve être égal ou supérieur à 99 % pour les promotions et à 98,5 % pour les produits hors promotion.

Le Gouvernement peut, en cas de crise d’une ampleur exceptionnelle affectant gravement la chaîne d’approvisionnement, suspendre l’application des pénalités logistiques prévues par les contrats conclus en application du présent titre, par décret en Conseil d’État, pour une durée qui ne peut excéder six mois

La commission a adopté deux amendements CE45 et CE41 de M. Richard Ramos modifiant l’encadrement des pénalités logistiques qui peuvent être infligées aux fournisseurs par le distributeur en cas d’inexécution d’engagements contractuels.

L’amendement CE45 modifie les articles L. 441-17 et L. 441-18 du code de commerce, ainsi que l’article L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime pour préciser que les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur ne peuvent être supérieures à 2 % de la valeur de la ligne des produits commandés et qu’aucune pénalité ne peut être infligée par le distributeur au fournisseur lorsque l’état de service se trouve être égal ou supérieur à 99 % pour les promotions et à 98,5 % pour les produits hors promotion.

L’amendement CE41 complète l’article L. 441-17 du code de commerce par un alinéa qui précise que le Gouvernement peut, en cas de crise d’une ampleur exceptionnelle affectant gravement la chaîne d’approvisionnement, suspendre l’application des pénalités logistiques prévues par les contrats conclus en application du présent titre, par décret en Conseil d’État, pour une durée qui ne peut excéder six mois.

 

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Article 4
(art. L. 441-1-1 du code de commerce)
Attestation du tiers indépendant fournie en amont de la négociation dans le cadre de la troisième option prévue par l’article L. 441-1-1 du code de commerce pour assurer la transparence des négociations commerciales concernant la matière première agricole

Adopté par la commission avec modifications

Le présent article prévoit que l’attestation fournie par le tiers indépendant dans le cadre de la « troisième option » prévue à l’article L. 441-1-1 du code de commerce pour assurer la transparence sur la matière première agricole (MPA) est fournie dans le mois qui suit l’envoi des conditions générales de vente. Dans le cadre de cette option, une seconde attestation est fournie par le tiers indépendant portant sur le respect du II de l’article L. 443‑8 du code de commerce qui impose que la négociation ne porte pas sur la part de l’évolution du tarif résultant de la variation de la MPA.

La commission a adopté un amendement du rapporteur rétablissant la dernière phrase du premier alinéa du 3° de l’article L. 441‑1-1 du code de commerce, involontairement supprimée par la rédaction initiale de l’article 4.

I.   l’état du droit

L’article 4 de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs a créé au sein du code de commerce un nouvel article L. 441-1-1 du code de commerce consacrant la non-négociabilité de la matière première agricole (MPA). Dans cet objectif, l’article renforce la transparence dans le cadre des négociations commerciales entre fournisseurs et distributeurs sur la part des matières premières agricoles dans le volume et le tarif des produits alimentaires.

Ces informations doivent figurer dans les conditions générales de vente (CGV) sous la forme d’une des trois options suivantes, sur décision exclusive du fournisseur :

 soit en indiquant, pour chacun des produits transformés, le pourcentage de chaque matière première en volume et en pourcentage du tarif (option 1) ;

– soit en indiquant ces mêmes informations de manière agrégée pour chaque produit transformé (option 2) ;

– soit en faisant intervenir un tiers indépendant aux frais du fournisseur pour certifier que la négociation n’a pas porté sur la part de l’évolution du tarif du fournisseur résultant du prix des matières premières agricoles. Dans ce cas, le fournisseur transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette certification. Cette certification est fournie dans le mois qui suit la conclusion du contrat (option 3).

Dans le cadre des deux premières options, l’acheteur peut, à ses frais, demander au fournisseur de mandater un tiers indépendant pour attester l’exactitude des éléments figurant dans les CGV.

Dans le cadre des négociations commerciales qui se sont déroulées du 1er décembre 2021 au 1er mars 2022, l’option 3 a été très largement choisie par les fournisseurs. Sa mise en œuvre s’est heurtée à plusieurs difficultés que souligne le Médiateur des relations commerciales dans le cadre de la présentation des négociations commerciales le 9 juin 2022 ([21]) :

« Toutefois, la part très majoritaire des entreprises ayant choisi l’option 3 et l’insatisfaction générale sur le peu de transparence que permettait cette option sur les surcoûts à prendre en compte, montre que sans adaptation de cette option les difficultés rencontrées en 2022 persisteront en 2023 (…) Les médiations engagées en option 3 en 2022 se sont souvent enlisées et n’ont pu être débloquées que lorsque les fournisseurs ont accepté de justifier plus précisément les hausses de MPA en cours de négociation, voire de les faire certifier dès le mois de février avant le terme des négociations fixé au 1er mars. La principale recommandation serait donc de modifier le mode d’application de l’option 3 de manière à faire certifier l’impact des hausses de MPA dans le tarif avant la négociation et non pas après ».

II.   L’article 4 de la proposition de loi

L’article 4 de la proposition de loi modifie l’article L. 441‑1‑1 du code de commerce pour prévoir que, dans le cadre de la « troisième option », une attestation du tiers indépendant confirme dans le mois qui suit l’envoi des CGV que l’évolution de la part du tarif du fournisseur qui y est indiquée est exacte. Cette intervention est effectuée aux frais du fournisseur qui transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette attestation.

Une seconde attestation est ensuite fournie par le tiers indépendant portant sur le respect du II de l’article L. 443‑8 du code de commerce qui consacre la non-négociabilité de la matière première agricole.

III.   Les modifications apportées par la commission

La commission a adopté un amendement CE61 du rapporteur afin de rétablir la dernière phrase du premier alinéa du 3° de l’article L. 441‑1-1 du code de commerce, involontairement supprimée par la rédaction initiale de l’article 4.

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Article 5 (nouveau)
(art. L. 441‑1‑1, L. 441-1-2 [nouveau] et L. 441‑3‑1 [nouveau]  du code de commerce)
Dispositions relatives aux grossistes

Introduit par la commission

 

L’article 5 vise à rapprocher et à présenter de manière plus cohérente dans le code de commerce les dispositions applicables aux grossistes.

L’article 5 regroupe, au sein des articles L. 441-1-2 et L. 441-3-1 du code de commerce, les dispositions existantes relatives aux relations commerciales des grossistes. Ces derniers relèvent du régime général fixé aux L. 441-1 et L.441-3 et bénéficient de dérogations, inscrites dans plusieurs articles du code de commerce (dans les articles L. 441-4, L. 441-1-1 et L.443-8) compte tenu de la spécificité de leur activité.

Le I de l’article 5, qui crée un article L. 441‑1‑2 du code de commerce, reprend la définition des grossistes actuellement inscrite au sein de l’article L. 441‑4 et les dispositions spécifiques aux grossistes concernant les conditions générales de vente figurant à l’article L. 441-1.

Le II reprend les dispositions relatives à la convention unique mentionnés à l’article L.441-3.

Les III et IV procèdent à des coordinations.

 

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Article 6 (nouveau)
(art. L. 441‑8 du code de commerce)
Exclusion des contrats portant sur certains produits agricoles et alimentaires du champ de l’obligation de comporter une clause de renégociation du prix

Introduit par la commission

 

L’article 6 prévoit la possibilité, pour les contrats portant sur certains produits agricoles ou alimentaires dont la liste est fixée par décret, de déroger à l’obligation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce imposant de comporter une clause de renégociation du prix.

L’article 6 vise à exclure certains produits agricoles et alimentaires dont la liste est fixée par décret de l’obligation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce, pour tous les contrats d’une durée d’exécution supérieure à trois mois portant sur la vente des produits agricoles et alimentaires dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l’énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages de comporter une clause relative aux modalités de renégociation du prix permettant de prendre en compte ces fluctuations à la hausse comme à la baisse.

La clause de renégociation du prix peut, en effet, s’avérer contreproductive notamment pour les produits vendus dans le cadre de contrats dits « à terme », largement utilisés dans le secteur des céréales. Ces contrats reposent sur la fixation d’un prix définitif à une date donnée, en vue d’une livraison postérieure, qui peut intervenir plusieurs mois après, afin de limiter le risque lié à la fluctuation du cours du produit. La vente « à terme » permet ainsi de protéger le vendeur des fluctuations du cours du marché entre la date de conclusion du contrat et la livraison du produit. L’objectif poursuivi dans un contrat de vente « à terme » exclut donc nécessairement toute renégociation du prix fixé.

 

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Article 7 (nouveau)
(L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime)
Exclusion dans le cadre des contrats « à terme » de l’obligation faite à l’acheteur de communiquer, avant le premier jour de la livraison des produits, le prix qui sera payé

Introduit par la commission

 

L’article 7 corrige une erreur matérielle à l’article L. 631-24 et complète ce même article pour prévoir une dérogation, pour les contrats agricoles de vente dite « à terme », dont le prix est définitivement fixé dès la signature de contrat, à l’obligation pour l’acheteur de communiquer au producteur, avant le premier jour de la livraison des produits concernés, de manière lisible et compréhensible, le prix qui sera payé.

L’article 7 corrige une erreur matérielle figurant à la première phrase du deuxième alinéa du II de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime.

Il permet, en outre, pour les contrats de vente agricole dits « à terme » de déroger à l’obligation pour l’acheteur de communiquer au producteur et à l’organisation de producteurs ou à l’association d’organisations de producteurs, avant le premier jour de la livraison des produits concernés par le contrat, de manière lisible et compréhensible, le prix qui sera payé. Ces contrats sont, en effet, caractérisé par la fixation d’un prix définitif à une date donnée, en vue d’une livraison postérieure, afin de limiter le risque lié à la fluctuation du cours du produit. La vente « à terme » permet ainsi de protéger le vendeur des fluctuations du cours du marché entre la date de conclusion du contrat et celle de livraison du produit.


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   examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 11 janvier 2023, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à sécuriser l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation (n° 575) (M. Frédéric Descrozaille, rapporteur).

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous examinons cette proposition de loi que certains qualifient, un peu abusivement peut-être, de « loi Egalim 3 », faisant référence à la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. Le texte revient en effet sur des sujets longuement discutés par notre commission lors de la législature précédente : centrales d’achat, seuils de revente à perte (SRP) ou encadrement des négociations commerciales entre industriels et distributeurs.

Cette proposition de loi répond de façon opportune à une actualité caractérisée par une poussée inflationniste, qui se fait particulièrement sentir pour les denrées alimentaires. De plus, son examen intervient alors que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 22 décembre 2022, un arrêt largement commenté sur les juridictions compétentes pour connaître des litiges relatifs aux centrales d’achat.

Le rapporteur n’a pas souhaité revoir l’ensemble des dispositifs adoptés en matière de négociations commerciales au cours des dernières années, préférant se concentrer sur certains points particulièrement problématiques.

Enfin, sur les soixante-cinq amendements déposés, deux ont été retirés par leurs auteurs et huit ont été déclarés comme étant des cavaliers législatifs. À cet égard, j’ai adopté une approche plutôt large du lien indirect supposé exister entre les amendements et les dispositions du texte examiné. Ainsi, j’ai retenu les amendements portant sur les pénalités logistiques, considérant que ce sujet ne pouvait être dissocié de celui des négociations commerciales. De la même manière, j’ai accepté les amendements ayant trait à toutes les négociations commerciales, qu’elles impliquent industriels et distributeurs, ou qu’elles soient menées par les producteurs agricoles. Il reste donc cinquante-cinq amendements à examiner.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Le nombre raisonnable des amendements représente une bonne nouvelle, dont je vous remercie. Nous avons en général la fâcheuse habitude d’amender trop lourdement des textes longs, mais nous aurons cette fois le temps de débattre du fond.

Par ailleurs, je remercie le président d’avoir fait le choix d’une certaine latitude en ce qui concerne la recevabilité des amendements. Cette approche permet elle aussi de privilégier le débat.

Je commencerai par évoquer le contexte économique dans lequel s’inscrit cette initiative, sans me limiter aux aspects conjoncturels et en prenant un peu de recul. Depuis les années 1980 et la mise en place du système monétaire international actuel, notre économie est marquée par un phénomène de financiarisation. Par conséquent, il est devenu plus rentable de financer ou de refinancer un emprunt que d’investir dans une usine. Cette proposition de loi vise à recréer de la valeur dans des chaînes de valeur productives qui en détruisent.

La financiarisation de l’économie a un impact direct sur la rentabilité des investissements, et l’on observe à ce titre un écart entre le marché de la finance – marchés des changes, des produits financiers et dérivés – et celui de l’économie réelle. À cet égard, la durée moyenne de détention d’une action, qui a chuté depuis les années 1980 pour devenir inférieure à un an dans les années 2000, constitue un indicateur intéressant. Nous nous préoccupons ici de l’argent placé dans des capitaux qui permettent de produire et de distribuer en France.

J’en viens aux spécificités de la grande consommation française, en particulier de la filière alimentaire. Elle est d’abord caractérisée par une rentabilité particulièrement faible des capitaux, inférieure à ce qu’elle est dans les autres pays, puisqu’elle se situe entre 2 et 4 % alors que, dans la finance, elle dépasse 10 % et peut parfois atteindre 15 %.

Par ailleurs, nos chaînes de valeur sont plus efficaces qu’ailleurs dans le monde pour absorber la volatilité des cours en amont, particulièrement dans le domaine de l’alimentaire. Nous connaissons donc une plus grande stabilité des prix, la baisse et la hausse des coûts de production de l’industrie se répercutant moins sur la consommation.

En outre, la grande consommation française est caractérisée par une plus grande habitude des promotions.

Enfin, la dureté et la férocité de la négociation commerciale en France sont de renommée internationale. Il nous faudra garder à l’esprit ces spécificités.

La grande consommation française évoque l’image d’un sablier. En haut, on trouve 330 000 exploitations agricoles et, juste en dessous, quelques dizaines de milliers d’entreprises qui transforment, conditionnent et livrent. La partie pincée du milieu, le diaphragme, contient six acheteurs. Enfin, 60 millions de consommateurs occupent la partie basse. L’étape achat des grandes et moyennes surfaces (GMS), représentée par l’étranglement du sablier, peut entraîner une destruction de valeur.

La proposition de loi ne s’oppose pas au modèle économique de la grande distribution, qui reste une courroie de transmission très efficace des gains de productivité réalisés en amont au bénéfice des consommateurs, qui ont accès à des produits moins chers. Dans l’histoire récente, nous avons tous largement bénéficié de ce modèle qui a inspiré de nombreux pays à travers le monde.

Cependant, la grande distribution impose ce modèle économique à ses fournisseurs par le pouvoir qu’elle détient dans l’exercice de sa fonction achat, en appliquant de faibles taux de marge sur des flux croissants en volume. Ce modèle a un impact sur la rentabilité des capitaux et sur la capacité des entreprises qui produisent, fournissent et innovent. La force de ce modèle économique peut donc conduire à détruire de la valeur.

En ce qui concerne les faibles taux de marge, qui sont compris entre 1 et 2 %, il faut garder à l’esprit qu’ils s’appliquent de façon globale puisque le métier de distributeur consiste à maîtriser le mix marketing. En effet, comme dans tous les métiers du commerce, il s’agit de jongler entre des positionnements de produits différents. Si les promotions ne font pas gagner d’argent au distributeur et peuvent détruire de la valeur, elles permettent aussi de dégager des marges et d’obtenir un résultat global positif sur l’ensemble du magasin en attirant les clients, en construisant leur expérience client dans le magasin et en les fidélisant, notamment grâce à des tickets remis en caisse.

Ce métier de péréquation entre différents positionnements marketing produit des effets sur chacune des filières d’approvisionnement et cet impact fera l’objet de nos discussions, notamment lorsque nous évoquerons le dispositif d’encadrement des promotions que je propose de prolonger, afin qu’il n’y soit pas mis fin le 15 avril prochain.

Par ailleurs, dans la négociation commerciale, le rapport de force est structurellement défavorable au fournisseur et favorable à l’acheteur, en raison de sa position de monopsone. Dans le cas du monopole, le vendeur se trouve seul devant une multitude d’acheteurs et libre quant au prix qu’il fixe. Cette situation est proscrite mais on ne se penche pas assez sur celle du monopsone, dans laquelle l’acheteur se trouve seul devant de nombreux fournisseurs. Nous présumons qu’elle est utile puisque l’acheteur obtient des fournisseurs un dernier effort utile pour maintenir l’accès au marché, qui bénéficie au consommateur. Cependant, l’exercice de ce pouvoir économique peut représenter un facteur de destruction de valeur.

L’efficacité des dispositions de la loi Egalim est avérée puisqu’elles protègent les prix agricoles et les soustraient à la pression à la baisse exercée par la fonction achat. Ainsi, selon un rapport publié par Bercy en novembre sur l’inflation des produits alimentaires, l’excédent brut d’exploitation (EBE) agricole a augmenté de 12 % en 2022. Dans le même temps, l’EBE de l’industrie agroalimentaire a chuté de 16 % quand celui de la grande distribution est resté à peu près stable.

Nous l’avions déjà évoqué lors des débats portant sur la loi Egalim 2 : nous avons placé l’industrie alimentaire entre le marteau et l’enclume. En effet, elle ne peut plus jouer sur les coûts de la matière première agricole, qui ont été sanctuarisés, mais elle reste soumise au pouvoir de négociation de l’acheteur.

Je rappelle que les prix sur les matières premières industrielles ont flambé fin 2021 en raison de la hausse des prix des emballages, impactant la négociation commerciale annuelle. La guerre en Ukraine a commencé à la fin du mois de février 2022, tandis que la négociation approchait de son terme. La hausse des prix dans l’alimentation ayant été constatée et subie par les acteurs après cette négociation, elle a fait l’objet de clauses de révision, mais qui n’ont pas été bien conçues.

Aujourd’hui, la négociation pour 2023 bat son plein et semble tendue, notamment parce que les industriels tentent de compenser ce que leur a coûté l’année 2022, dans le cadre d’un rapport de force qui leur est défavorable.

Nous sommes engagés dans une lutte contre la hausse des prix et du coût de la vie, mais le débat politique doit porter sur l’équilibre entre cette lutte et le soin que nous devons apporter aux conditions permettant aux entreprises de mieux rémunérer leurs salariés. Tout n’est pas lié au ticket de caisse et aux prix ; la question des salaires et de l’emploi reste déterminante à moyen comme à long terme. Ainsi, je n’oublie pas que des lignes de production pourraient fermer, que le chômage technique pourrait sévir, que des décisions d’investissement pourraient être reportées, voire annulées, que des bilans pourraient être déposés. Les 450 000 emplois et les salaires de la première industrie de France sont en jeu et cette industrie rencontre déjà des difficultés inédites en matière de recrutement, y compris en ce qui concerne des postes de cadre, traditionnellement attractifs et valorisés au sein des parcours professionnels.

J’en viens à la présentation des quatre articles du texte. Le premier porte sur la loi applicable et vise à rappeler que les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce ont caractère de lois de police. Elles s’imposent à ce titre au droit des contrats comme à toutes les négociations liées à des commercialisations ayant lieu en France, et ce où qu’elles se tiennent. Il est d’autant plus important de le rappeler que, depuis quelques années, la grande distribution a recours à l’établissement de centrales d’achat paneuropéennes établies hors du territoire national, qui négocient des contrats de droit étranger alors que le droit français devrait s’appliquer.

J’en viens à l’arrêt rendu par la CJUE le 22 décembre, dans une affaire opposant le ministre de l’économie à la centrale d’achat Eurelec, qui regroupe Leclerc et l’entreprise allemande Rewe. La presse a donné un compte rendu insatisfaisant de cette décision. En effet, la CJUE n’a pas donné raison à Eurelec sur le fond puisqu’elle s’est prononcée, non sur le fond mais sur les seules compétences juridictionnelles. En matière de loi de police et en matière civile et commerciale, il faut distinguer la loi applicable des compétences juridictionnelles.

La CJUE a relevé que le ministre avait agi en vertu de pouvoirs exorbitants par rapport au droit commun en faisant référence à ses pouvoirs d’enquête, aux visites et saisies de documents réalisées et au recours en justice entrepris. À ce titre, elle a déclaré que l’exercice de ces pouvoirs sortait du champ de la matière civile et commerciale du règlement n° 1215/2012 ; rien de plus.

Je rappelle par ailleurs que la CJUE répondait à une question préjudicielle, dans le cadre d’une procédure qui s’apparente donc à une forme de consultation juridique.

Enfin, dans son arrêt, la Cour renvoie à une vérification par la cour d’appel de Paris, dont personne ne peut deviner les intentions. Elle pourrait reprendre intégralement l’arrêt de la CJUE, affirmant que rien dans l’action du ministre ne relève de la matière civile et commerciale, comme elle pourrait le reprendre en partie seulement.

Il ne s’agit ici que de savoir quel tribunal est compétent : rien n’est dit de la loi applicable. Ainsi, il nous appartient d’affirmer dans l’article 1er ce que nous considérons, en tant que législateurs, comme ayant caractère de loi de police. Cette matière permettra d’étayer l’interprétation du juge dans les années à venir.

L’article 2 vise à prolonger ces dispositions de la loi Egalim 1 censées prendre fin au 15 avril : le seuil de revente à perte majoré et l’encadrement des promotions en volume et en valeur. Je propose de prolonger ces dispositions en distinguant leurs enjeux respectifs. Nous évoquerons plus avant ce sujet lorsque nous examinerons les amendements portant sur l’article, et notre débat promet d’être passionnant.

J’en viens à l’article 3, qui fait couler beaucoup d’encre depuis quelques jours. Il comble un vide juridique et ce point important, quoique technique, constitue l’un des piliers de la proposition de loi. Le code de commerce a été pensé et écrit comme si la relation commerciale devait perdurer indéfiniment et qu’elle ne pouvait être interrompue que du fait d’une décision unilatérale prise par l’un des deux cocontractants. La loi encadre cette décision, qui doit être motivée et ne peut être prise sans qu’un préavis soit donné. En cas d’absence de motivation, le préavis doit être de dix-huit mois.

La date butoir a été instaurée après l’écriture de ces dispositions et le code de commerce n’a pas tiré les leçons de son existence. L’article 3 vise donc à établir que la relation commerciale peut être interrompue, non pas du fait d’une décision unilatérale mais du fait de l’échec de la négociation annuelle.

La négociation annuelle n’a pas pour objet d’amender tous les termes du contrat, mais bien de le refondre, sur la base des conditions générales de vente qui doivent être envoyées au 1er décembre. Il s’agit donc d’écrire dans la loi ce qui doit se passer en cas d’échec de cette négociation et de la rupture commerciale qui intervient alors.

L’interprétation actuelle du droit, qui ne dit rien de l’échec de la négociation annuelle, se fait à la défaveur du fournisseur, surtout en période de hausse des coûts. En effet, en l’absence d’un accord au 1er mars, la relation n’étant pas interrompue, l’acheteur peut continuer à commander aux conditions en vigueur, qui sont celles de l’année précédente. Même si le fournisseur juge que cela lui coûte plus cher de livrer plutôt que de rompre l’accès au marché, il ne peut suspendre les livraisons car le juge interpréterait ce geste comme une décision unilatérale, une rupture brutale et illicite de la relation commerciale. Ainsi, pendant plusieurs mois, le fournisseur devra continuer de livrer, à des conditions qui lui seront défavorables. L’acheteur pourrait même avoir intérêt à cette situation.

Je propose de rééquilibrer ce rapport de force et d’inciter à la conclusion d’un accord avant le 1er mars, en faisant peser un peu plus les conséquences d’une absence d’accord sur l’acheteur.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, il ne s’agit pas de permettre au fournisseur d’imposer ses prix. Aucun patron industriel ne se dira que cette loi lui permet de se fâcher légalement avec son client, qu’il pourrait conduire la négociation commerciale de mauvaise foi et attendre le 2 mars pour augmenter ses prix. Aucun industriel ne mise sur une hausse inconsidérée du prix de vente de ses propres produits parce que personne n’a envie de rompre la relation commerciale. Comme dans le cas du divorce, les conditions de la rupture commerciale n’existent que pour s’appliquer de façon exceptionnelle.

Il s’agit donc seulement d’inciter à se mettre d’accord avant le 1er mars et de faire peser le coût d’un désaccord de façon plus équitable.

Par ailleurs, je proposerai un amendement qui permettra de ménager la possibilité de définir un préavis et une rupture commerciale, en cas d’absence d’accord. Cependant, rien n’empêchera les acteurs de reprendre mèche et de se mettre d’accord, ce qui sera toujours préférable. La loi encourage les relations commerciales durables et saines.

Enfin, l’article 4 reprend les recommandations du médiateur quant à l’application des dispositions de la loi Egalim 2, consistant à sanctuariser le prix des matières premières agricoles. Dans les faits, cette sanctuarisation n’est pas garantie et l’attestation du coût peut être remise en cause par la négociation. L’article vise donc à ce que cette attestation intervienne avant et après la négociation, pour vérifier que la sanctuarisation est bien respectée.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Nicole Le Peih (RE). En tant que porte-parole de mon groupe je forme le vœu que cette proposition de loi trouve sa juste place. Je rappelle qu’elle vise à sécuriser l’approvisionnement en produits de grande consommation. Il y a là quatre mots-clés, pour un objectif d’équilibre. Premièrement, sécuriser, dans la continuité des lois Egalim 1 et Egalim 2. Deuxièmement, l’approvisionnement : il s’agit d’encourager la négociation et, parfois, de lutter contre la férocité des relations commerciales. Troisièmement, les produits : il convient de maintenir la rentabilité des entreprises et, surtout, d’assurer la pérennité des emplois, voire des entreprises elles-mêmes. Quatrièmement, la grande consommation : il faut garantir l’accessibilité des produits du quotidien et la sécurité alimentaire à 66 millions de Français. Je compte sur le courage de notre commission pour relever le challenge en ayant à l’esprit ces quatre mots-clés. Je considérerai le sablier évoqué par M. le rapporteur comme un totem.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Merci d’avoir insisté sur le titre de la loi. Nous devons effectivement avoir à l’esprit la possible casse industrielle, car chaque casse économique provoque de la casse sociale. Garantir l’approvisionnement, c’est maintenir des chaînes de valeur qui ne détruisent pas de valeur. Vous l’avez dit, il faut préserver la santé économique de ceux qui approvisionnent les rayons de la grande distribution, tout en ménageant la marge qui permet d’investir et de mieux rémunérer les actifs.

M. Grégoire de Fournas (RN). Après les lois Egalim 1 en 2018 et Egalim 2 en 2021, il vous est apparu nécessaire de présenter une nouvelle loi, tant les précédentes sont insuffisantes. Surtout, vous avez d’énormes difficultés à composer avec le droit européen, qui est très clairement contraire aux intérêts de nos agriculteurs. Vous envisagez votre texte non pas comme une loi Egalim 3 mais comme une correction des déficiences de la loi Egalim 2. Or ce qui nous frappe, c’est que l’on n’y trouve rien qui concerne la plus grave déficience de la loi Egalim 2, à savoir la non-application de son article 12 et d’une partie de son article 13 relatif à l’étiquetage. Je regrette, Monsieur le président, que mes deux amendements qui visaient à avancer sur ce point essentiel aient été considérés comme des cavaliers législatifs. J’espère sincèrement qu’une autre décision sera prise pour la séance.

Monsieur le rapporteur, c’est cette nuit que nous est enfin parvenue la version finale de la moitié de votre texte – je veux parler des deux premiers articles. Vous nous avez livré, par amendement, votre rédaction définitive de l’article 2, dont ne figurait qu’un brouillon inachevé dans la première version déposée. Quant à l’article 1er, vous avez dû le réécrire à la suite de l’arrêt rendu par la CJUE le 22 décembre dernier. Alors que votre volonté est d’empêcher la grande distribution de contourner la loi en passant par des centrales d’achat domiciliées hors du territoire national, la juridiction européenne vous a désavoué, témoignant un mépris profond de nos intérêts nationaux et de nos agriculteurs, et vous contraignant à des contorsions interminables et, surtout, humiliantes pour un parlement censé être souverain. Traités de libre‑échange, impossibilité de pratiquer le protectionnisme, impossibilité de réglementer l’étiquetage, impossibilité de lutter contre ces centrales d’achat pirates… Quand aurons-nous enfin un débat sur la politique de Bruxelles, qui est profondément nuisible à notre agriculture ?

En nous présentant au tout dernier moment la moitié de votre texte, vous nous placez dans l’impossibilité matérielle de l’amender. Vous allez faire tomber tous nos amendements aux articles 1er et 2, ce qui n’est pas très respectueux de notre travail, ni de celui de nos collaborateurs.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je l’ai indiqué en préambule, sur les soixante‑cinq amendements déposés, j’en ai considéré huit comme irrecevables. J’ai eu une interprétation assez large des dispositions applicables : chaque fois que j’ai eu un doute, celui-ci a bénéficié aux auteurs de l’amendement, que j’ai donc déclaré recevable. En revanche, lorsque j’étais certain qu’un amendement était irrecevable, je n’ai pas hésité à le déclarer tel. C’est ma responsabilité et j’agis en la matière de la façon la plus impartiale possible. Libre à vous de redéposer vos amendements en séance si vous le souhaitez, le cas échéant en les modifiant de telle sorte qu’ils ne soient pas considérés comme des cavaliers législatifs.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je ne relèverai pas ceux de vos propos qui me semblent inutilement désobligeants et me concentrerai sur le fond.

Vous affirmez que les lois précédentes ont été inefficaces. Or c’est précisément le contraire : c’est l’efficacité des lois Egalim, que l’on vérifie dans l’évolution de l’EBE de l’agriculture et de celui de l’industrie, qui nous conduit aujourd’hui à aller au-delà de la protection des prix agricoles et à légiférer sur la négociation entre l’industrie et la distribution. Ce point avait d’ailleurs été évoqué lors de la discussion de la loi Egalim 2 et figurait même dans le rapport de M. Serge Papin, qui vantait les mérites de la contractualisation tripartie, fréquente dans les schémas de marques de distributeur (MDD).

Je ne reviens pas sur ce que le président a dit concernant l’irrecevabilité. Il n’y a pas de lien, même indirect, entre l’étiquetage et la négociation commerciale.

Le droit européen est pour vous une obsession. Je me permets de citer l’un des textes adoptés au niveau européen : « Les États membres peuvent, eu égard au présent règlement, mettre en œuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales interdisant ou sanctionnant les actes liés à des pratiques commerciales déloyales, qu’ils aient un caractère unilatéral ou contractuel ». Le droit communautaire permet donc aux États membres d’exercer leur pouvoir souverain, issu du peuple, pour définir ce qui relève de l’ordre public, en l’occurrence de l’ordre public économique. De grâce, ne dites pas n’importe quoi ; il n’y a pas ici d’incompatibilité entre droit national et droit européen. Notre texte est en parfaite conformité avec le droit européen. La précision qui figure à cet égard à l’article 1er est d’ailleurs presque inutile, puisque la hiérarchie des normes s’applique. Nous pourrons y revenir lors de nos débats, mais je tenais d’ores et déjà à clarifier ce point.

Mme Mathilde Hignet (LFI-NUPES). Nous partageons le constat : les négociations commerciales dans le secteur des produits de grande consommation sont déséquilibrées. Toutefois, les mesures qui figurent dans la proposition de loi ne nous semblent pas vraiment adaptées pour remédier à cette difficulté. Les lois Egalim 1 et Egalim 2 ne sont pas à la hauteur, et quelques dispositifs technocratiques en plus ou en moins n’y changeront rien. Nous avons besoin non pas d’une loi Egalim 3, mais d’un changement de méthode. C’est le prix rémunérateur qui devrait être le point de départ de ces négociations. C’est pourquoi, afin de garantir la rémunération de l’ensemble des maillons de la chaîne et d’assurer des prix accessibles, nous défendons l’instauration de prix planchers sur les produits agricoles et de coefficients multiplicateurs qui bloquent les marges et les prix. L’inflation est là, et la guerre en Ukraine n’est pas seule en cause : elle est aussi le fruit de l’augmentation des profits des grands groupes.

La situation s’est-elle améliorée pour les agriculteurs ? Non. En dix ans, le nombre d’agriculteurs a diminué de 100 000, et cela continue : chaque jour, de nombreuses fermes disparaissent, exposées à la volatilité des prix de marché et à l’insuffisance de la régulation des prix. En réponse, cette proposition de loi prolonge l’expérimentation du relèvement de 10 % du SRP, véritable cadeau à la grande distribution. Ces 10 % n’ont jamais ruisselé jusqu’aux producteurs ou aux travailleurs. Quant aux citoyens, je l’ai dit, ils sont sévèrement frappés par l’inflation, qui a atteint 12 % en moyenne sur un an pour les produits alimentaires.

Nous sommes donc favorables à un rééquilibrage des négociations commerciales, mais qui bénéficie à l’ensemble des maillons de la chaîne, du producteur au consommateur.

Si la proposition de loi ne nous paraît pas à la hauteur des enjeux, certaines de ses dispositions paraissent aller dans le bon sens, comme le dispositif de l’article 1er, qui confirme la jurisprudence visant à éviter tout phénomène d’évasion juridique.

J’ai déjà développé notre position sur l’article 2. La grande distribution et les grands groupes ont été les seuls à bénéficier du relèvement de 10 % du SRP. Vous l’avez reconnu vous‑même, Monsieur le rapporteur, rien ne justifie la prolongation de cette expérimentation hasardeuse.

Nous espérons que l’article 3 évitera aux producteurs et aux industriels d’être piégés par une date butoir de fin de négociation. C’est capital dans la période de forte inflation que nous connaissons. Si l’intention est intéressante, la rédaction de l’article doit encore évoluer ; nous serons attentifs sur ce point.

Le dispositif prévu à l’article 4 permettra peut-être d’améliorer la transparence sur la formation des prix et sur la rémunération des agriculteurs, mais c’est un détail : si vous vouliez vraiment garantir une transparence et une juste rémunération des producteurs, vous proposeriez que l’État agisse véritablement en qualité d’arbitre des relations commerciales, plutôt que de rester le spectateur d’un match joué d’avance, se contentant de quelques indicateurs.

Nous espérons donc que ce texte évoluera dans le bon sens afin de bénéficier à toutes et à tous. À ce stade, il ne nous semble pas prendre pleinement la mesure des transformations urgentes et nécessaires dans cette période d’inflation.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Nous allons aborder les points que vous avez soulevés lorsque nous examinerons vos amendements, qui sont très intéressants sur le fond et ouvrent le débat.

S’agissant de la rémunération des agriculteurs, les mesures que vous proposez sont, pour le coup, incompatibles avec le droit communautaire, voire avec certaines règles internationales, notamment celles de l’accord de Marrakech – dont je suis par ailleurs critique.

Je complète ma réponse à M. de Fournas : je regrette d’avoir proposé au dernier moment des évolutions du texte ; je reconnais que c’est une mauvaise manière et comprends votre réaction. Néanmoins, nous aurons le temps d’en discuter aujourd’hui et vous disposerez d’une marge de manœuvre entre l’examen en commission et la discussion en séance.

M. Jérôme Nury (LR). Cette proposition de loi est bienvenue sur le principe car elle cherche à rattraper en partie les erreurs et manquements commis par la majorité LaREM‑Renaissance avec les lois Egalim 1 et Egalim 2 – les décrets d’application de cette dernière continuent d’ailleurs à être publiés au fil de l’eau, alors qu’elle a été adoptée en 2021.

En France, les consommateurs achètent chaque jour en moyenne 100 millions de produits de grande consommation, entre autres des produits alimentaires et des produits d’hygiène et de soin. Afin d’éviter des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement de ces produits essentiels pour les Français, ce texte est censé redéfinir un cadre pour les rapports commerciaux entre producteurs, fabricants et consommateurs. Or, même si l’intention est bonne, il ne paraît malheureusement pas être la solution magique qui révolutionnerait les rapports de force entre les uns et les autres.

D’abord parce que le législateur se trouve entre le marteau et l’enclume, c’est-à-dire entre les lobbys industriels agroalimentaires – Coca-Cola, Danone et Mars ont coécrit ce texte au travers de l’Ilec, l’Institut de liaisons des entreprises de consommation – et la puissante grande distribution, qui fait pression de manière honteuse, par son représentant le moins clair, dont les préoccupations sont très éloignées du patriotisme qui a animé son homonyme lorsqu’il a libéré l’Orne en 1944.

Ensuite parce que le législateur se trouve aussi tiraillé entre, d’un côté, l’inflation et les consommateurs – qui ont de plus en plus de mal à régler leurs courses du quotidien du fait de l’augmentation des prix – et, de l’autre, les agriculteurs, qui ont de très grandes difficultés à répercuter des hausses de prix de l’énergie qui accroissent leurs coûts de revient.

Monsieur le rapporteur, vous essayez d’agir en la matière, comme l’ont essayé avant vous Jean-Baptiste Moreau et Grégory Besson-Moreau – à qui cela n’a d’ailleurs pas porté chance. Pensez-vous vraiment que ce texte sera efficace, sachant que les rounds de négociation ont déjà commencé ? Pouvez-vous indiquer clairement qui vous souhaitez renforcer grâce à ce texte : le producteur, l’industriel ou le consommateur ?

M. le président Guillaume Kasbarian. Je salue le travail réalisé par les députés de la précédente législature, qu’ils soient encore membre de notre assemblée ou ne le soient plus.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Gardons-nous de faire référence aux résultats électoraux de tel ou tel ; ils n’ont rien à voir avec le fond de nos débats. Tout le monde avait salué le travail conduit par Grégory Besson-Moreau.

Cette proposition de loi est focalisée sur les industriels, qui ont été, je le répète, pris entre le marteau et l’enclume. Elle tend à prolonger les dispositions efficaces que nous avions prises à l’égard des producteurs. Est-elle destinée à renforcer aussi le consommateur ? Oui, à travers l’emploi et les salaires. Je suis parfaitement conscient que ce texte n’épouse pas le point de vue de la distribution, qui laisse croire à tout le monde que l’intérêt des ménages, voire l’intérêt général, est uniquement d’avoir accès à des produits bon marché. Ce n’est pas exact : la question du revenu, autrement dit celle des conditions dans lesquelles les entreprises peuvent rémunérer leurs salariés, est essentielle. Elle est au cœur de la proposition de loi.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Nous vous remercions, Monsieur le rapporteur, de nous avoir soumis cette proposition de loi, qui ne doit pas être considérée comme un texte technique, puisqu’il s’agit de rééquilibrer les rapports entre la grande distribution et les entreprises agroalimentaires françaises. Nous ne devons pas en sous-estimer la portée, car c’est l’alimentation des Françaises et des Français qui est en jeu. Nous devons être les garants de l’accès à une alimentation saine et durable.

De la relation entre la grande distribution et nos PME découlent non seulement des prix qui ont un impact sur le pouvoir d’achat alimentaire des Français mais aussi une certaine qualité des produits fabriqués en France. Maintenir des relations déséquilibrées entre distributeurs et entreprises de l’agroalimentaire, c’est risquer d’affaiblir la qualité des produits consommés par les Français. Vous connaissez l’attachement du groupe Démocrate à la question de l’accès à une alimentation de qualité. Je salue à cette occasion le riche travail effectué par notre collègue Richard Ramos.

Ce texte est un outil qui permettra de mieux faire vivre notre tissu d’entreprises agroalimentaires, dynamique déjà impulsée par les lois Egalim 1 et Egalim 2. Les débats devront permettent de fixer un meilleur équilibre entre des prix acceptables pour le consommateur et une juste rémunération des entreprises de l’agroalimentaire et des agriculteurs. Le groupe Démocrate, solidaire du Gouvernement, ne doute pas qu’un accord sera trouvé dans l’intérêt des Français. Il remercie le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire Marc Fesneau et le rapporteur Frédéric Descrozaille du travail réalisé.

Nous accueillons donc favorablement cette proposition de loi et vous proposerons quelques mesures supplémentaires. L’une d’elles porte sur l’expérimentation du relèvement du SRP et de l’encadrement des promotions. Une autre tend à clarifier les plans d’affaires. Surtout, nous vous proposerons de mieux encadrer les pénalités logistiques imposées par la grande distribution, qui peuvent atteindre des sommes considérables ; la loi doit empêcher les distributeurs de pénaliser de façon disproportionnée les retards de livraison.

Notre groupe votera la proposition de loi.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je vous remercie, ma chère collègue, ainsi que l’ensemble des membres du groupe Démocrate, notamment Richard Ramos. Nous allons débattre des propositions que vous souhaitez introduire dans le texte. Dans le prolongement de cette discussion, nous vous proposerons de conduire, au sein du groupe d’études sur la grande consommation et les pratiques commerciales dans la distribution, un travail de contrôle et de vérification de l’application des dispositions que nous votons. Richard Ramos s’y emploie avec beaucoup de sérieux et de vigilance.

M. Dominique Potier (SOC). Je salue votre engagement et votre travail, Monsieur le rapporteur, à la suite de tous ceux qui vous ont précédé sur ce chantier, notamment avec les lois Egalim 1 et Egalim 2. Nous pourrions d’ailleurs qualifier le présent texte de « loi Egalim 4 », puisque, dans la loi Sapin 2, nous avions amorcé les processus de construction du prix à partir d’indicateurs de coûts de production, sans y parvenir totalement.

En réalité, nous naviguons, nous faisons du cabotage, parce que certains fondamentaux n’ont pas été traités, compte tenu des limites imposées par le droit international et le droit européen. Rappelons qu’en l’absence de clauses miroirs, les régulations commerciales internationales restent iniques et défavorables à nos producteurs comme à ceux des pays du Sud, et que les régulations communautaires sont largement inopérantes, même si la dernière mouture de la politique agricole commune (PAC) a réactivé des capacités inédites de régulation des volumes.

Vous l’avez précisément documenté, toute recherche d’équilibre commercial se heurte au fait qu’il n’y a que six acheteurs – Charles de Courson parle d’une « oligarchie financière » des centrales d’achat. En outre, vous l’avez dit, une forme de libéralisme financier s’oppose à la construction d’un capitalisme d’investissement au long cours, tant dans la production agricole que dans la transformation industrielle.

Nous naviguons, mais pas à vue. Nous essayons de corriger les dispositifs au fur et à mesure pour apporter un cadre qui permette de rééquilibrer ce qui est fondamentalement déséquilibré.

Dans cette démarche pragmatique, le groupe Socialistes et apparentés poursuit trois objectifs. D’abord, nous souhaitons renforcer les organisations de producteurs, afin de rétablir un rapport de force. Ensuite, il convient de privilégier les contrats tripartites pluriannuels, qui nous paraissent le modèle d’avenir en matière de contractualisation ; ils ont été trop peu expérimentés à ce stade. Enfin, au-delà de la loi et du cadre des relations commerciales, nous croyons fortement à la puissance des citoyens et des consommateurs. À cet égard, nous avons besoin non pas d’un rémunéra-score, mais d’un indicateur du partage de la valeur tout au long de la chaîne de production. Si notre groupe est attentif à la misère d’une partie de la paysannerie, il l’est tout autant à la misère de ceux qui transportent le lait, travaillent dans les abattoirs ou tiennent les caisses des supermarchés.

Nous serons vigilants sur deux points précis. D’une part, nous doutons fortement que le relèvement du SRP ait eu un effet de ruissellement. À quelles conditions pourrait-il favoriser une redistribution de la valeur ? D’autre part, l’article 3 risque en définitive d’être défavorable aux PME : si nous accélérons les processus, comme vous le proposez, il est à craindre que seuls les possesseurs de marques puissent créer un rapport de force.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Merci beaucoup pour la justesse de votre ton et de vos propos, que je partage en grande partie.

Vous avez rappelé les enjeux internationaux fondamentaux en matière de droit de la concurrence. Lorsque Julien Dive et moi avons établi notre rapport sur l’application de la loi d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte, nous avons préconisé la création, au sein de notre commission, d’une mission d’information sur le droit de la concurrence – je sais que le bureau de la commission ne s’en est pas encore saisi. Elle nous permettrait notamment de nous fédérer sur des questions de fond cruciales.

Nous aborderons au cours des débats les nombreux autres points que vous avez évoqués.

M. Thierry Benoit (HOR). S’agissant de ces négociations commerciales, le législateur court derrière les acteurs de la grande distribution depuis près d’un demi-siècle. Les parlementaires les plus anciens ou ceux qui suivent ces questions connaissent la loi Royer. C’est la loi de modernisation de l’économie (LME), adoptée en 2008, qui a créé un déséquilibre dans les négociations commerciales. À l’époque, on la qualifiait de « loi Michel-Édouard Leclerc », raison pour laquelle j’ai pris la précaution de ne pas la voter. Elle a laissé les mains libres au secteur de la grande distribution, qui, depuis lors, impose ses vues et met le secteur de l’agroalimentaire et surtout, en amont, celui de l’agriculture dans une situation de dépendance.

Les partis politiques ont évoqué le problème lors de la campagne présidentielle de 2017. Le candidat élu Président de la République, Emmanuel Macron, a ensuite lancé les États généraux de l’alimentation, dont l’objectif était un retour de la valeur pour le maillon amont, autrement dit une amélioration du revenu des agriculteurs et un rééquilibrage des négociations commerciales. Il y a eu des avancées, notamment la construction des prix à partir des indicateurs de coûts de production.

Toutefois – je le sais pour avoir présidé au cours de la précédente législature la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs, dont Grégory Besson‑Moreau a été le rapporteur –, les acteurs de la grande distribution et les centrales internationales nous précèdent. Ils ont créé un écosystème, avec la bienveillance plus ou moins manifeste des autorités de régulation de la concurrence, au niveau européen et même au niveau français, et nous avons bien du mal à faire bouger les lignes.

Cette proposition de loi tend à confirmer les dispositions qui ont fonctionné dans les lois Egalim 1 et Egalim 2, notamment l’encadrement des promotions. Quant à l’expérimentation du relèvement de 10 % du SRP, je ne suis pas opposé à sa poursuite, mais il convient tout de même de s’interroger sur ce que sont devenus les 400 millions à 500 millions d’euros correspondants, car personne n’a vu la trace d’un ruissellement, en tout cas pas les agriculteurs.

Derrière la question du partage de la valeur se pose de manière subliminale celle de la souveraineté alimentaire. De même que nous sommes aujourd’hui dans une situation de fragilité du point de vue de la souveraineté énergétique, nous risquons demain, si nous n’y prenons pas garde, de nous retrouver dans une situation de fragilité du point de vue de la souveraineté alimentaire. Si les distributeurs ont hébergé leurs centrales internationales en Belgique, en Suisse et au Luxembourg, c’est précisément pour échapper au droit français. Il faut donc que nous les ramenions dans le droit chemin, grâce à des textes du type de cette proposition de loi.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Merci, cher collègue, d’avoir rappelé les différentes étapes législatives depuis la loi Royer. Je suis d’accord avec vous, la loi court après le fait, lequel est bâti par la grande distribution qui mobilise à cette fin des moyens très importants.

Je l’ai dit en répondant à M. Potier, nous pourrions nous pencher sur la question de la concurrence, plus précisément sur les monopsones et la concentration de la fonction achat. Le droit de la concurrence ne prévoit que les acheteurs puissent avoir un tel impact sur le chiffre d’affaires de chacun de leurs fournisseurs.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Les lois Egalim 1 et Egalim 2 visaient à garantir des prix équitables, notamment en luttant contre les pratiques de revente à perte et en conditionnant les négociations commerciales. Cependant, leur bilan reste très mitigé. D’une part, les ambitions ont été revues à la baisse en matière de réduction des pesticides. Le retour des néonicotinoïdes est un recul notable et semble parti pour durer : chaque année, les dérogations pleuvent, et cela ne manquera pas, j’imagine, d’être de nouveau le cas en 2023. D’autre part, les lois Egalim n’ont pas permis la revalorisation du revenu des paysans, alors même que, d’après les chiffres publiés par l’Insee à la mi-décembre, le prix de la plupart des produits alimentaires de première nécessité a augmenté de plus de 20 % sur un an – je parle ici de la farine, du sucre et du beurre. Quant à l’huile, son prix au litre a crû sur la même période de plus de 60 %. Une question commence à se poser : celle du maintien même de ces produits dans les rayons et de la poursuite de l’activité des usines qui les produisent sur le territoire français.

Dès lors, que faire ? Oui, nous devons lutter contre l’évasion juridique pratiquée par certaines enseignes qui délocalisent la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des agriculteurs français et du fabriqué en France. Oui, nous devons soutenir les petits industriels qui font face à un fardeau économique insupportable en cette période d’hyperinflation et nous devons pousser les distributeurs à conclure un accord avant le 1er mars de l’année. Oui, nous devons lutter contre l’opacité des prix sur la part des matières premières agricoles dans l’évolution du tarif des industriels. Oui, nous, parlementaires, devons avant tout faire nôtre l’exigence de transparence et d’information des citoyens et de prix justes permettant à chacun de vivre dignement.

Nous soutenons donc l’objectif de cette proposition de loi et voterons en sa faveur. Toutefois, dans le contexte actuel, il nous paraît essentiel de la modifier pour faire toute la transparence sur les marges commerciales réalisées par les enseignes de la grande distribution, notamment en ce qui concerne les produits bio, mais aussi sur les pénalités logistiques appliquées par ces enseignes à leurs fournisseurs lorsqu’elles ne s’estiment pas satisfaites des conditions de livraison. Nous proposons en outre d’imposer des conditions plus strictes de négociation des prix entre fournisseurs et distributeurs.

Nous espérons pouvoir étudier sereinement l’ensemble des articles malgré les amendements déposés à la dernière minute par M. le rapporteur, qui risquent de faire tomber un grand nombre de nos amendements. Je regrette bien évidemment que cela réduise nos capacités de discussion du texte.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Merci pour votre intervention, chère collègue. Il n’y a de ma part aucune manœuvre visant à faire tomber les amendements et à esquiver la discussion. Le sujet est passionnant, et ce qui m’intéresse, c’est le débat, que j’aborde vraiment dans un esprit d’ouverture. L’examen des amendements nous permettra d’évoquer les nombreux sujets que vous avez soulevés.

Vous avez mentionné la hausse du prix de certains produits alimentaires. En matière de négociations commerciales, il n’y a guère lieu de distinguer entre les grosses industries et les PME ; la distinction la plus pertinente est celle que l’on peut faire entre les MDD et les marques nationales, sachant que les distributeurs réalisent sur les MDD des marges beaucoup plus importantes, qui vont de 25 % à 40 %. Les hausses de prix sont mieux passées sur les MDD, tandis qu’elles passent très mal sur les marques nationales.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Pour faire un clin d’œil aux boulangers, je dirai que votre proposition de loi ne mange pas de pain. Selon moi, c’est une voiture-balai. Or j’aurais préféré qu’elle soit une tractopelle, capable de creuser et de bâtir des constructions nouvelles afin de répondre aux problématiques, d’ailleurs formulées dans l’exposé des motifs.

L’article 1er ne pose pas de problème. Son objectif est très simple : faire entrer dans la loi la jurisprudence issue de jugements rendus à la suite du comportement de coquin adopté par certains, notamment Leclerc et un groupe allemand, pour contourner la législation française.

L’article 2 porte sur le relèvement du SRP. Plusieurs intervenants l’ont souligné, il faut que nous prenions le problème à bras-le-corps. Nous aurions besoin d’une étude d’impact : où sont passés les 800 millions d’euros qui ont en quelque sorte été prélevés sur les consommateurs ? Chez les agriculteurs ou ailleurs ?

Il faut aussi que nous ayons un échange à propos de l’encadrement des promotions. Vous avez raison, Monsieur le rapporteur, il s’agit d’une question distincte, la pratique consistant à jouer sur l’achat au fournisseur pour que le prix reste inférieur à un certain seuil – qu’il s’établisse, par exemple, à 1,99 euro.

L’article 3 porte sur ces situations perverses où des accords ne sont pas passés, où les dates butoirs sont dépassées. Vous répondez en écrivant : « En l’absence d’accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur se fait sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur. » Cela me semble un peu léger, un peu timide. Nous en débattrons.

L’article 4 porte sur le tiers de confiance. Vous demandez quand il intervient. Je voudrais surtout, moi, demander qui il est ! C’était le grand débat des lois Egalim : qui intervient ? Est-ce l’État, est-ce le commissaire aux comptes de l’entreprise, à ses frais ? Et, je le dis à la suite de Dominique Potier, sur quels indicateurs se fonde-t-on ?

Si j’avais une tractopelle, j’aurais creusé. J’aurais tenu compte de l’inflation pour proposer des solutions, bien sûr. J’aurais proposé de sortir le secteur de l’énergie des mécanismes concurrentiels ; vous me répondrez que ce n’est pas l’objet de la proposition de loi, mais ça n’en est pas moins fondamental. J’aurais proposé de baisser la TVA sur les produits de première nécessité ; ce n’est pas dans le texte, c’est autre chose, mais c’est fondamental quand même. S’agissant de la chaîne de valeur j’aurais pu encore proposer un autre mécanisme, que je suggère depuis vingt ans, celui du coefficient multiplicateur, qui nous permettrait peut‑être de garantir les prix à la production.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Merci pour cette intervention dense et précise ; je n’aurai pas le temps d’y répondre point par point mais, dans l’esprit, nous convergeons sur de nombreux sujets. Nous aborderons tout à l’heure les sujets du coefficient multiplicateur et des indicateurs de prix ; ces questions de fond ont déjà été débattues lors de l’examen des deux lois Egalim : il est à mon sens normal d’y revenir.

À propos de l’article 4, vous pointez l’option 3 comme si c’était la seule en matière de certification et de tiers de confiance. Je rappelle que les options 1 et 2 existent, et qu’il est avéré que l’option 2 est de plus en plus souvent choisie par les entreprises. Ces deux premières options sont celles de la transparence, en réalité – la troisième permet de protéger le secret des affaires, c’est un réflexe que je respecte.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). L’option 3 est davantage choisie !

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. C’est vrai, mais on voit de plus en plus souvent l’option 2.

Nous reviendrons sur la question du coût.

M. Paul Molac (LIOT). Depuis les années 1960, les prix agricoles ont été divisés par quatre en prix constants. On dépensait en 1960 30 % de ses revenus pour acheter de la nourriture ; aujourd’hui, c’est entre 11 % et 14 %. Les gains de productivité énormes de l’agriculture et de l’industrie agroalimentaire ont été captés par le consommateur, on le voit, mais aussi par la grande distribution.

Thierry Benoit a souligné qu’aujourd’hui, on aboutit à la destruction de l’outil de travail : un producteur de lait travaille sept jours sur sept et il est payé un prix de misère. Au moment où nous aurions besoin que des jeunes nombreux s’installent comme agriculteurs, c’est un véritable problème.

Nous courons après la grande distribution. Votre proposition de loi est plutôt bienvenue : nous ferons quelques pas supplémentaires, mais je ne suis pas sûr que ce soit suffisant. À l’article 3, par exemple, vous proposez que la relation commerciale s’arrête sans pénalités. Mais ce qui se passe aujourd’hui, c’est que l’industriel est déréférencé par le distributeur ; et quand il ne peut plus vendre ses produits, le distributeur revient vers lui et impose ses prix…

Pour être efficace, il faudrait s’attaquer à ce que vous appelez le monopsone et que j’appelle, moi, une position oligopolistique. Certaines centrales d’achat représentent 30 % de tout ce qu’achètent les Français ! Elles sont nécessairement en position de force, et peuvent facilement jouer un industriel contre l’autre.

Enfin, j’espère que vos réécritures, que je n’ai pas encore regardées, n’atténuent pas la portée de votre proposition de loi.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Là encore, nous sommes d’accord dans l’esprit. Vous avez raison, le législateur court après la réalité, après la grande distribution. Ce n’est pas la dernière fois que nous abordons ces problèmes : je ne prétends nullement que cette proposition de loi mettra un point final à cette question ! Je vous renvoie vers le groupe d’études sur la grande consommation, que nous pourrons utiliser pour veiller à l’application de ce que nous allons voter comme pour imaginer d’éventuelles suites à donner.

Modifier la proposition de loi au dernier moment n’est pas idéal : encore une fois, j’en suis conscient. Mais ces modifications n’amoindrissent pas le texte, vous aurez l’occasion de le vérifier.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous écoutons maintenant les orateurs qui s’expriment à titre personnel.

M. Jean-Pierre Vigier (LR). L’une des dispositions phares de la loi Egalim 2 est la préservation du prix des matières premières agricoles lors des négociations commerciales, afin de protéger les producteurs. Or, cela a été dit, les acteurs concernés déplorent un dispositif de transparence complexe, voire désavantageux. En effet, le pourcentage associé aux matières premières n’apparaît pas clairement au cours de la négociation. Vous le savez, et André Chassaigne l’a dit, l’option 3 implique l’intervention d’un tiers indépendant chargé de certifier que la négociation n’a pas porté sur les matières premières agricoles. Plébiscitée, cette option est néanmoins difficile à mettre en œuvre.

Par ailleurs, le décret fixant la liste des professions susceptibles d’exercer la mission de tiers indépendant n’est à ma connaissance toujours pas publié.

Pouvez-vous nous assurer que l’adaptation du dispositif prévu à l’article 4 répondra efficacement et durablement aux difficultés rencontrées jusqu’à présent ?

M. Charles de Courson (LIOT). Cela a été dit, notamment par Thierry Benoit : le problème central, c’est de sortir de la cartellisation – or celle-ci va plutôt croissant, puisque 80 % des ventes de produits alimentaires en France sont faites par quatre centrales d’achat, dont une partie s’est d’ailleurs délocalisée pour échapper au contrôle de la loi française, voire européenne. On le constate tous les jours. Tant que cette situation perdure, toutes nos lois seront contournées…

Monsieur le rapporteur, vous disiez que les excédents bruts d’exploitation (EBE) agricoles avaient augmenté, que ceux de l’agro-industrie avaient diminué et que ceux de la grande distribution étaient stables. C’est exact. Mais cette hausse de l’EBE agricole n’est pas du tout due aux lois que nous avons votées, mais à simplement à l’effet de pénurie ! On l’a vu sur les prix du porc, à cause des problèmes rencontrés par la Chine.

Mais votre proposition de loi est bien sympathique !

M. Dino Cinieri (LR). Afin d’éviter des ruptures dans la chaîne d’approvisionnement en produits de grande consommation, cette proposition de loi tend à corriger les insuffisances des lois Egalim 1 et 2. Nous partageons votre volonté de protéger à la fois les producteurs et les consommateurs, en encadrant davantage les échanges commerciaux entre les producteurs et les grandes surfaces, tout en évitant des hausses de prix ou des pénuries pour les consommateurs.

Cette proposition de loi est bienvenue en ce qu’elle vise à rattraper en partie les erreurs et manquements passés du Gouvernement et des deux lois Egalim. Les décrets d’application de ces dernières continuent d’ailleurs d’être publiés, au fil de l’eau…

Les producteurs se trouvent dans une position de plus en plus délicate, avec peu de marge de manœuvre et peu de trésorerie, en raison de la hausse considérable des prix de l’énergie, conséquence d’une politique énergétique catastrophique depuis dix ans. Nous devons les aider. Malheureusement, les réponses formulées par la proposition de loi sont décevantes ; elles n’apportent aucune simplification des procédures complexes héritées d’Egalim 2 et pourraient même faire peser un risque sur le pouvoir d’achat des Français, qui font déjà face à une inflation galopante.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. À propos de la cartellisation, de la concentration des acteurs et du pouvoir de la grande distribution, je renvoie une fois encore au groupe d’études sur la grande consommation et à la mission d’information sur la concurrence grâce auxquels nous pourrons, je crois, fournir un travail utile.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons à l’examen des amendements.

 

 

Article 1er : Garantir l’application du titre IV du livre IV du code de commerce à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français ainsi qu’affirmer la compétence des tribunaux français en la matière

 

 

Amendement CE62 du rapporteur.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de rédaction globale de l’article, que je vous propose à la dernière minute. Cette modification n’est pas substantielle, mais elle résulte de longues séances de travail avec les services de l’État les plus compétents sur ces questions : la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) du ministère de la justice et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

J’appelle votre attention sur la notion d’ordre public : elle apparaît avec cet amendement dans l’article même, et concerne l’ensemble des dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce. C’est ce terme juridique qui permet d’éclairer l’interprétation du juge sur ce qui a caractère de loi de police : le législateur affirme ainsi les règles qui doivent s’imposer au droit des contrats.

Cette nouvelle rédaction vise à s’assurer que l’article est le plus utile possible pour résoudre cette question de la loi applicable – question distincte de celle des compétences juridictionnelles.

Je reviens sur un autre point, dont il a été question dans les médias : la délocalisation des centrales d’achat. Certains distributeurs prétendent se battre contre les grands méchants patrons de l’industrie mondialisée ; à les entendre, ils adorent les petites et moyennes entreprises (PME) françaises, ils adorent l’économie française, ils prennent les plus grandes précautions pour les préserver, ils s’engagent à fond ; mais ils délocalisent la négociation pour se battre contre des monstres qui leur imposent des taux de profit indécents. Eh bien, je peux vous dire que le 4 janvier dernier, les deux directeurs commerciaux d’une entreprise de taille intermédiaire (ETI) française – vraiment tout ce qu’il y a de plus française, une entreprise qui valorise la production agricole française et qui vend en France – ont été convoqués dans une capitale européenne, que je ne nommerai pas pour ne pas identifier l’entreprise et parce qu’il ne s’agit pas de pointer un cas particulier, où s’est installée une centrale d’achat délocalisée. Ils venaient pour négocier ; ils ont été reçus par un acteur qui leur a d’entrée de jeu expliqué : « Ici, le droit français ne s’applique pas. »

C’est un comportement inacceptable, un mépris du Parlement.

Il ne faut donc pas se laisser impressionner par un discours absolument pas crédible sur la nécessité, pour les centrales d’achat, de lutter contre la grande industrie, sur la grande distribution qui serait seule à défendre les intérêts des ménages. D’où l’importance de cet article 1er.

M. Grégoire de Fournas (RN). La difficulté, c’est que nous n’avons pas pu, nous, consulter cette nuit les services de l’État pour vérifier si la réécriture de cet article est compatible avec le droit communautaire. Vous avez passé toutes les vacances à réécrire l’article après l’arrêt du 22 décembre de la CJUE, mais le risque est que cette nouvelle version se révèle elle aussi insatisfaisante, et nous nous en inquiétons. Cela a été le cas avec l’étiquetage : le texte a été réécrit plusieurs fois pour le rendre compatible avec le droit européen, mais il ne l’est toujours pas !

M. Charles de Courson (LIOT). Monsieur le rapporteur, comment la troisième phrase de ce nouvel article L. 443-9 – « tout litige portant sur l’application de ces dispositions relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France » – s’articule-t-elle avec les deux premières ? En d’autres termes, comment le droit communautaire, voire d’autres accords internationaux, s’articule-t-il avec le droit français ? En clair, cette troisième phrase ne vide-t-elle pas de leur substance les deux premières ?

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Pour rédiger cet amendement et savoir précisément jusqu’où nous pouvons aller, avez-vous sollicité des spécialistes de droit de la concurrence européen – je pense par exemple à Mme Catherine Prieto, professeure à la Sorbonne ?

Je suis pour ma part favorable à cet amendement, mais nous devons anticiper de possibles incompatibilités avec le droit européen, afin de pouvoir adapter notre réponse.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. C’est une matière technique, très complexe. Je pense avoir fait le nécessaire – je ne suis pas juriste, mais je me repose sur l’extrême compétence des administrateurs, en l’occurrence des administratrices, de l’Assemblée. Les services de l’État que j’ai consultés sont également très spécialisés. J’ai sollicité d’autres juristes de mon côté.

Monsieur de Fournas, la question de l’étiquetage est infiniment plus sensible, puisque l’on porterait vraiment atteinte aux principes du marché commun, qui interdisent de discriminer les produits en fonction de leur origine. Ici, il s’agit de tout autre chose. Le règlement européen n° 1/2003 prévoit explicitement, à l’initiative de la France et de l’Allemagne, que les États membres peuvent adopter des mesures sur les pratiques restrictives de concurrence. Sur ce point-là, nous pouvons parfaitement dire ce qu’est pour nous l’ordre public ; nous pouvons définir ce que le législateur français considère comme une loi de police.

Monsieur de Courson, à vrai dire, cette troisième phrase, que vous pointez, est en réalité superflue en droit : le principe de hiérarchie des normes s’applique, et le règlement de 2003 aussi. Si nous avons fait figurer cette précision, c’est pour qu’il soit très clair que nous agissons en toute conformité avec le droit communautaire : le législateur français ne s’affranchit pas du moindre de ses engagements européens.

Monsieur Chassaigne, il faut, je le disais, distinguer la loi applicable de la compétence juridictionnelle. La seule chose dont nous ne sommes pas certains, c’est ce que dira la Cour de justice de l’Union européenne le jour où elle sera saisie de la question de la loi applicable, de la question préjudicielle de savoir ce qui a le caractère de loi de police. Personne ne peut présumer ce que sera l’interprétation du juge, mais nous apportons des précisions pour lui permettre d’étayer sa décision.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements CE7 de M. Dino Cinieri et CE36 de M. Grégoire de Fournas tombent.

 

 

Article 2 (art. 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020) : Prorogation des dispositions relatives au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions

 

 

Amendements CE32 de M. Dominique Potier, CE63 du rapporteur, CE42 de M. Éric Martineau et CE16 de M. Laurent Alexandre (discussion commune).

M. Dominique Potier (SOC). L’amendement CE32 vise à s’assurer que le seuil de revente à perte qui constitue une pratique commerciale encadrée correspond aux attentes effectives des différentes filières professionnelles concernées.

Je mets les pieds dans le plat : à leur demande, nous avions obtenu des dérogations possibles pour les filières des fruits et légumes, qui ont besoin, parce que leurs produits sont saisonniers, d’écouler un grand volume de marchandises à certains moments de l’année. Je pose la question humblement : au lieu de faire du SRP une règle générale qui souffre des exceptions, ne serait-il pas préférable d’inverser le mécanisme et de prévoir que les interprofessions volontaires adoptent le SRP ? Ce n’est pas, je le sais, la position du syndicalisme, mais nous sommes ici pour chercher ensemble, sans prétention, les meilleures solutions.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. L’article 2 porte à la fois sur le SRP et sur l’encadrement des promotions. En ce qui concerne le second, je suis à fond pour ! Mais sur le SRP majoré, je m’interroge : les questions que vous soulevez sont parfaitement légitimes. Je ne suis pas à l’aise aujourd’hui pour répondre aux associations de consommateurs qui nous demandent de le supprimer. Nous ne savons pas quelles ont été ses vraies conséquences, cela a été dit ce matin et c’est vrai. Il faut absolument que l’évaluation de l’application de la loi nous permette d’en savoir plus. La grande distribution n’a jamais répondu sur ce qu’elle a fait de ce SRP majoré.

Si je propose de le maintenir, c’est parce que je constate que les industriels sont unanimes, de façon impressionnante, pour nous dire qu’ils seraient les premiers à souffrir de sa suppression : ils ont peur de payer très cher cette suppression. Les fournisseurs nous disent à l’unisson que la disparition du SRP majoré se ferait à leur détriment : les acheteurs se retourneraient immédiatement vers eux pour récupérer leurs dix points de manque à gagner. C’est effrayant, et cela en dit long sur l’état de la négociation commerciale !

Dans l’attente que d’autres dispositions de la loi se révèlent efficaces, mon amendement CE63 vise donc à maintenir le SRP majoré mais sous la forme d’une expérimentation de trois ans, afin que nous puissions en contrôler l’efficacité et l’utilité.

M. Éric Martineau (Dem). Dans la continuité de la discussion qui vient d’avoir lieu, l’amendement CE42 vise à réduire à deux ans la prolongation de l’expérimentation. Moi-même producteur de pommes, je ne vous dis pas les pressions que l’on a voulu exercer sur moi… Je défends pour ma part le SRP pour les raisons qui viennent d’être données par le rapporteur. Je veux lancer l’alerte : en tant que président d’un groupement de producteurs, je vois aujourd’hui une baisse de la rémunération des producteurs de 10 à 15 centimes, alors qu’il y a une hausse de 15 % dans les magasins… Il faut s’interroger !

M. Laurent Alexandre (LFI-NUPES). Vous proposez de prolonger l’expérimentation du relèvement du seuil de revente à perte. Avant de prendre une telle décision, il serait nécessaire de disposer d’un bilan de cette mesure, qui figurait dans la loi Egalim 1. Je rappelle le principe : quand la grande distribution achète un produit à un fournisseur, elle ne peut le revendre à moins de 110 % de son prix d’achat. Il y a donc une marge de 10 % dont profite la grande distribution. En analysant cette mesure, on constate qu’elle a contribué à l’augmentation des prix alimentaires pour les consommateurs, sans aucun bénéfice direct ni pour les agriculteurs, ni pour les transformateurs. Cette hausse des prix constitue in fine un cadeau de 600 millions d’euros à la seule grande distribution, selon les associations de consommateurs mais aussi selon plusieurs filières agricoles, notamment celle des fruits et légumes dont les producteurs sont clairement perdants.

Avec l’amendement CE16, le groupe La France insoumise propose donc de mettre fin à ce relèvement de 10 % du seuil de revente à perte, afin de protéger les Français de ses effets inflationnistes dans une période déjà suffisamment dure pour le porte-monnaie de tout le monde. Cette suppression doit s’accompagner d’un blocage des prix d’un panier de produits de première nécessité, ainsi que d’un dispositif permettant de garantir des prix rémunérateurs planchers aux producteurs. Nous vous proposerons deux amendements en ce sens.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je préfère mon amendement aux autres, naturellement…

Sur la durée de l’expérimentation, je n’avais pas d’avis a priori, mais je vous dirai en toute sincérité que les services de l’État ont demandé trois ans pour nous fournir le bilan que nous n’avons pas eu pour cause tant de crise sanitaire que de hausse des prix inédite. Nous sommes en début de législature : un délai de trois ans nous permettra d’être très exigeants et de suivre la situation de près, avec le Gouvernement.

Je ne suis pas favorable aux autres propositions, en particulier à celles qui viennent d’être présentées : vous supprimeriez aussi l’encadrement des promotions. J’insiste, sur ces dernières, je n’ai aucun état d’âme. Autant des questions se posent à propos du SRP majoré, autant l’encadrement des promotions est vraiment très utile.

M. Grégoire de Fournas (RN). Pouvez-vous nous expliquer pourquoi la suppression du SRP majoré entraîne celle de l’encadrement des promotions ?

Je ne suis pas sûr de comprendre non plus pourquoi ce seraient les industriels qui paieraient la suppression du SRP majoré. Il me semble que ce sont les consommateurs qui récupéreraient de l’argent. Il me semble justement, comme l’a dit notre collègue pour les fruits et légumes, que le SRP a coûté cher aux producteurs. Enfin, je crois comprendre ce que vous voulez dire, mais la question fondamentale est celle du ruissellement : on parle de 500, 600 ou 800 millions dont on ne sait pas où ils sont passés. Le rapport remis en novembre par le Gouvernement est très succinct. Nous devons obtenir des réponses plus fournies.

M. Dominique Potier (SOC). Mon amendement était un amendement d’appel sur le volontarisme des interprofessions. Je vous rejoins sur l’encadrement des promotions, Monsieur le rapporteur : il faut le conserver. Mais, nous y reviendrons en séance, il faut vraiment laisser une certaine liberté à celles des interprofessions qui ne se retrouvent pas dans ce mécanisme de SRP.

Je défends la durée de trois ans, qui me paraît nécessaire pour voir si cette expérimentation fonctionne. Regardons ce qui s’est passé au cours des trois dernières années : crise du covid, inflation…

Je retire mon amendement CE32 mais j’en défendrai un autre, CE33, qui prévoit que le ruissellement et le partage de la valeur au sein des filières sont les conditions de la reconduction du SRP majoré.

L’amendement CE32 est retiré.

M. Stéphane Travert (RE). Lorsque le SRP a été mis en place, il était soutenu par l’ensemble des organisations agricoles ; et comme le dit très justement Dominique Potier, la crise sanitaire a empêché que cette expérimentation se déroule correctement. Il faut donc, à mon sens, adopter l’amendement du rapporteur : en l’état actuel de nos travaux, il apparaît nécessaire de maintenir l’encadrement des promotions et l’expérimentation du SRP – quitte, d’ici à la séance, à travailler avec l’ensemble des filières qui rencontrent aujourd’hui des difficultés avec le SRP, notamment celle des fruits et légumes, pour voir si nous pouvons trouver une rédaction plus adaptée.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Nous manquons en effet d’éléments. Un rapport d’information des sénateurs Daniel Gremillet et Anne‑Catherine Loisier publié le 19 juillet 2022 présente un certain nombre de constats. Il donne l’exemple de la fraise gariguette, pour laquelle le SRP s’est traduit par une baisse de 10 % du tarif d’achat aux agriculteurs.

Dans l’état actuel des choses, il est délicat de supprimer le seuil de revente à perte majoré, faute de savoir ce qu’il adviendrait. Certaines organisations syndicales le critiquent, mais sans véritablement proposer de l’éliminer. Je n’y suis pas favorable non plus. Comme le disait Dominique Potier, un temps de réflexion est nécessaire afin de savoir exactement ce qui se passe et notamment de distinguer ce qui relève d’autres facteurs, tels que l’inflation liée au coût de l’énergie.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Nous sommes d’accord, Monsieur Potier : il faut surveiller, et particulièrement le SRP.

Monsieur de Fournas, mes remarques visaient la rédaction des amendements, en relevant que l’encadrement des promotions et le SRP sont deux choses complètement distinctes.

Comme André Chassaigne à l’instant, vous avez pointé la question compliquée des produits frais alimentaires, que nous allons aborder après l’article 2. Nous connaissons tous la courte durée de vie de ces produits et leur dynamique de vente particulière, qui placent les filières concernées dans une logique complètement différente. Cela pose la question de leur exonération. Je vous propose de prolonger l’expérimentation relative au dispositif SRP + 10, et que le groupe d’études sur la grande consommation et les pratiques commerciales dans la distribution suive de près la manière dont le Gouvernement exerce son contrôle sur l’application de ce dispositif.

Les amendements CE32 et CE42 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CE63 et l’article 2 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CE16 tombe.

 

 

Après l’article 2

 

 

Amendement CE3 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR). Les produits d’entretien et d’hygiène-beauté distribués dans les grandes et moyennes surfaces vendant majoritairement des produits alimentaires ne sont pas protégés par les dispositifs des lois Egalim 1 et 2. Ils ont vu leurs taux promotionnels exploser, pour dépasser en moyenne 45 %, soit plus du double de celui des produits alimentaires.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je comprends parfaitement la motivation de cet amendement, et la question est légitime. Mais à ce stade je suis réservé et mon avis est défavorable, sans présumer des discussions ultérieures en séance publique, au Sénat et en commission mixte paritaire. Le dispositif est déjà suffisamment complexe à piloter – notamment en ce qui concerne l’effet sur les prix pour le consommateur – pour ne pas l’étendre au-delà des produits alimentaires, pour lesquels cette proposition de loi a été conçue.

M. Thierry Benoit (HOR). Si ce bon amendement n’est pas adopté en commission, j’attire l’attention du rapporteur sur la nécessité pour notre assemblée d’avancer sur ce sujet dès l’examen en séance publique. L’industrie dans le secteur de la droguerie, du parfum et de l’hygiène est fragilisée par la pression indirecte qu’exercent les pratiques de la grande distribution dans le secteur des produits agricoles et alimentaires.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE9 de M. Dino Cinieri et amendements identiques CE4 de M. Dino Cinieri et CE51 de M. Éric Girardin (discussion commune).

M. Dino Cinieri (LR). Cet amendement propose d’étendre le plafonnement des promotions en valeur aux produits de grande consommation non alimentaires. Le manque d’encadrement aboutit en effet à une logique de destruction de valeur, que la disposition proposée permettrait de contenir.

M. Jean-Pierre Taite (LR). L’amendement CE4 propose d’étendre l’encadrement des promotions à tous les produits de grande consommation, dans les conditions prévues par l’article 125 de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (loi Asap).

M. Éric Girardin (RE). Le dispositif SRP + 10 protège bien les produits alimentaires. Il n’en demeure pas moins qu’il est contre-productif pour l’ensemble des autres produits – y compris de grande consommation – avec l’explosion des taux promotionnels. Il faudra de toute façon aborder cette question lors de la discussion de ce texte, car un problème de concurrence se pose : certains produits sont protégés et d’autres non.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis tout à fait ouvert à des discussions sur ces sujets.

S’agissant du secteur droguerie, parfums et hygiène, j’attire votre attention sur la différence qui existe entre l’encadrement des promotions et le dispositif SRP + 10. Pour ma part je ne suis pas favorable à l’extension de ce dernier, car on ne sait pas encore ce qu’il va donner pour le secteur alimentaire. Quant à la question de l’encadrement des promotions, elle est légitime, mais elle se pose de manière différente.

À ce stade donc, avis défavorable.

M. Dominique Potier (SOC). Nous avons tous été contactés par les multinationales du secteur de l’hygiène, qui soulignent qu’il s’agit de produits de grande consommation. La question mérite d’être posée. Souhaitez-vous l’écarter parce qu’elle ne concerne pas le secteur agroalimentaire ? Peut-on la renvoyer à un autre texte ?

M. Thierry Benoit (HOR). Je me souviens des travaux conduits sur ce point il y a trois ans dans le cadre de la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution. Lorsqu’on évoque le secteur de la droguerie, des parfums et de l’hygiène, on pense souvent à des produits de luxe alors qu’il s’agit aussi de produits de première nécessité, notamment pour les enfants. Il est nécessaire d’utiliser le présent texte pour obtenir des avancées. Nous devons y travailler d’ici à la séance.

M. André Chassaigne (GDR-NUPES). Le fond du problème réside dans le fait que les matières premières agricoles sont protégées lors des négociations sur les prix, alors que ce n’est pas le cas pour les matières premières industrielles. Pour ces dernières, l’évolution des prix de l’énergie, des transports et des emballages joue un grand rôle mais il s’agit d’une question différente de celle de la protection des prix au niveau élémentaire.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Amendement CE37 de M. Grégoire de Fournas.

M. Grégoire de Fournas (RN). Dans certains secteurs, le SRP a été nuisible puisque les 10 % ne se sont pas répercutés sur le prix de vente mais sur le prix d’achat – je pense notamment aux producteurs de fruits et légumes. Il existe une possibilité de dérogation. La loi prévoit que la demande doit en être faite par l’interprofession – sauf qu’en l’occurrence, les distributeurs s’y opposent. L’amendement propose qu’outre les interprofessions, les professions puissent aussi demander une dérogation, afin de ne pas exiger un accord entre la chèvre et le loup.

Cela n’est pas contradictoire avec l’amendement suivant CE14 de M. Dive, qui vise plus précisément la filière fruits et légumes. Je propose d’inscrire dans la loi un principe général, pour aider tous les secteurs qui pourraient à l’avenir connaître cette difficulté.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable. La loi ne doit pas descendre à un niveau de précision tel qu’elle doive autoriser des organisations de producteurs à demander des dérogations en fonction de leurs intérêts. Selon moi, il faut s’en tenir à l’échelon de l’interprofession, car elle fabrique du droit par le biais du mécanisme de l’extension des accords. Le législateur est fondé à s’appuyer sur un accord interprofessionnel étendu.

C’est une question très compliquée et nous verrons à quoi nous pourrons aboutir avec l’examen de l’ensemble des amendements. Je suis parfaitement conscient que le secteur des produits alimentaires frais est différent des autres produits alimentaires, en raison de la durée de vie des produits et de la dynamique de vente.

J’ai été directeur d’interprofession pendant une douzaine d’années et je peux dire que moins l’État s’en mêle, mieux les interprofessions se portent. Très franchement, je ne suis donc pas très à l’aise avec cette question.

Je ne suis pas favorable à ce que l’on revienne sur le dispositif de l’article 125 de la loi Asap, qui fonctionne.

M. Grégoire de Fournas (RN). La loi prévoit déjà qu’une demande de dérogation peut être effectuée par la profession s’il n’existe pas d’interprofession, et cela ne pose pas de difficulté. Mon amendement propose d’étendre cette faculté même lorsqu’une interprofession existe.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je ne veux pas causer de tort aux interprofessions. Il faut aussi respecter leur capacité de produire du droit.

Dans cette affaire, il y a un non-dit : la grande distribution est entrée dans pratiquement toutes les interprofessions, mais on ne peut pas présumer comme vous le faites que les interprofessions n’arriveront pas à établir un accord car la grande distribution s’y opposera. Il faut miser sur le fait que des interprofessions vont parvenir à définir l’intérêt général, et nous aurions tort de nous substituer à elles. C’est la raison pour laquelle il n’est pas bon de supprimer l’échelon interprofessionnel.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendement CE14 de M. Julien Dive.

M. Julien Dive (LR). L’adoption du dispositif SRP + 10 lors de la loi Egalim 1 visait à permettre une forme de ruissellement jusqu’au producteur. À cette occasion et lors des débats sur le projet de loi Egalim 2, nous avions été plusieurs à défendre la possibilité d’une exception en faveur de certaines interprofessions, dès lors qu’un accord existe en leur sein.

Il s’avère que le dispositif SRP + 10 a des atouts indéniables, puisque des producteurs en tirent profit. Mais la médaille a aussi son revers. On peut s’interroger sur les effets du dispositif sur des produits comme la Cristaline ou le Ricard : je ne suis pas certain qu’ils se manifestent jusqu’aux producteurs…

Par ailleurs, lorsque certaines interprofessions – comme celle du secteur des fruits et légumes frais – sont sur le point de s’entendre, il y a toujours un vilain petit canard qui s’y oppose. Je ne le nommerai pas, mais ce n’est généralement pas le représentant des producteurs. De ce fait le SRP + 10 continue à s’appliquer, sauf que compte tenu des seuils de prix psychologiques – 1,99 euro par exemple – il se transforme en fait pour les producteurs en « SRP - 10 ». On peut se demander à qui profite le crime.

C’est la raison pour laquelle il convient de préserver ce type d’accord en prévoyant dans la loi que les filières des fruits et légumes doivent donc être exemptées du SRP + 10 dès l’expiration de la période d’expérimentation actuelle, le 15 avril 2023.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Vous connaissez bien ces questions et, sur le fond, je suis d’accord avec vos arguments. Mais je suis gêné que nous soyons en train d’en débattre à la place des interprofessions.

Dans cette affaire, des acteurs prennent la parole à l’extérieur de l’instance dont ils sont adhérents et où ils ont voix au chapitre pour déterminer l’intérêt général de la filière, provoquant des effets de bord sur la cohérence économique des interprofessions, sur lesquelles nous nous appuyons depuis Egalim 1. C’est pour cette seule raison que je vous demande de retirer votre amendement. Ce sujet entraîne des tensions entre les acteurs. Je ne souhaite pas que nous nous substituions aux débats et aux accords interprofessionnels, qui sont d’excellents outils. Rediscutons-en en séance, mais à ce stade, je donne un avis défavorable.

M. Julien Dive (LR). Je suis certain que le rapporteur est convaincu de la pertinence de l’amendement. Je suis bien conscient aussi de la nécessité de veiller à la qualité de sa rédaction, afin d’éviter des effets indésirables pour des filières qui, elles, veulent continuer à bénéficier du SRP + 10. Je vais reprendre le travail, toujours avec la filière concernée et l’ensemble des représentants des agriculteurs, en vue de la séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE33 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Pour résumer, avec le dispositif SRP, 500 millions d’euros ont disparu et vous nous dites que si on le supprimait, cette somme serait réclamée aux fournisseurs, et donc aux producteurs. C’est une forme d’impasse.

On prolonge l’expérimentation pour trois ans ; encore faut-il l’évaluer en temps réel. C’est le sens de l’amendement, qui propose que « Les dispositions du présent article relatives au seuil de revente à perte majoré sont reconductibles sous réserve d’un contrôle annuel démontrant que la valeur qui en est issue soit répartie équitablement entre les différents acteurs de la filière. » C’est beau comme l’antique…

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis d’accord sur le fond et cela relève de notre mission de contrôle. Mais vous introduisez une insécurité juridique. Qui est chargé de rédiger le rapport, qui en est responsable ?

Nous légiférons beaucoup, mais notre mission constitutionnelle de contrôle est réduite à peau de chagrin. Nous la remplissons mal et pas assez. Nous avons la chance de disposer d’un groupe d’études sur la grande consommation et les pratiques commerciales dans la distribution : profitons-en pour nous emparer de cette question, contrôler cette expérimentation pendant trois ans et ne pas laisser l’administration et le Gouvernement s’en occuper seuls. Avis défavorable.

M. Dominique Potier (SOC). Je maintiens l’amendement. Il y a des limites : on nous demande de légiférer tout de suite pour éviter qu’un dispositif disparaisse le 15 avril, en comptant sur un groupe d’études qui réalisera peut-être un contrôle parlementaire, à un certain moment, on ne sait pas avec qui.

Cet amendement pose les bons principes. Peut-être faudra-t-il en améliorer la rédaction en séance pour ce qui est des modalités de contrôle, éventuellement en confiant le contrôle à un médiateur. Mais reconduire 500 millions à la main des distributeurs n’est pas sérieux dans le contexte actuel, car il n’y a aucune garantie que cette somme ruisselle vers les producteurs, les industriels et les consommateurs.

La commission adopte l’amendement.

 

 

Article 3 (art. L. 441-3 du code du commerce) : Prix applicable en l’absence d’accord entre les parties à l’échéance au 1er mars de la période légale des négociations commerciales

 

 

Amendement de suppression CE12 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR). L’article 3, en voulant inciter à un rééquilibrage des relations commerciales, risque paradoxalement d’entraîner des effets d’éviction pour les PME et les ETI. En effet, il pourrait rendre impossible le maintien de certaines références en l’absence d’accord au 1er mars. Les produits des PME étant substituables, le changement substantiel de prix entre le 1er et le 2 mars pourrait constituer un argument pour le distributeur, lui permettant de justifier le déréférencement rapide du fournisseur PME au profit de ses concurrents. Il convient donc de supprimer cet article.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis évidemment défavorable à la suppression de cet article, qui constitue l’un des piliers de la proposition de loi.

Des représentants des PME ont fait part de leur crainte d’un risque de déréférencement. Je suis convaincu que cela repose sur un malentendu. Après tout, rien n’interdit à un fournisseur de signer le 28 février à minuit. L’article 3 s’applique en cas d’échec de la négociation au 1er mars. Il ne change absolument rien à ce qui se passe avant cette date : rien n’empêche un fournisseur qui craint d’être déréférencé de céder.

Je crois qu’il y a sur cette question encore une mauvaise lecture de la situation. En 2022, avec l’augmentation des prix, les choses se sont mieux passées pour les marques de distributeurs, qui concernent essentiellement des PME, que pour les marques nationales, qui reposent sur des PME, des ETI et, évidemment, des filiales de multinationales. Les distributeurs ont des marges beaucoup plus importantes sur les MDD – entre 25 % et 40 % de marge : en la matière, ils écrasent les marques nationales. C’est ce qu’ils voudraient pouvoir continuer à faire, et c’est pour cela qu’ils m’accusent d’être l’instrument du lobby des marques multinationales, ce qui est grossièrement inexact.

J’insiste : il n’y a pas de risque de déréférencement. L’article 3 introduit une incitation à trouver un accord de manière plus équitable entre les deux acteurs, mais il est toujours possible de signer avant le 28 février à minuit.

M. Grégoire de Fournas (RN). Les industriels craignent le déréférencement, mais ils ne sont pas à l’origine de cet amendement. Ils sont plutôt favorables au suivant du rapporteur, qui permet l’intervention d’un médiateur pour essayer d’éviter le déréférencement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CE65 de M. Frédéric Descrozaille et CE54 de Mme Marie Pochon (discussion commune).

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. La version initiale de la proposition de loi était extrêmement brutale : faute d’accord, tout était fini le 2 mars. Maintenant, la disposition sur les conditions générales de vente (CGV) en vigueur fonctionne en quelque sorte comme la dissuasion nucléaire : elle ne s’appliquera évidemment pas.

On parle bien des CGV qui sont la base de la négociation, du « trois fois net », voire du « cinq fois net ». Du fait même de l’existence d’un contrat, des remises inconditionnelles s’appliquent – moins 11 % –, auxquelles s’ajoutent des remises en fonction du volume. Il faut aussi prendre en compte la coopération commerciale – il est quand même bon de rappeler que même la mise en rayon est financée par les fournisseurs. Si l’on part d’une base 100, avant même de démarrer la vente on se situe en réalité à 60.

Il est absurde de faire peur aux consommateurs en annonçant des hausses de trente à quarante points. C’est n’importe quoi, d’autant que la répercussion sur le consommateur n’est pas totale : une hausse de quinze points des coûts des distributeurs ou des industriels se traduit par une hausse beaucoup plus modérée du prix de vente, de quelques points seulement.

L’amendement prévoit simplement qu’en cas d’échec de la négociation, celle-ci repart sur la base des CGV envoyées le 1er décembre. Rien n’empêche les acteurs de se mettre d’accord. Rappelons-nous que Lactalis, premier groupe laitier mondial, avait été déréférencé par Leclerc pendant trois mois à la suite de l’échec de la négociation : ils ont repris les discussions et ont abouti à un contrat.

Le médiateur peut intervenir pendant un mois, jusqu’au 1er avril. Cela permet de déterminer s’il est possible de relancer le contrat ou bien, si l’on ne se fait plus confiance ou que l’on ne veut plus travailler ensemble, de définir les conditions d’un préavis. Ce n’est qu’en cas d’échec de la médiation que l’on repart vraiment à zéro et que s’appliquent les CGV en vigueur.

J’insiste sur le fait qu’il est possible de saisir le médiateur avant le 1er mars, et que le dispositif s’articule parfaitement avec la sanction administrative prévue en cas de dépassement de la date limite de signature.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). L’accord de fixation des prix entre le fournisseur et le distributeur est chaque année une source de tension, exacerbée par la guerre en Ukraine, les conséquences de plus en plus sévères des changements climatiques, l’explosion des coûts de l’énergie et la spéculation sur les cours. Malheureusement, la présence de médiateurs n’arrangera pas tout. En 2022, des réunions ont eu lieu pratiquement chaque semaine après le mois de mars, parfois même en présence de ministres, sans qu’on puisse trouver un accord.

Chaque année, pendant la négociation, à défaut d’accord sur les prix, le distributeur peut continuer à commander et le fournisseur est obligé de le livrer au prix de l’année précédente pendant une période de préavis de plusieurs mois. Cette pratique peut créer un fardeau économique insupportable pour l’industriel et n’incite pas le distributeur à trouver un accord.

La proposition de loi prévoyait que, sans accord au 1er mars, toute commande effectuée par le distributeur devrait se faire sur la base du tarif et des conditions générales de vente en vigueur. Cela expose cependant la négociation à un nouveau risque : celui d’abus de la part des fournisseurs, qui pourraient ainsi facilement imposer des hausses de prix faramineuses aux distributeurs, entraînant une hausse des prix des biens de consommation pour l’ensemble des Françaises et des Français, qui n’en ont franchement pas besoin. Nous proposons donc d’encadrer davantage cette pratique en instaurant des conditions strictes pour la détermination des prix par le fournisseur.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable. La menace d’un fournisseur qui profiterait de la situation pour imposer des hausses inconsidérées relève de la science-fiction. Un distributeur veut vendre, et aucun patron ne souhaite qu’une loi lui permette de se fâcher brutalement avec son client et de lui imposer des hausses de 30 % ! C’est absurde !

Votre amendement prévoit les conditions d’une rupture de préavis lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre. Nous nous sommes penchés sur cette question, mais le mieux est de laisser les acteurs définir entre eux les conditions auxquelles ils veulent ou non travailler. Je me borne, pour ma part, à introduire l’idée que, faute d’accord au 1er mars, il n’y a plus de contrat. Je souhaite que le juge comprenne cela : s’il n’y a plus de contrat, le fournisseur n’est plus obligé de livrer, mais les acteurs peuvent continuer à se mettre d’accord, avec ou sans médiateur. En tout état de cause, ils restent libres.

M. Grégoire de Fournas (RN). Je ne comprends pas bien le sens de cet amendement, qui est favorable à la distribution alors que le texte a plutôt pour objet de rétablir l’équilibre avec le fournisseur. Peu de fournisseurs tentent d’imposer des augmentations de 30 % d’une année sur l’autre – ils s’efforcent plutôt de compenser l’inflation. Le groupe Rassemblement national y sera donc défavorable.

M. Dominique Potier (SOC). L’amendement du rapporteur me semble rendre le texte initial plus précis et plus fort. Il décrit bien la mécanique de médiation qui permet, le cas échéant, d’organiser la sortie ou de reprendre langue pour trouver un accord commercial qui satisfasse les deux parties.

Reste que vos réponses à la question très pertinente qu’a posée M. Cinieri tout à l’heure ne sont pas satisfaisantes. Vous vous fondez sur le rapport de force entre les marques et la distribution : hormis le cas exceptionnel de Lactalis face à Leclerc, il est vrai que la grande distribution ne peut guère se passer d’une grande marque, qu’elle provienne d’une ETI ou d’une multinationale. Vous prévoyez donc que les négociations reprendront, de peur de voir la marque s’en aller. Mais ce rapport de force n’existe pas pour une PME qui est référencée localement et connue d’un faible rayon de consommateurs. Une PME peut donc être éliminée brutalement, et l’amendement ne lui donne pas de garanties suffisantes.

Selon vous, la question ne serait pas de savoir si le fournisseur est une multinationale ou une PME, mais s’il s’agit ou non d’une grande marque. Toujours est-il que, malgré l’amélioration que vous apportez au dispositif, les PME qui n’ont pas de marque risquent d’être pénalisées.

M. Thierry Benoit (HOR). Le monde des négociations commerciales n’est pas celui des Bisounours. On y trouve des acteurs très durs, notamment dans les pratiques commerciales décrites devant la commission d’enquête sur la grande distribution.

Les centrales internationales et les distributeurs commencent par négocier en déflation, après quoi interviennent les remises, ristournes, rabais, services et pénalités de toutes sortes – c’est sacrément compliqué. Il me semble intéressant, comme le propose le rapporteur, de prévoir une période transitoire d’un mois au terme des négociations, avec l’intervention d’un médiateur, et surtout de pouvoir faire apparaître s’il y a, oui ou non, mauvaise foi. Faute d’accord, le fournisseur peut, au lieu de subir une cessation brutale du contrat, le proroger d’un mois sous l’autorité du médiateur : si la bonne foi prévaut, les deux parties doivent pouvoir s’entendre, puisque c’est leur intérêt.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Nous sommes vraiment au cœur du sujet. Monsieur Cinieri, Monsieur Potier, vous évoquez une situation dans laquelle le fournisseur craindrait le déréférencement parce qu’il ne serait pas indispensable.

Dans la pratique, le chantage à la non-livraison est plus efficace pour les marques de distributeurs. De fait, sur les quelque 170 cas dont a été saisi le médiateur, on ne compte pratiquement pas de MDD, mais presque exclusivement des marques nationales. Des problèmes peuvent se poser pour de petites marques nationales, reposant sur des savoir-faire artisanaux ayant donné naissance à de grosses PME ou à des ETI familiales.

Le distributeur a besoin des marques comme produits d’appel, puisqu’il marge sur les MDD. Je ne suis donc pas sûr qu’il puisse facilement s’en passer dans son mix marketing, surtout s’il s’agit de marques locales ou un peu connues, mais admettons : dans l’hypothèse où le distributeur penserait qu’il peut se passer d’un fournisseur et lui proposerait des conditions financières très dures, rien n’empêcherait le fournisseur de les accepter. Si vraiment elles ne sont pas vivables et que la négociation a été menée volontairement pour capoter et déréférencer le produit, alors s’applique le critère de bonne foi rappelé par M. Benoit.

En effet, mon amendement n’introduit pas seulement une période d’un mois qui laisse aux acteurs la possibilité de définir les termes dans lesquels ils cesseront de travailler ensemble ou relanceront la relation commerciale : il pose le principe de la bonne foi, définie dans le code civil. Le médiateur pourra ainsi éclairer le contentieux. Ce sera par exemple le cas si un fournisseur fait 70 % de ses affaires avec trois acheteurs qui ont accepté une hausse de 6 % et qu’un autre acheteur menace de l’écarter du marché au-delà de 2 %. L’obligation de bonne foi protège donc des négociations menées sciemment pour capoter – mais il s’agit vraiment là d’exceptions.

 

La commission adopte l’amendement CE65 et l’article 3 est ainsi rédigé.

En conséquence, l’amendement CE54 tombe, de même que l’amendement CE50 de M. Jean-Pierre Taite.

 

Après l’article 3

 

 

Amendement CE20 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement des députés socialistes et apparentés, déjà défendu dans le cadre de la loi Egalim 2, vise à imposer le principe de l’identification ligne à ligne de la rémunération de chaque service ou obligation dans le cadre de la convention entre distributeur et fournisseur. Il procède d’un souci de transparence et alimente un vieux débat au sein de notre assemblée.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Il s’agit, là encore, de l’extension du dispositif aux produits de droguerie, parfumerie et hygiène. Comme tout à l’heure, votre question est fondée, car vous allez vraiment au-delà de l’encadrement des promotions et du SRP. Néanmoins, avis défavorable à ce stade.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE27 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement vise à rendre obligatoire, dans certains secteurs définis par décret, la transparence en cascade sur le tunnel de prix pratiqué pour l’achat de matières premières agricoles (MPA) dans les conditions générales de vente du contrat aval et la convention écrite.

Dans le secteur de la viande bovine, par exemple, les acteurs du milieu de filière achètent des animaux vivants, pour vendre des morceaux de viande. Le prix moyen d’achat à mentionner dans les CGV de leur contrat avec leur client distributeur est donc issu d’une équation qu’eux seuls connaissent.

Aussi, pour renforcer la transparence de ce prix moyen d’achat des matières premières agricoles dans le contrat aval, il est proposé de rendre obligatoire la mention supplémentaire, dans certains secteurs définis par décret, dont celui de la viande bovine, du tunnel de prix pratiqué dans le contrat amont passé entre l’industriel et l’éleveur ou l’organisation de producteurs.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. L’amendement me semble être satisfait par l’article 2 de la loi Egalim 2, qui dispose que « Dans la clause de prix des contrats de vente de produits agricoles mentionnés à l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, les parties peuvent convenir de bornes minimales et maximales entre lesquelles les critères et les modalités de détermination ou de révision du prix, intégrant notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture, produisent leurs effets. »

Soit donc l’amendement est satisfait, auquel cas je vous demande de le retirer, soit il n’est pas satisfait, et je m’interroge alors sur l’articulation entre la disposition que vous voulez introduire et ce que je viens d’évoquer.

M. Dominique Potier (SOC). Par prudence, je retire l’amendement. Nous allons examiner la question avec la filière bovine et y reviendrons en séance publique.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE6 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR). La loi Egalim 2 a réduit aux seules denrées alimentaires le champ d’application du mécanisme d’individualisation unitaire de la valeur réelle des contreparties, qui permet de rationaliser la négociation et de donner de la traçabilité à la formation du prix convenu. Or la destruction de valeur liée à la guerre des prix dans la grande distribution ne se limite pas aux seuls produits alimentaires, mais touche aussi des produits relevant de l’hygiène, de la beauté, des piles électriques ou de l’entretien de la maison.

Ces produits obéissent à la même fréquence d’achat que les produits alimentaires et sont confrontés à une très forte déflation, d’ailleurs très supérieure à celle subie par les produits alimentaires, avec une baisse moyenne des tarifs nets des industriels de 16 % en cumul sur les six dernières années, soit plus du double de celle observée sur les produits alimentaires.

Il convient donc d’étendre ce mécanisme de transparence et de protection tarifaire aux produits d’entretien et d’hygiène.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je comprends les fondements de cette proposition et vous remercie d’ouvrir ce débat. À ce stade, cependant, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE58 de Mme Anne-Laure Babault.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). La loi impose aux deux parties de fixer un chiffre d’affaires prévisionnel sans préciser les produits. Or le chiffre d’affaires est calculé en grande partie sur les produits intégrés à l’assortiment, ce qui semble logique. Il y a donc un manque dans les textes.

L’amendement vise donc, d’une part, à donner au fournisseur de la visibilité sur les références entrantes et sortantes de son assortiment par typologie de magasins, afin de calculer précisément son chiffre d’affaires prévisionnel dans l’enseigne, et d’autre part à garantir au distributeur un approvisionnement certain pour l’année négociée et à ce que le partenariat signé soit conduit de manière constructive. À ce jour, tous les distributeurs ne donnent pas cette visibilité aux fournisseurs, se laissant l’opportunité de revenir en cours d’année sur leurs engagements pris durant la négociation et entretenant un flou en leur faveur.

L’amendement tend à clarifier la relation commerciale future en faveur des PME et des ETI, qui sont plus sensibles aux évolutions de référencement des assortiments, et à éviter des relations déséquilibrées.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je comprends votre motivation et ce que vous demandez est utile pour le fournisseur, mais j’ai des doutes quant au caractère opérationnel de l’amendement. Je vous demande pour l’instant de le retirer. Très souvent, en effet, le contrat négocié concerne un grand nombre de références et de produits, et je ne sais pas s’il est réellement possible à l’acheteur de définir à l’avance ce qui se passera. C’est peut-être possible par la suite, sous forme de contrôle. J’ai besoin de disposer d’avis formulés par des opérationnels pour expertiser cette proposition.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Pour avoir négocié et contractualisé durant plusieurs années avec la grande distribution, je peux vous confirmer que les acheteurs sont en mesure de lister les références par typologie de magasins – ils le font, du reste, mais ne communiquent pas ces données.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE8 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR). Cet amendement propose d’introduire le principe d’autonomie du tarif général des fournisseurs, sous réserve du respect d’un délai de préavis de trois mois. Cette convention récapitulative aurait pour objet l’exhaustivité des engagements réciproques des parties, sans toutefois figer le prix convenu, lequel varierait en cours d’année par application du tarif en vigueur au moment de la vente et des conditions commerciales convenues pour l’année. Le changement de tarif général n’emporterait pas la réouverture des négociations entre les parties.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Cela me paraît déraisonnable. À ma connaissance, si les industriels étaient réservés à propos de l’article 3, c’est parce qu’ils étaient favorables à une disposition plus radicale : l’autonomie du tarif. Mais ce n’est pas loin de porter atteinte à la liberté du commerce. L’effet de correction du rapport de force introduit par l’article 3, avec en particulier la référence à la bonne foi, me semble plus raisonnable. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE45 de M. Richard Ramos.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Les pénalités logistiques atteignent des sommes considérables et menacent la survie de nombreuses entreprises de l’agroalimentaire. L’amendement tend donc à instituer un plafond de 2 % de la valeur de la ligne des produits commandés afin d’empêcher les acheteurs de pénaliser de façon disproportionnée les retards de livraison, artifice qui pourrait être sous-tendu par une volonté de compenser les prix fixés contractuellement et de contourner une possibilité de renégocier en cours d’année, méthode malheureusement encore pratiquée.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis résolument favorable à cet amendement, et navré de devoir l’être. En effet, la loi Egalim 2 devrait largement suffire, mais il est avéré que le contournement de la loi est un sport national au niveau de la fonction achats de la GMS.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE43 de Mme Anne-Laure Babault.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Les pénalités logistiques sont devenues une source de transfert de marges au profit des distributeurs et au détriment des fabricants de produits de grande consommation, à tel point que le législateur a jugé utile, avec la loi du 18 octobre 2021, d’insérer dans le code de commerce des dispositions spécifiques.

Néanmoins, les distributeurs continuent d’adresser des factures de pénalités qui ne sont assorties d’aucune preuve de la réalité des préjudices ni de la justification des montants appliqués. L’amendement tend donc à prévoir une justification réelle de ces factures.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis pleinement favorable à l’esprit de cet amendement – et, encore une fois, c’est un comble de devoir rappeler le droit. À ce stade cependant j’en demande le retrait, pour des raisons techniques dont nous pourrons discuter. L’article L. 441-17 du code de commerce prévoit que « La preuve du manquement doit être apportée par le distributeur par tout moyen. Le fournisseur dispose d’un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant ». Il me semble, à part la précision sur la simultanéité de l’envoi que vous introduisez, que cet article répond à votre préoccupation. D’après les échos que j’en ai, il permet déjà aux services de Bercy et à la DGCCRF de contrôler qu’il n’y a pas d’abus.

M. Thierry Benoit (HOR). Mais pourquoi ne pas supprimer purement et simplement les pénalités logistiques, système inventé par le secteur de la grande distribution pour obtenir une contrepartie financière – comme s’il ne suffisait pas de tirer les prix au plus bas et de négocier en déflation au moment des négociations commerciales ? Tout le monde, Autorité de la concurrence et DGCCRF comprises, trouve cela normal, mais personne n’accepterait qu’une PME ou une ETI décide soudain d’appliquer des pénalités au maillon amont !

Les pénalités logistiques font perdre beaucoup de temps aux entreprises. Elles font l’objet de véritables batailles juridiques. Au lieu d’être axées sur les qualités nutritionnelles d’un produit, la sécurité sanitaire, la responsabilité sociale des entreprises ou le passage à une économie décarbonée, les négociations commerciales ne sont que des batailles d’avocats où l’on parle de tout sauf du produit lui-même. L’objet de la loi devrait être de revenir à l’essentiel.

Je n’ai pas pris part au vote sur l’amendement du MODEM qui vient d’être voté, car il ne donne que l’illusion qu’on fait quelque chose. Réfléchissons sérieusement, d’ici à la séance publique, à la suppression des pénalités logistiques.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Article 4 (art. L. 441-1-1 du code de commerce) : Attestation du tiers indépendant fournie en amont de la négociation dans le cadre de la troisième option prévue par l’article L. 441-1-1 du code de commerce pour assurer la transparence des négociations commerciales concernant la matière première agricole

 

 

Amendement CE19 de M. Laurent Alexandre.

M. Laurent Alexandre (LFI-NUPES). Cet amendement vise à supprimer l’option 3 du mécanisme de transparence actuellement en vigueur dans les négociations entre les fournisseurs et les acheteurs, qui permet aux fournisseurs de ne pas faire la transparence sur la part des matières premières agricoles et leur prix dans la proposition de tarif. Cela permettrait de renforcer la transparence sur la part de ces matières agricoles dans les tarifs des fournisseurs de produits alimentaires. C’est une nécessité pour mieux protéger la rémunération des agriculteurs et de tous les maillons de la chaîne d’approvisionnement tout en assurant les prix les plus accessibles aux consommateurs.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable. L’option 3 est la plus efficace et celle qui est, et de loin, la plus souvent choisie par les acteurs. Rien n’empêche, du reste, les entreprises de choisir les options 1 et 2. Qui plus est, du point de vue de la transparence, les contrats tripartites pourraient être, idéalement, une solution, mais on ne peut pas en faire un modèle unique de commercialisation, car certaines entreprises préfèrent ne pas transmettre toutes leurs factures – elles choisissent l’option 3.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE49 de M. Jean-Pierre Taite.

M. Jean-Pierre Taite (LR). Il s’agit de prendre en compte, dans la transparence, la non-négociabilité et la clause de révision automatique du prix, l’ensemble des coûts de production supportés par l’industriel.

Une aide directe aux consommateurs ne paraît pas une solution adaptée. Quant à une aide aux entreprises de transformation, elle se heurterait au droit européen, qui prohibe les aides accordées selon un critère national. C’est donc bien par la modification des règles applicables à la négociation commerciale qu’il faut agir et c’est ce que vise l’amendement. La préservation des matières premières industrielles justifie que soit instauré un régime similaire à la protection de la matière première agricole.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Cela me semble excessif. Nous devons viser un certain équilibre. La protection de la MPA était motivée fondamentalement par le souci de protéger le revenu agricole, même si s’y est désormais ajouté celui de protéger l’équilibre de la négociation. L’amendement va trop loin et j’y suis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE55 de Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Il s’agit d’un repli par rapport à l’amendement qui vient d’être rejeté. La valorisation de la part des matières premières agricoles dans l’évolution du tarif des industriels était un objectif fixé par la loi Egalim 2, qui impliquait, de fait, une certaine transparence de la part des fournisseurs dans la construction de leurs prix. Aujourd’hui, les fournisseurs doivent choisir entre trois options pour indiquer le coût de la matière première agricole dans leurs conditions générales de vente : une présentation détaillée, une présentation agrégée ou aucune présentation, mais un contrôle de la négociation a posteriori.

La troisième option permet de maintenir une certaine opacité quant à la construction des prix, dont nous ne voulons plus. L’amendement vise donc à réduire le délai laissé aux industriels pour transmettre les informations à partir de l’envoi des conditions générales de vente. Un délai d’un mois semble en effet trop long dans un domaine où le temps a une incidence directe sur les variations de prix : quinze jours sembleraient plus raisonnables.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable, essentiellement pour des raisons opérationnelles. Le recours au commissaire aux comptes pour l’option 3 provoque déjà un engorgement, et il ne paraît pas raisonnable de réduire le délai à quinze jours.

Sur le plan du principe, la transparence ne peut pas être imposée à tout le monde. Je respecte le secret des affaires : laisser aux entreprises la possibilité de ne pas tout livrer est aussi une question de culture d’entreprise. Il est important que les entreprises restent libres. On peut leur rappeler qu’il existe différentes options, mais pour ce qui est de l’option 3, un délai d’un mois me semble raisonnable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement rédactionnel CE61 de M. Frédéric Descrozaille, rapporteur.

 

Amendement CE22 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Nous proposons de faire application des dispositions de la loi du 2 août 2005 en matière d’économie sociale, laquelle doit être, à nos yeux, le modèle de référence. L’amendement vise à ce que les parties puissent notamment s’appuyer sur les modalités de fixation du prix des systèmes de garantie et des labels de commerce équitable pour déterminer les indicateurs utilisés au titre du I de l’article L. 441‑1‑1 du code de commerce.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Sur le fond, je partage votre point de vue mais votre amendement ne contient pas de disposition normative. Demande de retrait.

M. Dominique Potier (SOC). Si l’on devait supprimer de la loi toutes les dispositions à portée symbolique, il ne resterait pas grand-chose. Il faut s’inspirer des réalisations des pionniers du commerce équitable à l’échelle mondiale pour faire en sorte que, dans notre pays, on respecte certains impératifs, comme une rémunération digne pour chacun ou le respect de la trajectoire carbone. Cela ne fait pas une loi bavarde, mais une loi qui fixe une orientation politique.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques CE10 de M. Dino Cinieri et CE44 de M. Romain Daubié.

M. Dino Cinieri (LR). Cet amendement vise à faire bénéficier les très petites entreprises (TPE) et les PME d’une présomption qui les dispense de la délivrance des attestations. En effet, le dispositif de la loi Egalim 2 présente un coût très élevé.

M. Romain Daubié (Dem). Dans l’optique de simplifier les démarches administratives et la vie des entreprises, il s’agit en effet d’exonérer les TPE et PME de la production des attestations mentionnées aux 1° à 3° du I de l’article L. 441‑1‑1 du code de commerce.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je ne suis pas favorable au fait d’introduire une distinction en faveur des TPE et PME. Toutes les sociétés, quelle que soit leur taille, sont soumises à la même obligation, qui est de sanctuariser la matière première agricole. Elles ont le choix entre plusieurs options, dont certaines sont coûteuses sur le plan administratif et d’autres beaucoup moins. Défavorable.

M. Romain Daubié (Dem). Les entreprises ne disposent pas de capacités égales pour constituer des dossiers administratifs. Vous allez pénaliser les petites entreprises locales qui veulent développer les circuits courts.

M. Grégoire de Fournas (RN). C’est peut-être une fausse bonne idée : on peut se demander si la grande distribution continuera à accepter l’option 3. On risque d’enterrer cette option pour les TPE et PME.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Ces amendements suppriment purement et simplement le recours aux options. J’ajoute qu’une microentreprise peut fort bien dégager une forte marge et un excellent résultat tandis qu’une entreprise au chiffre d’affaires beaucoup plus élevé peut éprouver de grandes difficultés. Il n’est pas possible, et serait même injuste, de préjuger de la charge administrative en fonction de la taille de l’entreprise.

La commission rejette les amendements.

 

Elle adopte l’article 4 modifié.

 

 

Après l’article 4

 

 

Amendement CE1 de M. Dino Cinieri.

M. Dino Cinieri (LR). Le secteur de la grande distribution connaît depuis 2014 un vaste mouvement de concentration, au sens économique du terme, du fait de la multiplication des alliances à l’achat entre des enseignes concurrentes. Ces alliances sont donc constituées entre des entités alliées à l’achat des produits mais concurrentes à la revente aux consommateurs. Ces rapprochements, dépourvus de vision ou de projet industriel ou stratégique, se font et se défont à une vitesse qui tend à déstabiliser un marché déjà caractérisé par une guerre des prix et des parts de marché. Il convient d’appréhender ces schémas sous l’angle des opérations de concentration, ce qui permettra aux autorités d’effectuer un bilan concurrentiel et conduira à stabiliser le marché.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Il y a en effet des insuffisances dans le droit actuel mais je ne peux qu’émettre un avis défavorable car il faut encore travailler sur le sujet. Je réitère mon appel au bureau de la commission pour qu’il crée une mission d’information sur le droit de la concurrence.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE39 de M. Nicolas Meizonnet.

M. Grégoire de Fournas (RN). L’esprit est exactement le même que pour l’amendement de Julien Dive sur les fruits et légumes, mais s’agissant non pas du SRP mais de l’article 4 de la loi Egalim 2 sur la non-négociabilité de la matière première agricole. Les interprofessions – et donc surtout les négociants – ont demandé que le vin échappe à cet article. L’amendement vise à faire marche arrière, afin que les viticulteurs, qui éprouvent de grandes difficultés, retrouvent des marges. Il me paraît plus intéressant de travailler en ce sens que de chercher des financements européens pour procéder à l’arrachage de la vigne.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Défavorable. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il ne me paraît pas souhaitable que le législateur se substitue aux interprofessions, qui sont au nombre d’une vingtaine dans le secteur viticole et disposent d’un comité national de coordination. Les interprofessions sont d’ailleurs nées dans ce secteur, dont les acteurs sont rompus au dialogue de filière et défendent excellemment leurs produits. D’ailleurs, la bouteille de vin a été longtemps considérée comme un produit agricole et non un produit alimentaire. Je ne voudrais pas que l’on soit plus royaliste que le roi.

M. Grégoire de Fournas (RN). Je suis prêt à retirer mon amendement à condition que l’on puisse travailler sur cette question d’ici à la séance. Le dispositif ne doit s’adresser qu’à ceux qui produisent la matière première agricole ou qui sont concernés. L’interprofession n’a pas de légitimité pour traiter de la matière première agricole car certains de ses membres n’ont pas intérêt à le faire, comme on l’a vu pour les fruits et légumes. Le législateur ne peut pas se défausser : il doit rétablir l’équilibre en faveur des viticulteurs.

La commission rejette l’amendement.

Amendements identiques CE13 de M. Julien Dive, CE15 de M. Thierry Benoit, CE31 de M. Dominique Potier, CE38 de M. Grégoire de Fournas et CE40 de Mme Annaïg Le Meur.

M. Jean-Luc Bourgeaux (LR). Au cours des huit dernières années, six lois ont été adoptées pour rééquilibrer le rapport de force et les pratiques commerciales entre producteurs et industriels de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Toutefois, ces règles ne sont pas adaptées au commerce de gros. L’activité des grossistes – qui représentent 44 % de la valeur ajoutée du commerce en France – présente une spécificité qui est reconnue par le code de commerce. Les 150 000 entreprises du commerce de gros souhaitent donc voir sanctuariser leur régime juridique, à droit constant, dans le code de commerce. L’amendement a ainsi pour objet de regrouper, au sein du code de commerce, les dispositions existantes relatives aux relations commerciales des grossistes, compte tenu de la spécificité de leur activité. Il s’agit de renforcer la lisibilité réglementaire et la stabilité du droit applicable à ces professionnels et de ne pas perturber ou déstabiliser les relations commerciales avec les acteurs situés en amont ou en aval, qui ne connaissent pas les mêmes difficultés.

M. Thierry Benoit (HOR). Les grossistes nous disent qu’ils n’entretiennent pas les mêmes relations avec la grande distribution que certaines des entreprises qui négocient avec cette dernière. Les dispositions du code de commerce et l’organisation actuelle des négociations commerciales leur conviennent et ils craignent que les multiples lois que nous adoptons en la matière n’entraînent des effets de bord. Ce qu’ils veulent, c’est davantage de lisibilité, et c’est ce qui les conduit à proposer ces dispositions.

M. Dominique Potier (SOC). Il existe trois principaux canaux de distribution : les circuits directs, la GMS, hypercartellisée, et le marché de gros, lequel alimente par exemple la restauration hors domicile ou les marchés de plein air. Peut-être, Monsieur le rapporteur, pourrez-vous nous donner en séance les volumes respectifs de ces trois canaux.

Il est important que ces systèmes coexistent, ce qui suppose que les centrales d’achat n’exercent pas de monopole. Les grossistes ne sont certes pas des enfants de chœur, mais ils jouent un rôle essentiel dans l’équilibre commercial, parce qu’ils forment un réseau alternatif et rendent un certain nombre de services. Ils demandent juste la correction des effets de bord.

M. Grégoire de Fournas (RN). L’idée initiale des lois Egalim était de rétablir l’équilibre entre de nombreux fournisseurs et quelques centrales d’achat. Elles se sont toutefois appliquées aux grossistes, qui, pour leur part, ne connaissent pas ce déséquilibre puisqu’ils sont complètement éclatés. À chaque modification de la loi, ils se battent pour échapper aux nouvelles règles. Il convient de les faire sortir définitivement de ces dispositions.

Mme Annaïg Le Meur (RE). Les grossistes sont effectivement constamment obligés de demander des dérogations, ce qui crée des effets de bord. Il s’agit de regrouper les règles qui les concernent et, partant, de simplifier les relations entre les acteurs.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis très favorable à ces amendements qui renforceront la lisibilité du régime juridique des grossistes – en rappelant que le premier ministre de l’économie à avoir compris ce qu’est un grossiste est Emmanuel Macron.

La commission adopte les amendements.

 

Amendement CE53 de Mme Nicole Le Peih.

Mme Nicole Le Peih (RE). Cet amendement vise à exclure certains produits agricoles alimentaires de l’obligation prévue à l’article L. 441-8 du code de commerce. En effet, la clause de renégociation du prix peut se révéler contre-productive, par exemple pour les produits vendus par des contrats dits à terme, largement utilisés dans le secteur des céréales et des produits de base. L’intérêt de ces contrats est de fixer un prix définitif à une date donnée en vue d’une livraison qui peut intervenir plusieurs mois après ; cela limite le risque encouru par le vendeur lié à la fluctuation du cours du produit. Cette disposition implique le renvoi à une liste, fixée par décret, des produits qui peuvent être exclus du champ d’application du premier alinéa de cet article L. 441-8.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendement CE41 de M. Richard Ramos.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Cet amendement vise à ce que le Gouvernement puisse suspendre l’application des pénalités logistiques prévues dans les contrats en cas de hausse ou de baisse excessive des prix due à une situation de crise d’une ampleur exceptionnelle, affectant gravement la chaîne d’approvisionnement.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement, qui me paraît plus raisonnable que la proposition de suppression pure et simple des pénalités. En effet, le fournisseur peut aussi faire preuve de mauvaise foi ou employer de mauvaises manières, ce qui peut être source de préjudice.

M. Thierry Benoit (HOR). Cet amendement est une illusion – ou alors dites-moi ce qu’est une pénalité logistique prohibitive ! Moi, je ne le sais pas. Les pénalités logistiques sont une invention sans justification. Elles coûtent beaucoup de temps et d’argent aux industriels, en particulier les transformateurs, qui doivent faire appel à des cabinets d’avocats pour des procédures qui peuvent durer des années. Notre rôle est de mettre un terme à ce type de pratiques

M. Romain Daubié (Dem). Cela ne constitue pas une exception dans notre droit : il revient au juge d’interpréter la loi in concreto, comme il le fait par exemple en cas de rupture brutale des relations commerciales. L’amendement a le mérite de mettre en lumière un sujet essentiel. Il faut en débattre, et nous sommes prêts à affiner les choses.

Mme Anne-Laure Babault (Dem). Monsieur Benoit a raison, la question de la suppression des pénalités mérite d’être posée.

M. Hervé de Lépinau (RN). La clause pénale contenue dans certains contrats est révisable par le juge. C’est à l’industriel de placer le curseur selon des critères raisonnables. Par ailleurs, le caractère prohibitif d’un prix se mesure tout simplement à l’aune de son évolution : quand une facture d’électricité connaît une multiplication par cinq ou par dix, c’est prohibitif.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE25 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Cet amendement, qui émane de la Confédération paysanne, vise à tenir compte des produits importés pour le calcul des indicateurs des coûts de production en France mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 442‑7 du code de commerce. L’ordonnance du 24 avril 2019 issue de l’article 17 de la loi Egalim 1 avait pour ambition d’étendre l’interdiction de cession à un prix abusivement bas aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, tout en supprimant l’exigence tenant à l’existence d’une situation de crise conjoncturelle. Elle a également précisé les modalités de prise en compte d’indicateurs de coûts de production dans le domaine agricole. Toutefois, ce mécanisme demeure peu utilisé car la notion de prix abusivement bas reste floue.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable. Je doute de la compatibilité de cette disposition avec le droit communautaire. Par ailleurs, même si sa définition est floue, le prix abusivement bas correspond à la chaîne de valeur existant en France. C’est un concept qui, à mon sens, est inapplicable à des producteurs dont on ne connaît pas les coûts de production, et qui travaillent dans des conditions fiscales, environnementales et sociales qui ne sont pas comparables aux nôtres.

M. Grégoire de Fournas (RN). Tout de même, la proposition de loi complexifie l’achat des productions françaises par les centrales d’achat, ce qui n’est pas le cas pour les productions étrangères. Elle va inciter les centrales à se tourner vers les productions étrangères sans prévoir aucun mécanisme pour y remédier. Nous proposons de mettre fin au libre-échange et d’appliquer des mesures protectionnistes, ce que vous refusez. Une autre solution est le mécanisme de la loi Egalim 2 sur l’étiquetage, qui n’a pas été appliqué. Et vous rejetez également le dispositif proposé par l’amendement. Il faudra pourtant bien faire quelque chose.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je veux bien que nous parlions du libre‑échange, mais il ne faudra pas oublier tous les produits agricoles que nous exportons…

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avec cette proposition de loi, nous insérons dans le code de commerce des dispositions relatives aux négociations commerciales, mais il n’est aucunement question des produits ni de la libre circulation des marchandises.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE26 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Il nous paraît important d’inscrire dans la loi que les parties ont la faculté de recourir aux labels du commerce équitable pour évaluer le partage de la valeur dans la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire. J’espère vraiment, Monsieur le rapporteur, que nous pourrons trouver un consensus en séance pour faire référence à cet idéal.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Nous sommes d’accord sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres. Je vous demande effectivement de retirer votre amendement parce qu’il n’a pas de valeur normative, mais je suis prêt à essayer de parvenir à une proposition commune.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE52 de Mme Nicole Le Peih.

Mme Nicole Le Peih (RE). L’amendement vise, d’une part, à corriger une erreur de rédaction, et, d’autre part, à exclure les contrats de vente dite à terme du champ d’application du VIII de l’article L. 631‑24 du code rural et de la pêche maritime imposant la communication du prix à l’acheteur avant le premier jour de la livraison des produits concernés.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE18 de M. Laurent Alexandre.

M. Laurent Alexandre (LFI-NUPES). Afin de protéger les producteurs et d’assurer l’approvisionnement des Français en produits de grande consommation, nous proposons d’instaurer un prix plancher dans les contrats de vente de produits agricoles distribués sur le territoire français.

Les organisations interprofessionnelles organiseraient, chaque année et pour chaque production agricole, une conférence sur les prix rassemblant producteurs, fournisseurs et distributeurs sous l’égide du Gouvernement. Les syndicats agricoles y seraient également conviés. Cette conférence ouvrirait une négociation interprofessionnelle dans laquelle seraient pris en considération l’évolution des coûts de production, du système de production et des revenus agricoles sur chaque bassin de production pour définir des tarifs planchers, les indicateurs étant fournis par l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires. À l’issue des négociations, le ministère fixerait les différents prix planchers et coefficients multiplicateurs plafonnant les prix des industriels et de la distribution.

Les agriculteurs seraient ainsi moins dépendants des aides de la PAC et moins fragilisés par l’insécurité de certains contrats qui ne fixent pas de prix d’achat. Ils bénéficieraient d’un filet de sécurité permettant de sécuriser l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en produits de grande consommation.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Avis défavorable. Je pressens que vous êtes nostalgique de la PAC des années 1980. L’idée d’un prix plancher tient d’autant moins qu’il risquerait de devenir un plafond. Elle est incompatible avec l’évolution du droit communautaire.

La formation des prix ainsi que le droit pour les opérateurs de se concerter sur les prix et les volumes, voire sur la politique tarifaire, sont autant de sujets pour la mission d’information sur le droit de la concurrence que j’appelle de mes vœux.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE24 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés est à l’initiative de l’expérimentation de conventions tripartites territoriales en vertu desquelles producteurs, transformateurs et distributeurs s’entendaient sur un juste partage de la valeur et sur les indices sur plusieurs années.

Cet outil, issu de la loi Egalim 1, a été utilisé par la filière bio et par des grands distributeurs tels que Picard ou Lidl. Je suis prêt à retirer la demande de rapport que formule l’amendement, mais la prolongation de cette expérimentation prometteuse, fondée sur de solides critères de RSE – responsabilité sociale des entreprises –, est-elle envisagée ? C’est peut-être le modèle économique de demain, les opérateurs le réclament et cela ne coûte rien.

Si le Parlement sert à quelque chose, il doit reprendre les recommandations de ses rapports d’application – en l’occurrence, propositions nos 2 et 3 du rapport d’information sur l’évaluation de la loi Egalim 1 – dans les travaux législatifs.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Nous sommes complètement en phase. Il faut interroger le ministre sur les conventions territoriales.

Je vous invite toutefois à retirer votre amendement car, selon moi, les rapports que nous demandons au gouvernement, nous devrions les écrire nous-mêmes, si nous en avions les moyens.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE57 de Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Certains industriels de l’agroalimentaire souhaitent augmenter leur tarif jusqu’à 25 % à partir du 1er mars 2023. La hausse risque d’être encore une fois spectaculaire et nous ne connaissons toujours pas les marges des acteurs de la distribution.

Depuis cinq ans, le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire ne cesse de croître et notre pays compte 400 000 pauvres supplémentaires. Peut-on décemment laisser les plus grosses enseignes de la distribution dissimuler systématiquement leurs profits et leurs marges ? Nous avons cruellement besoin de ces informations.

L’amendement a donc pour objet de demander au Gouvernement un rapport analysant les évolutions des marges commerciales réalisées par les enseignes de la grande distribution, avec une attention particulière portée aux produits bio dont l’accès pour toutes et tous doit être une priorité.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je rappelle l’existence de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, dont le président fut le premier à être auditionné par notre commission dans cette législature.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis par principe opposé aux demandes de rapport au Gouvernement, d’autant que nous disposons déjà de celui de l’IGF, l’Inspection générale des finances. Même si je comprends votre intention, nous avons déjà un grand nombre d’éléments. Je vous renvoie aussi au groupe d’études sur la grande consommation au sein duquel nous auditionnerons les acteurs de la grande distribution. Demande de retrait.

M. Grégoire de Fournas (RN). J’ai retrouvé une réponse de M. Julien Denormandie, alors ministre de l’agriculture et de l’alimentation, à une question de M. Thierry Benoit dans laquelle il reconnaissait la nécessité de s’intéresser aux marges de la grande distribution, preuve que l’Observatoire que vous mentionnez n’était pas suffisant à ses yeux.

Je soutiens cet amendement.

M. le président Guillaume Kasbarian. Je précise que l’amendement se borne à demander un rapport au Gouvernement sur les marges, rapport qui sera rédigé à partir des données disponibles, lesquelles sont déjà publiées par d’autres organismes. Il ne vise pas à obliger les uns et les autres à publier leurs marges – si vous voulez les y contraindre, il faut le faire à travers un autre amendement.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Je retire l’amendement et, d’ici à l’examen en séance, en déposerai un autre pour exiger la publication des marges.

L’amendement est retiré.

Amendement CE56 de Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Les enseignes de la grande distribution ont la possibilité d’appliquer des pénalités logistiques à leurs fournisseurs lorsqu’elles ne sont pas satisfaites des conditions de livraison.

Certaines enseignes n’hésitent pas à pénaliser lourdement des retards d’à peine quelques minutes et choisissent parfois de renvoyer la marchandise à l’expéditeur, ce qui occasionne un gaspillage important.

En 2022, elles ont appliqué des pénalités logistiques alors même que l’environnement économique était fortement perturbé par les difficultés d’approvisionnement en matières premières, par la réduction significative du nombre de transporteurs routiers en Europe, ainsi que par une variation inédite du prix des matières premières et de l’énergie.

Le rapport ici demandé devra faire la lumière sur les pratiques parfois abusives des enseignes de la grande distribution et sur le poids des pénalités dans leurs recettes.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Je suis parfaitement d’accord sur le fond mais je doute, une fois encore, qu’un rapport soit très utile.

Le groupe d’études sur la grande consommation que j’ai déjà mentionné prévoit d’auditionner de manière très régulière la DGCCRF pour que l’Assemblée soit informée en temps réel de son activité de contrôle, laquelle nous renseignera aussi sur les pratiques abusives.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Je retire l’amendement et en déposerai un autre visant à supprimer totalement les pénalités logistiques.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE30 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier (SOC). Le rapport que prévoit l’amendement porte sur l’une des causes du déséquilibre commercial, que nous dénonçons ici, entre, d’une part, des centaines de milliers de producteurs et quelques industriels – qui, parfois, abusent de leur situation de monopole –, et, d’autre part, le cartel de la grande distribution.

L’Europe que nous sommes prompts à critiquer a donné des moyens nouveaux pour soutenir les organisations de producteurs, y compris dans leurs efforts de commercialisation et de contractualisation. Or la France n’a pas saisi toutes les opportunités d’empuissancement de ces dernières, comme dirait l’ancien président de la commission, qui avait fait sien un terme québécois. Les responsabilités dans cette carence sont politiques et syndicales.

Le rapport doit préciser dans quelle mesure la France s’est emparée des possibilités que lui offrait l’Europe.

M. Frédéric Descrozaille, rapporteur. Le sujet mérite toute notre attention ; une mission d’information sur le droit de la concurrence peut être le lieu idoine pour nous y pencher. La France est très en deçà de ce que permet l’Union européenne. Mais saisissons-nous du sujet grâce aux outils dont nous disposons plutôt que de demander au Gouvernement de travailler à notre place – et sans autre résultat que la fabrication de cold cases, des « affaires froides ».

M. Dominique Potier (SOC). Je retire l’amendement mais soyez sûrs que je vous demanderai en séance de prendre l’engagement de traiter le sujet au sein de la commission.

L’amendement est retiré.

 

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 

 

 

 


—  1  —

   Liste des personnes auditionnées

Par ordre chronologique

Audition commune :

Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) *

M. Emmanuel Guichard, délégué général

Fédération hygiène et entretien responsable (FHER)

Mme Virginie d’Enfert, déléguée générale

Audition commune :

Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) *

M. Jacques Creyssel, délégué général

Mme Layla Rahhou, directrice des affaires publiques

Les mousquetaires *

M. Gilles Rota, directeur juridique commerce et distribution

M. Frédéric Thuillier, directeur des affaires publiques

Audition commune :

Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

M. Jean-Philippe André, président

Mme Olivia Poitau, responsable du secrétariat général

Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC) *

M. Richard Panquiault, directeur général

M. Daniel Diot, secrétaire général

La Coopération agricole *

M. Dominique Chargé, président

Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF) *

M. Léonard Prunier, président

Mme Diane Aubert, directrice des affaires publiques

Association des entreprises de produits alimentaires élaborés (ADEPALE) *

M. Christian Divin, directeur général

 

Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Carla Deveille-Fontinha, sous-directrice « Droit de la concurrence, droit de la consommation et affaires juridiques »

M. Pierre Rebeyrol, chef du bureau 3C « Commerce et relations commerciales »

M. Thierry Dahan, Médiateur des relations commerciales agricoles

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

([2]) loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs

 

([3]) Prise en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous dite loi « Egalim »

([4]) Seules sont exclues de cette obligation les négociations avec un fournisseur de produits mentionnés à l’article L. 443-3 du code de commerce. Il s’agit, en vertu de l’article D. 443-2, des fruits et légumes, à l’exception des pommes de terre de conservation, destinés à être vendus à l’état frais au consommateur, des viandes fraîches, congelées ou surgelées de volailles et de lapins, des œufs et du miel.

([5]) https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/Publications/Vie-pratique/Fiches-pratiques/pratiques-restrictives-de-concurrence

([6]) Règlement (UE) n° 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne

([7]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b4024_rapport-information#

([8]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RAPPANR5L15B2268-t1.html

([9]) Le Galec est l’une des trois sociétés du Mouvement Leclerc

([10]) Voir l’article paru dans Les Échos : https://www.lesechos.fr/2018/01/leclerc-dement-vouloir-contourner-la-loi-avec-sa-centrale-dachat-belge-983334

([11]) Cette décision a fait l’objet de recours contentieux, dont il est fait état ci-après.

([12]) Notamment : Cass. Com, 8 juillet 2020 n° 17-31.536, Expédia c/ Ministre ; T. com. Paris, 2 septembre 2019 n° 2017/050625, Ministre c/ Amazon et 1re Civ., 6 juillet 2016, pourvoi n° 15-21.811, Bull. 2016, I, n° 153 (sommaire de la décision) : L’action attribuée au ministre chargé de l’économie, au titre d’une mission de gardien de l’ordre public économique, pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence, est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet ; le ministre n’agissant ni comme partie au contrat, ni sur le fondement de celui-ci, la cour d’appel a caractérisé l’inapplicabilité manifeste au litige de la convention d’arbitrage du contrat de distribution.

 

([13]) Règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II)

([14]) 1° Les « ventes volontaires ou forcées motivées par la cessation ou le changement d’une activité commerciale » ;

2° Les « produits dont la vente présente un caractère saisonnier marqué, pendant la période terminale de la saison des ventes et dans l’intervalle compris entre deux saisons de vente » ;

3° Les « produits qui ne répondent plus à la demande générale en raison de l’évolution de la mode ou de l’apparition de perfectionnements techniques » ;

4° Les « produits, aux caractéristiques identiques, dont le réapprovisionnement s’est effectué en baisse, le prix effectif d’achat étant alors remplacé par le prix résultant de la nouvelle facture d’achat » ;

5° Les « produits alimentaires commercialisés dans un magasin d’une surface de vente de moins de 300 mètres carrés et les produits non alimentaires commercialisés dans un magasin d’une surface de vente de moins de 1 000 mètres carrés, dont le prix de revente est aligné sur le prix légalement pratiqué pour les mêmes produits par un autre commerçant dans la même zone d’activité » ;

6° « À condition que l’offre de prix réduit ne fasse l’objet d’une quelconque publicité ou annonce à l’extérieur du point de vente, […] [les] produits périssables à partir du moment où ils sont menacés d’altération rapide » ;

7° Les « produits soldés mentionnés à l’article L. 310-3 [Les produits annoncés comme soldés doivent avoir été proposés à la vente et payés depuis au moins un mois à la date de début de la période de soldes considérée.] »

([15]) Rapport disponible au lien suivant : https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/concurrence/relations_commerciales/Rapport-du-gouvernement-sur-les-EGAlim.pdf?v=1602676214

([16]) Arrêté du 29 janvier 2021 relatif à la liste des denrées ou catégories de denrées alimentaires pour lesquelles, par dérogation, l’encadrement des promotions en volume prévu par les dispositions du C du II de l’article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique n’est pas applicable

([17]) loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs

([18]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion-eco/l16b0171_rapport-information#_Toc256000020

([19]) Rapports du 30 septembre 2020, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 4 de l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018), et du 24 février 2022, Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires (article 125 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et simplification de l’action publique)

([20]) L’avis est consultable en ligne : https://www.economie.gouv.fr/cepc/travaux-de-la-commission/avis/avis-n-10-15-sur-l-application-de-la-LME-a-certain

([21]) Le communiqué de presse est consultable en ligne : https://agriculture.gouv.fr/telecharger/130323