N° 843

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 janvier 2025.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT,
 

visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété

 

 

 

PAR M. Xavier ALBERTINI

Député

——

 

 

 

 

           Voir les numéros :

  Sénat : 22, 494, 495 et T.A. 111 (2023-2024).

Assemblée nationale : 141.


SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION............................................ 5

I. La Corse connaît une situation de « désordre foncier » liée à des raisons historiques

II. Le lÉgislateur a engagÉ un effort d’assainissement du cadastre

1. Consolider les procédures de titrement

2. Faciliter le règlement des indivisions

3. Incitation fiscale aux donations entre vifs

4. Exonération partielle des droits de succession

5. Faciliter la sortie des indivisions

6. Le travail du GIRTEC

COMMENTAIRE de l’article unique

Article unique (art. 1er de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017  et art. 750 bis B, 793 et 1135 bis du code général des impôts) Prorogation de la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété

Compte rendu des débats

Personnes entendues

 


 

Mesdames, Messieurs,

Pour des raisons historiques, la Corse connaît une situation souvent qualifiée de « désordre foncier » et caractérisée par l’existence de nombreux biens immobiliers à la situation juridique incertaine. Cette situation est le résultat de plus de deux siècles de législations d’exception.

En conséquence, le législateur a souhaité, avec l’adoption de la n° 2017‑285 du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété, instaurer un cadre fiscal et juridique temporaire et dérogatoire en Corse, favorable à l’assainissement du cadastre. Cette loi renforce l’acquisition de la propriété par prescription, assouplit les règles de gestion et la sortie des indivisions, et réduit les droits perçus sur les donations et les successions. Cette démarche, nécessairement longue et difficile, est, sur le terrain, mise en œuvre par un groupement d’intérêt public ad hoc, qui soutient l’action des notaires de l’Île.

Les résultats sont manifestes : le « titrement » progresse, le nombre de déclarations de successions et les recettes fiscales perçues augmentent.

Afin de préserver cette dynamique, la présente proposition de loi propose de proroger la loi du 6 mars 2017 pour dix années supplémentaires.

 

I.   La Corse connaît une situation de « désordre foncier » liée à des raisons historiques

L’arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801) dit « arrêté Miot » supprimait, pour la Corse, les pénalités pour défaut de déclaration d’héritage sous délai de six mois, ainsi que la peine encourue. Cette absence de sanction était conçue pour limiter la fraude fiscale alors suscitée par l’existence d’une disproportion entre les droits de succession et les facultés contributives des habitants de l’île. Cette dérogation avait donc pour objet d’améliorer le recouvrement de l’impôt. Mais elle s’est historiquement traduite par un très faible taux de déclaration des successions en Corse, et donc par des successions non réglées sur plusieurs générations.

En 2018, un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) notait que « cette situation rend les propriétaires fonciers difficilement identifiables : 33 % des parcelles du territoire corse sont enregistrées comme appartenant à une personne née avant 1910. » ([1]). Ce phénomène touche toute la Corse, mais est particulièrement observé en Balagne, au Cap corse, dans la région d’Ajaccio et de Sagone ainsi qu’à l’extrême Sud de l’île ([2]). Il est toujours actuel, comme l’a confirmé le Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC). 78 870 propriétaires nés avant 1910, donc présumés décédés, ont été recensés en 2023, pour un total de 313 323 parcelles (un propriétaire pouvant posséder plusieurs parcelles), ce qui représente environ 30 % des parcelles dénombrées en Corse (1 030 941 selon la direction générale des finances publiques, DGFiP). Les terrains sont alors souvent partagés en indivisions de fait, impliquant parfois plusieurs centaines d’héritiers potentiels, qui ne peuvent en conséquence exercer leurs droits sur les biens concernés.

Parcelles dont le propriétaire est présumé décédé

source : GIRTEC

Lecture : en orange, les parcelles portées à des personnes dont la date de naissance est inconnue aux fichiers immobiliers.

 

Le rapport de l’IGF relevait que « par ailleurs, 16 % de la surface cadastrée de l’île correspond à des biens non délimités. Ce désordre foncier affecte les zones rurales comme urbaines. » En 2024, le problème des biens non délimités, ou « BND », persiste. Il s‘agit de parcelles dont la limite extérieure est formalisée, mais sur lesquelles s’exercent plusieurs droits de propriété sans que les limites entre les différentes propriétés ne soient connues de l’administration. Les BND concernent 61 407 parcelles d’après les données fournies par le GIRTEC (soit environ 16 % de la surface cadastrée de l’île), pour partie attribuées à des propriétaires nés avant 1910.

Les deux problématiques (propriétaires mal identifiés et biens non délimités) apparaissent donc à la fois distinctes et imbriquées.

 

Les biens non délimités (BND)

Le bien non délimité est une construction administrative qui ne correspond pas aux régimes de l’indivision ou de la copropriété.

Lors des opérations de rénovation cadastrale, les services de l’État n’ont pas toujours été en mesure de définir les contours de certaines parcelles ou d’identifier les surfaces appartenant aux propriétaires apparents. Ils ont alors réuni les surfaces en une parcelle unique. Les propriétaires pouvaient être les ayants droit d’une succession non réglée.

Ainsi, les limites de la parcelle du BND sont cadastrées mais, à l’intérieur de la parcelle, les surfaces appartenant aux différents propriétaires ne sont pas délimitées. Pour régler cette situation, il est donc nécessaire d’obtenir l’accord de tous les titulaires afin qu’ils bornent leurs surfaces. Or, une parcelle ne constitue pas une surface uniforme dont tous les mètres carrés revêtent la même valeur. Les titulaires des lots doivent donc s’accorder sur une répartition. Un BND peut cependant concerner plusieurs dizaines de titulaires, certains pouvant être inconnus ou décédés. Si le GIRTEC peut identifier les propriétaires nés avant 1910, son action n’est donc pas en mesure de résoudre entièrement le problème des BND.

Source : informations fournies par le GIRTEC.

 

Les biens non délimités en Corse

Source : GIRTEC

 

Cette situation entrave l’application normale des règles du droit civil (en matière successorale et de donations entre vifs), limite les possibilités de recours au crédit (faute de pouvoir faire valoir un titre de propriété), fait obstacle à la mise en œuvre de certaines obligations légales (comme celle de débroussaillement pour la prévention des incendies), empêche l’exploitation et la mise en valeur des lieux concernés et réduit les recettes fiscales perçues par les collectivités publiques. En 2018, la perte de recettes fiscales liée au niveau moindre de déclaration des successions par rapport à la moyenne nationale était estimée à au moins 50 millions d’euros par an ([3]). La taxe foncière sur les propriétés bâties est également plus difficile à recouvrer par les collectivités territoriales.

 

II.   Le lÉgislateur a engagÉ un effort d’assainissement du cadastre

Les cinq articles de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété avaient pour objet d’engager l’assainissement du cadastre par des dérogations au droit civil et des incitations fiscales complémentaires.

1.   Consolider les procédures de titrement

Du fait du nombre important de parcelles mal délimitées ou attribuées à des propriétaires présumés décédés, la prescription acquisitive joue un rôle important en Corse et permet d’établir juridiquement un titre de propriété.

La prescription acquisitive

La prescription acquisitive (ou « usucapion ») est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre, ni qu’on puisse lui opposer la mauvaise foi (article 2258 du code civil). La possession est la détention ou la jouissance du bien ou du droit. La prescription acquisitive exige une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire (article 2261).

Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans (article 2272). Il est abrégé à dix ans pour celui qui acquiert de bonne foi et par un titre. À l’achèvement du délai, le possesseur peut se prévaloir de la prescription et devenir propriétaire. Concrètement, elle produit ses effets si elle est invoquée par le possesseur en défense à l’action en revendication du propriétaire.

L’article 1er de la loi du 6 mars 2017 sécurise la situation du possesseur qui acquiert la propriété d’une parcelle par prescription acquisitive en Corse en encadrant dans le temps la possibilité de remettre en cause la réalité de la possession constatée dans un acte de notoriété.

Le possesseur devra faire établir par un notaire un acte de notoriété qui contient les éléments matériels révélant l’existence d’une possession conforme aux exigences de l’article 2261 du code civil, soit une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire (voir encadré supra).

L’acte notarié de notoriété acquisitive

Les actes de notoriété sont issus d’une pratique notariale issue d’une suggestion de la commission mise en place en 1983 par le ministre de la justice, Robert Badinter, pour résorber le désordre foncier. Dans la mesure où l’absence de titre est la cause principale de ce désordre, la prescription acquisitive est apparue comme un moyen de reconstituer les titres. Une circulaire du conseil régional du notariat de Corse détaillant la méthode des actes de notoriété pour contribuer à la preuve de la propriété a reçu l’aval du ministère de la justice en 1989.

Un acte de notoriété recueille les déclarations concordantes de témoins et regroupe, le cas échéant, tous documents susceptibles de les corroborer. Il constitue cependant en principe un simple mode de preuve, l’acquisition de la propriété immobilière par prescription étant un effet de la loi. L’acte de notoriété acquisitive ne fait donc foi des faits qu’il rapporte que jusqu’à preuve du contraire et il appartient au juge d’en apprécier souverainement la valeur probante et de déterminer si les actes matériels caractérisant une possession utile sont réunis.

L’acte de notoriété acquisitive ne permet donc pas de faire exception à la prescription acquisitive trentenaire, et ne peut être établi qu’une fois celle-ci acquise.

La propriété étant imprescriptible, un bien peut toujours faire l’objet d’une action en revendication, sous la réserve qu’une action réelle immobilière se prescrit par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (article 2227 du code civil).

L’article 1er précité a prévu un régime législatif de l’acte notarié pour la Corse. L’acte de notoriété ne peut être contesté dans le cadre d’une action en revendication que dans un délai de cinq années, à compter de la dernière des publications de l’acte par voie d’affichage, sur un site internet et au service de la publicité foncière. Si une action en revendication du bien intervient postérieurement au délai de cinq ans, l’acte de notoriété constituera une présomption irréfragable de propriété. La preuve que le possesseur n’est pas dans son bon droit est alors plus difficile à apporter, le possesseur disposant alors avec l’acte notarié d’un véritable titre de propriété. Ce régime dérogatoire s’applique aux actes de notoriété dressés et publiés avant le 31 décembre 2027.

Le législateur a ainsi mis en place un dispositif « d’usucapion renforcée » en Corse, ainsi que dans certaines collectivités d’outre‑mer également concernées par des situations de désordre foncier ([4]).

Ce dispositif a été complété par une incitation fiscale. L’article 66 de la loi de finances pour 2023 ([5]) prévoit que les actes notariés de notoriété acquisitive portant sur un immeuble situé en Corse sont exonérés de taxe de publicité foncière. Celle-ci est en principe perçue au profit du département (donc en l’occurrence la Collectivité de Corse), au taux proportionnel de 0,70 % assis sur la valeur de l’immeuble concerné (articles 666 et 678 du code général des impôts).

2.   Faciliter le règlement des indivisions

En Corse, de nombreuses indivisions sont issues de successions anciennes et comportent donc un nombre élevé d’indivisaires.

La gestion des indivisions

Avant le partage d’une succession, les biens du défunt sont en indivision, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à l’ensemble des héritiers.

L’indivision s’entend de la situation d’un bien ou d’un ensemble de biens sur lequel plusieurs personnes sont titulaires de droits de même nature, sans qu’aucune d’entre elles n’ait de droit exclusif sur une partie déterminée. La part de chaque héritier, aussi appelé indivisaire, est identifiée sous forme de quote-part. Les biens sont en indivision jusqu’au partage de la succession.

Les actes de gestion courante doivent être pris à la majorité des deux tiers des droits indivis ([6]) (article 815-3 du code civil). Il s’agit des actes d’administration, de donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration, de vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision et de conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Les actes nécessaires à la conservation des biens indivis peuvent en revanche être pris par tout indivisaire seul, même en l’absence d’urgence.

Les actes qui ne relèvent pas de l’exploitation normale des biens et les actes de disposition autres que la vente des meubles indivis pour payer les dettes et les charges de l’indivision doivent être pris à l’unanimité.

Pour faciliter la gestion de ces indivisions, l’article 2 de la loi du 6 mars 2017 a assoupli les règles de gestion des indivisions constatées par un acte de notoriété établi dans les conditions de l’article 1er de la même loi (c’est-à-dire un acte notarié de notoriété acquisitive qui porte sur un bien situé en Corse).

Dans ce cas, la majorité simple (c’est-à-dire plus de la moitié des droits indivis) suffit pour accomplir les actes qui requièrent en principe la majorité des deux tiers. En outre, la majorité des deux tiers des droits indivis suffit pour effectuer les actes qui nécessitent en principe l’unanimité.

Ces dispositions spécifiques sont applicables jusqu’au 31 décembre 2027.

3.   Incitation fiscale aux donations entre vifs

Les donations sont historiquement peu fréquentes en Corse du fait de l’exonération temporaire des droits de partage sur les successions des immeubles situés en Corse (voir infra).

Pour favoriser les reconstitutions de propriété et les donations, l’article 15 de la loi de finances pour 2015 ([7]) a inséré un 8° à l’article 793 du code général des impôts pour exonérer les immeubles et droits immobiliers à 30 % de leur valeur lors de la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférents, sous réserve que ces titres de propriété aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er octobre 2014 et le 31 décembre 2017.

Dans la mesure où ce dispositif n’avait pas eu le temps de produire tous ses effets, l’article 3 de la loi du 6 mars 2017 a prolongé son application pour les titres constatés entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2027. Afin de le rendre plus attractif, elle a en outre porté le taux d’exonération de 30 % à 50 % de la valeur du bien. Le nombre de bénéficiaires et l’impact budgétaire de cette exonération n’ont pas été évalués dans les documents budgétaires. Cette exonération a une portée générale et ne s’applique donc pas juridiquement uniquement à la Corse, bien qu’il s’agisse du territoire majoritairement concerné dans les faits.

4.   Exonération partielle des droits de succession

L’article 1135 bis du code général des impôts exonère de droits de mutation les successions immobilières en Corse à hauteur de 50 % de la valeur du bien. Cette disposition vise à favoriser la reconstitution des titres de propriété par le règlement des successions.

Elle s’inscrit dans une fiscalité des successions historiquement dérogatoire sur l’île.

La taxation dérogatoire des successions immobilières en Corse

La taxation des transmissions par décès des immeubles situés en Corse reposait sur l’arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801) ou « arrêté Miot », évoqué supra. Les droits dus étaient calculés sur la base de la contribution foncière revenant à l’État. Cette contribution ayant été supprimée en 1949 en tant qu’impôt d’État, un dispositif de substitution avait été mis en place par une instruction du ministre chargé du budget du 14 juin 1951. Ce dispositif a ensuite été considéré comme dépourvu de base légale par la Cour de cassation. La loi de finances pour 1999 a alors étendu à la Corse les règles de droit commun pour l’évaluation des biens immobiliers pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2000.

Pour soutenir la reconstitution des titres de propriété, l’article 51 de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a cependant créé l’article 1135 bis du code général des impôts qui exonérait en totalité, mais de manière temporaire, les immeubles et droit immobiliers situés en Corse des droits de succession. Cette exonération était abaissée à 50 % de la valeur vénale pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015.

L’article 33 de la loi de finances rectificative pour 2008 a prorogé l’exonération de 50 % aux successions ouvertres jusqu’au 31 décembre 2017. L’article 14 du projet de loi de finances pour 2013 prévoyait une nouvelle prorogation jusqu’aux successions ouvertes jusqu’au 31 décembre 2022. Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré cette mesure, estimant que ce régime fiscal dérogatoire méconnaissant le principe d’égalité devant les charges publiques (décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012).

 

 

L’article 4 de la loi du 6 mars 2017 a opéré une nouvelle prorogation pour les successions ouvertes jusqu’au 31 décembre 2027. Cette loi n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel. D’après les documents budgétaires, le nombre de bénéficiaires n’est pas déterminé mais l’impact budgétaire est évalué à 20 millions d’euros pour 2025, comme en 2024 ([8]). À titre de comparaison, selon les données transmises par la DGFiP, l’ensemble des droits de successions perçus en Corse s’est élevé à 43,6 millions d’euros en 2022 (pour 13 milliards d’euros au niveau national).

Cette exonération est exclusive de celle prévue au 8° de l’article 793 du même code (présentée supra) pour le même bien, au titre de la même mutation ou d’une mutation antérieure.

Le coût estimé de cette exonération doit être rapproché du moindre montant de droits de successions qui résulte du désordre foncier, évalué en 2018 par l’IGF à 50 millions d’euros (voir supra), montant auquel il faudrait ajouter l’ensemble des surcoûts fiscaux et socio‑économiques déjà évoqués.

En outre, cette exonération semble revêtir un caractère suffisamment incitatif. Selon les données transmises par la direction générale des finances publiques (DGFiP), le nombre de déclarations de successions et le montant des droits perçus s’inscrit dans une tendance de hausse notable depuis plusieurs années, et notamment depuis 2019, supérieure à celle relevée pour l’ensemble du territoire national. Ainsi, en 2023, les droits de succession ont augmenté de + 35,3 % en Corse, contre + 11,4 % au niveau national. En 2023, les droits de succession perçus en Corse atteignent donc près de 60 millions d’euros, soit un doublement par rapport à 2019. On constate donc une dynamique fiscale forte en Corse, qui tend à s’accélérer dans la période récente.

Données relatives aux déclarations de succession déposées en Corse  entre 2018 et 2022
(et indication du niveau national)

 

Corse

 

National

Année de dépôt

Montant total des droits (en euros) perçus

Évolution annuelle des droits (en %)

Nombre total de déclarations déposées

 

Montant total des droits (en euros) perçus

Évolution annuelle des droits (en %)

Nombre total de déclarations déposées

2018

32 578 248

 

1 498

 

9 830 497 674

 

319 328

2019

30 621 314

-6,0 %

1 254

 

9 826 154 438

-0,0 %

354 768

2020

33 054 309

7,9 %

1 325

 

10 123 462 270

3,0 %

351 502

2021

37 332 971

12,9 %

1 725

 

12 404 175 995

22,5%

407 701

2022

43 617 636

16,8 %

1 858

 

13 087 912 075

5,5 %

408 107

2023

59 023 730

35,3 %

2 190

 

14 578 796 725

11,4 %

422 248

jusqu’à sept 2024 (*)

43 834 730

 

1 611

 

9 944 458 334

 

277 977

Source : DGFiP.

 

5.   Faciliter la sortie des indivisions

Le partage et la licitation sont des moyens juridiques de mettre fin à une indivision.

Le partage et la licitation

L’indivision est souvent source de conflits et de difficultés. Il existe plusieurs moyens pour sortir d’une indivision : le partage, la licitation, ou encore la cession par les indivisaires de tous leurs droits à l’un d’entre eux.

En général, la sortie de l’indivision s’opère par le partage, contrat qui opère la répartition des biens indivis entre les coïndivisaires, qui reçoivent alors un droit exclusif sur les biens mis dans leur lot.

La licitation, qui consiste en la vente aux enchères d’un bien indivis, est un autre moyen de sortir d’une indivision, notamment quand les biens communs sont impartageables en nature. La licitation peut aussi être amiable, et les intéressés sont libres de fixer les conditions et les formes de l’opération.

Source : Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP).

Les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires sont passibles d’un droit d’enregistrement ou d’une taxe de publicité foncière, ou « droit de partage » de 2,5 % sur la valeur des immeubles et droits immobiliers depuis le 31 décembre 2014 (articles 746 et 750 du code général des impôts).

Le droit de partage peut néanmoins constituer un frein aux règlements successoraux et favoriser le maintien dans l’indivision. Pour soutenir le règlement des indivisions successorales comportant des biens immobiliers situés en Corse, l’article 5 de la loi du 6 mars 2017 a introduit un article 750 bis B dans le code qui exonère, entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2027, les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires du droit de 2,5 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse. Il s’agit de la réactivation d’une mesure en vigueur en Corse du 1er janvier 1986 au 31 décembre 2014 ([9]). Ce dispositif fiscal est applicable uniquement si les actes de partage de succession interviennent au profit de membres originaires de l’indivision, de leur conjoint, ascendants, descendants ou ayants droit à titre universel de l’un ou plusieurs d’entre eux.

Selon la DGFiP, l’incidence budgétaire de cette dépense fiscale n’est pas chiffrable.

6.   Le travail du GIRTEC

L’article 42 de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 relative aux successions et libéralités a autorisé la création d’un groupement d’intérêt public chargé de « rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus », notamment par l’acte notarié de notoriété acquisitive. À cet effet, il peut prendre toute mesure permettant de définir ces biens et d’en identifier les propriétaires et créer ou gérer l’ensemble des équipements ou services d’intérêt commun rendus nécessaires pour la réalisation de son objet. Concrètement, le GIRTEC réalise des travaux de recherche qui sont essentiels pour établir objectivement une propriété effective mais dépourvue de titre.

Le GIRTEC est ainsi sollicité par les notaires, au bénéfice des particuliers. Le GIRTEC a également développé une mission auprès des collectivités territoriales. Certains biens vacants peuvent par exemple intégrer le domaine privé communal.

Comme l’avait précisé son ancienne présidente, Mme Yolande Rognard, ce groupement (GIRTEC) « ne titre pas mais aide les notaires et leur donne des informations. C’est une banque de données au profit des notaires et des élus. »

Le GIRTEC a été constitué entre l’État, la collectivité territoriale de Corse (devenue collectivité de Corse), l’association des maires de Corse du Sud, l’association des maires de Haute Corse et le Conseil régional des notaires. Il est administré par une assemblée générale et un conseil d’administration, les représentants de l’État étant majoritaires dans ces instances ([10]). Le GIRTEC a dû constituer ses propres outils, bases de données et logiciels de traitements de ces données.

Le GIRTEC n’est véritablement opérationnel que depuis l’automne 2008, à la suite de l’arrêté interministériel du 31 octobre 2007 qui a acté sa création et d’une période de constitution et de recrutement. Il dispose désormais de dix agents. Il a atteint sa vitesse de croisière en 2012, avec une capacité de traitement annuelle de l’ordre de 500 dossiers ([11]). Selon les dernières informations communiquées par le GIRTEC, le nombre de saisines par les notaires, pour le compte de leurs clients, est assez stable depuis 2016, de même que le nombre de parcelles concernées par les saisines (en moyenne, 460 saisines par an pour 3 479 parcelles, une saisine portant sur en moyenne 7,5 parcelles). Les événements qui conduisent ces derniers à saisir les notaires sont peu nombreux : décès, installation d’une exploitation agricole, intention de bâtir sur un terrain qui appartient à la famille mais sans titre de propriété, etc.

évolution du nombre de saisines du GIRTEC depuis 2009

Source : données transmises par le GIRTEC.

Depuis 2017, le titrement a progressé : ont été publiés 1 868 titres de propriété par actes de notoriété acquisitive sur le site de la préfecture.

L’apport du GIRTEC lors de ces créations d’actes a été mesuré sur un échantillon de 631 titres, de janvier 2018 à juillet 2023 en Haute Corse : sur 631 actes de notoriété, correspondant à 4 875 parcelles, le GIRTEC a participé à 74 % des actes créés au profit des particuliers.

La loi du 6 mars 2017 est applicable jusqu’au 31 décembre 2027. Cette durée d’application de dix ans avait pour but de permettre au GIRTEC d’achever ses travaux de reconstitution de la propriété foncière.

Selon le GIRTEC, un titre est créé en moyenne par jour ouvrable, et porte sur environ sept parcelles. L’assainissement du cadastre progresse, bien qu’à un rythme modéré. Une nouvelle prorogation des dérogations prévues par la loi du 6 mars 2017 est en tout état de cause nécessaire pour préserver un cadre juridique favorable aux travaux du GIRTEC, d’autant plus que les actes de notoriété reposent sur des témoins. Or, le recours aux témoins et à leur mémoire est fragilisé par l’écoulement du temps. Les pouvoirs publics et les notaires sont donc engagés dans une véritable « course contre la montre ».

Le développement des outils internes et des méthodes de travail du GIRTEC et les résultats déjà obtenus en vue d’un assainissement du cadastre ont pu inspirer des organes étrangers (par exemple le bureau des affaires générales de la ville de Tokyo)  ([12]) .

Il ressort des auditions que le maintien d’un environnement juridique et fiscal incitatif à la reconstitution des titres de propriété est favorable à une action efficace du GIRTEC sur le terrain.

Jusqu’en 2022, le financement du GIRTEC a été assuré par une subvention de l’État sur les crédits du programme exceptionnel d’investissement en faveur de la Corse (PEI), inscrits sur le programme budgétaire 162 Interventions territoriales de l'État. Le budget de fonctionnement est d’environ 1,2 million d’euros. En 2023, avec la fin du PEI et en l’absence de subvention, le GIRTEC a fonctionné avec ses « fonds propres, économisés au fil des années », selon sa présidente. Une subvention exceptionnelle de l’État a été versée en 2024. Elle est complétée notamment par la mise à disposition de locaux à titre gratuit par la Collectivité de Corse.

 

 

*

*     *

 


   COMMENTAIRE de l’article unique

Article unique
(art. 1er de la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017
et art. 750 bis B, 793 et 1135 bis du code général des impôts)
Prorogation de la loi du 6 mars 2017 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le I du présent article proroge le régime d’usucapion renforcée des actes de notoriété dressés et publiés avant le 31 décembre 2037, prévu à l’article 1er de la loi du 6 mars 2017.

Le II proroge également pour dix années supplémentaires les exonérations fiscales prévues par les articles 3 à 5 de la loi du 6 mars 2017 et codifiées dans le code général des impôts (exonération des droits de mutations de 50 % de la valeur des immeubles lors de la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriété, exonération des droits de succession de 50 % de la valeur des immeubles situés en Corse et exonération des droits de partage des immeubles situés en Corse).

Le III prévoit un « gage » de recettes fiscales pour assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution.

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

       Modifications apportées par la commission

La commission des lois a adopté cet article sans modification.

 

*

*     *

 

 


   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 22 janvier 2025, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété (n° 141) (M. Xavier Albertini, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/1hK8JN

M. le président Florent Boudié. Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le sénateur de la Corse-du-Sud Jean-Jacques Panunzi, visant à proroger la loi du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété.

Adopté par le Sénat le 10 octobre 2023, ce texte devait être examiné par notre commission le 13 juin 2024 avant que la dissolution ne vienne interrompre la navette. Il est désormais inscrit à l’ordre du jour transpartisan, le 28 janvier prochain.

M. Xavier Albertini, rapporteur. La Corse connaît historiquement une situation qualifiée de désordre foncier, caractérisée par l’existence de nombreux biens immobiliers à la situation juridique incertaine.

Ce désordre résulte de l’arrêté du 21 prairial an IX (10 juin 1801), dit arrêté Miot, qui a appliqué à la Corse un calcul forfaitaire des droits de succession et a supprimé les pénalités pour défaut de déclaration d’héritage. L’arrêté répondait aux spécificités de la Corse à l’époque, à savoir une faible capacité contributive et la prédominance des indivisions et des successions orales.

Cette législation d’exception y a cependant favorisé un très faible taux de déclaration des successions, donc une accumulation de successions non réglées sur plusieurs générations. Près d’un tiers des parcelles du territoire corse sont, encore aujourd’hui, enregistrées comme appartenant à une personne née avant 1910, donc présumée décédée. Les terrains sont alors souvent partagés en indivisions de fait, impliquant parfois plusieurs dizaines d’héritiers potentiels, qui ne peuvent en conséquence exercer leurs droits sur les biens concernés.

Parallèlement, 16 % de la surface de l’île est constituée de biens non délimités – autrement dit, dont les limites extérieures sont cadastrées mais dont les limites intérieures entre différents propriétaires ne sont pas bornées. Cette situation engendre de très nombreux problèmes, d’ordre juridique, économique, fiscal, environnemental ou urbanistique. Elle empêche l’exploitation économique d’un bien, l’accès au crédit ou encore la constitution d’une hypothèque. Elle entrave l’établissement et le recouvrement de recettes fiscales nationales – les droits de succession – et locales – la taxe foncière : en 2018, la perte de recettes fiscales liée au niveau moindre de déclaration des successions par rapport à la moyenne nationale était estimée à au moins 50 millions d’euros par an par l’Inspection générale des finances (IGF). Cette situation fait également obstacle au respect d’obligations légales telles que le débroussaillement à des fins de prévention des incendies ou à l’exercice de la police des habitats insalubres.

Confrontés à ce désordre foncier, les notaires corses ont recouru à un outil né de la pratique pour reconstituer des titres de propriété : l’acte de notoriété acquisitive peut constituer un mode de preuve de la propriété en établissant les faits de nature à corroborer une prescription acquisitive – dite aussi usucapion –, c’est-à-dire la possession paisible, publique et non équivoque d’un bien immeuble pendant une durée de trente ans.

Le législateur a soutenu ces initiatives en instituant en Corse un régime d’usucapion renforcée. L’article 1er de la loi du 6 mars 2017 prévoit ainsi que l’acte notarié ne peut être contesté que dans un délai de cinq ans. La même loi comporte un ensemble de mesures juridiques et fiscales pour soutenir la reconstitution de titres de propriété en Corse : assouplissement des règles de gestion des indivisions ; incitation aux donations entre vifs au moyen d’une exonération de 50 % de la valeur des biens pour la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété ; encouragement au règlement des successions par une exonération de 50 % des droits de succession ; enfin, facilitation de la sortie des indivisions par l’exonération du droit de partage dû lors du partage ou de la licitation – autrement dit, de la vente aux enchères – d’un bien indivis.

Si l’ensemble de ces mesures composent un cadre favorable à l’assainissement du cadastre, elles ne permettent pas, par elles‑mêmes, de régler la situation. L’État et les autres parties prenantes – la collectivité de Corse, les associations des maires et le conseil régional des notaires de Corse – ont donc créé le groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec), qui est opérationnel depuis 2012. Le Girtec a pour objet d’effectuer l’ensemble des recherches nécessaires à l’établissement des titres de propriété. Il est saisi par les notaires, eux-mêmes sollicités par les particuliers. Il s’est doté de bases de données et de méthodes qui ont inspiré des organes étrangers confrontés à des problèmes similaires, comme le bureau des affaires générales de la ville de Tokyo.

Depuis la création de cet organisme, l’assainissement progresse : depuis 2017 1 868 titres de propriété résultant d’actes de notoriété acquisitive et représentant 15 000 à 16 000 parcelles ont été publiés sur le site de la préfecture. Le Girtec a contribué à l’établissement de 74 % des actes établis au profit des particuliers.

Cependant, le cadre dérogatoire prévu par la loi de 2017 n’est applicable que jusqu’en 2027, date à laquelle il est certain que la tâche ne sera pas achevée. Afin de garantir la poursuite du titrement en Corse, il importe de proroger ces dispositions, qui, comme l’ont montré les auditions, s’articulent avec l’action du Girtec.

La question du coût mérite d’être soulevée. Les documents budgétaires chiffrent la principale exonération, qui porte sur les droits de succession, à 20 millions d’euros par an. Toutefois, l’IGF évalue la perte de recettes fiscales liée à la moindre déclaration des successions à environ 50 millions d’euros par an, montant auquel il faut ajouter les pertes en autres recettes – notamment, la taxe foncière sur les propriétés bâties – et l’ensemble des coûts environnementaux et économiques liés au désordre foncier. Le solde final ne peut donc être que nettement positif.

C’est pourquoi je vous propose d’adopter la présente proposition de loi qui proroge la loi de 2017 pour dix années supplémentaires, jusqu’en 2037.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Vincent Caure (EPR). Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi sénatoriale visant à proroger de dix ans – jusqu’au 31 décembre 2037 – les dispositions de la loi du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété qui avait été adoptée à l’unanimité au Sénat en avril dernier.

Le texte entend répondre à une problématique ancienne, spécifique et clairement identifiée : celle du désordre foncier et de l’irrégularité cadastrale en Corse. En 2017, on estimait à 35 % le taux de parcelles détenues par des personnes physiques nées avant 1910 et à plus de 15 % la surface cadastrée de l’île correspondant à des biens non délimités. Cette situation est la conséquence directe de l’instauration, en 1801, d’un régime fiscal dérogatoire – l’arrêté Miot –, qui est resté en vigueur jusqu’en 1949. Ce régime a mis fin aux déclarations de succession et a contribué à la multiplication des situations d’indivision ou de possession de titres par des propriétaires décédés depuis plusieurs années.

Pour y remédier, la loi de finances pour 1999 a abrogé l’arrêté Miot et a permis le retour au droit commun dans l’île à compter du 1er janvier 2000, notamment grâce à l’abrogation de la dispense de pénalité en cas de non-dépôt de déclaration de succession. L’application de cette disposition a cependant été reportée de loi de finances en loi de finances, jusqu’à l’instauration en 2002 d’un dispositif spécifique transitoire, en vertu duquel une exonération de 50 % devait succéder à l’exonération totale avant que le droit commun ne s’applique.

La loi de 2017 visait, quant à elle, à accélérer les opérations de titrement en Corse et à normaliser la situation cadastrale de l’île et devait s’appliquer pour une durée de dix ans, soit jusqu’au 31 décembre 2027. Elle a produit des effets positifs : le nombre actuel de parcelles au nom de propriétaires présumés décédés a diminué de 4,6 % depuis son entrée en vigueur. Par rapport à 2009, près de 100 000 parcelles – soit un quart du nombre de parcelles dénombrées cette même année – ne sont plus considérées comme appartenant à un propriétaire présumé décédé.

L’objectif de la loi de 2017 n’ayant pas été complètement atteint, il nous semble important de proroger ses dispositions. Le groupe Ensemble pour la République votera donc en faveur de la proposition de loi.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous partageons l’objectif, d’intérêt général, d’améliorer la fiabilité du cadastre, étant précisé que le Girtec a déjà permis de résorber une bonne partie des difficultés. Cela étant, nous nous interrogeons sur le bien-fondé des incitations fiscales qui ont été instituées. Aucun élément concret ne démontre leur efficacité – alors que le Girtec, lui, a bien fonctionné, car tout le monde perçoit l’intérêt de son action et y contribue. En outre, nous ne sommes pas, par principe, favorables aux exonérations fiscales. Nous avons déposé des amendements sur ce point, faute de disposer d’éléments complémentaires – peut-être le rapporteur pourra-t-il nous en fournir.

Notre débat montre la nécessité d’adopter des dispositions législatives particulières à l’île que réclament nombre d’élus corses. Il est de nature à alimenter les discussions relatives à un futur statut particulier de la Corse. La représentation nationale ou, du moins, l’État ne répond pas toujours aux attentes alors que la situation de l’île justifie des évolutions et des solutions à des préoccupations d’intérêt public.

M. Hervé Saulignac (SOC). C’est un cadeau empoisonné qui a été fait à la Corse il y a plus de 200 ans et qui préoccupe le législateur à intervalles réguliers : le fameux régime de taxation foncière spécifique accordé à l’île en 1801 est devenu presque accidentellement une exonération totale à partir de 1984. Par cette ristourne fiscale, c’est tout le système cadastral et d’identification des propriétaires fonciers qui s’est effondré, pénalisant les habitants de la Corse et le développement économique de l’île. Le rapporteur a rappelé l’ampleur du manque à gagner fiscal. En 2013, 34 % du foncier total de la Corse n’avait pas de propriétaire ou un propriétaire apparent né avant 1910. Plus qu’un désordre, c’est une forme de cécité de l’État qui s’est installée. Malgré les efforts réalisés, nous peinons, encore aujourd’hui, à y voir plus clair.

Les premières victimes de ce brouillard foncier sont évidemment les habitants eux-mêmes, du fait des indivisions cadastrales, des détériorations de terres et de bâti en raison des délais de règlement des successions, des difficultés pour obtenir un prêt bancaire et de la rareté des biens disponibles à la vente. Les victimes secondaires sont les communes, qui ne peuvent pas percevoir les impôts locaux à leur juste niveau et qui assument la charge d’immeubles qui, parfois, menacent ruine. En un mot, la Corse paie le prix fort pour cette ristourne.

Le groupe socialiste n’a jamais rechigné à ouvrir le dossier technique et sensible du désordre de la propriété en Corse. En 1983, la commission Badinter sur l’indivision en région Corse a inspiré le travail des notaires locaux, en prescrivant notamment le recours à l’acte de notoriété acquisitive.

Ce travail est accompagné depuis 2006 par le Girtec, qui offre un appui technique aux notaires et aux collectivités locales pour réunir des preuves de propriété et dont le financement doit être pérennisé. Toutefois, en attendant que le long travail de régularisation vienne à bout du désordre et qu’un régime pérenne puisse s’appliquer, le groupe de travail transpartisan lancé par Bernard Cazeneuve a prévu un régime transitoire sur lequel nous pouvons compter jusqu’en 2027 pour offrir un cadre simplifié et incitatif au titrement des parcelles. Cette méthode est en train de porter ses fruits, mais personne ne peut croire que la situation sera réglée d’ici à 2027, alors que quelque 300 000 parcelles restent à attribuer.

Le groupe socialiste soutient naturellement la prolongation des dispositifs jusqu’en 2037, non sans être conscient des limites de cette action. En effet, il est de coutume de prolonger les dépenses fiscales de trois ans et non de dix. En outre, il nous manque une étude d’impact pour apprécier l’efficacité précise de chaque mesure. Enfin, les prolongations successives des mécanismes d’incitation fiscale finissent par priver ces derniers de leur attrait.

Nous sommes les héritiers d’un travail de longue haleine mené depuis près de trois décennies par le législateur pour réparer une situation qui n’est pas acceptable dans la République. Si ce travail doit être poursuivi jusqu’en 2037, il doit aussi nous rappeler le rôle central de l’impôt en société, qui constitue non seulement la ressource de nos collectivités et de l’État, mais également un élément fondamental de la vie sociale.

M. Philippe Gosselin (DR). Ce texte nous ramène aux réalités quotidiennes de la Corse. L’île se caractérise par une singularité de la propriété foncière due à des raisons historiques que chacun a à l’esprit. À partir de 1801, l’arrêté Miot a ouvert une brèche, en instituant un régime totalement exorbitant du droit du continent. Cela pourrait paraître respectueux des traditions locales mais le désordre foncier entraîne une prolongation indéfinie de l’indivision, complexifie considérablement les successions et conduit à une précarité générale de la propriété.

Ce problème n’est pas propre à la Corse puisqu’un certain nombre de collectivités d’outre-mer y sont confrontées, ce qui a justifié l’adoption de plusieurs lois, de même que quelques territoires ruraux et montagneux de l’Hexagone.

Il se pose en Corse avec une grande acuité depuis quelques décennies, ce qui montre sa complexité. On en a réellement pris la mesure en 2002, en adoptant une loi censée mettre fin au régime dérogatoire, mais qui nécessitait un certain délai avant de pouvoir s’appliquer. Sous le gouvernement de Bernard Cazeneuve, nous avons voté un texte dont l’application s’est révélée plutôt satisfaisante, puisqu’on a bien assisté à une résorption du désordre de la propriété et à un assainissement cadastral. Cela étant, il faut poursuivre l’effort. La délivrance de titres de propriété prend du temps, ce qui rend nécessaire une prorogation de la loi – on peut le regretter mais nécessité fait loi. Tel est l’objet de l’article unique de la proposition de loi, que le groupe de la Droite républicaine soutiendra sans réserve.

Mme Christine Arrighi (EcoS). La proposition de loi s’inscrit dans la continuité d’un travail législatif engagé depuis près de trois décennies pour accompagner la procédure de régularisation foncière en Corse, laquelle demeure entravée par des difficultés structurelles, d’ordre sociohistorique et géographique. Cette problématique, bien qu’amplifiées en Corse, concerne également d’autres territoires, tels que la Lozère et les outre-mer.

Notre groupe adhère pleinement à l’objectif de réduction du désordre cadastral en Corse. Au-delà de ses implications juridiques et administratives, ce désordre revêt une dimension politique et patrimoniale significative, intimement liée à l’histoire de l’île et aux effets prolongés du régime dérogatoire instauré par l’arrêté Miot de 1801. L’ampleur de la tâche demeure considérable, comme l’attestent les débats au Sénat où il a été fait état d’environ 300 000 parcelles non attribuées.

Les conséquences de cette situation sont multiples et préoccupantes. Sur le plan social et fiscal, les droits constitutionnels des usufruitiers sont compromis et la collectivité de Corse est privée de recettes fiscales essentielles, telles la taxe foncière, ce qui limite ses capacités d’intervention et d’entretien du territoire. Sur le plan économique, la prolifération des successions non réglées réduit la disponibilité des biens immobiliers, ce qui contribue à la hausse des prix, au ralentissement de l’économie locale et à l’impossibilité pour des primo-accédants de s’installer en Corse.

Notre groupe émet toutefois une réserve et une alerte. Notre réserve, qui est de nature constitutionnelle, est inspirée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, en 2012 et en 2013, a censuré des dispositions introduisant des mesures dérogatoires pour la Corse en raison de leur non-conformité au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. L’alerte, quant à elle, est de nature financière et porte sur la nécessaire évaluation des mesures fiscales incitatives contenues dans la loi de 2017, notamment eu égard à la situation de nos finances publiques.

Les réalités corses nous conduisent à soutenir la proposition de loi, qui se veut une réponse exceptionnelle à une problématique singulière et enracinée. Toutefois, elle doit s’accompagner d’un mécanisme d’évaluation de l’efficacité des mesures prises depuis 1986.

M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi vise à résorber les désordres de propriété liés à l’absence de titres de propriété opposables en Corse. Cette situation est problématique, pour plusieurs raisons. D’abord, les particuliers ne peuvent pas jouir pleinement de leur droit de propriété ni recourir normalement aux règlements successoraux, aux donations et au crédit. Ensuite, les autorités ne peuvent recouvrer l’impôt de manière satisfaisante : le manque à gagner pour l’État s’élèverait à 20 millions. Au-delà des implications juridiques et administratives, le désordre foncier en Corse revêt également une dimension politique importante car il en résulte une raréfaction des biens immobiliers qui contribue à la hausse des prix. Enfin, cette situation pourrait se révéler dangereuse pour la sécurité des personnes et des biens dans la mesure où les désordres de propriété empêchent d’appliquer efficacement la législation relative aux immeubles menaçant ruine ou à la prévention des incendies.

Pour remédier à ces difficultés, les parlementaires ont proposé dès 2017 des mesures dérogatoires aux règles successorales et d’indivision, ainsi que des exonérations fiscales visant à inciter à la reconstitution des titres de propriété. Grâce à ce dispositif, le titrement des parcelles a progressé. Les notaires le constatent : le cadre civil posé par la loi de 2017 et les exonérations fiscales ont créé une dynamique incitant les particuliers à résoudre des problèmes d’indivision auxquels leur famille est confrontée depuis plusieurs générations. Depuis 2017, quelque 15 000 parcelles ont été régularisées, sans qu’aucune difficulté contentieuse n’ait été identifiée.

Toutefois, le travail de reconstitution des titres n’est pas encore achevé. On estime que 300 000 parcelles appartiennent toujours à des personnes présumées décédées. Face à l’ampleur de la tâche, il est illusoire d’espérer une normalisation de la situation d’ici à l’échéance des dispositifs dérogatoires fixée par la loi au 31 décembre 2027. La proposition de loi vise donc à proroger les mesures dérogatoires aux règles successorales et d’indivision, ainsi que les trois exonérations fiscales, jusqu’en 2037, pour continuer d’inciter à la reconstitution des titres de propriété. Le groupe démocrate est convaincu de la nécessité de poursuivre le titrement. Nous voterons donc en faveur de la proposition de loi.

M. David Guerin (HOR). La proposition de loi adoptée à l’unanimité au Sénat en avril 2024 vise à poursuivre l’œuvre indispensable engagée par la loi du 6 mars 2017, à savoir la résorption du désordre de propriété en Corse. Cette situation trouve son origine dans l’arrêté Miot de 1801 qui encourageait les administrés à régulariser leur situation par l’application de mesures fiscales exceptionnelles. Toutefois, en abrogeant les sanctions encourues en cas d’absence de déclaration des successions, l’arrêté Miot a mis un terme à ces déclarations et a contribué à la multiplication des cas d’indivision et des situations où les propriétaires sont apparentés.

Deux siècles plus tard, la Corse se caractérise par une situation cadastrale et foncière particulièrement dégradée. Plus de 300 000 parcelles – soit 30 % de l’ensemble des parcelles de l’île – sont détenues par des personnes physiques nées avant 1910. En outre, l’inexactitude cadastrale porte le taux de biens non délimités à 6,4 % des parcelles corses, contre 0,4 %, en moyenne, sur l’ensemble du territoire national.

Cette situation est à l’origine de diverses difficultés qui affectent tant les particuliers que les autorités. Même si 15 000 parcelles ont été titrées – ce qui a permis de multiplier par quatre les droits de succession collectés sur l’île –, la proportion des parcelles corses disposant d’un titre foncier régulier n’était que de 70 % en 2024 – contre 99 % à l’échelon national –, ce qui ne permet pas de considérer la situation comme satisfaisante.

Dans ce contexte, la prolongation pour dix ans des mesures dérogatoires est justifiée à un double titre. D’abord, l’ampleur du désordre foncier est telle qu’il paraît impossible d’appliquer le droit commun dès 2027. Ensuite, les dispositions de la loi du 6 mars 2017 ayant permis de réelles avancées, il convient de les prolonger afin de rapprocher, à terme, la situation foncière de la Corse de celle du reste du territoire français. Le groupe Horizons et indépendants votera donc en faveur de la proposition de loi.

Mme Béatrice Roullaud (RN). Nous devons nous prononcer sur l’opportunité de prolonger l’application de la loi du 6 mars 2017, qui contient des dispositions civiles et fiscales exorbitantes du droit commun. En Corse, un nombre très élevé de parcelles sont soit présumées appartenir à des personnes décédées, soit non délimitées, ce qui empêche de déterminer avec certitude leurs propriétaires. Cela engendre de nombreux désordres. D’abord, les particuliers ne peuvent plus acheter ces parcelles, dites non titrées, en toute sécurité ; des conflits peuvent survenir entre les membres d’une même famille ou entre voisins. Ensuite, l’État, pas plus que les collectivités locales, n’est en mesure de percevoir l’impôt afférent, ni ne peut faire appliquer les règles environnementales – portant notamment sur le débroussaillement – ou de police administrative – concernant en particulier la réalisation de travaux lorsqu’une bâtisse menace de s’écrouler.

Le législateur a pris conscience qu’il fallait agir pour assainir le cadastre. Il a créé en 2006 un groupement d’intérêt public – le Girtec – qui aide les notaires à reconstituer l’origine de la propriété des biens. Le Girtec a contribué à rétablir pendant six ans plus de 3 264 titres de propriété, soit près de deux par jour. Toutefois, cela demeurant insuffisant, le législateur a institué, en 2017, des dérogations civiles et fiscales pour accélérer le processus de titrement.

L’article 1er de la loi comporte une innovation de taille : l’acte de notoriété acquisitive, qui permet de prouver la propriété. Il se fonde sur un mécanisme bien connu en métropole, la prescription acquisitive ou usucapion, visée à l’article 2258 du code civil. C’est en effet le notaire qui établit l’acte reconnaissant la possession trentenaire, continue, paisible, publique et non équivoque. Celui-ci ne peut être contesté que pendant cinq ans. C’est une grande avancée pour l’établissement des titres.

L’article 2 modifie les règles relatives à l’indivision, en abaissant la majorité requise pour les prises de décision.

L’article 3 prévoit une exonération de 50 % des droits de mutation à titre gratuit lors de la première mutation postérieure à la reconstitution du titre de propriété, ce qui encourage les ascendants à établir des donations en faveur de leurs enfants et à reconstituer leurs titres.

L’article 4 exonère à concurrence de moitié les droits de succession des biens situés en Corse, qu’ils soient titrés ou non.

L’article 5 supprime le droit de partage de 2,5 % pour les partages mettant fin à l’indivision.

Ces cadeaux fiscaux, qui ont été estimés en 2024 à la coquette somme de 20 millions d’euros pour la seule exonération des droits de succession, appellent deux réserves. La première, c’est le montant des sommes qui échappent à l’État ; la deuxième, la distorsion entre le régime applicable aux personnes de métropole et celui des Corses. Le Conseil constitutionnel a toutefois jugé de façon constante que le principe d’égalité ne s’opposait pas à ce que des situations différentes soient traitées différemment.

Enfin, si l’exonération partielle des droits de succession des biens immobiliers non titrés pose un peu plus de questions, il est indispensable de voter en faveur de la prorogation de la loi du 6 mars 2017. Ne pas la voter serait la cause de désordres plus importants que le coût des exonérations. Ce serait la fin immédiate du Girtec et un coup d’arrêt mis à tout le travail accompli jusque-là et à l’effort des Corses.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Force est de constater que, huit ans après la loi sur l’assainissement cadastral, la Corse, tout comme les territoires ultramarins, est toujours affligée d’un désordre foncier préjudiciable à tous ses habitants. Le mal est profond et vient de loin. Cela fait près de deux siècles que la Corse est placée dans une situation spécifique, directement liée à l’absence de titres de propriété et aux mesures successorales dites dérogatoires du fameux arrêté Miot de 1801, prises en raison du contexte d’indivision généralisée, doublé d’une extrême pauvreté de l’île. La Corse compte quinze fois plus de biens non délimités que la moyenne nationale. L’État porte une responsabilité historique dans cette situation. À la suite de l’annexion en 1769, il n’a pas su ou pas voulu adapter son système juridique pour répondre aux spécificités locales, notamment à une organisation coutumière des terres basée sur une succession orale. L’absence d’un cadastre généralisé et l’incapacité à apporter des solutions durables ont abouti à cette exception néfaste qu’il convient de corriger.

Les conséquences sont malheureusement lourdes : entraves à la transmission des biens, freins aux investissements notamment dans le secteur agricole, habitations en ruines et terrains en déshérence, désertification des villages et pénurie de logements pour la jeunesse, complications dans la gestion des espaces naturels et agricoles favorisant parfois une urbanisation anarchique, sous-utilisation des terres et obstacles à la lutte contre les incendies. Face à un tel fléau, le législateur a cru pouvoir faire disparaître le fruit de deux cents ans de régime dérogatoire d’un trait de plume. C’était probablement un peu utopiste.

Bien entendu, les mesures civiles et fiscales de 2017 ont indéniablement eu un effet incitatif. Cette loi et le travail du Girtec ont permis des progrès : ce sont 1 860 titres de propriété qui ont été créés depuis 2017, concernant près de 15 000 parcelles. En dépit des efforts de ces dernières années, on estime que plus de 300 000 parcelles demeurent enregistrées au nom de propriétaires décédés. À ce rythme, le Girtec estime qu’il lui faut encore soixante-dix ans pour arriver au terme de sa mission. Aussi l’échéance de 2027 semble-t-elle désormais irréaliste. C’est pourquoi il convient de maintenir des mesures dérogatoires jusqu’en 2037, afin de poursuivre le travail d’assainissement cadastral. Cela est d’autant plus important que la Corse connaît depuis plus de deux décennies un phénomène croissant de spéculation foncière, qui tire les prix à la hausse, à tel point que, pour de nombreux Corses, en l’absence d’une fiscalité adaptée, il est impossible de prendre en charge des frais successoraux dont le montant dépasse souvent la valeur des biens patrimoniaux hérités.

Mettre fin à ce régime dérogatoire, comme le souhaitent mes collègues de La France insoumise, conduirait à une dépossession foncière massive des Corses et pénaliserait avant tout les familles les plus précaires. L’indivision concerne généralement les demeures patrimoniales ou les zones rurales et non pas les villas de luxe sur le littoral. Demandons au gouvernement que cette prorogation s’accompagne d’une meilleure information des parlementaires et d’une plus grande transparence de la part de Bercy sur le volet fiscal. Nous sommes évidemment les premiers à dire que la prorogation des mesures dérogatoires est nécessaire sans être une fin en soi. L’État doit mettre les moyens pour traiter ce problème de fond, en renforçant les capacités d’action du Girtec notamment et en traitant la question de la pression foncière dont la Corse est victime. Les attentes du peuple corse sont grandes et il reste beaucoup à faire. Notre groupe réitère ses demandes pour que nous soit rapidement présenté un projet institutionnel et fiscal pour la Corse.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). La proposition de loi n’est pas sans faire écho à la situation de La Réunion, pour des raisons tout à fait différentes. Nous partageons néanmoins le même objectif : titrer les parcelles et résoudre le désordre cadastral. La crise du logement que connaît La Réunion en fait un impératif car il n’est pas possible de mobiliser des parcelles non titrées, certaines d’entre elles devenant des friches urbaines.

La situation actuelle entraîne une insécurité juridique, puisque des particuliers ne peuvent pas jouir de leurs parcelles, et pose des difficultés aux autorités publiques qui se voient privées d’une partie de leurs recettes fiscales liées à la propriété foncière. Si nous sommes conscients qu’il faut consentir à des efforts pour assainir le cadastre, nous nous demandons jusqu’à quand l’État devra agir à perte pour résoudre cette difficulté.

La prorogation des dispositions facilitant le titrement est une nécessité absolue, et elle le sera sans doute encore dans dix ans. En revanche, les exonérations fiscales nous posent quelques difficultés. Si le Conseil constitutionnel n’a jamais été saisi de la loi du 6 mars 2017, il avait censuré, en 2012 et en 2013, des mesures d’exonération des droits de succession sur des immeubles situés en Corse, estimant que le maintien de ce régime fiscal dérogatoire méconnaissait le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques. Qui plus est, le directeur général des finances publiques n’a jamais été en mesure de fournir au rapporteur du Sénat des données même approximatives sur le coût que représentent les exonérations fiscales. Nos collègues de La France insoumise ont déposé des amendements pour les supprimer. Nous ne partageons pas totalement leur point de vue. Nous pensons qu’il est nécessaire de revenir à plus de justice fiscale et de remettre à plat tout le système d’exonérations : celles-ci s’appliquent à tous, sans considération du patrimoine ni des revenus, et concernent aussi bien la première mutation que les suivantes voire des parcelles déjà titrées.

Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La proposition de loi est bien plus qu’un texte technique, c’est une réponse nécessaire. En Corse, le désordre cadastral est souvent synonyme d’injustices et de blocages économiques. La prorogation de la loi du 6 mars 2017 est indispensable. Les délais initiaux se sont heurtés à la réalité du terrain : longueur des procédures, insuffisance des moyens humains, complexité de certaines situations. Interrompre ce travail maintenant serait une grave erreur. Cette question n’est pas que juridique, elle est profondément humaine et économique. L’absence de titre de propriété régulier plonge de nombreuses familles dans une insécurité juridique inacceptable. Elles ne peuvent ni transmettre leur patrimoine, ni investir, ni même parfois vivre sereinement sur leurs propres terres.

Pour l’administration, le désordre cadastral complique le recouvrement de l’impôt et l’application des règles de l’urbanisme. Ce flou affaiblit l’État de droit et entrave la bonne gestion de nos territoires. Il faut le rappeler : le cadastre est avant tout un document fiscal, il ne vaut pas titre de propriété. Cependant, il est un préalable indispensable pour titrer les propriétaires. La loi de 2017 a permis des avancées significatives, mais il reste beaucoup à faire. La prorogation doit s’accompagner d’une mobilisation accrue. Il ne faut pas négliger la possibilité de recourir à des géomètres et à des experts fonciers sous supervision publique pour accélérer l’assainissement cadastral, ainsi que la mise en œuvre de procédures simplifiées. Il est impératif d’aller au bout de cet effort, non seulement pour rétablir la justice foncière mais aussi pour libérer le potentiel économique et social de la Corse.

Ce texte est une affirmation de nos valeurs républicaines : le respect du droit à la propriété privée, la sécurité juridique et l’égalité entre les citoyens. Le groupe UDR le votera.

M. Xavier Albertini, rapporteur. Je note une quasi-unanimité pour accompagner la Corse dans cette évolution favorable. Le Girtec a progressivement développé un éventail d’outils, si bien qu’il est désormais adossé aux notaires qui travaillent sur ce titrement.

Comme vous, je suis un peu étonné du manque de données fiscales. Néanmoins, nous savons que les exonérations de droits de succession représentent environ 20 millions d’euros par an. Le manque à gagner relatif à la non-déclaration des successions en Corse s’élève à plus de 50 millions d’euros. C’est pourquoi il faut continuer à se montrer incitatifs. En 2013, le montant des droits perçus au titre des déclarations de succession en Corse atteignait à peine 6 millions d’euros. En 2019, il est passé à 30 millions pour atteindre 43 millions d’euros en 2022. J’ai sollicité auprès de la direction générale des finances publiques (DGFIP) les chiffres pour 2023 et 2024, que j’espère obtenir avant le débat dans l’hémicycle.

S’agissant de la constitutionnalité, l’une de nos collègues a rappelé que le texte de 2017 n’avait pas été déféré, alors que le précédent, qui prévoyait une exonération totale en matière de droits de succession, l’avait été. Les traitements différenciés en fonction des territoires sont parfois utiles.

Ne pas proroger le texte constituerait un coup d’arrêt total, ce qui priverait la Corse d’une sécurité juridique et l’entraînerait sur une mauvaise pente.

M. le président Florent Boudié. J’ai oublié de passer la parole à M. Ceccoli.

M. François-Xavier Ceccoli (DR). Le Girtec est dépassé par son succès. En tant que maire, j’ai eu beaucoup de mal à obtenir son travail. Il faudrait sans doute le renforcer pour qu’il atteigne son but avant soixante-dix ans.

Comme vous le savez, la Corse est la région la plus pauvre de France, particulièrement dans ma circonscription. Ne vous leurrez pas, tout ce qui a de la valeur est immédiatement transmis pour être vendu. Ce qui reste aujourd’hui, c’est ce qui appartient aux gens qui ont les plus faibles moyens et qui relève du patrimoine historique des villages.

Les procédures de déclaration de parcelles en état d’abandon manifeste, partagées parfois entre des dizaines de propriétaires, sont difficiles à conduire. Pour créer des routes et mener à bien les expropriations, il faut retrouver, pour chaque parcelle, soixante-dix, quatre-vingts ou quatre-vingt-dix propriétaires. Cette situation cause bien plus de complications que l’on ne pense.

Les Corses subissent cet état de fait et souhaitent que les choses évoluent. Sur certains relevés, il n’y a même pas les dates de naissance des propriétaires mais un simple zéro. J’ai voulu récupérer des terrains pour les mettre à disposition de jeunes agriculteurs : c’était un travail dantesque pour une mairie de 1 000 habitants que d’essayer de retrouver les propriétaires.

Les avancées institutionnelles sont utiles et relèvent d’une démarche positive mais elles peuvent avoir leur pendant. Le rôle de l’État est parfois extrêmement important, même pour les Corses, qui aspirent à la tranquillité et à un développement serein. Je ne sais pas si vous avez suivi l’actualité de ces dernières semaines : déjà un troisième assassinat ; un chef mafieux arrêté en Corse après avoir commis un assassinat pour le compte d’une bande armée qui a une coloration politique. Le diable se cache parfois dans les détails. Le fait que la Corse soit une nouvelle fois à l’ordre du jour de votre commission est aussi une garantie pour le peuple corse.

M. le président Florent Boudié. Je rappelle que la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse, que nous avons créée le 4 décembre, sera en déplacement sur l’île du mardi 4 au vendredi 7 février pour rencontrer tous les acteurs concernés.

Nous en venons à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique

Amendements CL2 et CL3 de M. François Piquemal

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer les exonérations fiscales. L’estimation de 20 millions d’euros apparaît dans le projet de loi de finances. On sait aussi que les recettes afférentes sont en augmentation : une fois le désordre de la propriété résorbé, les rentrées fiscales sont possibles. Reste à savoir s’il y a une corrélation entre les deux. Le désordre est-il plutôt résorbé grâce à l’exonération ou grâce à l’action du Girtec et à la volonté des gens de disposer de titres de propriété et d’un cadastre fiable ? Le groupement d’intérêt a été fondé en 2012 ; des choses se sont passées jusqu’en 2017, sans exonération. J’entends les arguments selon lesquels cette situation concerne principalement des familles précaires et que c’est toujours ça de pris, sauf que nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour les étayer.

M. Xavier Albertini, rapporteur. Vous mettez en avant l’absence d’exonérations lors de la création du Girtec. D’abord, ce groupement a mis un certain temps à monter en puissance, puisqu’il lui a fallu créer des outils et collecter des informations cadastrales. Ensuite, pendant plusieurs années, l’exonération des droits de succession était totale, avant d’être abaissée à 50 %. Il est difficile de dissocier les causes et les conséquences dans le processus de résorption du désordre cadastral. Lors des auditions, le Girtec et le conseil régional des notaires de Corse nous ont expliqué que la volonté de sortir de l’indivision était de plus en plus manifeste – des personnes sollicitent les notaires qui font appel au Girtec – et que la limitation des coûts de succession et de transmission était bel et bien incitative. Comme vous, je souhaite que nous soyons tous mieux informés. Il me semble important de proroger le dispositif pour dix ans et de nous doter, pendant cette période, d’outils d’évaluation.

M. Hervé Saulignac (SOC). Si la question soulevée par Ugo Bernalicis est légitime, lui-même reconnaît qu’il n’a pas la réponse. C’est curieux de faire reposer un amendement sur un fondement aussi fragile. À mon avis, les notaires savent très bien trouver les mots pour inciter les propriétaires à accomplir les démarches et à bénéficier des exonérations fiscales.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Je pense, au contraire, que nous n’avons pas besoin de disposer de toutes les données pour comprendre que ce n’est pas la même chose d’accorder une exonération fiscale à une succession désargentée qu’à une famille qui possède déjà un patrimoine conséquent et les moyens de payer les frais de succession. Nous sommes face à une certaine inégalité devant l’impôt, puisque les exonérations ne sont pas fonction du niveau de richesse. Envisagez-vous de présenter en séance un amendement qui établisse une distinction pour introduire un peu plus de justice fiscale dans le dispositif ?

M. Paul-André Colombani (LIOT). Nous sommes les premiers à réclamer ces informations fiscales. Par ailleurs, le Girtec est un excellent outil, qui travaille avec les moyens qu’on lui a donnés. Il faudrait lui en donner plus. Ces successions remontent sur plusieurs générations, avec parfois trente à quarante personnes concernées par l’indivision et, partant, la fiscalité. Souvent, la valeur du bien est largement inférieure au coût de la succession. C’est pourquoi il me semble compliqué de toucher aux incitations.

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). À entendre les arguments quasi gouvernementaux de mon collègue socialiste, je vois que la mutation est rapide et efficace !

M. le président Florent Boudié. Il aura fallu une heure et trois minutes pour y venir ! (Sourires.)

M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le point de départ de nos amendements, c’est une question de principe : on paie l’impôt, l’exonération est l’exception. C’est pourquoi nous pensons qu’il est important d’avoir des arguments pour justifier une exception.

Alors que l’exonération est passée de 100 % à 50 %, le nombre de personnes désireuses de résorber le désordre cadastral a augmenté. Permettez-moi de m’interroger sur l’effet incitatif ! On pourrait tout à fait imaginer des mesures plus objectives et plus justes fiscalement. La résorption du désordre de la propriété relève de l’intérêt général. Le renforcement des moyens du Girtec serait peut-être plus efficace que l’incitation fiscale. Je ne dis pas qu’elle n’est pas pertinente, mais j’aimerais disposer d’éléments pour l’évaluer concrètement. Dans la mesure où vous n’en avez pas à nous fournir, nous nous abstiendrons.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à proroger la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 relative à l’assainissement cadastral et à la résorption du désordre de la propriété (n° 141) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


Personnes entendues

   Mme Marie Piet, rédactrice du bureau du droit immobilier et du droit de l’environnement

   Mme Marina Fages, cheffe du bureau du cadastre

   Mme Claire Chavignier, présidente

 


([1]) Rapport de l’Inspection générale des finances, « Pour une économie corse du XXIe siècle : propositions et orientations », octobre 2018. Lien

([2]) Rapport n° 4260 de M. Camille de Rocca Serra, sur la proposition de loi n° 4166 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété, fait le 30 novembre 2016 au nom de la commission des lois. Lien

([3]) Même rapport.

([4]) Un dispositif similaire existe pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, à Mayotte et Saint-Martin, prévu par l’article 35-2 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009.

([5]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

([6]) Note : la majorité des droits indivis peut être distincte de la majorité des héritiers.

([7]) Loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

([8]) Évaluation des voies et moyens, tome 2, annexé au projet de loi de finances pour 2025.

([9]) La mesure avait été introduite par la loi de finances pour 1986, grâce à la création de l’article 750 bis A du CGI, avant d’être reconduite à plusieurs reprises. L’article 14 de la loi de finances pour 2013 prévoyait une prolongation de trois ans du dispositif, jusqu’au 31 décembre 2017, mais a été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 2012.

([10]) Convention constitutive du GIRTEC. Lien

([11]) Rapport n° 4260 de M. Camille de Rocca Serra, sur la proposition de loi n° 4166 visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété, fait le 30 novembre 2016 au nom de la commission des lois, précité.

([12]) https://www.girtec.corsica/2023/11/24/visite-dune-delegation-des-autorites-de-la-ville-de-tokyo/