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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 novembre 2016
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE
SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 4166)
visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption
du désordre de la propriété
PAR M. Camille de ROCCA SERRA
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. LE DÉSORDRE JURIDIQUE FONCIER : UNE RÉALITÉ QUI PERDURE AUJOURD’HUI EN CORSE MALGRÉ LES ACTIONS DÉJÀ ENGAGÉES 7
A. UNE ABSENCE DE TITRES QUI PLACE LA CORSE DANS UNE SITUATION FONCIÈRE TRÈS DÉGRADÉE 7
1. De nombreux biens immobiliers à la situation juridique incertaine 7
2. Des conséquences lourdes pour les citoyens et les pouvoirs publics 10
B. DES ACTIONS DÉJÀ ENGAGÉES ENCORE INSUFFISANTES 11
1. La reconstitution des titres de propriété par le notariat corse 11
2. Les avancées du GIRTEC 13
3. Des indivisions bloquées malgré les assouplissements législatifs 15
II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR ACCÉLERER LA NORMALISATION DE LA SITUATION FONCIÈRE EN CORSE 16
A. DES OUTILS JURIDIQUES POUR FACILITER LA RECONSTITUTION DES TITRES DE PROPRIÉTÉ ET LE RÈGLEMENT DES INDIVISIONS 16
1. Sécuriser les procédures de titrement (article 1er) 16
2. Faciliter le règlement des indivisions (article 2) 17
B. DES INCITATIONS FISCALES TRANSITOIRES POUR ACCOMPAGNER LA RECONSTITUTION DES TITRES DE PROPRIÉTÉ 17
1. Inciter les donations entre vifs (article 3) 17
2. Favoriser les sorties d’indivision (article 5) 18
C. UN DÉLAI SUPPLÉMENTAIRE POUR DONNER LE TEMPS NÉCESSAIRE AU RÈGLEMENT DU DÉSORDRE FONCIER (article 4) 18
Article 1er (art. 2272-1 [nouveau] du code civil) : Inscription de l’acte de notoriété acquisitive dans le code civil et réduction des délais de prescription pendant une période de dix ans 27
Article 2 (art. 815-3-1 [nouveau] du code civil) : Assouplissement des règles de majorité requises pour favoriser les règlements successoraux en cas d’indivision 31
Article 3 (art. 793 du code général des impôts) : Prorogation de dix ans de l’exonération partielle des droits de mutation lors de la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété 34
Article 4 (art. 1135 bis du code général des impôts) : Prorogation de dix ans de l’exonération partielle des droits de succession pour les biens immobiliers situés en Corse 35
Article 5 (art. 750 bis B du code général des impôts) : Exonération pendant dix ans des droits de partage de succession sur les immeubles situés en Corse 42
Article 6 : Gage financier 44
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Les Républicains (LR) du jeudi 8 décembre 2016, sur le fondement de l’article 48, alinéa 5, de la Constitution. Elle ne revêt cependant pas un caractère partisan puisqu’elle associe trois députés issus du groupe LR, MM. Camille de Rocca Serra, Sauveur Gandolfi-Scheit et Laurent Marcangeli, un député du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP), M. Paul Giacobbi, et un député du groupe Socialiste, écologiste et républicain (SER), M. François Pupponi.
Résultant de longs travaux de concertation et de réflexion engagés depuis plusieurs années déjà par l’ensemble des élus corses, avec le concours du Gouvernement, ce texte répond à une impérieuse nécessité : permettre à tous les citoyens de Corse d’exercer pleinement un droit constitutionnellement garanti dont la plupart des attributs leur sont aujourd’hui refusés : le droit de propriété.
La Corse se trouve en effet dans une situation particulière au regard du reste du territoire national dès lors que, pour des raisons socio-historiques et géographiques qui lui sont propres, le droit de propriété ne peut s’y exercer pleinement du fait de l’absence de titres. Il ne s’agit pas d’un phénomène marginal puisque cette absence de titres concerne aujourd’hui plus de 34 % du total des parcelles de l’île.
De nombreux groupes de travail ont été constitués ces dernières années pour aboutir au même constat (1) : cette absence de titres de propriété conduit à un désordre juridique foncier, lourd de conséquences pour les citoyens comme pour la collectivité. Il place les Corses dans une situation d’inégalité par rapport à l’ensemble de la communauté nationale.
Cette différence de situation justifie que l’on prenne des mesures adaptées, parfois dérogatoires du droit commun, afin de permettre à la Corse de résorber ce désordre. Dans son discours à l’Assemblée de Corse, le 4 juillet 2016, le Premier ministre avait fait part de sa volonté de soutenir et d’accompagner une proposition solide en mesure de tenir compte de la spécificité foncière de la Corse.
C’est l’objet de cette proposition de loi qui comprend, d’une part, des dispositions modifiant le code civil afin de sécuriser la reconstitution des titres de propriété et de faciliter le règlement des indivisions et, d’autre part, des incitations fiscales transitoires pour encourager la reconstitution des titres et les donations entre vifs. Elle prolonge, enfin, pour une période de dix ans, le régime transitoire d’exonération partielle des droits de succession en matière immobilière propre à la Corse, afin de prévoir le temps nécessaire au règlement de ce désordre foncier. Les dispositions fiscales n’ont donc pour objet que d’accompagner et d’encourager les dispositions d’ordre civil, qui sont de premier rang.
Saisie par votre rapporteur, l’Assemblée de Corse a adopté, à l’unanimité des votants, dans sa séance du jeudi 24 novembre 2016, une résolution exprimant « un avis très favorable » au contenu de la présente proposition de loi.
I. LE DÉSORDRE JURIDIQUE FONCIER : UNE RÉALITÉ QUI PERDURE AUJOURD’HUI EN CORSE MALGRÉ LES ACTIONS DÉJÀ ENGAGÉES
Plusieurs parties du territoire national connaissent un désordre juridique foncier, caractérisé par une absence de titres de propriétés. Ce phénomène touche particulièrement la Corse, ce qui nuit à son développement (A). Les actions engagées depuis plusieurs années pour résorber ce désordre sont encore insuffisantes (B).
La Corse se distingue du reste du territoire national par l’existence de nombreux biens immobiliers à la situation juridique incertaine (1), ce qui est lourd de conséquences à la fois pour les citoyens et la collectivité (2).
● Pour des raisons sociales, historiques ou géographiques qui leur sont propres, certaines parties du territoire national, notamment les zones rurales et montagneuses, se trouvent aujourd’hui dans des situations cadastrales et foncières très dégradées du fait de l’absence de titres de propriété.
Ce phénomène touche particulièrement la Corse qui a bénéficié, pendant plus de deux siècles, d’un régime d’imposition des successions sur les biens immobiliers dérogatoire du droit commun – « l’arrêté Miot » du 10 juin 1801. Ce régime n’a pas incité les familles à régler leurs successions puisqu’aucune sanction n’était susceptible d’être appliquée par l’administration fiscale en l’absence de déclaration dans le délai légal.
« L’arrêté Miot » du 10 juin 1801
Contrairement à une idée reçue, « l’arrêté Miot » n’avait pas pour objet d’exonérer les Corses du paiement des droits de successions. Il s’agissait plutôt, pour cet administrateur provisoire, d’adapter à la Corse des règles inapplicables autrement et d’y recouvrer efficacement l’impôt.
L’impôt sur les successions immobilières avait donc deux spécificités : une méthode de calcul forfaitaire, et non basée sur la valeur réelle des biens, et l’absence de sanction en cas de non dépôt des déclarations.
Ce dispositif perdura jusqu’en 1992, date à laquelle la méthode de calcul, modifiée en 1951 par l’administration fiscale, fût jugée illégale par la Cour de cassation et aboutit, faute de méthode alternative, à une exonération de fait.
Le retour de la Corse au droit commun a été décidé par le législateur en 1998, selon un calendrier progressif prévu par la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse.
Faute de règlement des successions sur plusieurs générations, la Corse se trouve aujourd’hui dans une situation de désordre juridique foncier, qui se caractérise notamment par une absence de titres de propriété et de nombreuses situations d’indivisions de fait, impliquant parfois plusieurs centaines d’héritiers potentiels.
● Dans son rapport d’octobre 2013, le groupe de travail mis en place par le Gouvernement pour apprécier les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 en matière de droits de succession en Corse – groupe de travail dit « Bercy-Corse » – avait tout d’abord relevé une présence importante de biens non délimités (BND), c’est-à-dire de parcelles sur lesquelles s’exercent plusieurs droits de propriété sans que les limites entre les différentes propriétés ne soient connues de l’administration – seule la limite extérieure de la parcelle étant formalisée : « les propriétaires n’ont pas pu indiquer à l’administration, lors des opérations de confection ou de rénovation du cadastre, du fait de leur absence, de leur inertie ou de leur ignorance, les limites séparatives internes entre les différentes propriétés contenues dans le bien », explique M. Jean-Baptiste Leca, conservateur des hypothèques, dans la contribution écrite qu’il a adressée à votre rapporteur.
Au 1er janvier 2012, il existait ainsi 63 800 biens non délimités en Corse, à rapporter aux 1 005 600 parcelles existantes, soit un taux de 6,4 %, très supérieur à celui constaté au niveau national (0,4 %). La surface couverte par ces BND représentait 15,7 % de la surface cadastrée en Corse, taux sans commune mesure avec celui observé dans des départements aux caractéristiques géographiques comparables (0,7 %).
● Le groupe de travail « Bercy-Corse » avait également relevé une proportion très élevée de propriétaires apparents, c’est-à-dire de propriétaires en réalité décédés mais dont le bien n’a fait l’objet d’aucune mutation depuis leur décès.
Comme les biens non délimités, l’ampleur du phénomène est assez considérable : selon les éléments communiqués à votre rapporteur par M. Paul Grimaldi, président du GIRTEC (2), lors de son audition, 350 304 parcelles sont aujourd’hui détenues par des personnes physiques nées avant 1910, soit plus de 34 % du total des parcelles. Ce phénomène touche toute la Corse, mais est particulièrement observé en Balagne, au Cap corse, dans la région d’Ajaccio et de Sagone ainsi qu’à l’extrême Sud de l’île.
PROPRIÉTAIRES APPARENTS EN 2015 EN CORSE
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Nombre |
Surface en ha |
Parcelles avec un titulaire de droit né avant 1910 |
350 304 |
266 651 |
Pourcentage du total |
34,54 % |
31,01 % |
Pourcentage des parcelles de propriétaires physiques |
42,97 % |
67,81 % |
Source : GIRTEC
Un deuxième chiffre illustre l’absence de règlement successoral : les publications au fichier foncier. Le code général des impôts impose en effet de publier au fichier immobilier de la publicité foncière les mutations cadastrales (3) : aussi longtemps que l’acte de mutation n’a pas été publié, la mutation cadastrale n’est pas faite et c’est l’ancien propriétaire qui continue à être imposé. Or, selon les éléments communiqués par le président du GIRTEC, 451 899 parcelles, soit plus de 47 % du total, n’ont fait l’objet d’aucune publication entre 1956 et 2003 en Corse.
● La « propriété arboraire » est un autre archaïsme que l’on rencontre toujours en Corse.
Le code civil, dans ses articles 551 et 552, stipule que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire » et « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous ». Or, Me Marie-Anne Pieri a indiqué, lors de son audition, que « la Corse dans ses régions montagneuses connait des typicités particulières, à savoir la propriété arboraire. De nos jours encore, lors de règlements successoraux, nous rencontrons souvent à l’étude des usagers nous remettant des partages sous signatures privées, aux termes desquels les copartageants sont allotis uniquement de la propriété des arbres (oliviers, châtaigniers...). Le sol étant quant à lui la propriété apparente d’une tierce personne, nous nous trouvons en présence d’une superposition de deux droits, celui du possesseur apparent du sol et celui du possesseur de l’arbre. Certaines fois cette superposition va jusqu’au fruit. »
Cette situation, certes marginale et liée aux territoires de montagne, participe pleinement à la confusion immobilière et au désordre foncier.
● Un dernier symptôme du niveau élevé de successions non réglées est le ratio qui peut être établi entre le nombre de déclarations de successions déposées auprès de l’administration fiscale et celui des décès. Ce ratio est en Corse très inférieur à la moyenne nationale, ce qui laisse supposer que de nombreux décès ne sont pas suivis d’une transmission des droits immobiliers : il était ainsi de 36 % en 2011 contre 55 % au niveau national.
Pour résumer la situation, « on ne sait pas qui est propriétaire, de quoi, et dans quelles proportions » a-t-on coutume de dire.
L’existence de nombreux biens immobiliers dont la situation juridique n’est pas à jour est lourde de conséquences pour les citoyens mais aussi pour les pouvoirs publics.
● « Un bien sans titre de propriété, c’est comme un enfant sans acte de naissance » selon la formule de Me Marie-Anne Pieri, entendue par votre rapporteur : sans titre, les personnes sont en effet privées de la possibilité d’utiliser normalement les règles du droit civil, notamment en matière de règlements successoraux, de donations entre vifs, de réalisation d’échanges, de ventes ou de baux pour les agriculteurs. Elle entrave aussi les possibilités de recours aux établissements de crédits ou d’agir en justice. Dans une contribution écrite adressée à votre rapporteur, M. André Valat, ancien président du GIRTEC, soulignait ainsi « qu’en privant les familles concernées de ces régions des avantages et devoirs du droit de propriété, pourtant garanti par la Constitution, ce désordre juridique limite fortement leur capacité à faire économiquement fructifier les biens touchés et entraîne la détérioration et souvent la perte de nombreux patrimoines. »
Les propos tenus par Me Alain Spadoni, président du Conseil régional des notaires de Corse, à votre rapporteur, sont identiques : cette situation empêche de fait ces personnes de jouir pleinement du droit de propriété, pourtant constitutionnellement garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et les place dans une situation de profonde inégalité par rapport aux résidents d’autres territoires de la République.
Cette absence de titres a également des répercussions lourdes sur l’ensemble de la communauté car elle compromet les démarches d’exploitation, de cession ou de mise en valeur des lieux. L’insécurité juridique freine les initiatives, toute personne entreprenant des travaux sur un patrimoine non titré s’exposant par exemple à d’éventuelles revendications postérieures de la part d’ayants droit présumés.
Dans un rapport de 2009 sur la problématique foncière, le Conseil économique, social et culturel (CESC) de Corse avait résumé ainsi la situation : « la rareté des actes de propriété exploitables contribue à entretenir un immobilisme du système économique local. Les effets nuisibles induits par cette situation n’ont pas échappé à l’appréciation de différents spécialistes, qui considèrent que cette absence de titres, même si elle ne touche qu’une part minoritaire du patrimoine en valeur, est un handicap important pour l’île. »
● Le désordre foncier est aussi lourd de conséquences pour les collectivités publiques lorsque cela rend impossible l’identification des propriétaires de certains biens.
Cette situation ne crée tout d’abord pas des conditions optimales pour le recouvrement des impôts locaux, notamment de la taxe foncière : les avis d’imposition sont adressés au nom du propriétaire décédé à sa dernière adresse connue et, sauf si les héritiers ont fait les démarches nécessaires pour fournir une adresse à jour, l’avis ne peut pas être distribué et la taxe foncière recouvrée. Il y a donc là un manque à gagner évident pour les collectivités, qui ne perçoivent pas l’intégralité des recettes fiscales qui leur sont normalement dues.
Le défaut d’identification des propriétaires peut avoir des conséquences pour la sécurité des biens et des personnes car il empêche souvent les maires d’appliquer la législation sur les immeubles menaçant ruine. Le CESC relevait par exemple que « le manque d’entretien de certains biens non titrés conduit ces derniers à se dégrader, ce qui n’est pas sans risques pour les éventuels immeubles voisins et, de manière générale, les personnes. Bien que conscientes des dangers encourus, de nombreuses municipalités corses se trouvent pourtant dans l’incapacité de contraindre les propriétaires à réaliser d’indispensables travaux de sécurisation des lieux. »
Les autorités locales se heurtent également à d’importants obstacles pour faire appliquer la législation relative à la prévention des incendies. Le code forestier impose en effet à tout propriétaire le débroussaillement et l’entretien des zones comprises dans le plan de prévention des risques d’incendies de forêt. Cette mesure, dont la portée revêt une importance particulière au sein d’une île particulièrement exposée à ce risque, ne peut, faute d’identification des propriétaires des sols, être mise en œuvre de manière satisfaisante en Corse.
La situation de désordre foncier exceptionnel dans laquelle se trouve la Corse a justifié des actions spécifiques. Depuis près de trente ans, les notaires corses se sont ainsi engagés dans la voie de la reconstitution des titres de propriété (1) et sont désormais aidés dans cette tâche par un groupement d’intérêt public dédié (2). Demeure néanmoins la question des indivisions, qui peuvent être bloquées du fait d’un héritier récalcitrant (3).
En 1983 a été mise en place à l’initiative du ministre de la Justice, M. Robert Badinter, une commission sur l’indivision en Corse, présidée par M. Yves Martinetti, alors premier président de la Cour d’appel de Bastia. Cette commission, dite « commission Badinter », avait formulé plusieurs recommandations pour résorber le désordre foncier, notamment la reconstitution des titres de propriété et différentes mesures d’incitation fiscale.
● Constatant que l’absence de titres de propriété était la cause principale du désordre juridique foncier, cette commission avait tout d’abord recommandé de recourir au régime de la prescription acquisitive, prévu par l’article 2258 du code civil, pour reconstituer ces titres.
Le code civil permet en effet de conférer au possesseur d’un bien mais dépourvu de titre authentique, sous certaines conditions, notamment une possession continue, non interrompue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, un titre de propriété.
La commission avait suggéré aux notaires de Corse de mettre au point une méthode, reposant sur l’établissement d’actes de notoriété acquisitive, assortis d’une large publicité, afin de favoriser d’éventuelles actions en revendication : l’acte de notoriété ainsi établi était alors considéré comme une preuve suffisante de propriété en droit positif. Une circulaire détaillant la mise en œuvre de cette méthode avait donc été éditée par le Conseil régional du notariat de Corse et avait reçu l’aval du ministère de la Justice en 1989. La pratique notariale s’est largement emparée de cette circulaire : 7 883 actes de notoriété ont été établis sur cette base depuis la fin des années quatre-vingt-dix – la moyenne annuelle étant de 600 au cours de ces dernières années (4).
Mais, ainsi que l’ont indiqué plusieurs interlocuteurs à votre rapporteur, cette pratique demeure fragile car elle n’a été inscrite dans aucun texte, législatif ou réglementaire. Les actes ainsi établis, s’ils font office de titre de propriété et ne sont pas, de fait, contestés en Corse, restent sous la seule responsabilité des notaires et pourraient donc être annulés par un juge en cas de contestation.
● La « commission Badinter » avait également suggéré des mettre en place des incitations fiscales pour favoriser l’établissement de titres de propriété et le règlement successoral des situations d’indivision, ce qui fût fait avec l’article 11 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 de finances pour 1986.
Le législateur a alors inséré un article 750 bis A au code général des impôts pour exonérer d’imposition, de manière temporaire, les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse : « Les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires répondant aux conditions prévues au II de l’article 750 établis entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 1991 sont exonérés du droit de 1 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse. Ces exonérations s’appliquent à condition que l’acte soit authentique. »
Adopté initialement pour une durée de cinq ans, ce dispositif a été reconduit par plusieurs lois successives, pour s’appliquer finalement jusqu’au 31 décembre 2014. Une prolongation jusqu’au 31 décembre 2017 a été inscrite dans la loi de finances pour 2013 mais fut censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012. Depuis le 1er janvier 2015, cette incitation fiscale n’est donc plus en vigueur.
Face à la complexité des cas à régler, il apparaissait indispensable de venir en appui de l’action conduite par les notaires pour la reconstitution des titres de propriété. C’est dans ce but que la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 relative aux successions et libéralités a autorisé la création d’un groupement d’intérêt public chargé de « rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. »
Le GIRTEC a été constitué entre l’État, la collectivité territoriale de Corse, l’association des maires de Corse du Sud, l’association des maires de Haute Corse et le Conseil régional des notaires. Il est administré par une assemblée générale de 25 membres, présidée par le préfet de Corse, et un conseil d’administration de onze membres, présidé aujourd’hui par un magistrat de l’ordre judiciaire, M. Paul Grimaldi. Ses services emploient huit personnes.
Son rôle est d’apporter un soutien technique aux notaires et collectivités qui le sollicitent en recueillant les informations nécessaires au règlement de la question soulevée – reconstitution de titres de propriété, règlement successoral. Le recours au GIRTEC est gratuit pour les notaires et les héritiers, afin notamment de ne pas freiner ces derniers dans leur démarche.
Les règlements successoraux : des coûts prohibitifs
La complexité des situations à régler peut entraîner, dans de nombreux cas, un coût de régularisation jugé excessif par les propriétaires indivis d’un bien, soit au regard de leurs capacités contributives, soit par rapport à la valeur du bien concerné.
Le groupe de travail « Bercy-Corse » avait illustré, en 2013, cette difficulté en citant une affaire traitée par Me Alain Spadoni, président du Conseil régional des notaires de Corse et membre du groupe de travail.
Dans une opération réalisée en 2012, l’objectif était de permettre à une arrière-petite-fille, se trouvant dans une situation d’indivision avec l’ensemble de sa famille, de racheter les droits des autres héritiers et sortir de l’indivision, pour une maison en mauvais état d’un village de montagne de l’Alta Rocca.
Il convenait, tout d’abord, de reconstituer le titre de propriété en établissant un acte de notoriété acquisitive, d’établir ensuite la dévolution successorale pour trouver les héritiers vivants, publier le titre au service de la publicité foncière et effectuer, enfin, la licitation amiable entre co-héritiers.
Pour réaliser cette opération, 125 actes durent être rédigés pour un coût de 57 000 euros, sachant que la valeur du bien avait été estimée à 51 000 euros.
Lors de son audition, Me Pieri a rappelé pour sa part que, « dans le cadre de ventes immobilières, les notaires de Corse sont souvent amenés, préalablement à la vente, à faire des recherches très poussées du point de vue du cadastre et de la généalogie. Un exemple qui n’est pas légion et que nous rencontrons souvent concerne la présence de deux comptes cadastraux pour un même bien, à savoir le cadastre bâti porté au nom d’une personne et le cadastre non bâti porté au nom d’une personne différente. »
Un cas d’espèce au sein de son étude l’a ainsi conduite à effectuer un travail durant six années, avec, dans un premier temps, une recherche généalogique à partir de l’auteur commun né en 1856 et qui a engendré le règlement de 50 successions pour arriver aux héritiers actuels, au nombre de 150. Une fois ces co-indivisaires connus a été établie la notoriété acquisitive, avec l’intervention de deux témoins et l’appui du GIRTEC pour toute la documentation du cadastre et la généalogie.
L’ensemble de ces opérations a nécessité la rédaction du point de vue des successions de plus d’une centaine d’actes, pour un coût total de 150 000 euros, à rapprocher du prix de cession, 50 000 euros.
Concomitamment à cette question de la détermination des co-indivisaires, il a été nécessaire de régler la problématique du sol, en faisant renoncer le possesseur apparent du sol à la règle de l’accession. Pour matérialiser cet état de fait, un géomètre- expert a dû intervenir.
Pour l’exercice de sa mission, le GIRTEC dispose d’un droit de communication à l’égard de toute personne, physique ou morale, de droit public ou de droit privé, lui permettant d’obtenir tous documents et informations nécessaires à la réalisation de sa mission, y compris ceux contenus dans un système informatique ou de traitement de données à caractère personnel, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.
Les premiers travaux du GIRTEC ont porté sur la définition des méthodes de travail, l’orientation des recherches, la détermination de la pertinence des informations recueillies ainsi que l’identification de toutes les sources d’information sur la propriété en Corse et le moyen de les exploiter de façon efficace. À cette fin, le groupement a développé des outils informatiques qui lui permettent d’exploiter les données cartographiques du cadastre existant mis à sa disposition par l’administration fiscale. Il a aussi numérisé un grand nombre de plans cadastraux depuis l’époque napoléonienne.
Si son premier conseil d’administration s’est tenu le 30 janvier 2008, le GIRTEC n’a débuté réellement ses travaux qu’à partir de 2010 pour atteindre son rythme de croisière en 2012. Depuis cette date il est saisi d’un peu plus de 500 dossiers chaque année, pour un délai moyen de traitement d’une centaine de jours, certains dossiers plus complexes, nécessitant des recherches généalogiques, pouvant exiger jusqu’à deux années de travail. L’activité du GIRTEC se ressent dans les statistiques des services de publicité foncière : depuis 2012 une hausse de 10 % des formalités a pu être observée dans les deux départements corses alors que le flux restait stable au niveau national. Elle se mesure également au nombre de titres de propriété établis par les notaires grâce son appui : plus de 3 000.
Constitué initialement pour une durée de dix ans, soit jusqu’à la fin de l’année 2017, il est désormais acquis, grâce à la mobilisation des élus corses, que son action continue au moins jusqu’en 2027, ce dont votre rapporteur se félicite.
Afin d’entériner une pratique largement éprouvée par les notaires corses, il convient d’accorder une consécration législative à la notoriété prescriptive.
Considérant que la procédure de titrement est un acte positif, qui peut être fait à l’initiative d’un seul co-indivisaire, il conviendrait, dans la continuité, de favoriser le processus du partage amiable, et, pour y parvenir, de lever le levier de l’unanimité des co-indivisaires en faveur d’une majorité plus souple.
Pour Me Marie-Anne Pieri, syndic de la Chambre départementale des notaires de Haute-Corse, « l’importance de l’indivision en Corse a plusieurs sources. Outre les problèmes d’absence de titre de propriété, les parcelles en bien non délimité et la confusion entre la règle fiscale du règlement d’une succession et la règle civile ont engendré l’absence de mutation immobilière. »
Avec la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, le législateur a pris le parti de simplifier la gestion du patrimoine successoral et d’accélérer le règlement des successions. Il a clairement favorisé le partage amiable et limité le partage judiciaire au seul cas où il existe un litige. Il a confirmé le droit de chaque indivisaire de ne pas rester dans l’indivision. Ce droit est d’ordre public.
Un premier pas a été franchi en faveur de la consécration du partage amiable. Le législateur a en effet facilité le partage amiable en présence d’un indivisaire présumé absent, incapable ou défaillant, avec les articles 836 et 837 du code civil.
À présent, le législateur doit prendre la mesure que bon nombre d’indivisions sont bloquées en raison de l’inertie de plusieurs indivisaires, voire parfois d’un seul, et ce en dépit de la règle de la représentation instaurée par l’article 837 du code civil.
Pour être efficace, cette disposition nécessite une communication étroite entre les notaires et les juges commis. Eu égard à l’encombrement des juridictions, les notaires recherchent plutôt la voie amiable, allant dans le sens de leur mission de magistrat du contrat gracieux.
Pour Me Pieri, « les co-indivisaires désireux de procéder au partage et porteurs de bonne volonté pour administrer le patrimoine successoral ont souvent le sentiment d’être lésés par rapport au co-indivisaire récalcitrant. Ce dernier au vu des lois successives semble bénéficier d’une plus grande protection. Il convient de trouver le levier pour accélérer et sécuriser la procédure de partage amiable, sans quoi les créations de titres de propriété sur lesquelles l’indivision est simultanément constatée risquent d’avoir peu d’utilité et d’aboutir à une situation de blocage. Il faut ouvrir la porte à la majorité qualifiée en matière d’indivision pour faciliter le partage. »
La situation foncière si particulière que connaît aujourd’hui la Corse nécessite des mesures spécifiques : la présente proposition de loi modifie donc le code civil pour y insérer des outils juridiques adaptés à cette situation (A), prolonge ou rétablit des incitations fiscales à la reconstitution des titres de propriété (B) et prolonge de dix ans le régime d’exonération partielle des droits de succession en matière immobilière (C).
A. DES OUTILS JURIDIQUES POUR FACILITER LA RECONSTITUTION DES TITRES DE PROPRIÉTÉ ET LE RÈGLEMENT DES INDIVISIONS
La proposition de loi comprend deux dispositions d’ordre civil pour, d’une part, sécuriser les procédures de reconstitution des titres de propriété (1) et, d’autre part, faciliter les règlements successoraux en cas d’indivision à la suite de la reconstitution d’un titre (2).
L’article 1er consacre au niveau législatif l’acte notarié de notoriété acquisitive. Le code civil prévoit en effet la possibilité de reconnaître un titre de propriété du fait d’une possession prolongée, d’au moins trente ans : il s’agit de la prescription acquisitive. Pour faire valoir ce droit, le possesseur doit apporter la preuve qu’il est le propriétaire de fait du bien dont il se prévaut. À cette fin, il peut faire établir par un notaire un acte de notoriété. Cette pratique, non prévue par le législateur, consiste pour le notaire à produire, à l’appui de l’acte, des témoignages de déclarants dignes de foi, des extraits du cadastre ou encore la preuve des impôts fonciers acquittés.
Les notaires de Corse ont été encouragés, par la « commission Badinter » de 1983, à développer cette pratique pour faciliter la reconstitution des titres de propriété. Ils ont donc mis au point une procédure, reconnue depuis 1989 par le ministère de la Justice, qui comprend notamment une large publicité, afin que d’éventuelles actions en revendication puissent être intentées contre le possesseur présumé. 8 000 titres de propriété ont été reconnus de la sorte depuis cette date sans qu’aucune action en revendication n’ait aboutie.
Cet article 1er vise donc à reconnaître cette procédure, ainsi que le recommandait notamment le groupe de travail mis en place par le Gouvernement au premier semestre 2016 (5), et à réduire à cinq ans le délai pendant lequel ces actes peuvent être contestés, afin de sécuriser plus rapidement les actes ainsi reconstitués.
L’article 2 vise à assouplir les règles de majorité requises pour l’accomplissement de certains actes effectués dans le cadre des indivisions constatées à la suite d’une procédure de prescription acquisitive : il est le complément indispensable de l’article 1er.
L’absence de titres de propriété sur plusieurs générations conduit en effet à des indivisions de fait, qui comprennent alors plusieurs centaines d’indivisaires, aboutissant à des blocages : bon nombre d’indivisions sont bloquées en raison de l’inertie de plusieurs indivisaires – les héritiers « taisant » selon l’expression employée par le notariat corse.
Afin d’accélérer les règlements successoraux, en facilitant les partages amiables plutôt que de recourir au juge, il est proposé d’abaisser à la majorité simple, contre la majorité des deux tiers, le seuil requis pour accomplir les actes d’administration indispensables à la bonne gestion du bien. Serait également abaissé à la majorité simple, contre l’unanimité dans le droit actuel, le seuil requis pour accomplir des actes de disposition, tels que des ventes ou les cessions par apport dans une société.
La proposition de loi comprend deux mesures fiscales transitoires, d’une durée de dix ans, pour inciter les donations entre vifs (1) et favoriser les sorties d’indivision (2).
L’article 3 vise à prolonger, pour une période de dix ans, l’abattement des droits de mutations à titre gratuit lors de la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété.
Ce dispositif, mis en place par la loi de finances pour 2015, doit s’éteindre au 31 décembre 2017 alors qu’il n’a pas encore eu le temps de produire tous ses effets en termes de reconstitution des titres de propriété. Il s’agit donc de le prolonger, tout en le rendant plus attractif, en portant l’abattement de 30 à 50 %.
Ce dispositif doit notamment favoriser les donations, peu fréquentes aujourd’hui en Corse du fait de l’exonération des droits de succession qui a longtemps été en vigueur.
L’article 5 rétablit, pour une période de dix ans, l’exonération temporaire des droits de partage sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse.
Instauré en 1985 à la suite des travaux de la « commission Badinter » mais éteint depuis le 1er janvier 2015, ce dispositif vise à favoriser l’établissement de titres de propriété et le règlement successoral des situations d’indivision en Corse.
C. UN DÉLAI SUPPLÉMENTAIRE POUR DONNER LE TEMPS NÉCESSAIRE AU RÈGLEMENT DU DÉSORDRE FONCIER (article 4)
L’article 4 prolonge de dix ans, jusqu’au 31 décembre 2027, l’exonération partielle des droits de succession, à hauteur de 50 %, sur les biens immobiliers situés en Corse.
La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse avait prévu un retour progressif au droit commun des successions en matière immobilière : après une période d’exonération totale devait ainsi s’appliquer une exonération à hauteur de 50 %, suivie, enfin, d’une application du droit commun.
L’exonération totale n’est plus applicable depuis le 1er janvier 2013 : seule demeure l’exonération partielle, jusqu’au 31 décembre 2017. Il est donc proposé de prolonger de dix ans cette exonération partielle afin de faire concorder l’application du droit commun avec l’achèvement de la mission du GIRTEC, prévue pour 2027, ainsi que le Premier ministre l’avait assuré cet été dans son discours à l’Assemblée de Corse.
Ce délai supplémentaire apparaît indispensable à la résorption du désordre foncier qui touche encore la Corse et qui place ses contribuables dans une situation différente de celle du droit commun.
Au cours de sa réunion du mercredi 30 novembre 2016, la commission des Lois examine la proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété (n° 4166) (M. Camille de Rocca-Serra, rapporteur).
M. Camille de Rocca Serra, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir au sein de la commission des Lois pour discuter d’une question qui ne concerne pas seulement la Corse. Vous avez souvent entendu parler du désordre de la propriété en Corse et des dérogations fiscales qui lui sont propres. Cette proposition de loi que je présente aujourd’hui est cosignée par des membres des groupes Les Républicains, Socialiste, écologiste et républicain, et Radical, républicain, démocrate et progressiste. Le Premier ministre m’avait en effet assuré que le Gouvernement apporterait son soutien à un texte permettant de rassembler l’ensemble des élus de la Corse – parlementaires et membres de l’Assemblée de Corse – et couvrant l’ensemble de la problématique de la propriété, des successions et du désordre cadastral.
Le présent texte est le fruit des nombreuses réflexions et concertations que j’ai conduites avec mes collègues Sauveur Gandolfi-Scheit, Paul Giacobbi, Laurent Marcangeli et François Pupponi, avec l’ensemble des élus corses et avec le Gouvernement.
Elle a pour objet, par différents dispositifs incitatifs, de favoriser et d’accélérer la reconstitution des titres de propriété et de mettre ainsi fin au désordre foncier et cadastral qui touche non seulement la Corse, mais aussi plusieurs autres départements français – je pense à Mayotte et plus généralement aux outre-mer.
Pour des raisons socio-historiques et géographiques qui leur sont propres, certaines parties du territoire national, tels que les zones rurales et montagneuses, les départements d’outre-mer ou encore la Corse, se trouvent en effet dans des situations cadastrales et foncières très dégradées du fait de l’absence de titres de propriété.
Cet état de fait touche particulièrement la Corse qui a bénéficié, pendant plus de deux siècles, d’un régime d’imposition des successions sur les biens immobiliers dérogatoire du droit commun – l’« arrêté Miot » du 10 juin 1801 – dissuadant les familles de régler les successions, aucune sanction n’étant susceptible d’être appliquée par l’administration fiscale en l’absence de déclaration déposée dans le délai légal. Il en a résulté un nombre important de successions non réglées sur plusieurs générations, aboutissant à une absence de titres de propriété et à de nombreuses situations d’indivision de fait, impliquant parfois plusieurs centaines d’héritiers potentiels.
Envoyé sur l’île comme administrateur général par Napoléon, André-François Miot avait découvert un territoire pauvre, si pauvre qu’il avait proposé de ne pas sanctionner la non-déclaration et de mettre en place, par contre, le début d’une imposition assise sur le revenu cadastral, revenu dont la suppression, en 1949, a créé une exonération de fait.
La loi du 22 janvier 2002 a mis fin à ce régime dérogatoire, en prévoyant qu’il ne concernerait plus que les biens acquis avant le 22 janvier 2002 et que tous ceux acquis après cette date seraient soumis au droit commun. Le législateur a également décidé que ce régime dérogatoire se perpétuerait en l’absence de titre de propriété, ce qui a justifié la création d’un établissement public. Le Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC) a ainsi été créé par l’article 42 de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités et mis en place par un décret du 15 mai 2007 et par une convention constitutive approuvée le 31 octobre 2007. Cet outil permet de reconstituer les titres de propriété.
Il existe aujourd’hui en Corse quelque 63 800 biens non délimités, c’est-à-dire des parcelles pour lesquelles les limites entre les différentes propriétés ne sont pas connues de l’administration. Cela représente un total de 6,4 % des titres, la moyenne nationale étant de 0,4 %.
On trouve également en Corse un nombre très élevé de propriétaires apparents, c’est-à-dire de propriétaires qui sont en réalité décédés, mais dont le bien n’a fait l’objet d’aucune mutation depuis leur décès : cela concernerait, selon les estimations, près de 25 % du total des personnes physiques enregistrées comme propriétaires dans les fichiers fonciers, et 34 % des parcelles.
L’absence de titres empêche les personnes d’utiliser normalement les règles du droit civil, notamment en matière de règlements successoraux, de donations entre vifs, de réalisation d’échanges, de ventes : elle les prive par conséquent de la possibilité de jouir pleinement de leur droit de propriété.
Elle est génératrice d’insécurité juridique et constitue un frein aux transactions et à la mise en valeur des biens concernés.
Elle empêche également les pouvoirs publics de recouvrer les impôts, de faire appliquer la réglementation environnementale ou encore la législation sur les immeubles menaçant ruine.
Pour résoudre cette situation très particulière, il faut adopter des mesures législatives spécifiques. Le Conseil constitutionnel avait censuré ces dernières années, en vertu du principe d’égalité, différents dispositifs propres à la Corse visant à prolonger, de manière transitoire, des mesures d’exonération fiscale sur les successions en matière immobilière.
Mais le Conseil constitutionnel, vous le savez, n’interdit pas au législateur de régler de façon différente des situations différentes, ni de déroger au principe d’égalité pour des motifs d’intérêt général, à condition que, dans l’un comme dans l’autre cas, la différence de traitement soit en rapport direct avec la loi qui l’établit.
À la suite de ces différentes censures, plusieurs groupes de travail avaient été constitués, avec le concours de l’administration fiscale, pour établir la réalité du désordre foncier qui touche la Corse et étudier les voies juridiques permettant d’y mettre fin.
La présente proposition de loi est le fruit de ces travaux. Lors de son intervention devant l’Assemblée de Corse, le 4 juillet dernier, le Premier ministre s’était déclaré prêt à soutenir une initiative en ce sens, à condition qu’elle recueille l’assentiment de l’ensemble des élus corses. C’est donc le sens de la démarche que j’ai menée avec mes collègues parlementaires et qui a été approuvée, à l’unanimité des votants, par une délibération de l’Assemblée de Corse le 24 novembre dernier.
Notre proposition de loi comprend des dispositions de nature civile – les articles 1er et 2 – et des dispositions de nature fiscale – les articles 3 à 5. Toutes visent à accélérer la reconstitution des titres de propriété et permettre ainsi l’application du droit commun, dans un délai de dix ans. Sur ces cinq articles, les deux derniers ne concernent que la Corse, les autres comportent des dispositions de droit commun.
L’article 1er consacre tout d’abord au niveau législatif l’acte notarié de notoriété acquisitive. Le code civil prévoit en effet la possibilité de reconnaître un titre de propriété du fait d’une possession prolongée durant trente ans : cela s’appelle la prescription acquisitive. Pour faire valoir ce droit, le possesseur doit apporter la preuve qu’il est le propriétaire de fait du bien dont il se prévaut. À cette fin, il peut faire établir par un notaire un acte de notoriété. Cette pratique, non prévue par le législateur, consiste pour le notaire à produire, à l’appui de l’acte, des témoignages de déclarants dignes de foi, des extraits du cadastre ou encore la preuve des impôts fonciers acquittés.
Les notaires de Corse ont été encouragés, par la commission mise en place par le garde des sceaux de l’époque, M. Robert Badinter, en 1983, à développer cette pratique pour faciliter la reconstitution des titres de propriété. Ils ont donc mis au point une procédure, reconnue depuis 1989 par le ministère de la Justice, qui comprend notamment une large publicité, afin que d’éventuelles actions en revendication puissent être intentées contre le possesseur présumé. Depuis cette date, quelque 8 000 titres de propriété ont été reconnus de la sorte sans qu’aucune action en revendication n’ait abouti.
L’article 1er vise donc à reconnaître cette procédure, qui n’est aujourd’hui prévue par aucun texte si ce n’est une circulaire, et à ramener à cinq ans – contre trente ans aujourd’hui – le délai pendant lequel ces actes peuvent être contestés, afin d’assurer plus rapidement une sécurité juridique aux actes ainsi reconstitués. Je vous proposerai un amendement encadrant de manière plus claire et plus précise cette procédure.
L’article 2 vise à assouplir les règles de majorité requises pour l’accomplissement de certains actes effectués dans le cadre des indivisions constatées suite à la procédure de prescription acquisitive que je viens de décrire.
L’absence de titres de propriété sur plusieurs générations conduit en effet à des indivisions de fait, qui comprennent alors plusieurs centaines d’indivisaires, aboutissant à des blocages.
Afin d’accélérer les règlements successoraux, cet article abaisse donc à la majorité simple, au lieu de la majorité des deux tiers, la majorité requise pour accomplir les actes d’administration indispensables à la bonne gestion du bien. Il abaisse également à la majorité simple, au lieu de l’unanimité dans le droit actuel, la majorité requise pour accomplir des actes de disposition, tels que des ventes.
Cet article 2 est le résultat de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités. En 2006, le garde des Sceaux avait proposé de requérir une majorité qualifiée des deux tiers pour les actes d’administration et l’unanimité pour les actes de disposition. Au bout de dix ans, nous constatons que la majorité des deux tiers est excessive pour les actes d’administration, et proposons donc de ne plus exiger que la majorité simple. Le texte initial de la proposition de loi prévoyait, par cohérence, de faire de même pour les actes de disposition, mais je conviens volontiers qu’il ne faut sans doute pas aller aussi loin, et suis prêt à proposer simplement une majorité des deux tiers.
Pour passer, par exemple, d’une société de fait à une société de droit, l’apport de parts indivises relève d’un acte de disposition ; or, il y aura toujours un taisant qui fera obstacle à l’unanimité, ce qui imposera d’ester en justice – ce qui, en Corse, peut entraîner un délai de résolution de cinq à dix ans, bloquant toute activité économique. Passer de l’unanimité à une majorité qualifiée des deux tiers permettrait de lever ces blocages.
L’article 3 vise à proroger, pour une période de dix ans, l’abattement des droits de mutations à titre gratuit lors de la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété. Ce dispositif, mis en place par la loi de finances pour 2015, doit s’éteindre au 31 décembre 2017, alors qu’il n’a pas encore eu le temps de produire tous ses effets, à savoir la reconstitution des titres de propriété. Il faut donc le proroger, tout en le rendant plus attractif en faisant passer le taux d’abattement de 30 % à 50 %. Ce dispositif favorisera notamment les donations, peu utilisées aujourd’hui en Corse du fait de l’exonération des droits de succession qui a longtemps été en vigueur.
Je rappelle que ce dispositif – qui n’est pas propre à la Corse – est issu d’un amendement de Bernard Cazeneuve, à l’époque ministre du Budget. Par cohérence avec l’ensemble du texte, nous proposons une prorogation de dix ans.
L’article 4 proroge en effet de dix ans également, soit jusqu’au 31 décembre 2027, l’exonération partielle, à hauteur de 50 %, des droits de succession sur les biens immobiliers situés en Corse.
Vous le savez, la loi du 22 janvier 2002 sur la Corse avait prévu le retour progressif de la Corse au droit commun des successions en matière immobilière : d’abord une exonération totale, puis une exonération à hauteur de 50 %, et enfin une application du droit commun.
Aujourd’hui, l’exonération totale n’est plus applicable ; seule demeure l’exonération partielle jusqu’au 31 décembre 2017. Cet article prolonge de dix ans cette exonération partielle afin de faire concorder l’application du droit commun avec l’achèvement de la mission du GIRTEC.
Je ne suis pas sûr que la mission du GIRTEC soit achevée en 2027. En tout cas, le Gouvernement a prévu de le financer jusqu’à cette date, sachant que le rapport commis par quatre experts désignés de Corse et des services de Bercy avait jugé que la durée serait au moins de dix ans. Nous nous inscrivons dans cette durée, conformément à la loi du 22 janvier 2002, pour la constitution des titres et la dérogation au droit commun.
Le GIRTEC est un groupement d’intérêt public, crée en 2006 mais ne travaillant effectivement que depuis 2008, qui a pour objet de faciliter et d’accélérer la reconstitution des titres de propriété : il traite aujourd’hui un peu plus de 500 dossiers par an. Prévu initialement pour dix ans, soit jusqu’au 31 octobre 2017, son financement a été prorogé jusqu’en 2020 par le Gouvernement. Dans son discours à l’Assemblée de Corse cet été, le Premier ministre a assuré que son financement serait désormais garanti jusqu’en 2027.
L’article 4 proroge donc de dix années supplémentaires l’exonération partielle, afin de laisser le temps au GIRTEC d’aller au terme de sa mission.
Le GIRTEC est un instrument de conseil, destiné aux notaires et aux collectivités ; il ne prend pas lui-même de décisions. À sa création, il était présidé par le président de la chambre régionale des comptes ; il est aujourd’hui présidé par un magistrat.
L’article 5 rétablit, pour une période de dix ans, l’exonération temporaire des droits de partage sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse.
Instauré en 1985 mais éteint depuis le 1er janvier 2015, ce dispositif vise à favoriser l’établissement de titres de propriété et le règlement successoral des situations d’indivision en Corse.
Tel est, mes chers collègues, le contenu de la proposition de loi que je souhaite voir adopter.
Il s’agit, vous l’aurez compris, de doter les habitants de la Corse des moyens juridiques nécessaires à l’exercice plein et entier du droit de propriété, droit inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais dont plusieurs territoires de la République sont aujourd’hui privés. Les dispositifs fiscaux transitoires que je propose également de prolonger ne sont que des incitations indispensables à la reconstitution des titres de propriété.
J’ai naturellement procédé, pour préparer cette présentation, aux auditions de l’Assemblée de Corse, de la collectivité territoriale de Corse, de plusieurs notaires et du président du GIRTEC, et c’est à la suite de ces consultations que je vous proposerai un amendement de clarification à l’article 1er.
M. Paul Molac. Cette proposition de loi fait l’unanimité en Corse, à droite comme à gauche, ainsi que chez les régionalistes que l’on appelle là-bas nationalistes. J’ai rencontré dernièrement le président de l’exécutif, Gilles Simeoni, le président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, et les sénateurs de Corse. Tous militent pour ce texte qui tient compte des difficultés particulières de la Corse : insularité, relief, mais aussi émigration – de nombreux Corses sont partis sur le continent, mais aussi en Europe ou en Amérique du Sud, ce qui entraîne des difficultés quant au droit de propriété. Ces situations inextricables, avec des biens qui ont une centaine de propriétaires, sont très dommageables pour les biens eux-mêmes, puisqu’ils ne sont pas entretenus, mais aussi pour leur développement.
En outre, les Corses seront tenus de verser la taxe foncière aux communes, ce qui donnera à ces dernières les moyens d’entretenir et de développer les services publics. Je voterai ce texte qui me paraît aller dans le bon sens.
M. Jacques Bompard. J’ai suivi les discussions autour de ce texte, et je sais que vous avez été surpris de cet intérêt. Il tient à trois raisons convergentes : mon engagement localiste, la conviction que les questions cadastrales sont des éléments fondateurs de l’intelligence des territoires, et une certaine curiosité pour les désordres que la République a parfois semés dans ses provinces.
Je tiens à vous remercier de la qualité des échanges sur ce texte. La question des 63 000 biens non délimités et de l’indivision concerne tous les territoires.
Plus globalement, je pense qu’il faut éviter tout jacobinisme législatif et que les conséquences de « l’arrêté Miot » doivent être traitées dans le plus pur respect des spécificités corses. Je vous assure donc de tout mon soutien pour une solution par les Corses et pour les Corses, et j’engage le ministère de la justice à être conciliant. Le localisme résout bien mieux ces questions que des mesures dogmatiques et aveugles.
M. François Pupponi. Pendant deux cents ans, le désordre juridique en Corse a été traité par des mesures fiscales, qui ont abouti à un échec. Pour traiter un désordre juridique, il faut passer par le code civil, et c’est pourquoi ce texte, que j’ai cosigné, propose en son article 1er de titrer les biens, ce qui permettra de sortir de l’indivision, et ensuite de lever l’impôt, de façon à aboutir progressivement au droit commun.
Ainsi, pour la première fois, ce sujet est abordé de manière rationnelle et rigoureuse, d’un point de vue juridique. C’est une grande nouveauté qu’il faut saluer.
M. Marc-Philippe Daubresse. Je me rappelle très bien qu’il y a une dizaine d’années, lorsque j’étais ministre du Logement, tous les membres de mon cabinet avaient travaillé sur ce sujet. Aujourd’hui, cette proposition de loi apporte enfin une solution juridique efficace.
M. le rapporteur. Je vous remercie pour ces interventions. Nous étions conscients du problème depuis que M. Badinter avait soumis cette question – d’ordre civil, et non d’ordre fiscal – qui pose des problèmes économiques importants. Cette proposition de loi permettra en Corse comme ailleurs de fiscaliser lorsque les titres seront établis.
Les différentes rénovations du cadastre en Corse ont abouti à des erreurs manifestes – la dernière rénovation de 1982 a même été catastrophique. Aujourd’hui, le GIRTEC construit le cadastre actuel sur la base du cadastre établi sous Napoléon. Cet important travail pose la question du nombre de géomètres nécessaires pour rétablir la réalité du cadastre.
La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.
Article 1er
(art. 2272-1 [nouveau] du code civil)
Inscription de l’acte de notoriété acquisitive dans le code civil et réduction des délais de prescription pendant une période de dix ans
Le présent article vise à consacrer au niveau législatif l’acte notarié de notoriété acquisitive et à réduire, pendant une période transitoire de dix ans, le délai durant lequel ces actes peuvent être contestés. Il s’agit de sécuriser les actes issus de la reconstitution des titres de propriété opérée par le biais de la procédure de prescription acquisitive et accélérer ainsi la remise en ordre foncière et cadastrale de plusieurs départements de France.
En matière immobilière, la prescription acquisitive est un mode d’acquisition d’un droit de propriété par « l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre » (6) : une possession prolongée transforme ainsi une situation de fait en situation de droit.
Elle n’a ni pour objet ni pour effet de priver une personne de son droit de propriété, qui est un droit constitutionnellement garanti (7), mais de conférer au possesseur, sous certaines conditions, et par l’écoulement du temps, un titre de propriété qui n’a pas été contesté dans un certain délai (8). Cette procédure répond donc à un motif d’intérêt général de sécurité juridique en faisant correspondre le droit de propriété à une situation de fait durable.
Pour que la propriété soit reconnue par ce biais, le code civil impose plusieurs conditions, notamment une possession « continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire » (9) ainsi qu’un délai de prescription de trente ans (10).
En cas d’action en revendication d’un tiers, le possesseur doit apporter la preuve du droit réel dont il se prévaut. À cette fin, il peut faire établir par un notaire un acte de notoriété acquisitive. Cette pratique, non prévue par le législateur, consiste pour le notaire à recevoir des témoignages de déclarants dignes de foi, ayant connaissance de la réunion des conditions qui ont permis au possesseur de se prévaloir de la prescription, et qui en attestent. Ces témoignages sont généralement appuyés par des pièces telles qu’un extrait de la matrice cadastrale au nom du possesseur, la preuve des impôts fonciers acquittés ou encore un certificat délivré par le maire de la commune où se situe le bien.
L’acte de notoriété acquisitive n’en demeure pas moins un acte purement déclaratif, non créateur de droits, à caractère et finalités purement probatoires, qui n’exclut pas le succès d’une action en revendication contre le possesseur. Compte tenu de sa nature, cet acte n’est pas assujetti à la publicité foncière, même si cette dernière est fréquente en pratique.
La publicité de l’acquisition effectuée par le biais de cette procédure permet en effet de faire courir le délai de prescription pendant lequel une action en revendication peut être intentée contre cet acte. Si l’article 2227 du code civil dispose que le droit de propriété est imprescriptible, il dispose également que « sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Pour des raisons socio-historiques et géographiques qui leur sont propres, certaines parties du territoire national, tels que les zones rurales et montagneuses, les départements d’outre-mer ou encore la Corse, se trouvent dans des situations cadastrales et foncières très dégradées du fait de l’absence de titres de propriété.
Cette absence de titres de propriété est génératrice d’insécurité juridique et provoque un ensemble d’effets économiques négatifs pour les citoyens, avec l’impossibilité de procéder à des ventes, des donations ou de contracter un crédit, et pour les collectivités locales, de recouvrer les impôts, faire appliquer la réglementation environnementale ou la législation sur les immeubles menaçant ruine.
Parmi les propositions qu’elle avait formulées pour mettre fin au désordre juridique du patrimoine immobilier constaté en Corse, la commission mise en place à cet effet en 1983 par le ministre de la Justice Robert Badinter avait recommandé de recourir au régime de la prescription acquisitive pour procéder à la reconstitution des titres de propriété.
Pour faciliter les procédures, elle avait alors suggéré d’utiliser une méthode pragmatique, l’établissement d’actes de notoriété acquisitive, assortis d’une large publicité, afin de favoriser d’éventuelles actions en revendication. Cette méthode avait reçu l’aval du ministère de la Justice en 1989. Le rapport de la commission mentionnant que les actes de notoriété publiés constituaient pour le ou les propriétaires concernés un titre de propriété suffisant en droit positif, la pratique notariale s’est largement emparée de cette méthode : environ 8 000 actes de notoriété ont ainsi été établis depuis la fin des années quatre-vingt-dix – le nombre annuel étant de l’ordre de 500 ces dernières années.
Depuis 1989, les notaires de Corse, mais aussi désormais d’autres départements français, mettent donc en œuvre cette procédure qui s’appuie sur la production, en annexe de l’acte de notoriété établi, d’un certain nombre de pièces en vue de prouver le droit de propriété du possesseur du bien mais dépourvu de titre authentique.
Concrètement, la procédure se déroule aujourd’hui de la manière suivante :
– le possesseur rend publique son intention de faire reconnaitre son droit de propriété dans une annonce explicite publiée dans au moins deux journaux locaux, par un affichage adéquat dans la mairie concernée et une mise en ligne sur le site Internet du Conseil régional ;
– après un délai d’un mois, à défaut de contestation, la notoriété acquisitive fait l’objet d’un acte notarié, publié au bureau des hypothèques du lieu de situation du bien ;
– l’acte notarié comporte un extrait des plans cadastraux du bien, un document du maire de la commune d’implantation attestant de l’absence de contestation de la procédure et de sa régularité et tous actes propres à prouver cette notoriété acquisitive. Il est signé par le propriétaire présumé et deux personnes ayant leur habitation principale dans la commune d’implantation depuis plus de cinq ans.
Le présent article propose de consacrer la procédure mise au point depuis près de trente ans par le notariat corse au niveau législatif, en créant à cet effet un nouvel article 2272-1 dans le code civil.
Ce nouvel article 2272-1 prévoit en outre que, lorsque l’acte de notoriété acquisitive établi répond aux conditions de la prescription acquisitive, il ne pourra être contesté que dans un délai de cinq ans à compter de sa publication, contre trente ans selon les dispositions de l’article 2227 du code civil. La réduction de délai est justifiée par la nécessité de sécuriser les actes établis selon cette procédure et de hâter ainsi la reconstitution des titres de propriété. Cette disposition s’inscrit dans la continuité des travaux de la « commission Badinter » qui avait proposé de limiter à trois ans la possibilité de contester les actes établis de la sorte. Le motif d’intérêt général, mettre fin à l’insécurité juridique persistante pour les propriétaires mais aussi les collectivités locales concernées, semble suffisant pour justifier une telle dérogation.
L’alinéa 3 du présent article précise que ses conditions d’application, et donc le détail de la procédure permettant d’établir les actes de notoriété, seront précisés par décret en Conseil d’État.
Le dernier alinéa prévoit, enfin, que cette procédure ne sera applicable que pendant dix ans, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2027. Il s’agit en effet de limiter au temps strictement nécessaire à la reconstitution des titres de propriété dans les départements concernés la dérogation ainsi apportée au délai de prescription de trente ans.
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des Lois a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 1er qui, sans en modifier la philosophie initiale, inscrit de manière plus précise dans la loi l’acte de notoriété acquisitive afin d’apporter une sécurité juridique plus grande aux actes établis.
L’article 1er ainsi modifié insère deux nouveaux articles dans le code civil :
– l’article 2261-1, qui définit l’acte de notoriété acquisitive. Il est précisé que cet acte doit comprendre tous les moyens permettant de constater les éléments mentionnés à l’article 2261 du code civil, c’est-à-dire une « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ». Ce nouvel article précise également que l’acte ainsi établi « fait foi de la possession, jusqu’à preuve du contraire ». Le délai de prescription, fixé à cinq ans, et les modalités d’application, renvoyées à un décret en Conseil d’État, ne changent pas par rapport à la rédaction initiale ;
– l’article 2261-2, qui précise que le possesseur est présumé propriétaire jusqu’à preuve du contraire. Il s’agit, là aussi, d’inscrire clairement dans le code civil la pratique notariale, afin de sécuriser la reconstitution des titres de propriété.
Le caractère transitoire de la mesure, initialement prévue pour une durée de dix ans, a en revanche disparu de la nouvelle rédaction.
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La Commission est saisie, en discussion commune, des amendements CL7 du rapporteur et CL1 de M. François Pupponi.
M. le rapporteur. Cet article vise à inscrire dans le code civil l’acte de notoriété acquisitive, utilisé par les notaires de Corse depuis 1989 pour reconstituer les titres de propriété, mais qui n’est aujourd’hui prévu par aucun texte.
Sans en changer la portée initiale, la rédaction que je vous propose est plus précise et plus sécurisante juridiquement pour les notaires qui y ont recours, ainsi que plusieurs d’entre eux me l’ont affirmé au cours des auditions que j’ai conduites.
Le détail de la procédure – pièces à fournir, modalités de publicité – sera précisé par décret en Conseil d’État.
L’amendement supprime en revanche le caractère transitoire du dispositif initial.
M. François Pupponi. Je retire mon amendement au profit de celui du rapporteur.
L’amendement CL1 est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL7.
L’article 1er est ainsi rédigé.
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Article 2
(art. 815-3-1 [nouveau] du code civil)
Assouplissement des règles de majorité requises pour favoriser les règlements successoraux en cas d’indivision
Le présent article vise à assouplir les règles de majorité requises pour l’accomplissement de certains actes accomplis dans le cadre des indivisions constatées suite à la reconstitution d’un titre de propriété par prescription acquisitive. Il est le complément indispensable de l’article 1er et vise à favoriser et accélérer les règlements successoraux après la reconstitution du titre.
L’indivision est un mode d’appropriation collective des biens. Elle se définit comme la situation juridique d’un bien ou d’un ensemble de biens sur lequel s’exercent conjointement plusieurs droits de même nature. Une seule chose, le bien indivis, est l’objet de droits identiques exercés par plusieurs personnes. En cas d’indivision successorale, chaque héritier est donc propriétaire indivis des biens mais ne l’est que pour sa part ou quote-part.
L’exclusivité du droit de propriété, affirmée par la Révolution française, a longtemps expliqué l’hostilité à l’égard de l’indivision. Si le code civil a tempéré la précarité de l’indivision en introduisant la possibilité de maintien de l’indivision, il ne l’a pas dotée d’un régime adapté : la conception de l’indivision restait marquée par son caractère transitoire.
Cette analyse a été démentie par la réalité qui voyait des indivisions perdurer. L’absence de régime juridique compromettait une saine gestion des biens indivis. Les conflits, les blocages ainsi que la paralysie de l’initiative individuelle nourrissaient alors les critiques sur l’indivision.
Le droit de l’indivision n’a été véritablement formalisé que par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision. Celle-ci s’est en effet efforcée de faciliter la gestion des biens indivis pour préserver l’intérêt individuel des indivisaires tout en prenant en considération leur intérêt commun.
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités s’inscrivait dans la même logique, en cherchant à instiller de la souplesse dans la gestion de l’indivision sans remettre en cause sa nature particulière. Elle a ainsi modifié l’article 815-3 du code civil qui imposait alors le consentement unanime des indivisaires pour les actes d’administration et de disposition.
Les actes d’administration sont des actes qui tendent à faire fructifier un bien ou à l’améliorer sans en compromettre la valeur en capital. Il s’agit d’un acte, matériel ou juridique, de gestion normale non justifiée par un péril imminent. La règle de l’unanimité, très protectrice du droit de chaque indivisaire, conduisait souvent à une mauvaise gestion des biens ou à un recours fréquent au juge pour surmonter la paralysie.
Les actes de disposition sont les actes les plus graves qui comportent la transmission de droits et peuvent avoir pour conséquence de faire sortir un bien du patrimoine indivis ou d’en diminuer la valeur comme, par exemple, des actes de cession ou des autorisations de construire sur le bien.
L’article 815-3 imposait également l’unanimité pour la désignation d’un mandataire.
La loi du 23 juin 2006 a donc substitué, pour la prise de certaines décisions, une majorité qualifiée des deux tiers à la règle de l’unanimité. Cette majorité qualifiée permet désormais :
– d’effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;
– de donner un mandat général d’administration à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers ;
– de vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;
– de conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
La règle de l’unanimité reste en revanche requise pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l’exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que la vente des meubles pour payer les dettes.
Dans la continuité de la loi du 23 juin 2006 précitée, le présent article assouplit les conditions de majorité requises pour accomplir les actes d’administration et de disposition pour les indivisions constatées suite à la reconstitution d’un titre de propriété par prescription acquisitive.
Le désordre juridique foncier qui touche aujourd’hui plusieurs départements de France se caractérise en effet par une absence de titres de propriété et par des situations d’indivision informelles qui perdurent sur plusieurs générations. Une succession non réglée sur une période particulièrement longue peut aboutir à une carence de titres, ce qui a souvent pour conséquence de rendre vaine toute velléité de partage et conduire à l’émergence d’une situation d’indivision de fait.
Cette indivision de fait concerne souvent, compte tenu de la persistance de la situation, un grand nombre d’héritiers potentiels – parfois plusieurs centaines, ce qui empêche de réunir la majorité requise pour accomplir les actes d’administration et de disposition indispensables au règlement de la succession. Bon nombre d’indivisions sont en effet bloquées par l’inertie de quelques indivisaires – les héritiers « taisant » – et les indivisaires désireux de procéder au partage ont alors le sentiment d’être lésés par rapport à ces récalcitrants.
Plutôt que de recourir au juge dans les conditions prévues à l’article 116 du code civil, il semble préférable d’encourager les partages amiables. Le présent article propose donc d’abaisser la majorité requise pour accomplir les actes d’administration prévus aux 1° à 4 ° de l’article 815-3 du code civil à la majorité simple, contre la majorité des deux tiers aujourd’hui.
Il abaisse également à la majorité simple, contre l’unanimité dans le droit actuel, la majorité requise pour accomplir les actes de disposition, qui comprend notamment les actes de cession, afin de faciliter le règlement des successions.
L’introduction de ces nouvelles règles de majorités, plus souples, avait été discutée lors de l’examen parlementaire de la loi du 23 juin 2006 mais le Gouvernement avait préféré s’en tenir à une règle de majorité des deux tiers. Après dix années d’application, il est avéré que l’assouplissement introduit par cette loi n’a pas été suffisant et qu’il est donc temps d’aller plus loin en abaissant les conditions de majorité requises.
Ce dispositif ne concernerait que les indivisions constatées suite à la reconstitution de titres de propriété par prescription acquisitive car c’est dans ces cas précis, qui témoignent d’une succession non réglée sur une longue période, que l’on rencontre un grand nombre d’indivisaires. Sans possibilité de sortir de l’indivision selon les modalités prévues par le présent article, le dispositif prévu par l’article 1er perdrait en réalité une grande part de son utilité.
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La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL3, CL5 et CL4 du rapporteur.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
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Article 3
(art. 793 du code général des impôts)
Prorogation de dix ans de l’exonération partielle des droits de mutation lors de la première mutation postérieure à la reconstitution d’un titre de propriété
Le présent article vise à proroger et renforcer l’attractivité du dispositif prévu au 8° de l’article 793 du code général des impôts exonérant partiellement de droits de mutation la première mutation d’une propriété dont le titre a été reconstitué pendant une période donnée. Il s’agit ici d’accélérer la reconstitution des titres de propriété.
L’article 15 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 avait modifié l’article 793 du code général des impôts afin d’inciter fiscalement les usagers d’un bien immobilier dont le titre de propriété est inexistant à entreprendre les démarches visant à clarifier leur situation. Il s’agissait alors d’accélérer la reconstitution des titres de propriété immobilière sur l’ensemble du territoire national en accordant, de manière transitoire, une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit.
L’article 793 du code général des impôts dispose ainsi que sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit : « Les immeubles et droits immobiliers, à concurrence de 30 % de leur valeur, lors de la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférents, sous réserve que ces titres de propriété aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er octobre 2014 et le 31 décembre 2017. »
En accordant cet allégement des droits de mutation aux redevables qui font l’effort de mener à bien les démarches de reconstitution des titres de propriété pendant les trois années prévues par la loi, le législateur espérait un assainissement significatif de la situation cadastrale et foncière des territoires concernés. Ce dispositif s’applique à la fois aux successions et aux donations, qui sont fortement encouragées par le caractère transitoire de la mesure.
L’exonération partielle prévue par l’article 793 du code général des impôts n’a pas, pour l’heure, rencontré le succès espéré. Le fait que ses modalités d’application n’aient été précisées qu’en avril 2015 dans le Bulletin officiel des finances publiques, soit plusieurs mois après l’entrée en vigueur de la loi, explique vraisemblablement en partie cet échec.
Compte tenu de la nécessité, toujours impérieuse, d’accélérer, dans plusieurs régions de France, le rythme de reconstitution des titres de propriété, le présent article propose d’en renforcer l’attractivité en augmentant l’abattement des droits de mutation à titre gratuit à hauteur de 50 % de la valeur du bien, contre 30 % actuellement.
Il prévoit également de proroger la période transitoire, qui s’arrête au 31 décembre 2017, de dix ans, soit le temps nécessaire à la reconstitution des titres de propriété dans les territoires concernés.
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La Commission adopte l’article 3 sans modification.
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Article 4
(art. 1135 bis du code général des impôts)
Prorogation de dix ans de l’exonération partielle des droits de succession pour les biens immobiliers situés en Corse
Le présent article vise à proroger de dix ans le régime dérogatoire en matière de droits de succession, mis en place en 2002 de façon transitoire, qui applique aux biens immobiliers situés en Corse une exonération partielle à hauteur de 50 %. Il s’agit en effet de donner le temps nécessaire à la remise en ordre cadastrale et foncière de la Corse avant d’y appliquer le droit commun.
Contrairement à une idée communément admise, la Corse n’a jamais bénéficié d’une exonération totale des droits de succession sur les biens immobiliers. Pendant deux siècles, le droit fiscal applicable en Corse a été soumis à une législation particulière, visant à répondre à ses spécificités.
a. « L’arrêté Miot » du 10 juin 1801 : une législation spéciale pour des circonstances exceptionnelles
De mars 1801 à octobre 1802, André-François Miot est dépêché en Corse par le Premier consul pour, en tant qu’administrateur général des départements du Golo et du Liamone, pacifier l’île, réorganiser son administration et rétablir l’autorité de la justice. Parmi les 150 arrêtés qu’il promulgua alors, celui du 21 prairial an IX – 10 juin 1801 –, relatif aux droits de succession, connut une destinée particulière puisqu’il s’appliqua jusqu’en 2002.
Dans le régime de droit commun, les immeubles sont estimés d’après leur valeur vénale réelle à la date de leur transmission (11). Prenant en compte la difficulté, en Corse, en l’absence générale de baux ruraux, d’établir la valeur des biens transmis, l’article 3 de « l’arrêté Miot » met en place, pour les biens immobiliers situés sur l’île, une méthode forfaitaire, fondée sur le montant de la contribution foncière. Cette dernière est « considérée comme le centième du capital sur lequel les droits à percevoir » sont liquidés : les Corses étaient donc bien assujettis à une imposition sur leurs biens, mais selon un mode de calcul spécifique.
L’arrêté prévoit une deuxième spécificité : l’absence de sanction en cas de non dépôt des déclarations de succession. Le code général des impôts dispose en effet que les héritiers, donataires ou légataires doivent souscrire une déclaration de succession dans les six mois qui suivent le décès (12) – ce délai pouvant être porté à une ou deux années dans certains cas (13). En cas de non-respect de cette obligation, le code général des impôts prévoit des sanctions fiscales, taxation d’office ou majoration, pouvant aller de 10 % à 80 % selon les cas (14). Or, si « l’arrêté Miot » ne supprimait pas le délai dans lequel cette déclaration devait être déposée, son article 3 écartait la peine qui sanctionnait son inobservation : « la peine du droit en sus encourue par défaut de déclaration dans le délai de six mois restera abrogée. » Il s’agissait là, comme souvent dans des situations exceptionnelles, de prévoir une amnistie sur les pénalités, afin d’inciter les contribuables à déclarer leurs biens.
L’intention de l’administrateur était donc moins d’octroyer les « soulagements » que réclamait la population que d’adapter à la Corse des règles inapplicables autrement et d’y recouvrer l’impôt efficacement. Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer aux écrits de Miot lui-même qui, dans un rapport adressé au ministre de l’Intérieur, justifiait les mesures qu’il allait prendre : « Le tarif des droits d’enregistrement assimilés ici pour leur montant à ceux qui sont perçus en France était excessif et les habitants ne pouvaient en supporter la charge tout à fait disproportionnée avec leurs facultés pécuniaires et avec la valeur de leurs transactions habituelles. Ils avaient pris le parti de s’y soustraire entièrement […]. En réduisant ces droits de moitié, j’ai rendu au trésor public une perception assurée et réelle, j’ai plié les habitants aux formes légales qui garantissent la sûreté des transactions st hâtent d’une manière indirecte leur civilisation. »
« L’arrêté Miot » n’avait cependant pas vocation à s’appliquer de façon pérenne : la plupart des arrêtés pris à cette période n’ont valu que pour le temps nécessaire à la disparation des causes qui les motivaient. Ce ne fût pas le cas pour cet arrêté, qui a traversé les régimes et les siècles.
Au 1er janvier 1949, la législation nationale change : la contribution foncière en tant qu’impôt d’État est supprimée, ce qui retire toute base légale à la méthode d’évaluation des biens immobiliers définie par « l’arrêté Miot ».
Pour combler le vide juridique ainsi créé, une décision du ministre du Budget du 14 juin 1951 met en place un nouveau mode d’évaluation des valeurs imposables : celle-ci est désormais déterminée en multipliant par le taux de la taxe professionnelle sur le revenu des personnes physiques le revenu cadastral retenu pour l’assiette des contributions foncières perçues au profit des départements et des communes.
La taxe professionnelle étant supprimée à partir du 1er janvier 1960, elle est remplacée dans le calcul par un taux de 24 % appliqué aux revenus de capitaux mobiliers.
Ce mode de calcul, clairement mis en place dans l’urgence, est pourtant utilisé par l’administration fiscale pendant plus de trente ans, jusqu’à ce que la Cour de cassation, en 1992, le juge illégal, constatant notamment qu’ « aucune disposition législative n’est venue apporter une modification expresse ou une dérogation, fût-elle implicite, au régime spécial » (15) mis en place par « l’arrêté Miot ».
Aussi, à défaut d’une base de calcul légale, les droits de succession sur les biens immobiliers en Corse ne pouvaient plus être recouvrés à partir de cette date, aboutissant à une exonération de fait.
Alors que « l’arrêté Miot » est encore théoriquement en vigueur et conduit donc à une exonération de fait, l’article 21 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, introduit par amendement parlementaire, comble le régime juridique né de la décision de la Cour de cassation en prévoyant que les règles d’évaluation des biens immobiliers situés en Corse sont désormais celles du droit commun. Il met également fin à l’absence de sanction en cas de dépôt tardif ou de non dépôt de la déclaration de succession. Ce retour au droit commun a alors vocation à être effectif pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2000.
Mais, un an plus tard, l’article 27 de la loi n° 99-1173 du 30 décembre 1999 de finances rectificative pour 1999 repoussa cette entrée en vigueur au 1er janvier 2001.
L’année suivante, l’article 25 de la loi n° 2000-1353 du 30 décembre 2000 de finances rectificative pour 2000 différa à nouveau d’une année le retour au droit commun, désormais prévu pour le 1er janvier 2002.
L’entrée en vigueur fut repoussée une troisième fois, par la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001, jusqu’à la « publication des dispositions concernant la déclaration et la liquidation des droits d’enregistrement dus à raison des mutations par décès comprises dans la prochaine loi relative à la Corse et, au plus tard, le 1er janvier 2003. »
Les reports successifs du retour au droit commun étaient justifiés par la volonté du Gouvernement de proposer une réforme pérenne du dispositif, ce qui fût fait avec l’adoption de la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse. Celle-ci mit donc définitivement fin au régime spécial hérité de « l’arrêté Miot » et proposa un retour progressif au droit commun.
● L’article 51 de la loi de 2002 relative à la Corse précitée prévoit ainsi les conditions d’un retour par paliers au droit commun en créant, de façon transitoire, un régime dérogatoire propre à la Corse, inscrit dans le nouvel article 1135 bis du code général des impôts, inséré à cette occasion :
– pour les successions ouvertes entre le 23 janvier 2002 et le 31 décembre 2010, l’exonération des droits de mutation est totale ;
– pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, l’exonération est de 50 % ;
– pour les successions ouvertes à partir du 1er janvier 2016, les conditions de droit commun s’appliquent.
Par ailleurs, le délai de dépôt des déclarations de succession est porté à vingt-quatre mois, contre six mois dans le droit commun, pour les successions ouvertes entre le 23 janvier 2002 et le 31 décembre 2008. Ce dispositif est inscrit à l’article 641 bis du code général des impôts, inséré par ce même article 51.
La nécessité de cette période transitoire n’avait pas été contestée, dans son avis, par le Conseil d’État : « L’intérêt général qui s’attache au rétablissement de l’égalité devant l’impôt par le retour au droit commun en matière d’imposition des successions en Corse, après une très longue période de non droit génératrice de désordres juridiques et de profondes inégalités avec le continent, pouvait s’accommoder d’une période transitoire au cours de laquelle serait franchie une étape significative de réduction de ces inégalités. »
● L’article 33 de la loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 a prorogé :
– la dérogation permettant un délai de déclaration de succession de vingt-quatre mois du 31 décembre 2008 jusqu’au 31 décembre 2012 ;
– l’exonération totale des droits de succession du 31 décembre 2010 au 31 décembre 2012 ;
– l’exonération partielle des droits de succession de 50 %, applicable initialement du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015, du 1er janvier 2013 jusqu’au 31 décembre 2017.
● Le délai prévu par les précédentes lois restant manifestement insuffisant au regard de la persistance du désordre du cadastre et du foncier en Corse, un dispositif législatif a proposé une nouvelle prorogation. L’article 14 du projet de loi de finances pour 2013 prévoyait ainsi de proroger :
– la dérogation permettant un délai de déclaration de succession de vingt-quatre mois du 31 décembre 2012 jusqu’au 31 décembre 2017 ;
– l’exonération totale des droits de succession du 31 décembre 2012 au 31 décembre 2017 ;
– l’exonération partielle des droits de succession de 50 %, applicable du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2017, du 1er décembre 2018 jusqu’au 31 décembre 2022.
Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, qui a considéré que, en l’absence de motif légitime, cette nouvelle prorogation était contraire au principe d’égalité entre contribuables acquittant des droits de succession : « Considérant que le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse conduit à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ; que, par suite, l’article 14 doit être déclaré contraire à la Constitution » (considérant 133).
À défaut de nouvelle prorogation, c’est par conséquent le calendrier prévu par les articles 1135 bis et 641 bis du code général des impôts dans leur version issue de la loi de finances rectificatives pour 2008 qui est applicable depuis le 1er janvier 2013.
Cela signifie qu’à compter de cette date, le délai de dépôt des déclarations de succession est désormais celui de droit commun, c’est-à-dire de six mois. Afin de laisser aux héritiers le temps de s’adapter, le Gouvernement a pris, le 31 janvier 2013, la décision de dispenser de pénalités, intérêts de retard et majorations, les déclarations enregistrées après six mois mais avant vingt-quatre mois suivant le décès.
En revanche, l’exonération totale des droits de succession n’est plus applicable depuis le 1er janvier 2013, et seule demeure l’exonération partielle jusqu’au 31 décembre 2017.
● À la suite de cette décision et des interrogations qu’elle avait suscitées, le Gouvernement a pris également la décision, le 31 janvier 2013, de mettre en place un groupe de travail technique, chargé d’évaluer ses conséquences et d’établir des éléments de diagnostic sur la situation du désordre foncier en Corse.
Ce groupe de travail, dit « Bercy-Corse », dont le secrétariat fut assuré par la direction générale des finances publiques, était composé d’experts, de représentants des différentes administrations centrales et locales et de personnalités insulaires à la compétence reconnue en la matière. Au terme de ses travaux, il a conclu à l’existence de nombreuses successions non résolues, aboutissant à un désordre foncier. Deux particularités furent relevées :
– l’existence en Corse d’un volume de biens délimités sans rapport avec ce qui pouvait être constaté sur le reste du territoire : le taux était ainsi de 6,4 % au 1er janvier 2012, contre 0,4 % au niveau national ;
– la présence d’un volume important de propriétaires apparents qui pouvaient être considérés comme présumés décédés, attestant de l’absence de régularisation de la succession et d’identification des propriétaires.
Pour faire suite aux conclusions du groupe de travail, plusieurs amendements parlementaires ont été examinés lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2014. Après un avis de sagesse du Gouvernement, un dispositif a été adopté pour prolonger et accroître le caractère dérogatoire de l’exonération partielle des droits de succession. Devenu l’article 12 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, ce nouveau dispositif fût également censuré par le Conseil constitutionnel, pour les mêmes motifs que l’année précédente : « Considérant que ces dispositions majorent la réduction des droits de mutation attachée au régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse et prolongent le bénéfice d’un tel régime dérogatoire du 31 décembre 2017 au 31 décembre 2022 ; qu’elles conduisent à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement d’une partie des droits de mutation ; qu’en outre, les modifications des caractéristiques du régime fiscal applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse dont l’extinction est prévue au 31 décembre 2017, accroissent son caractère dérogatoire ; que ces dispositions méconnaissent le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ; que, par suite, le paragraphe I de l’article 12 doit être déclaré contraire à la Constitution » (considérant 140).
Le présent article vise à proroger de dix ans le régime dérogatoire prévu à l’article 1135 bis du code général des impôts afin de disposer du temps nécessaire au règlement du désordre cadastral et foncier persistant en Corse, encore constaté en 2013 par le groupe de travail « Bercy-Corse ».
La jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelle en effet avec constance que le principe d’égalité devant la loi fiscale ne fait pas obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet qui l’établit.
Cet article, de même que les articles 1er, 3 et 5 de la présente proposition de loi, s’inscrit précisément dans cette logique et entend apporter une dérogation au régime de droit commun pour une durée strictement nécessaire au règlement du désordre foncier. Les différents dispositifs incitatifs prévus à cet effet devraient permettre au GIRTEC (16) d’accélérer la reconstitution des titres de propriété.
Depuis près de dix ans, et l’article 42 de la loi n° 2006-728 du 2 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, un groupement d’intérêt public, le GIRTEC, est en effet chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. Il a toutefois fallu attendre l’arrêté interministériel du 31 octobre 2007 pour que le GIRTEC soit créé, et 2009 pour que son activité démarre réellement.
Prévu pour fonctionner pendant une durée de dix ans, c’est-à-dire jusqu’à fin 2017, le GIRTEC traite désormais un peu plus de 500 dossiers par an, à rapporter aux 63 800 biens non délimités recensés par le groupe de travail technique en 2013 : à l’évidence, il n’aura pas achevé sa mission dans un an.
Interrogé par votre rapporteur (17), le Gouvernement avait reconnu que les travaux de reconstitution des titres de propriété ne seraient pas achevés en 2017 et qu’il était nécessaire de prolonger la mission du GIRTEC au-delà de cette date. Il s’est ainsi engagé à financer à titre principal le groupement jusqu’en 2020, via la mobilisation des crédits du programme exceptionnel d’investissements (PEI).
Dans son discours à l’Assemblée de Corse, le 4 juillet 2016, le Premier ministre a annoncé sa décision de continuer à financer le GIRTEC jusqu’en 2027, à travers notamment, à partir de 2021, le futur contrat de plan État-région.
Afin d’accompagner le GIRTEC jusqu’au terme de sa mission, le deuxième alinéa du présent article prolonge donc jusqu’au 31 décembre 2027, au lieu du 31 décembre 2017 dans la législation actuelle, l’exonération partielle de 50 % des droits de succession.
Le troisième alinéa n’est que la conséquence du précédent puisqu’il prévoit que, pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2018, les biens immobiliers sont soumis aux conditions de droit commun.
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La Commission adopte l’article 4 sans modification.
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Article 5
(art. 750 bis B du code général des impôts)
Exonération pendant dix ans des droits de partage de succession sur les immeubles situés en Corse
Le présent article vise à rétablir, pour une durée de dix ans, le dispositif prévu à l’article 750 bis A du code général des impôts qui prévoyait une exonération temporaire des droits de partage sur les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse.
L’article 750 du code général des impôts prévoit que le partage, acte par lequel les personnes qui possèdent des biens en indivision mettent fin à cette indivision et répartissent ces biens entre eux, est soumis à une imposition de 2,5 % sur la valeur nette des biens concernés.
Article 750 du code général des impôts
I. – Les parts et portions indivises de biens immeubles acquises par licitation sont assujetties à l’impôt aux taux prévus pour les ventes des mêmes biens.
II. – Toutefois, les licitations de biens mobiliers ou immobiliers dépendant d’une succession ou d’une communauté conjugale ainsi que les cessions de droits successifs mobiliers ou immobiliers sont assujetties à un droit d’enregistrement ou à une taxe de publicité foncière de 2,50 % lorsqu’elles interviennent au profit de membres originaires de l’indivision, de leur conjoint, de leurs ascendants ou descendants ou des ayants droit à titre universel de l’un ou de plusieurs d’entre eux. Il en est de même des licitations portant sur des biens indivis issus d’une donation-partage et des licitations portant sur des biens indivis acquis par des partenaires ayant conclu un pacte civil de solidarité ou par des époux, avant ou pendant le pacte ou le mariage.
En ce qui concerne les licitations et cessions mettant fin à l’indivision, l’imposition est liquidée sur la valeur des biens, sans soustraction de la part de l’acquéreur.
Lors d’une succession, il peut arriver que des héritiers en situation d’indivision se retrouvent dans l’incapacité d’utiliser les biens immobiliers du défunt car la propriété de ces biens n’a pas été constatée par un acte régulièrement publié au service de publicité foncière. Cette absence de titres est elle-même souvent la conséquence d’un partage des biens non réalisé depuis plusieurs générations et de successions consécutives non liquidées.
Cette situation, qui concerne généralement les zones rurales et montagneuses, touche particulièrement la Corse, où le nombre d’indivisions successorales est plus élevé que dans la plupart des départements aux caractéristiques comparables : en 2002, l’indivision prévalait pour 39 % des propriétés non bâties et 14,8 % des propriétés bâties en Corse contre, respectivement, 16 % et 13,1 % dans le Cantal et 18,8 % et 12,6 % en Lozère. En 2013, la situation était loin d’être résolue puisque le groupe de travail dit « Bercy-Corse » avait recensé environ 74 000 biens indivis, essentiellement des biens non bâtis situés en milieu rural.
Aussi, afin de favoriser l’établissement de titres de propriété et le règlement successoral des situations d’indivision en Corse, le législateur avait adopté en 1985 un dispositif dérogatoire, à caractère transitoire.
L’article 11 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 de finances pour 1986 a ainsi inséré dans le code général des impôts un article 750 bis A qui exonère d’imposition, de manière temporaire, les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse : « Les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires répondant aux conditions prévues au II de l’article 750 établis entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 1991 sont exonérés du droit de 1 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse. Ces exonérations s’appliquent à condition que l’acte soit authentique. »
Adopté initialement pour une durée de cinq ans, ce dispositif a été reconduit par plusieurs lois successives, pour s’appliquer finalement jusqu’au 31 décembre 2014.
Une prolongation jusqu’au 31 décembre 2017 avait été inscrite dans la loi de finances pour 2013 mais cette dernière disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012. Le Conseil a en effet estimé que cette mesure participait d’un « régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse [conduisant] à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques » (considérant 133).
Alors que le dispositif prévu par l’article 750 bis A du code général des impôts est forclos depuis le 1er janvier 2015, le présent article vise à le rétablir pour une période de dix ans.
Selon la même logique que les articles 1er, 2 et 4 de la proposition de loi, il s’agit d’apporter ici une dérogation au régime de droit commun pour une durée strictement nécessaire au règlement du désordre foncier en Corse.
Comme ces autres articles, le dispositif proposé ne remet pas en cause le principe d’égalité devant les charges publiques puisque le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
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La Commission adopte l’article 5 sans modification.
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Le présent article constitue le gage financier de la proposition de loi : il prévoit une compensation de la perte des recettes pour l’État pouvant résulter de son application par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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La Commission adopte l’article 6 sans modification.
Elle adopte enfin, à l’unanimité, l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété (n° 4166), dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
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Dispositions en vigueur ___ |
Texte de la proposition de loi ___ |
Texte adopté par la Commission ___ |
Proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété |
Proposition de loi visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété | |
Article 1er |
Article 1er | |
Après l’article 2261 du code civil, sont insérés des articles 2261-1 et 2261-2 ainsi rédigés : | ||
« Art. 2261-1. – La possession se prouve par tous moyens. Elle peut être constatée par un acte de notoriété acquisitive, dressé par un notaire, contenant les éléments matériels nécessaires à la constatation des éléments mentionnés à l’article 2261. | ||
« L’acte de notoriété acquisitive fait foi de la possession jusqu’à preuve du contraire. L’action en contestation se prescrit par cinq ans à compter du jour de publication de l’acte au service de la publicité foncière. | ||
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. | ||
« Art. 2261-2. – Le possesseur est présumé, jusqu’à preuve du contraire, propriétaire. Il est défendeur à l’action en revendication exercée par celui qui se prétend le véritable propriétaire. | ||
Code civil |
« La preuve contraire à cette présomption est rapportée par tous moyens. » amendement CL7 | |
Art. 2272. – Le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans. |
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Alinéa supprimé | |
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Alinéa supprimé | |
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Alinéa supprimé | |
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Alinéa supprimé amendement CL7 | |
Article 2 |
Article 2 | |
Art. 815-3. – Le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité : 1° Effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis ; 2° Donner à l'un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d'administration ; 3° Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l'indivision ; 4° Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal. Ils sont tenus d'en informer les autres indivisaires. À défaut, les décisions prises sont inopposables à ces derniers. Toutefois, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°. Si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d'administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux. |
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Le paragraphe 1 de la section 1 du chapitre VII du titre 1er du livre III du code civil est complété par un article numéroté 815-3-1, ainsi rédigé : |
(Alinéa sans modification) | |
« Art. 815-3-1. – La majorité des deux tiers des droits indivis requise pour effectuer les actes prévus aux |
« Art. 815-3-1. – La majorité des deux tiers des droits indivis requise pour effectuer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 est ramenée à la majorité simple pour les indivisions constatées à la suite de la reconstitution d’un titre de propriété par prescription acquisitive au bénéfice d’une personne décédée. La conclusion d’actes de disposition sur des biens nouvellement titrés dont les droits indivis concurrents ont été simultanément constatés est soumise, par dérogation à l’avant-dernier alinéa de l’article 815-3, à la majorité simple. » amendements CL3, | |
Code général des impôts |
Article 3 |
Article 3 |
Art. 793. – Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit : […] |
(Sans modification) | |
8° Les immeubles et droits immobiliers, à concurrence de 30 % de leur valeur, lors de la première mutation postérieure à la reconstitution des titres de propriété y afférents, sous réserve que ces titres de propriété aient été constatés par un acte régulièrement transcrit ou publié entre le 1er octobre 2014 et le 31 décembre 2017. |
Au premier alinéa du 8° du 2° de l’article 793 du code général des impôts, le taux : « 30 % » est remplacé par le taux : « 50 % », et la date : « 31 décembre 2017 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2027 ». |
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Cette exonération est exclusive de l'application au même bien, au titre de la même mutation ou d'une mutation antérieure, de toute autre exonération de droits de mutation à titre gratuit. […] |
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Article 4 |
Article 4 | |
Art. 1135 bis. – I. – Sous réserve des dispositions du II, pour les successions ouvertes entre la date de publication de la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse et le 31 décembre 2012, les immeubles et droits immobiliers situés en Corse sont exonérés de droits de mutation par décès. |
Le I de l’article 1135 bis du code général des impôts est ainsi modifié : |
(Sans modification) |
Pour les successions ouvertes entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, l'exonération mentionnée au premier alinéa est applicable à concurrence de la moitié de la valeur des immeubles et droits immobiliers situés en Corse. |
1° Au deuxième alinéa, la date : « 31 décembre 2017 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2027 » ; |
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Pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2018, les immeubles et droits immobiliers situés en Corse sont soumis aux droits de mutation par décès dans les conditions de droit commun. |
2° Au troisième alinéa, la date : « 1er janvier 2018 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2028 ». |
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II. – Ces exonérations ne sont applicables aux immeubles et droits immobiliers pour lesquels le droit de propriété du défunt n'a pas été constaté antérieurement à son décès par un acte régulièrement transcrit ou publié qu'à la condition que les attestations notariées mentionnées au 3° de l'article 28 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière relatives à ces biens soient publiées dans les vingt-quatre mois du décès. |
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Article 5 |
Article 5 | |
Art. 750 bis A. – Les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires répondant aux conditions prévues au II de l'article 750, établis entre le 1er janvier 1986 et le 31 décembre 2014, sont exonérés du droit de 2,50 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse. Ces exonérations s'appliquent à condition que l'acte soit authentique et précise qu'il est établi dans le cadre du IV de l'article 11 de la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985. |
Le C du V de la section II du chapitre premier du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est complété par un article 750 bis B ainsi rédigé : |
(Sans modification) |
« Art.750 bis B. – Entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2027, les actes de partage de succession et les licitations de biens héréditaires répondant aux conditions prévues au II de l’article 750 sont exonérés du droit de 2,5 % à hauteur de la valeur des immeubles situés en Corse. » |
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Article 6 |
Article 6 | |
La perte des recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. |
(Sans modification) |
• Syndic de la Chambre départementale des notaires de Haute-Corse :
— Me Marie-Anne Pieri, notaire.
• Assemblée de Corse :
— M. Jean-Guy Talamoni, président.
• Ministère de la Justice :
— M. Grégoire Lefebvre, conseiller droit civil et droit social, et M. David Rey, conseiller parlementaire, cabinet du ministre ;
— Mmes Sophie Rodrigues, Claire Berger et Marie Walazyc, Direction des Affaires civiles et du Sceau.
• Ministère de l’Économie et des Finances :
— M. Étienne Duvivier, conseiller fiscal du secrétaire d’État au Budget et aux Comptes publics ;
— M. Aulne Abeille, chef du bureau C2 – fiscalité du patrimoine ;
— M. Matthieu Bouvet, administrateur des finances publiques adjoint.
• Conseil supérieur du notariat :
— Me André Spadoni, notaire, président de la Chambre régionale des notaires de Corse ;
— Mme Christine Mandelli, chargée des relations avec les institutions.
• Groupement d'intérêt public chargé de la remise en ordre du patrimoine foncier et immobilier en Corse (GIRTEC) :
— M. Paul Grimaldi, président du conseil d’administration.
• Conseil exécutif de Corse :
— M. Gilles Siméoni, président.
Le rapporteur a reçu par ailleurs des contributions écrites de M. Jean-Baptiste Leca, conservateur des hypothèques, comptable du service de publicité foncière et d’enregistrement de Bastia, et de M. André Valat, conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, ancien président du GIRTEC.
© Assemblée nationale1 () On peut notamment citer le rapport du Conseil économique, social et culturel de Corse sur la problématique foncière en Corse, février 2009 ; le rapport du groupe de travail sur les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en matière de droits de succession en Corse, octobre 2013 ; le rapport de Me Jean-Sébastien de Casalta à l’Assemblée de Corse, Pour un régime des droits de mutations après décès en Corse durable et juste, mai 2016 ; le rapport d’analyse des propositions formulées au sein du groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière en Corse », juin 2016.
2 () Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse.
3 () Article 1402 du code général des impôts : « Les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Aucune modification à la situation juridique d’un immeuble ne peut faire l’objet d’une mutation si l’acte ou la décision judiciaire constatant cette modification n’a pas été préalablement publié au fichier immobilier. »
4 () 640 en 2016, 657 en 2015, 608 en 2014, 602 en 2013, 591 en 2012.
5 () Rapport d’analyse des propositions formulées au sein du groupe de travail « Lutter contre la pression foncière et la spéculation immobilière en Corse », juin 2016.
6 () Article 2258 du code civil.
7 () Articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.
8 () Cour de cassation, 3e civ. 17 juin 2011, Jean-Pierre X. c/ Gabriel X.
9 () Article 2261 du code civil.
10 () Article 2272 du code civil.
11 () Article 761 du code général des impôts.
12 () Article 641 du code général des impôts.
13 () Articles 641 et 642 du code général des impôts.
14 () Article 1728 A du code général des impôts.
15 () Cour de cassation, 28 janvier 1992, Sieur Perrino.
16 () Groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété.
17 () Question orale sans débat n° 989, 27 mars 2015, Journal officiel, p. 3196.