N° 2148
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins,
Président
M. Frantz GUMBS
Rapporteur
M. Davy RIMANE
Députés
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TOME I
RAPPORT
Voir les numéros : 1050 et 1483.
La commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins est composée de : M. Frantz Gumbs, président ; M. Davy Rimane, rapporteur ; M. Elie Califer ; M. François-Xavier Ceccoli ; M. Sébastien Chenu ; M. Moerani Frébault ; M. Yoann Gillet ; M. Philippe Gosselin ; M. Guillaume Gouffier Valente ; M. Steevy Gustave ; M. Didier Le Gac ; M. Hervé de Lépinau ; M. Nicolas Metzdorf ; M. Philippe Naillet ; M. Jean-Philippe Nilor ; Mme Sandrine Nosbé ; Mme Maud Petit ; M. Jean-Hugues Ratenon ; M. Joseph Rivière ; Mme Nicole Sanquer ; M. Mikaele Seo ; M. Aurélien Taché ; M. Michaël Taverne ; M. Thierry Tesson ; M. Jiovanny William.
SOMMAIRE
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Pages
Première partie : un défaut notable d’adaptation du système judiciaire aux territoires ultramarins
I. La Guyane et Mayotte : les territoires oubliés du service public de la justice
A. La Guyane : un accès au droit et À la justice particulièrement dégradé
1. Les multiples défis de l’accès au droit et à la justice sur un territoire hors norme
a. Une croissance démographique importante, accompagnée d’une forte pression migratoire
b. Des zones du territoire encore largement enclavées
c. Des freins de nature socioculturelle à l’accès au droit et à la justice
d. Un phénomène massif de non-recours à la justice
a. Un maillage judiciaire qui ne sera pas satisfaisant avant 2030
d. Une justice foraine encore embryonnaire
e. Une juridiction administrative peu attractive et saturée par le contentieux des étrangers
3. Un accès au droit encore largement dénié faute de moyens suffisants
a. Un déficit alarmant de professionnels du droit sur une large partie du territoire
b. Des dispositifs d’accès au droit défaillants, faute de moyens
a. Des conditions de vie et d’accès aux services publics élémentaires particulièrement dégradées
b. Les difficultés démographiques et socio-économiques majeures auxquelles fait face la population
c. Le poids des traditions et de la coutume qui pèse sur le rapport des Mahorais à la justice
d. Le découragement et la peur de nombreux habitants de faire valoir leurs droits
c. Un déficit criant d’attractivité, en partie lié à un manque de formation et d’information
d. Un tribunal administratif… sans magistrat résidant à Mayotte
3. L’accès au droit dans l’impasse à Mayotte
b. Des dispositifs d’accès au droit désertés par les professionnels et à l’efficacité limitée
A. Wallis-et-Futuna : un dÉsert juridique absolu
1. Un territoire dont les particularités juridiques rendent le droit particulièrement inaccessible
a. Un « cadre institutionnel figé » () et constitutionnellement fragile
b. Un territoire enclavé offrant peu de perspectives aux jeunes
c. Une organisation sociale et culturelle empreinte de traditions
2. Un équilibre délicat entre la justice de droit commun et la justice coutumière
a. Des effectifs sur place réduits au strict minimum
b. La conciliation délicate de l’organisation judiciaire avec le droit coutumier
a. Une aide juridictionnelle quasi inexistante en l’absence de barreau
b. Les « citoyens-défenseurs », un pis-aller inadmissible
c. L’absence totale d’autres professionnels du droit
B. Saint-Pierre-et-Miquelon : une justice minimaliste pour le plus petit ressort français
a. Une organisation judiciaire propice aux blocages
b. Des formations de jugement dont la constitutionnalité pose question
c. Une image entamée de la justice
d. Une politique pénale qui se heurte à de nombreuses difficultés matérielles
e. Une juridiction administrative intermittente
A. À La Réunion, des efforts en matière d’accès au droit et à la justice qui doivent Être consolidés
2. Des juridictions globalement efficientes, en dépit de défis persistants
a. Un maillage judicaire dense
b. Des moyens humains qui permettent de faire face à l’activité juridictionnelle
a. Une justice de proximité valorisée
B. La Martinique : une justice sous tension
1. La Martinique, une terre de défis pour l’institution judiciaire
a. Un accès au droit et à la justice limité par de nombreux facteurs socioculturels
b. Une défiance importante de la population à l’égard de l’institution judiciaire
c. Des défis majeurs à relever pour les acteurs du droit et de la justice
a. Des moyens humains globalement renforcés
b. Une réponse pénale qui souffre de plusieurs lacunes
c. Des contraintes immobilières fortes qui obèrent l’activité juridictionnelle
3. Un accès au droit altéré par la crise du CDAD
b. Un maillage territorial insuffisant des dispositifs d’accès au droit
1. Un besoin de justice particulièrement prégnant
a. Des contraintes fortes en matière d’accès au droit et à la justice
b. Une activité criminelle en expansion, source de défis pour la justice
2. Une justice qui fait face à un risque d’embolie
a. Des effectifs qui connaissent une hausse moins soutenue que dans le reste des outre-mer
b. Un risque de saturation des juridictions
c. Un immobilier judiciaire inadapté
d. Un tribunal administratif dont l’activité est en forte augmentation
a. Un accès à la justice renforcé par des dispositifs innovants
b. Des structures d’accès au droit aux moyens insuffisants
D. Les Îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy : une chambre pour deux collectivités
1. Des îles aux visages disparates
2. Un accès au droit et à la justice largement entravé
a. Un tribunal de proximité saturé
b. Un accès à la justice obéré par l’éloignement géographique
c. Une juridiction administrative à éclipse
d. À Saint‑Barthélemy, des dispositifs de justice foraine et d’accès au droit limités
1. Les obstacles géographiques et culturels à la justice et au droit en Nouvelle-Calédonie
a. La fracture territoriale et socio-économique entre le Grand Nouméa et les provinces périphériques
b. Un rapport distancié au droit au regard du contexte culturel et linguistique
2. L’adaptation difficile de la justice aux réalités locales
a. Une justice de proximité qui demeure perfectible
b. Le défi de l’adaptation de la justice au droit coutumier kanak
c. Les difficultés rencontrées par la politique pénale dans un contexte de surpopulation carcérale
a. La difficile projection des professionnels du droit hors du Grand Nouméa
b. Les défis à relever par le conseil de l’accès au droit
1. Une distance géographique et juridique extrême de l’Hexagone
a. Un éloignement et un morcellement sans commune mesure
b. Un cadre juridique, essentiellement local, particulièrement complexe
2. Une organisation judiciaire qui a su s’adapter à ces particularités
c. L’adaptation du fonctionnement des juridictions au contentieux local
I. Offrir aux ultramarins une justice aux mêmes standards qu’en Hexagone
A. Réduire le déficit d’attractivité de certaines juridictions
a. Consolider le « contrat de mobilité » mis en place par le ministère de la justice
b. Mieux adapter la rémunération au niveau d’attractivité des juridictions
c. Mieux valoriser les expériences en outre-mer dans le déroulement de carrière
d. Mieux accompagner les nouveaux arrivants en juridictions ultramarines
B. Densifier le maillage judiciaire
1. Créer un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin
2. Créer une cour administrative d’appel pour les Antilles et la Guyane
3. Créer une cour d’appel de plein exercice et un tribunal administratif permanent à Mayotte
4. Créer un tribunal supérieur d’appel à Wallis-et-Futuna
C. L’urgence de répondre à la vétusté des sites judiciaires
1. Les défis spécifiques de l’immobilier judiciaire en outre-mer
2. Relancer les nombreux projets immobiliers qui sont aujourd’hui gelés, faute de financement
3. Doter les territoires ultramarins d’une véritable ingénierie immobilière
4. Promouvoir l’usage de matériaux locaux
D. Revoir le pilotage de l’outre-mer par le ministère de la justice
1. L’outre-mer est longtemps resté un « angle mort » au sein du ministère de la justice
a. La création d’une délégation outre-mer au sein du secrétariat général
b. La création d’un référent outre-mer au sein de la direction des services judiciaires
c. L’institution de la journée « Justice outre-mer »
II. Garantir l’égalité de tous nos concitoyens en matière d’accès au droit et à la justice
A. Corriger les anomalies de l’organisation judiciaire dérogatoire de certains territoires
1. Garantir un service public de la justice conforme aux standards d’un État de droit
c. Garantir le bon fonctionnement des formations échevinales de jugement
a. Assurer à tous les justiciables le droit à un avocat dans les territoires dépourvus de barreau
b. Élargir le droit à un interprète
B. Assurer la présence de professionnels du droit dans les « déserts juridiques »
1. Un déficit de professionnels du droit dans de nombreux territoires ultramarins
a. Inciter les professionnels du droit à s’installer dans les « déserts juridiques »
b. Adapter l’aide juridictionnelle aux enjeux ultramarins
1. L’urgence d’une nouvelle ambition pour la politique d’accès au droit en outre-mer
a. Une politique d’accès au droit qui manque singulièrement d’ambition
b. Faire de l’outre-mer une priorité dans la politique d’accès au droit
2. Développer la justice foraine
III. Restaurer un lien de confiance abÎmé entre les ultramarins et la justice
A. Mieux former les personnels judiciaires aux réalités ultramarines
1. Pour les élèves-magistrats et greffiers, mieux faire connaitre l’outre-mer
2. Pour les candidats à la mobilité en outre-mer, densifier la formation avant le départ
3. Pour les personnels affectés en outre-mer, privilégier les formations sur place
B. Favoriser une meilleure représentation des ultramarins au sein du personnel judiciaire
2. Pour une justice qui ressemble davantage aux justiciables ultramarins
C. Promouvoir une « justice de proximité »
1. Une justice plus ouverte sur la société
a. Renforcer la participation des justiciables ultramarins à l’œuvre de justice
b. Renforcer le dialogue avec les acteurs de la société civile
c. Renforcer la compréhension du droit et de la justice
2. Une justice qui doit répondre aux défis que traversent les sociétés ultramarines
a. Le défi de l’augmentation de la criminalité
b. Le défi du désordre foncier
c. L’enjeu des violences intrafamiliales
Recommandations par territoire
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION
CONTRIBUTIONS des membres de la commission d’enquête
Le 5 juin dernier, en séance publique, la proposition de résolution n° 1050 tendant à la création d’une commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins, présentée par notre collègue et président de la délégation aux outre-mer Davy Rimane, était adoptée à une large majorité. Si certains groupes émettaient des réserves quant à l’outil employé pour traiter ce sujet, tous en partageaient néanmoins le constat initial : les territoires ultramarins, au regard de la nécessité de garantir à tous nos concitoyens un égal accès au droit et à la justice, sont aujourd’hui placés dans une situation difficilement acceptable.
Les particularités tant géographiques, linguistiques, sociologiques et culturelles que connaissent nos territoires ultramarins par rapport au territoire européen de la France – dont hélas peu de responsables politiques et administratifs ont une connaissance fine – rendent indispensable l’adaptation de nos institutions républicaines aux réalités locales, pour permettre à chacun de bénéficier de ce droit fondamental en ce qu’il conditionne tous les autres : l’accès au droit et à la justice. Comme l’a souligné avec justesse Mme Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux, lors de son audition, la justice est « la colonne vertébrale, l’épine dorsale de la démocratie » ([1]).
En effet, comment faire valoir ses droits et libertés quand on ne comprend pas les textes, écrits dans la langue de la République mais pas dans celle que l’on pratique, quand le premier avocat est à des jours de voyage par bateau, avion ou hélicoptère, quand il faut débourser plusieurs fois son salaire pour se rendre au tribunal, quand les magistrats ne vous ressemblent pas et quand la cour d’appel se situe à des milliers de kilomètres ?
L’accès au droit et à la justice englobe à la fois : la connaissance du droit, la compréhension de ses droits ; l’intelligibilité du droit, son accessibilité matérielle aussi ; l’accès aux professionnels du droit, qu’ils soient avocats, notaires, commissaires de justice, géomètres ou conciliateurs ; l’accès à une aide financière lorsque ses moyens sont trop faibles pour ester en justice ; l’accès géographique aux tribunaux et le caractère adapté du cadre bâti ; l’accès à un interprète, lorsque l’on ne maîtrise pas suffisamment le français, et à un discours intelligible, lorsque l’on n’est pas juriste ; et enfin, la confiance dans la justice rendue et dans ceux qui la rendent.
Il peut paraître délicat de traiter de ces questions en portant un regard uniforme sur les outre-mer, tant ces territoires sont également différents les uns des autres. Au strict plan de la géographie, il y a peu de points communs entre l’immensité de la Polynésie française – dont la superficie équivaut à celle du continent européen si l’on tient compte des étendues maritimes – et l’exiguïté de la collectivité de Saint-Barthélemy, vaste de 21 km2, entre les cirques de La Réunion et les fleuves guyanais, entre l’insularité de Wallis et Futuna et le caractère continental de la Guyane, la latitude de Saint-Pierre-et-Miquelon et celle de la Nouvelle‑Calédonie, etc. La distance culturelle, notamment linguistique, entre certains de ces territoires est probablement aussi grande que celle qui sépare leurs fuseaux horaires.
Au plan statutaire et juridique également, la diversité est présente et se caractérise par une mosaïque juridique allant des départements et régions d’outre‑mer (Drom) de l’article 73, qui répondent au principe constitutionnel de l’identité législative, assortie de possibilités d’adaptation, des collectivités de Saint‑Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et de la Polynésie française, régies par le principe de spécialité législative et soumises à une autonomie « sur mesure », jusqu’au statut sui generis de la Nouvelle-Calédonie dont les lois du pays sont directement soumises au Conseil constitutionnel.
Pourtant, ces territoires subissent assurément des contraintes de nature semblable, qui sont autant de défis pour nos administrations : l’éloignement plus ou moins extrême de la capitale, voire d’autres territoires ultramarins ; l’enclavement d’une large partie de leurs communes ; des aléas climatiques violents ; un taux élevé de pauvreté, de chômage, d’illettrisme et d’illectronisme ; des cultures locales plus marquées que partout ailleurs sur le territoire hexagonal ; des pratiques juridiques coutumières ou traditionnelles qui demeurent ; les traces d’une histoire coloniale profondément ancrées dans le corps social.
En apparence, l’organisation judiciaire semble répondre à l’impérieuse nécessité d’assurer à tous un accès minimal à la justice. La quasi-totalité des territoires ultramarins comptent a minima un tribunal judiciaire et, pour les plus petits d’entre eux, comme Saint-Barthélemy, comme pour les îles isolées, à Futuna ou en Polynésie française, des audiences foraines sont organisées depuis un territoire proche ; les territoires les plus peuplés accueillent le siège de leur cour d’appel, et Saint-Pierre-et-Miquelon dispose même d’un tribunal supérieur d’appel nonobstant la taille de sa population ; et tous les territoires ultramarins disposent virtuellement d’un tribunal administratif.
La géométrie des ressorts des cours d’appel, quant à elle, a récemment évolué pour se rapprocher des justiciables : une cour d’appel a ainsi été instaurée pour la Guyane en 2012, alors que le territoire relevait jusqu’alors de la cour d’appel de Fort‑de‑France ; des chambres détachées ont vu le jour, comme à Saint‑Laurent‑du‑Maroni en 2013, et à Saint-Martin en 2015 ; des sections détachées ont été créées dans les îles reculées, comme en 2023, en Polynésie française, pour les îles des archipels Tuamotu, Gambier et des Australes. Les effectifs ont également augmenté à la faveur de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-2027, et de nouveaux dispositifs – contrats de mobilité, délégations, brigades de magistrats et de greffiers – ont permis de pallier les déficits les plus criants en matière de ressources humaines.
Il faut assurément saluer ces efforts, qu’a aussi connus la politique en matière d’accès au droit au cours des dernières années. En effet, la possibilité pour tout citoyen d’accéder aisément à des conseils juridiques gratuits s’est largement développée dans les outre-mer au cours des dernières années. Si les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) existent depuis les années 1990 dans l’Hexagone, ils se sont mis plus récemment en place dans certains territoires ultramarins, notamment dans les collectivités d’outre-mer. La Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon ne disposent ainsi d’un conseil de l’accès au droit (CAD) que depuis 2022, et la Nouvelle-Calédonie seulement depuis 2023.
De fait, les budgets attribués à chaque territoire ultramarin au titre de l’action 2 « Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire » du programme n° 101 « Accès au droit et à la justice » de la mission budgétaire « Justice » ont connu des augmentations conséquentes au cours des dernières années, passant ainsi de 222 628 euros en 2015 à 903 880 euros en 2024, et rattrapant ainsi des décennies de carence dans ce domaine. Ils ont notamment permis de financer plusieurs dispositifs itinérants indispensables pour aller vers les citoyens souffrant le plus de l’enclavement géographique : les pirogues du droit en Guyane, qui remontent les fleuves Maroni et Oyapock ; les randonnées du droit, à La Réunion, qui permettent d’atteindre les habitants du cirque de Mafate ; le Justibus de Martinique ; le camion du CAD de Nouvelle-Calédonie, etc.
Pourtant, comme le démontre le présent rapport, la réalité ne résiste pas longtemps à un examen attentif et il apparaît clairement que l’État ne répond pas de façon pleinement satisfaisante aux besoins primaires d’une large partie de la population ultramarine, tant en matière d’accès au droit que d’accès à la justice.
En matière d’accès au droit, les dispositifs mis en place, notamment les permanences qui permettent de prodiguer des conseils juridiques aux justiciables, ne remplissent que partiellement leur office, tant au regard de leur nombre que de leur maillage territorial. Les dispositifs itinérants, quand ils existent, font les frais des coupes budgétaires et des mutations de ceux qui en étaient à l’origine.
L’aide juridictionnelle, principal outil de la politique d’accès au droit déployée par le ministère, ne tient guère compte des réalités ultramarines en matière de distances à parcourir et de coût des transports, si bien que les habitants des « déserts juridiques » que forment beaucoup d’îles et de zones peu urbanisées à l’instar de la Guyane intérieure, de la « brousse » calédonienne, des îles polynésiennes, de Wallis et Futuna, n’ont aucun accès possible à un avocat, un notaire ou un huissier.
Dans les plus petits territoires, les professions juridiques sont du reste totalement absentes ou presque. Wallis-et-Futuna ne compte aucun avocat, aucun notaire, aucun mandataire judiciaire, et les gendarmes y font office d’huissier, comme, du reste, dans les îles de Polynésie française les plus éloignées de Papeete ; Saint-Pierre-et-Miquelon compte une poignée de personnes « agréées » faisant office d’avocats, un seul huissier, un seul notaire ; Mayotte compte seulement une trentaine d’avocats, dont peu acceptent d’intervenir en droit des étrangers, un huissier et deux notaires ; etc.
En matière d’accès à la justice, le constat n’est hélas pas meilleur.
On pourrait penser que, dans certains territoires, il ne vaudrait presque pas la peine d’avoir une cour d’appel ou un tribunal judiciaire complet, en raison d’une population réduite et d’un contentieux limité. Cette idée est pourtant contrintuitive au regard de l’exigence d’un égal accès à la justice pour tous. Au contraire, une telle organisation témoignerait précisément d’une réelle volonté d’assurer cette égalité entre tous nos concitoyens.
En effet, la justice, dans une démocratie, ne peut être considérée autrement que comme un service public de base, au même titre que l’eau, l’école, la santé, la sécurité. Or, tous nos territoires ultramarins ne sont pas dotés de tribunaux : c’est le cas de Saint-Barthélemy. Tous nos territoires ultramarins ne sont pas dotés de cour d’appel : Wallis-et-Futuna dépend de la Nouvelle-Calédonie, Saint-Martin de Basse-Terre, Mayotte de La Réunion ; pire encore, pour les tribunaux administratifs, les cours d’appel compétentes sont situées dans l’Hexagone. Tous les tribunaux ne sont pas dotés de magistrats résidents qui partagent la vie des habitants : c’est le cas des tribunaux administratifs de Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, dont les magistrats ne visitent parfois qu’une fois par an le territoire.
Tous nos tribunaux, surtout, ne répondent pas aux standards procéduraux en vigueur dans l’Hexagone, qui sont pourtant la garantie d’un procès équitable. Les règles de procédure qui s’appliquent dans certains territoires sont la traduction d’une adaptation « par le bas » du fonctionnement des juridictions. On peut ainsi être envoyé en prison pour vingt ans à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon par un juge unique ; être condamné à une peine correctionnelle à Wallis‑et-Futuna par deux magistrats en visioconférence ; voir son audience repoussée à Nouméa faute d’assesseurs coutumiers ; être jugé aux assises à Mayotte par des jurés tirés au sort sur une liste de trente noms ; ne pas avoir accès à un avocat alors que l’on est gardé à vue, ou victime de violences conjugales ; avoir pour tout conseil juridique, aux assises, un simple citoyen, sans formation, à Wallis‑et-Futuna ; voir un agent de sécurité faire la traduction au juge des propos que l’on tient dans sa langue maternelle ; être gardé, au palais de justice, dans la même geôle qu’une personne du sexe opposé ; être envoyée à 2 000 kilomètres et séparée de ses enfants parce que le centre pénitentiaire n’accueille pas de femmes.
Comment peut‑on accepter cela dans un État de droit ?
Quant à l’immobilier judiciaire outre-mer : quelle indignité ! Il ne parait pas concevable de rendre une bonne justice dans des conditions de travail et d’accueil des justiciables aussi dégradées. Beaucoup a été fait dans les années 2010, mais les chantiers qui restent à mener sont herculéens. Certains ont, fort heureusement, commencé : c’est le cas de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin, de la cité judiciaire de Cayenne, et de celle de Saint-Laurent-du-Maroni. D’autres, malheureusement, ont été stoppés nets par la recherche d’économies, en Martinique, en Guadeloupe, à La Réunion et plus encore à Mayotte, où les conséquences du cyclone Chido sur les tribunaux judiciaire et administratif sont loin d’être derrière nous. Dans l’attente, les justiciables et les personnels se résignent à un fonctionnement altéré, fait de rustines et de préfabriqués.
Il n’est guère étonnant qu’une partie des Ultramarins ait perdu confiance dans l’institution judiciaire. Pour reprendre les mots de la première présidente de la cour d’appel de Papeete : « Avoir confiance en l’institution judiciaire, c’est estimer qu’on peut aller vers elle, qu’elle appliquera des règles communes à tous, une loi qui est la norme pour chacun ; que, puissant ou misérable, polynésien ou popa’a, on sera traité de la même façon par le juge, qu’on aura les mêmes droits, la même capacité à faire valoir ses arguments ou à être défendu par un avocat » ([2]). Il nous faut admettre que le compte n’y est pas toujours.
Dans ce domaine, les apparences sont primordiales. Mais comment avoir confiance dans la justice lorsqu’elle est rendue par des magistrats qui sont culturellement aux antipodes des parties, quand ils n’en comprennent ni la langue ni les coutumes, quand ils sont fraîchement débarqués de l’École nationale de la magistrature ?
Malheureusement, la distance socioculturelle est souvent bien réelle dans nos prétoires. Les incompréhensions peuvent être nombreuses entre les justiciables et leurs juges, du « je te pardonne » polynésien au silence kanak, signe de respect assimilé à une insolence coupable par le magistrat non acculturé. Le rôle des coutumiers, à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna – cadis, chefs coutumiers, capitaines, rois et faipule – se concilie parfois mal avec l’office du juge républicain.
C’est le constat que nous pouvons dresser après avoir réalisé une cinquantaine d’auditions – au cours desquelles notre commission a entendu plus de 150 personnes, le plus souvent en visioconférence depuis l’Hexagone – et un déplacement mémorable en Guyane, à Cayenne, Maripasoula, Papaichton et Saint‑Laurent-du-Maroni, en Martinique, à Fort-de-France, et en Guadeloupe, à Basse-Terre et Point‑à-Pitre, au cours duquel une délégation de la commission a pu rencontrer les chefs de cour et de juridiction et les personnels des juridictions concernées, les coordonnatrices du secrétariat général du ministère de la justice, les préfets, des élus locaux, des représentants des barreaux, ainsi que des membres d’associations dédiées à l’accès au droit et à la justice.
Tout n’est pourtant pas noir dans le tableau que dresse le présent rapport. Des dispositifs innovants se développent dans nos territoires, pour aller vers les citoyens, où qu’ils se trouvent ; pour rendre une meilleure justice dans des matières complexes et dont la dimension affective est particulière en outre-mer, comme c’est le cas des affaires de terres ; pour s’ouvrir aux justiciables, en communiquant plus directement avec eux, dans leur langue, en s’imprégnant de leurs coutumes ; pour améliorer le recrutement de magistrats originaires des territoires ultramarins et faire connaitre et aimer nos territoires aux fonctionnaires issus de l’Hexagone.
Plusieurs propositions que formule le présent rapport ont d’ores et déjà fait l’objet d’un accord du garde des sceaux, intervenant devant notre commission le 4 novembre dernier. La création d’un tribunal de plein exercice à Saint‑Martin, compétent pour Saint-Barthélemy et Saint-Martin, réclamé de longue date par les élus de ces territoires et que votre président tient particulièrement à saluer, montre que le gouvernement a toute latitude pour faire siennes les propositions du présent rapport.
Il ne reste plus aux pouvoirs publics qu’à prendre la pleine mesure des besoins des justiciables ultramarins pour y répondre enfin.
« On ne parlera jamais assez des dysfonctionnements de la justice ultramarine. Plus on en parle, plus on en découvre » ([3]).
Ce constat, partagé par l’un des avocats du Conseil national des barreaux (CNB) auditionnés par la commission d’enquête, résume assez bien le sentiment général qui a accompagné les travaux de cette dernière. Si votre rapporteur ne peut plus s’étonner du dénuement invraisemblable de la justice à Mayotte ou en Guyane – situation qui semble malheureusement avoir vocation à perdurer tant que la réponse politique reste inadaptée –, il ne s’attendait pas à découvrir une situation peut-être encore plus alarmante à Wallis-et-Futuna. Dans le silence presque total des institutions, les principes relatifs aux droits de la défense et à un procès équitable sont ignorés : leur respect y est l’exception, et non la règle.
La justice et le droit sont pourtant deux piliers essentiels du pacte républicain. Or les nombreux témoignages et documents recueillis, tant au cours des auditions que lors du déplacement d’une délégation de la commission d’enquête réalisé en septembre en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, ont permis d’étayer la nature et l’importance des obstacles qui entravent, au quotidien, l’accès au droit et à la justice en outre‑mer. Ces obstacles ne sont toutefois pas nouveaux et ne sauraient être assimilés à de simples dysfonctionnements administratifs : ils traduisent une politique publique défaillante, marquée par des décennies de sous-investissement et par une approche hyper-centralisée des besoins ultramarins.
L’accès à la justice, entendu comme la faculté de chaque citoyen à pouvoir faire valoir ses droits devant un juge, repose sur deux conditions fondamentales : la proximité physique d’un lieu de justice et la possibilité effective, notamment pour les personnes les plus modestes, de bénéficier d’un conseil juridique adapté en disposant, le cas échéant, de l’aide juridictionnelle. Ce principe, indissociable de l’égalité devant la loi, consacré par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ([4]), devrait être universel. Pourtant, dans les territoires ultramarins, il demeure trop souvent théorique.
L’accès au droit, défini par la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, est consubstantiel à l’exercice de la citoyenneté : il est la garantie pour tout citoyen d’obtenir une information fiable sur ses droits et des conseils adaptés à sa situation. Depuis 2016 ([5]), il est également reconnu comme une composante du service public de la justice. En théorie, la mise en œuvre de cette politique publique à l’échelle locale par les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et les conseils de l’accès au droit (CAD) ([6]) doit permettre de garantir la présence, à proximité, de professionnels du droit ou d’autres personnels qualifiés pour orienter les justiciables. En pratique, en outre‑mer, il est rare que ces structures disposent des ressources et des compétences suffisantes pour installer leurs actions dans la durée. Malgré un maillage de 180 points‑justice dans les territoires ultramarins en 2025, sur les quelque 3 000 que compte la France, cette politique publique demeure lacunaire dans la plupart des territoires observés.
Les problèmes d’accès à la justice ou au droit ne sauraient être cantonnés aux seuls territoires ultramarins. Elles résultent d’une insuffisance générale des moyens alloués au ministère de la justice. L’an dernier, un rapport de la commission européenne pour l’évaluation des systèmes judiciaires européens (Cepej) soulignait ainsi la progression limitée des moyens alloués à la justice en France et leur insuffisance persistante au regard des standards européens ([7]) : malgré une augmentation budgétaire de 7 % entre 2020 et 2022, la France ne consacre à la justice que 0,20 % de son PIB, contre une médiane européenne de 0,28 %. Certains pays de taille comparable, tels que les Pays-Bas, l’Allemagne ou l’Italie, y consacrent des parts plus importantes – respectivement 0,26 %, 0,30 % et 0,31 %. Cette faiblesse des moyens se reflète également dans les effectifs : le nombre de magistrats, notamment au parquet, reste très inférieur à la moyenne européenne, avec seulement 3,2 procureurs pour 100 000 habitants, contre une médiane de 11,2 en Europe.
Toutefois, ces difficultés se révèlent de manière exacerbée en outre‑mer, et portent parfois sur des problèmes spécifiques. S’il est essentiel de les analyser à l’aune des caractéristiques propres à chaque territoire ultramarin, afin de proposer les recommandations les mieux adaptées, certains constats apparaissent toutefois partagés.
À cet égard, il convient de noter que les questions soulevées par les dysfonctionnements de l’administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse ou la rétention des étrangers ne sont pas au cœur du présent rapport. S’il en est incidemment question dans le présent rapport, votre rapporteur estime qu’elles mériteraient à elles seules autant de commissions d’enquête pour être traitées correctement.
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Le champ géographique d’étude de la commission d’enquête a été défini par la résolution n° 1050 l’ayant créée comme comprenant, d’une part, les départements et régions d’outre‑mer (Drom) régis par l’article 73 de la Constitution – Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, La Réunion – et, d’autre part, les collectivités d’outre-mer (COM) régies par l’article 74 – Saint‑Barthélemy, Saint-Martin, Wallis‑et‑Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, la Polynésie française –, du moins celles habitées, ainsi que la Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII de la Constitution.
Leur population cumulée représente, en 2022, environ 2,75 millions de personnes, soit près de 4 % de la population de la France ([8]). En dépit de contextes locaux, socio-économiques et culturels différents, les outre-mer partagent des problématiques communes.
La première d’entre elles tient à leur éloignement de l’Hexagone, ainsi qu’à leur géographie singulière, marquée par l’enclavement de nombreuses communes. Qu’il s’agisse de l’éclatement des archipels de la Polynésie française sur une étendue comparable à la taille de l’Europe, du cirque de Mafate, uniquement accessible par hélicoptère depuis les communes littorales de La Réunion ou après une longue randonnée, ou des villages guyanais que l’on rejoint depuis Cayenne en naviguant sur des pirogues, l’accès à la justice y est nécessairement contraint et suppose des dispositifs particuliers.
Cet éloignement géographique se double, à certains endroits, d’une fracture numérique profonde, en raison notamment du manque d’infrastructures. Les avantages tirés de la dématérialisation des procédures peuvent donc s’avérer limités, voire contre-productifs, comme le rappelle, avec lucidité, l’ancien garde des sceaux, M. Jean‑Jacques Urvoas : « [si mon successeur] propose d’accélérer la numérisation des procédures, j’estime que ce n’est pas une bonne idée pour les outre-mer. Si cela peut se concevoir dans des territoires où les infrastructures le permettent, je ne suis pas certain que ce soit un cadeau à faire aux outre-mer, car il me souvient de zones qui n’avaient pas de réseau internet. La dématérialisation des procédures est présentée comme une plus-value pour un meilleur accès au droit, mais j’ai tendance à penser que c’est exactement l’inverse » ([9]).
Le défi est aussi social : le décrochage scolaire, par exemple, y est deux fois plus important que dans l’Hexagone, et l’illettrisme, trois fois supérieur ([10]). Ce sont des facteurs aggravant l’illectronisme qui frappe, là encore, davantage d’Ultramarins que d’Hexagonaux. Dans ces conditions, les démarches administratives se révèlent être un véritable défi pour nombre de ces citoyens, qui peuvent aller jusqu’à renoncer à déposer une plainte ou faire valoir leurs droits.
La situation économique, par ailleurs, moins favorable que dans l’Hexagone, aggrave ces inégalités. Me Patrick Lingibé, ancien bâtonnier de Guyane, présente ainsi la situation de la pauvreté en outre-mer : « Les cinq départements et régions d’outre-mer (Drom) regroupent 24 % des personnes en grande pauvreté en France, alors qu’ils ne représentent que 3 % de la population nationale. En 2021, le taux de pauvreté était de 14,5 % dans l’Hexagone, mais de 36,1 % à La Réunion, de 26,8 % à la Martinique, de 34,5 % à la Guadeloupe, de 52,9 % en Guyane et de 77,3 % à Mayotte. La grande pauvreté est cinq à quinze fois plus fréquente et plus intense dans les Drom que dans l’Hexagone » ([11]).
Dans ces conditions, le droit devient assurément un luxe, et la mise en place d’un système d’aide juridictionnelle adapté, indispensable. À titre d’exemple, l’intégration des coûts de déplacement dans les frais pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle en Polynésie française, si elle reste insuffisante, semble devoir être étendue à la plupart des territoires ultramarins, tant nombre d’entre eux connaissent les difficultés liées à l’insularité et l’enclavement.
Les besoins en matière de justice sont pourtant nombreux dans les territoires ultramarins, et ne cessent d’augmenter, à l’instar de l’Hexagone. Leur croissance s’inscrit cependant dans un contexte singulier, au regard notamment de l’importance de la délinquance et de la criminalité. Le président de la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG), M. Éric Corbaux, résume ainsi les défis posés à ce titre : « Dans les territoires d’outre-mer, hormis en Polynésie et, à un niveau moindre, à La Réunion, la criminalité est très élevée. L’intensité des contentieux est très forte et la charge qui pèse sur les magistrats se révèle très lourde. Des phénomènes de gang se sont développés, notamment à la Guadeloupe, à la Martinique et en Guyane : socialement destructeurs, ils constituent le socle d’une criminalité de grande envergure, laquelle a nécessité le déploiement d’une justice pénale d’urgence. Celle-ci assèche quelque peu les ressources des juridictions locales, qui doivent continuer de traiter les autres contentieux. Les cours criminelles départementales et les cours d’assises sont extrêmement chargées. La nature de la criminalité pose un grand défi à la justice outre-mer » ([12]).
Les outre-mer, enfin, ne peuvent pas être appréhendés sans tenir compte de leurs différences culturelles. Dans bien des territoires, la justice reste perçue comme une institution distante, éloignée des réalités et traditions locales.
Cela commence par l’enjeu de la langue : en Guyane, à Mayotte ou encore à Wallis‑et‑Futuna, le français n’est pas la langue maternelle de nombreux citoyens. Il devient alors nécessaire de généraliser le recours à des interprètes, même si, en pratique, la traduction repose en grande partie sur le personnel de greffe ou d’accueil des juridictions, capable de maîtriser ces langues lorsqu’il est originaire du territoire.
Pour certains territoires, l’ancrage des traditions au sein de la société s’est traduit par la reconnaissance officielle – et constitutionnelle, en application de l’article 75 de la Constitution – d’un statut civil propre. Cela suppose la maîtrise de règles issues de droits coutumiers essentiellement oraux, particulièrement difficile pour tout magistrat ou personnel de justice qui n’aurait pas reçu une formation préalable adaptée.
La distance culturelle, qui peut naître d’un manque de connaissance ou de reconnaissance des habitus locaux par les magistrats, nourrit un sentiment de méfiance et d’incompréhension des justiciables. Elle alimente l’idée que la justice serait rendue pour défendre uniquement les intérêts de l’État, et ce de manière partiale, voire coloniale. L’enjeu de la formation, notamment des magistrats, apparaît alors essentiel.
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« Dans l’Hexagone, la justice a été abandonnée pendant près de trente ans. Que dire des territoires ultramarins, où il faut en outre compter avec le poids de l’histoire et où les considérations politiques ne sont jamais très éloignées ? » Cette interrogation posée par l’Union syndicale des magistrats (USM) ([13]) illustre à bien des égards les questions que soulève l’organisation de la justice en outre-mer. En dépit des efforts fournis par l’État pour « œuvrer sur les handicaps économiques et sociaux pour permettre le rattrapage [des outre-mer] dans ces domaines » ([14]), le sentiment qui persiste est celui de l’absence d’une vision de long-terme. L’État n’agit que par à-coups, au gré des crises sociales, climatiques ou politiques, sans jamais construire une stratégie durable.
L’inadaptation de l’organisation de la justice ultramarine est symptomatique de cette absence de vision stratégique de l’État à l’égard de l’outre‑mer.
Il existe à ce jour sept cours d’appel de plein exercice ([15]), mais le ressort de certaines trahit une incohérence qui ne se justifie qu’au regard des économies budgétaires qu’elles permettent de réaliser. Ainsi, le tribunal de première instance de Wallis‑et‑Futuna est rattaché à la cour d’appel de Nouméa, située à plus de 2 000 kilomètres ; celui de Saint-Martin et Saint-Barthélemy est rattaché à la cour d’appel de Basse-Terre, en Guadeloupe ; Mayotte ne dispose pas d’une cour d’appel de plein exercice et dépend donc de celle de La Réunion.
En matière de justice administrative, l’organisation est encore plus atypique. Si sur les 42 tribunaux administratifs, 11 juridictions sont ultramarines, certaines d’entre elles fonctionnent avec des ressources mutualisées. Ainsi, comme l’explique le président du Syndicat de la juridiction administrative (SJA), « les tribunaux administratifs de Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont par exemple leur siège au tribunal administratif de la Guadeloupe et n’ont pas de personnel dédié (…). Le tribunal de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon est mutualisé avec celui de Martinique et le tribunal administratif de Wallis-et-Futuna avec celui de Nouvelle-Calédonie. Les tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte ont chacun une équipe d’agents de greffe qui leur est propre, mais les magistrates et magistrats sont tous en résidence à La Réunion. On compte enfin un tribunal administratif en Polynésie française » ([16]). Une autre difficulté majeure pour les justiciables réside dans l’absence de cour administrative d’appel en outre‑mer. Ainsi, les procédures en appel introduites par les justiciables ultramarins relèvent systématiquement de la cour administrative d’appel de Paris ou de celle de Bordeaux.
Dans ce contexte, les moyens alloués demeurent structurellement insuffisants, malgré la hausse des effectifs observée ces dernières années, et annoncée dans le cadre de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ).
Certes, sur les dix dernières années, le nombre de magistrats exerçant dans les juridictions ultramarines est passé de 362 à 455 – 475 magistrats en outre-mer prévus en 2026 – soit une augmentation moyenne de 7 % par an, contre une hausse annuelle de 3 % sur le territoire hexagonal dans la même période, selon les chiffres rappelés par le garde des sceaux ([17]). Quant aux greffiers et autres personnels judiciaires exerçant dans les juridictions d’outre-mer, ils ont augmenté de 21,6 % entre 2015 et 2025, contre une hausse de 11,8 % en Hexagone sur la même période ([18]). L’observation de cette dynamique de relatif rattrapage ne doit toutefois pas faire oublier « l’état de délabrement avancé » ([19]) qui sert de point de départ en outre-mer.
Il conviendra au demeurant de surveiller attentivement l’exécution de la LOPJ, afin de s’assurer que celle-ci est conforme aux engagements de la programmation. La rapporteure pour avis de la mission Justice du projet de loi de finances pour 2026, Mme Gabrielle Cathala, relève ainsi que l’exécution pour l’ensemble des programmes de la mission Justice est inférieure de 220 millions d’euros par rapport au montant prévu par la LOPJ pour 2025 ([20]).
L’augmentation des moyens spécifiquement alloués à l’outre-mer doit en outre être relativisée, en ce qu’elle correspond, selon la direction des services judiciaires (DSJ), à seulement 5 % des augmentations d’effectifs de magistrats au niveau national, « soit la part allouée par la circulaire de localisation des emplois 2022 » ([21]). Le directeur général explique par ailleurs se montrer vigilant sur le suivi de l’exécution propre à ces territoires : « Nous souhaitons donner la priorité aux outre-mer sur le plan des ressources humaines sans négliger le reste du territoire ; c’est la ligne de crête à tenir. À cet égard, il nous semble important d’indiquer que le taux d’exécution de la trajectoire de la LOPJ en matière d’effectifs de magistrats est plus élevé dans les outre-mer : il s’élève à 36 % à Saint-Denis de La Réunion, à 50 % à Papeete et à Nouméa, à 43 % à Fort-de-France, à 67 % à Cayenne et à 38 % à Basse-Terre, contre 29 % au niveau national. Cela signifie que l’avancement du déploiement de la LOPJ dans les juridictions ultramarines est systématiquement supérieur à celui que connaissent les juridictions hexagonales » ([22]).
L’augmentation théorique des effectifs se heurte en outre, en pratique, aux difficultés que rencontrent certaines juridictions ultramarines pour recruter et fidéliser leurs personnels. Les rotations d’effectifs nuisent ainsi gravement au bon fonctionnement de plusieurs services judiciaires, bien que cette problématique ne touche pas tous les territoires de la même manière, comme le relève le directeur des services judiciaires : « S’agissant du turnover, il est très différencié selon les juridictions : faible à Papeete, limité à La Réunion et à Nouméa, mais plus significatif en Guyane et à Mayotte, où nous savons que l’attractivité est un sujet. Cela rejoint la question de la durée maximale des fonctions outre-mer : il faut trouver le point d’équilibre favorisant l’attractivité et la fidélisation – pour éviter une rotation trop importante – tout en évitant les inconvénients d’un séjour trop long. Les problématiques sont similaires dans certaines juridictions de l’Hexagone, qui souffrent du même déficit d’attractivité » ([23]).
Les dispositifs d’accompagnement et de formation du personnel sont ainsi essentiels pour garantir une prise de poste dans les meilleures conditions et, in fine, réduire les rotations trop fréquentes ou les vacances de postes. Les travaux de la commission d’enquête ont permis de révéler les insuffisances dans le domaine, comme l’ont reconnu deux anciens gardes des sceaux : « Quand on a longtemps travaillé dans l’Hexagone, on n’est pas immédiatement apte à s’adapter à un territoire ultramarin, de la même manière que quelqu’un qui vient d’un territoire ultramarin doit avoir une période d’adaptation. Mais au ministère, dans une espèce de cécité, on refuse de reconnaître cette réalité humaine » ([24]).
Sans véritable politique de ressources humaines de long-terme, le ministère de la justice continuera de gérer la question des outre-mer par le seul prisme de l’urgence. Il est aussi surprenant que désespérant de constater que chacune des avancées récentes sur l’évolution des moyens ou des ressources constitue des réponses aux différentes crises traversées par l’un des territoires : la crise sociale en Guyane, la crise insurrectionnelle en Nouvelle-Calédonie, la crise climatique à Mayotte, etc. Face aux crises, l’État n’a pas d’autres choix que de confectionner des solutions dans l’urgence. Il en est ainsi des dispositifs dérogatoires et temporaires que constituent les « brigades » de magistrats ou de greffiers outre-mer, qui viennent pour six mois en renfort de juridictions structurellement sous-dotées, ou des magistrats délégués, issus des cours d’appel de Paris ou Aix-en-Provence et détachés pour quelques semaines à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie lors d’épisode de crises.
Autre situation alarmante : la problématique liée à l’immobilier. Outre les difficultés foncières, relatives aux risques sismiques et contraintes géographiques, l’état du bâti en outre‑mer souffre d’une vétusté inquiétante et s’avère largement inadapté. S’y ajoute, d’après l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij), « la tendance [de l’immobilier judiciaire] à se dégrader davantage en outre-mer que dans l’Hexagone. Cela est essentiellement lié aux conditions climatiques et à la qualité de l’exploitation et de la maintenance, les deux facteurs allant de pair en raison des conditions de dégradation plus rapides qu’ailleurs » ([25]).
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« S’il ne devait y avoir qu’un sujet à traiter concernant la justice dans les outre-mer, ce serait celui de l’accès au droit. La méconnaissance que nous avons des carences que supportent les justiciables des outre-mer serait jugée intolérable dans le territoire hexagonal » ([26]).
Les travaux menés par la commission semblent donner raison à l’ancien garde des sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas. Sans accès au droit, c’est-à-dire aux informations essentielles pour comprendre et faire valoir ses droits et, le cas échéant, saisir la justice pour se défendre, il n’y a pas de citoyenneté pleine et entière.
Les structures comme les CDAD et CAD, les maisons de la justice et du droit ou les dispositifs itinérants – Justibus, pirogue du droit, randonnées et caravanes du droit – témoignent d’une volonté locale d’agir, souvent avec des moyens dérisoires. Ces initiatives prouvent que les solutions existent dès lors qu’elles parviennent à réunir autour d’un même objectif les acteurs de terrain, les professionnels du droit et les collectivités. Mais elles manquent d’un soutien pérenne de l’État et pâtissent pour beaucoup d’un manque de financement de long‑terme.
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La première partie du présent rapport s’attache à analyser plus précisément la situation dans chaque territoire. Le constat issu des travaux de la commission d’enquête est pour le moins édifiant. Il ressort, en effet, que le droit et la justice ne sont pas accessibles avec la même force ni exercés avec la même dignité sur l’ensemble du territoire national.
Dans la seconde partie du présent rapport, votre rapporteur formule de nombreuses recommandations qui devront être urgemment mises en œuvre par les pouvoirs publics pour renforcer durablement et efficacement l’accès au droit et à la justice en outre-mer.
Première partie : un défaut notable d’adaptation du système judiciaire aux territoires ultramarins
Le constat, pourtant connu de longue date, est sans appel : la justice offerte aux Ultramarins est, aujourd’hui encore, bien en-deçà de ce qu’elle est dans l’Hexagone. Régimes dérogatoires attentatoires aux droits et libertés, effectifs sous haute tension, attractivité impossible des juridictions, tribunaux éclatés et insalubres, audiences foraines en perdition, incompréhensions linguistiques et culturelles, perception d’une justice coloniale, etc. Bien sûr, chaque territoire est différent, et les dysfonctionnements que la présente partie y recense le sont aussi. Mais, parce que la justice ultramarine s’est, partout, insuffisamment adaptée – ou pire, a fait l’objet d’un nivellement par le bas – aux réalités locales de nos territoires, elle est souvent rendue dans des conditions indignes d’un État de droit.
I. La Guyane et Mayotte : les territoires oubliés du service public de la justice
La Guyane et Mayotte, malgré leurs différences, partagent les mêmes difficultés structurelles en matière d’accès au droit et à la justice : professionnels du droit en nombre insuffisant sur le territoire, dispositifs d’accès au droit défaillants pour les populations qui en sont géographiquement ou culturellement les plus éloignées, justice pénale saturée par l’afflux de dossiers. Les justiciables guyanais et mahorais subissent de plein fouet les carences du service public de la justice, nées d’un déficit d’investissement criant dans ces territoires.
A. La Guyane : un accès au droit et À la justice particulièrement dégradé
Possession française depuis 1676, la Guyane est un territoire hors norme, en raison de l’immensité de sa géographie, de la diversité culturelle de sa population et de son histoire, marquée par l’esclavage et la présence d’un bagne à Cayenne jusqu’en 1946. Même après avoir été reconnue officiellement comme un département français à compter de cette date, la Guyane continue d’être traitée avec distance, à l’image des 7 000 kilomètres qui la sépare de l’Hexagone. Hors norme sont également les besoins des justiciables guyanais en matière d’accès au droit et à la justice, notamment dans les parties les plus enclavées du territoire. Or, la réponse de l’État n’est à l’heure actuelle pas à la hauteur de l’ampleur des défis.
1. Les multiples défis de l’accès au droit et à la justice sur un territoire hors norme
a. Une croissance démographique importante, accompagnée d’une forte pression migratoire
● Située au nord-est de l’Amérique du Sud, entre le Suriname et le Brésil, la Guyane est une région monodépartementale. Avec une population estimée à 292 000 habitants au 1er janvier 2025, il s’agit du territoire français qui connait la plus forte croissance démographique, en dehors de Mayotte. Le taux de croissance annuel moyen de la population en Guyane a ainsi atteint 2,7 % sur la période 2005‑2015 et 1,2 % sur la dernière décennie, contre 0,3 % dans l’Hexagone sur la même période ([27]).
Le corollaire de ce dynamisme démographique est la jeunesse de la population : 47 % des Guyanais ont moins de 25 ans, contre 28 % des Hexagonaux.
Cette dynamique a vocation à se poursuivre. Selon certaines projections, la Guyane pourrait compter 428 000 habitants en 2050, ce qui constituerait un doublement de sa population en quarante ans ([28]).
● Une telle croissance démographique entraine mécaniquement une hausse des besoins en matière d’accès au droit, ainsi qu’une augmentation tendancielle de l’activité juridictionnelle à laquelle doit faire face le système judiciaire en Guyane. À titre d’exemple, le président du tribunal administratif de Guyane a constaté une hausse des affaires traitées par son tribunal de près de 120 % depuis 2017 ([29]).
Quant à la jeunesse de la population guyanaise, elle crée naturellement des besoins spécifiques. De nombreux acteurs du système judiciaire et du monde associatif rencontrés par la commission d’enquête lors de son déplacement en Guyane ont à cet égard mis en exergue le déficit criant de structures de placement pour accueillir les mineurs en danger, ainsi que l’insuffisance d’administrateurs ad hoc pour prendre en charge les mineurs protégés. De telles carences nuisent à la bonne exécution des décisions du juge des enfants.
carte Économique de la guyane
Source : Institut d’émission des départements d’outre-mer (Iedom).
● La Guyane est en outre soumise à une forte pression migratoire, sur un territoire qui comporte plus de 1 240 kilomètres de frontières terrestres et fluviales avec le Suriname et le Brésil. La part des immigrés – personnes étrangères nées à l’étranger – dans la population atteint ainsi 31,5 %, ce qui en fait le territoire français avec la plus forte proportion d’immigrés, en dehors de Mayotte ([30]).
À cette population immigrée, il convient d’y ajouter les migrants non recensés du fait qu’ils n’entrent pas régulièrement sur le territoire français. En Guyane, 98 % des titulaires de titres de séjour sont ainsi entrés sur le territoire de de manière irrégulière, étant précisé que la préfecture de Guyane délivre environ 15 000 titres de séjour par an ([31]).
Cette population migrante peut être particulièrement significative dans certaines villes frontalières. À titre d’exemple, la maire de Saint‑Laurent‑du‑Maroni estime la population réelle de sa ville à environ 80 000 habitants, contre 52 000 habitants officiellement recensés ([32]). Une étude de l’Institut national d’études démographiques (Ined) a également conclu que 60 % des personnes âgées de 18 à 79 ans vivant en Guyane en 2020 n’y étaient pas nées ([33]).
● Cette forte dynamique migratoire a des conséquences directes sur les enjeux d’accès au droit et à la justice en Guyane.
Le contentieux des étrangers représente ainsi plus des deux tiers (68 %) des affaires jugées par le tribunal administratif de Guyane, dans un contexte où l’administration est trop souvent défaillante à remplir ses obligations à l’égard des étrangers vivant en Guyane.
Dans la même perspective, le tribunal judiciaire est soumis à une forte demande relative aux dossiers de déclarations et certificats de nationalité, comme la délégation de la commission d’enquête a pu le constater lors de sa visite au tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni.
Enfin, les acteurs de l’accès au droit doivent adapter les prestations juridiques qu’ils proposent aux besoins spécifiques de la population étrangère vivant en Guyane. Le CDAD de Guyane relève à ce titre que la « question des titres de séjour et des demandes d’asile reste prédominante » dans l’activité des points-justice situés à Saint‑Laurent‑du‑Maroni ([34]).
b. Des zones du territoire encore largement enclavées
● D’une superficie de 83 856 km², la Guyane est le département le plus vaste et la deuxième région la plus vaste de France, après la Nouvelle-Aquitaine. En outre, 97 % du territoire guyanais est couvert par la forêt amazonienne, de sorte que 86 % de la population se concentre sur la bande côtière entre Saint-Georges de l’Oyapock et Saint-Laurent-du-Maroni. Le réseau routier, composé de 480 kilomètres de routes nationales, est en outre peu dense par rapport à l’étendue du territoire guyanais.
Il en résulte que de nombreuses communes de « l’intérieur » guyanais sont particulièrement enclavées, ainsi que la délégation de la commission d’enquête a pu le constater lorsqu’elle a rejoint depuis Cayenne la commune de Papaïchton, située en plein cœur de la forêt amazonienne, après une heure d’avion suivie d’une heure de pirogue sur le fleuve Maroni.
● Ces contraintes géographiques ont naturellement des conséquences préjudiciables sur l’accès de ces populations au droit et à la justice, dans un contexte où la totalité des professionnels du droit sont situés sur l’île de Cayenne.
Tout d’abord, les frais de déplacement vers les juridictions et les professionnels du droit peuvent être rédhibitoires pour les justiciables, a fortiori dans un territoire où 53 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Un habitant de Papaïchton a ainsi indiqué avoir déboursé près de 1 000 euros pour se déplacer à Cayenne afin d’obtenir un rendez-vous avec son avocat.
La préfecture de Guyane confirme à ce titre que « l’absence de routes continues et la rareté des liaisons régulières rendent tout déplacement coûteux et chronophage, ce qui décourage de nombreux justiciables d’entreprendre une démarche (…). Un habitant de Trois-Sauts convoqué au tribunal de Cayenne peut débourser jusqu’à 1 000 euros pour un aller-retour » ([35]).
Pour les auteurs d’infractions, l’enclavement géographique se traduit en pratique par leur absence d’accès à un avocat durant leur garde à vue, en violation de leurs droits fondamentaux. Une telle situation, qui serait considérée comme inadmissible en Hexagone, est malheureusement fréquente pour de nombreux justiciables guyanais.
Ainsi que l’a souligné un représentant du barreau de Guyane, un avocat commis d’office est payé de l’ordre de 150 euros nets pour assister un mis en cause lors d’une garde à vue et ses frais de déplacement ne sont pas remboursés au titre de l’aide juridictionnelle. Dans ce contexte, il n’y a aucune rationalité économique à faire huit heures de pirogue ou à payer 5 000 euros le trajet en hélicoptère pour assister un gardé à vue dans la commune de Camopi.
Cet enclavement est également de nature à empêcher les victimes de faire valoir leurs droits, notamment en cas de comparution immédiate de l’auteur des faits, comme l’a souligné une association : « Dans le cadre des audiences de comparutions immédiates (…) les victimes non francophones ou très éloignées de l’île de Cayenne n’ont pas toujours la possibilité de pouvoir exercer leur droit de se constituer partie civile et de demander la réparation de leur préjudice. Bien qu’un accompagnement à distance soit proposé, cela n’est pas toujours possible à mettre en place : absence de moyens d’interprétariat, absence de matériel informatique, absence de connexion internet » ([36]).
c. Des freins de nature socioculturelle à l’accès au droit et à la justice
● Tout d’abord, les conditions économiques prévalant en Guyane sont de nature à restreindre l’accès au droit et à la justice. Comme indiqué, la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, contre 15 % en Hexagone, alors même que le niveau général des prix y est 13,7 % plus élevé – et de + 40 % pour les seuls produits alimentaires. Selon l’Association guyanaise d’aide aux victimes (Agav), 31 % des justiciables qu’elle accompagne dans leurs démarches se déclarent sans ressources.
Ce contexte de grande précarité est illustré par la faiblesse de l’indice de développement humain (IDH) de la Guyane, qui est de 0,74 en 2023 contre 0,91 pour l’Hexagone, soit un IDH similaire à celui de pays comme la Lybie, l’Algérie, le Guyana ou la Mongolie.
À la lumière de ces éléments, votre rapporteur partage le constat de Me Patrick Lingibé, ancien bâtonnier du barreau de Guyane, selon lequel « dans cet océan de pauvreté et d’indignité, le droit est assurément un luxe » ([37]).
● La forte diversité de communautés habitant en Guyane (Amérindiens, Bushinengués, Créoles, Hmongs, Haïtiens, Brésiliens, Surinamais...) est également de nature à limiter l’accès de la population au droit et à la justice pour deux raisons.
La première raison est d’ordre linguistique. Les membres de ces communautés sont souvent allophones et maîtrisent donc mal le français. Selon une étude récente, 44 % des résidents en Guyane n’ont pas le français comme langue maternelle et 63 % de ces allophones éprouvent des difficultés fortes à l’écrit. Au total, 39 % des Guyanais entre 18 et 64 ans connaissent des difficultés fortes à l’écrit ([38]).
Les représentants d’associations guyanaises ont ainsi cité l’obstacle linguistique comme une cause majeure des difficultés d’accès au droit en Guyane, en raison notamment du manque d’interprètes professionnels et du coût important – plus d’une centaine d’euros à l’heure – que représente le recours aux services d’interprétation.
La seconde raison est d’ordre culturel. Les membres de ces différentes communautés privilégient le recours aux chefs coutumiers en cas de conflits, par tradition, voire méfiance envers les institutions de la République, comme le relève la préfecture : « La population est extrêmement diverse (…), avec des modes de vie, des rapports à l’État et des références culturelles très différents. Certains habitants des fleuves ou des zones rurales n’ont qu’un contact limité avec l’administration et les institutions judiciaires, ce qui peut engendrer de la méfiance, de l’incompréhension ou un recours privilégié aux régulations coutumières ou communautaires plutôt qu’au juge de la République » ([39]).
Les représentants de l’association Trop’Violans 973 ont également confirmé ce recours privilégié aux chefs coutumiers : « De ce que j’ai pu constater, les populations se tournent d’abord vers leur chef coutumier avant de se rendre au commissariat ; le contraire n’arrive que rarement » ([40]). Les habitants de Papaïchton ont ainsi indiqué à la délégation de la commission d’enquête que les gendarmes eux-mêmes préconisaient régulièrement aux personnes concernées de saisir les chefs coutumiers de leurs plaintes. Dans ce contexte, la justice étatique n’est saisie par le justiciable qu’en dernier recours, en cas d’échec de la médiation par le chef coutumier ou parce que le conflit est trop grave.
● Enfin, l’accès au numérique est un autre facteur obstruant l’accès au droit et à la justice des Guyanais, selon la majorité des témoignages recueillis par la commission d’enquête. L’Agav estime ainsi que 18 % des personnes qu’elle accompagne sont en « difficulté numérique ». Cette situation est intrinsèquement liée à l’illettrisme : seuls 31 % des Guyanais ayant des difficultés à l’écrit sont en effet capables d’effectuer eux-mêmes leurs démarches sur internet ([41]).
En outre, le niveau d’équipement informatique au sein de la population est faible, tandis que les infrastructures sont défaillantes dans certaines parties du territoire. L’Agav relève ainsi qu’en Guyane, « le numérique reste davantage un obstacle qu’un levier. Les freins sont multiples : zones entières sans réseau internet ou téléphonique fiable ; coupures d’électricité à répétition ; absence de matériel adapté pour une grande partie de la population ; illettrisme et fracture numérique très répandus » ([42]).
Dans ce contexte, la « fracture numérique » redouble ainsi la fracture territoriale, comme le reconnait la préfecture elle-même : « La problématique d’accès à l’équipement numérique et à la connectivité est particulièrement marquée dans les sites isolés. Les communes de Camopi et Trois-Sauts ont été privées [de réseau téléphonique] pendant plusieurs mois, obligeant les familles à régler des paiements à Saint-Laurent-du-Maroni après plusieurs jours de pirogue. Papaïchton subit très régulièrement des coupures de plusieurs jours » ([43]).
d. Un phénomène massif de non-recours à la justice
La conjonction de ces différents éléments aboutit à un phénomène massif de non-recours à la justice en Guyane, qui se caractérise de plusieurs façons.
● Tout d’abord, de nombreuses personnes rencontrées lors du déplacement de la commission d’enquête ont souligné la réticence de la population à porter plainte dans les affaires de nature pénale. Ce phénomène est notamment alimenté par la lassitude de la population quant aux délais du traitement de leur plainte et l’absence d’informations sur les suites judiciaires données à cette dernière.
L’Agav relève ainsi que « près de 30 % des victimes accompagnées n’avaient pas déposé plainte au moment où elles ont rencontré les équipes de l’Agav‑CIDFF (…). Les refus de plainte sont courants et l’absence de traducteur oblige parfois les forces de l’ordre à donner des rendez-vous à des dates ultérieures. De nombreux justiciables font face à l’absence d’information des suites données à leur plainte en raison de leur éloignement, de leur précarité économique ainsi que de leurs difficultés d’accès ou de maintien dans un logement » ([44]).
Cette situation est particulièrement regrettable au regard du niveau élevé de délinquance en Guyane. À titre d’exemple, les vols avec arme sont vingt fois supérieurs à la moyenne nationale et représentent près de 50 % de la totalité des vols à main armée dans les outre-mer ([45]). La Guyane est également le département français qui enregistre le plus de violences sexuelles (viols, agressions sexuelles, atteintes sexuelles, exploitations sexuelles, etc.) avec 61,1 victimes pour 100 000 habitants sur la période 2021-2024 ([46]).
● L’absence de recours à la justice ne se limite toutefois pas à la matière pénale. L’ancien président du tribunal administratif de Guyane a ainsi relevé un déficit important de recours devant la juridiction administrative de la part des populations isolées de l’Ouest guyanais : « l’Ouest guyanais, en gros l’arrondissement de Saint-Laurent-du-Maroni, c’est un tiers de la population du territoire mais moins de 10 % des requêtes enregistrées au tribunal. Qui peut penser qu’un taux si faible n’est pas à mettre en relation avec la méconnaissance que les habitants ont de leurs droits et de la possibilité de les faire respecter ? » ([47]).
Dans la même perspective, M. Laurent Martin a mis en exergue le niveau réduit des contentieux sociaux au regard de la grande précarité de la population : « S’agissant des contentieux sociaux, c’est-à-dire les contentieux qui, selon le code de justice administrative, portent sur les “requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi (...)”, on constate leur nombre très faible devant le tribunal administratif de la Guyane dans le contexte d’un territoire où pourtant nombre d’habitants vivent dans la pauvreté et la précarité » ([48]).
● Une autre illustration de ce phénomène de non-recours à la justice est la relative faiblesse des actions judiciaires engagées contre les arrêtés préfectoraux d’interdiction d’embarquer pris en application du dispositif dit « 100 % contrôle » à l’aéroport de Cayenne : « J’ai toujours été réservé sur le principe de ces arrêtés qui portent atteinte à la liberté d’aller et venir des individus. De plus, ils sont rédigés de façon abrupte, sans que les personnes puissent exposer les raisons pour lesquelles elles prenaient l’avion. Je n’en ai eu à en connaître qu’une quinzaine en référé-liberté, sur des centaines d’arrêtés pris par le préfet : c’est bien le signe qu’il y a un problème de compréhension ou d’information qui empêche de nombreuses personnes qui ne savent pas qu’elles ont accès à l’aide juridictionnelle de porter l’affaire devant le juge » ([49]).
L’association La Cimade a quant à elle souligné la faible proportion de recours introduits par les personnes retenues au centre de rétention administratives (CRA) : « En 2024, sur 1 557 personnes enfermées au CRA de Matoury, seules 109 ont déposé un référé-liberté. 39 % d’entre eux ont permis la suspension de la décision d’éloignement » ([50]).
● Enfin, certaines données de l’activité judiciaire sont révélatrices d’un déficit de saisine des juridictions en Guyane.
À titre d’exemple, selon les éléments communiqués à votre rapporteur, le juge des enfants du tribunal judiciaire de Cayenne a rendu 2 095 décisions en 2024 en matière d’assistance éducative ([51]), soit un tiers de moins que son homologue du tribunal judiciaire de Fort-de-France (3 050 décisions) ([52]), alors même que le nombre des mineurs en Guyane est bien supérieur à celui en Martinique – 105 000 mineurs vivant dans une famille en Guyane en 2021, contre 68 200 en Martinique.
2. Une réponse du système judiciaire qui n’est pas à la hauteur des enjeux, en dépit d’adaptations utiles
a. Un maillage judiciaire qui ne sera pas satisfaisant avant 2030
● La croissance démographique et l’augmentation subséquente de l’activité juridictionnelle ont abouti au renforcement du maillage judiciaire au début des années 2010, à travers la création en 2012 d’une cour d’appel à Cayenne, suivie en 2013 de l’établissement à Saint-Laurent-du-Maroni d’une chambre détachée du tribunal judiciaire.
Ces évolutions ne sont toutefois intervenues qu’à la suite d’une importante mobilisation des acteurs du monde judiciaire, comme l’a rappelé Me Patrick Lingibé : « Ainsi, en tant que bâtonnier à Cayenne, j’ai lancé en 2009 une grève où j’ai tout bloqué. Cayenne était alors gérée par la cour d’appel de Fort-de-France, de telle sorte qu’à l’époque, le justiciable, pour avoir un formulaire Kbis, devait porter son papier à Fort-de-France ! J’ai donc pris mes responsabilités de bâtonnier : pendant un mois et demi, tout a été bloqué – pas d’audiences, pas d’assises. C’est comme cela que nous avons attiré l’attention, et que Mme Alliot-Marie [alors ministre de la justice] a fini par dire “Monsieur le bâtonnier, bravo pour votre grève” » ([53]).
● La situation actuelle n’est toutefois pas satisfaisante.
Tout d’abord, le tribunal judiciaire de Cayenne est dispersé sur trois sites, dont deux sont situés en centre-ville et un à Matoury, commune distante d’une dizaine de kilomètres du centre-ville de Cayenne. Cette dispersion a été dénoncée à juste titre par les interlocuteurs de la commission d’enquête comme une source de complexité pour les justiciables. L’association Kaz Plurielles a ainsi mis en avant que « le bureau d’aide aux victimes est réparti à trois endroits différents selon les jours de la semaine » ([54]). Le représentant de la CGT des chancelleries et services judiciaires a également souligné les difficultés nées de cette situation : « Le cas le plus frappant, parmi les déplacements que nous avons effectués, concerne Cayenne. Le tribunal y est éclaté sur plusieurs sites (…). Alors que l’accès à la justice est déjà compliqué, se tromper de site et devoir se déplacer d’un bâtiment à l’autre n’est absolument pas confortable » ([55]).
En outre, le tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni n’est pas un tribunal de plein exercice. Il n’a par exemple aucune compétence en matière criminelle, alors même que l’Ouest guyanais est confronté à une forte activité criminelle, dans un contexte où près d’un tiers des homicides commis en Guyane ont lieu en forêt, à proximité des sites d’orpaillage illégal. Par ailleurs, le tribunal de Saint-Laurent-du-Maroni ne dispose pas des effectifs suffisants pour faire face aux besoins des justiciables du ressort, comme la délégation a pu le constater lors de sa visite du tribunal.
Le tribunal de proximité de Saint-Laurent-du Maroni : un concentré des dysfonctionnements de la justice en Guyane
Lors de son déplacement à Saint-Laurent-du-Maroni, la délégation de la commission d’enquête a pu mesurer les dysfonctionnements auxquels sont confrontés les justiciables de l’Ouest guyanais.
Tout d’abord, le tribunal ne fonctionne pas avec l’effectif prévu de magistrats. Seuls deux juges « placés » ont été affectés au tribunal, alors que l’effectif théorique est de trois magistrats. Le poste de troisième magistrat est en effet vacant, en raison de l’absence de candidature à ce jour.
L’absence d’un troisième magistrat a des conséquences particulièrement préjudiciables, puisqu’elle ne permet pas au tribunal de tenir des audiences correctionnelles, de sorte que les affaires, pourtant en état d’être jugées, ont dû être renvoyées à une prochaine audience fixée dans plusieurs mois.
Le déficit d’attractivité concerne également les postes de greffiers : sur sept postes de greffiers, deux demeurent non pourvus, et ce malgré le renfort de greffiers « brigadistes ».
Les déficiences du service des nationalités du tribunal de proximité de Saint‑Laurent‑du-Maroni sont également régulièrement dénoncées par les justiciables. Une récente pétition fait ainsi état d’un délai moyen de deux ans d’attente pour traiter les dossiers de nationalité (1), ce qu’a confirmé la maire de Saint-Laurent-du-Maroni à la délégation de la commission d’enquête.
De tels délais peuvent mener à des situations administratives dramatiques pour les personnes concernées, qui ne peuvent par exemple pas s’inscrire à l’université, en l’absence des documents requis. Comme le résume Carbet des associations, centre social et culturel situé à Saint-Laurent-du-Maroni, « l’effectif insuffisant au tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni entraine des retards extraordinaires de traitement des demandes de certificat de nationalité française et [a] des conséquences désastreuses sur les demandeurs » (2).
À la suite d’une importante mobilisation citoyenne, les chefs de juridiction ont annoncé en septembre 2025 un renfort temporaire de personnels et la création d’audiences supplémentaires pour résorber le stock de dossiers et mettre fin à cette situation dramatique. Votre rapporteur salue ces renforts et appelle à pérenniser ces derniers pour répondre aux besoins de la population de l’Ouest guyanais.
(1) Collectif des citoyens de Saint-Laurent-du-Maroni, « Pour un traitement rapide et équitable des dossiers de nationalité à Saint-Laurent-du-Maroni ».
(2) Réponses écrites du Carbet des associations au questionnaire de votre rapporteur.
● C’est pour répondre à ces défauts que deux projets de cités judiciaires sont en cours de réalisation sur le territoire guyanais.
(i) La cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni
La création de la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni a été actée dans le cadre de l’Accord de Guyane du 21 avril 2017, qui est intervenu à la suite d’importants mouvements sociaux. Le marché n’a toutefois été notifié qu’en novembre 2023. Les travaux viennent seulement de débuter à la date du présent rapport, pour une mise en service prévue en 2029.
Le coût prévisionnel de ce projet est de plus de 400 millions d’euros, soit le plus important projet d’immobilier judiciaire porté actuellement par le ministère de la justice.
L’objectif de cette cité judiciaire est de réunir sur le même site :
– un tribunal judiciaire de plein exercice, comptant 107 postes de travail, dont 76 magistrats et fonctionnaires ;
– un centre pénitentiaire à sûreté renforcée de 495 places, qui intègre tous types de quartiers ;
– une antenne des services pénitentiaires d’insertion et de probation, comportant 24 postes de travail ;
– une antenne de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, pour 25 postes de travail.
La création d’un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint‑Laurent‑du‑Maroni est motivée par « l’essor démographique de l’Ouest guyanais et [le] besoin urgent de rapprocher la justice d’une population en forte croissance, aujourd’hui trop dépendante de Cayenne » ([56]).
● Alors qu’il n’y a actuellement aucun magistrat souhaitant exercer à titre permanent à Saint-Laurent-du-Maroni, le principal défi de cette cité judiciaire sera d’être en mesure d’attirer les effectifs prévus, comme l’a reconnu le directeur des services judiciaires : « Nous savons déjà que le palais de justice de Saint‑Laurent‑du-Maroni sera confronté à un problème d’attractivité majeur. Nous avons créé un groupe de travail dédié, avec les organisations syndicales de Cayenne, pour identifier des leviers d’attractivité » ([57]). La présidente de la cour d’appel de Cayenne a également fait part de ses interrogations à la délégation de la commission d’enquête sur le sujet.
La maire de Saint-Laurent-du-Maroni a quant à elle mis en avant l’enjeu crucial du logement pour accueillir les personnels de la future cité judiciaire, dans un contexte où la ville connaît un déficit important en ce domaine, puisque plus de 60 % de l’habitat à Saint-Laurent-du-Maroni relève de l’habitat informel, selon l’édile.
Face à ces défis, le secrétariat général du ministère a annoncé que « pour accompagner la cité judiciaire de Saint Laurent du Maroni, une stratégie ministérielle relative à l’ensemble des dispositifs de soutien aux agents qui seront affectés (logements, action sociale, restauration, offre culturelle et sportive…) sera produite en septembre 2025 » ([58]). Votre rapporteur n’a toutefois pas eu communication d’une telle stratégie à la date de publication du présent rapport, malgré ses demandes en ce sens.
(ii) La cité judiciaire et administrative de Cayenne
● La cité judiciaire de Cayenne est également un projet ancien, puisqu’il a été évoqué dès 2005, comme l’ont rappelé les représentants du barreau de Guyane, avant d’être confirmé par le ministère de la justice en 2018. Or, la notification du marché n’est intervenue qu’au premier semestre 2024, tandis que le chantier a démarré en septembre 2025 pour une mise en service prévue courant 2028.
Le projet vise à regrouper en un lieu unique plusieurs juridictions aujourd’hui dispersées : le tribunal judiciaire, le tribunal administratif, le tribunal de commerce, les prud’hommes et le tribunal militaire. La cour d’appel, le service administratif régional et les assises ont quant à eux vocation à rester dans le palais de justice historique de Cayenne.
Ainsi que l’a souligné la direction des services judiciaire, « le projet de création d’une cité judiciaire et administrative à Cayenne permettra d’offrir aux justiciables une porte d’entrée unique et lisible vers les justices judiciaire et administrative » ([59]).
L’édifice représentera plus de 8 000 m2, accueillera près de 220 agents et comprendra plusieurs salles d’audience, un pôle pénal renforcé, ainsi que des espaces sécurisés pour les archives et la détention provisoire.
b. Des effectifs de magistrats et greffiers certes en hausse mais toujours insuffisants au regard des besoins, notamment en matière pénale
● Les juridictions du ressort de la cour d’appel de Cayenne comptent actuellement 58 magistrats, dont trois brigadistes, cinq magistrats placés et un magistrat à titre temporaire. La circulaire de localisation des emplois (CLE) 2025 édictée par la direction des services judiciaires prévoit 61 magistrats.
Les effectifs de magistrats au sein des juridictions de Cayenne ont augmenté de 37,7 % depuis 2015, selon les données communiquées à votre rapporteur. Il s’agit de la plus forte augmentation du nombre de magistrats dans les outre-mer : en moyenne, les juridictions situées en outre-mer ont vu leurs effectifs de magistrats augmenter de 20 % sur la même période.
Les effectifs de greffiers et fonctionnaires de justice exerçant au sein des juridictions guyanaises ont également connu une hausse sensible. Actuellement au nombre 134 – la CLE 2025 en prévoit 141 –, leur nombre a augmenté de 38,2 % depuis 2015, contre une moyenne de 21,6 % pour les outre-mer et de 11,8 % au niveau national sur la même période.
● Si ces augmentations d’effectifs doivent naturellement être saluées, il convient toutefois de les relativiser au regard des besoins existants en Guyane, notamment en matière pénale.
La Guyane est en effet le département le plus criminogène de France : sur la période 2021-2024, près de 17 homicides sont constatés annuellement pour 100 000 habitants, contre 1,2 en France hexagonale ; les tentatives d’homicide touchent quant à elles 80,1 victimes pour 100 000 habitants, contre 4,8 en Hexagone ([60]). Cette criminalité est largement importée sur le territoire guyanais, en ce qu’elle résulte notamment de l’implantation de factions criminelles brésiliennes et de l’orpaillage illégal.
Le trafic de stupéfiants est également un véritable fléau en Guyane. La proximité géographique des États producteurs de cocaïne a notamment fait de la Guyane une zone importante de transit de cette drogue vers l’Hexagone, à travers le développement du phénomène des « mules ». Il a ainsi été estimé que le trafic en provenance de Guyane représenterait 15 à 20 % des entrées de cocaïne dans l’Hexagone ([61]).
Or, le procureur général a rappelé à la délégation de la commission d’enquête que les juridictions guyanaises ne disposaient que de deux parquetiers pour traiter spécifiquement des affaires de criminalité organisée et de trafics de stupéfiants. Dans ce contexte, il est très difficile aux magistrats de réaliser un véritable travail d’investigation, pour « remonter » les filières criminelles. Il est à cet égard particulièrement regrettable que les juridictions guyanaises ne disposent pas d’une chambre spécialisée en matière de criminalité organisée, alors qu’un tel dispositif a été annoncé en Corse par le ministre de la justice.
D’une façon générale, les chefs de cour et de juridiction ont tous souligné qu’ils sont condamnés à gérer l’urgence, au regard du flux de dossiers que les magistrats ont à traiter.
c. Un déficit criant d’attractivité des juridictions, ayant exigé la mise en place de dispositifs qui ne sont que des palliatifs
Au-delà de l’enjeu des effectifs, les juridictions guyanaises souffrent d’un important déficit d’attractivité, qui a été mis en exergue par l’ensemble des acteurs rencontrés par la commission d’enquête lors de son déplacement en Guyane.
● Ce défaut d’attractivité se caractérise tout d’abord par des difficultés à recruter des magistrats expérimentés. Le fonctionnement des juridictions repose en conséquence sur l’affectation annuelle de nombreux magistrats sortant de l’École nationale de la magistrature (ENM).
À titre d’exemple, huit magistrats de la promotion 2023 ont rejoint la Guyane à la sortie de l’ENM. Or, ces affectations en Guyane sont majoritairement subies et non choisies, comme l’illustre le classement de sortie de six de ces huit magistrats : 347e, 349e, 368e, 370e, 377e et 380e sur une promotion de 381 élèves ([62]).
Cette forte proportion de primo-affectés, quel que soit le niveau de compétence de ces derniers, exige nécessairement un encadrement des magistrats plus expérimentés, qui mobilise fortement ces derniers.
Ce déficit d’attractivité concerne également les postes les plus élevés dans la hiérarchie judiciaire. Ainsi, en 2024, les postes de président du tribunal judiciaire et de procureur de la République sont restés vacants plus de neuf mois, tandis que le poste de directeur des greffes a été inoccupé durant plus de 18 mois faute de candidats. Ainsi que l’ont souligné les représentants du barreau guyanais, une telle situation de vacance des trois principaux postes du tribunal judiciaire pour une aussi longue période serait « inimaginable » en Hexagone.
● L’absence d’attractivité est également illustrée par un déficit de fidélisation des magistrats, qui se caractérise par un turnover très significatif des effectifs. Selon les données communiquées à votre rapporteur, le taux de rotation des effectifs du ressort de la cour d’appel de Cayenne est de 15,61 % pour la période 2022-2024. Il s’agit du plus haut taux de renouvellement des 38 ressorts de France ([63]).
Cette difficulté à fidéliser les effectifs a des conséquences opérationnelles préjudiciables sur le traitement des dossiers. Comme l’ont souligné les chefs de cour rencontrés à Cayenne, il n’est pas rare de voir un même dossier traité par trois juges d’instruction successifs, ce qui est mécaniquement de nature à allonger les délais.
● Pour remédier à ces difficultés d’attractivité, plusieurs mécanismes ont été institués par le ministère de la justice.
Tout d’abord, dans le cadre d’un « contrat de mobilité », les magistrats affectés dans le ressort de la cour d’appel de Cayenne bénéficient d’une priorité d’affectation pour leur prochain poste, pourvu qu’ils restent trois années au minimum en Guyane. Ce dispositif, déployé d’abord à titre expérimental, à la fin de l’année 2021, a été entériné par une disposition modifiant la loi organique relative au statut des magistrats ([64]).
Une telle incitation est fortement plébiscitée par les magistrats, puisque, selon le constat effectué par les chefs de cour, « quasiment tous les magistrats [exerçant à Cayenne] qui ne sont pas des sorties d’école ont eu recours à ce dispositif » ([65]).
● Les juridictions du ressort de Cayenne bénéficient également de renforts de « brigades » de magistrats et de greffiers. Ces brigades consistent dans l’affectation temporaire, pour une durée de six mois, de magistrats et de greffiers volontaires, en vue de renforcer des juridictions en difficulté.
Comme l’ont rappelé les représentants du barreau de Guyane, ces brigades ont été instituées par le ministère de la justice à la suite du mouvement « justice morte » initiée par des magistrats guyanais en octobre 2022 pour alerter la Chancellerie sur le manque de moyens humains.
Les renforts de brigadistes sont aujourd’hui jugés indispensables par les chefs de cour de Cayenne qui relèvent, à ce titre, qu’« outre l’aspect quantitatif et numérique des effectifs apportés, il convient de rappeler que l’apport de ces brigadistes est avant tout qualitatif : il permet d’armer les juridictions avec des magistrats des deux premiers grades et des greffiers plus expérimentés. Ce dispositif a également permis de démystifier une affectation sur le territoire ; plusieurs magistrats et fonctionnaires ayant fait le choix d’être affectés sur le ressort à l’issue de la période de 6 mois réalisée en qualité de brigadistes (5 magistrats) » ([66]).
Les magistrats brigadistes occupent ainsi actuellement une place majeure dans l’activité juridictionnelle en Guyane, comme l’illustre le fait que les deux vice‑présidents actuels du tribunal judiciaire de Cayenne sont des brigadistes.
Ce rôle essentiel joué par des magistrats qui ne sont pourtant que temporaires illustre a contrario l’impératif de trouver des solutions pérennes et structurelles pour remédier à ce déficit d’attractivité.
● Le troisième dispositif utilisé pour pallier les difficultés nées du déficit d’attractivité est le recours aux magistrats dits « placés ». En vertu de l’article 3‑1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, ces magistrats peuvent être affectés durant une période maximale de huit mois dans une juridiction du ressort de la cour d’appel en cas de vacances de postes ou « pour renforcer l’effectif d’une juridiction afin d’assurer le traitement du contentieux dans un délai raisonnable » ([67]).
Ainsi, comme exposé précédemment, le tribunal de proximité de Saint‑Laurent-du-Maroni est composé uniquement de ces deux magistrats placés, en raison de l’absence de magistrats volontaires pour exercer de façon permanente dans ce tribunal.
d. Une justice foraine encore embryonnaire
● Les audiences foraines désignent les audiences judiciaires qui se tiennent dans des communes du ressort de la juridiction autres que celle où est situé son siège, en application de l’article R. 212-21 du code de l’organisation judiciaire.
En Guyane, elles concernent en pratique exclusivement le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, respectivement du tribunal de Cayenne pour les audiences foraines de l’Est guyanais et du tribunal de proximité de Saint‑Laurent‑du-Maroni pour celles qui ont lieu dans l’Ouest guyanais.
Ces audiences foraines se tiennent dans les communes d’Awala-Yalimapo, de Papaïchton, Maripasoula, Saint-Georges, Sinnamary, Camopi, d’Apatou et de Grand‑Santi. Dans le cadre de ces audiences foraines, le juge se déplace accompagné d’un membre du parquet et d’un greffier, et en principe d’un avocat.
Le tribunal administratif de Guyane, pour sa part, n’organise plus de telles audiences, compte tenu du faible nombre de requêtes issues des habitants de l’Ouest guyanais : « Les audiences foraines ne sont plus organisées depuis environ trois ans. Le bilan est mitigé car très peu de requêtes sont originaires de l’Ouest guyanais, il y a donc un problème de seuil » ([68]).
● La pratique de telles audiences foraines est largement saluée par les justiciables et les représentants d’associations rencontrés en Guyane comme un moyen de rapprocher l’institution judiciaire du justiciable dans les communes les plus enclavées.
Leur succès est toutefois conditionné à une bonne préparation en amont, notamment en matière d’information des justiciables concernés. L’association Kaz Plurielles relève à ce titre que « la manière dont [les audiences foraines] sont mises en œuvre en Guyane est intéressante car elles sont généralement accompagnées de missions du CDAD avec des juristes en capacité d’accompagner et d’informer sur l’avant et l’après. Les populations, notamment sur les sites isolés, ont naturellement une méfiance de la justice qui est loin d’être facile à comprendre ; aussi, il est primordial que ces audiences foraines soient bien préparées afin de communiquer et d’expliquer aux personnes leurs objectifs, la manière dont cela va se dérouler et les enjeux » ([69]).
● La fréquence de ces audiences foraines est cependant peu élevée et varie en outre fortement selon les années : quatre en 2022, cinq en 2023, dix en 2024 et quatre au premier semestre 2025.
Selon les chefs de cour, la principale contrainte à une plus grande fréquence de ce type d’audiences foraines est le manque de personnels judiciaires : « La principale difficulté logistique, outre le coût, est le temps de magistrat et de greffe pour un nombre relativement limité de dossiers, ce qui rend très difficile d’imaginer d’augmenter le nombre d’audiences de ce type au risque de désorganiser l’activité des services dans la juridiction » ([70]).
● Au titre des dispositifs promouvant une justice de proximité, il convient enfin de relever le recrutement en 2025 de nouveaux délégués du procureur ([71]), notamment dans les communes de Maripasoula, Saint-Georges et Apatou. Ces personnels de justice ont notamment pour rôle de notifier les décisions de poursuite du ministère public, d’assurer le recouvrement des amendes et de contacter les victimes aux fins de leur communiquer les décisions dans les dossiers les concernant.
e. Une juridiction administrative peu attractive et saturée par le contentieux des étrangers
● Le tribunal administratif de Guyane, situé à Cayenne, compte cinq magistrats pour un effectif théorique de six, le poste de vice-président étant actuellement vacant. Sur ces cinq magistrats, trois sont directement issus du centre de formation de la juridiction administrative (CFJA).
Le tribunal administratif de Guyane connait en effet les mêmes difficultés d’attractivité que les juridictions judiciaires, comme l’a souligné son ancien président : « En matière d’attractivité, j’ai rapidement constaté qu’il était très difficile de faire venir en Guyane des magistrats expérimentés. Le principal vivier de recrutement restait donc celui des jeunes lauréats du concours, essentiellement externe. J’ai ainsi accueilli de jeunes magistrats enthousiastes mais inexpérimentés, ce qui compliquait le fonctionnement quotidien du tribunal » ([72]).
La prédominance des primo-affectés au sein des magistrats a des conséquences préjudiciables sur le fonctionnement du tribunal, comme l’ont mis en exergue les représentants syndicaux : « Cette pratique soulève plusieurs difficultés. D’une part, elle a des conséquences lourdes sur la vie personnelle et familiale des jeunes collègues, qui se voient imposer une affectation en outre-mer sans préparation ni projet. D’autre part, elle est préjudiciable aux juridictions concernées, confrontées à des contextes singuliers qui nécessitent des profils expérimentés et volontaires. Elle engendre en outre une instabilité des effectifs, les primo-affectés cherchant souvent à quitter leur poste dès qu’une mutation devient possible, généralement au bout de deux ans » ([73]).
Le greffe du tribunal est quant à lui composé de neuf agents, dont un poste est à pourvoir.
● L’activité juridictionnelle du tribunal est largement dominée par le droit des étrangers, qui représente, comme il a été indiqué, les deux tiers des quelque 2 000 affaires jugées annuellement.
La proportion inhabituellement élevée des décisions de référés rendues par le tribunal administratif – plus de 40 % des affaires – s’explique également par l’origine étrangère des demandeurs, puisqu’il s’agit bien souvent de s’opposer à une mesure d’obligation de quitter le territoire français (OQTF), comme le rappelle le président du tribunal administratif : « Pour rappel, en Guyane, les recours contre les décisions du préfet portant OQTF n’ont pas d’effet suspensif, ce qui conduit les étrangers touchés par ces décisions à introduire, pour ceux placés en centre de rétention, des référés liberté ou, pour les autres, des référés suspension qui de facto mettent en sommeil les décisions d’éloignement prises par le préfet jusqu’à la décision du juge des référés » ([74]).
Les autres types de recours les plus fréquents sont notamment les référés‑injonctions visant à ce que la préfecture fixe un rendez-vous pour les demandes de titres de séjour ou enregistre les demandes d’asile.
● Le tribunal administratif de Guyane joue ainsi le rôle de dernier recours pour les étrangers vivant en Guyane, dont l’accès aux droits est largement bafoué par l’administration, comme le souligne le président du tribunal administratif de Guyane : « À noter qu’aux difficultés de la préfecture à donner des rendez-vous dans un délai raisonnable aux étrangers en demande de titre de séjour ou de renouvellement de titre, générant de nombreux recours, s’est ajoutée l’incapacité de procéder à l’enregistrement des demandes d’asile dans les délais légaux (10 jours maximum dans le texte, près de deux ans dans les faits) » ([75]).
La Cimade a également mis en exergue « des difficultés d’accès à l’administration qui obligent à mobiliser la justice : difficultés de prendre rendez‑vous pour demander un titre de séjour, délais d’enregistrement de la demande d’asile d’environ 18 mois et entrave à l’accès à une pièce d’état civil type pièce d’identité lorsque les personnes sont en situation régulière ou irrégulière » ([76]).
Face à ces difficultés, le tribunal administratif accueille depuis janvier 2024 un point-justice spécialisé en droit des étrangers localisé au sein du tribunal administratif, afin de répondre à la forte demande des usagers en ce domaine.
● Enfin, les membres de la délégation de la commission ont pu constater lors de leur déplacement à Cayenne l’exiguïté et la vétusté des locaux, qui ne permet pas d’accueillir les justiciables dans des conditions décentes, comme l’a souligné un représentant syndical auditionné : « contrairement à la plupart des juridictions administratives, il n’y a toujours pas de wifi ; l’absence d’entrée différenciée et d’un véritable hall d’accueil amène les magistrats à croiser le flux des justiciables quand ils entrent dans le tribunal » ([77]).
À cet égard, le projet de cité judiciaire et administrative à Cayenne fait donc l’objet d’attentes fortes de la part des membres du tribunal administratif.
3. Un accès au droit encore largement dénié faute de moyens suffisants
a. Un déficit alarmant de professionnels du droit sur une large partie du territoire
● La Guyane souffre d’un déficit structurel de professionnels du droit sur son territoire.
Le barreau de Guyane comprend actuellement 80 avocats, soit environ 2,8 avocats pour 10 000 habitants, contre une moyenne de 11 avocats pour 10 000 habitants en Hexagone ([78]).
Cette pénurie d’avocats sur le territoire guyanais ne permet pas de répondre aux besoins des justiciables, comme le relève la préfecture elle-même : « le nombre d’avocats demeure restreint au regard de la croissance démographique et de l’augmentation du contentieux. Cette insuffisance se traduit par une surcharge des professionnels en place et par des délais parfois importants pour obtenir un rendez-vous ou assurer une défense efficace. On note particulièrement le manque d’avocats spécialisés en droit public, alors même que les contentieux administratifs sont nombreux (urbanisme, étrangers, marchés publics, fonction publique) » ([79]).
S’agissant du notariat, la Guyane compte seulement cinq études dans lesquels exercent onze notaires, ce qui correspond à 3,6 notaires pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de 17 notaires pour 100 000 habitants.
Dans un territoire où les questions foncières, successorales et de régularisation des titres de propriété sont particulièrement sensibles, cette rareté constitue un frein majeur à la sécurisation juridique des transactions et à la reconnaissance des droits patrimoniaux des familles.
Enfin, la Guyane compte quatre études de commissaires de justice, pour un total de sept commissaires en exercice, soit environ 2,3 commissaires de justice pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de 5 commissaires de justice titulaires pour 100 000 habitants ([80]).
Le faible nombre de commissaires de justice, qui jouent un rôle essentiel dans la signification des actes et l’exécution des décisions de justice, est de nature à ralentir les procédures et par conséquent à réduire la crédibilité de la justice auprès des Guyanais.
● En outre, la totalité de ces professionnels du droit sont basés sur l’île de Cayenne, de sorte qu’ils sont bien souvent inaccessibles aux justiciables de la Guyane intérieure.
Comme il a été indiqué, aucun avocat n’est domicilié à Saint‑Laurent‑du-Maroni, en dépit de la forte activité du tribunal de proximité et des besoins importants de la population de l’Ouest guyanais en matière d’accès au droit et à la justice.
En outre, l’aide juridictionnelle n’inclut pas l’indemnisation des frais kilométriques, de sorte que les avocats ne sont guère incités à se déplacer auprès de leurs clients des communes enclavées, puisque le coût d’un déplacement reviendrait à travailler à perte pour ces derniers, comme l’ont souligné les représentants du barreau de Guyane.
Quant aux commissaires de justice, il a été porté à la connaissance de votre rapporteur qu’ils ne se déplacent guère dans les communes enclavées, ce qui contraint la justice à recourir aux gendarmes pour signifier certains actes, en dehors de tout cadre légal : « C’est une difficulté réelle dès que l’on sort des communes de la bande côtière car les commissaires de justice ne se rendent pas dans les communes éloignées. Il faut dans ce cas recourir à la gendarmerie nationale qui considère cela comme une charge indue, la notion de “gendarme-huissier” n’étant d’ailleurs pas prévue par les textes » ([81]).
Enfin, il sera relevé que les tarifs des notaires et commissaires de justice sont inabordables pour la majorité des Guyanais, puisque ces derniers bénéficient de la majoration des tarifs des officiers ministériels applicables en outre-mer. Ici encore, c’est pour votre rapporteur une forme inacceptable de double peine pour les justiciables guyanais, qui doivent payer plus chers les actes juridiques que les Hexagonaux, alors qu’ils vivent pour la moitié d’entre eux sous le seuil de pauvreté.
b. Des dispositifs d’accès au droit défaillants, faute de moyens
● Le CDAD de Guyane a été créé en 1996. Son principal rôle consiste à organiser des permanences d’accès au droit dans les 34 points-justice répartis dans douze des 22 communes du territoire guyanais.
La fréquence de ces permanences, assurées par des professionnels du droit et des associations, est toutefois limitée : elles ont lieu généralement à raison d’une fois par mois au sein de chaque point-justice, sur des créneaux de trois à quatre heures. Les points-justice situés au sein même des juridictions organisent quant à eux des consultations plus régulières.
Pour inciter les professionnels du droit à contribuer aux permanences juridiques dans les territoires enclavés, « le CDAD de Guyane rembourse, de sa propre initiative, les frais kilométriques des professionnels du droit lorsqu’ils assurent des permanences d’accès au droit, et ce en plus de la rétribution des avocats au titre des dispositions de l’article 69-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique » ([82]), mesure que votre rapporteur juge effectivement indispensable. Cependant, les notaires et a fortiori les commissaires de justice contribuent peu à ces permanences juridiques, selon les personnes rencontrées.
● Le public rencontré dans le cadre de ces permanences est en outre relativement faible : en 2024, le CDAD a ainsi accompagné 3 749 personnes, soit environ 1,29 % de la population guyanaise, contre 2 891 en 2022 et 3 299 en 2023. En outre, environ 972 personnes ont été suivies en 2024 par le CDAD dans le cadre de l’orientation et de l’information juridique par voie dématérialisée. À titre de comparaison, plus de 12 000 personnes ont été reçues dans les points-justice en Martinique en 2024, soit trois fois plus qu’en Guyane ([83]).
S’agissant des lieux d’implantation de ces points-justice, il convient de relever que le CDAD intervient dans seulement cinq maisons France Services sur les 26 que compte le territoire. Dans les autres maisons France Services, si le CDAD n’assure pas de permanence juridique, les agents ont toutefois été formés aux démarches de premier niveau en lien avec le droit.
Les maisons France services, les pirogues du droit (cf. infra) et les établissements scolaires représentent au total près de 36 % des personnes reçues dans le cadre des permanences d’accès au droit organisées par le CDAD.
PUBLIC ACCUEILLI SELON LES LIEUX DE PERMANENCE
Source : bilan d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
Il convient de relever que le dispositif des délégués du Défenseur des droits connait également des dysfonctionnements, selon le CDAD : « Les permanences assurées par les défenseurs des droits ont connu une longue interruption, liée à un manque de disponibilité des bénévoles. Il est important de noter que ces permanences se tiennent habituellement chaque mardi dans les locaux du CDAD et ne permettent de recevoir que quatre personnes par séance, ce qui limite mécaniquement leur impact en volume » ([84]).
Les points-justice en Guyane : l’exemple de Cayenne
« Sur la commune de Cayenne, les permanences juridiques ont principalement porté sur trois domaines majeurs : le droit de la famille ; le droit social notamment les litiges impliquant la sécurité sociale et les situations assimilables à du surendettement ; le droit des étrangers, ce dernier a connu une évolution notable depuis l’ouverture d’une permanence dédiée, animée par une avocate spécialisée, qui a significativement modifié la typologie des demandes traitées à Cayenne.
La Cour d’appel reste le point le plus sollicité, en grande partie du fait de sa notoriété auprès du public, qui y trouve un cadre rassurant pour venir consulter. La maison des adolescents joue, quant à elle, un rôle essentiel en permettant d’intervenir auprès d’un public jeune, souvent vulnérable, qui pourrait échapper à notre action sans ce lien déjà établi avec la structure.
La maison France Services de Médan s’est imposée comme un point de permanence incontournable, bien intégré dans les pratiques locales, malgré plusieurs fermetures ponctuelles liées à des contraintes internes à l’association gestionnaire.
De son côté, le point de permanence de l’Arbre Fromager demeure un relais fidèle du CDAD, intervenant souvent en matière de droit des étrangers, en complément des dispositifs d’aide aux victimes déjà existants.
Le tribunal administratif témoigne d’une répartition claire des compétences, avec 122 personnes reçues dans le cadre exclusif de problématiques liées au droit des étrangers.
Le centre social a, quant à lui, accueilli deux interventions à titre expérimental. Notre analyse montre qu’il ne s’agit pas d’un point générant une réelle mobilisation, malgré sa localisation en quartier prioritaire, les usagers semblant toujours privilégier les permanences en centre-ville ».
Source : bilan d’activité 2024 du CDAD.
● Les « pirogues du droit » constituent le dispositif le plus innovant mis en place par le CDAD en Guyane. Mise en place en 2013 à l’initiative du barreau et du CDAD, cette initiative, à laquelle s’est associé le tribunal administratif dès 2019, consiste à ce que des professionnels du droit se déplacent en pirogue sur les fleuves Maroni et Oyapock pour rencontrer les habitants des communes les plus enclavées aux fins de leur prodiguer des informations et conseils.
La fréquence des pirogues du droit varie cependant fortement selon les années : deux en 2019, aucune en 2020, une en 2021, puis quatre par an de 2022 à 2024.
L’exemple de la pirogue de l’Ouest du 22 au 26 avril 2024
Les douze participants à cette pirogue du droit incluaient deux avocates, deux représentants d’association d’aide aux victimes, le président du tribunal administratif de Cayenne, la vice-présidente du tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni, un greffier, un juge aux affaires familiales, un juge de l’application des peines, le délégué du défenseur des droits et deux membres du CDAD.
Cinq communes ont été desservies par cette pirogue : Grand-Santi, Mofina, Papaichton, Maripasoula et Antecume-Pata.
Au total, 208 personnes ont été reçues. Les matières abordées ont été le droit des étrangers et le droit fiscal et social. Les demandes concernaient essentiellement l’aide à la rédaction de documents et des renseignements d’ordre juridique.
Source : rapport d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
Les habitants de Maripasoula et de Papaïchton rencontrés par la délégation de la commission d’enquête, de même que les représentants d’associations, ont tous salué l’importante plus-value apportée par les pirogues du droit dans l’accès au droit des populations des communes enclavées.
● Or, les pirogues du droit sont suspendues depuis le début de l’année 2025, faute de financement du CDAD qui prenait en charge jusqu’alors la totalité de leur coût, d’un montant d’environ 10 000 euros par opération.
Les perspectives financières du CDAD sont en effet alarmantes. Selon les indications des chefs de cour, les financements actuels ne permettent plus au CDAD de subventionner les pirogues du droit et contraignent celui-ci à se recentrer sur les seules permanences juridiques : « Le conseil départemental d’accès au droit (CDAD) de la Guyane a dépensé un budget d’environ 350 000 euros en 2024, alors que les subventions pour cette année devraient être d’environ 150 000 euros. Cela s’explique par le fait que ces dernières années, le CDAD a fonctionné en puisant largement dans son fonds de roulement qui a été totalement asséché. Les années fastes, celles permettant le financement de pirogues du droit à environ 10 000 euros l’unité, sont derrière nous. (…) La sécurisation des financements est donc le principal défi du CDAD » ([85]).
Le CDAD relève à ce sujet que plusieurs entités ont cessé de financer ses activités : « Depuis plusieurs années, en particulier depuis 2019, certains membres ne s’acquittent plus de leurs obligations financières envers le CDAD. C’est le cas, notamment, de la Chambre interdépartementale des commissaires de justice, de la Collectivité Territoriale de Guyane, ainsi que de l’Association des maires » ([86]).
Dans ce contexte, le CDAD a été contraint de réduire ses effectifs, puisqu’il dispose actuellement de 2,5 équivalents temps plein (ETP), contre quatre en 2023, ce qui est notoirement insuffisant pour faire face aux besoins : « À partir du moment où nous ne parvenons plus à maintenir les quatre postes nécessaires, nous nous retrouvons en situation de sous-effectif face à une demande croissante de la part des justiciables » ([87]).
Le réseau des maisons de la justice et du droit (MJD) est défaillant sur le territoire guyanais.
Dans l’Ouest guyanais, la MJD de Saint-Laurent-du-Maroni est inactive depuis le début de l’année 2024, faute de personnels. La coordinatrice du secrétariat général en Guyane a indiqué à ce sujet que « l’agent d’accueil, mis à disposition par la mairie de Saint-Laurent-du-Maroni, a démissionné. Malgré plusieurs relances, la mairie n’a pas affecté de nouveau personnel. Par ailleurs, le greffier prévu pour la MJD n’a pas été affecté » ([88]).
S’agissant de l’Est guyanais, aucune MJD n’a été créée, malgré les initiatives en ce sens du tribunal judiciaire. Selon les indications données par la préfecture, « concernant les maisons de la justice et du droit, il n’y en a pas dans l’Est de la Guyane. Le président du tribunal judiciaire de Cayenne avait sollicité la mairie de Saint-Georges pour un accompagnement de la création de la maison de la justice et du droit (par une mise à disposition de terrain, de bâtiment, etc.). Il y avait eu un accord de principe de la mairie sans que cela n’entraîne d’action effective » ([89]).
Dans ces conditions, l’accès au droit et à la justice en Guyane repose également en grande partie sur l’action des associations, que votre rapporteur tient à saluer.
Lors de leur déplacement en Guyane, les membres de la délégation ont eu l’opportunité de rencontrer les représentants d’associations, qui viennent en aide aux victimes (Agav, France victimes 973, la Voix des victimes, Kaz Plurielles), aux étrangers (Comede, La Cimade) ou encore qui œuvrent dans le domaine de l’accès à la santé (Médecins du Monde).
Au-delà de l’accès au droit, certaines associations jouent également un rôle déterminant pour accompagner les justiciables dans leurs actions judiciaires, ainsi que l’illustre l’action de l’association Trop’Violans 973 contre les arrêtés liberticides pris dans le cadre du dispositif « 100 % contrôle » : « Nous sommes à l’origine, avec M. Rimane, de 80 % des dossiers transmis au tribunal (…). Lorsque les personnes viennent nous dire qu’elles font l’objet d’un arrêté, c’est moi qui suis contrainte de faire des enquêtes pour trouver pourquoi. Souvent, on constate que les personnes concernées vivent dans l’Hexagone et sont empêchées de rentrer chez elles – je peux vous transmettre des cas d’arrêtés en ce sens – au motif qu’elles sont suspectées de transporter de la cocaïne (…). Renseignements pris, des spécialistes nous disent que le test urinaire n’a jamais démontré qu’une personne ayant de la cocaïne dans les urines transportait de la cocaïne, mais qu’elle en était consommatrice, ce qui est différent » ([90]).
Cependant, les associations rencontrées ont toutes mis en avant leur manque de moyens financiers pour aller à la rencontre des justiciables des communes les plus enclavées, ou encore pour financer des interprètes qui sont pourtant essentiels compte tenu de la forte population allophone.
Le rôle majeur des associations dans l’accès au droit et à la justice en Guyane : l’exemple de l’Agav
« Créée en 2019, l’Association Guyanaise d’Aide aux Victimes (AGAV) est également le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF) de Guyane depuis 2020. Notre équipe pluridisciplinaire compte 22 salariés (juristes, psychologues, travailleurs sociaux, médiatrices sociales, éducateur spécialisé, chargés de prévention, direction et coordination).
« En 2024, nous avons accompagné plus de 2 000 justiciables, dont 1 458 personnes victimes d’infractions, et traité 6 090 demandes juridiques. Nous disposons de 17 lieux de permanences répartis sur 9 communes (Cayenne, Saint-Laurent‑du‑Maroni, Maripasoula, Camopi, Saint-Georges de l’Oyapock, etc.), ainsi qu’une équipe mobile permettant d’intervenir dans les villages fluviaux et zones enclavées.
« Nos partenariats incluent notamment le Tribunal judiciaire, le barreau de Guyane, les brigades de gendarmerie, la police, les hôpitaux, les mairies, les CCAS, le CDAD et plusieurs associations spécialisées.
« Les principales actions menées en matière d’accès au droit et à la justice sont les suivantes :
« - Permanences juridiques gratuites et de proximité, en présentiel, visio ou téléphone.
« - Accueil de jour à Cayenne et à Saint-Laurent (MAVADO : Maison de l’Aide aux Victimes de l’Accès au Droit de l’Ouest), accessible sans rendez-vous, pour une écoute, un premier diagnostic social et juridique et une orientation (interne ou externe) en fonction des besoins.
« - Équipe mobile permettant d’aller dans les autres communes et villages fluviaux.
« - Accompagnement judiciaire complet des victimes : constitution de partie civile, demandes d’aide juridictionnelle, démarches d’indemnisation.
« - Préparation et accompagnement aux audiences pénales.
« - Dispositifs de protection : Téléphone Grave Danger (TGD) et Bracelet Anti-Rapprochement (BAR) : évaluation, demandes d’attribution et suivi renforcé des bénéficiaires.
« - Évaluation victimes (EVVI), information sortie de détention, classement sans suite, etc. à la demande des magistrats.
« - Programmes spécifiques : Timoun Yana Djòk (accompagnement spécialisé et pluridisciplinaire des mineurs victimes) ; Résilience (accompagnement des personnes en situation de prostitution et de traite des êtres humains) ; Justice restaurative (coordination régionale pour lancer les premières mesures en Guyane) ; Arouman Parentalité (Accès au droit des familles et soutien à la parentalité).
« - Prévention et sensibilisation : en 2024, nous avons sensibilisé 2 790 jeunes et 124 professionnels au droit et à la prévention des violences ».
Source : réponses écrites de l’Agav au questionnaire de votre rapporteur.
B. Mayotte : une situation très alarmante au regard des enjeux majeurs d’accès au droit et à la justice du territoire
À l’issue du référendum d’autodétermination organisé en 1974 dans l’archipel des Comores, l’île de Mayotte reste intégrée à la République française et devient une collectivité territoriale à statut particulier, à l’inverse des autres îles de l’archipel qui votent pour l’indépendance. Son statut évolue progressivement jusqu’à devenir, le 31 mars 2011, le 101e département français.
En dépit du statut de département et région d’outre-mer (Drom) régi par l’article 73 de la Constitution, Mayotte continue d’être traité comme un département à part, en partie stigmatisé par les statistiques officielles qui présentent la réalité de la France « hors Mayotte » ([91]). Ce traitement différencié par les statistiques n’est pas que symbolique : il trouve un écho dans le manque d’investissement caractérisé de l’État pour améliorer durablement les conditions d’accès des Mahorais au droit et à la justice, alors que la situation est devenue particulièrement alarmante après le passage destructeur du cyclone Chido en décembre 2024.
1. Le découragement inévitable des populations confrontées au cumul d’obstacles pour l’accès au droit et à la justice
a. Des conditions de vie et d’accès aux services publics élémentaires particulièrement dégradées
● D’une manière générale, les services publics à Mayotte sont jugés insuffisants et saturés, ce qui était déjà le cas avant la survenue du cyclone Chido. Les restrictions mises en place pour organiser l’accès à l’eau illustrent les conditions de vie particulières sur le territoire : « Mayotte étant dépourvue de ressources naturelles, elle ne peut compter que sur l’eau de ruissellement stockée pendant la saison des pluies. Le système repose donc sur la capacité à réguler la ressource pendant la saison sèche. À cette période, l’accès à l’eau doit être organisé : autrement dit, (…) nous instaurons des tours d’eau – une journée d’eau, une journée sans eau » détaille le préfet de Mayotte, M. François-Xavier Bieuville ([92]).
Après le passage du cyclone la situation a empiré, entamant durablement l’attractivité du territoire. Pour M. Ben Issa Ousseni, président du département, « le territoire connaît des problèmes importants en matière d’hébergement qui découragent aussi ceux qui souhaitent venir sur l’île (…). Les écoles n’ont pas encore été reconstruites, de même que certains bureaux administratifs. Par conséquent, de nombreux fonctionnaires ont fait le choix de partir, en attendant des jours meilleurs » ([93]). Dans ces conditions, ni les écoles, ni les hôpitaux ne peuvent fonctionner correctement, à défaut de disposer du personnel nécessaire.
Il en va de même pour les services préfectoraux ou administratifs, ainsi que pour les services de la justice, qui apparaissent particulièrement engorgés. Mme Laoura Ahmed, directrice du centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Mayotte témoigne : « lorsque les Mahorais parviennent à avoir accès aux institutions, ils doivent subir des files d’attente monstrueuses. Il faut ainsi, pour être au tribunal à sept heures du matin, se mobiliser dès trois heures, et quand on arrive, il y a déjà la queue ; il faut ensuite s’annoncer (…). Puis, lorsqu’on nous demande de nous expliquer, les mots nous manquent parfois, ou alors il faut faire vite à cause de la file d’attente » ([94]).
● L’accès aux services publics, dont l’essentiel est concentré autour du Grand Mamoudzou, est rendu encore plus difficile par l’absence de réseau de transports en commun publics. Comme l’indique le site internet de la préfecture, « le taxi est le seul transport en commun en circulation sur les routes de Mayotte » ([95]).
Le réseau routier est en outre inadapté au trafic actuel. Les congestions sont particulièrement fortes sur les axes d’entrée et de sortie de Mamoudzou, au nord-est de l’île et en l’absence d’itinéraires de substitution. L’allongement des durées de trajet a par ailleurs vocation à s’intensifier au rythme de la motorisation de l’île, alors que seuls 27 % des ménages possèdent au moins une voiture – contre 80 % dans l’Hexagone ([96]).
les cantons de mayotte
Source : Iedom.
Cette situation favorise l’enclavement des communes éloignées de l’agglomération du Grand Mamoudzou, jusqu’à fragiliser l’exercice des droits les plus élémentaires de ses habitants. En matière de gardes à vue, les avocats, concentrés autour du chef-lieu, renoncent ainsi à se rendre auprès de certains prévenus en raison des conditions et du temps de transport. Comme l’explique le bâtonnier de Mamoudzou, Me Yanis Souhaili : « Il y a à Mayotte une dizaine de brigades de gendarmerie dispersées sur le territoire et un commissariat situé dans le Grand Mamoudzou. Si nous arrivons à couvrir les gardes à vue dans le Grand Mamoudzou et les brigades situées à proximité de Mamoudzou, cela devient très compliqué lorsque l’on s’en éloigne beaucoup, pour des raisons de transport : il faut au moins trois heures de voiture pour se rendre dans les brigades situées à Mtsamboro (au nord-ouest) ou à M’Zouazia (au sud-ouest) » ([97]).
Pour ceux qui n’ont pas d’autres choix que de prendre les transports pour accéder à un avocat, le coût, très élevé pour une population dont près de 80 % vit sous le seuil de pauvreté, représente un nouvel obstacle.
● Par ailleurs, Mayotte demeure un désert numérique, en raison notamment des retards conséquents concernant la couverture et la fiabilité du réseau internet. Cela fait suite à des « difficultés de raccordement aux réseaux sous-marins qui assurent la connexion des territoires d’outre-mer de Mayotte et de La Réunion », explique le coordonnateur outre-mer pour l’océan Indien du secrétariat général du ministère de la justice, M. Jean-Aimé Derquer ([98]).
Plus de 60 % de la population de Mayotte ne bénéficie ainsi pas d’accès au très haut débit filaire, ce qui classe le département à la dernière place en la matière ([99]). Si la fibre optique, absente jusqu’à présent, est enfin proposée à la commercialisation depuis le mois d’octobre 2025, celle-ci ne concerne que quelques particuliers éligibles et résidant dans le Grand Mamoudzou ([100]). Après le passage du cyclone, il est estimé que près de 70 % des pylônes et des câbles de cuivre qui permettent la connexion à internet par l’ADSL ont été détruits. Ainsi, plus de 15 % des abonnés à cette technologie n’avaient toujours pas retrouvé leur accès à internet huit mois après le cyclone ([101]).
Le manque d’infrastructures adaptées concerne également le tribunal judiciaire de Mamoudzou (TJ) où « des difficultés d’accès au RIE, le réseau sécurisé garantissant la confidentialité des visioconférences, affectent notamment et de longue date la salle d’audience au centre de rétentions administratives, dont le raccord est demandé depuis bien avant Chido. Ce centre, se situant à environ une heure transport du TJ, en Petite-Terre, les audiences se tiennent fréquemment en visioconférence, qu’il est indispensable de sécuriser » ([102]).
Dans ces conditions, le développement de services publics tout en ligne est dénoncé par certaines associations comme incohérent et susceptible d’en aggraver les conditions d’accès. Pour la déléguée de l’association La Cimade à Mayotte, Mme Vittoria Logrippo, « la dématérialisation des services, enfin, qui est plutôt un facteur d’inclusion lorsqu’elle est fonctionnelle, est malheureusement à Mayotte un outil qui exclut très largement. En effet, celle des services qui permettent de recourir au droit au séjour, comme l’Anef (administration numérique pour les étrangers en France), est déployée sans tenir compte de l’accès effectif à un outil numérique et à une connexion dans un contexte post-Chido. La prise de rendez‑vous en ligne est également obligatoire depuis juillet 2018 pour accéder aux services de la préfecture de Mayotte ; or la disponibilité des créneaux est totalement opaque ; ils ne sont que très rarement publiés ou ouverts, de sorte que l’ensemble des associations et personnes concernées tentent d’en obtenir un pendant des semaines, des mois, parfois des années » ([103]).
● À cela s’ajoute une absence quasi totale d’offre de loisirs ou d’activités ludiques. « L’économie des loisirs, c’est-à-dire l’activité sur le lagon, n’a pas repris, de nombreux restaurants et hôtels demeurant fermés. En un mot, le territoire peine vraiment à se reconstruire » ([104]), développe la présidente du tribunal judiciaire, Mme Sophie de Borggraef. L’ancien garde des sceaux Éric Dupond Moretti avait fait le même constat alors qu’il était en fonction : « La tentative de suicide d’un greffier originaire du nord de la France à Mayotte avait suscité une émotion légitime et nous avait convaincus de la précarité de la situation d’ensemble. À Mayotte, il n’y a pas un cinéma, pas un théâtre. Pour un jeune magistrat de 25 ou 26 ans, n’avoir accès à aucun loisir n’est pas simple. Nous avions donc proposé aux jeunes magistrats de se rendre de temps en temps sur l’île de La Réunion pour se distraire » ([105]).
b. Les difficultés démographiques et socio-économiques majeures auxquelles fait face la population
● Au 1er janvier 2025, la population de Mayotte est estimée à 329 000 personnes, alors qu’elle était de 212 000 en 2012 ([106]). Elle connaît un dynamisme démographique qui rompt avec les tendances observées dans l’Hexagone. La population a ainsi augmenté en moyenne de + 3,8 % par an sur la période 2012-2017, contre une moyenne de + 0,3 % pour le reste du territoire national, notamment en raison du fort excédent des naissances sur la mortalité. En conséquence, la population y est bien plus jeune qu’ailleurs en France : l’âge moyen est de 23 ans, contre 41 ans dans l’Hexagone. Cela entraîne, pour la population, des besoins particuliers qui peinent à être satisfaits compte tenu de l’état des services publics déjà évoqué.
● Par ailleurs, la pauvreté à Mayotte est bien plus importante que sur le reste du territoire. « Le niveau de vie médian des habitants de Mayotte est sept fois plus faible qu’au niveau national. Conséquence de flux migratoires importants, une grande partie de la population vit avec très peu de ressources : 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté national, soit cinq fois plus que dans l’Hexagone » ([107]).
Les obstacles relatifs à l’aide juridictionnelle à Mayotte
Dans une décision du 5 juin 2025 (1), la Défenseure des droits, Mme Claire Hédon, pointe du doigt divers dysfonctionnements relatifs à l’aide juridicitionnelle qui sont de nature à priver les justiciables d’un accès effectif à la justice.
Revenant sur cette décision, elle met d’abord en avant une procédure inadaptée : « À Mayotte, pour demander l’aide juridictionnelle, il faut produire un document des impôts sur ses revenus – qu’on ne parvient pas à se procurer – et un justificatif de domicile – quasi impossible à obtenir. Si on n’adapte pas les règles à la situation du territoire, on rend de fait l’aide juridictionnelle inaccessible à un certain nombre de personnes » (2).
Elle révèle ensuite une organisation dysfonctionnelle des services du bureau de l’aide juridictionnelle : « Les Mahorais rencontrent également de grandes difficultés pour bénéficier de l’aide juridictionnelle. Or, sans cette aide, intenter une action en justice devient presque impossible. Les informations disponibles sur le site de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion orientent uniquement vers une procédure dématérialisée – tout à fait inadaptée à Mayotte où une partie de la population n’a accès ni à internet ni à l’électricité. Le bureau d’aide juridictionnelle n’est ouvert que deux matinées par semaine et les justiciables doivent donc se contenter de retirer un formulaire à l’accueil du tribunal judiciaire, sans pouvoir obtenir d’informations ni de récépissé de dépôt. Cette absence d’accueil est d’autant plus problématique que, d’après les personnes auditionnées par le Défenseur des droits, le formulaire Cerfa en question est peu lisible » (3).
Conscients de ces lacunes, la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou estime cependant que des efforts ont été réalisés depuis les auditions menées par le Défenseur des droits en 2024 : « Si les dysfonctionnements ont pu exister par le passé, les justiciables peuvent désormais retirer les formulaires et déposer leurs demandes au service d’accueil unique du justiciable [qui a été mis en place au 1er avril 2025 et est constitué de trois à quatre agents] ; celui-ci leur fournit informations et récépissés de dépôt de dossier ; les dossiers incomplets ne sont pas refusés, les demandeurs étant à même de produire les pièces manquantes » (4).
La Défenseure des droits met enfin en cause le nombre insuffisant d’avocats exerçant à Mayotte. Celui-ci ne permet d’assurer toutes les commissions d’office. De plus, lorsque les avocats le font, ils sont en général si débordés qu’ils n’ont pas la possibilité de prendre connaissance du dossier avant le début de l’audience.
(1) Décision du Défenseur des droits n° 2025-106 du 5 juin 2025 relative aux problématiques d’accès au droit à Mayotte
(2) Compte rendu n° 46.
(3) Ibid.
(4) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
Pourtant, les chiffres relatifs au recours à l’aide juridictionnelle demeurent relativement bas, suggérant un important taux de non-recours. En effet, comme le relève la présidente du tribunal judiciaire, seules 2 000 demandes ont ainsi été enregistrées en 2024 par le bureau de l’aide juridictionnelle « alors que celui de Cayenne en [avait] traité 6 000 il y a cinq ans », pour un nombre d’habitants comparable ([108]).
● La situation des étrangers à Mayotte suscite par ailleurs de fortes tensions au sein de la population. Mayotte est le département français comportant la plus forte proportion d’immigrés (34,7 %), originaires essentiellement des Comores, de Madagascar et de la République démocratique du Congo ([109]). De surcroît, l’immigration illégale y est jugée importante par la préfecture, bien qu’aucun chiffre ne parvienne à la définir précisément. D’après certaines estimations, les immigrés clandestins représenteraient jusqu’à plus de 100 000 personnes. En janvier 2025, le ministre Manuel Valls estimait ainsi le nombre d’habitants réel du territoire à près de 500 000 ([110]).
L’accompagnement des étrangers pour l’accès au droit et à la justice représente ainsi un enjeu important pour les acteurs du territoire. Les représentants de l’association La Cimade observent néanmoins que le contexte dans lequel ils travaillent s’est particulièrement tendu ces dernières années : « depuis 2018 et l’émergence de collectifs qui se sont ouvertement positionnés contre l’immigration, nos associations, en premier lieu la Cimade, ont été menacées et entravées dans leurs actions. Fin 2021, nos locaux ont été bloqués pendant cinq mois ; nous les avons réintégrés en mai 2022 et avons pu reprendre nos activités, quelques mois avant l’annonce de la première opération Wuambushu, qui a débuté en mars 2023. Les contrôles massifs organisés ont alors contraint les personnes en situation administrative précaire à limiter leurs déplacements et à se cacher : nous n’avons plus pu accéder à nos publics ni les accompagner » ([111]).
c. Le poids des traditions et de la coutume qui pèse sur le rapport des Mahorais à la justice
● En raison du multilinguisme qui caractérise le territoire, les questions d’interprétariat et de traduction sont au cœur des enjeux d’accès au droit et à la justice. D’après une étude du ministère de la culture de 2022, seuls 55 % des habitants de Mayotte déclarent maitriser la langue française ([112]). Celle-ci serait moins répandue que le shimaoré et le kibushi, qui sont les deux langues majoritairement parlées par les habitants de Mayotte : 81 % des habitants déclarent maîtriser au moins l’une de ces deux langues.
De surcroît, d’après l’Insee, six adultes sur dix sont en difficulté à l’écrit en langue française ([113]). Ces difficultés freinent l’utilisation d’internet et donc le recours aux démarches administratives dématérialisées : « seuls 18 % des adultes en difficulté à l’écrit ont effectué une démarche administrative en ligne en un an, contre 65 % des adultes sans difficulté ».
Pour fonctionner, les services d’accueil de la justice ou ceux des maisons France Services reposent en grande partie sur du personnel originaire du territoire, capable de parler l’une des langues locales. Cela suppose malgré tout que les personnes qui sont en difficulté avec le français, qu’elles soient étrangères ou non, puissent se déplacer dans l’un de ces points d’accueil. Or, en matière de points‑justice, la situation est particulièrement critique (cf. infra, 3).
● Outre l’aspect linguistique, les administrations publiques, judiciaires, préfectorales ou locales, peuvent apparaître éloignées des préoccupations d’une partie de la population qui reste attachée à certaines institutions coutumières, notamment le conseil cadial. Comme le signale un rapport relatif à la place de la coutume à Mayotte de 2022, « la coutume continue dans une large mesure à régir la société mahoraise, mais hors du contrôle des autorités étatiques, ce que n’a fait qu’accentuer la mise à l’écart officielle des cadis dont la France avait autrefois renforcé les pouvoirs afin, précisément, d’assurer un certain encadrement social » ([114]).
De fait, en application de l’article 75 de la Constitution, le statut civil coutumier, appelé à Mayotte « statut civil de droit local », continue de régir le droit civil applicable à la population mahoraise qui n’y aurait pas renoncé. Jusqu’en 2011, le conseil cadial participait à l’administration de ce statut dans un rôle d’officier d’état civil qui lui était reconnu. Or, depuis la départementalisation de 2011, les décisions cadiales ont été privées d’effets auprès des administrations publiques.
L’évolution du rôle du conseil cadial de Mayotte
L’institution cadiale à Mayotte trouve son origine dans la période shirazienne, entre le XIVᵉ et le XVIᵉ siècle, où le cadi exerçait à la fois des fonctions religieuses, judiciaires, notariales et d’état civil. Jusqu’à la départementalisation, le cadi était un juge musulman appliquant la doctrine sunnite chaféite, fondée notamment sur le Minhadj at-Talibyn (1). La justice cadiale fut maintenue par l’ordonnance n° 81-295 du 1ᵉʳ avril 1981 sur l’organisation judiciaire à Mayotte. Les tribunaux des cadis connaissaient alors des affaires civiles, familiales et commerciales entre personnes relevant du statut personnel de droit local et jugeaient selon les règles du droit musulman et des coutumes locales.
Plus précisément, le cadi intervenait dans les mariages, les répudiations, les successions, les donations et l’héritage, et il tenait des registres en différentes langues, qui servaient de référence pour l’état civil. Les cadis exerçaient également des fonctions notariales : ils rédigeaient des actes de vente, de partage ou de procuration, et jouaient un rôle moral et social essentiel en servant de médiateurs et d’autorités religieuses (2).
L’ordonnance n° 2010-590 du 3 juin 2010 a marqué la fin de la justice cadiale en supprimant la compétence juridictionnelle des cadis et en transférant les affaires de droit local au tribunal judiciaire. Toutefois, l’article 75 de la Constitution a maintenu le droit pour les Mahorais de conserver leur statut civil de droit local. Dès lors, les cadis ont vu leurs missions réorientées vers la médiation sociale et culturelle, conformément à l’article 8 de l’accord sur l’avenir institutionnel de 2000 (3). Depuis la délibération du 13 avril 2018 du conseil départemental (4), le conseil cadial est devenu un service administratif rattaché au pôle solidarité, chargé de la conciliation, de la prévention des conflits et du maintien de la cohésion sociale (5).
Aujourd’hui, le Grand Cadi et les cadis du conseil cadial sont reconnus comme des acteurs à part entière du paysage mahorais : ils interviennent dans les différends familiaux ou communautaires, apportent leur expertise coutumière et font le lien entre traditions mahoraises et normes de la République (6).
(1) Réponse écrite de son Excellence M. Mahamoudou Hamada Saanda, Grand cadi de Mayotte, ministre du culte musulman à Mayotte.
(2) Compte rendu n° 18.
(3) Ibid.
(4) Délibération n° 2018.00077 modifiant et complétant les délibérations n° 2016.00039 du 7 mars 2016 et n° 2017.00065 du 24 avril 2017 relatif à l’organigramme général et aux organigrammes fonctionnels des services valides (article 2).
(5) Réponse écrite de son Excellence M. Mahamoudou Hamada Saanda, Grand cadi de Mayotte, ministre du culte musulman à Mayotte.
(6) Compte rendu n° 18.
Les cadis continuent néanmoins d’assurer un rôle de médiateur indispensable à la cohésion sociale et au règlement de litiges familiaux : « À Mayotte, les conflits se gèrent en famille, donc les anciens continuent à faire appel aux cadis pour les résoudre sans avoir à saisir la justice. Les avocats le disent, mieux vaut une bonne réconciliation car les choses ne se passent pas toujours bien au tribunal », explique le président du conseil départemental ([115]).
La juxtaposition du droit commun et du droit coutumier, difficile à appréhender pour quiconque n’y est pas spécifiquement formé, crée un risque fort d’incompréhension, ou de défaut d’information pour les personnes concernées. Face à ces écueils, l’établissement de relations durables et d’échanges professionnels entre les cadis, les autorités publiques et les associations semble incontournable, comme l’exprime la directrice du CIDFF : « C’est en travaillant avec les cadis que nous pourrons couvrir l’ensemble des besoins des justiciables et lever, y compris auprès de ceux-ci, les freins à l’accès à la justice. Je pense notamment aux incompréhensions. Les associations, entre autres acteurs, ne doivent pas renoncer à travailler avec les cadis, même si elles ne connaissent pas ce domaine. Il faudrait ainsi prévoir des conventionnements avec les institutions et des interactions plus dynamiques. Ce serait un véritable levier pour l’accès au droit et à la justice (…). Il faut informer chacun sur ses droits, par tout moyen, de manière individuelle et collective » ([116]).
d. Le découragement et la peur de nombreux habitants de faire valoir leurs droits
● Les habitants de Mayotte font face à « une délinquance hors norme », d’après les termes d’une analyse de l’Insee de 2021. Celle-ci indique que « la délinquance d’appropriation est particulièrement forte à Mayotte (…) quatre fois plus [importante] qu’en France métropolitaine (…). Les vols sont aussi plus souvent aboutis, les multi-victimes plus nombreuses et le recours à la violence ou aux menaces beaucoup plus fréquent que dans l’Hexagone. Ainsi, une personne sur dix a subi une violence physique au cours des deux dernières années » ([117]).
Ce contexte engendre un fort sentiment d’insécurité, avec six habitants sur dix qui déclarent se sentir en insécurité ([118]). Beaucoup perdent alors confiance dans les forces de l’ordre et la réponse pénale pour améliorer la situation, d’autant que les tribunaux, engorgés, peinent à prononcer rapidement des sanctions.
D’après le président du conseil départemental, il est ainsi facile d’expliquer l’importance du non-recours des victimes : « Les gens trouvent que cela ne va pas suffisamment vite et que les responsables ne sont pas suffisamment punis. Dans un territoire où tout le monde se connaît et qui est étroit, on se côtoie. On se dit que si on porte plainte contre une personne après avoir été agressé, elle sortira de prison quelques semaines plus tard et finira par vous retrouver, ce qui fait peur. Il y a aussi de la résignation : les gens se disent qu’on manque de places en prison et qu’il existe une certaine lenteur. Ils ne se tournent donc pas systématiquement vers la justice » ([119]).
● L’autre phénomène important de non-recours concerne les étrangers, notamment ceux qui résident sur le territoire de manière irrégulière. La présidente du tribunal judiciaire résume ainsi leur situation : « il y a à Mayotte beaucoup plus d’étrangers en situation très précaire, qui ont peur de sortir de chez eux et de circuler en raison de la féroce répression pour les reconduire à la frontière. Le fort taux de non-recours est donc aussi lié au fait que, pour diverses raisons, on ne circule pas à Mayotte avec autant de liberté qu’ailleurs » ([120]).
2. L’organisation de la justice à Mayotte : reflet d’un investissement défaillant de l’État, sur le plan matériel et des ressources humaines
a. Un accès aux juridictions judiciaires limité au seul chef-lieu, et particulièrement dégradé après le passage du cyclone Chido
● En matière judiciaire, Mayotte bénéficie, en première instance, d’un tribunal judiciaire, complété depuis 2022 d’un conseil des prud’hommes, qui partage ses locaux, et d’un tribunal mixte de commerce – dont le greffe est toutefois situé à La Réunion –, installés à Mamoudzou.
En appel, la chambre d’appel de Mamoudzou (la Cham), qui relève du ressort de la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion située à 1 500 kilomètres, examine les décisions rendues par le tribunal judiciaire de Mamoudzou en matière civile – affaires familiales, construction, etc. – comme pénale – décisions correctionnelles, police, application des peines, etc.
En revanche, elle ne comprend pas de chambre de l’instruction. Toutes les décisions rendues par les juges d’instruction ou les juges des libertés et de la détention (JLD) dans des affaires pénales à Mayotte doivent donc être examinées en appel sur l’île de La Réunion. La distance et le coût du trajet peuvent constituer des obstacles n’incitant pas le justiciable à exercer son droit d’appel, notamment s’il est contraint de changer d’avocat pour en choisir un exerçant sur l’île de La Réunion.
● La concentration des institutions judiciaires à Mamoudzou ne permet pas d’assurer la mise en place d’une justice de proximité. De fait, il n’existe à Mayotte aucune section détachée, aucun tribunal de proximité, aucune audience foraine qui permettrait de rendre la justice au plus près des justiciables. Si un greffe détaché est prévu au sein de la commune de Sada ([121]), située à une heure de route de Mamoudzou, celui-ci a été privé de son bâtiment il y a trois ans et a été transféré à Mamoudzou. Le tribunal judiciaire est aujourd’hui en attente de conclure un nouveau contrat avec la commune de Sada pour en trouver un autre.
La récupération de ces locaux serait pourtant la condition pour créer des audiences foraines, qui n’existent pas à ce jour : « Dès que nous aurons récupéré les locaux, nous demanderons sans tarder – les énergies et les volontés sont bien présentes – à la première présidente [de la cour d’appel] la création d’audiences foraines, comme le prévoit la loi. Le juge des tutelles, le juge des petits litiges, le JAF et les juges des enfants n’attendent qu’une chose : disposer d’un site à Sada » ([122]).
● Concernant l’accès aux institutions judiciaires installées à Mamoudzou, celui-ci posait déjà plusieurs problèmes avant le passage du cyclone Chido : « Avant même le passage de Chido, le tribunal n’avait rien de la solennité normalement attachée à un palais de justice. Situé à 4 kilomètres du centre-ville, dans une zone commerciale, il est longé par un petit chemin appelé “Impasse de la justice” aboutissant à un marigot qui le submerge régulièrement à la saison des pluies. Il ne faudrait pas que le tribunal demeure trop longtemps dans un tel lieu, d’autant qu’il est très abîmé » ([123]).
● Les conditions d’accueil du public et de travail des personnels de la justice se sont considérablement détériorées après le passage du cyclone Chido. Le bâti de la justice, comme d’autres installations administratives ou privées, est dans un état de délabrement inquiétant : « l’un des bâtiments de la chambre d’appel de Mamoudzou était éventré et sans façade – il l’est toujours – et l’autre était inoccupable (…). Une fois les travaux urgents de curage et de nettoyage effectués, les personnels ont pu réintégrer leurs bâtiments. Quant au tribunal judiciaire, normalement doté de trois bâtiments, il n’en a récupéré qu’un seul », explique la présidente du tribunal judiciaire ([124]). Au total, le tribunal judiciaire a perdu 40 % de sa surface utile.
Or, les améliorations peinent à se faire sentir : « Si nous reconnaissons le travail accompli par le ministère et par la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion, nous constatons néanmoins qu’en pratique, les résultats ne sont pas là pour le tribunal judiciaire, qui dispose, comme il y a six mois, de deux espaces de 100 mètres carrés où le public ne peut pas être accueilli et d’un site principal dans un état qu’il faut bien qualifier de lamentable » ([125]). La continuité du service public impose au personnel de poursuivre leur travail dans des conditions particulièrement dégradées : des bureaux sont transformés en salle d’audience, des modulaires sont installés sur le parking de la chambre d’appel, et des paravents sont utilisés pour compartimenter des salles d’audience.
Pour désengorger le tribunal, deux bâtiments ont été pris à bail afin de reloger certains services, notamment le conseil de prud’hommes, le bureau d’aide juridictionnelle et des services civils. Ces bâtiments sont situés à un kilomètre de part et d’autre du tribunal, rendant leur accès délicat au regard de l’absence de transports publics.
S’ajoute à cette liste de difficultés le problème posé par l’accueil des détenus au tribunal, celui-ci ne disposant plus que d’une seule geôle. Cela ne semble pas satisfaire aux normes de sécurité et d’accueil dès lors que doivent y être enfermés plusieurs détenus en attente de jugement, sans distinction de leur âge
– majeur ou mineur –, ni de leur sexe.
● Dans ce contexte, l’annonce, faite en mars 2022, de la création d’une nouvelle cité judiciaire à Mamoudzou, qui regrouperait possiblement la chambre d’appel, le tribunal judiciaire, le tribunal du travail et celui du commerce sur un site unique suscite de vives attentes parmi les magistrats et les personnels de la juridiction.
Si des études préalables sont en cours, le projet ne semble pas en passe de se concrétiser : si l’article 2 de la loi n° 2025-797 du 11 août 2025 de programmation de la refondation de Mayotte prévoit un budget de 124 millions d’euros pour la réalisation de cette cité judiciaire à l’échéance 2028-2031, ces crédits doivent cependant encore être effectivement traduits dans les projets de loi de finances à venir. En tout état de cause, l’Apij a indiqué que, compte tenu du contexte budgétaire, un décalage était effectivement à l’étude et que le ministère étudiait des scénarios à moindre coût ([126]).
b. Des effectifs en sous-nombre, inexpérimentés, à peine compensés par des mécanismes court-termistes
● La circulaire de localisation des emplois de magistrats et de fonctionnaires (CLE) 2025 ([127]) prévoit l’affectation au tribunal judiciaire de Mayotte de six postes de magistrats du parquet et de dix-huit magistrats du siège. Elle prévoit en outre que le tribunal dispose de 31 greffiers, dont 30 localisés à Mamoudzou et un à Sada.
Au 1er septembre 2025, aucun de ces plafonds n’est atteint.
Premièrement, s’agissant des magistrats du siège, seuls 14 sont affectés au tribunal sur les 18 prévus, parmi lesquels figurent six nouveaux arrivants, dont trois sortants de l’ENM prenant leur premier poste. Deux renforts, issus de dispositifs temporaires, complètent les effectifs, qui demeurent malgré tout en deçà du seuil fixé par la CLE.
Deuxièmement, s’agissant des représentants du ministère public, ils sont cinq affectés, sur les six postes établis. De plus, les profils de ces fonctionnaires sont moins expérimentés que ceux prévus par la CLE. Outre le procureur de la République, le parquet compte quatre substituts du procureur alors que la circulaire prévoyait jusqu’à deux vice-procureurs et seulement trois substituts. Un vice‑procureur complète actuellement, à titre temporaire, l’équipe.
Troisièmement, l’équipe de six directeurs de greffe adjoints en place est dirigée par une jeune directrice de greffe par intérim, faute d’affectation d’un directeur à titre principal. À ceux-ci s’ajoutent plusieurs dizaines de fonctionnaires non greffiers, de contractuels et vacataires.
Plusieurs des postes vacants, notamment au sein du greffe, le sont depuis le cyclone Chido. Comme l’observe le président de la chambre d’appel de Mamoudzou, M. Vincent Aldeano-Galimard : « certains agents rapatriés dans l’Hexagone ont fait le choix de ne pas revenir, à la faveur d’une mutation ou, malheureusement, d’un arrêt maladie » ([128]).
● Face aux vacances de postes, la juridiction de Mayotte a bénéficié de plusieurs dispositifs de soutien exceptionnel.
Le mécanisme le plus commun, utilisé dans toutes les juridictions de France, est la délégation de magistrats placés. Il permet aux chefs de cour d’affecter temporairement un magistrat issu de leurs effectifs à l’une des juridictions qui dépend de son ressort (cour, tribunaux judiciaires, tribunaux de proximité). Un magistrat issu des effectifs de la cour d’appel de La Réunion a ainsi été placé auprès du tribunal de Mamoudzou à compter du mois de septembre, pour une durée de quatre mois.
Deux autres dispositifs existent et s’appliquent particulièrement aux territoires d’outre-mer.
D’une part, les brigades d’urgence outre-mer permettent depuis 2022 de renforcer les effectifs d’une juridiction en puisant parmi une liste de magistrats volontaires. La durée de l’affectation ne peut excéder six mois. Les brigadistes sont en outre hébergés et doivent disposer d’un véhicule pour se déplacer sur place. Au total, une brigade, composée d’une vice-présidente, renforce actuellement les magistrats du siège, et une autre, composée d’un vice-procureur, renforce le parquet. Le recours à ce dispositif s’enchaîne néanmoins depuis sa création. Le constat de la présidente du tribunal est clair : « Le [tribunal judiciaire] de Mamoudzou ne pourrait pas tourner en l’absence de ces brigades de six mois » ([129]).
D’autre part, face à des circonstances exceptionnelles comme l’était le cyclone Chido, les chefs de cour sont autorisés à demander le renfort de magistrats, du siège et du parquet, aux cours d’appel de Paris ou d’Aix-en-Provence, en application de l’article LO 125-1 du code de l’organisation judicaire. Ces délégations de magistrats sont néanmoins limitées à trois mois, non renouvelables. La présidente du tribunal explique y avoir eu recours à plusieurs reprises pour des durées moyennes de quatre semaines.
● Censé répondre à des vacances ponctuelles ou des situations d’urgence, le recours à ces dispositifs est devenu indispensable aux juridictions judiciaires de Mamoudzou pour fonctionner.
Ces appuis sont d’autant plus essentiels qu’ils assurent la continuité sur des postes indispensables au bon fonctionnement de la justice. Le renfort de la brigade permet en effet d’occuper l’un des deux postes de juge des libertés et de la détention (JLD) – l’autre restant toujours vacant – « ce qui est heureux quand on sait que l’activité délinquantielle est relativement importante à Mayotte », précise la présidente du tribunal, avant d’ajouter : « en définitive, l’exercice de contentieux demeure fragile, car si notre collègue brigadiste refusait finalement d’assurer la fonction de JLD, nous serions contraints de nous organiser différemment et nous atteindrions alors les limites du possible » ([130]).
Si les brigades de soutien sont appréciées au plan local, en ce qu’elles permettent une réelle immersion, les nominations de personnes en renfort pour de courtes durées ne résolvent pas le problème d’instabilité et ne permettent pas d’inscrire l’action du tribunal dans le long terme. Le recours à ces dispositifs implique une organisation centrée sur l’urgence et suscite de l’inquiétude parmi les équipes de magistrats et de greffe qui ne savent pas quelle sera la situation six mois plus tard. Elle oblige par ailleurs les chefs de juridictions à consacrer beaucoup plus de temps à l’organisation des services et aux recrutements, ce qui paraît très éloigné d’une utilisation optimale des ressources.
Les jurés d’assises de Mayotte :
un dispositif dérogatoire fragile compte tenu du faible nombre de candidats
Les magistrats de la chambre d’appel de Mayotte assurent la présidence des assises de Mayotte, qui se tiennent au tribunal judiciaire, aux côtés de trois assesseurs-jurés en première instance, et six en appel.
En application de l’article 885 du code de procédure pénale, dérogatoire au régime applicable dans les autres juridictions, les « assesseurs-jurés » d’assises sont tirés au sort, non pas parmi les listes électorales, mais parmi une liste arrêtée par le préfet de Mayotte et le président du tribunal judiciaire, sur proposition du procureur de la République. Or, seule une trentaine de personnes figurent sur cette liste.
Dès lors, comme l’indique M. Vincent Aldeano‑Galimard, président de la chambre d’appel de Mamoudzou : « nous peinons régulièrement à atteindre le quorum permettant de tenir ces assises, pourtant importantes à Mayotte compte tenu de la gravité des violences commises, souvent en bande » (1).
(1) Compte rendu n° 17.
c. Un déficit criant d’attractivité, en partie lié à un manque de formation et d’information
L’organisation de la justice à Mayotte connaît une particularité lourde de sens : parmi l’ensemble des juridictions exerçant leur compétence sur ce territoire – cour d’appel, tribunal judiciaire, tribunal administratif, chambre régionale des comptes –, seul le personnel du tribunal judiciaire et de la chambre d’appel réside à Mayotte, ainsi que, pour le tribunal administratif, la directrice de greffe. Le reste du personnel relevant de l’administration de la justice réside sur l’île de La Réunion.
● Pour recruter, les tribunaux reposent ainsi beaucoup sur les premières affectations qui suivent l’obtention d’un concours. Celles-ci sont néanmoins plus souvent subies que choisies, comme le démontre l’analyse du classement des magistrats affectés en premier poste à Mayotte, à la sortie de l’ENM.
Or, entre 2015 et 2023, seuls trois des 41 auditeurs de l’ENM affectés à Mamoudzou étaient classés parmi les 200 premiers, sur des promotions qui comptent généralement entre 250 et 350 lauréats. Huit figuraient même parmi les 20 derniers.
S’agissant du personnel de greffe, les observations écrites formulées par la présidente du tribunal judiciaire convergent avec ce constat : « hors les personnels mahorais, peu parmi les greffiers et agents de greffe ont fait le choix positif de travailler ici et d’y rester. Les autres, que ce soit pour prendre un grade ou effectuer une première affectation en sortie de l’École nationale de greffe (ENG), voient leur séjour à Mayotte comme un moment à endurer » ([131]).
● Le manque d’attractivité du territoire engendre des rotations d’effectifs fréquentes et nuisibles à la bonne organisation des services. De l’aveu des chefs de juridiction, les affectations supérieures à deux ou trois ans restent très rares. Ainsi, l’occupation de leur poste, par l’ancien procureur général et l’ancien président de la chambre d’appel de Mamoudzou, durant respectivement quatre et cinq ans, font figurent d’exception ([132]).
Parmi les principaux facteurs du manque d’attractivité figurent l’insécurité, les conditions de vie éprouvantes – à l’instar de l’accès limité à l’eau – et les difficultés à se loger. La présidente du tribunal judiciaire résume ainsi la situation : « l’attractivité de Mayotte était déjà assez faible avant le passage du cyclone Chido ; désormais elle est quasiment nulle » ([133]).
● Pour tâcher d’enrayer la rotation trop importante des effectifs, un contrat d’accompagnement, dit « de mobilité », a été mis en place. Ce contrat permet aux magistrats (hors postes hiérarchiques) d’être assurés d’obtenir l’une des affectations de leur choix à condition de rester en poste au moins deux ans. Cette durée, initialement de trois ans, a été raccourcie à Mayotte « car certains collègues ont beaucoup souffert » ([134]), précise la procureure générale près la cour d’appel de Saint-Denis, Mme Fabienne Atzori.
Bien que ne relevant pas du même cadre légal que les magistrats, les greffiers qui exerceraient durant au moins trois ans à Mayotte bénéficient, en pratique, d’une priorité d’affectation équivalente « en application des lignes directrices ministérielles de gestion des mobilités 2022 » ([135]). Cette extension paraît indispensable, au regard du constat dressé par la présidente du tribunal judiciaire : « la principale difficulté de la juridiction tient au manque d’effectifs de greffe et au faible nombre de greffiers expérimentés » ([136]).
● Par ailleurs, la formation et l’information du personnel des services judiciaires demeurent fragiles, en dépit d’évolutions récentes tendant à mieux préparer le personnel qui est affecté.
S’agissant de la formation à l’ENM, des stages sont désormais proposés au sein des juridictions ultramarines susceptibles de proposer des postes à l’issue de la scolarité : « Depuis plusieurs années, nous proposons systématiquement des stages d’immersion permettant aux élèves, en début de scolarité, de passer une semaine dans une juridiction (…). Chaque année, nous proposons une quinzaine de places de stage dans des territoires ultramarins qui sont susceptibles de leur être proposés en premier poste, ce qui offre à celles et ceux que ça intéresse une première approche de la vie et des contacts avec la juridiction et ses partenaires habituels » ([137]).
Par ailleurs, les élèves sont amenés à effectuer une partie de leur stage pratique préparatoire au sein de la juridiction au sein de laquelle ils seront nommés. Or, un stage d’une semaine apparaissait trop court pour des juridictions comme celle de Mayotte : « un stage d’une semaine à Mayotte, par exemple, était un peu court et qu’il vaudrait mieux y rester trois semaines, ne serait-ce que pour pouvoir faire le tour des collègues présents et commencer à faire des rencontres protocolaires avec les partenaires avec lesquels ils seront amenés à travailler, ainsi que pour pouvoir commencer à prospecter pour trouver un logement. De fait, les élèves en reconversion professionnelle sont de plus en plus nombreux – quelque 40 % d’une promotion. Or ces élèves, qui ne sortent pas directement de leurs études, peuvent être installés dans une vie familiale, avec conjoint et enfants, ce qui a évidemment des implications » ([138]).
Il a donc été décidé que la promotion 2024 effectuerait ainsi un stage de 3 à 4 semaines dans sa juridiction d’affectation, qu’elle se situe dans l’Hexagone ou en outre-mer, ce qui permettra aux auditeurs affectés dans les territoires ultramarins de préparer au mieux leur arrivée ([139]).
Par ailleurs, il ressort de la mise en place des brigades que la confrontation aux réalités du terrain a permis de faire évoluer positivement l’image dont bénéficie le territoire. Plusieurs demandes de mutation vers le territoire ont pu ainsi être formulées par d’anciens brigadistes : c’est le cas notamment de quatre des 14 magistrats du siège affectés au tribunal judiciaire et de l’actuelle avocate générale affectée à la chambre d’appel de Mamoudzou.
● Si le personnel pleinement investi sur le territoire fait du mieux qu’il peut pour améliorer l’image de celui-ci, il ne semble pas pleinement reconnu par les principales autorités politiques du pays. Plusieurs personnes auditionnées regrettent ainsi l’absence de visite du tribunal par ces autorités, notamment le ministre de la justice, au cours des dernières années et a fortiori depuis Chido.
Magistrat administratif à titre honoraire installé à Mamoudzou, et ancien président du tribunal administratif de Cayenne, M. Laurent Martin voit « un motif d’irritation symbolique dans le fait que le ministre de la justice ne soit pas venu à Mayotte depuis Chido. Le Président de la République et le Premier ministre l’ont fait, ainsi que d’autres ministres, mais ils ne sont pas rendus au tribunal. La justice a été ignorée par les autorités de l’État » ([140]).
d. Un tribunal administratif… sans magistrat résidant à Mayotte
Le tribunal administratif de Mayotte présente une particularité : s’il dispose d’un greffe permanent sur place, les magistrats qui y siègent résident en réalité à La Réunion. Comme le décrit le président des tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte, M. Thierry Sorin, ce dernier est « un peu particulier puisqu’il dépend en partie de celui de La Réunion : ce sont les mêmes magistrats qui y siègent ; ils sont basés à Saint-Denis de La Réunion et se déplacent à Mayotte pour y tenir des audiences. En revanche, il dispose d’un greffe propre, composé de treize personnes en résidence à Mamoudzou et qui assurent le fonctionnement courant du tribunal » ([141]).
Sur le plan symbolique, cette organisation pose question quant au sens des priorités que souhaite instituer l’État en matière d’accès à la justice sur ce territoire. M. Laurent Martin s’interroge en ces termes : « on est loin de ce qu’on peut attendre de la justice de la République. Cette question a été posée au groupe de travail. Dans mon souvenir, la réponse du secrétariat général du Conseil d’État a été de repousser à plus tard le projet de créer un tribunal administratif à Mayotte ou, à défaut, d’y installer des magistrats » ([142]).
Sur le plan de l’efficacité du service public, l’éloignement des magistrats conduit à multiplier les audiences par visioconférence, alors même que la majorité des justiciables sont des étrangers en situation de précarité. L’essentiel du contentieux de ce tribunal est en effet lié à l’éloignement des étrangers, qui représente plus de 70 % de son activité. Or, contrairement à ce qui a cours dans le reste du territoire, le recours contre une obligation de quitter le territoire français n’a pas d’effet suspensif à Mayotte. « Pour obtenir la suspension de la mesure d’éloignement, les intéressés doivent déposer un référé-liberté. Une large part de l’activité du tribunal est donc concentrée sur ces procédures, qui représentent un peu plus de 2 000 requêtes sur les 3 200 que le tribunal de Mayotte enregistre chaque année » ([143]), explique le président du tribunal administratif.
Pour nombre d’associations, à l’image de La Cimade, le recours généralisé aux visioconférences lors des audiences « empêche le contact direct entre le juge et les parties » ([144]), ce qui ne permet pas une défense optimale, et tient encore plus éloigné de la justice un public déjà fortement marqué par la fracture numérique et les difficultés avec la langue française.
3. L’accès au droit dans l’impasse à Mayotte
a. Un accès insuffisant aux professionnels du droit pour garantir l’exercice des droits des justiciables
● De l’aveu même du bâtonnier de l’ordre des avocats de Mayotte, Me Yanis Souhaili, le barreau de Mayotte est en sous-effectif ([145]). Il compte seulement 30 avocats pour une population estimée à 320 000 habitants, soit un avocat pour 13 000 habitants. À titre de comparaison, ce ratio est d’un pour 3 600 habitants à La Réunion et d’un pour 900 à l’échelle nationale.
Il est évident, dans ce contexte, que les avocats de Mayotte sont rapidement débordés et ont du mal à répondre favorablement à l’ensemble des sollicitations, notamment celles relatives aux comparutions immédiates, à l’aide juridictionnelle, ou à certains contentieux spécifiques.
Dans sa décision du 5 juin 2025, la Défenseure des droits relève en effet que certains contentieux peinent tout particulièrement à attirer des avocats – droit des étrangers, droit pénitentiaire ou le droit de la nationalité notamment –, conduisant à des retards déraisonnables ou au découragement des justiciables. En conséquence, il est porté directement atteinte au droit des usagers de l’administration, au droit d’accès à un tribunal ainsi qu’au principe d’égalité des armes et aux droits de la défense, tels qu’ils sont pourtant garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et la Constitution.
Le bâtonnier reconnaît une vraie difficulté relative au droit des étrangers : « vu la situation géopolitique, beaucoup d’avocats originaires de Mayotte refusent d’intervenir dans ce domaine. Peu d’avocats sont donc inscrits au barreau pour intervenir dans le cadre de recours devant le tribunal administratif. Nous arrivons à assurer une permanence concernant les recours devant le JLD (juge des libertés et de la détention). Toutefois, le gros contentieux des titres de séjour échappe aux avocats de Mayotte, même si des avocats extérieurs – issus de La Réunion ou de métropole – en font » ([146]).
● Les autres professionnels du droit ne sont pas mieux représentés à Mayotte, comme l’indique la directrice des affaires juridiques du conseil départemental : « À ma connaissance, le territoire ne compte qu’un seul huissier de justice. Lorsqu’on le sollicite, il a le plus grand mal à répondre car il est surchargé, pour ne pas dire submergé. Les notaires ne sont guère plus nombreux – il y en a deux, me semble-t-il. Les professionnels du droit étant quasiment absents à Mayotte, la justice est inaccessible pour celui qui voudrait la saisir. Il ne peut être ni conseillé ni représenté, ce qui constitue un obstacle majeur » ([147]).
Par ailleurs, la Défenseure des droits déplore également le manque d’experts judiciaires, qui allonge les délais de jugement : « En 2025, la liste des experts judiciaires et enquêteurs sociaux pour le ressort de la chambre d’appel de Mamoudzou ne compte que vingt-deux personnes, avec aucun médecin expert et seulement une psychologue. En comparaison, celle de la cour d’appel de Bastia mentionne 179 experts pour une population similaire, et celle de la cour d’appel de Cayenne, plusieurs dizaines. Dans ces cas-là, les magistrats sont censés solliciter des experts non-inscrits, sauf que les deux experts médicaux non-inscrits ont quitté Mayotte. Ils doivent donc faire appel à des experts extérieurs, venant de La Réunion ou de l’Hexagone, ce qui engendre des coûts élevés, des délais rallongés ou des expertises sur place menées dans l’urgence. Les experts interviennent d’ailleurs souvent à distance, par visioconférence, notamment lors des audiences devant la cour d’assises » ([148]). Votre rapporteur ne peut qu’émettre de forts doutes quant au respect des droits des parties dans un tel contexte.
b. Des dispositifs d’accès au droit désertés par les professionnels et à l’efficacité limitée
Conformément à la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ([149]), l’accès au droit permet l’institution d’un conseil départemental d’accès au droit (CDAD) dans chaque département. À l’issue de la départementalisation de Mayotte en 2011, le CDAD de ce territoire a vu le jour en 2012.
Présidé par le président du tribunal judiciaire du ressort dont dépend le département, le CDAD est censé regrouper les acteurs du droit susceptibles de participer à la diffusion d’informations relative à l’accès au droit, au premier rang desquels les professionnels du droit. Alors que le barreau du département concerné et les chambres professionnelles des commissaires de justice et des notaires sont membres de droit de chaque CDAD, seules la chambre notariale et celle des commissaires de justice de La Réunion sont membres de droit du CDAD de Mayotte ([150]), afin de tenir compte de l’absence quasi totale d’auxiliaires du droit sur le territoire.
● Malgré cette composition dérogatoire au droit commun, les professionnels du droit ne participent plus aujourd’hui à aucune des permanences juridiques organisées dans le cadre du CDAD : « si les avocats ont contribué aux permanences il y a quelques années, ils n’y participent plus du tout depuis deux ou trois ans. Cela devrait changer sous peu avec la signature de la convention avec le bâtonnier, qui pourrait intervenir dès le mois prochain. À l’instar de tous les professionnels susceptibles d’assurer des permanences – commissaires de justice, notaires, juristes d’associations –, les avocats seront alors indemnisés par le CDAD » ([151]).
Néanmoins, les commissaires de justice et les notaires sont très peu nombreux à participer à l’action du CDAD : « leurs chambres professionnelles respectives sont communes avec celles de La Réunion et à ma connaissance, aucun ne réside de manière permanente à Mayotte. Lorsqu’ils y viennent, c’est avant tout pour leur office ou pour leur étude. Il est compliqué pour eux de s’inscrire de façon pérenne dans un dispositif de permanences d’accès au droit », détaille la présidente du CDAD ([152]).
Les permanences proposées dans les points-justice, répartis dans le département, sont donc essentiellement assurées par les salariés du CDAD, ou par certaines associations, comme Narihime s’agissant des droits des femmes et de la famille. Au 1er janvier 2025, le CDAD compte ainsi parmi ses salariés : une secrétaire générale contractuelle, en poste depuis le 1er mai 2014, titulaire d’une licence en droit délivrée par l’université de Mayotte ; une contractuelle non juriste, chargée du développement et en poste depuis deux ans ; deux adultes-relais engagés depuis plusieurs années par contrat d’insertion, censés assurer une médiation entre la population et le CDAD.
Le CDAD dispose de 14 points-justice répartis sur tout le département, accueillis dans les maisons France Service, des centres communaux d’action sociale et quelques associations. Notamment, un agent du CDAD tient chaque semaine une permanence d’une demi-journée à Bandrélé, au sud de l’île, à Sada dans le centre, à Pamandzi sur Petite-Terre, à Hamjago dans le Nord, au centre pénitentiaire de Majicavo et à Kawéni, au tribunal judiciaire de Mamoudzou ([153]).
● Si le maillage proposé par le CDAD paraît en théorie couvrir une bonne partie du département, le manque de régularité des permanences, leur défaut de visibilité et la moindre qualité des conseils prodigués fragilisent son action.
La présidente du CDAD reconnaît ainsi que « le cyclone Chido a aussi beaucoup ralenti l’action. À l’exception de ceux situés au tribunal et au centre pénitentiaire, tous les points-justice ont été fermés pendant quasiment trois mois, soit parce que le bâtiment qui les abritait était abîmé, soit parce qu’il n’y avait pas de personnel d’accueil. Ils ont progressivement rouvert et nous ne pouvons réellement commencer à nous réorganiser dans l’ensemble du territoire que depuis avril » ([154]).
Par ailleurs, hormis la secrétaire générale, « cette équipe (…) constituée de personnes mahoraises, linguistiquement et culturellement à même d’assumer leurs missions, ne dispose cependant d’aucune des compétences juridiques, managériales et de communication requises » ([155]). Cela limite la portée des conseils juridiques qui peuvent être prodigués, notamment ceux concernant des contentieux techniques, relatifs au droit des étrangers ou au droit civil local.
À ces faiblesses structurelles, s’ajoute un manque de visibilité auprès des relais institutionnels ou associatifs. L’association La Cimade, particulièrement impliquée dans l’accompagnement juridique des personnes étrangères, estime avoir « très peu de liens avec le CDAD. Les permanences de la Cimade figuraient sur la brochure jusqu’en 2022 mais très peu de personnes reçues dans nos permanences indiquaient avoir été orientées par le CDAD. Il apparaît que trop peu d’administrés sont informés de l’existence de ce dispositif, dont l’amplitude horaire (une demi-journée par semaine et par site) ne semble pas suffisante pour répondre à l’ensemble des besoins. Des moyens supplémentaires pourraient être alloués de façon à ce que davantage de médiateurs puissent œuvrer sur le territoire à informer et orienter les personnes » ([156]).
À bien des égards, la réponse écrite apportée par le président du tribunal administratif au sujet du CDAD de Mayotte illustre le chemin qui reste à parcourir pour renforcer l’effectivité et la portée de son action : « à ma connaissance, le CDAD ne fonctionne pas à Mayotte ; en tout cas, je n’y ai jamais été convié » ([157]).
II. Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon : des régimes dérogatoires qui portent atteinte aux droits fondamentaux
Si l’on met à part Saint-Barthélemy, qui pâtit d’un jumelage permanent avec Saint-Martin, deux territoires en particulier semblent spécifiquement touchés par une forme d’adaptation « par le bas » du service public de la justice. Si leurs populations respectives sont effectivement faibles, elles n’en méritent pas moins une justice de qualité, répondant aux mêmes standards juridiques que celle rendue dans l’Hexagone, même si cela doit impliquer un effort budgétaire accru.
A. Wallis-et-Futuna : un dÉsert juridique absolu
Territoire ultramarin le plus éloigné de l’Hexagone, Wallis-et-Futuna apparait à bien des égards « à contre-courant de la République » ([158]). Outre une organisation administrative très particulière au sein de la République – un administrateur supérieur et trois royaumes –, son organisation judiciaire est réduite à sa plus simple expression : un magistrat du siège et un magistrat du parquet. Par ailleurs, l’absence totale de professionnels du droit – avocats, notaires, commissaires de justice – rend excessivement difficile un accès minimal au droit, quand les « citoyens-défenseurs », bien que particulièrement dévoués, font figure d’exception malheureuse aux standards d’un État de droit.
Wallis-et-Futuna, archipel localisé dans le sud de l’océan Pacifique, entre la Nouvelle-Calédonie et les Samoa, est composé de trois îles principales : Wallis, d’une superficie de 78 km2, Futuna, de 46 km2 et Alofi, de plus petite taille et inhabitée. Ces îles ont été placées sous protectorat français en 1888, avant de devenir un territoire français d’outre-mer en 1961. Son statut, à l’assise constitutionnelle fragile, est resté quasi inchangé depuis lors, et les spécificités juridiques locales ne se concilient pas sans difficulté avec les exigences relatives à l’accès au droit.
carte de l’archipel de wallis-et-futuna
Bien que Wallis-et-Futuna soit reconnu comme une collectivité d’outre-mer au sens de l’article 74 de la Constitution, qui dispose que « [son statut] est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’assemblée délibérante », celui-ci reste tributaire de la loi ordinaire adoptée le 29 juillet 1961 ([160]). En l’absence d’une loi organique, la répartition des compétences entre l’État et le territoire apparait peu ou mal définie ([161]). Par ailleurs, en application de l’article 1er de la loi précitée, la dénomination « territoire d’outre-mer » reste en outre inchangée alors que cette classification constitutionnelle n’existe plus depuis la loi constitutionnelle n° 2003‑276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
Son statut est par ailleurs dérogatoire, si ce n’est contraire, à l’article 72 de la Constitution qui consacre la libre administration des collectivités territoriales par des conseils élus. En effet, à Wallis-et-Futuna, le représentant de l’État, dénommé administrateur supérieur, représente également le « territoire de Wallis-et-Futuna » en tant que collectivité territoriale. Il dispose à la fois des compétences régaliennes traditionnellement dévolues au préfet, ou au haut représentant, en application du troisième alinéa de l’article 72 précité, et des compétences du chef de l’exécutif d’une collectivité territoriale ([162]).
Au sein de ce cadre institutionnel hétérodoxe, le droit applicable peut se révéler en partie obsolète, comme l’explique le président du tribunal de première instance de Mata-Utu, M. Christian Mour : « ainsi, le code du travail applicable à Wallis-et-Futuna a été signé par Antoine Pinay et Vincent Auriol : il date de 1952. Ce texte est donc même antérieur à la loi de 1961 qui a consacré Wallis-et-Futuna comme un territoire d’outre-mer. Même si un accord interprofessionnel territorial a été conclu postérieurement, la base textuelle demeure très ancienne et inapplicable pour certaines sanctions. Ainsi, en cas d’homicide involontaire intervenu dans le cadre d’un accident du travail, l’amende encourue est de 200 euros. Certains textes sont ainsi soit obsolètes, soit difficilement applicables, soit devenus inadaptés à l’environnement social et juridique ainsi qu’aux standards en vigueur dans l’Hexagone » ([163]).
Un autre exemple concerne le barème des saisies des rémunérations, qui varie en fonction du montant des salaires. Jusqu’à la publication récente, le 29 juillet 2025 ([164]), d’un décret modificatif, les barèmes applicables à Wallis-et-Futuna relevaient des dispositions du décret de 1955 et étaient exprimés en anciens francs ! Sans cette adaptation, les dispositions étaient donc jusqu’à très récemment inapplicables, privant les créanciers de cette voie d’exécution.
● Selon le dernier recensement de l’Insee, en 2023, 11 151 personnes vivaient à Wallis-et-Futuna, dont 8 088 personnes à Wallis et 3 063 à Futuna ([165]). La population a néanmoins fortement diminué au cours des vingt dernières années ([166]) en raison d’une forte émigration des jeunes âgés de 20 à 35 ans hors du territoire pour la poursuite d’études universitaires ou pour la recherche d’un emploi ([167]). Selon l’administrateur supérieur du territoire, M. Blaise Goutray, cette émigration de la jeunesse s’explique par « l’absence de perspectives professionnelles (…) : 40 000 Wallisiens et Futuniens, soit le quadruple de la population du territoire, seraient installés en Nouvelle-Calédonie, Polynésie ou France métropolitaine » ([168]).
● Situé à plus de 16 000 kilomètres de Paris, l’archipel de Wallis-et-Futuna est l’un des territoires d’outre-mer les plus éloignés de l’Hexagone. Pour rejoindre Wallis depuis Paris, il est obligatoire de transiter par la Nouvelle‑Calédonie, située à 2 000 kilomètres, ou par les Fidji. La compagnie Air Calédonie internationale (AirCalin), qui est en situation de monopole sur la gestion des vols hors et à destination de Wallis-et-Futuna, ne propose que deux liaisons hebdomadaires. Tous ces vols transitent par l’aéroport international situé au nord de l’île de Wallis. Pendant la période des congés, la fréquence passe à trois vols par semaine. Comme le constate le procureur de la République près le tribunal de première instance de Mata-Utu, M. Jordane Duquenne, « un avocat venu de Nouméa ne peut donc pas assister son client pour seulement une journée ; il doit rester sur place au minimum cinq jours quand il n’y a que deux vols » ([169]).
Les difficultés pour rejoindre cette collectivité se doublent, à l’intérieur, de conditions de mobilité limitées. Il n’existe aucun service de transport en commun à l’exception de celui mis en place pour le transport scolaire des élèves de collège et lycée. L’île de Futuna, éloignée d’environ 230 kilomètres de celle de Wallis, connaît une double insularité, étant donné qu’elle n’est accessible que par transport aérien, le trajet durant environ une heure. Depuis le 1er janvier 2024 ([170]), la compagnie Air Loyauté assure cette desserte, avec deux liaisons quotidiennes prévues par le contrat de délégation de service public à bord d’avions de type « twin‑otter » ([171]). Ces appareils ont cependant une capacité limitée, en général à 16 places, ce qui suppose d’anticiper très en amont son voyage pour avoir une place garantie.
● Si, pour l’administrateur supérieur, « l’offre de services publics est correctement adaptée à la taille du territoire », le territoire accuse dans le domaine des infrastructures numériques « un retard de plus d’une dizaine d’années par rapport à l’Hexagone (…) : arrivée d’internet en 2004, GSM [la norme européenne de radiotéléphonie numérique] en 2012, fibre optique depuis 2018 » ([172]). Cela freine assurément les possibilités de recourir à des outils de communication à distance en matière de conseil juridique et d’accès au droit.
Le législateur a souhaité reconnaître l’existence des organisations sociales traditionnelles. L’article 3 de la loi statutaire de 1961 dispose à cet égard que « La République garantit aux populations du territoire des îles de Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit ».
Les institutions républicaines coexistent ainsi avec une structure coutumière issue de trois monarchies océaniennes : celle du royaume d’Uvea, à Wallis, et celles d’Alo et de Sigave, à Futuna. Ces royaumes disposent de leur propre organisation politique – roi, ministres coutumiers, chefs de districts et de villages – et d’une véritable autorité morale sur leurs habitants. Aux trois royaumes correspondent trois circonscriptions administratives, dirigées par des cadres de l’administration supérieure et dotées de moyens et administratifs propres.
Le royaume d’Uvea : une organisation pyramidale
Au sommet du royaume d’Uvea est installé le roi, appelé Lavelua.
Le royaume « est divisé en trois districts, à la tête desquels se trouvent des chefs de districts appelés Faipule. Les districts sont eux-mêmes subdivisés en villages : dix dans le district du Sud, cinq dans chacun des deux autres districts du Centre et du Nord. Enfin, chaque village est divisé en quartiers, gérés par un responsable.
Les chefs de village [appelés Pulekolo] représentent la première autorité coutumière : avec l’aide des responsables des quartiers, ils rendent des décisions en cas de litiges ou de délits, conformément aux règles du droit coutumier. Si leur décision ne donne pas satisfaction, le litige remonte au niveau des chefs de districts, qui rendent à leur tour une décision. Si l’insatisfaction perdure, six ministres (…) peuvent être sollicités pour trouver une issue ; deux ministres sont affectés à chaque district. En dernier recours, il est possible dans certains cas d’en appeler à la décision du roi ; celle-ci est irrévocable et incontestable » (1).
Comme l’a indiqué M. Manuele Taofifenua, ministre coutumier d’Uvea, « être nommé selon les règles de la coutume permet au dépositaire de cette confiance accordée par la population (que ce soit le roi et ses ministres, les chefs de districts appelés “Faipule” et les chefs de village nommés “Pulekolo”), d’avoir droit de vie et de mort sur ses sujets. Ceci pour marquer l’importance et l’ascendance exercées par un chef coutumier et le respect qui lui est accordé en retour par ses familles et la population qui l’ont désigné. L’organisation coutumière est le socle et c’est elle qui dicte les orientations de la vie collective. L’autorité de l’organisation coutumière sur la population permet d’assurer la solidarité et la sécurité de tous » (2).
(1) Compte rendu n° 40.
(2) Réponses écrites au questionnaire de votre rapporteur.
Les autorités coutumières sont en outre présentes au sein des institutions du territoire comme le conseil territorial et les conseils de circonscriptions : « Le conseil territorial réunit ainsi les trois rois coutumiers, vice-présidents, ainsi que trois personnalités désignées par l’administrateur supérieur après accord de l’Assemblée Territoriale. Le rôle du conseil territorial est d’assister le chef du territoire pour l’administration du territoire des îles Wallis et Futuna. Il examine notamment tous les projets qui doivent être soumis à l’assemblée territoriale. Une assemblée territoriale composée de 20 membres élus vote le budget de la collectivité et délibère sur les sujets de sa compétence » ([173]).
Depuis 1984, le territoire est doté d’un tribunal de plein exercice, qui a succédé à une section détachée du tribunal de première instance de Nouméa, établie en 1962. Ainsi, le tribunal de première instance de Mata-Utu (TPI), sur l’île de Wallis, est compétent pour l’essentiel des contentieux civil et pénal. Il dépend néanmoins de la cour d’appel de Nouméa.
Le TPI dispose pour seuls magistrats d’un président du tribunal – unique magistrat du siège étant donné que le poste de juge des libertés et de la détention n’a jamais été pourvu – et d’un procureur de la République. Ils sont accompagnés d’un chef de greffe, d’une greffière principale, d’un greffier, d’une chargée de mission et de trois autres agents administratifs ([174]). Au total, l’effectif de la juridiction s’élève donc à 9 ETP, contre 13 à Saint‑Pierre‑et-Miquelon, dont la population est moitié moindre.
En tant que seul magistrat du siège, le président du tribunal cumule ainsi toutes les fonctions : « j’exerce aussi les fonctions de juge civil : juge aux affaires familiales, juge des tutelles, juge des enfants, juge électoral. J’interviens également pour le tribunal de commerce et pour le tribunal du travail » ([175]). Il est également, en application de l’article L. 532‑16 du code de l’organisation judiciaire, juge d’instruction, si bien qu’il ne peut présider par la suite les audiences associées – audience correctionnelle, assises, tribunal pour enfants –, et doit être remplacé par un ou plusieurs magistrats de Nouméa, qui se déplacent à Wallis. Lorsqu’elles sont collégiales, les audiences correctionnelles se font avec l’aide de deux assesseurs professionnels qui sont, de fait, des magistrats du TPI de Nouméa ([176]), par visioconférence, et de deux assesseurs citoyens. Le président du tribunal statue, au civil, à juge unique, sauf renvoi devant une formation collégiale où le magistrat du siège est alors accompagné d’assesseurs civils ([177]).
Au regard de la taille de la population et du faible nombre de contentieux, ces effectifs sont jugés « suffisants » par les chefs de juridiction. Le chef du greffe du TPI se félicite en outre de ne connaître aucun problème d’absentéisme ([178]).
Le bon fonctionnement du TPI semble par ailleurs en partie reposer sur la propension du personnel de greffe à nouer des liens de proximité avec les justiciables. La plupart étant originaire du territoire, leur maîtrise des langues locales, du wallisien ou du futunien, s’avèrent des atouts indispensables pour assurer un service d’accueil unique du justiciable efficace. Par ailleurs, la quasi‑totalité des audiences font l’objet d’un interprétariat en langue wallisienne ou futunienne – alors même qu’une large part de la population maîtrise le français –, ce qui, en matière pénale, allonge les audiences et les gardes à vue.
Les difficultés tiennent davantage à l’importante diversité de l’activité juridictionnelle, rendue d’autant plus complexe que l’identification du droit applicable nécessite parfois des investigations importantes. L’absence de formation initiale ou continue spécifique à destination des magistrats ou greffiers prenant leur poste à Wallis-et-Futuna ne peut, au regard de ce contexte, qu’être regrettée. Les magistrats recrutés au sein du TPI sont cependant des magistrats expérimentés, ce qui est cohérent avec leur cumul de fonctions hiérarchiques et juridictionnelles, ayant le plus souvent déjà exercé dans d’autres territoires ultramarins. Le chef du greffe précise, à ce titre : « Nous avons connu des expériences différentes au sein de juridictions différentes – Polynésie pour le président, Mélanésie et Corse pour le procureur, et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon en ce qui me concerne » ([179]).
Le fonctionnement de la juridiction a néanmoins pâti, en 2024, des conséquences de la crise politique en Nouvelle-Calédonie : l’absence de vols entre Wallis et Nouméa pendant plusieurs semaines, et l’absence de courriers pendant plusieurs mois ont rendu la cour d’appel inaccessible aux habitants.
Malgré des ressources limitées, le TPI organise régulièrement la tenue d’audiences foraines sur l’île de Futuna. Tous les trois mois, le président du tribunal, le procureur et le greffier se déplacent pour y tenir des audiences civiles et correctionnelles ([180]).
Toutefois, la tenue de ces audiences foraines est totalement dépendante des effectifs du greffe. Le chef de greffe du TPI explique comment la réussite de trois agents de son ressort à de tels concours a durablement contraint l’organisation du service : « nous sommes aujourd’hui au complet après avoir perdu des effectifs pendant plus d’un an (…). Trois d’entre eux ont réussi des concours de la fonction publique et sont partis se former dans l’Hexagone. Cela a nécessité un investissement pour les agents restants, car il n’y a pas eu de remplacement en nombre suffisant. De plus, sur les trois lauréats, un seul a pu revenir ici, les deux autres ayant été dans l’obligation de choisir des affectations différentes (…). Nous avions dû abandonner, pendant quelques mois, les permanences des greffiers sur l’île de Futuna. Or il est important, au-delà des simples audiences foraines, que le greffe se déplace sur cette île (…) pour se rendre au plus près de la population futunienne ».
En matière pénale, il semble exister une véritable rupture d’égalité entre les justiciables, notamment les femmes. En effet, le centre pénitentiaire de Mata‑Utu ne compte que cinq places, sans quartier dédié aux femmes ou aux mineurs. De ce fait, pour des condamnations identiques, une détenue devra rejoindre le centre pénitentiaire de Nouméa, laissant ainsi sa famille à plus de 2 000 kilomètres, alors qu’un détenu pourra être incarcéré sur place et, à sa sortie, n’aura pas de frais d’avion à débourser pour rentrer à son domicile.
À noter qu’il n’existe pas, sur ce territoire, de téléphone « grave danger », ni de bracelet électronique, créant là encore une distorsion inadmissible avec l’Hexagone.
S’agissant de la justice administrative, le tribunal administratif de Wallis‑et-Futuna ne dispose d’aucun tribunal propre à Mata-Utu, et le greffe qui y était présent a été supprimé en 2023.
Le président du tribunal administratif de Mata-Utu, M. Hubert Delesalle, qui préside également le tribunal administratif de Nouméa, détaille ainsi le fonctionnement de sa juridiction, qui repose sur les effectifs de celle de Nouméa : « Le tribunal administratif de Wallis-et-Futuna ne dispose d’aucun local à Mata’Utu. Soit nous nous déplaçons à Wallis-et-Futuna à l’occasion, normalement, d’une audience par an, pour traiter des affaires ; nous bénéficions de la mise à disposition, dans le cadre d’une convention, des locaux du tribunal de première instance de Mata’Utu. Soit, en cas d’urgence et notamment en matière de référé, nous recourons à la visioconférence » ([181]).
Il justifie en outre cette organisation par le nombre très limité d’affaires : « Nous n’en avons que quatorze en instance. La quantité est très faible, ce qui ne veut pas dire que les dossiers ne méritent pas d’être traités » ([182]).
● En application de l’article 75 de la Constitution ([183]), le statut civil coutumier continue de régir une partie des habitants de Wallis-et-Futuna. Afin de garantir au mieux le respect des traditions et des coutumes du territoire, le législateur avait prévu l’instauration, en sus de la juridiction de droit commun, d’une juridiction de droit local « compétente au premier degré d’une part pour les contestations entre citoyens régies par un statut de droit local et portant sur l’application de ce statut, d’autre part pour les contestations concernant les biens détenus suivant la coutume, notamment les conflits fonciers » ([184]).
Toutefois, cette juridiction n’a jamais été mise en place, en raison de l’opposition du roi d’Uvea. L’article 5 de la loi statutaire de 1961 prévoit en effet que « les jugements rendus en dernier ressort par la juridiction de droit local peuvent être attaqués devant une chambre d’annulation près la cour d’appel de Nouméa, pour incompétence, excès de pouvoir ou violation de la loi » ; or, cette disposition a été considérée comme incompatible avec la conception coutumière de la parole royale, laquelle ne saurait être remise en cause.
Comme le relève le procureur de la République, « le fait que cette juridiction n’ait jamais été installée ne signifie pas qu’il n’existe pas de justice coutumière » ([185]). Celle-ci est rendue selon les us et coutumes propres à chaque royaume et contribue largement à la cohésion sociale du territoire. L’administrateur supérieur présente ainsi le rôle joué par la coutume : « en pacifiant les rapports, les autorités coutumières limitent le niveau de délinquance et évitent une bonne partie du contentieux, réduisant de fait le recours à la justice » ([186]).
● L’articulation entre la pratique coutumière et la justice de droit commun n’est pas toujours évidente. Il en va ainsi de la prise en compte du pardon coutumier, le fai hu. Dans la tradition coutumière, celui-ci « s’applique surtout aux crimes les plus graves comme les crimes de sang. Ce pardon coutumier a une vocation réparatrice totale : il efface le crime et permet aux personnes concernées de reprendre le cours de leur existence », explique M. Manuele Taofifenua, ministre coutumier du royaume d’Uvea ([187]). Il déplore ensuite : « Toutefois, depuis une quinzaine d’années, les familles de victimes de crimes se tournent de plus en plus fréquemment vers la justice de droit commun ; le pardon coutumier ne joue plus le même rôle qu’avant » ([188]).
L’affaire K, symptomatique de la difficile articulation entre justice républicaine et droit coutumier
En 1998, la présidente du Conseil territorial des femmes, fédération d’associations locales œuvrant en faveur des droits des femmes, fut accusée de détournements de fonds. Le Conseil déposa plainte contre Mme K. auprès de la juridiction de droit commun. Convoquée à plusieurs reprises par la procureure, elle ne se présenta pas ; mais la procureure reçut la visite de six chefs coutumiers, lui intimant d’abandonner l’affaire.
Les preuves étant accablantes, Mme K. fut jugée et condamnée à deux ans d’emprisonnement. « Elle aurait pu faire appel mais ne se manifesta pas. Grande amie de K., la fille du roi vint en personne demander à la procureure qu’un non-lieu fût rendu. Le fils du roi lui proposa par ailleurs de se substituer à K. en prison, sans plus de succès, aucune de ces propositions n’étant recevable auprès de la cour de Nouméa. Craignant une arrestation, K. se réfugia finalement au palais royal mais les gendarmes – wallisiens – qui devaient normalement l’arrêter et la mettre en prison n’osèrent pas entrer dans le palais royal de peur d’affronter directement le Lavelua » (1).
Une crise politique s’en suivit ; le Premier ministre de Wallis, qui défendit l’application de la loi de la République, fut démis de ses fonctions par le roi après une intervention télévisée. Mme K. fut finalement amnistiée à la faveur de la réélection de Jacques Chirac.
« Deux événements plus tardifs relancèrent les discussions au sein du fenua (pays) au sujet du conflit de compétence judiciaire ouvert par l’affaire K. et redynamisèrent les passions concernant la légitimité régalienne des pouvoirs en question, celui du roi coutumier et celui de l’État républicain. En 2001, l’un des petits-fils du roi, accusé de viol, se réfugia lui aussi au palais royal. En 2005, un autre petit-fils du Lavelua, condamné à 18 mois de prison pour homicide involontaire, fit de même après avoir refusé de se présenter devant le tribunal » (2).
Ces affaires illustrent de manière exemplaire la difficulté d’articuler deux logiques juridiques fondamentalement différentes. La justice républicaine vise la recherche de la vérité, la désignation d’un coupable et l’application d’une sanction ; la justice coutumière, fondée sur la parole, la conciliation et la réparation symbolique, cherche avant tout à restaurer la paix sociale et l’harmonie du pays.
(1) F. Douaire-Marsaudon, Droit coutumier et loi républicaine dans une collectivité d’outre‑mer française (Wallis‑et‑Futuna), Ethnologie française, 2018.
(2) Ibid.
L’organisation des poursuites pénales, dont la compétence relève exclusivement de l’État, ne permet pas l’interruption de la poursuite de l’enquête au seul motif qu’un pardon coutumier aurait été accepté. Cela n’exclut toutefois pas la prise en compte de l’existence de ce pardon au moment du jugement, en vertu du principe de l’individualisation des peines. Comme l’explique le procureur de la République : « il arrive assez fréquemment qu’une coutume de pardon soit initiée par le mis en cause avec la victime et sa famille, sous forme de palabres et de dons. Il est de ce fait fréquent qu’il soit fait état dans la procédure de l’existence de cette coutume de pardon. Mais celle-ci, si elle apparaît dans le dossier et est donc susceptible d’être prise en considération lors de la phase de jugement, n’a pas pour autant d’incidence sur la poursuite de l’enquête et de l’exercice des poursuites (ex. : homicides involontaires routiers) (…). L’existence de cette coutume de pardon, qui apparaîtra en procédure, pourra, le cas échéant, être prise en considération par la juridiction de jugement lors du prononcé de la peine. Également, l’existence même de cette coutume de pardon pourra annihiler d’éventuelles velléités indemnitaires de la victime sous forme de constitution de partie civile » ([189]).
Néanmoins, l’effacement total permis par le pardon coutumier « n’est pas concevable dans le système de droit commun. L’intervention pénale, par la suite, amène souvent des incompréhensions, de la confusion, elle est souvent perçue comme “à contre-courant” et jamais vraiment réparatrice » ([190]).
En matière d’accès au droit, le principal dysfonctionnement réside dans l’absence de barreau à Wallis-et-Futuna. Aucun avocat n’est donc installé de manière permanente sur l’archipel, ce qui rend impossible tout accès au droit : « il n’y a jamais eu d’accès au droit sur ce territoire, sachant qu’il n’y a pas de barreau attaché à cette juridiction » ([191]). Cette absence s’explique en premier lieu par la faiblesse du contentieux, qui ne permettrait pas nécessairement la poursuite d’une activité économique rentable.
Les justiciables wallisiens et futuniens doivent donc recourir aux services d’avocats exerçant en dehors du territoire, ce qui, au regard de l’isolement du territoire, engendre des coûts difficilement surmontables, sauf pour les plus aisés. Par ailleurs, pour les justiciables les moins fortunés, le recours à des avocats installés dans d’autres juridictions s’avère extrêmement limité au regard des modalités de l’aide juridictionnelle dans ce territoire.
● D’une part, l’aide juridictionnelle est aujourd’hui limitée à la matière pénale, en application de l’ordonnance du 12 octobre 1992 ([192]), ce qui prive les justiciables d’un accès à un conseil juridique dans des contentieux civils ou administratifs qui peuvent être complexes, et dont la procédure est essentiellement écrite.
Aucun mécanisme n’est prévu en matière civile, créant une distorsion importante avec la procédure civile applicable dans l’Hexagone. Ainsi, l’article 1577 du code de procédure civile prévoit qu’à Wallis-et-Futuna, « les parties ne sont jamais tenues de se faire présenter et peuvent en toute circonstance se défendre elles-mêmes ou être représentées par un mandataire ». Le maintien de cette disposition dérogatoire est à rebours des évolutions prévues par la loi du 23 mars 2019, dite « réforme Belloubet », qui fait de la représentation obligatoire par avocat la règle de principe devant le tribunal judiciaire.
● D’autre part, même en matière pénale, l’aide juridictionnelle ne prévoit pas de prise en charge des frais d’hébergement, ni les frais de déplacements.
L’article 25 de l’ordonnance ouvre droit au remboursement par l’État des frais de déplacement d’un avocat, mais à condition de « se rendre aux audiences foraines ou aux audiences des sections détachées ». Or, les audiences du tribunal de première instance ne relèvent d’aucune de ces deux catégories : seules seraient donc concernées les audiences foraines organisées à Futuna.
Dans ces conditions, le bâtonnier de Nouméa ne peut pas désigner d’avocat pour aller défendre un justiciable à Wallis-et-Futuna à ses frais : « l’an dernier, le barreau a envoyé un avocat pour défendre un accusé devant la cour d’assises. Nous avons tout payé, afin de savoir combien cela coûtait et de donner cette information au service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav) du ministère de la justice. Nous avons dit que nous l’avions fait une fois, mais qu’il n’incombait pas au barreau de payer pour garantir qu’un avocat assure la défense d’un prévenu dans ce territoire » ([193]).
● Il convient toutefois de noter que, depuis le début de l’année 2024, un avocat du barreau de Nouméa et un avocat du barreau de Papeete ont ouvert un cabinet secondaire et sont présents sur le territoire une semaine environ tous les trois mois. Pour faciliter leur présence aux audiences, les chefs de juridiction ont adapté l’organisation du TPI : « nous avons décidé, le chef de greffe, le procureur de la République et moi-même, de regrouper l’intégralité des audiences sur une semaine, afin de permettre aux avocats qui souhaiteraient venir de traiter tous leurs dossiers dans ce laps de temps ou bien de désigner un avocat permanencier pour les représenter à Wallis-et-Futuna. Cette possibilité créée par le tribunal pour permettre une défense effective a favorisé la venue d’avocats dans le territoire » ([194]).
La présence épisodique de ces deux avocats demeure largement insuffisante pour répondre aux besoins de la population. Afin de pallier ces lacunes, le TPI tolère la pratique consistant à recourir à des citoyens-défenseurs.
● L’article 814 du code de procédure pénale permet, pour les attributions dévolues à l’avocat lors de la garde à vue, de faire appel à « une personne agréée par le président du tribunal de première instance de Wallis et Futuna », qui est alors « [rémunérée] par l’aide juridictionnelle à la fois pour sa participation à l’entretien avec la personne gardée à vue et pour son assistance auprès d’elle pendant la période de garde à vue. Elle peut intervenir également en matière de retenue douanière ».
Cependant, les citoyens-défenseurs sont dans les faits sollicités pour porter une assistance juridique dans une grande diversité de procédures civiles ou pénales – devant le juge d’instruction, le juge des enfants, le tribunal correctionnel, etc. Certains ont même été amenés à tenir le rôle d’un avocat à un procès d’assises. Il convient de noter que seule leur intervention en garde à vue est aujourd’hui rémunérée au titre de l’aide juridictionnelle.
● Or, le recours à des citoyens-défenseurs en dehors du strict cadre juridique prévu fait peser un risque juridique majeur sur les procédures : « Autoriser les citoyens défenseurs à intervenir dans les procédures pénales alors qu’ils n’ont aucun statut pour le faire, c’est s’exposer au risque que des nullités soient soulevées : on pourrait invoquer le fait que la personne n’a pas été assistée par un avocat » ([195]). Le risque est avéré lorsque la présence de l’avocat est obligatoire, s’agissant des mineurs par exemple.
Par ailleurs, les citoyens-défenseurs ne disposent ni des compétences juridiques, ni de la connaissance des procédures, ni de la formation déontologique de l’avocat. Comme l’indique le procureur de la République, « leur niveau de compétences est extrêmement éloigné des standards d’un avocat » ([196]). Au final, comme le souligne le bâtonnier de Nouméa : « Sur une toute petite île où tout le monde se connaît et où les gens ont des niveaux de formation très limités, il ne faut pas rêver. Les citoyens défenseurs n’auront jamais la compétence d’avocats formés, assurés, contrôlés et répondant à une déontologie » ([197]).
Autre difficulté relative aux citoyens-défenseurs, ils ne sont que quatre à être actifs – trois à Wallis, et un à Futuna – sur les six qui ont été nommés. Compte tenu de leur faible nombre, « il est déjà arrivé qu’aucun des trois citoyens‑défenseurs de Wallis ne puisse se rendre à l’audition d’un mineur et qu’il n’y ait pas non plus d’avocat pour nous suppléer » ([198]), reconnaît la trésorière de l’association des citoyens-défenseurs, Mme Stéphanie Vigier.
L’avocat Me Patrick Lingibé qualifie l’organisation de la défense des justiciables à Wallis-et-Futuna de « kafkaïenne » ([199]) : votre rapporteur ne saurait lui donner tort, au regard des nombreux palliatifs qu’ils sont censés gérer. D’après le témoignage de la présidente de l’association des citoyens-défenseurs, ceux-ci sont aussi chargés de l’accueil et de l’accompagnement des victimes, notamment dans le cadre intrafamilial, en l’absence de structures adaptées : « j’ai oublié de vous préciser que nous avions également une autre fonction à Wallis-et-Futuna. Quand les crimes sont commis par des femmes, devinez vers qui se tournent le procureur et la gendarmerie pour les héberger et les protéger des risques de représailles ? Vers les citoyens-défenseurs ! À deux reprises, il a fallu que Mme Vigier et moi‑même trouvions un endroit pour accueillir ces femmes. Les faits ayant été commis un jeudi, le geste coutumier n’avait pas pu s’accomplir avant le week-end et nous avons dû les héberger » ([200]).
● Les avocats ne sont pas les seuls professionnels du droit absents du territoire. Le territoire ne dispose pas non plus de commissaires de justice. En vertu de l’article 1578 du code de procédure civile, leurs missions sont ainsi assurées par le personnel de gendarmerie. Or, « il est évident que le métier de commissaire de justice ne correspond pas au cœur de métier des militaires de la gendarmerie affectant indéniablement l’exercice du droit à l’exécution des décisions judiciaires (…). En pratique, il est très difficile pour les justiciables de Wallis de faire exécuter les décisions de justice » ([201]). Par ailleurs, en l’absence d’huissier, les affaires de saisies-rémunération et de cessions sur salaires, en nombre élevé, demeurent à la charge de la juridiction, contrairement à l’Hexagone.
De même, aucun notaire n’est établi sur l’archipel, ce qui rend par exemple impossible le recueil de consentement dans les procédures d’adoption, sauf à se déplacer en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, l’absence de mandataire judiciaire est compensée, à titre dérogatoire, par l’article L. 811-2 du code du commerce, aux termes duquel il est possible de désigner « comme administrateur judiciaire une personne physique justifiant d’une expérience ou d’une qualification particulière au regard de la nature de l’affaire ».
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant qu’aucune initiative visant à instaurer un conseil d’accès au droit n’ait vu le jour. L’absence de professionnels du droit rendrait ce conseil sans objet : « Les conseils de l’accès au droit, les CAD, censés avoir un rôle identique en outre-mer, doivent assurer la gestion des lieux d’accueil et d’information que sont les points justice, où divers intervenants – avocats, notaires, commissaires de justice, juristes d’association, entre autres – effectuent une permanence. Mais comment mettre en place ce type de structure à Wallis où ces professionnels sont absents ? » ([202]) s’est interrogé, à juste titre, le procureur de la République.
B. Saint-Pierre-et-Miquelon : une justice minimaliste pour le plus petit ressort français
Si la situation de Saint-Pierre-et-Miquelon apparaît moins défavorable, eu égard notamment au nombre de ses magistrats rapportés à la population, et au dispositif des agréés qui pallie de façon plus efficace l’absence de barreau sur le territoire, il n’en demeure pas moins que l’organisation judiciaire y est très perfectible. Notamment, les dérogations procédurales qui y sont permises pourraient porter atteinte à des droits fondamentaux.
1. Le territoire ultramarin le plus proche de l’Hexagone, paradoxalement marqué par l’isolement et l’exiguïté
Revendiqué par la couronne de France dès 1536, l’archipel de Saint‑Pierre‑et-Miquelon accueille rapidement dans le golfe du Saint-Laurent, au sud de l’île canadienne de Terre-Neuve, les bases arrières de pêcheurs basques, normands et bretons, qui finissent par l’occuper à partir au XVIIe siècle. Devenu définitivement français en 1816, le territoire, après une tentative de départementalisation dans les années 1970 qui se soldera par un échec, est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution.
Avec une population de 5 819 habitants au 1er janvier 2024 ([203]), l’archipel compte quatre îles principales : Saint-Pierre, principale commune du territoire, avec 5 223 habitants pour 26 km2 ; Miquelon, deuxième commune avec 596 habitants pour une superficie de 101 km2 ; Langlade, reliée à Miquelon par un isthme sablonneux, qui ne compte aucun résident permanent ; l’île aux Marins, lieu historique et touristique qui n’est plus habité qu’en été.
Au plan géographique, c’est le territoire ultramarin le plus proche de l’Hexagone : il n’en est distant que de 4 300 kilomètres environ. Pourtant, il est difficilement accessible dans les faits : « Saint-Pierre-et-Miquelon souffre d’un véritable isolement par rapport à Paris : l’étroitesse du marché ne permet pas les vols directs entre Paris et Saint-Pierre (sauf parfois l’été), ce qui oblige les voyageurs à transiter par le Canada où, bien souvent, ils sont obligés de passer la nuit. Aller de Paris à Saint-Pierre peut ainsi prendre près de 24 heures » ([204]).
Plus encore, la commune de Miquelon, bien que située à seulement quelques dizaines de kilomètres de Saint-Pierre, ne fait pas l’objet d’une desserte fréquente et régulière. Comme le président du tribunal administratif de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon l’a souligné, « la commune de Miquelon-Langlade est très isolée. Il y a eu une importante enquête publique au sujet de la relocalisation du village. J’ai désigné le commissaire enquêteur et je souhaitais rencontrer le maire. Cela n’a pas été possible : pendant les quarante-huit heures où nous étions sur place, l’avion qui permet de relier Saint-Pierre à Miquelon n’a pas pu décoller, et le déplacement en navette maritime aurait pris la journée entière. Nous nous sommes donc rabattus sur une visioconférence, organisée depuis la préfecture » ([205]).
Une telle situation soulève bien sûr des difficultés particulières d’accès au droit, ainsi que le maire de Miquelon-Langlade l’a illustré : « J’ai moi-même quelques affaires pendantes pour lesquelles je dois me rendre régulièrement à Saint-Pierre. Cela représente, pour moi comme pour tout citoyen, un coût non négligeable car il faut notamment se loger – pour une audition le mardi matin, je dois arriver à Saint-Pierre le dimanche soir. Le greffe du tribunal est une autre source de difficulté : il faut se déplacer pour obtenir un extrait Kbis, qui n’est pas dématérialisé et ne peut pas être scanné non plus » ([206]).
Source : Iedom.
Avec un niveau de précarité limité, lié à un taux de chômage et d’emploi précaire plus faible que la moyenne nationale ([207]), une population plutôt éduquée dont le français est la langue maternelle, et une bonne couverture numérique, la principale difficulté que présente le territoire en matière d’accès au droit et à la justice réside donc essentiellement dans la double insularité dont pâtissent les habitants de Miquelon, et l’exiguïté du territoire et de sa population, qui a des conséquences sur l’organisation judiciaire comme sur l’accès aux professionnels du droit.
2. Une organisation judiciaire dérogatoire qui suscite des interrogations quant à sa constitutionnalité
Alors qu’elle est la collectivité ultramarine habitée la moins peuplée de France, Saint-Pierre-et-Miquelon possède un tribunal de première instance (TPI), – qui exerce les mêmes attributions qu’un tribunal judiciaire, ainsi que les compétences commerciale et prud’homale –, un tribunal administratif et même un tribunal supérieur d’appel (TSA) pour les décisions judiciaires ([208]). Comme l’a relevé le maire de Saint-Pierre, « pour une population de 6 000 habitants, c’est un privilège de pouvoir compter sur une juridiction » ([209]).
a. Une organisation judiciaire propice aux blocages
La taille de ces juridictions a nécessairement dû être adaptée à celle de la population. Ainsi, les fonctions judiciaires sont exercées par quatre magistrats seulement : trois magistrats du siège – le président du tribunal supérieur d’appel, la présidente du tribunal de première instance, un juge d’instruction – et un magistrat du Parquet. Cela implique donc que chacun occupe en réalité plusieurs fonctions : le président du TSA préside également le tribunal criminel ; la présidente du TPI est chargée des fonctions de juge des libertés et de la détention, de juge des enfants, de juge de l’exécution et de juge consulaire ; le juge d’instruction est chargé des fonctions de juge des affaires familiales, de juge d’application des peines et de conseiller prud’homal ; le procureur est compétent en première instance et en appel.
La faiblesse de l’effectif des magistrats rend complexe le fonctionnement de la juridiction et peut rapidement mener à des blocages : « Avec trois magistrats du siège pour les deux degrés de juridiction, les blocages de procédure surviennent facilement, même si la loi permet des remplacements mutuels » ([210]). De fait, les remplacements mutuels prévus par le code de l’organisation judiciaire ([211]) « se heurtent rapidement aux limites imposées par les nombreux cas d’incompatibilité résultant du très petit nombre des magistrats locaux » ([212]), conduisant ainsi à une situation quelque peu ubuesque.
Par exemple, si une personne détenue dans le cadre d’une information judiciaire, ayant fait l’objet d’une décision du juge des libertés et de la détention –la présidente TPI exerçant cette fonction –, décide de faire appel de cette décision, si le président du TSA est absent ou placé dans une situation d’incompatibilité parce qu’il connaît le mis en cause, les deux autres magistrats du siège du TPI ne peuvent pas intervenir : ni le juge d’instruction, puisqu’il est chargé de l’information judiciaire, ni la présidente du TPI, puisqu’elle a statué en qualité de juge des libertés et de la détention… Les mêmes problèmes se posent dans le cas, néanmoins rare, d’un renvoi devant le TSA autrement composé, après une cassation, puisque tous les magistrats du territoire auront eu à connaître du dossier.
Par ailleurs, le seul procureur du territoire est de fait de permanence vingt-quatre heures sur vingt‑quatre, sept jours sur sept, et peut être sollicité à tout moment.
En cas de congés, de formation ou de maladie, des remplacements sont théoriquement possibles depuis l’Hexagone. Ainsi, le code de l’organisation judiciaire ([213]) permet au premier président de la cour d’appel de Paris de désigner un magistrat du siège pour le remplacement du président du TSA ou des magistrats du siège de Saint-Pierre-et-Miquelon, tandis que le remplacement du procureur de la République est théoriquement assuré par un magistrat délégué du parquet de Paris. Ces dispositions ont toutefois été rendues inutilisables depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 novembre 2023 sur la loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire ([214]), censurant les dispositions ouvrant la possibilité de faire des visio‑audiences depuis l’Hexagone dans de tels cas de figure.
Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que « la présence physique des magistrats composant la formation de jugement durant l’audience et le délibéré est une garantie légale [des] exigences constitutionnelles » et que si le remplacement d’un magistrat par le biais d’un moyen de communication audiovisuelle poursuivait certes l’objectif à valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, le champ des dispositions qui lui étaient soumises, s’étendant notamment à des juridictions statuant à juge unique et susceptibles de prononcer des sanctions privatives de liberté, y compris à l’égard de mineurs, était trop large. Seules des « circonstances exceptionnelles » pourraient ouvrir cette possibilité, sous réserve, par ailleurs, d’indiquer précisément « les procédures concernées et les conditions permettant d’assurer la qualité, la confidentialité et la sécurité des échanges ».
Les remplacements des magistrats de Saint-Pierre-et-Miquelon ne peuvent dès lors se faire que par le déplacement physique d’un magistrat parisien. Cependant, « un tel remplacement apparaît particulièrement difficile à mettre en œuvre, en présentiel, et peu compatible avec les conditions pratiques d’une intervention urgente » ([215]). Dans les faits, « aucun magistrat du ressort de la cour de Paris n’est venu à Saint-Pierre-et-Miquelon, sauf pour présider le tribunal criminel en 2023, parce qu’il n’y avait pas de président du tribunal supérieur d’appel. Dans tous les autres cas, le déplacement n’a pas été possible, même lorsqu’il avait été demandé » ([216]).
Les conséquences de cette impossibilité matérielle sont difficilement concevables s’agissant de l’unique procureur du territoire : « lorsque je ne suis pas là, l’action publique ne peut être conduite. [Par ailleurs, si] d’aventure je suis absent – pour une formation, en congé ou, tout bêtement, malade –, et qu’un crime survient ou qu’un débat doit être organisé à la dernière minute devant un juge des libertés et de la détention (JLD), par exemple pour répondre à une demande de mise en liberté, le parquet général ne pourra assurer mon remplacement. Une saisine du juge d’instruction en matière criminelle ou un débat devant le JLD ne pourraient avoir lieu qu’en risquant la nullité de l’acte de procédure » ([217]).
b. Des formations de jugement dont la constitutionnalité pose question
Le faible nombre de magistrats sur le territoire fait donc courir des risques juridiques importants aux procédures, mais présente également un risque constitutionnel majeur. En effet, compte tenu de la taille de la juridiction, l’article L. 513-2 du code de l’organisation judiciaire prévoit que le tribunal de première instance statue à juge unique ([218]), là où ailleurs dans l’Hexagone et la plupart des territoires ultramarins, la collégialité est de mise. Ainsi, « l’absence de collégialité en première instance peut virtuellement conduire un individu seul – certes, un magistrat professionnel – à envoyer un prévenu en prison pour vingt ans, peine maximale encourue en matière correctionnelle en cas de récidive légale ; cela fait tout de même réfléchir. Ce serait impensable dans l’Hexagone ou ailleurs en outre‑mer » ([219]).
L’absence de collégialité des formations de jugement du tribunal de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon
L’article L. 513-2 du code de l’organisation judiciaire prévoit que le tribunal de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon statue à juge unique. La présidente du tribunal ne dispose donc pas d’assesseurs, professionnels ou citoyens, ni en matière civile, ni en matière pénale – à l’exception du tribunal pour enfants, qui répond aux mêmes modalités de fonctionnement que dans l’Hexagone.
Dans le droit commun, le tribunal correctionnel est par principe composé d’au minimum trois magistrats professionnels (1), sauf pour certains délits punis d’une peine inférieure ou égale à cinq ans dont la liste figure à l’article 398-1 du code de procédure pénale, et en dehors des cas de comparution immédiate ou de comparution d’une personne détenue. En matière civile, le tribunal de proximité, qui règle les petits litiges, statue à juge unique ; devant le tribunal judiciaire cette possibilité, bien qu’également ouverte, peut toutefois être remise en cause à la demande du justiciable (2).
Sur ce point, le président du tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon déplore ainsi que « les garanties de bonne justice apportées par la collégialité, présentes dans l’hexagone et les grands outre-mer, tant en première instance qu’en appel, ne [soient] pas assurées » (3) sur le territoire.
(1) Article 398 du code de procédure pénale.
(2) Article 815 du code de procédure civile.
(3) Réponses du président du tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
Par ailleurs, même lorsque les formations sont collégiales, le magistrat est le seul professionnel de la formation. Il en est ainsi du tribunal criminel, composé d’un président – celui du TSA –, de deux assesseurs non professionnels et de trois jurés en première instance – six en appel. Le tribunal supérieur d’appel statue, au civil comme au pénal, en formation collégiale avec son président et deux assesseurs citoyens, non professionnels. Le magistrat peut donc aisément être mis en minorité, ce qui conduit d’ailleurs le président du TSA à s’interroger sur la constitutionnalité du dispositif ([220]), et ce d’autant plus que le Conseil constitutionnel, dans une décision du 1er avril 2016 ([221]), relative à Wallis-et-Futuna, a considéré que si les juridictions correctionnelles de droit commun peuvent compter en leur sein des juges non professionnels, la part de ces derniers doit rester minoritaire pour garantir le respect de l’article 66 de la Constitution ([222]). Une telle décision apparait transposable au tribunal supérieur d’appel statuant en matière correctionnelle, et a fortiori valable pour le tribunal criminel.
Le régime des assesseurs citoyens de Saint-Pierre-et-Miquelon
L’article L. 512-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit que les fonctions judiciaires sont notamment exercées, devant le tribunal supérieur d’appel et le tribunal criminel de Saint-Pierre-et-Miquelon, par des assesseurs.
Désignés pour deux ans par le garde de sceaux, sur proposition du président du TSA après avis du procureur de la République, les assesseurs sont choisis parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d’impartialité. D’après le président du TSA, si « la loi ne donne pas plus de précisions, [c’est] peut-être afin de laisser à l’institution judiciaire locale assez de latitude pour trouver des candidatures utiles dans un vivier quand même limité ».
Les assesseurs sont aujourd’hui au nombre de dix, un nombre qui apparait suffisant aux chefs de cour pour limiter le risque d’incompatibilité, notamment grâce au panachage de leurs origines et profils. Des précautions apparaissent toutefois nécessaires : « La population ayant fondu pour s’établir à moins de 7 000 habitants, les assesseurs locaux connaissent nécessairement tout le monde. Il importe donc de fixer un curseur permettant de déterminer s’ils peuvent juger des personnes qu’ils connaissent, en s’interrogeant préalablement, au cas par cas, non seulement sur leur capacité à rester objectifs, mais aussi sur l’image renvoyée par la justice. Ce problème existe partout ailleurs, mais semble se présenter avec une acuité particulière à Saint-Pierre-et-Miquelon » (1). Ces juges citoyens prêtent le même serment que les magistrats (2) et peuvent être relevés de leurs fonctions en cas de faute grave entachant l’honneur ou la probité (3).
Toutes les personnes interrogées portent un regard positif sur cette particularité locale. Comme l’a souligné le président du TSA, « l’atout de ce dispositif est qu’il sollicite la société civile dans sa diversité et sa richesse, ce qui contribue à l’œuvre de justice. Les assesseurs peuvent être des seniors ou des plus jeunes, des personnes en activité dans le secteur public ou privé ou encore des retraités, des hommes ou des femmes, originaires de Saint-Pierre-et-Miquelon, de l’Hexagone ou d’un autre territoire d’outre-mer. Cela permet d’enrichir les débats lors des délibérations en y apportant de l’oxygène » (4).
Néanmoins, leur absence de compétences juridiques peut poser problème en raison de leur poids dans les formations de jugement : « les assesseurs citoyens ne sont pas juristes. Je le dis sans mauvais état d’esprit, car ils contribuent à une justice populaire, qui a le mérite de l’être. Si cela ne pose pas de grandes difficultés pour des contentieux pénaux simples, cela peut devenir un problème lorsque des situations méritent une expertise juridique plus poussée, par exemple lorsqu’un contentieux en matière d’urbanisme doit être jugé en appel – même si ces cas sont heureusement rares » (5).
(1) Compte rendu n° 36.
(2) Article L. 512-2 et L. 512-3 du code de l’organisation judiciaire.
(3) Article L. 512-4 du même code.
(4) Compte rendu n° 36.
(5) Ibid.
c. Une image entamée de la justice
Au-delà, le faible nombre de magistrats, s’il accroît leur polyvalence, peut limiter l’expertise juridique permise, comme l’a souligné le président du TSA : « Dans une cour d’appel classique, les chambres sont composées de trois juges professionnels du siège qui ont, la plupart du temps, une expérience et une expertise assez solides s’agissant du contentieux qui leur est confié. Une chambre sociale ou de l’instruction, par exemple, dispose d’un niveau d’expertise tout à fait différent de celui qui peut exister ici pour juger des faits qui présentent pourtant rigoureusement la même gravité ou le même caractère sensible en matière pénale, ou la même technicité en matière civile. À Saint-Pierre-et-Miquelon, il n’y a qu’un seul magistrat professionnel, sur les trois juges d’une chambre, pour résoudre les questions juridiques » ([223]).
Par ailleurs, l’exiguïté du ressort n’est pas sans conséquence sur le lien de confiance qui existe entre la justice et les justiciables. D’après le procureur de la République, « l’impartialité objective attendue du juge peut être remise en question assez facilement dans le contexte particulier de l’archipel. Au vu du faible nombre d’habitants, tout le monde connaît tout le monde ou presque, ce qui peut parfois conduire le justiciable à s’interroger (…). Saint-Pierre-et-Miquelon présente aussi la particularité d’être un territoire très petit, ce qui impose au magistrat d’être assez prudent dans son positionnement et de trouver un équilibre pour ne pas être trop proche des justiciables. La proximité peut en effet être source d’inquiétude : rester trop longtemps permet certes de bien connaître le territoire, mais pourrait aussi conduire les justiciables à s’interroger, même si c’est à tort, sur des liens amicaux qui seraient un peu trop poussés ou sur un manque d’impartialité objective dans les décisions rendues » ([224]).
L’extrême polyvalence des magistrats constitue assurément une source de questionnements pour la population, comme l’a souligné le préfet de Saint‑Pierre‑et-Miquelon : « les multiples casquettes des magistrats sont une source de confusion. Les citoyens peuvent avoir le sentiment que ceux-ci sont juge et partie – c’est particulièrement le cas pour le juge des libertés et de la détention. Pour autant, le volume d’affaires ne serait sans doute pas suffisant pour occuper des magistrats supplémentaires » ([225]). Le maire de Saint-Pierre a dressé le même constat devant les membres de la commission : « Revers de la médaille : que vous divorciez, que vous ayez un litige avec votre employeur ou que vous vous rendiez coupable d’un délit, vous avez affaire aux mêmes magistrats – et c’est encore plus vrai pour le procureur, qui est seul » ([226]). Le président du tribunal supérieur d’appel a d’ailleurs reconnu qu’il était arrivé que « certaines personnes [contestent] l’impartialité du président du tribunal de première instance parce qu’il exerçait plusieurs fonctions dans le cadre de contentieux différents mais impliquant les mêmes justiciables » ([227]).
En outre, en cas de remplacement par un magistrat délégué, la cohérence de la politique pénale peut être mise à mal. Le maire de Saint-Pierre ainsi relevé qu’un procureur remplaçant venu de Paris, « peu familier du contexte local, peut avoir la main moins lourde dans ses réquisitions, ce qui laisse parfois perplexes les justiciables et la population, à écouter leurs déclarations dans les médias locaux » ([228]). Le procureur de la République lui-même a souligné que son remplacement était « de nature à engendrer un manque de lisibilité de la politique pénale locale, par des orientations parfois éloignées ou la prise de réquisitions très différentes » ([229]).
d. Une politique pénale qui se heurte à de nombreuses difficultés matérielles
Saint-Pierre-et-Miquelon apparaît comme un territoire préservé en matière de délinquance. D’après le préfet, « nous sommes le seul territoire national où la paix est quotidienne : on laisse les clés dans les voitures, les maisons sont ouvertes, il n’y a presque pas d’accidents de la route, pas de troubles à l’ordre public, quasiment pas de délinquance et les violences extérieures sont très marginales. C’est une situation que l’on ne rencontre nulle part ailleurs ». L’essentiel du contentieux concerne dès lors des violences intrafamiliales, ainsi que du trafic de stupéfiants. Pourtant, la mise en œuvre de la politique pénale sur ce territoire se heurte à de nombreuses difficultés matérielles.
Si le territoire ne souffre d’aucune zone blanche au plan numérique, son opérateur téléphonique défaillant freine le travail des services enquêteurs – les « fadettes » fournies par ledit opérateur étant incomplètes et donc inexploitables – et rend difficile l’application de nombreuses mesures pénales, comme la surveillance des lignes. En outre, aucun dispositif de surveillance électronique ne peut aujourd’hui être mis en œuvre sur le territoire, notamment comme alternative aux poursuites, ce qui crée, d’après le procureur de la République, une véritable rupture d’égalité entre les justiciables ([230]). Cela empêche également de s’assurer du respect par les auteurs d’infractions de leurs obligations et interdictions, et de protéger efficacement les victimes de violences. Il convient de noter qu’il n’existe qu’une seule psychologue, qui ne peut donc intervenir à la fois auprès de l’auteur et de sa victime.
Du reste, dans ce domaine, il est difficile sur un territoire aussi exigu de mettre en œuvre de telles mesures d’éloignement, comme l’a souligné le préfet Bruno André : « un homme qui avait essayé de tuer sa compagne en l’étranglant a été condamné puis remis en liberté – sans que la famille en soit informée –, avec l’interdiction de se rapprocher de son ex-épouse ; toutefois, comme sa mère habite dans la même rue et qu’il n’a pas l’interdiction de rendre visite à celle-ci, il en profite pour la narguer. L’étroitesse du territoire fait qu’un agresseur peut facilement se retrouver face à sa victime. Cela pose un problème pour l’exécution des jugements dans les cas de violences intrafamiliales » ([231]).
Le centre pénitentiaire, qui comporte moins d’une dizaine de places – et se trouve parfois surpeuplé du fait de l’impossibilité de recourir au bracelet électronique – est également loin de répondre aux normes hexagonales, rendant difficile la bonne application des décisions judiciaires. Décrit comme « obsolète, trop petit, surchargé et à bout de souffle » par le maire de Saint-Pierre, sans quartier d’isolement, ses « locaux [apparaissent] incompatibles avec les exigences légales : faute d’agents pénitentiaires féminins, il n’est pas possible de procéder à des fouilles sur des femmes détenues. Compte tenu de la proximité des cellules et de la cour de promenade, il est impossible de faire respecter une éventuelle interdiction de communication entre deux détenus » ([232]).
e. Une juridiction administrative intermittente
S’agissant de la juridiction administrative, le tribunal administratif n’est que fictivement présent sur le territoire. En effet, eu égard au faible nombre de requêtes, le contentieux du territoire est géré par les magistrats qui forment le tribunal administratif de la Martinique, soit un chef de juridiction, un rapporteur public et trois rapporteurs. Aucun agent de greffe n’est présent à Saint‑Pierre-et-Miquelon, les particuliers et leurs avocats – tous Hexagonaux, semble-t-il – devant obligatoirement utiliser l’application Télérecours pour saisir la juridiction administrative.
Trois magistrats se déplacent une fois par an à Saint-Pierre pour tenir une audience dans les locaux du tribunal de première instance. Une telle fréquence apparaît déjà difficilement justifiable au président du tribunal, en dépit de contentieux parfois lourds en matière de fonction publique et de marchés publics : « avec un volume d’activité d’une vingtaine de dossiers, un espacement de deux ans ou de dix-huit mois pourrait aussi se concevoir. Un déplacement mobilise en effet trois magistrats sur quasiment une semaine. En l’absence de liaison aérienne directe, nous devons transiter par Montréal ou par Halifax, où nous devons attendre vingt-quatre heures le vol d’Air Saint-Pierre, et il en va de même au retour. Or nous passons au maximum quarante-huit heures sur place – le jour de l’audience et la veille » ([233]).
3. Un accès au droit fortement limité par le faible nombre de représentants des professions juridiques sur le territoire
● L’accès au droit, à Saint-Pierre et plus encore à Miquelon, est rendu difficile par l’absence de représentants de nombreuses professions juridiques, en premier lieu celle des avocats. En effet, il n’existe pas de barreau sur ce territoire et les rares avocats qui y interviennent ponctuellement ont leur cabinet principal dans l’Hexagone. Pour pallier cette absence, un dispositif particulier a été mis en place en 1945 pour assurer la défense des justiciables : celui des « agréés ».
Le dispositif des « agréés » de Saint-Pierre-et-Miquelon
Le statut des agréés trouvent son origine dans un décret du 2 juillet 1874. Aujourd’hui prévus par l’arrêté gubernatorial n°16 du 27 janvier 1945 portant réglementation du corps des agréés aux îles Saint-Pierre et Miquelon et fixant le tarif de leurs honoraires, les agréés exercent, devant les juridictions locales, les fonctions habituellement dévolues aux avocats.
Les agréés sont nommés par arrêté du préfet sur proposition du « chef de service judiciaire », fonction exercée conjointement par le président du tribunal supérieur d’appel et le procureur de la République près ledit tribunal. Les conditions sont souples : aucune condition de diplôme n’est requise, le candidat devant simplement présenter « tous les titres, diplômes qu’il juger utile de produire pour établir sa capacité et sa moralité ». S’il ne justifie pas de la qualité d’avocat, de licencié en droit ou d’ancien magistrat, le candidat est jugé sur sa moralité et ses connaissances juridico-légales par le biais d’un examen public et la rédaction d’un ou plusieurs actes de défense. Dans les faits, la majorité des agréés à Saint-Pierre-et-Miquelon dispose d’une formation juridique académique ou professionnelle.
Source : réponses du procureur de la République près le TSA de Saint‑Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
À l’heure actuelle, le territoire compterait seulement cinq agréés en exercice, établis à Saint-Pierre, dont l’un est absent et l’autre refuse les affaires pénales. Ce chiffre apparait insuffisant à couvrir les besoins du territoire, notamment dans le domaine pénal – lorsque l’affaire connait plusieurs mis en cause, ou que plusieurs gardes à vue sont conduites simultanément –, deux ou trois agréés seulement travaillant à temps plein et acceptant ce type de contentieux ([234]). Les agréés entendus par votre rapporteur ont toutefois estimé que leur faible nombre, correspondant au volume d’affaires, ne constituait pas un obstacle pour les justiciables et qu’en revanche, « [s’ils étaient] beaucoup plus nombreux, la viabilité de [leur] activité s’en trouverait mise à mal » ([235]).
Cependant, les incompatibilités peuvent se révéler nombreuses sur un si petit territoire : « Il est tout à fait possible qu’un citoyen ne s’entende pas avec l’un de ses défenseurs potentiels – pour diverses raisons, y compris familiales –, qu’un agréé intervienne déjà dans une autre procédure, ou encore qu’une affaire mette en cause plusieurs personnes dont les intérêts divergent, auquel cas l’agréé ne pourra évidemment pas assurer la défense de tous les prévenus sans méconnaître la déontologie la plus élémentaire » ([236]).
Ainsi, comme en a témoigné le maire de Miquelon-Langlade, il apparaît que les agréés « ne sont pas suffisamment nombreux pour répondre à la demande, d’autant qu’ils peuvent être au cœur de conflits d’intérêts en raison d’affaires passées. Le justiciable peut se retrouver avec un agréé qui n’aurait pas été son premier choix, voire sans agréé. Petit territoire, grands moyens par rapport à la population, mais des professionnels en nombre insuffisant » ([237]).
L’assistance et la représentation des justiciables peuvent donc être fortement limitées par l’absence de barreau, notamment parce que les agréés ne sont rassemblés dans aucun organisme similaire à même d’assurer une forme de discipline et d’organiser des permanences : « Aucune permanence n’étant réellement assurée, les agréés sont libres de prendre des congés quand ils le souhaitent, si bien que s’ils décident de partir tous en même temps, il n’existe ni moyen de les contraindre à y renoncer, ni solution de rechange » ([238]). Au final, ainsi que l’a souligné le procureur de la République, « dans bon nombre de cas – je suis le premier à le déplorer –, les justiciables renoncent à leur droit à un avocat, soit par choix, auquel cas la difficulté ne se pose pas, soit en l’absence de la ressource humaine nécessaire pour les assister » ([239]).
● L’alternative qui consiste à recourir à un avocat hexagonal pour assurer la défense de ses intérêts devant les juridictions locales n’est pas à la portée de tous. En effet, bien que l’aide juridictionnelle soit applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon, ses barèmes ne diffèrent pas de ceux applicables dans l’Hexagone et ne tiennent donc pas compte du coût de la vie supérieur qui y a cours. Par ailleurs, elle ne prend nullement en compte les frais de déplacement et d’hébergement qu’implique le recours à un avocat hexagonal, qui ne peut intervenir en visio-audience que dans un nombre de cas limités, essentiellement en matière civile et commerciale.
De ce fait, un seul avocat, inscrit au barreau de Paris, que votre rapporteur a auditionné, intervient aujourd’hui devant les juridictions locales, à raison d’une semaine trois à quatre fois par an, ce qui n’est pas sans incidence sur le délai de traitement des procédures ([240]). Selon son analyse, « les justiciables de Saint-Pierre-et-Miquelon n’ont donc pas le libre choix de leur avocat, qu’ils soient gardés à vue, présentés à un juge des libertés et de la détention ou en comparution immédiate. Je considère que cette situation constitue une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme » ([241]). On peut en effet s’interroger, comme votre rapporteur, sur le respect des droits de la défense lorsque, faute d’agréé disponible et d’avocat accessible à distance, on est conduit à refuser d’être accompagné à des moments critiques d’une procédure pénale.
● Les autres professionnels du droit sont moins nombreux encore. Une seule notaire exerce sur l’archipel, qui a remplacé en 2017 un fonctionnaire du tribunal au statut particulier de greffier-notaire. En l’absence de commissaire de justice, une ancienne gendarme exerce seule les fonctions d’huissier ; en cas d’absence, elle est remplacée par un gendarme pour une partie de ses fonctions. Sans lien avec la chambre des commissaires de justice, elle dispose d’un accès rendu plus difficile à la législation. Aucun mandataire de justice n’exerce par ailleurs sur le territoire, si bien que « toutes les procédures de redressement judiciaire sont dévolues à des études hexagonales, ce qui n’est pas sans poser des difficultés dans les relations avec le gérant ou le président de la structure mise en redressement » ([242]).
S’il n’existe pas de maison France Services sur le territoire, ni d’association d’aide aux victimes, un conseil d’accès au droit a vu le jour en 2024 ([243]). Deux actions principales ont été conduites en 2024 et 2025 : l’organisation, une fois par mois, de consultations juridiques gratuites à l’attention des justiciables par les agréés – désormais rémunérés à cette fin ; un évènement annuel pédagogique à destination des lycéens ([244]).
Au final, si les délais de jugement apparaissent tout à fait favorables à Saint‑Pierre-et-Miquelon, tant en matière judiciaire qu’administrative ([245]), votre rapporteur estime que certaines garanties essentielles font cruellement défaut, notamment en matière de droit au procès équitable, et que l’organisation judiciaire actuelle, au sens large, soulève des problèmes de constitutionnalité qui devront impérativement être résolus à brève échéance.
III. La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy : des « vitrines de l’outre-mer » qui masquent des réalitÉs contrastées
Si La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint- Barthélemy connaissent naturellement des enjeux spécifiques, ces territoires ont longtemps été considérés comme des « vitrines de l’outre-mer », caractérisés par des conditions économiques qui sont comparativement moins dégradées que dans d’autres territoires d’outre-mer, notamment grâce au tourisme, et par une relative stabilité sociale. Or, ces territoires font aujourd’hui face à de nombreux défis sociétaux, qui se traduisent par des réalités contrastées en matière d’accès au droit et à la justice. Face à cet enjeu, force est de constater que le volontarisme déployé par les acteurs étatiques et locaux pour améliorer les conditions des justiciables varie fortement selon les territoires.
A. À La Réunion, des efforts en matière d’accès au droit et à la justice qui doivent Être consolidés
Département-région d’outre-mer, l’île de La Réunion, qui compte 896 000 habitants pour une superficie de 2 512 km2, est située dans le sud‑ouest de l’océan Indien, à environ 9 300 kilomètres de l’Hexagone. Possession française dès le XVIIe siècle, elle forme, avec l’île Maurice, l’île Rodrigues et quelques îlots mauriciens, l’archipel des Mascareignes, du nom du navigateur portugais Pedro de Mascarenhas qui les explora au XVIe siècle.
1. Un territoire aux réalités contrastées, dont les atouts ne doivent pas occulter les nombreux enjeux d’accès au droit et à la justice
L’île de La Réunion a de nombreux atouts, comme l’illustre l’attractivité de ce territoire auprès des fonctionnaires. La qualité de ces infrastructures, notamment routières, la densité de ses services publics et la qualité de vie qui y règne, en raison d’un climat social relativement apaisé et d’une faible délinquance en comparaison d’autres territoires d’outre-mer, font de La Réunion « une vitrine de l’outre-mer », selon l’expression du préfet du territoire ([246]).
Un tel constat ne doit pas cependant occulter le fait que ce territoire est soumis à de fortes contraintes, qui ont des conséquences préjudiciables sur l’accès de la population au droit et à la justice.
● Tout d’abord, si l’île bénéficie d’un tissu urbain développé avec treize villes sur 24 regroupant chacune plus de 20 000 habitants, certaines parties du territoire restent néanmoins fortement enclavées, compte tenu de contraintes topographiques. Le territoire est en effet aux deux tiers montagneux et 40 % de l’île se trouvent à plus de 1 000 mètres d’altitude.
Dans ces conditions, certains Réunionnais sont particulièrement éloignés des services publics, comme l’a mis en exergue le préfet : « La Réunion est en quelque sorte découpée comme un gâteau : les communes s’étendent du battant des lames aux sommets des montagnes, c’est-à-dire qu’elles sont côtières, mais remontent sur plusieurs dizaines de kilomètres vers les sommets de l’île. Il faut donc parvenir à prendre en charge les habitants des Hauts qui, bien qu’habitant une commune côtière dotée de tous les services publics, sont en réalité très isolés et se trouvent à une ou deux heures de voiture du centre-ville ».
Au-delà des habitants des « Hauts », ceux qui vivent dans les cirques, ces enceintes naturelles circulaires à flanc de montagne, subissent un enclavement plus net encore : « C’est particulièrement vrai dans les cirques, notamment celui de Mafate, d’où l’on ne peut accéder aux villes et aux services publics qu’en hélicoptère ou après quelques heures de marche puis de voiture » ([247]).
carte économique de la réunion
Source : Iedom.
● Les conditions socio-économiques, comme dans d’autres territoires ultramarins, constituent également un frein à l’accès au droit et à la justice. Près de 36 % de la population réunionnaise vit sous le seuil de pauvreté, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale, alors que le coût de la vie est supérieur de 9 % par rapport à l’Hexagone, et de 37 % pour les seuls produits alimentaires. Le taux de chômage atteint 17 %, contre environ 7,5 % au niveau national, et même 29 % chez les 15‑29 ans. Seule une personne sur deux en âge de travailler occupe un emploi, contre 67 % au niveau national. Enfin, 40 % des habitants de La Réunion sont peu ou pas diplômés, contre 25 % au niveau national ([248]).
Parallèlement, une partie de la population souffre d’illettrisme. Il est ainsi estimé que 17 % des Réunionnais de 18 à 64 ans rencontrent des difficultés à l’écrit en langue française, soit 91 000 personnes, contre 10 % en Hexagone ([249]). Cette situation nourrit un illectronisme marqué au sein de la population comme l’a mis en avant le président du conseil départemental : « Comment utiliser des outils numériques si on ne sait ni lire ni écrire ? » ([250]). Ainsi, 30 % des adultes Réunionnais en difficulté à l’écrit n’ont jamais utilisé internet. Moins de la moitié des personnes concernées effectuent leurs démarches administratives seules, contre 81 % des Réunionnais maîtrisant l’écrit.
Les acteurs de l’accès au droit et à la justice doivent également s’adapter au plurilinguisme d’une population dont la langue usuelle est le créole, comme l’a rappelé le préfet : « les services publics doivent effectivement s’adapter au fait que le créole reste la langue usuelle pour un certain nombre de Réunionnais, qui le comprennent et le parlent mieux que le français. Cela ne pose pas de problème au quotidien, car de nombreux résidents créoles travaillent dans les services de l’État, mais une difficulté était apparue dans l’accès au numéro d’appel d’urgence pour les femmes victimes de violences, le 3919, qui est géré depuis la métropole. Une revendication s’est légitimement exprimée, l’année dernière, pour que les femmes puissent contacter le numéro d’urgence en créole réunionnais, qui n’est pas tout à fait le même que le créole antillais. Cette question est a priori réglée » ([251]).
● Enfin, si le niveau global de délinquance reste modéré, comparativement à d’autres territoires ultramarins, La Réunion se distingue néanmoins par un haut niveau de violences conjugales. L’île est en effet le deuxième territoire enregistrant le plus fort taux de violences conjugales en France.
2. Des juridictions globalement efficientes, en dépit de défis persistants
a. Un maillage judicaire dense
● Le maillage judiciaire à La Réunion se caractérise par sa forte densité.
Le ressort de la cour d’appel de Saint-Denis est en effet composé, pour le département de La Réunion, de deux tribunaux judiciaires, ceux de Saint-Denis et de Saint-Pierre, qui comprennent chacun un conseil des prud’hommes, un tribunal mixte de commerce. Le tribunal judiciaire de Saint-Denis compte en outre deux tribunaux de proximité, situés à Saint-Paul, à l’ouest, et à Saint-Benoît, à l’est. Grâce à cette présence aux quatre points cardinaux, la justice est représentée sur l’ensemble du territoire.
LE MAILLAGE JUDICIAIRE À LA RÉUNION
Source : réponse écrite de la cour d’appel de La Réunion au questionnaire de votre rapporteur.
Quant à la cour d’appel, celle-ci est compétente pour juger en appel l’ensemble des décisions rendues en première instance à La Réunion, mais aussi les décisions des juges d’instruction et des juges des libertés et de la détention rendues à Mayotte, à travers la chambre de l’instruction. Les autres décisions rendues à Mayotte sont traitées par la chambre d’appel de Mayotte, située dans le ressort de la cour d’appel de La Réunion (cf. supra).
b. Des moyens humains qui permettent de faire face à l’activité juridictionnelle
● S’agissant des effectifs, le tribunal judiciaire de Saint-Denis compte trente-trois magistrats du siège et dix magistrats du parquet. Cependant, le tribunal est confronté à des vacances de postes problématiques : « S’agissant des magistrats du siège, un poste est vacant depuis le mois de septembre 2025, ce qui est inédit depuis ces trois dernières années ; au parquet, le poste de procureur de la République adjoint est actuellement vacant et une autre vacance de poste existe depuis deux années » ([252]).
Le tribunal judiciaire de Saint-Pierre comprend quant à lui vingt magistrats du siège et sept magistrats du parquet. Ces effectifs sont considérés par le président du tribunal comme insuffisant, au regard de la forte population du ressort : « Notre ressort comptant 360 000 habitants, nous avons un magistrat du siège pour 18 000 habitants, ce qui est le ratio le plus défavorable dans les juridictions d’outre-mer » ([253]).
Enfin, la cour d’appel compte dix-huit magistrats du siège et cinq magistrats du parquet général. La cour dispose en outre de neuf magistrats « placés », qui sont répartis en fonction des besoins au sein des quatre juridictions – la cour d’appel et les tribunaux de Saint-Denis, celui de Saint-Pierre et celui de Mamoudzou.
Selon les données transmises à votre rapporteur, sur la période 2015-2025, l’augmentation des effectifs de magistrats du ressort de La Réunion (en ce inclus Mayotte) est inférieure à celle constatée en moyenne dans les territoires d’outre‑mer : elle est seulement de + 15,75 % à La Réunion, contre + 20,44 % dans les outre-mer.
● S’agissant des greffes, la procureure générale a souligné que les juridictions souffraient d’un fort taux d’absentéisme, qui s’élève par exemple à 14,5 % pour le tribunal judiciaire de Saint-Denis : « D’une manière générale, les juridictions de La Réunion ont un problème de très fort absentéisme. Les postes ne sont pas vacants, sauf exception, mais les titulaires sont absents d’une façon répétée, pour de longues durées. C’est une difficulté que nous connaissons aussi à la cour d’appel : beaucoup de personnes sont en arrêt maladie, de diverses natures, ce qui perturbe le fonctionnement de la juridiction » ([254]).
En dépit de ces difficultés, l’activité globale du greffe, mesurée par le nombre d’affaires traitées par agent, reste satisfaisante : « S’agissant du greffe, il doit être relevé que le ratio d’efficience des fonctionnaires du tribunal judiciaire de Saint-Denis est supérieur à la moyenne des juridictions du même groupe (en 2024 : 368 affaires traitées par fonctionnaire contre 304 au niveau national) » ([255]).
● Si les effectifs sont jugés insuffisants par les chefs de cours ([256]), force est de constater cependant que les délais de traitement des dossiers sont globalement corrects.
Le tribunal judiciaire de Saint-Denis rend en moyenne plus de 18 650 décisions par an, dont un tiers de décisions pénales (6 700) et deux tiers de décisions civiles (11 950). Le traitement des affaires civiles est de 9,4 mois en 2024 alors que la moyenne nationale s’élève à 12,2 mois. S’agissant de la matière correctionnelle, l’écoulement du stock est de 3,9 mois en 2024, la moyenne nationale étant fixée à 4,2 mois sur la même période ([257]).
Le tribunal judiciaire de Saint-Pierre rend en moyenne plus de 15 600 décisions par an, dont un tiers de décisions pénales (4 200) et deux tiers de décisions civiles (10 400). Le délai moyen de traitement d’une affaire civile est de 7 mois à Saint-Pierre. Le délai moyen de traitement d’un dossier pénal, qui s’élève à 8,4 mois, est en revanche plus élevé que la moyenne des juridictions nationales du même groupe – 7,5 mois ([258]). Parallèlement, le délai théorique d’écoulement du stock est passé de quatre mois en 2022 à deux mois en 2024, avec une diminution notable du nombre d’affaires en attente de jugement, passé de 859 à 506 sur la même période.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Saint-Pierre a confirmé que les délais de traitement des affaires sont raisonnables sur le territoire : « Quant aux délais d’audiencement, nous restons plutôt bien lotis à La Réunion. En matière pénale comme en matière civile, il faut compter entre six mois et un an » ([259]).
En revanche, les chefs de cour ont relevé un accroissement important des dossiers traités par les juges d’instruction et les juges des enfants : « L’augmentation du trafic de stupéfiants a entraîné une augmentation de l’activité de l’instruction et de la justice des mineurs ; il en résulte un ralentissement de l’écoulement des stocks depuis deux ans (…) Cette situation devrait s’améliorer. En raison de l’augmentation de l’activité du tribunal pour enfant, nous avons obtenu de la DSJ [direction des services judiciaires] la création d’un poste de juge des enfants (…). Cependant, l’augmentation de l’activité de l’instruction reste problématique à Saint-Denis » ([260]).
Le bureau d’aide juridictionnelle de Saint-Denis fait face à d’importantes difficultés, en raison d’un absentéisme récurrent au sein de ce service et au déploiement d’un nouveau logiciel, comme l’a mis en exergue la directrice de greffe du tribunal judiciaire de Saint-Denis : « Nous rencontrons des difficultés concernant le bureau d’aide juridictionnelle (BAJ). Cinq agents – un greffier et quatre adjoints administratifs – y sont affectés, ce qui correspond normalement aux moyens prévus. Néanmoins, les délais de traitement s’allongent depuis 2024. Malgré une hausse de l’activité de 10 %, nous n’arrivons pas à augmenter notre capacité de traitement, et le délai en matière d’aide juridictionnelle est actuellement de cinq mois. Nous avons déployé des plans d’action et nous essayons de résorber le stock, mais nous avons beaucoup de mal à y parvenir en l’état actuel » ([261]).
ACTIVITÉ DU BUREAU D’AIDE JURIDICTIONNELLE DE SAINT-DENIS
|
BAJ ST DENIS |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 au 31 juillet |
|
Affaires nouvelles |
||||
|
1ère instance/CA/TA |
5 971 |
6 673 |
6 773 |
4 075 |
|
Commissions d’office |
1 456 |
1 788 |
1 445 |
521 |
|
Total |
7 427 |
8 461 |
8 218 |
4 596 |
|
Affaires terminées |
||||
|
1ère instance/CA/TA |
5 795 |
5 672 |
5 917 |
3 962 dont 1 234 en juillet (renforts) |
|
Commissions d’office |
1 343 |
1 137 |
865 |
371 |
|
Total |
7 138 |
6 809 |
6 782 |
4 333 |
|
Stock |
||||
|
Stock |
722 |
1 791 |
2 541 |
2991 |
|
Délai de traitement |
||||
|
en mois |
2 mois |
3 mois |
7 mois |
5 mois suite renforts ponctuels |
Source : réponses écrites de la cour d’appel de La Réunion au questionnaire de votre rapporteur.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats de Saint-Pierre a également déploré les délais de traitement des dossiers d’aide juridictionnelle par le BAJ de ce tribunal : « La difficulté tenace, en la matière, est le délai anormalement long de rendu des dossiers par le bureau d’aide juridictionnelle, qui peut prendre un retard allant de six mois à un an » ([262]).
● Les juridictions ont dû adapter leurs dispositifs pour optimiser la réponse judiciaire aux enjeux des violences intrafamiliales, qui sont particulièrement prégnants sur le territoire, comme l’a souligné la procureure de Saint-Denis : « Le tribunal judiciaire de Saint-Denis s’est engagé dans une politique dynamique de lutte contre les violences intrafamiliales. Depuis plusieurs mois, nous organisons des audiences spécialisées. Des circuits de traitement ont été créés. Plusieurs associations permettent d’accueillir les victimes de violences intrafamiliales, notamment les femmes. Malgré les innovations, notamment dans le ressort du tribunal judiciaire de Saint-Pierre, le nombre de places d’hébergement d’urgence pour les victimes reste toutefois insuffisant ».
À cet égard, les associations jouent un rôle central dans l’effectivité du traitement judiciaire des violences intrafamiliales pour accompagner les victimes et assurer la mise en œuvre des mesures décidées par le parquet, comme l’a rappelé la directrice de l’Association réunionnaise de l’aide judiciaire aux familles (Arajufa) : « Notre association gère l’accès au droit et l’aide aux victimes. Membres de la fédération France Victimes, nous secondons activement le parquet dans la mise en œuvre de dispositifs spéciaux en matière de violences conjugales, tels que le téléphone grave danger (TGD), les bracelets anti-rapprochement (BAR) et l’annonce des classements sans suite aux victimes. Notre mission comporte également l’accompagnement des sortants de prison et l’évaluation personnalisée des victimes (Evvi), qui se développe et permet d’évaluer, avant l’audience au tribunal, les besoins de la victime en matière sociale et juridique » ([263]).
Une des priorités des autorités judiciaires réunionnaises est de favoriser les dispositifs permettant l’éloignement des auteurs de violences, afin que les victimes et leurs enfants puissent rester dans leur domicile. Cela suppose toutefois de développer les structures d’accueil qui sont encore insuffisantes sur le territoire, malgré certaines initiatives locales, comme l’a rappelé la procureure générale : « Il faut également saluer l’initiative de nos collègues de Saint-Pierre, qui sont parvenus, avec l’ancien maire de la commune, désormais décédé, à créer un centre non pas d’hébergement pour les femmes mais de prise en charge des hommes auteurs des violences. On peut toutefois déplorer que n’ait pas été obtenu, en dépit de l’énergie déployée par nos collègues de Saint-Pierre, le placement d’hommes sous contrôle judiciaire à cet endroit – une villa gérée par une association (…). Lorsqu’un enfant ou une femme sont victimes de violences, ce n’est pas à eux mais au parquet d’apporter la réponse qui s’impose, et le parquet a besoin de moyens, de lieux d’hébergement pour pouvoir prononcer une mesure d’éviction du mari violent » ([264]).
● Les juridictions de La Réunion ne sont pas non plus épargnées par des dysfonctionnements en matière immobilière.
La situation est particulièrement critique pour le tribunal de proximité de Saint-Benoît. À la suite de l’abandon de l’ancien tribunal d’instance dans le cadre d’un projet immobilier, les personnels de la juridiction sont hébergés à titre temporaire dans un local mis à disposition gratuitement par la municipalité. Cependant, ce local ne satisfait pas aux normes permettant de recevoir du public, si bien qu’aucune audience foraine ou délocalisée ne peut s’y tenir. Selon les informations transmises à votre rapporteur, un projet de construction d’un nouveau tribunal a été acté depuis trois ans, mais est bloqué pour des raisons budgétaires.
Quant aux autres bâtiments judiciaires, les chefs de cour et de juridictions ont mis en exergue leur caractère vétuste, qui ne permet pas de faire face à certains évènements climatiques, comme l’a souligné la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis : « Nous avons dû fermer pendant dix jours lors du passage du cyclone Belal, en 2024 : à la suite d’infiltrations dans la salle des pas perdus, les parements qui ornent le devant des salles d’audience se sont en partie effondrés, ce qui posait un risque de sécurité pour le personnel et les justiciables (…). Nous avons pris en urgence une mesure qui a permis de rouvrir dans un délai de dix jours : les parements ont été enturbannés dans une sorte de film plastique. Cette solution devait durer cinq ans, mais elle a tenu pendant trois mois : du film plastique pend désormais dans les salles d’audience. Nous ne pouvons pas le faire enlever très facilement, parce qu’il est très haut et que la question de l’amiante se pose » ([265]).
Certains locaux sont également inadaptés aux besoins des personnels comme des justiciables. À titre d’exemple, le manque d’espace au tribunal judiciaire de Saint-Pierre ne permet pas d’accueillir les justiciables dans de bonnes conditions, comme l’a mis en exergue son président : « Un autre problème est celui de l’accueil du justiciable. Comme nous manquons d’espace, nous ne sommes plus en mesure d’avoir, comme auparavant, un bureau d’aide aux victimes et un point d’accès au droit à l’intérieur du tribunal. Des travaux sont planifiés, mais nous n’avons pas encore de visibilité complète sur leur réalisation. Les victimes se rendent dans les locaux d’une association, l’Arajufa (Association réunionnaise de l’aide judiciaire aux familles), où un point d’accès au droit est temporairement situé (…). Il faudrait aussi trouver des lieux où les justiciables pourraient s’asseoir. Ils font actuellement la queue dans une grande salle des pas perdus quand ils veulent avoir des renseignements, ce qui n’est pas idéal, surtout quand ils viennent avec leur famille, en particulier avec des enfants » ([266]).
3. Des dispositifs d’accès au droit et à la justice utiles, mais qui restent fragiles en l’état actuel des financements
a. Une justice de proximité valorisée
● Le tribunal de proximité de Saint-Paul accueille des audiences délocalisées en matière familiale et d’assistance éducative depuis 2023 : « Les juges des enfants s’y rendent avec leur greffe deux fois par mois afin que les justiciables résidant dans les Hauts de Saint-Paul, de Saint-Gilles, du Port ou de La Possession n’aient pas à faire la route jusqu’à Saint-Denis. De fait, les embouteillages sont fréquents et les conditions de circulation difficiles » ([267]).
De telles audiences délocalisées sont également envisagées au sein du tribunal de proximité de Saint-Benoît, une fois que le projet de reconstruction de cette juridiction sera réalisé.
Sur le ressort de Saint-Pierre, des audiences se tiennent notamment en établissement pénitentiaire ainsi qu’en hôpital psychiatrique : « Les juges de l’application des peines vont ainsi dans les établissements pénitentiaires (…). Par ailleurs, le juge des libertés et de la détention tient au moins deux fois par semaine des audiences à l’hôpital psychiatrique de Saint-Pierre et les juges des tutelles mènent des auditions dans tout le ressort. Nous sommes vraiment une juridiction qui se tourne vers l’extérieur » ([268]).
● Une justice pénale de proximité est également mise en œuvre sur le territoire avec le déploiement de délégués du procureur. Au sein du tribunal judiciaire de Saint-Denis, les magistrats du parquet s’appuient sur huit délégués du procureur, tandis que le ressort de Saint-Pierre en compte six auxquels il faut ajouter une association habilitée comme déléguée du procureur.
Ces délégués du procureur œuvrent notamment au sein des différents points‑justice de l’île pour les réponses pénales de premier niveau, comme l’a rappelé le procureur de la République près le tribunal de Saint-Pierre : « Alors que l’île de La Réunion est très étendue et que certaines zones sont difficilement accessibles, les points justice permettent un accès de proximité à une réponse pénale de premier niveau – les avertissements pénaux probatoires, les classements des affaires sous condition et les médiations pénales. Dans chaque point justice se tient au minimum une séance par mois ; parfois deux. Les délégués et les associations habilitées se déplacent d’un point à l’autre pour couvrir l’intégralité du ressort » ([269]). Les six délégués du procureur du ressort de Saint-Pierre ont ainsi traité 944 procédures au sein des points-justice en 2024, avec un taux d’échec inférieur à 5 %.
Les procédures de composition pénale, qui relèvent d’un niveau supérieur de réponse pénale, sont en revanche toutes menées au tribunal judiciaire de Saint‑Pierre.
b. Des dispositifs innovants d’accès au droit, dont la pérennité exige l’octroi de moyens financiers supplémentaires
● Le maillage territorial des points-justice est particulièrement dense à La Réunion : il existe en effet 34 points-justice, soit plus d’un par commune au total, bien que deux communes sur les 24 que compte l’île ne soient pas encore couvertes ([270]). L’activité de ces points-justice est soutenue, puisqu’ils ont délivré 115 000 « orientations » en 2024.
Les permanences d’avocats au sein de ces points-justice sont favorisées par une bonne implantation de ces derniers sur le territoire : le barreau de Saint-Denis, compte 350 avocats et celui de Saint-Pierre 125. Le président du tribunal de Saint-Pierre a rappelé à ce titre qu’« il y a trois ans, le barreau de Saint-Pierre comptait 97 membres ; ils sont désormais 125. Au-delà de cette augmentation rapide des effectifs, je note que les avocats, qui étaient jusqu’alors concentrés à Saint-Pierre, s’installent de plus en plus dans d’autres villes, comme Saint-Joseph ou Saint-Leu, renforçant ainsi le maillage territorial » ([271]). Quant aux notaires exerçant sur l’île, leur nombre a doublé en dix ans, en passant de 60 à 120.
● Un dispositif original mis en place par le CDAD à La Réunion est constitué par les « journées d’accès au droit ». Celles-ci consistent à ce que des représentants de plusieurs administrations se déplacent collectivement dans les différentes communes pour informer et conseiller les Réunionnais sur leurs droits.
Ces « journées d’accès au droit » connaissent un grand succès auprès de la population, comme l’a rappelé la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, qui est également la présidente du CDAD : « Il y en a eu onze en 2025, soit près d’une par mois, dans différentes communes (…). Ces journées permettent de regrouper différents intervenants : des avocats, des notaires, des huissiers, des conciliateurs et des représentants du Défenseur des droits, des associations de consommateur, de la DRFIP (direction régionale des finances publiques), de la CAF (caisses d’allocations familiales), de France Travail, de la CGSS (caisse générale de sécurité sociale), du conseil départemental, de l’inspection du travail ou de l’Iedom (Institut d’émission des départements d’outre-mer). La fréquentation moyenne de ces journées est de 2 500 personnes. Elle est particulièrement élevée à Saint-Paul » ([272]).
Pour les communes les plus enclavées, le CDAD de La Réunion a en outre institué les « randonnées du droit », aux termes desquelles des professionnels du droit se déplacent, sacs au dos, pour aller à la rencontre des habitants des îlets ou des cirques : « Pour un territoire plus isolé ou enclavé comme Mafate, nous organisons chaque année deux randonnées du droit – dont la finalité est évidemment professionnelle et non sportive. Lors de chaque randonnée, des notaires, des représentants de l’Office national des forêts (ONF) – dont la présence est justifiée par les nombreux problèmes de propriété ou de concession des parcelles –, des avocats, des huissiers, des conciliateurs et, éventuellement, des magistrats, visitent deux îlets (…). Les randonnées sont très suivies par la population et bien préparées en amont. Quand les professionnels se déplacent, ils répondent à une demande » ([273]).
Ce dispositif a inspiré le préfet de La Réunion, qui a décidé de dupliquer une telle démarche pour les services de l’État : « Cette opération est tellement emblématique et efficace que j’ai décidé d’instituer, chaque année, une tournée du préfet, avec mes services, pour aller au-devant de nos concitoyens » ([274]).
Ces initiatives sont cependant mises à mal par les contraintes budgétaires pesant sur le CDAD. Comme cela a été indiqué à votre rapporteur, « pour l’heure, une randonnée du droit dépend de la commune de Saint-Paul et l’autre de La Possession. La création d’une randonnée commune à ces deux collectivités est projetée, mais ce ne sera pas possible cette année, car la randonnée d’octobre devra être annulée, faute de crédits » ([275]).
● Le CDAD connait en effet d’importantes difficultés financières, avec des frais structurels – hors interventions – qui sont supérieurs à la subvention du ministère de la justice ([276]). En 2024, les frais de personnel et de fonctionnement, ainsi que la rémunération des avocats et de l’association membre de droit (Arajufa) représentaient un total de 153 700 euros, alors que la subvention du ministère de la justice s’élevait uniquement à 115 000 euros. En 2025, la subvention du ministère s’élève à 120 000 euros, soit un montant inférieur aux frais prévisionnels du CDAD. Cette faiblesse des moyens est illustrée par le fait que le CDAD fonctionne avec un seul employé, à savoir sa secrétaire générale.
Dans ce contexte, une augmentation des dotations du ministère de la justice est cruciale pour assurer la pérennité des actions du CDAD et répondre aux besoins des justiciables, comme le souligne sa présidente : « Le maillage excellent de Point‑Justice permet de mettre en lumière un besoin croissant de la population en matière d’accès au droit, et ce grâce à un précieux partenariat avec les communes de l’île. Pourtant, chaque année, les Points-Justice demandent davantage de permanences juridiques, les communes davantage de journées locales d’accès droit, et les partenaires davantage d’actions spécifiques. Or, il est impossible de répondre à ces besoins sans un renforcement de l’effectif et sans une augmentation du financement du ministère de la justice » ([277]).
Activité 2024 du CDAD en matière d’accès au droit
« - Journées locales d’accès au droit : en 2024 le CDAD a organisé en partenariat avec les communes 7 journées locales d’accès au droit sous forme de forum où les professionnels du droit ont tenu les samedis matin des stands afin de prodiguer des conseils juridiques et sociaux gratuits à la population.
« Parmi les professionnels présents : avocats, notaires, commissaires de justice, conciliateurs, association membre de droit ARAJUFA, caravane d’accès au droit (Conseil départemental), Croix-Rouge, CAF, CGSS, France Travail, Ordre des experts comptables, Délégués du défenseur des droits, ADIL, IEDOM, DRFIP, Prud’hommes, ARIV, CCAS France Service…
« - Randonnées du droit : le CDAD en partenariat avec les mairies de Saint-Paul et de La Possession et en collaboration avec les différents professionnels du droit tels que des avocats, des magistrats, des notaires, des commissaires de justice et des structures publiques telles que la CAF et la CGSS et la DRFIP, se sont rendus 2 fois dans l’année dans le cirque de Mafate pendant 2 jours afin de dispenser des permanences gratuites auprès des habitants des différents îlets.
« - Formation des agents d’accès au droit : les 23 Points-Justice généralistes et les 3 Points-Justice en France Service mis en place en collaboration avec les communes sont tenus quotidiennement par 45 agents d’accès au droit. En 2024, le CDAD a organisé une journée de formation pour eux, où sont intervenus sous forme d’ateliers : l’association départementale information sur le logement (ADIL) la CAF, l’observatoire réunionnais des violences faites aux femmes (ORVIFF) ou encore la police nationale.
« - Maisons France Service : tout au long de l’année le CDAD travaille en étroite collaboration avec les France Service, qui sont 30 à La Réunion. Ce partenariat se décline notamment par la participation aux différentes réunions de réseau (4 en 2024) ; à la tenue de formations pour les nouveaux conseillers notamment sur le SIAJ (2 en 2024) ; aux COPIL organisés par les différentes communes. L’accent est porté sur les communes où le nombre d’actes annuels liés à la Justice est le plus élevé, et les communes dans lesquelles aucun Points-Justice n’est implanté et donc où la seule structure d’accès au droit de proximité est la France Service.
« Enfin, les France Service organisent annuellement leurs portes ouvertes sur tout le mois d’octobre. À l’occasion le CDAD a été sollicité pour pouvoir mettre à disposition des professionnels du droit dans le cadre de permanences ou consultations dans les différentes structures ».
Source : rapport 2024 du CDAD de La Réunion.
Rattachée à la France depuis 1674, la Martinique constitue aujourd’hui l’une des cinq régions monodépartementale d’outre-mer. Située au cœur de l’arc antillais dans la mer des Caraïbes, son territoire, d’une superficie de 1 128 km2, est marqué par les reliefs volcaniques. La Martinique est marquée par une importante défiance de sa population à l’égard du système judiciaire, de sorte que les problématiques d’accès au droit et à la justice constituent des enjeux sociétaux majeurs au sein de la population martiniquaise.
1. La Martinique, une terre de défis pour l’institution judiciaire
a. Un accès au droit et à la justice limité par de nombreux facteurs socioculturels
● Avec une population estimée à 355 500 habitants au 1er janvier 2025, la Martinique subit un recul démographique. L’île a en effet perdu 0,7 % de sa population en moyenne par an, soit 25 400 habitants en dix ans.
En conséquence, la Martinique fait face à un vieillissement accéléré de sa population. Pour la troisième année consécutive, la Martinique est en effet la région française avec la part la plus élevée de personnes âgées de 60 ans et plus (35 %), devant la Guadeloupe (33 %) ([278]).
Or, selon de nombreuses personnes auditionnées, les personnes âgées constituent un public particulièrement fragile en matière d’accès au droit et à la justice. L’isolement social, l’absence de mobilité, la dégradation de l’état de santé ou encore un illectronisme plus répandu parmi celles-ci sont autant de facteurs qui sont de nature à restreindre l’accès au droit et à la justice des personnes âgées.
Les acteurs de l’accès au droit en Martinique adaptent en conséquence les prestations proposées, afin de prendre en compte cette spécificité démographique, comme le reconnait le CDAD : « La prise en charge des aînés avec la municipalité de Fort-de-France et les autres communes est toujours au cœur de l’activité du CDAD de Martinique » ([279]).
Par ailleurs, la dynamique de vieillissement entraine mécaniquement une augmentation tendancielle des procédures liées aux mesures de protection de majeures et par conséquent une activité accrue du juge des tutelles. En 2024, le contentieux de la protection a ainsi représenté 1 074 affaires nouvelles pour le tribunal judiciaire de Fort-de-France, pour 822 affaires jugées.
carte économique de la martinique
Source : Iedom.
● Les conditions socio-économiques en Martinique sont également de nature à constituer des freins à l’accès au droit, en dépit du fait qu’elles sont globalement plus favorables que dans d’autres territoires d’outre-mer.
Près de 27 % de la population vit ainsi sous le seuil de pauvreté, contre 15 % en Hexagone ([280]). Cette précarité, conjuguée à des prix plus élevés qu’en Hexagone, entraine en Martinique, à l’instar d’autres territoires d’outre-mer, d’importantes tensions sociales, comme l’a illustré l’importante mobilisation du « mouvement contre la vie chère », qui a bloqué l’île pendant plusieurs semaines à l’automne 2024.
● Une partie non négligeable de la population souffre en outre d’illettrisme. En effet, 13 % des Martiniquais âgés de 18 à 64 ans rencontrent des difficultés face à l’écrit. Cette part s’élève à 36 % pour les personnes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ([281]).
Les associations ont également mis en avant de l’obstacle de la langue, dans un contexte où le créole reste la langue maternelle de la majorité de la population martiniquaise. L’Association martiniquaise pour les enquêtes pénales et sociales (Ampeps) relève à ce titre que « l’utilisation de la langue créole pour les autochtones et les étrangers caribéens qui la parlent est nécessaire, car elle les aide à comprendre les subtilités du français juridique (…). Il est essentiel que le personnel judiciaire soit formé à la culture et à la langue créole pour mieux comprendre les justiciables. Il faudrait plus de traducteurs pour faciliter la compréhension des justiciables » ([282]).
● Enfin, la « fracture numérique » touche particulièrement le Martinique. Une étude récente de la collectivité territoriale de Martinique sur l’inclusion numérique estime ainsi que 7,4 Martiniquais sur 10 sont en situation de « fragilité numérique », contre une personne sur trois en Hexagone ([283]). Les infrastructures en ce domaine sont lacunaires sur le territoire, comme l’illustre le fait que près de 60 % de la population martiniquaise n’est pas raccordée à la fibre ([284]).
Dans ce contexte, le CDAD s’attache à développer une action spécifique en matière d’accès au numérique, avec trois agents sur huit au sein de la structure qui sont dédiés à cette mission, en leur qualité de « conseillers numériques » : « Les conseillers numériques ont animé des ateliers sur tout le territoire afin d’initier la population à l’usage des outils numériques et à les accompagner vers l’autonomie numérique notamment en les formant aux démarches administratives en ligne » ([285]).
b. Une défiance importante de la population à l’égard de l’institution judiciaire
● Les interlocuteurs rencontrés par la délégation de la commission d’enquête à Fort-de-France en septembre dernier ont quasi unanimement souligné l’importante défiance des Martiniquais à l’égard de l’institution judiciaire.
Le maire de Fort-de-France a ainsi mis en exergue le caractère opaque du système judiciaire pour les justiciables martiniquais, ainsi que le sentiment répandu au sein de la population qu’elle est au service des intérêts des « puissants », et notamment des « Békés ».
L’édile a également souligné que les Martiniquais, en cas de conflit, s’adressaient bien souvent en premier lieu aux autorités locales – maires et préfet – avant de saisir les juridictions, ce qu’a confirmé le préfet.
La bâtonnière de Martinique, Me Murielle Renar-Legrand, a également indiqué qu’« il existe une défiance due à certaines affaires très médiatisées durant lesquelles la justice est qualifiée de “coloniale” » ([286]).
Le scandale de la chlordécone a été cité par de nombreux interlocuteurs comme un facteur ayant contribué à distendre les liens entre le système judiciaire et la population martiniquaise. Une large partie des Martiniquais jugerait en effet que la réponse judiciaire dans cette affaire n’aurait pas été à la hauteur des enjeux (cf. encadré infra).
Saisi en 2006 d’une plainte pour empoisonnement, mise en danger de la vie d’autrui et administration de substance nuisible, le tribunal judiciaire de Paris a ainsi prononcé un non-lieu le 2 janvier 2023, pour motifs de prescription ou de non-caractérisation des faits, provoquant depuis de nombreuses réactions politiques et militantes sur l’île ([287]). En outre, des demandes d’indemnisation de 1286 plaignants pour préjudice d’anxiété ont été rejetées par le tribunal administratif de Paris, dans une décision du 24 juin 2022, au motif qu’elles étaient insuffisamment circonstanciées ; la décision reconnait néanmoins que l’État a commis des « négligences fautives » dans le dossier de la chlordécone ([288]).
Le scandale de la chlordécone
« Molécule chimique de la famille des organochlorés et interdite aux États-Unis dès 1977 suite à une intoxication aiguë au sein de l’usine de fabrication de Hopewell en Virginie, la chlordécone a été utilisée de 1972 à 1993 comme insecticide dans les Antilles françaises pour lutter contre le charançon du bananier. Elle n’a fait l’objet d’un retrait d’autorisation qu’en 1990 et a bénéficié d’une dérogation pour son utilisation dans les Antilles jusqu’en 1993. L’utilisation du produit a conduit à une pollution durable des sols, cours d’eau et eaux côtières. L’exposition se fait par voie alimentaire, avec des effets sur la santé connus ou en cours d’approfondissement. La gestion de cette pollution constituant un enjeu majeur pour les Antilles en terme sanitaire, environnemental, agricole et économique, le Président de la République, en septembre 2018, a indiqué que “l’État doit prendre sa part de responsabilité et avancer sur le chemin de la réparation et des projets”. C’est dans cet objectif que le Gouvernement a adopté le plan chlordécone IV (2021-2027), renommé Stratégie Chlordécone en octobre 2024, comportant des objectifs ambitieux ».
Source : préfecture de Martinique, dossier territorial.
● La récente polémique relative au projet de rehaussement du Parquet dans la salle d’audience Robert Badinter de la cour d’appel de Fort-de-France ([289]), suspendu à la suite d’une forte mobilisation du barreau local, illustre également les tensions particulières qui existent autour du système judiciaire en Martinique.
Me Yanick Louis-Hodebar, membre du conseil national des barreaux (CNB) a rappelé à ce titre lors d’une audition que « des dysfonctionnements, il en existe partout sur le territoire national mais en outre-mer, nous sommes dans une cocotte-minute : le moindre grain de sable dans la machine peut entraîner une révolution. Cela pourrait être le cas en Martinique où la rénovation de la salle de cour d’assises, et le rehaussement physique des magistrats du parquet par rapport aux avocats de la défense, a conduit à une levée de boucliers des avocats. Si l’on tentait de passer en force sur ce point, croyez-moi, tout le monde entendrait parler de la Martinique » ([290]).
Dans la même perspective, les chefs de cour ont également constaté avec regret un haut niveau de violence verbale dans les prétoires à l’encontre des magistrats de la part d’une minorité d’avocats : « En matière pénale, les stratégies de défense parfois très offensives rendent la tenue des audiences éprouvante et rallongent la durée de traitement de chaque dossier » ([291]).
● Cette défiance est enfin illustrée de façon paroxystique par les actions violentes de manifestants ou activistes, qui prennent pour cible les bâtiments judiciaires : « Les poursuites engagées contre des membres de la mouvance RVN (Rouge-Vert-Noir, mouvement indépendantiste et anti colonial) puis, récemment du RPPRAC (rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro‑caribéens), attirent systématiquement sur le parvis des juridictions, un comité de soutien (…). Des dégâts dont le coût se montera à plusieurs dizaines de milliers d’euros ont récemment été infligés au tribunal judiciaire » ([292]).
Dans ce contexte, il a été décidé de mener des travaux de sécurisation des bâtiments judiciaires : « compte tenu des attaques dont la justice fait l’objet en Martinique, l’Apij conduit actuellement un projet de renforcement de la sécurité périmétrique du bâtiment en réponse aux préconisations posées par un audit de sécurité réalisé en 2022 » ([293]).
c. Des défis majeurs à relever pour les acteurs du droit et de la justice
● La Martinique est confrontée depuis plusieurs années à une augmentation sans précédent de la criminalité et des vols à main armée, dans un contexte de forte circulation des armes à feu en provenance des pays limitrophes. Selon les indications de la préfecture, la Martinique est aujourd’hui le premier département français en nombre d’homicides par habitant, et le troisième département en valeur absolue.
La dynamique récente est particulièrement inquiétante : entre juillet 2024 et juin 2025, 36 homicides et 235 tentatives d’homicides ont été enregistrés en Martinique, soit une hausse respective de 38 % et de 109 % par rapport à la période allant de juillet 2023 à juin 2024.
La Martinique est en outre devenue un lieu de transit important pour les stupéfiants issus des autres îles de la Caraïbe, de Colombie et du Venezuela, ainsi que l’illustre l’explosion des saisies de cocaïne, passées de 2,7 tonnes en 2023 à 21,8 tonnes en 2024.
● En outre, la société martiniquaise reste marquée par un fort taux de violences au sein de la sphère familiale et privée.
Il est estimé que près d’une femme sur cinq a été victime de violences conjugales en Martinique, soit trois fois plus qu’en France hexagonale ([294]). Les plaintes pour violences conjugales ont augmenté de 83 % sur les cinq dernières années, avec près de 800 faits par an enregistrés par les forces de sécurité intérieure. En outre, plus d’un quart des femmes martiniquaises ont déclaré avoir subi des violences de la part de leur famille ou de leur entourage proche ([295]).
Dans ce contexte, un axe prioritaire des acteurs de l’accès au droit et à la justice est de développer la prise en charge des victimes. À titre d’exemple, depuis le début de l’année 2025, les plaintes pour violences conjugales et intrafamiliales peuvent être enregistrées directement au sein des hôpitaux de l’île. Des permanences spécialisées pour les femmes victimes de violences physiques ou morales sont également organisées au siège du CDAD, afin d’orienter ces dernières dans leurs procédures juridiques. Le CDAD a enfin conclu en 2024 une convention avec le barreau afin que, dans le cadre de permanences spécifiques, les victimes puissent être reçues par l’avocat qui les représente le jour de l’audience ([296]).
Un grand nombre d’interlocuteurs rencontrés par la délégation de la commission d’enquête en Martinique ont mis en avant la prégnance des enjeux fonciers sur l’île.
● Certes, le phénomène de « désordre foncier » est commun à de nombreux territoires d’outre-mer. Il résulte de la conjonction, d’une part, d’un cadastre lacunaire et, d’autre part, de la non-liquidation d’indivisions successorales parfois très anciennes.
Les représentants du notariat auditionnés par la commission d’enquête ont relevé à ce sujet que « les spécificités locales sont indéniables outre-mer. Il y a des situations d’indivision non réglées sur plusieurs générations, or une succession avec trente héritiers est bien plus difficile à faire aboutir qu’un dossier n’impliquant que trois ou quatre personnes (…). Voilà le quotidien des notaires ultramarins ; en métropole, nous n’avons jamais de telles enquêtes à mener. En effet, l’état civil est balisé à l’extrême dans l’Hexagone (…). Le notariat de mes confrères ultramarins est semé d’embûches (…). Leur travail est délicat car ils ne disposent pas de documents fiables, à la différence des notaires hexagonaux » ([297]).
● Cependant, en Martinique, où il est estimé qu’environ 30 % des parcelles sont occupées par des occupants sans titre, cet enjeu est au cœur des tensions sociales, comme l’ont confirmé de nombreuses personnes interrogées.
En effet, une partie de la population dénonce le développement d’un phénomène de « spoliation de terres » dont certains Martiniquais s’estimeraient victimes. Cette « spoliation » aurait pour origine l’instrumentalisation par des personnes de mauvaise foi de la procédure de prescription acquisitive (« usucapion »), qui permet de devenir propriétaire d’un bien immobilier au terme de dix années d’occupation paisible (cf. encadré infra).
Le maire de Fort-de-France a ainsi confirmé le sentiment répandu au sein de la population martiniquaise d’une volonté de dépossession des terres par des « profiteurs », qui bénéficieraient, selon ladite population, de la complicité de certains notaires et de la passivité des pouvoirs publics et des autorités judiciaires.
La sensibilité de ce sujet dans l’opinion martiniquaise a été notamment illustrée par les émeutes qui ont suivi l’interpellation en mars 2024 de l’activiste Hervé Pinto, qui estime avoir été victime d’une telle spoliation. Ce dernier a ainsi fondé l’association Kollèctif Jistiss Matinik (KJM) pour dénoncer ces « malversations autour des terres ». L’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar) est également très active en ce domaine ([298]).
● Le préfet a toutefois signalé qu’il ne disposait pour sa part d’aucun élément documenté sur ces éventuelles fraudes à la prescription acquisitive.
Interrogés sur leur perception de ce sujet, les représentants du Conseil supérieur du notariat ont quant à eux mis en exergue la distinction qu’il convient de dresser entre, d’une part, le sentiment de dépossession qui peut légitimement naître de l’application de la prescription acquisitive, et, d’autre part, la régularité ou non de la situation juridique née de l’application d’une telle prescription : « J’imagine que les situations de spoliation évoquées sont sûrement légitimes dans certains cas, car une impression de spoliation peut exister ; il n’est pas évident, lorsque l’on possède un titre ancien, qui remonte à plusieurs générations, de se voir opposer une prescription acquisitive. Mais si cette possession est régulière et a été établie dans les règles, elle fait foi et vaut titre de propriété » ([299]).
● Pour lutter contre ce phénomène de « désordre foncier » générateur de tensions sociales, il a été créé, sur le fondement de l’article 35 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, un groupement d’intérêt public pour la sortie de l’indivision et pour le titrement en Martinique (Gipi).
Cet organisme, qui a débuté son activité en 2023, est en charge de la procédure de « titrement ». Celle-ci consiste à « collecter et analyser tous les éléments propres à inventorier les biens fonciers et immobiliers dépourvus de titres de propriété ainsi que les occupants ne disposant pas de titres de propriété » et à « établir le lien entre un bien et une personne, afin de constituer ou de reconstituer ces titres de propriété » ([300]). L’action de cet organisme reste cependant perfectible à ce stade, selon le constat effectué par le préfet de Martinique lors de son entretien avec la délégation de la commission.
Les juridictions martiniquaises ont également identifié l’importance de cette problématique foncière en Martinique. Il a en effet été institué un groupe de travail pour identifier des solutions en ce domaine, sous l’égide de deux magistrats honoraires, ainsi que l’a indiqué le premier président de la cour d’appel.
Désordre foncier en outre-mer : procédure de prescription acquisitive et indivision successorale
● La prescription acquisitive, ou usucapion, est un mode d’acquisition de la propriété qui découle de la possession. Elle est définie par l’article 2258 du code civil : « La prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». L’article 2261 du même code précise les conditions que doit revêtir la possession pour être éligible à ce mode d’acquisition de la propriété : « Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».
En application de l’article 2272, le délai d’usucapion en matière immobilière est trentenaire. Par dérogation, l’article 51 de la loi « habitat dégradé » du 9 avril 2024 a ainsi raccourci le délai d’usucapion à dix ans, jusqu’au 31 décembre 2038, dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
Ce délai raccourci vise à promouvoir l’utilisation de la prescription acquisitive comme un levier de résorption du désordre foncier dans les collectivités d’outre-mer, dès lors qu’il n’est pas nécessaire pour celui qui s’en prévaut de retracer la chaîne de propriété, comme l’a souligné un notaire auditionné : « Ces territoires souffrent en effet d’un défaut de foncier et la prescription acquisitive est une solution pour répondre aux problématiques liées à l’indivision (…). Il s’agit donc d’un moyen de sortir de ces situations de blocage. En ce sens, il me semble salvateur que l’on ait réduit ce délai à dix ans » ([301]).
Enfin, l’article 35-2 de la loi du 27 mai 2009 précitée a autorisé les notaires à établir jusqu’au 31 décembre 2027 un acte de notoriété dit « renforcé ». Lorsqu’un tel acte constate une possession portant sur un immeuble répondant aux conditions de la prescription acquisitive, il fait foi, sauf preuve contraire. Passé un délai de cinq ans à compter de sa publication, il ne peut plus être contesté.
● Un autre levier de résorption du désordre foncier tient au partage des indivisions successorales de longue durée, ouvertes sur plusieurs générations, qui sont très répandues dans les collectivités ultramarines.
La loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, dite « loi Letchimy », permet, dans certaines conditions, de vendre ou partager les biens indivis à la majorité absolue des indivisaires lorsque la succession est ouverte depuis plus de dix ans, par dérogation au principe de l’unanimité.
Ce dispositif a aussi été complété par la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement, dont l’article 51 a étendu le partage par souche, déjà applicable en Polynésie française depuis la loi n° 2019-786 du 26 juillet 2019, aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint‑Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces dispositions permettent, dans les situations les plus complexes, d’attribuer les lots composant une succession à une lignée familiale, par dérogation au principe de droit commun selon lequel les successions sont partagées par tête, c’est-à-dire en constituant autant de lots qu’il y a d’héritiers.
● Il convient enfin de relever que M. Marc Vizy a rendu le 30 juin 2025 un rapport sur le désordre foncier en Martinique, dont les recommandations sont actuellement en cours d’analyse par les services de la DGOM ([302]). Ce rapport promeut notamment la mise en place d’un « véritable service public de la régularisation foncière » en Martinique, avec la constitution de « brigades de régularisation foncières ». Il appelle à la création d’« un réseau ouvert de professionnels rompus aux procédures de régularisation foncière (notaires, géomètres, experts-immobiliers, généalogistes, avocats, huissiers, médiateurs, aménageurs…) prêts à intervenir rapidement (…) pour accélérer le règlement des dossiers » ([303]).
2. Des juridictions aux moyens renforcés mais insuffisants pour répondre aux besoins des justiciables martiniquais
Le maillage judiciaire en Martinique est concentré à Fort-de-France, où sont situés la cour d’appel et le tribunal judiciaire, étant précisé que ce dernier inclut un conseil des prud’hommes et un tribunal mixte de commerce. Le territoire ne compte ainsi aucun tribunal de proximité.
a. Des moyens humains globalement renforcés
● À titre liminaire, il convient de rappeler que les juridictions martiniquaises ont été fortement déstabilisées en 2024 par l’éclatement de l’affaire relative aux accusations de détournements de fonds publics du CDAD. L’ancienne présidente du tribunal judiciaire de Fort-de-France est en effet accusée d’avoir détourné des fonds du CDAD à son usage personnel, alors qu’elle présidait ce dernier. Une enquête pénale est actuellement en cours sur ces faits, ainsi qu’une procédure disciplinaire.
Outre que cette affaire est de nature à détériorer l’image de la justice auprès des Martiniquais, elle a eu des conséquences directes sur le fonctionnement du tribunal judiciaire : « les diverses révélations concernant la gestion du CDAD opérée depuis mars 2024 ont conduit à une véritable crise de confiance au sein de la juridiction. La dyarchie est aujourd’hui totalement à reconstruire. L’absence de présidente entre le 22 septembre 2024 et le 3 février 2025 a fortement accaparé deux des quatre premières vice-présidentes qui ont assuré l’intérim. Le fonctionnement global de la juridiction en a été impacté malgré les efforts importants fournis par chacun dans la mesure où une troisième vice-présidente en charge du service civil a dû prendre en charge les référés. L’état d’esprit des magistrats du tribunal judiciaire est aujourd’hui morose, particulièrement au siège » ([304]).
● S’agissant des effectifs, les chefs de cour ont mis en exergue la réduction sensible des vacances de postes au cours des deux dernières années, grâce au renfort d’effectifs.
La cour d’appel comprend 20 magistrats – 6 au parquet et 14 au siège –, tandis que le tribunal judiciaire compte 55 magistrats – 15 au parquet et 40 au siège –, ce qui est parfaitement cohérent avec la circulaire de localisation des emplois 2025.
Plusieurs postes ont ainsi été créés dans le cadre de la programmation 2023-2027 : un conseiller, un juge d’instruction, un substitut général et un vice-procureur. En outre, selon les informations données à votre rapporteur, quatre postes doivent encore être créés d’ici 2027 au siège : trois au tribunal judiciaire et un poste de magistrat placé à la cour d’appel ([305]).
Au total, selon les données de la direction des services judiciaires, le nombre de magistrats basés à Fort-de-France a augmenté de 25 % sur la dernière décennie, ce qui est légèrement supérieur à l’évolution générale des effectifs de magistrats outre-mer sur la même période (+ 20,44 %).
● En ce qui concerne les greffiers, cinq postes sont vacants sur un effectif total de 157 postes localisés au greffe de la cour d’appel et du tribunal judiciaire.
Les effectifs de greffiers ont augmenté de 17,3 % sur la dernière décennie pour les juridictions martiniquaises, soit une augmentation moins forte que celle constatée en moyenne dans les outre-mer (+ 21,6 %), mais qui reste plus élevée que l’évolution des effectifs en Hexagone sur la même période (+ 11,9 %).
Les représentants des syndicats rencontrés par la délégation de la commission d’enquête lors de son déplacement en Martinique ont en outre mis en exergue l’augmentation du recours à des vacataires pour occuper les postes de greffiers. Or, ceux-ci seraient insuffisamment formés pour assurer leurs missions, selon ces représentants syndicaux.
Les chefs de cour relèvent à ce titre que « le greffe est globalement vieillissant avec des départs à la retraite réguliers, ce qui engendre de l’absentéisme durant leur période de congé avant leur départ effectif (purge de compte épargne temps) (…) Pour pallier cette problématique, la cour d’appel demande régulièrement l’affectation de greffiers placés et a recours aux vacataires. En effet, les arrivées dans le cadre de mobilités ne sont pas permises avant le départ de l’agent » ([306]).
Il convient au surplus de relever un fort absentéisme des personnels de greffe au sein des juridictions martiniquaises, avec un taux d’absentéisme de 18 %, soit le plus haut taux d’absentéisme parmi les juridictions d’outre-mer.
● S’agissant des autres types de personnels, votre rapporteur tient à saluer une politique volontariste de recrutements d’interprètes salariés, dont les effectifs sont passés d’un à six en neuf ans. Ces recrutements ont permis au surplus de faire des économies substantielles sur les frais de justice : « La justice martiniquaise doit avoir recours de façon massive aux services d’interprètes‑traducteurs. La langue majoritairement utilisée par la population non-francophone est le créole (martiniquais ou des îles voisines). De plus, la population délinquante est fortement marquée par un aspect d’extranéité, notamment en matière de criminalité organisée. De longue date, les frais induits par l’interprétariat pèsent très lourdement sur la masse globale des frais de justice. Ainsi, en 2017, ce coût était de 1,5 million d’euros soit 49,2 % des frais de justice engagés par le TGI de Fort de France (contre 16,5 % au niveau national et 26 % au niveau des juridictions ultramarines). Dès décembre 2016 (…), la cour d’appel de Fort de France s’est inscrite dans une politique volontariste, passant d’un à six interprètes salariés en neuf ans (…). Le recours aux interprètes de cette équipe a permis une économie d’échelle de l’ordre de 757 527 euros sur les trois dernières années (238 256 euros en 2022, 245 120 euros en 2023, 274 151 euros en 2024) » ([307]).
● Si les juridictions martiniquaises ne souffrent pas d’un déficit structurel d’attractivité auprès des magistrats, celle-ci reste toutefois étroitement liée à l’évolution du climat social, selon les chefs de cour : « Les dialogues de gestion montrent que la Martinique n’a pas à souffrir d’un manque d’attractivité à ce jour. Si le vivier de candidats pour venir exercer dans la collectivité n’est pas pléthorique, il a jusqu’à présent suffi à couvrir les besoins. À noter toutefois que les émeutes de la fin d’année 2024 ont entraîné une baisse du nombre de candidats à l’arrivée et corrélativement une hausse du nombre de candidats au départ » ([308]).
Le classement des quatre magistrats primo-affectés à Fort-de-France issus de la promotion 2023 de l’ENM – 57e, 60e, 102e, 281e sur 381 – tend à démontrer que les juridictions martiniquaises sont davantage attractives auprès des élèves magistrats que celles situées en Guadeloupe et a fortiori en Guyane ou à Mayotte.
S’agissant des greffes, les juridictions du ressort de Fort-de-France font en revanche face à un déficit de fidélisation, puisque le taux de rotation atteint 9,56 % en 2024, ce qui en fait le 7e ressort le plus renouvelé en France sur un total de 38 ([309]).
b. Une réponse pénale qui souffre de plusieurs lacunes
● Le défi majeur auquel sont confrontées les juridictions martiniquaises réside dans l’accroissement de l’activité pénale, compte tenu de l’augmentation de la criminalité sur le territoire.
Fort-de-France est également le siège de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), dont la compétence géographique couvre la Guyane et l’ensemble des territoires antillais. Il s’agit de la seule JIRS présente dans les outre‑mer. Les affaires traitées par la JIRS relèvent principalement du crime organisé, notamment en matière de trafics de stupéfiants, et des dossiers complexes de délinquance financière. L’activité de la JIRS est en forte croissance, avec des saisines annuelles qui sont passées de 26 en 2021 à 38 en 2024 ([310]).
Parallèlement, Fort-de-France abrite une antenne de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) compétente pour l’ensemble des départements et régions d’outre-mer, comme l’a rappelé l’ancien garde des sceaux Éric Dupond-Moretti : « J’ai inauguré la première antenne ultramarine de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), qui a rencontré un véritable succès en quelques jours. Une telle antenne n’existait pas dans les Caraïbes. Elle a immédiatement saisi des avoirs criminels, dont certains, notamment immobiliers, ont pu, grâce à la loi Warsmann du 24 juin 2024, être affectés au profit d’associations d’utilité publique » ([311]).
● Afin de faire face à l’afflux de dossiers criminels, la durée des sessions de la cour d’assises a été multipliée par deux en deux ans. Dans cette perspective, il a été indiqué à votre rapporteur que la création en 2025 d’un nouveau poste de président d’assises permettra de tenir une session permanente d’audiences d’assises.
Parallèlement, les chefs des juridictions martiniquaises ont mené une politique volontariste de réduction des délais de traitement des affaires pénales. Le délai d’audiencement ([312]) des dossiers en matière pénale a ainsi été réduit de douze à six mois sur la dernière année, à la faveur notamment d’une augmentation des procédures de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité intervenant immédiatement après une garde à vue (CRPC dite « défèrement »).
Afin d’optimiser la réponse pénale et de concentrer les moyens des juridictions sur les affaires les plus graves, le recours aux alternatives aux poursuites telles que la composition pénale a été privilégié. Les postes de délégués du procureur, qui sont spécifiquement en charge de cette mission, ont ainsi sensiblement augmenté pour atteindre un total de douze effectifs.
● L’optimisation de la réponse pénale souffre cependant de plusieurs écueils.
Les effectifs de magistrats, bien qu’en hausse, restent sous-dimensionnés par rapport aux besoins. La représentante de l’Union syndicale des magistrats (USM) a ainsi rappelé qu’un juge d’instruction à Fort-de-France avait plus de 150 dossiers à traiter, alors qu’un ratio jugé raisonnable serait de l’ordre de 70 à 80 dossiers par magistrat instructeur, selon l’évaluation du syndicat.
Le sous-effectif en matière pénale est également dénoncé par le Syndicat de la magistrature : « Le tribunal judiciaire de Fort-de-France souffre quant à lui d’un sous-dimensionnement chronique, tant au parquet qu’au siège, rendant très difficile l’exercice juridictionnel, en matière pénale notamment (…). Le tribunal judiciaire ne compte pour traiter ces faits criminels en plus de toutes les affaires courantes, [que] 16 magistrats au parquet dont trois affectés à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), et seulement sept juges d’instruction dont trois JIRS. En moyenne, les juges d’instruction doivent traiter 150 dossiers, dont 60 concernent des personnes détenues et une immense majorité de dossiers criminels. Ces chiffres démontrent l’impossibilité pour la justice d’être rendue dans des conditions acceptables » ([313]).
Dans les dossiers les plus complexes, le déficit d’experts locaux et la nécessité subséquente de faire appel à ceux situés en Hexagone sont un facteur important d’allongement des délais de procédure, selon les chefs de cour.
S’agissant du JIRS, dont les dossiers ont une forte composante internationale, une difficulté majeure réside dans le déficit d’entraide internationale : « Il convient enfin de rappeler les difficultés liées à l’entraide internationale en matière pénale. En effet, parmi les facteurs locaux de complexité, l’entraide pénale au sein de la zone occupe une place importante. À l’exception de l’île de Sainte-Lucie, à laquelle la France est désormais liée par deux conventions, aucune convention bilatérale n’existe avec les États voisins (…). Ainsi, les demandes restent très fréquemment sans réponse ou n’aboutissent pas pour des raisons logistiques. Enfin, plusieurs des États voisins connaissent une situation politique instable et de sérieux problèmes de corruption. Il est à noter, à ce titre, l’arrivée d’une magistrate de liaison en caraïbe occidentale depuis septembre 2024, outre l’arrivée concomitante d’un attaché de sécurité intérieure couvrant la même aire géographique » ([314]).
Enfin, concernant la justice pénale des mineurs, l’insuffisance des structures de placement aboutit à envoyer des jeunes Martiniquais en Guadeloupe ou en Guyane, au mépris de la sauvegarde des liens familiaux, comme le souligne le syndicat de la magistrature : « Le tribunal pour enfants du tribunal judiciaire de Fort-de-France rencontre les mêmes difficultés que dans l’Hexagone liées à la surcharge des cabinets de juges des enfants ainsi qu’à un manque de personnel œuvrant auprès des mineurs. Toutefois, la Martinique a la spécificité d’avoir un nombre de lieux de placement très restreint au pénal, ce qui implique d’envoyer les mineur·es par avion au centre éducatif fermé de Guadeloupe ou de Guyane ou au centre éducatif renforcé de Guyane, ce qui n’est pas propice au maintien des liens avec la famille ou de la continuité des démarches faites en vue de la scolarisation ou de l’insertion du ou de la jeune » ([315]).
c. Des contraintes immobilières fortes qui obèrent l’activité juridictionnelle
● En premier lieu, les juridictions martiniquaises se heurtent à un déficit de salles d’assises, qui est susceptible d’entraver à terme le rehaussement des capacités de jugement en matière pénale, comme le soulignent les chefs de cour : « L’impensé du projet de rénovation de la cour d’appel consiste en l’absence d’une salle d’audience spécifiquement dédiée au jugement des affaires criminelles. La cour d’assises et la cour criminelle départementale se tiennent ainsi en salle A du tribunal judiciaire, ce qui obère de fait la capacité de jugement correctionnel de première instance (...). Les chefs de cour ont en conséquence décidé de consacrer 120 000 euros à l’aménagement d’une nouvelle salle d’audience au tribunal judiciaire, afin de décongestionner la gestion des salles dans cette juridiction. Cependant, si la criminalité et la délinquance devaient poursuivre leur très forte hausse, la création d’une salle dédiée au jugement des affaires criminelles redeviendra un impératif » ([316]).
● De façon plus générale, le tribunal judiciaire de Fort-de-France connait d’importantes dégradations et est devenu trop exigu, compte tenu de l’augmentation des effectifs. Sa rénovation et son extension constituent donc une priorité pour les chefs de juridiction.
Or, selon l’Apij, « la réhabilitation et l’extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France sont au stade des études préalables » ([317]). Les contraintes budgétaires expliqueraient le retard pris par ce projet : « Le contexte budgétaire actuel conduisait à phaser cette opération, en commençant prioritairement par la dé-densification du palais actuel (acquisition et aménagement envisagés des plateaux de Cour Perrinon et regroupement des services civils), pour assurer dans un second temps la rénovation du palais existant » ([318]).
Les vicissitudes du projet de rénovation du tribunal judiciaire de Fort-de-France
« Le palais de justice de Fort-de- France, situé en centre-ville et inauguré au tournant des années 2000, est touché par des dysfonctionnements qui engendrent une vétusté prématurée de certains éléments techniques et architecturaux.
Cette vétusté rapide s’explique par l’influence du climat tropical mais, surtout, par un défaut d’entretien efficace durant les vingt premières années de mise en service.
De surcroît, le palais de justice doit faire face à une suroccupation liée à l’augmentation de l’activité judiciaire ainsi qu’à l’augmentation des moyens humains mis à sa disposition.
Ces deux problématiques ont conduit la cour d’appel, en partenariat avec l’APIJ, avec le soutien du ministère de la justice, à envisager une opération de réhabilitation lourde du tribunal judiciaire permettant de le moderniser, de perfectionner sa performance énergétique, d’améliorer la gestion de l’espace et d’intégrer les effectifs complémentaires. Des crédits idoines ont été votés pour ce faire par le conseil d’administration de l’APIJ.
Les échanges ont débuté en 2021 avec la mairie de Fort-de-France pour obtenir des surfaces foncières complémentaires à proximité du bâtiment existant (centre Perrinon). Malgré des discussions très avancées et une proposition d’achat mise sur la table par l’APIJ, la mairie n’a jamais répondu et a finalement vendu les locaux en 2024 à la collectivité territoriale de la Martinique, ceci pour un montant symbolique.
Les échanges avec la CTM [collectivité territoriale de Martinique] ont été engagés par l’APIJ dès novembre 2024, ce qui a conduit la collectivité à formuler une proposition de vente auprès du ministère de la justice début 2025. Malheureusement, cette proposition a été formulée en pleine incertitude budgétaire du fait de la période de services votés. Aucune réponse n’ayant pu être donnée par le ministère de la justice, la CTM s’est désistée de son offre en juin 2025.
Subsiste la possibilité d’achat de certaines parties des locaux du centre Perrinon dont la CTM n’est pas propriétaire mais ces hypothèses forment un projet d’aménagement moins cohérent et moins ambitieux.
Parallèlement, le choix a été fait, sans attendre la réhabilitation globale, de débuter les travaux indispensables afin que les agents du tribunal judiciaire puissent travailler dans des conditions décentes. Des travaux prioritaires de réfection de la couverture, de mise à niveau technique des ascenseurs et de remplacement de la téléphonie ont été finalisés dès 2021.
Cet effort a été poursuivi et même renforcé à partir de 2023 en raison de l’enlisement des discussions avec la mairie de Fort-de-France (renforcement de la sécurité périmétrique, réfection des blocs sanitaires, changement des centrales de traitement d’air, des groupes froids, réfection du réseau d’eau glacé, projet de changement des ascenseurs, réparation des conduites défaillantes d’eau pluviales, etc.).
À ce jour, les conditions d’accueil des justiciables et de travail des agents se sont grandement améliorées, même si des efforts restent à faire, mais demeure une forte problématique de place et de disponibilité de salles d’audience ».
Source : réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France.
d. Un tribunal administratif confronté à un phénomène de non-recours massif en matière de contentieux social
● Le tribunal administratif de Martinique, dont les magistrats composent également le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon (cf. supra), compte treize effectifs, dont cinq magistrats et huit agents de greffe.
Le tribunal a une activité juridictionnelle relativement réduite : il a en effet jugé 778 affaires en 2024 et enregistré 823 nouveaux dossiers, contre plus de 2 000 affaires à titre de comparaison pour le tribunal administratif de Guadeloupe sur la même période.
Les effectifs existant semblent suffisants pour traiter les dossiers dans des délais raisonnables, puisque le délai de moyen de jugement s’établit à 6 mois et 15 jours, soit « parmi les délais les plus courts des tribunaux administratifs » ([319]).
● Le contentieux de la fonction publique représente plus d’un quart des affaires jugées, loin devant le contentieux fiscal, qui représente 10 % des affaires. La part du droit des étrangers y est relativement faible (9 % des dossiers), notamment en comparaison des tribunaux administratifs de Guadeloupe (environ 40 %) ou de Guyane, pour lesquels les dossiers de droit des étrangers représentent respectivement 40 % et deux tiers des affaires jugées.
Le tribunal administratif gère très peu de contentieux sociaux en dépit du fait que près de 30 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ainsi que l’a mis en exergue le président du tribunal administratif : « J’ai également très peu de contentieux en matière sociale. C’est pour moi un sujet d’étonnement. Des pans entiers de l’activité sociale – APL (aide personnalisée au logement), RSA (revenu de solidarité active) – relèvent en effet de la compétence de la juridiction administrative. Au tribunal administratif de Marseille, où j’étais précédemment affecté, les contentieux sociaux représentent à peu près 30 % de l’activité. Cela s’explique par le fait que le territoire marseillais est assez pauvre mais c’est le cas également de la Martinique, qui compte des poches de très grande pauvreté ; or les contentieux sociaux ne représentent que 4 à 5 % de l’activité du tribunal » ([320]).
Cette faiblesse du contentieux suggère un phénomène de non-recours massif des justiciables martiniquais, ainsi que le confirme le président du tribunal : « J’ai interrogé différents interlocuteurs, y compris des personnalités politiques. Cela tient soit à un manque d’information, soit à une certaine réserve de la population, qui ne veut pas montrer qu’elle est pauvre et qu’elle est obligée de réclamer » ([321]).
● S’agissant de l’attractivité, le tribunal administratif de Martinique a traditionnellement des difficultés à attirer des profils de magistrats expérimentés.
Cependant, la réforme permettant aux magistrats administratifs d’effectuer leur mobilité dans une juridiction ultramarine commence à porter ses fruits, selon le président du tribunal administratif : « Par le passé, nombre de postes étaient pourvus par des “issus de concours”, c’est-à-dire des magistrats dont c’était la première affectation – à leur demande ou bien parce qu’ils n’avaient pas le choix (…). Depuis deux ans, les magistrats expérimentés ont la possibilité d’effectuer leur mobilité – nécessaire pour accéder au grade supérieur – non pas à l’extérieur du corps, comme cela est habituellement le cas, mais en prenant un poste dans les territoires ultramarins pour une durée de trois ans. J’ai donc accueilli, en septembre, un collègue premier conseiller avec treize ans d’ancienneté, qui vient par choix accomplir sa mobilité en Martinique. Cela permet de sécuriser les affectations et évite que celles-ci soient contraintes » ([322]). Votre rapporteur ne peut que saluer cette évolution statutaire.
3. Un accès au droit altéré par la crise du CDAD
● Le CDAD est composé de huit agents, dont sept employés en contrats à durée déterminée, qui se répartissent comme suit : une responsable administrative et financière et son assistante, un chauffeur pris en charge par la subvention de la collectivité territoriale dans le cadre du Justibus, trois conseillers numériques, deux agents au service de l’accès au droit, complétés de quatre emplois saisonniers.
L’activité du CDAD a subi les conséquences préjudiciables de l’affaire de détournement de fonds révélée en 2024 : « L’exercice 2024 a été marqué par une diminution significative de la fréquentation du CDAD et des différents points‑justice du territoire, résultant d’un contexte particulièrement défavorable. La structure a dû faire face à une conjonction de facteurs perturbateurs : une couverture médiatique préjudiciable à l’image institutionnelle du CDAD, l’immobilisation du Justibus, la suspension administrative de la secrétaire générale, le déroulement d’une enquête judiciaire ainsi que la conduite de missions d’inspection générale (…). Par ailleurs, les circonstances n’ayant pas permis de procéder aux recrutements nécessaires, le CDAD fonctionne en effectif réduit depuis janvier 2024, ce qui a considérablement limité sa capacité opérationnelle » ([323]).
Ce contexte pèse sur les subventions accordées au CDAD. L’exécution budgétaire en 2024 s’est soldée par un déficit de 818 133 euros, contre un excédent de 679 457 euros en 2023, notamment en raison de l’absence de contribution de la collectivité territoriale de Martinique ([324]). Quant au ministère de la justice, il n’a accordé en 2025 qu’une subvention de 31 000 euros – contre 100 000 euros en 2024 –, au motif, selon les indications du service du ministère de la justice, que « le CDAD dispose d’un fond de roulement qui lui a permis de fonctionner sans subvention jusqu’en septembre 2025 » ([325]).
● Dans ce contexte, les principaux défis du CDAD sont, selon les chefs de juridiction de :
– restaurer l’image du GIP auprès des Martiniquais pour qu’ils puissent avoir confiance dans un outil qui met à leur disposition des professionnels engagés pour les accompagner dans leurs démarches ;
– lui garantir des ressources financières pérennes pour mener ses missions d’accès au droit sur un territoire marqué par un taux de paupérisation de 27 % et un réseau de transports en commun encore insuffisant ;
– à partir d’un diagnostic territorial partagé, évaluer avec finesse les besoins des Martiniquais sur l’ensemble du territoire pour corriger si besoin l’offre actuelle du CDAD.
b. Un maillage territorial insuffisant des dispositifs d’accès au droit
● Environ 12 000 personnes ont été reçues dans les 27 points-justice en 2024, dont 17 sont situés dans des maisons France Service.
À cet égard, le préfet de Martinique a mis en exergue l’intérêt de développer l’accès au droit dans le cadre des maisons France Services, qui ont l’avantage d’être bien identifiées par la population. La faiblesse des effectifs de ces maisons, qui abritent deux agents, et le manque d’espace pour accueillir les victimes constituent cependant un frein à une telle évolution.
La répartition du public parmi les différents points-justice est particulièrement inégale. Le point-justice situé au sein du tribunal judiciaire de Fort‑de-France a ainsi accueilli à lui seul plus du tiers des Martiniquais reçus dans un point-justice. Le CDAD relève à cet égard que « le point justice du tribunal judiciaire reste engorgé de demandes liées aux démarches relevant initialement des prérogatives de la CGSS [caisse générale de sécurité sociale], de l’AJ [aide juridictionnelle], de mesures de protection juridique, du surendettement des ménages, de problématiques liées au droit du travail, de conflits de voisinage, de loyers impayés et de demandes relatives au droit de la famille » ([326]).
Parmi ces points-justice, quatre sont dits spécialisés, en ce qu’ils accueillent un public spécifique, tels que le point-justice situé au sein du centre hospitalier universitaire (CHU) de Martinique ou celui du centre pénitentiaire de Ducos. Ces points-justice spécialisés ne reçoivent cependant que 1,8 % du total des personnes accueillies par le CDAD.
L’implication des professionnels du droit au sein de ces points-justice est inégale. En dépit des enjeux fonciers et successoraux prégnants sur l’île, aucune consultation n’a été effectuée par un notaire en 2024. De même, les commissaires de justice n’ont tenu aucune permanence au sein des points-justice.
● L’insuffisance du maillage territorial des points-justice a également été dénoncée par de nombreux interlocuteurs de la délégation de la commission d’enquête.
Certaines parties du nord du territoire ne sont ainsi pas couvertes par les dispositifs d’accès au droit, tels que la commune de Grand’Rivière. La préfecture de Martinique note à ce titre que « le maillage reste insuffisant, notamment dans les zones rurales. Le point-justice du tribunal de Fort-de-France et le point-justice du Lamentin sont saturés, tandis que certaines communes n’ont aucun point d’accès » ([327]).
L’Ampeps partage ce constat : « Il y a un manque crucial de points-justice en dehors des centres urbains. De plus, leur implantation dépend souvent de la bonne volonté des mairies, ce qui rend leur présence inégale. Les personnes ayant des difficultés à se déplacer sont donc particulièrement pénalisées » ([328]).
● Pour pallier ce maillage lacunaire des points-justice, ainsi que le déficit de transports publics sur l’île, un dispositif itinérant, appelé Justibus, avait été mis en place par le CDAD. Or, celui-ci est actuellement à l’arrêt, en raison de problèmes administratifs liés au certificat d’immatriculation du véhicule.
Cette suspension est particulièrement préjudiciable pour les territoires les plus enclavés, comme l’a souligné le CDAD : « L’année 2024 a été marquée par l’arrêt du Justibus depuis le début de l’année, dispositif dont l’absence s’est fait cruellement ressentir sur le territoire. Son utilité est désormais avérée au vu des nombreuses sollicitations reçues par le CDAD pour pallier cette absence et des difficultés rencontrées par les usagers pour accéder à leurs droits dans les zones les plus isolées » ([329]).
Il a toutefois été indiqué à la délégation de la commission d’enquête que le Justibus a vocation à être relancé prochainement à la suite de la régularisation de sa situation administrative, le véhicule faisant actuellement l’objet d’un contrôle technique.
● Au titre des défaillances des dispositifs d’accès au droit en Martinique, il convient enfin de relever que la maison de la justice et du droit de Fort-de-France est fermée depuis 2022, pour des raisons de sécurité.
Selon les indications données à votre rapporteur « ni la mairie, ni la justice n’avaient alors les moyens nécessaires pour procéder à sa réouverture. D’autre part, les locaux et la localisation n’étaient plus adaptés » ([330]). Dans ce contexte, il a été décidé qu’une demande sera prochainement adressée au garde des sceaux pour acter sa fermeture définitive.
Votre rapporteur déplore vivement qu’aucune réflexion n’ait été entreprise pour relancer cette MJD, en sécurisant les locaux ou en déplaçant celle-ci dans des locaux plus adaptés.
C. En Guadeloupe, des dispositifs innovants qui doivent Être amplifiés pour faire face aux immenses défis de l’archipel
La région monodépartementale de la Guadeloupe, rattachée à la France depuis 1674, doit faire face, en matière d’accès au droit et à la justice, à des défis immenses, liés à sa géographie et à sa population. Beaucoup d’efforts sont déployés par les pouvoirs publics, notamment par le biais de dispositifs innovants « d’aller vers », mais force est de constater qu’ils demeurent insuffisants à couvrir les besoins des Guadeloupéens.
1. Un besoin de justice particulièrement prégnant
a. Des contraintes fortes en matière d’accès au droit et à la justice
● La Guadeloupe, située sur l’arc antillo-caribéen, est un archipel de 1 630 km² composé de sept îles : les deux îles principales de la Guadeloupe dite « continentale », Grande‑Terre et Basse‑Terre, dont les superficies sont respectivement de 588 km2 et 848 km2, sont séparées par le canal de la Rivière salée ; l’île de Marie-Galante, d’une superficie de 158 km2 pour 10 442 habitants ; l’île des Saintes, qui compte 2 374 habitants pour 13 km2 ; l’île de la Désirade, de 20 km2 pour 1 349 habitants ; plusieurs îlets.
Le phénomène de « double insularité » est ainsi prégnant en Guadeloupe et constitue par conséquent un enjeu fort en matière d’accès à la justice et au droit pour les populations enclavées des plus petites îles.
Au total, au 1er janvier 2025, la population de la Guadeloupe était estimée à 380 400 habitants. La Guadeloupe accuse un fort recul démographique : en douze ans, l’île a en effet perdu 0,5 % de sa population en moyenne par an soit une baisse de 23 700 habitants sur la période.
Elle est ainsi devenue la deuxième région française dont la part des plus de 60 ans est la plus élevée, derrière la Martinique ([331]). Le vieillissement de la population suscite, à l’instar des autres territoires antillais, des enjeux spécifiques en matière d’accès au droit et à la justice. Les chefs de cour de Basse-Terre ont ainsi relevé une forte augmentation de l’activité du juge des tutelles.
● La Guadeloupe est marquée en outre par d’importants déséquilibres territoriaux, sur un territoire qui ne compte que 32 communes. Le cœur démographique et économique de l’archipel est en effet concentré dans l’agglomération pointoise, située au centre des deux principales îles : les Abymes est la ville la plus peuplée avec 51 000 habitants, tandis que Baie‑Mahault constitue la principale zone d’activité.
À l’inverse, la partie sud de Basse-Terre se dépeuple inexorablement depuis l’évacuation liée à l’éruption volcanique de la Soufrière en 1976. La capitale administrative de la Guadeloupe, Basse-Terre, compte ainsi environ 9 420 habitants, contre 11 730 en 2011.
Ces déséquilibres sont d’autant plus préjudiciables que la Guadeloupe souffre d’un important déficit en matière de transports publics, comme l’ont indiqué de nombreux interlocuteurs de la délégation de la commission d’enquête lors de son déplacement à Basse-Terre et Pointe-à-Pitre.
Source : Iedom.
● Les facteurs socio-économiques sont également de nature à entraver l’accès au droit et à la justice sur ce territoire. Ainsi, 34,5 % de la population guadeloupéenne vit sous le seuil de pauvreté. Le chômage atteint 18,6 %, tandis que seule une personne en âge de travailler sur deux possède un emploi. Plus de la moitié des enfants guadeloupéens vivent dans une famille monoparentale, contre 21 % en Hexagone. Parmi ces enfants, la moitié ont ses parents au chômage ou inactifs ([332]).
Ce contexte de précarité nourrit l’illettrisme et l’illectronisme. Un adulte sur cinq, soit 38 000 personnes, est en forte difficulté avec la lecture, l’écriture et/ou le calcul. Parmi ces personnes en difficulté, 41 % n’utilisent pas internet au quotidien et 31 % ne réalisent pas seules leurs démarches administratives, soit quasiment le double des personnes sans difficulté (17 %). Il a également été estimé qu’un tiers des Guadeloupéens n’ont aucune compétence numérique, contre 20 % des Hexagonaux ([333]). Face à ces défis, la préfecture a notamment déployé près de 50 conseillers numériques sur le territoire.
Enfin, il convient de relever que l’accès continu à certaines ressources vitales n’est pas garanti en Guadeloupe, dans un contexte de crise de l’eau et de l’assainissement : 80 000 Guadeloupéens sont ainsi touchés chaque semaine par des ruptures d’approvisionnement en eau ([334]). Cette crise résulte notamment d’un sous‑investissement chronique et de la gestion défaillante des opérateurs historiques sur l’archipel.
● Il résulte de l’ensemble de ces facteurs qu’une partie non négligeable de population guadeloupéenne connait peu ou mal ses droits. Cette situation peut conduire à des phénomènes de non-recours, voire d’instrumentalisation par des personnes malintentionnées, selon le constat effectué par la préfecture : « Il existe une désinformation importante de la population locale dans la connaissance de ses droits. Ce constat a été fait lors des caravanes des droits avec des personnes qui pensaient que tels ou tels droits “n’étaient pas pour eux” parce qu’un ami, collègue, membre de leur famille, etc. leur avait donné une mauvaise information (…). De plus, en pensant que certaines “entreprises privées” payantes leur feront gagner du temps, des personnes payent, souvent assez cher, pour avoir accès à certains droits. Malheureusement, généralement, ces démarches n’aboutissent pas d’autant plus que les personnes qui les ont conseillées ne sont pas formées pour le faire » ([335]).
b. Une activité criminelle en expansion, source de défis pour la justice
La Guadeloupe fait face à un contexte sécuritaire préoccupant. Elle se place ainsi au deuxième rang national pour le taux d’homicide, derrière la Guyane, avec un taux de 9,4 homicides pour 100 000 habitants, contre 1,3 en France hexagonale. La dynamique sur la période récente est particulièrement inquiétante : du 1er janvier au 15 septembre 2025, il y a déjà eu 38 homicides et 134 tentatives d’homicides, soit plus que pour l’ensemble de l’année 2024 – qui avait connu 33 homicides et 111 tentatives ([336]).
La Guadeloupe est également au troisième rang national pour les vols avec armes à feu, avec près de 400 faits en 2024, en augmentation de 18 % par rapport à 2023. L’importance du trafic d’armes à feu, en provenance des pays limitrophes, participe également à cette dynamique criminelle.
Cet accroissement de la violence s’inscrit dans un contexte de développement du narcobanditisme. Selon les chefs de cour, « l’analyse policière et judiciaire permet d’affirmer que 20 % des homicides et tentatives d’homicides perpétrés dans le ressort de la cour d’appel de Basse-Terre sont en relation directe avec le narcobanditisme » ([337]).
Les chefs de cour mettent également en exergue la structuration de gangs criminels sur le territoire guadeloupéen, avec un risque majeur de dérive mafieuse : « Les groupes criminels guadeloupéens (et de St Martin) ont évolué, se sont structurés, ont pris de l’ampleur en donnant naissance à des démembrements. Leur organisation les voit pénétrer le monde artistique, économique, associatif et des tentatives de pénétration de la vie politique ont été avérées. Un risque croissant réside dans la possibilité de voir ces gangs tendre vers une organisation mafieuse » ([338]).
Enfin, la Guadeloupe se distingue par un haut niveau de violences intrafamiliales, puisqu’elle atteint le deuxième rang national en 2023. Celles-ci représentent 36,9 % du total des atteintes volontaires à l’intégrité physique et plus de 50 % de ces mêmes faits constituent des violences par conjoint ou concubin.
2. Une justice qui fait face à un risque d’embolie
a. Des effectifs qui connaissent une hausse moins soutenue que dans le reste des outre-mer
● Le ressort de la cour d’appel de Basse-Terre couvre deux arrondissements judiciaires :
– celui du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, dont la compétence géographique couvre les îles de Marie Galante et de La Désirade ;
– celui du tribunal judiciaire de Basse-Terre, qui s’étend sur les îles des Saintes et inclut la juridiction du tribunal de proximité de Saint‑Martin (cf. infra).
Chaque arrondissement judiciaire compte un conseil des prud’hommes, un tribunal mixte de commerce, un tribunal paritaire des baux ruraux et, pour le ressort de Pointe-à-Pitre, un tribunal des pensions militaires. La cour d’appel, en tant que juridiction, comporte une cour d’assises et une cour criminelle compétentes pour l’ensemble du ressort judiciaire.
● S’agissant des effectifs de magistrats, la cour d’appel compte 24 magistrats – 18 au siège et six au parquet – dont cinq magistrats placés, et deux magistrats honoraires. Le tribunal judiciaire de Basse-Terre compte 17 magistrats du siège – dont cinq affectés au tribunal de proximité de Saint-Martin – et cinq magistrat du parquet – dont deux affectés au tribunal de proximité de Saint-Martin. Quant au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, il inclut 31 magistrats du siège, dix magistrats du parquet et trois magistrats à titre temporaire.
Seuls trois postes sont vacants : un poste de juge des enfants au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre ; un poste de vice-procureur à Saint-Martin ; enfin, un poste de vice-procureur placé auprès du procureur général.
La loi de programmation 2023-2027 prévoit la création de huit postes de magistrats sur l’ensemble des juridictions de la cour d’appel de Basse-Terre, dont six restent à pourvoir à la date de rédaction du présent rapport.
● Ces effectifs sont cohérents avec la clé de localisation des emplois 2025, qui prévoit 86 magistrats pour les juridictions du ressort de Basse-Terre. Il s’agit de l’effectif le plus important des ressorts d’outre-mer après celui de La Réunion, étant précisé que ce dernier inclut les juridictions de Mayotte.
De 2015 à 2025, le nombre de magistrats au sein du ressort de la cour d’appel de Basse‑Terre a ainsi augmenté d’environ 13 %, ce qui est toutefois inférieur à l’évolution moyenne dans les territoires d’outre-mer (+ 20,44 %) sur cette période. Il s’agit de la plus faible augmentation des effectifs de magistrats de l’ensemble des territoires d’outre-mer, hors Saint-Pierre-et-Miquelon.
● S’agissant des greffiers, la clé de localisation des emplois 2025 des greffiers prévoit 219 effectifs. Les effectifs de greffiers ont augmenté de 13,5 % sur la dernière décennie, ce qui représente, là encore, la plus faible augmentation d’effectifs de l’ensemble des territoires d’outre-mer, hors Saint-Pierre et‑Miquelon, sur cette période.
b. Un risque de saturation des juridictions
● Compte tenu du contexte sécuritaire local, les juridictions pénales sont soumises en Guadeloupe à une activité intense. À titre d’exemple, le tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre prononce près de 3 700 décisions en matière correctionnelle par an, tandis que les formations criminelles – cour d’assises et cour criminelle départementale – devraient rendre près de 65 arrêts en 2025.
Si les chefs de cour ont souligné que les délais de jugement sont inférieurs à la moyenne nationale pour quasiment l’ensemble des juridictions pénales de l’archipel ([339]), la chambre des appels correctionnels connait en revanche une situation obérée, compte tenu de l’importance des stocks, avec plus de 500 dossiers en attente de jugement. Les délais d’audiencement devant cette juridiction, qui étaient de 18 mois en 2023, ont toutefois été ramenés à près de douze mois en 2024.
● Cependant, les chefs de cour et de juridiction rencontrés par la délégation de la commission d’enquête lors de son déplacement en Guadeloupe ont mis en exergue les nombreux défis auxquels les juridictions guadeloupéennes doivent faire face en matière pénale.
Tout d’abord, pour éviter l’embolie des juridictions criminelles, il est fait un recours massif à la correctionnalisation, c’est-à-dire à la requalification de faits criminels en faits délictuels afin qu’ils soient jugés par un tribunal correctionnel. Selon les éléments transmis à votre rapporteur, « 100 % des vols à main armée sans mort d’homme, une part très importante des tentatives de meurtre sans blessure grave, des viols sans circonstance aggravante font ainsi l’objet d’une disqualification en délit et d’une orientation vers les juridictions correctionnelles, très souvent dans le cadre d’une comparution immédiate » ([340]).
En dépit de cette politique de correctionnalisation, les cinq cabinets de juges d’instruction font face à une activité considérable. À titre d’exemple, le cabinet du juge d’instruction de Basse-Terre est anormalement chargé avec 125 dossiers en cours, dont près de 45 % sont relatifs à des faits commis à Saint-Martin. Parmi les procédures suivies par les juges d’instruction des deux juridictions guadeloupéennes, le taux d’affaires criminelles peut atteindre jusqu’à 50 %.
Les cabinets d’instruction sont en outre confrontés à de nombreuses difficultés opérationnelles ([341]) : déficit d’experts judiciaires et nécessité subséquente de faire procéder à certaines expertises dans l’Hexagone ou de faire venir des experts de l’Hexagone ; impossibilité de délivrer ou de faire exécuter des commissions rogatoires internationales, faute de conventions d’entraide judiciaire avec les États voisins ; surcharge des services de police judiciaire, qui croulent sous les stocks de procédures non traitées – plus de 20 000 par an à Pointe‑à‑Pitre, compte tenu du sous-dimensionnement des services d’enquête ([342]).
● Parallèlement, l’activité des juges de l’application des peines ne cesse d’augmenter. Le nombre de décisions suivies par le juge de l’application des peines de Basse-Terre est ainsi de 1 800, contre environ 800 en moyenne en France. La création d’un juge de l’application des peines au tribunal de proximité de Saint‑Martin devrait cependant réduire cette surcharge de dossiers.
Enfin, il a été relevé que les cabinets des juges des enfants sont également saturés. Ainsi, l’activité du cabinet du juge des enfants de Basse-Terre a doublé en 2020 et 2024, dans un contexte notamment d’explosion de la délinquance des mineurs (+ 35 % de faits en 2023).
● S’agissant de l’activité civile, les chefs de cours ont souligné l’importance et la complexité, d’une part, des dossiers relatifs aux indivisions et aux successions, et, d’autre part, au contentieux immobilier. Les dossiers civils sont en forte croissance : au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, le nombre d’affaires nouvelles a quasiment triplé entre 2020 et 2024, en passant de 3 326 à 8 473. Cette évolution résulte notamment d’une augmentation des dossiers de tutelle pour les majeurs, des injonctions de payer, ainsi que des dossiers de surendettement.
c. Un immobilier judiciaire inadapté
Lors de leur déplacement en Guadeloupe, les membres de la délégation de la commission d’enquête ont pu constater le caractère indigne de certains bâtiments judiciaires.
● Le palais de justice de Basse-Terre est particulièrement vétuste et peu adapté aux besoins des usagers. Les justiciables ne disposent ainsi d’aucune salle d’attente. Quant aux prévenus, ils attendent à la vue de tous, puisque leur geôle est située dans une zone de passage du public.
Un projet de construction d’un nouveau palais de justice, qui accueillerait le tribunal judiciaire, est actuellement à l’étude, pour un coût prévisionnel de 60 millions d’euros. Le palais historique, dont les façades extérieures font actuellement l’objet d’un ravalement, ferait quant à lui l’objet d’une restauration complète pour y loger l’intégralité des services de la cour d’appel, pour un coût estimé à 40 millions d’euros.
Dans l’attente des arbitrages du ministère de la justice, l’exiguïté des locaux du site judiciaire de Basse-Terre a conduit les chefs de cour, avec les chefs de juridiction, à prévoir une opération de desserrement afin d’investir un immeuble du front de mer.
Basse-Terre : un palais de justice en péril
« Le palais de justice de Basse-Terre présente un état de dégradation avancé. Deux audits récents ont mis en évidence des défaillances majeures en matière de sûreté, soulevant de sérieuses inquiétudes quant à la sécurité des personnels et des usagers. L’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite y est très insuffisante, et parfois indigne : les justiciables étant parfois contraints d’être portés pour accéder à certaines salles d’audience.
Les conditions de travail sont particulièrement dégradées : infiltrations récurrentes, corrosion des cloisons, sanitaires vétustes, et bâtiments modulaires livrés en 2007 pour une durée transitoire de sept ans, toujours en service dix-huit ans plus tard.
Face à cette situation, des mesures ont été envisagées à court terme, notamment la prise à bail de locaux en front de mer au cours du 4e trimestre 2025 et une opération de ravalement des façades en cours. La réfection intérieure des salles d’audience, pourtant essentielle, a été abandonnée par les services de l’APIJ en raison de son coût.
Un projet de regroupement des juridictions sur un site unique est envisagé à l’issue d’une opération d’extension et de réhabilitation du palais de justice. Un jury de concours s’est réuni à cet effet le 22 mai 2024. Néanmoins, ce projet reste incertain et, s’il est effectivement validé, ne pourrait se concrétiser, dans le meilleur des cas, avant 2032.
Une étude générale de sûreté, (…) le 15 novembre 2024, comporte plus d’une centaine de préconisations, dont sept prioritaires qui font l’objet de demandes budgétaires spécifiques. Il convient également de souligner l’absence de geôles sur le site : les détenus sont actuellement gardés dans les fourgons de police stationnés sur le parking du personnel, ou dans des zones de passage du public, ce qui constitue une situation préoccupante » (1).
(1) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
● Quant aux locaux du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre livrés en 2018, ils n’ont pas pu accueillir tous les services dudit tribunal. Le conseil des prud’hommes est ainsi hébergé dans une ancienne caserne de gendarmerie dans des conditions inadéquates. Le tribunal de proximité, qui traite notamment les contentieux de protection (tutelle, curatelle, surendettement…), est quant à lui abrité dans un site aux conditions déplorables, avec des couloirs envahis par les termites et des problèmes structurels d’assainissement.
Dans ces conditions, il est envisagé un projet de restauration du palais historique de Pointe-à-Pitre pour y abriter le tribunal de proximité et le conseil des prud’hommes, pour un coût de 31 millions d’euros, mais aucun arbitrage n’a été rendu à ce jour.
Pointe-à-Pitre : desserrement et rénovation, une urgence fonctionnelle
« L’arrondissement de Pointe-à-Pitre fait face à un double défi : le manque d’espace et la vétusté de certaines infrastructures. Depuis l’installation dans le nouveau palais de justice en octobre 2018, les effectifs ont augmenté de manière significative (+19 agents), rendant les locaux insuffisants pour accueillir l’ensemble des personnels dans des conditions satisfaisantes.
Un premier projet de desserrement vise à rénover les locaux du 1er étage de l’ancienne caserne de gendarmerie, actuellement occupée par le conseil de prud’hommes, afin de permettre au tribunal judiciaire de délocaliser certains services ne recevant pas de public. Cette opération répond à une problématique récurrente : le manque de bureaux et de postes de travail, obligeant les agents à partager des espaces ou à travailler dans des conditions dispersées, parfois sur plusieurs étages. Les solutions mises en place, notamment le télétravail, ont atteint leurs limites. Cette situation concerne également l’assistante sociale et la psychologue du ressort, qui reçoivent les agents dans une pièce borgne.
Le SAR [service administratif régional] prévoit également de rénover trois pièces situées au même étage pour y installer une salle de formation et deux bureaux destinés à accueillir les ambassadeurs de la transformation numérique. Un local pour les organisations syndicales est également prévu, le bureau initial ayant été réaffecté au personnel.
Dans une perspective pluriannuelle, un second projet est envisagé pour l’exercice budgétaire 2027 : la rénovation du second étage du bâtiment, comprenant des bureaux et des salles de réunion, afin de répondre aux besoins croissants en espaces de travail. Ce projet s’inscrit également dans le cadre du plan de continuité d’activité, en prévision d’un éventuel redéploiement des services vers la Grande-Terre en cas de crise volcanique liée à la Soufrière.
Enfin, la rénovation de l’ancien palais de justice de Pointe-à-Pitre, initialement prévue pour 2024, est désormais repoussée à 2028, sans notification du marché à ce jour. Les locaux actuellement occupés, dont l’état de vétusté ne cesse de s’aggraver, nécessitent des travaux de mise aux normes urgents, notamment au niveau du pôle de proximité.
Le projet de desserrement du nouveau palais judiciaire de Pointe-à-Pitre apparaît donc comme une piste sérieuse à triple titre : il permettrait de désengorger les locaux, de redonner de la cohérence à l’occupation des espaces, et d’assurer la préservation du bâtiment hébergeant le CPH [conseil des prud’hommes] » (1).
(1) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
d. Un tribunal administratif dont l’activité est en forte augmentation
Le tribunal administratif de Guadeloupe est composé de 22 personnes, dont huit magistrats et 14 agents greffiers et d’aide à la décision. Les membres du tribunal siègent également au sein des tribunaux administratifs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
L’activité du tribunal connait une hausse importante, puisqu’elle a augmenté de près de 60 % depuis 2016. En 2024, le nombre d’affaires enregistrées a dépassé les 2 000 recours pour atteindre le total de 2 009, soit près de 10 % d’augmentation par rapport à l’an dernier, tandis que le nombre d’affaires jugées s’élevait à 1 968 ([343]). À titre de comparaison, le tribunal de Bastia, qui compte également huit magistrats, a jugé 1 642 affaires en 2024. Malgré cette hausse de l’activité, les délais de jugement ont été réduits de douze mois en 2023 à huit mois en 2024.
Le tribunal souffre d’un déficit d’attractivité auprès des magistrats expérimentés. Ainsi, sur huit magistrats, quatre sont issus du centre de formation de la juridiction administrative (CFJA). Il convient cependant de relever que deux magistrats du tribunal sont originaires de Guadeloupe.
Le président du tribunal a également évoqué la difficulté de trouver des experts indépendants locaux, dans certaines affaires sensibles, notamment en matière de travaux publics.
3. Un engagement fort des acteurs locaux en faveur de l’accès au droit et à la justice, qui doit être davantage soutenu financièrement
a. Un accès à la justice renforcé par des dispositifs innovants
Outre les audiences foraines qui se tiennent à Saint-Martin et Saint‑Barthélemy (voir supra), le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a annoncé la mise en place d’audiences foraines civiles sur l’île de Marie Galante. Aucune audience foraine ne s’est jusqu’alors tenue sur cette île, alors même que l’accès à la justice de ses habitants a été fortement obéré par la fermeture en 2010 du tribunal d’instance qui y était implanté. Ces audiences foraines, dont la première doit se tenir en décembre 2025, porteront essentiellement sur le contentieux des tutelles, qui concentre la majorité des demandes sur ce territoire.
Le parquet de Pointe-à-Pitre a par ailleurs délocalisé dans plusieurs agglomérations de son ressort des séances de notifications de décisions par les délégués du procureur. Ces « audiences » sont instituées dans quatre communes du ressort – Grand Bourg de Marie Galante, Le Moule, Lamentin et Petit Bourg – qui s’ajoutent à celles existantes à la maison de la justice et du droit des Abymes (cf. encadré infra).
● Les chefs de cour ont initié un processus inédit, dit « Open justice », qui vise à identifier les attentes des justiciables guadeloupéens, pour être en capacité de mieux y répondre.
Dans un premier temps, des étudiants de l’université des Antilles ont recueilli plus de 500 questionnaires ([344]), chacun comportant une quarantaine de questions, auprès des justiciables qui se rendaient dans les sites judiciaires de Guadeloupe.
Les questionnaires recueillis sont actuellement à l’étude et donneront lieu à une synthèse par l’université des Antilles. Selon les chefs de cour, « les tout premier retours traduisent un bon niveau de confiance en la justice ; les difficultés étant concentrées sur les conditions inadaptées d’accueil des justiciables, en particulier immobiliers, ou encore un besoin d’informations très important exprimé par les justiciables » ([345]).
La seconde phase du dispositif, qui est prévue au quatrième trimestre 2025, sera consacrée à la constitution des comités d’usagers recrutés au sein de la population guadeloupéenne. Ces trois comités, localisés à Basse-Terre, Pointe à Pitre et Marigot, auront pour vocation de formuler des préconisations, en vue d’aboutir à un plan d’action concret au sein de chacune des juridictions au premier semestre de l’année 2026. Les effets de ce plan seront eux-mêmes évalués dans le cadre d’une nouvelle campagne de questions.
● Afin de renforcer la compréhension par la population des décisions de justice, la cour d’appel de Basse-Terre a en outre lancé en 2025 une expérimentation visant à communiquer davantage sur certaines décisions prises par les juridictions du ressort, notamment dans le cadre d’affaires sensibles.
Ainsi, en mai et juin 2025, deux communiqués de presse ont été publiés sur le site de la cour d’appel de Basse-Terre. Ils concernent respectivement un arrêt de la cour ayant suspendu l’exploitation d’une carrière ([346]) et un jugement du tribunal judiciaire de Basse-Terre sur le règlement d’une indivision successorale complexe ayant permis le déblocage de projets immobiliers structurants ([347]). Ces communiqués ont été transmis parallèlement aux médias de l’île et postés sur les réseaux sociaux.
Selon les chefs de cour, les premiers retours sont positifs, avec une large couverture médiatique par la presse locale et des réactions positives des justiciables. L’objectif affiché est de communiquer sur une dizaine de décisions par an.
● Enfin, pour pallier la faiblesse numérique des magistrats originaires des territoires d’outre-mer, les chefs de la cour d’appel de Basse-Terre promeuvent la création d’une classe « Prépa Talents » en Guadeloupe, au bénéfice des étudiants des Antilles et de Guyane. L’objectif d’une telle classe est de faciliter leur réussite du concours d’entrée de l’ENM, grâce à la mise en place de bourses dédiés et d’une formation personnalisée. Si l’université des Antilles et l’ENM ont émis un avis favorable à un tel projet, la concrétisation de celui-ci reste toutefois suspendue à la décision du ministère de la justice quant au financement de ce dispositif.
b. Des structures d’accès au droit aux moyens insuffisants
● En 2024, le CDAD de Guadeloupe a reçu 204 000 euros du ministère de la justice, auxquels il faut ajouter 15 000 euros du conseil régional. En 2025, la subvention du ministère est du même ordre de grandeur – 203 820 euros – alors que les besoins estimés par le CDAD sont de 322 000 euros ([348]).
Les effectifs du CDAD sont particulièrement réduits, puisqu’il fonctionne avec seulement 1,5 équivalent temps plein (ETP). Au surplus, la coordinatrice du CDAD gère également le CAD de Saint-Martin.
● Il existe actuellement 16 points-justice en Guadeloupe. Le maillage s’est récemment densifié avec la création en 2025 de point-justices à Marie Galante, aux Saintes et à La Désirade. Selon le constat des chefs de cour, « ce maillage reste insuffisant, notamment au regard du contexte archipélagique et des conditions de transports en commun » ([349]). L’année 2023 avait également été marquée par l’ouverture d’un point-justice au sein du tribunal administratif. L’ensemble des points-justice ont accueilli près de 9 000 personnes en 2024. Les points-justice les plus actifs sont toutefois concentrés dans les centres urbains : 3 364 personnes ont été accueillies à la maison de la justice et du droit (MJD) des Abymes, 1 322 personnes au point-justice de Pointe-à-Pitre et 1 026 à celui de Basse‑Terre ([350]).
Au titre du maillage des points-justice, il sera enfin relevé que ceux situés dans les établissements pénitentiaires de Baie-Mahault et de Basse-Terre font l’objet d’une baisse de fréquentation, faute d’adéquation entre les besoins des détenus, d’une part, et les prestations susceptibles d’être proposées par le CDAD, d’autre part : « En effet, la difficulté réside dans la nature des demandes émanant des détenus. Ces derniers recherchent des conseils d’avocats concernant leurs affaires en cours alors que les point-justice interviennent seulement pour toutes les autres questions, hormis celles qui ont donné lieu à leur détention. Une étude a été amorcée au centre pénitentiaire de Baie-Mahault et à la maison d’arrêt de Basse‑Terre par le SPIP à qui il a été demandé de recenser les demandes et d’informer les détenus du rôle du point-justice par le moyen d’affiches et de flyers » ([351]).
● Les maisons France Services jouent un rôle central dans l’accès au droit, puisque les points-justice intégrés en leur sein ont accueilli 1 741 personnes. Toutefois, le CDAD relève un déficit de formation juridique de leurs agents : « Les échanges avec les point-justice généralistes hors France Services, dont les agents sont des juristes, sont généralement plus fluides. Les demandes y sont mieux comprises, notamment grâce à la formation juridique de ces professionnels, qui leur permet d’informer et d’orienter efficacement les usagers. En revanche, les relations avec les points-justice intégrés aux France Services s’avèrent souvent plus complexes. Les obligations de transmission d’informations et les demandes formulées ne sont pas toujours bien assimilées, en raison d’une formation dédiée au volet justice, limitée à seulement trois heures [par an], qui s’avère insuffisante » ([352]).
● Selon le constat effectué par le CDAD, l’implication des professionnels du droit dans les dispositifs d’accès au droit est variable :
– le barreau fournit au CDAD des avocats qui assurent deux à quatre permanences mensuelles dans tous les points-justice ;
– s’agissant des notaires, le CDAD note qu’ils s’engagent à titre bénévole et « proposent de plus en plus de permanences juridiques dans l’ensemble des points‑justice » ([353]), bien que cela ne soit pas encore suffisant pour répondre aux besoins. Les permanences de notaires sont en effet « prises d’assaut », selon le CDAD, compte tenu des importants enjeux en matière d’indivision successorale sur le territoire ;
– en revanche, « la chambre des commissaires de justice peine à honorer ses engagements, en raison d’un effectif restreint – une trentaine de professionnels seulement sur l’ensemble du territoire – ce qui limite fortement leur disponibilité lors des manifestations organisées » ([354]).
● Selon la préfecture, le CDAD de Guadeloupe fait face à un triple défi relatif à sa politique de communication, au maillage du territoire et à l’articulation de son action avec le réseau France services : « À mon sens, le CDAD a un triple enjeu. Tout d’abord, celui de communication sur ce qu’il fait et quels sont ses résultats. Aujourd’hui, ces structures sont très peu repérées. Ensuite, le CDAD a un enjeu de ressources afin de pouvoir répondre à toutes les demandes sur l’ensemble du territoire guadeloupéen (permanence dans les France services, présence dans les points-justice). L’ouverture dernièrement des Point-justice dans les îles du Sud est en cela une bonne réponse. Enfin, réglementairement, les CDAD doivent former les conseillers France services annuellement par des sessions de formation continue. Ce dispositif va pouvoir se mettre en place à partir de la fin d’année 2025. Il est important que le CDAD puisse compter sur ces relais formés et présents sur tout le territoire » ([355]).
Dans cette perspective, l’actuelle présidente du CDAD mène une politique volontariste visant à mieux faire connaître les actions de celui-ci auprès de la population locale : refonte du site internet ; création de supports publicitaires ; établissement d’un compte Instagram et alimentation des compte Facebook et LinkedIn ; participation à des émissions d’information juridique dans les stations de radio et les chaînes de télévision locales ; mise en place d’évènements et de projets auprès du public scolaire.
● La caravane des droits a été mise en place dans le cadre de l’initiative « Territoire zéro non-recours » mise en œuvre par la préfecture de Guadeloupe.
L’objectif du dispositif est de rassembler l’ensemble des acteurs pertinents – CDAD, caisse des allocations familiales (CAF), caisse générale de sécurité sociale (CGSS), office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), etc. – pour aller à la rencontre des populations, afin de les informer de leurs droits et de les éclairer sur leur situation administrative ou judiciaire. Il s’agit ainsi de lutter contre le non‑recours aux droits et la méconnaissance des dispositifs sociaux par la population locale.
Ces caravanes ont lieu selon une périodicité bimestrielle. Selon les données fournies à votre rapporteur, chaque « caravane » réunit en moyenne près de 120 professionnels issus d’une trentaine de partenaires institutionnels et reçoit plus de 500 usagers. La caravane qui a eu lieu à Marie-Galante a ainsi reçu près d’un cinquième des habitants de cette île. Certaines caravanes ont lieu dans des centres commerciaux pour atteindre un maximum d’usagers.
Le dispositif « Territoire zéro non-recours » en Guadeloupe
« Depuis 2023, la Guadeloupe, via la candidature du conseil départemental et d’un consortium d’acteurs institutionnels (…) est labellisée Territoire zéro non-recours (dispositif dénommé localement “Pa pè mandé dwa aw”avec une charte graphique spécifique) (…). L’objectif global est de rechercher une action en synergie et en complémentarité entre les professionnels ainsi que de renforcer les actions de lutte contre le non-recours aux droits sociaux existant déjà sur le territoire.
« De ce fait, ce dispositif déploie simultanément six actions spécifiques :
« – passage des caravanes des droits (une moyenne de 120 professionnels présents dont le ministère de la Justice avec le CDAD et plus de 500 usagers par étape hormis dans les îles du sud) une fois tous les 2 mois au sein des communes de la Guadeloupe continentale et des îles du sud (10ème étape le 19 septembre prochain à Petit-Canal). Cette action est gérée par la préfecture.
« – financement de deux médiateurs des droits sociaux au sein du Samu social dont la gestion est portée par la Croix Rouge (…).
« – construction et diffusion d’un “mémo des droits” contenant une information synthétique sur certains droits sociaux (AAH, RSA, prime d’activité, retraite, allocation retour à l’emploi, complémentaire santé solidaire). Durant l’année 2025, cet outil devrait être numérisé et les explications sur ces droits seront écoutables en créole, français, espagnol et anglais. Cette action est gérée par la CAF.
« – mise en place mensuelle de session de formation/information en visioconférence (plus de 80 professionnels par session en moyenne), en direct et en réécoute (projet 2026) afin que chaque partenaire détaille précisément aux autres agents des partenaires signataires (…) son offre de service. Cette action est gérée par le conseil départemental.
« – valorisation du coffre-fort numérique “digiposte” et travail sur la transmission plus automatisée des données administratives personnelles des usagers entre les partenaires signataires. Cette action est gérée par France Travail » (1).
(1) Réponses écrites de la préfecture de Guadeloupe au questionnaire de votre rapporteur.
La MJD, dont le personnel est composé d’une greffière et d’un agent administratif, joue un rôle central dans l’accès au droit et à la justice en Guadeloupe. Implantée dans un quartier classé en zone de sécurité prioritaire (ZSP) des Abymes, son personnel est composé d’une greffière et d’un agent administratif. Elle a accompagné 5 792 personnes en 2024 – 3 364 au titre de l’accueil physique – dont 1 803 au titre de l’accès au droit.
La croissance de la population reçue au sein de la MJD illustre les besoins importants d’accès au droit de la population guadeloupéenne, que les structures existantes peinent encore à prendre en charge, notamment pour les enjeux liés au domaine notarial (indivision, foncier, succession, etc.).
ACTIVITÉ DE LA MJD DES ABYMES
Source : bilan d’activité 2024 de la MJD des Abymes.
Les permanences des professionnels du droit dans les maisons de la justice et du droit : l’exemple de la MJD des Abymes
→ Les permanences des avocats
Quatre permanences mensuelles généralistes sont assurées par les avocats : les 1er et 3e mardis de 13h à 16h ; les 2e et 4e mercredis de 9h à 12h. Depuis janvier 2024, une permanence mensuelle en droit public a débuté. La MJD va renouveler sa demande afin d’obtenir une permanence économique à destination des chefs d’entreprise, des artisans, des agriculteurs, des présidents d’association, des professions libérales. L’accueil de la MJD reçoit en effet de plus en plus d’appels sur ces problématiques.
→ Les permanences de notaires : la Chambre départementale des notaires de la Guadeloupe établit le calendrier pour tous les points-justice. La MJD des Abymes bénéficie de deux permanences mensuelles. Ces dernières remportent un vif succès.
→ Les permanences des associations
L’association Guadav France Victimes 971 assure une permanence hebdomadaire en aide aux victimes d’infractions pénales et en accès au droit, le mercredi de 8h à 12h. Elle intervient également en médiation pénale, les mardis et jeudis de 8h à 12h.
Depuis janvier 2024, le centre d’information des droits des femmes et de la famille (CIDFF) intervient quatre fois par mois en droit de la famille, le mardi de 8h à 12h.
Les permanences de l’union départementale des associations familiales 971 (UDAF) de soutien aux tuteurs familiaux des majeurs protégés se déroulent les 2e et 4e jeudis de 13h à 16h. Une permanence supplémentaire a la MJD est envisagée. L’UDAF intervient également au tribunal judiciaire de Pointe-a-Pitre les 1er et 3e jeudis après-midi.
→ Les permanences du service judiciaire de contrôle et d’enquête (SCJE) : le lundi de 8h à 12h pour les contrôles judiciaires présententiels ; le vendredi, tous les 15 jours, de 8h à 12h, en matière d’avertissement pénal probatoire.
→ Les permanences du délégué du Défenseur des droits : en janvier 2024, le délégué du defenseur des droits a repris son activité a la MJD, les lundi et vendredi matin. Le public est revenu progressivement.
→ Les permanences du conciliateur de justice : deux permanences mensuelles sont assurées les 2e et 3e jeudis, de 8h a 12h. Les convocations sont gérées par le personnel permanent de la MJD. En raison du nombre de dossiers en constante augmentation, la mise en place de permanences supplémentaires sera sollicitée officiellement.
→ Les permanences de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : la PJJ apporte son concours en participant à différentes activités.
→ Les permanences du service pénitentaire d’insertion et de probation (SPIP) ont repris en 2024, à raison de deux mardis matin par mois.
→ Les permanences du délégué du procureur de la République : trois délégués du procureur de la République reçoivent les justiciables pour un avertissement penal probatoire le lundi et les 1er et 3eme vendredi de 8h a 12h. Les dossiers sont peu nombreux.
Source : bilan d’activité 2024 de la MJD des Abymes.
D. Les Îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy : une chambre pour deux collectivités
Découvertes par Christophe Colomb en 1493, et définitivement acquises par la France au cours du XIXe siècle ([356]), les îles de Saint-Martin et Saint‑Barthélemy sont situées à environ 250 kilomètres au nord de la Guadeloupe. Pendant longtemps rattachées administrativement à la Guadeloupe, elles sont devenues des collectivités d’outre-mer distinctes en 2007. Depuis janvier 2025, un préfet de plein exercice, basé à Saint-Martin, coordonne les services de l’État dans ces deux collectivités. Les justiciables de ces deux îles souffrent malgré tout d’un accès au droit et à la justice largement entravé.
1. Des îles aux visages disparates
● L’île de Saint-Martin, d’une superficie totale de 90 km2, est partagée en deux territoires : au nord, la collectivité française de Saint-Martin, qui s’étend sur 53 km2 et comprend environ 35 000 habitants ; au sud, l’État autonome de Sint‑Maarten, qui est rattaché au royaume des Pays-Bas. En dépit de la frontière administrative, le principe de libre circulation s’applique entre les deux territoires.
Séparée de Saint-Martin par une trentaine de kilomètres, l’île de Saint‑Barthélemy est de dimension plus réduite : d’une superficie de 21 km2, elle compte près de 10 000 habitants.
Source : Encyclopédie Universalis.
● Les conditions socio-économiques des deux îles divergent fortement.
Saint-Barthélemy, dont l’économie repose essentiellement sur le tourisme de luxe, est le territoire le plus prospère d’outre-mer. Le taux de chômage, qui s’élève à 1,9 %, est l’un des plus bas de France, tandis que le PIB par habitant est comparable à la moyenne nationale ([357]).
A contrario, Saint-Martin connait une situation économique difficile : le taux de chômage s’élève à 30 %, tandis que le PIB par habitant représente seulement 40 % de la moyenne nationale ([358]).
Moteur principal de la croissance à Saint-Martin, l’activité touristique n’a pas encore retrouvé le niveau qui était le sien avant l’ouragan Irma de 2017, qui a dévasté plus de 30 % des bâtiments de l’île – contre 5 % à Saint-Barthélemy.
En outre, Saint-Martin souffre de la forte concurrence exercée par Sint‑Maarten : « la partie hollandaise, qui bénéficie d’infrastructures portuaires et aéroportuaires majeures, capte 94 % des touristes arrivant sur l’île et bénéficie d’une offre d’hébergements touristiques trois à quatre fois supérieure à celle de la partie française » ([359]).
● Le recul démographique à Saint-Martin traduit ces difficultés. Il est estimé que la population de l’île a perdu près de 5 000 personnes depuis l’ouragan Irma, alors qu’elle avait quadruplé entre 1982 et 2016.
La population de Saint-Martin est en outre caractérisée par sa forte diversité, dans un contexte où près de 30 % de la population est issue de l’immigration. Cette diversité se reflète au niveau linguistique, puisque la population est majoritairement anglophone, compte tenu de l’influence historique des îles britanniques limitrophes telles qu’Anguilla. Il est ainsi estimé qu’à peine 4 % des collégiens de Saint-Martin utilisent le français dans leur famille, contre 62 % l’anglais, 19 % le créole haïtien et 16 % l’espagnol ([360]).
Enfin, il convient de relever que Saint-Martin fait face à un niveau de délinquance particulièrement inquiétant. Le taux de criminalité est ainsi 21 fois supérieur à la moyenne nationale, tandis que le taux de vols à main armée représente plus de 48 fois la moyenne nationale, dans un contexte de forte augmentation de la circulation des armes dans les Antilles ([361]).
2. Un accès au droit et à la justice largement entravé
a. Un tribunal de proximité saturé
● Créé en 2015 ([362]), le tribunal de proximité de Saint-Martin, dont la compétence couvre les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, est une chambre détachée du tribunal judiciaire de Basse-Terre en Guadeloupe.
Il compte actuellement 19 effectifs : cinq magistrats du siège, deux magistrats du parquet – dont un poste de vice-président actuellement vacant –, et douze fonctionnaires de greffe, dont un directeur.
Un poste de juge de l’application des peines, réclamé de longue date par les chefs de cour de Basse-Terre compte tenu de la forte activité pénale à Saint‑Martin, a été créé le 1er septembre 2025.
Dans le cadre de la loi de programmation 2023-2027, il est en outre prévu la création d’ici 2027 de deux autres postes de magistrats au sein du tribunal de proximité de Saint-Martin, à raison d’un juge d’instruction et d’un substitut du procureur.
Le tribunal de Saint-Martin connait un certain déficit d’attractivité, compte tenu, d’une part, de la double insularité par rapport à la Guadeloupe, et, d’autre part, du coût élevé des logements sur l’île ([363]).
Pour pallier ces difficultés, les magistrats du tribunal de Saint-Martin sont éligibles au « contrat de mobilité », contrairement aux magistrats en poste en Guadeloupe ou en Martinique. Grâce à ce dispositif, ils bénéficient d’une affectation prioritaire pour leur prochain poste, à l’issue d’une période d’exercice minimale de trois ans sur l’île.
● Le tribunal de proximité de Saint-Martin dispose d’une compétence étendue comparativement aux tribunaux de proximité de l’Hexagone, qui ne gèrent que des litiges civils inférieurs à 10 000 euros, ainsi que le contentieux de la protection ([364]). Il traite ainsi des affaires civiles et délictuelles, hors instruction préparatoire. Les affaires commerciales, prud’homales et criminelles restent en revanche de la compétence du tribunal de Basse-Terre.
Depuis le 1er septembre 2025, sa compétence a également été élargie aux fonctions relevant du juge de l’application des peines ([365]). Selon Me Patrick Lingibé, « cette modification devrait améliorer l’accès, la réactivité et la lisibilité de l’application des peines pour les justiciables de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, dans l’attente de la création d’un établissement pénitentiaire sur la partie française saint-martinoise répondant aux problématiques locales » ([366]).
● Lors de leur entretien avec la délégation de la commission d’enquête, les chefs de la cour d’appel de Basse-Terre ont souligné que le tribunal de proximité atteignait aujourd’hui un seuil d’activité critique. Son activité représente à elle seule environ 40 % de l’activité totale du tribunal judiciaire de Basse-Terre.
L’activité civile du tribunal de proximité de Saint-Martin a par exemple connu augmentation de plus de 350 % de 2019 à 2023 et tend à s’aligner sur celle du tribunal judiciaire de Basse-Terre.
Selon les chefs de cour, les juges du tribunal de proximité connaissent un contentieux immobilier successoral et familial complexe et sensible, compte tenu de la richesse d’un territoire incluant Saint-Barthélemy et des problématiques d’indivision successorale structurelles dans les Antilles.
Or, le dimensionnement actuel de la juridiction ne lui permet pas de faire face dans de bonnes conditions au traitement d’un contentieux exigeant. Ce sous‑effectif contraint la juridiction à recourir à des délégations de magistrats de Basse‑Terre ou de Pointe-à-Pitre pour assurer la tenue d’audiences civiles et pénales.
ÉVOLUTION DU CONTENTIEUX CIVIL AU TRIBUNAL DE PROXIMITÉ DE SAINT-MARTIN
Source : note des chefs de la cour d’appel de Basse-Terre relative à la création à Saint-Martin d’un tribunal de plein exercice, mars 2024.
Les chefs de cour relèvent à ce titre que l’activité civile et pénale d’un tribunal de plein exercice à Saint-Martin serait supérieure à celles de certains tribunaux judiciaires en Hexagone, tels que le tribunal judiciaire de Mende, en Lozère.
En matière pénale, les dossiers provenant de Saint-Martin et Saint‑Barthélemy représentent une partie conséquente des affaires traitées par le tribunal judiciaire de Basse-Terre : 56 % des procédures enregistrées au bureau d’ordre du parquet ; 44,5 % des informations judiciaires ; 39 % de l’activité correctionnelle ; 35 % des dossiers traités par le juge des enfants ; 25 % de l’activité de l’application des peines. L’unique juge d’instruction de Basse-Terre traite plus de 125 dossiers, dont 45 % sont issus de Saint-Martin ([367]).
Enfin, les dossiers de Saint-Martin et Saint-Barthélemy représentent plus de 53 % des contentieux traités par le tribunal mixte de commerce de Basse‑Terre ([368]).
● Dans ce contexte de hausse de l’activité, la livraison de la cité administrative et judiciaire en 2026 permettra au tribunal de proximité de disposer de locaux plus adaptés (cf. encadré infra).
Le projet de cité administrative et judiciaire de Saint-Martin
Le projet de cité judiciaire résulte de la conjonction de deux facteurs. D’une part, les locaux du tribunal de proximité ne satisfont pas aux normes sismiques et d’accessibilité et ne sont plus adaptés aux besoins de l’activité juridictionnelle. D’autre part, le cyclone Irma a détruit les locaux de plusieurs services de l’État sur l’île.
Ce projet, piloté par l’APIJ, vise donc à regouper sur un même site :
- une cité judicaire, composée du tribunal de proximité et de locaux pour le service de protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et le service de probation et d’insertion pénitentiaire (SPIP) ;
- une cité administrative, regroupant l’ensemble des services de l’État sur l’île, à l’exception de la gendarmerie et des bâtiments scolaires.
Le site accueillera au total sur 8 000 m2, onze services et 250 fonctionnaires. Le budget de 38,8 millions d’euros est financé par le plan « France Relance ».
Le marché a été notifié en décembre 2021, tandis que le chantier a débuté en janvier 2024, pour une mise en service en 2026.
Les chefs de cour de Basse-Terre, dans leurs réponses écrites au rapporteur, ont salué un tel projet : « La mise en service de la cité administrative et judiciaire (Citaj) de Saint‑Martin, prévue pour le premier semestre 2026, constitue une étape essentielle dans le renforcement de la présence judiciaire sur les territoires de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Ce projet répond à une nécessité impérieuse : offrir aux usagers et aux personnels un cadre de travail et d’accueil conforme aux exigences d’une justice moderne, accessible et sécurisée.
La création d’un site neuf permettra non seulement de répondre aux exigences de sécurité, d’accessibilité et de dignité du service public de la Justice, mais aussi d’assurer une implantation pérenne et cohérente sur ce territoire insulaire, marqué par son éloignement géographique et sa vulnérabilité aux aléas climatiques. Elle offrira également une meilleure visibilité institutionnelle et contribuera à restaurer la confiance des justiciables dans une justice de proximité, pleinement opérationnelle et adaptée aux réalités locales ».
Source : réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
b. Un accès à la justice obéré par l’éloignement géographique
● La compétence des tribunaux de Basse-Terre pour juger des affaires criminelles, commerciales ou prud’homales de Saint-Martin et Saint-Barthélemy constitue une entrave forte pour les justiciables de ces territoires, compte tenu des difficultés de liaison aériennes, ainsi que du temps et du coût de trajet, comme l’ont souligné les chefs de cour : « Dès lors que l’affaire est jugée à Basse-Terre, il faut donc se rendre à l’aéroport de Saint-Martin (en prévoyant des marges de temps importantes au regard des difficultés de circulation liées à l’insularité), prendre un vol régional (deux en moyenne, avec un prix de 450 euros), louer une voiture à Pointe-à-Pitre pour se rendre à Basse-Terre (1h15 de route lorsqu’il n’y a pas de difficultés de circulation). Ces contraintes sont ensuite les mêmes au retour, de sorte que les justiciables et leurs avocats arrivent fréquemment la veille de l’audience » ([369]).
● L’absence d’un tribunal de plein exercice à Saint-Martin compétent pour l’ensemble de l’activité pénale est particulièrement préjudiciable pour les prévenus, comme l’a souligné Me Yanick Louis-Hodebar : « Un délinquant arrêté et placé en garde à vue à Saint-Martin doit prendre l’avion pour être déféré devant un procureur à Basse-Terre ou à Pointe-à-Pitre. Il sera aussi jugé à Basse-Terre ou à Pointe-à-Pitre. Et s’il va en prison, sa famille ne pourra pas lui rendre visite, ce qui concourt à l’isolement et à la récidive » ([370]). Ces déplacements représentent également un coût important en matière de frais de justice. À titre d’exemple, plus de 70 transfèrements de prévenus sont assurés chaque année par les services de gendarmerie entre, d’une part, Saint Barthélemy et Saint-Martin, et, d’autre part, la Guadeloupe, pour un coût total de 70 000 euros par an.
c. Une juridiction administrative à éclipse
Les tribunaux administratifs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin n’ont pas de personnels dédiés. Ils sont composés par les mêmes magistrats que celui du tribunal administratif de Guadeloupe. Selon les représentants syndicaux, « les volumes annuels respectifs de 160 et 60 entrées [pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy] justifieraient difficilement un autre mode d’organisation » ([371]) .
Dans ce contexte, les magistrats du tribunal administratif de Guadeloupe organisent seulement deux audiences foraines par an à Saint-Martin et Saint‑Barthélemy.
M. Serge Gouès, conseiller d’État et ancien président des tribunaux administratifs de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, a décrit les conditions matérielles, parfois sommaires, de ces audiences : « Mon expérience de terrain m’amène aussi à évoquer les audiences à Saint-Martin et à Saint‑Barthélemy. Ce n’est pas évident non plus parce qu’il n’y a pas de tribunal en dur. À Saint-Martin, nous avons passé des accords avec le tribunal judiciaire de Marigot, afin de disposer de la salle d’audience deux fois par an en moyenne. À Saint-Barthélemy, le problème est différent : il n’y a pas de tribunal sur place. Il a donc fallu faire preuve d’imagination. Nous avons signé un accord avec la capitainerie du port ; elle a mis à notre disposition une salle, que nous avons transformée en salle d’audience, en apportant tous les attributs nécessaires – une Marianne, un drapeau français –, des tables et des chaises » ([372]).
d. À Saint‑Barthélemy, des dispositifs de justice foraine et d’accès au droit limités
● Six audiences foraines par an sont organisées à Saint-Barthélemy.
Des audiences en matière correctionnelle avec juge unique ou en contentieux de la protection se tiennent ainsi à la capitainerie de Gustavia. Les représentants du tribunal de proximité de Saint-Martin ont toutefois déploré l’absence de tout dispositif de sécurisation de ces audiences.
Selon les chefs de cour, « ces audiences foraines sont bien accueillies et permettent de juger des prévenus dans des délais plus courts (locaux, saisonniers ou résidents). Ce dispositif permet d’éviter le déplacement des prévenus pour des délits de faible intensité » ([373]).
● Ces audiences engendrent des frais de déplacement importants depuis Saint-Martin ou Basse-Terre. Les déplacements de magistrats et greffiers de Basse‑Terre vers Saint-Martin et Saint-Barthélemy génèrent au total une dépense annuelle de 74 000 euros, dans un contexte de forte hausse du prix des trajets en avion entre les deux îles.
Pour limiter les frais liés à ces audiences foraines, l’hébergement est assuré par la collectivité, dans des conditions rustiques, tandis que le transport sur place est assuré par la police municipale.
● Créé en 2018, le conseil d’accès au droit de Saint-Martin et de Saint‑Barthélemy bénéficie de 54 000 euros de subventions du ministère de la justice en 2025. Il ne dispose pas de personnels en propre, puisque sa coordinatrice est également en charge du CDAD de Guadeloupe.
S’agissant des dispositifs d’accès au droit, quatre points-justice sont répartis sur les deux îles, à raison de trois à Saint-Martin et un à Saint-Barthélemy. Ces derniers ont accueilli près de 780 justiciables en 2024, selon le représentant de la direction générale des outre-mer ([374]).
Il convient cependant de relever qu’aucune permanence d’avocat n’est organisée à Saint-Barthélemy, faute de volontaires.
Au surplus, en dépit des enjeux successoraux et immobiliers prégnants à Saint-Barthélemy, une permanence de notaire n’est organisée que deux à trois fois par an sur l’île.
IV. La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française : une organisation judiciaire à l’épreuve du pluralisme juridique et culturel
À l’exception de Wallis-et-Futuna, les territoires du Pacifique présentent un accès au droit et à la justice relativement plus satisfaisant que d’autres régions ultramarines. Cet avis général, tel qu’il a pu être partagé par la plupart des personnes auditionnées, y compris celles issues de Polynésie française et de Nouvelle‑Calédonie, ne doit cependant pas masquer une série de difficultés qui pèsent sur le fonctionnement des autorités judiciaires et tiennent éloignés du droit et de la justice nombre de citoyens, notamment ceux comptant parmi les populations les plus vulnérables.
A. La Nouvelle-Calédonie : un accès au droit encore balbutiant malgré des efforts réels d’adaptation de l’organisation judiciaire
Revendiquée officiellement par la France de Napoléon III en 1853, la Nouvelle-Calédonie est restée une colonie pénitentiaire jusqu’à la fin du XIXe siècle. Devenue un territoire d’outre-mer en 1946, son statut évolue à la suite des Accords de Nouméa signés 1998 qui mettent fin aux conflits opposant les partisans de l’indépendance du peuple kanak et ceux restés attachés à l’appartenance à la République. Le titre XIII de la Constitution définit alors une organisation unique, marquée par un vaste transfert de compétences et la reconnaissance d’un statut civil coutumier. Les épisodes de violences et d’affrontements qu’a connus l’archipel au mois de mai 2024 rappellent que la question du statut n’est toutefois pas réglée.
1. Les obstacles géographiques et culturels à la justice et au droit en Nouvelle-Calédonie
Si le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau du Nouméa estime ne pas constater de « dysfonctionnements importants » ([375]) obstruant l’accès à la justice en Nouvelle-Calédonie, votre rapporteur considère que le territoire présente des fragilités particulièrement préoccupantes.
a. La fracture territoriale et socio-économique entre le Grand Nouméa et les provinces périphériques
● La Nouvelle-Calédonie est un archipel dont l’île principale, la Grande Terre, est longue d’environ 400 kilomètres et large de 64 kilomètres ; elle est traversée par une dorsale montagneuse qui sépare ses côtes Est et Ouest. Le territoire se divise en trois provinces administratives : celle du Sud, celle du Nord, et celle des îles Loyauté, inégalement peuplées. Le chef-lieu, Nouméa, situé dans la Province Sud, constitue avec les communes de Dumbéa, Païta et du Mont-Dore, l’agglomération du Grand Nouméa qui concentre 75 % de la population, soit plus de 180 000 personnes sur les 265 000 que compte l’ensemble de l’archipel ([376]).
Le Grand Nouméa correspond ainsi au principal pôle économique du territoire. Il concentre la majorité des infrastructures de santé, d’éducation et plus généralement les services publics. L’essentiel des professionnels du droit y sont installés, qu’il s’agisse des avocats, notaires ou commissaires de justice, de même que les principales institutions judiciaires (tribunal administratif, tribunal de première instance, cour d’appel, tribunal mixte de commerce, tribunal du travail, etc.).
répartition de la population de nouvelle-calédonie par province (2025)
Source : Insee-Isee, 2025.
● L’enclavement des territoires autres que le Grand Nouméa n’apporte donc pas de garantie satisfaisante d’accès au droit et à la justice.
S’agissant, tout d’abord, de la province des îles Loyauté, le haut‑commissaire de la République estime qu’elle se caractérise par sa « double insularité » ([377]), en raison des difficultés d’accès et de trajet. Les problèmes récurrents de la compagnie aérienne locale, Air Calédonie internationale (AirCalin), conduisent à de nombreux retards ou annulations de vols ([378]) et rendent peu fiables les liaisons vers Nouméa. Il n’est pas rare que des justiciables ne puissent se rendre à leur audience ou leur convocation pour ces raisons : d’après le premier président du tribunal de première instance de Nouméa (TPI), M. Gérald Faucou, l’absentéisme récurrent des prévenus serait moins la traduction d’un rejet de l’institution que des « difficultés d’accès et de mobilisation » ([379]).
Or, il semble que la justice ait parfois du mal à tenir compte de ces difficultés matérielles. Comme l’a souligné une avocate calédonienne : « Certaines convocations arrivent très tard et ni les avocats ni les justiciables n’ont les moyens de s’organiser pour être présents aux audiences. Des moyens de communication plus simples, comme des SMS, pourraient suffire à ce que les personnes convoquées puissent se présenter » ([380]).
La Province Nord, ensuite, pâtit de l’arrêt de la seule ligne aérienne qui assurait des vols quotidiens entre Koné, son chef-lieu, et Nouméa. AirCalin a en effet cessé de programmer des vols après la fermeture de l’usine de nickel KNS à l’été 2024, considérée comme « le poumon économique » de la province ([381]). La seule alternative pour parcourir les 280 kilomètres qui séparent les communes demeure la voiture, pour un trajet d’une durée moyenne de 3 à 4 heures ([382]).
Plus généralement, comme le décrit le haut-commissaire, dans l’intérieur et les îles, l’accès à l’eau, à l’électricité et aux télécommunications reste inégal. Les services publics, lorsqu’ils sont implantés, demeurent difficiles d’accès, notamment pour les personnes âgées, en situation de handicap ou géographiquement isolées ([383]).
● Si les émeutes de 2024 ont contribué à aggraver la situation du territoire, la situation économique apparaissait déjà difficile avant, en raison notamment de la crise des cours du nickel, de la pandémie liée à la covid-19 et de la politique de modération fiscale qui serait conduite par les autorités de Nouvelle-Calédonie et ayant pour conséquence de mettre sous contrainte leur budget ([384]). En 2020, un Calédonien sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté ; le taux de pauvreté atteignait même 29,4 % dans la Province Nord, et 45,8 % dans les îles Loyauté ([385]).
Le bilan économique de la crise de 2024 demeure néanmoins particulièrement lourd. L’Institut d’émission d’outre-mer (Iedom) a notamment publié un bilan faisant état de plus de 13 000 suppressions de postes, sur les 95 000 que comptait le territoire avant, de l’effondrement de l’indicateur du climat des affaires et de la consommation des ménages ([386]). Le haut-commissaire révèle quant à lui que la chute du produit intérieur brut (PIB) de Nouvelle-Calédonie a été de l’ordre de 12 %, soit un chiffre comparable à ceux de pays traversés par la guerre ([387]).
● Aux difficultés économiques rencontrées par les habitants, s’ajoutent les contraintes relatives à la hausse des coûts de transport. C’est particulièrement le cas des billets d’avion, notamment ceux de la compagnie AirCalin, dont l’actionnaire principal est le gouvernement calédonien, qui a présenté comme indispensable sa hausse tarifaire de 2025, après plus de quatre années passées sans évolution ([388]). Le président de l’Association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC), M. Pascal Vittori, indique ainsi que le coût d’un trajet en navette privée pour rejoindre Nouméa depuis la côte Est de la Grande Terre coûte autour de 100 euros. Du fait des frais engagés, certains justiciables seraient dès lors contraints de renoncer à assister à leur audition ou à se rendre à leur convocation ([389]).
● À ces difficultés s’ajoutent celles relatives à l’accès à un environnement numérique de qualité, à commencer par l’accès à une connexion internet fiable. Bien que le gouvernement ait récemment déployé un plan stratégique pour l’économie numérique, selon l’avocat Me Samuel Bernard, dans la province Nord, la Brousse et les îles, de nombreux Calédoniens n’ont pas accès au numérique. L’indice de fragilité du numérique développé par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, outil d’analyse et de cartographie des données qui sert à objectiver les zones où il existe un risque accru de fragilité numérique, montre de fait que l’extrême Nord du territoire, comme les îles les plus éloignées, font face à un risque accru de fragilité numérique ([390]). On observe également une connexion très instable depuis le principal centre pénitentiaire de Nouméa, Camp-Est, qui limite les possibilités de recourir à des visioconférences pour les détenus ([391]).
b. Un rapport distancié au droit au regard du contexte culturel et linguistique
● La population de Nouvelle-Calédonie a pu être qualifiée à plusieurs reprises au cours des auditions de « multiculturelle ». Elle comprend, outre les populations d’origine européenne et celles d’origine mélanésienne dont les principaux représentants sont les Kanak, des populations d’origine asiatique, notamment originaires du Vietnam et d’Indonésie. L’affirmation des différences culturelles et communautaires kanak s’enracine toutefois dans un contexte historique particulier de colonisation de l’archipel par la France qui peut conduire à « [exprimer] une grande défiance à l’égard de [la justice de droit commun] » lorsque son accès se révèle difficile ([392]).
Or, l’une des principales difficultés correspond à la barrière de la langue, du fait des nombreuses langues maternelles kanak et océaniennes parlées. L’Académie des langues kanak référence ainsi 28 langues parlées en Nouvelle‑Calédonie, dont une dizaine seulement est utilisée à l’écrit. À cela s’ajoute la complexité de proposer une traduction fidèle de certains concepts abstraits de la langue juridique.
Le sentiment de distance vis-à-vis de la justice peut ainsi naître des difficultés à comprendre le fonctionnement des procédures civiles ou pénales. Tout en reconnaissant que le même cas pourrait se produire dans l’Hexagone, le procureur général près la cour d’appel de Nouméa, M. Camille Miansoni, donne l’exemple de justiciables déroutés lorsque la question leur est posée de savoir s’ils veulent se « constituer partie civile ». En l’absence d’avocat ou de préparation de la procédure en amont, ceux qui parviennent à répondre favorablement ne sont pas mieux préparés à la question qui suit, à savoir celle de la demande de la valeur du préjudice pour lequel une réparation est demandée ([393]).
● Un autre défi de taille relatif à l’accès à la justice et au droit est l’importance de l’illettrisme sur le territoire. Les dernières données mesurées par l’Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie (Isee), qui datent de 2013 et n’ont pas fait l’objet d’actualisation depuis, font état d’une proportion de 18 % de la population concernée par ce problème ([394]). À titre de comparaison, ce taux est inférieur à 4 % dans l’Hexagone. La Province Nord et les îles Loyauté sont, là encore, les provinces les plus touchées, avec des taux d’illettrisme des jeunes présents à la Journée Défense et citoyenneté supérieurs à 30 % dans certaines communes de la Province Nord et l’ensemble des îles Loyauté ([395]).
● La distance culturelle qui caractérise les traditions kanak par rapport à la culture de l’Hexagone pourrait par ailleurs se doubler d’une crise de confiance. Selon l’avocate Me Louise Chauchat, « la justice est encore perçue comme un instrument de l’État plutôt que comme un pouvoir impartial » ([396]). Certains dossiers, notamment relatifs aux émeutes de mai 2024, alimentent le sentiment d’une justice à deux vitesses, comme lorsque six des douze décès intervenus dans ce contexte n’ont pas donné lieu à ouverture d’instruction, ou que le procureur de la République a reçu une délégation de représentants loyalistes au moment où les manifestations étaient interdites. Sur ce point, M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats, qui a été magistrat en Nouvelle-Calédonie, estime qu’il s’agit de situations aux choix cornéliens où « quoi qu’on fasse, on est critiqués par une bonne partie de la population. La justice doit être à sa place, c’est-à-dire au milieu, mais souvent on ne fait que des mécontents » ([397]).
Cette défiance s’exprime également au regard du déséquilibre carcéral. D’après les estimations de Me Louise Chauchat et du procureur général, les Kanak représenteraient environ 90 % de la population pénitentiaire, pour environ 50 % de la population totale. Cette situation pourrait être le reflet d’une surreprésentation historique liée à la réponse pénale aux revendications indépendantistes depuis les années 1960. Elle pourrait également traduire, d’après votre rapporteur, un système de répression en partie discriminatoire vis-à-vis de la population kanak.
2. L’adaptation difficile de la justice aux réalités locales
Si le tribunal administratif de Nouméa ne semble pas présenter de dysfonctionnement majeur au regard des effectifs qui le constituent ([398]) et des contentieux qui lui sont présentés, les juridictions judiciaires présentent quant à elle certaines fragilités.
a. Une justice de proximité qui demeure perfectible
La création dès 1982 ([399]) de sections détachées du TPI de Nouméa, l’une à Koné, dans la Province Nord, l’autre à Lifou, dans la Province des îles Loyauté, devait permettre d’améliorer l’accès à la justice des personnes ne résidant pas dans l’agglomération du Grand Nouméa, où toutes les institutions judiciaires étaient regroupées.
La compétence du tribunal de première instance de Nouméa
Juridiction de droit commun du premier degré, le tribunal de première instance (TPI) de Nouméa connaît à la fois les affaires civiles, pénales et coutumières et comporte deux juridictions spécialisées : un tribunal du travail et un tribunal mixte de commerce.
En matière pénale, le TPI statue sur la répression des délits en formation correctionnelle composée d’un président, de deux juges et de deux assesseurs citoyens, une spécificité locale introduite par la loi n° 89-378 du 13 juin 1989 portant diverses dispositions relatives à l’organisation judiciaire en Nouvelle-Calédonie.
Depuis le 1er juillet 2013, la compétence en matière civile a été transférée à la Nouvelle‑Calédonie, qui dispose de son propre code de procédure civile. Dans ce domaine, le TPI exerce une compétence générale couvrant les affaires qui, dans l’Hexagone, relèvent du tribunal judiciaire : divorce, adoption, tutelles, protection de l’enfance, délinquance des mineurs, baux d’habitation ou saisies-arrêts sur salaires. Le tribunal statue alors à juge unique.
En matière coutumière, le tribunal de première instance est compétent pour les litiges relatifs au statut civil coutumier et au foncier coutumier. Il statue avec des assesseurs coutumiers chargés d’apporter le point de vue des coutumes concernées.
Si les effectifs des magistrats ont augmenté au cours des dernières années, pour être portés à une trentaine en 2025, les effectifs de greffiers ne semblent répondre qu’imparfaitement à cette évolution : « Le nombre des magistrats augmente depuis quelques années, y compris pour le siège au tribunal de première instance, mais sans qu’il y ait de corrélation avec l’évolution du nombre des fonctionnaires, et l’écart commence à se creuser. On nomme un juge d’instruction supplémentaire, par exemple, mais sans greffier. Il faut donc puiser dans les effectifs du tribunal, alors que nous sommes déjà à flux tendus puisqu’il manque quelques personnes » (1).
(1) Compte rendu n° 45.
● Cette organisation se heurte aujourd’hui aux difficultés rencontrées par la section détachée de Koné pour recruter des magistrats et des greffiers dans la durée. La section détachée à Koné, qui compte deux magistrats du siège, un magistrat du parquet et une dizaine de fonctionnaires du greffe ([400]), a récemment fait face à deux vacances prolongées de postes de magistrats.
Selon la direction des services juridiques (DSJ), seule l’une de ces vacances peut être considérée comme structurelle ([401]) et fait l’objet d’une compensation par un surnombre de magistrats du siège placés délégués par la cour d’appel pour compléter la juridiction ([402]). D’après Me Samuel Bernard, seul avocat installé dans la Province Nord, cette vacance structurelle est la conséquence d’un défaut d’information et d’accompagnement du magistrat concerné et de sa famille. Rapidement après leur installation, ceux-ci ont en effet jugé les conditions de vie à Koné incompatibles avec leur vie familiale ([403]).
Outre l’absence de magistrats, seuls huit greffiers sur les dix postes affectés à cette section détachée auraient été occupés intégralement dans le courant de l’année 2024, entraînant le report de nombreuses audiences et l’augmentation des délais de traitement ([404]).
● En complément des sections détachées du TPI, des audiences foraines tâchent d’être organisées régulièrement pour pallier l’éloignement de certains justiciables ([405]).
Dans les îles Loyauté, ces audiences sont d’autant plus essentielles qu’il n’est pas possible de circuler d’une île à l’autre. L’organisation de ces audiences est gérée par la section détachée du TPI à Lifou, dont les effectifs sont composés d’un magistrat du siège et deux greffiers. Le magistrat unique agit donc dans toutes les matières civiles, pénales, coutumières pour les habitants de la Province des Îles ([406]).
Les audiences foraines se tiennent une fois par trimestre dans les mairies d’Ouvéa et de Maré, qui correspondent aux communes principales des deux autres îles les plus peuplées de la province. Le président du TPI précise que le juge se déplace avec un greffier et essaie de « regrouper les audiences – les contentieux peuvent être civils, pénaux, concerner le tribunal des enfants ou non et ainsi de suite » ([407]).
Dans la Province Nord, en revanche, les auditions foraines ne semblent pas couvrir de manière aussi satisfaisante les besoins. En dehors des communes de Poindimié, où les audiences ont repris après 12 ans d’interruption, et Koumac, la plupart des communes isolées de la côte Ouest ne sont pas concernées par ce dispositif, alors que les solutions de transport restent très limitées.
La situation est encore pire s’agissant des communes situées au nord-est de l’île de la Grande Terre, particulièrement enclavées, comme le relève Me Samuel Bernard : « Il faut recréer beaucoup d’audiences foraines, car on a arrêté d’organiser nombre d’entre elles. Il n’y en a plus du tout à Bélep, île située au nord de la Nouvelle-Calédonie et qui est la plus isolée. Lorsque les justiciables de Bélep veulent venir à Koné, il faut qu’ils prennent le bateau et dorment une à deux nuits à Koné – et je ne parle même pas des audiences à Nouméa » ([408]).
Me Louise Chauchat souligne quant à elle la fragilité de dispositifs qui dépendent en grande partie des personnes qui les ont initiées. Elle regrette que plusieurs audiences foraines soient ainsi mises en place avant de disparaître après la mutation du magistrat qui les assurait ([409]). Les difficultés de recrutement évoquées au sujet de la section détachée ne sont sans doute pas étrangères à cette situation, le placement d’un magistrat délégué ne permettant pas à celui-ci de s’inscrire dans une perspective de long terme.
Des permanences sont par ailleurs régulièrement tenues par les délégués du procureur sur les trois îles Loyauté, sur l’île des Pins et sur la Grande Terre, pour permettre l’application de mesures alternatives aux poursuites.
● Face aux difficultés causées par l’éloignement géographique, le recours à la visioconférence tend à se développer. Si les mairies constituent un bon point d’entrée pour le justiciable appelé à communiquer à distance avec une juridiction, le président du TPI reconnaît néanmoins qu’il est « difficile de trouver des locaux à la fois équipés pour la visioconférence et garantissant la confidentialité des échanges, dans le cadre du conseil juridique. Il est également difficile de trouver des personnes sur place pour lancer la machine, expliquer aux justiciables où s’asseoir, comment les échanges par visioconférence fonctionnent, alors que la population est parfois très éloignée de la technologie moderne – mais qu’elle a besoin, comme les autres justiciables, d’informations sur ses droits » ([410]).
b. Le défi de l’adaptation de la justice au droit coutumier kanak
● La République française reconnaît le statut civil coutumier en Nouvelle-Calédonie, en vertu de l’article 75 de la Constitution : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun [...] conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ».
Un régime de droit civil dérogatoire au code civil français est ainsi reconnu aux Kanak et encadré par le titre Ier de la loi organique de 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ([411]). C’est cependant la juridiction de droit commun qui est chargée de son application en cas de litiges, l’article 19 de cette loi disposant que « la juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des litiges et requêtes relatifs au statut civil coutumier ou aux terres coutumières. Elle est alors complétée par des assesseurs coutumiers dans les conditions prévues par la loi ».
L’articulation entre droit commun et droit coutumier est une source de complexité pour l’institution judiciaire, comme pour les justiciables, rendant le droit applicable – étatique ou local, commun ou coutumier, voire kanak, wallisien ou futunien – difficile à identifier. En effet, comme l’explique M. David Ginocchi, directeur des affaires juridiques du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, « c’est une source de complexité pour l’institution judiciaire comme pour les justiciables. En effet, l’oralité de la coutume rend parfois sa compréhension et sa traduction juridique difficiles, et il existe des conflits de normes entre droit coutumier et droit commun, que ne résorbe pas une jurisprudence de plus en plus abondante » ([412]).
Des conflits de norme peuvent ainsi se poser, lorsque les deux parties ne sont pas régies par le même statut civil. Dans le cas d’un conflit opposant une personne de statut civil coutumier et une personne de statut de droit commun, c’est le droit commun qui s’applique ([413]). De la même façon, c’est le droit commun qui régit les rapports juridiques entre deux personnes dont l’une relève du droit commun, ou entre deux personnes relevant de statuts personnels différents, sauf opposition expresse ([414]). Ces dispositions, qui sont une « source d’insatisfaction », ont pu être analysées par les Kanak comme relevant d’une « logique assimilationniste qui place la coutume en infériorité » ([415]). Par ailleurs, le droit pénal reste hermétique à la coutume kanak, « démembrement (…) difficilement compréhensible pour les Kanak [qui] prive le droit coutumier de moyens de coercition, créant un risque d’ineffectivité » ([416]).
L’intelligibilité du droit en Nouvelle-Calédonie au défi du pluralisme juridique
La Nouvelle-Calédonie présente une double difficulté en matière d’accessibilité du droit : d’une part, l’existence d’un droit local résultant des Accords de Nouméa et des transferts de compétences, distinct du droit national ; d’autre part, la reconnaissance d’un droit coutumier, pour les actes relevant du droit civil, y compris les intérêts civils consécutifs à une infraction pénale. De l’aveu même des professionnels du droit, le droit calédonien dans son ensemble nécessite des années de pratique pour en maîtriser toutes les subtilités.
Dotée d’une large autonomie, la collectivité sui generis de Nouvelle-Calédonie dispose d’une compétence propre (1) en matière de droit du travail, de taxes, de commerce extérieur, de droit de la concurrence et des assurances, de commande publique, d’énergie, d’hydrocarbures, de métaux et de terres rares, de circulation routière, de procédure civile, d’enseignement primaire, d’établissements hospitaliers, etc.
Dans ce domaine, comme cela a été indiqué à la commission d’enquête, les magistrats comme les professionnels du droit rencontrent « un problème matériel pour trouver les textes applicables. L’équivalent local de Légifrance s’appelle Juridoc. Même s’il a le mérite d’exister, ce site ne donne pas de version consolidée des textes à différentes dates, contrairement à Légifrance. Cela nous oblige régulièrement à un travail d’archéologie juridique pour les textes calédoniens. Toutefois, Juridoc est en train d’évoluer » (2).
Dans les matières qui relèvent de la compétence de l’État, les normes ne sont applicables à la Nouvelle-Calédonie qu’en cas de mention expresse à cette fin, conformément au principe de spécialité législative. Sont toutefois applicables de plein droit, sans préjudice de leur adaptation, les dispositions législatives et réglementaires relatives aux pouvoirs constitutionnels, à la défense nationale, à la nationalité, aux agents publics, au domaine public de l’État (3), etc.
Les provinces et les communes, qui sont des collectivités territoriales, disposent elles aussi de compétences propres. En matière d’environnement par exemple, la compétence est partagée entre le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et chacune des trois provinces, si bien qu’il existe trois codes distincts dans ce domaine.
Enfin, l’article 7 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, tirant les conséquences de l’article 75 de la Constitution, prévoit que le droit coutumier est applicable, en matière civile, aux personnes de statut civil coutumier kanak. Il existe ainsi un registre d’état civil coutumier – dont la tenue manuelle comporte un risque d’erreur important –, et le statut coutumier permet l’application des coutumes kanak en matière d’affaires familiales, de successions ou encore de gestions de terres et des biens. Ainsi, en matière civile, deux droits concurrents sont applicables par les tribunaux, en fonction du statut civil de la personne concernée. Le droit coutumier, essentiellement oral et fondé sur le « palabre », fait désormais l’objet d’un corpus cohérent et intelligible grâce aux juridictions en formation coutumière. Depuis 2010, les décisions sont en outre plus détaillées, et apportent une meilleure lisibilité et une plus grande sécurité juridique (4).
(1) Article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
(2) Compte rendu n° 45.
(3) Article 6-2 de la même loi organique.
(4) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
● Le bon fonctionnement de la justice dans ce domaine repose alors essentiellement sur la présence d’assesseurs coutumiers, dont le recours a été généralisé par l’ordonnance du 15 octobre 1982 ([417]). Ce sont des juges non‑professionnels qui statuent aux côtés du magistrat dans les affaires relevant du statut civil coutumier, relatives aux personnes et aux biens, au foncier, au droit de la famille ou en matière d’assistance éducative. Ils « servent aussi indirectement de traducteurs culturels et linguistiques, facilitant la compréhension mutuelle entre le droit étatique et les justiciables » ([418]).
Au nombre de deux minimum, ils doivent représenter la coutume de chaque partie à la procédure : « Ainsi, lors du divorce d’époux qui sont de coutumes différentes, il faut un assesseur coutumier pour chaque coutume. Les assesseurs coutumiers appréhendent la situation dans son ensemble avec le magistrat professionnel, afin de rendre une décision juridique motivée en matière de droit coutumier » ([419]).
De fait, ils sont indispensables pour aider le magistrat à identifier les règles de droit coutumier et lui apporter des connaissances sur les droits coutumiers, étant entendu que le statut civil kanak n’est pas un bloc monolithique à l’instar du statut civil de droit commun, et qu’il est régi et interprété au niveau de chaque district coutumier, qui sont au nombre de 57 et regroupés en huit aires coutumières ([420]). Ainsi, « les assesseurs, avec voix délibérative, participent activement à l’élaboration de la coutume judiciaire, notamment en cas de silence de la coutume orale. Leur apport, combiné aux connaissances des magistrats, a permis de cristalliser des concepts coutumiers » ([421]).
Tous les deux ans, les chefs des aires coutumières sont sollicités pour proposer une liste de personnes pouvant être nommées comme assesseurs en raison de leur connaissance de leur coutume. Si l’assemblée générale des magistrats de la cour d’appel décide des personnes qu’elle nomme assesseur, elle ne peut nommer quiconque ne figure pas au préalable sur ces listes. Il lui revient, en revanche, d’écarter « les personnes proposées par les aires coutumières [qui ont été] condamnées, notamment pour des violences intrafamiliales », comme le précise le premier président de la cour d’appel ([422]).
Le Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie
La loi organique du 19 mars 1999 reconnaît officiellement les conseils coutumiers, à la tête de chaque aire coutumière, et le Sénat coutumier, représentant des conseils coutumiers. Chacun des huits conseils coutumiers désigne selon ses us et coutume deux sénateurs. Le Sénat coutumier est donc composé de seize membres. La durée du premier mandat des membres du Sénat est de six ans. Les mandats suivants sont de cinq ans.
Le Sénat est consulté sur tout projet de loi du pays et de délibération intéressant l’identité kanak (signes identitaires, statut civil coutumier, terres coutumières…). Il peut être également consulté sur tout autre projet de délibération à l’initiative des institutions locales (gouvernement, Congrès, assemblée de province) ou du haut-commissariat (sur les questions de compétence étatique).
● Le recours à des assesseurs coutumiers, bien qu’indispensable, peut cependant poser un certain nombre de difficultés.
Premièrement, aucune formation préalable ou minimale n’est requise pour exercer la fonction. D’après M. Ludovic Boula, président du Sénat coutumier, « [leur statut] est obsolète. Il est inchangé depuis vingt ans alors même que leur mission est devenue plus complexe. Faiblement reconnus et peu formés, ils constituent pourtant un maillon essentiel de la justice coutumière » ([423]).
Deuxièmement, leur impartialité peut être mise en cause au regard de leur proximité avec certains justiciables. Comme l’explique le président du TPI de Nouméa, « lorsque quelqu’un connaît la coutume de ceux qui vont être jugés, c’est parce qu’il habite avec eux – il est de la même tribu ou du même clan et connaît donc, particulièrement, ces personnes. Il arrive que les assesseurs coutumiers ne se présentent pas, parce qu’ils connaissent trop bien les personnes jugées et ne se sentent pas à même de nous apporter les compétences » ([424]). La peur des représailles apparait également expliquer certaines absences aux audiences ([425]). Leur présence étant requise pour juger, les justiciables peuvent se retrouver confrontés à un déni de justice si le remplacement de l’assesseur n’est pas envisageable, y compris à l’issue d’un report de l’audience ou du délibéré.
Troisièmement, les règles de procédures de proposition et de nomination des assesseurs ne permettent pas d’aboutir à un échevinage satisfaisant. D’une part, tous les districts n’ont pas désigné leurs assesseurs, si bien qu’ils ne sont aujourd’hui qu’une vingtaine, alors qu’ils devraient être environ 120 ; toutes les coutumes ne sont donc pas représentées ([426]), « ce qui nécessite une vigilance pour éviter le nivellement des différences » ([427]). D’autre part, ils peinent à représenter la population dans son intégralité, la plupart ayant plus de 50 ou 60 ans, et la proportion de femmes étant quasi inexistante.
● L’autre défi soulevé par l’intégration de la coutume au système judiciaire est la qualification du personnel judiciaire, en premier lieu des magistrats. À ce titre, les efforts menés en matière de formation semblent pouvoir être encore améliorés.
De l’aveu même du président du TPI, confrontés au dualisme juridique que représentent le droit commun et le droit coutumier, « les magistrats doivent donc disposer d’une expertise supérieure à celle d’un juriste exerçant dans les régions hexagonales ». Il assure cependant que les magistrats qui viennent d’arriver sur leur poste ne « sont pas parachutés dans de tels contentieux » et que « des formations sont délivrées aux magistrats arrivant au niveau de la cour d’appel (…). Leurs différents modules permettent de présenter la coutume kanak, au sens large, et le statut civil kanak » ([428]).
Au-delà du contentieux relatif au droit coutumier, la connaissance de la coutume et des habitudes de vie paraît indispensable dans le cadre des procédures pénales afin de garantir le principe d’individualisation des peines et d’éviter toute incompréhension. À cet égard, les modules proposés aux magistrats arrivés de l’Hexagone ne sauraient être suffisants.
Le président du TPI reconnaît d’ailleurs continuer de s’appuyer sur les connaissances intimes de la seule magistrate d’origine kanak lors des formations collégiales en matière pénale : « il est précieux de l’avoir (…) car il existe un langage corporel en Nouvelle-Calédonie : certaines choses peuvent être exprimées seulement par les sourcils ou des expressions du visage, ce que les personnes qui arrivent ne perçoivent pas forcément tout de suite, même si elles finissent par s’habituer » ([429]). De fait, le silence du prévenu, sa tendance à baisser les yeux, peuvent être interprétés, à tort, par un juge non averti, comme le signe d’une indifférence coupable (cf. encadré ci-après).
La manifestation du respect dans la culture kanak :
un silence qui en dit long
« Pour une grande partie des adolescents kanak, le respect dû aux adultes, c’est le silence. Ils observent, ils apprennent, ils sont là, mais ils ne parlent pas : leur parole ne pèse rien, elle ne ferait que déranger » : c’est ainsi que, confrontée au silence de sa salle de classe, l’héroïne du roman d’Alice Zeniter, Frapper l’épopée (1), s’interroge sur la manière d’interagir avec ses élèves.
De la même façon, un juge peut être confronté au silence d’un prévenu kanak lors d’une audition, qui peut aisément être mal interprété. « Parfois, vous êtes amené à juger une personne qui se présente devant vous sans vous regarder et ne répond à vos questions qu’en hochant la tête et en maugréant, sans que vous sachiez si cela veut dire oui ou non. Si vous ne savez pas interpréter ce silence, vous pouvez penser, à tort, que c’est un affront, une forme d’insolence ou de désintérêt. En réalité, la personne est simplement en position de soumission, parce que dans sa culture, quand on est jugé, on doit se soumettre. Or, pour bien interpréter un silence, il faut avoir été formé – par des sociologues, des anthropologues, des universitaires, des représentants des chefferies », explique le premier président de la cour d’appel (2).
Pour ne pas se tromper sur l’interprétation de ces « codes océaniens », le président de la Province Nord estime que la « formation des magistrats aux us et coutumes locales est nécessaire » (3). Le président du Sénat coutumier a quant à lui proposé à la juridiction de permettre aux magistrats venus de l’Hexagone de faire un séjour immersif dans les tribus avant leur prise de fonctions (4).
(1) Alice Zeniter, Frapper l’épopée, 2024.
(2) Compte rendu n° 48
(3) Contribution écrite du président de la Province Nord.
(4) Compte rendu n° 44.
c. Les difficultés rencontrées par la politique pénale dans un contexte de surpopulation carcérale
● Les émeutes de mai 2024 ont conduit à une hausse exceptionnelle des affaires portées devant les chambres pénales ([430]). Pour s’adapter, le TPI a pu solliciter le dispositif de délégation de magistrats issus des cours d’appel de Paris et d’Aix-en-Provence, pendant trois mois, pour gérer un flux d’affaires particulièrement élevé.
En revanche, la question de l’exécution de la sanction pénale n’a pas pu trouver de réponse satisfaisante dans le « contexte préoccupant de surpopulation carcérale au Camp-Est, la prison de Nouméa », explique le procureur général près la cour d’appel. « Compte tenu de l’état d’insalubrité et de la promiscuité qui caractérisent cette prison (…) c’est une chance et même un miracle qu’il ne s’y passe pas d’incidents graves. Le jour où de tels incidents se produiront, ce pourra être un désastre absolu » ([431]) .
Dans l’attente de la construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Nouméa, tel qu’annoncé par M. Éric Dupond-Moretti, alors garde de sceaux, en 2024, les autorités administratives et judiciaires ont dû demander le transfert dans l’Hexagone de prisonniers néo-calédoniens en détention provisoire, explique le directeur général des outre-mer, M. Olivier Jacob ([432]). L’éloignement des détenus à près de 18 000 kilomètres de leur lieu de vie peut pourtant constituer une atteinte grave au droit à la vie privée, garanti par le droit européen ([433]). Il semble en outre compromettre les chances de réinsertion de tous ceux qui n’auraient pas les ressources pour rentrer rapidement en Nouvelle-Calédonie à leur sortie de prison.
Le procureur général assure cependant qu’« un important travail d’aménagement des peines est également effectué avec le juge de l’application des peines » et qu’« instruction [a été donnée] au procureur de la République d’éviter de mettre dans le circuit correctionnel certains prévenus – pour les faits les moins graves ou pour les problèmes d’addiction » ([434]).
● L’autre défi majeur auquel la politique pénale est confrontée demeure les violences intrafamiliales. Près de 70 % de ces violences relèvent du cadre conjugal. En 2023, 8,4 faits pour 1 000 habitants étaient recensés, soit plus du double de la moyenne nationale ([435]). En 2024, les coups et blessures volontaires intrafamiliaux y atteignent 6,7 faits pour 1 000 habitants, contre 2,8 pour l’Hexagone, confirmant l’ampleur persistante du phénomène ([436]). Le président du TPI parle « d’un vrai fléau qui pèse clairement sur la délinquance » ([437]).
Si, de manière générale, les efforts en matière d’hébergement et d’accueil doivent être renforcés, la difficulté devient quasi insoluble lorsqu’une victime réside avec ses enfants dans la tribu de son mari. « Il est difficile d’obtenir une mesure de protection particulière. C’est toujours l’objet de négociations avec les autorités coutumières. En général, si une femme veut se séparer de son mari, elle doit se résoudre à quitter le clan de celui-ci en laissant les enfants, ce qui a évidemment une incidence très forte sur elle », détaille le procureur de la République. Il ajoute : « La société reste très patriarcale : la notion de condition féminine n’en est qu’à ses balbutiements » ([438]).
En matière de violences, un autre exemple, développé par le procureur général, concerne la pratique de « l’astiquage », pratique violente dont les conséquences sont parfois extrêmes. « Dans certaines tribus, un mineur délinquant peut être “astiqué” durant une longue durée, avant d’être expulsé et mis au ban de la communauté » ([439]). Lorsque le droit commun entre en conflit avec des pratiques enracinées au sein de certaines communautés, « la loi doit s’appliquer avec discernement et proportionnalité » ([440]), estime-t-il. Avant de conclure : « Quand une femme meurt ou qu’un enfant est blessé, parfois gravement, ce n’est pas une lubie ou une vue de l’esprit : ce sont des situations réelles. Il faut trouver des espaces de conciliation, par le dialogue que nous entretenons » ([441]).
3. L’accès au droit pénalisé par un maillage insuffisant et une coordination embryonnaire des acteurs
a. La difficile projection des professionnels du droit hors du Grand Nouméa
● Sur les 114 avocats qui exercent en Nouvelle-Calédonie, seuls deux n’ont pas leur cabinet principal installé dans le Grand Nouméa. Cette criante disparité territoriale semble insoluble en l’absence de financements complémentaires.
Le bâtonnier de Nouméa, Me Philippe Reuter, estime que la prise en charge des frais d’hébergement des avocats dans le cadre de l’aide juridictionnelle ou des permanences gratuites d’accès au droit, en plus de la rémunération perçue à ces deux titres, représente une évolution indispensable pour inciter les avocats à se rendre auprès des justiciables résidant dans la Province Nord ou sur les îles Loyauté. « On ne peut pas demander à avocats de faire 600 kilomètres dans la journée pour aller à Koné assurer une permanence ou défendre des gens dans le cadre de l’aide juridictionnelle et ne rien prévoir s’agissant de leurs frais d’hébergement » ([442]).
L’aide juridictionnelle
et l’aide judiciaire en Nouvelle-Calédonie
Compte tenu du partage des compétences entre l’État et la Nouvelle‑Calédonie, l’aide juridictionnelle et l’aide judiciaire renvoient à deux mécanismes distincts.
L’aide judiciaire est une aide financière prise en charge par la Nouvelle-Calédonie afin de garantir aux personnes dont les ressources sont insuffisantes de se défendre ou de faire valoir leurs droits devant les juridictions civiles, commerciales, administratives ainsi que devant le tribunal du travail. Son régime est encadré par la délibération modifiée n° 482 du 13 juillet 1994.
L’aide juridictionnelle, financée par l’État, ne concerne donc que les personnes à faibles ressources qui se défendent devant une juridiction pénale (tribunal de police, tribunal correctionnel, cour d’assise). Elle est régie par des textes spécifiques, à savoir les ordonnances nos 92-1147 et 92-1150 du 12 octobre 1992 et le décret n° 93-1425 du 31 décembre 1993 relatif à l’aide juridictionnelle en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna.
Contrairement au cadre de droit commun de l’aide juridictionnelle, ce dispositif permet la prise en charge des frais de déplacement. Elle reste limitée aux déplacements des avocats pour les audiences foraines et les audiences des sections détachées des tribunaux concernés, ainsi qu’aux frais réels de transport en avion, en bateau ou en voiture. Elle n’intègre pas les frais d’hébergement. Par ailleurs, l’aide juridictionnelle garantie, qui permet à l’avocat ayant effectué sa mission d’être effectivement indemnisé, n’est pas applicable en Nouvelle-Calédonie.
Enfin, ces aides ne prennent pas en compte les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration imposés aux justiciables qui ne résident pas à proximité des juridictions.
Source : réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur
● S’agissant d’autres professionnels du droit, le constat n’est pas différent. Notamment, au sein de la Province Nord, « l’accès au droit se résume à une étude notariale, à une étude d’huissier et à quelques juristes » ([443]). Si les habitants peuvent compter sur les assistantes sociales, généralement présentes dans les communes et employées par les provinces, pour assurer un premier aiguillage des demandes, sur la côte Est de la Province Nord, un seul assistant social est à ce jour en poste, à Poindimié, laissant sans possibilité d’accès au droit les habitants des zones allant de Ouégoa à Canala ([444]).
Il convient par ailleurs de relever qu’au moment de la rédaction de ce rapport, aucun délégué du Défenseur des droits n’a encore été désigné en Nouvelle-Calédonie.
b. Les défis à relever par le conseil de l’accès au droit
Créé par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, le conseil d’accès au droit de Nouvelle-Calédonie (CAD‑NC) a débuté son activité en 2024. Il constitue une avancée majeure dans le paysage calédonien, où l’accès au droit était jusqu’à cette date disparate et notoirement insuffisant, faisant l’objet d’initiatives isolées et non pérennes ([445]).
Néanmoins, six points-justice seulement ont tenu des permanences en 2024 :
– trois points-justice généralistes situés au sein du TPI, de la section détachée de Koné, et de l’Association pour l’accès au droit et l’aide aux victimes de Nouvelle-Calédonie (Adavi 988), qui a accueilli à elle seule 2 012 personnes ;
– trois points-justice spécialisés, situés au sein des centres pénitentiaires de Nouméa et Koné ou dans le cadre de permanences itinérantes de l’Adavi à Mont‑Dore, Bourail, Dumbéa et l’île des Pins.
Au total, 3 143 personnes ont été reçues dans ce cadre, auxquelles il faut ajouter celles qui ont été reçues dans le cadre des dispositifs d’accès au droit de chaque province, d’associations comme UFC-Que Choisir ([446]) ou de la chambre de commerce et d’industrie pour les chefs d’entreprise.
Le CAD a en outre signé une convention en vue d’organiser des permanences juridiques avec la chambre des notaires, celle des commissaires de justice et le barreau de Nouméa. Le congrès et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie sont membres associés du CAD, de même que la Province Sud. En revanche, aucun accord n’a été conclu avec les autres provinces, bien que des échanges soient en cours. Votre rapporteur ne peut que déplorer la faible implication d’acteurs pourtant indispensables dans la mise en œuvre d’une politique ambitieuse d’accès au droit pour les Calédoniens.
● Si la création du CAD permet de donner un cadre et une cohérence à la politique publique d’accès au droit, les défis à relever restent importants.
Si les permanences tenues à Nouméa apparaissent suffisantes ([447]), le maillage territorial des permanences du CAD reste encore insuffisant pour toucher les populations les plus enclavées de la Province Nord et des Îles Loyauté. Les membres du CAD semblent avoir conscience de cette lacune, le « renforcement du maillage territorial » figurant parmi les objectifs prioritaires du rapport d’activité 2024.
Cependant, les orientations prises en 2025 tendraient au contraire « à réduire la fréquence et la durée des permanences sans tenir compte des besoins différenciés selon les communes, de la taille de la population concernée, ni des difficultés de mobilité propres à la province Nord » ([448]).
Par ailleurs, les justiciables ne sont pour l’heure pas renseignés en matière de droit coutumier, alors même que la majeure partie des victimes de violences conjugales sont des femmes de statut civil coutumier ([449]). Dans ce contexte, « les victimes cherchent vainement des conseils pour dissoudre le mariage coutumier » ([450]).
B. Polynésie française : une adaptation poussée de l’organisation judiciaire pour répondre au caractère hors norme du territoire
Découverts au long des XVIe et XVIIe siècles par des explorateurs espagnols, britanniques, néerlandais et français, les cinq archipels du Pacifique qui forment aujourd’hui la Polynésie française n’ont été juridiquement rattachés à la France qu’à la fin du XIXe siècle ([451]). Elle a, depuis lors, accédé à une autonomie importante au sein de la République, étant aujourd’hui une collectivité d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution.
1. Une distance géographique et juridique extrême de l’Hexagone
La distance à l’Hexagone de la Polynésie française est double : géographique, à l’évidence ; mais également juridique, la collectivité s’étant vu transférer de nombreuses compétences.
a. Un éloignement et un morcellement sans commune mesure
● Au plan géographique, la Polynésie française se caractérise par un éloignement maximal de l’Hexagone et un extrême morcellement. Dans ce territoire situé à plus de 16 000 kilomètres de Paris, « nous sommes vraiment à l’autre bout du monde. Depuis l’Hexagone, il faut vingt-quatre heures d’avion avec un décalage horaire de douze heures » ([452]).
Par ailleurs, avec 76 îles habitées – sur 118 au total – réparties dans cinq archipels ([453]), la Polynésie française est particulièrement vaste, comme l’a souligné son haut-commissaire : « On illustre souvent cet éparpillement en superposant la carte de la Polynésie française sur celle de l’Europe : les archipels sont dispersés dans une zone correspondant quasiment à la superficie de l’Union européenne – pour une population infiniment moindre » ([454]). Les distances entre les archipels sont ainsi particulièrement importantes, la principale ville des Marquises, Nuku-Hiva, se situant à 1 400 kilomètres de Tahiti.
Par ailleurs, la population totale du territoire, qui avoisine les 283 000 habitants ([455]), est très inégalement répartie entre les archipels, puisque 80 % de la population est concentrée sur les seules îles du Vent, à Tahiti et Moorea.
les communes de polynÉsie française
Source : Isee.
● De fait, ce morcellement à l’extrême du territoire est difficilement compensé par les infrastructures locales, tant en matière de transport que de communication.
Les liaisons aériennes sont concentrées à Tahiti, et les lignes inter-îles sont très peu développées, y compris à l’intérieur des archipels. À Rapa, au sud de l’archipel des Australes, seul un cargo permet aux quelque 450 justiciables de rejoindre Tahiti en trois jours de navigation ([456]), en l’absence d’aérodrome. Ainsi, « un certain nombre d’habitants de la Polynésie française sont confrontés à une double voire à une triple insularité. Double, car l’éloignement de Paris y est maximal, triple car depuis la capitale, l’accès à certaines îles – celles de l’archipel des Marquises par exemple – suppose de prendre un avion jusqu’à Papeete, puis un autre pour gagner l’une des îles possédant un aéroport et enfin un bateau pour atteindre sa destination » ([457]).
La couverture numérique du territoire est également limitée, dans les faits, aux villes les plus peuplées. Si toutes les îles disposent désormais d’une liaison internet, la qualité du débit ne permet pas toujours de faire plus que consulter ses courriels. De fait, « la limitation du débit internet constitue encore un frein à l’accès au droit dans certaines îles » ([458]), même si la couverture satellitaire est en cours d’amélioration.
b. Un cadre juridique, essentiellement local, particulièrement complexe
Le statut d’autonomie dont jouit la Polynésie française conduit à ce que les autorités locales bénéficient d’une compétence de principe, l’État ne conservant qu’une liste limitée de compétences d’attribution, conférées par l’article 14 de la loi organique de 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française ([459]), telles que la garantie des libertés publiques, la politique étrangère, la défense, le droit des étrangers, la monnaie, etc. En outre, au sein des compétences étatiques, le principe de spécialité législative conduit à ce que seuls soient applicables les lois et règlements qui comportent une mention expresse à cette fin, à l’exception des règles applicables de plein droit, éventuellement adaptées au territoire, essentiellement relatives à des compétences régaliennes telles que l’organisation des pouvoirs publics constitutionnels, la défense nationale, la nationalité et les agents publics ([460]).
De fait, de nombreux domaines ressortissent de l’exercice de compétences transférées à la collectivité : « Les réglementations en matière d’urbanisme, de marchés publics, de circulation routière ou de fiscalité – très particulière en Polynésie française – ont des conséquences sur le droit et son exercice. Les règles sont édictées par la Polynésie française et adaptées au territoire ; les gendarmes et policiers effectuent leurs contrôles en conséquence. De surcroît, la collectivité de Polynésie a la capacité d’établir des infractions aux règles qu’elle a édictées. Plus précisément, les articles 21 et 22 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française encadrent cette compétence tout en permettant à la collectivité d’établir, dans certains domaines, des régimes d’infractions et d’amendes parfaitement adaptés à la situation locale » ([461]).
Le tribunal administratif, par exemple, applique essentiellement le droit local : « De côté des magistrats, l’enjeu principal (…) est celui de l’apprentissage du droit local, qui constitue 90 % des règles que le tribunal administratif doit appliquer, contre 10 % de règles issues du droit étatique. Il y a donc un important ticket d’entrée à payer pour les magistrats affectés en Polynésie, sachant qu’il n’existe pas de formation pour s’y préparer ; il faut environ un an pour s’y familiariser au fil de l’eau » ([462]), délai qui semble similaire pour les magistrats judiciaires ([463]).
Dans les faits, il peut parfois être difficile d’identifier clairement le droit applicable pour les professionnels du droit et a fortiori pour les justiciables. M. Michel Thénault et Mme Élisabeth Cata, dans un rapport remis au gouvernement en 2020, y déplorent « le labyrinthe d’un droit inaccessible où l’usager, égaré dans la complexité, cherche vainement le fil d’Ariane », estimant que « l’état d’un droit [en Polynésie française est] difficilement lisible, et plus souvent incompréhensible bien qu’applicable dans la collectivité » ([464]).
Votre rapporteur a eu l’occasion de montrer, dans son rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer, la rare complexité du droit applicable en Polynésie française, qui nécessite de réaliser des recherches à la fois sur Légifrance, pour les compétences de l’État, et sur Lexpol, pour celles relevant de la collectivité, sans qu’une vision consolidée ne soit accessible. En outre, le principe de spécialité législative semble avoir donné naissance, du fait de son interprétation par le Conseil d’État rendant nécessaire l’extension expresse de chaque modification normative d’une norme déjà étendue à la Polynésie, à un véritable monstre légistique : le « compteur Lifou » ([465]).
Le « compteur Lifou »
La question s’est posée, en 1990, de savoir si les textes modifiant des textes expressément étendus dans les collectivités appliquant le principe de spécialité législative – la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie –, devaient eux aussi faire l’objet d’une mention d’application expresse. Le Conseil d’État, saisi de cette question, a considéré que les lois modificatives n’étaient pas automatiquement applicables dans ces territoires (1). Dès lors, en l’absence de mention expresse dans le texte modificatif, c’est la version antérieure du texte modifié qui continue à s’appliquer sur le territoire.
Pour permettre aux usagers d’accéder plus aisément aux textes applicables dans ces territoires, une présentation sous forme de tableaux des dispositions applicables, associées à la date de la dernière modification, a été introduite sur le site Légifrance (2). Cette information n’est toutefois pas suffisante pour appréhender directement le droit applicable : « À titre d’exemple, le compteur Lifou indique que l’article L. 351-6 du code de la consommation modifie l’article L. 351-5 et remplace ou supprime des mots et des références dans les dispositions de l’article L. 314-24, mais sans fournir le texte qui résulte de ces modifications. Il faut donc consulter les trois articles en question pour accéder à la norme. Ces étapes additionnelles sont indispensables pour le lecteur qui souhaite accéder au libellé exact de la disposition recherchée » (3).
Par ailleurs, compte tenu de la nécessité d’une actualisation permanente de ces tableaux, liée à une activité législative soutenue, et du maniement humain qu’il implique, ces « compteurs Lifou » ne sont pas exempts d’erreurs.
(1) Conseil d’État, Assemblée, du 9 février 1990, n° 107400.
(2) Voir par exemple l’article L. 5611-3 du code général de la propriété des personnes publiques.
(3) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 774 fait au nom de la délégation aux outre-mer sur l’avenir institutionnel des outre-mer par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, 15 janvier 2025.
Ainsi, en matière pénale par exemple, « le principe de spécialité législative, l’imbrication de textes locaux épars et de codes locaux présentant des vides juridiques quant à certaines incriminations omises ou abrogées par erreur à la suite de toilettages législatifs par l’Assemblée de Polynésie française nécessitent, en amont de l’instauration de toute politique pénale ou de l’exercice de l’action publique, un travail chronophage de recherche textuelle et d’analyse de l’application de la loi pénale dans le temps » ([466]).
2. Une organisation judiciaire qui a su s’adapter à ces particularités
Il apparaît que la justice républicaine s’est adaptée de façon relativement satisfaisante aux exigences de ce territoire, répondant à la fois aux contraintes géographiques, trouvant des solutions pour pallier la distance culturelle entre les personnels de la justice et les justiciables, et créant même une juridiction unique pour traiter un contentieux particulièrement important au plan local.
a. Des sections détachées et des audiences foraines pour rendre la justice au plus près des habitants
L’organisation judiciaire de la cour d’appel de Polynésie française a fait l’objet des adaptations nécessaires pour tenir compte de la géographie hors norme du territoire.
● En premier lieu, si le tribunal de première instance et la cour d’appel sont à Papeete, trois sections détachées existent aujourd’hui pour rendre la justice dans les archipels les moins peuplés, en matière civile, foncière, correctionnelle et contraventionnelle :
– la section détachée des îles Sous-le-Vent, située à Raiatea, qui compte deux magistrats et sept fonctionnaires pour 36 000 habitants ;
– la section détachée de Nuku-Hiva, pour l’archipel des Marquises, qui comporte un magistrat et deux fonctionnaires, pour 9 000 habitants ;
– la section détachée créée en 2023, qui opère depuis Papeete pour les archipels de Tuamotu, de Gambier et des Australes, avec un magistrat et cinq fonctionnaires pour 24 000 habitants.
Les compétences du tribunal judiciaire de Papeete
Le tribunal judiciaire de Papeete « regroupe plusieurs juridictions supplémentaires par rapport à un tribunal judiciaire à savoir le tribunal du travail, le tribunal mixte de commerce et le tribunal foncier. (…) Il n’y a pas de pôle social, il n’y a pas de juge du contentieux de la protection (avant la réforme de 2020, il n’y avait pas de tribunal d’instance) ou de juge de l’exécution et la compétence pour les tutelles des mineurs n’est pas confiée aux juges aux affaires familiales entre autres singularités. Le tribunal de première instance, en matière civile, statue toujours à juge unique, même s’il existe une possibilité de renvoi devant une formation collégiale. Il est compétent sur l’entier ressort de la Polynésie française.
Néanmoins, compte tenu des particularités liées à l’éloignement géographique des archipels par rapport à Tahiti, il comporte trois sections détachées (…), qui sont compétentes pour juger, dans leur ressort, les affaires civiles, foncières, correctionnelles et de police. Les magistrats affectés dans les sections exercent également les fonctions spécialisées de juge de l’application des peines et de juge des enfants. Ainsi les juges des sections détachées exercent toutes les fonctions spécialisées ou non à l’exception de l’instruction et de la fonction de juge des libertés et de la détention ».
Source : réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
● Au-delà des habitants vivant sur l’île qui accueille le siège de la section détachée, des audiences foraines permettent de projeter, depuis Papeete, Raiatea et Nuku-Hiva, des formations judiciaires dans les îles les moins densément peuplées. La section détachée de Raiatea, par exemple, organise trois à quatre fois par an des audiences à Huanine et Bora-Bora, tandis que chacune des trois principales îles de l’archipel accueille une audience foncière tous les trois mois ; Maupiti et Tahaa sont visitées selon les besoins. Les magistrats participent également aux tournées administratives organisées par le gouvernement ou les forces de sécurité, avec le concours, pour les îles les moins bien desservies, de la marine nationale ([467]).
Le fonctionnement de la section détachée de Papeete
« La section détachée de Papeete a été créée en septembre 2023 et est compétente pour trois archipels : les Tuamotu, les Gambier et les Australes pour une population d’environ 24 000 habitants. Elle comporte un magistrat et cinq fonctionnaires.
La logistique est particulièrement importante au vu du nombre d’îles, qui ne rend pas possible des déplacements réguliers dans toutes les îles, les renvois de dossiers ont donc toujours lieu sur Tahiti contrairement aux autres sections détachées qui peuvent faire des renvois à leur prochain passage connu sur les îles principales. Le déplacement dans une île est l’occasion d’y faire appeler tous les dossiers en cours.
Il y a une semaine par mois des audiences sur Tahiti dans toutes les matières civiles et 3 jours d’audiences correctionnelles en collégiale le matin et en juge unique l’après-midi pour les dossiers urgents ou concernant des îles où il n’y a pas d’audiences pénales.
Les déplacements se font de manière régulière sur les îles suivantes : tous les 9 mois environ sur Rangiroa, tous les ans sur Hao, au rythme de tous les 12 à 18 mois sur les 4 îles principales des Australes, et tous les 18 mois environ sur les Gambier avec l’organisation à chaque fois d’audiences correctionnelles, au besoin en collégiale, et de police. Sur toutes les autres îles, le juge organise avec son greffe, des audiences civiles (foncières et JAF principalement), des audiences d’assistance éducative et des entretiens en qualité de juge de l’application des peines.
Pour les îles desservies régulièrement par avion, la section détachée organise seule ses déplacements. Pour les autres îles, elle se greffe sur des tournées administratives organisées par la Polynésie qui affrète bateau ou avion pour desservir les iles les plus éloignées en prévoyant un temps d’une demi-journée à une journée par île, ce qui permet un gain très appréciable en efficacité. La Polynésie organise environ dix tournées par an et le juge y participe deux à trois fois par an en choisissant celles permettant d’accéder à des iles non desservies par avion ou desservies une seule fois par semaine » (1).
(1) Réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
Le parquet s’est aussi adapté aux contraintes géographiques du territoire. Outre qu’il participe aux audiences foraines lorsque sa présence est requise – une soixantaine de fois par an –, le parquet de Papeete a mis en œuvre depuis 2018 une politique volontariste s’agissant du recrutement de délégués du procureur : « Depuis plusieurs années, nous recrutons des délégués dans les archipels et diversifions les réponses pénales, afin que la justice soit accessible et rendue au plus près des citoyens. Nous comptons actuellement douze délégués : deux associations et dix personnes physiques. Comme c’est souvent le cas, les associations interviennent pour l’organisation des stages – en matière de violences conjugales, de consommation de stupéfiants, ou de citoyenneté –, lesquels ont principalement lieu à Tahiti, même si nous parvenons occasionnellement à en proposer dans les autres îles. Quant aux dix délégués physiques, ils sont recrutés localement. Trois habitent à Tahiti – deux à Papeete, une à Taravao – et sept interviennent dans douze îles appartenant à trois archipels où se situent les principaux bassins de population » ([468]). Au final, le taux de mesures alternatives aux poursuites, autour de 50 % des réponses pénales apportées, y est proche de celui de l’Hexagone.
Les dispositions du code de procédure civile de la Polynésie française en matière d’audiences foraines
Article 443 : « Les parties comparaissent devant le juge en audience foraine, soit volontairement, soit sur convocation du magistrat. La convocation remise à personne, vaut assignation régulière. Elle peut être donnée pour le jour même, suivant les nécessités, en laissant à la partie un délai suffisant pour se rendre devant le juge ».
Article 444 : « Les requêtes et conclusions peuvent être faites oralement devant le juge, et consignées au plumitif. Immédiatement communiquées à l’adversaire, elles valent conclusions régulières ».
Article 445 : « Le juge peut immédiatement entendre sous serment en présence ou en l’absence des parties, toutes personnes dont le témoignage paraît utile à la cause ; les déclarations des témoins sont consignées au plumitif ».
Article 446 : « Le jugement peut être rendu soit sur le champ, soit au siège du tribunal, après le retour du magistrat. Les parties sont avisées de la date à laquelle le jugement sera rendu, soit immédiatement par le juge, soit après le retour de celui-ci, par avis du greffe ».
Article 447 : « Le greffier du juge en audience foraine exerce sur place les fonctions d’huissier ».
Art. 448 : « Lorsqu’ils sont saisis d’une affaire concernant des parties dont toutes ou certaines résident dans des îles de la Polynésie française autres que Tahiti, le président de la cour d’appel de Papeete et le président de la juridiction civile peuvent désigner par ordonnance un magistrat chargé de réunir tous les renseignements et documents concernant l’affaire. Le magistrat ainsi désigné est habilité en visant le présent article, à requérir de tous les dépositaires publics, délivrance de toutes copies authentiques, extraits ou copies, de tous actes concernant la cause. Il peut obtenir également délivrance, par le service du cadastre, de tous plans utiles à la cause. Les frais de délivrance sont avancés sur les crédits figurant à un chapitre spécial du budget du territoire, et récupérés comme en matière d’assistance judiciaire. Le même magistrat peut convoquer toutes personnes intéressées et recueillir toutes déclarations et renseignements de nature à permettre la solution de l’affaire ».
Article 449 : « En toutes matières, en audience foraine, lorsqu’un incapable ou un mineur, né ou à naître, intéressé en la cause, est dépourvu de représentant régulier, ou que ce représentant est non présent et qu’il aura été impossible de procéder à la désignation régulière du représentant, le juge pourra, en visant le présent article, désigner un représentant ad hoc chargé de défendre les intérêts de l’incapable ».
Article 449-1 : « En audience foraine, le juge pourra se faire assister par un interprète assermenté, qui ne pourra en aucun cas être le greffier ».
● La procédure civile propre à la Polynésie permet également aux magistrats de rendre la justice plus accessible aux justiciables qui en seraient les plus éloignés. En effet, le code de procédure civile polynésien ne prévoit pas d’avocat obligatoire en matière familiale et foncière, contentieux qui représente la très grande majorité des saisines du juge dans les archipels.
Par ailleurs, il autorise le juge forain à recueillir des requêtes verbales (cf. encadré infra) et lui permet d’instruire les demandes sur place, en requérant le maire pour obtenir des documents, et parfois de statuer immédiatement : « il nous arrive – chose que je n’avais jamais vu faire ailleurs – d’envoyer une magistrate au tréfonds d’un archipel, dans une petite île qui n’a pas peut-être pas vu de juge depuis quatre ans, afin de recueillir verbalement les sollicitations des citoyens. C’est ce que l’on appelle la requête verbale, qui permet à un citoyen rencontrant un problème de l’exposer au juge sans le concours d’un avocat et sans avoir déposé de requête écrite. Cela se pratique depuis de nombreuses années. C’est une belle justice que nous rendons ainsi, au plus près des gens. Elle est très simple et très rapide, un peu à l’image de celle que rendait le juge de paix au XIXe siècle. Je n’ai vu nulle part ailleurs une telle facilité dans l’accès au juge » ([469]).
Les requêtes verbales faites au juge forain en Polynésie française
« [L’article 444 du] code de la procédure civile polynésien offre la possibilité au juge de recueillir des requêtes verbales. En ce cas, il reçoit la personne – qui présente, le cas échéant, ses documents – et essaie de traduire sa demande sous la forme écrite avec l’aide du greffier. Il statue parfois immédiatement, si le dossier est prêt au moment où il se trouve dans l’île. Pour un divorce simple, par exemple, le juge recueille les éléments d’état civil directement auprès de la mairie. Il dispose en effet d’une faculté très particulière : il peut instruire sur place et requérir le maire – le tavana – pour obtenir les documents, ce qui lui permet de statuer sur-le-champ, hors présence d’un avocat – en général, on ne trouve d’ailleurs pas d’avocat dans les îles les plus éloignées. S’il ne peut pas statuer immédiatement, il poursuit le traitement de la requête depuis Tahiti, en échangeant avec la personne, que ce soit physiquement, par mail ou par courrier – au moins cela aura-t-il permis au justiciable d’enclencher l’examen du dossier » (1).
(1) Compte rendu n° 39.
b. Une réponse efficace apportée à la distance linguistique et culturelle entre les justiciables et l’institution judiciaire
● Certains aspects de la culture polynésienne peuvent faire obstacle à la bonne compréhension mutuelle entre les justiciables et ceux qui les jugent. La langue en constitue l’exemple le plus évident, une partie de la population ne maîtrisant pas parfaitement la langue française. Avec sept langues autochtones distinctes que sont le tahitien – langue vernaculaire mais aussi véhiculaire –, l’austral, le ra’ivavae, le rapa, et le mangarévien, le pa’umotu, et le marquisien, la Polynésie française dispose d’une rare richesse linguistique qui pourrait poser problème si les pouvoirs publics ne s’y étaient pas adaptés.
D’après les interlocuteurs de votre rapporteur, la langue ne constitue pas un obstacle dirimant en Polynésie française. Au tribunal et lors des audiences foraines, des interprètes sont systématiquement présents ([470]), et les greffiers sont, à 95 %, recrutés localement par le biais d’un concours spécifique ([471]). Des cours de langue sont d’ores et déjà dispensés aux magistrats, et bientôt aux fonctionnaires. Le tribunal administratif, quant à lui, distribue des fascicules en tahitien, qui connaissent un franc succès, pour expliquer de façon simple les modalités de saisine et le déroulement de la procédure.
De la même façon, comme l’a indiqué le haut-commissaire, « à chaque fois que des agents de l’État se déplacent, soit ils utilisent des documents rédigés dans les langues polynésiennes, notamment le tahitien, qui a une valeur véhiculaire, soit ils recourent aux services d’interprètes ou d’agents de l’État locuteurs du polynésien, afin de garantir un accès immédiat au droit à ceux de nos concitoyens qui ne maîtrisent pas suffisamment le français. Ces agents peuvent être des policiers, des gendarmes, des fonctionnaires du haut-commissariat ou de la justice » ([472]). De fait, 90 % des policiers sont recrutés localement et effectuent toute leur carrière sur le territoire, et 40 % des gendarmes sont originaires de Polynésie.
● La part importante de locaux parmi les premiers interlocuteurs des justiciables que sont les forces de l’ordre et les fonctionnaires judiciaires permet également de réduire l’écart culturel qui peut exister entre un magistrat tout juste arrivé de l’Hexagone et un habitant du fenua. Comme cela a été indiqué par la directrice d’une association d’aide aux victimes, les Polynésiens peuvent avoir l’a priori « selon lequel les magistrats ne comprendraient pas la culture locale et n’en tiendraient pas compte dans leurs jugements. Par exemple, un auteur d’infraction peut dire au milieu d’une audience pénale “je te pardonne” à sa victime, ce qui signifie en réalité “je te demande pardon”. Cette formulation conduit des magistrats qui viennent d’arriver en Polynésie à penser que l’auteur fait reposer la responsabilité du procès ou de la situation sur la victime. Or il s’agit simplement de différences linguistiques – de même que le “I miss you” anglais présente une construction inverse au “tu me manques” français. Ces incompréhensions peuvent porter préjudice aux mis en cause » ([473]). De la même façon, le tutoiement ou la façon de se vêtir pourraient être mal interprétés par le magistrat non acculturé.
Mais, d’une part des formations sont organisées sur ce point, tant par le tribunal que par le haut-commissariat ([474]), pour les nouveaux arrivants, et d’autre part, l’échevinage du tribunal foncier, du tribunal pour enfant, du tribunal de commerce, des prud’hommes et de la cour d’assises permet d’assurer la présence de Polynésiens au sein des juridictions et de développer la confiance dans l’institution.
Au total, de l’avis des personnes entendues par la commission d’enquête, la justice fait habituellement l’objet de peu de remises en cause en Polynésie, même si, comme l’a noté le président du gouvernement, M. Moetai Brotherson, la justice a historiquement « d’abord été le bras armé du colonialisme » et celle qui, « pendant trente ans, n’a rien fait pour empêcher les essais nucléaires [et] celle qui, dans les années 1960, a condamné et exilé Pouvanaa a Oopa » ([475]). Il convient toutefois de relever l’accentuation récente de contestations émises par des indépendantistes – dont certaines estiment qu’il pourrait être le fait d’ingérences étrangères ([476]) –, et à l’inverse une demande forte, de la part d’élus locaux, de voir plus fermement réprimés les trafics de stupéfiants.
c. L’adaptation du fonctionnement des juridictions au contentieux local
● Les effectifs de magistrats et de fonctionnaires apparaissent, aux dires des chefs de cour entendus, satisfaisants à l’heure actuelle, ce qui n’a pas nécessairement été le cas dans la période récente, s’agissant notamment du greffe judiciaire et du parquet.
Le siège du tribunal de première instance (TPI) bénéficie aujourd’hui de 28 magistrats, soit un magistrat supplémentaire par rapport à la circulaire de localisation des emplois pour 2025, comme le parquet, qui bénéficie d’une vice‑procureure placée en surnombre par rapport aux huit postes ouverts par la circulaire ([477]). La procureure de la République a estimé que « le total est ainsi plus confortable que dans d’autres juridictions, même si notre quotidien demeure chargé, en raison de la délinquance de masse, et plus particulièrement de l’ampleur des violences intrafamiliales. Ce contentieux est très sensible et demande du temps, notamment d’investigation ; son traitement est donc très exigeant » ([478]).
Les violences intrafamiliales, en particulier celles faites aux enfants, constituent en effet une préoccupation majeure en Polynésie française, qui figure régulièrement parmi les deux premiers territoires français les plus concernés par ce type de violences. Le parquet est également fortement mobilisé par les infractions à la législation sur les stupéfiants compte tenu de la consommation banalisée de pakalolo (cannabis) et d’« ice », une méthamphétamine, et du trafic qui en découle, dans un contexte internationalisé.
Depuis le 1er janvier 2025, le tribunal de première instance dispose en outre d’un greffe autonome par rapport à la cour d’appel. Le greffe du TPI bénéficie de 16 agents de plus que les 96 prévus par la circulaire pour 2025, tandis que celui de la cour d’appel dispose de quatre effectifs supplémentaires par rapport à l’effectif théorique.
Les effectifs du tribunal administratif, bien que très réduits puisqu’il compte quatre magistrats et autant d’agents de greffe, apparaissent également suffisants pour traiter les quelque 600 requêtes qui lui parviennent par an, bien que cela exige des efforts particuliers en matière d’organisation et de disponibilité des magistrats et des personnels. Le contentieux, très divers en l’absence de contentieux de masse, exige par ailleurs une très grande polyvalence de la part des magistrats.
● Surtout, le fonctionnement de la juridiction judiciaire s’est adapté, dès 2015, à un contentieux particulièrement prégnant sur le territoire : celui dit « des terres ». En effet, la confrontation du droit de propriété hexagonal et de la conception familiale de la propriété en Océanie, associée à la valorisation du foncier en lien avec l’urbanisation du territoire, ont conduit à une explosion de ce contentieux particulièrement complexe : « L’application du code civil sur un système ancien et singulier a créé des situations d’indivision sur plusieurs générations, qui persistent et s’ajoutent à des spoliations advenues à différentes époques. Il y a donc en Polynésie de très nombreuses “affaires de terre” qui polarisent les débats » ([479]).
Pour remédier à l’encombrement de la « chambre des terres » qui traitait auparavant ce contentieux, à juge unique de surcroît, un tribunal foncier, juridiction unique en France, a été créé en 2015. Échevinale, la juridiction est composée d’un magistrat professionnel et de deux assesseurs choisis parmi les personnes qualifiées en matière de propriété foncière. Les justiciables y bénéficient pour certains, au titre de l’aide juridictionnelle, des conseils d’avocats salariés par le gouvernement et spécialistes de ce contentieux. Enfin, un bâtiment propre, inauguré en 2019, lui est désormais dédié.
Le tribunal foncier de Polynésie française
Le tribunal foncier de Polynésie française a été institué par la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d’autonomie du territoire. Son organisation et son fonctionnement ont ensuite été précisés par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, avant sa création effective au 1er décembre 2017.
Pour Mme Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, la création de ce tribunal illustre le fait que « nous avons inversé la logique qui a longtemps prévalu concernant les outre‑mer. Souvent – trop souvent – au nom de principes auxquels nous sommes tous profondément attachés – celui de l’universalisme et celui de l’égalité – la République a préféré plaquer un modèle unique à des territoires, à des populations, à des situations qui exigeaient, au contraire, des solutions collant au plus près à la réalité » (1).
La Polynésie française est aujourd’hui le seul territoire ultramarin doté d’un tel tribunal, marque d’une adaptation du droit aux réalités locales. Formation particulière du tribunal de première instance de Papeete, il siège sous la présidence d’un magistrat professionnel assisté de deux assesseurs non professionnels, suivant le système d’échevinage. Le tribunal foncier est compétent pour les litiges relatifs à la propriété, tels que les indivisions successorales, les usucapions, les servitudes et les bornages. La procédure y est principalement écrite, la représentation par avocat n’y est pas obligatoire, et une place importante est accordée à la médiation foncière.
Ce contentieux apparait particulièrement complexe : « En matière foncière, en particulier, il nous faut démêler des écheveaux en remontant sur plusieurs générations : il nous appartient d’identifier comment la propriété et le cadastre se sont établis, comment les partages se sont faits, quels tomite et lois de titrement en sont à l’origine, comment les textes ont été appliqués. Les situations diffèrent beaucoup selon les îles, où l’on ne trouve pas toujours le même type de champs. Cette diversité exige une connaissance très fine des choses » (2). La difficulté à établir les généalogies des héritiers, la pratique ancienne du changement de nom selon les événements de la vie, les structures familiales souvent très denses et la dispersion géographique des parcelles compliquent encore l’identification des propriétaires indivis (3).
(1) Discours de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, à l’occasion de l’inauguration du tribunal foncier de Papeete, 17 juillet 2019.
(2) Compte rendu n° 39.
(3) Discours de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, à l’occasion de l’inauguration du tribunal foncier de Papeete, 17 juillet 2019.
3. Des difficultés d’accès au droit et à la justice persistantes dans les archipels de Tuamotu et Gambier et les îles australes
Si certains considèrent, comme le bâtonnier de Polynésie française, que « les résidents de Tahiti et Moorea ont un accès au droit à peu près équivalent, d’un point de vue matériel, à celui d’un habitant du fin fond de la Bretagne qui doit se rendre au tribunal judiciaire de Saint-Malo ou Saint-Brieuc » ([480]), tel n’est assurément pas le cas des habitants des archipels les plus éloignés de Papeete.
a. Des professionnels du droit très inégalement répartis sur le territoire, que l’aide juridictionnelle ne permet pas de rendre accessibles
● Les principaux professionnels du droit que sont les avocats et les notaires ne manquent pas en Polynésie française. Les justiciables pâtissent néanmoins de leur insuffisante distribution sur le territoire. Le barreau de Papeete compte ainsi 123 avocats, dont « l’écrasante majorité travaille à Papeete » ([481]). Ainsi, « hormis à Raiatea, où il y a un notaire et trois avocats, les archipels sont totalement dépourvus de professionnels du droit » ([482]). Or, les distances à parcourir ne facilitent pas le recours à ces professionnels, et ce d’autant plus que les modalités de l’aide juridictionnelle, en Polynésie française, apparaissent ne tenir que très partiellement compte de cette réalité.
Il ressort des auditions conduites par votre rapporteur que tant les unités de valeur (UV) ([483]) que la prise en charge des frais de transport et d’hébergement sont insuffisantes. S’agissant des unités de valeur, il est à noter qu’elle est identique à celle qui prévaut dans l’Hexagone, alors même que le coût de la vie est supérieur de 40 % en Polynésie française. Leur niveau apparaît particulièrement inadéquate en ce qui concerne les affaires de terres : « l’UV en matière foncière – un contentieux complexe, long et difficile, qui peut durer des années – doit être majorée de manière substantielle ; elle ne peut rester identique à celle d’un dossier civil très simple (…) Lorsque nous déposons nos conclusions, nous devons parfois faire une centaine de photocopies : nous devons délivrer une copie de nos écritures et de nos pièces à chaque partie. Or l’indemnité que nous percevons est dérisoire, en tout cas insuffisante. Nous finançons un service public aux frais des cabinets » ([484]).
De façon générale, le président du gouvernement estime que « les unités de valeur (UV) attribuées aux missions d’aide juridictionnelle ne sont pas adaptées aux distances qui sont les nôtres, et assister une personne en garde à vue aux îles Marquises peut s’avérer compliqué » ([485]). Dans les faits, « un avocat qui doit défendre une partie civile au titre de l’aide juridictionnelle dans les îles de Raiatea ou Nuku-Hiva peine souvent à financer son déplacement, qui n’est pas systématiquement pris en charge. Les indemnités allouées pour son logement ne couvrent pas toutes les dépenses sur place ». En effet, si l’aide juridictionnelle, en Polynésie française, prend en compte les frais de déplacement, ceux-ci doivent néanmoins être avancés par les avocats en dessous d’une distance de 1 000 kilomètres. Ce remboursement semble en outre prendre un temps considérable, le bâtonnier ayant indiqué à votre rapporteur que les frais engagés par les avocats en 2023 à ce titre venaient juste de leur être versés.
Les géomètres sont également trop peu nombreux pour absorber les demandes judiciaires en matière de terres. Essentiellement basés à Tahiti, beaucoup refusent ces dossiers qui impliquent des déplacements chronophages. Cela a des répercussions palpables sur les délais de jugement de ces affaires et la part des dossiers en cours d’expertise, qui s’élève à 36 %. Le plus vieux dossier encore ouvert date ainsi de 1985. La présidente de la cour d’appel suggère à cette fin que le gouvernement salarie des géomètres, sur le modèle existant pour les avocats spécialisés (cf. supra).
● D’autres professions font en revanche structurellement défaut. C’est notamment le cas des huissiers, qui semblent en voie de disparition sur le territoire, ce qui constitue un frein considérable à l’accès à la justice, comme l’a exprimé le bâtonnier : « nous ne pouvons pas faire un procès sans huissier. Ce dernier est en effet le bras armé de la justice. Il délivre les convocations – les assignations – pour informer la partie adverse de l’existence du procès. Il remet également la signification, qui permet de porter le jugement à la connaissance de la personne qui a perdu et comporte, en français et en tahitien, la mention du délai à partir duquel l’appel est possible. Enfin, il est susceptible de faire des saisies afin de récupérer les sommes dues à l’issue du procès. (…) Il y a là un véritable péril, non pas pour la profession, mais pour le justiciable » ([486]). Bien que leurs tarifs aient été récemment augmentés par la Polynésie, certains estiment que le faible niveau de rémunération assuré par l’aide juridictionnelle, qui concerne beaucoup de dossiers sur le territoire, constitue la principale cause du peu d’attrait pour la profession.
b. Une ambition forte en matière d’accès au droit et à la justice limitée par des considérations budgétaires
● En matière d’accès à la justice, au-delà des considérations liées à l’aide juridictionnelle, il importe d’avoir à l’esprit que la justice foraine représente un coût non négligeable, et qu’elle fait donc possiblement les frais des contraintes budgétaires actuelles.
Comme l’indique la cour d’appel de Papeete, « cette justice de proximité a un coût non négligeable qui impacte significativement le budget du BOP (budget opérationnel de programme) de Papeete » ([487]). Le coût de fonctionnement des sections détachées en 2024 peut être évalué à environ 300 000 euros, somme incluant les dépenses courantes des deux sections détachées ainsi que les dépenses liées aux audiences foraines et aux missions dans les îles. Ainsi, les chefs de cour estiment qu’« il n’est donc pas possible pour des raisons budgétaires de développer autant que nous le souhaiterions les déplacements sur les îles » et alertent sur la tentation d’une éventuelle baisse de crédits : « Le BOP de Papeete, de très faible volume, pourrait ne plus être en mesure d’assurer cette dépense sans un abondement significatif » ([488]).
● En matière d’accès au droit, un Conseil de l’accès au droit de Polynésie française (CADPF) a été créé en 2022 et compte aujourd’hui deux juristes ([489]) qui assurent des déplacements dans les archipels une fois par mois et reçoivent des citoyens le reste du temps à Tahiti et Moorea. Elles coordonnent en outre l’intervention des autres professionnels du droit dans le cadre des permanences organisées par le CADPF (cf. encadré infra) au sein des quelque 65 points-justice du territoire. Des permanences en visio-conférence sont également en cours de déploiement grâce à des mairies partenaires.
L’ambition pour l’avenir est de s’appuyer sur le développement des Fare Ora, sorte de maisons France services née d’une initiative gouvernementale, dont certains ont vocation à être équipés de sorte à permettre aux habitants de communiquer à distance avec des professionnels du droit, notamment. Le haut‑commissariat réfléchit d’ailleurs également à rattacher à ces établissements les services d’accès au droit qui relèvent de sa compétence ([490]).
À l’heure actuelle, le CADPF assure plusieurs jours de permanence par semaine dans les Fare Ora de Tahiti et entend suivre le développement de ces structures dans les archipels. Néanmoins, là encore, les chefs de cour préviennent que « les subventions devront augmenter si on veut pérenniser le second poste de juriste et continuer de développer ce jeune centre d’accès au droit à la mesure de l’immensité du territoire » ([491]).
L’action du conseil d’accès au droit de Polynésie française (CADPF) en 2024
Plusieurs professionnels du droit ont participé aux permanences organisées par le CADPF en 2024. Les notaires et huissiers de justice effectuent des permanences gratuitement au TPI de Papeete, au Fare Ora de Taravao et dans les communes de Papetoai et Uturoa ; les notaires ont tenu, en 2024, 27 permanences d’accès au droit pour 378 justiciables, tandis que les huissiers de justice ont tenu 15 permanences, permettant de recevoir 76 justiciables.
Les avocats, défrayés à hauteur de 3 UV par heure effectuée, ont tenu 79 permanences d’accès au droit durant lesquelles ils ont reçu 802 justiciables, auxquels s’ajoutent 43 en établissements pénitentiaires.
Les permanences ont eu lieu au tribunal de première instance de Papeete, aux sections détachées d’Uturoa et Taiohae, au Fare Ora de Taravao, à la mairie de Papetoai, dans l’archipel des îles Marquises (Hiva Oa, Fatu Hiva, Tahuata, Nuku-Hiva, Ua Huka et Ua Pou), dans l’archipel des îles Sous-le-Vent (Raiatea, Tahaa, Bora Bora, Huanine, Maupiti) et dans l’archipel des Tuamotu, Gambier et Australes (à Hao, Rurutu et Mangavera). Un avocat a participé à une tournée du CADPF aux Marquises sud ainsi qu’à une autre tournée CADPF aux Marquises nord.
Les médiateurs fonciers ont organisé des réunions d’information ayant permis de toucher 6 000 justiciables, dont 301 reçus individuellement. La juriste du CADPF a quant à elle renseigné 21 217 personnes, dont 8 277 en présentiel, en 2024. Au total, 28 516 personnes ont bénéficié en 2024 de l’action du CADPF. En 2024, le CADPF a bénéficié d’une subvention de 109 000 euros du ministère de la justice, qui représente 88 % de son budget, également alimenté par les autorités locales.
Source : rapport d’activité 2024 du CADPF.
Deuxième partie : l’urgence d’une réponse adaptée aux besoins des justiciables ultramarins et respectueuse de l’identité des territoires
Les citoyens ultramarins ne réclament pas de privilèges, mais la reconnaissance de leur égal accès au droit et à la justice. L’éloignement, le manque de moyens humains et financiers affectés aux juridictions, ou encore la méconnaissance des spécificités locales, ont creusé un fossé entre la promesse républicaine et son application concrète. S’il est urgent de proposer des solutions, celles-ci ne peuvent se contenter d’expédients servant généralement à mettre fin à une crise. Les mesures présentées dans cette partie se veulent à la fois ambitieuses et concrètes pour offrir à chaque citoyen ultramarin une justice digne de notre État de droit, respectueuse des différences locales, afin de refonder le lien entre la justice et les populations ultramarines.
I. Offrir aux ultramarins une justice aux mêmes standards qu’en Hexagone
Comme l’a montré la première partie du présent rapport, les dysfonctionnements de la justice ultramarine sont essentiellement liés, en termes d’organisation, à d’importants problèmes de ressources humaines, à un maillage encore insuffisant du territoire et à la vétusté matérielle de nombreux tribunaux, autant de problématiques auxquels la gouvernance actuelle du ministère de la justice ne permet pas de répondre efficacement.
Dans ces domaines, les Ultramarins ne demandent pas un traitement de faveur : uniquement l’application du principe républicain d’égalité entre tous les citoyens. Il est temps d’offrir aux outre-mer une justice aux standards hexagonaux, c’est-à-dire des juridictions dotées de personnels en nombre suffisant, plus accessibles aux justiciables et remplissant leur mission dans des conditions matérielles dignes d’un État de droit. Cela suppose de mettre en place, au sein du ministère de la justice, une organisation moins jacobine, prenant davantage en compte les spécificités des outre-mer.
A. Réduire le déficit d’attractivité de certaines juridictions
Les postes ouverts mais jamais pourvus, les vacances de poste de magistrats et de greffiers, les affectations d’urgence de courte durée, la rotation d’effectifs excessive obèrent l’efficacité de l’activité juridictionnelle, et engendrent de nombreux dysfonctionnements auxquels votre rapporteur appelle à remédier le plus rapidement possible. Il est ainsi proposé plusieurs mesures fortes pour renforcer l’attractivité, étant précisé que celles-ci n’ont vocation à s’appliquer, aux yeux de votre rapporteur, qu’à titre de palliatif, dans l’attente de l’augmentation du nombre de magistrats originaires d’outre-mer, qui auront vocation à exercer au sein des juridictions ultramarines (cf. infra).
1. Un déficit d’attractivité persistant, malgré les dispositifs mis en place par le ministère de la justice
a. Un manque d’attractivité aux causes multifactorielles qui crée un « cercle vicieux » pour les juridictions concernées
● Comme il a été souligné dans la première partie du présent rapport, certaines juridictions ultramarines souffrent d’un déficit d’attractivité significatif. Celui-ci se traduit concrètement par des difficultés, d’une part, à recruter des magistrats autres que ceux issus directement de l’ENM (les « primo-affectés ») et, d’autre part, à fidéliser le personnel. Cette problématique est particulièrement prégnante à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin ou encore à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon.
Ce phénomène touche l’ensemble des juridictions de ces territoires, y compris administratives, comme l’a souligné le président du Syndicat de la juridiction administrative (SJA) : « une bascule est intervenue chez nous en 2016, qui est sans doute révélatrice d’un mouvement existant dans l’ensemble de la fonction publique. Jusqu’à cette date, les primo-affectés à l’outre-mer étaient tous volontaires ; toutes les juridictions d’outre-mer fonctionnaient certes avec des primo-affectés – c’est normal : cela fait partie du jeu de la fonction publique – mais, pour le dire de façon prosaïque, ce n’étaient pas les derniers dans l’ordre des recrutements. Aujourd’hui, sur les dix-neuf magistrats des trois juridictions de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane, treize sont des primo-affectés, soit plus des deux tiers. Certains sont volontaires mais pas tous. Cela ne veut pas dire que ces collègues travaillent moins bien et que la justice est moins bien rendue, mais que l’image de ces territoires est dégradée, donnant l’impression que les gens sont contraints d’y aller, y restent assez peu et cherchent à en repartir » ([492]).
● Les causes de ce phénomène sont de deux ordres.
Elles tiennent tout d’abord à un défaut d’attractivité structurel du territoire, lié aux conditions de vie sur place, comme l’ont souligné les représentants du syndicat Justice CGC : « Concernant l’attractivité des postes, les problèmes majeurs demeurent l’éloignement, la pauvreté, l’insécurité et un climat social parfois dégradé. Certains territoires souffrent également d’une offre limitée de loisirs, de conditions de travail mauvaises, d’un fort absentéisme, d’une pénurie de logements et de difficultés en matière de scolarisation des enfants » ([493]).
Dans la même perspective, les représentants de l’USM ont par exemple relevé les multiples obstacles que rencontrent les personnels exerçant à Mayotte : « Le défaut d’attractivité de ces derniers territoires tient d’une part à leur défaut d’attractivité générale en lien avec un climat social dégradé (violence, chômage, gang, pauvreté, immigration irrégulière…) et des conditions de vie sur place difficiles. Par exemple, le territoire de Mayotte présente une insécurité chronique et massive, des pénuries d’eau (coupures d’eau tous les deux jours), une pauvreté du territoire, une absence de service public de transport (sauf la barge), des infrastructures de soins défaillantes ou surchargées, des infrastructures scolaires publiques très défaillantes et surchargées, des infrastructures scolaires privées limitées et coûteuses (de telle sorte que les personnels quittent le territoire au moment de l’entrée au collège), des difficultés de trouver des gardes d’enfant, des difficultés de trouver un logement et coût locatif élevé, un manque de loisirs (pas de cinéma, pas de musées, pas de théâtre, pas de piscine publique etc.), des services publics non optimaux, des pénuries alimentaires régulières et un choix de consommation très restreint » ([494]).
S’agissant de la Guyane, les chefs de cour ont également mis en exergue de nombreux facteurs au titre du manque d’attractivité de ce territoire auprès des magistrats et greffiers : « le coût de la vie, l’enclavement du territoire, le prix prohibitif de l’aérien, le coût de l’immobilier, l’accès aux soins, les mobilités internes au département, aux pays voisins et à l’arc caribéens réduites, l’accès réduit à la culture, l’accès aux études pour les enfants ; les difficultés à s’installer en Guyane à certaines périodes de la vie professionnelle et personnelle en lien notamment avec les études pour les enfants et l’emploi des conjoints ; l’image dégradée du territoire en termes d’insécurité et de climat, principalement due à une médiatisation ciblée sur ces seules thématiques » ([495]).
À Saint-Pierre-et-Miquelon, l’isolement et l’exiguïté du territoire pèsent sur les recrutements : « Il ne faut pas se leurrer : l’archipel n’est pas considéré comme attractif par le corps judiciaire, c’est le moins que l’on puisse dire. Seuls un ou deux candidats se sont présentés au poste de juge d’instruction ; quand j’ai postulé à celui de procureur, nous n’étions que deux ; le poste du président a fait, de mémoire, l’objet de trois candidatures. De façon générale, les postes de chef de juridiction sont pourtant supposés être attractifs » ([496]).
L’absence d’attractivité peut également être renforcée par les difficultés de fonctionnement que connaissent certaines juridictions ultramarines, comme le souligne également l’USM : « D’autres difficultés sont inhérentes au service même de la justice : insuffisance de structuration au sein de certains services, caractère aléatoire de la présence de greffe et fréquents coups d’arrêt dans la dynamique de travail (ce qui suscite le découragement), insuffisance chronique et structurelle de greffiers formés et impliqués, insuffisance d’avocats, espace de locaux insuffisants depuis Chido, incertitude actuelle sur la priorité d’affectation à l’issue du contrat de mobilité, turn-over très important des personnels de magistrats et de greffiers, en ce compris la direction des services, problématique ultra-marine des arrêts maladies » ([497]).
● Il en résulte un « cercle vicieux », aux termes duquel les difficultés de certaines juridictions ultramarines génèrent un déficit d’attractivité, qui lui-même accentue les dysfonctionnements que subissent ces juridictions.
Les conséquences opérationnelles de ce déficit d’attractivité sont en effet majeures pour le fonctionnement même des juridictions. Celui-ci se traduit notamment par des vacances de postes plus nombreuses et une surreprésentation des magistrats primo-affectés qui exigent un encadrement important des magistrats plus expérimentés.
Dans ce contexte, il est urgent de trouver des solutions pour stabiliser les effectifs de ces juridictions et faire en sorte que le fonctionnement de ces dernières ne dépende plus uniquement de l’arrivée de primo-affectés, comme le soulignent les représentants syndicaux des juridictions administratives : « La stabilité des effectifs est nécessaire pour rendre la justice sereinement. L’affectation de primo-affectés n’est qu’une rustine, mais cela fait presque dix ans que l’on fonctionne ainsi. (…) Pour le moment nous avons eu de la chance parce qu’il n’y a pas eu de drame, mais cela pourrait mal se passer. Nous ne sommes pas à l’abri que l’affectation contrainte et forcée d’un primo-affecté pousse celui-ci à renoncer au bénéfice du concours, ou bien qu’il se rende malgré tout sur place mais ne s’y adapte pas » ([498]).
En outre, l’important turnover des effectifs est également de nature à accroitre les délais de traitement des affaires, notamment les plus complexes tels que les dossiers à l’instruction, comme l’ont notamment souligné les chefs de cour de Cayenne lors de leur entretien avec la délégation de la commission d’enquête.
b. Des dispositifs mis en place pour réduire les conséquences préjudiciables du déficit mais qui ne s’attaquent pas à ses causes
● Pour pallier les difficultés opérationnelles liées aux difficultés de recrutement de certaines juridictions, le ministère de la justice a créé en 2023 le dispositif des « brigades ».
Ce système novateur consiste à envoyer durant une période limitée des magistrats et greffiers volontaires pour pallier aux difficultés de certaines juridictions, ainsi que l’a rappelé l’ancien garde des sceaux Éric Dupond-Moretti : « La première de ces difficultés tient en un mot : l’attractivité. (…) Afin de répondre à l’urgence, j’ai instauré un système totalement novateur, les brigades, qui a permis d’envoyer des magistrats durant six mois dans ces territoires, sans distinction, au gré des besoins » ([499]).
Si ce dispositif a été institué par décret pour les greffiers ([500]), il résulte en revanche d’une pratique pour les magistrats. Les nominations de « brigadiers magistrats » sont ainsi soumises à l’avis du CSM, comme l’a souligné le directeur des services judiciaires : « Le dispositif des brigades n’est pas inscrit dans la loi : il résulte d’un accord avec le Conseil supérieur de la magistrature. Nous suivons les règles de nomination classiques en soumettant à ce dernier, pour avis, un projet de mouvement – c’est ce que l’on appelle une transparence. Le collègue ne part en brigade que pour une durée de six mois, l’objectif étant de traiter une difficulté – vacance de poste, problématique de stock – à moyen terme, contrairement à la délégation qui vise à parer à une situation d’urgence » ([501]).
Il ressort des auditions de la commission d’enquête que les postes de brigadiers suscitent de nombreuses candidatures parmi les magistrats et greffiers. La présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe a ainsi souligné que « les responsables de la direction des services judiciaires nous ont indiqué qu’ils n’avaient aucune difficulté à pourvoir la liste annuelle qui constitue ces brigades outre-mer. Le système a donc de la consistance. Chaque année, des agents de toute catégorie sont prêts à partir en outre-mer pour des missions de trois mois renouvelables une fois, soit un maximum de six mois, et aller épauler les équipes qui ont besoin de renfort » ([502]).
Si l’institution de ces brigades a permis de faire face à l’urgence, il ne saurait en aucune manière constituer un dispositif de soutien pérenne pour ces juridictions. Il s’agit en effet d’un palliatif et non d’une solution structurelle. La durée de six mois ne permet pas une acculturation des « brigadiers » aux spécificités de la juridiction ultramarine dans laquelle ils sont envoyés. En ce sens, ce dispositif est de nature à renforcer encore davantage la distance existante entre les magistrats exerçant en outre-mer et les justiciables ultramarins.
Votre rapporteur partage en ce sens les réserves exprimées par les représentantes du Syndicat de la magistrature : « Les brigades sont un outil visant à pallier le manque d’effectifs dans des ressorts peu convoités lors des mutations. Mais celui-ci laisse un goût amer et le sentiment que la justice hexagonale est surplombante, avec des magistrats qui interviennent ponctuellement sans pouvoir connaître finement les contextes locaux. Ils appliquent strictement leur pratique professionnelle antérieure, sans avoir ni le temps ni les moyens de s’adapter » ([503]).
Les « brigades » de magistrats en outre-mer
« La direction des services judiciaires a créé le dispositif de soutien de courte durée aux juridictions de Cayenne et Mamoudzou. Ce dispositif, qui a pour objectif l’affectation temporaire de magistrats au sein des juridictions, a été lancé à titre expérimental avant d’être pérennisé.
Trois ans après cette initiative, la cinquième brigade est en mission sur ces territoires. La sixième figure sur le mouvement de juin 2025 afin de prendre le relais des magistrats brigadistes actuellement déployés sans discontinuité.
Ainsi, au 1er septembre 2025, 47 magistrats brigadistes seront venus renforcer les tribunaux judiciaires de Cayenne et Mamoudzou et le tribunal de première instance de Nouméa.
Un bilan des “brigades”, réalisé à l’occasion d’un échange organisé le 15 décembre 2023 en présence du Conseil supérieur de la magistrature, a constitué l’occasion d’interroger la pérennité de ce mécanisme créé à droit constant, qui a pu spontanément susciter des réserves tenant notamment aux points suivants : l’instabilité des effectifs des juridictions de Cayenne et de Mayotte liée au renouvellement récurrent de ces brigades ; le coût de ce dispositif ; le traitement différencié entre les magistrats qui exercent à long terme dans ces territoires et ceux qui n’y exercent que six mois. Toutefois, le déficit d’attractivité de ces juridictions justifie de tels moyens exceptionnels.
Plusieurs points positifs ont été relevés concernant les deux territoires ultramarins susvisés : le souhait de certains magistrats de rester affectés sur ces territoires (démontrant que le dispositif déployé permet de les rendre attractifs). Depuis le début du dispositif, hors le déploiement de la brigade à Nouméa, 9 magistrats brigadistes ont ainsi fait le choix de rejoindre durablement les juridictions qu’ils étaient venus soutenir ; le fait que le dispositif permette de limiter l’affectation sur un premier poste d’auditeurs de justice ; le meilleur encadrement des magistrats au travers d’une hiérarchie intermédiaire tant à Cayenne qu’à Mayotte ; l’apport tant qualitatif que quantitatif en termes de soutien aux juridictions » (1).
(1) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
● En complément des « brigades », il a été institué par la loi organique du 20 novembre 2003 ([504]) un système de délégation des magistrats des ressorts des cours d’appel de Paris et d’Aix-en-Provence, au terme duquel ceux-ci peuvent être affectés à des juridictions ultramarines – ou en Corse – pour une durée maximale de trois mois, afin « d’assurer la continuité du service de la justice ou le renforcement temporaire et immédiat de ces juridictions notamment dans le cadre de crises sociales ou climatiques » ([505]).
Le directeur des services judiciaires a mis en exergue que ce dispositif est particulièrement adapté aux situations d’urgence, en raison de l’absence de saisine du CSM : « L’avantage de ce dispositif est sa grande réactivité, puisque le mouvement ne nécessite pas de passage devant le Conseil supérieur de la magistrature. Il résulte en effet d’un accord entre les deux chefs de cour, la direction des services judiciaires ne faisant qu’émettre un avis. Cela permet de projeter des effectifs dans les semaines qui suivent la demande » ([506]).
Un tel système a été notamment mis en œuvre en Nouvelle-Calédonie dans le contexte des émeutes, à Mayotte après le passage du cyclone Chido, ou encore en Martinique à la suite des violences urbaines survenues lors du mouvement de mobilisation contre la vie chère.
Magistrats affectés en outre-mer dans le cadre du système de « délégation »
Du 24 mai au 31 octobre 2024, 18 magistrats ont été délégués au tribunal de première instance de Nouméa, pour des durées allant de 15 jours à 1 mois : 13 magistrats du siège (9 du ressort de la cour d’appel de Paris, 4 du ressort de celle d’Aix-en-Provence) ; 5 magistrats du parquet (1 du ressort de la cour d’appel de Paris, 4 du ressort de celle d’Aix-en-Provence).
Du 25 mars 2025 au 25 avril 2025, 2 magistrats du siège ont été délégués au tribunal de première instance de Nouméa, dans le contexte majeur de troubles graves en Nouvelle‑Calédonie et de l’activité judiciaire qui en découle.
Du 1er février 2025 au 1er mars 2025, un magistrat du parquet a été délégué au tribunal judiciaire de Fort-de-France, dans un contexte de troubles graves à l’ordre public en Martinique.
Au cours de l’été 2025, 3 magistrats ont été délégués au siège au tribunal judiciaire de Mamoudzou.
Source : réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
Là encore, le système de délégation a certes son utilité, mais il n’a pour vocation que de traiter des situations d’urgence. Il s’agit, de même que pour les « brigades », de réduire les conséquences opérationnelles du déficit d’attractivité, et non de renforcer l’attractivité elle-même.
2. L’urgence de mesures structurelles pour renforcer l’attractivité de certaines juridictions ultramarines
a. Consolider le « contrat de mobilité » mis en place par le ministère de la justice
● Pour renforcer de manière pérenne l’attractivité de certaines juridictions, le ministère de la justice a établi des contrats dits « de mobilité » au bénéfice des magistrats qui rejoignent ces juridictions.
Ainsi qu’elle l’a indiqué lors de son audition, Mme Christiane Taubira avait envisagé, lorsqu’elle était garde des sceaux, de réserver aux auditeurs de justice les mieux classés à l’issue du concours de l’ENM la possibilité d’exercer dans une juridiction outre-mer, en contrepartie d’une priorité d’affectation pour leur prochain poste ([507]). Son objectif était de modifier la perception des élèves magistrats à l’égard des territoires ultramarins en mettant en exergue le caractère particulièrement unique et formateur d’une expérience juridictionnelle en outre-mer.
Héritier de cette volonté politique, le dispositif des contrats de mobilité consiste aujourd’hui à inciter les magistrats à exercer dans certaines juridictions peu attractives pendant une durée minimale de trois ans – deux ans à Mayotte – en contrepartie d’une priorité d’affectation pour leur poste suivant. Concrètement, le magistrat soumet au moins cinq désidératas, dont au moins deux d’entre eux en Hexagone, et l’administration s’engage à le nommer au retour à l’un des postes souhaités.
Cet outil a été mis en place à titre expérimental par la direction des services judiciaires en 2021, avant d’être consacré par l’article 5 de la loi organique du 20 novembre 2023 précitée ([508]). Les juridictions concernées par le contrat de mobilité sont toutes ultramarines, à l’exception de la Corse : Mamoudzou, Cayenne, Saint-Laurent-du-Maroni, Saint-Martin, Saint‑Pierre‑et-Miquelon.
Selon la direction des services judiciaires, cet « accompagnement renforcé » au sein de ces juridictions se justifie par « des conditions exceptionnelles d’exercice caractérisées notamment par des vacances structurelles et une surcharge de travail ; des conditions de vie particulièrement difficiles et singulières ; l’isolement des territoires ; un “turnover” conséquent à chaque transparence impliquant un nombre important de postes proposés aux sortants d’école ; un déficit d’encadrement intermédiaire ; la volonté de la direction des services judiciaires d’accompagner le retour des magistrats se portant candidats pour exercer dans ces juridictions ultramarines » ([509]).
● Le dispositif des contrats de mobilité est aujourd’hui un instrument plébiscité par les magistrats : au 4 juillet 2025, 93 contrats de mobilité et de priorité d’affectation étaient en cours, selon la direction des services judiciaires.
Les chefs de cour de Cayenne ont reconnu l’apport de ce dispositif pour attirer des magistrats expérimentés, outil très utile sans lequel il serait sans doute encore plus difficile motiver les magistrats, surtout les plus expérimentés, à venir en Guyane.
Les syndicats sont également favorables à cet outil, en ce qu’il permet notamment un ancrage plus durable au sein des juridictions que le dispositif des « brigades », dont la durée du détachement est de six mois, ainsi que l’a mis en avant la présidente du Syndicat de la magistrature : « En revanche, les contrats de mobilité favorisent l’attractivité de ces postes dans la durée. Bien qu’il présente des limites, cet outil demeure bien meilleur que le mécanisme des brigades » ([510]).
Il convient enfin de noter que les greffiers, bien qu’ils ne relèvent pas du régime légal prévu par la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023, bénéficient également en pratique d’une telle priorité d’affectation, selon les indications de la direction des services judiciaires : « En application des lignes directrices ministérielles de gestion des mobilités 2022, la direction des services judiciaires applique aux personnels de greffe qui rejoignent le département de Mayotte, la Guyane, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon un critère prioritaire subsidiaire de mobilité à l’issue de leur séjour. Ainsi, s’ils exercent pendant une durée minimale de trois ans sur ces départements, sans être bénéficiaires de leurs centres d’intérêts matériels et moraux (CIMM) dans ce département, ils seront prioritaires pour obtenir le poste de leur choix parmi ceux publiés à la mobilité, hors priorités légales » ([511]).
En dépit de cette priorité d’affectation, la situation relative au manque structurel de greffiers est particulièrement alarmante à Mayotte : « S’agissant des postes de directeur de greffe, de greffier et autre fonctionnaire, il est (…) établi qu’ils ne sont pas pourvus de manière réelle (…). Cette situation critique a fait l’objet de plusieurs rappels à l’autorité hiérarchique, avant et après Chido. Le renfort de greffiers placés ou brigade est constamment sollicité et motivé. Une telle situation explique largement les défaillances relevées par la défenseur des droits [dans sa décision du 5 juin 2025 relative à l’accès au service public de la justice à Mayotte] » ([512]). Cela justifie, pour votre rapporteur, que la durée de trois ans prévue pour bénéficier de cette priorité d’affectation soit rapportée à deux ans, comme c’est le cas pour les magistrats bénéficiant d’un contrat de mobilité pour exercer dans ce territoire.
● La juridiction administrative a également dupliqué le modèle des contrats de mobilité au bénéfice des magistrats administratifs, pour inciter ces derniers à rejoindre les juridictions outre-mer, dans le prolongement du rapport remis à ce sujet par un groupe de travail au Conseil d’État en 2022 ([513]).
Ainsi, les magistrats affectés dans les tribunaux administratifs de la Guyane, de la Guadeloupe et de la Martinique peuvent, en contrepartie d’un engagement de se maintenir dans cette affectation au moins trois ans, bénéficier d’une affectation de plein droit dans l’un des trois tribunaux administratifs qu’ils auront choisis – deux de ces juridictions devant obligatoirement compter au moins cinq chambres.
Au titre des dispositions incitatives en faveur des magistrats administratifs, il sera également relevé qu’en application du décret n° 2023-486 du 21 juin 2023 modifiant le statut des magistrats administratifs, une affectation dans une juridiction ultramarine pendant au moins deux années équivaut à une mobilité statutaire ([514]), étant précisé que cette dernière est requise pour la promotion de grade ([515]).
● Votre rapporteur salue la montée en puissance des « contrats de mobilité », qui remplissent leur rôle incitatif. Cependant, il estime que ce dispositif pourrait être optimisé sur deux points.
Tout d’abord, il convient de relever que les engagements pris par le ministère au titre des affectations prioritaires peuvent être remises en cause par le CSM. L’avis conforme de celui-ci est en effet requis pour toutes les nominations des magistrats du siège.
Or, des difficultés ont pu émerger à ce titre, comme l’a souligné le directeur des services judiciaires : « Il y a quelques mois, le Conseil supérieur de la magistrature a émis des avis défavorables sur le retour de collègues ayant bénéficié de ces contrats de mobilité. Cela a suscité de l’émoi localement puisqu’un engagement avait été pris. Nous avons pu en rediscuter avec le Conseil supérieur de la magistrature à l’occasion d’une réunion qui s’est tenue il y a quelques semaines sur la question des outre-mer. Nous sommes parvenus à une position commune qui a permis de valider d’autres mouvements concernant les mêmes collègues. Le problème a donc été réglé en bonne intelligence » ([516]). Or, ce type de difficultés « [remettent] potentiellement en cause l’attrait de ce type de dispositif face à l’absence de garantie réelle qu’il propose » ([517]).
Si votre rapporteur prend acte des indications de la direction des services judiciaires selon lequel « le problème a été réglé en bonne intelligence », un travail de clarification parait cependant nécessaire, afin de répondre aux craintes exprimées par les magistrats quant à la réalité des engagements pris par le ministère. À cette fin, une communication du CSM et du ministère de la justice sur l’articulation des contrats de mobilité avec les pouvoirs du CSM pourrait utilement rassurer les bénéficiaires de ce dispositif.
● En outre, votre rapporteur estime que les enjeux forts d’attractivité des juridictions en Guyane militent pour réduire de trois à deux ans le délai d’exercice exigé pour bénéficier d’une affectation prioritaire, à l’instar du régime applicable pour les magistrats affectés à Mayotte.
Les chefs de cour de la cour d’appel de Cayenne ont ainsi relevé que « le principal frein à la venue à Cayenne est la durée minimale imposée par le Conseil supérieur de la magistrature pour tout poste : trois ans, contre deux ans à Mayotte » ([518]).
Le passage de trois à deux ans supprimerait ainsi la différenciation de traitement, que votre rapporteur estime injustifiée, entre les juridictions guyanaises et mahoraises. Il permettrait assurément d’élargir le vivier de magistrats candidats pour rejoindre la Guyane et répondre aux enjeux d’attractivité auxquels sera confronté le projet de cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni.
De même, cette durée pourrait passer de trois à deux ans pour le personnel de greffe, à l’instar de ce qui est préconisé pour le personnel affecté à Mayotte.
Recommandation n° 1 pour renforcer le caractère incitatif des contrats de mobilité :
– Clarifier la portée juridique des engagements pris par la direction des services judiciaires au titre de la réaffectation prioritaire des bénéficiaires des contrats de mobilité, au regard des compétences du CSM en matière de nomination des magistrats du siège ;
– Réduire la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire de trois à deux ans pour les magistrats rejoignant les juridictions en Guyane, notamment à Saint‑Laurent-du-Maroni, à l’instar de ceux exerçant à Mayotte ;
– Réduire la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire de trois à deux ans pour le personnel de greffe rejoignant les juridictions de Mayotte ou de Guyane.
b. Mieux adapter la rémunération au niveau d’attractivité des juridictions
● Si les incitations financières ne doivent pas être l’unique réponse au déficit d’attractivité, le pragmatisme impose d’en faire cependant une partie de la solution. Une adaptation de la rémunération constituerait, selon votre rapporteur, un outil pertinent pour inciter les magistrats et greffiers à rejoindre les juridictions ultramarines les moins attractives.
Tout d’abord, bien que cela concerne l’ensemble des agents publics exerçant outre-mer, force est de constater que le niveau de majoration des traitements ne prend guère en compte le degré d’attractivité des territoires, même si l’indemnité de sujétion géographique compense partiellement cette situation.
L’exemple le plus symptomatique à cet égard est celui de Mayotte, où la majoration de traitement est moins élevée qu’à La Réunion, ce qui constitue un facteur d’incompréhension pour un grand nombre de personnels judiciaires qui y exercent, ainsi que l’a souligné un représentant de la Conférence nationale des directeurs de greffe : « Je viens du département de Mayotte, où la sur‑rémunération suscite une forte incompréhension depuis plusieurs années. Le problème concerne toute la fonction publique et n’est pas propre au ministère de la justice. À Mayotte, la sur-rémunération est de 40 %, alors qu’elle est de 40 % plus 13 % d’indexation, soit 53 %, dans l’île sœur de La Réunion » ([519]).
À cet égard, une réflexion pourrait être utilement ouverte sur l’adaptation des niveaux de majoration de traitement dans les territoires, pour tenir compte non seulement du coût de la vie, mais également de l’attractivité générale des territoires concernés pour les agents publics. Alternativement, un rehaussement de l’indemnité de sujétion géographique pourrait être une solution pertinente pour inciter davantage d’agents publics à rejoindre les territoires les moins attractifs.
Le régime indemnitaire des magistrats affectés outre-mer
« En cas de mobilité outre-mer, les magistrats bénéficient des mêmes avantages financiers que les fonctionnaires. Plusieurs avantages en matière indemnitaire sont octroyés :
« - majoration de traitement de : 40 % en Guadeloupe, à Saint-Martin, à la Guyane, à la Martinique et à Mayotte ; 53 % à La Réunion ; 73 % en Nouvelle-Calédonie ; 75 % à Saint-Pierre-et-Miquelon ; 84 à 108 % en Polynésie française.
« - indemnité de sujétion géographique de : 5 à 10 mois de traitement indiciaire brut, renouvelable une fois, à la Guyane et à Saint-Martin ; 10 mois de traitement indiciaire brut, renouvelable une fois, à Mayotte ; 3 mois de traitement indiciaire brut, renouvelable une fois, à Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« - indemnité d’éloignement : 10 mois de traitement brut payable en deux fractions (5 mois au départ et 5 mois à la fin du séjour de 2 ans) pour les magistrats nommés en Nouvelle‑Calédonie et en Polynésie française.
« Par ailleurs, au titre des avantages financiers divers, les magistrats exerçant outre-mer bénéficient de :
« - réductions de l’impôt sur le revenu de : 30 % en Guadeloupe et en Martinique, dans la limite d’un plafond fixé à 2 450 euros ; 40 % pour la Guyane, Saint-Martin et Mayotte avec un plafond fixé à 4 050 euros ; 30 % à La Réunion, dans la limite de 5 100 euros. En Polynésie française, une contribution de solidarité territoriale de 0,5 à 10 % fait l’objet d’une retenue à la source.
« - congés bonifiés : après avoir accompli 24 mois de services ininterrompu pour un voyage aller-retour vers le territoire européen de la France où se situe le centre de ses intérêts moraux et matériels, pour les magistrats affectés en Guadeloupe, en Martinique, à Mayotte, à La Réunion, en Guyane et à Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« - congés administratifs : prise en charge à 100 % des frais de voyage de ce congé de 2 mois accordé à l’issue d’un séjour de 4 ans, en sus des congés annuels, pour les magistrats affectés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française ;
« - d’avantages concernant la retraite : bonification d’annuités qui équivaut à un tiers de la durée des services effectués hors du territoire d’origine au titre des droits à la retraite, sauf pour Mayotte, où la bonification des annuités pour la retraite équivaut à une année pour deux ans de services accomplis.
« Les dispositions statutaires propres aux magistrats prévoient deux avantages spécifiques. En matière indiciaire, ces magistrats bénéficient d’une bonification. Le temps effectivement passé outre-mer est ainsi majoré d’une durée égale à la moitié de ce temps, dans la limite de deux ans, pour le calcul de l’ancienneté requise pour l’avancement de grade et d’échelon. En matière d’avancement de grade, la moitié de la durée des services accomplis outre-mer est comptabilisée pour l’accès au tableau d’avancement (qui requiert normalement 7 ans d’ancienneté dont 5 ans de services effectifs) soit un gain total, non cumulable, pour 4 ans de services outre-mer, de deux années » (1).
(1) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
● Au niveau du ministère de la justice, une adaptation du régime indemnitaire, constitué par la prime forfaitaire et la prime modulable ([520]), pourrait être envisagée afin de fidéliser les magistrats exerçant dans les territoires ultramarins les moins attractifs.
À titre d’exemple, une « prime de fidélisation », dont le montant progresserait en fonction des années – dans la limite d’une durée maximale à définir – pourrait être instituée afin d’inciter les magistrats à rester en poste davantage que la durée minimale exigée au titre du contrat de mobilité dans les juridictions ultramarines les moins attractives.
Une telle adaptation du régime indemnitaire serait à cet égard cohérente avec les engagements pris par le ministère de la justice dans le cadre de la « charte interministérielle de la mobilité à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint‑Pierre-et-Miquelon » : « S’agissant du régime indemnitaire, les ministères s’engagent à adapter les régimes de prime modulables des agents pour favoriser l’attractivité dans les cinq territoires prioritaires, de sorte à mieux prendre en compte les difficultés et sujétions propres à chaque territoire » ([521]).
● A contrario, le montant de certaines indemnités et primes pourrait être dégressif dans les juridictions ultramarines confrontées à une forte sédentarité des magistrats, sur le modèle de la dégressivité de la prime forfaitaire versée aux magistrats en Corse ([522]).
À titre d’exemple, les juridictions polynésiennes souffrent d’un déficit de mobilité du personnel judiciaire, comme l’a indiqué le président de la Conférence nationale des procureurs généraux, « En Polynésie, le problème principal est la longue occupation des postes : les responsables des tribunaux sur place souhaiteraient limiter la durée des fonctions et instaurer une mobilité obligatoire, avec des adaptations pour les magistrats issus de ces territoires » ([523]).
Dans cette perspective, la dégressivité des primes pourrait inciter à davantage de mobilité, ainsi que l’a mis en exergue le syndicat Unité magistrats : « il faut éviter le manque de mobilité des magistrats installés en outre-mer. Parfois une certaine routine et des conditions financières intéressantes peuvent déboucher sur des séjours un peu trop longs pouvant entrainer des dysfonctionnements. L’un des moyens de lutter contre cette tendance est de prévoir des primes décroissantes au fil du temps, comme cela a été mis en place en Corse » ([524]).
La direction des services judiciaires a du reste reconnu qu’une telle mesure était à l’étude : « une piste de réflexion consisterait en l’introduction d’une durée limitée d’exercice de toutes les fonctions de magistrats outre-mer reposant sur une dégressivité de la sur-rémunération » ([525]).
Recommandation n° 2 pour une meilleure adaptation du régime indemnitaire :
– Pour l’ensemble de la fonction publique, garantir une meilleure compensation financière des agents exerçant dans les territoires ultramarins peu attractifs, par une revalorisation de l’indemnité de sujétion géographique et/ou une adaptation des majorations de traitement ;
– Pour le ministère de la justice, instaurer une progressivité dans le temps des primes versées aux magistrats pour les juridictions souffrant d’un déficit de fidélisation et établir a contrario une dégressivité de ces primes pour les juridictions connaissant un déficit de mobilité.
c. Mieux valoriser les expériences en outre-mer dans le déroulement de carrière
● Si le ministère de la justice a mis en place certains dispositifs ayant pour finalité de valoriser les parcours outre-mer au titre de l’avancement des magistrats (cf. encadré supra), force est de constater que ceux-ci pourraient être optimisés.
Il pourrait être à ce titre envisagé, pour les juridictions les moins attractives, de porter le plafond de la bonification d’ancienneté de deux à quatre ans pour le calcul de l’ancienneté requise pour l’avancement de grade et d’échelon, afin d’inciter les magistrats à rester en poste sur une plus longue durée.
De même, la possibilité pour les magistrats d’avancer au premier grade tout en restant au sein de la même juridiction (« avancement sur place ») pourrait contribuer à stabiliser les effectifs dans les juridictions ultramarines les moins attractives. Cette faculté, dérogatoire au droit commun, a été instituée en Guyane : trois magistrats actuellement en poste au tribunal judiciaire de Cayenne ont ainsi bénéficié d’un avancement sur place ([526]). Votre rapporteur estime qu’elle pourrait être utilement élargie à d’autres juridictions connaissant des enjeux similaires, notamment à Mayotte.
● Au-delà de ces dispositifs techniques, un changement de perception du magistrat exerçant outre-mer doit être opéré au sein du ministère de la justice.
Certes, la direction des services judiciaires a assuré à la commission d’enquête qu’un passage outre-mer était valorisé au sein du ministère de la justice dans le déroulement de carrière : « D’après nos statistiques, 28 % des chefs de cour, sur l’ensemble de l’institution, ont connu un passage en outre-mer. Nous valorisons systématiquement l’affectation outre-mer parce que nous considérons qu’elle démontre des capacités d’adaptation significatives. Cela permet d’envoyer un message aux collègues qui pourraient être intéressés par un tel mouvement » ([527]).
Si votre rapporteur ne remet pas en cause la bonne volonté du directeur des services judiciaires, il ressort cependant des travaux de la commission d’enquête que de nombreux magistrats ont souffert et – continuent de souffrir – d’un déficit de valorisation de leur passage outre-mer.
La présidente de l’Association des magistrats ultramarins a par exemple dressé un constat très sévère à ce sujet : « Il n’y aucune valorisation, bien au contraire, une véritable suspicion existe pour les collègues qui ont exercé de longues années en outre-mer. Très récemment, il a été dit à une collègue ultramarine qu’il fallait qu’elle aille se ressourcer dans l’hexagone. Plus globalement, les collègues ont souvent été confrontés à l’image véhiculée d’une justice cocotier, on parle de tropicalisation, une justice particulière qui n’a pas la même valeur et le même prestige qu’une juridiction hexagonale, les clichés sont enracinés dans l’inconscient collectif. Ni les ultramarins qui sont précieux car ils comprennent d’emblée les spécificités culturelles, ni les magistrats hexagonaux qui ont fait preuve de remarquables capacités d’adaptation ne sont valorisés, c’est même plus un handicap » ([528]).
Bien plus, certaines juridictions ultramarines sont perçues au sein du ministère de la justice comme de véritables purgatoires, où sont envoyés, en guise de sanction, des personnels judiciaires ayant connu des difficultés en Hexagone, ainsi que l’a souligné une représentante de l’UNSa Services judiciaires : « La question de l’attractivité des territoires ultramarins implique de lutter contre les préjugés. Le déficit d’attractivité de la Guyane ou de Mayotte résulte notamment d’une perception de ces territoires comme des lieux où sont envoyées les personnes faisant l’objet d’une sanction disciplinaire » ([529]).
La représentante de l’Association des magistrats ultramarins a confirmé un tel constat : « Dans les territoires non attractifs, il est tentant d’y mettre les magistrats problématiques de l’Hexagone qui demandent souvent ces postes éloignés pour se faire oublier » ([530]).
● Dans un tel contexte, il convient de changer de paradigme, afin de faire du passage en outre-mer un véritable atout pour la suite de la carrière d’un magistrat. Selon votre rapporteur, seules des mesures fortes peuvent être de nature à modifier la perception de la magistrature ultramarine. Il pourrait par exemple être envisagé que l’accès aux fonctions de chefs de cour – premier président de cour d’appel et procureur général – soit subordonné à une expérience antérieure dans une juridiction ultramarine.
Un telle mesure serait de nature à assurer au bénéfice des juridictions ultramarines un vivier de candidatures parmi les magistrats les plus compétents de France. Elle permettrait en outre aux magistrats appelés à exercer les plus hautes fonctions de mieux connaitre ces territoires, ce qui permettrait de lutter contre les préjugés tenaces qui restent attachés à ces derniers. Plus généralement, cette mesure serait également de nature à véhiculer un message fort à destination de l’ensemble du personnel judiciaire : exercer dans les juridictions ultramarines est un honneur et un défi, qui imposent de recruter les plus compétents.
S’agissant des postes de chefs de juridictions – président de tribunal judiciaire et de procureur de la République –, il pourrait être retenu le principe selon lequel, à compétences égales, un candidat ayant exercé en outre-mer serait prioritaire par rapport à un candidat ayant fait toute sa carrière en Hexagone. Ce principe serait cohérent avec la charte interministérielle de la mobilité qui prévoit, s’agissant des cadres supérieurs ayant exercé en outre-mer, qu’ « à mérites et compétences égaux, ils bénéficient d’une préférence d’accès à ces emplois [de direction] » ([531]).
Recommandation n° 3 sur la valorisation d’une affectation en outre-mer :
– Élever de deux ans à quatre ans la durée maximale prise en compte pour la bonification indiciaire des magistrats exerçant outre-mer ;
– Élargir la possibilité d’avancement sur place au premier grade au sein des juridictions les moins attractives ;
– Conditionner l’accès aux postes de premier président de cour d’appel et de procureur général aux magistrats ayant eu une expérience dans une juridiction ultramarine ;
– Pour les postes de chefs de juridictions, à compétences égales, choisir en priorité les magistrats ayant exercé en outre-mer.
d. Mieux accompagner les nouveaux arrivants en juridictions ultramarines
● Le déficit d’attractivité tient également aux difficultés pratiques liées à l’installation en outre-mer, comme l’a reconnu le directeur des services judiciaires lui-même : « Parmi les personnes qui souhaitent partir, nombreuses sont celles qui ne franchissent pas le pas pour des raisons pratiques – la famille, les écoles, leur environnement, les enfants, l’emploi du conjoint, le logement. Nous devons répondre à ces préoccupations. L’administration a l’obligation de les accompagner » ([532]).
De fait, la problématique de l’accès au logement a été mise en exergue comme un enjeu majeur, notamment à Mayotte et en Guyane. Les représentants du syndicat Justice CGC ont ainsi souligné que « de nombreux collègues arrivant en outre-mer ne parviennent pas à se loger. Dans certains territoires, le coût d’un logement sécurisé s’avère extrêmement élevé, ce qui dissuade les agents de s’engager durablement dans ces affectations. Cette problématique affecte particulièrement Mayotte et Cayenne, qui souffrent d’un réel déficit d’attractivité » ([533]).
● Dans ce contexte, le ministère de la justice a mis en place depuis septembre 2022 une convention avec un prestataire de services, qui joue un rôle de conciergerie. Les magistrats et greffiers affectés en outre-mer peuvent faire appel à ce service pour la recherche de logements, ainsi que l’a rappelé le directeur des services judiciaires : « Pour répondre à la question récurrente de l’accompagnement à la prise de fonctions, nous avons choisi de nous appuyer sur un prestataire privé qui facilite les démarches liées à la recherche d’un logement, au déménagement et à la scolarisation des enfants » ([534]).
Cependant, en pratique, ce dispositif d’accompagnement connait des dysfonctionnements, ainsi que l’a mis en exergue la représentante de l’UNSa Services judiciaires : « Une cellule outre-mer spécifique a été créée pour accompagner les personnels affectés dans les territoires ultramarins et leur apporter un soutien technique. Nous avons toutefois constaté, d’après les retours de nos collègues, que les agents composant cette cellule ne se sont pas nécessairement rendus en outre-mer et méconnaissent donc les problématiques de terrain (…). Un autre problème concerne les horaires, car, ce service, basé à Paris, opère selon les horaires métropolitains, totalement inadaptés aux besoins des Ultramarins. Créer des outils qui ne correspondent pas aux réalités du terrain s’avère inefficace (…). Les collègues nous rapportent que l’accompagnement à la recherche de logement repose sur des agences immobilières sélectionnées par le ministère, sans visite préalable des lieux, avec des photographies datant d’une décennie (…). Cette situation engendre inévitablement une déception à l’arrivée, lorsque la réalité ne correspond pas aux attentes » ([535]).
Quant aux magistrats administratifs, aucun dispositif d’accompagnement institutionnalisé n’a été mis en place, si bien que les personnels affectés en outre-mer en sont réduits à s’appuyer sur un système d’entraide informel, comme l’a reconnu le secrétaire général du Conseil d’État : « Pour faciliter leur installation, le Conseil d’État s’appuie essentiellement sur les contacts que les présidents de tribunal administratif peuvent nouer localement, notamment avec les services de l’État (…). L’entraide est importante. Il arrive, par exemple, que le magistrat qui arrive dans une juridiction pour remplacer un collègue reprenne son logement » ([536]).
● Outre la question du logement, les personnes auditionnées déplorent l’absence de renseignements pratiques sur le territoire délivrés par le ministère de la justice.
Une anecdote symptomatique de ce déficit d’accompagnement a été livrée par un représentant syndical : « En 2022, lors de ma visite à Mayotte, de jeunes collègues, affectés depuis moins d’un an et résidant à Dzaoudzi, m’ont confié qu’ils n’avaient pas été informés des modalités de paiement des trajets sur la barge qu’ils doivent emprunter quotidiennement pour se rendre sur leur lieu de travail » ([537]). De même, les chefs de cour de la cour d’appel de Cayenne relèvent qu’« il manque au niveau central un véritable accompagnement (par exemple personne à Paris n’informe les nouveaux arrivants qu’ils doivent se faire vacciner contre la fièvre jaune) » ([538]).
Pour pallier ce déficit d’informations, la direction des services judiciaires a publié un guide « devenir Magistrat en outre-mer » et créé une page intranet dédiée. Cependant, ce guide, que votre rapporteur a consulté, consiste principalement en un recensement de l’ensemble des avantages matériels et financiers auxquels les magistrats peuvent prétendre ainsi qu’en un recueil d’adresses utiles. Si ce document est le bienvenu, il n’est aucunement de nature à répondre à l’ensemble des enjeux suscités par une installation outre-mer.
Parallèlement, le ministère de la justice a récemment mis un place un module de formation en ligne dit « Mentor », dont l’objectif est notamment de mieux communiquer sur les spécificités propres à chaque territoire ultramarin, comme l’a indiqué le délégué pour les outre-mer du secrétariat général : « à partir du mois de septembre, nous proposerons un module de formation en ligne, qu’on appelle Mentor, d’une durée de deux heures (…). Ce module – que nous actualiserons – proposera, pour tous les territoires, un panel de témoignages de magistrats ou de greffiers qui vont partir, qui sont partis ou qui sont récemment rentrés. Il offrira également un certain nombre d’outils pour mieux comprendre le monde professionnel, l’environnement, les spécificités locales, la distinction entre les lois du pays et les lois nationales, qui est parfois subtile et en constante évolution » ([539]).
● Si votre rapporteur salue les récentes initiatives précitées du ministère de la justice, il parait cependant impératif de renforcer significativement les dispositifs d’accompagnement des personnels qui sont affectés en outre-mer, afin d’accroître l’attractivité des juridictions ultramarines.
Cela exige tout d’abord une véritable action globale du ministère de la justice, à rebours de la situation actuelle où les différentes directions du ministère agissent de façon non coordonnée, voire se font concurrence entre elles, comme l’a souligné un représentant syndical : « À Mamoudzou, par exemple, la DSJ [direction des services judiciaires] avait recruté une personne chargée de trouver des logements pour les collègues nouvellement affectés, mais la DPJJ [direction de la protection judiciaire de la jeunesse] a finalement récupéré ce poste. Une politique ministérielle globale s’impose » ([540]).
Dans cette perspective, la mise en œuvre systématique d’un accompagnement humain et individualisé sur place parait nécessaire, compte tenu de la lourdeur des démarches exigées lors d’une installation en outre-mer. À cet effet, un poste dédié à l’accompagnement des nouveaux arrivants pourrait être créé au sein de chaque service administratif régional localisé au sein des juridictions ultramarines. Cette personne serait le point de contact unique des magistrats et greffiers affectés au sein de la juridiction et pourra faciliter leur démarche sur place, qu’il s’agisse du logement, de la scolarisation ou de l’emploi du conjoint.
En outre, il semble indispensable que les nouveaux arrivants puissent venir sur place en amont de leur affectation, afin de nouer les contacts nécessaires et d’effectuer les premières démarches requises par leur installation.
À ce titre, la pratique mise en place au sein des juridictions administratives du « séjour exploratoire » au bénéfice des magistrats primo-affectés est particulièrement opportune et doit être élargie à l’ensemble des magistrats, comme le propose le secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma) : « Un séjour exploratoire de quinze jours est prévu à leur attention, pour leur permettre de rencontrer leurs collègues, de commencer les démarches, de chercher un logement, etc. Ce séjour doit absolument être étendu aux magistrats qui demandent une mutation dans ces juridictions, afin qu’ils puissent entamer sur place, avant la rentrée judiciaire, des démarches du quotidien qu’il est très compliqué d’effectuer à distance, comme conclure un contrat d’eau, d’électricité ou chercher un logement. Cela leur permettrait d’arriver dans des conditions sereines, sachant que le rythme du judiciaire est intense » ([541]). Un tel séjour exploratoire pourrait en outre être utilement mis en place pour les magistrats de l’ordre judiciaire.
S’agissant de la question immobilière, compte tenu des difficultés à trouver rapidement un logement sécurisé dans certains territoires, votre rapporteur partage le constat de la présidente de l’Association des magistrats ultramarins selon lequel « le conventionnement de baux d’habitation pour les magistrats dans les territoires non attractifs apparaît comme une nécessité » ([542]). Cette politique de conventionnement permettrait de disposer d’un vivier de logements, qui pourraient être mis à disposition des nouveaux arrivants, temporairement, le temps que ceux‑ci trouvent un logement, ou de façon plus pérenne, le temps de leur affectation.
Concernant les frais d’installation, il convient de relever que les frais de déménagement ne sont pas pris en charge pour les personnels primo-affectés, comme l’a souligné le secrétaire général du Syndicat du ministère de la justice CFDT : « Un autre obstacle majeur à l’attractivité réside dans l’absence de prise en charge des frais de déménagement lors de l’arrivée en outre-mer dans le cadre d’un premier poste. Un tel déménagement est onéreux. Comment convaincre un agent, particulièrement avec le niveau de rémunération de certains premiers postes, de s’installer en outre-mer s’il doit assumer personnellement ces coûts ? Cette problématique relève de textes de la fonction publique, qui nécessitent une modification. Un agent sortant de formation ne dispose généralement pas des ressources suffisantes pour financer un tel déplacement. Doit-il s’endetter ou partir sans effets personnels ? » ([543])
Votre rapporteur estime qu’il est urgent de mettre un terme à cette anomalie, qui participe au déficit d’attractivité des juridictions ultramarines pour les magistrats et greffiers issus des écoles de formations.
Enfin, il est nécessaire de renforcer l’information des nouveaux arrivants sur les spécificités du territoire dans lequel ils s’installent. Des bonnes pratiques existent déjà, qu’il convient de généraliser. À titre d’exemple, en Martinique, « les nouveaux arrivants, dès leur nomination, soit plusieurs mois avant leur arrivée en Martinique, se voient communiquer le “livret d’accueil des nouveaux arrivants” afin de pouvoir se préparer au mieux. Ce livret comporte des informations pratiques, socioculturelles et politico-économiques à propos de la collectivité territoriale de La Martinique » ([544]).
Recommandation n° 4 sur l’accompagnement des magistrats et greffiers affectés en outre-mer :
– Créer un poste dédié à l’accompagnement des nouveaux arrivants dans chaque service administratif régional ultramarin ;
– Étendre la pratique du « séjour exploratoire », qui bénéficie aujourd’hui aux seuls magistrats administratifs primo-affectés, à l’ensemble des magistrats et greffiers, de l’ordre administratif ou judiciaire, affectés en outre-mer ;
– Dans les territoires d’outre-mer où l’accès aux logements est le plus tendu, créer un réseau de logements qui pourraient être mis à disposition des nouveaux arrivants grâce à une politique de conventionnement de baux d’habitation ;
– Prendre en charge les frais de déménagement des personnels primo-affectés ;
– Créer un livret d’accueil des nouveaux arrivants dans chaque juridiction ultramarine comportant des informations pratiques et les caractéristiques du territoire concerné.
B. Densifier le maillage judiciaire
La première partie du présent rapport a montré que l’organisation judiciaire, si elle a connu des adaptations bienvenues au cours de la dernière décennie, nécessite que soient consentis des efforts supplémentaires pour améliorer le fonctionnement des juridictions et réduire la distance physique qui les séparent des justiciables.
1. Créer un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin
● Votre rapporteur estime que plusieurs raisons militent pour la création d’un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin, compétent pour les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, comme l’appellent de leurs vœux les chefs de la cour d’appel de Basse-Terre.
Tout d’abord, celle-ci permettrait de mettre en cohérence la carte judiciaire avec la carte administrative. Ces deux îles sont en effet des collectivités d’outre-mer, ayant leurs propres exécutifs et assemblées délibérantes. La préfecture déléguée de Saint-Martin est devenue une préfecture de plein exercice. Enfin, la compagnie de gendarmerie a également évolué en un commandement de gendarmerie – équivalent pour les outre-mer d’un groupement de gendarmerie en Hexagone. En l’absence d’un président de tribunal et d’un procureur de la République à Saint-Martin, le préfet et le colonel commandant la gendarmerie n’ont ainsi pas d’interlocuteur judiciaire sur l’île.
Ensuite, la création d’un tribunal de plein exercice permettrait en outre de renforcer l’accès à la justice des habitants des deux îles, dans un contexte de double insularité. Ceux-ci sont aujourd’hui contraints de prendre l’avion pour assister aux audiences dans les matières criminelles, prud’homales ou commerciales, pour lesquelles le tribunal de proximité de Saint-Martin n’est pas compétent. Le temps de trajet, le coût des billets et les difficultés de liaison aérienne entre les deux îles constituent ainsi des contraintes fortes en matière d’accès à la justice des justiciables de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Une compétence du tribunal de Saint-Martin en matière criminelle serait au surplus un atout pour optimiser la réponse pénale, dans un territoire qui connait un taux de criminalité 21 fois supérieur à la moyenne nationale.
Une telle réforme serait en outre cohérente avec le niveau d’activité du tribunal de proximité, qui atteint aujourd’hui un seuil critique, comme il a été rappelé précédemment (cf. supra, première partie). En outre, l’élargissement des compétences apporterait un flux de dossiers suffisant pour justifier un tribunal de plein exercice.
Il convient par ailleurs de relever que l’absence d’un établissement pénitentiaire à Saint-Martin ne constitue pas en tant que tel un obstacle dirimant à la création d’un tribunal de plein exercice. En effet, de nombreux tribunaux judiciaires hexagonaux n’ont pas d’établissement pénitentiaire sur leur ressort ([545]).
● De fait, la création d’un tribunal de plein exercice à Saint-Martin a fait l’objet de discussions au sein du ministère de la justice : « On constate effectivement une montée en puissance des besoins à Saint-Martin, qui se traduira à la rentrée par l’arrivée d’un nouveau juge de l’application des peines (JAP) au sein de l’actuelle juridiction de proximité. Cette perspective nécessitera bien sûr des ajustements. La création éventuelle d’une juridiction de plein exercice à Saint-Martin se traduira forcément par un redécoupage de l’activité avec le tribunal de Basse-Terre, sur lequel il faut que nous travaillions. Il me semble, de mémoire, que l’on évalue à 40 % la part du contentieux qui serait ainsi transférée à Saint‑Martin. L’impact en matière de ressources humaines devra être examiné avec l’ensemble des agents et des magistrats concernés. Cette piste est très sérieuse » ([546]).
Le directeur général des outre-mer s’est déclaré pour sa part favorable à un tel projet, notamment en ce qu’il serait cohérent avec l’établissement d’un préfet de plein exercice et la création d’un commandement de gendarmerie pour ces deux territoires : « La question des infrastructures judiciaires à Saint-Martin et Saint‑Barthélemy se pose (…). La situation évolue. Le ministère de la justice a constaté que le ministère de l’intérieur avait adapté l’organisation administrative en créant une préfecture de plein exercice (…). Certes, la création d’une préfecture de plein exercice correspond à une initiative prise par le seul ministre de l’intérieur et des outre-mer – c’était alors M. Darmanin –, mais toute l’adaptation qui s’en est suivie, avec notamment la création d’un commandement de gendarmerie de plein exercice, pousse dans ce sens. Je suis pour ma part favorable à la création d’un tribunal judiciaire sur place. Cela permettrait notamment au préfet de pouvoir s’appuyer sur un procureur de la République comme interlocuteur de proximité » ([547]).
Lors de son audition par la commission d’enquête, le garde des sceaux, M. Gérald Darmanin, a annoncé officiellement la création d’un tribunal de plein exercice de Saint‑Martin, ce dont votre rapporteur se félicite ([548]).
● La construction actuelle d’une cité judiciaire et administrative constitue dans cette perspective une opportunité pour l’installation d’un tribunal judiciaire de plein exercice à Saint-Martin. L’augmentation des effectifs judiciaires nécessitera une réflexion collective avec les autres services sur l’occupation des locaux au sein de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin. Le bâtiment actuel du tribunal de proximité pourrait le cas échéant accueillir une partie des services du futur tribunal judiciaire, s’il n’est pas envisageable de tous les loger dans la nouvelle cité judiciaire et administrative.
Dans le cadre d’une telle transformation, les chefs de cour estiment qu’il conviendrait de porter le nombre total de magistrats à six au siège et neuf au parquet, soit un effectif comparable aux tribunaux judiciaires ayant une activité proche. En outre, les douze agents actuels du greffe seraient en nombre insuffisant si une telle évolution se concrétisait ([549]).
2. Créer une cour administrative d’appel pour les Antilles et la Guyane
● C’est aujourd’hui la cour administrative d’appel de Bordeaux qui est compétente pour juger des appels interjetés à l’encontre des jugements des tribunaux administratifs de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Un tel éloignement géographique entre le justiciable et la juridiction d’appel compétente n’est pas acceptable et constitue un frein majeur au droit à l’appel pour les justiciables concernés. Que dirait-on en Hexagone si on contraignait un habitant de Bordeaux à devoir faire appel de son affaire devant une juridiction de Cayenne ? Cela serait considéré, à raison, comme scandaleux ; pourquoi alors accepter l’inverse ?
En pratique, cet éloignement de la juridiction d’appel a plusieurs conséquences préjudiciables pour les justiciables. Elle aboutit à ce que ces derniers ne puissent pas assister physiquement à l’audience. Ils sont par ailleurs contraints de se séparer de l’avocat local qui s’est occupé de leur dossier en première instance, pour trouver un conseil en Hexagone, afin de limiter les frais de déplacement. Cette rupture de continuité est particulièrement dommageable pour le justiciable concerné, puisque l’avocat qui connait le mieux le dossier est naturellement celui qui a suivi l’affaire en première instance.
Ces contraintes, qui obèrent l’effectivité du droit à l’appel des justiciables ultramarins, sont d’autant plus graves que certaines juridictions d’outre-mer connaissent un taux particulièrement élevé d’infirmation de leurs jugements. À titre d’exemple, seulement 62 % des décisions prononcées par le tribunal administratif de Guyane ont été confirmées en appel en 2024 ([550]). Ainsi, plus de quatre justiciables Guyanais sur dix ont obtenu gain de cause en appel.
● Dans ce contexte, il parait impératif de rapprocher les juridictions d’appel de l’ordre administratif du justiciable ultramarin.
À titre expérimental, il pourrait être créée une cour administrative d’appel, située en Guyane ou dans les Antilles, pour juger des affaires provenant des tribunaux administratifs de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint‑Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Votre rapporteur est conscient des réticences exprimées par le secrétaire général du Conseil d’État quant à un tel projet, compte tenu du faible volume d’affaires concernées : « Le volume des appels formés sur les jugements rendus par les tribunaux administratifs des Antilles et de la Guyane, relativement limité, ne justifie pas la création d’une cour administrative d’appel dédiée. Compte tenu des moyens actuels, la création d’une telle cour me semble difficilement envisageable » ([551]).
Il est exact que les affaires jugées par les tribunaux administratifs concernés sont relativement limitées : en 2024, les tribunaux de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy ont jugé 1 968 affaires, celui de Guyane 1 984 affaires et ceux de Martinique et Saint-Pierre-et-Miquelon 778 affaires. Si on estime grossièrement qu’environ 12 % des affaires jugées en première instance font l’objet d’un appel ([552]), la nouvelle cour administrative d’appel aurait vocation à traiter près de 360 affaires par an, même s’il est vraisemblable que les appels soient plus nombreux compte tenu de l’accès facilité à la cour administrative d’appel.
Cependant, le faible volume d’affaires à traiter n’est pas un argument recevable aux yeux de votre rapporteur : il suffira en effet d’ajuster les moyens humains et matériels de cette nouvelle cour administrative d’appel aux nombres d’affaires à juger. Au surplus, cette réforme n’exigerait pas a priori la création de postes de magistrats supplémentaires au sein de la juridiction administrative, puisque, par définition, la cour administrative d’appel de Bordeaux sera déchargée d’une partie du contentieux qu’elle traite actuellement. Des réaffectations de postes pourraient donc être envisagées.
Au-delà de la question des effectifs exigés par cette nouvelle cour administrative d’appel, l’enjeu sous-jacent à la création de cette dernière est bien celui de l’accès à la justice : il s’agit de garantir que les justiciables de ces territoires puissent avoir physiquement accès à la justice administrative lorsqu’ils font appel d’un jugement, dans des conditions équivalentes aux Hexagonaux.
Une création à titre temporaire, dans le cadre d’une expérimentation, permettrait de dresser un bilan du dispositif, avant le cas échéant, de généraliser une telle réforme organisationnelle et de l’étendre aux autres territoires, de l’océan Indien et du Pacifique.
3. Créer une cour d’appel de plein exercice et un tribunal administratif permanent à Mayotte
● La chambre d’appel de Mayotte est aujourd’hui compétente pour connaître en appel de toutes les décisions rendues par le tribunal judiciaire de Mamoudzou, à l’exception notable des décisions rendues par le juge d’instruction et les juges des libertés et de la détention, à travers la chambre de l’instruction. L’évolution de cette chambre d’appel vers une cour d’appel de plein exercice est donc loin d’être insurmontable.
Au regard de la progression de la délinquance et de la criminalité sur le territoire, il apparait opportun de permettre aux justiciables concernés d’interjeter appel des décisions rendues par un juge d’instruction ou un juge des libertés et de la détention, sans avoir à se déplacer ou à comparaître en visioconférence. L’accès effectif au juge contribue en effet à satisfaire le principe de bonne administration de la justice mais également celui du droit à un procès équitable.
L’instauration d’une cour d’appel de plein exercice doit en outre permettre une meilleure appropriation du contexte local par les chefs de cours. Listant les difficultés principales auxquelles est confronté le tribunal judiciaire, sa présidente ajoute : « un éloignement géographique très important de la cour d’appel, implantée dans un territoire très différent – La Réunion –, conduisant à une méconnaissance du contexte mahorais, à une lenteur et une inefficacité » ([553]).
Votre rapporteur a cependant conscience des difficultés particulières, relatives à la gestion du personnel judiciaire, que la création de cette cour d’appel entraînerait. Il convient de rappeler que le fonctionnement du tribunal judiciaire de Mamoudzou dépend encore largement du personnel placé, c’est-à-dire celui mis à disposition, temporairement, par les autorités de la cour d’appel de La Réunion. Au 1er septembre 2025, un magistrat du siège sur les 16 présents était placé (14 affectés, une brigade et un placé) ([554]) – bien que la circulaire de localisation des emplois en prévoie 18.
S’agissant des greffiers, « il existe (…) quatorze postes de greffiers placés, dont deux seront pourvus à compter du 1er novembre. Séjournant six mois par an à Mayotte, ils ont vocation à se rendre dans chacune des juridictions de la cour d’appel pour pallier les vacances de poste. Ce chiffre, anormalement élevé pour une cour d’appel, a été arrêté pour permettre le bon fonctionnement des juridictions mahoraises ». En pratique, les greffiers, « y travaillent par périodes de deux mois, en revenant à La Réunion entre-temps », ce qui complexifie le travail des juridictions mahoraises pour permettre à ces agents de s’adapter et organiser leur travail dans la continuité ([555]).
L’instauration de la cour d’appel de plein exercice à Mayotte doit donc s’inscrire dans un ensemble de mesures visant à renforcer la fidélisation du personnel judiciaire affecté à Mayotte – magistrats et greffiers –, et à améliorer, plus généralement, les conditions de travail et de vie sur place.
● L’éloignement des magistrats administratifs compétents pour connaître des affaires mahoraises ne semble pas davantage justifié au regard des besoins exprimés dans ce domaine. Ceux-ci sont en effet installés à La Réunion. Le secrétaire général du Conseil d’État reconnaît cependant la particularité de Mayotte, en comparaison d’autres territoires dépourvus de l’établissement permanent d’un tribunal administratif : « Lorsque le tribunal administratif n’est pas sur place, il s’y rend à échéance régulière, au moins une fois par an ; pour les affaires urgentes, il juge par visioconférence. Mayotte fait exception parce que le greffe est permanent et parce que le volume d’activité est nettement supérieur à celui des autres tribunaux non permanents : les magistrats y font des séjours réguliers et de nombreuses séances sont organisées en visioconférence, de manière régulière » ([556]).
Comme précisé dans la première partie, l’essentiel du contentieux administratif à Mayotte repose sur les mesures d’éloignement des étrangers –jusqu’à 70 % de son activité ([557]) –, contestées devant le juge des référés-liberté. Cette situation d’urgence ne permet pas d’assurer la présence sur place systématique du juge administratif. Le jugement en visioconférence, s’il est possible, pose cependant différents problèmes.
Premièrement, celui-ci ne permet pas de rencontre physique entre le juge et le prévenu, ce qui peut porter préjudice à la défense, comme l’indique l’association La Cimade ([558]). Deuxièmement, de l’aveu même du président du tribunal administratif de Mayotte, la connexion internet n’est pas toujours fiable : « Nous rencontrons toutefois des difficultés liées à la bande passante disponible, qui est souvent limitée, que ce soit à La Réunion ou à Mayotte » ([559]). Enfin, cet éloignement ne peut qu’allonger les délais de jugement, alors que dans des situations de référé‑liberté comme celles qui sont présentées à Mayotte, chaque heure compte : « S’agissant des référés-liberté, soit le juge est présent à Mayotte, soit il procède par visioconférence depuis La Réunion. Lorsqu’il est sur place, il statue souvent sous vingt-quatre heures ; les étrangers placés en centre de rétention sont généralement mis dans un bateau dès le lendemain – pour la grande masse des requérants, venus des Comores. Pour que la décision de justice soit effective et utile, le tribunal s’efforce de juger dans des délais très brefs » ([560]).
En revanche, comme pour l’instauration d’une cour d’appel judiciaire de plein exercice, l’installation pérenne des juges administratifs à Mayotte doit s’inscrire dans une stratégie globale d’amélioration du cadre de vie et des conditions de travail. La situation actuelle du bâtiment du tribunal administratif, pour lequel des travaux d’aménagement sont toujours en attente depuis sa destruction partielle par le cyclone Chido, n’est ainsi pas tolérable. Comme l’indique le secrétaire général du Conseil d’État : « Pour des raisons d’attractivité, il serait difficile d’avoir des magistrats en résidence sur place. Ce ne serait possible qu’en imaginant des aménagements particuliers » ([561]).
4. Créer un tribunal supérieur d’appel à Wallis-et-Futuna
● Le rattachement du tribunal de première instance de Mata-Utu (TPI) à la cour d’appel de Nouméa semble hérité d’une organisation judiciaire et administrative historique, étant entendu que le tribunal de Wallis‑et‑Futuna est resté jusqu’en 1984 une section détachée du TPI de Nouméa. Cette organisation ne semble plus justifiée aujourd’hui.
Le territoire de Wallis‑et‑Futuna présente en effet plusieurs différences notables avec la Nouvelle-Calédonie tant du point de vue culturel – populations, langues, coutumes, etc. – que du point de vue de l’organisation judiciaire et du droit applicable. L’éloignement, de plus de 2 000 kilomètres, reste toutefois la source de complexité principale du rattachement du TPI de Mata-Utu à la cour d’appel de Nouméa, les dessertes aériennes entre les deux territoires étant en outre extrêmement limitées (cf. supra, première partie).
Dans ce contexte, le taux de non-appel est important, comme le souligne le chef de greffe du TPI : « à l’exception de certaines personnes de milieu plutôt aisé, les condamnés de première instance ne font pas appel (…). L’éloignement du numérique, l’éloignement de la langue française notamment écrite, la distance et le coût découragent bon nombre. C’est une réalité et une aide juridictionnelle étendue à Wallis‑et‑Futuna ne comblera pas “lesdites distances” » ([562]).
Pour pallier ces difficultés, le procureur de la République et le chef de greffe plaident conjointement pour la création d’un tribunal supérieur d’appel, sur le modèle de celui qui existe à Saint-Pierre-et-Miquelon ([563]).
● En comparaison des moyens dévolus aux institutions judiciaires de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, il semble en effet urgent de renforcer ceux dont dispose la juridiction de Wallis‑et‑Futuna pour fonctionner.
Un seul magistrat exerce ainsi à Wallis‑et‑Futuna, l’obligeant à cumuler les fonctions de président de tribunal et de juge de l’ensemble des affaires civiles et pénales, à l’exception de la fonction de juge des libertés et de la détention qui est, elle, assurée par un magistrat de Nouméa. Lorsqu’une formation collégiale de jugement est nécessaire – tribunal correctionnel, tribunal pour enfants, assises –, il n’est pas autorisé à assurer la présidence de l’audience s’il a préalablement instruit l’affaire, ce qui oblige plusieurs magistrats de Nouméa à se déplacer. Outre ce magistrat unique du siège, la juridiction comporte un magistrat du parquet, un cadre‑greffier, un chargé de mission contractuel, deux greffiers, un secrétaire administratif et deux adjoints, soit neuf agents au total.
À Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, la juridiction dispose d’un effectif de 14 personnes, parmi lesquels quatre magistrats, alors que la population y est près de deux fois moindre.
● L’instauration d’une instance de jugement en appel à Wallis‑et‑Futuna n’est pas uniquement nécessaire au regard des inégalités injustifiées de fonctionnement des juridictions entre deux territoires, elle est également indispensable pour améliorer les conditions dans laquelle la justice est rendue.
D’une part, comme le rappelle le chef de greffe de Mata-Utu, « la Nouvelle‑Calédonie fait partie de la Mélanésie alors que les îles de Wallis et de Futuna font partie de la Polynésie. Aussi, la coutume kanak n’a rien à voir avec la coutume de Wallis‑et‑Futuna. Reconnaître un tribunal supérieur à Wallis‑et‑Futuna permettrait de renforcer les liens entre la justice de la République française et la justice coutumière puisque cela permettrait aux justiciables d’être forcément jugés par des [personnes issues du territoire, lorsque des assesseurs civils participent à la décision de jugement] » ([564]).
D’autre part, bien que les cas soient rares, l’exercice de la fonction de juge des libertés et de la détention par un magistrat de Nouméa implique que les prévenus soient amenés devant lui : si la détention provisoire est prononcée, cela complique la suite de l’instruction – dans le cas, par exemple, de reconstitutions ou d’interrogatoires. Si le prévenu est placé sous contrôle judiciaire, il doit retourner à Wallis‑et‑Futuna à ses propres frais.
Bien que des visioconférences puissent dorénavant être organisées pour le déferrement devant le juge des libertés et de la détention, celles-ci ne sauraient être généralisées sans contrevenir au principe constitutionnel de bonne administration de la justice, comme l’a déjà rappelé le Conseil constitutionnel « eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique [du prévenu] devant la juridiction compétente » ([565]).
C’est la raison pour laquelle votre rapporteur estime indispensable de rendre la juridiction de Wallis-et-Futuna autonome de la cour d’appel de la Nouvelle‑Calédonie.
Recommandation n° 5 pour renforcer le maillage des juridictions ultramarines :
– Créer un tribunal de plein exercice à Saint-Martin ;
– Créer, à titre expérimental, une cour administrative d’appel, située dans les Antilles ou en Guyane, compétente pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– Créer une cour d’appel de plein exercice et un tribunal administratif permanent à Mayotte ;
– Créer un tribunal supérieur d’appel à Wallis-et-Futuna.
C. L’urgence de répondre à la vétusté des sites judiciaires
La plupart des tribunaux ultramarins sont aujourd’hui dans un état de vétusté qui ne permet pas de rendre la justice avec toute la solennité qu’elle nécessite, quand le délabrement des locaux ne conduit pas à la suppression pure et simple d’audiences et de lieux d’information des justiciables.
1. Les défis spécifiques de l’immobilier judiciaire en outre-mer
● Les projets d’immobilier judiciaire dans les territoires ultramarins font face à plusieurs contraintes spécifiques. La première est liée au foncier et à la nature des risques climatiques, comme l’a souligné le directeur de l’Apij : « Certains des territoires concernés sont accidentés et il est difficile de construire des bâtiments judiciaires, et plus encore pénitentiaires, dans les pentes ou les zones à risque. La géographie et la nature des risques, notamment naturels, que l’on trouve particulièrement en outre-mer sont un facteur limitant à la recherche foncière » ([566]).
Les contraintes sont également de nature économique. Les projets menés en outre-mer sont en effet plus onéreux comparativement à des projets similaires dans l’Hexagone. Le directeur de l’Apij estime ainsi que les surcoûts par rapport à l’Hexagone vont de 60 à 100 %, en raison notamment des frais d’acheminement des matériaux : « La disponibilité des matériaux, tout comme leur acheminement, représente un coût supplémentaire. Le fait d’être contraint par l’existence d’un marquage Communauté européenne constitue également une difficulté » ([567]).
Les conditions socio-économiques existant dans les territoires ultramarins ont également un impact sur les programmes immobiliers. Il existe ainsi un déficit de concurrence, compte tenu du faible nombre d’entreprises locales dont le bilan financier est suffisamment solide pour intervenir sur des programmes structurants. L’Apij relève ainsi que les « projets ultramarins génèrent - 25 % de candidatures et - 50 % d’offres financièrement acceptables par rapport aux projets métropolitains » ([568]). Les entreprises locales retenues peuvent également connaitre des difficultés financières, comme l’entreprise guadeloupéenne ICM, mandataire du marché de la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin, actuellement en redressement judiciaire. Dans la même perspective, l’Apij déplore le manque de main d’œuvre qualifiée, « qui ne permet pas d’assurer aux chantiers de grande ampleur les effectifs suffisants pour assurer non seulement des cadences performantes, mais également la qualité d’exécution » ([569]).
S’agissant de la conception même des bâtiments judiciaires, il convient de tenir compte de certaines spécificités ultramarines, telles que la place importante du pénal au sein de l’activité juridictionnelle, la nécessité d’avoir des aires de stationnement suffisamment denses compte tenu du déficit de transports en commun, ou encore l’adaptation des locaux à la présence de publics allophones : « L’activité pénale notamment peut y être bien supérieure. Nous adaptons par conséquent les programmes spécifiques, en prévoyant par exemple, dans certains projets, davantage de salles pénales, de salles d’assises et des boxes conçus différemment, pour accueillir un grand nombre de prévenus. Comme certains publics viennent de loin, pour la journée, il faut être en mesure de les accueillir, notamment grâce à une offre de restauration sur place et à des parkings (…). Il faut aussi des protections contre les intempéries et le soleil, comme les carbets en Guyane. Il existe également des spécificités, en matière de [ressources humaines] comme de locaux, liées à la présence de publics allophones. Il faut des locaux pour les interprètes et la signalétique fait l’objet d’un travail spécifique. Nous utilisons plutôt des pictogrammes et, en complément, un accueil directionnel » ([570]).
● Afin de faire face à ces enjeux, des cellules socio-économiques territoriales regroupant l’ensemble des acteurs locaux concernés sont mises en place pour les projets les plus structurants, tels que la cité judiciaire de Saint‑Laurent-du-Maroni : a ainsi été créée en Guyane « une cellule socio‑économique rassemblant sous l’autorité du préfet l’ensemble des acteurs intéressés, impliqués ou concernés par le projet, afin d’anticiper les problèmes potentiels, parmi lesquels la formation de la main-d’œuvre ou l’accueil des compagnons intervenant sur le chantier (…). La cellule socio-économique explore l’ensemble des questions soulevées en amont du chantier. Cela concerne également le recours aux matériaux locaux, qui est une bonne chose mais nécessite de sécuriser le niveau de production (…). La concertation avec les acteurs locaux est donc large et s’effectue à différents niveaux » ([571]).
Une autre spécificité réside dans le recours privilégié aux « marchés globaux de performance », qui permettent d’intégrer de manière anticipée les enjeux liés à l’exploitation et à la maintenance à venir des bâtiments objets de la construction ([572]).
2. Relancer les nombreux projets immobiliers qui sont aujourd’hui gelés, faute de financement
● Des opérations immobilières particulièrement structurantes ont été réalisées au cours de la dernière décennie dans les territoires ultramarins : un nouveau palais de justice à Pointe-à-Pitre livré en 2018, pour un coût de 37 millions d’euros ; la construction de la cour d’appel de Fort-de-France livrée en 2015, pour un coût de 30 millions d’euros ; la réhabilitation, en 2021, de la cour d’appel de Cayenne pour un coût de 9 millions d’euros. Elles permettent aujourd’hui d’accueillir les justiciables dans des conditions décentes et d’offrir aux personnels des conditions de travail acceptables.
D’autres chantiers relatifs à l’immobilier judiciaire, particulièrement attendus des personnels et des usagers du service public de la justice, sont actuellement en cours : la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin, dont la livraison est prévue en 2026 ; la cité judiciaire de Cayenne, dont la livraison est prévue en 2028 ; la cité judiciaire de Saint-Laurent-du- Maroni, dont la livraison est prévue en 2029 (cf. supra, première partie).
● En revanche, de très nombreuses opérations ayant fait l’objet d’études préalables sont actuellement suspendues ou décalées à une date indéterminée.
Selon les explications fournies par l’Apij, cette situation résulte d’une politique de réduction des investissements immobiliers du ministère de la justice à des fins d’économie budgétaire : « compte tenu du contexte budgétaire particulièrement contraint depuis début 2024 (…) la stratégie immobilière du ministère de la justice consiste à sanctuariser (…) les crédits consacrés au gros entretien-renouvellement et aux petites opérations d’optimisation des locaux. A contrario, pour les opérations majeures générant un effort financier important, il est proposé une trajectoire budgétaire 2025-2029 réduisant l’ampleur des investissements (…). Dans ce contexte, les opérations concernées par un chantier en cours ou imminent ont vu leur financement sécurisé (…). Les autres opérations voient leur calendrier opérationnel lissé pour rendre leur financement plus soutenable » ([573]).
PROGRAMMES IMMOBILIERS AYANT FAIT L’OBJET D’ÉTUDES PRÉALABLES MAIS DÉCALÉS A UNE DATE INDÉTERMINÉE
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Territoire |
Opération |
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Guadeloupe |
Restructuration et extension du palais de justice de Basse-Terre |
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Restructuration du palais de justice historique de Pointe-à-Pitre |
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Martinique |
Restructuration et extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France |
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Mayotte |
Construction d’une cité judiciaire à Mamoudzou |
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La Réunion |
Réhabilitation et extension du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion |
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Nouvelle-Calédonie |
Schéma directeur judiciaire |
Source : réponses écrites de l’Apij.
● Cette suspension des investissements dans l’immobilier judiciaire en outre-mer apparait difficilement acceptable. En effet, lors du déplacement de la commission d’enquête en Guyane et dans les Antilles, votre rapporteur a pu constater l’état de délabrement de certains bâtiments judiciaires : des justiciables contraints de patienter sous le manguier, faute de salle d’attente ; des prévenus attendant leur comparution dans des locaux dénués de portes, à la vue de tous ; des couloirs infestés de termites ; des magistrats travaillant dans des bureaux sans fenêtres ; des sites judiciaires éclatés dans les diverses parties de la ville.
Il convient à cet égard de relever que l’ensemble des représentants syndicaux auditionnés ont mis en avant la dégradation de l’immobilier judiciaire comme un enjeu majeur. Le secrétaire général de la CGT des chancelleries & services judiciaires a ainsi indiqué : « la question de l’immobilier [est] mal prise en compte par le ministère, faute d’adaptation aux réalités locales. Même les bâtiments les plus récents présentent des problèmes, tant en ce qui concerne les conditions de travail des agents que pour ce qui est de l’accès à la justice des usagers » ([574]).
Le secrétaire général du Syndicat du ministère de la justice CFDT a également souligné que « cette détérioration [des bâtiments judiciaires] atteint un niveau tel qu’il devient nécessaire de construire ou reconstruire plutôt que d’effectuer un entretien lourd. Ce défaut structurel du ministère, bien que connu et supposément traité par notre secrétariat général actuellement, affecte considérablement tous nos établissements ultramarins, tant les services judiciaires que pénitentiaires » ([575]).
Enfin, le représentant du syndicat FO Justice a confirmé le caractère prégnant de cet enjeu pour les personnels judiciaires : « nous constatons des difficultés propres aux services judiciaires, notamment concernant l’immobilier (…) Ce point est d’autant plus crucial que les bâtiments se dégradent beaucoup plus rapidement qu’en métropole, ce qui nécessite un effort particulier » ([576]).
Les conséquences préjudiciables liées aux conditions indignes de l’immobilier judiciaire dans certains territoires ultramarins sont multiples : elles participent au déficit d’attractivité des juridictions ; elles sont source de démoralisation pour les personnels judiciaires qui y travaillent ; elles entretiennent enfin chez les justiciables ultramarins le sentiment qu’ils ne sont pas traités comme les justiciables hexagonaux et renforcent leur défiance envers l’institution judiciaire.
Dans ce contexte, votre rapporteur appelle à un sursaut de la part du ministère de la justice.
Il est urgent de relancer les projets immobiliers ayant déjà fait l’étude préalable, notamment à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Mamoudzou, et Saint‑Denis de La Réunion. Il s’agit de redonner à la justice ultramarine sa dignité et aux ultramarines confiance dans leurs institutions judiciaires.
3. Doter les territoires ultramarins d’une véritable ingénierie immobilière
● La compétence immobilière est habituellement partagée, au sein du ministère de la justice, entre les cours d’appel, les délégations interrégionales du secrétariat général et l’Apij. Les petits projets sont en effet gérés par les services administratifs régionaux rattachés à chaque cour d’appel. Les délégations interrégionales du secrétariat général interviennent essentiellement dans le domaine des travaux de gros entretien et de réparation, tandis que les projets les plus importants relèvent de l’Apij. Toutefois, les outre-mer présente à cet égard une organisation particulière.
Les outre-mer souffrent en effet d’un déficit important d’ingénierie en matière immobilière, qui explique le rôle particulier de l’Apij dans certains territoires d’outre-mer. Alors que celle-ci ne s’occupe que des grands projets immobiliers en Hexagone, elle intervient dans la zone Antilles-Guyane pour des opérations de moindre ampleur, y compris en matière de réhabilitation, comme l’a rappelé son directeur : « Nous ne nous occupons pas de l’ensemble des projets immobiliers du ministère de la justice ; seulement des plus grands. Aucun seuil n’est défini : cela est laissé à l’appréciation du ministère, mais notre organisation et nos compétences sont plutôt ciblées sur les grands projets. La zone Antilles-Guyane connaît toutefois une particularité, puisque compte tenu d’un déficit d’ingénierie en interne, notamment au ministère de la justice, nous y réalisons des prestations de moindre ampleur, comme de petites opérations de réhabilitation telles qu’un changement de groupe froid, chose que nous n’effectuons jamais dans l’Hexagone » ([577]).
Néanmoins, l’Apij ne dispose que d’une antenne en Guadeloupe, les autres territoires étant gérés depuis Paris, comme l’a confirmé son directeur : « S’agissant de l’existence d’une cellule spécifique à l’outre-mer, nous disposons d’une antenne en Guadeloupe pour couvrir la zone des Antilles. Pour les autres territoires, les dossiers sont traités en majeure partie depuis Paris et un assistant à maîtrise d’ouvrage assure une présence locale (…). Je précise que notre antenne en Guadeloupe est composée de deux équipes opérationnelles sur les douze de l’Agence. Cette présence aux Antilles s’explique par l’activité importante dans la région » ([578]).
Une telle situation n’est pas satisfaisante, comme l’a exposé avec force l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas : « Autre exemple, l’Apij, l’Agence publique pour l’immobilier de la justice, est la seule à avoir compétence pour s’occuper des petits travaux dans ces tribunaux. Imaginez ce que représente au quotidien, pour des personnels qui sont à Paris, d’avoir à préparer le travail de ceux qui agiront en Martinique ou en Guadeloupe. C’est en dépit du bon sens ! » ([579])
Par ailleurs, il n’existe pas, dans les territoires d’outre-mer, de délégation interrégionale du secrétariat général (cf. infra), dont le département immobilier serait, comme ailleurs en France, susceptible de gérer les projets immobiliers intermédiaires. Comme l’a admis le secrétariat général, il existe de ce fait un déficit de maîtrise d’ouvrage dans les outre-mer pour les travaux d’entretien et de réparation : « contrairement aux délégations du secrétariat général de l’hexagone, il n’existe pas de département immobilier outre-mer du secrétariat général pour réaliser la conduite des études et des travaux d’investissement de gros entretien et réparation. Or, tous les territoires ont fait remonter ce besoin de renforcement de maitrise d’ouvrage sur des opérations petites et moyennes, qui améliorent le quotidien des personnels et des usagers » ([580]).
Le secrétaire général adjoint du ministère de la justice a lui-même reconnu que l’organisation retenue pour gérer les questions immobilières en outre-mer n’était pas satisfaisante : « Dans le domaine immobilier notamment, une mission visant à adapter notre réponse est en cours. Les petits projets sont gérés par les services immobiliers des services administratifs régionaux (SAR) des cours d’appel ou par les services de l’administration pénitentiaire, tandis que les projets importants sont pris en charge par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij). Les projets intermédiaires le sont aussi théoriquement, dans le cadre d’une convention, mais ce fonctionnement n’est pas totalement satisfaisant » ([581]).
● De fait, les difficultés actuelles de l’immobilier judiciaire en outre-mer sont en partie liées à ces dysfonctionnements organisationnels, ainsi que l’a rappelé le représentant du Syndicat du ministère de la justice CFDT : « Concernant les difficultés liées à la réalisation des programmes immobiliers, il manque un échelon dans l’organisation du ministère en outre-mer. Habituellement, nous disposons du service administratif régional pour les opérations d’entretien courant, d’un département immobilier et de l’Apij. Cependant, le ministère n’a pas développé de département immobilier en outre-mer. Le service administratif régional, qui assure les entretiens courants, ne possède pas les compétences requises pour réaliser les entretiens plus lourds. L’Apij, établissement public situé en métropole, qui gère les grands projets, comme la restructuration de la cour d’appel de Paris, concentre son action sur les projets d’envergure majeure. Cette organisation crée une lacune dans nos territoires ultramarins où les bâtiments se dégradent progressivement » ([582]).
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il est urgent de revoir cette organisation, en densifiant les compétences d’ingénierie immobilière au sein des territoires ultramarins. À cette fin, il pourrait être créé au sein du ministère de la justice un département immobilier propre à l’outre-mer. Celui-ci aurait en charge les opérations de gros entretien et de réhabilitation de l’immobilier judiciaire ultramarin, avec des agents implantés localement. L’Apij serait quant à elle recentrée sur son champ de compétence de principe, à savoir la conduite de grands projets immobiliers.
4. Promouvoir l’usage de matériaux locaux
Enfin, votre rapporteur milite pour optimiser l’usage de matériaux de construction locaux dans le cadre des chantiers immobiliers en outre-mer.
Il salue à cet égard l’effort particulier qui est fait en ce sens pour la construction de la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni, tel que rappelé par le directeur de l’Apij : « Nos réalisations tiennent donc compte des conditions environnementales et climatiques. C’est le cas notamment à Saint‑Laurent‑du‑Maroni, où les établissements pénitentiaire et judiciaire ont été conçus en fonction de l’orientation des vents, pour assurer une meilleure ventilation naturelle, et de leur exposition aux pluies, pour mieux les protéger. Leurs matériaux de construction – terre crue et bois – sont locaux, dans la mesure de la capacité locale de production » ([583]).
Dans cette perspective, l’utilisation des chaînes d’approvisionnement locales pourrait être amplifiée grâce à l’évolution de la réglementation européenne, qui permet l’usage de matériaux ne bénéficiant pas du « marquage CE » dans les territoires d’outre-mer. Une telle réorientation de l’approvisionnement en matériaux favoriserait la production locale et permettrait de réduire les coûts liés à l’acheminement des matériaux.
Le directeur de l’Apij a précisé à cet égard que « Des évolutions sont en cours, mais ne sont pas encore complètement opérationnelles : elles permettront aux entreprises qui réalisent nos projets de s’approvisionner dans une zone géographique plus proche, y compris si elle ne relève pas de la Communauté européenne. Ces pistes permettront peut-être de faire baisser les coûts dans les années à venir ; ce n’est pas encore le cas » ([584]).
Cependant, le ministère de la justice ne semble pas encore s’être pleinement emparé de cette possibilité ouverte par le droit européen, puisque « les processus de qualification des produits alternatifs au marquage CE ne sont pas toutefois pas en place » ([585]). Il convient donc d’accélérer ce processus.
Recommandation n° 6 pour moderniser l’immobilier judiciaire en outre-mer :
– Engager dans les meilleurs délais les opérations suivantes :
a) la restructuration et l’extension du palais de justice de Basse-Terre ;
b) la restructuration du palais de justice historique de Pointe-à-Pitre ;
c) la restructuration et l’extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France ;
d) la construction d’une cité judiciaire à Mamoudzou ;
e) la réhabilitation et l’extension du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion.
– Créer un département immobilier d’outre-mer au sein du ministère de la justice, dont les agents, localisés dans chaque territoire, auraient en charge la conduite des projets immobiliers intermédiaires.
– Privilégier, dans la mesure du possible, l’utilisation de matériaux locaux pour les chantiers, en accélérant le processus de qualification des produits alternatifs au marquage CE.
D. Revoir le pilotage de l’outre-mer par le ministère de la justice
1. L’outre-mer est longtemps resté un « angle mort » au sein du ministère de la justice
● En juillet 2022, après plusieurs mois de travaux qui ont mobilisé plus de 50 000 personnes – citoyens et acteurs du monde judiciaire –, le comité des états généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, rendait son rapport au garde des sceaux.
Or, la justice ultramarine apparait comme la grande oubliée de ce rapport, comme l’a déploré Me Patrick Lingibé : « Les états généraux de la justice ont donné lieu à un rapport de plus de 300 pages signé par Jean-Marc Sauvé ; sur ces 300 pages, deux pages et demie sont consacrées aux outre-mer. Elles font état de la défiance, de la grande fragilité et des problèmes qui touchent ces territoires mais, contrairement au reste du rapport, elles n’avancent aucune solution » ([586]).
Ce fait, loin d’être anecdotique, est révélateur de la relative indifférence dont témoignent le monde judiciaire et les services de l’État pour l’outre-mer, ainsi que l’a remarqué l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas : « J’ai feuilleté le rapport Sauvé avant notre entretien. S’il présente de grandes qualités, il comporte un angle mort : les outre-mer. La discrimination par la géographie est manifeste, mais nous n’avons jamais vraiment travaillé cette question pour une raison assez simple : les outre-mer sont un objet présent partout, mais réel nulle part dans l’organisation de l’État » ([587]).
L’éloignement, le fait que la très grande majorité de la hiérarchie judiciaire n’a jamais exercé dans les territoires ultramarins, ainsi que la promotion au sein de la haute fonction publique d’un universalisme républicain abstrait qui refuse par principe de prendre en compte les spécificités et différences des territoires ultramarins, sont autant de facteurs qui expliquent cette occultation des enjeux ultramarins.
La conséquence d’une telle occultation est que l’outre-mer, au ministère de la justice comme malheureusement dans d’autres ministères, ne devient un enjeu prioritaire pour les autorités publiques que lorsqu’une crise se manifeste, ainsi que l’a reconnu Jean-Jacques Urvoas : « Les outre-mer ne sont une priorité que lorsqu’ils subissent une crise. En 2017, par exemple, tous les ministères se sont mobilisés pour la Guyane. Alors que j’étais garde des sceaux depuis janvier 2016, c’est le seul moment où j’ai vu l’ensemble des personnels se demander que faire pour la Guyane. Mais au quotidien, dans la mesure où les personnels passent d’une urgence à l’autre, ils n’ont pas la disponibilité d’esprit pour le faire et il n’y a donc d’incitation politique en ce sens » ([588]).
● Ce déficit de prise en compte de l’outre-mer s’est longtemps reflété dans un déficit de pilotage institutionnel des outre-mer par le ministère de la justice, comme l’a relevé le rapport du comité des états généraux de la justice : « À ce contexte s’ajoute un pilotage institutionnel insuffisamment lisible, malgré une densification récente des sites judiciaires, chacune des directions métier de la chancellerie appréhendant ces territoires de manière verticale et sans coordination entre elles. À l’exception de la Nouvelle-Calédonie, où la direction de la PJJ n’exerce pas de missions, le ministère de la justice déploie ses trois directions à réseau dans l’ensemble des territoires ultra-marins. L’administration pénitentiaire a fait le choix d’une organisation dédiée à l’outre-mer alors que la direction de la PJJ a renoncé, il y a près de dix ans, à une entité ad hoc pour un rattachement de ces territoires à la direction interrégionale d’Ile-de-France. Quant aux services judiciaires, leur déploiement dans les outre-mer ne semble pas avoir fait l’objet d’une stratégie spécifique » ([589]).
L’ancien garde des sceaux confirme que l’organisation gouvernementale ne permet pas d’avoir une vision globale sur l’outre-mer : « Vous savez mieux que moi qu’à partir du moment où il existe un ministre des outre-mer, nous considérons qu’une grande partie des sujets est réglée. Mais ce ministère tend en permanence la main aux autres, car il n’a moyen d’action sur rien (…). Il n’existe pas non plus de vision constante des outre-mer dans l’administration des ministères » ([590]).
Dans ces conditions, le réflexe « outre-mer », promu par la direction générale des outre-mer auprès des autres administrations, est loin d’être acquis comme l’a souligné son directeur : « L’un de nos principaux axes d’action est de promouvoir le “réflexe outre-mer” (…). Je constate toutefois que les administrations n’ont pas naturellement le réflexe de penser aux outre-mer. Nous travaillons à diffuser ce réflexe, afin que les administrations, notamment celles du ministère de la justice, quand elles envisagent des réformes, nous contactent au bon moment pour travailler à l’adaptation des textes aux réalités et aux spécificités – je sais que ce mot fait également débat – des outre-mer par rapport à l’Hexagone » ([591]).
2. Des réformes organisationnelles récentes qui visent à mieux prendre en compte les spécificités de la justice ultramarine
a. La création d’une délégation outre-mer au sein du secrétariat général
● Face à ces critiques, et dans le prolongement des conclusions d’un rapport de l’inspection générale de la justice ([592]), le ministère de la justice a modifié l’organisation de son secrétariat général.
Celui-ci assure la fonction support dans les domaines des ressources humaines, du budget, des finances, de l’immobilier et du numérique au bénéfice des trois réseaux du ministère – le réseau judiciaire, le réseau pénitentiaire et celui de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les agents du secrétariat général affectés dans les territoires d’outre-mer appartiennent essentiellement au département de l’informatique et des télécommunications outremer (DIT-OM) – qui dispose d’antennes à Saint-Denis de La Réunion, Cayenne, Fort-de-France, Mamoudzou, Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, Nouméa et Papeete – ainsi que d’assistants du service social du personnel. Enfin, deux directeurs de projet sont en charge respectivement du plan ministériel pour la reconstruction des services judiciaires à Mayotte et de l’accompagnement de la cité judiciaire à Saint-Laurent-du-Maroni.
Source : réponses écrites du secrétariat général du ministère de la justice au questionnaire de votre rapporteur.
● Pour l’Hexagone, l’action du secrétariat général est mise en œuvre au niveau local au travers de neuf délégations interrégionales qui sont chargées d’apporter leur soutien aux juridictions et aux services déconcentrés du ministère. Un tel modèle n’a toutefois pas été jugé pertinent pour les outre-mer, comme l’a rappelé le représentant du secrétariat général : « Nous avons considéré que la solution ne consistait pas forcément à reproduire au niveau des outre-mer l’organisation de la métropole. En effet, en créant des délégations interrégionales, nous aurions perturbé les services plus que nous n’aurions apporté quelque chose (…). Ce que je peux vous indiquer c’est qu’une direction du secrétariat général telle qu’elle existe dans l’Hexagone – deux, trois ou quatre départements, parfois plusieurs cours d’appel, 50 à 100 équivalents temps plein (ETP) avec un délégué à leur tête, et les quatre fonctions supports principales – n’est pas la solution adaptée. Nous perdrions en effet notre temps à nous poser la question du déploiement des moyens et des ETP, et nous ne serions absolument pas en mesure de répondre avec agilité aux problématiques ultramarines, qui sont très évolutives » ([593]).
● C’est dans ce contexte qu’a été créé en avril 2023 un dispositif ad hoc, avec l’institution d’un poste de délégué outre-mer auprès du secrétaire général. Celui-ci a pour mission de concevoir et piloter un plan d’action ministériel pour les outre-mer et, parallèlement, de structurer les compétences outre-mer du secrétariat général, alors dispersées.
À cet égard, l’objectif est de réduire le fonctionnement traditionnel en silos du ministère, au terme duquel chaque grande direction menait ses actions en outre-mer de façon non coordonnée : « l’enjeu et la difficulté ont été d’établir une organisation outre-mer plus pérenne, bien dimensionnée, là où prédominaient jusqu’alors des actions ponctuelles, liées le plus souvent à la gestion de crises, dans un domaine où la transversalité manquait particulièrement, chaque direction à réseau étant habituée à travailler en silos (…). Le plan d’action outre-mer a nécessité un important management des réseaux existants au sein du ministère, face à des services parfois réticents en raison de l’abandon potentiel de certaines prérogatives » ([594]).
Le plan d’action outre-mer, structuré en quatorze axes de travail (cf. encadré ci-après), a été établi en 2025. Il couvre des domaines aussi variés que le numérique, la professionnalisation de la chaîne financière, la modernisation de la politique de gestion des ressources humaines que la mise en place d’une fonction immobilière outre-mer.
Le plan d’action outre‑mer du secrétariat général
« 1. Pilotage des politiques du secrétariat général pour les outre-mer. Suivi du plan d’action outre-mer ; poursuivre le renforcement des coordinations territoriales ; valoriser les actions du ministère dans le champ interministériel avec la direction générale des outre-mer ; élaborer un dialogue de gestion annuel outre-mer (SG).
« 2. Accompagnement des conditions de travail des personnels. Handicap : développer des partenariats avec les structures locales spécialisées dans le handicap ; mettre en place une communication large et ciblée auprès des agents présents. Médecine de prévention : programmer les déplacements de soutien technique du médecin coordonnateur et du médecin outre-mer aux Antilles et en Nouvelle Calédonie.
« 3. Développement de la professionnalisation des personnels et accompagnement social. Formation : mise en place et financement d’un plan de formation outre-mer ; formation Mentor pour les partants outre-mer. Restauration : développer et professionnaliser les conventions de restauration. Actions sociales : développer et diversifier auprès de bailleurs des dispositifs de logements. Service social du personnel : création d’un poste d’ASS en Nouvelle Calédonie
« 4. Renforcer l’attractivité dans les territoires difficiles. Mise en œuvre au sein du ministère des préconisations de la charte interministérielle de la mobilité outre-mer. Création d’une formation Mentor à destination de tous les partants outre-mer. Élaboration d’un plan Mayotte pour relancer l’attractivité du territoire après le cyclone Chido. Élaboration des mesures d’attractivités spécifiques pour la mise en service de la future cité du ministère de la justice à Saint-Laurent-du-Maroni
« 5. Plan pour la continuité et la reconstruction des services de la justice à Mayotte. Un directeur de projet a été nommé et une planification spécifique établie pour garantir la reprise d’activité.
« 6. Renforcer la fonction immobilière dans les outre-mer. Un préfigurateur de la fonction immobilière outre-mer recruté en septembre 2024 : propositions en 2025
« 7. Structurer l’accompagnement de la mise en service de la cité du ministère de la justice à Saint-Laurent du Maroni.
« 8. Accompagner le projet de cité administrative et judiciaire de Saint-Martin.
« 9. Plan d’action numérique. Passage à Windows 11. 1er audit 360 numérique territorial de la juridiction de Basse-Terre au troisième trimestre 2025. Renfort du soutien à distance
« 10. Améliorer la performance financière en outre-mer. Lancement d’un centre de gestion financière à La Réunion.
« 11. Déployer les filières « procédure pénale numérique » dans les territoires d’outre-mer.
« 12. Politique outre-mer de l’action extérieure du ministère de la justice. Créer des synergies entre les juridictions ultramarines et le réseau international du ministère de la justice.
« 13. Accès au droit et aide juridictionnelle outre-mer. Suivre les travaux du groupe de travail outre-mer initié par le CNAJ sur l’accès au droit. Travail sur l’évaluation de l’impact juridique et le coût des frais de déplacement supportés outre-mer ».
Source : secrétariat général du ministère de la justice.
● Au niveau local, l’action du délégué outre-mer du secrétariat général est mise en œuvre par trois coordonnateurs, situés respectivement en Guyane, en Guadeloupe pour la zone Antilles – Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin et Saint‑Barthélemy –, et enfin à La Réunion pour la zone océan Indien, ce dernier étant assisté par un adjoint. Aucun coordonnateur n’a en revanche été nommé à ce stade pour la zone Pacifique. Interrogé à ce sujet, le secrétaire général adjoint a indiqué à ce titre que « la question du recrutement d’un coordonnateur reste ouverte, même si les acteurs locaux des trois réseaux ne nous ont pas fait remonter cette demande » ([595]).
Lors de son déplacement, la délégation de la commission d’enquête a pu rencontrer les deux coordonnatrices du secrétariat général en charge respectivement de la Guyane et de la zone Antilles. L’apport de ces dernières est indéniable : la coordonnatrice en Guyane est particulièrement investie sur l’accompagnement de la mise en service de la cité judicaire de Saint-Laurent-du-Maroni, tandis que celle en charge des Antilles a activement contribué au lancement du premier « audit territorial numérique 360° », qui a pour objectif de remédier à l’ensemble des dysfonctionnements numériques au sein des juridictions de Basse-Terre.
Les chefs de cour de Basse-Terre relèvent à titre d’exemple que « l’arrivée de la déléguée chargée de l’outre-mer a permis de renforcer la coordination et de fluidifier plusieurs aspects du fonctionnement local, tant sur le plan administratif que technique. Son action avec le service administratif régional, en lien avec le directeur délégué à l’administration régional judiciaire a permis : sur le volet des ressources humaines, [de faciliter] les échanges et les démarches relatives à la médecine de prévention, à l’action sociale, à la formation, ainsi qu’à la prise en compte du handicap (…) ; en matière informatique, le lien avec le [département de l’informatique et des télécommunications de l’outre-mer] a été consolidé, permettant une meilleure réactivité dans le traitement des incidents, la gestion des équipements et l’accompagnement des agents dans l’usage des outils numériques ; sur le plan immobilier, la coordination avec la cité administrative et judiciaire [de Saint-Martin] a été renforcée, notamment pour le suivi des projets d’aménagement (…) et les échanges avec les différents services » ([596]).
Dans la même perspective, les chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion ont indiqué que « le coordonnateur du secrétariat général outre-mer a été très facilitateur sur certains projets menés au tribunal judiciaire de Saint-Denis, notamment l’acquisition de 200 m2 de locaux sur le site de la DRFIP [direction régionale des finances publiques], jouxtant le site judiciaire. Il constitue un relais de proximité que nous jugeons efficace et performant » ([597]), tandis que ceux de Mayotte font part d’un « bilan très favorable » ([598]) de l’action de ce dernier.
Cependant, les conditions d’exercice des deux coordonnatrices rencontrées par la délégation de la commission d’enquête sont particulièrement difficiles : isolées en raison de la nouveauté et de la spécificité même de leur poste, dénuées de bureaux permanents, elles manquent de moyens humains et matériels pour assurer pleinement leur mission, notamment lorsque leur compétence s’étend à plusieurs territoires comme c’est le cas pour la coordonnatrice en charge de la zone Antilles. Située en Guadeloupe, cette dernière a par exemple peu de contacts avec les acteurs du ressort de Fort-de-France, comme l’ont expliqué les chefs de cour : « Concernant, la création récente du poste de délégué chargé de l’outre-mer auprès du secrétariat général du ministère de la justice, nous mesurons très peu d’apports à ce stade » ([599]).
Un tel constat milite pour implanter a minima un coordonnateur dans chaque territoire ultramarin, afin de renforcer l’efficacité de leur action au niveau local.
b. La création d’un référent outre-mer au sein de la direction des services judiciaires
● Parallèlement à cette évolution du secrétariat général, la direction des services judiciaires a quant à elle désigné un référent outre-mer en son sein depuis juin 2025, qui est actuellement la cheffe du pôle de l’évaluation et de la prospective.
Ce référent a notamment pour vocation de mieux coordonner l’action des sous-directions de la DSJ et d’assurer une meilleure remontée des problématiques identifiées par les juridictions ultramarines, ainsi que l’a expliqué son directeur : « La désignation d’un référent outre-mer de la direction (…) témoigne de ce que nous nous efforçons de construire progressivement. Au sein des sous-directions de la direction des services judiciaires, que j’ai rejointe en octobre 2024, des référents sont chargés du suivi des situations ultramarines par thématique. Il m’a néanmoins semblé important de nommer de surcroît un référent outre-mer. Celui-ci devra accroître l’efficacité et la transversalité au sein de la direction, mais aussi – c’est le plus important – nouer un lien plus étroit avec les juridictions, au plus près du terrain. Nous avons en effet besoin de remontées d’information sur les dysfonctionnements et les manques pour améliorer nos réponses » ([600]).
Le choix de rattacher la fonction de référent outre-mer au pôle de l’évaluation et de la prospective s’explique par la volonté de s’appuyer davantage sur l’expertise de ce service transversal qui est directement rattaché au directeur, ainsi que l’a mis en exergue la référente : « Cette mission nouvelle s’est greffée à ma mission initiale après que j’ai assuré le suivi du plan Mayotte, puis elle a été élargie dans un premier temps à la Guyane. L’objectif est de lui donner plus d’envergure et de l’élargir à la totalité des outre-mer d’ici la fin de l’année 2025, en profitant de l’expertise du pôle de l’évaluation et de la prospective, que je dirige. Celui-ci présente en effet l’avantage d’être à proximité immédiate du directeur, d’agir de manière transversale et de mener des évaluations pluridisciplinaires des besoins à la hauteur des territoires (…). Cette restructuration s’inscrit dans le prolongement de deux plans ministériels d’envergure, relatifs l’un à la reconstruction des services judiciaires à Mayotte et l’autre à la chaîne de soutien à l’installation de la cité judiciaire de Saint-Laurent-du-Maroni » ([601]).
c. L’institution de la journée « Justice outre-mer »
Enfin, une autre initiative illustrant la volonté du ministère de la justice de structurer davantage son action en outre-mer est l’organisation en 2024 de la journée « Justice outre-mer », introduite par le garde des sceaux, qui a permis de réunir plus de 160 participants.
La journée « Justice outre‑mer »
« La Journée outre-mer de la justice 2024, ouvert par le ministre, a remporté un grand succès (161 participants dont des élus ultramarins, avocats et DGOM). Cet événement représente un moment unique de regroupement de tous les acteurs ministériels qui travaillent en faveur des outre-mer, en services centraux ou déconcentrés. À ce titre, il constitue un véritable forum d’échanges sur les enjeux spécifiques des territoires ultra- marins et permet une meilleure connaissance des réalités et des métiers des collègues sur les autres territoires ultramarins, ainsi que des dispositifs de l’administration centrale et des actions de la délégation outre-mer du secrétariat général. Par ailleurs, l’ouverture par le garde des sceaux présente un cadrage de la politique ministérielle outre-mer et communique autant de “livrables” qui constituent une véritable feuille de route de la transformation et de l’adaptation du ministère aux besoins exprimés par les agents exerçant en outre-mer. Enfin, il permet au ministère d’animer le champ interministériel, par la présence d’un autre ministre invité, en donnant une visibilité de nos actions et organisations outre-mer ».
Source : réponses écrites du secrétariat général du ministère de la justice.
Lors de son audition par la commission d’enquête, le garde des sceaux a confirmé qu’une nouvelle édition de la journée « Justice outre-mer » aurait lieu le 11 décembre 2025 ([602]).
Votre rapporteur se félicite que cet évènement, qui confère de la visibilité politique et médiatique aux enjeux de la justice ultramarine, soit pérennisé.
3. La nécessité de promouvoir une nouvelle dynamique organisationnelle pour faire de la justice ultramarine une priorité du ministère
● Si votre rapporteur salue les initiatives prises respectivement par le secrétariat général et la direction des services judiciaires pour davantage tenir compte des enjeux ultramarins dans leur organisation, force est de constater que ces efforts ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Le caractère limité de ces initiatives tient tout d’abord à la sphère de compétence étroite du secrétariat général, qui ne gère en effet que les fonctions supports des trois réseaux du ministère et n’a donc pas d’autorité hiérarchique sur ces derniers. En conséquence, la mise en œuvre opérationnelle du plan d’action outre-mer du secrétariat général relève en grande partie de domaines dans lesquels il n’a pas de compétence propre pour agir, tels que la gestion du personnel judiciaire qui est une mission de la direction des services judiciaires.
En outre, la faiblesse des effectifs créés dans le cadre de cette délégation outre-mer du secrétariat général – un délégué et quatre coordonnateurs dont un adjoint – est révélatrice du manque d’ambition du ministère de la justice. Malgré toute l’énergie que ceux-ci déploient au quotidien, leur isolement sur le terrain et leur absence de véritable intégration au sein des services judiciaires locaux marquent les limites de leur action.
Quant à la direction des services judiciaires, l’institution d’une référente outre-mer ne doit pas occulter le fait qu’il ne s’agit pas d’un poste à plein temps, puisque la dite référente est la cheffe du pôle de l’évaluation et de la prospective. Or, les enjeux ultramarins des services judiciaires méritent mieux que des personnes, aussi compétentes soient elles, qui ne peuvent les traiter que par intermittence.
● Dans ce contexte, votre rapporteur estime que les réorganisations évoquées ne sont pas suffisantes pour que l’administration centrale du ministère de la justice prenne correctement en compte les besoins des justiciables ultramarins.
Seule l’institution d’une véritable direction de l’outre-mer au sein du ministère de la justice serait susceptible de donner une telle impulsion. Cette direction transversale permettrait de coordonner l’action des directions de réseau en outre-mer. Les avantages liés à la création d’une telle direction seraient multiples : elle permettrait que chacune des directions métiers du ministère prenne en compte les enjeux ultramarins à leur juste mesure ; elle réduirait le fonctionnement en silos, qui perdure encore largement au sein du ministère de la justice, en dépit de l’action du secrétariat général ; elle serait également symboliquement un signal fort adressé à l’ensemble des agents, montrant que les enjeux des ultramarins sont au cœur de l’action du ministère de la justice ; enfin, elle permettrait au référent outre-mer du ministère d’être hiérarchiquement l’égal de ses principaux interlocuteurs, ce qui n’est pas dénué d’importance dans les rapports de force internes.
Au sein de cette direction, il serait utile d’avoir recours, dans la mesure du possible, à des personnes ayant vécu ou exercé au sein des territoires ultramarins. La présidente de l’Association des magistrats ultramarins a ainsi souligné le déficit d’ultramarins au sein des services de l’administration centrale du ministère de la justice qui ont vocation à traiter les enjeux en outre-mer : « J’ai vu que vous aviez reçu plusieurs personnalités de l’administration centrale : le référent outre-mer au secrétariat général du ministère de la justice ou encore la personne chargée de l’outre-mer au sein de la direction des services judiciaires. De telles fonctions ne sont jamais occupées par des ultramarins. Ceux qui les obtiennent ont bien sûr beaucoup de qualités, la question n’est pas là, mais ils n’ont ni appétence, ni connaissances particulières de ces territoires (…). Mon souhait est que le fonctionnaire chargé de l’outre-mer au sein du ministère de la justice soit un ultramarin. (…). Je ne dis pas que seuls des ultramarins doivent parler de l’outre-mer, mais qu’il faudrait une pincée de gens qui en sont originaires au sein du ministère » ([603]).
Quant à la juridiction administrative, le secrétariat général du Conseil d’État en charge de la gestion des tribunaux administratifs, ne compte aucun référent outre-mer. Si les enjeux humains et matériels ne sont pas évidemment de la même nature que pour l’ordre judiciaire, compte tenu de la faible taille des tribunaux administratifs ultramarins, il parait néanmoins souhaitable d’instituer en son sein un référent outre-mer. Cela permettrait aux magistrats et agents exerçant dans ces tribunaux de disposer d’un interlocuteur unique et bien identifié au sein du Conseil d’État.
Recommandation n° 7 pour une meilleure prise en compte de l’outre-mer dans l’organisation du ministère de la justice :
– Créer une direction de l’outre-mer au sein du ministère de la justice, qui serait compétente pour l’ensemble des enjeux relatifs à la justice ultramarine ;
– À organisation constante, localiser a minima un coordonnateur du secrétariat général du ministère de la justice dans chaque territoire ultramarin ;
– Recruter prioritairement des personnels ultramarins ou ayant eu une expérience en outre‑mer pour les postes en administration centrale qui ont vocation à gérer les enjeux de la justice ultramarine ;
– Pérenniser l’organisation annuelle de la journée « Justice outre-mer » ;
– Désigner un référent outre-mer au sein du secrétariat général du Conseil d’État.
II. Garantir l’égalité de tous nos concitoyens en matière d’accès au droit et à la justice
Assurer l’égalité de tous nos concitoyens en matière d’accès au droit et à la justice, c’est tout d’abord garantir un cadre procédural qui respecte les droits fondamentaux de chacun. Or, la mise en place d’un système judiciaire dérogatoire au sein de certains territoires ultramarins s’est faite au mépris des droits les plus élémentaires des justiciables ultramarins. Il est donc nécessaire d’y mettre fin.
Garantir l’égalité de tous nos concitoyens en matière d’accès au droit et à la justice, c’est également renforcer la présence de professionnels du droit dans les « déserts juridiques » que constituent certaines parties des territoires ultramarins, en mettant en place des dispositifs incitatifs et en réformant l’aide juridictionnelle.
Enfin, l’égal accès au droit et à la justice exige d’amplifier les dispositifs d’accès au droit et à la justice, pour tenir compte des besoins des justiciables ultramarins en la matière. Il s’agit de donner une nouvelle ambition à la politique d’accès au droit et de développer significativement la justice foraine dans les territoires les plus enclavés.
A. Corriger les anomalies de l’organisation judiciaire dérogatoire de certains territoires
Si l’adaptation des lois et règlements au contexte ultramarin est un principe constitutionnel à l’évidence bienvenu, il n’est pas acceptable, aux yeux de votre rapporteur, que certaines de ces adaptations puissent conduire à un nivellement par le bas des garanties offertes aux justiciables.
1. Garantir un service public de la justice conforme aux standards d’un État de droit
a. Assurer la continuité du service public de la justice dans les territoires comportant peu de magistrats
Les modalités de remplacement des magistrats – qu’ils soient absents pour congés, formation, maladie ou pour des raisons d’incompatibilité – dans les territoires où ils sont particulièrement peu nombreux, à savoir Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et Wallis‑et‑Futuna, soulèvent de véritables enjeux au regard du principe de continuité du service public.
Comme évoqué en première partie, le remplacement des magistrats de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon peut être assuré, en théorie, par un magistrat du ressort de la cour d’appel de Paris, qu’il s’agisse d’un magistrat du siège ou du parquet. En pratique, en revanche, ces remplacements ont rarement lieu en raison du manque de disponibilité de magistrats parisiens sur un temps nécessairement long – et pour un nombre réduit d’affaires – ou des difficultés inhérentes à l’organisation, dans les cas urgents, d’un tel déplacement.
S’agissant des magistrats du siège, votre rapporteur estime indispensable que la cour d’appel de Paris soit en mesure de répondre favorablement aux demandes émises par les chefs de cour de Saint-Pierre-et-Miquelon. S’agissant du magistrat du parquet, son remplacement s’avère indispensable pour assurer la continuité de l’action publique en matière pénale : votre rapporteur recommande dès lors le renforcement des effectifs du parquet à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, avec l’affectation supplémentaire d’un substitut du procureur.
Recommandation n° 8 pour prévenir, à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, le risque qui pèse sur la continuité du service public de la justice :
– Faire plus systématiquement droit aux demandes de remplacement des magistrats du siège de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– Renforcer les moyens du parquet de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon en y affectant un magistrat supplémentaire.
b. Aligner le fonctionnement des juridictions ultramarines sur le droit commun en matière de juge unique
Votre rapporteur a été particulièrement choqué d’apprendre qu’à Saint‑Pierre-et-Miquelon, il était possible d’être condamné à une peine pouvant aller jusqu’à 20 ans d’emprisonnement par un juge unique.
S’il est possible, ailleurs en France, d’être jugé par un juge unique en matière correctionnelle – notamment pour toute une série de délits punis d’une peine inférieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement –, celui-ci ne peut, en tout état de cause, prononcer de peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement ([604]). Des dérogations et des renvois à une formation collégiale sont par ailleurs prévus dans les cas où les enjeux sont élevés pour les prévenus, au regard de la complexité des faits ou de la peine encourue.
Votre rapporteur, s’il comprend les difficultés que pose la collégialité dans un ressort qui ne bénéficie que de trois juges du siège – dont l’un est juge d’instruction, et donc placé en situation d’incompatibilité –, il apparait indispensable de prévoir un renvoi à la collégialité lorsque le prévenu le demande, et qu’il encourt des peines supérieures à cinq ans d’emprisonnement, afin d’éviter toute rupture d’égalité avec les justiciables d’autres territoires.
c. Garantir le bon fonctionnement des formations échevinales de jugement
Outre-mer, le recours à des assesseurs civils, c’est-à-dire des juges non professionnels, permet de renforcer la légitimité de la décision rendue et doit, à ce titre, être étendu (cf. infra). Toutefois, certaines modifications apparaissent nécessaires pour éviter que l’avantage que présentent certaines formations de jugement en outre-mer ne conduise à amoindrir le droit des justiciables à un procès équitable.
● En premier lieu, si la présence d’assesseurs civils rend possible une forme de collégialité sur des territoires dont les effectifs de magistrats sont faibles, elle met aussi parfois en minorité le magistrat professionnel, ce qui apparaît contraire à la Constitution, comme cela a été indiqué dans la première partie du présent rapport, s’agissant notamment de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Si le Conseil constitutionnel a admis, dès 1992, la possibilité pour le législateur de permettre à des juges non professionnels d’exercer des fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire ([605]), il a, en 2016 ([606]), jugé contraire à la Constitution les dispositions relatives à l’organisation judiciaire à Wallis‑et‑Futuna qui prévoyaient que la formation collégiale du tribunal correctionnel soit composée en minorité de juges professionnels – en l’espèce, un magistrat était accompagné de deux assesseurs civils. Il estime ainsi qu’une formation collégiale non spécialisée – ce qui exclut par exemple le tribunal pour enfants ou le tribunal de commerce –, susceptible de prononcer des peines privatives de liberté, doit être composée majoritairement de magistrats professionnels.
Si la formation du tribunal correctionnel de Mata-Utu a évolué pour faire appel à deux magistrats du siège supplémentaires, issus du ressort de la cour d’appel de Nouméa, les formations du tribunal supérieur d’appel et du tribunal criminel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ne satisfont pas cette exigence constitutionnelle. Votre rapporteur estime donc urgent de modifier le fonctionnement de ces formations de jugement, en s’inspirant de l’organisation mise en œuvre à Wallis‑et‑Futuna.
Les crimes et les délits les plus graves sont ainsi jugés, à Mata-Utu, par une formation collégiale réunissant trois magistrats professionnels, et deux assesseurs. Les magistrats professionnels issus du ressort de la cour d’appel de Nouméa interviennent la plupart du temps en visioconférences, s’agissant du tribunal correctionnel. La même configuration pourrait s’appliquer au tribunal supérieur d’appel statuant en matière correctionnelle de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, en demandant le concours de magistrats du siège issus du ressort d’autres cours d’appel. En revanche, pour la formation du tribunal criminel, le déplacement de ces magistrats à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon serait obligatoire.
● Une autre difficulté résulte du manque d’assesseurs qui, dans certains territoires, peut rapidement conduire au blocage de la formation du jugement qui prévoit leur participation. C’est notamment en Nouvelle-Calédonie s’agissant des assesseurs coutumiers, qui ne représentent pas, à l’heure actuelle, toutes les aires coutumières (cf. supra, première partie). Votre rapporteur estime nécessaire d’élargir la liste actuelle – notamment en assurant une meilleure représentation des femmes –, et de permettre aux juridictions de jugement de siéger en leur absence, si les parties le souhaitent, afin de ne pas repousser l’audience.
Enfin, bien qu’il ne s’agisse pas d’assesseurs citoyens mais des jurés populaires, le système dérogatoire mis en place à Mayotte présente des limites comparables. Les jurés qui siègent aux assises ne sont pas tirés au sort à partir des listes électorales mais parmi une liste restreinte établie par le préfet de Mayotte, sur proposition du procureur de la République. « Comme ils ne sont qu’une trentaine, nous peinons régulièrement à atteindre le quorum permettant de tenir ces assises, pourtant importantes à Mayotte compte tenu de la gravité des violences commises, souvent en bande » ([607]), explique le président de la chambre d’appel de Mamoudzou. Cette disposition dérogatoire du droit commun ne semble pas particulièrement justifiée. Il apparaît nécessaire d’élargir significativement et rapidement cette liste établie par le préfet.
Recommandation n° 9 sur l’amélioration du fonctionnement de certaines formations de jugement :
– Modifier la composition des formations collégiales du tribunal supérieur d’appel et du tribunal criminel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon afin de rendre les magistrats majoritaires par rapport aux assesseurs civils ;
– Permettre le renvoi à une formation collégiale en matière correctionnelle à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement ;
– Accroître la liste des assesseurs coutumiers en Nouvelle-Calédonie, en faisant notamment participer davantage de femmes, et permettre aux formations de jugement de siéger en cas d’absence d’assesseurs, si les parties le souhaitent ;
– Mettre fin au fonctionnement dérogatoire de sélection des jurés populaires à Mayotte ou, a minima, multiplier par trois le nombre de personnes figurant sur la liste des jurés.
2. Mettre un terme aux situations ineptes qui privent le justiciable de ses droits les plus élémentaires
a. Assurer à tous les justiciables le droit à un avocat dans les territoires dépourvus de barreau
Deux territoires ultramarins « échappent à la République des avocats », en ce qu’ils sont dépourvus de tout avocat sur leur territoire et sont par conséquent contraints de recourir au « système D » pour reprendre les expressions de Me Patrick Lingibé ([608]). Il s’agit de Wallis-et-Futuna et de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, où les justiciables sont défendus respectivement par des « agréés » et des « citoyens‑défenseurs » (cf. supra, première partie).
● S’agissant de Wallis-et-Futuna, les citoyens-défenseurs, ne sauraient offrir des services équivalents à ceux d’un avocat, ainsi que l’a rappelé Me Patrick Lingibé : « L’intervention des dénommés citoyens défenseurs posent plusieurs problèmes. Le premier tient à ce que ce dernier ne présente pas les garanties et la compétence offertes par un avocat et attachées à l’exercice effectif des droits fondamentaux de la Défense. Le deuxième est lié au fait que ces personnes peuvent rapidement être en conflits d’intérêts aboutissant à poser des problématiques d’impartialité, d’autant qu’ils peuvent provenir de l’administration étatique. On aboutit en réalité avec ces défenseurs citoyens, non formés et sans équivalent avec les valeurs et les compétences d’un avocat, à une forme d’endogamie judiciaire géographique extrêmement dangereuse pour la protection des libertés et des droits de la défense. En effet, la configuration de Wallis et Futuna ne peut justifier une telle discrimination et une telle violation gravissime des droits fondamentaux » ([609]).
Votre rapporteur estime intolérable que de simples citoyens, sans formation quelconque, continuent d’assister des justiciables dans des procédures civiles et pénales, le plus souvent en dehors de tout cadre légal et sans la moindre rémunération. Les Wallisiens et les Futuniens méritent d’avoir accès à un avocat, ce à quoi s’attache le rapporteur ci-après.
Néanmoins, dans l’urgence et compte tenu de l’isolement du territoire, le dispositif des citoyens-défenseurs pourrait être conservé pour les seules gardes à vue – ce que le droit prévoit aujourd’hui –, dans le cas où un avocat ne peut être physiquement présent. Ils pourraient alors faciliter l’intervention de l’avocat en visioconférence, et s’assurer, sur place, que les droits des gardés à vue sont bien respectés. Le maintien de cette particularité nécessite toutefois qu’une formation minimale leur soit délivrée urgemment par le Conseil national des barreaux.
● S’agissant des « agréés » de Saint-Pierre-et-Miquelon, le problème identifié réside plutôt dans leur nombre potentiellement insuffisant, notamment dans les affaires pénales, et leur faible degré d’organisation (cf. supra, première partie).
Comme l’a suggéré un avocat parisien, l’assistance d’un avocat par le biais de la visioconférence devrait pouvoir être élargie au-delà de ce que permet aujourd’hui le droit positif, afin de rendre effectif sur ce territoire le droit d’être défendu et le droit de choisir son avocat.
De fait, en matière pénale, l’article L. 706‑71 du code de procédure pénale limite les configurations dans lesquelles un avocat peut intervenir ([610]). La Cour de cassation a récemment jugé que « l’avocat ne peut être entendu par visioconférence que lorsqu’il assiste un client qui comparaît lui-même selon ce moyen de télécommunication et se tient à ses côtés dans l’établissement pénitentiaire » ([611]). Autrement dit, il ne peut intervenir depuis son cabinet si son client se trouve physiquement à côté du juge auprès duquel il comparait.
Permettre plus de souplesse dans le contexte de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, comme de Wallis-et-Futuna, semble dès lors se justifier. L’assistance de l’avocat, dans le cadre d’une garde à vue ou d’une audience pénale organisée en urgence, pourrait ainsi être réalisée par visioconférence, un tiers devant être présent pour vérifier que les droits de la défense sont bien garantis.
Au-delà, il importe d’amender le statut des agréés afin de permettre l’organisation de permanences, à l’instar des barreaux, de sorte que les personnes gardées à vue puissent bénéficier à tout moment d’un conseil.
● Tout en promouvant ces adaptations, au regard de l’urgence de la situation, votre rapporteur souscrit également aux réserves émises par le président du tribunal de première instance de Mata-Utu qui considère que la visioconférence « n’est pas forcément la panacée ». Il convient donc, en parallèle, de favoriser l’installation d’avocats sur ces territoires, au moins dans le cadre d’un cabinet secondaire (cf. infra).
Recommandation n° 10 sur le renforcement des droits de la défense dans les territoires dépourvus de barreau (Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon) :
– Limiter de façon effective l’intervention des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna aux gardes à vue ;
– Dans l’attente de l’installation d’avocats sur le territoire de Wallis-et-Futuna, former urgemment les citoyens-défenseurs ;
– Permettre l’intervention, dans les cas d’urgence, d’un avocat en visioconférence pour assister à distance les justiciables à Saint‑Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, en présence d’un tiers ;
– Amender le statut des agréés afin que des permanences soient assurées.
b. Élargir le droit à un interprète
● Le droit d’être entendu, c’est-à-dire le fait pour le justiciable d’expliquer sa cause au juge, est une des garanties d’un procès équitable. Dans ce contexte, pour les populations ultramarines maitrisant peu ou mal le français, être assisté par un interprète qui soit en capacité de restituer son propos dans toute sa nuance est déterminant.
Cela peut s’avérer décisif pour l’issue même du procès, comme l’a expliqué l’assesseure titulaire près le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna au détour d’une anecdote évocatrice : « Je prendrai un exemple parmi tant d’autres pour vous montrer l’importance de l’interprétation. Alors qu’un magistrat demandait à un jeune accusé incarcéré au Camp-Est en Nouvelle-Calédonie s’il avait gardé un lien avec sa famille, s’il lui écrivait, celui-ci a répondu qu’il ne le faisait pas, parce que la prison ne lui permettait pas d’écrire des courriers dans sa langue et qu’il parlait mal le français. L’interprète a traduit sa réponse en un simple “Non, monsieur le président”, qui a donné l’impression que le jeune homme préférait se marginaliser. Nous assesseurs, qui comprenons la langue, avons heureusement la possibilité de réajuster les choses en délibéré mais cela ne résout pas toutes les difficultés » ([612]).
● Or, il ressort des travaux de la commission d’enquête que de nombreux territoires ultramarins connaissent un déficit criant d’interprètes, qui est de nature à remettre en cause les intérêts des justiciables concernés, notamment dans les matières autres que pénales, où le droit à un interprète n’est pas garanti en l’état du droit positif (voir encadré ci-dessous).
Le droit à un interprète
Le droit à un interprète a vocation à s’appliquer à toute personne suspectée ou poursuivie ou faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, manifestant une incompréhension de la langue française, à raison de son extranéité ou de sa surdité.
L’article préliminaire du code de procédure pénale, issu de la loi n° 2013-711 du 5 août 2013, portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, dispose ainsi que : « Si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code ».
L’article 803-5 du code de procédure pénale précise que « s’il existe un doute sur la capacité de la personne suspectée ou poursuivie à comprendre la langue française, l’autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît vérifie que la personne parle et comprend cette langue. À titre exceptionnel, il peut être effectué une traduction orale ou un résumé oral des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées en application du présent code ».
Dans les territoires de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de la Nouvelle‑Calédonie, les articles 817 et 839 du code de procédure pénale prévoient un régime dérogatoire aux termes duquel un greffier peut être désigné comme interprète pour l’une des langues en usage dans le territoire, sans obligation de prêter serment.
La situation est particulièrement critique à Mayotte, comme l’a mis en exergue la Défenseure des droits : « À Mayotte, moins de 60 % de la population maîtrise le français. Pourtant, les moyens humains en matière d’interprétariat sont très insuffisants : lorsque nous avons rendu notre décision, seuls deux postes d’interprète étaient pourvus alors que 70 % des justiciables mahorais en auraient besoin. Dans un courrier adressé à nos services, la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou indique que ce nombre a, depuis, été porté à cinq, ce qui lui semble suffisant. Elle précise en outre qu’il est possible de faire appel à des interprètes non-salariés, notamment pour les langues plus rares (…). Toutefois, nous suivrons la situation de très près car le peu d’interprètes avait à l’époque de lourdes conséquences : certaines audiences d’assistance éducative se tenaient sans interprète ; des agents pénitentiaires ou de sécurité étaient parfois sollicités pour assurer l’interprétariat, notamment pour les audiences en prison devant le juge d’application des peines ; des juges des libertés et de la détention devaient recourir à une association qui intervenait uniquement à distance, avec un financement du ministère de l’intérieur, pour les personnes retenues en [centre de rétention administrative] » ([613]).
Au tribunal administratif de Mayotte, ce sont ainsi les personnels de greffe qui assurent le rôle d’interprètes, ainsi que l’a souligné le président du tribunal : « C’est une difficulté importante. La plupart des requérants étrangers et une partie de la population locale ne maîtrisent pas le français, ou pas bien. Nous avons la chance d’avoir des personnels de greffe bilingues français-shimaoré – une langue comprise largement par les Mahorais et une partie des étrangers, notamment ceux originaires des Comores –, qui assurent le rôle d’interprète pour les requérants, en particulier lorsqu’ils n’ont pas d’avocat. Il faut savoir que dans la plupart des contentieux, la présence d’un interprète n’est pas obligatoire. Cette situation n’est pas totalement satisfaisante, car elle repose sur la disponibilité et la bonne volonté des agents du tribunal, qui s’emploient à ce travail d’interprétation de façon bénévole pour permettre aux requérants de comprendre un minimum ce qui se passe » ([614]).
La situation est également critique en Guyane, notamment pour le contentieux des étrangers, où il n’est pas rare que le justiciable ne soit pas en mesure de se faire comprendre sans l’assistance informelle du greffier : « Au [tribunal administratif] de la Guyane, le multilinguisme constitue une réalité quotidienne en raison de la part importante du contentieux des étrangers. Il n’est pas rare que des requérants, non représentés, se présentent en audience sans être en mesure de formuler des observations à l’oral, ni de comprendre le déroulement de l’audience ou, plus largement, de la procédure. Dans ce contexte, le rôle du greffe est déterminant : lorsqu’ils maîtrisent des langues parlées localement – comme le créole ou le portugais – les agents assurent, dans la mesure du possible, des traductions informelles pour rendre effectif le droit d’être entendu et donner un véritable effet utile à la présence des requérants à l’audition » ([615]).
À Wallis-et-Futuna, un seul interprète est présent sur le territoire, de sorte qu’il traduit parfois les propos de la victime et de l’accusé, comme l’ont souligné les représentants de l’association des citoyens-défenseurs et d’une association d’aide aux victimes : « La langue fait barrière et la présence d’un interprète est primordiale. Or un seul interprète agréé exerce sur le territoire. C’est donc parfois la même personne qui traduit les propos de la victime et ceux du mis en cause, en gendarmerie, au tribunal et tout au long de l’affaire. Ce n’est pas suffisant (…). Oui, nous déplorons que la victime et l’agresseur partagent parfois le même interprète. En outre, l’interprète de Wallis ne saisit pas toujours les nuances culturelles, si bien que sa traduction est parfois incomplète ou imprécise. Ainsi, les justiciables qui ne maîtrisent pas le lexique de la procédure sont parfois très désavantagés » ([616]).
D’une façon générale, les juridictions ultramarines manquent de crédits pour recourir aux interprètes, comme l’a indiqué le président du tribunal administratif de La Réunion et de Mayotte : « Par ailleurs, il serait utile de disposer de davantage de crédits pour pouvoir recourir plus facilement à des interprètes lors des procédures de référé. Cela améliorerait l’accès au droit et la compréhension de la justice par les requérants » ([617]).
● Votre rapporteur estime absolument anormal que l’interprétariat soit souvent, dans les faits, réalisé par un gardien surveillant, un greffier ou un assesseur citoyen au cours d’une audience.
Votre rapporteur estime que les juridictions ultramarines ont tout intérêt à développer massivement le recours des interprètes salariés en leur sein. Cela assure aux justiciables l’assistance de professionnels aguerris, tout en permettant aux juridictions de réaliser d’importantes économies sur leurs frais de fonctionnement, comme l’ont souligné les chefs de cour de Martinique (cf. supra, première partie) ([618]).
Le ministère de la justice doit ainsi tirer les conséquences des spécificités des territoires ultramarins en matière linguistique et allouer aux juridictions d’outre‑mer les crédits nécessaires au recrutement de ces interprètes salariés.
Une réflexion doit également être engagée par chaque juridiction, en lien avec les interprètes locaux, pour s’assurer que les concepts juridiques utilisés sont bien compris, tels qu’ils sont traduits, par les justiciables non francophones, sur le modèle des pratiques de la Cour pénale internationale, ainsi que l’a souligné la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature : « Au-delà du coût de la présence d’interprètes, se pose la question de la traduction de nos concepts juridiques dans d’autres langues. Les collègues de Mayotte nous ont expliqué que, dans certains dialectes, ces notions n’étaient pas aisément traduisibles. Nous n’avons pas suivi l’exemple de la Cour pénale internationale, qui a pris le temps de définir les concepts avec ses interprètes et de s’assurer qu’ils étaient bien compris par les populations locales. Parfois, nous ne sommes pas sûrs du message transmis. C’est une carence importante, un impensé du système judiciaire » ([619]).
● Au-delà de la nécessité d’assurer un recours plus large aux interprètes lors des audiences, une adaptation majeure que doit opérer la justice ultramarine pour répondre aux besoins des justiciables consiste en une meilleure intégration du plurilinguisme que connaissent de nombreux territoires d’outre-mer dans son fonctionnement quotidien.
Il convient ainsi de favoriser, dans la mesure du possible, le recrutement de personnels judiciaires qui parlent les principales langues utilisées par la population locale, notamment ceux officiant à l’accueil des justiciables, comme l’admet la présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe : « Le multilinguisme est en effet une réalité dans les territoires ultramarins. S’agissant de l’accueil des justiciables, il nous semble indispensable que les agents des services d’accueil unique du justiciable (Sauj) des tribunaux judiciaires soient le plus possible “bilingues” » ([620]). À défaut, des formations dans lesdites langues pourraient être dispensées aux agents concernés.
En complément de ces mesures, certaines bonnes pratiques identifiées lors des travaux de la commission d’enquête pourraient être dupliquées à l’ensemble des juridictions ultramarines, afin d’assurer une meilleure compréhension de la justice par les justiciables non francophones.
À titre d’exemple, au tribunal administratif de La Réunion, il a été conçu une plaquette de présentation de la juridiction administrative en créole ([621]). Au tribunal administratif de Guyane, l’affichage au sein du tribunal est réalisé en plusieurs langues ([622]). À La Réunion, selon les indications de la procureure générale, « lorsque c’est possible, les décisions rendues aux personnes non francophones le sont oralement, en présence d’un interprète, afin qu’ils en aient immédiatement connaissance » ([623]). Votre rapporteur estime ainsi indispensable que les informations essentielles délivrées par les juridictions, notamment via leurs sites internet, sur l’introduction des recours et l’aide juridictionnelle notamment, soient traduites dans les principales langues vernaculaires utilisées dans les territoires ultramarins.
Enfin, les actes de significations délivrés par les commissaires de justice pourraient également faire l’objet d’adaptations, pour que les justiciables allophones comprennent davantage leur contenu, comme l’a relevé le représentant de la Chambre nationale des commissaires de justice : « La Chambre nationale a réfléchi à la création d’une signification personnalisée, projet sur lequel nous travaillons avec la direction des affaires civiles et du sceau de la Chancellerie. Autrement dit, nous étudions les moyens d’ajouter un QR code sur l’acte de signification, que le commissaire de justice remet à une personne, à son domicile. Cela permettrait, en quelque sorte, de vulgariser l’acte. Dans un premier temps, le commissaire de justice apportera des explications orales, puis la personne aura accès, au moyen de son smartphone, à un ensemble d’informations, y compris dans une autre langue que le français. C’est une mesure concrète qui a vocation à s’appliquer à l’échelon national et qui pourrait se révéler particulièrement utile pour certaines populations d’outre-mer, par exemple pour les personnes allophones, qui ont besoin d’accéder au droit » ([624]).
Recommandation n° 11 sur une meilleure prise en compte du multilinguisme par la justice ultramarine :
– Allouer aux juridictions ultramarines les crédits nécessaires au recrutement d’interprètes en nombre suffisant pour faire face aux besoins des justiciables non francophones ;
– Favoriser le recrutement de personnels judiciaires multilingues au sein des services d’accueil ;
– Prévoir des formations linguistiques pour les personnels judiciaires ;
– Établir des fascicules pour présenter les juridictions dans les différentes langues parlées par la population locale ;
– Promouvoir des actes de signification personnalisés, avec des explications en plusieurs langues via un QR code.
B. Assurer la présence de professionnels du droit dans les « déserts juridiques »
1. Un déficit de professionnels du droit dans de nombreux territoires ultramarins
Comme il a été souligné dans la première partie du présent rapport, les territoires ultramarins souffrent globalement d’un déficit significatif d’avocats.
a. Un déficit d’avocats de nature à remettre en cause les droits fondamentaux des justiciables ultramarins
● La densité d’avocats par habitant est en effet sensiblement inférieure dans les territoires ultramarins en comparaison de l’Hexagone, selon les chiffres rappelés par Me Yanick Louis-Hodebar, membre du CNB : « rapporté à la population, le nombre d’avocats est moins élevé en outre-mer – le taux varie entre 1 avocat pour 10 000 habitants à Mayotte et 8,6 en Guadeloupe, contre 11 avocats pour 10 000 habitants dans l’Hexagone » ([625]). Ce déficit est particulièrement criant dans certains territoires, qui ont pourtant d’immenses besoins en matière d’accès au droit et à la justice. Mayotte et la Guyane comptent ainsi respectivement 1 et 2,8 avocats pour 10 000 habitants, quand Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ne disposent même pas de barreaux.
nombre d’avocats par barreau ultramarin
|
Barreau |
Effectif au |
Croissance sur 10 ans |
Nombre d’avocats pour 10 000 habitants |
|
Guadeloupe |
326 |
+ 22 % |
8,4 |
|
Guyane |
80 |
+ 16 % |
2,8 |
|
Nouméa (Nouvelle‑Calédonie) |
125 |
+ 39 % |
4,8 |
|
Martinique |
205 |
+ 21 % |
5,7 |
|
Mayotte |
30 |
+ 4 % |
1 |
|
Papeete (Polynésie) |
121 |
+ 28 % |
4,1 |
|
Saint-Denis (La Réunion) |
259 |
+ 58 % |
3,5 |
|
Saint-Pierre (La Réunion) |
120 |
+ 57 % |
Source : observatoire national de la profession d’avocat du CNB, Chiffres clés des barreaux d’outre-mer, 24 juin 2025
La Défenseure des droits a par exemple rappelé les conséquences particulièrement préjudiciables de la pénurie d’avocats sur la situation des justiciables mahorais : « L’aide juridictionnelle d’abord, à laquelle 70 % de la population est éligible, connaît un allongement des délais de désignation des avocats, qui sont de quatre à six mois (…). Les commissions d’office reposent, elles, sur une quinzaine d’avocats seulement, avec une permanence hebdomadaire assurée par quatre d’entre eux – un dispositif insuffisant compte tenu des besoins, eux-mêmes accentués par les contraintes de transport et de sécurité sur l’unique axe routier de l’île. Il arrive ainsi que des personnes gardées à vue ou déférées ne soient pas assistées dans des délais raisonnables, voire pas assistées du tout. Enfin, plusieurs contentieux essentiels sont peu, voire pas du tout assurés, par exemple en droit des étrangers, de la nationalité ou de la protection sociale, ou encore en matière prud’homale » ([626]).
Une telle violation du droit fondamental d’être assisté par un avocat a été confirmé par la secrétaire nationale de l’USM : « Dans certains barreaux, il n’y a pas non plus suffisamment d’avocats. C’est le cas notamment à Mamoudzou, où ils ne sont qu’une vingtaine. Compte tenu de l’ampleur du contentieux des mineurs et des étrangers, les personnes déférées ont de très grandes difficultés à obtenir la présence d’un avocat – pourtant obligatoire – à leurs côtés » ([627]).
La Guyane est également confrontée à la présence de « déserts juridiques » sur une grande partie de son territoire, puisque les 84 avocats guyanais sont concentrés à Cayenne. Là encore, compte tenu de l’éloignement géographique, les personnes gardées à vue dans les communes enclavées de l’intérieur guyanais ne bénéficient pas systématiquement de la présence d’un avocat, en violation des articles 6§3 de la convention européenne des droits de l’homme ([628]) et 63- 3-1 du code de procédure pénale ([629]). Cette situation dramatique touche même des mineurs, ainsi que l’a mis en exergue le syndicat FO justice : « On constate sur ce territoire guyanais que nombre de mineurs ne sont pas assistés d’avocats lors de leur garde à vue faute d’auxiliaires disponibles » ([630]).
● Enfin, il convient de relever que même dans les territoires d’outre-mer bien dotés en avocats, il reste très difficile pour les justiciables ultramarins de trouver des avocats spécialisés, notamment en droit public, comme l’a relevé le président du Syndicat de la juridiction administrative (SJA) : « L’effet volume tient aussi au fait qu’il y a beaucoup moins d’avocats publicistes que privatistes. Plus le barreau est petit, moins vous avez de chances de trouver un publiciste. C’est très vrai en outre-mer, où il est difficile de trouver des avocats non seulement publicistes, mais aussi spécialisés en droit fiscal ou en droit de l’urbanisme » ([631]).
b. Un déficit des autres professionnels du droit, qui obère l’accès au droit des justiciables ultramarins
Au-delà des avocats, l’insuffisante présence d’autres professionnels du droit, tels que les notaires et les commissaires de justice, est également de nature à restreindre l’accès au droit des ultramarins.
● Les commissaires de justice ont un rôle central dans le processus judiciaire, comme l’a rappelé le bâtonnier de Papeete : « Nous ne pouvons pas faire un procès sans huissier. Ce dernier est en effet le bras armé de la justice. Il délivre les convocations – les assignations – pour informer la partie adverse de l’existence du procès. Il remet également la signification, qui permet de porter le jugement à la connaissance de la personne qui a perdu et comporte (…) la mention du délai à partir duquel l’appel est possible. Enfin, il est susceptible de faire des saisies afin de récupérer les sommes dues à l’issue du procès » ([632]).
Or, certains territoires ultramarins sont particulièrement touchés par un déficit de commissaires de justice implantés dans leur ressort. Mayotte et la Guyane comptent respectivement 0,3 et 2,4 commissaires de justice pour 100 000 habitants, et Saint-Pierre-et-Miquelon ne dispose que d’une seule huissière, contre une moyenne de 5 professionnels pour 100 000 habitants au niveau national ([633]).
Cette pénurie crée une surcharge de travail pour les commissaires de justice locaux, qui peinent à répondre aux sollicitations des justiciables, comme l’a mis en exergue la directrice des affaires juridiques du conseil départemental de Mayotte : « À ma connaissance, le territoire ne compte qu’un seul huissier de justice. Lorsqu’on le sollicite, il a le plus grand mal à répondre car il est surchargé, pour ne pas dire submergé » ([634]).
Les chefs de cour de Cayenne ont pour leur part constaté que les commissaires de justice guyanais « ne se rendent pas dans les communes éloignées. Il faut dans ce cas recourir à la gendarmerie nationale qui considère cela comme une charge indue » ([635]), tandis que leurs homologues de Basse-Terre ont relevé quant à eux que « les commissaires de justice sont faiblement impliqués dans ces actes relevant de leur ministère » ([636]).
La plupart des acteurs de l’accès au justice rencontrés lors du déplacement de la délégation de la commission d’enquête en Guyane et aux Antilles ont en outre déploré la faible implication des commissaires de justice dans les permanences d’accès au droit. Aucune permanence n’a par exemple été assurée par un commissaire de justice en Martinique et en Guadeloupe en 2024. Le CDAD de Guadeloupe relève à cet égard que « les commissaires de justice ne répondent pas aux sollicitations » et « la chambre des commissaires de justice peine à honorer ses engagements, en raison d’un effectif restreint – une trentaine de professionnels seulement sur l’ensemble du territoire – ce qui limite fortement leur disponibilité lors des manifestations organisées » ([637]).
Bien plus, d’autres territoires sont totalement dépourvus de commissaires de justice. À Wallis-et-Futuna, ce sont ainsi les gendarmes qui remplissent l’office des commissaires de justice. Or, une telle situation peut avoir des conséquences particulièrement dommageables pour la bonne exécution des décisions de justice, comme l’a déploré le président du tribunal de première instance de Mata-Utu : « À Wallis-et-Futuna, qui ne compte aucun commissaire de justice, les fonctions normalement dévolues à celui-ci sont assurées par des autorités administratives ou militaires – en l’occurrence, par les gendarmes. Or l’exécution forcée n’est pas leur cœur de métier. En outre, le métier de commissaire de justice demande des compétences en matière de rédaction d’actes, de respect des délais et de choix des procédures d’exécution. Un justiciable en métropole aurait recours à un avocat pour le conseiller sur la procédure, pour obtenir un jugement et pour choisir le cas échéant les mesures d’exécution forcée. Les gendarmes ne peuvent pas conseiller un justiciable pour faire exécuter une décision, même s’ils disposent d’un support grâce à des huissiers de Nouvelle-Calédonie. En pratique, il est très difficile pour les justiciables de Wallis de faire exécuter les décisions de justice » ([638]).
En Polynésie, des parties croissantes de l’archipel sont dépourvues de commissaires de justice, comme en a fait l’alerte le bâtonnier de Papeete : « Aux îles Sous-le-Vent – Raiatea, Taha’a, Bora-Bora, Huahine, Maupiti –, nous n’avons plus d’huissier. Il y en avait un à Raiatea (…) dont nous étions satisfaits. Nous disposons désormais d’un jeune homme (…) qui fait fonction d’huissier ; il n’a aucune formation ni compétence particulière et joue le rôle d’un facteur qui délivre des actes – et ceci n’a rien de péjoratif. De plus, il n’a pas la possibilité d’intervenir en dehors de Bora-Bora. Il y a également deux études d’huissier historiques (…) ces personnes vont cesser leur activité, en raison de leur âge. Elles ne trouvent aucun successeur. (…) Je ne sais pas comment la justice fonctionnera lorsqu’il n’y aura plus d’huissier à Papeete et seulement deux études à Tahiti » ([639]).
● S’agissant des notaires, le déficit de professionnels est également criant dans certains territoires, alors que les besoins des populations ultramarines sont immenses en ce domaine, compte tenu de la prégnance des enjeux fonciers et successoraux évoqués dans la première partie du présent rapport.
Selon les données fournies par les représentants du Conseil supérieur du notariat, on recense seulement 219 notaires dans les territoires d’outre-mer français. Cela représente seulement 1,27 % des effectifs de notaires au niveau national – 17 250 notaires sont répartis dans 7 333 offices, en hausse de 78 % depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques qui a libéralisé les conditions d’installation ([640]).
À titre d’exemple, la Guyane compte seulement cinq études dans lesquelles exercent onze notaires, ce qui correspond à 3,6 notaires pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale de 17 notaires pour 100 000 habitants. Au surplus, ces notaires sont tous concentrés sur l’île de Cayenne, rendant très difficile l’accès à la profession pour un habitant de l’intérieur guyanais.
Le déficit de notaires est tel en Polynésie que les gendarmes sont habilités, à titre dérogatoire, à effectuer un certain nombre d’actes notariés, comme l’a rappelé le haut-commissaire de la République : « L’aller vers justifie aussi que les brigades de gendarmerie aient la possibilité d’exercer des compétences exceptionnelles, en guise de compensation de l’absence de professionnels du droit. Ainsi, les gendarmes peuvent effectuer un nombre limité d’actes notariés dans les archipels, ce qui facilite les transmissions en cas de décès » ([641]).
Quant aux justiciables de Wallis-et-Futuna, l’absence d’étude notariale sur le territoire contraint ces derniers à se rendre à Nouméa pour recueillir leur consentement à l’adoption, ainsi que l’a souligné le président du tribunal de première instance de Mata-Utu : « Le territoire ne compte aucune étude notariale. Or, depuis 2010, ce ne sont plus les greffiers qui recueillent le consentement à l’adoption mais les notaires. Ainsi, en pratique, les justiciables de Wallis‑et‑Futuna qui souhaitent adopter ne le peuvent pas, car cela suppose de se rendre à Nouméa, située à 2 000 kilomètres, alors que le billet d’avion coûte au minimum 800 euros. Les coûts sont trop importants pour les justiciables de Wallis. J’ai contacté la direction des services judiciaires pour savoir s’il était possible de modifier le texte ou, au moins, de faire en sorte que les notaires de Nouméa recueillent le consentement par visioconférence, mais, pour le moment, nous n’avons pas avancé sur ce point » ([642]).
De façon plus générale, le déficit de notaires dans les territoires d’outre-mer ne permet pas à ces derniers d’être pleinement impliqués dans les dispositifs d’accès au droit, tels que les points-justice. À titre d’exemple, aucun notaire martiniquais n’a participé à une permanence juridique en 2024, en dépit de la sensibilité des enjeux fonciers sur ce territoire.
2. L’urgence de réformes d’ampleur pour assurer la présence des professions juridiques sur l’ensemble des territoires
a. Inciter les professionnels du droit à s’installer dans les « déserts juridiques »
● Il ressort des auditions qu’aucun dispositif n’est actuellement mis en place pour aider les professionnels du droit à s’installer dans les territoires qui en manquent pourtant cruellement, comme l’a confirmé Me Laurent Payen, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers : « À ma connaissance, il n’y a jamais eu aucune aide à l’installation de confrères, aucun dispositif fiscal ou autre, à part des initiatives de la profession elle-même » ([643]).
Cette absence de toute aide à l’installation est de nature à décourager des avocats de bonne volonté, qui souhaiteraient exercer dans des territoires enclavés. À titre d’exemple, les représentants du barreau de Cayenne ont indiqué à votre rapporteur qu’un projet d’installation d’un avocat à Saint-Laurent-du-Maroni – commune qui ne compte aucun avocat en dépit de la présence d’un tribunal de proximité – n’avait pas pu voir le jour, faute d’avoir trouvé des locaux adaptés.
Alors que les pouvoirs publics ont mis en place divers dispositifs pour inciter les professionnels de santé à s’installer dans les « déserts médicaux », aucun mécanisme n’a été institué pour favoriser l’installation de professionnels du droit – avocats, notaires, commissaires de justice – dans les « déserts juridiques », qui sont pourtant nombreux dans les territoires ultramarins.
Au regard des conséquences préjudiciables suscitées par ce déficit de professionnels du droit pour les justiciables ultramarins, votre rapporteur propose d’instaurer, le cas échéant à titre expérimental, un régime dédié aux « déserts juridiques » dans les territoires d’outre-mer.
En application de ce régime, le classement d’un territoire comme « désert juridique » permettrait aux professionnels du droit qui s’y installent pour une durée minimale de bénéficier d’aides à l’installation, sous la forme de subventions, d’exonérations fiscales ou encore d’aides matérielles – mise à disposition de locaux –, à définir selon les spécificités de chaque territoire. Ce régime pourrait être financé conjointement par l’État, la collectivité et l’organisme professionnel concernés.
Dans la même perspective, il pourrait être prévu de financer la totalité des frais engagés par des élèves avocats durant leur scolarité, en contrepartie d’un engagement à exercer pendant une durée donnée dans un « désert juridique » ultramarin.
● Les collectivités locales situées dans les déserts juridiques pourraient également être incitées financièrement à employer des avocats et autres professionnels du droit salariés susceptibles d’assister les justiciables.
Certaines collectivités emploient d’ores et déjà des avocats qui interviennent au titre de l’aide juridictionnelle. C’est notamment le cas de la Polynésie française, qui emploie trois avocats au sein de la direction des affaires foncières, de sorte que « la collectivité prend ainsi à sa charge une partie de l’aide juridictionnelle concernant les affaires de terre », qui sont particulièrement prégnantes sur le territoire ([644]).
Bien que ce modèle soit particulièrement vertueux, le bâtonnier du barreau de Papeete a souligné qu’il n’existait « pas d’autres collectivités de la République où un service public paie des avocats pour remplir une fonction juridictionnelle au bénéfice des justiciables qui relèvent de l’aide juridictionnelle » ([645]).
Pour le président du tribunal de première instance de Mata-Utu, un tel dispositif serait particulièrement utile sur un territoire tel que Wallis-et-Futuna : « Il serait techniquement assez simple de s’inspirer de cette solution, qui existe également au Canada. Cela permettrait d’attirer un professionnel du droit dans le territoire de façon pérenne. En effet, la profession d’avocat relevant du libéral, il serait difficile de trouver un avocat acceptant de créer un cabinet compte tenu des enjeux financiers que cela représente, particulièrement dans un territoire comptant 11 151 habitants en 2023 : le nombre d’affaires n’est pas suffisant pour financer un cabinet d’avocats. Cette solution serait une véritable porte d’entrée dans la juridiction pour les justiciables et leur permettrait de défendre leurs droits » ([646]).
Votre rapporteur partage cet avis et estime ainsi qu’une telle initiative pourrait utilement être élargie à d’autres territoires, qui connaissent des difficultés pour attirer des professionnels du droit ou d’autres, tels les géomètres, pourtant indispensables dans les contentieux fonciers.
● Il conviendrait également d’assouplir, dans ces « déserts juridiques », certaines contraintes réglementaires qui ont pour effet d’obérer l’accès au droit et à la justice des justiciables.
À titre d’exemple, seul le commissaire de justice est habilité à réaliser certains actes judiciaires. Or, il pourrait être expérimenté, dans les territoires qui connaissent un déficit de commissaires de justice, la possibilité que certains actes puissent être également effectués par des salariés, tels que les clercs des offices, comme le propose le bâtonnier de Papeete : « L’huissier de Tahiti doit délivrer personnellement un certain nombre d’actes ; les clercs et les employés n’en ont pas le droit. Sachant qu’il n’y a que vingt-quatre heures dans un jour et sept jours dans une semaine, l’huissier ne peut faire plus que ce qu’il fait. Or il est interdit de recruter des huissiers salariés ; le statut – local et national – de la profession l’interdit. Soyons pragmatiques : nous avons des dossiers tous les jours, et sans huissier, nous ne pouvons rien faire » ([647]).
Dans la même perspective, la régulation des conditions d’installation des professions réglementées dans les territoires ultramarins peut assurément être optimisée.
Il résulte ainsi des dispositions de l’article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 précitée et de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 ([648]), que la détermination des zones d’installation des commissaires de justice est soumise à un avis préalable de l’Autorité de la concurrence puis fixée par arrêté conjoint du ministre de la justice et du ministre de l’économie. Or, l’arrêté du 26 décembre 2023 ([649]), pris à la suite de l’avis du 7 juillet 2023 de l’Autorité de la concurrence ([650]), a classé en zone d’installation contrôlée l’ensemble des départements d’outre‑mer, à l’exception de La Réunion.
Aux yeux de votre rapporteur, il est incompréhensible que Mayotte, qui ne comprend qu’un seul commissaire de justice, soit maintenu en « zone d’installation contrôlée », alors que La Réunion, qui en compte 35, soit classée en « zone d’installation libre ». Ainsi que le souligne la Chambre nationale des commissaires de justice, « cette décision a pu surprendre alors que Mayotte, qui a contrario est largement sous-dotée en commissaires de justice, a été maintenue en zone d’installation régulée » ([651]).
Recommandation n° 12 sur les incitations à mettre en place pour favoriser l’installation de professionnels du droit dans les territoires ultramarins :
– Favoriser l’installation des professionnels du droit dans les « déserts juridiques » par des aides financières et matérielles, en contrepartie de leur engagement d’y exercer durant une durée minimale ;
– Instituer un système de bourse qui finance la formation d’élèves avocats, en contrepartie de l’engagement de ces derniers d’exercer dans ces « déserts juridiques » durant une durée minimale ;
– Inciter les collectivités à employer à titre salarié des professionnels du droit avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local (en matière foncière, par exemple) ;
– Libéraliser l’installation des professions réglementées – notaires et commissaires de justice – dans les « déserts juridiques » ultramarins ;
– Assouplir le monopole des professions réglementées dans les « déserts juridiques », afin de permettre à de simples salariés des offices de réaliser des actes qui relèvent de la compétence des notaires et des commissaires de justice.
b. Adapter l’aide juridictionnelle aux enjeux ultramarins
● L’aide juridictionnelle est un dispositif central pour renforcer l’accès à la justice des justiciables ultramarins, qui, compte tenu des conditions socio‑économiques que connaissent leurs territoires, ne disposent bien souvent pas des moyens suffisants pour financer les frais inhérents à une procédure judiciaire.
Le coût des procédures a en effet été mis en avant par l’ensemble des citoyens et représentants d’associations rencontrés lors des déplacements de la commission d’enquête comme un facteur majeur de non-recours à la justice.
L’aide juridictionnelle
L’aide juridictionnelle, instaurée par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, consiste en la prise en charge par l’État, totale ou partielle, des frais engendrés par une procédure en justice au bénéfice des personnes ne disposant pas de ressources suffisantes.
Cette aide permet de rétribuer un ou plusieurs auxiliaires de justice intervenant au cours de la procédure (avocat, notaire, commissaire de justice…). Elle est accordée à toute personne remplissant les conditions d’éligibilité fixées par décret. Ces critères sont modulés selon la composition du foyer fiscal et révisés chaque année en fonction de l’inflation. En 2025, une personne seule ne pouvait pas dépasser les plafonds suivants pour bénéficier de l’aide juridictionnelle : revenu fiscal de référence de 12 862 euros ; valeur du patrimoine mobilier de 12 862 euros ; valeur du patrimoine immobilier de 38 580 euros. Toutefois, l’aide juridictionnelle peut aussi être accordée sans condition de ressources dans certaines configurations, par exemple, si le demandeur est mineur.
Pour bénéficer d’une aide juridictionnelle, le justicible peut déposer physiquement une demande auprès de l’un des bureaux d’aide juridictionnelle (BAJ) implantés au sein des tribunaux judiciaires ou faire une demande dématérialisée via le « système d’information sur l’aide juridictionnelle » (Siaj). Après examen, le BAJ prononce l’admission ou le rejet, cette décision pouvant faire l’objet d’un recours.
L’aide juridictionnelle peut être accordée, en matière contentieuse ou gracieuse, devant toute juridiction. Au civil, elle peut être accordée aussi bien aux demandeurs qu’aux défendeurs, et au pénal, aux mis en cause et aux victimes ainsi qu’à leurs ayant-droits. Au civil, elle est accordée pour toute la durée de l’affaire alors qu’au pénal, une aide juridictionnelle ne couvre qu’une étape de la procédure, plusieurs demandes successives devant être réalisées au cours d’une même affaire (instruction, jugement…).
Source : service statistique ministériel de la justice, Infostat Justice, n° 187, août 2022.
● Les crédits versés au titre l’aide juridictionnelle dans les territoires ultramarins ont augmenté de 224 % en une décennie. Pour certains territoires, tels que Mayotte ou la Nouvelle-Calédonie, ces crédits ont plus que décuplé sur la période. En Guyane, les crédits ont augmenté de 320 % sur cette période.
Cette dynamique est plus forte que l’évolution des crédits au niveau national, puisque les crédits de l’aide juridictionnelle sont passés de 360 millions d’euros à 661 millions d’euros de 2015 à 2025, soit une augmentation de 83,6 %.
MONTANT DES CRÉDITS CONSOMMÉS AU TITRE DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE DANS LES TERRITOIRES ULTRAMARINS
Source : réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur.
● Si votre rapporteur salue cette dynamique positive, il tient toutefois à rappeler que celle-ci doit être relativisée.
En effet, selon les données transmises à votre rapporteur, les Ultramarins représentent 4,22 % des admissions à l’aide juridictionnelle en 2024, soit une proportion proche de ce que représente la population ultramarine au sein de la population française. Or, ce taux devrait être bien plus élevé, compte tenu du fait que la population éligible à l’aide juridictionnelle est proportionnellement plus importante dans les territoires ultramarins – plus de 70 % des Mahorais et 60 % des Guyanais à titre d’exemple –, qu’en Hexagone.
ADMISSIONS À L’AIDE JURIDICTIONNELLE (AJ) EN 2024
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Nombre d’habitants |
Nombre de demandes d’AJ 2024 |
Nombre de décisions d’AJ 2024 |
Nombre d’admissions 2024 |
Taux d’admission 2024 |
|
Guadeloupe |
388 197 |
5 263 |
5 306 |
4 507 |
85 % |
|
Guyane |
290 476 |
3 082 |
3 453 |
2 659 |
77 % |
|
Martinique |
364 991 |
3 836 |
4 578 |
3 426 |
75 % |
|
Nouvelle-Calédonie |
320 019 |
5 213 |
6 102 |
6 039 |
99 % |
|
Polynésie-Française |
278 786 |
4 135 |
3 487 |
3 212 |
92 % |
|
La Réunion |
891 190 |
13 070 |
11 769 |
10 831 |
92 % |
|
Mayotte |
256 518 |
826 |
737 |
477 |
65 % |
|
Total outre-mer |
2 790 177 |
35 425 |
35 432 |
31 151 |
88 % |
|
Total National |
68 960 945 |
876 406 |
894 768 |
738 806 |
83 % |
|
|
|
|
|
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Outre-mer/National |
4,05 % |
4,04 % |
3,96 % |
4,22 % |
|
Source : Insee ; Sadjav.
Une étude du ministère de la justice d’août 2022 a confirmé ce constat, en mettant en exergue que le taux de recours à l’aide juridictionnelle ([652]) est anormalement bas, au regard des conditions socio-économiques de ces territoires : « Hors cours d’appel d’outre-mer, le recours à l’aide juridictionnelle est assez fortement corrélé avec le taux de pauvreté (…). Les Drom font figure d’exception avec un taux de pauvreté 2 à 3 fois plus élevé qu’en métropole, sans présenter un taux de recours [à l’aide juridictionnelle] bien supérieur aux autres cours d’appel. Cela peut s’expliquer par un accès au droit plus compliqué dans les outre‑mer. Les DROM présentent un taux d’avocat par habitant bien plus faible qu’en métropole (…). La situation géographique limite en outre les déplacements entre barreaux des Ultramarins » ([653]).
Il résulte de ce qui précède qu’en dépit des efforts déployés par les acteurs de l’accès au droit, le dispositif de l’aide juridictionnelle est encore sous-utilisé par les populations ultramarines, en raison notamment d’un déficit d’information, comme l’a relevé le président du conseil département de Mayotte : « On note également une absence de conseil : les gens ne connaissent pas tous leurs droits, par exemple en matière d’aide juridictionnelle lorsqu’ils sont face à la justice – y compris pour des affaires de divorce ou autre » ([654]).
L’absence de prise en compte de certaines contraintes locales dans la délivrance des documents exigés pour bénéficier de l’aide juridictionnelle peut également défavoriser certaines populations ultramarines, ainsi que l’a rappelé la déléguée nationale de La Cimade pour la région de l’océan Indien: « Une entrave supplémentaire à l’accès à la justice a trait à l’aide juridictionnelle (AJ). Les conditions de son attribution ne sont pas dérogatoires à Mayotte : comme partout ailleurs, elle y est subordonnée au niveau de ressources, lequel doit être justifié, y compris par la production d’un document objectif attestant de l’absence de ressources, généralement un avis d’imposition sur le revenu. Mais, à Mayotte, la direction générale des finances publiques est réticente à remplir ses obligations en la matière et à doter d’un avis d’imposition les personnes qui en sollicitent un. Ainsi, certaines personnes qui pourraient en bénéficier n’en ont pas la possibilité pour la seule raison qu’une administration ne permet pas l’accès effectif au droit » ([655]).
Dans certains territoires, l’accès dématérialisé à l’aide juridictionnelle n’est même pas permis, les sites internet conçus par l’État ne prenant pas en compte les spécificités locales : « les logiciels conçus au niveau métropolitain, comme France Connect, ne sont pas facilement accessibles aux Polynésiens. Il serait appréciable qu’un résident de la Presqu’île, de Maiao ou d’une île isolée puisse envoyer son dossier d’aide juridictionnelle de manière dématérialisée (…). [France Connect] demande un certain nombre de documents qui n’existent pas ici. Tout doit être adapté à la Polynésie. Par exemple, nous ne devons pas fournir les mêmes pièces que les métropolitains pour obtenir l’aide juridictionnelle : notre système d’imposition étant différent, d’autres documents permettent de justifier nos revenus. Il faut donc rendre accessibles les plateformes nationales tout en veillant à leur adéquation aux spécificités locales » ([656]).
● Dans ce contexte, votre rapporteur milite pour que soit lancée dans les territoires ultramarins une grande campagne de communication sur l’aide juridictionnelle, afin que les populations les plus enclavées aient une meilleure connaissance de ce dispositif essentiel d’accès à la justice.
Il conviendrait également de demander aux préfets concernés de lever les difficultés qui peuvent émerger dans certains territoires du fait de l’absence de délivrance par l’administration fiscale des documents requis pour bénéficier de l’aide juridictionnelle. La conception des formulaires en ligne doit également être adaptée le plus rapidement possible aux systèmes juridiques des territoires.
Enfin, les pouvoirs publics doivent faire preuve de davantage de transparence sur l’accès des Ultramarins à l’aide juridictionnelle. Si votre rapporteur a pu obtenir communication des données relatives à l’évolution des crédits de l’aide juridictionnelle en outre-mer et au nombre de bénéficiaires ultramarins, celles-ci ne figurent pas malheureusement dans les documents budgétaires.
Afin d’améliorer l’information des parlementaires et des citoyens sur l’accès au droit des ultramarins, votre rapporteur est favorable à ce que les crédits d’aide juridictionnelle pour les territoires ultramarins soient détaillés au sein des documentaires budgétaires – projets annuels de performance (PAP) et rapports annuels de performance (RAP) – de la mission Justice, comme le propose l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas : « J’évoquerai le sujet de l’aide juridictionnelle. Personne n’est capable de savoir à quelle hauteur elle est sollicitée par les outre-mer. Si l’on identifiait une ligne spécifique réservée aux outre-mer dans ce budget, on aurait peut-être une idée de la difficulté de l’accès au droit. On peut quantifier le nombre de personnes qui sollicitent l’aide juridictionnelle dans les tribunaux hexagonaux, mais pas dans les outre-mer. Identifions cette ligne, pour gagner en lucidité quant aux besoins » ([657]).
Selon votre rapporteur, de nombreuses adaptations des modalités-mêmes de l’aide juridictionnelle doivent en outre être opérées, afin de davantage tenir compte des spécificités géographiques et socio-économiques des territoires ultramarins.
● Tout d’abord, l’insuffisance du montant de l’indemnisation des avocats au titre de l’aide juridictionnelle, qui est fixé par décret sur la base d’unités de valeur ([658]), est régulièrement dénoncée par les instances représentatives de la profession.
Si cette problématique concerne l’ensemble du territoire national, cet enjeu est encore plus prégnant en outre-mer, en raison de la part de la population éligible et du coût de la vie, bien plus élevés que dans l’Hexagone. Me Yanick Louis-Hodebar, membre du CNB, résume ainsi cette « double peine » que subissent les avocats ultramarins : « Les barreaux et les avocats d’outre-mer sont doublement défavorisés sur le plan de l’aide juridictionnelle (AJ). D’une part, la population éligible à l’AJ étant plus importante en outre-mer, nous avons plus de bénéficiaires de cette aide dans notre clientèle que nos confrères de l’Hexagone. D’autre part, l’indemnisation y est la même qu’à Paris, en dépit de la cherté du coût de la vie. Puisque, rapporté à la population, le nombre d’avocats est moins élevé en outre-mer (…). La profession d’avocat dans ces territoires paie donc un plus lourd tribut pour assurer la mission d’assistance juridique des plus démunis » ([659]).
Le bâtonnier du barreau de Papeete a également mis en exergue cette rupture d’égalité avec les avocats exerçant en Hexagone : « les unités de valeur de l’aide juridictionnelle sont les mêmes qu’en France métropolitaine, alors que la vie est 40 % plus chère en Polynésie. On est gentils d’accepter de travailler dans de telles conditions ! Proportionnellement, nous sommes beaucoup moins indemnisés que nos confrères métropolitains, dont les contraintes sont pourtant moindres : il y a là une rupture d’égalité » ([660]).
Dans ce contexte, il semblerait particulièrement opportun de majorer le montant de l’aide juridictionnelle pour les avocats ultramarins, afin de tenir compte du coût de la vie dans les territoires d’outre-mer et de l’importante proportion de cette aide dans leur revenu global.
Parallèlement, les plafonds d’accès à l’aide juridictionnelle pour les justiciables pourraient également être rehaussés pour les populations ultramarines. En effet, les critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle sont équivalents en Hexagone et en outre-mer, alors même que le coût de la vie est bien plus élevé dans les territoires ultramarins. Il en résulte qu’à niveau de vie équivalent, les Ultramarins ne bénéficieront donc pas nécessairement de l’aide juridictionnelle alors que ce sera le cas d’un justiciable hexagonal, ce qui constitue une discrimination inacceptable.
● S’agissant du périmètre de l’aide juridictionnelle, il convient de relever que certaines missions de l’avocat ne sont pas couvertes par ce dispositif, telles que l’assistance aux victimes lors du dépôt de plainte.
Or, si une telle exclusion est regrettable au niveau national, force est de constater qu’elle est particulièrement dommageable pour les justiciables ultramarins, comme l’a souligné Me Anne-Sophie Lépinard, présidente de la commission Accès au droit du Conseil national des barreaux (CNB) : « On voit bien l’impact qu’a cette situation sur les droits de la défense, sur la capacité à mobiliser ses droits et à les faire valoir dans une procédure ainsi que sur la possibilité d’obtenir gain de cause à terme puisque, dans une procédure pénale, la première audition est fondamentale » ([661]).
Cette exclusion de l’assistance au dépôt de plainte du champ de l’aide juridictionnelle a des effets d’autant plus délétères que les territoires d’outre-mer souffrent d’un phénomène de non-recours massif à la justice pénale, les justiciables hésitant trop souvent à porter plainte, comme l’a rappelé, s’agissant de la Guyane, la représentante de l’association Trop’Violans 973 ([662]).
Dans la même perspective, le secrétaire général adjoint de la préfecture de Mayotte a mis en exergue « un faible nombre de dépôts de plainte que l’on peut attribuer, d’une part, au poids communautaire, et, d’autre part, à la peur des représailles, sans compter le manque de réponse pénale s’agissant des mineurs » ([663]).
Par ailleurs, eu égard à l’importance des violences intrafamiliales avec lesquelles sont aux prises l’ensemble des territoires ultramarins, l’accès à un avocat dès le dépôt de plainte apparait essentiel.
Dans ce contexte, il serait particulièrement pertinent d’élargir le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux missions de conseil dans le cadre du dépôt de plainte, a minima s’agissant des violences sexuelles et intrafamiliales. L’assistance d’un avocat auprès des justiciables qui déposent une plainte permettra assurément de limiter ce phénomène de non-saisine de la justice pénale par les victimes d’infractions, notamment en matière de violences conjugales.
● Une autre exclusion de l’aide juridictionnelle, qui est particulièrement préjudiciable aux territoires ultramarins compte tenu de leurs contraintes géographiques, concerne les frais de déplacement des avocats.
En effet, l’absence d’indemnisation des frais de déplacement au titre de l’aide juridictionnelle constitue un frein majeur à l’accès à un avocat pour de nombreux justiciables ultramarins, comme l’a relevé la secrétaire générale du syndicat justice CGC : « Dans certains territoires, les avocats doivent parcourir de longues distances, parfois en avion ou en bateau, pour plaider un dossier. Ces frais ne font pas toujours l’objet d’une compensation, ce qui pénalise tant les justiciables que les professionnels du droit (…) De nombreux justiciables renoncent à une action en justice en raison du coût et de l’impossibilité d’avoir un avocat. Cette situation doit être combattue » ([664]). C’est notamment ce qui empêche les justiciables wallisiens et futuniens de recourir aux services d’un avocat nouméen.
L’absence de prise en charge des frais de déplacement au titre de l’aide juridictionnelle obère également l’accès des justiciables aux autres professionnels du droit, tels que les commissaires de justice, comme l’a indiqué le secrétaire du bureau national de la Chambre nationale des commissaires de justice : « Il faudrait travailler davantage avec l’administration pour couvrir les frais de déplacement dans les territoires plus éloignés où il existe des difficultés de transport (…). Je sais que, aux Antilles notamment, on prend souvent le bateau pour aller d’un territoire à un autre. Chez moi, à La Réunion, on est obligé de prendre l’hélicoptère pour aller à Mafate ; en cas d’audience spécifique, la prise en charge du déplacement est examinée au cas par cas. J’aimerais que l’on fasse évoluer l’aide juridictionnelle afin qu’elle englobe d’office la prise en charge des frais de transport. Cela changerait tout » ([665]).
En l’état du droit, seuls sont pris en charge les frais de déplacement des avocats se rendant à des audiences foraines ou aux audiences de sections détachées en Polynésie française ([666]) et en Nouvelle-Calédonie ([667]). Si un dispositif similaire existe pour Wallis‑et‑Futuna, il est de facto sans objet en l’absence de barreau.
● Il conviendrait, comme le réclame le CNB de longue date ([668]), d’élargir cette prise en charge des frais de déplacement à d’autres juridictions ultramarines qui sont particulièrement difficiles d’accès pour les avocats, tels que le tribunal de première instance et le tribunal supérieur d’appel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, le tribunal de première instance de Mata-Utu, le tribunal de proximité de Saint-Martin, ainsi que le tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni.
En parallèle, l’indemnisation des frais de déplacements des avocats devrait couvrir non seulement ceux effectués à l’occasion d’audiences des juridictions, mais aussi ceux réalisés dans le cadre de l’assistance du justiciable lors d’une garde à vue.
Outre les frais de déplacement, les frais d’hébergement et de restauration devraient également être couverts par l’aide juridictionnelle sur une base forfaitaire, lorsque le déplacement implique de rester sur place au-delà de la journée. Une telle disposition apparait notamment indispensable pour assurer le concours d’avocats issus du barreau de Nouméa, ou de Polynésie, aux justiciables de Wallis‑et-Futuna, mais aussi pour assurer la présence d’avocats auprès des justiciables de zones enclavées, comme Saint-Laurent-du-Maroni ou Koné.
● Deux autres dispositifs précieux pourraient utilement être étendus aux territoires ne disposant pas de barreau.
D’une part, Wallis-et-Futuna ne bénéficie en effet pas du dispositif d’aide juridictionnelle garantie, qui permet en effet de rétribuer les avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle dans certaines procédures sans examen préalable des conditions d’éligibilité de leur client. Un examen a posteriori doit permettre de recouvrer auprès des bénéficiaires non éligibles les sommes versées à leur avocat.
Selon les précisions apportées par Me Anne-Sophie Lépinard, ce dispositif est « un mécanisme qui dispense le justiciable de déposer une demande d’aide juridictionnelle et assure à l’avocat qu’il sera indemnisé pour sa mission, à charge pour lui de déposer son formulaire de commission d’office, qui équivaut alors à la demande d’aide juridictionnelle, et à charge pour l’État de recouvrer ultérieurement le montant de l’indemnisation versée à l’avocat si la personne concernée ne relève pas de l’aide juridictionnelle » ([669]).
L’extension de ce dispositif permettrait aux justiciables de Wallis-et-Futuna de bénéficier d’une aide juridictionnelle garantie lorsqu’ils se font assister par des avocats en provenance de Nouméa.
D’autre part, à l’instar de Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna n’est pas encore couvert par une convention locale d’aide juridictionnelle (Claj, cf. encadré infra), en l’absence de barreau, ainsi que l’a mis en exergue Me Anne‑Sophie Lépinard : « La dernière Claj conclue, grâce au décret du 28 décembre 2023 ([670]), a permis à la Nouvelle-Calédonie de rejoindre le dispositif auquel elle n’avait précédemment pas accès. En revanche, et malgré les demandes de la profession, le territoire de Wallis-et-Futuna a été laissé de côté. Le fait qu’il ne soit couvert par aucune Claj est un sujet de vive interrogation, a fortiori si l’on fait le parallèle avec la question des frais de déplacement que j’évoquais tout à l’heure. Il y a là des freins à la possibilité d’être effectivement assisté d’un avocat pour les personnes relevant du dispositif d’aide juridictionnelle ou d’aide à l’intervention de l’avocat » ([671]).
Il conviendrait en conséquence de remédier à cette anomalie, afin de renforcer la capacité des avocats exerçant en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie d’assister les justiciables de Wallis-et-Futuna. Une convention similaire pourrait être conclue avec les agréés de Saint-Pierre-et-Miquelon, éventuellement associée à un autre barreau.
Les conventions locales d’aide juridictionnelle
La convention locale d’aide juridictionnelle a pour objet de décrire les conditions dans lesquelles les permanences sont organisées par le barreau en vue de garantir l’assistance d’un avocat pour tout ou partie des procédures juridictionnelles et non juridictionnelles, en application de l’article 88 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ([672]) : « Une dotation complémentaire peut être allouée chaque année aux barreaux ayant conclu avec le tribunal judiciaire près lequel ils sont établis une convention locale relative à l’aide juridique permettant de garantir l’assistance d’un avocat dans les procédures juridictionnelles et non juridictionnelles et d’assurer la qualité de la défense des bénéficiaires de l’aide juridique. Cette convention vise à mettre en place des permanences, assorties d’engagements d’objectifs et de procédures d’évaluation ».
Ainsi que l’a souligné Me Anne-Sophie Lépinard, « Ces dispositifs permettent aux juridictions et aux barreaux de déterminer ensemble les modalités d’organisation de leurs permanences pour certaines missions, dans un objectif d’amélioration de la qualité de l’assistance aux personnes bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (…). Aujourd’hui, chacun des principaux territoires ultramarins a pu souscrire ce dispositif » ([673]) à l’exception de Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon, faute de barreau.
À titre d’exemple, la convention locale d’aide juridictionnelle conclue par le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre avec le barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint‑Barthélemy pour les années 2023 à 2025 couvre les procédures suivantes : garde à vue (4 avocats de permanence quotidienne) ; retenue et rétention administrative (12 avocats de permanence) ; médiation et composition pénale, mesures de réparation proposées à un mineur ; assistance éducative (2 avocats de permanence quotidienne y compris pour la garde à vue) ; baux d’habitation ; ordonnance de protection ; procédure judiciaire de mainlevée et de contrôle des mesures de soins psychiatriques ; procédures correctionnelles et défèrement devant le procureur de la République (106 avocats de permanence) ; procédures devant le juge des libertés et de la détention relatives à l’entrée et au séjour des étrangers. La convention prévoit notamment un droit de suite du même avocat au long d’une même procédure pour un même justiciable. Elle prévoit également un tutorat pour accompagner l’avocat intégrant la permanence par un avocat plus expérimenté et ce, pour au moins les trois premières missions d’assistance, ou à la demande de l’avocat en cas de difficulté.
Les huit barreaux ultramarins ont reçu du ministère de la justice au titre de ces conventions 622 768 euros en 2023 et 757 273 euros en 2024. La dotation complémentaire peut être utilisée pour verser un complément d’indemnisation aux avocats. Une partie de cette dotation peut être utilisée pour couvrir les frais liés aux contraintes géographiques de ces territoires, notamment les frais de déplacements. En outre, en raison du manque d’effectif et de la charge de travail du barreau de Mayotte, les permanences sont systématiquement majorées de 20 %, dans une logique d’incitation pour les avocats hexagonaux à s’installer à Mayotte.
Source : réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre et du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur.
Recommandation n° 13 sur l’adaptation de l’aide juridictionnelle dans les territoires ultramarins :
– Rehausser les plafonds d’accès pour les justiciables ultramarins et le montant des unités de valeur au bénéfice des professionnels ultramarins, pour tenir compte du coût de la vie dans les territoires d’outre-mer ;
– Inclure dans les missions couvertes par l’aide juridictionnelle les prestations d’assistance lors du dépôt d’une plainte, pour lutter contre le phénomène de non-recours à la justice pénale en outre-mer ;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration (sur une base forfaitaire pour ces deux derniers) des avocats ultramarins intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences se déroulant à Saint‑Laurent‑du-Maroni, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, dans la province Nord ou la province des Îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna ;
– Instaurer à Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon une aide juridictionnelle garantie, ainsi qu’une convention locale d’aide juridictionnelle ;
– Lancer une grande campagne de communication dans les territoires ultramarins sur le dispositif de l’aide juridictionnelle ;
– À Mayotte, lever les difficultés relatives à l’absence de délivrance par l’administration fiscale des documents requis pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ;
– Détailler les crédits relatifs à l’aide juridictionnelle prévus ou consommés dans les territoires ultramarins dans les documents budgétaires.
C. Amplifier les dispositifs d’accès au droit et à la justice pour tenir compte des besoins des justiciables ultramarins
1. L’urgence d’une nouvelle ambition pour la politique d’accès au droit en outre-mer
a. Une politique d’accès au droit qui manque singulièrement d’ambition
● L’accès au droit est traditionnellement le « parent pauvre » du ministère de la justice. Ce relatif désintérêt est par exemple illustré par la faiblesse des ressources humaines qui sont consacrées à cet enjeu au sein de l’administration centrale. Le bureau de l’accès au droit, qui dépend du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav), compte neuf agents, qui s’occupent non seulement des enjeux d’accès au droit mais aussi de la médiation ([674]).
Au niveau organisationnel, le rattachement du Sadjav au secrétariat général du ministère de la justice, dont la mission première est de gérer les fonctions support – immobilier, numérique, budget, etc. – témoigne également de cette absence de reconnaissance de l’enjeu de l’accès au droit au sein du ministère.
Au niveau budgétaire, si les moyens alloués à la politique d’accès au droit – détaillés au sein de l’action 2 « Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité » de la mission budgétaire 101 « Accès au droit et à la justice » – ont plus que doublé sur la dernière décennie, ils restent particulièrement modestes : 14,3 millions d’euros en 2026, dont 2,6 millions d’euros pour la part contributive du ministère de la justice au fonds national France services ([675]). Cela représente 0,11 % du budget total de la mission Justice prévu pour 2026, qui atteint un montant de 13 milliards d’euros ([676]).
ÉVOLUTION DES CRÉDITS ALLOUÉS À L’ACCÈS AU DROIT
(ACTION 2 DU PROGRAMMME 101 DE LA MISSION JUSTICE)
Source : Sadjav.
● Ce manque d’ambition au niveau national est d’autant plus dommageable pour les territoires ultramarins que ceux-ci ne font l’objet d’aucun traitement prioritaire par le ministère de la justice en matière d’accès au droit, malgré les immenses besoins des justiciables ultramarins dans ce domaine.
Cette absence de priorité pour les territoires ultramarins se reflète tout d’abord au niveau budgétaire. Certes, les crédits liés à l’accès au droit dans les territoires ultramarins ont augmenté de 255 % depuis 2015, ce qui est supérieur à l’évolution desdits crédits au niveau national – de + 180 % sur la même période.
Cependant, les territoires ultramarins ne représentent que 5,44 % des crédits du ministère de la justice pour l’accès au droit ([677]), même si cette proportion est en légère hausse sur la dernière décennie – 4,53 % des crédits de l’accès au droit en 2015 étaient alloués aux territoires ultramarins ([678]) –, ce qui, compte tenu des besoins de ces populations, apparait tout à fait insuffisant.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE L’ACCÈS AU DROIT CONSOMMÉS DANS LES TERRITOIRES ULTRAMARINS
(ACTION 2 DU PROGRAMMME 101 DE LA MISSION JUSTICE)
Source : Sadjav.
● La structuration du réseau des points-justice traduit également l’absence de traitement prioritaire des territoires d’outre-mer dans la politique d’accès au droit du ministère de la justice.
Certes, le maillage des CDAD et CAD s’est progressivement développé dans les outre-mer. Le CDAD de Guyane a été créé en 1996, ceux de Martinique et de La Réunion en 2001, celui de Guadeloupe en 2006, et enfin celui Mayotte en 2012. Quant aux CAD, les dates de leur création sont plus tardives : Saint-Martin et Saint-Barthélemy en 2017, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon en 2022 et la Nouvelle-Calédonie en 2023. Wallis-et-Futuna n’en dispose pas, faute de réseaux de professionnels du droit à animer sur le territoire.
Cependant, cette dynamique ne s’est pas traduite par un maillage de points‑justice particulièrement plus dense qu’en Hexagone. Selon les éléments transmis à votre rapporteur, il existe en 2025 sur l’ensemble du territoire national 3 029 points‑justice, dont 180 points-justice en outre-mer ([679]). Ainsi, les points‑justice ultramarins représentent seulement 6 % des structures au niveau national.
Au surplus, certaines structures sont absentes en outre-mer. À titre d’exemple, 150 maisons de la justice et du droit (MJD) sont réparties sur le territoire national ; il n’en existe qu’une seule active en outre-mer – la MJD des Abymes en Guadeloupe, celles de Fort-de-France et de Saint-Laurent-du-Maroni ayant cessé leur activité.
Ainsi que le résume la secrétaire générale adjointe de l’UNSa Services judiciaires, « l’accès au droit demeure insuffisamment développé dans les territoires ultramarins. Le nombre de maisons de justice et du droit y est bien plus limité qu’en métropole. Les points d’accès au droit ne disposent généralement pas de juriste, fonctionnant davantage comme des points d’accès administratifs » ([680]).
Quant au public reçu dans les permanences d’accès au droit des points- justice ultramarins, il représente, selon les données transmises par le Sadjav, 70 000 personnes en 2024, soit moins de 6 % de l’ensemble des personnes reçues dans les points-justice au niveau national, de 1 208 259 personnes ([681]).
● Votre rapporteur tient à le souligner : allouer environ 5 % des crédits de l’accès au droit et 6 % des structures y afférentes à des territoires dont les conditions géographiques, socio-économiques, culturelles constituent autant de freins à cet accès au droit, comme il a été détaillé dans la première partie du présent rapport, représente une injustice criante. C’est tout simplement nier les besoins des justiciables ultramarins et leurs spécificités par rapport à la population vivant en Hexagone. C’est occulter le fait que seuls 33 % des Ultramarins estiment qu’il est facile de faire valoir leurs droits, contre 67 % des Français au niveau national ([682]).
Un seul fait symbolise cette absence de prise en compte des besoins spécifiques des territoires ultramarins dans le maillage des points-justice. Au sein des documents budgétaires de la mission Justice, un indicateur renseigne sur la part de la population qui habite à moins de 30 minutes d’un point-justice par voie routière. Ce taux est de 97,8 % de la population ([683]).
Or, ce chiffrage ne prend pas en compte les populations d’outre-mer. Afficher le pourcentage de la population ultramarine qui habite à proximité d’un point-justice serait en effet reconnaître explicitement la discrimination que subissent ces derniers en matière d’accès au droit par rapport aux Hexagonaux.
À cet égard, votre rapporteur suggère de remédier à cette occultation, en publiant dans la documentation budgétaire une ligne spécifique sur la part de la population ultramarine qui réside à moins de 30 minutes d’un point-justice.
● Quant au déficit de financement des CDAD et CAD d’outre-mer, votre rapporteur a pu en constater les conséquences préjudiciables lors de son déplacement en Guyane et aux Antilles.
S’agissant des ressources humaines, la plupart des CDAD n’ont les moyens d’employer qu’un seul salarié, en la personne de leur coordinateur. Bien plus, le manque de moyens a entraîné en 2025 la suspension des dispositifs d’accès au droit les plus innovants dans les territoires ultramarins : les pirogues du droit en Guyane, le Justibus en Martinique ou encore les randonnées du droit à La Réunion (cf. première partie).
D’une façon générale, les projets en matière d’accès au droit dans les territoires ultramarins reposent avant tout sur des initiatives individuelles et non sur la déclinaison territoriale d’une véritable politique publique d’accès au droit, comme l’a souligné la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature : « Lorsque des initiatives adaptées sont lancées, elles sont souvent isolées, faute de communication et de coordination entre les acteurs locaux. Dès que leurs instigateurs s’en vont, elles disparaissent » ([684]).
À cet égard, le constat de la Défenseure des droits à Mayotte peut hélas s’appliquer à bien d’autres territoires ultramarins, malgré les efforts déployés par les personnels des CDAD : « Nous constatons d’abord le dysfonctionnement des structures d’aide à l’accès au droit telles que les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD) et les points justice, qui doivent accompagner les citoyens dans leurs démarches juridiques. Nos auditions montrent que leurs permanences sont insuffisantes, peu visibles, difficiles d’accès, et que le manque de personnel et de moyens limite leur fonctionnement. Ainsi, la plupart n’ouvrent qu’une demi-journée par semaine, voire une fois toutes les deux semaines, et certains ne reçoivent même que sur rendez-vous. La formation du personnel est parfois insuffisante, ce qui peut entraîner des conseils inadaptés ou erronés » ([685]).
b. Faire de l’outre-mer une priorité dans la politique d’accès au droit
Dans ce contexte, votre rapporteur milite pour un changement de paradigme de la politique d’accès au droit, tant au niveau national que pour les outre-mer.
● Au niveau national, une nouvelle ambition s’impose. Dans cette perspective, votre rapporteur salue l’annonce du garde des sceaux de créer au sein du ministère de la justice « une nouvelle direction des usagers et des victimes [qui] pilotera également la politique de l’amiable et de l’accès au droit » ([686]). Il convient de saisir l’occasion de cette réorganisation pour faire de l’accès au droit une véritable priorité du ministère.
Tout d’abord, il convient de revaloriser significativement le budget alloué à cette politique : consacrer à 0,1 % du budget de la justice à cette politique n’est assurément pas à la hauteur des enjeux.
Au-delà des moyens financiers, une importante campagne de communication pourrait également être lancée, afin de mieux faire connaître les dispositifs d’accès au droit à nos concitoyens. Il ressort en effet d’une récente étude du ministère de la justice que trois Français sur quatre ne savent pas ce qu’est un point-justice ([687]).
Il faut également revoir la structuration même des CDAD et CAD. Aujourd’hui, ceux-ci sont organisés sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), piloté par un conseil d’administration ayant à sa tête le président du tribunal judiciaire de la juridiction concernée et regroupant les différents partenaires locaux – collectivités, préfecture et représentants des professionnels du droit. Les financements des CDAD et CAD sont également censés provenir tant du ministère de la justice que des collectivités territoriales.
Il revient en conséquence au président du tribunal judiciaire de démarcher les différentes collectivités du territoire pour obtenir des financements au bénéfice du CDAD. Une telle situation est loin d’être optimale pour un président de tribunal judiciaire, notamment dans des territoires exigus dans l’hypothèse où les exécutifs locaux seraient attraits devant la justice. Au surplus, cette variété des financements s’avère parfois largement fictive. À titre d’exemple, le ministère de la justice finance à hauteur de 93 % le CDAD de Guadeloupe.
Il convient donc d’en tirer les conséquences, en prévoyant que le financement du CDAD repose exclusivement sur le ministère de la justice. Celui-ci doit assumer que la politique d’accès au droit est de sa compétence. Naturellement, cela n’empêchera nullement les collectivités locales concernées de soutenir le CDAD, comme c’est le cas actuellement, en lui mettant à disposition des locaux voire du personnel.
● S’agissant de l’accès au droit en outre-mer, il faut assumer le fait que ces territoires ultramarins, en raison des multiples défis auxquels ils font face, doivent bénéficier d’un traitement prioritaire : à difficultés exceptionnelles, moyens exceptionnels. Votre rapporteur propose à cet égard une mesure simple : le doublement des crédits de l’accès au droit en faveur des territoires ultramarins dès 2027.
Ce doublement des crédits alloués aux territoires d’outre-mer serait cohérent avec les inégalités de conditions socio-économiques que connaissent ces derniers par rapport à l’Hexagone, sans même évoquer les autres obstacles spécifiques que rencontrent les Ultramarins dans l’accès au droit, détaillés dans la première partie du présent rapport : éloignement géographique, multilinguisme, distance culturelle, pauvreté, illettrisme et illectronisme.
Le doublement des crédits d’accès au droit dans les territoires ultramarins aurait en outre un impact mineur sur le budget de la justice – une augmentation de 790 000 euros –, mais représenterait ainsi un apport opérationnel majeur sur ces territoires.
● Ces crédits supplémentaires permettraient de renforcer les moyens humains et matériels des CDAD et CAD pour relever les nombreux défis auxquels font face ces derniers en outre-mer :
– densifier le maillage des points-justice, notamment dans les territoires les plus enclavés (Ouest guyanais, îles de l’archipel guadeloupéen, archipels polynésiens, Futuna, etc.), afin de créer un point-justice à une demi-heure du lieu d’habitation de chaque citoyen ultramarin ;
– créer des maisons de la justice et du droit dans chaque territoire ultramarin doté d’un tribunal judiciaire de plein exercice ;
– renforcer la fréquence des permanences juridiques dispensées dans les points-justice ;
– payer les frais de déplacement des professionnels juridiques pour les inciter à tenir des permanences dans les territoires les plus enclavés ;
– renforcer le recours aux interprètes dans le cadre des permanences dans les territoires marqués par une forte population allophone ;
– relancer, sanctuariser et déployer plus largement les dispositifs les plus innovants « d’aller vers » susmentionnés – pirogues du droit, Justibus, randonnées du droit, etc. ;
– recruter des personnels juristes salariés aptes à conseiller directement les justiciables, pour ne plus dépendre exclusivement des permanences des professionnels du droit ;
– recruter des conseillers numériques pour lutter contre la fracture numérique qui obère l’accès au droit de nombreux justiciables ultramarins ;
– former les agents des maisons France Services au premier accueil à l’accès au droit ;
– mettre en place un dispositif numéro unique de l’accès au droit (NUAD) spécifique à chaque grande zone géographique des territoires ultramarins ([688]).
Enfin, si cela dépasse le seul ministère de la justice, il serait intéressant d’élargir à l’ensemble des territoires ultramarins l’initiative « zéro non-recours » actuellement mise en œuvre en Guadeloupe (cf. III de la première partie). En effet, les phénomènes de non-recours aux droits, notamment sociaux, frappent tous les territoires ultramarins. La lutte contre un tel phénomène doit donc constituer une priorité pour l’ensemble des acteurs concernés.
Recommandation n° 14 sur le renforcement de la politique de l’accès au droit :
– Créer un indicateur dans les documents budgétaires sur la part de la population ultramarine qui réside à moins de 30 minutes d’un point-justice ;
– Doubler les crédits d’accès au droit alloués aux territoires ultramarins, pour porter leur montant à 1,6 million d’euros pour :
a) densifier le maillage des points-justice, notamment dans les territoires les plus enclavés (Ouest guyanais, îles de l’archipel guadeloupéen…), afin de créer un point-justice à une demi-heure du lieu d’habitation de chaque citoyen ultramarin ;
b) créer des maisons de la justice et du droit, dans chaque territoire ultramarin doté d’un tribunal judiciaire de plein exercice ;
c) renforcer la fréquence des permanences juridiques dispensées dans les points-justice ;
d) défrayer les professionnels du droit de leurs frais de déplacement pour les inciter à tenir des permanences dans les territoires les plus enclavés ;
e) renforcer le recours aux interprètes dans les territoires marqués par une forte population allophone ;
f) relancer et déployer plus largement les dispositifs les plus innovants « d’aller vers » susmentionnés – pirogues du droit, Justibus, randonnées du droit… ;
g) recruter des personnels juristes salariés aptes à conseiller directement les justiciables, pour ne plus dépendre exclusivement des permanences des professionnels du droit ;
h) recruter des conseillers numériques pour lutter contre la fracture numérique qui obère l’accès au droit de nombreux justiciables ultramarins ;
i) former les agents des maisons France Services au premier accueil à l’accès au droit ;
j) mettre en place un dispositif de numéro unique de l’accès au droit (NUAD) spécifique à chaque grande zone géographique des territoires ultramarins.
k) lancer une grande campagne de communication sur les points-justice ;
– Élargir à l’ensemble des territoires ultramarins l’initiative « zéro non-recours » mise en œuvre en Guadeloupe.
2. Développer la justice foraine
● Le premier défi auquel la justice doit faire face au sein des territoires ultramarins est assurément celui de l’accès au juge, compte tenu de l’éloignement géographique de certains justiciables. Ainsi que le résume la secrétaire générale du syndicat justice CGC, « l’accès au juge s’avère beaucoup plus difficile qu’en Hexagone. La distance au tribunal et le coût des déplacements transforment l’accès à la justice en un véritable luxe. Certains justiciables doivent recourir à l’avion ou au bateau ou patienter plusieurs années avant qu’un juge itinérant ne se rende dans leur île » ([689]).
À titre d’exemple, le déplacement d’une victime à son procès peut se heurter à des contraintes majeures dans certains territoires, comme l’a rappelé la directrice de l’Association polyvalente d’actions socio-judiciaires (Apaj) en évoquant le cas des habitants d’îles en Polynésie : « La justice a compté pendant des années sur le dispositif d’évacuation sanitaire (Evasan) – autrement dit, sur la Caisse de prévoyance sociale de Polynésie française (CPS) qui les finançait – en prétextant des visites médicales pour faire venir les victimes des îles aux audiences à Papeete » ([690]).
Dans ce contexte, l’organisation d’audiences foraines, qui permettent à la justice « d’aller vers » le justiciable, est cruciale. Des initiatives récentes pour développer ces audiences foraines dans les territoires les plus enclavés doivent à ce titre être saluées. Ainsi, le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre a décidé d’instaurer des audiences foraines pénales et civiles à Marie-Galante, dont les habitants sont confrontés à une double insularité pour accéder à la justice, depuis la fermeture du tribunal d’instance le 1er janvier 2010.
● Cependant, force est de constater que la justice foraine en outre-mer reste à ce stade peu structurée et institutionnalisée dans les territoires ultramarins, à l’exception notable de la Polynésie. Leur fréquence est en effet souvent modeste et varie fortement en fonction, d’une part, de la politique promue par les chefs de cours et, d’autre part, des moyens alloués à la juridiction.
À titre d’exemple, le nombre d’audiences foraines organisées en Guyane était de quatre en 2022, cinq en 2023, dix en 2024 et quatre au premier semestre 2025. De la même façon, en Nouvelle-Calédonie, des audiences foraines qui existaient à Bélep, une île isolée située au nord de Grande‑Terre, ont été supprimées ([691]). À Mayotte, les audiences foraines ne peuvent plus se tenir à Sada, faute de bâtiment ([692]). De même, à La Réunion, la fermeture du tribunal de proximité de Saint‑Benoît ne permet plus d’organiser des audiences délocalisées dans ce tribunal ([693]).
Ainsi que l’a souligné la secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, « ces auditions foraines sont soumises à de lourdes contraintes budgétaires ainsi qu’à la bonne volonté des chefs de cours et demeurent ponctuelles » ([694]).
● Selon votre rapporteur, il convient de dépasser le stade des initiatives individuelles et locales pour instituer une véritable politique institutionnalisée pilotée par le ministère de la justice, ainsi que le met en exergue la secrétaire générale d’Unité magistrats (FO) : « Les actions intéressantes menées dans certains territoires, comme les audiences foraines, doivent dépasser le stade de l’initiative locale pour prendre une dimension plus générale » ([695]).
Les audiences foraines sont en effet un enjeu trop important pour être laissées à la seule initiative individuelle des chefs de juridiction. Il revient au ministère de la justice de prendre ses responsabilités pour instituer une véritable politique publique en faveur du développement des audiences foraines dans ces territoires, comme l’a souligné Me Louise Chauchat, avocate à Nouméa : « Ces audiences sont cependant toujours organisées en fonction des magistrats en place et, malheureusement, outre-mer, les initiatives s’éteignent souvent avec les personnes qui incarnaient une force de volonté et qui les mettaient en œuvre. C’est la justice, à l’échelle de l’institution, qui doit faire ce travail car, si important que cela soit, ce n’est pas à nous, avocats, ni au maillage associatif, ni même aux assistantes sociales (…) d’être le seul rempart » ([696]).
La promotion de la justice foraine dans nos territoires ultramarins nécessite enfin de prévoir une enveloppe des frais de fonctionnement des juridictions qui soit sanctuarisée pour la tenue de ces audiences.
Une circulaire ministérielle sur l’organisation d’audiences foraines en outre-mer permettrait au surplus de donner une véritable impulsion politique au développement de cette pratique.
● Pour être pleinement efficace, le développement des audiences pourrait s’accompagner d’assouplissements procéduraux, sur l’exemple du code de procédure civile polynésien.
Celui-ci permet aux justiciables de présenter au juge des requêtes verbales, transcrites par le greffier qui l’accompagne (cf. IV de la première partie). Un tel dispositif est particulièrement adapté aux populations de certains territoires ultramarins, qui sont caractérisées par une forte culture de l’oralité et une certaine défiance à l’égard de l’écrit ; il serait également utile à d’autres.
Dans la même perspective, la présidente du tribunal de première instance de Papeete a mis en exergue que « le juge forain qui se déplace dans les îles est doté de pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de rendre une justice adaptée ; il peut notamment s’autosaisir et mener des investigations » ([697]).
L’élargissement de ces dispositions aux autres territoires ultramarins serait ainsi, selon votre rapporteur, de nature à renforcer significativement l’accès à la justice de certaines populations.
Votre rapporteur estime ainsi qu’il serait utile de créer au sein du code de l’organisation judiciaire un véritable régime de l’audience foraine pour les territoires ultramarins, aux termes duquel les juges auraient des pouvoirs spécifiques et les justiciables des droits nouveaux, tels que celui de saisir le juge par requête orale.
Recommandation n° 15 sur le développement de la justice foraine dans les territoires ultramarins :
– Résoudre rapidement les difficultés de l’immobilier judiciaire existant à Sada (Mayotte), et à Saint-Benoît (La Réunion) pour permettre la conduite d’audiences foraines ;
– Prévoir au bénéfice des juridictions ultramarines une enveloppe financière sanctuarisée dédiée aux audiences foraines ;
– Publier une circulaire ministérielle pour promouvoir la justice foraine dans les territoires ultramarins ;
– Créer au sein du code de l’organisation judiciaire un régime juridique dédié aux audiences foraines, qui confère des pouvoirs spécifiques aux magistrats et des droits adaptés aux justiciables, notamment celui de faire des requêtes verbales.
III. Restaurer un lien de confiance abÎmé entre les ultramarins et la justice
La défiance envers l’institution judiciaire n’est certes pas spécifique aux outre-mer. Selon une récente étude du ministère de la justice, moins d’un Français sur deux déclare en effet avoir confiance dans la justice ([698]). Cette crise de confiance est cependant aggravée chez les justiciables ultramarins.
L’insuffisante acculturation des personnels judiciaires aux réalités ultramarines et le déficit de représentativité des membres de l’autorité judiciaire alimentent le sentiment, chez certains, d’une justice « coloniale ».
Dans ce contexte, votre rapporteur estime indispensable de mieux former les personnels judiciaires aux réalités ultramarines, de favoriser leur ancrage local, et de développer une justice plus ouverte sur la société et proche des attentes des justiciables.
A. Mieux former les personnels judiciaires aux réalités ultramarines
1. Pour les élèves-magistrats et greffiers, mieux faire connaitre l’outre-mer
● Chaque année, de nombreux auditeurs de justice issus de l’ENM rejoignent les juridictions ultramarines : 20 en 2020, 12 en 2021, 13 en 2022 et enfin 19 en 2023, soit environ 5 % de la dernière promotion ([699]). Les postes offerts en outre-mer en sortie d’école concernent la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte ou encore La Réunion.
Dans ce contexte, il est essentiel de faire découvrir aux auditeurs de justice les territoires d’outre-mer pour les acculturer aux spécificités ultramarines et, le cas échéant, leur donner envie de rejoindre ces derniers à l’issue de leur scolarité.
C’est donc avec satisfaction que votre rapporteur a relevé l’initiative récente de l’ENM, qui permet depuis 2025 à ses élèves d’effectuer leur stage juridictionnel dans une juridiction d’outre-mer. Ce stage constitue un moment charnière de la scolarité, puisqu’il dure quarante-deux semaines – dont quinze jours de stage en service enquête et quinze jours en établissement pénitentiaire – et que c’est lors de celui-ci qu’est évaluée l’aptitude des élèves à devenir ou non magistrats ([700]).
En 2025, 16 auditeurs de justice de la promotion 2024 de l’ENM effectuent leur stage juridictionnel en outre-mer : trois à Cayenne, trois à Pointe-à-Pitre, trois à Fort-de-France, deux à Basse-Terre, trois à Saint-Denis et deux à Saint-Pierre de La Réunion ([701]).
Selon le directeur adjoint de l’ENM, le bilan est à ce stade particulièrement positif : « Le stage ne se termine que l’année prochaine, mais je peux vous en dire plusieurs choses à ce stade. Premièrement, l’annonce de l’envoi d’élèves magistrats a été très favorablement accueillie par les juridictions (…). Deuxièmement, la formation, à ce stade, se déroule très bien. Les formateurs permanents de l’École qui ont fait le déplacement dans les différentes juridictions pour observer les élèves en situation professionnelle ont trouvé qu’ils étaient très bons, et donc qu’ils avaient été bien formés aux exercices sur lesquels ils étaient évalués (…). Le bilan est donc très positif et nous avons, de toute façon, déjà décidé de reconduire cette formule l’année prochaine, avec toutefois une place en moins, parce que le tribunal de Cayenne a fait valoir que trois stagiaires représentaient une charge trop importante » ([702]).
Par cette initiative, l’ENM répare, certes bien tardivement, une véritable anomalie. Il est en effet difficilement croyable qu’il ait fallu attendre 2025 pour que l’École accepte d’envoyer ses auditeurs se former en outre-mer dans le cadre des stages juridictionnels. Ce refus d’affecter des auditeurs aux juridictions ultramarines jusqu’alors est du reste symptomatique de la perception négative véhiculée par ces dernières au sein de la magistrature.
Le message sous-jacent était en effet que les juridictions d’outre-mer étaient jugées inaptes à former des magistrats, comme l’a reconnu le directeur adjoint de l’ENM lui-même : « Il faut savoir qu’on nous avait renvoyé le sentiment que la justice qui était déployée là-bas n’était pas une bonne justice ; raison pour laquelle on ne pouvait pas envoyer de stagiaires s’y former » ([703]). Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les auditeurs de justice aient des réticences à rejoindre l’outre-mer à l’issue de leur scolarité !
● Au-delà de cette faculté donnée à certains auditeurs d’effectuer leur stage juridictionnel en outre-mer, les élèves de l’ENM sont susceptibles de connaître une première expérience en outre-mer à deux occasions : d’une part, au début de leur scolarité, lors d’un stage d’immersion d’une semaine – une quinzaine de places étant proposées à ce titre dans les territoires ultramarins ; d’autre part, à la fin de leur scolarité, les élèves effectuent un « stage pratique préparatoire » – d’une durée de de quatre semaines à partir de la promotion 2024 – au sein de la juridiction dans laquelle ils seront affectés, afin de se familiariser avec leur futur environnement professionnel.
Il convient cependant de relever que les élèves magistrats ou greffiers ne peuvent bénéficier durant leur stage en juridiction ultramarine d’une majoration de leur traitement pour faire face au coût de la vie en outre-mer, dès lors que celle-ci est réservée aux agents titulaires.
Or, cette absence de revalorisation est particulièrement préjudiciable à l’attractivité des territoires ultramarins auprès desdits stagiaires, comme l’ont relevé les représentants de l’École nationale des greffes : « le fait que le traitement des stagiaires qui doivent, durant 6 mois, terminer leur formation dans la juridiction ultramarine où ils sont affectés, ne puisse être augmenté des primes liées à la cherté de la vie, car elles ne peuvent être versées en application des textes qu’à des agents titularisés, est très problématique. Cela ne favorise pas l’attractivité pour exercer en outremer » ([704]).
Votre rapporteur estime donc urgent de modifier ces règles, afin que les stagiaires exerçant dans des juridictions ultramarines, qu’ils soient auditeurs de justice ou élèves-greffiers, puissent bénéficier d’une revalorisation de leur traitement.
● En dehors de de ces stages, qui ne concernent qu’une quinzaine d’élèves, l’ENM ne délivre que très peu de formations et d’informations sur l’outre-mer à destination de l’ensemble de la promotion d’auditeurs.
Ainsi, seule une « journée outre-mer » a été instituée dans le cadre de la scolarité à l’ENM, comme le rapporte son directeur adjoint : « Par ailleurs, une séquence de formation très pluridisciplinaire intitulée Journée outre-mer est prévue trois mois avant que les élèves n’entrent dans le processus de choix des postes. Est ainsi organisé, entre les élèves d’une promotion encore à l’École qui n’a pas encore choisi ses postes et de jeunes magistrats qui en sont sortis depuis un an ou deux, un temps d’échange sur les réalités de l’exercice de leurs fonctions dans leurs différentes juridictions ultramarines. Nous faisons aussi intervenir des spécialistes des outre-mer, comme des sociologues, pour délivrer des informations sur l’histoire et les sociologies des différents outre-mer. Cette journée est également l’occasion de contacts avec la direction des services judiciaires, qui donne des premières informations sur les conditions statutaires et les régimes indemnitaires spécifiques attachés à l’exercice des fonctions dans les juridictions outre-mer » ([705]).
Consacrer une seule journée de formation sur une durée totale de formation initiale de 31 mois apparaît ridiculement peu, et en tout état de cause largement insuffisant pour mieux faire connaitre les territoires ultramarins aux futurs magistrats, lever certains préjugés à leur encontre et susciter le cas échéant l’envie d’y exercer.
Votre rapporteur appelle ainsi à densifier significativement la formation délivrée aux auditeurs de justice, durant leur scolarité, sur les outre-mer. La « journée outre-mer », actuellement en vigueur, pourrait par exemple être transformée en « semaine outre-mer », ce qui permettrait à tous les auditeurs de se familiariser avec les enjeux spécifiques de chaque territoire ultramarin.
Enfin, il convient d’être très attentif aux messages qui sont véhiculés par les intervenants lors de ces journées de formation. Votre rapporteur a ainsi été atterré d’apprendre, comme l’a relevé la présidente du Syndicat de la magistrature, que certains formateurs pouvaient tenir des propos inacceptables sur les territoires ultramarins : « S’agissant du contenu des formations, nous vous alertons sur le fait qu’il peut parfois traduire une vision surplombante, marquée par une représentation néocoloniale. Ainsi, certains formateurs ont pu dire à des auditeurs de justice en pré-affectation qu’un poste en outre-mer pouvait s’apparenter à une mission humanitaire. Ces propos, extrêmement choquants, continuent de circuler au sein de l’institution. Chacun doit prendre la mesure des progrès qu’il reste à accomplir en matière de formation dispensée aux magistrats qui s’apprêtent à exercer des fonctions juridictionnelles dans ces territoires » ([706]).
Votre rapporteur a également été surpris d’apprendre que l’Association des magistrats ultramarins n’était pas conviée à ce type de formation, comme l’a confirmé sa présidente : « Pensez-vous qu’on invite des Ultramarins à parler des outre-mer ? C’est une boutade, mais le fait est que non, on ne m’a jamais demandé, pas plus qu’à un membre de mon association, qui est référencée depuis dix ans par le ministère de la justice, d’y participer » ([707]).
Or, bénéficier de l’expérience irremplaçable de magistrats originaires d’outre-mer serait particulièrement précieux pour les auditeurs de justice. Votre rapporteur appelle donc l’ENM à réparer cet oubli fâcheux.
2. Pour les candidats à la mobilité en outre-mer, densifier la formation avant le départ
● Au titre de la formation continue des magistrats, la principale formation sur l’outre-mer s’intitule « Être magistrat outre-mer ». Organisée par l’ENM en lien avec la direction générale de l’outre-mer, cette formation, qui dure trois jours et est ouverte à 35 magistrats, a lieu chaque année au mois de juin, soit à la période des mutations.
La sous-directrice chargée de la formation continue à l’ENM a indiqué que « l’objectif général est évidemment de participer à l’attractivité des territoires ultramarins. Il s’agit de donner toutes les informations utiles pour que les magistrats soient avisés le plus tôt possible des spécificités de leur futur environnement professionnel, ainsi que de l’histoire et de la sociologie des territoires, de sorte de pouvoir se concentrer sur l’exercice normal de leur activité juridictionnelle une fois sur place (…). La première journée est dédiée aux concepts communs à tous les territoires ultramarins, avec une matinée à la DGOM, la direction générale des outre-mer, avec un focus sur les questions déontologiques en lien avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et la direction des services judiciaires, et avec des propos généraux sur l’exercice juridictionnel. Quant aux deux autres journées, elles sont consacrées aux différents territoires » ([708]).
Cette formation est précieuse, en ce qu’elle peut lever certains préjugés sur des territoires ultramarins souffrant d’une image négative en Hexagone, comme l’a rappelé son organisateur, M. Éric Corbaux : « La direction générale des outre‑mer (DGOM) fournit aux magistrats des éléments juridiques, sociaux, politiques, économiques, sociologiques sur ces territoires. En outre, je fais intervenir des magistrats en poste ou récemment revenus dans l’Hexagone pour qu’ils expliquent les difficultés et les attraits des fonctions exercées outre-mer. Lors de la dernière session, il y a quinze jours, deux magistrates sont venues présenter la Guyane où elles venaient d’occuper un poste pendant six ans : elles ont décrit le territoire avec un tel enthousiasme qu’elles ont éveillé l’intérêt de plusieurs stagiaires » ([709]).
Cette formation reste cependant facultative, y compris pour les magistrats qui sont affectés en juridictions ultramarines. En l’état, un magistrat peut donc exercer outre-mer sans avoir suivi aucune formation spécifique aux territoires ultramarins au préalable. Cette situation n’est pas satisfaisante. Votre rapporteur suggère par conséquent de rendre obligatoire la participation à la formation « Être magistrat outre-mer » pour tout magistrat affecté dans une juridiction ultramarine, préalablement à sa prise de fonctions.
● En outre, un nouvel outil de formation en ligne a été créé en septembre 2025 à destination des personnels affectés outre-mer, comme l’a souligné le délégué outre-mer du secrétariat général du ministère de la justice : « À partir du mois de septembre, nous proposerons un module de formation en ligne, qu’on appelle Mentor, d’une durée de deux heures. En effet, il est impossible de réunir en présentiel tous les agents des nombreux corps spécifiques. Ce module – que nous actualiserons – proposera, pour tous les territoires, un panel de témoignages de magistrats ou de greffiers qui vont partir, qui sont partis ou qui sont récemment rentrés. Il offrira également un certain nombre d’outils pour mieux comprendre le monde professionnel, l’environnement, les spécificités locales, la distinction entre les lois du pays et les lois nationales, qui est parfois subtile et en constante évolution » ([710]).
Votre rapporteur salue cette initiative, mais une auto-formation en ligne ne saurait suffire : les participants à une telle formation doivent pouvoir, dans un second temps, avoir la possibilité d’échanger, individuellement ou collectivement, avec des intervenants qui connaissent spécifiquement le territoire dans lequel ils ont vocation à exercer.
● S’agissant de la juridiction administrative, votre rapporteur n’a pu que constater la faiblesse des dispositifs mis en place pour familiariser les magistrats ayant vocation à être affectés en outre-mer aux spécificités des territoires. Aucune formation spécifique aux territoires ultramarins n’est ainsi dispensée par le centre de formation des juridictions administratives (CFJA).
Au surplus, certains magistrats administratifs exerçant en outre-mer n’ont pas la faculté de participer aux formations délivrées en Hexagone, pour des raisons financières, comme l’a indiqué le président du Syndicat de la juridiction administrative (SJA) : « Nos deux syndicats militent pour qu’il soit permis à l’ensemble des magistrats affectés en outre-mer de venir physiquement se former au centre de formation des juridictions administratives. Les magistrats du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie sont au nombre de quatre, tout comme ceux du [tribunal administratif] de la Polynésie française : il nous semble important de leur permettre d’échanger directement avec l’ensemble des collègues, de confronter les expériences. Cela permet de créer du collectif qui ne soit pas strictement interne à sa juridiction. Or cela n’est plus possible, pour des raisons de coût : ces déplacements sont refusés aux magistrats affectés en outre-mer afin de ne pas dépasser les budgets alloués à la mission des juridictions administratives » ([711]).
En guise de formation, les magistrats administratifs ont bénéficié, à une seule reprise, d’un « webinaire » organisé par le Conseil d’État, ainsi que l’a rappelé secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma) : « Le Conseil d’État a organisé par le passé un webinaire pour permettre aux magistrats ayant eu une expérience ultramarine de répondre aux questions des potentiels candidats à une mutation dans les outre-mer et de dresser un état des lieux de la situation sur place. Cela s’est fait un peu tard, peu avant la date limite de demande de mutation, et n’a eu lieu qu’une fois, mais cette initiative positive mériterait d’être reconduite » ([712]).
Votre rapporteur appelle donc le Conseil d’État et le CFJA à densifier significativement les formations offertes aux magistrats en partance pour les outre‑mer. Il est parfaitement anormal que ces derniers ne bénéficient, contrairement à leurs homologues de l’ordre judiciaire, d’aucune formation dédiée à ce sujet. Cette absence de toute formation ne peut que nuire à leur acculturation aux spécificités des territoires ultramarins et par conséquent à leur bonne compréhension des besoins des justiciables ultramarins.
3. Pour les personnels affectés en outre-mer, privilégier les formations sur place
● Les formations délivrées au sein même des territoires ultramarins au bénéfice du personnel judiciaire y exerçant sont les grandes oubliées de la stratégie du ministère de la justice en matière de formation continue.
Certes, des formations spécifiques sont organisées dans certaines juridictions pour les personnes qui y sont affectées, comme l’a rappelé la direction des services judiciaires : « Des sessions de formation spécifiques organisées en déconcentré sont proposées aux magistrats comme : la découverte de l’environnement juridico-judiciaire, social et historique de la Guadeloupe et des Antilles ; l’approche de la société mahoraise pour mieux comprendre les enjeux d’hier et d’aujourd’hui ; le droit de la franchise à La Réunion » ([713]).
Cependant, ces formations sont loin d’être systématiques, ainsi que l’a souligné le président de la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG) : « En Polynésie, aucune formation spécifique n’est prévue alors que l’on déplore parfois une méconnaissance des lois du pays, lesquelles sont tout à fait particulières et s’imposent dans ce territoire. En Guyane, il n’y a pas non plus de formation prévue pour les magistrats prenant leur poste. Il conviendrait de songer à organiser de telles formations, car elles facilitent la connaissance de la diversité linguistique et culturelle de ces endroits » ([714]).
Les conséquences préjudiciables de ce déficit de formation aux spécificités locales pour les greffiers, notamment pour ceux exerçant dans les territoires où prévalent les règles coutumières, ont ainsi été dénoncées par le secrétaire général adjoint du syndicat justice CGC : « En tant que techniciens de la procédure, les fonctionnaires, et principalement les greffiers, sont confrontés aux mêmes difficultés que les magistrats quant à l’articulation des règles coutumières et du droit commun, notamment lorsqu’ils reçoivent les justiciables dans le cadre de leurs fonctions d’accueil. Les fonctionnaires de greffe sont insuffisamment préparés au droit local, sans formation spécifique dispensée par l’École nationale des greffes (ENG), ce qui implique un surcroît de travail, de recherche et de documentation pour ces fonctionnaires » ([715]).
À ce titre, il a été proposé par le président du Sénat coutumier de Nouvelle‑Calédonie que les magistrats arrivant sur le territoire puissent bénéficier d’un séjour immersif au sein des clans, pour s’approprier les pratiques coutumières (cf. supra, première partie). Votre rapporteur ne peut que saluer une telle proposition, qui va dans le sens d’une meilleure compréhension, par les magistrats, des droits coutumiers et, au-delà, des cultures locales.
● Au surplus, même au sein des juridictions ultramarines qui organisent des formations sur place, le budget alloué à ces formations déconcentrées est mineur. En effet, la quasi-totalité du budget de formation alloué aux juridictions ultramarines est dédié aux coûts de déplacement associés à la participation à des formations organisées en Hexagone.
À titre d’exemple, selon les données transmises par les chefs de cour de Basse-Terre, 300 000 euros sont alloués annuellement à la cour pour financer les déplacements de personnels judiciaires aux fins de se rendre à des formations en Hexagone. En revanche, le budget alloué aux formations sur place est de seulement 27 000 euros, dont 20 000 euros pour les personnels de greffe et 7 000 euros pour les magistrats. Or, un tel budget est largement insuffisant pour mener une véritable politique de formation déconcentrée au plus près du personnel judiciaire.
Comme les chefs de cour le soulignent, « l’ingénierie budgétaire de formation actuelle permet : de financer aisément 20 déplacement en métropole de fonctionnaire et/ou de magistrats pour aller à la rencontre d’un intervenant, mais ne permet pas de financer le déplacement d’un intervenant pour former 20 personnels au plus près du terrain » ([716]).
● Votre rapporteur appelle donc le ministère de la justice à revoir radicalement sa politique de financement des formations continues à destination des territoires ultramarins.
Il convient en effet de renforcer considérablement l’offre de formation continue délivrée au sein des juridictions ultramarines. Doivent à ce titre être privilégiées celles axées sur la compréhension des spécificités socioculturelles des territoires, avec l’intervention de juristes, mais aussi de sociologues, d’historiens et d’autres représentants de la société civile.
La même recommandation s’applique également aux juridictions administratives, le déficit de formation continue étant également dénoncé par les syndicats de magistrats administratifs, même si certaines initiatives commencent à être mises en place : « Plus généralement, il y a un déficit de formation au moment de la prise de poste et tout au long du parcours du magistrat. Il faut tout de même signaler que, en 2025, une formation commune sur le droit de l’urbanisme a été organisée, en présentiel, pour les tribunaux administratifs des Antilles et de Guyane » ([717]).
Recommandation n° 16 sur le renforcement de la formation initiale et continue des magistrats et greffiers aux spécificités des territoires ultramarins :
– Faire bénéficier les auditeurs de justice et les élèves-greffiers qui effectuent leur stage au sein des juridictions ultramarines d’une revalorisation de leur traitement, pour tenir compte du coût de la vie ;
– Transformer la « journée outre-mer » dispensée aux auditeurs de justice en « semaine outre-mer », afin de sensibiliser ces derniers aux enjeux de l’ensemble des territoires ultramarins ;
– Rendre obligatoire la participation à la formation « Être magistrat outre-mer » à tout magistrat affecté dans les juridictions ultramarines ;
– Intégrer à la formation en ligne « Mentor » la possibilité d’échanger, individuellement ou collectivement, avec des intervenants connaisseurs de l’outre-mer ;
– Créer une offre de formation initiale et continue dédiée à l’outre-mer au sein du centre de formation des juridictions administratives (CFJA) ;
– Convier les représentants de l’Association des magistrats ultramarins à intervenir lors des formations relatives à l’outre-mer ;
– Densifier les offres de formation continue dispensées au sein même des juridictions ultramarines, notamment celles relatives aux réalités socioculturelles des territoires ultramarins, en renforçant le budget alloué aux formations territorialisées ;
– Organiser, en Nouvelle-Calédonie notamment, des séjours immersifs au sein des aires coutumières pour les magistrats et personnels récemment affectés.
B. Favoriser une meilleure représentation des ultramarins au sein du personnel judiciaire
1. Une crise de confiance alimentée par un déficit de représentativité des membres de l’autorité judiciaire
● Les personnels judiciaires sont peu représentatifs de la population ultramarine.
La part des auditeurs de justice originaires des territoires d’outre-mer est inférieure à 1 %, comme l’a reconnu le directeur adjoint de l’ENM : « Depuis 2012, la part des élèves issus de territoires ultramarins dans les promotions que nous formons est très faible – elle est globalement inférieure à 1 % jusqu’en 2018, année où, sur une promotion de 350 élèves, 6 déclarent – car cette mention est déclarative – provenir de territoires ultramarins soit 1,71 % de la promotion. Il n’y a pas eu, jusqu’à présent, de chiffre plus élevé. Jusqu’en 2018, la moyenne était plutôt inférieure à 1 % et elle se situe, depuis lors, plutôt autour de 1 %, ce qui est toutefois très faible » ([718]).
Si ces chiffres sont à prendre avec précaution en l’absence de statistiques officielles, l’association des magistrats ultramarins estime au total à une trentaine le nombre de magistrats originaires des territoires d’outre-mer actuellement en poste, soit moitié moins qu’en 2011 ([719]).
Quant aux greffiers, si cette proportion est plus élevée, elle reste légèrement inférieure à la part de la population ultramarine au sein de la population française, selon les données de l’École nationale des greffes : « Une étude sur 10 ans (2014-2025 au 01/07/25) montre que 3,87 % des stagiaires directeurs des services de greffe judiciaire et 3,95 % des stagiaires greffiers sont issus des territoires ultramarins » ([720]).
● Il en résulte que le nombre de magistrats ultramarins exerçant dans les juridictions ultramarines est particulièrement faible. Selon les éléments transmis à votre rapporteur, il n’y a que douze magistrats ultramarins qui exercent actuellement en poste outre-mer pour l’ordre judiciaire : sept à La Réunion et Mayotte, trois en Guadeloupe, un en Martinique et un en Polynésie ([721]).
Ce déficit de magistrats ultramarins dans les juridictions d’outre-mer est encore accentué par le principe appliqué par la direction des services judiciaires selon lequel « un magistrat affecté dans un territoire d’outre-mer attractif ne peut prétendre à être muté directement dans un autre territoire ultramarin attractif » ([722]), règle de gestion plus connue sous la maxime « outre-mer sur outre-mer ne vaut ».
A contrario, les règles de mobilité des greffiers intègrent le critère du « centre des intérêts matériels et moraux » (CIMM), de sorte que ceux qui sont originaires d’outre-mer peuvent plus facilement rejoindre les juridictions de leur territoire d’origine, même si cela peut prendre du temps. En conséquence, les greffes des juridictions ultramarines sont majoritairement composés de personnes originaires des territoires concernés selon les indications de la Conférence nationale des greffes ([723]).
● Ce déficit de représentativité des magistrats est de nature à alimenter le sentiment de défiance des justiciables ultramarins à l’égard de l’institution judiciaire.
Me Yanick Louis-Hodebar a bien résumé le fossé culturel qui sépare en outre-mer les juges des justiciables : « les magistrats ne nous ressemblent pas ; cela fait un drôle d’effet. Le petit délinquant qui a volé le portefeuille d’une grand‑mère se retrouve devant un tribunal où l’on parle un français différent du sien. Il ne comprend pas les termes juridiques qui sont employés (…). Cela fait deux jours qu’il est en garde à vue et il a le sentiment que les gens qui le jugent ne le comprennent pas et ne le connaissent pas (…). Il m’arrive d’aller à des audiences avec des avocats de passage qui ne connaissent pas la Guadeloupe. Ils sont tous frappés de voir que, sur le banc des prévenus, il n’y a que des Noirs, qui font face à des magistrats bien habillés et très propres, qui leur posent dans un français parfait des questions qu’ils ne comprennent pas » ([724]).
Dans la même perspective, l’Association des magistrats ultramarins met en exergue que « l’absence ou plus exactement le nombre infinitésimal de magistrats originaires concourt à la défiance de la justice, perçue comme une justice hexagonale, coloniale, totalement déconnectée des cultures locales » ([725]).
● Cette distance culturelle entre les magistrats et la population en outre-mer est également de nature à défavoriser les justiciables ultramarins, dont certains comportements peuvent être mal compris par les magistrats, comme l’a souligné Me Yanick Louis-Hodebar : « Outre ce problème d’image, il y a une certaine ignorance de nos traditions. Quand on dit à un magistrat qui vient de Paris ou de Marseille : “Mon grand-père est mort hier, je sortais de la veillée, c’est pour ça que j’avais bu”, il se demandera comment on a pu boire à une veillée ! Or chez nous, aux veillées funéraires, on boit et on écoute de la musique ; c’est culturel. Il ne s’agit pas d’une justice coloniale telle qu’on l’entendait il y a deux cents ans. Toutefois, les personnes ont le sentiment que si elles étaient mieux comprises par les magistrats, elles seraient mieux jugées » ([726]).
A contrario, un juge issu des territoires d’outre-mer sera mieux à même de décrypter le comportement des justiciables ultramarins, ainsi que l’a relevé la présidente de l’Association des magistrats ultramarins : « Les justiciables que j’ai jugés ne savaient pas forcément que j’étais Réunionnaise ; ce n’est pas écrit sur mon front. Mais je pense que les choses ont été plus simples pour eux : par exemple, lorsqu’ils laissaient échapper des mots en créole, je les comprenais. Je pouvais interpréter leur comportement, aussi : je ne sais pas ce qu’il en est aux Antilles ou en Guyane, mais certains comportements des Réunionnais peuvent passer pour de la nonchalance, du mépris ou de la moquerie, alors qu’ils traduisent en réalité une forme de gêne ou d’incompréhension (…). Mes origines ultramarines m’ont permis d’expliquer tout cela aux magistrats hexagonaux avec lesquels je travaillais. D’expérience, le justiciable ultramarin a donc tout à gagner à avoir une justice qui lui ressemble et qui le connaît. Cela évite les méprises et les quiproquos, et lui permet d’être vraiment entendu » ([727]).
Enfin, le fait que les magistrats au sein des juridictions ultramarines soient presque exclusivement des Hexagonaux peut être une source de tensions avec le reste du personnel judiciaire, en générant des comportements qui peuvent être jugés peu adaptés, ainsi que l’a alerté les représentants de la CGT des chancelleries & services judiciaires : « Lors de notre visite en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane, plusieurs collègues se sont interrogés sur le discours tenu (…) par l’administration aux personnels de greffe nouvellement affectés, concernant les territoires ultramarins. En effet, ils ont été assez choqués par certains comportements (…). Lors de mon premier déplacement aux Antilles et en Guyane, au cours duquel j’ai pu rencontrer des collègues et observer leurs conditions de vie et de travail, j’ai constaté qu’ils avaient le sentiment que les personnes occupant les plus hautes responsabilités dans ces territoires conservaient un prisme colonialiste plus ou moins marqué. Or, ce prisme empêche la prise en compte des besoins locaux. Quand on adopte une posture de supériorité, il devient impossible de prendre en compte les besoins et la réalité des populations » ([728]).
2. Pour une justice qui ressemble davantage aux justiciables ultramarins
Pour réduire ce déficit de représentativité de la justice en outre-mer, plusieurs mesures pourraient utilement être mises en place, selon votre rapporteur.
● Il convient tout d’abord d’aménager les règles de mobilité en faveur des magistrats ultramarins, en supprimant le principe « outre-mer sur outre-mer ne vaut ».
L’application d’un tel principe empêche en effet les magistrats ultramarins de pouvoir avancer dans la hiérarchie judiciaire tout en restant dans la même zone géographique, comme l’a mis en exergue la présidente de l’Association des magistrats ultramarins : « Concrètement, cela signifie qu’après avoir passé et obtenu le très difficile concours de la magistrature, puis attendu plusieurs années pour obtenir un poste dans nos territoires, on nous demande de repartir dans l’Hexagone pour faire avancer notre carrière. Ces mutations ne sont pas imposées aux magistrats hexagonaux, qui peuvent avoir une carrière régionale et évoluer de simple juge jusqu’aux plus hautes fonctions de la magistrature en restant au même endroit – c’est même courant » ([729]).
Une telle obligation de mobilité géographique n’est en effet pas exigée pour les magistrats hexagonaux, qui peuvent en pratique effectuer leur carrière au sein d’un même bassin de vie : « Ainsi, j’avais fait une étude à l’échelle de ma promotion de magistrats et j’avais constaté que sur 110 magistrats qui avaient réalisé leur avancement, 47 avaient avancé au sein du même tribunal ou à l’administration centrale quand ils y étaient en poste, 29 avaient réalisé leur avancement dans la cour d’appel où il se trouvait (Paris, Aix et Bordeaux), 12 dans une cour d’appel limitrophe et seuls 20 magistrats avaient choisi de réaliser leur avancement dans une cour plus éloignée ou en détachement. Ainsi, plus de 76 magistrats sur 110 avaient réalisé leur avancement sans devoir déménager, caractérisant l’existence de carrières régionales » ([730]).
Au surplus, ce principe constitue un facteur important de non-attractivité de la profession de magistrats auprès des étudiants en droit ultramarins. Ces derniers privilégient en effet la profession d’avocat, notamment parce que celle-ci n’impose pas une telle mobilité géographique, comme l’a rappelé la représentante de l’Association des magistrats ultramarins : « Lorsque j’étais en poste à La Réunion, je suis intervenue à plusieurs reprises devant des étudiants en droit de l’université de Saint-Denis. Ils me disaient tous qu’ils ne voulaient pas devenir magistrats parce qu’ils devraient choisir entre revenir chez eux et faire carrière, alors qu’en étant avocats, ils pourraient rester chez eux et concilier vie professionnelle et vie personnelle. Beaucoup d’étudiants ne passent donc même pas le concours » ([731]).
Il est donc temps de mettre fin à cette pratique discriminatoire pour les magistrats ultramarins. À ce titre, il pourrait être envisagé que la mobilité puisse être effectuée dans un autre territoire d’outre-mer relevant de la même zone géographique : la zone Antilles-Guyane, les juridictions de l’océan Indien, celles du Pacifique.
● Une autre mesure pour renforcer la représentativité des magistrats pourrait être d’assouplir les règles en matière de recrutement des magistrats à titre temporaire, afin de pouvoir en recruter davantage parmi les professionnels du droit issus des territoires d’outre-mer.
Les magistrats à titre temporaire
Les magistrats à titre temporaire (MTT) sont issus de la société civile et participent aux côtés des magistrats de carrière à l’œuvre de justice.
Ils doivent avoir moins de 75 ans et remplir une des conditions suivantes :
– être titulaire d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre ans d’études après le baccalauréat (ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente) et justifier de cinq années au moins d’exercice professionnel le qualifiant particulièrement pour exercer des fonctions judiciaires ;
– avoir été directeur des services de greffe judiciaires et justifier de cinq années de services effectifs dans ce corps ;
– avoir été fonctionnaire de catégorie A du ministère de la justice et justifier de cinq années de services effectifs au moins en cette qualité ;
– être membre ou ancien membre des professions libérales juridiques et judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, et justifier de cinq années au moins d’exercice professionnel.
Selon la fonction choisie, les MTT suivent une formation théorique de 10 à 15 jours à l’ENM. Ils sont soumis, au choix du Conseil supérieur de la magistrature, à un stage probatoire à réaliser en juridiction de 40 à 80 jours ou bien à une formation préalable en juridiction de 40 jours qui peut, à titre exceptionnel, être réduite au vu de l’expérience professionnelle du candidat.
Ils peuvent exercer pendant une durée de cinq ans, renouvelables deux fois.
À l’heure actuelle, le vivier de candidats pour exercer les fonctions de magistrats à titre temporaire en outre-mer est en effet particulièrement faible dans les territoires ultramarins. Le recrutement de tels magistrats se heurte notamment à la règle selon laquelle un magistrat à titre temporaire ne peut être affecté à une juridiction dans le ressort au sein duquel il a exercé au cours des cinq dernières années, selon la direction des services judiciaires : « S’agissant du recrutement de magistrats à titre temporaire, le vivier de candidats pour exercer ces fonctions en outre-mer est peu important (…). Si des actions de communication peuvent être menées localement pour susciter des candidatures, elles se heurtent également à l’impossibilité de nommer des magistrats à titre temporaire qui exercent ou ont exercé des fonctions en lien avec la juridiction depuis moins de 5 années. Sur les ressorts n’ayant qu’un seul tribunal judiciaire, il est impossible de les nommer au regard des enjeux d’impartialité (ex : avocat/notaire/commissaire de justice…), ce qui réduit d’autant le vivier » ([732]).
Pour élargir ce vivier, votre rapporteur suggère d’assouplir le critère lié à l’absence d’exercice sur le ressort de la juridiction, qui n’est manifestement pas adapté à la nature du maillage judiciaire ultramarin. Le délai de cinq ans pourrait par exemple être ramené à un an, ce qui permettrait par exemple à un avocat de Cayenne de rejoindre, un an après sa retraite, le tribunal judiciaire de Cayenne en tant que magistrat à titre temporaire, sous réserve qu’il se déporte effectivement en cas d’incompatibilité.
● Enfin et surtout, la réduction de ce déficit de représentativité implique de recruter davantage de magistrats et greffiers parmi les étudiants en droit ultramarins.
S’agissant des greffiers, les concours nationaux à affectation locale (Cnal) pourraient être davantage développés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ces concours, qui ont été mis en place à Mayotte et en Guyane, permettent de recruter des candidats locaux qui sont assurés d’effectuer leur carrière au sein de leur territoire, après une formation de 18 mois à l’École nationale des greffes à Dijon.
Ces concours souffrent cependant d’un déficit de notoriété, comme le relève le secrétaire général de l’UNSa Services judiciaires : « nous constatons un déficit de publicité, notamment en Guyane, où les candidats potentiels ne sont pas suffisamment informés de l’existence de ces concours » ([733]).
En conséquence, compte tenu du nombre restreint des candidats et de leurs compétences, les postes ouverts ne trouvent pas tous preneurs : en 2024, sur 7 postes ouverts, un seul candidat a été admis à Mayotte, et 9 postes étaient offerts pour deux candidats admis en Guyane. En 2025, le Cnal a même été suspendu, une périodicité biennale plutôt qu’annuelle pour ce concours étant envisagée par la direction des services judiciaires « au regard de la lourdeur d’organisation, afin de maximiser le vivier de candidats » ([734]).
Face à ce déficit de candidatures utiles, il convient donc d’amplifier les actions de communication autour de ces concours auprès des étudiants en droit, en favorisant par exemple les partenariats avec les universités locales, comme l’a suggéré la représentante de la CGT des chancelleries & services judiciaires : « Pour favoriser le recrutement local, bien qu’il existe déjà les Cnal, il serait judicieux de créer des forums des métiers dans les établissements scolaires et universitaires. Force est de constater que nos professions de greffiers, cadres greffiers et directeurs des services judiciaires sont très méconnues. Lorsque nous évoquons la justice avec les jeunes lors des forums auxquels j’ai pu participer, ils mentionnent spontanément les avocats et les magistrats, mais ignorent les autres métiers. C’est précisément en valorisant nos métiers auprès des établissements scolaires que nous parviendrons à susciter l’envie, pour des personnes locales, de s’intéresser à ces fonctions et de passer les concours » ([735]).
Dans la même perspective, l’École nationale des greffes propose plusieurs pistes pour renforcer la sensibilisation des étudiants ultramarins à l’exercice des fonctions de greffiers : « favoriser des périodes d’immersion, d’une à quelques semaines, dans un service en juridiction par exemple, d’étudiants qui manifestent un intérêt pour les métiers de greffe ; développer une coopération entre les acteurs judiciaires locaux et les instances universitaires locales ; s’appuyer sur le dispositif des cordées de la réussite dont l’objectif est de promouvoir la poursuite d’études de lycéens dans l’enseignement supérieur, en particulier les études juridiques ; communiquer encore mieux sur la campagne pour les candidatures des étudiants aux Classes prépa-talents (CPT) pour les préparations aux concours de directeur ou de greffier (ouvertes par l’ENG sous condition d’éligibilité aux critères sociaux et de mérite) » ([736]).
Enfin, une réflexion pourrait être initiée par le ministère de la justice sur la possibilité d’ouvrir en outre-mer une antenne de l’École nationale des greffes, afin que les étudiants greffiers n’aient pas systématiquement à effectuer leur formation en Hexagone.
● Le rapporteur ne peut que saluer l’annonce, par le garde des sceaux, de l’organisation des concours de l’ENM et de l’ENG à des horaires adaptés dans les territoires ultramarins : « lorsque vous passez le concours de l’ENM en tant que citoyen calédonien ou wallisien par exemple, vos épreuves se tiennent à Nouméa de 19 heures à 3 heures du matin, alors qu’elles ont lieu à Paris de 9 heures à 17 heures : la différence de traitement est évidemment trop importante. Même chose pour la Polynésie : un candidat des Marquises, par exemple, doit faire six heures de vol pour venir passer les épreuves à Papeete entre 2 heures et 7 heures du matin ; à Saint-Denis, à La Réunion, les épreuves ont lieu entre 16 heures et 21 heures ; à Mamoudzou, entre 15 heures et 20 heures (…). J’ai donc demandé que les concours de l’École nationale des greffes et de l’ENM soient modifiés en ce sens dès la semaine prochaine pour préparer la rentrée de septembre 2026, afin d’assurer une pleine égalité des chances à tous les candidats » ([737]).
● Afin de favoriser le recrutement de magistrats ultramarins, le dispositif des classes « Prépas Talents », qui permettent à des élèves boursiers de préparer le concours de l’ENM, doit être élargie à l’ensemble des territoires d’outre‑mer.
À l’heure actuelle, les sept classes existantes se situent toutes en Hexagone (cf. encadré infra) et seule une place a été réservée à un étudiant ultramarin, à la suite d’une convention conclue avec un groupement d’intérêt public de Nouvelle‑Calédonie ([738]).
Dans ce contexte, votre rapporteur salue l’annonce du garde des sceaux, lors de son audition par la commission d’enquête, de créer une classe « Prépas Talents » en Guadeloupe, dans le cadre de l’initiative des chefs de cour de Basse-Terre ([739]) (cf. supra, première partie). Une initiative comparable aurait dû voir le jour en Guyane, après la signature d’une convention entre l’ENM et l’université locale, sous l’impulsion de la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira ([740]). Cette convention prévoyait que l’ENM puisse mettre en place un tutorat au bénéfice d’étudiants intéressés par la préparation des concours de la magistrature. Elle n’a toutefois jamais été mise en œuvre.
Votre rapporteur estime qu’il faut aller plus loin et créer une classe « Prépa Talents » dans l’ensemble des territoires ultramarins dotés d’une université de droit.
Le dispositif « Prépas Talents » de l’ENM
L’ENM a mis en place des classes « Prépas Talents » pour favoriser la diversité du recrutement dans la magistrature. Ainsi, sept classes accueillent chaque année à Besançon, Bordeaux, Douai, Limoges, Lyon, Orléans et Paris des candidats méritants bénéficiaires d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux. Cette préparation au concours de recrutement des auditeurs de justice, qui débute en octobre et se poursuit jusqu’aux épreuves d’admission, permet à ses élèves de passer le nouveau 1er concours Spécial « Talents » ou le 1er concours de l’ENM. Elle donne par ailleurs lieu à l’obtention un diplôme d’établissement ENM « Culture juridique et pratiques judiciaires ».
Pour intégrer l’une des classes « Prépas Talents » de l’ENM, les étudiants doivent répondre à certains critères :
• remplir les conditions d’accès au 1er concours, c’est-à-dire être étudiant, de nationalité française, titulaire d’un diplôme de niveau Bac+4 et avoir au plus 50 ans et 5 mois au 1er janvier de l’année du concours ;
• remplir, lors de l’admission, les conditions de ressources fixées pour bénéficier d’une bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux ;
• s’engager à s’inscrire et à se présenter aux épreuves de la session suivant leur préparation.
Au-delà de la gratuité du dispositif, les élèves admis dans l’une des classes « Prépas Talents » perçoivent une bourse calculée selon le même barème que celui du Crous. Pour l’année 2024/2025, le montant minimal était de 382,80 euros, ce qui correspond à l’échelon 3 du barème Crous.
Cette bourse est versée par l’ENM pendant toute la période de scolarité, sous réserve d’assiduité. La date d’arrêt du versement dépend de l’admissibilité ou non des candidats au concours de l’ENM. Ainsi, pour les élèves non admissibles, la bourse s’arrête dès le mois suivant celui de la publication des résultats d’admissibilité et pour ceux qui sont admissibles, le versement de la bourse est interrompu le mois suivant la date de dernière audition des épreuves d’admission.
S’ajoute à cette bourse une aide complémentaire découlant du dispositif « Prépas Talents ». Il s’agit d’une somme de 4 000 euros qui sera versée en deux temps : durant leur préparation, les élèves recevront 2 000 euros en fin d’année, puis 2 000 euros au printemps.
Source : site internet de l’ENM.
● Enfin, votre rapporteur souhaite qu’une réflexion soit ouverte sur la possibilité de créer des Cnal en outre-mer pour intégrer l’ENM. Les étudiants réussissant ces Cnal feraient la même scolarité que les autres magistrats à l’ENM mais seraient assurés d’être affectés durant toute leur carrière dans une zone géographique proche de leur territoire d’origine. À titre d’exemple, un auditeur de justice originaire de Cayenne issu du Cnal aurait la garantie d’exercer dans les Antilles ou en Guyane.
Une telle réforme permettrait de garantir la présence d’auditeurs de justice issus des outre-mer au sein d’une promotion de l’ENM. Elle serait de nature à réduire le déficit de représentativité des magistrats exerçant dans les juridictions ultramarines et renforcerait par conséquent la confiance des ultramarins dans la justice.
Votre rapporteur estime en outre que les réticences exprimées par certaines personnes auditionnées quant au risque de conflit d’intérêt qui existerait entre un juge et un justiciable issu d’un même territoire d’outre-mer ne sont pas légitimes. S’il y a pu y avoir des dérives contraires à la déontologie dans les juridictions ultramarines, elles ont été le fait de magistrats hexagonaux et non ultramarins, comme l’a rappelé la présidente de l’Association des magistrats ultramarins ([741]).
Recommandation n° 17 pour favoriser l’ancrage local des professionnels de justice et assurer une meilleure représentation des magistrats ultramarins :
– Mettre fin à la règle de gestion des mobilités selon laquelle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » ;
– Assouplir les règles d’incompatibilité pour favoriser le recrutement de magistrats à titre temporaire parmi les professionnels du droit en outre-mer ;
– Développer les concours nationaux à affectation locale (Cnal) pour les greffiers et ouvrir une réflexion sur l’opportunité de créer des Cnal pour recruter à l’ENM des magistrats issus des territoires ultramarins ;
– Développer les cordées de la réussite outre-mer et créer des forums de métiers dans les établissements scolaires et universitaires pour sensibiliser aux métiers de greffiers et magistrats ;
– Étudier l’opportunité d’ouvrir une antenne de l’École nationale des greffes en outre-mer ;
– Créer des classes « Prépas Talents » dans chaque territoire d’outre-mer doté d’une université de droit.
C. Promouvoir une « justice de proximité »
1. Une justice plus ouverte sur la société
a. Renforcer la participation des justiciables ultramarins à l’œuvre de justice
● La confiance des justiciables ultramarins dans leur justice exige également d’intégrer, autant que possible, ces derniers au système judiciaire lui‑même, à travers leur participation à certaines formations de jugement.
Or, la dynamique à l’œuvre actuellement en matière d’échevinage est au contraire de réduire la présence des citoyens au sein des juridictions, comme l’illustre le fonctionnement des cours criminelles départementales. Ces cours, instituées à titre expérimental par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ([742]), puis généralisées à compter du 1er janvier 2023 ([743]), sont compétentes pour juger en premier ressort les personnes majeures accusées d’un crime puni d’au maximum vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu’il n’est pas commis en état de récidive légale, ainsi que des délits connexes ([744]).
Or, la principale spécificité de ces cours criminelles tient à l’absence de jury populaire au sein de la formation de jugement : alors que la cour d’assises est formée en première instance de trois magistrats et de six jurés, il a été retenu pour la cour criminelle une composition de cinq magistrats professionnels. L’absence de jury populaire au sein de ces cours criminelles, qui jugent près de la moitié des crimes ([745]), est donc de nature à accroître la distance entre la justice pénale et les justiciables.
En l’état du droit, seuls certains territoires ultramarins ont été exemptés de cette nouvelle juridiction : Mayotte ([746]), la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon ([747]). Le caractère partiel de cette exemption n’est pas légitime. Ainsi que l’ont exprimé les représentants des barreaux de Guyane, Martinique et Guadeloupe rencontrés lors du déplacement de la commission d’enquête, tous les territoires ultramarins devraient bénéficier de celle-ci.
Votre rapporteur suggère par conséquent d’élargir cette exemption à l’ensemble des territoires ultramarins, afin que les citoyens d’outre-mer recouvrent leur compétence exclusive pour juger de l’ensemble des crimes commis sur leurs territoires, à travers leur participation au jury populaire des cours d’assises notamment.
● D’autres mesures pourraient également promouvoir une plus grande contribution des citoyens ultramarins à la justice.
À titre d’exemple, sur le modèle des assesseurs civils ou coutumiers existant en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, il pourrait être envisagé de faire participer des assesseurs citoyens à certaines formations de jugement des autres juridictions ultramarines, par exemple au sein des tribunaux correctionnels.
Au-delà du fait qu’elle permet d’introduire une forme de collégialité bienvenue, la présence de ces assesseurs-citoyens serait en effet précieuse pour réduire le déficit de représentativité des juges en outre-mer et garantir une meilleure compréhension entre juges et justiciables, comme le suggère le président de l’association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom) : « Le système des assesseurs coutumiers, qui existe en Nouvelle-Calédonie, fonctionne plutôt bien. J’ai assisté à plusieurs audiences. On peut imaginer le voir se développer dans les autres outre-mer, avec des assesseurs locaux pouvant servir d’intermédiaires, même en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion (…). Parfois, la présence d’une médiation locale est utile (…) pour transmettre la culture locale » ([748]).
Dans la même perspective, dans les territoires, tels que Mayotte ou la Guyane, où les chefs coutumiers jouent un rôle important de régulation sociale, ces derniers pourraient être nommés conciliateurs de justice. Cette piste est par exemple envisagée par la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou pour les cadis : « J’ai rencontré à deux reprises le grand cadi depuis ma prise de fonction. Poursuivant le travail engagé par mes prédécesseurs, je lui ai demandé s’il lui semblait opportun de proposer aux cadis, aujourd’hui rémunérés par le département, d’assurer les fonctions de conciliateur de justice, dont Mayotte est tout à fait dépourvue. C’est une piste intéressante, car les cadis continuent d’être des autorités de référence pour la population, que ce soit en matière civile – notamment familiale – ou pénale. Il a fait bon accueil à ma proposition : espérons que nous trouverons le temps d’y réfléchir ensemble plus avant » ([749]).
En matière pénale, certaines autorités coutumières jouent d’ores et déjà un rôle important, en matière d’alternative aux poursuites ou d’exécution des peines, qui mériterait d’être étendu. Les magistrats du tribunal de première instance de Nouvelle-Calédonie ont ainsi expérimenté la remise libération conditionnelle coutumière : « les personnes sortant de prison étaient placées sous le contrôle des coutumiers, qui les réintégraient dans leur tribu d’origine – où s’exerçait réellement un contrôle social – et rendaient compte au juge d’application des peines, non sans difficulté parfois », explique le président de l’USM ([750]). En lien avec le sénat coutumier, le même tribunal travaille également au déploiement des travaux d’intérêt général « tribus ». Celui-ci nécessite néanmoins un accompagnement vigilant des jeunes personnes originaires des tribus à qui il est proposé, lorsqu’elles ont grandi dans le Grand Nouméa sans être habituées au « cadre de vie et règles empreintes de fermeté » qui sont imposés par le chef coutumier ([751]).
Ces expérimentations mériteraient d’être étendues aux autres territoires où les pratiques coutumières continuent de jouer un rôle de cohésion sociale important. Afin de leur donner un cadre, elles pourraient être détaillées dans une circulaire du garde des sceaux relative au déploiement d’une politique pénale adaptée aux territoires ultramarins. Comme l’indique le président de l’USM, « la Nouvelle- Calédonie est sans doute un laboratoire d’idées institutionnelles (…). Reste qu’il faut, comme toujours, que les personnes concernées se saisissent des outils qui existent et que l’action de l’État soit pérenne, plutôt que d’obéir à une coûteuse politique de stop and go » ([752]) .
● Enfin, en vue de renforcer la contribution des populations ultramarines à l’œuvre de justice, il est temps de mettre un terme à l’anomalie actuelle que constitue la composition des tribunaux mixtes de commerce en outre-mer.
En effet, si les tribunaux de commerce en Hexagone sont uniquement composés de juges non professionnels, issus du monde des affaires et élus par leurs pairs, tel n’est pas le cas pour les tribunaux mixtes d’outre-mer, comme l’a rappelé le président de la Conférence générale des juges consulaires de France : « Dans les tribunaux mixtes de commerce (TMC), que ce soit à Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Cayenne, Fort-de-France, Saint-Denis, Saint-Pierre, Nouméa ou Papeete, siègent effectivement un magistrat professionnel, qui préside la juridiction, et deux juges élus, qui sont ses assesseurs. La présence du magistrat professionnel garantit le respect des règles de la magistrature et de procédure (…). Les juges consulaires ne rédigent pas les jugements : cette tâche revient au magistrat de carrière. En revanche, ils disposent d’une délégation du président pour les ordonnances relatives à la procédure de recouvrement d’une créance – plus communément appelée procédure d’injonction de payer – et rédigent des décisions dans le domaine de la prévention des difficultés des entreprises. Enfin, les tribunaux de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon et à Wallis-et-Futuna, qui possèdent cette compétence, sont composés uniquement de magistrats professionnels » ([753]).
La présence d’un magistrat professionnel, qui préside la formation et rédige les jugements, est une marque forte de défiance du système judiciaire à l’encontre des citoyens ultramarins. Le message sous-jacent à une telle dérogation au droit commun est que, contrairement aux juges consulaires hexagonaux, les jugés élus ultramarins ne seraient pas en mesure de « garantir le respect des règles » pour reprendre les termes précités. Un tel mépris peut être à juste titre perçu comme un héritage colonialiste à l’égard des populations ultramarines.
Votre rapporteur recommande par conséquent de mettre un terme à ce régime dérogatoire et d’aligner la composition des formations de jugement des tribunaux de commerce en outre-mer sur celles existantes en Hexagone. Le cas échéant, un programme de formation pourra être mis en place au bénéfice des juges consulaires ultramarins pour que ces derniers soient pleinement opérationnels dans leurs nouvelles fonctions.
Naturellement, dans les territoires peu peuplés tels que Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna où il risque de ne pas y avoir suffisamment de candidats au poste de juge consulaire, le système actuel au terme duquel les affaires commerciales sont jugées par le tribunal de première instance pourra être pérennisé.
b. Renforcer le dialogue avec les acteurs de la société civile
● Rapprocher la justice de la population ultramarine exige de renforcer les outils de dialogue et de concertation avec la population civile.
Tout d’abord, la justice ultramarine doit mieux identifier les attentes spécifiques des justiciables d’outre-mer. À cet égard, l’initiative d’« open justice » mise en place par la cour d’appel de Basse-Terre (cf. supra, première partie) est particulièrement intéressante. Après avoir recueilli, au travers de questionnaires, les attentes des justiciables, des « comités d’usagers » seront ainsi chargés d’élaborer un plan d’actions concrets pour répondre à ces attentes. Une telle initiative pourrait utilement, selon votre rapporteur, être élargie à l’ensemble des juridictions ultramarines, à travers la constitution de « comités d’usagers » dans chaque territoire.
En outre, les « conseils de juridiction » ([754]), qui associent chefs de juridictions, élus locaux et représentants d’associations ou d’organismes professionnels doivent être davantage valorisées au sein des juridictions ultramarines. Selon la direction des services judiciaires, ces conseils sont en effet utiles, en ce qu’ils « servent de fenêtre de communication avec les élus locaux ; c’est un espace de dialogue où la juridiction présente sa structuration et ses projets et où les élus font remonter les points d’alerte, les difficultés et les pistes d’amélioration qui leur semblent pertinentes. Ils sont plutôt axés sur la justice pénale et ont vocation à être déclinés dans toutes les juridictions » ([755]).
C’est devant cette entité qu’est présenté le projet de juridiction ([756]), qui définit des objectifs visant notamment à améliorer le service rendu au justiciable, en prenant en compte les spécificités du ressort. Il pourrait être envisagé à ce titre que le rôle du conseil de juridiction soit renforcé, par exemple en lui soumettant pour approbation, et non plus pour information, le projet de juridiction. Cela forcerait les chefs de cour et de juridiction à assurer une véritable concertation avec les membres du conseil de juridiction dans la définition de ce projet.
Votre rapporteur appelle en outre à mettre rapidement en œuvre les conseils locaux de politique civile, annoncés par le garde des sceaux, dans sa circulaire du 27 juin 2025, qui ont pour vocation de définir les priorités locales en matière civile (cf. encadré infra).
Les conseils locaux de politique civile institués par la circulaire du 27 juin 2025
« Afin de répondre à une exigence de lisibilité de l’action des juridictions et de renforcer le travail partenarial sur chaque ressort, chaque tribunal judiciaire devra dédier un conseil de juridiction par an à la politique civile de la juridiction. Ces conseils, organisés conformément à l’article R.212-64 du code de l’organisation judiciaire, réuniront, sous la présidence des chefs de juridiction, et en présence des présidents des tribunaux de commerce et conseils de prud’hommes, les magistrats référents en matière civile et les différents partenaires de la juridiction. Les compositions veilleront à associer tout particulièrement les élus locaux, les parlementaires, les représentants des professions du droit et des partenaires issus du monde associatif.
Les conseils locaux de politique civile (CLPC) auront pour objectif de permettre au président du tribunal judiciaire d’exposer les priorités juridictionnelles locales en matière civile, sociale et commerciale, en lien avec les orientations nationales et de présenter l’organisation juridictionnelle retenue en matière civile s’agissant tant du traitement des contentieux que de la promotion de l’amiable. Dans ce cadre, il peut notamment revenir au président de préciser l’organisation des audiences, la politique de recours à la collégialité, les circuits mis en place selon le type de litiges ou le degré d’urgence mais également de valoriser des projets mis en place par la juridiction. Cette instance peut constituer le cadre pertinent pour mettre en lumière des jurisprudences récentes, communiquer sur des décisions importantes rendues au cours de la période écoulée ou partager des indicateurs sur l’évolution de la situation du ressort.
Le CLPC, comme tout conseil de juridiction, n’exerce aucun contrôle sur l’activité juridictionnelle ou sur l’organisation du tribunal judiciaire. Il n’évoque pas les affaires individuelles dont le tribunal judiciaire est saisi. Le compte rendu du CLPC sera adressé aux chefs de cour afin qu’ils disposent des éléments leur permettant d’harmoniser les politiques civiles régionales et d’établir un rapport annuel transmis à la direction des affaires civiles et du sceau et à la direction des services judiciaires ».
Source : circulaire de politique civile du 27 juin 2025 du garde des sceaux.
● Enfin, il paraît nécessaire de favoriser un meilleur partage d’expériences entre les différentes juridictions ultramarines. Votre rapporteur a en effet été frappé de constater combien chaque juridiction ultramarine semble fonctionner en silo : les chefs de cour ultramarins semblent en effet avoir peu de contacts entre eux, alors même que leurs juridictions sont souvent confrontées à des problématiques similaires.
Afin de mieux partager leurs enjeux et de faciliter, le cas échéant, la mutualisation des initiatives fécondes, votre rapporteur propose la création d’une instance de concertation entre chefs de cour d’outre-mer, qui devra se réunir selon une périodicité donnée.
c. Renforcer la compréhension du droit et de la justice
● Une lisibilité renforcée de l’action de la justice auprès des citoyens ultramarins implique tout d’abord de revoir la politique de communication du système judiciaire en outre-mer.
À cet égard, l’initiative de la cour d’appel de Basse-Terre de publier des communiqués de presse (cf. supra, première partie) dans le cadre des affaires les plus sensibles est à saluer. Ces communiqués de presse permettent en effet une meilleure appropriation des décisions de justice par la population, ce qui peut contribuer à mettre un terme à certains fantasmes ou interprétations erronées. Là encore, cette initiative pourrait être utilement dupliquée dans les autres juridictions ultramarines.
Il convient également de favoriser toutes les initiatives qui permettent aux magistrats d’aller à la rencontre de la population, tels que les partenariats avec les universités ou la participation aux « Nuits du droit ».
Les justiciables ultramarins ont en effet besoin que la justice soit incarnée et que les magistrats ne restent pas dans leur tour d’ivoire, comme le souligne le représentant de la Conférence nationale des procureurs généraux : « Il faut incarner la justice. Les citoyens ultramarins ont besoin de savoir que la justice s’applique et qu’elle s’occupe de leur sécurité. Il faut être présent, rester à la portée des populations et savoir aller à leur rencontre. Il m’est arrivé, en Martinique, de parler de la justice dans des réunions publiques ou de m’exprimer dans les médias. La justice a tout intérêt à ne pas rester enfermée dans sa tour d’ivoire ou dans son tribunal comme dans un bunker ; elle doit, au contraire, aller au contact des populations, expliquer ce qui se passe et présenter l’évolution de l’institution et des réformes en cours » ([757]).
Il est donc nécessaire que le ministère de la justice – et le Conseil d’État pour les tribunaux administratifs – alloue aux juridictions ultramarines les moyens pour multiplier ces évènements dans le cadre desquels les magistrats peuvent aller à la rencontre des citoyens et mieux faire connaître leur juridiction, comme le souligne un représentant de l’Usma : « Tout d’abord, connaître la juridiction administrative constitue un premier pas très important, que l’on soit en outre-mer ou en métropole. Les juridictions administratives ont nécessairement un rôle à jouer dans ce domaine. Encore faut-il, pour cela, disposer de moyens pour dédier du temps à la rencontre des populations et pour leur parler de ce que fait la juridiction administrative. Je sais que, par exemple, le tribunal administratif de la Guyane participe aux Journées européennes du patrimoine et à la Nuit du droit. Bien que ponctuels, ces événements permettent d’ouvrir les portes de la juridiction et de faire connaître ses missions et ses voies d’accès, parce que cela paraît très loin. Mieux faire connaître la juridiction passe par des actions locales et nécessite donc des moyens » ([758]).
● Enfin, la lisibilité de l’action de la justice exige d’assurer un accès plus aisé et une meilleure compréhension du droit lui-même. Or, comme il a été mis en exergue dans la première partie du présent rapport, l’articulation du droit coutumier, du droit local et du droit national dans certaines collectivités d’outre-mer complique singulièrement l’accès au droit pour le justiciable. La complexité née de l’enchevêtrement des normes est telle que certaines collectivités, telles que Wallis-et-Futuna, ont débuté un chantier visant à recenser les lois, ordonnances et décrets applicables à leur territoire ([759]).
Dans cette perspective, il serait utile d’entamer un processus de codification, qui permettrait de rassembler dans une matière donnée l’ensemble des règles en vigueur, territoire par territoire, ainsi que le suggère le président de l’Ajdom: « Il faut également consentir un effort sur les vecteurs d’accès au droit. La codification est un bon vecteur. S’il fallait faire un choix, il faudrait établir un code propre à chaque territoire d’outre-mer pour être cohérent avec la volonté d’adaptation locale. Cette mission pourrait être pilotée par la Commission supérieure de codification, rattachée aux services du Premier ministre » ([760]).
Cette entreprise de codification favoriserait ainsi certainement l’accès au droit et l’intelligibilité de celui-ci pour les populations concernées.
Recommandation n° 18 pour une justice plus proche des citoyens ultramarins :
● Pour renforcer la participation des justiciables à l’œuvre de justice :
– Supprimer les cours criminelles départementales dans tous les territoires d’outre-mer, afin de restaurer la compétence des jurys populaires pour juger l’ensemble des crimes ;
– Initier une réflexion sur la possibilité d’intégrer des assesseurs citoyens au sein de certaines formations de jugement des juridictions ultramarines ;
– Reconnaître aux chefs coutumiers le statut de conciliateur de justice et les associer davantage aux alternatives aux poursuite ou à l’exécution des peines;
– Aligner la composition des formations de jugement des tribunaux mixtes de commerce d’outre-mer sur celle des tribunaux de commerce de l’Hexagone ;
● Pour renforcer le dialogue avec les acteurs de la société civile :
– Mettre en place des comités d’usagers dans chaque juridiction ultramarine, avec pour mission de mettre en œuvre un plan d’actions pour répondre aux attentes des justiciables du territoire ;
– Revaloriser le rôle du conseil de juridiction, qui regroupe les principaux acteurs du territoire, dans l’élaboration la politique de la juridiction à l’égard des justiciables ;
– Créer une instance de concertation entre les chefs de cour des juridictions ultramarines ;
● Pour renforcer la compréhension du droit et de la justice :
– Publier systématiquement des communiqués de presse pour les affaires les plus sensibles ;
– Amplifier les actions de communication des juridictions auprès des populations locales ;
– Entreprendre un travail de codification des textes applicables pour chaque collectivité d’outre-mer, sous l’égide de la commission supérieure de codification.
2. Une justice qui doit répondre aux défis que traversent les sociétés ultramarines
La confiance dans la justice dépend aussi naturellement de l’efficacité de la réponse apportée par cette dernière à certains grands enjeux qu’affrontent les territoires d’outre-mer.
a. Le défi de l’augmentation de la criminalité
● Un des défis majeurs à ce titre concerne l’augmentation importante de la criminalité, notamment en Guyane et aux Antilles, sur fond d’essor du narcotrafic, de développement de la circulation des armes et de structuration de gangs, ainsi que l’a détaillé la première partie du présent rapport.
Face à ce défi majeur pour la cohésion sociale des territoires concernés, le sentiment prédominant au sein des populations ultramarines est que la réponse de l’État est non seulement en deçà des besoins, mais également significativement inférieure aux moyens accordés à certaines parties de l’Hexagone qui connaissent les mêmes difficultés.
Me Yanick Louis-Hodebar a bien traduit le sentiment dominant des populations ultramarines à ce sujet : « Je voudrais terminer avec la délinquance galopante qui affecte nos territoires. Si Marseille ou n’importe quelle ville de l’Hexagone affichait des chiffres semblables aux nôtres en la matière, on aurait déjà envoyé l’armée. On en est, en juin, à vingt-cinq homicides pour la Guadeloupe. Rien n’est fait pour y remédier. Certains de nos quartiers sont sous la coupe de gangs vénézuéliens et colombiens, encouragés par l’absence de réaction de l’État. Pour lutter contre ces gangs et faire en sorte que notre jeunesse ne périsse pas, il faut une justice de qualité, avec des délais raisonnables et des lieux de privation de liberté dignes d’une démocratie » ([761]).
Force est de constater que la justice ultramarine est largement débordée par cet afflux de dossiers criminels, de sorte qu’elle est contrainte de traiter les urgences aux dépens du reste des contentieux, comme l’a souligné le représentant de la CNPG ([762]).
Le manque criant de moyens alloué à la justice pénale ultramarine concerne l’ensemble de la chaîne pénale, qui est obérée, selon le représentant de la CNPG, par un déficit d’enquêteurs, un manque d’experts et le manque de places de prison : « Dans la plupart des territoires, les enquêtes économiques et financières ne sont pas conduites de manière satisfaisante par défaut de personnels spécialisés (…). Les offices centraux ne sont pas implantés partout : pour les dossiers les plus lourds, il faut parfois saisir un office central situé dans l’Hexagone, ce qui n’est pas simple. Pour mener les enquêtes, il faut également des experts et des laboratoires d’analyses, mais ceux-ci ne se trouvent pas sur place (…). Comme dans l’Hexagone, les prisons ultramarines sont surpeuplées » ([763]).
La saturation des juridictions criminelles ultramarines est démontrée par le recours massif à la correctionnalisation. Ainsi, de l’aveu même des chefs de cour de Basse-Terre, la majorité des crimes de tentatives de meurtre et la totalité des crimes de vols avec armes font l’objet d’une telle correctionnalisation en Guadeloupe (cf. supra, première partie). Cela crée une véritable rupture d’égalité dans la réponse pénale entre l’outre-mer et l’Hexagone : celui qui a commis une tentative de meurtre n’encourra en effet pas les mêmes peines, qu’il habite à Point-à-Pitre ou à Rodez.
Le déficit de moyens consacrés à la justice criminelle ultramarine est également illustré par l’absence de pôles spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée en Guadeloupe et en Guyane, alors même que le garde des sceaux a annoncé la création d’un tel pôle en Corse. Quant à la JIRS de Martinique, elle ne compte que trois juges d’instruction pour traiter les affaires criminelles les plus complexes de la Guyane et de l’arc antillais ([764]).
S’agissant des faits délictuels, l’efficacité de la réponse pénale souffre de la surcharge des services d’enquête et la difficulté de l’exécution des mesures d’aménagement de peines : « Un autre défi tient à la réponse pénale à apporter à la délinquance non criminelle. Il est plus difficile d’appliquer des mesures alternatives à l’emprisonnement et d’aménagement de peine dans les territoires d’outre-mer, notamment insulaires. En effet, les exclusions et les interdictions sont délicates à respecter dans de petits territoires où les habitants se croisent facilement. Les dispositifs électroniques ne fonctionnent pas partout, à l’image du bracelet anti-rapprochement (BAR) contre les violences intrafamiliales » ([765]).
● Dans ces conditions, de nombreux Ultramarins renoncent tout purement et simplement à porter plainte. Le constat effectué à ce sujet par le président du conseil départemental de Mayotte est malheureusement transposable à bien d’autres territoires ultramarins : « Je ne dirais pas qu’il existe une défiance, mais plutôt une sorte de méfiance, dans le sens où on a l’impression (…) que les dossiers prennent beaucoup de temps, notamment pour la délinquance – les vols, par exemple – et la violence que les gens subissent tous les jours. Les gens trouvent que cela ne va pas suffisamment vite et que les responsables ne sont pas suffisamment punis » ([766]).
Au surplus, lorsque les justiciables décident de porter plainte, ils sont nombreux à ne pas être tenus au courant des suites de celle-ci comme l’a souligné une représentante de l’association Trop’Violans 973 : « Je comprends que les forces de l’ordre manquent de moyens humains et matériels, mais les justiciables sont découragés dans leurs démarches. Il leur est souvent conseillé de se reporter sur autre chose qu’un dépôt de plainte et, lorsqu’ils en déposent une malgré tout, ils n’obtiennent souvent aucune nouvelle par la suite » ([767]). Pour remédier à cette situation inadmissible, une proposition de loi visant à préserver les droits des victimes dépositaires de plaintes classées sans suite du député Jiovanny William a été adoptée le 7 mai 2025 par l’Assemblée nationale, mais son examen n’a pas été inscrit à l’ordre du jour du Sénat à la date de rédaction du présent rapport.
● Dans ce contexte, votre rapporteur appelle donc le ministère à l’établissement d’un plan d’urgence pour la justice pénale outre-mer.
Lors de son audition par la commission d’enquête, le garde des sceaux a notamment annoncé la rédaction de circulaires pénales territorialisées afin d’adapter la politique pénale aux spécificités de chaque territoire ultramarin, ainsi que l’envoi de renforts pour la JIRS de Fort-de-France et la création de nouvelles places de prison ([768]).
Votre rapporteur salue ces engagements, qu’il considère toutefois insuffisants pour faire face à la vague de criminalité actuelle. Selon votre rapporteur, il est crucial de créer des pôles spécialisés en matière de criminalité organisée au sein des juridictions de Guyane et de Guadeloupe et de renforcer significativement les effectifs humains et matériels des juridictions pénales de ces territoires. Il faut également garder un œil attentif sur la situation des autres territoires ultramarins, comme la Polynésie française, sur le plan du narcotrafic, et d’adapter au besoin les moyens déployés.
Il convient enfin de mettre en place le plus tôt possible un dispositif permettant aux justiciables ultramarins de connaître en temps réel le traitement de leur plainte, comme le ministre s’y est engagé ([769]).
Recommandation n° 19 pour renforcer la réponse pénale face à la hausse de la criminalité dans certains territoires ultramarins :
– Créer des pôles anti-criminalité organisés au sein des juridictions de Guadeloupe et de Guyane ;
– Renforcer significativement les moyens humains et matériels des juridictions criminelles de Guyane et des Antilles, pour les mettre au même niveau que les ressorts hexagonaux connaissant un niveau équivalent de criminalité ;
– Mettre en œuvre le plus rapidement possible un dispositif permettant aux justiciables de suivre en temps réel le traitement de leur plainte ;
– Publier des circulaires de politique pénale territorialisées pour adapter la réponse pénale aux spécificités de chaque territoire ultramarin.
b. Le défi du désordre foncier
● L’autre grand défi sociétal au titre duquel la justice ultramarine a un rôle majeur à jouer pour apaiser les tensions sociales et répondre aux attentes des justiciables réside dans les enjeux fonciers.
Comme il a été rappelé dans la première partie du présent rapport, de nombreux territoires ultramarins sont marqués par le « désordre foncier », qui est généré à la fois par un cadastre lacunaire et par l’absence de liquidation d’indivisions successorales fort anciennes.
Les représentants respectifs du Collectif pour la réparation des injustices à La Réunion (CRI 974) ([770]), du Kollèctif Jistiss Matinik (KJM) et l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar) ([771]) ont tous décrit les mêmes tensions sociales liées à ce désordre foncier. Ces associations ont en effet mis en exergue que nombreux justiciables ultramarins se plaignant d’être spoliés de leur terre, du fait d’un recours abusif au régime de la prescription acquisitive par des personnes de mauvaise foi, cherchant à s’accaparer des terres dans une perspective spéculative, avec la complicité de notaires locaux.
Ces associations ont soumis à votre rapporteur de très nombreux documents relatifs à ces affaires de « spoliation de terres ». Il n’appartient pas à votre rapporteur de se prononcer sur le bien-fondé juridique de ces plaintes. Mais le seul fait qu’il existe des centaines de plaignants en Martinique qui dénoncent une telle appropriation abusive des terres est révélateur d’un fait sociétal, que les autorités judiciaires se doivent de prendre très au sérieux. Car lorsque les justiciables estiment que la justice n’est pas capable de résoudre leurs litiges, ils en viennent à se faire justice eux-mêmes.
Or, le système judiciaire ultramarin s’est jusqu’à présent très peu adapté à cette problématique du désordre foncier, à l’exception notable de la Polynésie qui abrite un tribunal foncier.
Il serait à ce titre intéressant d’établir un premier bilan de ce tribunal foncier en Polynésie, dont le fonctionnement est d’ailleurs échevinal, afin d’envisager le cas échéant son extension à d’autres territoires d’outre-mer qui connaissent les mêmes problématiques foncières, tels que la Martinique, la Guadeloupe, Saint-Martin ou encore la Nouvelle-Calédonie.
Par ailleurs, les juridictions ultramarines pourraient davantage s’impliquer pour identifier des solutions juridiques pérennes à ce désordre foncier, à l’instar de la cour d’appel de Fort-de-France qui a créé un groupe de travail à cette fin, en association avec le groupement d’intérêt public pour la sortie de l’indivision et pour le titrement en Martinique.
Votre rapporteur suggère ainsi que dans chaque territoire concerné par cet enjeu, les juridictions pilotent un groupe de travail associant les professionnels pertinents – notaires, géomètres, avocats, experts-immobiliers, etc. – pour élaborer un plan d’actions en faveur de la régularisation foncière, adapté à chaque territoire.
Les représentants du notariat ont ainsi rappelé à la commission d’enquête leur capacité à contribuer à la résolution de cet enjeu crucial pour les territoires d’outre-mer : « Le notariat français dispose, modestement, de propositions pour régler certaines situations. J’en veux pour preuve le travail lancé avec nos confrères de La Réunion à notre retour de Mayotte visant à l’élaboration d’un plan avec des solutions concrètes et techniques, car le notariat peut aider à réaliser rapidement des opérations de titrement. À Mayotte, et c’est une spécificité, un groupement d’intérêt public‑commission d’urgence foncière a été mis en place. Le département, propriétaire, doit opérer des transferts, et donc signer de nombreux actes. Selon les différentes estimations, dont celles des collectivités, le stock de dossiers serait compris entre 80 000 et 100 000. Or le rythme de production des deux institutions est de trente à quarante dossiers par an. Comment régler pareille situation ? Nous avons donc suggéré de solliciter le notariat. Il existe en effet des études à La Réunion, à Mayotte et d’autres confrères sont prêts à aider à débloquer les dossiers, en s’occupant du back-office. Nous avons pour l’instant l’impression que les pouvoirs publics ne croient pas trop en nous » ([772]).
Enfin, il paraît nécessaire à votre rapporteur de faire un premier bilan de l’application de la loi « habitat dégradé » du 9 avril 2024, qui a raccourci le délai pour bénéficier de la prescription acquisitive de trente à dix ans dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy et à Saint‑Martin. Compte tenu des tensions sociales générées par ce mode d’acquisition, il semble à votre rapporteur que la pertinence de ce délai de dix ans pourrait en effet être réinterrogée. Un délai de vingt ans peut apparaître comme plus approprié aux spécificités des territoires ultramarins, comme l’a relevé le premier vice‑président du Conseil supérieur du notariat ([773]).
En outre, afin de lutter contre l’utilisation abusive du régime de la prescription acquisitive à des fins spéculatives, il pourrait être envisagé d’interdire la revente d’un bien acquis de cette façon durant une période limitée, par exemple de cinq ans, soit au terme du délai de contestation.
Il est aussi nécessaire de constituer un registre public dématérialisé faisant apparaître les bénéficiaires de ces prescriptions acquisitives, ainsi que les personnes qui ont témoigné en leur faveur de l’occupation paisible des biens. Cela permettra de lutter contre les fraudes et d’assurer une meilleure transparence quant aux acteurs impliqués dans ce type d’acquisition.
Enfin, la complexité et l’importance de ce sujet militent pour la création d’une commission d’enquête dédiée au désordre foncier en outre-mer.
Recommandation n° 20 pour relever le défi du « désordre foncier » :
– Étudier l’opportunité de créer des tribunaux fonciers dans certains territoires ultramarins, sur le modèle existant en Polynésie ;
– Mettre en place, sous l’égide des juridictions ultramarines, des groupes de travail réunissant les professionnels concernés pour proposer des solutions juridiques pérennes au « désordre foncier » qui frappe certains territoires ;
– Allonger le délai pour bénéficier de la prescription acquisitive dans certains territoires ultramarins de dix à vingt ans, afin de réduire les tensions sociales nées de l’application de ce mode d’acquisition de la propriété ;
– Interdire la revente d’un bien acquis par le mode de la prescription acquisitive avant le terme du délai de contestation de cinq ans ;
– Mettre en place un registre dématérialisé public indiquant dans chaque territoire ultramarin les bénéficiaires des prescriptions acquisitives, ainsi que les personnes ayant témoigné en leur faveur de l’occupation paisible des biens ;
– Créer une commission d’enquête sur le désordre foncier en outre-mer.
c. L’enjeu des violences intrafamiliales
Un troisième défi essentiel réside dans la lutte contre les violences intrafamiliales. Le constat posé par le responsable du groupe de travail sur les mineurs du Conseil national des barreaux est dramatique : « En 2022, le taux de violences intrafamiliales dans les collectivités et territoires d’outre-mer était de 6,5 pour 1 000 habitants, et de 4 dans les départements et régions d’outre-mer. Il était de 7,1 en Nouvelle-Calédonie et de 6,3 en Polynésie française – contre 2,7 dans l’Hexagone. Telles sont les réalités de l’outre-mer. Ainsi, 37 % des jeunes Mahorais sont victimes d’agressions sexuelles. Trente-sept pour cent ! » ([774]) .
● L’efficacité et la qualité de l’accompagnement des victimes passe en premier lieu par la disponibilité de solutions d’accueil et d’hébergement d’urgence. Leur insuffisance dans nombre de communes ultramarines fragilise la situation de la victime et limite les possibilités de lui porter secours. Le procureur général près la cour d’appel de Nouméa reconnaît ainsi que « dans un petit territoire comme Wallis, par exemple, la mise à l’abri des victimes de violences conjugales ou intrafamiliales s’avère difficile (…) il n’est pas toujours simple de trouver des structures d’accueil » ([775]).
Votre rapporteur estime également souhaitable que l’accueil des auteurs des faits puisse également être organisé, afin de ne pas pénaliser les victimes. Un centre d’accueil a vu le jour en Nouvelle-Calédonie ([776]). À La Réunion, la procureure de la République indique rechercher également l’éloignement de l’auteur des violences du domicile familial, chaque fois que c’est possible ([777]). Ces initiatives mériteraient d’être étendues à d’autres territoires où les solutions d’accueil des victimes de violences font cruellement défaut, y compris pour accueillir des auteurs de violences de territoires proches mais trop exigus pour permettre un véritable éloignement vis-à-vis de la victime.
● Outre l’augmentation du nombre de structures d’hébergement, votre rapporteur souhaite que puisse être accessibles depuis chaque commune une permanence téléphonique locale qui serve de premier point de contact pour les victimes. Si des associations peuvent localement jouer ce rôle, elles doivent être soutenues par l’État pour le faire, afin d’éviter leur cessation d’activités – comme ce fut le cas de SOS Écoute en Nouvelle‑Calédonie, pour des raisons financières ([778]) – ou leur financement par des pays étrangers ([779]).
Par ailleurs, si l’on peut se féliciter d’un accueil en créole réunionnais au numéro d’écoute national 39 19, la réalité de cette annonce récente du gouvernement ne semble pas encore tenir toutes ses promesses ([780]). Par ailleurs, le numéro national demeure inaccessible à Saint-Martin ([781]) et aux collectivités du Pacifique, ce que votre rapporteur voit comme une rupture d’égalité d’autant plus inacceptable que ces territoires sont particulièrement concernés par les violences intrafamiliales.
● L’indisponibilité, en outre, des dispositifs tels que les bracelets anti-rapprochement et les téléphones grave danger (TGD) dans certains territoires – ils sont par exemple totalement absents à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon ([782]) et Wallis-et-Futuna, et fonctionne de manière défaillante en Nouvelle‑Calédonie ([783]), ne fonctionneraient plus à Saint-Martin ([784]) – prive les victimes d’une protection efficace. Ces dispositifs peuvent effectivement permettre de tenir à l’écart les agresseurs de leur victime et de prévenir les secours rapidement en cas de besoin, ce pourquoi votre rapporteur estime indispensable de veiller à ce qu’ils puissent fonctionner sur tout le territoire national.
● Les questions de l’information et de la sensibilisation sont en effet des enjeux fondamentaux afin de faire évoluer certains comportements et préjugés ancrés dans les habitudes. Le rôle joué par le clan ou la coutume peuvent conduire de nombreuses femmes à ne pas oser porter plainte pour ne pas être exclues de leur communauté. Comme le relève le procureur de la République de Nouméa : « Nous avons beaucoup progressé ces dernières années [en matière de lutte contre les violences intrafamiliales], mais il reste une situation que nous ne parvenons pas à traiter : lorsqu’une victime de violences intrafamiliales réside dans la tribu, dans le clan de son mari, avec ses enfants, il est difficile d’obtenir une mesure de protection particulière. C’est toujours l’objet de négociations avec les autorités coutumières » ([785]).
Dans ce contexte, les initiatives d’accès au droit et de diffusion d’informations clefs relatives aux droits des femmes, des enfants et de l’ensemble des victimes de violences intrafamiliales paraissent d’autant plus nécessaires et légitimes. D’une part, le personnel non juridique qui assure l’accueil, voire les permanences – à défaut d’avoir toujours des professionnels du droit présents –, dans les points-justice pourrait recevoir une formation spécifique sur ces questions. D’autre part, chaque CDAD ou CAD pourrait avoir comme objectif de mener, chaque année, une campagne de prévention et de sensibilisation sur le sujet, en veillant à s’appuyer sur les relais locaux – associations, organisations coutumières – pour être diffusée.
Votre rapporteur salue l’initiative prise par la cour d’appel de Papeete de créer, avec le gouvernement de Polynésie française, le premier Observatoire des violences faites aux femmes du territoire, qui permettra de mieux comprendre les sous-jacents du phénomène, de mieux le traiter, et de communiquer plus largement sur ce sujet auprès de la population. Il estime qu’une telle initiative pourrait être utilement étendue à tous les territoires ultramarins.
Recommandation n° 21 pour renforcer l’effectivité des moyens de prévention et de lutte contre les violences intrafamiliales :
– Augmenter le nombre de structures d’hébergement et d’accueil d’urgence pour les victimes de violences intrafamiliales, mais aussi les auteurs ;
– Mettre en place une ligne d’écoute pour les victimes de violences intrafamiliales dans les territoires qui n’en disposent pas, opérée localement et disponible dans les principales langues vernaculaires ;
– Rendre accessible sur chaque territoire les bracelets anti-rapprochement et téléphones grave danger ;
– Renforcer la diffusion d’informations spécifiques aux droits des femmes et des victimes de violences intrafamiliales, en général, à travers des campagnes annuelles de sensibilisation, en travaillant en priorité avec les autorités coutumières et les relais associatifs ;
– Créer dans chaque territoire ultramarin un observatoire des violences intrafamiliales.
Recommandation n° 1 pour renforcer le caractère incitatif des contrats de mobilité :
– Clarifier la portée juridique des engagements pris par la direction des services judiciaires au titre de la réaffectation prioritaire des bénéficiaires des contrats de mobilité, au regard des compétences du CSM en matière de nomination des magistrats du siège ;
– Réduire la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire de trois à deux ans pour les magistrats rejoignant les juridictions en Guyane, notamment à Saint-Laurent-du-Maroni, à l’instar de ceux exerçant à Mayotte ;
– Réduire la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire de trois à deux ans pour le personnel de greffe rejoignant les juridictions de Mayotte ou de Guyane.
Recommandation n° 2 pour une meilleure adaptation du régime indemnitaire :
– Pour l’ensemble de la fonction publique, garantir une meilleure compensation financière des agents exerçant dans les territoires ultramarins peu attractifs, par une revalorisation de l’indemnité de sujétion géographique et/ou une adaptation des majorations de traitement ;
– Pour le ministère de la justice, instaurer une progressivité dans le temps des primes versées aux magistrats pour les juridictions souffrant d’un déficit de fidélisation et établir a contrario une dégressivité de ces primes pour les juridictions connaissant un déficit de mobilité.
Recommandation n° 3 sur la valorisation d’une affectation en outre‑mer :
– Élever de deux ans à quatre ans la durée maximale prise en compte pour la bonification indiciaire des magistrats exerçant outre-mer ;
– Élargir la possibilité d’avancement sur place au premier grade au sein des juridictions les moins attractives ;
– Conditionner l’accès aux postes de premier président de cour d’appel et de procureur général aux magistrats ayant eu une expérience dans une juridiction ultramarine ;
– Pour les postes de chefs de juridictions, à compétences égales, choisir en priorité les magistrats ayant exercé en outre-mer.
Recommandation n° 4 sur l’accompagnement des magistrats et greffiers affectés en outre-mer :
– Créer un poste dédié à l’accompagnement des nouveaux arrivants dans chaque service administratif régional ultramarin ;
– Étendre la pratique du « séjour exploratoire », qui bénéficie aujourd’hui aux seuls magistrats administratifs primo-affectés, à l’ensemble des magistrats et greffiers, de l’ordre administratif ou judiciaire, affectés en outre-mer ;
– Dans les territoires d’outre-mer où l’accès aux logements est le plus tendu, créer un réseau de logements qui pourraient être mis à disposition des nouveaux arrivants grâce à une politique de conventionnement de baux d’habitation ;
– Prendre en charge les frais de déménagement des personnels primo-affectés ;
– Créer un livret d’accueil des nouveaux arrivants dans chaque juridiction ultramarine comportant des informations pratiques et les caractéristiques du territoire concerné.
Recommandation n° 5 pour renforcer le maillage des juridictions ultramarines :
– Créer un tribunal de plein exercice à Saint-Martin ;
– Créer, à titre expérimental, une cour administrative d’appel, située dans les Antilles ou en Guyane, compétente pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– Créer une cour d’appel de plein exercice et un tribunal administratif permanent à Mayotte ;
– Créer un tribunal supérieur d’appel à Wallis-et-Futuna.
Recommandation n° 6 pour moderniser l’immobilier judiciaire en outre-mer :
– Engager dans les meilleurs délais les opérations suivantes :
– la restructuration et l’extension du palais de justice de Basse-Terre ;
– la restructuration du palais de justice historique de Pointe-à-Pitre ;
– la restructuration et l’extension du tribunal judiciaire de Fort-de-France ;
– la construction d’une cité judiciaire à Mamoudzou ;
– la réhabilitation et l’extension du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion.
– Créer un département immobilier d’outre-mer au sein du ministère de la justice, dont les agents, localisés dans chaque territoire, auraient en charge la conduite des projets immobiliers intermédiaires.
– Privilégier, dans la mesure du possible, l’utilisation de matériaux locaux pour les chantiers, en accélérant le processus de qualification des produits alternatifs au marquage CE.
Recommandation n° 7 pour une meilleure prise en compte de l’outre- mer dans l’organisation du ministère de la justice :
– Créer une direction de l’outre-mer au sein du ministère de la justice, qui serait compétente pour l’ensemble des enjeux relatifs à la justice ultramarine ;
– À organisation constante, localiser a minima un coordonnateur du secrétariat général du ministère de la justice dans chaque territoire ultramarin ;
– Recruter prioritairement des personnels ultramarins ou ayant eu une expérience en outre-mer pour les postes en administration centrale qui ont vocation à gérer les enjeux de la justice ultramarine ;
– Pérenniser l’organisation annuelle de la journée « Justice outre-mer » ;
– Désigner un référent outre-mer au sein du secrétariat général du Conseil d’État.
Recommandation n° 8 pour prévenir, à Saint-Pierre-et-Miquelon, le risque qui pèse sur la continuité du service public de la justice :
– Faire plus systématiquement droit aux demandes de remplacement des magistrats du siège de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– Renforcer les moyens du parquet de Saint-Pierre-et-Miquelon en y affectant un magistrat supplémentaire.
Recommandation n° 9 sur l’amélioration du fonctionnement de certaines formations de jugement :
– Modifier la composition des formations collégiales du tribunal supérieur d’appel et du tribunal criminel de Saint Pierre et Miquelon afin de rendre les magistrats majoritaires par rapport aux assesseurs civils ;
– Permettre le renvoi à une formation collégiale en matière correctionnelle à Saint Pierre et Miquelon, lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement ;
– Accroître la liste des assesseurs coutumiers en Nouvelle-Calédonie, en faisant notamment participer davantage de femmes, et permettre aux formations de jugement de siéger en cas d’absence d’assesseurs, si les parties le souhaitent ;
– Mettre fin au fonctionnement dérogatoire de sélection des jurés populaires à Mayotte ou, a minima, multiplier par trois le nombre de personnes figurant sur la liste des jurés.
Recommandation n° 10 sur le renforcement des droits de la défense dans les territoires dépourvus de barreau (Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon) :
– Limiter de façon effective l’intervention des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna aux gardes à vue ;
– Dans l’attente de l’installation d’avocats sur le territoire de Wallis-et-Futuna, former urgemment les citoyens-défenseurs ;
– Permettre l’intervention, dans les cas d’urgence, d’un avocat en visioconférence pour assister à distance les justiciables à Saint Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, en présence d’un tiers ;
– Amender le statut des agréés afin que des permanences soient assurées.
Recommandation n° 11 sur une meilleure prise en compte du multilinguisme par la justice ultramarine :
– Allouer aux juridictions ultramarines les crédits nécessaires au recrutement d’interprètes en nombre suffisant pour faire face aux besoins des justiciables non francophones ;
– Favoriser le recrutement de personnels judiciaires multilingues au sein des services d’accueil ;
– Prévoir des formations linguistiques pour les personnels judiciaires ;
– Établir des fascicules pour présenter les juridictions dans les différentes langues parlées par la population locale ;
– Promouvoir des actes de signification personnalisés, avec des explications en plusieurs langues via un QR code.
Recommandation n° 12 sur les incitations à mettre en place pour favoriser l’installation de professionnels du droit dans les territoires ultramarins :
– Favoriser l’installation des professionnels du droit dans les « déserts juridiques » par des aides financières et matérielles, en contrepartie de leur engagement d’y exercer durant une durée minimale ;
– Instituer un système de bourse qui finance la formation d’élèves avocats, en contrepartie de l’engagement de ces derniers d’exercer dans ces « déserts juridiques » durant une durée minimale ;
– Inciter les collectivités à employer à titre salarié des professionnels du droit avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local (en matière foncière, par exemple) ;
– Libéraliser l’installation des professions réglementées – notaires et commissaires de justice – dans les « déserts juridiques » ultramarins ;
– Assouplir le monopole des professions réglementées dans les « déserts juridiques », afin de permettre à de simples salariés des offices de réaliser des actes qui relèvent de la compétence des notaires et des commissaires de justice.
Recommandation n° 13 sur l’adaptation de l’aide juridictionnelle dans les territoires ultramarins :
– Rehausser les plafonds d’accès pour les justiciables ultramarins et le montant des unités de valeur au bénéfice des professionnels ultramarins, pour tenir compte du coût de la vie dans les territoires d’outre-mer ;
– Inclure dans les missions couvertes par l’aide juridictionnelle les prestations d’assistance lors du dépôt d’une plainte, pour lutter contre le phénomène de non-recours à la justice pénale en outre-mer ;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration (sur une base forfaitaire pour ces deux derniers) des avocats ultramarins intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences se déroulant à Saint Laurent du-Maroni, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, dans la province Nord ou la province des Îles Loyauté de Nouvelle- Calédonie et Wallis-et-Futuna ;
– Instaurer à Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon une aide juridictionnelle garantie, ainsi qu’une convention locale d’aide juridictionnelle ;
– Lancer une grande campagne de communication dans les territoires ultramarins sur le dispositif de l’aide juridictionnelle ;
– À Mayotte, lever les difficultés relatives à l’absence de délivrance par l’administration fiscale des documents requis pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ;
– Détailler les crédits relatifs à l’aide juridictionnelle prévus ou consommés dans les territoires ultramarins dans les documents budgétaires.
Recommandation n° 14 sur le renforcement de la politique de l’accès au droit :
– Créer un indicateur dans les documents budgétaires sur la part de la population ultramarine qui réside à moins de 30 minutes d’un point-justice ;
– Doubler les crédits d’accès au droit alloués aux territoires ultramarins, pour porter leur montant à 1,6 million d’euros pour :
– densifier le maillage des points-justice, notamment dans les territoires les plus enclavés (Ouest guyanais, îles de l’archipel guadeloupéen…), afin de créer un point-justice à une demi-heure du lieu d’habitation de chaque citoyen ultramarin ;
– créer des maisons de la justice et du droit, dans chaque territoire ultramarin doté d’un tribunal judiciaire de plein exercice ;
– renforcer la fréquence des permanences juridiques dispensées dans les points-justice ;
– payer les frais de déplacement des professionnels juridiques pour les inciter à tenir des permanences dans les territoires les plus enclavés ;
– renforcer le recours aux interprètes dans les territoires marqués par une forte population allophone ;
– relancer et déployer plus largement les dispositifs les plus innovants « d’aller vers » susmentionnés – pirogues du droit, Justibus, randonnées du droit… ;
– recruter des personnels juristes salariés aptes à conseiller directement les justiciables, pour ne plus dépendre exclusivement des permanences des professionnels du droit ;
– recruter des conseillers numériques pour lutter contre la fracture numérique qui obère l’accès au droit de nombreux justiciables ultramarins ;
– former les agents des maisons France Services au premier accueil à l’accès au droit ;
– mettre en place un dispositif de numéro unique de l’accès au droit (NUAD) spécifique à chaque grande zone géographique des territoires ultramarins.
– lancer une grande campagne de communication sur les points-justice ;
– Élargir à l’ensemble des territoires ultramarins l’initiative « zéro non- recours » mise en œuvre en Guadeloupe.
Recommandation n° 15 sur le développement de la justice foraine dans les territoires ultramarins :
– Résoudre rapidement les difficultés de l’immobilier judiciaire existant à Sada (Mayotte), et à Saint-Benoît (La Réunion) pour permettre la conduite d’audiences foraines ;
– Prévoir, au bénéfice des juridictions ultramarines, une enveloppe financière sanctuarisée dédiée aux audiences foraines ;
– Publier une circulaire ministérielle pour promouvoir la justice foraine dans les territoires ultramarins ;
– Créer au sein du code de l’organisation judiciaire un régime juridique dédié aux audiences foraines, qui confère des pouvoirs spécifiques aux magistrats et des droits adaptés aux justiciables, notamment celui de faire des requêtes verbales.
Recommandation n° 16 sur le renforcement de la formation initiale et continue des magistrats et greffiers aux spécificités des territoires ultramarins :
– Faire bénéficier les auditeurs de justice et les élèves-greffiers qui effectuent leur stage au sein des juridictions ultramarines d’une revalorisation de leur traitement, pour tenir compte du coût de la vie ;
– Transformer la « journée outre-mer » dispensée aux auditeurs de justice en « semaine outre-mer », afin de sensibiliser ces derniers aux enjeux de l’ensemble des territoires ultramarins ;
– Rendre obligatoire la participation à la formation « Être magistrat outre‑mer » à tout magistrat affecté dans les juridictions ultramarines ;
– Intégrer à la formation en ligne « Mentor » la possibilité d’échanger, individuellement ou collectivement, avec des intervenants connaisseurs de l’outre‑mer ;
– Créer une offre de formation initiale et continue dédiée à l’outre-mer au sein du centre de formation des juridictions administratives (CFJA) ;
– Convier les représentants de l’Association des magistrats ultramarins à intervenir lors des formations relatives à l’outre-mer ;
– Densifier les offres de formation continue dispensées au sein même des juridictions ultramarines, notamment celles relatives aux réalités socioculturelles des territoires ultramarins, en renforçant le budget alloué aux formations territorialisées ;
– Organiser, en Nouvelle-Calédonie notamment, des séjours immersifs au sein des aires coutumières pour les magistrats et personnels récemment affectés.
Recommandation n° 17 pour favoriser l’ancrage local des professionnels de justice et assurer une meilleure représentation des magistrats ultramarins :
– Mettre fin à la règle de gestion des mobilités selon laquelle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » ;
– Assouplir les règles d’incompatibilité pour favoriser le recrutement de magistrats à titre temporaire parmi les professionnels du droit en outre-mer ;
– Développer les concours nationaux à affectation locale (Cnal) pour les greffiers et ouvrir une réflexion sur l’opportunité de créer des Cnal pour recruter à l’ENM des magistrats issus des territoires ultramarins ;
– Développer les cordées de la réussite outre-mer et créer des forums de métiers dans les établissements scolaires et universitaires pour sensibiliser aux métiers de greffiers et magistrats ;
– Étudier l’opportunité d’ouvrir une antenne de l’École nationale des greffes en outre-mer ;
– Créer des classes « Prépas Talents » dans chaque territoire d’outre-mer doté d’une université de droit.
Recommandation n° 18 pour une justice plus proche des citoyens ultramarins :
● Pour renforcer la participation des justiciables à l’œuvre de justice :
– Supprimer les cours criminelles départementales dans tous les territoires d’outre-mer, afin de restaurer la compétence des jurys populaires pour juger l’ensemble des crimes ;
– Initier une réflexion sur la possibilité d’intégrer des assesseurs citoyens au sein de certaines formations de jugement des juridictions ultramarines ;
– Reconnaître aux chefs coutumiers le statut de conciliateur de justice et les associer davantage aux alternatives aux poursuite ou à l’exécution des peines;
– Aligner la composition des formations de jugement des tribunaux mixtes de commerce d’outre-mer sur celle des tribunaux de commerce de l’Hexagone ;
● Pour renforcer le dialogue avec les acteurs de la société civile :
– Mettre en place des comités d’usagers dans chaque juridiction ultramarine, avec pour mission de mettre en œuvre un plan d’actions pour répondre aux attentes des justiciables du territoire ;
– Revaloriser le rôle du conseil de juridiction, qui regroupe l’ensemble des principaux acteurs du territoire, dans l’élaboration la politique de la juridiction à l’égard des justiciables ;
– Créer une instance de concertation entre les chefs de cour des juridictions ultramarines ;
● Pour renforcer la compréhension du droit et de la justice :
– Publier systématiquement des communiqués de presse pour les affaires les plus sensibles ;
– Amplifier les actions de communication des juridictions auprès des populations locales ;
– Entreprendre un travail de codification des textes applicables pour chaque collectivité d’outre-mer, sous l’égide de la commission supérieure de codification.
Recommandation n° 19 pour renforcer la réponse pénale face à la hausse de la criminalité dans certains territoires d’outre-mer :
– Créer des pôles anti-criminalité organisés au sein des juridictions de Guadeloupe et de Guyane;
– Renforcer significativement les moyens humains et matériels des juridictions criminelles de Guyane et des Antilles, pour les mettre au même niveau que les ressorts hexagonaux connaissant un niveau équivalent de criminalité ;
– Mettre en œuvre le plus rapidement possible un dispositif permettant aux justiciables de suivre en temps réel le traitement de leur plainte ;
– Publier des circulaires de politique pénale territorialisées, comme s’y est engagé le garde des sceaux, pour adapter la réponse pénale aux spécificités de chaque territoire ultramarin.
Recommandation n° 20 pour relever le défi du « désordre foncier » :
– Étudier l’opportunité de créer des tribunaux fonciers dans certains territoires ultramarins, sur le modèle existant en Polynésie ;
– Mettre en place, sous l’égide des juridictions ultramarines, des groupes de travail réunissant les professionnels concernés pour proposer des solutions juridiques pérennes au « désordre foncier » qui frappe certains territoires ;
– Allonger le délai pour bénéficier de la prescription acquisitive dans certains territoires ultramarins de dix à vingt ans, afin de réduire les tensions sociales nées de l’application de ce mode d’acquisition de la propriété ;
– Interdire la revente d’un bien acquis par le mode de la prescription acquisitive avant le terme du délai de contestation de cinq ans ;
– Mettre en place un registre dématérialisé public indiquant dans chaque territoire ultramarin les bénéficiaires des prescriptions acquisitives, ainsi que les personnes ayant témoigné en leur faveur de l’occupation paisible des biens ;
– Créer une commission d’enquête sur le désordre foncier en outre-mer.
Recommandation n° 21 pour renforcer l’effectivité des moyens de prévention et de lutte contre les violences intrafamiliales :
– Augmenter le nombre de structures d’hébergement et d’accueil d’urgence pour les victimes de violences intrafamiliales, mais aussi les auteurs ;
– Mettre en place une ligne d’écoute numéro pour les victimes de violences intrafamiliales dans les territoires qui n’en disposent pas, opérée localement et disponible dans les principales langues vernaculaires ;
– Rendre accessible sur chaque territoire les bracelets anti-rapprochement et téléphones grave danger ;
– Renforcer la diffusion d’informations spécifiques aux droits des femmes et des victimes de violences intrafamiliales, en général, à travers des campagnes annuelles de sensibilisation, en travaillant en priorité avec les autorités coutumières et les relais associatifs ;
– Créer dans chaque territoire ultramarin un observatoire des violences intrafamiliales.
Recommandations par territoire
Collectivités de l’Atlantique
– Créer, à titre expérimental, une cour administrative d’appel située dans les territoires de la Caraïbe ou en Guyane, compétente pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Barthélemy, Saint‑Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon ;
– Renforcer significativement les moyens humains et matériels des juridictions pénales de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane.
● Recommandations spécifiques à la Guyane :
– Réduire de trois à deux ans la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire pour les magistrats et personnels de greffe rejoignant les juridictions guyanaises, notamment à Saint‑Laurent‑du‑Maroni ;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des avocats guyanais intervenant dans le cadre d’une garde à vue sur l’ensemble du territoire, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences se déroulant à Saint‑Laurent‑du‑Maroni ;
– Créer un pôle anti-criminalité organisée au sein du ressort de la cour d’appel de Cayenne ;
– Relancer et amplifier le dispositif de la « pirogue du droit ».
Compte tenu des enjeux du territoire, mettre en œuvre en priorité les recommandations générales suivantes :
– Pour l’ensemble de la fonction publique, revaloriser l’indemnité de sujétion géographique ou prévoir une adaptation des majorations de traitement ;
– Compte tenu des difficultés particulières d’accès au logement sur ce territoire, créer un réseau de logements qui pourraient être mis à disposition des nouveaux arrivants grâce à une politique de conventionnement de baux d’habitation ;
– Inciter les collectivités à employer à titre salarié des professionnels du droit avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local (en matière foncière, par exemple) ;
– Favoriser l’installation des professionnels du droit par des aides financières et matérielles, en contrepartie de leur engagement d’y exercer durant une durée minimale ;
– Favoriser le recrutement de personnels judiciaires multilingues au sein des services d’accueil ;
– Établir des fascicules pour présenter les juridictions dans les différentes langues parlées par la population locale ;
– Créer un observatoire des violences intrafamiliales.
● Recommandations spécifiques à la Guadeloupe :
– Lancer les opérations de restructuration et d’extension du palais de justice de Basse-Terre ;
– Lancer les opérations de restructuration du palais de justice historique de Pointe-à-Pitre ;
– Créer un pôle anti-criminalité organisée au sein du ressort de la cour d’appel de Basse-Terre.
● Recommandations spécifiques à la Martinique :
– Lancer les opérations de restructuration et d’extension du tribunal judiciaire de Fort‑de‑France ;
– Renforcer les effectifs de la juridiction interrégionale spéciale (JIRS) de Fort-de-France ;
– Relancer et amplifier le dispositif du « Justibus ».
Compte tenu des enjeux du territoire, mettre en œuvre en priorité les recommandations générales suivantes :
– Étudier l’opportunité de créer des tribunaux fonciers dans certains territoires ultramarins, sur le modèle existant en Polynésie ;
– Allonger le délai pour bénéficier de la prescription acquisitive dans certains territoires ultramarins de dix à vingt ans, afin de réduire les tensions sociales nées de l’application de ce mode d’acquisition de la propriété ;
– Interdire la revente d’un bien acquis par le mode de la prescription acquisitive avant le terme du délai de contestation de cinq ans ;
– Mettre en place un registre dématérialisé public indiquant dans chaque territoire ultramarin les bénéficiaires des prescriptions acquisitives, ainsi que les personnes ayant témoigné en leur faveur de l’occupation paisible des biens ;
– Créer une commission d’enquête sur le désordre foncier en outre-mer.
● Recommandations spécifiques à Saint-Martin et Saint-Barthélemy :
– Créer un tribunal judiciaire de plein exercice, compétent pour les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des avocats guadeloupéens intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences tenues à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
– Rendre à nouveau opérationnel le téléphone grave danger.
● Recommandations spécifiques à Saint-Pierre-et-Miquelon :
– Faire plus systématiquement droit aux demandes de remplacement des magistrats du siège ;
– Renforcer les moyens du parquet en y affectant un magistrat supplémentaire ;
– Modifier la composition des formations collégiales du tribunal supérieur d’appel et du tribunal criminel afin de rendre les magistrats majoritaires par rapport aux assesseurs civils ;
– Permettre le renvoi à une formation collégiale en matière correctionnelle lorsque la peine encourue est supérieure à cinq ans d’emprisonnement ;
– Permettre l’intervention, dans les cas d’urgence, d’un avocat en visioconférence en présence d’un tiers ;
– Amender le statut des agréés afin que des permanences soient assurées ;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des avocats intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences ;
– Instaurer une aide juridictionnelle garantie, ainsi qu’une convention locale d’aide juridictionnelle ;
– Rendre opérationnel le téléphone grave danger.
Collectivités de l’océan Indien
● Recommandations spécifiques à Mayotte :
– Créer une cour d’appel de plein exercice ;
– Créer un tribunal administratif permanent ;
– Engager dans les meilleurs délais la construction d’une cité judiciaire à Mamoudzou ;
– Réduire la durée d’exercice requise pour bénéficier d’une affectation prioritaire de trois à deux ans pour le personnel de greffe rejoignant les juridictions de Mayotte ;
– Mettre fin au fonctionnement dérogatoire de sélection des jurés populaires ou, a minima, multiplier par trois le nombre de personnes figurant sur la liste des jurés ;
– Lever les difficultés relatives à l’absence de délivrance par l’administration fiscale des documents requis pour bénéficier de l’aide juridictionnelle ;
– Résoudre rapidement les problèmes immobiliers posés à Sada pour permettre la tenue d’audiences foraines.
Compte tenu des enjeux du territoire, mettre en œuvre en priorité les recommandations générales suivantes :
– Pour l’ensemble de la fonction publique, revaloriser l’indemnité de sujétion géographique ou prévoir une adaptation des majorations de traitement ;
– Compte tenu des difficultés particulières d’accès au logement sur ce territoire, créer un réseau de logements qui pourraient être mis à disposition des nouveaux arrivants grâce à une politique de conventionnement de baux d’habitation ;
– Inciter les collectivités à employer à titre salarié des professionnels du droit avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local (en matière foncière, par exemple) ;
– Favoriser l’installation des professionnels du droit par des aides financières et matérielles, en contrepartie de leur engagement d’y exercer durant une durée minimale ;
– Assouplir le monopole des professions réglementées, afin de permettre à de simples salariés des offices de réaliser des actes qui relèvent de la compétence des notaires et des commissaires de justice ;
– Favoriser le recrutement de personnels judiciaires multilingues au sein des services d’accueil ;
– Établir des fascicules pour présenter les juridictions dans les différentes langues parlées par la population locale.
● Recommandations spécifiques à La Réunion :
– Lancer les opérations de réhabilitation et d’extension du tribunal judiciaire de Saint‑Denis ;
– Reconstruire un tribunal à Saint-Benoît de La Réunion ;
– Relancer et amplifier le dispositif des « randonnées du droit ».
Collectivités du Pacifique
● Recommandations spécifiques à la Nouvelle-Calédonie :
– Accroître la liste des assesseurs coutumiers, en faisant notamment participer davantage de femmes, et permettre aux formations de jugement de siéger en cas d’absence d’assesseurs, si les parties le souhaitent ;
– Organiser des séjours immersifs au sein des aires coutumières pour les magistrats et personnels récemment affectés ;
– Ouvrir des places de détention pour les femmes.
Compte tenu des enjeux du territoire, mettre en œuvre en priorité les recommandations générales suivantes :
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des avocats intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences se déroulant dans la province Nord ou la province des Îles Loyauté ;
– Inciter les collectivités à employer à titre salarié des professionnels du droit, en Province Nord et sur les îles Loyauté, avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local ;
– Assouplir le monopole des professions réglementées, afin de permettre à de simples salariés des offices de réaliser des actes qui relèvent de la compétence des notaires et des commissaires de justice ;
– Favoriser le recrutement de personnels judiciaires multilingues au sein des services d’accueil ;
– Établir des fascicules pour présenter les juridictions dans les différentes langues parlées par la population locale.
● Recommandations spécifiques à Wallis-et-Futuna :
– Créer un tribunal supérieur d’appel ;
– Limiter de façon effective l’intervention des citoyens-défenseurs aux gardes à vue ;
– Dans l’attente de l’installation d’avocats sur le territoire, former urgemment les citoyens-défenseurs ;
– Permettre l’intervention, dans les cas d’urgence, d’un avocat en visioconférence en présence d’un tiers ;
– Indemniser les frais de déplacement, d’hébergement et de restauration des avocats intervenant dans le cadre d’une garde à vue, ainsi qu’au titre de leur participation aux audiences du tribunal de première instance de Mata‑Utu ;
– Instaurer une aide juridictionnelle garantie, ainsi qu’une convention locale d’aide juridictionnelle.
Compte tenu des enjeux du territoire, mettre en œuvre en priorité les recommandations générales suivantes :
– Inciter la collectivité à employer à titre salarié des professionnels du droit avec pour mission d’assister et de conseiller les justiciables sur les enjeux juridiques prégnants au niveau local ;
– Favoriser l’installation des professionnels du droit par des aides financières et matérielles, en contrepartie de leur engagement d’y exercer durant une durée minimale ;
– Augmenter le nombre de structures d’hébergement et d’accueil d’urgence pour les victimes de violences intrafamiliales, mais aussi les auteurs ;
– Mettre en place une ligne d’écoute dédiée aux victimes de violences intrafamiliales opérée localement et disponible dans les principales langues vernaculaires ;
– Rendre opérationnels les bracelets anti-rapprochement et téléphones grave danger.
● Recommandations générales à mettre en œuvre en Polynésie française :
– Instaurer une dégressivité dans le temps des primes versées aux magistrats pour inciter à la mobilité ;
– Libéraliser l’installation des professions réglementées – notaires et commissaires de justice – qui font particulièrement défaut sur le territoire ;
– Assouplir le monopole des professions réglementées, afin de permettre à de simples salariés des offices de réaliser des actes qui relèvent de la compétence des notaires et des commissaires de justice.
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION
M. le président Frantz Gumbs. Chers collègues, nous arrivons au terme de notre commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins. Je remercie le rapporteur, Davy Rimane, qui en est à l’origine, ainsi que tous les collègues qui avaient voté la proposition de résolution tendant à sa création.
Assurément, l’accès au droit et à la justice dans les territoires ultramarins est encore un angle mort des politiques publiques. Peu de rapports y sont consacrés, malgré les voix qui s’élèvent pour dénoncer la situation inacceptable que connaissent nombre de juridictions ultramarines. Nous y avons consacré six mois de travaux, environ cinquante auditions et un déplacement en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe. Au total, nous avons entendu plus de 250 personnes : magistrats, greffiers, préfets, élus locaux, responsables associatifs, avocats, notaires, commissaires de justice, anciens ministres, etc. Le constat est accablant.
Je ne rappellerai pas ici les caractéristiques des territoires ultramarins qui, du point de vue de Paris, sont autant de spécificités à traiter et d’adaptations à consentir par rapport à ce qui serait un modèle hexagonal. Je rappellerai néanmoins quelques faits étayés par nos auditions.
En Guyane, d’abord, bien qu’il existe un tribunal de proximité à Saint-Laurent-du-Maroni, le maillage judiciaire est insuffisant et ne répond pas aux besoins des populations de la Guyane intérieure. Il n’y a guère qu’à Cayenne que l’on trouve des avocats, les magistrats ne sont pas assez nombreux ni assez expérimentés et le turnover est très élevé, en dépit des dispositifs dérogatoires instaurés pour répondre à ce défaut d’attractivité. Une initiative innovante avait été prise – les pirogues du droit –, mais le dispositif a été à l’arrêt toute l’année. Le ministre nous a indiqué qu’il allait reprendre prochainement, mais jusqu’à quand ?
C’est tout le problème de la politique d’accès au droit, qui repose sur le seul président du tribunal, les collectivités y participant de manière aléatoire. Quand ce magistrat part, c’est toute la politique locale qui est à reconstruire. À chacun sa politique, pourrait-on dire.
Aux Antilles, ensuite, le principal défi est celui du narcotrafic, mais il en existe d’autres.
En Martinique, la question du foncier est tout à fait prégnante, certains profitant de la prescription acquisitive pour spolier les biens des locaux. Plus généralement, le rapport à la justice est fortement perturbé, notamment en raison des accusations de détournement de fonds qui visent la présidente du conseil départemental de l’accès au droit (CDAD).
En Guadeloupe, les conditions matérielles de certains sites judiciaires ne sont pas dignes d’un État de droit et le risque d’engorgement des juridictions est palpable, eu égard à l’activité criminelle en pleine expansion. Je tiens néanmoins à saluer l’engagement exemplaire de Mme Caroline Calbo, procureure de la République de Pointe-à-Pitre, de M. Michaël Janas, premier président de la cour d’appel de Basse-Terre et de M. Éric Maurel, procureur général près la cour d’appel de Basse-Terre qui, malgré des moyens limités, s’efforcent de comprendre les maux propres à ce territoire et de mettre en œuvre des solutions adaptées, comme l’initiative « Open Justice ». Cette dernière consiste à inviter des usagers, des justiciables, à contribuer à la compréhension des dysfonctionnements du système judiciaire.
Saint-Martin et Saint-Barthélemy, eux, n’ont pas de tribunaux à proprement parler. Il existe simplement un tribunal de proximité à Saint-Martin, tandis que quelques audiences foraines sont organisées à Saint-Barthélemy, ce qui ne permet pas un réel accès au droit et à la justice. Le ministre vient d’accéder à une demande ancienne en faveur de la création d’un tribunal de plein exercice à Saint-Martin, compétent pour les deux îles. L’activité judiciaire le justifie pleinement et je ne peux que m’en féliciter.
Mayotte, avec la Guyane, est l’un des territoires les moins bien dotés en matière d’accès au droit et à la justice. Non seulement la juridiction de Mamoudzou dépend de la cour d’appel de La Réunion, ce qui constitue bien sûr un obstacle majeur pour les justiciables, mais elle connaît une situation passablement dégradée. Au-delà de la situation des services publics sur place, l’immobilier judiciaire n’a toujours pas été reconstruit un an après le passage de Chido, les postes de magistrat judiciaire ne sont pas tous pourvus et les magistrats administratifs ne vivent même pas sur place. Il n’y a en outre qu’un avocat pour 10 000 habitants, peu ou pas de notaires, ni d’huissiers. La justice des cadis persiste pour beaucoup de Mahorais en parallèle de la justice républicaine et les liens entre les deux institutions sont presque inexistants alors même que la coutume tient une place importante dans la vie locale.
Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna ont aussi retenu notre attention, compte tenu de leurs particularismes en matière de justice. Fait notable : ils ne sont dotés d’aucun barreau.
À Wallis-et-Futuna, la défense des justiciables est assurée par de simples citoyens, quasi-bénévoles et sans aucune formation. Il y a là une exception particulièrement dommageable.
Quant à Saint-Pierre-et-Miquelon, des personnes dites agréées font office d’avocats, ayant parfois reçu une formation idoine, mais sans être suffisamment nombreux pour éviter des conflits d’intérêts sur un territoire où tout le monde se connaît.
Dans ces deux territoires, la justice est réduite à sa plus simple expression. Seuls deux magistrats sont affectés à Wallis-et-Futuna – un du siège et un du parquet – et quatre à Saint-Pierre-et-Miquelon, ce qui peut facilement conduire à des blocages dans le fonctionnement des juridictions. Surtout, dans ce dernier territoire, des procès à juge unique peuvent avoir lieu pour des infractions susceptibles d’être punies de vingt ans de prison : une situation absolument anormale et même certainement inconstitutionnelle.
La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française ont pour défi commun l’intelligibilité du droit applicable, rendu particulièrement complexe par l’autonomie dont ces territoires bénéficient. Je pense au droit coutumier pour le premier et au droit foncier pour le second.
En Nouvelle-Calédonie, la place du droit coutumier se concilie parfois difficilement avec la justice républicaine et des incompréhensions peuvent aisément survenir entre le justiciable et son juge. Le maillage territorial y semble encore insatisfaisant, même si le garde des sceaux a annoncé l’affectation d’un magistrat du parquet à la section détachée de Koné.
À l’inverse, la Polynésie semble faire l’objet d’une adaptation plus poussée de l’organisation judiciaire, même si les audiences foraines ne pourront jamais répondre parfaitement à l’immensité du territoire. Il n’en demeure pas moins que le code de procédure civile polynésien doit être une source d’inspiration, les justiciables pouvant par exemple faire des requêtes orales directement auprès du juge.
En définitive, un seul territoire semble tirer son épingle du jeu : La Réunion. Si le maillage judiciaire aux quatre coins cardinaux de l’île paraît satisfaisant, il ne répond toutefois pas entièrement aux problèmes d’accessibilité rencontrés par les habitants des Hauts et des cirques. Certains endroits n’étant accessibles qu’à pied ou en hélicoptère, un dispositif innovant d’« aller vers » a été lancé – les randonnées du droit – dans le cadre duquel des avocats, des magistrats, des juges vont à la rencontre des justiciables. Cependant, à l’image des pirogues du droit en Guyane, cette initiative a été récemment mise à mal par les restrictions budgétaires, ce que l’on ne peut que déplorer.
Il ne m’appartient pas de présenter les vingt et un axes de recommandation du rapporteur, mais j’y souscris entièrement. Je tiens aussi à m’associer aux propos de Mme Christiane Taubira sur la nécessité de penser les politiques publiques à partir des territoires, afin d’éviter un État surplombant et générique – le garde des sceaux a d’ailleurs lui-même admis le caractère central et jacobin de son ministère. La réorganisation de ce dernier et, au-delà, de tous les ministères, me paraît donc indispensable.
La réunion est suspendue de dix heures quarante-cinq à dix heures cinquante-cinq.
M. Davy Rimane, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur les constats, bien souvent accablants, présentés par M. le président, mais je tiens à le dire avec gravité : les carences du système judiciaire dans nos territoires ultramarins ne sauraient être assimilées à de simples dysfonctionnements administratifs. Il s’agit de véritables défaillances d’une politique publique : celle de l’accès au droit et à la justice en outre-mer.
Ces défaillances résultent bien sûr de décennies de sous-investissement, mais elles sont aussi symptomatiques d’une absence de vision stratégique de l’État à l’égard des territoires d’outre-mer, ainsi que d’une approche bien trop centralisée, je dirais même jacobine, des besoins des justiciables ultramarins.
Dans ce contexte, le message de notre rapport est simple : il faut changer de paradigme et opérer une véritable révolution copernicienne. Cela implique de cesser de dupliquer dans nos territoires une politique définie par l’Hexagone et pour les Hexagonaux. Il faut au contraire partir du terrain, c’est-à-dire des besoins concrets des justiciables ultramarins pour élaborer un service public de la justice qui leur soit véritablement adapté.
Les besoins des justiciables ultramarins ont été ma seule boussole pour élaborer mes recommandations, lesquelles s’articulent autour de trois axes.
Le premier axe consiste à offrir aux populations une justice aux mêmes standards qu’en Hexagone, ce qui suppose avant tout d’avoir des juridictions dotées de personnels en nombre suffisant. Or certains territoires, comme Mayotte et la Guyane, font face à un déficit criant d’attractivité, qui se traduit par des difficultés à recruter et à fidéliser le personnel judiciaire.
Dans l’attente d’une meilleure représentation des Ultramarins dans la magistrature, que j’appelle de mes vœux – j’y reviendrai –, il est nécessaire de muscler les dispositifs incitant les personnels judiciaires à rejoindre les juridictions les moins attractives. Cela passe notamment par le renforcement des contrats de mobilité, au titre desquels les agents sont ensuite prioritaires pour leur affectation suivante, mais aussi par une politique de prime qui tienne davantage compte du degré d’attractivité de la juridiction. Autrement dit, il faut des primes qui permettent de fidéliser les effectifs dans les juridictions qui connaissent un turnover important.
Par ailleurs, il est crucial de davantage valoriser une affectation outre-mer dans le déroulement des carrières. Pour ne prendre qu’un exemple, je préconise que seuls les magistrats ayant eu une expérience dans une juridiction ultramarine puissent accéder aux postes de chef de cour, c’est-à-dire de premier président de cour d’appel et de procureur général.
Enfin, l’attractivité des juridictions serait renforcée grâce à un meilleur accompagnement de l’installation des personnels affectés outre-mer. Par exemple, une personne pourrait être dédiée à cette mission au sein des juridictions.
Traiter les justiciables ultramarins selon les mêmes standards que les justiciables hexagonaux, c’est aussi disposer de juridictions accessibles physiquement. Dans cette perspective, je salue, à l’instar du président, l’annonce, par le garde des sceaux, de la création d’un tribunal de plein exercice à Saint-Martin. Il faut toutefois aller plus loin dans le maillage judiciaire ultramarin.
Je propose ainsi de mettre fin à l’aberration que représente la compétence de la cour de Bordeaux pour traiter les appels des litiges administratifs des collectivités de l’océan Atlantique. Il est temps de créer une cour administrative d’appel en Guyane ou aux Antilles. De même, il est inacceptable que Mayotte, en dépit d’une activité judiciaire particulièrement importante, ne dispose pas d’une cour d’appel de plein exercice, ni d’un tribunal administratif permanent.
Une justice ultramarine aux mêmes standards qu’en Hexagone, c’est aussi rendre justice dans des sites dignes d’un État de droit. Or certains sont particulièrement vétustes, comme nous l’avons constaté lors de notre déplacement en Guadeloupe. En dépit de cette situation, le ministère de la justice a gelé, par mesure d’économie, les investissements relatifs à la plupart des grands projets immobiliers d’outre-mer, qui avaient pourtant fait l’objet d’études préalables. Ils concernent, entre autres, Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Mamoudzou. Leur suspension est inacceptable et ils doivent être urgemment relancés : il y va de l’image de la justice dans ces territoires.
S’agissant ensuite de l’organisation du ministère de la justice, je propose la création d’une véritable direction de l’outre-mer en son sein. Certes, le secrétariat général du ministère est doté d’une délégation aux outre-mer, mais celle-ci n’a aucune autorité sur les trois directions métiers que sont les services judiciaires, les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse. Créer une direction de l’outre-mer permettrait de mieux prendre en compte les besoins de la justice ultramarine au sein de l’administration centrale du ministère.
Le deuxième axe de recommandation porte sur l’égalité en matière d’accès au droit et à la justice, car les justiciables ultramarins subissent de trop nombreuses discriminations par rapport aux justiciables hexagonaux.
Ces discriminations sont d’abord liées à des organisations judiciaires dérogatoires, qui remettent en cause les droits fondamentaux. Par exemple, il ne faut plus qu’un juge unique puisse condamner quelqu’un à vingt ans de prison à Saint-Pierre-et-Miquelon. Et que dire de Wallis-et-Futuna, où la défense des prévenus est assurée, parfois même aux assises, par des citoyens qui ne disposent d’aucune formation et agissent souvent à titre bénévole ? Où est le droit à un procès équitable dans ces territoires ?
Les discriminations sont aussi liées au manque de professionnels du droit. Outre Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont tout simplement dépourvus d’avocats, de nombreuses régions enclavées, comme la Guyane intérieure, constituent des déserts juridiques, où il n’y a également aucun avocat et à plus forte raison aucun notaire ni huissier. Je milite donc pour la création d’un régime d’aide à l’installation d’avocats dans ces zones, de la même façon qu’il existe des aides à l’installation de médecins dans les déserts médicaux.
Il convient également de mieux adapter l’aide juridictionnelle aux contraintes géographiques propres aux outre-mer, par exemple en indemnisant les frais de déplacement des avocats lorsqu’ils se rendent dans des lieux particulièrement enclavés ou marqués par une double insularité. Je sais que certains d’entre vous, chers collègues, portent ce combat depuis de nombreuses années.
Enfin, lutter contre les discriminations que subissent les justiciables ultramarins, c’est défendre une nouvelle ambition pour la politique d’accès au droit, qui souffre d’un déficit de moyens criant, malgré la bonne volonté des acteurs locaux. De la même manière qu’en Hexagone, les Ultramarins doivent avoir accès à un point-justice à moins d’une demi-heure de leur lieu d’habitation. Le doublement des crédits alloués aux conseils départementaux de l’accès au droit, que j’appelle de mes vœux, ne représenterait que 800 000 euros supplémentaires, mais aurait un impact très significatif sur le terrain.
De même, la justice foraine doit être fortement développée, avec l’instauration d’un régime procédural adapté aux besoins des justiciables ultramarins. Je pense, par exemple, à la possibilité, en Polynésie, d’effectuer des requêtes verbales aux juges, ce qui est cohérent avec la culture orale de nombreuses communautés.
Mon troisième et dernier axe de recommandation a trait à la nécessité de restaurer la confiance entre la justice et les populations ultramarines. Il ressort en effet de nos travaux que ce lien de confiance est abîmé. Le restaurer, c’est tout d’abord avoir des professionnels de justice qui comprennent mieux les justiciables ultramarins.
À court terme, cela exige de mieux former le personnel judiciaire aux réalités socio-culturelles des territoires. À ce titre, je propose de rendre obligatoire le suivi d’une formation dédiée pour tout magistrat ou greffier affecté dans une juridiction ultramarine.
À moyen terme, le meilleur moyen d’avoir un personnel plus représentatif des populations serait de faire émerger des magistrats et des greffiers originaires de ces territoires. La création d’une classe « Prépa talents » en Guadeloupe, tel que l’a annoncé le garde des sceaux, constitue une première étape, mais il conviendrait de les généraliser à l’ensemble des territoires dotés d’une faculté de droit.
Dans la même perspective, il faut développer les concours nationaux à affectation locale et à tout le moins l’envisager pour le concours de la magistrature. Cela permettrait de favoriser l’ancrage local des personnels judiciaires et de résorber l’actuel déficit de représentativité des juges vis-à-vis des justiciables ultramarins.
Enfin, il faut mettre en place une véritable justice de proximité dans nos territoires, c’est-à-dire une justice plus proche de nos concitoyens. À cet égard, je propose par exemple d’intégrer des assesseurs citoyens aux formations de jugement au sein des juridictions ultramarines, sur le modèle des assesseurs coutumiers en Nouvelle-Calédonie. Des comités d’usagers pourraient également être créés dans les juridictions pour proposer des plans d’action visant à mieux prendre en compte les attentes des justiciables.
Une justice plus proche des populations ultramarines, c’est également une justice qui répond plus efficacement aux défis que traversent nos sociétés. Je pense par exemple au défi que représente l’augmentation de la criminalité dans nos territoires, qui exige notamment la constitution de pôles anticriminalité organisée en Guyane ou en Guadeloupe. Je pense aussi à l’enjeu des violences intrafamiliales, qui implique des moyens spécifiques pour les juridictions ultramarines, avec la mise en service des téléphones grave danger ou des bracelets anti-rapprochement dans les territoires qui en sont dépourvus. Je pense enfin, et peut-être même surtout, au défi du désordre foncier, qui est de nature à miner la cohésion sociale dans certains territoires ultramarins et à entamer le rapport des justiciables à la justice.
Lors de nos déplacements et de nos auditions, nous avons en effet été alertés par des élus locaux et de nombreuses associations de justiciables – telles que KJM et l’Assaupamar pour la Martinique ou le CRI 974 pour La Réunion – sur des faits qui relèvent de spoliations de terres. Nous avons également auditionné le Conseil supérieur du notariat sur ces questions. Ces associations ont fait part de témoignages accablants. Elles mettent notamment en exergue le recours abusif et frauduleux par certaines personnes au mécanisme de la prescription acquisitive. Je rappelle que celui-ci permet d’être considéré comme propriétaire de biens immobiliers au terme d’une occupation de dix années dans les territoires ultramarins, contre trente ans en Hexagone. Des spéculateurs profiteraient ainsi de ce dispositif, avec la complicité présumée de notaires mais aussi de témoins corrompus, pour accaparer des terres, au détriment des véritables propriétaires.
Les associations ont transmis à la commission d’enquête des centaines de documents relatifs à ces litiges d’appropriation des terres. Il ne m’appartient évidemment pas de me prononcer sur le bien-fondé de ces plaintes. Mais force est de constater que lorsqu’une association comme l’Assaupamar est saisie de près de 500 plaintes de justiciables martiniquais relatives à ces spoliations de terres, ce n’est plus seulement un problème juridique, c’est un fait sociétal. Et si la justice n’est pas en mesure de régler ces litiges, le risque est que les Ultramarins qui se sentent dépossédés de leur terre se fassent justice eux-mêmes et que cela débouche sur de véritables drames.
Nous proposons donc plusieurs mesures pour relever ce défi du désordre foncier. Pour lutter contre les abus, je propose d’allonger le délai de la prescription acquisitive de dix à vingt ans – un collègue déposera bientôt une proposition de loi visant à le porter à trente ans, comme dans l’Hexagone. Pour lutter contre la spéculation, je suggère d’interdire la revente des biens ainsi acquis pendant cinq ans, c’est-à-dire jusqu’au terme du délai de contestation. La lutte contre les fraudes implique aussi une transparence accrue sur les bénéficiaires de ces prescriptions acquisitives, ainsi que sur les personnes qui leur servent de témoins. Je propose de tenir un registre public à cet effet. Enfin, la justice ultramarine doit mieux répondre à cet enjeu, en créant des tribunaux fonciers sur les territoires les plus concernés par ce phénomène, avec des magistrats spécialisés sur ces problématiques.
Ce problème est cependant si complexe qu’il faudrait constituer une commission d’enquête dédiée pour être en mesure d’investiguer pleinement sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle je vous propose d’ajouter à la recommandation n° 20 du rapport la proposition de créer une commission d’enquête relative au désordre foncier en outre-mer.
Notre objectif est simple : il s’agit de mettre un terme à des situations qu’on considérerait comme scandaleuses et inacceptables dans l’Hexagone. Ne pas avoir d’avocat quand on est gardé à vue ; ne pas avoir les moyens matériels de se déplacer vers un tribunal ou même un point-justice ; attendre près d’un an la nomination d’un président de tribunal judiciaire et d’un procureur de la République ; être jugé par des personnes qui connaissent peu ou mal notre culture, notre territoire, notre langue maternelle ; être contraint de faire des milliers de kilomètres si l’on veut assister à son procès en appel. Tout cela serait considéré à juste titre comme scandaleux pour le justiciable hexagonal. Et pourtant, c’est que subissent au quotidien les justiciables ultramarins.
Il est donc urgent de mettre un terme à ces discriminations. Espérons que les travaux de cette commission d’enquête puissent y contribuer.
M. le président Frantz Gumbs. Je soumets au vote de la commission la recommandation relative à la création d’une commission d’enquête sur le désordre foncier que le rapporteur souhaite ajouter.
La commission adopte la recommandation à l’unanimité.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Je remercie le rapporteur d’avoir proposé la création de cette commission d’enquête relative à un sujet essentiel pour nos concitoyens et nos concitoyennes ultramarins. Je remercie le rapporteur et le président pour le travail effectué. Nous déposerons des propositions de loi afin de traduire concrètement ces recommandations au bénéfice des habitants de ces territoires.
M. Michaël Taverne (RN). Je vous remercie également pour le travail accompli dans le cadre de cette commission d’enquête dont mon groupe a voté la création en commission des lois.
Ce rapport propose des mesures de bon sens défendues par notre groupe depuis plusieurs années. Marine Le Pen accorde en effet une très grande importance aux territoires et à nos compatriotes ultramarins.
Renforcer les moyens humains et matériels est indispensable. À cet égard, vous préconisez des mesures de bon sens pour améliorer l’attractivité et fidéliser les magistrats.
Il convient d’appliquer une stratégie d’« aller vers » en matière de justice, à l’instar de celle déployée pour les forces de sécurité intérieure qui vont vers les victimes, afin d’améliorer l’accès de nos compatriotes au droit et à la justice.
Le renforcement des moyens des juridictions criminelles dans les Antilles et en Guyane est également nécessaire, ces territoires étant particulièrement exposés au danger du narcotrafic. Le gouvernement a annoncé l’arrivée de policiers stagiaires sans aucune expérience pour renforcer les antennes de l’Ofast (l’Office antistupéfiants). Au-delà de l’effet d’annonce, je m’interroge sur l’efficacité d’une telle mesure eu égard à l’ampleur et la complexité du problème.
Par ailleurs, le ministère de la justice semble avoir retenu notre proposition de porter de quinze à trente jours la durée du stage des élèves de l’ENM au sein des territoires ultramarins afin d’en renforcer l’attractivité. La création de classes « Prépas Talents » dans les outre-mer est également essentielle pour identifier les pépites, les convaincre et les motiver.
Enfin, le déploiement de bracelets anti-rapprochement est une mesure de bon sens pour lutter contre les violences familiales, véritable fléau qui frappe les outre-mer.
Le Rassemblement national continuera de déposer des propositions de loi et votera pour l’adoption de ce rapport.
M. le président Frantz Gumbs. Je mets aux voix, à main levée, le rapport que vous avez pu consulter au cours des derniers jours.
La commission adopte le rapport à l’unanimité.
M. le président Frantz Gumbs. Le dépôt du rapport sera publié au Journal officiel de demain mais, compte tenu du délai de cinq jours francs que nous impose l’article 144-2 du règlement de l’Assemblée nationale pour permettre la constitution de l’Assemblée nationale en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, celui-ci ne pourra être publié qu’à partir du jeudi 4 décembre. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite de son contenu.
Des contributions individuelles ou au titre d’un groupe pourront figurer en annexe du rapport. Elles doivent être adressées au secrétariat avant mercredi 3 décembre, à douze heures.
M. Davy Rimane, rapporteur. Dans nos territoires, les gens manifestent une profonde défiance envers la justice ; ils n’y croient plus. Le gouvernement devra mettre les bouchées doubles pour renouer ce lien de confiance.
S’agissant du désordre foncier, j’échangerai avec mes collègues pour qu’une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête sur ce sujet soit rapidement déposée. Il s’agit d’un terrible fléau : des litiges relevant de la juridiction civile finissent par être jugés au pénal car certaines personnes se font justice elles-mêmes. Une telle situation ne peut perdurer.
Enfin, je me bats pour que la Guyane, située en Amérique du Sud, continent qui produit la plus grande quantité de drogue au monde, devienne la base avancée de la lutte contre le narcotrafic. J’espère que le gouvernement entendra raison. Il n’est plus possible que la Guyane soit une plaque tournante du narcotrafic. Il est temps que la France déclare la guerre au narcotrafic, en mobilisant des moyens à la hauteur de ceux déployés par d’autres pays. Les difficultés rencontrées dans l’Hexagone sont visibles mais celles de nos territoires, également frappés par le même fléau, restent méconnues. J’espère que nous continuerons à faire grandir collectivement nos territoires.
M. le président Frantz Gumbs. Grâce à ce travail, nous avons pris conscience de deux éléments essentiels : d’une part, la distance géographique et culturelle entre l’Hexagone et les outre-mer est une réalité qui à la fois les distingue et les rassemble ; d’autre part, les outre-mer sont très différents les uns des autres, chaque territoire présentant des spécificités. Nos préconisations visent à tenir compte de ces deux réalités.
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Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/autres-commissions/commissions-enquete/dysfonctionnements-justice-outremer/documents?typeDocument=crc
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.
Jeudi 26 juin 2025
– M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint du ministère de la justice, M. Fabien Neyrat, délégué du secrétariat général pour les outre-mer, et Mme Claire Liaud, cheffe du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav)
Lundi 30 juin 2025
– Mme Eurydice Chabant, présidente de la Conférence nationale des directeurs de greffe, et M. Karl Lequeux, directeur de greffe
Mardi 1er juillet 2025
– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant Mme Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la magistrature (SM) et Mme Mathilde Thimotée, secrétaire nationale du SM, M. Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM) et Mme Fabienne Averty, secrétaire nationale de l’USM, Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale d’Unité Magistrats
Jeudi 3 juillet 2025
– M. David Barjon, directeur général de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ)
– M. Olivier Baret, secrétaire du bureau national de la Chambre nationale des commissaires de justice, et M. Jérôme Fastier, directeur des affaires publiques
– M. Éric Corbaux, président de la Conférence nationale des procureurs généraux (CNPG)
– M. Nicolas Connin, secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), M. Julien Henninger, président du Syndicat de la juridiction administrative (SJA), et Mme Tiphaine Renvoise, secrétaire générale adjointe du SJA
– Mme Anne-Sophie Lépinard, présidente de la commission Accès au droit du Conseil national des barreaux (CNB) *, M. Arnaud de Saint-Rémy, ancien bâtonnier, responsable du groupe de travail Mineurs du CNB, Mme Yanick Louis-Hodebar, membre du CNB, M. Patrick Lingibé, ancien bâtonnier, membre du CNB, et M. Laurent Payen, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers
Mercredi 9 juillet 2025
– M. Pascal Prache, directeur des services judiciaires, et Mme Aurélie Grenot-Devedjian, cheffe du pôle de l’évaluation et de la prospective, référente outre-mer de la direction des services judiciaires
– M. Olivier Jacob, préfet, directeur général des outre-mer du ministère des Outre-mer, et Mme Karine Delamarche, directrice générale adjointe
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Cyril Papon, secrétaire général de la CGT des chancelleries & services judiciaires, et Mme Corinne Lambla, secrétaire nationale
- M. Christophe Douchet et M. Jean-Jacques Pieron, représentants du syndicat FO Justice
- M. Hervé Bonglet, secrétaire général de l’UNSa Services judiciaires, et Mme Catherine Solivellas, secrétaire générale adjointe
- M. Guillaume Grassaud, secrétaire général du Syndicat du ministère de la Justice CFDT
– Mme Élise Company, secrétaire générale du syndicat Justice CGC, et M. Alban Cottray, secrétaire général adjoint
Jeudi 10 juillet 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Samuel Lainé, directeur adjoint en charge des recrutements, de la formation initiale et de la recherche de l’École nationale de la magistrature, M. Haffide Boulakras, directeur adjoint en charge de la formation continue, de l’international et des publics spécialisés, et Mme Gaëlle Colin, sous-directrice en charge de la formation continue
- Mme Véronique Court, directrice de l’École nationale des greffes, et Mme Nathalie Tulak, coordonnatrice des relations internationales et outre-mer
Jeudi 18 septembre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. François-Xavier Bieuville, préfet de Mayotte, et M. Christophe Le Droumaguet-Paris, secrétaire général adjoint
- M. Ben Issa Ousseni, président du conseil départemental de Mayotte, et Mme Douriati Hassi, directrice des affaires juridiques du conseil départemental de Mayotte
– M. Thierry Sorin, président des tribunaux administratifs de La Réunion et de Mayotte
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- Mme Fabienne Le Roy, première présidente de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion
- Mme Fabienne Atzori, procureure générale près la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion
- M. Vincent Aldeano-Galimard, président de la chambre d’appel de Mamoudzou
- Mme Sophie de Borggraef, présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou
- M. Guillaume Dupont, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Mamoudzou
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Yanis Souhaili, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Mayotte
- M. Mahamoudou Hamada Saanda, Grand Cadi de Mayotte, et M. Charif Said Adinani, référent juridique du conseil cadial
- Mme Laoura Ahmed, directrice du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) * de Mayotte
- Mme Mélanie Louis, responsable des questions d’expulsions de La Cimade *, et Mme Vittoria Logrippo, déléguée nationale pour l’océan Indien
Lundi 22 septembre 2025
– M. Patrice Latron, préfet de La Réunion
– M. Jean-Aimé Derquer, coordonnateur territorial du secrétariat général du ministère de la justice pour l’océan Indien
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- Mme Fabienne Le Roy, première présidente de la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion
- Mme Fabienne Atzori, procureure générale près la cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion
- Mme Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
- Mme Véronique Denizot, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
- Mme Ludivine Lo Bono, directrice de greffe du tribunal de Saint-Denis de La Réunion
- M. Bertrand Pagès, président du tribunal judiciaire de Saint-Pierre de La Réunion
- M. Olivier Clémençon, procureur de la République près le tribunal de Saint-Pierre de La Réunion
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Cyrille Melchior, président du conseil départemental de La Réunion
- M. Mohammad Omarjee, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Saint-Pierre
- Mme Sonia Bénard, directrice de l’Association réunionnaise de l’aide judiciaire aux familles (Arajufa), et M. Thierry Caillet, vice-président
- Mme Pascaline Roussel, présidente de l’Antenne réunionnaise de l’institut de victimologie (Ariv)
- Mme Vittoria Logrippo, déléguée nationale de La Cimade pour l’océan Indien et Mme Élodie Auzole, membre du conseil d’administration
Mardi 23 septembre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Moetai Brotherson, président de la Polynésie française
- M. Yves Piriou, bâtonnier de l’Ordre des avocats de la Polynésie française, et Mme Béatrice Eyrignoux, vice-bâtonnière
- M. Roland Lejeune, président de l’Association polyvalente d’actions socio‑judiciaires (Apaj) Te Rama Ora, et Mme Cécile Moreau, directrice
Jeudi 25 septembre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Christian Mour, président du tribunal de première instance de Mata-Utu
- M. Jordane Duquenne, procureur de la République près le tribunal de première instance de Mata-Utu
- M. Frédéric Avena, chef de greffe du tribunal de première instance de Mata-Utu
– M. Blaise Gourtay, préfet, administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna
– M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, président de l’Association des juristes en droit des outre-mer (Ajdom)
– Mme Valérie Lebreton, présidente de l’Association des magistrats ultramarins
– M. Laurent Martin, ancien président du tribunal administratif de Guyane
Lundi 29 septembre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- Mme Angélina Tofili, présidente de l’association d’aide aux victimes Lea ki Aluga, Osez
- M. Petelo Hanisi, assesseur titulaire près le tribunal de première instance de Mata-Utu
- Mme Germaine Filimohahau, assesseure titulaire près le tribunal de première instance de Mata-Utu
- Mme Olga Gaveau, présidente de l’association des citoyens-défenseurs de Wallis-et-Futuna, et Mme Stéphanie Vigier, trésorière
– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, et de M. Victor Geneste, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce
– M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général du Conseil d’État, de Mme Cécile Nissen, secrétaire générale adjointe, et de M. Serge Gouès, conseiller d’État
– Mme Yvane Goua, Mme Patricia Govindin, M. Mario Govindin et M. Olivier Goudet, représentants de l’association Trop'Violans 973
Lundi 6 octobre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Jean-Pierre Mazzocchin, président de l’Association pour l’accès au droit et l’aide aux victimes (Adavi 988)
- M. Gilles Vernier, président de l’association UFC Que choisir de Nouvelle-Calédonie
- M. Thierry Xozame, président de l’association Case juridique kanak
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Philippe Reuter, bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Nouméa
- M. Samuel Bernard, avocat à Koné
- Mme Louise Chauchat, avocate à Nouméa
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Bruno André, préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Mme Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet
- M. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre
- M. Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Richard Garcia-Bosch-de Morales-de Sola, président du tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon
- M. Yves Couroux, procureur de la République près le tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon
- Mme Nicole Peix, présidente du tribunal de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Stéphane Artano, ancien sénateur, agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon
- Mme Cathy Pansier, agréée près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon
- M. Sten Brechat, agréé près les tribunaux de Saint-Pierre-et-Miquelon
- M. Patrick Tabet, avocat au Barreau de Paris
- Mme Corinne Lledo, huissier de justice
- Mme Virginie Camus-Brechat, notaire
Mardi 7 octobre 2025
– M. Jean-Michel Laso, président des tribunaux administratifs de la Martinique et de Saint-Pierre-et-Miquelon
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- Mme Gwenola Joly-Coz, première présidente de la cour d’appel de Papeete
- M. Frédéric Benet-Chambellan, procureur général près la cour d’appel de Papeete
- M. Carounagarane Ady, directeur de greffe de la cour d’appel de Papeete
- Mme Laure Camus, présidente du tribunal de première instance de Papeete
- Mme Solène Belaouar, procureure de la République près le tribunal de première instance de Papeete
- Mme Myriam Jarry, directrice de greffe du tribunal de première instance de Papeete
- M. Pascal Devillers, président du tribunal administratif de la Polynésie française
Jeudi 9 octobre 2025
– M. Manuele Taofifenua, ministre coutumier du royaume d’Uvea
– M. Jacques Billant, haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, M. Stanislas Alfonsi, secrétaire général du haut-commissariat, et Mme Anaïs Aït Mansour, directrice de cabinet
– M. Éric Dupond-Moretti, ancien garde des sceaux, ministre de la justice
– M. Alexandre Rochatte, haut-commissaire de la République en Polynésie française
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Alcide Ponga, président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, et M. David Ginocchi, directeur des affaires juridiques
- M. Ludovic Boula, président du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie
- M. Pascal Vittori, président de l’association française des maires de Nouvelle-Calédonie et maire de Boulouparis
Lundi 13 octobre 2025
– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant :
- M. Gérald Faucou, président du tribunal de première instance de Nouméa
- M. Yves Dupas, procureur de la République près le tribunal de première instance de Nouméa
- M. Hubert Delesalle, président des tribunaux administratifs de Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna
– Mme Claire Hédon, Défenseure des droits, Mme Marie Lieberherr, directrice de la protection des droits et des affaires judiciaires, et Mme Judith Vailhé, cheffe du pôle justice et libertés
– M. Pierre-Jean Meyssan, premier vice-président du Conseil supérieur du notariat *, Mme Camille Baudouin, notaire en Guadeloupe, et M. Dev Koytcha, notaire à La Réunion
Jeudi 16 octobre 2025
– M. Bruno Karl, premier président de la cour d’appel de Nouméa, et M. Camille Miansoni, procureur général près la cour d’appel de Nouméa
– M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des sceaux, ministre de la justice
Mardi 4 novembre 2025
– M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice
Mercredi 12 novembre 2025
– Mme Jocelyne Fontaine, M. Jacques Gence et M. Josian Yu-Chack, membres du Collectif pour la réparation des injustices à La Réunion
– Mme Rosalie Gaschet, présidente de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais, et M. Pierre Gallet de Saint-Aurin, responsable juridique
Lundi 17 novembre 2025
– Mme Christiane Taubira, ancienne garde des sceaux, ministre de la justice
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
programme du déplacement de la délégation de la commission d’enquête en guyane, martinique et guadeloupe du 4 au 10 septembre 2025
4 septembre : Saint-Laurent-du-Maroni, Guyane
– Entretien avec Mme Emmanuelle Bey et M. Clément Penez, juges placés au tribunal de proximité de Saint-Laurent-du-Maroni, et M. Alain Cazanove, directeur de greffe
– Entretien avec Mme Sophie Charles, maire de Saint-Laurent-du-Maroni
– Entretien avec M. Gérard Marin, sous-préfet de Saint-Laurent-du-Maroni
– Entretien avec Mme Aurélie Six, coordinatrice territoriale de l’action du secrétariat général du ministère de la justice en Guyane
5 septembre : Cayenne, Guyane
– Entretien avec Mme Béatrice Almendros, première présidente de la cour d’appel de Cayenne, M. Joël Sollier, procureur général près la cour d’appel de Cayenne, M. Charles Tellier, président du tribunal judiciaire de Cayenne, et Mme Aline Clérot, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne
– Entretien avec M. Jérôme Millet, directeur de cabinet du Préfet de Guyane, et Mme Florence Ghilbert, secrétaire générale de la préfecture
– Entretien avec M. Olivier Guiserix, président du tribunal administratif de Guyane
– Table-ronde avec des représentants d’associations guyanaises dédiées à l’accès au droit et à la justice réunissant l’Association guyanaise d’aide aux victimes (AGAV), la Comede, France Victimes 973, Kaz Plurielles, La Cimade, La Voix des victimes, Médecins du Monde, Paroles de familles
– Entretien avec Me Christine Charlot, bâtonnière du barreau de la Guyane, et des membres de l’ordre des avocats de Guyane
– Entretien avec Mme Sandra Trochimara, maire de Cayenne
6 septembre : Papaichton et Maripasoula, Guyane
– Réunion publique avec des habitants de Papaichton sur les enjeux de l’accès au droit et à la justice
– Réunion publique avec des habitants de Maripasoula sur les enjeux de l’accès au droit et à la justice
8 septembre : Fort-de-France, Martinique
– Entretien avec M. Laurent Sabatier, premier président de la cour d’appel de Fort‑de-France, M. Patrice Camberou, procureur général près la cour d’appel de Fort-de-France, Mme Aline Olie, présidente du tribunal judiciaire de Fort‑de‑France, M. Yann Le Bris, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, M. Michael Giraudet, magistrat délégué à la politique associative et à l'accès au droit, et M. Arnaud Briand, directeur de greffe du tribunal judiciaire de Fort-de-France
– Entretien avec les représentants de syndicats de magistrats et de greffiers de Fort-de-France
– Entretien avec Me Murielle Renar-Legrand, bâtonnière du Barreau de Martinique
– Entretien avec M. Etienne Desplanques, préfet de Martinique
– Entretien avec M. Didier Laguerre, maire de Fort-de-France
– Table-ronde réunissant l’Association laïque pour l’éducation, la formation, la prévention et l’autonomie (ALEFPA), l’Association martiniquaise pour des enquêtes pénales et sociales (AMPEPS), l’Association nationale des visiteurs de personnes placées sous-main de justice (ANVP) et Gaiacs Providence
9 septembre : Basse-Terre, Guadeloupe
– Entretien avec M. Michaël Janas, premier président de la cour d’appel de Basse‑Terre, M. Eric Maurel, procureur général près la cour d’appel de Basse‑Terre, et M. André Aigle, directeur de greffe la cour d’appel
– Entretien avec Mme Ségolène Pasquier, présidente du tribunal judiciaire de Basse-Terre, M. Xavier Sicot, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Basse-Terre, Mme Hélène Morton, magistrate déléguée à la politique associative et à l’accès au droit, et M. Jean-Claude Parshad, directeur de greffe du tribunal judiciaire de Basse-Terre
– Entretien avec des magistrats et greffiers du tribunal de proximité de Saint-Martin et Saint-Barthélemy
– Entretien avec Mme Sylvie Mergès, coordinatrice territoriale de l’action du secrétariat général du ministère de la Justice aux Antilles
– Entretien avec M. Thierry Devimeux, préfet de Guadeloupe
– Table-ronde réunissant des représentants de l’Association des conciliateurs de justice de Guadeloupe, du bus France services Nord Basse-Terre, du conseil départemental de l’accès au droit, du conseil départemental de Guadeloupe, de la direction régionale des finances publiques, de La Poste, de la mairie des Abymes, de la mairie de Baie-Mahault, de la mairie de Basse-Terre, de la mairie de Capesterre-Belle-Eau, de la mairie de Lamentin, de la mairie du Moule, de la mairie de Pointe-à-Pitre, de la mairie de Trois-Rivières, de la mairie de Vieux-Habitants et du pôle régional Antilles-Guyane du Défenseur des droits
– Entretien avec M. Frank Ho Si Fat, président du tribunal administratif de Guadeloupe, et M. Jean-Laurent Santoni, vice-président du tribunal
10 septembre : Pointe-à-Pitre, Guadeloupe
– Entretien avec M. Thierry Pitois-Etienne, président du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, Mme Caroline Calbo, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, et M. Roger Dufay, directeur de greffe du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre
– Table-ronde sur les enjeux de l’accès au droit et à la justice réunissant Mme Davy Lepine, greffière coordinatrice de la maison de la justice et du droit des Abymes, un délégué du procureur de la République auprès du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre et des représentants de l’association Amak médiation et arbitrage et de l’association Guadav-France victimes
– Entretien avec Me Marie-Michelle Hildebert, bâtonnière du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Me Pascal Bon, vice-bâtonnier, et Me Babacar Diallo et Mme Sandra Divialle-Gelas, membres du Conseil de l’ordre des avocats.
CONTRIBUTION DE M. JIOVANNY WILLIAM, DÉPUTÉ DE LA MARTINIQUE
En complément de l’audition de l’ASSAUPAMAR par la Commission d’enquête le 12 novembre dernier, j’ai saisi le Président Frantz GUMBS ainsi que le secrétariat de la Commission d’enquête, d’une demande d’audition des Archives Territoriales de la Martinique et de la Chambre Interdépartementale des Notaires de Guyane et de Martinique. Ces auditions complémentaires sollicitées les 12 et 17 novembre, visaient d’une part à garantir les exigences du contradictoire et d’autre part, à faire toute la lumière sur des faits graves dénoncés dans son cadre et pouvant être à l’origine de certains désordres fonciers, existant et à venir sur le territoire de la Martinique.
La Commission a indiqué être en situation de pré-achèvement de son rapport. Compte tenu de l’impact de ces révélations, j’ai informé le Président de la Commission d’enquête, de l’organisation d’auditions complémentaires, rendues publiques. Par suite, la Directrice des Archives Territoriales de la Martinique a pu être auditionnée le 28 novembre à 11h00 (locale) ainsi que la Chambre Interdépartementale des Notaires le 1er décembre à 14h30 (heure locale).
La contribution annexée au présent rapport vise ainsi à clarifier certains points et adjoindre des propositions complémentaires à celles formulées par le rapporteur.
L’audition de l’ASSAUPAMAR a fait état de plusieurs difficultés relevées sur le territoire de la Martinique : rupture de la conservation de titres à certaines périodes, procédures d’expulsion affectant une trentaine de familles sans qu’elles ne soient en mesure de retrouver leurs titres, lesquels seraient possiblement consignés dans un conteneur abandonné sur un terrain privé de la Commune de Saint-Joseph. Cet abandon serait consécutif à « la fermeture d’un office notarial ». L’ASSAUPAMAR estimait en outre, que plus de 15.000 extraits de titres étaient manquants aux Archives Territoriales de la Martinique. Elle atteste avoir reçu plusieurs témoignages d’usagers ayant récupéré des titres de propriété modifiés à la main ou raturés.
Cette audition a permis de faire le point sur des problématiques plurielles, portant tant sur les modalités de la conservation des titres que sur les évolutions procédurales et législatives à porter.
Auditionnée le 1er décembre, la Conservatrice et Directrice Karole FONTAINE, exerce au nom du Préfet le contrôle scientifique dévolu aux archives publiques à la Martinique. Entourée de 35 agents de la Collectivité territoriale de la Martinique, cette dernière assure sa mission dans des locaux disposant d’une capacité de stockage de 20 km linéaires. Si le bâtiment est bien rempli, il n’est pas à ce jour saturé, du fait d’une transition progressive vers la conservation numérique.
Les Archives Territoriales exercent une part de la mission de conservation des titres de propriétés et se font le relai des offices notariaux et du Service de la Publicité Foncière (SPF), qui, en principe, déversent l’ensemble des titres de propriétés à l’issue de l’obligation de conservation de 75 ans qui leur incombe sur le fondement des dispositions de l’article R. 212-15 du Code du patrimoine. A ce jour, les recherches de titres de propriété sont possibles dans leurs locaux jusqu’à l’année 1955, date du dernier versement réalisé par l’ancien service dit des Hypothèques.
Les Archives Territoriales de la Martinique sont de plus en plus sollicitées par les usagers et traitent environ 1000 demandes/an. Seuls deux agents sont mis à disposition du public, le lundi et le jeudi matin. Ils assistent les usagers dans leurs recherches. La salle d’accueil est pleine, de sorte que le délai de livraison des recherches réalisées par le personnel avoisine les 2 mois[786].
Ces recherches sont souvent complexes dès lors qu’elles doivent être réalisées à partir du nom du titulaire de l’acte et non en référence au système actuel se référant à un numéro cadastral ou à un numéro de parcelle. Une recherche infructueuse entraîne généralement des compléments de recherches complémentaires et la sollicitation de généalogistes. À l’issue des recherches, l’usager se voit communiquer une fin de non-recevoir ou si des documents ont pu être obtenu, peut se les procurer après règlement des photocopies sollicitées.
Il est à noter que des difficultés budgétaires freinent une amélioration de la qualité de service et de son accès. Le manque de personnel est avéré. Une autre difficulté tient à l’inaccessibilité de la salle de lecture située au 1er étage, pour les personnes à mobilité réduite. Si les locaux ont été pourvus d’un ascenseur en 1998, celui est en panne et n’a fait l’objet d’aucune réparation depuis janvier 2023, suite à la défaillance de la société titulaire du marché d’entretien.
S’agissant de l’accessibilité matérielle aux titres et documents, les Archives Territoriales indiquent détenir les titres de propriété versés jusqu’en 1955. Les titres de propriété des années 1956 aux années 70, 80, -période de passage au numérique- restent détenus par le SPF et consultables directement au sein de leurs locaux[787].
De son côté, la Chambre Interdépartementale des Notaires considère que le système de triple conservation des actes est suffisamment efficace pour permettre de retrouver un acte égaré ou pour confronter des titres de propriété transmis en revendication d’une même parcelle[788].
Interrogée sur ce dernier, le service des Archives Territoriales indique n’avoir jamais été consulté afin d’indiquer, confirmer ou infirmer l’authenticité ou la véracité d’un titre de propriété remis en cause dans le cadre d’un contentieux pendant devant les tribunaux de la Martinique[789]. Le service affirme ne pas être légitime pour authentifier un acte et n’avoir aucune compétence pour apporter des corrections et des modifications sur les actes versés. Ainsi, de son prisme si des titres de propriété comportent des ratures, ceux-ci ont nécessairement été réceptionnés en l’état au moment de leur versement.
Les Archives Territoriales ont par ailleurs indiqué qu’elles ne disposent d’aucune transmission judiciaire lorsqu’un titre de propriété est qualifié de faux par les tribunaux. Si cette information est communiquée et transmise au SPF, elle n’héritera aux archives que 75 ans plus tard, lors du versement du titre pour en assurer sa conservation.
Alors même que des personnes publiques et privées interviennent conjointement à la rédaction, à la validation et à la conservation de l’acte de propriété, il est à déplorer un manque persistant de communication et de transmission de données entre elles.
Proposition n° 1 : Instaurer un COPIL quadriennal réunissant les services des Archives Départementales ou Territoriales, le Service de la Publicité Foncière et de la Chambre Interdépartementale des Notaires afin de garantir le versement des titres de propriété
Proposition n° 2 : Instaurer un COPIL quadriennal réunissant les services des Archives Départementales ou Territoriales, le Service de la Publicité Foncière, les archives communales et hospitalières afin d’assurer la conservation des documents utiles
Proposition n° 3 : Transmettre aux Archives départementales ou territoriales les copies de jugements ou arrêts devenus définitifs et reconnaissant le caractère frauduleux de titres de propriété
Proposition n° 4 : Créer une ligne budgétaire dans le cadre du PLF pour 2027 visant à allouer les fonds utiles à la restauration en urgence des titres de propriété détenus par l’État entre 1956 et 1980 sur le territoire de la Martinique
Interrogé sur l’affaire dit du conteneur abandonné à Saint-Joseph, Commune de la Martinique, le service des Archives Territoriales a indiqué avoir eu connaissance de son existence au cours de l’année 2022. Une collaboratrice en charge des archives territoriales a été contactée par une personne privée lui indiquant sa volonté de lui remettre quelques actes. Arrivée sur place celle-ci découvre un conteneur éventré rempli de documents.
La personne privée à l’origine de cette sollicitation a expliqué à son tour que ce conteneur avait été entreposé par un notaire sur son terrain en 1994. Les Archives Territoriales s’interrogent sur les raisons pour lesquelles cette personne privée ne s’est pas manifestée plus tôt au vu de l’état de dégradation des documents exposés, notamment à la pluie.
Suite au constat de ces documents dégradés, abîmés, envahis par les herbes et par des nuisibles, les Archives Territoriales ont reconnu ne plus être en capacité de répondre cette mission sans l’externaliser à une société spécialisée.
Au titre du contrôle scientifique dont elle a la charge, la Directrice a adressé différents courriers ; à la personne privée, au notaire concerné ainsi qu’à son successeur, à la Chambre Interrégionale des Notaires afin de leur rappeler leurs obligations respectives[790].
Quelques minutes ont pu être récupérées au sein de ce conteneur. L’essentiel de la consistance semblait être des dossiers de clients et non des minutes, toutefois leur utilité pourrait être avérée au regard des plans de géomètres consignés en leur sein. Les Archives Territoriales indiquent ne pas avoir déposé de plainte, toutefois s’y réservent le droit après relance des personnes interpellées.
De son côté, informé de la situation, le Président de la Chambre Interdépartementale des Notaires de Guyane et de Martinique a pris l’attache du Conseil Supérieur du Notariat (CSN) et s’est déplacé sur site accompagné d’un délégué du CSN, de plusieurs autres notaires, d’un huissier chargé de dresser l’inventaire du conteneur. Il s’est avéré que ce dernier était plein de copies d’actes et des revues. La Chambre Interdépartementale des Notaires de Guyane et de Martinique n’a relevé la présence d’aucun titre et donc d’aucune minute dans ce conteneur.
Elle a été invitée à rappeler, les sanctions civiles, pénales et disciplinaires pesant sur ses officiers, lesquels peuvent être déchus de leur titre en cas de manquement.
Reconnaissant le caractère anormal de cette situation, la Chambre a renforcé son processus d’information et de sensibilisation des notaires.
A ce jour, seules les Archives Territoriales de la Martinique ont précisé rechercher des solutions pour traiter ces documents à l’abandon.
Proposition n°5 : En cas de cession d’un office notarial, recenser au sein d’un procès-verbal annexé à l’acte authentique, la liste des minutes et expéditions transférées, sous le contrôle de la Chambre Interdépartementale des Notaires
L’ensemble des travaux ainsi que les dernières auditions menées ont relancé la problématique de l’inadaptation du corpus normatif dédié à la gestion des litiges fonciers à la Martinique et dans les autres DROM.
Ces litiges fonciers ont amené le rapporteur de la Commission d’enquête à proposer un Tribunal en Charge des affaires foncières. En réalité, il serait opportun et bien accueilli, de créer une chambre spécialisée au sein du Tribunal judiciaire, en charge des litiges fonciers. La Chambre des Notaires insiste sur la nécessité pour les magistrats affectés, de recevoir en amont une formation leur permettant d’être aguerris aux problématiques théoriques et pratiques pour chaque territoire.
Questionnée sur le phénomène des reventes des biens en cascade, pour certains pendant le délai de la prescription, la Chambre Interdépartementale des Notaires de Guyane et de Martinique considère cette pratique improbable par le jeu de la prescription, au regard des obligations pesant sur la profession et du processus de publication en ligne assuré en mairie ainsi qu’en préfecture. La contestation de cette possession pendant 5 ans garantit l’action en revendication de celui qui l’estime nécessaire. Elle rappelle que ces dossiers sont traités par les officiers ministériels avec la plus grande prudence.
En 2024, puis en 2025, Jiovanny WILLIAM a saisi à deux reprises les Procureurs successifs de la Martinique à fin de création d’un Groupement Local de Traitement de la Délinquance (GLTD) destiné à recenser et agir sur les dossiers pénalement répréhensibles en matière foncière. La création de ces GLTD au sein de l’ensemble des DROM permettrait de jauger de l’intérêt de la mise en œuvre de ces chambres spécialisées, territoire par territoire et de préfigurer leur organisation en matière civile et pénale.
Cette modification appelée du Code de l’Organisation Judiciaire doit être couplée avec une réforme de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer dite Letchimy, laquelle n’a pu pour l’ensemble être appliquée à des fins de simplification des successions bloquées à la Martinique. Pour assurer sa mise en œuvre, trois conditions sont nécessaires : disposer d’un titre de propriété, connaître les héritiers, régler la succession. Dans la majorité des cas, il n’y a pas de titre de propriété et tous les héritiers ne sont pas en mesure d’être identifiés.
Jiovanny WILLIAM indique avoir saisi le 27 novembre 2024, Florent BOUDIÉ, Président de la Commission des lois, d’une demande d’évaluation de la loi dite Letchimy, laquelle n’a fait l’objet d’aucune évaluation à ce jour. Cette évaluation est en attente d’un placement à l’agenda de la Commission des lois.
La Chambre Interdépartementale des Notaires souligne une autre difficulté liée au renoncement de la soulte par certains indivisaires. Cette renonciation à la soulte au profit d’un co-indivisaire est toutefois considérée comme une donation au profit de ce dernier, de sorte qu’il est également taxé au titre de cette donation. On assiste donc à un transfert de la difficulté financière sur un autre co-indivisaire. L’objectif de simplification poursuivi par le mécanisme de la renonciation échoue. Les dispositions des articles 748 et suivants du Code Général des Impôts gagneraient à être modifiées.
Une autre alerte porte par ailleurs sur le délai de 6 mois conféré aux héritiers, à compter du décès, pour souscrire la déclaration de succession prévue par les dispositions de l’article 641 du Code Général des Impôts. Établir un acte de notoriété, trouver les fonds et payer les droits de succession en 6 mois semble inadapté au regard de la composition des familles à la Martinique et dans les autres DROM. D’autant qu’au sein de ces territoires particulièrement pourvus en maisons individuelles, l’abattement de 100.000€/enfant est très rapidement atteint. Il est donc nécessaire d’allonger ce délai de 6 mois et d’assouplir les conditions de renonciation à la soulte, afin simplifier la libération des successions dans ces territoires.
Il reste une difficulté majeure, celle provenant de la modification en Commission mixte paritaire de la version initiale de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement.
Son article 51 a porté le délai de prescription trentenaire, à dix ans. Cette modification inquiète la Chambre Interdépartementale des Notaires de Guyane et de Martinique, estimant ce délai trop court. Celle-ci a pu rappeler qu’elle n’avait jamais sollicité un tel délai. Elle s’interroge sur l’origine de la commande.
Si un tel dispositif peut avoir du sens pour certains territoires tels que Mayotte, qui connaît un nombre important de litiges fonciers résultant de modes d’acquisition de la propriété issus du droit coutumier -antérieurement à sa départementalisation-, il n’aurait pas dû être étendu à l’ensemble des DROM sans consultation. La nécessité du rétablissement de la prescription trentenaire pour les DROM autres que Mayotte est aujourd’hui une évidence.
Proposition n°6 : Créer au sein des territoires volontaires, des Groupements Locaux de Traitement de la Délinquance (GLTD) en matière de délits fonciers
Proposition n°7 : Créer une chambre spécialisée en matière foncière au sein du Tribunal judiciaire des territoires qui font face à des litiges de masse ou complexes
Proposition n°8 : Procéder à l’évaluation de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer
Proposition n°9 : Rétablir un délai de prescription acquisitive de 30 ans pour les DROM, à l’exception de Mayotte
Proposition n°10 : Adapter les dispositions des articles 641 et 748 et suivants du Code Général des Impôts pour tenir compte des spécificités des territoires d’Outre-mer
([4]) Art. 6 de la DDHC : « La loi est l'expression de la volonté générale (…). Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ».
([5]) Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
([6]) Outre la présence d’un CDAD dans chacun des 101 départements, il existe quatre CAD dans les territoires d’outre‑mer suivants : la Nouvelle-Calédonie ; Saint-Martin et Saint‑Barthélemy ; Saint‑Pierre‑et-Miquelon ; la Polynésie française.
([7]) Rapport biannuel du Cepej portant sur les données 2022 fournies par 44 États parties du Conseil de l’Europe, 16 octobre 2024.
([8]) Institut d’émission des départements d’outre-mer (Iedom), Tableau de bord des outre-mer, août 2022.
([11]) Ibid.
([15]) Saint-Denis (La Réunion) ; Cayenne (Guyane) ; Basse-Terre (Guadeloupe) ; Fort-de-France (Martinique) ; Nouméa (Nouvelle-Calédonie) ; Papeete (Polynésie française) ; et Saint-Pierre (Saint‑Pierre‑et‑Miquelon) bien que ce dernier soit en réalité un tribunal supérieur d’appel.
([18]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([19]) Rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021 – avril 2022) – « Rendre justice aux citoyens », publié en avril 2022.
([20]) Rapport pour avis de Mme Gabrielle Cathala relatif au projet de loi de finances pour 2026 sur la mission Justice, au nom de la commission des lois constitutionnelles de la législation et de l’administration générale de la République (n° 2006), 27 octobre 2025.
([21]) Réponses aux questions écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([23]) Ibid.
([27]) Insee, « flash Guyane », avril 2025.
([28]) L. Demougeot et X. Baert, « La population guyanaise à l’horizon 2050 : vers un doublement de la population », Insee Analyses, n° 36, mars 2019.
([29]) Entretien de la délégation de la commission d’enquête avec M. Olivier Guiserix, président du tribunal administratif de Guyane.
([30]) Direction générale des étrangers, Population immigrée par département en 2021, octobre 2024.
([31]) Préfecture de Guyane, dossier territorial.
([32]) Entretien de la délégation de la commission d’enquête avec Mme Sophie Charles, maire de Saint‑Laurent‑du‑Maroni.
([33]) Ined, Enquête « Migrations, Famille et Vieillissement et Guyane », décembre 2023.
([34]) Ibid.
([35]) Réponses écrites de la préfecture de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([36]) Réponses écrites de l’association Kaz Plurielles au questionnaire de votre rapporteur.
([38]) Insee, Analyse Guyane, n° 73, novembre 2024. Le taux d’illettrisme – difficultés fortes à l’écrit de personnes ayant débuté leur scolarité en France – est quant à lui de 21 % en Guyane, contre 4 % en France hexagonale.
([39]) Réponses écrites de la préfecture de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([41]) Insee, Analyse Guyane, n° 73, novembre 2024.
([42]) Réponses écrites de l’Agav au questionnaire de votre rapporteur.
([43]) Réponses écrites de la préfecture de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([44]) Réponses écrites de l’Agav au questionnaire de votre rapporteur.
([45]) Guyane 1ère, « Le bilan de la sécurité 2024 en Guyane », 7 février 2025.
([46]) Ministère de l’intérieur, service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI), bases statistiques des victimes enregistrées par la police et la gendarmerie entre 2021 et 2024.
([47]) Intervention de M. Laurent Martin, président du tribunal administratif de la Guyane à l’occasion de la rentrée solennelle du tribunal, 2 février 2023.
([48]) Réponses écrites de M. Laurent Martin au questionnaire de votre rapporteur.
([50]) Réponses écrites de La Cimade en Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([51]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([52]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([54]) Réponses écrites de l’association Kaz Plurielles au questionnaire de votre rapporteur.
([56]) Réponses écrites de la préfecture de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([58]) Réponses écrites du secrétariat général du ministère de la justice au questionnaire de votre rapporteur.
([59]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([60]) Ministère de l’intérieur, service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMI), bases statistiques des victimes enregistrées par la police et la gendarmerie entre 2021 et 2024.
([61]) Sénat, Rapport d’information n° 707 (2019-2020) de M. Antoine Karam au nom de la mission d’information sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, 15 septembre 2020.
([62]) Les postes sont en effet traditionnellement choisis par les auditeurs de l’ENM dans l’ordre du classement de sortie : les mieux classés disposent ainsi d’un choix plus étendu que les derniers du classement.
([63]) Ressorts des 36 cours d’appel, du tribunal supérieur d’appel et de la cour de cassation.
([64]) Plus précisément, l’article 5 de la loi organique n° 2023-1058 a créé l’article 27-2 de l’ordonnance statutaire n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
([65]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([66]) Ibid.
([67]) Ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
([68]) Réponses écrites du tribunal administratif de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([69]) Réponses écrites de l’association Kaz Plurielles au questionnaire de votre rapporteur.
([70]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([71]) Le délégué du procureur est un citoyen ou une association habilité par le procureur de la République pour participer à la mise en œuvre de la politique pénale, sous le contrôle de ce dernier. Il met notamment en œuvre les mesures alternatives aux poursuites décidées pour les infractions de faible gravité, comme le rappel à la loi ou la réalisation d’un stage.
([73]) Réponses écrites de l’USMA au questionnaire de votre rapporteur.
([74]) Réponses écrites du tribunal administratif de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([75]) Ibid.
([76]) Réponses écrites de La Cimade en Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([79]) Réponses écrites de la préfecture de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([80]) Réponses écrites de la Chambre nationale des commissaires de justice au questionnaire de votre rapporteur.
([81]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([82]) Réponses écrites de la coordinatrice territoriale de l’action du secrétariat général en Guyane du ministère de la justice.
([83]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
([84]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
([85]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([86]) Rapport d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
([87]) Rapport d’activité 2024 du CDAD de Guyane.
([88]) Réponses écrites de la coordinatrice territoriale de l’action du secrétariat général en Guyane du ministère de la justice.
([89]) Ibid.
([91]) Il convient de penser aux chiffres du chômage de l’Insee qui présentent systématiquement une valeur calculée « hors Mayotte » (cf. Insee, « L’essentiel sur le chômage », 2025). Dans son étude « La justice en France 2024. Perception, connaissances et expériences judiciaires », le service de la statistique, des études et de la recherche (SSER) du ministère de la justice a également constitué un « échantillon représentatif de la population française (hors Mayotte) » (cf. Infostat Justice, 2025).
([93]) Ibid.
([95]) Site internet de la préfecture de Mayotte.
([96]) Direction de l’environnement de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte, Rapport final de l’enquête sur la mobilité dans le cadre du projet de navettes maritimes de passagers, 3 avril 2025.
([99]) O. Pulvar, La fracture numérique dans les outre-mer : état des lieux, 2 août 2024, Université des Antilles.
([100]) La 1ère FranceInfo.fr, « La commercialisation de la fibre en marche à Mayotte », 17 octobre 2025.
([101]) Ouest-france.fr, « Huit mois après le cyclone Chido à Mayotte, des habitants toujours privés d’internet », 19 août 2025.
([102]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([106]) Insee, « L’essentiel sur Mayotte », 17 octobre 2025.
([107]) Ibid.
([110]) La 1ère Franceinfo.fr, « Combien y a-t-il vraiment d’habitants à Mayotte ? Un recensement va être lancé annonce Manuel Valls », 7 janvier 2025.
([112]) M. Dehon et A. Louguet, « Mayotte, un territoire riche de ses langues et de ses traditions », Culture Études, avril 2022.
([113]) B. Garoche, J. Mekkaoui « À Mayotte, six adultes sur dix sont en difficulté à l’écrit en langue française », Insee, Analyses Mayotte n° 38, avril 2025.
([114]) E. Ralser, E. Cornut et co., La place de la coutume à Mayotte, Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice, septembre 2022.
([117]) C. Grangé, « Une délinquance hors norme », Insee Analyses Mayotte, 8 novembre 2021.
([118]) C. Grangé, « Six habitants sur dix se sentent en insécurité », Insee Flash Mayotte, 8 novembre 2021.
([121]) Art. 1er du décret n° 2011-338 du 29 mars 2011 portant modification de l’organisation judiciaire dans le département de Mayotte.
([123]) Ibid.
([124]) Ibid.
([125]) Ibid.
([126]) Réponses écrites de l’Apij au questionnaire de votre rapporteur.
([127]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([129]) Ibid.
([130]) Ibid.
([131]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([133]) Ibid.
([134]) Ibid.
([135]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([136]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([138]) Ibid.
([139]) Ibid.
([145]) Ibid.
([149]) Modifiée par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits.
([150]) L’article 69-15 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique adapte la composition du CDAD pour rendre les dispositions le concernant applicables à Mayotte.
([152]) Ibid.
([153]) Site internet du CDAD de Mayotte.
([155]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([156]) Réponses écrites de l’association La Cimade au questionnaire de votre rapporteur.
([157]) Réponses écrites du président du président du tribunal administratif au questionnaire de votre rapporteur.
([158]) P. Lingibé, « Les inégalités de justice en outre-mer : Wallis-et-Futuna et la défense kafkaïenne des citoyens-défenseurs », Village de la justice, 24 juin 2022.
([159]) L’expression est utilisée par la Cour des comptes dans son relevé d’observations définitives relatif au contrôle des comptes et de la gestion du Territoire des îles de Wallis et Futuna et de ses trois circonscriptions pour les exercices 2016 et suivants, délibéré le 14 décembre 2022.
([160]) Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles de Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer.
([161]) Réponses écrites du président du tribunal de première instance de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([162]) Aux termes de l’article 8 de la loi de 1961 précitée, l’administrateur supérieur du territoire, nommé par décret en conseil des ministres, est dépositaire des pouvoirs de la République, représente chacun des membres du Gouvernement. C’est lui qui assure l’ordre public et concourt au respect des libertés publiques et des droits individuels et collectifs dans les îles Wallis et Futuna. Il prend les mesures relatives au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publique. Il exerce, par analogie, les attributions qui sont conférées au maire en matière de police administrative. Toutefois, aux termes de l’article 9 de cette même loi de 1961, l’administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna exerce également les fonctions de chef du territoire, alors qu’il existe un conseil territorial et une assemblée territoriale issus du suffrage universel. Il prend, après avis du conseil territorial, tous actes réglementaires propres à assurer l’exécution des délibérations de l’assemblée territoriale et tous actes réglementaires qui relèvent de sa compétence de chef de territoire aux termes des lois, décrets et règlements.
([164]) Décret n° 2025-713 du 29 juillet 2025 modifiant le décret n° 55-972 du 16 juillet 1955 relatif aux saisies‑arrêts, cessions et retenues sur les traitements ou salaires des travailleurs visés par l'article 1er de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952.
([166]) À raison de - 37 % à Futuna et - 20 % à Wallis entre 2003 et 2023.
([167]) Dossier territorial de l’administration supérieure.
([170]) Jusqu’en 2023, AirCalin ne proposait que deux à trois trajets par semaine, ce qui s’avère insuffisant pour répondre aux divers besoins de la population et a fortiori des justiciables ou professionnels du droit.
([171]) La 1ère Franceinfo.fr, « Air Loyauté récupère la desserte aérienne entre Wallis et Futuna », 22 décembre 2023.
([172]) Réponses écrites de l’administrateur supérieur au questionnaire de votre rapporteur.
([173]) Réponses écrites du procureur de la République du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([174]) Ibid.
([175]) Ibid.
([176]) Ibid.
([177]) Article L. 532-8 du code de l’organisation judiciaire.
([179]) Ibid.
([180]) Réponses écrites du procureur de la République du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([182]) Ibid.
([183]) Cet article dispose que « les citoyens de la République qui n'ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l'article 34, conservent leur statut personnel tant qu'ils n'y ont pas renoncé ».
([184]) Réponses écrites du procureur de la République du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([188]) Ibid.
([189]) Réponses écrites du procureur de la République du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([190]) Réponses écrites de M. Manuele Taofifenua, ministre coutumier du royaume d’Uvea, au questionnaire de votre rapporteur.
([192]) Ordonnance n° 92-1147 du 11 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale dans les territoires d’outre-mer.
([196]) Réponses écrites du procureur de la République du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([199]) P. Lingibé, « Les inégalités de justice en outre-mer : Wallis et Futuna et la défense kafkaïenne des citoyens défenseurs », op.cit.
([201]) Réponse écrite du président du TPI de Mata-Utu au questionnaire de votre rapporteur.
([203]) Insee, Population en 2022 des collectivités d’outre-mer, octobre 2025.
([204]) Assemblée nationale, Rapport d’information fait au nom de la délégation aux outre-mer sur l’avenir institutionnel des outre-mer par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, 15 janvier 2025.
([207]) Iedom, Panorama de Saint-Pierre-et-Miquelon, septembre 2023.
([208]) Le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon relève de la cour administrative d’appel de Bordeaux.
([211]) Article LO 513-3 et LO 513-7 : le président du TSA peut remplacer les juges du siège du TPI, et les fonctions de président du TSA, en cas de besoin, sont confiées au président du TPI ou un autre magistrat.
([212]) Réponses du président du tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
([213]) Articles LO 513-4 et LO 513-8.
([214]) Conseil constitutionnel, DC n° 2023-856 du 16 novembre 2023 relative à la loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, considérants nos 49 et suivants.
([215]) Réponses du président du tribunal supérieur d’appel de Saint-Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
([217]) Ibid.
([218]) La fonction de juge des enfants est toutefois exercée de façon collégiale, avec deux assesseurs non professionnels, comme ailleurs en France.
([221]) Conseil constitutionnel, décision n° 2016-532 QPC du 1er avril 2016, M. Jean-Marc E. et autre.
([222]) Celui-ci dispose que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
([224]) Ibid.
([226]) Ibid.
([229]) Réponses du procureur de la République près le TSA de Saint-Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
([230]) Ibid.
([232]) Ibid.
([235]) Ibid.
([239]) Ibid.
([240]) Réponses du procureur de la République près le TSA de Saint-Pierre-et-Miquelon au questionnaire de votre rapporteur.
([243]) La convention qui le créé date du 20 juillet 2022, mais des vacances de poste successives n’ont pas permis sa mise en place avant 2024.
([244]) Une soirée cinéma-débat en 2024, et une simulation d’audience correctionnelle au palais de justice en 2025.
([245]) En matière judiciaire, d’après les réponses fournies au rapporteur par le président du TSA, le délai de jugement en matière criminel était, pour la seule affaire de 2023, de 9 mois ; devant le tribunal de première instance, la durée de traitement des affaires pénales a été de 2 mois en 2024 ; toutes affaires confondus, elle est de 3,4 mois au premier semestre 2025 ; devant le TSA, la durée de traitement des affaires a été de 3,5 en matière civile, et de 5,5 mois en matière pénale.
([248]) Insee, « L’essentiel sur… La Réunion », octobre 2025.
([249]) Insee, « Analyses La Réunion », n° 92, novembre 2024.
([252]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Saint-Denis au questionnaire de votre rapporteur.
([254]) Ibid.
([255]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Saint-Denis au questionnaire de votre rapporteur.
([256]) Réponses écrites de la cour d’appel de Saint-Denis au questionnaire de votre rapporteur : « s’agissant des moyens humains, ces derniers nous semblent globalement insuffisants pour faire face à l’activité juridictionnelle, avec pour la Réunion le ratio le moins favorable des départements d’outre-mer en termes de magistrats/nombre d’habitants ».
([257]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Saint-Denis au questionnaire de votre rapporteur.
([258]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Saint-Pierre au questionnaire de votre rapporteur.
([266]) Ibid.
([267]) Ibid.
([268]) Ibid.
([269]) Ibid.
([270]) Un projet de point-justice est cependant en cours dans l’une de ces deux communes.
([272]) Ibid.
([273]) Ibid.
([274]) Comme l’explique le CDAD, « les partenaires institutionnels financent le CDAD mais uniquement au titre d’actions, de recettes fléchées qui entrent dans leur champ d’activité (randonnées du droit, passeport majorité, journées d’accès au droit, sensibilisations scolaires contre les addictions…) », Bilan d’activité 2024 du CDAD.
([276]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de La Réunion.
([277]) Ibid.
([278]) Insee, « Flash Martinique », n° 216, 10 avril 2025.
([279]) Rapport d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([280]) Insee, « Dossier Martinique », n° 10, 3 octobre 2023.
([281]) Insee, « Analyses Martinique », n° 72, 7 novembre 2024.
([282]) Réponses écrites de l’Ampeps au questionnaire de votre rapporteur.
([283]) RCI, « 7,4 Martiniquais sur 10 sont en situation de fragilité numérique », 24 novembre 2023.
([284]) O. Pulvar, « La fracture numérique dans les outre-mer : état des lieux », université des Antilles, 2 août 2024.
([285]) Rapport d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([286]) Réponses écrites de la bâtonnière de Martinique au questionnaire de votre rapporteur.
([287]) Dans le cadre de la procédure d’appel à Paris, l’audience de recours a eu lieu le 22 octobre 2024 et a fait l’objet d’un dépôt préalable de 2 questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) : l’une sur la responsabilité pénale de l’État, l’autre sur la jurisprudence du crime d’empoisonnement. Le 13 novembre 2024, la cour a décidé de transmettre à la cour de cassation la QPC relative au crime d’empoisonnement reportant ainsi l’examen de l’appel du non-lieu. Le 6 février 2025, la cour de cassation a refusé le transfert de cette question au Conseil Constitutionnel. Suite à ce rejet, le dossier va revenir pour examen au fond devant la cour d’appel.
([288]) Par un arrêt du 11 mars 2025, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris juge que l’État a commis des fautes en accordant des autorisations de vente et qu’il doit réparer, lorsqu’il est démontré, le préjudice moral d’anxiété des personnes durablement exposées à cette pollution. Seuls 11 plaignants sur ces 1286 demandes sont retenus pour des indemnisations entre 5 000 euros et 10 000 euros pour ce préjudice moral. Le 9 mai 2025, l’État s’est pourvu en cassation suite à cette décision de la CAA.
([289]) Historiquement, le parquet n’occupe pas une place surélevée dans les salles d’audience en Martinique, contrairement à la pratique habituelle. En 2015, Mme Christiane Taubira, alors garde des sceaux, avait défendu cette particularité historique qui place sur un pied d’égalité le parquet et le barreau dans la salle d’audience.
([291]) Dossier de présentation du ressort de la cour d’appel de Fort-de-France, avril 2025.
([292]) Dossier de présentation du ressort de la cour d’appel de Fort-de-France, avril 2025.
([293]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([294]) Préfecture de Martinique, dossier territorial, juin 2025.
([295]) Ibid.
([296]) Rapport d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([298]) Martinique 1ère, « Avec 488 dossiers en cours, la bataille de l’Assaupamar contre la spoliation foncière s’intensifie », 27 janvier 2025.
([300]) Article 35 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
([303]) M. Vizy, « Permettre aux Martiniquais de partir à la reconquête de leur territoire », juin 2025.
([304]) Dossier de présentation du ressort de la cour d’appel de Fort-de-France, avril 2025.
([305]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([306]) Ibid.
([307]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([308]) Ibid.
([309]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([310])Martinique 1ère, « Criminalité en Martinique : les chiffres des homicides et des saisies de drogue qui inquiètent », 25 juin 2025.
([312]) Délai entre le moment où l’affaire est en état d’être jugée et l’audience de jugement.
([313]) Réponses écrites du syndicat de la magistrature au questionnaire de votre rapporteur.
([314]) Dossier de présentation du ressort de la cour d’appel de Fort-de-France, avril 2025.
([315]) Réponses écrites du syndicat de la magistrature au questionnaire de votre rapporteur.
([316]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([318]) Réponses écrites de l’Apij au questionnaire de votre rapporteur.
([319]) Bilan annuel 2024 du tribunal administratif de la Martinique.
([321]) Ibid.
([323]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([324]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Martinique : « L'année 2024 présente un déficit sans précédent, résultant de la conjonction de trois facteurs majeurs. Premièrement, le règlement différé des crédits de paiement du programme REJI [Revenu Emancipation Jeunes Initiative] 2023, s'élevant à 406 526 €, a été intégralement supporté sur l'exercice 2024. Deuxièmement, la contribution attendue de la collectivité territoriale de Martinique demeure impayée à hauteur de 179 000 €, sur un total de 537 000 €. Troisièmement, les répercussions financières imprévues liées au contentieux désigné comme l'affaire du CDAD ont généré des coûts supplémentaires d'environ 91 000 € (honoraires d'avocats et frais de procédure) ».
([325]) Information transmise par le Sadjav le 24 octobre 2025.
([326]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([327]) Réponses écrites de la préfecture de Martinique au questionnaire de votre rapporteur.
([328]) Réponses écrites de l’Ampeps au questionnaire de votre rapporteur.
([329]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Martinique.
([330]) Information transmise par le secrétaire général auprès du premier président de la cour d’appel de Fort‑de‑France le 20 octobre 2025.
([331]) Insee, « Flash Guadeloupe », n° 217, 10 avril 2025.
([332]) Préfecture de Guadeloupe, dossier territorial.
([333]) Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, Atlas de l’illectronisme en Guadeloupe, septembre 2025.
([334]) Préfecture de Guadeloupe, dossier territorial.
([335]) Réponses écrites de la préfecture de Guadeloupe au questionnaire de votre rapporteur.
([336]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([337]) Ibid.
([338]) Ibid.
([339]) D’après les réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur, les délais d’audiencement et de jugement en matière pénale sont ainsi en moyenne de quatre mois à Pointe-à-Pitre et de six à huit mois à Basse-Terre.
([340]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([341]) Note des chefs de cour d’appel sur l’activité pénale des juridictions du ressort de la cour d’appel de Basse-Terre, décembre 2024.
([342]) Réponses écrites du syndicat de la magistrature au questionnaire de votre rapporteur : « En Guadeloupe, les services d’enquête n’ont pas les moyens humains pour investiguer sur les volets financiers des dossiers. Les saisies en matière immobilière et mobilière demeurent très faibles, du fait d’un sous-effectif criant d’enquêteur·ices comme de magistrat·es, empêchant les collègues de s’appesantir autant qu’il serait nécessaire sur ce volet pourtant fondamental. Plus encore, les moyens dédiés à l’OFAST [office anti-stupéfiants] Guadeloupe sont de plus en plus maigres. Chaque cellule (import, export, etc.) ne compte que 3 enquêteurs en moyenne, expliquant sans doute le peu de saisine en matière de trafic de stupéfiants alors que les quantités de produits saisis explosent au contraire. Nombre de dossiers ne peuvent être creusés correctement faute de moyens et les enquêteur·ices s’épuisent. La quantité d’information sur des pistes de trafic en cours est impossible à traiter selon les services ».
([343]) Le contentieux des étrangers est prédominant dans l’activité du tribunal, avec 36 % des affaires jugées en 2024 qui en relèvent, devant le contentieux de la fonction publique qui représente quant à lui 16 % des dossiers.
([344]) Ce questionnaire est issu du modèle élaboré par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej), complété par des questions proposées par l’ordre des avocats de Guadeloupe et portant sur la qualité d’accès des citoyens à la justice mais également sur le rôle des avocats.
([345]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([346]) Affaire de la carrière de Deshaie.
([347]) Succession Beauperthuy à Saint-Martin.
([348]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Guadeloupe.
([349]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([350]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Guadeloupe.
([351]) Ibid.
([352]) Ibid.
([353]) Ibid.
([354]) Ibid.
([355]) Réponses écrites de la préfecture de Guadeloupe au questionnaire de votre rapporteur.
([356]) La partie nord de Saint-Martin est définitivement rendue à la France en 1816, tandis que Saint-Barthélemy fait l’objet d’une rétrocession définitive par la Suède à la France en 1878.
([357]) Iedom, Rapport annuel économique 2024 - Saint-Barthélemy, Banque de France, octobre 2025.
([358]) Ibid.
([359]) Ibid.
([360]) Service de l’éducation nationale de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, « Saint-Barthélemy et Saint-Martin en chiffres 2023-2024 ».
([361]) Conférence de presse des chefs de cour d’appel de Basse-Terre, 17 juin 2025.
([362]) Décret n° 2015-1843 du 30 décembre 2015 portant création de la chambre détachée de Saint-Martin et Saint-Barthélemy du tribunal de grande instance de Basse-Terre à Saint-Martin.
([364]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([365]) Décret n° 2025-809 du 13 août 2025 étendant la compétence de la chambre de proximité de Saint-Martin du tribunal judiciaire de Basse-Terre aux fonctions relevant du juge de l'application des peines.
([366]) P. Lingibé, « Saint-Martin : le juge de l’application des peines désormais compétent sur place », Village de la justice, 14 août 2025.
([367]) Note des chefs de la cour d’appel de Basse-Terre relative à la création à Saint-Martin d’un tribunal de plein exercice, mars 2024.
([368]) Ibid.
([369]) Note des chefs de la cour d’appel de Basse-Terre relative à la création à Saint-Martin d’un tribunal de plein exercice, mars 2024.
([373]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([376]) Isee.
([378]) La 1ère France Info, « Air Calédonie : quelles perspectives pour la compagnie aérienne ? », 23 mars 2025,
([381]) Ibid.
([382]) Ibid.
([384]) Ibid.
([385]) Isee, Indicateurs issus du dispositif de suivi de la pauvreté et des inégalités en Nouvelle-Calédonie.
([386]) Ieom, Synthèse annuelle 2024.
([388]) « Air Calédonie : quelles perspectives pour la compagnie aérienne ? », article déjà cité.
([390]) Site des données publiques du Gouvernement de Nouvelle-Calédonie, data.gouv.nc : « Indice de fragilité numérique de la Nouvelle-Calédonie 2024 »
([392]) Ibid.
([394]) La 1ère Franceinfo, « Le nouveau collectif « Illettrisme NC » sur le front », 9 septembre 2025
([395]) Y. Verlaguet, Rapport sur la prévention de la lutte contre l’illettrisme et l’innumérisme, mars 2021.
([398]) Le tribunal comprend une seule chambre composée de quatre magistrats et de cinq agents de greffe. La majorité des recours au tribunal concernent la fonction publique, le droit des personnes, l’urbanisme et la police administrative ; les conditions de détention au Camp-Est et les litiges liés au droit maritime constituent des sujets récurrents. En 2024, le tribunal a enregistré 660 affaires et rendu 482 décisions, avec un délai moyen de jugement de six mois.
([399]) Création par l’ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982 instituant des assesseurs coutumiers dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie au tribunal civil de première instance et à la cour d'appel des sections détachées du tribunal de première instance de Nouméa. Aujourd’hui, ces dispositions sont codifiées à l’article R.562-25 du code de procédure pénale.
([401]) Réponse de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([404]) La 1ère France info, « Koné : la section détachée du tribunal de première instance au bord de la défaillance », 21 mars 2025
([406]) Site internet de la cour d’appel de Nouméa : section détachée de Lifou
([409]) Ibid.
([411]) Loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
([413]) Article 9 de la loi organique précitée.
([414]) Ibid.
([415]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([416]) Ibid.
([417]) Ordonnance n° 82-877 du 15 octobre 1982 instituant des assesseurs coutumiers dans le territoire de la Nouvelle-Calédonie au tribunal civil de première instance et à la cour d’appel.
([418]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([420]) Les huit aires coutumières de la Nouvelle-Calédonie sont Hoot Ma Whaap, Paicî-Cèmuhi, Ajië Aro, Xârâcùù, Drubea-Kapumë, Nengone, Drehu, Iaai.
([421]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([424]) Ibid.
([426]) Ibid.
([427]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([429]) Ibid.
([430]) D’après Yves Dupas, procureur de la République près le TPI, les émeutes ont conduit à plus de 2 600 gardes à vue et à plus de 260 défèrements, et 500 personnes ont été placées en détention provisoire ou jugées en comparution immédiate. Au total, plus de 13 500 affaires poursuivables ont été dénombrées en 2024, avec un taux de poursuites de 80 % et 4 500 condamnations pénales (compte rendu n° 45).
([433]) Article 8 de la CEDH
([435]) De 3,1 pour 1 000.
([436]) Haut-commissariat de la République, « Bilan de la délinquance en Nouvelle-Calédonie » mi-année 2025.
([438]) Ibid.
([440]) Ibid.
([441]) Ibid.
([443]) Ibid.
([444]) Contribution écrite de M. Julie Beurois, juriste.
([445]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([446]) L’association UFC-Que Choisir de Nouvelle-Calédonie est spécialisée dans l’accompagnement des usagers et consommateurs pour porter réclamation, faire valoir leur droit, ou engager un litige, dans les domaines commerciaux, bancaires et assurantiels. Financée essentiellement par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et les mairies, elle dispose de relais dans les communes pour recevoir les demandeurs et les accompagner dans les démarches.
([447]) Le bâtonnier a ainsi indiqué qu’à Nouméa et au sein de son agglomération, le barreau a pu s’organiser pour répondre gratuitement aux différentes sollicitations d’accès au droit, « à tel point que nous avons même dû annuler des sessions car nous avions prévu trop de permanence ».
([448]) Contribution écrite de M. Julie Beurois, juriste.
([449]) Réponses écrites du gouvernement de Nouvelle-Calédonie au questionnaire du rapporteur.
([450]) Ibid.
([451]) Tahiti fut cédé par le roi Pomaré V en 1880 ; les îles Sous-le-Vent sont soumises à un protectorat à partir de 1888 ; les îles Gambier sont annexées, à la demande de leurs habitants, en 1891 ; les îles Australes le furent progressivement entre 1867 et 1901.
([453]) Les îles Australes, les îles de la Société – composées des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent –, les îles Tuamotu, les îles Gambier et les Marquises.
([455]) Insee, Population légale des communes de Polynésie française en 2022.
([456]) Le Monde, « Au milieu du Pacifique, les irréductibles de Rapa comptent bien rester isolés », 14 décembre 2024.
([458]) Ibid.
([459]) Loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
([460]) Article 7 de la loi organique n° 2004-192.
([463]) Ibid.
([464]) « L’accessibilité et l’intelligibilité du droit en Polynésie française », rapport au gouvernement de M. Michel Thénault et Mme Élisabeth Cata, février 2020.
([465]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 774 fait au nom de la délégation aux outre-mer sur l’avenir institutionnel des outre-mer par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, 15 janvier 2025.
([466]) Réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
([470]) La cour d’appel a ainsi salarié trois interprètes à temps plein, et recourt en sus, au besoin, à des contractuels.
([471]) Ceux qui suivent les audiences foraines parlent les langues tahitiennes.
([474]) Le haut-commissariat organise deux jours d’initiation aux spécificités de la Polynésie française chaque année pour les nouveaux arrivants.
([477]) Réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
([483]) La rétribution des avocats, dans le cadre de l’aide juridictionnelle, est calculée à partir du nombre d’UV attribué à chaque mission, multiplié par la valeur de cette dernière.
([485]) Ibid.
([487]) Réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
([488]) Ibid.
([489]) La seconde juriste, qui parle tahitien, vient d’être recrutée, pour un an, pour accroître les déplacements dans les îles.
([491]) Réponses écrites de la cour d’appel de Papeete au questionnaire de votre rapporteur.
([494]) Réponses écrites de l’USM au questionnaire de votre rapporteur.
([495]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([497]) Réponses écrites de l’USM au questionnaire de votre rapporteur.
([500]) Décret n° 2023-39 du 27 janvier 2023 instaurant un dispositif général de délégation d'agents de greffe dans les juridictions d'outre-mer et de Corse .
([504]) Article LO 125-1 du code de l’organisation judiciaire, tel qu’issu de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.
([508]) Loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l'ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, article 5 : « Après l'article 27-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, il est inséré un article 27-2 ainsi rédigé : Art. 27-2.-I.-Les magistrats exerçant leurs fonctions dans un des emplois rencontrant des difficultés particulières de recrutement, définis par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, après avis de la commission d'avancement, bénéficient d'une priorité d'affectation dans les conditions fixées ci-après. Avant leur nomination dans l'un de ces emplois, ils font connaître au garde des sceaux, ministre de la justice, au moins cinq affectations qu'ils désireraient recevoir au terme de l'exercice de leurs fonctions dans cet emploi, dans au moins trois juridictions différentes ».
([509]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([511]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([512]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([513]) Rapport du groupe de travail présidé par M. Denis Besle, Les juridictions administratives et les outre-mer, Réalités et enjeux d’attractivité, limites et propositions, 2022.
([514]) Articles R. 235-1 du code de justice administrative : « En cas d'affectation dans une juridiction située outre-mer pendant au moins deux années, les magistrats sont réputés avoir accompli la mobilité prévue à l'article L. 234-2-1 ou à l'article L. 234-2-2 au titre du grade occupé lors de l'affectation ».
([515]) Articles L. 234-2-1 et L. 234-2-2 du code de justice administrative.
([517]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([518]) Ibid.
([520]) En application du décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l'ordre judiciaire, l’indemnité de fonction des magistrats est composée de trois parties : une prime forfaitaire servie à raison de la fonction exercée, calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut (34 % à 39 %) et versée mensuellement ; une prime modulable attribuée en fonction de la contribution du magistrat au bon fonctionnement de l’institution judiciaire, également calculée en pourcentage du traitement indiciaire brut ; une prime pour travaux supplémentaires, attribuée à raison d'un surcroît d’activité résultant d’absences prolongées de magistrats.
([521]) Charte interministérielle de la mobilité à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
([522]) Article 6 de l’arrêté du 12 août 2023 pris en application du décret n° 2023-768 du 12 août 2023 relatif au régime indemnitaire des magistrats de l'ordre judiciaire.
([524]) Réponses écrites d’Unité magistrats au questionnaire de votre rapporteur.
([525]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([526]) Ibid.
([527]) Réponses écrites d’Unité magistrats au questionnaire de votre rapporteur.
([530]) Réponses écrites de l’association des magistrats ultramarins au questionnaire de votre rapporteur.
([531]) Charte interministérielle de la mobilité à Mayotte, en Guyane, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
([538]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([542]) Réponses écrites de l’association des magistrats ultramarins au questionnaire de votre rapporteur.
([544]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([545]) Tel est le cas pour les tribunaux judiciaires d’Alès, Carpentras, Dieppe, Draguignan, Quimper, Saint‑Gaudens, Saverne, ou encore de la Vienne.
([549]) À titre de comparaison, le tribunal judiciaire de Mende comprend 21 agents et celui de Saint‑Gaudens, 19 personnels.
([550]) Bilan d’activité 2024 du tribunal administratif de Guyane.
([552]) En 2024, les cours administratives d’appel ont jugé 31 025 affaires par les cours administratives d’appel, soit 12 % du volume total des affaires traitées par les tribunaux administratifs, qui s’élèvent à 254 644. Voir « Chiffres clés 2024 de la juridiction administrative ».
([553]) Réponses écrites de la présidente du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([554]) Ibis.
([558]) Réponses écrites de l’association La Cimade au questionnaire de votre rapporteur.
([559]) Réponses écrites du président du tribunal administratif de Mayotte au questionnaire de votre rapporteur.
([561]) Ibid.
([562]) Informations transmises par le chef de greffe de Mata-Utu.
([564]) Informations transmises par le chef de greffe de Mata-Utu.
([565]) Voir par exemple, CC, DC n° 2025-885 du 12 juin 2025, Loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (§ 486).
(1) Compte rendu n° 5.
([567]) Ibid.
([568]) Réponses écrites de l’Apij au questionnaire de votre rapporteur.
([570]) Ibid.
([571]) Ibid.
([572]) Ibid.
([573]) Réponses écrites de l’Apij au questionnaire de votre rapporteur.
([575]) Ibid.
([576]) Ibid.
([578]) Ibid.
([580]) Réponses écrites du secrétariat général du ministère de la justice au questionnaire de votre rapporteur.
([585]) Réponses écrites de l’Apij au questionnaire de votre rapporteur.
([588]) Ibid.
([589]) Rapport du Comité des États généraux de la justice, Rendre justice aux citoyens, juillet 2022.
([592]) Inspection générale de la justice, Mission d’appui relative à l’organisation de l’action du secrétariat général du ministère de la justice dans les Outre-mer, octobre 2020.
([594]) Réponses écrites du secrétariat général du ministère de la justice au questionnaire de votre rapporteur.
([596]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([597]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion au questionnaire de votre rapporteur.
([598]) Réponses écrites du tribunal judiciaire de Mamoudzou au questionnaire de votre rapporteur.
([599]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([601]) Ibid.
([604]) Article 398-2 du code de procédure pénale.
([605]) Art. 66 : « L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».
([606]) Décision n° 2016-532 QPC du 1er avril 2016.
([609]) P. Lingibé, « Les inégalités de justice en outre-mer : Wallis et Futuna et la défense kafkaïenne des "citoyens défenseurs" », Village de la justice, juin 2022.
([610]) Article L. 706-71 du code de procédure pénale, sixième alinéa : « Pour l'application des dispositions des alinéas précédents, si la personne est assistée par un avocat ou par un interprète, ceux-ci peuvent se trouver auprès du magistrat, de la juridiction ou de la commission compétents ou auprès de l'intéressé (…) ».
([611]) Cour de cassation, Crim. 14 octobre 2025, n° 25-85.134.
([615]) Réponses écrites de l’Usma au questionnaire de votre rapporteur.
([618]) Réponses écrites de la cour d’appel de Fort-de-France au questionnaire de votre rapporteur.
([621]) Réponses écrites du tribunal administratif de La Réunion au questionnaire de votre rapporteur.
([622]) Réponses écrites du tribunal administratif de Guyane au questionnaire de votre rapporteur.
([628]) « Tout accusé a le droit notamment à (…) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ».
([629]) « Dès le début de la garde à vue et à tout moment au cours de celle-ci, la personne peut demander à être assistée par un avocat désigné par elle ou commis d'office ».
([630]) Réponses écrites du syndicat FO Justice au questionnaire de votre rapporteur.
([633]) Réponses écrites de la Chambre nationale des commissaires de justice au questionnaire de votre rapporteur.
([635]) Réponses écrites de la cour d’appel de Cayenne au questionnaire de votre rapporteur.
([636]) Réponses écrites de la cour d’appel de Basse-Terre au questionnaire de votre rapporteur.
([637]) Bilan d’activité 2024 du CDAD de Guadeloupe.
([645]) Ibid.
([648]) Ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice.
([649]) Avis 23-A-09 du 07 juillet 2023 relatif à la liberté d’installation des commissaires de justice et à une proposition de carte des zones d’implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices de commissaires de justice.
([650]) Arrêté du 26 décembre 2023 pris en application de l'article 52 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession de commissaire de justice.
([651]) Réponses écrites de la Chambre nationale des commissaires de justice au questionnaire de votre rapporteur.
([652]) Le taux de recours correspond au nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle sur une zone, rapporté à la population de cette zone. Il permet de comparer la fréquence du recours à l’aide juridictionnelle entre les zones, par exemple entre les ressorts de cours d’appel.
([653]) Service statistique ministériel de la justice, Infostat Justice, n° 187, août 2022.
([658]) Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.
([666]) Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.
([667]) Ordonnance n° 92-1147 du 12 octobre 1992 relative à l’aide juridictionnelle en matière pénale en Nouvelle‑Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna et décret n° 93-1425 du 31 décembre 1993 relatif à l’aide juridictionnelle en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis-et-Futuna.
([668]) CNB, « Aide juridictionnelle en outre-mer – des modifications nécessaires au titre de l’égalité entre tous les territoires nationaux », commission accès au droit et à la justice, assemblée générale du 10 mars 2023 ; voir aussi CNB, « Les revendications financières (ou ayant un impact budgétaire) des avocats, commission accès au droit et à la justice, assemblée générale du 15 mars 2024.
([670]) Décret n° 2023-1299 du 28 décembre 2023 portant diverses dispositions en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat dans le cadre des modes amiables de règlement des différends et extension du dispositif de la convention locale relative à l'aide juridique à la Nouvelle-Calédonie.
([672]) Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l'aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.
([674]) Réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur.
([675]) Projet de loi de finances pour 2026.
([676]) 14,3 millions d’euros sur 13 milliards prévus en 2026.
([677]) 789 500 euros sur 14,5 millions d’euros en 2025.
([678]) 226 628 euros sur 5 millions d’euros en 2015.
([679]) Réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur.
([681]) Réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur.
([682]) Odoxa, « Baromètre des droits et de l’accès au droit en France », décembre 2024.
([683]) Projet annuel de performances, annexe au projet de loi de finances pour 2026, programme 101 « Accès au droit et à la justice », indicateur 1.3.
([686]) Lettre du garde des sceaux aux agents du ministère du 13 octobre 2025.
([687]) Service de la statistique, des études et de la recherche du ministère de la justice, « La justice en France en 2024 Perception, connaissances et expériences judiciaires », Infostat Justice, n° 204, octobre 2025
([688]) De l’aveu même du Sadjav, le dispositif actuel n’est en effet pas satisfaisant : « les acteurs locaux ont signalé certaines difficultés d’accès pour les populations ultramarines, liées notamment à un fonctionnement intermittent du numéro selon l’opérateur, un numéro perçu comme long et associé à un numéro hexagonal et un coût des appels pour certains usagers » (réponses écrites du Sadjav au questionnaire de votre rapporteur).
([695]) Ibid.
([698]) Services de la statistique, des études et de la recherche, « La justice en France en 2024 – perception, connaissances et expériences judiciaires », Infostat Justice n° 204, octobre 2025.
([699]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([701]) Réponses de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([703]) Ibid.
([704]) Réponses écrites de l’École nationale des greffes au questionnaire de votre rapporteur.
([712]) Ibid.
([713]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([716]) Note de la cour d’appel de Basse-Terre, « Formation continue déconcentrée cour d’appel de Basse-Terre : insuffisance budgétaires et axes de renforcement ».
([720]) Réponses écrites de l’École nationale des greffes au questionnaire de votre rapporteur.
([721]) Réponses écrites de l’Association des magistrats ultramarins au questionnaire de votre rapporteur.
([722]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([723]) Réponses écrites de la Conférence nationale des greffes au questionnaire de votre rapporteur.
([725]) Compte rendu n° 3 et réponses écrites de l’Association des magistrats ultramarins au questionnaire de votre rapporteur.
([730]) Réponses écrites de l’Association des magistrats ultramarins au questionnaire de votre rapporteur.
([732]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([734]) Ibid.
([735]) Ibid.
([736]) Réponses écrites de l’École nationale des greffes au questionnaire de votre rapporteur.
([738]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([742]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
([743]) Loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
([744]) Article 380-16 du code de procédure pénale.
([745]) P. Bordes et S. Mazars, rapport de la mission d’information sur l’évaluation de la création des cours criminelles départementales, commission des lois, Assemblée nationale, n° 1687, 9 juillet 2025.
([746]) Exemption prévue pour Mayotte par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
([747]) L’article 58 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a élargi cette dérogation à la Nouvelle-Calédonie et aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution.
([754]) Articles L. 312-9 et R. 212-64 du code de l’organisation judiciaire.
([755]) Réponses écrites de la direction des services judiciaires au questionnaire de votre rapporteur.
([756]) Articles R. 212-63 et R. 312-84 du code de l’organisation judiciaire.
([759]) Réponses écrites du ministre coutumier du royaume d’Uvea au questionnaire de votre rapporteur.
([763]) Ibid.
([764]) Réponses écrites du syndicat de la magistrature au questionnaire de votre rapporteur.
([769]) Ibid.
([773]) Ibid.
([779]) À Wallis-et-Futuna, l’association Lea ki Aluga, Osez perçoit des subventions des consulats australiens et néo-zélandais.
([780]) Libération, « Violences conjugales : dans les outre-mer, le déploiement poussif du 39 19, numéro national d’écoute », 17 mars 2025.
([781]) J. Bénin, « Croire en la parole des femmes victimes de violences en outre-mer, Rapport diagnostic territoire », juin 2024.
([784]) J. Bénin, op. cit.
[786] D’autres lenteurs administratives sont soulignées par la Chambre Interdépartementale des Notaires. Si les actes dématérialisés font l’objet d’un retour rapide par le SPF -en moyenne dans un délai de 4 mois- les autres actes tels que les donations, non dématérialisés, font l’objet d’un retour en moyenne après 1 an suivant leur transmission. En revanche, la collaboration mise en œuvre pour assurer la transmission de titres de propriété avec le service des Archives Territorial est en revanche estimée fluide.
[787] La programmation d’un versement de ces titres aux Archives Territoriale est envisagée en 2026, toutefois leur mise à disposition au public sera fonction du budget alloué pour assurer leur restauration.
[788] Le titre est détenu par le propriétaire, mais aussi par l’ancien service des Hypothèques devenu Service de la Publicité Foncière, ainsi que par l’office notarial.
[789] Si le Tribunal judiciaire verse des registres de minutes d’état civil, celles-ci sont reçues et traitées en l’état. Aucune demande d’apostille n’intervient pour ces minutes, ni s’agissant des titres de propriétés reçus.
[790] Également interpellé sur l’assistance portée aux Collectivités, le service des Archives a fait état d’une sensibilisation et d’un tour des archives communales entamé. L’archivage des documents administratifs communaux, des établissements intercommunaux et des hôpitaux, reste à parfaire.