N° 4082

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 23 juillet 2019

sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique

et présenté par

MM. Éric GIRARDIN et Meyer HABIB

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

 

Présentation synoptique des problématiques polaires

Synthèse des recommandations des rapporteurs

introduction

I. Les défis géopolitiques

A. EN Arctique

1. Une zone oscillant entre ouverture internationale et raidissement régional des États arctiques

a. Les différents acteurs en présence dans le Grand Nord

i. Les pays riverains de l’Arctique

ii. Les populations autochtones de l’Arctique

b. Une approche globalement coopérative en Arctique de plus en plus marquée par l’apparition de nouvelles rivalités

i. Une région caractérisée par une coopération multilatérale singulière mais efficace ou « la force des liens faibles » ()

ii. Une région subissant les tensions provoquées sur d’autres fronts

2. Les nouveaux enjeux géostratégiques dans l’Arctique

a. Les nouvelles routes maritimes, des perspectives nouvelles mais encore lointaines

i. Des voies nouvelles qui s’ouvrent à la faveur de la déglaciation

ii. La route maritime du Nord constitue une priorité stratégique pour la Russie

iii. Une navigation polaire qui demeurera néanmoins contrainte et limitée

b. Les nouvelles opportunités économiques en Arctique

i. L’Arctique : un nouvel Eldorado ?

ii. La Chine, un « dragon des neiges » ?

c. Un mouvement de militarisation renforcée dans la région

i. Une militarisation en Arctique reflet des tensions russoaméricaines et sinoaméricaines

ii. Une présence militaire russe traditionnelle en Arctique mais qui tend à se réaffirmer

iii. Un renforcement de l’effort de défense danois dans l’Arctique répondant aux attentes de l’OTAN

B. En Antarctique

1. Le traité sur l’Antarctique, pierre angulaire d’une coopération internationale exceptionnelle

a. La signature du traité de Washington

b. Les principales dispositions du traité de Washington

c. Les réunions consultatives du traité sur l’Antarctique

2. Des instruments internationaux complémentaires offrant un haut niveau de protection de l’environnement en Antarctique

a. La convention pour la protection des phoques de l’Antarctique

b. La convention pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique

i. Une convention permettant de renforcer la préservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique

ii. Les travaux de la CCAMLR sont particulièrement entravés par des tensions diplomatiques

c. Le protocole de Madrid

i. Les principales dispositions du protocole

ii. Un cadre juridique robuste qui protège efficacement le soussol de l’Antarctique

II. Les défis environnementaux

A. EN Arctique

1. Un impact démultiplié des effets du dérèglement climatique en Arctique

2. Le nécessaire développement d’une économie durable et respectueuse des pratiques traditionnelles des peuples autochtones

3. Promotion d’une navigation propre et d’une pêche durable et raisonnée en Arctique

a. Le code polaire, premier règlement contraignant pour la navigation dans l’environnement arctique

b. Une coopération internationale inédite et ambitieuse en matière de pêche dans l’Arctique

B. EN Antarctique

1. Des effets du dérèglement climatique qui se font désormais également sentir en Antarctique

2. La nécessaire régulation du tourisme en Antarctique

3. La question des sanctuaires marins en Antarctique

III. la feuille de route polaire de la France et de l’europe passera nécessairement par un réhaussement des moyens à la hauteur de nos ambitions

A. les Enjeux de gouvernance et de défense aux pôles

1. La nécessaire implication de nos armées sur un théâtre arctique en mutation

2. Le nécessaire affermissement de la stratégie arctique de l’Union européenne

a. Une politique arctique européenne qu’il est nécessaire de rendre plus ambitieuse et plus visible

b. Une politique européenne arctique tournée vers la science et l’éducation

c. Une politique arctique européenne tournée vers le développement durable

B. les Enjeux scientifiques et environnementaux

1. Soutenir la recherche française polaire grâce à un réengagement significatif de l’État aux pôles

a. La présence scientifique française aux pôles

b. Une excellence de la recherche française menacée

i. Une recherche parmi les plus performantes au monde

ii. Une recherche française aux moyens limités et qui à terme pourrait décrocher

2. Promouvoir la préservation des pôles

a. Réguler efficacement le tourisme et sanctuariser certaines zones

i. La question du tourisme en Antarctique

ii. La question des aires marines protégées en Antarctique

b. Encourager à la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux

examen en commission

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

Annexe n° 2 : liste des contributions écrites reçues par les rapporteurs

Annexe n° 3 : liste des acronymes et des sigles

ANNEXE N° 4 : liste des pays signataires de l’accord sur l’Antarctique


   Présentation synoptique des problématiques polaires

 

 

 

 

Géographie physique et environnementale

Pays concernés

Population

Gouvernance

Présence française

Hydrocarbures et minéraux

Tensions

Arctique

- Zone maritime, dont la superficie équivaut à 5 fois celle de la mer Méditerranée.

 

- Le centre de l’océan Arctique relève en grande partie de la haute mer, c’est‑à‑dire du droit international de la mer.

 

- Région où le dérèglement climatique est 2 à 3 fois plus rapide qu’ailleurs.

 

- En 2020, la banquise arctique a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée.

- Les 5 de l’Arctique : Canada, Danemark, États-Unis, Norvège et Russie

 

- Les 8 de l’Arctique comptant en plus l’Islande, la Finlande et la Suède.

 

- Les nouveaux acteurs  : Chine, Inde, mais aussi Suisse… dont l’implication nouvelle traduit un intérêt géostratégique renouvelé pour l’Arctique.

- Région peuplée de près de 4 millions de personnes dont à peu près 500 000 autochtones ayant des défis politiques, sociaux et économiques à relever.

- Gouvernance partagée entre souverainetés nationales, coopérations régionales (notamment le Conseil de l’Arctique), et droit international de la mer tel que défini par la convention de Montego Bay (1982).

- La France n’est pas possessionnée en Arctique.

 

- En Arctique, l’IPEV dispose depuis 2003, dans le cadre d’un partenariat franco‑allemand, d’une base scientifique dans l’archipel du Svalbard (Norvège).

- La plus grande partie des gisements en hydrocarbures et 95% des gisements de minéraux se trouvent dans les ZEE des États riverains de l’Arctique. Situation qui vient contrecarrer toute idée de course à l’appropriation puisque seuls 5% des ressources potentielles se trouveraient en dehors des zones sur lesquelles les États arctiques disposent d’ores et déjà de droits souverains.

- Région peu conflictuelle en elle-même mais subissant de plus en plus les répercussions des tensions provoquées sur d’autres fronts (opposition OTAN/Russie, rivalité sino‑américaine…).

 

 

 

 

 

 

Géographie physique et environnementale

Pays concernés

Population

Gouvernance

Présence française

Hydrocarbures et minéraux

Tensions

Antarctique

- Masse continentale recouverte à 98% d’une importante couche de glace dont l’épaisseur maximale approche les 5 000 mètres.

 

- Vaste continent de 14 millions de km2 de superficie, soit à titre de comparaison 26 fois celle de la France métropolitaine, entouré par l’océan Austral, dont la superficie représente 8 fois celle de la mer Méditerranée.

 

- En 2019, le GIEC a souligné que l’accélération de l’écoulement et du recul de la calotte glaciaire Antarctique avait le potentiel d’élever le niveau des mers de plusieurs mètres en quelques siècles.

- Les États parties au traité sur l’Antarctique (1959) sont, depuis 2015, au nombre de 54, dont la France.

 

- Parmi ceux-ci, 7 sont dits « possessionnés » : Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle‑Zélande, Royaume-Uni. C’est‑à‑dire ayant émis des prétentions territoriales sur le continent austral.

- En raison de son isolement et des rudes conditions climatiques, le continent austral ne compte aucune population permanente mais seulement quelques milliers d’occupants installés dans les différentes bases scientifiques.

- La communauté internationale a su élaborer pour l’Antarctique l’une des gouvernances internationales les plus ambitieuses, coopératives et protectrices de l’environnement grâce au système du traité sur l’Antarctique.

- Le traité sur l’Antarctique ou traité de Washington (1959) garantit notamment le gel des revendications territoriales.

- Le protocole de Madrid (1991) fait de cette région une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ».

- La France est possessionnée en Antarctique et dans la région subantarctique avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

 

- L’IPEV dispose dans la région de plusieurs bases, en Terre Adélie, et au Dôme C dans le cadre d’un partenariat franco‑italien (Antarctique) et dans les îles d’Amsterdam et de la Possession ainsi que dans l’archipel des Kerguelen (région subantarctique).

- Le protocole de Madrid (1991) prohibe « toute activité relative aux ressources minérales » en Antarctique.

 

- Contrairement à une vision répandue, la remise en cause de l’interdiction des activités minières à partir de 2048 est très peu probable grâce aux précautions prises par les rédacteurs du protocole de Madrid et au contexte diplomatique actuel.

- Opposition depuis 2016 de la Chine et de la Russie à tous les nouveaux projets d’aires marines protégées (AMP) en Antarctique qui seraient perçues comme appuyant une affirmation de souveraineté en Antarctique par les États promoteurs qui sont également des États possessionnés. De plus, les AMP risquent de venir fermer des zones halieutiques potentielles, et pourraient entraver le développement futur des activités de pêche menées par ces deux pays.

 

- La Chine est arrivée sur la scène internationale antarctique après l’adoption des textes fondateurs du système du traité sur l’Antarctique et peut se montrer peu encline à s’inscrire dans un cadre dont elle n’a pas participé à l’élaboration.

 


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   Synthèse des recommandations des rapporteurs

Les défis géostratégiques aux pôles

1) La France est avant tout une puissance polaire grâce à l’excellence de sa recherche scientifique. Vos rapporteurs estiment urgent de lui donner les moyens de le rester. L’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV) nécessite actuellement un réinvestissement massif de la nation au service de la science d’une part et du rayonnement de notre pays sur la scène internationale d’autre part ;

2) Le plan de relance économique mis en place suite à la crise économique liée à la pandémie de covid‑19 devrait constituer une opportunité permettant de rehausser significativement les moyens dédiés à la recherche française en Arctique et en Antarctique et de mettre en œuvre la rénovation de nos bases ([1]) ;

3) L’Union européenne doit veiller à affirmer pleinement sa place sur la scène polaire en structurant et en élargissant sa nouvelle politique arctique. Pour gagner en efficacité et en crédibilité, la politique arctique de l’Union européenne devrait notamment se concentrer sur sa valeur ajoutée et adjoindre aux trois priorités actuelles (protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, développement économique durable, coopération internationale) un nouveau pilier consacré aux infrastructures spatiales et numériques ;

4) Pour valoriser ses propres capacités arctiques, la France devrait impérativement s’impliquer davantage et plus visiblement dans les travaux arctiques de l’Union européenne afin d’influer sur leur cours. À court terme, la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre 2022, pourrait offrir à la France une véritable opportunité en ce sens ;

5) Afin de conserver une profondeur stratégique dans l’Atlantique Nord et d’être à même de faire face aux nouveaux défis polaires, la France doit veiller à maintenir des déploiements réguliers de la Marine nationale en zone arctique et subarctique afin de renforcer ses savoirfaire nautiques et opérationnels dans ces eaux difficiles ;

6) La France devrait renforcer ses capacités de recherche et sauvetage en mer en Arctique afin de gagner en crédibilité auprès de ses partenaires et d’être en mesure de porter secours aux navires français de plus en plus nombreux à croiser dans le Grand Nord ;

7) Dans le cadre de la stratégie arctique de la France, il paraît nécessaire de réserver une place particulière à SaintPierreetMiquelon, seule collectivité territoriale française située dans la zone subarctique ;

8) La France doit demeurer, aux pôles, vigilante et pro‑active, afin de continuer à défendre aux côtés de nos alliés une approche multilatérale et respectueuse du droit international et non la loi du plus fort et du fait accompli ;

9) La France doit veiller – dans un contexte de renforcement des efforts de défense dans l’Arctique – à mobiliser son industrie de défense afin que celleci puisse pleinement participer à la montée en puissance capacitaire projetée par certains de nos alliés, notamment le Danemark, en Arctique ;

10) La France devrait s’engager à organiser et à accueillir prochainement un forum international consacré à l’Arctique afin de renforcer sa légitimité sur ces sujets et de démontrer concrètement son attachement aux questions arctiques.

Les défis scientifiques et environnementaux

11) Profiter de la présidence française de la prochaine Réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA), en juin 2021, pour porter des propositions à forte connotation environnementale, en renforçant notamment la régulation des activités touristiques sur le continent austral et dans ses eaux environnantes ;

12) Œuvrer en faveur d’un renforcement de la lutte contre le dérèglement climatique, en lien avec les préoccupations polaires, en utilisant notamment comme cadre le Conseil de l’Arctique. Cette instance regroupe, en effet, une part importante des États concernés – avec des pays arctiques membres du Conseil fortement touchés par le phénomène et des pays observateurs du Conseil qui comptent parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Les pôles constituent des régions particulièrement importantes pour la réalisation des objectifs de l’accord de Paris sur le climat de 2015 en raison de l’accélération du réchauffement deux à trois fois plus rapide en Arctique ;

13) Continuer à soutenir les projets d’aires marines protégées (AMP) en Antarctique afin de sanctuariser certaines zones dans le but d’offrir la meilleure protection possible à la biodiversité marine locale. Il y a nécessité sur ce point d’amener la Russie et la Chine à négocier de bonne foi et dans un esprit de coopération en mobilisant si nécessaire une intervention politique de très haut niveau ;

14) Œuvrer pour une interdiction la plus rapide possible de l’utilisation du fioullourd dans les eaux arctiques compte tenu des risques que ce carburant fait peser sur l’environnement de l’Arctique ;

15) Veiller, dans le cadre des négociations ([2]) menées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) en faveur d’un instrument international juridiquement contraignant pour la préservation de la haute mer, à prévoir pour la biodiversité de la partie centrale de l’océan glacial Arctique une protection spécifique la plus efficace et durable possible ;

16) Dans le cadre d’un échange de bons procédés, la France devrait chercher à nouer des accords de coopération avec des nations possessionnées en Arctique afin de faciliter l’accès à leurs moyens pour les chercheurs français en contrepartie de l’accès à ceux dont la France dispose en Antarctique et dans la région subantarctique ;

17) La France devrait porter à l’occasion de la prochaine RCTA la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux à même de redonner un souffle à la coopération multilatérale en Antarctique sur le modèle de ce qui s’était passé à l’occasion de l’année géophysique internationale 1957‑1958, qui avait permis d’aboutir, par la suite, à la signature du traité sur l’Antarctique ;

18) La France devrait soutenir lors de la prochaine RCTA des propositions permettant de rendre les activités de recherche scientifiques en Antarctique les plus vertueuses possibles, en réduisant autant que possible l’impact environnemental des infrastructures et de la logistique. Dans cette optique, la France pourrait montrer l’exemple et initier un projet ambitieux de modernisation de ses deux stations en Antarctique en visant idéalement leur neutralité carbone à l’horizon 2050, date à laquelle la France présidera à nouveau la RCTA ;

19) La France devrait encourager l’échange de services entre nations, en particulier en direction des États parties non consultatives au traité sur l’Antarctique ne disposant pas de bases afin de réduire, dans l’avenir, l’artificialisation de nouveaux espaces. L’accès facilité aux stations existantes, dont celles de la France, permettrait ainsi à ces États de développer des recherches sans reposer sur de nouvelles infrastructures ;

20) Mise en place, au sein de la commission des affaires étrangères, d’un suivi des travaux consacrés à la préservation des pôles en particulier et à la diplomatie scientifique et environnementale en général, pour s’assurer – jusqu’à la fin de la législature – de la bonne prise en compte des diverses recommandations formulées sur ces thématiques.

   introduction

L’Arctique et l’Antarctique sont longtemps restés des zones hostiles à la périphérie du monde mais elles se retrouvent aujourd’hui au centre de nombreuses convoitises : géopolitiques, militaires, commerciales, et scientifiques.

Vos rapporteurs partagent, avec l’ensemble des membres de la commission des affaires étrangères, l’intime conviction que l’Arctique et l’Antarctique constituent l’un et l’autre des espaces, qui à plusieurs égards, relèvent du « patrimoine commun de l’humanité », et qu’il nous faut impérativement préserver et étudier.

L’Arctique et l’Antarctique en dépit d’importantes différences – au‑delà de quelques similarités liées au climat polaire – représentent, tous deux, des enjeux d’envergure pour le monde et pour la France.

L’Arctique à la différence de l’Antarctique est une zone maritime, dont la superficie équivaut à cinq fois celle de la mer Méditerranée. C’est un océan dont la partie centrale – celle où se trouve le pôle Nord géographique terrestre – relève en grande partie de la haute mer, c’est‑à‑dire du droit international de la mer tel que défini par la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) ou convention de Montego Bay (1982). Il faut également garder à l’esprit que l’Arctique, à la différence de l’Antarctique, est une région peuplée de près quatre millions de personnes – dont à peu près 500 000 autochtones – ayant des défis politiques, sociaux et économiques à relever. Un des endroits du globe où le dérèglement climatique se fait le plus fortement ressentir, le réchauffement y étant deux à trois fois plus rapide qu’ailleurs dans le monde. C’est, en outre, une région au sein de laquelle nous constatons un mouvement de militarisation renforcée avec le déploiement, ces dernières années, d’exercices militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de la Russie et de la Chine.

L’Antarctique, qui est situé aux antipodes de l’Arctique, se compose à la différence du Grand Nord, d’une terre émergée – le continent austral –  recouverte à 98 % d’une importante couche de glace dont l’épaisseur maximale approche les 5 000 mètres. Ce continent est entouré par une vaste étendue maritime, l’océan Austral, dont la superficie représente huit fois celle de la mer Méditerranée. Par convention, cet océan regroupe toutes les eaux situées en‑deçà du 60e parallèle sud soit une superficie de vingt millions de kilomètres carrés ([3]).

Pour M. Yves Frénot, biologiste spécialiste de l’Antarctique et ancien directeur de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV), « l’Antarctique est le continent de tous les excès » en raison :

-         de ses 14 millions de kilomètres carrés de superficie, soit à titre de comparaison vingt‑six fois celle de la France métropolitaine ([4]) et de la longueur de ses côtes qui s’étendent sur près de 24 000 kilomètres ;

-         de sa hauteur, il est le continent le plus élevé avec 2 000 mètres d’altitude en moyenne ;

-         de la dureté de son climat, la moyenne annuelle des températures étant de – 20 °C à 1 000 mètres d’altitude et de – 55 °C à la base russe de Vostok située à 3 500 mètres d’altitude. La température la plus basse jamais mesurée sur Terre, soit – 89,3 °C, l’a été, en hiver, sur cette même base ([5]) ;

-         de son isolement, il ne compte aucune population permanente mais seulement quelques milliers d’occupants installés dans les différentes bases scientifiques ;

-         de sa découverte récente : Jules Dumont d’Urville, parmi les pionniers, n’ayant découvert la Terre Adélie qu’en 1840 ([6]).

C’est une zone bénéficiant d’une protection unique, la communauté internationale ayant su élaborer pour cette terre isolée, à la diversité biologique exceptionnelle, l’un des systèmes de gouvernance internationale les plus ambitieux, coopératifs et protecteurs de l’environnement. Cependant ; comme nous le verrons, l’Antarctique bien que protégé suscite de plus en plus de convoitises et appelle à une vigilance renforcée.

En raison d’évolutions technologiques mais aussi, malheureusement, à la faveur du dérèglement climatique, les régions polaires se révèlent, année après année, tout à la fois plus vulnérables et plus accessibles. De nouvelles routes maritimes semblent s’ouvrir au Nord, des activités commerciales se développent au Nord comme au Sud et des ressources pétrolières et minérales, notamment des terres rares, se révèlent exploitables.

Ainsi les enjeux stratégiques et environnementaux apparaissent nombreux, tant en Arctique qu’en Antarctique. Les travaux de vos rapporteurs sur la problématique des pôles s’articuleront autour de deux défis majeurs :

- les défis géopolitiques, d’une part, où seront abordées les problématiques de la gouvernance, de l’accès aux ressources naturelles et les questions de sécurité et de défense ;

- les défis scientifiques et environnementaux, d’autre part, où seront étudiés l’impérieuse nécessité de protéger les richesses inouïes de la biodiversité polaire ainsi que les enjeux de la recherche scientifique aux pôles.

La France, forte de son statut de nation polaire, de sa puissance maritime et de son expertise scientifique, a indéniablement une carte à jouer en faveur de la préservation de ces deux espaces vitaux pour l’humanité.

 


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I.   Les défis géopolitiques

A.   EN Arctique

1.   Une zone oscillant entre ouverture internationale et raidissement régional des États arctiques

Il est clairement apparu au cours des travaux de vos rapporteurs que l’importance géostratégique du Grand Nord est une réalité ancienne pour l’ensemble des pays de la région. Mais elle apparaît cependant à présent renouvelée sous l’effet d’une double dynamique avec d’une part l’ouverture de la région arctique aux enjeux internationaux et d’autre part un raidissement des États arctiques face aux nouvelles opportunités, notamment économiques, qui se dessinent et du surgissement de nouveaux acteurs comme la Chine.

a.   Les différents acteurs en présence dans le Grand Nord

L’Arctique est une zone maritime de 13 millions de kilomètres carrés et de plus de 4 000 mètres de profondeur recouverte en grande partie par la banquise. L’océan Arctique se trouve encerclé par un certain nombre d’États, qui disposent de droits souverains sur une partie de celui‑ci grâce à leurs zones économiques exclusives (ZEE) tandis que sa partie centrale relève des règles de la haute mer.

i.   Les pays riverains de l’Arctique

Les terres émergées qui bordent cet espace marin appartiennent à des États (Canada, Danemark, États‑Unis, Norvège et Russie) dotés des moyens leur permettant d’assurer leur souveraineté sur leurs territoires ainsi que sur leurs eaux territoriales et jouissant des droits souverains attachés aux ZEE afférentes.

Les États arctiques peuvent être classés dans deux catégories :

-         les États directement limitrophes de l’océan Arctique ou « cinq de l’Arctique » que sont le Canada, le Danemark, les États‑Unis, la Norvège et la Russie. Ces cinq pays ont signé en mai 2008, la déclaration d’Ilulissat ([7]), par laquelle tous s’étaient engagés à collaborer à la résolution pacifique des conflits territoriaux dans la région. Ils ont, à cette occasion, réaffirmé leur attachement au droit international de la mer et définitivement écarté la perspective d’un traité international portant sur l’Arctique lui préférant le principe d’une gouvernance régionale ;

-         et les pays de la région Arctique ou « huit de l’Arctique » – dont une partie du territoire se trouve au‑delà du cercle polaire – et qui comptent en plus des cinq précédents, l’Islande, la Finlande et la Suède.

Parmi « les cinq de l’Arctique », à l’exception de la Russie, tous les États sont membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis sa création en 1949. Deux États, les États‑Unis et la Russie, sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, le Canada, appartient avec les États‑Unis au Groupe des sept (G7).

Parmi « les huit de l’Arctique », trois États arctiques, le Danemark – grâce aux territoires du Groenland et des îles Féroé ([8]) – la Finlande et la Suède sont membres de l’Union européenne.

À ces acteurs régionaux traditionnels, viennent désormais s’ajouter d’autres États comme la Chine ([9]), l’Inde ([10]) mais aussi la Suisse ([11]) dont l’implication nouvelle dans la zone – que celle‑ci soit scientifique, économique voire militaire – traduit un intérêt géostratégique renouvelé pour l’Arctique.

Depuis la perte de la Nouvelle‑France par le traité de Paris (1763), la France ne dispose plus de territoires dans le Grand Nord, à l’exception de l’archipel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon qui se situe au sud de Terre‑Neuve, en deçà du cercle polaire, dans la zone subarctique. Néanmoins la France demeure fortement présente et impliquée dans la région arctique au titre de ses activités de recherche dans la droite ligne des travaux de l’explorateur polaire Paul‑Émile Victor et de l’ethnologue et géographe Jean Malaurie. Par ailleurs, comme l’a relevé Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles à l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) lors de son audition, une place particulière devrait être réservée à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon dans le cadre de la stratégie de la France en Arctique. La coopération entre la collectivité d’outre‑mer et le Canada pourrait, entre autres, constituer, aux yeux de vos rapporteurs, une piste intéressante pour le développement de l’action de la France dans le Grand Nord.

La nomination, en date du 25 novembre 2020, d’un nouvel ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes, en la personne d’Olivier Poivre d’Arvor, apparaît aux yeux de vos rapporteurs comme un excellent signal. En outre, le nouvel intitulé, notoirement différent de celui qui était utilisé depuis 2009 et qui faisait alors référence à une « négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique », permet, au fond, à la France d’admettre qu’elle ne pourrait pas prendre part à une hypothétique négociation internationale relative à l’Arctique dont la situation est de tout manière – sur de nombreux points – antinomique avec celle prévalant en Antarctique. En revanche, en faisant référence aux « enjeux maritimes » dans ce nouvel intitulé, la France insiste habilement sur son statut de puissance maritime et légitime ainsi son intérêt pour cette région comprenant l’océan glacial Arctique.

La carte ci‑après permet de visualiser le positionnement géographique des « huit de l’Arctique ».

Les États arctiques ([12])  

https://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/dgris_img/img-action-internationale/arctique/cartographie-illustrative-de-l-arctique/9687758-1-fre-FR/cartographie-illustrative-de-l-arctique.png

Source : Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées (DGRIS).

ii.   Les populations autochtones de l’Arctique

Une des différences majeures entre l’Arctique et l’Antarctique réside dans le fait que la première est une zone abritant des populations permanentes. En effet, le pourtour de l’océan Arctique est peuplé depuis 20 000 ans environ et compte aujourd’hui quatre millions d’habitants dont à peu près 500 000 personnes issues des populations autochtones, répartis sur trois continents, sept pays et 30 millions de kilomètres carrés.

La carte ci‑après présente la répartition des peuples autochtones dans l’Arctique en fonction de leur groupe linguistique.

RÉpartition des peuples autochtones de l’Arctique
en fonction des groupes linguistiques