N° 4082

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 23 juillet 2019

sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique

et présenté par

MM. Éric GIRARDIN et Meyer HABIB

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

 

Présentation synoptique des problématiques polaires

Synthèse des recommandations des rapporteurs

introduction

I. Les défis géopolitiques

A. EN Arctique

1. Une zone oscillant entre ouverture internationale et raidissement régional des États arctiques

a. Les différents acteurs en présence dans le Grand Nord

i. Les pays riverains de l’Arctique

ii. Les populations autochtones de l’Arctique

b. Une approche globalement coopérative en Arctique de plus en plus marquée par l’apparition de nouvelles rivalités

i. Une région caractérisée par une coopération multilatérale singulière mais efficace ou « la force des liens faibles » ()

ii. Une région subissant les tensions provoquées sur d’autres fronts

2. Les nouveaux enjeux géostratégiques dans l’Arctique

a. Les nouvelles routes maritimes, des perspectives nouvelles mais encore lointaines

i. Des voies nouvelles qui s’ouvrent à la faveur de la déglaciation

ii. La route maritime du Nord constitue une priorité stratégique pour la Russie

iii. Une navigation polaire qui demeurera néanmoins contrainte et limitée

b. Les nouvelles opportunités économiques en Arctique

i. L’Arctique : un nouvel Eldorado ?

ii. La Chine, un « dragon des neiges » ?

c. Un mouvement de militarisation renforcée dans la région

i. Une militarisation en Arctique reflet des tensions russoaméricaines et sinoaméricaines

ii. Une présence militaire russe traditionnelle en Arctique mais qui tend à se réaffirmer

iii. Un renforcement de l’effort de défense danois dans l’Arctique répondant aux attentes de l’OTAN

B. En Antarctique

1. Le traité sur l’Antarctique, pierre angulaire d’une coopération internationale exceptionnelle

a. La signature du traité de Washington

b. Les principales dispositions du traité de Washington

c. Les réunions consultatives du traité sur l’Antarctique

2. Des instruments internationaux complémentaires offrant un haut niveau de protection de l’environnement en Antarctique

a. La convention pour la protection des phoques de l’Antarctique

b. La convention pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique

i. Une convention permettant de renforcer la préservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique

ii. Les travaux de la CCAMLR sont particulièrement entravés par des tensions diplomatiques

c. Le protocole de Madrid

i. Les principales dispositions du protocole

ii. Un cadre juridique robuste qui protège efficacement le soussol de l’Antarctique

II. Les défis environnementaux

A. EN Arctique

1. Un impact démultiplié des effets du dérèglement climatique en Arctique

2. Le nécessaire développement d’une économie durable et respectueuse des pratiques traditionnelles des peuples autochtones

3. Promotion d’une navigation propre et d’une pêche durable et raisonnée en Arctique

a. Le code polaire, premier règlement contraignant pour la navigation dans l’environnement arctique

b. Une coopération internationale inédite et ambitieuse en matière de pêche dans l’Arctique

B. EN Antarctique

1. Des effets du dérèglement climatique qui se font désormais également sentir en Antarctique

2. La nécessaire régulation du tourisme en Antarctique

3. La question des sanctuaires marins en Antarctique

III. la feuille de route polaire de la France et de l’europe passera nécessairement par un réhaussement des moyens à la hauteur de nos ambitions

A. les Enjeux de gouvernance et de défense aux pôles

1. La nécessaire implication de nos armées sur un théâtre arctique en mutation

2. Le nécessaire affermissement de la stratégie arctique de l’Union européenne

a. Une politique arctique européenne qu’il est nécessaire de rendre plus ambitieuse et plus visible

b. Une politique européenne arctique tournée vers la science et l’éducation

c. Une politique arctique européenne tournée vers le développement durable

B. les Enjeux scientifiques et environnementaux

1. Soutenir la recherche française polaire grâce à un réengagement significatif de l’État aux pôles

a. La présence scientifique française aux pôles

b. Une excellence de la recherche française menacée

i. Une recherche parmi les plus performantes au monde

ii. Une recherche française aux moyens limités et qui à terme pourrait décrocher

2. Promouvoir la préservation des pôles

a. Réguler efficacement le tourisme et sanctuariser certaines zones

i. La question du tourisme en Antarctique

ii. La question des aires marines protégées en Antarctique

b. Encourager à la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux

examen en commission

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

Annexe n° 2 : liste des contributions écrites reçues par les rapporteurs

Annexe n° 3 : liste des acronymes et des sigles

ANNEXE N° 4 : liste des pays signataires de l’accord sur l’Antarctique


   Présentation synoptique des problématiques polaires

 

 

 

 

Géographie physique et environnementale

Pays concernés

Population

Gouvernance

Présence française

Hydrocarbures et minéraux

Tensions

Arctique

- Zone maritime, dont la superficie équivaut à 5 fois celle de la mer Méditerranée.

 

- Le centre de l’océan Arctique relève en grande partie de la haute mer, c’est‑à‑dire du droit international de la mer.

 

- Région où le dérèglement climatique est 2 à 3 fois plus rapide qu’ailleurs.

 

- En 2020, la banquise arctique a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée.

- Les 5 de l’Arctique : Canada, Danemark, États-Unis, Norvège et Russie

 

- Les 8 de l’Arctique comptant en plus l’Islande, la Finlande et la Suède.

 

- Les nouveaux acteurs  : Chine, Inde, mais aussi Suisse… dont l’implication nouvelle traduit un intérêt géostratégique renouvelé pour l’Arctique.

- Région peuplée de près de 4 millions de personnes dont à peu près 500 000 autochtones ayant des défis politiques, sociaux et économiques à relever.

- Gouvernance partagée entre souverainetés nationales, coopérations régionales (notamment le Conseil de l’Arctique), et droit international de la mer tel que défini par la convention de Montego Bay (1982).

- La France n’est pas possessionnée en Arctique.

 

- En Arctique, l’IPEV dispose depuis 2003, dans le cadre d’un partenariat franco‑allemand, d’une base scientifique dans l’archipel du Svalbard (Norvège).

- La plus grande partie des gisements en hydrocarbures et 95% des gisements de minéraux se trouvent dans les ZEE des États riverains de l’Arctique. Situation qui vient contrecarrer toute idée de course à l’appropriation puisque seuls 5% des ressources potentielles se trouveraient en dehors des zones sur lesquelles les États arctiques disposent d’ores et déjà de droits souverains.

- Région peu conflictuelle en elle-même mais subissant de plus en plus les répercussions des tensions provoquées sur d’autres fronts (opposition OTAN/Russie, rivalité sino‑américaine…).

 

 

 

 

 

 

Géographie physique et environnementale

Pays concernés

Population

Gouvernance

Présence française

Hydrocarbures et minéraux

Tensions

Antarctique

- Masse continentale recouverte à 98% d’une importante couche de glace dont l’épaisseur maximale approche les 5 000 mètres.

 

- Vaste continent de 14 millions de km2 de superficie, soit à titre de comparaison 26 fois celle de la France métropolitaine, entouré par l’océan Austral, dont la superficie représente 8 fois celle de la mer Méditerranée.

 

- En 2019, le GIEC a souligné que l’accélération de l’écoulement et du recul de la calotte glaciaire Antarctique avait le potentiel d’élever le niveau des mers de plusieurs mètres en quelques siècles.

- Les États parties au traité sur l’Antarctique (1959) sont, depuis 2015, au nombre de 54, dont la France.

 

- Parmi ceux-ci, 7 sont dits « possessionnés » : Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle‑Zélande, Royaume-Uni. C’est‑à‑dire ayant émis des prétentions territoriales sur le continent austral.

- En raison de son isolement et des rudes conditions climatiques, le continent austral ne compte aucune population permanente mais seulement quelques milliers d’occupants installés dans les différentes bases scientifiques.

- La communauté internationale a su élaborer pour l’Antarctique l’une des gouvernances internationales les plus ambitieuses, coopératives et protectrices de l’environnement grâce au système du traité sur l’Antarctique.

- Le traité sur l’Antarctique ou traité de Washington (1959) garantit notamment le gel des revendications territoriales.

- Le protocole de Madrid (1991) fait de cette région une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ».

- La France est possessionnée en Antarctique et dans la région subantarctique avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

 

- L’IPEV dispose dans la région de plusieurs bases, en Terre Adélie, et au Dôme C dans le cadre d’un partenariat franco‑italien (Antarctique) et dans les îles d’Amsterdam et de la Possession ainsi que dans l’archipel des Kerguelen (région subantarctique).

- Le protocole de Madrid (1991) prohibe « toute activité relative aux ressources minérales » en Antarctique.

 

- Contrairement à une vision répandue, la remise en cause de l’interdiction des activités minières à partir de 2048 est très peu probable grâce aux précautions prises par les rédacteurs du protocole de Madrid et au contexte diplomatique actuel.

- Opposition depuis 2016 de la Chine et de la Russie à tous les nouveaux projets d’aires marines protégées (AMP) en Antarctique qui seraient perçues comme appuyant une affirmation de souveraineté en Antarctique par les États promoteurs qui sont également des États possessionnés. De plus, les AMP risquent de venir fermer des zones halieutiques potentielles, et pourraient entraver le développement futur des activités de pêche menées par ces deux pays.

 

- La Chine est arrivée sur la scène internationale antarctique après l’adoption des textes fondateurs du système du traité sur l’Antarctique et peut se montrer peu encline à s’inscrire dans un cadre dont elle n’a pas participé à l’élaboration.

 


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   Synthèse des recommandations des rapporteurs

Les défis géostratégiques aux pôles

1) La France est avant tout une puissance polaire grâce à l’excellence de sa recherche scientifique. Vos rapporteurs estiment urgent de lui donner les moyens de le rester. L’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV) nécessite actuellement un réinvestissement massif de la nation au service de la science d’une part et du rayonnement de notre pays sur la scène internationale d’autre part ;

2) Le plan de relance économique mis en place suite à la crise économique liée à la pandémie de covid‑19 devrait constituer une opportunité permettant de rehausser significativement les moyens dédiés à la recherche française en Arctique et en Antarctique et de mettre en œuvre la rénovation de nos bases ([1]) ;

3) L’Union européenne doit veiller à affirmer pleinement sa place sur la scène polaire en structurant et en élargissant sa nouvelle politique arctique. Pour gagner en efficacité et en crédibilité, la politique arctique de l’Union européenne devrait notamment se concentrer sur sa valeur ajoutée et adjoindre aux trois priorités actuelles (protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, développement économique durable, coopération internationale) un nouveau pilier consacré aux infrastructures spatiales et numériques ;

4) Pour valoriser ses propres capacités arctiques, la France devrait impérativement s’impliquer davantage et plus visiblement dans les travaux arctiques de l’Union européenne afin d’influer sur leur cours. À court terme, la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre 2022, pourrait offrir à la France une véritable opportunité en ce sens ;

5) Afin de conserver une profondeur stratégique dans l’Atlantique Nord et d’être à même de faire face aux nouveaux défis polaires, la France doit veiller à maintenir des déploiements réguliers de la Marine nationale en zone arctique et subarctique afin de renforcer ses savoirfaire nautiques et opérationnels dans ces eaux difficiles ;

6) La France devrait renforcer ses capacités de recherche et sauvetage en mer en Arctique afin de gagner en crédibilité auprès de ses partenaires et d’être en mesure de porter secours aux navires français de plus en plus nombreux à croiser dans le Grand Nord ;

7) Dans le cadre de la stratégie arctique de la France, il paraît nécessaire de réserver une place particulière à SaintPierreetMiquelon, seule collectivité territoriale française située dans la zone subarctique ;

8) La France doit demeurer, aux pôles, vigilante et pro‑active, afin de continuer à défendre aux côtés de nos alliés une approche multilatérale et respectueuse du droit international et non la loi du plus fort et du fait accompli ;

9) La France doit veiller – dans un contexte de renforcement des efforts de défense dans l’Arctique – à mobiliser son industrie de défense afin que celleci puisse pleinement participer à la montée en puissance capacitaire projetée par certains de nos alliés, notamment le Danemark, en Arctique ;

10) La France devrait s’engager à organiser et à accueillir prochainement un forum international consacré à l’Arctique afin de renforcer sa légitimité sur ces sujets et de démontrer concrètement son attachement aux questions arctiques.

Les défis scientifiques et environnementaux

11) Profiter de la présidence française de la prochaine Réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA), en juin 2021, pour porter des propositions à forte connotation environnementale, en renforçant notamment la régulation des activités touristiques sur le continent austral et dans ses eaux environnantes ;

12) Œuvrer en faveur d’un renforcement de la lutte contre le dérèglement climatique, en lien avec les préoccupations polaires, en utilisant notamment comme cadre le Conseil de l’Arctique. Cette instance regroupe, en effet, une part importante des États concernés – avec des pays arctiques membres du Conseil fortement touchés par le phénomène et des pays observateurs du Conseil qui comptent parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Les pôles constituent des régions particulièrement importantes pour la réalisation des objectifs de l’accord de Paris sur le climat de 2015 en raison de l’accélération du réchauffement deux à trois fois plus rapide en Arctique ;

13) Continuer à soutenir les projets d’aires marines protégées (AMP) en Antarctique afin de sanctuariser certaines zones dans le but d’offrir la meilleure protection possible à la biodiversité marine locale. Il y a nécessité sur ce point d’amener la Russie et la Chine à négocier de bonne foi et dans un esprit de coopération en mobilisant si nécessaire une intervention politique de très haut niveau ;

14) Œuvrer pour une interdiction la plus rapide possible de l’utilisation du fioullourd dans les eaux arctiques compte tenu des risques que ce carburant fait peser sur l’environnement de l’Arctique ;

15) Veiller, dans le cadre des négociations ([2]) menées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) en faveur d’un instrument international juridiquement contraignant pour la préservation de la haute mer, à prévoir pour la biodiversité de la partie centrale de l’océan glacial Arctique une protection spécifique la plus efficace et durable possible ;

16) Dans le cadre d’un échange de bons procédés, la France devrait chercher à nouer des accords de coopération avec des nations possessionnées en Arctique afin de faciliter l’accès à leurs moyens pour les chercheurs français en contrepartie de l’accès à ceux dont la France dispose en Antarctique et dans la région subantarctique ;

17) La France devrait porter à l’occasion de la prochaine RCTA la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux à même de redonner un souffle à la coopération multilatérale en Antarctique sur le modèle de ce qui s’était passé à l’occasion de l’année géophysique internationale 1957‑1958, qui avait permis d’aboutir, par la suite, à la signature du traité sur l’Antarctique ;

18) La France devrait soutenir lors de la prochaine RCTA des propositions permettant de rendre les activités de recherche scientifiques en Antarctique les plus vertueuses possibles, en réduisant autant que possible l’impact environnemental des infrastructures et de la logistique. Dans cette optique, la France pourrait montrer l’exemple et initier un projet ambitieux de modernisation de ses deux stations en Antarctique en visant idéalement leur neutralité carbone à l’horizon 2050, date à laquelle la France présidera à nouveau la RCTA ;

19) La France devrait encourager l’échange de services entre nations, en particulier en direction des États parties non consultatives au traité sur l’Antarctique ne disposant pas de bases afin de réduire, dans l’avenir, l’artificialisation de nouveaux espaces. L’accès facilité aux stations existantes, dont celles de la France, permettrait ainsi à ces États de développer des recherches sans reposer sur de nouvelles infrastructures ;

20) Mise en place, au sein de la commission des affaires étrangères, d’un suivi des travaux consacrés à la préservation des pôles en particulier et à la diplomatie scientifique et environnementale en général, pour s’assurer – jusqu’à la fin de la législature – de la bonne prise en compte des diverses recommandations formulées sur ces thématiques.

   introduction

L’Arctique et l’Antarctique sont longtemps restés des zones hostiles à la périphérie du monde mais elles se retrouvent aujourd’hui au centre de nombreuses convoitises : géopolitiques, militaires, commerciales, et scientifiques.

Vos rapporteurs partagent, avec l’ensemble des membres de la commission des affaires étrangères, l’intime conviction que l’Arctique et l’Antarctique constituent l’un et l’autre des espaces, qui à plusieurs égards, relèvent du « patrimoine commun de l’humanité », et qu’il nous faut impérativement préserver et étudier.

L’Arctique et l’Antarctique en dépit d’importantes différences – au‑delà de quelques similarités liées au climat polaire – représentent, tous deux, des enjeux d’envergure pour le monde et pour la France.

L’Arctique à la différence de l’Antarctique est une zone maritime, dont la superficie équivaut à cinq fois celle de la mer Méditerranée. C’est un océan dont la partie centrale – celle où se trouve le pôle Nord géographique terrestre – relève en grande partie de la haute mer, c’est‑à‑dire du droit international de la mer tel que défini par la convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) ou convention de Montego Bay (1982). Il faut également garder à l’esprit que l’Arctique, à la différence de l’Antarctique, est une région peuplée de près quatre millions de personnes – dont à peu près 500 000 autochtones – ayant des défis politiques, sociaux et économiques à relever. Un des endroits du globe où le dérèglement climatique se fait le plus fortement ressentir, le réchauffement y étant deux à trois fois plus rapide qu’ailleurs dans le monde. C’est, en outre, une région au sein de laquelle nous constatons un mouvement de militarisation renforcée avec le déploiement, ces dernières années, d’exercices militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), de la Russie et de la Chine.

L’Antarctique, qui est situé aux antipodes de l’Arctique, se compose à la différence du Grand Nord, d’une terre émergée – le continent austral –  recouverte à 98 % d’une importante couche de glace dont l’épaisseur maximale approche les 5 000 mètres. Ce continent est entouré par une vaste étendue maritime, l’océan Austral, dont la superficie représente huit fois celle de la mer Méditerranée. Par convention, cet océan regroupe toutes les eaux situées en‑deçà du 60e parallèle sud soit une superficie de vingt millions de kilomètres carrés ([3]).

Pour M. Yves Frénot, biologiste spécialiste de l’Antarctique et ancien directeur de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV), « l’Antarctique est le continent de tous les excès » en raison :

-         de ses 14 millions de kilomètres carrés de superficie, soit à titre de comparaison vingt‑six fois celle de la France métropolitaine ([4]) et de la longueur de ses côtes qui s’étendent sur près de 24 000 kilomètres ;

-         de sa hauteur, il est le continent le plus élevé avec 2 000 mètres d’altitude en moyenne ;

-         de la dureté de son climat, la moyenne annuelle des températures étant de – 20 °C à 1 000 mètres d’altitude et de – 55 °C à la base russe de Vostok située à 3 500 mètres d’altitude. La température la plus basse jamais mesurée sur Terre, soit – 89,3 °C, l’a été, en hiver, sur cette même base ([5]) ;

-         de son isolement, il ne compte aucune population permanente mais seulement quelques milliers d’occupants installés dans les différentes bases scientifiques ;

-         de sa découverte récente : Jules Dumont d’Urville, parmi les pionniers, n’ayant découvert la Terre Adélie qu’en 1840 ([6]).

C’est une zone bénéficiant d’une protection unique, la communauté internationale ayant su élaborer pour cette terre isolée, à la diversité biologique exceptionnelle, l’un des systèmes de gouvernance internationale les plus ambitieux, coopératifs et protecteurs de l’environnement. Cependant ; comme nous le verrons, l’Antarctique bien que protégé suscite de plus en plus de convoitises et appelle à une vigilance renforcée.

En raison d’évolutions technologiques mais aussi, malheureusement, à la faveur du dérèglement climatique, les régions polaires se révèlent, année après année, tout à la fois plus vulnérables et plus accessibles. De nouvelles routes maritimes semblent s’ouvrir au Nord, des activités commerciales se développent au Nord comme au Sud et des ressources pétrolières et minérales, notamment des terres rares, se révèlent exploitables.

Ainsi les enjeux stratégiques et environnementaux apparaissent nombreux, tant en Arctique qu’en Antarctique. Les travaux de vos rapporteurs sur la problématique des pôles s’articuleront autour de deux défis majeurs :

- les défis géopolitiques, d’une part, où seront abordées les problématiques de la gouvernance, de l’accès aux ressources naturelles et les questions de sécurité et de défense ;

- les défis scientifiques et environnementaux, d’autre part, où seront étudiés l’impérieuse nécessité de protéger les richesses inouïes de la biodiversité polaire ainsi que les enjeux de la recherche scientifique aux pôles.

La France, forte de son statut de nation polaire, de sa puissance maritime et de son expertise scientifique, a indéniablement une carte à jouer en faveur de la préservation de ces deux espaces vitaux pour l’humanité.

 


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I.   Les défis géopolitiques

A.   EN Arctique

1.   Une zone oscillant entre ouverture internationale et raidissement régional des États arctiques

Il est clairement apparu au cours des travaux de vos rapporteurs que l’importance géostratégique du Grand Nord est une réalité ancienne pour l’ensemble des pays de la région. Mais elle apparaît cependant à présent renouvelée sous l’effet d’une double dynamique avec d’une part l’ouverture de la région arctique aux enjeux internationaux et d’autre part un raidissement des États arctiques face aux nouvelles opportunités, notamment économiques, qui se dessinent et du surgissement de nouveaux acteurs comme la Chine.

a.   Les différents acteurs en présence dans le Grand Nord

L’Arctique est une zone maritime de 13 millions de kilomètres carrés et de plus de 4 000 mètres de profondeur recouverte en grande partie par la banquise. L’océan Arctique se trouve encerclé par un certain nombre d’États, qui disposent de droits souverains sur une partie de celui‑ci grâce à leurs zones économiques exclusives (ZEE) tandis que sa partie centrale relève des règles de la haute mer.

i.   Les pays riverains de l’Arctique

Les terres émergées qui bordent cet espace marin appartiennent à des États (Canada, Danemark, États‑Unis, Norvège et Russie) dotés des moyens leur permettant d’assurer leur souveraineté sur leurs territoires ainsi que sur leurs eaux territoriales et jouissant des droits souverains attachés aux ZEE afférentes.

Les États arctiques peuvent être classés dans deux catégories :

-         les États directement limitrophes de l’océan Arctique ou « cinq de l’Arctique » que sont le Canada, le Danemark, les États‑Unis, la Norvège et la Russie. Ces cinq pays ont signé en mai 2008, la déclaration d’Ilulissat ([7]), par laquelle tous s’étaient engagés à collaborer à la résolution pacifique des conflits territoriaux dans la région. Ils ont, à cette occasion, réaffirmé leur attachement au droit international de la mer et définitivement écarté la perspective d’un traité international portant sur l’Arctique lui préférant le principe d’une gouvernance régionale ;

-         et les pays de la région Arctique ou « huit de l’Arctique » – dont une partie du territoire se trouve au‑delà du cercle polaire – et qui comptent en plus des cinq précédents, l’Islande, la Finlande et la Suède.

Parmi « les cinq de l’Arctique », à l’exception de la Russie, tous les États sont membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis sa création en 1949. Deux États, les États‑Unis et la Russie, sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Enfin, le Canada, appartient avec les États‑Unis au Groupe des sept (G7).

Parmi « les huit de l’Arctique », trois États arctiques, le Danemark – grâce aux territoires du Groenland et des îles Féroé ([8]) – la Finlande et la Suède sont membres de l’Union européenne.

À ces acteurs régionaux traditionnels, viennent désormais s’ajouter d’autres États comme la Chine ([9]), l’Inde ([10]) mais aussi la Suisse ([11]) dont l’implication nouvelle dans la zone – que celle‑ci soit scientifique, économique voire militaire – traduit un intérêt géostratégique renouvelé pour l’Arctique.

Depuis la perte de la Nouvelle‑France par le traité de Paris (1763), la France ne dispose plus de territoires dans le Grand Nord, à l’exception de l’archipel de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon qui se situe au sud de Terre‑Neuve, en deçà du cercle polaire, dans la zone subarctique. Néanmoins la France demeure fortement présente et impliquée dans la région arctique au titre de ses activités de recherche dans la droite ligne des travaux de l’explorateur polaire Paul‑Émile Victor et de l’ethnologue et géographe Jean Malaurie. Par ailleurs, comme l’a relevé Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles à l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI) lors de son audition, une place particulière devrait être réservée à Saint‑Pierre‑et‑Miquelon dans le cadre de la stratégie de la France en Arctique. La coopération entre la collectivité d’outre‑mer et le Canada pourrait, entre autres, constituer, aux yeux de vos rapporteurs, une piste intéressante pour le développement de l’action de la France dans le Grand Nord.

La nomination, en date du 25 novembre 2020, d’un nouvel ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes, en la personne d’Olivier Poivre d’Arvor, apparaît aux yeux de vos rapporteurs comme un excellent signal. En outre, le nouvel intitulé, notoirement différent de celui qui était utilisé depuis 2009 et qui faisait alors référence à une « négociation internationale pour les pôles Arctique et Antarctique », permet, au fond, à la France d’admettre qu’elle ne pourrait pas prendre part à une hypothétique négociation internationale relative à l’Arctique dont la situation est de tout manière – sur de nombreux points – antinomique avec celle prévalant en Antarctique. En revanche, en faisant référence aux « enjeux maritimes » dans ce nouvel intitulé, la France insiste habilement sur son statut de puissance maritime et légitime ainsi son intérêt pour cette région comprenant l’océan glacial Arctique.

La carte ci‑après permet de visualiser le positionnement géographique des « huit de l’Arctique ».

Les États arctiques ([12])  

https://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/images/dgris_img/img-action-internationale/arctique/cartographie-illustrative-de-l-arctique/9687758-1-fre-FR/cartographie-illustrative-de-l-arctique.png

Source : Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées (DGRIS).

ii.   Les populations autochtones de l’Arctique

Une des différences majeures entre l’Arctique et l’Antarctique réside dans le fait que la première est une zone abritant des populations permanentes. En effet, le pourtour de l’océan Arctique est peuplé depuis 20 000 ans environ et compte aujourd’hui quatre millions d’habitants dont à peu près 500 000 personnes issues des populations autochtones, répartis sur trois continents, sept pays et 30 millions de kilomètres carrés.

La carte ci‑après présente la répartition des peuples autochtones dans l’Arctique en fonction de leur groupe linguistique.

RÉpartition des peuples autochtones de l’Arctique
en fonction des groupes linguistiques

Source : Artic centre university of Lapland GRID Arendal and Hugo Ahlenius, Nordpil.

La carte ci‑après présente pour sa part la diversité démographique de l’Arctique en indiquant, en pourcentage, la part de population autochtone par rapport à la population totale dans le Grand Nord :

part de la population autochtone dans les régions arctiques

image description

Source : Nordregio (2010).

Les régions dans lesquelles les populations autochtones sont les plus présentes sont le Groenland (Danemark), le Nunavik (Québec) et le Nunavut (Canada). On trouve ensuite le comté de Troms et Finnmark (Norvège), la Tchoukotka (Russie) et les Territoires du Nord‑Ouest (Canada).

Les représentants des peuples autochtones sont membres permanents du Conseil de l’Arctique (cf. infra) et se répartissent comme suit au sein de cette instance :

-         l’Association internationale des Aléoutes : la communauté des Aléoutes qui compte 19 000 membres environ répartis sur les territoires des États‑Unis et de la Russie. Ils vivent sur le chapelet d’îles qui s’étend entre le Pacifique Nord et la mer de Béring, du sud‑ouest de l’Alaska (États-Unis) à la Russie. Ils parlent principalement l’anglais et le russe. L’aléoute oriental est le dialecte de la langue aléoute qui compte le plus de locuteurs, avec plusieurs autres dialectes en voie de disparition. Cette association a été créée en 1998 pour répondre aux préoccupations environnementales et culturelles du peuple Aléoute qui vit dans la région arctique depuis des millénaires ([13]) ;

-         l’Association russe des peuples indigènes du Nord : les peuples autochtones vivent sur une portion du territoire de la Russie couvrant environ 60 % de la superficie du pays de Mourmansk à l’ouest au Kamtchatka à l’est. Il existe quarante groupes de peuples autochtones dans le nord de la Russie, pour une population totale estimée à 244 000 personnes. Cette association a été fondée en 1990 lors du premier congrès des peuples autochtones du nord de l’Union soviétique. C’est une organisation‑cadre regroupant trente‑cinq organisations régionales et ethniques ([14]) ;

-         le Conseil arctique des Athapascans : ce regroupement a été créé en 2000 et représente environ 45 000 personnes vivant traditionnellement à l’intérieur des terres dans les vastes étendues de taïga et de toundra. Leur bassin de vie a été continuellement occupé au cours des 10 000 dernières années. Cette association a été créée par un traité signé par les représentants des peuples autochtones de l’Alaska, du Yukon et des Territoires du Nord‑Ouest du Canada ([15]) ;

-         le Conseil international des Gwich’in : environ 9 000 Gwich’in vivent au sein de petites communautés dispersées dans les Territoires du Nord‑Ouest (Canada), au Yukon (Canada) et en Alaska (États-Unis). Cette association a été créée en 1999 par le Conseil tribal des Gwich’in afin de s’assurer d’une bonne représentation de toutes les composantes gwich’in au Conseil de l’Arctique ([16]) ;

-         le Conseil circumpolaire inuit : ce regroupement représente 160 000 Inuits qui vivent dans quatre pays (Canada, Danemark via le Groenland, États-Unis, Russie). Fondée en 1977, cette association était l’une des trois premières entités représentant des peuples autochtones à participer au Conseil de l’Arctique avec le Conseil des Sámis et l’Association russe des peuples indigènes du Nord ([17]) ;

-         le Conseil des Sámis : ce regroupement a été créé en 1956, ce qui en fait la plus ancienne organisation de peuples autochtones de l’Arctique. Cette association représente environ 100 000 personnes qui vivent au nord de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la péninsule de Kola en Russie.

Par ailleurs, le Secrétariat des peuples indigènes (SPI), qui avait été créé en 1994 dans le cadre la Stratégie de protection de l’environnement arctique (SPEA) – initiative préfigurant ce qui allait devenir le Conseil de l’Arctique – vise à coordonner les travaux des représentants des peuples autochtones au sein du Conseil. Le SPI a son siège dans les locaux du secrétariat du Conseil de l’Arctique à Tromsø, en Norvège.

Au‑delà des pratiques culturelles ou des relations spécifiques à l’environnement que les peuples autochtones peuvent avoir en partage, ils ont également en commun le fait d’avoir subi des influences extérieures en provenance du Sud. Les premiers contacts des peuples autochtones avec les Européens ont été le fait des baleiniers, suivis par les commerçants de fourrures et les missionnaires. Si l’ordre des événements diffère d’un endroit à l’autre de l’Arctique, on observe un schéma similaire dans toute la région qui a entraîné des transformations rapides et profondes du mode de vie des populations autochtones au cours du XXe siècle ([18]).

Selon les propos recueillis par vos rapporteurs auprès de Mme Michèle‑Marie Roué, ethnologue et spécialiste des peuples arctiques, le premier défi pour les peuples autochtones est d’ordre politique : ils sont peu nombreux et n’ont pas ou très peu de droits reconnus sur leurs terres. C’est par exemple le cas dans les pays scandinaves où les droits coutumiers des Sámis sont qualifiés de « droits d’usage des terres » pour l’élevage des rennes et entrent en concurrence avec les droits des propriétaires fonciers souhaitant développer d’autres activités économiques (exploitations forestières, exploitations hydroélectriques, exploitations minières, pétrolifères et gazières…). De ces divergences d’intérêts, naissent des conflits où les droits des propriétaires fonciers tendent à dominer ceux des usagers traditionnels que sont les peuples autochtones. En janvier 2020, après une dizaine d’année de procédures, les habitants du village sámi de Girjas, situé dans le nord de la Suède, ont remporté une bataille historique devant la cour suprême de Suède, qui a reconnu le droit exclusif des Sámis à délivrer des permis de chasse et de pêche dans la zone de gestion du village sans avoir, au préalable, à demander l’approbation de l’État.

Pour Mme Michèle‑Marie Roué, seule une autonomie renforcée des peuples autochtones pourrait améliorer la gouvernance dans les régions qu’ils peuplent. Cette gouvernance devrait idéalement être fondée sur les savoirs locaux en complémentarité de la science occidentale pour favoriser l’adaptation. Selon elle, les populations autochtones n’auraient pas peur du changement, auquel ils ont été confrontés pendant des millénaires, mais ont essentiellement besoin des marges de manœuvre leur permettant de faire valoir leur capacité d’adaptation en opposition au dirigisme de certains États et à l’extractivisme auquel leurs terres peuvent être soumises.

En outre, comme nous l’examinerons plus en détails par la suite, les effets du dérèglement climatique représentent un immense danger pour les peuples de l’Arctique en perturbant leurs écosystèmes et leur mode de vie traditionnel.

b.   Une approche globalement coopérative en Arctique de plus en plus marquée par l’apparition de nouvelles rivalités

Au cours des années 1980‑1990, deux événements on fait sortir l’Arctique de son statut de territoire périphérique. La fin de la guerre froide tout d’abord, qui constitue ce premier événement puisqu’en apaisant les tensions entre les Américains et les Russes, elle a ouvert la voie à de multiples coopérations régionales dans les domaines scientifiques et environnementaux.

Le dérèglement climatique constitue le second événement, les effets de ce phénomène étant particulièrement marqués et inquiétants dans le Grand Nord (cf. infra), l’Arctique se réchauffant deux à trois fois plus vite que le reste de la planète. La région apparaît ainsi comme un cas d’école de l’impact du dérèglement climatique sur les relations internationales. Entre autre, les développements économiques et sécuritaires actuels dans la zone arctique trouvent leurs origines dans ce phénomène. Ainsi, au‑delà d’une élévation inquiétante et rapide des températures en Arctique, nous pouvons observer une montée des appétits et des démonstrations de force dans le Grand Nord du fait d’acteurs traditionnels de la région comme la Russie mais aussi de nouveaux entrants comme la Chine.

i.   Une région caractérisée par une coopération multilatérale singulière mais efficace ou « la force des liens faibles » ([19])

Le multilatéralisme arctique est né en 1987 à la suite d’un discours prononcé à Mourmansk par Mikhaïl Gorbatchev, secrétaire général du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique au cours duquel il avait déclaré : « ce dont tout le monde peut être absolument sûr, c’est que l’Union soviétique a un intérêt profond et certain à empêcher que le Nord de la planète, ses régions polaires et subpolaires et tous les pays nordiques ne redeviennent une arène de guerre et à y former une véritable zone de paix et de coopération fructueuse ».

Cette initiative avait pour objectif de remplacer la méfiance et la suspicion dans l’Arctique par la confiance, la dénucléarisation et la coopération politique, scientifique et environnementale. Cette initiative avait été précédée par d’autres propositions nordiques de coopérations régionales à l’image de l’accord de 1973 sur la conservation des ours blancs entre les cinq États riverains de l’océan Arctique (Canada, Danemark, États-Unis, Norvège et Union soviétique).

Aujourd’hui, il existe une multitude d’initiatives de coopération plus ou moins formelles en Arctique, dont la plus connue et la plus solide est le Conseil de l’Arctique créé par la déclaration d’Ottawa ([20]) en 1996. Les États membres de ce Conseil sont les huit pays du cercle polaire Arctique (Canada, Danemark, États‑Unis, Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède). La présidence du Conseil est assurée alternativement tous les deux ans par un des États membres. Actuellement, la présidence est assurée par l’Islande (2019‑2021) et elle reviendra ensuite à la Russie (2021‑2023). Les représentants des peuples autochtones que sont l’Association internationale des Aléoutes, l’Association russe des peuples indigènes du Nord, le Conseil arctique des Athapascans, le Conseil international des Gwich’in, le Conseil circumpolaire inuit et le Conseil des Sámis constituent, en son sein, des participants permanents.

Enfin le Conseil accueille également des observateurs parmi lesquels des organisations non gouvernementales comme l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) mais aussi des États non arctiques qui sont aujourd’hui au nombre de treize : l’Allemagne (intégrée en 1998), la Chine (2013), la Corée du Sud (2013), l’Espagne (2006), la France (2000), l’Inde (2013), l’Italie (2013), le Japon (2013), les Pays‑Bas (1998), la Pologne (1998), le Royaume‑Uni (1998), Singapour (2013) et la Suisse (2017). Bien que participant aux travaux du Conseil et notamment de ses groupes de travail, les observateurs ne sont pas habilités à exprimer leur point de vue lors des réunions officielles du Conseil qui se tiennent tous les deux ans.

Nous pouvons donc relever un intérêt grandissant pour la région arctique de la part de nombreux acteurs notamment asiatiques. Ce nouvel engouement pour la région est notamment lié à la perspective de l’ouverture de nouvelles routes maritimes dans le Grand Nord (cf. infra). À cet égard, la participation aux travaux de Conseil de l’Arctique de Singapour ou de la Corée du Sud, grandes puissances portuaires et commerciales est très significatif. Les observateurs pour intégrer ce forum doivent impérativement justifier des activités dans la région notamment au travers de programmes scientifiques. L’intégration d’un nombre importants d’États non arctiques en 2013 a fait bondir le nombre d’observateurs et a par là‑même déséquilibré la balance entre les États membres et les États observateurs. Cette situation a provoqué la frayeur de certains États membres du Conseil de l’Arctique qui, selon les observations de Mme Camille Escudé, professeure agrégée de géographie et docteure du centre de recherches internationales de Sciences Po, « ont eu un peu l’impression d’être observés – c’est le cas – et de perdre leur pouvoir politique dans les décisions de la région, puisque désormais, il y a tout un tas d’États qui peuvent, en marge des réunions du Conseil, faire des propositions politiques » ([21]).

Le Conseil de l’Arctique est, de fait, aujourd’hui, le cadre privilégié de la gouvernance régionale de la zone arctique. Cependant il ne constitue pas une institution internationale, mais un forum de discussion fondé sur la science avec un mandat essentiellement technique. Il est clairement précisé dans la déclaration d’Ottawa que « le Conseil de l’Arctique n’est pas saisi des questions intéressant la sécurité militaire ». Le Conseil de l’Arctique fonctionne essentiellement au travers de groupes de travail thématiques comme le groupe de travail sur la réduction de la pollution de l’Arctique et des risques environnementaux ou encore le groupe de travail sur la conservation de la flore et de la faune arctiques. Ces groupes de travail peuvent formuler des recommandations mais celles‑ci n’ont aucune valeur juridiquement contraignante et ne sont mises en œuvre que selon le bon vouloir des États membres. Les décisions du Conseil sont prises par consensus et jusqu’en 2012, ce forum n’a pas été doté d’un secrétariat permanent. Ce dernier siège à présent dans la ville norvégienne de Tromsø.

En dépit de cette absence d’intégration régionale, ou plutôt justement grâce à elle, ce forum régional est régulièrement présenté comme un succès de gouvernance multilatérale. À titre d’illustration, la crise ukrainienne qui a débuté en 2013 n’a pas entraîné de fortes perturbations dans la coopération scientifique en Arctique et les réunions du Conseil ont continué à se tenir malgré les sanctions de l’Union européenne contre la Russie et malgré les contre‑sanctions adoptées en retour.

ii.   Une région subissant les tensions provoquées sur d’autres fronts

Dans le Grand Nord, les discussions politiques menées dans le cadre du Conseil de l’Arctique et les règles juridiques instaurées par la convention de Montego Bay (1982) s’agissant du droit international de la mer, font qu’il n’existe aujourd’hui quasiment pas de contestations territoriales conflictuelles entre les États du cercle polaire arctique, hormis quelques rares points de frictions telle la dispute concernant l’île Hans – îlot inhabité de 1,3 kilomètre carré situé dans le détroit de Nares entre le Nunavut et le Groenland – qui est revendiquée à la fois par le Canada et par le Danemark. Il existe, par ailleurs, un litige opposant les États‑Unis au Canada en mer de Beaufort sur le tracé de la frontière maritime.

Comme l’indique M. Frédéric Lasserre, professeur de géographie et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques à l’Université Laval, entendu par vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux : « une bonne partie de l’océan Arctique est déjà sous le contrôle économique exclusif des pays côtiers, et personne ne conteste le principe des ZEE. Ces espaces maritimes ne sont plus source de conflit » ([22]).

Les revendications canadiennes, danoises et russes couvrant le pôle Nord géographiques – situé en haute mer – sont essentiellement symboliques à l’image de la campagne médiatique qu’a constitué la pose d’un drapeau russe en titane sur le fond de l’océan Arctique, le 2 août 2007. L’extension du plateau continental, qui permet d’obtenir des droits souverains sur l’exploitation des ressources du fond marin, fait en réalité l’objet d’un processus lent et concerté sous l’égide de la commission des limites du plateau continental des Nations unies (CLPC) instaurée par la convention de Montego Bay (1982). C’est sur le fondement d’un critère géologique que les États peuvent se prévaloir d’un tel droit. Les États arctiques se mobilisent d’ailleurs pour prouver, grâce à des recherches scientifiques effectuées par des missions océanographiques que la géologie des fonds marins du Grand Nord leur permet de revendiquer de tels droits souverains sur les fonds marins au‑delà de leur ZEE.

La carte ci‑après présente les limites des zones économiques exclusives dans l’Arctique.

Limites des zones économiques exclusives dans l’Arctique

Frédéric Lasserre — Limite des ZEE dans l’Arctique, juin 2019.

Source : adapté en 2019 de F. Lasserre, Passages et mers arctiques. Géopolitique d’une région en mutation. Québec : PUQ, 2010.

Ainsi, la zone arctique ne constitue pas en elle-même une zone de tensions mais elle a pu apparaître, ces dernières années, comme la caisse de résonance de confrontations russo‑américaines ou sino‑américaines se déroulant sur d’autres fronts. Cette situation inédite a pu quelque peu écorner l’image qui prévalait depuis la fin de la guerre froide et qui faisait de l’Arctique une zone exemplaire de coopération multilatérale.

À ce titre, la proposition formulée par l’ancien président américain Donald Trump, en août 2019, d’acheter le Groenland ([23]) s’inscrit dans le cadre de ce changement d’approche. Concernant le Groenland, il est important de souligner que ce territoire bénéficie, depuis 2009, d’une autonomie renforcée au sein du Royaume du Danemark, qui a pris la suite du statut d’autonomie de 1979. Il est reconnu dans le préambule de la loi sur l’autonomie du Groenland que le peuple du Groenland est un peuple ayant le droit à l’autodétermination en vertu du droit international. Cependant pour M. Damien Degeorges, docteur en sciences politiques, consultant spécialiste du Groenland et de l’Islande, entendu par vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux, même si cette autonomie renforcée ouvre la possibilité que le Groenland devienne, un jour, un État indépendant, la perspective d’un État groenlandais viable apparaît, en revanche, à ses yeux, comme une utopie. De son point de vue, plus l’Arctique s’affirmera en tant qu’enjeu sécuritaire, moins le Groenland, quel que soit son statut institutionnel, n’aura de réelle influence sur le devenir de son territoire. Vos rapporteurs tiennent, par ailleurs, à rappeler que l’économie du Groenland dépend actuellement fortement du soutien de Copenhague qui constitue environ 60 % du total des entrées économiques de l’île.

D’autres prises de parole de l’ancienne administration Trump illustrent, par ailleurs, clairement une montée des tensions ou tout du moins d’une défiance dans la région arctique. En mai 2019, l’ancien secrétaire d’État américain Mike Pompeo, avait ainsi, en marge du Conseil de l’Arctique en Finlande, fustigé l’attitude agressive de la Russie et de la Chine en Arctique, critique réitérée par la suite en septembre 2019, en Islande, par l’ancien vice‑président des États‑Unis, Mike Pence. C’est dans ce contexte très singulier, que pour la première fois depuis la création du Conseil de l’Arctique en 1996, les États membres ne sont pas parvenus à signer une déclaration commune.

Les observateurs avaient noté s’agissant des Américains un désintérêt et un désengagement progressifs de leur part dans la région arctique après la fin de la guerre froide. Washington avait notamment décidé unilatéralement de retirer ses troupes d’Islande où elles étaient stationnées depuis 1941. Il ne leur reste, par ailleurs, plus que deux brise‑glaces de facture ancienne. Cependant nous assistons actuellement à un vif regain d’intérêt de leur part pour les enjeux arctiques sur fond de compétition stratégique avec la Russie d’une part et la Chine d’autre part. Par ailleurs, les récentes prises de position des autorités américaines sur les enjeux sécuritaires arctiques, longtemps restés tabous, ont eu pour effet semble‑t‑il de libérer la parole de leurs alliés nordiques sur cette même thématique.

Ce retour des États-Unis en Arctique paraît être une tendance de fond que l’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis ne devrait pas modifier. Les Américains disposent toujours de leur base militaire de Thulé ([24]) située au nord du Groenland. En plus de la présence militaire américaine sur l’île, les États‑Unis ont rouvert leur consulat à Nuuk ([25]) , la capitale du Groenland, au début de l’année 2020, et la coopération civile entre les États‑Unis et le Groenland a tendance à s’intensifier actuellement. Par ailleurs, signe de ce réengagement américain dans le Grand Nord, Washington investit massivement dans la construction de brise‑glaces et de remorqueurs. Cependant, il va leur falloir réacquérir une partie du savoir‑faire perdu, ces dernières décennies, en la matière.

La rivalité sino‑américaine qui s’exprime sur d’autres fronts notamment commerciaux mais aussi géopolitiques dans la mer de Chine a récemment trouvé en Arctique un nouveau prolongement. L’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo avait critiqué, lors d’un discours prononcé à Rovaniemi en Finlande en marge du Conseil de l’Arctique, les prétentions politiques et économiques agressives de la Chine dans le Grand Nord et avait nié le statut revendiqué par Pékin de nation « prochearctique », expression à laquelle il avait répondu en mai 2019 : « il y a des États arctiques et des États non arctiques. Il n’existe pas de troisième catégorie. Le fait que la Chine prétende le contraire ne lui donne aucun droit » ([26]). Dans ce même discours, Mike Pompeo avait donné le chiffre de 90 milliards de dollars d’investissement de la Chine en Arctique entre 2012 et 2017. Même si ce chiffre paraît difficilement vérifiable, il offre un ordre d’idée des investissements chinois réalisés en Arctique notamment dans le cadre de la route polaire de la soie, des projets d’infrastructures au Groenland et en Islande ou encore dans les projets gaziers russes de la péninsule de Yamal. Cette opposition sino‑américaine devra très certainement retenir toute notre attention car elle pourrait continuer à s’exprimer en Arctique dans les années à venir en demeurant un axe fort de la nouvelle administration Biden, comme le laissent augurer les discussions ministérielles sino‑américaines houleuses qui se sont tenues, le 18 mars 2021, à Anchorage en Alaska.

En revanche, la Russie semble vouloir continuer à jouer le jeu de la coopération en Arctique pour la simple et bonne raison qu’elle a des intérêts économiques très prégnants dans la région, les territoires russes situés au‑delà du cercle polaire représentant 10 % du produit intérieur brut (PIB) du pays et 20 % des exportations russes notamment de ressources comme le gaz naturel liquéfié (GNL). Moscou n’a aucun intérêt à ce que des troubles politiques viennent perturber la gouvernance de la région. Ainsi, la Russie demeure active, de manière certes discrète, mais constante, dans la coopération politique en Arctique. À titre d’illustration, la Russie, qui s’apprête à présider le Conseil de l’Arctique a proposé d’associer la France comme « co-coordinatrice » ([27]) de la quatrième édition de l’Arctic Science Ministerial. Ce geste témoigne du pragmatisme et du sens de la realpolitik des Russes. Vos rapporteurs saluent cette proposition et estiment essentiel d’échanger avec la Russie en Arctique dont la présence dans la région est une réalité géopolitique incontournable.

2.   Les nouveaux enjeux géostratégiques dans l’Arctique

a.   Les nouvelles routes maritimes, des perspectives nouvelles mais encore lointaines

i.   Des voies nouvelles qui s’ouvrent à la faveur de la déglaciation

La rigueur du climat polaire a longtemps rendu très difficile, voire presque impossible pour le trafic commercial, la navigabilité dans le Grand Nord et ce malgré les avancées technologiques en matière de construction navale moderne.

Cependant les effets du dérèglement climatique, qui se font de plus en plus perceptibles en été dans la zone arctique, entraînent une réduction de l’épaisseur et de l’étendue de la banquise. Cette situation pourrait permettre à terme l’ouverture de nouvelles routes maritimes, libérées des glaces une partie de l’année, réduisant ainsi très significativement les distances entre les ports du Pacifique et ceux de l’Atlantique. Les cartes le disent très clairement, les routes qui empruntent l’Arctique sont de loin les plus courtes.

Ainsi, le passage du Nord‑Ouest qui traverse le labyrinthe des îles de l’archipel arctique canadien, pourrait permettre de relier New York à Shanghaï en 14 500 kilomètres contre 19 600 kilomètres via le canal de Panamá ([28]).

Le passage du Nord‑Est, qui pour sa part longe la côte nord de la Russie – et que les Russes désignent sous le nom de Sevmorpout (Севморпуть) ([29]) – pourrait permettre de relier Le Havre à Yokohama au Japon en seulement 13 695 kilomètres contre 20 424 kilomètres via le canal de Suez ([30]).

En outre, à la différence des canaux de Suez et de Panamá, le passage par les routes arctiques n’impose aux navires les empruntant aucune limite de gabarit ou de tirant d’eau ([31]).

Le passage du Nord‑Est qui bénéficie d’un réchauffement plus marqué, dû notamment aux eaux chaudes de la dérive Nord‑Atlantique ([32]), est celui qui semble offrir le plus d’opportunités à moyen et long terme tandis que le passage du Nord‑Ouest devrait demeurer plus difficile d’accès. À titre d’illustration, au cours du dernier siècle, il n’y a pas eu plus de vingt transits dans les eaux des îles arctiques du Nord canadien qui restent le plus souvent gelées.

La carte ci‑après présente les routes arctiques, dont l’accessibilité varie de manière saisonnière.

Les routes arctiques

Routes maritimes arctiques

Source : NSIDC, 2019 ; Lasserre 2019.

Un tel développement intéresse et préoccupe particulièrement les puissances riveraines de l’Arctique que sont le Canada et la Russie. Pour Ottawa s’agissant du passage du Nord‑Ouest, ces eaux polaires relèvent de sa souveraineté. Le Canada estime pouvoir y réglementer la navigation. Mais d’autres, à l’instar des États‑Unis font valoir que les détroits entre les îles de l’archipel arctique canadien sont des détroits internationaux où prévaut la liberté de navigation. Moscou adopte une position similaire s’agissant de la route maritime du Nord qui même si elle ne correspond pas à la même géographie archipélagique emprunte toute de même un certain nombre de détroits entre la Sibérie et les îles russes de l’océan Arctique ([33]).

ii.   La route maritime du Nord constitue une priorité stratégique pour la Russie

Le passage du Nord‑Est revêt pour la Russie une importance capitale qu’expliquent l’histoire et la géographie du pays, la longueur de la frontière arctique du pays dépassant les 20 000 kilomètres. La route maritime du Nord représente pour Moscou un véritable outil de développement pour le pays. Compte tenu de la déglaciation en cours dans la zone arctique, la Russie estime que l’importance du passage du Nord‑Est en tant que corridor de transport de dimension mondiale pour le transport de fret ira crescendo dans les années à venir. Pour cette raison elle investit massivement pour faire de cette route maritime nationale, qui était essentielle du temps de l’Union soviétique, une voie de plus en plus internationale.

L’objectif des autorités russes vise à augmenter considérablement le volume de fret circulant par la route maritime du Nord avec une cible de l’ordre de 130 millions de tonnes d’ici à 2035. Selon les données transmises à vos rapporteurs à la suite de leur entretien avec l’ambassadeur de Russie à Paris, le volume du trafic le long des côtes arctiques russes a bondi ces dernières années passant de 4 millions de tonnes en 2014 à 31,5 millions de tonnes en 2019.

La Russie compte également renforcer les synergies entre la route maritime du Nord et les routes fluviales sud‑nord des grands fleuves sibériens tels que l’Ob, l’Ienisseï, la Léna et la Kolyma, également libres de glace à la période estivale.

Le développement du passage du Nord‑Est devrait être assuré par la mise en place le long des côtes russes d’instruments de communication et par la construction d’infrastructures terrestres notamment des installations portuaires, des outils de navigation et de surveillance météorologique pour assurer la sécurité de la navigation commerciale et prévenir au mieux les situations d’urgence. En outre, même si le phénomène de déglaciation se vérifie de manière de plus en plus concrète chaque année en Arctique, cela ne signifie aucunement que les navires pourront prochainement naviguer en eaux libres tout le long des côtes russes. Ainsi, le recours à une flotte de brise‑glaces, capable d’ouvrir des chenaux dans la banquise, demeure l’élément clé de tout développement futur du système de transport dans les mers arctiques.

La Russie possède actuellement la plus grande flotte de brise‑glaces au monde. Elle compte quarante navires dans cette catégorie et est le seul État possédant une flotte de six brise‑glaces à propulsion nucléaire. Ces dernières années, Moscou a lancé d’importants projets, notamment les projets 22220 et Leader, qui visent à renforcer significativement les capacités de la Russie avec des navires de nouvelle génération. Ainsi, en octobre 2020, le brise-glace Arktika a rejoint la flotte russe. D’autres bâtiments devraient être prochainement livrés tel que le Sibir (dans le courant de l’année 2021), l’Oural, le Yakoutie et le Tchoukotka dont les mises en service sont prévues entre 2022 et 2026.

L’incident survenu à la fin du mois de mars 2021 dans le canal de Suez avec l’échouage de l’EverGiven, porte‑conteneurs de 400 mètres de long et de 59 mètres de large, qui a bloqué ce passage stratégique pour le commerce mondial pendant plusieurs jours, a permis aux autorités russes de faire la promotion de la route maritime du Nord. Ainsi, Vladimir Panov, représentant spécial de la corporation nucléaire d’État Rosatom pour le développement de l’Arctique a déclaré, le 25 mars 2021: « le précédent de Suez a montré à quel point toute route entre l’Europe et l’Asie est fragile. Par conséquent, le développement de routes alternatives est essentiel pour garantir une navigation internationale durable. Cela renforce le rôle de la route maritime du Nord, qui chaque année devient plus compétitive (…) le développement de la route maritime du Nord permet de couvrir les risques logistiques et de rendre le commerce mondial plus durable. Il ne fait aucun doute que des pays asiatiques comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud tiendront compte du précédent du blocage du canal de Suez dans leurs plans stratégiques à long terme » ([34]).

iii.   Une navigation polaire qui demeurera néanmoins contrainte et limitée

De nombreux experts des régions polaires appellent à relativiser les possibilités de développement à court terme des routes maritimes situées dans le cercle polaire qui demeureront encore longtemps trop risquées, trop complexes et trop coûteuses pour la plupart des armateurs internationaux. Ainsi M. Romain Troublé, directeur général de la fondation Tara Océan, devant la commission des affaires étrangères le 18 septembre 2019, a qualifié de nouvelle « lubie » l’idée selon laquelle l’Arctique allait devenir une autoroute maritime pour les navires transportant du fret international. Il avait alors précisé que les chiffres des navires en transit sur cette voie étaient très stables depuis 2008.

M. Frédéric Lasserre, professeur de géographie et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques à l’Université Laval, entendu par vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux, relève un accroissement important du trafic global des navires dans les régions arctiques. Mais cette augmentation est surtout le fait de trajet de destination et non du trafic de transit, pour lequel les navires ne font que passer afin de profiter des routes maritimes les plus courtes. En effet, si le trafic maritime se développe dans l’Arctique c’est essentiellement pour y effectuer des activités économiques et assurer la desserte des villages, des mines et des gisements d’hydrocarbures s’y trouvant. Une part importante de ce trafic de destination doit par ailleurs être imputée aux activités liées aux transport de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du port de Sabetta dans la péninsule de Yamal. À titre d’exemple, le méthanier Christophe de Margerie affrété par la compagnie Total a emprunté récemment cette voie maritime depuis le terminal de Yamal LNG pour exporter du GNL vers la Chine en janvier et février 2021. C’est la première fois qu’une telle liaison est effectuée en plein hiver, quasiment sans recours aux brise‑glaces, ce qui atteste tout de même un certain développement du trafic maritime, permis par le dérèglement climatique.

Le graphique ci‑après présente l’évolution du trafic commercial sur la route maritime du Nord entre 2010 et 2018.

Évolution du trafic commercial sur la route maritime du Nord (2010‑2018) 

Frédéric Lasserre — trafic route maritime du Nord

S’agissant du passage du Nord‑Est, à l’exception de l’année 2013 qui a connu un pic exceptionnel avec soixante et onze navires, entre vingt et vingt‑cinq navires de transit seulement ont emprunté cette voie maritime chaque année entre 2008 et 2018. En outre, en 2018, sur les vingt‑sept navires enregistrés, vingt étaient des navires transporteurs de GNL.

S’agissant du passage du Nord‑Ouest, l’essentiel du trafic enregistré est le fait de navires de plaisance. Le passage de navires de commerce en transit étant extrêmement faible puisque se limitant à un ou deux navires par an seulement.

Ces éléments permettent de relativiser le développement des « autoroutes maritimes polaires », le trafic étant pour les deux passages concernés très loin de celui enregistré par le canal de Panamá (12 000 transits en 2016) ou le canal de Suez (16 600 transits en 2016).

La carte ci‑après permet de comparer le trafic de transit au niveau de quelques passages stratégiques mettant en évidence la modeste contribution actuelle des routes maritimes polaires.

Comparaison du trafic de transit
au niveau de quelques passages stratégiques

transit par les passages stratégiques

Source : Pauline Pic, Naviguer en Arctique, Géoconfluences, 14 février 2020.

Le diagramme et la carte ci‑après présentent l’évolution du trafic de transit sur les routes arctiques en nombre de navires.

Trafic de transit et routes arctiques en nombre de navires

Frédéric Lasserre — trafic de transit dans les routes arctiques

Source : Frédéric Lasserre, Géoconfluences, 2019.

Il faut, en outre, insister sur le fait que le transport maritime via les routes polaires est une activité très cyclique et saisonnière, la glace se reformant en hiver. Cette voie apparaît alors comme peu rentable le secteur du conteneur étant structuré par la contrainte du « juste à temps » ([35]), les armateurs ne vendant pas simplement du transport de marchandises mais aussi et surtout une livraison à une date précise. Nous sommes donc encore loin de voir des porte‑conteneurs naviguant quotidiennement de Shanghaï vers Rotterdam en empruntant la route du Nord. Car la navigation de fret nécessite beaucoup de prévisibilité et d’anticipation ainsi que des points d’appui et de redistribution de conteneurs via des hubs. Or rien de tout cela n’existe ou n’existera à court terme le long de la route maritime du Nord. Par manque d’infrastructures et de moyens de secours dans la région, sans parler des conditions de navigation qui y demeurent très délicates et aléatoires, la Sevmorpout ne sera pas pleinement ouverte avant de nombreuses années.

Les navires opérant dans le secteur du vrac (pétrole, gaz, minerai …) ne fonctionnent pas selon la contrainte du « juste à temps » mais se trouvent confrontés à une autre contrainte structurelle puisqu’ils fonctionnent sur la base du « tramp shipping » ([36]) : ils n’ont souvent aucune garantie d’obtenir régulièrement des contrats dans une zone géographique précise. Or, l’achat et l’exploitation d’un navire à coque de glace se révèle bien plus onéreux et l’utiliser dans les eaux des mers chaudes pour certaines missions constituerait une perte financière nette. En l’absence de perspectives sur le long terme, il n’existe en l’état actuel des choses aucune incitation pour les armateurs de vrac à se lancer sur ce marché spécifique ([37]).

Les routes polaires continueront, par ailleurs, d’apparaître comme très risquées en dépit du dérèglement climatique. C’est même à cause des effets de ce phénomène que la navigation en Arctique pourrait dans un premier temps être rendue plus difficile et dangereuse avec la multiplication en mer de petits icebergs appelés bourguignons ou growlers en anglais.

b.   Les nouvelles opportunités économiques en Arctique

i.   L’Arctique : un nouvel Eldorado ?

En 2008, la Commission géologique des États-Unis (United States Geological Survey – USGS en anglais) estimait que 29 % des réserves de gaz et 10 % des réserves de pétrole encore à découvrir se trouvaient dans l’Arctique, des chiffres qui n’avaient pas changé en 2018 ([38]).

Ces annonces présentant l’Arctique comme un nouvel Eldorado ont logiquement suscité l’intérêt des États arctiques et des compagnies pétrolières. Il est néanmoins important de souligner que l’USGS a toujours fortement insisté sur le caractère estimatif de ces projections. Le rapport de l’USGS de 2008 évalue des réserves estimées et non pas prouvées. Frédéric Lasserre, professeur de géographie et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques à l’Université Laval, précise d’ailleurs à ce propos que « s’ils ne sont pas négligeables, ces gisements potentiels ne sont pas non plus gigantesques ». Les analyses font état « d’environ trois ans de consommation mondiale de pétrole et de sept ans de consommation de gaz : des réserves estimées conséquentes certes, mais pas aussi importantes que le laissent entendre certains chantres de l’Eldorado arctique. L’USGS parle de 90 milliards de barils de pétrole pour l’ensemble de l’Arctique alors que les réserves prouvées de l’Arabie saoudite s’élèvent à 266 milliards de barils. Les gisements estimés de gaz (47 251 milliards de mètres cubes) sont en revanche bien plus importants dans l’Arctique qu’en Russie (35 000 milliards de mètres cubes en 2018), ou en Iran (33 200 milliards de mètres cubes) » ([39]).

La carte ci‑après montre les différentes ressources gazières, pétrolières et minières de l’Arctique.

Les ressources gazières, pétrolières et minières de l’Arctique 

https://www.eea.europa.eu/data-and-maps/figures/arctic-resources/arctic-resources/image_large

Source : Nordregio, European Environment Agency (2017).

Cependant la chute des cours des hydrocarbures depuis 2014 et les difficultés inhérentes à la prospection et à l’exploitation de tels gisements dans les zones polaires ont conduit à atténuer les engouements initiaux. La compagnie pétrolière anglo‑néerlandaise Shell a, par exemple, annoncé en 2015, la suspension de ses campagnes d’exploration pétrolière arctique en raison des conditions opérationnelles très difficiles. Par ailleurs, ces perspectives en Arctique ont été fondées à la fin des années 2000 sur un modèle aujourd’hui fortement remis en question. La place croissante de l’investissement responsable dans la finance tend à compromettre, par exemple, le développement de projets dans les hydrocarbures arctiques comme en témoignent les décisions de certaines banques de ne pas financer de nouveaux projets dans ce secteur dans le Grand Nord.

De plus, contrairement à une idée reçue le dérèglement climatique ne facilitera pas nécessairement l’exploitation des ressources naturelles de l’Arctique. Il pourrait même constituer un frein. S’agissant de l’exploitation en mer, la fonte de la banquise tend à rendre celle‑ci plus mobile et donc plus dangereuse pour les plates‑formes en mer. S’agissant de l’exploitation sur terre, la fonte du pergélisol et le raccourcissement de la durée des routes de glace rendent la logistique plus difficile et aléatoire qu’autrefois. Les multiples annonces de reports de mise en exploitation des gisements en Arctique apparaissent comme la preuve de la difficulté à établir leur rentabilité.

Il est, par ailleurs, important de noter que la plus grande partie des gisements en hydrocarbures et que 95 % des gisements minéraux se trouvent dans les ZEE des États riverains. Cette situation vient contrecarrer toute idée de course à l’appropriation puisque seuls 5 % des ressources potentielles se trouveraient en dehors des zones sur lesquelles les États arctiques disposent d’ores et déjà de droits souverains.

ii.   La Chine, un « dragon des neiges » ?

Nombreux sont les acteurs ayant acté le potentiel économique – à plus ou moins long terme – de l’Arctique, les opportunités de cette région septentrionale tendant à émerger dans la perspective d’un Grand Nord de plus en plus libéré des glaces.

La Chine, qui n’est pas à proprement parler du point de vue géographique une nation polaire, est un des États dont les ambitions en Arctique s’affirme de plus en plus. Cette stratégie d’implantation dans le Grand Nord s’inscrit dans le vaste projet d’affirmation d’une Chine superpuissance mondiale à l’horizon 2049 comme l’avait indiqué le président Xi Jinping, en ouverture du 19e congrès du parti communiste chinois, en octobre 2017.

Le projet des Nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative ou BRI en anglais), initiative lancée en septembre 2013, vise à ressusciter la mythique route commerciale qui reliait dans l’Antiquité la ville de Xi’an en Chine à la ville d’Antioche, située dans l’actuelle Turquie. Évoquant le souvenir des caravanes raccordant l’Asie et l’Europe, Pékin propose à ses partenaires de nouveaux projets commerciaux en établissant un vaste réseau d’infrastructures terrestres et maritimes. Cet initiative englobe, près de soixante‑huit pays représentant 4,4 milliards d’habitants et 40 % du PIB mondial ([40]).

Une partie de ce vaste projet géostratégique chinois comprend la route maritime du Nord et ambitionne donc de se déployer dans le Grand Nord. Un passage du Nord‑Est accessible permettrait à terme de raccourcir de 3 700 kilomètres l’itinéraire reliant Shanghai à New York en évitant le passage du canal de Panamá. De même, la voie maritime du Nord permettrait de relier Shanghaï et Rotterdam, en économisant environ cinq jours et demi de navigation par rapport à la route maritime traditionnelle passant par le canal de Suez. Le recours à la route maritime du Nord représenterait, par ailleurs, une alternative stratégique pour la Chine qui est actuellement contrainte d’utiliser les passages vulnérables de Malacca et Bab‑el‑Mandeb en proie à des actes de piraterie.

La carte ci‑après présente les différentes routes de la soie du projet Belt and Road Initiative.

Le projet des nouvelles routes de la soie

https://www.defense.gouv.fr/var/dicod/storage/images/base-de-medias/carte-chine-def/10101744-1-fre-FR/carte-chine-def.jpg

Source : SIRPA Marine, 2020.

Le livre blanc de la Chine sur l’Arctique, publié en en 2018, a permis à Pékin d’affirmer plus encore son intérêt pour les enjeux polaires en insistant sur le potentiel stratégique, économique, scientifique, écologique et logistique du Grand Nord. Ainsi, sans être un État riverain de l’océan glacial Arctique, la Chine considère l’Arctique comme une zone d’influence de première importance et compte exploiter les possibilités offertes par le droit international de la mer pour accéder aux eaux internationales polaires et en tirer pleinement profit d’un point de vue économique et stratégique.

La présence chinoise dans l’Arctique s’est d’abord déployée dans le domaine de la recherche scientifique. Elle s’est illustrée par la création de l’Institut de recherche polaire de Shanghaï en 1989 et par plusieurs expéditions polaires menées entre 1999 et 2012 grâce notamment à l’appui du brise‑glaces chinois Xue Long ([41]). Ce navire, acheté en 1993 à l’Ukraine, fut pendant plusieurs années le seul bâtiment maritime polaire chinois jusqu’à la construction en 2019 du Xue Long 2, un brise‑glaces de conception chinoise permettant dorénavant à Pékin une double capacité de projection dans les zones de glace de l’Arctique. Par ailleurs, Pékin dispose depuis 2004, d’une station polaire située à Ny-Ålesund au Svalbard (Norvège). Cette base autant scientifique que stratégique, permet ainsi à la Chine de bénéficier d’une présence terrestre permanente dans l’Arctique ([42]).

Cependant, dans les faits, la présence chinoise en Arctique s’incarne principalement sur le terrain économique et a été trop longtemps, selon les propos de plusieurs experts entendus par vos rapporteurs, trop fortement sous‑estimée. La Chine s’est, par exemple, positionnée pour la concession d’un port au Groenland. Elle cherche à conserver son monopole sur les terres rares dont regorge la plus grande île du monde. L’accès aux ressources de l’Arctique paraît ainsi constituer la priorité des intérêts chinois dans la région. Cependant comme cela a été relevé précédemment, 90 % des ressources supposées de l’Arctique se situeraient dans les ZEE des États circumpolaires. La Chine multiplie donc en conséquence les partenariats avec les pays concernés pour s’assurer un accès à ces ressources ([43]). La Chine a ainsi développé de la sorte plusieurs partenariats politiques et économiques, notamment avec le Danemark (2010), le Canada (2012), la Finlande (2005) ([44]), l’Islande (2012 et 2013), la Norvège (2001) et la Suède (2006).

Pékin est désormais le premier investisseur extérieur en zone arctique et le principal client des pays arctiques comme le Canada et surtout la Russie. À ce titre, selon l’Institut de recherches polaires de Pékin, entre 5 et 15 % des exportations chinoises pourraient, à terme, transiter par la zone arctique. Ainsi, l’Arctique aurait vocation à devenir l’un des axes majeurs du trafic commercial chinois, grâce à la multiplication des alliances nouées par Pékin avec les puissances régionales ([45]).

Entre 2005 et 2017 la Chine aurait investi 89,2 milliards de dollars en infrastructures, capitaux, accords de coopération ou de financement dans les économies des pays de l’Arctique ([46]).

Dans cette logique, la Chine a notamment signé en 2013 un partenariat énergétique avec la Russie, apportant financement et soutien technologique pour la construction du complexe Yamal LNG qui vise à exploiter plus de quatre milliards de barils équivalent pétrole de réserves gazières ([47]). La production du GNL du site représente actuellement la majorité du trafic de la route maritime du Nord‑Est et permet à la Chine de bénéficier de la majeure partie de l’exportation de cette ressource naturelle russe ([48]).

De même, au Groenland où existe une réelle volonté d’implantation de long terme de Pékin grâce à ses investissements notamment dans le domaine des infrastructures aéroportuaires. Le développement du Groenland apparaît comme un enjeu fondamental pour les autorités danoises, la Chine tentant parfois d’y apporter ses propres réponses au risque de supplanter, à terme, les capacités de Copenhague à agir économiquement dans cette région. Par ailleurs, la société chinoise China Nuclear Hua Sheng s’est engagée à racheter l’intégralité de la production des terres rares du site géologique de Kvanefjeld au sud du Groenland, représentant la deuxième réserve mondiale de terres rares, un secteur stratégique dans lequel la Chine est déjà le leader mondial.

Du côté canadien, la Chine investit depuis longtemps au Nunavut et dans les Territoires du Nord‑Ouest via l’acquisition de mines de nickel, de zinc ou de fer. La société chinoise Shandong Gold Mining avait notamment des vues sur la mine d’Hope Bay, l’une des plus importantes du Grand Nord canadien, mais Ottawa s’est finalement opposé à cette cession, en décembre 2020. Le port de Hope Bay, situé dans la baie de Cambridge au sud‑ouest du Nunavut, aurait pu servir en cas d’achat par des intérêts chinois de relais logistique pour Pékin dans le cadre de sa route polaire de la soie ([49]).

Aux côtés des conséquences du dérèglement climatique dans le Grand Nord, les investissements économiques de la Chine en Arctique représentent un des autres grands défis géostratégiques qui pourrait à terme avoir une influence déterminante sur l’évolution de la région. L’intérêt que porte Pékin pour cette zone située dans l’arrière‑cour des États‑Unis pourrait, en outre, constituer à moyen terme un défi sécuritaire majeur pour l’équilibre de la région en particulier et du monde en général.

c.   Un mouvement de militarisation renforcée dans la région

i.   Une militarisation en Arctique reflet des tensions russo‑américaines et sino‑américaines

Les possibilités de développement énergétique et commercial de l’Arctique, qui sont pour une grande partie la conséquence directe des effets du dérèglement climatique et de la déglaciation de la région, se traduisent en parallèle par une militarisation renforcée de la zone.

Depuis 2014, les tensions entre la Russie et l’OTAN – alliance à laquelle appartiennent tous les autres États du club des « cinq de l’Arctique » – sont de plus en plus marquées. Cependant cette rivalité ne concerne pas directement l’Arctique mais trouve à s’y exprimer de manière indirecte comme l’attestent notamment les prises de position récentes des États‑Unis à l’égard des politiques arctiques de la Chine et de la Russie.

Il faut également noter que pour accéder à l’Atlantique, les forces armées russes se trouvent contraintes par des voies maritimes aux mains de pays membres de l’OTAN, que ce soit dans la mer Baltique (Allemagne, Danemark, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne) ou dans le passage stratégique du GIUK (acronyme en anglais de « Greenland, Iceland, United Kingdom ») dans l’Atlantique Nord.

Par conséquent, nous constatons, ces dernières années, une multiplication des exercices militaires en Arctique des forces armées des pays membres de l’OTAN d’une part et de la Russie et de la Chine d’autre part.

À la fin du mois d’octobre 2018, l’exercice Trident Juncture a de la sorte mobilisé 50 000 soldats de l’OTAN – dont 2 700 soldats français plaçant la France en deuxième nation contributrice – en Norvège, dans l’Atlantique Nord et dans la Baltique, à quelques centaines de kilomètres seulement de la frontière russo‑norvégienne. Rassemblant les vingt‑neuf Alliés ([50]) de l’Organisation, cet exercice est apparu comme le plus grand que l’Alliance atlantique ait réalisé depuis la fin de la Guerre froide ([51]). Il avait principalement pour objectif de démontrer les capacités collectives de l’OTAN sur la base d’un enclenchement de l’article 5 ([52]) du traité ayant trait à la défense collective des membres de l’Alliance.

De leurs côtés, la Russie et la Chine ont organisé, entre juillet et septembre 2018, des manœuvres militaires dans le cadre des exercices Vostok (signifiant « Est » en russe). Les autorités militaires russes avaient alors présenté cet exercice comme suit : « les troupes des régions militaires Est et Centre, de la flotte du Nord et des forces aéroportées, ainsi que de l’aviation de transport et à action éloignée participeront à l’exercice. Au total, 297 000 militaires, plus de 1000 avions, des hélicoptères et des véhicules aériens sans pilote, 36 000 chars, des véhicules de combat d’infanterie, véhicules blindés et autres véhicules, jusqu’à 80 navires et navires de soutien y participeront. Des contingents de l’armée populaire de libération de Chine et des forces armées de la Mongolie participeront également à l’événement » ([53]).

Plus récemment la Marine russe a mené d’importants exercices militaires, en août 2020, près de l’Alaska dans la mer de Béring. Il s’agissait alors, selon les autorités militaires russes, du plus important exercice de ce genre dans la région depuis l’époque soviétique avec une mobilisation de plus de cinquante navires de guerre et environ quarante avions ([54]).

ii.   Une présence militaire russe traditionnelle en Arctique mais qui tend à se réaffirmer

La présence militaire russe dans l’Arctique ne constitue pas en soi une nouveauté, le Grand Nord ayant toujours été d’une importance capitale pour la sécurité nationale et le développement de la Russie et cela pour des raisons historique (présence russe depuis le XVIe siècle), géographique (une frontière arctique qui dépasse les 20 000 kilomètres), économique (une région qui représente 10 % du PIB) et démographique (plus de la moitié de la population russe).

Pour Mme Marlène Laruelle, directrice de l’Institut pour les études européennes, russes et eurasiennes au sein de l’Université Georges Washington et chercheur associé de l’Institut français des relations internationales (IFRI), entendue par vos rapporteurs dans le cadre de leurs travaux, il ne faut pas tant voir la remilitarisation russe comme une action belliqueuse mais comme un mouvement rendu obligatoire par l’organisation particulière du système institutionnel et politique russe, qui place l’armée au cœur de tous les grands projets nationaux.

Le Grand Nord est tout d’abord une zone stratégique pour Moscou, les deux tiers de l’arsenal nucléaire russe se trouvant au‑delà du cercle polaire dans la péninsule de Kola située dans l’oblast de Mourmansk.

Les forces armées russes disposent de l’équipement adéquat mais également d’une connaissance du milieu polaire où elles ont vocation à intervenir régulièrement. À titre d’illustration, les opérations de recherche et de sauvetage circumpolaires relèvent en partie de l’armée russe.

La remilitarisation de l’Arctique côté russe s’explique aussi par la présence d’enjeux civils et militaires dans le Grand Nord. Tous les grands projets russes en Arctique sont duals. L’implication des forces armées dans leur mise en œuvre constitue l’assurance de les mener à terme. Le renforcement de la présence militaire dans le Grand Nord représente alors un moyen pour Moscou d’assurer un lien opérationnel efficace.

Cependant, il apparaît également clairement que la Russie cherche à renforcer ses capacités militaires en Arctique. Moscou a lancé la rénovation de ses bases militaires arctiques de l’ère soviétique et en a construit de nouvelles tout au long de la façade nord de la Sibérie. Elle a, par ailleurs, créé un commandement arctique interarmes, à la fin de l’année 2014. Le récent renforcement de l’engagement des États‑Unis en Islande apparaît comme le signe évident que la menace russe est prise au sérieux par Washington.

La carte ci‑après indique la présence de bases militaires russes dans l’Arctique.

Présence militaire russe dans l’Arctique

Source : The Heritage fondation, TASS, Sputnik News, RT, UNSI News, The Moscow Times, Associated Air Charter, Barents Observer, Council of Foreign Relations, The Economist, Business Insider (2015).

iii.   Un renforcement de l’effort de défense danois dans l’Arctique répondant aux attentes de l’OTAN

Face aux regains d’activités russes dans la région, le Danemark a récemment annoncé un renforcement de son effort de défense dans l’Arctique. Copenhague a ainsi révélé son intention, en février 2021, de consacrer 1,5 milliard de couronnes danoises, soit environ 201 millions d’euros, pour compléter ses moyens militaires dans le cercle polaire au cours des trois années à venir.

Cet ensemble d’investissements portera ainsi l’effort budgétaire danois en matière de défense à 1,5 % du PIB en 2023. Les mesures présentées portent essentiellement sur les capacités de surveillance (radars, drones, surveillance satellitaire), la coordination avec les Alliés, ainsi que sur la possibilité d’organiser des cycles de formation militaire sur le territoire groenlandais. Elles ont, par ailleurs, pour objectif complémentaire de consolider les moyens du Groenland et des îles Féroé en matière d’opérations de sauvetage et de surveillance environnementale. Vos rapporteurs tiennent à souligner que les investissements capacitaires projetés par Copenhague dans la zone antarctique pourraient ouvrir des perspectives particulièrement intéressantes pour l’industrie de défense française.

Par ailleurs, après six années de négociations, un accord a été conclu entre le Danemark et les États‑Unis sur les modalités d’attribution du contrat de maintenance de la base américaine de Thulé au Groenland. La signature de cet accord s’est accompagnée d’un engagement des États‑Unis à renforcer l’aide apportée à la population locale, ainsi que sa coopération avec les autorités groenlandaises en matière économique et éducative. Par ce geste, les États‑Unis semblent vouloir faciliter l’acceptation par la population locale d’un renforcement de leur présence militaire en Arctique.

En contrepoint de ce renforcement de l’effort de défense danois dans le Grand Nord, la nouvelle stratégie du Danemark pour l’Arctique, qui devrait très prochainement être présentée, devrait réaffirmer l’importance pour Copenhague de maintenir les tensions internationales dans la région à un niveau bas. Le Danemark a, en effet, tout intérêt à tenter de maintenir en Arctique le délicat équilibre suivant : répondre aux attentes régulièrement exprimées par les États‑Unis concernant un engagement capacitaire accru dans le Grand Nord sans pour autant attiser les tensions avec la Russie.

B.   En Antarctique

L’Antarctique, dernière terre découverte par l’Homme au début du XIXe siècle, s’est transformée au début du siècle suivant en un espace de concurrence entre les explorateurs soutenus par leurs nations respectives avant de devenir au mi‑temps du XXe siècle un continent particulièrement bien protégé par un arsenal juridique d’ampleur exceptionnel : le système du traité sur l’Antarctique.

Ce système repose sur un ensemble d’instruments juridiques internationaux complémentaires ayant permis la mise en place progressive d’une gouvernance internationale efficace de l’Antarctique. Ces accords internationaux garantissent entre autres le gel des revendications territoriales ainsi qu’une très stricte protection de l’environnement de la région. Ces instruments juridiques internationaux ont permis le déploiement d’une gouvernance essentiellement tournée vers la recherche scientifique et ont consacré le fait que l’Antarctique est une terre sur laquelle tout usage militaire est proscrit et où les activités économiques se trouvent fortement limitées. À maints égards, l’Antarctique constitue la région du monde où le degré d’internationalisation institutionnelle a été poussé le plus loin.

L’ensemble des accords composant le système du traité sur l’Antarctique sont les suivants :

– le traité sur l’Antarctique, signé à Washington le 1er décembre 1959 et entré en vigueur en 1961 ;

– la convention pour la protection des phoques de l’Antarctique, souvent désignée par son acronyme anglais CCAS (pour Convention for the Conservation of Antarctic Seals). Elle a été signée à Londres le 1er juin 1972 et est entrée en vigueur en 1978 ;

– la convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, désignée par son acronyme anglais CCAMLR (pour Convention on the Conservation of Antarctic Marine Living Resources). Elle a été signée à Canberra le 20 mai 1980 et entrée en vigueur en 1982 ;

– le protocole au traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, dit « protocole de Madrid ». Il a été signé le 4 octobre 1991 et est entré en vigueur en 1998.

Le système du traité sur l’Antarctique repose sur trois piliers : maintien de la paix, recherche scientifique et protection de l’environnement.

1.   Le traité sur l’Antarctique, pierre angulaire d’une coopération internationale exceptionnelle

a.   La signature du traité de Washington

C’est le succès scientifique et politique de l’année géophysique internationale (AGI) de 1957‑1958, qui s’est révélée particulièrement fertile en expéditions scientifiques, qui est à l’origine de la signature, le 1er décembre 1959 du traité de Washington ou traité sur l’Antarctique, entré en vigueur en 1961. Ce traité entérine notamment le gel des revendications territoriales au sud du 60e parallèle sud et consacre la poursuite des seules activités pacifiques.

Les États parties, dont les scientifiques étaient les plus actifs en Antarctique, étaient initialement au nombre de douze : l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Chili, les États‑Unis, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle‑Zélande, le Royaume‑Uni, la Russie. Ils sont, depuis 2015, au nombre de cinquante‑quatre ([55]).

Parmi ceux-ci, sept sont dits « possessionnés » (Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle‑Zélande, Royaume-Uni) c’est‑à‑dire qu’ils ont émis des prétentions territoriales sur le continent à l’instar de la France sur la Terre Adélie ([56]). Ces revendications sont généralement fondées sur deux types d’arguments : soit sur l’antériorité de la découverte, soit la continuité géographique qui existerait entre ces terres et – après plusieurs milliers de kilomètres de mers – celles des États austraux que sont l’Argentine, l’Australie, le Chili et la Nouvelle‑Zélande. Certaines de ces prétentions territoriales se chevauchent (Argentine, Chili, Royaume-Uni) au niveau de la péninsule Antarctique tandis qu’une région entière du continent austral, la terre Marie Byrd située dans la partie occidentale de l’Antarctique, n’est revendiquée par aucun État ([57]). En sens inverse, d’autres pays ne reconnaissent aucune revendication. Les États‑Unis et la Russie maintiennent pour leur part une « base de revendication ».

Carte de l’Antarctique indiquant le dÉcoupage des États possessionn֤És

http://www.encyclopedie-environnement.org/app/uploads/2018/04/Antarctique_fig2-revendications-territoriales-traite-antarctique.jpg

Source : encyclopédie de l’environnement, 2018.

b.   Les principales dispositions du traité de Washington

Les considérants du traité sur l’Antarctique sont très significatifs, les signataires y affirmant solennellement : « qu’il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit à jamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux » et « qu’il est conforme aux intérêts de la science et au progrès de l’humanité d’établir une construction solide permettant de poursuivre et de développer [la] coopération [scientifique] ».

L’article premier du traité stipule que « seules les activités pacifiques sont autorisées dans l’Antarctique ». À cette fin, il précise que sont interdits « toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres, ainsi que les essais d’armes de toutes sortes ». Cependant le traité « ne s’oppose pas à l’emploi de personnel ou d’équipement militaires pour la recherche scientifique ou pour toute autre fin pacifique ».

Le traité garantit en son article II que « la liberté de la recherche scientifique dans l’Antarctique et la coopération à cette fin (…) se poursuivront ».

Le présent instrument précise en son article III qu’en vue « de renforcer dans l’Antarctique la coopération internationale en matière de recherche scientifique » les observations et les résultats scientifiques de l’Antarctique seront échangés et rendus librement disponibles.

S’agissant des revendications territoriales le traité préserve très habilement le statut quo en protégeant explicitement toutes les positions en son article IV qui précise :

« 1. Aucune disposition du présent Traité ne peut être interprétée :

« a. comme constituant, de la part d’aucune des parties contractantes, une renonciation à ses droits de souveraineté, ou aux revendications territoriales, précédemment affirmés par elle dans l’Antarctique ;

« b. comme un abandon total ou partiel, de la part d’aucune des parties contractantes, d’une base de revendication de souveraineté territoriale dans l’Antarctique, qui pourrait résulter de ses propres activités ou de celles de ses ressortissants dans l’Antarctique, ou de toute autre cause ;

« c. comme portant atteinte à la position de chaque partie contractante en ce qui concerne la reconnaissance ou la non-reconnaissance par cette partie du droit de souveraineté, d’une revendication ou d’une base de revendication de souveraineté territoriale de tout autre État, dans l’Antarctique.

« 2. aucun acte ou activité intervenant pendant la durée du présent Traité ne constituera une base permettant de faire valoir, de soutenir ou de contester une revendication de souveraineté territoriale dans l’Antarctique, ni ne créera des droits de souveraineté dans cette région. Aucune revendication nouvelle, ni aucune extension d’une revendication de souveraineté territoriale précédemment affirmée, ne devra être présentée pendant la durée du présent Traité. »

Il s’agit en fait d’un accord sur un non‑accord. Ce traité repose ainsi sur un principe fondamental : le gel des prétentions territoriales qui permet aujourd’hui de continuer une coopération internationale fructueuse en Antarctique.

Le traité précise en son article VII que pour promouvoir les objectifs et assurer le respect des dispositions du traité que « toutes les régions de l’Antarctique, toutes les stations et installations, tout le matériel s’y trouvant (…) seront accessibles à tout moment à l’inspection ». C’est là un système unique en son genre d’inspection internationale que vos rapporteurs tiennent à mettre en évidence. Les observateurs désignés par les parties peuvent de la sorte inspecter à tout moment « toutes les régions de l’Antarctique, toutes les stations et installations, tout le matériel s’y trouvant, ainsi que tous les navires et aéronefs aux points de débarquement et d’embarquement de fret ou de personnel ». Ainsi, les Américains, les Russes et les Chinois acceptent que leurs installations soient inspectées. En 2011‑2012, par exemple, les États‑Unis et la Russie ont conjointement inspecté la station franco‑italienne Concordia et en 2006‑2007, la France, aux côtés de la Nouvelle‑Zélande et de la Suède, a inspecté la station américaine AmundsenScott ([58]). Les inspections menées dans ce cadre ont essentiellement trait à la protection de l’environnement, à des questions opérationnelles et des questions de désarmement. Dans un esprit collaboratif, la plupart de ces inspections sont menées en partenariat par plusieurs pays.

c.   Les réunions consultatives du traité sur l’Antarctique

Les partis consultatives se réunissent annuellement ([59]) « en vue d’échanger des informations, de se consulter sur des questions d’intérêt commun concernant l’Antarctique, d’étudier, formuler et recommander à leurs gouvernements des mesures destinées à assurer le respect des principes et la poursuite des objectifs du Traité », en vertu de l’article IX du traité. Cette réunion est désignée sous le nom de réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA). La 43ème RCTA aura lieu en France, à Paris, du 14 au 24 juin 2021 (cf. infra).

En vertu du paragraphe 2 de l’article IX, toute partie au traité a le droit de participer aux réunions consultatives « aussi longtemps qu’elle démontre l’intérêt qu’elle porte à l’Antarctique en y menant des activités substantielles de recherche scientifique telle que l’établissement d’une station ou l’envoi d’une expédition ». Dix-sept des pays adhérents au traité ont vu leurs activités dans l’Antarctique reconnues en application de cette disposition et il y a, par conséquent, aujourd’hui un total de vingt-neuf parties consultatives. Les autres parties, qui sont dites « non consultatives » sont néanmoins invitées à assister aux réunions consultatives mais ne disposent pas du droit de vote ([60]). Les mesures ([61]), décisions ([62]) et résolutions ([63]) sont adoptées par consensus dans le cadre des RCTA.

Les discussions menées au cours des RCTA portent essentiellement sur les activités scientifiques et opérationnelles menées en Antarctique, sur les questions institutionnelles, la protection environnementale de la région ainsi que sur la réglementation du tourisme et des activités non gouvernementales ([64]).

2.   Des instruments internationaux complémentaires offrant un haut niveau de protection de l’environnement en Antarctique

Le traité initial de 1959 ne comprend pas de stipulation particulière concernant la protection de l’environnement ou traitant spécifiquement de la question de l’exploitation des ressources naturelles de l’Antarctique. Mais dès 1964, la RCTA a adopté un certain nombre de mesures au profit de la préservation de la faune et de la flore de l’Antarctique.

L’adoption par la suite d’autres instruments juridiques complémentaires a permis de renforcer très significativement cette protection.

a.   La convention pour la protection des phoques de l’Antarctique

La convention pour la protection des phoques de l’Antarctique, souvent désignée par son acronyme anglais CCAS (pour Convention for the Conservation of Antarctic Seals) a été signée à Londres le 1er juin 1972 et est entrée en vigueur en 1978.

Lors de sa découverte de la Géorgie‑du‑Sud à la fin du XVIIIe siècle, le navigateur britannique James Cook a signalé la présence d’innombrables otaries à fourrure sur les côtes de l’île, marquant ainsi le début d’une chasse sans merci, qui a conduit de nombreuses espèces au bord de l’extinction ([65]).

Pour répondre à cette situation, la convention établit une liste d’espèces de phoques et d’otaries dont la capture est interdite notamment les espèces rares de phoque de Ross et d’éléphants de mer austral. Elle instaure, au surplus, un contingentement pour diverses espèces telles que le phoque crabier, le léopard de mer et le phoque de Weddell. Par ailleurs, un système de zonage a été mis en place avec des saisons de fermeture de la chasse.

Cette convention a été signée par les douze signataires initiaux du traité de l’Antarctique, toutefois, la Nouvelle‑Zélande ne l’a pas ratifiée. Par la suite, elle a été rejointe par l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Italie et la Pologne.

L’objectif de la CCAS vise à protéger les phoques de l’Antarctique, à permettre la recherche scientifique sur ces populations et à contribuer à maintenir un équilibre satisfaisant dans l’écosystème de l’Antarctique. Les populations de phoques de l’Antarctique se sont, depuis son entrée en vigueur, reconstituées, attestant de la pertinence d’un tel accord international.

b.   La convention pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique

i.   Une convention permettant de renforcer la préservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique

La convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, désignée par son acronyme anglais CCAMLR (pour Convention on the Conservation of Antarctic Marine Living Resources) a été signée à Canberra, en Australie, le 20 mai 1980 et est entrée en vigueur en 1982.

L’adoption de cette convention constitue une réponse multilatérale aux vives préoccupations provoquées par les dégâts occasionnés sur les écosystèmes marins de l’Antarctique suite à la hausse des captures de krill non réglementées dans l’océan Austral, susceptible de menacer toute la chaîne alimentaire.

La CCAMLR précise en son article premier être applicable « aux ressources marines vivantes de la zone située au sud du 60e degré de latitude sud et aux ressources marines vivantes de la zone comprise entre cette latitude et la convergence antarctique qui font partie de l’écosystème marin antarctique ». Les ressources marines vivantes désignent « les populations de poissons à nageoires, de mollusques, de crustacés et de toutes les autres espèces d’organismes vivants, y compris les oiseaux ([66]) » se situant dans la zone d’application de la convention. Cette zone précisément délimitée dans l’article premier de la convention s’étend sur une surface de 35 716 100 kilomètres carrés représentant près de 10 % des océans du globe. Bien qu’ayant pris forme sous les auspices du traité sur l’Antarctique de 1959, l’aire d’application de la CCAMLR se révèle plus étendue.

Une des caractéristiques importantes de la CCAMLR réside dans son approche écosystémique en matière de conservation. Celle‑ci requiert que dans l’établissement du taux d’utilisation d’une espèce quelle qu’elle soit, soient pris en compte les effets sur l’écosystème dans son ensemble.

La carte ci‑après présente l’aire d’application de la CCAMLR.

Aire d’application de la convention CCAMLR

Source : CCAMLR

La convention constitue une partie intégrante du système du traité sur l’Antarctique. La série d’obligations directement liées au traité sur l’Antarctique qu’elle impose aux parties contractantes atteste des liens solides qui unissent les deux instruments juridiques internationaux au bénéfice de la conservation des ressources marines vivantes de l’Antarctique.

Ainsi, en vertu de de son article III, les parties à la convention, « qu’elles soient ou non parties au traité sur l’Antarctique, conviennent de ne pas mener dans la zone du Traité sur l’Antarctique d’activités qui aillent à l’encontre des principes et des objectifs de ce Traité et se reconnaissent liées, dans leurs rapports réciproques, par les obligations définies dans les Articles premier et V de ce Traité ([67]) ».

L’article IV de la convention reflète les stipulations de l’article IV du traité sur l’Antarctique, préservant le statut quo s’agissant des différentes positions concernant les revendications territoriales.

Enfin, l’Article V de la convention stipule que les parties contractantes qui ne sont pas parties au traité sur l’Antarctique reconnaissent les obligations et les responsabilités particulières des parties consultatives au traité sur l’Antarctique quant à la protection et la préservation de l’environnement. En outre, elles s’engagent à observer les mesures de conservation adoptées par la RCTA pour la protection de l’environnement antarctique et sont tenues de respecter, le cas échéant, le protocole de Madrid (cf. supra).

La convention instaure en son article VII une commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique qui s’appuie sur un secrétariat (article XVII) et un comité scientifique (article XIV). Elle se réunit annuellement pour notamment adopter des mesures de conservation et prendre des décisions concernant les activités de pêche à l’intérieur de la zone d’application de la CCAMLR.

La CCAMLR compte actuellement vingt‑six membres et dix États adhérents. Un membre de la commission est un État ou une organisation d’intégration économique régionale, telle que l’Union européenne, s’étant engagé dans des activités de recherche ou de pêche relatives aux ressources marines vivantes auxquelles s’applique la convention.

Les parties contractantes non membres de la commission CCAMLR sont qualifiées d’États adhérents et ne participent pas au processus de prise de décision. La commission CCAMLR est ouverte à l’adhésion de tout État s’intéressant aux activités de recherche ou de capture auxquelles s’applique la convention.

ii.   Les travaux de la CCAMLR sont particulièrement entravés par des tensions diplomatiques

La commission CCAMLR est actuellement en proie à des tensions diplomatiques très fortes entre la Chine et la Russie d’une part et les autres parties d’autre part. Depuis quelques années, le droit de veto dont dispose de fait chaque partie est largement utilisé par Moscou et Pékin.

Lors de la 39ème réunion de la Commission (2020), cette volonté de blocage s’est particulièrement illustrée sur les points suivants :

-         La Russie et la Chine se sont, à nouveau, opposées à la création de nouvelles aires marines protégées (AMP) notamment le projet de création dans l’Antarctique de l’Est porté par l’Australie, la France, la Norvège et l’Uruguay et l’Union européenne :

-         La Russie a empêché la mise en œuvre de pêcheries scientifiques qui sont pourtant au cœur du fonctionnement de la CCAMLR et se révèlent très utiles pour l’amélioration des connaissances ;

-         La Russie a protégé, pour la deuxième année consécutive, un de ses navires menant manifestement des activités de pêche illicite dans la zone d’application de la convention. La commission CCAMLR n’a pas été en mesure de réagir, et de sanctionner ce bateau, la Russie empêchant d’atteindre le consensus sur cette question. Or la lutte contre la pêche illicite constitue l’un des objectifs de la CCAMLR. Le fait que l’une des parties protège ce type d’activité, sans que la commission ne puisse agir, porte atteinte à la CCAMLR dans son ensemble.

La pertinence même de l’action de la commission CCAMLR pourrait à terme être remise en cause, si celle‑ci se montre incapable d’assurer le respect des règles qu’elle édicte et peine de plus en plus à prendre les décisions nécessaires à l’atteinte des objectifs de la convention.

Il convient, en outre, de signaler la politisation du comité scientifique de la CCAMLR, dont les travaux sont désormais largement pollués par des positions juridiques et procédurières émanant des délégations russe et chinoise. Cela semble lié au fait que les intérêts économiques russes et chinois les incitent à considérer de manière négative toute actions visant à encadrer les activités de pêche menées dans la zone d’application la convention.

Par ailleurs, la Chine est arrivée sur la scène internationale antarctique après l’adoption des textes fondateurs du système du traité sur l’Antarctique. Devenue depuis une puissance antarctique majeure, elle peut se montrer peu encline à s’inscrire dans un cadre dont elle n’a pas participé à l’élaboration.

Il paraît impératif aux yeux de vos rapporteurs de parvenir à amener la Russie et la Chine à négocier de bonne foi et dans un esprit de coopération afin que la commission CCAMLR puisse de nouveau avancer vers la réalisation de ses objectifs.

c.   Le protocole de Madrid

i.   Les principales dispositions du protocole

Le protocole au traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, signé à Madrid le 4 octobre 1991, est entré en vigueur en 1998. Il a été originellement signé par vingt‑six pays avant d’être rejoints par onze nouvelles nations.

C’est ce texte qui désigne en son article 2 l’Antarctique comme une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ».

L’article 3 du protocole définit les principes fondamentaux s’appliquant aux activités humaines dans l’Antarctique. Celles‑ci doivent être menées de façon « à limiter leurs incidences négatives sur l’environnement en Antarctique ». L’approche du protocole se veut résolument globale et exigeante, toutes les activités en Antarctique devant être organisées et conduites de manière à éviter des « effets négatifs sur le climat ou les systèmes météorologiques » et « sur la qualité de l’air ou de l’eau », des « modifications significatives de l’environnement atmosphérique, terrestre (y compris aquatique), glaciaire ou marin », des « changements préjudiciables à la répartition, à la quantité ou à la capacité de reproduction d’espèces ou de populations d’espèces animales ou végétales », ou encore « une dégradation, ou le risque sérieux d’une telle dégradation, de zones ayant une importance biologique, scientifique, historique, esthétique ou naturelle ».

L’article 3 pour permettre à la convention d’atteindre ses objectifs prévoit également qu’une « surveillance régulière et efficace est assurée afin de permettre l’évaluation de l’incidence des activités en cours ». Cet article précise, en outre, que « les activités sont organisées et conduites (…) de façon à accorder la priorité à la recherche scientifique et à préserver la valeur de l’Antarctique en tant que zone consacrée à la recherche ». Le protocole impose également en son article 8 et dans son annexe I une évaluation préliminaire de l’impact environnemental de toute activité. Par ailleurs, le système rigoureux d’inspection prévu par le traité sur l’Antarctique est étendu aux questions environnementales grâce à l’article 14 du protocole.

De façon concise mais essentielle, l’article 7 du traité stipule que « toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique, est interdite ».

Le protocole instaure en son article 11 un Comité pour la protection de l’environnement (CPE) qui est un organe consultatif spécialisé chargé de donner des avis et de formuler des recommandations aux RCTA en rapport avec la mise en œuvre du protocole. Le CPE se réunit généralement au même moment que la RCTA et émet des avis à destination de la RCTA constituant ainsi une aide à la décision sur les questions ayant trait à la préservation de l’environnement.

Afin d’atteindre ses objectifs, le protocole impose une surveillance permanente de l’environnement (article 3) et l’évaluation préliminaire de l’impact environnemental de toute activité (article 8 et annexe I). Le système d’inspection prévu par le traité de l’Antarctique est étendu aux questions environnementales (article 14) et des plans d’urgence environnementale doivent être élaborés (article 15). Enfin, la gestion des déchets (annexe III) et la prévention des pollutions marines (annexe IV) sont strictement réglementées.

Le protocole est, par ailleurs, accompagné de six annexes portant sur l’évaluation d’impact sur l’environnement (annexe I), sur la conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique (annexe II), sur l’élimination et gestion des déchets (annexe III), sur la prévention de la pollution marine (annexes IV), sur la protection et la gestion des zones (annexe V) et enfin sur la responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (annexe VI).

Jusqu’en 2048, le protocole ne peut être modifié qu’avec l’accord unanime de toutes les parties consultatives au traité sur l’Antarctique. De surcroît, l’interdiction des activités relatives aux ressources minérales ne peut être remise en cause qu’à la condition qu’un régime juridique obligatoire soit mis en place, comportant des dispositions agréées pour déterminer si toute activité de cette nature est acceptable et, dans l’affirmative, sous quelles conditions.

Le protocole comme le traité sur l’Antarctique n’ont pas de terme déterminé, c’est‑à‑dire qu’ils ont vocation à perdurer dans le temps. Le protocole offre seulement des possibilités de modification ou d’amendement très strictes. À ce propos deux périodes doivent être considérées :

-         durant la première période, soit au cours des cinquante premières années suivant l’entrée en vigueur du protocole (article 25) une décision unanime des parties consultatives est nécessaire. Elles sont actuellement au nombre de vingt-neuf ;

-         pendant la deuxième période, soit au‑delà de 2048, l’unanimité ne sera plus impérative, une majorité suffisant pour entériner des changements. Néanmoins, c’est une majorité très stricte puisqu’il faut une majorité des États parties l’année de la discussion. Il faudra, en outre, l’unanimité des parties consultatives qui l’étaient en 1991, au moment de la signature du protocole. Elles étaient alors vingt-six.

ii.   Un cadre juridique robuste qui protège efficacement le sous‑sol de l’Antarctique

Ce texte a constitué, lors de sa signature, une réponse à la convention de Wellington (CRAMRA pour convention on the regulation of Antarctic mineral resource activities en anglais) qui avait été adoptée le 2 juin 1988 et qui instituait un régime « d’exploitation raisonnée » des ressources minérales de l’Antarctique. La notion « d’exploitation raisonnée » n’était alors pas définie dans le texte de la convention elle‑même et aurait dû l’être, par la suite, par une commission ad hoc.

Le développement des technologies d’extraction en milieu polaire et l’optimisme de quelques études de faisabilité concernant l’exploitation des ressources fossiles de l’Antarctique avaient alors encouragé certains pays à proposer un cadre pour ces activités avant qu’elles ne se développent. La CRAMRA visait alors principalement à combler un vide juridique.

L’entrée en vigueur de la CRAMRA était conditionnée par sa ratification par les seize parties consultatives au traité sur l’Antarctique de l’époque. Mais l’Australie, la Belgique, la France et l’Italie refusèrent finalement de ratifier le texte, qui ne put jamais entrer en vigueur.

En effet dès le printemps 1989, Paris et Canberra, sous l’impulsion des anciens premiers ministres Michel Rocard et Robert Hawke proposèrent de faire de l’Antarctique une « réserve naturelle internationale », jetant ainsi les bases de ce qui deviendra en 1994 le protocole de Madrid en prohibant toute « toute activité relative aux ressources minérales ». Seules des activités scientifiques pouvant être envisagées à cette fin. Cependant, à la fin des négociations, les parties ont choisi d’établir une possibilité de lever cette interdiction, dans le cas où l’accès à ces ressources minérales se manifesterait nécessaire. Mais cette possibilité se révèle in fine très fortement encadrée par l’article 5 du protocole (cf. supra).

Un rapport de la commission géologique des États-Unis (United States Geological Survey – USGS en anglais) de 1991 concluait, avec les moyens de l’époque, à la présence de 36 milliards de barils équivalents pétrole dont 19 milliards de barils de pétrole dans la zone du traité sur l’Antarctique. Seuls 11 milliards étaient à cette époque commercialement exploitables.

Une autre étude de l’USGS, publiée en 1983, mentionne, par ailleurs, que les occurrences minérales sont abondantes sur une vaste partie de l’Antarctique, mais nulle part suffisamment concentrées pour justifier une exploitation économique viable. Il s’avère que seuls le charbon, le fer et le cuivre semblent présents en quantité suffisante pour justifier une éventuelle exploitation.

Il faut, en outre, relever la présence de champs pétroliers exploités par l’Argentine à proximité de la zone du traité sur l’Antarctique, à environ 100 kilomètres au nord d’Ushuaïa – les champs pétroliers de Véga Pleyade – en production depuis 2016 dont les capacités sont de l’ordre de 70 000 barils équivalents pétrole par jour ([68]).

La Russie, en 2011, dans le cadre de sa feuille de route pour l’Antarctique a mis en avant parmi les axes prioritaires le fait de renforcer les capacités économiques du pays, grâce notamment aux investigations complexes portant sur les ressources minérales, en hydrocarbures et autres ressources naturelles de l’Antarctique indiquant ainsi son intérêt pour la mise en œuvre de prospections minières dans la zone du traité. Cependant cela n’a pas été suivi d’effets mais la position russe à cet égard se révèle ambigüe.

Au final, peu d’études documentent actuellement la présence de ressources minérales et énergétiques en Antarctique, du fait de l’impossibilité juridique de les exploiter. Par ailleurs, le prix politique et diplomatique à payer pour contrevenir ouvertement à la prohibition posée par le protocole de Madrid semble, pour l’instant, désamorcer les quelques ambitions affichées par Moscou.

Dans les faits, grâce aux précautions prises par les rédacteurs du protocole de Madrid et en raison du contexte diplomatique actuel, ces conditions semblent quasi impossibles à remplir. Contrairement à une vision répandue dans la presse, la remise en cause de l’interdiction des activités minière à partir de 2048 se révèle ainsi très peu probable. Cependant, à long terme, vos rapporteurs estiment que la sortie unilatérale du traité sur l’Antarctique d’une partie souhaitant exploiter les ressources de la région constitue le risque le plus à craindre.


II.   Les défis environnementaux

A.   EN Arctique

1.   Un impact démultiplié des effets du dérèglement climatique en Arctique

L’Arctique est un des endroits du globe où le dérèglement climatique se fait le plus fortement ressentir, le réchauffement y étant deux à trois fois plus rapide qu’ailleurs. Pour les scientifiques le principal facteur explicatif de ce phénomène est à chercher du côté de l’effet d’albédo.

L’albédo correspond à la fraction du rayonnement solaire réfléchi par une surface ou par un objet. Un albédo élevé signifie qu’une surface renvoie vers l’espace l’essentiel de l’énergie solaire reçue et n’en absorbe qu’une faible part. L’albédo permet de calculer grâce à un facteur situé entre 0 et 100, la fraction de rayonnement solaire réfléchi par une surface donnée, 0 correspondant à une surface absorbant la totalité des rayons, et 100 à une surface les renvoyant tous ([69]).

Les surfaces couvertes de végétation et les océans ont un albédo faible tandis que les surfaces enneigées, aux surfaces claires et réfléchissantes, ont un albédo élevé ([70]). La banquise a un albédo proche de 100, c’est‑à‑dire qu’elle peut renvoyer jusqu’à 70 % de l’énergie solaire pour la glace nue, voire 90 % quand elle est recouverte de neige fraiche, alors que l’océan n’en renvoie que 10 % ([71]). La fonte de la banquise arctique enclenche ainsi une spirale dangereuse en matière de réchauffement climatique puisque l’eau absorbe plus fortement l’énergie solaire que la glace provoquant un réchauffement plus rapide de la surface, phénomène qui a lui‑même tendance à accroître la déglaciation. Ainsi l’atténuation de l’effet d’albédo a pour conséquence une accélération du réchauffement climatique dans le Grand Nord. En outre, suivant l’effet de rétroaction glace–albédo, le rétrécissement de l’étendue de neige et de glace dans les régions polaires entraîne une diminution de l’albédo global de la terre et donc une augmentation des rayonnements solaires absorbés provoquant alors un réchauffement encore plus important de la planète.

L’image ci‑après illustre l’effet d’albédo au Nord de l’Alaska.

L’effet d’albédo illustré dans le grand nord

https://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2704-3.gif

Source : « Les glaces marines arctiques », par Marie-Noëlle Houssais, CNRS-Laboratoire d’océanographie et du climat (LOCEAN-IPSL), Université Pierre et Marie Curie, Paris.

Dans son rapport spécial sur l’évolution du climat, intitulé L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique ([72]) de 2019, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne que la température de l’air à la surface de l’Arctique a probablement augmenté de plus du double de la moyenne mondiale au cours des deux dernières décennies. Sur la période 2016‑2018, les températures hivernales de surface dans le centre de l’Arctique ont été supérieures de 6°C à la moyenne 1981‑2010, contribuant à une absence sans précédent de glace de mer dans la région.

Ces températures extrêmes dans l’Arctique entraînent la fonte des barrières de glace du Grand Nord qui s’amincissent et sont alors plus susceptibles de se briser. Selon Mme Jenny Turton qui effectue des recherches en météorologie polaire et en climatologie à l’Institut géographique allemand de l’Université Friedrich‑Alexander d’Erlangen-Nuremberg : « l’atmosphère de cette région s’est réchauffée d’environ 3°C depuis 1980 et des températures record y ont été observées en 2019 et 2020 » ([73]).

Selon le GIEC, entre 2006 et 2015, la calotte glaciaire du Groenland a perdu environ 278 gigatonnes de masse par an en moyenne ce qui correspond à une élévation du niveau de la mer d’environ 0,77 millimètre par an à l’échelle du globe essentiellement sous l’effet de la fonte en surface. Dans l’Arctique, l’étendue du manteau neigeux terrestre du mois de juin a diminué d’environ 13,4 % par décennie entre 1967 et 2018, soit une perte totale d’environ 2,5 millions de kilomètres carrés, en raison principalement de la hausse de la température de surface de l’air.

La calotte glaciaire en Arctique n’a jamais perdu autant de surface qu’en 2020. Cet inquiétant phénomène s’accentue comme ont pu le monter les images captées par un satellite d’observation de la terre de l’Agence spatiale européenne (ASE). Les clichés diffusés par l’Institut géologique du Danemark et du Groenland ([74]), en septembre 2020, montrent ainsi qu’une masse de glace de 113 kilomètres carrés ([75]) – soit l’équivalent de la surface de la ville de Paris – s’est détachée du grand glacier Nioghalvfjerdsfjorden, également surnommé glacier 79 N, situé au nord‑est de l’inlandsis du Groenland.

Comme le montre l’image satellitaire suivante, la zone rouge encerclée en pointillé en haut à droite correspond au glacier Spalte qui s’est brisé et complètement désintégré en juillet 2020.

DÉsintégration du glacier Spalte en juillet 2020

Source : Données Copernicus Sentinel modifiées par le GEUS.

Selon le rapport spécial ([76]) du GIEC, il est très probable qu’entre 1979 et 2018, l’étendue de la glace de mer de l’Arctique a diminué, et ce pour tous les mois de l’année. Il est très probable que les réductions constatées au mois de septembre ont atteint environ 12,8 % par décennie, modifications qui sont sans précédent depuis 1000 ans au moins. Ainsi la glace de mer de l’Arctique a perdu de l’épaisseur, avec une transition concomitante vers une glace plus jeune : en superficie, la proportion de glace pluriannuelle d’au moins cinq ans a chuté d’à peu près 90 % au cours de la période 1979–2018. Les rétroactions ([77]) induites par la diminution de l’extension estivale de la glace de mer et du manteau neigeux terrestre de printemps contribuent, en outre, à amplifier le réchauffement dans l’Arctique où la température de l’air en surface a probablement augmenté ces deux dernières décennies de plus du double par rapport à la moyenne planétaire.

Les scientifiques auditionnés par vos rapporteurs ont indiqué qu’il y avait de forte probabilité pour que nous connaissions au cours du XXIe siècle des étés sans banquises en région Arctique, sans être en mesure de préciser, à ce stade, si ce phénomène durera quelques semaines ou plusieurs mois. En revanche, grâce aux effets de la nuit polaire, la présence d’une banquise hivernale devrait être assurée mais celle‑ci serait annuelle et non plus pluriannuelle. En septembre 2020, la banquise a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée avec 3,74 millions de kilomètres carrés selon le Centre national américain de données sur la neige et la glace se situant ainsi très loin de la moyenne de 6,3 millions de kilomètres carrés de surface de mer gelée, mesurée à la même période de l’année, entre 1981 et 2010 ([78]).

Les images ci‑après illustrent le recul de la banquise, pendant la période estivale, entre 1979 et 2018.

Recul de la banquise entre 1979 et 2018

En quelques décennies, la banquise de l'Arctique a perdu une grande partie de sa superficie. En été, l'océan devient même navigable sur ses extrémités, permettant l'ouverture de voies commerciales.

Source : National snow and ice data center / University of Colorado / NASA.

La disparition de la banquise représente un risque important pour la faune locale comme l’atteste la récente étude publiée par Nature climate change ([79]) en août 2020 émettant l’hypothèse d’une disparition quasi‑totale de l’ours blanc en 2100 liée à la réduction de son habitat. En effet, la diminution de la banquise entraîne d’importante difficultés pour les ours polaires qui en ont notamment besoin pour chasser les phoques dont ils se nourrissent. Le spécialiste canadien M. Ian Stirling ([80]) a précisé à ce propos, en 2009, que ce sont ces difficultés pour s’alimenter correctement, en particulier au printemps quand les phoques se reproduisent, qui perturbent le cycle de reproduction des femelles ours. Ainsi avant même la famine, c’est la capacité de reproduction de l’espèce qui est directement liée à la présence de la banquise.

Dans son rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C ([81]), également publié en 2019, les experts internationaux estiment que l’élévation du niveau de la mer se poursuivra au-delà de 2100 même si le réchauffement planétaire ne dépasse pas 1,5 °C au XXIe siècle. Ce phénomène pourrait notamment conduire à la perte irréversible de la calotte glaciaire du Groenland ce qui aurait pour corollaire une élévation de plusieurs mètres du niveau de la mer à des échelles de temps allant du siècle au millénaire. Pour mémoire, M. Bernard Deflesselles et Mme Nicole Le Peih, rapporteurs de la mission d’information sur la diplomatie climatique, relevaient dans leur rapport en fin d’année 2018 « que les engagements actuels ne sont pas suffisamment ambitieux pour nous permettre d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris. La mise en œuvre des contributions nationales déterminées actuelles nous conduirait à 2,7°C d’ici 2100, pour l’étude la plus optimiste, et 4,53°C pour l’étude la plus pessimiste » ([82]).

Par ailleurs, selon le GIEC, les températures du pergélisol – qui désigne un sous‑sol gelé en permanence pendant au moins deux ans – ont, depuis les années 1980, augmenté et atteint des niveaux record dont notamment une hausse récente de 0,29 °C environ entre 2007 et 2016 ([83]). Dans l’Arctique et les régions boréales, le pergélisol contient 1 460 à 1 600 gigatonnes de carbone organique, soit près du double du carbone présent dans l’atmosphère. Le dégel du pergélisol provoquerait ainsi un flux net supplémentaire de méthane et de dioxyde de carbone dans l’atmosphère depuis les régions arctiques. En outre, alors que nous sommes encore en prise avec la lutte contre la pandémie de covid‑19, la fonte des sous‑sols glacés des régions arctiques pourrait libérer des virus et des bactéries pathogènes. Enfin, la fonte du pergélisol menace la stabilité des aires urbaines de l’Arctique russe. Ainsi, une étude publiée en 2016 dans la Geographical review intitulé Changement climatique et stabilité des infrastructures urbaines dans les régions russes à pergélisol, pointe les risques pesant sur des villes comme Anadyr, Salekhard, Norilsk et Iakutsk dont les bâtiments construits sur le pergélisol pourraient montrer des signes d’instabilité selon les scénarios les plus pessimistes entre la moitié des années 2020 et 2040 ([84]).

Le GIEC révèle également d’autres sujets de préoccupations importants en Arctique en lien avec le dérèglement climatique qu’il s’agisse de l’état de l’hydrologie de la région, de la survenance d’incendies ou de dégels brusques ayant des impacts sur la végétation, l’eau et la sécurité alimentaire.

Ainsi, les experts internationaux estiment que la couverture de neige, au mois de juin, a diminué de l’ordre de 13,4 % environ par décennie sur la période 1967‑2018. Le ruissellement dans l’océan Arctique des rivières et fleuves eurasiens et nord‑américains a pour sa part augmenté respectivement de 3,3 % et de 2 % environ entre 1976 et 2017. Le GIEC estime que la superficie brûlée et la fréquence des incendies, y compris les incendies extrêmes, qui frappent la région arctique sont sans précédent au cours des 10 000 dernières années. Il note également un verdissement général du biome de la toundra, mais aussi un brunissement dans certaines régions de la toundra et de la forêt boréale. S’agissant de la faune sauvage, ils relèvent une modification de l’abondance et de la répartition des espèces animales notamment des rennes et des saumons.

Ainsi les effets du dérèglement climatique engendrent des migrations de la faune et pose la question de l’adaptabilité de nos écosystèmes. L’ensemble de ces facteurs ont un fort impact et affectent les moyens de subsistance, la santé et l’identité culturelle des populations de l’Arctique.

Le réchauffement de l’Arctique ne peut être enrayé que par une réduction radicale des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) à longue durée de vie et plus particulièrement du dioxyde de carbone (CO2).

Tous les pays membres du Conseil de l’Arctique sont des pays développés, qui doivent impérativement prendre la tête de ce mouvement en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre afin de créer un effet d’entraînement mondial. Par ailleurs, un certain nombre de pays observateurs du Conseil de l’Arctique (Allemagne, Chine, Corée du Sud, Inde, Japon…) représentent, pris ensemble, une très importante partie des émissions mondiales. Le Conseil de l’Arctique regroupe ainsi une part importante des États concernés et paraît offrir, pour vos rapporteurs, un cadre au sein duquel il pourrait être possible de peser plus fortement en faveur d’une mobilisation climatique renforcée et coordonnée en lien avec les préoccupations arctiques.

2.   Le nécessaire développement d’une économie durable et respectueuse des pratiques traditionnelles des peuples autochtones

Pour les populations locales – quatre millions de personnes résident en permanence dans l’Arctique dont 10 % font partie de peuples autochtones – ces changements de l’écosystème arctique engendrent des modifications des conditions de vies et des activités économiques très lourdes. L’économie de l’Arctique est peu diversifiée et se concentrent essentiellement sur le secteur minier, la pêche maritime et l’exploitation forestière. Ces activités sont très majoritairement tournées vers l’export en direction d’économies situées plus au Sud de la planète.

Mme Michèle-Marie Roué, ethnologue et spécialiste des peuples arctiques, interrogée par vos rapporteurs a rappelé le travail mené par Mme Sheila Watt‑Cloutier, nommée en 2007 pour le prix Nobel de la paix, concernant les effets du dérèglement climatique sur les populations de l’Arctique. Elle fait notamment valoir que « le réchauffement affecte profondément le mode de vie des Inuits qui sont dépendants du froid, de la glace, de la neige pour se déplacer, chasser et pêcher. La banquise est notre autoroute. Elle est garante de notre mobilité et sa fonte pose de sérieux problèmes de sécurité » ([85]).

L’idée du « droit au froid » portée par la militante écologiste québécoise inuk peut paraître de prime abord contre‑intuitive, à nos yeux, mais pour les peuples de l’Arctique, cela relève de l’impératif vital. Un froid hivernal constant est une nécessité pour leur permettre de vivre, de se déplacer, pour que les animaux qu’ils chassent puissent continuer de se nourrir et de se reproduire. Or les effets du dérèglement climatique ne permettent plus ces longues périodes de froid constant. Surviennent, par exemple, de plus en plus fréquemment des épisodes de pluies gelées et en lieu et place de la neige qui en gelant donnent lieu à d’importantes étendues verglacées empêchant les rennes d’atteindre le lichen sous la neige pour se nourrir. Par ailleurs, la formation de plus en plus tardive des glaces sur les rivières et lacs de l’Arctique et leur rupture de plus en plus précoce limitent ou empêchent certaines activités humaines ancestrales. Au fantasme des nouvelles routes maritimes du Grand Nord – qui restent à ce stade une perspective encore lointaine (cf. infra) – ou aux possibilités d’extraction minière rendues possibles répond le désarroi provoqué chez les populations locales qui voient leur mobilité et leurs activités économiques traditionnelles fortement entravées voire menacées. Dans les faits, comme indiqué par Frédéric Lasserre, professeur de géographie et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques à l’Université Laval, dans le cadre de son audition par vos rapporteurs, dans le Grand Nord, le dérèglement climatique a pour effet sur terre, de compliquer les déplacements et les échanges commerciaux plus que de les faciliter.

Par ailleurs, la région arctique contribue peu à la pollution mondiale. En revanche, la pollution transfrontalière en provenance des pays voisins de l’hémisphère nord affectent grandement les populations autochtones de l’Arctique. C’est notamment le cas des polluants organiques persistants auxquels sont exposés, de manière très élevée, les animaux et les populations vivant à proximité du pôle Nord. Ces substances chimiques dangereuses utilisées dans l’industrie et l’agriculture des régions développées et densément peuplées migrent ainsi vers l’Arctique en empruntant diverses routes (voies atmosphériques, voies fluviales, courants maritimes…) ([86]). À ce propos, Mme Sheila Watt-Cloutier, déclarait au printemps 2019 : « Imaginez la colère, la rage et la confusion que nous avons éprouvées quand nous avons découvert que le lait des mères inuits était empoisonné par des produits utilisés à des milliers de kilomètres. Si cela avait eu lieu ailleurs, il y aurait eu un tollé. Nous nous sommes mobilisés. Au lieu d’en faire une histoire de produits chimiques, nous avons mis en avant la dimension humaine. Un monde où des mères dans l’Arctique doivent réfléchir à deux fois avant d’allaiter leurs bébés, parce qu’en Afrique d’autres mères essaient de protéger les leurs contre la malaria avec du DDT ([87])  » ([88]).

La convention de Stockholm de 2001 a constitué une réponse à ce problème en cherchant à limiter et, à terme, éliminer la production, l’utilisation, le commerce, le rejet et le stockage intentionnels ou non intentionnels de certaines substances chimiques. Mais cette situation démontre que l’environnement et les populations de l’Arctique demeurent très souvent tributaires de décisions ou d’activités menées plus au Sud, dans les pays industrialisés.

Selon Camille Escudé, professeure agrégée de géographie et docteure du centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, la tension entre les enjeux environnementaux et les enjeux économiques en Arctique peut être vive pour les populations autochtones. Il peut ainsi exister un dilemme entre la question du développement économique et celle de la dégradation des territoires traditionnels. Le développement du tourisme apparaît ainsi comme une illustration de ces arbitrages difficiles. Elle a également relevé, auprès de vos rapporteurs, les difficultés auxquelles certaines associations de défense de l’environnement se confrontent en ne prenant pas correctement en compte les réalités du terrain, conduisant ainsi à des « clashs culturels et civilisationnels » avec les populations autochtones.

Selon M. Frédéric Lasserre, professeur de géographie et directeur du Conseil québécois d’études géopolitiques à l’Université Laval, les populations locales, en Alaska, au Canada et au Groenland notamment, exprimaient des craintes vis‑à‑vis de l’exploitation des ressources jusque dans les années 1990 par peur des atteintes portées à l’environnement. Mais il a relevé un changement d’attitude récent, les peuples autochtones n’essayant pas nécessairement d’empêcher l’exploitation des ressources naturelles mais plutôt de les conditionner au respect de règles économiques et environnementales. Ces procédés légitimes permettent ainsi d’accompagner le développement économique de ces communautés. Plusieurs accords d’exploitation des ressources ont pu être négociés de la sorte, avec des succès variables en fonction des ressources exploitées. Comme Camille Escudé, il a insisté auprès de vos rapporteurs pour souligner l’existence de débats au sein des populations autochtones opposant la préservation de l’environnement au développement économique. Selon lui, les différents arbitrages varient en fonction des régions et peuples concernés. Les Sámis, par exemple, se montrent plus réticents au sujet de l’exploitation des terres qui pourrait, à terme, menacer leur mode de vie traditionnel et l’élevage des rennes. Il est également important de noter que, selon les pays arctiques concernés, les populations autochtones ne sont pas toujours consultées.

3.   Promotion d’une navigation propre et d’une pêche durable et raisonnée en Arctique

a.   Le code polaire, premier règlement contraignant pour la navigation dans l’environnement arctique

Les possibilités d’expansion du trafic maritime dans les eaux polaires sous l’effet notamment du réchauffement climatique ont imposé une réglementation plus stricte et vertueuse afin de renforcer la sécurité de navigation et de protéger au mieux l’environnement de l’océan glacial Arctique.

Ainsi, de nouvelles règles de navigation dans les eaux polaires ont été instaurées grâce notamment au code polaire adopté en 2014 et qui est entré en vigueur en janvier 2017. Ce recueil de règles obligatoires pour les navires exploités dans les eaux polaires a été négocié, depuis le début des années 1990, sous l’égide de l’Organisation maritime internationale (OMI) afin de « renforcer la sécurité de l’exploitation des navires et d’atténuer son impact sur les gens et l’environnement dans les eaux polaires, qui sont éloignées, vulnérables et peuvent être inhospitalières » ([89]). Le code polaire constitue le premier règlement contraignant pour la navigation en environnement glaciaire ([90]). Il a vocation à s’appliquer aux navires exploités autant dans les eaux arctiques que dans les eaux antarctiques.

Le code polaire comporte des mesures obligatoires concernant la sécurité et la prévention de la pollution ainsi que des dispositions ayant valeur de recommandation pour ces deux thématiques ([91]). Il vise ainsi à réguler et à harmoniser la navigation dans les eaux polaires en couvrant tous les domaines de l’exploitation des navires qu’il s’agisse notamment :

-         de la structure des bateaux notamment de la classe de glace spéciale des navires. Trois catégories de navires peuvent être exploitées dans les eaux polaires en fonction des conditions de glace : la classe A correspond à la glace moyenne de première année, la classe B à la glace mince de première année, la classe C aux eaux libres ou aux conditions de glace moins rigoureuses que pour les classes précédentes ;

-         des instruments de radiocommunication qui doivent permettre de recevoir des informations sur les conditions de glace ;

-         des embarcations de sauvetage qui doivent être partiellement ou complètement fermées ;

-         de la formation des équipages, les capitaines, les seconds et les officiers chargés du quart à la passerelle devant avoir suivi la formation élémentaire appropriée ainsi que la formation avancée pour l’exploitation dans les eaux couvertes de glace.

Cet encadrement juridique international met également fortement l’accent sur la protection de l’environnement, s’agissant des pollutions liées aux hydrocarbures, aux eaux usées, aux déchets, aux produits chimiques :

-         en imposant à tous les pétroliers de disposer d’une double coque et d’un double fond ;

-         en interdisant le rejet à la mer d’hydrocarbures ou de mélanges contenant des hydrocarbures provenant du navire ;

-         en interdisant tout rejet de matière plastique dans les eaux polaires ([92]) ;

-         en prenant les mesures appropriées permettant de réduire au minimum le risque de transfert d’espèces aquatiques envahissantes par le biais des eaux de ballast et de l’encrassement biologique des navires ;

-         en interdisant le rejet dans les eaux polaires de substances chimiques liquides nocives ou de mélanges contenant de telles substances ;

-         en interdisant le rejet de certains déchets à moins de 12 milles nautiques – 22 kilomètres – des côtes ou de la banquise côtière.

En revanche, à la différence de ce qui prévaut dans l’Antarctique où ils sont prohibés, l’usage et le transport de fioul‑lourd ([93]) en Arctique ne font l’objet que de simples recommandations. Or, en cas d’accident ou de marée noire dans ces régions isolées, les opérations de sauvetage et de nettoyage se révèlent particulièrement difficiles et onéreuses. En outre, le fioul‑lourd apparaît comme une source d’émission de carbone noir, qui accélère la fonte de la banquise ([94]). En 2020, le 75e comité de la protection du milieu marin de l’OMI a permis d’obtenir une interdiction progressive, entre 2024 et 2029, de l’utilisation et du transport du fioul‑lourd en zone arctique ([95]). Vos rapporteurs estiment que cette décision va dans la bonne direction mais exhortent la France et l’Union européenne à continuer à militer pour une interdiction la plus rapide possible compte tenu des risques que le fioul‑lourd fait peser sur l’environnement de l’Arctique.

Par ailleurs, le comité de la sécurité maritime de l’OMI a pris, en 2018, des mesures complémentaires concernant le détroit de Béring et la mer de Béring, à l’initiative des États-Unis et de la Russie. Ainsi, six routes et six zones de prudence ont été définies pour prévenir les risques d’accident dans le détroit. Nous pouvons donc noter sur ce point que la régulation de la navigation dans les eaux polaires a été un vecteur de coopération entre les acteurs concernés plutôt qu’un facteur de tensions ([96]).

b.   Une coopération internationale inédite et ambitieuse en matière de pêche dans l’Arctique

Les effets du dérèglement climatique pourraient entraîner plusieurs effets en cascade pour la biodiversité marine dans le Grand Nord. L’épaisse couche de glace de mer pluriannuelle qui recouvrait autrefois complètement l’océan Arctique central ne cessant de reculer, celui‑ci pourrait bientôt devenir accessible à des navires de pêche commerciale, ce que ne pouvaient effectuer, jusqu’à présent, que des brise‑glaces lourds.

Les études les plus récentes indiquent que la partie centrale de l’océan Arctique pourrait être complètement libre de glace dans les prochaines années. Une étude publiée dans la revue Nature climate change, en août 2020, avance même l’hypothèse selon laquelle les étés en Arctique seront complètement dépourvus de glace d’ici 2035 ([97]). De fait, certaines parties de la haute mer le sont déjà en période estivale.

L’océan Arctique central est la plus grande zone de haute mer de l’Arctique, elle est entièrement entourée par les ZEE des pays riverains (Canada, Danemark, États-Unis, Norvège, Russie) et s’étend sur une superficie d’environ 2,8 millions de kilomètres carrés, une surface pratiquement équivalente à celle de la mer Méditerranée. Bien qu’entièrement encerclée par les ZEE des États riverains, les navires de n’importe quel autre État ont en principe – en vertu des dispositions de la convention de Montego Bay – le droit de pêcher dans cette zone de haute mer, à moins qu’ils n’aient conclu un accord international stipulant le contraire.

En 2010, les États‑Unis ont pris la décision de proscrire toutes activités de pêche dans leur ZEE au nord de l’Alaska. Le Canada leur a emboîté le pas en 2014 avec l’adoption du Cadre de gestion du poisson de la mer de Beaufort qui vise à protéger plus de 800 000 kilomètres carrés de mer contre la pêche commerciale à grande échelle tout en préservant les méthodes de pêche des Inuits de l’Ouest canadien.

Pour préserver les écosystèmes marins méconnus de la partie centrale de l’océan Arctique, les États côtiers (Canada, Danemark, États‑Unis, Islande, Norvège, Russie) de l’océan Arctique central ont énoncé, dans une déclaration signée à Oslo en juillet 2015, leur volonté de proscrire toute pêche commerciale dans ces eaux polaires jusqu’à ce que de meilleures connaissances scientifiques soient disponibles. Afin de rendre cet objectif viable, les États riverains ont tenu à associer à cette mobilisation en faveur de la biodiversité marine arctique les autres États ou territoires disposant de capacité de pêche en eaux lointaines (Chine, Corée du Sud, Japon, Union européenne ([98])). Ces discussions ont permis d’aboutir à la signature, le 3 octobre 2018, à Ilulissat, au Groenland, de l’accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central.

C’est la première fois qu’est ainsi mis en place un régime international de conservation et de gestion dans le secteur de la haute mer de l’océan Arctique. Cet accord représente une avancée essentielle en faveur du renforcement de la gouvernance des océans en général et de la préservation de la biodiversité marine de l’Arctique en particulier.

Par ailleurs, les négociations ([99]) menées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU), en faveur d’un instrument international juridiquement contraignant permettant d’assurer la préservation, voire la reconquête de la diversité biologique en haute mer, entrent actuellement dans leur phase finale. Leur aboutissement, dans les prochains mois, permettra d’offrir à la biodiversité de la partie centrale de l’océan glacial Arctique une protection supplémentaire, efficace et durable, que vos rapporteurs souhaitent aussi large que possible.

Carte montrant la zone couverte par l’Accord visant À pr֤Évenir la pÊche non rÉglementÉe en haute mer dans l’ocÉan Arctique central

https://arctic-council.org/site/assets/files/6065/eez_fisheries_agreement_map_without_eez.800x517.png

Source : Conseil de l’Arctique.

Cet accord engage les parties à ne pas autoriser un navire battant son pavillon à pratiquer la pêche commerciale dans la haute mer de l’océan Arctique central. La durée de l’accord est de seize années, renouvelable par tranches de cinq ans.

Les parties ont prévu de se réunir au minimum tous les deux ans pour examiner les nouvelles données scientifiques obtenues grâce à un programme de recherche et de surveillance conjoint. Ces résultats permettront ainsi d’éclairer la prise de décision des parties au sujet de la viabilité et de la durabilité de toute activité de pêche éventuelle dans la zone.

Cet accord vient donc s’ajouter aux trois autres accords internationaux juridiquement contraignants spécifiques à l’Arctique. Ces derniers accords, négociés sous l’égide du Conseil de l’Arctique, sont l’accord sur la coopération en matière de recherche et de sauvetage aéronautique et maritime dans l’Arctique (2011), l’accord de coopération en matière de préparation et d’intervention en cas de pollution marine par les hydrocarbures dans l’Arctique (2013) et enfin l’accord sur le renforcement de la coopération scientifique internationale dans l’Arctique (2017). L’accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central se distingue des précédents par ses signataires puisqu’il ne se limite pas aux seuls membres du Conseil de l’Arctique mais englobe également les pays disposant de capacité de pêche en eaux lointaines que sont la Chine, la Corée du Sud, le Japon et les États membres de l’Union européenne.

En août 2020, neuf des dix signataires avaient achevé le processus de ratification de l’accord qui entrera en vigueur trente jours après la réception du dixième et dernier instrument de ratification ([100]).

B.   EN Antarctique

Le dérèglement climatique constitue, comme pour l’Arctique, l’une des principales menaces pesant sur l’Antarctique. Par ailleurs, la plus grande accessibilité de cette région éloignée et l’intérêt croissant des secteurs halieutiques et touristiques représentent également des défis importants pour le continent austral.

1.   Des effets du dérèglement climatique qui se font désormais également sentir en Antarctique

Selon une étude parue dans la revue Nature Climate Change en juin 2020, au cours des trois dernières décennies, le pôle Sud a également connu un réchauffement significatif de l’ordre de 0,61 °C environ par décennie, soit plus de trois fois la moyenne mondiale. Selon les auteurs de cette étude le réchauffement résulte d’une forte anomalie cyclonique dans la mer de Weddell causée par l’augmentation des températures de surface de la mer dans le Pacifique tropical occidental ayant entraîné une arrivée d’air chaud et humide de l’Atlantique Sud vers l’Antarctique. Ces phénomènes naturels ont « probablement [été] intensifiés » par les effets du dérèglement climatique.

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, une partie importante de l’Antarctique occidental et de la péninsule Antarctique a connu une hausse des températures et une fonte des glaces alors que le pôle Sud, situé sur un haut plateau au cœur du continent austral, enregistrait un refroidissement. Ce phénomène aurait perduré jusqu’à dans les années 1980 avant que la tendance ne s’inverse comme le montrent les relevés de températures effectués entre 1989 et 2018 sur la base américaine Amundsen–Scott, avec une augmentation de 0,61 °C par décennie démontrant ainsi que le pôle Sud n’était pas plus à l’abri des effets du dérèglement climatique que le reste du globe. Les modèles climatiques mis en avant montrent qu’il n’est « pas impossible » que le rythme de réchauffement enregistré se soit produit naturellement mais M . Kyle Clem, chercheur en géographie physique à l’Université Victoria de Wellington en Nouvelle-Zélande et co‑auteur de cette étude, relève que ce serait « très improbable » ([101]).

Entre 2006 et 2015, la perte moyenne de masse de la calotte glaciaire de l’Antarctique s’est établie à 155 gigatonnes par an environ, causée essentiellement par l’amincissement et le recul rapides des grands glaciers émissaires qui drainent la calotte de l’Antarctique de l’Ouest.

Dans son rapport spécial sur l’évolution du climat, intitulé L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique ([102]) de 2019, le GIEC souligne que l’accélération de l’écoulement et du recul de la calotte Antarctique a le potentiel d’élever le niveau de la mer de plusieurs mètres en quelques siècles. Cette fonte des glaces est observée dans la baie de la mer d’Amundsen (Antarctique de l’Ouest) et dans la terre de Wilkes (Antarctique de l’Est). Selon les experts internationaux du GIEC, il est possible que ces changements marquent le début d’une instabilité irréversible de la calotte glaciaire dans ces régions.

Actuellement, la situation en Arctique et plus particulièrement au Groenland contribue davantage que l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer mais l’Antarctique pourrait, selon le GIEC, devenir un plus grand contributeur d’ici à la fin du XXIe siècle en cas de recul rapide ([103]).

L’ensemble de ces éléments particulièrement inquiétants pour l’avenir de notre planète militent, une fois de plus, pour une mobilisation accrue en faveur des objectifs de l’accord de Paris de 2015 visant à limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts pour limiter encore davantage l’augmentation de la température à 1,5 degré Celsius.

2.   La nécessaire régulation du tourisme en Antarctique

Les pôles sont désormais devenus des régions touristiques particulièrement attractives et il faut relever une expansion de la navigation de croisière en Arctique et en Antarctique. Ainsi plus aucun territoire ne paraît échapper aux activités touristiques y compris des lieux qui semblaient jusqu’à il y a peu réservés aux explorateurs et aux scientifiques.

En Antarctique, le tourisme constitue justement la première activité commerciale posant problème du point de vue environnemental. On constate, en effet, en Antarctique une augmentation du nombre de touristes ainsi qu’une diversification des activités touristiques proposées (parapente, jet ski, promenades en véhicules motorisés, plongée, utilisation de drones…).

L’ouverture du continent austral au tourisme n’est pas en elle‑même une mauvaise chose. Ces activités peuvent se révéler intéressantes en donnant de la visibilité aux problématiques antarctiques, qui souvent paraissent lointaines ou méconnues. Dans cette optique, les touristes se transforment en ambassadeur de l’Antarctique. Cependant il faut impérativement veiller à encadrer cette activité et éviter toute pollution induite ou perturbation de la biodiversité locale.

L’un des problèmes préoccupants associés aux activités touristiques en Antarctique réside dans son potentiel à produire des impacts d’ampleur variable sur un environnement fragile. Ainsi, les visites répétées sur des mêmes sites pendant les mois d’été, qui coïncident généralement avec la saison de reproduction de certaines espèces antarctiques, viennent perturber la biodiversité locale. De même le trafic des navires de croisière génère une pollution sonore qui perturbe les espèces sensibles au bruit comme les mammifères marins en induisant des modifications de leurs migrations, en ayant des conséquences sur leur fécondité. En outre, l’activité touristique peut augmenter le risque d’entrée d’espèces invasives sur le continent austral, en raison des mouvements constants à destination et en provenance de l’Amérique du Sud et entre les îles antarctiques et subantarctiques.

À ces problématiques environnementales s’ajoutent également des questions en matière de sécurité des personnes. En effet, l’Argentine et le Chili qui se partagent la responsabilité des actions de recherche et sauvetage dans la région de la péninsule Antarctique, regardent avec une certaine inquiétude l’augmentation exponentielle du nombre de touristes qui s’accompagne nécessairement d’une augmentation des risques potentiels associés.

La fréquentation touristique en Antarctique qui croît de manière importante en fait désormais une activité à échelle industrielle qui concerne plusieurs dizaines de milliers touristes par an pendant une saison d’une durée de cinq mois environ ([104]). En 1995‑1996, environ 9 000 touristes ([105]) étaient recensés contre environ 56 000 pour la saison en 2018‑2019 et 74 400 en 2019‑2020 ([106]). La croissance apparaît donc, année après année, particulièrement forte à l’exception notable de la saison 2020‑2021 qui a été fortement perturbée par les conséquences de la crise sanitaire.

Selon les données de l’Association internationale des voyagistes antarctiques (pour International Association of Antarctica Tour Operators ou IAATO en anglais) les visiteurs en croisière uniquement étaient 18 506 en 2019‑2020, les touristes ayant débarqué sur le sol antarctique étaient 55 164 – très concentrés géographiquement puisque 95 % des débarquements se font sur la péninsule Antarctique – et ceux s’étant aventurés plus profondément dans les terres étaient au nombre de 731 seulement ([107]).

La carte ci‑après présente les principaux circuits de croisière en Antarctique.

Les principaux circuits de croisière en Antarctique

Antarctique tourismeB

Source : Le Cercle Polaire

Cette carte montre que l’essentiel du tourisme de croisière autour du continent austral se concentre sur quelques dizaines de sites essentiellement situés dans le nord de la péninsule Antarctique([108]). Les bateaux de tourisme naviguent principalement dans cette région ainsi que dans les eaux des îles Shetland‑du‑Sud. Plus de 80 % du tourisme de croisière part ou fait escale au port d’Ushuaïa, dans la province argentine de Terre‑de‑Feu, entre novembre et mars, empruntant des itinéraires d’une durée moyenne comprise entre dix et vingt jours.

La mer de Ross, bien plus lointaine, constitue une autre région touristique en Antarctique mais demeure bien moins visitée ([109]).

Le diagramme suivant présente la répartition des touristes en Antarctique par nationalité en 2019‑2020.

Nationalité des touristes en Antarctique en 2019‑2020

Source : IAATO

Les États, actuellement, cherchent à compléter les textes en vigueur pour pallier les conséquences du développement du tourisme en Antarctique qui comporte des risques environnementaux et des risques importants pour la sécurité des personnes (cf. supra).

Des règles s’appliquent déjà à l’ensemble des activités menées en Antarctique que celles‑ci soient scientifiques ou commerciales avec par exemple des obligations de déclaration ou d’autorisation préalable pour les zones protégées comprenant – et c’est une caractéristique forte du traité sur l’Antarctique – une évaluation d’impact sur l’environnement systématique. Les mesures complémentaires adoptées comprennent notamment des obligations d’assurance ou des obligations de rapports post‑visites permettant l’élaboration progressive d’un cadre réglementaire concernant le tourisme en Antarctique.

Un atelier international a récemment été dédié à la question à Rotterdam, en avril 2019 auquel les TAAF ont participé pour le compte de la délégation française à la RCTA. À cette occasion, les parties ont travaillé sur trois axes, répondant aux trois préoccupations majeures posées par le développement du tourisme en Antarctique :

-         l’accroissement du nombre de visiteurs et de l’étendue géographique concernée ;

-         la question de l’impact environnemental et celle de la sécurité posées par la diversification des activités ;

-         le respect du cadre juridique du système du traité sur l’Antarctique.

Suite à cet atelier, la RCTA a engagé plusieurs réflexions visant principalement :

-         à élaborer des outils permettant aux parties d’appréhender de manière commune et homogène les nouvelles activités ;

-         à fournir aux autorités nationales compétentes des moyens de suivre, sur le terrain, le déroulement des activités touristiques ;

-         à rendre plus accessible la réglementation encadrant les activités touristiques.

Les activités dites « mixtes », mêlant pratiques commerciales et recherches scientifiques, ont tendance à se multiplier en Antarctique et cela pourrait se faire au détriment de ces dernières. En effet, effectuer des recherches dans la région coûte de plus en plus cher et pour faire face à ces problèmes de moyens, l’ouverture partielle des bases pour l’accueil de touristes peut, par exemple, de plus en plus apparaître comme une solution. Il faut cependant rester vigilant sur ces questions car les réglementations ne sont pas les mêmes en fonction des activités menées.

Il paraît impératif pour vos rapporteurs d’envisager de nouvelles règles en matière de gestion du tourisme en Antarctique, plus strictes et harmonisées, pour préserver cet écosystème fragile et pour assurer la protection des visiteurs, compte tenu du fait que les régions polaires demeurent des zones naturelles aux conditions difficiles (cf. infra). La difficulté s’agissant de ces discussions réside dans la nécessité d’obtenir un consensus, les vingt‑neuf parties consultatives devant tomber d’accord pour que soit entériné un renforcement des règles en la matière en Antarctique.

3.   La question des sanctuaires marins en Antarctique

En 2008, la commission CCAMLR a décidé la création d’un réseau d’aires marines protégées (AMP) dans l’océan Austral afin d’assurer la résilience de ses écosystèmes. Pour l’Union internationale de conservation de la nature (UICN), une aire marine protégée correspond à « un espace géographique clairement défini, reconnu, spécialisé et géré par des moyens légaux ou d’autres moyens efficaces, visant à assurer la conservation à long terme de la nature et des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui y sont associés ». Les aires marines protégées peuvent permettre « une utilisation modérée des ressources naturelles », mais « non industrielle et compatible avec la conservation de la nature » ([110]). Les AMP ont ainsi pour objectifs principaux : la conservation des espèces et des habitats, la gestion durable des ressources naturelles et la prévention des diverses formes de pollution marine. En outre, elles contribuent au renforcement de la résilience des milieux marins face aux effets du changement climatique. En particulier, elles réduisent les stress liés aux activités humaines et favorisent une plus grande diversité biologique et génétique.

La première AMP créée dans les eaux australes a été, en 2009, celles des Orcades‑du‑Sud. Par la suite la commission CCAMLR a adopté un cadre juridique concernant les AMP en adoptant une « mesure de conservation » idoine en 2011. L’AMP en mer de Ross est la seule AMP créée, en 2016, en application de cette mesure grâce à un engagement au plus haut niveau des États‑Unis notamment du président Barack Obama et de son secrétaire d’État John Kerry. Néanmoins, ces deux AMP ne sont toujours pas dotées d’un plan de recherche et de suivi (PRS), document devant être établi pour chaque AMP au titre de la mesure de conservation. Ces PRS ont notamment pour objectif de planifier les efforts scientifiques une fois l’aire marine protégée établie. Néanmoins la Russie et la Chine s’opposent à leur adoption. Ainsi ces deux AMP peuvent être considérées comme « inachevées ». Elles ont le mérite d’exister et produisent des effets réglementaires, mais ne disposent pas hélas des outils de gestion leur permettant d’atteindre pleinement leurs objectifs.

Ainsi depuis 2016, Moscou et Pékin – seuls opposants à ces projets – bloquent toutes les initiatives portées par la commission CCAMLR en matière d’aires marines protégées dans les eaux de l’Antarctique.

C’est notamment le cas de l’AMP en Antarctique de l’Est, portée par la France depuis 2012, aux côtés de l’Union européenne et de l’Australie. La Norvège et l’Uruguay se sont joints à eux à partir de 2020 pour appuyer ce projet.

C’est également le cas des deux autres projets d’AMP actuellement en discussion devant la commission CCAMLR. Le projet d’AMP en mer de Weddell, présenté par l’Union européenne et ses États membres et par la Norvège, laquelle s’y est dans un premier temps opposée avant de rallier sa cause. Et le projet dit « domaine 1 » qui concerne les eaux australes situées à l’ouest de la péninsule Antarctique est présenté conjointement par l’Argentine et le Chili. La négociation d’une AMP dans cette dernière région est complexe car il s’agit là de l’une des zones de l’Antarctique où se concentre la plus forte présence humaine et où convergent un grand nombre de programmes antarctiques nationaux, d’activités scientifiques, d’activités touristiques, et d’activités de pêche. C’est, en outre, la zone où sont concentrés 75 % de la population circumpolaire de krill. C’est, enfin, la région de l’Antarctique où les effets du dérèglement climatique paraissent les plus évidents.

D’une manière générale, les arguments avancés par la Russie et la Chine, seuls opposants, sont les suivants :

-         les AMP ne sont qu’un outil pour atteindre les objectifs de la convention CCAMLR, et non une finalité. Or, aucun argument scientifique ne permet d’affirmer que les AMP contribuent effectivement à atteindre ces objectifs ;

-         les mesures de conservation de la convention CCAMLR permettent d’ores et déjà une « utilisation rationnelle des ressources », conformément à l’objectif de la convention. Dès lors les AMP n’apparaissent pas comme nécessaires aux yeux de Moscou et Pékin ;

-         le processus de création d’AMP est trop flou et devrait être encadré avec notamment une liste de points à respecter au préalable ;

-         les projets proposés ne sont pas basés sur la meilleure science disponible.

Dans les faits, les véritables raisons à ces oppositions sont semble-t-il à rechercher ailleurs. S’il est difficile de les identifier avec précision, les motifs géopolitiques et économiques suivants peuvent être évoqués :

-         les AMP sont perçues par la Russie comme appuyant une affirmation de souveraineté en Antarctique par les États promoteurs qui sont également possessionnés sur le continent (Australie et France en Antarctique de l’Est, Chili et Argentine en péninsule Antarctique, et Norvège en mer de Weddell) ;

-         les AMP vont venir fermer des zones halieutiques potentielles, et pourraient entraver le développement futur des activités de pêche menées par ces deux pays.

Une intervention politique de très haut niveau auprès de la Chine et de la Russie apparaît de plus en plus comme le seul moyen d’avancer sur ces dossiers essentiels pour la préservation de la biodiversité marine en Antarctique. De telles démarches avaient déjà été entreprises par la Commission européenne en amont de la réunion de la commission CCAMLR en 2020 mais sans succès. Par ailleurs, la déclaration commune des présidents, Emmanuel Macron et Xi Jinping du 6 novembre 2019 faisait, en outre, état de « points de convergence très importants sur la protection et la restauration des écosystèmes, la création d’une aire marine protégée en Antarctique, la protection de la biodiversité en haute mer ou encore la lutte contre la pollution plastique des océans » mais cette déclaration n’a pas non plus été, hélas, suivie d’effets du côté de la Chine.

La carte ci‑après présente les aires marines protégées existantes en Antarctique et les projets actuellement en discussion devant la commission CCAMLR.

Les aires marines protégées en Antarctique

Antarctica MPAs map

Source : China Dialogue Ocean


III.   la feuille de route polaire de la France et de l’europe passera nécessairement par un réhaussement des moyens à la hauteur de nos ambitions

A.   les Enjeux de gouvernance et de défense aux pôles

1.   La nécessaire implication de nos armées sur un théâtre arctique en mutation

Comme nous avons pu l’observer plus en détails précédemment, les enjeux actuels dans le Grand Nord concernent essentiellement l’ouverture de routes maritimes nouvelles, l’accès facilité à des ressources gazières et minières jusqu’alors inexploitables et une problématique environnementale plus générale (effets du dérèglement climatique, atteintes portées à la biodiversité locale, fonte du pergélisol, diminution de l’effet d’albédo…).

Ces enjeux comportent un volet de coopération internationale, un volet scientifique mais aussi un volet défense. L’Arctique est dans les faits beaucoup plus proche de la France que ne l’est le golfe de Guinée, la région du Grand Nord arctique n’étant située qu’à 2 500 kilomètres de Brest.

Il a été pour la première fois fait mention de l’importance stratégique de l’Arctique pour la France dans Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ([111]). En 2016, la Feuille de route nationale sur l’Arctique ([112]) a également insisté sur cette dimension.

S’agissant du volet défense, l’objectif de nos forces armées en Arctique consiste à préserver une profondeur stratégique dans l’Atlantique Nord permettant de protéger nos approches et notre dissuasion nucléaire. Cet objectif s’inscrit dans un contexte actuellement en pleine mutation en raison du dérèglement climatique. Ce phénomène qui se traduit notamment par une fonte des glaces transforme la région, qui passe peu à peu du statut de « cul‑de‑sac » à celui de route nouvelle, d’une porte nord vers l’Orient. C’est un véritable changement de paradigme et ses effets se feront sentir sur une période s’étalant de dix à trente ans. Ces routes ne sont pas encore pleinement praticables mais vos rapporteurs estiment que les défis de demain se préparent dès aujourd’hui et qu’il est essentiel que les forces françaises s’adaptent le plus en amont possible à cette nouvelle donne.

De nos jours, sur le théâtre Grand Nord, les besoins opérationnels courants ne nécessitent pas de se déployer sous des latitudes extrêmes. Les bâtiments de la Marine nationale opèrent d’ordinaire dans la région subarctique (Norvège, Islande, Groenland) et les moyens sont adaptés en conséquence. Il a été indiqué à vos rapporteurs au cours des auditions qu’ils ont eu l’opportunité de mener sur cette thématique que le besoin opérationnel actuel ne justifiait pas d’acquérir des navires spécifiquement conçus pour opérer dans l’Arctique comme les brise‑glaces dont dispose la Russie. En revanche, il pourrait apparaître judicieux de concevoir certaines de nos unités avec des spécifications techniques plus adaptées à cet environnement, sans pour autant entrer dans la catégorie brise‑glaces.

La France dispose d’un brise‑glaces, l’Astrolabe, qui permet notamment d’effectuer les rotations logistiques entre la Tasmanie (Australie) et la Terre Adélie. Cependant, un tel bâtiment ne semble pas correspondre, pour le moment, aux besoins militaires des forces armées françaises dans le Grand Nord. De manière incidente, il faut indiquer que le navire civil Commandant Charcot de la Compagnie du Ponant rejoindra, au moment de sa mise en service, l’Astrolabe dans le club restreint des brise-glaces sous pavillon français.

L’action de la France dans la région arctique passe par une maîtrise et une connaissance fine de la zone. Les scientifiques français y contribuent pour une large part. Pour la Marine nationale, il est impératif de bien connaître la région pour pouvoir s’y déployer. Cette exigence impose notamment des déploiements réguliers. Une telle posture permet de renforcer la crédibilité de la France sur les enjeux polaires ainsi que d’obtenir la reconnaissance de nos partenaires dans la région.

Le maintien d’un haut niveau de coopération avec l’ensemble de nos alliés dans la région permet à la France de peser en bonne intelligence. Les opérations menées ne le sont jamais uniquement dans un cadre national. Au contraire, les armées veillent à développer la coopération que ce soit dans le cadre de l’OTAN, de l’Union européenne ou de manière bilatérale. Cela se concrétise, par exemple, à travers des entraînements militaires menées par les trois armées, mais aussi via des exercices de recherche et de sauvetage. La France doit être en mesure de renforcer ses capacités de secours dans la région en soutien direct des pays concernés comme le Danemark, la Norvège et le Canada mais aussi pour être à même, en cas de nécessité, de porter secours à des navires de croisières, comme ceux de la Compagnie du Ponant, régulièrement déployés dans le Grand Nord.

La coopération militaire entre alliés en Arctique s’exerce essentiellement au sein de l’OTAN. Tous les pays côtiers de l’Arctique sont membres de l’OTAN, à l’exception de la Russie. La France s’insère donc dans ce cadre mais mène également des actions bilatérales avec le Danemark, les États-Unis, la Norvège, le Royaume‑Uni… La France est reconnue grâce à son approche coopérative, son interopérabilité et ses grandes capacités opérationnelles, notamment dans le domaine de la lutte anti sous‑marine. Ces atouts rendent crédibles les capacités françaises aux yeux de nos partenaires. Pour être et demeurer un acteur reconnu en Arctique il paraît impératif, pour vos rapporteurs, de veiller à s’inscrire dans cette dynamique de coopération.

La militarisation continue de la région, notamment du côté russe, ne doit pas nécessairement inquiéter car il apparaît naturel et non contestable qu’un État côtier, riverain de l’Arctique, cherche à protéger l’espace de navigation qui s’ouvre actuellement et qui se trouve à proximité immédiate de ses côtes. Cependant, comme indiqué précédemment par vos rapporteurs, cette militarisation s’opère également dans un contexte de cristallisation des tensions entre la Russie d’une part et l’OTAN d’autre part. Ces tensions ravivées après l’annexion de la Crimée en 2014 sont perceptibles dans de nombreuses autres régions (en Ukraine, en Biélorussie, en mer Noire, sur le continent africain…) mais se trouvent ainsi transposées ou plutôt prolongées en Arctique et dans l’Atlantique Nord. Elles trouvent leur traduction dans la zone sous la forme d’une approche de plus en plus agressive, les forces militaires russes venant tester les capacités des dispositifs alliés. Ainsi, la Marine nationale se montre active et se déploie en conséquence dans la région, les bâtiments des forces armées françaises allant régulièrement naviguer et opérer dans cette zone.

Pour cette raison, il paraît essentiel pour la Marine nationale de maintenir ces déploiements réguliers en zone arctique ou subarctique afin de développer et de maintenir son savoir‑faire nautique et opérationnel dans ces eaux difficiles. Le franchissement, en septembre 2018, du passage du Nord‑Est par le bâtiment militaire de soutien et d’assistance métropolitain (BSAM) Rhône témoigne de cette capacité de projection de la Marine. Pour les plus hautes latitudes, la fin de l’été est privilégiée pour ce type d’opération (jour permanent, facilité de navigation…). Le Grand Nord est caractérisé par des mers fortes et des météos très brutalement changeantes. En conséquence, les équipages y développent des aptitudes particulières. À ce titre, les savoir‑faire diffèrent quelque peu entre l’Antarctique où l’on apprend à briser les glaces pour gagner le continent et ravitailler les bases et l’Arctique où on apprend à éviter les glaces pour transiter. Ce sont là deux manières de naviguer en milieu hostile que les armées françaises maîtrisent et doivent conserver. En outre, ces déploiements permettent à la Marine nationale de tester son matériel.

Concernant l’implication de la Chine dans la région, vos rapporteurs suggèrent la vigilance dont font d’ores et déjà preuve nos armées. Mais il faut garder à l’esprit qu’au‑delà de la Chine de très nombreux pays montrent actuellement un intérêt pour cette zone. Pékin s’intéresse à la région depuis plus de vingt ans. Son investissement y est constant et s’y déploie sur de nombreux aspects notamment grâce à un soft power économique efficace comme l’initiative de la route de la soie du Nord. Par ailleurs, Pékin a ouvert une cinquième base en Antarctique, illustrant sa volonté de se montrer dans les pôles, d’exister sur le terrain pour y gagner du crédit et pour peser sur la définition des règles du jeu. Cette approche s’inscrit dans une compétition mondiale qui se durcit, usant de manière de plus en plus désinhibée de la politique du fait accompli qui se traduit par une forme de « territorialisation des mers ». Nous constatons un tel mouvement en mer de Chine orientale, mais aussi, autre exemple, de la part de la Turquie en Méditerranée orientale. Vos rapporteurs estiment qu’il faut absolument résister à cette approche et défendre la liberté de navigation et les règles de la convention des Nations unies sur le droit de la mer. C’est pour cette raison que la France en général et la Marine nationale en particulier doivent demeurer vigilantes et pro‑actives pour promouvoir aux côtés de nos alliés une approche multilatérale et respectueuse du droit pour les relations internationales et la résolution des conflits, et non la loi du plus fort et du fait accompli.

2.   Le nécessaire affermissement de la stratégie arctique de l’Union européenne

a.   Une politique arctique européenne qu’il est nécessaire de rendre plus ambitieuse et plus visible

Selon Camille Escudé, professeure agrégée de géographie et docteure du centre de recherches internationales (CERI) à Sciences Po, l’Union européenne a longtemps pâti d’une mauvaise réputation en Arctique en raison de plusieurs maladresses diplomatiques. Ainsi, en 2008, la résolution du Parlement européen ([113]) appelant la Commission européenne à œuvrer en Arctique en faveur d’un traité équivalent à celui régissant l’Antarctique a été très mal perçue par les États arctiques et par les populations locales. En effet, l’une des différences majeures entre les deux pôles réside dans le fait que l’Arctique n’est pas un continent sans habitant, mais un espace maritime peuplé de quatre millions de personnes. Par ailleurs, l’Union, qui est toujours en conflit avec le Canada sur la question du commerce des produits dérivés du phoque, n’a toujours pas été acceptée comme observateur au sein du Conseil de l’Arctique.

Cependant, l’approche arctique de l’Union européenne a su évoluer et devenir, d’une façon générale, de plus en plus pragmatique. L’Union européenne s’est d’ailleurs dotée depuis 2017 d’un envoyé spécial pour les affaires arctiques en la personne de M. Michael Mann, ce dont vos rapporteurs se félicitent et qui semble enfin attester d’une prise en compte réaliste des enjeux arctiques par les institutions européennes.

Longtemps, l’Union européenne a pu apparaître hors‑jeu en Arctique, aux yeux de certains observateurs entendus par vos rapporteurs au cours de leurs travaux. Bien qu’abritant en son sein plusieurs nations riveraines du cercle polaire comme le Danemark (avec le Groenland et les îles Féroé ([114])), la Finlande et la Suède, l’Union a semble‑t‑il toujours eu du mal à exister et à peser dans le Grand Nord. C’est là une situation très paradoxale, d’autant plus que l’Union européenne légifère à proprement parler dans l’Arctique européen, que ce soit au sein des trois États arctiques de l’Union, mais aussi en Norvège et en Islande, qui font l’une et l’autre partie de l’Espace économique européen (EEE).

Face aux mutations géostratégiques en cours dans cette région il paraît impératif à vos rapporteurs que l’Union européenne affirme pleinement sa place sur la scène polaire, structure au mieux sa politique arctique et la donne à voir pour permettre à l’Europe de faire face à ces nouveaux défis.

L’Union européenne n’a publié sa première politique arctique qu’en 2008 avant une réactualisation en 2012 puis 2016. Une nouvelle stratégie européenne est actuellement en cours d’élaboration. Cette mise à jour devrait constituer pour vos rapporteurs l’occasion d’afficher une ambition européenne à la hauteur des enjeux.

Jusqu’à présent la politique de l’Union européenne en Arctique s’est concentrée sur les trois grandes priorités suivantes que sont la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique, le développement économique durable et la coopération internationale.

Vos rapporteurs estiment cependant que la politique arctique de l’Union européenne doit impérativement s’élargir si celle‑ci souhaite gagner en crédibilité dans cette partie du monde. La politique arctique de l’Union devrait se concentrer sur sa valeur ajoutée notamment dans les domaines de la surveillance, de la recherche et de l’innovation, mais également dans celui des matières premières essentielles, de la connectivité, y compris dans le secteur des infrastructures spatiales et numériques.

Les questions liées à la recherche et au contrôle de l’espace satellitaire au‑dessus de l’Arctique constituent un enjeu géostratégique de premier ordre. Pour vos rapporteurs, la nouvelle stratégie européenne doit impérativement, en plus des trois priorités déjà existantes, en comporter une quatrième en se saisissant de ce sujet relatif aux politiques spatiales dans l’Arctique. En ce qui concerne la technologie satellitaire, l’Europe dispose de véritables atouts grâce à ses programmes Copernicus et Galileo. Jusqu’à présent, l’accent avait été mis sur l’utilisation des satellites pour les besoins de la recherche scientifique, mais le potentiel de ces instruments est bien plus large et pourrait à terme jouer un rôle déterminant pour la connectivité future des régions arctiques.

Vos rapporteurs pensent que le plan de relance pour l’Europe mis en place suite à la crise économique liée à la pandémie de covid‑19 pourrait constituer un moyen permettant de rehausser significativement l’implication de l’Union européenne dans le Grand Nord. Une telle mobilisation permettrait, à n’en pas douter, de renforcer la présence et l’influence de l’Union européenne en Arctique.

L’Union européenne devra, en outre, à l’avenir s’impliquer plus fortement et plus visiblement dans la gouvernance de l’Arctique qui prend de nombreuses formes (comme la Dimension septentrionale de l’Union européenne ([115]), le Conseil euro‑arctique de Barents ([116])…) et ne se limite pas uniquement au Conseil de l’Arctique. L’Union européenne n’a pas encore été acceptée comme observateur officiel au sein de ce Conseil mais elle peut grâce à sa contribution à divers groupes de travail – qui est déjà une réalité et qui y est appréciée – gagner progressivement en légitimité et en crédibilité. Vos rapporteurs sont convaincus que de cette implication dépendra, à terme, la capacité d’influence de l’Union au sein de cette organisation.

Par ailleurs, vos rapporteurs, estiment que la France, pour valoriser ses propres capacités arctiques a tout intérêt à s’impliquer davantage et plus visiblement dans les travaux arctiques de l’Union européenne, ne serait‑ce que pour influer sur leur cours. À court terme, la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre 2022, offrira à notre pays une véritable opportunité en ce sens.

b.   Une politique européenne arctique tournée vers la science et l’éducation

L’actuelle implication de l’Union européenne en Arctique est en grande partie fondée sur le soutien à la recherche scientifique. Elle constitue d’ailleurs l’un des principaux bailleurs de fonds dans la région et vos rapporteurs s’étonnent du manque de visibilité de cet engagement financier pourtant non négligeable. Sur la période 2014‑2020, l’Union a ainsi investi plus de 200 millions d’euros dans des projets de recherche dans l’Arctique via le programme Horizon 2020. La plupart de ces projets sont regroupés dans le cadre du EU Polar Cluster qui comprend actuellement vingt et un projets.

Depuis son lancement en 2015, l’initiative EUPolarNet vise à améliorer la coordination entre les institutions de recherche polaire de l’Union, en s’appuyant sur les réseaux existants et en fournissant une plate‑forme pour co‑créer des actions de recherche polaire européennes avec les parties prenantes concernées. Vos rapporteurs se félicitent de cette meilleure structuration.

Les effets du dérèglement climatique dans l’Arctique ayant des conséquences de grande portée au‑delà de la seule région arctique, vos rapporteurs estiment important que le prochain cadre Horizon Europe comprenne des programmes et des missions pouvant soutenir la recherche interdisciplinaire sur les implications du climat arctique.

S’agissant du volet éducation, l’Union européenne s’est notamment engagée en Arctique par son soutien au secteur de l’éducation groenlandais, qui repose sur l’actuelle décision du Conseil sur les relations avec le Groenland. Le maintien de ce soutien constitue pour vos rapporteurs, un élément essentiel de la politique de l’Union en Arctique, car il renforce la présence de l’Union européenne dans la région et lui confère une visibilité accrue.

Vos rapporteurs, pour mieux ancrer la présence de l’Union européenne dans le Grand Nord et pour rendre plus efficace les politiques menées, estiment que la nouvelle stratégie arctique européenne devrait, par ailleurs, renforcer le dialogue avec les populations locales et la prise en compte des connaissances et des opinions des peuples autochtones de l’Arctique, qui disposent de savoirs uniques et vivent, à présent au quotidien les effets du dérèglement climatique sur leur environnement.

c.   Une politique arctique européenne tournée vers le développement durable

L’Union européenne grâce à des accords permettant d’encadrer l’exploitation des ressources naturelles dispose d’un levier d’influence dans la région lui permettant d’orienter les activités menées vers des pratiques respectueuses de l’environnement et soucieuses du développement des populations locales. Grâce à l’outil diplomatique – et c’est là que réside précisément l’essence de l’action de l’Europe en Arctique – l’Union peut se montrer pro‑active en finançant des actions et en promouvant l’encadrement de certaines activités.

La nouvelle politique arctique devra en premier lieu être en parfaite conformité avec les objectifs du Pacte vert européen de la Commission européenne. Vos rapporteurs estiment que c’est là une région particulièrement importante pour la réalisation des objectifs de l’accord de Paris sur le climat de 2015 compte tenu des effets que le dérèglement climatique produit dès à présent sur le Grand Nord.

S’agissant de la pêche, l’Union européenne se montre également mobilisée en Arctique comme l’atteste l’accord visant à prévenir la pêche non réglementée en haute mer dans l’océan Arctique central (cf. supra), auquel elle est partie.

Par ailleurs, depuis son retrait de l’Union en 1985, le Groenland a conclu un accord de pêche global avec l’Union européenne. Cet accord de partenariat dans le domaine de la pêche entre l’Union et le Groenland est l’un des plus importants pour l’Europe en termes de valeur économique, et le seul accord de ce type avec un territoire du Nord. L’Union européenne vient de renouveler cet accord de pêche. Ce partenariat donne aux pêcheurs européens accès aux eaux groenlandaises en contrepartie de quoi l’Union européenne s’est engagée à abonder un fonds de soutien en faveur du développement du secteur de la pêche locale mais également des fonds complémentaires en soutien à l’économie groenlandaise en général.

Avec les îles Féroé, l’Union dispose depuis les années 1980 d’un accord d’accès réciproque des eaux de l’autre partie. La situation stratégique des îles Féroé en fait un partenaire naturel de la politique arctique de l’Union. Entourées par l’une des régions de pêche les plus productives et les mieux gérées du monde, les Féroé représentent un partenaire majeur en matière de pêche.

B.   les Enjeux scientifiques et environnementaux

1.   Soutenir la recherche française polaire grâce à un réengagement significatif de l’État aux pôles

La France, qui est reconnue au niveau international pour son expertise dans le domaine de la recherche polaire est présente aussi bien en Arctique qu’en Antarctique.

Les recherches scientifiques polaires présentent une particularité unique. Elles n’accroissent pas seulement les connaissances, elles constituent tout à la fois un faire‑valoir pour chaque nation, un facilitateur de gouvernance internationale et un antidote aux conflits possibles. Il est important de souligner que la France tire une partie de sa légitimité en Arctique, où elle n’est pas possessionnée, de son rang de nation polaire majeure acquis en Antarctique et de la qualité sa recherche aux pôles reconnue au niveau international.

Ainsi, la recherche scientifique représente une jauge essentielle à l’aune de laquelle une nation peut évaluer son poids dans la gouvernance des pôles.

La France, puissance polaire est avant tout une France de la recherche scientifique. Vos rapporteurs estiment urgent de lui donner les moyens de le rester.

a.   La présence scientifique française aux pôles

L’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV) est un groupement d’intérêt public (GIP). Il constitue l’agence nationale de moyens et de compétences chargée d’une mission de service public pour la mise en œuvre des recherches dans les régions de hautes latitudes. Par ses actions, l’IPEV offre aux chercheurs un accès à des régions particulièrement difficiles.

En 2019, cet accompagnement de la recherche française se traduisait par 92 projets de recherche (30 projets en Arctique, 26 dans les îles Australes, 20 en Terre Adélie et 16 dans les terres du continent austral). En termes de moyens humains, cela représentait, en 2019, 277 scientifiques, essentiellement français, originaires de toutes les institutions, que ce soit le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les universités ou encore le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN). Au total, cela représente plus de 10 000 hommes‑jours de missions scientifiques, ce qui constitue un apport assez considérable à la recherche internationale.

En Arctique, l’IPEV dispose depuis 2003, dans le cadre d’un partenariat franco‑allemand, d’un village scientifique avec la base AWIPEV située à Ny‑Ålesund, sur l’île de Spitzberg dans l’archipel du Svalbard (Norvège). La France dispose à proximité de la base AWIPEV de la station Corbel construite en 1963. C’est là une station fonctionnant en site propre, avec de l’énergie durable (éoliennes et panneaux solaires). Ces structures permettent de soutenir des recherches spécifiques qui nécessitent des conditions particulièrement propres, comme l’observation des aurores boréales sans pollution lumineuse ou comme la chimie de la neige. La base AWIPEV peut accueillir jusqu’à seize scientifiques et constitue la seule station de recherche gérée par deux nations de manière conjointe en Arctique.

Vos rapporteurs tiennent à souligner le fait que la recherche française au Svalbard, qui est un territoire norvégien, se trouve actuellement confrontée à certaines difficultés d’ordre diplomatique et appellent le Quai d’Orsay à la plus grande vigilance sur ces questions.

En effet, suite à la publication du livre blanc du gouvernement norvégien sur l’archipel du Svalbard, la situation s’est complexifiée pour les nations signataires – dont la France – du traité concernant l’archipel de Spitzberg ([117]) et souhaitant conduire des recherches sur le territoire de cet archipel. Il est clairement indiqué dans ce livre blanc que la Norvège souhaite encadrer la politique scientifique à l’œuvre au Svalbard, mettant ainsi en difficulté les politiques de chacun des pays implantés à ce jour dans l’archipel. Les difficultés pratiques auxquelles l’IPEV est confrontée relèvent de l’anecdotique mais attestent d’un nouveau climat dégradé pour la recherche en Arctique.

Ainsi des amendes importantes ont été infligées par le gouverneur du Svalbard à deux expéditionnaires français pour le franchissement de la limite d’une zone protégée dans le cadre de leurs opérations. Ils avaient agi de la sorte pour des raisons de sécurité afin d’éviter que leur embarcation ne soit écrasée par un petit iceberg dérivant. Les autorités norvégiennes ont, en outre, protesté a posteriori contre un projet français déployé au Svalbard, dans le domaine des sciences humaines et sociales, se focalisant sur l’histoire scientifique française en Arctique. L’argument étant que seuls des projets ayant trait aux sciences de l’environnement peuvent être déployés sur ce territoire, selon le livre blanc norvégien.

La situation actuelle ressemble à une forme de statu quo. Il semblerait pertinent pour vos rapporteurs que soient encouragés des travaux de recherche conjoints impliquant à la fois des chercheurs français et norvégiens utilisant nos installations afin que la Norvège trouve un intérêt à ce que la France soutienne ces activités sur site et permette in fine à nos chercheurs de travailler dans des conditions apaisées et en bonne intelligence avec les autorités locales.

La carte ci‑après présente la localisation de la station AWIPEV franco‑allemande.

Localisation de la station franco‑allemande en Arctique

Source : IPEV

En Antarctique, l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV) dispose d’emprises plus nombreuses avec :

-         la station Dumontd’Urville, située en Terre Adélie sur l’île des Pétrels à 5 kilomètres du continent austral, qui comprend environ 5 000 mètres carrés de bâtiments. Elle peut héberger entre vingt et trente personnes pendant les périodes d’hivernage répartis entre les services généraux et les services scientifiques. La station constitue un véritable observatoire scientifique comprenant une cinquantaine d’installations, avec ses lieux de vie et ses locaux techniques. Ces installations sont adaptées aux conditions locales difficiles (températures variant de 0 °C à – 35 °C, blizzard, longues nuits polaires, vents pouvant dépasser les 300 kilomètres par heure…) ;

-         la station franco-italienne Concordia, située au Dôme C dans les terres à 1 100 kilomètres de la base côtière Dumont-d’Urville et à 3 200 mètres d’altitude. Elle constitue depuis 2005 l’unique station permanente européenne à l’intérieur du continent Antarctique. Elle offre des conditions de vie particulièrement sévères avec des températures moyennes de l’ordre de – 51 °C et des ravitaillements difficiles impliquant des traversées qui durent, aller‑retour, entre 20 et 25 jours.

Par ailleurs, la France dispose dans la région subantarctique de plusieurs autres bases situées dans les îles des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) : la station MartindeViviès sur l’île d’Amsterdam, la station AlfredFaure sur l’île de la Possession dans l’archipel de Crozet, et la station de Port‑aux‑Français dans l’archipel des Kerguelen.

Le navire ravitailleur Astrolabe opère le soutien logistique en direction de la station Dumontd’Urville. Ce navire a une triple spécificité : il est la propriété des TAAF mais l’IPEV en constitue l’autorité d’emploi. Mais c’est également un navire de guerre, l’armement du navire appartenant à la Marine nationale qui l’utilise, en dehors des 120 jours réservés aux opérations de ravitaillement de l’IPEV, pour exercer ses missions de surveillance dans la ZEE française de l’océan Indien.

Le MarionDufresne réalise pour sa part les rotations logistiques vers les districts austraux. Ce navire peut également servir pour les campagnes scientifiques océanographiques dans la ZEE française, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) en est l’opérateur scientifique depuis 2017.

Les cinq stations françaises subantarctiques et antarctiques se répartissent depuis le 37e parallèle sud (la station MartindeViviès sur l’île d’Amsterdam) jusqu’à 75° de latitude sud (la station Concordia dans les terres du continent austral). La France est ainsi le seul pays à disposer de stations scientifiques le long d’un tel gradient de latitude dans l’océan austral et en Antarctique ([118]).

La carte ci‑après présente la localisation des stations françaises dans les régions subantarctique et antarctique.

Localisation des stations françaises
dans l’océan austral et en antarctique

Source : IPEV

Les recherches françaises menées aux pôles portent notamment sur :

- les sciences de la terre (sismologie, magnétisme, niveau des mers, étude des glaces et de l’atmosphères) ;

- les sciences de l’espace dans le cadre des études de la base Concordia en Antarctique. Depuis cette région peuvent être observés les étoiles et le ciel comme nulle part ailleurs dans le monde ;

- les sciences du vivant avec notamment l’étude d’espèces endémiques et leur évolution dans le cadre du changement climatique ainsi que l’étude des processus mis en place par les espèces pour survivre dans ces régions aux conditions extrêmes ;

- les sciences de l’Homme via l’étude des autochtones et des cultures locales en Arctique ou l’étude des conditions de vie extrêmes en Antarctique.

b.   Une excellence de la recherche française menacée

i.   Une recherche parmi les plus performantes au monde

Selon une étude bibliométrique norvégienne publiée en 2017, la France occupe le 6e rang mondial en nombre total d’articles en recherche polaire sur la période 2012‑2014. Les index relatifs de citations pour la période 2010‑2013 positionne la France au 2e rang mondial parmi les principales nations investies aux pôles.

Selon le décompte le plus récent que l’on puisse établir à partir des bases bibliométriques Web of Science, la France se classe au 5e rang mondial pour l’ensemble des publications couvrant l’Antarctique. Deux chercheurs français figurent parmi les dix principaux auteurs publiés. 45 des 232 articles les plus cités comprennent un auteur français. La France figure au 3e rang mondial pour le nombre de publications du domaine Antarctique parues dans les revues Nature, Science ou Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

S’agissant des publications portant sur l’Arctique, la France figure au 11e rang mondial en nombre de publications. Elle atteint le 7e rang mondial en focalisant sur les 422 articles les plus cités portant sur l’Arctique.

En milieux subantarctiques, la France se classe au 1er rang mondial en nombre de publications, devant les États-Unis et l’Australie.

Le tableau ci‑après permet de réaliser une analyse comparative du rang de la France vis‑à‑vis des autres nations les plus proches de la France en matière de PIB et d’investissement scientifique dans le contexte polaire.

 

 


Efforts d’investissement scientifique dans le contexte polairE

Pays

(opérateur national)

Budget annuel moyen pour les opérations logistiques (en millions d’euros)

Nombre de personnels permanents

Stations de recherche gérées par l’opérateur national

Nombre de scientifiques déployés sur le terrain chaque année

France
(IPEV)

16
(+ 2 de salaires CNRS)

36

2 stations permanentes en Antarctique

40 refuges subantarctiques

1 station en Arctique

1 brise-glace ravitailleur

320

Italie

(ENEA-UTA) ([119])

18
(+ les salaires ENEA, inconnus)

40

1 station permanente en Antarctique

1 station saisonnière en Antarctique

1 brise-glace océanographique, cofinancé par l’Institut italien d’océanographie

100

Corée du Sud

(KOPRI)

45

66

2 stations permanentes en Antarctique

1 brise-glace océanographique

217

Australie

(AAD)

48

175

3 stations permanentes en Antarctique

1 station subantarctique

1 brise-glace océanographique

146

Allemagne

(AWI)

53

55

1 station permanente en Antarctique

1 station permanente en Arctique

1 brise-glace océanographique

600 (dont océanographie polaire)

Source : IPEV

Il ressort de cette analyse partielle que la France contribue très fortement à la recherche polaire en prenant en compte le nombre de scientifiques envoyés sur le terrain. Elle est, par ailleurs, remarquablement classée en matière de valorisation bibliométrique mais elle repose sur un opérateur fragile quant à ses moyens humains et financiers pour gérer les expéditions dans ces milieux particulièrement exigeants et coûteux. En comparaison avec des nations d’ambition comparable à la nôtre, force est de constater que le nombre de personnels de l’IPEV comme le budget annuel sont très nettement inférieurs.

ii.   Une recherche française aux moyens limités et qui à terme pourrait décrocher

En 2019, la France consacrait aux missions de l’IPEV un budget d’environ 18 millions d’euros contre un peu plus de 20 millions d’euros mobilisés par l’Italie pour les mêmes missions et ce alors même que l’Italie n’est pas un État possessionné en Antarctique. La Corée du Sud pour sa part investissait, la même année, 45 millions d’euros pour ses recherches polaires et l’Allemagne dépassait les 50 millions d’euros.

Les écarts paraissent encore plus flagrants lorsque l’on compare les budgets alloués par rapport au nombre de personnels permanents gérant cette mission logistique : en 2019, l’IPEV avait 38 permanents pour un budget de 18 millions d’euros alors que l’Australie disposait de 75 permanents pour un budget de 45 millions d’euros. L’IPEV amène sur les terres polaires à peu près autant de scientifiques pour des missions que la Corée du Sud, avec un budget deux fois et demi inférieur. M. Jérôme Chappellaz, directeur de l’IPEV, entendu par vos rapporteurs au cours de leurs travaux avait parlé d’un « miracle » devant la commission des affaires étrangères le 18 septembre 2019. Mais vos rapporteurs tiennent à vous alerter sur le fait que ce miracle semble actuellement atteindre ses limites avec des ressources humaines à bout. Le miracle ne pourra pas se prolonger indéfiniment et l’IPEV nécessite, aux yeux de vos rapporteurs, un réinvestissement massif de la nation au service de la science d’une part et du rayonnement de notre pays sur la scène internationale d’autre part.

Au cours des quinze dernières années, le nombre d’agents du CNRS mis à disposition par l’organisme auprès de l’IPEV a diminué de 8 unités, passant donc de 28 agents à 20 agents du CNRS mis à disposition, alors même que le nombre de scientifiques français envoyés sur le terrain a presque quadruplé sur la même période. Or la loi de finances fixe chaque année un plafond d’emploi à l’IPEV, en tant que groupement d’intérêt public. Il n’est donc pas possible de compenser la perte des postes CNRS par un recrutement accru de l’Institut en propre. Une situation alarmante, est apparue au cours des travaux menés par vos rapporteurs, touchant particulièrement le moral des équipes de l’IPEV. Ainsi, de fatigue et de lassitude des agents quittent chaque année l’Institut. Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a réagi, en 2021, en élevant le plafond d’emploi de 2 unités et 2 autres lui sont promises pour 2022 et 2023. Mais cela apparaît beaucoup trop lent à vos rapporteurs qui exhortent le Gouvernement à une mobilisation plus forte sur cette question afin de permettre à la recherche française de continuer à exceller et à justifier la place que la France occupe dans le concert des nations vis‑à‑vis des enjeux polaires.

Vos rapporteurs pensent que le plan de relance économique mis en place suite de la crise économique liée à la pandémie de covid‑19 pourrait constituer un moyen permettant de rehausser significativement les moyens dédiés à la recherche française en Arctique et en Antarctique. Une telle mobilisation pourrait s’inscrire dans le cadre du pilier dédié à l’écologie et à la transition énergétique, une grande partie des recherches menées aux pôles permettant, entre autres, de mieux comprendre les conséquences du dérèglement climatique sur notre planète et sur nos vies.

Par ailleurs, vos rapporteurs estiment que la France devrait s’engager à organiser et accueillir prochainement un forum international consacré à l’Arctique. Un tel événement permettrait de renforcer notre légitimité sur ces sujets et démontrer concrètement notre attachement aux questions arctiques. Si les Émirats arabes unis – dont l’engagement en Arctique est bien moindre que le nôtre – ont pu annoncer l’organisation d’un tel événement à Abou Dhabi dans le courant de l’année 2021([120]), nous devrions également être en mesure d’y parvenir.

La France est, en outre, le seul pays du G7 à ne pas disposer d’un navire brise‑glaces capable de mener de missions océanographiques polaires. L’Astrolabe est bien un brise‑glaces mais c’est un navire de ravitaillement qui n’est mobilisé au service des missions de l’IPEV qu’une moitié du temps, l’autre moitié étant consacrée au patrouille de la Marine nationale dans l’océan Indien. Il est clairement très handicapant pour les chercheurs français investis dans les milieux polaires de ne pas pouvoir monter leurs propres campagnes scientifiques en milieu marin arctique ou antarctique compte tenu de l’absence de moyens en propre à notre nation. La seule option pour eux consiste aujourd’hui à s’associer à des projets émanant d’autres pays. Il leur est ainsi difficile de revendiquer la priorité sur l’exploitation des résultats scientifiques ainsi obtenus.

S’agissant de l’Arctique, pour vos rapporteurs, la France devrait prioritairement mettre en place des accords de coopération avec des nations possessionnées en Arctique afin de faciliter l’accès à ces ressources pour les chercheurs français. Le Canada comme la Suède apparaissent comme de potentiels candidats pour un tel partenariat, en mettant dans la balance la possibilité pour eux d’utiliser les moyens français en Antarctique et dans la zone subantarctique. Le principe des échanges de service, en raisonnant « pôle Nord – pôle Sud », pourrait constituer le meilleur outil pour valoriser nos infrastructures antarctiques tout en accroissant indirectement la présence de la France en Arctique. La construction d’un outil européen avec quote‑part pour chaque pays impliqué, pourrait également constituer une réponse européenne dans le cadre d’une stratégie arctique renforcée.

S’agissant de l’Antarctique, où la France dispose avec l’Astrolabe d’un brise‑glaces, l’option la moins onéreuse consisterait à équiper ce navire d’apparaux scientifiques et à lui ajouter une vingtaine de jours supplémentaires sous autorité d’emploi de l’IPEV, afin de permettre la conduite de campagnes océanographiques dans l’océan austral et notamment en mer de Dumont d’Urville, comme cela pouvait être fait avec l’ancien navire Astrolabe dans les années 2000. Une autre option consisterait à équiper l’IPEV d’un navire océanographique, en envisageant potentiellement sa mutualisation avec l’Australie qui dispose déjà d’un très gros brise‑glaces, le Nuyina, mais au coût de fonctionnement prohibitif.

Enfin, certaines bases françaises auraient grandement besoin d’une rénovation à l’image de la station Dumontd’Urville, en Terre Adélie, qui a été construite en 1955.

À titre d’illustration, les installations pour le débarquement se révèlent singulièrement vétustes puisqu’il n’existe pas de quai à proprement parler. Cela représente un gros risque pour l’Astrolabe en rendant les manœuvre d’accostage particulièrement délicates aux abords de la station Dumontd’Urville. Au mouillage, les hélices du navire se trouvent ainsi à 3 mètres seulement du remblai. L’Astrolabe étant le seul bâtiment à même de pouvoir opérer pour l’IPEV dans la zone antarctique, cette situation fait peser un risque très important pour les missions scientifiques françaises en cas d’avaries pouvant entraîner une indisponibilité du navire. Il en va, en effet, de la sécurité d’exploitation du navire dans la durée. La réalisation de ce projet, dont les enjeux sont bien compris et acceptés par l’ensemble des acteurs impliqués – l’IPEV, la Marine nationale et les TAAF – se heurte actuellement à un manque de financement.

Les autres nations impliquées en Antarctique ont pour leur part ces dernières années entrepris d’importants et ambitieux efforts de rénovation de leurs bases antarctiques ou l’acquisition de brise‑glaces ou encore la construction de nouvelles stations :

-         les États-Unis ont débuté des travaux de modernisation, étalés sur cinq ans, de la station américaine McMurdo, pour un coût de 345 millions d’euros ;

-         L’Australie a lancé un plan de rénovation sur dix ans, à partir de 2019, pour ses trois stations de recherche en Antarctique, pour un coût de 290 millions d’euros ;

-         Le Royaume-Uni a de son côté investi pour l’acquisition d’un nouveau brise‑glaces, le Sir David Attenborough pouvant servir au ravitaillement antarctique comme aux recherches océanographiques polaires, pour un coût de 230 millions d’euros. Londres a également entrepris la reconstruction de la station britannique Halley en 2013 pour un coût de 30 millions d’euros pour 2000 mètres carrés de bâtiments ;

-         La Pologne a lancé en 2018 les travaux de reconstruction de la station Arctowski, située en péninsule Antarctique, pour un coût de 20 millions d’euros pour 1400 mètres carrés de bâtiments ;

-         L’Italie a construit une piste en dur à Boulder Clay à 5 kilomètres de la station italienne Mario Zucchelli pour permettre à leurs avions d’atterrir sur la côte de l’Antarctique ;

-         La Russie a entrepris la reconstruction de la station russe Vostok, située au cœur du continent austral. Cette opération qui s’élève à 45 millions d’euros a entièrement été financée sur les fonds privés du milliardaire Leonid Mikhelson, président directeur général de Novatek, deuxième producteur de gaz naturel en Russie ;

-         la Chine a construit en 2014 une quatrième station de recherche en Antarctique – la station Taishan – localisée à l’intérieur du continent. Pékin a, par ailleurs, lancé en 2019 la construction d’une cinquième station localisée dans le secteur de la baie Terra Nova, sur le site d’Inexpressible Island. En 2019, la Chine a également inauguré un deuxième brise‑glaces à capacité océanographique polaire, le Xuelong 2. Elle lance actuellement la construction d’un troisième brise‑glaces scientifique.

2.   Promouvoir la préservation des pôles

En juin 2021, la France aura la responsabilité d’organiser les travaux de la 43e réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA  XLIII) ([121]) et de la 23e réunion du Comité pour la protection de l’environnement antarctique (CPE  XXIII). Il s’agit là d’un instrument géopolitique unique en son genre, voyant un collectif de nations administrer conjointement près de 7 % de la surface de la planète.

Chaque année, les RCTA organisent ainsi les discussions internationales autour du traité sur l’Antarctique. Cinquante‑quatre États y prennent part actuellement ainsi que différentes organisations internationales et professionnelles ainsi que des ONG. Le Comité pour la protection de l’environnement (CPE) se réunit, en parallèle, pour examiner des questions relatives à la gestion comme à la protection de l’environnement antarctique et pour donner des avis à la RCTA.

Les symboles sont importants en la matière, 2021 est l’année où seront célébrés le 60e anniversaire de l’entrée en vigueur du traité sur l’Antarctique et le 30e anniversaire du protocole de Madrid, qui ont permis de renforcer très significativement la protection de l’environnement en Antarctique. Pour mémoire, ce dernier dispositif avait été co‑initié par la France et l’Australie, grâce à la dynamique créée par les deux anciens premiers ministres Michel Rocard et Robert Hawke.

La France devrait pour vos rapporteurs s’inscrire, en juin prochain, dans cette droite ligne en portant des propositions à forte connotation environnementale, visant à protéger au mieux les espaces situés au sud du 60e parallèle sud. Cette présidence française constitue une occasion rare – puisque se produisant tous les trente ans pour la RCTA – de porter les sujets qui nous sont chers et d’affirmer une nouvelle ambition nationale pour ces milieux.

a.   Réguler efficacement le tourisme et sanctuariser certaines zones

i.   La question du tourisme en Antarctique

Un meilleur contrôle du développement exponentiel du tourisme en Antarctique apparaît une nécessité pour vos rapporteurs.

La France est mobilisée depuis de nombreuses années sur ce sujet et fera donc à l’occasion de la prochaine RCTA preuve de continuité sur cette thématique. L’important est qu’elle puisse parvenir à susciter l’adhésion des vingt‑neuf autres parties consultatives, le consensus étant la règle.

Des règles existent d’ores et déjà, chaque débarquement – qu’il soit touristique ou scientifique – devant, par exemple, donner lieu à la rédaction d’un rapport d’évaluation d’impact sur l’environnement. Se pose néanmoins la question de la mise en œuvre effective de ces mesures. En effet, qui peut assurer le contrôle de ces règles quand ces activités se déroulent à des milliers de kilomètres des États ?

Il paraît donc nécessaire pour vos rapporteurs, compte tenu des risques que l’afflux continu et exponentiel de touristes fait peser sur cet écosystème fragile, d’envisager de nouvelles règles de gestion du tourisme en Antarctique. Vos rapporteurs soutiennent les solutions suivantes :

-         Imposer la présence d’observateurs à bord des navires de tourisme pour veiller aux bons respects des règles édictées par le Comité pour la protection de l’environnement antarctique ;

-         Consolider en un document unique la réglementation des activités touristiques en Antarctique afin de rendre celle‑ci plus visible et compréhensible pour les touristes comme pour les voyagistes ;

-         Instaurer un moratoire concernant l’utilisation de drones par les touristes en Antarctique dans l’attente d’études scientifiques qui permettront d’évaluer précisément les perturbations que ces instruments peuvent engendrer sur la biodiversité locale ;

-         Délimiter des zones touristiques au sein desquelles s’appliquerait une réglementation particulière en matière de sécurité des personnes d’une part et de protection de l’environnement d’autre part.

Par ailleurs, vos rapporteurs suggèrent que soit mise en place – pour la première fois – une des procédures prévues par le protocole de Madrid consistant à mandater une équipe d’observateurs au nom de la RCTA elle‑même sur ces questions (article 14 du protocole). Ces observateurs pourraient, par exemple, inspecter les conditions d’hébergement proposées dans certaines stations de la péninsule Antarctique. Une telle initiative constituerait un symbole fort au nom de la protection de l’environnement et du multilatéralisme.

Une autre proposition pourrait consister à utiliser pour partie les navires de croisière pour conduire des activités de recherche. Mais vos rapporteurs appellent à la plus grande vigilance sur ce point car il ne faudrait pas que la recherche scientifique devienne une forme d’alibi permettant dans les faits d’accroître la présence touristique dans la zone. Une telle option mériterait, au préalable, d’être précisément évaluée et encadrée.

ii.   La question des aires marines protégées en Antarctique

La question des aires marines protégées en Antarctique est devenu un sujet sensible (cf. supra) depuis plusieurs années compte tenu de l’opposition de la Chine et la Russie sur ce dossier.

Pour autant, ces projets soutenus par un grand nombre de nations – dont la France – et qui visent à sanctuariser certaines zones dans le but d’offrir la meilleure protection possible à la biodiversité marine locale, devraient pour vos rapporteurs être à nouveau soutenue officiellement à l’occasion de la prochaine RCTA.

Il paraît impératif, aux yeux de vos rapporteurs, de parvenir à amener la Russie et la Chine à négocier de bonne foi et dans un esprit de coopération sur ce sujet en mobilisant si nécessaire une intervention politique de très haut niveau.

b.   Encourager à la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux

À l’image de ce qui s’était passé à l’occasion de l’année géophysique internationale 1957‑1958 et qui avait permis d’aboutir par la suite à la signature du traité sur l’Antarctique, vos rapporteurs suggèrent que la France soutienne à l’occasion de la prochaine RCTA la mise en place de grands projets scientifiques ambitieux et internationaux à même de redonner un souffle à la coopération multilatérale en Antarctique.

Dans ce cadre pourraient être initiées des recherches sur le futur du niveau des mers à l’échelle mondiale, qui se joue pour l’essentiel en Antarctique. Or une grande partie de l’inlandsis antarctique demeure une terra incognita. Une grande coopération internationale pluriannuelle pourrait ainsi se mobiliser au sujet de l’étude de ce « bien commun de l’humanité » en analysant sa surface (images satellitaires, campagnes aéroportées), son sous‑sol (socle rocheux et interface glace‑roche‑sédiment) et ses côtes (mécanismes à l’interface océan‑plateforme de glace flottante). Sur cette thématique, un des points chauds de l’Antarctique concerne la Terre de Wilkes, la Terre de Oates et la Terre George V, secteurs où la France et l’Australie sont idéalement placées pour déployer des moyens logistiques. À ces deux nations pourraient s’ajouter les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud ou encore l’Italie et la Nouvelle‑Zélande, nations positionnées dans le secteur de la mer de Ross.

Par ailleurs, la France pourrait soutenir des propositions permettant de rendre les activités de recherche scientifiques en Antarctique les plus vertueuses possible, en réduisant autant que possible l’impact environnemental des infrastructures et de la logistique. Pourrait être annoncée, à l’occasion de la prochaine RCTA, la volonté de la France de lancer un projet ambitieux de modernisation de ses deux stations Dumont-d’Urville ([122]) et Concordia ([123]) – qui en ont grand besoin – en visant idéalement leur neutralité carbone à l’horizon 2050, quand la France présidera à nouveau la RCTA.

Enfin, vos rapporteurs suggèrent d’encourager l’échange de services entre nations, en particulier envers les États parties non consultatives et qui ne disposent pas de bases en Antarctique afin de réduire dans l’avenir l’artificialisation de nouveaux espaces. L’accès facilité aux stations existantes permettrait ainsi à ces États de développer des recherches sans reposer sur de nouvelles infrastructures.


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   examen en commission

Au cours de sa séance du mercredi 14 avril 2021, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/rByfG6

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique en vue de sa publication.

 

 

 


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   annexes

   annexe n° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs

   Mme Amy Baker, ministre plénipotentiaire de l’ambassade du Canada, accompagnée de M. Tristan Landry, chef de la Section politique, le colonel Pierre Haché, attaché de défense et Mme Hélène Halatcheff, attachée aux affaires politiques de l’ambassade ;

   M. Jérôme Chappellaz, directeur de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV)

   Mme Anne Choquet, enseignante‑chercheure en droit à l’école de commerce Brest Business School, spécialiste de l’Antarctique 

   Mme Camille Escudé, professeure agrégée de géographie et docteur en science politique au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, spécialiste des questions arctiques 

   M. François Gemenne, spécialiste en géopolitique de l'environnement, chercheur en science politique à l’université de Liège (CEDEM) et à l’université de Versailles Saint‑Quentin‑en‑Yvelines (CEARC), et chercheur associé au CERI et au Médialab de Sciences Po

   Capitaine de frégate Philippe Guéna, commandant du BSAM Rhône lors de sa traversée du passage du Nord‑Est Arctique (septembre 2018)

   M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF)

   M. Pascal Hector, ministre plénipotentiaire à l’ambassade d’Allemagne en France

   M. Gérard Jugie, directeur de recherche émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS) et directeur honoraire de l’IPEV

   Mme Marlène Laruelle, professeur à l’Université George Washington (Washington DC – États-Unis), chercheure associée au Centre Russie de l’Institut français des relations internationales (IFRI)

   M. Frédéric Lasserre, directeur du Conseil Québécois d’études géopolitiques (CQEG), directeur d’ArcticNet, professeur au département de géographie de l’Université Laval (Québec)

   Vice-amiral d’escadre Olivier Lebas, préfet maritime de Brest et commandant en chef pour l’Atlantique (CECLANT)

   M. Michael Mann, envoyé spécial de l’Union européenne sur les questions arctiques, accompagné de M. Raphaël Goulet (Commission européenne), chef d’unité, gouvernance internationale des océans et pêche durable – gouvernance des océans, droit de la mer, politique pour l’Arctique ; de Mme Fiona Harford, (Commission européenne), chargée de relations internationales, gouvernance internationale des océans et pêche durable – organisations régionales de gestion des pêches ; de M. Roderick Harte (Commission européenne), chargé de relations internationales, gouvernance internationale des océans et pêche durable –  gouvernance des océans, droit de la mer, politique pour l’Arctique et de M. Terkel Petersen (SEAE), expert – Service du secrétaire général adjoint pour les affaires politiques – Russie, partenariat oriental, Asie centrale, coopération régionale et Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – Partenariat oriental, coopération régionale et OSCE.

   M. Alexeï Mechkov, ambassadeur de Russie en France 

   M. Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles Arctique et Antarctique à l’Institut libre d’étude des relations internationales (ILERI)

   M. Didier Ortolland, sous‑directeur du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles à la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

   M. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur en charge des pôles et des enjeux maritimes

   Mme Oda Helen Sletnes, ambassadrice de Norvège en France, accompagnée de Mme Gry-Irene Skorstad, première secrétaire près l’ambassade de Norvège

   M. Shaye Lu, ambassadeur de la République populaire de Chine en France

   M. Christopher Snipes, conseiller aux affaires économiques, scientifiques, technologiques et de santé de l’ambassade des États‑Unis d’Amérique en France 

   M. Michael Starbæk Christensen, ambassadeur du Danemark en France 

   Capitaine de frégate Céline Tuccelli, ancien commandant de l’Astrolabe (juin 2017 à janvier 2020)

   Représentants de la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées (DGRIS).

 


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   Annexe n° 2 : liste des contributions écrites reçues par les rapporteurs

 

   M. Damien Degeorges, docteur en science politique, consultant spécialiste du Groenland et de l’Islande

 

   Mme Michèle-Marie Roué, directrice de recherches émérite au Centre national de recherche scientifique (CNRS), ethnologue des peuples de l’Arctique 

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   Ambassade d’Allemagne en France 

   Ambassade d’Argentine en France 

   Ambassade d’Australie en France 

   Ambassade du Chili en France 

   Ambassade du Danemark à Paris

   Ambassade d’Italie en France 

   Ambassade de Norvège en France 

   Ambassade de Nouvelle‑Zélande en France 

   Ambassade du Royaume‑Uni en France 

   Ambassade de Russie à Paris 

   Ambassade de Suède en France


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   Annexe n° 3 : liste des acronymes et des sigles

   AAD : Australian Antarctic Division – Division antarctique australienne (Australie)

   AGI : Année géophysique internationale

   AMP : Aires marines protégées

   ASE : Agence spatiale européenne

   AWI : Alfred-Wegener-Institut, Helmholtz-Zentrum für Polar – und Meeresforschung – Institut Alfred‑Wegener pour la recherche polaire et marine (Allemagne)

   AWIPEV : Station de recherche commune franco‑allemande située au Svalbard et opérée par l’Alfred-Wegener-Institut (AWI) et l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV)

   BSAM : Bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain

   CCAMLR : Convention on the Conservation of Antarctic Marine Living Resources – Convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique

   CCAS : Convention for the Conservation of Antarctic Seals – Convention pour la protection des phoques de l’Antarctique

   CLPC : Commission des limites du plateau continental des Nations unies

   CNRS : Centre national de la recherche scientifique

   CNUDM : Convention des Nations unies sur le droit de la mer ou Convention de Montego Bay (1982)

   CPE : Comité pour la protection de l’environnement. Organe consultatif, créé par le protocole de Madrid (1991)

   CRAMRA : Convention on the regulation of Antarctic mineral resource activities – convention sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de l'Antarctique ou Convention de Wellington (1988)

   ENEA : Energia Nucleare ed Energie Alternative (Énergie nucléaire et énergies alternatives) désormais dénommée Agenzia nazionale per le nuove tecnologie, l'energia e lo sviluppo economico sostenibile – Agence nationale pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement durable (Italie)

   GES : Gaz à effet de serre

   GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat

   GIP : Groupement d’intérêt public

   GNL : Gaz naturel liquéfié

   IAATO : International Association of Antartica Tour operators – Association internationale des voyagistes antarctiques

   IFREMER : Institut français de recherche pour l’exploration de la mer

   IPEV : Institut polaire français Paul‑Émile Victor

   KOPRI : Korean Polar Research Institute – Institut coréen de recherche polaire (Corée du Sud)

   OMI : Organisation maritime internationale

   OTAN : Organisation du traité de l'Atlantique Nord

   PRS : Plan de recherche et de suivi. Document devant être établi dans le cadre des travaux de la CCAMLR pour chaque aire marine protégée

   UICN : Union internationale pour la conservation de la nature

   UTA : Unità Tecnica AntartideUnité technique Antarctique de l’ENEA (Italie)

   USGS : United States Geological Survey – Commission géologique des États‑Unis

   RCTA : Réunion consultative du traité sur l’Antarctique

   SPEA : Stratégie de protection de l’environnement arctique

   SPI : Secrétariat des peuples indigènes – Indigenous Peoples’ secretariat (IPS)

   TAAF : Terres australes et antarctiques françaises

   ZEE : Zone économique exclusive

 

   ANNEXE N° 4 : liste des pays signataires de l’accord sur l’Antarctique


([1]) En Antarctique, la station Dumont-d’Urville n’a pas vu de politique ambitieuse d’investissement depuis les années 1960 et fait essentiellement l’objet d’une maintenance a minima chaque année par les professionnels de l’IPEV. En Antarctique toujours, la station franco-italienne Concordia est à mi‑vie. Un plan bilatéral de modernisation a été demandé par les ministres français et italien de la recherche suite au sommet France‑Italie du 27 février 2020.

([2])  Processus de négociations dit « BBNJ » (pour biological diversity in areas beyond national jurisdiction en anglais) qui devrait aboutir, d’ici l’été 2021.

([3]) Sandrine Baccaro et Philippe Descamps, Géopolitique du brise-glace, Le Monde diplomatique, (avril 2020) : https://www.monde-diplomatique.fr/2020/04/BACCARO/61587 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([4]) Institut polaire français Paul‑Émile Victor https://www.institut-polaire.fr/ipev/informations-polaires/en-antarctique (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([5])  Ibid.

([6]) Yves Frénot, Le système du traité sur l’Antarctique : une gouvernance unique pour la paix, la science et la protection de l’environnement, Stratégique 2019/3 (N° 123).

([7]) Déclaration d’Ilulissat du 28 mai 2008, https://cil.nus.edu.sg/wp-content/uploads/2017/07/2008-Ilulissat-Declaration.pdf (page consultée le 7 avril 2021).  

([8])  Les relations officielles entre l’Union européenne et le Danemark, le Groenland et les îles Féroé sont de nature très différente : le Danemark est membre de l’Union européenne ; le Groenland ne fait pas partie de l’Union européenne mais y est associé en tant que pays et territoire d’outre-mer (PTOM) avec un accord de pêche global et les îles Féroé, situées à l’endroit où l’Atlantique Nord rencontre l’Arctique, sont un pays tiers à l’Union avec des accords bilatéraux distincts sur le commerce, la pêche et la recherche.

([9])  État admis comme observateur du Conseil de l’Arctique en 2013.

([10])  État admis comme observateur du Conseil de l’Arctique en 2013.

([11])  État admis comme observateur du Conseil de l’Arctique en 2017.

([12]) La présence de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon sur la carte permet une localisation géographique de l’archipel. La collectivité territoriale n’appartient pas à la catégorie des États arctiques.

([13]) GRID‑Arendal, Indigenous Peoples of the Arctichttps://grid-arendal.maps.arcgis.com/apps/Cascade/index.html?appid=2228ac6bf45a4cebafc1c3002ffef0c4 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([14])  Ibid.

([15])  Ibid.

([16])  Ibid.

([17])  Ibid.

([18]) Ibid.

([19])  Selon Mme Camille Escudé, entendue par vos rapporteurs, la théorie du sociologue américain Mark Granovetter sur « la force des liens faibles » s’applique bien au Conseil de l’Arctique : la coopération s’y révélant relativement forte pour une structure en apparence faible. Camille Escudé, Le Conseil de l’Arctique, la force des liens faibles, Politique étrangère, 2017, https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-3-page-27.htm (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([20])  Déclaration sur la création du Conseil de l’Arctique (Ottawa, Canada, 1996), https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/arctic-arctique/declaration_ac-declaration_ca.aspx?lang=fra (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([21])  Compte rendu de la réunion de la commission des affaires étrangères du mercredi 18 septembre 2019 sur les Pôles : enjeux stratégiques et environnementaux, avec M. Jérôme Chappellaz,  directeur de l’IPEV, M. Laurent Chauvaud, directeur de recherche au CNRS, Mme Anne Choquet, enseignante-chercheuse en droit à la Brest Business School, Mme Camille Escudé, doctorante sur la construction de la gouvernance régionale de l’Arctique, et M. Paul Tréguer, océanographe chimiste, professeur émérite à l’université de Bretagne Occidentale et M. Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara Océan.

([22]) Frédéric Lasserre, La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire, Géoconfluences, 18 septembre 2019, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/la-course-a-l-arctique-un-mythe (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([23]) Il est à noter qu’il s’agit de la troisième proposition d’achat que les Américains formulent après 1867 et 1946.

([24])  La base aérienne de Thulé abrite le réseau mondial de capteurs de la 21st Space Wing, qui fournit des services d’alerte aux missiles, de surveillance spatiale et de contrôle de l’espace au commandement de la défense aérospatiale américain.

([25]) La Chine et la Russie réfléchissent actuellement à faire de même.

([26])  Eilis Quinn, Pompeo calls out Canada, China, Russia over Arctic policy, CBC, 6 mai 2019 https://www.cbc.ca/news/politics/pompeo-canada-russia-china-arctic-1.5125293 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([27])  Il est traditionnel que le pays occupant la présidence tournante associe à cet évènement un pays non membre du Conseil de l’Arctique.

([28]) Sandrine Baccaro et Philippe Descamps, Géopolitique du brise-glace, Le Monde diplomatique, (avril 2020), https://www.monde-diplomatique.fr/2020/04/BACCARO/61587 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([29]) Contraction de Северный морской путь signifiant « route maritime du nord ».

([30]) Distances calculées sur le site Aquaplot, https://www.aquaplot.com/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([31]) « Profondeur atteinte par la quille (partie inférieure en bois ou en métal) d’un navire, mesurée à partir de la ligne de flottaison. Elle définit de fait leur capacité à s’engager dans un port ou dans un chenal déterminé » dans Pierre Gras, Le temps des ports, éditions Tallandier, 2010.

([32]) Sandrine Baccaro et Philippe Descamps, op. cit.

([33]) Frédéric Lasserre, Le passage du Nord-Ouest : une route maritime en devenir ?, Revue internationale et stratégique 2001 (n° 42) https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2001-2-page-143.htm (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([34]) Interfax, Northern Sea Route’s significance growing in light of Suez Canal incident, 25 mars 2021, https://interfax.com/newsroom/top-stories/71429/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([35]) Frédéric Lasserre, La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire, Géoconfluences, 18 septembre 2019, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/la-course-a-l-arctique-un-mythe (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([36]) Commerce maritime utilisant un mode de navigation à la demande, sans itinéraire fixe.

([37]) Frédéric Lasserre, La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire, Géoconfluences, 18 septembre 2019, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/la-course-a-l-arctique-un-mythe (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([38]) Frédéric Lasserre, La course à l’appropriation des plateaux continentaux arctiques, un mythe à déconstruire, Géoconfluences, 18 septembre 2019, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/la-course-a-l-arctique-un-mythe (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([39]) Ibid.

([40]) Edouard Pflimlin, La Chine veut restaurer la Route de la soie, non sans périls, Le Monde, 15 mai 2017, https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/05/15/la-chine-veut-restaurer-la-route-de-la-soie-non-sans-perils_5127828_3216.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([41]) Frédéric Lemaître et Olivier, Truc, Prospection minière et gazière, nouvelle voie de navigation : l’Arctique, une ambition chinoise, Le Monde, 3 janvier 2020, https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/03/arctique-une-ambition-chinoise_6024717_3210.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([42]) Sébastien Pelletier et Frédéric Lasserre. Intérêt de la Chine pour l’Arctique : analyse de l’incident entourant le passage du brise-glace Xue Long en 1999 à Tuktoyaktuk, Territoires du Nord-Ouest, Monde chinois, vol. 41, (n° 1), 2015, https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2015-1-page-109.htm  (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([43]) Florent Corneau,, Le soft power au service des intérêts chinois en Arctique, février 2018, https://www.irsem.fr/data/files/irsem/documents/document/file/2801/N157%20-%20Note%20-%20Le%20soft%20power%20au%20servce%20des%20interets%20chinois%20en%20Arctique.pdf (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([44]) Olga V. Alexeeva, Frédéric Lasserre, et Pierre-Louis Têtu, Vers l’affirmation d’une stratégie chinoise agressive en Arctique ? », Revue internationale et stratégique, 2015, https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2015-2-page-38.htm (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([45]) Rémi Balme, La Chine, dragon des neiges ? https://www.defense.gouv.fr/marine/magazines/planete-mer/arctique-la-chine-dragon-des-neiges page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([46]) Emmanuel Veron,  L’Arctique dans la politique de la Chine : une région convoitée comme les autres ?, FDBDA, 29 avril 2020  https://www.fdbda.org/2020/04/larctique-dans-la-politique-de-la-chine-une-region-convoitee-comme-les-autres/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([47]) Total, Yamal LNG, le gaz qui vient du froid, https://www.total.com/fr/expertise-energies/projets/petrole-gaz/gnl/yamal-lng (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([48]) Frédéric Lemaître et Olivier Truc, Prospection minière et gazière, nouvelle voie de navigation : l’Arctique, une ambition chinoise, Le Monde, 3 janvier 2020 https://www.lemonde.fr/international/article/2020/01/03/arctique-une-ambition-chinoise_6024717_3210.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([49]) Ludovic Hirtzmann,, La Chine veut conquérir l’Arctique, L’Écho, 6 septembre 2020, https://www.lecho.be/economie-politique/international/economie/la-chine-veut-conquerir-l-arctique/10249522.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([50]) Depuis l’Alliance compte trente membres à la suite de l’adhésion de la Macédoine du Nord en 2020.

([51]) Jay Paxton, Trident Juncture et l’environnement informationnel, NATO Review,16 novembre 2018, https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2018/11/16/trident-juncture-et-lenvironnement-informationnel/index.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([52])  « Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles, dans l’exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationales ».

([53])Ministère de la défense de la Fédération de Russie, Le centre national de direction de la défense de la Fédération de Russie a organisé le briefing sur la préparation et la conduite des manœuvres des troupes « Vostok2018 », http://fr.mil.ru/fr/news_page/country/more.htm?id=12194442@egNews (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([54]) Radio‑Canada, La marine russe mène d’importants exercices militaires près de l’Alaska, 29 août 2020, https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1730001/russie-arctique-mer-bering-militaires (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([55])  voir la liste des pays en annexes.

([56]) À la suite du Brexit, la France est désormais le seul État membre de l’Union européenne possessionné en Antarctique.

([57])  à l’exception de l’île Pierre Ier qui l’est par la Norvège.

([58])  Secrétariat du traité sur l’Antarctique, base de données des inspections https://www.ats.aq/devAS/Ats/InspectionsDatabase?lang=f (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([59])  Entre 1961 et 1994, la RCTA se rassemblait généralement une fois tous les deux ans, mais depuis 1994, ces réunions sont devenues annuelles.

([60]) Secrétariat du traité sur l’Antarctique, parties, https://www.ats.aq/devAS/Parties?lang=f (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([61])  Les mesures sont juridiquement contraignantes pour les parties consultatives dès qu’elles ont été approuvées par l’ensemble des parties consultatives.

([62])  Les décisions concernent des questions d’organisation interne à la RCTA et ne sont pas juridiquement contraignantes.

([63])  Les résolutions sont des textes exhortatifs et ne sont pas juridiquement contraignantes pour les parties contractantes.

([64])  Secrétariat du traité sur l’Antarctique, Sujets https://www.ats.aq/f/topics.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([65]) Umwelt Bundesamt, Convention for the conservation of Antarctic seals, 19 mai 2016,  https://www.umweltbundesamt.de/en/convention-for-the-conservation-of-antarctic-seals (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([66])  En revanche, les cétacés et les phoques sont excluent spécifiquement du champ de la CCAMLR, faisant l’objet d’autres conventions, à savoir, la convention internationale pour la réglementation de la chasse à la baleine et la convention pour la protection des phoques de l’Antarctique.

([67]) Articles du traité de Washington qui portent notamment sur les seules activités pacifiques autorisées dans l’Antarctique.

([68]) Total, Vega Pléyade : le projet le plus austral du monde https://www.total.com/fr/expertise-energies/projets/petrole-gaz/offshore-profond/vega-pleyade-le-projet-le-plus-austral-du-monde (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([69]) Camille Escudé, Albédo, Géoconfluences, septembre 2019, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/albedo (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([70]) GIEC, Glossaire [Planton, S. (coord.)], Changements climatiques 2013 : Les éléments scientifiques. Contribution du Groupe de travail au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Stocker, T.F., D. Qin, G.-K. Plattner, M. Tignor, S.K. Allen, J. Boschung, A. Nauels, Y. Xia, V. Bex et P.M. Midgley (dir. publ.)]. Cambridge University Press, Cambridge, Royaume-Uni et New York, États‑Unis,2013, https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/08/WGI_AR5_glossary_FR.pdf (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([71]) Camille Escudé-Joffres Albédo, Op. cit.

([72])  GIEC, rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, 2019 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf (page consultée le 9 avril 2021).

([73]) Institut géologique du Danemark et du Groenland, Glacier disintegration at the Arctic’s largest remaining ice shelf, https://eng.geus.dk/about/news/news-archive/2020/sep/glacier/ (page consultée en ligne le 15 mars 2021).

([74])  Institut géologique du Danemark et du Groenland, Glacier disintegration at the Arctic’s largest remaining ice shelf, https://eng.geus.dk/about/news/news-archive/2020/sep/glacier/ (page consultée en ligne le 15 mars 2021).

([75])  Institut géologique du Danemark et du Groenland, Glacier disintegration at the Arctic’s largest remaining ice shelf, https://eng.geus.dk/about/news/news-archive/2020/sep/glacier/ (page consultée en ligne le 15 mars 2021).

([76])  GIEC, rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, 2019 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf (page consultée le 9 avril 2021).

([77])  Une rétroaction est une action en retour d’un effet sur le dispositif qui lui a donné naissance.

([78])  Audrey Garric, La banquise arctique a atteint sa deuxième superficie la plus basse jamais enregistrée, Le Monde, 20 septembre 2020, https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/09/21/la-banquise-arctique-a-atteint-sa-deuxieme-superficie-la-plus-basse-jamais-enregistree_6053079_3244.html (page consultée le 7 avril 2021).

([79]) Péter K. Molnár, Cecilia M. Bitz, Marika M. Holland, Jennifer E. Kay, Stephanie R. Penk & Steven C. Amstrup, Fasting season length sets temporal limits for global polar bear persistence, Nature Climate Change, 2020, https://www.nature.com/articles/s41558-020-0818-9 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([80]) Pôles Nord & Sud n°2, été 2019 http://lecerclepolaire.com/fr/documentation/revue-poles-nord-et-sud/poles-nord-a-sud-n2 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([81])  GIEC, rapport spécial sur  le réchauffement planétaire de 1,5 °C https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf (page consultée le 9 avril 2021).

([82])  Bernard Deflesselles et Nicole Le Peih, rapport d’information sur la diplomatie climatique, 28 novembre 2018, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/RINFANR5L15B1447.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([83])  Moyenne mondiale sur les régions polaires et les zones de haute montagne.

([84])  Global construction review, Russia’s permafrost cities face « devastation » in next 35 years, https://www.globalconstructionreview.com/news/russias-permafrost-cit7ies-fa7ce-devastat7ion-35/ (page consultée en ligne le 15 mars 2021).

([85])  Entretien cité dans Anne Pélouas, Les Inuits résistants !, Paris, Ateliers Henry Dougier, 2015.

([86]) Gaëlle Dupont, La calamité des polluants organiques persistants, Le Monde, 1er mars 2007 https://www.lemonde.fr/planete/article/2007/03/01/la-calamite-des-polluants-organiques-persistants_877783_3244.html (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([87]) Dichlorodiphényltrichloroéthane, produit chimique utilisé à grande échelle comme insecticide.

([88])  Anne-Françoise Hivert, Entretien avec Sheila Watt-Cloutier : « L’Arctique est le système de climatisation de la planète et il est en train de se casser », Le Monde, 28 mai 2019, https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/28/sheila-watt-cloutier-l-arctique-est-le-systeme-de-climatisation-de-la-planete-et-il-est-en-train-de-se-casser_5468646_3244.html, (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([89]) Préambule du Code polaire : https://wwwcdn.imo.org/localresources/en/MediaCentre/HotTopics/Documents/POLAR%20CODE%20TEXT%20AS%20ADOPTED.pdf (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([90]) Pauline Pic, Naviguer en Arctique, Géoconfluences, 14 février 2020, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/naviguer-en-arctique (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([91])  Organisation maritime internationale, Transports maritimes dans les eaux polaires, https://www.imo.org/fr/MediaCentre/HotTopics/Pages/Polar-default.aspx (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([92])  En vertu de la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) de 1973.

([93])  Le terme générique de fioul‑lourd se rapporte aux combustibles utilisés pour générer du mouvement ou de la chaleur et qui ont une viscosité et une densité particulièrement élevées. Ils sont, entre autres, chargés en soufre, oxyde d’azote et particules fines.

([94])  Bob Weber, Le Canada penche pour l’interdiction du fioul lourd dans les eaux arctiques, La Presse canadienne, 16 février 2020, https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2020-02-16/le-canada-penche-pour-l-interdiction-du-fioul-lourd-dans-les-eaux-arctiques (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([95])  Philippe Collet, Transport maritime : un accord a minima pour encadrer les émissions de gaz à effet de serre, Actu-Environnement, 26 novembre 2020, https://www.actu-environnement.com/ae/news/accord-strategie-reduction-ges-transport-maritime-36586.php4 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([96])  Pauline Pic, Naviguer en Arctique, Géoconfluences, 14 février 2020, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/arctique/articles-scientifiques/naviguer-en-arctique (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([97]) Maria-Vittoria Guarino, Louise C. Sime, David Schröeder, Irene Malmierca-Vallet, Erica Rosenblum, Mark Ringer, Jeff Ridley, Danny Feltham, Cecilia Bitz, Eric J. Steig, Eric Wolff, Julienne Stroeve et Alistair Sellar, Sea-ice-free Arctic during the Last Interglacial supports fast future loss, Nature Climate Change, 10 août 2020, https://www.nature.com/articles/s41558-020-0865-2 (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([98]) L’Union européenne est compétente en matière de politique de la pêche au nom de ses États membres.

([99])  En 2017, une conférence intergouvernementale a été mise en place sous l’égide de l’ONU afin d’œuvrer à l’élaboration d’un instrument juridique contraignant permettant d’assurer la préservation, voire la reconquête de la diversité biologique en haute mer. C’est le processus de négociations dit « BBNJ » (biological diversity in areas beyond national jurisdiction) qui devrait aboutir, d’ici l’été 2021.

([100]) Conseil de l’Arctique, Exploring the Arctic Ocean: The agreement that protects an unknown ecosystem, 28 octobre 2020 https://arctic-council.org/en/news/exploring-the-arctic-ocean-the-agreement-that-protects-an-unknown-ecosystem/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([101])  Réchauffement trois fois plus rapide au Pôle Sud que dans le reste du monde, GEO, 29 juin 2020 https://www.geo.fr/environnement/rechauffement-3-fois-plus-rapide-au-pole-sud-que-dans-le-reste-du-monde-201094 (page consultée le 9 avril 2021).

([102]) GIEC, rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, 2019 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf (page consultée le 9 avril 2021).

([103]) Ibid.

([104]) Ricardo Roura, Vers un surtourisme sur le continent blanc ?, Le Cercle Polaire http://lecerclepolaire.com/fr/documentation/articles/1009-vers-un-surtourisme-sur-le-continent-blanc (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([105])  Ministère des affaires étrangères et du commerce de Nouvelle Zélande, 2004.

([106])  IAATO, Overview of Antarctic Tourism: 2018-19 Season and Preliminary Estimates for 2019-20, https://iaato.org/wp-content/uploads/2020/03/IP140-IAATO-Overview-of-Antarctic-Tourism-2018-19-Season-and-Preliminary-Estimates-for-2019-20-Season.pdf (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([107]) IAATO, Data & Statistics, https://iaato.org/information-resources/data-statistics/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([108]) Ricardo Roura, Vers un surtourisme sur le continent blanc ?, Le Cercle Polaire http://lecerclepolaire.com/fr/documentation/articles/1009-vers-un-surtourisme-sur-le-continent-blanc (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([109]) Ibid.

([110]) UICN, Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines, 2012, https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/PAG-019-Fr.pdf (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([111]) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013, file:///C:/Users/FXCARA~1/AppData/Local/Temp/Livre-blanc-sur-la-Defense-et-la-Securite-nationale%202013.pdf (page consultée le 7 avril 2021).

([112]) Feuille de route nationale sur l’Arctique de 2016, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/frna_-_vf_-17-06-web-bd_cle8b359f.pdf (page consultée le 7 avril 2021).

([113]) Résolution du Parlement européen du 9 octobre 2008 sur la gouvernance arctique, https://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P6-TA-2008-0474+0+DOC+XML+V0//FR (page consultée le 7 avril 2021).

([114])  Les relations officielles entre l’Union européenne et le Danemark, le Groenland et les îles Féroé sont de nature très différente : le Danemark est membre de l’Union ; le Groenland, situé dans l’Arctique, fait géographiquement partie de l’Amérique du Nord et est associé à l’Union en tant que pays et territoire d’outre-mer (PTOM) avec un accord de pêche global et les îles Féroé, situées à l’endroit où l’Atlantique Nord rencontre l’Arctique, sont un pays tiers à l’Union avec des accords bilatéraux distincts sur le commerce, la pêche et la recherche.

([115])  Il s’agit d’un programme de l’Union européenne visant une coopération transfrontalière entre les États du nord de l’Europe au sens large : les États membres de l’Union d’une part et la Norvège, l’Islande et la Russie, d’autre part.

([116]) Les membres du Conseil euro-arctique de Barents sont le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et la Commission européenne.

([117]) Ce traité, signé le 9 février 1920, confie l’archipel du Svalbard à la Norvège, mais avec un régime de souveraineté conditionnelle. Son article 1er reconnaît bien une « pleine et entière souveraineté de la Norvège », mais les articles suivants limitent de fait cette souveraineté en imposant notamment des règles d’accès égal et non discriminatoire pour les ressortissants de toutes les parties contractantes au territoire et à ses richesses. Oslo estime cependant, s’agissant des recherches scientifiques, que celles‑ci doivent se dérouler dans le cadre défini par la réglementation norvégienne.

([118]) IPEV, Les stations, https://www.institut-polaire.fr/ipev/infrastructures/les-bases/ (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([119]) Voir en annexes pour la définition des acronymes et des sigles.

([120]) Arctic Circle, The Arctic Circle Abu Dhabi Forum, http://www.arcticcircle.org/forums/abu-dhabi (page consultée en ligne le 5 avril 2021).

([121])  C’est la troisième fois que la responsabilité d’organiser la RCTA revient à la France, après les réunions de 1968 et 1989.

([122]) La station Dumont-d’Urville n’a pas vu de politique ambitieuse d’investissement depuis les années 1960 et fait essentiellement l’objet d’une maintenance a minima chaque année par les professionnels de l’IPEV.

([123])  La station Concordia est à mi‑vie. Un plan bilatéral de modernisation a été demandé par les ministres français et italien de la recherche suite au sommet France‑Italie du 27 février 2020.