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N° 1318

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juin 2023.

 

 

RAPPORT D’INFORMATION

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

en conclusion des travaux du Printemps social de l’évaluation

 

Présenté par M. Éric ALAUZET, Mme Farida AMRANI, M. Paul CHRISTOPHE, M. Hadrien CLOUET, M. Pierre DHARRÉVILLE, M. Thierry FRAPPÉ, M. Cyrille ISAAC-SIBILLE, Mme Monique IBORRA, M. Sébastien PEYTAVIE, et Mme Stéphanie RIST

 

Députés.

 

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SOMMAIRE

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 Pages

Avant-propos de Mme STÉPHANIE RIST, rapporteure générale

Avant-propos de MM. JÉrÔME GUEDJ et CYRILLE ISAACSIBILLE, coprésidents de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

ÉVALUATIONS DES RAPPORTEURS

Les mesures récentes relatives à la « fiscalité comportementale »

Annexe : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Les nouveaux rôles de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et la réalité de sa transformation en branche de la sécurité sociale, au service des personnes âgées

Annexe : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides

Annexe : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Les innovations récentes dans le financement des établissements de santé

Annexe : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure générale

La mise en place du dispositif « MonParcoursPsy »

AnnexE : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

Les entretiens postnataux

Annexe : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Travaux de la commission

1. Réunion du mardi 16 mai 2023 à 17 heures 15

2. Réunion du mardi 16 mai 2023 à 21 heures

3. Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9 heures 30

 


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   Avant-propos de Mme STÉPHANIE RIST,
rapporteure générale

● À l’initiative de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) et de ses coprésidents Jérôme Guedj et Cyrille Isaac-Sibille, en étroite collaboration avec la rapporteure générale, Stéphanie Rist, la commission des affaires sociales a renoué avec le « Printemps social de l’évaluation », créé au cours de la XVe législature.

Par le biais de missions rapides et approfondies portant sur des dispositions précises des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) adoptées au cours des années précédentes, ce « Printemps » est l’occasion pour les rapporteurs de la Mecss de contrôler pleinement non seulement la bonne application des dispositions votées, mais aussi d’en évaluer les effets concrets, les obstacles à leur bonne mise en œuvre et, le cas échéant, la manière dont la disposition peut être améliorée dans le cadre des lois de financement suivantes.

● En l’espèce, l’exercice 2022 a été marqué par six évaluations, ce qui rentre dans l’épure traditionnelle du nombre d’évaluations menées au cours des exercices précédents. Conformément aux vœux des présidents de la Mecss, ces évaluations ont été variées et ne se sont pas concentrées sur les points d’intérêt traditionnels de la commission des affaires sociales. Ce sont ainsi trois branches de la sécurité sociale (maladie ; autonomie ; accidents du travail et maladies professionnelles) et des dispositions relatives à ses recettes qui ont été abordées par les rapporteurs du « Printemps ».

Ainsi, le coprésident Cyrille Isaac-Sibille et M. Thierry Frappé ont évalué diverses dispositions relatives à la fiscalité comportementale appliquée aux boissons, inscrites à l’article 19 de la LFSS 2018 (taxe sur les boissons sucrées), l’article 15 de la LFSS 2020 (taxe sur les boissons dites « prémix ») et l’article 24 de la LFSS 2013 (taxation des bières).

S’agissant de la branche autonomie, Mmes Monique Iborra et Farida Amrani, ainsi que M. Paul Christophe, ont évalué l’article 32 de la LFSS 2021, qui, à la suite de la loi dite « dette sociale et autonomie » du 7 août 2020 ([1]), a consacré le rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans la gouvernance de la branche en redéfinissant ses missions, son architecture financière et ses règles d’organisation.

Pour ce qui concerne la branche accidents du travail et maladies professionnelles », M. Paul Christophe a évalué l’article 70 de la LFSS 2020, portant création du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

Enfin, la branche « maladie » a donné lieu à trois évaluations. La rapporteure générale a souhaité analyser les innovations récentes dans le financement de la santé et, en particulier, les articles 51 de la LFSS 2018 (expérimentation de modalités de financement de la santé dérogatoires), 38 de la LFSS 2019 (mise en place d’un financement au forfait pour les pathologies chroniques) et 31 de la LFSS 2020 (réforme du financement des hôpitaux de proximité). MM. Éric Alauzet, Pierre Dharréville et Sébastien Peytavie ont évalué l’article 79 de la LFSS 2022, qui a créé le dispositif « MonParcoursPsy », permettant la prise en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé, sous certaines conditions, de consultations auprès de psychologues libéraux. Enfin, M. Hadrien Clouet a retenu, dans le cadre de son évaluation, l’article 86 de la LFSS 2022, portant création d’un entretien postnatal obligatoire.

● Ce premier exercice, qui fut globalement un succès, a permis de constater que l’exercice pouvait être mené, y compris dans les conditions particulières qu’a imposé l’examen du projet de loi de financement rectificative pour 2023 ([2]). Les présidents de la Mecss espèrent que l’exercice 2024 permettra de renouer avec un temps plus long de choix des dispositions à évaluer et de mise en œuvre des évaluations, cohérent avec celui qui était habituellement retenu dans le cadre de la XVe législature.

 

 

 


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   Avant-propos de MM. JÉrÔME GUEDJ et CYRILLE ISAAC‑SIBILLE, coprésidents de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale

● À l’initiative de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), en étroite collaboration avec la rapporteure générale, la commission des affaires sociales a renoué avec le « Printemps social de l’évaluation », créé au cours de la XVe législature.

Par le biais de missions rapides et approfondies portant sur des dispositions précises des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) adoptées au cours des années précédentes, ce « Printemps » est l’occasion pour les rapporteurs de la Mecss de contrôler pleinement non seulement la bonne application des dispositions votées, mais aussi d’en évaluer les effets concrets, les obstacles à leur bonne mise en œuvre et, le cas échéant, la manière dont la disposition peut être améliorée dans le cadre des lois de financement suivantes.

● En l’espèce, l’exercice 2022 a été marqué par six évaluations, ce qui rentre dans l’épure traditionnelle du nombre d’évaluations menées au cours des exercices précédents. Conformément aux vœux des présidents de la Mecss, ces évaluations ont été variées et ne se sont pas concentrées sur les points d’intérêt traditionnels de la commission des affaires sociales. Ce sont ainsi trois branches de la sécurité sociale (maladie, autonomie, accidents du travail et maladies professionnelles) et des dispositions relatives à ses recettes qui ont été abordées par les rapporteurs du « Printemps ».

Ainsi, le coprésident Cyrille Isaac-Sibille et M. Thierry Frappé ont évalué diverses dispositions relatives à la fiscalité comportementale appliquée aux boissons, inscrites à l’article 19 de la LFSS 2018 (taxe sur les boissons sucrées), l’article 15 de la LFSS 2020 (taxe sur les boissons dites « prémix ») et l’article 24 de la LFSS 2013 (taxation des bières).

S’agissant de la branche autonomie Mme Monique Iborra, Mme Farida Amrani et M. Paul Christophe ont évalué l’article 32 de la LFSS 2021, qui, à la suite de la loi dite « dette sociale et autonomie » du 7 août 2020 ([3]), a consacré le rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans la gouvernance de la branche en redéfinissant ses missions, son architecture financière et ses règles d’organisation.

Pour ce qui concerne la branche accidents du travail et maladies professionnelles, M. Paul Christophe a évalué l’article 70 de la LFSS 2020, portant création du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

Enfin, la branche maladie a donné lieu à trois évaluations. La rapporteure générale a souhaité analyser les innovations récentes dans le financement de la santé et, en particulier, les articles 51 de la LFSS 2018 (expérimentation de modalités de financement de la santé dérogatoires), 38 de la LFSS 2019 (mise en place d’un financement au forfait pour les pathologies chroniques) et 31 de la LFSS 2020 (réforme du financement des hôpitaux de proximité). M. Éric Alauzet, M. Sébastien Peytavie et M. Pierre Dharréville ont évalué l’article 79 de la LFSS 2022, qui a créé le dispositif « MonParcoursPsy », permettant la prise en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé, sous certaines conditions, de consultations auprès de psychologues libéraux. Enfin, M. Hadrien Clouet a retenu, dans le cadre de son évaluation, l’article 86 de la LFSS 2022, portant création d’un entretien postnatal obligatoire.

● Ce premier exercice, qui fut globalement un succès, a permis de constater que l’exercice pouvait être mené, y compris dans les conditions particulières qu’a imposé l’examen du projet de loi de financement rectificative pour 2023 ([4]). Les coprésidents de la Mecss espèrent que l’exercice 2024 permettra de renouer avec un temps plus long de choix des dispositions à évaluer et de mise en œuvre des évaluations, cohérent avec celui qui était habituellement retenu dans le cadre de la XVe législature.

 


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     ÉVALUATIONS
DES RAPPORTEURS

 

 

 


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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

Les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) sont régulièrement l’occasion de modifier les paramètres de la fiscalité dite « comportementale », en ce qu’elle s’applique en vue non pas de constituer une ressource pour une collectivité publique mais plutôt d’orienter le comportement des consommateurs vers des pratiques jugées plus vertueuses, notamment du point de vue de la santé publique. Il est ainsi régulièrement débattu de la fiscalité sur les produits du tabac, qui fait l’objet d’une abondante littérature. C’est moins le cas des taxes appliquées aux alcools ou aux boissons sucrées, pourtant responsables d’importantes tendances addictives.

Récemment, la LFSS 2018 (article 19) a ainsi permis d’instaurer un barème progressif au sein de la taxe sur les boissons sucrées et la LFSS 2020 (article 15) de créer une taxation des boissons « prémix » à base de vin. Précédemment, la LFSS 2013 (article 24) avait renforcé la taxation sur les bières. Les lois de finances constituent un autre véhicule législatif par lequel ces taxations peuvent être modifiées ([5]).

Les rapporteurs, M. Cyrille Isaac-Sibille et M. Thierry Frappé, ont donc recherché à recenser les taxes qui s’appliquent à toutes les boissons en France et à mesurer si elles ont une efficacité en matière de santé publique, en réduisant les addictions et les effets collatéraux qu’une consommation excessive de certaines boissons peut engendrer.

Préalablement à l’audition des administrations centrales en commission, les rapporteurs ont entendu Santé publique France, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), des associations représentant les consommateurs, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, les administrations du ministère de l’économie et des finances ainsi que les représentants du secteur.

I.   LES BOISSONS SONT SOUMISES À DE NOMBREUSES CONTRIBUTIONS

Les boissons se définissent, aux sens douanier et fiscal, comme « l’ensemble des liquides destinés à la consommation humaine, sous réserve qu’ils ne fassent pas l’objet d’une classification plus précise » ([6]). Les boissons alcooliques sont celles dont le titre alcoométrique volumique acquis excède 1,2 % en volume ou 0,5 % pour les bières de malt ([7]) et mélanges de bières de malt et de boissons non alcooliques. La fiscalité appliquée aux boissons est également très encadrée par le droit de l’Union européenne ([8]).

  1. La fiscalité appliquée aux boissons alcooliques

Outre un taux de TVA de 20 % (avec des variations en Corse), les boissons contenant de l’alcool sont soumises à deux types de fiscalité :

 un droit d’accise qui varie en fonction du type de produit et du degré d’alcool ([9]). Pour les « vins tranquilles », les vins mousseux, les cidres, poirés, hydromels, les boissons fermentées autres que les vins et les bières, ainsi que pour les mélanges de boissons fermentées additionné d’alcool distillé (produits intermédiaires), les taxes s’appliquent aux volumes (en hectolitre) de boissons alcoolisées ; pour les bières et les spiritueux, les taxes s’appliquent directement aux volumes d’alcool pur contenus dans ces boissons ;

 depuis 1983 ([10]), une cotisation additionnelle poursuivant des objectifs de santé publique ([11]) et ne frappant que les boissons d’un titre supérieur à 18 %.

Il faut également ajouter la taxe sur les boissons dites « prémix » ([12]), instaurée dès 1997 pour lutter contre l’alcoolisme chez les jeunes et progressivement élargie pour couvrir aujourd’hui toutes les boissons ayant un titre alcoométrique volumique compris entre 1,2 et 12 % par volume et étant constituées soit d’un mélange de boissons alcooliques et non alcooliques soit de plus de 35 grammes par litre de sucre. Les cidres, poirés et hydromels sont exclus de cette taxe, car ne ciblant pas particulièrement les plus jeunes.

  1. La fiscalité appliquée aux boissons non alcooliques

Exemptées d’accise, les boissons ne contenant pas d’alcool sont soumises à plusieurs contributions, en plus d’un taux de TVA à 5,5 % ([13]) :

 la contribution prévue par le code général des impôts ([14]) avec deux composantes, l’une frappant certains produits liquides (eaux à boire, boissons autres que les jus de fruits et de légumes avec un titre alcoolémique volumique n’excédant pas 0,6 % en volume, eaux de laboratoire) et l’autre frappant les boissons ou jus de fruits ou de légumes contenant des édulcorants de synthèse ;

 la contribution sur les boissons non alcooliques comprenant des sucres ajoutés ([15]), dite « taxe soda ». Introduite par la loi de finances pour 2012, cette taxe a été remaniée à l’occasion de la LFSS 2018 afin de la moduler en fonction de la quantité de sucres ajoutés, sous forme d’une taxation marginale croissante ;

 la contribution facultative (sur décision de la commune sur laquelle se trouve une source) sur les eaux minérales naturelles ([16]).

II.   LES TAXES SUR LES BOISSONS ONT UN FORT RENDEMENT BUDGÉTAIRE MAIS UNE EFFICACITÉ LIMITÉE EN MATIÈRE DE SANTÉ PUBLIQUE

  1. La fiscalité sur les boissons est à la source d’importantes recettes

Les rapporteurs notent d’abord l’important rendement de l’ensemble de la fiscalité appliquée aux boissons, qui représente entre 4,5 et 5 milliards d’euros chaque année. Les accises sur l’alcool concentrent plus de 72 % de ce rendement. En comparaison, la contribution additionnelle sur les boissons alcooliques et la taxe « prémix » n’ont qu’un rendement assez marginal (respectivement 760 et 2,4 millions d’euros). De la même manière, les taxes appliquées aux boissons sucrées ont des rendements sociaux faibles, que ce soit la taxe sur les boissons sucrées (456 millions d’euros), la taxe sur les boissons et autres liquides (86 millions d’euros) et la taxe sur les boissons avec édulcorants (41 millions d’euros).

RENDEMENTS DES DIFFÉRENTES TAXES APPLIQUÉES AUX BOISSONS (en milliards d’euros)

Source : réponses du ministère de l’économie et des finances aux rapporteurs.

Ces rendements importants sont portés par des assiettes fiscales particulièrement dynamiques entre 2019 et 2022 (à l’exception des vins et des boissons non alcooliques). Les rapporteurs notent en particulier la croissance importante de l’assiette des taxes sur les boissons sucrées (+ 19 %) et de celle portant sur les boissons contenant des édulcorants (+ 21 %).

VARIATION DES ASSIETTES FISCALES DES DIFFÉRENTES TAXES APPLIQUÉES AUX BOISSONS ENTRE 2019 et 2022

Source : réponses du ministère de l’économie et des finances aux rapporteurs.

Ces rendements sont si importants que la fiscalité sur les boissons représente la quasi-totalité de l’ensemble de la fiscalité relative aux produits alimentaires et à l’agriculture. Ce rendement est comparable à celui de la fiscalité appliquée aux secteurs de la santé (7 milliards d’euros), des transports (6 milliards) et des jeux (4 milliards). Ces données doivent également s’apprécier au regard du coût engendré, pour la collectivité, par la consommation excessive de certains produits. Ce coût est estimé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à 118 milliards d’euros par an ([17]).

  1. L’effet de cette fiscalité sur les comportements des consommateurs est très limité

L’impact d’une mesure de fiscalité comportementale dépend à la fois de son effet sur les prix et des effets de cette variation de prix sur la consommation. Le premier, difficile à prévoir, est fonction du comportement des producteurs/distributeurs et des consommateurs. Le second, appelé « élasticité-prix », fait l’objet d’un consensus scientifique : une hausse des prix entraîne systématiquement une baisse de la consommation, même chez les plus « gros » consommateurs. En outre, les mesures de fiscalité comportementale doivent tenir compte de plusieurs paramètres : la possibilité d’achats transfrontaliers, leur coût administratif et les réponses stratégiques que les producteurs peuvent déployer pour les contourner.

1.   La baisse de consommation des boissons alcooliques en France n’est que marginalement le fait de la fiscalité

Le nombre de décès attribuables à l’alcool en 2015 est estimé à 41 000. Cela représente 30 000 décès chez les hommes et 11 000 décès chez les femmes, soit respectivement 11 % et 4 % de la mortalité des adultes de 15 ans et plus. Cette mortalité inclut 16 000 décès par cancers, 9 900 par maladies cardiovasculaires, 6 800 par maladies digestives et 5 400 par une cause externe (accident ou suicide) ([18]).

En 2021, 6 millions d’hectolitres d’alcool pur avaient été mis en vente en France, dont 54 % sous forme de vin, 23 % de bières et 21 % de spiritueux. Il est notable que, depuis les années 1960, la consommation d’alcool en France a largement diminué (26 litres d’alcool pur par habitant de 15 ans et plus étaient mis en vente en 1961, contre 10,6 litres en 2021). Cette baisse est presque intégralement imputable au vin, les bières et spiritueux étant relativement stables. On constate toutefois une baisse continue de la consommation d’alcool chez les adolescents de 17 ans : en 2022, 59 % des jeunes de 17 ans déclarent un usage de l’alcool au cours du mois, contre 66 % en 2017 et 79 % en 2000. L’âge de première expérimentation tend également à baisser, tout comme la proportion de jeunes en ayant une consommation quotidienne.

Cette tendance globalement positive ne saurait toutefois être imputée à l’impact de la fiscalité. En effet, malgré quelques fluctuations, le niveau de l’indice relatif des prix de l’ensemble des boissons alcoolisés était en 2011 à peu près le même que celui observé en 1990. Les prix des boissons alcoolisées ont ensuite augmenté d’environ 6 % entre 2011 et 2017. L’indice des prix relatifs pour les bières et pour les spiritueux a baissé entre 1990 et la fin des années 2000, dans les années 1990 pour les bières et dans les années 2000 pour les spiritueux. Les prix se sont orientés à la hausse dans les années 2010 en grande partie en raison de l’augmentation de la fiscalité sur ces deux types d’alcools. Le niveau des prix relatifs est néanmoins resté inférieur à celui de 1990 pour les spiritueux et 3 % au-dessus de ce niveau pour les bières. Les prix relatifs des vins ont connu des phases de hausse et de baisse jusqu’en 2008 pour augmenter depuis.

INDICES DES PRIX RELATIFS À LA CONSOMMATION DE BOISSONS ALCOOLISÉES EN FRANCE DEPUIS 1990

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Source : Observatoire français des drogues et tendances addictives.

2.   Une augmentation importante de la consommation de boissons sucrées en France malgré la mise en œuvre de la « taxe sodas »

Quarantecinq États, villes ou régions dans le monde ont mis en place une « taxe soda » ([19]), visant spécifiquement les boissons contenant une importante proportion de sucres. En effet, la consommation d’aliments et de boissons à forte teneur en sucre, et surtout en sucres ajoutés (c’est-à-dire introduits artificiellement dans un aliment), constitue une source majeure d’excès de calories, notamment chez l’enfant, l’adolescent et le jeune adulte ([20]). Ainsi, les consommateurs ont des risques accrus de diabète de type 2, d’obésité, de maladies coronariennes ou de stéatose hépatique non alcoolique. Au total, la surcharge pondérale aurait un coût social équivalent à celui du tabac et de l’alcool ([21]). Santé publique France recommande une consommation des boissons sucrées inférieure à 250 millilitres par jour ([22]). Or, les rapporteurs constatent une augmentation continue de la proportion de sodas et autres boissons non alcoolisées dans la structure de la dépense de consommation des ménages.

STRUCTURE DE LA DÉPENSE DE CONSOMMATION DES MÉNAGES EN BOISSONS (EN VALEUR)

Source : Insee, comptes nationaux, base 2014.

Ainsi, la dernière étude conduite en France en 2023 sur la « taxe soda » ([23]), réformée en 2018, montre qu’au total, la réforme a induit une baisse des apports en sucre provenant des boissons sans alcool de 30 grammes par ménage et par mois. Sur les 822 boissons étudiées, la taxe n’a pas fait varier le contenu en sucre pour 90 % des références et les rares baisses observées ont été très modestes. La taxe a pu permettre d’augmenter le prix des boissons des grandes marques nationales, sans avoir d’impact significatif sur les marques de distributeurs.

Au total, selon l’UFC-Que Choisir ([24]), pour un soda à 100 grammes de sucre par litre, une cannette de 33 centilitres voit son prix renchéri de seulement 5 centimes d’euros. Suite à cette taxation, les Français auraient baissé en moyenne leurs achats de l’ordre de 3 à 4 litres par an, ce qui correspond à 3 kilocalories par jour, soit l’équivalent de moins d’1 grammes de sucres par jour et par personne, alors que la consommation journalière de sucre est de l’ordre de 100 grammes par jour chez les enfants. L’impact de la taxe est donc extrêmement limité.

III.   LES PISTES D’AMÉLIORATION : RENFORCER ET RÉVISER LA TAXATION SUR LES BOISSONS

Les principales études (OCDE ([25]), OMS ([26]), Banque mondiale ([27]) et ministère de la santé ([28])) ont montré que les taxes constituent un levier majeur pour améliorer la santé publique en lien avec la consommation des boissons alcooliques et/ou sucrées. Or, les rapporteurs constatent qu’en France, l’outil fiscal est encore peu et mal utilisé en ce sens, du fait d’objectifs peu clairs et d’une fiscalité trop légère et complexe, même si des engagements récents ont été pris par le Gouvernement dans sa stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027, après une étude rendue en août 2022 à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) ([29]). Outre un indispensable travail de rationalisation et de simplification de ces taxes, les rapporteurs formulent quatre propositions.

  1. Une fiscalité sur les alcools à rehausser, à adapter aux habitudes de consommation et à repenser plus profondément

1.   Une taxation des alcools trop faible et ne reflétant pas les habitudes de consommation

La France se caractérise par des droits d’accise sur l’alcool dont les taux sont faibles. En particulier, les vins ([30]), les rhums produits dans les départements d’outre-mer et les bières des « petites brasseries » bénéficient d’un régime fiscal particulièrement favorable. En parallèle, d’après l’OFDT, les spiritueux sont deux fois plus taxés que les bières et environ 59 fois plus que le vin, ce qui conduit la Cour des comptes à parler, en matière fiscale, de « discriminations positives » en faveur du vin.

DROITS D’ACCISE AJUSTÉS SUR LA PARITÉ DES POUVOIRS D’ACHAT, PAR UNITÉ STANDARD D’ALCOOL EN 2019 (en euros)

Source : Observatoire français des drogues et des tendances addictives.

À titre d’exemple, alors que la taxe appliquée aux boissons « prémix » à base de spiritueux a pu avoir, au moment de sa création, un fort effet sur les prix, celui-ci s’est rapidement estompé, car le taux n’a pas été revu. Cela a été confirmé par la stratégie interministérielle 2023-2027, qui indique clairement que « si augmenter le prix du tabac est bien identifié comme l’une des composantes essentielles des différents plans nationaux de lutte contre le tabac, ce levier n’est que partiellement utilisé pour l’alcool » ([31]).

Or, les quelques exemples récents d’augmentation de la fiscalité sur les boissons alcooliques ont été probants. La hausse des taxes sur les bières en 2013 a diminué de 3 % les ventes dans la distribution et de 8 % dans les débits de boissons[32]. L’élasticité-prix (rapport entre la variation de la consommation et la variation du prix) pour l’ensemble des boissons alcooliques est ainsi évalué à -0,46 ([33]).

En outre, la contribution fiscale de chaque type de boisson alcoolique ne reflète pas la répartition de consommation. Alors que le vin concerne 58 % de la consommation, ses droits d’accise ne représentent, d’après la Cour des comptes, que 3,6 % des droits totaux. Or, « les achats de vins contribuent significativement aux consommations d’alcools des individus ne respectant pas les recommandations de santé publique » ([34]). Le vin n’est pas donc pas suffisamment taxé par rapport à sa contribution à la consommation d’alcool en France, sans cohérence avec les objectifs de santé publique. Cela conduit aussi la fiscalité sur l’alcool à être particulièrement régressive, les ménages aisés achetant relativement plus de vin et des produits de meilleure qualité, moins taxés.

Proposition. Augmenter les taxes et droits d’accise sur les boissons alcooliques, comme le demande la plupart des études sur ce sujet. Compte tenu des distorsions actuelles en matière de droits d’accise, il faudrait cibler en priorité le vin, très peu taxé et dont la fiscalité est inchangée depuis plusieurs décennies, comme le proposait déjà le Sénat dès 2014 ([35]).

En outre, contrairement à la fiscalité des produits du tabac, les taxes et droits d’accise appliqués aux boissons n’évoluent pas régulièrement et ne permettent pas une augmentation continue des prix, malgré une indexation des droits sur les alcools et boissons alcooliques sur l’inflation de l’année N-2 ([36]).

Proposition. Sur le modèle ce qui a été adopté récemment pour les produits du tabac ([37]), l’évolution des droits d’accise devrait se fonder sur l’inflation de l’année N-1 plutôt que celle de l’année N-2, afin que les prix des produits soumis à assise n’évoluent pas moins rapidement que ceux des produits de consommation courante.

2.   Réviser plus profondément la fiscalité appliquée aux boissons alcoolisées

Proposition. Engager des réflexions autour du prix minimum des boissons alcooliques, comme le recommandent l’OMS ([38]), la Cour des comptes ainsi que le chercheur Fabrice Etilé dans son rapport remis à la Mildeca ([39]).

Jugée potentiellement compatible avec le droit de l’Union européenne ([40]), cette politique a un impact particulièrement important pour les consommateurs excessifs. Il s’agit d’imposer aux distributeurs un prix de vente plancher par unité d’alcool contenue dans une boisson. Le Canada et l’Écosse en constituent les deux principales expérimentations, avec des effets très positifs en termes de santé publique. Cette politique a permis d’économiser 6,2 milliards d’euros en dix ans au Canada, notamment grâce aux vies sauvées, aux hospitalisations évitées et à la réduction du chômage ([41]). En Écosse, une étude de 2023 ([42]) a montré que le prix minimum, mis en œuvre depuis 2018, avait permis de réduire de 13,4 % le nombre de morts attribuables à la consommation d’alcool et de 4,1 % le nombre d’hospitalisations, majoritairement chez les personnes les moins favorisées.

En France, le rapport remis à la Mildeca montre les multiples avantages d’une telle politique. Pour un prix minimal de 0,5 euro par verre standard, on constaterait une diminution de 15 % des volumes achetés par les ménages (contre 10 % en cas d’augmentation de la fiscalité), une concentration du bénéfice pour les plus gros consommateurs, une augmentation du profit des producteurs indépendants de vins tranquilles (+ 39 %) au détriment des industriels et distributeurs (– 39%) et une réduction de 22 % de la mortalité par cancer attribuable à l’alcool (contre 16 % en cas d’augmentation de la fiscalité). Au total, la stratégie interministérielle 2023-2027 fait clairement état du fait que « la politique de prix minimum a une meilleure efficacité que les scénarios de réformes des droits spécifiques (...) Une telle mesure est la plus à même à réaliser les objectifs de santé publique poursuivis ».

  1. Rendre la « taxe soda » plus simple et plus incitative

Alors que l’OMS l’a considérée comme un outil efficace de lutte contre l’obésité, les résultats très limités de la « taxe soda » dans notre pays conduisent à s’interroger sur son paramétrage. En effet, il apparaît qu’en France, les nombreux « paliers de taxation » (au nombre de seize) font que cette taxe n’incite pas suffisamment les industriels à changer leur formule en vue de l’alléger en sucre et donc d’éviter la taxe ([43]), comme l’a encore rappelé en avril 2023 le rapport du Pr Martine Laville sur les politiques de lutte contre l’obésité ([44]).

Par comparaison, au Royaume-Uni, où la taxe sur les sodas ne comporte que trois paliers, les industriels ont été massivement procédé à cette reformulation. La taxe britannique a en effet permis de faire chuter la proportion de boissons au-dessus du premier seuil (5 grammes par millilitre) de 40 % ([45]) et la baisse totale des apports en sucre serait estimée à 30 grammes par ménage par semaine ([46]), soit un effet quatre fois supérieur à la taxe française.

COMPARAISON DES TAXES SUR LES BOISSONS SUCRÉES EN FRANCE ET AU ROYAUME-UNI

Source : réponses de M. Fabrice Etilé aux rapporteurs.

Cela s’explique par deux différences : la taxe britannique a des taux d’accise plus élevés et introduit des discontinuités brutales, qui incitent à rester en dessous des paliers et permettent aux entreprises d’anticiper plus clairement les conséquences des reformulations. La taxe française est donc trop peu dissuasive et trop complexe.

Proposition. Réformer la « taxe soda », en passant à trois tranches et en augmentant ses taux.

En conclusion, il est clairement établi que la taxation des boissons sucrées ou alcooliques constitue un levier potentiellement puissant et efficace pour améliorer les politiques de santé publique. Les rapporteurs constatent toutefois que cette taxation reste trop faible en France pour jouer pleinement son rôle de « fiscalité comportementale », devenant au contraire une fiscalité classique, source d’importantes recettes pour l’État et la sécurité sociale.

C’est pourquoi les rapporteurs appellent à des évolutions tendant à augmenter progressivement cette fiscalité, à la simplifier et à réfléchir à une politique du « prix minimum » pour les boissons contenant de l’alcool. Néanmoins, il est évident que cette politique seule ne saura pas résoudre toutes les difficultés engendrées par une consommation excessive de boissons alcooliques ou sucrées et que celle-ci doit s’inscrire dans une stratégie globale de prévention (notamment la restriction du marketing et de l’accessibilité à certaines boissons) et de suivi des personnes ayant des consommations à risque.

 

 


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  Annexe :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

(Par ordre chronologique)

                  Santé publique France – Mme Alima Marie-Malikité, directrice de cabinet, et M. Pierre Arwidson, adjoint au directeur de la prévention et de la promotion de la santé

                  Observatoire français des drogues et tendances addictives  M. Julien Morel d’Arleux, directeur, et M. Marc-Antoine Douchet, chargé d’études référent sur les questions d’alcool

                  Table ronde avec des associations de consommateurs :

 UFC-Que Choisir* – M. Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition, et M. Benjamin Recher, chargé de mission relations institutionnelles

 Association Addictions France *  Dr Alain Rigaud, président honoraire, M. Franck Lecas, responsable de projets, et Mme Indra Seebarun, chargée de mission plaidoyer

 Fédération Addiction* – M. Jean-Michel Delile, président

                  Table ronde avec des administrations :

 Direction générale des finances publiques  M. Denis Boisnault, chef du département des études et statistiques fiscales au service de la gestion fiscale

 Direction de la législation fiscale M. Matthieu Deconinck, sous‑directeur de la fiscalité des transactions, de la fiscalité énergétique et environnementale

 Direction générale des douanes et des droits indirects  Mme Julie Bonneau, cheffe de la section fiscalité et réglementations accises alcools, et M. Julien Coudray, chef de bureau fiscalité et réglementations accises alcools

                  Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les conduites addictives (Mildeca) – Dr Nicolas Prisse, président, Mme Valérie Saintoyant, déléguée, et Dr Clara Pichard, interne de santé publique

                  Table ronde avec des représentants du secteur :

 Brasseurs de France* Mme Magali Filhue, déléguée générale

 Fédération française des spiritueux * – M. Thomas Gauthier, directeur général

 Fédération française des vins d’apéritif * – M. Jérôme Perchet, président, et M. Augustin Chazal, directeur

– Boissons rafraîchissantes de France * – Mme Hélène Courades, directrice générale

– Association nationale des industries alimentaires * – M. Simon Foucault, directeur des affaires publiques

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

La loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie a créé une cinquième branche au sein du régime général de la sécurité sociale, dédiée au soutien à l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ainsi que de leurs proches aidants. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021 a consacré le rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) dans la gouvernance de la branche en redéfinissant ses missions, son architecture financière et ses règles d’organisation. Dans la perspective de mesurer les résultats de cette réforme, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a confié à Mme Monique Iborra (Renaissance), Mme Farida Amrani (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale) et M. Paul Christophe (Horizons et apparentés) l’évaluation de l’article 32 de la LFSS 2021 portant cette réforme.

En amont de l’audition des administrations centrales en commission, les rapporteurs ont entendu Mme Virginie Magnant, directrice de la CNSA, M. Dominique Libault, M. Jean-René Lecerf, président du conseil de la CNSA, les associations représentant les personnes âgées et les personnes en situation de handicap ([47]) ainsi que les partenaires sociaux siégeant dans ce même conseil et, enfin, l’Assemblée des départements de France (ADF).

I.   La mise en place tant attendue d’une branche de la sécurité sociale dédiée à l’autonomie, dont la gouvernance a été confiée à la CNSA

1.   Une réforme attendue…

 Si le projet d’une cinquième branche de la sécurité sociale est ancien, il n’a finalement été concrétisé qu’à partir de 2020, avec les lois organique et ordinaire du 7 août 2020, complétées par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 ([48]) et l’ordonnance du 1er décembre 2021 ([49]).

Certes, les sujets de vieillesse et de handicap étaient identifiés avant cette date et relevaient du champ de l’action et de l’aide sociale et de la compétence des collectivités territoriales. La consécration d’une nouvelle branche et non un simple risque, est pourtant loin de n’être qu’un changement sémantique et témoigne néanmoins d’une volonté politique forte de donner une ambition nouvelle à la perte d’autonomie.

● Selon le rapport de M. Laurent Vachey, remis au Gouvernement le 14 septembre 2020, la création d’une branche dédiée à l’autonomie constitue un « tournant historique » et poursuit trois principaux objectifs :

 garantir l’égalité des droits en renforçant l’équité dans l’accès aux services et aux prestations sur l’ensemble du territoire national ;

 réduire la complexité de la politique de l’autonomie, caractérisée par la diversité des financeurs (État, sécurité sociale, CNSA, conseils départementaux, personnes ellesmêmes via leurs organismes complémentaires et associée), des ressources et des prestations proposées ;

 mettre en place une organisation plus efficiente, visant à préserver l’équilibre budgétaire de la branche tout en permettant d’améliorer la qualité des accompagnements et des parcours.

La mise en place d’une branche autonomie traduit enfin la volonté de créer un droit objectif, universel et certain au soutien à l’autonomie, que garantit la collectivité à tout citoyen.

2.   ... Se traduisant par des changements significatifs en matière de politique de soutien à l’autonomie

      L’extension du rôle de la CNSA, transformée en caisse nationale de sécurité sociale

La LFSS 2021 a donné corps à la cinquième branche de la sécurité sociale en confortant la CNSA dans son rôle de gestionnaire de la branche et en réformant son mode de fonctionnement, d’intervention et de financement.

L’ordonnance du 1er décembre 2021, prise en application de la LFSS 2021, a d’une part, inscrit dans le code de la sécurité sociale la plupart des dispositions relatives à la CNSA qui figuraient jusqu’alors au sein du code de l’action sociale et des familles, faisant de la branche autonomie, une branche de la sécurité sociale au même titre que les autres.

D’autre part, elle a étendu au conseil d’administration de la CNSA un certain nombre de dispositions applicables aux autres caisses nationales du régime général, s’agissant en particulier de l’obligation de parité entre les femmes et les hommes, des règles d’âge et d’incompatibilité, de la coordination des actions de contrôle et de service des prestations ou encore du droit d’opposition de l’État ([50]).

Les missions de la CNSA telles que définies par le code de la sécurité sociale (art. L. 2235)

Aux termes de l’article L. 14-10-1 du code de la sécurité sociale, la CNSA a pour rôle de :

 veiller à l’équilibre financier de la branche ;

 piloter et assurer l’animation et la coordination des acteurs participant à la mise en œuvre des politiques de soutien à l’autonomie afin de garantir l’équité et l’efficience de l’accompagnement des personnes concernées ;

 contribuer, en assurant une répartition territoriale sur le territoire national, au financement de la prévention de la perte d’autonomie, des établissements et services sociaux et médico-sociaux, des prestations individuelles d’aide à l’autonomie et des dispositifs mis en place aux niveaux national ou local en faveur de l’autonomie et des proches aidants, ainsi qu’au financement de l’investissement dans le champ du soutien à l’autonomie ;

 contribuer à l’information des personnes âgées, des personnes handicapées et de leurs proches aidants ;

 participer à la recherche et à l’innovation dans le champ du soutien à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées ;

 prendre part à la réflexion prospective sur les politiques de l’autonomie et de proposer toute mesure visant à améliorer la couverture du risque ;

 contribuer à l’attractivité des métiers participant à l’accompagnement et au soutien à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, notamment au travers de ses actions en faveur de la formation et de la professionnalisation des professionnels.

      Un gain de lisibilité en termes budgétaires

L’un des principaux intérêts de la mise en place d’une branche de la sécurité sociale spécifiquement dédiée à l’autonomie est la possibilité donnée à la représentation nationale de se prononcer à échéance régulière sur les moyens consacrés à cette politique. Les prévisions globales de recettes et de dépenses de la branche sont désormais inscrites dans le PLFSS et chaque année, à l’occasion de l’examen de ce texte, le Parlement vote les crédits pour les établissements et services, de même que les crédits fléchés vers les allocations et les concours aux départements.

– S’agissant des recettes de la branche autonomie, la création d’une nouvelle branche nécessitait de lui affecter des ressources propres et pérennes. La mise en place de la cinquième branche de la sécurité sociale s’est accompagnée d’une transformation en profondeur de la structure des recettes de la CNSA par la suppression du transfert d’une partie de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) médico-social, en contrepartie de l’affectation d’une fraction accrue de la contribution sociale généralisée (CSG) (1,93 %).

Désormais, la quasitotalité des ressources de la CNSA (et donc de la cinquième branche) est constituée de ressources propres (voir infra). Ainsi pour l’année 2022, les recettes prévisionnelles de la CNSA devraient s’élever à 35 milliards d’euros. À partir de 2024, la branche bénéficiera en outre d’une fraction de CSG augmentée de 0,15 point supplémentaire de la part de la caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades).

Recettes de la branche autonomie

Les recettes de la branche autonomie sont composées de :

 la CSG, qui représente 90 % de l’ensemble des recettes de la branche. Les recettes brutes de CSG affectées à la CNSA devraient ainsi s’élever à un montant évalué à 30,5 milliards d’euros en 2022 ([51]) ;

 la contribution de solidarité autonomie (CSA) (la « journée de solidarité »), instaurée par la loi du 30 juin 2004 ([52]). Il s’agit d’une contribution de 0,3 % à la charge de l’employeur. La CSA devrait rapporter 2,4 milliards d’euros en 2022 ;

 la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie (Casa). En vigueur depuis le 1er avril 2013, elle est prélevée sur le montant brut (0,30 %) de certains avantages de vieillesse versés aux personnes domiciliées en France : les retraites, les pensions d’invalidité, les allocations de préretraite. Elle devrait rapporter 800 millions d’euros en 2021 ;

 depuis 2021, il faut ajouter à ces recettes, un transfert de la Caisse nationale de l’assurance maladie visant à financer les crédits d’investissement dans les établissements pour personnes âgées, programmées dans le cadre du Ségur de la santé (d’un montant de 500 millions d’euros en 2022).

– S’agissant des dépenses, 80 % des dépenses de la branche autonomie sont consacrées au financement des établissements et services médicosociaux (ESMS) prenant en charge les personnes âgées en perte d’autonomie et les personnes en situation de handicap. Ce financement transite par l’objectif global de dépenses (OGD) en faveur des établissements médicosociaux, qui est une souscomposante de l’Ondam.

Le second poste de dépenses de la branche est constitué de sa participation au versement de prestations qui représentent environ 10 % de ses dépenses. La branche autonomie finance, depuis 2021, en intégralité, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH), ainsi que l’allocation journalière de proche aidant (AJPA). Le transfert de l’AEEH, auparavant financée par la branche famille, à la branche autonomie, a parachevé la construction de cette dernière. La branche autonomie participe par ailleurs au financement de deux prestations en nature à travers des concours versés aux départements : l’allocation personnalisée d’autonomie (concours APA, qui représente environ 8 % des dépenses de la CNSA en 2021) et la prestation de compensation du handicap (concours PCH, qui en représente environ 2 %).

La branche couvre également les financements (concours et dotation) pour le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et finance 1,4 milliard d’euros de dépenses (soit 4 % de l’ensemble de ses charges) visant à renforcer la qualité des prises en charge des personnes en situation de perte d’autonomie.

Figure 1 : structure du budget de la cinquième branche en 2022

      Un cadre juridique plus favorable à la planification et à la coordination des politiques de l’autonomie

La signature de conventions d’objectifs et de gestion (COG) entre l’État et la CNSA constitue le dernier élément clé dans la mise en place de la branche autonomie. L’adoption de la COG État-CNSA (2022-2026) témoigne de l’initiation d’une démarche de planification et de coordination plus systématique des politiques de l’autonomie – avec notamment, l’anticipation de la création d’un service public territorial de l’autonomie (SPTA) et la mise en place d’un système d’information intégré pour le recouvrement de l’APA, destiné à l’ensemble des départements. La COG 2022-2026 entérine par ailleurs un changement d’échelle pour la CNSA qui bénéficie d’effectifs et de moyens renforcés pour mettre en œuvre les missions qui lui ont été attribuées. Sa directrice, Mme Virginie Magnant, précisait lors de son audition, que 80 équivalents temps-plein (ETP) supplémentaires allaient être recrutés d’ici 2026.

II.   Une caisse nationale aux règles d’organisation et de fonctionnement singulières, ce qui pose un certain nombre de difficultés

Malgré le rapprochement opéré avec les autres caisses de la sécurité sociale, la CNSA demeure régie par des règles de fonctionnement singulières. La cinquième branche apparait toujours en processus de construction et nécessite un certain nombre de clarifications.

1.   La CNSA, un organisme qui se distingue des quatre autres caisses du régime général par plusieurs aspects...

      L’absence de caisses locales

L’absence de caisses locales et de lien direct avec les assurés constitue une première spécificité de la branche autonomie, au regard des règles d’organisation des autres branches de sécurité sociale.

Selon l’annexe 1 au PLFSS 2023, un régime de sécurité sociale se caractérise d’une part, par une organisation administrative, déployée dans un réseau de caisses associant les personnes affiliées et d’autre part, par « un ensemble de règles de couverture des risques sociaux (...) définissant les prestations auxquelles ces affiliés et leurs ayants droit ont un droit objectif, ainsi que les cotisations dont ils sont tenus de s’acquitter, sur un champ de risques plus ou moins étendu ». La cinquième branche déroge à ce principe puisqu’il n’existe aucune déclinaison institutionnelle en dehors de la CNSA, structure faîtière. Cette dernière n’a donc aucun lien avec ses assurés et doit compter sur le relais de différents acteurs, qu’il s’agisse des conseils départementaux, des agences régionales de santé (ARS), des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et le cas échéant, des maisons pour l’autonomie (MDA).

      Des modalités de gouvernance spécifiques

La gouvernance de la cinquième branche se signale par son caractère bicéphale et multiscalaire, avec une distinction parfois difficile à établir entre la gouvernance de la branche dans son ensemble et celle de la CNSA en tant que caisse. Cela s’explique là encore par la transversalité de la politique de l’autonomie qui implique un ensemble d’acteurs très divers.

Les grandes orientations de la branche sont précisées et votées au sein du conseil de la CNSA, mais celui-ci est très différent du modèle paritaire des autres branches, où l’État n’est représenté que par des commissaires du Gouvernement.

Envisagé lors de la création de la CNSA comme un « parlement de l’autonomie », il est composé de cinquantedeux membres et l’État et ses représentants y disposent d’une majorité relative (45 % des voix). Les départements, acteurs bénéficiaires des ressources fléchées par la CNSA au titre de la mise en œuvre locale des politiques de l’autonomie, y ont un poids important.

Composition du conseil de la CNSA

Le conseil de la CNSA, qui compte cinquantedeux membres, est composé des acteurs suivants :

 six représentants des associations œuvrant au niveau national pour les personnes handicapées ainsi que leurs six suppléants ;

 six représentants des associations œuvrant au niveau national pour les personnes âgées ainsi que leurs six suppléants ;

 six représentants des conseils départementaux désignés, ainsi que leurs six suppléants, par l’Assemblée des départements de France ;

 cinq représentants des organisations syndicales de salariés interprofessionnelles représentatives au plan national et leurs cinq suppléants ;

 trois représentants désignés par les organisations professionnelles nationales d’employeurs représentatives et leurs trois suppléants ;

 dix représentants de l’État ;

 deux parlementaires ;

 huit représentants d’institutions intervenant dans les domaines de compétence de la Caisse et leurs huit suppléants ;

 trois personnalités qualifiées nommées par arrêté ministériel du 1er février 2022 ;

 trois représentants des régimes de base d’assurance maladie et d’assurance vieillesse.

      Une cinquième branche au périmètre restreint, embrassant à peine la moitié de l’effort national consacré à l’autonomie

Une dernière spécificité de la branche autonomie réside dans le fait que le champ des politiques de l’autonomie dépasse largement le périmètre de celle-ci. Lorsque le Parlement se prononce sur le budget dédié à la CNSA dans le PLFSS, il ne se prononce en effet que sur un pan limité de l’effort national consacré à cette politique.

Ainsi, alors que les dépenses de la branche autonomie représentaient 36,2 milliards d’euros en 2021 ([53]), l’effort national en faveur du soutien à l’autonomie (ENSA) s’élevait, quant à lui, à hauteur de 80 milliards d’euros. La sécurité sociale couvre ainsi environ 61 % des dépenses publiques consolidées dans l’ENSA et au sein de la sécurité sociale, la branche autonomie ne couvre que les deux tiers des dépenses de la politique de l’autonomie, cette dernière étant également financée par la branche maladie ([54]) (à hauteur de 24 %) et par la branche accidents du travail et maladies professionnelles ([55]) (AT-MP).

RÉPARTITION DE L’ENSA PAR FINANCEURS EN 2021

Capture

Source : DSS/SDEPF/6C sur données du REPSS « autonomie » annexé au PLFSS 2023.

Cette dispersion des politiques de l’autonomie est source de complexité, même si la définition, en annexe de chaque PLFSS, d’une trajectoire pluriannuelle de l’ensemble des dépenses de soutien à l’autonomie, représente une avancée en matière d’information et de planification des politiques publiques.

2.   ... ce qui se traduit par un certain nombre de difficultés en matière de lisibilité, d’efficience et d’équité

Si ces différences s’expliquent en partie par la spécificité de la politique de l’autonomie et en particulier, par le grand nombre d’acteurs mobilisés, elles génèrent de la complexité et appellent des clarifications.

      Une cartographie institutionnelle particulièrement complexe pour les usagers

La capacité de la CNSA à générer plus d’équité et des réponses plus efficientes aux besoins des citoyens dépend de la structuration de la gouvernance locale du soutien à l’autonomie. En effet, comme l’indiquait le rapport de M. Laurent Vachey précité, « il n’y aura pas de gouvernance nationale efficace sans gouvernance locale claire et stable ».

Or, de par la diversité des acteurs impliqués, la configuration actuelle de la branche autonomie souffre toujours d’une grande complexité et ne permet pas aux usagers d’identifier facilement l’interlocuteur compétent selon le type de besoins. La mobilisation des conseils départementaux, des ARS et des MDPH se traduit souvent par un fonctionnement « en silo » dans la déclinaison locale des politiques de l’autonomie, ce qui nuit à l’effectivité de l’accès aux droits et à la cohérence du parcours de l’usager.

      Un manque de clarté et de contrôle en matière d’attribution des budgets, nuisant à l’objectif d’égalité de traitement sur le territoire

La CNSA dispose d’une visibilité limitée sur le montant et la nature des différentes dépenses engagées par les organismes sur lesquels elle s’appuie pour la mise en œuvre des politiques de l’autonomie (notamment les départements et les ARS). En effet, ces organismes « relais » sont qualifiés de « bénéficiaires » des prestations fléchées par la CNSA, et ne sont pas liés à cette dernière par un contrat contraignant.

Cette absence de pouvoir de contrainte, qui s’explique en partie par le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, engendre une application parfois différenciée de la loi selon les territoires et rend difficile le contrôle de l’utilisation des fonds publics. L’objectif de garantir l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire ne semble donc pas pleinement satisfait, comme en témoigne par exemple la mise en place inégale de l’avenant 43 ([56]) sur l’ensemble du territoire.

      Une gouvernance accordant une large place aux effecteurs, au détriment des partenaires sociaux

Au sein du conseil de la CNSA, la surreprésentation des représentants de l’État et des collectivités territoriales n’est pas sans poser question. Celle-ci fait notamment craindre le risque d’acteurs « juges et parties » puisque ces derniers votent sur les budgets qui leur sont ensuite octroyés. La place limitée des partenaires sociaux dans le conseil de la CNSA a par ailleurs été soulevée lors de plusieurs auditions. Cette place restreinte déroge au principe paritaire, envisagé comme garant de la légitimité de la gestion des ressources émanant de la solidarité nationale.

III.   Des réformes sont indispensables pour permettre à la CNSA de jouer pleinement son rôle

Les auditions ont mis en lumière la nécessité d’engager différentes réformes et clarifications pour permettre à la CNSA de remplir pleinement les missions qui lui ont été confiées par le législateur.

1.   Renforcer les pouvoirs de contrôle quant à l’usage des dotations publiques dédiées à l’autonomie

La CNSA devrait disposer d’un pouvoir de contrôle et de sanction accru face aux acteurs qui n’utilisent pas les dotations qui leur sont attribuées pour les objectifs fixés par le législateur.

Afin de permettre à la CNSA de garantir l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire, aussi bien dans l’accès aux dispositifs que sur leur mise en œuvre, M. Jean-René Lecerf, président du conseil de la CNSA, et Mme Virginie Magnant, directrice de la CNSA, ont évoqué la mise en place prochaine d’un cadre de coordination plus étroit entre la CNSA et ses partenaires locaux, via un conventionnement tripartite CNSA-départements-ARS, et ce sur l’ensemble du territoire. Aussi, la directrice de la CNSA a annoncé la mise en place d’une mission nationale d’audit et d’un accompagnement au contrôle interne pour les maisons départementales de l’autonomie (MDA) et maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH). Cette mission, dotée de 6 ETP, pourra se rendre sur le terrain pour évaluer l’activité des agents de ces structures, et leur capacité à répondre aux besoins des usagers.

Les rapporteurs préconisent de leur côté d’instaurer un système de contractualisation directe entre la CNSA et les acteurs locaux de l’autonomie (ARS, conseils départementaux). Cette démarche enjoindrait les acteurs locaux à effectuer une reddition de comptes systématique.

Les rapporteurs souhaitent enfin rappeler que la CNSA doit désormais assurer un grand nombre de missions, qu’il s’agisse de veiller à l’équilibre de la branche, d’assurer l’équité des droits sur l’ensemble du territoire, de contribuer à la réflexion prospective sur les politiques de l’autonomie, ou encore au renforcement de l’attractivité des métiers de l’autonomie et au développement de l’habitat inclusif. Il est essentiel qu’elle se voit confier les ressources humaines et les instruments financiers, juridiques et statistiques nécessaires à l’exercice de ces nouvelles missions.

2.   S’assurer de la mise en œuvre effective et adéquate du service public territorial de l’autonomie (SPTA)

Aux yeux des rapporteurs, il est en important de s’assurer que le SPTA, actuellement en discussion au Parlement et prévu dans la COG 2022-2026, représente une vraie simplification pour les usagers et non pas une couche supplémentaire dans un paysage administratif déjà complexe : maisons de la solidarité, MDA, MDPH ou encore conseils départementaux de la citoyenneté et de l’autonomie (CDCA), sur lesquels on aurait pu s’appuyer avant de créer la structure supplémentaire du SPTA.

Les auditions n’ont pas permis de dégager une idée claire de ce que serait la déclinaison opérationnelle sur les territoires, au-delà de la conférence réunissant de nombreux intervenants, services de l’État notamment, présidée par le Président du Conseil départemental et vice-présidée par le directeur général de l’ARS.

Le service public territorial de l’autonomie (SPTA)

Suggérée par le rapport rendu au gouvernement par M. Dominique Libault, la mise en place du SPTA devra se traduire par la création de guichets territoriaux « intégrés » consacrés à la délivrance des prestations de soutien à l’autonomie. Cette organisation visera à créer les conditions d’un regroupement des différents acteurs de l’autonomie (du grand âge et du handicap) au sein d’une structure, articulée, cohérente et interdépendante, pour aboutir « à une meilleure qualité d’accompagnement de la personne âgée et en situation de handicap ainsi que de ses aidants, que celle obtenue par les acteurs de manière individuelle et/ou sectorielle » ([57]). Il est prévu un cahier des charges national entièrement axé sur le service à l’usager.

Il aurait peut-être été nécessaire de réaliser une expérimentation avant de mettre en place le SPTA sur tous les départements, ceux-ci n’ayant pas les mêmes moyens ni les mêmes réseaux pour répondre aux objectifs définis.

3.   Repenser la gouvernance et le mode de financement de la politique de l’autonomie, afin de permettre à la CNSA de remplir pleinement ses missions

Une réflexion sur le rôle de la CNSA et la branche autonomie ne peut enfin être engagée sans repenser sa structure de gouvernance et la cohérence de son modèle de financement. Après trois ans de mise en œuvre effective, une évaluation devrait être réalisée et rendue publique pour vérifier que les objectifs attendus sont atteints.

      Vers une refonte de la gouvernance de la CNSA

Pâtissant d’une faible lisibilité et, dans une certaine mesure, d’un déficit de légitimité, la gouvernance de la CNSA gagnerait à être réformée. Une clarification du rôle et des actions des acteurs étatiques et départementaux, ainsi qu’une consolidation de la place des partenaires sociaux seraient particulièrement souhaitables, les actions engagées s’appuyant sur un projet politique défini et partagé allant plus loin que les mesures budgétaires contenues dans le PLFSS.

      Vers un élargissement du périmètre de la cinquième branche

Aux yeux des rapporteurs, il est enfin nécessaire d’améliorer la lisibilité de la politique de l’autonomie, afin de lui donner toute sa portée et de disposer d’une vision globale des dépenses consacrées à l’autonomie. Cela participerait également à améliorer la visibilité de l’usage des finances publiques pour les citoyens.

 


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  Annexe :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

(Par ordre chronologique)

                  M. Dominique Libault, directeur de l’École nationale supérieure de sécurité Sociale (EN3S) et président du Haut Conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS)

                  M. Jean-René Lecerf, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA)

                  Table ronde avec des associations représentant les personnes âgées :

 Fédération nationale des associations de retraités (FNAR)Mme Christine Meyer-Meuret, représentante au conseil de la CNSA, et M. Sylvain Denis, ancien président, membre du conseil de la CNSA jusqu’en 2021

 Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) – M. Pascal Champvert, président

 Union nationale de l’aide, des soins et des services à domicile (UNA) – Mme Anne Cousin, directrice du pôle RH réseau

– Union nationale des associations d’aide à domicile en milieu rural (ADMR) – M. Thierry d’Aboville, secrétaire général, et M. Jérôme Perrin, directeur développement et qualité

                  Table ronde avec les organisations syndicales siégeant au conseil de la CNSA :

 Confédération générale des travailleurs (CGT) – Mme Fabienne Clamens, et M. Antoine Veniat, conseillers fédéraux

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale, et M. Xavier Becker, secrétaire confédéral

 Force ouvrière (FO) – M. Damien Lagneau, membre suppléant au conseil de la CNSA, et Mme Anne Baltazar, conseillère confédérale

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Jacques Doury, membre titulaire au conseil de la CNSA

                  Table ronde avec les organisations patronales siégeant à la CNSA :

 Mouvement des entreprises de France (Medef) * – Mme Catherine Lopez, directrice générale de la Fédération du service aux particuliers (FESP), Mme Cécile Peyrafort, chargée de mission Protection sociale, et M. Adrien Chouguiat, directeur de mission Affaires publiques

 Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) * – M. Frank Nataf, représentant au conseil de la CNSA, président de la Fédération française des services à la personne et de proximité (FÉDÉSAP), M. Philippe Chognard, responsable du pôle Conditions de travail, et M. Adrien Dufour, responsable des affaires publiques

                  Assemblée des départements de France (ADF) – M. Olivier Richefou, président du groupe de travail Grand Âge, président du département de la Mayenne, membre du conseil de la CNSA, Mme Miléna Munoz, conseillère spéciale de M. Olivier Richefou, M. Éric Bellamy, directeur Solidarités, et M. Brice Lacourieux, conseiller Relations avec le Parlement

                  Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) –Mme Virginie Magnant, directrice, et Mme Anne-Marie Ho Dinh, conseillère technique

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

L’article 70 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2020 a instauré un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP). Le législateur a ainsi souhaité simplifier et compléter les modalités de reconnaissance des pathologies liées à une exposition professionnelle aux pesticides faisant ou ayant fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché pour les assurés relevant du régime général ou du régime agricole. Ce fonds a permis d’élargir le périmètre des personnes couvertes, de centraliser et d’homogénéiser l’instruction des demandes et, pour les non-salariés agricoles, d’améliorer le niveau de réparation.

La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) a confié l’évaluation de ce dispositif à M. Paul Christophe (Horizons et apparentés), qui a auditionné les associations de victimes, les syndicats agricoles, des représentants du FIVP, des ministères de l’agriculture et de l’outre-mer, en amont de l’audition par la commission des affaires sociales de représentants de la direction de la sécurité sociale et de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). En dépit de difficultés rencontrées au cours de la phase de démarrage, dans un contexte parfois très sensible comme aux Antilles, le déploiement du FIVP se poursuit et s’accélère, permettant ainsi à un nombre croissant de victimes d’obtenir une indemnisation ([58]).

I.   UN DISPOSITIF AUX MULTIPLES OBJECTIFS

  1. Les objectifs du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides

La mise en place du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP) répond à quatre objectifs principaux :

 Faciliter les démarches de reconnaissance des maladies professionnelles : la création du FIVP vise en premier lieu à simplifier les demandes d’indemnisation en les centralisant et à harmoniser au niveau national les décisions rendues (reconnaissance des maladies professionnelles, détermination du taux d’incapacité permanente et du niveau d’indemnisation) grâce à la mise en place d’un comité de reconnaissance des maladies professionnelles (CRMP) national et unique. Les règles de droit commun du régime des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) s’appliquent ;

 Mieux indemniser les exploitants agricoles : le FIVP permet d’aligner leur indemnisation sur celle, plus favorable, des salariés agricoles, grâce au versement d’un complément ;

 Prendre en charge les retraités agricoles exposés aux pesticides et qui ont pris leur retraite avant la création de la branche AT-MP des non-salariés agricoles (ATEXA), le 1er avril 2002, ces personnes ne pouvant jusqu’alors prétendre à une indemnisation même si leur pathologie était bien liée à une exposition professionnelle ;

 Proposer une indemnisation pour les enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou des deux parents et qui a provoqué une pathologie chez l’enfant. Ceux-ci peuvent bénéficier d’une réparation forfaitaire sur la base d’un barème ad hoc.

Ces actions sont financées par les cotisations AT-MP des différents régimes de protection sociale et également par une taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques. Celle-ci finance les trois dépenses de solidarité suivantes : le complément d’indemnisation pour les non-salariés agricoles, l’indemnisation versée aux exploitants agricoles partis à la retraite avant la création de l’ATEXA et l’indemnisation des enfants. Le taux de cette taxe est fixé à 0,9 % depuis 2020 (contre 0,2 % auparavant) ([59]).

  1. La mise en œuvre du dispositif

Le fonctionnement, l’organisation et les modalités d’indemnisation des victimes de pesticides ont été définis par le décret n° 2020-1463 du 27 novembre 2020. L’instruction des demandes et la gestion du fonds d’indemnisation ont été confiées à la MSA pour le compte du régime général, du régime agricole (salariés et non-salariés) et du régime local AlsaceMoselle. Le FIVP couvre ainsi les assurés relevant de 142 caisses au total. La caisse MSA Mayenne Orne Sarthe a été mandatée par le fonds pour étudier les demandes d’indemnisation des maladies.

Le FIVP est constitué de plusieurs instances :

 un conseil de gestion, composé de dixhuit membres ([60]), chargé de définir la politique d’indemnisation (orientations relatives aux procédures et aux conditions d’action en justice), qui réunit au moins deux fois par an ;

 un comité de reconnaissance des maladies professionnelles dédié aux pesticides (CRMP) inter-régimes, chargé d’expertiser médicalement les demandes de maladies professionnelles qui ne remplissent pas les conditions inscrites dans les tableaux de maladies professionnelles, ou dont la maladie n’est pas désignée dans un tableau et dont le taux d’incapacité est supérieur ou égal à 25 % ;

 une commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides (CIEVEP), chargée d’examiner les demandes d’indemnisation pour les enfants et d’établir le lien entre la pathologie de l’enfant et son exposition prénatale du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou des deux parents aux pesticides.

II.   UNE RAPIDE MONTÉE EN CHARGE DU FONDS

  1. Une multiplication par trois des demandes depuis 2020...

Les chiffres portés à la connaissance du rapporteur démontrent que la création du FIVP a entraîné une hausse très nette du nombre de demandes d’indemnisation, qui a été multiplié par trois en trois ans. Le FIVP a ainsi reçu 650 dossiers en 2022, contre 326 en 2021 et 226 en 2020. D’ici la fin de l’année 2023, le nombre de dossiers déposés devrait atteindre le millier.

Avant la création du FIVP, le nombre de demandes et de reconnaissances de maladies professionnelles en lien avec les pesticides était limité. En métropole, les demandes de reconnaissance de maladies professionnelles en lien avec des pesticides étaient limitées, aussi bien pour le régime général (une dizaine par an en moyenne) que pour le régime agricole (une soixantaine par an en moyenne).

En 2022, les assurés du régime agricole représentaient plus de 80 % des dossiers reçus, contre 7 % au régime général, 7 % dans les caisses générales de sécurité sociale (CGSS, outremer) et 5 % relevant du régime d’Alsace-Moselle. Au sein du régime agricole, les nonsalariés représentent près de 80 % des demandes contre un peu plus de 20 % pour les salariés agricoles. En outre-mer, les salariés, essentiellement agricoles, actifs et retraités, représentaient en 2022 les deux tiers des demandes, contre un tiers pour les non-salariés agricoles. La plupart des demandeurs (près des deux tiers) sont issus des secteurs suivants : la polyculture-élevage, les cultures céréalières légumineuses et la viticulture.

Environ les deux tiers des maladies sont reconnues selon les conditions prévues par les tableaux des maladies professionnelles. Le cancer de la prostate est la pathologie la plus représentée dans les demandes d’indemnisation accordée puisqu’elle est à l’origine de plus d’un tiers d’entre elles : 38 % en 2022, contre 13 % pour la maladie de Parkinson, 19 % pour des lymphomes et 20 % pour les maladies hors tableau.

Si la montée en charge du fonds est notable dans plusieurs régions (Bretagne, Pays de la Loire, HautsdeFrance, Aquitaine, etc.), le démarrage a été plus lent aux Antilles, où le sujet est particulièrement sensible compte tenu de l’utilisation massive du chlordécone. Les possibilités d’indemnisation y sont encore relativement peu connues, si bien que le nombre de dossiers adressés au FIVP reste limité à ce stade. Toutefois, une hausse très nette a pu être relevée depuis le début de l’année 2023. Au 5 mai 2023, 160 dossiers avaient été déposés en Martinique et en Guadeloupe, contre 35 dossiers fin 2022. Cette dynamique est sans doute à mettre à l’actif du travail d’information et de communication qui a été réalisé ces derniers mois par le FIVP en lien avec les CGSS.

Les actions conduites aux Antilles pour faciliter l’indemnisation des victimes

Le FIVP a entrepris plusieurs actions, en lien avec le plan Chlordécone IV, afin de remédier aux difficultés rencontrées dans le déploiement du dispositif aux Antilles. En effet, les agents des CGSS de Martinique et de Guadeloupe étaient moins expérimentés dans l’instruction des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle dans la mesure où ils avaient eu peu de dossiers à traiter dans ce domaine jusqu’à alors. Aussi des formations ont-elles été mises en place pour les agents des CGSS de Martinique et de Guadeloupe par les équipes de la MSA et de la CNAM dans le cadre du déploiement du FIVP. Cet accompagnement a permis d’améliorer la gestion et d’accélérer le traitement des demandes.

Par ailleurs, les demandeurs peuvent se faire accompagner dans la préparation des dossiers par l’association Phyto-Victimes en Martinique. Ce dispositif, qui permet de favoriser la complétude des dossiers, devrait être étendu à la Guadeloupe.

  1. ... liée à plusieurs facteurs

La très forte croissance du nombre de demandes ainsi que de la part des avis favorables rendus (85 % des dossiers déposés en 2022 ([61]) contre 75 % en 2021) s’explique notamment par l’évolution des tableaux de maladies professionnelles : augmentation du délai de prise en charge de la maladie de Parkinson passé de un à sept ans en septembre 2020, création des tableaux cancer de la prostate pour le régime agricole fin 2021 et général en avril 2022. Ces évolutions ont facilité la reconnaissance de certaines maladies au titre des risques professionnels.

Les avancées de la recherche scientifique et les publications scientifiques en la matière contribuent également à cette croissance. Ainsi, en juin 2021 est paru un ouvrage majeur dans le domaine avec la mise à jour des données Inserm de 2013 « Pesticides et santé - Nouvelles données », qui étudient 5 300 documents scientifiques sur la question du lien entre exposition aux pesticides et développement de certaines pathologies.

On peut également souligner des évolutions législatives favorables avec l’extension de la définition de pesticides aux antiparasitaires vétérinaires ou la possibilité pour la population française d’outre-mer exerçant une activité agricole de bénéficier des tableaux du régime agricole (article 104 de la LFSS 2022). Les salariés du secteur agricole des territoires d’outremer peuvent ainsi bénéficier de la présomption d’imputabilité au travail à laquelle ouvrent droit ces tableaux de maladies professionnelles du régime agricole.

Enfin, l’accroissement des demandes fait également suite à une meilleure connaissance du dispositif par les assurés, associations et professionnels de santé. L’accompagnement des victimes dans leurs démarches s’est matérialisé par la mise en place d’un dispositif de communication composé d’un site internet dédié et d’un accueil téléphonique pour le suivi des demandes.

En fin de compte, le montant total des indemnisations versées par le FIVP a été multiplié par six en un an. Il a atteint 6,7 millions d’euros en 2022 (dont 3,7 millions d’euros de complément pour les non-salariés agricoles), avec une répartition de deux tiers de rentes (plus de 4,6 millions d’euros) et un tiers d’indemnités journalières (environ 2,1 millions d’euros).

La mise en place du fonds a permis d’accroître de 30 % en moyenne les rentes versées aux exploitants agricoles et d’améliorer le montant des indemnités journalières versées ([62]). Toutefois, il convient de relever que les indemnités ou les rentes perçues peuvent avoir des effets secondaires regrettables pour les victimes comme la fin de l’éligibilité à certains minima sociaux (allocation aux adultes handicapés notamment).

Enfin, la montée en charge du fonds a été facilitée par la réduction des délais de traitement des dossiers instruits. En 2021, 92 % des dossiers ont été notifiés dans les délais réglementaires d’instruction (quatre mois ou, en cas de saisine du CRMP, huit mois). Le délai moyen d’instruction des demandes de reconnaissance de maladies professionnelles par le FIVP était alors de 163 jours. Ce délai a été ramené à 138 jours en 2022 pour les 482 dossiers qui ont été instruits. Ce délai comprend aussi le temps de transmission par les caisses d’affiliation du dossier complet au FIVP, qui a été ramené de 54 à 39 jours en moyenne entre 2021 et 2022. Cette évolution témoigne d’un meilleur accompagnement des demandeurs et d’une meilleure maîtrise de la procédure de traitement des dossiers.

III.   COMMUNIQUER DAVANTAGE AUPRÈS DES ASSURÉS SUR LES POSSIBILITÉS D’INDEMNISATION

Le succès du FIVP est étroitement lié au niveau d’information des assurés. Or force est de constater que le dispositif reste encore largement méconnu de ses potentiels bénéficiaires. Il apparaît aujourd’hui indispensable de poursuivre et d’amplifier les actions de communication, dans le cadre d’une démarche d’« aller vers », pour mieux faire connaître les actions du fonds, en particulier auprès de plusieurs publics qui semblent prioritaires.

De nombreux assurés non-salariés agricoles – environ cinq cents – qui pourraient bénéficier du complément d’indemnisation du fait d’une maladie professionnelle reconnue, avant la création du fonds, au titre des tableaux faisant expressément référence à une exposition aux pesticides (tableaux 58 ou 59 du régime agricole), n’ont pas encore entrepris de démarche en ce sens. Le rapporteur ne peut donc qu’encourager le FIVP à se rapprocher directement de ces assurés, par l’envoi d’un courrier, pour les inciter à solliciter ce complément d’indemnisation.

S’agissant des enfants exposés durant la période prénatale aux pesticides du fait de l’activité professionnelle d’un ou des deux parents, le dispositif d’indemnisation demeure aujourd’hui sous-mobilisé. Le fonds n’a reçu jusqu’à présent qu’une quinzaine de dossiers ([63]). Si une plaquette d’information concernant le barème d’indemnisation des enfants et la procédure mise en place a été diffusée au sein des caisses et auprès des associations de patients notamment, il est aujourd’hui nécessaire de communiquer davantage. Le rapporteur soutient pleinement l’idée, actuellement à l’étude, d’une communication à destination des professionnels de santé (pédiatres, gynécologues) comportant une présentation du FIVP, des dispositions relatives à l’indemnisation des enfants victimes de pesticides ainsi qu’un référentiel synthétique permettant d’identifier plus facilement le lien entre certaines pathologies infantiles et l’exposition prénatale aux pesticides.

Enfin, les efforts de communication devront se poursuivre aux Antilles où circulent de fausses informations sur le FIVP, dans un contexte de forte défiance des populations envers les actions mises en œuvre par l’État. Il conviendra de développer une communication adaptée et accessible sur l’existence et le champ de compétence du dispositif en s’appuyant sur les intervenants locaux tels que l’association Phyto-Victimes, déjà présente en Martinique, mais aussi sur les professionnels de santé, pour informer et aider à la constitution et au dépôt des dossiers. Un portail sécurisé, appelé « Osmose », permettra d’améliorer le suivi et la gestion des dossiers par les différents acteurs (FIVP, CGSS, Phyto-Victimes).

De telles actions de communication supposent toutefois de consolider les moyens du FIVP. Début 2023, les équipes du FIVP ont été renforcées par cinq équivalents temps plein supplémentaires, de manière pérenne en CDI grâce à une augmentation du cadrage budgétaire pluriannuel de la MSA. Cet effort devra être maintenu à mesure que le FIVP montera en charge.

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Dispositif attendu de longue date par les associations de victimes, la création du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a permis de centraliser et simplifier l’instruction des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle, ce qui a facilité l’indemnisation des préjudices subis.

Le rapporteur se félicite de la rapide montée en charge du fonds, attestée par le triplement en trois ans du nombre de dossiers reçus et de l’augmentation de la part des demandes donnant lieu au versement d’indemnités journalières ou de rentes. Cette dynamique devrait encore s’accélérer grâce au travail effectué par les caisses et le FIVP à la fois pour informer les potentiels bénéficiaires et améliorer le traitement des demandes. Le travail de communication devra toutefois se poursuivre afin de toucher plus directement les personnes potentiellement éligibles, en particulier les exploitants agricoles qui n’ont pas encore demandé le complément d’indemnisation, et les professionnels de santé, qui sont les plus à même d’établir un lien entre certaines maladies infantiles et une exposition prénatale aux pesticides.

Des questions demeurent en suspens comme le financement du fonds, qui n’intègre pas aujourd’hui une participation de l’État que beaucoup tiennent pour partie responsable de la situation compte tenu de son rôle dans la délivrance des autorisations de mise sur le marché. Le périmètre du FIVP pourrait également évoluer à terme puisqu’un certain nombre de professionnels exposés aux pesticides en sont exclus, comme des agents de la fonction publique ou de la SNCF, de même que les victimes dites « environnementales », exposées aux pesticides du fait, par exemple, de leur lieu de résidence.

 


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  Annexe :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

                  Table ronde avec des associations de victimes :

 Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH)  Mme Nadine Herrero, présidente, M. Alain Prunier, Mme Sophie Cabette, et M. Karim Felissi

 Phyto-victimes  M. Antoine Lambert, président, et Mme Claire Bourasseau, responsable du service Victimes

 Collectif « Victimes des pesticides de l’ouest » – M. Michel Besnard, président, M. Gilles Ravard (44), paysan retraité, reconnu en maladie professionnelle pour un lymphome, M. Christian Jouault (35), paysan retraité, reconnu en maladie professionnelle pour un cancer de la prostate

                  Table ronde avec des syndicats de travailleurs agricoles :

 Confédération générale du travail (CGT) – Mme Mireille Stivala, secrétaire confédérale, M. Serge Journot, membre des conseils d’administration du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante et de la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles, et M. Didier Aubert, membre de la commission spécialisée Activités agricoles du Conseil d’orientation des conditions de travail

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Stéphanie Stoll, secrétaire nationale de la Fédération générale agroalimentaire-CFDT

         Table ronde avec des syndicats d’exploitants agricoles :

 Coordination rurale *– M. Max Bauer, secrétaire général adjoint

 Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) * – M. Raymond Girardi, vice‑président, et M. Alexis Vanypre, animateur national

                  Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *  M. Jérôme Volle, vice-président, et M. Xavier Jamet, responsable des affaires publiques

                  Table ronde avec des représentants du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides :

 M. Philippe Sanson, président du conseil de gestion

 Pr Isabelle Baldi, présidente de la commission d’indemnisation des enfants victimes d’une exposition prénatale aux pesticides (CIEVP)

– Pr Catherine Nisse, membre du comité de reconnaissance des maladies professionnelles dédié aux pesticides (CRMPP)

– Dr Christophe Fuzeau, médecin‑conseil de la Mutualité sociale agricole (MSA), en charge de l’instruction des demandes adressées au FIVP

– Mme Christine Dechesne-Céard, directrice de la réglementation de la Caisse centrale de la MSA

                  Audition conjointe :

 Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire – Service des affaires financières, sociales et logistiques)  M. Jean-Louis Letonturier, adjoint au sous-directeur du travail et de la protection sociale, Mme Pascale Barroso, cheffe du bureau des prestations sociales agricoles, et Mme Éléonore Jouanneau, chargée de mission au bureau des prestations sociales agricoles

 Direction générale des outre-mer et direction générale de la santé – Mme Edwige Duclay, directrice de projet, chargée de la coordination du plan Chlordécone IV

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

Dans le cadre de la stratégie « Ma Santé 2022 » a été engagée une réflexion sur la transformation du financement du système de santé, dans un contexte où les modèles existants apparaissaient trop peu incitatifs – voire désincitatifs – face aux nouveaux enjeux du système de soins, qui supposent de renforcer la prévention, de responsabiliser les acteurs, d’améliorer la qualité des prises en charges et de garantir la pertinence des actes et examens pratiqués.

Plusieurs innovations ont été mises en œuvre. Certaines avaient un caractère pérenne  réformes du financement des urgences, des hôpitaux de proximité, de la psychiatrie, des soins de suite, de la qualité. D’autres ont été menées à titre expérimental dans le but de tester de nouveaux modèles de financement de la santé.

Globalement, ces réformes et expérimentations ont pour objet de pallier certains dysfonctionnements ou limites de la tarification à l’acte/à l’activité en s’appuyant sur de nouvelles logiques de tarification parfois inspirées de l’étranger : dotations populationnelles, forfaits incitant à une prise en charge collective et à un meilleur suivi des patients, rémunération à la qualité axée sur les résultats cliniques et la satisfaction des patients...

Alors que le Président de la République a annoncé, dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), une réforme visant à sortir de la tarification à l’acte/à l’activité pour aller vers une « rémunération basée sur des objectifs de santé publique », il importe de dresser un premier bilan de mesures introduites lors des dernières lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui reposaient sur un financement lié à des objectifs de santé publique.

La mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a ainsi chargé la rapporteure générale, Mme Stéphanie Rist, d’évaluer les articles 51 de la LFSS 2018 (expérimentation de modalités de financement de la santé dérogatoires), 38 de la LFSS 2019 (mise en place d’un financement au forfait pour les pathologies chroniques) et 31 de la LFSS 2020 (réforme du financement des hôpitaux de proximité).

Préalablement à l’audition des administrations centrales en commission, la rapporteure générale a entendu les fédérations d’établissements de santé, les conférences hospitalières, des directeurs généraux d’agence régionale de santé, l’agence technique de l’information de l’hospitalisation, la rapporteure générale de « l’article 51 » et plusieurs acteurs de la mise en œuvre des expérimentations « article 51 » ainsi que du forfait « maladie rénale chronique ».

I.   Dans la période récente, les réformes du financement ont été nombreuses dans les établissements de santé

Si le financement à l’acte ou à l’activité reste dominant pour les activités de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) des établissements de santé, de nombreuses initiatives ont porté sur d’autres pans de l’activité hospitalière. Inspirées des travaux sur la réforme du financement du système de santé ([64]), elles ont généralement eu pour objectifs de corriger certaines inégalités entre régions et entre établissements, de corréler les enveloppes à des objectifs de qualité et d’introduire une logique populationnelle fondée sur la réponse aux besoins de santé du territoire.

1.   Des réformes du financement nombreuses et irriguées par une logique populationnelle

      Le financement des urgences

L’article 36 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a réformé le financement des urgences, auparavant fondé pour partie sur un forfait, le forfait annuel urgences (FAU), calibré sur le nombre de passages au cours de l’année précédente, et pour partie à l’activité (facturation d’un forfait « accueil et traitement des urgences » et des actes non suivis d’hospitalisation pour chaque patient accueilli).

Le nouveau modèle repose sur trois compartiments :

 une dotation populationnelle visant à améliorer l’équité du financement entre régions et à prendre en compte les différences des besoins des populations (58 % du financement) ;

 des forfaits liés à l’activité de la structure d’urgence (40 %) ;

 et une dotation complémentaire qualité déterminée en fonction de critères propres aux structures d’urgence.

Ce modèle a fait l’objet d’une mise en œuvre échelonnée entre 2021 et 2023. Il est actuellement pleinement applicable.

      Le financement des hôpitaux de proximité

La catégorie des « hôpitaux de proximité » est apparue en 2015 dans le code de la santé publique. Elle rassemble les anciens hôpitaux locaux, caractérisés par un volume et une nature d’activités spécifiques et limités. Pour ces hôpitaux, l’entrée dans le droit commun de la tarification à l’activité aurait engendré des pertes de recettes très importantes. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 avait donc prévu un mode de financement mixte associant tarification à l’activité et dotation forfaitaire.

Ce modèle a été profondément réformé par l’article 35 de la loi dite OTSS ([65]) du 24 juillet 2019. Ces hôpitaux se voient désormais définis non par un volume d’activité mais par des missions, impliquant un fonctionnement intriqué avec la médecine de ville. Des modalités de financement adaptées ont été définies à l’article 33 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ([66]).

Une garantie pluriannuelle de financement sécurise désormais les recettes de l’activité de médecine pour une durée de trois ans ; elle peut être assortie d’un complément de financement, si le montant correspondant aux données issues de l’activité de l’établissement est supérieur à celui de la dotation garantie.

En outre, une dotation de responsabilité territoriale finance les missions exercées en relation avec les acteurs du territoire. Outre l’indemnité versée aux praticiens libéraux intervenant au sein de l’hôpital, cette dotation contribue à différentes charges liées à la mise en place et au fonctionnement des consultations de spécialités, au développement ou au maintien des plateaux techniques d’imagerie ou de biologie, à l’achat des outils de télésanté et à leurs coûts de fonctionnement. Son montant est également fixé pour trois ans. Il comprend une part fixe, identique pour tous les hôpitaux de proximité (75 000 euros actuellement), et une part variable, déterminée par le directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) en fonction de l’exercice, par l’établissement, de missions et d’activités obligatoires.

En décembre 2022, 276 établissements avaient été labellisés « hôpital de proximité » ([67]). Des dispositions dérogatoires ont été prévues pour leur financement en 2022 afin de tenir compte des conséquences de la crise sanitaire. L’application pleine et entière du nouveau modèle a ainsi vocation à se déployer à compter de 2023.

      Le financement de la psychiatrie

Historiquement, le secteur de la psychiatrie se caractérisait par des modalités de financement distinctes selon les catégories d’établissements. Les hôpitaux et la majeure partie des établissements privés d’intérêt collectif (ESPIC) recevaient une dotation globale (DG) tandis que les cliniques et quelques ESPIC sous objectif quantifié national (OQN) connaissaient un financement à l’activité principalement fondé sur des paiements par journée d’hospitalisation. Cette disparité se traduisait par des dynamiques d’activité contrastées : le secteur « DG » était pénalisé par le développement de son activité tandis que les établissements du secteur « OQN » étaient incités à multiplier les journées d’hospitalisation.

Pour harmoniser ces financements, réduire les inégalités territoriales qui en résultaient et favoriser la transformation de la psychiatrie, l’article 34 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a proposé un nouveau modèle assis sur huit compartiments distincts :

 une dotation populationnelle destinée à corriger les inégalités territoriales et à asseoir le principe d’une responsabilité territoriale des établissements ;

 une dotation à la file active pour valoriser l’activité des établissements, avec un tarif dégressif suivant le nombre de journées d’hospitalisation afin d’inciter à une prise en charge ambulatoire ;

 un compartiment « activités spécifiques » (2 %) pour certaines activités à portée supra-régionale ;

 plusieurs compartiments de financements ciblés (<1 %) pour le soutien à la recherche ou encore aux activités innovantes…

 un financement à la qualité (<1 %) à travers l’extension à la psychiatrie du dispositif Ifaq et la création d’un compartiment dédié au financement de la qualité du codage.

Si cette réforme est entrée en application à compter du 1er janvier 2022, l’année 2022 a fait l’objet de dispositions transitoires spécifiques. Un déploiement progressif des mesures est planifié du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2025. Sur cette période, le montant annuel cumulé des dotations ne pourra être inférieur au montant perçu par les établissements l’année précédente.

      Le financement des soins de suite et de réadaptation

Historiquement, le financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) est, comme pour la psychiatrie, distinct selon les secteurs. Les établissements privés sous OQN (objectif quantifié national) sont financés par des prix de journée et autres suppléments qui présentent un caractère inflationniste et ne traduisent ni la variété ni la lourdeur des prises en charge. Quant aux établissements sous dotation annuelle de financement (DAF), leur financement sous forme de dotation complique le développement de l’activité et ne permet pas d’accompagner l’évolution nécessaire des prises en charge, dans leurs modalités organisationnelles comme dans leur intensité.

Cette dichotomie s’est traduite par des inégalités de répartition des ressources budgétaires, tant entre régions qu’entre établissements. La différenciation des modes de financement a également induit des modes de spécialisation d’activités différents entre les secteurs d’appartenance des établissements et entre régions.

L’article 78 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 ([68]) a réformé le modèle de financement des activités de SSR qui repose maintenant sur :

 une part forfaitaire (environ 30 à 40 %) dont l’objectif est d’allouer la ressource en fonction des besoins de santé, approchés par les caractéristiques des populations et des territoires, et de sécuriser les établissements en garantissant une base minimale de ressources pluriannuelles ;

 une part « activité » (environ 50 %) pour donner à l’établissement des ressources liées à son activité réelle et à la dynamique de celle-ci ;

 un compartiment « plateaux techniques spécialisés » (PTS, environ 2 %) compensant une partie des charges induites par l’exploitation de PTS rares et coûteux ;

 un compartiment « molécules onéreuses » (MO, environ 1 %) destiné à acquérir certaines molécules inscrites sur une liste limitative afin de permettre aux établissements de dispenser des traitements onéreux ;

 un compartiment relatif aux missions d’intérêt général (MIG, environ 3 %) dont les établissements de SSR ont spécifiquement la charge ;

 la dotation d’incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq) (environ 2 %).

Le calendrier de mise en œuvre de la réforme du financement du SSR a été progressif. Il a aussi fait l’objet de reports successifs. La montée en charge du nouveau modèle est désormais prévue à compter du 1er juillet 2023. Entre-temps, les soins de suite et de réadaptation sont devenus, en 2022, les soins médicaux de réadaptation (SMR).

      Le financement à la qualité (Ifaq)

Depuis 2016, les établissements de santé peuvent bénéficier, en fonction des résultats obtenus selon des indicateurs de mesures de la qualité et de la sécurité des soins, d’une dotation d’incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq).

Le dispositif a été profondément rénové en 2019 dans le but de faire de la qualité un compartiment à part entière du financement des établissements de santé. Ainsi le montant des crédits liés à la qualité a-t-il considérablement augmenté : de 50 millions d’euros en 2018 à 200 millions d’euros en 2019, 500 millions d’euros en 2023, 700 millions d’euros en 2022. L’objectif est d’atteindre un milliard d’euros.

Pour accompagner cette augmentation de la part de financement à la qualité, le modèle d’allocation de la dotation Ifaq a été revu en profondeur. La logique de score qualité global par établissement, jugée peu lisible, a été remplacée par une rémunération à l’indicateur. Le caractère inclusif et incitatif du dispositif a été renforcé puisque la part d’établissements rémunérés est passée d’environ 30 % à 70 %. Ces nouvelles modalités permettent à la quasi-totalité des établissements de santé (99,6 %) de percevoir une rémunération à la qualité.

2.   Des réformes difficiles à mettre en œuvre

Les réformes du financement engagées peinent à se mettre en place : décalages de calendrier, mise en œuvre très progressive – voire partielle – des nouveaux modèles, reconduction des dotations historiques… Plusieurs facteurs contribuent à expliquer ces difficultés.

      Des inerties importantes, en partie liées à la crise épidémique

La crise sanitaire a freiné les travaux préalables nécessaires à la mise en place des nouveaux modèles (simulations, travail sur les indicateurs) en mobilisant les ressources du ministère de la santé. Elle a par ailleurs justifié une garantie de financement pour préserver les recettes des établissements de santé dans un contexte de chute de l’activité – garantie reconduite en 2021 et 2022 et, selon des modalités atténuées, en 2023. Cette garantie s’est substituée aux modèles nouveaux de financements des établissements.

Cette inertie liée à la crise sanitaire a été renforcée par les fortes réticences de certains acteurs, dans un contexte où les réformes sont conçues pour engendrer d’importants effets de redistribution. Dans un contexte globalement délicat dans les établissements de santé – et plus encore dans certains secteurs en tension comme la psychiatrie – la transition entre ancien et nouveau système suppose de franchir une marche importante, dont l’acceptabilité peut poser question. De manière générale, les hôpitaux publics, qui devraient être bénéficiaires du rééquilibrage provoqué par l’introduction d’une dimension populationnelle, sont plus favorables à ces réformes que les établissements des autres secteurs, singulièrement les cliniques privées.

      Des modèles complexes

La subtilité des modèles de financement cibles est un autre facteur contribuant à expliquer le caractère laborieux de ces réformes. Le modèle de financement de la psychiatrie repose sur huit compartiments, celui des SMR sur six compartiments. La multiplication des enveloppes engendre une complexité importante. Le ministère de la santé peine à produire des simulations fiables permettant aux acteurs d’anticiper les conséquences du changement.

      Une logique populationnelle difficile à intégrer pleinement

La mise en œuvre d’une logique populationnelle dans les financements se heurte au manque d’outils et d’indicateurs dédiés pour répartir les dotations sur une base objective. En outre, il revient aux ARS de procéder à cette répartition, en lien avec les comités régionaux d’allocation des ressources ([69]). Or, il s’agit, pour ces acteurs, d’une compétence nouvelle, pour laquelle l’expertise fait encore défaut.

Dans ce contexte, l’ensemble des acteurs auditionnés souligne une grande hétérogénéité dans les critères pris en compte par les ARS pour répartir les dotations populationnelles. Si les mieux outillées se livrent d’ores et déjà à une forme de répartition selon les critères qui, par ailleurs, varient, d’autres se bornent, pour l’essentiel, attribuent les crédits sur une base historique.

II.   La transformation du financement bute sur les cloisonnements public/privé et ville/hôpital

Si la première partie montre que de nombreuses réformes du financement ont été lancées, il n’est que trop visible qu’elles ne concernent que les établissements de santé. À ce jour, les réformes engagées ne sont pas parvenues à créer des leviers transversaux entre la ville et l’hôpital, lesquels sont pourtant indispensables pour entrer dans une logique de parcours et répondre aux besoins de santé de la population.

1.   Des cloisonnements difficilement surmontables

Les cloisonnements dans les canaux de financement et, surtout, dans les modes de rémunération des professionnels de santé, sont à l’origine de la difficulté récurrente à mobiliser le financement autour des parcours des patients.

Ces cloisonnements concernent les établissements de santé entre eux. S’ils sont financés selon des logiques similaires ou proches, les réformes récentes permettant de progresser dans ce sens, les établissements restent soumis à une tarification différente selon qu’ils appartiennent au secteur public, privé d’intérêt collectif ou privé lucratif. Ces échelles de tarification distinctes sont supposées répondre à des différences de charges difficiles à objectiver en réalité, et peuvent aboutir à des situations de rente.

Les modes de rémunération distincts séparent aussi la ville de l’hôpital. Si les personnels des hôpitaux et des établissements d’intérêt collectif sont salariés, ceux des cliniques privées et les professionnels de ville sont payés à l’acte. Il en résulte, pour les mêmes actes, des différentiels de rémunération du simple au quintuple pour certaines spécialités ([70]). De surcroît, la nomenclature des activités recensées dans le cadre de la tarification à l’activité (T2A) est totalement distincte de celle appliquée pour l’activité libérale, la classification commune des actes médicaux (CCAM).

2.   L’exemple du forfait « maladie rénale chronique »

L’article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ([71]) a ouvert la possibilité d’un paiement au forfait annuel pour la prise en charge des pathologies chroniques dans le but d’inciter à une prise en charge globale et coordonnée des personnes atteintes de maladies chroniques, en favorisant la coopération et la délégation de tâches entre acteurs et en développant la prévention.

Le premier forfait annuel destiné aux pathologies chroniques a été créé en octobre 2019 pour la prise en charge hospitalière de patients atteints de maladie rénale chronique aux stades 4 et 5 de la maladie et en pré-suppléance. Versé annuellement aux établissements de santé prenant en charge un volume minimal de patients atteints de cette pathologie, il rémunère les consultations avec un néphrologue, les actes médicaux non techniques ainsi que les interventions et actes non médicaux des professionnels paramédicaux (infirmiers de coordination), socioéducatifs (diététiciens) ou autres (éducation thérapeutique, activité physique adaptée). Il a vocation à favoriser une répartition optimale des tâches entre professionnels ainsi qu’à améliorer le suivi global du patient pour prévenir les complications et la nécessité d’une dialyse ou d’une greffe.

Ce forfait devait être étendu aux acteurs de la ville, dans un contexte où la plupart des patients atteints de cette pathologie sont pris en charge à la fois en ville et par les structures hospitalières. Cependant, cette extension semble avoir été abandonnée devant la complexité excessive de ce projet, en raison des différents modes de rémunération entre ville et hôpital. Ainsi le dispositif est-il empêché d’atteindre pleinement son objectif initial, faute de pouvoir couvrir l’ensemble du parcours du patient.

III.   Les expérimentations « article 51 » montrent que l’évolution des modes de financement peut avoir des effets structurants sur le soin

L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ([72]) ouvre la possibilité d’expérimentations dérogeant aux règles de tarification habituelles pour « permettre l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins ». Ce cadre constitue, à l’heure actuelle, la seule possibilité réelle de dépasser les cloisonnements susmentionnés pour construire le financement autour des besoins des patients. De fait, les plus de 230 expérimentations qui ont vu le jour ont souvent pour objectif de créer des parcours améliorant la prise en charge.

Certaines expérimentations revêtent un caractère particulièrement structurant en ce qu’elles transforment les modes de rémunération des professionnels. Les premiers résultats disponibles font apparaître des effets très importants sur l’organisation et la qualité des prises en charge et sur le bien-être au travail des professionnels.

1.   L’expérimentation d’un « paiement en équipe de professionnels de santé » (PEPS)

Portée par le ministère de la santé et lancée en 2019, l’expérimentation PEPS teste la rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé en ville, substitutive au paiement à l’acte et libre dans son utilisation comme dans sa répartition. Concrètement, des professionnels de santé (médecins généralistes et infirmiers) exerçant dans une structure de ville déjà constituée (maisons ou centres de santé par exemple) se portent volontaires pour être rémunérés au forfait en substitution de l’acte pour trois types de patientèle : soit sur l’ensemble de la patientèle « médecin traitant » des médecins généralistes ou du centre de santé concerné, soit sur la patientèle « médecin traitant » des personnes âgées de plus de 65 ans, soit sur la patientèle « médecin traitant » diabétique (de type 1 ou 2).

En raison de son caractère novateur, cette expérimentation a principalement été mise en œuvre dans des centres de santé, où les professionnels sont d’ores et déjà salariés. Cependant, trois maisons de santé se sont également portées volontaires, à l’image de la maison de santé Les Allymes dans l’Ain. Cette structure a basculé au forfait pour la prise en charge de la patientèle médecin traitant au 1er janvier 2021. Ce forfait, modulé selon divers paramètres, est payé sur le compte de la société en prévision pour une période de quatre mois. Ce versement donne de la visibilité aux équipes, qui peuvent l’affecter comme elles l’entendent, recruter des professionnels de façon à optimiser le temps médical, investir dans un plateau technique complet. Le forfait rémunère six médecins généralistes, trois infirmières (de parcours, de pratique avancée et de santé publique) et trois accueillantes secrétaires ayant vocation à devenir assistantes médicales. Les professionnels sont rétribués en fonction de leur temps de travail.

La sortie d’une rémunération à l’acte permet de séparer la prise en charge des patients en « petits bouts » sans se poser la question de la facturation de l’acte et de son bénéficiaire. Par exemple, les électrocardiogrammes peuvent être effectués par l’infirmière et interprétés par le médecin. Cette répartition des tâches a permis à l’équipe d’accroître sa file active de 10 à 20 %, engendrant une hausse de la rémunération.

Si le modèle est jugé relativement simple à mettre en œuvre pour les professionnels qui bénéficient de leurs moyens en prévision et n’ont plus à se préoccuper de ce que rapporte chaque consultation, il est plutôt difficile à manier pour l’assurance maladie, qui doit notamment collecter toutes sortes d’indicateurs afin de parvenir à calculer et moduler le forfait.

Au final, le passage au forfait a considérablement amélioré le confort de travail des professionnels tandis que son caractère mutualisé a permis de limiter les risques associés à la transition entre l’ancien et le nouveau système. Les professionnels concernés auraient du mal à concevoir un retour au paiement à l’acte au terme de l’expérimentation, prévu fin 2024. Ceci tend à montrer que le modèle de financement change fondamentalement la manière de travailler.

2.   L’expérimentation Équilibres, la rémunération horaire des infirmiers libéraux

L’expérimentation Équilibres, portée par l’association Soignons humain, consiste à rétribuer à un taux horaire calculé en fonction de la rémunération moyenne de la profession 160 infirmiers libéraux aspirant à mettre en place une prise en charge globale des patients sans être contraint par la nécessité de coter des actes techniques. Grâce à ce modèle, les infirmiers effectuent 40 % d’actes non cotés dans la nomenclature générale des actes paramédicaux (NGAP), notamment de l’éducation thérapeutique, mais aussi la pose de bas de contention, l’administration de collyres, etc. Ce temps valorisé auprès des patients favorise leur autonomisation et leur maintien à domicile ; il permet aussi de redonner du sens au travail de ces infirmiers à domicile, qui avaient le sentiment d’être devenus « des professionnels de la cotation ». Ce mode de rémunération supprime en outre un biais de sélection des patients – il n’y a plus de patient « rentable » ou « non rentable » – et incite à une prise en charge holistique, qui va au-delà de l’acte technique pour lequel ils peuvent avoir été sollicités.

Les infirmiers qui ont rejoint l’expérimentation conçoivent difficilement un retour à la tarification à l’acte. Cependant, ce modèle n’aurait pas vocation à être généralisé dans le sens où il est pertinent pour des professionnels qui ont le goût de l’éducation thérapeutique, de la coordination et du travail en équipe. Il suscite néanmoins un intérêt réel dans la profession, avec une liste d’attente qui compte d’ores et déjà plus de 400 professionnels. L’expérimentation arrive à son terme à la fin de l’année 2023.

3.   L’expérimentation Ipso Santé, la rémunération à la capitation des médecins généralistes

L’expérimentation Ipso Santé ou « contrat médecin traitant renforcé » est porté par quatre cabinets de médecine générale parisiens du groupe Ipso Santé. Ce groupe constitue une maison de santé, et compte actuellement huit à douze médecins généralistes associés par cabinet. Depuis sa création en 2015, il cherche à repenser la manière dont sont dispensés les soins primaires, dans une approche collaborative entre professionnels et en travaillant au recentrage des médecins sur le soin.

Dans cette optique, le groupe expérimente une rémunération individuelle forfaitaire mensuelle en fonction de la patientèle « médecin traitant renforcé » de chaque praticien, en lieu et place de la rémunération à l’acte. Cette rémunération forfaitaire permet la délégation de tâches, en particulier pour les patients très « consommants » qui consultent plus de dix fois par an. Grâce à la mutualisation qu’autorise l’exercice coordonné, le groupe a recruté vingt-cinq assistants médicaux, des psychologues, une coordinatrice sociale, des infirmiers en pratique avancée.

Cette formule a des avantages pour les médecins, recentrés sur leur cœur de métier. La sortie d’une valorisation à l’acte améliore également le suivi des patients : le dépistage et la prévention s’en trouvent valorisés. Par ailleurs, il ne sera pas toujours nécessaire de faire revenir le patient, certaines choses se réglant au téléphone.

Si le modèle est simple d’application pour les médecins, qui bénéficient d’une forme de stabilité dans leur rémunération, il est complexe pour l’assurance maladie. De longues discussions ont été nécessaires pour établir la valeur des briques du forfait « médecin traitant renforcé », sur la base de la rémunération perçue auparavant par les médecins et en fonction du degré de complexité attaché à chaque catégorie de patients. L’assurance maladie semble en difficulté pour recueillir les indicateurs pertinents afin d’évaluer l’expérimentation en vue de sa généralisation, à l’horizon de la fin 2024.

Les porteurs du projet estiment que ce modèle peut être répliqué dans d’autres maisons de santé, dès lors qu’elles ont une taille critique et que les professionnels ont atteint un certain niveau de structuration. Il doit néanmoins être assorti d’engagements des professionnels pour éviter les effets d’aubaine.

IV.   Perspectives pour une transformation du financement

Dans la perspective de la réforme annoncée du financement des activités de médecine, l’analyse des précédentes transformations et expérimentations des dernières années conduit à préconiser quelques lignes d’actions prioritaires.

1.   Clarifier sans délai les modalités de sortie des expérimentations « article 51 »

Plusieurs dizaines d’expérimentations conduites dans le cadre de l’article 51 arriveront à échéance en 2023 et 2024. Comme l’illustrent les exemples susmentionnés, ces expérimentations ont été menées par des acteurs extrêmement investis, qui ont bouleversé leur organisation et souvent consenti des investissements importants. Ces équipes soulignent le manque de visibilité sur l’avenir de leur démarche, dans un contexte où l’assurance maladie peine à produire les évaluations nécessaires. Ce point est confirmé par le rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale pour 2023 ([73]), qui souligne le caractère sous-dimensionné de la cellule d’évaluation réunissant le ministère de la santé et l’assurance maladie ([74]).

La Cour des comptes souligne le travail technique considérable qu’implique l’hypothèse d’une entrée des dispositifs expérimentaux dans le droit commun, en particulier sur les systèmes d’information, l’évolution des compétences et des métiers, la formation et la coordination. Dans la mesure où de nombreuses expérimentations poursuivent des objectifs proches, ce travail impliquera de prendre de la hauteur pour une évaluation globale des orientations similaires, en vue de déterminer les modalités retenues pour la bascule dans le droit commun. Le retard pris dans ces travaux suggère que de nombreuses expérimentations seront, dans un premier temps, prolongées. Dans la mesure où cette bascule impliquera des évolutions législatives, il importera que le Parlement soit partie prenante de la réflexion à fin d’anticipation.

2.   Aller au bout des réformes du financement déjà lancées

Les réformes du financement décrites en première partie sont irriguées par la logique d’une atténuation des effets de la tarification à l’activité, d’une rémunération conditionnée à l’atteinte d’objectifs de santé publique, d’un financement proportionné aux besoins de santé de la population. Par ailleurs, leur mise en œuvre nécessite des efforts considérables des différents acteurs concernés pour mettre au point les outils nécessaires, développer les indicateurs pertinents, s’approprier les logiques nouvelles. Il importe donc de ne pas remettre en cause ces réformes mais d’en accélérer la mise en œuvre, éventuellement en simplifiant leurs modalités.

La réforme des hôpitaux de proximité revêt une certaine exemplarité dans cette perspective. Dûment concertée avec les acteurs et accompagnée, cette réforme confère un rôle stratégique à ces établissements sur le territoire, tout en proposant un modèle financier lisible, sécurisant et relativement simple. C’est à l’aune de ce premier succès qu’il faut poursuivre les autres réformes en cours, en veillant à les accompagner dans la durée tout en assumant les effets de redistribution qu’elles induisent.

Pour que la logique de responsabilité populationnelle prenne tout son sens, il sera indispensable de renforcer les ARS en leur donnant les outils et les ressources humaines nécessaires pour qu’elles investissent pleinement leurs nouvelles prérogatives. Il conviendra probablement, à terme, de renforcer le poids des dotations populationnelles dans les modèles de financement, en particulier pour les hôpitaux de proximité, pour lesquels elles ne représentent actuellement qu’environ 1 % des ressources.

Il importera aussi de révolutionner le financement à la qualité. La montée en charge de l’Ifaq ne s’est pas accompagnée d’une transformation suffisante de la mesure de la qualité, qui reste fondée sur des indicateurs de processus plutôt que sur la qualité des prises en charge et la satisfaction des patients. Dans la mesure où le financement à la qualité a vocation à irriguer l’ensemble des nouveaux modèles de dotation, il importera de progresser rapidement dans la détermination d’indicateurs pertinents et automatisables, pour ne pas induire de charges supplémentaires pour les professionnels de santé.

3.   Donner de la stabilité et de la visibilité aux établissements hospitaliers

La réforme du financement envisagée dans les établissements hospitaliers devra tenir compte de la nécessité d’apporter, pour ces acteurs, un cadre stable et de la visibilité. Les hôpitaux doivent, à partir de 2023, amorcer la sortie de la garantie de financement appliquée depuis 2020 pour sécuriser leurs recettes dans un contexte de crise sanitaire. De nombreux établissements se trouvent dans une situation dégradée en raison notamment de difficultés à recruter des personnels de santé. Ce contexte fragile doit inciter à la définition d’un cadre sécurisant qui permette à ces établissements de se projeter.

À court terme, il semble indispensable de réactiver le cadre pluriannuel lancé pour la première fois en 2019 ([75]), afin de donner de la visibilité sur les ressources des établissements de santé. Ce cadre a été de facto mis en côté avec la crise sanitaire et l’application de la garantie de financement. Il semble indispensable de pérenniser cette approche pluriannuelle et de redéfinir le cadre ayant vocation à s’appliquer pour les prochaines années en amont du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Il importera également de conduire une politique d’investissement pérenne pour les établissements hospitaliers. Si le Ségur de la Santé a mis sur la table des moyens substantiels pour l’investissement hospitalier, cette enveloppe compensera seulement les déficits d’investissement cumulés au fil des années. Pour éviter que ces déficits ne se reconstituent, il importe de définir une politique d’investissement en continu, qui impliquerait probablement d’isoler le financement des investissements lourds des tarifs hospitaliers.

4.   Aller vers une convergence des modes de rémunération des acteurs de la santé

La réponse aux enjeux du système de santé bute systématiquement sur la différence des modes de rémunération selon secteurs d’exercice, qui va de pair avec une différence des niveaux de rémunération pour des activités similaires. Il semble indispensable, à terme, de faire converger les modes de rémunération entre public et privé, ville et hôpital. Dans le modèle cible, elle serait principalement liée à la lourdeur ou la difficulté de la prise en charge, avec des outils identiques en ville et dans les établissements, et valoriserait l’engagement des professionnels.

 

 

 

 

 

 


–– 1 ––

  Annexe :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteure générale

(Par ordre chronologique)

                  Mme Natacha Lemaire, rapporteure générale de l’article 51 du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2018

                  Table ronde des fédérations hospitalières :

 Fédération hospitalière de France (FHF) *  Mme Cécile Chevance, responsable du pôle offres, M. Aurélien Sourdille, responsable adjoint du pôle offres, et M. Marc Bourquin, conseiller en stratégie

 Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) * – Mme Christine Schibler, déléguée générale, M. Thierry Béchu, délégué de la FHP-MCO, Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et de la veille sociétale, déléguée générale de la Fondation des usagers du système de santé

 Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (Fehap) * – M. Charles Guepratte, directeur général, M. Arnaud Joan-Grange, directeur de l’offre de soins et des parcours de santé

                  Table ronde des conférences de directeurs d’hôpital (de centre hospitalier et de CHU) :

 Conférence des directeurs généraux de centres hospitaliers universitaires (CHU)  M. Philippe El Sair, président de la conférence et directeur général du CHU de Nantes, et M. Olivier Bossard, directeur général du CHU de Saint-Étienne

 Association des établissements participant au service public de santé mentale (Adesm) – M. Pascal Mariotti, président, et M. Piero Chierici, coordonnateur du groupe Adesm-FHF pour la réforme du financement de la psychiatrie

 Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier (CNDCH)  M. Francis SaintHubert, président, Mme Laurence Bernard, et M. Benoît Fraslin, membres du bureau et Mme Cécilia Waheo, secrétaire générale

                  Table ronde avec des directeurs généraux d’agences régionales de santé :

 M. Hugo Gilardi, directeur général de l’ARS Hauts-de-France, Dr Vincent Van Bockstael, chargé de mission « maladies chroniques et parcours de santé », M. Pierre Boussemart, directeur de l’offre de soins, et M. Guillaume Blanco, sous‑directeur établissement de santé

 Mme Virginie Cayré, directrice générale de l’ARS Grand Est

 Mme Muriel Vidalenc, directrice générale par intérim de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, et Mme Nadège Grataloup, directrice de l’offre de soins

                  Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih) M. Housseyni Holla, directeur général, Mme Joëlle Dubois, cheffe de service classifications, information médicale et modèles de financement, et Mme Véronique Sauvadet, cheffe de service financement et analyse économique

                  Fédération nationale des établissements de santé de proximité (FNESP) Mme Sophie Guinoiseau, présidente, et M. Youen Carpo, secrétaire

                  Groupe de santé Les Allymes  M. Olivier Beley, médecin, maître de stage universitaire, et Mme Marika Denil, infirmière de parcours

                  Table ronde sur la prise en charge de la maladie rénale chronique :

 Renaloo  Mme Yvanie Caillé, fondatrice, M. Laurent Di Meglio, administrateur, et Mme Magali Leo, responsable du pôle plaidoyer

 France Rein M. Jan-Marc Charrel, président, et Dr Brigitte Thevenin-Lemoine, conseillère médicale

 Société francophone de néphrologie, dialyse et transplantation Pr Luc Frimat, président

                  Table ronde expérimentation article 51 « Équilibres » :

 M. Dominique Jakovenko

 Mme Justine Huet

– Mme Laurianne Derreux

– M. Guillaume Alsac

– Mme Chrystèle Leman

– M. Mathieu Nochelski

 M. Benjamin Estrampes

                  Table ronde sur l’expérimentation IPSO Santé :

 M. Simon Champetier, responsable du projet « contrat médecin traitant renforcé »

 M. Benjamin Mousnier-Lompre, associé fondateur

– Dr Marie Benque, médecin associé exerçant au cabinet IPSO Saint-Martin

– Dr Laurène Bernard, médecin associé exerçant au cabinet IPSO Ourcq

– Dr Nicolas de Chanaud, médecin associé exerçant au cabinet IPSO Saint-Martin

– Dr Florence Pasquier, médecin associé exerçant au cabinet IPSO Italie

                  Table ronde des conférences de présidents de CME (de centre hospitalier et de CHU) :

 Conférence nationale des présidents de commissions médicales de centres hospitaliers  Dr Thierry Godeau, président

 Conférence nationale des présidents de commissions médicales d’établissements de centres hospitaliers spécialisés – Dr Christophe Schmitt, président

– Conférence nationale des présidents de commissions médicales d’établissements de centres hospitaliers universitaires – Pr Rémi Salomon, président, Dr Marie-Christine Turnin, vice‑président CME du CHU de Toulouse, Pr Jean-Yves Gauvrit, président CME du CHU de Rennes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


1

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

Larticle 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a instauré le dispositif « MonParcoursPsy » qui permet la prise en charge par lassurance maladie et les complémentaires santé, sous certaines conditions, de consultations auprès de psychologues libéraux. Ce dispositif pérenne a été lancé dans un contexte singulier, marqué par une forte hausse des besoins en lien avec la crise sanitaire.

Un an après son entrée en vigueur, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié l’évaluation de ce dispositif à trois députés issus tant de la majorité que de lopposition : MM. Éric Alauzet (Renaissance), Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine - NUPES) et Sébastien Peytavie (Écologiste - NUPES).

Bien qu’intervenant tôt, cette évaluation se justifie à plusieurs titres ([76]). Dune part, les oppositions exprimées par la plupart des associations de psychologues dès la conception du dispositif interrogent quant à son appropriation par les professionnels et aux conditions de son application. Dautre part, les données rendues publiques par ladministration et les remontées de terrain permettent déjà den dresser une première appréciation.

Préalablement à l’audition des représentants des administrations centrales et de l’assurance maladie en commission des affaires sociales, les rapporteurs ont entendu des organisations et syndicats de psychologues, des psychologues exerçant en libéral ou en institution, des médecins ainsi que des associations de patients.

I.   UN DISPOSITIF VISANT À AMÉLIORER L’ACCÈS AUX SOINS PSYCHIQUES

  1. La prise en charge de la souffrance psychique constitue un défi d’ampleur, accentué sous l’effet de la crise sanitaire

La santé mentale constitue un enjeu majeur de santé publique. Les troubles psychiques concernent chaque année un Français sur cinq et leur prise en charge représente le premier poste de dépenses de l’assurance maladie ([77]).

Ce phénomène s’est accentué sous l’effet de la crise sanitaire qui a fortement perturbé les liens sociaux. Selon les enquêtes de Santé publique France, les épisodes dépressifs ont connu une « accélération sans précédent », passant de 9,8 % en 2017 à 13,3 % en 2021. La prévalence de ces troubles est particulièrement marquée chez les jeunes adultes, les enfants ainsi que les personnes d’un statut socio-économique modeste ([78]). Cette évolution met sous tension les systèmes de prise en charge en santé mentale, déjà saturés, notamment à hôpital.

Dans ce contexte, des initiatives sont apparues afin d’améliorer l’accès aux soins psychiques et de rendre accessibles les consultations auprès de psychologues de ville. Jusqu’alors, seules les consultations en établissement de santé ou médico-social faisaient l’objet d’une prise en charge par l’assurance maladie obligatoire.

  1. MonParcoursPsy vise à rendre plus accessibles les consultations auprès des psychologues libéraux

Annoncé par le Président de la République lors des Assises de la santé mentale à l’automne 2021, le dispositif MonParcoursPsy (initialement MonPsy) a été créé par l’article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ([79]). Celui-ci a introduit au sein du code de la sécurité sociale un nouvel article L. 162-58 prévoyant, pour la première fois, un dispositif pérenne de prise en charge par l’assurance maladie de consultations de psychologues en ville.

Entré en vigueur en avril 2022, il s’adresse à toute personne âgée de plus de trois ans, souffrant de troubles psychiques d’intensité légère à modérée, dans l’objectif de favoriser l’intervention précoce et d’éviter l’apparition de troubles plus sévères.

Pour les majeurs, il s’agit de troubles anxieux ou dépressifs d’intensité légère à modérée, mais aussi de situations caractérisées par un mésusage de tabac, d’alcool ou de cannabis hors situation de dépendance, ou de troubles du comportement alimentaire sans critères de gravité. Pour les mineurs de trois ans et plus, il s’agit des « situations de mal-être ou de souffrance psychique pouvant susciter l’inquiétude de l’entourage » ([80]).

1.   Prise en charge des séances

Lassurance maladie prend en charge un maximum de huit séances par année civile, renouvelables chaque année sur adressage du médecin. La première séance est consacrée à un entretien d’évaluation. La dernière donne lieu à un échange écrit entre le médecin et le psychologue qui peut choisir, sil y a lieu, dadresser le patient à un psychiatre.

Selon les indications du ministère de la santé, lentretien d’évaluation dure entre 45 et 55 minutes et le reste des séances 30 à 40 minutes ([81]).

Le tarif des séances a été fixé à 30 euros, à l’exception de celui de la première séance d’évaluation qui est de 40 euros. La consultation est prise en charge à hauteur de 60 % par l’assurance maladie et de 40 % par la complémentaire santé. Le dépassement dhonoraires est interdit pour ces séances.

 

Nombre de séances

Tarif conventionné

Prise en charge par l’assurance maladie

Prise en charge par la complémentaire santé

Entretien d’évaluation

1

40 

 

60 %

 

40 %

Séance de suivi psychologique

1 à 7 maximum

30 

2.   Conditions d’accès au dispositif

Aux termes de l’article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, complété par le décret n° 2022-195 du 17 février 2022 ([82]), la prise en charge des consultations est soumise à plusieurs conditions destinées à sécuriser le dispositif :

 d’une part, le psychologue consulté doit avoir été sélectionné par l’assurance maladie et son engagement formalisé par un conventionnement ;

 d’autre part, le patient doit être adressé par « son médecin traitant ou par un médecin impliqué dans sa prise en charge », justifiant la nécessité d’un suivi psychologique.

Les psychologues sont recrutés dans le dispositif au regard de leur formation et de leur expérience professionnelle. Ils doivent être inscrits auprès de l’ARS et attester d’une expérience clinique d’au moins trois ans ainsi que d’un parcours consolidé en psychologique clinique ou psychopathologie.

Les psychologues conventionnés, qu’ils exercent en libéral ou en tant que salariés en centre ou maison de santé, peuvent, s’ils le souhaitent, continuer d’exercer en parallèle leur activité propre, avec des tarifs libres et sans remboursement par la sécurité sociale.

La liste des psychologues participant au dispositif est consultable sur un annuaire, mis en ligne par le ministère de la santé et de la prévention ([83]). Le patient est libre de choisir parmi les psychologues conventionnés celui auquel il souhaite avoir recours.

  1. Un dispositif rejeté par la plupart des organisations de psychologues

1.   Un dispositif construit sur la base d’une expérimentation

MonParcoursPsy sappuie sur une expérimentation menée entre 2018 et 2022 par lassurance maladie dans quatre départements (Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Landes et Morbihan), sur le fondement de larticle 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Elle prévoyait la prise en charge de onze séances de psychothérapie de soutien par lassurance maladie, sur prescription du médecin généraliste, pour des patients présentant des troubles légers à modérés. Si, à lissue de ces premières séances, l’état du patient ne présentait pas damélioration, le médecin traitant pouvait prescrire après un avis psychiatrique dix séances supplémentaires dites de « psychothérapie structurée ».

Selon l’évaluation intermédiaire du dispositif par la Cour des comptes ([84]), à lissue des deux premières années dexpérimentation, 75 % des médecins généralistes actifs, soit plus de 3 000 médecins, avaient prescrit chacun au moins une séance de psychothérapie à 6,5 patients en moyenne. Près de la moitié (44,3 %) de l’ensemble des psychologues cliniciens et psychothérapeutes agréés par les ARS (et répertoriés sur le fichier ADELI) avaient déclaré vouloir participer à l’expérience et s’étaient conventionnés. En juin 2020, plus de 200 000 séances de psychothérapie de psychologues avaient été remboursées pour plus de 20 000 patients.

2.   Un dispositif critiqué par la profession

Le passage au droit commun du dispositif, sous des conditions renouvelées, a fait lobjet dune vive opposition de la part de la quasi-totalité des organisations de psychologues.

Les critiques portaient principalement sur les critères d’éligibilité (troubles légers à modérés), la capacité du dispositif à répondre aux besoins en soins psychiques des patients, le tarif conventionné inférieur au prix moyen dune consultation classique (50 à 70 euros en moyenne selon les organisations professionnelles) ainsi que la nécessité dun adressage par un médecin. Les psychologues concevant leur identité professionnelle dans un rapport dautonomie avec la médecine, beaucoup perçoivent lintervention préalable du médecin dans lorientation du patient comme une « para-médicalisation » ou une « auxiliarisation » de la profession. De surcroît, au regard de la pénurie actuelle de médecins, ladressage préalable retarderait lengagement du patient dans le suivi psychologique, en particulier lorsquil nest pas à linitiative de la demande de soins psychiques.

II.   UN DISPOSITIF INSUFFISANT POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE PRISE EN CHARGE EN SANTÉ MENTALE

  1. De premiers résultats en demi-teinte

Un an après le lancement de MonParcoursPsy, le premier bilan du dispositif apparaît limité. Selon les chiffres du ministère de la santé, 3 000 psychologues étaient conventionnés au 15 mai 2023, soit (seulement) 13 % des 23 000 psychologues cliniciens libéraux potentiellement concernés par le dispositif ([85]). Toutefois, ces premiers chiffres correspondent à l’objectif initialement fixé par le Gouvernement pour sa première année. Ils masquent d’importantes disparités territoriales, la grande majorité des psychologues conventionnés exerçant en zone urbaine.

Les médecins sont plus nombreux à s’être saisis du dispositif : 32 079 d’entre eux, pour 92 % des médecins généralistes, ont adressé au moins un patient dans le cadre de MonParcoursPsy avec une moyenne de 4 patients orientés par professionnel.

Enfin, au 21 janvier 2023, 90 000 patients, dont 71 % de femmes et 10 % de personnes précaires, ont eu recours à MonParcoursPsy pour un peu plus de 370 000 séances, soit une moyenne de quatre séances par patient ([86]). Les rapporteurs notent toutefois que cette moyenne masque le fait que la plupart des patients soit mettent fin au suivi après une ou deux séances, soit vont jusqu’aux huit séances autorisées. Ceci interroge quoi qu’il en soit sur ce quantum de huit séances et son fondement.

  1. Un dispositif qui suscite de fortes critiques

1.   La reconnaissance des soins psychiques, une avancée saluée

Indépendamment de son impact, les rapporteurs notent que le dispositif pointe la nécessité dune meilleure reconnaissance des soins psychiques. Le principe dune prise en charge psychologique par lassurance maladie obligatoire et lassurance maladie complémentaire a été salué en particulier par les associations de patients. En outre, ce dispositif est inédit puisque, pour la première fois, des consultations auprès de professionnels issus des sciences humaines et sociales sont remboursées par lassurance-maladie obligatoire. Jusqu’à présent, seules les complémentaires santé proposaient un remboursement des consultations chez les psychologues. La « dé-stigmatisation » du suivi psychologique et son inscription dans des parcours de soins habituels est une nécessité. Le dispositif a pu lever un frein à la fois financier et intellectuel à l’égard de la psychologie libérale en conduisant certains assurés, notamment de jeunes adultes, souvent étudiants ou diplômés, à « sauter le pas » et à demander un accompagnement : 31 % des patients ayant eu recours à MonParcoursPsy ont moins de 25 ans ([87]).

Enfin, ladressage par le médecin, qui suscite des réactions plutôt négatives chez les psychologues, a eu dans certains cas pour effet de fluidifier les échanges entre les professionnels impliqués dans le parcours de soins du patient. Le dispositif a permis aux patients et aux médecins généralistes d’identifier facilement des psychologues qualifiés au sein d’une offre de psychothérapeutes qui n’est pas toujours lisible en l’absence de conventionnement ([88]). Enfin, l’échange prévu entre le psychologue et le médecin à lissue des huit séances apparaît peu opérant en pratique, cela sexpliquant principalement par le manque de temps dont disposent les professionnels.

2.   Des défauts importants à l’origine de nombreuses critiques de la profession

Les auditions ont fait apparaître les différents défauts de conception du dispositif.

1) Le nombre de séances prises en charge pose question car il suppose une durée prédéfinie pour parvenir à un résultat tangible. Or, le plafond de huit séances peut conduire à interrompre une thérapie pour les patients ne pouvant assumer des rendez-vous supplémentaires. Une telle situation a régulièrement été jugée inappropriée voire potentiellement dangereuse pour la santé mentale des patients qui ont commencé un travail introspectif. Il peut aussi donner lillusion à un patient que ses symptômes pourront être traités à lissue de huit séances.

2) Le dispositif nest pas suffisamment attractif financièrement pour les psychologues et il ne rend pas compte des différences de pratiques entre professionnels. Il ressort des auditions que linsuffisante rémunération des séances constitue un frein au conventionnement autant qu’un motif de sortie du dispositif. La tarification des séances nest pas en phase avec leur durée effective (environ 45 minutes) : elle incite les psychologues à « faire tenir » les consultations dans les 30 à 40 minutes indicatives, ce qui nest pas toujours possible ni souhaitable. En outre, elle prend insuffisamment en compte les différences de pratiques entre professionnels : les psychologues de pratique analytique, habitués aux thérapies longues, ne se retrouveraient pas dans le dispositif, conçu pour des consultations de courtes durées. Les professionnels auditionnés expriment le sentiment de « brader » lexercice du métier et de le normer en favorisant des thérapies courtes.

3) La condition dun adressage préalable constitue un frein supplémentaire à la consultation dun psychologue, dautant quil peut être nécessaire dattendre plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous chez un médecin généraliste et que six millions de Français ne disposent pas de médecin traitant. Lobligation de passer par un médecin donne le sentiment à certains psychologues d’être considérés comme une profession paramédicale « auxiliarisée » et ne prend pas en compte la particularité du titre et de la fonction de psychologue clinicien.

4) Les critères d’éligibilité des patients sont inopérants et inadaptés, et ils rendent difficilement compte de l’écart entre la manifestation du trouble léger ou modéré, évalué à première vue par le médecin généraliste, et les raisons sous-jacentes, souvent plus graves, qui sexpriment après plusieurs séances auprès du psychologue. Il semble exister un hiatus entre la réalité clinique, par nature complexe, et le dispositif qui tend à hiérarchiser les souffrances psychiques. En outre, MonParcoursPsy écarte des patients avec des troubles importants qui devraient être pris en charge de manière prioritaire par le système de santé et qui, dans les faits, ne le sont pas aujourd’hui.

5) Les psychologues constatent un manque dadhésion des patients au dispositif. Lensemble des psychologues auditionnés a souligné la position passive ou attentiste dun certain nombre de patients orientés par leur médecin. Or, à la différence des autres soins, les soins psychiques nécessitent un engagement individuel et répondent à une demande du patient. De ce fait, un certain nombre de personnes ayant intégré le dispositif ne vont pas au-delà dune à deux séances ; ils sont aussi plus nombreux à annuler leur rendez-vous à la dernière minute comparativement au reste de la patientèle.

Enfin, il a été souligné lors des auditions que certaines mutuelles, qui prenaient déjà en charge des consultations chez les psychologues, notamment dans le cadre de la crise sanitaire, auraient réduit leur offre de garantie, renvoyant désormais leurs assurés vers MonParcoursPsy. Cette affirmation na toutefois pas été confirmée par la Mutualité française qui a rappelé le souhait des complémentaires santé d’être associées par les pouvoirs publics à l’élaboration des dispositifs permettant de renforcer l’accès aux soins.

 Pour Éric Alauzet, les critiques formulées à l’égard de MonParcoursPsy traduisent principalement un hiatus entre la définition de troubles psychiques légers ou modérés susceptibles d’être pris en charge par ce dispositif et des troubles plus graves qui nécessitent une prise en charge plus importante que ce dispositif ne peut assurer. Par ailleurs, elles pourraient laisser croire que les situations qui ne relèveraient pas de ce dispositif ne seraient pas (ou plus) prises en charge. Or, tel n’est pas le cas. MonParcoursPsy n’empêche pas de consulter un psychologue en dehors de ce cadre, que ce soit en libéral (hors conventionnement) ou dans des structures publiques. Malgré ses défauts, ce dispositif ouvre une voie d’accès supplémentaire aux soins psychiques en élargissant le public cible, par le rôle incitatif du médecin généraliste ou pour certains patients qui ne souhaitent pas passer par une structure publique pour bénéficier de consultations remboursées.

 Pour Pierre Dharréville et Sébastien Peytavie, les critiques exprimées par les psychologues soulignent avant tout les défauts inhérents à un tel dispositif qui entre en contradiction avec le métier de psychologue, lequel exige de prendre le temps d’écouter les patients ainsi qu’une certaine liberté dans la manière d’appréhender chaque thérapie. Le cadre défini contraint les psychologues à opter pour des thérapies courtes et protocolisées par la puissance publique alors même que des patients, aux troubles « légers ou modérés » en apparence, peuvent avoir besoin d’un suivi sur le long cours. MonParcoursPsy questionne la place des psychologues, dont l’activité est conditionnée à un adressage préalable d’un médecin, et l’accès aux soins des patients qui se verraient refuser un tel adressage. Enfin, ce dispositif opère un contournement et vient souligner la faiblesse des moyens publics alloués à la prise en charge psychologique, en décalage avec les besoins des Françaises et des Français.

  1. MonParcoursPsy : stop ou encore ?

Il ressort des auditions un impact très modeste du dispositif en matière d’accès aux soins psychiques et une insatisfaction générale des psychologues quant au fonctionnement actuel du dispositif qui devra, de toute évidence, évoluer à court ou moyen terme sil est maintenu, certains souhaitant sa suppression pure et simple. Dans lattente, deux scénarios peuvent être envisagés : le maintien ou la disparition à terme de MonParcoursPsy.

1.   Option 1 : consolider MonParcoursPsy

Comme indiqué précédemment, le dispositif actuel comporte de nombreux défauts et ne peut demeurer en l’état. Dans l’hypothèse où il serait maintenu, pour qu’il fonctionne dans l’optique qui est la sienne, plusieurs paramètres devraient faire lobjet dajustements.

D’une part, le nombre maximum de séances prises en charge chaque année devrait être rehaussé. Ce plafond, qui constitue un « non-sens » pour de nombreux psychologues, ne semble reposer sur aucune justification thérapeutique. Il peut entraîner des ruptures de parcours de soins particulièrement préjudiciables. Il pourrait être envisagé daugmenter le plafond actuel mais aussi de permettre le renouvellement des séances sans attendre la fin de lannée en cours, le cas échéant sans nécessairement repasser par le médecin. En effet, dans une telle situation, le psychologue semble le plus à même de juger de l’état du patient et donc de la nécessité de prolonger ou non les séances.

Dautre part, la tarification des séances devrait être revue à la hausse et tendre vers le prix moyen dune consultation (50 à 70 euros). La tarification en vigueur ne permet pas aux psychologues dexercer dans des conditions normales ou habituelles leur activité qui implique, par essence, de prendre le temps d’écouter le patient. Le plafonnement à 30 euros dune consultation de psychologie nest pas viable économiquement pour les praticiens qui souhaitent faire correctement leur travail.

Restent les questions liées au diagnostic et à l’adressage, qui convoquent les enjeux de la place et du rôle des psychologues ainsi que de la pleine reconnaissance de leur métier. Il ne peut y avoir de suites positives sans renouer le dialogue avec les psychologues et les professionnels de la santé. Il convient également d’engager des discussions approfondies avec les organismes complémentaires dassurance maladie afin de mieux les associer à la prise en charge des soins psychiques.

2.   Option 2 : redéployer en faveur du service public les moyens alloués à MonParcoursPsy

Les défauts inhérents au dispositif et les critiques fortes quil suscite chez les psychologues peuvent conduire à envisager sa suppression. Le cas échéant, les moyens engagés dans MonParcoursPsy pourraient utilement être réemployés afin de renforcer les services publics de soins psychiques et psychiatriques.

Les auditions des rapporteurs ont montré que ce ne sont pas les plus précaires qui bénéficient le plus de MonParcoursPsy, alors que lon pourrait sattendre à ce qu’un tel dispositif facilite leur prise en charge. Seuls 10 % des patients ayant testé le dispositif sont des publics précaires ([89]). Aussi les rapporteurs estiment-ils que le dispositif rate sa cible principale dautant plus pénalisée que le système de santé public est aujourd’hui à lagonie.

Dans le prolongement des travaux de la commission des affaires sociales effectués sous la précédente législature ([90]), les auditions des rapporteurs ont mis en lumière les carences du service public de la santé mentale. Les centres médico-psychologiques (CMP), qui constituent la pierre angulaire de loffre ambulatoire, sont saturées depuis de trop nombreuses années : il faut attendre un premier rendez-vous plusieurs mois voire plus dun an.

Cette situation est intrinsèquement liée à une politique de rigueur budgétaire qui se traduit par une faible attractivité des métiers du secteur et des manques deffectifs criants. Les CMP rencontrent des difficultés à faire face aux besoins, mais aussi à assurer leur mission de coordination des soins psychiques et psychiatriques avec les médecins et psychologues exerçant en ville ([91]). Sagissant de lhôpital, la situation nest guère meilleure : les grilles salariales nont pas été revalorisées depuis trente ans dans la fonction publique hospitalière ([92]) et nombreux sont les psychologues travaillant à temps partiel ou en contrat à durée déterminée !

Le renforcement du service public de la santé mentale est une urgence incontournable. Certaines mesures en ce sens, issues des Assises de la santé mentale, ont été rappelées lors de son audition par la délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP) : création de 200 postes supplémentaires de psychologues en maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) et en centres de santé dans le cadre du Ségur de la santé, recrutement programmé de 400 équivalents temps plein (ETP) sur trois ans pour les centres médico-psychologiques et 400 ETP pour les centres médico-psychologiques infanto-juvénile (CMP-IJ), etc. Ces mesures sont bienvenues mais elles interviennent tardivement au regard de la situation du système de santé. Elles pourraient en outre être plus ambitieuses si les moyens consacrés à MonParcoursPsy étaient dédiés au financement de postes de psychologues ([93]).

*

La mise en place de MonParcoursPsy visait à répondre à une attente forte de la population française dont la santé mentale s’est dégradée, en particulier sous l’effet de la crise sanitaire. En effet, la situation appelle à une meilleure reconnaissance par la société de la légitimité des soins psychiques, à leur démocratisation et à une meilleure reconnaissance de la place des psychologues dans les parcours de soins.

Toutefois, ce dispositif, encore largement boudé par les psychologues, contribue aussi à dégrader l’exercice du métier, ne prenant pas en compte la réalité et la complexité de l’exercice professionnel, de surcroît dans le cadre d’une tarification insuffisante. Il est manifeste qu’il ne peut rester en l’état. Dores et déjà, plusieurs mesures dordres réglementaire et conventionnel pourraient être prises pour assouplir les règles actuelles et revaloriser les tarifs des consultations.

Enfin, MonParcoursPsy ne saurait demeurer larbre qui cache la forêt, largement sinistrée, que constitue le système public de la santé mentale. Il est urgent de réinvestir massivement – dans les hôpitaux, les CMP, les CMPP, etc. – en ouvrant de nouveaux postes et surtout en proposant aux psychologues des salaires à la hauteur de leur qualification, de leur travail et des besoins de la population.

 

 

 

 


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  AnnexE :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

(Par ordre chronologique)

                  Mme Émilie Garnier-Gulli, psychologue en centre médico-psychologique, rattachée au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Novillars

                  M. Alain Abelhauser, professeur en psychopathologie clinique à l’université de Rennes

                  M. Edgar Tissot, pharmacien et président de la commission médicale d’établissement du CHS de Novillars

                  Table ronde avec des associations d’usagers :

 France Assos Santé*  Mme Catherine Simonin, membre du bureau, et Mme Féreuze Aziza, chargée de mission Assurance maladie

 Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam)  Mme Marie-Jeanne Richard, présidente

                  Table ronde avec des représentants des psychologues :

 Fédération française des psychologues et de psychologie  Mme Gladys Mondière, présidente, et M. Benoît Schneider, professeur de psychologie honoraire, membre du bureau fédéral

 Syndicat national des psychologues (SNP)  M. Florent Simon, secrétaire général

 Collectif Manifestepsy – Mme Camille Mohoric-Faedi, cofondatrice, psychologue clinicienne, psychothérapeute, Mme Marianne Chimot, psychologue clinicienne, psychothérapeute, et M. Lionel Camalet, psychologue clinicien, psychothérapeute

 Convergence des psychologues en lutte : M. Albert Ciccone, psychologue clinicien, professeur émérite de psychopathologie et de psychologie clinique à l’Université Lumière-Lyon 2, et M. PatrickAnge Raoult, psychologue clinicien, ex-expert près cour d’appel, professeur de psychopathologie à l’Université catholique de Lyon

                  Table ronde avec des psychologues :

 Mme Alexandra Buresi-Garson, psychothérapeute, psychanalyste

 M. Pascal Zamparini, psychologue clinicien, psychothérapeute et psychanalyste

 Mme Eléonore Bret, psychologue clinicienne

                  Table ronde avec des psychologues :

– Mme Laura Bottini-Porsolt, psychologue clinicienne et psychothérapeute

 Mme Gaëlle Atlan, psychologue clinicienne

                  La Mutualité française * – Mme Delphine Hernu, directrice adjointe à la direction Santé, et M. Yannick Lucas, directeur des affaires publiques

                  Audition conjointe :

– Collège national des généralistes enseignants – Pr Olivier SaintLary, président

 Collège de la médecine généraleDr Julie Chastang, vice-présidente, et Dr Alice Perrain, coresponsable du groupe de travail sur la coordination psychiatrie et les soins de santé primaire

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


1

Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a prévu la mise en œuvre obligatoire d’un entretien postnatal précoce (EPNP), dans la continuité du parcours périnatal qui comprenait déjà un entretien prénatal obligatoire (EPN). Dans la perspective d’apprécier les résultats de cette réforme, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié à M. Hadrien Clouet (La France Insoumise – Nouvelle Union populaire écologique et sociale) l’évaluation de l’article 86 de ladite loi de financement de la sécurité sociale.

Préalablement à l’audition des représentants des administrations centrales et de l’assurance maladie en commission des affaires sociales, le rapporteur a entendu des représentantes des mères ayant été confrontées à la dépression post-partum, des sages-femmes, des pédopsychiatres, les fédérations hospitalières ainsi que des chercheuses spécialistes de la norme procréative et du travail parental.

I.   Le danger d’être mère : les professionnels tirent l’alarme

La santé mentale maternelle constitue un enjeu majeur de santé publique. C’est le cas objectivement, car les risques spécifiques aux premières semaines suivant l’accouchement sont progressivement identifiés, qu’ils concernent la vie de la mère, le développement de l’enfant ou la santé des parents. C’est aussi le cas subjectivement, car un nombre croissant de professionnels de santé ou de la recherche, notamment publique, tirent la sonnette d’alarme.

Le suicide est aujourd’hui la deuxième cause de décès maternel, après les accidents cardio-vasculaires, avec 13,4 % des cas constatés. Entre 2013 et 2015, 35 femmes ont ainsi perdu la vie, soit une mère par mois, selon la dernière enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles rendue publique en 2021 ([94]).

Au-delà du seul geste suicidaire, l’enquête nationale périnatale menée auprès de 12 723 femmes en 2021 ([95]) a démontré que 16,7 % de celles qui ont accouché en mars 2021 ont présenté des signes de dépression post-partum qualifiés de majeurs deux mois après l’accouchement. Ce phénomène, évalué pour la première fois, a été calculé sur la base des dix questions de l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg (EPDS) ([96]). 16,7 % de femmes présentaient par ailleurs quelques-uns des symptômes constitutifs du postpartum.

Par ailleurs, l’étude Elfe, menée sur 18 000 enfants français nés en 2011, a conclu que 12,6 % des femmes ont ressenti une forme de détresse psychologique au cours de la grossesse ou après l’accouchement ([97]).

Cette mise en danger est largement relationnelle : l’analyse des échanges entre la mère et l’enfant constitue le pilier de la détection d’une dépression post-partum, puisque l’évaluation de l’état émotionnel et, le cas échéant, du retrait de l’enfant, en constitue l’un des symptômes ([98]).

Dès 2014, la Haute Autorité de santé alertait sur la situation de ces femmes et recommandait la mise en place d’un entretien postnatal précoce, effectué préférentiellement entre le huitième et le quinzième jour suivant l’accouchement, pour leur permettre « d’exprimer leur vécu, leurs besoins voire leurs difficultés, afin que le suivi puisse être ajusté au regard de la discussion, en s’appuyant sur les ressources du réseau de santé en périnatalité » ([99]).

Si elle concerne essentiellement les mères, la détresse psychologique peut également concerner leur partenaire. Plusieurs chercheurs et professionnels de santé insistent sur l’intérêt de l’EPNP pour détecter les troubles psychologiques parentaux. La parole des mères et la coprésence de leur partenaire apportent des informations cruciales sur la santé mentale de ces derniers.

Quant aux conséquences, elles débordent la stricte condition des parents pour influencer la santé de l’enfant. La difficulté de compréhension des pleurs ou dans l’allaitement, les troubles du sommeil ou la désynchronisation entre mère et enfant constituent autant d’éléments qui fragilisent leur relation. Les retards de développement ou les troubles psychomoteurs représentent les dangers essentiels qu’encourt l’enfant du fait de la détresse psychologique de sa mère.

Au vu de ces éléments, la commission dite « des 1 000 premiers jours », présidée par Boris Cyrulnik, dont le rapport a été rendu en septembre 2020, proposait de promouvoir et de valoriser un entretien post-natal facultatif et côté uniquement à 18,55 euros pour les sages-femmes – contre 42 euros pour l’EPNP désormais. Pour la commission, cet entretien devait :

 faire l’objet d’une proposition systématique dans une période qui débutait huit jours après l’accouchement et se terminait trente jours après celui-ci ;

 s’inscrire dans une démarche de systématisation de la visite à domicile des sages-femmes ;

 permettre, par un effet de miroir avec l’entretien prénatal, « de repérer les difficultés liées à la parentalité et à l’enfant si elles n’ont pas pu être repérées avant et d’identifier les manifestations des premiers troubles de dépressions post-natales » ([100]).

L’article 86 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a ajouté, à l’article L. 2122-2 du code de la santé publique relatif à la surveillance médicale de la grossesse et de l’accouchement, un entretien précoce postnatal obligatoire (EPNP) ([101]). Le rapporteur regrette, comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées, que cet entretien ait été créé par amendement du Gouvernement et donc sans étude d’impact préalable. Il a été présenté par Mme Brigitte Bourguignon, alors ministre déléguée chargée de l’autonomie, uniquement comme « l’une des préconisations de la commission des 1 000 premiers jours de l’enfant ([102]). » Or, le dispositif adopté à l’initiative du Gouvernement diverge de la proposition de la commission, notamment en ce qui concerne le calendrier de son intervention dans le parcours périnatal.

Finalement, cet entretien :

 peut être effectué par un médecin ou une sage-femme ;

 intervient entre la quatrième et la huitième semaine suivant l’accouchement afin de repérer les signes de la dépression du post-partum, qui se distinguent de ceux du « baby-blues » plus précoce ;

 peut être suivi d’un second entretien entre les dixième et quatorzième semaines, sur proposition du professionnel de santé ayant dirigé le premier entretien. Il est réservé aux femmes primipares, à celles qui développent des signes de la dépression du post-partum et à celles qui présentent différents facteurs qui y exposent.

II.   Les raisons de la dépression : norme procréative et violences envers les mères

  1. L’injonction au bonheur et la division sexuelle du travail rendent indicible le mal-être des mères

La dépression périnatale présente un caractère de l’ordre de l’indicible puisque les mères subissent une injonction au bonheur au cours de la grossesse, au moment de l’accouchement et dans la suite immédiate. La difficulté pour les mères d’exprimer leur mal-être conduit à des stratégies de dissimulation vis-à-vis de l’entourage. Celles-ci tiennent à divers facteurs :

 la conquête féministe qu’a constitué l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse, qui a permis dans une certaine mesure de remplacer le destin biologique par un libre choix. L’injonction au bonheur maternel est d’autant plus forte que la situation résulte d’une décision conjugale supposément réitérée tout au long de la grossesse ;

 la conquête sanitaire qu’a représenté la baisse de la mortalité infantile entre 1945 et 2012, avant sa remontée contemporaine, qui a produit de nouvelles normes de parentalité. L’attachement à l’enfant est désormais immédiat car son décès est devenu exceptionnel. En outre, le raccourcissement tendanciel du temps passé en maternité implique de se livrer au travail parental dès les premiers jours de vie de l’enfant ;

 la récurrence des « rappels à la norme » qui scandent la grossesse et la période postnatale, soit les interactions ordinaires avec des proches, collègues et professionnels de santé, qui réitèrent leurs vœux de bonheur et invitent la mère à expliciter la nature de celui-ci. Il en résulte une forme de négation de la dépression périnatale. Il est courant qu’une dépression du post-partum passe inaperçue et ne soit découverte que plusieurs années après, à l’occasion d’une consultation pour troubles anxieux de la mère ou de l’enfant.

De nombreuses mères ressentent un sentiment d’isolement. Celui-ci découle de l’extrême dépendance du nouveau-né, qui absorbe une attention et une énergie quotidiennes et totales, majoritairement procurées par les mères. La division sexuelle du travail de reproduction crée de véritables épuisements maternels. Pour Élise Marcende, présidente de l’association Maman Blues, « cet isolement est majoré par la honte et la peur que peuvent éprouver les femmes à évoquer ce qu’elles vivent intérieurement depuis l’arrivée du (des) bébé(s). Dire tout haut donne une toute autre dimension au vécu. Il en devient réel autant pour la personne elle-même que pour les autres autour de soi. Que vont alors penser les gens de la mère que l’on est ? »

Cette division sexuelle est renforcée par la politique patriarcale de désynchronisation des congés de maternité et de paternité. Alors que les premiers durent 16 semaines pour un premier ou un deuxième enfant ([103]), les seconds portent sur une durée maximale de 28 jours, dont seuls les sept premiers doivent obligatoirement être pris ([104]). L’isolement des mères est orchestré par le cadre juridique même de notre protection sociale.

Cette situation est enfin aggravée par la diminution du temps que les nouvelles mères passent à la maternité à la suite de leur accouchement. Cette durée moyenne était de 3,7 jours en 2021, contre 4 jours en 2016 ([105]) Dans la même période, les séjours très courts, inférieurs à 2 jours, ont été multipliés par quatre. Ce faisant, la durée de socialisation entre la mère et l’enfant, tout comme la période d’apprentissage dont les mères pouvaient bénéficier auprès des professionnels de santé, sont diminuées d’autant.

  1. D’une violence à une autre : l’accumulation des facteurs de détresse

Ces injonctions sont d’autant plus difficiles à surmonter pour les femmes qu’une part importante d’entre elles rapportent des épisodes de dégradation de leur santé mentale au cours de la grossesse. L’enquête nationale périnatale de 2021 précitée a démontré que 25,6 % des femmes enceintes ont déclaré qu’il leur était arrivé de vivre au cours de leur grossesse « une période d’au moins deux semaines consécutives pendant laquelle elles se sentaient tristes, déprimées, sans espoir », contre 23,6 % en 2016 ([106]). 19,1 % d’entre elles ont connu « une période d’au moins deux semaines pendant laquelle elles avaient perdu intérêt pour la plupart des choses comme les loisirs, le travail ou les activités qui leur donnent habituellement du plaisir », contre 18,2 % en 2016. Cette dégradation peut être partiellement expliquée par la crise sanitaire, mais elle ne peut qu’inquiéter. Finalement, d’après les données les plus récentes, 29,6 % des femmes, soit près de trois sur dix, ont déclaré l’un ou l’autre des symptômes.

Mais ces symptômes ne procèdent pas du hasard : plusieurs professionnels et militants associatifs auditionnés identifient un faisceau de prédispositions. On connaît les éléments qui aggravent le risque de dépression périnatale, sur lesquels agir dans une logique préventive :

 les antécédents de dégradation mentale. D’après l’épidémiologiste Camille Le Ray, qui a œuvré à l’enquête périnatale de 2021 susmentionnée, il s’agit même du principal facteur explicatif de la dépression post-partum. L’accès aux soins psychiques tout au long de la vie apporte donc la première des réponses à cette dépression ;

 la précarité matérielle issue des difficultés à s’occuper de l’enfant, du sentiment d’être prise en défaut et de l’intensité du travail nécessaire à organiser les temporalités et assurer les revenus nécessaires. Or, comme le montre le cahier des charges révisé relatif à l’expérimentation « Répap » (référent parcours périnatalité), les femmes enceintes forment un public souvent précaire. Près de 6 % des femmes n’avaient pas de couverture sociale en début de grossesse pour la prise en charge des soins médicaux ([107]) ce qui souligne la fonction sociale du ticket modérateur comme instrument de leur éviction ;

 les violences obstétriques, notamment subies lors de l’accouchement, qui contribuent à détériorer la santé mentale des mères. Plus généralement, 1,7 % des femmes rapportent avoir subi des violences physiques durant la grossesse. Au-delà de ces violences, le caractère traumatique d’un accouchement ou le passage par extraction instrumentale, sans violences volontaires pour autant, nécessite un entretien avec l’équipe qui l’a effectué ([108]).

En amont de l’entretien postnatal obligatoire, l’accès des femmes à des soins psychiques, la garantie d’une sécurité matérielle, le respect de leur consentement et de leur ressenti constituent des leviers impératifs de santé publique en vue de prévenir les épisodes de dépression périnatale. À l’inverse, toute dégradation de ces trois dimensions provoque directement les dangers qu’est censé prévenir l’EPNP.

III.   Des obstacles financiers et opérationnels s’opposent à la pleine effectivité de l’EPNP

L’EPNP demeure un droit formel, sans réalité matérielle de masse, d’une part car son taux de recours est extrêmement réduit, d’autre part car les mères qui y ont accès ne sont pas nécessairement celles qui en ont le plus besoin – en l’occurrence les plus jeunes, les moins diplômées, les plus précaires et les étrangères.

  1. Un an après son entrée en vigueur : une mise en œuvre brouillonne

Le caractère obligatoire de l’EPNP n’existe que dans les textes. Son accès pratique est réservé à une infime minorité de femmes. Selon les données fournies au rapporteur par le Gouvernement et la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), 51 000 entretiens ont été effectués entre le 1er juillet 2022 et le 31 mars 2023, qu’il s’agisse du premier théoriquement obligatoire ou du second. Le nombre de mères ayant bénéficié du dispositif est donc moindre. Sur la même période, 594 659 naissances sont intervenues selon les données de l’Insee. Le croisement révèle qu’au moins 91,4 % des mères n’ont pas eu accès à un EPNP.

Si ce chiffre est particulièrement inquiétant au regard des enjeux relatifs à la santé publique de la périnatalité comme de la bonne application de la loi, il doit s’apprécier en comparaison avec l’entretien prénatal précoce dont le caractère obligatoire date de 2020. Selon les données fournies au rapporteur, celui-ci n’est aujourd’hui pratiqué que pour 36,5 % des femmes.

Ces taux de recours excessivement faibles appellent une réponse publique forte, sauf à signifier une indifférence vis-à-vis de la santé des mères. Pour les comprendre, il faut revenir sur les quatre principales raisons d’un tel échec, et sur les préconisations issues des échanges avec les professionnels de santé, chercheurs et militants associatifs.

  1. La production volontaire de l’ignorance de masse

Le premier obstacle que rencontre la bonne mise en œuvre du dispositif relève de sa connaissance, tant par les professionnels de santé que par les mères concernées.

D’abord, la faible information des bénéficiaires putatives limite fortement l’orientation vers le dispositif, sauf à être redirigée par un professionnel de santé lui-même connaisseur de l’EPNP. Ce double obstacle évince logiquement les femmes les moins au fait de l’action publique et du fonctionnement du système de soins, de surcroît lorsqu’elles fréquentent peu les institutions médicales ou paramédicales.

En dépit d’une communication sur le site de la Cnam, force est de constater que l’adoption de cette disposition législative n’a pas été accompagnée d’une information substantielle auprès des principales intéressées, ni d’une réflexion sur les modalités de rappel, ni de campagnes de communication auprès du grand public.

Cette difficulté d’accès à l’information est évidemment redoublée par des propriétés discriminantes. Un département comme la Seine-Saint-Denis accueille nombre de femmes allophones sans possibilité de solliciter l’EPNP, faute d’interprétariat. Même informées du dispositif, elles en demeurent exclues en pratique d’autant qu’une triple peine les atteint : l’allophonie va régulièrement de pair avec des revenus modestes et une faible qualification.

S’agissant des professionnels de santé, leur information doit passer par des actions de formation, initiale et continue, alors même que la formation initiale des sages-femmes comprend désormais une sixième année ([109]).

Évidemment, l’accès des populations à l’information requiert un engagement fort plutôt qu’une ignorance satisfaite. À cet égard, l’absence de financement récurrent et pérenne pour conduire des enquêtes sur les sujets de la dépression postnatale et l’obligation, faite aux équipes qui s’y intéressent, de renégocier leur budget à chaque récolte et exploitation de données fragilisent la recherche fondamentale.

  1. À court terme, des obstacles financiers inacceptables

L’EPNP est un dispositif de prévention psychique de la santé des femmes qui, de façon incompréhensible, leur est facturé. Cette contradiction obère totalement la mesure. En effet, l’EPNP n’est pas pris en charge à 100 %, contrairement à l’entretien prénatal précoce, alors qu’ils sont en miroir de part et d’autre de l’accouchement. Les patientes se heurtent à une prise en charge partielle par l’assurance-maladie obligatoire, à hauteur de 70 %. Là réside une des raisons principales du rapport de un à quatre qui sépare le taux de recours aux deux dispositifs.

Les mères se trouvent donc invitées, pour celles qui accèdent à l’information, à un entretien obligatoire payant. Les plus précaires arbitrent entre une dépense de prévention en santé mentale et leurs dépenses courantes. Pour rappel, 5 % des Français ne sont pas couverts par une assurance-maladie complémentaire ([110]), tandis que le taux de recours à la complémentaire santé solidaire, mise en place en novembre 2019, selon les données les plus récentes, n’était que de 56 % en 2021 ([111]).

Un second problème d’application relève de la cotation de l’acte. S’agissant des sages-femmes, l’EPNP a été côté dans le cadre de l’avenant n° 5 à la convention nationale des sages-femmes, en décembre 2021. Les entretiens sont valorisés à hauteur de 36 euros en cabinet et de 42 euros à domicile. Ces cotations peuvent s’avérer trop faibles alors que les sages-femmes doivent prendre un temps incompressible pour mener à bien ces entretiens, dans un contexte général de sous-évaluation de leur rémunération. Ainsi que le souligne un récent rapport de l’Igas ([112]), « les niveaux de rémunération sont inadaptés au niveau de leurs responsabilités ». Une sage-femme recrutée sous contrat disposait en 2021 d’une rémunération mensuelle nette, comprenant le traitement de base et les primes, de 2 055 euros. Or, les effectifs de sages-femmes en hôpital public comprennent désormais 20 % de sages-femmes contractuelles. En comparaison, le salaire moyen des médecins dans le secteur public était de 5 567 euros nets en 2021 alors que, comme le souligne l’Igas, les sages-femmes appartiennent à « un corps de statut médical ». Même leur prise en compte dans le Ségur de la santé ne permet pas de pallier cet écart.

S’agissant des médecins, dont l’action est bien prévue dans la loi, la cotation de leur acte n’est même pas prévue à ce stade, décourageant d’autant plus le recours à l’EPNP.

Il est particulièrement inique, comme l’a indiqué la totalité des personnes auditionnées, de demander aux mères de payer un entretien qui leur est imposé pour protéger la maternité. Il est tout aussi injustifiable d’exiger de professionnels de santé comme les sages-femmes, habituées à une prise en charge complète, d’imposer un tel reste à charge à leurs patientes.

  1. À moyen terme, des obstacles organisationnels à lever

S’agissant du repérage des signes de dépression, les sages-femmes ne peuvent adresser aujourd’hui les patientes vers des psychologues dont les consultations seraient prises en charge. Si le dispositif « MonParcoursPsy » a fait l’objet de critiques salutaires dans le cadre du présent Printemps social de l’évaluation par les députés Éric Alauzet, Pierre Dharréville et Sébastien Peytavie, le rapporteur déplore l’impossibilité pour les sages-femmes d’adresser leurs patientes à des professionnels de la santé mentale sous le couvert financier de l’assurance-maladie. La proposition de loi de notre collègue Sandrine Josso ([113]) prévoit toutefois à ce stade l’adressage du conjoint uniquement en cas d’interruption spontanée de grossesse. Il conviendrait d’y ajouter l’EPNP, qui peut révéler les fragilités psychologiques de l’autre parent, comme l’ont rappelé les professionnels auditionnés par le rapporteur.

Prévenir les ruptures dans le suivi des mères suppose également de les informer au mieux dès la prise en charge hospitalière de l’accouchement. Dans cette perspective, il revient aux professionnels de santé de les informer, non seulement de l’existence de l’EPNP, mais aussi du praticien qui l’assurera. Cela suppose le respect, par les directions des hôpitaux, d’un temps incompressible d’information des mères par ces professionnels et donc l’octroi des moyens qui le permettent. Ce moment doit également permettre aux mères de s’exprimer sur ce qu’elles ont ressenti au moment de l’accouchement.

L’EPNP, quand il est mené, se révèle souvent déconnecté du parcours de soin. En effet, il peut être délivré par un autre professionnel de santé que la personne, généralement la sagefemme, qui suit la patiente depuis sa grossesse. Cette rupture génère des pertes d’information, notamment pour les patientes accouchant en clinique. De plus, les échanges à la sortie de la maternité ne permettent que rarement aux patientes de connaître l’ensemble des professionnels auxquels avoir recours, à l’instar des techniciennes d’intervention sociale et familiale (TISF), dont l’action a pourtant été saluée par plusieurs personnes auditionnées.

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Source : Éléonore Bleuzen et al., Entretien postnatal précoce – Préconisations pour la pratique clinique, 11 juillet 2022.

Le parcours de soins peut être particulièrement dense, depuis les consultations prénatales jusqu’à l’entretien postnatal, ainsi que le montre le schéma précédent. La possibilité pour les parents de s’y repérer grâce à une figure de référence et de coordination, porteuse d’un lien de confiance, est d’autant plus appréciable.

Les objectifs prêtés à l'EPNP demeurent par ailleurs variables suivant les professionnels et les structures. Le dispositif suscite ainsi des appropriations contradictoires, parfois comme outil de santé publique ou comme outil de conseil conjugal, parfois comme bilan de la prise en charge. Faute de référentiel unique, donc de lisibilité du périmètre et de continuité des objectifs poursuivis, la possibilité de mener à bien l’entretien repose sur la seule interprétation des professionnels, laissant des questions irrésolues, à l’instar de la présence du conjoint dans l’entretien.

La place des partenaires en débat

La question de la place des partenaires suscite un débat entre plusieurs positions contradictoires, entre lesquelles le rapporteur manque d’élément pour arbitrer.

Le Collège national des sages-femmes (CNSF) préconise la présence de l’enfant et du coparent pour prendre en considération les besoins et attentes de chacun d’entre eux et les interactions parents-enfant et entre les parents ([114]).

À l’inverse, des sociologues comme Déborah Guy, auditionnée par le rapporteur, doutent de la libération totale de la parole en présence du coparent.

Le débat ne paraît donc pas tranché, les sages-femmes entendues par le rapporteur ayant signifié mobiliser leur expertise pour détecter, au cas par cas, les situations dans lesquelles il convient de ne pas associer le coparent à l’entretien.

Plus largement, selon plusieurs personnes auditionnées, les outils mobilisables dans le cadre de l’EPNP ne permettent pas nécessairement de détecter les personnes les plus à risque.

  1. À long terme, des stratégies socialement différenciées

À plus long terme, le rapporteur souhaite attirer l’attention sur les différences de parcours entre mères, visées par l’EPNP, qui se muent en inégalités d’accès. L’absence de fléchage du professionnel, le rôle néfaste des cliniques privées et la peur engendrée par les politiques familiales répressives viennent limiter l’accès aux besoins les plus importants.

En premier lieu, il n’y a guère de distinction entre professionnels de santé en charge du parcours de la mère en fonction du profil de risque. Les mieux informées et les plus dotées financièrement sont en mesure de s’attacher le suivi des professionnels les plus adéquats, indépendamment de leur facteur de risque. C’est le contraire, par exemple, dans les systèmes de santé scandinaves intégralement publics, au sein desquels la grossesse et les accouchements à bas risque sont entièrement pris en charge par les sages-femmes, ce qui explique le développement de maisons de naissance dans ces pays ([115]). À l’inverse, les grossesses à risque y sont suivies par des obstétriciens, qui se concentrent sur les cas les plus complexes.

S’ajoute l’éclatement du système de santé entre établissements publics et privés, qui fonde des trajectoires de classe. Là encore, le modèle scandinave, presque entièrement socialisé, évite les « points de fuite » vers les cliniques privées lucratives et les pertes d’information afférentes dans le parcours de la mère. Ce recours aux établissements privés est nécessairement injuste, au profit de celles qui sont solvables, et témoigne plus largement de l’engorgement des maternités publiques dans de nombreux territoires. En conséquence, l’accès au privé est directement subventionné et orchestré par la pénurie de prise en charge dans les établissements publics, qui leur offre une rente directe.

Enfin, l’entretien lui-même est victime de la « police des familles », c’est-à-dire la crainte bien renseignée des mères de milieu populaire d’être séparées de leur enfant. En effet, une étude de l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) de novembre 2020, portant sur trois départements ([116]) montre que la part du placement parmi les mesures de protection de l’enfance est deux fois plus importante pour les enfants suivis avant l’âge de 2 ans que pour les plus âgés. Pour les enfants ayant fait l’objet d’une mesure de protection avant l’âge de 30 jours, le placement judiciaire est même le premier type d’action, la seconde étant l’intervention d’une TISF. Or, il ressort de cette même étude que, dans le département du Finistère, la totalité des enfants placés à leur naissance étaient toujours placé à l’âge de 1 an. Admettre la difficulté à accomplir le travail maternel implique une rupture avec l’injonction au bonheur ou la norme parentale et conjugale, ou avec l’obligation d’accomplir le travail maternel sans plainte ni mal-être. Aussi de nombreuses femmes précaires cachent-elles leurs difficultés à leurs interlocuteurs, les gardent pour elles-mêmes afin d’être certaines de conserver leur enfant en dépit de l’adversité et des soupçons.

IV.   Dans la perspective de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 : approfondir la coordination, garantir un réel suivi de la santé mentale des femmes

  1. Des mesures infra-législatives

Le dispositif, encore méconnu, mériterait de s’appuyer sur les outils dont dispose l’assurance maladie. L’information concernant l’EPNP devrait être donnée dès l’EPN et rappelée, après l’accouchement, directement ou par voie dématérialisée.

La coordination entre les professionnels de santé, notamment dans le cadre du réseau périnatal de santé, doit être organisée pour permettre aux professionnels qui assurent l’EPNP d’adresser les patientes chez lesquelles ils repèrent des signes de dépression périnatale. C’est ainsi que le CNSF préconise à tout professionnel de santé effectuant des EPNP de prendre appui sur un réseau pluri-professionnel afin de faciliter l’orientation des femmes, coparents et enfants si nécessaire à l’issue de l’entretien. De même, le Collège encourage la rédaction d’une synthèse de l’entretien, relue et remise à la femme puis adressée au professionnel de santé référent ([117]).

Plus largement, les modalités d’échange avec les établissements de santé mentale doivent être améliorées pour prendre en compte la spécificité de la dépression du post-partum.

Pour les femmes allophones, la traduction de l’échelle de dépression postnatale d’Édimbourg et de son administration en direct paraît une impérieuse nécessité afin d’éviter la déperdition par traduction ou les difficultés d’expression en français.

Enfin, la formation initiale, récemment étendue pour les sages-femmes, comme la formation continue, doivent préparer aux spécificités de l’EPNP, à l’instar de la formation dispensée à l’école universitaire de maïeutique de l’université d’Aix-Marseille ou d’équivalents étrangers, comme l’université d’Helsinki, qui a organisé une conférence internationale consacrée à la santé mentale périnatale en 2021. À défaut, la floraison de formations lucratives privées par Internet, hors de prix et de qualité douteuse, ne sera pas enrayée.

À ce titre, un guide pour la formation à l’EPNP pourrait être rédigé, notamment dans la perspective de la formation continue – le DPC ([118]), comme c’est le cas pour l’entretien prénatal précoce. Cette formation continue pourrait s’appuyer sur les ressources locales des réseaux de périnatalité en lien avec les URPS de médecins et de sages-femmes.

Sur le modèle des recommandations susmentionnées du Collège national des sagesfemmes, un ouvrage-type pourrait être diffusé auprès des professionnels de santé ayant vocation à assurer un EPNP, afin de les sensibiliser à ses spécificités. Ce guide serait le miroir de celui qui existe aujourd’hui pour l’entretien prénatal ([119]), s’inspirant des recommandations de la Haute Autorité de santé relatives au « repérage, diagnostic et prise en charge des troubles psychiques périnataux », dont la direction générale de la santé a informé le rapporteur qu’elles devraient être publiées au premier trimestre 2024.

  1. Des mesures d’ordre organisationnel et conventionnel

Dans le cadre d’une indispensable revalorisation globale de la cotation des actes des sages-femmes, l’EPNP à domicile, permettant d’évaluer les conditions dans lesquelles les mères vivent les suites de leur accouchement, devra être mieux rémunéré.

Par ailleurs, l’EPNP doit faire au plus vite l’objet d’une cotation par l’assurance-maladie quand il est assuré par un médecin.

L’existence d’un professionnel référent constitue également une piste pour éviter les ruptures de prise en charge. Cette recommandation, issue d’échanges avec les personnes auditionnées mais aussi des recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé ([120]), qui prône le recours à un intervenant principal à la sortie de la maternité, choisi par la femme ou le couple, et responsable du suivi et de l’accompagnement postnatal dans les jours suivant le retour à domicile. La Haute Autorité de santé recommande, pour assurer la continuité de la prise en charge, l’intervention d’un professionnel qui a également suivi la femme dans son parcours anténatal.

Ce professionnel pourrait être la sage-femme en charge du suivi prénatal d’autant plus facilement que ce sont les sages-femmes qui assurent l’entretien prénatal précoce dans la majorité des cas (47,2 % en libéral et 42,7 % en maternité). La « sage-femme référente » pourrait naturellement être déclarée à l’assurance-maladie en application de l’article L. 16282 du code de la sécurité sociale ([121]).

Le dispositif dit « Répap », qui vise à désigner un professionnel dans le parcours périnatal afin de lui donner pour mission d’accompagner et de coordonner le parcours anté et postnatal, peut utilement servir de modèle. Actuellement expérimenté dans quatre territoires, jusqu’au 30 juin 2023, il pourrait avoir vocation à être généralisé à l’ensemble du territoire.

S’agissant des modalités d’organisation, il y a nécessité d’augmenter la capacité d’accueil et le nombre d’unités mère-enfant (UME), dont le nombre aujourd’hui est très faible. Elles jouent pourtant un rôle décisif lorsque la parole s’est libérée lors de l’entretien et menace de conduire à l’effondrement psychique, requérant une prise en charge immédiate. Dans cette perspective, plutôt que l’hospitalisation en établissement psychiatrique pour adulte, qui implique une séparation, les UME présentent l’avantage d’une prise en charge conjointe de la mère et de l’enfant. Les équipes qui travaillent dans ces unités libèrent ainsi la mère du travail parental, pendant un temps donné, pour lui permettre d’adapter son rythme à la naissance de l’enfant. Toutefois, là-encore, le faible nombre de lits dans l’hôpital public comme le faible investissement dans ce type de structure limite drastiquement l’accès des mères qui en ont besoin. Selon les dernières données disponibles ([122]), le nombre de lits d’hospitalisation complète installés, tous établissements, toutes disciplines et tous secteurs confondus, est passé de 468 000 à 387 000, service de santé des armées compris.

  1. Des mesures à prendre dans la perspective du PLFSS 2024

Plusieurs mesures doivent être prises dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale pour améliorer la prise en charge de la santé mentale des mères dans le cadre de la division sexuelle du travail parental.

Le défaut de prise en charge financière à 100 % est naturellement le premier obstacle à lever pour permettre l’accès des mères à l’EPNP. Le recours véritable à l’EPNP ne pourra être atteint qu’à partir du moment où il sera intégralement pris en charge, à l’égal de l’entretien prénatal, sans quoi ses effets se révèleront nuls, voire néfastes envers les personnes les plus précaires.

     Proposition n° 1 : assurer la prise en charge de l’EPNP à 100 % par l’assurance maternité, sur le modèle de l’entretien prénatal

Le critère de primiparité présidant à la proposition d’un second entretien a été unanimement rejeté au titre de l'absence de corrélation ou de pouvoir prédictif de la dépression post-partum par les personnes auditionnées. Les professionnels de santé doivent pouvoir le proposer sur la base de critères liés à la santé mentale et à la précarité des patientes. L’article L. 2122-2 du code de la santé publique devra être modifié en conséquence puisque l’EPNP est à vocation universelle. Il doit s’adresser à toutes les mères. Il n’y a d’ailleurs aucune raison d’en exclure les parents adoptants.

     Proposition n° 2 : supprimer le critère de primiparité pour accéder à un second entretien postnatal et privilégier la détection des signes d’une dépression post-partum ou la situation de précarité économique de la mère.

Il s’agit ensuite de synchroniser les congés parentaux pour lutter contre la désynchronisation du travail parental. Un congé paternité d’une durée identique à celui du congé maternité, outre qu’il permette une meilleure socialisation avec l’enfant, comme le démontre la commission des 1 000 premiers jours dans son rapport précité, permet de créer les conditions d’une véritable égalité dans le travail parental au sein des couples. Pour ces derniers, il s’agit d’une mesure permettant de limiter la situation d’isolement des mères, l’un des premiers facteurs de la dépression périnatale.

     Proposition n° 3 : harmoniser les congés des deux parents, tant en ce qui concerne leur durée que leurs modalités d’indemnisation ou leur caractère obligatoire

L’amélioration de la prise en charge de la santé mentale tout au long de la vie constitue, au-delà du seul sujet de l’EPNP, une réponse à la prévalence de la dépression périnatale, compte tenu notamment du poids des antécédents sur la dégradation de la santé mentale des mères. Il s’agit de lutter contre la dégradation continue des conditions de travail des professionnels de la santé mentale tout comme de l’asphyxie financière des établissements publics de psychiatrie afin de permettre la prise en charge précoce et continue de la santé mentale des femmes pour prévenir, en amont, les risques de dépression périnatale, et assurer, en aval, leur suivi libéral, en hospitalisation d’adulte ou en unité mère-enfant.

     Proposition n° 4 : assurer dans la prochaine loi de financement de la sécurité sociale un rehaussement significatif des moyens financiers alloués à la prise en charge psychiatrique aux établissements et aux personnels de santé qui l’assurent

Enfin, la question de l’expérience de l’accouchement et des risques de traumatisme pourrait être traitée sous l’angle de la prévention des violences obstétricales et gynécologiques. S’il est envisageable d’en faire une mesure d’ordre législatif, il conviendrait surtout d’intégrer dans les programmes de formation initiale et de formation continue des professionnels de santé des éléments de sensibilisation à cette question.

Proposition n° 5 : mieux former et sensibiliser pour assurer la prévention des violences obstétricales et gynécologiques.

 

 


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  Annexe :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

                  Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF) – Mme Caroline Combot, présidente, et Mme Sophie Escobar, membre du conseil d’administration

                  Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP)  Mme Sabrina Hedhili, membre du bureau

                  Audition conjointe de chercheurs :

 M. Sébastien Riquet, docteur en santé publique

 Mme Jaqueline Wendland, professeur des universités, Laboratoire de psychopathologie et processus de santé

                  Pr Antoine Guedeney, pédopsychiatre, psychanalyste

                  Audition conjointe de chercheurs :

 M. Michel Dugnat, président de l’Association pour la recherche et l’information en périnatalité (ARIP)

– M. Jokthan Guivarch, psychiatre, maître de conférences des universités, praticien hospitalier (MCU-PH)

 Mme Claire Poisson, sage-femme, secrétaire du bureau de la Société Marcé Francophone

                  Association Maman Blues  Mme Élise Marcende, présidente

                  Mme Carole Zakarian, directrice de l’École universitaire de maïeutique Aix‑Marseille à la Faculté des sciences médicales et paramédicales

                  Mme Déborah Guy, chercheuse en sociologie

                  Dr Thierry Cardoso, médecin de protection maternelle et infantile, responsable de l’unité Petite enfance, direction de la prévention et promotion de la santé, Santé publique France

                  Mme Camille Le Ray, gynécologue-obstétricien et épidémiologiste

                  Table ronde des fédérations hospitalières :

 Fédération hospitalière de France (FHF) *  M. Aurélien Sourdille, responsable adjoint du pôle Offres, Mme Marilyn Theuws, sage-femme des hôpitaux, Centre hospitalier de MoulinsYzeure, et Pr Jean-Christophe Rozé, pédiatre, chef de service de médecine néonatale au Centre hospitalier universitaire de Nantes

 Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) * – M. Thierry Béchu, délégué général de la FHP-MCO, et Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et de la veille sociétale, déléguée générale de la Fondation des usagers du système de santé

 Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (FEHAP) *  Mme Maryse de Wever, directrice de la communication et des affaires institutionnelles, et M. Arnaud Joan-Grange, directeur de l’offre de soins et des parcours de santé

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


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   Travaux de la commission

1.   Réunion du mardi 16 mai 2023 à 17 heures 15

Dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, la commission organise une table ronde sur les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale relatives aux recettes et à l’équilibre général de la sécurité sociale réunissant M. Morgan Delaye, adjoint au directeur de la sécurité sociale, Mme Mélanie Joder, directrice du budget, Mme Christine Jacob-Schuhmacher, sousdirectrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la direction générale de la santé, et M. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf Caisse nationale ([123]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, nous débutons cet après‑midi nos travaux sur le Printemps social de l’évaluation, dans la perspective du premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, que nous examinerons en commission le mercredi 31 mai, puis en séance le mardi 6 juin.

Je veux d’abord remercier la rapporteure générale, les coprésidents et l’ensemble des rapporteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), qui se sont fortement mobilisés à cette occasion pour ce travail transpartisan. La Mecss conduira par ailleurs des évaluations au long cours, consacrées à diverses politiques publiques, mais elle remplit aujourd’hui le cœur de sa fonction : l’évaluation et le contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS).

Cet après-midi, ce soir et demain matin, les rapporteurs issus de la majorité et des oppositions nous présenteront des évaluations de six dispositions ou ensemble de dispositions adoptées dans de précédentes lois de financement de la sécurité sociale, portant sur la quasi‑totalité des branches. L’ensemble de nos travaux fera l’objet d’un rapport d’information. Leur restitution, conjointement à ceux de la commission des finances, donnera lieu à un débat en séance publique le mercredi 7 juin.

Je remercie également les responsables des administrations et caisses d’avoir accepté notre invitation.

M. Jérôme Guedj, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Le Printemps social de l’évaluation, engagé au cours de la précédente législature, est un complément indispensable aux débats que nous tenons à l’automne sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Comme au cours de la quinzième législature, les trois tables rondes que nous organisons doivent être l’occasion d’échanger avec les caisses et les administrations de l’État sur les réussites et les difficultés d’application des dispositions des LFSS. La Mecss renoue ainsi avec le cœur de sa mission d’évaluation et de contrôle. Elle tâche également de faire œuvre utile pour nourrir les réflexions de l’ensemble des groupes politiques qui en sont membres, dans la perspective du prochain PLFSS.

Ces tables rondes sont par ailleurs une première étape avant le prolongement de nos travaux en séance publique. Je rappelle à cet égard que depuis juin 2019, le Règlement de l’Assemblée nationale, prévoit précisément à son article 146-1-1, la possibilité d’organiser cette semaine de séances prioritairement consacrées au contrôle de l’exécution des lois de finances et des LFSS.

Comme au cours des précédents exercices, la Mecss, en étroite concertation la rapporteure générale, a préparé Printemps social de l’évaluation en retenant, il y a moins de deux mois, plusieurs articles de LFSS pouvant faire l’objet de travaux d’évaluation. Les contraintes de calendrier sont dues à l’examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), qui a accaparé nombre des membres de cette commission. J’espère que nous pourrons choisir les dispositions à évaluer plus en amont dès l’année prochaine.

Un total de six articles et ensembles cohérents d’articles ont été retenus par la rapporteure générale et les rapporteurs de la Mecss. Comme au cours des précédents exercices, ces derniers ont auditionné différents acteurs concernés par les articles choisis. Les rapporteurs vous en présenteront les premières conclusions et interrogeront les administrations sur les enjeux et les difficultés qu’ils ont identifiées lors de leurs travaux.

Ces différentes évaluations viennent s’inscrire dans les trois thématiques du Printemps social de l’évaluation.

S’agissant du financement de la sécurité sociale et de l’équilibre général, les rapporteurs de la Mecss vous présenteront leurs travaux sur les dispositifs de « fiscalité comportementale » relative aux boissons, votée au sein des précédentes lois de financement, s’agissant notamment des boissons sucrées et des boissons dites « prémix » à base de vin ainsi que de bière.

Ce soir, dans le cadre de la table ronde consacrée aux branches accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) et autonomie, les rapporteurs de la Mecss reviendront sur les nouveaux rôles de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et la manière dont cette caisse se transforme en branche de la sécurité sociale. Nous échangerons également sur la mise en œuvre du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.

Enfin, demain matin, lors de la table ronde consacrée à l’assurance maladie, la rapporteure générale présentera ses conclusions relatives aux innovations récentes dans le financement des établissements de santé, tandis que les rapporteurs de la Mecss rendront compte de leurs travaux sur deux dispositifs précis : « Mon parcours psy » et les entretiens postnataux précoces obligatoires.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Je voudrais d’abord revenir sur la situation des finances sociales, telle qu’elle apparaît notamment dans le programme de stabilité 2023-2027 sur lequel nous avons débattu la semaine dernière. Je constate en premier lieu que, contrairement à ce que beaucoup pensaient cet automne, la baisse des dépenses de santé liée à la diminution de la prévalence du covid se confirme.

D’autre part, la masse salariale est restée particulièrement dynamique en 2022, puisqu’elle a augmenté de 8,7 % hors primes, en raison à la fois de la bonne tenue de l’emploi et de l’augmentation des salaires. Quelle évolution de la masse salariale prévoyez-vous pour l’année 2023, tant au regard de l’inflation prévisionnelle que des politiques salariales menées dans les entreprises ?

Les délais contraints dans lesquels nous examinons les PLFSS à l’automne – même si nous bénéficions désormais d’une semaine supplémentaire – ne nous permettent pas d’anticiper pleinement les conséquences des mesures que nous adoptons. La période actuelle est donc cruciale pour que nous puissions, de manière informée, comprendre les modalités – et parfois les difficultés – d’application de la loi, pour en tirer les conséquences au cours des prochains exercices.

Cependant, ce Printemps social de l’évaluation a également ceci de particulier que nous entamons une nouvelle phase du contrôle de l’exécution budgétaire, puisque sera déposé la semaine prochaine le premier projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale. Ce dépôt sera l’occasion pour nous d’examiner le rapport de la Cour des comptes sur l’application des LFSS, mais aussi des nouvelles annexes jointes à ce projet de loi, et en particulier l’évaluation d’un tiers des exonérations de cotisations sociales. Ces dispositifs accaparent une grande partie de nos débats à l’automne. Leur évaluation exhaustive est donc plus que bienvenue.

À ce sujet, une mission conjointe de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) doit proposer une méthode de recension et d’évaluation pour nourrir cette annexe. La mission a-t-elle déjà rendu ses conclusions et quelle méthode a-t-elle retenue ?

Les débats de l’automne dernier avaient par ailleurs été marqués par un point saillant : le refus de la Cour de certifier les comptes de la branche recouvrement en raison d’une divergence d’appréciation sur l’affectation des mesures de soutien aux indépendants à l’exercice 2020 ou l’exercice 2021. Ce refus de certification ne remettait pas en cause la sincérité des tableaux d’équilibre pour l’année 2021 tels qu’ils avaient été présentés par le Gouvernement. Néanmoins, le législateur, à l’initiative du Sénat, avait retenu une approche divergente de l’exécutif sur l’exécution du budget 2021.

Ainsi, le refus de certification a-t-il eu des conséquences sur l’activité de recouvrement ou encore sur la confiance des créanciers de l’Urssaf Caisse nationale ? Par ailleurs, les tableaux d’équilibre tels qu’adoptés pour 2021 emportent-ils des conséquences sur l’analyse de l’exécution budgétaire pour 2022 ?

La Cour des comptes n’a pas encore, à ce stade, rendu ses conclusions sur la certification des comptes de la sécurité sociale pour 2022. Néanmoins, dans quelle mesure estimez-vous que les comptes de la branche recouvrement pourront être certifiés selon les modalités qui précédaient la crise covid ?

Enfin, s’agissant du recouvrement proprement dit, le PLFRSS 2023 comportait une disposition supprimant le transfert des activités de recouvrement de l’Agirc-Arrco et de la Caisse des dépôts et consignations vers l’Urssaf Caisse nationale. Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Dans cette situation instable, quelles sont vos relations avec l’Agirc-Arrco ? Dans quelle mesure les travaux de rapprochement sont-ils suspendus ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons à l’évaluation des mesures récentes relatives à la « fiscalité comportementale ».

M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Chaque année, différents amendements portant sur les taxes comportementales sont déposés à l’occasion de l’examen du PLFSS. La mission que j’ai menée avec Thierry Frappé a ainsi visé à évaluer l’efficacité des taxes sur les boissons alcoolisées et sucrées.

Les boissons alcoolisées et sucrées font l’objet d’une taxation très disparate et peu lisible. Outre une TVA à 20 %, les boissons alcoolisées sont soumises à des droits d’accise, qui varient en fonction du type de produits et du degré d’alcool, mais aussi à une cotisation additionnelle poursuivant des objectifs de santé publique pour les boissons au-delà de 18 degrés. Il existe également une taxe « prémix », renforcée par la LFSS 2020, qui touche les boissons à la fois alcoolisées et sucrées. Exemptées de droits d’accise, en revanche, les boissons non alcoolisées sont soumises à une TVA de 5,5 % et à plusieurs contributions, notamment à une taxe « soda », réformée en LFSS 2018 afin de la moduler en fonction de la quantité de sucre ajouté.

Nous avons été surpris de constater que la taxation sur les boissons était à l’origine de très importantes recettes fiscales – entre 4,5 et 5 milliards d’euros chaque année. La majorité de ces recettes proviennent des accises sur les alcools, alors que beaucoup de taxes, comme celle visant les boissons « prémix », ont un rendement très faible. Ainsi, la taxation des boissons représente la quasi-totalité de l’ensemble de la fiscalité relative aux produits alimentaires et à l’agriculture.

Ces recettes nous interrogent : est-ce une fiscalité comportementale, ou de rendement ?

Surtout, nous avons constaté que cette fiscalité n’avait que peu d’effets en matière de santé publique. On constate une baisse de la consommation d’alcool de l’ordre de 60 % depuis 1960, en grande partie liée à une baisse de la consommation de vin. Or, cette diminution ne peut être imputée à la fiscalité dans la mesure où les prix des alcools ont très peu varié dans les dernières décennies. En effet, les prix étaient en 2011 à peu près équivalents à ceux de 1990. La fiscalité n’a donc que très peu joué sur les prix pour ralentir la consommation.

M. Thierry Frappé, rapporteur. Le résultat est assez identique pour la taxe « soda », malgré l’augmentation de son taux et la modification de ses seuils depuis la réforme de 2018. On constate une augmentation continue de la proportion des boissons non alcoolisées sucrées dans la structure de consommation des ménages.

La dernière étude sur la taxe « soda », conduite en France en 2023, montre que la réforme a induit une baisse des apports en sucre provenant des boissons de 30 grammes par ménage et par mois ; le taux de sucre n’a diminué que pour 10 % des 822 boissons étudiées, et dans des proportions très modestes : au total, pour un soda à 100 grammes de sucre par litre, la taxe a induit une augmentation de seulement 5 centimes d’euros pour une canette de 33 centilitres.

Comment expliquer cette faible efficacité de la fiscalité sur les boissons en matière de santé ? Tout en s’accordant clairement sur l’efficacité potentielle de cet outil, toutes les études montrent que l’outil fiscal est très peu et mal utilisé en France dans le but de réduire la consommation de certaines boissons. Concernant les alcools, la fiscalité semble trop légère et reflétant mal les habitudes de consommation : les vins, les rhums fabriqués dans les départements d’outre-mer et les bières produites dans les petites brasseries bénéficient d’un régime fiscal particulièrement favorable. En parallèle, les spiritueux sont deux fois plus taxés que les bières et cinquante-neuf fois plus que le vin.

La Cour des comptes va ainsi jusqu’à parler de discrimination positive en faveur du vin en matière fiscale : cette boisson représente 58 % de la consommation d’alcool et seulement 3,8 % des droits d’accise. C’est pourquoi toutes les études françaises appellent a minima à rehausser progressivement cette fiscalité sur le vin. Il faut rappeler que le coût social de la consommation de l’alcool a été estimé par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) à 110 milliards d’euros par an.

Par ailleurs, dans le contexte économique actuel, les droits d’accises sur les alcools doivent mieux refléter l’inflation. La LFSS 2023 a permis d’indexer les accises sur le tabac à l’inflation de l’année N-1, sans appliquer ce principe aux accises sur l’alcool, qui tiennent compte de l’année N-2. Il conviendrait donc de procéder à la même adaptation pour ces accises sur l’alcool.

M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Chaque année, la consommation d’alcool coût 110 milliards d’euros à la société.

Au fil des auditions, une nouvelle orientation comportementale nous a paru intéressante. Concernant l’alcool, notre pays doit engager des réflexions sérieuses sur la fixation d’un prix minimum. En effet, une telle mesure a un effet sur les comportements. De plus, elle échapperait au reproche souvent adressé aux taxes d’augmenter les recettes de l’État. Enfin, en augmentant les marges des producteurs – et surtout des indépendants – elle conforterait une filière économique importante dans certains de nos territoires.

La politique du prix minimum est une recommandation unanime de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la Cour des comptes et du rapport remis récemment par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. Jugée potentiellement compatible avec le droit européen, cette politique a un impact particulièrement fort en matière de santé publique et concentré sur les consommateurs excessifs – ceux qui coûtent cher à la société et à l’assurance maladie. Il s’agit d’imposer aux distributeurs un prix de vente plancher par unité d’alcool contenue dans une boisson.

Cette politique a permis d’économiser plus de 6 milliards d’euros en dix ans au Canada, notamment grâce à des vies sauvées, en évitant beaucoup d’hospitalisations et en réduisant le chômage – sans même parler des effets sur les comportements sociaux, qui ne peuvent pas être chiffrés.

En Écosse, une étude menée en 2023 a montré que le prix minimum établi en 2018 a permis, dans des délais rapides, de réduire de 13 % le nombre de morts attribuables à la consommation d’alcool et de 4,1 % le nombre d’hospitalisations, majoritairement chez les personnes les moins favorisées.

Si nous appliquons cette politique en France, nous pourrions constater une diminution de 15 % des volumes achetés par les ménages, une augmentation au profit des producteurs indépendants au détriment des industriels et des distributeurs et une réduction de 22 % de la mortalité par cancer attribuable à l’alcool.

La nouvelle stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 indique clairement que cette politique du prix minimum est plus efficace que l’augmentation de la fiscalité. Quelles seraient les prochaines étapes prévues par le Gouvernement pour déployer cette mesure ?

M. Thierry Frappé, rapporteur. Les études montrent la faible efficacité de la taxe « soda » en France. Pourtant, au Royaume-Uni, cette mesure a permis de faire chuter de 40 % la proportion de boissons au-dessus du premier seuil – à savoir 5 grammes de sucre par millilitre. La baisse totale des apports en sucre serait estimée à 30 grammes par ménage et par semaine, soit un résultat quatre fois supérieur à la taxe française.

Comment expliquer cette différence ? La taxe britannique a des taux d’accise plus élevés et elle introduit des discontinuités brutales entre les différents paliers – au nombre de trois, contre seize en France –, incitant les entreprises à ne pas dépasser les seuils tout en leur permettant d’anticiper plus clairement les conséquences des reformulations. La taxe française est donc trop peu dissuasive et trop complexe. Ne paraît-il pas nécessaire de la réformer pour en réduire le nombre de paliers et en augmenter fortement les taux ?

M. Morgan Delaye, adjoint au directeur de la sécurité sociale. Madame la rapporteure générale, les prévisions d’évolution de la masse salariale pour 2023 ont été rendues publiques par le Gouvernement il y a trois semaines, dans le cadre du programme de stabilité. Après une augmentation de 8,7 % l’année dernière, la prévision s’établit à 5,6 %, à raison d’une hausse de 4,7 % des salaires, soutenue par l’inflation et l’effet des négociations au sein des entreprises, et de seulement 0,9 % des emplois. Cette prévision est pour le moment confortée.

Nous avons confié une mission à l’IGF et à l’Igas sur l’évaluation des niches sociales, qui avait pour but de définir une méthode et de procéder à une première évaluation de l’ensemble du paysage des exonérations et des exemptions sociales, afin de construire une approche régulière au fil des ans. Le rapport a été rendu. Il sera publié avant le dépôt du projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale.

Son contenu pourra être débattu avec l’ensemble des parlementaires intéressés ; cependant, le rapport souligne l’ambition très forte de cette démarche d’évaluation de l’intégralité du périmètre d’exemptions. Les cent cinquante niches sociales identifiées sont déjà couvertes par les annexes au PLFSS. Certaines donnent lieu à des évaluations régulières – y compris externes, par des comités d’experts, des économistes ou des experts – tandis que d’autres n’ont jamais fait l’objet de telles enquêtes. En effet, si l’administration dispose de données qui permettent d’en apprécier les effets, elles ne constituent pas une approche suffisamment aboutie.

Le rapport propose donc d’évaluer de manière plus précise certaines exonérations ou exemptions jugées prioritaires, et de procéder à des évaluations plus limitées de certains dispositifs, afin de proportionner l’effort.

En matière de méthode, le rapport rappelle le besoin d’une structuration interne à l’administration tout en s’appuyant sur des partenaires extérieurs, de manière à garantir l’objectivité de ces évaluations et d’éviter qu’elles puissent être considérées comme l’appréciation d’une administration ou du Gouvernement sur un dispositif. Cela suppose donc la mobilisation d’entités extérieures, y compris issues du monde de la recherche.

Le rapport souligne l’ambition de ce dispositif et propose une première appréciation de l’état de l’évaluation des dispositifs, qui formera un premier point de départ – l’absence d’évaluation constituant en elle-même un critère ; c’était en tout cas le raisonnement de la mission de 2015.

Le refus de certification des comptes de l’activité de recouvrement en 2022 n’a eu aucun effet ni sur la capacité de recouvrement ni sur les relations financières. En effet, le débat avec la Cour des comptes portait sur un point très spécifique : il s’agissait de décider si, à la différence de la règle appliquée jusque-là, il fallait appliquer un traitement particulier aux cotisations qui n’avaient pas été réclamées aux travailleurs indépendants en 2020, et que la Cour des comptes considérait comme devant être rattachées à l’année 2021 et non à l’année 2020. Le Gouvernement préférait s’en tenir à la règle antérieure, jusque-là admise par la Cour des comptes. Certes, l’objet de débat concernait 5 milliards d’euros, mais il n’a pas porté atteinte à la crédibilité des actions de recouvrement de la branche, à sa capacité à faire face à ses obligations financières ni à ses relations avec les investisseurs qui achètent de la dette française, et notamment les titres de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Le Parlement a décidé, à l’initiative du Sénat, de modifier les tableaux d’équilibre de l’année 2021 au motif du refus de certification de la Cour des comptes, sans pour autant corriger celui de 2020 : en effet, les comptes ayant été clos, ils ne pouvaient plus être modifiés. Nous avons donc décidé d’expliquer l’écart avec les comptes tels qu’ils ont été approuvés et le tableau d’équilibre, modifié par le Parlement, par une mention en annexe aux comptes des organismes et aux différentes lois. Les comptes approuvés forment légalement le point de départ à partir duquel se construit toute la mécanique financière. Par ailleurs, la Cour des comptes a décidé dans son rapport de réaliser le double exercice. Enfin, circonscrit à l’exercice 2021, ce débat n’aura pas d’effet sur les comptes de l’année 2022.

La séance est suspendue de dix-sept heures cinquante à dix-huit heures.

M. Morgan Delaye, adjoint au directeur de la sécurité sociale. S’agissant des relations avec l’Agirc-Arrco, dans un communiqué de presse publié après l’adoption de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale, le Gouvernement a manifesté son souhait de prendre une disposition analogue dans le PLFSS 2024 – confirmant ainsi son intention de ne pas réaliser le transfert tel qu’il était prévu, nonobstant l’annulation ou la censure pour une raison purement formelle par le Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, la réforme ayant été comprise comme un premier pas vers l’unification des régimes – ce qui n’était pas du tout son esprit –, le Gouvernement a préféré la retirer. L’objectif de départ demeure : simplifier les relations entre les entreprises et les réseaux de collecte, notamment en matière de cotisations sociales.

Si nous devons proposer d’autres modalités de travail avec l’Agirc-Arrco et les Urssaf, dont la mise en œuvre sera plus complexe, le but reste le même : en effet, les deux opérateurs resteront séparés, mais le contrôle ou les modifications de déclarations des entreprises se feront de manière concertée et unifiée.

La fiscalité est importante sur les boissons, même si son rendement – 5 milliards d’euros – ne représente que le tiers de celui issu de la taxe sur le tabac. Progressivement, les enjeux de santé publique ont fait de ces accises des taxations à visée comportementale. C’est particulièrement le cas de la taxe « prémix » : si son rendement est très faible – 2 millions d’euros –, c’est qu’elle a été fixée à un niveau tel qu’il serait très peu rentable de vendre des produits présentant de tels critères : elle remplit donc son objectif de dissuasion.

S’agissant de la taxe sur les boissons sucrées, remaniée en 2018, son évaluation a été retardée par la crise sanitaire ; nous nous efforcerons de la conduire dans les prochains mois. Si certains modèles – comme le Royaume‑Uni – fonctionnent mieux, ils peuvent être source d’inspiration. Il semble toutefois que le remaniement de cette taxe a porté ses effets incitatifs, par la révision des recettes ou par la diminution des volumes de produits vendus pour ne pas franchir des seuils de prix qui seraient difficilement acceptés par les consommateurs.

S’agissant des alcools, le système de taxation est efficace, puisqu’il cible fortement les alcools forts. En revanche, ces alcools sont soixante fois plus taxés que les vins. Si la proposition d’un prix minimal peut sembler préférable à celle de la taxation, en étant moins punitive pour le secteur, elle a pour effet d’accroître les marges de fabricants – ce qui n’aura pas d’effet concret sur la santé publique. C’est la raison pour laquelle l’instrument de la fiscalité, qui a le même effet, a été utilisé sur d’autres produits, notamment le tabac. Le minimum de perception garantit donc un effet sur le prix, tout en évitant que l’augmentation des prix crée une marge supplémentaire pour les fabricants.

De même, nous avions affecté une partie de la hausse de certains prélèvements, notamment sur les boissons sucrées, à des fonds de prévention de lutte contre les addictions : nous pouvons trouver un moyen de rendre cette fiscalité un peu plus utile à la politique de santé publique et aux finances publiques, sans effets économiques dommageables pour le secteur.

Mme Mélanie Joder, directrice du budget. Je me réjouis que les commissions des affaires sociales et des finances reprennent les travaux d’évaluation dans le cadre du Printemps de l’évaluation. En effet, nous avons un grand besoin d’évaluation de la qualité de la dépense face aux enjeux de finances publiques qui nous attendent dans les années à venir.

La direction du budget est bien consciente que le meilleur signe du bon fonctionnement d’une taxe comportementale en matière de santé publique est la baisse de son rendement ; soit parce que les producteurs ont adapté la composition de leurs produits et qu’ils les rendent plus sains, soit parce que les consommateurs sont dissuadés par les effets sur les prix. Ces taxes représentent malgré tout une part assez importante des recettes de la sécurité sociale.

Mme Christine Jacob-Schuhmacher, sous-directrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la direction générale de la santé. Le meilleur exemple de l’action publique sur les prix pour inciter à adopter des comportements favorables à la santé est le champ du tabagisme. En effet, l’introduction de taxes comportementales poursuit un double objectif, très assumé par le ministère de la santé : dans le cas du tabac, il s’agit de prévenir l’entrée dans l’addiction et d’inciter les fumeurs à sortir du tabagisme. La consommation de tabac est en outre un marqueur important des inégalités de santé : les personnes à faibles revenus fument deux fois plus que les personnes à revenus plus élevés. Le fait de conforter ces taxes produit un effet réel sur la santé publique. Le tabac entraîne plus de 75 000 décès par an, soit plus de 200 chaque jour, contre 112 pour l’alcool.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf Caisse nationale. Madame la rapporteure générale, la non-certification des comptes de l’Urssaf au titre de 2021 n’a pas eu d’impact ni sur l’activité de recouvrement, ni sur l’activité de financement de la sécurité sociale, ni sur les comptes des partenaires pour lesquels nous collectons, comme l’Unédic. En effet, ce refus de certification ne traduisait pas un défaut de fiabilité des comptes, de maîtrise des risques ou de contrôle interne, mais une divergence d’appréciation sur le traitement comptable d’éléments liés à la crise sanitaire – qu’il s’agisse des reports de cotisations établis en 2020 ou de l’impact de la régularisation des revenus des travailleurs indépendants. Nous avions choisi d’appliquer les normes édictées dans le plan comptable des organismes de sécurité sociale, là où la Cour des comptes aurait voulu un traitement exceptionnel – qui, par ailleurs, ne correspondait pas à ces mêmes normes. Les différents partenaires des marchés financiers et ceux pour lesquels nous collectons, ainsi que leurs commissaires aux comptes, ont bien saisi la nature de cette divergence. Ainsi, la certification des comptes des partenaires n’a pas été affectée.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

Mme Claire Guichard (RE). Je souhaiterais en premier lieu souligner l’évolution progressive de rétablissement des finances publiques et des comptes sociaux. Je me réjouis que l’action menée depuis six ans par la majorité présidentielle porte ses fruits. Comme l’a souligné notre rapporteure générale, les décisions prises avant, pendant et après la crise sanitaire ont également permis de maintenir une masse salariale dynamique et, par ce biais, des cotisations sociales afférentes qui confirment la trajectoire de rétablissement de nos comptes sociaux.

À cet égard, dans une volonté de simplification pour les professionnels de santé libéraux, nous avons engagé une unification des caisses de recouvrement spécifiques. Ainsi, depuis le 1er janvier 2023, l’Urssaf constitue l’interlocuteur unique des professionnels relevant de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav). Pouvez-vous nous faire un rapide état des lieux de ce transfert ? Qu’en est-il des ressources humaines de ces caisses ?

Dans un deuxième temps, j’aurais souhaité connaître votre regard sur l’indexation des prix du tabac sur l’inflation votée en LFSS 2023. Ces mesures avaient fait débat dans notre commission et à l’hémicycle. Elles soutiennent pourtant la trajectoire du prix du tabac pour des raisons de santé publique évidentes. Depuis 2018, la volonté du Gouvernement sur la fiscalité des produits du tabac est assumée : elle ne doit pas encourager à leur consommation, qui demeure la première cause de décès évitable en France, pas plus qu’elle ne doit inciter les fumeurs à se tourner vers des produits moins taxés comme le tabac à rouler ou à chauffer lorsque le prix des cigarettes manufacturées augmente.

L’objectif est d’encourager le maximum de fumeurs à sortir du tabagisme, qui représente encore 75 000 décès par an. Cette mesure nous invite à nous interroger sur les impacts en matière de santé publique que pourrait avoir une extension de cette mesure aux boissons alcoolisées.

Enfin, dans le cadre de nos débats à l’automne, nous avions également évoqué la nécessité d’une réflexion sur l’assiette des cotisations sociales des travailleurs indépendants afin de réduire l’iniquité avec les salariés. Pouvez-vous nous indiquer les réflexions menées sur la question ? Quelle forme pourrait, selon vous, prendre l’harmonisation de l’assiette des travailleurs indépendants ? Dans cette hypothèse, comment les micro-entrepreneurs pourraient‑ils être intégrés à ces mesures ?

Mme Joëlle Mélin (RN). Il est clair que l’évaluation des comptes de la sécurité sociale, comme d’ailleurs tout le reste de la dépense publique, est une nécessité, et qu’elle a pris énormément de retard. Le contrôle, jusqu’à présent, était particulièrement aléatoire et parcellaire. C’est ce qui explique ce Printemps social de l’évaluation ; mais là encore, c’est une évaluation dispositif par dispositif, et l’étude de l’impact des recettes reste encore peu représentative d’une stratégie globale. A minima, c’est un simple effet de communication, et au plus, la simple évaluation d’un dispositif isolé, sans résonance globale.

Il est regrettable que nous ne disposions pas du rapport de certification de la Cour des comptes pendant ces débats.

Quelles sont vos relations avec la Cour des comptes ? Comment se fait-il que depuis vingt-sept ans, certaines recommandations ne soient pas respectées, ou mal respectées – en particulier en matière d’informatisation et d’harmonisation des réseaux informatiques, ce qui biaise les évaluations ?

L’évaluation doit aussi porter sur des dérives persistantes. Je pense en particulier aux dettes et déficits de l’Acoss, apparus en 2010 à la suite de la crise de 2008. Comptez-vous établir des dispositifs d’évaluation interne des dérives comme les fraudes qui affectent les recettes ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Je voudrais revenir sur un sujet qui ne cesse de nous questionner, et sur lequel notre commission sera prochainement saisie à nouveau quand elle aura à examiner la proposition de loi d’approbation de la réforme des retraites déposée par le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires : quel est le coût réel de la réforme des retraites ?

Les mesures d’âge telles qu’elles étaient présentées concluaient à un gain de 17 milliards d’euros à horizon 2030. Dans le dépôt du PLFRSS, il était mention de 4 milliards par an de mesures dites d’accompagnement – soit un gain net de 13 milliards d’euros. Dans la navette parlementaire, plusieurs mesures d’accompagnement ont été adoptées, sans jamais avoir été chiffrées. On peut les estimer à 3 à 5 milliards par an. Auriez-vous des chiffres plus précis ?

Dans le même temps, le Gouvernement n’avait jamais chiffré les dépenses sociales induites par la réforme en matière d’allocation de solidarité spécifique, de revenu de solidarité active ou de pensions d’invalidité. En 2019, après la première réforme, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques avait estimé les dépenses à 3,5 milliards d’euros et l’Unédic à 1,5 milliard pour celles liées à l’indemnisation du chômage – soit un total de 5 milliards d’euros. On arrive donc à un gain net de 3 milliards d’euros environ.

M. Paul Christophe (HOR). Selon les résultats de l’étude de l’Inserm et du centre hospitalier universitaire de Montpellier, 47 % des Français adultes seraient en surpoids, et 17 % obèses. Depuis 1997, le nombre de cas d’obésité augmente de façon importante, notamment chez les plus jeunes et les plus défavorisés. Depuis 1997, l’obésité chez les 18-24 ans a été multipliée par quatre, et par trois chez les 25-34 ans. Elle dépasse les 20 % dans le nord et le nord‑est de la France, contre moins de 14,5 % en Île-de-France et dans les Pays de la Loire.

L’OMS ne cesse de nous alerter sur les enjeux majeurs de santé publique que représente l’obésité à échelle mondiale, en la caractérisant, dès 1997, de première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité. Vingt-cinq ans plus tard, et à l’aune des conséquences sociales de la covid‑19, l’OMS Europe alerte à nouveau sur la hausse du surpoids et de l’obésité. Pas un seul État de la région européenne n’est actuellement en voie d’atteindre son objectif de diminution du nombre de personnes obèses d’ici 2025.

Pourtant, les effets néfastes de l’obésité sur la santé des populations ne sont plus à démontrer, tout comme son coût économique et social sur nos sociétés. Tout comme le soulignait le rapport sénatorial « Surpoids et obésité : l’autre pandémie », l’obésité est intrinsèquement liée à de multiples comorbidités et à une mortalité élevée. Elle augmente ainsi le risque de maladie cardiovasculaire, de diabète ou encore de cancer.

Afin de lutter contre l’obésité et le surpoids, nous avons fait le choix de réformer la taxe « soda » dès 2018. Cependant, cette réforme atteint ses limites. En effet, depuis sa mise en place, elle n’a pas contribué à une baisse suffisante des apports en sucre provenant des boissons sans alcool. L’effet incitatif auprès des producteurs n’a pas non plus fonctionné puisque le contenu en sucre est inchangé pour 90 % des références.

Il est légitime de réfléchir au renforcement des mesures de prévention auprès des patients et de leur accompagnement dans la maladie. Comment pouvons-nous faire évoluer notre fiscalité pour faire diminuer l’obésité ? À l’image de nos voisins britanniques, devons‑nous imposer une taxe bien plus lourde sur les sucres ajoutés, dont ils mesurent déjà les résultats positifs ?

M. Pierre Dharréville (GDR -NUPES). Nous avons encore la chance d’examiner un budget qui a été adopté par la représentation nationale : dans un an, lorsque nous nous retrouverons pour procéder à ce même exercice, nous nous pencherons sur des mesures que nous n’aurons ni travaillées ni adoptées.

Je souhaite vous interroger sur notre capacité à répondre aux besoins et sur les effets de ce budget sur notre système de santé. S’il est bien entendu important que l’argent public soit correctement dépensé, je suis favorable à l’attribution de ressources supplémentaires. Quelle est l’efficacité des exonérations qui se perpétuent, et, parfois, s’ajoutent, lors des PLFSS ?

Par ailleurs, avec le transfert d’une partie de la dette covid sur la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), ce sont autant de recettes issues de la CSG et de la CRDS qui seront consacrées à son remboursement plutôt qu’à des besoins sociaux, comme l’avait relevé le Haut Conseil des finances publiques. Qu’en pensez-vous ?

Quelles sont, selon vous, les limites de la fiscalité comportementale ? Devrions-nous activer d’autres leviers pour agir sur les problématiques essentielles d’addiction ? Quelles sont les conditions pour rendre la fiscalité comportementale efficace tout en s’assurant qu’elle soit perçue de manière juste ? Vous avez par exemple noté que la taxe sur les sodas touchait davantage les producteurs et les industriels qui vendent ces produits que les consommateurs – ce qui n’était pas l’objectif premier que nous recherchions au sein de cette commission.

M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Comment concilier les objectifs de rendement et de santé publique ? Faut-il passer par une taxe ou par un prix minimum ? Au vu des conséquences de l’alcool et des boissons sucrées – mais aussi des aliments gras et sucrés – sur la santé, il me semble que nous devons réfléchir à un impôt ou à un prix pertinent, afin de proposer des amendements au prochain PLFSS. Y réfléchissez-vous également ?

M. Thierry Frappé, rapporteur. La taxe « soda », dans son état actuel, ne semble pas pertinente : est-il envisagé de la revoir, avec, par exemple, une simplification des paliers ?

M. Morgan Delaye, adjoint au directeur de la sécurité sociale. La dernière mesure d’indexation des prix du tabac sur l’inflation étant récente, nous ne disposons que des chiffres du mois de mars, qui révèlent un effet sur les prix conforme et un peu plus élevé qu’attendu. Ainsi, une baisse importante en volume a été observée, dont il est cependant difficile de tirer des enseignements précis : en effet, les consommateurs anticipent les hausses en achetant du tabac avant la date d’application de la mesure.

La réforme de l’assiette des travailleurs indépendants reflète l’engagement de la Première ministre pour améliorer leurs droits à la retraite. Ce travail complexe s’étalera sur plusieurs années. Il nécessitera une certaine concertation afin de vérifier ses effets sur les différentes populations de travailleurs indépendants. Les micro-entrepreneurs sont dans une situation particulière, car leur assiette consiste en leur chiffre d’affaires : ils n’ont pas besoin de calculer eux-mêmes le niveau de leurs revenus pour connaître le montant de leurs cotisations. La réforme vise surtout les travailleurs indépendants qui calculent leurs revenus sur leur bénéfice net des cotisations. Elle pourrait toutefois avoir des effets indirects sur les micro‑entrepreneurs, en cas d’ajustements des prélèvements à leur initiative sur le régime complémentaire pour faciliter sa mise en œuvre. Dès que les travaux techniques seront suffisamment aboutis, et après avoir instruit le dossier avec les organisations professionnelles représentatives, nous échangerons avec les représentants de chacune des catégories spécifiques.

Le rapport de la Cour des comptes en matière de certification devrait être publié aujourd’hui, soit avant le dépôt du projet de loi d’approbation des comptes. Comme chaque année, ce rapport présente des recommandations et des points de désaccord. Certaines sont en effet formulées depuis longtemps, en raison de différends avec le certificateur ou de la complexité de leur mise en œuvre. C’est notamment le cas de l’automatisation des modalités de calcul et de liquidation des prestations sociales : celle-ci n’est possible que depuis que les revenus déclarés mensuellement par les employeurs ont été rendus disponibles par la déclaration sociale nominative, généralisée en 2017 au privé et en 2022 seulement au public. Nous allons continuer à travailler à l’automatisation pour réduire les risques d’erreur.

S’agissant du plan de lutte contre la fraude, des actions sont en cours de préparation.

Il est un peu tôt pour évaluer les effets de la réforme des retraites. Néanmoins, le rendement de la réforme tel qu’il a été présenté par le Gouvernement s’élevait à 17 milliards d’euros, en tenant compte des 4 milliards de mesures d’accompagnement prévues dans le projet initial. Le coût estimé des modifications à l’Assemblée et au Sénat était de 1,1 milliard. Le financement a été réalisé dans le cadre du projet de loi, puisque l’objectif d’équilibre a été maintenu à horizon 2030 par plusieurs mesures, notamment la modification de la taxation sur les indemnités de rupture et la décision du Gouvernement de transférer une partie des cotisations patronales de la branche AT-MP à la branche vieillesse, sans effet sur les cotisations salariales, pour combler le besoin de financement des mesures qui avaient été adoptées.

Monsieur Dharréville, il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’opportunité politique du transfert à la Cades. J’observe néanmoins que le choix de sécuriser le financement de cette dette et de ce passif est intervenu alors que la Cades avait pu placer cette dette à des conditions et à des taux très avantageux en 2020. C’était donc un choix prudent sur le plan technique et financier.

Une vraie taxe comportementale doit aboutir à une baisse de rendement : c’est le signe de son efficacité. Comment concilier cet objectif avec des enjeux de financement du système de santé ? La question est complexe. En tout cas, il faut que la prévention s’améliore pour réduire les dépenses de santé. Cependant, ces effets comportementaux sont très différés dans le temps. Ainsi, nous devons à la fois poursuivre notre politique de prévention et financer le coût des dépenses pour les personnes malades et qui souffrent de pathologies liées notamment à ces addictions.

Jusqu’en 2018, les boissons sucrées étaient soumises à un droit d’accise de 7,53 euros par hectolitre, soit un niveau tel qu’il ne pouvait avoir aucun effet comportemental. Il a été transformé en une taxe comportementale. Si on peut en critiquer les effets, cette évolution était clairement assumée par la majorité.

 

La séance est suspendue de dix-huit heures quarante-cinq à dix-huit heures cinquantecinq.

 

M. Morgan Delaye, adjoint au directeur de la sécurité sociale. Pour éviter qu’un produit puisse être vendu en dessous d’un certain prix, deux instruments existent : on peut en interdire la vente en dessous de ce prix, ou établir un système de taxation rendant impossible ou déraisonnable la vente à un prix inférieur. Les deux mesures ont le même effet sur le consommateur. Le premier dispositif évite la concurrence entre les fabricants en dessous du prix minimum fixé ; ils peuvent donc conserver la marge que représente cet effort. J’y vois donc un possible effet d’aubaine ; c’est la raison pour laquelle nous avons opté pour la seconde solution pour le tabac. Le choix n’est pas neutre : le gain revient soit aux finances publiques, soit aux fabricants.

Mme Mélanie Joder, directrice du budget. Concernant la lutte contre la fraude et la modernisation des systèmes d’information, nous travaillons actuellement sur le renouvellement des conventions d’objectifs et de gestion des différentes caisses. Dans ce cadre, un effort particulier sera mené sur ces deux thématiques.

Mme Christine Jacob-Schuhmacher, sous-directrice de la santé des populations et de la prévention des maladies chroniques à la direction générale de la santé. Madame Guichard, dans l’ensemble du monde, la taxation des produits du tabac est reconnue comme une mesure efficiente, démontrée scientifiquement. L’OMS estime que si tous les États augmentaient leurs droits d’accise de 50 %, il y aurait moins 40 millions de fumeurs en moins – soit la population de l’Espagne –, et 11 millions de décès en moins sur trois ans – soit la population de la Belgique. Depuis 2003, l’OMS, par sa convention-cadre de lutte antitabac, incite les États qui l’ont ratifiée – dont la France et l’Union européenne font partie – à mobiliser ce levier. Par ailleurs, la hausse de cette fiscalité permet d’obtenir les mêmes bienfaits sanitaires pour un coût vingt fois moins important que d’autres mesures.

En France, ce levier a fait ses preuves : entre 1999 et 2005, la prévalence de fumeurs a diminué de 12 %, et cela, sans inversion de tendance. Il a été particulièrement efficace chez les jeunes de 15 à 16 ans, avec une baisse de 45 % entre 1999 et 2007. Entre 2014 et 2019, le nombre de fumeurs a diminué de 1,9 million en France.

Monsieur Dharréville, il existe en effet d’autres leviers pour lutter contre les addictions. J’en citerai cinq, utilisés dans la lutte contre le tabagisme : l’interdiction de fumer dans les lieux publics pour protéger l’ensemble de la population contre la fumée du tabac ; l’offre de moyens de sevrage et d’accompagnement psychologique à ceux qui veulent arrêter de fumer ; l’information et la sensibilisation du public contre les dangers ; l’interdiction de la publicité, de la promotion et du parrainage en faveur de ces produits addictogènes ; enfin, la lutte contre le commerce illicite.

Les études montrent qu’il y a trois grandes conditions à réunir pour rendre la fiscalité comportementale efficace dans le cadre de la lutte contre le tabac. La première est d’inscrire cette dimension fiscale dans un ensemble de mesures plus larges, mobilisant l’ensemble des leviers pertinents pour induire un comportement plus favorable à la santé. C’est ce qu’a fait la France au travers des différents programmes nationaux de lutte contre le tabac depuis 2014, qui visaient à protéger les jeunes en régulant leur accès aux produits. Depuis 2009, les mineurs ne peuvent plus acheter de tabac dans les débits. Le deuxième levier consiste à réduire l’attractivité du tabac dans la société, en agissant sur la dénormalisation des produits : nous avons ainsi mis en place le paquet neutre et interdit la publicité. Enfin, il convient de développer une offre d’accompagnement pour les fumeurs, comme le remboursement des médicaments de substitution nicotinique et l’amélioration de la formation des différents professionnels de santé.

La deuxième condition est d’éviter le report vers des produits moins chers ; le Gouvernement a ainsi acté la hausse du tabac à rouler dans la LFSS 2023.

Enfin, il est aussi important de promouvoir un rapprochement des niveaux de fiscalité des produits du tabac au sein de l’Union européenne.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur général de l’Urssaf Caisse nationale. Le transfert des cotisations de la Cipav est effectif depuis le début de l’année. 200 000 professionnels libéraux bénéficient de cette simplification, avec un échéancier unifié de cotisations et un interlocuteur pour la gestion des éventuelles demandes de délai de paiement ou d’étalement – l’action sociale venant en aide aux cotisants en difficulté. Une étape importante est en cours avec la régularisation des revenus 2022, qui donnera lieu au recalcul des dernières cotisations au titre de ce qui relevait auparavant de la Cipav.

Concernant les personnels de la Cipav, 97 emplois ont été transférés depuis la Cipav vers l’Urssaf au 1er janvier 2023 – principalement en Île-de-France, et quelques-uns à la Caisse nationale, sans obligation de mobilité géographique et en maintenant les avantages individuels et collectifs, en application de la législation.

La lutte contre la fraude aux cotisations a fait l’objet d’annonces par le ministre des comptes publics. Dans le cadre de la future convention d’objectifs et de gestion entre l’Urssaf et l’État, nous programmons une hausse significative des redressements en matière de lutte contre le travail dissimulé. Sur la période 2018-2022, les redressements ont atteint 3,5 milliards d’euros. L’ambition de la future convention d’objectifs et de gestion est de parvenir à 5 milliards entre 2023 et 2027.

Plusieurs leviers seront mobilisés dans ce cadre : d’une part, un renforcement des ressources humaines allouées à la lutte contre le travail dissimulé ; d’autre part, de nouveaux croisements de données pour mieux cibler les risques de fraude et mieux les redresser, notamment dans le cadre de la lutte contre la fraude au détachement. Par ailleurs, plusieurs mesures législatives devraient nous aider à la fois à détecter ces situations de travail dissimulé et à recouvrir les sommes frauduleuses. L’un des enjeux est de mieux lutter contre les entreprises éphémères, dont le modèle économique repose entièrement sur la fraude aux cotisations et qui organisent leur insolvabilité pour disparaître dès que le contrôle est réalisé. Une série de mesures sera présentée pour lutter contre ce phénomène.

M. Cyrille Isaac-Sibille, rapporteur. Je vous remercie pour vos réponses. Si nous cherchons à mettre fin à la consommation de tabac, s’agissant de l’alcool, nous souhaitons encourager la population à boire de manière raisonnable, soit un maximum de deux verres par jour et dix verres par semaine. On voit là la différence entre le vin et d’autres alcools : le facteur soixante dans l’écart de taxation n’est pas normal. Si le budget peut estimer que lorsque la taxe comportementale est efficace, le rendement est moindre, il est difficile de tenir ce discours aux producteurs. C’est la raison pour laquelle la fixation d’un prix minimum est intéressante. Cette solution ne pénaliserait pas l’économie et réévaluerait la taxation du vin. Il pourrait être intéressant d’y réfléchir dans le cadre du prochain PLFSS.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour vos réponses précises.

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2.   Réunion du mardi 16 mai 2023 à 21 heures

Dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, la commission organise une table ronde sur les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale relatives à la branche autonomie ainsi qu’à la branche accidents du travail et maladies professionnelles réunissant M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale, Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, et Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole ([124]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous poursuivons ce soir nos travaux sur le Printemps social de l’évaluation, en abordant les branches autonomie et accidents du travail. Les rapporteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) nous présenteront deux évaluations de dispositions adoptées dans de précédentes lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), concernant les nouveaux rôles de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et la réalité de sa transformation en branche de la sécurité sociale, au service des personnes âgées, ainsi que le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

Je remercie les responsables des administrations et caisses pour leur présence.

M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. S’agissant, d’abord, des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP), les débats que nous aurons dans les mois prochains sur les textes relatifs au travail seront l’occasion de nous pencher sur les actions de prévention. Par ailleurs, le rapporteur de la Mecss, Paul Christophe, a souhaité évaluer l’application de l’article 70 de la LFSS 2020, relatif à la mise en œuvre du FIVP, adossé à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA). Ce fonds soulève de nombreuses questions en métropole, mais surtout aux Antilles, confrontées aux conséquences de l’exposition au chlordécone. Cette table ronde sera l’occasion d’aborder en profondeur les modalités de fonctionnement du FIVP, ou encore de l’information des personnes susceptibles d’avoir été exposées à ces pesticides.

S’agissant de la branche autonomie, nous avons souhaité faire un premier bilan de la structuration de la cinquième branche, dont le principe avait été voté dans le cadre de la loi relative à la dette sociale et à l’autonomie du 7 août 2020, dont Paul Christophe était l’un des rapporteurs.

Les modalités de financement, de périmètre et de pilotage de cette nouvelle branche avaient été fixées par l’article 32 de la LFSS 2021, que Monique Iborra, Farida Amrani et Paul Christophe ont évalué. La cinquième branche présente des spécificités, comme l’absence d’un réseau de caisses locales, une interaction forte avec les départementaux ou encore un périmètre difficile à saisir en LFSS. Elle nous interroge sur la place que peut tenir la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) à cet égard, alors que nous avons récemment commencé à discuter de la proposition de la loi pour bâtir la société du bien vieillir en France. Dans ce contexte, vos réponses nous intéresseront particulièrement.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. S’agissant d’abord des personnes en perte d’autonomie, la création de la cinquième branche constitue une importante avancée. L’article 32 de la LFSS 2021 a clarifié les missions de la CNSA et a précisé la gouvernance ainsi que le cadre de fonctionnement de cette branche, dont le budget atteint aujourd’hui environ 37 milliards d’euros. Il s’agit naturellement de renforcer l’accès de nos aînés et de nos concitoyens en situation de handicap à l’ensemble de leurs droits, en les rendant plus effectifs et plus équitables sur le territoire national. Nous nous y efforçons en consacrant de nouvelles ressources pérennes – la branche bénéficiera ainsi d’une fraction de 0,15 point de CSG supplémentaire à partir de 2024, soit 2,3 milliards d’euros de plus par an – et des moyens financiers importants.

La LFSS 2023 s’est traduite par plusieurs avancées notables, comme le renforcement de la transparence financière dans les établissements et services médico-sociaux, la poursuite de la réforme du financement des services à domicile ou encore la mise en place du temps dédié à l’accompagnement et au lien social auprès de nos aînés. Cette mesure pourra-t-elle bien être mise en œuvre au 1er janvier 2024 ? Quelles en seront les modalités précises ?

À compter de 2024, la montée en puissance de l’adaptation des logements au grand âge se traduira par le déploiement du dispositif « MaPrimAdapt’ » par l’Agence nationale de l’habitat qui permettra notamment de simplifier et d’unifier les aides et dépenses fiscales existantes. Comment ce dispositif sera-t-il déployé ?

La dernière LFSS a amorcé une trajectoire de recrutement de 50 000 personnels soignants en Ehpad. Combien en avons-nous recruté à ce jour et quelles sont les perspectives pour les mois et années à venir ? Pourriez-vous nous présenter les principales orientations de la convention d’objectifs et de gestion (COG) signée entre l’État et la CNSA ?

S’agissant de la branche AT-MP, je voudrais vous interroger sur les évolutions prévues par la dernière loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS). Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu), qui doit être doté de 1 milliard d’euros sur la durée du quinquennat, a vocation à financer des actions de sensibilisation, de prévention et de reconversion pour les travailleurs les plus exposés aux risques ergonomiques. Un fonds spécifique sera aussi créé auprès de l’assurance maladie pour les professionnels de santé des hôpitaux et des établissements médico-sociaux. Où en sont les travaux préparatoires à la création de ces fonds ?

Par ailleurs, davantage de salariés devraient bénéficier du compte professionnel de prévention (C2P) qui permet d’accumuler des droits pour chaque année d’exposition à des facteurs de risque, afin de financer des formations, un passage à temps partiel payé temps plein ou de bénéficier d’un départ anticipé à la retraite. Quel est le bilan de la réforme du C2P et quels sont les enjeux de son évolution ? Quel sera l’impact de ces mesures pour les travailleurs concernés ? Savez-vous combien le seront ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous commençons par l’évaluation des nouveaux rôles de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et de la réalité de sa transformation en branche de la sécurité sociale, au service des personnes âgées.

M. Paul Christophe, rapporteur. Dans le cadre de notre mission sur les nouveaux rôles de la CNSA depuis sa création en caisse de la sécurité sociale, nous avons auditionné de nombreux acteurs : en voici les principales conclusions.

Précisons d’abord que la création de cette nouvelle branche a suscité une grande attente. Certes, avant 2021, la perte d’autonomie faisait déjà l’objet de mesures d’action sociale : dès 2004, la loi relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées a acté la création d’un prélèvement obligatoire visant à financer une partie des actions de solidarité en faveur des personnes âgées et handicapées. La contribution de solidarité pour l’autonomie l’a rassemblé avec d’autres sources de financement, sous la gestion de la CNSA, créée à cet effet. À partir de 2005, cette dernière a été chargée de flécher aux collectivités territoriales et aux autres organismes financeurs les ressources nécessaires au financement des prestations et services de soutien à l’autonomie, de communiquer des informations et de fournir un appui technique aux acteurs de ce domaine. Néanmoins, la mise en place d’une branche de la sécurité sociale dédiée à cette politique de l’autonomie constituait un véritable changement : loin de ne renvoyer qu’à un débat sémantique, la consécration d’une nouvelle branche – et non un simple risque – témoigne d’une ambition nouvelle pour le soutien à l’autonomie.

Le rapport de Laurent Vachey précisait que la création de la branche devrait répondre à trois principaux objectifs : garantir l’égalité des droits en renforçant l’équité dans l’accès aux services et aux prestations sur l’ensemble du territoire national ; réduire la complexité de la politique de l’autonomie caractérisée par la diversité des financeurs – État, sécurité sociale, CNSA, conseils départementaux, personnes elles-mêmes via leurs organismes complémentaires et associés – et des ressources et prestations proposées ; enfin, mettre en place une organisation plus efficiente, visant à préserver l’équilibre budgétaire de la branche, tout en permettant d’améliorer la qualité des accompagnements et des parcours.

Cette nouvelle branche consacre enfin, comme nous l’a rappelé Dominique Libault, la reconnaissance de véritables droits objectifs, universels et opposables sur l’ensemble du territoire national.

La création de la branche s’est accompagnée d’importants changements. Outre l’instauration d’un débat annuel au Parlement sur les moyens consacrés à l’autonomie lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), des ressources propres et pérennes, essentiellement financées par les cotisations sociales, lui ont été affectées. Elles sont désormais centralisées et associées à des dépenses clairement identifiées au sein d’une caisse nationale dont les comptes sont certifiés annuellement par la Cour des comptes.

De plus, l’ordonnance du 1er décembre 2021, prise en application de la LFSS 2021, a inscrit dans le code de la sécurité sociale la plupart des directives et dispositions relatives à la CNSA, qui figuraient jusqu’alors au sein du code de l’action sociale et des familles – faisant dès lors de ce champ une branche de la sécurité sociale, au même titre que les autres.

Enfin, la CNSA, en sa qualité de caisse nationale de sécurité sociale, a renforcé son lien avec l’État. La signature de la COG de 2022-2026 témoigne de l’engagement d’une démarche de planification et de coordination plus systématique des politiques de l’autonomie, en anticipant la création du service public territorial de l’autonomie (SPTA) et d’un système d’information intégré pour le recouvrement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). La COG entérine par ailleurs un changement d’échelle pour la CNSA : désormais intégrée dans le cadre juridique de la sécurité sociale, elle bénéficie d’effectifs et de moyens renforcés pour mettre en œuvre les missions qui lui ont été attribuées.

Mme Monique Iborra, rapporteure. Nous avons souhaité évaluer l’évolution de la CNSA et en tirer un bilan, bien que la création de la branche soit récente. Au cours de nos auditions, nous avons reçu M. Libault, M. Lecerf, président de la CNSA, Mme Magnant, directrice, l’Association des départements de France, représentée par M. Olivier Richefou, des associations représentant les personnes âgées et handicapées et des organisations syndicales et patronales du siège de la caisse. Je souhaitais vous faire part des constats soulevés lors de ces auditions.

Comme l’a indiqué le coprésident de la Meccs, la CNSA est singulière : contrairement aux caisses bénéficiant d’un réseau propre, elle peine à adopter une vision claire et précise de la déclinaison locale de son action. En effet, elle n’a aucun lien direct avec ses assurés, et doit compter sur le relai d’acteurs territoriaux pour le financement et la mise en œuvre des actions de soutien à l’autonomie.

Par ailleurs, la CNSA se distingue des caisses historiques par la structure de sa gouvernance. Les partenaires sociaux jouent un rôle limité au sein du conseil, qui préexistait déjà sous sa forme actuelle, constitué pour une large part de représentants de l’État et des départements – alors que les financements proviennent en grande partie des cotisations sociales.

Enfin, la politique de l’autonomie dépasse largement le champ de la seule sécurité sociale. Lorsque nous nous prononçons sur le budget dédié à la CNSA, nous n’avons qu’une vision partielle de l’effort national consacré à cette politique, qui ne bénéficie pas d’un projet politique clairement défini – ce dont nous ne pouvons vous rendre responsables.

Or, ces différences ne sont pas sans poser quelques difficultés. La diversité des acteurs impliqués – agences régionales de santé (ARS), conseils départementaux, maisons médicales des personnes handicapées (MDPH) et maisons de l’autonomie, par ailleurs peu nombreuses – se traduit par une application parfois différenciée de la loi selon les territoires et rend difficile le contrôle de l’utilisation des fonds publics.

La CNSA a notamment pour objectif de garantir l’égalité de traitement sur l’ensemble du territoire. Elle ne le satisfait cependant pas pleinement : en témoigne l’application différenciée de l’avenant 43 sur l’ensemble du territoire. Quid de l’équité territoriale, de la qualité et de l’efficience de l’accompagnement – missions qui vous ont été confiées par l’article 32 de la loi de 2021 ? Madame la directrice, quelles ressources la CNSA met-elle en œuvre pour s’assurer de l’égalité des droits sur les territoires ? De quels moyens dispose-t-elle pour contrôler l’usage des ressources qu’elle flèche aux départements et aux ARS ? Dispose‑t‑elle, par ailleurs, d’un pouvoir de contrainte ?

Par ailleurs, les bénéficiaires manquent de lisibilité sur leurs droits, certains percevant la branche autonomie comme un véritable millefeuille. Le conseil de la CNSA travaille actuellement sur une préfiguration du nouveau SPTA : quelle est votre vision de ce nouveau service public ? Quels acteurs participent à la rédaction d’un cahier des charges national ? Le conseil de la CNSA rendra-t-il un avis sur le sujet ?

Par ailleurs, les règles de gouvernance du conseil de la CNSA font craindre le risque d’acteurs juges et parties, puisque que ces derniers votent sur les budgets qui leur sont ensuite octroyés. Comment se justifie ce mode d’organisation et de décision ? Serait-il envisageable de le réformer, notamment pour donner aux partenaires sociaux la place qu’ils occupent au sein des caisses de la sécurité sociale ?

Nous voudrions enfin vous présenter quelques pistes modestes d’évolution que nous avons pu identifier au cours de nos travaux.

S’agissant de l’égalité de traitement entre les départements, que pensez‑vous de la perspective d’instaurer une contractualisation les liant à la caisse et aux ARS ? Certains évoquent le modèle de la politique de la petite enfance. Cela vous paraît-il opportun, et, surtout, faisable ?

Environ 2,5 milliards d’euros supplémentaires ont été dégagés pour financer la branche autonomie. Selon le rapport Libault, 9 milliards d’euros de plus seraient nécessaires à l’horizon 2030. La piste d’un financement privé assurantiel a été évoquée en audition : que penser de cette proposition ? Quelles autres ressources pourrions-nous affecter à cette branche ?

Enfin, s’agissant du périmètre financier, une large part des dépenses constitutives de l’effort national consacré à l’autonomie échappe à la cinquième branche. Financé par la sécurité sociale, l’État et les conseils départementaux, ce dispositif est spécifiquement destiné aux personnes âgées en perte d’autonomie et en situation de handicap ou d’invalidité. Son montant est de 80 milliards d’euros en 2021 sur le périmètre identifié, contre 32 milliards pour la branche autonomie.

Par ailleurs, la cinquième branche ne prend en charge que les deux tiers des dépenses de sécurité sociale sur le champ de l’autonomie, tandis que la branche maladie couvre 24 % de ces dépenses, au titre notamment des pensions d’invalidité, des soins de villes, des unités de soins de longue durée, et que la branche AT-MP en couvre environ 11 % au titre des rentes d’incapacité permanente. La diversité des financeurs – et des financements – est incompréhensible pour les citoyens – et pourtant, on dépense !

Ne serait-il pas envisageable de regrouper toutes ces dépenses au sein de la branche autonomie afin de lui donner toute sa portée, et d’améliorer la lisibilité de l’usage des finances publiques pour nos concitoyens ?

M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale. Bien que parfois méconnue, la branche AT-MP mène des actions de prévention et verse des prestations importantes pour les salariés concernés. 2023 est une année cruciale pour la branche : elle sera marquée par l’application des dispositions de la LFRSS 2023 – avec la création du Fipu –, par la négociation en cours de la COG – qui soulève des questions de dépenses de prévention et de renforcement de l’investissement dans la prévention des AT-MP –, et, enfin, par les négociations des partenaires sociaux qui ont débouché, la nuit dernière, sur un projet d’accord national interprofessionnel. Ce dernier alimentera largement les travaux de la COG et fera évoluer la gouvernance de la branche.

Le Fipu sera doté de 1 milliard d’euros d’ici 2027. Son calendrier est particulièrement resserré, car nous souhaiterions que le texte réglementaire soit publié avant l’entrée en vigueur de la réforme en septembre, ce qui suppose que la concertation avec les partenaires sociaux débute au mois de juin.

Par ailleurs, les actions du fonds spécifique pour l’hôpital devront être arrêtées à la rentrée.

S’agissant du bilan du C2P, environ 1 600 000 salariés possèdent des points, et 500 000 salariés en acquièrent chaque année. Les différentes mesures de la réforme augmenteront le nombre de salariés bénéficiaires : je pense notamment à la baisse des seuils pour le travail de nuit et les équipes alternantes de 120 à 100 nuits, qui permettra de toucher ainsi 55 000 salariés supplémentaires chaque année – en particulier dans les secteurs sanitaires, les cliniques privées ou les Ehpad. La réforme induit également une meilleure prise en compte de la polyexposition, qui se traduira par une augmentation du nombre de points cumulés par chacun des 8 000 salariés concernés. La modification de la valeur du point améliorera le recours à la formation et au temps partiel pour 70 000 salariés.

L’ensemble de ces mesures représente environ 80 millions d’euros à l’horizon 2030. Il est important que les textes paraissent dès cette année pour rendre ces droits effectifs au plus vite.

La cinquième branche présente en effet des spécificités. Cependant, nous essayons de construire des outils qui, tout en s’inscrivant dans un droit et une gouvernance différents, permettent de mettre en place un pilotage effectif des acteurs de terrain. Il est toutefois vrai que les progrès de la CNSA en la matière ont été un peu lents. Il s’agit par exemple de systèmes d’information visant à améliorer la remontée des données et le partage de bonnes pratiques. Les COG de la sécurité sociale promeuvent en effet cette habitude, qui garantit un suivi rapproché de ces indicateurs afin d’évaluer toute divergence et de la corriger rapidement. La COG de la CNSA a alloué des moyens supplémentaires à la caisse dans cet objectif.

La création de cette cinquième branche a été l’occasion d’améliorer l’information du Parlement et des Français par une annexe au PLFSS dédiée à l’effort national, précisément chiffrée. En outre, il existe de nombreux autres exemples dans lesquels l’effort national dépasse une simple branche : je pense notamment à la politique familiale.

Le rapport Vachey s’interrogeait sur la définition du périmètre. Pour le Gouvernement, il paraissait naturel que ce dernier puisse évoluer dans la durée. Aujourd’hui, nous évaluons le choix initial et les outils déployés pour piloter la branche : les questions que vous soulevez vont ainsi dans ce sens.

Vous m’avez également interrogé sur le financement. Les 9 à 10 milliards d’euros de dépenses mentionnés par Dominique Libault excédaient en réalité la trajectoire tendancielle : une partie d’entre elles seront couvertes par la dynamique des recettes d’ici 2030, telles qu’elles ont été affectées initialement à la caisse, et auxquelles s’en ajouteront de nouvelles – comme les 2,5 milliards d’euros de CSG dès l’année prochaine. Cela ne veut pas dire que la branche sera équilibrée en 2030, sans recettes nouvelles ; mais la trajectoire pluriannuelle 2026 qui figure dans la LFSS et la LFRSS pour 2023 prévoit une forme d’équilibre dans les années à venir, malgré les mesures nouvelles financées.

Le renforcement du pilotage et l’entrée dans le droit commun de la CNSA s’accompagnent aussi d’un important développement des politiques publiques, pour un total de 5 milliards d’euros de dépenses nouvelles depuis la création de la branche. Au-delà du Ségur, qui en représente une partie importante, des mesures nouvelles seront prochainement déployées sur le renforcement du temps d’encadrement dans les Ehpad, avec les deux heures de convivialité que vous avez mentionnées. S’il n’a pas été chiffré précisément, on peut toutefois estimer qu’à horizon 2030, le montant total de ces mesures nouvelles atteindra près de 10 milliards d’euros. Cette trajectoire reprend donc en bonne partie les préconisations de Dominique Libault.

M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale. La branche a été créée dans un contexte crucial de développement des politiques publiques en matière de grand âge et de handicap. Les annonces qui ont suivi la Conférence nationale du handicap marquent ainsi une rupture importante, y compris sur l’idée que l’on peut se faire de l’accessibilité et de l’inclusion dans notre pays.

S’agissant du grand âge, les dynamiques sont plus structurelles : la décennie 2020-2030 sera celle d’une forte croissance du nombre de personnes âgées, qui se poursuivra dans les années suivantes. Plusieurs centaines de milliers de personnes en situation de grand âge ou en perte d’autonomie devront être accompagnées en établissement, en Ehpad ou à domicile. Bien entendu, les aspirations des Français très claires : 80 à 90 % déclarent vouloir vieillir chez eux, ou « comme chez eux » – d’où le développement de solutions intermédiaires, comme l’habitat inclusif. L’enjeu de développement est à la fois qualitatif et quantitatif ; il concerne également les ressources et l’offre proposée aux personnes âgées.

C’est le sens des mesures que nous avons prises depuis plusieurs années. Outre celles que vous avez décrites, on peut évoquer les centres de ressources territoriaux, la tarification des services de soins infirmiers à domicile ou la création des services autonomie à domicile. Ces innovations doivent permettre de gérer cette double évolution de l’offre au service de personnes en perte d’autonomie.

Vous nous avez interrogés sur les conditions de mise en œuvre les deux heures dites de convivialité – sans reprendre cette terminologie, que je trouve également peu heureuse. Cette mesure importante une double exigence, dans la logique du virage domiciliaire : elle améliore la prise en charge des personnes à domicile, et propose un cadre d’intervention plus propice et favorable aux professionnels qui exercent ce métier, afin d’en restaurer la vocation et l’attractivité. En effet, les professionnelles – qui sont souvent des femmes – se plaignent souvent de voir leur rôle réduit en raison des limites des plans d’aide proposés par les départements, en dépit des concours qui les solvabilisent : leurs interventions se résument à des gestes techniques, et ne permettent pas de tisser un lien pourtant consubstantiel à l’exercice de leur activité – et qui contribue à la qualité de la prise en charge. De surcroît, l’isolement des personnes âgées est un grave fléau responsable d’une accélération des signes du vieillissement.

La mise en œuvre de la mesure s’opérera progressivement, à compter du 1er janvier 2024. Deux heures par semaine seront proposées systématiquement à l’ensemble des primodemandeurs ; dans les cinq années suivantes, nous réviserons progressivement les plans d’aide des personnes bénéficiant de l’APA. Il sera possible de refuser cette aide, puisque l’APA est soumise à reste à charge. Cependant, un concours au titre de l’APA de la CNSA solvabilisera partiellement les départements.

Nous devrons rester vigilants : il n’est pas question que ces deux heures servent à autre chose qu’à leur objectif initial. Or, dans un contexte de resserrement des plans d’aide tant en nombre d’heures qu’en plafond monétaire, nous devons craindre des effets de substitution qui seraient préjudiciables à l’effectivité de ce dispositif.

Nous avons prévu de lancer des groupes de travail en lien avec les départements et la CNSA à la fin du mois de mai afin de concevoir le texte d’ici l’automne. À terme, cette mesure doit coûter 230 millions d’euros à la branche : c’est un investissement important, qui s’inscrit dans une stratégie globale destinée à améliorer la prise en charge à domicile ; s’y ajouteront des mesures pour les services d’aide et de soins, et les centres de ressources territoriaux.

S’agissant de la trajectoire des effectifs au sein de la branche, le besoin, comme chacun le sait, est criant : les taux d’encadrement en Ehpad restent insuffisants, a fortiori dans une situation où la structuration de la population admise dans ces établissements se transformerait pour compter de plus en plus de personnes présentant des troubles neurodégénératifs ou cognitifs. Là encore, l’enjeu est quantitatif et qualitatif à la fois.

Une première marche sera franchie dès cette année, avec le recrutement de 3 000 personnes. Plusieurs lignes concourent à cet objectif : des mesures de recrutement direct, mais aussi l’accélération des coupes Pathos, la mise en place de pôles d’activités et de soins adaptés ainsi qu’une augmentation du temps médical des médecins coordonnateurs : ces différents éléments permettront de respecter la trajectoire de recrutement de 50 000 personnes à horizon 2030 qui a fait l’objet d’une communication importante.

La stratégie suivant le virage domiciliaire, peu de places seront au total créées en Ehpad. Cependant, des crédits seront dédiés à l’ouverture de places dans les territoires sous-dotés, notamment en outre-mer. Votre préoccupation – et la nôtre – est de renforcer le taux d’encadrement dans les Ehpad existants : les 50 000 postes y contribueront.

Ces mesures sont solidaires de celles mentionnées dans le Ségur : nous n’attirerons des personnes vers ces métiers qu’à condition d’en améliorer les conditions de travail et de rémunération. L’impact du Ségur et des accords subséquents pour la branche en 2022 s’élève à 3,2 milliards d’euros. Cet effort était indispensable. Par ailleurs, les travaux ne sont pas terminés : des négociations sont en cours pour parvenir à des accords salariaux dynamiques.

Par ailleurs, nos services et nos établissements se caractérisent par des taux de sinistralité très importants. Or, nous ne pourrons durablement restaurer les conditions d’attractivité des métiers sans répondre à ces questions.

Enfin, si le conseil de la caisse est spécifique, est-il si éloigné de ce qu’imaginaient les pères fondateurs de la sécurité sociale ? L’un des piliers en était en effet sa gestion par les intéressés. L’histoire des politiques publiques, en particulier dans le secteur du handicap, s’est construite par la mobilisation du champ associatif. Nous fêtons cette année les quatre-vingt-dix ans d’APF France Handicap. La gouvernance attribue un rôle important aux personnes prises en charge et à leurs familles.

Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. La transformation de la CNSA en caisse nationale de sécurité sociale a pour objectif de décliner les outils qui en font la force, afin de renforcer l’équité dans l’accès aux droits des personnes. Cependant, elle vise également à conserver plusieurs des spécificités propres à ce domaine particulier des politiques publiques qui ne conçoivent pas sans les personnes concernées et leurs représentants – en conformité, avec la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances pour les personnes en situation de handicap et avec les instruments internationaux qu’a ratifiés la France : la convention internationale sur les droits des personnes handicapées, notamment, prescrit cette idée du « rien pour nous sans nous ». Cette participation directe des personnes et de leurs représentants à la gouvernance des politiques publiques s’opère à travers le conseil de la CNSA.

Cette nouvelle caisse s’est profondément transformée depuis sa création, et notamment avec la signature de sa COG. Cet instrument participe en effet pleinement des instruments de pilotage de la sécurité sociale. Approuvée à l’unanimité par le conseil avant d’être signée le 8 avril, la COG a été travaillée avec le ministère et les membres du conseil qui ont pris soin de préciser, dans un long préambule, les objectifs et les promesses de la branche que la feuille de route pluriannuelle de la caisse pour la période 2022 à 2026 vise à concrétiser. Il s’agit de promesses très ambitieuses d’équité de traitement, dans un contexte où les différences de traitement dans ces politiques persistent. Si la plupart d’entre elles sont le plus souvent justifiées – puisqu’elles cherchent à s’adapter le plus possible à la diversité des situations des personnes –, certaines s’expliquent plus difficilement et doivent être corrigées.

Les trois axes de notre COG traitent précisément du renforcement de l’équité dans l’accès aux droits, de l’amélioration d’une offre d’accompagnement individualisée à destination des personnes âgées et en situation de handicap, et le renforcement de notre capacité de pilotage afin de promouvoir une gestion efficiente des moyens importants désormais mobilisés par cette branche.

L’un des objectifs de la création de cette branche était de pouvoir mobiliser, face à l’importante transition démographique que va connaître notre société, une ressource pérenne qui sera renforcée dès l’année prochaine avec une quote-part de CSG. Il est crucial que nous puissions rendre compte de l’emploi de cet effort accru de solidarité de la nation envers les personnes âgées et handicapées.

La signature de la COG s’est accompagnée d’une visibilité sur les moyens que la branche pourra mobiliser dans une trajectoire pluriannuelle, ce qui constitue là aussi une nouveauté. La convention fixe une feuille de route pour l’établissement, en l’assortissant de moyens financiers et humains garantissant l’atteinte de ces objectifs ambitieux.

S’agissant des moyens financiers, notre COG nous garantit de disposer de 2,7 milliards d’euros consacrés à la qualité du service d’information, d’orientation, d’évaluation et d’accompagnement à l’effectivité des droits. Ces moyens massifs nous permettront de déployer des démarches en ligne facilitées pour l’accès au droit et aux aides, une meilleure visibilité des guichets et des parcours mieux coordonnés dans le cadre du SPTA. Ils nous aideront également à généraliser la mesure de satisfaction des personnes et de transparence sur les résultats. Ces instruments sont tout à fait communs aux caisses nationales de sécurité sociale, mais la caisse les déploiera pour la première fois dans le champ de l’autonomie : nous pourrons nous appuyer sur les travaux réalisés en 2021 sur les MDPH, dont un baromètre régulièrement publié mesure désormais le taux de satisfaction.

En outre, la COG prévoit 3,8 milliards d’euros à l’appui de la transformation et de la modernisation de l’offre en dehors du fonds de financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Ces enveloppes sont dédiées à la rénovation de places d’Ehpad, en mobilisant les moyens du Ségur de l’investissement, et, en lien avec le virage domiciliaire, au développement de solutions d’habitat intermédiaire, d’habitat nouveau et d’habitat inclusif. Ces derniers connaissent un remarquable essor sur le territoire. Enfin, des crédits sont prévus pour mettre en place des accompagnements précoces afin d’éviter les surhandicaps.

L’ensemble de la COG prévoit ainsi 80 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires pour aider la caisse nationale à faire face à ses nouvelles missions ; si ce renforcement semble modeste, il représentera une augmentation de 80 % de nos effectifs. De surcroît, la trajectoire pluriannuelle de la COG nous permet de recruter ces effectifs essentiellement en 2022 et en 2023, pour que nous atteignions le plus rapidement notre cible en matière de ressources humaines. Ainsi, nous serons en mesure de répondre également aux nouvelles missions qui découleront des annonces de la récente Conférence nationale du handicap, de la feuille de route que prépare le ministre Jean-Christophe Combe et des dispositions de la proposition de loi en cours de discussion.

Outre la transformation interne de la caisse à laquelle nous nous sommes attelés en 2021 et en 2022, dont l’organisation était restée quasiment inchangée depuis sa création en 2004, nous avons reconfiguré tout au long de l’année 2022 avec les ARS et les conseils départementaux les modalités du travail de la caisse avec ces acteurs centraux. Nous avons ainsi convenu d’un nouveau cadre de coopération qui repose sur une animation multilatérale de nos relations, qui remplacera l’ancien fonctionnement en silo.

Cette réflexion s’est inspirée des exemples européens, notre démarche de transformation étant soutenue par la direction générale de l’appui à la réforme structurelle de la Commission européenne : la création d’une cinquième branche apparaissait à cette dernière comme un modèle exemplaire pour répondre à la transition démographique et original à la fois. Nous nous sommes donc penchés sur les modèles allemand et suédois, pour identifier de bonnes pratiques en matière de pilotage par indicateur, renforcer la mesure d’impact et travailler sur des conventionnements pluriannuels et donc tripartites. Je rejoins pleinement votre proposition, madame la députée, de développer ce type de conventionnement, qui sera déployé dès 2024. En amont de ce travail, nous engageons dès cette année un nouveau format de dialogue avec les ARS et les conseils départementaux sous la forme de rencontres territoriales afin d’échanger sur la préparation de ces feuilles de route et ces objectifs communs, qui ont vocation à être déclinés de manière très opérationnelle.

Enfin, je voudrais illustrer par trois exemples les chantiers nous avons entamés pour renforcer l’équité territoriale.

Le premier est un déploiement des systèmes d’information sans commune mesure avec les autres caisses nationales. Les systèmes d’information nationaux forment une ossature qui permet de s’assurer que les droits soient déclinés de la même manière sur l’ensemble du territoire, et de disposer d’informations en temps réel : ils vous sont d’ailleurs utiles pour élaborer un pilotage territoire et national.

Lorsque vous avez voté notre transformation en caisse nationale de sécurité sociale, vous nous avez en effet autorisés à développer un système d’information national pour la gestion de l’APA. Ce projet inédit équipera des services des conseils départementaux pour la gestion d’une prestation relevant de leur compétence et partiellement financée par les crédits de la branche autonomie. Entamé l’année dernière, ce projet devrait être déployé au second semestre 2024. Il représentera une avancée importante pour outiller les professionnels, avec, par exemple, un système d’information intégrant des référentiels communs, dans une logique de facilitation des démarches des personnes.

Le deuxième outil important pour conforter l’équité de traitement et l’amélioration des services est une mission d’appui opérationnel aux MDPH qui rencontrent des difficultés, préfigurée dès l’année 2021. Elle continue d’intervenir auprès d’une vingtaine de MDPH, dont les délais de réponse, notamment, étaient trop longs. Nous avons d’ores et déjà contractualisé avec treize d’entre elles des plans d’amélioration.

Enfin, je tiens à souligner la mise en œuvre, à compter de cette année, d’une mission de contrôle interne et de conformité, qui pourra étendre son action aux MDPH et aux maisons départementales de l’autonomie. Nous souhaiterions qu’elle puisse réaliser des audits, en particulier si la proposition de loi en cours de discussion prospère, car elle comporte des dispositions en ce sens.

Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. La Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) représente la caisse qui gère la sécurité sociale agricole en tant que guichet unique. Dans ce cadre, elle contribue à la branche autonomie de plusieurs façons : elle participe pleinement aux décisions en tant que membre du conseil de la CNSA, ainsi qu’en tant que caisse de retraite. En effet, de longue date, les caisses de retraite du régime général du régime agricole, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales et depuis peu l’Agirc-Arrco agissent ensemble dans le cadre de l’interrégime du bien vieillir. Nous œuvrons à destination de la part de la population qui ne relève pas de l’APA, grâce à des dispositifs d’accompagnement de l’action sociale et de la retraite.

Au-delà des actions collectives de prévention de la perte d’autonomie et du bien‑vieillir, et dans le cadre d’un accompagnement individuel, nous avons travaillé en lien avec la CNSA. Nous avons ainsi créé un formulaire unique de demande d’aide à l’autonomie qui permet au bénéficiaire d’envoyer une demande qui est traitée par les différents acteurs. Ce dispositif simplifie grandement la vie de nos concitoyens.

De nombreuses actions restent encore à mener dans le cadre du SPTA, dans lequel la MSA, comme les autres caisses de retraite, entend pleinement jouer son rôle.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

Mme Caroline Janvier (RE). Nombre de particuliers et d’associations œuvrant auprès de personnes âgées ou handicapées me font part du manque de lisibilité des dispositifs et des politiques publiques. La complexité des démarches entraîne des difficultés pour les usagers et les acteurs, mais aussi pour les législateurs, puisque nous peinons à évaluer l’efficacité des mesures que nous votons – alors même que nous avons engagé des sommes inégalées par le passé dans ce domaine.

La question de la gouvernance revient également fréquemment. Le Ségur, la démarche conduite par M. Laforcade et les avenants 43 et 44 dans le secteur du domicile nous ont permis de revaloriser – et c’était bien légitime – les rémunérations des salariés qui interviennent dans les Ehpad et dans les structures d’aide à domicile. Néanmoins, comme l’ont souligné les syndicats et les fédérations de ce secteur, la manière dont ces revalorisations ont été menées a donné lieu à un certain nombre d’iniquités : le secteur du domicile est une fois de plus le parent pauvre de ces mesures, notamment en comparaison des établissements. En fonction de l’autorité de tarif et de contrôle, qu’il s’agisse des ARS ou des départements, la manière de collecter les informations, de traiter et d’acter ces revalorisations diffère. Je plaide donc à titre personnel pour une nouvelle répartition de ces compétences, appuyée sur la conception d’arrêtés de tarifications pour les ARS et la définition d’une stratégie de l’accompagnement pour les départements – comme le proposait notamment Luc Broussy.

Enfin, plusieurs de structures du secteur du handicap ont témoigné leurs regrets sur leurs liens avec les ARS et leurs délégations territoriales, au niveau départemental, dans un contexte de régionalisation de la montée en compétence de ces structures. Le directeur général de l’ARS Centre-Val de Loire m’a précisé que la reterritorialisation de l’organisation fait partie de sa stratégie : j’y vois une nécessité, ne serait-ce que pour épargner les ARS d’un procès de rigidité, alors qu’elles me paraissent jouer un rôle tout à fait pertinent.

M. Serge Muller (RN). Comme le préconise le rapport que nous avons reçu, il faut rapidement repenser le mode de gouvernance et de financement de la branche autonomie, afin de l’adapter aux besoins exponentiels des années à venir.

Nous devons aussi modifier le paysage institutionnel, source d’une grande complexité pour les usagers : en plus d’avoir une mauvaise, voire, une très mauvaise connaissance de leurs droits, ils doivent faire face à des interlocuteurs bien trop nombreux. Ils restent en outre sans nouvelles sur la loi sur le grand âge.

J’aimerais relever une hypocrisie insupportable de la macronie. Je cite Mme Caroline Janvier : « Au lendemain des révélations de l’affaire Orpea et face à l’émoi qu’elles ont légitimement suscité, la politique de soutien à l’autonomie doit plus que jamais être élevée au rang de nos priorités. Il nous faut garantir aux personnes un accompagnement et une prise en charge à la hauteur des valeurs que nous portons au sein de notre société. »

Je m’adresse à mes collègues : pourquoi avoir refusé nos amendements et nos propositions de loi visant à renforcer le contrôle en Ehpad grâce à des visites inopinées de parlementaires ? Les évolutions apportées consisteront simplement en un élargissement des compétences de contrôle des autorités administratives ; je doute fort que cela crée un changement.

Mesdames et messieurs les directeurs, que pensez-vous de cette mesure ? À mes yeux, c’est une réaction ridicule, face à l’ampleur du scandale Orpea. Lors du prochain PLFSS, nous déposerons des amendements visant à accroître la présence de personnel médical au sein des Ehpad. Chaque établissement doit être doté d’un médecin coordonnateur et une infirmière doit être présente vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c’est essentiel. Or, la LFSS 2023 prévoit seulement de doter les Ehpad de 3 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires. Ce n’est pas assez ! En outre, il ne crée aucune revalorisation salariale notable. C’est donc une mesure encore très insuffisante au vu des besoins immenses de ce secteur et des problèmes de recrutement.

Nous devons faire évoluer les dispositions existantes, en favorisant le domicile à l’Ehpad grâce à des mesures fortes de sens et de symbolisme. Peu nombreux sont en effet les Français qui souhaitent y finir leurs jours – et encore moins depuis le scandale Orpea !

Pour cela, nous devons aller à la rencontre de tous les acteurs. Une association m’a ainsi contacté au sujet de viagers solidaires, qui permettraient à des personnes âgées isolées de vieillir chez elles avec des soins quotidiens à domicile en échange du legs de leur domicile à leur décès. Il existe de nombreuses mesures de ce type à étudier : peu coûteuses, elles privilégient la piste du bienvieillir chez soi.

Or, le Gouvernement nous a seulement proposé, lors du dernier PLFSS, d’offrir dix-sept minutes supplémentaires par jour d’aide à domicile. Franchement, nous nous attendions à mieux, d’autant plus que c’est l’unique mesure en la matière. Selon l’exécutif, cette mesure améliorera le travail des soignants en leur donnant un temps supplémentaire pour se consacrer au lien social : elle leur permettra surtout de rattraper du retard sur certaines tâches ou de mieux les exécuter ! Que pensez‑vous de l’efficacité de cette mesure vis-à-vis des usagers et des soignants ? Il me semble que chacun méritait mieux.

Trop peu de mesures ambitieuses ont été proposées aux aidants familiaux. Marine Le Pen a un grand programme à ce sujet, qui offre notamment une indemnité spécifique de 300 euros mensuels à toute personne faisant le choix de vivre au domicile d’un proche dépendant ou de l’accueillir chez elle : nous devrions en faire la pièce maîtresse de l’autonomie.

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Avec la création de la cinquième branche, vos missions ont été actualisées. Ce positionnement au cœur des dispositifs de prise en charge du handicap et de la perte d’autonomie manque de visibilité et apparaît complexe. Les usagers s’y perdent. N’y a-t-il pas trop d’acteurs impliqués, entraînant une application parfois différenciée de la loi selon les territoires ?

Au niveau de la gouvernance, ne craignez-vous pas un risque d’acteurs juges et parties, puisque les acteurs du conseil du CNSA votent sur les budgets qui lui sont octroyés ?

Quelle est la place du citoyen et de l’usager dans cette cinquième branche ?

Dans les outre-mer et notamment à La Réunion, où la population vieillit beaucoup plus vite qu’ailleurs, se posent avec urgence les questions du maintien à domicile et de l’amélioration des conditions de travail des aides à la personne. Quelle est votre vision pour les outre-mer ?

Enfin, comment comptez-vous répondre aux défis de la CNSA avec une trajectoire financière loin de répondre aux besoins ?

M. Thibault Bazin (LR). Vous avez chacun commenté les nouveaux rôles de la CNSA et votre part dans la transformation en branche de la sécurité sociale au service des personnes âgées. Deux ans et demi après la LFSS 2021, nous semblons être à mi-chemin dans l’atteinte des objectifs fixés – plus d’équité, une réduction de la complexité des prestations avec une organisation plus efficiente, plus de contractualisation.

Sur le sujet de l’équité, il reste beaucoup à faire : certains départements avaient déjà des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ou des tarifs bien au-delà des planchers. Pour autant, il y a un enjeu d’homogénéisation à l’échelle nationale. On constate un manque de données globalisées, des pratiques et des accompagnements différenciés qui ne sont pas toujours vécus de manière juste. Il nous faut davantage de lisibilité dans les dispositifs de soutien et de visibilité dans les mesures préconisées et adoptées. Les rapporteurs recommandent davantage de contractualisation. Or, pour cela, nous devons aller plus loin encore dans la révision du mode de financement.

Une clarification du rôle des centres de ressources territoriaux et des SPTA vis-à-vis de l’évolution des Ehpad est nécessaire. Elle doit nous interroger tant sur les acteurs que sur les bénéficiaires. S’agissant des premiers, le défi concerne la répartition des ressources – notamment humaines – et leur bonne utilisation pour atteindre les objectifs fixés. Or, depuis le Ségur et les autres mesures adoptées, nous nous retrouvons face à de nombreux imprévus, comme l’inflation, les abandons en cours de formation ou encore les demandes d’évolution. Concernant les bénéficiaires, nous n’avons toujours pas résolu l’équation du reste à charge. Nous sommes pris en étau entre des bénéficiaires qui ont peu de moyens – dont la moitié nécessite aujourd’hui le support public à différents niveaux – et des ressources humaines dont les rémunérations ne sont pas suffisamment attractives. Comment la branche peut-elle répondre à cette problématique ?

Si nous partageons les objectifs, la question des moyens – qui n’est pas seulement financière – est fondamentale. Il est terrible que des personnes qui ont monté des résidences pour personnes âgées se voient aujourd’hui attribuer les mêmes missions que celles d’un Ehpad. La durée de vie en maison de retraite a diminué de manière très importante. Le besoin en accompagnement des personnes accueillies n’est pas le même. Aussi, comment articuler l’actualisation des besoins et les moyens à y consacrer ?

M. Jérôme Guedj (SOC). Certaines des mesures du PLFSS devaient être renvoyées à des discussions ultérieures. Monsieur Dujol, vous avez évoqué les heures de lien social – comme vous, je ne suis pas très favorable à l’appellation « heures de convivialité ». Pendant les débats autour du PLFSS, il nous a été indiqué que cette mesure serait co-construite avec les départements. En mai 2023, où en est cet accord ? Le budget s’élève à 230 millions d’euros à l’horizon 2026. Or, les départements peuvent avoir la tentation de lorgner ces financements pour autre chose que la mise en œuvre de ces actions.

La LFSS prévoit 3 000 postes supplémentaires en Ehpad. Si la communication du Gouvernement sur ce sujet est bien légitime, il est difficile d’assurer la traçabilité de ces mesures. Ma question ne porte pas tant sur l’atteinte de la cible – bien que j’aie noté, monsieur Dujol, que vous évoquiez l’horizon 2030, alors que le Président de la République visait quant à lui le terme de son quinquennat, mais sur l’affectation des postes, ARS par ARS. Où précisément sont‑ils créés ?

Monsieur Von Lennep, à quoi seront alloués les 2,5 milliards d’euros tirés de la CSG ?

Vous avez évoqué 80 postes supplémentaires au titre de la COG. Avez-vous enfin obtenu les postes de missions de pilotage des politiques de lutte et de coordination sur l’isolement que Bercy refusait de vous octroyer ?

Par ailleurs, nous avons réalisé de belles avancées dans cette commission et dans la proposition de loi sur la société du bien‑vieillir ; mais je ne comprends toujours pas pourquoi vous ne révisez pas le formulaire de demande d’APA pour le flux à venir et non plus pour le stock, ce qui permettrait de recueillir le consentement de la personne au moment où elle émet sa demande.

Vous avez d’ailleurs fait référence à cette proposition de loi : vous êtes-vous livré à un chiffrage indicatif de son impact sur vos trajectoires ?

Cette proposition de loi vise à créer un Conseil national de l’autonomie : madame Magnant, qu’attendez-vous de cette instance, et comment s’articulera-t-il avec les missions de la CNSA et son conseil ?

Au moment où la tarification à l’activité pour l’hôpital va être remise en cause, l’application de l’outil Serafin-PH – qui y ressemble fortement – est-elle pertinente ?

M. François Gernigon (HOR). Le travail des trois rapporteurs sur l’article 32 de la LFSS 2021 a mis en lumière ce que nous avons également pu aborder au cours de la discussion sur la proposition de loi sur la société du bien‑vieillir : la création de cette cinquième branche en 2020 avec la CNSA, malgré son importance cruciale, n’a pas tout résolu. Le besoin de clarifier une gouvernance trop complexe est devenu évident pour le bénéfice aussi bien des professionnels que des personnes âgées elles-mêmes. Il est notamment primordial que le SPTA élaboré et proposé par le Gouvernement soit établi de manière à offrir une véritable solution de simplification pour tous les usagers.

On voit bien sur le terrain que le manque de clarté et d’accessibilité des services publics représente l’un des principaux freins à l’accès des personnes aux prestations auxquelles elles ont droit. De plus, le financement de ces progrès sans précédent doit être clarifié pour compléter la disposition déjà proposée et votée, et pour garantir une meilleure visibilité sur les futurs financements qui devront être prévus dans la LFSS 2024.

Enfin, les progrès réalisés lors du dernier mandat ont été particulièrement importants. Cependant, il est nécessaire de les compléter aujourd’hui, en consacrant à la CNSA des moyens plus importants pour qu’elle effectue correctement ses missions et qu’elle apporte plus d’égalité d’accès dans les territoires.

L’enveloppe supplémentaire évaluée à 10 milliards par an d’ici 2030 sera-t-elle suffisante ? Avez-vous une vision prospective des ressources nécessaires, au regard des besoins correspondant au cahier des charges imposé au SPTA et du nombre croissant des bénéficiaires et des personnes en situation de handicap qui deviennent âgées ? Ces ressources et ces besoins viendront nourrir le plan pluriannuel piloté par la Conférence nationale de l’autonomie.

M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Vous expliquez que la cinquième branche est une branche de la sécurité sociale au même titre que les autres ; or, ce n’est pas tout à fait le cas – et c’est d’ailleurs une partie du problème auquel nous sommes confrontés depuis sa création. En effet, elle diffère par son mode de gouvernance, mais aussi de financement – assuré à 90 % par l’impôt via la CSG. Cette particularité, qui alimente la confusion entre ce qui doit relever de la politique publique et de la sécurité sociale, tend cependant à être clarifiée au profit d’une étatisation plus poussée de la sécurité sociale. Nous en avons d’ailleurs le témoignage aujourd’hui.

Cette cinquième branche a été créée alors même qu’était entériné le transfert de la dette sociale à la Cades, caisse à l’origine provisoire, dont la fonction était d’apurer les dettes de la sécurité sociale. Elle a finalement été prolongée jusqu’en 2033, en raison du transfert de la dette covid, alors que ses résultats devaient permettre de financer l’autonomie.

Ces conjonctions me semblent révélatrices de nombreux problèmes. Depuis la création de la cinquième branche, nous attendons un projet politique, qui, comme l’évoquait Monique Iborra, fait défaut, pour lui donner une impulsion véritable. C’est avant tout un haut niveau de protection sociale pour tous qui doit être garanti ; vient ensuite le service – public – rendu, à la fois pour l’accompagnement à domicile et les établissements. Aussi, combien de places seront‑elles créées, et combien de personnes pourront‑elles être accompagnées ? Qui prendra ces services en charge ? Après le scandale Orpea, il est légitime de se poser ces questions.

S’agissant des personnes en situation de handicap, enfants ou personnes vieillissantes, le déficit de places en institution est criant. Comment relever ce défi ?

Le rapport d’évaluation montre l’intérêt de la création du FIVP, ce qui ouvre deux champs d’investigation. Le premier est celui de la reconnaissance et de la prise en charge de la santé environnementale, sujet majeur qui ne relève pas entièrement de la branche AT-MP. Par ailleurs, que compte-t-on faire de la branche AT-MP, conquête sociale décisive, mais maintenue dans une situation de sous-emploi ? Le phénomène de sous-déclaration est massif. La commission dédiée de la Cour des comptes remet un rapport sur le sujet tous les trois ans : en 2021, elle a estimé que le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles qui aurait dû être déclaré représentait une fourchette allant de 1,2 à 2,1 milliards d’euros. Les derniers chiffres rendus publics sur les morts au travail ne peuvent que nous inviter à agir de manière vigoureuse. En outre, l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles demeure faible au regard des préjudices subis. D’un point de vue budgétaire, la branche AT-MP se trouve excédentaire : c’est ainsi que l’on vient y piocher des fonds pour alimenter d’autres actions, alors qu’il faudrait développer les réponses que la branche peut apporter aux salariés en matière de santé au travail. J’en veux pour preuves les dernières décisions prises dans la LFRSS, qui, une nouvelle fois, mettent à disposition les fonds de la branche des entreprises, alors qu’ils devraient relever d’actions qui ne sont pas de même nature.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je passe maintenant la parole aux autres orateurs.

Mme Annie Vidal (RE). La création de la cinquième branche en 2020 était le fruit d’un travail important et d’une volonté politique forte de soutien à l’autonomie. Cette nouvelle branche vise à garantir plus d’équité, moins de complexité et plus d’efficience : nous pouvons féliciter la CNSA d’avoir accepté de relever le défi à l’époque. Notre volonté reste prégnante : nous avons encore du chemin à parcourir. C’est la raison pour laquelle nous avons créé le service public territorial de l’autonomie dans le projet de loi sur la société du bien‑vieillir.

Je souhaitais revenir sur deux points saillants du rapport : le premier concerne les difficultés rencontrées par la CNSA eu égard au fonctionnement singulier de la caisse. Le second porte sur la nécessité de réformes pour que la CNSA puisse jouer pleinement son rôle. Partagez-vous ces points de vue ? Quelles actions entendez-vous mener pour faire face à ces difficultés ?

Comme Jérôme Guedj, je m’étonne de la trajectoire de recrutement à horizon 2030 des 50 000 postes : l’échéance 2027, que nous avons votée, doit être tenue ; par ailleurs, les deux heures doivent bien s’ajouter au plan d’aide. Je ne suis pas certaine de l’avoir compris de cette manière dans vos réponses.

Mme Laurence Cristol (RE). L’un des objectifs de la création de la cinquième branche et des nouveaux rôles de la CNSA est bien une organisation plus efficiente de la politique de l’autonomie. Pour y concourir, l’Assemblée nationale a adopté à une très large majorité le SPTA, qui doit entrer en vigueur au plus tard au 1er janvier 2025. Sa mise en œuvre est à la fois une grande promesse pour les usagers, puisque l’un de ses objectifs, à terme, est la simplification du parcours, mais aussi un immense défi auquel nous devons nous préparer à répondre tant en matière de structuration que de formation et d’acculturation des professionnels.

C’est pourquoi la structuration et la mise en œuvre du SPTA figuraient déjà dans les engagements de la COG 2022-2026 de la CNSA. Y apparaît notamment le principe de territoire préfigurateur d’un cahier des charges national. Dans quel calendrier cette phase de préfiguration – qui me paraît indispensable – sera-t-elle déployée ? La CNSA dispose-t-elle des moyens et des leviers nécessaires pour accompagner la création du SPTA d’ici son entrée en vigueur ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons à la présentation de l’évaluation sur le fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

M. Paul Christophe, rapporteur. Mon rapport concerne l’évaluation du FIVP, créé par la LFSS 2020. Ce dispositif existe ainsi depuis près de trois ans, même si la crise du covid en a perturbé la mise en œuvre.

Je tiens d’abord à remercier les équipes du FIVP, de la MSA, des ministères de l’agriculture et de la santé, ainsi que les associations que j’ai auditionnées et que je sais pleinement investies dans le déploiement de ce dispositif.

Je rappelle que le FIVP est à l’origine une initiative parlementaire, puisque la sénatrice Nicole Bonnefoy avait déposé une proposition de loi sur le sujet, reprise par notre collègue Dominique Potier. Cependant, son examen n’avait pu être mené à terme. La ministre de l’époque, Agnès Buzyn, s’était alors engagée à intégrer le dispositif dans le PLFSS 2020. Celui qui a été retenu différait en réalité du projet porté par nos collègues et l’association Phyto‑Victimes, qui joue depuis longtemps un rôle actif pour défendre cette cause.

Je rappelle que le fonds n’a vocation en aucune manière à se substituer aux demandes de réparation des préjudices subis devant la justice. En effet, il a pour objectif de faciliter les démarches de reconnaissance des maladies professionnelles. La création du FIVP vise en premier lieu à simplifier les demandes d’indemnisation en les centralisant, et à harmoniser au niveau national les décisions rendues – que ce soit la reconnaissance des maladies professionnelles, la détermination du taux d’incapacité permanente et le niveau d’indemnisation. Le fonds vise aussi à mieux indemniser les exploitants agricoles : sa création a permis d’aligner les indemnisations sur celles, plus favorables, des salariés agricoles, grâce au versement d’un complément. Il prend également en charge les retraités agricoles exposés aux pesticides et qui ont pris leur retraite avant la création du régime AT-MP obligatoire le 1er avril 2002. Ces personnes ne pouvaient prétendre à une indemnisation, même si leur pathologie était bien liée à une exposition professionnelle. Enfin, le fonds propose une indemnisation pour les enfants exposés aux pesticides pendant la période prénatale, du fait de l’exposition professionnelle de l’un ou des deux parents, et qui a provoqué une pathologie chez l’enfant. Ceux-ci peuvent bénéficier d’une réparation forfaitaire sur la base d’un barème ad hoc.

Le fonctionnement, l’organisation et les modalités d’indemnisation des victimes de pesticides ont été définis par le décret du 27 novembre 2020. L’instruction des demandes et la gestion du fonds ont été confiées à la MSA, pour le compte du régime général du régime agricole, salarié et non-salarié, et du régime local d’Alsace-Moselle. La caisse MSA Mayenne Orne Sarthe a quant à elle été mandatée par le fonds pour étudier les demandes d’indemnisation des maladies.

La création du FIVP a entraîné une hausse très nette du nombre de demandes d’indemnisation : en effet, ce dernier a été multiplié par trois en trois ans. Le FIVP a ainsi reçu 650 dossiers en 2022, contre 326 en 2021 et 226 en 2020. Ces demandes émanent majoritairement des exploitants agricoles. À l’inverse, les demandes pour le compte des enfants – une dizaine – demeurent très marginales à ce stade.

Pourriez-vous nous présenter plus en détail le bilan chiffré de l’activité du fonds, en nous indiquant combien de personnes ont pu être indemnisées à ce jour et à hauteur de quel montant en moyenne ? Quelle part des dossiers a reçu une réponse positive et quelles sont les principales pathologies concernées ?

La création des tableaux relatifs au cancer de la prostate, dont le lien avec l’exposition aux pesticides a été établi, a facilité la reconnaissance de cette maladie et l’accord d’indemnisations. Des changements législatifs, comme l’extension de la définition de pesticides aux antiparasitaires vétérinaires, ou la possibilité pour les travailleurs agricoles ultramarins qui relèvent du régime général de bénéficier des tableaux du régime agricole – c’est l’article 104 de la LFSS 2022 – ont également permis d’assouplir l’accès au fonds.

Je voudrais également vous interroger sur les actions mises en œuvre pour poursuivre le déploiement du FIVP, qui semble avoir rencontré des difficultés parfois importantes. La montée en charge du fonds est facilement observable dans plusieurs régions comme en Bretagne, dans les Pays de la Loire, les Hauts-de-France ou la Nouvelle-Aquitaine. Toutefois, le démarrage a été plus lent aux Antilles, où le sujet, on le sait, est particulièrement sensible. Je tiens d’ailleurs à saluer les actions menées par les équipes du FIVP en lien avec le plan Chlordécone IV au titre de la formation des agents des caisses générales de sécurité sociale de Martinique et de Guadeloupe : je pense à l’organisation de réunions et de campagnes d’information et d’accompagnement des demandeurs dans la préparation des dossiers par l’association Phyto-Victimes en Martinique.

Le dispositif reste encore largement méconnu de ses potentiels bénéficiaires. Or, il apparaît indispensable de communiquer davantage sur le fonds, que ce soit auprès des travailleurs agricoles, afin qu’ils aient connaissance de leurs droits, mais aussi auprès des professionnels de santé pour leur permettre de repérer rapidement des maladies pouvant avoir un lien avec l’exercice professionnel, ainsi que les possibles conséquences chez l’enfant d’une exposition aux pesticides pendant la période prénatale.

Pourriez-vous présenter les actions qui seront conduites dans les prochains mois dans cette optique ? Il m’a été indiqué en audition qu’il sera sans doute nécessaire de renforcer les moyens du fonds pour informer plus largement les potentiels bénéficiaires. Quels moyens supplémentaires seraient alors alloués au FIVP à cet effet ?

Enfin, je voudrais revenir sur la question du périmètre et du financement du fonds. De nombreuses personnes qui ont pu être exposées aux pesticides dans le cadre de leur activité professionnelle, comme des agents de la fonction publique ou de la SNCF, ou dans le cadre de leur lieu de vie, ne sont pas couvertes par le fonds. Une évolution de son périmètre vous paraît‑elle envisageable et souhaitable ?

S’agissant du financement, le fonds est aujourd’hui alimenté par des cotisations AT‑MP et le produit d’une taxe sur les produits phytosanitaires. Pensez-vous que ce financement est viable au regard de la montée en charge du FIVP et de la possibilité que les ventes de produits phytosanitaires diminuent ? Ne faudrait-il pas envisager, à terme, une participation de l’État que certains tiennent pour partie responsable de la situation au financement du fonds ?

M. Elie Califer (SOC). Je voudrais vous remercier pour ce travail d’évaluation, toujours utile aux législateurs que nous sommes pour contrôler la bonne application des lois et, surtout, pour corriger les dispositifs qui se révéleraient inopérants.

L’analyse de la mise en œuvre du FIVP, créé en 2020, est instructive : elle en dit long sur les efforts qu’il nous reste à faire pour certaines victimes des pesticides. Je voudrais parler de celles qui, par milliers, ont été empoisonnées par le chlordécone. Le rapporteur note dans son évaluation que les potentiels bénéficiaires de ce fonds aux Antilles rencontrent de nombreuses difficultés pour prouver que leur maladie a un lien avec leur activité professionnelle. C’est un véritable drame.

Le rapporteur formule par ailleurs des recommandations sur un élargissement du périmètre et du financement de ce fonds. Que pensez-vous de la création d’un fonds spécifique aux victimes du chlordécone, à la mesure du drame vécu, indemnisant toutes les personnes malades exposées, ainsi que les acteurs économiques – et notamment les pêcheurs – qui souffrent des mesures de restriction ? Cette voie, à mon sens, est la seule capable de répondre à la catastrophe sanitaire, environnementale et économique à laquelle nous faisons face en Guadeloupe et en Martinique.

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). Ce fonds, créé en 2020, a connu une hausse très nette du nombre de demandes d’indemnisations. 87 % des demandes concernent des travailleurs de l’agriculture et 64 %, des exploitants agricoles.

Alors que le plan Chlordécone IV a été lancé en 2021, le nombre de dossiers instruits issus des outre-mer reste infime : en 2021, le fonds a reçu deux dossiers de Guadeloupe et neuf de Martinique. Pourtant, l’étude Matphyto DOM a estimé qu’en 1989, 77 % des 12 700 travailleurs de la banane aux Antilles avaient été exposés au chlordécone. En cause : le retard pris par le Gouvernement pour publier le décret, paru seulement en décembre 2021. Par ailleurs, jusqu’au 30 décembre 2022, les demandes déposées ont été prises en compte, quelle que soit la date d’apparition de la maladie. Or, depuis le 1er janvier 2023, ce sont les règles de prescription du droit commun qui s’appliquent. Il faut désormais présenter sa demande dans les deux ans qui suivent le premier certificat médical attestant de symptômes liés à l’exposition. Combien de victimes resteront-elles non déclarées et non indemnisées ? Il est certainement possible, sur le plan juridique, d’appliquer une exemption au droit commun dans ce domaine spécifique.

Enfin, le FIVP reste largement méconnu de ses éventuels bénéficiaires. N’y aurait-il pas lieu de mettre en place des campagnes de communication, tant à destination des travailleurs agricoles que des professionnels de santé, pour un diagnostic rapide des maladies liées aux activités professionnelles ?

M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale. Vous soulignez l’augmentation forte des demandes, en 2022, largement liée à la création du tableau dédié aux cancers de la prostate provoqués par les pesticides. Pour les personnes qui en sont exclues, une voie complémentaire existe : elle passe par une commission d’évaluation. Le cancer de la prostate concernant la moitié des dossiers reçus en 2022, cette avancée était importante.

S’agissant du périmètre et du financement, les régimes spéciaux bénéficient de leur propre dispositif d’indemnisation. À ce jour, nous avons échangé avec de grandes entreprises nationales où un risque d’exposition a été identifié. Elles nous ont indiqué préférer en rester à leur propre dispositif. Si elles demandaient toutefois à s’inscrire dans le FIVP, leur souhait serait examiné.

Le financement nous paraît viable à court terme. Si, à moyen terme, l’assiette de financements assurés par la vente de produits phytosanitaires diminue, de nouvelles sources de financement devront cependant être recherchées en loi de financement.

Nos actions de communication, en métropole et spécifiquement aux Antilles, sont déjà lancées. Elles restent sans doute insuffisantes : un effort particulier, reposant notamment sur une démarche d’« aller vers », doit être mené aux Antilles – le Gouvernement y réfléchit. Par ailleurs, les enjeux de l’exposition au chlordécone dépassent largement le seul fonds.

Madame Janvier, vous soulignez une attente de lisibilité des politiques publiques. Dans le champ de la protection sociale, la complexité est omniprésente : l’enjeu de simplification est réel, mais il doit se doubler d’une démarche d’« aller vers », afin d’accompagner la bonne application des politiques publiques.

Les revalorisations salariales dans le secteur ont bien été mises en œuvre : le Ségur, notamment, a dédié plus de 3 milliards d’euros à cette politique.

Monsieur Ratenon, notre défi est en effet de réussir à structurer cette branche dont les acteurs sont très nombreux.

Messieurs Bazin et Dharréville, l’amélioration du plan d’aide et le crédit d’impôt ont permis une réduction du reste à charge à domicile. Cependant, en établissement, la question se pose depuis quinze ans : tous les gouvernements ont fait le choix d’investir dans l’offre davantage que d’agir sur le reste à charge, afin qu’il y ait davantage de professionnels – et récemment, qu’ils soient mieux payés grâce au Ségur. Ce choix est partagé, y compris par le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge et les parties prenantes : l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) personnes âgées est beaucoup plus dynamique que l’Ondam moyen depuis quinze ans.

Monsieur Guedj, la branche est en léger excédent entre 2024 et 2026, parce qu’elle finance les mesures attendues par le secteur.

Enfin, monsieur Dharréville, vous m’interrogez sur la branche AT-MP. La sous‑déclaration est évaluée par une commission. Nous devons en effet réduire ce phénomène. Il est par ailleurs révélateur d’une problématique de financement. En effet, le transfert des AT‑MP vers la branche maladie au titre de la sous-déclaration a été augmenté à 1,2 milliard d’euros. Il reste au bas de la fourchette évaluée par la commission. Plutôt que d’augmenter ce transfert, en réalité, nous souhaiterions constater une meilleure déclaration dans les entreprises. C’est l’un des objectifs de la future COG. Il me semble cependant que l’utilisation d’excédents de la branche pour augmenter les financements au titre de la prévention de la future COG ou du Fipu est conforme à nos objectifs. Lorsque l’accord national interprofessionnel des partenaires sociaux sera rendu public, vous pourrez constater notre volonté de redoubler les efforts de la branche en matière de prévention.

M. Jean-Benoît Dujol, directeur général de la cohésion sociale. Pour bien prendre en charge des personnes âgées ou handicapées, il faut coordonner des interventions à la fois multiples et techniques. La complexité que vous soulignez est donc irréductible ; mais l’enjeu des politiques publiques est de l’internaliser, pour que l’usager accède aussi facilement que possible aux services. C’est par exemple le cas du formulaire MDPH. Saisir dans sa singularité la situation de ces personnes est un exercice multidimensionnel : cependant, nous devons développer les démarches de l’« aller vers » et d’accompagnement des personnes pour masquer la complexité auprès des usagers et faciliter l’accès à leurs droits.

La mesure de lien social pour les bénéficiaires de l’APA consiste bien en deux heures supplémentaires. Dans un contexte où les plans sont contraints, il pourrait en effet être tentant d’utiliser ces deux heures à une autre fin : nous serons donc vigilants. Nous engagerons à la fin de ce mois avec les départements un travail de définition des conditions qui nous permettront de nous assurer que ces deux heures seront bien dédiées à des actions de lien social.

L’horizon de création des 50 000 postes est bien l’année 2027. Pour garantir sa réalisation, nous pourrons suivre le recrutement effectif des ETP et l’augmentation du temps d’encadrement en Ehpad, car un tableau des emplois est prévu en annexe des états réalisés de recettes et de dépenses. Nous avons bien les moyens, l’ambition et la volonté d’exécuter la décision que vous avez votée.

Vous vous inquiétez de voir en Serafin-PH un retour à la tarification à l’activité, alors que ce modèle est remis en cause dans le secteur sanitaire. Il s’agit d’une réforme de la tarification, qui vise à personnaliser et à faciliter les parcours de vie, en cassant la logique de places en établissement au bénéfice d’une prise en charge continue du projet de la personne. Ce n’est donc pas, selon moi, une tarification à l’activité, bien qu’elle soit modulée en fonction des caractéristiques et des besoins de la personne. Cette réforme a pour ambition d’accompagner les personnes et de déclencher une véritable transformation de l’offre. Ce travail complexe, engagé il y a dix ans, doit désormais produire des effets assez rapidement.

Vous avez évoqué les contrôles dans les établissements. Nous avons pris toute la mesure des conséquences du scandale Orpea et de la publication des Fossoyeurs. Le Gouvernement a engagé une série de mesures de transformation et de moralisation du secteur. Les LFSS successives, et notamment la dernière, comportent un volet important de renforcement de ces mesures de transparence, vis-à-vis des autorités de tarification comme des usagers. Nous avons également engagé un plan de contrôle exhaustif et systématique des 7 500 Ehpad. Il est en cours de déploiement. Dans ce cadre, des effectifs complémentaires ont été recrutés pour les ARS. La première salve de contrôles a été déployée au premier semestre de l’année dernière, afin de calibrer notre méthode. Depuis, nous exécutons ces contrôles, sur pièce ou sur place. Le taux de réalisation est variable selon les régions. Nous aurons l’occasion de faire un point détaillé d’ici la fin du semestre. En tout cas, nous n’avons pas découvert de dysfonctionnements aussi prononcés que ceux liés au groupe Orpea.

Les aidants représentent une contribution indispensable à la prise en charge des personnes. Le Gouvernement est pleinement conscient de la nécessité de leur concours : c’est la raison d’être de la stratégie nationale pour les aidants, qui courait jusqu’en 2022. Un bilan en a récemment été tiré. D’ici l’automne, une nouvelle stratégie sera publiée. Elle mettra sans doute l’accent sur les enjeux du répit, car nous devons accompagner les aidants dans l’exercice de leurs responsabilités. Un travail important a été mené par l’Inspection générale des affaires sociales ces derniers mois afin de recenser différentes solutions. Des financements ont permis de développer des expérimentations originales en ce sens.

Mme Virginie Magnant, directrice de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Notre système de protection sociale est en effet complexe, parce qu’il est riche de prestations et d’offres de service. Les réformes de politiques publiques consistant à développer de nouveaux droits et de nouvelles solutions, que vous avez votées, ont en effet enrichi la palette des réponses possibles à la diversité des situations.

Dans le cas du handicap et des prestations individuelles en soutien aux personnes, les droits ont été profondément transformés avec la possibilité de mobiliser, pour les personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évolution favorable, ces droits à vie. Les équipes doivent s’approprier ces nouvelles démarches.

De même, la prestation de compensation du handicap (PCH) a été élargie au soutien aux familles, avec la création du volet parentalité, qui permet de mobiliser des aides techniques pour soutenir les parents de personnes en situation de handicap. Cette réforme, réclamée de longue date, a été actée en 2020. Elle a rapidement trouvé son public.

On peut encore citer l’élargissement de la PCH aux heures de ménages : alors que les personnes de plus de 75 ans ne pouvaient pas faire ces démarches, elles en ont désormais la possibilité.

Enfin, l’élargissement au 1er janvier 2023 de la PCH aux publics souffrant de troubles psychiques ou du spectre autistique représente une avancée considérable.

Notre système est complexe ; lors de son intervention devant les membres du conseil de la CNSA au moment de la création de la cinquième branche, Antoine Durrleman avait rappelé que ces élargissements constituaient un moteur fort de la protection sociale : la couverture maladie universelle ne s’est pas faite en un jour. Or, l’expansion du périmètre de protection se traduit en effet par une complexité accrue. La seule manière de la gérer repose sur des professionnels bien formés : il nous reste encore des efforts très importants à faire dans ce domaine. La CNSA a pris sa part en formant plus de 4 000 professionnels des MDPH en 2022 sur les fondamentaux de ces prestations. Par ailleurs, le SPTA contribuera à rendre les guichets plus accessibles. À ce titre, je souligne l’importance de rendre ces guichets facilement identifiables pour les usagers, grâce à l’apposition d’un logo reconnaissable ; surtout, parce que les acteurs sont nombreux, nous devrons garantir aux personnes une prise en charge par un interlocuteur unique.

Les progrès dans cet accompagnement peuvent être jugés modestes, deux ans après la création de la CNSA et un an après la signature de sa COG ; l’atteinte du dernier kilomètre prend un peu de temps. La COG 2022-2026 était perçue par les membres du conseil eux-mêmes comme une première étape vers 2030, horizon du pic de la transition démographique. Notre feuille de route vise à nous faire progresser à horizon 2026, afin qu’à partir de ce jalon intermédiaire, forts d’un guichet intégré à cette date et d’une offre transformée et modernisée, nous disposions d’un socle solide avant la prochaine COG.

Nous avons des objectifs de développement et de diversification des solutions d’accompagnement dans les champs de l’âge et du handicap. Je vous confirme, d’ailleurs, que les ressources plus importantes allouées à la cinquième branche lui ont permis de dégager des moyens pour soutenir un plan de rattrapage de l’offre à destination des personnes âgées dans les territoires ultramarins et insulaires – intégrant la Corse. Ce sont 80 millions d’euros de crédits pour le fonctionnement de nouvelles possibilités d’accompagnement par des établissements ou des services à destination des personnes âgées sur cinq ans, et 75 millions de crédits d’investissement pour soutenir le développement de l’offre. S’agissant de La Réunion, l’ARS et la collectivité ont travaillé conjointement à la programmation de l’offre qui sera ouverte par ces crédits : le but n’est pas de décliner de manière identique des taux d’équipement calqués sur l’organisation métropolitaine – alors que l’offre Ehpad n’est adaptée ni à la culture, ni à la géographie, ni aux besoins de la population réunionnaise –, mais de mailler le territoire avec de plus petites unités de vie, d’une quinzaine à une vingtaine de places.

Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales à la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole. Le FIVP est récent. Il a été créé par l’État en pleine crise sanitaire. Sa montée en charge a toutefois été très rapide. En effet, on compte 226 demandes en 2020, 326 en 2021 et 650 en 2022, soit une augmentation de 300 % en trois ans. Cette augmentation est due à plusieurs facteurs. Le premier est l’évolution du tableau des maladies professionnelles, qui intègre désormais la maladie de Parkinson et le cancer de la prostate pour les régimes agricole et général. Les avancées de la recherche scientifique, soutenue notamment par l’Inserm, ont également contribué à l’augmentation de ces demandes, en améliorant la connaissance sur les liens entre une exposition professionnelle et les pathologies pouvant donner lieu à une demande et à une indemnisation. Les évolutions législatives sont aussi favorables au développement de ces demandes : je pense à l’extension aux produits antiparasitaires vétérinaires ou à la possibilité pour la population française d’outre-mer qui exerce une activité agricole de bénéficier des tableaux du régime agricole depuis la LFSS 2022. Enfin, même si nous devons encore fournir des efforts, l’information et la communication menées ont permis une meilleure connaissance de différents acteurs – victimes potentielles, professionnels de santé, associations de victimes et organismes concernés.

Le dispositif de communication intègre un site internet, une ligne téléphonique dédiée et des liens de contact privilégiés avec les associations de victimes.

Sur ces 650 demandes, 482 dossiers ont été instruits et notifiés ; 168 sont en cours de complément. Le taux de réponse positive est de 85 %, soit 408 réponses, contre 75 % en 2021.

La population concernée par ces demandes est composée à 92 % de travailleurs agricoles, dont 72 % de non-salariés agricoles – chefs d’exploitation ou chefs d’entreprises agricoles. 93 % des dossiers concernent la métropole. La première pathologie est le cancer de la prostate : il correspond à 38 % des accords. Les trois principaux secteurs d’activité concernés par ces demandes sont la polyculture élevage, les cultures céréalières et de légumineuses et la viticulture : ils représentent 62 % des demandes.

Le montant total d’indemnisation s’élève à 6,7 millions d’euros, dont 3,7 millions de compléments pour les non-salariés agricoles.

Les actions menées se sont concentrées sur trois thématiques. La première concerne les enfants : en effet, le démarrage est pour le moins timide au regard du nombre de dossiers déposés concernant les enfants exposés pendant la période prénatale. On compte une douzaine de dossiers pour 2022. Pour aller plus loin, nous avons entamé des travaux avec le ministre de l’agriculture, la direction de la sécurité sociale et le FIVP pour élaborer des outils d’information, notamment une plaquette à destination des professionnels de santé. Nous souhaitons établir des actions d’« aller vers » les professionnels de santé tels que les gynécologues et pédiatres, qui pourraient orienter certains de leurs patients.

Par ailleurs, nombre de non-salariés agricoles pourraient bénéficier du complément. Au‑delà de la communication, nous souhaitons établir une action davantage ciblée, d’« aller vers », s’adressant directement aux 500 non-salariés agricoles identifiés comme pouvant potentiellement demander ce complément.

Enfin, des actions très importantes ciblent les Antilles, sachant que le FIVP s’inscrit dans le plan Chlordécone du Gouvernement. Nous menons des actions d’information et de formation pour faciliter le dépôt des dossiers et les actions de terrain. Chaque caisse locale reste en effet le premier interlocuteur des demandes, avant de pouvoir les transmettre pour gestion au FIVP. Nous travaillons avec la Caisse nationale de l’assurance maladie, dont relèvent les caisses générales de sécurité sociale, pour accélérer cet accompagnement, ainsi qu’avec les associations, comme Phyto-Victimes en Martinique, qui jouent un rôle majeur auprès des populations éprouvées par la crise du chlordécone, et qui peuvent ressentir une forme de méfiance envers les services publics et l’État.

Vous avez évoqué les professionnels de la SNCF ou les agents du service public qui auraient pu être exposés à des pesticides dans le cadre de leur activité. La volonté du législateur étant de viser une harmonisation et une équité de traitement des professionnels concernés en créant le FIVP, je peux comprendre votre argument. Cependant, comme l’a rappelé le directeur de la sécurité sociale, chaque régime a vocation à gérer ses propres risques professionnels. Les victimes potentielles environnementales, en revanche, n’entrent pas dans le cadre du FIVP tel qu’il était prévu.

Sur les moyens et les questions de financement, il faut distinguer deux sujets. Concernant le financement du fonds en lui-même pour indemniser les victimes potentielles, nous sommes encore en phase de montée en charge : il est donc encore trop tôt pour envisager la suite. Si la vocation du FIVP est bien de couvrir un maximum de demandes et de victimes, il faudra bien sûr réinterroger les modalités de financement. Par ailleurs, le deuxième volet de financement est celui de l’organisation et de la gestion du fonds. Nos besoins ont été entendus par la direction de la sécurité sociale : quelques ETP supplémentaires ont permis de répondre à un besoin immédiat face à une forte augmentation du nombre de demandes. Les actions de communication et d’« aller vers » nécessiteront de doter le fonds d’un budget de fonctionnement et de communication, car il n’en dispose pas aujourd’hui.

Mme Monique Iborra, rapporteure. Nous avons entendu que vous aviez besoin d’outils et de temps. Il nous faut quant à nous de la clarté et de l’efficacité, car nous sommes obligés d’informer nos concitoyens des résultats de ce que nous votons. Or, nous sommes rarement en mesure de le faire. Ces réunions peuvent nous y aider ; nous demanderons à la commission de poursuivre chaque année l’exercice auquel nous nous sommes prêtés ce soir, pour suivre l’évolution des dispositifs et vous demander, lorsque cela est nécessaire, d’accélérer encore leur mise en œuvre afin de répondre aux demandes de nos concitoyens.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie.

 

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3.   Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9 heures 30

Dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, la commission organise une table ronde sur les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale relatives à l’assurance maladie réunissant M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale, Mme Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins, Mme Danielle Metzen-Ivars, cheffe de service des politiques d’appui au pilotage et de soutien à la direction générale de la santé, et M. Patrick Risselin, secrétaire général auprès du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie, et M. Thomas Fatôme, directeur général de Caisse nationale de l’assurance maladie ([125]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous concluons ce matin nos travaux sur le Printemps social de l’évaluation en abordant la branche maladie. La rapporteure générale et les rapporteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss) présenteront trois évaluations de dispositions adoptées dans de précédentes lois de financement de la sécurité sociale concernant la mise en place du dispositif « MonParcoursPsy », les entretiens postnataux puis les innovations récentes dans le financement des établissements de santé. Les responsables des administrations et caisses, que je remercie d’avoir accepté notre invitation, pourront ensuite répondre aux rapporteurs.

Je passerai alors la parole aux orateurs des groupes puis aux autres commissaires. Ils pourront réagir aux évaluations présentées par les rapporteurs, mais aussi poser aux participants de notre table ronde des questions sur la branche maladie.

M. Jérôme Guedj, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Avec le coprésident Cyrille Isaac-Sibille, nous achevons ce matin ce cycle d’auditions par une table ronde consacrée à l’assurance maladie, qui a suscité à l’intérieur de la Mecss plusieurs propositions de travaux par les rapporteurs. Je voudrais vraiment vous remercier, mesdames et messieurs les directeurs, d’être présents à nouveau ce matin pour répondre à nos questions.

Pourquoi de nombreux rapports sollicités ? Parce que dans les dernières lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), plusieurs actualités ont rythmé l’activité de l’assurance maladie. C’est vrai depuis l’adoption de la dernière LFSS. Nous pensons évidemment aux négociations conventionnelles avec les syndicats de médecins et à l’échec de la mise en place d’une procédure de règlement arbitral le 1er mars dernier. Rédigé sous l’égide d’Annick Morel, il est entré en vigueur par arrêté le 1er mai dernier. Il comportera notamment une revalorisation de 1,50 euro du tarif des consultations de médecins, soit une consultation des médecins généralistes à 26,50 euros et des médecins spécialistes à 31,50 euros.

D’autres mesures dans ce règlement arbitral visent à faciliter le recours à des assistants médicaux ou la prise en charge de soins programmés. Je ne doute pas qu’un certain nombre de collègues auront des questions sur le sujet, comme ils en auront de manière plus large sur le fonctionnement de l’hôpital public, les déserts médicaux ou l’accès aux soins ; autant de sujets que l’on évoque régulièrement dans cette commission.

S’agissant des travaux spécifiques que la Mecss a menés dans ce cadre, la rapporteure générale a souhaité travailler particulièrement sur les réformes récentes du financement des établissements de santé, mises en œuvre dans la loi de financement de la sécurité sociale tout au long de la précédente législature. Ce sont des enjeux financiers et sanitaires majeurs qui retiennent toute notre attention.

Dans le cadre du Printemps social de l’évaluation, les rapporteurs de la Mecss ont souhaité évaluer les dispositifs spécifiques liés à la santé mentale. La commission des affaires sociales a une sensibilité très forte, comme l’ensemble de nos concitoyens, sur les sujets relatifs à la santé mentale. Dans un instant, Sébastien Peytavie, Pierre Dharréville et Éric Alauzet vous présenteront leur travail sur le dispositif « MonParcoursPsy » mis en place par la LFSS 2022.

Le second dispositif, évalué par Hadrien Clouet, concerne les entretiens postnataux précoces obligatoires, proposés aux femmes entre quatre et huit semaines après leur accouchement. Ces entretiens peuvent être réalisés par un médecin ou une sage-femme.

Ces mesures ont été prises rapidement, puisqu’elles sont obligatoires depuis le 1er juillet 2022. Le rôle de l’évaluation est d’en faire un premier bilan et de voir dans quelle mesure les professionnels ont pu s’en emparer.

Sur ces sujets et sur tous les autres, merci d’avance de vous prêter à cet exercice qui ressemble un peu à un grand oral – mais certains en ont l’habitude.

Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale. Je tiens tout d’abord à remercier les administrations d’avoir répondu favorablement à notre invitation. Il me paraît salutaire que nous prenions le temps d’échanger sur les sujets de fond qui ont trait au financement de notre sécurité sociale avant le marathon budgétaire.

C’est là tout l’intérêt de ce Printemps social de l’évaluation. Je formule le vœu que nous puissions en tirer des mesures très concrètes pour répondre aux nombreux enjeux auxquels notre sécurité sociale est confrontée dans le cadre du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

J’ai pour ma part conduit une mission d’évaluation sur les innovations en matière de financement des établissements de santé et, plus largement, du système de santé dans son ensemble. Cette mission s’inscrit clairement dans le contexte de la volonté, exprimée par le Président de la République, de sortir d’une tarification à l’activité (T2A) ou à l’acte pour aller vers une rémunération basée sur des objectifs de santé publique pour les établissements de santé publics, privés, mais aussi pour les professionnels de santé dans le cadre du prochain PLFSS.

La réforme Ma santé 2022 et les réformes de financement que nous avons votées au cours des années précédentes (urgences, hôpitaux de proximité, psychiatrie, soins de suite) allaient déjà dans ce sens. En particulier, nous avons cherché à mettre en œuvre un financement populationnel qui soit connecté aux besoins de santé d’une population sur un territoire.

S’agissant des activités de médecine, à la fois en ville et à l’hôpital, nous avons cherché à tester des modèles de forfaits qui nous permettraient de sortir de la T2A et de la tarification à l’acte pour inciter davantage à la prévention, à la qualité et à la pertinence des soins, à la prise en charge coordonnée, au décloisonnement entre la ville et l’hôpital. Ces expérimentations ont souvent été conduites dans le cadre de l’article 51 de la LFSS 2018, qui offre la possibilité de déroger aux dispositions législatives pour tester de nouvelles organisations et modalités de financement.

En matière de transformation du financement, le Parlement n’a pas été inactif depuis 2017. Sur ce sujet, nous pourrions évaluer de nombreux articles de LFSS. J’en ai choisi trois, même si, en réalité, mon approche est globale.

Qu’avons-nous appris de ces expérimentations et réformes récemment votées ? Par ailleurs, pourquoi leur mise en œuvre est-elle si lente ?

En effet, la réforme des soins de suite et de réadaptation date de 2016. Pour la psychiatrie, les hôpitaux de proximité et les urgences, les nouveaux modèles entrent finalement en application, mais il semble que la portée des nouvelles dotations populationnelles soit fortement amoindrie par le fait que les agences régionales de santé (ARS) n’ont pas réellement les compétences pour déterminer des critères pertinents pour l’allocation de ces dotations, largement attribuées sur des bases historiques. Pouvez-vous nous dire comment le ministère envisage, organise et accompagne la montée en compétence des ARS pour leur donner une réelle expertise en matière financière, indispensable pour que le financement territorialisé trouve tout son sens ?

Parmi les réformes qui ont été bien conduites, je citerai celle des hôpitaux de proximité. Les nouvelles modalités semblent à la fois simples, pertinentes et valorisantes pour ces établissements, qui se voient conférer un véritable rôle stratégique sur le territoire. Je m’interroge tout de même sur la faible proportion du financement populationnel, qui ne représente que 1 % des ressources de ces établissements. Ne faudrait-il pas augmenter la part de ce financement populationnel, pour permettre aux ARS d’avoir un véritable levier sur la structuration des soins au niveau territorial ?

Par ailleurs, je m’interroge sur l’impact du financement à la qualité, dans le cadre de l’incitation financière à la qualité (Ifaq). Nous avons fait de cet indicateur, très faible en 2017, un compartiment de financement à part entière pour les établissements de santé, mais nous peinons à trouver des indicateurs pertinents pour mesurer la qualité des prises en charge, qui soient automatisables pour ne pas alourdir le quotidien des acteurs hospitaliers. Or il est essentiel de développer l’évaluation des résultats cliniques et la satisfaction des patients, y compris dans la perspective des réformes en cours et à venir. Où en êtes-vous de ce chantier ?

Parmi les autres sujets qui me semblent essentiels pour les établissements de santé, il y a ceux de la pluriannualité et du financement des investissements. Les établissements ont beaucoup de mal à se projeter et à bâtir des projets, car ils manquent de visibilité sur leur budget au cours des prochaines années. Un des grands acquis de la réforme des hôpitaux de proximité est l’introduction d’une pluriannualité, avec un socle budgétaire déterminé pour trois ans. Ne pourrait-on pas envisager le même système pour l’ensemble des établissements ? C’est une demande récurrente de leur part, qui me semble légitime.

Nous devons également entendre leur appel à sortir partiellement de l’investissement des tarifs, afin que ce ne soit plus la variable d’ajustement budgétaire, et qu’il y ait une dynamique d’investissement et de modernisation pérenne dans les hôpitaux. Quel regard portez-vous sur cette question ?

J’en arrive maintenant au financement du système de santé. La force des expérimentations de l’article 51 est de pouvoir s’affranchir des cloisonnements qui bloquent certaines évolutions de notre système de soins.

Nous avons auditionné des équipes d’expérimentateurs – maisons de santé, infirmiers, médecins généralistes – qui ont présenté des projets très novateurs en matière de financement et d’organisation des soins. Je pense aux projets Parcours d’éducation, de pratique et de sensibilisation (Peps), Équilibres, Ipso Santé. J’ai rencontré des professionnels très engagés, heureux de faire leur métier, qui investissent et prennent des risques pour répondre aux défis du système de soins et donner un sens à leur exercice professionnel. Il serait néanmoins souhaitable de clarifier le mode de calcul des forfaits patients attribués aux médecins généralistes selon les expérimentations, car il existe des différences assez substantielles, par exemple entre Ipso Santé et Peps, que l’on a du mal à s’expliquer. Pouvez-vous en dire un mot ?

Par ailleurs, les équipes n’ont à ce jour aucune visibilité sur les suites qui seront données à leurs projets une fois les cinq ans de l’expérimentation écoulés. Je crois comprendre que l’évaluation de ces expérimentations est complexe pour la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Comment allez-vous procéder pour donner de la visibilité aux équipes avant le terme des expérimentations ? Envisagez-vous de prolonger ces expérimentations, ou avez‑vous d’ores et déjà des arguments pour ou contre leur bascule dans le droit commun ?

La grande force de ces expérimentations est qu’elles peuvent s’affranchir des canaux de financement et modes de rémunération habituels, car on voit bien à quel point ils peuvent être bloquants. Ainsi, le forfait maladie rénale chronique, qui devait rémunérer l’ensemble des acteurs de la prise en charge en ville et à l’hôpital, s’est arrêté aux frontières de l’hôpital.

Tôt au tard, nous devrons engager une réflexion sur l’introduction de modalités communes de financement entre le public et le privé, entre la ville et l’hôpital. Nous devrons surtout aborder la question de la convergence des modes de rémunération des professionnels de santé.

M. Éric Alauzet, rapporteur. « MonParcoursPsy » est entré en vigueur depuis un peu plus d’un an. Une évaluation du dispositif à ce stade peut paraître prématurée, mais il nous semblait important de pouvoir réaliser un premier bilan, les attentes de nos concitoyens en matière de santé mentale étant fortes. Nous savons également que ce dispositif est controversé et suscite un certain nombre de critiques de la part de la profession.

« MonParcoursPsy » est un dispositif qui permet à un patient atteint de troubles anxieux ou dépressifs d’intensité légère à modérée, dès l’âge de 3 ans, de situations de mal‑être ou de souffrance psychique pouvant susciter l’inquiétude de l’entourage, de consulter un psychologue sur l’adressage du médecin. L’assurance maladie et les complémentaires santé peuvent alors prendre en charge un maximum de huit séances par an, rémunérées à hauteur de 30 euros, à l’exception de la première séance, à hauteur de 40 euros, et prises en charge à 60 % par l’assurance maladie et à 40 % par les complémentaires.

La prise en charge des consultations est soumise à plusieurs conditions qui permettent en principe de sécuriser le dispositif : d’une part, les psychologues, qui doivent avoir au moins trois ans d’expérience professionnelle, sont sélectionnés et conventionnés par l’assurance maladie ; d’autre part, le patient doit être adressé par son médecin traitant ou par un autre médecin afin de justifier la nécessité d’un suivi psychologique. Lors des auditions, nous avons constaté que ce point suscite diverses réactions chez les psychologues.

Le principe d’une prise en charge psychologique par l’assurance maladie a été salué, en particulier par les associations des patients. Selon elles, le dispositif contribue dans une certaine mesure à la réduction des inégalités d’accès aux soins puisque, jusqu’à présent, seules les complémentaires santé proposaient un remboursement des consultations des psychologues. Elle a permis à 90 000 patients, dont 70 % de femmes, et notamment à de jeunes adultes, de « sauter le pas » et de demander un accompagnement. Le dispositif a ainsi pu lever un frein financier, mais aussi un frein psychologique en légitimant le recours à un ou une psychologue. Les nombreuses sollicitations reçues par les professionnels témoignent d’un véritable besoin en soins psychologiques.

Je souhaiterais vous interroger sur les conséquences de la mise en place de « MonParcoursPsy » sur l’offre de garantie des mutuelles. Nous avons entendu que certaines mutuelles qui prenaient déjà en charge les consultations chez le psychologue auraient réduit leur offre de garantie, renvoyant les assurés vers « MonParcoursPsy ». Nous n’avons pas été en mesure de vérifier ces informations lors de l’audition de la Mutualité française. Savez-vous comment les garanties des mutuelles ont évolué depuis l’an dernier en matière de remboursement des consultations chez le psychologue ?

M. Sébastien Peytavie, rapporteur. J’aborderai les principales critiques formulées à l’égard du dispositif par les psychologues que nous avons rencontrés. Tout d’abord, force est de constater que la très grande majorité des psychologues sont restés en dehors de « MonParcoursPsy ». Ceux qui l’ont rejoint, l’ont pour une partie d’entre eux quitté.

Selon les chiffres du ministère de la santé, au 31 janvier 2023, 2 200 psychologues étaient conventionnés soit seulement 7 % des psychologues libéraux. Ce constat doit nous interpeller. Comment expliquer une telle situation ?

La première raison est certainement à rechercher du côté des tarifs : le tarif des séances est bien inférieur à celui d’une consultation non conventionnée, certes variable, mais qui se situe souvent entre 50 et 70 euros. Les tarifs fixés ont été unanimement jugés faibles au regard du temps passé avec les patients, pour des séances de 45 à 60 minutes. Les professionnels auditionnés ont le sentiment que leur métier est bradé et qu’ils sont obligés d’entrer dans un moule qui favorise finalement les thérapies courtes.

La deuxième critique souvent entendue concerne le nombre maximal de séances prises en charge, car il suppose une durée prédéfinie du soin. Le plafond de huit séances peut conduire à interrompre une thérapie pour les patients ne pouvant payer de nouvelles séances. Une telle situation a régulièrement été jugée inappropriée, voire dangereuse pour la santé mentale des patients.

Les conditions de l’adressage préalable par un médecin suscitent des réactions très contrastées chez les psychologues. Elles permettent certes de renforcer les échanges entre médecins et psychologues, mais peut constituer un frein supplémentaire à la consultation d’un psychologue. Elle donne le sentiment à certains psychologues d’être considérés comme une profession paramédicale et de ne pas prendre en compte la particularité du titre et de la fonction de psychologue clinicien.

De nombreux psychologues ne sont pas à l’aise avec les critères d’éligibilité des patients. Le dispositif est aujourd’hui réservé aux patients atteints de troubles anxieux ou dépressifs d’intensité légère à modérée. Dans les faits, il est difficile d’évaluer l’intensité de ces troubles dès la première séance.

Au regard de toutes ces critiques, est-il envisagé de faire évoluer le dispositif ?

M. Pierre Dharréville, rapporteur. Les constats sont largement partagés face à des besoins en soins psychologiques qui ont explosé pendant la crise sanitaire et qui étaient déjà mal appréhendés auparavant. Le dispositif « MonParcoursPsy » n’y répond pas. Seulement 7 % des psychologues libéraux l’on rejoint et parmi eux, nombreux sont celles et ceux qui l’ont quitté ou qui s’apprêtent à le faire, ce qui le rendra encore plus inopérant.

Les psychologues sont des personnels qualifiés, tous détenteurs d’un master, et leurs compétences spécifiques les mettent en position de prodiguer des soins psychologiques et psychosociaux adaptés à chaque situation humaine. Curieuse idée que de vouloir protocoliser et limiter leur intervention.

Il est également frappant de constater que « MonParcoursPsy » rate sa cible : les plus précaires ne représentent qu’une faible part des personnes qui en ont bénéficié. Les personnes sont renvoyées vers ce dispositif alors qu’elles devraient pouvoir accéder à une prise en charge gratuite adaptée non limitée dans un centre médico‑psychologique (CMP). Or il faut aujourd’hui plusieurs mois, voire plus d’un an parfois, pour voir un psychologue en CMP. Il manque de trop nombreux psychologues dans les structures publiques dédiées et à l’hôpital. Le service public est aujourd’hui de plus en plus défaillant. Au lieu de prendre des mesures fortes pour y remédier, on semble organiser un contournement qui ne fonctionne pas en fléchant des millions d’euros pour la ville.

Il y a urgence à renforcer le service public. Selon certaines organisations de psychologues, avec l’argent utilisé pour « MonParcoursPsy » pendant sa première année d’application, sur 50 millions d’euros, il aurait été possible de financer de façon pérenne sur dix ans, plus de 200 postes de psychologues au sein des structures publiques.

Au regard de ce que nous avons pu constater et des besoins de nos concitoyens, le statu quo n’est donc pas tenable. Si l’on décide de maintenir le dispositif, il doit être revu dans sa philosophie et ses objectifs en tenant compte des spécificités qui relèvent de l’exercice libéral de la psychologie, différent de l’exercice en équipe dans des structures publiques.

Quelles sont les hypothèses envisagées du point de vue du prix des consultations, du nombre de séances qui pousse à des abandons de thérapie en cours de route ?

Surtout, comment envisagez-vous de développer le service public, de renforcer les effectifs de psychologues dans les structures, d’ouvrir des postes et d’augmenter les salaires ? Il apparaît que la profession souffre d’une grande précarité. Combien représentent les contractuels ? Le chiffre de 60 % m’a été communiqué. En octobre 2021, en début de carrière, un psychologue a un indice majoré équivalent à celui de professions à bac+3. Cette anomalie ne s’estompe pas au cours de la carrière : 1 600 euros en début de carrière et 2 500 euros au bout de vingt et un ans de carrière. Il y a urgence à revaloriser cette profession à hauteur de sa qualification et de son rôle.

Alors que la santé mentale s’est fortement dégradée en France ces dernières années, ces psychologues hospitaliers sont essentiels pour déployer une offre de soins adaptée avec une prise en charge qui s’inscrive dans la durée.

Enfin, un travail de concertation, et même de négociation est-il envisagé avec la profession pour faire face aux enjeux essentiels et considérables de la santé mentale et des soins psychosociaux ?

M. Hadrien Clouet, rapporteur. La dépression périnatale, connue sous le terme de « syndrome post-partum », constitue aujourd’hui la deuxième cause de mortalité maternelle en France, et ce, juste après les accidents cardio-vasculaires. Pour être exact, 13,4 % des morts maternelles prennent cette forme notamment au moment du pic du quatrième mois après une naissance.

Au-delà du seul phénomène suicidaire, l’enquête nationale périnatale de 2021 a démontré que près de 17 % des femmes présentent différents signes de dépression post-partum dans les deux mois suivant l’accouchement.

Comme a pu nous dire la représentante de l’association Maman Blues, qui accueille, accompagne et aide des femmes atteintes de ce type de syndrome et de difficultés, les jeunes mamans subissent une pression d’autant plus forte que la norme procréatique en vigueur en France leur enjoint d’afficher des signes de bonheur en début de maternité. Ainsi, dans la ligne des préconisations de la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi que de la commission « 1 000 premiers jours », la LFSS 2022 a mis en place un entretien postnatal précoce obligatoire censé être mené par une sage-femme ou un médecin. Cet entretien intervient entre la quatrième et la huitième semaine après l’accouchement et est l’occasion pour les mères concernées d’évoquer les éventuels difficultés, troubles, attentes ou risques ainsi que pour les soignants de repérer différents signes ou facteurs qui pourraient prédisposer à des formes dépressives.

Alors que cet entretien est censé être entré en vigueur au 1er juillet 2022, l’obligation de le mener demeure extrêmement peu respectée. Des données parcellaires transmises par la Cnam en l’état montrent 28 338 entretiens entre septembre et décembre 2022, soit environ 10 % des naissances déclarées sur la même période. C’est donc un taux de non‑recours qui, a priori, avoisine les 90 %. L’ensemble des professionnels rencontrés nous a confirmé que la pratique demeurait encore extrêmement faible.

S’agissant des données dont nous disposons à l’heure actuelle, des chiffres plus récents portant notamment sur le premier trimestre 2023 sont-ils disponibles ? La part des mères qui bénéficient de l’entretien supposé non obligatoire s’est-elle élevée depuis le mois de juillet dernier ?

Les auditions menées nous ont également permis d’identifier trois séries de difficultés sur lesquelles j’aimerais vous entendre et qui devraient être rapidement levées afin de permettre à cette politique préventive en termes de santé physique et mentale de voir le jour et d’être effective à la fois pour les mères concernées et pour leur partenaire de vie ainsi que pour les enfants.

La première difficulté est financière. Les personnes auditionnées ont fait part d’une certaine surprise en réalisant que l’entretien n’était pas pris en charge à 100 %, contrairement à l’entretien prénatal précoce, ce qui vient rompre la construction en miroir de ces deux moments d’entretien. Le dispositif obligatoire pénalise donc les parents les plus précaires qui ont le choix entre une obligation à respecter et un coût financier à engager. Ils ne disposent pas nécessairement d’assurance complémentaire. Dès lors, le reste à charge constitue un frein important qui dissuade le fait de donner suite au dispositif. Il me paraît inacceptable que la santé des mères, de leur partenaire et de leurs enfants pâtisse d’un ticket modérateur.

Par ailleurs, l’acte en tant que tel n’est pas codé par l’assurance maladie, notamment en ce qui concerne les médecins, contribuant ainsi à ce qu’ils n’effectuent pas, en toute logique, cet entretien. Pouvez-vous confirmer l’absence de cotation ? Si oui, quel est le calendrier prévu pour développer une telle cotation ?

La deuxième difficulté relève de la signification même de l’entretien postnatal. Il existe un manque de consensus entre les différents intervenants susceptibles de l’organiser. Les auditions ont révélé des interprétations très contradictoires : les uns estiment que l’entretien relève de la santé publique, d’une politique de prévention qui diagnostique une difficulté mentale ou des signes permettant de penser que cette difficulté va se produire ; les autres estiment que l’entretien est un outil de conseil conjugal permettant au couple d’organiser la division du travail sexuel notamment, mais conjugal également autour de l’arrivée de l’enfant. Pour d’autres intervenants, l’entretien serait l’occasion d’effectuer le bilan de la prise en charge de la mère, de l’ensemble du parcours de soins, de l’entretien prénatal jusqu’à l’accouchement.

Ce désaccord implicite tient notamment à une absence de formation des professionnels de santé concernant la santé mentale périnatale. Dès lors, des organismes de formation privés s’engouffrent dans la brèche et vendent à prix d’or des formations pour que les professionnels se sentent sécurisés dans le fait de délivrer cet entretien. Le collège des sages-femmes est le seul organisme à avoir proposé un guide des bonnes pratiques en la matière. Estimez-vous que ce guide est suffisant et que l’absence de ligne directrice peut être comblée ? Si oui, comment ? Quelles sont les pistes pour un outil d’harmonisation des entretiens postnataux, de leur contenu et de leur objectif ?

La loi prévoit qu’un second entretien puisse être proposé aux femmes qui en auraient besoin. Cet entretien a un caractère subsidiaire : il n’a lieu qu’à condition que le premier entretien permette de détecter des signes qui conduiraient à justifier un second. Or parmi les facteurs à risque fixés dans les textes figure la primiparité. Pourtant, la plupart des pédopsychiatres ou sages-femmes interrogés estiment que la primiparité ne joue absolument pas et les différentes enquêtes épidémiologiques le confirment. En revanche, les facteurs comme la précarité sociale ou des fragilités à caractère économique jouent comme des variables prédictives de l’exposition à une dépression post-partum et sont beaucoup plus déterminantes.

Quels sont donc les fondements qui ont pu conduire le critère de primiparité, qu’aucun professionnel du secteur ne partage ? Estimez-vous que ce critère demeure pertinent ?

Enfin, une troisième série d’interrogations porte sur l’organisation du système de soins autour de l’entretien postnatal. Force est de constater que les usagères en ignorent l’existence même. C’est parfois le cas des professionnels de santé. Est-il prévu, face à cette situation, de mener une campagne d’information ? Quels sont les moyens envisagés par le ministère ou la Cnam pour pallier ce défaut d’information et permettre de monter de 10 % de recours au dispositif à des chiffres qui nous paraîtraient plus décents pour la santé des femmes en question ?

De plus, les professionnels interrogés ont constaté l’absence d’articulation de l’entretien postnatal avec les dispositifs ultérieurs de prise en charge des épisodes dépressifs. Il n’est pas reconnu aux sages-femmes en particulier d’adresser leur patiente à des psychologues dont les séances seraient remboursées par l’assurance maladie contrairement aux médecins. Travaillez-vous dès lors dans le sens d’une prise en charge des patientes par l’assurance maladie qui seraient adressées à des professionnels de la santé mentale ?

En conclusion, l’entretien postnatal s’inscrit dans un continuum. Pour autant, ce n’est pas nécessairement la professionnelle de santé – généralement, la sage-femme – qui conduit cet entretien. Il y a là une rupture dans l’intervenant du parcours de soins. Cette situation multiplie les risques de faille dans le parcours de la parturiente. Que pensez-vous de l’idée d’un interlocuteur unique, d’un référent tout au long du parcours périnatal qui serait également en charge de l’entretien postnatal ?

M. Cyrille Isaac-Sibille, coprésident de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale. Je souhaiterais revenir sur l’un des sujets d’actualité, à savoir l’incompréhension entre vos directions et les professionnels de santé, constatée par l’échec des négociations conventionnelles. Les soignants souhaitent donner plus de sens à leur travail en consacrant plus de temps à leurs patients. Les propositions de vos directions souhaitent leur donner plus de temps médical pour qu’ils prennent en charge davantage de patients.

Quelle est pour vous la maldonne entre ces professionnels de santé qui souhaitent davantage de considération et vos directions ?

M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale. Madame la rapporteure générale, vous soulignez les avancées des réformes menées ces dernières années. Certaines étant en cours, nous n’avons pas encore le recul suffisant pour les évaluer. Globalement, le ministère de la santé a mené de nombreuses réformes tarifaires depuis quatre ans. Quand on regarde la feuille de route d’il y a cinq ans et la situation d’aujourd’hui, en dépit de la crise sanitaire, nous avons tout de même beaucoup avancé. Le Président de la République souhaite en effet aller encore plus vite et plus loin dès le prochain PLFSS. La direction de la sécurité sociale veillera à ce que la logique qui sous-tend les réformes déjà menées puisse perdurer et s’étendre avec davantage d’attention à la santé publique. Une attention très forte doit être portée à la qualité, à la manière de la rémunérer et aux indicateurs mentionnés Ifaq. La rémunération des hôpitaux a fortement augmenté ces dernières années, mais sans doute moins que l’ambition initiale, car l’on se heurte à la question des indicateurs qui est réellement l’un des très grands enjeux des prochains mois et prochaines années. Il faut être capable de construire des indicateurs qui soient lisibles, automatisables et qui reflètent davantage l’expérience patient. Ils existent dans de nombreux autres pays et la France doit être capable de les mettre en place également.

S’agissant de la pluriannualité, elle est évidemment très attendue par les acteurs. Elle a été mise en place depuis 2020 avec le protocole pluriannuel. Depuis, la crise et la garantie de financement l’ont quelque peu percutée. En sortie de crise et en parallèle de la réforme de la tarification, il faut réintroduire une capacité de vision partagée sur une trajectoire pluriannuelle.

Sur la question de l’investissement, je rappelle que les prises en charge de l’investissement et les cofinancements sont nombreux en dehors des tarifs, en particulier avec la reprise de dette. Pour les prochaines années, de 2025 à 2030, des financements importants s’ajoutent aux marges financées par les établissements à travers les tarifs.

Au-delà de l’hôpital, vous posiez la question de la ville à travers les « articles 51 ». C’est évidemment une préoccupation extrêmement forte du ministère de la santé et de ses directions de savoir comment faire vivre les « articles 51 » et généraliser les expérimentations qui ont fait leurs preuves. De nombreux projets arrivent à leur terme, avec des évaluations d’ici fin 2023 et 2024. Certaines de ces évaluations ne seront sans doute pas positives ; pour autant de nombreuses évaluations le seront et posent la question de leur généralisation. Il s’agit de construire les modalités d’une entrée dans le droit commun qui ne soient pas que tarifaires. Il y a déjà eu de toutes premières généralisations depuis l’année dernière, et il y en aura davantage cette année et l’année prochaine. Nous sommes en train d’y travailler, pas seulement au sein de la direction de la sécurité sociale, mais aussi au sein du ministère et avec la Cnam. Des dispositions seront très certainement intégrées dans le PLFSS 2024. Il faut évidemment s’assurer systématiquement de la bonne transition entre l’expérimentation et cette entrée dans le droit commun, y compris si nécessaire avec des périodes transitoires pour pouvoir basculer dans le nouveau cadre, s’il est différent de celui de l’expérimentation. Nous allons veiller à une certaine cohérence au moment de la généralisation. Ce sera un axe important des deux prochains PLFSS.

« MonParcoursPsy » s’inscrit dans une prise de conscience collective de l’importance de la prise en charge de la santé mentale, et d’un manque de prise de charge en ville. Quand vous dites que cela était pris en charge par les complémentaires, cela l’était de façon très partielle, pas par toutes et pas de manière pérenne. Certaines l’ont annoncé en amont de l’annonce du Gouvernement, et pour un an seulement. Pour certaines, cela n’a été qu’un élément de communication. Dans d’autres cas, c’était plus pérenne. Nous n’avons pas de visibilité transversale sur ce que couvrent les complémentaires et sur l’ensemble des garanties. Nous pouvons demander aux complémentaires de faire remonter les informations, à supposer qu’elles le souhaitent. En tout cas, il existe pour l’avenir un axe de travail possible sur l’articulation entre le panier de soins couvert par « MonParcoursPsy » et le rôle des complémentaires. Nous pouvons échanger avec les complémentaires afin que, dans certains cas, elles financent des séances supplémentaires ou des parcours qui ne sont pas dans « MonParcoursPsy ». Puisqu’elles sont demandeuses de davantage d’échanges avec l’assurance maladie, nous pouvons essayer de travailler avec elles sur les prises en charge de psychologues.

S’agissant des indicateurs, nous suivons bien évidemment le nombre de psychologues qui entrent dans le dispositif et nous étudions leur répartition sur le territoire. Dans certains départements, ils sont peu nombreux, mais globalement, tous les départements sont représentés et il ne faut pas qu’ils soient concentrés seulement dans certains départements. La répartition géographique est importante, tout comme le nombre de patients et le nombre de médecins qui adressent. Le dispositif peut avoir vocation à s’étendre. Il est important que le dispositif soit connu par les médecins généralistes. Plusieurs dizaines de milliers de généralistes ont déjà effectué un adressage. Vous dites qu’il est en frein. Or il est réellement assumé comme étant une capacité pour le médecin traitant à avoir une bonne connaissance du parcours de son patient, du retour sur les séances avec le psychologue. Il nous a semblé important de maintenir ce dispositif.

Vous demandez comment le dispositif peut évoluer. Nous n’avons qu’un an de recul et nous constatons un parcours qui prend son essor, sans doute pas suffisamment vite. Nous nous interrogeons aussi sur son évolution, à la lecture des données, des retours de terrain et des retours de concertation, de l’ensemble des critères qui aujourd’hui définissent le parcours. Certains de ces critères doivent-ils évoluer ? Si oui, il faut le faire en cohérence avec ce qui existe par ailleurs, avec les autres parcours, avec les expérimentations.

Avec ce dispositif, nous essayons d’étendre le panier de soins pris en charge par l’assurance maladie. « MonParcoursPsy » a été largement élaboré sur la base d’expérimentations pilotées par l’assurance maladie qui donnaient de bons résultats. Il n’a pas été inventé ex nihilo.

Nous nous reposerons la question avec les « articles 51 ». À chaque fois qu’ils seront généralisés, des acteurs diront qu’il faut payer plus ou le faire dans d’autres conditions. Nous essayerons de nous appuyer sur le résultat des évaluations en réalisant des ajustements, même s’il est un peu tôt pour être plus précis sur le sujet.

Sur le sujet de l’entretien postnatal, sa prise en charge ne se fait plus dans le cadre de l’assurance maternité. Un ticket modérateur s’applique. N’oublions pas que les parents les plus précaires sont couverts par la complémentaire santé solidaire (CSS). Ils sont 7 millions en France. Nous pouvons encore faire mieux sur la CSS avec participation. Si les parents sont éligibles, au moment de la naissance d’un enfant, c’est le moment de les accompagner. Les différentes structures et associations peuvent rappeler que ce dispositif existe. Les personnes sont prises en charge à 100 %.

Sur l’adressage des sages-femmes, je voudrais simplement vous rappeler que dans la proposition de loi de Mme Josso, qui devrait être adoptée prochainement, une disposition permettra que les sages-femmes adressent leur patiente à un psychologue de « MonParcoursPsy ».

Mme Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins. Effectivement, les dernières années ont été très riches pour l’hôpital sur les réformes de financement avec une dynamique qui s’est enclenchée à compter de 2018. Vous avez évoqué tous les domaines dans lesquels les réformes se mettent progressivement en place : la médecine d’urgence, les activités de psychiatrie, les soins médicaux de réadaptation, la prise en charge du financement à la qualité, les hôpitaux de proximité et la poursuite de la montée en charge des forfaits et notamment du forfait « maladie rénale chronique ».

Toutes ces réformes ont un point commun : réduire la part de T2A au profit de modèles combinés qui mettent en avant la spécificité de chaque champ d’activité avec des financements populationnels qui ont pour objectif premier de réduire les inégalités de santé et de financement, entre régions, entre établissements, et de passer d’une logique d’offre de soins à une logique de besoins de santé. Les critères populationnels sont caractéristiques de l’offre dans le territoire pour répondre aux besoins de soins. Ils sont différents selon les secteurs concernés.

Cette allocation de ressources populationnelles qui prend de plus en plus de place dans les compartiments de nos réformes est d’abord à la main des ARS. L’ARS doit pouvoir répartir cette dotation sur son territoire en fonction des besoins qu’elle estime devoir être pourvus. Cela a enclenché une charge de travail supplémentaire et surtout une nouvelle manière de travailler. Nous avons voulu rapprocher les financements du terrain. Aujourd’hui, les ARS remontent que c’est effectivement compliqué. La multiplicité et la concomitance des réformes font que la charge de travail et l’appréhension des nouveaux modèles ne sont pas négligeables pour les administrations.

Nous essayons d’être en formation et en appui auprès des comités d’allocation des ressources qui se mettent en place pour répartir ces dotations populationnelles. Nous les outillons également. Cet outillage vient soit des ARS – c’est notamment le cas des urgences – soit de l’Agence nationale de la performance sanitaire et médicosociale (Anap) et de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih). Là aussi, nous essayons de faire au mieux en avance de phase, sur la psychiatrie par exemple, qui est entrée en vigueur en 2022. L’outil est arrivé assez tardivement et a suscité de nombreuses réactions de la part de nos collègues en début d’année. Nous allons essayer de leur fournir un outil rectificatif d’ici cet été en lien avec l’Anap et l’Atih.

Sur le service médical rendu (SMR), nous essayerons d’être plus en anticipation. Nous visons un outil qui puisse venir en appui avant la fin de l’année pour une mise en œuvre en début d’année prochaine.

Les équipes de la direction générale de l’offre de soins organisent des réunions hebdomadaires avec les référents concernés des ARS sur les réformes de financement. Elles répondent aux questions et mettent en place des bilatérales, thématique par thématique. Nous essayons de sortir de nombreuses notices méthodologiques et guides. Il n’en reste pas moins qu’il faudra probablement se poser la question de l’outillage en moyens humains des ARS. Ce point est relayé par le secrétariat général des ministères sociaux. Encore une fois, l’importance et la concomitance des réformes nécessitent d’étoffer les services concernés des ARS.

Sur les urgences, la dotation populationnelle est entrée en vigueur en 2021, les forfaits le seront en 2022. L’année 2023 verra s’opérer quelques ajustements, notamment sur la pédiatrie et certains suppléments. La réforme SMR est prévue en juillet 2023, avec un fonctionnement rétrospectif début 2024.

Les annonces du Président de la République du 6 janvier 2023 engagent une réforme qui partage des points communs avec les réformes évoquées sur la médecine, chirurgie, obstétrique (MCO). Le Président a parlé d’objectifs de santé publique. On retrouve cette idée de besoins de santé et de dotation populationnelle, même si elle sera nommée et fonctionnera différemment, de sortir d’un financement majoritaire à l’activité pour se concentrer sur les missions spécifiques de certains établissements dans les territoires et sur des objectifs de santé publique qui pourront prendre en compte les inégalités de santé ou la précarité.

La réforme des hôpitaux de proximité a été posée par la LFSS 2020. Les textes d’application ont été publiés en 2022. C’est un financement double, avec une partie de sécurisation des recettes qui ressemble à la garantie de financement. C’est une garantie pluriannuelle de l’activité de médecine qui est l’activité socle des hôpitaux de proximité. Ce niveau de garantie est fixé pour trois ans sur la base de 100 % des recettes historiques de l’établissement. Une enveloppe complémentaire prend la forme d’une dotation de responsabilité territoriale qui vise à accompagner le financement des missions nouvelles, en complément de la médecine de ville. Elle est aussi fixée pour trois ans et son niveau ne peut être inférieur à 75 000 euros annuels.

Une enveloppe de 100 millions d’euros a été dégagée pour financer cette réforme au sein de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Faut-il dès à présent augmenter la partie populationnelle ? Nous avons souhaité donner la priorité à la sécurisation de ce nouveau modèle et à la sécurisation financière de ces établissements, comme demandé. La partie populationnelle a probablement vocation à accroître sa proportion dans les années qui viennent, effectivement.

Le modèle Ifaq est relativement récent, puisqu’il a commencé à être expérimenté à partir de 2016. Nous avons souhaité le monter en puissance à partir de Ma santé 2022. L’enveloppe en 2018 était de 50 millions et nous sommes passés à 400 millions en 2020 puis à 700 millions en 2022, même si tout n’a pas été réparti sur la base des indicateurs. Nous n’avons pas encore atteint le fameux milliard annoncé. L’objectif de financement à la qualité a repris de l’importance dans le discours du Président de la République du 6 janvier dernier. Il va devoir trouver toute sa place dans la réforme qui se mettra en place dans les années à venir sur la MCO, notamment en lien avec les objectifs de santé publique. Nous devrons parvenir à articuler les Ifaq et les compartiments de la réforme.

Aujourd’hui, il est certain que la parenthèse de la crise sanitaire a posé un certain nombre de problèmes en lien avec ces indicateurs. Les établissements n’ont pas pu se concentrer comme ils l’auraient dû sur le recueil et la délivrance des indicateurs. Par conséquent, ces indicateurs n’ont pas été bons. Par ailleurs, nous avons voulu stabiliser les ressources des établissements pendant les deux ou trois années de crise et post-crise et le dispositif n’est pas monté en charge comme nous le souhaitions. C’est pourquoi les 700 millions d’euros de 2022 ont été répartis non pas au prorata des résultats des indicateurs eux-mêmes, mais au prorata des volumes économiques.

Il n’en reste pas moins que cela doit rester l’un de nos objectifs. Il a été acté pour la campagne 2023, pour que le recueil permette d’enclencher de réelles dynamiques d’amélioration de la qualité et que le rythme de ce recueil soit biennal. Les indicateurs seraient bien recueillis chaque année, notamment ceux liés à la certification et à la satisfaction des patients, mais d’autres indicateurs seraient valorisés tous les deux ans, notamment ceux issus du dossier patient, afin de laisser le temps aux établissements de monter en charge et de faire de la vraie pédagogie auprès des professionnels. Cela permet de donner une visibilité pluriannuelle aux établissements.

Nous devons nous interroger collectivement sur la manière de faire évoluer les indicateurs. Nous avons évoqué les résultats cliniques des évaluations ou questionnaires de type Patient-Reported Outcome Measures (PROMs), qui sont beaucoup plus développés et utilisés à l’étranger qu’en France. Notre objectif doit être de pouvoir s’appuyer sur ce type d’indicateurs et de processes. Nous sommes très loin de l’objectif. L’idée est de procéder par étape.

Sur l’article 51, plus d’une trentaine d’expérimentations arrivent à échéance en fin d’année 2023 et dans la même proportion en 2024. Le défi que nous devons relever est leur intégration dans le droit commun.

L’investissement hospitalier est un point effectivement extrêmement important. La question posée est de sortir l’investissement des tarifs. Le Ségur a tout de même changé la donne en raison d’un nombre très important de financements délégués. Je rappelle la somme de 9 milliards d’euros sur l’investissement proprement dit pour les établissements de santé : 1,5 milliard d’euros d’investissements dits « du quotidien » et 7,5 milliards d’investissements structurants, auxquels s’ajoutent 6,5 milliards d’euros pour la restauration des capacités financières. Ces 9 milliards d’euros sont complètement sortis de la dynamique et du financement à l’activité.

Quelle est la prochaine étape ? Il est important que le financement des investissements courants reste en partie dans les tarifs. C’est ce qui déclenche une certaine efficience du cycle d’exploitation des établissements. En fonctionnement normal, l’établissement doit dégager sa capacité à financer ses investissements quotidiens. Il ne peut le faire que s’ils sont inclus en grande partie dans ses tarifs. En revanche, il faudrait à terme une enveloppe fléchée dans l’Ondam sur l’investissement lourd, qui soit régulière, pluriannuelle, pour éviter ces grands plans objectivement très difficiles à piloter au niveau national et en régions.

Je distinguerai donc les investissements courants qui doivent rester dans les tarifs en raison des objectifs de performance de nos établissements des investissements plus structurants qui auraient sans doute vocation à être identifiés au sein de l’Ondam.

M. Patrick Risselin, secrétaire général auprès du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. Je souhaiterais insister sur quelques points.

Sur la concertation, je rappelle que le dispositif a été précédé d’un certain nombre d’expérimentations. L’élaboration de « MonParcoursPsy » a fait l’objet d’une longue concertation avec les organismes professionnels qui ont souhaité s’y associer. Par ailleurs, le dispositif est encore jeune, puisqu’il a été mis en place le 5 avril 2022. Je pense que nous avons besoin de recul. Une évaluation est prévue par la loi et se mettra en place.

Bien évidemment, nous réfléchissons, au sein de la délégation que je représente, à la suite. Comment consolider les psychologues volontaires ? Je rappelle que contrairement à certaines assertions, nous sommes sur la base du volontariat. Il ne s’agit pas de « mettre sous cloche » et de paramédicaliser la profession des psychologues. Ne s’inscrivent que les psychologues qui souhaitent s’inscrire ; pour ceux, qui souhaitent rester dans un mode d’exercice libéral, il n’y a pas de sujet. Nous nous apercevons d’une très grande diversité dans la profession des psychologues, d’une très grande hétérogénéité dans les formations selon les universités. Nous étudions comment consolider une profession qui pourrait être plus étroitement articulée avec le parcours de santé.

Au-delà de « MonParcoursPsy », nous savons que des psychothérapies spécifiques ont prouvé toute leur efficacité dans un certain nombre d’indications cliniques. Pourquoi ne pas étudier la manière de structurer la formation pour ces psychothérapies ? Ce chantier n’est pas stabilisé et fera bien sûr l’objet d’une concertation avec l’ensemble de la profession.

S’agissant de l’entretien postnatal précoce, l’ambiguïté sur la signification de ce dispositif a été évoquée. Pour nous, il s’agit clairement d’un dispositif de dépistage de la souffrance psychique des mères – et, au-delà, du couple – à l’occasion d’une grossesse ou de la naissance d’un enfant. Bien évidemment, il doit s’intégrer dans un parcours de santé ; il n’est pas indépendant de l’entretien prénatal qui existe depuis 2019. Encore une fois, il s’agit bien de détecter la souffrance psychique et la dépression post-partum, qui représente 17 à 20 % des grossesses, et non pas de donner un conseil conjugal.

Concernant la primiparité qui figure dans la loi, après consultation d’un certain nombre de professionnels, j’avoue très honnêtement ne pas avoir le souvenir de la raison pour laquelle elle a été introduite. L’évaluation de ce dispositif nous dira si c’est un critère pertinent ou non.

S’agissant de la communication sur ce dispositif de l’entretien postnatal précoce, une communication a été diffusée par la Cnam sur le site Ameli, à destination des différents collègues professionnels et en particulier des sages-femmes. Il faut bien évidemment poursuivre cette communication. Je signalerai une initiative très intéressante, qui s’inscrit dans un cadre européen, pilotée par le centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé de Lille. Il existe un programme appelé « Pathways to improving perinatal mental health », ou PATH, qui vise à doter les différents états partenaires d’outils et de référentiels de communication sur la dépression post-partum. Cela donne lieu à des réalisations très concrètes. Le Psycom a publié un certain nombre de brochures et a également de l’information en ligne. Un massive open online course (Mooc) a été ouvert depuis mars dernier pour l’ensemble des professionnels qui souhaitent s’inscrire. Nous allons poursuivre dans cette communication.

Enfin, je rappellerai que la HAS travaille actuellement sur une recommandation sur la santé mentale périnatale.

En conclusion, je livrerai une considération plus générale. « MonParcoursPsy » ne doit pas être vu comme un dispositif qui se fait au détriment du service public. Il vient plutôt en complémentarité. Je rappellerai qu’il s’intègre dans une stratégie plus globale, à savoir la feuille de route santé mentale et psychiatrie lancée depuis cinq ans. Des efforts conséquents ont été engagés dans le sens de la revalorisation du service public hospitalier ou ambulatoire en psychiatrie. Je rappellerai que la mesure 31 du Ségur de la santé a prévu la création de 200 postes de psychologues dans les maisons de santé pluriprofessionnelles et dans les centres de santé.

Dans le cadre des mesures annoncées lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie en septembre 2021, des créations de postes sont en cours. Ce sont 400 postes dans les CMP pour adultes et 400 postes dans les centres infanto-juvéniles.

Je pense également à tous les appels à projets engagés depuis 2019, dans le champ dans la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à travers un appel à projets dédié qui vise à rééquilibrer l’offre de soins pour les enfants, y compris par la création de lits dans les départements qui en sont dépourvus.

Je citerai également le fonds d’innovation organisationnel en psychiatrie qui permet d’accompagner le changement et de créer des structures, en particulier de services ambulatoires.

Tout ceci montre, au-delà de « MonParcoursPsy », la mobilisation d’une offre existante dans le champ libéral qui peut être mieux articulée avec l’offre publique. Tout un pan de la politique touche cette offre publique, encore une fois à travers la feuille de route enrichie par les mesures des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie.

Mme Danielle Metzen-Ivars, cheffe de service des politiques d’appui au pilotage et de soutien à la direction générale de la santé. Je propose de compléter cette présentation par plusieurs remarques qui touchent deux dispositifs plus particulièrement.

Ce qui caractérise de façon commune ces deux dispositifs, c’est leur caractère très récent. L’entretien postnatal a été mis en œuvre voici neuf mois. C’est le bon moment pour commencer d’ores et déjà à poser des questions, puisque les sujets d’évaluation des mesures de santé publique doivent être conçus très en amont, avec un suivi extrêmement précis.

Nous sommes tout de même sur deux sujets extrêmement récents. Il importe de prendre un peu de recul et de disposer d’un certain nombre de chiffres et de données statistiques pour identifier très clairement les freins et y apporter des solutions de recours.

Le second point est que ces deux dispositifs, simultanément, mettent en œuvre une coordination indispensable et une approche globale entre l’offre de soins libérale et le système de santé, avec un accent très fort sur la formation. Le Mooc cité précédemment a déjà le mérite d’exister et est ouvert aux professionnels de santé concernés ; il sera renforcé et construit dans les mois à venir.

Ces deux sujets posent clairement la question d’une approche globale de la santé, à la fois en lien étroit avec les ARS, et plus particulièrement les directeurs de santé publique qui portent ces actions au sein des ARS en lien avec l’ensemble des partenaires, et avec Santé publique France, qui portera dans les mois à venir des actions complémentaires d’appui, notamment sur l’entretien postnatal.

Parmi les questions qui n’ont pas été appréhendées, l’une d’entre elles concerne la primiparité. La primiparité est un sujet que nous allons étudier, dans la mesure où il a été identifié comme étant un facteur de risque possible. Il est à approfondir notamment en lien avec le travail en cours qui sera finalisé début 2024 de la HAS.

Autre point complémentaire, la question relative à l’interlocuteur unique. Très clairement, les sages-femmes sont malgré tout identifiées comme étant les interlocuteurs les plus facilement accessibles pour l’entretien postnatal. La mise en œuvre d’un interlocuteur unique génère une organisation et peut le cas échéant ralentir la prise en charge et la mise en œuvre opérationnelle du dispositif. C’est un sujet que nous retenons sans en faire un incontournable. Il peut être creusé. La réflexion sera conduite mais ne doit en aucun cas entraver la mise en œuvre de cette mesure récente.

Le séjour en maternité doit vraiment être l’occasion d’engager le contact et d’augmenter le taux de recours à cet entretien postnatal, qui est excessivement important. C’est un sujet à travailler également pour l’avenir.

Enfin, la réforme du financement en cours de réflexion pourrait également intégrer dans ses travaux d’élaboration la partie santé publique liée aux missions de l’hôpital public.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie. L’article 51 est un projet très important, que nous menons de concert avec les équipes du ministère de la santé. Un certain nombre d’expérimentations sont déjà passées dans le droit commun. Je pense notamment à la prévention de l’obésité chez l’enfant, qui a été testée et généralisée par le législateur. Nous sommes en train de la déployer, notamment dans les maisons de santé, avec de nombreuses couvertures ces dernières semaines sur ce sujet.

Vous soulignez des expérimentations importantes et innovantes avec beaucoup d’engagement des professionnels de santé sur des nouveaux modes de rémunération. Il est vrai que le mode de fixation des forfaits est différent parce que les professionnels de santé portent des projets différents, qui se substituent à l’acte, mais pas exactement sur le même champ et le même mode de rémunération. Tout l’intérêt de l’article 51 est de tester ces différents modes de rémunération, avec des éléments relativement prometteurs et des modèles assez innovants.

Nous disposerons des évaluations plutôt dans le courant du second semestre 2024. Je partage avec vous une forme d’impatience. Tout l’objet de l’article 51 est de pouvoir s’appuyer sur une vraie évaluation. Malheureusement, de nombreuses expérimentations sont insuffisamment pilotées, mal évaluées, qui ont un sort parfois incertain.

L’article 51 offre une vraie armature d’évaluation qui nourrit nos réflexions et nos travaux sur les discussions conventionnelles. En 2023 et 2024, je pense que le ministère de la santé et de la prévention sera en mesure d’émettre des propositions au Parlement en lien avec l’assurance maladie sur des passages au droit commun. C’est le sens des travaux auxquels nous participons.

Le dispositif « MonParcoursPsy » vient d’une expérimentation portée par l’assurance maladie depuis 2018 dans quatre départements. Il a été travaillé et construit avec les professionnels de santé et les parties prenantes au niveau territorial. C’est un vrai progrès pour l’accès aux soins des patients qui ne pouvaient pas bénéficier de prise en charge de soins de psychologues en ville. Nous avons franchi un pas important.

Je partage avec vous le constat que plus de 37 000 médecins généralistes ont d’ores et déjà adressé des patients vers un parcours de prise en charge. En moyenne, ces médecins ont adressé quatre patients. Nous sommes sur un vrai changement. Il est vrai que le conventionnement ad hoc des psychologues cliniciens est encore trop limité en nombre, même si le chiffre continue d’augmenter. C’est clairement un défi pour les prochains mois. Nous allons avec nos partenaires du ministère et des ARS relancer une campagne d’information, de sensibilisation et de proposition de rentrer dans le dispositif. Il est vrai qu’il fait l’objet de discussions et de critiques parce qu’il confronte un modèle de tarification libre des psychologues à un modèle de tarification financé par la solidarité nationale au travers des tarifs de l’assurance maladie. L’acceptation de ces tarifs est évidemment différente selon la situation des professionnels de santé.

Je rappelle que le dispositif ne transforme pas l’entièreté de l’activité des psychologues. Ils peuvent tout à fait garder une partie de leur activité à tarif libre comme ils le font aujourd’hui pour les patients qu’ils suivent. C’est ce que nous devons continuer à expliquer.

Je rappelle que les tarifs ont été fixés par arrêté ministériel. Nous pensons qu’ils sont cohérents, y compris lorsqu’on les compare aux tarifs d’autres professionnels de santé à niveau de formation comparable dans un conventionnement. Il faut être extrêmement attentif à leur éventuelle évolution, même si rien n’est gravé dans le marbre. Comme tout tarif, il pourra sans doute évoluer, mais il est important de garder une certaine cohérence.

À la fin de l’année 2023, nous travaillerons à l’évaluation du dispositif, quantitative, qualitative, médico-économique. Il faut continuer à discuter avec les parties prenantes. Faut-il faire évoluer le nombre de séances, les conditions de prise en charge ? Le nombre de séances est directement lié à la nature du soin prodigué, dans un parcours de soins organisé avec les médecins généralistes qui, jusque-là, étaient très démunis. C’est un vrai levier donné aux médecins généralistes. Cela a été utilisé très rapidement par les médecins généralistes mais nous avons un défi important, qui est celui d’accompagner davantage de psychologues dans cette démarche. C’est ce à quoi nous nous attellerons dans les prochaines semaines et mois.

Sans en faire une excuse, le dispositif de l’entretien postnatal est encore extrêmement jeune. Sa mise en œuvre a été très rapide après la LFSS 2022, avec un accord conventionnel avec les sages-femmes. Les chiffres du premier trimestre montrent que nous avons dépassé les 50 000 patients. Le rythme est supérieur aux 10 % évoqués. Nous sommes plutôt autour de 15 à 20 %, ce qui reste insuffisant. Nous avons intégré ces innovations dans tout le parcours de la femme enceinte, avant et après l’accouchement. Nous avons évidemment informé les sages‑femmes et les médecins de ce dispositif, qui doit encore progresser et trouver sa vitesse de croisière.

Le dispositif n’est pas pris en charge à 100 % parce que l’assurance maternité s’arrête douze jours après l’accouchement. C’est le débat classique sur la logique obligatoire du 100 %, parce que 96 % de nos concitoyens sont couverts par une complémentaire santé, sans reste à charge pour l’immense majorité des patientes susceptibles de bénéficier de cet entretien postnatal.

Sur le fait que le second entretien soit réservé aux femmes primipares, je me permets d’affirmer que dès lors que le professionnel identifie un risque ou un besoin, il le fait. Honnêtement, il n’exclut pas d’autres femmes et répond bien à l’idée que cet entretien doit bénéficier aux femmes en risque de dépression post-partum. On peut réfléchir à un cadre plus large mais il ne me semble pas exagérément contraint. C’est avant tout un sujet d’information, de communication et de prise en main.

La sage-femme référente est aujourd’hui une réalité législative et conventionnelle, puisque nous avons signé avec les sages-femmes un avenant sur la mise en place d’une sage‑femme référente, avant et après l’accouchement, avec une rémunération dédiée à ce rôle. Je crois que la parution du décret d’application est imminente. Nous continuons à travailler avec les sages-femmes sur la déclinaison opérationnelle de cet avenant.

La vie conventionnelle est riche est intense. Nous avons signé ces derniers mois de nombreux conventions et avenants avec de nombreux professionnels de santé. Il arrive parfois que ce dialogue conventionnel n’aboutisse pas. Cela a été le cas avec les médecins libéraux. Il est vrai que le contexte à la fois inflationniste et de sortie de crise sanitaire tende les négociations conventionnelles.

Du côté de l’assurance maladie, nous sommes absolument convaincus de la pertinence d’un dialogue qui est en réalité un dialogue social entre l’assurance maladie et les professionnels de santé concernés sur la base des lignes directrices définies par les ministres en lien avec le Parlement.

Nous avons à cœur de travailler avec les médecins libéraux sur les conditions dans lesquelles nous pourront réenclencher des négociations conventionnelles en partageant le retour d’expérience des précédentes négociations. Croyez bien en la détermination de l’assurance maladie à reprendre ces négociations en faisant le maximum pour réunir les conditions d’un succès. Je pense que le règlement arbitral permet des revalorisations et des avancées sur des sujets aussi importants que le gain de temps médical et l’accès aux soins, en attendant la reprise des négociations avec les médecins libéraux.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous passons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Jean-François Rousset (RE). En 2021, 64 % des Français déclaraient avoir déjà ressenti un trouble ou une souffrance psychique. Notre majorité a réagi face à ce constat. En effet, grâce au dispositif « MonParcoursPsy », des consultations chez le psychologue sont prises en charge par l’assurance maladie et les complémentaires santé. Ainsi, près de 370 000 patients ont bénéficié de ce programme. Au-delà du soutien financier qu’il représente, il a permis à de nombreux concitoyens de « sauter le pas » du blocage qui pouvait parfois exister avant de s’orienter vers ce type de soins.

Je souhaiterais recueillir votre expertise sur l’adressage préalable par un médecin. La libération du temps médical est l’un des enjeux de l’amélioration de l’accès aux soins. Pour certains professionnels, nous avons ouvert l’accès direct dans le cadre de la « loi Rist 2 ». Dans ce contexte, pensez-vous que l’accès direct aux psychologues serait envisageable dans le cadre de « MonParcoursPsy » ?

La santé psychologique concerne également des périodes particulières de la vie. En ce sens, je pense à la maternité. En effet, la dépression post-partum toucherait 15 à 30 % des mères. Nous avons donc agi pour les 100 000 femmes se trouvant chaque année en souffrance psychologique suite à leur accouchement. L’entretien postnatal précoce obligatoire intervient dans les semaines suivant l’accouchement et nous en garantissons une prise en charge à hauteur de 70 %. Cette réaction législative est complétée par l’application gratuite « 1 000 premiers jours » disponible via le service en ligne de l’assurance maladie (Ameli) et s’adresse aux mères qui peuvent, grâce à cette application, évaluer leur mal-être et être orientées, en fonction de leurs besoins, vers une aide d’urgence ou un professionnel de santé via téléphone ou SMS.

L’innovation en santé est l’un des enjeux capitaux de l’accès aux soins et cet exemple en apporte la preuve. Ces applications ne visent pas à remplacer le professionnel de santé, mais permettent d’orienter les patients vers les professionnels adaptés et rapidement. Sur la base de cet exemple, envisagez-vous le développement ou la généralisation d’une orientation de premier recours grâce à un système similaire qui ne nécessite pas la présence synchrone d’un opérateur et d’un patient ?

Je crois également que nous pouvons favoriser la libération du temps médical en agissant sur le financement des soins. Dans le cadre d’une expérimentation de l’article 51, nous avons par exemple mis en place le programme Ipso Santé, dans lequel le médecin se voit assurer une rémunération sur la base d’un forfait mensuel selon le profil du patient. Ensemble, ils déterminent les besoins de ce dernier, ce qui peut se faire autour d’un projet collectif mené par le médecin. Pour résumer : le médecin doit se porter garant de l’équipe de soins primaire du patient. Le modèle est à la fois intéressant pour le patient et le médecin.

Aujourd’hui, la coordination des professionnels de santé est essentielle. L’un des objectifs de ce dispositif est d’ailleurs, pour le médecin, de favoriser la coordination et de se concentrer sur son cœur de métier : soigner. Concrètement, comment l’organisation des professionnels de santé dans ce dispositif Ipso Santé permet-elle une meilleure coordination des professionnels de santé et favorise‑t‑elle ainsi la libération du temps médical ?

M. Thierry Frappé (RN). Je vous remercie tous pour votre présence et vos précisions qui sont des éléments de réponse.

Bien que l’idée initiale représente une évolution considérable dans l’accompagnement psychologique des Français, le premier bilan de « MonParcoursPsy » reste très contrasté. Bien que le ministre de la santé se prévale d’une réussite avec environ 372 000 séances prises en charge sur l’année, les professionnels concernés restent très frondeurs sur le sujet.

Seulement 7 % des psychologues sur les 70 000 professionnels sont inscrits sur la plateforme. Pour le moment, 93 % des psychologues sont donc en totale opposition à ce dispositif, avec un appel parfois massif au boycott. Le Syndicat national des psychologues est vent debout face à ce dispositif, jusqu’à souhaiter le revoir de fond en comble. Il lui reproche des tarifs trop faibles, s’interroge sur le nombre insuffisant de séances prises en charge pour élaborer une thérapie efficace et pérenne et constate un manque d’adhésion au dispositif des personnes les plus défavorisées, initialement ciblées.

Vous concluez ce premier rapport en indiquant que les 50 millions d’euros alloués pour ce dispositif devraient être consacrés à renforcer le service public avec la création de postes de psychologues. Ce dispositif mériterait d’être maintenu avec les conditions suivantes : mettre à niveau le prix de la consultation et sa prise en charge et éviter aussi d’entrer dans des consultations low cost. Vos premières conclusions permettent-elles de préjuger d’un abandon de ce dispositif en le destinant financièrement au service public ?

Le dispositif de l’entretien postnatal est porteur d’une richesse évidente pour de nombreuses femmes, sauf qu’au dernier trimestre 2022, seuls 28 338 examens postnataux précoces ont été facturés, soit moins de 10 % des naissances sur la période. Pourquoi aussi peu ? Par manque d’information, par besoin de simplifier les échanges avec les établissements de santé, par prise en charge incomplète de cet entretien ? Il serait probablement logique que la sécurité sociale le prenne en charge à 100 %. Pensez-vous qu’un remboursement intégral incitera les jeunes mamans à réaliser cet entretien ? Ne faudrait-il pas ouvrir le dispositif à d’autres professionnels de santé en complément des sages-femmes et des médecins, par exemple des psychologues, et nomenclaturer l’acte du médecin ?

Ma conclusion portera sur les innovations récentes dans le financement des établissements de santé. Il a pour avantage d’aborder un débat urgent. Trop nombreux sont nos compatriotes n’ayant pas accès à la santé. Notre pays est en pénurie de médecins et la désertification médicale s’accentue. Cette table ronde a permis de développer divers points sur « MonParcoursPsy » et sur l’entretien postnatal. Pensez-vous que ces dispositifs aboutissent à des succès dans les déserts médicaux ? Non. Pensez-vous que ces dispositifs aideront concrètement les Françaises et Français vivant à plus de 40 minutes d’un centre de santé ou d’un hôpital ? Je ne le pense pas non plus.

Dans votre rapport, votre souhait est de renforcer l’autonomie des ARS en matière de financement de la santé, mais elles ont montré leurs limites dans le financement de la santé lors de la crise sanitaire. Depuis plusieurs mois, nous débattons sur les diverses lois relatives aux centres de santé et aux accès aux soins. Dans ces lois, vous souhaitez donner plus de pouvoir aux ARS. De notre côté, nous avons souhaité remplacer certaines de ses compétences par d’autres instances pour pallier ses limites. Donner plus d’autonomie financière aux ARS ne répondra pas aux besoins urgents de la population et favorisera peut-être une médecine fondée sur une délégation hospitalière dans des communautés professionnelles territoriales de santé ou des maisons professionnelles de santé, avec la crainte, à terme, d’égratigner la médecine libérale. Qu’entendez-vous par « augmentation de l’autonomie des ARS » ? Quel rôle souhaitez-vous donner aux ARS dans le futur ? Comment concevez-vous qu’un projet collectif permette de recentrer les médecins sur leur cœur de métier ?

M. Jean-Hugues Ratenon (LFI - NUPES). À bien des égards, la pandémie de covid‑19 a mis en lumière les manques de notre action publique. Concernant la santé mentale, les besoins d’accompagnement ont explosé durant la crise, notamment parmi les moins de 24 ans. En France, une personne sur cinq est touchée chaque année par un trouble psychique. Pourtant, face aux besoins, les réponses sont insuffisantes.

Si l’accès à des soins de santé mentale est un droit universel, le dispositif « MonParcoursPsy » n’est pas équipé pour remplir cette mission. Le budget alloué au dispositif et le nombre de séances couvertes par an ne permettent de prendre en charge des soins de santé mentale que pour 0,98 % de la population française. Seuls 7 % des psychologues libéraux sont conventionnés au sein du dispositif. Nous avons pointé cette limite dans le cadre de la proposition de loi sur l’accompagnement des familles vivant une fausse couche et permettant aux sages-femmes de les adresser à un psychologue conventionné « MonParcoursPsy ». Les praticiens qui n’y participent pas dénoncent des tarifs de consultation bradés, un plafond du nombre de séance menant à une interruption de la thérapie ou encore des critères trop restrictifs d’éligibilité des patients. À ce titre, comment évaluez-vous la convention liant les praticiens au dispositif et leur rémunération ?

Si « MonParcoursPsy » devait permettre aux personnes les plus précaires d’accéder aux soins de santé mentale, celles-ci ne représentent que 10 % des bénéficiaires du dispositif. Selon vous, quels freins continuent d’éloigner les personnes les plus précaires du dispositif ? Comment garantir un égal accès aux soins sur tout le territoire ?

De manière générale, notre système de soins de santé mentale, comme le reste de notre système de soins, traverse une crise profonde. Lors de l’audition du premier président de la Cour des comptes par la commission il y a quelques semaines, notre groupe alertait sur le manque criant de pédopsychiatres, la suppression de lits et l’engorgement des CMP. Malgré les nombreux rapports tirant la sonnette d’alarme ces dernières années, la santé mentale souffre d’une absence de programmation claire et d’une gouvernance volontariste transversale.

Concernant la pédopsychiatrie, quels leviers les rapporteurs ont‑ils identifié afin de permettre au dispositif d’adresser les enfants et les jeunes dont la santé mentale se dégrade fortement ? À mon sens, ce dispositif porte atteinte à la liberté de choix du patient, qui ne peut choisir un psychologue que sur liste arrêtée. Ce dispositif veut standardiser les prises en charge qui doivent être adaptées au cas par cas.

Enfin, ce dispositif porte atteinte au secret médical, car à l’issue du suivi, le psychologue doit rédiger pour le médecin traitant un compte rendu qui pourrait se retrouver dans le dossier médical partagé.

Bref, ne sommes-nous pas dans une marchandisation et un démantèlement du service public ? Que faites-vous de la santé et du bien-être de la population ? En effet, la santé mentale n’est pas qu’une affaire de médecine et de chimie, elle est aussi une affaire d’humanité comme l’a dit l’association des psychologues freudiens.

M. Thibault Bazin (LR). Je souhaite évoquer l’expérimentation Medisis lancée par le centre hospitalier de Lunéville. Medisis vise à sécuriser la prise en charge médicamenteuse pour réduire les réhospitalisations des seniors par l’accompagnement thérapeutique du patient à l’hôpital et en ville. Nous devons en prendre conscience : chaque année, un tiers des événements indésirables graves est imputable aux médicaments. Pour y faire obstacle, l’ambition de Medisis est de garantir la sécurité médicamenteuse des patients. Medisis expérimente une nouvelle organisation en santé reposant sur des modes de financement inédits de parcours, avec des consultations initiales et de sortie d’hôpital, de conciliation médicamenteuse, en passant par des séances d’accompagnement thérapeutique et la recherche de pertinence clinique des médications.

Améliorer le parcours du patient en sécurité médicamenteuse nécessite d’investir dans le temps d’accompagnement thérapeutique à l’hôpital, mais aussi en ville, avec des séances chez le pharmacien. Cela permettra des économies en réhospitalisation, en non-prescription inutile de médicaments et, surtout, d’éviter des décès pour erreur médicamenteuse.

Vous avez évoqué l’enjeu de la rémunération de la qualité avec des indicateurs lisibles et automatisables. Medisis vise aussi à y répondre.

Vous avez évoqué les nouveaux modes de rémunération liés aux projets portés par les professionnels améliorant la qualité de prise en charge. L’expérimentation teste justement le financement de séances d’accompagnement thérapeutique en ville.

De premières évaluations en cours d’expérimentation avec les premiers milliers de patients inclus ont été menées en 2022 pour le comité technique en innovation de la santé et l’assurance maladie. Comment la pérenniser et la généraliser si l’expérimentation est, in fine, évaluée positivement en termes de parcours des patients, d’efficience du système de santé, d’accès aux soins ou encore de pertinence de prescription des produits de santé ? La généralisation pourrait-elle être enclenchée dès la fin de l’expérimentation ? Dans le cas contraire, comment éviter de perdre l’équipe projet avec des compétences pluridisciplinaires, notamment en termes numériques, c’est‑à‑dire des informaticiens, qui pourraient s’orienter vers d’autres horizons faute de visibilité sur le déploiement ?

La rapporteure générale préconise à juste titre d’accélérer l’évaluation des expérimentations pour donner des perspectives en vue d’une éventuelle bascule dans le droit commun. Quels moyens prévoyez-vous pour ce faire ? Si les évaluations tardent, prévoyez‑vous des crédits supplémentaires afin de maintenir en fonctionnement, lorsque celui‑ci est pertinent, les équipes-projets afin de ne pas perdre les compétences développées, notamment en termes de formation, qui pourraient ensuite être retransférées ? Ne pas le prévoir reviendrait potentiellement à jeter aux orties des millions d’euros d’investissement prometteurs pour améliorer notre système de santé.

Si les évaluations de ces dispositifs étaient favorables, ils passeraient alors dans le droit commun. C’est très bien, mais ne garantit en rien, à l’avenir, les moyens dont ils auront impérativement besoin pour continuer de fonctionner. Ces innovations introduites grâce à l’article 51 nécessitent du financement, notamment pour rémunérer ces parcours et les temps des professionnels à l’hôpital et en ville, les séances d’accompagnement thérapeutique, sans oublier la maintenance de systèmes d’information innovants pour ces informations précieuses afin de garantir la sécurité médicamenteuse. Avez-vous évalué les besoins en moyens financiers nécessaires au déploiement de toutes les expérimentations prometteuses pour les négociations conventionnelles en cours et à venir ?

De plus, l’intégration de ces dispositifs au droit commun créerait peut-être, parfois par incidence, un besoin de modification d’autres textes législatifs ou réglementaires. Comment la direction de la sécurité sociale et la Cnam s’y préparent‑elles ? Concrètement, au-delà des LFSS à venir, avez-vous identifié dans les premières évaluations menées des besoins de modification législative nécessaires pour permettre une sortie efficace des expérimentations de l’article 51 jugées pertinentes ?

Mme Sandrine Josso (Dem). Nous souhaitons vous remercier pour le travail effectué et le partage de nombreuses informations et de précisions. Je tiens aussi à saluer l’énergie de Mme Rist et M. Poulliat, qui ont alerté le Gouvernement après la période covid‑19.

Ces dispositifs sont un début de solution. Ils ont un caractère très récent, évidemment controversé, avec des freins, mais ont le mérite d’exister. Il y a donc urgence à améliorer et consolider ces dispositifs. « MonParcoursPsy » a aussi fait l’objet d’auditions à l’occasion des travaux préparatoires à la proposition loi portant sur l’accompagnement psychologique des couples confrontés à une fausse couche ; j’ai ainsi eu l’occasion d’auditionner des associations de patients et de psychologues. On ne peut évidemment que se dire qu’une amélioration est attendue. Cependant, des éléments sont intéressants à retenir : 70 % des bénéficiaires de ce dispositif sont des femmes. Cela doit aussi nous préoccuper. En termes d’intérêt et de compréhension des besoins, il faut se réjouir de la mise en place de ces dispositifs et de la capacité de les évaluer.

Nous avons également noté l’importance de mettre en place une politique préventive, qui permet de lever certains tabous de l’intime et des souffrances psychologiques.

Je vous remercie de bien vouloir répondre à deux questions concernant l’ambition des deux dispositifs rapportés, tant sur le plan des moyens que des axes prioritaires pour l’avenir.

M. Arthur Delaporte (SOC). Lorsqu’on parle de la psychiatrie, pourriez‑vous être plus précis sur les plans d’investissement nécessaires et besoins de financement pour mettre à niveau les établissements recevant les personnes ayant des troubles mentaux en France ?

J’aurais aimé avoir des précisions de votre part sur la question du 100 % Santé. C’est l’un des grands éléments de communication du Gouvernement pour dire qu’il a permis d’améliorer l’accès aux soins. Le rapport de la Cour des comptes sur le sujet disait que la réforme se traduisait, à rebours de son objectif, par une augmentation des restes à charge, l’instauration d’un panier de soins remboursé à 100 % s’accompagnant d’une diminution des remboursements par l’assurance maladie des équipements du panier libre et, pour les organismes complémentaires, par la diminution du plafond de prise en charge des montures, pour prendre l’exemple de l’optique. On peut donc dire que ce qui compte est l’effectivité et la qualité du panier.

Sur la qualité de ce panier, de nombreuses personnes me disent qu’elles rencontrent des problèmes dentaires, mais que quand elles veulent bénéficier du 100 % Santé, on leur dit qu’elles n’ont accès qu’à un dispositif dégradé ou de piètre qualité. Finalement, le 100 % Santé, plutôt que la santé pour tous, pourrait être parfois une santé pour ceux qui ont les moyens de se la payer ou d’avoir des complémentaires permettant d’accéder à des soins de bonne qualité. Je pourrais permettre à mes collègues qui ont l’air indignés, pour certains, de rencontrer ces personnes qui hésitent à débourser 3 000 euros, par exemple, pour avoir une dentition de qualité.

Le 100 % Santé est donc un véritable enjeu et devrait concentrer toute notre attention pour permettre qu’il soit effectif. C’est un bel objectif que nous partageons, évidemment, mais ce qui compte est la réalité. Pourriez-vous nous apporter les éléments mis en place pour permettre d’améliorer le suivi du 100 % Santé, l’estimation des dépenses et une amélioration de la qualité d’accès aux soins ?

Au-delà du périmètre, la qualité des équipements et des soins et leur adéquation doivent également être évaluées, notamment par rapport aux avancées techniques. Quelle est votre politique pour l’évaluation et l’évolution et l’enrichissement des paniers du 100 % Santé ?

M. Frédéric Valletoux (HOR). Je voudrais remercier les rapporteurs de la Mecss pour leur travail et saluer la qualité des réponses apportées, qui permettent de mieux appréhender des évolutions récentes dans les modèles, notamment de financement, et dans les dispositifs évoqués.

Sur le financement, le Président de la République, lorsqu’il avait lancé Ma santé 2022, avait fait de la régulation par la pertinence l’un des axes capitaux du financement futur du système de santé. Le sujet est vaste, mais concerne des montants importants. Dans son discours de septembre 2018, il évoquait 30 % de dépenses non pertinentes à différents titres. Comment pouvez-vous nous aider à y voir plus clair dans les progrès faits pour augmenter le financement à la qualité ? Pour vous, quelles sont les futures étapes qui permettraient de nous améliorer sur ce champ ?

Concernant l’investissement, vous avez évoqué l’effort réalisé pour l’investissement structurant – investissement hospitalier – et le financement de l’investissement courant. En novembre 2019, le Premier ministre avait annoncé un plan de 10 milliards d’euros étalé sur trois ans pour reprendre un tiers de la dette hospitalière. J’imagine qu’il a été perturbé par la crise sanitaire, mais où en sommes‑nous de la mise en œuvre de ce plan et cet objectif de reprise de dette ? L’objectif était de permettre aux hôpitaux de retrouver des marges de manœuvre financières pour relancer l’investissement.

Sur la pluriannualité, les effets de la convention médicale côté ville et les protocoles pluriannuels avec les établissements donnent de la visibilité aux financements. Il existe toujours la proposition d’adopter, pour la santé, une loi de programmation pluriannuelle pour permettre à notre système de santé d’avancer avec plus de lisibilité. C’est une décision politique, mais, de votre point de vue, cela serait-il positif ? Cela apporterait-il un avantage ? Si oui, pourriez-vous le décrire ? Techniquement, cela vous semble-t-il faisable ?

La dernière LFSS a créé un guichet unique pour les médecins de chaque département. Où en est-on du déploiement ? Quelle est la méthode de mise en place ? Quel est le calendrier ?

Ma dernière question concerne les orthopédistes qui réalisent des prothèses sur mesure afin de remplacer des membres. Leur fabrication nécessite de nombreuses interventions avec des temps non pris en compte dans la facturation de l’acte. Comment envisagez-vous l’ajustement de la prise en charge des prestations au regard du temps passé et des fabrications parfois réalisées à l’étranger ?

Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). À la sortie du covid‑19, tout le monde pouvait imaginer que nous aurions besoin de beaucoup d’accompagnement psychologique, parce qu’être ainsi enfermé dans la crainte d’une épidémie n’est pas neutre sur la santé mentale de tous, particulièrement des plus fragiles. C’est aussi exposer des personnes à des violences intrafamiliales parfois importantes. Au-delà de ces angoisses, c’est aussi les exposer à des décompensations, à des troubles futurs.

« MonParcoursPsy » entendait répondre à une partie de ce problème, mais son cadre très restreint et sa faible portée ont fait du dispositif un pansement sur une jambe de bois : nombre très faible de séances, éloignement du soin de celles et ceux visés, c’est‑à‑dire les étudiants et les précaires, déjà éloignés du monde du soin par leur situation économique et sociale, très peu de psychologues, une psychologie libérale au centre du dispositif alors que les psychologues n’ont toujours pas de statut reconnu et clair dans le domaine du soin, pas de renforcement du service public, un tarif plafonné, pas de possibilité de suite, pas de renforcement des autres échelons du soin psychique, de sorte qu’on laisse les psychologues en première ligne.

In fine, c’est le sens même du soin psychique qui est posé. Celui-ci, par essence, ne peut pas se faire dans un cadre trop rigide. C’est antinomique avec son efficacité et ses résultats. Lorsqu’en plus ce dispositif souhaite toucher les plus précaires, donc probablement ceux ayant des problématiques plus complexes, croisées, multiples, huit séances ne peuvent absolument pas suffire. Aussi est-il indispensable de penser le soin « psy » dans une véritable politique de santé publique inclusive et globale, non comme une variable d’ajustement d’un malaise passager vite surmonté. Rien ne se fera sans réflexion sur le statut des psychologues, leur rémunération et leur place dans le parcours de soins. Une première mesure importante serait d’ouvrir la possibilité d’allonger et poursuivre le remboursement des séances autant que de besoin.

Enfin, je veux parler de deux angles morts des échanges sur la psychologie.

Le premier est la psychologie en milieu scolaire et universitaire. Les étudiants ont beaucoup souffert de la gestion de la crise du covid-19 et quelques séances de « MonParcoursPsy » ne suffisent absolument pas à réduire le problème. J’alerte sur la très grande gravité de la situation psychologique en milieux scolaires et universitaires et sur la faiblesse des moyens mis pour essayer d’y répondre.

Le second concerne la médecine communautaire. Je sais que le terme fera hurler parmi la population, mais les enseignements de l’épidémie de virus de l’immunodéficience humaine avaient montré qu’il était indispensable de parler à des soignants connaissant et comprenant les problématiques non dites, parfois jugées honteuses par des personnes les vivants ou simplement indicibles parce que ne parlant pas la même langue. Il en va de même avec la politique de suivi psychologique.

Dès lors, quelles prolongations et améliorations porter dans le prochain PLFSS ? Cela nécessiterait sans doute de considérer la santé mentale comme prioritaire et non comme un pansement ou un accompagnement. Comment utiliser « MonParcoursPsy » pour en faire la première pierre d’un édifice bien plus important et bien plus solide en matière de service public et d’accompagnement global des personnes en ayant besoin ?

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). L’assurance maladie a remis en juillet 2022 son rapport pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Elle y décrivait une situation très préoccupante en matière de santé mentale, que la pandémie de covid‑19 a amplifiée, notamment chez les jeunes.

La santé mentale recouvre un niveau de dépenses parmi les plus élevés dans la cartographie médicalisée des dépenses de santé. Les besoins de la population ont fortement augmenté. Cela s’est notamment traduit en 2020 par un fort accroissement du recours aux médicaments psychotropes, essentiellement hypnotiques et anxiolytiques. On observe en 2021 une très forte augmentation du recours aux traitements antidépresseurs, notamment des débuts de traitement, en particulier dans les classes d’âge les plus jeunes. La Cnam soulignait que les indemnités journalières constituaient un poste de dépenses important et dynamique dans la population souffrant de troubles de santé mentale ou exposée à un risque important de ce type de trouble. Elle avait identifié ces arrêts de travail « comme un axe d’amélioration lors de travaux communs avec le collège de la médecine générale ».

Cette perspective interroge. Que faut-il entendre à travers cette notion d’axe d’amélioration ? Les arrêts de travail pour trouble de santé mentale sont-ils trop onéreux ? S’agirait-il de les rationaliser ? Si oui, comment, sachant que la médecine du travail est à la peine par manque d’effectifs, que la suppression des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail a lourdement détérioré les actions de prévention de santé au travail et que les diagnostics de burn-out ou les situations de souffrance au travail ont encore du mal à s’imposer en toute légitimité ?

Parmi les propositions, l’assurance maladie préconisait de promouvoir les bonnes pratiques en termes de prescription d’arrêts de travail, en ciblant les deux motifs les plus fréquents : syndromes dépressifs et troubles antidépressifs mineurs, et risques psychosociaux. À ce stade le rapport faisait simplement état d’un accompagnement des médecins par le biais de modules de sensibilisation. Où en est la Cnam sur ces constats et propositions ?

Toujours dans son rapport, l’assurance maladie suggérait, pour 2023, de pérenniser les dispositifs « PsyEnfantAdo » ou « Santé Psy Étudiant », désormais regroupés, et de conforter les thérapies digitales en veillant toutefois à mieux les encadrer. Le rapport avançait alors des chiffres implacables pour démontrer l’essor de la médecine numérique : 1 400 000 téléconsultations en janvier 2022, moins de 40 000 en 2020 et un pic à 4 500 000 en avril 2020), 31 millions de visiteurs uniques de l’application TousAntiCovid en 2021, 58 start‑up françaises en e‑santé ont levé un total de 929 millions d’euros en 2021. La Cnam pouvait se prévaloir de l’engagement du Gouvernement pour amorcer pleinement le virage numérique : 500 millions d’euros de financement alloués à la transformation numérique du système de santé dans le cadre de Ma Santé 2022. Le chiffre a quadruplé afin d’accélérer la numérisation du système de santé et de généraliser, à terme, le partage fluide et sécurisé de données de santé.

Cet engouement pour l’e-médecine pose toutefois question, particulièrement dans la prise en charge de la santé mentale. Au regard des moyens manquants pour les professionnels de santé et, par contrecoup, au regard des patients délaissés, l’engouement pour la médecine numérique pose également question au regard de ceux à qui elle profite, à commencer par les nombreuses start‑up qui la portent. Comment favoriser la reconnaissance des psychologues dans la fonction publique ? Comment réduire la question des files d’attente ?

Concernant « MonParcoursPsy », la question de la rémunération pose problème, ce qu’on voit d’ailleurs au peu de professionnels intégrant le dispositif. Que le médecin généraliste soit au cœur du parcours de santé des patients, j’y suis totalement favorable, mais les médecins généralistes ne connaissent pas forcément bien la psychologie, qui est une discipline à part entière. Ce qui pose le plus de problèmes est la prédétermination du nombre de séances sans connaître la problématique. J’entends qu’il faille mieux communiquer pour que le dispositif soit mieux emprunté par les patients, mais ne faudrait-il pas étendre le nombre de séances afin de correspondre davantage aux besoins des patients ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux autres interventions.

Mme Michèle Peyron (RE). La mise en place de l’entretien postnatal précoce répond à une problématique essentielle dans les dépistages des dépressions post-partum. Le suicide est la deuxième cause de décès maternel en France. Plus largement, on considère que 10 à 20 % des femmes souffrent de dépression post‑partum suite à leur accouchement. À la différence du baby blues, la dépression post-partum est plus difficile à dépister, donc à soigner. L’arrivée d’un enfant est un bouleversement pour chaque parent, une période où il peut être isolé. De nombreuses mères témoignent de la solitude qu’elles peuvent ressentir suite à la naissance. Avant l’accouchement, la femme est suivie de manière plus intensive et peut donc, dès le retour à domicile, se sentir plus esseulée, notamment lorsqu’il s’agit d’un premier enfant.

Si je souscris à la plupart des propositions émises, notamment concernant la formation et l’adressage, je regrette que vous n’ayez pas recommandé l’ouverture de la pratique de l’entretien postnatal aux infirmières puéricultrices. L’infirmière puéricultrice de protection maternelle et infantile (PMI) suit parfois à domicile les bébés et est donc une interlocutrice reconnue de la part des parents, notamment de la maman. En tant que structures pluriprofessionnelles, les PMI peuvent être dotées de psychologues. Les infirmières puéricultrices pourraient donc adresser les mères au psychologue ou au médecin de la PMI. Pensez-vous que cet élargissement soit pertinent ?

M. Yannick Neuder (LR). Je voudrais réagir au dernier propos sur la prise en charge du parcours psychologique et psychiatrique des patients. Au-delà des discussions sur l’évaluation financière et des propositions sur l’innovation, je ne voudrais pas que l’on réécrive certaines choses. Passer par un médecin traitant permet de dépister des troubles extrêmement graves et des situations urgentes pouvant amener des patients à une autolyse ou à mettre en danger leurs jours ou ceux de leurs proches lorsqu’ils sont atteints de troubles psychiatriques. J’invite les porteurs des paroles selon lesquelles les médecins généralistes ne connaissent pas cette spécialité qu’est la psychologie à aller voir de quoi ils parlent.

La psychiatrie fait partie d’un Conseil national des universités clairement identifié et de la formation des étudiants en médecine. Comme pour beaucoup de spécialités médicales, on peut envisager une délégation de tâches sous réserve qu’elles soient contrôlées et coordonnées. Je rappelle que la base du serment d’Hippocrate est d’éviter de nuire, d’où l’adressage immédiat dans des structures psychiatriques d’urgence pour éviter des drames par retard de prise en charge. Les huit séances sont un cadre portant naturellement à évolution en deçà ou en dessus en fonction de la prise en charge des gens.

« Évaluation » ne signifie pas que tout le monde devienne docteur en psychologie. Dans le cadre de notre commission, nous devons juste contrôler l’action et légiférer, mais n’allons pas au-delà de nos rôles, car nous n’avons pas tous les compétences pour apprécier la prise en charge psychologique de l’ensemble de la population française.

Mme Justine Gruet (LR). Il s’agit de mon premier Printemps social de l’évaluation et j’ai le sentiment d’une vaste nébuleuse administrative où tout est compliqué. Il est important de retrouver la complémentarité entre la notion administrative et politique de nos missions.

Est en partie remise sur la table la confiance entre professionnels, à savoir l’importance de la coordination entre médecins et professionnels paramédicaux. Elle doit certes se faire en amont par la prescription et l’ordonnance, mais également en aval avec la notion de coordination et de confiance entre professionnels. Cela interroge sur l’ordonnance que peut faire un médecin pour un psychologue : est-il nécessaire de le faire en amont ? J’insisterai sur la nécessité, en aval, d’un retour du psychologue au médecin traitant pour une efficience au bénéfice du patient.

Un vrai sujet est le nivellement par le bas de la rémunération de nos professionnels de santé. Vous évoquiez le financement libre et le conventionnement pouvant être posé entre professionnels conventionnés et psychologue. Je m’interroge donc sur cette notion même de conventionnement, qui garantit un accès de qualité pour tous les patients, quels que soient leurs revenus, mais met le professionnel de santé en difficulté, notamment avec l’inflation et, plus généralement, par le manque de revalorisation. Une séance de psychologue coûte en moyenne 50 euros et dure une heure. Par « MonParcoursPsy », les pouvoirs publics disent aux professionnels que ce sera 30 euros et que si une heure ne correspond pas à 30 euros, il faut passer à 30 minutes par séance. Cela interroge sur la place des pouvoirs publics à intervenir dans l’ADN du professionnel de santé, qui est le plus à même à définir comment il organise son temps de soin et la qualité des soins.

Je vous remercie de la qualité des échanges de ce matin. Nous avons tout intérêt à travailler ensemble pour garantir une meilleure considération à nos professionnels de santé.

M. Pierre Dharréville, rapporteur. Nous sommes dans un registre connu, avec des questions parfois offensives et l’administration qui se défend en expliquant que les choses vont plutôt bien. Je veux dépasser cela en approfondissant trois questions.

Sur « MonParcoursPsy », comment expliquer l’écart entre l’expérimentation, qui avait plutôt donné des résultats intéressants, et la mise en œuvre du dispositif ? En réalité, contrairement à ce que j’ai entendu, ce n’est pas tout à fait la même chose.

La définition des troubles est l’un des critères d’adressage de patients à des psychologues dans le cadre de « MonParcoursPsy ». Elle soulève un certain nombre de questionnements des professionnels et contribue visiblement à l’inadaptation du dispositif à de nombreuses situations, y compris pour les personnes adressées, avec une moyenne de quatre séances « consommées » et des inégalités très fortes. Des professionnels nous expliquent qu’en fonctionnement libéral, ils ne sont pas en mesure de traiter certains troubles qui nécessitent une équipe, d’autres professionnels, etc.

Je reste dubitatif sur les mesures prises et leur efficacité pour réduire la file active dans les institutions publiques. J’entends ce qui a été fait de formidable pour résorber la crise de la psychiatrie et de la psychologie publique, mais tout le monde peut constater que nous n’y sommes pas et qu’il existe une crise profonde. Dans le cadre de ma permanence, j’ai reçu dix psychologues qui m’ont décrit une situation dantesque intenable. Je ne méconnais pas un certain nombre de décisions qui ont été prises, mais leurs effets sont en réalité assez discutables.

J’aimerais également vous entendre sur le chiffre de 60 % de précarité que j’ai avancé et sur les salaires qui demeurent insuffisants. Les chiffres cités sont-ils les bons ?

M. Éric Alauzet, rapporteur. En réponse aux interventions sur la question récurrente de l’adressage, qui est controversée, on peut considérer qu’il est consubstantiel du dispositif, tant par la manière dont il a été expérimenté avec les médecins et les psychologues que dans le fait de s’inscrire dans un parcours de soins débouchant sur un conventionnement. Il est important pour la plupart des associations de patients.

Pour autant, dans le futur, l’accès direct au psychologue restera sans doute très majoritaire. Il faut donc considérer que l’adressage et l’inscription dans la convention ne sont qu’une petite partie de l’activité de prise en charge psychologique et psychothérapique.

On peut comprendre que les psychologues, par la nature de leur pratique, jouissent d’une très grande liberté. La discipline requiert sans doute de la souplesse en fonction de la complexité et de la diversité des cas. Les contraintes par le conventionnement sont peut-être mal vécues ou mal comprises et peuvent être un vrai choc de culture pour la profession.

En conclusion, des améliorations sont sans doute possibles. On pourrait imaginer que le renouvellement de séances puisse se faire sans passage chez le médecin traitant. Le dispositif est évidemment perfectible, mais il est excessif de dire que la situation est pire que s’il n’existait pas.

M. Sébastien Peytavie, rapporteur. Une question porte sur la nature même du soin psychique, de l’accueil d’un patient avec une souffrance psychique et, finalement, autour de ce dispositif, un regard médical. Il faut entendre que s’il y a un refus d’entrer dans ce dispositif pour 93 % des psychologues, ce n’est pas parce qu’il n’a qu’un an d’existence ou qu’il existerait un problème de pédagogie, mais parce que la plupart le rejettent en se plaignant de ne pas avoir été entendus lors de sa mise en place. Un seul syndicat a activement participé au dispositif, les autres le refusant, et il faut entendre leurs raisons. Elles sont liées à la nature même du métier. En tant que psychologue, au bout de quatre ou cinq séances, on peut parfois percevoir des choses beaucoup plus graves et profondes. Mais, il faut attendre un an pour éventuellement avoir huit séances supplémentaires. Alors que certains évoquaient la dangerosité, ouvrir une offre et une écoute à quelqu’un pour finalement lui dire qu’on ne peut pas aller plus loin peut exposer à des situations très compliquées.

Beaucoup de médecins généralistes ne savent pas à qui adresser un patient. Lors des auditions, on a rencontré un gros problème vis-à-vis des « psycho-machins », qui sont surtout des charlatans sans formation, que les patients peuvent finalement aller voir. Le fait d’avoir un fléchage offrait une solution. Il faut aussi prendre la mesure du fait qu’un psychologue clinicien a bénéficié d’une formation de cinq ans qui, en matière de psychologie, est supérieure à un psychiatre qui n’a pas passé le même temps sur la question psy. Un psychologue est donc tout à fait en mesure de savoir si une situation est compliquée ou pas. Ce n’est pas parce qu’un trouble est de l’ordre de la psychose qu’un psychologue ne peut pas l’appréhender. Souvent, cela viendra en complément d’un traitement médicamenteux. Un trouble léger est déjà très difficile à repérer. Beaucoup de psychologues ne se sont pas sentis considérés à travers le dispositif.

Vous évoquiez le nombre de postes de psychologues créés, mais il faut prendre la mesure du fait que quand un enfant ne va pas bien, il faut attendre un an pour qu’il puisse entrer dans un dispositif. Ce n’est pas sérieux quand on voit les conséquences que cela peut avoir sur la scolarité et l’avenir d’un enfant. Plus on attend, plus les choses s’aggravent.

Quand seulement 10 % des précaires sont entrés dans le dispositif, cela montre que quelque chose ne va pas. Parmi les psychologues ayant utilisé ce dispositif, beaucoup nous ont expliqué que ce sont de jeunes actifs ayant les moyens de payer des séances qui ont principalement pu bénéficier du dispositif. Nous ratons la cible. Quelque chose ne va pas et doit être entendu.

M. Hadrien Clouet, rapporteur. J’ai bien entendu que les précaires bénéficiaient de complémentaires. Si 7 millions sont couverts, le non-recours est de 56 %. Par conséquent, 44 % des personnes éligibles ne sont pas couvertes.

La CSS couvre une partie de la population et le ticket modérateur en couvre une autre. À ce stade, rien n’indique que les personnes ne recourant pas à l’entretien postnatal soient exclusivement des personnes issues du milieu précaire. Je serais ravi d’une enquête longitudinale sur ce point. Par ailleurs, la question de l’accès au dispositif n’est évidemment pas qu’une question financière, mais peut aussi être symbolique et culturelle. Annoncer aux personnes éligibles qu’elles sortent de l’assurance maternité dès lors qu’elles entrent dans ce dispositif conduit à dégrader la place qu’occupe l’entretien dans le parcours de soins. Je constate que le critère de primiparité est un sujet ouvert et je me félicite que nous ayons l’occasion d’en discuter à nouveau.

Des professionnels de santé limitent le nombre de personnes adressées à un second rendez-vous, ne serait-ce que par capacité physique d’honorer les seconds rendez-vous et par souci de ne pas engorger l’ensemble des parcours de soins. Adresser l’ensemble des femmes primipares se fait par une logique d’éviction d’autres personnes qui présenteraient des traits, caractéristiques ou prédispositions qui devraient les conduire au second entretien. Cela conduit donc à des arbitrages compliqués pour les professionnels de santé.

La question des infirmières puéricultrices pose la tension du dispositif. Entre-t-on dans une logique consistant en un parcours de soins intégré, auquel cas on ne voit guère que les sages-femmes qui puissent faire le suivi de l’ensemble, ou bien continue-t-on avec une logique d’interventions variées de différents professionnels susceptibles de prendre en charge l’entretien ? Cela pose la question du volume de personnes capables d’assurer le suivi et de la variété des pratiques professionnelles contre l’intégration du parcours de soins. Je pense que c’est l’une des questions que nous serons amenés à trancher.

Mme Marie Daudé, directrice générale de l’offre de soins. Sur les points soulevés, je comprends que nous pouvons faire mieux, mais le sujet de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie est une vraie préoccupation du Gouvernement : 350 millions d’euros avaient été accordés entre 2018 et 2021 et ont aussi bénéficié à la pédopsychiatrie, un appel à projets ciblé sur la pédopsychiatrie est financé à hauteur de 20 millions d’euros annuels depuis 2019 et permet d’améliorer l’offre hospitalière, notamment dans dix départements totalement dépourvus de lits en psychiatrie, avec 23 lits créés en 3 ans et 40 places en hospitalisation partielle. Cela reste insuffisant, mais constitue un effort sans précédent, renouvelé à compter de 2022 avec les Assises de la santé mentale, achevées en septembre 2021, avec 1,9 milliard d’euros consacrés à la psychiatrie en cinq ans, avec le renforcement des CMP infanto-juvéniles, des maisons des adolescents et des filières de psychotrauma, particulièrement ciblées sur les mineurs.

Le chantier d’attractivité des métiers ouvert depuis plusieurs mois bénéficiera bien évidemment aux professionnels de la psychiatrie et devrait permettre de renforcer le secteur.

Sur l’investissement et la restauration des capacités financières avec la reprise de dette, 13 milliards d’euros étaient initialement fléchés : 7,5 milliards ont été affectés aux investissements structurants et 6,5 milliards sont consacrés à la restauration des capacités financières des établissements, avec une contractualisation ARS-établissement dans chaque région avec un étalement pluriannuel. À ce stade, 2 milliards d’euros ont été effectivement versés.

Nous sommes évidemment tous preneurs d’une pluriannualité de financement dans le système de santé. Cela ne peut que donner de la visibilité aux acteurs et nous permettre d’adapter les financements aux besoins. Les fédérations hospitalières sont très demandeuses du renouvellement du protocole pluriannuel qui s’est achevé en 2022, mais a été tacitement reconduit sur 2023. Ce protocole a été mis entre parenthèses le temps d’avoir une visibilité sur la future réforme du financement et sur les perspectives de l’Ondam, mais il est prévu de redonner une vision pluriannuelle aux fédérations.

Concernant le chantier des psychologues dans la fonction publique hospitalière, je rappelle que les psychologues ont en partie bénéficié des mesures du Ségur de la santé, à savoir les 183 euros et l’augmentation du point d’indice. Nous sommes bien conscients des revendications de cette population.

M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale. L’expérimentation Medisis est prolongée et son évaluation se fera en 2024.

De nombreuses expérimentations de l’article 51 ont l’intérêt de proposer des prises en charge nouvelles par l’assurance maladie et de s’inscrire dans une logique tendant à davantage de coordination et de lien entre des rémunérations nouvelles englobant la tarification, ce qui n’est souvent pas le cas dans notre système.

Nous n’avons pas évalué les montants nécessaires en généralisation parce que nous sommes encore trop en amont. Il est toutefois certain qu’au moment de la présentation des généralisations, notamment dans les PLFSS, les enveloppes liées aux généralisations seront dans la trajectoire avec une montée en charge. En effet, on ne passera pas du jour au lendemain de projets expérimentaux à une diffusion globale sur le territoire, qui demandera du temps.

Sur les besoins en mesures législatives, il est encore un peu tôt pour les préciser. Il n’est pas impossible qu’une ou plusieurs dispositions sur des généralisations d’expérimentations au titre de l’article 51 figurent dans le prochain PLFSS, dès lors que le droit actuel ne permet pas de financer tel ou tel type de généralisation.

Si l’évaluation est négative, l’objectif est bien d’accompagner les équipes dans la sortie de l’expérimentation. Lorsqu’elle sera positive, nous les accompagnerons vers le nouveau cadre pérenne.

Sur le 100 % Santé, le ministre de la santé et de la prévention a réuni les acteurs en avril 2023 et a annoncé des étapes supplémentaires en 2024. Nous y travaillons et nous y travaillerons dans les prochains mois. Il s’agit d’une actualisation des paniers de soins remboursés à 100 % sur les audioprothèses, par la prise en compte des avancées techniques, et en optique, avec les verres spécifiques. Pour le dentaire, cela s’inscrit dans le cadre de la négociation venant de s’ouvrir entre l’assurance maladie et les syndicats. Par ailleurs, une extension du panier aux fauteuils roulants a été annoncée dans le cadre de la Conférence nationale du handicap. L’objectif est donc bien de veiller à ce que les paniers pris en charge à 100 % soient actualisés avec les avancées techniques pour en garantir la qualité.

Quant à l’évaluation, nous la faisons en lien avec la Cnam et la direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques. Il existe toujours un délai parce qu’il s’agit d’un 100 % Santé conjoint entre l’assurance maladie obligatoire et les complémentaires, pour lesquelles l’obtention des données demande un délai : nous ne disposerons des données 2022 des complémentaires que d’ici la fin d’année 2023. Le 100 % Santé représente un investissement financier important sur les trois dernières années pour l’assurance maladie obligatoire et les complémentaires. Il atteint ses objectifs très largement et en particulier sur les audioprothèses, avec une forte augmentation du recours. Le non-recours était souvent déploré sur la précédente période, avec un sujet de désocialisation des personnes âgées.

Concernant les débats sur « MonParcoursPsy », doit-on le comparer à ce que certains voudraient dans l’idéal ou à ce qui existait un an auparavant, c’est-à-dire rien ? Nous nous appuyons sur les enseignements de l’expérimentation pour montrer qu’il s’agit de troubles légers à modérés, d’où un nombre de séances limité. Dans les cas où il faudrait aller au-delà, d’autres recours ou d’autres parcours sont probablement nécessaires. Le dispositif n’est pas figé et nous sommes sensibilisés au besoin de le faire évoluer pour l’améliorer dans la durée. Encore une fois, par rapport à ce qui existait auparavant, le dispositif constitue tout de même un grand progrès pour les patients qui en ont bénéficié.

Mme Danielle Metzen-Ivars, cheffe de service des politiques d’appui au pilotage et de soutien à la direction générale de la santé. Le dispositif « MonParcoursPsy » et l’entretien postnatal ont vocation à perdurer dans la mesure où il a été rappelé qu’il s’agissait de la suite d’une expérimentation qui a déjà cinq ans. Il s’agit de la concrétisation d’une mesure réfléchie.

Du fait du caractère récent de leur mise en œuvre opérationnelle, avec dix‑huit mois de recul, le début de l’année 2024 nous permettra de disposer d’une vision plus détaillée, notamment avec des éléments statistiques confortés sur chacun des dispositifs. Sur ces bases, en prenant en compte tous les éléments dont nous pourrons échanger avec les différentes parties prenantes, nous pourrons avoir une analyse des évolutions possibles – elles ne sont pas exhaustives, dans la mesure où d’autres s’ajouteront dans les mois à venir – sur des sujets comme l’adressage, la logique de prise en charge intégrée, la durée de prise en charge, les modalités d’accès et la capacité d’atteindre plus largement les populations précaires et les étudiants. Le dispositif a le mérite d’exister et il nous appartient de le faire évoluer.

M. Patrick Risselin, secrétaire général auprès du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie. J’apporterai quelques précisions chiffrées ou correctifs.

M. le directeur de la sécurité sociale évoquait quelque 2 200 psychologues conventionnés fin 2022 contre 3 000 aujourd’hui. Les rapporter aux 93 000 psychologues existants n’est pas exact puisque ceux visés par le dispositif sont particulièrement les psychologues cliniciens, au nombre de 18 000 à 23 000 selon les sources. Le taux se rapproche plus de 12 ou 13 % que de 7 %.

Le dispositif est récent et a le mérite d’exister. Il ne faut pas lui faire porter plus qu’il ne le peut, puisqu’il s’agit d’un dispositif de première ligne. J’entends qu’il n’est pas évident de détecter un trouble psychique léger à modéré, mais il a le mérite d’éviter au médecin généraliste de passer immédiatement à une prescription médicamenteuse. Que certains cas nécessitent plus de séances peut s’entendre, mais nous sommes véritablement dans un dispositif de première ligne permettant un repérage. Sur la question de l’aval, nous savons parfaitement la situation préoccupante de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie.

S’agissant de la pédopsychiatrie, les Assises de la santé de l’enfant et de la pédiatrie sont en préparation avec un groupe de travail spécialement dédié à la santé mentale de l’enfant. Nous n’allons donc pas préempter les conclusions de ces assises. Un certain nombre d’initiatives ont donc été engagées. Le problème de fond, dans le champ de la psychiatrie comme d’autres, est évidemment le déficit de professionnels. La question de la démographie médicale de ces professionnels ne sera pas résolue en un jour.

Des mesures ont été prises : allongement du diplôme d’État spécialisé de psychiatrie de quatre à cinq ans, engagement d’un effort particulier en pédopsychiatrie depuis 2018, avec la formation de quarante‑deux chefs de clinique, et dispositifs incitatifs pour revaloriser la profession, comprenant la consolidation de la recherche en santé mentale et psychiatrie et le jumelage de centres hospitaliers universitaires et établissements de droit commun pour valoriser la profession à travers des dispositifs de recherche et de recherche clinique. Ces mesures visent à combler le retard et les énormes difficultés que nous avons dans le domaine de la pédopsychiatrie. Nous en sommes conscients, nonobstant les propos de Mme Daudé sur l’appel à projets en pédopsychiatrie. Des efforts sont faits en ce sens.

Plus globalement, il serait excessif de dire qu’il n’y a pas de politique de santé mentale. Depuis cinq ans, il existe une feuille de route, certainement très largement perfectible. Le ministre en a rendu compte le 3 mars dernier sur le bilan d’application disponible sur le site du ministère. Un certain nombre de choses avancent dans les territoires.

S’agissant des ARS, je ne crois pas qu’il faille être trop sévère avec elles, y compris durant la crise du covid‑19, car elles ont énormément donné. Elles sont en train de construire les schémas régionaux de santé de deuxième génération, dans lesquels la santé mentale teindra une place tout à fait prépondérante. Un certain nombre de leviers sont à leur main, notamment dans le champ de la psychiatrie : la réforme du financement de la psychiatrie, la réforme des autorisations de l’exercice en psychiatrie devant permettre un maillage, une gradation et une articulation entre psychiatries privée et publique, et projets territoriaux de santé mentale. Les appels à projets seront déconcentrés à l’échelon des ARS, qui pourront mieux adapter l’offre à leurs territoires.

Tout n’est pas rose, nous en avons conscience. La crise est extrêmement aiguë. « MonParcoursPsy » et l’entretien postnatal sont des premières pierres, qui ont le mérite d’exister pour lancer une dynamique. Des dispositifs d’évaluation sont prévus, mais donnons‑nous le temps de réaliser sereinement ces évaluations. Le ministère regardera de près tous les correctifs que l’on pourrait y apporter.

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Quelques années en arrière, on a pu avoir une vision pas totalement fausse de ce qu’étaient les « lunettes sécu ». Avec le 100 % Santé, on n’est pas dans cette logique : on offre des paniers de qualité pris en charge à 100 % en assurance maladie obligatoire (AMO) et en assurance maladie complémentaire (AMC). Sur les prothèses dentaires, cela se traduit par le fait que nos concitoyens ont bénéficié de 23 millions de prothèses prises en charge dans le cadre du panier à 100 %. Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’elles soient de sous‑qualité. Plus de la moitié des prothèses dentaires remboursées par l’AMO/AMC sont des prothèses en 100 % Santé, soit un chiffre bien supérieur aux prévisions lors du lancement. Ce n’est pas le travail mené avec les dentistes et les complémentaires. Ce n’est pas le cas non plus pour les milliers d’audioprothèses et lunettes vendues sans reste à charge même si les assurés peuvent choisir des produits plus chers, ce qui relève de leur responsabilité.

Je ne dis pas que tout est parfait. Nous avons engagé une renégociation avec les dentistes. Le sujet de la mise à jour du contenu des paniers et du niveau de tarification fait partie de ceux que nous aborderons avec eux. Ces dispositifs doivent vivre et être adaptés pour être attractifs pour les assurés afin de permettre l’accès aux soins. On peut tout de même témoigner, ces deux dernières années, d’une augmentation sensible du recours à la prothèse dentaire sans reste à charge. C’est un progrès pour l’accès aux soins. J’espère que d’ici cet été nous aurons abouti dans la négociation avec les dentistes libéraux. L’AMO y est prête. Encore une fois, la qualité est au rendez-vous.

Sur le sujet de l’expérimentation Medisis stricto sensu, un rapport intermédiaire a déjà été partagé avec les promoteurs et un rapport final est prévu pour 2024. Je partage avec vous le fait que, derrière l’article 51, il existe une mécanique d’évaluation lourde. Honnêtement, c’est un exercice d’évaluation assez inédit dans son ampleur, puisque plusieurs dizaines d’évaluations sont en cours et réalisées de manière indépendante pour apporter une visibilité au ministre et au Parlement sur le fait que les expérimentations apportent ou non des améliorations. Encore une fois, nous espérons que beaucoup d’éléments, législatifs, réglementaires ou conventionnels, permettront de basculer dans le droit commun pour pouvoir engager cette dynamique.

Sur la santé mentale et pour dissiper une ambiguïté sur la vision des arrêts de travail, il ne s’agit pas de porter un jugement en disant qu’il y aurait trop d’arrêts de travail en lien avec la santé mentale. Ce n’est pas notre angle de travail. Le travail mené avec le collège de médecine générale a montré que dans un certain nombre de situations, les médecins généralistes avouent être « démunis ». L’idée est de les accompagner dans la prise en charge de la santé mentale, et c’est pourquoi nous avons mis en place un Mooc, qui a connu une fréquentation intéressante, avec 6 000 médecins inscrits pour les deux sessions proposées en 2022. En 2023, une campagne d’accompagnement des généralistes autour de la prise en charge de la santé mentale sera relancée.

Par ailleurs, s’il existe des abus en matière de prescription des arrêts de travail, des contrôles existent. Nous les réengageons, notamment après la crise sanitaire. C’est bien sur un ensemble de leviers qu’il faut jouer.

« MonParcoursPsy » est un dispositif qui doit évidemment vivre et s’ajuster : 11 % des bénéficiaires actuels sont affiliés à la CSS, soit à peu près la part qu’ils représentent au sein de la population générale. Monsieur le député, le dispositif n’est pas réservé aux actifs ayant les moyens et se faisant payer leurs soins par la sécurité sociale.

Vous m’interrogiez sur les écarts entre les expérimentations et la généralisation. Il faudrait sans doute une exégèse plus approfondie. C’est un fait que certains professionnels n’ont pas été favorables à sa généralisation. Les équipes du ministère de la santé doivent approfondir le dialogue avec les professionnels de santé pour s’expliquer, partager et progresser. Nous avons besoin d’eux et de construire avec eux.

Je partage simplement le constat que les tarifs de la généralisation sont supérieurs aux tarifs de l’expérimentation. Nous ne pouvons pas dire que la généralisation ait été moins-disante qu’une expérimentation qui avait été plutôt bien reçue dans les quatre départements dans lesquels elle s’était déployée, avec une participation intéressante de la part des psychologues.

Encore une fois, un important travail d’explication et d’échange est nécessaire. Faut‑il aller vers des dispositifs en accès direct ? La réponse n’est pas dans les mains de l’assurance maladie. Cela signifie un vrai conventionnement et cela pose des questions de formation. À ce stade, le Gouvernement et le Parlement n’ont pas souhaité entrer dans cette logique, mais dans un dispositif qui crée un parcours de soins dans lequel le médecin peut avoir recours à des psychologues conventionnés au sens d’une prise en charge et non pas d’un conventionnement classique. Il s’agit d’un autre dispositif qui se discute. Je n’ai pas d’avis tranché sur la question.

En un an, plus de 30 000 médecins généralistes ont eu recours au dispositif. Pour travailler beaucoup avec eux, je peux dire que peu de dispositifs sont aussi vite entrés dans une forme de pratique quotidienne. Je pense qu’il répond à un vrai besoin pour eux. Doivent-ils en garder l’exclusivité ? Nous sommes attachés, vous le savez, à consolider une équipe autour des médecins traitants et à leur donner des outils, même si d’autres évolutions des compétences des professionnels de santé peuvent et doivent se faire dans une vision dynamique. Nous aurons certainement dans les mois et les années à venir l’occasion d’évaluer le dispositif et les conditions dans lesquelles il doit évoluer en se disant qu’il est complémentaire. C’est bien ce que prévoyait le plan sur la santé mentale, à savoir agir sur les différents leviers et non pas uniquement sur le monde libéral.

M. Yannick Monnet (GDR - NUPES). Je vous remercie de votre réponse. Vous convenez donc avec moi que les médecins généralistes ne savent pas tout.

J’ai écouté l’argument qui revient souvent qui consiste à dire qu’il n’a jamais été mis autant d’argent. Cette comparaison ne m’intéresse pas, car entre-temps, il y a eu le covid-19. La question n’est pas de savoir qui a la plus grosse enveloppe budgétaire, mais si elles correspondent aux besoins.

Sur la pédopsychiatrie, le compte n’y est pas. En tant que députés, nous sommes en contact avec les populations qui subissent le manque d’accès aux soins. Dans de nombreux départements, et notamment les départements ruraux, des services de pédopsychiatrie ferment et les patients n’y ont pas accès. Vous n’êtes pas en cause, car tributaires de décisions politiques.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Il ne me reste plus qu’à remercier très chaleureusement les députés, coprésidents et rapporteurs de la Mecss, ainsi que la rapporteure générale et l’ensemble des représentants des caisses et des différentes directions ici présents pour la précision, la pertinence et la qualité des réponses apportées aux très nombreuses questions des députés.

Le Printemps social se termine et les contacts sont pris. Rien ne vous empêche de garder contact et d’interroger les différentes administrations lorsque vous le jugerez nécessaire.

 


([1]) Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie.

([2]) Devenu la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([3]) Loi n° 2020-992 du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie.

([4]) Devenu la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

([5]) La loi de finances pour 2019 a ainsi abrogé la taxe sur l’enrichissement des vins et celle pour 2020 a harmonisé la définition fiscale des boissons alcooliques.

([6]) CJUE, arrêt du 13 mars 2019, C-195/18. En France, s’y ajoutent les jus de fruits et de légumes (article L. 1144 du code des impositions sur les biens et services).

([7]) La dénomination de « bière » ne couvre, sur les plans douanier et fiscal, que les bières de malt et leurs mélanges avec d’autres boissons (panachés), en excluant donc les bières de gingembre, les bières d’herbes ou les boissons dites « malton ». Cf. BOI-TCA-BNA-10, §40 à 100.

([8]) Le droit européen établit le régime général d’accise, arrête la définition des produits soumis aux accises en précisant la structure de ces droits d’accise et fixe les niveaux d’accises minimaux qui doivent être appliqués à chaque catégorie de boisson alcoolique. Au total, si le droit européen fixe de faibles taux minimaux, les États membres ont toute capacité pour appliquer des taux d’accise supérieurs. À l’inverse, les boissons qui ne contiennent pas d’alcool ne sont pas encadrées par le droit européen, même si des principes des traités peuvent s’y appliquer. Cf. directive 2020/262 du 19 décembre 2019 ; directive 2020/1151 du 29 juillet 2020 ; directive 92/84/CEE du 19 octobre 1992.

([9]) Article L. 111-4 du code des impositions sur les biens et services.

([10]) Loi n° 83-25 du 19 janvier 1983 portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, dite « loi Bérégovoy ».

([11]) Articles L. 245-7 à L. 245-12 et L. 758-1 du code de la sécurité sociale.

([12]) Article 1613 bis du code général des impôts.

([13]) Sauf pour les ventes à consommer sur place, pour lesquelles le taux est de 10 %.

([14]) Article 1613 quater II 1° du code général des impôts.

([15]) Article 1613 ter du code général des impôts.

([16]) Article 1582 du code général des impôts.

([17]) Inserm, expertise collective, « Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool », 2021 https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-05/inserm-expertisecollective-alcool2021-synthese.pdf

([18]) https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/TabAlcool2021.pdf

([19]) https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/qu-est-ce-que-la-taxe-soda_169344

([20]) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8778490/

([21]) https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/90846524-d27e-4d18-a4fe-e871c146beba/files/1f8ca101-0cdb-4ccb-95ec-0a01434e1f34

([22]) Santé publique France, « Adéquation aux nouvelles recommandations alimentaires des adultes âgés de 18 à 54 ans vivant en France », étude Esteban 2014-2016, volet nutrition – surveillance épidémiologique, janvier 2019.

([23]) Sébastien Lecocq, Christine Boizot-Szantai, Yann Le Bodo, Gayaneh Kyureghian, Fabrice Etilé, « Évaluation économique de la réforme de la taxe soda 2018 », rapport remis à la direction générale de la santé en janvier 2023.

([24]) Réponses aux rapporteurs.

([25]) Organisation de coopération et de développement économiques : https://www.oecd.org/fr/els/systemes-sante/Note-de-Synthese-Lutter-contre-la-consommation-nocive-d-alcool.pdf

([26]) Organisation mondiale de la santé : https://www.who.int/europe/fr/news/item/21-03-2022-taxes-on-sweetened-drinks-who-explains-how-to-make-them-an-effective-health-measure

([27]) https://blogs.worldbank.org/health/are-you-paying-taxes-sugary-drinks-half-worlds-population-does-and-here-why-it-makes-sense?CID=WBW_AL_BlogNotification_EN_EXT?cid=SHR_BlogSiteShare_EN_EXT

([28]) Pierre Kopp, « Étude d’évaluation de la fiscalité des boissons alcooliques et d’orientation stratégique de la politique de santé publique dans ce domaine », étude commandée par la direction générale de la santé, juillet 2006.

([29]) https://www.drogues.gouv.fr/rapport-et-synthese-effets-economiques-et-epidemiologiques-de-politiques-de-prix-des-boissons

([30]) La France a le plus faible niveau de taxation du vin en 2019 dans l’Union européenne.

([31]) https://www.drogues.gouv.fr/sites/default/files/2023-03/SIMCA%202023-2027_0.pdf (page 41).

([32]) Cour des comptes, « Les politiques de lutte contre les consommations nocives d’alcool », rapport public thématique, juin 2016.

([33]) Alexander C. Wagenaar, Matthew J. Salois, Kelli A. Komro, « Effects of beverage alcohol price and tax levels on drinking : a meta-analysis of 1003 estimates from 112 studies », Revue Addiction, 15 janvier 2009

([34]) Fabrice Etilé, « Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées », août 2022.

([35]) Sénat, rapport d’information n° 399 de M. Yves Daudigny et Mme Catherine Deroche, fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale et de la commission des affaires sociales, « Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales », 26 février 2014.

([36]) Article L. 132-2 du code des impositions sur les biens et services.

([37]) Article 15 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

([38]) OMS, 63e Assemblée mondiale de la santé, stratégie visant à réduire l’usage nocif de l’alcool : projet de stratégie mondiale, rapport du secrétariat.

([39]) Fabrice Etilé, « Effets économiques et épidémiologiques de politiques de prix des boissons alcoolisées », août 2022.

([40]) Cour de justice de l’Union européenne, Scotch Whisky Association e.a. / Lord Advocate, C-333/14, 23 décembre 2015.

([41]) https://www.sheffield.ac.uk/research/features/minimum-unit-pricing

([42]) Grant M. A Wyper, Daniel F Mackay, Catriona Fraser, Jim Lewsey, Mark Robinson, Clare Beeston, Lucie Giles, « Evaluating the impact of alcohol minimum unit pricing on deaths and hospitalisations in Scotland : a controlled interrupted time series study », The Lancet n° 401 (pp. 1361-1370), 21 mars 2023.

([43]) https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/qu-est-ce-que-la-taxe-soda_169344

([44]) Pr Martine Laville (avec le concours de Maryse Fourcade), « Mieux prévenir et prendre en charge l’obésité en France », avril 2023 (pages 24 et suivantes).

([45]) Peter Scarborough, Vyas Adhikari, Richard A. Harrington, Ahmed Elhussein, Adam Briggs, Mike Rayner, Jean Adams, Steven Cummins, Tarra Penney, Martin White, « Impact of the announcement and implementation of the UK Soft Drinks Industry Levy on sugar content, price, product size and number of available soft drinks in the UK, 2015-19 : A controlled interrupted time series analysis », PLOS Medecine, 11 février 2020.

([46]) Jean Adams, David Pell, Tarra L Penney, David Hammond, Lana Vanderlee, Martin White, « Public acceptability of the UK Soft Drinks Industry Levy : repeat cross-sectional analysis of the International Food Policy Study (2017-2019) », BMJ Open, 24 septembre 2021.

([47]) Ces dernières ayant transmis une contribution écrite aux rapporteurs.

([48]) Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

([49]) Ordonnance n° 2021-1554 du 1er décembre 2021 relative à la mise en œuvre de la création de la cinquième branche du régime général de la sécurité sociale relative à l’autonomie.

([50]) Ces dispositions entreront en vigueur le 31 décembre 2025.

([51]) Annexe 7 (Dépenses de la branche autonomie et effort de la nation en faveur du soutien à l’autonomie), PLFSS 2023.

([52]) Loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées.

([53]) Annexe VII, PLFSS 2023.

([54]) S’agissant par exemple du financement des soins à domicile.

([55]) S’agissant notamment des dépenses liées aux réparations ou aux rentes.

([56]) Entré en vigueur le 1er octobre 2021, l’avenant 43 à la convention collective de la branche autonomie, est une revalorisation salariale des aides à domicile de la branche de l’aide à domicile, qui travaillent au quotidien auprès des personnes âgées et en situation de handicap.

([57]) Rapport Libault : « vers un service public territorial de l’autonomie », 2019.

([58]) Il est à noter que le recours au FIVP n’exclut pas la possibilité pour les victimes de demander une réparation en justice des préjudices subis.

([59]) Outre le FIVP, une quote-part de cette taxe est également affectée à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) afin de financer le dispositif de phytopharmacovigilance.

([60]) Outre son président, il est composé de sept représentants de l’État, deux représentants des organismes de protection sociale (CCMSA, Caisse nationale de l’assurance maladie), un membre proposé par les organisations nationales d’aide aux victimes des pesticides, un membre proposé par les fabricants de pesticides, deux personnalités qualifiées par leur expertise et quatre représentants des organisations représentatives patronales et syndicales. La composition paritaire du conseil de gestion permet de favoriser les échanges entre les différentes parties sur le fonctionnement du fonds et ses évolutions.

([61]) 408 accords, 74 refus et 168 dossiers incomplets.

([62]) Source : association Phyto-Victimes.

([63]) Un arrêté du 7 janvier 2022 fixe les règles de réparation forfaitaire des enfants exposés aux pesticides durant la période prénatale du fait de l’activité professionnelle de l’un de leurs parents et identifie cinq pathologies non exhaustives. Il prévoit également une indemnisation forfaitaire de certains ayants droit.

([64]) « Réforme des modes de financement et de régulation : vers un modèle de paiement combiné », rapport de la task force « Réforme du financement du système de santé », janvier 2019.

([65]) Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

([66]) Loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([67]) 235 hôpitaux publics, 35 établissements privés à but non lucratif et 6 cliniques privées.

([68]) Loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017.

([69]) Le décret n° 2021-216 du 25 février 2021 relatif à la réforme du financement des structures des urgences et des structures mobiles d’urgence et de réanimation crée, auprès de chaque ARS, un comité régional consultatif d’allocation des ressources relatif aux activités d’urgence, de psychiatrie et de soins de suite et de réadaptation des établissements de santé. Le comité, qui rassemble des représentants des établissements, des professionnels de l’activité concernée et des usagers, doit émettre un avis auprès du directeur général de l’ARS sur l’allocation des dotations populationnelles entre établissements pour ces activités.

([70]) Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, Cour des comptes, octobre 2022, p. 202 : « La rémunération d’un radiothérapeute en libéral est 4 à 5 fois plus élevée que dans le secteur public. Ce différentiel de rémunération entre les deux secteurs s’accroît depuis 2015 ».

([71]) Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.

([72]) Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.

([73]) Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, Cour des comptes, mai 2023 : « Expérimenter pour réformer l’organisation et la tarification des soins », p. 157.

([74]) « Sa capacité à produire dans les délais impartis des évaluations de qualité, première étape obligée de la sortie du temps de l’expérimentation, est cependant incertaine ».

([75]) Protocole d’accord entre l’État et les fédérations d’établissements de santé sur l’évolution des ressources des établissements de santé pour 2020 à 2022.

([76]) L’article 79 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit que le Gouvernement remette au Parlement un rapport d’évaluation du dispositif au plus tard le 1er septembre 2024.

([77]) Dossier de presse des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie, septembre 2021.

([78]) Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 14 février 2023, n° 2.

([79]) Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

([80]) Arrêté du 8 mars 2022 relatif aux tarifs, codes de facturation et critères d’inclusion du dispositif de prise en charge de séances d’accompagnement psychologique.

([81]) https://monparcourspsy.sante.gouv.fr/faq

([82]) Décret n° 2022-195 du 17 février 2022 relatif à la prise en charge des séances d’accompagnement réalisées par un psychologue.

([83]) https://monparcourspsy.sante.gouv.fr/

([84]) Cour des comptes, Les parcours dans l’organisation des soins de psychiatrie, février 2021.

([85]) Source : délégation ministérielle à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP).

([86]) Santé mentale et psychiatrie. Synthèse du bilan de la feuille de route. État d’avancement au 3 mars 2023.

([87]) Source : France Assos santé, selon les données de la CNAM.

([88]) Certains psychologues auditionnés se sont dits mieux identifiés par les médecins généralistes lorsque, pour d’autres, les échanges étaient déjà bien établis.

([89]) Santé mentale et psychiatrie. Synthèse du bilan de la feuille de route. État d’avancement au 3 mars 2023.

([90]) On consultera le rapport n°2249 rédigé, sous la présidence de Brahim Hammouche, par Caroline Fiat et Martine Wonner, pour le compte de la mission d’information relative à l’organisation de la santé mentale, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2019.

([91]) Inspection générale des affaires sociales, Prise en charge coordonnée des troubles psychiques : état des lieux et conditions d’évolution, octobre 2019.

([92]) Selon le collectif « Manifeste Psy », un psychologue clinicien psychothérapeute gagne en moyenne 1 500 euros nets par mois en début carrière dans la fonction publique hospitalière.

([93]) Selon plusieurs collectifs de psychologues auditionnés, ces moyens permettraient de financer plusieurs centaines voire milliers de postes de psychologues.

([94]) Consultable ici :

https://www.epopé-inserm.fr/wp-content/uploads/2021/01/Rapport-mortalite-maternelle-2013-2015.pdf

([95]) Cinelli Hélène, Lelong Nathalie, Le Ray Camille, Demiguel Virginie, Lebreton Élodie, Deroyon Thomas, « Enquête nationale périnatale. Rapport 2021. Les naissances, le suivi à deux mois et les établissements », octobre 2022.

([96]) L’échelle EPDS (Edinburgh Postnatal Depression Scale), validée en France comme outil de dépistage de la dépression périnatale depuis 1995, permet d’établir un score de 0 à 30 à partir des réponses de la patiente à un certain nombre de questions. Un score supérieur à 13 est retenu pour définir le risque de dépression, même si un examen clinique demeure nécessaire pour valider le diagnostic de dépression du post-partum.

([97]) Bales M., Pambrun E., Melchior M., Glangeaud-Freudenthal N.-M., Charles M.-A., Verdoux H., Sutter-Dallay A.-L., « Prenatal psychological distress and access to mental health care in the ELFE cohort », European Psychiatry, février 2015.

([98]) Cette évaluation peut se faire sur la base de l’échelle ADBB (échelle d’Alarme Détresse Bébé), proposée par le Pr Guedeney : Guédeney A, Vermillard M. Léchelle « ADBB : intérêt en recherche et en clinique de l’évaluation du comportement de retrait relationnel du jeune enfant ». Médecine et Enfance, 2004 ; 24(6) : 367-371.

([99]) « Sortie de maternité après accouchement : conditions et organisation du retour à domicile des mères et de leurs nouveau-nés », mars 2014.

([100]) Rapport de la commission des 1 000 premiers jours, septembre 2020.

([101]) Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

([102]) Compte-rendu de la troisième séance du vendredi 22 octobre 2021, accessible ici : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/troisieme-seance-du-vendredi-22-octobre-2021

([103]) Article L. 1225-17 du code du travail

([104]) Article L. 1225-35 du code du travail.

([105]) Cinelli Hélène, Lelong Nathalie, Le Ray Camille, Demiguel Virginie, Lebreton Élodie, Deroyon Thomas, op. cit.

([106]) Blondel, B. (Inserm), Gonzalez, L. Raynaud, P. (dir.), et al. (2017, octobre). Enquête nationale périnatale 2016. Les naissances et les établissements, situation et évolution depuis 2010, octobre 2017.

([107]) Arrêté du 27 février 2023 modifiant l’arrêté du 27 juillet 2021 relatif à l’expérimentation « RéPAP : Référent Parcours Périnatalité ».

([108]) Ce point a notamment été soulevé par Camille Le Ray dans son audition.

([109]) Loi n° 2023-29 du 25 janvier 2023 visant à faire évoluer la formation de sage-femme.

([110]) Muriel Barlet, Mathilde Gaini, Lucie Gonzalez et Renaud Legal, « La complémentaire santé : acteurs, bénéficiaires, garanties - édition 2019 », Drees.

([111]) Mathilde Caro, Morgane Carpezat, Loïcka Forzy : « Le recours et le non-recours à la complémentaire santé solidaire - Une étude qualitative des profils et des trajectoires des bénéficiaires », Drees, 13 mars 2023.

([112]) Angel Piquemal, Sacha Reingewirtz, Françoise Zantman, « L’évolution de la profession de sage-femme », juillet 2021.

([113]) Proposition de loi n° 747 visant à favoriser l’accompagnement psychologique des femmes victimes de fausse couche, qui a fait l’objet d’une première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

([114]) Éléonore Bleuzen, Sarah Benjilany, Adrien Gantois, Myriam Kheniche, Nathalie Baunot, Sophie Guillaume, Nathalie Piquée, Priscille Sauvegrain, Laurent Gaucher : « Entretien postnatal précoce – Préconisations pour la pratique clinique », 30 juin 2022.

([115]) Hernandez, A.B, et Sophie Alexander. « Maisons de naissance en Europe : accouchements extrahospitaliers par choix », Revue de Médecine Périnatale, vol. 9, n° 1, 2017, pp. 47-54.

([116]) ONPE, Synthèse de note statistique, « Étude des parcours en protection de l’enfance jusqu’à l’âge de 5 ans des enfants nés en 2012 dans trois départements français ».

([117]) Éléonore Bleuzen et al., op. cit.

([118]) Développement professionnel continu.

([119]) Isserlis C, Sutter-Dalay AL, Dugnat M, Glangeaud-Freudenthal N. Guide pour la pratique de l’entretien prénatal précoce. ed. Erès 2008.

([120]) Recommandations de bonne pratique de la Haute Autorité de santé, mars 2014, op. cit.

([121]) « Afin de favoriser la coordination des soins en lien avec le médecin, pendant et après la grossesse, l’assurée ou l’ayant droit peut déclarer à son organisme gestionnaire de régime de base de l’assurance maladie le nom de sa sage-femme référente. »

([122]) Drees, « Les établissements de santé », édition 2022.

([123]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13407951_64639cf07b8da.commission-des-affaires-sociales--recettes-et-equilibre-general-de-la-securite-sociale---les-mesu-16-mai-2023

([124])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13413042_6463d38d64fcb.commission-des-affaires-sociales--printemps-social-de-l-evaluation--16-mai-2023

([125]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.13416959_64647fcc3c4dd.commission-des-affaires-sociales--dispositions-des-lois-de-financement-de-la-securite-sociale-relat-17-mai-2023