N° 2430

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 avril 2024.


RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur le déplacement d’une délégation de la commission à Berlin,
les 11 et 12 mars 2024

 

présenté par

M. Jean-Louis BOURLANGES,
M. Carlos Martens BILONGO, M. Nicolas FORISSIER, M. Michel GUINIOT, Mme Stéphanie KOCHERT,
et Mme Liliana TANGUY,

Députés

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La délégation de la commission était composée de : M. Jean-Louis Bourlanges (Hauts-de-Seine  Démocrate), président de la commission ; M. Michel Guiniot (Oise  Rassemblement national), secrétaire ; Mmes Stéphanie Kochert (Bas-Rhin – Horizons) et Liliana Tanguy (Finistère – Renaissance), ainsi que MM. Carlos Martens Bilongo (Val d’Oise – La France insoumise – NUPES) et Nicolas Forissier (Indre – Les Républicains).


SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. L’Allemagne, partenaire majeur de la France

A. La république fédérale d’Allemagne, un pays marqué par des singularités profondes

1. Un État fédéral, dont le fonctionnement repose sur une culture de compromis

2. Une puissance confrontée à un bouleversement de ses fondamentaux

a. Une économie dominante en Europe mais bousculée par les mutations récentes du marché de l’énergie et du commerce international

b. Le « réveil » de l’Allemagne sur la scène géopolitique

B. une relation bilatérale fondamentale sur de nombreux plans

1. Des liens nourris entre populations

a. Une coopération décentralisée et transfrontalière vivace

b. Des échanges culturels et éducatifs denses

2. Des relations économiques étroites

a. Des échanges commerciaux très importants

b. Deux économies très intégrées, où les investissements croisés se multiplient

3. Des rapprochements structurants dans le domaine de la politique extérieure et de défense

a. Des coopérations fortes dans le domaine de l’armement

b. Une amorce de rapprochement des outils diplomatiques

4. L’extension d’un partenariat exceptionnel aux problématiques actuelles

C. un partenaire à la croisée des chemins

1. Des transitions en cours dans de nombreux domaines

a. Des mutations engendrées ou accélérées par la guerre en Ukraine

b. Une absence de cap clair, pour le moment

2. Un pays saisi par des inquiétudes profondes, dont il faut tenir compte pour avancer sur un agenda partagé

II. une coopération franco-allemande dynamique, appelée à s’élargir

A. les ressorts du couple franco-allemand : un élan à entretenir

1. Une architecture institutionnelle très aboutie

2. Une dimension interparlementaire indispensable à une bonne compréhension mutuelle

B. le triangle de Weimar : un dialogue étendu à la Pologne en voie de revification

1. La Pologne, interlocuteur majeur en Europe de l’Est

2. Le triangle de Weimar : un cadre trilatéral d’échanges et de coopérations informels

a. Une coopération peu structurée mais flexible et étendue

b. Un regain d’intérêt

3. Des perspectives d’approfondissement prometteuses

a. Une coopération militaire trilatérale source d’opportunités nouvelles en matière de défense européenne

b. Un dialogue politique à intensifier : l’utilité de la réunion commune au Bundestag, le 11 mars 2024, des commissions des affaires étrangères du triangle de Weimar

C. poursuivre les échanges au niveau parlementaire, notamment en franco-allemand : un impératif dicté par la gravité du moment

1. Des défis communs, des approches parfois différentes mais des compromis nécessaires

2. Des canaux interparlementaires à utiliser davantage, afin de faciliter les convergences

conclusion

Examen en commission

annexe : Liste des personnes Entendues  par La dÉlÉgation de la commission

 


 

Introduction

 

L’intimité persistante de la relation franco-allemande, près de quatre‑vingts ans après la fin d’une deuxième guerre mondiale qui aurait pu laisser des traces indélébiles dans les rapports bilatéraux, en confirme à la fois la solidité, l’exemplarité et la nécessité dans un monde de plus en plus fracturé.

Aujourd’hui, la France et l’Allemagne sont deux partenaires essentiels l’un pour l’autre. Cela est d’abord vrai aux niveaux économique, industriel et commercial. Cela l’est également aux plans politique, avec des concertations étroites et des échanges très suivis assurés dans un cadre institutionnel désormais bien établi, mais aussi culturel et scientifique.

Le dialogue franco-allemand ne se réduit pas aux échanges entre chefs d’État et de gouvernement ou ministres de part et d’autre du Rhin. Il se tient aussi à travers les initiatives de la société civile, les jumelages, les interactions des acteurs économiques. Les Parlements, représentation de chacun des deux peuples, nourrissent également ce dialogue par des rencontres régulières.

Depuis plusieurs années, les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Bundestag ont pris l’habitude de se réunir conjointement, en alternance à Paris ou à Berlin. Cette année, c’est au Bundestag que la rencontre s’est tenue, le 11 mars, dans un format inédit puisqu’ouvert à la Diète polonaise, dans une configuration propre au triangle de Weimar.

Une délégation de six députés de la commission, conduite par le président Jean-Louis Bourlanges, a donc pu avoir des discussions approfondies avec la commission présidée par M. Michael Roth, mais aussi avec des députés de la commission des affaires étrangères de la Diète de Pologne, élus en octobre 2023 et menés par le président Paweł Kowal.

Plutôt que de se limiter à une demi-journée strictement parlementaire, la délégation de la commission des affaires étrangères a saisi l’opportunité de ce déplacement à Berlin pour mener, en complément, un certain nombre d’auditions et d’entretiens. Ce faisant, elle a pu « prendre le pouls », côté allemand, de l’état de la relation bilatérale et apprécier les forces mais aussi les voies d’amélioration sur lesquelles insister.

Le 3 avril 2024, la commission des affaires étrangères a souhaité que les constats dressés par la délégation puissent être rendus publics sous la forme d’un rapport d’information.


I.   L’Allemagne, partenaire majeur de la France

La République fédérale d’Allemagne est la première puissance économique et démographique de l’Union européenne. Constituée de seize Länder, elle est peuplée de 83,4 millions d’habitants. Affichant un produit intérieur brut (PIB) de 3 867 milliards d’euros en 2022, la réussite économique du pays s’appuie sur un réseau dense d’entreprises de taille moyenne et intermédiaire (Mittelstand) à la compétitivité restaurée par les réformes du marché du travail (dites « réformes Hartz »), engagées entre 2002 et 2005.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la France et l’Allemagne ont réorienté leur politique bilatérale autour de l’approfondissement de leur réconciliation, gage de prospérité et de stabilité. Aujourd’hui, les deux pays sont des partenaires essentiels l’un pour l’autre, à telle enseigne que l’on parle de « couple » (en France) ou de « moteur » (en Allemagne) franco-allemand.

A.   La république fédérale d’Allemagne, un pays marqué par des singularités profondes

1.   Un État fédéral, dont le fonctionnement repose sur une culture de compromis

L’Allemagne est une République fédérale composée de seize États fédérés appelés Länder. Démocratie représentative selon la Loi fondamentale de 1949, elle repose institutionnellement sur le Parlement fédéral (Bundestag, élu au suffrage universel direct tous les quatre ans, et Bundesrat, constitué de membres élus par les Parlements régionaux ou Lantage), qui élit le chancelier et contrôle l’action du gouvernement, et, au niveau des États fédérés et des collectivités, sur les Parlements régionaux et conseils municipaux.

Hormis une seule exception, le gouvernement fédéral a toujours été formé par une alliance de partis, postérieure aux élections législatives. Il y a ainsi eu vingt-quatre gouvernements de coalition depuis les premières élections au Bundestag en 1949.

Lors des élections législatives fédérales du 26 septembre 2021, la CDU-CSU a obtenu 24,1 % des voix, le SPD 25,7 %, les Verts 14,75 %, le FDP 11,45 % et l’AFD 10,7 %, tandis que Die Linke en recueillait moins de 5 %. Sur ces bases, une coalition SPD-Verts-FDP, dite « feu tricolore » (Ampelkoalition), a négocié puis conclu un contrat de mandature.

Au Bundestag, cette coalition jouit d’une majorité de 417 voix ; au Bundesrat, en revanche, elle ne dispose que de 16 voix et l’opposition de 6, les 47 autres membres n’étant pas marqués politiquement.

LA COMPOSITION DES ASSEMBLÉES ALLEMANDES

La conduite du gouvernement a été attribuée au chancelier Olaf Scholz (SPD). Les sociaux-démocrates occupent sept des seize postes ministériels, les verts cinq – dont celui de vice-chancelier – et le FDP quatre.

Le contrat de coalition insiste sur la modernisation du pays (numérique, la réforme du fédéralisme, l’innovation technologique pour répondre au défi climatique), un pilier social renforcé (hausse du salaire minimum, politique de logement, retraites maintenues), des finances publiques solides (maintien du frein à la dette ([1])), et une ambition résolument européenne, doublée d’un soutien au multilatéralisme. Certaines mesures du programme ont pu être adoptées (salaire minimum à 12 euros de l’heure, soutien aux énergies renouvelables, à l’économie et aux ménages frappés par la crise, abaissement à 16 ans du droit de vote pour les élections européennes, dès 2024), ou sont en cours d’adoption (légalisation de l’usage du cannabis, réduction de la bureaucratie, etc.).

Le sens du compromis, souvent évoqué pour caractériser les prises de décisions en Allemagne, tant au sein des institutions (fédérales ou régionales) que dans les corps intermédiaires, constitue indubitablement un mode de fonctionnement propre au pays, qui le distingue fortement d’un pays centralisé comme la France. Cela n’empêche pas pour autant les coopérations et le travail en commun.

2.   Une puissance confrontée à un bouleversement de ses fondamentaux

a.   Une économie dominante en Europe mais bousculée par les mutations récentes du marché de l’énergie et du commerce international

L’Allemagne occupe depuis 2007 le quatrième rang économique mondial, derrière les États-Unis, la Chine et le Japon. Toutefois, après une croissance de 1,9 % en 2022, l’économie allemande est entrée en récession en 2023 : le PIB a en effet baissé de 0,3 % l’an passé selon l’Office fédéral des statistiques. Se sont succédé un premier trimestre de légère croissance (+ 0,1 %), deux trimestres de stagnation et un dernier trimestre de recul du PIB (- 0,3 %).

Cœur de la compétitivité du pays, l’industrie a pâti nettement de l’inflation (6,9 % en 2022, puis 5,9 % en 2023, en rythme annuel) et du ralentissement de la demande mondiale (dans ses composantes américaine et chinoise). Selon l’Office fédéral des statistiques, la production de l’industrie manufacturière (hors construction) s’est ainsi contractée de 2,0 % en 2023. En novembre dernier, elle enregistrait son sixième mois de baisse consécutive. Les exportations, quant à elles, étaient en recul de 1,8 %.

De fait, les secteurs les plus énergivores ont été fortement pénalisés par l’inflation des prix de l’énergie depuis 2022, la fermeture des centrales nucléaires du pays ayant conduit les autorités fédérales à privilégier les approvisionnements en gaz russe bon marché jusqu’au déclenchement de la guerre en Ukraine.

Dans le même temps, la situation du commerce international, notamment avec la Chine, qui est le premier partenaire commercial du pays et son premier fournisseur, s’est dégradée sous l’effet d’une conjoncture moins porteuse.

De fait, l’Allemagne fait aujourd’hui face à une remise en question des fondements de son développement économique. Conscient de ce défi, le gouvernement fédéral a décidé de lancer une décennie d’investissements d’avenir, pour l’action climatique, le numérique, l’éducation et la recherche, ainsi que les infrastructures. L’endettement public se situant à 66 % du PIB en 2022, le gouvernement fédéral a excipé de la clause de « situation critique » pour écarter temporairement l’application de la règle du frein à la dette (Schuldenbremse), qui limite à 0,35 % le déficit budgétaire annuel, et procéder à un certain nombre de dépenses structurelles. Cependant, la Cour constitutionnelle, dans un arrêt rendu le 15 novembre 2023, a considérablement restreint les possibilités de contourner la limite de déficit annuel, de sorte que le gouvernement fédéral a dû revoir à la baisse ses ambitions.

b.   Le « réveil » de l’Allemagne sur la scène géopolitique

Le poids de l’histoire explique l’attachement allemand au cadre multilatéral – l’Allemagne est le quatrième contributeur au budget des Nations Unies – et européen, ainsi qu’une position en retrait vis-à-vis des actions militaires menées à l’étranger. L’Allemagne était en 2022 le second donateur mondial d’aide humanitaire (3,5 milliards d’euros), atteignant ainsi l’objectif de 0,7 % de son revenu national brut en aide publique au développement.

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) occupe une position centrale dans la politique de sécurité allemande, réaffirmée depuis la guerre en Ukraine (défense européenne comme pilier européen de l’OTAN). Avant la guerre en Ukraine, l’opinion allemande étant majoritairement pacifiste, les dépenses militaires ne représentaient que 1,3 % du PIB, loin de l’objectif de 2 % désormais retenu au sein de l’Alliance atlantique.

Avant février 2022, l’Allemagne poursuivait avec la Russie de nombreuses coopérations économiques, universitaires et scientifiques, malgré une dégradation de leurs relations politiques. La guerre en Ukraine a provoqué une prise de distance assez nette avec la Fédération russe, la République fédérale allemande s’engageant dans un soutien massif à l’Ukraine (à hauteur de 8 milliards d’euros cette année). Cet événement a plus généralement conduit à des changements majeurs dans les orientations géopolitiques du pays, caractéristiques de ce que le chancelier Olaf Scholz a qualifié devant le Bundestag de « changement d’époque » (Zeitenwende), le 27 février 2022.

Puissance civile voire pacifiste, l’Allemagne se voit poussée par la menace russe à devenir une puissance militaire. Un Fonds spécial de défense doté de 100 milliards d’euros sur cinq ans a ainsi été créé pour dépasser d’ici 2025 l’objectif de consacrer 2 % du PIB national par an à la défense et moderniser la Bundeswehr (avec l’achat de 35 appareils américains F-35 pour assurer les engagements allemands envers l’Alliance atlantique, d’avions patrouilleurs maritimes P8-A Poséidon, et le lancement de projets capacitaires européens dans l’avion et le char du futur). Corrélativement, la République fédérale a renforcé son soutien militaire aux États membres sur le flanc Est de l’OTAN, notamment l’Estonie et la Pologne.

Plus récemment, la publication de la stratégie nationale de sécurité (en juin 2023) et de la stratégie à l’égard de la Chine (en juillet 2023) ont adressé le signal d’une affirmation internationale plus prononcée de l’Allemagne.

B.   une relation bilatérale fondamentale sur de nombreux plans

1.   Des liens nourris entre populations

a.   Une coopération décentralisée et transfrontalière vivace

La communauté française en Allemagne avoisine les 100 000 personnes : 96 606 inscrits au registre des Français établis hors de France y étaient officiellement dénombrés en 2022. La communauté allemande sur le territoire français représente, quant à elle, 87 700 résidents. Plus que ces chiffres, ce sont les liens transfrontaliers entre plusieurs régions françaises et Länder allemands qui expliquent la vitalité des initiatives prises entre populations ou collectivités pour faire vivre au quotidien la relation bilatérale.

La coopération décentralisée a joué dès les années 1960 un rôle précurseur et majeur dans le rapprochement des sociétés civiles française et allemande, à travers notamment plus de 2 300 partenariats entre collectivités territoriales des deux pays. Si les partenariats entre communes sont les plus anciens, les échanges entre régions et départements sont également riches et diversifiés. La force de ces liens est un élément plus que jamais nécessaire à la vitalité de la relation bilatérale.

La constitution du comité de coopération transfrontalière (CCT), le 22 janvier 2020, a permis de renforcer cette dimension de la coopération bilatérale. Cette instance, qui dispose d’un secrétariat commun installé à Kehl, œuvre à la résolution des irritants transfrontaliers, en émettant notamment des recommandations à destination du séminaire gouvernemental franco-allemand sur de nombreux sujets : le soutien à l’apprentissage transfrontalier, les questions relatives aux vignettes environnementales automobiles française et allemande ou les questions fiscales appliquées aux travailleurs frontaliers, le développement et l’amélioration des liaisons ferroviaires transfrontalières, la participation d’acteurs étrangers à des sociétés publiques locales françaises, etc.

La coopération transfrontalière s’est particulièrement intensifiée au moment de la crise sanitaire, avec l’accueil de patients français de la région Grand-Est dans des hôpitaux allemands et l’engagement pour la préservation de la vie frontalière dans le contexte des mesures nationales de restrictions liées au contexte sanitaire. Elle a néanmoins aussi pâti de la décision unilatérale des autorités allemandes de fermer les frontières avec la France, le 16 mars 2020.

b.   Des échanges culturels et éducatifs denses

Les relations bilatérales sont très riches dans le domaine de la coopération culturelle et scientifique, grâce notamment à l’action de nombreux organismes binationaux.

L’Office franco-allemand à la jeunesse (OFAJ), qui est le plus ancien, promeut des activités et des échanges dans tous les domaines concernant la jeunesse. Depuis sa création en 1963, il a permis à plus de 9 millions de jeunes de se rencontrer. Le Haut conseil culturel franco-allemand (HCCFA), institué en 1988, qui regroupe des personnalités et des professionnels français et allemands représentant différents horizons culturels, conseille quant à lui les gouvernements des deux États dans le domaine culturel et met en œuvre, par l’intermédiaire de ses membres, des initiatives franco-allemandes. La chaîne de télévision ARTE, dont la création a été décidée en 1990, est une réalisation commune emblématique : elle est devenue une chaîne de référence pour la culture, bien au-delà de l’Europe.

S’agissant de l’éducation et de la formation, l’Université franco-allemande (UFA), instituée en 1997, s’appuie sur un réseau de 170 établissements d’enseignement supérieur français et allemands qui proposent des cursus intégrés du premier au troisième cycle débouchant sur plus de 140 diplômes binationaux, ainsi que des programmes de recherche communs. Quelque 6 300 étudiants sont inscrits dans un cursus intégré financé par l’UFA et il existe 2 400 coopérations universitaires franco-allemandes.

La France entretient aussi sur le territoire allemand un dense réseau de coopération culturelle, académique, scientifique et technique, avec pas moins de 11 Instituts français, 13 structures binationales (antennes et centres culturels franco-allemands), un centre de recherche en histoire (Institut français d’histoire en Allemagne, à Francfort) et 15 établissements d’enseignement français.

Enfin, de nombreuses initiatives bilatérales complètent ce dispositif. On peut citer la mise en place d’une journée franco-allemande annuelle, le 22 janvier, dans les établissements scolaires des deux pays, ainsi que l’édition d’un manuel d’histoire franco-allemand à l’usage des lycéens en France et en Allemagne, ou encore la stratégie de soutien à des cursus d’apprentissage binationaux.

2.   Des relations économiques étroites

a.   Des échanges commerciaux très importants

Les relations économiques et commerciales entre la France et l’Allemagne sont très importantes. L’Allemagne est le principal partenaire commercial de la France : premier fournisseur – les importations françaises depuis l’Allemagne représentant, en valeur, 90,7 milliards d’euros en 2023 –, elle est aussi notre premier client avec des exportations françaises outre-Rhin à hauteur de 82 milliards d’euros.

Au cours des dernières années, les échanges franco-allemands ont toutefois moins progressé que l’ensemble des échanges français avec le reste du monde, de sorte que la part de l’Allemagne recule.

La part des échanges franco-allemands dans les échanges totaux de la France atteignait presque 17 % de 2013 à 2016 mais elle s’est repliée à moins de 15 % en 2019, 14 % en 2021 et 13 % en 2022.

Inversement, la France est le quatrième partenaire commercial de la République fédérale. Après avoir cédé aux États-Unis la place de premier partenaire commercial en 2015, elle se situe depuis 2017 derrière la Chine, les États-Unis et les Pays-Bas.

En 2021, 46 300 entreprises implantées en France ont exporté vers la République fédérale. Ainsi, l’Allemagne représente 13,7 % des exportations et 12,6 % des importations françaises.

Ces chiffres traduisent une balance commerciale à l’avantage de la République fédérale, avec un déficit commercial pour la France de 8,6 milliards d’euros en 2023. Réciproquement, la France est le sixième fournisseur de l’Allemagne et son troisième client, selon le dernier rapport de l’office fédéral Deustatis ([2]).

POIDS RELATIF DE L’ALLEMAGNE, PAR RAPPORT À L’UNION EUROPÉENNE,

DANS LE COMMERCE EXTÉRIEUR DE LA FRANCE

Source : direction générale du Trésor, rapport annuel du commerce extérieur de la France, février 2024.

b.   Deux économies très intégrées, où les investissements croisés se multiplient

Les économies française et allemande sont extrêmement imbriquées et complémentaires. Cette proximité est d’autant plus étroite depuis la création de l’euro, qui a eu pour conséquence une corrélation historique du taux d’inflation au sein des deux pays, ainsi qu’un certain alignement de la variation de leurs produits intérieurs bruts.

VARIATION COMPARÉE DES INDICES DES PRIX À LA CONSOMMATION (IPC)
ET DES IPC HARMONISÉS (IPCH) EN FRANCE ET ALLEMAGNE DEPUIS 1999

Cette forte intégration des économies a pour conséquence l’existence d’une forte densité d’investissements croisés de part et d’autre du Rhin. En effet, environ 5 700 sociétés implantées en Allemagne ont leur détenteur ultime situé en France. Plus précisément, le nombre de sociétés appartenant à 100 % à un actionnaire localisé en France atteint le chiffre de 3 000. Ces entreprises emploient, outre-Rhin, plus de 400 000 personnes, tandis qu’environ 4 500 entreprises allemandes sont implantées en France, où elles emploient 320 000 salariés.

Les filiales françaises en Allemagne ont, pour 25 % d’entre-elles, une activité purement commerciale d’achat-revente ou d’agence commerciale pour leur maison mère située en France. Les services aux entreprises et à la personne constituent la part d’activité la plus importante, nettement devant les activités industrielles (10 %) ou l’informatique et les télécoms (8 %).

Des opérations d’investissement significatives ont été réalisées ces dernières années de part et d’autre du Rhin. Depuis 2019, plusieurs opérations sont intervenues en Allemagne, comme l’implantation du constructeur de batteries franco-allemand Automotive Cells Company (ACC) à Kaiserslautern, le rachat de Bombardier Transport – et l’acquisition des sites allemands correspondants – par Alstom finalisé, en 2021, ou l’acquisition de l’équipementier Hella par son homologue Faurecia en 2022 (donnant lieu au groupe Forvia). En France, des investissements importants ont été réalisés en 2021 et 2022 par le groupe pharmaceutique et chimique Merck – sur le site de production Life Science de Molsheim en Grand Est –, BASF, Vorwerk (appareils électroménagers), Hager (équipements électriques) ou encore Saarstahl (sidérurgie), qui a repris deux sites (Hayange et Saint-Saulve). En 2022, Schaeffler (équipementier automobile) a choisi le Grand-Est pour produire des plaques bipolaires, et ACC a inauguré sa gigafactory dans le Pas-de-Calais pour la production de batteries ion lithium liquide.

Le stock d’investissements allemands en France s’est élevé à 107,3 milliards d’euros en 2022, ce qui place l’Allemagne en position de deuxième pays investisseur dans l’hexagone et la France comme premier pays d’accueil des investissements allemands en Europe, selon la Banque de France. Le stock d’investissements français en Allemagne, quant à lui, a atteint 63,53 milliards d’euros en 2022 (+ 7 % par rapport à 2018) et les flux se sont élevés à 3,22 milliards d’euros. À ce titre, la France est actuellement le cinquième investisseur étranger en Allemagne, derrière le Luxembourg, les Pays-Bas, les États-Unis et la Suisse.

3.   Des rapprochements structurants dans le domaine de la politique extérieure et de défense

a.   Des coopérations fortes dans le domaine de l’armement

Malgré leur différence de culture stratégique, la France et l’Allemagne ont tissé de longue date une coopération étroite dans le domaine de l’armement, qui porte à la fois sur des programmes d’équipement, la recherche et des essais. Cette coopération s’est principalement développée dans le domaine de l’aéronautique (missile MILAN, hélicoptères Tigre, Airbus A400M, missile METEOR, etc.). Elle a permis l’émergence de groupes industriels communs puissants, comme Airbus et Krauss Maffei Wegmann-Nexter Defense Systems (KNDS).

Le conseil franco-allemand de défense et de sécurité du 13 juillet 2017 a décidé du lancement de projets très ambitieux dont les deux plus emblématiques sont le char de combat de futur (Main ground combat system – MGCS), dans le domaine de l’armement terrestre, et le système de combat aérien du futur (SCAF), qui repose sur un avion de combat de nouvelle génération dans le domaine aéronautique.

Par ailleurs, la France et l’Allemagne sont associées au sein de l’agence spatiale européenne (ESA) et coopèrent étroitement au sein des programmes Ariane (fusées de lancement de satellites) et Galileo (réseaux satellitaires de communication). Grâce à la concertation franco-allemande dans une conjoncture de plus en plus concurrentielle pour l’Europe du spatial, les ministres européens du secteur se sont accordés, lors du conseil de l’ESA des 6 et 7 novembre 2023, sur un financement pérenne d’Ariane 6 et un schéma de soutien au développement d’une filière allemande pour les petits lanceurs.

b.   Une amorce de rapprochement des outils diplomatiques

La France et la République fédérale allemande se sont lancées dans un processus de rapprochement de leurs instruments diplomatiques, sans pour autant aller jusqu’à une mutualisation de moyens, tant ces réseaux sont intrinsèquement liés à la souveraineté propre à chaque État.

Des projets de co-localisation diplomatiques ont été initiés, telle la construction à Dacca, au Bangladesh, d’un immeuble commun accueillant les représentations française et allemande, de même que le développement de co-localisations culturelles (centres culturels français, Alliances françaises et Instituts Goethe, associations culturelles allemandes) et scolaires (lycées franco-allemands et Eurocampus franco-allemands à l’étranger).

Par ailleurs, une circulaire de coopération diplomatique signée le 7 mai 2018 par les deux ministres chargées des affaires étrangères a permis d’intensifier les liens entre services diplomatiques. Des réunions conjointes entre les collaborateurs des postes sont désormais régulièrement organisées ; les ambassadeurs et consuls généraux sont invités à mener conjointement des visites de terrain et des actions de communication ; le fonds culturel franco-allemand dans les pays tiers (institué en 2003 et doté d’un budget de 500 000 euros) encourage les services culturels des deux États à organiser des manifestations communes.

De même, des mises à disposition de personnels diplomatiques ont lieu au sein des administrations centrales de chacun des ministères chargés des affaires étrangères, avec la présence de diplomates d’échanges. Lors de son déplacement, la délégation de la commission des affaires étrangères a notamment rencontré, au cours de l’entretien avec Mme Anna Lührmann, ministre déléguée chargée des affaires européennes et du climat, la jeune diplomate française actuellement détachée auprès d’elle. De telles mesures permettent d’enrichir la culture diplomatique commune grâce à des expériences croisées.

4.   L’extension d’un partenariat exceptionnel aux problématiques actuelles

Le climat, l’environnement et le développement durable sont devenus des paramètres importants de la coopération bilatérale. Les ministères concernés ont lancé des actions conjointes dans ces domaines, ainsi qu’au titre de la coopération entre services scientifiques.

La France et l’Allemagne ont ratifié l’accord de Paris sur le climat et poursuivent des stratégies de long terme visant la décarbonation profonde de leurs économies d’ici 2050 (réduction des émissions de gaz à effet de serre de 75 % pour la France et de 80 % à 95 % pour l’Allemagne, dans les deux cas par rapport au niveau de 1990). La transition énergétique française et l’Energiewende allemande forment le cœur des stratégies bas-carbone des deux pays. Elles visent à transformer graduellement l’intégralité du système énergétique, aussi bien dans les secteurs de l’électricité et du transport que dans ceux du chauffage et du refroidissement.

Avec son programme Forschung für nachhaltige Entwicklung, l’Allemagne s’est déjà associée à l’initiative française Make our Planet Great Again. En outre, la coopération franco-allemande s’applique aux accords multilatéraux en matière de développement durable et de climat.

C.   un partenaire à la croisée des chemins

1.   Des transitions en cours dans de nombreux domaines

a.   Des mutations engendrées ou accélérées par la guerre en Ukraine

Par-delà le constat des atouts de l’Allemagne et de la vigueur de la relation bilatérale avec la France, la délégation de la commission des affaires étrangères a été frappée, lors de son déplacement, par l’accumulation de « signaux faibles » de mutations à l’œuvre outre-Rhin, susceptibles d’avoir un impact significatif à l’avenir sur le rapport qu’entretiennent les deux pays. Ces mutations, pour la plupart, ont connu une brusque accélération avec la guerre en Ukraine, lorsque celle-ci ne les a tout bonnement pas provoquées.

Cette dernière a en effet invalidé certains choix stratégiques antérieurs, consistant notamment à délaisser l’investissement dans la défense au profit du désendettement et à privilégier le multilatéralisme dans les fondamentaux géopolitiques. À cet égard, le diagnostic du chancelier au sujet du Zeitenwende s’est révélé totalement juste mais, de fait, la traduction opérationnelle des choix que ce changement d’époque impose prendra nécessairement plusieurs années.

Si le réarmement de la Bundeswehr est effectivement amorcé, il s’appuie pour l’heure sur l’acquisition de matériels étrangers sur étagères (notamment les avions F 35 américains) et l’épisode de la fuite d’une conversation confidentielle de hauts responsables de l’armée de l’air allemande, au sujet des missiles Taurus et de l’Ukraine, a révélé que la culture de la guerre de haute intensité fait probablement défaut dans une partie des forces armées allemandes actuelles.

Le choc de la guerre en Ukraine est aussi économique. Le tissu économique et industriel allemand est apparu plus hétérogène qu’imaginé. Alors que le coût de l’énergie baisse, la croissance potentielle du pays, qui peine à dépasser 0,5 % du PIB, reste deux fois inférieure à celle de la France, ce qui révèle la persistance de problèmes structurels significatifs, liés au coût de la main-d’œuvre, au manque de main-d’œuvre – évalué à 400 000 travailleurs chaque année –, et à une relative impréparation aux nouvelles technologies et à la révolution numérique. Le décrochage de l’économie intérieure remonte à 2017-2018 mais les grandes entreprises implantées à l’étranger continuent d’être très florissantes et de porter la croissance en valeur de la production nationale.

Pour remédier à ces difficultés, les autorités allemandes misent sur l’immigration de travailleurs qualifiés, la démographie du pays ne permettant pas de faire face aux besoins, mais aussi sur une transition effrénée vers les énergies renouvelables – l’ambition du gouvernement fédéral est de parvenir à 100 % d’énergies renouvelables en 2035 – quand la France penche plutôt pour la filière nucléaire.

b.   Une absence de cap clair, pour le moment

De manière générale, les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères tirent de leurs entretiens à Berlin le sentiment que les décideurs allemands cherchent aujourd’hui encore, dans une certaine mesure, la vision de long terme qu’ils entendent suivre pour les années à venir.

Certes, quelques lignes directrices affleurent, à l’instar du choix – que certains, y compris la Cour des comptes allemande, trouvent hasardeux – de s’en remettre à des énergies totalement renouvelables et excluant le nucléaire ou du retour à un certain réalisme en politique extérieure, que traduisent un soutien sans équivoque à l’Ukraine et la conviction largement partagée que la Russie constitue une menace pour le pays.

Pour autant, les tâtonnements et certaines incertitudes persistent. Il en va ainsi de la vision allemande de la défense européenne : si l’OTAN demeure clairement le fondement de la sécurité collective pour beaucoup d’interlocuteurs rencontrés à Berlin, il est plus difficile de cerner les contours que doivent prendre, pour les Allemands, l’effort commun de défense des Européens.

Il en va également ainsi de la souveraineté alimentaire de l’Europe, dans la mesure où les responsables allemands ne se cachent pas de soutenir l’agro-business, qui bénéficie des accords de libre-échange, tout en promouvant officiellement aussi une agriculture de qualité et de proximité, à même de répondre aux besoins alimentaires des quelque 450 millions d’individus vivant dans l’Union européenne, qui est pourtant la première victime d’un libéralisme commercial totalement assumé.

Il résulte de ces incertitudes et contradictions une forme de pilotage à vue, que certains observateurs qualifient parfois d’absence de stratégie, qui contraste avec le présupposé d’une Allemagne organisée, prévoyante et se projetant sur le long terme. Cela s’en ressent jusque dans les positions prises au nom du pays à Bruxelles, marquées par moins de cohérence et de constance que par le passé.

2.   Un pays saisi par des inquiétudes profondes, dont il faut tenir compte pour avancer sur un agenda partagé

Dans un contexte de doutes et de morosité assez palpable, plusieurs peurs allemandes semblent ressurgir. Or, comprendre cette dimension est essentiel pour établir des coopérations positives.

La première de ces peurs est celle de la guerre. Les autorités fédérales expliquent régulièrement à l’opinion publique allemande que les missiles tactiques nucléaires russes positionnés à Kaliningrad, dont le nombre semble avoir substantiellement augmenté, mettraient trois à quatre minutes pour atteindre Berlin. Cette crainte explique le positionnement du chancelier fédéral Olaf Scholz sur la non-livraison à l’Ukraine de missiles Taurus. La volonté de ne pas entrer en co-belligérance et de ne pas exposer le pays à des actions hostiles de la Russie est la plus forte, d’autant que le chef du gouvernement est soutenu par plus de 60 % de l’opinion publique allemande sur ce point.

La deuxième inquiétude porte sur le risque de désindustrialisation du pays. Longtemps fleuron économique de l’Allemagne, le secteur industriel subit de plein fouet le renchérissement durable du coût de l’énergie mais aussi l’insuffisance chronique des investissements publics du fait des restrictions à l’endettement. C’est ainsi que l’Allemagne ne se situe pas, aujourd’hui, à la pointe de l’intelligence artificielle, considérée pourtant comme une technologie de rupture, et qu’elle est réticente à se désengager de la Chine alors même que l’Union européenne et les États-Unis militent pour l’adoption d’une stratégie de dé-risking.

Effet collatéral d’un certain affaissement économique, la peur du déclassement social a étreint une large partie des salariés allemands. Sa manifestation la plus évidente est l’apparition d’une nouvelle conflictualité sociale dans le pays aujourd’hui. Alors que jusqu’en 2022, le nombre de jours chômés y était très inférieur à celui de la France, l’an passé a marqué, de l’aveu des milieux patronaux allemands, une véritable dynamique nouvelle dans ce domaine. Le nombre de jours chômés devrait ainsi atteindre un record et les syndicats constatent, de surcroît, une augmentation du nombre de leurs cotisants. Ainsi, 2024 constituera une année test, d’autant qu’arrivent à échéance les conventions collectives – textes qui encadrent l’exercice du droit de grève, avec la jurisprudence – de 12 millions de salariés frappés par l’inflation, autre matérialisation tangible d’une dégradation de la situation du pays.

La crainte de l’extrémisme, enfin, est la dernière grande peur de l’Allemagne en 2024. Entre janvier et février, des manifestations très significatives, rassemblant plusieurs centaines de milliers de citoyens – et parfois plus d’un million – à travers de nombreuses villes de Länder différents, ont fait suite aux révélations du média Correctiv, relatives à l’existence d’une rencontre secrète à Potsdam, en novembre 2023, en présence de quelques responsables de l’AfD, au cours de laquelle aurait été évoqué un projet de « remigration » s’appliquant y compris à des citoyens allemands d’origine étrangère. L’ampleur et la vigueur de ces mobilisations ont rappelé, si besoin en était, que le traumatisme de la seconde guerre mondiale reste toujours vivace au sein de la société allemande. Elles marquent aussi une préoccupation persistante à l’égard du risque de résurgence de certains démons du passé.

Devant toutes ces angoisses, la possibilité d’une forme de repli sur soi de l’Allemagne n’est pas à écarter. Or, un tel constat plaide pour que, loin de laisser ce partenaire seul face à lui-même, le dialogue et les coopérations se développent, afin de l’engager sur une voie commune mutuellement bénéfique.


II.   une coopération franco-allemande dynamique, appelée à s’élargir

Par son intensité et sa diversité, la coopération franco-allemande est sans équivalent sur la scène internationale. Modèle à bien des égards, elle tend à s’élargir au gré de l’ouverture de l’Europe de l’Est, le triangle de Weimar constituant à cet égard un forum très intéressant et porteur d’avenir.

A.   les ressorts du couple franco-allemand : un élan à entretenir

1.   Une architecture institutionnelle très aboutie

La coopération franco-allemande a été scellée par le traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération franco-allemande, dit « traité de l’Élysée », signé le 22 janvier 1963. Ce texte fondateur a mis en place un calendrier contraignant de rencontres régulières à tous les niveaux (chefs d’États et de gouvernement, ministres, hauts fonctionnaires). La coopération a été renforcée en 1988 ([3]) et en 2003 ([4]), à l’occasion des 25ème et 40ème anniversaires du traité.

Le traité sur la coopération et l’intégration franco-allemande, signé le 22 janvier 2019 à Aix-la-Chapelle, a approfondi cet édifice institutionnel en instaurant un comité de coopération transfrontalière, accompagné par la mise en place d’un fonds citoyen commun pour encourager les initiatives émanant des deux peuples, ainsi que le lancement d’une quinzaine de projets prioritaires, parmi lesquels la création d’instituts culturels franco-allemands intégrés ou co-localisés, celle d’une plateforme numérique de contenus audiovisuels et d’information franco-allemands, et la mise en place d’un réseau de centres de recherche en intelligence artificielle. Le traité a aussi institué un conseil franco-allemand d’experts économiques composé de dix experts indépendants, afin de présenter aux deux gouvernements des recommandations sur leur action économique ; il a été installé le 19 septembre 2019.

En parallèle de la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, une assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) a été instituée par un accord parlementaire approuvé le 11 mars 2019 par l’Assemblée nationale et le 20 mars suivant par le Bundestag. Composée de 50 députés de l’Assemblée nationale et de 50 membres du Bundestag, l’AFPA se réunit au moins deux fois par an de façon alternée en France et en Allemagne. Elle entend contribuer à une coopération bilatérale toujours plus étroite, notamment en veillant à l’application des traités de l’Élysée et d’Aix-la-Chapelle, au bon suivi des Conseils des ministres franco-allemands et du Conseil franco-allemand de défense et de sécurité. Elle est également attentive aux questions internationales et européennes d’intérêt commun (notamment en matière de transposition harmonisée des directives européennes en France et en Allemagne) et peut formuler des propositions sur toutes questions intéressant les relations franco-allemandes.

2.   Une dimension interparlementaire indispensable à une bonne compréhension mutuelle

La relation franco-allemande repose aussi sur des liens interparlementaires étroits, multiformes et réguliers. Outre les deux groupes d’amitié de chaque assemblée, les divers organes ou instances de l’Assemblée nationale et du Bundestag (présidents, commissions permanentes, etc.) se rencontrent à échéances régulières, tandis que l’APFA tient au moins deux sessions par an. De même, au sein des assemblées interparlementaires telles que celle du Conseil de l’Europe, les délégations française et allemande se retrouvent très régulièrement et travaillent parfois de concert.

Sous la XVe législature, l’habitude a été prise de réunir chaque année, en alternance à Paris ou à Berlin, les commissions des affaires étrangères de l’Assemblée nationale et du Bundestag, afin de débattre de thématiques en lien avec l’actualité. Ces échanges, pour la délégation qui se déplace dans l’autre pays, donnent généralement lieu à des consultations plus larges, qui permettent de porter une appréciation plus globale de l’état de la relation franco-allemande.

Le déplacement de la délégation de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale à Berlin cette année n’a pas échappé à la règle. Il a été l’occasion pour les membres de la délégation d’avoir des échanges avec des responsables gouvernementaux – Mme Franziska Brantner, secrétaire d’État parlementaire auprès du vice-chancelier et ministre de l’économie et du climat, Mme Anna Lührmann, ministre déléguée chargée des affaires européennes et du climat, M. Jörg Kukies, secrétaire d’État en charge des affaires économiques et européennes –, mais aussi avec le président de la Fondation Konrad Adenauer – M. Norbert Lammert, ancien président du Bundestag –, ainsi qu’avec des représentants des fédérations professionnelles et de think tanks économiques, pour évoquer la manière dont les Allemands perçoivent l’insertion de leur économie et des économies européennes dans le monde post-Covid. Un tour d’horizon avec les principaux responsables des services de l’ambassade de France, autour de l’ambassadeur François Delattre, a également pu se tenir, en complément.

Tous ces entretiens, auxquels s’ajoutent les échanges quasi-permanents entre députés français et allemands sur des sujets d’intérêt mutuel, permettent d’améliorer la compréhension réciproque des législateurs nationaux à l’égard des préoccupations du moment au sein de leur partenaire. Ils nourrissent la relation bilatérale de perceptions concrètes et d’attentes ressenties auprès des populations. Pour toutes ces raisons, le volet parlementaire de la relation franco-allemande revêt un caractère important et mérite d’être cultivé.

B.   le triangle de Weimar : un dialogue étendu à la Pologne en voie de revification

1.   La Pologne, interlocuteur majeur en Europe de l’Est

La Pologne est devenue un grand partenaire européen de la France et l’Allemagne, particulièrement depuis son adhésion à l’Union européenne en 2004. Ce pays de 38 millions d’habitants joue aujourd’hui un rôle clé dans le soutien à l’Ukraine : il est un État de transit essentiel pour les réfugiés ukrainiens et l’aide à Kiev. De même, plusieurs armées européennes participent à la formation de militaires ukrainiens sur le sol polonais, dans le cadre de la mission européenne EUMAM.

Les dernières élections législatives, le 15 octobre 2023, ont confié la majorité parlementaire à une coalition dite « civique », rassemblant les forces du centre de « troisième voie », de la gauche unie et les libéraux, face au parti national conservateur « droit et justice » (PiS) au pouvoir depuis 2015. La victoire de cette coalition – 248 sièges sur 460 – a donné lieu à un nouveau rapport de force dans les deux chambres du Parlement polonais, même si le président de la République, Andrzej Duda, conserve des prérogatives importantes dont celle d’opposer son veto à certaines lois.

Devenu premier ministre le 13 décembre 2023, Donald Tusk a esquissé une orientation résolument tournée vers l’Union européenne lors de sa déclaration de politique générale devant la Diète. Le projet d’adhésion au parquet européen et de révision des réformes judiciaires du pouvoir précédent constituent autant de mesures gouvernementales visant à concrétiser un rapprochement et à débloquer les fonds communautaires jusqu’ici gelés par la Commission européenne pour non-respect de l’État de droit.

Les sujets à aborder avec les autorités polonaises ne manquent pas : soutien à l’Ukraine, réflexion sur l’élargissement et la réforme de l’Union européenne, développement du partenariat économique et militaire bilatéral, réforme des règles de gouvernance budgétaire européenne, construction d’une chaîne de valeur européenne dans le domaine nucléaire. Tout ceci milite en faveur de la poursuite d’un dialogue politique soutenu, tant au niveau bilatéral que dans le cadre du triangle de Weimar.

2.   Le triangle de Weimar : un cadre trilatéral d’échanges et de coopérations informels

a.   Une coopération peu structurée mais flexible et étendue

Le triangle de Weimar est un cadre de coopération trilatérale entre la France, l’Allemagne et la Pologne, né de la rencontre en 1991, à Weimar (Allemagne), des ministres des affaires étrangères français, allemand et polonais de l’époque. Qualifié d’« OVNI politique » par ses fondateurs, car ne reposant sur aucun texte juridiquement contraignant ratifié par les Parlements nationaux, sa création répondait à l’idée que les trois pays partagent une vision commune du devenir de l’Europe et que, de ce fait, il était nécessaire de créer une structure informelle de coopération multilatérale entre eux sur les perspectives européennes après la fin de la guerre froide.

Ce format, par nature flexible, a permis des coopérations dans de nombreux domaines, tels que : l’enseignement universitaire, avec la création d’un master tri-national « Europa » et des échanges étudiants ; les projets de recherche trilatéraux consacrés au renforcement du dialogue politique et social dans le triangle de Weimar et l’Europe, sous l’égide de la Fondation Genshagen ; la culture, avec la remise chaque année du prix Adam Mickiewicz à des institutions ou des personnalités ayant contribué aux relations culturelles entre les trois pays ; la mise en œuvre de coopérations portées par des associations présentes dans les trois pays ; les jumelages de villes ; la création du « triangle de Weimar des femmes d’affaires » et du « Sommet des jeunes du triangle régional de Weimar » ou encore le projet Europamobil.

Une coopération interparlementaire entre les commissions des affaires européennes et des affaires étrangères de chaque Parlement est également prévue dans ce cadre, dans l’objectif d’associer les Parlements aux échanges entre les trois pays sur l’avenir de l’Union européenne.

source : MEAE

b.   Un regain d’intérêt

Si l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne, en 2004, a marqué une étape et fait apparaître la nécessité de faire évoluer le format vers une enceinte de concertation, en amont, des négociations européennes, l’élargissement à l’Europe de l’Est a paradoxalement coïncidé avec une forme de ralentissement des concertations prévues dans le cadre du triangle de Weimar. En effet, la seule initiative notable de la période 2004-2014 a été la création du groupement tactique de Weimar.

C’est en 2014 et avec le conflit dans le Donbass ukrainien, que ce format de coopération a connu un nouveau souffle avec le déplacement à Kiev des trois ministres des affaires étrangères de l’époque, en tant que représentants de l’Union européenne, sous le signe d’une convergence des intérêts des trois pays sur ce dossier s’agissant de leur politique étrangère et de défense.

L’arrivée au pouvoir en Pologne du parti PiS, en 2015, a donné un coup d’arrêt provisoire à ce cadre de coopération. En effet, les tensions concernant la question de l’État de droit et le veto temporaire des autorités polonaises à l’adoption du budget européen ont alors empêché tout approfondissement des relations dans l’enceinte du triangle de Weimar.

Toutefois, le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Fédération de Russie, le 24 février 2022, a débouché sur une nouvelle impulsion. En effet, juste avant le début des opérations russes, les dirigeants des trois pays se sont réunis pour porter une position commune, une première depuis 2011. Plusieurs réunions des ministres des affaires étrangères et des affaires européennes s’en sont suivies (cinq entre 2022 et 2024, la dernière en date étant le 12 février dernier à la Celle-Saint-Cloud) et les dirigeants des trois pays se sont réunis en trois occasions, en février et juin 2023, puis trois jours après le déplacement dans la capitale allemande de la délégation de la commission, le 15 mars 2024 (à Berlin). Les échanges durant ces différentes rencontres ont principalement porté sur le soutien apporté à l’Ukraine, l’élargissement de l’OTAN, la politique de voisinage européenne et la coopération européenne en matière de défense.

Ainsi, la guerre en Ukraine puis le changement de majorité parlementaire en Pologne en octobre 2023 ont eu pour conséquence de redonner un rôle d’impulsion en Europe à cette enceinte de coopération trilatérale. C’est à cet aune qu’il convient d’interpréter les propos tenus par M. Stéphane Séjourné, ministre de l’Europe et des affaires étrangères françaises, lors de son déplacement en Ukraine le 13 janvier 2024, indiquant « accorder une grande importance au triangle de Weimar ».

3.   Des perspectives d’approfondissement prometteuses

a.   Une coopération militaire trilatérale source d’opportunités nouvelles en matière de défense européenne

Le 17 février 2023, en marge de la conférence de Munich sur la sécurité, les trois chefs d’État de la France, l’Allemagne et la Pologne ont présenté́ une déclaration commune définissant les termes d’une coordination interétatique sur les sujets économiques et d’industrie de défense, afin de créer une Europe de la défense « constitutive et non concurrente » de l’OTAN. Avec la guerre en Ukraine, il est ainsi apparu que le triangle de Weimar pouvait devenir une enceinte privilégiée de coopération militaire entre les trois plus grandes puissances de l’Union européenne, d’autant qu’il existe une complémentarité réelle entre les besoins militaires des trois pays.

Le triangle de Weimar offre ainsi des opportunités en matière de défense européenne, sachant que ces membres représentent à eux trois 26,6 % des dépenses militaires des États membres de l’Union européenne et qu’ils disposent d’un réel pouvoir d’influence.

Plusieurs initiatives peuvent être envisagées au sein de cette enceinte, comme la multiplication des échanges de personnels militaires dans une logique d’interopérabilité des armées ou la mutualisation d’achats de matériels militaires (même si les coopérations restent de ce point de vue encore limitées), ce qui permettrait de mieux assurer une certaine autonomie stratégique européenne.

b.   Un dialogue politique à intensifier : l’utilité de la réunion commune au Bundestag, le 11 mars 2024, des commissions des affaires étrangères du triangle de Weimar

La réunion commune entre la commission des affaires étrangères du Bundestag et deux délégations de ses homologues de l’Assemblée nationale française et de la Diète polonaise, le 11 mars 2024, était inédite dans ce format trilatéral. Cette configuration s’est pourtant rapidement imposée à l’esprit des présidents Michael Roth et Jean-Louis Bourlanges, lorsqu’est venu le moment de préparer la rencontre annuelle habituelle entre députés des commissions des affaires étrangères des assemblées allemandes et française. En effet, la disponibilité affichée par les autorités polonaises issues des élections de septembre 2023 à intensifier la concertation dans le cadre du triangle de Weimar offrait une opportunité unique de relancer les échanges au niveau parlementaire.

L’expérience qui s’est déroulée au Bundestag a confirmé toute la pertinence de l’exercice. Par-delà les affirmations parfois convenues sur la nécessité d’entretenir et de resserrer les liens, notamment pour conforter l’Europe, les échanges ont permis aux différentes délégations de percevoir l’ordre des priorités qui animent les opinions de chaque pays.

De fait, l’enjeu de la guerre en Ukraine et ses répercussions sur la sécurité collective du continent sont apparus clairement au premier plan des préoccupations polonaises et allemandes. Les deux pays ont le sentiment d’être confrontés à des questions existentielles du fait de la proximité géographique de la Fédération de Russie. Corrélativement, l’approfondissement de la construction européenne et l’élargissement de l’Union européenne sont des sujets d’intérêt fondamental pour les sociétés civiles allemande et polonaise, ce qui justifie que la France prenne toute sa part au dialogue sur ces perspectives.

Il serait sans doute excessif d’affirmer que la rencontre du 11 mars 2024 débouchera sur des avancées concrètes. À ce stade, elle a surtout permis de confronter les points de vue, de dégager certaines convergences et de poser les jalons d’échanges plus réguliers. Ce début, comme toute amorce de processus, était néanmoins utile et il devra se prolonger sur la durée pour, justement, pouvoir déboucher sur des réalisations.

C.   poursuivre les échanges au niveau parlementaire, notamment en franco-allemand : un impératif dicté par la gravité du moment

1.   Des défis communs, des approches parfois différentes mais des compromis nécessaires

La France, l’Allemagne et la Pologne ont indéniablement des intérêts propres, qui ne sont pas toujours convergents. Elles n’en représentent pas moins, à elles trois, le tiers de la population de l’Union européenne (120 millions sur 450) et 45 % de la richesse globale de celle-ci (7 200 milliards d’euros sur 15 900), ainsi que l’essentiel des forces armées du continent. Surtout, elles affrontent toutes les trois des défis communs qui, s’ils font l’objet d’approches différentes, ne peuvent être surmontés que par des compromis. Cela vaut tout particulièrement pour la France et l’Allemagne, dont l’effet d’entraînement des positions communes sur les instances européennes à Bruxelles est sans équivalent.

Parmi les défis évoqués à Berlin, figurent plusieurs dossiers clés :

– la sécurité et la défense de l’Europe, alors qu’il devient évidemment que les États-Unis vont durablement réorienter leur attention sur l’Asie et l’Indopacifique. À la différence de la France, l’Allemagne et la Pologne privilégient encore l’Alliance atlantique pour faire converger les efforts. En tout état de cause, la guerre en Ukraine a provoqué une prise de conscience sur la nécessité d’investir davantage dans la défense, ce qui constitue un premier pas salutaire ;

– la préservation du tissu agricole européen, dont les principaux acteurs ont manifesté un peu partout en Europe – le mouvement commençant en Allemagne, puis se répétant en France et en Pologne – leur incompréhension devant la lourdeur de la bureaucratie communautaire mais aussi devant l’iniquité des règles commerciales s’appliquant souvent à leur secteur. De fait, la configuration des exploitations et la spécialisation des agricultures nationales divergent assez nettement, mais l’enjeu reste le même pour tous : nourrir des millions de personnes sans dépendre d’importations de produits ne répondant pas aux normes qui s'appliquent aux productions européennes. Une fois encore, les visions politiques ne sont pas alignées, les autorités allemandes se montrant favorables à la finalisation de l’accord commercial avec le Mercosur, quand celles de la France s’y opposent. Toutefois, l’idée d’accords commerciaux non plus globaux mais par secteurs, permettant de dissocier le cas spécifique de l’agriculture, a été évoquée lors des entretiens et elle devrait légitimement pouvoir donner lieu à des réflexions communes ;

– la transition énergétique, pour laquelle le « tout renouvelable » allemand apparaît en décalage avec le retour en grâce du nucléaire en France et en Pologne. Il reste que si les modèles nationaux diffèrent, il n’est pas interdit de travailler à une meilleure interconnexion des réseaux, comme l’ont fait Paris et Berlin depuis 2023. Ce choix s’est révélé payant pour nos pays, en permettant de lisser les difficultés rencontrées en termes de production, de part et d’autre de la frontière ;

– la résilience économique, enfin, la compétitivité des entreprises en Allemagne comme en France étant un sujet de préoccupation, alors que l’impact de la guerre en Ukraine sur la conjoncture mondiale, aggravé par les mesures protectionnistes américaines et par les difficultés rencontrées sur le marché intérieur chinois, pèse lourdement. De manière assez surprenante, les milieux économiques allemands considèrent que le climat des affaires est plus porteur en France, alors que les entreprises de taille intermédiaire y sont deux fois moins nombreuses. À cet égard, il n’est pas anodin que les autorités allemandes aient décidé d’organiser à l’automne 2024 un événement sur l’attractivité de l’Allemagne sur le modèle de Choose France.

Aucun de ces défis n’est insurmontable s’il est pris soin de coopérer et de travailler à des actions communes. Chacun de nos pays, pris isolément, éprouverait des difficultés à surmonter une compétition économique et géopolitique accrue dans un monde où les puissances s’apparentent désormais à de véritables continents. Ensemble, en revanche, ils sont plus forts et résilients.

2.   Des canaux interparlementaires à utiliser davantage, afin de faciliter les convergences

Le réflexe franco-allemand, s’il existe toujours et conserve un effet d’entraînement certain à l’échelle européenne, ne paraît plus aussi évident que par le passé à Berlin. Ce constat vaut heureusement beaucoup moins pour les parlementaires, qui exercent une influence majeure dans le système politique allemand.

Les échanges qu’ont tenus les membres de la délégation de la commission des affaires étrangères, tant avec leurs homologues du Bundestag et de la Diète polonaise, qu’avec la présidente du groupe d’amitié France-Allemagne du Bundestag et la co-présidente du groupe de travail « politique étrangère et de sécurité » de l’APFA ont montré que, sur bien des sujets d’intérêt mutuel, les échanges d’idées et de propositions au niveau parlementaire présentaient l’avantage de défricher des possibilités de compromis.

S’agissant de dossiers aussi structurants que les SCAF et MGCS, par exemple, les parlementaires allemands rencontrés ont assuré la délégation française qu’il n’y a pas de doute à avoir sur la détermination de l’Allemagne à aboutir, alors même que certains acteurs du dossier craignent une forme d’essoufflement, en dépit de la relance politique initiée lors du sommet des ministres de la défense à Évreux, le 22 septembre 2023.

La Fondation Konrad Adenauer a elle aussi plaidé pour que, dans un contexte de relations interpersonnelles parfois compliqué, les Parlements des deux pays travaillent à dissiper les malentendus. Ce message conduit ainsi à préconiser :

– en premier lieu, que des délégations des différentes commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Bundestag se rencontrent plus régulièrement, afin d’aborder les différents paramètres de la relation bilatérale et de lever les éventuelles incompréhensions. Dans l’idéal, il faudrait que, chaque année, la plupart des commissions aient l’opportunité d’avoir une réunion pour des discussions sur des sujets préalablement arrêtés de concert, à l’instar de la pratique instaurée au niveau des commissions des affaires étrangères ;

– en second lieu, que l’APFA intensifie ses travaux et se réunisse plus régulièrement, afin de débattre de sujets d’intérêt commun de portée concrète. Cette assemblée a adopté des textes importants, à l’instar de la résolution commune « Sortir de la crise par l’innovation en route vers l’Union européenne de l’innovation » du 22 janvier 2021, de la résolution commune « Soutenir le développement de nos économies par l’harmonisation des droits français et allemand des affaires et des faillites » du 28 juin 2021 ou de la délibération du 4 décembre 2023 pour l’utilisation transfrontalière du « pass Culture » et du « KulturPass » pour les jeunes ([5]).

Les Exécutifs doivent faire confiance aux parlementaires pour jeter des ponts et ouvrir des perspectives de coopération. L’expérience montre en effet que les initiatives des responsables politiques connectés au plus près du terrain sont souvent porteuses d’avancées significatives et appréciées. C’est ainsi aussi que les liens avec l’Allemagne, mais aussi la Pologne, se raffermiront.

 


   conclusion

 

L’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger avait pour habitude de considérer que l’Allemagne est trop grande pour l’Europe mais trop petite pour le monde.

Sans nécessairement aller aussi loin, car d’autres États membres de l’Union européenne – à commencer par la France – comptent pour beaucoup sur notre continent, il est certain que la République fédérale allemande réalise aujourd’hui que sa puissance économique, encore enviable, n’est plus la garantie de sa place sur le devant de la scène internationale.

La guerre en Ukraine a contraint l’Allemagne à engager une mue profonde, porteuse de réorientations assez radicales, que ce soit pour son modèle économique, pour sa défense ou pour sa conception des relations interétatiques.

Ce moment de bascule assez particulier, qui débouche parfois sur certaines incompréhensions mutuelles, est une période que la France doit impérativement accompagner, à travers une coopération toujours aussi confiante et résolue avec son principal partenaire. À défaut, c’est le « couple » ou le « moteur » franco-allemand, selon le côté du Rhin où l’on réside, qui se trouverait remis en cause d’ici quelques années.

Cette situation rend plus que jamais nécessaires les échanges à tous les niveaux des deux États. Il est heureux, à cet égard, que le président de la République française effectue prochainement, du 26 au 28 mai 2024, une visite d’État outre-Rhin. Les parlementaires, eux aussi, doivent prendre toute leur part à ce dialogue.

La profondeur et la portée assurément positive des discussions que la délégation de la commission des affaires étrangères a pu avoir avec les députés du Bundestag, mais aussi avec ceux de la Diète de la Pologne, confortent cette conviction. D’autres instances, à commencer par l’APFA, méritent de jouer un rôle plus important dans la culture du lien si précieux entre nos pays. Son travail est en effet susceptible de déboucher sur des propositions communes, pouvant permettre des avancées concrètes.

Victor Hugo considérait que « La France et l’Allemagne sont essentiellement l’Europe. L’Allemagne est le cœur ; la France est la tête ». Il appartient, plus que jamais, aux responsables politiques français de faire en sorte que ce constat demeure d’actualité.

 


   Examen en commission

 

Au cours de sa séance du 3 avril 2024, la commission entend la communication, sur le déplacement effectué à Berlin par une délégation de la commission composée de M. Jean-Louis Bourlanges, M. Michel Guiniot, Mmes Stéphanie Kochert et Liliana Tanguy, ainsi que MM. Carlos Martens Bilongo et Nicolas Forissier.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/98vMyA

 

À l’issue des échanges, la commission autorise le dépôt de cette communication sous forme de rapport d’information, en vue de sa publication.


   annexe :
Liste des personnes Entendues
par La dÉlÉgation de la commission

 

 

 Commission des affaires étrangères du Bundestag

 

M. Michael Roth (SPD), président de la commission ;

M. Thomas Erndl (CDU-CSU) ;

M. Nils Schmid (SPD) ;

M. Jürgen Hardt (CDU-CSU) ;

– Mme Nicole Westig (FDP) ;

M. Petr Bystron (AfD).

 

 Commission des affaires étrangères de la Diète de Pologne

 

M. Pawel Kowal (coalition civique), président de la commission ;

M. Fogiel Radosław (PiS) ;

– Mme Ewa Schädler (Polska2050-TD) ;

 

 Groupe d’amitié Allemagne-France du Bundestag et APFA

 

– Mme Nicole Westig, présidente du groupe d’amitié ;

– Mme Sandra Weeser, membre du Bureau et co-présidente du groupe de travail « politique étrangère et de sécurité » de l’APFA.

 

 Gouvernement fédéral

 

– Mme Franziska Brantner, secrétaire d’État auprès du vice-chancelier et ministre de l’économie et du climat ;

– M. Jörg Kukies, secrétaire d’État en charge des affaires économiques et européennes ;

– Mme Anna Lührmann, ministre déléguée chargée des affaires européennes et du climat.

 

 Fondation Konrad Adenauer

 

– M. Norbert Lammert, président de la Fondation Konrad Adenauer, ancien président du Bundestag ;

M. Gerhard Wahlers, secrétaire général-adjoint et chef du département principal de la coopération européenne et internationale ;

M. Lars Hänsel, chef du département Europe et Amérique du Nord.

 

 

 Ambassade de France

 

M. François Delattre, ambassadeur de France ;

M. Emmanuel Cohet, ministre-conseiller ;

M. Thomas Guibert, premier conseiller ;

– Ml’ingénieur en chef de l’armement Guillaume Gommard, attaché d’armement et attaché de défense-adjoint ;

M. Bertrand Le Tallec, conseiller économie-industrie-numérique ;

M. Willy Brėda, conseiller transports-énergie-environnement ;

M. Julien Voituriez, conseiller presse ;

M. Francis Bouyer, conseiller pour les affaires sociales ;

– Mme Aude Pottier, conseillère pour les affaires européennes ;

– Mme Joëlle Coureau, conseillère politique Afrique du Nord-Proche et Moyen-Orients-enjeux globaux et multilatéraux ;

M. Grégoire Martin-Lauzer, conseiller politique intérieure,

M. Gabriel Camus, conseiller politique étrangère ;

– Mme Avril Gommard, conseillère agricole ;

M. Etienne Dėglise, chef de cabinet.

 

 

 Acteurs économiques

 

M. Wolfgang Niedermark, membre du directoire de la fédération de l’industrie allemande (BDI) ;

– Mme Sarah Borella, cheffe du département Europe de l’Ouest et centrale à la fédération des chambres de commerce et d’industrie (Deutsche DIHK) ;

M. Mikko Huotari, directeur exécutif de l’institut MERICS (Mercator Institute for China Studies) ;

– Mme Miriam Philipp, directrice-adjointe du département recherche-politique industrielle et économique de la BDI.


([1]) Votée en 2009 et inscrite dans la Loi fondamentale, la règle du « frein à l'endettement » limite depuis 2016 le déficit budgétaire à 0,35 % du PIB. Elle a été suspendue entre 2020 et 2023 à la suite de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine mais doit de nouveau s'appliquer à partir de 2024.

([2]https://www.destatis.de/EN/Themes/Countries-Regions/International-Statistics/Country-Profiles/france.pdf?__blob=publicationFile

([3]) Instauration par un protocole additionnel au traité de l’Élysée du conseil franco-allemand de défense et de sécurité, de la brigade franco-allemande, des conseils économique et financier et de l’environnement franco-allemands, ainsi que du haut conseil culturel franco-allemand.

([4]) Création à cette occasion du Conseil des ministres franco-allemand et désignation dans chaque pays d’un secrétaire général pour la coopération franco-allemande devant coordonner la préparation et le suivi des décisions politiques, ainsi que le rapprochement des deux pays dans les instances européennes.

([5]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/europe-international/apfa/documents/conteneur-de-blocs-documents/textes