N° 2435
——
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 avril 2024.
RAPPORT D’INFORMATION
dÉposÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])
sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle
de protection et de sécurité civiles
et prÉsentÉ par
Mme Lisa BELLUCO, Présidente,
et
M. Didier LEMAIRE, Rapporteur,
Députés
____
TOME I
RAPPORT – RECOMMANDATIONS - ANNEXES
La mission d’information, créée par la Conférence des présidents, sur les capacités d’anticipation et d’adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles est composée de : Mme Lisa Belluco, présidente ; M. Didier Lemaire, rapporteur ; M. Jean-Marie Fiévet, Mme Marietta Karamanli, MM. Pierre Morel-À-L’Huissier, Éric Pauget, vice-présidents ; Mme Emmanuelle Anthoine, MM. Philippe Berta, Benoît Bordat, Julien Rancoule, secrétaires ; MM. Quentin Bataillon, Romain Baubry, Christophe Blanchet, Bertrand Bouyx, Florian Chauche, Yannick Chenevard, Mmes Catherine Couturier, Laurence Cristol, Julie Lechanteux, Gisèle Lelouis, M. Jean-François Lovisolo, Mme Alexandra Martin, MM. Damien Maudet, Davy Rimane.
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
a. Un réseau départementalisé rassemblant 232 000 sapeurs-pompiers
b. Un maillage territorial à renforcer
c. Un investissement important pour les collectivités territoriales
a. L’État, coordinateur de la sécurité civile
b. L’État, financeur de la sécurité civile
c. Les moyens humains et matériels à la disposition de l’État
a. Les bénévoles engagés dans les associations agréées de sécurité civile
a. Un continuum de missions de l’avant à l’après-crise
b. Un engagement fréquent en dehors de nos frontières
3. Une tension opérationnelle de plus en plus importante pesant sur les sapeurs-pompiers
a. De nombreuses interventions ne relevant pas du champ de compétences des sapeurs-pompiers
b. Une multiplication des crises et des contextes d’intervention de plus en plus difficiles
C. Une sÉdimentation de textes parfois contradictoires qui gagnerait À Être clarifiÉe
a. Un corpus ancien qui reflète l’histoire du modèle français de sécurité civile
b. Un ensemble de textes plus récents qui continue de construire notre modèle actuel
2. Des normes qui gagneraient souvent à être clarifiées ou harmonisées
3. Des difficultés d’appropriation locale des normes nationales
a. Des populations exposées à des risques et des menaces de nature très diverse
i. La journée nationale de la résilience : une initiative à renforcer
ii. L’action des médias, essentielle pour la diffusion d’une culture du risque
a. La prévention des risques technologiques
b. La prévention des risques naturels
c. Des missions de prévention de plus en plus importantes assumées par les SDIS
a. Un couple maire-préfet bien identifié et fonctionnel
2. Les sapeurs-pompiers, au cœur des dispositifs de gestion de crise quelle qu’en soit la nature
a. L’organisation générale des sapeurs-pompiers
b. Le rôle central des sapeurs-pompiers : de soldats du feu à soldats des crises
c. Des sapeurs-pompiers assumant aujourd’hui des tâches qui devraient incomber à d’autres acteurs
ii. Des ressources parfois difficiles à mobiliser, lorsqu’elles existent
C. Un rÔle de soutien et de renfort nÉcessaire pour faire face aux consÉquences des catastrophes
1. La sécurité civile dans les efforts de reconstruction
a. L’accompagnement des victimes et de leurs familles
b. Le rôle de la sécurité civile dans les efforts de reconstruction
2. Les retours d’expérience : une pratique riche d’enseignements pour l’avenir
3. La responsabilité des assureurs : un enjeu critique alors que se multiplient les crises
1. L’apparition et la multiplication de risques naturels liés au changement climatique
a. La multiplication des risques naturels
i. Les risques technologiques et industriels
b. Le rôle des collectivités locales renforcé par plusieurs dispositions législatives
c. Des difficultés dans la mise en œuvre de certaines mesures signalées par les communes
3. Le défi humain et matériel de la prise en charge de la crise
a. L’adaptation des moyens matériels et humains pour répondre à la crise
B. Le DÉFI capacitaire : assurer À la SÉCURITÉ civile de demain les moyens de remplir ses missions
1. Les difficultés de fidélisation, voire de recrutement des sapeurs-pompiers
i. Un enjeu d’attractivité pour des nouvelles recrues dont la fidélisation est essentielle
ii. Des difficultés qui compromettent le fonctionnement des SIS
i. Renforcer l’attractivité des missions et du statut des sapeurs-pompiers volontaires
c. Engager une politique volontariste en faveur de la féminisation des effectifs
2. La nécessaire modernisation de nos capacités matérielles et technologiques
b. Un enjeu financier pour les SIS
i. Les mesures fiscales exceptionnelles mises en œuvre récemment
ii. Les mesures complémentaires, dont l’étude se poursuit
a. Renforcer la formation des élus en matière de prévention des risques et de gestion de crise
2. Les réserves et associations agréées : un formidable outil de mobilisation citoyenne
a. Mieux reconnaître le bénévolat dans les associations agréées de sécurité civile
b. Dynamiser les réserves communales et les réserves citoyennes des SIS
SYNTHÈSE des recommandations du rapport
Contributions des membres de la mission d’information
II. Contribution présentée par M. Jean-Marie Fiévet (membre du groupe Renaissance)
III. Contribution présentée par Mme Marietta Karamanli (membre du groupe Socialistes et apparentés)
IV. Contribution présentée par M. Julien Rancoule (membre du groupe Rassemblement national)
personnes entendues À l’Assemblée nationale
personnes entendues en Déplacement
Liste des Contributions écrites reçues
Annexe N° 1 : PLAN FAMILIAL DE MISE EN SÛRETÉ (PFMS)
— 1 —
Nous vivons le changement climatique au quotidien. Ses effets sur nos vies sont déjà bien perceptibles. Certes, nous pensons en premier lieu aux sécheresses et aux canicules, à la modification des saisons, aux hivers plus cléments.
Mais le changement climatique, c’est aussi :
– plus d’inondations dans des régions habituellement épargnées – à l’heure où j’écris ces lignes, la Bourgogne et le Centre sont en proie à des inondations hors normes ;
– plus de feux de forêts – rappelons-nous de l’été 2022 ;
– plus de phénomènes climatiques extrêmes – pensons à la tempête Ciaran à l’automne 2023 ou à la tempête Alex à l’automne 2020.
Cette augmentation de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles expose nos concitoyens à des risques accrus. Il ne s’agit pas de faire peur, mais bien de croire à ce que l’on sait, pour enfin adapter nos politiques publiques à l’ampleur du phénomène.
Si nous regardons les faits en face, il nous faut choisir de prendre toutes les mesures indispensables à la protection des populations, à l’accompagnement des sinistrés, et à la prise de conscience de chacune et de chacun en forgeant une culture collective du risque.
Les risques liés au changement climatique ne doivent pas non plus occulter les autres menaces. Je pense au risque sécuritaire qui met nos forces de l’ordre et les pouvoirs publics en alerte permanente. Je pense également au risque industriel, qui va nécessairement s’accroître avec la réindustrialisation de la France.
La structure et les instances qui permettent de réagir en cas d’accidents ou de catastrophes, de gérer les crises, de protéger la population, c’est notre système de protection et de sécurité civiles. Ce dernier s’appuie sur des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, ainsi que de nombreux bénévoles. Ce système est encore robuste aujourd’hui, mais il est de plus en plus mis à l’épreuve, avec l’évolution des risques et la multiplication des crises de toute nature. À ces pressions nouvelles s’ajoute l’affaiblissement de notre système de santé, avec l’éloignement des services d’urgences des petites villes et l’impossibilité d’accéder à un médecin généraliste ou spécialiste rapidement en cas de problème.
L’adaptation de la France aux effets du changement climatique ne passera que par une adaptation de notre modèle de sécurité civile. La mission d’information a souhaité apporter une pierre à cet édifice, en étudiant les forces et les faiblesses de ce modèle.
Je tiens à remercier le rapporteur Didier Lemaire pour son travail ces derniers mois, et pour porter ce sujet crucial avec force au sein de la majorité présidentielle. Ensemble, nous avons choisi d’adopter une approche transpartisane, voyant nos différences idéologiques comme une possibilité de multiplier les points de vue. Je salue également l’implication réelle et sérieuse de députés de tous les bancs, engagés de longue date dans un travail sur la sécurité civile française.
C’est dans cet esprit transpartisan que j’ai présidé les travaux de cette mission d’information. Nous avons réalisé 40 auditions ou table rondes, entendant ainsi près de 140 personnes représentant une grande diversité d’actrices et d’acteurs de la sécurité civile. Afin d’être au plus proche du terrain, nous avons fait trois déplacements en France :
– en Seine-Maritime, pour échanger autour de l’accident industriel de Lubrizol ;
– en Gironde, pour étudier la manière dont notre modèle de sécurité civile a permis de réagir aux feux de forêts inhabituels de l’été 2022 ;
– et enfin dans les Alpes-Maritimes, afin de rencontrer les actrices et acteurs de première ligne lors de la tempête Alex.
Nous nous sommes également rendus dans deux pays européens proches – le Portugal et l’Italie – dans le but d’observer d’autres modèles et de nous en inspirer.
Notre volonté a toujours été de nous intéresser d’abord et prioritairement au vécu des personnes en première ligne en cas de crise, pour ensuite entendre les administrations et les cadres de notre modèle de sécurité civile. Pour le rapporteur et moi-même, il était indispensable de s’appuyer sur les réalités du terrain afin d’élaborer nos propositions.
Ces travaux ont permis d’identifier de nombreuses pistes d’amélioration. Il est urgent de déployer les moyens nécessaires à l’acculturation de la population aux risques auxquels elle est soumise et à la meilleure manière d’y réagir. Il est aussi indispensable de renforcer les capacités d’intervention au plus près du terrain et d’améliorer la coordination de tous les acteurs. L’aboutissement de ces travaux se retrouve dans 62 propositions clés. Elles sont en fait le point de départ d’un travail de plus grande ampleur qu’il est nécessaire d’engager. J’espère que, par ce rapport, nous parviendrons à convaincre nos collègues de l’impérieuse nécessité de traiter le sujet de la sécurité civile avec sérieux, au-delà de la simple situation des sapeurs-pompiers – qui mérite toute notre attention, mais qui ne saurait résumer à elle seule les nombreuses problématiques de notre modèle de sécurité civile.
Pour terminer, je tiens à saluer l’ensemble des personnes engagées pour la sécurité civile, qu’ils et elles soient bénévoles, volontaires ou professionnels. Sans elles et eux, qui donnent beaucoup de leur temps libre et de leur énergie, notre système de sécurité et de protection civiles n’existerait tout simplement pas. Les rencontres et les échanges avec toutes ces personnes ont été d’une grande richesse et ont réellement nourri ces travaux. Je les en remercie vivement.
En cas d’urgence, d’incendie, de catastrophe naturelle ou industrielle, d’attentat ou de crise sanitaire, nos concitoyens savent qu’ils peuvent compter sur la réactivité et le professionnalisme de nos forces de protection et de sécurité civiles. Notre modèle, ancien, n’a cessé de s’adapter face à l’évolution des menaces et des besoins de protection de la population : depuis la création des compagnies de gardes pompes au début du XVIIIème siècle, suivie un siècle plus tard de celle des corps communaux de sapeurs-pompiers, puis de la création du service national de la protection civile au début des années 1950, et enfin de la départementalisation des services d’incendie et de secours décidée par le législateur en 1996, l’organisation de notre système de protection et de sécurité civiles a beaucoup changé, aboutissant à un modèle généralement considéré comme réactif, solide et efficace.
Pourtant, des interrogations apparaissent, le risque d’une « rupture capacitaire » est parfois évoqué, et certains acteurs de la protection et de la sécurité civiles rencontrent des doutes sur la conduite à tenir, voire sur le sens de leur engagement au service de la collectivité face à l’évolution de leurs activités. L’importance de la pression exercée quotidiennement sur nos forces de sécurité civile, que ce soit en raison de la multiplication des incendies estivaux et catastrophes naturelles, ou de l’importance croissante du secours aux personnes, nourrit ces interrogations. Malgré leur implication, certains élus locaux peuvent demeurer fragiles dans leurs compétences, et les associations agréées de sécurité civile insuffisamment associées ou reconnues.
Ces doutes ou difficultés, alors que la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 est encore récente et que le dérèglement climatique produit ses effets, ont conduit, à l’initiative du groupe Horizon et apparentés, à la mise en place en juillet 2023 de cette mission, qui a réuni pendant plus de six mois 25 députés de toutes les sensibilités politiques.
Devant l’étendue de son champ d’investigation et la complexité du sujet, la mission d’information, constituée au mois de juillet dernier, a souhaité non seulement prendre en compte la variété des risques et leur possible anticipation, mais aussi partir du terrain, pour découvrir la diversité des acteurs du monde de la sécurité civile, au premier rang desquels les élus locaux et les associations, avant d’échanger avec les professionnels et les administrations concernées. Elle a ainsi entendu près de 140 personnes dans le cadre des auditions et tables rondes organisées à l’Assemblée nationale entre le 7 septembre 2023 et le 29 février 2024. Elle s’est également déplacée, à partir de la fin du mois de novembre 2023, en France sur le lieu de récentes catastrophes naturelles ou industrielles (en Seine-Maritime, en Gironde et dans les Alpes-Maritimes), ainsi que dans deux pays européens (le Portugal et l’Italie), dont les modèles de protection et de sécurité civile lui ont semblé susceptibles de l’inspirer.
Votre rapporteur tient à remercier l’ensemble des membres de la mission d’information pour leur implication, ainsi que pour l’approche constructive et réellement transpartisane qui a prévalu pendant ses travaux.
Le présent rapport présente tout d’abord la grande diversité des acteurs de notre modèle de protection et de sécurité civiles et rappelle l’étendue de leurs missions. Face à une multiplication des urgences et à la complexification des contextes d’intervention, cette « constellation » d’acteurs variés peut être une chance, en étant source de souplesse et de résilience. Toutefois, cet enchevêtrement représente aussi un défi d’intégration et doit conduire à des efforts renforcés de coordination entre les forces impliquées, pour éviter la dispersion des énergies, ainsi que de possibles ambiguïtés, contradictions ou redondances.
Le rapport souligne ensuite l’existence d’une forme de continuité entre les différentes missions assignées à notre sécurité civile : la prévention sous toutes ses formes, qui suppose notamment de développer une culture du risque et nos capacités d’anticipation, la gestion de crise elle-même, qui implique une multiplicité d’acteurs, et enfin ce qu’il est convenu d’appeler l’« après-crise », qui inclut les retours d’expérience, les efforts de reconstruction, le soutien aux victimes et les modalités d’indemnisation. Compte tenu du caractère de plus en plus souvent transversal ou systémique des crises, le rapport met en lumière la nécessité d’améliorer la gestion interministérielle de la sécurité civile.
Enfin, le rapport analyse les grands défis auxquels est confronté notre modèle de protection et de sécurité civiles. Au premier rang de ces défis majeurs figurent notamment les tensions créées par l’augmentation manifeste des risques naturels, qui est elle-même favorisée par le dérèglement climatique. À ce défi climatique s’ajoutent un défi capacitaire – donner à nos forces de protection et de sécurité civiles les moyens humains et matériels dont elles ont besoin – mais aussi un défi citoyen : mobiliser l’ensemble de la société. Il s’agit ici de garantir une meilleure formation des élus à la gestion des risques et des crises, de développer la sensibilisation des plus jeunes et de renforcer l’engagement de tous dans le cadre des associations agréées et des réserves communales de sécurité civile, grâce à des mesures permettant d’accroître leur attractivité.
Ceux qui défendent et protègent notre population, répondant toujours à l’appel, parfois au péril de leur vie, qu’ils soient professionnels, volontaires ou bénévoles, méritent évidemment toute la reconnaissance de la nation ; mais ils ont aussi besoin de soutien public et de moyens adaptés pour mener leurs missions si cruciales. Les élus et les citoyens engagés au service de la collectivité doivent, quant à eux, voir leur rôle conforté et mieux reconnu. Votre rapporteur tient à rendre hommage à leur engagement au service de tous et espère qu’ils sentiront que ce rapport, en dessinant des pistes de progrès pour notre modèle de protection et de sécurité civiles, reflète l’écoute et l’attention qui leur ont été accordées par la mission d’information tout au long de ses travaux.
I. LA PROTECTION ET LA SÉCURITÉ CIVILES FRANÇAISES, UN MODÈLE REPOSANT SUR DE NOMBREUX ACTEURS ET COUVRANT UN CHAMP D’ACTION TRÈS LARGE
Le modèle français de sécurité civile repose sur une organisation déconcentrée : si l’État en est le garant, et exerce à cette fin un rôle essentiel de coordination et de pilotage, de nombreux acteurs locaux œuvrent au quotidien pour assurer un périmètre particulièrement large de missions de prévention, de gestion des crises et de réparation après leur survenue.
Cette « constellation » d’acteurs est une richesse, qui contribue à soutenir la croissance des interventions dans un contexte de multiplication des crises. Elle nécessite néanmoins des efforts de concertation, de coordination et de cohésion renforcés, afin de garantir la cohérence d’ensemble des actions menées, tout en permettant à chacun des acteurs de contribuer à l’efficacité de notre modèle de protection et de sécurité civiles.
De nombreuses normes ont contribué à bâtir le régime juridique qui prévaut aujourd’hui. Si cette législation et la réglementation qui la complète sont une richesse qui témoigne notamment du vif intérêt du législateur pour cette politique publique, elle contribue toutefois à additionner des normes pouvant parfois se contredire. Cette situation devrait conduire à rechercher une simplification et une clarification, afin de remédier aux difficultés rencontrées par les acteurs locaux pour s’approprier ce cadre normatif, comme la mission a pu le relever au cours de ses travaux.
A. Les acteurs de la sÉcuritÉ civile : une constellation en constante Évolution et encore trop mÉconnue
La sécurité civile repose sur de nombreux acteurs, que la mission s’est efforcée d’auditionner : les sapeurs-pompiers, professionnels et volontaires, les élus locaux, les personnels de l’État, les bénévoles des associations agréées de sécurité civile, ainsi que les réservistes des réserves communales et départementales de sécurité civile.
À l’ensemble de ces acteurs institutionnalisés présentés ci-après, s’en ajoute un autre, absolument essentiel, évoqué constamment au cours des travaux de la mission : le citoyen. Ce rôle, consacré dans la loi ([2]), fera l’objet d’un développement à part (voir II A et III C 2 et 3).
1. Les services d’incendie et de secours : un maillon essentiel du dispositif de sécurité civile, qui dépend amplement des collectivités locales
L’organisation du secours d’urgence repose principalement sur un réseau territorial constitué des services d’incendie et de secours (SIS). Ces services, dont la grande majorité est constituée en établissements publics à caractère administratif (EPA) départementalisés, sont chargés du fonctionnement du corps départemental de sapeurs-pompiers, de l’analyse des risques et de la mise en place des moyens de secours.
a. Un réseau départementalisé rassemblant 232 000 sapeurs-pompiers
L’organisation moderne des services d’incendie et de secours a toujours été gérée localement. Si la loi du 5 avril 1884 organisait les moyens publics de la lutte contre les incendies à une échelle communale, des services départementaux de protection contre l’incendie, placés sous l’autorité des préfets, ont été instaurés en 1938, et sont devenus en 1955 des établissements publics, qualifiés de « services départementaux d’incendie et de secours » (SDIS) par la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République. La loi du 3 mai 1996 a rendu obligatoire la départementalisation des SDIS, tout en ménageant un délai de cinq ans aux collectivités afin de procéder aux transferts des biens et des personnes aux SDIS.
Chaque SDIS est dirigé par un officier supérieur de sapeurs-pompiers et est placé sous la double tutelle du préfet et du président du conseil d’administration du SDIS, composé de 15 à 30 membres représentant le département, les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière de lutte contre les incendies et de secours. Le conseil d’administration est responsable de la gestion administrative et financière du SDIS, tandis que les opérations de secours sont dirigées par le préfet, représentant de l’État.
L’arrêté du 21 janvier 2017 portant classement des services départementaux d’incendie et de secours distingue trois catégories de SDIS : la catégorie A, pour les services couvrant un territoire dont la population est supérieure ou égale à 900 000 habitants, la catégorie B pour ceux dont la population est comprise entre 400 000 et 900 000 habitants, et la catégorie C lorsque le territoire couvert par le SDIS comprend une population inférieure à 400 000 habitants.
Les trois CATÉGORIES de sdis
Source : Les statistiques des services d’incendie et de secours, chiffres 2023, DGSCGC.
Les SDIS recrutent et animent un réseau de plus de 232 000 sapeurs-pompiers professionnels (SPP) ou volontaires (SPV).
Évolution des effectifs de sapeurs-pompiers sur les dix DERNIÈRES ANNÉES
|
SPP |
SPV intégrés dans un SDIS |
SPV intégrés dans un centre communal ou intercommunal de secours |
2013 |
40 237 |
177 641 |
192 314 |
2014 |
40 834 |
180 171 |
193 756 |
2015 |
40 966 |
180 025 |
193 656 |
2016 |
40 646 |
181 980 |
193 800 |
2017 |
40 537 |
182 819 |
194 975 |
2018 |
40 403 |
185 063 |
196 622 |
2019 |
41 396 |
187 947 |
198 782 |
2020 |
41 796 |
186 896 |
197 101 |
2021 |
41 810 |
188 531 |
197 758 |
2022 |
42 967 |
189 582 |
198 790 |
Source : DGSCGC.
Les 42 000 SPP actuellement en emploi en France sont des fonctionnaires territoriaux, recrutés sur concours, puis affectés dans un SIS en fonction des besoins des services. Ils sont épaulés par 190 000 SPV chargés par la loi de missions de sécurité civile de toute nature et remplissent les mêmes activités que les sapeurs-pompiers professionnels. Les SPP peuvent d’ailleurs exercer une activité de SPV dans une autre caserne.
Deux exceptions à la départementalisation : la BSPP et le BMPM ([3])
Deux unités militaires échappent la départementalisation : la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et le bataillon des marins-pompiers de Marseille (BMPM), tous deux créés en réponse à deux grands incidents ayant marqué l’histoire de la sécurité civile.
Créée en 1811 par Napoléon Ier à la suite de l’incendie de l’ambassade d’Autriche l’année précédente, la BSPP est une unité militaire mise pour emploi auprès du préfet de police. Elle est un cas unique en France de service interdépartemental, compétente sur Paris et sur les trois départements de petite couronne en matière de protection des personnes et des biens.
Elle comprend 8 300 sapeurs-pompiers – pour un effectif théorique de 8 700 – dont la moyenne d’âge est de 27 ans pour les pompiers employés dans les services d’incendie et de secours. Ces effectifs réalisent environ 500 000 interventions par an.
Au cours de son audition ([4]), le général Joseph Dupré La Tour, commandant de la BSPP, a rappelé quelques-unes de ses spécificités et les principaux défis posés par la zone géographique couverte par la BSPP. Il s’agit ainsi d’un périmètre certes restreint de 800 kilomètres carrés, mais « qui réunit tous les centres de décision politiques, législatifs, médiatiques et économiques. Plus de 200 ambassades et consulats sont situés dans cette zone, qui accueille aussi des millions de visiteurs. Chaque année, des événements de grande envergure sont organisés à Paris. Récemment, les six derniers matches de la coupe du monde de rugby se sont disputés au Stade de France. Paris a aussi accueilli de multiples événements d’une portée internationale, tels que le centenaire de la Première Guerre mondiale ou l’Euro 2016.
« Paris est aussi le théâtre de grandes mutations urbaines, portées par des architectes de renommée mondiale, à l’instar de Jean Nouvel. Ces créations sont admirées par des millions de personnes. Cette zone de forte densité et enclavée est exposée à la fois aux risques urbains, aux risques de pandémie et aux risques climatiques. Au cours de l’été 2022, marqué par une très forte sécheresse, Paris a connu 600 départs de feu dans des espaces naturels, contre 150 en 2021. Grâce à nos 78 centres de secours, ces feux ont pu être éteints très rapidement. »
Paris est aussi confrontée au risque social : ville de fêtes, c’est aussi le lieu de toutes les colères. C’est pourquoi nous avons acquis une solide expérience des manifestations (gilets jaunes, réforme des retraites de 2023 par exemple) ».
Créé après un grave incendie survenu en 1938 à Marseille, le BMPM est une unité militaire – la plus grande de la marine nationale – placée sous l’autorité du maire de Marseille dans le cadre de ses attributions en matière de secours et de défense contre l’incendie.
Le BMPM est compétent sur le territoire de Marseille, mais son commandant, l’amiral Lionel Mathieu, a rappelé lors de son audition ([5]) que son unité « agit également pour la zone de défense et de sécurité Sud et, en certaines circonstances, au niveau national et international », disposant à cette fin de 17 implantations municipales et de quatre autres centres « situés hors des frontières communales pour la défense de l’aéroport de Marignane, du port de Fos-sur-Mer et du site d’Airbus Helicopters. »
Les 2 600 personnels du BMPM ont réalisé 128 000 interventions en 2022, soit en moyenne 350 interventions par jour – un chiffre en augmentation de 2 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.
b. Un maillage territorial à renforcer
Outre les SIS, le territoire national compte 6 093 centres d’incendie et de secours (CIS), aussi appelés « casernes », qui sont les unités opérationnelles de base des SDIS. Chaque CIS a pour mission la couverture des risques spécifiques à sa zone géographique d’intervention. Il réalise ainsi les opérations de secours et d’urgence définies par le SDIS, et les effectifs qui y sont rattachés interviennent directement auprès de la population.
Les CIS sont créés par le préfet en fonction du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACR) et du règlement opérationnel. Ils se divisent en trois catégories :
– les centres de secours principaux (CSP), qui peuvent assurer simultanément au moins un départ en intervention pour une mission de lutte contre l’incendie, deux départs en intervention pour une mission de secours d’urgence aux personnes et un autre départ en intervention ;
– les centres de secours (CS), qui peuvent assumer simultanément au moins un départ en intervention pour une mission de lutte contre l’incendie ou un départ en intervention pour une mission de secours d’urgence aux personnes et un autre départ en intervention ;
– les centres de première intervention (CPI), qui peuvent assumer au moins un départ en intervention.
Le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques
Le schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACR) est un document-cadre est élaboré par le SDIS sous l’autorité du Préfet et en concertation avec les collectivités territoriales concernées. Sa mise en place vise une approche globale et pragmatique de la prévention, de la préparation et de la gestion des risques sur le territoire départemental.
Le SDACR est fondé sur une évaluation détaillée des risques de toute nature (naturels, technologiques, sanitaires, etc.) susceptibles de survenir dans le département. À partir de cette évaluation, le schéma définit les objectifs et les moyens nécessaires à la couverture optimale de ces risques, en termes de prévention, de protection et d’intervention.
La création du SDACR suit un processus rigoureux : après son élaboration par le SDIS, le projet est soumis pour avis aux communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Suite à l’intégration des avis et recommandations, le schéma est approuvé par le conseil d’administration du SDIS puis adopté par arrêté préfectoral.
Le SDACR a plusieurs intérêts : en premier lieu, il assure une connaissance approfondie et partagée des risques départementaux. En définissant clairement les priorités d’action et les ressources nécessaires, il garantit une allocation optimale des moyens de secours, favorisant ainsi une gestion des urgences plus efficace et coordonnée. Enfin, le SDACR contribue à l’amélioration continue de la sécurité civile au niveau départemental, en offrant un cadre pour l’évaluation et la révision périodique des stratégies de couverture des risques.
Selon la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), la départementalisation des SIS a entraîné une érosion régulière du maillage territorial des CIS, dont le nombre est passé de 11 930 à 6 093 en vingt ans.
Or, selon de nombreuses personnes auditionnées par la mission d’information, ce seuil très bas pourrait nuire à l’efficacité de l’organisation des secours. Selon la FNSPF, qui a alerté à ce sujet votre rapporteur dans sa contribution écrite, « les motivations économiques [pouvant justifier la fermeture des casernes] dans un contexte budgétaire contraint pour les collectivités locales, omettent de prendre en considération l’ensemble des coûts, directs et indirects, générés par la fermeture de ces centres », en particulier en perte de capital humain et d’investissements en formation des personnels, une augmentation du nombre d’interventions et de leurs délais, pesant sur les personnels, et une diminution du nombre de points de recrutement de sapeurs-pompiers volontaires dans les territoires.
Pour le contrôleur général Stéphane Morin, président de l’Association nationale des directeurs des services d’incendie et de secours (ANDSIS), « nous sommes arrivés à un seuil en dessous duquel il ne faut pas descendre, sans quoi nous risquerions d’avoir du mal à faire face à de nouvelles crises, mais aussi à toutes les demandes de secours aux personnes – qui sont de plus en plus nombreuses. » Il constate cependant qu’est survenue récemment « une amélioration de la couverture, avec même des créations de centres d’incendie et de secours, ce que l’on ne voyait plus il y a dix ans » ([6]), dynamique que votre rapporteur estime encourageante.
Votre rapporteur observe que le rapport annexé de la LOPMI indique, à ce sujet, que « s’agissant d’un service public essentiel, l’inscription dans la loi de la subordination de toute fermeture d’un centre d’incendie et de secours à la consultation préalable du maire de la commune siège sera envisagée. » Cette disposition, qui aboutirait à l’expression d’un avis simple par le maire concerné et permettrait ainsi d’assurer une concertation locale, pourrait utilement trouver une traduction dans notre droit positif.
Recommandation n° 01 : Subordonner toute fermeture de centre d’incendie et de secours à la consultation préalable du maire de la commune siège et à l’étude de la mise en place d’une unité concourant aux missions de sécurité civile (association agréée de sécurité civile ou réserve communale de sécurité civile) permettant au maire de disposer de moyens humains et matériels adaptés pour les exercer
c. Un investissement important pour les collectivités territoriales
Les collectivités territoriales assument largement le financement de notre modèle de sécurité civile.
Ainsi que l’a rappelé le préfet Julien Marion au cours de son audition ([7]), « depuis la loi de 1996, les services d’incendie et de secours obéissent au principe de gouvernance locale : ce sont le département, puis le bloc communal, qui leur fournissent les moyens dont ils ont besoin. » De fait, les départements et le bloc communal sont les principaux financeurs des SDIS, comptant pour près de 96 % des recettes de ces services en 2022.
Recettes RÉELLES des SDIS (hors BSPP et BMPM) en 2022
Contributeurs |
Montant (en millions d’euros) |
Part dans le total des recettes |
Conseils départementaux, collectivités territoriales uniques, collectivité européenne d’Alsace, collectivité territoriale de Corse et métropole de Lyon |
2 867 |
55,5 % |
Communes et EPCI |
2 088 |
40,4 % |
État |
122 |
2,4 % |
Usagers (interventions soumises à facturation) |
71 |
1,4 % |
Produits divers (cessions immobilières, dons et legs…) |
17 |
0,3 % |
Total |
5 165 |
100 % |
Source : DGSCGC.
Dans le détail, les départements sont les principaux financeurs, comptant pour 55,5 % des ressources totales des services d’incendie et de secours. Cette participation, qui représente environ 5 % des dépenses de fonctionnement de ces collectivités, est très dynamique : elle a plus que doublé entre 2002 et 2021.
Cette participation prépondérante s’explique, d’une part, par la départementalisation des SIS depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 mai 1996 relative aux services d’incendie et de secours et, d’autre part, par celle de la loi du 27 février 2002 de démocratie de proximité, qui a renforcé les liens entre les départements et les SDIS, en attribuant aux représentants départementaux une majorité des sièges au sein de leurs conseils d’administration. Depuis la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, ceux-ci ont un rôle de pilotage de ces structures, et des conventions pluriannuelles arrêtent la contribution financière du département ([8]).
Le bloc communal – c’est-à-dire à la fois les communes et les intercommunalités – est le second financeur des SDIS. Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, sa contribution est plafonnée par la loi et ne peut ainsi excéder l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac ([9]). Elle a donc mécaniquement évolué moins vite que celle des départements ([10]).
Au sein de ce bloc communal, les EPCI contribuent le plus au financement des SDIS – comptant pour environ les deux tiers du financement total du bloc communal en 2021.
Évolution du montant des contributions en fonctionnement des DÉPARTEMENTS et du bloc communal, hors périmÈtre bspp
(en millions d’euros)
|
2002 |
2005 |
2008 |
2011 |
2014 |
2017 |
2021 |
Évolution 2002-2021 |
Départements |
1 147 |
1 678 |
2 097 |
2 353 |
2 503 |
2 443 |
2 542 |
+ 122 % |
Bloc communal |
1 490 |
1 615 |
1 757 |
1 787 |
1 872 |
1 888 |
2 047 |
+ 37 % |
Total |
2 637 |
3 293 |
3 854 |
4 140 |
4 375 |
4 331 |
4 589 |
+ 74 % |
Source : rapport de l’IGA sur le financement des SIS, d’après les données financières de la DGFiP.
2. Le rôle de l’État, chargé de la coordination globale des moyens et de la gestion d’unités ou de moyens de sécurité civile spécialisés et financeur important de la sécurité civile
a. L’État, coordinateur de la sécurité civile
En matière de sécurité civile, l’État assume un rôle principalement de garant et de coordinateur. L’article L. 112-2 du code de la sécurité intérieure dispose ainsi : « L’État est garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne ses moyens.
Il évalue en permanence l’état de préparation aux risques et veille à la mise en œuvre des mesures d’information et d’alerte des populations.
Sans préjudice des dispositions relatives à l’organisation de l’État en temps de crise et de celles du code général des collectivités territoriales, le ministre chargé de la sécurité civile coordonne les opérations de secours dont l’ampleur le justifie. »
Le rôle de coordinateur de l’État s’exécute essentiellement par l’intermédiaire des préfets, responsables de la préparation et de l’exécution des mesures pouvant être décidées pour faire face à une crise. Dans un tel cas de figure, le préfet ou son représentant assure la direction des opérations de secours, appuyé pour ce faire par le service interministériel de défense et de protection civiles (SIDPC) ainsi que par l’ensemble des services de l’État (voir II B 1 a).
b. L’État, financeur de la sécurité civile
Bien que le financement du modèle de sécurité civile soit largement soutenu par les collectivités territoriales, l’État y participe également à plusieurs titres.
● Le versement d’une fraction de la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA)
La contribution financière la plus immédiate de l’État s’opère par le biais du versement d’une fraction de la TSCA aux SDIS. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales prévoit le transfert de deux fractions distinctes de cette taxe, l’une au titre du transfert de compétences, l’autre, représentant 6,45 % de la taxe, destinée au financement des SDIS en contrepartie d’une diminution de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à hauteur de 874 millions d’euros.
La distribution par département de cette dernière fraction de TSCA est précisée à l’article 53 de loi de finances pour 2005 et repose sur une clé de répartition déterminée par le rapport entre le nombre de véhicules terrestres à moteur immatriculés dans le département au 31 décembre 2003 et le nombre total de ces mêmes véhicules sur le territoire national à la même date. Cette fraction représentait 1,12 milliard d’euros en 2021 (hors périmètre de la BSPP).
● Un soutien à l’investissement des SDIS
La loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires a créé une dotation de soutien à l’investissement structurant des SDIS, destinée à appuyer les équipements structurants des services d’incendie et de secours. Dans ce cadre, l’État a créé un nouveau dispositif, appelé pacte capacitaire, qui prend la forme d’une convention, établie à l’échelle des zones de défense, entre l’État et les SDIS, afin de renforcer leurs moyens opérationnels de secours dans la lutte contre les incendies de végétation.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi Matras, les pactes capacitaires ont une existence législative et sont mentionnés à l’article L. 742-11-1 du code de la sécurité intérieure :
« L’État, les collectivités territoriales et les services d’incendie et de secours peuvent conclure une convention, dans chaque département, afin de répondre aux fragilités capacitaires face aux risques particuliers, à l’émergence et à l’évolution des risques complexes, identifiées dans les contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces définis au présent code.
Cette convention, intitulée pacte capacitaire, précise la participation financière de chacune des parties signataires. Dans ce cadre, l’État peut recourir à la dotation de soutien aux investissements structurants des services d’incendie et de secours prévu à l’article L. 1424-36-2 du code général des collectivités territoriales ([11]). »
La LOPMI prévoyait une enveloppe de 30 millions d’euros consacrés aux pactes capacitaires sur la période 2023-2027. Mais, pour faire face à la saison des feux de forêt 2022, particulièrement éprouvante, des mesures d’urgence ont été annoncées par le Président de la République, le 28 octobre 2022, visant notamment à renforcer les pactes capacitaires. Dans ce cadre, 150 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 37,5 millions d’euros de crédits de paiement ont été ouverts dans la loi de finances pour 2023 spécifiquement pour soutenir financièrement les SDIS dans l’achat d’équipements de lutte contre les feux de forêt.
L’investissement des SDIS n’est pas soutenu par l’État uniquement au travers des pactes capacitaires. Comme l’a rappelé le préfet Julien Marion au cours de son audition ([12]), « l’investissement des SDIS était soutenu par l’État à travers le FCTVA – fonds de compensation pour la TVA –, à hauteur de 117 millions d’euros en 2022. Sur le plan local, les préfets ont la possibilité de mobiliser des dispositifs tels que la DETR – dotation d’équipement des territoires ruraux –, la DSIL – dotation de soutien à l’investissement local – et la DSID – dotation de soutien à l’investissement des départements – pour accompagner certains projets d’investissement des SDIS. Selon nos estimations, cela représente à peu près 10 millions par an, ce qui n’est pas anecdotique. »
● Le financement de projets structurants
L’État est chargé du financement des investissements structurants pour les acteurs de la sécurité civile. L’on peut, à cet égard, citer deux chantiers importants, ayant été évoqués au cours des auditions de la mission : NEX-SIS 18-112 et le réseau radio du futur.
– Le projet NexSIS 18-112, piloté par l’Agence du numérique de la sécurité civile ([13]), vise à unifier et moderniser le système d’information et de commandement des services d’incendie et de secours en France.
Lancé par un décret en 2019 ([14]), il permettra une meilleure gestion des alertes et des réponses opérationnelles via un système unique et interopérable de traitement des appels du 18 et du 112 et de gestion des opérations de secours. Au terme de l’année 2024, près d’un quart des SIS devraient en être dotés et une moitié pourra bénéficier de cette solution en 2026.
Le coût de ce projet est estimé à 225 millions d’euros et est financé par l’État via le programme 161 « sécurité civile » de la mission Sécurités.
Il représente une simplification considérable du système actuel, dont M. Pierre Casciola, directeur de l’Agence du numérique de la sécurité civile, a rappelé qu’il était actuellement particulièrement fragmenté :
« L’ANSC (…) est principalement chargée de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un projet consistant à centraliser, uniformiser et fédérer les systèmes de gestion de l’alerte et des opérations [c’est-à-dire] de tout ce qui se cache derrière le 18 et le 112, à savoir de la réception des alertes et de l’envoi des forces adéquates, avec les bons véhicules et les bonnes compétences, le plus rapidement possible. Historiquement, ce sont des éditeurs privés – quatre éditeurs principalement – qui se partageaient le marché au niveau départemental, les services d’incendie et de secours étant organisés à cet échelon et dépendant des conseils départementaux. Chaque département était souverain et avait d’ailleurs mis en place une solution quasiment unique, configurée de manière très particulière.
Ce projet d’ampleur, dénommé NexSIS 18-112, a vocation à transformer considérablement les outils, les métiers et la manière de travailler au sein des services d’incendie et de secours. Il permettra de façon native une entraide entre départements – certains sont aujourd’hui liés par des accords particuliers, mais sans réel partage d’outils numériques. Un SDIS pourra, par exemple, transférer un appel à un autre ou répondre à un appel au nom d’un autre. Peut-être aura-t-il même un jour la possibilité d’envoyer des secours pour le compte d’un autre département, mais cette perspective soulève d’autres problèmes, notamment de responsabilité. » ([15])
– Le projet « réseau radio du futur » (RRF) vise à déployer, entre 2024 et fin 2026, une infrastructure nationale de communication mobile très haut débit (4G et 5G) interopérable, prioritaire, sécurisée et résiliente au profit de l’ensemble des services responsables des missions de sécurité, de secours et de gestion des crises.
Le RRF doit également permettre de renforcer la coopération entre services opérationnels et de coordonner leur action. Il sera ainsi déployé auprès d’environ 300 000 utilisateurs participant au continuum de secours :
– les services concourant à la sécurité intérieure (police nationale, gendarmerie nationale, polices municipales) ;
– les services de secours (moyens nationaux de la sécurité civile, services d’incendie et de secours, SAMU, SMUR) ;
– les administrations de l’État participant aux missions de protection des populations ou de gestion des crises et des catastrophes (préfectures et services déconcentrés de l’administration territoriale, agences régionales de santé, douanes, agents du ministère de la Justice, administrations chargées des routes, des voies navigables, des ports, de la navigation maritime ou aérienne, agents responsables des polices de l’environnement) ;
– les forces armées, dans le cadre de leurs concours aux opérations de sécurité ou de secours sur le territoire national (opérations de type Sentinelle, Héphaïstos, Résilience, etc.) ou pour les besoins de communication de leurs unités en charge de la protection de leurs installations sur le territoire national ;
– certains opérateurs d’importance vitale (OIV) des secteurs du transport et de l’énergie, infrastructures au sein desquelles les services de sécurité et de secours peuvent être amenés à intervenir.
Cette opération, dont le coût est estimé à près de 900 millions d’euros pour la période 2022-2030, sera financée de deux manières :
– les coûts de construction ainsi qu’une partie des coûts de fonctionnement pendant la période de déploiement seront pris en charge par le budget du ministère de l’Intérieur, via le programme budgétaire n° 216 Administration générale et territoriale de l’État ;
– les utilisateurs paieront un abonnement pour financer les coûts de fonctionnement.
Comme l’a rappelé M. Guillaume Lambert, directeur de l’Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS), chargée de mettre en œuvre le RRF, « ce programme est au cœur de la transformation technologique des communications opérationnelles de l’ensemble des services qui participent au continuum de sécurité et de secours, à la gestion des crises et des catastrophes et, plus largement, à la protection des populations. C’est la première fois que l’État crée en son sein un opérateur de réseau mobile dédié au soutien des communications opérationnelles des services de sécurité et de secours. » ([16])
● L’État contribue également pour partie au financement de la BSPP – à hauteur de 106 millions d’euros en 2024 – et du BMPM, à hauteur de 10 millions d’euros. Il participe aussi au financement de l’École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp).
● L’État finance les colonnes de renfort, c’est-à-dire « les dépenses afférentes à l’engagement de moyens publics et privés extérieurs au département lorsqu’ils ont été mobilisés par le représentant de l’État » ([17]), à hauteur de 7 millions d’euros pour 2024. Ainsi, en cas de catastrophe majeure, les colonnes de renfort, composées de sapeurs-pompiers des SDIS, sont mises à disposition des préfets de zone de défense et de sécurité ou du centre opérationnel de gestion interministériel de crises (Cogic), selon l’ampleur des sinistres.
Enfin, l’État finance des moyens humains et matériels qui lui sont propres.
c. Les moyens humains et matériels à la disposition de l’État
● Des moyens humains consacrés à des missions particulières et nécessitant un haut niveau de technicité
L’État mobilise des personnels, qu’il gère directement, et qui sont pour l’essentiel consacrés à des missions exigeant une forte technicité ou affectés à des tâches particulières.
Le volume global de ses effectifs suit une tendance à la hausse, qui s’inscrit dans le cadre de l’évolution des crédits du ministère de l’Intérieur prévue par la loi de programmation et d’orientation du ministère de l’Intérieur (LOPMI, voir I C b), en particulier du fait de la création d’une quatrième unité de formation militaire de la sécurité civile, se traduisant par une augmentation de 565 ETP.
Les personnels EMPLOYÉS par l’ÉTAT CONSACRÉs À des missions de SÉCURITÉ civile ([18])
Affectation (en ETPT) |
2023 |
Prévisionnel 2027 |
Administration centrale |
232 |
260 |
Centres de déminage |
352 |
374 |
Base d’avions |
126 |
132 |
Base d’hélicoptères |
303 |
315 |
Établissements de soutien logistique des unités Formisc |
81 |
98 |
Militaires de la sécurité civile affectés dans les unités |
1 323 |
1 943 |
État-Major interministériel de zone de défense et de sécurité (EMIZ) |
67 |
70 |
Total |
2 484 |
3 192 |
Source : DGSCGC
Les personnels affectés en administration centrale travaillent au sein des services de la DGSCGC. Ceux affectés dans les centres de déminage sont chargés de missions liées à la lutte anti-terrorisme et à la neutralisation des engins pyrotechniques, tandis que les personnels des bases d’avion et d’hélicoptères sont respectivement responsables de la lutte contre les feux de forêt pour l’essentiel et du secours à la personne en conditions difficiles.
Les militaires de la sécurité civile, regroupés au sein des formations militaires de sécurité civile (Formisc), constituent une force de réaction rapide capable d’intervenir en renfort des moyens de secours locaux, tant sur le territoire national qu’à l’étranger (voir I B 1 b), avec une mobilisation rapide pour des missions variées allant de la gestion de crise aux risques naturels et technologiques. Trois unités existent aujourd’hui, complétées par une quatrième unité en fin d’année, pour un effectif total de 2 484 militaires actuellement, qui sera porté à 3 192 à l’horizon 2027.
Enfin, la sécurité civile dote les structures interministérielles que sont les EMIZ de personnels consacrés à la préparation, l’anticipation et la gestion des crises à l’échelle locale.
Ces moyens et dispositifs sont le fruit de l’histoire. Comme l’a rappelé le préfet Julien Marion lors de son audition ([19]), « en 1959, la tragédie du barrage de Malpasset conduit le général de Gaulle à créer les colonnes de renfort, un dispositif entré depuis dans les usages et toujours très utile. En 1964 naît le corps des démineurs, suivi, en 1974, par les premières formations militaires de sécurité civile (Formisc), ces formations répondant à des besoins spécifiques bien identifiés. »
● Des moyens aériens servant à la lutte contre les feux de forêt ou lors de missions de secours périlleuses
L’État est propriétaire de l’essentiel des moyens aériens français. Ils se divisent principalement en deux catégories : les flottes d’avion, le plus souvent utilisées pour lutter contre les feux de forêt, et les flottes d’hélicoptères intervenant surtout lors de missions de secours à la personne.
Le parc d’avions de la DGSCGC est composé de trois types d’appareils :
– l’État dispose de 12 Canadairs, destinés à l’attaque directe des incendies, sur lesquels ces appareils peuvent larguer plus de 6 000 litres d’eau. Il s’agit d’avions amphibies pouvant se poser sur l’eau et en redécoller, et capables de se ravitailler en vol en frôlant la surface d’un plan d’eau. Cette flotte a généré 1 154 jours d’activité – c’est-à-dire, 1 154 jours durant lesquels les Canadairs ont effectivement volé (soit en moyenne 96 jours par avion) – en 2022 et 977 jours en 2023 ([20]).
canadair CL 415
Crédits : sécurité civile
– La France dispose actuellement de huit avions bombardiers d’eau DASH 8 depuis une dernière acquisition en mai 2023. D’une capacité d’emport d’environ 10 000 litres, les DASH 8 sont les bombardiers d’eau les plus puissants dont dispose la sécurité civile et dont la mission principale est l’arrêt de la propagation des feux par l’établissement de lignes d’arrêt. Cette flotte a généré 861 jours d’activité en 2022 (soit en moyenne plus de 107 jours par avion) et 705 jours d’activité en 2023.
avion bombardier d’eau type dash
Crédits : Sécurité civile
– enfin, la flotte française comprend trois avions Beechcraft B200 « King Air ». Ces avions assurent la coordination en vol des opérations aériennes et remplissent des missions d’investigation et de surveillance des zones à risques élevés. Ils peuvent par ailleurs transporter des personnels dans des zones difficiles d’accès. Cette flotte a généré 314 jours d’activité en 2022 (soit en moyenne plus de 104 jours par avion) et 235 jours d’activité en 2023.
Avion beechcraft b200 « King air »
Crédits : sécurité civile
Dans le cadre de la lutte contre les incendies, la DGSCGC fait également appel à des moyens héliportés bombardiers d’eau (HBE) en location – deux HBE en 2020, trois en 2021 et onze en 2022 ([21]). En 2023, ce même dispositif a été renforcé avec la location de quatre avions légers de type AIR TRACTOR et un DASH en plus des HBE.
Outre la flotte d’avions, l’État dispose d’une flotte d’hélicoptères de deux types :
– 33 hélicoptères EC145 acquis auprès d’Airbus Helicopters entre 2002 et 2011. Ces appareils, à la disposition des sapeurs-pompiers, des personnels du SAMU, de la police et de la gendarmerie, servent à l’accomplissement de missions de secours d’urgence et de sauvetage ([22]). Ils seront progressivement remplacés par les nouveaux hélicoptères H145 en cours d’acquisition.
HÉLICOPTÈRE EC 145