N° 1439

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 mai 2025.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Marie-Noëlle BATTISTEL et M. Philippe BOLO

Rapporteurs

Députés

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


 

 

 

La mission d’information sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques est composée de : M. Xavier Albertini, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Julien Brugerolles, Mme Julie Laernoes, MM. Stéphane Mazars, Nicolas Meizonnet, Vincent Rolland et Matthias Tavel.

 


SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

PremiÈre partie : l’État du droit et des contentieux

I. L’hydroÉlectricitÉ en France : rappel des enjeux ÉnergÉtiques, historiques et juridiques

A. la place de l’hydroÉlectricitÉ dans le mix ÉnergÉtique français

B. Une activitÉ rÉglementÉe

1. La cohabitation de deux régimes juridiques

2. Les installations sous régime concessif

3. Les installations sous autorisation

C. Une exigence de mise en concurrence des concessions qui s’est imposÉe il y a vingt ans

1. L’histoire de l’alignement de la législation française sur le principe européen de mise en concurrence

2. Une exigence réaffirmée par la directive « Concessions » du 23 février 2014

3. Un encadrement juridique de la mise en concurrence désormais conforme

4. Mais une mise en concurrence qui reste aménagée et n’a pratiquement jamais été mise en œuvre

5. Un entre-deux juridique qui perdure et s’aggrave au fil du temps

II. Un contentieux de longue date avec l’union europÉenne

A. Les deux procÉdures prÉcontentieuses pesant sur les concessions hydroÉlectriques franÇaises sont liÉes À des enjeux concurrentiels

1. Le contentieux de 2015 est lié à la position dominante d’EDF (DG COMP)

2. Le contentieux de 2019 porte sur l’absence de respect de la directive « Concessions » de 2014 (DG GROW)

B. La France est dÉsormais le seul pays de l’union europÉenne dont le modÈle de gestion de l’hydroÉlectricitÉ est remis en cause

1. Le rôle historique, central et structurant d’EDF dans le paysage électrique français cristallise les critiques de la Commission européenne

2. La France est le seul pays européen encore concerné par une procédure précontentieuse de la DG GROW

C. Les raisons de l’impasse : entre Échec des solutions palliatives et mobilisation insuffisante des autoritÉs franÇaises sur ce dossier

1. À l’exception notoire de la prolongation de la concession d’aménagement du Rhône, un échec des solutions palliatives mises en place depuis 2015

a. L’échec des palliatifs mis en place par voie législative

b. La concession d’aménagement du Rhône a pu être prolongée jusqu’en 2041

2. Le manque de volonté des gouvernements successifs à sortir de l’impasse

DeuxiÈme partie : le besoin de sortir de l’impasse

I. Une nÉcessitÉ d’investissements bloquÉe malgrÉ les enjeux de transition ÉnergÉtique

A. L’urgence de relancer les investissements hydroÉlectriques

B. Des projets suspendus ou rÉduits faute de visibilitÉ sur l’avenir des concessions

II. Une volontÉ unanime de prÉserver Les concessions hydroÉlectriques actuelles de la mise en concurrence

A. Une logique de fonctionnement par vallÉe et par bassin versant qui doit absolument être prÉservÉe

B. la conciliation des diffÉrents usages de l’eau, un enjeu dÉterminant À l’heure du changement climatique

C. Des ouvrages stratÉgiques qui requiÈrent un haut niveau de sÛretÉ et de sÉcuritÉ

D. la nÉcessitÉ de maintenir la sÉcuritÉ d’approvisionnement et la robustesse de notre systÈme Électrique

E. des enjeux sociaux indÉniables, incluant des risques de perte d’expertise et de savoir-faire

F. Des coÛts de production et de fourniture tirÉs vers le haut en cas d’ouverture À la concurrence

TroisiÈme partie : Étude des diffÉrentes options pour mettre fin aux prÉcontentieux et dÉfinir un rÉgime juridique sÉcurisÉ de l’exploitation des ouvrages hydroÉlectriques

I. Les pistes insuffisamment solides pour disposer de chances d’aboutir À court terme

A. Le statu quo, une option qui ne permettra pas de dÉbloquer les investissements

B. La prolongation contre travaux s’est dÉjà heurtÉe au refus de la commission europÉenne

C. crÉer un epic, une solution menant droit À un nouveau contentieux avec la commission europÉenne

D. La qualification de service d’intÉrÊt Économique gÉnÉral semble difficile À obtenir

II. La quasi-rÉgie, une option juridiquement accessible, mais largement rejetÉe

A. Une solution compatible, À certaines conditions, avec la directive « Concessions » et qui minimiserait la position dominante d’EDF (critÈres 1 et 2)

B. Un Statut juridique qui prÉserve la propriÉtÉ publique des ouvrages et plusieurs autres enjeux (critÈres 3, 5 À 8 et 12)

C. une issue qui fait perdre d’autres avantages et est largement refusÉe (critÈres 4, 9 à 11)

1. Les désoptimisations et la fragilisation du modèle économique

2. Un rejet presque unanime des acteurs concernés

III. Le passage d’un rÉgime concessif À un rÉgime d’autorisation

A. Les grandes lignes du passage À un rÉgime d’autorisation (critÈre n° 12)

B. un rÉgime qui pourrait permettre de lever le prÉcontentieux de la DG GROW, mais pas, À lui seul, celui de la DG COMP (critÈres 1 et 2)

1. Un passage au régime d’autorisation ne permet pas de répondre aux enjeux liés à la position dominante d’EDF soulevés par la DG COMP (critère  1)

2. Une possible levée du précontentieux DG GROW (critère n° 2)

C. Le rÉgime d’autorisation pose la question centrale du transfert de la propriÉtÉ des ouvrages aux exploitants actuels (critÈre 3)

1. La cession des ouvrages : une nécessité ?

2. L’établissement du prix de vente et la fixation de garanties sur leur cession ultérieure, deux enjeux majeurs en cas de cession des ouvrages

a. Le déclassement et la désaffectation des ouvrages par la loi

b. La détermination du prix des ouvrages et de leurs modalités d’octroi

c. L’application d’un régime de quasi-domanialité publique aux ouvrages hydroélectriques doit permettre d’encadrer des velléités de cession ultérieures

D. un rÉgime compatible avec le respect des critÈres relatifs À la sÛretÉ, À la sÉcuritÉ d’approvisionnement et au partage de la ressource en eau (critÈres 5, 6, 7)

E. Les paramÈtres financiers associÉs au rÉgime d’autorisation devront reprendre ceux applicables au rÉgime concessif (critÈres 8, 10 et 11)

F. Une solution acceptÉe par la trÈs grande majoritÉ des personnes auditionnÉes par la mission d’information (critÈres 4 et 9)

IV. La rÉvision de la directive « Concessions », une option partagÉe par tous, mais dont l’issue est incertaine

A. La reconnaissance des spÉcificitÉs de l’hydroÉlectricitÉ par la directive de 2014 serait plus que lÉgitime, et pourrait lever la procÉdure de 2019 (critÈre 2)

1. L’indispensable prise en compte des enjeux et particularités de l’hydroélectricité

2. La mobilisation de la mission pour la révision de la directive « Concessions »

B. les avantages d’une rÉvision de la directive seraient multiples (critÈres 3 À 11)

C. Mais cette rÉvision prendra du temps ; son rÉsultat n’est pas garanti et ne saurait suffire À faire classer le prÉcontentieux de 2015 (critÈres 1 et 12)

QuatriÈme partie : la révision de la directive et l’autorisation, deux solutions à approfondir

I. LA Quasi-régie : une piste écartée

II. La Révision de la directive « Concessions » : une solution à défendre absolument à bruxelles

III. Le passage au régime d’autorisation : une solution réaliste mais qui nécessitera d’être strictement encadrée

IV. En complément, la mise en place de contreparties pourrait être déterminante pour la commission européenne

travaux de la commission

Liste des personnes auditionnées

Liste des déplacements

Liste des contributions écrites reçues

 


   INTRODUCTION

La mission d’information consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques avait pour objet d’étudier les solutions permettant de clore les précontentieux ouverts par la Commission européenne contre la France concernant le renouvellement de ses concessions hydroélectriques, et de relancer les investissements pour le développement du parc, indispensable pour la transition énergétique du pays.

Elle a été menée de manière transpartisane, chaque groupe politique ayant eu l’opportunité de désigner un membre au sein de cette mission d’information. Elle a compté, au total, neuf membres.

Le présent rapport est le fruit de sept mois de travaux, au cours desquels ont été auditionnés les exploitants actuels des ouvrages concédés, leurs concurrents, les représentants de leurs personnels, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, les usagers de l’eau et les collectivités territoriales concernées, ainsi que plusieurs juristes. De nombreux échanges ont également eu lieu avec le Gouvernement et ses services compétents, ainsi qu’avec les directions générales de la concurrence et des marchés de la Commission européenne. La mission d’information a également visité cinq usines hydroélectriques dans différents territoires, ainsi que différents sites techniques.

La France est aujourd’hui concernée par deux procédures précontentieuses de la Commission européenne concernant le régime juridique de nos concessions hydroélectriques. Datant de 2015 et de 2019, ils portent sur la position dominante d’EDF et l’absence de mise en concurrence des concessions hydroélectriques lors de leur renouvellement.

Après avoir exposé, en première partie, l’état du droit et des procédures contentieuses en cours, la deuxième partie du rapport rappelle pourquoi il est aujourd’hui fondamental de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve le régime juridique des concessions hydroélectriques, et ce depuis plus de vingt ans. Les raisons justifiant un refus de la mise en concurrence y sont rappelées. La troisième partie du rapport étudie les différentes options qui permettraient de lever les deux procédures précontentieuses. Trois pistes y sont particulièrement analysées : la création d’une quasi-régie, le passage en régime d’autorisation et la révision de la directive « Concessions ». Enfin, la quatrième partie expose les choix retenus à l’issue de cette analyse : la révision de la directive et le passage au régime d’autorisation. Pour sécuriser l’aboutissement de ces solutions, des contreparties complémentaires pourraient être rendues nécessaires afin d’éteindre le contentieux de 2015.

 


   PremiÈre partie : l’État du droit et des contentieux

I.   L’hydroÉlectricitÉ en France : rappel des enjeux ÉnergÉtiques, historiques et juridiques

A.   la place de l’hydroÉlectricitÉ dans le mix ÉnergÉtique français

L’hydroélectricité occupe une part très importante et stratégique dans le mix énergétique français.

Elle est en effet la deuxième filière de production d’électricité nationale, après le nucléaire, pouvant représenter jusqu’à 13,92 % de la production d’électricité totale, avec 74,7 térawattheures (TWh) en 2024, et la première énergie renouvelable avec 50,47 % de la production d’électricité renouvelable française ([1]).

Au 1er janvier 2024, elle comptait 25,9 gigawatts (GW) de puissance installée en France métropolitaine ([2]), soit 17 % de la puissance électrique installée totale, et 26,2 GW sur l’ensemble du territoire national (outre-mer comprise).

B.   Une activitÉ rÉglementÉe

1.   La cohabitation de deux régimes juridiques

L’hydroélectricité est réglementée par l’État depuis la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, qui dispose que « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau […] sans une concession ou une autorisation de l’État » (article L. 511-1 du code de l’énergie).

Le cadre juridique applicable est déterminé par la puissance maximale brute (PMB) des installations. D’abord fixé à 150 kilowatts (kW) par la loi du 16 octobre 1919 pour la fourniture d’électricité à des collectivités territoriales et des services publics et à 500 kW pour les autres ouvrages, puis généralisé à 500 kW en 1959, le seuil distinguant les installations autorisées des installations concédées, inscrit à l’article L. 511-5 du code de l’énergie, a été porté à 4,5 mégawatts (MW) par la loi n° 80-531 du 15 juillet 1980 relative aux économies d’énergie et à l’utilisation de la chaleur.

Comme France hydroélectricité le rappelait lors de son audition devant la mission d’information, le régime de concession instauré par la loi de 1919 avait pour objectif principal de garantir l’obtention de la maîtrise foncière des terrains nécessaires à la réalisation de l’ouvrage, en accordant au concessionnaire la capacité d’exproprier pour le compte de l’État-concédant. De fait, une grande partie du parc hydroélectrique français est construit dans l’entre-deux-guerres, puis dans les années 1950. Mais en 1980, le législateur a considéré que la procédure de concession était devenue trop lourde et handicapante pour la réalisation de centrales de petite puissance. Le fort relèvement du seuil par la loi du 15 juillet 1980 visait ainsi à faciliter le développement de petites centrales. Par cette mesure, un grand nombre de concessions ont basculé dans le régime de l’autorisation, limitant l’application du droit des concessions à un nombre plus réduit d’installations hydroélectriques.

Notons toutefois que les révisions successives des seuils ont créé une catégorie marginale : les « concessions autorisables ». En application du principe constitutionnel de non-rétroactivité des lois et règlements, l’extension du périmètre du régime de l’autorisation n’a pas automatiquement remis en cause les contrats de concession des installations dont la puissance est comprise entre 500 kW et 4,5 MW, même si elles ont vocation à passer sous le régime de l’autorisation, après cession des ouvrages, au moment de leur renouvellement. En 2013, on en dénombrait 64 pour une puissance maximale brute de 134 MW ([3]).

La mission d’information a été alertée – par France hydroélectricité notamment – du vide juridique dans lequel se trouvent ces concessions autorisables. En effet, la longueur et la complexité de la procédure de transition ont fait que plusieurs de ces installations n’ont pu être cédées avant leur échéance. L’ordonnance n° 2016-518 a permis d’étendre le régime des « délais glissants » (voir C du présent I) aux concessions autorisables échues à partir de son entrée en vigueur, mais n’a pu régler le cas de celles qui sont venues à échéance avant cette date. Il en résulte une incertitude juridique sur le pouvoir de l’État de prescrire des travaux et mises à niveau pendant la procédure de fin de concession et sur la possibilité pour les exploitants sortants d’être remboursés de ces travaux à la remise de l’ouvrage. Plus généralement, l’attente d’un changement de statut depuis plus de 20 ans laisse les concessionnaires sans visibilité sur l’avenir de leurs droits à disposer de ces aménagements.

Il existe une autre catégorie spécifique d’installations hydroélectriques : les « autorisations concessibles ». Elles peuvent provenir de deux origines : soit, pour quatre d’entre elles, une autorisation avait été accordée avant l’instauration du régime concessif par la loi du 16 octobre 1919, soit une augmentation de puissance a été réalisée sur une installation autorisée aboutissant au dépassement du seuil. Leur basculement sous un régime de concession lors de leur renouvellement soulève plusieurs difficultés, notamment autour du rachat de l’ouvrage concerné par l’État et parce qu’elles sont toutes imbriquées avec d’autres installations dont la concession s’achèvera ultérieurement.

Si la mission d’information n’a pas pour objet premier de régler ces difficultés, les solutions retenues pour l’avenir des concessions hydroélectriques ne pourront en faire abstraction.

2.   Les installations sous régime concessif

Les installations hydrauliques relevant du régime de la concession appartiennent à l’État. Leur exploitation est fondée sur un contrat entre l’État et l’exploitant, qui constitue une délégation de service public.

La notion d’ouvrage public ne se limite pas nécessairement au statut concessif

Les installations d’énergie hydraulique concédées sont des ouvrages publics par leur appartenance au domaine public de l’État tout autant que par les obligations qui sont imposées à leurs exploitants.

Un important arrêt du Conseil d’État (portant avis contentieux) du 29 avril 2010, M. et Mme B., requête n° 323179, a précisé le périmètre des ouvrages publics contribuant au service public de l’énergie.

Il rappelle, en premier lieu, que la qualification d’ouvrage public peut être déterminée par la loi.

Il observe ainsi que l’article 10 de la loi du 16 octobre 1919 – recodifié aux articles L. 521‑4 et suivants du code de l’énergie – prévoyant que des obligations sont imposées aux exploitants des centrales sous concession, « cette loi a entendu donner à l’ensemble des ouvrages de production d’énergie hydroélectriques concédés, que la personne qui en est propriétaire soit publique ou privée, le caractère d’ouvrage public ».

Toutefois, le Conseil d’État rappelle également que « présentent aussi le caractère d’ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d’un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s’ils appartiennent à une personne privée chargée de ce service public ».

Or, il résulte de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité que « la sécurité de l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national implique nécessairement que soient imposées à certains ouvrages des contraintes particulières quant à leurs conditions de fonctionnement, afin d’assurer l’équilibre, la sécurité et la fiabilité de l’ensemble du système. Les ouvrages auxquels sont imposées ces contraintes en raison de la contribution déterminante qu’ils apportent à l’équilibre du système d’approvisionnement en électricité doivent être regardés comme directement affectés au service public et ils ont par suite le caractère d’ouvrage public. Leurs propriétaires, même privés, sont ainsi, dans cette mesure, chargés d’exécuter ce service public ».

Le Conseil d’État ajoute qu’« en l’état actuel des techniques et eu égard aux caractéristiques d’ensemble du système électrique, présentent le caractère d’ouvrage public les ouvrages d’une puissance supérieure à 40 MW qui sont installés dans les zones interconnectées du territoire métropolitain. »

Si elles appartiennent à l’État, les installations concédées sont construites et exploitées pour son compte par un concessionnaire. Le concessionnaire prend en charge tous les investissements et les coûts d’exploitation et se rémunère avec les bénéfices de cette exploitation, notamment par la vente d’électricité, pendant toute la durée de la concession. La durée des concessions doit permettre d’amortir les investissements initiaux réalisés par le concessionnaire. Les contrats de premier établissement ont généralement été conclus pour une durée de 75 ans (mais pour des durées moindres lors de leur renouvellement).

En contrepartie, le concessionnaire :

– verse des redevances à l’État et aux collectivités territoriales.

Les différents régimes de redevance

Les concessions hydroélectriques sont soumises à plusieurs redevances :

– une redevance pour l’utilisation des cours d’eau, versée à Voies navigables de France, lorsque l’ouvrage est installé sur le domaine public fluvial (article R. 523-2 du code de l’énergie) ;

– une redevance d’occupation du domaine public hydroélectrique, dans quelques autres cas ;

– et une redevance proportionnelle (voir ci-après), en application des articles L. 523‑1 à L. 523-2 du code de l’énergie.

C’est cette dernière qui est communément appelée : « redevance hydroélectrique ».

Les modalités de cette redevance hydroélectrique ont été réformées en 2015, mais le nouveau régime ne s’applique qu’aux nouvelles concessions ou à celles qui sont renouvelées à partir de la promulgation de la loi n° 2015‑1785.

Ainsi, pour les concessions en cours, l’article L. 523-1 dispose que la redevance est proportionnelle soit au nombre de kilowattheures produits, soit aux dividendes ou bénéfices répartis. Les deux-tiers sont versés à l’État ; le dernier tiers est réparti à parts égales entre les départements (soit 1/6e) et les communes (1/6e) traversés par les cours d’eau utilisés.

Pour les nouvelles concessions ou celles qui seraient renouvelées à partir de la loi n° 2015‑1785, l’article L. 523-2 prévoit que la redevance soit proportionnelle aux recettes de la concession. La répartition est également modifiée : sur l’ensemble du montant de la redevance, l’État n’en conserve plus que 50 % et doit en affecter un tiers aux départements traversés par les cours d’eau utilisés, un douzième aux groupements de communes et un second douzième aux communes également traversées.

Ce mode de redevance n’a encore jamais été mis en œuvre, car il n’y a pas eu de renouvellement de concession depuis son instauration. Il se rapproche toutefois de la redevance à laquelle est aujourd’hui assujettie la Compagnie nationale du Rhône (article 47 de son cahier des charges annexé à la loi du 28 février 2022 relative à l’aménagement du Rhône – voir II de cette première partie), dont le taux de la redevance est croissant en fonction des recettes perçues sur les ventes d’électricité, pour ajuster au mieux son montant aux conditions du marché de l’électricité.

Les concessions « en délais glissants » (voir C du présent I) sont soumises à une redevance proportionnelle s’ajoutant aux redevances de droit commun, mais qui applique les nouvelles règles de répartition.

Les redevances hydroélectriques représentent des ressources essentielles pour les collectivités concernées, pouvant s’élever à plusieurs millions d’euros par an pour certaines. Comme le souligne le département de l’Aveyron auditionné par la mission d’information, elles leur permettent de conduire des politiques publiques structurantes, d’aménagement du territoire, de développement économique local ou de transition écologique et énergétique par exemple, particulièrement en milieu rural. Ce département y voit « un levier indispensable pour corriger les inégalités territoriales » ;

– accorde des réserves en eau au profit des autres usages – des débits d’eau réservés ou des réserves d’eau pouvant être directement pompées dans la retenue ;

– et doit, à l’issue de la concession, remettre gratuitement, et en bon état, les biens nécessaires à l’exploitation de la concession à l’État, qui peut alors décider de renouveler la concession.

Ces différentes obligations apparaissent dans le cahier des charges de la concession, prévu par l’article L. 521-4 du code de l’énergie mais dont le détail est fixé par un décret en Conseil d’État. Ce cahier des charges lie le concessionnaire à l’État. En cas de non-respect de ses stipulations, des sanctions contractuelles, administratives ou pénales peuvent être infligées au concessionnaire selon la gravité du manquement.

Contrairement au régime d’autorisation, le concessionnaire a droit au maintien de l’équilibre économique de son contrat de concession initial avec l’État. Ce dernier peut ainsi modifier unilatéralement les conditions d’exploitation, mais doit indemniser le concessionnaire en cas de préjudice direct et certain subi par celui-ci en raison de l’action unilatérale de l’État.

Dans son référé n° S2022-1979 du 2 décembre 2022, la Cour des comptes soulignait la grande disparité de rentabilité des concessions selon leur nature et le mode d’exploitation qui en découle : « les grands ouvrages fluviaux fonctionnant au fil de l’eau, capables de fournir de l’électricité en base, sont très profitables mais doivent faire l’objet d’une gestion coordonnée, surtout lorsqu’ils assurent un service pour la navigation. Les ouvrages fonctionnant en éclusées (turbinage déclenché) sont utilisés pour placer de l’électricité en période de pointe. Homogènes en taille, ils ont des rentabilités très dispersées et sont fortement dépendants de l’hydraulicité. Les grands barrages lac sont prioritairement affectés au stockage inter-saisonnier (remplissage au printemps, turbinage en hiver) mais peuvent rendre d’autres services au réseau grâce à leur puissance et leur souplesse d’utilisation ».

Selon les services ministériels, en 2019, dans les conditions de marché antérieures à la crise énergétique, deux tiers des concessions étaient proches de l’équilibre financier, 10 % étaient déficitaires et 20 % étaient profitables, voire très profitables.

On compte aujourd’hui environ 340 installations concédées, qui représenteraient 90 % de la puissance hydroélectrique installée.

Les concessionnaires principaux sont EDF (70 % de la production hydroélectrique nationale), la Compagnie nationale du Rhône (CNR, 25 %) et la société hydroélectrique du Midi (SHEM, 3 %). Le reste de la production sous concession (soit 750 MW de capacités installées pour 70 concessions environ) correspond en grande partie à des concessions internationales ([4]) ou est réalisée par des petits concessionnaires, majoritairement sous statut de droit privé.

3.   Les installations sous autorisation

Les 2 300 (environ) installations de moins de 4,5 MW relèvent quant à elles du régime de l’autorisation environnementale.

En vertu de l’article L. 531-1 du code de l’énergie, l’exploitation de ces installations est soumise à la réglementation relative aux milieux aquatiques définie dans le code de l’environnement, en particulier la nomenclature IOTA (installations, ouvrages, travaux et activités, voir articles L. 214-1 et suivants du code de l’environnement), qui, en dehors de quelques spécificités, s’inscrit dans le régime général et les procédures de l’autorisation environnementale (voir titre VIII du livre Ier du code de l’environnement).

Cette nomenclature définit les critères permettant d’évaluer si les IOTA sont soumis à déclaration ou à autorisation, en fonction des dangers qu’ils présentent et de la gravité de leurs effets sur la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques. En vertu de l’annexe de l’article R. 214-1 du code de l’environnement, sont ainsi soumis à autorisation IOTA les obstacles à la continuité écologique entraînant une différence de niveau supérieure ou égale à 50 cm entre l’amont et l’aval de l’ouvrage (rubrique 3.1.1.0). Dans ce cas, l’octroi de l’autorisation IOTA par le préfet de département vaut autorisation d’exploiter au titre du code de l’énergie. Dans l’hypothèse où aucun critère de la nomenclature IOTA n’est atteint, l’exploitation est réputée autorisée.

Ces installations sont ainsi soumises, le cas échéant, aux prescriptions prévues par leur autorisation environnementale, qui sont proportionnées aux impacts écologiques de l’installation. Le non-respect de ces prescriptions peut entraîner des sanctions, qui peuvent être pénales en cas d’atteinte à l’environnement. Si les installations sont sises sur le domaine public fluvial, elles doivent disposer en outre d’une convention d’occupation avec le gestionnaire du domaine public, qui est adossée à une redevance domaniale.

La durée des autorisations accordées aux installations hydroélectriques est aujourd’hui plafonnée par la loi à 75 ans. En règle générale, les exploitants sont également propriétaires de leur installation ; mais certains ouvrages appartiennent à des collectivités territoriales. Notons enfin que la fiscalité de droit commun autour des activités économiques et énergétiques s’applique à ces installations : taxe foncière, cotisation foncière des entreprises, imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (Ifer), impôt sur les sociétés, etc.

C.   Une exigence de mise en concurrence des concessions qui s’est imposÉe il y a vingt ans

1.   L’histoire de l’alignement de la législation française sur le principe européen de mise en concurrence

Longtemps, les concessions hydroélectriques françaises ont pu être renouvelées de gré à gré. Elles étaient considérées comme des concessions spécifiques qui n’étaient pas soumises à l’obligation de mise en concurrence, ce qui permettait d’appliquer un droit de préférence au concessionnaire sortant lors de l’arrivée à échéance d’une concession.

Bien que la loi n° 93‑122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », a imposé une procédure de publicité et de mise en concurrence préalable à la passation ou au renouvellement des contrats de délégation de service public, l’obligation de mise en concurrence ne s’applique pas lorsque ce service est confié à un établissement public (article 41) – comme l’était encore EDF à l’époque. La combinaison de ces dispositions a favorisé un renouvellement des concessions hydroélectriques très majoritairement fait au profit d’EDF.

Lorsqu’en 1996, une directive européenne de libéralisation des marchés européens de l’électricité a voulu stimuler la concurrence au niveau de l’offre, elle ne s’appliquait pas aux concessions hydroélectriques d’EDF, qui était encore un établissement public.

Mais en 2003, la Commission européenne émet une première procédure d’infraction (n° 2003/2237) à l’encontre de la France mettant en cause le droit de préférence accordé par sa législation. Le 13 juillet 2005, elle va plus loin et traduit la France (ainsi que l’Italie et l’Espagne) devant la Cour de justice de l’Union européenne en exigeant la suppression du droit de préférence, au motif que cela privilégie les sociétés qui disposent d’une concession et sont donc déjà établies en France. Cela constitue pour la Commission européenne une rupture de l’égalité de traitement entre les différents opérateurs économiques et donc une distorsion de concurrence incompatible avec son objectif de libéralisation du marché intérieur de l’électricité.

Entre-temps, la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, qui transforme EDF en société anonyme, fait perdre à l’entreprise son statut d’établissement public et donc la possibilité d’utiliser l’exception permise par la loi Sapin.

Le 30 décembre 2006, la loi n° 2006-1772 sur l’eau et les milieux aquatiques finit par supprimer le droit de préférence. En effet, le régime de la concurrence entre opérateurs s’impose désormais dans le renouvellement des concessions hydroélectriques, y compris s’agissant d’EDF.

Ce nouveau régime se concrétise par la publication du décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008, modifiant le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 relatif à la concession et à la déclaration d’utilité publique des ouvrages utilisant l’énergie hydraulique. L’article R. 521-6 du code de l’énergie, qui en est issu, dispose ainsi que « l’octroi d’une concession d’énergie hydraulique est précédé d’une publicité et d’une mise en concurrence ». Ce décret est toujours en vigueur.

Ces évolutions et les engagements pris par le Gouvernement français ([5]) ont convaincu la Commission européenne de clore la procédure ouverte en 2005.

2.   Une exigence réaffirmée par la directive « Concessions » du 23 février 2014

S’ils se distinguent des contrats de marchés publics, les contrats de concession relèvent néanmoins du droit européen et français de la commande publique.

La directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession a défini les règles communes applicables à la passation des contrats de concession – de travaux ou de services – entre, notamment, un État membre et un opérateur économique. Elle a été transposée en droit interne par l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 et son décret d’application n° 2016-85 du 1er février 2016, qui ont été codifiés depuis dans la troisième partie du code de la commande publique.

Conformément à cette directive, l’article L. 1121-1 du code de la commande publique définit le contrat de concession comme « un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

L’article 3 de la directive rappelle l’application des principes communautaires d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence, qui imposent une mise en concurrence lors de la procédure d’attribution d’une concession, mais aussi lors de son renouvellement à son échéance, ou en cas de modification substantielle non prévue au contrat initial (article 43 – une contrainte très discriminante pour les travaux en cours de contrat). Les articles 30 et suivants précisent les principes et les exigences procédurales qui en découlent.

La directive encadre également la durée des contrats (article 18), qui ne peut excéder le temps considéré comme nécessaire pour amortir les investissements réalisés avec un retour sur les capitaux mobilisés.

La directive 2014/23/UE a vocation à s’appliquer à tous les secteurs d’activités – hormis celles « directement exposées à la concurrence » (article 16) – et n’admet d’exemptions qu’en nombre limité et dans des cas explicitement évoqués. Ses articles 10 et suivants prévoient ainsi deux catégories d’exclusions :

– les exclusions liées à la détention de droits exclusifs ([6]) pour l’exercice de certaines activités dont son annexe II dresse la liste. Cela découle du fait que l’octroi de ces droits à un opérateur, unique par définition, rend impossible toute mise en concurrence portant sur ces activités.

Cela concerne, par exemple, le monopole reconnu aux gestionnaires nationaux des réseaux de transport d’électricité ([7]) – mais ne s’applique évidemment pas aux nombreuses concessions hydroélectriques françaises ;

– et quelques exclusions sectorielles, telles celle relative aux services de transport aérien, ou encore celle du secteur du service public de l’eau – ou plus précisément des concessions de travaux et services portant sur la « mise à disposition ou l’exploitation des réseaux fixes destinés à fournir un service lié à la production, au transport ou à la distribution d’eau potable » (article 11 de la directive), obtenue par l’Allemagne grâce à une initiative citoyenne qui avait recueilli 1,5 million de signatures à l’époque – ce point ayant été relevé par le Professeur Richer lors de son audition par la mission d’information.

En l’espèce, il a été considéré que la complexité et les spécificités de ces activités, ainsi que « l’importance de l’eau en tant que bien public revêtant une importance fondamentale pour l’ensemble des citoyens de l’union » justifiaient d’exclure le secteur de l’eau du champ d’application de la directive 2014/23/UE.

En tout état de cause, les activités hydroélectriques ne font pas partie aujourd’hui de ces exceptions sectorielles, faute d’avoir été défendues par les autorités françaises lors des discussions sur le projet de directive « Concessions ». Au contraire, l’annexe II de la directive confirme que celle-ci s’applique à toutes les activités de production d’électricité, sans distinction.

Indépendamment du secteur d’activité, la nature du cocontractant peut aussi être un critère d’exemption :

– sont ainsi exclues les concessions passées avec une entreprise liée (article 13 de la directive), une coentreprise (article 14) ou une « entité dans le secteur public » répondant aux critères énoncés par l’article 17, qui définissent ce que l’on appelle une quasi-régie. Le choix de recourir ou non à cette dernière catégorie est l’une des alternatives étudiées par la mission d’information (voir troisième partie du présent rapport) ;

– l’article 4 de la directive de 2014 évoque également la liberté des États membres de définir des services d’intérêt économique général (SIEG). Les SIEG non économiques sont explicitement exclus de son champ ; quant aux SIEG économiques, le paragraphe 2 de l’article 106 du traité de fonctionnement de l’Union européenne dispose qu’ils peuvent déroger aux règles de concurrence dans certaines conditions. Mais les conditions pour reconnaître un SIEG ou pour justifier des dérogations ne sont pas nécessairement réunies dans le cas du secteur hydroélectrique (voir troisième partie).

La directive 2014/23/UE est entrée en vigueur le 17 avril 2014. Son article 53 prévoyait qu’elle s’applique aux modifications des concessions existantes (conclues antérieurement) – y compris leur prolongation ou leur renouvellement – intervenant après sa transposition dans les législations nationales, et au plus tard le 18 avril 2016.

Mais la directive 2014/23/UE n’est pas le seul cadre européen s’appliquant aux activités et installations hydroélectriques.

Ainsi, l’article 3 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE impose que :

– « 3. Les États membres veillent à ce qu’il n’existe pas de barrières injustifiées au sein du marché intérieur de l’électricité en ce qui concerne l’entrée sur le marché, le fonctionnement du marché et la sortie du marché, sans préjudice des compétences que les États membres conservent en ce qui concerne les pays tiers » ;

– « 4. Les États membres veillent à garantir des conditions de concurrence équitables dans le cadre desquelles les entreprises d’électricité sont soumises à des règles, des frais et un traitement transparents, proportionnés et non discriminatoires, en particulier en ce qui concerne la responsabilité en matière d’équilibrage, l’accès aux marchés de gros, l’accès aux données, les procédures de changement de fournisseur et les régimes de facturation et, le cas échéant, l’octroi d’autorisations ». Cela concerne notamment les producteurs d’électricité.

En outre l’article 8 de cette directive précise, dans son premier paragraphe, que « pour la construction de nouvelles capacités de production, les États membres adoptent une procédure d’autorisation qui doit répondre à des critères objectifs, transparents et non discriminatoires ».

L’application de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, dite « directive Services », a été, un temps, évoquée par la Commission européenne. Cependant, par un arrêt du 28 mai 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que l’électricité est une marchandise et que l’activité de production d’électricité ne saurait, en tant que telle, être regardée comme un service, et donc entrer dans le champ de la directive Services, quand bien même elle s’accompagne de la prestation de services de régulation de réseau, ainsi que de services de sécurisation des prix de l’énergie ([8]).

Enfin, au-delà de ces textes, s’impose également le respect des principes du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), en particulier ceux énoncés par :

– son article 49, qui prohibe les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre ;

– son article 56, qui prohibe les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union :

– son article 102, qui interdit d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ;

– et son article 106, qui interdit aux États qui accordent des droits exclusifs ou spéciaux à des entreprises de prendre des mesures contraires aux règles des traités.

Ces articles fondent plusieurs des critiques formulées par la Commission européenne en 2019 (voir II de la première partie).

3.   Un encadrement juridique de la mise en concurrence désormais conforme

La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et ses textes d’application ([9]) ont stabilisé la procédure d’octroi des concessions hydroélectriques conformément aux principes de la directive 2014/23/UE, en commençant par inscrire leur passation et leur exécution dans le champ d’application de la troisième partie du code de la commande publique (article L. 521-1 du code de l’énergie)

L’octroi d’une concession comme son renouvellement doivent donc passer par une procédure de mise en concurrence. Notons que l’État choisit alors la meilleure offre compte tenu, au moins, des trois critères suivants :

– l’optimisation énergétique de l’exploitation de la chute. La mise en concurrence est censée inciter les candidats à proposer des investissements importants de modernisation des installations existantes ou de nouveaux équipements pour augmenter les performances énergétiques de leur installation ;

– le critère environnemental, par le respect d’une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau qui permette de concilier ses différents usages, de la protection des écosystèmes jusqu’aux usages économiques, comme l’irrigation ou la navigation ;

– et le critère économique, par la sélection des meilleures conditions économiques et financières pour l’État et les collectivités territoriales. La mise en concurrence incite les candidats à proposer un taux élevé pour la redevance proportionnelle au chiffre d’affaires de la concession.

4.   Mais une mise en concurrence qui reste aménagée et n’a pratiquement jamais été mise en œuvre

Un plan de relance de la production hydroélectrique française avait été présenté en même temps que la publication du décret n° 2008-1009 (qui décrit la procédure de mise en concurrence), puis un plan de renouvellement des concessions deux ans plus tard. Ces documents prévoyaient la réattribution par mise en concurrence de plusieurs contrats dont l’échéance était proche ([10]).

Il avait toutefois été décidé de procéder préalablement à des regroupements de concessions autour d’une même chaîne hydraulique (ou vallée) pouvant être aménagée, ce qui repoussait les premiers renouvellements au premier semestre 2014 ([11]).

En outre, après que Mme Delphine Batho, alors ministre de l’écologie du Président François Hollande, se soit interrogée sur la remise en concurrence de ces concessions devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale fin 2012 ([12]), un rapport parlementaire présenté par M. Éric Straumann et votre rapporteure, en octobre 2013, a montré les risques soulevés par la remise en concurrence des concessions hydroélectriques, soulignant notamment que « la mise en concurrence propose ni plus ni moins que de réduire à néant le fruit d’un siècle de politiques industrielles et énergétiques cohérentes » ([13]). Ce rapport a marqué le début d’une prise de conscience collective de ces enjeux.

Ensuite, le lancement, le 30 juillet 2014, des travaux sur ce qui deviendra la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) a entraîné la suspension des premières procédures de renouvellement concurrentielles, sans que son adoption un an plus tard ne les ait relancées. ([14])

À partir d’octobre 2015, l’existence d’un précontentieux avec la Commission européenne sur la position dominante d’EDF (voir II ci-après) sera l’argument invoqué pour expliquer le gel de toute procédure de remise en concurrence des concessions échues. Mais ce gel traduit plus fondamentalement la frilosité des gouvernements français successifs à mettre en œuvre cette ouverture à la concurrence, ou à lui trouver des alternatives, face à une opposition politique et citoyenne grandissante.

De fait, si le décret du 26 septembre 2008 et la LTECV de 2015 ont bien confirmé le principe d’une mise en concurrence de la passation et du renouvellement des contrats de concession hydroélectrique, ils y ont aussi apporté certains aménagements, l’écartant dans certains cas :

– l’article 36 du décret n° 2008-1009 permettait ainsi d’exempter de mise en concurrence les procédures de renouvellement déjà engagées à sa date de parution, ainsi que celles « dont les concessionnaires avaient la qualité d’établissement public à la date à laquelle ils ont été invités à déposer un dossier de demande [de renouvellement] » dans les conditions prévues avant la publication du décret de 2008. Cela exonérait les renouvellements de plusieurs concessions d’EDF intervenus en 2008-2010 ;

– ultérieurement, l’article 116 de la LTECV a prévu la possibilité d’une prolongation contre travaux, à l’article L. 521-16-3 du code de l’énergie.

Dans sa dernière version issue de l’ordonnance n° 2018-1074 du 26 novembre 2018, ce dispositif autorise la prorogation d’une concession hydroélectrique « lorsque la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs [de la politique énergétique française] et non prévus au contrat initial l’exige ». L’atteinte des objectifs opérationnels de la programmation pluriannuelle de l’énergie, par exemple, justifierait ainsi une prolongation des concessions si elle était la contrepartie des travaux nécessaires à sa mise en œuvre.

Le deuxième alinéa de l’article L. 521-16-3 du code de l’énergie ajoute que, lorsque cette concession est comprise dans une chaîne d’aménagements hydrauliquement liés et concernée par les dispositifs de regroupement prévus aux articles L. 521-16-1 et L. 521-16-2 du même code (voir infra), ces travaux peuvent être pris en compte pour la fixation de la nouvelle date d’échéance qui garantisse le maintien de l’équilibre économique de l’ensemble de la chaîne.

Cet article L. 521-16-3 du code de l’énergie n’a jamais été utilisé, toute tentative ayant été refusée par la Commission européenne.

La LTECV a introduit deux autres dispositifs aménageant la mise en œuvre du principe de mise en concurrence, sans toutefois l’écarter :

– le regroupement de concessions hydroélectriquesou méthode des barycentres –, défini aux articles L. 521-16-1 et 2 du code de l’énergie. Ces articles permettent d’aligner les dates de fin des concessions « formant une chaîne d’aménagements hydrauliquement liée » – notamment parce qu’elles suivent une même vallée fluviale –, qu’elles relèvent d’un même titulaire, dans le premier cas, ou de concessionnaires distincts, dans le second.

Ces regroupements reposent sur la logique selon laquelle l’exploitation d’une chaîne par un même exploitant optimise la production d’électricité et la gestion de l’eau. Ils réduisent en outre les complications que représentent, pour l’État et pour les concessionnaires, la gestion d’échéances décalées pour des installations parfois imbriquées, ou dont le fonctionnement est interdépendant, ou est impacté par l’activité des installations en amont.

La méthode des barycentres prolonge les dates de fin de concession dont l’échéance est la plus proche, mais raccourcit celles à échéance lointaine, de telle sorte que l’économie du contrat soit respectée sur le groupe de concessions. Elle évite d’octroyer un nouveau titre d’exploitation à cette étape d’harmonisation des fins de concessions, car les contrats perdurent malgré la modification. Et dans le cas où le groupement est déjà exploité par un même opérateur, l’article L. 521-16-1 évite de régler une indemnité d’éviction pour la fin prématurée de certaines de ses concessions.

Toutefois, si elle unifie la fin des concessions actuelles, la méthode des barycentres ne traite pas la question de l’octroi, à la fin de la nouvelle échéance, de la future concession – qui réunira les anciens périmètres. En l’état actuel du droit, celle-ci devra faire l’objet d’une mise en concurrence selon les règles en vigueur. La méthode des barycentres a fondé le regroupement de cinq ouvrages exploités par la SHEM dans la vallée de la Têt, par décret du 20 mars 2019 ;

– et la création de sociétés d’économie mixte hydroélectriques (SEMH, article L. 521-18 du code de l’énergie), qui permettent d’associer, sous réserve de l’accord de l’État, les collectivités territoriales riveraines des cours d’eau concernés, leurs groupements, voire des personnes morales de droit public, au capital d’une société constituée par l’État pour la conclusion et l’exploitation d’une concession hydroélectrique.

Pour autant, l’opérateur économique associé – avec au moins 34 % des droits de vote – doit toujours être sélectionné par mise en concurrence, avant qu’il ne conclue un pacte d’actionnariat avec les partenaires publics retenus.

Si ce dernier dispositif ne suscite pas de remarque particulière de la Commission européenne, cette dernière conteste la régularité des autres et, par suite, la régularité des renouvellements ou prolongations accordés – ou qui pourraient être accordés – sur ces fondements (voir II de la première partie).

5.   Un entre-deux juridique qui perdure et s’aggrave au fil du temps

Outre les concessions qui devaient déjà faire l’objet d’un renouvellement en 2008, de nouveaux contrats sont arrivés à échéance. Selon la commission d’enquête du Sénat de juillet 2024 ([15]), le nombre de concessions échues devrait être de 61 au 31 décembre 2025.

Et si le calendrier de fin des contrats s’étale jusqu’en 2080, le graphique suivant (établi par la Cour des comptes en décembre 2022 ([16])) montre que la moitié des concessions arriveront à leur terme entre 2035 et 2039.

Si EDF ne compte encore que 16 % de puissance installée en concessions échues, cette proportion pourrait atteindre 30 % de son parc en 2030. Celui de la SHEM est d’ores et déjà à 65 % à terme échu (également en puissance installée).

Ces concessions échues et non encore réattribuées ne sont pas délaissées pour autant. Dès 1992, la loi a instauré le régime des délais glissants ([17]), qui évite la création d’un vide juridique en permettant de proroger les concessions échues jusqu’à la délivrance de la nouvelle concession. L’enjeu est d’assurer la continuité du service public et la sûreté des ouvrages hydrauliques. Il a aussi permis d’échelonner les renouvellements et facilité les opérations de regroupements engagées en 2010.

Codifié à l’article L. 521-16 du code de l’énergie, ce régime est très encadré, empêchant les investissements de développement. Il dispose en effet que la prorogation s’effectue « aux conditions antérieures », sans possibilité de modifier le contrat de concession – ni de le résilier unilatéralement. Les exploitants ne peuvent donc pas réaliser d’investissements qui n’auraient pas été prévus par leur cahier des charges initial (comme de nouveaux projets). On relèvera que l’absence de visibilité sur la durée de cet entre-deux perturbe également les investissements nécessaires au bon fonctionnement et au renouvellement des ouvrages en rendant leur financement plus incertain – même si l’article 73 de la loi d’accélération de la production des énergies renouvelables du 10 mars 2023, dite « loi APER », a ouvert la possibilité d’inscrire les dépenses des travaux réalisés pendant la période transitoire sur un compte dédié, pour que leur part non-amortie soit remboursée au concessionnaire sortant par l’entrant à l’échéance de la concession.

Les concessions ainsi prorogées sont par ailleurs soumises à une redevance supplémentaire spécifique, « proportionnelle aux recettes ou aux bénéfices de la concession », définie à l’article L. 523-3 du même code ([18]). Elle représente actuellement 40 % du résultat normatif de la concession après impôts, et est affectée à 50 % à l’État et à 50 % aux collectivités territoriales traversées par les cours d’eau concernés (un tiers de la redevance aux départements, un douzième aux communes et un autre douzième aux groupements de communes).

Cet article a toutefois été modifié par la loi de finances pour 2022, afin d’affecter la totalité du montant de cette redevance à l’État au-delà d’un certain seuil, ce seuil étant déterminé en fonction d’un prix cible de l’électricité. Votre rapporteure Marie-Noëlle Battistel a vivement contesté les modalités de calcul de ce prix cible, arrêtées par voie réglementaire, qui sont très défavorables aux collectivités ([19]). Une telle ponction est contraire à l’intention du législateur quant à la finalité et à l’affectation cette redevance supplémentaire.

II.   Un contentieux de longue date avec l’union europÉenne

Initialement envisagée en 2008, la remise en concurrence annoncée des concessions hydroélectriques n’a donc toujours pas eu lieu. Cela a conduit la Commission européenne à ouvrir deux nouvelles procédures précontentieuses à l’encontre de la France, qui sont toujours en cours à ce jour. Ces procédures s’expliquent notamment par la place particulière qu’occupe l’hydroélectricité, d’une part, et EDF, d’autre part, au sein du paysage énergétique français. Outre la complexité du sujet, les rapporteurs rappellent que ce blocage s’explique aussi par l’insuffisante mobilisation des autorités françaises sur ce dossier durant de nombreuses années, et ce, dès l’étape de négociation des termes de la directive « Concessions », qui aurait dû être l’occasion de porter le principe d’une exception pour l’hydroélectricité, comme l’Allemagne a réussi à l’obtenir pour l’eau.

A.   Les deux procÉdures prÉcontentieuses pesant sur les concessions hydroÉlectriques franÇaises sont liÉes À des enjeux concurrentiels

Les deux procédures précontentieuses initiées par la Commission européenne à l’encontre de la France au sujet de ses concessions hydroélectriques concernent la position dominante d’EDF et l’absence de remise en concurrence de ces concessions. Elles ne sont finalement que le reflet de la conviction profonde, aux yeux de la Commission européenne, que les mécanismes de marché sont toujours les plus efficaces, quelle que soit l’activité en cause. Les particularités géographiques et historiques du système énergétique français ne sont pas prises en compte, alors qu’elles éloignent l’énergie hydroélectrique des caractéristiques d’autres marchés plus contemporains. En outre, même sans mise en concurrence, les concessions hydroélectriques concourent déjà au marché européen de l’énergie dans le respect des principes des 1.a) et 1.b) de l’article 194 du TFUE (assurer le fonctionnement du marché de l’énergie et assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union européenne).

1.   Le contentieux de 2015 est lié à la position dominante d’EDF (DG COMP)

La première procédure d’infraction en cours déclenchée par la Commission européenne contre la France au sujet de ses concessions hydroélectriques ([20]) concerne le champ de compétences de la direction générale de la concurrence (DG COMP) de la Commission. Une mise en demeure a été adressée aux autorités françaises le 23 octobre 2015, avant qu’une lettre de faits le soit le 18 décembre 2019.

Cette procédure se fonde sur les dispositions du paragraphe 1 de l’article 106 du TFUE, lu en combinaison avec l’article 102 de ce même traité.

L’article 106 interdit aux États membres d’édicter ou de maintenir des mesures contraires aux règles des traités pour leurs entreprises publiques ou les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs.

Le premier paragraphe de l’article 102 interdit à une entreprise d’exploiter de façon abusive une position dominante ([21]) sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci, à partir du moment où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté. La position dominante d’une entreprise s’apprécie au regard du marché dit « pertinent » pour caractériser celle-ci.

Ce fondement juridique a été qualifié d’« inhabituel » par la Cour des comptes ([22]), en précisant qu’il porte sur l’« action d’un État conduisant à une position dominante, en lieu et place de l’infraction usuelle sur les aides d’État ». De surcroît, il n’est pas dénoncé, dans le cadre de ce contentieux, un abus de la position dominante d’EDF : selon la Commission européenne, le maintien ou le renforcement d’une position dominante est prohibé, même s’il n’y a pas d’abus caractérisé.

En l’espèce, la Commission européenne reproche à la France d’avoir octroyé à EDF, et maintenu sous le contrôle de cette entreprise, « l’essentiel des concessions hydroélectriques du pays en l’absence de toute mise en concurrence », et ce, malgré l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence depuis la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. Ce contentieux concerne l’ensemble des concessions exploitées par EDF en France métropolitaine.

La Commission européenne considère que cette position dominante d’EDF sur la production hydroélectrique française freine la concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité :

– les concurrents d’EDF seraient privés de l’accès à des unités de production d’électricité permettant de disposer d’énergie à des prix compétitifs, constituant un actif flexible et permettant de développer leur clientèle ;

– ces concurrents seraient aussi privés de l’essentiel de l’accès à l’électricité produite par les centrales hydroélectriques, car « EDF Production transfère directement l’essentiel de sa production à EDF Commerce sans passer par le marché de gros ».

Les autres opérateurs seraient donc privés d’accès aux moyens de production hydroélectriques, mais également au productible lui-même.

La question des concessions échues est un sujet particulièrement sensible pour la Commission européenne. Elle considère que la poursuite de l’exploitation de celles-ci sous le régime des délais glissants comme s’exerçant en dehors de tout cadre juridique valable au regard du droit européen.

Les rapporteurs contestent fermement qu’il y ait abus de position dominante, comme cela sera exposé par la suite. On le verra, ce contentieux est, en réalité, étroitement lié à la situation globale d’EDF sur le marché de l’électricité en France. Il méconnaît, pour les concessions non échues, l’histoire de l’hydroélectricité française, très antérieure aux règles contemporaines de mise en concurrence.

2.   Le contentieux de 2019 porte sur l’absence de respect de la directive « Concessions » de 2014 (DG GROW)

En 2019, une deuxième procédure précontentieuse est ouverte par la Commission européenne à l’encontre de la France mais aussi de sept autres États membres (Autriche, Allemagne, Italie, Pologne, Portugal, Royaume-Uni et Suède), cette fois-ci par la direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME (DG GROW). Ce contentieux est essentiellement fondé sur les articles 49 et 56 du TFUE, qui interdisent les restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, ainsi que sur la directive « Concessions » de 2014.

Quatre griefs sont reprochés à la France par la Commission européenne :

– l’absence de procédure de mise en concurrence pour le renouvellement des concessions hydroélectriques françaises arrivées à échéance – et, partant, leur prolongation sous le régime des délais glissants – n’est pas conforme à la directive « Concessions » ;

– l’article L. 521-16-3 du code de l’énergie, qui permet de prolonger une concession lorsque la réalisation de travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs de politique énergétique de la France l’exige, ne rentre pas dans les motifs de prolongation prévus par cette même directive, à son article 43 ;

Le cadre juridique européen de la modification des contrats de concession

en cours d’exécution

L’article 43 de la directive « Concessions » prévoit les cas dans lesquels un contrat de concession peut être modifié sans qu’une nouvelle procédure d’attribution soit requise. Le texte a été transposé en droit français dans le code de la commande publique ([23]). Les hypothèses selon lesquelles une modification du contrat de concession est admise sans remise en concurrence sont les suivantes :

– par voie conventionnelle, lorsque les modifications ont été prévues dès la conclusion du contrat sous la forme de clauses de réexamen ou d’options « claires, précises et sans équivoque » (1 a de l’article 43) ;

– en cas de travaux ou services supplémentaires devenus nécessaires et qu’un changement de concessionnaire est rendu impossible, pour des raisons techniques ou économiques, et parce que ce changement induirait des inconvénients ou des coûts excessifs pour l’autorité concédante. Dans ce cas, le montant de chaque modification ne peut pas dépasser 50 % du montant initial de la concession, pour les concessions attribuées par un pouvoir adjudicateur (1 b de l’article 43) ;

– lorsque la modification est rendue nécessaire par des circonstances imprévisibles, qu’elle ne change pas la nature globale de la concession et, pour les concessions attribuées par un pouvoir adjudicateur, qu’elle ne conduit pas à une modification d’un montant supérieur à 50 % du montant initial de la concession (1 c de l’article 43) ;

– en cas de changement du concessionnaire dans trois situations distinctes. D’une part, le contrat peut prévoir des circonstances entraînant le remplacement du concessionnaire. D’autre part, une cession du contrat de concession peut avoir lieu à la suite d’une opération de restructuration du concessionnaire initial au profit d’un autre opérateur économique, à condition que celui-ci remplisse les conditions prévues initialement dans le contrat. Enfin, la substitution du concessionnaire par l’autorité concédante peut être prévue par la loi lorsque l’autorité assume les obligations du concessionnaire à l’égard de ses sous-traitants (1 d de l’article 43) ;

– lorsque les modifications ne sont pas substantielles, c’est-à-dire que « les caractéristiques de la concession ne sont pas substantiellement différentes de celles prévues initialement » (1 e de l’article 43) ;

– lorsque le montant de la modification est inférieur à 5 538 000 euros et à 10 % du montant de la valeur de la concession initiale. Dans ce cas, lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, la valeur prise en compte est le montant cumulé des modifications successives.

Il est par ailleurs précisé expressément dans la directive que les modifications ne doivent pas changer « la nature globale du contrat de la concession » dans les cas d’une modification contractuelle, en cas de circonstances imprévisibles et lorsque le montant est faible.

– la non-conformité aux articles 49 et 56 du TFUE des décisions de renouvellement et d’octroi de concessions hydroélectriques prises en faveur d’EDF depuis le 26 septembre 2008, notamment le renouvellement des concessions de Camon et Valentine (2008), de Kembs (2009), de la Moyenne Romanche (2010) et la décision d’attribution de la nouvelle concession de Romanche-Gavet (2010) ;

– et la non-conformité aux articles 49 et 56 du TFUE de l’article 36 du décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008, qui permet de ne pas appliquer la mise en concurrence aux concessions dont les procédures de renouvellement étaient engagées lors de la parution du décret.

Les autres États membres concernés par la mise en demeure le sont :

– soit, comme la France, au titre de la directive « Concessions », car ils n’ont pas mis en concurrence leurs contrats de concessions hydroélectriques une fois ceux-ci expirés. C’est le cas du Portugal et de l’Italie ;

– soit au titre de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services (dite « directive Services ») pour les pays dont les ouvrages hydroélectriques sont sous régime d’autorisation, c’est-à-dire l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la Suède et le Royaume-Uni. L’article 12 de la directive 2006/123/CE « Services » dispose en effet que « Lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d’impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ».

Les rapporteurs contestent également les motifs fondant ces contentieux, qui ne prennent pas en compte, ici encore, la spécificité de l’hydroélectricité (voir ci-après).

B.   La France est dÉsormais le seul pays de l’union europÉenne dont le modÈle de gestion de l’hydroÉlectricitÉ est remis en cause

La France se trouve dans une situation précaire et singulière par rapport aux autres États membres concernant le statut de ses concessions hydroélectriques, qui s’explique en grande partie par le rôle majeur d’EDF sur le marché de l’électricité française. Elle est le seul pays de l’UE encore concerné par des procédures précontentieuses liées au régime d’exploitation de ses installations hydroélectriques.

Pour chacun des deux précontentieux en cours, la Commission européenne peut décider, à tout moment, de poursuivre la procédure en cours jusqu’à saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Celle-ci met alors 18 mois environ à se prononcer et peut décider des sanctions, notamment des injonctions sous astreinte.

1.   Le rôle historique, central et structurant d’EDF dans le paysage électrique français cristallise les critiques de la Commission européenne

Le parc nucléaire d’EDF représente à lui seul 61,4 GW de puissance installée (EPR de Flamanville exclu) et son parc hydroélectrique en France métropolitaine environ 20 GW. Ces deux sources de production combinées représentent 52 % des 155,5 GW de puissance électrique installée au 31 décembre 2024 ([24]). L’opérateur français apporte indéniablement des effets bénéfiques au marché de l’électricité européen dans son ensemble : rappelons qu’en 2024, la France a exporté 89 TWh nets d’électricité, un record depuis 2022, cette électricité étant décarbonée à 95 %.

 

Parts de marché des plus grandes compagnies de production d’électricité en Europe entre 2017 et 2022 (en %)

Source : Commission européenne.

Or, la Commission européenne est très critique vis-à-vis de la situation d’EDF, non seulement concernant le nombre important de concessions hydroélectriques qu’elle exploite mais, plus généralement, vis-à-vis de la place de l’entreprise sur le marché de la production électrique en France.

L’hydroélectricité française subit donc de plein fouet ce grief plus général à l’encontre d’EDF, alors même que son parc hydroélectrique ne représente que 10 % à 12 % de la production électrique française, et malgré le fait que de nombreux autres opérateurs exploitent des concessions hydroélectriques en France, au premier rang desquels la SHEM et la CNR.

Surtout, on peut questionner le « marché pertinent » à prendre en compte pour déterminer la position dominante d’EDF. Le marché de l’électricité a beaucoup évolué ces dernières années, avec l’entrée de nombreux acteurs privés dans le développement des nouvelles filières renouvelables et l’interconnexion du marché français au marché centre-ouest européen. À l’échelle de ce dernier, sans segmenter entre les différentes sources de production, la part de marché totale d’EDF est inférieure à 20 %.

Même en ne considérant que le périmètre français, les marchés de la production et de la fourniture d’électricité ont également connu des évolutions importantes.

Le développement des énergies renouvelables a permis à des producteurs concurrents d’EDF d’investir dans des installations de production renouvelables, notamment dans le solaire et l’éolien.

Sur le marché de la fourniture, les fournisseurs alternatifs ont largement bénéficié de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), sans pour autant investir dans des moyens de production supplémentaires – ce qui était pourtant l’une des raisons d’être de la mise en place de ce mécanisme. EDF souligne que la concurrence s’est développée sur le marché de la fourniture, sans que de nouvelles concessions hydroélectriques aient été remises en concurrence. L’AFIEG, qui représente un certain nombre de concurrents d’EDF, fait valoir à l’inverse « l’effet levier exercé par les actifs hydrauliques en matière de renforcement de pouvoir de marché » et les conséquences non seulement sur le marché de la fourniture, où la position d’EDF se trouve renforcée, mais aussi sur les avantages retirés par l’exploitation de concessions hydroélectriques pour les services système ou les mécanismes d’ajustement et de capacité (voir infra).

Malgré cette recomposition du marché électrique, la Commission européenne n’a pas fait évoluer sa position sur le contentieux DG COMP depuis 2015.

Du reste, quand bien même les concessions seraient remises en concurrence, la Commission européenne pourrait encore exiger des mesures complémentaires pour diminuer les parts de marché d’EDF, comme l’ont souligné les services ministériels compétents auprès de les rapporteurs : « S’agissant du précontentieux relatif à la position dominante d’EDF, la mise en concurrence permettrait également de le lever, mais pourrait nécessiter des aménagements complémentaires pour éviter qu’EDF ne remporte toutes les procédures d’appels d’offres (par exemple attribuer plusieurs concessions au sein d’un même lot et prévoir qu’un même acteur ne puisse obtenir qu’une fraction de la puissance totale de chaque lot) ». Les rapporteurs soulignent que de telles mesures entraîneraient, de manière évidente, une désoptimisation de la production électrique et de la gestion de la ressource en eau.

Au total, le contentieux DG COMP concernant la position dominante d’EDF sur l’hydroélectricité est donc largement tributaire des fortes réticences de la Commission européenne vis-à-vis de la position générale d’EDF sur les marchés de la production et de la fourniture d’électricité.

Les rapporteurs rappellent aussi qu’aucun abus de position dominante n’a été clairement identifié.

2.   La France est le seul pays européen encore concerné par une procédure précontentieuse de la DG GROW

En dehors de la France, les autres pays de l’UE concernés par l’ouverture d’une procédure par la DG GROW en 2019, pour des enjeux de remise en concurrence sur le secteur de l’hydroélectricité, ont vu leur procédure close par la Commission européenne en septembre 2021, et en 2023 pour le Portugal.

La Commission reconnaît que ces décisions de clôture ont été motivées par des raisons d’opportunité, et ne signifient pas que les régimes d’exploitation concernés sont conformes au droit de l’Union européenne.

Il n’en demeure pas moins que la Commission européenne a fait évoluer sa position vis-à-vis de ces pays, par exemple :

– s’agissant des pays sous régime d’autorisation, la Commission indique avoir constaté « une absence d’intérêt économique des opérateurs pour participer à une mise en concurrence des autorisations existantes ». En effet, dans les pays appliquant un régime d’autorisation aux barrages, les exploitants sont propriétaires des ouvrages : le rachat de ceux-ci constitue donc une forte « barrière à l’entrée ». Les rapporteurs estiment que le même raisonnement pourrait être appliqué aux ouvrages français : il est paradoxal que la détention des ouvrages par l’État, et non par les exploitants, justifie une telle différence de traitement sur la clôture des précontentieux.

Outre ce constat, qui explique la clôture en opportunité, a pu aussi jouer en faveur de ce classement l’invalidation de l’un des fondements du précontentieux de 2019 – à savoir l’application de la directive « Services », remise en cause par une décision de la CJUE, en 2020, considérant que l’activité de production d’électricité n’est pas une activité de services mais de production de biens (voir B du I de la première partie([25]).

La Commission européenne a ainsi pris acte d’une inaccessibilité de fait des secteurs hydroélectriques dans ces pays, secteurs souvent eux-mêmes caractérisés par la place importante de grands opérateurs nationaux ;

– le Portugal et l’Italie se sont engagés à remettre leurs concessions hydroélectriques en concurrence et ont modifié leurs législations nationales en ce sens, ce qui a permis le retrait de leurs précontentieux, même si ces remises en concurrence doivent intervenir à un horizon de temps éloigné. Cependant, la législation française prévoit déjà cette mise en concurrence (voir précédemment).

Ainsi, seule la France est encore sous le coup d’une procédure précontentieuse de la DG GROW. Elle se retrouve donc isolée sur la scène européenne, même si certains autres pays, en particulier ceux sous régime concessif, pourraient bénéficier indirectement d’une résolution du précontentieux français pour leurs ouvrages arrivant en fin de concession à l’avenir.

Les rapporteurs relèvent également que, dans le cas des pays appliquant un régime d’autorisation, ce serait le manque d’intérêt des opérateurs concurrents pour les installations concernées qui aurait facilité la clôture des procédures, alors qu’à l’inverse, sous prétexte du vif intérêt des concurrents pour les barrages français, ceux-ci font toujours l’objet d’un précontentieux.

C.   Les raisons de l’impasse : entre Échec des solutions palliatives et mobilisation insuffisante des autoritÉs franÇaises sur ce dossier

La première procédure européenne visant les concessions hydroélectriques françaises datant de 2003, cela fait désormais plus de vingt ans que celles-ci sont dans le viseur de la Commission européenne. La France a tenté de trouver des alternatives pour répondre aux attentes de la Commission, sans succès, à l’exception de la prolongation de la concession du Rhône. Mais surtout, les autorités françaises se sont, longtemps, insuffisamment impliquées dans la résolution de ces différends.

1.   À l’exception notoire de la prolongation de la concession d’aménagement du Rhône, un échec des solutions palliatives mises en place depuis 2015

a.   L’échec des palliatifs mis en place par voie législative

Les différentes dispositions législatives prises dans la loi TECV de 2015 (voir première partie) – méthode des barycentres, constitution de SEMH, prolongation contre travaux – n’ont pas permis de préserver structurellement les concessions hydroélectriques de l’obligation de mise en concurrence ni de répondre aux griefs de la Commission.

Concernant les barycentres, un regroupement de concessions de la SHEM a abouti dans la vallée de la Têt ([26]). Une tentative de regroupement d’autres concessions du même exploitant a été effectuée (Haute-Dordogne et Saint‑Pierre‑Marèges), mais a été immédiatement contestée au contentieux. Le Conseil d’État a fini par annuler l’opération en avril 2022 ([27]), considérant que les modalités de calcul de la date d’échéance commune des concessions regroupées, fixées par voie réglementaire, ne correspondaient pas aux dispositions législatives s’agissant de la prise en compte des flux de trésorerie en période de délais glissants. Un nouveau décret a été publié le 23 juin 2023. Les services ministériels ont indiqué à vos rapporteurs que des discussions sont en cours concernant ces concessions, soit pour effectuer un nouveau regroupement, soit pour sécuriser les investissements effectués en délais glissants via la mobilisation du compte dédié créé par la loi d’accélération des énergies renouvelables de 2023 (voir ci-après).

Par ailleurs, la méthode des barycentres permet simplement de différer la difficulté, sans l’éviter : une fois la nouvelle date commune d’échéance des concessions atteinte, il faudrait remettre les concessions concernées en concurrence.

Les SEMH permettent d’associer plusieurs acteurs publics (État, collectivités) et un opérateur pour créer des sociétés d’exploitation des concessions. Certaines collectivités avaient manifesté leur intérêt pour le dispositif, en particulier en Savoie ou dans la vallée de la Têt. Mais, là non plus, cette solution ne dispense pas d’une procédure de mise en concurrence pour le choix de l’opérateur qui exploitera la concession.

La prolongation de la concession en contrepartie de travaux rendus nécessaires pour l’atteinte de nos objectifs de politique énergétique est une disposition législative expressément contestée par la Commission européenne, qui estime qu’un tel motif de prolongation n’est pas conforme à ceux dont la liste est dressée à l’article 43 de la directive « Concessions » de 2014. Selon les précisions apportées par les services ministériels, la Commission estime en effet qu’on ne peut pas considérer par défaut que l’ensemble des travaux nécessaires à l’atteinte des objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) remplissent tous les critères prévus par le b) du paragraphe 1 de cet article 43 (qui permet, dans certains cas, de prolonger une concession pour réaliser des travaux ou services supplémentaires – voir précédemment l’encadré sur l’article 43).

Cette disposition de « prolongation contre travaux » n’a donc jamais été mise en œuvre, malgré une tentative de l’utiliser pour des travaux sur la concession de Montézic, en Aveyron, visant à augmenter de 50 % la puissance installée de la STEP existante. Outre la contestation de la régularité de ce fondement, les prolongations réalisées dans ce cadre auraient été assimilables à une aide d’État et auraient dû être notifiées à la Commission européenne à ce titre. En tout état de cause, il ne s’agit pas non plus d’une solution structurelle, puisqu’elle ne pourrait concerner qu’un nombre réduit de concessions sur lesquelles des travaux d’ampleur se justifient.

Ainsi, sauf de rares exceptions, les concessions hydroélectriques arrivant à échéance sont, aujourd’hui, toutes prorogées sous le régime des délais glissants. Quelques aménagements complémentaires ont été apportés à ce régime (voir première partie) :

– d’une part, avec la création d’une redevance supplémentaire sur les concessions concernées, pour renforcer le versement de redevances aux collectivités ;

– d’autre part, grâce à la possibilité de créer un compte dédié pour le remboursement de certains travaux non amortis, afin de sécuriser les investissements de maintenance engagés.

Enfin, si la loi « énergie-climat » de 2019, complétée par la loi relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelables, dite loi APER, de 2023, facilite le suréquipement des concessions hydroélectriques, ces dispositions demeurent nécessairement d’application limitée, puisqu’elles ne doivent pas conduire à une modification substantielle du contrat initial.

b.   La concession d’aménagement du Rhône a pu être prolongée jusqu’en 2041

La concession du Rhône, détenue par la Compagnie nationale du Rhône (CNR) depuis 1934, a pu être prolongée de 18 années supplémentaires grâce à la loi n° 2022‑271 du 28 février 2022 relative à l’aménagement du Rhône, issue d’une proposition de loi votée à l’unanimité des deux chambres du Parlement. La date d’échéance de cette concession a ainsi été repoussée du 31 décembre 2023 au 31 décembre 2041.

Il s’agit d’une concession particulière : elle n’est pas seulement une concession hydroélectrique, mais une concession d’aménagement du fleuve Rhône dans son ensemble. Elle a été créée par la loi du 27 mai 1921, qui prévoit ainsi une triple mission pour cette concession : premièrement l’utilisation de la puissance hydraulique pour la production électrique, deuxièmement la navigation et le transport fluvial et troisièmement l’irrigation, l’assainissement et les autres usages agricoles.

Différents motifs ont permis de garantir la robustesse juridique de la prolongation.

D’une part, la survenance de circonstances imprévisibles lors de l’attribution du contrat : les moyens de production électrique ayant été nationalisés à la suite de la Seconde Guerre mondiale, la CNR n’a pas pu exploiter ses concessions pendant 58 ans. En effet, celles-ci ont été exploitées par EDF jusqu’en 2006. La nouvelle date d’échéance de la concession a été calculée de manière à ce que la durée moyenne d’exploitation de chacun des ouvrages hydroélectriques concernés soit de 75 ans, durée de la concession initialement fixée par la loi.

D’autre part, la neutralité financière du projet de prolongation a permis de garantir sa compatibilité avec le droit de l’UE au titre des aides d’État : le cahier des charges de la concession, annexé à la loi, oblige le concessionnaire à réaliser des programmes pluriannuels quinquennaux d’investissement, dont le premier se chiffre à 185 millions d’euros (M€). Au total, la CNR prévoit 700 M€ au titre de ces plans successifs. Un programme de travaux supplémentaires, que la CNR chiffre à 750 M€, est également prévu au cahier des charges.

Concernant plus spécifiquement ce programme de travaux supplémentaires, outre la construction de six petites centrales hydroélectriques avec six passes à poissons associées, et l’augmentation de puissance d’un aménagement existant, étaient prévues l’étude et, le cas échéant, la construction d’un nouveau barrage au niveau de Saint-Romain-de-Jalionas, dans l’Ain (baptisé projet « Rhônergia »). Ce projet a été abandonné à l’été 2024 : le Gouvernement a justifié cet abandon par la proximité de l’ouvrage envisagé avec le site nucléaire de Bugey, où une paire d’EPR2 doit être construite, mais aussi compte tenu d’objections au barrage, liées à des questions environnementales, à l’issue de la concertation préalable ([28]). Conformément aux articles 4 et 47 du cahier des charges, les sommes correspondantes doivent être réaffectées et le taux de la redevance modifié en fonction des choix de réaffectation – notamment vers les programmes pluriannuels quinquennaux ou les travaux supplémentaires. Les rapporteurs souhaitent que ces sommes soient affectées, en toute cohérence, à des projets hydroélectriques.

La CNR est également le seul exploitant actuellement assujetti à une redevance proportionnelle aux recettes résultant de ses ventes d’électricité, et donc liée aux prix de l’électricité. La compagnie souligne qu’en 2023, la redevance ainsi versée s’est élevée à 557 M€, soit un taux de 42,5 % de son chiffre d’affaires et qu’au total, le montant versé au titre de cette redevance devrait s’élever à environ 2 milliards d’euros (Md€) cumulés de 2023 à 2025.

Le projet de prolongement de la concession d’aménagement du Rhône avait été validé par l’envoi d’une « lettre de confort », en octobre 2020, par la DG COMP aux autorités françaises, garantissant ainsi qu’elle n’était pas constitutive d’une aide d’État. Plus généralement, selon la CNR, la Commission européenne « a instruit le dossier de prolongation indépendamment des procédures de contentieux en vigueur en considérant (i) que CNR n’était pas visée par lesdites procédures, (ii) que le maintien de CNR dans le paysage hydroélectrique constituait un gage d’ouverture du marché français et (iii) que le modèle de CNR, de par ses caractéristiques, son histoire et missions multiples, dépassait largement le cadre des concessions hydroélectriques classique justifiant un traitement particulier ».

S’il faut se féliciter que l’avenir de la concession de la CNR soit garanti jusqu’à fin 2041, la question du devenir de celle-ci après cette date demeure posée. Elle se pose avec d’autant plus d’acuité que le caractère particulier de cette concession, qui est une concession d’aménagement, nécessitera probablement des adaptations au régime juridique qui sera retenu pour les autres concessions hydroélectriques. En tout état de cause, la mission d’information a décidé que les solutions juridiques aux précontentieux proposées par le présent rapport ne seront mises en œuvre, pour la CNR, qu’à l’expiration du contrat de concession, en 2041.

2.   Le manque de volonté des gouvernements successifs à sortir de l’impasse

La Commission européenne n’a pas fait évoluer sa position sur les deux précontentieux jusqu’à ces derniers mois. Les rapporteurs estiment que les gouvernements français successifs ont manqué de ténacité et de volonté pour s’impliquer dans le règlement de ces deux procédures. Cette critique rejoint d’ailleurs celle formulée par la commission d’enquête sénatoriale sur les prix de l’électricité, qui a évoqué un « dialogue de sourds » entre la France et la Commission européenne sur ce dossier.

Il a d’abord fallu du temps pour bâtir le consensus politique autour de l’impérieuse nécessité de ne pas remettre en concurrence les concessions hydroélectriques : votre rapporteure Marie-Noëlle Battistel, impliquée sur ce dossier depuis de longues années, a pu le constater. Rappelons qu’en 2008, le Gouvernement envisageait de remettre en concurrence les concessions – c’est d’ailleurs l’un des arguments qui avait servi à exclure l’hydroélectricité du mécanisme de l’Arenh lors des débats sur la loi NOME en 2010. En 2013, le rapport d’information de votre rapporteure et du député Éric Straumann soulignait que les débats autour de la directive « Concessions » auraient pu « constituer une occasion en or pour sécuriser le régime juridique applicable aux concessions hydrauliques françaises. Au lieu de cela, le sujet n’a été que très peu évoqué. (…) Ces éléments prouvent que la mise en concurrence des concessions est une solution par défaut, qui s’est progressivement imposée aux acteurs du fait d’un manque d’anticipation préalable ». En 2018, votre rapporteure avait une nouvelle fois sonné l’alerte via les conclusions d’un groupe de travail relatif aux concessions hydroélectriques, après avoir appris qu’une proposition d’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques avait été envoyée par la Commission européenne à la France en janvier 2018 ([29]).

La Cour des comptes a relevé que le contentieux relatif à la position dominante d’EDF engendrait un risque d’astreintes, en cas de condamnation de la France, d’un montant maximum de 727 000 euros par jour. Il a été indiqué par les services ministériels compétents à la Cour qu’aucune provision pour litige n’avait été faite concernant ces contentieux car cela était prématuré et que, évoquant le contentieux DG COMP, « la Commission européenne a toujours souhaité parvenir à une résolution consensuelle du dossier » ([30]).

Depuis les deux mises en demeure de 2015 et de 2019, les échanges entre la Commission européenne et le gouvernement français ont été irréguliers. Des discussions avaient eu lieu au moment du projet « Hercule » de restructuration d’EDF, en 2021, fort heureusement abandonné. Le Gouvernement privilégiait alors la solution d’une quasi-régie détenue à 100 % par l’État et qui aurait été baptisée EDF « Azur ». En 2022, la Cour des comptes soulignait que, depuis, les discussions avaient été suspendues ([31]). En 2023, la Commission européenne a relancé la France au sujet des deux procédures précontentieuses, ce qui a donné lieu à de nouveaux échanges.

Cependant, lorsque, fin novembre 2024, les rapporteurs se sont rendus pour la première fois à Bruxelles pour rencontrer la Commission européenne dans le cadre de leur mission, il leur a été indiqué que les derniers échanges officiels entre la Commission européenne et les autorités françaises dataient de décembre 2023. Si le contexte politique particulier de 2024, tant au niveau national avec la dissolution de l’Assemblée nationale en juin, qu’au niveau européen avec le renouvellement des commissaires, peut expliquer pour partie des échanges plus distendus, cela ne peut justifier l’absence générale de volontarisme qui a prévalu sur ce dossier depuis des années.

Les rapporteurs regrettent aussi que l’avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique, diffusé par voie de presse début 2024 et finalement jamais présenté en Conseil des ministres, ait prévu en son article 16 de réformer le régime juridique de l’exploitation des installations hydroélectriques par voie d’ordonnance. Cela manifestait la volonté du Gouvernement de court-circuiter très largement le Parlement sur ce sujet, alors même qu’existe aujourd’hui un consensus politique fort sur le refus de la remise en concurrence des concessions, sur lequel il faut s’appuyer.

Des échanges plus nourris entre le Gouvernement et la Commission européenne sur le sujet des concessions hydroélectriques ont repris depuis peu. Les rapporteurs y voient un lien évident avec leurs travaux. Lors de ces échanges, ils ont pu constater le souhait de la Commission européenne d’avancer sur ce dossier et de parvenir à une solution.

Une autre avancée majeure doit être notée : la Commission semble avoir véritablement pris conscience que la France n’ouvrira pas mécaniquement à la concurrence ses concessions hydroélectriques échues ou arrivant à échéance. Il ne faut pas sous-estimer la portée de cette évolution, et les rapporteurs sont convaincus que l’unanimité des parlementaires français, tous groupes politiques confondus sur ce refus de l’ouverture à la concurrence n’est pas étrangère à cette inflexion.

 


   DeuxiÈme partie : le besoin de sortir de l’impasse

  1.   Une nÉcessitÉ d’investissements bloquÉe malgrÉ les enjeux de transition ÉnergÉtique
    1.   L’urgence de relancer les investissements hydroÉlectriques

Dans son référé du 2 décembre 2022 précité, la Cour des comptes soulignait : « Il est nécessaire de sortir rapidement de cette situation (l’incertitude sur le renouvellement des concessions échues) afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu’il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique ».

Le rôle du parc hydroélectrique est en effet crucial pour le système électrique français et européen.

Les installations dites « au fil de l’eau » fournissent de l’électricité en continu, tandis que les centrales d’éclusées ou de lac autant que les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) ([32]) bénéficient d’un stock d’eau pilotable à la demande, modulable à la semaine, voire à la journée, particulièrement utile aux pointes de consommation. De fait, quand la demande électrique est très forte, ou que les autres productions électriques sont à l’arrêt (comme une partie du parc nucléaire en 2022), les grands barrages, ou même les STEP, permettent de fournir très rapidement de grandes puissances électriques. Au contraire, lorsque la demande est faible, l’eau peut être pompée dans les lacs ou les réserves pour constituer des stocks. Le stockage hydraulique est même la seule technologie de stockage aujourd’hui viable et disponible à grande échelle : la STEP de Grand’Maison, en Isère, visitée dans le cadre de la mission, peut mobiliser jusqu’à 1 800 MW en seulement trois minutes.

Ainsi, le parc hydroélectrique ne contribue-t-il pas seulement à la production énergétique nationale, mais il constitue un important outil de flexibilité pour le système électrique français – et européen avec les interconnexions qui relient le réseau français à ceux de ses voisins. Il permet en particulier de soutenir le déploiement des autres énergies renouvelables en facilitant leur intégration. En effet, alors que la variabilité du solaire et de l’éolien entraîne un déséquilibre du réseau électrique lié à un apport de puissance qui n’est pas toujours en phase avec la demande, la pilotabilité et le potentiel de stockage du parc hydraulique permettent de moduler la distribution d’énergie sur les réseaux électriques pour maintenir l’équilibre offre-demande – et donc la stabilité de la fréquence du système électrique. L’hydroélectricité assurerait aujourd’hui en France une grande partie de l’ajustement en énergie.

La centrale de La Bâthie, en Savoie, par exemple, gérée par EDF et qui a également été visitée par la mission d’information, est reconnue d’intérêt national pour le système électrique, au fonctionnement duquel elle est indispensable. Directement connectée au réseau de transport d’électricité, avec ses 550 MW de puissance, elle participe aux ajustements entre l’offre et la demande et peut même relancer seule, grâce à son dispositif Black start, une partie du système en cas de panne. Il s’agit d’un indéniable atout stratégique, notamment quand on considère la situation qu’a rencontrée la péninsule ibérique lors du black-out du 28 avril 2025.

Les enjeux d’investissements dans le parc hydroélectrique sont donc triples et concernent :

– la préservation des capacités existantes, qui ont une moyenne d’âge d’une soixantaine d’années, et plus de 100 ans pour certains ouvrages.

Leur maintien en bon état de fonctionnement va au-delà de la simple maintenance et peut nécessiter de substantiels travaux pour remplacer des composantes importantes et garantir la sûreté des ouvrages afin de maîtriser les risques de rupture. Il peut s’agir aussi d’aménager les installations pour les adapter au changement climatique et aux nouvelles contraintes qu’il induit sur le partage des différents usages de l’eau (protection de la biodiversité, production d’eau potable, irrigation, etc.) et sur leur stabilité structurelle ;

– la modernisation de ces capacités pour accroître leurs performances, dans la mesure du possible, en termes de puissance, de pilotabilité ou de stockage, par l’amélioration des pièces, le suréquipement (nouvelles turbines, nouvelles galeries, nouvelles usines), la conversion de barrages gravitaires en STEP, etc. ;

– la création de nouvelles capacités, même si le potentiel hydraulique est déjà largement exploité en France. Cela peut passer par l’équipement de seuils existants (des retenues qui existent pour d’autres usages), mais aussi la construction de nouvelles installations sur sites vierges, de STEP en particulier.

Cette modernisation et ce renforcement sont essentiels pour répondre aux objectifs climatiques et de souveraineté énergétique de la France, qui passent notamment par l’accroissement des usages électriques et l’accélération du développement des énergies renouvelables. L’augmentation des capacités de stockage est l’une des clés de la réussite de ces évolutions stratégiques.

La dernière programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) avait fixé comme objectif d’engager, d’ici 2023, le développement de 1,5 GW de nouvelles STEP pour une entrée en service entre 2030 et 2035, soit une augmentation d’environ 30 % du parc installé de STEP.

Dans son étude Futurs énergétiques 2050, publiée en 2022 et qui décline différents scénarios de consommation et de production d’électricité jusqu’en 2050, Réseau de transport d’électricité (RTE) avait retenu une augmentation de la capacité hydroélectrique à l’horizon 2050 d’un peu plus de 4 GW, dont 3 GW de STEP et environ 1 GW d’autres nouvelles capacités, correspondant soit à des nouvelles petites installations au fil de l’eau, soit à des augmentations de puissance sur des installations existantes.

Pour le moyen terme, le projet de nouvelle PPE 2025-2034, mise en consultation par l’État en 2024, prévoit le développement de 2,8 GW de capacités hydroélectriques d’ici 2035 – soit dans moins de dix ans , incluant 1,7 GW de nouvelles capacités de STEP entre 2030 et 2035 et près de 650 MW d’augmentations des capacités concédées (dont 450 MW de surpuissance).

Le ministère chargé de l’énergie, auditionné par la mission d’information, évalue à 3 milliards d’euros (Md€), au moins, les investissements nécessaires pour les 3 GW de STEP, dont 1,7 Md€ pour les 1 700 premiers MW.

  1.   Des projets suspendus ou rÉduits faute de visibilitÉ sur l’avenir des concessions

La réalisation des objectifs de la PPE dépendra de plusieurs conditions : leur faisabilité technique, la limitation des impacts environnementaux, leur acceptabilité sociétale, un modèle économique viable, mais aussi la clarification du statut autour des concessions, car la plupart de ces investissements concernent des installations d’au moins 10 MW.

S’agissant du modèle économique, les rapporteurs ont été alertés du cas particulier des STEP. En effet, comme la Cour des comptes le souligne dans son référé de 2022, leur fonctionnement ne mobilise pas seulement des coûts fixes, comme les autres ouvrages hydroélectriques, mais supporte des charges variables proportionnelles aux coûts des pompages, ce qui rend leur modèle économique très dépendant des prix de marché. Par ailleurs, les cinq STEP existantes font l’objet d’une exploitation intensive qui exige de lourdes dépenses de maintenance. La Cour des comptes recommande donc de ne plus les traiter comme de simples installations de production d’énergie et de revoir leur mode de rémunération en intégrant leur fonctionnalité de stockage. Leur fiscalité et leur contribution au TURPE devraient sans doute également être adaptées. Les services ministériels ont indiqué aux rapporteurs étudier un mécanisme de soutien dédié pour rendre les nouvelles installations économiquement attractives pour des investisseurs. Quel que soit le régime juridique applicable, ils relèvent que « si les projets de STEP ne sont pas rentables, un soutien public devra être octroyé et faire l’objet de la procédure ‘classique’ de notification auprès de la Commission européenne ».

Quoi qu’il en soit, le statut juridique des concessions représente aujourd’hui un obstacle majeur pour la plupart des grands projets d’investissements.

La création de nouveaux ouvrages sur sites vierges (comme la STEP envisagée sur le site des Lacs blanc et noir, dans le département du Haut-Rhin ([33])) ne pose pas de difficultés. Les rapporteurs ne contestent pas l’application d’une mise en concurrence pour sélectionner les futurs investisseurs et exploitants. Il reviendra aux candidats de présenter le meilleur projet et le meilleur profil pour répondre aux exigences de l’appel d’offres.

En revanche, l’absence d’assurance quant à l’obtention du renouvellement de leur concession, le cadre figé des délais glissants et l’impossibilité de réaliser des investissements de grande ampleur en cours de concession dissuadent ou interdisent aux actuels exploitants des ouvrages d’engager ces travaux.

On a vu précédemment que le régime des délais glissants s’oppose à des investissements qui n’étaient pas prévus par le contrat initial. Au demeurant, même si les exploitants en avaient la possibilité juridique, sans date de fin, leur situation est trop précaire pour leur assurer la visibilité économique requise pour des investissements qui s’amortiraient sur plusieurs dizaines d’années.

C’est ainsi que le projet de la vallée de La Truyère, qui représenterait une augmentation de puissance de 250 MW et des nouvelles capacités de STEP de 450 MW, pour un investissement estimé à 800 M€, est techniquement prêt à être réalisé, mais reste suspendu en attendant le renouvellement des titres d’exploitation de Brommat et de Montézic, en Aveyron.

Le statut de concessions en délais glissants bloque également les projets d’optimisation des installations de la SHEM dans le Haut-Ossau en Pyrénées‑Atlantiques, visitées par les rapporteurs, notamment la possible opportunité de créer une STEP, dont la SHEM pourrait engager les études techniques, financières et administratives en cas de déblocage de la situation.

L’incertitude sur la prolongation de leurs contrats pèse aussi sur les décisions d’investissement des titulaires de concessions dont l’échéance apparaît trop proche pour leur amortissement.

Pour les mêmes raisons, quand bien même ils prendraient le risque de s’y engager, ils se heurteraient à la difficulté d’obtenir les financements correspondants.

Les cadres juridiques actuels viennent (aussi) limiter l’ampleur des investissements :

– différents acteurs déplorent ainsi que le dispositif du compte dédié, mis en place ([34]) pour permettre à l’exploitant en délais glissants d’être remboursé par son éventuel remplaçant de la partie non amortie des travaux réalisés pendant cet entre‑deux, ne couvre que les travaux de maintenance lourde voire d’augmentation de puissance, mais pas les travaux de sûreté, ni de maintenance courante – pour lesquels ils n’ont donc aucune certitude de rentrer dans leurs frais s’ils perdent la concession ;

– enfin, l’article 43 de la directive 2014/23/UE ne permet pas de faire des travaux qui modifient substantiellement le périmètre, la puissance ou la valeur économique d’une concession, sous peine de remise en concurrence.

La loi du 28 février 2022 a pu prolonger le contrat de concession de la CNR et permis à l’entreprise d’engager un programme de travaux de l’ordre de 700 millions d’euros sur les 15 prochaines années et un premier programme d’actions quinquennal de plus de 165 millions d’euros (sur les trois objets de la concession : énergie, navigation, irrigation), parce que des circonstances imprévues avaient suspendu pendant plusieurs décennies l’exploitation de cette concession par la CNR et la mise en œuvre du programme de travaux initialement prévus. Ces circonstances ont permis de considérer qu’il n’y avait pas de modification substantielle du contrat d’origine.

Quant aux réaménagements de Romanche-Gavet (Isère), qui ont été visités par les rapporteurs, c’est grâce à l’octroi à EDF en 2010, avant l’adoption de la directive de 2014, d’une concession de 60 ans qu’ils ont pu être engagés. Remplaçant 6 centrales et 5 barrages préexistants, la construction à Gavet d’un nouveau barrage, d’une galerie de 10 km et de 4,7 m de diamètre, ainsi que d’une nouvelle centrale souterraine de 97 MW, inaugurés en 2020, a permis d’augmenter de 40 % la production d’énergie sur le même tronçon de rivière.

En revanche, en ce qui concerne la centrale de La Bâthie, bien que l’installation d’une deuxième nouvelle turbine eût été possible, les travaux de suréquipement ont été dimensionnés pour rester dans la limite des 10 % de la valeur de la concession, afin d’éviter sa remise en concurrence.

Les services ministériels ont traduit dans le graphique suivant la part des projets réalisables même en l’absence de résolution des précontentieux européens et celle qui est aujourd’hui bloquée par ces différends :

Source : DGEC

II.   Une volontÉ unanime de prÉserver Les concessions hydroÉlectriques actuelles de la mise en concurrence

La préservation des ouvrages hydroélectriques d’une remise en concurrence est l’un des rares sujets qui fait l’unanimité au sein des différentes sensibilités politiques représentées au Parlement. La poursuite de l’exploitation des ouvrages hydroélectriques par les concessionnaires actuels se justifie par de nombreux arguments, nécessitant de prendre en compte l’ensemble des enjeux se rattachant à ces concessions.

Au premier rang de ces arguments figure l’importance d’une gestion intégrée de la ressource en eau, qui dépasse largement le seul enjeu de la production d’électricité. Depuis l’ouverture des procédures précontentieuses, les données du problème ont évolué. Le réchauffement climatique continue d’accroître la tension sur cette ressource, tout autant que la nécessité de décarboner notre mix énergétique.

A.   Une logique de fonctionnement par vallÉe et par bassin versant qui doit absolument être prÉservÉe

L’intérêt de disposer d’un nombre restreint d’opérateurs est de faciliter la coordination du fonctionnement des ouvrages au sein d’une même vallée ou d’un même bassin versant. Cela optimise non seulement la production d’énergie, mais facilite aussi la gestion des réserves en eau qui sont associées. Cette solidarité est absolument déterminante pour le bon fonctionnement de ces bassins versants.

Répartition simplifiée des concessionnaires selon différentes vallées
(EDF en rouge, CNR en bleu clair et SHEM en foncé) – Source : DGEC.

Selon les services ministériels, une remise en concurrence aurait, d’ailleurs, nécessairement impliqué de procéder à des regroupements de concessions par vallée pour ne pas désoptimiser les chaînes hydrauliques associées.

Il est vrai qu’aujourd’hui, plusieurs exploitants coopèrent déjà à l’échelle d’une même vallée ou d’un même fleuve. C’est par exemple le cas le long de la Dordogne, ou encore sur le Rhône, où l’essentiel des ouvrages hydroélectriques sont exploités par la CNR mais où EDF possède aussi des barrages ainsi que des centrales nucléaires. Pour autant, fragmenter à l’excès cette gestion coordonnée conduirait nécessairement à désoptimiser la production hydroélectrique et la gestion des différents usages de l’eau associés. France Hydroélectricité l’a souligné dans sa contribution écrite : « l’introduction de nouveaux acteurs pourrait complexifier la gestion coordonnée, notamment en termes de standardisation des pratiques, de communication et de priorités stratégiques. Cette fragmentation accrue pourrait imposer à l’État une vigilance renforcée et une capacité d’arbitrage plus exigeante pour s’assurer que les obligations de gestion coordonnée sont respectées de manière uniforme sur l’ensemble du bassin versant ». Multiplier les acteurs, c’est également multiplier les coûts de coordination, ainsi que les contentieux qui s’y rattachent.

Les conséquences primordiales des interactions entre les différents ouvrages hydroélectriques situés sur un même bassin versant ont été largement rappelées au cours des différentes auditions menées par la mission d’information.

Le Syndicat mixte d’études et d’aménagement de la Garonne (SMEAG) a illustré cette problématique de manière très concrète, en évoquant le conventionnement dont il dispose avec EDF pour la gestion des soutiens d’étiage : « Sur les cinq retenues mobilisées sur l’Ariège (Izourt, Gnioure, Laparran, Soulcem, Naguille), EDF gère la mobilisation de telle ou telle retenue en fonction de travaux et/ou indisponibilités ; si les contrats étaient attribués à plusieurs opérateurs, cette souplesse serait perdue pouvant amener à réduire les volumes mobilisables (en 2022, l’indisponibilité d’une retenue a été compensée par la mobilisation de la retenue de Naguilles) ». De même, lors de leur visite du centre de téléconduite de la CNR, à Lyon, les rapporteurs ont pu constater la gestion des ouvrages de cet exploitant à l’échelle du fleuve selon une logique globale. CNR peut par exemple effectuer des « marnages énergétiques », qui lui permettent « de déplacer l’équivalent de 1 000 MW aux moments les plus propices notamment pour le gestionnaire du réseau RTE ».

En réalité, la préservation d’une gestion au niveau de chaque bassin versant plutôt que de chaque ouvrage est indispensable et rejaillit sur chacun des autres arguments à l’appui du refus de la mise en concurrence, qui seront développés ci‑après : gestion de l’eau, sûreté hydraulique, gestion des crues, maîtrise des coûts, etc. La Cour des comptes avait parfaitement résumé cet enjeu dans son référé de 2022 précité : « l’intervention de plusieurs concessionnaires dans des zones comportant de nombreux ouvrages gérés jusqu’à présent par un concessionnaire unique aurait deux effets : le premier serait un risque de désorganisation de l’exploitation des chaînes hydrauliques et d’effet négatif sur la production ; le second serait de renchérir les coûts d’exploitation de concessions qui ne bénéficieraient plus de la mutualisation des personnels de terrain ».

B.   la conciliation des diffÉrents usages de l’eau, un enjeu dÉterminant À l’heure du changement climatique

La directive « Concessions » le reconnaît : l’eau est un « bien public revêtant une importance fondamentale pour l’ensemble des citoyens de l’Union » ([35]). L’eau turbinée par les barrages ne sert pas uniquement à produire de l’hydroélectricité : elle constitue aussi un enjeu en termes d’eau potable, de gestion des crues, de milieux aquatiques et de préservation de la biodiversité, d’irrigation pour l’agriculture, de navigation fluviale, d’activités de loisirs comme le tourisme ou la pêche, etc. Le refroidissement des réacteurs nucléaires et la prévention des inondations de ces installations de production sont également des enjeux majeurs rattachés au bon usage de la ressource en eau.

Alors que le réchauffement climatique accentue considérablement la pression sur cette ressource, le morcellement du parc hydroélectrique entre différents opérateurs complexifierait et dégraderait la gestion nécessairement globale et coordonnée des différents usages de l’eau. La qualité et l’agilité du dialogue territorial autour des usages de l’eau, particulièrement entre les collectivités et les exploitants, s’en trouverait également amoindrie.

Les enjeux de soutien d’étiage sont cruciaux et vont s’accroître dans les années à venir. Par exemple, sur le Rhône, une étude récente a indiqué que les débits d’étiage à l’aval pourraient encore baisser de 20 % en moyenne dans les trente prochaines années ([36]). Comme cela a été rappelé à travers un autre exemple, celui du SMEAG, les établissements publics de bassin peuvent établir des conventions avec les exploitants de centrales hydroélectriques pour garantir le soutien d’étiage, en particulier l’été, lorsque les ressources en eau sont les moins disponibles. Il s’est établi un dialogue de confiance entre les différents acteurs dans ce cadre, qui permet aussi de travailler en souplesse, avec des exploitants attachés à la notion de service public. L’établissement public Entente vallée du Lot souligne que le soutien d’étiage a permis de ne jamais prendre un arrêté de restriction sur cette rivière, y compris en période de sécheresse.

La bonne gestion de la ressource en eau est aussi indispensable pour la prévention des crues et des inondations. L’établissement public territorial de bassin Isère relève qu’une étude a récemment été réalisée par la commission locale de l’eau du schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) Drac-Romanche, montrant le rôle important des barrages pour écrêter les crues (en l’espèce sur ces deux cours d’eau). Ils contribuent donc à protéger les villes en aval – et notamment Grenoble dans leur cas – de telles crues.

Les retombées économiques des activités de loisirs liées à la ressource en eau ne doivent pas être négligées, d’autant plus qu’elles permettent de contribuer à l’attractivité de territoires ruraux ou enclavés. L’Entente vallée du Lot estime ainsi les retombées économiques du tourisme lié à l’eau sur cette vallée à 10 millions d’euros (M€) par an. Le lac de Serre-Ponçon, situé à cheval entre les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute‑Provence, est également emblématique de cette conciliation des usages touristiques et énergétiques de l’eau.

Il en est de même pour les usages agricoles de l’eau : l’entente vallée du Lot souligne que « la sécurisation de 13 000 hectares d’irrigation représente près de 50 M€ de revenu agricole ». Cet enjeu agricole, précieux pour la souveraineté alimentaire nationale, constitue d’ailleurs l’un des trois piliers de la concession d’aménagement de la CNR.

En ce qui concerne la préservation de la biodiversité et des milieux aquatiques, outre les efforts réalisés en la matière par les exploitants actuels, une désorganisation de la mobilisation des différentes réserves hydroélectriques, notamment en termes de soutien d’étiage, pourrait avoir des conséquences sur cette biodiversité.

Au total, les ouvrages hydroélectriques sont au carrefour des dialogues territoriaux autour des usages multiples de l’eau. Ces dialogues doivent être préservés, alors que l’ensemble des élus locaux entendus par la mission craignent des échanges plus difficiles en cas de remise en concurrence, avec un risque de multiplication des exploitants méconnaissant l’historique de ces dialogues. En cas de remise en concurrence, les nouveaux exploitants pourraient ne pas être aussi attentifs à ces dialogues et adopter un mode d’exploitation privilégiant la rentabilité économique de l’exploitation, au détriment des autres usages de l’eau, même si leur conciliation fait explicitement partie des exigences de leur cahier des charges.

En outre, certains services liés à ces usages, aujourd’hui encore souvent rendus à titre gratuit par les exploitants historiques, pourraient être monnayés au prix fort auprès des collectivités. C’est par exemple le cas du respect, par les exploitants, des cotes touristiques sur les lacs.

Enfin, des usages et fonctionnalités futurs des ouvrages hydroélectriques, aujourd’hui non identifiés et non servis, sont susceptibles de prendre forme, en particulier avec les évolutions climatiques, et ne pourront pas trouver leur traduction dans les cahiers des charges des concessions mises en concurrence pour de longues durées. Nul doute que l’expérience de l’intelligence collective et territoriale en place est la meilleure garantie pour leur prise en compte.

C.   Des ouvrages stratÉgiques qui requiÈrent un haut niveau de sÛretÉ et de sÉcuritÉ

Les barrages sont des actifs stratégiques pour le pays, ce qui justifie aussi de ne pas leur appliquer une logique concurrentielle. Le contexte géopolitique a considérablement évolué depuis la naissance des précontentieux initiés par la Commission européenne en 2015 et en 2019. La guerre en Ukraine, qui a conduit à la destruction du barrage de Kakhovka et à une attaque contre sa centrale hydroélectrique DniproHES, ou encore le résultat des dernières élections aux États‑Unis le démontrent avec force. Au Portugal, le groupe chinois China Three Gorges est déjà actionnaire d’Energias de Portugal, qui exploite la majorité des concessions hydroélectriques du pays.

Il s’agit pourtant d’infrastructures critiques, dont l’exploitation ne doit pas tomber dans le giron d’opérateurs étrangers qui pourraient avoir des intentions peu louables à l’encontre des intérêts vitaux du pays.

Ces enjeux de sécurité sont étroitement liés aux enjeux de sûreté de ces installations. Si la dernière rupture d’un barrage hydroélectrique en France remonte au cas de Malpasset, en 1959, il ne faut pas négliger les conséquences catastrophiques que peuvent causer de tels événements. L’expertise des opérateurs actuels doit dès lors être absolument préservée en la matière. Les services ministériels ont souligné des « pertes de connaissances inévitables » sur les installations hydrauliques très anciennes et complexes, « qui seront d’autant plus importantes si le personnel de l’ancienne concession ne souhaite pas être transféré au nouvel exploitant, comme il en a le droit. Dans ce cas, outre les enjeux en termes d’optimisation énergétique, se poseront également des enjeux importants au titre de la préservation du plus haut niveau de maintien de la sûreté hydraulique ».

D.   la nÉcessitÉ de maintenir la sÉcuritÉ d’approvisionnement et la robustesse de notre systÈme Électrique

Le rapport Battistel-Straumann de 2013 soulignait déjà le rôle d’EDF en tant qu’assureur du système électrique : « Les décisions de turbinage ne sont donc pas uniquement fondées sur le signal prix du marché : EDF joue un rôle d’assureur du système qui n’est aujourd’hui pas rémunéré. Si le secteur de l’hydroélectricité venait à être libéralisé, chaque concessionnaire poursuivrait l’optimum économique, au détriment de l’impératif de sécurité du système ».

Le rôle des ouvrages hydroélectriques et leur modèle d’exploitation actuel en font des atouts déterminants de notre sécurité d’approvisionnement et, plus largement, du bon fonctionnement de notre système électrique. Comme cela a été souligné, cette source d’énergie flexible et pilotable permet de faciliter l’intégration croissante des énergies renouvelables intermittentes au réseau. Ces caractéristiques lui permettent d’être un contributeur de premier ordre aux « services système » (réglage de la fréquence et de la tension), ainsi qu’aux mécanismes de capacité et d’ajustement, qui contribuent à la sécurité d’approvisionnement. Enfin, disposer d’un parc composé de plusieurs centrales de production hydroélectrique gérées par un même exploitant permet de renforcer la sécurité d’approvisionnement, l’opérateur pouvant déclencher, selon les besoins, les moyens de production les plus adaptés de son parc.

C’est particulièrement flagrant pour le cas des STEP. D’ailleurs, dans son référé de 2022, la Cour des comptes va jusqu’à dire qu’on ne devrait pas considérer les STEP comme des ouvrages destinés à commercialiser de l’électricité mais comme des « équipements destinés à contribuer à la flexibilité sur le réseau », ce que les rapporteurs approuvent totalement.

La complémentarité entre nucléaire et hydraulique est également au cœur de ces enjeux. Les centrales hydroélectriques permettent de déclencher un mécanisme de renvoi de tension en cas d’arrêt électrique sur une centrale nucléaire. S’il existe déjà des conventionnements entre la CNR et EDF pour gérer le cas du Rhône, démultiplier ce type de conventions ne serait pas optimal, comme cela a été montré précédemment pour le cas de la gestion par bassin versant.

E.   des enjeux sociaux indÉniables, incluant des risques de perte d’expertise et de savoir-faire

La nécessité de préserver la solidarité et l’optimisation des ouvrages hydroélectriques d’un même bassin versant, déjà présentée, a permis de souligner les logiques de mutualisation de compétences à l’œuvre. Plus encore, comme l’ont confirmé les organisations syndicales représentatives auditionnées, les équipes de maintenance et d’exploitation sont souvent partagées entre plusieurs installations d’une même région. Cette mutualisation permet notamment de réduire le temps d’intervention des équipes, par exemple en cas d’avarie.

L’hydroélectricité est source de nombreux emplois locaux, bénéficiant du statut des industries électriques et gazières (IEG). De nombreux emplois seraient menacés, non seulement au niveau local mais aussi dans les différents services transversaux d’EDF, en particulier la division technique générale (DTG) et le centre d’ingénierie hydraulique (CIH), ce qui a été rappelé par la FNME-CGT entre autres. Il est également craint un recours accru à la sous-traitance en cas de mise en concurrence.

Le rapport Battistel-Straumann avait, lui aussi, relevé ces risques de pertes d’emplois : les opérateurs étrangers, notamment de pays frontaliers, n’atteindraient pas une taille suffisamment importante pour implanter de véritables divisions hydrauliques en France et pourraient se contenter de faire appel « ponctuellement à leurs équipes pour intervenir sur les barrages français ».

Il existe aussi un risque de perte d’expertise et de savoir-faire autour de l’exploitation et de la maintenance des barrages, ainsi que dans la filière toute entière de l’hydroélectricité.

De la même manière que pour la perte d’emplois, ce risque de perte d’expertise concerne également les activités d’ingénierie et de surveillance des ouvrages hydroélectriques, en lien direct avec les enjeux de sûreté. Les rapporteurs ont visité la DTG d’EDF, située à Grenoble, qui s’occupe notamment des différentes mesures et inspections des ouvrages de production de l’entreprise, en particulier pour le nucléaire et l’hydraulique. La DTG récolte de nombreuses données liées à ces ouvrages, qui concernent en particulier leur stabilité structurelle. Que deviendraient ces données en cas d’ouverture à la concurrence, alors qu’il y a un enjeu de souveraineté manifeste ? Autre exemple, les équipes rencontrées ont insisté sur l’avantage d’une vision commune des parcs nucléaire et hydraulique, qui présentent certaines caractéristiques et problématiques similaires. Ainsi, des données d’analyse liées à une avarie détectée sur un réacteur nucléaire peuvent servir à la surveillance et à l’analyse des données issues des ouvrages hydroélectriques. De la même manière, les solutions apportées à des incidents peuvent bénéficier des croisements d’analyses entre parc nucléaire et parc hydroélectrique.

F.   Des coÛts de production et de fourniture tirÉs vers le haut en cas d’ouverture À la concurrence

L’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques n’est pas synonyme de baisse des coûts de production et donc des prix pour le consommateur final.

Cette absence de lien mécanique entre ouverture à la concurrence des concessions et baisse des prix a été soulignée par la Cour des comptes dans son référé de 2022 : « un nouvel entrant qui aurait acquis la trentaine de concessions qui auraient pu être mises en concurrence depuis 2009, produirait aujourd’hui moins de 3 TWh. Même en supposant qu’un nouveau concessionnaire atteigne une taille critique, la vente de l’électricité produite sur le marché de gros serait sans bénéfice pour les consommateurs en cas de prix élevés sur ce marché comme cela a été le cas en 2021 et 2022 ».

Par ailleurs, certaines concessions ne sont aujourd’hui pas rentables et risqueraient de ne pas trouver preneur en cas de remise en concurrence, alors même qu’elles sont pourtant indispensables pour la sécurité du réseau électrique, l’atteinte des objectifs climatiques ou encore les usages de l’eau, selon les services ministériels. En outre, alors qu’aujourd’hui, un opérateur exploitant un nombre suffisamment important de concessions peut trouver un équilibre financier en compensant l’absence de rentabilité de certaines de ses concessions par d’autres plus rentables, ces mêmes services soulignent que, demain, en cas de mise en concurrence, la nécessité de maintenir ces ouvrages non rentables en exploitation pourrait signifier la création d’un dispositif de soutien public spécifique. Concrètement, cela signifie qu’il faudrait indemniser un exploitant pour les prendre en charge.

Enfin, l’optimisation de la production entre nucléaire et hydraulique n’est pas à sous-estimer en termes de gains financiers pour la collectivité, comme l’avait rappelé M. Pierre Jérémie, ancien directeur adjoint de la ministre Agnès Pannier‑Runacher, devant la commission d’enquête sénatoriale sur les prix de l’électricité : « Il est exact, selon la théorie économique, que la cooptimisation de toutes les centrales à l’amont, c’est-à-dire le fait qu’il y ait un intégrateur centralisé qui choisisse les programmes d’arrêt des centrales de manière intégrée ou le fait de coordonner ce programme d’arrêt avec le programme du parc hydroélectrique, présente des gains pour la collectivité et qu’il est légitime d’avoir une coordination entre ces activités, sauf à mettre en place des mécanismes extrêmement lourds de mise en œuvre de marché complémentaire ». Il soulignait ainsi que cette cooptimisation se complique si les différents acteurs concernés ne sont pas regroupés au sein du même opérateur.

L’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques serait ainsi plutôt synonyme de coûts supplémentaires, qui ne manqueraient pas d’être répercutés sur les prix de vente de l’électricité : cela irait donc totalement à l’encontre de l’objectif de prix plus compétitifs pour le consommateur final, objectif au cœur de la libéralisation des marchés de l’énergie au niveau de l’Union européenne.

 


   TroisiÈme partie : Étude des diffÉrentes options pour mettre fin aux prÉcontentieux et dÉfinir un rÉgime juridique sÉcurisÉ de l’exploitation des ouvrages hydroÉlectriques

La présente partie a pour objectif de passer en revue les différentes solutions mobilisables pour mettre fin aux deux procédures précontentieuses visant les concessions hydroélectriques françaises. Ces solutions doivent aussi permettre de définir un régime juridique d’exploitation des ouvrages robuste, pour redonner de la visibilité aux exploitants actuels afin qu’ils engagent les investissements nécessaires.

À la lumière de leurs travaux, les rapporteurs ont bâti une grille d’analyse, composée de plusieurs critères qui serviront de guide pour l’étude des différentes solutions. Chacun des critères ci-dessous sera ainsi abordé au fil des développements. Trois solutions seront analysées dans le détail : la création d’une quasi-régie, le passage à un régime d’autorisation et la révision de la directive « Concessions ».

Les 12 CritÈres d’analyse des diffÉrentes solutions comparÉes pour résoudre les prÉcontentieux europÉens relatifs À l’exploitation des ouvrages hydroÉlectriques français

Numéro du critère

Description

1

Mettre fin au précontentieux DG COMP

2

Mettre fin au précontentieux DG GROW

3

Maintien d’une propriété publique des ouvrages

4

Applicabilité à l’ensemble des exploitants et acceptabilité de la solution par les différentes parties prenantes

5

Conséquences sur la sécurité d’approvisionnement et le bon fonctionnement du système électrique

6

Conséquences sur la sûreté des ouvrages et celle des populations

7

Conséquences sur le partage de la ressource en eau

8

Conséquences sur le mécanisme de redevance actuellement applicable aux concessions

9

Conséquences sur les conditions statutaires et salariales des personnels

10

Optimisation de la production hydroélectrique et de sa valorisation

11

Maîtrise des coûts de production et du prix final payé par le consommateur

12

Délais de mise en œuvre de la solution et moyens à mobiliser (dispositions législatives, réglementaires, moyens humains, etc.)

À l’inverse, d’autres pistes ne peuvent être retenues, car ne permettant pas une résolution des procédures précontentieuses à court terme, ou présentant un risque juridique trop important, qu’il s’agisse d’un maintien du statu quo, de la prolongation des concessions contre travaux, de la création d’un établissement public industriel et commercial (EPIC) ou de la qualification de service d’intérêt économique général (SIEG).

  1.   Les pistes insuffisamment solides pour disposer de chances d’aboutir À court terme

Le statu quo n’est pas une solution acceptable, car il ne permet pas aux exploitants de disposer des garanties suffisantes pour déclencher leurs investissements sans crainte de contentieux. La prolongation contre travaux est trop fortement contestée par la Commission européenne et ne permettrait pas de traiter toutes les concessions. La création d’un établissement public industriel et commercial (EPIC) pour gérer la ressource hydroélectrique se heurterait sans aucun doute au refus immédiat de la Commission européenne, qui a précisément demandé à EDF de renoncer à ce statut. Enfin, défendre la qualification de service d’intérêt économique et général (SIEG) pour l’exploitation de l’hydroélectricité pourrait s’avérer complexe et demeurerait insuffisant pour lever les deux procédures précontentieuses.

  1.   Le statu quo, une option qui ne permettra pas de dÉbloquer les investissements

Une option pourrait être de maintenir le statu quo. Une telle solution pourrait s’envisager au motif que depuis la première procédure précontentieuse de 2015, la Commission européenne n’est jamais allée jusqu’à déclencher une procédure d’infraction : on peut donc se demander si elle le fera un jour.

Toutefois, ce statu quo n’est pas tenable, car il ne permet pas d’amener de nouveaux arguments et propositions susceptibles d’infléchir la position de la Commission sur les précontentieux.

Surtout, il n’aiderait en rien les exploitants à débloquer leurs investissements puisque l’incertitude sur la suite de ces procédures précontentieuses demeurerait. Les opérateurs soutenant la mise en concurrence ne manqueraient pas de déclencher d’autres contentieux, devant les tribunaux français ou européens, dès le lancement des investissements s’ils étaient autorisés.

Cette option doit donc être écartée.

  1.   La prolongation contre travaux s’est dÉjà heurtÉe au refus de la commission europÉenne

Une autre piste étudiée est de tenter de négocier une prolongation des concessions en échange de l’obligation, pour l’exploitant, de réaliser des travaux supplémentaires.

Cette prolongation contre travaux pourrait être demandée sur le fondement de l’article L. 521‑16-3 du code de l’énergie, qui permet de prolonger une concession hydroélectrique lorsque des travaux nécessaires à l’atteinte de nos objectifs de politique énergétique doivent être réalisés dans le cadre de celle-ci. Elle pourrait également être directement demandée sur le fondement des exceptions à la remise en concurrence prévues à l’article 43 de la directive « Concessions » (voir supra), en particulier au titre du 1 b), c’est-à-dire lorsque des travaux ou services supplémentaires sont devenus nécessaires, que le changement de concessionnaire est impossible pour des raisons économiques et techniques et qu’il entraînerait un inconvénient majeur ou une multiplication substantielle des coûts pour l’État.

La prolongation de la concession d’aménagement du Rhône a bien été permise en raison, notamment, de la réalisation d’un programme d’investissements supplémentaires, qui participe de la neutralité financière de cette prolongation.

Toutefois, les possibilités de dérogation ouvertes par l’article 43 de la directive « Concessions » sont très strictement encadrées et ne permettent pas aujourd’hui de débloquer les grands investissements nécessaires pour les concessions hydroélectriques françaises. Les rapporteurs le regrettent. Ils estiment pourtant que dans le cas de la construction d’une STEP adossée à des ouvrages existants, il serait manifestement peu logique, pour des raisons économiques et techniques évidentes, qu’un autre opérateur que l’exploitant des ouvrages existants vienne exploiter cette STEP.

En outre, l’article L. 521-16-3 est un point important de crispation avec la Commission européenne, qui le considère comme n’entrant pas dans les exceptions autorisées au titre de l’article 43 de la directive 2014/23. Elle souhaite d’ailleurs le voir abrogé et a refusé son utilisation pour justifier les travaux de création de nouvelles capacités de STEP sur le site de Montézic.

Plus généralement, selon la Commission européenne, la prolongation d’une concession contre travaux devrait être strictement proportionnée et ne durer que le temps nécessaire à l’amortissement de l’investissement considéré. Elle serait probablement assimilée à une aide d’État, qu’il faudrait justifier auprès de l’Union européenne. Enfin, une telle prolongation ne pourrait pas fonctionner pour toutes les concessions (qui ne sont pas toutes concernées par des travaux d’ampleur). Elle ne ferait par ailleurs que repousser l’échéance de leur remise en concurrence.

En conséquence, cette option ne pourrait donner une solution durable et systématique à l’ensemble des concessions menacées par les deux procédures précontentieuses.

  1.   crÉer un epic, une solution menant droit À un nouveau contentieux avec la commission europÉenne

L’établissement public industriel et commercial (EPIC) est une personne morale de droit public régie par un principe de spécialité qui exerce une activité économique, avec des modalités d’organisation et de fonctionnement distinctes de celles d’une administration (financement via l’activité opérée ; règles de fonctionnement essentiellement régies par le droit privé). Il fonctionne donc comme une entreprise, mais contrairement à une société anonyme, ce statut permet de disposer de prérogatives de puissance publique.

Il pourrait être envisagé qu’EDF redevienne un EPIC, comme c’était le cas avant sa transformation en société anonyme par la loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz. Cette solution est souhaitée par plusieurs organisations syndicales auditionnées par les rapporteurs.

Les rapporteurs considèrent néanmoins qu’une telle issue ouvrirait un nouveau contentieux avec la Commission européenne, sans résoudre les deux précontentieux actuels.

En effet, la Commission, confirmée dans son analyse par la CJUE, considère que le statut d’EPIC emporte une présomption de garantie implicite et illimitée de l’État, dans la mesure où un tel établissement ne peut pas faire l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. Cela revient donc à donner une garantie illimitée à l’EPIC en tant qu’emprunteur, ce qui constitue une aide d’État (les créanciers pouvant toujours être remboursés) ([37]). EDF rappelle d’ailleurs que la Commission avait engagé une procédure à son encontre en 2002, alors qu’elle était encore un EPIC, précisément sur ce sujet de garantie implicite.

Par ailleurs, rien ne garantit qu’un EPIC serait dispensé de procédures de mise en concurrence, dans la mesure où EDF demeurerait un opérateur économique. La CJUE a en effet une conception large de l’entreprise : constitue une entreprise au sens du droit de l’Union européenne une « entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (point 21 arrêt Höfner du 23 avril 1991, aff. C41/90) » ([38]).

Un EPIC spécifiquement consacré aux activités hydroélectriques serait confronté aux mêmes limites.

La CFDT reconnaît que cette piste ne peut fonctionner : « l’absence de soutien politique européen rend cette solution inenvisageable ». La FNME-CGT souligne, quant à elle, qu’il ne peut s’agir que d’une solution partielle, qui « maintient un secteur concurrentiel pour tous les autres opérateurs non EPIC ».

Au total, les rapporteurs estiment que cette solution est beaucoup trop risquée et se heurterait à une fin de non-recevoir immédiate de la Commission européenne. Au lieu de solder les contentieux, d’autres seraient créés. Elle doit donc, elle aussi, être écartée.

Votre rapporteure Marie‑Noëlle Battistel, souligne toutefois que rien n’empêche la poursuite des réflexions à l’avenir autour de la création d’un pôle public de l’énergie, qui pourrait impliquer le retour au statut d’EPIC. Mais cette question de long terme dépasse largement l’objet du présent rapport.

  1.   La qualification de service d’intÉrÊt Économique gÉnÉral semble difficile À obtenir

Les services d’intérêt économique général (SIEG) bénéficient d’un régime dérogatoire fondé sur l’article 106, paragraphe 2, du TFUE : « Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général […] sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie ».

La qualification de SIEG vise donc à concilier la notion d’intérêt général, qui peut impliquer des obligations particulières liées à l’accomplissement de missions de service public, avec les exigences des traités européens, et notamment les exigences concurrentielles applicables aux activités économiques en droit de l’Union européenne. Elle permet à l’État de restreindre la concurrence dans un secteur donné pour le bon accomplissement de missions de service public, ou encore d’accorder certaines compensations aux entreprises concernées sans que celles-ci ne soient qualifiées d’aide d’État – dans ce dernier cas, pour autant qu’un certain nombre de critères, définis dans l’arrêt Altmark de la CJUE ([39]), soient remplis.

Le droit européen reconnaît un large pouvoir discrétionnaire aux États membres pour déterminer ce qui relève ou non d’un SIEG. Le contrôle du juge européen et de la Commission européenne se limite alors à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation. Toutefois, même si les textes ne donnent pas de définition du SIEG, la jurisprudence européenne a retenu plusieurs critères déterminants : l’activité de l’entreprise doit revêtir le caractère d’une activité économique ; la mission doit lui être confiée au moyen d’un acte exprès de la puissance publique ; et l’activité doit constituer une mission d’intérêt général (c’est‑à-dire présenter des caractéristiques spécifiques par rapport aux autres activités économiques, être obligatoire et bénéficier à toute la société ([40])).

Par ailleurs, les dérogations ne sont admises que si l’application des règles de la concurrence est considérée comme susceptible de faire « échec à l’accomplissement de la mission particulière confiée par l’État à l’entreprise. Selon la Commission européenne, une limitation aux règles de la concurrence ne peut être admise que si l’entreprise ne dispose d’aucun autre moyen techniquement possible et économiquement réalisable pour remplir sa mission » ([41]).

Il doit donc pouvoir être démontré que l’octroi de droits exclusifs ou spéciaux, à une ou plusieurs entreprises, est nécessaire et proportionné à l’objectif poursuivi.

L’article 4 de la directive « Concessions » n’exclut pas les SIEG de son champ d’application, à l’inverse des services d’intérêt général non économiques. Il précise cependant que ses dispositions n’empêchent pas les États membres de définir des SIEG ainsi que « la manière dont ces services devraient être organisés et financés conformément aux règles relatives aux aides d’État ou les obligations spécifiques auxquelles ils devraient être soumis ».

Dans le cas présent, la reconnaissance de la qualité de SIEG à l’exploitation des ouvrages hydroélectriques est également souhaitée par plusieurs organisations syndicales, indépendamment des autres solutions qui pourraient être retenues pour solder le contentieux.

Cette qualification semble toutefois complexe à accorder et ne suffirait pas, à elle seule, à répondre aux différents aspects des précontentieux.

La Commission européenne a indiqué à vos rapporteurs que, malgré le large pouvoir discrétionnaire des États pour déterminer la qualification de SIEG, elle est certainement plus difficile à valider pour des secteurs de l’économie déjà libéralisés, ce qui est le cas de celui de l’électricité.

Il faudrait également justifier que seuls les opérateurs en place sont à même d’exécuter un SIEG de production hydroélectrique, fondant ainsi l’obtention de droits spéciaux. Compte tenu de la position adoptée jusqu’à présent par la Commission européenne sur les arguments avancés par les autorités françaises pour justifier l’absence de remise en concurrence des concessions, il n’est pas certain qu’elle considère l’octroi de ces droits spéciaux comme légitime. Le Professeur Richer l’a souligné dans sa contribution écrite : il faudrait « être capable de démontrer que, sans les droits spéciaux, la mission d’intérêt général ne peut être accomplie, en d’autres termes que seuls EDF, la CNR et la SHEM sont à même de gérer l’activité dans les conditions du SIEG. Cette démonstration n’est pas acquise à l’avance ».

La qualification de SIEG semble ainsi très incertaine à obtenir s’agissant de l’exploitation d’ouvrages hydroélectriques.

II.   La quasi-rÉgie, une option juridiquement accessible, mais largement rejetÉe

Si l’hypothèse d’un EPIC est trop risquée, celle d’un SIEG improbable et que la piste d’une prolongation contre travaux ne peut prospérer en dehors des situations prévues par l’article 43 de la directive « Concessions », ce n’est pas le cas de l’option de la « quasi-régie ».

En effet, l’article 17 de la directive « Concessions » permet d’écarter les règles de la mise en concurrence pour l’octroi de contrats de concession par l’État à une entité morale en relation de quasi-régie avec lui.

Toutefois, bien que cette solution offre plusieurs avantages, en plus de la possibilité de résoudre les précontentieux européens, elle présente également divers inconvénients, notamment parce qu’elle exclut les opérateurs à capitaux privés, ou les condamne à perdre leurs concessions. Elle se heurte, en tout état de cause, à un rejet unanime des exploitants actuels et des organisations syndicales représentatives de leurs personnels.

A.   Une solution compatible, À certaines conditions, avec la directive « Concessions » et qui minimiserait la position dominante d’EDF (critÈres 1 et 2)

L’article 17 de la directive de 2014, que l’article L. 3211-1 du code de la commande publique transpose en termes presque identiques, précise les trois conditions cumulatives nécessaires pour caractériser une relation de quasirégie (ou in house) entre l’autorité concédante et une entité dotée de la personnalité morale, qui peut être de droit public ou privé.

Extrait de l’article 17 de la directive 2014/23/UE

« 1. Une concession attribuée par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice au sens de l’article 7, paragraphe 1, point a), à une personne morale de droit privé ou public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

« a) le pouvoir adjudicateur (…) exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il (…)  exerce sur ses propres services ; et

« b) plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur (…) qui la contrôle ou par d’autres personnes morales que ce pouvoir adjudicateur (…) contrôle ; et

« c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

« Un pouvoir adjudicateur (…) est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, au sens du premier alinéa, point a), du présent paragraphe, s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée. Ce contrôle peut également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur (…). »

Une fois la qualification de quasi-régie établie, l’autorité concédante peut attribuer à l’entité des contrats de concession de gré à gré, la directive 2014/23/UE ne s’appliquant plus.

Et si le principe de transparence s’applique toujours, rappelle le professeur Richer, il ne s’impose que sous la forme atténuée de la publication d’un avis d’intention (cf. CJUE 3 octobre 2019 Ville de Kaunas, aff. C-285/18).

Dans son référé du 2 décembre 2022, la Cour des comptes relevait que cette piste était – à l’époque – privilégiée par l’État dans un contexte où celui-ci reprenait la totalité du capital d’EDF.

De fait, l’option de constituer une filiale dédiée au sein du groupe EDF pourrait répondre à deux des conditions exigées : l’absence de participation de capitaux privés au capital (c) – l’État détenant 100 % du capital d’EDF qui lui-même détiendrait 100 % du capital de cette entité – et plus de 80 % de l’activité de la filiale consacrés aux tâches confiées par l’État dans le cadre de la concession de services hydroélectriques (b), tout en maintenant les activités hydroélectriques au sein du groupe.

Tout se jouerait alors sur les mesures de gouvernance mises en place pour assurer l’exercice d’un réel « contrôle analogue » à celui que l’État exerce sur ses propres services, c’est-à-dire un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d’orienter, de manière effective et déterminante, les décisions de la filiale.

La notion de contrôle analogue selon le droit français et la jurisprudence européenne

L’article L. 3211-1 du code de la commande publique définit précisément la notion de contrôle analogue. Ainsi, « un pouvoir adjudicateur est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée ».

Selon la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), « la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer, sans être décisive, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » ([42]).

Néanmoins, si la détention du capital d’une personne morale par un pouvoir adjudicateur à hauteur de 100 % constitue un indice du contrôle analogue, cela n’est pas suffisant pour que la relation de quasi-régie soit établie avec certitude. L’existence d’un contrôle analogue doit, en outre, s’inscrire dans un lien de dépendance institutionnel étroit ([43]). Il n’existe pas de critère unique déterminant. Le seul contrôle de tutelle ne suffit pas ([44]).

La Cour de justice rappelle que le contrôle est analogue dès lors que le pouvoir adjudicateur « exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée » ([45]).

Cette dépendance doit être caractérisée par plusieurs éléments. Le pouvoir adjudicateur doit avoir une influence déterminante sur toutes ses décisions essentielles et ses objectifs stratégiques ([46]), en désignant, par exemple, plus de la moitié des membres de l’organe d’administration ou de direction de l’entreprise ou en nommant son dirigeant. Cela signifie, en fait, que l’entité ne doit disposer d’aucune autonomie dans son fonctionnement et dans son activité et ne doit pas pouvoir déterminer, notamment, les prestations qu’elle doit exécuter, leur contenu, et leur tarif. Le contrôle fonctionnel et structurel doit être effectif et non simplement formel.

À la demande de la mission d’information, les services ministériels ont étudié différents schémas organisationnels, déclinés selon le degré d’intégration de la filiale au sein du groupe EDF.

i) Première hypothèse : l’État exercerait un contrôle analogue indirect sur la gouvernance de la filiale, par l’intermédiaire d’EDF qui la détiendrait en totalité et avec laquelle la filiale serait par ailleurs dans une relation d’entreprise liée (au sens de l’article L. 2511-1 du code de la commande publique) ([47]).

Cette relation juridique, qui constitue une exception reconnue par l’article 13 de la directive de 2014, permettrait de préserver une intégration assez poussée avec EDF, qui pourrait par exemple lui acheter l’intégralité de l’électricité produite, et lui éviterait de devoir passer par des procédures concurrentielles avec le reste du groupe.

On ignore toutefois si le droit de l’Union européenne admet le cumul des deux exceptions (quasi-régie et entreprise liée), et l’on peut s’interroger sur la suffisance du contrôle exercé par l’État par l’intermédiaire d’EDF et en l’absence de toute participation directe au capital, sauf à s’assurer d’un contrôle effectif et renforcé de l’État sur les décisions stratégiques d’EDF, au moins concernant cette filiale.

ii) Deuxième hypothèse : EDF détiendrait toujours 100 % de la filiale, mais n’exercerait pas de contrôle sur cette filiale, dont l’activité serait strictement séparée du reste du groupe (on ne parlerait plus d’entreprise liée) et se trouverait directement sous le « contrôle analogue » de l’État. Ce contrôle serait notamment assuré par le pouvoir de désignation du directeur général et le rôle affirmé du représentant de l’État au sein du conseil d’administration.

Ce schéma correspondrait plus sûrement aux exigences du droit européen, mais il perdrait les synergies avec le groupe EDF, comme on le verra ultérieurement.

Une alternative plus radicale serait une entité en quasi-régie directement détenue par l’État, en dehors d’EDF. Plus nettement encore que la précédente, elle marquerait la fin des synergies entre l’hydraulique et les autres activités du groupe.

En résumé, il n’est pas absolument certain que le premier schéma remplisse les conditions nécessaires à la qualification de quasi-régie. Au surplus, en conservant des échanges étroits avec le groupe EDF, la position de ce dernier sur le marché électrique serait peu affectée, laissant sans doute perdurer les critiques du précontentieux de 2015.

Le second schéma et a fortiori le troisième répondraient aux conditions de l’article 17 de la directive de 2014 (critère n° 2).

En outre, en organisant l’autonomie des activités hydroélectriques d’EDF (en termes de gouvernance, mais aussi de ressources financières, de moyens humains et matériels et d’accès au marché) ([48]), voire en les sortant du périmètre du groupe, ils amoindriraient la position dominante de l’entreprise (critère n° 1), répondant ainsi aux procédures de 2015 (DG COMP) comme de 2019 (DG GROW).

B.   Un Statut juridique qui prÉserve la propriÉtÉ publique des ouvrages et plusieurs autres enjeux (critÈres 3, 5 À 8 et 12)

Outre la résolution des différends avec la Commission européenne, la mise en place d’une quasi-régie pour l’exploitation des concessions hydroélectriques d’EDF présenterait plusieurs avantages, ou n’entraînerait, en principe, pas de conséquences négatives sur un certain nombre d’enjeux :

– cette solution n’impose aucun transfert de propriété des ouvrages (critère n° 3). Si elle est exemptée des obligations de mise en concurrence, la quasi‑régie reste un régime concessif ;

– la gouvernance changerait ; les priorités stratégiques pourraient être infléchies ; mais les équipes d’exploitation pourraient rester les mêmes, avec leurs compétences, leurs expériences et leur connaissance des ouvrages. Enfin, assurer la sécurité d’approvisionnement, l’équilibrage du système électrique et la sûreté hydraulique resteraient les objectifs premiers de l’entité, conformément aux missions et responsabilités définies par le cahier des charges de la concession (critères n° 5 et 6).

Ce cahier des charges pourrait reprendre le modèle actualisé établi en 2016 ([49]) pour les futurs renouvellements de concession. En tout état de cause, un nouveau cahier des charges pourrait facilement imposer des investissements pour renforcer ces objectifs ;

– il n’y a aucune raison pour que le cahier des charges de la concession confiée à une quasi-régie soit moins-disant que les contrats en cours s’agissant du partage de la ressource en eau et de la gestion des étiages.

En effet, à l’issue de la concertation locale autour des usages de l’eau organisée en amont du renouvellement des contrats de concession, l’État peut imposer dans son cahier des charges le respect de certaines contraintes au regard de l’environnement – en plus de celles déjà prévues par le code de l’environnement – mais également des autres usages économiques, ou même la réalisation d’investissements au profit d’autres usages de l’eau. Les services ministériels indiquent que les contrats octroyés à une quasi-régie peuvent ensuite, au besoin, être modifiés assez facilement au regard des contraintes du code de la commande publique, même si l’autorité concédante pourrait devoir indemniser le concessionnaire.

En outre, en réunissant toutes les concessions d’EDF, la quasi-régie permettrait de réorganiser aisément leur gestion (sans passer par une remise en concurrence). En la structurant autour d’un seul responsable par vallée, voire par bassin, elle maintiendrait une gestion cohérente de la ressource en eau (critère  7) et de la production hydroélectrique.

Au niveau local en effet, le maintien d’un opérateur unique permet de gérer au mieux les chaînes hydrauliques ; au niveau régional, les services techniques mutualisés sont plus efficaces ; et au niveau national, les compensations entre toutes les concessions permettent d’éviter la mise en difficulté de celles qui sont les moins rentables en situation de prix bas.

Un opérateur unique permet d’optimiser les lâchers d’eau pour des usages non-énergétiques depuis les retenues pour lesquelles la perte énergétique ou économique est la plus faible, et évite les coûts conventionnels pouvant s’imposer quand plusieurs exploitants doivent se coordonner ;

– la solution serait aussi intéressante du point de vue des finances publiques (critère n° 8). Dans son référé de 2022, la Cour des comptes considérait que la quasi-régie garantit la captation de la rente hydroélectrique en situation de prix élevés, les excédents dégagés par l’exploitation des concessions aboutissant par différents canaux dans les caisses de l’État ou des collectivités locales concernées (redevances diverses, impôt sur les sociétés et distribution éventuelle de dividendes).

Les concessions d’énergie hydraulique sont des industries très capitalistiques, à coûts fixes, qui se rémunèrent sur le marché. L’excédent est aujourd’hui difficile à contrôler. La fixation de la redevance et le calcul de son assiette sont un processus complexe, presque impossible à optimiser au-delà d’un horizon de dix ans tant l’anticipation des prix de vente futurs est incertaine.

La redevance proportionnelle au chiffre d’affaires, prévue par l’article L. 523-2 du code de l’énergie à l’occasion du renouvellement d’une concession, pourrait s’appliquer en tout état de cause. Il faudrait également s’assurer que la répartition des redevances entre l’État et les collectivités se fasse bien selon les règles arrêtées par le législateur.

Il reste que l’option d’une quasi-régie directe, où l’État est actionnaire à 100 % de la nouvelle entité, supposerait qu’il acquière l’activité hydroélectrique d’EDF et prenne en charge lui-même les investissements, ce qui représenterait des coûts immédiats importants pour les finances publiques, même si l’État pourrait ensuite percevoir des dividendes ;

– enfin, la procédure serait nettement accélérée par rapport à une mise en concurrence, car il ne serait pas nécessaire de départager des candidats.

De même, bien que cette option nécessite de passer par la loi et demanderait un temps pour réorganiser l’activité hydroélectrique, distinguer les moyens humains, techniques et financiers de la nouvelle entité, cela prendrait vraisemblablement moins de temps que les deux autres pistes étudiées (critère  12).

C.   une issue qui fait perdre d’autres avantages et est largement refusÉe (critÈres 4, 9 à 11)

En dépit de certains atouts, la quasi-régie est fortement rejetée.

1.   Les désoptimisations et la fragilisation du modèle économique

Les exploitants et les rapporteurs s’interrogent sur la compétence de l’État à mener une gestion industrielle, même si, sur le terrain, les équipes opérationnelles ne changeaient pas. Il s’agit en effet de gérer 425 centrales et environ 5 000 employés. EDF craint « une gouvernance lourde et inadaptée à une activité industrielle complexe et sensible, nécessitant réactivité et flexibilité ».

Les organisations syndicales, pour leur part, craignent plutôt que l’entité puisse être de droit privé – en effet, seule la gouvernance doit être à 100 % publique –, ce qui menacerait, selon eux, la primauté de l’intérêt général par rapport aux objectifs de rendement. Toutefois, cette situation n’est guère différente de l’actuelle, dans laquelle la plupart des concessionnaires sont des sociétés anonymes. Les priorités et les obligations dépendraient du cahier des charges de la concession.

En tout état de cause, les premières critiques portent sur les conséquences pratiques de la quasi-régie : la nécessaire distinction des ressources financières, des moyens humains et matériels et de l’accès au marché de la quasi-régie par rapport à EDF ferait perdre d’importantes synergies qui s’étaient développées entre son parc hydroélectrique et les autres activités du groupe :

– On parle d’abord de « désoptimisation » de la production électrique et de sa valorisation (critère n° 10). EDF souligne que la gestion intégrée des actifs d’EDF en France (sa production, ses contrats, ses capacités d’effacement, etc.) permet de faire face à l’ensemble des aléas, en un endroit unique, avec une vision globale des impacts et un accès à l’ensemble des leviers. Cela assure une gestion optimale et efficace.

Notamment, comme le syndicat SUD le reconnaît, sans mesures d’accompagnement ou de contournement, cette séparation pourrait entraver l’optimisation conjointe des parcs nucléaire et hydroélectrique d’EDF, entraînant une moins bonne coordination du fonctionnement des deux parcs et, in fine, un recours inutile, à certains moments, à des groupes thermiques chers et polluants.

Sur ce dernier point cependant, on rappelle que la CNR collabore depuis plus de 20 ans dans le cadre de protocoles d’accord avec EDF pour garantir les débits ou les lignes d’eau au droit des centres nucléaires de production d’électricité (CNPE) installés le long du Rhône, « avec entière satisfaction » souligne-t-elle. L’AFIEG et l’ANODE citent aussi les contrats de rivière mis en place en Suisse et en Suède, qui encadrent depuis longtemps des partenariats similaires entre différentes activités.

Il n’en reste pas moins que la fourniture de services systèmes au réseau électrique ne pourrait plus être optimisée en jouant simultanément sur les deux parcs hydraulique et nucléaire mais en fonction du périmètre de chacun, ce qui pourrait également « désoptimiser » leur façon de répondre aux besoins d’équilibrage du réseau électrique ;

– par ailleurs, le centre d’ingénierie hydraulique ne pourrait plus s’appuyer sur la direction internationale pour les projets d’ingénierie, et sa direction technique générale, qui porte l’expertise du groupe dans le diagnostic et le pronostic de la mesure pour l’ensemble des installations industrielles d’EDF, ne pourrait plus accompagner les gestionnaires du parc hydroélectrique. Les parcs hydroélectrique et nucléaire perdraient donc les avantages du croisement des analyses et expériences des grandes infrastructures ;

 La séparation imposerait à EDF de gérer ses commandes publiques distinctement, de planifier et vendre ses productions nucléaire et hydroélectrique indépendamment sur les marchés de l’électricité, et probablement de dédoubler les fonctions support (ingénierie, recherche, météorologie, commercialisation), ce qui représenterait des coûts supplémentaires importants pour l’entreprise, et se répercuterait sur les prix de l’électricité ;

– La séparation pose aussi la question du modèle économique de la future quasi-régie, « notamment en raison de la vulnérabilité de l’hydroélectricité aux aléas climatiques », souligne la CFDT.

La Cour des comptes s’en inquiétait déjà dans son référé de 2022 : « une quasi-régie qui serait dotée de son propre service de commercialisation serait plus exposée au risque de faible hydraulicité que ne l’est aujourd’hui EDF Hydro au sein du groupe EDF – lequel reste encore largement structuré autour de la complémentarité nucléaire-hydroélectricité – de sorte qu’elle devrait se doter d’une politique de couverture plus prudente pour écouler sa production. Cet inconvénient serait majoré si des évolutions climatiques et météorologiques défavorables affectaient l’hydraulicité de façon croissante ».

La FNME-CGT ajoute qu’« il faut également prendre en compte les projets de développement de la structure, projets à forts budgets. Il est estimé que le coût moyen d’un mégawatt de puissance installé dans un aménagement hydraulique neuf est de l’ordre de 2,5 à 3 millions d’euros. Pour des grands projets, tels que des STEP, dont certains peuvent atteindre 600 MW, on atteint rapidement des sommes dépassant le milliard d’euros. Or, le résultat net d’EDF Hydro est de l’ordre de la moitié de ce milliard ». Le syndicat en conclut que « la nouvelle structure serait endettée et sans capacité d’autofinancement, dès sa création, donc non pérenne ». Dans un cadre juridique exigeant le cloisonnement économique, ce serait in fine à l’État de financer les projets.

Pour répondre à toutes ces craintes, le syndicat SUD suggère que soit mis en place un « optimiseur centralisé, à l’échelle européenne ou au moins à l’échelle nationale ». Toutefois, ce qui est possible dans le cadre d’une activité monopolistique comme celle de gestionnaire des réseaux de transport d’électricité – RTE est à la fois exploitant du réseau et optimiseur des services apportés, via son réseau, au mécanisme d’ajustement du système électrique – semble plus difficilement concevable sur un marché multi‑opérateurs, car cela reviendrait à lui donner la main sur les arbitrages stratégiques des différents producteurs d’électricité.

La solution de la quasi-régie présenterait nombre d’autres inconvénients.

S’agissant de son impact sur les coûts de production et le prix final pour les consommateurs (critère n° 11), les analyses divergent.

Pour le syndicat SUD, la gestion en quasi-régie serait le seul cadre – hormis la recréation d’un EPIC – qui permettrait de construire un modèle économique où un tarif pourrait être fixé au niveau des coûts de production « sans exposition au risque marché » (à l’instar du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité - TURPE). Une entreprise de droit public devrait notamment pouvoir obtenir, selon lui, un moindre coût de financement de ses investissements « en minimisant le risque et le niveau de rentabilité exigé par les entreprises sous statut privé, donc les coûts financiers ».

Pour EDF et les syndicats, la « désoptimisation » et la fin de la mutualisation de certaines dépenses devraient entraîner un renchérissement des coûts finaux.

2.   Un rejet presque unanime des acteurs concernés

Plus fondamentalement, cette solution ne conviendrait pas à tous les opérateurs (critère n° 4) puisque la quasi-régie impose la détention à 100 % par l’État des sociétés concernées, ce qui n’est aujourd’hui le cas que pour EDF.

Pour France Hydro, qui représente les exploitants privés autres qu’EDF et Engie, « cette solution serait discriminatoire en excluant de fait les opérateurs privés, rendant inadaptée son adoption comme réponse globale au contentieux des concessions hydroélectriques. (…) Les autres concessionnaires continueraient à être confrontés à une impossibilité de se développer ».

Une intégration des parcs hydroélectriques des autres exploitants dans le périmètre confié à la quasi-régie, immédiatement ou au fil des échéances, répondrait à cette critique, mais en créant de nouvelles difficultés :

– le coût pour l’État de l’indemnisation des fins anticipées de concessions ou du remboursement des comptes dédiés des contrats en délais glissants pour la nouvelle entité ;

– la quasi-impossibilité de l’appliquer à la concession d’aménagement du Rhône, qui englobe des missions plus larges, voire à certaines concessions « comprises entre 4,5 et 8 MW [et organisées en] formes de régie intégrées (production et distribution d’électricité) » signalées par la FNME-CGT. La perte de leur parc de production menacerait leur existence ;

– cette perte, même limitée aux ouvrages sous délais glissants, condamnerait la SHEM à disparaître. Cela signifierait pour Engie, qui en est la propriétaire, la perte d’une entreprise apportant une « flexibilité stratégique » dans son portefeuille.

Autant de raisons qui fondent une opposition absolue des exploitants à la solution de la quasi-régie.

On peut également s’inquiéter de ses conséquences sur la structure de la concurrence sur le marché de l’électricité en France, puisque le transfert des concessions exploitées par d’autres opérateurs aurait pour résultat d’affaiblir le nombre des exploitants autres qu’EDF.

L’impact de la création d’une quasi-régie sur les conditions statutaires et salariales (critère n° 9) fait aussi l’objet de débats.

Les conséquences négatives de cette solution pour les salariés du secteur – au moins ceux d’EDF – peuvent être neutralisées si la loi créant la quasi-régie garantit l’application du statut des personnels des industries électriques et gazières (IEG) issu de la loi du 8 avril 1946 et organise le transfert de leurs droits et obligations (dans le cas de la quasi-régie directe) ou les mutations et la collaboration entre entités (dans le cas de la quasi-régie indirecte).

EDF pense que ces dernières sont possibles (dans la seconde hypothèse), moyennant quelques règles strictes évitant le partage d’informations sensibles entre la quasi-régie et les autres entités du groupe.

Toutefois, cette mobilité serait vraisemblablement plus difficile à mettre en place pour des personnels qui viendraient d’autres entreprises, dans le cas où la quasi-régie aurait vocation à intégrer également leurs parcs.

Et même s’agissant des personnels d’EDF Hydro, les inquiétudes sont fortes. La FNME-CGT craint ainsi la segmentation interdisant le recours aux ressources transverses du groupe : « il en résulterait de nombreuses destructions d’emplois dans tous les domaines, y compris ceux détenant la connaissance dans l’auscultation, le suivi et la sûreté des installations ». Cela menacerait en particulier la pérennité de la DTG, selon la CFDT.

Ces menaces sur les emplois, sur les possibilités de mobilité professionnelle, et plus globalement sur l’avenir de l’entreprise EDF, alimentent un véritable rejet de la solution de la quasi-régie par tous les syndicats représentatifs d’EDF – seul le syndicat SUD, non représentatif, la défendant avec conviction.

Ils la perçoivent comme le début d’une désintégration de leur entreprise, comme le projet « Hercule » (ou Grand EDF), présenté en 2019 et abandonné en 2022 seulement, semblait en dessiner les grandes lignes. La CFDT rappelle combien ce projet s’était heurté à « un rejet fort du corps social ». Pour FO Énergie, la menace de désintégration suffit en soit pour ne pas adhérer à cette solution. La FNME-CGT est hostile à cette hypothèse. Et la CFE Énergies considère qu’elle fragilise l’intégrité d’EDF, tout en posant de nombreux problèmes.

Les rapporteurs constatent donc que la solution de la quasi-régie est quasiunanimement rejetée par les principaux concernés, ce qui fait peser de sérieux doutes sur les probabilités de la voir aboutir (critère n° 4).

  1.   Le passage d’un rÉgime concessif À un rÉgime d’autorisation

Le basculement des concessions hydroélectriques vers un régime d’autorisation est l’une des solutions les plus récemment étudiées pour résoudre les précontentieux européens. Elle a commencé à être évoquée par le Gouvernement en 2023. Elle est particulièrement soutenue par EDF.

Le régime d’autorisation s’appliquant généralement à des exploitants propriétaires de leurs actifs, le passage à un tel régime pose la question centrale de la cession des ouvrages aux exploitants.

  1.   Les grandes lignes du passage À un rÉgime d’autorisation (critÈre n° 12)

Afin d’exclure les ouvrages hydroélectriques du champ d’application de la directive « Concessions » et de l’obligation de mise en concurrence associée à celle‑ci, ils pourraient être exploités sous le régime de l’autorisation plutôt que de la concession.

Comme cela a déjà été mentionné, le régime d’autorisation est déjà pratiqué par de nombreux autres pays, en particulier dans le nord de l’Europe (Autriche, Allemagne, Suède, etc.). En France, il s’agit du régime de droit commun pour les autres moyens de production d’électricité : centrales nucléaires, installations éoliennes, photovoltaïques... Les ouvrages hydroélectriques d’une puissance inférieure à 4,5 MW sont également soumis à un régime d’autorisation, qui repose sur des dispositions du code de l’environnement. Le régime d’autorisation qui serait applicable aux installations actuellement sous régime concessif serait différent et reposerait plutôt sur des dispositions inscrites dans le code de l’énergie.

L’autorisation serait accordée pour une durée suffisamment longue, de l’ordre de plusieurs dizaines d’années, en particulier pour donner à l’exploitant la visibilité nécessaire pour réaliser et amortir des investissements.

Le contenu actuel des cahiers des charges serait repris sous forme de prescriptions dans l’acte d’autorisation. Les prescriptions les plus importantes, notamment celles relatives à la sûreté, à la sécurité d’approvisionnement ou encore au partage de la ressource en eau, pourraient également être fixées dans la loi. Dans tous les cas, l’exploitation des ouvrages hydroélectriques est indissociable de l’exécution du service public de l’électricité, ce qui permettra de justifier des sujétions particulières ([50]). Le Conseil d’État a déjà qualifié d’ouvrage public, d’une part, l’ensemble des ouvrages de production hydroélectrique sous concession et, d’autre part, pour les autres installations de production d’électricité, celles disposant d’une puissance installée supérieure à 40 MW (voir I A de la première partie). Il pourrait être envisagé que la loi octroie la qualification d’ouvrage public à l’ensemble des ouvrages qui basculeraient de la concession à un régime d’autorisation, ou à ceux dont la puissance est supérieure à un certain seuil.

Se poserait également la question de basculer les concessions en régime d’autorisation en une seule fois ou de procéder au fil des échéances des concessions. Certaines concessions devraient, en tout état de cause, faire l’objet d’un traitement particulier : la concession d’aménagement du Rhône, détenue par la CNR et dont les missions sont encadrées par la loi depuis 1921, ne serait pas concernée, nécessitant une solution ad hoc à son expiration en 2041. Quelques autres ouvrages permettent également d’accomplir des missions relatives à la navigation, en particulier sur le Rhin, ce qui nécessitera, là encore, de prévoir des dispositions spécifiques.

Aujourd’hui, les exploitants sous régime d’autorisation sont généralement propriétaires de leurs installations, tant en France que dans les autres États membres de l’UE. Un enjeu majeur, qui sera développé ci-après, est celui de décider, tant d’un point de vue de juridique qu’en termes d’opportunité, si le passage en régime d’autorisation doit s’accompagner d’une cession des ouvrages aux exploitants, avec un droit de priorité accordé au concessionnaire sortant.

En tout état de cause, un basculement de l’ensemble des ouvrages sous concession en régime d’autorisation constituerait une solution inédite, que ce soit en France ou au regard de la situation des autres pays de l’UE, et pose sans conteste de nombreuses problématiques de droit nouvelles.

Au total, les étapes nécessaires à la bascule d’un régime concessif en régime d’autorisation pour les installations hydroélectriques sont (critère n° 12) :

– le vote d’une loi modifiant le code de l’énergie pour supprimer le régime de la concession (sauf pour la CNR, voire les concessions internationales) et prévoir un régime d’autorisation spécifique pour les installations d’une puissance supérieure à 4,5 MW, ainsi qu’un certain nombre d’obligations s’imposant aux détenteurs de cette autorisation. Si les ouvrages sont cédés aux exploitants, il convient de prévoir leur déclassement préalable, les modalités de fixation de leur prix de cession et de leur transfert aux concessionnaires sortants, ainsi que l’application d’un régime de quasi-domanialité publique. Cette loi fixerait également les paramètres et les bénéficiaires de la redevance qui s’appliquerait ;

– la rédaction d’un nouveau régime d’autorisation, reprenant les anciennes prescriptions des cahiers des charges ;

– la résiliation des contrats de concession en cours, ce qui implique le paiement d’une indemnité de résiliation au concessionnaire sortant ;

– si les ouvrages sont cédés à l’exploitant, la détermination du prix de cession de ces ouvrages et la cession de ceux-ci ;

– l’octroi d’une autorisation aux exploitants.

Le temps nécessaire à l’ensemble de ces étapes n’est pas négligeable, d’autant plus que les effectifs ministériels et en services déconcentrés sont contraints, tant par leur budget que par les schémas d’emplois associés. Ce temps sera d’autant plus long s’il faut céder les ouvrages, la détermination de leur prix étant complexe et spécifique à chaque ouvrage.

  1.   un rÉgime qui pourrait permettre de lever le prÉcontentieux de la DG GROW, mais pas, À lui seul, celui de la DG COMP (critÈres 1 et 2)

Le précontentieux DG GROW de 2019 pourrait être levé grâce au régime d’autorisation, mais pas celui de la DG COMP : celui-ci porte sur la position dominante d’EDF, pour laquelle le passage en régime d’autorisation est sans conséquence – du moins, en l’absence de toute contrepartie complémentaire.

  1.   Un passage au régime d’autorisation ne permet pas de répondre aux enjeux liés à la position dominante d’EDF soulevés par la DG COMP (critère n° 1)

Le précontentieux de 2015, qui porte sur la position dominante d’EDF, ne pourrait être éteint par le seul passage en régime d’autorisation.

Celui-ci permet de répondre à certains griefs de la DG COMP : par exemple, il mettrait fin à la prolongation des concessions sous le régime des délais glissants. Toutefois, sans mise en concurrence à une quelconque étape de la procédure, les opérateurs concurrents ne pourront ni acquérir de nouveaux ouvrages, ni les exploiter. Les ouvrages hydroélectriques demeureraient essentiellement sous le contrôle d’EDF, alors que c’est précisément ce qui est reproché dans le cadre du précontentieux DG COMP.

Or, la CJUE a déjà jugé que le seul maintien ou renforcement d’une position dominante suffit à constituer une violation des articles 102 et 106 du TFUE, considérant qu’il existe alors un risque d’abus de position dominante ([51]). Le risque contentieux devant la CJUE, qu’il vienne de la Commission européenne ou d’opérateurs tiers, est donc réel.

Plus encore, si le changement de régime s’accompagne d’un transfert de propriété, le passage au régime d’autorisation pourrait renforcer la position dominante d’EDF, qui demeurerait l’exploitant des ouvrages mais en deviendrait également le propriétaire. La barrière à l’entrée pour un autre opérateur resterait importante : pour prétendre exploiter l’ouvrage, il faudrait d’abord qu’il le rachète.

Il serait par ailleurs nécessaire que la méthode de fixation du prix de cession des ouvrages permette d’écarter le risque de qualification d’aide d’État (voir ciaprès).

Les services ministériels ont indiqué à vos rapporteurs que, lors des échanges fin 2023 entre les autorités françaises et la Commission européenne, « cette dernière s’était montrée réservée sur la compatibilité de [l’option du passage au régime d’autorisation] avec le droit européen, tout en se montrant ouverte, si la conformité au principe de liberté d’établissement pouvait être démontrée, à la discussion de possibles contreparties pour satisfaire un meilleur niveau de concurrence ». C’est pourquoi les rapporteurs ont exploré cette option des contreparties à la Commission européenne sur la mise à disposition du productible (voir ci-après).

  1.   Une possible levée du précontentieux DG GROW (critère n° 2)

La procédure de 2019 repose sur l’absence de respect par la France du principe de liberté d’établissement, inscrit à l’article 49 du TFUE, et de la directive « Concessions ». La question qui se pose est donc : dans quelle mesure le passage sous un régime d’autorisation des concessions actuelles permettrait de garantir la conformité à ces dispositions ou, à tout le moins, permettrait-il des aménagements à celles-ci ? Cette question se pose particulièrement aux étapes suivantes, pour lesquelles les rapporteurs ne souhaitent pas qu’il y ait de mise en concurrence :

– lors de l’octroi de l’autorisation au profit du concessionnaire sortant ou de son renouvellement ultérieur ;

– le cas échéant, lors de la cession des ouvrages avec un droit de priorité au concessionnaire sortant.

Le passage en régime d’autorisation écarterait automatiquement l’obligation de mise en concurrence liée à la directive « Concessions », puisque le régime concessif ne s’appliquerait plus, y compris pour les concessions en délais glissants.

La directive « Services » de 2006 serait-elle alors applicable ? Le non‑respect de cette directive a fondé les procédures précontentieuses de la DG GROW à l’encontre des pays appliquant un régime d’autorisation. Pour autant, la jurisprudence « Eco-Wind » de la CJUE a permis de considérer que l’activité de production d’électricité ne saurait être regardée comme un service (voir II B de la première partie). En conséquence, cette activité ne relève pas de la directive « Services ».

Notons cependant que le changement de régime n’assurerait pas une levée automatique du précontentieux de 2019 pour la France. Il existe en effet une différence de situation importante avec les autres pays : le régime français d’autorisation serait mis en place postérieurement à la mise en demeure, alors que, dans les autres cas, il lui préexistait.

En tout état de cause, les dispositions de la directive 2019/944, directive sectorielle relative à l’électricité, continueraient à s’appliquer. Pour mémoire, l’article 3 de cette directive impose aux États membres de garantir des conditions de concurrence équitables, le cas échéant pour l’octroi d’autorisations. Et son article 8 précise que les États membres doivent adopter une procédure d’autorisation reposant sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires pour la construction de nouvelles capacités de production.

Plus fondamentalement, la nonapplication des directives « Concessions » et « Services » ne dispense pas la France du respect du droit primaire de l’UE, en particulier du principe de liberté d’établissement (article 49 du TFUE).

En droit français, l’octroi d’une nouvelle autorisation d’exploiter n’est pas nécessairement soumis à une mise en concurrence, parce que tout demandeur, sans distinction de nationalité, peut l’obtenir si son projet de production d’électricité remplit les critères techniques, financiers et environnementaux énoncés à l’article L. 311-5 du code de l’énergie. Par ailleurs, quand il existe des appels à projets, ceux‑ci sont ouverts aux candidats européens. Au demeurant, les rapporteurs ne s’opposent pas à une mise en concurrence pour la construction et l’exploitation de nouvelles installations de production hydroélectrique en site vierge, par exemple sous la forme d’appels d’offres.

Certains soulignent que la très grande majorité du potentiel hydroélectrique est déjà exploitée et que cela ne peut donc suffire à garantir le respect de la liberté d’établissement. Toutefois, il peut également être relevé qu’en droit de l’Union européenne, le marché pertinent défini pour juger de la bonne application des règles du droit de la concurrence n’est pas sous‑segmenté s’agissant des moyens de production électrique : les opérateurs concurrents peuvent aussi exploiter d’autres moyens de production d’énergie renouvelable, par exemple solaires ou éoliens.

En ce qui concerne le renouvellement des autorisations, la Commission européenne a adopté une position pragmatique s’agissant des autorisations hydroélectriques arrivées à échéance dans les pays mis en demeure en 2019 : bien que considérant qu’elles auraient dû être remises en concurrence, elle a pris acte de l’absence d’intérêt des opérateurs concurrents au regard de la « barrière » que représente le rachat des ouvrages.

Quoi qu’il en soit, la mission d’information n’a pas pour objet de trancher le débat juridique sur la nécessité de systématiser ou non une procédure de mise en concurrence pour obtenir une autorisation d’exploiter la force hydraulique. L’enjeu présent est de résoudre une difficulté particulière : à quelles conditions conciliables avec le droit européen pourrait-on accorder une autorisation d’exploiter des ouvrages existants, actuellement sous un régime différent ? Si elle est proposée aux concessionnaires sortants sans mise en concurrence, cela exclut de fait leurs concurrents.

La jurisprudence et la pratique européennes admettent que des raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG) peuvent être invoquées pour justifier une restriction de la liberté d’établissement. Des RIIG pourraient donc être mobilisées, tant pour justifier l’octroi de l’autorisation au concessionnaire sortant que, le cas échéant, la cession des ouvrages à son profit.

La Commission européenne a cependant rappelé à les rapporteurs qu’« une restriction à la liberté d’établissement pourrait être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre ». Les RIIG doivent donc être proportionnées à l’objectif poursuivi.

Plusieurs RIIG pourraient être invoquées pour déroger aux procédures concurrentielles induites par le principe de liberté d’établissement. Elles découlent directement des éléments rappelés en deuxième partie du présent rapport, liés à la nécessité d’investir et aux effets négatifs d’une remise en concurrence. Ils ne seront pas développés à nouveau ici.

À ce titre, la sécurité d’approvisionnement – mentionnée parmi les objectifs de politique énergétique à l’article 194 du TFUE –, la protection de l’environnement, l’atteinte des objectifs européens en matière de transition énergétique, la préservation de la ressource en eau, le besoin de gestion coordonnée entre l’exploitation des ouvrages hydroélectriques et des centrales nucléaires, la sûreté des installations, ou encore la préservation des compétences techniques nécessaires au bon fonctionnement des ouvrages pourraient être invoqués.

La multiplicité des enjeux rattachés à l’exploitation des ouvrages hydroélectriques permet de combiner plusieurs de ces raisons, ce qui ne peut être qu’un atout dans l’argumentation. Reste à savoir si l’invocation de telles raisons impérieuses d’intérêt général serait considérée comme adaptée à l’objectif poursuivi par la Commission européenne. Elle est en tout cas, sans nul doute, adaptée aux objectifs poursuivis par les rapporteurs afin de résoudre ces contentieux.

Enfin, dans l’hypothèse où l’éventuelle cession des ouvrages et l’octroi de l’autorisation pourraient être réalisés sans mise en concurrence, la question d’une mise en concurrence de l’occupation du domaine public pourrait également se poser si les terrains d’assiette ne sont pas cédés à l’exploitant. En effet, tant la jurisprudence européenne ([52]) que l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) prévoient qu’une procédure de sélection préalable, garantissant le respect des principes de transparence et de non‑discrimination, doit s’appliquer lorsqu’un opérateur souhaite occuper ou utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique. Toutefois :

– les dispositions de l’article L. 2122-1-1 du CG3P s’entendent « sauf disposition législative contraire », ce qui permet très clairement d’y déroger par la loi – à condition que cette dérogation soit compatible avec le droit de l’UE ;

– la loi française prévoit déjà des exceptions à la mise en concurrence sur le domaine public, notamment à l’article L. 2122-1-3 du CG3P. Cet article permet notamment de délivrer un titre d’occupation à l’amiable lorsqu’une seule personne est en droit d’occuper la dépendance du domaine public en cause. D’autres exceptions sont possibles, notamment lorsqu’une procédure de mise en concurrence possédant les mêmes caractéristiques est prévue à un autre stade de l’opération ou lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance ne le permettent pas ;

– on pourrait, là aussi, invoquer des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une dérogation au principe de mise en concurrence – avec les mêmes avantages et limites que celles exposées précédemment.

Ajoutons que, quand bien même on trouverait des arguments permettant de ne pas appliquer une procédure de mise en concurrence à chaque étape prise séparément (cession éventuelle des ouvrages, implantation sur le domaine public, octroi de l’autorisation), la Commission européenne pourrait apprécier l’ensemble de ces étapes de manière conjointe et ne pas accepter qu’il n’y ait aucune concurrence qui s’exerce sur l’ensemble.

Jusqu’à présent, la Commission européenne s’est montrée plutôt fermée lorsque des raisons impérieuses d’intérêt général ont été invoquées par les autorités françaises. Elle estime que cela ne suffit pas à justifier qu’un autre opérateur ne serait pas capable d’assurer ces objectifs. Les rapporteurs signalent toutefois que les contreparties qui pourraient être données sur la mise à disposition du productible pourraient permettre d’assouplir cette position (voir ci-après).

C.   Le rÉgime d’autorisation pose la question centrale du transfert de la propriÉtÉ des ouvrages aux exploitants actuels (critÈre 3)

Le passage à un régime d’autorisation pose la question de la nécessité et de l’opportunité de transférer la propriété des ouvrages hydroélectriques aux concessionnaires sortants. Si ce transfert était décidé, il faudrait alors définir les modalités de cette cession, en particulier le prix de rachat des ouvrages, mais aussi les garanties permettant à l’État de maintenir un contrôle afin de se prémunir de toute cession ultérieure.

1.   La cession des ouvrages : une nécessité ?

La DG GROW l’a très clairement rappelé à vos rapporteurs : l’article 345 du TFUE stipule que les traités ne préjugent en rien du régime de propriété mis en œuvre par les États membres. Si, en régime d’autorisation, les exploitants sont généralement propriétaires de leurs ouvrages, rien n’impose que l’exploitant détienne l’ouvrage pour pouvoir l’exploiter sous ce régime.

Il ne s’agit pas non plus d’un prérequis en droit français. Les ouvrages hydroélectriques sous régime d’autorisation ne sont pas toujours la propriété des exploitants et peuvent appartenir à des collectivités territoriales, par exemple. Les services ministériels rappellent simplement que « lors du dépôt de leur demande, les exploitants, qui ne sont pas propriétaires, doivent alors démontrer qu’ils disposent du droit d’y réaliser leur projet » ([53]).

L’absence de cession des ouvrages à l’exploitant sortant soulève toutefois des interrogations.

Il pourrait y avoir un risque de requalification de l’autorisation en contrat relevant de la commande publique. Sans propriété de l’ouvrage et avec une autorisation prescrivant des obligations importantes pour le concessionnaire, très proches des actuels cahiers des charges, on pourrait se rapprocher de la définition d’un contrat de la commande publique, voire plus spécifiquement d’un contrat de concession ([54]).

Par ailleurs, pour les exploitants, récupérer la propriété des ouvrages est avantageux. La cession de ceux-ci permettrait également à l’État de disposer d’un apport financier substantiel, alors que les chiffres du déficit et de la dette du pays ne cessent de se creuser.

Mais la cession des ouvrages hydroélectriques aux concessionnaires sortants représenterait aussi un changement de paradigme majeur. Elle fait craindre à certains une « privatisation » de ces installations, alors qu’il s’agit d’ouvrages stratégiques à maints égards, notamment pour la sécurité des populations, la gestion de la ressource en eau ou encore l’exécution du service public de l’électricité.

Certes, les exploitants historiques ont fait la preuve de leur engagement en faveur de ces missions de service public, et, plus généralement, de l’intérêt général. Il faut aussi rappeler que l’État détient, en vertu de la loi, 100 % du capital d’EDF. L’actionnariat de la CNR est majoritairement public, là aussi en vertu de la loi. Par ailleurs, l’État détient 23,64 % du capital (et 34,13 % des droits de vote) d’Engie, ainsi qu’une action spécifique au sein de cette entreprise.

Il n’en demeure pas moins que céder les ouvrages hydroélectriques amoindrirait de manière conséquente le contrôle de l’État sur des ouvrages stratégiques, malgré des mesures d’encadrement strictes qu’il serait pertinent de prendre. Vos rapporteurs souhaitent donc travailler à une solution permettant à l’État de conserver la propriété des ouvrages.

2.   L’établissement du prix de vente et la fixation de garanties sur leur cession ultérieure, deux enjeux majeurs en cas de cession des ouvrages

Si le choix était fait de céder les ouvrages hydroélectriques, avec droit de priorité au concessionnaire sortant, plusieurs étapes seraient déterminantes. Une fois les ouvrages déclassés, il faudrait fixer le prix de cession. Puis, après avoir justifié le droit de priorité au concessionnaire sortant, il faudrait absolument soumettre la cession ultérieure des ouvrages à un strict contrôle de l’État.

a.   Le déclassement et la désaffectation des ouvrages par la loi

Le domaine public hydroélectrique concédé est défini à l’article L. 513-1 du code de l’énergie comme « l’ensemble des terrains, ouvrages ou installations, cours d’eau et lacs compris dans le périmètre d’une concession hydraulique, sans préjudice du classement de certains de ces éléments dans le domaine public fluvial ».

Les biens du domaine public étant inaliénables et imprescriptibles ([55]), il est nécessaire de procéder à leur déclassement, afin qu’ils passent dans le domaine privé de l’État et qu’ils puissent être vendus. Normalement, le déclassement entraîne la désaffectation du bien à un service public ou à l’usage direct du public ([56]). Néanmoins, une loi peut prévoir que de tels biens restent affectés à un service public, afin de ne pas priver « de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics auxquels il reste affecté » ([57]). Les ouvrages hydroélectriques sous le régime de la concession ayant été qualifiés d’ouvrages publics par la loi, les exigences de continuité du service public s’y rattachant pourraient justifier le maintien de leur affectation à un service public, malgré leur cession à un opérateur privé.

Une cession des ouvrages hydroélectriques maintenant leur affectation à un service public serait donc possible, pour autant qu’une loi le prévoie. La cession pourrait concerner uniquement les ouvrages proprement dits, ou bien les ouvrages et leur terrain d’assiette.

b.   La détermination du prix des ouvrages et de leurs modalités d’octroi

Les biens de l’État ne peuvent pas être cédés à n’importe quel prix.

Premièrement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel prévoit que l’aliénation des ouvrages d’une personne publique au profit d’une personne poursuivant des fins d’intérêt privé ne peut se faire qu’à titre onéreux et interdit leur cession à vil prix ([58]).

Deuxièmement, en cas de prix de vente trop bas, la Commission européenne pourrait assimiler la transaction à une aide d’État. Pour respecter le droit de l’Union européenne, l’État doit se comporter comme un acteur normal de marché. La Commission a publié une communication pour faciliter le respect des règles relatives aux aides d’État ([59]) : ce document permet notamment le recours à l’analyse comparative (analyse des conditions d’opérations comparables effectuées par des acteurs privés) ou encore au calcul de la valeur actualisée nette d’un investissement ou de son taux de rendement interne.

Dans tous les cas, le prix de transfert et les indemnités de résiliation devraient faire l’objet d’une expertise indépendante afin de ne pas risquer leur requalification en aides d’État. Plusieurs paramètres spécifiques sont à prendre en compte pour déterminer ce prix :

– le montant de l’indemnité de résiliation versée en raison de la rupture anticipée des contrats de concession pour basculer en régime d’autorisation, qui doit correspondre aux gains qui auraient normalement été perçus si la concession allait jusqu’à son terme. Le calcul de cette indemnité dépend d’autres variables, parmi lesquelles :

– le montant des redevances ou de la fiscalité futures sur les ouvrages : plus le montant envisagé sera élevé, plus le prix de cession s’en trouvera diminué ;

– les prix de l’électricité, composante très délicate à estimer en raison de leur volatilité. Ceux-ci impactent directement les revenus futurs de la concession.

La détermination du prix de cession serait nécessairement un exercice complexe et qui prendrait du temps. Outre sa franche opposition à la privatisation des barrages, le syndicat SUD a particulièrement insisté sur ce point, soulignant entre autres que les autres usages de l’eau, qui devraient entrer dans la détermination du prix de l’actif, sont impossibles à valoriser.

S’agissant du droit de priorité donné au concessionnaire sortant pour l’acquisition des ouvrages, les enjeux de conformité au droit de l’Union européenne ont déjà été étudiés.

En droit français, le 2° de l’article R. 3211-7 du CG3P permet de céder un immeuble déclassé « lorsque des dispositions législatives ou réglementaires spéciales permettent la cession de l’immeuble au profit d’un acquéreur ou d’une catégorie d’acquéreurs déterminés ». Des précédents existent, par exemple pour le transfert des biens rattachés aux concessions de transport de gaz lors de la résiliation de celles-ci et leur passage au régime d’autorisation ([60]), ou encore lors de la transformation de l’établissement Aéroports de Paris en société anonyme ([61]).

c.   L’application d’un régime de quasi-domanialité publique aux ouvrages hydroélectriques doit permettre d’encadrer des velléités de cession ultérieures

Le risque d’une privatisation des ouvrages hydroélectriques est à considérer avec sérieux. En particulier, il serait essentiel de protéger les ouvrages hydroélectriques de velléités de cession ultérieure par leurs exploitants. Un contrôle fort de l’État sur de telles cessions devrait donc être prévu, grâce à l’application d’un régime de quasi-domanialité publique. Ce dernier permet d’appliquer à des biens privés des sujétions particulières, liées à leur rôle pour la continuité du service public ou l’exécution d’une mission de service public. Plusieurs types de mesures pourraient être mobilisées.

Tout d’abord, les ouvrages hydroélectriques pourraient être qualifiés d’ouvrages publics dans la loi, ce qui justifie de les soumettre à des contraintes particulières. Des précédents existent : par exemple, l’article 2 de la loi de 2005 relative aux aéroports dispose que « les ouvrages appartenant à la société Aéroports de Paris et affectés au service public aéroportuaire sont des ouvrages publics ».

Ensuite, deux formes possibles de contrôle sont possibles sur d’éventuelles cessions ultérieures – et ces formes peuvent se combiner.

Premièrement, il peut être prévu par la loi que l’État s’oppose à la vente des ouvrages, à peine de nullité de la procédure, lorsqu’une telle cession compromet l’exécution des missions de service public permises par l’exploitation de ces ouvrages. De multiples précédents existent dans les différentes lois qui ont transformé des établissements publics en sociétés commerciales :

– pour La Poste et France Télécom, par les articles 23 et 23-1 de la loi n° 90‑568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et à France Télécom (droit d’opposition abrogé depuis pour France Télécom) ;

– pour la SNCF, à l’article L. 2102-17 du code des transports. Dans ce cas, il est également prévu que les biens puissent être cédés à l’État ou à des collectivités « pour des motifs d’utilité publique, moyennant le versement d’une indemnité égale à la valeur de reconstitution » ;

– pour Aéroports de Paris, à l’article L. 6323-6 du code des transports, ces dispositions ayant été validées par le Conseil constitutionnel ([62]).

Une impossibilité totale de céder le bien pourrait être envisagée. Néanmoins, une telle solution pourrait être considérée par le Conseil constitutionnel comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (et peut-être au droit de propriété) au regard de l’objectif poursuivi.

Deuxièmement, une action spécifique de l’État, de type golden share, au sein du capital des exploitants concernés permet de s’opposer à une cession du bien, lorsqu’elle est de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels du pays ([63]).

En pratique, la structure de l’actionnariat des principaux exploitants actuels prévoit déjà une telle action, ou offre un niveau de garantie équivalent :

– l’État dispose déjà d’une action spécifique au sein d’Engie, maison-mère de la SHEM ([64]) ;

– l’article L. 111-67 du code de l’énergie prévoit que l’État détient 100 % du capital d’EDF ;

– la loi prévoit également un capital majoritairement public pour la CNR, aujourd’hui détenue à 33,2 % par le groupe Caisse des Dépôts et à 16,8 % par des collectivités locales. Le décret n° 59-771 du 26 juin 1959 relatif à l’organisation et au fonctionnement de la Compagnie nationale du Rhône prévoit également la présence de commissaires du Gouvernement avec droit de veto au conseil de surveillance de la CNR.

Il conviendra également d’analyser la situation des ouvrages sous concession détenus par d’autres exploitants qu’EDF, la CNR ou la SHEM.

D.   un rÉgime compatible avec le respect des critÈres relatifs À la sÛretÉ, À la sÉcuritÉ d’approvisionnement et au partage de la ressource en eau (critÈres 5, 6, 7)

Plusieurs des acteurs auditionnés ont souligné différents avantages du régime d’autorisation par rapport au régime concessif pour l’exploitation des ouvrages hydroélectriques.

Le régime de la concession nécessite d’indemniser l’exploitant dès que l’un des paramètres du contrat de concession est modifié. Or, certains équilibres sont particulièrement difficiles à définir sur le long terme, en particulier le niveau de la redevance (compte tenu de la forte volatilité des prix de l’électricité, il est complexe d’éviter tout phénomène de sur-rentabilité), ou encore les besoins liés à la ressource en eau (compte tenu des évolutions liées au réchauffement climatique, dont certaines restent aujourd’hui inconnues).

Défini de manière unilatérale par la puissance publique, le régime d’autorisation est plus adaptable. L’autorisation pourrait contenir un certain nombre de prescriptions, inspirées du contenu actuel des cahiers des charges, y compris en termes d’investissements. La loi pourrait également déterminer les obligations les plus importantes incombant à l’exploitant et les plus déterminantes pour la continuité du service public. Il conviendra, en tout état de cause, de proportionner les obligations aux objectifs recherchés, pour demeurer dans le cadre d’un régime d’autorisation.

La sécurité d’approvisionnement, les services rendus au système électrique, ainsi que la participation des ouvrages aux mécanismes de capacité et d’ajustement ne seraient pas remis en cause. Il en est de même pour l’optimisation du fonctionnement des ouvrages à l’échelle d’un même bassin versant, les exploitants actuels demeurant en place. Et la qualité du dialogue historique construit entre ces derniers et les collectivités au sujet du partage de la ressource en eau perdurerait.

E.   Les paramÈtres financiers associÉs au rÉgime d’autorisation devront reprendre ceux applicables au rÉgime concessif (critÈres 8, 10 et 11)

Le régime d’autorisation permettrait davantage de souplesse pour ajuster les paramètres financiers du contrat. Hors mécanisme de contreparties complémentaires et enjeux de fiscalité, l’optimisation de la production électrique et sa valorisation ne seraient pas modifiées, en tant que telles, par le passage au régime d’autorisation.

Concernant les coûts de production et le prix final payé par le consommateur, le passage à un régime d’autorisation n’est pas non plus un paramètre déterminant en soi, si ce n’est qu’il serait plus aisé d’ajuster les paramètres de la redevance à la réalité des prix de l’électricité que dans le cadre d’un régime concessif, qui offre moins de souplesse à cet égard.

Sur les enjeux de fiscalité, les rapporteurs souhaitent que le montant des sommes perçues par les collectivités au titre des redevances actuellement prévues pour les ouvrages sous le régime de la concession soit préservé, quel que soit le modèle de fiscalité retenu, si la solution du passage à l’autorisation était retenue. Ils souhaitent également que la ventilation de la redevance entre les différents niveaux de collectivités soit celle prévue à l’article L. 523-2 du code de l’énergie, c’est-à-dire celle applicable théoriquement aux concessions nouvelles ou renouvelées. Cette ventilation devra être inscrite dans la loi.

Le régime d’autorisation est compatible avec la mise en place d’une redevance. D’ailleurs, l’article L. 531-4 du code de l’énergie prévoit déjà que les ouvrages hydroélectriques de moins de 4,5 MW sous régime d’autorisation sont assujettis à des redevances domaniales, notamment pour l’occupation du domaine public fluvial.

Au demeurant, le niveau de redevance ou de taxation retenu influerait sur la détermination du prix de vente des ouvrages, si le choix était fait de les céder, car ce niveau impacte nécessairement les revenus futurs de l’exploitant. Selon les services ministériels, le prix de vente serait d’autant plus élevé que le niveau de redevance spécifique au nouveau régime serait bas.

  1.   Une solution acceptÉe par la trÈs grande majoritÉ des personnes auditionnÉes par la mission d’information (critÈres 4 et 9)

Contrairement à la quasi-régie, le passage à un régime d’autorisation est plus largement accepté parmi les différentes parties prenantes entendues par la mission d’information (critère n° 4), à tout le moins comme une solution par défaut permettant de résoudre les précontentieux actuels.

Du côté des opérateurs, cette solution soit est soutenue, soit n’est pas rejetée (comme c’est le cas de la quasi-régie) :

– elle est fortement soutenue par EDF ;

– la CNR souligne la spécificité de sa concession, qui est une concession d’aménagement. Si un régime d’autorisation venait à s’appliquer, il devrait nécessairement être adapté pour la CNR ;

– Engie insiste sur la nécessité d’une solution robuste sur le plan juridique et équitable pour l’ensemble des différents exploitants. L’entreprise craint qu’un passage au régime d’autorisation sans mise en concurrence ne donne lieu à des contentieux, de nature à geler encore les investissements ;

– Hydrocop, qui dispose aujourd’hui d’une quinzaine de centrales exploitées sous le régime de la concession, est également favorable au régime d’autorisation, sous réserve « que la procédure puisse se faire en gré à gré et avec une valorisation des actifs de l’État via des méthodes comptables qui tiennent compte de l’ensemble des investissements non amortis du concessionnaire ».

Les organisations syndicales représentatives voient le passage au régime d’autorisation comme la moins mauvaise des solutions pouvant répondre aux précontentieux européens, mais restent extrêmement vigilantes, voire réticentes aux contreparties qui pourraient y être associées.

Au-delà du seul sujet des contreparties, la FNME‑CGT souligne que le passage au régime d’autorisation permettrait de sécuriser les opérateurs actuels, tout en faisant valoir que des garanties devraient être apportées : capital public des futurs propriétaires et retour à l’État en cas de cession ; maintien des concessions de chaque opérateur historique et solution applicable à l’ensemble du parc, y compris pour les délais glissants ; préservation de la gestion des différents usages de l’eau, etc. FO exprime aussi sa vigilance à l’égard de la « privatisation de l’eau ». La CFDT soutient le recours à des mécanismes de quasi‑domanialité publique pour que l’État conserve des prérogatives importantes sur les ouvrages hydroélectriques concernés. La CFE-CGC rappelle également que le régime d’autorisation devra permettre de respecter les spécificités des opérateurs historiques.

Le statut des IEG devrait également faire l’objet d’une attention particulière (critère n° 9). La FNME-CGT fait observer que ce statut est bien prévu dans les contrats de concession ([65]), mais pas dans le régime d’autorisation : l’application du statut des IEG au personnel des exploitants d’ouvrages basculant vers un régime d’autorisation pourrait être inscrite directement dans la loi.

Seul le syndicat SUD (non représentatif) s’oppose à un passage au régime d’autorisation. Selon ce syndicat, outre des fragilités juridiques liées à cette solution, celle-ci « signifierait un transfert de propriété d’un bien public vers des entreprises sous statut privé, ce qui la rend inacceptable à [ses] yeux ».

IV.   La rÉvision de la directive « Concessions », une option partagÉe par tous, mais dont l’issue est incertaine

A.   La reconnaissance des spÉcificitÉs de l’hydroÉlectricitÉ par la directive de 2014 serait plus que lÉgitime, et pourrait lever la procÉdure de 2019 (critÈre 2)

1.   L’indispensable prise en compte des enjeux et particularités de l’hydroélectricité

Interrogée par les rapporteurs, la Commission européenne a indiqué que l’exclusion des concessions hydroélectriques avait été envisagée lors de l’élaboration de la directive 2014/23/UE, notamment en raison des particularités stratégiques et environnementales du secteur.

Cependant, différents arguments ont conduit à leur inclusion dans le champ d’application de la directive :

– en premier lieu, le fait que les principes fondamentaux de la transparence, de la non-discrimination et de la concurrence loyale s’appliquent à tous les secteurs économiques. La Commission a considéré qu’exclure les concessions hydroélectriques aurait pu créer des distorsions de concurrence entre États membres et empêcher l’accès au marché pour des opérateurs non nationaux ;

– elle espérait également que l’inclusion des concessions hydroélectriques permettrait une harmonisation des pratiques entre les États membres, « ce qui est essentiel dans un marché intérieur européen » ;

– elle estimait par ailleurs que les exceptions et flexibilités déjà prévues par la directive (comme son article 43, qui permet des modifications en cas de circonstances imprévues ou de travaux supplémentaires) étaient suffisantes pour tenir compte des particularités des concessions hydroélectriques, sans nécessiter une exclusion complète.

La Commission européenne a reconnu, enfin, que certains États membres et opérateurs non nationaux ont plaidé pour l’inclusion des concessions hydroélectriques dans la directive, arguant que l’absence de règles harmonisées peut conduire à des situations de monopole ou de favoritisme pour les opérateurs historiques.

Il est assez ironique de constater le fossé entre les intentions qui ont prévalu à l’époque (l’harmonisation des pratiques entre États membres, la levée des obstacles à l’accès au marché) et la réalité du secteur hydroélectrique européen, que la Commission européenne a reconnue plus tard en levant les procédures pour les pays appliquant un régime d’autorisation.

Aujourd’hui, les mises en concurrence d’ouvrages existants sont rares et les prochaines n’interviendront pas avant plusieurs décennies en Italie et au Portugal. Dans les grands pays hydroélectriques sous régime d’autorisation, tels la Suède (16,4 GW), l’Autriche, (14,7 GW), l’Allemagne (14,5 GW) et la Roumanie (6,7 GW), aucun ne met en œuvre de procédure de mise en concurrence, même si les principes du TFUE s’imposent à tous. Les régimes juridiques restent fondamentalement différents d’un pays à l’autre. Enfin, les secteurs hydroélectriques de la plupart des États comptent un exploitant majoritaire de leur nationalité (à 94 % en Roumanie, 83 % en Italie, 63 % au Portugal, 57 % en Autriche et 51 % en Suède, selon les données recueillies par les services ministériels).

Quant aux aménagements prévus par la directive, les rapporteurs rappellent le caractère trop restrictif de l’article 43 : on déduit en effet de ses dispositions qu’une modification substantielle de la valeur initiale d’un contrat de concession impose sa remise en concurrence ; cela a pour conséquence d’interdire tout investissement majeur qui l’augmenterait au-delà des limites admises, ce qui est regrettable. Il est compréhensible que ces limites visent à éviter des travaux qui serviraient juste de prétexte à la prolongation des contrats ou au renchérissement des prix payés par les consommateurs. Toutefois, des travaux aussi massifs que les chantiers hydroélectriques, et ayant autant de conséquences pour les territoires et l’environnement, ne sont engagés et autorisés qu’en cas de nécessité absolue et avérée.

Les rapporteurs regrettent une telle limitation, absurde dans le cas des concessions hydroélectriques, et en contradiction directe avec l’urgence de la transition énergétique. Si la révision de la directive ne va pas jusqu’à exempter les concessions hydroélectriques, il faudrait au moins revoir son article 43, afin d’assouplir cette contrainte pour ce type de contrats et de permettre des investissements importants dès lors qu’ils développent de nouvelles capacités.

S’agissant, enfin, de l’universalité des principes fondamentaux du droit européen, elle s’accommode d’exceptions. On a vu que la directive 2014/23/UE admet des exemptions sectorielles, dont l’une, à l’article 12, qui présente de nombreuses similitudes avec le cas des concessions hydroélectriques : l’exception relative aux concessions dans le secteur de l’eau. Massivement défendue par une initiative citoyenne qui avait recueilli près d’1,5 million de signatures, cette exemption exclut de l’application de la directive les contrats pour la fourniture ou l’exploitation de réseaux destinés à assurer la production, la distribution ou le transport de l’eau, mais aussi les concessions relatives à l’élimination ou au traitement des eaux usées.

La directive motive cette exclusion dans son considérant 40 : « Les concessions dans le secteur de l’eau sont souvent soumises à des arrangements spécifiques et complexes qui doivent faire l’objet d’une attention particulière, compte tenu de l’importance de l’eau en tant que bien public revêtant une importance fondamentale pour l’ensemble des citoyens de l’Union. Les caractéristiques particulières de ces arrangements justifient d’exclure le secteur de l’eau du champ d’application de la présente directive ».

Les concessions hydroélectriques concernent deux biens essentiels, l’eau et l’électricité, et elles présentent une complexité marquée en raison de la multiplicité à la fois des enjeux en cause et des parties intéressées.

Il est donc apparu légitime à la mission d’information de faire reconnaître les spécificités du secteur hydroélectrique, au même titre que les activités du secteur de l’eau, en obtenant leur exclusion du champ d’application de la directive « Concessions ».

Les rapporteurs considèrent même qu’avec l’accélération du changement climatique et l’aggravation de ses bouleversements, les problématiques de l’eau justifient plus que jamais le traitement différencié d’ouvrages aussi stratégiques et structurants que les barrages hydroélectriques, qui gèrent la ressource en eau.

2.   La mobilisation de la mission pour la révision de la directive « Concessions »

La Commission européenne a précisément entrepris d’évaluer les trois directives concernant la commande et les marchés publics, dont la directive « Concessions » ([66]). Cette évaluation doit déterminer l’opportunité d’une révision de ces textes. Une consultation a été ouverte de fin 2024 à début mars 2025.

La mission d’information a donc décidé d’apporter sa contribution à cette consultation. En parallèle, les rapporteurs ont déposé une proposition de résolution européenne ([67]) qui « invite le Gouvernement à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ de la directive 2014/23/UE lors des travaux de révision de celle-ci ».

La contribution et la proposition de résolution européenne rappellent les différents enjeux liés aux ouvrages hydroélectriques : leur rôle central dans le bon équilibre du système électrique, leur poids dans la gestion de la ressource en eau, la gestion des crues et des sécheresses et la conciliation des différents besoins et usages de l’eau, l’importance de la sûreté et de la sécurité des installations et de leur contribution au refroidissement des centrales nucléaires. Elles soulignent enfin l’urgence de renforcer ces capacités de production d’énergie renouvelable et, surtout, de stockage, qui sont cruciales pour la réussite du développement des autres énergies renouvelables et l’atteinte des objectifs de décarbonation européens.

La contribution observe par ailleurs que les volumes retenus par les installations représentent souvent l’essentiel des réserves d’eau potable superficielles d’un bassin versant. Leur bonne gestion et leur disponibilité sont donc d’importance vitale pour celui-ci, et pour les populations qui y vivent.

Elle souligne enfin qu’à l’instar des services de l’eau, ces divers services au public impliquent un dialogue spécifique et complexe entre exploitants et territoires eu égard aux contraintes et besoins spécifiques de chaque territoire, requérant une attention particulière compte tenu de l’importance de l’eau en tant que bien public d’une valeur fondamentale pour tous les citoyens de l’Union européenne.

La contribution sollicite en conséquence que « soit rendue à l’État – ou aux autres pouvoirs adjudicateurs compétents – la liberté de prolonger ou renouveler les concessions hydroélectriques existantes sans ouverture à la concurrence, notamment pour permettre la relance de l’investissement et le développement de cet outil de production indispensable à l’équilibre du système électrique européen ».

La contribution, cosignée par l’ensemble de la mission d’information, est l’une des 1 826 contributions reçues par la DG GROW. Cette dernière a indiqué aux rapporteurs être en phase d’analyse de ces contributions.

La proposition de résolution européenne a été examinée et adoptée à l’unanimité par la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale le 30 avril dernier ([68]).

Si le processus aboutit à l’exemption des activités hydroélectriques de l’application de la directive 2014/23/UE, elles ne seront plus soumises aux procédures définies par le code de la commande publique en transposition de cette directive ([69]). Le professeur Richer recommande aussi d’obtenir la suppression de l’obligation de publier un avis de concession (article 31 de la directive 2014/23) pour les exonérer également du respect des principes de transparence et de non‑discrimination issus du TFUE. La reconnaissance officielle des contraintes spécifiques aux activités hydroélectriques et des effets contraires d’une remise en concurrence devrait en tout état de cause justifier des exigences allégées en la matière.

Une révision de la directive « Concessions » permettant l’exclusion des activités hydroélectriques de son champ d’application serait alors susceptible de convaincre la Commission européenne de lever la procédure de 2019 (critère n° 2).

B.   les avantages d’une rÉvision de la directive seraient multiples (critÈres 3 À 11)

L’exemption des activités hydroélectriques des exigences de la directive « Concessions » faciliterait la reconduction des opérateurs historiques, en évitant les lourdeurs de ses procédures de remise en concurrence et les risques qu’entraînerait un changement d’exploitant.

Ce nouveau cadre préserverait la propriété de l’État sur les ouvrages (critère  3) et ne changerait rien au fonctionnement des entreprises en place, que ce soit en termes d’emplois et de conditions statutaires et salariales de leurs personnels (critère n° 9) ou de l’optimisation et de la valorisation de la production (critère n° 10).

Les concessions resteraient encadrées par des cahiers des charges – actualisés et renforcés à l’occasion de ces renouvellements, avec l’application des nouveaux cahiers des charges révisés à cet effet en 2016 ([70]). Ces cahiers des charges – et la législation applicable – garantissent les conditions de la sécurité d’approvisionnement et de la sécurité du système électrique (critère n° 5), la sûreté hydraulique (critère n° 6), le partage équilibré de la ressource en eau et la gestion des crues et des étiages (critère n° 7).

À propos de ces nouveaux cahiers des charges toutefois, les rapporteurs ont été alertés par l’Association nationale des élus des bassins (Aneb) que certaines de leurs dispositions relatives à la ressource en eau (sur le non-retour en totalité des prises d’eau en amont, le curage des cours d’eau, etc.) font débat auprès des collectivités territoriales. Il pourrait être opportun de profiter des renouvellements pour rouvrir les discussions à ce sujet, et même de définir au niveau de la loi un cadre plus protecteur des intérêts réciproques.

Quoi qu’il en soit, le maintien des exploitants historiques permettrait aussi la poursuite du dialogue territorial développé au fil du temps (critère n° 7).

Le renouvellement des concessions ne changerait rien à la fiscalité en vigueur et permettrait l’application des nouvelles modalités de redevance (prévues à l’article L. 523-2 du code de l’énergie), qui devrait mieux capter la rente hydroélectrique en cas de prix élevés (critère  8).

L’exclusion des concessions hydroélectriques n’aura pas d’impact en tant que telle sur les coûts de production et le prix final pour les consommateurs (critère  11). Toutefois, comme pour l’ensemble des options étudiées, le déblocage des investissements ne manquera pas d’entraîner un alourdissement des charges pour les exploitants, et partant des prix de vente de leur production, jusqu’à ce que l’augmentation de la production et des services fournis vienne les compenser

Enfin, tous les acteurs concernés soutiennent cette issue ou reconnaissent son intérêt (critère n° 4), tant parmi les exploitants que parmi les représentants de leurs personnels. La CNR reconnaît que « cette solution serait susceptible, en théorie, d’apporter la solution présentant le plus haut degré de sécurité juridique pour les exploitants ». Engie considère que « cette ambition de rendre compatible le cadre européen permettrait de traiter tous les concessionnaires de manière équitable et apporterait de la robustesse juridique ». France Hydroélectricité indique y être « favorable sous réserve de permettre un retour à un traitement de gré à gré conformément aux pratiques passées ».

La FNME-CGT confirme qu’elle « fait le consensus au sein des représentants des trois grands opérateurs (EDF, SHEM, CNR). Il s’agirait de la solution la plus simple à mettre en œuvre ».

De même, FO y verrait de nombreux avantages : « la révision de la directive concessions en Europe pour en exclure l’hydroélectricité est la voie à emprunter car elle diminuerait les risques liés à la concurrence. (…) Les opérateurs historiques seraient renforcés sans devenir pour autant propriétaire de la « gestion de l’eau ».

C.   Mais cette rÉvision prendra du temps ; son rÉsultat n’est pas garanti et ne saurait suffire À faire classer le prÉcontentieux de 2015 (critÈres 1 et 12)

Toutefois, la solution de la révision de la directive « Concessions » présente certaines limites substantielles.

Le processus prendra plusieurs années, au moins 5 ans, pour aboutir.

Il doit d’abord franchir la première étape : celle de l’évaluation du cadre actuel, qui portera tant sur l’atteinte des objectifs qui avaient été donnés à la directive en 2014 que sur la pertinence aujourd’hui de ces objectifs. C’est au terme de cette évaluation que la Commission européenne conclura, ou non, à la nécessité de réviser la directive 2014/23/UE. La consultation initiale s’est close le 7 mars. La DG GROW est en train d’analyser les 1 826 contributions reçues. Elle estime que cette phase pourrait s’achever d’ici le troisième trimestre 2025.

Le cas échéant, elle rédigera une étude d’impact portant sur les bénéfices attendus de la révision. Une nouvelle consultation publique sera ouverte en parallèle.

La validation de l’étude d’impact par le comité d’examen de la réglementation et la présentation des propositions de la Commission européenne pourraient intervenir entre le deuxième et le troisième trimestre 2026. S’ensuivra alors une phase de négociation avec le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen.

La longueur de cette procédure ne permet pas une reprise rapide du développement des capacités hydroélectriques et de stockage – sauf à ce que la Commission européenne consente à lever le précontentieux de 2019 si les chances d’aboutir sont solides.

Par ailleurs, pour aboutir à l’exemption des activités hydroélectriques, il sera nécessaire d’obtenir le soutien d’une majorité d’États membres. Or, d’aucuns pensent que les pays qui ont bénéficié d’une levée de leur précontentieux se désintéresseront de la demande française. Certains pourraient même défendre les intérêts de leurs propres opérateurs hydroélectriques qui ont exprimé leur souhait de reprendre l’exploitation d’ouvrages français. Aussi le succès de la démarche n’est-il pas garanti, quelle que soit sa légitimité (critère n° 12).

Franche Hydroélectricité le craint : « bien que la révision de la directive pour exclure l’hydroélectricité pourrait apparaître comme une solution intéressante pour protéger les intérêts nationaux et les spécificités de cette filière (reconnaissance des spécificités de l’hydroélectricité qui sont réelles, protection des intérêts nationaux et de l’indépendance énergétique, stabilité qui encouragerait des investissements plus soutenus dans l’entretien et la modernisation des ouvrages), elle pourrait rencontrer des obstacles juridiques et politiques au niveau européen. Son succès dépendrait de la capacité à rallier un consensus entre les États membres et à justifier cette exception auprès des institutions européennes ». De même, Engie considère, « en l’état actuel de [ses] informations », « ce scénario complexe et improbable ».

Les rapporteurs pensent néanmoins qu’étant encore loin d’avoir remis en concurrence tous leurs ouvrages, les pays sous régime concessif pourraient trouver un intérêt à rallier la démarche française.

Enfin, l’exemption ne résoudra en rien le contentieux de 2015 (critère  1), rappelle l’AFIEG. La reconduction des droits à exploiter au profit des actuels concessionnaires viendra plutôt consolider la position d’EDF sur le secteur. Mais l’on verra dans la partie suivante que des mesures compensatoires pourraient permettre de lever ces obstacles.

 


   QuatriÈme partie : la révision de la directive et l’autorisation, deux solutions à approfondir

À la lumière des auditions effectuées, ainsi que de leurs échanges avec leurs différents interlocuteurs au Gouvernement et à la Commission européenne, les rapporteurs souhaitent, avant de donner leur position et celle de l’ensemble des membres de la mission sur les différentes options envisagées, rappeler quelques points.

Premièrement, il importe que la solution choisie soit juridiquement solide, mais aussi qu’elle ait une chance de prospérer : à ce titre, le consensus plus ou moins fort autour de celle-ci est un paramètre déterminant.

Il importe également de prendre en compte ce qui pourrait constituer, ou non, une voie de compromis avec la Commission européenne. Les rapporteurs estiment qu’un chemin peut être trouvé avec celle-ci, étant donné qu’il est désormais clair aux yeux de tous que la France ne remettra pas « sèchement » en concurrence ses concessions hydroélectriques.

Les rapporteurs le rappellent : le statu quo n’est pas tenable si l’on souhaite relancer les investissements. Pour avancer vers une résolution des précontentieux, il est nécessaire de faire évoluer le régime juridique qui encadre la gestion et l’exploitation des ouvrages hydroélectriques.

Toutefois, la solution à apporter doit permettre de maintenir au plus haut niveau possible les atouts du modèle concessif actuel, qui ont été largement développés : exigences inchangées en termes de sécurité d’approvisionnement et de sûreté, maintien d’un dialogue territorial agile autour des différents usages de la ressource en eau, gestion des risques de crues, préservation des compétences techniques et des emplois, optimisation de la production, etc.

Les rapporteurs souhaitent en outre que la solution aux précontentieux puisse s’appliquer le plus largement possible : à la fois au plus grand nombre d’exploitants, à un maximum de concessions, et ce, quelle que soit leur nature, quelle que soit leur date d’échéance. La spécificité de la CNR, qui dispose d’une prolongation de sa concession jusqu’en 2041, doit cependant être préservée.

Enfin, si les rapporteurs comptent déposer au plus vite une proposition de loi dédiée pour donner une suite aux conclusions du présent rapport, il est crucial de travailler parallèlement à une levée des précontentieux la plus rapide possible, afin de débloquer les investissements attendus. Il ne faut pas attendre l’adoption définitive de la proposition de loi, puis son application effective, pour mener de telles négociations avec Bruxelles.

I.   LA Quasi-régie : une piste écartée

À une très large majorité de ses membres, la mission d’information a choisi d’écarter la mise en place d’une quasi‑régie.

Il est indéniable que cette option est juridiquement robuste. Elle correspond à l’une des exceptions prévues par la directive « Concessions ».

Pour autant, elle ne présente pas les garanties d’acceptabilité suffisantes. Elle est en effet refusée par la très grande majorité des personnes auditionnées, au premier rang desquelles tous les exploitants et les organisations syndicales représentatives de leurs personnels.

Elle n’est pas non plus exempte de critiques sur le fond. Elle ne s’appliquerait pas à tous les opérateurs, ou conduirait à la disparition d’un grand nombre d’entre eux, dont la SHEM, si cette quasi-régie devait absorber toutes les concessions hydroélectriques, ce qui renforcerait la position dominante d’EDF – à moins de créer un pôle hydroélectricité en dehors d’EDF.

Dans tous les cas, filiale d’EDF ou pôle indépendant, elle imposerait de créer une « muraille de Chine » entre les activités hydroélectriques et le reste du groupe EDF – si l’on écarte la combinaison « entreprise liée/quasi-régie » dont les modalités paraissent peu compatibles avec les conditions posées par la directive « Concessions ». Cela ferait perdre de nombreuses synergies, en particulier l’optimisation actuelle entre nucléaire et hydraulique, et génèrerait vraisemblablement des coûts supplémentaires. Cela soulèverait également d’importants problèmes statutaires et salariaux, notamment pour l’intégration des personnels des autres exploitants. Et fondamentalement, le modèle économique de la quasi-régie présente certaines fragilités : concentrée sur une activité unique, d’autant plus exposée aux risques de faible hydraulicité – risques potentiellement croissants avec les évolutions climatiques –, l’entité ainsi constituée se retrouverait avec une capacité de financement sous-dimensionnée pour les investissements à réaliser.

Enfin, cette séparation des activités hydroélectriques du reste des activités d’EDF réveille les craintes qu’elle marque le début d’une fragmentation de notre champion national.

Seules deux solutions demeurent donc envisageables : la révision de la directive « Concessions » et le passage à un régime d’autorisation.

II.   La Révision de la directive « Concessions » : une solution à défendre absolument à bruxelles

Les rapporteurs souhaitent porter à son terme la révision de la directive « Concessions » car il leur semble que le régime concessif – sans remise en concurrence – demeure le plus adapté à l’exploitation des ouvrages hydroélectriques les plus importants, en premier lieu parce qu’il n’oblige pas à s’interroger sur leur propriété.

Ils sont, en outre, convaincus que les enjeux, les missions et les contraintes spécifiques attachés à l’exploitation des grandes installations hydroélectriques justifient leur exemption de la directive « Concessions », à l’instar de celle qui a été accordée, dès 2014, aux services de l’eau. Ils soulignent la similitude des enjeux et particularités entre ces activités liées à l’eau, « bien public revêtant une importance fondamentale pour l’ensemble des citoyens de l’Union », selon les termes de cette même directive. Dix ans plus tard, l’accélération du changement climatique et l’aggravation de ses bouleversements rendent ces problématiques plus cruciales encore, appelant un traitement différencié des barrages hydroélectriques au regard des perturbations, désoptimisations et retards majeurs que créerait une remise en concurrence de ces concessions.

La révision de la directive, pour exempter les activités hydroélectriques du droit de la commande publique, est en ce sens indispensable.

Une proposition de résolution européenne, qu’ils ont rapportée, a déjà été adoptée, à l’unanimité des groupes politiques, en commission des affaires européennes pour soutenir cette demande. Le combat doit être poursuivi au sein des instances européennes et au Parlement européen, pour défendre les atouts du modèle concessif à la française et le caractère inadapté des exigences du droit de la concurrence pour ces activités.

Certes, l’issue d’une telle solution est incertaine. L’échéance de la révision de la directive nécessite d’envisager, à court terme, d’autres solutions. Toutefois, elle pourrait être la seule option si ces autres solutions s’avèrent plus pénalisantes encore qu’une mise en concurrence.

La révision de la directive s’impose aussi pour protéger l’avenir des acteurs comme la CNR et les concessions sur le Rhin, dont les contrats combinent plusieurs missions en plus de l’exploitation d’un ouvrage hydroélectrique. Un régime d’autorisation, même adapté aux enjeux de l’hydroélectricité, engloberait difficilement la complexité de ces concessions d’aménagement.

Cette révision est une solution « sans regret » et les rapporteurs refusent d’abandonner ce combat avant même de l’avoir commencé : non, l’hydroélectricité ne peut être traitée comme n’importe quelle activité économique. Comme l’eau, les ouvrages hydroélectriques sont des biens communs. Les rapporteurs sont convaincus que des pays comme l’Italie ou le Portugal, voire d’autres, pourraient se rallier à cette cause.

III.   Le passage au régime d’autorisation : une solution réaliste mais qui nécessitera d’être strictement encadrée

Pour remédier aux incertitudes liées à la révision de la directive « Concessions » et sécuriser plus rapidement les exploitants, afin qu’ils puissent engager les investissements indispensables à la transition énergétique, il est apparu nécessaire de déployer, en parallèle, une autre solution permettant de résoudre les deux procédures précontentieuses. La quasi-régie ayant été écartée, c’est le passage en régime d’autorisation qui doit être envisagé.

Cette solution recueille la plus forte adhésion parmi toutes les personnes auditionnées par la mission d’information. En s’appuyant sur l’existence de plusieurs raisons impérieuses d’intérêt général (RIIG), il serait possible de concilier les exigences du TFUE et la reconnaissance des spécificités des activités hydroélectriques. Les ouvrages seraient exploités sous un régime finalement très commun en matière de production d’électricité, puisqu’il est utilisé pour les autres moyens de production (énergies renouvelables et nucléaire) et dans plusieurs autres pays de l’UE.

Néanmoins, le passage d’un régime concessif à un régime d’autorisation ne doit pas conduire à renoncer à un certain nombre d’exigences et d’acquis du modèle concessif actuel, en particulier sur les enjeux du partage de la ressource en eau et de la sécurité d’approvisionnement. L’autorisation doit également garantir que les investissements nécessaires seront bien réalisés.

En outre, une bascule de régime de cette ampleur est inédite ; certaines problématiques liées à son application méritent d’être encore approfondies.

C’est pourquoi ce nouveau régime d’autorisation ne doit être envisagé que s’il s’accompagne d’un encadrement strict de sa mise en œuvre.

Concernant la cession des ouvrages, la question demeure encore ouverte. Les rapporteurs souhaitent, idéalement, ne pas céder les ouvrages. Ils considèrent qu’un maintien de leur propriété publique serait un acquis important, tant pour préserver certains atouts fondamentaux du régime actuel (de souveraineté notamment) qu’en termes d’acceptabilité. La question d’un traitement différencié des ouvrages stratégiques se pose en particulier : par exemple, une STEP ne devrait‑elle pas rester la propriété de l’État quoi qu’il arrive ?

Pour autant, ils n’oublient pas l’importance de garantir la robustesse juridique du changement de régime. Il leur semble nécessaire, à ce jour, d’approfondir l’expertise juridique de ces options.

Sur le calendrier à adopter, cela a été dit : les concessions en cours pourront soit être toutes résiliées en même temps, à une date déterminée par la loi, soit être maintenues en vigueur jusqu’à leur date d’échéance avant de basculer sur un régime d’autorisation. À ce stade de leurs réflexions, les rapporteurs privilégient cette dernière option : cela laisse davantage de temps pour préparer la bascule à la maille de chaque ouvrage, pour calculer le prix de cession si les ouvrages sont cédés, mais permettra aussi de réduire les frais d’indemnisation de résiliation des concessions. Cela étant, le calendrier pourrait être adapté pour traiter en même temps des concessions d’un même exploitant qu’il serait opportun de regrouper.

Quant aux garanties à apporter en cas de passage à un régime d’autorisation, devront notamment être prévues :

– des prescriptions suffisamment exigeantes pour maintenir un contrôle poussé de la puissance publique sur ces ouvrages stratégiques. Elles concerneraient en particulier la sécurité d’approvisionnement, la sûreté et la gestion de la ressource en eau. Des investissements pourraient également être prescrits. Les obligations les plus importantes figureraient au niveau législatif et les autres au sein de l’acte d’autorisation ;

– le maintien, par la loi, de la qualification d’ouvrage public pour l’ensemble des ouvrages aujourd’hui sous le régime de la concession, afin de pouvoir justifier plus aisément l’application de prescriptions particulières. Les installations hydroélectriques déjà sous autorisation continueraient à relever du droit actuellement en vigueur ;

– l’application d’un régime de redevances (ou de taxes) préservant la répartition de celles-ci telle que prévue aujourd’hui pour les hypothétiques remises en concurrence ou les nouvelles concessions, afin de maintenir le lien avec les collectivités traversées par les cours d’eau exploités et de préserver des ressources indispensables à la mise en œuvre de politiques locales structurantes ;

– et si les ouvrages devaient être cédés, des règles de quasi-domanialité publique, afin d’assurer à l’État la maîtrise du devenir des ouvrages cédés, voire le retour à l’État dans certaines circonstances.

Par ailleurs, cette réforme devrait aussi être l’occasion de régler le sujet des concessions autorisables et des autorisations concessibles (voir le I A de la première partie).

IV.   En complément, la mise en place de contreparties pourrait être déterminante pour la commission européenne

Il a été constaté lors de l’analyse de chaque solution que, tant pour la révision de la directive « Concessions » que pour un passage en régime d’autorisation, des problématiques juridiques demeureraient en l’absence de mesures complémentaires. En particulier, ces deux solutions ne répondraient pas aux griefs soulevés dans le précontentieux DG COMP de 2015 concernant la position d’EDF. Quant au contentieux DG GROW de 2019, il ressort des échanges avec la Commission européenne que des gages supplémentaires faciliteraient des aménagements à l’application stricte du principe de liberté d’établissement et la possible levée de sa procédure.

Lors de leurs échanges avec la Commission européenne, les rapporteurs l’ont interrogée sur le véritable enjeu de concurrence pour les tiers intéressés par les concessions hydroélectriques françaises : est-ce de pouvoir accéder à l’exploitation des ouvrages ? Ou bien au résultat de cette exploitation, à savoir le productible ? Il semble que c’est bien cette deuxième dimension, la possibilité d’accéder à une énergie compétitive et pilotable, qui intéresse ces acteurs. En déplaçant l’objet de la mise en concurrence, de l’exploitation vers l’accès à une partie du productible, la mise à disposition de volumes d’électricité répondrait à ces attentes ; et en permettant une ouverture du marché et la réduction de la position dominante d’EDF, elle serait de nature à faciliter la clôture des précontentieux et à renforcer la solidité juridique du dispositif, notamment en amoindrissant le risque d’une contestation ultérieure par les concurrents.

Il peut être relevé que la question d’inclure les ouvrages hydroélectriques dans le mécanisme de l’Arenh s’était posée en 2010. L’article premier du projet de loi NOME ([71]) mentionnait, à son dépôt, un « accès régulé et limité à l’électricité de base produite par EDF » – et non un accès à la seule électricité d’origine nucléaire. La navette parlementaire avait cependant amendé cette disposition afin de ne retenir que l’électricité nucléaire. À cette époque, il était en effet considéré que l’État allait remettre en concurrence les concessions hydroélectriques : le rapport Champsaur, qui a précédé la loi NOME, soulignait ainsi que « le développement d’opérateurs concurrents d’EDF dans l’hydroélectricité se poursuit grâce à une large mise en concurrence des concessions hydroélectriques au moment de leur renouvellement ».

Les rapporteurs souhaitent toutefois être très clairs : ils ne veulent pas d’un « Arenh Hydro ». Les travers de l’Arenh, au premier rang desquels son fonctionnement asymétrique, sans aucune prise de risque des bénéficiaires, et l’absence de révision du prix de vente de l’électricité d’origine nucléaire, ne doivent pas être reproduits.

Le mécanisme de contrepartie pourrait prendre diverses formes.

Il pourrait consister pour l’exploitant à livrer des volumes d’électricité à un tiers, sur une durée déterminée (annuelle, trimestrielle, mensuelle, etc.), avec la possibilité pour ce tiers de demander la livraison de ces volumes à la période qui lui convient, avec un délai de prévenance plus ou moins important.

Une autre option serait de définir ces droits de tirage en se référant plutôt à des volumes d’eau turbinables, avec la mise en place d’un « barrage virtuel » (voir encadré suivant).

Les rapporteurs souhaitent qu’un partage des risques liés à l’exploitation des ouvrages soit prévu, dans les deux cas, entre l’exploitant et le tiers.

L’option du barrage virtuel

Le système le plus proche d’une exploitation réelle est celui du « barrage virtuel » adossé à un barrage physique ou une STEP.

L’exploitant en titre de l’ouvrage reste maître de sa gestion : il l’exploite à sa façon et assure entièrement sa maintenance, le dialogue territorial autour des usages de l’eau et toutes les obligations et responsabilités en découlant. Pour autant, cet exploitant met, contractuellement, à disposition d’un tiers un certain volume d’eau, sur une période donnée. Un volume d’eau minima et un niveau d’eau maxima peuvent être instaurés. Le tiers dispose alors de droits à programmer, sur la durée du contrat, selon une périodicité et dans les limites convenues (fréquence, délais, volumes horaires du tirage, quantités maximales de productible par heure, etc.), des livraisons d’électricité, à son profit ou à celui de ses propres clients, au pro rata de ses volumes d’eau dans l’ouvrage réel. Il gère ainsi son barrage virtuel selon ses besoins, mais sans les contraintes d’une gestion physique.

Conservant la main sur tout le reste des capacités hydroélectriques, leur programmation et leur valorisation, l’exploitant est, en tout état de cause, incité à optimiser la gestion de son ouvrage au mieux de ses capacités et de ses contraintes.

Si le contrat se fonde sur une part des volumes d’eau disponibles dans le barrage réel, le tiers assume une part des risques : ceux liés à l’hydraulicité (faibles précipitations, contraintes liées aux autres usages de l’eau, par exemple pour le soutien d’étiage) ou à la disponibilité de l’ouvrage (périodes de maintenance, incidents), qui peuvent réduire les volumes d’énergie livrés sans indemnisation du manque à gagner. Il partage ainsi certaines contraintes de l’exploitant, dans une forme de partenariat.

Si ces volumes sont adossés à un périmètre plus large, comme l’ensemble du parc hydroélectrique de l’exploitant, les risques sont davantage lissés. Le barrage virtuel peut être plus théorique encore en étant libellé en volumes d’énergie, avec une clause identifiant les conditions pouvant faire moduler ces volumes sans indemnisation, mais sans que ce soit lié à un ouvrage particulier.

Qu’ils formalisent ou non un partenariat, les contrats de mise à disposition du productible pourraient être mis aux enchères, à partir d’un prix plancher, ce qui déterminerait le prix d’acquisition des capacités virtuelles.

En tout état de cause, la mise à disposition de volumes de productible nécessitera de résoudre un certain nombre de questions préalables :

– quel type de produits serait mis sur le marché (fondé sur des volumes d’électricité ou des volumes d’eau) ? Avec quelle échéance ? Selon qu’elle est libellée en mois ou en années, la durée des contrats vendus n’offre pas la même prévisibilité, et donc pas le même service. Quelle souplesse de programmation ? Serait-il possible d’activer la veille pour le lendemain ?

– faudrait-il prévoir différentes modalités selon la nature des ouvrages concernés : fil de l’eau, éclusées, barrages lacs, STEP ? Tous ces types d’ouvrage devraient-ils être concernés ?

– le « barrage virtuel » serait-il associé à l’exploitation d’un barrage physique donné ou à l’ensemble du parc de l’exploitant ? Raisonner sur l’ensemble du parc de l’exploitant permet d’activer les capacités selon les besoins en maintenant une optimisation plus aisée des moyens de production ;

– plus fondamentalement, faut-il mettre en place un partage des risques entre l’exploitant et le tiers, ou se contenter de mettre à disposition des volumes (garantis) d’électricité sur le marché ?

Un contrat sans partage de risques rencontrerait sans doute plus de succès auprès d’un plus large panel d’acteurs ; le barrage virtuel nécessite en effet l’expérience d’un hydraulicien pour anticiper les contraintes. Vos rapporteurs sont très attachés à un partage de risques ; mais on pourrait laisser le choix aux exploitants de décider quels produits proposer dès lors qu’ils répondent aux exigences posées dans la négociation ;

– un autre point crucial : sur quels volumes ces mesures compensatoires doivent-elles porter, et sur quels exploitants ?

Les concessions prolongées sous le régime des délais glissants étant considérées comme particulièrement problématiques par la Commission européenne, il pourrait être imaginé que la compensation porte sur la base d’un volume équivalent à une partie de la puissance installée que ces concessions échues représentent, voire sur celle des concessions arrivées à échéance d’ici les toutes prochaines années.

Pour autant, l’effort devra être justement réparti entre les différents exploitants : autrement dit, EDF devra supporter l’essentiel de ces mesures compensatoires compte tenu du fait qu’elle représente la majeure partie, en valeur absolue, de la puissance installée visée (à ce jour, EDF exploite 3 000 MW en délais glissants, contre 480 MW pour la SHEM) ;

– enfin, la mise en place des contreparties doit-elle être provisoire ou pérenne ?

Il serait, à tout le moins, pertinent de construire le dispositif compensatoire en prévoyant une clause de revoyure après quelques années, afin d’en adapter les modalités en fonction des observations transmises par les acteurs ; d’autant plus si, dans l’intervalle, la révision de la directive « Concessions » venait à suspendre toute mise en concurrence et que l’interconnexion du marché européen de l’électricité se poursuivant, celle-ci réduisait d’autant la position des acteurs nationaux.

Dans tous les cas, un tel système de mesures compensatoires permettrait d’améliorer la liquidité du marché de gros, dans la mesure, notamment, où EDF y mettrait à disposition une partie de sa production, qu’elle conservait jusqu’à présent pour ses propres clients. La Commission européenne s’est montrée ouverte à une telle idée.

S’il s’avère qu’un système de contreparties permet vraiment de clore les deux procédures européennes, il doit être envisagé avec attention. Néanmoins, les rapporteurs insistent pour que ces contreparties soient restreintes au strict nécessaire pour débloquer les précontentieux.

Les principaux contours de ce système de contreparties devront être fixés par le législateur lors du travail qui prolongera celui engagé dans le cadre de cette mission d’information.

Les rapporteurs disent, enfin, leur volonté de poursuivre leur travail, notamment les discussions avec la Commission européenne, le Gouvernement et les opérateurs, sur l’exemption des activités hydroélectriques de l’application de la directive « Concessions », d’une part, et sur l’élaboration de la loi permettant la résolution des précontentieux, d’autre part.

*

*     *

En complément de ce rapport, M. Mathias Tavel, du groupe La France insoumise, et Mme Julie Laernoes, du groupe Écologistes et social, membres de la présente mission d’information, souhaitent préciser qu’ils considèrent que la mise en concurrence doit être évitée absolument et soutiennent pleinement l’exigence de révision de la directive européenne. Mais dans le cas contraire, ils constatent que le régime d’autorisation, autant que les mesures compensatoires envisagées n’offrent pas de garantie pour éviter la mise en concurrence et soutiennent que le régime de la quasi-régie doit lui être préféré, contrairement à ce que préconise le rapport.

 


   travaux de la commission

Au cours de sa deuxième réunion du mardi 13 mai 2025, après-midi, la commission des affaires économiques a examiné le rapport de la mission d’information sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques (Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Philippe Bolo, rapporteurs).

Ce point de l’ordre du jour ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/bXFUQK

*

La commission a approuvé la publication du rapport d’information.


   Liste des personnes auditionnées

(par ordre chronologique)

Audition conjointe :

Cabinet de la ministre de la transition écologique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques (Mme Agnès Pannier-Runacher)

Mme Lisa Broutté, conseillère parlementaire

Cabinet de la ministre déléguée chargée de l’énergie (Mme Olga Givernet)

M. Nicolas Clausset, directeur de cabinet

M. Thibault Manneville, conseiller

Mme Nathalie Picot, conseillère parlementaire

Cabinet du ministre délégué chargé de l’industrie (M. Marc Ferracci)

M. Benjamin Carantino, directeur de cabinet adjoint

M. Boris Mazeau, conseiller parlementaire

Audition conjointe :

Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC)

Mme Sophie Mourlon directrice générale de l’énergie et du climat

M. Laurent Kueny, directeur de l’énergie

M. Jean Sevestre-Giraud, adjoint du directeur de l'énergie

Mme Hermine Durand, sous-directrice du système électrique et des énergies renouvelables

M. Paul Bougon, adjoint de la sous-directrice du système électrique et des énergies renouvelables

M. Étienne Perrot, chef du bureau des énergies renouvelables hydrauliques et marines

M. François Lailheugue, adjoint du chef de bureau des énergies renouvelables hydrauliques et marines, chargé du pôle hydroélectricité

Mme Tiphaine Cordier, cheffe de projet concessions hydroélectriques

Direction des affaires juridiques du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie (DAJ)

Mme Clémence Olsina, directrice des affaires juridiques

Mme Alice Raymond, cheffe du bureau du droit de l’industrie, de l’énergie et des réseaux de communication

M. Philippe Brun, adjoint à la cheffe du bureau du droit de l’industrie, de l’énergie et des réseaux de communication

Mme Pauline Beauverger, adjointe à la cheffe du bureau du droit public général

Mme Caroline Chappe, adjointe à la cheffe du bureau du droit européen et international

M. Victor Chaptal, adjoint à la cheffe du bureau de la réglementation générale de la commande publique

Mme Gwenaelle Neyroumande Shahreza, consultante au bureau de la réglementation générale de la commande publique

Agence des participations de l’État (APE)

M. Alexis Zajdenweber, Commissaire aux participations de l’État

M. Romain Valenty, directeur de participations « Énergie »

M. Arthur Faust, directeur de participations adjoint

Mme Pauline Lange, chargée de participation « EDF »

M. Jérémie Gué, chef du pôle juridique

Mme Nacéra Agostini, adjointe au chef du pôle juridique

Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)

M. Benoît Catzara, secrétaire général adjoint

Mme Laetitia Tailliez, cheffe du bureau « Concurrence et aides de l’État »

Mme Constance Deler, cheffe du bureau « Parlements »

EDF Hydro *

Mme Emmanuelle Verger, directrice d’EDF Hydro

M. Michael Varescon, directeur juridique adjoint « permitting production projet »

M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques d’EDF

Compagnie nationale du Rhône (CNR) *

Mme Laurence Borie-Bancel, présidente du directoire

M. Thomas San Marco, directeur exécutif « Affaires publiques, ressources en eau, communication »

M. Philippe Magherini, directeur exécutif « Affaires régulatoires, juridiques et éthiques »

Mme Bernadette Laclais, directrice des affaires publiques

Audition conjointe :

Engie *

M. Jean Baptiste Séjourné, directeur de la régulation

M. Julien Miro, directeur des relations parlementaires

Société hydroélectrique du Midi (SHEM) *

M. Cyrille Delprat, directeur général de la SHEM

Hydrocop

M. Frédéric Bouvier, président

M. Jean-Éric Carré, directeur général

Table ronde « Alternatifs » :

Syndicat des énergies renouvelables (SER) *

M. Jean-Charles Galland, président de la commission Hydroélectricité

M. Jérémy Simon, délégué général adjoint, en charge de l’animation et des filières

M. Alexandre de Montesquiou, consultant, directeur associé d’Ai2P, en charge des relations parlementaires du SER

Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG) *

M. Géry Lecerf, président de l’AFIEG

Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) *

Mme Naïma Idir, présidente de l’ANODE

CFE-CGC

M. Alexandre Grillat, secrétaire général de la CFE-CGC Énergie

Mme Audrey Bustamente, juriste et élue CFE à la SHEM

M. Emmanuel Goossens, secrétaire fédéral

FCE-CFDT

M. José Belo dos Reis, coordonnateur CFDT pour le groupe Engie

M. Michel Lozano, coordonnateur CFDT pour EDF Hydro

Mme Catherine Cutivet, coordonnatrice CFDT pour EDF Hydro

FNEM-FO (Énergie et mines)

M. Jean-Yves Segura, élu au CSE du centre d’ingéniérie hydraulique et des FCs EDF Hydro, délégué syndical et délégué coordonnateur FO EDF Hydro

Mme Armelle Ryckelynck, déléguée syndical EDF Hydro Alpes, secrétaire fédérale FNEM-FO

M. Benjamin Bouchout, salarié du CIH EDF Hydro travaillant sur les projets de STEP

FNME-CGT

M. Fabrice Coudour, secrétaire général adjoint de la FNME-CGT

M. Jean-Damien Navaro, responsable du Collectif Hydraulique fédéral

SUD

Mme Anne Debrégeas, porte-parole de la Fédération SUD-Énergie, ingénieure‑économiste sur le fonctionnement du système électrique

Réseau de transport d’électricité (RTE) *

M. Olivier Houvenagel directeur de l’économie du système électrique

M. Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles

France Hydroélectricité *

Mme Anne Penalba, vice-présidente

M. Jean-Marc Lévy, délégué général

M. Thomas Pellerin-Carlin, député au Parlement européen Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen / Place publique

Table ronde « Représentants des usagers de l’eau et des élus locaux » :

Départements de France

M. Martial Saddier, président du groupe de travail « Biodiversité et Eau » de Départements de France, président du département de la Haute-Savoie

M. Édouard Guillot, conseiller « Environnement, transition énergétique, agriculture, eau et réseaux »

M. Brice Lacourieux, conseiller « Relations avec le Parlement »

Association nationale des élus de bassins (ANEB)

M. Bruno Forel, président

Mme Catherine Gremillet, directrice

Association nationale des élus de montagne (ANEM)

Mme Marie-Annick Fournier, déléguée générale

Mme Dorothée Collet, directrice des relations institutionnelles

Association des maires de France (AMF)

M. Bertrand Hauchecorne, secrétaire général adjoint de l’AMF et maire de Mareau-aux-près

Mme Gwenola Stephan, chargée de mission « Énergie »

Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

M. Christophe Grudler, député au Parlement européen Renew Europe / Modem

Syndicat mixte d'études et d'aménagement de la Garonne (SMEAG)

M. Jean-Michel Fabre, président du SMEAG, vice-président du conseil départemental de Haute-Garonne

M. Franck Solacroup, directeur général des services

M. Stéphane Marliac, responsable du pôle « gestion quantitative »

M. Laurent Richer, professeur agrégé de droit public et avocat honoraire

Table ronde avec les sénateurs :

Mme Maryse Carrère, sénatrice des Hautes-Pyrénées, présidente du Rassemblement démocratique et social européen, conseillère départementale du Canton de la Vallée des Gaves

M. Guillaume Gontard, sénateur de l'Isère, président du groupe Écologistes - Solidarité et territoires

M. Daniel Gremillet, sénateur des Vosges, membre des Républicains

Mme Denise Saint-Pé, sénatrice des Pyrénées-Atlantiques, membre de l’Union centriste

Mme Marielle Wargnies, conseillère au groupe socialiste du Sénat

Mme Marina Mesure, députée au Parlement européen Groupe de la gauche / La France insoumise

M. Henri Savoie, avocat au cabinet Darrois et conseil du groupe de travail des administrateurs indépendants d’EDF

M. François-Xavier Bellamy, député au Parlement européen, président de la délégation française du Parti populaire européen, vice-président du groupe PPE au parlement européen

Table ronde avec les hydrauliciens et les acteurs territoriaux de Montézic

M. Jean-Claude Anglars, sénateur de l’Aveyron

M. Arnaud Viala, président du département de l’Aveyron

Mme Annie Cazard, vice-présidente du département de l’Aveyron

Mme Véronique Ortet, sous-préfète de Rodez

Mme Pauline Cestrières, maire de Montézic

M. Jean Hubert Beau D’Arboussier, responsable du Groupement d’usines de Montézic, et ses équipes

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

Les rapporteurs ont échangé à plusieurs reprises avec les responsables de la DG COMP et de la DG GROW de la Commission européenne (voir, pour la première rencontre, la liste des déplacements infra), de même qu’avec les ministères concernés.

Dans les semaines précédant la présentation du rapport, les trois exploitants principaux et les cinq organisations syndicales auditionnés au début des travaux de la mission d’information ont été auditionnés une dernière fois.

 

 


   Liste des déplacements

(par ordre chronologique)

 

Déplacement des rapporteurs à Bruxelles
(Jeudi 21 novembre 2024)

Commission européenne

Direction générale de la concurrence :

M. Nicola Pesaresi, chef de l’unité chargé des aides d’État

Mme Marieke Scholz, cheffe d’unité, énergie et environnement, antitrust

M. Flavien Christ, expert, unité antitrust

M. Guillaume Gonzalez, chargé de mission aides d’état

Mme Violeta Iftinchi, chargée de mission aides

Direction générale de l'énergie :

M. Tom Howes, conseiller, transition verte et réglementation du marché

Mme Annamaria Marchi, chef d’unité adjointe, marché Intérieur de l’énergie

Mme Vera Kissler, unité politique d’intégration des énergies renouvelables et des systèmes énergétiques

M. Théo Guerin-Seygnerole, analyste politique

Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME :

Mme Mary Veronica Tovsak Pleterski, directrice chargée de l'application du marché unique

M. Salvatore D’Acunto, chef d’unité, mise en œuvre – marchandises, services aux consommateurs, marchés publics et retards de paiement

M. Javier Palmero Zurdo, chef d’unité adjoint

M. Robert Wein, unité mise en œuvre – marchandises, services aux consommateurs, marchés publics et retards de paiement

M. Sébastien Pechberty, unité mise en œuvre – marchandises, services aux consommateurs, marchés publics et retards de paiement

Mme Vita Fricova, analyste politique

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

M. Cyril Piquemal, représentant permanent adjoint

M. Axel Demenet, conseiller concurrence et aides d’État

 

Déplacement en Isère et en Savoie
(Lundi 16 décembre 2024)

Visite des sites EDF de La Bâthie, de Romanche-Gavet et de Grand’Maison

Rencontre avec la direction et les équipes des sites

 

Déplacement à Lyon et à Grenoble
(Mercredi 8 janvier 2025)

Visite du site CNR de Pierre-Bénite

Rencontre avec la direction de CNR et les équipes du site

Visite du centre d’optimisation et de conduite de la production intermittente (COCPIT) de CNR

Rencontre avec la direction de CNR et les équipes du site

Visite de la division technique générale d’EDF

Rencontre avec la direction et les différentes équipes de la DTG


Déplacement des rapporteurs à Bruxelles
(Mardi 28 janvier 2025)

Commission européenne

M. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle

M. Salvatore D’Acunto, chef d’unité, mise en œuvre – marchandises, services aux consommateurs, marchés publics et retards de paiement, de la Direction générale du marché intérieur, de l’industrie, de l’entrepreneuriat et des PME

Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

M. Axel Demenet, conseiller concurrence et aides d’État

 

Déplacement dans les Pyrénées-Atlantiques
(Mercredi 12 février 2025)

Site SHEM de Laruns

Rencontre avec la direction de la SHEM et les équipes du site

M. Robert Casadebaig, maire de Laruns

 


   Liste des contributions écrites reçues

(par ordre alphabétique)

 

 

Centre européen de recherche et de documentation parlementaire (CERDP) : fiches sur l’organisation des secteurs hydroélectriques dans différents pays d’Europe

 

France Industrie *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) RTE, Bilan électrique 2024.

([2]) Chiffre du Service Données et études statistiques du ministère de l’aménagement du territoire et de la transition écologique.

([3]) Question écrite n° 07697, 1er août 2013.

([4]) Les concessions internationales sont des concessions franco-suisses ou franco-allemandes dans lesquelles EDF ou CNR sont actionnaires.

([5]) Par un courrier adressé au Secrétariat général de la commission européenne cité dans la mise en demeure n° 2018/2378.

([6]) Selon la définition donnée par l’article 5 de la directive, sont des droits exclusifs ceux accordés par une autorité compétente d’un État membre au moyen de toute loi, de tout règlement ou de toute disposition administrative publiée qui est compatible avec les traités ayant pour effet de réserver l’exercice d’une activité à un seul opérateur économique et d’affecter substantiellement la capacité des autres opérateurs économiques à exercer cette activité.

([7]) En France, ce monopole est prévu par les articles L. 321-1 et suivants du code de l’énergie, mais il est encadré par la concession historique de 1958, qui expire le 31 décembre 2051. Toutefois, la conjugaison de l’article 10 et de l’annexe II de la directive 2014/23/UE exclut cette concession de son champ d’application.

([8]) CJUE 28 mai 2020 Syndyk Masy Upadłości ECO-WIND Construction S.A. w upadłości, C-727/17 (points 51 à 60).

([9]) Ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicable à ces concessions et décret n° 2016-1129 du 17 août 2016 relatif à la procédure de dialogue concurrentiel pour les installations de production d’électricité.

([10]) Ce programme portait sur 10 vallées, pour une puissance totale de 5 300 MW, soit 20 % du parc.

([11]) Réponse ministérielle à un référé de 2013 du Premier président de la Cour des comptes. Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire sur le compte de commerce 914 « Renouvellement des concessions hydroélectriques », 2019.

([12]) « Je ne souhaite pas une nouvelle libéralisation. On me dit que le processus est tellement engagé qu’il doit être poursuivi dans la même logique – telle est d’ailleurs la position de la Commission européenne. J’ai donc demandé l’étude de scénarios alternatifs, mais je serais intéressée que votre commission se saisisse aussi de ce sujet et que les services puissent être auditionnés à cet effet, ce qui pourrait aider à forger la décision du Gouvernement. ».

([13]) Rapport 1404 de Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann sur l’hydroélectricité, 7 octobre 2013, p. 69.

([14]) À quelques exceptions comme le Torrent du Gâ et une autre concession en Auvergne.

([15]) Sénat, M. Vincent Delahaye, rapport n° 714 au nom de la commission d’enquête sur la production, la consommation et le prix de l’électricité aux horizons 2035 et 2050, 2 juillet 2024.

([16]) Référé n° S2022-1979 du 2 décembre 2022.

([17]) Le régime actuel découle de l’article 47 de la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, modifiant l’article 13 de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique.

([18]) Et le décret n° 2019-664 du 28 juin 2019 relatif à la redevance proportionnelle d’une concession d’énergie hydraulique en application de l’article L. 521-16 du code de l’énergie

([19]) Voir la question au Gouvernement posée en séance par Mme Battistel, le 14 février 2024.

([20]) Procédure n° 2015/2187.

([21]) La CJUE définit une position dominante comme « une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs » (source : Parlement européen)

([22]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire du compte de commerce 914 « Renouvellement des concessions hydroélectriques », 2019

([23]) Articles L. 3135-1 et R. 3135-1 et suivants du code de la commande publique.

([24])  Données issues du bilan électrique 2024 de RTE.

([25]) CJUE 28 mai 2020, Syndy Masy Upadlosci ECO WIND, aff. C 727/17.

([26]) Décret n° 2019-211 du 20 mars 2019 relatif au regroupement des concessions hydroélectriques de la Société Hydroélectrique du Midi sur la Têt.

([27]) Conseil d’État, 12 avril 2022, AFIEG, n° 434438.

([28]) https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/08/30/rhonergia-l-etat-abandonne-le-projet-conteste-de-barrage-sur-le-rhone_6299664_3244.html

([29]) Commission des affaires économiques, communication de Mme Marie-Noëlle Battistel sur les conclusions du groupe de travail relatif aux concessions hydroélectriques, 30 mai 2018.

([30]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire du compte de commerce 914 « Renouvellement des concessions hydroélectriques, 2019.

([31]) Cour des comptes, Note d’analyse de l’exécution budgétaire du compte de commerce 914 « Renouvellement des concessions hydroélectriques, 2022.

([32]) Pendant les périodes de moindre consommation, ces installations pompent l’eau du niveau inférieur vers le niveau supérieur. Cette eau stockée en amont est ensuite convertie en électricité (turbinée) pour répondre aux pics de consommation.

([33]) Une concertation préalable sur la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau a été réalisée du 28 juin au 16 septembre 2022. Elle a donné lieu à un rapport publié en février 2023. Mais son dispositif de soutien public est encore à l’étude.

([34]) Article L. 521-16 du code de l’énergie, introduit par l’article 73 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.

([35]) Considérant 40 de la directive.

([36]) BRLi, 2023, Étude de l’hydrologie du fleuve Rhône sous changement climatique.

([37])  CJUE, 3 avril 2014, France c/ Commission, C‐559/12 P, pts 94‐98, décision relative à La Poste.

([38])  Conseil d’État, fiche « Établissements publics industriels et commerciaux », 2018.

([39])  CJUE, 24 juillet 2003, C-280/00 - Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg.

([40]) Communication de la Commission européenne du 20 décembre 2011, n° 2012/C 8/02.

([41])  Benoît Delaunay, Droit public de la concurrence : Opérateurs publics, commande publique, ouverture des réseaux, LGDJ, 3e édition, 2023.

([42]) CJCE, 11 mai 2006, Carbotermo SpA, Aff. C-340/04, pt. 37 ; CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SÀ c/Cne d’Uccle, Aff. C-324/07, pt. 54

([43]) CJCE, 11 janvier 2005, Stadt Halle, Aff. C-26/03, et concl., pts. 62 à 78.

([44]) CJCE, 13 novembre 2008, Coditel Brabant SÀ, Aff. C-324/07, pt. 46 ; CE, 6 novembre 2013, Commune de Marsannay-la-Côte, n° 365079.   

([45]) CJUE, 22 décembre 2022, C383/21 et C384/21

([46]) CJCE, 19 avril 2007, Asociacion Profesional de Empresas Forestales (ASEMFO), Aff. C-295/05, pt. 60.

([47]) Les entreprises liées ont pour activité principale de fournir des services, fournitures et travaux au groupe auquel elle appartient, et non de les proposer sur le marché. En vertu de l’article L. 2511-8 du code de la commande publique (transposant l’article 13 de la directive de 2014), sont des entreprises liées à une entité adjudicatrice (telle EDF) soit les entreprises dont les comptes annuels sont consolidés avec ceux de l’entité adjudicatrice, soit celles qui sont susceptibles d’être, directement ou indirectement, soumises à l’influence dominante de l’entité adjudicatrice ou d’une entreprise exerçant elle-même une telle influence dominante sur l’entité adjudicatrice.

([48]) Il faut en effet démontrer la réalité de l’autonomie de l’entité vis-à-vis de sa maison-mère. On a vu que le juge européen applique le droit de la concurrence à l’ensemble des entreprises entendues comme « toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique ou de son mode de financement » (CJCE, 23 avr. 1991, Höfner et Elser, précité ; CJCE, 11 déc. 2007, ETI et autres, aff. C‑280/06, § 38.). Il en résulte que « lorsque des personnes juridiquement distinctes sont organisées sous la forme d’un groupe, il est de jurisprudence constante que celles-ci forment une seule et même entreprise, lorsqu’elles ne déterminent pas, de façon autonome, leur comportement sur le marché en cause, mais que, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissent à une société mère, celles-ci subissent à cette fin les effets de l’exercice effectif, par cette unité de direction, d’une influence déterminante » (CJUE, 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale SpA e.a. contre Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato e.a., aff. C-377/20, § 108). Dès lors, une position dominante peut être exploitée de façon abusive par une ou plusieurs filiales formant avec leur société mère une unité économique.

([49]) Voir le décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicables à ces concessions.

([50]) Article L. 121-1 du code de l’énergie : « Le service public de l’électricité a pour objet de garantir, dans le respect de l’intérêt général, l’approvisionnement en électricité sur l’ensemble du territoire national ».

([51]) 17 juillet 2014, Commission européenne c/ Dimosia Epicheirisi Ilektrismou AE (DEI) (C-553/12 P).

([52])  CJUE, 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14.

([53]) 3° de l’article R. 181- 13 du code de l’environnement.

([54]) L’article 5 de la directive « Concessions » définit une concession de travaux ou de services comme un contrat conclu à titre onéreux, pour l’exécution de travaux ou la prestation et la gestion de services, soit en contrepartie du droit d’exploiter les ouvrages ou services concernés, soit en contrepartie de ce droit et d’un prix.

([55]) Art. L. 3111-1 du CG3P.

([56]) Art. L. 2141-1 du CG3P.

([57]) Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-513 DC du 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports.

([58])  Décisions du Conseil constitutionnel n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 (§ 25) et n° 86-207 DC du 26 juin 1986 (§ 58).

([59])  Communication de la Commission relative à la notion d’« aide d'État » visée à l'article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (2016/C 262/01).

([60]) Art. 81 de la loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001 de finances rectificative pour 2001.

([61]) Loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports.

([62]) Décision du Conseil constitutionnel n° 2005-513 DC du 14 avril 2005, Loi relative aux aéroports.

([63])  3° de l’article 31-1 de l’ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique. Une action spécifique (ou golden share) mise en place au bénéfice de l’État permet à celui-ci de disposer de prérogatives exorbitantes de droit commun sur les décisions liées au capital d’une entreprise dont il est actionnaire, afin de protéger les intérêts essentiels du pays.

([64])  Articles L. 111-68 et L. 111-69 du code de l’énergie et décret n° 2007-1790 du 20 décembre 2007 instituant une action spécifique de l’État au capital de Gaz de France SA.

([65])  L’article 47-2 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz dispose également que « Le statut national du personnel des industries électriques et gazières s’applique au personnel des concessions hydrauliques sans que le renouvellement d’une concession puisse y faire obstacle ».

([66]) Directive 2014/23, directive 2014/24 et directive 2014/25.

([67]) Proposition de résolution européenne n° 1019 visant à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence, M. Philippe Bolo et Mme Marie-Noëlle Battistel.

([68]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/preserver_concessions_concurrence2

([69]) Notons qu’en matière d’activités liées à l’eau, la France a choisi de leur appliquer les procédures du code de la commande publique, malgré leur exemption. Toutefois, il s’agissait d’une décision du législateur national, et non d’une obligation ; seuls cinq autres États membres ont fait de même.

([70]) Voir le décret n° 2016-530 du 27 avril 2016 relatif aux concessions d’énergie hydraulique et approuvant le modèle de cahier des charges applicables à ces concessions.

([71]) Loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.