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N° 264 rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 octobre 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2018 (n° 235)

TOME X

ÉCONOMIE

ENTREPRISES

PAR M. VINCENT ROLLAND

Député

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 Voir les numéros : 235 et 273 (annexe 20).

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. PrÉsentation des PRINCIPALES dispositions financiÈres relatives aux entreprises

A. Évolution gÉnÉrale de la mission « Économie »

B. un soutien aux entreprises qui passe surtout par la voie fiscale

C. un budget en hausse, mais dont certains choix sont contestables

II. comment faciliter la transmission d’entreprises en France ?

A. les transmissions d’entreprises sont en nombre insuffisant

1. Situation et enjeux de la transmission d’entreprises en France

a. Situation

b. Enjeux

2. Les obstacles à la transmission

a. Des obstacles administratifs, fiscaux et financiers ?

b. Des obstacles psychologiques et humains

B. Comment surmonter les obstacles À la transmission ?

1. Les initiatives déjà prises

2. Des efforts à poursuivre

a. Communication

b. Accompagnement

c. Simplification

d. Fiscalité

e. Financement

Examen en commission

Liste des personnes auditionnÉes


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  introduction

Si les crédits de la mission « Économie » affichent, dans ce projet de loi de finances (PLF), un niveau stable - la baisse de 7,0 % des autorisations d’engagement correspondant à la trajectoire de financement prévue du plan « France Très haut débit » - ceux du programme 134 « Développement des entreprises et régulations » affichent, en revanche, une nette augmentation de 17,5 % en autorisations d’engagement et de 2,9 % en crédits de paiement, ce que votre rapporteur ne peut que saluer. Néanmoins, cette hausse masque un certain nombre de modifications du périmètre du programme, et des choix pour le moins discutables. Votre rapporteur se félicite de l’accroissement spectaculaire des crédits de l’action n° 20, qui permettra d’accroître le volume des garanties de prêts bancaires octroyées par Bpifrance, dont l’efficacité n’est plus à démontrer. Mais il déplore la baisse de plusieurs dépenses essentielles pour nos entreprises : celle des crédits du fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC), celle du secteur des services à la personne, celle des subventions des centres techniques industriels, ainsi que celle des crédits de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et des subventions des associations de consommateurs. Il souhaite faire part de ses inquiétudes sur les conséquences pratiques de ces baisses de crédits pour les acteurs économiques concernés, notamment dans les territoires ruraux. Il relève enfin la disparition de l’ensemble des dépenses d’intervention en faveur du tourisme, qui figuraient auparavant à l’action n° 21 de ce programme. Le tourisme et les entreprises concernées relèvent donc désormais du ministère des affaires étrangères et non plus du ministère de l’économie. Il faudra évaluer si, sur le long terme, ce changement d’affectation est satisfaisant.

Pour toutes ces raisons, lavis de votre rapporteur sur les crédits du programme 134 consacrés aux entreprises est défavorable.

Outre cette appréciation sur le budget, votre rapporteur a choisi de revenir, dans la seconde partie de cet avis, sur la question des transmissions d’entreprises, qui demeurent trop peu dynamiques dans notre pays.

Cette question est pourtant essentielle, alors que la démographie de nos chefs d’entreprise est vieillissante et qu’un bon fonctionnement du marché des cessions-reprises est essentiel à la croissance et à l’emploi, au maintien d’un tissu entrepreneurial suffisamment dense sur l’ensemble du territoire et à la croissance des petites et moyennes entreprises. L’examen des obstacles à la transmission suggère que, si des freins administratifs et fiscaux existent, l’essentiel de l’effort devrait porter sur l’accompagnement des cédants et des repreneurs. Les principaux obstacles à la transmission sont, en effet, d’ordre psychologique et humain. Votre rapporteur formule toutefois également des propositions propres à simplifier le financement des reprises d’entreprises ainsi que leur cadre fiscal. Il souhaite que les échéances législatives qui s’annoncent, en particulier le projet de loi sur les entreprises dont le dépôt est prévu pour le premier semestre de 2018, constituent des opportunités pour favoriser les transmissions d’entreprises en aménageant leur cadre légal.


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I.   PrÉsentation des PRINCIPALES dispositions financiÈres relatives aux entreprises

A.   Évolution gÉnÉrale de la mission « Économie »

Comme sous la précédente législature, les crédits de la mission « Économie » sont cette année répartis en quatre programmes :

– le programme 134 « Développement des entreprises et du tourisme », rebaptisé cette année « Développement des entreprises et régulations » ;

– le programme 220 « Statistiques et études économiques » ;

– le programme 305 « Stratégie économique et fiscale » ;

– le programme 343 « Plan “France Très haut débit” ».

En termes dévolution globale, les crédits de la mission enregistrent une baisse de 7,0 % en autorisations d’engagement et de 0,3 % en crédits de paiement. La réduction notable des autorisations d’engagement est intégralement portée par le programme 343, et correspond à la trajectoire de financement du plan « France Très haut débit », tel qu’il a été prévu. Les crédits affectés à la mission « Économie » demeurent donc stables pour cette année. La masse salariale affiche une baisse de 0,8 %, alors qu’elle avait connu une hausse de 0,1 % l’an dernier.

Les principales mesures annoncées pour l’année 2018 consistent en la poursuite, par les services du ministère de l’économie et des finances, de l’adaptation à la nouvelle organisation territoriale de la République et en la continuation de réformes structurelles visant à dégager des économies d’échelle, notamment par la direction générale du Trésor, qui restructure son réseau international, et par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui diminue ses coûts de fonctionnement et développe des schémas de mutualisation. Le ministère poursuit également ses efforts en matière de numérisation, en interne et dans ses relations avec les administrés, et en matière de simplification pour les entreprises.

B.   un soutien aux entreprises qui passe surtout par la voie fiscale

Le soutien de lÉtat aux entreprises passe davantage par la voie de dispositifs fiscaux que par le versement de crédits. Aussi votre rapporteur estime‑t-il utile de rappeler ici les principales évolutions fiscales concernant les entreprises.

D’après le projet annuel de performance (PAP), les dépenses fiscales rattachées au programme 134 devraient atteindre, en 2017, 24,9 milliards d’euros (Md) et seraient portées, en 2018, à 28,8 Md €, soit une augmentation de 15,8 %. Cet accroissement s’explique en grande partie par le relèvement du taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), porté à 7 % sur les salaires versés en 2017. Comme le prévoient l’article 42 du projet de loi de finances et l’article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, le CICE devrait voir son taux baisser d’un point pour les salaires versés en 2018, avant d’être transformé en un allégement pérenne de cotisations patronales à partir du 1er janvier 2019. À ce stade, nous pouvons nous interroger sur l’impact réel de cette mesure en termes d’allègement du coût du travail et de compétitivité pour les entreprises.

Ce projet de loi de finances est également marqué par la poursuite de la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés (IS). Le ministre de l’économie et des finances a détaillé le 30 août 2017 la trajectoire retenue, qui s’appuie sur la décision, prise sous la précédente législature, d’appliquer un taux de 28 % pour toutes les sociétés, dans la limite de 500 000 € de bénéfices, et de 33,33 % au-delà en 2018. Après 2018, la baisse du taux d’IS serait poursuivie selon le calendrier suivant :

– en 2019, 28 % pour toutes les sociétés, dans la limite de 500 000 € de bénéfices, et 31 % au-delà de cette limite ;

– en 2020, 28 % pour toutes les sociétés et sur la totalité des bénéfices ;

– en 2021, 26,5 % pour toutes les sociétés et sur la totalité des bénéfices ;

– en 2022, 25 % pour toutes les sociétés et sur la totalité des bénéfices.

Ce calendrier doit permettre de ramener le taux nominal d’impôt sur les sociétés en France à un niveau plus proche de celui de nos voisins européens. Ce taux est en effet de 30,18 % en Allemagne, en moyenne, de 20 % au Royaume‑Uni et de 23,2 % pour l’ensemble de l’Union européenne. Le calendrier prévu permet à toutes les entreprises de se voir appliquer un taux d’IS plus faible sur la totalité de leurs bénéfices dès 2019. Si votre rapporteur se félicite de cette évolution nécessaire, il regrette néanmoins que le projet d’élargir le champ des bénéficiaires du taux réduit à 15 %, des seules sociétés dont le chiffre d’affaires est inférieur à 7,63 M€, à celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 50 M€, dans la limite de 38 120 € de bénéfices, ait été abandonné. Il s’agissait, en effet, d’une mesure qui aurait favorisé l’essor de nos PME les plus importantes, dont on connaît les difficultés à poursuivre leur parcours de croissance.

La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, prévue à l’article 12 du projet de loi de finances pour 2018, outre qu’elle vise à permettre d’augmenter l’investissement dans les entreprises, implique également la suppression de la déductibilité de 50 % du montant des versements effectués à titre de souscription au capital d’une PME, dans la limite de 45 000 €. Votre rapporteur s’interroge sur la pertinence de cette mesure s’agissant du financement des PME, puisqu’il n’est pas certain que celles-ci bénéficient, à l’avenir, du niveau d’investissement que cet avantage fiscal leur assurait.

C.   un budget en hausse, mais dont certains choix sont contestables

Au sein de la mission « Économie », seul le programme 134 intéresse directement les entreprises. Plus précisément, seules les actions n° 2 « Commerce, artisanat, services » (qui représente 5,6 % des crédits du programme), n° 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » (24,0 % des crédits), n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire » (15,0 % des crédits), n° 8 « Expertise, conseil et inspection » (1,8 % des crédits), n° 20 « Financement des entreprises » (4,7 % des crédits) et n° 22 « Économie sociale et solidaire » (0,1 %) les concernent directement. Elles constituent néanmoins l’essentiel du budget du programme 134 puisque ces six actions représentent 51,0 % de ses crédits, soit 524 500 616 euros en autorisations d’engagement.

Sur l’ensemble du programme, les dépenses de personnel représentent, en crédits de paiement, 398 655 298 €, soit un montant en diminution de 2,4 % par rapport au montant ouvert en loi de finances pour 2017. Les dépenses de fonctionnement diminuent de 3,2 % pour atteindre 229 310 496 €. Les dépenses d’intervention augmentent de 0,8 %, pour s’élever à 354 685 758 €. Ces évolutions traduisent une maîtrise satisfaisante des dépenses publiques s’agissant de ce programme.

Sur les trois derniers projets de loi de finances, les crédits du programme 134 « Développement des entreprises et de lemploi » peuvent être retracés de la manière suivante :


PROGRAMME 134 (MISSION « ÉCONOMIE »)
VARIATIONS BUDGÉTAIRES (crédits demandés, en AE) 2016 / 2017 / 2018

Numéro et intitulé de l’action concernée

(nomenclature 2018)

PLF 2016

(en euros)

PLF 2017

(en euros)

PLF 2018

(en euros)

Observations

(sur les principales variations constatées entre 2016 et 2017)

Observations

(sur les principales variations constatées entre 2017 et 2018)

02 - Commerce, artisanat et services

68 065 681

62 110 957

57 422 031

- 8,75 % : réduction liée notamment à une baisse des aides au développement des PME

- 7,23 % : baisse des crédits du FISAC et de ceux du secteur des services à la personne

03  Actions en faveur des entreprises industrielles

150 501 131

266 970 225

246 254 324

+ 77,39 % : forte hausse due au transfert à cette action du financement de la compensation carbone des sites très électro-intensifs

- 7,39 % : baisse due à la réduction des subventions aux CTI ([1]) et surtout de la compensation carbone des sites très électro-intensifs

04  Développement des télécommunications, des postes et de la société de l’information

162 140 346

162 329 451

196 978 000

+ 0,12 %

+ 21,34% : nette hausse due notamment à l’ajout, à cette action, des crédits du CCED ([2])

07  Développement international des entreprises et attractivité du territoire

103 848 129

170 723 239

153 889 558

+ 64,40 % : hausse due à la création de la filiale « BPIfrance Assurance Export », désormais chargée des garanties publiques à l’export en lieu et place de Coface

- 9,51 % : baisse de la subvention de Business France et de la rémunération de Bpifrance Assurance Export

08  Expertise, conseil et inspection

18 966 725

19 942 514

18 784 703

+ 5,14 %

- 5,82 %

13  Régulation

des communications électroniques et des postes (ARCEP)

21 552 772

23 214 090

53 575 779

+ 7,71 % : augmentation liée à la présidence par l’ARCEP, en 2017, de l’ORECE ([3]) et aux nouvelles missions de l’ARCEP

+ 131,50% : hausse des dépenses de gestion du site de l’ARCEP en raison de l’engagement du nouveau bail pour l’intégralité de sa durée

14  Régulation et contrôle des marchés de l’énergie (CRE)

18 881 324

-

-

Cette action a été transférée aux programmes 217 « Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».

-

15  Mise en œuvre du droit de la concurrence (Autorité de la concurrence)

32 219 805

21 556 329

21 656 498

- 33,10 % : réduction liée à la budgétisation sur neuf ans, en 2016, du bail d’un immeuble loué par l’Autorité de la concurrence

+ 0,71%

16  Régulation concurrentielle des marchés

73 908 315

75 240 867

71 965 264

+ 1,80 %

- 4,35 % : réduction due à la baisse des dépenses de personnel de la DGCCRF

17  Protection économique du consommateur

120 107 333

121 206 577

115 165 741

+ 0,92 %

- 4,95 % : baisse s’expliquant par une réduction des crédits en faveur du mouvement consumériste

18  Sécurité du consommateur

43 704 298

45 424 053

43 517 023

+ 3,93 %

- 4,21 %

20  Financement des entreprises

 

26 427 295

25 098 673

48 000 000

- 5,03 %

+ 92,90% : hausse spectaculaire destinée à accroître le volume des garanties de prêts bancaires octroyées par Bpifrance

21  Développement du tourisme

7 020 749

2 380 376

742 643

- 66,10 % : baisse due à l’engagement des crédits finançant les enquêtes en 2016

- 67,91 % : baisse due à la disparition des dépenses d’intervention

22 – Économie sociale et solidaire

4 369 347

4 502 770

150 000

+ 3,05 %

- 96,95 % : les crédits de cette action sont transférés au programme 159 « Expertise, information géographique et météorologique », au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables »

Total

851 713 250

1 000 700 121

1 028 101 564

+ 17,49 %

+ 2,94%

Les crédits demandés au titre du programme 134 se répartissent de la manière suivante :

– laction n° 2 « Commerce, artisanat, services » vise à soutenir le développement du commerce de proximité, de l’artisanat et des services à la personne. Elle est dotée pour 2018 de 57 422 031 € en autorisations d’engagement (AE) et de 54 454 830 € en crédits de paiement (CP). Ces montants sont en baisse, par rapport au PLF pour 2016, de 7,2 % et de 1,7 % respectivement. Cette baisse est supportée surtout par les dépenses d’intervention, qui passent de 21 431 274 € dans le PLF pour 2017 à 18 238 942 €, en AE, soit une baisse de 14,9 %. Les dépenses de fonctionnement sont également touchées par cette baisse, quoique dans une moindre mesure.

Le service dit du « Guichet entreprises », rattaché à la direction générale des entreprises et chargé de la mise en œuvre d’un portail unique de la création d’entreprises, voit sa dotation de 4 millions d’euros (M€) demeurer stable ; l’année 2017 a vu l’amélioration du traitement des procédures dématérialisées facilitant la mise en ligne et la gestion des formalités administratives. Ces travaux doivent être poursuivis en 2018 afin de mettre à la disposition des utilisateurs des sites du « Guichet entreprises » l’ensemble des formalités liées aux activités réglementées et à l’exercice d’une profession réglementée. La dotation de l’établissement public d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) s’élève, comme l’an passé, à 5,98 M€, en AE comme en CP, après avoir connu plusieurs années de baisse régulière. Cet établissement intervient au profit des centres commerciaux de proximité dégradés installés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les zones franches urbaines, sous la forme de rénovations de ces centres, en vue d’une rétrocession à des opérateurs privés. Un nouveau contrat d’objectifs et de performance a été signé le 13 juillet 2016 pour la période 2016-2020, comprenant un objectif de 80 M€ d’investissements sur la période.

Le secteur des services à la personne voit ses dépenses de fonctionnement augmenter légèrement, passant de 0,77 M€ à 0,90 M€, en AE comme en CP. Ces dépenses financent notamment le marché relatif au système d’information NOVA, qui permet le traitement des demandes d’agrément et de déclaration. En revanche, les dépenses d’intervention, qui s’élevaient en 2017 à 0,83 M€ en AE et en CP et concernaient le contrat de filière du secteur des services à la personne, disparaissent de l’annexe budgétaire. Ce contrat, réunissant les organisations professionnelles et syndicales en partenariat avec l’État, visait à une politique d’accompagnement ciblé de ce secteur.

Sagissant du fonds dintervention pour les services, lartisanat et le commerce (FISAC), ses crédits diminuent de 15,2 % en autorisations dengagement, passant de 16,50 M€ à 14 M€ ; en revanche, ses crédits de paiement augmentent légèrement, passant de 10 M€ à 11 M€. Pour mémoire, la loi de finances pour 2015 attribuait au FISAC une capacité d’engagement de 19,31 M€ et des crédits de paiement à hauteur de 17 M€.

Cette réduction des moyens, devenue coutumière s’agissant du FISAC, s’explique par la réforme inscrite à l’article 61 de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, qui a modifié les modalités de sélection des dossiers en substituant, à une logique de guichet, des appels à projets. La suppression de la subvention au comité professionnel de distribution des carburants en loi de finances pour 2015, à la suite de laquelle le FISAC avait été chargé, pendant deux ans, d’apurer le stock de dossiers d’investissement de ce comité, explique également cette baisse : à compter de 2017, toutes les demandes d’aide en faveur des distributeurs de carburants indépendants sont rentrées dans le droit commun applicable aux commerces de proximité. Ces distributeurs ont bénéficié, en 2017, de 12,30 M€ issus du FISAC. Votre rapporteur déplore toutefois cette réduction, le FISAC jouant un rôle essentiel pour la préservation du tissu commercial en zone rurale, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les centre-bourgs dégradés.

En 2017, à la suite de l’appel à projets publié en juin 2016, le FISAC a financé 124 opérations rurales individuelles pour un montant de 3,40 M€. Les dossiers d’opérations collectives déposés en réponse à l’appel à projets doivent être présentés au comité de sélection au cours du dernier trimestre 2017. S’agissant des opérations nationales, le FISAC a versé, en 2017, 1,37 M€ aux pôles d’innovation pour l’artisanat et 2,80 M€ aux chambres de métiers et de l’artisanat pour des actions de développement économique.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur a souhaité déposer un amendement afin d’augmenter les crédits du FISAC.

La catégorie des aides au développement des PME regroupe plusieurs actions de soutien en matière de formation : financement de l’Institut supérieur des métiers et soutien à l’Institut national des métiers d’art. N’y figurent plus, depuis la loi de finances pour 2017, la dotation de l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA), ainsi que l’aide au départ des commerçants. Le présent projet de loi de finances voit quant à lui disparaître la subvention de l’Institut de formation commerciale permanente (IFOCOP), dispositif organisant des formations de longue durée à destination des demandeurs d’emploi dans les métiers du commerce et de la distribution, ainsi que les aides aux groupements professionnels de commerçants et d’artisans à compétence nationale. Les aides au développement des PME voient, toutefois, leurs crédits passer de 4,09 M€ à 4,24 M€, en AE comme en CP, soit une légère hausse de 3,7 %. Votre rapporteur regrette que la répartition de ces nouveaux crédits ne soit pas explicitée, puisque la lecture de l’annexe budgétaire, qui indique la disparition de deux subventions, laisserait plutôt supposer une réduction de moyens ;

– laction n° 3 « Actions en faveur des entreprises industrielles » voit ses moyens passer de 266 970 225 € à 246 254 324 € en AE, et de 269 858 637 € à 248 480 272 € en CP, soit une réduction de 7,4 % et de 7,6 %, respectivement. Cette action vise à améliorer la compétitivité de l’industrie française en agissant sur son environnement économique, réglementaire et financier, en proposant un accompagnement collectif sur des priorités stratégiques. Cette baisse s’explique essentiellement par celle du financement de la compensation carbone des sites très électro-intensifs, transféré à cette action depuis le programme 345 « Service public de l’énergie » en loi de finances pour 2017, qui vise à compenser en partie le coût du carbone lié au système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Ayant bénéficié de 116,70 M€ en AE comme en CP en 2017, cette compensation doit se voir attribuer 99,90 M€ en 2018, soit une baisse de 14,4 %. Cette baisse est due à celle du prix du quota carbone, passé de 7,80 € par tonne en 2015 à 5,40 € en 2016, année qui constitue la référence pour le calcul de cette compensation en 2018.

Au-delà de cette baisse, le financement de l’action demeure relativement stable. Les dépenses de fonctionnement sont maintenues à un niveau de 4,50 M€, en AE comme en CP. Parmi les dépenses d’intervention, votre rapporteur relève une diminution des subventions octroyées aux centres techniques industriels (CTI), qui passent de 15,10 M€ à 9,65 M€ en AE et en CP ; si la baisse décidée en loi de finances pour 2017, d’ailleurs plus modérée, était clairement expliquée dans l’annexe budgétaire par l’accroissement des ressources de l’Institut des corps gras et du Centre technique des industries de la fonderie en raison du remplacement progressif de leur subvention par une taxe affectée, aucune explication n’est fournie cette année. Les CTI, en suppléant aux difficultés des PME industrielles à investir dans des activités de R&D, ont pourtant un rôle essentiel à jouer en vue de la modernisation de notre appareil industriel. En revanche, votre rapporteur se félicite de l’augmentation de la subvention à l’Agence France Entrepreneur : d’un montant de 3,20 M€ en AE et en CP en 2017, celle-ci est portée à 4,12 M€, en AE et en CP également. Enfin, les actions de soutien à la compétitivité hors prix des PME bénéficient de moyens relativement stables, puisqu’ils passent de 17,30 M€ à 17,20 M€ en AE et de 20,10 M€ à 19,38 M€ en CP. Ces actions visent à améliorer la performance des filières professionnelles à travers un soutien au renforcement des compétences et à l’aide à l’organisation, notamment par l’intermédiaire des pôles de compétitivité ([4]) ;

 laction n° 4 « Développement des télécommunications, des postes et de la société de linformation » affiche une dotation en hausse, passant de 162 329 451 à 196 978 000 en AE, et de 162 329 451 à 176 978 000  en CP, soit une hausse de 21,3 % et de 9,0 %, respectivement. Mise en œuvre par la direction générale des entreprises, cette action vise à favoriser le développement des services de communications électroniques par une politique douverture à la concurrence et à linnovation, ainsi que par le maintien de prestations de service public.

Cette hausse s’explique en partie par celle des dépenses de fonctionnement, qui passent de 0,24 M€ à 25,50 M€ en AE, et de 0,24 M€ à 5,50 M€ en CP ; cette augmentation est due à la conclusion d’un marché de prestations pour le maintien de la diffusion du temps légal par voie hertzienne sur l’ensemble du territoire métropolitain à partie du 1er janvier 2018, pour une durée de cinq ans. Les crédits destinés à l’Agence du numérique pour l’amélioration de ses sites internet demeurent stables, à 0,24 M€, en AE comme en CP, de même que la subvention de l’Agence nationale des fréquences, qui passe de 31,30 M€ à 32 M€, en AE et en CP.

S’agissant des dépenses d’intervention, la modification la plus notable consiste dans le transfert, à cette action, des crédits gérés par le commissariat aux communications électroniques de défense pour le financement de ses opérations dans le secteur des communications électroniques. Ils figuraient auparavant au programme 218 « Conduite et pilotage des politiques économique, financière et industrielle ».

– laction n° 7 « Développement international des entreprises et attractivité du territoire » voit ses crédits passer de 170 723 239 € à 153 889 558 € en AE et de 170 723 239 € à 154 889 558 € en CP, soit une baisse de 9,5 % et de 8,9 %, respectivement. Cette baisse s’explique, pour une petite part, par celle de la subvention de Business France, dont les moyens s’élèveraient, en 2018, à 95,26 M€ en AE et en CP, alors qu’ils étaient de 98,10 M€ en 2017, en AE et en CP également. Mais c’est surtout la rémunération de la nouvelle filiale Bpifrance Assurance Export au titre des prestations qu’elle réalise pour le compte de l’État qui supporte cette baisse : s’élevant à 72,60 M€ en AE et en CP en 2017, elle serait, en 2018, de 58,60 M€ en AE et de 59,60 M€ en CP. Cette diminution s’explique par l’existence, en 2017, de dépenses non récurrentes liées aux coûts exceptionnels engendrés par le transfert de la gestion des garanties publiques à l’export de Coface à cette nouvelle filiale de Bpifrance ([5]). Il faudra toutefois veiller à ce que cette baisse de crédits ne pose pas de difficultés aux entreprises ;

– laction n° 8 « Expertise, conseil et inspection » voit ses moyens passer de 19 942 514 € à 18 784 703 € en AE et de 19 942 514 € à 18 807 229 € en CP, soit une diminution de 5,8 % et de 5,7 %, respectivement. Mise en œuvre par le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies (CGEIET), elle finance des études, des audits et des inspections dans le domaine économique, notamment sur le développement économique, l’industrie, les technologies de l’information et les ressources minières et minérales et l’utilisation du sous-sol ;

– laction n° 13 « Régulation des communications électroniques et des postes » finance la dotation de l’Agence de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP). Ses crédits passent de 23 214 090 € à 53 575 779 € en AE et de 23 214 090 € à 27 045 779 € en CP, soit une augmentation de 131,5 % et de 16,9 %, respectivement. Cette hausse est liée à l’engagement du nouveau bail du siège de cette autorité pour l’intégralité de sa durée ([6]) ;

– laction n° 15 « Mise en œuvre du droit de la concurrence » correspond au budget de l’Autorité de la concurrence. Elle permet donc d’assurer le respect du droit de la concurrence, le bon fonctionnement des marchés ainsi que le contrôle des opérations de concentration. Sa dotation passe de 21 556 329 € à 21 656 498 € en AE et de 23 214 090 € à 21 656 498 € en CP, soit une hausse de 0,7 % et une baisse de 4,2 %. Votre rapporteur regrette que l’Autorité de la concurrence, dont la qualité des interventions est reconnue et qui a vu le champ de ses missions nettement élargi par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation et la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, ne voie pas ses moyens accrus ;

– laction n° 16 « Régulation concurrentielle des marchés » vise à assurer le respect des règles de concurrence, à travers l’action de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et celle du réseau déconcentré des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Ses moyens sont en baisse, passant de 75 240 867 € à 71 965 264 € en AE et de 75 212 099 € à 72 165 058 € en CP, soit une baisse de 4,4 % et de 4,1 %, respectivement. Votre rapporteur s’interroge sur cette réduction des moyens, qui n’est que partiellement expliquée dans l’annexe budgétaire.

Votre rapporteur rappelle que les missions de la DGCCRF ont été nettement accrues au cours des dernières années, notamment par la loi n° 2014‑344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. La baisse des moyens de cette direction, déjà constatée l’an dernier, avait justifié l’adoption d’un amendement au projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Cet amendement, figurant aujourd’hui au IV de l’article 123 de la loi  2016-1691 du 9 décembre 2016, prévoit la remise au Parlement, par le Gouvernement, d’un rapport sur l’adéquation à ses missions des moyens alloués à la DGCCRF. Votre rapporteur estime la remise de ce rapport indispensable au législateur pour apprécier correctement la pertinence des moyens dévolus à celle-ci ;

– laction n° 17 « Protection économique du consommateur » vise à fournir aux consommateurs la garantie d’une information claire et loyale dans leurs actes d’achat. Son montant passe de 121 206 577 € à 115 165 741 € en AE et de 121 163 647 € à 115 470 465 € en CP, soit une baisse de 5,0 % et de 4,7 % respectivement. Les dépenses d’intervention de cette action participent au financement de l’Institut national de la consommation, des organisations de consommateurs, et du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC). D’après les informations fournies par le ministère, ce sont surtout les crédits destinés aux associations de consommateurs qui supporteraient cette baisse, ce que votre rapporteur ne peut que déplorer, en particulier dans le contexte des États généraux de l’alimentation, dont l’un des objectifs est précisément d’améliorer l’information du consommateur sur les produits alimentaires qui lui sont proposés ;

 laction 18 « Sécurité du consommateur », mise en œuvre par la DGCCRF, vise à assurer la sécurité physique et la santé des consommateurs. Elle voit ses crédits diminuer de 4,2 % en AE et de 3,9 % en CP, pour s’établir à 43 517 023 € en AE et à 43 637 837 € en CP. Ici encore, votre rapporteur estime l’annexe budgétaire insuffisamment précise sur les motifs de cette diminution ;

 laction 20 « Financement des entreprises » vise à fournir un appui au développement des PME et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), à travers l’action de BPIfrance. Elle comprend le financement de fonds de garantie permettant de faciliter l’accès des entreprises au crédit, des opérations de cofinancement, et la couverture d’investissements en fonds propres par des fonds de capital-risque. Elle finance également des garanties de prêts bancaires octroyés à des entreprises implantées dans les départements d’outre-mer. Ses crédits passent de 25 098 673 € à 48 000 000 € en AE et de 25 098 673 € à 48 000 000 € en CP, soit une hausse de 92,9 % dans les deux cas. Votre rapporteur se réjouit de cette nette augmentation, qui viendra accroître les moyens dont dispose BPIfrance pour garantir des prêts à des entreprises, dont on connaît l’important effet de levier ;

– laction n° 21 « Développement du tourisme » vise à promouvoir l’image de la France en tant que destination touristique, à structurer l’offre et les filières de ce secteur, et à faciliter le départ en vacances de tous. Ses crédits passent de 2 380 376 € à 742 643 € en AE et de 4 256 460 € à 1 846 026 € en CP, soit une baisse de 67,9 % et de 55,6 %, respectivement ([7]). La lecture du projet annuel de performance permet de constater que cette baisse massive s’explique par la disparition des dépenses d’intervention figurant auparavant à cette action, à savoir les dépenses de développement des politiques touristiques et des politiques sociales, ainsi que celles finançant le « Plan qualité tourisme », mais aucune précision n’est apportée quant au devenir de ces dépenses. Votre rapporteur estime que l’importance du secteur touristique, qui constitue un gisement de croissance et d’emploi précieux pour notre pays, devrait justifier des explications plus claires ;

– laction n° 22 « Économie sociale et solidaire », qui avait fait son apparition dans le programme 134 à l’occasion de la loi de finances pour 2016, est désormais transférée au programme 159 « Expertise, information géographique et météorologique », au sein de la mission « Écologie, développement et mobilité durables » ([8]). Seule demeure à cette action une somme résiduelle de 150 000 € en AE, destinée au financement d’une partie réduite (2 à 5 %) des contrats à impact social ayant fait l’objet de protocoles d’engagement de la part des ministères concernés.


Votre rapporteur est inquiet des conséquences de ces baisses de crédits, s’agissant de dispositifs à destination directe des entreprises et de ce qu’on peut appeler « l’économie de proximité », indispensable pour l’attractivité de nos territoires.


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II.   comment faciliter la transmission d’entreprises en France ?

La question des transmissions d’entreprises a fait l’objet d’une appropriation récente par les politiques publiques. Même si des dispositifs fiscaux propres à favoriser les transmissions existent de longue date, la première démarche envisageant cet enjeu sous un angle global remonte à 2015, à la suite de la remise du rapport de la députée Fanny Dombre-Coste ([9]) le 7 juillet 2015.

Au vu de la démographie vieillissante des chefs d’entreprise, cette question revêt aujourd’hui un caractère urgent. C’est pourquoi votre rapporteur souhaite revenir sur cet enjeu, afin de dresser un bref bilan des initiatives déjà prises et de suggérer des pistes d’amélioration. La question de la transmission d’entreprises sera entendue dans un sens large, incluant non seulement les transmissions familiales mais l’ensemble des cessions-reprises, et l’accent porté sur les cessions des entreprises petites et moyennes, qui sont celles pour lesquelles des difficultés spécifiques existent.

A.   les transmissions d’entreprises sont en nombre insuffisant

1.   Situation et enjeux de la transmission d’entreprises en France

a.   Situation

S’agissant de la transmission d’entreprises en France, un diagnostic est régulièrement entendu : les transmissions sont en nombre insuffisant. 170 000 entreprises seraient à céder en France. Sur ce nombre, beaucoup ne seraient, cependant, pas réellement vendables, en raison d’une localisation peu attractive, d’une situation financière dégradée ou d’une activité fortement attachée à une personne ou à un couple s’agissant des professions libérales ou de certains commerces. Si environ 60 000 entreprises seraient cédées par an, 30 000 disparaîtraient faute de repreneur.

Il est actuellement difficile de disposer de données complètes sur les transmissions d’entreprises, puisque l’INSEE a cessé de comptabiliser cellesci depuis 2006. La dernière édition des Carnets de BPCE L’Observatoire consacrée à la cession-transmission des PME et des TPE, publiée en mai 2017, avance les chiffres de 15 364 PME et de 45 762 TPE cédées au cours de l’année 2014, soit 61 126 entreprises au total ([10]). S’agissant des PME, ce chiffre comprend 10 619 cessions certaines et 4 745 cessions probables, et marque un léger repli par rapport à l’année 2013, pour laquelle une estimation de 16 348 cessions avait été retenue, mais confirme la hausse tendancielle observée depuis 2005, date à laquelle on estimait à 10 680 le nombre de cessions réalisées.

On constate, par ailleurs, que les cédants rencontrent des difficultés inégales selon la taille, le secteur et la localisation de leur entreprise. Il est établi que la taille de l’entreprise à céder constitue le facteur le plus déterminant : moins une entreprise compte de salariés, plus sa cession est difficile. Selon le rapport précité de BPCE L’Observatoire, les disparitions des TPE sont deux fois plus fréquentes que celles des PME, tandis que les cessions sont moitié moindres. 1,9 % des sociétés sans salarié ont été cédées en 2014, contre 3,1 % des TPE de 1 à 2 salariés, 3,9 % des sociétés de 3 à 5 salariés et 4,2 % de celles de 6 à 9 salariés. La même graduation est observée pour les PME : le taux de cession des entités comprenant entre 10 et 19 salariés est très inférieur à celui des entités comprenant plus de 20 salariés, et a fortiori de celui de celles comprenant plus de 50 salariés.

S’agissant des secteurs d’activité, certains sont marqués par des taux de cession faibles et des taux de disparition de leurs entreprises supérieurs à la moyenne. C’est le cas de l’imprimerie, du travail du bois, de la construction, des services relatifs à l’habillement, des transports terrestres, des activités d’étude et de conseil et des professions libérales. D’autres se caractérisent par les traits inverses, notamment les activités d’information et de communication, le commerce, l’artisanat alimentaire, le secteur de l’hôtellerie et de la restauration et les services aux particuliers ([11]).

De fortes disparités territoriales sont également constatables. L’Observatoire BPCE souligne ainsi que le taux de cession des TPE était supérieur à 3 %, en 2014, dans les régions Aquitaine, Basse-Normandie, Bretagne, Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Rhône-Alpes, alors que les régions Alsace, Bourgogne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Lorraine, Nord-Pas-de-Calais et Picardie affichaient des taux inférieurs à 2,7 %. Les départements dotés d’une grande métropole (Paris, Nord, Bas-Rhin,
Bouches-du-Rhône, Haute-Garonne, Gironde, Loire-Atlantique) présentent des taux de cession de TPE inférieurs à la moyenne en raison de la forte densité de leur tissu productif, qui atténue la nécessité d’acquérir un nom ou une clientèle pour développer son activité, et du dynamisme de la création d’entreprises sur leur territoire. La relation inverse est constatable s’agissant des PME : ce sont celles qui sont situées dans les zones les plus dynamiques économiquement qui trouvent le plus facilement un repreneur.

b.   Enjeux

Accroître le taux de reprise des entreprises revêt tout d’abord une importance particulière dans l’optique de dynamiser la croissance et la création d’emplois. Le taux de survie des entreprises reprises est, en effet, supérieur au taux de survie des entreprises créées. Si la destruction créatrice apparaît comme le mécanisme normal par lequel une économie évolue en fonction des besoins, force est de constater qu’une perte nette peut parfois survenir. Il serait plus vertueux de conserver les entreprises existantes en facilitant leur transmission. Préserver un savoir-faire, une marque, une réputation, un tissu humain qui fonctionne, au lieu de repartir de zéro serait plus conforme à l’intérêt collectif. L’échec d’une transmission, ou le défaut de celle-ci, constitue une perte de richesse et de croissance. Si nous pouvons nous réjouir du dynamisme de la création d’entreprises dans les secteurs émergents de notre économie, avec des projets souvent portés par nos jeunes générations, ce serait une erreur de négliger l’avenir des entreprises déjà existantes, porteuses d’une histoire humaine dense et solidement implantées dans nos territoires, et ayant établi sur la durée des relations de confiance avec leurs fournisseurs et leurs clients.

En outre, une plus forte pérennité des entreprises existantes présente un enjeu en termes d’aménagement du territoire : en raison de la poursuite du mouvement de métropolisation, les entreprises qui disparaissent faute de repreneur sont plus souvent situées dans les zones rurales ou à proximité des villes moyennes que les entreprises qui se créent, plus souvent implantées en métropole. Faciliter la transmission d’entreprises revient donc également à favoriser l’ancrage local de nos entreprises et l’équilibre du territoire. L’enjeu est considérable lorsque l’on connaît l’ampleur de la désertification qui affecte les centres-villes de nos villes moyennes. L’Observatoire BPCE constate ainsi que les plus forts taux de disparition de TPE à la suite du départ à la retraite du dirigeant sont relevés sur les mêmes territoires que ceux où les taux de création d’entreprises sont les moins élevés : c’est le cas des départements des Ardennes, du Cantal, du Cher, du Loir‑et-Cher, du Lot-et-Garonne ou de la Creuse.

Enfin, ne pas trouver de repreneur signifie également, pour certaines entreprises, interrompre un parcours de croissance qui pouvait être prometteur. Or la France souffre précisément de la faiblesse relative de l’échelon intermédiaire de son tissu productif, par rapport à l’Allemagne notamment. Une entreprise doit pourtant atteindre une taille critique pour être en mesure d’être active à l’international et d’investir dans l’innovation. Faciliter la transmission d’entreprises permettrait donc de réduire la fragmentation du paysage entrepreneurial français et d’améliorer notre compétitivité. Le projet de loi sur les entreprises, annoncé pour l’an prochain, et qui sera présenté par le ministre de l’économie et des finances, sera, votre rapporteur l’espère, l’occasion d’inscrire cette ambition dans notre droit.

2.   Les obstacles à la transmission

a.   Des obstacles administratifs, fiscaux et financiers ?

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les obstacles fiscaux ont été rarement cités comme les principales barrières à la transmission d’entreprise au cours des auditions conduites par votre rapporteur. De nombreux dispositifs fiscaux visant à faciliter les transmissions d’entreprises existent, en effet, d’ores et déjà :

– une exonération totale des plus-values de cession lorsque la valeur des éléments transmis est inférieure à 300 000 €, et partielle au-delà, comme le prévoit l’article 238 quinquies du code général des impôts ;

– une exonération totale des plus-values de cession lorsque les recettes annuelles sont inférieures à 250 000 € pour les bénéfices commerciaux, et à 90 000 € pour les bénéfices non commerciaux, et partielle au-delà de ces seuils, comme prévu à l’article 151 septies du même code ;

– d’autres dispositifs d’exonération des plus-values de cession sont prévus aux articles 151 septies A et B.

Votre rapporteur avancera plus loin des propositions en vue d’améliorer le cadre fiscal des cessions d’entreprises et le financement des repreneurs. Il apparaît toutefois, aux dires des personnes entendues par lui, que les aspects fiscaux et de financement ne constituent pas les principaux obstacles aux cessions d’entreprises. Il en serait de même des formalités administratives : si des mesures de simplification sont possibles et souhaitables, elles ne figurent pas, à l’heure actuelle, parmi les facteurs dissuadant le plus les chefs d’entreprise de céder leur affaire.

Par ailleurs, malgré des soutiens mis en place par Bpifrance, qui propose des prêts et un dispositif de garantie pour les repreneurs de PME, ces derniers demeurent confrontés à des difficultés financières en raison de la frilosité des banques à accompagner certains projets. La Confédération des petites et moyennes entreprises souligne ainsi que près d’un tiers des repreneurs déclarent avoir rencontré des difficultés pour financer leur investissement.

b.   Des obstacles psychologiques et humains

Selon l’avis de l’ensemble des personnes qu’il a entendues en audition dans le cadre du présent rapport, les obstacles à la transmission d’entreprises sont principalement d’ordre psychologique. Pour le propriétaire d’une entreprise, celle-ci constitue souvent le fruit d’efforts opiniâtres, voire l’œuvre de sa vie. Dans ces conditions, l’arrivée à un âge proche de la retraite, avec les appréhensions qui y sont attachées, constitue une échéance qui n’est envisagée qu’avec réticence, et n’est donc que rarement anticipée de manière suffisante. Lorsqu’elle l’est, la transmission peut néanmoins être différée par la recherche du meilleur repreneur, qui est certes légitime, mais devient parfois une quête du repreneur parfait. Celui-ci ne se présentant pas toujours, la transmission peut finalement se faire dans de mauvaises conditions, voire ne pas se faire du tout. On observe, par ailleurs, une réticence croissante des chefs d’entreprise à céder leur entreprise au fur et à mesure qu’ils vieillissent. Selon plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, si la cession n’intervient pas avant les 60 ans du dirigeant, elle devient très peu probable. Le désir de demeurer actif et, éventuellement, de fortes exigences s’agissant du profil du repreneur potentiel, se conjuguent souvent avec un changement de comportement dans la direction de l’entreprise : à mesure qu’il avance en âge, le dirigeant se projette moins dans l’avenir, réduit l’endettement et l’investissement et abandonne la perspective de faire croître son activité. En somme, plus la cession est différée, plus elle devient difficile en raison d’une perte de valeur de l’entreprise.

C’est que l’enjeu d’une cession, pour un dirigeant en place, constitue moins une question financière qu’une question humaine : selon une enquête menée par le cabinet d’avocats FIDAL auprès de 115 dirigeants d’entreprises, 51 % d’entre eux se préoccupent de l’avenir de leur entreprise avant de se soucier du prix auquel ils la céderont ; ils citent, parmi leurs préoccupations majeures, la pérennité de leur entreprise pour 32 % d’entre eux, le bénéfice financier de l’opération n’arrivant qu’en seconde position avec 20 % des réponses. Sur le terrain, cette enquête relève que les dirigeants sont essentiellement soucieux de réussir la transmission, et ont même parfois tendance à sous-estimer leurs besoins financiers ultérieurs.

Ces inconvénients expliquent la nette dissymétrie entre l’offre et la demande observable sur le marché de la cession d’entreprises. Pour les entreprises de services aux entreprises, de négoce, ou les entreprises franchisées, on compte une offre de cession pour quatre à cinq demandes de reprise. Une entreprise saine, dans un secteur d’activité relativement dynamique, trouvera toujours un repreneur. Les cédants sont, eux, beaucoup plus difficiles à convaincre, mais aussi à identifier. Selon l’expression employée par l’une des personnes entendues en audition, le marché de la reprise est un « marché invisible », où, du moins, le versant de l’offre est caché.

Votre rapporteur souhaite souligner que ces enjeux prennent un relief particulier aujourd’hui en raison du vieillissement des dirigeants d’entreprises. Comme l’indique BPCE L’Observatoire dans son rapport, la tendance au vieillissement des dirigeants de PME et d’entreprises de taille d’intermédiaire (ETI) s’accélère : la proportion des dirigeants de 60 ans ou plus est passée de 14,6 % en 2005 à 17,2 % en 2010 et à 21,1 % en 2014. Bien plus, la part des 66 ans ou plus, après avoir progressé de 0,6 % entre 2005 et 2010, s’est accrue de 2,5 % entre 2010 et 2014, pour atteindre 8,6 %. L’enjeu du renouvellement des générations à la tête de notre tissu entrepreneurial se pose donc avec une acuité croissante.

B.   Comment surmonter les obstacles À la transmission ?

1.   Les initiatives déjà prises

Des premiers pas ont été accomplis, à travers une prise de conscience par la sphère publique de l’importance de cet enjeu, et la réalisation d’un diagnostic par le rapport de Mme Fanny Dombre-Coste.

En mars 2015 a été constitué le réseau « Transmettre et Reprendre », qui réunit les principaux acteurs concernés par la question des cessions et reprises d’entreprises. Ce réseau regroupe l’agence pour la création d'entreprises, l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat, Bpifrance, CCI Entreprendre en France, le Conseil national des barreaux, le conseil supérieur du notariat et le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables, auquel s’est ajoutée plus récemment l’association « Cédants et Repreneurs d’affaires ».

À la suite de la remise du rapport de Mme Dombre-Coste, un comité de pilotage a été constitué au ministère de l’économie, de l’industrie et du numérique afin de cerner les initiatives à prendre pour améliorer la transmission d’entreprises. Ce groupe de travail a identifié des modifications législatives utiles à cette fin, dont certaines sont d’ores et déjà entrées en vigueur : il en est ainsi de la possibilité, pour les entreprises individuelles de moins de dix salariés, d’étaler le paiement des impôts dus sur les plus-values de cession d’un fonds de commerce dans le cadre d’un crédit-vendeur ([12]), de l’allégement des formalités en cas d’apport d’un fonds de commerce à une société unipersonnelle ou de la suppression de l’obligation de faire appel à un commissaire aux apports en cas de passage du statut d’entreprise individuelle à celui de société unipersonnelle ([13]).

Une campagne de communication en faveur de la transmission-reprise a été lancée en novembre 2016 par la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire, en coopération avec les acteurs du comité de pilotage. Son point d’orgue a été la tenue d’une « Semaine de la transmission-reprise » du 14 au 27 novembre 2016, qui a compté plus d’une centaine d’événements en France. Cette initiative est sur le point d’être renouvelée et amplifiée cette année à travers une « Quinzaine de la transmission-reprise », prévue du 17 novembre au 5 décembre 2017.

Par ailleurs, un référent a été nommé dans chaque direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi afin de déployer des réseaux régionaux de la transmission-reprise et de les animer.

L’enjeu du financement de la reprise a également été éclairé par autre rapport de l’Observatoire du financement des entreprises, portant sur le financement de la transmission des TPE et PME ([14]), remis le 7 décembre 2016 au ministre de l’économie et des finances et à la secrétaire d’État chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire.

2.   Des efforts à poursuivre

a.   Communication

On a vu que la faiblesse relative du marché des cessions-reprises s’expliquait, pour une bonne part, par les réticences des chefs d’entreprise à céder du fait de leur manque d’anticipation de cette opération.

Ce diagnostic a conduit le réseau des CCI à mener, depuis 2007, des campagnes d’appels téléphoniques auprès des chefs d’entreprise afin de les sensibiliser sur les enjeux de la cession et de leur proposer une rencontre avec un conseiller pour évoquer ce sujet. Plus de 110 000 chefs d’entreprises ont été contactés à ce jour. Malgré le coût important de ce type de campagne, l’utilité de contacts directs et répétés paraît démontrée. Il serait utile d’étendre ce dispositif afin d’en maximiser la portée.

Il conviendrait également de mieux faire connaître les bourses de la transmission, qui existent d’ores et déjà sur internet (« Bourse Transmission » de Bpifrance, base de données de l’association « Cédants et Repreneurs d’affaires »), afin de faciliter la mise en relation des cédants et des repreneurs.

b.   Accompagnement

Plusieurs dispositifs d’accompagnement existent d’ores et déjà à l’intention des cédants et des repreneurs d’entreprises. Elles sont le fait des techniciens qui appuient les entreprises tout au long de leur cycle de vie, à savoir les experts-comptables, les commissaires aux comptes ou les avocats spécialistes, des réseaux consulaires, mais aussi d’associations spécialisées dans l’accompagnement des créateurs et repreneurs d’entreprises, telles que l’Association pour le droit à l’initiative économique, France Active, Initiative France ou Réseau Entreprendre.

S’agissant de l’accompagnement à l’intention des cédants, les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné la nécessité de les sensibiliser le plus tôt possible aux enjeux de la transmission. Passé un certain âge, de 60 à 65 ans, la plupart des chefs d’entreprise perdent en effet de vue la possibilité de transmettre. Ce moment coïncide souvent avec une réduction du volume des investissements et une stagnation, voire un repli, de l’activité de l’entreprise, qui la rend d’ailleurs moins attrayante pour un repreneur.

S’agissant de l’accompagnement à l’intention des repreneurs, la grande efficacité de l’intervention des associations spécialisées est établie. Celles-ci assurent, pour les créateurs et repreneurs qui le souhaitent et qui sont sélectionnés, un accompagnement humain et personnalisé par des chefs d’entreprises expérimentés et bénévoles, à la fois avant, pendant et après la reprise. Initiative France sélectionne ainsi des candidats en s’assurant de leur expérience, de leurs qualités et de l’existence d’un plan de financement solide pour le projet qu’ils portent, les prépare humainement et financièrement au lancement de celui-ci puis les fait passer devant une commission d’agrément composée de professionnels, qui valide ou non le projet. En cas de validation, le candidat reçoit un prêt d’honneur, qui présente le plus souvent un fort effet de levier pour l’obtention de financements bancaires. Le taux de pérennité à un horizon de trois à cinq ans des entrepreneurs ainsi accompagnés est de 92 %, alors qu’il s’établit à 71 % en moyenne nationale. La sélection des projets est pourtant loin d’être drastique, puisque 80 % des dossiers sont approuvés par la commission d’agrément. En réalité, la plupart des candidats écartés abandonnent le processus de préparation en cours de route. Les entrepreneurs qui le souhaitent bénéficient, outre d’un accompagnement technique par les salariés de l’association, d’un parrainage individuel avec un entrepreneur chevronné, qui vise moins à former le candidat à la reprise qu’à lui fournir un interlocuteur lui permettant de préciser son projet et de porter son attention sur les points les plus sensibles d’un projet entrepreneurial, à savoir la gestion de la trésorerie et celle du cycle commercial. Réseau Entreprendre suit un processus comparable, en proposant, une fois par mois, une rencontre avec un chef d’entreprise expérimenté et un accompagnement collectif dans un club d’entrepreneurs débutants, qui autorise un partage des expériences. Le taux de pérennité des entreprises accompagnées est de 90 % à trois ans et de près de 80 % à cinq ans. Les prêts d’honneur accordés, d’un montant de 15 000 à 50 000 €, ont un effet de levier sur les financements bancaires compris entre 1 et 18. En raison du fort taux de succès des entreprises accompagnées, ces prêts sont la plupart du temps entièrement remboursés, permettant de financer de nouveaux projets. L’argent investi peut ainsi être réutilisé quatre à cinq fois.

Or seules 15 % des entreprises créées ou reprises bénéficient d’un tel accompagnement, soit que tous les entrepreneurs ne connaissent pas son existence, soit qu’ils préfèrent s’engager seuls dans leur projet. Outre une meilleure communication sur l’apport de ces accompagnements, votre rapporteur estime que le rôle d’intérêt public que jouent ces associations justifierait que des incitations financières spécifiques soient prévues pour les repreneurs d’entreprises qui y recourent. Le montant des garanties, des avances remboursables ou des prêts bonifiés accordés par Bpifrance pourrait ainsi être augmenté pour les entreprises accompagnées par ce type de réseaux. Au vu des taux de succès des entreprises accompagnées, cette mesure serait sans effet sur les finances publiques.

c.   Simplification

Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que les formalités administratives obligatoires pour la réalisation d’une cession-reprise ne représentaient pas l’obstacle principal à l’augmentation du nombre d’opérations. Certaines mesures apparaissent toutefois souhaitables.

La première, et la plus urgente, est de supprimer les obligations d’information des salariés découlant des articles 18, 19 et 20 de la loi n° 2014856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire. Ces articles prévoient une obligation d’information des salariés sur les possibilités de reprise d’une société par ceux-ci, organisée au moins une fois tous les trois ans dans les sociétés de moins de 250 salariés. Ils disposent également que le chef d’une entreprise de moins de 250 salariés ayant l’intention de céder son fonds de commerce ou des parts de sa société donnant accès à la majorité du capital de celle-ci doit en informer ses salariés dans un délai minimal de deux mois avant la cession. Bien que la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques ait modifié la sanction applicable en cas de méconnaissance de ces obligations, en substituant une amende civile à l’annulation pure et simple de la cession, ces obligations compliquent les projets de cession et peuvent même les mettre en péril, alors que leur efficacité sur le taux de reprise par des salariés est probablement nulle. La cession d’une entreprise doit, en effet, pouvoir se dérouler dans un climat de confidentialité afin de ne pas créer de méfiance chez les partenaires de l’entreprise, à savoir ses clients, ses fournisseurs, son banquier, mais aussi ses salariés. L’obligation de discrétion prévue par la loi est insuffisante pour écarter cette méfiance : elle ne s’applique, en effet, qu’aux informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par le cédant et ne s’applique pas, en tout état de cause, à l’égard des personnes dont le concours est nécessaire pour permettre aux salariés de présenter une offre d’achat. La quasi-totalité des personnes entendues par votre rapporteur ont souligné que ces dispositions avaient créé un climat de méfiance et qu’elles avaient freiné les transmissions d’entreprises au moment de leur adoption.

Une seconde mesure de simplification bienvenue consisterait à faciliter le changement de régime matrimonial, qui ne peut actuellement intervenir avant l’expiration d’un délai de deux ans après le mariage ou après un précédent changement de régime matrimonial. En l’absence de contrat, les époux sont en effet soumis au régime de la communauté réduite aux acquêts, qui est peu protecteur pour la famille d’un entrepreneur. Aussi votre rapporteur propose-t-il de réduire ce délai, voire de le supprimer.

d.   Fiscalité

Si des aménagements fiscaux existent pour favoriser les reprises d’entreprises, dont l’efficacité est reconnue, le caractère très technique et fluctuant de ces dispositifs demeure un frein important à leur utilisation et constitue un facteur qui peut faire différer un projet de transmission, voire y faire renoncer. Votre rapporteur souhaite faire écho à une préoccupation maintes fois exprimée par les personnes reçues en audition : la stabilité fiscale est un facteur déterminant du climat des affaires, en particulier s’agissant de dispositifs complexes qui sont mobilisés à une étape particulièrement anxiogène de la vie d’une entreprise.

Toutefois, votre rapporteur souhaite faire état de certaines propositions d’amélioration des dispositifs fiscaux existants, qui seraient propres à faciliter les transmissions d’entreprises :

– Simplifier le « pacte Dutreil », qui permet d’exonérer de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur les titres de sociétés transmis au sein d’une même famille, à la condition que ces titres fassent l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée de deux ans et d’un engagement individuel de conservation d’une durée de quatre ans par chacun de ses bénéficiaires, dont l’un d’eux doit, en outre, s’engager à exercer son activité principale ou des fonctions de direction dans la société transmise pendant trois ans à compter de la transmission. Ce dispositif, par ailleurs très favorable aux transmissions, est aujourd’hui enserré dans des obligations déclaratives superflues qui en restreignent l’efficacité. La société durant l’engagement collectif, puis les héritiers ou donataires pendant l’engagement individuel, doivent adresser tous les ans avant le 31 mars des attestations du bon respect des conditions de ce dispositif au titre de l’année qui précède. Cette obligation est particulièrement difficile à satisfaire pour eux puisqu’elle suppose qu’ils pensent spontanément, chaque année, à établir une telle attestation, à une date où aucune autre obligation déclarative n’est prévue. Le service en est particulièrement lourd dans les grandes ETI familiales qui sont tenues, pour certaines, d’établir une très importante quantité d’attestations annuelles. Le non-respect de ces obligations est susceptible de constituer une cause de déchéance du dispositif, comme prévu à l’article 1840 ter du CGI, alors même que les héritiers auraient bien respecté leurs obligations sur le fond. Par ailleurs, il semble que ces déclarations soient inutiles pour l’administration. Il serait donc pertinent de supprimer ces obligations déclaratives ;

– Étendre l’étalement de l’impôt sur les plus-values dans le cadre d’un crédit vendeur. Le crédit vendeur est un mécanisme qui autorise le repreneur d’un fonds de commerce ou d’une entreprise à échelonner le paiement de son acquisition dans le temps. Les cédants y ont recours lorsque la personne souhaitant racheter leur entreprise ou leur fonds de commerce n’est pas parvenue à réunir les fonds nécessaires auprès de sa banque. Dans ce cas, le crédit vendeur permet au repreneur d’échelonner dans le temps le paiement de son dû. Jusqu’en 2016, le cédant était tenu de payer l’intégralité de son impôt dû au titre des plus-values réalisées alors même qu’il n’avait pas perçu l’intégralité des sommes concernées. L’article 97 de la loi n° 2015-1786 de finances rectificative pour 2015 est revenu sur cette disposition en autorisant, à compter du 1er janvier 2016, le cédant qui consent un crédit-vendeur, à régler l’impôt sur les plus-values de cession au rythme des paiements programmés et effectués par le repreneur, et ce, sur une durée maximale de 5 ans. Elle a toutefois limité le bénéfice de ce mécanisme aux entreprises, fonds de commerce ou fonds artisanaux employant moins de dix salariés et dont le total de bilan ou le chiffre d’affaires n’excède pas 2 millions d’euros. Votre rapporteur estime qu’une extension de ce dispositif à l’ensemble des PME serait souhaitable.

e.   Financement

Le financement de la reprise d’une entreprise est généralement plus lourd que celui d’une création d’entreprise. Si la question du financement n’apparaît pas comme le premier obstacle à la reprise d’entreprises, elle pose néanmoins problème à un certain nombre de repreneurs, qui rencontrent des difficultés à réunir les financements bancaires nécessaires. Pour y remédier, il serait utile d’étendre le système de caution mutuelle afin de garantir les prêts octroyés, sur le modèle de la Société interprofessionnelle artisanale de garantie d’investissements (SIAGI) créée en 1966 par les chambres de métiers pour faciliter l’accès au crédit des entreprises artisanales. La SIAGI intervient, d’une part, en analysant les projets qui lui sont soumis afin de discerner ceux pouvant être financés en l’état et ceux dont le plan de financement mérite d’être retravaillé, et, d’autre part, en couvrant entre 15 % et 80 % du risque de la banque prêteuse à travers un fonds mutuel de garantie alimenté par les versements des emprunteurs.

Par ailleurs, il conviendra de veiller à ce qu’une partie des revenus annuels, estimés à 200 à 300 M€ par an, tirés du fonds pour l’innovation de rupture annoncé par le ministre de l’économie et des finances serve à des projets de reprise. L’étape de la reprise d’une entreprise est, en effet, autant que celle de sa création, un moment de dynamisme propice à l’innovation.


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   Examen en commission

Dans le cadre de la commission élargie du mercredi 8 novembre 2017, la commission des affaires économiques a examiné pour avis, sur les rapports de M. Paul Christophe (Commerce extérieur), de Mme Christine Hennion (Communications électroniques et économie numérique), de M. Vincent Rolland (Entreprises) et de M. Sébastien Jumel (Industrie), les crédits de la mission « Économie » (voir le compte rendu officiel de la commission élargie du mercredi 8 novembre 2017, sur le site internet de l’Assemblée nationale) ([15]).

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À l’issue de la commission élargie, la commission des affaires économiques a délibéré sur les crédits de la mission « Économie ».

La commission examine l’amendement II-CE 74 de M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis.

M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis. Il s’agit d’un amendement concernant le fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC). Il vise à revitaliser ce fonds en le ré-abondant par une augmentation de 5 millions d’euros de ses crédits de paiement et de 7,5 millions d’euros de ses autorisations d’engagement. Le FISAC joue un rôle extrêmement important pour la ruralité, les quartiers en difficulté et les centre-bourgs. J’ai bien entendu, lors de la réunion de la commission des finances, qu’il ne fallait pas que cette revitalisation ne concerne que les distributeurs de carburants. Cet amendement propose justement de l’élargir à tous les domaines bénéficiant du FISAC. S’agissant des réponses faites par le ministre lors de la commission élargie, nous avons bien entendu que les crédits du FISAC n’étaient pas en voie de disparition mais de diminution. Si ce fonds ne donne pas tout à fait satisfaction, est-ce le cas d’aucun fonds jamais créé ? Je ne le pense pas. Ce ré-abondement de crédits n’empêche pas de faire évoluer, par ailleurs, le FISAC. J’ajoute que les crédits sont pris sur le programme « Stratégie économique et fiscale » et non sur ceux de l’INSEE, pour lesquels je sais, Monsieur le Président, que vous avez une affection particulière.

M. Roland Lescure, président. Quelques souvenirs émus tout au plus, et qui datent un peu !

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. J’ai été maire d’une ville moyenne pendant neuf ans, et je suis élu d’une circonscription profondément rurale, et je m’inscris en faux contre les propos tenus un peu plus tôt dans cette salle concernant l’inefficacité du FISAC, notamment dans les communes rurales. Il y a le texte et le contexte : les chambres de commerce sont asphyxiées, et elles vont l’être encore un peu plus du fait de ce budget ; les collectivités territoriales sont asphyxiées, et elles vont l’être encore un peu plus du fait de ce budget. Le FISAC est un fonds dont les décisions de financement associent l’État, les collectivités territoriales et les chambres de commerce et d’industrie – cela ne se fait pas dans le bureau d’un maire de manière déconnectée de la vraie vie. C’est vu de Paris qu’on dit cela ! Le FISAC, ce sont des actions co-construites, par des acteurs de terrain, par les chambres de commerce, par les commerçants eux-mêmes qui ont souvent des associations qui les fédèrent. Je pense que si vous prenez la responsabilité, en plus de tous les crédits que vous rabotez, en matière de politique de la ville notamment, de raboter le FISAC, cela sera un coup supplémentaire à l’égard des territoires oubliés de la République, voire des territoires humiliés de la République.  

M. Damien Adam. Cet amendement ne traite pas vraiment du FISAC mais des fonds propres qui étaient mis à disposition en 2015 et en 2016 pour permettre aux stations service de se mettre aux normes. Ces fonds ont été intégralement versés en 2017. Il n’est donc pas nécessaire d’augmenter le budget du FISAC pour contrebalancer cette suppression des fonds puisque les stations service qui devaient en bénéficier l’ont fait et ont pu se moderniser grâce à eux. L’avis du groupe La République en Marche est donc défavorable sur cet amendement.

M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis. Les stations service pouvaient effectivement solliciter le FISAC dans le cadre des mises aux normes qui leur étaient demandées. Comme l’a rappelé le rapporteur général, Joël Giraud, ces stations service sont de nouveau en demande aujourd’hui puisqu’elles auront à modifier leurs cuves du fait du rééquilibrage annoncé, et souhaitable, de la distribution des carburants à travers la convergence des fiscalités entre le diesel et l’essence. Les stations service vont donc à nouveau devoir s’adapter dans leur distribution et auront besoin de la puissance publique pour les accompagner dans ces investissements.

M. Didier Martin. Je suis un peu mal à l’aise car, si je comprends bien l’argumentation qui est faite sur l’utilité du FISAC – j’ai d’ailleurs participé, dans une grande ville, au FISAC, et ne considère pas que l’argent ait été mal employé – si j’entends également l’argument selon lequel les stations service ont déjà bénéficié des fonds qui leur étaient nécessaires, on nous demande d’augmenter des crédits, et je voudrais qu’on nous précise comment les fonds concernés seront trouvés.

M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis. Les crédits sont pris sur le programme « Stratégie économique et fiscale ».

La commission rejette l’amendement n° IICE 74.

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Conformément à l’avis favorable de Mme Christine Hennion, rapporteure pour avis sur les crédits « Communications électroniques et économie numérique », contre les avis défavorables de M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis sur les crédits « Entreprises » et de M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis sur les crédits « Industrie », et avec l’avis de sagesse de M. Paul Christophe, rapporteur pour avis sur les crédits « Commerce extérieur », la commission a donné un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Économie ».

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La commission examine ensuite l’amendement II-CE 95 de M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis.

M. Roland Lescure, président. Je suis saisi de deux amendements portant article additionnel après l’article 54 déposés par le rapporteur M. Sébastien Jumel. L’amendement II‑CE 94 a été déclaré irrecevable en application de la loi organique relative aux lois de finances. Nous passons donc directement à l’examen de l’amendement II‑CE 95.

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. La filière papier-carton représente 73 000 emplois en France. En Normandie, chez moi, elle regroupe des sites comme M-Real dans l’Eure, la papeterie Chapelle Darblay (« pap chap ») de Grand-Couronne ou le site d’Arques-la-Bataille. Le centre technique du papier (CTP) est un acteur majeur et reconnu de la bio-économie et de l’économie circulaire en Europe, au cœur d’un réseau international et au service du développement de la filière papetière. Force est de constater que les crédits permettant de financer le CTP avaient disparu du budget. À ce stade, le projet de loi de finances ne comporte en effet plus de dotation budgétaire pour le CTP mais ne prévoit pas non plus de taxe pour le financer. Selon le ministère lui-même, ce sont 3 millions d’euros qui manquent. Cet amendement vise à créer une taxe affectée pour préserver un outil reconnu comme efficace et pertinent par l’ensemble d’une filière, qui n’est certes pas forcément hightech mais qui est bien ancrée dans l’économie réelle.

M. Damien Adam. Nous sommes d’accord sur le fond : le rapporteur général, M. Joël Giraud a ainsi déposé un amendement similaire en commission des finances, qui a été adopté. Votre amendement est donc d’ores et déjà satisfait et nous vous proposons de le retirer.

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. Nous sommes en commission des affaires économiques. Je veux bien prendre des leçons par des jeunes députés mais je préférerais que l’on ne se donne aucune leçon car cela devient un peu désagréable. L’amendement est connecté à une ligne de crédits du budget Industrie. Le fait qu’il ait été adopté par la commission des finances ne fait que renforcer sa pertinence. Je propose que la commission des affaires économiques vote également sur cet amendement.

Mme Valérie Oppelt. Ceci n’est pas un rappel au Règlement mais je voudrais dire, en tant que whip du groupe En Marche, que je suis choquée des propos tenus par M. Sébastien Jumel par rapport à l’âge de M. Damien Adam.

M. Roland Lescure, président. « Vieux président », je suis d’accord avec Mme Valérie Oppelt ; il faut que nos comportements restent exemplaires au sein de cette commission.

M. Damien Adam. Puisque M. Sébastien Jumel maintient son amendement, je propose un avis défavorable au nom du groupe En Marche.

M. Roland Lescure, président. Je suggère que l’on procède à un vote assis et levé.

La commission rejette l’amendement n° IICE 95.

M. François Ruffin. En tant que néo-député, j’aurais souhaité que l’enjeu de l’amendement soit davantage clarifié avant le vote.

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. Le Gouvernement a attiré l’attention du rapporteur que je suis sur l’importance de voter un tel amendement. Je veux bien que, par une posture politicienne, cet amendement soit rejeté ici alors qu’il a emporté l’adhésion du Gouvernement et de la majorité en commission des finances mais vous prenez un risque. Si cet amendement n’est pas adopté alors les crédits nécessaires à la filière papetière seront insuffisants.

M. Roland Lescure, président. M. Sébastien Jumel, sur ce point, je vais essayer de vous rassurer. L’amendement a été adopté dans des termes relativement similaires en commission des finances et sera donc discuté dans l’hémicycle. J’invite chaque député à s’informer d’ici la séance publique pour voter sur cette question en son âme et conscience. Je me suis abstenu aujourd’hui car je n’avais pas suffisamment d’information.

La commission examine l’amendement II-CE 76 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. J’ai reçu aujourd’hui un livre auto-édité et intitulé Dans l’enfer du crédit. Cet amendement répond à cette préoccupation puisqu’une étude a été menée par l’Union nationale des associations familiales et par 60 millions de consommateurs, qui a révélé que des frais bancaires totalement injustes étaient appliqués, en particulier aux foyers les plus pauvres. Cette étude montre qu’une banque prélève en moyenne 34 € par an et par client pour incidents de paiement sur l’ensemble de sa clientèle. Mais ce montant atteint 296 € pour les personnes en difficulté ! Ce sont donc les plus pauvres qui payent le plus, qu’on enferme ainsi dans l’enfer du crédit et du surendettement. Cette situation profite aux grandes banques, qui n’en ont sans doute pas besoin. Presqu’un tiers du revenu des grandes banques de détail est issu des frais bancaires. Cela représente un coût social et humain très important pour la société. Nous demandons donc la rédaction d’un rapport sur la lutte contre le surendettement et les frais bancaires excessifs.

M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis. L’avis est défavorable car il existe déjà des rapports sur ces questions. La Banque de France a publié au mois de janvier dernier un rapport présentant des chiffres très détaillés sur la situation du surendettement ; la Cour des comptes a également publié un rapport au mois de juin 2017 portant sur les politiques publiques en faveur de l’inclusion bancaire et de la prévention du surendettement, à la demande de la commission des finances du Sénat. S’agissant des frais bancaires, je rappelle que l’observatoire des tarifs bancaires créé par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010 publie, chaque année, un rapport sur ce sujet. Il devrait publier son rapport pour 2017 d’ici la fin de l’année. L’amendement propose donc un rapport sur d’autres rapports.

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. Par solidarité avec le camarade François Ruffin, je voterai pour cet amendement.

M. Roland Lescure, président. Que de solidarité, que de camaraderie dans cette commission !

M. Alain Bruneel. Je partage l’avis de M. François Ruffin. Je comprends qu’on ne veuille pas accumuler les rapports, mais si les rapports publiés restent dans les tiroirs, ils ne servent à rien. Se contenter de faire un état des lieux sur le surendettement ne suffit pas. Nous recevons dans nos permanences des gens qui sont étranglés par tout cela, et auxquels aucune réponse n’est donnée, à part un rapport. Je voterai donc pour l’amendement proposé.

La commission rejette l’amendement n° IICE 76.

La commission examine l’amendement II-CE 78 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Moi, au moins, je vais relancer la papeterie ! (Rires) Il s’agit d’une demande de rapport sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il y a déjà un certain nombre de rapports, nous dira-t-on, sur cette question. Mais justement, ces rapports rédigés par France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre, démontrent tous l’inutilité, ou du moins le très faible rendement du CICE, puisque les montants dépensés sont d’environ 16 à 24 milliards d’euros selon les années, pour environ 100 000 emplois sauvegardés ou créés, soit, si l’on calcule, 200 000 € par emploi et par an, soit encore 20 000 € par mois pour un emploi. Il est donc démontré par France Stratégie que ce crédit d’impôt ne fonctionne pas. Vous décidez pourtant de le maintenir ; vous allez même perpétuer ce mécanisme sous une autre forme par un abaissement de cotisations sociales. Montrez-nous au moins que ce dispositif a une utilité, à travers une étude qui viendrait contredire les conclusions de France Stratégie ! Pour l’instant, les seuls documents dont on dispose nous disent l’inutilité du CICE, qu’on maintient pourtant ! Cela pose également, à mon sens, une question sur le rôle de contrôle et d’évaluation que l’on veut confier à l’avenir au Parlement. Si l’on maintient des mesures dont des rapports nous disent qu’elles sont inutiles, cela interroge sur l’utilité des travaux de contrôle et d’évaluation !

M. Vincent Rolland, rapporteur pour avis. Notre collègue François Ruffin a presque donné dans son propos la réponse que j’allais vous proposer. Mon avis est défavorable puisqu’il y a déjà, comme vous l’avez dit, des rapports du comité de suivi du CICE, qui a remis son dernier rapport le mois dernier. De plus, le CICE est voué à disparaître, ou du moins à être remplacé. Le rapport demandé ne me paraît donc pas utile.

M. Damien Adam. J’allais soulever le même point que Monsieur le rapporteur pour avis. Un rapport d’octobre 2017 explique en détail les effets et les conséquences du CICE. De plus, celui-ci a vocation à disparaître au 1er janvier 2019. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de faire un rapport sur un rapport.

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. Lors des auditions que j’ai conduites pour préparer mon rapport, nous avons organisé, pour la première fois, une audition conjointe avec le Conseil économique, social et environnemental de l’ensemble des organisations syndicales. Toutes ont considéré qu’il était nécessaire d’avoir une évaluation, non pas des sommes que nous avons engagées sur le CICE, car nous les connaissons tous, mais de l’efficacité réelle au service de l’emploi des 20 milliards d’euros engagés. D’autre part, j’ai pris soin d’organiser également une audition de représentants du Conseil national de l’industrie. Eux aussi ont considéré qu’il était nécessaire de mener une évaluation fine de l’efficacité du CICE afin de vérifier s’il ne bénéficiait pas à des entreprises qui n’en avaient pas besoin, et de le flécher vers les entreprises qui en avaient le plus besoin : même des personnes qui ne sont pas dans une posture idéologique ou sectaire, et qui sont ouvertes à une critique objective de ce dispositif, considèrent que ces évaluations sont insuffisantes. De plus, pour prolonger les propos de François Ruffin, j’ai entendu à plusieurs reprises, y compris de la part du président de notre commission, que l’avenir de notre commission et de notre Parlement était de renforcer les pouvoirs de contrôle et d’évaluation parce que c’était aussi en cela que consistait la transparence que nous devons à nos concitoyens et que c’était cela aussi la démocratie du « nouveau monde », m’a-t-on appris. Mais si à chaque fois que nous proposons des rapports d’évaluation, on nous oppose un refus, peut-être y a-t-il un autre projet derrière cela, qui vise à priver le Parlement de ses prérogatives de contrôle, d’initiative, et même de modification de la loi lorsqu’elle est mauvaise. Je vous invite à faire preuve de pragmatisme en adoptant cet amendement.

M. Roland Lescure, président. Bien loin de moi l’idée de vous apprendre quoi que ce soit !

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis. J’ai seulement dit que le président de la commission était très attaché au renforcement des pouvoirs de contrôle et d’évaluation du Parlement…

M. Roland Lescure, président. Je le suis !

M. Sébastien Jumel, rapporteur pour avis…et que le « nouveau monde » m’avait appris, lui, d’autres choses. Vous n’êtes pas du nouveau monde.

M. Roland Lescure, président. Je ne sais pas de quel monde je suis, en tout cas pas de celui des n plus unièmes rapports, pour avoir moi aussi travaillé dans l’administration. Si j’ai bien compris, on demande ici au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport. Je ne suis pas sûr que cela donne du travail au Parlement, mais plutôt au Gouvernement, qui a déjà produit un rapport il y a moins de cinq semaines sur un dispositif qui se termine dans treize mois.

M. François Ruffin. Je vois, Monsieur le président, que vous ne conservez pas une pleine neutralité sur ce thème.

M. Roland Lescure, président. En quoi mes propos ne sont-ils pas neutres ?

M. François Ruffin. Vous dites qu’un nouveau rapport n’est pas nécessaire puisqu’il y en a déjà eu un !

M. Roland Lescure, président. Je ne fais que citer les termes qui figurent dans l’exposé sommaire de votre amendement. Cela fait quatre ou cinq mois que nous travaillons tous ensemble, et s’il y a une chose que j’essaye de préserver, c’est la neutralité de la présidence, et je vais continuer à le faire. Si vous avez des critiques à ce sujet, je serai très heureux d’en discuter avec vous.

M. François Ruffin. Je vais donc répondre à Monsieur Damien Adam et à Monsieur Vincent Rolland, à défaut de vous répondre, Monsieur le président. Le rapport remis il y a cinq semaines nous dit précisément que le CICE est un dispositif quasiment inutile. Des dizaines de milliards d’euros sont dépensés presqu’en pure perte, avec au mieux la sauvegarde ou la création de 100 000 emplois par an, soit 200 000 € par emploi et par an et 20 000 € par emploi et par mois ! On voit bien qu’il y a là un saupoudrage complètement délirant. Et pourtant, dans le projet de budget pour l’année prochaine, on remet 20 milliards d’euros dans la machine ! 20 milliards d’euros, ce n’est pourtant pas rien ! C’est trois fois le budget de la Justice ! On se dit donc que si vous décidez de remettre 20 milliards d’euros sur un dispositif dont un organe rattaché au Premier ministre, France Stratégie, nous dit qu’il est inutile, c’est que vous devez avoir des arguments solides. Si vous ne les avez pas, vous devriez quand même être soucieux de faire produire un rapport qui démontre l’utilité de remettre 20 milliards d’euros dans ce dispositif. France Stratégie n’est d’ailleurs pas le seul organisme à avoir souligné l’inutilité du CICE. C’est dans l’intérêt de la majorité et du Gouvernement que je vous invite à appuyer cette demande de rapport afin que l’utilité de ce dispositif soit démontrée.

M. Alain Bruneel. Lorsque le CICE a été lancé, le président du Medef a dit qu’il permettrait de créer un million d’emplois. Un rapport d’évaluation a été remis. Les élus dans les départements ont d’ailleurs demandé aux préfets d’avoir la liste des entreprises bénéficiaires. Nous n’avons jamais eu ces listes, ce qui pose quand même un problème de démocratie. Ensuite, il n’y a eu aucun contrôle de l’utilisation de l’argent public, ce qui est extrêmement grave. Nous avons des rapports qui nous indiquent que nous nous sommes trompés sur cette question, ce qui peut arriver. Il conviendrait donc de rectifier le tir afin de créer effectivement des emplois. Mais alors que tout le monde s’est aperçu que le CICE ne créait aucun emploi, on va redonner de l’argent aux entreprises sous le même prétexte, en disant que cela va permettre de préserver ou de créer, peut-être, des emplois. Or on a déjà fait une expérience sur cinq ans où cela n’a pas marché ! Nous avons donc un véritable problème avec ces rapports car on continue toujours dans le même sens alors qu’on n’a pas de solution.

M. Damien Adam. Monsieur François Ruffin, je trouve que vous manquez de cohérence. L’État s’est engagé à pérenniser le CICE sur un quinquennat pour permettre aux entreprises d’avoir des règles claires et transparentes qui leur permettent d’investir. C’est pour cela que nous ne mettrons fin au CICE qu’en 2018 ; à partir de 2019 aura lieu la transformation du CICE en baisse de charges, qui a justement, elle, vocation à créer des emplois, ce qui n’était pas assez le cas du CICE, ou du moins pas dans les proportions qui étaient attendues. Nous aurons 6 points de baisse de charges en 2019, et 10 points au total au niveau du SMIC, qui viendront compenser la disparition du CICE. Il faut être cohérent et respecter la parole donnée par l’État dans la durée. C’est pour cela que, bien que nous soyons bien conscients que le CICE n’apporte pas forcément tous les résultats que nous voudrions, nous pensons qu’il faut préparer la suite et permettre aux entreprises de s’adapter dans la durée.

La commission rejette l’amendement n° IICE 78.

La commission examine l’amendement n° II-CE 79 de Mme Bénédicte Taurine.

M. François Ruffin. Le plan « France Très haut débit » a pour objectif la couverture du territoire en très haut débit d’ici fin 2022, via la fibre ou les réseaux cuivre ou les réseaux hertziens et la couverture du territoire en bon haut débit d’ici fin 2020. Sur 20 milliards d’euros d’investissements, 6 à 7 milliards doivent être réalisés par les opérateurs privés, dans 3 600 communes. La Cour des comptes, dans un rapport publié début 2017, estimait que ces entreprises ne remplissaient pas leur part du contrat. Le rapport demandé par le présent amendement aura pour but d’évaluer l’évolution de ce problème et l’impact qu’il pourrait avoir sur les finances publiques.

Mme Christine Hennion, rapporteure pour avis. Je vous invite à vous référer au rapport annuel de l'Arcep sur l'effort d'investissement des opérateurs télécoms (fixe et mobile). En outre, l'Agence du numérique remet un rapport annuel sur le plan FTHD, en général. L'offre de rapport est donc largement suffisante sur ce sujet, et votre demande apparaît superflue.

La commission rejette l’amendement n° IICE 79.

La commission examine l’amendement n° II-CE 80 de M. François Ruffin.

M. François Ruffin. Il est défendu.

M. Paul Christophe, rapporteur pour avis. Je suis défavorable à votre amendement, qui demande au Gouvernement de remettre un rapport relatif aux nouvelles routes de la soie, c’est-à-dire sur les échanges commerciaux avec la Chine.

Je tiens à rappeler que, parmi les 250 amendements que le groupe France insoumise a déposés au projet de loi de finances pour 2018, plus de 180 sont des demandes de rapport.

En outre, le Gouvernement remet déjà, chaque année, un rapport au Parlement présentant le bilan du commerce extérieur français pour l'année écoulée. Un chapitre est notamment consacré aux marchés émergents à fort potentiel. Il n'est pas nécessaire de demander au Gouvernement de produire un rapport supplémentaire : les prochains rapports annuels qu'il remettra au Parlement feront sans aucun doute état des avancées relatives aux nouvelles routes de la soie, si celles-ci présentent effectivement un impact significatif sur le commerce extérieur français, l'économie et les finances publiques françaises.

La commission rejette l’amendement n° IICE 80.

 

 

 


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   Liste des personnes auditionnÉes

 

Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat *

– M. François Moutot, directeur général

– Mme Valérie Chaumanet, cheffe du département des relations institutionnelles nationales

Cabinet de M. Benjamin Griveaux, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances

– M. Bertrand Walckenaer, directeur du cabinet

– M. Malo Carton, conseiller en charge des PME, de l’artisanat et du commerce

– M. Thierry Lange, direction générale des entreprises

CCI France *

– M. Éric Groud, président CCI Entreprendre en France

– Mme Florence Chauvet, directrice adjointe DEFE – déléguée générale CCI Entreprendre en France

– M. Jérôme Pardigon, directeur des relations institutionnelles

Compagnie nationale des commissaires aux comptes

– M. Yannick Olivier, vice-président et président de la commission développement

– M. François Hurel, délégué général

Confédération des petites et moyennes entreprises

– Mme Bénédicte Caron, vice-présidente en charge des affaires économiques juridiques et fiscales

– M. Lionel Vignaud, responsable de la direction des affaires économiques, juridiques et fiscales

– Mme Sabrina Benmouhoub, chargée de mission affaires publiques

Initiative France

– M. Louis Schweitzer, président

– Mme Bernadette Sozet, déléguée générale

Institut des avocats-conseils fiscaux

– Me Éric Ginter

– Me Éric Chartier

Réseau entreprendre

– M. Emmanuel Libaudière, directeur du pôle marketing et développement de l'offre

– Mme Caroline Santaner, directrice des relations extérieures

Réseau « Transmettre et Reprendre »

– Mme Leïla Hamzaoui, présidente

– M. Jean-Luc Scemama

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.


([1]) Centres techniques industriels.

(2) Commissariat aux communications électroniques de défense.

(3) Organe des régulateurs européens des communications électroniques.

 

 

([4]) Les crédits de l’action n° 3 sont plus précisément analysés dans l’avis « Industrie » de notre collègue Sébastien Jumel.

([5]) Les crédits affectés au soutien du commerce extérieur font l’objet d’un avis budgétaire de notre collègue Paul Christophe.

([6]) La dotation de l’ARCEP est plus précisément commentée dans l’avis « Communications électroniques et économie numérique » de notre collègue Christine Hennion.

([7]) L’action n° 21 relève spécifiquement de l’avis budgétaire « Tourisme » : elle est donc détaillée dans le cadre du rapport de notre collègue M. Éric Pauget.

([8]) Les crédits figurant auparavant à cette action sont commentés dans l’avis « Économie sociale et solidaire » de notre collègue Yves Blein.

([9]) « Favoriser la transmission d’entreprise en France : diagnostic et propositions », rapport remis le 7 juillet 2015 par Mme Fanny Dombre-Coste, députée, au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique : https://www.economie.gouv.fr/files/rapport_transmission_entrepreneuriale_08072015.pdf

([10]) « La cession-transmission des PME et des TPE », Les carnets de BPCE L’observatoire, Groupe BPCE, mai 2017 : http://www.observatoire.bpce.fr/pdf/obct004_pdf_web.pdf

([11]) Source : « Favoriser la transmission d’entreprise en France : diagnostic et propositions », rapport remis le 7 juillet 2015 par Mme Fanny Dombre-Coste, députée, au ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique : https://www.economie.gouv.fr/files/rapport_transmission_entrepreneuriale_08072015.pdf

([12]) Cette mesure a été adoptée à l’article 97 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

([13]) Ces mesures ont été adoptées aux articles 129 et 130 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([14]https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/mediateurcredit/5_observatoire_financement/OFE_rapport_financement_transmission_TPE_PME_12-2016.pdf

([15]) http://www.assemblee-nationale.fr/15/budget/plf2018/commissions_elargies/cr/