N° 1306

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2018.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI de finances pour 2019 (n° 1255)

 

TOME VI

 

 

DÉFENSE

 

préparation et emploi des FORCES :

AIR

PAR M. Jean-Jacques FERRARA

Député

——

 

 

 Voir le numéro : 1302 (annexe 13)


 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie :   analyse budgétaire

I. Le projet de loi de finances pour 2019 : les termes du débat

A. Lannée 2018, entre rattrapages et préparation de lavenir

1. Une exécution budgétaire en attente de dégel

2. Le renouvellement des capacités

B. Les crédits en plf 2019

1. Présentation générale des crédits du programme 178 dévolus à larmée de lair

2. Présentation par titre et par opération stratégique

a. Les dépenses de fonctionnement

b. Les dépenses dinvestissement

3. Aperçu des autres crédits de la mission « Défense » consacrés à larmée de lair

II. La programmation 2019-2025 : confiance et vigilance

A. Une LPM de remontée en puissance pour larmée de lair

1. Les équipements

2. Les aviateurs

B. Des points dattention pour lavenir

1. Des fragilités de la programmation

a. Du manque dambition

i. Les hélicoptères

ii. Les pods de désignation laser

b. « Quand cest flou… »

i. La trajectoire budgétaire

ii. Le rythme de livraison des équipements

2. Des grandes incertitudes

a. Lamélioration de la disponibilité des matériels

b. Lapprofondissement de la coopération européenne en matière de défense

Deuxième partie :   Laviation de transport stratégique et tactique

I. De quoi parle-t-on ?

A. Les unités

B. Les missions tactiques et stratégiques

1. La projection

2. La logistique inter-théâtres et intra-théâtre

3. Les opérations tactiques

4. Lévacuation sanitaire

5. Les autres missions

II. Les fragilités de laéromobilité

A. Les limites de loffre capacitaire

1. Un parc incomplet

a. Un renouvellement intervenu trop tardivement

b. « Maybe airlines » ?

c. Des trous capacitaires

2. Les risques de laffrètement

a. Laffrètement stratégique

b. Laffrètement tactique

B. La contraction des ressources humaines

1. Dimportantes tensions sur les personnels

2. Lombre de la perte des compétences

a. La formation et lentraînement

b. Les départs

III. Les défis de la remontée en puissance

A. Construire une offre capacitaire cohérente

1. Le pilotage de la transition capacitaire

a. La fin de vie du C160

b. La montée en puissance des nouvelles flottes

i. Les C130

ii. LA400M

iii. Le MRTT

iv. Lenjeu des infrastructures

v. Le maintien en condition opérationnelle

c. La question du hors gabarit

2. Lintensification de la mutualisation européenne

a. Le commandement européen du transport aérien (EATC)

b. Lescadron de transport franco-allemand

c. Le recours aux capacités alliées de manière bilatérale

B. Préparer les transporteurs de demain

a. Recruter et former à haut niveau

b. Fidéliser

Travaux de la commission

I. Audition du général Philippe Lavigne, chef détat-major de larmée de lAIR

II. Examen des crédits

Annexe :  Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis


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« Si lon perd la guerre dans les airs, on perd la guerre, et on la perd rapidement. »

Field Marshal Bernard Montgomery

   Introduction

Cette année encore, l’armée de l’air a été particulièrement sollicitée pour assurer, quotidiennement, la protection de la France et des Français. Sur le territoire national, elle remplit d’abord cette mission dans le cadre des deux postures permanentes qu’elle se doit de tenir : la posture permanente de sûreté aérienne, sorte de « Sentinelle du ciel », qui peut conduire les aéronefs de l’armée de l’air à intervenir en direction de l’ensemble des appareils utilisant l’espace aérien français ; la posture permanente de dissuasion nucléaire, au cœur du système de défense de notre pays, tenue par les forces aériennes stratégiques sous la responsabilité du chef de l’État. En France, l’armée de l’air contribue aussi aux dispositifs Cuirasse et Sentinelle dans le cadre des postures nationales de protection, et remplit un certain nombre de missions de service public, de la participation à la lutte contre les feux de forêt, dans le cadre de la campagne Héphaïstos, à la mission de recherche et de sauvetage. En cas de catastrophe naturelle mettant en jeu la vie des Français ou d’étrangers, elle apporte également une aide décisive à leur protection et leur évacuation, comme l’ont montré les manœuvres conduites après que l’ouragan Irma a frappé les Antilles et, plus récemment, l’intervention d’un A400M en Indonésie. L’armée de l’air prend également part à la préservation des intérêts nationaux depuis les outre-mer, au travers des forces de souveraineté implantées dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique. L’ensemble de ces missions participe de l’action de l’État en l’air, dont il conviendrait d’ailleurs de préciser les modalités de mise en œuvre, sur le modèle de l’action de l’État en mer.

Au-delà, la contribution de l’armée de l’air aux opérations extérieures conduites par la France a de nouveau été soutenue, tant au Levant qu’en bande sahélo-saharienne. Si l’activité de la chasse a progressivement diminué en Irak et en Syrie, permettant d’envisager une réduction du dispositif implanté sur la base aérienne projetée en Jordanie, l’opération Barkhane constitue bien une opération « aéroterrestre » selon les mots du général de division Bruno Guibert ([1]). Le volet aérien est indispensable aux opérations de lutte contre les groupes armés terroristes qui sévissent au Sahel. Rappelons à ce titre qu’y sont déployés huit Mirage 2000, quatre drones Reaper et près d’une dizaine d’avions stratégiques et tactiques. Plus largement, au 1er janvier 2018, l’armée de l’air déployait dix-sept avions de combat, deux systèmes de drone MALE, deux C‑135 ravitailleurs, sept avions de transport tactique, deux hélicoptères de manœuvre et trois bases aériennes projetées dans le cadre des opérations précitées, des missions de police du ciel en Estonie et d’opérations spéciales.

Le niveau d’engagement de l’armée de l’air, à l’instar de l’ensemble de nos armées, a donc été des plus intenses ces dernières années. Le dépassement des contrats opérationnels établis par le Livre Blanc de 2013 ([2]) a été constant, entraînant un déficit organique fort, renforcé par la contraction des capacités. L’armée de l’air se trouve ainsi confrontée à une forte consommation d’heures de vol en opérations extérieures, tandis que le nombre d’heures de vol consacrées à l’entraînement organique se situe en deçà des normes requises. En conséquence, d’importants déséquilibres se sont fait jour dans la préparation des forces, dont l’activité est dégradée en quantité comme en qualité, y compris pour les savoir‑faire nécessaires aux opérations en cours. De fait, la fraction du personnel sollicitée pour les OPEX est principalement la plus expérimentée, et la faible présence en unité des experts qualifiés limite de facto la formation des plus jeunes, obère la transmission des savoir-faire et pèse sur la capacité à durer.

Dans le même temps, les déflations d’effectifs engagées depuis dix ans ont conforté ces déséquilibres, d’autant que l’armée de l’air en a été particulièrement affectée. Pour s’être montrée trop « bonne élève » – l’armée de l’air représente à elle seule près de 40 % des suppressions de postes entre 2008 et 2014 – elle a été frappée de plein fouet par la brutale remontée de l’activité. De plus, un certain nombre de programmes fondamentaux se sont enlisés – on pensera à l’A400M – imposant de repousser sans cesse les limites d’aéronefs mis en service du temps du général de Gaulle, comme les C-135 ou les C-160.

Néanmoins, il y a aujourd’hui des raisons d’être optimiste.

L’armée de l’air vient en effet d’accueillir les premiers avions PC-21 qui, sur la base de Cognac, permettront de révolutionner la formation des équipages de chasse ([3]) , ainsi que le premier MRTT, entré en service le 19 octobre. Dans le même temps, l’A400M poursuit sa montée en puissance, et les travaux relatifs au standard F4 du Rafale devraient être lancés d’ici la fin de l’année. L’arrivée de nouvelles capacités ainsi que la reprise des recrutements constituent de sérieux défis, en termes de formation, de maintien des compétences, d’infrastructures et de maintenance. À ce titre, il convient de souligner que la maturation des nouvelles flottes interviendra alors que les plus anciennes continueront d’être mises en œuvre. Autrement dit, les technologies les plus récentes côtoieront les plus anciennes, ce qui imposera aux aviateurs souplesse, réactivité et adaptation.

La loi de programmation militaire (LPM) 2019-2015 ([4]) conforte ainsi la remontée en puissance de l’armée de l’air. Plus généralement, force est de constater qu’elle confère aux armées les moyens de répondre à l’ambition d’un modèle d’armée complet, performant et tourné vers l’avenir. Après dix ans de bricolage et d’incohérence entre le discours officiel et la réalité du terrain, c’est un soulagement. Gardons-nous néanmoins d’un angélisme béat. La LPM n’est pas parfaite, loin s’en faut. À titre d’exemple, elle est particulièrement discrète sur les hélicoptères, un segment pourtant essentiel à la conduite des opérations.

 De plus, dans un monde de moins en moins sûr, marqué par le retour des États puissances, la persistance de la menace terroriste et la dissémination de systèmes de déni d’accès de plus en plus performants, la suprématie des forces occidentales est toujours plus contestée. Le temps de la perception des dividendes de la paix issus de l’effondrement du bloc soviétique est bel et bien révolu.

Dans ce contexte, la maîtrise de la troisième dimension est un préalable à toute manifestation de la puissance militaire. Sans contrôle du ciel, il est impossible de déployer sereinement des forces à terre comme de faire sortir les navires des ports. Sans contrôle du ciel, il est inenvisageable de mener une opération de haute intensité ou de peser au sein d’une coalition internationale, mode d’action de plus en plus courant pour nos forces. Sans contrôle du ciel, il en est quasi fini de l’entrée en premier.

Dès lors, la LPM est-elle vraiment à la hauteur ?

Elle fixe a minima un cap intéressant, dont la direction est saluée, dans l’ensemble, par les armées. À l’avenir, il conviendra de s’assurer de sa bonne exécution, sans oublier que l’évolution de l’environnement stratégique pourra conduire à modifier ses équilibres initiaux. À court terme, il s’agit d’apprécier la conformité à ses dispositions des engagements financiers de l’État.

Le présent avis budgétaire est précisément consacré aux crédits alloués à l’armée de l’air au titre du projet de loi de finances pour l’année 2019. Centré sur le programme 178 « Préparation des forces », il ne peut faire l’économie d’une évocation plus large des crédits inscrits au sein de la mission « Défense », qui contient également les programmes 144 « Environnement et prospective de défense », 146 « Équipement des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense ». À titre d’exemple, les études relatives au système de combat aérien futur (SCAF) sont inscrites au programme 144, tandis que le programme 146 retrace les crédits correspondant aux programmes d’armement et le programme 212 ceux relatifs aux infrastructures nécessaires à l’accueil des nouveaux matériels comme l’A400M sur la base aérienne d’Orléans-Bricy ou le MRTT sur la base aérienne d’Istres-Le-Tubé.

Consacrée à l’appréciation du projet de loi de finances pour 2019, la première partie du présent avis s’intéressera, d’abord, à l’exécution budgétaire en 2018, les effets du décret d’avance de juillet 2017 étant toujours palpables, avant de présenter ses principales dispositions relatives à l’armée de l’air pour l’année à venir. Celles-ci traduisent, logiquement, les orientations de la loi de programmation militaire, dont votre rapporteur pour avis rappellera les principales s’agissant de l’armée de l’air.

Après avoir étudié, l’an dernier, les conséquences du niveau d’engagement sur l’aviation de chasse, votre rapporteur pour avis a décidé de consacrer la seconde partie du présent rapport au transport aérien militaire, et en premier lieu à l’aviation de transport tactique et stratégique. Ces dernières années, l’aviation de transport a fait l’objet de nombreuses critiques, voire polémiques, portant tant sur les difficultés rencontrées par certains programmes que sur la disponibilité des aéronefs ou le recours à l’affrètement, susceptible de porter atteinte à notre souveraineté. Si nombre de ces critiques étaient fondées, elles ont occulté les succès majeurs de l’aviation de transport, qu’il s’agisse par exemple de la relève de personnels à la fin de notre intervention en Afghanistan, du déploiement de nos forces au Mali dans les premiers jours de l’opération Serval, de la logistique intra-théâtres et des opérations d’aérolargage au Sahel ou encore de la capacité de la France à évacuer ses blessés en moins de vingt-quatre heures, depuis tout lieu. Dans les années à venir, le renouvellement des appareils et la reprise des recrutements permettra sans nul doute d’entamer une régénération organique devenue indispensable. Mais si l’aviation de transport tactique et stratégique s’apprête à sortir du « creux de la vague », elle demeure confrontée à de nombreux défis, au premier rang desquels la capacité à recruter, former et fidéliser les personnels.

Le présent avis est aussi le fruit de nombreux déplacements, au plus près du terrain. En immersion au sein d’un équipage d’A400M, votre rapporteur pour avis a ainsi pu effectuer une rotation logistique au Sahel, au départ d’Orléans‑Bricy, qui l’a conduit à N’Djaména, Ouagadougou, Niamey et Gao. Il tient à remercier chaleureusement le commandant de bord, le capitaine Cédric, et l’ensemble de l’équipage pour leur accueil lors de cette mission. En France, il s’est rendu sur les bases aériennes 123 d’Orléans-Bricy, 105 d’Évreux-Fauville, 107 de Villacoublay, 125 d’Istres-Le-Tubé et 110 de Creil. Ses déplacements l’ont aussi conduit à Eindhoven, au siège du commandement européen du transport aérien (EATC), qui témoigne de l’importance de la coopération européenne. À Paris, il a conduit plusieurs auditions, dont celles du général Philippe Lavigne, nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air, du général Alain Ferran, nouveau directeur des ressources humaines de l’armée de l’air, et de l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand-Larroche, à la tête de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique.   

 

 

 

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2018, date limite résultant de larticle 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. À cette date, 88 réponses sur 92 lui étaient parvenues, soit un taux de 95,6 %.

 

 


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   Première partie :

analyse budgétaire

I.   Le projet de loi de finances pour 2019 : les termes du débat

A.   L’année 2018, entre rattrapages et préparation de l’avenir

1.   Une exécution budgétaire en attente de dégel

L’exécution budgétaire de l’année 2018 appelle une certaine vigilance, après une année 2017 marquée par l’annulation de crédits de paiement, à hauteur de 850 millions d’euros ([5]). Pour mémoire, les mesures d’économies et de réallocation des crédits se décomposaient en trois axes distincts, s’agissant de l’armée de l’air :

– des moindres versements aux organismes internationaux, tels l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) et l’Agence de l’OTAN chargée du programme d’hélicoptères NH90 (NAHEMA) ;

– des renégociations contractuelles avec les industriels, aujourd’hui terminées. Cela concerne notamment les travaux préparatoires au lancement du standard F4 du Rafale, toujours prévu à la fin de l’année 2018, ou encore le décalage du programme de rénovation des Mirage 2000D ;

– des reports d’engagement. C’est ainsi le cas de la commande de la charge utile ROEM sur le drone MALE, reprogrammée en 2019.

Si, dans l’ensemble, les services ont réussi à limiter l’impact de la décision du Gouvernement sur l’activité des forces, il n’en demeure pas moins que certains équipements font encore défaut. C’est notamment le cas d’un hélicoptère Caracal, dont la commande aurait dû intervenir en 2017 pour remplacer l’un des deux tombés en opération. L’an dernier, constatant qu’une telle commande n’était pas inscrite en projet de loi de finances pour 2018, votre rapporteur pour avis avait déposé un amendement prévoyant d’abonder les crédits du programme 146 afin de prévoir la commande de cet appareil en 2018. Répondant à cette préoccupation, la ministre des Armées, Mme Florence Parly, avait alors apporté une réponse tout à fait satisfaisante : « Je crois pouvoir vous répondre très simplement, monsieur Ferrara : au nombre de ces reprogrammations figure le Caracal, en 2018. Votre amendement me paraît donc satisfait. » ([6]) Confiant dans l’engagement de la ministre, votre rapporteur pour avis avait alors retiré son amendement. Force est de constater qu’il n’en est pourtant rien.

Quelques mois plus tard, à l’occasion du « Printemps de l’évaluation », M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis du programme 146 pour la commission de la Défense, a interrogé la ministre au sujet du remplacement de cet hélicoptère. Sa réponse fut pour le moins inquiétante. Elle indiquait ainsi : « Je pense que lon peut dire que la quasi-totalité des montants a pu être reprogrammée, à lexception de quelques-uns qui ont vocation à lêtre plutôt en gestion, cest-à-dire en 2018, notamment pour ce qui concerne les Exocet supplémentaires, les caméras thermiques pour les Falcon de la marine, ou bien les simulateurs supplémentaires pour les missiles de larmée de terre. (…) Sagissant enfin de lhélicoptère détruit en opération, à ce stade, le projet de LPM ne prévoit pas strictement de le remplacer. Par conséquent, en fonction des marges que nous pourrons éventuellement dégager en gestion en 2018, voire en 2019, nous allons voir sil est possible de procéder au remplacement nombre pour nombre de ces hélicoptères. » ([7])

Cette réponse appelle en effet deux commentaires. Premièrement, la commande de cet hélicoptère Caracal ne fait pas partie des programmes listés comme devant être reprogrammés en 2018. Deuxièmement, la ministre laissait planer le doute quant à la possibilité de procéder, in fine, à son remplacement.

Votre rapporteur pour avis ne méconnaît pas les mesures prises en faveur de la flotte d’hélicoptères mise à disposition des forces spéciales, ni le projet de regroupement des différentes flottes d’hélicoptères. De plus, l’amélioration de la disponibilité des appareils permettra sans nul doute de pallier, en partie, la difficulté constituée par la perte d’un appareil. Néanmoins, ses déplacements comme ses auditions ont confirmé que la commande d’un tel appareil était attendue par les forces. Il n’y a pas lieu de douter de la volonté de la ministre de procéder à cette commande, qui semble plutôt bloquée par Bercy. Il est toutefois plus que temps de mettre un terme aux tergiversations.

Dans ce contexte, la levée du gel décidé sur la mission « Défense » constitue un enjeu primordial. Pour l’année 2018, le taux de mise en réserve initiale s’est élevé à 0,5 % sur les crédits de masse salariale et 3 % sur les crédits hors titre 2. Ainsi, en entrée de gestion, 898,8 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 762,3 millions d’euros en crédits de paiement (CP) ont été gelés au titre de la réserve de précaution. À la suite du report croisé de 28,6 millions d’euros du titre 2 vers le hors titre 2 du programme 212, une partie de ces crédits – quinze millions d’euros en AE et en CP – ont fait l’objet d’un « surgel » au début du mois d’avril 2018. Dès lors, à la date d’élaboration du présent avis, 913,8 millions d’euros en AE et 777,3 millions d’euros en CP de crédits gelés sont maintenus sur les différents programmes de la mission « Défense ».

Lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, la ministre des Armées a souligné que les discussions venaient de débuter en la matière. Votre rapporteur pour avis lui souhaite le plus grand succès dans cette entreprise, au service de nos forces.

2.   Le renouvellement des capacités

Si quelques questions demeurent s’agissant de l’exécution budgétaire de l’année 2018, celle-ci a malgré tout été marquée par la livraison à l’armée de l’air de plusieurs systèmes de forces essentiels à la conduite de ses missions. Ainsi, ont été livrés :

– un avion de transport A400M ;

– un avion de transport tactique C130J ;

– les huit premiers avions PC-21 destinés à la base aérienne de Cognac dans le cadre du programme de formation modernisée et d’entraînement différencié des équipages de chasse ([8]) ;

– le premier avion de ravitaillement et de transport de type multi-rôle (MRTT), dénommé Phénix au sein des forces françaises ;

– trois Rafale ([9]) ;

– quatre pods de désignation laser de nouvelle génération (PDL-NG), également destinés à l’aéronavale ;

– 69 missiles air-air de type METEOR ([10]) ; 

– deux radars rénovés haute et moyenne altitude du système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA 4) ainsi que 44 modules projetables du système d’information des armées (SIA).

La livraison de ces nouveaux équipements impose de conduire les travaux nécessaires à leur accueil sur les bases aériennes. C’est ainsi qu’au cours des dernières années, les bases d’Orléans-Bricy d’Istres-Le-Tubé ou encore de Mont‑de-Marsan ont fait l’objet de nombreux travaux d’infrastructures afin d’accueillir l’A400M, le MRTT et le 4e escadron Rafale.

Par ailleurs, l’année 2018 a également été l’occasion de procéder à la commande d’un certain nombre d’équipements en vue de poursuivre la remontée en puissance des forces, et de rattraper les retards accumulés ces dernières années. S’agissant de l’armée de l’air, ont ainsi été commandés :

– six opérations de modernisation du C130H ;

– trois avions MRTT ;

– 45 rénovations de Mirage 2000 D ;

– des opérations de remotorisation de 300 missiles MICA et 200 MICA NG ;

– dix PDL-NG, destinés tant à l’armée de l’air qu’à l’aéronavale ;

– un centre de commandement, de détection et de contrôle des opérations aériennes et 27 modules projetables du système d’information des armées.

B.   Les crédits en plf 2019

1.   Présentation générale des crédits du programme 178 dévolus à l’armée de l’air

Au sein du programme 178 « Préparation et emploi des forces », les crédits alloués à l’armée de l’air sont inscrits à l’action 4 « Préparation des forces aériennes ». Ces crédits doivent permettent aux forces aériennes de conduire les missions qui leur sont assignées par la loi de programmation militaire :

– la protection aérienne du territoire national et des populations grâce à leurs moyens de détection, d’identification et d’intervention dans son espace aérien et dans ses approches, sous la responsabilité du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes ;

– la dissuasion nucléaire au travers de la mise en œuvre de la composante aéroportée, sous la responsabilité du commandement des forces aériennes stratégiques ;

– l’intervention visant à protéger nos ressortissants, à défendre les intérêts de la France, à honorer nos alliances et à respecter nos engagements internationaux.

Les crédits de l’action 4 se répartissent en plusieurs sous-actions :

– la sous-action 2 « commandement et activités centralisées des forces aériennes », qui couvre le périmètre des organismes du niveau d’état-major d’armée ;

– la sous-action 3 « activités des forces aériennes », qui regroupe les unités du commandement des forces aériennes (CFA) et du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), implantés respectivement sur les bases aériennes 106 de Bordeaux-Mérignac et 942 de Lyon-Mont-Verdun ;

– la sous-action 4 « activités des forces aériennes stratégiques », qui regroupe l’ensemble des unités des forces aériennes stratégiques (FAS), c’est‑à‑dire la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire ;

– la sous-action 5 « ressources humaines des forces aériennes », qui regroupe la direction des ressources humaines de l’armée de l’air ainsi que les écoles et établissements ou centres d’enseignement ;

– la sous-action 6 « entretiens et équipements des forces aériennes », qui regroupe l’ensemble des moyens destinés à assurer la mise en œuvre et le soutien techniques des forces aériennes en optimisant la disponibilité des aéronefs et des moyens aéronautiques associés. Cette sous-action couvre ainsi une partie des activités du CFA, qui assure le niveau de soutien opérationnel des équipements aériens, et de la direction de la maintenance aéronautique ;

– la sous-action 9 « service industriel aéronautique », qui ne bénéficie d’aucune dotation budgétaire, le paiement des factures correspondantes à l’entretien du matériel étant imputé sur la sous-action 6.

En PLF 2019, les crédits de l’action 4 représentent 4,327 milliards d’euros en AE et 2,319 milliards d’euros en CP, soit 28,9 % des crédits du programme, et une augmentation respectivement de 66,5 % et de 9,2 %.

Ressources de laction 4 « Préparation des forces aériennes » - programme 178 – PLF 2019

Sous-action (SA)

AE

CP

SA 04-02 – Commandement et activités centralisées des forces aériennes

9,0

8,4

SA 04-03 – Activités des forces aériennes

287,8

288,7

SA 04-04 – Activités des forces aériennes stratégiques

477,3

163,4

SA 04-05 – Ressources humaines des forces aériennes

94,8

91,8

SA 04-06 – Entretien et équipements des forces aériennes

3 457,8

1 766,8

SA 04-09 – Service industriel aéronautique (SIAé)

0

0

TOTAL

4 326,7

2 319,0

Source : PAP 2019.

La forte augmentation des autorisations d’engagement résulte principalement de l’accroissement des crédits dévolus à la sous-action 6. Celui-ci traduit l’ambition de la LPM 2019-2025 de renouveler et de moderniser les capacités opérationnelles des armées dès cette année. De manière plus précise, cette hausse s’explique essentiellement du fait du recours à des marchés pluriannuels majeurs, conformément à la nouvelle philosophie mise en œuvre par la direction de la maintenance aéronautique.

Concernant les crédits de paiement, l’augmentation de la dotation prévue pour l’année 2019 n’est que la déclinaison de l’actualisation de la loi de programmation militaire 2014-2019 et des dispositions de la LPM 2019-2025. Ils correspondent au financement de mesures de soutien aux flottes les plus sollicitées ainsi que de la montée en puissance des matériels nouveaux : drones, A400M, C130J, avions légers de surveillance et de reconnaissance (ALSR), MRTT, notamment.

2.   Présentation par titre et par opération stratégique

L’analyse de l’évolution des crédits par titre et par opération stratégique permet de suivre de manière plus fine l’évolution des ressources affectées à l’armée de l’air.

Évolution des crédits de laction 4,

par titre, entre le PLF 2018 et le PLF 2019

(en millions deuros courants)

 

AE

PLF 2018

AE

PLF 2019

Évolution

CP

PLF 2018

CP

PLF 2019

Évolution

Titre 3

Fonctionnement

2 540,5

4 262,1

67,8 %

2 064,0

2 256,6

9,3 %

Titre 5

investissement

58,8

64,6

9,9 %

59,3

62,5

5,3 %

Total

2 599,3

4 326,7

66,5 %

2 123,3

2 319,0

9,2 %

Source : ministère des Armées.

a.   Les dépenses de fonctionnement

L’agrégat budgétaire « fonctionnement » retrace les crédits affectés à deux opérations stratégiques : une opération « activités opérationnelles » et une activité « fonctionnement et activités spécifiques ». En PLF 2019, le montant de la dotation est de 425,18 millions d’euros en AE et 422,21 millions d’euros en CP, ce qui correspond à une hausse de 9,5 % par rapport à l’année 2018.

Premièrement, l’opération stratégique « activités opérationnelles » est dotée de 383 millions d’euros en AE et de 381 millions d’euros en CP, ce qui représente une hausse de 5,5 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2018. Celle-ci est principalement le fait de l’accroissement des ressources affectées à deux opérations budgétaires, « activités et entraînement des forces » et « déplacements et transports », respectivement dotées de 69,80 millions d’euros en AE et 68,38 millions d’euros en CP et de 36,2 millions d’euros en AE et 35,5 millions d’euros en CP, soit des hausses de 38 % et 39 %.

Pour la première opération budgétaire, l’augmentation de la dotation s’explique en grande partie par l’apparition de nouveaux besoins de formation, imposant des déplacements à l’étranger – ainsi des stages effectués aux États-Unis par les équipages chargés des drones MALE Reaper et des MRTT – ou la location d’appareils civils, comme ce fut le cas pour maintenir les qualifications des équipages de Caracal. S’agissant de la seconde opération budgétaire, la hausse de la dotation résulte également de l’accroissement des déplacements à l’étranger, notamment dans le cadre des activités de formation précitées.

Par ailleurs, cette opération stratégique retrace également les crédits affectés aux opérations budgétaires relatives aux carburants opérationnels. Ils enregistrent une baisse de 3,4 % de la dotation en raison de l’évolution de l’activité attendue pour l’année 2019, correspondant à 17 000 heures de vol. En conséquence, l’augmentation des coûts de carburant au mètre cube – 645 euros en PLF 2019 contre 619 euros en PLF 2018 – ne contrebalancera pas la diminution du volume, estimé à 413 499 mètres cube pour l’an prochain.

Deuxièmement, l’opération stratégique « fonctionnement et activités spécifiques » est dotée, en PLF 2019, de 42,13 millions d’euros en AE et de 41,30 millions d’euros en CP, ce qui correspond à une hausse de 67 % par rapport à l’année précédente. Celle-ci s’explique essentiellement par les modifications du périmètre budgétaire des cinq opérations budgétaires ou l’apparition de nouveaux besoins.

Ainsi, l’opération budgétaire « prestations intellectuelles », dotée de 4,42 millions d’euros en AE et 4,33 millions d’euros en CP, connaît une très forte augmentation, de plus de 750 % en raison de l’inclusion dans son périmètre de l’ensemble des assistances à maîtrise d’ouvrage des opérations de MCO aéronautiques et terrestres.

De même, l’opération budgétaire « communication et relations publiques » voit sa dotation prévisionnelle croître sensiblement, pour s’établir à 2,43 millions d’euros en AE et 2,38 millions d’euros en CP, afin de tenir compte de l’organisation, en juin 2019, du salon du Bourget. Notons que cette opération couvre également les dépenses liées à la promotion de l’armée de l’air au travers de la Patrouille de France.

La dotation de l’opération budgétaire « fonctionnement courant », qui couvre les dépenses de fonctionnement des unités, comme la collecte des déchets aéronautiques, le gardiennage de certaines bases ou des dépenses d’amélioration de la condition du personnel, croît, quant à elle, de 1,8 million d’euros pour s’établir à 3,43 millions d’euros en AE et 3,37 millions d’euros en CP, en raison de l’augmentation des coûts.

Du fait de la reprise des recrutements et des besoins de formation et d’instruction correspondants, l’opération budgétaire « soutien des ressources humaines » bénéficie d’une hausse des ressources qui lui sont affectées, pour un montant total de 13,85 millions d’euros en AE et 13,57 millions d’euros en CP.

Enfin, l’opération budgétaire « mobilité des personnels », dotée de 18 millions d’euros en AE et de 17,7 millions d’euros en CP, comporte les crédits destinés à financer les dépenses de transport de personnes et de mobilier dans le cadre des mutations de personnels civils et militaires de l’armée de l’air en métropole, outre-mer et à l’étranger.

b.   Les dépenses d’investissement

Les dépenses d’investissement se répartissent en trois opérations stratégiques.

Premièrement, l’opération stratégique « dissuasion », qui retrace les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels des forces aériennes stratégiques, c’est-à-dire les Rafale affectés à la mission de dissuasion et les ravitailleurs C135. Sa dotation prévisionnelle s’élève à 448,7 millions d’euros en AE et 135 millions d’euros en CP pour l’année 2019. L’évolution des crédits traduit à la fois le retrait de service des Mirage 2000N et la mise en service d’un deuxième escadron de Rafale nucléaire à l’été 2018, ainsi que la refonte du contrat d’entretien des Rafale dans le cadre de la démarche de verticalisation et de globalisation mise en œuvre par la direction de la maintenance aéronautique, conformément à la volonté du Gouvernement. La transformation de multiples contrats de court terme en un contrat unique pluriannuel explique la disproportion entre les montants prévus en AE et en CP.

Deuxièmement, l’opération stratégique « entretien programmé des matériels », qui regroupe les ressources affectées à l’entretien programmé des matériels conventionnels. Sa dotation prévisionnelle s’élève à 3,383 milliards d’euros en AE et 1,618 milliard d’euros en CP. De nouveau, la disproportion manifeste entre les crédits ouverts en AE et en CP s’explique par la mise en œuvre des nouveaux contrats de maintenance verticaux, globalisés et pluriannuels. D’ailleurs, la dotation connaît une hausse de 67 % en AE contre seulement 8 % en CP. De manière générale, l’année 2019 devrait être marquée par un approfondissement des actions en faveur de la montée en puissance des flottes Rafale, C130J et A400M, du maintien de l’activité des Mirage 2000 et de leur potentiel afin de faire face aux difficultés de régénération organique issues de la suractivité des années passées, de l’aviation de transport tactique, fortement éprouvée en OPEX et, plus globalement, du maintien général de l’activité par un accroissement de la disponibilité des matériels, indispensable à la réalisation des heures de vol prévues.

De manière plus précise, l’essentiel des ressources est affecté à l’opération budgétaire « entretien programmé des matériels des flottes aériennes », dotée de 3,081 milliards d’euros en AE et 1,495 milliard d’euros en CP. On notera notamment, pour les AE, les lignes suivantes : 687,6 millions d’euros pour la flotte d’avions de transport tactique, 265,2 millions d’euros pour la flotte de Mirage 2000, 195 millions d’euros pour les systèmes d’information et de communication aéronautiques, 127,5 millions d’euros pour la flotte d’avions‑écoles, 118,3 millions d’euros pour la flotte d’avions d’appui opérationnel et à usage gouvernemental, 109 millions d’euros pour les hélicoptères, 62 millions d’euros pour les systèmes de drones, 26,1 millions d’euros pour les flottes externalisées.

Les autres opérations budgétaires bénéficient de dotations plus modestes :

– l’opération budgétaire « EPM des munitions aériennes », est dotée de 269,96 millions d’euros en AE et de 91,91 millions d’euros en CP ;

– l’opération budgétaire « EPM du matériel terrestre », qui concerne l’entretien du matériel terrestre de l’armée de l’air, est dotée de 28,33 millions d’euros en AE et en CP ;

– l’opération budgétaire « démantèlement milieu aérien », qui couvre le financement des activités de démantèlement sur le site de Châteaudun, est dotée de 3,15 millions d’euros en AE et de 3,07 millions d’euros en CP ;

– l’opération budgétaire « démantèlement milieu terrestre » n’est dotée, quant à elle, que de 180 000 euros en AE comme en CP.

Troisièmement, l’opération stratégique « équipements d’accompagnement », qui regroupe l’ensemble des ressources destinées à l’acquisition et au suivi des petits équipements, des matériels de maintenance, des véhicules spécialisés ou au financement du renouvellement des munitions. En PLF 2019, elle est dotée de 70,1 millions d’euros en AE et de 143,3 millions d’euros en CP, ce qui représente une hausse respective de 9,1 % et de 20 %. Celle‑ci s’explique par l’apparition de nouveaux besoins, qu’il s’agisse de moyens de vidéosurveillance pour la protection des emprises militaires, de l’acquisition d’armement petit calibre ou de groupes hydrauliques et électriques demandés dans le cadre des opérations. Enfin, l’augmentation de la dotation en CP transcrit la décision, prise lors du conseil de défense du 6 avril 2016, de rehausser les niveaux de stocks opérationnels de munitions air-sol.

3.   Aperçu des autres crédits de la mission « Défense » consacrés à l’armée de l’air

Si le présent avis porte essentiellement sur les ressources inscrites au sein du programme 178, il a semblé utile à votre rapporteur pour avis de présenter à grands traits l’ensemble de l’effort budgétaire au profit des forces aériennes. Afin de ne pas outrepasser la mission qui lui a été confiée, il se propose d’évoquer quelques points saillants permettant d’illustrer la diversité des actions concernées.

Premièrement, concernant le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », une part des ressources affectées aux études amont, dont les crédits sont retracés au sein de la sous-action 3 de l’action 7, se rapporte directement aux forces aériennes. De manière plus précise, l’opération budgétaire « aéronautique et missiles », dotée de 279,9 millions d’euros en AE et de 248,5 millions d’euros en CP, permettra de financer de nombreux travaux technologiques participant à la conception du système de combat aérien futur, notamment dans le domaine de la guerre électronique aéroportée et du radar. Par ailleurs, le programme futur missile anti-navires/futur missile de croisière (FMAN/FMC), conduit de manière bilatérale avec le Royaume-Uni, s’approfondira dans le cadre de l’étude de concept lancée l’an dernier. Ce programme est particulièrement important pour l’armée de l’air, les futurs missiles devant permettre d’assurer la mission de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD) et celle de frappe dans la profondeur. À moyen terme, c’est donc la faculté des forces aériennes à conserver la capacité à entrer en premier qui est en jeu.

Deuxièmement, le programme 146 « Équipement des forces » retrace les financements liés à l’acquisition de nouvelles capacités. Pour l’armée de l’air, l’année 2019 devrait ainsi être marquée par les livraisons d’un premier ALSR, d’un avion de guet aérien Hawkeye mis à niveau, de deux systèmes de trois drones MALE Reaper, d’un centre de contrôle local d’aérodrome SCCOA 3, de dix PDL NG, d’un A400 M, de deux C130J dotés la capacité de ravitaillement en vol des hélicoptères, de deux PC-21 au profit du programme FoMEDEC, d’un MRTT Phénix, de 31 missiles METEOR et de deux équipements de largage de moyens de récupération en mer pour Falcon 50. Du côté des commandes attendues, les principales devraient porter sur deux avions dotés de la capacité universelle de guerre électronique (CUGE) avec une plateforme d’entraînement, une charge utile ROEM MALE, quatre systèmes de drone MALE européen, un radar fixe d’approche SCCOA 4.2, quatre terminaux de liaison 16 pour les systèmes de détection et de commandement aéroporté (SDCA), dix Mirage 2000D rénovés et 60 missiles METEOR.

Troisièmement, les crédits relatifs au financement des infrastructures d’accueil des nouveaux équipements sont inscrits au programme 212 « Soutien de la politique de défense ». Pour l’armée de l’air, cela concerne six opérations d’investissement couvertes par l’opération budgétaire « assurer la préparation opérationnelle du milieu aéroportuaire » de l’action 4, relative à la politique immobilière, pour un montant de 241,5 millions d’euros en AE et 110 millions d’euros en CP. De manière plus détaillée, il s’agit du volet « infrastructures » des programmes suivants : avions de transport A400 M et MRTT, Rafale, hélicoptères de nouvelle génération (HNG), aéronefs à usage gouvernemental et système de défense sol-air moyenne portée terre (SAMP/T). L’essentiel de la dotation correspond aux trois premiers programmes, qui mobiliseront 160,1 millions d’euros en AE et 97,8 millions d’euros en CP.


II.   La programmation 2019-2025 : confiance et vigilance

A.   Une LPM de remontée en puissance pour l’armée de l’air

L’évolution du contexte stratégique impose de renouveler les moyens de l’armée de l’air, afin de lui permettre de conserver sa supériorité dans la troisième dimension et, ce faisant, de garantir aux autorités politiques et militaires la préservation de la souveraineté nationale et la liberté d’action. Comme l’a exposé la Revue stratégique ([11]), les forces aériennes devront ainsi être en mesure de combattre des adversaires étatiques de premier rang, disposant de capacités et de savoir-faire de très haut niveau, récemment démontrés en opérations et, à l’autre bout du spectre, de faire face à des adversaires non-étatiques mettant en œuvre tant des systèmes de pointe que des technologies plutôt basiques, comme des brouilleurs GPS. Dans ce contexte, il leur faudra être en mesure de mieux coordonner et synchroniser les effets sur l’adversaire, au moyen des technologies de combat collaboratif, d’une interopérabilité toujours plus poussée avec les alliés et les autres armées. Il s’agit là d’une condition essentielle au maintien de la capacité des forces aériennes à « entrer en premier », y compris en milieu contesté, dans un cadre national ou au sein d’une coalition internationale. Aussi les besoins opérationnels majeurs de l’armée de l’air touchent-ils, au-delà du domaine de la dissuasion nucléaire, aux domaines du renseignement, du combat aérien, de la projection de force, de la connectivité et, son corollaire, de la résistance à la menace cyber.

Prenant acte de cette impérieuse nécessité, la LPM 2019-2025 a engagé un mouvement de remontée en puissance des capacités de l’armée de l’air que l’on ne peut que saluer. Il ne s’agit pas ici de reprendre en détail les dispositions de la LPM promulguée en juillet dernier mais de brosser, à grands traits, ses grandes orientations pour l’armée de l’air selon deux axes : les équipements et les personnels.

1.   Les équipements

Le rapport annexé à la LPM 2019-2025 retrace les principales livraisons de matériels attendues sur la période 2019-2025. Par souci de lisibilité, votre rapporteur pour avis a privilégié la confection d’un tableau retraçant ces dotations à venir.

Évolution des moyens de larmée de lair sur la durée de la programmation

Programme

LPM 2014‒2019 actualisée

 

parc début 2019

projet
de LPM 2019‒2025

 

parc fin 2025

commentaire

 

Cible

Échéance

 

Cible « Ambition 2030 »

Échéance

 

 

Rafale

(air + marine)

cible globale de 225 ([12]) avions de combat

nd ([13])

143

(102 + 41)

225 (185+40)

nd

171
(129 + 42)

- livraison de 28 Rafale de 2022 à 2024

- commande de 30 Rafale en 2023 pour une livraison d’ici 2030

Mirage 2000D rénovés

2024

0

55

2024

55

pas de changement majeur

total avions de combat :

 

254 ([14])

 

 

253

 

MRTT ([15])

12

2029

1

15

2025
(12 premiers avions)

12

hausse de la cible : +3

accélération du calendrier : 2025 au lieu de 2029 pour les 12 premiers avions

A400M Atlas

50

2030

14

cible globale de 53 avions de transport tactique ([16])

nd

25

 

C130J

4

2019

2

2019

4

 

SAMP-T NG ([17])

-

-

-

8

2030

0

- programme nouveau

- commandes d’ici 2025

drones MALE ([18]) Reaper et EuroMALE

(systèmes / vecteurs)

Reaper :

4 / 12

 

Reaper :

2 / 6

Reaper :

4 / 12

EuroMALE :

4 / 12

Reaper :

2019

EuroMALE :

2030

5 / 15

Reaper :

4 / 12

EuroMALE :

1 / 3

montée en puissance :

- livraison des deux derniers Reaper en 2019

- lancement du programme d’EuroMALE en 2019

- première livraison d’EuroMALE en 2025

CUGE ([19])

-

-

0

3

2030

1

programme nouveau

satellites MUSIS ([20])

3

2021

1

3

2021

3

- pas de changement majeur

- programme de renouvellement lancé en 2023

satellites CERES ([21])

1

2020

0

1

2020

1

ALSR (1)

3 loués

2020

1

8

2030

2

- mentionné par la LPM de 2013 sans cible ni calendrier explicites

- deux commandes ont été passées, avec option sur un avion de plus

(1) Avion léger de surveillance et de reconnaissance, destiné à remplacer en partie des avions loués pour la DRM et la DGSE.

Source : loi de programmation militaire 2019-2025.

2.   Les aviateurs

De manière générale, la LPM 2019-2025 a confirmé la reprise des recrutements après l’interruption du processus de déflation décidée en 2015 à l’occasion de l’actualisation de la LPM 2014-2019. Après des années de réduction du format des armées, la programmation prévoit donc un accroissement des effectifs, essentiellement dans le but de répondre aux nouveaux besoins. C’est pourquoi des secteurs jugés prioritaires, comme le renseignement, la cyberdéfense, les activités de sécurité et de protection ainsi que le soutien aux exportations capteront la majorité des 6 000 créations de postes sur la période 2019-2015.

Néanmoins, l’armée de l’air devrait bénéficier de 98 créations de postes pour l’année 2019, principalement destinées à armer le pôle renseignement puisque 88 concernent les drones et l’ALSR, les dix derniers étant dévolus au soutien à l’exportation. Plus largement, 337 créations de postes sont prévues sur la période 2019-2022 et de 1 250 sur la période 2023-2025.

Par ailleurs, la programmation sera l’occasion de décliner le plan Famille, dans le cadre duquel 530 millions d’euros seront consacrés au financement de l’amélioration des conditions de vie des militaires et de leurs familles sur la période 2019-2023. Au niveau de l’armée de l’air, le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air, rappelait devant la commission de la Défense nationale et des forces armées que sur les 46 actions prévues dans le cadre du Plan Famille, une vingtaine intéresse plus particulièrement l’armée de l’air. Dans ce cadre, l’armée de l’air a conçu des offres élargies de prestations sociales pendant les absences liées aux missions. De même, des mesures ont été prises afin de faciliter l’accès à la propriété et, sur une majorité de bases, le wifi est proposé de manière gratuite. Des évolutions sont encore attendues, notamment sur la garde d’enfants. D’autres initiatives sont en cours, comme par exemple l’installation, à titre expérimental, d’une cellule d’information des familles sur la base aérienne de Nancy-Ochey. Comme le rappelait le CEMAA, « un aviateur en mission laisse derrière lui une famille, et il souhaite quelle soit bien prise en charge ».

B.   Des points d’attention pour l’avenir

Si la loi de programmation consacre une remontée en puissance de l’armée de l’air, elle n’en demeure pas moins fragile sur certains points. De plus, nombre d’incertitudes demeurent, qui risquent d’obérer sa capacité à pleinement tirer profit de ces nouvelles orientations. Votre rapporteur pour avis a souhaité souligner ces points d’attention par quelques exemples éclairants.

1.   Des fragilités de la programmation

a.   Du manque d’ambition

i.   Les hélicoptères

Les hélicoptères constituent sans nul doute le parent pauvre de la LPM 2019-2025. Le président de la commission de la Défense nationale et des forces armées ne disait pas autre chose en en faisant un « point majeur dattention » dans son rapport législatif sur le projet de loi de programmation.

Si l’ensemble des flottes hélicoptères est concerné, c’est particulièrement le cas des flottes d’hélicoptères légers censées être remplacées par le programme interarmées léger (HIL). Pour rappel, la cible du programme a été évaluée à 181 appareils, dont 40 pour l’armée de l’air, qui doit également recevoir les douze hélicoptères de manœuvre destinés à remplacer ses Puma. Or, le projet de loi de programmation militaire ne prévoit aucune livraison d’hélicoptères d’ici 2025, qu’il s’agisse du HIL, reporté à l’horizon 2028, ou des futurs hélicoptères de manœuvre.

Il faudra donc compter sur une amélioration de la disponibilité des matériels, et espérer qu’ils « tiennent ». À titre d’exemple, s’agissant du HIL, la marine nationale a d’ores et déjà décidé de louer des appareils pour faire face à la rupture de capacité qui surviendra d’ici 2028, tandis que l’armée de terre compte prolonger la durée de vie des Gazelle, entrées en service en 1974, jusqu’à cette date. 

ii.   Les pods de désignation laser

L’an dernier, votre rapporteur pour avis avait souligné l’importance des pods, dont la qualité comme la quantité pose aujourd’hui de sérieuses difficultés. La LPM répond en partie à cette problématique, en prévoyant la commande et la livraison de nouveaux pods de désignation laser, dits de nouvelle génération (PDL-NG) sur la durée de la programmation. Ainsi, le rapport annexé indique que le stock de pods passera de 63 pods de désignation laser ancienne génération (PDL) ([22]) et 4 PDL-NG en 2019 à 34 PDL et 45 PDL‑NG en 2025.

L’accroissement du nombre de pods de nouvelle génération est bienvenu. En effet, parmi les trois types de pods actuellement en service, seul le pod DAMOCLES donne satisfaction en opération. Les deux autres – le pod ATLIS et le pod de désignation laser à caméra thermique (PDL CTS), emportés sous Mirage 2000D, présentent un niveau de performance limité, peu conforme aux exigences requises par nos alliés dans le cadre des coalitions internationales. Dans son précédent avis, votre rapporteur pour avis avait ainsi souligné que certains aviateurs lui avaient confié que nos alliés étaient « abasourdis » face à la piètre qualité de l’image fournie par ces pods.

Le pod de nouvelle génération TALIOS, emporté sous Rafale, devrait permettre de franchir un palier technologique. Selon Thales, cette nouvelle nacelle « bénéficie dun système de stabilisation de la ligne de visée à haute précision, permettant des frappes en profondeur avec bombes et missiles à longue portée », et offrant des « capacités didentification air-air et dappui aérien rapproché de jour comme de nuit ». Intégrant un capteur infrarouge, une caméra haute résolution en couleur ainsi qu’un illuminateur et un télémètre laser, le TALIOS permet également de transmettre en temps réel les informations collectées, facilitant les interactions entre l’équipage d’un Rafale et les troupes au sol. Les premiers devraient être livrés à la fin de l’année 2018.

Pour autant, leur nombre reste source de questionnement. En 2025, les forces aériennes disposeront de 79 pods, contre 67 aujourd’hui. Compte tenu du faible taux de disponibilité de ces matériels, il est à craindre qu’ils ne permettent pas de couvrir les besoins futurs de l’armée de l’air. Rappelons à ce titre que le taux de disponibilité globale des pods de désignation laser est de 54 % au premier semestre 2018, alors que leur nombre avait été fixé en prenant en compte un objectif de disponibilité théorique, annoncé par l’industriel, de 75 %. Ce faible taux de disponibilité s’explique, d’une part, par le fait que le parc des pods ATLIS et PDL-CTS, plutôt vieillissant, est touché par des obsolescences durables, tandis que, d’autre part, le niveau d’engagement opérationnel actuel conduit à une utilisation intensive des pods DAMOCLES et à un accroissement des pannes en raison des conditions climatiques abrasives rencontrées au Sahel comme au Levant.

Par ailleurs, il convient de rappeler que les pods ne sont pas uniquement employés en OPEX ; ils le sont également dans le cadre de la préparation opérationnelle ou des activités de soutien à l’exportation.

Dès lors, il est à craindre qu’au terme de la programmation, le nombre de pods soit jugé aussi « délirant » qu’au moment de l’engagement des forces aériennes françaises au Kosovo à la fin des années quatre-vingt-dix.

b.   « Quand c’est flou… »

i.   La trajectoire budgétaire

La trajectoire budgétaire de la LPM 2019-2025 pose évidemment question. Il n’a échappé à personne que l’essentiel de l’effort financier porte sur la période 2023-2025. D’aucuns expliquent qu’il n’y a là que logique, l’ampleur de l’effort imposant de le lisser dans le temps, et d’engager une première phase progressive pour conforter les bases nécessaires à l’absorption d’une forte hausse des crédits. Une telle position s’entend tout à fait, en même temps qu’elle suscite l’inquiétude. Pour rappel, il est prévu une hausse de 1,7 milliard d’euros supplémentaire par an à partir de 2019, puis trois milliards après la prochaine élection présidentielle. Pour la période 2024-2025, l’actualisation de la LPM prévue en 2021 permettra de définir les ressources budgétaires nécessaires pour les années 2024 et 2025 afin d’atteindre un effort national de défense de 2 % du PIB à l’horizon 2025.

Évolution des ressources totales en crédits budgétaires

(en milliards d’euros courants)

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

35,9

37,6

39,3

41

44

À définir lors de l’actualisation prévue en 2021 en vue d’atteindre 2 % du PIB en 2025

Source : loi de programmation militaire 2019-2025.

Cette trajectoire budgétaire apparaît aussi ambitieuse que floue, dans la mesure où nul ne saurait s’engager sur le niveau de crédits budgétaires affectés à la défense après la prochaine élection présidentielle. Or, la programmation couvre bien une période plus longue que celle du présent quinquennat. Pire, elle dessine une trajectoire au-delà de l’année 2025, détaillant ainsi une « Ambition 2030 ». Si l’on ne peut que souhaiter à nos forces la réalisation de ces objectifs, la prudence paraît de mise. Y aurait-il un vice caché ? Voudrait-on faire porter à une future majorité la responsabilité d’un renoncement ?

Quoi qu’il en soit, l’actualisation prévue au plus tard en 2021 permettra d’apprécier la robustesse des ambitions initiales.

ii.   Le rythme de livraison des équipements

La loi de programmation militaire prévoit une régénération des capacités mises à disposition des forces. Il s’agit d’un point essentiel, et il n’y a aucune raison de remettre en cause l’engagement du Gouvernement. Toutefois, il est difficile pour les parlementaires d’apprécier avec précision le rythme de cette remontée en puissance, puisqu’aucun échéancier des livraisons attendues chaque année ne leur a été remis. Tout juste disposent-ils des informations figurant dans la loi de programmation militaire, qui indiquent, pour les principaux équipements, l’état du parc en 2019, en 2021 et en 2025. De plus, l’« Ambition 2030 » permet d’estimer l’objectif capacitaire à cet horizon.

Ceci appelle un commentaire et une interrogation.

Premièrement, de même que la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement pourrait se révéler inconsistante, le calendrier des livraisons pourrait, in fine, ne pas correspondre à l’exposé qui en est fait en LPM. Ainsi, par exemple, de la flotte d’ALSR. Le rapport annexé indique que, dans le cadre des contrats opérationnels assignés aux armées, celles-ci devraient être en mesure de déployer jusqu’à sept ALSR en gestion de crise et quatre supplémentaires dans le cadre d’une opération majeure de coercition, soit onze appareils au total. Pourtant, l’« Ambition 2030 » ne prévoit la détention que de huit appareils à cet horizon, dont seulement deux seront livrés d’ici 2025 ! En somme, il nous faudra toujours recourir à la location, et rien ne garantit que la flotte patrimoniale d’ALSR comprendra bien huit appareils en 2030. Sur cette question comme sur d’autres, votre rapporteur pour avis espère que la programmation ne se révélera pas un simple vœu pieux.

Deuxièmement, certaines cibles apparaissent surprenantes au regard des engagements contractuels de la France. Ainsi par exemple des avions de transport tactique. La LPM 2019-2025 prévoit ainsi que les forces aériennes disposeront de cinquante-trois avions de transport tactique à l’horizon 2030, la flotte devant être composée d’A400M et de C130J. D’ici 2025, elles devraient déjà pouvoir compter sur vingt-cinq A400M et quatre C130J, la programmation prévoyant la livraison respective de onze et deux appareils sur la période 2019‑2025. En somme, vingt‑quatre avions de transport tactique devraient être livrés entre 2025 et 2030 afin de respecter l’« Ambition 2030 ». Or, dans le même temps, le contrat noué par la France auprès d’Airbus porte sur l’acquisition de cinquante A400M. Irons‑nous au-delà de la cible des cinquante-trois appareils de transport tactique ? Devons‑nous nous attendre à une réduction de la cible d’A400M au profit d’un accroissement de la part des C130J ? Ces questions demeurent en suspens. Elles appelleront une clarification, ne serait-ce qu’en raison des conséquences financières éventuelles d’une renégociation contractuelle.

Mais si la programmation comporte quelques fragilités, elle repose également sur quelques incertitudes.

2.   Des grandes incertitudes

a.   L’amélioration de la disponibilité des matériels

La remontée en puissance des forces repose notamment sur l’amélioration de la disponibilité des matériels, dont nul ne peut se satisfaire aujourd’hui. C’est particulièrement le cas dans le domaine aéronautique, le maintien en condition opérationnelle étant défaillant en la matière.

La disponibilité des aéronefs peut se mesurer par le taux de disponibilité technique, ratio entre le nombre d’aéronefs disponibles constaté et le nombre d’aéronefs du parc de référence.

Pour des raisons indépendantes de sa volonté, votre rapporteur pour avis ne pourra en revanche mener une analyse aussi fine que l’an dernier s’agissant de la disponibilité. En effet, alors que lui avaient été adressées, à l’automne 2017, des informations très détaillées sur les taux de disponibilité des flottes, il n’a reçu cette année en réponse à ses questions que des informations globalisées.

Il regrette d’avoir été ainsi privé d’éléments d’analyse essentiels à l’accomplissement par les parlementaires de leur mission constitutionnelle de contrôle de l’action du gouvernement et d’évaluation des politiques publiques. Si de tels manques devaient se reproduire, il ne s’interdit pas de recourir aux dispositions de l’article 9 de la LPM 2019-2025, permettant aux rapporteurs pour avis de procéder à toutes investigations nécessaires sur pièces et sur place auprès du ministère des Armées et des organismes qui lui sont rattachés pour contrôler la bonne application de la programmation militaire.

Taux de disponibilité technique (DT)

Famille d’aéronef

Taux de disponibilité DT

Dates d’entrée en service

2015

2016

2017

1er semestre 2018

PRÉVISION 2019

le plus ancien

le plus récent

Avions de chasse

41,9 %

44,2 %

45,1 %

44,1 %

 nov.-83

 avr.-18

Avions École

41,0 %

38,5 %

39,9 %

42,3 %

 déc.-78

 sept.-97

Avions de transport stratégique

74,1 %

64,4 %

86,5 %

72,4 %

=

 mars-87

févr.-95 

Avions de transport de personnel

52,7 %

53,2 %

63,5 %

61,4 %

=

nov.-70 

nov.-97 

Avions à usage gouvernemental

90,7 %

89,3 %

76,7 %

80,8 %

=

 juin-85

 juin-12

Avions de support opérationnel

50,6 %

45,5 %

53,1 %

56,5 %

mars-62 

 janv.-17

Avions de transport tactique

42,4 %

38,7 %

38,3 %

38,0 %

 août-70

mars-18 

Hélicoptères de manœuvre ou moyens

46,7 %

35,7 %

33,2 %

38,5 %

=

 janv.-75

févr.-13 

Hélicoptères légers

39,9 %

47,0 %

45,5 %

43,5 %

févr.-88

mars-94

TOTAL ARMEE DE L’AIR

43,3 %

42,9 %

43,2 %

44,2 %

 

 

 

Source : ministère des Armées.

À l’avenir, l’amélioration de la disponibilité des aéronefs constituera donc une condition nécessaire à la régénération des forces et à la remontée capacitaire. Pour ce faire, votre rapporteur pour avis compte sur l’action de la nouvelle direction de la maintenance aéronautique (DMAé), instituée en avril 2018. La création de cette nouvelle direction a été annoncée par la ministre des Armées le 11 décembre 2017 sur la base aérienne d’Évreux-Fauville. À la suite de la remise des conclusions de la mission d’audit confiée à l’ingénieur général de l’armement Christian Chabbert, Mme Florence Parly a ainsi décidé de réformer la gouvernance et l’organisation du MCO aéronautique. Une mission de préfiguration a été confiée à l’ingénieure générale de l’armement Monique Legrand-Larroche, qui a ensuite pris la tête de la nouvelle DMAé lors de sa création par voie réglementaire, en avril 2018.

Depuis lors, la DMAé a entrepris de refondre le MCO aéronautique selon trois axes.

Premier axe, remettre les flottes au cœur de l’organisation du MCO aéronautique. Pour ce faire, des responsables de flotte ont été nommés en septembre 2018.

Deuxième axe, réorganiser la gouvernance en partenariat avec les états‑majors d’armée, au travers d’un contrat d’objectif et de performance assignant des objectifs de disponibilité en regard de ressources budgétaires disponibles.

Troisième axe, opérer une verticalisation des contrats de maintenance. C’est là le cœur de la nouvelle philosophie du MCO aéronautique. L’objectif est ainsi de confier progressivement aux acteurs industriels la gestion des stocks de pièces et de développer des guichets de pièces sur les bases, afin d’accroître la performance de la maintenance.

Une telle démarche présente des avantages tant pour l’industriel que pour les forces. Pour les forces, il s’agit d’augmenter la disponibilité. Pour les acteurs industriels, il s’agit d’améliorer l’image de leurs produits, parfois pénalisés par une trop faible disponibilité, et ainsi de faciliter leur exportation.

De plus, la mise en place de contrats verticaux impose de s’inscrire dans la durée, ce qui octroie davantage de visibilité aux industriels. C’est d’ailleurs ce surcroît de visibilité qui les conduira à réaliser les investissements nécessaires à une amélioration des opérations de maintenance.

En conséquence, la DMAé a engagé un processus de renégociation des contrats, centré sur les flottes jugées prioritaires comme les hélicoptères (Cougar, Fennec et Caracal) et les Atlantique 2, ou les flottes dont les contrats arrivaient à leur terme, comme le Rafale. Des discussions sont également en cours s’agissant de la maintenance de l’A400M, du NH90 et du Tigre ; elles aboutiront plus tardivement car elles sont menées dans un cadre multilatéral, intrinsèquement alourdi.

Pour votre rapporteur pour avis, la décision de la ministre va dans le bon sens. Néanmoins, l’amélioration de la disponibilité prendra du temps – dix-huit mois au minimum selon Mme Legrand-Larroche. Souhaitons à la DMAé le plus vif succès ; il en va de l’accomplissement des objectifs de la programmation.

b.   L’approfondissement de la coopération européenne en matière de défense

Enfin, la LPM 2019-2025 souligne l’importance de la coopération européenne pour la réalisation des futurs grands programmes d’armement. Du point de vue des forces aériennes, deux programmes d’armement sont particulièrement concernés : le programme futur missile anti-navires/futur missile de croisière (FMAN/FMC) et le système de combat aérien du futur. Du point de vue opérationnel, il convient de mentionner le projet d’escadron franco-allemand de C130J sur la base d’Évreux-Fauville, dont il sera question en seconde partie du présent avis.

Votre rapporteur pour avis ne s’étendra pas sur le programme FMAN/FMC, conduit en coopération avec le Royaume-Uni. Étant membre d’une mission d’information de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le sujet, il ne pourrait révéler ici les conclusions de ses collègues Charles de la Verpillière et Natalia Pouzyreff, qui seront prochainement rendues publiques. Toujours est-il que si le Brexit ne remet pas en question la coopération franco-britannique en matière de défense, il est source de nombreuses difficultés d’ordre politique, technique et financier. Dans ce contexte, ne perdons pas de vue que l’un de nos principaux partenaires sera toujours tenté par le grand large.

Quant au système de combat aérien du futur, qui se rapporte à l’avenir de l’aviation de combat à l’horizon 2040 ([23]), à la suite d’un accord de haut niveau établi le 13 juillet 2017,une lettre d’intention commune a été signée, le 19 juin dernier, par Mme Florence Parly, ministre des Armées, et son homologue allemande Mme Ursula von der Leyen. La lettre d’intention fixe l’objectif de lancer une phase d’étude au plus tard fin 2018. Dans cette phase, les travaux d’architecture s’accompagneront du lancement rapide de démonstrations. Ces actions technologiques devront préfigurer, à l’horizon 2025, les concepts à retenir pour le futur système opérationnel. La lettre d’intention désigne la France comme nation leader sur le projet. Elle prévoit également que d’autres partenaires, en particulier européens, puissent se joindre à la réalisation du projet. Toutefois, il ressort des différentes auditions conduites par la commission de la Défense, dans le cadre de l’examen du présent projet de loi de finances, que la coopération engagée avec l’Allemagne semble pour l’heure tâtonner. Il est urgent d’accélérer les discussions afin d’engager résolument ce projet en partenariat. Il en va de la pérennité de l’autonomie stratégique européenne, et de la crédibilité de l’Europe de la défense.

 


—  1  —

« Pas de tactique sans logistique, si la logistique dit non, cest elle qui a raison, il faut changer le plan dopérations, il est mauvais.»

Général Dwight D. « Ike » Eisenhower

   Deuxième partie :

L’aviation de transport stratégique et tactique

Gao, le 17 juin 2018. Sur le tarmac du parking qui côtoie la piste en cours de réfection, les deux loadmaster de l’équipage d’un A400M viennent de charger un hélicoptère Tigre dans la soute, en moins de trois heures et avec l’aide de quelques autres mécaniciens. Pour eux, il s’agissait d’une première. Quelques heures auparavant, le jeune copilote du même A400M venait de poser l’avion sur la piste en latérite de la base. Pour lui aussi, cet atterrissage sur terrain sommaire, après une partie du vol depuis Niamey en basse altitude, constituait une première. Quelques semaines après cette mission, le commandant de bord de l’appareil, le capitaine Cédric, s’envolait vers l’Asie du sud-est dans le cadre de la mission Pégase, au cours de laquelle les forces françaises ont apporté une aide aussi précieuse qu’imprévue aux victimes du séisme qui a frappé l’île indonésienne de Lombok, le 19 août dernier. Ainsi va la vie du transport aérien, des théâtres opérationnels les plus dangereux aux missions de rayonnement, du largage de parachutistes au transport de fret humanitaire.

Lors de son déplacement en bande sahélo-saharienne, du 15 au 18 juin 2018, votre rapporteur pour avis a pu constater l’ampleur des défis auxquels l’aviation de transport stratégique et tactique est confrontée. Le déclenchement de l’opération Serval, en janvier 2013, a mis en lumière les fragilités de l’aéromobilité, un temps masquées par la réussite opérationnelle de notre intervention contre l’avancée des groupes armés terroristes.

En l’état actuel, les forces françaises ne sont pas en mesure de respecter le contrat opérationnel structurant pour les flottes de transports : la projection d’une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de deux mille trois cents hommes en sept jours, jusqu’à trois mille kilomètres à partir de la métropole ou d’une implantation à l’étranger où cette force aura été préalablement prépositionnée ([24]).

Expression de la souveraineté de la France, ce contrat repose censément sur la mise en œuvre autonome, par l’armée de l’air, de moyens patrimoniaux. Aujourd’hui, l’insuffisance des capacités et le manque d’effectifs, notamment qualifiés, contraignent sa tenue. Même avec une disponibilité technique optimale, les forces françaises ne seraient pas en mesure d’armer l’ensemble des aéronefs, qui n’offrent de toute façon pas suffisamment de capacité d’emport, en masse comme en volume.

En somme, l’aviation de transport stratégique et tactique se trouve aujourd’hui « au creux de la vague ». Selon un haut responsable de l’armée de l’air, elle n’en sortira pas immédiatement, principalement en raison des tensions sur les effectifs.

L’heure est pourtant bien à la remontée en puissance. Prenant acte des contraintes imposées par une rupture temporaire de capacité, l’actualisation de la LPM 2014-2019 a permis d’amorcer une certaine reprise, dès 2015 ([25]). Ce mouvement a été confirmé par la LPM 2019-2025 ([26]), qui confirme le calendrier de livraison des futurs A400M et prévoit un rehaussement de la cible d’avions MRTT, pour un total de quinze appareils, et une accélération des cadences de livraisons.

D’ici dix ans, les forces françaises auront opéré une véritable transformation du transport aérien militaire, qui reposera sur une flotte rationalisée, offrant une capacité de projection passant de deux cents tonnes à cinq mille tonnes en cinq jours, grâce à un accroissement de 94 % de la charge offerte.

Toutefois, cette remontée en puissance impose de relever de sérieux défis. Il faudra remédier aux fragilités actuelles de l’aéromobilité, ce qui suppose de mener un intense effort en direction de l’amélioration de la disponibilité des appareils et de s’interroger sur les risques que fait peser sur notre souveraineté et sur la sécurité des personnels notre recours à l’affrètement, dans des conditions parfois opaques. Au-delà, la remontée en puissance de l’aviation de transport stratégique et tactique devra faire l’objet d’un fin pilotage, afin d’accompagner en douceur le retrait des flottes les plus anciennes comme l’accueil des plus récentes. La construction d’une offre capacitaire globale et cohérente ne se fera pas non plus sans la mobilisation des moyens de nos alliés, dans un cadre bilatéral ou multilatéral. À ce sujet, saisissons l’opportunité de conforter le commandement européen du transport aérien (EATC), véritable succès – trop méconnu – de l’Europe de la défense.

Enfin, comme souvent, il conviendra d’accorder une attention toute particulière à la préparation des transporteurs de demain. Le recrutement, la formation et la fidélisation de ces personnels constituent des enjeux criants pour la régénération organique du transport aérien militaire et la conduite future des opérations.

I.   De quoi parle-t-on ?

Centré sur la question du transport aérien stratégique et tactique, le présent avis n’évoquera qu’à la marge la question du transport de personnes sur le territoire national, et ne traitera pas non plus des hélicoptères, qui constituent pourtant un segment non négligeable du transport aérien militaire.

Par ailleurs, à l’heure d’ouvrir le présent rapport, votre rapporteur pour avis tient à souligner qu’il n’entend nullement interférer dans les diverses procédures en cours. Le transport tactique et stratégique a en effet fait l’objet, ces dernières années, de nombreuses critiques et polémiques, en partie fondées, notamment à la suite de la parution d’un premier rapport de la Cour des comptes en 2016 ([27]). En 2017, notre collègue François Cornut-Gentille ([28]) a rendu un rapport étayé, et très commenté, sur les errements de l’affrètement stratégique, qui a notamment conduit la ministre à diligenter une enquête, confiée au contrôle général, et à saisir la justice. Le parquet national financier enquête, des perquisitions ont eu lieu, notamment au centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA), tandis que la Cour des comptes a annoncé le lancement de travaux complémentaires ([29]). Ces différents travaux se poursuivent et il n’y a, à cette heure, pas lieu de les commenter.

A.   Les unités

Les différentes unités du transport aérien militaire sont stationnées sur neuf bases aériennes. Si l’on exclut les unités d’hélicoptères et celles qui n’accueillent pas d’avions tactiques ou stratégiques, on compte ainsi :

– la base aérienne 105 d’Évreux-Fauville, qui accueille la 64e escadre de transport, composée de l’ET ([30]) 2/64 Anjou, de l’ET 1/62 Vercors, de l’ET 3/62 Ventoux ainsi que de l’escadron électronique aéroporté 1/54 Dunkerque ([31]) et de l’escadron de soutien technique aéronautique (ESTA) 2E.064 ;

– la base aérienne 107 de Villacoublay, qui accueille notamment l’ET 60, anciennement dénommé ETEC ;

– la base aérienne 110 de Creil, lieu d’implantation de l’ET 3/60, plus connu sous le nom de l’Esterel ;

– la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, qui accueille la 61e escadre, composée notamment de l’ET 1/61 Touraine, du centre d’instruction des équipages de transport 00.340 (CIET) et de l’ESTA 2E.061 Loiret, ainsi que la 62e escadre, qui comprend l’ET 2/61 Franche-Comté, l’ET 3/61 Poitou et son propre ESTA 15.062 ;

– la base aérienne 125 d’Istres-Le-Tubé, qui accueille le groupe de ravitaillement en vol 2/91 Bretagne et se prépare à l’arrivée des MRTT.

Enfin, votre rapporteur pour avis n’oublie pas les cinq escadrons de transit et d’accueil aérien (ETAA) de Creil, Évreux, Istres, Orléans et Villacoublay.

L’armée de l’air dispose aujourd’hui d’un parc varié. Votre rapporteur a recensé quatre-vingt-cinq appareils, en incluant les Falcon et les CASA, qui ne sont habituellement pas listés dans les flottes d’avions de transport tactique et stratégique. Ainsi, lorsque les contrats fixent un objectif de cinquante-trois avions de transport tactique (ATT), les vingt-sept CASA CN-235 en sont exclus. Notons qu’aujourd’hui, les forces ne comptent de toute manière que quarante-cinq appareils de ce type : quatorze A400M Atlas, quatorze C130H Hercules, deux C130J et quinze C160 Transall. De même lorsque l’on parle d’avions de transport stratégique (ATS), seuls sont pris en compte les cinq « avions blancs » de l’Esterel. Votre rapporteur pour avis estime qu’il convient d’y adjoindre, dans le cadre de la présente étude, l’A330 de l’ET 60 et la flotte Falcon, au titre de sa contribution à l’évacuation stratégique des blessés depuis les théâtres. C’est donc de ces aéronefs qu’il sera ici question, ainsi que du MRTT Phénix ([32]), qui s’apprête aussi à succéder aux Airbus de l’Esterel.

À l’horizon 2028, l’armée de l’air disposera de l’ensemble des nouvelles capacités de transport prévues par la LPM 2019-2025, autour d’une flotte rationalisée, couvrant quasiment l’intégralité des besoins et ne comprenant plus que quatre grands types d’avions : les CASA, les C130, les Phénix et les Atlas.

Principales caractéristiques des avions de transport stratégiques
et tactiques patrimoniaux

Type davion

Parc au 31/10/18

Date dentrée en service

Retraits

Capacités de transport indicatives

CASA CN 235-200 (1)

19

Entre 1991 et 2003

post 2030

5,5 tonnes de fret à 800 km

CASA CN 235-300 (1)

8

Entre 2011 et 2013

6 tonnes de fret à 800 km

C130H  (2)

14

1989 et 1991

2029-2035

17 tonnes  de fret à 2 500 km

C130J

2

décembre 2017

post 2035

19 tonnes de chargement à 3 000 km

C160

15

1967

déflation en cours, dernier en 2023 (3)

10 tonnes de fret à 2 500 km

5 tonnes de fret à 4 000 km

1 tonne de fret à 5 000 km

A310

3

octobre 1993

de 2019 à 2023

138 à 209 passagers suivant les versions, ou 30t de fret à 5 500 km

A330

1

novembre 2010

post 2030

76 passagers en version VIP à 11 000 km

A340

2

2005 et 2006

horizon 2027

279 passagers, 42t à 9 500 km

Falcon 7X

2

juillet 2009

post 2030

14 passagers sur 9 000 km

Falcon 2000

2

novembre 2011

post 2030

10 passagers ou version sanitaire à 9 000km

Falcon 900

2

novembre 1987

post 2030

13 passagers ou version sanitaire à 6 500 km

A400 M (4)

14

1er août 2013

Post 2035

37 tonnes à 2 400 km

25 tonnes à 3 700 km

17 tonnes à 5 500 km

MRTT (5) 

1

octobre 2018

post 2035

40 tonnes de chargement (272 passagers avec équipements) à 8 400 km

30 tonnes de chargement (200 passagers avec équipements) à 10 200 km

20 tonnes de chargement (250 personnes évacuées à 12 000 km)

(1) Flotte CASA : rénovation à mi-vie à venir.

(2) Rénovation de l’avionique de la flotte en cours.

(3) Plan de déflation : trois avions par an de 2018 à 2021 puis les six derniers en 2023.

(4) Première capacité opérationnelle prononcée le 9 mai 2017. Pleine capacité tactique en 2021.

(5) 12 appareils en 2023, 15 appareils en 2028, évolutions au standard 2 (systèmes de communication) entre 2025 et 2029).

B.   Les missions tactiques et stratégiques

Les unités du transport aérien ont participé à toutes les opérations récentes, qu’il s’agisse des opérations conventionnelles, spéciales ou clandestines. Si les aéronefs sont tantôt qualifiés de tactiques ou de stratégiques, certains étant aussi définis comme des avions de transport tactique et d’assaut (ATA), c’est bien la nature de la mission qui importe. L’Atlas, par exemple, peut tout aussi bien être qualifié d’avion tactique ou stratégique.

On distingue ainsi :

– le transport stratégique, qui se rapporte à la projection de forces, au début d’une opération, mais également le transport de personnels et de fret en cours d’intervention, et à son terme. Le transport stratégique couvre aussi un segment logistique, qu’il s’agisse de soutenir un théâtre ou d’acheminer du fret humanitaire. De plus, il inclut l’évacuation sanitaire ;

– le transport tactique qui englobe, quant à lui, les opérations conduites sur le terrain dans un environnement non permissif, qu’il s’agisse du transport intra-théâtre, bien sûr, mais aussi d’opérations d’aéroportage, d’aérolargage, de renseignement d’opportunité et de brouillage ou encore d’avitaillement au sol et d’évacuation médicale de premier niveau.

Aujourd’hui, la conduite des missions met en œuvre de nouveaux modes d’action, parmi lesquels la réalisation d’actions combinées et complexes, associant d’autres vecteurs comme les drones ou les avions de combat, mais aussi celle d’actions discrètes, avec un minimum d’empreinte sur le théâtre grâce aux capacités de ravitaillement en vol ou de posé d’assaut. Les équipages de transport participent également au recueil de renseignements, souvent par opportunité à l’occasion d’une mission logistique.

Composante essentielle de la conduite des opérations, l’aéromobilité se trouve au cœur d’un écosystème interarmées, national et multilatéral.

L’écosystème du transport aérien militaire

Source : Brigade aérienne d’appui et de projection (BAAP), ministère des Armées.

1.   La projection

Une fois l’intervention décidée, il s’agit de lancer la manœuvre de projection de personnels et de fret. Comme on l’a vu, les contrats opérationnels fixent ainsi pour objectif une capacité de déploiement d’une force interarmées de réaction immédiate (FIRI).

La France dispose de moyens patrimoniaux importants grâce à la flotte de l’ET 3/60, plus connu sous le nom d’Esterel, s’apparentant à des avions de ligne, à tel point que de l’aveu des équipages, « on [les] confond parfois avec Air France ». Créé en 1968 pour permettre l’acheminement de manière autonome des personnels et du fret liés aux essais nucléaires conduits en Polynésie, l’Esterel est implanté sur la base aérienne de Creil depuis 1993.

La flotte comporte cinq avions :

– trois A310-300 âgés d’une trentaine d’années, dont la disponibilité est variable ;

– deux A340-200, acquis il y a une dizaine d’années et âgés d’une vingtaine d’années et dont la disponibilité est tout à fait satisfaisante.

Ces avions sont particulièrement adaptés à la projection de force, ainsi quaux relèves de personnels auxquelles ils prennent part, en moyenne tous les quatre mois. Au cours des prochaines années, lEsterel va progressivement se transformer, la flotte des avions blancs ayant vocation à être remplacée par les MRTT Phénix, qui seront stationnés à Istres et placés sous la responsabilité du commandement des forces aériennes stratégiques. Les A310 seront retirés du service à compter de 2020, tandis que les A340 le seront dans la seconde moitié de la prochaine décennie.

À l’heure actuelle, l’Esterel assure le transport de près de cent mille personnes par an. La conservation de la maîtrise du transport de troupes est une garantie de la sécurité des personnels. Il s’agit d’un élément d’autant plus important que, parfois, les relèves interviennent dans un environnement complexe, marqué par un nombre élevé d’aéronefs et un contexte sécuritaire dangereux. Du temps de l’intervention française en Afghanistan, l’approche de l’aéroport de Kaboul était ainsi particulièrement délicate.

Néanmoins, eu égard aux capacités actuelles de la flotte, il n’est pas envisageable d’assurer l’acheminement de l’intégralité du fret de manière patrimoniale. C’est pour cette raison que, s’agissant du transport du fret, l’état‑major des armées sollicite fortement des prestataires affrétés, comme en témoignent les deux graphiques ci-dessous ([33]). S’agissant des moyens dits « hors gabarit » ([34]) affrétés, les principaux appareils concernés sont des Antonov 124 et 125, des Iliouchine 76 et des Boeing 747.

Transport stratégique par aéronefs patrimoniaux

Transport stratégique par aéronefs affrétés

Source : ministère des Armées.

2.   La logistique inter-théâtres et intra-théâtre

Les acheminements stratégiques par voie aérienne ne se réduisent pas néanmoins à la seule projection de forces. Ils participent également au soutien courant des théâtres, en traitant des différents flux de personnels, de matériels et de ressources diverses au profit des forces. Une fois l’opération lancée, le soutien des unités déployées est assuré, au niveau stratégique, depuis la métropole jusqu’aux théâtres d’engagements opérationnels puis, au niveau tactique, à l’intérieur des théâtres d’engagement.

À l’heure actuelle, seul le théâtre sahélien dispose de moyens dédiés ([35]), ce qui permet à la force Barkhane ainsi qu’aux forces prépositionnées de conduire des missions de transport tactique en intra-théâtre.

Les moyens de transport affectés au théâtre sahélien depuis 2015

Sur la base aérienne projetée de Niamey, au sein du groupe de transport opérationnel :

– deux Transall C160 provenant de l’escadron de transport 2/4 Anjou de la base aérienne d’Évreux ;

– un CASA CN235 nurse dédié à la mission d’évacuation sanitaire, stationné à Gao, provenant de l’escadron de transport 1/3 Ventoux de la base aérienne d’Évreux ;

 deux Transall C160 allemands (une version cargo et une version nurse) qui restent sous contrôle opérationnel allemand mais sont parfois mis à disposition du commandement des opérations implanté sur la base aérienne de Lyon-Mont-Verdun (JFAC AFCO ([36])).

Sur la base aérienne de N’Djaména, au sein du groupement de transport opérationnel :

– un Hercules C130H provenant de l’escadron 2/61 Franche-Comté de la base aérienne d’Orléans ;

– deux CASA CN235 provenant des escadrons de transport 1/62 Vercors et 1/63 Ventoux de la base aérienne d’Évreux ;

– un Hercules C130 espagnol basé à Dakar, sous contrôle opérationnel du JFAC AFCO ;

– un CASA C295 espagnol basé à Libreville, sous contrôle opérationnel du JFAC AFCO ;

– occasionnellement un Hercules C130 américain déployé depuis Ramstein sur de courtes périodes, sous contrôle américain mais exclusivement au profit du JFAC AFCO ;

– occasionnellement un A400M provenant de l’escadron 1/61 Touraine de la base aérienne d’Orléans, dont le contrôle opérationnel est confié pour de courtes durées au JFAC AFCO.

Source : travaux du rapporteur pour avis.

De manière schématique, le fret est acheminé au moyen d’appareils affrétés ou, depuis sa montée en puissance, par la flotte d’A400M depuis Orléans. Les avions blancs de l’Esterel ainsi que l’A330 gouvernemental stationné sur la base aérienne d’Évreux participent également ponctuellement à ces missions.

En intra-théâtre, le transport logistique peut-être effectué par des moyens de nature stratégique, à l’instar de l’Atlas ([37]) qui, une fois en bande sahélo‑saharienne, « nettoie les DéTIA ([38]) » grâce à sa charge offerte. Le déploiement d’un A400M présente aussi un net avantage en comparaison de la flotte blanche dans la mesure où, en raison de ses capacités tactiques croissantes, il lui est possible de se rendre directement auprès des postes avancés, évitant ainsi une rupture de charge préjudiciable.

Néanmoins, dans l’attente de sa pleine montée en puissance, l’essentiel du transport de fret et de personnel est le fait des moyens déployés sur les théâtres. Dans le cas spécifique de la BSS, les forces françaises peuvent compter sur l’appui de moyens alliés.

Transport de fret en intra-théâtre en BSS

(en tonnes)

Transport de passagers en intra-théâtre en BSS

(en nombre)

Source : ministère des Armées.

3.   Les opérations tactiques

L’essentiel des missions tactiques en OPEX a lieu en BSS. La capacité aérienne y est d’autant plus essentielle que les distances y sont importantes, le Sahel s’étendant sur une surface aussi grande que l’Europe. À N’Djaména, le général Bruno Guibert, alors commandant de la force Barkhane, a ainsi indiqué à votre rapporteur pour avis combien la dimension aérienne du transport est vitale pour la conduite des opérations car, « sil ny avait pas larmée de lair, on ne ferait pas grand-chose au sol, et réciproquement ».

Planifiées et contrôlées par le JFAC AFCO, en lien avec les groupements de transport opérationnel, ces missions sont des plus diverses : missions d’aérotransport et d’aéroportage ([39]), largage de fret et de parachutistes et, occasionnellement, missions de ravitaillement en vol, par Transall C160 ou Hercules C130 espagnol au profit des Transall, y compris Gabriel, ou des avions de chasse. La flotte transport permet aussi de collecter du renseignement d’opportunité, certes incomparable avec la production d’un avion spécialisé dans le renseignement : les avions de transport ne sont pas équipés pour effectuer des missions de renseignement aussi poussées que celles réalisées à partir d’un ALSR, d’un Transall Gabriel, d’un Atlantique 2 ou d’un AWACS. Néanmoins, ils peuvent apporter un complément. C’est ainsi que les CASA ont contribué à la production de renseignement dans le ciel de la République centrafricaine.

Pour des raisons de discrétion, votre rapporteur pour avis n’entrera pas dans le détail de ces opérations tactiques. Mentionnons néanmoins l’opération aéroportée menée dans la région de Menaka le 27 septembre dernier, qui a mobilisé un A400M et deux C160. Quatre-vingts parachutistes du 2e REP de Calvi ont été largués par deux avions de transport tactique Transall C160, quarante autres l’étant, pour la première fois en opération, à partir de la porte arrière d’un Atlas.

Le soutien aux opérations spéciales : le Poitou

Rattaché à la 62e escadre de transport, l’escadron 3/61 Poitou répond aux besoins du commandement des opérations spéciales (COS) pour le transport des forces spéciales. Doté de Transall C160, d’Hercules C130 et DHC6 Twin Otter, l’escadron a pour mission de garantir aux forces spéciales la capacité à entrer en premier et à être projetées dans la profondeur. Il peut également assurer l’avitaillement au sol des hélicoptères. Au-delà, sa contribution aux opérations du COS l’amène à mener des actions de renseignement, à assurer le commandement et le contrôle (C2) en cours d’intervention. Pour ce faire, les équipages doivent être capables d’intervenir dans toutes conditions, de nuit comme de jour, souvent en milieu hostile.

4.   L’évacuation sanitaire

Le déploiement des troupes en bande sahélo-saharienne s’accompagne de risques importants au sol, notamment en raison de la dissémination d’engins explosifs improvisés (IED). Dans ces conditions, l’objectif est de limiter le délai entre la survenance de la blessure sur le théâtre et la prise en charge du blessé en France, la plupart du temps à l’hôpital d’instruction des armées de Percy, à Clamart, en région parisienne.

La garantie d’être rapatrié en France en moins de vingt-quatre heures en cas de blessure rassure les militaires déployés. Ils savent que, quoiqu’il arrive, ils seront récupérés, stabilisés autant que possible et ramenés au pays par leurs camarades, jusquau dernier kilomètre, pour y être soignés.

Lévacuation médicale et sanitaire fait entrer en jeu une multitude dacteurs. Pour le volet du transport aérien, il s’agit d’abord de la récupération du blessé, parfois au moyen d’un hélicoptère ou d’un CASA nurse, c’est-à-dire dans une configuration spécifique pour l’évacuation médicale (MEDEVAC) ([40]). Après avoir été pris en charge sur le lieu de la blessure, parfois sous le feu ennemi (rôle 1), le blessé est transféré sur une emprise militaire, où est parfois installée une structure médicale plus robuste, offrant une capacité d’intervention chirurgicale (rôle 2 ou rôle 3). Selon la nature de la blessure, le militaire touché peut ensuite faire l’objet d’une évacuation stratégique (STRATEVAC), c’est‑à‑dire d’un rapatriement vers la France métropolitaine, afin d’être pris en charge de manière plus complète par un hôpital (rôle 4). Mis en condition d’évacuation par le rôle 2 ou le rôle 3, le blessé est placé pendant le vol sous surveillance permanente, médicale ou paramédicale selon son état, avec poursuite de son traitement.

Sur les théâtres, un CASA nurse est sans cesse en alerte, prêt à partir dans l’heure. Quant à l’évacuation stratégique médicale, elle constitue l’une des missions principales de l’ET 60, qui tient l’alerte sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an.

Stationné sur la base aérienne de Villacoublay, les équipages de l’ET60 ainsi que les personnels médicaux de l’escadrille aéro-sanitaire 06.560 « Étampes » sont en état dalerte permanent. Au total, un équipage est composé de deux ou trois pilotes, d’un steward, d’un convoyeur, d’un infirmier et d’une équipe médicale adaptée. Le décollage peut avoir lieu dans l’heure qui suit l’ordre. La contraction du temps est l’objectif des équipages de l’ET 60 qui, depuis Villacoublay, peuvent effectuer un aller-retour en BSS en onze heures de vol, là où un aller-retour en Afghanistan en nécessitait vingt. Dans ce contexte, le positionnement de la base aérienne 107 de Villacoublay est idéal, à quinze minutes de l’hôpital Percy en véhicule. En cas d’impossibilité d’atterrir sur la base, les avions peuvent se déporter vers les aéroports parisiens civils, Roissy ou Orly, voire le Bourget.

Les évacuations se font au moyen d’une flotte d’avions complémentaires ([41]) : deux Falcon 7X, deux Falcon 2000LX, et deux Falcon 900B. Ces deux derniers types d’avions permettent de rallier les grandes capitales d’Afrique de l’ouest sans escale. La flotte Falcon peut être mise en œuvre de manière autonome. Elle permet de rapatrier plusieurs blessés en position assise, et deux allongés sous assistance respiratoire. Remarquablement agiles, ces avions sont en mesure d’atterrir comme de décoller sur des terrains courts et la récente rénovation de la piste de Gao leur permet de s’y rendre directement.

En termes d’activité, l’ET 60 effectue en moyenne cinquante-cinq décollages par an depuis dix ans, ce qui correspond à l’évacuation d’une soixantaine de blessés lourds annuellement.

De manière complémentaire, s’il y a de nombreux blessés, les avions ravitailleurs, C135 aujourd’hui et MRTT demain, peuvent être équipés de modules de réanimation pour patients à haute élongation d’évacuation, dits « kit Morphée ». Ce dernier répond à un besoin moins fréquent, fort heureusement, puisqu’il permet de transporter simultanément un plus grand nombre de blessés. Parmi les utilisations des dernières années, citons le rapatriement des blessés français suite à l’embuscade d’Uzbin qui, il y a dix ans, a provoqué la mort de dix soldats français et d’un interprète afghan, et les blessures de vingt et un soldats français et deux militaires afghans. Plus largement, depuis 2008, cinq missions de rapatriement ont eu lieu avec le kit Morphée, permettant de ramener cinquante-six soldats blessés.

L’ET 60 constitue donc un maillon de la chaîne santé, sorte de trait d’union entre le segment de l’évacuation médicale primaire ou tactique et les hôpitaux parisiens.

5.   Les autres missions

L’aviation de transport stratégique et tactique participe également à d’autres missions, qui n’entrent pas directement dans le champ d’étude du présent avis mais pèsent sur la capacité globale en matière d’aéromobilité.

Dabord, afin de garantir la protection du territoire national, larmée de lair dispose de détachements outre-mer et à létranger, où sont stationnés des forces de souveraineté ou de présence. L’aviation de transport outre-mer comprend les escadrons de transport ET 52 à Nouméa, ET 82 à Papeete, ET 50 à Saint-Denis de La Réunion, ET 68 à Cayenne et, enfin, ET 88 à Djibouti. Les moyens aériens de transport militaire sont essentiels à l’exercice de la souveraineté de la France sur les territoires immenses qui constituent nos outre-mer, comme la forêt équatoriale guyanaise ou les îles de Polynésie française, ou isolés, à l’instar des îles Éparses dans le canal du Mozambique.

Ces escadrons sont dotés en majorité de CASA CN235, sauf l’ET 88, qui met aujourd’hui en œuvre un Transall C160.

Activité aérienne annuelle des unités outre-mer

Activité (heures de vol)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

(au 30/06)

C160

1 028

1 050

629

220

212

198

CN235

1 898

1 805

2 298

2 960

2 941

1 542

Activité totale

2 926

2 855

2 927

3 180

3 153

1 740

Source : ministère des Armées.

Si les aéronefs et les équipages sont les mêmes qu’en métropole – ils sont issus des escadrons hexagonaux – l’outre-mer connaît néanmoins quelques spécificités. Affectés pour une durée de trois ans en moyenne, les personnels ne participent pas aux OPEX, hors exception pour des renforts ponctuels. Ils ne conduisent pas d’activité d’essai ou d’expérimentation, et leur besoin de préparation opérationnelle est réduit dans la mesure où il s’agit, pour la plupart, de personnels expérimentés déjà qualifiés. Enfin, la disponibilité des appareils est souvent meilleure qu’en métropole, du fait d’une utilisation plus régulière et de l’existence de contrats de maintenance spécifiques.

Le dispositif d’aviation de transport outre-mer ne connaîtra pas d’évolution à court terme, sauf pour Djibouti, où le C160 devrait être remplacé par un CN235 à l’été 2019.

Ensuite, les appareils de transport peuvent être employés pour des missions humanitaires ou dévacuation de ressortissants. Le cas de l’intervention d’un A400M en Indonésie à la suite d’un séisme a été mentionné. À cette occasion, l’Atlas de la mission Pégase a acheminé des denrées alimentaires, du matériel de reconstruction, des kits abris ainsi que des produits d’hygiène. L’aéronef transportait également à son bord deux véhicules de secours ainsi qu’une douzaine de personnels indonésiens appartenant à des associations humanitaires ou aux forces armées.

Surtout, deux Atlas et la flotte de l’Esterel ont joué un rôle prépondérant dans l’acheminement de personnels de secours et de fret aux Antilles à la suite du passage de l’ouragan Irma. Si l’action des A400M a été fortement médiatisée, le premier ayant pu emporter à son bord vingt tonnes de matériel, dont un hélicoptère Puma, à destination de Fort-de-France en Martinique, l’Esterel, première unité à décoller de métropole en direction des Antilles, a acheminé huit cents personnels de secours – marins pompiers, sapeurs-pompiers de paris, personnels de la sécurité civile de la Croix-Rouge – dont cent cinquante étrangers, et rapatrié sept cents sinistrés et trois cents personnels de secours. Il a également projeté quarante-huit tonnes de fret. Durant trois semaines, ses personnels ont été mobilisés nuit et jour pour assurer les liaisons entre la métropole et les Antilles.

En amont, un CASA des forces armées en Guyane avait été placé en alerte sur zone, pour acheminer une trentaine de militaires afin de constituer deux modules d’intervention légers autonomes avec lots cycloniques (tronçonneuses, haches, groupes électrogènes) et des moyens civils. Deux hélicoptères Puma de Martinique et de Guyane ont également renforcé le dispositif afin d’accélérer la capacité de réaction dès la survenance de l’ouragan. Au lendemain du passage de l’ouragan, un CASA supplémentaire a rejoint Saint-Martin avec du matériel de premiers secours. Il a ensuite effectué des rotations entre la Guadeloupe et Saint-Martin. L’ensemble de la chaîne transport a donc été sollicité pour répondre à l’urgence humanitaire et à la détresse de nos compatriotes.

Enfin, dernière mission que votre rapporteur pour avis souhaite mentionner, le transport des hautes autorités. L’armée de l’air met en effet à disposition du président de la République, du Premier ministre et des hautes autorités de l’État des moyens aériens – avions, équipages, mécaniciens, contrôleurs aériens et services divers. Il s’agit des flottes de l’ET 60 de Villacoublay et de l’Esterel de Creil. L’emploi des appareils à usage gouvernemental mis en œuvre par l’ET 60 relève du cabinet du Premier ministre, qui arbitre les demandes de concours émanant des différents ministères. L’emploi des appareils de l’ET 3/60 relève quant à lui du cabinet de la ministre des Armées. Les transports aériens par moyens militaires réalisés au profit de personnes privées ou de services publics ne relevant pas du ministère des Armées donnent lieu à remboursement, sauf autorisation exceptionnelle du ministère.

Si l’activité réalisée n’appelle pas de commentaires particuliers, il n’en est pas de même des factures impayées, dont certaines remontent déjà à quelques années. Il est donc temps de rappeler ses dettes à chacun…

État des facturations aux différents utilisateurs et des paiements restant À percevoir

Débiteurs

Reste à percevoir

En euros

Vols réalisés en 2015

Ministère de la Ville, de la jeunesse et sports

14 170

Vols réalisés en 2017

Services du Premier ministre

230 063

Ministère de la Justice

1 904

Ministère de l’Économie

16 320

Ministère de l’Éducation nationale

53 792

Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

9 180

Ministère des Outre-Mer

79 428

Secrétariat d’État auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

1 836

Vols réalisés en 2018

Services du Premier ministre

547 512

Ministère de l’Intérieur

43 323

Ministère de la Justice

2 328

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

180 690

Ministère de l’Économie

102 768

Ministère des Outre-Mer

87 802

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères chargé des affaires européennes

9 295

Secrétariat  d’État auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères

101 388

Source : ministère des Armées.

II.   Les fragilités de l’aéromobilité

Si l’on mesure la robustesse de l’aviation de transport stratégique et tactique à sa capacité à tenir les contrats opérationnels, force est de constater que leur taux de satisfaction est relativement faible. En l’état actuel, la capacité de déploiement du premier stade de l’échelon national d’urgence (QRF), qui correspond à quelques avions de transport tactique et un « plot » de recherche et sauvetage au combat (RESCO), pas plus que du second temps de l’ENU, c’est-à-dire le déploiement de la force interarmées de réaction immédiate, ne sont tenables avec la seule flotte patrimoniale. Tout juste parvenons-nous à atteindre la QRF.

Source : ministère des Armées

Ces difficultés illustrent les fragilités de l’aéromobilité. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, deux points méritent d’être soulignés. D’abord, les limites de l’offre disponible, qui tiennent à l’insuffisance des moyens patrimoniaux et au risque que peut constituer l’affrètement. Ensuite, la contraction des ressources humaines, que traduisent les tensions sur les effectifs et les craintes d’un déclassement.

A.   Les limites de l’offre capacitaire

1.   Un parc incomplet

a.   Un renouvellement intervenu trop tardivement

Premièrement, l’incomplétude du parc s’explique par le renouvellement trop tardif des matériels, d’autant plus qu’une fois la décision politique prise, la machine industrielle s’est grippée. Les retards bien connus du programme A400M illustrent à eux seuls les difficultés rencontrées en la matière. Si le trou capacitaire était identifié depuis longtemps, le niveau d’engagement des forces françaises en opérations extérieures ces dernières années a constitué la seconde lame achevant de déstabiliser le transport aérien militaire, et mettant à jour les failles de l’offre patrimoniale.

Aujourd’hui, l’A400M vole, et les équipages qui le mettent en œuvre ne cessent de vanter ses qualités, parfois encore au futur de l’indicatif… En effet, force est de constater que les Atlas ne disposent pas encore des pleines capacités tactiques qui étaient promises, ce qui constitue un second motif de fragilité.

Certes, certaines de ces capacités peuvent dans l’intervalle être assurées par d’autres appareils. C’est notamment le cas du ravitaillement des hélicoptères, qui pourra être effectué à compter de 2019 à partir des C130J, alors que cette capacité ne sera pas disponible sur A400M avant 2022.

Pour autant, d’autres sont particulièrement attendues afin de pouvoir pleinement tirer profit de l’arrivée dans les forces de l’Atlas et garantir la sécurité des personnels. C’est notamment le cas de l’autoprotection et de l’aérolargage de personnels et de matériel, pour lesquels des progrès importants doivent être réalisés.

L’A400M n’est pas le seul appareil concerné par des limitations opérationnelles. Face au vieillissement de la flotte d’Hercules, un programme de modernisation des C130H a été lancé, afin notamment de mieux répondre aux besoins des forces spéciales. La livraison des premiers appareils rénovés est prévue à compter de 2019.

b.   « Maybe airlines » ?

Sur les bases aériennes, les transporteurs sont parfois taquinés en raison de la faible disponibilité de leurs appareils, et l’aviation de transport affublée du surnom de « maybe airlines ». Si la situation s’est sensiblement améliorée ces derniers temps, la disponibilité demeure trop faible sur la plupart des flottes, mettant en péril la conduite des opérations. En effet, au regard de l’état du parc, quand un appareil tombe en panne, c’est une mission qui est annulée, faute de pouvoir le remplacer. Notons dès à présent que ces difficultés concernent avant tout la flotte d’avions tactiques, les avions blancs connaissant, eux, une disponibilité tout à fait satisfaisante.

En OPEX, où la disponibilité est meilleure quen métropole en raison de la priorité qui y est accordée, elle peut apparaître au rendez-vous. Ainsi, sur l’ensemble de la flotte des avions de transport tactique, la disponibilité technique moyenne atteignait 66,7 % au premier semestre 2018.

Disponibilité de la flotte d’avions de transport tactique en OPEX

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018 (1er semestre)

Nombre moyen dappareils

5,1

5,1

5,4

5

6,4

6,9

Disponibilité

68,9 %

80,6 %

75,3 %

64,4 %

79,8 %

66,7 %

Source : ministère des Armées.

Toutefois, ces données globalisées ne reflètent que partiellement la disponibilité des flottes. Celle-ci est en effet très variable d’un mois à l’autre et d’un type d’avion à un autre. Ainsi, lors de son passage à N’Djaména, votre rapporteur pour avis a appris que si la disponibilité moyenne des avions de transport avait été de 57 % sur la période des mois d’avril et mai 2018, ce chiffre ne reflétait que de manière imparfaite la réalité des choses.

Taux de disponibilité des avions déployés sur la base de N’Djaména

 

Avril 2018

Mai 2018

Casa CN235

81 %

46 %

C130H

35 %

53 %

Source : données collectées par le rapporteur pour avis.

Cette faible disponibilité sexplique en partie par le vieillissement général de la flotte de CASA et dHercules, la fin de vie des aéronefs se traduisant aussi par un accroissement des besoins de maintenance. Entre 2016 et 2017, le nombre de comptes rendus de faits techniques a doublé s’agissant de la flotte CASA. On constate principalement une dégradation des performances moteurs et un décollement des revêtements externes du fuselage, qui s’explique notamment par les conditions météorologiques et climatiques en Afrique. Selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis lors de ses déplacements, en opérations, il faut compter environ dix-huit heures trente de maintenance pour une heure de vol sur CASA, et jusqu’à vingt-sept heures de maintenance pour une heure de vol de C130H. Au vu de l’état de la flotte Hercules, la disponibilité maximale des appareils, dont le plus récent a vingt-et-un ans, ne dépasse pas 70 %. Sur les théâtres, on lui a ainsi confié qu’« un Hercules vole dix jours de suite avant de connaître une grosse panne le handicapant et le clouant au sol pendant longtemps ».

Ces délais importants d’immobilisation sont aussi le fait d’un manque de pièces sur les théâtres. Les mécaniciens doivent ainsi faire « avec les moyens du bord », en « bricolant » et en ayant « recours au système D » ([42]). En raison de stocks faibles, les pièces sont souvent prélevées sur les matériels restés en métropole, ce qui appelle deux commentaires.

D’une part, il s’agit d’une solution dont l’efficacité n’est pas toujours prouvée : comme il l’a été constaté en juillet 2017 dans le cadre d’une opération de maintenance sur deux CASA endommagés par les vents violents au Mali, les pièces expédiées depuis la base aérienne d’Évreux ne s’adaptent pas forcément aux CASA abîmés. Ces appareils n’ayant pas été construits en série, ce qui convient à l’un appareil n’a que peu de chance de pouvoir s’adapter sur un autre, de l’aveu même de l’état-major des armées. ([43])

D’autre part, une telle pratique consiste à reporter sur la métropole les difficultés de maintenance, obérant en conséquence la faculté de régénération organique pourtant nécessaire.

La disponibilité technique des aéronefs de transport stratégique et tactique stricto sensu, qui correspond au ratio entre le nombre d’aéronefs disponibles constaté et le nombre d’aéronefs du parc de référence, témoigne ainsi des faiblesses de la disponibilité sur l’ensemble de la flotte, même si la situation semble s’améliorer.

Famille daéronef

Type

daéronefs

 

 

Taux de disponibilité DT

Dates dentrée en service

2012

2013

2014

2015

2016

2017

1er semestre 2018

Prévision 2019 (1)

Le plus ancien

le plus récent

Avions de transport stratégique

A 340

91,2 %

89,5 %

89,1 %

94,7%

91,5%

97,6 %

93,6 %

90 % 

déc-06

avr-07

A 310

65 %

73,7 %

58 %

60,3 %

46,3 %

79,1 %

58,2 %

88 %

oct-93

janv-01

Avions de

transport tactique

C 130

40,8 %

35,1 %

28,9 %

26,3 %

22,6 %

20,6 %

23,7 %

45 %

déc-87

avril-97

C 160 AG-NG

46,5 %

43,2 %

40 %

42,4 %

41,6 %

40,3 %

37,4 %

52,6 %

déc-70

nov-84

C 160 G

48,6 %

42,7 %

36,9 %

40,2 %

46,3 %

41,8 %

30,8 %

35 %

janv-89

juin-89

CN 235 Casa

52,9 %

53,4 %

55,5 %

52,3 %

50,8 %

50,8 %

52,7 %

53,7 %

fév-91

mai-13

A400M

-

-

33,1 %

37,3 %

18,4 %

25,6 %

26,6 %

42,7 %

août-13

jan-17

(1) Chiffres attendus du fait de la montée en puissance de la DMAé.

Source : ministère des Armées.

En définitive, l’indicateur le plus inquiétant comme le plus éclairant est peut-être le taux de disponibilité technique opérationnelle ([44]) des différentes flottes. En 2018, elle était de 24 % sur la flotte A400M, soit 3,8 appareils, de 18 % sur la flotte C130H, soit 2,6 appareils, de 38 % sur la flotte C160, soit 5,9 appareils, de 53 % sur le CASA CN 235, soit 14,2 appareils. En moyenne, au premier semestre 2018, douze avions de transport tactique au sens large étaient disponibles sur les quarante-quatre en parc. ([45])

c.   Des trous capacitaires

La constitution d’une offre capacitaire patrimoniale cohérente a été entravée par les retards accumulés dans le renouvellement des matériels et le faible niveau de disponibilité. Dès lors, il a fallu compenser, en bouchant les trous ici ou là lorsque cela paraissait possible. Ainsi, les différentes révisions du calendrier de livraison des A400M ont imposé d’acquérir, en 2010, des CASA CN 235 supplémentaires, pour un coût de 232 millions d’euros, auxquels s’ajoutent chaque année 13 millions d’euros pour l’entretien programmé du matériel, puis, en 2016, quatre C130J dont la livraison a débuté en décembre 2017 et se poursuivra jusqu’en décembre 2019, pour un coût de 700 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les coûts annuels d’entretien programmé du matériel, qui s’élèveront à 16 millions d’euros en 2019 et à 29 millions d’euros en 2023, date de la fin de la montée en puissance de la flotte. En parallèle, il a été décidé de prolonger la durée de vie de la flotte C160.

Toutefois, les capacités des flottes actuelles des C130 et C160, particulièrement sollicitées en OPEX, sont limitées au regard de l’augmentation des gabarits et des masses de matériels à transporter.

En somme, ces différents palliatifs, s’ils contribueront à terme à la densification de la flotte, n’ont néanmoins pas permis de résoudre l’équation capacitaire aux deux bouts de la chaîne. D’un côté, les hélicoptères de transport lourd. De l’autre, le transport dit hors gabarit, mis en lumière ces dernières années par plusieurs débats relatifs à l’affrètement du transport aérien militaire.

2.   Les risques de l’affrètement

a.   L’affrètement stratégique

Lorsque l’on évoque l’affrètement, c’est avant tout à la capacité de projection que l’on pense. En effet, celui-ci a été mis en lumière par de récents travaux de contrôle parlementaires et juridictionnels. Si la part de l’affrètement au sein du transport stratégique ne représente plus que 40 % du fret transporté en 2018, contre 60 % en 2017, elle demeure élevée, et appelle donc un certain nombre de commentaires. D’abord, il convient d’exposer à grands traits les conditions de mise en œuvre de l’affrètement stratégique. Comme le souligne le rapport de la Cour des comptes précité, « dans le domaine du transport tactique comme stratégique, le recours à lexternalisation ne résulte pas dun choix issu dune analyse coûts / avantages, mais vise à pallier des déficits capacitaires qui peuvent être durables. » En somme, c’est bien l’incomplétude du parc patrimonial, telle que présentée précédemment, qui explique que l’état-major des armées se soit tourné, au travers du centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), vers la solution de l’affrètement.

Rappelons, en guise de préalable, que l’affrètement stratégique ne porte que sur le transport du fret. Aucun personnel militaire n’a été projeté de manière stratégique sur un théâtre dans le cadre d’un contrat d’affrètement.

Les forces françaises recourent à laffrètement stratégique au travers de trois mécanismes.

Premier mécanisme, le contrat SALIS (Strategic Airlift Interim Solution), entré en vigueur en 2006, qui offre aux dix pays signataires du protocole d’entente correspondant le cadre juridique donnant une capacité garantie de transport stratégique pour le fret hors gabarit. Le volet contractuel est géré par une agence de l’OTAN, (Nato support and procurement AgencyNSPA) au profit des dix pays. Fin 2016, elle a négocié et signé deux contrats de deux ans couvrant les années 2017 et 2018, actuellement en vigueur, avec les principales compagnies mettant en œuvre les avions gros porteurs Antonov 124 : Ruslan Salis Gmbh (RS), qui offre une capacité de douze An-124 de la compagnie russe Volga Dnepr Airlines, et Antonov Salis Gmbh (AS), qui garantit un accès aux sept An‑124 de la compagnie ukrainienne Antonov Company. Les deux sociétés contractualisées sont des sociétés de droit allemand. De manière concrète, deux An-124 sont mis à disposition depuis l’aéroport de Leipzig, deux autres, stationnés en Russie, étant disponibles dans un délai de six jours, les deux derniers pouvant être engagés moyennant un préavis de neuf jours. La France s’est engagée sur une participation à hauteur de trois cents heures en 2017, et de cent heures en 2018.

L’emploi de l’An-124 est inévitable aujourd’hui en raison de ses capacités de transport unique, en rayon d’action comme en gabarit. Il peut ainsi embarquer jusqu’à cent vingt tonnes de charge, soit l’équivalent de quinze C160, huit C130H ou quatre A400M.

En 2017, la NSPA a négocié deux avenants aux contrats permettant d’avoir accès, depuis le 20 décembre 2017, aux ressources additionnelles des compagnies russe et ukrainienne, soit des Antonov 225, des Antonov 22 et des Iliouchine 76. En avril 2018, alors que négociations étaient en cours pour renouveler ces contrats, la société russe Ruslan Salis a fait savoir qu’elle se retirait de la compétition des appels d’offres pour des raisons politiques et économiques, et ce à compter du 1er janvier 2019. Pour ceux qui comptaient toujours sur ces capacités additionnelles, il s’agit d’un réel coup dur.

Deuxième mécanisme, le marché à bons de commande, qui n’est plus en vigueur depuis le 31 décembre 2017 sur décision ministérielle, suite aux diverses enquêtes conduites par la Cour des comptes, la représentation nationale, le contrôle général des armées et le parquet national financier. À l’initiative du ministère des Armées, la solution SALIS avait été complétée en 2011 par un marché national d’affrètement, passé avec la société ICS (International Chartering System) au terme d’un appel d’offres. Ce marché, contractualisé pour le CSOA par le service spécialisé de la logistique et des transports (SSLT), a été renouvelé pour une période de quatre ans, couvrant ainsi la tranche 2015-2018, et prévoyait une reconduction tacite annuelle.

Cette société s’engage à garantir la disponibilité d’avions-cargos de différents types sous un préavis minimum de deux mois, pour un coût de cinquante millions d’euros annuel. Agissant en tant que commissionnaire de transport, ICS faisait appel à diverses compagnies aériennes pour fournir ce service.

Troisième mécanisme, enfin, laccord-cadre pour laffrètement aérien durgence, qui est un marché spécifique, pour une durée inférieure à vingt jours, contractualisé par le SSLT au nom du ministère des Armées, afin de répondre à un besoin divisé en trois lots portant sur le transport de passagers, le transport de fret et le transport de fret hors gabarit ([46]).

Notons que la société ICS, avec laquelle le marché à bons de commande a été rompu, figure toujours parmi les prestataires du ministère des Armées dans le cadre de ce mécanisme.

Sans revenir sur les motivations de l’enquête en cours, votre rapporteur pour avis note que le principe même de ces affrètements, au regard de la provenance des aéronefs et des équipages, n’offre pas toutes les garanties en matière de préservation de la souveraineté nationale. Il fait ainsi sienne la conclusion de la Cour des comptes, pour laquelle « ces affrètements offrent par ailleurs des conditions de sécurité dexécution, de confidentialité et de réactivité moins satisfaisantes que les moyens militaires et privent la France dune totale autonomie et liberté daction ». D’ailleurs, la décision de la société russe RS de se retirer du contrat SALIS a été vue, par beaucoup, comme une volonté des autorités russes de réagir à l’intention de plusieurs membres de l’OTAN, dont la France, de frapper le régime de Bachar El-Assad en Syrie, ainsi que la mise en place de sanctions américaines à l’égard de la Russie. Notons d’ailleurs que cette décision a été notifiée quelques jours avant le déclenchement de l’opération Hamilton.

Quoi quil en soit, alors que la France a massivement recouru à laffrètement stratégique au cours des dernières années, il est indispensable de prendre conscience du risque stratégique pris en se reposant sur des capacités qui, en définitive, demeurent peu sûres.

Bilan par mode d’affrètement

 

2016

2017

1er semestre 2018

 

Nombre de missions

SALIS

34

61

27

Marché national daffrètement aérien (ICS)

56

25

Sans objet

Accord-cadre daffrètement urgent

3

3

1

 

Volume dheures de vol

SALIS

651

901

488

Marché national daffrètement aérien (ICS)

615

211

Sans objet

Accord-cadre daffrètement urgent

Non pertinent

Non pertinent

Non pertinent

 

Bilan de laffrètement aérien stratégique

 

Marchés daffrètement aérien planifié

Fret (tonnes)

11 566

11 138

2 315

Coût total (millions deuros)

48,6

47,6

21,3

 

Accord-cadre daffrètement aérien urgent

Transport de passagers

730

1 356

62

Fret (tonnes)

8

7

Sans objet

Coût total (millions deuros)

0,4

0,7

0,1

 

Coût total par marché (en millions deuros)

SALIS

24,9

35,9

21,3

Marché national daffrètement aérien (ICS)

23,7

11,7

Sans objet

Accord-cadre daffrètement aérien urgent

0,4

0,7

0,1

Source : ministère des Armées.

b.   L’affrètement tactique

Si aucun personnel n’est acheminé sur un théâtre de manière stratégique par le biais d’un avion affrété, la situation est différente pour le transport tactique, sur les théâtres. Ainsi, en octobre 2017, un Antonov 126 transportant quatre militaires français participant aux opérations au Sahel s’écrasait à Abidjan, provoquant la mort de quatre membres d’équipage ukrainiens. Les militaires français, quant à eux, ont simplement été blessés. L’appareil était opéré par une compagnie moldave. Cet appareil a mis en lumière l’affrètement tactique, plus confidentiel que l’affrètement stratégique dont il vient d’être question. Une nouvelle fois, votre rapporteur pour avis n’interférera pas dans les procédures en cours, alors que la Cour des comptes a annoncé, en début d’année, qu’elle conduirait des travaux complémentaires à sa première enquête et qui concerneraient également le transport tactique.

Toujours est-il que, en l’état actuel des choses, faute de moyens patrimoniaux suffisants, l’état-major des armées recourt aux services de plusieurs prestataires privés. Dans un article du journal Le Monde du 8 mars 2018, la journaliste Nathalie Guibert rappelait ainsi que pour l’année « 2017, cinq sociétés daffrètement se sont partagé le marché aérien « intra-théâtre » au Sahel, pour un montant de 25 millions deuros au total : Daher, Dynami Aviation, SNC-Lavalin, Pegase Air Drop et Air Attack. Elles ont eu recours à des compagnies diverses : sud-africaine, arménienne, géorgienne, russe ou moldave. » Ces pratiques posent question, d’autant que l’affrètement est également mis en œuvre au profit de l’opération des forces spéciales Sabre, qui exige pourtant la plus grande discrétion et la plus grande confidentialité. Certains tentent de rassurer en soulignant que la plupart des pilotes des Beechcraft, des Antonov 26 ou Antonov 32 sont d’anciens pilotes de l’armée de l’air. L’accident survenu à Abidjan a montré que cela n’était pas toujours le cas. Et quand bien même !

Le marché de laffrètement tactique semble encore plus opaque que celui de laffrètement stratégique, les acteurs du secteur décrivant, selon Le Monde, un « Far West ». Interrogé au sujet de l’affrètement lors de son audition devant la commission de la Défense nationale et des forces armées, le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, avait indiqué que sa priorité était de garantir la sécurité des personnels. L’affrètement le permet-il réellement ?

De manière connexe, votre rapporteur pour avis souhaite attirer lattention sur une autre fragilité potentielle liée à lexternalisation. Il ne sagit plus ici daffrètement, mais des contrats dexternalisation relatifs aux chargements en matériels des avions de lEsterel. D’aucuns estiment que le marché d’assistance pourrait constituer une fragilité majeure, même s’il est incontournable.

 En effet, au-delà de la question de son coût et de la flexibilité du service offert, le principal point d’attention est la confidentialité et la sécurité des palettes acheminées. Assemblées au sein de l’escale de la base aérienne de Creil, celles-ci sont ensuite remises à un prestataire logisticien privé, en l’espèce Bolloré Logistics, puis passent entre les mains d’autres sociétés, comme Alyzia ou Flyops, avant d’être chargées dans les avions sous contrôle militaire. Aussi, si les deux extrémités de la chaîne sont maîtrisées, l’armée perd de vue des palettes estampillées « Barkhane » ou « Chammal » durant une période pouvant aller jusqu’à vingt-quatre heures. Il n’y a pas de raisons de mettre en cause le professionnalisme des sociétés concernées ni celui de leurs employés. Votre rapporteur pour avis s’est rendu sur le site de Bolloré Logistics à Roissy, et a rencontré des personnels compétents et motivés, dont il ne convient pas de douter, d’aucune manière que ce soit. Toutefois, il s’agit d’un point d’attention, qui ne se posera plus une fois l’Esterel transféré sur la base aérienne d’Istres, puisque l’ensemble de la chaîne de chargement s’y déroulera.

B.   La contraction des ressources humaines

1.   D’importantes tensions sur les personnels

L’armée de l’air est « à l’os », et ce ne sont pas les quelques recrutements prévus par la LPM 2019-2025 qui permettront de relâcher la pression pesant sur les personnels. L’ensemble des spécialités est touché en raison de l’importance des déflations décidées entre 2008 et 2014, période durant laquelle l’armée de l’air aura représenté près de 40 % des suppressions de postes au sein du ministère de la Défense. Dans le domaine du transport, il manque par exemple aujourd’hui l’équivalent d’un escadron et demi de transport tactique, et cent vingt-cinq agents de transit pour un besoin de cinq cents personnes.

Les tensions sont d’abord le fait du niveau d’engagement en OPEX. En 2018, soixante équipages sont nécessaires pour armer les groupements de transport opérationnel déployés en BSS, à N’Djaména et Niamey.

Cette pression pèse, évidemment, sur les personnels navigants. Pour rappel, il faut deux pilotes et un mécanicien pour mettre en œuvre un CASA CN235 en version cargo, et s’ajoutent un médecin et deux infirmiers pour la version médicale. Dans le cas du C130H, l’équipage standard est composé de deux pilotes, d’un officier navigateur et de deux mécaniciens d’équipage, tandis que sur Transall, il faut compter trois pilotes, un officier navigateur, un ou deux mécaniciens d’équipage. La durée des mandats des équipages de transport est ajustée à l’activité réalisée sur le théâtre, afin de lisser l’activité de l’ensemble des pilotes entre la métropole et les théâtres d’opérations. Néanmoins, compte tenu des effectifs, les personnels tournent régulièrement. C’est notamment le cas de certaines spécialités, comme les navigateurs officiers systèmes d’armes (NOSA), qui constituent une micropopulation particulièrement sollicitée.

Les personnels d’escale et de transit sont également fortement concernés par les OPEX. Dans les ETAA de Creil, Évreux, Istres, Orléans et Villacoublay, où les métiers sont éreintants, la pression est particulièrement intense. À titre d’exemple, au sein de l’ETAA de la base aérienne de Creil, on a compté jusqu’à cent trente-cinq jours de découché par personne, certains effectuant jusqu’à trois OPEX de quatre mois en deux ans. Selon un major croisé sur place, « le taux de divorce atteint presque 100 %. » La pression a diminué sur cette emprise depuis l’envol des A400M mais, au total, alors que l’on compte trois cent cinquante postes dans le transit, il en faut près de trois cents en OPEX. Pour les escales, la multiplicité des points a un impact considérable.

Ensuite, les tensions sont simplement le fait du manque d’effectifs. Dans son précédent rapport, votre rapporteur pour avis avait exposé un schéma de l’évolution des besoins de recrutement et de formation pour l’armée de l’air au regard de l’arrivée de nouvelles capacités ([47]). Le transport est particulièrement concerné par cette évolution. En effet, alors qu’entrent en service et montent en puissance les flottes A400M, C130J et MRTT, aucun effectif supplémentaire ne vient renforcer les escadrons. Pourtant, les anciennes flottes continuent à être mises en œuvre. En conséquence, certains escadrons se vident progressivement de leurs ressources, à l’instar de l’Esterel, qui contribue ainsi à la formation des pilotes d’appareils Airbus, au profit de l’ET60 ou du MRTT. Les mécaniciens des escadrons de soutien technique aéronautique (ESTA) sont également intensément mis à contribution pour l’entretien de flottes plus diverses.

2.   L’ombre de la perte des compétences

a.   La formation et l’entraînement

Malgré l’optimisation de l’activité aérienne et des plans de charge des unités, on constate une accumulation des retards de formation et de progression en unité, un déséquilibre croissant des pyramides de qualification par manque d’instructeurs et une érosion des savoir-faire tactiques. En asséchant les flux de recrutement durant cinq ou six ans, l’armée de l’air a en fait perdu une génération de pilotes, ce dont on mesure les effets aujourd’hui tant dans le vivier OPEX que pour l’encadrement intermédiaire.

À Évreux, au sein des escadrons de transport Vercors et Ventoux, 23 % des pilotes sont instructeurs, 13 % commandants de bord, 32 % sont des pilotes confirmés et 32 % des copilotes à l’instruction. Ce resserrement de la ressource encadrante pénalise la formation, puisque l’activité aux commandes des copilotes est, par construction, inférieure à celle des instructeurs.

De plus, la formation des personnels pâtit de la faible disponibilité des avions pour la préparation opérationnelle. À titre d’exemple, au moment du déplacement de votre rapporteur pour avis sur la base aérienne d’Évreux, sur les quinze C160, deux se trouvaient en OPEX, cinq étaient mis à disposition des opérations spéciales et clandestines et cinq autres se trouvaient au sein des ateliers industriels de l’aéronautique. En somme, l’escadron de soutien technique aéronautique disposait de trois appareils, dont l’un était en visite longue sur la base. Dans ces conditions, comment assurer la formation des plus jeunes ?

Cette situation a de réelles conséquences sur le maintien des compétences, notamment les plus complexes. La navigation très basse altitude, le posé d’assaut ou le posé de nuit en six balises constituent des compétences dont la maîtrise est longue à acquérir et difficile à entretenir. Aussi, les pilotes expérimentés sont déployés en OPEX, privant ainsi les jeunes restés en métropole d’instruction. Quant à ceux qui ont eu l’opportunité d’achever leur formation, ils sont contraints de s’entraîner en opérations. De plus, alors que les heures de vol sont déjà contraintes, il importe de comprendre que, pour les personnels navigants, le décompte des heures de vol a lieu que le pilote soit aux commandes ou simplement dans l’avion : le nombre d’heures de vol ne reflète ainsi pas nécessairement le nombre d’heures permettant effectivement d’entretenir les compétences.

Ces difficultés ne concernent pas que le transport tactique. Ainsi, si l’Esterel n’est pas confronté à un problème d’effectif, il achoppe sur les qualifications, car les flux entrants et sortants sont très importants. À titre d’exemple, pour le personnel de cabine, le taux de renouvellement est de 25 % par an, alors même que le temps de formation dure une année.

Malgré tout, les forces françaises parviennent à conserver leur place de leader sur le transport tactique en Europe, grâce à l’expérience opérationnelle et l’emploi de capacités très spécifiques : opérations d’aéroportage de masse, largage de gros volumes, recherche et secours aérolargué, intervention en milieux contestés, et d’autres. Toutefois, l’armée de l’air est aujourd’hui confrontée à une nouvelle problématique, celle de l’érosion du personnel qualifié, notamment en raison d’une vague inédite de départs.

b.   Les départs

L’armée de l’air est en effet confrontée à un double effet conjoncturel. D’une part, nombreux sont ceux qui arrivent en fin de contrat – au bout des vingt ans – et doivent partir. D’autre part, parmi les jeunes, la dynamique économique du secteur civil crée un appel d’air en raison des conditions d’emploi bien plus attractives.

Les départs ont pour conséquence de déstabiliser les unités, notamment en raison d’un rajeunissement important. Ainsi, sur la base aérienne d’Évreux, la moitié des mécaniciens a moins de deux années d’ancienneté. La diminution du nombre de personnels qualifiés participe également des difficultés de la préparation opérationnelle.

Concernant les départs anticipables, la marge de manœuvre est étroite, voire quasi nulle. Arrivés au terme de la durée maximale de leur contrat, les personnels quittent les forces, et il est de la responsabilité de l’armée de l’air de les accompagner au mieux vers leur vie civile.

S’agissant des départs anticipés, on distingue deux grandes tendances. D’abord, les départs rapides. Lors de ses déplacements, votre rapporteur pour avis a ainsi été alerté quant aux difficultés de fidélisation des militaires du rang. Si certains quittent les forces pour raisons médicales, l’existence d’un phénomène générationnel a également souvent été mise en avant. Certains jeunes seraient des « zappeurs » qui, après quelques courtes années dans les forces, auraient envie de vivre une autre expérience. Alors que les temps de formation des nouveaux arrivants sont longs, il y a là un risque d’épuisement à devoir remplir sans cesse le tonneau des Danaïdes.

Ensuite, force est de constater que, ces dernières années, de nombreux aviateurs ont répondu à l’appel du grand large du fait de la forte reprise d’activité de l’aéronautique civil. Entendu par votre rapporteur pour avis, le nouveau directeur des ressources humaines de l’armée de l’air, le général de division aérienne Alain Ferran, a ainsi reconnu une « forte concurrence du secteur civil ».

Au cours des dix dernières années, la « convention Air France », qui permet d’organiser le départ des personnels navigants de l’armée de l’air vers la compagnie nationale, était en sommeil. Les besoins en recrutement n’étaient pas tels qu’il fallait piloter les départs avec attention ; ils étaient même vivement encouragés. Les choses ont changé brutalement ces derniers temps, et toutes les grandes compagnies aériennes civiles cherchent à attirer des pilotes formés par les armées. Selon certains, Air France n’aurait ainsi jamais recruté autant de pilotes et, après avoir absorbé une large partie des diplômés de l’école nationale de l’aviation civile et attiré un grand nombre de pilotes de sa filiale Hop !, la compagnie se tourne vers les armées.

En parallèle, notons que le début de l’année 2018 est marqué par une augmentation du nombre de dénonciations de contrats dans la période probatoire du premier contrat, provoquée principalement par une activité aéronautique en deçà des attentes en raison du manque de disponibilité des avions. Ces départs interviennent moins de deux ans après l’obtention de la qualification sur la machine, et, selon les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, peu de pilotes semblent se projeter au-delà de quatorze ans de contrat, certains commençant à préférer un départ après le premier contrat de huit ans.

Les mécaniciens sont également concernés par ce « boom » du secteur civil. Au-delà des quelques acteurs industriels qui, ici ou là, proposent quelques postes – c’est notamment le cas d’Airbus qui a débauché des mécaniciens de l’ESTA Loiret au profit de son emprise située… sur la base aérienne – ce sont surtout les compagnies aériennes qui, là aussi, provoquent un appel d’air. En effet, offrant des rémunérations plus élevées pour des emplois aux sujétions moindres, avec peu de mobilité géographique, des primes de responsabilité élevées et un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle, les entreprises civiles accueillent un nombre croissant de jeunes sous-officiers qui ont quitté l’institution et des sous-officiers expérimentés aux qualifications et compétences recherchées.

Pour d’autres raisons, les logisticiens ne sont pas en reste, nombre d’entre eux « sévaporant », pour paraphraser l’un d’entre eux, vers les sociétés de logistique grâce à la validation des acquis de l’expérience.

III.   Les défis de la remontée en puissance

La remontée en puissance de l’aviation de transport stratégique et tactique est en cours. Il faut s’en réjouir, évidemment, mais aussi avoir conscience des défis qui l’accompagnent car, de l’avis de tous, il est à craindre qu’une fois les nouveaux matériels arrivés au sein des forces, il soit compliqué de remonter en puissance rapidement. Les ressources humaines constituent sans nul doute un facteur limitant, même en recrutant et en formant massivement des personnels. Avant tout, il convient de prêter une attention particulière au pilotage de la transition capacitaire, qui permettra à l’armée française de passer d’une capacité de projection en cinq jours de deux cents tonnes à cinq mille tonnes. Si l’accroissement des moyens patrimoniaux permettra de limiter à l’avenir le recours à l’affrètement, il faudra également s’appuyer sur les moyens de nos alliés, au travers d’une intensification de la coopération européenne.

A.   Construire une offre capacitaire cohérente

1.   Le pilotage de la transition capacitaire

Le pilotage de la transition capacitaire impose d’accompagner tant le retrait des anciennes flottes que la montée en puissance des plus récentes.

Au titre des anciennes flottes, le premier enjeu est celui de la fin de vie des Transall, qui ne sera pas intégralement compensé au plan quantitatif par les livraisons d’A400M et de C130J. Ceci entraînera une réduction temporaire de capacité dans le domaine de la projection, dont le point bas est prévu en 2023. À terme néanmoins, la rationalisation de la flotte permettra de passer de neuf types d’aéronefs à cinq types, apportant parallèlement un accroissement de 94 % de la charge offerte, de 51 % de la capacité de transport de personnels via les avions tactiques, 30 % de la capacité de transport de personnels via les avions stratégiques et de 77 % de la capacité de transport de fret par les avions de transport tactique

Évolution du parc davions de transport tactique 2018-2035

Source : ministère des Armées

a.   La fin de vie du C160

La prolongation des C160 permettra à l’armée de l’air de conserver une capacité de projection tactique intra-théâtre. La trajectoire initiale de retrait de service de la flotte de C160, d’abord prévu pour 2015, a été adaptée afin de prévoir une mise en sommeil de l’Anjou en 2023. L’objectif est de lisser la déflation pour maintenir à douze le socle d’avions de transport tactique.

Parc de C160 (hors Gabriel)
au 31 décembre de l’année concernée

2018

2019

2020

2021

2022

2023

15

12

9

6

6

0

Source : ministère des Armées

Toutefois, il s’agit de ne pas laisser à l’abandon cette flotte. 110 millions d’euros par an ont ainsi été inscrits entre 2016 et 2019 afin de maintenir un nombre de visites d’entretien cohérent avec le rythme des opérations, en particulier des grandes visites, en plus du traitement croissant des obsolescences.

De plus, la déflation du C160 impose de transmettre les savoir-faire tactiques aux équipages qui auront à assurer les missions réalisées par cette flotte. À titre d’exemple, l’Anjou est l’escadron référent pour le largage à très grande hauteur et pour les missions en conditions NRBC. Ces compétences seront progressivement transférées sur C130H et CASA. Il s’agit donc de diffuser des qualifications tactiques de haut du spectre auprès de ces équipages. Dans le même temps, il convient d’être vigilant quant au maintien des compétences sur cet appareil. En tournant trop vite la page, on risquerait de « casser le ressort » selon les mots d’un officier rencontré à Évreux.

b.   La montée en puissance des nouvelles flottes

i.   Les C130

La flotte complète des C130J devrait être atteinte fin 2019 avec la livraison des deux derniers appareils. L’acquisition des C130J vise à produire des effets rapides et durables pour maintenir des capacités robustes de mobilité tactique intra-théâtre et renforcer la capacité de ravitaillement en vol dès l’an prochain, notamment au profit des hélicoptères, permettant d’assurer à ces derniers une capacité à opérer dans la profondeur.

Parallèlement, la modernisation des quatorze C130H se poursuit avec un premier avion attendu en 2019, offrant de nouvelles capacités tactiques au profit des unités des forces spéciales. De manière plus détaillée, les opérations de modernisation permettront de doter l’avion d’une planche de bord tout écran (glass cockpit), de centrales inertielles avec GPS militaire intégré et de facilités de traitement basse lumière. Elles seront aussi l’occasion de procéder au remplacement du système de communication.

ii.   L’A400M

L’A400M remplit déjà des missions de transport stratégique comme de mobilité tactique grâce à la mise en œuvre des premières capacités tactiques. Dans le cadre du plan « Hexagone », dix des quatorze appareils détenus par les forces françaises disposent de la première série des capacités tactiques, c’est-à-dire un blindage sommaire, un système d’autoprotection, les capacités d’atterrissage sur terrain sommaire et de largage de matériel et de personnels. À partir de 2020, les avions disposeront de l’ensemble des capacités tactiques, les nouveaux appareils en étant automatiquement équipés tandis que les plus anciens seront progressivement « retrofités ».

Les capacités tactiques de lA400M : où en sommes-nous ?

L’équipe de marque ATT (EM-ATT), implantée sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, joue un rôle essentiel dans le suivi du développement des capacités tactiques de l’A400M. Interface entre la DGA et les forces et représentante l’état-major de l’armée de l’air au sein de l’OCCAr dans les discussions sur les évolutions souhaitées par les forces, elle a pour mission de s’assurer que l’A400M est apte à remplir les missions qui lui seront confiées.

Si la France fait figure de leader sur le développement des capacités tactiques de l’A400M en raison de l’intensité de ses engagements opérationnels, des évolutions sont encore attendues. À l’heure de l’élaboration du présent avis, il est possible à votre rapporteur de fournir les éléments suivants :

– concernant le blindage, les améliorations apportées à ce jour ont eu pour objectif principal de protéger les équipages. Des compléments sont donc attendus sur certaines parties des appareils ;

– s’agissant de l’autoprotection, l’accroissement des capacités en matière de leurres et de contre-mesures dépend en partie des livraisons en provenance de l’industriel, Lacroix, tandis que les systèmes de détections de missiles et de radars, prometteurs, nécessitent quelques travaux complémentaires en matière de sécurité des systèmes d’information ;

– l’atterrissage sur terrain sommaire est maîtrisé depuis 2016, alors même que les autres pays détenteurs de l’A400M ne le pratiquent pas. L’EM ATTT travaille néanmoins à l’amélioration de la protection de l’avion, notamment pour les antennes et le fuselage ;

– le largage de matériel devrait connaître d’intéressantes avancées d’ici la fin de l’année 2018, grâce à l’obtention d’une autorisation pour l’utilisation de plateformes en résine permettant de larguer, par gravité, jusqu’à six plateformes. L’EM ATT a par ailleurs développé en interne un logiciel de calcul du point de largage sur tablette ;

– le largage de parachutistes en ouverture retardée, qu’il s’agisse d’une ouverture basse ou d’une infiltration sous voile est maîtrisé, par une porte latérale ou la tranche arrière. Concernant le largage sous oxygène, l’EM ATT envisage une qualification dans le courant de l’année 2019. Notons que le 27 septembre 2018, quarante parachutistes ont été largués, pour la première fois en opération, par la porte arrière d’un A400M dans la région de Ménaka ;

– le largage de quarante à quatre-vingts parachutistes en ouverture automatique par une porte latérale devrait intervenir à la fin de l’année 2018 ou au début de l’année 2019 ;

– la possibilité d’opérer un vol sous jumelles de vision nocturne devrait également être confirmée d’ici la fin de l’année 2018 ;

– la liaison 16 fonctionne, malgré quelques bugs regrettables tant il s’agit d’une capacité essentielle à la conduite des opérations. Des appareils français disposent néanmoins de cette capacité depuis la fin de l’année 2016 ;

– concernant le ravitaillement en vol, la DGA a conduit des essais en mai 2018, ce qui a permis d’obtenir la qualification pour le ravitaillement des Rafale. Concernant les Mirage 2000, la qualification est attendue pour 2019 ;

 enfin, sagissant du posé dassaut, des expérimentations sont en cours depuis 2017 et lEM ATT mise sur lobtention dune qualification lan prochain.

Source : travaux du rapporteur.

iii.   Le MRTT

Après la réception officielle du premier MRTT le 19 octobre 2018, le second sera livré aux forces fin 2019. Le Phénix a vocation à se substituer aux ravitailleurs C135 mais aussi aux avions blancs de l’Esterel. Son entrée dans les forces s’apparente à une évolution philosophique du même ordre que celle ayant conduit au remplacement des Mirage 2000 par le Rafale. Le MRTT pourra ainsi emporter de 90 à 272 personnes, plus une charge offerte pouvant aller jusqu’à quarante tonnes. De plus, l’avion peut décoller malgré une charge lourde, quelles que soient les conditions météorologiques, ce qui change beaucoup de choses, par exemple depuis Niamey. Il s’agit ainsi d’un « game changer ».

Les premiers MRTT seront en mesure d’effectuer les missions d’évacuation sanitaire, de transport stratégique et de ravitaillement en vol, prenant ainsi part à la dissuasion nucléaire. À compter de 2023, avec l’arrivée du standard 2, les futurs appareils seront équipés de communications satellitaires de haute définition, avec une connectivité accrue, permettant de faire du Phénix un centre de commandement et de contrôle (C2), de recevoir et de transmettre les images prises par les Rafale, d’autant qu’ils bénéficieront d’un système d’autoprotection accru. Le MRTT aura toute sa place dans le système de combat aérien du futur, dont la philosophie est de passer d’un seul capteur d’importance, de type avions de guet aérien, à une multitude de capteurs.

Si la LPM 2019-2025 a prévu un rehaussement de la cible à hauteur de quinze appareils, le scénario d’acquisition des trois derniers MRTT n’est pas encore complètement arrêté. Deux grandes options existent. La première consisterait à acquérir en temps voulu trois appareils civils d’occasion et de les « militariser ». La seconde consisterait, à l’inverse, à acheter trois appareils neufs en fin de cycle de production puis de les stocker. Dans les deux cas, le dernier appareil devrait rejoindre les forces à l’horizon 2028.

Les enjeux sont considérables, notamment car l’escale aérienne de la base devra à l’avenir être en mesure de gérer un transit équivalent à cent mille passagers par an, contre seulement dix mille aujourd’hui. En effet, le transfert de l’activité de l’Esterel à Istres à l’horizon 2023 impose de construire de nouvelles infrastructures, qu’il s’agisse de l’escale ou des capacités d’hébergement. Au regard de l’ampleur des travaux à conduire, ils devraient durer une dizaine d’années.

iv.   L’enjeu des infrastructures

Linfrastructure constitue un point essentiel pour le pilotage de la transition capacitaire. En effet, l’arrivée de nouveaux matériels impose de prévoir son accueil sur les bases aériennes. Le projet annuel de performance de la mission « Défense », annexé au projet de loi de finances pour 2019, fait le point sur les programmes d’infrastructures relatifs à l’accueil de l’A400M et du MRTT, qui constituent les principaux chantiers.

Les programmes dinfrastructures liés à lA400M et au MRTT.

Réaliser linfrastructure daccueil A 400M

L’objectif de ce programme est de réaliser les infrastructures nécessaires à l’accueil de la flotte d’avions de transport A 400M composées principalement de structures de mise en œuvre et de maintenance, d’un centre de formation au profit des équipages et du personnel mécanicien, ainsi que des aires aéronautiques adaptées aux caractéristiques de ces aéronefs.

Les travaux ont été lancés en 2008 et s’achèveront en 2021. Ils concernent exclusivement la base aérienne d’Orléans-Bricy qui accueillera la totalité de la flotte.

En 2019, les principaux engagements programmés concerneront des travaux de dépollution pyrotechnique en vue de la réalisation d’une piste tactique et la poursuite des travaux de rénovation et d’extension des aires aéronautiques.

Réaliser linfrastructure daccueil MRTT

L’objectif de ce programme est de réaliser les infrastructures d’accueil de l’avion « Multi‑rôle transport tanker » (MRTT) qui remplacera à terme les avions ravitailleurs en vol C-135 FR et KC-135 R et les avions de transport à moyen et long rayon d’action A310 et A340. Les travaux prévus consistent à construire ou réhabiliter les ouvrages existants de la base aérienne 125 d’Istres pour assurer le stationnement et la mise en œuvre des avions, leur dépannage et leur maintenance, la formation des personnels et le transit de fret et de personnes.

Les travaux sont actuellement calibrés pour l’accueil et l’exploitation de 12 appareils et seront réalisés principalement sur les années 2018 à 2023.

Les crédits de paiement prévus en 2019 couvriront les derniers paiements des infrastructures livrées jusque fin 2018 (premier hangar de maintenance, piste, parkings aéronautiques) et les autorisations d’engagement couvriront pour partie la réalisation des ouvrages, dont la livraison est prévue d’ici à 2022 (parkings aéronautiques, bâtiment « opérations », centre de formation).

Source : PAP 2019.

v.   Le maintien en condition opérationnelle

Le MCO constitue un enjeu primordial de la montée en puissance des nouvelles capacités. Malgré l’importante indisponibilité des A400M dans les premières années de sa mise en service, il y a des raisons d’être confiant. En effet, à mesure de sa maturation, la flotte A400M devrait atteindre des taux de disponibilité de plus en plus satisfaisants. Les nouveaux appareils C130J, éprouvés, devraient également présenter un niveau de disponibilité largement supérieur à ce que l’on connaît aujourd’hui sur des flottes vieillissantes. Enfin, le MRTT a été conçu à partir d’un avion civil A330, dont la disponibilité est excellente. De plus, les appareils dont disposent nos alliés ont pu éprouver les quelques difficultés inhérentes à toute nouvelle flotte, épargnant, a priori, les forces françaises de toute mauvaise surprise. À terme, l’on pourrait ainsi être en mesure d’atteindre des taux de disponibilité de soixante-dix pourcents pour l’A400M et de plus de quatre-vingts pour cent pour le MRTT.

Par ailleurs, la réforme du MCO aéronautique lancée par la ministre des Armées, si elle ne peut encore être appréciée comme évaluée, semble aller dans la bonne direction. La nouvelle direction de la maintenance aéronautique (DMAé) a entamé, on l’a vu, une révision profonde de l’approche du MCO, par la mise en place de contrats globaux et verticaux, faisant peser davantage de responsabilités sur l’industriel tout en lui offrant une visibilité indispensable à la réalisation d’investissements lourds. Il faudra néanmoins que les forces répondent présentes, et que l’on ne sacrifie pas l’infrastructure, essentielle à la performance des activités de maintenance opérationnelle. À ce sujet, la construction de surfaces couvertes en nombre suffisant est indispensable.

c.   La question du hors gabarit

L’accroissement de l’offre capacitaire patrimoniale aura pour conséquence une réduction significative des besoins d’affrètement stratégique. Néanmoins, il est probable que le besoin d’une capacité hors gabarit subsiste à l’avenir, en cas de déploiement soudain et intense.

La recherche d’une solution alternative aux compagnies russes ou ukrainiennes est indispensable. Dès lors, que faire ?

En déplacement, votre rapporteur s’est vu confier par un officier : « Je ne comprends pas quau niveau européen nous ne disposions pas dune unité de C17 ». Cette interrogation est légitime, d’autant qu’une étude réalisée en août 2015 par l’Agence européenne de la défense, sous l’impulsion de la France, concluait que selon les critères techniques et opérationnels retenus par les différentes nations, la solution An-124 est actuellement incontournable.

Avant tout, il convient de noter que la carence capacitaire du transport aérien stratégique hors gabarit est ancienne et touche la majorité des armées modernes.

Plusieurs dispositifs permettraient de saffranchir des mécanismes actuellement mis en œuvre.

Première solution, l’initiative de l’OTAN sur la capacité de transport aérien stratégique (SAC), à laquelle la France n’est pas partie. Celle-ci regroupe dix pays de l’OTAN – Bulgarie, Estonie, États Unis, Hongrie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Slovénie – et deux pays du Partenariat pour la paix – Suède et Finlande – qui ont décidé de s’associer pour l’acquisition, la gestion, le maintien en condition opérationnelle et l’exploitation de trois Boeing C-17. Cet appareil est un gros porteur stratégique dont la capacité d’emport est de 77 tonnes et le rayon d’action de 4 450 km, et qui peut opérer dans des environnements et des conditions difficiles. Stationnés sur la base aérienne de Pápa, en Hongrie, ces avions sont configurés et équipés aux mêmes normes générales que les C-17 exploités par l’armée de l’air des États-Unis. Les équipages et le personnel technique sont entraînés selon les exigences et les profils de mission fixés par les pays. Les avions sont utilisés pour répondre aux besoins de transport stratégique des pays, mais ils peuvent aussi être affectés à des missions de l’OTAN, de l’ONU ou de l’UE, ou à d’autres efforts internationaux

Deuxième solution, l’utilisation d’avions de transport stratégiques américains (C5 et C17) ou britanniques (C17), moyennant la signature d’accords spécifiques. La dépendance persisterait vis-à-vis de nos alliés, de manière bilatérale.

Troisième solution, le développement d’un nouvel appareil sur la base d’une cellule d’An-124 intégrant des équipements français (électronique, système, moteurs, etc.). Une telle solution ne nous affranchirait sans doute pas pour autant d’une dépendance vis-à-vis d’Antonov, et conduirait très probablement à des investissements très importants au regard d’une solution à vocation intérimaire. Pour certains, il serait néanmoins possible d’associer les acteurs industriels à un tel projet, en leur offrant une capacité de transport de leurs équipements sensibles, par exemple dans le cadre d’un salon d’armement.

Quatrième solution, suggérée lors des auditions, la France pourrait acquérir d’occasion deux A330 cargo affectés uniquement à l’acheminement de fret. Certes, l’A330 ne dispose pas des mêmes capacités qu’un très gros porteur mais une telle opération donnerait sans nul doute des marges de manœuvre aux forces pour assurer la projection stratégique. Il s’agit là d’une piste intéressante.

Cinquième solution, évoquée par les représentants d’Airbus entendus par votre rapporteur pour avis, recourir au Beluga XL, le groupe Airbus travaillant à la définition d’une offre de service à destination de l’armée de l’air à partir de cet appareil. Son utilisation actuelle concerne le transfert des matériels de l’industriel entre ses sites. Compte tenu de la faible charge offerte en termes de masse, les blindés les plus lourds ne pourraient pas être emportés mais une étude est actuellement conduite sur le canon CAESAr, qui peut déjà être chargé dans l’A400M. Il s’agit donc d’évaluer les apports d’une telle offre.

En définitive, il convient de souligner que malgré la réalisation en 2018, par les armées, d’une évaluation technico-opérationnelle étudiant l’opportunité de disposer d’un complément capacitaire à la flotte patrimoniale, la LPM 2019-2025 ne retient pas l’acquisition d’un avion de transport stratégique aux capacités proches de celles de l’AN124. En l’état actuel du parc, seul le char Leclerc ne peut pas être acheminé par les moyens propres de l’armée de l’air. Quelle piste privilégier ? Il n’appartient pas à votre rapporteur pour avis de trancher entre ces différentes options. Néanmoins, il lui semble que, dans l’immédiat, la solution passe aussi probablement par un approfondissement de la mutualisation européenne.

2.   L’intensification de la mutualisation européenne

a.   Le commandement européen du transport aérien (EATC)

Fondé en 2010 sous l’impulsion de quatre États européens – la France, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas – le commandement européen du transport aérien réunit également le Luxembourg, depuis 2012, ainsi que l’Espagne et l’Italie, depuis 2014.

L’EATC assure aujourd’hui le contrôle opérationnel de deux cents avions de transport de dix-sept types différents, couvrant un large spectre de missions, du transport de personnalités au transport stratégique et tactique ainsi que des missions d’aérolargage, de ravitaillement en vol et d’évacuation sanitaire. Il regroupe ainsi plus de 60 % des capacités militaires de transport et de ravitaillement en vol de l’Union européenne.

Implanté à Eindhoven aux Pays-Bas, il accueille deux cents personnels issus des sept nations membres contribuant au fonctionnement de cet état-major multinational, sous le commandement, par alternance, d’un officier français ou allemand. Depuis septembre 2018, le général de division aérienne français Laurent Marbœuf assure le commandement de l’EATC.

L’atout majeur de l’EATC consiste en la mise à disposition et le partage d’une flotte d’avions couvrant l’ensemble du spectre des missions de transport. Le transfert de ces flottes vers l’EATC s’accompagne d’un transfert du contrôle opérationnel des missions réalisées au sein du commandement européen. La souveraineté de chaque État sur ses aéronefs et équipages est garantie par la possibilité de reprendre à tout moment le contrôle opérationnel d’une partie de ses moyens, via un processus simple et par la présence d’un officier supérieur assurant la fonction de red card holder, garant du respect des directives d’emploi et restrictions de mise à disposition nationales.

Cette flexibilité et cette réversibilité créent un environnement qui favorise les synergies en termes d’emploi des aéronefs et de confiance mutuelle entre les nations et l’état-major de l’EATC.

La flotte sous contrôle opérationnel de l’EATC :
diversité et complémentarité

Source : EATC.

La géographie des lieux de stationnement des aéronefs dessine au sein de l’Europe une constellation de hubs dédiés au transport aérien : Eindhoven‑Bruxelles, Cologne, Évreux-Orléans, Saragosse-Madrid, Pise-Pratica di Mare.

Enfin, cette flotte d’aéronefs, aux capacités multiples, complète et permet de limiter le recours aux contrats d’affrètement que la France et les autres nations de l’EATC entretiennent actuellement dans le domaine du transport stratégique de fret de grandes dimensions, et ce même s’il ne dispose pas de vecteur pour le hors gabarit de type An-124 ou C5 Galaxy. À ce sujet, l’on ne peut que regretter l’absence du Royaume-Uni, pourtant un temps intéressé.

La mutualisation des transports de fret et de passagers entre nations de l’EATC fait l’objet d’une comptabilité et d’une traçabilité au travers du protocole ATARES. L’unité de compte est le coût d’une heure de vol de C130 (EFH) ([48]). Ce système de troc, particulièrement efficace, assure une souplesse essentielle au bon fonctionnement du dispositif. S’agissant de la France, elle semble ressortir gagnante de son intégration dans l’EATC.

services rendus et offerts par la France au travers de l’EATC.

Heures de vol (EFH) reçues par la France en 2017

Heures de vol (EFH) fournies par la France en 2017

Source : EATC et ministère des Armées.

La France reçoit principalement des services de type transport tactique, notamment au profit des parachutistes, et fournit majoritairement des services de type transport stratégique. Très active dans cette mutualisation des moyens, elle tire ainsi parti de sa participation à l’EATC. En effet, alors qu’elle représente moins du quart des aéronefs et du personnel de l’état-major de l’EATC, la part des heures échangées par la France ou au profit de la France représente environ le tiers du total des EFH échangées au sein de l’EATC.

L’EATC est aujourd’hui un acteur majeur du transport aérien militaire et déploie des solutions innovantes, efficientes et pragmatiques au profit de ses contributeurs. Il convient donc de le conforter.

b.   L’escadron de transport franco-allemand

La base aérienne 105 d’Évreux-Fauville accueillera à compter de 2021 un escadron de transport franco-allemand, qui mettra en œuvre quatre appareils C130J français et de quatre à six appareils C130J allemands.

Il s’agit d’un projet ambitieux, essentiel à l’approfondissement de la coopération bilatérale et, plus globalement, de l’Europe de la défense. L’installation d’un tel escadron commun représente un défi notable du fait de la brièveté des délais. Concrètement, il conviendra de mettre en place un dispositif complet d’accueil des personnels allemands, dont la plupart seront affectés pour une longue durée, de l’ordre de dix ans.

c.   Le recours aux capacités alliées de manière bilatérale

De manière plus large, le recours aux aviations alliées doit être encouragé. Rappelons à ce titre qu’en 2016, les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni ont effectué vingt-six missions aériennes au profit des opérations Sangaris et Barkhane. En 2017, ces mêmes pays ont effectué vingt-cinq missions au profit des opérations conduites au Sahel, tandis que l’Autriche a effectué une mission au profit de l’opération Daman, au Liban.

De même, alors que des questions se posent sur la nécessité d’acquérir un hélicoptère de transport lourd, force est de constater que la France peut compter en ce moment même sur trois hélicoptères Chinook CH-47, déployés au Sahel au profit de la force Barkhane. On relèvera en outre que l’Allemagne dispose, quant à elle, d’un nombre conséquent de CH-53. Alors que la France ne dispose pas des ressources pour constituer une telle flotte, miser sur les capacités alliées est essentiel.

L’enjeu est bien d’atteindre une autonomie stratégique raisonnée adossée aux solutions européennes. La projection de la FIRI sera ainsi réalisée en patrimonial et en coopération, permettant au passage de réduire l’affrètement « hors gabarit ».

B.   Préparer les transporteurs de demain

Compte tenu des enjeux, « les cibles définies par la LPM sont déjà en deçà du besoin ». Si les propos d’un haut gradé de l’armée de l’air ne sont pas des plus encourageants, ils illustrent l’ampleur du défi auquel sont confrontées les forces aériennes pour préparer les transporteurs de demain. Il est double : d’abord, former et recruter ; ensuite, fidéliser.

a.   Recruter et former à haut niveau

La remontée en puissance du transport aérien militaire et l’apparition de nouveaux matériels au sein des forces s’accompagnent d’un besoin accru en matière d’effectifs, renforcé, on l’a vu, par les effets de cohortes et des départs vers des compagnies aériennes ainsi que par les retards actuels de formation. Il faudra donc nécessairement du temps pour atteindre le bon niveau et tirer pleinement profit de ces nouvelles capacités.

Dans un premier temps, les recrutements devront être massifs, ce qui entraînera une baisse de qualité. Dans un second temps, il faudra former les jeunes. La formation des plus jeunes constitue un défi d’autant plus grand qu’ils seront nombreux et que le nombre de personnels expérimentés, susceptibles de les encadrer, sera relativement bas. À titre d’exemple, le nombre de pilotes « à former » va croître de manière brutale, comme l’illustre le tableau ci-dessous.

Nombre de pilotes nécessaires pour mettre en œuvre la flotte patrimoniale

Avions de transport tactique

Avions de transport stratégique

- 2019 : 256 pilotes

- 2022 : 280 pilotes

- 2025 : 330 pilotes

- 2019 : 127 pilotes

- 2023 : 159 pilotes

 

Pour remédier au manque de personnels navigant, l’école d’aviation de transport (EAT), implantée sur la base aérienne d’Avord, forme dorénavant cinquante pilotes par an, contre vingt-cinq il y a encore peu de temps.

Les autres structures de formation devront s’adapter. C’est notamment le cas du centre d’instruction des équipages de transport, implanté sur la base aérienne d’Orléans.

Le Centre dinstruction des équipages de transport (CIET)

Créé en 1946 et implanté sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy, le CIET a pour mission de coordonner la formation des équipages de transport et d’assurer leur transformation opérationnelle. Dans le contexte de renouvellement des capacités, il joue un rôle essentiel dans l’accompagnement de l’arrivée de nouveaux avions.

Les activités de formation comprennent l’instruction – le CIET accueille près de 1 200 stagiaires par an – la standardisation de formation des instructeurs et des examinateurs, qui comprend un volet évaluation, ainsi que le contrôle dans le cadre du passage ou de l’actualisation des qualifications. De plus, il contribue à la formation des parachutistes de l’école des troupes aéroportée de Pau et ses personnels participent également aux opérations.

Le CIET a ainsi pour mission d’assurer la cohérence des formations au regard du parc d’aéronefs exploité et de former des équipages de combat en préservant les savoir-faire.

Dans ce contexte, les capacités de simulation constituent un enjeu essentiel pour améliorer et accélérer la formation des personnels. Sur certains segments, les équipements sont au rendez-vous. C’est notamment le cas du simulateur A400M de la base d’Orléans. En revanche, les forces ne disposent pas d’un simulateur CASA en propre. Les équipages en formation peuvent toutefois se rendre à Séville, ce qui impose d’immobiliser trois journées entières. Compte tenu de la pression qui pèse sur les effectifs, un tel déplacement reste aujourd’hui l’exception. De la même manière, le simulateur C130H n’est plus au niveau, ce qui impose aux équipages de se rendre à Bruxelles pour disposer d’un matériel à jour.

Pour l’avenir, si l’arrivée du C130J est évidemment une bonne nouvelle, elle crée une tension sur les personnels dans la mesure où la formation des équipages aux États-Unis dure autour de huit mois. L’acquisition d’un simulateur au profit de l’escadron franco-allemand permettrait d’accélérer la transition sur cet appareil, alors même que le simulateur C160 implanté sur la base d’Évreux perdra sa raison d’être.

Le maintien au plus haut niveau des moyens de simulation est indispensable pour rendre la formation plus efficace. Elle permet en effet « d’absorber les turbulences » susceptibles de survenir, selon les mots de l’une des personnes auditionnées.

Votre rapporteur pour avis y accorde une importance particulière, alors que la simulation a souvent été le parent pauvre des programmes d’armement. La LPM 2019-2025 mentionne, en son rapport annexé, l’exigence de porter une attention particulière « au développement des moyens de simulation, cohérent notamment avec le calendrier de livraisons des équipements modernisés ». Votre rapporteur pour avis veillera à la bonne application de cette disposition. De manière plus générale, la modernisation de la formation des pilotes de transport s’inscrit dans un cadre plus large, le nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air ayant indiqué devant la commission de la Défense nationale et des forces armées qu’il souhaitait conduire, à partir du programme engagé pour la modernisation de la formation des équipages de chasse (FoMEDEC), une réflexion sur une rénovation conséquente de la formation des aviateurs.

S’agissant des autres spécialités, le directeur des ressources humaines de l’armée de l’air s’est montré moins pessimiste s’agissant des mécaniciens, reconnaissant néanmoins un manque important au niveau de l’encadrement intermédiaire, faisant peser le risque d’une distorsion qualitative durable.

Enfin, à l’heure du combat collaboratif, les armées seront confrontées à une forte concurrence du secteur privé s’agissant des spécialités du domaine des sciences de l’information et de la communication, ne pouvant s’aligner sur les niveaux de rémunération.

b.   Fidéliser

La fidélisation des personnels fait appel à de multiples ressorts qui ne concernent pour la plupart pas que les personnels intervenant dans le domaine du transport.

Le premier est l’amélioration des conditions de travail, dont le niveau témoigne de la considération qui leur est portée. Ainsi, votre rapporteur pour avis a été étonné de constater que nombre de personnels des escadrons travaillent dans des bâtiments provisoires depuis 2010, susceptibles de durer jusqu’en 2025… De l’aveu d’un officier rencontré sur une base, il est en effet rageant de constater que « parfois, cest pire en métropole quen OPEX ». Entre 12° et 14° dans les bureaux, 7° dans les hangars, l’hiver peut être rude sur les collines de l’Eure…

Le deuxième ressort est la prise en compte des contraintes qui pèsent sur les personnels et leurs familles. Le plan Famille constitue une première réponse, on l’a vu. Il doit s’accompagner de mesures fortes permettant la prise en charge de certains frais liés à la présence dans les forces, par exemple s’agissant de l’accompagnement de la mobilité en cas de mutation, ou relatives à l’emploi des conjoints. D’ailleurs, un grand nombre de militaires rencontrés sur les bases ont confié à votre rapporteur pour avis qu’ils étaient célibataires géographiques, leurs familles étant restées sur le lieu de leur précédente affectation. Le conjoint y occupe un emploi, les enfants y sont scolarisés, la famille est intégrée.

Le troisième ressort est l’incitation à la sédentarisation au sein des forces. Pour ce faire, il est possible d’offrir un appui financier. À titre d’exemple, l’armée de l’air a pu augmenter le nombre de primes de haute technicité, passé de sept cents à mille cinq cents. Réservées aux sous-officiers, ces primes sont d’un montant de deux cents euros mensuels. Citons également, pour les mécaniciens, la revalorisation de l’indemnité de mise en œuvre et de maintenance aéronautique (IMOMA) de soixante-quinze mensuels à cent euros.

Le quatrième ressort est l’accompagnement tout au long de la carrière. Les aviateurs sont attentifs à la prise en compte de leurs souhaits d’évolution professionnelle. D’ailleurs, le nouveau chef d’état-major de l’armée de l’air a fait de l’agilité des parcours professionnels l’un des points forts de son « plan de vol ». Au-delà, l’accompagnement professionnel se rapporte aussi à l’organisation de la fin de carrière. Dans le cas du transport, la réactivation de la convention dite « Air France » permet d’anticiper les départs de pilotes vers la compagnie aérienne nationale. Aussi, l’armée de l’air, Air France et le pilote ont suffisamment de visibilité pour accompagner cette transition de la vie militaire à la vie civile. Pour des militaires ayant une vingtaine d’années d’expérience, il est rassurant de pouvoir ainsi se projeter vers l’avenir, de manière sereine. De telles initiatives mériteraient sans doute d’être mises en place, dans la mesure du possible, avec d’autres compagnies, y compris étrangères, tant pour les pilotes que pour les mécaniciens. Interrogé à ce sujet, le ministère des Armées indiquait justement à votre rapporteur pour avis que pour l’armée de l’air cette convention ne suffisait pas à endiguer les départs d’aviateurs en raison des recrutements massifs de pilotes expérimentés par l’ensemble des compagnies aériennes françaises et étrangères.

Le cinquième ressort, enfin, peut-être l’un des plus efficaces, consiste à mobiliser les aviateurs sur leur cœur de métier plutôt que de les disperser dans des tâches pour lesquelles ils ne se sont pas engagés.

En outre, l’armée de l’air applique une politique de refus systématique des demandes de radiation des cadres, sauf pour motifs exceptionnels, pour le personnel ayant reçu une formation spécialisée ou perçu une prime liée au recrutement ou à la fidélisation, dès lors que le militaire n’a pas atteint le terme du délai pendant lequel il s’est engagé à rester en activité ou pour le personnel n’ayant pas atteint les droits à la retraite à liquidation immédiate.

C’est en combinant toutes ces actions que l’armée de l’air pourra être au rendez-vous de la remontée en puissance de l’aviation de transport tactique et stratégique, au service des armes de la France.

 

 


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   Travaux de la commission

I.   Audition du général Philippe Lavigne,
chef d’état-major de l’armée de l’AIR

La Commission a entendu le général Philippe Lavigne, chef d’étatmajor de l’armée de l’air, sur le projet de loi de finances pour 2019 (n° 1255), au cours de sa réunion du mercredi 17 octobre 2018.

Le compte rendu de cette audition est disponible sous le lien suivant :

http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/18-19/c1819013.asp

 

 


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II.   Examen des crédits

La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Jean-Jacques Ferrara, les crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces : Air » de la mission « Défense », pour 2019, au cours de sa réunion du mercredi 24 octobre 2018.

Un débat suit lexposé du rapporteur pour avis.

Mme Patricia Mirallès. Cher collègue, ma question concerne les hélicoptères Caracal mis en œuvre par les forces spéciales, et dont le taux de disponibilité est relativement bas à la suite des destructions d’appareils intervenus au Sahel et au Burkina Faso. Je sais que le remplacement de cette machine n’est pas prévu dans le cadre du PLF 2019 mais je souhaitais savoir si, à votre connaissance, une solution avait été envisagée afin de pallier le manque créé par la faible disponibilité de ces Caracal essentiels à nos forces.

M. Charles de la Verpillière. Monsieur le rapporteur pour avis, je souhaitais vous interroger sur un point relativement technique, qui concerne ces stocks de munitions de l’armée de l’air. On peut supposer que les stocks ont été mis à forte contribution en 2018 du fait de l’engagement des forces aériennes sur trois opérations – Chammal, Barkhane et, de manière plus ponctuelle, l’opération Hamilton. Pouvez-vous nous dire où en sont les stocks de munitions et si le PLF 2019 va permettre de remédier aux éventuels manques ?

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Je suis tout à fait en phase avec vous sur cet élément aéroporté et le combat que vous menez depuis longtemps pour le remplacement de cet hélicoptère détruit en opération et l’arrêt de cette nuisance à nos capacités opérationnelles. Néanmoins, permettez-moi d’émettre un souhait. Dans votre présentation, les forces spéciales apparaissent comme les seules à pouvoir remplir certaines missions. Or, lors de la première audition du chef d’état‑major des armées, j’avais rappelé que la décision politique avait conduit le centre de commandement et des conduites des opérations (CPCO) à ne miser que sur les forces spéciales, alors que les unités d’infanterie étaient aussi capables d’accomplir un certain nombre de missions. J’aurais donc souhaité que nous soyons vigilants à ne pas opposer les unités les unes aux autres, alors même que je suis prêt à m’associer à votre démarche.

M. Christophe Lejeune. Monsieur le rapporteur pour avis, vous avez évoqué la rénovation des Mirage 2000D, qui touche un plus grand nombre d’appareils que prévu initialement, et ce grâce à la LPM comme l’a rappelé récemment le général Lavigne. On peut peut-être déduire de cette rénovation d’ampleur que le tout-Rafale n’est pas forcément le modèle vers lequel nous devons tendre absolument pour répondre à la diversité des missions qui lui sont confiées. Pour mémoire, des Mirage 2000-5 ont participé au raid conduit en Syrie en avril dernier depuis la France, et assurent aussi quotidiennement la surveillance de nos frontières et de la protection de notre territoire. Partagez‑vous cette analyse ?

M. Jean-Michel Jacques. Merci pour votre exposé. Permettez-moi de revenir un instant sur le transport tactique. Comme vous le savez, le Transall C160 dispose d’une capacité de posé d’assaut très intéressante et dont on a démonté l’efficacité en Afghanistan comme au Mali. Des essais en la matière avaient été conduits pour l’A400M. Pouvez-vous nous indiquer où nous en sommes à ce sujet ? Une telle capacité sera-t-elle donc préservée avec cet appareil ?

Mme Séverine Gipson. Monsieur le rapporteur, merci pour votre rapport détaillé. Vous avez évoqué la prochaine installation d’une unité franco‑allemande sur la base aérienne 105 d’Evreux, ce qui signifie l’accueil de nouvelles familles mais aussi l’accueil de nouveaux équipements. Pouvez-vous nous dire si le PLF 2019 contient des dispositions permettant de préparer cette transition ?

M. Jean-Jacques Ferrara, rapporteur pour avis. Madame Mirallès, s’agissant des Caracal, bien que je ne sois peut-être pas informé de tout, je peux vous dire qu’est envisagée l’adaptation des Caïman au profit des forces spéciales, mais nous en sommes loin et l’on ne peut néanmoins pas comparer les performances de ces hélicoptères aujourd’hui. Les forces spéciales ont donc besoin de cet appareil pour continuer à intervenir. Cela me permet de répondre à Philippe Michel-Kleisbauer. Il ne s’agit évidemment pas de mettre en avant des unités par rapport à d’autres. D’ailleurs, les forces spéciales emploient des personnels issus des trois armées. Je pense néanmoins pouvoir dire, malgré une certaine confidentialité autour de leurs actions, qu’elles font partie des unités les plus sollicitées et que leurs engagements sont de plus en plus intenses. En revanche, je sais bien que les 4 500 hommes de Barkhane sont pleinement engagés, dans des conditions difficiles, et je profite de mon intervention pour saluer leur action. Le Caracal est un équipement essentiel, dont l’importance est reconnue par tous, à l’état-major des armées, à l’état-major de l’armée de l’air comme nous l’a rappelé le général Lavigne, dans la continuité du général Lanata, et même par la ministre. Je sais son engagement et nous devons tous l’aider à obtenir de Bercy le remplacement de cet appareil.

Concernant les munitions, à propos desquels M. de la Verpillière m’a interrogé, je tiens d’abord à dire que nous avons eu recours à moins de munitions en 2018 qu’en 2017 du fait d’un moindre niveau d’engagements. Du reste, nous poursuivons la remontée en puissance engagée par l’actualisation de la LPM en 2015, tandis que des rénovations sont en cours, comme la rénovation à mi-vie à venir des SCALP. Il nous faut être vigilant mais, en l’état actuel, les choses semblent sous contrôle.

Christophe Lejeune m’a interrogé sur les Mirage 2000D, nous sommes effectivement passés de 45 kits à 55 kits de rénovation. C’est étrangement l’une des conséquences du décret de juillet 2017. Si le Rafale va poursuivre sa montée en puissance, nous continuerons évidemment à compter sur la flotte de Mirage 2000, je pense pouvoir vous l’assurer. C’est d’ailleurs ce que nous ont rappelé les différents chefs d’état-major de l’armée de l’air que nous avons entendus en commission.

Madame Gipson, l’installation de l’escadron franco-allemand est en bonne voie. Je me suis rendu sur la base aérienne d’Evreux. Il s’agit d’un projet ambitieux et je crois que chacun attend avec impatience la constitution de cet escadron. Sur la base, j’ai constaté le même enthousiasme que celui que j’ai ressenti à Istres avec l’accueil du MRTT, c’est dire ! Il s’agit d’un projet de grande envergure car il faut accueillir les familles, mener un travail d’harmonisation des procédures avec les équipages allemands, et je suis certain que les choses se passeront pour le mieux. De plus, les deux derniers C130J seront livrés en 2019.

Enfin, M. Jacques m’a interrogé sur les capacités tactiques de l’A400M. Comme je l’ai dit dans la présentation de mon rapport, l’équipe de marque poursuit les essais, notamment sur le posé d’assaut, et espère obtenir les qualifications bientôt, en 2019 dans ce cas précis. Par ailleurs, je rappelle que les C130H, dont certains ont été modernisés, sont en mesure d’effectuer des posés d’assaut. Il s’agit d’une compétence essentielle, notamment pour l’escadron Poitou qui travaille au profit des forces spéciales. Cette compétence sera donc préservée et je pense, du moins je l’espère, que l’A400M pourra la mettre en œuvre rapidement.

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M. le président. Nous en venons maintenant au temps réservé aux groupes politiques.

M. Fabien Gouttefarde. J’ai l’honneur d’intervenir en commission, aujourd’hui, au nom de mon groupe La République en Marche, pour exprimer notre vue d’ensemble sur les trois missions budgétaires que nous examinons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 : la mission « Anciens Combattants, mémoire et liens avec la Nation », la mission « Défense » et enfin le programme « Gendarmerie nationale » de la mission « Sécurités ».

À titre liminaire, concernant la mission « Anciens Combattants, mémoire et liens avec la Nation », je tiens à souligner qu’avec 2,3 milliards d’euros de crédits le budget pour 2019 marque la volonté du Gouvernement de consolider les mesures de reconnaissance et de réparation, tout en renforçant significativement l’équité des dispositifs qu’elle finance. Je veux immédiatement saluer l’intégration du financement de l’octroi de la carte du combattant à près de 35 000 militaires stationnés en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964, résultat du travail de concertation colossal qu’a mené la secrétaire d’État, Geneviève Darrieussecq, avec tous les acteurs, et en particulier les associations d’anciens combattants.

C’est une mesure que nous avions appelée de nos vœux, en avril dernier notamment, lors du vote de notre motion de renvoi en commission de la proposition de loi de notre collègue Les Républicains, Gilles Lurton, mus par notre responsabilité politique et l’exigence de sincérité budgétaire. Nous avions alors garanti mettre en œuvre cette mesure de reconnaissance légitime et de juste réparation en l’intégrant dans un futur projet de loi de finances, nous le faisons dès maintenant, nous tenons nos engagements, mais avec la rigueur de la sincérité budgétaire qui nous est singulière.

Pour preuve, le rapporteur d’alors, Gilles Lurton, estimait que cette mesure bénéficierait à 25 000 anciens militaires alors que la concertation menée par la secrétaire d’État aboutit à l’estimation de 50 000 anciens militaires potentiellement concernés pour un coût budgétaire en 2019 estimé à 6,6 millions d’euros. Cette mesure de justice porte l’effort financier total à 60 millions d’euros.

En ce qui concerne les crédits de la mission « Défense », avec une hausse de 5 %, soit 1,7 milliard d’euros, le projet de loi de finances pour 2019 poursuit la mise en œuvre de la politique courageuse et volontariste du président de la République de réparer nos armées, déjà engagée en 2018.

Les crédits de cette mission permettent également de commencer à réaliser les objectifs fixés dans la loi de programmation militaire 2019-2025 récemment votée, et qui permettent de renforcer considérablement les moyens de nos armées, pour que la France puisse s’adapter et consolider son positionnement dans un environnement stratégique mondial durablement marqué par l’incertitude et l’instabilité.

Le PLF pour 2019 engage donc résolument nos armées vers la réalisation de l’ambition 2030, articulée autour d’un modèle d’armée complet, c’est-à-dire autonome vis‑à‑vis de nos partenaires, et équilibré, c’est-à-dire soutenable dans la durée.

Dans le contexte d’un environnement globalisé où les contestations de l’ordre international et du multilatéralisme vont croissantes, où la prolifération des armements, on l’a entendu, va de pair avec un retour de la compétition militaire, où la menace terroriste se pérennise, et où la nécessité d’organiser une politique de défense européenne renforcée apparaît essentielle, le budget 2019 permet une remontée en puissance des moyens de nos armées, ainsi que de toutes nos forces de sécurité intérieure, avec un total des crédits à hauteur de 1,82 % du PIB et renforce ainsi leur capacité à protéger la population et accomplir leur mission sans risque démesuré.

Avec notamment 758 millions d’euros dédiés aux études amont, dissuasion comprise, soit une hausse de 6 % sur l’année, dans la ligne de l’objectif fixé par la LPM, le budget 2019 marque la transformation profonde du ministère des Armées engagé dans la recherche et la modernisation technologique.

Ce budget pour 2019 est manifestement porteur de l’autonomie stratégique de la France, que d’aucuns dans l’opposition déploraient comme absente lors de l’exercice précédent. Pour preuve, les crédits dédiés au renforcement des moyens de renseignement sont en hausse avec, par exemple, une augmentation de 13 % pour la DGSE et la DRSD.

L’emploi des forces est également soutenu par le budget 2019 qui vient réparer les défaillances passées par un renouvellement des équipements et par l’amélioration des conditions de travail et de vie des militaires. Comme nous l’avons vu, la LPM à hauteur d’homme impactera dès sa première année la vie de nos soldats.

S’agissant de l’indispensable remise à niveau des armées, je citerai, par exemple, la livraison de 500 véhicules légers tactiques polyvalents non protégés qui accroîtront la mobilité tactique, celle du quatrième bâtiment multi-missions et celle des derniers bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers, le programme dit MILAD qui permettra de réduire la vulnérabilité aux mini-drones, ou encore le lancement du programme FLOTLOG de remplacement des navires ravitailleurs, et sans oublier plus de 820 millions d’euros consacrés au maintien en condition et à la réhabilitation des infrastructures de tout type.

Sur les équipements militaires, je veux saluer l’absence d’annulation de programmes en cours et qui inscrit donc le budget 2019 dans les engagements pris par la LPM

Pour terminer sur un propos général, je veux réaffirmer, avec la force et la responsabilité qui caractérisent notre majorité, que ce projet de loi de finances pour 2019, et en particulier pour la mission « Défense » qui nous occupe principalement, tranche par sa sincérité budgétaire en comparaison des exercices passés. Il prévoit, en effet, des dépenses intégralement financées sur les crédits budgétaires, avec par ailleurs une provision de 850 millions d’euros dédiée aux OPEX et une autre de 100 millions d’euros aux missions intérieures.

La sincérité budgétaire est un engagement fort de notre majorité qui soutient le président de la République, parce que nous sommes conscients et responsables du fait de ne pas faire supporter aux générations futures le prix de promesses certes attrayantes mais irréalistes. Je vous remercie.

M. Patrice Verchère. Avec ce budget 2019 nous avons à discuter de la première année de la mise en œuvre de la LPM votée au printemps dernier. Les annonces budgétaires semblent être en conformité avec la LPM votée puisque nous pouvons constater que le budget est en augmentation. Cette hausse pour la deuxième année consécutive ne doit pas cependant faire oublier que la première mesure en matière de défense du tout nouveau président de la République avait été d’amputer le budget 2017 de 850 millions d’euros. Une fois de plus, c’est le programme 146 qui avait le plus sollicité. Il est à noter, et c’est regrettable, l’absence de publication à ce jour de l’annuaire statistique de la défense 2018 qui faciliterait pourtant la vision globale au regard du budget de la Nation. En effet, cette augmentation de votre budget ne doit pas occulter le fait que la part des dépenses de la défense dans le budget de l’État a reculé de 0,1 % en 2017 pour s’établir à 1,4 % du PIB, pour la seule mission « Défense », hors pensions et anciens combattants, donc loin des 1,7 % annoncés par le Gouvernement. La question du périmètre des dépenses à prendre en considération se pose donc une fois de plus. Mes chers collègues, vous pourrez reconnaître que cette distorsion entre les chiffres, pourtant tous publiés par le ministère des Armées, n’aide pas à la lisibilité du budget et entretient le doute sur l’effort réel accordé aux armées, dont la trajectoire affichée par le Gouvernement est d’atteindre 2 % du PIB en 2025, soit environ 50 milliards d’euros, hors pensions et à périmètre constant.

La fin annoncée et demandée dès 2013 par le groupe Les Républicains des déflations d’effectifs dans les armées se concrétise cette année par la création de 466 postes supplémentaires pour les armées. La LPM 2014-2019 votée fin 2013 prévoyait sur la période une réduction nette de 33 675 équivalents temps plein. Au final, et malgré ses annonces, le ministère de la Défense, a perdu sur la période près de 500 postes.

Venons-en au surcoût des OPEX. Véritable serpent de mer du budget de la défense depuis des années, il devrait dépasser le milliard d’euros en 2018 pour atteindre un total de 1,5 milliard d’euros, soit 1,3 milliard d’euros pour les OPEX et 200 millions pour les OPINT, selon le chef d’état-major de l’armée de terre. La provision initiale dans le budget 2019 a été fixée à 850 millions d’euros, contre 650 millions d’euros en 2018, déjà en hausse par rapport à l’année précédente. La tradition veut que le surcoût par rapport au prévisionnel adopté relève d’un financement interministériel, dont 20 % sont d’ailleurs supportés par le ministère de la Défense. Une fois de plus, les députés Les Républicains demandent que le ministère de la Défense ne participe pas à cette réserve de précaution en vue de financer le surcoût des OPEX tant il nous paraît évident que le ministère de la Défense ne doit pas payer deux fois.

Mes chers collègues, au surcoût des OPEX s’ajoute désormais le coût des opérations intérieures. Celles-ci bénéficiaient dans le budget 2018 de crédits de 100 millions d’euros dans le programme 212, soit une hausse de 59 millions d’euros. Cette somme du titre 2 est inscrite dans la LPM, portant en réalité les sommes consacrées au surcoût pour les OPEX et des OPINT à 950 millions d’euros.

Les députés du groupe Les Républicains restent inquiets quant à un éventuel financement par le ministère de la Défense du service national universel (SNU), ce qui serait contraire à l’article 3 de la LPM 2019-2025. Nous constatons en effet que le SNU n’est mentionné dans aucun document budgétaire alors qu’une expérimentation, réduite certes, est prévue dès 2019. Nous craignons que l’augmentation de 9 millions d’euros inscrite au titre 2 du programme 212 liée à l’augmentation du personnel travaillant à la Journée défense et citoyenneté ne soit un financement déguisé du SNU. Nous y reviendrons plus longuement en séance.

En ce qui concerne le budget des anciens combattants, nous regrettons que le budget 2019 soit en baisse de 5,13 %. Nous regrettons au nom de la reconnaissance de la Nation en faveur du monde combattant que la spirale de la baisse enclenchée en 2013 se poursuive après une baisse de 3,2 % en 2018. Malgré cette baisse du budget et grâce à la diminution naturelle des effectifs, le Gouvernement peut cependant annoncer quelques mesures en faveur des anciens combattants et de leurs ayants-droit, comme la mise en place d’un mécanisme de solidarité au profit des enfants de harkis ou l’attribution de la carte du combattant aux militaires déployés en Algérie après le 2 juillet 1962 et jusqu’au 1er juillet 1964. Les députés Les Républicains se réjouissent de ces annonces mais déplorent que, pour des raisons purement politiciennes, le Gouvernement ait fait rejeter par sa majorité le 5 avril dernier la proposition de loi de notre collègue Gilles Lurton portant sur l’attribution de la carte du combattant aux militaires déployés en Algérie après le 2 juillet 1962 et jusqu’au 1er juillet 1964.

Nous regrettons que ce budget des anciens combattants renoue avec des habitudes de la précédente majorité et rompe de nouveau avec la dynamique enclenchée il y a dix ans sous l’ancienne majorité UMP/LR qui avait permis l’augmentation de 30 % de la retraite du combattant, entre 2007 et 2012, son montant étant ainsi passé de 488 euros à 609 euros. Le groupe Les Républicains poursuivra donc cette logique et demandera à l’occasion du budget 2019 la poursuite de l’augmentation de la retraite du combattant. Il s’agit pour nous de rappeler notre attachement au monde combattant et de faire en sorte que cette augmentation soit régulière et ne dépende pas des aléas électoraux.

Plus généralement les députés LR s’associent aux associations d’anciens combattants qui font part de leurs inquiétudes quant à l’avenir de leur budget et sa refonte dans certains dispositifs existants.

Le groupe Les Républicains regrette également que dans ce nouveau monde aseptisé, Emmanuel Macron ait décidé que la commémoration annuelle du 11 novembre se fera sans militaires ou presque. Il est à noter que ce choix diplomatique n’a pas été effectué par les Britanniques et les Américains. Il faut aussi préciser que, depuis le 11 novembre 2011, la France ne commémore plus seulement l’armistice de 1918 mais aussi tous les soldats tombés en opérations extérieures.

Pour conclure, le groupe Les Républicains, compte tenu des observations exposées, s’abstiendra sur le budget que vous nous présentez. Nous formulons aujourd’hui une abstention vigilante en commission. Vigilante, car nous avons été échaudés dans le passé par des annonces non concrétisées budgétairement. En effet, le chef d’état-major des armées a récemment rappelé à quel point nos armées étaient, je cite, éreintées, sous-équipées, sous‑dotées, sous-entraînées, épuisées par leurs multiples engagements qui dépassent largement leur contrat opérationnel. Ceci démontre à quel point les députés LR, depuis 2014, ont eu raison à chaque audition dès l’engagement de nos armées dans le cadre de l’opération Serval d’alerter l’exécutif de l’inadéquation entre la LPM 2014-2019, même réactualisée, et l’action de nos forces. Dois-je rappeler les commentaires alors dithyrambiques de certains affirmant, malgré les évidences, en audition et à la presse que la LPM de M. Le Drian était totalement en adéquation avec les missions demandées. Nous sommes aujourd’hui dubitatifs et vigilants, certains députés appartenant à la majorité précédente étant toujours dans la majorité, bien qu’ayant changé de parti. Notre abstention est donc vigilante au sein de cette commission.

M. Jean-Pierre Cubertafon. Dans la continuité de certains des exposés précédents je souhaitais rappeler le contexte qui nous mène à l’étude de ce budget défense et anciens combattants. Nous le savons, le panorama des menaces mondiales, établi tant par la Revue stratégique que par la LPM, est aujourd’hui marqué par une augmentation significative des crises et de l’instabilité internationale.

De ce constat, la LPM a traduit ces nouveaux enjeux mondiaux, humains et techniques et pose ainsi les bases d’une remontée en puissance des armées françaises en faisant porter l’effort sur leurs femmes et leurs hommes autant que sur leurs équipements.

En ce sens, si ce budget fait un grand pas vers le renforcement des forces françaises comme « seconde armée du monde libre », la budgétisation appuie un projet d’une rare sincérité et fidèle, dès la première année, à ce travail de planification budgétaire que nous appelons loi de programmation militaire.

La ministre des Armées déclarait devant la représentation nationale le 20 mars dernier « que le temps du sacrifice était révolu, et que le renouveau de nos armées commençait ».

Alors que nous nous apprêtons à soutenir le vote des provisions annuelles pour ce budget à hauteur de cette ambition, je sais que le Gouvernement sera, au même titre que la majorité parlementaire, très attentif à l’exécution budgétaire de cette LPM « an un ».

Nous soulignons le fait qu’il n’y a de richesse ni de force que d’hommes, que les conditions de vie du soldat dans sa vie quotidienne sont la condition sine qua non de sa fidélisation, de son moral et de l’expression harmonieuse de sa charge militaire parfois plus, peut-être, que son équipement.

Ainsi sommes-nous dans la pleine espérance quant à la réalisation du plan Famille, qui bénéficiera de 57 millions d’euros supplémentaires en 2019.

Le budget et les mesures pour cette année, relatives à la reconnaissance et à la réparation au monde ancien combattant, rappellent une autre facette de cette exécution de LPM à « hauteur d’homme » : le soutien et la reconnaissance de la condition du soldat‑citoyen dans la société tout au long de la vie, la mémoire et la reconnaissance de nos anciens combattants, avec la carte 62-64, et le rôle renforcé des familles auprès de leurs blessés.

Au-delà des trois missions qui nous sont soumises, nous rappelons que cet esprit « à hauteur d’homme » s’affirmera dans la prise en compte de la spécificité du métier de militaire dans le cadre de la prochaine réforme des retraites. La prise en compte des spécificités de cette retraite est aussi un levier important quant à la fidélisation de nos vétérans.

C’est donc dans cet esprit de dialogue – constant, apaisé et constructif – que nous renouvelons pleinement notre confiance à ce projet collectif au service d’une ambition commune; celle du « succès des armes de la France ». Je vous remercie.

Monsieur Joaquim Pueyo. Monsieur le président, chers collègues, le temps qui nous est imparti étant limité, je ne reviendrai pas sur les grands équilibres et orientations des Missions « Défense » et « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». Je salue l’augmentation du budget de la mission « Défense », conforme aux orientations votées dans la loi de programmation militaire. Je souhaite revenir uniquement sur quelques points qui me paraissent importants.

Tout d’abord, je salue les mesures prises pour améliorer les équipements des militaires, qu’il s’agisse des 25 000 gilets pare-balles ou des 8 000 armes individuelles futures. Les 57 millions du plan Famille pour 2019 sont également à souligner, car ils apportent des améliorations concrètes aux militaires et à leurs familles. Comme le rappelle le haut comité d’évaluation de la condition militaire dans son 12e rapport, l’accompagnement à la mobilité des conjoints est essentiel dans la démarche de fidélisation ; ces efforts devront être poursuivis dans les années à venir.

Je souhaite tout de même mettre en lumière la question de l’immobilier. Malgré l’effort de 420 millions d’euros en faveur du maintien et du soutien des sites, nous devrons absolument améliorer les hébergements. Cela implique d’accélérer la mise en place des nouvelles mesures prévues en termes de rénovation et de construction d’immobilier moderne. Toutes ces mesures participent aussi de la fidélisation de nos militaires, ce qui m’amène au second point que j’aborderai.

La question de la fidélisation reste centrale. J’ai posé une question sur ce sujet, je n’y reviendrai donc pas, mais c’est une question importante si l’on veut que notre armée soit attractive. Au-delà du plan d’accompagnement des familles et d’amélioration des conditions de vie des militaires, nous devons également renforcer l’accompagnement des hommes et des femmes dont l’engagement prend fin. Selon les chiffres de Défense mobilité, le dispositif d’accompagnement ne « capte » que 67 % des militaires quittant nos armées, et seulement 60% des accompagnés retrouvent un emploi. Bien sûr, ces chiffres sont en augmentation, mais nous devons investir massivement pour toucher davantage de personnels et mieux les accompagner. Leurs profils sont en effet très recherchés et valorisés, notamment dans le secteur privé. Le groupe Socialistes et apparentés proposera un amendement dans ce sens.

Les équipements constituent un autre point d’attention. L’année 2019 verra l’arrivée de plusieurs matériels importants ; je ne vais pas rappeler les livraisons qui seront faites. Mais des inquiétudes demeurent au sujet des patrouilleurs et, malheureusement, notre pays ne pourra pas remplir 100 % du contrat opérationnel en 2019 et en 2020 dans ce domaine. Malgré des efforts en termes d’augmentation des cibles de commandes et des budgets consacrés au maintien en condition opérationnelle, nous devons impérativement poursuivre une politique ambitieuse en matière d’équipement. Les taux de disponibilité des matériels, notamment aériens, sont encore beaucoup trop bas dans certains cas. Cela a une incidence sur les journées de préparation opérationnelle, dont le nombre est de nouveau en hausse depuis 2016, mais reste parfois encore éloigné des cibles réaffirmées dans la LPM 2019-2025.

Un dernier point d’attention concerne la répartition des créations de postes. Cette année, ce sont 450 équivalents temps plein qui seront créés ; ils bénéficieront notamment au renseignement. Cependant, il existe de réels besoins dans d’autres secteurs, notamment dans le soutien aérien. Le groupe Socialistes et apparentés souhaiterait d’ailleurs que des précisions puissent être apportées sur la répartition des futurs équivalents temps plein.

Pour finir, je souhaite aborder le budget de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». L’ensemble des gouvernements a diminué les crédits alloués à cette mission, partant du principe que le nombre de bénéficiaires diminuait mécaniquement. Cela peut s’entendre pour le programme 169 « Reconnaissance et réparation », mais cette logique est difficilement applicable au programme 167 « Liens entre la Nation et son armée ». Alors que nous souhaitons tous voir s’accroitre le lien entre l’armée et la Nation, notamment avec les jeunes, que nous insistons sur les valeurs que nos armées portent, nous pourrions envisager de changer de paradigme et de conserver un budget constant, ou du moins d’en limiter la baisse. C’est la proposition que j’avais faite lors de l’audition de Madame la secrétaire d’État. Il me semble particulièrement important de préserver et même de développer les actions favorisant une meilleure connaissance de nos armées par nos jeunes. Cela passe par l’enseignement de défense ou par l’échange avec les associations d’anciens combattants, qui ont exprimé leur volonté de faire davantage. La participation aux cérémonies doit aussi être développée, ainsi que le tourisme de mémoire. Les efforts faits lors de commémorations importantes ne doivent pas se borner à ce laps de temps particulier.

Enfin, je souhaite également que la coopération européenne se renforce et que la France soit moteur dans ce qu’on appelle l’Europe de la défense.

Cette discussion va continuer dans quelques instants avec les amendements. Une fois ces points de vigilance rappelés et les orientations que nous souhaiterions voir se développer abordées, à titre personnel, je proposerai au groupe de voter ce budget, malgré les réserves que j’ai évoquées.

M. Alexis Corbière. Mes chers collègues, nous assistons, nous le savons, à une recrudescence des tensions sur la scène internationale. Je voudrais évoquer un point, qui ne va pas passer inaperçu, pour illustrer mon propos. Ce jeudi 25 octobre, l’OTAN lancera les prémices des plus grandes manœuvres militaires jamais engagées depuis la fin de la Guerre Froide. Cet exercice, baptisé Trident Juncture 18 – je ne le dirai pas, volontairement, avec un accent anglais –, mobilisera près de 50 000 soldats en Norvège. L’amiral américain James Foggo, commandant en chef de l’exercice, assure que cette opération ne vise aucun pays en particulier. C’est pourtant la sécurité internationale elle-même qui est mise en péril. Cet exercice apparaît, selon nous, comme le franchissement d’une nouvelle étape dans la construction d’une Europe de la défense que je qualifierai d’« atlantiste ». La France participe à la course à la guerre en consacrant une partie de son budget à l’OTAN, contribuant par son financement à ces velléités guerrières.

Outre cet aspect budgétaire, c’est l’absence de véritable doctrine qui rend illisibles et incohérentes, selon nous, toutes les actions et mesures annoncées comme, soi-disant, de « rupture ». Ce budget s’inscrit, en fait, dans la continuité de ses prédécesseurs. C’est une forme d’alignement sur la politique extérieure des États-Unis. L’objectif des 2 % du PIB consacrés au budget de la défense d’ici 2024 en est la meilleure preuve : il est sous l’impulsion de la demande des États‑Unis d’Amérique.

Les sommes colossales engagées justifieraient, pourtant, la définition d’une stratégie et d’une vision claire pour notre politique de défense. Nous considérons que ce n’est pas le cas. En lieu et place de sauvegarder son indépendance militaire, la France poursuit une infinie course des armements derrière les États-Unis. Nous assistons à une escalade militaire, une escalade dans la guerre spatiale, une escalade dans le théâtre des opérations extérieures. Mais quelles sont les finalités de telles opérations ? Quel est le sous-bassement stratégique de ces multiples escalades ? Ce budget s’apparente à l’action, certes d’un tacticien, mais non pas d’un stratège. Je le répète une nouvelle fois, Bastien Lachaud l’a déjà dit, c’est l’absence d’une vision générale qui ne nous permet pas de construire une ligne politique propre et indépendante.

Alors que les moyens alloués à cet « atlantisme » – vous me pardonnerez l’expression – effréné ne manquent pas, la défense de notre souveraineté se retrouve marginalisée. Ces moyens pourraient notamment servir à réaffirmer notre souveraineté maritime, aujourd’hui menacée en raison d’un manque de patrouilleurs destinés à assurer notre défense en mer. Les six nouveaux patrouilleurs commandés par la marine en 2019 ne suffiront pas à remplir cette mission. L’amiral Prazuck, chef d’état-major de la marine, l’a déploré en 2017 : nous n’avons plus que quatre patrouilleurs, au lieu huit, disait-il, pour assurer la sécurité du deuxième espace maritime mondial.

Ces moyens pourraient servir aussi pour nos militaires engagés en opération extérieure. J’ai pu en rencontrer, avec certains collègues, au Mali et au Niger, sur la base de Niamey. Leurs conditions de vie pourraient être améliorées. Le manque de moyens matériels adéquats et récents accentue les difficultés inhérentes à toute opération extérieure. Nous pourrions par exemple – pardon si c’est un détail, mais je le répète parce que des soldats me l’ont demandé – au moins permettre qu’ils aient une connexion Wi-Fi qui ne soit plus limitée à 2Go. Cette limitation complique bien souvent les relations qu’ils ont avec leurs familles.

L’armée de l’air, elle aussi, gagnerait à disposer de moyens pour accomplir ses missions. Les taux de disponibilité des aéronefs militaires sont alarmants : un avion sur deux est cloué au sol, deux hélicoptères sur trois sont en maintenance, et j’en passe.

Enfin, nos anciens combattants ne sont pas épargnés par ces difficultés. Leurs avancées sociales sont progressivement remises en cause, sacrifiées au profit, souvent, de considérations économiques. Le plafond de l’allocation différentielle du conjoint survivant n’est toujours pas porté au niveau du seul seuil de pauvreté.

Outre les aspects financiers, l’engagement pour la transmission de la mémoire et de l’histoire ne doit pas être négligé. Notamment, la reconnaissance des harkis doit, selon nous, passer par un important travail de mémoire entre historiens algériens et français, pour que toute leur dignité soit rendue à ces supplétifs de notre armée. De la même façon, pourquoi ne pas mieux retracer l’histoire des fusillés pour l’exemple, qui étaient condamnés par des conseils de guerre expéditifs, afin que cette mémoire soit mieux partagée ? Pourquoi ne pas revenir sur la mobilisation des femmes durant tout ce conflit ? Bref, il y a là tout un travail mémoriel qui pourrait être engagé.

Je termine sur ce que nous montrent de récents travaux d’historiens. De nombreux étrangers se sont engagés dans l’armée française, notamment entre 1914 et 1918. Ont participé à cet effort national – si je puis dire ainsi – près de dix nationalités. Ces faits étaient assez peu connus. Un travail de mémoire pourrait être effectué, pour qu’il n’y ait pas seulement une commémoration d’ordre militaire, mais bien une claire restitution de ces évènements permettant une meilleure compréhension de la Nation, des sacrifices qui ont été faits et de la place des uns et des autres.

Mme Manuela Kéclard-Mondésir. Ce budget 2019 s’inscrit dans le contexte de la LPM 2019-2025. Il s’agit même du premier de ce cycle pluriannuel. Ce budget se situe à un niveau de 35,8 milliards d’euros, en hausse de 1,7 milliard d’euros. Il permet ainsi de porter progressivement l’effort de défense à 2 % du PIB.

Ce pourrait donc être une bonne chose, si son exécution n’était pas une source d’inquiétude.  

Par ailleurs, malgré les hausses programmées, l’enveloppe prévue paraît encore insuffisante au vu des besoins des armées précisément identifiés dans cette loi de programmation. Je m’interroge notamment sur le financement des surcoûts des OPEX. Ce sont 850 millions d’euros qui ont été budgétés en 2019, contre 650 millions d’euros en 2018 et 450 millions d’euros en 2017. C’est bien, pourrait-on dire, mais les besoins annoncés sont de plus d’un milliard d’euros !

Si la plupart des parlementaires du groupe GDR auquel j’appartiens reconnaissent des avancées en matière d’équipement et de ressources humaines, ils restent cependant très critiques vis-à-vis de la promotion de la dissuasion nucléaire, qui reste une priorité du Gouvernement avec un effort de modernisation à hauteur de 400 millions d’euros, soit une hausse de 8 % !

Nous sommes également très critiques du haut degré d’allégeance du Gouvernement à l’égard de l’OTAN, mais également de la mise en œuvre de la politique européenne de défense. En effet, la France supporte toujours à elle seule le poids de ses engagements sur de nombreux théâtres d’opérations, y compris dans le domaine logistique, où elle sollicite pourtant un soutien européen.

Pour ces raisons, le groupe GDR votera contre ce budget.

À titre personnel cependant, puisque notre groupe parlementaire est un groupe ouvert où domine la liberté de pensée et de vote, je voterai ce budget tout en adhérant à certaines critiques formulées par mes collègues.

Ce budget comporte en effet des éléments qui recueillent notre assentiment. Je constate notamment que les dépenses de personnel au titre des missions intérieures (MISSINT) sont portées à 100 millions d’euros. Ce budget renforce également les équipements d’accompagnement et de protection des soldats grâce à une enveloppe supplémentaire de 150 millions d’euros par rapport à 2018. Il modernise les infrastructures, et surtout, il met en œuvre le plan Famille, élément très important à nos yeux, en y consacrant 57 millions d’euros en 2019.

Par ailleurs, 400 millions d’euros supplémentaires sont prévus pour le MCO des matériels, notamment de la composante aéronautique.

Je suis particulièrement sensible aux efforts faits pour la Caraïbe. En effet, nous avions traditionnellement un bâtiment de transport léger (BATRAL) prépositionné aux Antilles, avant que celui-ci ne soit déporté vers la Méditerranée. Ce bâtiment est revenu dans la zone Antilles du fait des ouragans Irma et Maria. Aujourd’hui, je salue l’engagement de la ministre de redoter l’Atlantique et la Caraïbe de six navires en 2020 et en 2022.

Enfin, je note que le budget 2019 prévoit 300 millions d’euros pour le renouvellement et la modernisation des équipements conventionnels.

Je finirai par évoquer le renforcement ciblé des moyens dans certains domaines comme le renseignement, la cyberdéfense, l’intelligence artificielle ou le traitement des données.

Pour ces raisons, ce budget aura mon soutien personnel en dépit du positionnement de mon groupe, le groupe GDR.

M. Yannick Favennec Becot. Le budget de la défense traduit – et c’est bien la moindre des choses –, les orientations que nous avons votées lors de la LPM 2019 - 2015. En effet, pour répondre à la menace terroriste tout en garantissant notre autonomie stratégique, une augmentation très significative des moyens était nécessaire. Cet effort budgétaire important devrait permettre d’amorcer les bases d’une remontée en puissance de nos armées.

Ce budget poursuit bien la montée en charge de nos armées, amorcée l’année dernière, avec une hausse de 1,7 milliard d’euros. Cette hausse témoigne de l’engagement déterminé à renforcer les moyens de nos armées dans un contexte international instable et dangereux.

S’agissant en particulier de l’amélioration des conditions de vie et d’engagement de la communauté de défense, un effort particulier est prévu en faveur de la maintenance des infrastructures et du soutien, par la livraison d’équipements essentiels au quotidien du soldat ainsi que par la poursuite du plan « Famille » décidé à l’été 2017. Je tiens ici à saluer cet effort et à vous faire part de la satisfaction de mon groupe.

Permettez-moi de m’interroger malgré tout sur le financement des surcoûts de 600 millions d’euros des OPEX en 2018. En effet, il ne faudrait pas que les OPEX de cette année empiètent sur les augmentations prévues au titre de la LPM.

D’une manière générale, les orientations de ce budget ne pourront être effectives qu’à la condition qu’elles puissent être exécutées. Nous jugerons donc sur les faits et resterons vigilants.

La mission « Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation » joue un rôle essentiel en ce qu’elle incarne l’hommage que la Nation rend à nos armées pour l’engagement et les sacrifices de nos soldats au service de la sécurité de notre pays. Ce budget accuse, par rapport à l’année dernière, une légère baisse à périmètre constant, ce qui s’explique par la diminution naturelle des ayants droits. Je tiens néanmoins, au nom de mon groupe, à vous faire part là aussi de notre satisfaction, d’une part en ce qui concerne les mesures prises à l’égard des anciens militaires qui justifieront de quatre mois de présence en Afrique du Nord entre le 2 juillet 1962 et le 1er juillet 1964 et, d’autre part, pour le plan d’action en faveur des harkis et de leurs familles.

S’agissant plus particulièrement de la carte du combattant, je m’interroge tout de même sur les modalités pratiques de son attribution qui semblent préoccuper les associations, malgré les propos qui se veulent rassurants de la part de notre rapporteur ce matin.

Pour ce qui est de la retraite du combattant, nous regrettons, même si nous sommes bien conscients des contraintes budgétaires, qu’aucune augmentation ne soit prévue cette année. Cette augmentation aurait pourtant été plus que légitime et son absence s’inscrit malheureusement dans la continuité de la législature précédente.

Enfin, nous regrettons également qu’il ne soit toujours pas prévu d’indemniser les pupilles de la Nation et orphelins de guerre en leur accordant le bénéfice des dispositifs de réparation adoptés en 2000 et en 2004.

Ces remarques étant posées, notre groupe parlementaire, dans un souci de consensus politique au nom de l’intérêt de nos armées et des difficiles missions que nous leur demandons d’accomplir pour la défense de notre sécurité et de notre liberté, votera ce budget tout en restant vigilant sur un certain nombre de points.

*

*     *

M. le président. Nous en venons à l’examen des amendements sur la mission « Défense ».

Article 39 : État B  Mission « Défense »

La commission examine lamendement II–DN2 présenté par M. Charles de la Verpillière.

M. Charles de la Verpillière. Lors de la discussion du projet de loi de programmation militaire, au printemps dernier, il a fallu l’insistante vigilance des députés de mon groupe pour que soit inscrit noir sur blanc dans la LPM le principe selon lequel le financement du service national universel ne sera pas imputé sur le budget des armées tel que la loi de programmation militaire en planifie l’évolution.

Nous avons cependant été très surpris de constater dans le présent projet de loi de finances une augmentation des dépenses de personnel travaillant pour le programme « Liens entre Nation et son armée », c’est-à-dire destinés au financement de la JDC. Cette hausse ne paraît pas justifiée étant donné que la JDC n’a pas changé de nature et que l’effectif des jeunes concernés en 2019 est au contraire appelé à baisser, de plus de 804 000 en 2018 à 792 745 en 2019. Pourquoi, dès lors, faudrait-il augmenter brutalement les crédits de personnels affectés à la JDC ? Instruits dans la prudence par les expériences passées, nous préférons prendre les devants pour éviter au ministère toute tentation de financer le service national universel sur les crédits des armées. C’est pourquoi nous proposons de réallouer les crédits supplémentaires de la journée de défense et de citoyenneté à des dépenses utiles pour les armées.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Je crains, chers collègues, qu’un effet de périmètre ne biaise la lecture de l’évolution des crédits de la JDC.

En effet, si les crédits de l’action du programme 178 couvrant les dépenses de titre 2 du programme « Liens entre la Nation et son armée » augmentent, c’est uniquement du fait d’un changement de périmètre de ce programme résultant de l’intégration du service militaire volontaire au périmètre du programme 167, ce qui a conduit à renforcer les effectifs de la direction du service national et de la jeunesse de 356 postes.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. Étant moi-même cosignataire de cet amendement, il va de soi que je le soutiens. L’amendement permet de redéployer les crédits au profit du service de santé des armées, dont les moyens méritent d’être confortés, tant le soutien sanitaire de nos forces est crucial sur nos théâtres d’engagements extérieurs. Donc avis favorable.

M. Fabien Gouttefarde. Je tiens à rappeler à nos collègues, comme le général Daniel Menaouine nous le faisait encore observer hier, que la JDC est aujourd’hui le grand point commun de passage de nos militaires d’active. Elle constitue ainsi un formidable outil d’attractivité pour nos armées. Il serait donc périlleux de réduire aujourd’hui ses moyens.

Contrairement à lavis du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II–DN2 puis en vient aux amendements II–DN4, II–DN5 et II–DN6 de M. Joaquim Pueyo, soumis à une discussion commune.

M. Joaquim Pueyo. Ces amendements visent à tenir compte de l’augmentation prévisible des dépenses de carburant, ne serait-ce que du fait des mesures fiscales du présent projet de loi, qui alourdissent la fiscalité du gazole de sept centimes par litre. Quand bien même les cours des matières premières resteraient stables, la fiscalité à elle seule suffirait à accroître le besoin de financement de nos armées. C’est pour compenser cette hausse prévisible que ces trois amendements proposent d’accroître les budgets d’hydrocarbures des trois armées.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. J’ai présenté il y a quelques instants le fonctionnement du compte de commerce du service des essences des armées, qui retrace en dépense ses achats d’hydrocarbures et en recettes le produit de leur cession. Aucune dotation de l’État à ce service n’a été inscrite au programme 178 depuis 2016.

Les méthodes d’achat mises en œuvre par ce service ne permettent d’atténuer que partiellement les hausses de cours des matières premières, qui sont ainsi répercutées au moins en partie dans les prix facturés aux armées. Il n’est donc pas aberrant d’abonder les crédits d’hydrocarbures de celles-ci. J’émets donc sur ces trois amendements un avis favorable.

M. Fabien Gouttefarde. Les députés de mon groupe ne partagent pas la position de notre collègue rapporteur pour avis. Lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, le Gouvernement nous avait présenté les hypothèses d’évolution des prix du pétrole retenues par la programmation. Nous lui accordons notre confiance. D’ailleurs, les hypothèses sous-tendant le projet de loi de finances évaluent à 73,5 dollars le cours moyen du baril de pétrole en 2019, ce qui rejoint les prévisions de la Banque de France. En outre, si les crédits de carburant sont en baisse de 3,4 %, il faut préciser que cette évolution est cohérente avec les prévisions d’activité des forces en 2019.

M. Joaquim Pueyo. Il ne faudrait pas oublier que même si les cours du baril étaient conformes aux prévisions, reste l’impact des hausses de taxes sur le gazole.

M. Jean-Jacques Bridey, président. Compte tenu de l’incertitude qui s’attache nécessairement aux cours des matières premières énergétiques, il n’y a rien d’anormal ni d’inhabituel à ce que ces dépenses fassent l’objet d’ajustements éventuels au gré de l’exécution budgétaire.

Contrairement à lavis du rapporteur pour avis, la commission rejette les amendements II–DN4, II–DN5 et II–DN6. Elle examine ensuite lamendement IIDN9 du même auteur.

M. Joaquim Pueyo. J’ai évoqué plus tôt l’importance des dispositifs d’aide à la reconversion de nos militaires. Cet amendement a pour but d’augmenter significativement les ressources mises à disposition de l’Agence de reconversion de la défense afin d’améliorer la captation des personnels quittant le ministère des Armées. Certes, on ne peut pas dire qu’aucun effort ne soit fait. Mais à étudier ces questions de façon approfondie, on s’aperçoit que la moitié des militaires n’utilise pas les dispositifs d’aide à la reconversion alors qu’une part conséquente des anciens militaires éprouve de grandes difficultés pour retrouver un emploi stable. Le dispositif de reconversion constitue aussi à mes yeux un élément d’attractivité de nos armées, ce qui est plus que nécessaire.

M. Claude de Ganay, rapporteur pour avis. L’exposé des motifs de cet amendement cite les développements approfondis que j’ai consacrés l’an passé à l’Agence de reconversion de la défense, notamment à sa politique de communication interne et externe. Cette étude mettait en exergue une inquiétante érosion du taux de captation par l’Agence des militaires qui quittent l’institution, notamment les militaires du rang.

Cet amendement me paraît donc nécessaire. Certes, notre procédure ne permet pas une affectation des crédits aux dépenses de communication de façon aussi précise que ne le souhaite l’auteur de l’amendement. Les dirigeants de l’Agence y procéderont eux-mêmes, suivant les priorités qu’ils auront définies. J’émets donc un avis favorable à cet amendement.

M. Fabien Gouttefarde. La reconversion constitue bien l’une des priorités du ministère, qui en a même a fait un volet du plan Famille. Aux yeux des députés de mon groupe, l’effort en la matière n’est pas insuffisant. D’ailleurs, la reconversion ne passe pas seulement par l’ARD, mais aussi par des contacts de terrain, au sein des unités.

M. Joaquim Pueyo. Comme le rapporteur pour avis, j’estime qu’il n’y a pas assez de d’information et de communication autour du travail de l’Agence. J’ai pu le constater moi‑même dans mes fonctions de maire : ni les entreprises ni les collectivités territoriales ne sont suffisamment informées des compétences des anciens militaires pour pourvoir à leurs recrutements.

Contrairement à lavis du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement.

MM. Jean-Jacques Ferrara et Claude de Ganay, rapporteurs pour avis, sabstenant et conformément à lavis de Mme Frédérique Lardet et de MM. Thomas Gassilloud, JeanCharles Larsonneur et Jacques Marilossian, rapporteurs pour avis, la commission émet un avis favorable à ladoption les crédits de la mission « Défense ».

Après larticle 72

La commission examine lamendement II-DN3 de M. Pueyo

M. Joaquim Pueyo. Vous connaissez mon attachement à l’Europe de la défense et à la coopération européenne. Je ne vais pas relire l’exposé sommaire de cet amendement, vous l’avez sous les yeux. Je souhaiterais qu’il y ait un rapport d’information sur l’évaluation des programmes de coopération européenne dans le secteur de la défense avec deux « fléchages » importants : un premier sur l’industrie de l’armement, et un deuxième sur la recherche.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Mon opinion est convergente, évidemment, sur le fond. Je crois que c’est une opinion partagée par beaucoup de nos collègues députés ici, la vigilance sur les coopérations de défense est absolument essentielle ; j’en ai parlé lors de mon intervention, vous pouvez également aller voir dans mon rapport, une longue partie y est consacrée. Vous avez raison d’être vigilant, comme disait De Gaulle, « les traités sont comme les roses et les jeunes filles, ça dure ce que ça dure ». Nous sommes appelés, je pense, à nous saisir nous-mêmes de cette question. C’est ce que nous faisons, de même que la commission des Affaires européennes : elle a lancé une mission d’information sur le sujet. Alors que la commission des Affaires européennes est saisie, demander un nouveau rapport me parait superfétatoire. Donc, demande de retrait.

M. Joaquim Pueyo. Je ne retire pas cet amendement.

Suivant lavis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II-DN3. Elle examine ensuite lamendement II-DN10 de M. Pueyo

M. Joaquim Pueyo. Il me semble que c’est un rapport que nous avions déjà demandé l’année dernière. Il s’agit d’une évaluation de la politique d’équipement de la France, et notamment de ses coûts, en comparaison avec nos alliés européens et au sein de l’OTAN. Plusieurs questions ont été posées à ce sujet-là. Il est toujours utile de se comparer, bien que ce soit difficile, avec les autres pays de l’Union européenne ou de l’OTAN. Cela permettrait de faire un point sur les négociations des contrats d’armement en cours de discussion avec les industriels.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Suivant la même approche que celle que j’ai adoptée au sujet du précédent amendement, je formule une demande de retrait de cet amendement.

M. Joaquim Pueyo. Je confirme cet amendement.

Suivant lavis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II-DN10. Elle examine ensuite lamendement II-DN11 de M. Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Je vais retirer cet amendement – je ne vais pas alourdir la réunion –, car le rapporteur a donné suffisamment d’informations et a quasiment répondu, dans son rapport, à mon amendement.

Lamendement II-DN11 est retiré.

Après larticle 73

La commission examine lamendement II-DN8 de M. Pueyo.

M. Joaquim Pueyo. Il s’agit d’un rapport sur les cadets de la défense. C’est dommage que Marianne Dubois ne soit pas là, car je pense qu’elle aurait voté cet amendement. On parle beaucoup des cadets de la défense, il y a d’ailleurs eu une loi sur les cadets de la défense qui a été votée sous l’ancienne mandature, mais je crains que, depuis une dizaine d’années, on n’en ait pas fait évoluer les effectifs. J’aimerais que l’on consacre une étude approfondie à ce dispositif très intéressant, opérée en lien avec l’éducation nationale.

M. Philippe Michel-Kleisbauer, rapporteur pour avis. Je rejoins ce que viens de dire Joaquim Pueyo. Mais la réalité est que cela doit s’intégrer dans la réforme globale du service national universel souhaitée par le président de la République. Il serait donc, peut-être, plus opportun d’attendre d’en connaître plus sur les modalités définitives du SNU avant de commander de nouveaux rapports sur la question. Donc, avis défavorable.

Suivant lavis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II-DN8.

Après larticle 74

La commission examine lamendement II-DN14 de M. Lachaud

M. Alexis Corbière. Il s’agit du débat qui concerne le service national universel. Nous demandons qu’il y ait un rapport sur l’impact sur les finances publiques de sa mise en place. Ce service national universel a pour ambition de créer un service d’un mois pour tous les jeunes âgés de 18 à 21 ans. Au-delà des critiques qui ont pu être formulées sur le SNU, qui serait bien trop court pour être efficace, nous craignons qu’il ne nécessite de mobiliser des moyens considérables. Des moyens humains d’abord : il rassemblera chaque année 650 000 à 700 000 jeunes ; un ratio d’encadrement de 1 pour 4 ou 5 nécessiterait entre 130 000 et 150 000 personnes, soit la mobilisation constante de 11 000 à 15 000 cadres des ministères contributeurs. Le président du G2S – une association réunissant des officiers généraux de l’armée de terre ayant récemment quitté le service actif –, Alain Bouquin, estime que jusqu’à 20 000 militaires seraient concernés durant les mois de juillet et août. Le SNU risque de ne pouvoir être étalé complètement sur l’année ; ce pic estival va donc poser quelques problèmes. Nous souhaitons, à travers cet amendement, obtenir davantage de précisions sur le financement du service national universel et sur son impact réel sur les finances publiques, en particulier sur la mission « Défense ». 

M. Philippe Michel-Kleisbauer, rapporteur pour avis. Il me paraît prématuré de demander un rapport sur les conséquences sur les finances publiques de la mise en place du service national universel, alors même que nous n’en connaissons pas encore les modalités. De plus, un grand nombre de travaux ont d’ores et déjà évalué l’impact financier des différents scénarios. En outre, un rapport du groupe de travail présidé par le général Daniel Menaouine, nouveau directeur du service national jeunesse au sein du ministère des Armées, a bien été publié. L’heure ne paraît pas propice à la production d’un nouveau rapport sur le sujet. Comme pour le sujet précédent, attendons d’en savoir plus avant de proposer ce rapport. Donc demande de retrait.

M. Fabien Gouttefrade. Mon groupe émettra un avis défavorable. J’ajouterai à ce qu’a dit Monsieur le rapporteur, Monsieur Corbière, que nous sommes en plein dans une campagne de consultation auprès de la jeunesse. Elle se termine dans quelques semaines. Contrairement à ce que vous pouvez peut-être imaginer, nous prendrons en compte les conclusions de cette grande consultation, ce qui pourra influer sur la structuration du service national universel en tant que tel et donc sur son coût. Il nous paraît donc inopportun de demander un rapport avant mars 2019.

M. Alexis Corbière. Je m’excuse, chers collègues, je ne le retirerai pas, mais j’observe de ce qui a été dit que vous n’êtes pas favorables à ce stade mais plutôt favorables un peu plus tard. Pour la beauté du débat et l’intérêt général, nous le maintiendrons, mais nous noterons aussi que vous serez à nos côtés quand nous le demanderons dans quelques mois.

M. le président. Avant de passer au vote, je préciserai simplement que, depuis le remaniement ministériel, il y a un secrétaire d’État qui s’occupe de ce dossier et qu’il est rattaché au ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse. Vous avez entendu les propos du général Lecointre qui a dit que s’il y avait, dans l’état actuel des choses, une intervention des armées, ce serait pour la formation des encadrants de ce système. C’est sur ce scénario que travaillent les armées, mais l’on pourra demander, effectivement, un point plus détaillé quand il y aura des décisions de prises.

Suivant lavis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II-DN14.

Elle examine ensuite lamendement II-DN15 de M. Lachaud.

M. Bastien Lachaud. Cet amendement est une demande de rapport – car nous n’arrivons pas à obtenir une commission d’enquête, malgré près d’une centaine de signatures de députés de tous groupes – sur la question des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et l’impact qu’aurait sur nos finances publiques un moratoire sur ces ventes. Aujourd’hui, la France vend des armes à l’Arabie saoudite. Plusieurs organisations non gouvernementales supputent que ces ventes se font en contradiction avec les articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, qui interdit de vendre des armes qui seraient susceptibles de commettre des crimes de guerre. Or, la commission de crimes de guerre au Yémen par les armées saoudiennes et émiraties est confirmée par le rapport des experts de l’ONU publié à la fin du mois d’août. Le Parlement européen lui-même – vous qui aimez tant les décisions européennes – a demandé aux États membres de cesser de vendre des armes tant à l’Arabie saoudite qu’aux Émirats arabes unis. Nous souhaitons donc que ce rapport puisse déterminer quelles seraient les conséquences sur les finances publiques de la décision d’un moratoire sur la vente de ces armes.

M. Jean-Charles Larsonneur, rapporteur pour avis. Un point sur le fond de la question et un point sur l’économie de votre amendement. Sur le fond, le contrôle par l’exécutif des ventes d’armement est extrêmement strict. Le principe est bien la prohibition de tout commerce d’armes, sous la surveillance par l’État. Des dérogations au cas par cas, matériel par matériel et pays par pays sont accordées par le Premier ministre, qui statue en opportunité. Il bénéficie pour prendre ses décisions de l’appui de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), qui instruit ces demandes et permet de croiser les points de vue des affaires étrangères, de la défense, de l’économie. À titre strictement personnel, je trouve qu’il pourrait être intéressant de poursuivre la réflexion sur une meilleure information du Parlement sur ces questions. Par exemple, pourquoi ne pas, comme cela avait déjà été proposé dans plusieurs rapports, proposer la présence d’un député et d’un sénateur, à titre d’observateurs, au sein de la CIEEMG ?

Sur votre amendement en lui-même, j’y vois un problème fondamental : il porte sur l’impact budgétaire qu’aurait pour les finances publiques un moratoire sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis. Or, il n’y a pas d’impact budgétaire direct de ces contrats de vente sur les finances publiques : ce sont les industriels qui vendent, et non l’État. Je ne crois pas bon de laisser penser que l’État lui-même tirerait quelque bénéfice direct des ventes d’armes, quel que soit le client considéré. À ce titre, j’émets un avis défavorable.

M. Jacques Marilossian. Je suis aussi choqué par la formulation : je ne vois pas en quoi un impact budgétaire sur les finances publiques déciderait de notre position quant à la vente, ou non, d’armes à l’Arabie saoudite. Savoir si vendre des armes à l’Arabie saoudite est bien ou n’est pas bien, cela se tranche facilement et nous n’avons pas besoin, pour ce faire, d’en connaître l’impact budgétaire. Vous mélangez, très curieusement, une question morale –vendre ou ne pas vendre des armes à l’Arabie saoudite –, et une question budgétaire. Je suis très choqué par cette approche.

M. Bastien Lachaud. Non, vendre des armes à l’Arabie saoudite n’est pas une question morale, c’est une question de géopolitique et de stratégie : nous décidons quels sont nos alliés et à qui nous vendons des armes ou non. C’est une décision politique. La morale peut y intervenir, mais elle est secondaire, elle passe après la géopolitique.

Quant aux effets sur les finances publiques, Monsieur le rapporteur pour avis, j’espère qu’ils existent, sinon cela voudrait dire que les entreprises qui fabriquent et qui vendent ces armes ne payent pas l’impôt. L’impôt sur les sociétés dépend bien des recettes de ces entreprises. La vente de plusieurs centaines d’avions ou de tanks représente beaucoup d’argent, qui, j’espère, contribue à l’impôt. À moins que vous ne nous expliquiez que Dassault, Airbus et d’autres entreprises qui vendent des armes à l’Arabie saoudite sont des fraudeurs fiscaux. Mais, dans ces cas-là, il faudrait peut-être l’assumer. Et dans ce cas, un rapport sur l’impact de ces ventes sur les finances publiques est d’autant plus important.

M. le président. Chers collègues, arrêtons de parler de gros chiffres, l’Arabie saoudite n’est pas le seul acheteur d’armes françaises, il y en a même de plus importants.

M. Bastien Lachaud. C’est le deuxième pays auquel nous vendons des armes !

M. le président. Non, regardez les chiffres sur le rapport que vous avez reçu, vous verrez que, sur le long terme, ce n’est pas le cas.

Suivant lavis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette lamendement II-DN15.

 


—  1  —

   Annexe :

Liste des personnes auditionnées par le rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

1.   Auditions

  Airbus – M. Philippe Coq, secrétaire permanent des affaires publiques, M. le général (2S) Guy Girier, conseiller défense et « MCO », et Mme Annick Perrimond-du Breuil, directeur des relations avec le Parlement ;

  Délégation générale pour l’armement – Mme l’ingénieure générale de l’armement Éveline Spina, directrice des plans, des programmes et du budget, et M. l’ingénieur en chef de l’armement Nicolas Fournier, sous-directeur des plans et des programmes ;

  État-major des armées – M. le général Hervé Bertrand, chef de la division emploi du pôle opérations ;

  État-major de l’armée de l’air – M. le général Alain Ferran, directeur des ressources humaines de l’armée de l’air, Mme le lieutenant-colonel Isabelle Menager, assistante militaire du directeur ;

  M. le général Philippe Lavigne, chef d’état-major de l’armée de l’air, et M. le colonel Olivier Saunier, assistant militaire du chef d’état-major ;

  Direction de la maintenance aéronautique – Mme l’ingénieure générale hors classe de l’armement Monique Legrand-Larroche, directrice, et M. l’ingénieur en chef de l’armement André Sallat, chef du département « pilotage des projets du MCO aéronautique ».

2.   Déplacements

  15-18 juin 2018 : participation à une rotation logistique en A400M au Sahel.

– Plan de vol : Orléans-Istres-N’Djaména-Ougadougou-Niamey-Gao-Niamey-Orléans ;

– Rencontre avec le général Bruno Guibert, commandant de la force Barkhane, les commandants de base et les militaires déployés.

  5 et 6 septembre 2018 : base aérienne 123 d’Orléans-Bricy – rencontre avec le colonel Olivier Fabre, commandant la brigade aérienne d’appui et de projection (BAAP), le colonel Cédric Colardelle, commandant de la base, et les personnels de la base ;

  12 septembre 2018 : base aérienne 105 d’Évreux-Fauville – rencontre avec le colonel David Desjardins, commandant de la base, et les personnels de la base ; 

  13 septembre 2018 : base aérienne 107 de Villacoublay – rencontre avec le colonel Fabrice Albrecht, commandant de la base, et les personnels de la base ; 

  19 septembre 2018 : base aérienne 110 de Creil – rencontre avec le colonel Brunot Cunat, commandant de la base, et les personnels de la base ; 

  20 septembre 2018 : base aérienne 125 d’Istres-Le-Tubé – rencontre avec le colonel Pierre Gaudillière, commandant de la base, et les personnels de la base ;

  25 septembre 2018 : commandement européen du transport aérien (EATC) – rencontre avec le général Laurent Marboeuf, commandant de l’EATC, et les personnels.


([1]) Le rapporteur a rencontré le général de division Bruno Guibert à N’Djaména en juin 2018. Depuis le 1er août 2018, la force Barkhane est commandée par le général de division Frédéric Blachon.

([2]) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 29 avril 2013.

([3]) Programme Fomedec (formation modernisée et entraînement différencié des équipages de chasse).

([4]) Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([5]) Décret d’avance n° 2017-1182 du 20 juillet 2017.

([6]) Séance du 7 novembre 2017. Depuis la version électronique du présent avis, compte-rendu accessible sur ce lien.

([7]) Commission des finances, séance du 4 juin 2018. Depuis la version électronique du présent avis, compte rendu accessible sur ce lien.

([8]) Deux ont été livrés à l’heure de l’élaboration du présent rapport, le reste devant être fourni aux forces d’ici la fin de l’année 2018.

([9]) Deux ont été livrés à l’heure de l’élaboration du présent rapport, le dernier devant l’être d’ici la fin de l’année 2018.

([10]) Vingt-deux ont été livrés à l’heure de l’élaboration du présent rapport, le reste devant être fourni aux forces d’ici la fin de l’année 2018.

([11]) Revue stratégique de défense et de sécurité nationale.

([12]) La LPM de 2013 ne fixait pas de cible explicite à la flotte de Rafale. Le Livre Blanc fixait en la matière une cible de 225 avions de combat, répartis dans des propositions non définies à l’unité près entre Mirage 2000 et Rafale. Constatant que les forces en comptaient 110 Rafale en 2013, dont 35 pour la marine nationale, elle prévoyait l’acquisition de 26 Rafale supplémentaire d’ici la fin de l’année 2019. En outre, le programme de rénovation des Mirage 2000 lancé en 2015 porte sur 55 avions.

([13]) La date prévisionnelle de fin du programme Rafale doit être consolidée ultérieurement en cohérence avec la cible et le calendrier annuel des livraisons.

([14]) Dont 111 Mirage 2000 et 143 Rafale.

([15]) Multi-role transport tanker - avion de ravitaillement et de transport.

([16]) En ce compris la flotte de 14 C130H, dont le projet de LPM évoque la modernisation puis le remplacement à compter de 2030.

([17]) Missile sol-air de moyenne portée terrestre de nouvelle génération.

([18]) Drones de moyenne altitude, longue endurance.

([19]) Capacité universelle de guerre électronique (équipement de renseignement aéroporté), remplaçant les deux Transall Gabriel.

([20]) Multinational Space-Based Imaging System pour la surveillance, la reconnaissance et l’observation.

([21]) Capacité spatiale de renseignements d’origine électromagnétique ; durée de vie estimée : sept ans.

([22]) À l’heure de l’élaboration du présent avis, l’armée de l’air détient 50 pods de désignation laser (21 DAMOCLES emportés sous Rafale ou Mirage, 20 PDL CTS et 9 ATLIS, emportés sous Mirage 2000D).

([23])  Pour rappel le SCAF sera avant tout un réseau, également qualifié de « système de systèmes ». Articulé autour d’un avion de combat, peut-être piloté à distance, il reposera sur la connectivité entre différentes plateformes : ravitailleurs, drones, avions de renseignement, moyens des autres armées, etc.. Dans ce contexte, les moyens de commandement et de contrôle (C2) et les armements seront au cœur du SCAF du fait de l’importance de la collecte des données et de la capacité à les traiter, les échanger et les analyser.

([24]) Les contrats opérationnels sont en cours de révision à la suite de la publication de la LPM 2019-2025.

([25]) Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

([26]) Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([27]) Les opérations extérieures de la France, 2012-2015, Cour des comptes, octobre 2016.

([28]) Rapport d’information n° 4595 relatif au transport stratégique de M. François Cornut-Gentille, commission des finances, 28 mars 2017. 

([29]) https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/08/transport-militaire-la-cour-des-comptes-commence-une-nouvelle-enquete_5267747_3214.html

([30]) Escadron de transport

([31]) Transall C160 Gabriel.

([32]) Les ravitailleurs C135 n’entrent pas vraiment dans le champ du présent avis, leurs capacités de transport étant peu utilisées du fait de leur faiblesse en matière de transport de personnel. Ils seront néanmoins mentionnés en raison de leur rôle dans l’évacuation sanitaire stratégique.

([33]) Ces graphiques ne portent pas uniquement sur la projection initiale mais traitent également du soutien logistique quotidien.

([34]) Le « hors gabarit » désigne les aéronefs offrant une charge supérieure à trente tonnes, qui correspond à la capacité de l’A400M.

([35]) Au Levant, les éventuelles missions de transport intra-théâtre sont réalisées par des vecteurs stratégiques y transitant ponctuellement.

([36]) Joint Force Air Command – Afrique centrale et de l’ouest, c’est-à-dire le centre de commandement et de conduite des opérations aériennes en Afrique centrale et de l’ouest, implantée sur la base aérienne 942 de Lyon Mont-Verdun.

([37]) La flotte A400M assure des missions de transport stratégique depuis 2014.

([38]) Détachement de transit interarmées. Reprise d’une expression entendue N’Djaména.

([39])  Le C130H peut emporter jusqu’à 15 tonnes, le CASA CN 235 jusqu’à trois tonnes.

([40]) Aussi appelée évacuation sanitaire (EVASAN).

([41])  L’ET60 dispose également d’un hélicoptère Super PUMA, pouvant transporter dix personnes pour une durée d’autonomie de trois heures de vol, ainsi que de l’Airbus A330-200, dit « avion présidentiel », stationné sur la base aérienne d’Évreux-Fauville, qui peut transporter soixante personnes et vingt-cinq tonnes de fret pour une durée de vol de quatorze heures. Cet avion présente de nombreux avantages : au‑delà de sa capacité à effectuer des vols longs, il dispose de moyens d’autoprotection. Il est néanmoins peu utilisé pour l’évacuation stratégique.

([42]) Expressions entendues en déplacement.

([43]) Pour un compte rendu éclairant des difficultés de maintenance en BSS : https://www.defense.gouv.fr/operations/actualites2/barkhane-mois-de-juin-tres-chaud-pour-le-gto-a-n-djamena

([44]) Le taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) est le ratio entre le nombre d’aéronefs disponibles constaté et le nombre d’aéronefs qu’il faudrait pour permettre d’honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels et la préparation opérationnelle associée.

([45]) Le deuxième C130J a été réceptionné par l’armée de l’air le 7 juin 2018 et n’est ainsi pas pris en compte.

([46]) Ces lots sont respectivement confiés aux sociétés suivantes : ACS, Air Partner International, Avico, Chapman Freeborn France, ICS, MK Partnait, National air cargo /Avico, Chapman Freeborn France, ICS, National air cargo, Efis air, Losert SA, Schenker /Avico, Chapman Freeborn France, ICS, National air cargo, Efis air, Losert SA, Bolloré Logistics.

([47]) Avis n° 277 de M. Ferrara, p.26. Depuis la version électronique du présent avis, accès par ce lien.

([48]) Equivalent Flying Hours.