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N° 5209

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2022.

PROPOSITION DE LOI

pour une réduction du temps de travail,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Matthieu ORPHELIN,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Au cours de cette quinzième législature, aucune proposition de loi n’a été déposée sur le thème de la baisse du temps de travail. Cela montre une certaine timidité et prudence de la part des forces politiques sur le sujet. Alors qu’une meilleure répartition du temps de travail est proposée par l’ensemble des forces politiques des gauches et écologistes dans le cadre de l’élection présidentielle (voir le IV.), nous proposons ici un dispositif chiffré d’incitation à la réduction collective du temps de travail dans une première phase d’une durée de quatre ans, avant d’aller vers une deuxième phase de généralisation de cette réduction collective du temps de travail à l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés.

Cette proposition de loi met en place un dispositif d’incitation pour les entreprises à diminuer le temps de travail de leurs salariés. Nous proposons d’exonérer une partie des cotisations patronales pour toutes les entreprises qui feraient passer le temps de travail de leurs salariés à une moyenne annuelle de 1460 heures travaillées (équivalent 32 heures hebdomadaires) et qui, pour compenser la diminution d’heures travaillées dans l’entreprise, devraient embaucher de nouveaux salariés. Cette incitation permettrait aux salariés des entreprises volontaires de définir une nouvelle manière de planifier leur vie professionnelle (4 jours par semaine, 1 semaine libre sur 5, 1 semaine longue‑1 semaine courte, 1 week‑end de 4 jours toutes les deux semaines, 1 mois libre sur 5, 1 année sabbatique tous les 5 ans, 4 années sabbatiques au cours de la vie professionnelle (comprises dans les 42 années de cotisation)).

L’exposé des motifs est construit de cette manière :

  1. Retour sur le passage aux 35 heures et situation actuelle en France et à l’étranger sur le temps de travail.
  2. Pourquoi faut‑il réduire le temps de travail ?
  3. Comment financer la réduction du temps de travail ?
  4. La réduction du temps de travail dans le débat public - positions de la société civile et des partis politiques.
  1. Retour sur le passage aux 35h et situation actuelle en France et à l’étranger sur le temps de travail

Depuis la révolution industrielle et grâce aux innovations technologiques, la productivité du travail n’a cessé d’augmenter. Elle a ainsi été multipliée par trois entre 1970 et aujourd’hui ([1]).

Bien que les lois Aubry (1998 et 2000) aient ramené la durée hebdomadaire légale du travail à 35h pour un salarié à temps complet, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à temps complet s’élève en France à 39h en moyenne ([2]). Par ailleurs, le temps de travail des salariés à temps partiel est plus élevé que dans d’autres pays et les travailleurs à temps partiel représentent environ 18,8 % ([3]) de la population active en France. Le salariat à temps partiel est majoritairement féminin ([4]) (30 % des femmes travaillent à temps partiel) et est une source de précarisation (85 % des emplois à temps partiel sont occupés par les femmes), avec en général des postes peu qualifiés et faiblement rémunérés. En Europe, la durée hebdomadaire de travail moyenne des salariés est équivalente en France (39h) et en Suède ; elle est supérieure à celle observée au Danemark (37h) et aux Pays Bas (37,2h) mais inférieure à celle observée en Allemagne (39,4h), en Espagne (39,2h) et en Italie (39,2h).

Avant les lois Aubry, 400 entreprises avaient bénéficié du dispositif de la loi Robien ([5]) de 1996 qui incitait à réduire le temps de travail en échange d’allègements de cotisations et sous réserve d’embauches équivalentes. Le dispositif que nous proposons dans la présente loi en est inspiré : un employeur qui réduirait le temps de travail de ses salariés à 1 460 heures en moyenne sur l’année verrait ses cotisations allégées sous réserve de son engagement à embaucher un certain nombre de nouveaux collaborateurs.

Aujourd’hui, une quarantaine d’entreprises françaises au moins pratiquent la semaine de quatre jours. Les témoignages qui en sont faits sont globalement positifs : plus de temps pour la vie privée, hausse de l’efficacité au travail, sentiment de responsabilité plus important pour les salariés et recrutement plus facile grâce à une meilleure marque employeur ([6]).

Les expérimentations de la semaine de 4 jours se multiplient aussi à l’international avec des résultats très prometteurs. L’Islande a testé la mise en place de la semaine de 4 jours pour quelques milliers de personnes dans le secteur public (bureaux, écoles, hôpitaux, …) avec de très bons résultats : une productivité en hausse, un bien‑être amélioré et un meilleur équilibre entre la vie personnelle et professionnelle. En Espagne, la réduction du temps de travail est aussi en cours d’expérimentation : semaine de 32 heures, sans perte de salaire et avec des aides financières de la part de l’État pour les 200 entreprises qui participent à cette expérience. Des réductions du temps de travail sont aussi expérimentées dans d’autres pays comme la Nouvelle‑Zélande ou la Belgique.

  1. Pourquoi faut‑il réduire le temps de travail ?
    1. Enrayer le chômage

Diminuer le temps de travail, c’est aussi mieux le partager. La France comptait en janvier 2022 2,55 millions de demandeurs d’emploi de longue durée ([7]) (catégorie A, B, C depuis plus d’un an), ce qui représente environ 8,8 % de la population active. Ce chiffre ne comprend pas le nombre de personnes qui ont un travail à temps partiel, ni les chômeurs de courte durée.

La perspective du retour d’une croissance forte permettant la création d’un grand nombre d’emplois paraît datée aujourd’hui. Un meilleur partage de l’emploi et des ressources peut en revanche résorber le chômage et la précarité. Dans l’histoire récente, la réduction du temps de travail a permis de créer des centaines de milliers d’emplois. Continuer à le réduire permettrait de mieux répartir le travail dans la société, surtout quand on sait que chaque année en France, 800 millions d’heures supplémentaires sont réalisées : l’équivalent de 500 000 emplois à temps plein.

L’entrée en vigueur des lois Aubry ([8]) en 1998 et 2000 a permis, d’après le rapport parlementaire de Barbara Romagnan en 2014 ([9]), la création de 350 000 emplois, alors même que la population active augmentait. La réduction du temps de travail à une moyenne de 32 heures par semaine permettrait, selon la CGT, la création d’environ 2 millions d’emplois. Le syndicat précise néanmoins que ce chiffre représente un potentiel maximum et que la situation dans les TPE ainsi que la hausse de productivité due à la réduction du temps de travail ne permettrait pas de créer autant d’emplois qu’en théorie. De son côté, le député européen Pierre Larrouturou estime à 1,6 million le nombre d’emplois pouvant être créés grâce à une meilleure répartition du temps de travail.

  1. Sortir de la précarité du temps partiel pour améliorer l’égalité femme‑homme

En France, 4,3 millions de personnes sont salariées à temps partiel, dont 39,9 % le sont faute d’obtenir un emploi à temps complet. C’est ce qu’on appelle le temps partiel “subi”. Ce temps de partiel subi se trouve souvent dans le secteur tertiaire et touche majoritairement les femmes, d’autant plus lorsqu’elles ont des enfants. La réduction du temps de travail permettrait de réduire fortement cette proportion de temps partiels subis en répartissant mieux le travail. Mais c’est aussi une mesure d’égalité femme‑homme !

En effet, en 2014, le revenu salarial des femmes était en moyenne 24,5 % inférieur à celui des hommes. À ce chiffre, les chercheurs apportent deux causes principales : le temps de travail et la ségrégation professionnelle. Concernant le temps de travail, le temps partiel explique au moins 11 % de l’écart entre le salaire mensuel des hommes et des femmes ([10]). Dans tous les pays, le temps partiel est principalement féminin et la France n’est pas en reste puisque 79,5 % du travail à temps partiel est aujourd’hui féminin. Aussi, près de 30 % des femmes travaillent à temps partiel contre 8 % des hommes ([11]). Ce temps partiel est pour partie choisi, mais il est surtout subi (prendre son mercredi pour garder ses enfants peut s’apparenter à un choix contraint). Lors du passage aux 35 heures, on a pu remarquer que les tâches quotidiennes étaient souvent (même s’il reste beaucoup de progrès à faire) mieux réparties entre les hommes et les femmes, permettant ainsi d’améliorer l’égalité dans la vie professionnelle comme dans la vie privée. La réduction collective du temps de travail est notamment défendue par le collectif “Pour une Parentalité Féministe”.

Finalement, la réduction collective du temps de travail est une mesure de lutte contre les inégalités puisqu’elle permet de faciliter la redistribution des tâches au sein du ménage, de mieux répartir le temps de travail, donc les salaires, et permet d’apporter un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

  1. Améliorer le bien‑être au travail et dans la vie

La réduction collective du temps de travail permet aussi d’améliorer la qualité de vie, aussi bien du point de vue professionnel que personnel. Elle offre par exemple un environnement professionnel plus serein et plus efficace.

En effet, passer moins de temps au travail augmente le temps de présence utile au bureau, et permet aussi un cadre et des relations de travail plus détendus avec de meilleures conditions physiques et mentales car avec plus de repos pour aborder les journées travaillées. Les retours d’expérience issus du passage aux 35 heures le montrent, que ce soit pour les nombreuses expérimentations de la semaine de 4 jours à l’étranger ou dans les entreprises françaises qui ont déjà adopté ce mode d’organisation. Quant au désir de travailler, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que la réduction du temps de travail a réduit l’attachement des Françaises et Français à leur travail, et l’exemple du passage aux 35 heures marque même une diminution de la fréquence des arrêts maladies et de l’absentéisme de courte durée ([12]). Finalement, passer moins de temps au travail ne veut pas dire accorder moins de valeur à notre travail et permet de multiplier notre potentiel de contribution à la société.

La réduction du temps de travail s’inscrit dans une logique globale de transition collective, une transition qui nous incite à repenser nos modes de production, de consommation, de déplacement, d’organisation de nos activités, … Elle accompagne une transition nécessaire de nos modes de vie, puisque nous allons devoir dans tous les cas transformer nos sociétés pour répondre aux enjeux du 21ème siècle, et notamment répondre à l’urgence climatique. Baisser le temps de travail permet d’accompagner ces transformations et de les encourager, et même d’après certains travaux de recherches, de potentiellement réduire nos émissions de gaz à effet de serre ([13]).

La diminution du temps de travail est un chemin vers un nouveau mode de vie plus résilient. Il permet de mieux répartir son temps entre la vie professionnelle et personnelle, de passer plus de temps avec sa famille, de s’engager dans des structures associatives et des projets locaux/de société. Moins travailler, ce n’est pas moins participer à la vie de la société, c’est contribuer différemment. Alors que les chantiers de la transformation de notre modèle de société sont multiples, le temps dégagé pourrait accélérer le développement, entre mille possibilités, de l’autoproduction alimentaire (en milieu rural), de la coopération (de consommation, jardins partagés, Amap, etc.), de la vie associative, de la vie politique (ex : crise de vocations des maires, 45 % d’entre eux pensent arrêter la politique ([14])) et des activités créatrices (artistiques, culturelles, de bricolage, etc.) ([15]). Sur toutes les expériences menées jusqu’à présent, le bien‑être des personnes augmentait significativement grâce au temps supplémentaire passé en famille et à s’occuper de la maison. D’après l’enquête “RTT et modes de vie” menée par Dominique Méda en 2001 juste après le passage aux 35 heures, 60 % des salariés interrogés considéraient que la réduction du temps de travail avait amélioré leurs conditions de vie, et notamment 72 % des femmes cadres interrogées ([16]). C’est donc aussi pour vivre mieux, produire mieux, consommer mieux et respecter les limites de notre planète que nous proposons de réduire le temps de travail.

La réduction du temps de travail est une évolution qui adviendra quoiqu’il arrive. La réduction “physique” du temps de travail est inéluctable (progrès technique, aspiration au bien‑être, …). C’est une transformation qu’il nous faut anticiper et accompagner. Nous proposons aux entreprises de se saisir de cette transformation en expérimentant de façon très souple la réduction du temps de travail pour leurs collaborateurs. Alors, plutôt que de subir ces changements, décidons collectivement de les opérer pour le bien du plus grand nombre.

  1. Comment financer la réduction du temps de travail ?

Le dispositif que nous proposons a été construit dans le but d’accorder plus de temps aux salariés pour leur vie privée, sans réduction de salaire, mais aussi sans coût nouveau pour l’entreprise. La réduction du temps de travail est compensée pour l’entreprise par de nouvelles embauches et les coûts de ces nouvelles embauches sont compensés par la réduction des cotisations patronales, sur le même principe que la loi Robien de 1996. Pour inciter au recrutement, les exonérations de cotisations sont conditionnées aux nouvelles embauches.

Pour en vérifier la faisabilité économique, nous avons réalisé des simulations à trois échelles :

       celle du salarié

       celle de l’entreprise

       celle de l’État

  1. Quel changement de situation pour les salariés ?

Pour le salarié, le temps de travail passera de 35 à 32 heures hebdomadaires en moyenne mais pourrait prendre d’autres formes :

-         semaine de 4 jours

- 1 semaine libre sur 5.

- 1 semaine longue, 1 semaine courte (pour les chauffeurs routiers par exemple).

- 1 week‑end de 4 jours toutes les deux semaines.

- 1 mois libre sur 5 (chercheurs, programmeurs en informatique…).

- 1 année sabbatique tous les 5 ans

- Possibilité de prendre 8 années sabbatiques au cours de la vie professionnelle (comprises dans les 42 années de cotisation)

La rémunération des salariés restera au même niveau. Ainsi, le salaire mensuel sera maintenu, et le salaire horaire sera mécaniquement augmenté.

  1. Quel impact pour les entreprises ?

Pour les entreprises, la hausse de la masse salariale (issue de l’embauche de nouveaux employés) sera compensée par des exonérations sur les charges patronales d’un ordre de grandeur équivalente aux nouveaux coûts. Le taux d’exonération pourra être défini par convention entre les entreprises ou branches d’entreprises et l’État, et encadré par un décret. Un taux d’exonération dégressif au fil des années est une option intéressante pour inciter les entreprises à se saisir de ce dispositif.

  1. Quelles évolutions au niveau national ?

Concernant les dépenses et recettes de l’État, la balance est positive à terme dans l’ensemble de nos simulations. À noter que ces calculs ont simulé les conditions du dispositif d’incitation que nous proposons et pas un passage généralisé aux 32 heures en moyenne par semaine.

Nous détaillons ci‑dessous 3 scénarios différents avec pour paramètres communs les hypothèses suivantes :

-         la valeur ajoutée s’améliore de 1 % du fait d’une meilleure productivité (valeur conservative au regard des expériences réalisées)

-         le taux d’absentéisme diminue (de 4 % à 2 %) après la réduction du temps de travail

-         le salaire moyen dans l’entreprise correspond au salaire moyen français (39 300 € brut)

Le paramètre qui varie dans les 3 scénarios est le salaire des personnes nouvellement embauchées du fait de la réduction collective du temps de travail :

-         scénario 1 : embauche au salaire moyen (39 300 € brut)

-         scénario 2 : embauche à 75 % du salaire moyen (1,5 SMIC)

-         scénario 3 : embauche à 60 % du salaire moyen (1,2 SMIC)

Nous considérons pour notre analyse économique globale qu’à moyen terme, près de 3 millions d’employés (10,6 % des emplois en France) passent à 32 heures par semaine en moyenne (réduction de 8,75 % du temps de travail) et que 260 000 personnes sont embauchées pour compenser cette réduction du temps de travail dans les entreprises. Avec ces chiffres et d’après nos calculs, nous pouvons présenter le tableau suivant :

 

Scénario 1

Scénario 2

Scénario

3

Nombre de nouveaux employés

260 750

260 750

260 750

Taux d’exonération (sur les cotisations patronales) théorique

18 %

10 %

3 %

Baisse des coûts du chômage (millions €)

3 419

3 419

3 419

Nouvelles recettes de cotisations salariales et patronales (millions €)

5 064

3 817

2 369

Coûts des exonérations de cotisations patronales (millions €)

‑7 184

‑3768

‑1 178

Nouvelles recettes d’impôt sur le revenu (millions €)

612

251

64

Nouvelles recettes de TVA via la hausse de la consommation (millions d’€)

40

40

40

Total (en millions d’€)

1 952

3760

4 715

Scénario 1 : Exonération de 18 %, salaire à l’embauche au salaire moyen (2 SMIC)

Scénario 2 : Exonération de 10 % des cotisations patronales, salaire à l’embauche 75 % du salaire moyen (1,5 SMIC)

Scénario 3 : Exonération de 4 %, salaire à l’embauche 60 % du salaire moyen (1,2 SMIC)

Dans le scénario 2, 260 000 personnes sont embauchées à 75 % du salaire moyen. Ces nouveaux salariés impliquent une hausse de la masse salariale dans les entreprises à hauteur de 3 768 millions d’euros. Pour compenser cette nouvelle dépense, les exonérations sur les cotisations patronales doivent atteindre 10 %.

Le taux d’exonération a été calculé afin de compenser exactement les dépenses induites par les recrutements. C’est pour cette raison que le taux d’exonération dépend du salaire à l’embauche. Plus le salaire à l’embauche est élevé, plus nous devons compenser fortement leur recrutement.

La même logique a été utilisée pour calculer les exonérations des autres scénarios : 18 % d’exonération si le recrutement se fait au salaire moyen français dans le scénario 1 et 4 % d’exonération si le recrutement se fait à 60 % du salaire moyen.

Quand on regarde finalement les nouvelles dépenses, les économies et les nouvelles recettes réalisées par l’État, les scénarios étudiés aboutissent à une balance positive de 1,9 à 4,7 milliards €, pour 260 000 chômeurs embauchés et près de 3 millions de salariés passant de 35 à 32h en moyenne sur une durée libre (4 semaines sur 5, 4 jours sur 5 etc.).

Ce sujet a beaucoup été évoqué ces derniers temps, surtout dans les tendances politiques de gauche. Il est pourtant trop peu l’objet de travaux académiques et économiques permettant d’étudier sa faisabilité. Aussi, il va de soi que notre évaluation économique gagnerait à être comparée et enrichie avec des travaux d’économistes, sociologues, analystes et chercheurs.

  1. La réduction du temps de travail dans le débat public - positionnements actuels et arguments de différents acteurs
  1. Société civile
    1. Coalition “Plus Jamais Ça”

La coalition Plus Jamais Ça est une alliance de syndicats et d’associations environnementales (CGT, Greenpeace, les Amis de la Terre, FSU, ATTAC, Oxfam, Confédération Paysanne et Solidaires) qui se sont réunies pour porter conjointement des mesures écologiques et sociales de rupture.

La réduction du temps de travail est l’une des mesures principales des différents plans que propose la coalition. Elle veut que le temps de travail de référence soit les 32 heures hebdomadaires sans perte de salaire ni flexibilisation. Dans le même temps et pour accompagner cette mesure, elle souhaite que les nouvelles embauches se fassent au maximum en CDI et avec un CDD plus encadré pour éviter les abus, ainsi qu’avec des “sur‑cotisations” pour les employeurs qui embauchent à temps partiel.

  1. Coalition “Pacte du Pouvoir de Vivre“

Le Pacte du pouvoir de vivre est une alliance de plus de 60 organisations, acteurs majeurs dans la protection de l’environnement, la lutte contre la pauvreté, le soutien aux migrants, le monde étudiant, le monde du travail, de l’éducation populaire, de la citoyenneté, de l’économie sociale et solidaire et de la mutualité.

Le Pacte propose la mise en place d’une banque du temps. Ce dispositif prendrait la forme d’un compte épargne temps attaché à chaque personne tout au long de sa vie. Ainsi, tout travailleur pourrait utiliser ce compte épargne temps pour réduire son temps de travail : temps partiel, semaine de 4 jours, retraite anticipée, …

  1. CGT : Le point sur les possibilités de financement de la réduction du temps de travail et des 32 heures

Dans sa note sur “Les possibilités de financement de la réduction du temps de travail et des 32 heures”, la CGT rappelle que ce qui compte pour l’employeur c’est le “coût salarial unitaire” et non pas le “coût du travail”.

La CGT s’oppose fortement au financement public du passage aux 32 heures par des exonérations sur les entreprises, arguant qu’à force d’exonérations, il n’y a plus rien à exonérer aujourd’hui au niveau du SMIC. Ils proposent par contre de différencier les entreprises entre TPE/PME qui auraient la priorité sur les aides publiques ou mécanismes fiscaux pour passer aux 32 heures par rapport aux grandes entreprises.

  1. CFDT, d’après un entretien de 2016 avec Hervé Garnier en charge du sujet au sein du syndicat

D’après la CFDT, la réduction du temps de travail n’est plus le sujet important quand on parle du travail. Passent avant les questions liées à la rémunération, à la pénibilité et aux conditions de travail. Le syndicat insiste sur le fait que lors du passage aux 35 heures, il n’y a pas eu d’attention assez forte aux nouvelles conditions de travail issues de cette réduction du nombre d’heures travaillées. Ils proposent une nouvelle approche se basant sur le compte‑épargne temps (CET), qui permettrait aux salariés de ‘stocker’ des jours de RTT et de les utiliser tout au long de leur carrière quand ils le souhaitent.

  1. MEDEF

Le syndicat des patrons n’aborde pas tellement le sujet du temps de travail hebdomadaire mais plutôt le temps de travail global. Il s’est notamment exprimé au moment de la réforme des retraites en demandant à ce que les salariés travaillent plus longtemps, le justifiant par l’équilibre des caisses de retraite. On imagine bien que la réduction du temps de travail ne fait pas partie des propositions plébiscitées par l’organisation.

  1. Partis Politiques
    1. La France Insoumise dans leur programme l’Avenir en Commun

Les Insoumis proposent plusieurs mesures liées à la réduction du temps de travail :

       La généralisation d’une 6ème semaine de congés payés

       Majorer les heures supplémentaires au‑delà de 35h (25 % pour les 4 premières et 50 % et plus au‑delà)

       Convocation d’une conférence nationale sur le partage du temps de travail pour aller vers les 32 heures

  1. Le pôle écologiste, programme pour l’élection présidentielle 2022

Les écologistes, à travers la candidature de Yannick Jadot, proposent eux de relancer la négociation (de branche ou d’entreprise) sur la réduction du temps de travail, en associant l’ensemble des partenaires sociaux, avec l’objectif d’aller soit vers les 32 heures lissables sur une année, via l’annualisation du temps de temps de travail, soit la semaine de 4 jours.

  1. Parti Socialiste

Dans le programme d’Anne Hidalgo, candidate à l’élection présidentielle pour le Parti Socialiste, il est indiqué que le temps de travail actuel ne sera pas remis en question, mais qu’une incitation pour les entreprises sera mise en place pour qu’elles puissent avancer sur sa réduction si elles le souhaitent. Anne Hidalgo propose aussi de mieux doter et rendre universel le Compte Épargne Temps (CET).

  1. Parti Communiste

Dans le cadre de l’élection présidentielle, le programme de Fabien Roussel, candidat du Parti Communiste, propose un “système de sécurité de l’emploi et de la formation”. Ce système permettrait d’alterner périodes d’emploi et périodes de formation, sans perte de revenu. Il propose également de réduire le temps de travail et de tendre vers une semaine de 32 heures travaillées.

V. Conclusion

Cette proposition de loi propose une première phase d’incitation à la réduction du temps de travail avant de se diriger dans une deuxième phase vers une généralisation pour les entreprises de plus de 500 salariés. Notre proposition est définie sur une durée de deux ans. Nous souhaitons pourtant que ce dispositif s’applique pour une durée de 4 ans, mais la nouvelle loi organique de financement de la sécurité sociale réserve aux lois de financement de la sécurité sociale le droit de créer ou modifier les mesures de réduction ou d’exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base établies pour une durée égale ou supérieure à trois ans. Ainsi, nous demandons au gouvernement d’inclure l’exonération de cotisations proposée dans ce dispositif au prochain PLFSS.

Le dispositif proposé permettra d’améliorer la qualité de vie des salariés et de proposer un emploi à de nouvelles personnes. Le taux de réduction des cotisations qui compensera l’embauche de ces nouvelles personnes pourra évoluer au fil des années.

Aussi, nous demandons au gouvernement d’ouvrir, dans un délai d’un an après la promulgation de cette loi, des négociations collectives dans la fonction publique (ensemble des agents, titulaires et contractuels, occupant un poste au sein de la fonction publique d’État, d’une collectivité territoriale, ou des établissements publics de santé) pour mettre en place à grande échelle la réduction du temps de travail. Un tel dispositif appliqué au secteur public offrirait de meilleures conditions de travail et pourrait contribuer à répondre à la crise actuelle de recrutement.

Pour beaucoup d’entreprises, il peut être compliqué de baisser le temps de travail car la difficulté de recrutement est réelle dans certains secteurs. Ainsi, dans le cas d’une généralisation du dispositif, nous souhaitons qu’il reste optionnel, incitatif et flexible pour les entreprises de moins de 500 salariés.

Finalement, le dispositif proposé dans cette proposition de loi est optionnel et incitatif. Il est défini dans les articles suivants.

L’article 1er instaure un dispositif d’incitation à la réduction du temps de travail. Ce dispositif permet de baisser le temps de travail annuel à 1 460 heures par an en moyenne ([17]), en mettant en place la semaine de 4 jours par exemple. La diminution du temps de travail de leurs collaborateurs et le recrutement en conséquence de nouveaux employés ouvrent aux entreprises le droit à une réduction des cotisations patronales. Cette baisse des cotisations permet à l’entreprise de ne pas augmenter ses dépenses en masse salariale, et aux salariés d’avoir plus de temps pour leur vie personnelle, pour un salaire équivalent. Cet allégement est défini pour une durée de 2 ans (même si nous sommes favorables à une durée de 4 ans, la loi organique du 27 janvier 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale réserve ce type d’exonération aux PLFSS). Le nombre minimum d’embauches permettant de bénéficier de réduction de cotisations sera défini par décret.

L’article 2 demande un rapport au Gouvernement dans un délai de trois ans après la mise en place de cette incitation, pour déterminer son impact sur la création d’emplois ainsi que sur le bien‑être des salariés en ayant bénéficié. L’objectif de ce rapport est d’envisager la généralisation de la réduction du temps de travail et de proposer une base de projet de loi allant dans ce sens.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Il est institué une incitation à la réduction collective du temps de travail à trente‑deux heures par semaine en moyenne, dont bénéficient les entreprises ou établissements dans lesquels, sous réserve du II, est fixée une nouvelle durée collective du travail, soit par un accord d’entreprise ou d’établissement, soit par application d’une convention ou un accord de branche étendu, ayant pour effet de réduire la durée de travail à 1 460 heures par an en moyenne.

II. – Cette incitation prend la forme d’un allègement des cotisations à la charge de l’employeur assises sur les gains et rémunérations des salariés concernés par l’accord ou la convention mentionné au I. L’allègement, qui peut être soumis à évolution, est accordé pour une durée de deux ans par convention avec l’État lorsque la réduction collective du temps de travail s’accompagne d’embauches, dans des conditions, notamment de délai, définies par ledit accord ou ladite convention. Pendant une durée de deux années, le niveau de l’effectif de l’entreprise ou de l’établissement doit rester au moins égal à celui atteint à l’issue de la période d’embauche.

III. – Un décret détermine les conditions d’application des I et II.

Article 2

Dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement présentant les résultats de la mise en œuvre du dispositif prévu à l’article 1er.

Ce rapport permet d’étudier la faisabilité de la généralisation de la réduction du temps de travail.

Article 3

La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Document de travail – Évolution tendancielle de la productivité du travail en France, 1976-2018

([2]) Durée moyenne hebdomadaire habituelle du travail dans l'emploi principal

([3]) Temps partiel − Emploi, chômage, revenus du travail | Insee

([4]) Réduire les inégalités de salaires entre femmes et hommes | Cairn.info

([5]) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000741799/

([6]) La semaine de quatre jours, positive pour les salariés… et pour l'employeur

([7]) Les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi | Dares,

([8]) Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail (1) - Légifrance

([9]) N° 2436 ASSEMBLÉE NATIONALE, p.81

([10]) Réduire les inégalités de salaires entre femmes et hommes | Cairn.info

([11]) Temps partiel − Emploi, chômage, revenus du travail | Insee

([12]) III. A. 3 N° 2436 - Rapport d'enquête de Mme Barbara Romagnan sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail,

([13]) Would shorter working time reduce greenhouse gas emissions? An analysis of time use and consumption in Swedish households - Jonas Nässén, Jörgen Larsson, 2015

([14]) Rapport du Sénat : "Être élu local en 2018"

([15]) Réduire le temps de travail, une nécessité écologique

([16]) https://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-enq/r2436.pdf, p.128

([17]) 35 heures hebdomadaires = 1600 h/an ; 32 heures hebdomadaires = 1460h/an