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N° 658 2e rectifié

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes
et covictimes de violences intrafamiliales,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Isabelle SANTIAGO, Valérie RABAULT, Olivier FAURE, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, MarieNoëlle BATTISTEL, Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Anna PIC, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Claudia ROUAUX, Hervé SAULIGNAC, Mélanie THOMIN, Boris VALLAUD, Roger VICOT

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Près de 400 000 enfants en France vivent dans un foyer où des violences intrafamiliales sévissent. Dans 21,5 % des cas, ils en sont directement victimes, dans tous les cas, ils en sont témoins ([1]).

Or, comme le rappelait Victor Hugo, « il n’est pas de violences sans lendemain ». Tous les témoignages reçus le confirment : les violences subies ou l’exposition à des violences dans l’enfance créent des souffrances physiques et psycho‑traumatiques extrêmes et durables.

Ces faits dramatiques appellent à une politique globale et ambitieuse de prévention, de repérage et de prise en charge des psycho‑traumastismes, mais également à un traitement judiciaire des violences intrafamiliales qui prenne mieux en compte l’intérêt de l’enfant et qui le protège plus efficacement du parent violent.

C’était bien dans cet objectif que Laurence Rossignol, ancienne ministre du président Hollande, avait présenté, le 1er mars 2016, un plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants avec ce slogan « Enfant en danger : dans le doute agissez ! ». Ce plan visait notamment déjà à :

 renforcer la protection des enfants dans les décisions de justice en matière d’autorité parentale dans le contexte des violences conjugales ;

 et reconnaître, dans le droit pénal, l’enfant en tant que victime de violences psychologiques lorsqu’il est exposé aux violences conjugales.

Depuis, après avoir longtemps minimisé les violences sur les enfants et leurs effets, la société brise peu à peu son silence et ses réticences « à se mêler des affaires des autres », et « texte » après « texte », la législation progresse. Les lois du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ont notamment permis :

 la suspension de plein droit de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour un crime envers l’autre parent ;

 la possibilité de retrait de l’autorité parentale du parent condamné pour un délit, et plus seulement pour un crime, commis sur son enfant ou sur l’autre parent.

Pourtant, ces dispositions restent insuffisantes. Elles démontrent, à elles deux, par leur incomplétude, à quel point les enfants restent en marge des réflexions législatives et politiques liées au thème des violences conjugales…

 dans le premier cas, comment envisager qu’un parent poursuivi pour des violences sexuelles incestueuses contre son enfant puisse conserver son autorité parentale et son droit de visite le temps de la procédure ?

 dans le second, comment imaginer qu’un parent condamné pour agression sexuelle sur son enfant ne se voit pas retirer automatiquement l’autorité parentale sur ses enfants ?

Face à cet enjeu majeur de société et de santé publique, il est temps de mener une lutte déterminée contre les violences intrafamiliales et d’assurer une protection complète des enfants qui en sont victimes.

Ainsi cette proposition de loi propose de renforcer les dispositifs juridiques existants en suspendant de plein droit l’autorité parentale du parent poursuivi pour agression (article 1er), et en lui retirant de manière systématique en cas de condamnation (article 2).

 Le temps de la procédure pénale, la suspension automatique de l’autorité parentale ne peut concerner uniquement les crimes contre l’autre parent : elle doit être élargie aux délits les plus graves, mais aussi, et surtout, aux crimes contre l’enfant luimême

Une procédure pénale peut s’étaler sur plusieurs années, et pendant tout ce temps il est nécessaire de protéger l’enfant de son parent suspecté d’être violent.

L’ordonnance de protection délivrée par le juge ne suffit pas toujours pendant le temps de la procédure : « 72,6 % des mères d’enfants mineurs obtenant une ordonnance de protection [ont été] contraintes d’exercer leur autorité parentale avec le conjoint, qui les a vraisemblablement violentées et mises en danger, elles et leurs enfants » démontre une enquête de 2019 ([2]). Afin d’éviter ces situations, il indispensable de suspendre de manière automatique l’autorité parentale jusqu’au jugement définitif dans certains cas.

Ainsi, la suspension de l’exercice de l’autorité parentale, ainsi que des droits de visite et d’hébergement, doit être automatique lorsque les violences sur l’autre parent ont entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours. Surtout, cette suspension s’impose dès lors qu’il y a une poursuite du parent pour viol ou agression sexuelle envers son enfant.

C’est l’objet de l’article 1er.

 En cas de condamnation, le retrait de l’autorité parentale ne peut être une simple possibilité : elle doit être rendue automatique pour certains crimes et délits

Enfin, lorsque le parent est condamné pour certains crimes et délits de violences intrafamiliales, l’autorité parentale n’a plus lieu d’être : « Un parent violent ne peut être un bon parent ». Selon l’article 371‑1, l’autorité parentale a pour finalité l’intérêt enfant, qui se trouve pourtant bafoué dès lors qu’un parent exerce des violences intrafamiliales. Pire, elle peut devenir un élément d’emprise sur son enfant ou sur l’autre parent.

Dès lors qu’un parent est condamné pour viol ou agression sexuelle contre son enfant ou pour un crime ou des violences ayant entrainé une incapacité totale de travail de plus de huit jours commis sur la personne de l’autre parent, il parait alors inconcevable de lui maintenir son autorité parentale. Le retrait doit être automatique.

C’est l’objet de l’article 2.

Cette proposition de loi n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions des violences intrafamiliales, mais à défaut d’un projet de loi transversal et d’une loi de programmation pluriannuelle du Gouvernement, que nous attendons depuis plusieurs années, elle propose de reprendre les mesures prioritaires identifiées par les acteurs afin de mieux, et vite, protéger les enfants victimes, directes ou indirectes, de violences intrafamiliales, physiques, sexuelles, incestueuses ou psychologiques. La navette parlementaire sera l’occasion, en concertation avec les parlementaires et le gouvernement, de la compléter.

Ces dispositions sont issues des travaux menés avec les associations de victimes en 2021, qui avaient été repris dans une proposition de loi par Marie Tamarelle‑Verhaeghe, mais qui seront restés vains puisque la proposition n’aura jamais été examinée, malgré les attentes fortes des acteurs. Elles sont également le fruit d’un travail étroit avec le Conseil National de la Protection de l’Enfance et suivent les recommandations de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE). Elles confirment ce que notre groupe a défendu à plusieurs reprises, par voie d’amendements sur différents textes ([3]).

Le temps de l’enfant, n’est pas le temps de l’adulte, il y a urgence à protéger les milliers de mineurs victimes d’incestes et de violences sexuelles en France !

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

L’article 378‑2 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le mot « crime », sont insérés les mots : « ou des violences provoquant une incapacité totale de travail de plus de huit jours » ;

2° Après la seconde occurrence du mot : « parent », sont insérés les mots : « , ou pour viol ou agression sexuelle, au sens des articles 222‑23 à 222‑26‑2 du code pénal, à l’encontre de son enfant, ».

Article 2

L’article 378 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ce retrait est automatique lorsque le parent est condamné, comme auteur ou coauteur, pour viol, au sens de l’article 222‑24, ou agression sexuelle, au sens de l’article 222‑28, contre la personne de son enfant, ou pour un crime ou des violences ayant entrainé une incapacité totale de travail de plus de huit jours commis sur la personne de l’autre parent, au sens de l’article 222‑13 du code pénal. »


([1])  Rapport du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur la ^politique de lutte contre les violences conjugales. Année 2019.

([2])  Jouanneau, Solène, Violences conjugales – Protection des victimes, Mission de recherche Droit & Justice, Octobre 2019, p. 285 – cité dans HCE, rapport violences conjugales 2020 (p. 114).

([3])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3939/AN/112 sur la loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, mars 2021.