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N° 1055

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE LOI, APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017 (n° 980),

 

PAR M. Joël GIRAUD,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 13
 

 

DÉfense :

 

PRÉPARATION DE L’AVENIR

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. François CORNUT-GENTILLE

 

Député

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SOMMAIRE

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Pages

I. La difficile évaluation de la mission défense

II. L’EXÉCUTION BUDGÉTAIRE 2017

A. 3,119 milliards d’euros de report de charges de 2016 à 2017

B. Les reports de crédits de 2016 sur 2017

C. Des transferts de crédits favorables à la Mission défense

D. Le décret d’avance du 20 juillet 2017

E. Le dégel du 26 décembre 2017

F. La faiblesse des recettes exceptionnelles en 2017

G. Une sous-estimation du poste carburant inobservée depuis 2012

H. Une masse salariale croissante malgré une sous exécution du plafond d’emplois

I. L’illusoire couverture interministérielle des surcoûts OPEX et MISSINT

J. 52 milliards d’euros d’engagements non couverts par des paiements au 31 décembre 2017

K. Aggravation du report de charges porté à 3,149 Mds€

III. Environnement et prospective de la politique de défense (Programme 144) en 2017

A. Renseignement : des dotations budgétaires accrues à effectif constant

1. La DGSE : 60 M€ supplémentaires par rapport aux prévisions

2. La DRSD, parent pauvre du renseignement en 2017

B. Prospective de défense

1. Analyse stratégique : au bonheur des études externalisées

2. Prospective des systèmes de forces : des crédits en hausse mais inégalement répartis

3. Les études amont encore loin du compte.

4. Le net recul de la coopération européenne de R&T

5. Les opérateurs sous tutelle de la DGA

a. ONERA

b. École polytechnique

c. ISAE

d. ENSTA ParisTech

e. ENSTA Bretagne

C. Relations internationales et diplomatie de défense

IV. Équipement des forces (Programme 146) en 2017

A. Dissuasion

1. Composante océanique

2. Composante aéroportée

3. Simulation

4. Transmissions stratégiques

B. Commandement et maîtrise de l’information

1. Commander et conduire

a. SCCOA

b. Systèmes d’information

c. Géographie numérique

2. Communiquer

3. Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître

a. MUSIS

b. CERES

c. ALSR

d. Les drones

e. Les avions radar

C. Projection – mobilité – soutien : la grande malmenée

1. Projection aérienne

a. A400M

b. Hélicoptères de manœuvre

2. Projection maritime

3. Projection et mobilité terrestres

D. Engagement et combat

1. Frapper à distance

a. MDCN

b. Rafale

c. Le Pod désignation laser NG

2. Opérer en milieu hostile

a. VBCI

b. Hélicoptère TIGRE

c. Torpilles

d. Missiles anti-navire

e. Les frégates

f. Sous-marins nucléaires d’attaque

g. SCORPION

h. MMP

i. Rénovation Mirage 2000-D

j. Rénovation ATL-2

3. Protection et sauvegarde

4. Les missiles air-air

5. La surveillance des approches maritimes

6. FSAF

7. Préparation et conduite des opérations d’armement

V. Droit de suite : le transport stratégique aérien en 2017

A. La projection de fret, faiblesse des capacités françaises

1. Un tiers de la projection de fret assuré par les moyens patrimoniaux en 2017

2. Un recours limité aux C17 et C130 alliés en 2017

3. L’affrètement couvre 56 % de la projection aérienne du fret militaire en 2017

B. La persistance des préoccupations

1. Un suivi financier toujours problématique

2. Une dépendance extérieure préoccupante

3. Le marché à bons de commande en question

4. L’accord-cadre en urgence

ANNEXES documents relatifs au contract ics

Travaux de la commission


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I.   La difficile évaluation de la mission défense

Le présent rapport d’évaluation de l’exécution des crédits 2017 de la mission Défense s’inscrit dans la volonté de la commission des finances de l’Assemblée nationale de renforcer l’évaluation des politiques publiques à l’occasion de l’examen de la loi de règlement. Cette démarche vertueuse, demandée depuis de nombreuses années par le rapporteur spécial, s’est concrétisée par l’audition de chaque ministre sur le bilan 2017 de leur ministère.

Cette démarche volontariste à l’initiative de la commission des finances impose pour sa réussite pleine et entière deux conditions :

– que l’ensemble des députés se saisisse de l’évaluation des politiques publiques qui ne doit pas relever de l’unique commission des finances ;

– que l’exécutif accepte d’être évalué par une instance autre que lui-même.

Sur ce dernier point, l’exercice mené sur les comptes 2017 marque une déception en ce qui concerne la mission Défense. Malgré une anticipation du calendrier des auditions par le rapporteur spécial, le ministère des armées a manifesté peu d’empressement à fournir les informations utiles pour une évaluation étayée.

Le 9 avril 2017 a été adressé au Ministère des armées un questionnaire de 65 questions portant sur l’exécution budgétaire 2017. Le 20 avril 2017 a été transmis au Parlement par voie électronique le rapport annuel de performance de la mission Défense. Début mai, a été établi le programme d’auditions des ministres par la commission des finances dans le cadre du printemps de l’évaluation, l’audition de la ministre des armées ayant été fixée au 4 juin, 16h.

Le 1er juin 2017, 31 réponses ont été transmises au rapporteur spécial. Le jour de l’audition de la ministre, le 4 juin, 5 réponses avec la mention « diffusion restreinte » et une réponse « confidentiel défense » ont été remises à 11 h ; 19 réponses et une réponse « diffusion restreinte » ont été transmises à 13h 45 ; une réponse partielle « diffusion restreinte » à 15 h 45.


Étaient sans réponse lors de l’audition de la ministre les questions suivantes :

Texte de la question

2

Présenter par titres et par programmes les AE et CP consommés dans le cadre de la mission défense en 2017, en justifiant les écarts constatés avec les AE et CP inscrits en LFI

14

Établir le montant des économies générées par le coût des facteurs en 2017, en précisant les principaux facteurs générateurs d’économie et ceux générateurs de surcoût. Indiquer la destination de ces économies

16

Présenter par titres (2, 3, 4, 5, 6 et 7) les AE et CP exécutés dans le cadre du programme 144 au cours de l’exercice 2017, en justifiant les écarts constatés avec les AE et CP inscrits en LFI

28

Documenter et analyser les indicateurs de performances de la DRM et de la DPSD pour l’exercice 2017

38

Présenter par titres (2, 3, 4, 5, 6 et 7) les AE et CP exécutés dans le cadre du programme 146 au cours de l’exercice 2017, en justifiant les écarts constatés avec les AE et CP inscrits en LFI

47a

Fournir une fiche pour chaque équipement mentionné en annexe, précisant les données suivantes au 31 décembre 2016 et au 31 décembre 2017 : Pour les équipements en service : dotation au sein des forces, engagement en OPEX, RETEX OPEX, date d’entrée en service, moyenne d’âge, date prévisible de retrait du service, taux de disponibilité, concept d’emploi, coût d’acquisition, coût de maintenance, coût de possession, coût d’infrastructures

54

Préciser les suites données au rapport d’information relatif au transport stratégique, présenté par la commission des finances de l’Assemblée nationale le 28 mars 2017. Indiquer les mesures prises par le CSOA pour optimiser le recours aux différents contrats d’affrètement de transport stratégique

55

Indiquer les recommandations faites par le contrôle général des armées sur le transport stratégique en janvier 2018 et les décisions organiques et individuelles prises en conséquence

56

Transmettre les notes, rapports et tout autre document relatifs au transport stratégique menés par le cabinet et les services du ministre de la défense avant mars 2017 et tels que mentionnés par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères dans son droit de réponse publié sur le site de France Inter le 10 mars 2018. Transmettre l’attestation également mentionnée dans ce droit de réponse relative à la destination du compte singapourien de la société ICS

Le cœur de l’évaluation de l’exécution 2017 des crédits de la défense porte sur l’analyse des écarts constatés entre les crédits inscrits en loi de finances initiale et ceux réellement consommés. Que ce soit pour la mission Défense dans son ensemble ou pour les deux programmes entrant dans le périmètre d’attribution du rapporteur spécial, le ministère des armées n’a pas donné suite aux questions. La lecture du seul rapport annuel de performance ne permet pas d’éclairer la représentation nationale, et à travers elle la Nation, sur la qualité de la dépense publique.

Certaines réponses reçues manifestent une certaine désinvolture de la part du ministère des Armées.

Ainsi est-il demandé à plusieurs reprises au rapporteur spécial de se reporter à la note d’analyse de l’exécution budgétaire de la Cour des comptes. Or, la Cour des comptes n’est nullement le porte-parole du Gouvernement en matière budgétaire. Il en va ainsi des conséquences capacitaires de l’annulation de 850 M€ de crédits d’équipement le 20 juillet 2017.

De même, l’usage abusif de la classification « diffusion restreinte », sans aucun fondement juridique, aboutit à des situations ubuesques : la question n° 1 était adressée au ministère des armées dans les termes suivants : « dresser le bilan de l’activité du ministère des armées en 2017. Pour chacune des opérations extérieures et intérieures, préciser les effectifs et matériels engagés ainsi que les principaux faits marquants. Pour chacune des armées, le SGA, le SEA, le SSA et la DGA, présenter les indicateurs de performances liés à leurs activités et capacités opérationnelles, les ETPT au 31 décembre 2016 et au 31 décembre 2017 tout en justifiant les écarts constatés avec la LFI pour 2017 ». La réponse transmise est accompagnée de la mention « diffusion restreinte » ne permettant pas au rapporteur spécial d’en faire état. Les crédits de la défense s’inscrivent donc dans une réalité que le ministère des armées ne souhaite pas voir publier.

Cette situation est d’autant plus aberrante que la plupart des éléments de réponse « classifiés » s’avèrent être un simple copier-coller de textes publiés dans le rapport annuel de performance 2017 que toute personne peut trouver sur internet à l’adresse : https ://www.performancepublique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2017/rap/pdf/RAP2017_BG_Defense.pdf

Ceci révèle le peu d’estime porté par le ministère des armées au contrôle parlementaire.

Concernant la disponibilité des matériels, depuis 2013, le rapporteur spécial s’évertue à questionner annuellement le ministère de la défense par le biais de questions écrites complétées le cas échéant par des questions budgétaires. Ces questions visent à apporter une information par équipements et non par familles d’équipement telles que proposées dans les rapports annuels de performances. En effet, à titre d’exemple, il est peu pertinent de disposer d’un taux moyen de disponibilité des hélicoptères d’attaque alors que le parc de l’aviation légère de l’armée de terre se partage entre les vénérables et rustiques Gazelle et les récents et sophistiqués Tigre. L’absence de réponse à la question n°47a fait écho à l’absence de réponse aux questions écrites posées par le rapporteur spécial début janvier 2018 sur la disponibilité 2017.

Comparé aux exercices passés, ce silence des armées sur la disponibilité des matériels en service est une véritable régression (tableau à jour le 05/06/2018 – 12 heures) :


 

Disponibilité 2017

Disponibilité 2016

Disponibilité 2015

Disponibilité 2014

 

Date

question écrite

Date

réponse

Date

question écrite

Date

réponse

Date

question écrite

Date

réponse

Date

question écrite

Date réponse

Aéronavale

09/01/2018

24/04/2018

03/01/2017

28/02/2017

09/02/2016

08/11/2016

13/01/2015

07/07/2015

Hélicoptère

09/01/2018

Sans réponse

03/01/2017

09/05/2017

09/02/2016

Sans réponse

13/01/2015

30/06/2015

Surveillance et défense anti-aérienne

09/01/2018

Sans réponse

29/08/2017

Info classifiée non publiée

16/08/2016

02/05/2017

13/01/2015

18/08/2015

Armée de l’air

09/01/2018

 

03/01/2017

28/02/2017

09/02/2016

22/11/2016

13/01/2015

16/06/2015

Bâtiments de surface Marine nationale

09/01/2018

24/04/2018

03/01/2017

09/05/2017

09/02/2016

14/06/2016

13/01/2015

05/05/2015

Sous-marins

Non posée

03/01/2017

Info classifiée non publiée

16/08/2016

Info classifiée non publiée

13/01/2015

09/06/2015

Véhicules terrestres

09/01/2018

Sans réponse

03/01/2017

11/04/2017

09/02/2016

24/01/2017

13/01/2015

28/07/2015

Équipements SEA

09/01/2018

20/02/2018

03/01/2017

07/02/2017

09/02/2016

03/05/2016

13/01/2015

29/09/2015

Équipements SSA

09/01/2018

24/04/2018

03/01/2017

09/05/2017

09/02/2016

19/04/2016

13/01/2015

07/04/2015

Matériels génie

09/01/2018

Sans réponse

03/01/2017

07/03/2017

09/02/2016

24/01/2017

13/01/2015

29/09/2015


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Ainsi, alors qu’à la même date en 2017, le rapporteur spécial disposait de la plupart des éléments, ceux-ci étaient manquants en 2018. De plus, la doctrine de classification des réponses évolue selon les années. Ainsi, pour les sous-marins et, désormais, pour les systèmes de surveillance et de défense anti-aériens, le ministère des armées tend à ne plus publier les données sous couverts de sensibilité des informations alors que celles-ci étaient accessibles les années passées. De tels revirements sont inexplicables.

Au final, l’information du Parlement par le ministère des armées tend à s’amenuiser portant atteinte à la capacité de contrôle et d’évaluation des politiques publiques du Parlement, mission pourtant reconnue par l’article 24 de la constitution.

En conséquence, les développements suivants sont issus de l’analyse du rapport annuel de performance et de travaux personnels du rapporteur spécial. Les réponses ministérielles tardives et parcellaires ont été exploitées tant bien que mal, ne permettant pas à ce rapport d’évaluation d’apporter une information précise et exhaustive aux citoyens également contribuables.


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II.   L’EXÉCUTION BUDGÉTAIRE 2017

Les résultats de l’exécution budgétaire des crédits alloués à la mission Défense démontrent, une fois encore, l’inutilité de la programmation des autorisations d’engagement en loi de finances. Alors que 58,8 Mds€ avaient été inscrits en LFI (pensions comprises), 43,9 Mds € ont réellement été consommés, soit 25 % de moins. Cet écart n’est pas une exception mais tend à s’amplifier au fil des exercices budgétaires. Cette situation, inacceptable au regard du principe fondamental de la sincérité des lois de finances, pourrait être interprétée comme une incapacité du ministère des armées à ne pas prendre ses désirs pour des réalités.

L’insincérité des lois de finances en ce qui concerne les autorisations d’engagement ne vaut pas pour les crédits de paiement. L’exécution tend ici à être au plus près des prévisions, à savoir 42,3 Mds€ (pensions comprises).

A.   3,119 milliards d’euros de report de charges de 2016 à 2017

Le report de charges de 2016 à 2017 sur l’ensemble de la mission défense s’est établi au-delà de 3 milliards d’euros, s’inscrivant dans une dérive amorcée fin 2011. Le programme 146 est le principal pourvoyeur du report de charges (55,8 %), suivi par le programme 178 (29,9 %)

L’importance du report de charges vient altérer la construction budgétaire initiale de chaque programme, en venant préempter des crédits prévus pour d’autres destinations, mais à des degrés divers :

Impact du report de charges sur l'annualité budgétaire
par programme en LFI

%

2013

2014

2015

2016

2017

P144

13,36

10,31

13,19

15,05

17,61

P146

23,17

28,42

30,45

19,92

17,27

P178

10,72

10,50

12,20

11,12

12,60

P212 hors T2

11,04

11,84

5,95

5,08

9,75

Moyenne Mission

16,87

18,75

19,36

15,03

14,88

Un report de charge signifie un retard de paiement et donc versement d’intérêts moratoires. Le logiciel CHORUS permet une rapidité de paiement en début d’exercices, venant atténuer l’impact final. Les documents budgétaires transmis au Parlement ne donnent que le montant des intérêts moratoires versés au titre du programme 146. Ceux-ci sont en nette baisse par rapport aux deux exercices précédents pour s’établir à 5 M€ :

Pour justifier ce recul de 43 %, le rapport annuel de performances précise que « ce montant s’explique principalement par le fait que le montant des demandes de paiements de 2016 payées en 2017 était inférieur de 23 % au montant des demandes de paiements de 2015 payées en 2016. Par ailleurs, ce stock de créances 2016 payé en 2017 était en moyenne moins ancien que celui de 2015 payé en 2016. Enfin, la réduction du montant des intérêts moratoires 2017 s’explique aussi par les actions entreprises par la direction générale de l’armement (DGA) sur le suivi du délai global de paiement et sur le traitement des factures anciennes ».

B.   Les reports de crédits de 2016 sur 2017

Par arrêté du 2 février 2017, 14,4 Mds € d’autorisations d’engagement ont été reportés de 2016 sur 2017. Ce volume représentant 40 % des autorisations d’engagement inscrites en loi de finances initiale pour 2016 hors pensions, tend à discréditer totalement la programmation budgétaire. Ces reports se répartissent comme suit :

Par arrêté du 28 mars 2017, 233,7 M€ d’autorisations d’engagement et 713,7 M€ de crédits de paiement ont été reportés de 2016 sur 2017 et répartis comme suit :

C.   Des transferts de crédits favorables à la Mission défense

La mission Défense a été faiblement impactée par les transferts de crédits entre missions budgétaires. Elle a contribué à hauteur de 62,70 M€ d’autorisations d’engagement et de 53,78 M€ de crédits de paiement pour le financement d’opérations relevant d’autres missions budgétaires. Dans le même temps, elle a été destinatrice de 93,51 M€ d’autorisations d’engagement et de 86,82 M€ de crédits de paiement issus d’autres missions budgétaires pour financer certaines actions. Soit, au final, un solde de + 30,81 M€ d’autorisations d’engagement et de + 32,58 M€ de crédits de paiement.

C’est le programme 144 qui est le plus impacté par les mouvements de transfert, notamment par deux décrets.

Le décret n°2017-806 du 5 mai 2017 transfère 71,70 M€ d’autorisations d’engagement et 66,80 M€ de crédits de paiement du programme 129 Coordination du travail gouvernemental au programme 144. Aucun rapport ne vient motiver ce décret, dans le respect des dispositions de l’article 56 de la LOLF qui dispose que « les décrets et arrêtés prévus par la présente loi organique sont publiés au Journal officiel. Il en est de même des rapports qui en présentent les motivations, sauf en ce qui concerne les sujets à caractère secret touchant à la défense nationale, à la sécurité intérieure ou extérieure de l'État ou aux affaires étrangères ».

Le décret n° 2017-1169 du 13 juillet 2017 procède au transfert du programme 144 vers le programme 192 Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle de 50 M€ d’autorisations d’engagement et de 40 M€ de crédits de paiement. Ce mouvement « couvre le financement de la mise en œuvre du régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID) destiné aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) de moins de deux mille salariés. Ce dispositif, lancé conjointement en mai 2009, par le ministre de l’économie et des finances et le ministre chargé de la défense, permet aux PME et ETI de bénéficier d’une subvention destinée à financer la réalisation de projets de recherche industrielle ou de développement expérimental à fort potentiel technologique, présentant des applications militaires et des retombées pour les marchés civils. Une instruction interministérielle prévoit la mise en œuvre de ce dispositif par la direction générale de l’armement en partenariat avec la direction générale des entreprises (DGE) ».

L’ampleur des transferts opérés n’est pas exceptionnelle. Chaque année, de tels mouvements (du programme 129 au programme 144 et du programme 144 au programme 192) sont opérés avec des montants similaires. Cette répétition et ces montants invitent à s’interroger sur la sincérité des crédits inscrits en loi de finances initiale.

D.   Le décret d’avance du 20 juillet 2017

Le 20 juillet 2017, par décret d’avances, ont été annulés 850 M€ de crédits de paiement sur le seul programme 146. À la suite de quoi le chef d’état-major des armées a démissionné.

Afin d’atténuer l’impact de cette annulation, le ministère des armées a d’abord profité du retard de certains programmes et du surcroît de trésorerie versé à certaines organisations comme l’OCCAR. Toutefois, il a été nécessaire de reporter des commandes, de renégocier certains contrats.

Toutefois, comme l’observe la haute juridiction financière, « l’annulation par le décret d’avance de juillet de 850 M€, associée au maintien de crédits gelés à hauteur de 700 M€, a conduit le P146 à rencontrer des difficultés de disponibilités de crédits de paiement dès le 20 octobre 2017 », date de la première facture dont le paiement n’a pu être réalisé en raison de l’insuffisance de crédits de paiement.

Ceci n’est pas sans impact sur l’équipement des forces comme le souligne la Cour des comptes : « à la suite des attentats du 13 novembre 2015, il avait été décidé en Conseil de défense en avril 2016 de financer entre 2017 et 2019 certains besoins de renforcement des capacités de renseignement, de protection du territoire national et liés à l’intensité des engagements en opérations extérieures. Les commandes qui n’avaient pas été réalisées en juillet 2017 ont été annulées en conséquence du premier décret d’avance14.

Les besoins les plus urgents ont certes été couverts par la procédure d’urgence opérationnelle ou reprogrammés en 2018 et 2019, mais dans les deux cas, des phénomènes d’éviction conduisent in fine à des réductions de paiements d’équipements avec les conséquences physiques associées.

D’autres besoins prioritaires qui avaient été programmés en 2017 ont également été remis en cause par l’annulation des 850 M€. La reprogrammation des besoins de premier degré de priorité15 reste à ce stade soumise aux disponibilités budgétaires qui pourront être identifiées en gestion 2018. Les autres besoins16 sont reportés sans visibilité sur leur échéance de commande effective et seront intégrés aux mouvements de reports et d’avancements de programmes de la future LPM en cours d’élaboration.

Tous les moyens utilisés pour réduire le besoin de paiement à hauteur des 850 M€ de CP annulés conduisent donc à des impacts physiques de réduction des équipements livrés aux forces, même si ces effets sont plus ou moins différés dans le temps en fonction des leviers mobilisés » ([1]).

Il a été demandé au ministère des armées des précisions sur la préparation et les conséquences capacitaires de ce décret. Les termes de la réponse manifestent une volonté manifeste et déplorable d’esquive.

Question PLR2017 n°008

Question : Indiquer les programmes d’équipement affectés par l’annulation de 850 millions d’euros de CP par le décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance. Préciser les modalités de préparation et d’exécution de cette annulation de crédits. Indiquer, pour chacun des équipements impactés, l’impact de l’annulation sur les capacités opérationnelles, sur le MCO et sur l’export

Réponse : Ces informations figurent en pages 21 à 28 de la note d’analyse de l’exécution budgétaire 2017 de la Cour des comptes pour la mission « Défense », sous les titres 1.2.3 Effets des gels et de l’annulation de juillet 2017 et 1.2.4 L’effet de l’annulation de 850 M€ sur l’équipement des forces est différé mais significatif

E.   Le dégel du 26 décembre 2017

Le 26 décembre 2017, ont été dégelés 700 M€. Si d’aucuns peuvent saluer cet effort budgétaire pour la mission Défense, au regard des exercices antérieurs, il convient cependant de s’interroger sur la qualité de la dépense ainsi générée dans l’urgence. Pour la cour des comptes, « la capacité à dépenser intégralement 700 M€ en quatre jours ouvrés pour le P146 et 75 M€ en deux jours ouvrés pour le P178 témoigne de la maîtrise du processus de dépenses. Cette performance ne dispense pas de s’interroger sur les contraintes que le manque d’anticipation du dénouement de la fin de gestion fait peser sur les gestionnaires de ces programmes et les moyens qu’il faut employer pour y parvenir ».

Comme pour le décret du 20 juillet 2017, le ministère des armées s’évertue à ne pas donner de précision :

Question PLR2017 n°009

Question : Indiquer les lignes budgétaires alimentées par le dégel de 700 millions d'euros de crédits de paiement de la mission défense annoncé fin décembre 2017 ainsi que les paiements effectivement réalisés jusqu'au 31 décembre 2017 à la suite de cette mesure

Réponse : Ces informations figurent dans la réponse apportée le 17 avril 2018 à la question n° 4408 de Monsieur le député Cornut-Gentille.

 

Question écrite n° 4408

Question publiée au JO du 9 janvier 2018 : M. François Cornut-Gentille interroge Mme la ministre des armées sur la fin de gestion de 2017. Au cours de la dernière semaine de l'exercice budgétaire 2017, il a été annoncé le dégel de 700 millions d'euros de crédits de paiement de la mission défense. Le Parlement n'ayant pas été destinataire d'une information officielle, il lui demande de préciser la date de cette mesure et d'indiquer les lignes budgétaires alimentées par ce dégel de crédits ainsi que les paiements effectivement réalisés jusqu'au 31 décembre 2017 à la suite de cette mesure

Réponse publiée au JO du 17 avril 2018 : La ministre des armées souhaite rappeler tout d'abord que son ministère a obtenu le dégel de 1,65 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,15 milliard d'euros en crédits de paiement (CP). Cette mesure de dégel, qui n'intervient d'ordinaire qu'en fin d'année, a été décidée au mois de juillet 2017, offrant ainsi une plus grande visibilité concernant la gestion de la trésorerie des programmes de la mission « Défense ». Le dégel des 700 millions d'euros (M€) de CP qui restaient gelés sur le programme 146 « Équipement des forces » est intervenu, quant à lui, le 26 décembre 2017. Ces crédits ont été utilisés en totalité sur les derniers jours de la gestion 2017, principalement au titre des budgets opérationnels de programme suivants : - « Avions de mission et de support » pour 195 M€, dont 159 M€ pour le programme A400 M ; - « Cœlacanthe », correspondant à l'ensemble des programmes concourant à l'étude et à la réalisation des systèmes nécessaires à la conduite de la mission de dissuasion nucléaire assurée notamment par la force océanique stratégique de la marine nationale, pour 147 M€, dont 100 M€ pour le programme de missiles mer-sol balistiques stratégiques ; - « Espace et systèmes d'information opérationnels » (ESIO) pour 126 M€, dont 36 M€ pour le programme de communication numérique tactique (CONTACT) et 16 M€ pour le système de commandement et de contrôle des opérations aériennes (SCCOA 3 et 4) ; et « Avions de chasse et équipements » pour 76 M€, dont 52 M€ pour des activités relatives au Rafale.

La somme des montants dégelés et explicités dans la réponse de la ministre des armées à la question écrite n° 4408 s’élève à 544 M€. Il manque donc 156 M€ injustifiés.

F.   La faiblesse des recettes exceptionnelles en 2017

Le 7 juillet 2017, devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale, la ministre des armées, Florence Parly, a déclaré : « nous allons prochainement désigner un nouveau DGA qui aura pour mission non seulement d’améliorer la qualité et de veiller à la modernité de nos équipements, mais également d’engager une profonde transformation visant à trouver des modes de financement innovants pour accélérer le renouvellement des matériels. » Au titre de ces financements innovants figurent notamment les recettes exceptionnelles. L’exécution 2017 de ces recettes exceptionnelles devrait cependant amener le ministère des armées à la plus grande prudence quant au développement des financements innovants.

Les recettes issues de cessions immobilières 2017 sont inférieures de 76,2 % à la prévision en loi de finances initiales : 42,20 M€ contre 177 M€. Aucune cession immobilière n’a été réalisée en 2017 sur les emprises parisiennes, contrairement aux attentes. Aussi, la Cour des comptes préconise de « limiter le recours aux ressources extrabudgétaires en programmation, incertaines dans leur montant et dans leur calendrier de réalisation [et] de supprimer tout recours à ce type de ressources pour assurer l’équilibre du financement de la mission Défense dans les lois de programmation militaire ».

G.   Une sous-estimation du poste carburant inobservée depuis 2012

Pour l’année 2017, les estimations du compte de commerce Approvisionnement de l'État et des forces armées en produits pétroliers, biens et services complémentaires était 45 $ le baril de brent pour une parité de 1,10 $ pour 1 euro, soit un baril estimé à 40,90 €. Ces chiffres établis en octobre 2016 sont apparus sous-estimés tout au long de l’exercice budgétaire.

Le cours du baril est resté constamment au-dessus de la barre de 50 $ à l’exception des mois de juin et juillet.

Source : série chronologique INSEE.


La parité $/€ a connu un basculement au printemps.