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N° 3186

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION
ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI,
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure ( 3117)

PAR M. Didier PARIS

Député

——

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR M. Loïc KERVRAN

Député

——

 

Voir le numéro : 3117.             


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos........................................................ 5

examen deS ARTICLES

Article 1er (art. 5 de la loi n° 2017–1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme) Prolongation dun an des dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT

Article 2 (art. 25 de la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement) Prolongation dun an de la technique de renseignement dite de l« algorithme »

Article 3 Application outre–mer

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION

De la défense nationale et des forces armées

COMPTE RENDU DES DÉBATS

COMPTE RENDU DES Débats DE LA COMMISSION de la dÉfense nationale et des forces armées


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Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi, soumis à notre examen, poursuit un objectif circonscrit : prolonger d’une année la durée de validité de différentes dispositions prévues par le code de la sécurité intérieure qui arrivent à échéance, en l’état du droit, le 31 décembre 2020.

Ces dispositions, expérimentales, ont pour finalité commune la prévention du terrorisme. Elles sont issues des lois du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) – les périmètres de protection, la fermeture temporaire des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires – (article 1er du projet de loi) et du 24 juillet 2015 relative au renseignement – technique de recueil de renseignement algorithmique (article 2, sur lequel la commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis).

La menace terroriste est toujours prégnante et l’État a besoin de ces outils pour assurer la sécurité des Français. Ayant fait la preuve de leur utilité, ils pourraient logiquement être pérennisés moyennant l’adoption d’un certain nombre d’ajustements, ainsi que les travaux de contrôle menés au sein de notre assemblée tendent à le démontrer. Il faudra donc examiner, au fond, chacune de ces mesures.

Cependant, la crise sanitaire qu’a connu notre pays en raison de la pandémie de COVID-19 a eu des conséquences multiples, y compris sur l’agenda parlementaire, qui rendent difficile un examen serein de ces dispositions au cours des prochaines semaines, ce que commande en théorie la date butoir du 31 décembre 2020. En outre, il parait opportun d’attendre, avant de se prononcer sur des évolutions de la technique algorithmique, la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne attendue à l’automne sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d’État suite à l’affaire Tele 2 Sverige, qui pourrait rendre nécessaires des ajustements substantiels du droit du renseignement.

 

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*     *


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   examen deS ARTICLES

Article 1er
(art. 5 de la loi n° 2017–1510 du 30 octobre 2017
renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme)
Prolongation dun an des dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article proroge d’une année la durée de validité des pouvoirs de police administrative issus des articles 1er à 4 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, c’est-à-dire les périmètres de protection, la possibilité de fermer temporairement des lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance et les visites domiciliaires.

Ces dispositions arrivent à échéance, en l’état du droit, le 31 décembre 2020.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programm              ation 2018-2022 et de réforme pour la justice a tiré les conséquences de deux décisions du Conseil constitutionnel ([1]) en modifiant à la marge la procédure afférente aux MICAS et en instituant un régime plus encadré de saisie des documents.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté un amendement de votre rapporteur visant à avancer la date de prorogation prévue par le projet de loi au 31 juillet 2020.

1.   Des outils de police administrative indispensables dans le cadre de la prévention du terrorisme

a.   Les périmètres de protection : une utilité opérationnelle indéniable

 Un dispositif encadré et déconcentré

L’article 1er de la loi SILT a introduit dans le titre II du livre II du code de la sécurité intérieure un nouveau chapitre VI relatif aux périmètres de protection, comprenant un article unique numéroté L. 226-1. Il prévoit que certains lieux et évènements soumis à un risque d’acte de terrorisme à raison de leur nature et de l’ampleur de leur fréquentation peuvent faire l’objet d’un périmètre de protection. Celui-ci est institué par le préfet, par un arrêté motivé, transmis au procureur de la République, pour une durée maximale d’un mois mais qui peut être renouvelée si les conditions sont toujours réunies.

L’arrêté préfectoral instituant un périmètre de protection doit nécessairement adapter les règles d’accès et de circulation des personnes au sein dudit périmètre aux « impératifs de leur vie privée, professionnelle et familiale ».

Outre les conditions d’accès et de circulation au sein du périmètre de protection, l’arrêté préfectoral doit préciser les vérifications auxquelles les personnes seront soumises pour y pénétrer et y circuler. En cas de refus de se soumettre aux vérifications, les personnes contrôlées se verront refuser l’accès ou seront reconduites à l’extérieur du périmètre, uniquement par des policiers nationaux ou des gendarmes.

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2017-695 du 29 mars 2018, a jugé conformes à la Constitution les périmètres de protection, qui participent de la lutte contre le terrorisme et ce faisant de l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public. Il a cependant formulé trois réserves d’interprétation :

– il appartient aux autorités publiques de s’assurer de l’effectivité continue du contrôle exercé par les officiers de police judiciaire sur les agents privés de sécurité susceptibles d’être associés aux périmètre de protection ;

– la mise en œuvre des mesures de vérification doit exclure toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes ;

– un renouvellement du périmètre ne saurait être décidé par le préfet sans que celui–ci établisse la persistance du risque.

 La disposition la plus utilisée de la loi SILT

Les périmètres de protection sont, de loin, le dispositif le plus utilisé des quatre premiers articles de la loi SILT : depuis l’entrée en vigueur de la loi, 528 périmètres ont été mis en œuvre.

périmètres de protection

 

Mesures nouvelles

Renouvellement

1e année dapplication

224

27

2e année dapplication

251

6

3e année dapplication (au 1er mai 2020)

53

0

Cumul depuis le 1er novembre 2017

528

33

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

Ce recours important aux périmètres de protection s’explique par le fait que leur mise en œuvre est relativement souple et qu’elle est décidée au niveau déconcentré. Dans la mesure où ils font faiblement griefs et qu’ils sécurisent des évènements importants, ils sont bien acceptés par la population ([2]).

Si l’on a constaté une légère augmentation de 13 % entre la première et la deuxième année, les données disponibles pour les six premiers mois de la troisième année d’application montrent un effondrement du recours aux périmètres de protection, imputable à l’épidémie de coronavirus, qui a entrainé d’importantes restrictions aux rassemblements. En effet, le dernier arrêté édictant un périmètre de protection remonte à la fin du mois de février 2020.

b.   Les fermetures temporaires de lieux de culte : une application parcimonieuse mais utile

 Une procédure robuste

L’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, créé par l’article 2 de la loi SILT, permet au préfet de prononcer la fermeture temporaire d’un lieu de culte.

Ce dispositif, qui porte incontestablement atteinte au libre exercice des cultes, est très encadré. Il ne peut intervenir qu’aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme et pour une durée qui ne peut excéder six mois. En outre, il fait l’objet d’une procédure protectrice puisque l’arrêté de fermeture est assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures, à l’expiration duquel la mesure peut faire l’objet d’une exécution d’office.

Il permet de fermer un lieu de culte dans lequel les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui s’y déroulent incitent à la violence, à la haine ou à la discrimination, à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. En pratique, comme l’a souligné le Gouvernement ([3]), la décision repose sur un faisceau d’indices tels que :

– des messages véhiculés de manière active (prêches, organisation de conférences, diffusion d’écrits, invitation de personnalités connues pour leur soutien à Daech, etc.) ou passive (renvoi à des idées ou théories par mise à disposition des fidèles d’ouvrages, de liens internet renvoyant à des sites prosélytes) ;

– les fréquentations : implication des membres dirigeant le lieu de culte ou de fidèles dans des organisations terroristes ou liens entretenus avec des individus en lien avec ces organisations ;

– les activités organisées au sein du lieu de culte (enseignement coranique exaltant les valeurs du djihad, activités sportives constituant des lieux d’endoctrinement ou d’entraînement au djihad, organisation d’une filière de combattants, activités de soutien aux personnes détenues pour des motifs en lien avec le terrorisme).

Dans sa décision n° 2017-695 QPC du 16 février 2018 précitée, le Conseil constitutionnel a reconnu que si la mesure de fermeture d’un lieu de culte portait atteinte à la liberté de conscience et au libre exercice des cultes, une telle atteinte n’en demeurait pas moins justifiée au regard de l’objectif poursuivi de prévention du terrorisme et proportionnée compte tenu de son encadrement.

 Une application parcimonieuse

Depuis l’entrée en vigueur de la loi SILT, seuls sept lieux de culte ont fait l’objet d’une fermeture administrative sur le fondement de l’article L. 227–1 du code de la sécurité intérieure :

– la mosquée « Dar Es Salam » à Aix-en-Provence, fermée par arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 16 novembre 2017, arrivé à échéance le 18 mai 2018 ;

– la salle de prière « salle des Indes » à Sartrouville, fermée par arrêté du préfet des Yvelines du 17 novembre 2017, arrivé à échéance le 20 mai 2018 ;

– la mosquée « As Sounna » à Marseille, fermée par arrêté du préfet de police des Bouches-du-Rhône du 11 décembre 2017, arrivé à échéance le 13 juin 2018 ;

– la salle de prière « Abu Darda » de Gigean, fermée par arrêté du préfet de l’Hérault du 14 mai 2018, arrivé à échéance au 16 novembre 2018 ;

– la salle de prière du « centre Zahra » à Grande-Synthe, fermée par arrêté du préfet du Nord du 15 octobre 2018, arrivé à échéance le 20 avril 2019 ;

– la mosquée « As-Sunnah » à Hautmont, fermée par arrêté du préfet du Nord du 13 décembre 2018, arrivé à échéance le 15 juin 2019 ;

– la mosquée « Al-Kawthar » à Grenoble, fermée par arrêté du préfet de l’Isère du 4 février 2019, arrivé à échéance le 7 août 2019. Le lieu de culte a rouvert le 11 août 2019.

Aucune fermeture n’a pour l’instant eu lieu lors de la troisième année d’application.

c.   Les MICAS

Selon les termes de l’article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure, aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, le ministre de l’intérieur peut prononcer une mesure individuelle de contrôle et de surveillance (MICAS) dès lors que plusieurs conditions sont réunies :

– il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne concernée constitue une menace dune particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics (critère cumulatif) ;

– cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme ;

– ou elle soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission dactes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes (critère alternatif).

Trois catégories d’obligations peuvent être imposées aux personnes faisant l’objet d’une MICAS.

Les mesures rassemblées à l’article L. 228–2 sont les plus restrictives de liberté. Il peut être demandé à la personne de :

– ne pas se déplacer à l’extérieur d’un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune ([4]). La délimitation de ce périmètre permet à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s’étend, le cas échéant, aux territoires d’autres communes ou d’autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ;

– se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d’une fois par jour ;

– déclarer son lieu d’habitation et tout changement de lieu d’habitation.

S’il n’est pas fait application des mesures prévues par l’article L. 228–2, le ministre de l’intérieur peut, en vertu de l’article L. 228–4, imposer les obligations suivantes :

– déclarer son domicile et tout changement de domicile ;

– signaler ses déplacements à l’extérieur d’un périmètre déterminé ne pouvant être plus restreint que le territoire de la commune de son domicile ;

– ne pas paraître dans un lieu déterminé, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée. Cette obligation tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée.

Indépendamment de la mise en œuvre des articles L. 228–2 et L. 228–4, le ministre de l’intérieur peut imposer à toute personne faisant l’objet d’une MICAS de ne pas se trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique.

 Des mesures limitées dans le temps

Eu égard à leur caractère restrictif de liberté et afin de prendre en compte la jurisprudence constitutionnelle sur les assignations à résidence, le législateur a décidé de fixer à 12 mois la durée maximale des MICAS.

Le tableau ci–dessous décrit les différentes étapes séquençant la durée maximale des différentes obligations issues des MICAS.

Renouvellement des micas

 

Début de la mesure

3 mois

6 mois

9 mois

L. 228–2

1ère décision

1er renouvellement

2ème renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

3ème renouvellement

(éléments nouveaux ou complémentaires)

L. 228–4

1ère décision

1er renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

L. 228–5

1ère décision

1er renouvellement (éléments nouveaux ou complémentaires)

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

 Les grands contours des MICAS ont été déclarés conformes à la Constitution

Par deux décisions des 16 février et 29 mars 2018 ([5]), le Conseil constitutionnel a partiellement censuré les dispositions ayant trait au contrôle que le juge administratif peut opérer sur les MICAS. Il a :

– censuré les dispositions limitant à un mois le délai dans lequel l’intéressé peut demander l’annulation de cette mesure et laissant au juge un délai de deux mois pour statuer, compte tenu de la nécessité de préserver le droit à un recours juridictionnel effectif, qui impose que le juge administratif statue sur la demande d’annulation dans de brefs délais. Cette censure est entrée immédiatement en application ;

– jugé contraire à la Constitution la possibilité laissée à l’autorité administrative de renouveler l’assignation à résidence sans qu’un juge ait préalablement statué, à la demande de la personne concernée, sur la régularité et le bien-fondé de la décision, la seule limitation prévue par la loi du recours en référé, limité au contrôle des atteintes graves et manifestement illégales à une liberté fondamentale, ne suffisant pas à préserver les droits de la personne. Le Conseil constitutionnel a reporté les effets de cette censure au 1er octobre 2018.

En conséquence, l’article 65 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a pris en compte ces censures en apportant les garanties requises.

 Un outil régulièrement utilisé depuis 2 ans et demi

Les MICAS ont été régulièrement utilisées depuis l’entrée en vigueur de la loi SILT. Elles ont favorisé la sortie de l’état d’urgence en assurant la continuité avec un autre dispositif de police administrative en vigueur dans ce cadre : celui des assignations à résidence.

micas

 

Mesures initiales

Abrogations

1ère année dapplication

73

13

2ème année dapplication

134

33

3ème année dapplication (au 19 juin 2020)

86

20

Cumul depuis le 1er novembre 2017

294

66

Source : commission des Lois de l’Assemblée nationale.

d.   Les visites domiciliaires : un régime strictement encadré mais dont l’intérêt opérationnel a été démontré

 Un régime strictement encadré

Aux termes des articles L. 229-1 et suivants du code de la sécurité intérieure, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Paris peut, sur saisine motivée du préfet de département, autoriser la visite d’un lieu ainsi que la saisie des documents et données qui s’y trouvent.

Cette visite est strictement encadrée puisqu’elle ne peut intervenir :

– qu’aux seules fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme ;

– et lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes.

La saisine du JLD est précédée d’une information du procureur de la République antiterroriste et du procureur de la République territorialement compétent, qui reçoivent tous les éléments relatifs à ces opérations. Le procureur de la République antiterroriste émet un avis sur la saisine.

La visite s’effectue sous l’autorité et le contrôle du JLD qui l’a autorisée.

Si la visite révèle l’existence de documents ou données relatifs à la menace, il peut être procédé à leur saisie ainsi qu’à celle des données contenues dans tout système informatique présent sur les lieux de la visite. À compter de la saisie, nul n’y a accès avant l’autorisation du juge.

Une inconstitutionnalité partielle

Dans sa décision du 29 mars 2018 précitée, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution à l’exception de celles relatives à la saisie de documents et d’objets.

En effet, à la différence du régime prévu pour la saisie et la conservation de données figurant dans les supports numériques, l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure ne soumettait lexploitation, la conservation et la restitution des autres documents et objets à aucune formalité particulière. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que ces règles méconnaissaient le droit de propriété ([6]).

Afin de tirer les conséquences de cette décision, l’article 66 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a étendu le régime procédural prévu pour les données informatiques aux documents présentant une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics.

 Une mise en œuvre mesurée, sous le contrôle exigeant du JLD

Depuis l’entrée en vigueur de la loi, 167 visites domiciliaires ont été effectuées, donnant lieu à 97 saisies.

Après quelques mois correspondant à une nécessaire appropriation d’un dispositif faisant intervenir plusieurs acteurs administratifs et judiciaires, les premières visites domiciliaires ont eu lieu en janvier 2018. Le dispositif est resté peu utilisé jusqu’aux attaques terroristes du 23 mars 2018 : à partir de cette date, les préfets ont davantage eu recours aux visites domiciliaires. En revanche, on constate, depuis près d’un an, un certain ralentissement, une vingtaine de requêtes seulement ayant été formées depuis le début de l’année 2020.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi SILT, le taux de rejet par les JLD est d’environ 18 %.

 Un intérêt opérationnel indéniable

Au 12 février 2020, 18 visites domiciliaires ont donné lieu à ouverture d’une enquête judiciaire. Une visite a permis de déjouer un attentat ([7]).

On relève, par ailleurs, que 6 projets de visite, élaborés et portés à la connaissance du parquet avant saisine du JLD, et 11 projets de visite domiciliaire, autorisés par le juge, ont été abandonnés au profit de perquisitions judiciaires.

2.   Des dispositions expérimentales

Lors de la première lecture du projet de loi SILT, le Sénat, à l’initiative de son rapporteur M. Michel Mercier, a conféré un caractère expérimental aux MICAS et aux visites domiciliaires jusqu’au 31 décembre 2021, compte–tenu de leur caractère très dérogatoire au droit commun.

Lors de l’examen à l’Assemblée nationale, sur proposition du rapporteur, M. Raphaël Gauvain, ainsi que des membres des groupes La République en Marche et Nouvelle Gauche, cette date a été avancée d’un an, au 31 décembre 2020. En commission mixte paritaire les deux rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat ont proposé de conférer également aux périmètres de protection et aux fermetures de lieux de culte un caractère expérimental.

Par ailleurs, ces mesures ont été soumises à un contrôle parlementaire renforcé. Aux termes de l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure : « L'Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises ou mises en œuvre par les autorités administratives en application des chapitres VI à IX du présent titre. Ces autorités administratives leur transmettent sans délai copie de tous les actes qu'elles prennent en application de ces dispositions. L'Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l'évaluation de ces mesures.  Le Gouvernement adresse chaque année au Parlement un rapport détaillé sur l'application de ces mesures. »

3.   Une opportune prorogation dans l’attente d’un projet de loi plus ambitieux

La présidente de la commission des Lois, Mme Yaël Braun-Pivet, ainsi que MM. Raphaël Gauvain et Éric Ciotti chargés avec elle du contrôle de la loi SILT, ont fait valoir à plusieurs reprises que les quatre premiers articles de cette loi ont montré leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Dans le même temps il apparaît que les services en font un usage parcimonieux et raisonné.

Différents ajustements pourraient néanmoins être proposés, comme l’ont suggéré les missions de contrôle menées tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat. Cette éventualité a été évoquée lors de l’audition du ministre de l’Intérieur par la commission des Lois organisée le 12 février 2020 sur le deuxième rapport du Gouvernement au Parlement relatif à la mise en œuvre de la loi du 30 octobre 2017 ([8]). Cela nécessite toutefois un examen approfondi, rendu difficile par la crise du coronavirus et par l’agenda législatif chargé qui en a résulté.

C’est la raison pour laquelle le présent article propose de reporter d’un an la date de l’expérimentation.

4.   La position de la Commission

Eu égard en particulier aux travaux de contrôle fournis par nos deux assemblées, il n’est pas apparu nécessaire de différer jusqu’au 31 décembre 2021 l'examen au fond des dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT. La Commission a donc adopté un amendement de votre rapporteur à cet article visant à proroger les dispositions de la loi SILT jusqu'au 31 juillet 2021 seulement.

*

*     *

Article 2
(art. 25 de la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement)
Prolongation dun an de la technique de renseignement
dite de l« algorithme »

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article vise à proroger d’un an la durée de validité de la technique de recueil de renseignement dite de l’« algorithme », introduite par la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui arrive à échéance, en l’état du droit, le 31 décembre 2020.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 17 de la loi du 30 octobre 2017 précitée a prolongé de deux ans la date de caducité de cette disposition, initialement fixée au 31 décembre 2018.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté deux amendements identiques de votre rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission de la Défense, M. Loïc Kervran, visant à avancer la date de prorogation prévue par le projet de loi au 31 juillet 2020.

1.   Une technique de recueil de renseignement relativement récente

En 2015, la loi relative au renseignement a introduit une nouvelle technique de recueil d’informations fondée sur les algorithmes, systèmes mathématiques de tri des informations numérisées.

Comme l’a souligné alors le rapporteur du projet de loi, M. Jean-Jacques Urvoas : « lobjectif poursuivi [au travers de la technique de lalgorithme] est (…) de pouvoir recueillir, traiter, analyser et recouper un grand nombre déléments techniques anonymes pour détecter des signaux de faible intensité sur les données brutes qui témoigneraient dune menace pesant sur la sécurité nationale. » ([9])

La technique de l’algorithme est régie par les dispositions de l’article L. 851–3 du code de la sécurité intérieure, qui comportent un certain nombre de garanties :

– une limitation à la seule finalité de la prévention du terrorisme ;

– un avis de la CNCTR sur la demande d’autorisation, sur les paramètres de détection retenus et sur la levée de l’anonymat en cas de détection d’une menace ;

– une autorisation initiale limitée à deux mois ;

– une levée de l’anonymat uniquement en cas de menace caractérisée ;

– une destruction des données exploitées dans un délai de 60 jours à compter du recueil, sauf en cas d’éléments sérieux confirmant l’existence d’une menace terroriste.

a.   Une application effective depuis 2017 seulement

Suite à la promulgation de la loi du 24 juillet 2015, un important travail de paramétrage a été mis en œuvre par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en lien avec le groupement interministériel de contrôle (GIC). Il importait, en effet, de définir le bon degré de précision des paramètres dalerte : « définir des paramètres trop restrictifs aurait abouti à un nombre quasi nul dalertes générées par les traitements automatisés. Au contraire, arrêter des critères trop larges aurait contribué à générer de nombreux hits sans intérêts opérationnel pour les services, avec le risque de ne pas être en capacité de traiter lensemble des alertes et de risquer de passer à côté dune menace réelle. Lobjectif des services est bien de minimiser le nombre dalertes » ([10]) .

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) a été consultée sur le projet d’architecture générale et, par une délibération classifiée adoptée en formation plénière le 28 juillet 2016, a rendu un avis au Premier ministre. Dans cet avis, favorable sous réserve du respect de garanties renforçant la protection de la vie privée, des observations et des recommandations avaient été formulées sur la procédure de collecte des données de connexion, les caractéristiques des données collectées, la durée de leur conservation, les conditions de leur stockage et la traçabilité des accès. ([11]) La CNCTR avait notamment préconisé que l’architecture générale du dispositif soit placée sous la responsabilité du GIC.

Dans une décision classifiée du 27 avril 2017, le Premier ministre a fixé les règles générales de mise en œuvre des algorithmes, en reprenant « lensemble des observations et des recommandations formulées par la CNCTR ». ([12])

Le 18 juillet 2017, la CNCTR a été saisie d’une première demande tendant à la mise en œuvre d’un algorithme. Elle a examiné cette demande sous l’angle juridique (afin de vérifier que le traitement envisagé correspondait bien à la définition légale donnée par l’article L. 851-3) et technique (afin de vérifier ses fonctions effectives, la commission s’étant assurée que l’algorithme, et notamment son code source, était conforme à la description qu’en faisait la demande). La commission a estimé que cette demande ne respectait pas les garanties préconisées dans son avis du 28 juillet 2016 et fixées par le Premier ministre dans sa décision du 27 avril 2017. Elle a donc émis un avis défavorable à cette première demande.

Le 25 septembre 2017, la CNCTR a été saisie d’une demande rectificative portant sur le même algorithme : elle a pris acte des mesures prises pour renforcer les garanties présentées par l’architecture générale de mise en œuvre du traitement envisagé et a émis un avis favorable à cette demande.

Le premier algorithme a donc été autorisé par le Premier ministre le 12 octobre 2017 seulement. À l’issue des deux premiers mois de fonctionnement, la CNCTR a émis un avis favorable à un premier renouvellement pour une durée de deux mois, puis à de nouveaux renouvellements dans le cadre du droit commun, pour une durée de quatre mois. Il est toujours en fonctionnement aujourd’hui.

Depuis la mise en œuvre de cet algorithme, la CNCTR a été conduite à rendre plusieurs avis sur des demandes d’accès à des données détectées ainsi que d’identification des personnes concernées.

Comme le souligne le Gouvernement dans son rapport au Parlement, en date du 30 juin 2020, sur l’application de l’article L. 853–1, « le premier traitement a (…) été modifié assez largement dans ses premiers mois de fonctionnement, en raison dun nombre encore trop élevé dalertes générées par le système. Ces ajustements, rapides, ont été très bénéfiques pour la préparation et la mise en œuvre des autres algorithmes ».

Deux nouvelles autorisations ont été accordées en 2018 :

– une seconde demande d’algorithme a été présentée à la CNCTR le 3 septembre 2018, qui a émis un avis favorable le 4 octobre. La mise en œuvre de cet algorithme a été autorisée le 8 octobre 2018 par le Premier ministre ;

– une troisième demande d’algorithme a été présentée le 13 septembre 2018 à la CNCTR, qui a émis un avis favorable le 17 octobre. La mise en œuvre de cet algorithme a été autorisée le 22 octobre 2018 par le Premier ministre.

b.   Des premiers résultats encourageants

Cet outil a fait l’objet d’une mise en œuvre relativement limitée puisqu’à la fin de l’année 2019, trois algorithmes avaient été mis en œuvre depuis l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2015 et étaient en fonctionnement.

D’après les informations transmises par le Gouvernement, la vocation de l’algorithme est double : il permet à la fois d’alléger la surveillance sur les objectifs du bas du spectre et leur entourage ou en fin de suivi tout en assurant un meilleur contrôle de ces individus et de mieux orienter les enquêteurs dans leur stratégie d’investigation.

2.   Une technique de recueil de renseignement expérimentale

Le recours à l’algorithme figurait déjà dans le projet de loi initial relatif au renseignement soumis au Parlement en 2015. Il a ensuite été rendu expérimental, pour une première période de trois ans, par un amendement du Gouvernement lors de l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée nationale, avec avis favorable de la Commission ([13]). Cet amendement visait à « dissiper les inquiétudes qui pourraient subsister ».

Afin d’en évaluer la pertinence et d’éclairer le Parlement sur l’opportunité d’en proroger l’usage, l’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 prévoyait un rapport sur son application au plus tard le 30 juin 2018.

Eu égard à la mise en œuvre tardive du premier algorithme, la loi du 30 octobre 2017 précitée a prorogé de deux années l’expérimentation en cours de cette technique et, en conséquence, a reporté au 30 juin 2020 la remise du rapport d’application ([14]).

3.   Une opportune prorogation dans l’attente d’un projet de loi de fond

Comme l’a montré le récent rapport de la mission d’information relative à l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 menée, au nom des commissions des Lois et de la Défense réunies, par nos collègues Jean–Michel Mis, Guillaume Larrivé et Loïc Kervran ([15]), il existe un débat sur l’opportunité ou non de pérenniser l’algorithme, en fonction, en particulier, des extensions qui pourraient y être apportées.

Cette question n’est pas tranchée. Elle ne peut d’ailleurs pas l’être de manière définitive avant que la CJUE ne se soit prononcée sur les questions préjudicielles posées par le Conseil d’État suite à l’arrêt Tele 2 Sverige du 21 décembre 2016. En effet, si la Cour venait à confirmer sa jurisprudence, la technique algorithmique serait l’une des seules solutions permettant de suppléer aux difficultés que représenterait la disparition de certaines techniques de renseignement actuellement utilisées par les services.

Le contentieux Tele 2 Sverige

Dans son arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige et Watson e.a., la CJUE a estimé qu’une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de données était, en elle-même, contraire au droit de l’Union. Elle n’a ainsi pas suivi l’avis de la Commission et des nombreux États membres intervenus à l’instance qui estimaient qu’une telle conservation généralisée était conforme au droit de l’Union, sous réserve qu’elle respecte strictement certaines conditions.

La CJUE a jugé qu’une conservation généralisée et indifférenciée de l’ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux. Elle a cependant admis que serait conforme au droit de l’Union une réglementation permettant, à titre préventif, la conservation ciblée des données de connexion, à des fins de lutte contre la criminalité grave, à condition que cette conservation soit – en ce qui concerne les catégories de données à conserver, les moyens de communication visés, les personnes concernées ainsi que la durée de conservation retenue – limitée au strict nécessaire.

Ainsi, cette décision Tele2 Sverige, si elle devait être confirmée, remettrait notamment en cause les techniques nécessitant le recueil, en temps différé, de données de connexion conservées par les opérateurs, qui font l’objet de près de 40 000 demandes par an.

La décision Tele2 Sverige a suscité de nombreux renvois préjudiciels de juridictions nationales, ce qui est inédit. S’agissant de la France, le Conseil d’État a été saisi par plusieurs associations de recours tendant à l’annulation ou à l’abrogation de quatre décrets pris pour l’application des articles L. 851-1 à L. 851-4 du code de la sécurité intérieure, ainsi que de dispositions réglementaires prises pour l’application de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Dès lors, il apparait opportun de proroger de quelques mois l’expérimentation de l’algorithme, avant l’examen d’un projet de loi permettant d’aborder au fond les ajustements nécessaires.

4.   La position de la Commission

La Commission a adopté deux amendements identiques à cet article de votre rapporteur et du rapporteur pour avis de la commission de la Défense, M. Loïc Kervran, visant à fixer au 31 juillet 2020 le terme de l’expérimentation de la technique algorithmique. Pour les mêmes raisons qu’évoquées à l’article 1er du projet de loi, votre Commission a estimé que cette prolongation serait suffisante pour envisager un débat de fond serein au cours des prochains mois.

*

*     *

Article 3
Application outre–mer

Adopté par la Commission sans modification

Le présent article rend applicables les deux prolongations prévues par les articles 1er et 2 du projet de loi dans les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle–Calédonie.

Cet article n’a fait l’objet d’aucune modification lors de son examen par la Commission.


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION

   De la défense nationale et des forces armées

L’article 2 du projet de loi de prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, dont la commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis, vise à étendre d’un an, jusqu’au 31 décembre 2021, la possibilité de recourir à titre expérimental à une technique de renseignement communément appelée « algorithme », prévue par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Cette disposition expérimentale devait initialement rester en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018. Compte tenu de la mise en application tardive du premier algorithme, l’expérimentation a été prorogée par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi « SILT », jusqu’au 31 décembre 2020. Sans intervention du législateur d’ici à la fin de cette année, l’expérimentation ne pourra donc pas se poursuivre.

L’article 2 du projet de loi qui nous est soumis soulève deux questions majeures :

– faut-il proroger ou mettre un terme à ce dispositif expérimental qui arrive à échéance à la fin de l’année ? Il s’agit là à la fois d’une question de besoins opérationnels et d’une question d’équilibre entre sécurité et libertés ;

– si ce dispositif doit être prorogé, pour combien de temps et dans quel périmètre doit-il l’être ?

I.   Faut-il proroger l’expérimentation de la technique algorithmique ?

A.   L’algorithme, une technique de renseignement spécifique

1.   Définition et champ d’application de l’algorithme

L’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure définit la technique algorithmique comme « la mise en œuvre sur les réseaux de traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres [précis ([16])], à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. » Cet article prévoit que la mise en œuvre d’algorithmes peut être imposée aux opérateurs de communications électroniques et aux fournisseurs de services sur internet.

Le champ d’application des algorithmes s’étend aujourd’hui à l’équivalent des données de facturation des communications classiques – appels téléphoniques, SMS, consultations de répondeur – des opérateurs téléphoniques français. Il ne s’agit que de données de connexion conservées pendant vingt-quatre heures maximum pour être traitées par les algorithmes.

2.   Un dispositif certes spécifique mais qu’il convient de démythifier

Si les techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015 s’exercent de manière individualisée, l’algorithme fait à cet égard figure d’exception : son objectif est de recueillir, traiter, analyser et recouper un grand nombre d’éléments techniques anonymes pour détecter des signaux de faible intensité sur les données brutes qui témoigneraient d’une menace pesant sur la sécurité nationale.

L’algorithme est spécifique mais il convient toutefois de le démythifier : ainsi que l’ont expliqué le rapporteur pour avis et ses collègues membres de la mission d’information sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 dans leur rapport d’information du 10 juin 2020 ([17]), il ne s’agit pas d’un outil de surveillance de masse mais bien d’un instrument de détection ciblée des signaux faibles. Cette détection est ciblée en ce qu’elle est effectuée en fonction de paramètres déterminés, dans un seul objectif : révéler une menace terroriste. Il s’agit d’un outil de détection précoce de la menace qui, par essence, est diffuse et évolutive. Comme le rappelle le Gouvernement dans l’étude d’impact du projet de loi, en matière de lutte contre le terrorisme, l’enjeu crucial consiste à être en mesure de détecter une menace dont les auteurs et les modes opératoires ne sont pas connusauteurs qui ne peuvent, par définition, faire l’objet d’une surveillance ciblée a priori –, ce afin de caractériser et d’évaluer cette menace : « Les dispositifs de nature algorithmique visent ainsi à repérer et à discriminer sur les réseaux de communications électroniques des données caractéristiques de comportements typiques d’organisations et de cellules terroristes afin d’identifier des menaces et d’engager, le cas échéant, des mesures de surveillance individuelle aussi précisément ciblées ([18])» que possible.

Le Gouvernement rappelle le fait que de nouveaux comportements sont apparus, à la faveur d’une vaste propagande terroriste et de l’émergence de nouveaux moyens de communication électroniques : les actes terroristes sont de plus en plus souvent commis par des individus qui s’inspirent des messages de propagande de certaines organisations incitant au passage à l’acte et fournissant des instructions pour ce faire, sans que ces individus soient en contact direct avec ces organisations. Ces individus échappent ainsi à toute détection par le biais d’une surveillance ciblée.

B.   Un Équilibre entre sécurité et libertés publiques

En contrepartie du caractère spécifique de la technique algorithmique, le recours à cette dernière est non seulement entouré des garanties prévues pour l’ensemble des techniques de renseignement mais également très spécifiquement encadré.

1.   Une technique qui ne peut être utilisée qu’au titre de la finalité de prévention du terrorisme

Tout d’abord, un algorithme ne peut être utilisé qu’au titre de la finalité ([19]) de prévention du terrorisme. Or, la menace terroriste se maintient à un niveau élevé. En février 2020, on recensait 61 attentats déjoués depuis le 15 octobre 2013. Depuis le mois de janvier 2020, trois attaques ont été perpétrées, dont deux pendant le confinement : le 3 janvier à Villejuif, le 4 avril à Romans-sur-Isère et le 27 avril dernier à Colombes.

2.   Un dispositif très encadré

Ensuite, comme pour les autres techniques de renseignement, la mise en fonctionnement d’un algorithme par les services de renseignement suppose une autorisation du Premier ministre, accordée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La commission de contrôle, qui est une autorité administrative indépendante, est consultée aussi bien sur l’architecture de chaque algorithme que sur toute modification apportée à cette architecture. Pour ses vérifications, elle a accès au code source qu’elle analyse avec ses experts indépendants. Et ce n’est que si l’algorithme détecte des données susceptibles de caractériser l’existence d’une menace à caractère terroriste que le Premier ministre peut autoriser, après une nouvelle consultation de la commission de contrôle, l’identification des personnes concernées et le recueil des données afférentes. Les données exploitées doivent impérativement être détruites dans les deux mois, sauf en cas d’éléments sérieux confirmant l’existence d’une menace terroriste. La loi a aussi prévu une voie de recours devant une formation spécialisée du Conseil d’État, ouverte à la CNCTR comme à toute personne souhaitant vérifier que la technique de l’algorithme n’a pas été irrégulièrement mise en application à son encontre.

Le dispositif algorithmique est donc extrêmement protecteur, à l’opposé des « boîtes noires » que certains voudraient y voir.

C.   L’intérêt opérationnel de l’algorithme

1.   Un dispositif qui a nécessité des ajustements techniques avant d’être mis en fonctionnement

Si le dispositif a été instauré en juillet 2015, il n’a commencé à être utilisé par les services de renseignement qu’à compter d’octobre 2017. Désormais, trois algorithmes ont été autorisés et sont en fonctionnement.

Dans le rapport qui a été remis au Parlement le 30 juin dernier sur le fondement de l’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 ([20]) et qui fait état de l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, le Gouvernement indique que les années 2015 et 2016 ont été « marquées par d’intenses travaux techniques et des échanges nourris avec la CNCTR ». Le Gouvernement précise que ce sont la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui ont travaillé au paramétrage des algorithmes, en lien avec le groupement interministériel de contrôle (GIC) – service de centralisation des données collectées placé auprès du Premier ministre. Pour que les algorithmes soient pleinement utiles, il fallait, indique le rapport remis au Parlement, que leurs paramètres d’alerte soient définis de manière suffisamment précise – c’est-à-dire ni trop ni trop peu précise ([21]) – et que la qualité des données traitées par les algorithmes soit suffisante ([22]). Il aura donc fallu plusieurs allers-retours entre les services de renseignement et la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement avant que le premier algorithme soit mis en œuvre, en octobre 2017. Le Gouvernement indique en outre que le premier algorithme « a été modifié assez largement dans ses premiers mois de fonctionnement, en raison d’un nombre encore trop élevé d’alertes générées par le système. Ces ajustements, rapides, ont été très bénéfiques pour la préparation et la mise en œuvre des autres algorithmes ». Au vu de leurs résultats, les trois algorithmes ont fait l’objet de demandes de renouvellement, de deux mois la première fois puis de quatre mois les fois suivantes.

2.   Des résultats particulièrement utiles sur le plan opérationnel

Si les résultats obtenus au moyen de ces algorithmes sont protégés par le secret de la défense nationale, le Gouvernement indique néanmoins dans l’étude d’impact du projet de loi que ces derniers ont notamment permis d’identifier des individus porteurs d’une menace terroriste, de détecter des contacts entre des individus porteurs de menace, de mettre à jour des comportements d’individus connus des services de renseignement et d’améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste. Le Gouvernement indique dans son rapport que l’algorithme « a montré qu’il était en mesure de fournir des informations particulièrement utiles sur le plan opérationnel ». Il « permet d’alléger la surveillance sur les objectifs du bas du spectre et leur entourage ou en fin de suivi. (…) D’autre part, ce capteur est un indicateur opérationnel déterminant pour orienter l’enquêteur dans sa stratégie d’investigation concernant le suivi d’un objectif. »

Le rapporteur pour avis a eu accès, en tant que membre de la Délégation parlementaire au renseignement, au rapport classifié transmis par le Gouvernement à cette délégation et faisant le bilan de la technique de l’algorithme : il estime que ce rapport confirme de manière plus étayée et détaillée l’intérêt opérationnel de la technique algorithmique.

3.   Un outil qui pourrait s’avérer indispensable si la jurisprudence Tele2 Sverige AB de la CJUE devait être confirmée

Si l’algorithme a fait la preuve de son utilité opérationnelle, il pourrait s’avérer indispensable si la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) venait à confirmer sa jurisprudence du 21 décembre 2016 tendant à remettre en cause l’obligation, pour les opérateurs de télécommunications, d’assurer une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation des utilisateurs de réseaux de communication. Pour mémoire ([23]), dans son arrêt du 21 décembre 2016, Tele2 Sverige AB et Watson e. a., confirmé depuis dans l’arrêt Ministerio fiscal du 2 octobre 2018, la CJUE a jugé qu’une réglementation nationale prévoyant, à des fins de lutte contre la criminalité, une conservation généralisée et indifférenciée de l’ensemble des données relatives au trafic et des données de localisation de tous les abonnés et utilisateurs inscrits concernant tous les moyens de communication électronique constituait en soi une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux.

Cet arrêt a fait l’objet de questions préjudicielles de plusieurs juridictions nationales et devrait donner lieu à une nouvelle décision de la Cour à l’automne. Si la décision du 21 décembre 2016 devait être confirmée, elle aurait des conséquences majeures pour les services de renseignement dans la mesure où elle remettrait en cause la possibilité de recourir à toutes les techniques de renseignement nécessitant la conservation des données, c’est-à-dire à toutes les techniques de renseignement ne fonctionnant pas en temps réel. Or, c’est précisément l’un des avantages de l’algorithme que de fonctionner en temps réel. Comme le souligne le Gouvernement dans l’étude d’impact du projet de loi, « cette technique de renseignement échappe au champ d’application de la directive 2002/58 /CE du 12 juillet 2002 concernant le traitement de données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques », directive ayant donné lieu à la décision Tele2 Sverige AB.

4.   Un outil utilisé par d’autres puissances étatiques

Enfin, il importe de souligner que l’algorithme est un outil utilisé par d’autres puissances étatiques. C’est notamment le cas au Royaume-Uni depuis l’Investigatory Powers Act ([24]) de novembre 2016.

La législation britannique en matière de technique algorithmique

La partie 6 de l’Investigatory Powers Act du 29 novembre 2016 précise les finalités au titre desquelles les traitements automatisés sur des données de connexion peuvent être mis en œuvre. Ces finalités tiennent à l’intérêt de la sûreté nationale, à la prévention ou à la détection de la criminalité grave ainsi qu’à l’intérêt du bien-être économique du Royaume-Uni.

Les autorisations de mise en œuvre des traitements automatisés sont délivrées dans le cadre d’un mandat global visant des objectifs en matière de prévention des menaces qui est délivré par le ministère de l’intérieur, après avis conforme d’un juge, le Judicial commissioner. Les données recueillies ne sont pas soumises à une durée de conservation spécifique mais l’ensemble du processus est soumis au contrôle d’une autorité administrative indépendante, l’Investigatory Powers Commissioner. L’encadrement du dispositif est beaucoup moins strict au Royaume-Uni que ne le prévoit la législation française qui, d’une part, prévoit plusieurs niveaux d’autorisation après avis de la CNCTR pour pouvoir surveiller un individu sur le fondement d’une détection au moyen d’un algorithme et, d’autre part, restreint les algorithmes à la finalité de lutte contre le terrorisme.

On peut également citer, toujours en Europe, la législation néerlandaise qui prévoit la mise en œuvre de traitements automatisés sur des données de connexion à des fins de détection des menaces « pour l’existence continue de l’ordre démocratique, la sécurité ou les autres intérêts vitaux de la Nation ». Les articles 48 à 50 de l’Intelligence and Security Services Act ([25]) du 26 juillet 2017 précisent que ces autorisations sont délivrées pour une durée de trois mois. Ces traitements ne peuvent être mis en œuvre sur le contenu des télécommunications. Les données collectées peuvent être conservées pour une durée maximale de trois ans et doivent être détruites dès qu’il apparaît qu’elles ne sont pas ou plus pertinentes.

On constate ainsi que la législation de ces États membres de l’Union européenne utilisateurs de la technique algorithmique est moins limitative que la législation française au regard des finalités pouvant motiver le recours à cette technique : intérêt de la sûreté nationale, prévention ou détection de la criminalité grave et intérêt du bien-être économique pour le Royaume-Uni ; détection des menaces pour l’existence continue de l’ordre démocratique, la sécurité ou les autres intérêts vitaux de la Nation, en ce qui concerne les Pays-Bas. En France, seule la prévention du terrorisme peut justifier l’usage d’algorithmes.

En dehors du continent européen, les services américains et israéliens utilisent également ce type de techniques.

Il paraît donc indispensable de poursuivre cette expérimentation : la menace terroriste reste importante et seuls ces algorithmes permettent d’appréhender une masse de données aussi conséquente. La France est une grande nation du renseignement et la possibilité conférée par le législateur contribue à lui faire tenir son rang.

II.   Pour combien de temps et dans quel périmètre Faut-il proroger l’expérimentation de la technique algorithmique ?

La deuxième question qui se pose au législateur est celle du format de la prorogation de l’expérimentation.

A.   Une extension du dispositif aux « URL » nécessiterait un débat de fond sur la loi du 24 juillet 2015

Dans son rapport précité, la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 préconise non seulement de poursuivre cette expérimentation – pour cinq ans – mais aussi, afin de donner une plus grande efficacité aux algorithmes, d’étendre leur champ d’investigation à ce qu’on appelle les « URL », c’est-à-dire aux adresses web, chaînes de caractères donnant un chemin d’accès à une ressource physique sur internet ([26]). Cette évolution permettrait notamment de détecter la consultation, par des individus, de fichiers caractérisant une menace. Une telle extension du dispositif supposerait une modification conséquente de la loi du 24 juillet 2015 et donc un débat de fond sur l’ensemble du texte. Il serait notamment cohérent, si le champ d’application des algorithmes était étendu aux « URL », d’étendre de la même manière le champ d’application de l’article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure qui concerne la technique de recueil de données de connexion en temps réel. En conclusion de son rapport, la mission d’information appelle donc explicitement de ses vœux un tel débat de fond.

Cela étant, le Gouvernement a considéré ([27]) que « les circonstances sanitaires exceptionnelles résultant de l’épidémie de covid‑19 rendaient difficile l’examen en temps utile, et dans des conditions de débat appropriées, par le Parlement, d’un projet de loi spécifique ». Il propose donc de proroger l’expérimentation de l’algorithme jusqu’au 31 décembre 2021, soit pour un an de plus que ne le prévoit le droit en vigueur.

B.   Dans l’attente d’un débat de fond, le rapporteur pour avis propose de proroger le dispositif pour sept mois de plus que ne le prévoit le droit en vigueur

Sur le principe, le rapporteur pour avis se félicite que la prorogation du dispositif de l’algorithme fasse l’objet d’un projet de loi dédié et non pas d’une clause générale d’extension de toutes les dispositions législatives en cours d’expérimentation. En effet, dans sa version initiale, le a) du 1° de l’article 1er du projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l’épidémie de covid-19, examiné en mai 2020 au Parlement et désormais en vigueur ([28]), prévoyait d’autoriser le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance « pour reporter au plus tard jusqu’au 1er janvier 2022 la date d’entrée en vigueur ou d’application de dispositions législatives ou celle du terme d’expérimentations conduites sur le fondement de l’article 371 de la Constitution, lorsque cette date est fixée au plus tard le 1er janvier 2021 par la loi ou par une ordonnance dont le délai d’habilitation a expiré ». Une telle habilitation visait toutes les dispositions de nature expérimentale venant à échéance au 1er janvier 2021, et en particulier l’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 relatif à la technique algorithmique. Ayant estimé qu’une prorogation des algorithmes ne pouvait être décidée par le Gouvernement par voie d’ordonnance sans aucun débat de fond, le rapporteur pour avis a déposé et fait adopter un amendement ([29]), co-signé par les présidentes de la commission de la Défense et de la commission des Lois ainsi que par les députés Jean-Michel Mis et Raphaël Gauvain, au projet de loi « portant diverses dispositions urgentes » précité, visant à exclure cette prorogation du champ de l’habilitation à légiférer par voie d’ordonnance ([30]). Encore une fois, il importe que toute prorogation de la technique algorithmique soit soumise à débat au Parlement.

Ensuite, s’il paraît effectivement nécessaire de décaler dès à présent la date d’échéance du dispositif, aujourd’hui fixée au 31 décembre 2020, pour sécuriser juridiquement l’expérimentation de l’algorithme au-delà de la fin de l’automne qui correspond à la période budgétaire au Parlement, il ne semble pas opportun au rapporteur pour avis d’aller aussi loin dans le temps : plus le débat de fond que le rapporteur pour avis appelle de ses vœux sera rapproché, moins on différera l’adoption des évolutions nécessaires au renforcement des capacités des services de renseignement et donc à celui de la sécurité des Français. Il apparaît au rapporteur pour avis qu’une prorogation jusqu’au 31 juillet 2021, soit pour sept mois de plus que ne le prévoit le droit en vigueur, est largement suffisante pour permettre au Parlement de débattre sereinement des évolutions de la loi du 24 juillet 2015. Ce débat sera d’autant plus riche que la loi a fait l’objet d’une évaluation par le législateur et que la mission d’information précitée a formulé plusieurs propositions d’ajustements. De même, la Délégation parlementaire au renseignement rend chaque année des observations, dont certaines sont rendues publiques, sur l’activité et les moyens des services de renseignement. Enfin, de son côté, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement rend également un rapport public faisant état de son activité de contrôle. Les éléments destinés à nourrir le débat sur le droit du renseignement sont donc nombreux à la disposition du législateur et de l’opinion publique.

Le rapporteur pour avis propose donc d’amender l’article 2 du projet de loi afin de prévoir une prorogation de l’algorithme jusqu’au 31 juillet 2021 et, en conséquence, la remise d’un rapport au Parlement d’ici au 31 décembre 2020.


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   COMPTE RENDU DES DÉBATS

Lors de sa réunion du mercredi 8 juillet 2020, la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République examine le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3117) (M. Didier Paris, rapporteur).

 

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9323126_5f056d1c8052a.commission-des-lois--prorogation-des-chapitres-vi-a-x-du-titre-ii-du-livre-ii-et-de-l-article-l-85-8-juillet-2020

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons ce matin le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

Je salue Loïc Kervran. Il siège en tant que rapporteur de la commission de la Défense nationale et des forces armées, qui s’est saisie pour avis de l’article 2 du projet de loi.

M. Didier Paris, rapporteur. Si la situation paraît aujourd’hui un peu moins tendue qu’elle a pu l’être, nul d’entre nous ne peut affirmer que la menace terroriste a disparu.

La loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) du 30 octobre 2017 comporte quatre mesures phares qui permettent l’instauration de périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, la mise en place de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) et les visites domiciliaires. Ces mesures sont applicables jusqu’au 31 décembre 2020.

De la même manière, les dispositions de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, issues de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, ont été instaurées pour une durée limitée, initialement jusqu’au 31 décembre 2018, et prorogées jusqu’au 31 décembre 2020 par l’article 17 de la loi SILT.

Trois solutions s’offraient à nous. La première consistait à adapter les mesures dont il est question pour les inscrire définitivement dans notre arsenal législatif. Mais les délais impartis, la priorité donnée à la relance économique et l’expérimentation tardive – elle ne remonte qu’à 2017 – de la technique de recueil de renseignement « algorithme » la rendaient peu viable. Il faut du temps pour mener une discussion de fond sur chacune de ces dispositions et en ce sens, les amendements de notre collègue M’Jid El Guerrab viennent trop tôt. Il nous faut aussi attendre que la Cour de justice de l’Union européenne rende son arrêt sur la conservation généralisée de certaines données, qui pourrait avoir des conséquences sur certaines techniques de renseignement.

Opter pour la deuxième solution, qui consistait à laisser les dispositions venir à expiration le 31 décembre 2020, eût été manquer à notre devoir de protection vis-à-vis des Français.

La troisième solution consistait à proroger, sans les modifier, ces mesures. C’est celle qui a été retenue. Il s’agit d’enjamber cette période pour envisager dans de meilleures conditions le débat sur le fond.

Les mesures prises en application de la loi SILT paraissent toujours aussi indispensables et ont largement démontré leur utilité : l’instauration de périmètres de protection est la plus souple d’entre elles, donc la plus utilisée ; il a été procédé à sept fermetures administratives de lieux de culte ; les MICAS ont fait l’objet d’un encadrement progressif, 294 ont été prononcées ; 167 visites domiciliaires ont été effectuées, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), 97 ont conduit à des saisies, 18 ont débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire, elles ont permis de déjouer au moins un attentat, en mai 2018. Ces mesures ont fait l’objet d’un contrôle parlementaire renforcé.

Le bilan sur la technique algorithmique de renseignement est plus complexe à établir, d’autant que certains aspects sont couverts par le secret-défense. Son expérimentation n’a débuté qu’en 2017, après le travail de paramétrage permettant de viser des données pertinentes. Progressivement mis en œuvre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), les trois algorithmes sont exclusivement liés aux données de facturation et portent sur les appels téléphoniques, les textos et les consultations de répondeur.

Il est question d’inclure d’autres données, notamment les données dites Internet Protocol (IP) qui utilisent le réseau internet et d’étendre la disposition aux applications telles que WhatsApp ou Telegram. Une autre évolution consisterait à inclure les Uniform Resource Locator (URL), ou adresses web, ce qui permettrait de détecter non plus seulement les connexions mais les consultations ou les téléchargements pouvant caractériser une menace, comme les vidéos d’appel au djihad ou les tutoriels permettant d’élaborer un explosif.

Cette extension est sans doute nécessaire pour répondre aux besoins de sécurité des Français. Nous en débattrons ultérieurement, le Gouvernement ayant déjà soumis certains éléments au Conseil d’État.

Le présent projet de loi prévoit une prorogation d’un an à compter de la date limite d’expérimentation, soit jusqu’au 31 décembre 2021.

Faut-il suivre cette logique ? Compte tenu des enjeux liés aux libertés individuelles, nous ne devons pas tarder à réexaminer les dispositions de la loi SILT. Nous disposons déjà du rapport de novembre 2019 du Gouvernement sur l’application de la loi SILT et des comptes rendus réguliers de Yaël Braun-Pivet, Raphaël Gauvain et Éric Ciotti, chargés du contrôle de la loi. Nos collègues notent que les quatre mesures, utilisées de façon parcimonieuse et raisonnée, se sont révélées efficaces.

S’agissant de l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, le Gouvernement a remis son rapport le 30 juin dernier. En outre, dans le cadre de la mission d’information présidée par notre collègue Guillaume Larrivé sur l’évaluation de la loi relative au renseignement, les rapporteurs Loïc Kervran et Jean-Michel Mis ont apporté un éclairage précis sur ce point.

Proroger la durée de validité de ces mesures jusqu’au 31 décembre 2022, comme le demande le groupe Les Républicains, reviendrait à repousser encore le débat parlementaire que nous appelons tous de nos vœux.

En outre, les dispositions dont nous débattrons ont été largement amendées, pour mieux préserver les libertés individuelles. L’instauration de périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte et les MICAS ont fait l’objet de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel a notamment censuré certaines dispositions relatives aux délais de recours et à l’intervention du juge dans le cadre des MICAS.

Les articles 65 et 66 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont j’ai été le rapporteur, ont modifié ces dispositions, conformément aux réserves formulées par le Conseil constitutionnel.

Si les libertés individuelles ne commandent pas de modifier en urgence ces dispositions, il nous faut en débattre rapidement. Je propose donc de proroger la validité des dispositions concernées jusqu’au 31 juillet 2021.

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis de la commission de la Défense nationale et des forces armées. Saisie pour avis de l’article 2 du projet de loi, la commission de la Défense a examiné la technique de renseignement communément appelée « algorithme ».

Les services éprouvent un réel intérêt opérationnel pour celle-ci. Membre, comme Yaël Braun-Pivet, de la Délégation parlementaire au renseignement, j’ai eu accès au rapport classifié concernant les résultats opérationnels des différents algorithmes mis en œuvre : je peux vous assurer de leur efficacité car ils ont permis de détecter des porteurs de menaces ainsi que des contacts entre ces derniers.

L’équilibre entre sécurité et liberté est en outre assuré ; nous sommes aux antipodes des « boîtes noires » que certains se plaisent à décrire.

La commission de la Défense a adopté hier à l’unanimité un amendement visant à ramener la validité de la prorogation au 31 juillet 2021. Elle a estimé, en effet, que les rapports à notre disposition fournissaient les éléments de fond du débat, que les besoins opérationnels appelaient des évolutions législatives et que le Parlement, enfin, ne saurait se satisfaire de prorogations successives.

M. Ludovic Mendes. La loi SILT a permis, grâce à différents outils qui ont depuis fait leurs preuves, une sortie maîtrisée et progressive du régime de l’état d’urgence mis en place après les attentats de Paris du 13 novembre 2015.

Parmi ces outils, les périmètres de protection, très utilisés et bien acceptés par la population, ont été mis en place depuis le 1er novembre 2017. Des fermetures très encadrées de certains lieux de culte incitant à la violence, à la haine et à la discrimination, provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, ont été prononcées ; la majeure partie de ces lieux n’a pas rouvert.

Des MICAS ont été prises à l’encontre de plus d’une centaine de personnes l’an dernier. Les visites domiciliaires et les saisies en découlant ont déjà permis de déjouer un attentat et d’engager des poursuites judiciaires pour des faits de terrorisme contre sept personnes entre novembre 2018 et octobre 2019. Elles permettent la connaissance et la surveillance d’individus radicalisés, une meilleure prévention des risques terroristes et donc une meilleure protection des Français.

La loi SILT a également permis de proroger la technique de renseignement par traitement automatisé issue de la loi relative au renseignement de 2015. Le Premier ministre peut ainsi, après avis de la CNCTR, autoriser qu’il soit imposé aux opérateurs de communication électronique et aux fournisseurs de services sur internet la mise en œuvre sur les réseaux de traitements automatisés d’informations destinés à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.

Compte tenu de leur caractère novateur, de l’accroissement des pouvoirs de police et des contraintes aux libertés que ces mesures peuvent représenter, nous avons souhaité limiter dans le temps, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 2020, l’utilisation de ces techniques et les évaluer avant cette échéance.

Si le nombre d’attaques terroristes semble aujourd’hui en baisse, la menace reste toujours présente en France et en Europe, puisque plus de 1 000 personnes y ont été arrêtées pour des faits de terrorisme ; le djihadisme constitue toujours la menace principale.

Les différents rapports sur l’application de la loi SILT témoignent du grand intérêt opérationnel de ces outils, dont l’usage reste raisonné, et de la qualité juridique des décisions.

S’agissant des techniques de renseignement par traitement automatisé, Loïc Kervran et Jean-Michel Mis, dans leur rapport d’information, jugent les résultats intéressants et prometteurs et préconisent la poursuite de leur utilisation.

La crise ne doit pas nous conduire à négliger le risque terroriste, qui reste majeur. Ainsi, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi de Yaël Braun-Pivet et de Raphaël Gauvain instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.

Le Président de la République a par ailleurs signé, le 12 février 2020, une ordonnance renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, qui impose notamment à certaines professions de déclarer à Tracfin les opérations qui leur semblent litigieuses.

Face au risque persistant du terrorisme et compte tenu de l’utilité démontrée de ces outils, il est souhaitable de les pérenniser dans un texte législatif spécifique, qui tiendra compte des rapports et des suggestions d’amélioration émises depuis trois ans. Toutefois, la crise sanitaire nous contraint à examiner ce texte plus tard que prévu. Il convient de proroger ces dispositifs qui protègent les Français et de se donner le temps d’établir une loi qui viendra parfaire l’arsenal juridique, punitif, de surveillance et de renseignement.

M. Éric Ciotti. Nous examinons, pour la deuxième fois en trois semaines, un texte relatif à la lutte contre le terrorisme, preuve, s’il en faut, que nous avons manqué l’occasion de bâtir une véritable politique en la matière.

Loïc Kervran a rappelé l’importance des algorithmes, outil majeur de protection. Mais les mesures issues de la loi SILT, dont l’arrivée prochaine à expiration nous fait nous précipiter, ne sont pas à la hauteur de la menace qui continue de peser sur notre pays.

La sortie de détention des détenus condamnés pour terrorisme islamiste, celle des détenus de droit commun suspectés de radicalisation, la multiplication, au quotidien, d’attentats de faible intensité mais à la portée symbolique très forte, sont des indicateurs. Pourtant, il semble que nous ayons baissé la garde et qu’en parallèle, nous nous satisfassions d’un texte peu ambitieux.

Nous aurions pu traiter, dans un même projet de loi, de la question des sorties de prison, de la rétention de sûreté, de la rétention administrative et du renseignement. Je n’ignore pas la dimension constitutionnelle de certaines des dispositions : nous aurions pu définir un nouveau cadre qui implique de réformer la Constitution. Notre exigence doit être à la hauteur de la menace persistante.

Le rapport sur la mise en application de la loi SILT, que j’ai déposé avec nos collègues Yaël Braun-Pivet et Raphaël Gauvain, souligne des résultats somme toute modestes : 167 visites domiciliaires ont été effectuées en un peu moins de deux ans, 294 MICAS ont été prononcées quand le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste comptait jusqu’à 20 000 noms. Lorsque l’état d’urgence était en vigueur, les mêmes chiffres s’établissaient à un niveau incomparablement supérieur : notre degré de protection a donc baissé.

Ce projet de loi a le mérite d’exister car l’expiration de la validité de ces dispositions ferait courir un risque très important à notre société. Nous avons déposé un amendement à l’article 1er visant à la repousser de deux ans. Ayant entendu les arguments du rapporteur, du rapporteur pour avis et de Guillaume Larrivé, je retirerai l’amendement CL3 à l’article 2, car il importe de légiférer rapidement dans ce domaine.

Il faudra aller plus loin et adapter les mesures de lutte contre le terrorisme. Je pense en particulier aux visites domiciliaires dont l’organisation est rendue très compliquée par le contrôle du JILD et aux conditions très restrictives imposées à l’autorité administrative pour les perquisitions. Je pense aussi aux périmètres de contrôle qui ont remplacé les assignations à résidence, bien plus pertinentes et utiles en dépit de leur limitation à douze heures par jour. Les limites du périmètre ne peuvent être inférieures au territoire de la commune, ce qui paraît inopportun pour une ville comme Paris.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Partout dans le monde, la menace terroriste est mouvante et s’adapte aux lois et aux mesures prises pour la combattre. Notre pays, endeuillé à plusieurs reprises, doit lutter sans relâche contre le risque de nouvelles attaques. La loi SILT a ainsi permis une sortie de l’état d’urgence tout en sécurisant nos moyens de protection.

Le projet de loi que nous examinons vise à proroger d’un an la durée de validité de quatre dispositifs prévus par la loi SILT et l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, qui arrivaient à échéance le 31 décembre 2020.

L’ambition initiale était d’examiner avant cette date un projet de loi visant à pérenniser ces mesures mais la crise sanitaire a bouleversé le calendrier parlementaire. L’exigence d’un travail de qualité commande de ne pas légiférer dans l’urgence. Le présent projet de loi nous offre une marge de manœuvre pour examiner sereinement le futur projet de loi de pérennisation ou de suppression des mesures expérimentales préparé par le Gouvernement. Le Parlement, notamment le Sénat, a déjà mené une réflexion importante à ce sujet.

Compte tenu de la sensibilité des enjeux, nous jugeons qu’il serait délicat de modifier ces dispositions par voie d’amendement au présent texte. Il convient en effet de disposer d’une étude d’impact et de l’avis du Conseil d’État.

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés souhaite que l’examen du futur projet de loi puisse débuter dès que possible : il ne faut en effet pas repousser plus que de raison un débat essentiel.

Mme Cécile Untermaier. Le projet de loi prolonge jusqu’au 31 décembre 2021 l’application des dispositions législatives en matière de surveillance et de prévention du terrorisme issues de la loi relative au renseignement et de la loi SILT.

Le Conseil constitutionnel a fait évoluer des dispositions prévues par la loi SILT, que le groupe Socialistes et apparentés avait votées. Il a en effet jugé conforme à la Constitution le périmètre de protection, dispositif le plus utilisé et encadré dans le temps, à la condition qu’il participe à la lutte contre le terrorisme. Il a en outre rappelé que les officiers de police judiciaire doivent contrôler l’activité des agents privés postés à l’entrée d’un périmètre de protection. Il a estimé que la fermeture des lieux de culte est conforme à la Constitution, dès lors que l’objectif est de prévenir le terrorisme.

Le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions concernant les MICAS. Depuis, la loi de programmation de la justice, dont Didier Paris était rapporteur, a prévu qu’une assignation à résidence ne pouvait être renouvelée à la demande du justiciable concerné sans le contrôle du juge administratif. Le contrôle exigeant du juge doit être rappelé dans le cadre du futur projet de loi.

La prorogation de la durée de validité de ces mesures est justifiée par la crise sanitaire et par la nécessité de mener une réflexion apaisée sur les outils de lutte contre le terrorisme. Je remercie le rapporteur d’avoir déposé un amendement visant à la ramener à six mois. Nous disposerons ainsi d’un délai raisonnable d’un an pour débattre de leur pérennisation éventuelle.

Le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron déclarait devant le Parlement réuni en Congrès : « Le code pénal tel qu’il est, les pouvoirs des magistrats tels qu’ils sont peuvent, si le système est bien ordonné, nous permettre d’anéantir nos adversaires. Donner en revanche à l’administration des pouvoirs illimités sur la vie des personnes, sans aucune discrimination, n’a aucun sens, ni en termes de principe ni en termes d’efficacité. »

Je partage cette analyse. La loi SILT, qui a limité dans le temps certaines dispositions exorbitantes du droit commun, place la lutte contre le terrorisme en dehors du contrôle de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a rétabli en partie ce contrôle ; il a en outre fait une place au juge administratif, lequel a d’ailleurs démontré sa capacité à défendre les libertés individuelles.

L’examen de ces mesures de police administrative et de renseignement exigera de notre part une évaluation très précise de leur application par l’administration : le contrôle exercé par les parlementaires sera à cet égard très précieux, tout comme l’audition des ministres de l’intérieur et de la justice. Nous nous attacherons particulièrement à la réintroduction des droits de la défense dans le processus de décision.

M. Michel Zumkeller. Deux choix s’offrent à nous : discuter de ces mesures, de leur utilité, de la véracité des mesures de police et de la proportionnalité de l’atteinte aux libertés avec le respect du droit de chacun, ou estimer que le contexte actuel ne permet pas dans l’immédiat un débat de fond. La seconde option ne signifie nullement que nous occultions ces questions : la crise sanitaire ne doit pas servir d’excuse pour repousser des débats importants.

Lors de l’examen du projet de loi SILT, le groupe UDI et indépendants avait estimé que les mesures devaient faire l’objet d’un contrôle parlementaire. Celui-ci doit perdurer.

Le Gouvernement compte-t-il poursuivre, au cours des douze mois qui nous séparent de l’échéance, leur application sans changement ou considère-t-il que le débat doit avoir lieu au plus vite ? Nous estimons qu’au regard des enjeux touchant tant aux droits fondamentaux qu’à la sécurité de nos concitoyens, le plus tôt sera le mieux. En ce sens, nous soutiendrons les amendements déposés par le rapporteur.

Lors de l’examen en première lecture du projet de loi SILT, nous avons, à l’initiative du Sénat, et compte tenu de leur caractère très dérogatoire du droit commun, donné un caractère expérimental aux MICAS ainsi qu’aux visites domiciliaires. Ce fut une sage décision, qu’il ne s’agit pas ici de contourner.

Il n’est en effet pas seulement question, comme l’exposé des motifs voudrait nous le faire croire, d’un simple changement de date motivé par les circonstances exceptionnelles de l’épidémie : il nous faut nous interroger une fois de plus sur les prérogatives que nous concédons à l’exécutif. Il est hors de question d’accorder un blanc-seing au Gouvernement.

M. Paul Molac. Le projet de loi vise à proroger au-delà de la fin de l’année 2020 la durée de validité de dispositions votées en 2015 et en 2017, lesquelles nous semblent, en définitive, proportionnées.

Je reste cependant « sur ma faim » car certains éléments concernant le niveau de la menace manquent pour donner un avis éclairé. Je tire des chiffres avancés par Éric Ciotti une conclusion diamétralement opposée à la sienne : c’est la baisse de l’intensité de la menace, corroborée par la fin de l’organisation État islamique (EI), qui semble les expliquer.

Il aurait été intéressant de connaître le nombre d’attentats déjoués depuis celui du 11 mai 2018. S’il est nul, cela signifie que la menace a considérablement baissé.

La CNCTR demande un bilan de l’application du cadre légal mis en place en 2015. Il nous faudra en disposer avant d’examiner le futur projet de loi. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a formulé plusieurs préconisations s’agissant de la conservation des données et de leur partage entre services. Nous devrons nous interroger sur la proportionnalité entre les mesures proposées et les risques induits.

Le groupe Libertés et Territoires ne s’opposera pas à la prorogation des mesures concernées.

M. Ugo Bernalicis. Je me permettrai deux observations liminaires. Les horaires de nos réunions fluctuent au gré d’un nouveau gouvernement qui ne fera même pas de déclaration de politique générale ; tout continue comme si de rien n’était – the show must go on. J’observe aussi que le nouveau garde des Sceaux, sur lequel je fonde un espoir mesuré, a eu des mots durs sur plusieurs lois votées en matière terroriste ; je ne suis pas certain qu’il donnera son blanc-seing.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous n’avons pas besoin du blanc-seing du Gouvernement pour examiner ce type de texte, et la loi SILT n’entre pas dans le champ de compétences du garde des Sceaux.

M. Ugo Bernalicis. Vous me coupez la parole, ce que vous ne faites pas lorsque d’autres collègues s’expriment.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je joue mon rôle de présidente, en vous rappelant que vous devez vous exprimer sur le projet de loi examiné ce matin par notre Commission !

M. Ugo Bernalicis. Chacun tirera les conséquences de ce qu’il a vu et entendu.

Le groupe La France insoumise a déposé un amendement de suppression sur les deux premiers articles du projet de loi, car notre opposition aux dispositions issues de la loi SILT et de la loi relative au renseignement n’a pas varié.

L’examen du projet de loi SILT a donné plus de vigueur encore aux concepts de dangerosité, d’infra-judiciaire et de police administrative, ce qui n’a pas empêché, en vertu d’une logique implacable, la discussion de mesures de sûreté, et, demain, le débat sur la rétention de sûreté. Je fonde néanmoins quelque espoir sur la position qu’adoptera, ne vous en déplaise, le nouveau garde des Sceaux sur cette question.

S’agissant des techniques de renseignement fondées sur l’analyse algorithmique, le journal Le Monde, dans son édition du 8 juillet, fait état d’un rapport confidentiel qui permettra d’éclairer nos discussions lors de l’examen du futur projet de loi. Il révèle en effet que ces techniques n’ont jamais permis d’empêcher un seul acte terroriste. Un autre article indique que l’analyse en continu des données par les « boîtes noires » n’aurait permis de détecter qu’une petite dizaine de profils faiblement à risque. Il existe donc une disproportion complète entre ces résultats et les moyens mis en œuvre pour écouter et observer la société tout entière.

On pourrait en conclure que le dispositif est inopérant et que nous avons quand même mis fin à la menace terroriste, puisque des attentats ont été déjoués. Eh bien non, on nous propose d’aller encore plus loin ! Dans ce rapport, les services de renseignement expliquent que si personne n’a été attrapé grâce à ces moyens technologiques, c’est qu’il nous faut encore les accroître.

Éric Ciotti s’inscrit dans la même logique : selon lui, si le nombre d’attentats a baissé, ce n’est pas parce que moins de gens veulent en commettre, c’est parce que nous n’avons pas bien cherché ! À force de chercher des terroristes, on finira bien par en trouver… ou en fabriquer. La tendance des services de renseignement, c’est bien de trouver ce qu’ils cherchent ou, de façon indirecte, à le fabriquer.

L’analyse des URL pourrait donc nous indiquer qui consulte, et quel site ? Ce serait le Graal aux yeux de certains. Mais est-ce souhaitable dans une société démocratique et dans un état de droit ? Si, pour combattre la menace totalitaire, nous finissons par employer des moyens totalitaires, nous nous dévoierons et nous nous écarterons de l’idéal républicain.

Nous restons opposés à ces mesures. Non pas qu’il ne faille selon nous rien faire contre la menace terroriste : les pouvoirs de police ont été largement renforcés ; les moyens de la justice doivent être augmentés. Dans bien des cas, c’est notre capacité à judiciariser qui pose problème ; beaucoup de choses peuvent être faites dans le cadre d’une enquête préliminaire, n’allez donc pas raconter que la justice est désarmée !

M. Dimitri Houbron. Ce texte, une nouvelle fois, met en tension deux impératifs dont l’interdépendance repose sur un équilibre fragile. Notre rôle de législateur est de veiller au respect de cet équilibre. La peur n’est pas une boussole, mais la prudence doit toujours régler la valeur.

Il s’agit de proroger les quatre mesures de la loi SILT, qui avaient revêtu un caractère temporaire en raison de leur sensibilité au regard du respect des droits et libertés constitutionnellement garantis, ainsi que l’article 25 de la loi renseignement, qui autorisait la mise en œuvre pour une durée limitée d’une technique de recueil de renseignement, l’« algorithme ».

Trois algorithmes ont été mis en place depuis le 12 octobre 2017 : le secret-défense ne permet pas d’en révéler l’architecture mais les résultats seraient probants. Pour être efficaces un jour, ces algorithmes doivent continuer à auto-apprendre et à affiner leurs capacités analytiques.

Les différents rapports de suivi montrent une utilisation parcimonieuse par les autorités administratives des pouvoirs qui leur sont conférés à titre exceptionnel pour la lutte anti-terroriste. De plus, le contrôle du JLD sur les visites domiciliaires et saisies et celui de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) sur l’identification des individus potentiellement dangereux repérés par un algorithme garantissent une application strictement proportionnelle aux risques.

Ces mesures de prévention ne pourront plus être utilisées à partir du 31 décembre 2020. Si l’agenda législatif ne nous permet pas de prendre le temps de débattre sereinement et sérieusement de ces dispositions, il serait risqué de ne pas les prolonger de quelques mois.

Dans son rapport intitulé « Situations et tendances du terrorisme », rendu public le 23 juin et présenté en commission des libertés publiques du Parlement européen, Europol affirme que le terrorisme djihadiste continue de décroître – 21 attaques contre 24 en 2018 et 33 en 2017 –, mais que l’État islamique recherche toujours des opportunités d’attaques à grande échelle visant des citoyens de l’Union européenne. En 2019, 119 attentats terroristes se sont produits, ont été déjoués ou ont échoué dans l’Union européenne. La grande majorité des arrestations a eu lieu dans cinq pays : 281 au Royaume-Uni, 224 en France, 132 en Italie, 99 en Belgique et 91 en Espagne. La France est, derrière le Royaume-Uni, le pays le plus menacé.

Le groupe Agir ensemble est favorable à la prorogation de ces mesures, à condition qu’un projet de loi permette de les réévaluer en profondeur. Nous serons attentifs à ce que les débats soient à la mesure des libertés fondamentales en jeu.

M. Stéphane Peu. Après l’avoir approuvé, le groupe GDR avait plaidé pour une sortie maîtrisée de l’état d’urgence. Or nous avons considéré que la loi SILT, loin de constituer une sortie maîtrisée, permettait l’introduction définitive dans la loi de dispositifs exceptionnels. Pleinement conscients de ce que combattent les terroristes dans notre système de valeurs, nous pensions que banaliser des mesures d’exception qui fragilisent l’état de droit et l’exercice des libertés fondamentales était un cadeau fait à nos ennemis. Si la vigilance de la société et la lutte contre le terrorisme sont indispensables, il convient de les concilier avec le respect de nos principes, notamment de notre état de droit.

Prolonger des mesures qui étaient provisoires, rendre permanentes des mesures qui avaient vocation à être exceptionnelles concourt à cette tendance. Dans la perspective du débat que nous aurons, je serais preneur d’un bilan détaillé sur l’efficacité de ces mesures. On sait ce que l’on perd, pas ce que l’on gagne. En Seine-Saint-Denis – et ce n’est pas le département le moins concerné par ce combat –, ce sont de moyens supplémentaires dont nous avons besoin. La mauvaise coordination des services de renseignement, la faiblesse de leurs moyens, l’état des services de police et des services déconcentrés, notamment préfectoraux, expliquent les nombreux « trous dans la raquette ». Plutôt que de toujours surenchérir dans la législation, il faut se donner les moyens de faire respecter les règles existantes – elles sont suffisantes pour lutter efficacement contre le terrorisme. Interrogez n’importe quel fonctionnaire de terrain, ce ne sont pas les lois qui manquent, mais les moyens.

M. Éric Diard. Lors de l’examen du projet de loi SILT, le groupe Les Républicains s’était prononcé en faveur d’un dispositif pérenne, bien que le texte semblât insuffisant face à l’importance des enjeux. Vous avez indiqué, madame la présidente, que la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, dont vous êtes la rapporteure, n’était pas le cadre adéquat pour modifier ce régime. Ce texte est donc l’occasion de toiletter la loi SILT afin de la rendre plus efficace, en se basant sur l’expérience acquise pendant plus de deux ans.

Il convient d’assouplir les conditions qui permettent de mettre en œuvre une MICAS et de supprimer la disposition qui prévoit qu’une MICAS ne peut être renouvelée au-delà de six mois que si des éléments nouveaux ou complémentaires sont apparus. Ce délai est trop court pour assurer un suivi efficace de certaines personnes dangereuses et l’obligation de trouver des éléments nouveaux ou complémentaire constitue une surcharge de travail pour des services de renseignements déjà débordés.

M. Didier Paris, rapporteur. Ugo Bernalicis et Stéphane Peu suivent une logique diamétralement opposée à la nôtre. Je remercie le rapporteur pour avis Loïc Kervran, Ludovic Mendès, Élodie Jacquier-Laforge, Cécile Untermaier, Michel Zumkeller, Paul Molac et Dimitri Houbron d’accepter la logique du Gouvernement : il s’agit de voter une loi permettant d’enjamber la période qui nous sépare de l’examen d’un projet de loi, d’ici le 31 juillet 2021.

Article 1er (art. 5 de la loi n° 2017–1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme) : Prolongation d’un an des dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT

La Commission examine l’amendement de suppression CL8 de Mme Danièle Obono. 

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le rapporteur, vous prenez avec beaucoup de légèreté le mépris dont le Gouvernement fait preuve à l’encontre des parlementaires. Il est une nouvelle fois démontré que nous ne sommes qu’une formalité administrative, tout au plus un encombrement temporaire.

Pour revenir sur notre opposition à la loi de 2017, je voudrais citer Raphaël Kempf. Pour cet avocat pénaliste, ardent défenseur des libertés individuelles et fondamentales, les lois scélérates obéissent à un schéma classique, applicable à la loi SILT : « Le discours produit par les défenseurs d’une loi scélérate – Gouvernement, parlementaires de la majorité, presse réactionnaire – est fait d’oxymores : on argumente au nom de la défense de l’État de droit et des libertés fondamentales, alors que la nouvelle loi leur porte directement atteinte. […] Il y a souvent au cours des débats sur une future loi scélérate une pseudo-réaction libérale de parlementaires autoproclamés défenseurs des libertés proposant un compromis pour ménager les intérêts de l’ordre public et ceux de la liberté. […] Une loi scélérate n’est pas faite uniquement pour les procureurs puis les juges, mais aussi et surtout pour la police : il y en effet un usage policier et administratif des lois scélérates que l’on peut qualifier d’infrajudiciaire. Ces lois permettent de multiplier des mesures de contraintes, attentatoires aux libertés individuelles, qui échappent au contrôle des juges. […] En outre, et c’est probablement l’indice le plus flagrant de la scélératesse d’une loi : elle est faite contre certains puis appliquée à tous […] Enfin, on peut constater qu’une loi scélérate vise l’intention plus que l’acte, la dangerosité potentielle plus que la culpabilité constatée ».

Cela a fait dire à Éric Dupont-Moretti en 2018 : « Reculer sur nos libertés, c’est donner raison aux terroristes ».

M. Didier Paris, rapporteur. Il n’y a ni légèreté ni mépris dans mes propos. Mais ne reprenons pas un débat qui nous a beaucoup occupés. Nous avons tous conscience que nous ne devons pas amoindrir nos capacités de réponse à la menace terroriste qui, tout en étant plus faible en apparence, reste présente. Nous avons besoin de ces dispositions légales. Nous sommes aux antipodes de votre analyse : les libertés individuelles nous paraissent parfaitement respectées, elles ont été confirmées, modifiées et adaptées, notamment par le Conseil constitutionnel, qui est quand même notre juge suprême. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Selon vous, du moment que le juge suprême a validé le schéma, c’est qu’il est équilibré et non attentatoire aux libertés publiques. Permettez-moi de douter de l’opérationnalité du Conseil constitutionnel en la matière : je ne partage pas son analyse sur le délit de non-respect du confinement, pas davantage celle sur les ordonnances, qui auront désormais valeur de loi, passée l’expiration du délai d’habilitation. L’architecture constitutionnelle dans ce pays en a pris un coup et le crédit que l’on peut porter au Conseil constitutionnel est douteux.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CL20 du rapporteur et CL2 de M. Éric Ciotti. 

M. Didier Paris, rapporteur. Il n’est pas nécessaire de proroger aussi longtemps la durée de validité des dispositions de la loi SILT. Je propose d’en fixer le terme au 31 juillet 2021.

M. Arnaud Viala. Nous proposons pour notre part une prorogation jusqu’en 2022. Les événements nous ont montré que nous ne maîtrisons pas aussi certainement que nous le souhaiterions l’agenda parlementaire.

J’ajoute que nous avons été surpris, monsieur le rapporteur, que vous ne citiez pas l’orateur du groupe, Éric Ciotti, parmi les députés qui vous ont apporté leur soutien.

M. Didier Paris, rapporteur. C’était un oubli, sans mauvaise intention de ma part. Vous avez omis de dire qu’Éric Ciotti souhaitait retirer cet amendement.

M. Raphaël Schellenberger. Non, monsieur le rapporteur, c’est l’amendement CL3 à l’article 2 que nous retirerons.

Si le projet de loi devait venir plus vite en discussion, il suffirait d’écrire que la prorogation de ces mesures est raccourcie. L’agenda politique est tel que nous ne sommes pas certains de pouvoir discuter d’un texte de fond dans les mois qui viennent.

M. Ludovic Mendes. Fixer la date au 31 juillet 2021 laisse au Gouvernement le temps de présenter le nouveau texte. C’est un excellent choix !

M. Ugo Bernalicis. J’ai expliqué que, selon le schéma des lois scélérates, celui qui propose un compromis se prévaut d’être un défenseur des libertés. Nous y sommes !

M. Arnaud Viala. Ce n’est pas seulement la loi que vous taxez de scélérate, mais ceux qui la commentent ou essaient de l’améliorer ! Mais appelons un chat un chat : nous parlons de personnes poursuivies pour actes de terrorisme.

Mme Cécile Untermaier. Précisément, elles ne sont pas poursuivies !

M. Ugo Bernalicis. Les mots ont leur importance…

M. Didier Paris, rapporteur. La discussion de fond, que le groupe Les Républicains appelle aussi de ses vœux, est très importante. Nous ne pouvons en aucune façon baisser la garde et ces dispositifs s’avèrent fort utiles pour la sécurité des Français. Nous proposons d’accélérer le processus afin que le projet de loi soit examiné dans des délais raisonnables. La différence de timing n’est pas anodine, et les Français sont attentifs aux dispositions que nous inclurons, ou pas, dans le droit.

La Commission adopte l’amendement CL20.

En conséquence, l’amendement CL2 tombe.

La Commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La Commission est saisie successivement de trois amendements CL12, CL13 et CL15 de M. M’Jid El Guerrab, portant articles additionnels après l’article 1er.

M. M’Jid El Guerrab. L’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure permet l’instauration de périmètres de sécurité dans lesquels des palpations de sécurité, des inspections de véhicules et des fouilles de bagages peuvent être effectuées.

L’amendement CL12 prévoit que, conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018, ces opérations doivent se fonder sur des critères excluant toute discrimination.

L’amendement CL13 tient compte de la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, qui a imposé un contrôle continu et effectif par les officiers de police judiciaire sur les agents de sécurité postés à l’entrée d’un périmètre de protection.

L’amendement CL15 vise à abroger l’article L. 227-1, qui permet la fermeture de lieux de culte. En effet, seuls cinq lieux ont été fermés au cours de la première année d’application de la loi, deux au cours de la seconde. De plus, cette mesure ne permet pas de lutter contre la diffusion de messages et complique parfois l’action des services de renseignements car il est plus difficile de savoir ce qui se dit dans les lieux parallèles. Il est temps de faire le bilan des mesures et de supprimer cette disposition contre-productive.

M. Didier Paris, rapporteur. Les motivations qui ont présidé à la rédaction des amendements CL12 et CL13 sont légitimes, mais satisfaites, aussi bien par la pratique que par les réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel a en effet estimé qu’il appartient aux autorités publiques de s’assurer de l’effectivité continue du contrôle exercé par les officiers de police judiciaire sur les agents privés de sécurité susceptibles d’être associés aux périmètres de protection et que la mise en œuvre des mesures de vérification doit exclure toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes.

À l’appui de l’amendement CL15, vous dites que la mesure de fermeture des lieux de culte est peu utilisée ; cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’est pas utile.

Il n’y a aucune urgence à modifier ces dispositions, qui font l’objet d’une application conforme aux réserves du Conseil constitutionnel. Je vous renvoie au projet de loi qui nous sera prochainement soumis et vous demande de bien vouloir retirer ces amendements.

M. M’Jid El Guerrab. Une mesure de fermeture prise à l’encontre d’un lieu de culte peut tenir davantage de la communication et être inefficace, voire contre-productive. Il faudra débattre de cette question.

Les amendements sont successivement retirés.

La Commission est saisie de l’amendement CL4 de M. Éric Ciotti. 

M. Éric Diard. Le ministère de l’Intérieur peut prononcer une MICAS dès lors qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et que cette personne entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme. Nous proposons que ces deux critères ne soient plus cumulatifs, mais alternatifs. Il est important de resserrer les mailles du filet et d’éviter, en amont, le plus d’attentats possibles.

M. Didier Paris, rapporteur. Avis défavorable. Ce sont des mesures trop délicates pour que nous puissions y toucher dans n’importe quelles conditions. Nous avons atteint un équilibre.

M. Éric Diard. Nous parlons de terrorisme et vous parlez d’équilibre !

M. Didier Paris, rapporteur. Oui, l’équilibre entre cette mesure et la protection des libertés individuelles, à laquelle je vous sais très sensible ! Je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel qui a validé les critères cumulatifs. Les chiffres permettent de dire que cette mesure est utilisée avec parcimonie et raison. Ne modifions pas aujourd’hui cet équilibre, nous en débattrons lors de l’examen du futur projet de loi.

M. Éric Diard. Je ne comprends pas cette frilosité à l’égard du Conseil constitutionnel. Je rappelle que vous n’avez pas eu peur de piétiner les libertés publiques lors de l’examen de la proposition de loi dite « Avia » !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL7 de M. Éric Ciotti. 

M. Raphaël Schellenberger. Aux termes de l’article L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, le périmètre à l’extérieur duquel la personne ne peut se déplacer ne peut être inférieur au territoire de la commune. Or ce territoire peut être particulièrement étendu – c’est le cas de Paris –, ce qui ne semble pas permettre une lutte efficace contre le terrorisme. Il doit être possible, alors, de prononcer une assignation à résidence.

M. Didier Paris, rapporteur. L’avis du Conseil d’État, rendu le 17 décembre 2015, est très clair : « Hors période d’état d’urgence […], seule une assignation à résidence qui se bornerait, pour les personnes radicalisées et présentant des indices de dangerosité, à restreindre leur liberté de circulation avec des modalités d’exécution laissant à l’intéressé une liberté de mouvement conciliable avec une vie familiale et professionnelle normale, pourrait, le cas échéant, être envisagée dans un cadre administratif. Elle devrait être prévue par la loi et comporter un degré de contraintes inférieur aux mesures prévues par l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. » Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL5 de M. Éric Ciotti. 

M. Raphaël Schellenberger. Une très grande majorité des MICAS ne peut être renouvelée au-delà de six mois car les services sont dans l’incapacité de fournir des éléments nouveaux ou complémentaires. Sur les 287 MICAS prononcées depuis novembre 2017, 42 seulement ont fait l’objet d’un renouvellement au-delà de six mois, et 16 au-delà de neuf mois. Or le profil de certains détenus terroristes nécessite un suivi sur une plus longue période. Nous proposons de supprimer l’exigence d’éléments nouveaux ou complémentaires ; des éléments persistants devraient suffire.

M. Didier Paris, rapporteur. Cela représente sans aucun doute une contrainte pour les services de police, et suppose une détermination dans l’action. C’est pourtant l’équilibre qui a été trouvé et qui a été validé par le Conseil constitutionnel dans ses deux décisions de 2018. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL6 de M. Éric Ciotti. 

M. Raphaël Schellenberger. Nous proposons de porter la durée maximale d’une MICAS à vingt-quatre mois.

M. Didier Paris, rapporteur. Cet amendement est inconstitutionnel, je vous renvoie à la décision du Conseil constitutionnel du 29 mars 2018.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL18 de M. M’Jid El Guerrab. 

 M. M’Jid El Guerrab. Le législateur avait prévu en 2017 une durée maximale de douze mois pour les MICAS, exigence rappelée dans la décision du Conseil constitutionnel de mars 2018. Pour parer à cette situation, le Gouvernement a jugé que chaque obligation s’apprécie de manière indépendante et qu’ainsi, la surveillance d’un individu peut durer plus d’un an si les obligations résultant des MICAS sont différentes. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur ce cumul mais une censure est fort probable. Il convient d’anticiper cette possibilité.

M. Didier Paris, rapporteur. C’est un débat que nous aurons dans le cadre de l’examen du futur projet de loi. Sur le fond, j’en reste au cadre de douze mois maximum posé par le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL19 de M. M’Jid El Guerrab. 

M. M’Jid El Guerrab. La visite domiciliaire de nuit est très peu utilisée – une seule a eu lieu. Que les visites puissent être effectuées à partir de 6 heures du matin suffit à assurer l’efficacité du dispositif.

M. Didier Paris, rapporteur. Ce n’est pas parce qu’une mesure est peu utilisée qu’elle n’est pas utile. Dans le cas que vous avez mentionné, l’intéressé était parfaitement rompu aux techniques de dissimulation et particulièrement méfiant, tant dans ses déplacements que dans ses communications. Rien ne permet de dire que nous ne nous trouverons pas à nouveau dans ce cas de figure. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL9 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. Nous proposons de créer un comité d’évaluation de la loi SILT, dont les conclusions puissent se distinguer de celles du Gouvernement ou de la Délégation parlementaire au renseignement, qui est dans un entre-soi qui favorise une adhésion systémique aux propositions des services. En la matière, il faut pouvoir exercer son sens critique, examiner les cas d’utilisation de dispositifs aussi attentatoires aux libertés individuelles. Ce comité comprendrait des magistrats, des avocats, le Défenseur des droits, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, des universitaires. Nous avons l’impression que le débat est confisqué par une poignée d’experts, que nous serions obligés de croire sur parole. Nous avons besoin d’un regard critique.

M. Didier Paris, rapporteur. Cette demande est sensée. Je suis très attentif à l’avis des universitaires… plus encore à celui des parlementaires. Vous qui regrettez régulièrement la faiblesse du rôle du Parlement, je préconise que le contrôle parlementaire puisse se poursuivre : il est exercé par la Délégation au renseignement, par les trois députés chargés du contrôle de la loi SILT, par la mission commune sur l’évaluation de la loi relative au renseignement. Par ailleurs, le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport annuel d’application de la loi SILT. Je ne vois pas la nécessité de faire évoluer ce contrôle. Pour rester dans la logique parlementaire qui nous unit, je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Nous présenterons un amendement en séance dont l’objet est de prévoir une représentation de chacun des groupes parlementaires dans les dispositifs de contrôle parlementaire. Face à la menace terroriste, la nation doit être unie ; nous devons être associés à cette réflexion et entendre les retours d’expérience. Le débat ne doit pas être confisqué par quelques personnes, qui finissent par être à l’unisson. Où est l’esprit critique lorsque le député du groupe majoritaire dit : « il faut aller plus loin » et que le député Les Républicains renchérit : « il faut aller encore plus loin » ?

La Commission rejette l’amendement.

Article 2 (art. 25 de la loi n° 2015–912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement) : Prolongation d’un an de la technique de renseignement dite de l’« algorithme »

La Commission est saisie de l’amendement de suppression CL10 de M. Ugo Bernalicis. 

M. Ugo Bernalicis. Je vous renvoie à l’article du Monde qui fait état du peu d’efficacité de cette technique de recueil de renseignement. Il est temps que cela se termine !

M. Didier Paris, rapporteur. Ces techniques sont-elles utiles ? Oui, sans aucun doute. Doivent-elles évoluer ? Oui, sans aucun doute. Nous attendons que la Cour de justice de l’Union européenne rende son arrêt à l’automne sur la conservation des données : il pourrait fragiliser d’autres techniques de renseignement. Plusieurs pays européens, avec la France, ont introduit ce recours pour vérifier justement la conformité au droit européen des techniques employées. C’est le moment d’entreprendre une réflexion de fond sur le passage de la connexion au contenu et sur l’extension à d’autres modalités de communication. Avis défavorable.

M. Ugo Bernalicis. Monsieur le rapporteur, vous employez l’expression « sans aucun doute » : comment faites-vous pour avoir des certitudes en la matière ? J’aimerais, plutôt que des formules, que vous avanciez des arguments. Il faut questionner ce genre de dispositif. Pourquoi suivre la logique selon laquelle, s’il n’y a pas de résultats, c’est que l’on n’écoute pas assez, et qu’il faut en conséquence tout écouter en espérant que l’on finira par trouver l’individu dangereux ?

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL21 du rapporteur et CL22 du rapporteur pour avis ainsi que l’amendement CL3 de M. Éric Ciotti. 

M. Didier Paris, rapporteur. En cohérence avec l’amendement CL20, je propose de proroger les dispositions de la technique de renseignement « algorithme » jusqu’au 31 juillet 2021 seulement et de fixer au 31 décembre 2020 la date de remise du rapport.

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis. La commission de la Défense propose elle aussi d’avancer les deux dates fixées par le Gouvernement.

L’amendement CL3 est retiré.

La Commission adopte les amendements.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : Application outre-mer

La Commission adopte l’article 3 sans modification.

La Commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3117).


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   COMPTE RENDU DES Débats DE LA COMMISSION
de la dÉfense nationale et des forces armées

Lors de sa réunion du mardi 7 juillet 2020, la commission de la Défense nationale et des forces armées examine le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure (n° 3117) (M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis).

M. la présidente Françoise Dumas. Notre ordre du jour appelle l’examen pour avis, sur un rapport de Loïc Kervran, de l’article 2 du projet de loi de prorogation de plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure. Cet article 2 prévoit en effet la prorogation, au-delà du 31 décembre 2020, d’une technique de renseignement que l’on appelle communément « algorithme ».

Vous le savez tous ici, le renseignement revêt une importance stratégique pour nos armées. Trois services de renseignement du premier cercle relèvent directement du ministère des armées : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et nous mesurons tous l’importance du continuum sécurité-défense et des liens entre nos opérations militaires extérieures et notre politique de sécurité intérieure face à la menace terroriste.

La saisine pour avis de notre commission sur cette courte disposition se justifie d’autant plus que la commission de la défense s’était déjà saisie pour avis de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

Notre collègue Loïc Kervran a été co-rapporteur d’une mission d’information dressant le bilan de cette loi fondatrice. Dans son rapport présenté il y a tout juste un mois, il évoque longuement cette technique de l’algorithme. Il semblait donc tout désigné pour rapporter sur ce texte, d’autant que ses qualités ont été saluées par tous.

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis. Notre commission est saisie pour avis sur l’article 2 du projet de loi de prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

Cet article 2, très court, modifie deux dates, prorogeant d’un an la possibilité de recourir à titre expérimental à une technique de renseignement communément appelée « algorithme », prévue par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, dont j’ai eu l’honneur de vous présenter une évaluation il y a tout juste un mois.

Il s’agit d’une disposition expérimentale, initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2018. Compte tenu de la mise en application tardive du premier algorithme, l’expérimentation a été étendue au 31 décembre 2020 par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, abrégée « loi SILT ». Sans intervention du législateur avant la fin de cette année, l’expérimentation ne pourrait donc pas se poursuivre.

Deux questions se posent à la représentation nationale.

Faut-il prolonger ou arrêter ce dispositif expérimental ? C’est à la fois une question de besoin opérationnel et d’équilibre entre libertés et sécurité. Pour y répondre, je montrerai pourquoi les services de renseignement français ont besoin de cette technique et comment l’équilibre entre sécurité et libertés publiques est assuré.

Si ce dispositif est prolongé, doit-il l’être sur ce périmètre, et pour cette durée ? Je vous ferai des propositions sur la durée de prolongation de l’expérimentation, ainsi que sur de futures évolutions du dispositif.

L’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure définit la technique de l’algorithme comme la mise en œuvre sur les réseaux de traitements automatisés destinés, en fonction de paramètres, à détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Le champ d’application des algorithmes s’étend aujourd’hui à l’équivalent des données de facturation des communications classiques – appels téléphoniques, SMS, consultations de répondeur – des opérateurs téléphoniques français. Il ne s’agit que de données de connexion, conservées vingt-quatre heures au maximum, pour être traitées par les algorithmes.

Si les techniques de renseignement prévues par la loi de 2015 s’exercent de manière individualisée, l’algorithme fait figure d’exception : son objectif est de recueillir, traiter, analyser et recouper un grand nombre d’éléments techniques anonymes pour détecter des signaux de faible intensité sur des données brutes, qui témoigneraient d’une menace pour la sécurité nationale.

L’algorithme est spécifique, mais il convient de le démythifier : ainsi que nous le rappelons dans notre rapport d’information sur la loi de 2015, il ne s’agit pas d’un outil de surveillance de masse mais bien d’un instrument de détection ciblée des signaux faibles. Cette détection est ciblée car elle est effectuée en fonction de paramètres déterminés, dans un seul objectif : révéler une menace terroriste. Il s’agit d’un outil de détection précoce de la menace qui, par essence, est diffuse et évolutive. En matière de lutte contre le terrorisme, la menace émane d’auteurs parfois inconnus des services, ne pouvant faire l’objet d’une surveillance ciblée a priori. Les actes terroristes sont de plus en plus souvent le fait d’individus qui s’inspirent des messages de propagande de certaines organisations les incitant au passage à l’acte et fournissant des instructions pour ce faire, sans qu’ils soient en contact direct avec ces organisations.

Si le dispositif a été instauré en juillet 2015, il n’a commencé à être utilisé par les services de renseignement qu’à compter d’octobre 2017. Désormais, trois algorithmes ont été autorisés et sont en fonctionnement.

La loi de 2015 a aussi prévu l’obligation pour le Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur l’application de cette expérimentation au plus tard le 30 juin de cette année. Dans ce rapport, qui nous a été remis la semaine dernière, le Gouvernement indique que les années 2015 et 2016 ont été « marquées par d’intenses travaux techniques et des échanges nourris avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ». Le Gouvernement précise que ce sont la DGSE et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui ont travaillé au paramétrage des algorithmes, en lien avec le groupement interministériel de contrôle – service de centralisation des données collectées placé auprès du Premier ministre.

Le rapport indique que pour que les algorithmes soient pleinement utiles, les paramètres d’alerte doivent être définis de manière suffisamment précise pour ne pas recevoir trop d’alertes, ou trop peu, et la qualité des données traitées par les algorithmes doit être suffisante. Il a donc fallu plusieurs allers-retours entre les services de renseignement et la commission de contrôle avant que le premier algorithme soit mis en œuvre, en octobre 2017. Le Gouvernement indique en outre que le premier algorithme « a été modifié assez largement dans ses premiers mois de fonctionnement, en raison d’un nombre encore trop élevé d’alertes générées par le système. Ces ajustements, rapides, ont été très bénéfiques pour la préparation et la mise en œuvre des autres algorithmes ». Au vu de leurs résultats, les trois algorithmes ont fait l’objet de demandes de renouvellement, de deux mois la première fois puis de quatre mois les fois suivantes.

Si les résultats obtenus au moyen de ces algorithmes sont protégés par le secret de la défense nationale, tout comme leur architecture précise, le Gouvernement a informé le Parlement qu’ils ont notamment permis d’identifier des individus porteurs d’une menace terroriste, de détecter des contacts entre des individus porteurs de menace, de mettre à jour des comportements d’individus connus des services de renseignement et d’améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste. Le Gouvernement indique dans son rapport que l’algorithme « a montré qu’il était en mesure de fournir des informations particulièrement utiles sur le plan opérationnel ». Il « permet d’alléger la surveillance sur les objectifs du bas du spectre et leur entourage ou en fin de suivi. (…) D’autre part, ce capteur est un indicateur opérationnel déterminant pour orienter l’enquêteur dans sa stratégie d’investigation concernant le suivi d’un objectif. »

Si les algorithmes ont fait la preuve de leur utilité opérationnelle, ils pourraient s’avérer indispensables si la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) confirmait sa jurisprudence de 2016 interdisant la conservation généralisée et indifférenciée des données. Dans sa décision de décembre 2016 Tele2 Sverige AB, la CJUE a remis en cause l’obligation, pour les opérateurs de télécommunications, d’assurer une conservation généralisée et indifférenciée des données relatives au trafic et des données de localisation des utilisateurs de réseaux de communication. Cet arrêt a fait l’objet de questions préjudicielles et devrait donner lieu à une nouvelle décision à l’automne. Cette décision, si elle était confirmée, aurait des conséquences majeures pour les services de renseignement dans la mesure où elle remet en cause la possibilité de recourir à toutes les techniques de renseignement nécessitant la conservation des données, c’est-à-dire qui ne fonctionnent pas en temps réel. L’avantage des algorithmes est précisément de fonctionner en temps réel.

L’algorithme est un outil utilisé par d’autres puissances étatiques. C’est notamment le cas au Royaume-Uni depuis l’Investigatory Powers Act de novembre 2016. La législation néerlandaise prévoit la mise en œuvre de traitements automatisés sur des données de connexion à des fins de détection des menaces « pour l’existence continue de l’ordre démocratique, la sécurité ou les autres intérêts vitaux de la Nation ». Hors du continent européen, les services américains et israéliens utilisent également ce type de techniques.

Il me paraît donc indispensable de poursuivre cette expérimentation : la menace terroriste reste importante et seuls ces algorithmes permettent d’appréhender une masse de données aussi conséquente. La France est une grande nation du renseignement et cette possibilité conférée par le législateur contribue à lui faire tenir son rang.

En contrepartie de ce caractère unique, le recours à la technique algorithmique est non seulement entouré des garanties prévues pour l’ensemble des techniques de renseignement, mais également très spécifiquement encadré.

Un algorithme ne peut être utilisé qu’au titre de la finalité de prévention du terrorisme. Cette menace se maintient à un niveau élevé : en février 2020, on recensait soixante et un attentats déjoués depuis 2013. Depuis le mois de janvier 2020, trois attaques ont été perpétrées, dont deux pendant le confinement : le 3 janvier à Villejuif, le 4 avril à Romans-sur-Isère et le 27 avril à Colombes.

Comme pour les autres techniques de renseignement, la mise en fonctionnement d’un algorithme par les services de renseignement suppose une autorisation du Premier ministre, accordée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La commission de contrôle, autorité administrative indépendante, est consultée aussi bien sur l’architecture de chaque algorithme que sur toute modification apportée à celle-ci. Pour ses vérifications, elle a accès au code source qu’elle analyse avec des experts indépendants. Ce n’est que si l’algorithme détecte des données susceptibles de caractériser l’existence d’une menace à caractère terroriste que le Premier ministre peut autoriser, après une nouvelle consultation de la commission de contrôle, l’identification des personnes concernées. Les données exploitées doivent impérativement être détruites dans les deux mois, sauf éléments sérieux confirmant l’existence d’une menace terroriste.

Le dispositif est donc extrêmement protecteur, à l’opposé des boîtes noires que certains voudraient y voir.

L’intérêt du dispositif et son caractère équilibré étant acquis, se pose la question du format de la prolongation.

Dans le rapport d’information que nous avons présenté il y a un mois, nous préconisons non seulement de poursuivre cette expérimentation mais aussi, afin de donner une plus grande efficacité aux algorithmes, d’étendre leur champ d’investigation à ce qu’on appelle les URL, c’est-à-dire aux adresses web, chaînes de caractères donnant un chemin d’accès à une ressource physique sur internet. Cela permettrait notamment de détecter la consultation, par des individus, de fichiers caractérisant une menace.

Une telle extension du dispositif supposerait une modification conséquente de la loi de 2015, et donc un débat de fond sur l’ensemble du texte. Si l’utilisation des algorithmes était appliquée aux URL, il serait cohérent d’étendre le champ d’application de l’article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure, qui concerne la technique de recueil de données de connexion en temps réel. En conclusion de notre rapport, nous appelons donc de nos vœux un tel débat de fond.

Cela étant, le Gouvernement a considéré que « les circonstances sanitaires exceptionnelles résultant de l’épidémie de covid-19 rendaient difficile l’examen en temps utile, et dans des conditions de débat appropriées, par le Parlement, d’un projet de loi spécifique ». Il propose donc de proroger l’expérimentation de l’algorithme jusqu’au 31 décembre 2021, soit pour un an de plus que ne le prévoit le droit en vigueur.

S’il me paraît effectivement opportun de décaler la date du 31 décembre 2020, pour sécuriser juridiquement l’expérimentation du dispositif après la fin de l’automne, qui correspond à la période budgétaire au Parlement, il ne me semble pas indispensable d’aller aussi loin dans le temps. Une prorogation au 31 juillet 2021, pour un an, est largement suffisante pour permettre au Parlement de débattre sereinement des évolutions de la loi de 2015. Ce débat sera d’autant plus riche que la loi a fait l’objet d’une évaluation par le législateur et que la mission d’information dont j’ai fait partie a formulé plusieurs propositions d’ajustements. De même, la délégation parlementaire au renseignement, que préside Mme Françoise Dumas et dont je suis également membre, rend chaque année des observations, dont certaines sont rendues publiques, sur l’activité et les moyens des services de renseignement. Enfin, de son côté, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement rend également un rapport public faisant état de son activité de contrôle. Les éléments destinés à nourrir le débat public sur le droit du renseignement sont donc nombreux à notre disposition.

Je vous propose d’amender l’article 2 du projet de loi que nous examinons aujourd’hui afin de prévoir une prorogation de l’algorithme jusqu’au 31 juillet 2021 et, en conséquence, la remise d’un rapport au Parlement d’ici au 31 décembre 2020.

              Mme Pascale Fontenel-Personne. Depuis une dizaine d’années, notre pays est exposé à une menace terroriste sans précédent : assassinats commis par Mohammed Merah en 2012 à Toulouse et Montauban, tragique année 2015 marquée par les attentats au siège de Charlie Hebdo, au stade de France, au Bataclan, à l’Hypercacher de Vincennes et dans le Thalys, attentats de Nice le soir du 14 juillet 2016, attentat à la préfecture de police de Paris à l’automne 2019. Cette triste énonciation montre combien l’État a besoin d’outils pour assurer la sécurité des Français. Pour éviter que de tels malheurs ne se reproduisent, de nombreux moyens humains et techniques ont été déployés ; ils ont permis de déjouer cinquante-neuf attentats en six ans, comme l’indiquait il y a quelques mois le ministère de l’intérieur.

Parce que les services de renseignement sont en première ligne pour détecter la menace terroriste, la loi renseignement de 2015 a autorisé une expérimentation sur une nouvelle technique de recueil d’informations, fondée sur des algorithmes, systèmes mathématiques de tri des informations numérisées. Le projet de loi dont notre commission est saisie pour avis propose de la proroger jusqu’au 31 décembre 2021. Pour votre part, Monsieur le rapporteur, vous jugez que la date du 31 juillet 2021 laisserait suffisamment de temps pour organiser un débat parlementaire. Il me semble en effet que nous disposons déjà des éléments pour le nourrir. Rappelons en effet que la date initialement prévue par la loi SILT était le 31 décembre 2020.

La pérennisation de l’algorithme et la modification de ses contours techniques sont des sujets sur lesquels les administrations et les services n’ont cessé de réfléchir. Le Parlement a lui aussi déjà commencé son travail. Il y a quelques semaines, nous nous sommes prononcés en faveur de la publication du rapport de la mission d’information chargée d’évaluer la loi de 2015 dont le président est Guillaume Larrivé et dont les co-rapporteurs sont Jean-Michel Mis et vous-même, Monsieur Kervran.

Je tiens à rendre hommage au formidable travail de la délégation parlementaire au renseignement qui mériterait d’être plus connue et plus valorisée. L’examen prochain d’un projet de loi sur le renseignement sera certainement l’occasion pour ses membres de rendre visible le contrôle qu’ils exercent habituellement dans l’ombre.

La prorogation que nous votons aujourd’hui n’est qu’une étape, contrainte par les circonstances sanitaires exceptionnelles de ce début d’année. Dans l’attente d’un véritable débat parlementaire d’ici à l’été 2021, nous veillerons à trouver un équilibre entre préservation des libertés et prévention de la menace terroriste.

M. Thibault Bazin. La loi SILT a le mérite d’exister mais le cadre intermédiaire qu’elle a établi entre l’état d’urgence et la situation qui le précédait n’en reste pas moins dégradé. La France est sortie de l’état d’urgence le 1er novembre 2017 et il apparaît comme un moindre mal de conserver des mesures de suivi et de protection face au terrorisme – assignation dans un périmètre, instauration de zones de protection, perquisition administrative, techniques de recueil de renseignement. L’actualité nous rappelle encore leur nécessité et le groupe Les Républicains votera, en responsabilité, leur prorogation. Nous sommes même favorables à une extension de deux ans de leur validité, voire à leur pérennisation. Ne tournons pas autour du pot.

Il faudrait enrichir ce projet de loi. Nous estimons que le profil de certains détenus terroristes appelle un suivi sur une plus longue période que la durée de six mois prévue pour les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS). En juin 2020, sur les 287 MICAS appliquées depuis novembre 2017, seules 42, soit 14 %, ont fait l’objet d’un renouvellement au-delà de six mois, et 16, soit 5,5 % au-delà de neuf mois. Ce renouvellement ne devrait plus être subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. Il faudrait aussi faire en sorte que les trois critères établis pour justifier le recours à de telles mesures soient alternatifs et non plus cumulatifs. La durée totale cumulée, aujourd’hui fixée à douze mois, nous paraît insuffisante au regard de la dangerosité des individus en cause. Elle devrait être portée à vingt-quatre mois, d’autant que ces mesures peuvent être levées dès que le comportement ne constitue plus une menace d’une particulière gravité. Enfin, il importe de modifier la définition du périmètre à l’intérieur duquel l’individu peut se déplacer : le territoire de la commune est bien trop large, compte tenu de la taille de certaines métropoles. L’assignation à résidence serait préférable.

Vous le voyez, il y a encore beaucoup de choses à améliorer en matière de sécurité intérieure.

M. Philippe Michel-Kleisbauer. Pour le groupe Mouvement démocrate et apparentés, la sécurité de nos concitoyens n’est pas une option : nous devons encourager tout ce qui permettra d’améliorer le fonctionnement de nos services. Nous savons en particulier que la DGSE formule des demandes récurrentes pour accéder bien plus en amont aux données des fichiers PNR (Passenger Name Record) afin de mieux suivre les déplacements d’un individu faisant l’objet d’une surveillance. Nous sommes donc favorables à la prorogation de ces mesures, compte tenu des retards techniques que nous avons enregistrés, et irons dans le sens du rapporteur.

Mme la présidente Françoise Dumas. Rappelons que le projet de loi dont nous sommes saisis pour avis ne comporte que trois courts articles. Un débat plus global sur le renseignement et la sécurité intérieure aura lieu ultérieurement.

M. Yannick Favennec Becot. Le texte soumis à l’avis de notre commission ne pose pas de difficultés particulières et notre groupe Libertés et Territoires votera pour son adoption. Il paraît pertinent d’accepter ces prorogations au regard de l’impact de la crise sanitaire sur notre calendrier parlementaire.

Je souhaite partager avec vous notre satisfaction devant le choix du Gouvernement de ne pas renouveler automatiquement pour cinq ans les mesures de la loi renseignement. Une telle automaticité aurait été inconcevable pour nous alors que le texte a d’emblée cherché à donner un fondement juridique à des mesures déjà en vigueur et éloignées du juge judiciaire. Nous ne pouvons laisser perdurer de telles atteintes à l’État de droit. La France est entrée dans une ère sécuritaire très préoccupante. C’est la raison pour laquelle le contrôle du Parlement doit pouvoir s’effectuer concrètement et en toute indépendance. Lors de sa visite en France, en 2018, la rapporteure spéciale des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a d’ailleurs insisté sur la nécessité d’une évaluation indépendante.

Nous devrons avoir une discussion sur le fond, notamment sur la technique de l’algorithme. Pour notre groupe, il est évident qu’il faudra envisager une évolution du cadre légal. Le rapport d’activité 2019 de la CNCTR relève que la pratique a fait apparaître des dysfonctionnements de certaines dispositions de la procédure.

M. Thomas Gassilloud. Si nous nous devons tous d’avoir une vision globale des questions de défense nationale, membres ou pas de cette commission car la défense est l’affaire de tous, nous avons aussi intérêt à nous spécialiser pour monter en compétences. Le travail constant sur un sujet ciblé permet d’acquérir l’expertise nécessaire pour que l’Assemblée nationale puisse émettre des avis indépendants et fondés, le rapport de notre collègue Loïc Kervran nous le montre bien.

Le renseignement se réduit souvent à un débat entre liberté et sécurité qui occulte un autre débat, celui qui porte sur la faisabilité et l’utilité. La bonne innovation est celle qui répond à un besoin opérationnel. La question que nous devons nous poser ici est de savoir si les algorithmes sont utiles. Notre réponse est clairement oui. Dans un monde aux risques multiples, le nombre grandissant de capteurs génère toujours plus de données, qui ne peuvent faire l’objet d’un traitement manuel. Or il est nécessaire de pouvoir les analyser pour identifier les individus porteurs de menaces, obtenir des informations sur leur localisation et améliorer la connaissance des services sur la manière dont ils procèdent. L’usage des algorithmes évite d’exercer une surveillance trop poussée sur l’ensemble du spectre. C’est comme si pour pêcher, on utilisait au lieu d’un gros filet ramassant beaucoup de poissons un harpon permettant de sélectionner quelques poissons bien identifiés. En ce sens, les algorithmes peuvent être protecteurs des libertés individuelles.

Nous sommes donc favorables à une prorogation de l’expérimentation, conscients que nous aurons besoin de nous pencher, au sein de notre commission, sur l’actualisation de la loi de juillet 2015.

Quant à l’extension aux adresses URL, elle nécessite un débat de fond. Nous partageons votre conviction, Monsieur le rapporteur, qu’il pourra se tenir d’ici à l’été 2021. Nous soutenons donc votre amendement à l’article 2.

Mme Manuéla Kéclard-Mondésir. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine souscrit à la prorogation de l’algorithme, compte tenu du contexte social et sanitaire et de la menace terroriste, toujours présente. Mais nous sommes impatients de débattre et de faire des propositions, notamment sur l’élargissement du champ d’application de ce dispositif. Actuellement, les Antilles doivent faire face à un problème aussi grave que le terrorisme : la circulation d’armes à feu. Nos forces de sécurité sont dépassées par l’ampleur du phénomène et elles n’ont pas accès aux renseignements qui leur permettraient de lutter, non seulement contre le narcotrafic, mais également contre la circulation d’armes à feu.

M. Jean-Michel Jacques. Monsieur le rapporteur, vous avez fait un travail remarquable. Vous proposerez, avec votre amendement, de prolonger jusqu’au 31 juillet 2021, soit pour une durée de sept mois, le dispositif de l’algorithme. Ne faudrait-il pas le prolonger davantage ? C’est la crise sanitaire qui justifie ce report, or nous ne sommes pas à l’abri d’une seconde vague…

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis. Monsieur Bazin, la commission de la défense ne s’est saisie que de l’article 2 du projet de loi et nos débats d’aujourd’hui concernent uniquement la prorogation de l’algorithme. Je rappelle – et cela me permet de répondre du même coup à M. Jean-Michel Jacques – qu’en prolongeant le dispositif pour une durée trop longue, on se priverait de la possibilité d’étendre le champ d’application de l’algorithme aux URL et d’étendre de la même manière le champ d’application de l’article L. 851-2 du code de la sécurité intérieure. Prolonger trop longtemps le dispositif, c’est repousser le débat de fond et l’introduction de nouveaux outils. C’est pourquoi la date de juillet 2021 me semble offrir un bon équilibre : elle permet à l’Assemblée d’avoir un débat de fond, tout en évitant à nos services de perdre du temps pour se doter des bons outils.

Je crois profondément au rôle du Parlement. Or ce dispositif a déjà été prolongé une première fois et je pense qu’il ne doit pas l’être indéfiniment. Il s’agit, je le répète, d’un dispositif expérimental.

Monsieur Michel-Kleisbauer, la mission d’information sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a fait un certain nombre de recommandations pour améliorer l’accès des services de renseignement aux fichiers : c’est un sujet qui dépasse le PNR et la discussion d’aujourd’hui, mais vous trouverez de nombreux éléments sur ce sujet dans le rapport d’information.

Monsieur Favennec-Bécot, je suis d’accord avec vous : il importe d’avoir rapidement un débat de fond sur ces questions. Toutefois, je ne crois pas que ces dispositifs soient des « atteintes à l’État de droit », comme vous le dites, bien au contraire. La loi de 2015 a cette particularité d’avoir fait entrer dans le champ du droit la politique publique du renseignement qui se menait, au mieux de façon « alégale », au pire de manière illégale, puisqu’elle était en contradiction avec d’autres dispositions, sur le secret des correspondances, par exemple. La loi de 2015 a été un vrai tournant, puisqu’elle a fait entrer les techniques de renseignement dans le champ du droit.

Monsieur Gassilloud, je partage votre analyse : l’algorithme et d’autres techniques de renseignement, quand elles sont bien ciblées et qu’elles permettent justement de ne pas surveiller tout le monde, protègent les libertés individuelles.

Madame Kéclard-Mondésir, je partage votre souhait d’avoir un débat de fond, même si les questions que vous évoquez nous font sortir du débat sur l’algorithme, dont la seule finalité, pour l’heure, est la lutte contre le terrorisme.

La Commission en vient à l’examen de l’article 2 du projet de loi dont elle est saisie pour avis.

Article 2

La Commission examine l’amendement n° DN1 du rapporteur pour avis.

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis. Mon amendement vise à trouver un équilibre entre deux nécessités. Il faut qu’un débat de fond ait lieu, à l’Assemblée nationale puis au Sénat, sur ces questions qui touchent à l’articulation entre sécurité et libertés publiques. Or la situation sanitaire exceptionnelle ne permettra probablement pas qu’il ait lieu avant le 31 décembre 2020. Il faut par ailleurs pérenniser cette expérimentation au-delà de cette date, car nous ne pouvons pas priver nos services de la technique de l’algorithme. Proroger le dispositif jusqu’à la date du 31 juillet 2021 me semble être le moyen de concilier ces deux impératifs.

Je l’ai dit, beaucoup de propositions sont déjà sur la table : le Parlement a beaucoup travaillé sur ces questions, comme la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Nous serons donc capables de discuter au fond sur ces sujets dans les mois qui viennent, et vos différentes interventions ont montré la nécessité d’avoir ce débat, mais il ne pourra probablement pas se tenir avant la fin de l’année – c’est tout l’enjeu.

M. Charles de La Verpillière. Si je comprends bien, votre amendement vise à proroger la technique de l’algorithme jusqu’au 31 juillet 2021, et non jusqu’au 31 décembre 2021, comme le prévoit le projet de loi. Sur le fond, je n’ai pas d’objection fondamentale mais il ne faudrait pas que cela soit interprété comme un signe de défiance à l’égard de cette technique, ou comme une manière de la remettre en cause. Si ce que vous voulez, c’est que le Parlement puisse débattre rapidement – c’est à dire au premier et non au deuxième semestre de 2021 – d’une loi relative aux techniques de renseignement, alors nous voterons votre amendement. Mais nous voulons être certains qu’il ne remet pas en cause cette technique, qui est absolument indispensable à la lutte contre le terrorisme.

M. Loïc Kervran, rapporteur pour avis. Il n’y a aucune méfiance de ma part vis-à-vis de cette technique, soyez-en sûr. Ce que je souhaite, c’est que nos services se dotent de la technique de l’algorithme et que son champ soit élargi, comme je l’ai exposé dans mon rapport d’information, sur lequel j’ai travaillé avec notre collègue Guillaume Larrivé. L’objectif est de donner à nos services un outil renforcé le plus vite possible. C’est pour cela que nous voulons aller vite. La loi de 2015 est une loi d’équilibre et il faut débattre de ses suites de manière globale.

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 modifié.

Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous rappelle que la commission des Lois examinera demain le projet de loi relatif à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.


([1])              Décisions n° 2017–691 QPC du 16 février 2018 et n° 2017–695 QPC du 29 mars 2018.

([2])              Seul un périmètre de protection a fait l’objet d’un recours. Il s’agit de l’arrêté du 14 août 2019 du préfet des Pyrénées-Atlantiques instaurant un périmètre de protection autour du tribunal de grande instance et du commissariat de Bayonne du 19 au 26 août 2019 inclus, dans le cadre du sommet du G7 organisé à Biarritz. Ce recours a été formé par un avocat au motif que ce périmètre portait une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d’aller et venir et aux droits de la défense.

([3])              Deuxième rapport annuel du Gouvernement sur l’application de la loi SILT, février 2019, p. 26.

([4])              Si la personne est placée sous surveillance électronique mobile en application de l’article L. 228–3 du code de la sécurité intérieure, ce territoire ne peut être inférieur au département.

([5])              Décisions nos 2017-691 QPC du 16 février 2018, M. Farouk B. [Mesure administrative d’assignation à résidence aux fins de lutte contre le terrorisme] et 2017-695 QPC du 29 mars 2018, M. Rouchdi B. et autre [Mesures administratives de lutte contre le terrorisme].

([6])              Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 précitée, § 69.

([7])              Le 11 mai 2018, suite à la détection d’un compte particulièrement actif dans la sphère pro-djihadiste, incitant ses interlocuteurs à se préparer au djihad, et à l’identification de son titulaire, une visite a été réalisée au domicile de l’intéressé, laquelle a permis de mettre à jour la présence de plusieurs tutoriels indiquant comment préparer un attentat à la bombe, au poison ou à l’arme blanche. De plus, un bloc de pétard, dont la poudre noire avait été extraite et remisée dans un sac, a été découvert. Les investigations réalisées par l’enquête pénale immédiatement déclenchée au regard de ces éléments tendent à confirmer qu’un attentat était en cours de préparation sur le territoire national.

([8])              http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/cion_lois/l15cion_lois1920045_compte-rendu.pdf.

([9])              Assemblée nationale, XIVe législature, rapport n° 2697, p. 42.

([10])              Rapport du Gouvernement du 30 juin 2020 sur l’application de l’article L. 853–1, p. 4.

([11])              CNCTR, rapport d’activité 2017, p. 16.

([12])              CNCTR, op. cit., p. 17.

([13])              Amendement n° 399 rectifié du Gouvernement.

([14])              Ce rapport a effectivement été remis le 30 juin dernier.

([15])              Rapport d’information n° 3069, juin 2020, « Sécurité nationale et libertés : le cadre juridique du renseignement, aujourd’hui et demain ».

([16])              Il s’agit de paramètres qui sont précisés dans l’autorisation accordée par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, de recourir à la technique algorithmique.

([17])              Rapport d’information n° 3069 déposé par la mission d’information commune sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, intitulé « Sécurité nationale et libertés : le cadre juridique du renseignement, aujourd’hui et demain ». La mission d’information était composée de M. Guillaume Larrivé, président, et de votre rapporteur pour avis ainsi que de M. Jean-Michel Mis, co-rapporteurs.

([18])              Source : étude d’impact du projet de loi.

([19])              La loi du 24 juillet 2015 prévoit la possibilité de recourir aux techniques de renseignement au titre de sept finalités :

1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

4° La prévention du terrorisme ;

5° La prévention :

a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;

b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous ;

c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

La plupart des techniques de renseignement énumérées par la loi peuvent être utilisées au titre de l’ensemble de ces finalités, sauf les techniques de l’algorithme (article L. 851-3 du CSI), de l’accès aux données techniques de connexion en temps réel (l. 851-2 du CSI), des interceptions de sécurité au moyen d’un IMSI-catcher (L. 852-1 du CSI) et certaines techniques de surveillance des communications internationales (IV et V de l’article L.854-2 du CSI).

La prévention du terrorisme est la seule finalité pouvant être invoquée pour l’ensemble des techniques de renseignement. Elle est aussi la seule finalité pouvant être invoquée pour motiver la mise en œuvre du recueil de données de connexion en temps réel, des algorithmes et des vérifications ponctuelles sur des identifiants techniques rattachables au territoire français s’agissant de la surveillance des communications internationales.

Pour plus de détails, cf. les annexes n° 4, 5 et 6 du rapport d’information n° 3069 sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement.

([20])              La seconde phrase de l’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 dispose que le Gouvernement adresse au Parlement un rapport sur l'application de cette disposition au plus tard le 30 juin 2020.

([21])              Comme l’indique le Gouvernement dans l’étude d’impact du projet de loi, « définir des paramètres trop restrictifs aurait abouti à un nombre quasi nul d’alertes générées par les traitements automatisés. Au contraire, arrêter des critères trop larges aurait contribué à générer de nombreux « hits » sans intérêt opérationnel pour les services, avec le risque de ne pas être en capacité de traiter l’ensemble des alertes et de passer à côté d’une menace réelle. L’objectif des services est bien de minimiser le nombre d’alertes ».

([22])              Le Gouvernement précise dans l’étude d’impact que « pour construire leurs algorithmes, les services de renseignement se sont appuyés sur des éléments recueillis lors de leurs investigations relatives à des faits de terrorisme ou d’opérations militaires à l’étranger (…) qui permettent, notamment à l’occasion de saisies d’ordinateurs, de découvrir des modes particuliers de communication qui constituent une « signature » caractéristique de ces groupes terroristes ».

([23])              Cf. le rapport d’information n°3069, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2020, précité.

([24])              http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2016/25/contents/enacted

([25])              https://wetten.overheid.nl/BWBR0039896/2020-01-01

([26])              L’URL permet d’identifier une ressource web par son emplacement et de préciser le protocole internet pour la récupérer. Elle peut localiser différents formats de données (documents HTML, image, son…).

([27])              Cf. l’exposé des motifs du projet de loi.

([28])              Il s’agit de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

([29])              Il s’agit de l’amendement n° 146 , adopté le 11 mai 2020 par la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2907/CSDDUCOVID/146

([30])              Les trois membres de la mission d’information sur la loi du 24 juillet 2015, M. Guillaume Larrivé, président, et les deux co-rapporteurs – M. Jean-Michel Mis et votre rapporteur pour avis –, avaient également déposé un amendement n° 55, rédigé autrement mais poursuivant le même objectif, devenu sans objet compte tenu de l’adoption de l’amendement n° 146 : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2907/CSDDUCOVID/55 .