N° 3387

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 septembre 2020

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI,

relatif à la restitution de biens culturels
à la République du Bénin et à la République du Sénégal
(n° 3221)

 

 

PAR M. Yannick KERLOGOT
 

Député

——

 

AVIS

 

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

par Mme Marion LENNE

Députée

——

 

 

 

 Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3221.


 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS

Principaux apports de la commission

Commentaires des articles

Article 1er  Sortie des collections publiques du Trésor de Béhanzin  et restitution à la République du Bénin

Article 2  Sortie des collections publiques du sabre dEl Hadj Omar Tall  et restitution à la République du Sénégal

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION  DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

I. une démarche inédite qui dÉfinit un cadre pour les restitutions de biens culturels

A. UN ENGAGEMENT DU PRésident de la république nécessitant de déroger aux principes du droit français

1. L’aménagement d’une dérogation ciblée aux principes du droit français du patrimoine

2. La consolidation d’une doctrine en matière de restitution de biens culturels

B. La levée progressive dun tabou : une démarche qui a suscité de nombreux débats

1. Une démarche qui a suscité d’importants débats en France

2. Une priorité partagée : élargir l’accès aux patrimoines culturels

II. Une démarche qui s’inscrit pleinement dans la politique de coopération culturelle de la france

A. Une inscription dans lambition de renouveau de la politique culturelle de la France en Afrique

B. UNE coopération patrimoniale et muséale prometteuse

C. Vers une démarche européenne ?

COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION AU FOND

I. Discussion générale

II. examen des articles

TRAVAUX DE LA COMMISSION des affaires ÉTRANGÈRES

Annexes

annexe 1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

annexe 2 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure POUR AVIS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

ANNEXE 3 : liste des biens restitués en application du projet de loi

 


—  1  —

   AVANT-PROPOS

Lors de son discours prononcé à l’université de Ouagadougou le 28 novembre 2017, le Président de la République s’est adressé à la jeunesse : la jeunesse africaine, mais aussi la jeunesse de France issue de l’histoire commune entre la France et l’Afrique, qui « regarde vers lAfrique ». Ce discours très dense s’achevait sur la question de la culture, ciment d’amitié. Constatant et regrettant qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France et dans des musées européens, le Président prononça cette phrase : « Je veux que dici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

À la suite de ce discours, le Président de la République a confié à deux experts, l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, et l’universitaire sénégalais Felwine Sarr, la mission d’étudier les possibilités de restitutions. Leur rapport, intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle », remis en novembre 2018, a généré beaucoup despoirs mais aussi de lincompréhension.

Ce rapport a suscité des attentes du côté de ceux qui souhaitaient obtenir la restitution de pièces appartenant aux collections françaises. Il a aussi beaucoup agité et inquiété les musées européens qui se sont sentis attaqués dans leur raison d’être. En effet, ce rapport véhicule une vision très négative du musée occidental, qualifié péjorativement de « musée de lautre ». Or, l’histoire de l’autre n’est-elle pas l’histoire de l’humanité à laquelle nous appartenons tous ? Les musées européens, et en particulier français, présentent des œuvres de toutes les cultures dans une vision universaliste qui cherche à mettre en valeur le génie humain, d’où qu’il vienne.

Il n’en demeure pas moins que dans son écrasante majorité, le patrimoine d’Afrique sub-saharienne que l’on pourrait qualifier de « classique » (fin du XIXe siècle – première moitié du XXe siècle) se trouve aujourd’hui dans des musées occidentaux et des collections privées, et que les musées africains n’ont pas le matériau suffisant pour nourrir leur muséographie.

L’Europe doit permettre le retour de certaines œuvres en Afrique. Elle le doit à la jeunesse africaine, non pas dans un esprit de repentance car ces œuvres n’effaceront pas l’histoire, mais pour ouvrir une nouvelle page dans nos relations avec les pays qui nous en font la demande.

C’est ainsi que le Président de la République a annoncé son souhait de restituer les vingt-six pièces constituant le trésor de Béhanzin au Bénin, et que le Premier ministre a souhaité restituer au Sénégal de façon définitive le sabre dit d’El Hadj Omar Tall qui se trouvait déjà en dépôt à Dakar.

● À travers le présent projet de loi, le Gouvernement demande au Parlement d’autoriser la sortie des collections publiques de ces œuvres. En effet, les collections publiques sont, depuis la Révolution française, inaliénables. Seule une loi peut, de façon précise et limitée, faire exception à ce principe.

Le principe dinaliénabilité, que l’on peut trouver trop strict, permet en effet de garantir que les objets présents dans les collections publiques appartiennent à tous et ne peuvent être vendus par ceux qui ont la charge publique ou rendus à leurs anciens propriétaires (par exemple en ce qui concerne les biens confisqués à la noblesse pendant la Révolution).

Par ailleurs, les musées français n’ont pas seulement pour mission de montrer les œuvres au public, mais aussi de les conserver pour l’étude scientifique et la postérité. En cela, les musées d’Europe occidentale peuvent se distinguer des musées américains ou nordiques qui ont une conception plus mobile de leurs collections.

Cependant, on ne peut pas s’abriter derrière ces principes juridiques pour refuser des demandes légitimes de la part de nos partenaires africains. Certains gestes sont très attendus, et ils honorent la France.

Les restitutions dont il est question dans le présent projet de loi sont l’aboutissement de nombreux échanges diplomatiques. Ils sont aussi le début d’un nouveau partenariat avec les pays concernés, fondé sur léchange culturel.

Le patrimoine et la culture sont aujourd’hui considérés comme un enjeu clé par des pays qui souhaitent affirmer leur identité mais aussi leur attractivité. La question du patrimoine est désormais un enjeu de rayonnement économique, politique, touristique et diplomatique.

La France dispose d’une expertise reconnue en matière d’ingénierie patrimoniale et muséale, qu’elle peut mettre à profit dans son partenariat avec les États africains.

Le retour du trésor de Béhanzin au Bénin s’inscrit dans un vaste plan de développement patrimonial et muséal, projet politique et économique porté par le Gouvernement béninois, dans lequel la France s’inscrit à travers un projet de l’Agence française de développement ainsi que l’appui de l’agence Expertises France.

L’annonce de la restitution du sabre d’El Hadj Omar Tall s’est aussi accompagnée de la signature d’un accord de coopération culturelle entre la France et le Sénégal.

● Au-delà de ces deux restitutions qui font l’objet du présent projet de loi, se pose la question dautres restitutions. D’autres demandes ont été émises par des États africains. Elles ne sont pas très nombreuses – à cet égard, il ne faut pas confondre une campagne de presse avec une demande officielle. Elles posent néanmoins la question d’une éventuelle « doctrine » de la France sur les restitutions.

Il est clair que les restitutions doivent se faire uniquement dÉtat à État, dans le but de rendre les œuvres que la France a conservées accessibles à la population du pays d’où elles proviennent.

Certaines demandes sont très ciblées, ne portant que sur un nombre d’objets restreints et choisis en raison de l’histoire et du symbole que peuvent représenter les objets pour l’État ou pour une partie de sa population. D’autres demandes, très générales, semblent plutôt relever d’une posture d’affichage et sont impossibles à satisfaire.

La France doit anticiper ces demandes en menant un travail sur l’origine des objets de ses collections. Certaines pièces conservées par les musées sont issues de prises de guerre et autres butins, acquis avant que le développement du droit international humanitaire vienne encadrer et interdire ces pratiques. Certaines œuvres sont arrivées en France dans des conditions qui ne seraient plus acceptables aujourd’hui d’un point de vue moral ou juridique. Ce sont ces provenances d’œuvres qu’il importe d’étudier de manière attentive, afin de pouvoir les établir de la façon la plus scientifique possible. Le Musée du Quai Branly travaille sur cette traçabilité depuis près de vingt ans.

La réponse doit aussi être européenne. Une doctrine collective pourrait être dégagée. À l’initiative de la France, les directeurs de grands musées européens dotés de collections africaines importantes se sont réunis en 2019 à Paris et en 2020 à Londres. Ils ont conclu à la nécessité d’un travail européen sur la « traçabilité » des collections – sujet que lequel les musées européens ont déjà beaucoup progressé. Le comité français du Conseil international des musées (ICOM) appelle aussi à un rapprochement entre le monde de la recherche et le monde des musées.

La principale recommandation du rapport Sarr-Savoy consiste à considérer que toute œuvre qui a été acquise pendant la période coloniale, quelles que soient les conditions d’acquisition, est par définition une spoliation car les rapports étaient inégaux, et doit donc être restituée. Les nombreuses auditions menées par le rapporteur ont néanmoins montré que l’histoire était plus nuancée et plus complexe.

L’intérêt occidental pour les objets non-occidentaux, artefacts et œuvres d’art, s’est développé à la fin du XIXe siècle dans une visée scientifique, ethnographique puis artistique. Dans le cas africain, cela a conduit au transfert d’une part importante du patrimoine matériel hors du continent, à la faveur de la colonisation. Il y avait cependant à l’époque un marché de l’art. Par ailleurs, les Africains qui avaient constaté le goût des Européens pour les objets rituels se sont mis à en produire pour la vente. Considérer que tout ce qui s’est passé pendant une période est nul et non avenu, comme si l’on pouvait réécrire l’histoire, n’est pas la meilleure manière d’avancer.

Enfin, les restitutions doivent être l’occasion de resserrer les liens avec les pays demandeurs, d’égal à égal, notamment en matière culturelle. Le retour des objets doit être préparé afin de garantir qu’ils puissent être montrés à la population. Le directeur du Musée de l’Homme, M. André Delpuech, insiste sur la nécessité de restituer non seulement des œuvres mais aussi de la connaissance sur les objets et l’histoire des peuples colonisés.

Le rapporteur estime que des sorties des collections au cas par cas, comme celles qui sont demandées dans le présent projet de loi, constituent, pour le moment, la meilleure solution. Il serait en effet difficile aujourd’hui d’élaborer un cadre qui puisse valoir pour tous les cas : il risquerait d’être soit trop large, au détriment des collections, soit trop étroit, au risque d’empêcher des restitutions qui pourraient paraître politiquement ou symboliquement souhaitables bien que ne respectant pas tous les critères préétablis.

Cela n’interdit pas d’entamer une réflexion sur une loi-cadre qui pourrait intervenir plus tard, notamment si les cas se multipliaient.

Si le rapport Sarr-Savoy traite essentiellement de la notion de restitutions d’objets, la lettre de mission mettait en avant la circulation des œuvres au sens large. Le rapporteur considère qu’au-delà des restitutions, nécessaires et souhaitables, il faut également œuvrer à une plus grande circulation des œuvres, non seulement africaines mais occidentales. En effet, la circulation des œuvres doit permettre de promouvoir une culture universelle contre les tentations de repli identitaire et communautaire. La France et l’Europe doivent accroître les prêts et les dépôts d’œuvres en Afrique, le cas échéant en aidant les États qui n’en ont pas à se doter de musées aux standards internationaux de conservation. Car ce qui importe, c’est avant tout de rendre le patrimoine africain, mais aussi la culture universelle, accessibles à la jeunesse africaine.


—  1  —

   Principaux apports de la commission

 

À l’initiative de Mme Constance Le Grip, la commission a adopté deux amendements similaires, l’un à l’article premier, l’autre à l’article 2, précisant que les sorties des collections publiques autorisées par ces deux articles constituent une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques inscrit à l’article L. 451‑5 du code du patrimoine.

 


–  1  –

   Commentaires des articles

Article 1er
Sortie des collections publiques du Trésor de Béhanzin
et restitution à la République du Bénin

Adopté par la commission avec modifications

L’article 1er autorise la sortie des vingt-six œuvres issues de la prise d’Abomey des collections du musée du Quai Branly, par dérogation au principe législatif d’inaliénabilité des collections publiques, et prévoit leur remise à la République du Bénin.

I.   Le trésor de Béhanzin

L’article 1er porte sur la restitution des « vingt-six œuvres provenant d’Abomey » conservées au musée du Quai Branly-Jacques Chirac. La liste de ces vingt-six objets figure en annexe au projet de loi et présente pour chacun un numéro d’inventaire et un court descriptif (cf. annexe 2 du présent rapport).

Il s’agit des œuvres dont le Président de la République a annoncé la restitution le 23 novembre 2018 : « En cohérence avec la démarche engagée, et sur proposition du musée du Quai Branly-Jacques Chirac et du ministère de la culture, le président de la République a décidé de restituer sans tarder 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin ».

C’est le musée du Quai Branly qui a établi la liste de ces vingt-six objets. Les conservateurs et chercheurs du musée ont prouvé que parmi les vingt-huit biens provenant des palais royaux d’Abomey présents au sein des collections du Quai Branly, vingt-six ont été « mal acquis ». Le ministère de la culture en a ensuite proposé la restitution.

Le général Alfred Amédée Dodds exerçait le commandement des troupes françaises au Sénégal depuis 1890. Entre 1892 et 1894, il mena une campagne de conquête du Dahomey, actuel Bénin. Les vingt-six pièces dont il est question ont été interceptées lors de l’incendie du palais royal, allumé par le roi Béhanzin, roi du Dahomey, qui a rendu les armes en 1894 face aux troupes coloniales françaises avant d’être exilé en Martinique.

Ces pièces sont ensuite rentrées dans les collections nationales à la suite de deux legs du général Dodds au Musée d’ethnographie du Trocadéro, l’un en 1893 pour huit pièces, l’autre en 1895 pour dix-huit pièces.

Le premier legs porte sur :

– trois bocios, statues anthropomorphes en bois des rois Ghézo (mi-homme, mi-oiseau), Glèlè (mi-homme, mi-lion) et Béhanzin (mi-homme, mi-requin). Ces statues sont censées protéger, par la magie, les soldats. Elles participent à la glorification du souverain – présenté par celles-ci comme surhumain, notamment lors du défilé annuel des richesses du royaume. Elles sont aussi utilisées dans le cadre de la pratique du vaudou, assurant un rôle de protectrices de la communauté ;

– quatre portes sacrées des palais royaux d’Abomey réalisées par fon Sosa Adede sous le règne de Glèlè (1818-1889). Elles se situaient à l’ouverture des bâtiments de réception et de la salle de conseil du roi. Leurs bas-reliefs sont composés de symboles relatifs aux rois du Dahomey, à leurs armées, et aux esprits protecteurs de la communauté ;

– un siège royal.

Le second legs, réalisé en 1895, comporte :

– trois récades, qui sont des sceptres royaux gravés de l’animal emblématique de chaque roi, insignes d’autorité qui peuvent être remis à un messager ;

– les trônes des roi Ghézo et Glèlè, ainsi qu’un kataklé, siège tripode utilisé comme un repose-pieds par le souverain ;

– six asen, autels portatifs sur lesquels sont rendus des hommages aux ancêtres ;

– des calebasses royales grattées et gravées ;

– une tunique, un pantalon de soldat, un fuseau, un métier à tisser et un sac en cuir.

II.   La nécessité de recourir à la loi pour déclasser les œuvres

La première phrase de larticle 1er indique que les œuvres sont « conservées dans les collections nationales placées sous la garde du musée du Quai Branly-Jacques Chirac ». Ainsi, les œuvres ne sont pas la propriété du musée mais appartiennent à la Nation. En France, les musées ne sont pas propriétaires de leurs collections, ils n’en sont que les dépositaires.

A.   Le principe d’inaliénabilité des collections publiques est protégé par la loi

1.   Le régime législatif de protection des collections publiques

Le régime de la domanialité publique consiste à distinguer deux parties dans l’ensemble des biens dont disposent les collectivités publiques : d’une part les biens simplement utiles mais qui ne sont pas fondamentaux pour l’accomplissement des missions de ces collectivités, et qui constituent le domaine privé de l’État ou d’une autre personne publique, et d’autre part les biens essentiels à l’accomplissement des tâches incombant à l’institution, qui constituent le domaine public et bénéficient, à ce titre, d’une protection spéciale.

Cette protection est énoncée à l’article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : « Les biens des personnes publiques mentionnées à larticle L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

« Inaliénables » signifie qu’ils ne peuvent pas être vendus, « imprescriptibles » signifie qu’il n’y a pas de prescription : une œuvre qui aurait été perdue ou volée peut être récupérée, sans limite de temps et sans aucune indemnité, entre les mains de qui elle sera retrouvée, même si ce possesseur est de bonne foi. Ces principes fondamentaux de la domanialité publique remontent à l’édit de Moulins de 1566 qui a fait la distinction entre le domaine du Roi et le domaine de la Couronne.

L’application de ces principes aux collections dont les musées français ont la charge depuis la Révolution française a toujours été considérée comme allant de soi, puisque les musées ont pour vocation même de permettre au public l’usage de ces collections.

Dans le but de consolider l’inaliénabilité des collections des musées, mais aussi de permettre la circulation et le bon entretien des collections, la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France a donné un fondement légal explicite au principe d’inaliénabilité des collections, en précisant que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables ». Un objet entré dans la collection d’un musée public est donc théoriquement destiné à y demeurer perpétuellement, sauf mise en dépôt ou prêt qui ne portent pas atteinte au droit de propriété. La loi de 2002 prévoit toutefois des possibilités de déclassement, en indiquant que « Toute décision de déclassement dun de ces biens ne peut être prise quaprès avis conforme dune commission scientifique ». Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 451-5 du code du patrimoine.

Cette même loi a aussi consacré le principe de l’imprescriptibilité en l’étendant aux collections de tous les musées de France, y compris privés (article L. 451-3 du code du patrimoine).

Le caractère absolu de l’imprescriptibilité risquait, en pratique, d’en affaiblir la portée, en ne prévoyant pas les assouplissements nécessaires dans certains cas. C’est ainsi que l’article L. 451-8 du code du patrimoine, issu de la loi du 4 janvier 2002, autorise le transfert de la propriété de tout ou partie des collections d’un musée de France d’une personne publique à une autre, à la condition que la collection continue à être présentée dans un musée de France.

Enfin, l’article L. 451-10 dispose que les collections des musées de France appartenant aux personnes morales de droit privé sont insaisissables.

Pour dégager les critères de déclassement d’un bien présent dans les collections dans le cadre de l’article L. 451-5 précité, il faut se référer au code général de la propriété des personnes publiques. L’article L. 2112-1 de ce code définit le champ du domaine public mobilier. Le critère est l’« intérêt public du point de vue de lhistoire, de lart, de larchéologie, de la science ou de la technique ». Suit une énumération de onze catégories, dont « les collections des musées » au 8°.

L’article L. 2141-1 du même code prévoit les cas de déclassement et dispose qu’« un bien dune personne publique mentionnée à larticle L. 1, qui nest plus affecté à un service public ou à lusage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de lintervention de lacte administratif constatant son déclassement ». En matière de mobilier, c’est labsence dintérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique qui permet de déclasser par un acte administratif.

En revanche, l’article L. 451-7 du code du patrimoine interdit de déclasser des biens incorporés dans les collections publiques par dons et legs.

La commission scientifique créée par la loi du 4 janvier 2002 n’a jamais eu à statuer sur des demandes de déclassement. M. Jacques Rigaud, auteur en 2008 d’un rapport au Gouvernement sur « la possibilité pour les opérateurs publics daliéner des œuvres de leurs collections » ([1]), y voyait une forme d’inertie de l’administration.

À l’occasion de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution des têtes maories à la Nouvelle-Zélande, le législateur a redimensionné la commission scientifique tout en lui fixant un délai pour développer et préciser ses orientations en matière de cession et de déclassement des biens appartenant aux collections. Les articles L. 115-1 et L. 115-2 du code du patrimoine précisent respectivement les missions et la composition de la commission scientifique nationale des collections, qui doit notamment donner « son avis conforme sur les décisions de déclassement de biens appartenant aux collections des musées de France » et définir « des recommandations en matière de déclassement des biens appartenant aux collections [des musées de France] ».

Dans son rapport au Parlement prévu par l’article 4 de la loi précitée du 18 mai 2010, la commission scientifique indique qu’elle se prononcera sur une éventuelle proposition de déclassement uniquement au regard de la perte de lintérêt public du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’archéologie, de la science ou de la technique du bien en cause pour la collection publique considérée et, plus généralement, pour les collections publiques françaises. Toutefois, il transparaît des travaux préparatoires au Parlement que la volonté du législateur était clairement que la commission scientifique soit une force de proposition pour le Gouvernement en matière de déclassements, en amont des demandes.

Compte tenu du maigre bilan de cette commission et de ses difficultés de fonctionnement – liées à sa composition pléthorique – le Gouvernement a proposé la suppression de la commission scientifique dans le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, actuellement en cours d’examen au Parlement ([2]).

En tout état de cause, il n’est pas possible de déclasser par voie administrative un bien d’une collection publique qui n’a pas perdu de son intérêt historique, artistique, archéologique ou scientifique. Or, les biens culturels dont la restitution a été demandée par le Bénin, le Sénégal ou par d’autres pays conservent bien entendu tout leur intérêt de ce point de vue.

Toutefois, les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité n’ayant jamais reçu de consécration constitutionnelle ([3]), il demeure possible, sans encourir la censure du Conseil constitutionnel, de déroger au principe dinaliénabilité par la loi de manière exceptionnelle.

Ainsi, le législateur est déjà intervenu deux fois pour déclasser des biens culturels dans le cadre de restitutions :

– par la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite la « Vénus hottentote », à l’Afrique du Sud ;

– par la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.

Dans ces deux cas, il s’agissait de restes humains, pour lesquels un large consensus se dégage en faveur des restitutions, à l’instar de la loi américaine NAGPRA (Native American Grave Protection and Repatriation Act) de 1990 qui modifia en profondeur le statut des restes humains, des artefacts qui en contiennent, et plus généralement de tout objet issu de fouilles illégales dans des cimetières.

En janvier 2019, l’Algérie a officiellement demandé la restitution des crânes de combattants tués lors des guerres de conquête au XIXe siècle, conservés au Musée de l’Homme. Ces crânes ont été déposés par la France en Algérie en juillet 2020, et ont depuis été enterrés. Une disposition législative sera nécessaire. Toutefois, sur la question des restes humains, le rapporteur estime qu’une disposition législative générale devrait être prise et qu’elle ne peut être liée au sujet des restitutions de biens culturels. Le code civil, dans son article 16-1, place en effet hors commerce le corps humain, ses éléments et ses produits : les restes humains ne constituent pas des biens pouvant être « acquis ».

2.   Une spécificité française

Il convient aussi de souligner que la nécessité de recourir à la loi pour déclasser un bien des collections des musées est une spécificité française – ce qui ne veut pas dire qu’il soit facile d’aliéner des biens des musées ailleurs.

Une étude de droit comparé du Sénat ([4]) montre que lorsqu’il est explicitement reconnu par la loi, le principe d’inaliénabilité des collections publiques n’est pas absolu. Outre la France, ce principe est énoncé par les textes espagnols et italiens.

Au Royaume-Uni, le principe d’inaliénabilité s’applique essentiellement aux collections de la National Gallery. Au British Museum, les décisions d’aliénation relèvent d’une commission d’experts indépendants dont l’avis n’est pas susceptible de recours.

Dans les pays où il n’y a pas de principe général d’inaliénabilité, les opérations de cession sont encadrées et restent limitées. C’est le cas en Allemagne, au Danemark, aux Pays-Bas, pour la plupart des musées publics anglais et aux États–Unis. Ainsi, le Brooklyn Museum a très récemment annoncé la vente aux enchères de douze œuvres – s’il est déjà arrivé que des musées américains vendent des œuvres pour en acquérir de nouvelles, c’est la première fois qu’un grand musée le fait pour faire face à ses dépenses de fonctionnement.

3.   Le droit international

La France a ratifié en 1997 la Convention de l’UNESCO du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Il s’agit d’un accord multilatéral, entré en vigueur en 1972, d’application indirecte et non‑rétroactive, qui invite les États parties à faciliter la récupération de ces biens culturels par la voie diplomatique et à empêcher leur exportation.

Cette convention ne peut pas avoir d’effet rétroactif. En revanche, elle a permis à la France de restituer les cinq fragments de peinture murale du tombeau d’un dignitaire de la XVIIIe dynastie égyptienne (1550-1290 avant J.-C.), situé dans la vallée des Rois, acquis de bonne foi par la France, avec un certificat d’exportation qui s’est avéré être un faux. L’intervention du législateur n’était pas nécessaire puisque l’acquisition et l’entrée dans les collections était frappée de nullité.

B.   Le Choix de faire une loi particulière

Il résulte de ce qui précède qu’une loi est nécessaire pour déclasser les vingt‑six œuvres du Trésor de Béhanzin avant de les restituer à la République du Bénin.

Compte tenu du fait qu’il est probable que d’autres demandes de restitutions surviennent et que d’autres biens présents dans nos collections aient pu être « mal acquis », il pourrait sembler opportun de proposer une loi-cadre qui prévoirait les cas dans lesquels un bien peut être déclassé en vue de sa restitution, afin de ne pas demander l’autorisation du législateur à chaque fois.

Cette solution s’imposera peut-être à l’avenir si la France reçoit beaucoup de demandes de restitutions pour des biens mal acquis. Toutefois, le rapporteur estime que le moment n’est pas venu pour cela et que cette solution n’est pas souhaitable actuellement. D’une part, la France n’a pas reçu beaucoup de demandes officielles de restitutions. D’autre part, une démarche générale serait prématurée, alors que le travail sur l’origine et l’histoire de la transmission des œuvres des musées est encore en cours. Enfin, une loi-cadre comporterait le risque d’être soit trop large, au risque d’être contraire à la Constitution, soit trop rigide, au risque d’empêcher des restitutions qui paraîtraient opportunes d’un point de vue symbolique.

L’article 1er du présent projet de loi dispose ainsi que les vingt-six œuvres précitées « cessent de faire partie » des collections nationales à compter de sa date d’entrée en vigueur. Cette sortie des collections se traduira par un arrêté de radiation des vingt-six œuvres listées en annexe de linventaire du musée du Quai Branly.

Afin de bien le fait que cette sortie exceptionnelle des collections ne remet pas en cause le principe d’inaliénabilité, la commission a adopté un amendement, à l’initiative de Mme Constance Le Grip, précisant que cette sortie se fait « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451‑5 du code du patrimoine ».

III.   LA RESTITUTION DES ŒUVRES, l’OCCASION DE RESSERRER LES LIENS DIPLOMATIQUES ET CULTURELS AVEC LE BéNIN

La deuxième phrase de larticle 1er dispose que « Lautorité administrative dispose, à compter de la même date, dun délai dun an au plus pour remettre ces œuvres à la République du Bénin ». Ainsi, une fois la loi promulguée, la France devra organiser la restitution matérielle des vingt-six pièces du trésor de Béhanzin dans un délai d’un an.

Le Bénin se prépare actuellement à la réception de ces œuvres, notamment à travers un projet de musée sur le site des palais royaux d’Abomey. Le retour de ces œuvres sera l’aboutissement d’un long processus diplomatique qui vise à renforcer les relations diplomatiques et culturelles entre la France et le Bénin.

A.   LE PROCESSUS DIPLOMATIQUE QUI A CONDUIT À LA DéCISION DE RESTITUER CES ŒUVRES

Entre décembre 2006 et mars 2007, trente objets du Trésor de Béhanzin avaient été exposés au sein de la Fondation Zinsou dans le cadre d’un prêt du Musée du Quai Branly pour l’exposition « Béhanzin, Roi dAbomey » à Cotonou. Cette exposition avait connu une fréquentation très importante et avait fait émerger un souhait de retour définitif de ces œuvres au Bénin.

Lors du conseil des ministres du Bénin réuni le 27 juillet 2016, la décision a été prise de demander officiellement à la France la restitution des biens culturels liés aux palais d’Abomey. La requête, datée du 26 août 2016, présentée par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Bénin, M. Aurélien Agbenonci, auprès du ministre des Affaires étrangères français, M. Jean-Marc Ayrault, matérialise cette volonté.

La France a refusé, dans un premier temps, de donner suite à cette demande sous la forme d’une restitution définitive. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault, a souligné, par une lettre en date du 12 décembre 2016, que « conformément à la législation en vigueur, [ces biens] sont soumis aux principes dinaliénabilité, dimprescriptibilité et dinsaisissabilité. En conséquence, leur restitution nest pas possible. » Le ministre a néanmoins invité le Bénin à un approfondissement de la coopération culturelle, ce qui s’est traduit immédiatement par l’installation d’une commission commune franco-béninoise en charge des problématiques patrimoniales.

Cependant, les autorités béninoises ont persévéré dans leur détermination politique de voir revenir dans leur pays les œuvres provenant d’Abomey. Cette demande a été relayée par les ministres du Tourisme, de la Culture et des Affaires étrangères, mais aussi par le Président de la République du Bénin lors de rencontres bilatérales avec les présidents de la République française successifs.

Dans le même temps, le musée du Quai Branly a effectué un travail sur les circonstances de l’entrée dans les collections nationales des objets issus de la prise d’Abomey.

Le discours prononcé à Ouagadougou par le Président de la République, le 28 novembre 2017, marque une évolution de la position française sur la question des restitutions et a permis ainsi des avancées diplomatiques dans les négociations entre la France et le Bénin. C’est lors d’une rencontre au palais de l’Élysée en mars 2018 avec le Président de la République du Bénin, que le président Macron a annoncé la mise en place d’un groupe de travail chargé de la rédaction d’un rapport sur l’opportunité de « restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », dont la direction a été confiée à M. Felwine Sarr et Mme Bénédicte Savoy.

À l’issue de la remise de ce rapport, le 23 novembre 2018, le Président de la République a annoncé, par un communiqué officiel, que les 26 œuvres demandées par le Bénin seraient restituées. Lors d’une visite officielle à Cotonou, le ministre de la Culture, M. Franck Riester, a renouvelé auprès du président Talon l’engagement de la France à restituer ces biens à la République du Bénin et à renforcer la coopération culturelle entre les deux pays.

B.    UNE OCCASION D’APPROFONDIR LA COOPéRATION CULTURELLE ENTRE LA FRANCE ET LE BENIN

Les palais royaux d’Abomey sont classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO depuis 1985. C’est là que les vingt-six œuvres issues du trésor de Béhanzin doivent être conservées et présentées au public. Pour cela, le Bénin mène, en coopération avec la France, un projet de rénovation des palais et de construction d’un musée.

Les palais d’Abomey, inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1985, constituent un ensemble architectural unique en Afrique, symbole de la grandeur et de la prospérité du royaume du Dahomey, qui a atteint son apogée entre les XVIIIe et XIXe siècles.

Le projet a pour objectif de réhabiliter les palais et de créer un musée aux normes internationales, le « musée de lépopée des amazones et des rois du Dahomey ». Il doit aussi permettre de redynamiser le tissu artisanal traditionnel de la ville, reconnu pour sa grande qualité, en le resituant dans son environnement historique qu’est la cour palatiale. La ville, qui a été consultée dans le processus d’élaboration du projet, profiterait ainsi du développement économique ‑ notamment lié au tourisme – induit par ce dernier.

Le projet de coopération remonte à une dizaine d’années. Dès 2009, le gouvernement béninois avait sollicité l’Agence française de développement (AFD) pour le financement d’un projet de musée à Abomey dans le cadre d’un plan d’action gouvernemental général pour le développement du tourisme.

Le programme d’investissement « Bénin révélé » présenté par le Président de la République du Bénin le 16 décembre 2016, a pour objectif de dynamiser l’économie du pays à travers neuf secteurs clés, dont le tourisme. L’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT) est chargée d’engager un plan ambitieux de réhabilitation et de construction d’infrastructures patrimoniales et muséales combiné à la restructuration de l’École du patrimoine africain de Porto-Novo, créée en 2000, qui assurera la montée en compétences des conservateurs et des gestionnaires de musées béninois.

Ce projet d’équipements muséaux comprend notamment la restauration de la cité historique de Ouidah – à la fois l’ancien fort portugais et le palais du gouverneur – associée à la création du musée international pour la mémoire de l’esclavage (MIME), la réhabilitation du parc national de la Pendjari, la réinvention de la cité lacustre de Ganvié et la rénovation des palais royaux d’Abomey accompagnée de la création du musée de l’épopée des Amazones et des rois du Dahomey (MEARD). C’est dans le cadre de cette dernière qu’intervient le projet de coopération avec l’AFD.

Il convient de préciser que le Bénin dispose déjà d’une offre muséale intéressante, non seulement publique mais aussi privée, à travers, par exemple, le Petit musée de la Récade, fondé par M. Robert Vallois et le collectif des antiquaires de St-Germain-des-Prés, à Abomey-Calavi, ou la fondation Zinsou consacrée à l’art contemporain, à Cotonou.

L’AFD ainsi qu’Expertises France, l’agence française de coopération technique internationale, travaillent sur les études de faisabilité et la préparation de du projet d’Abomey. L’AFD envisage un projet de 35 millions d’euros dont :

– une partie en prêt souverain ([5]), estimée à 25 millions d’euros, qui sera utilisée pour la construction et l’équipement du nouveau musée ainsi que pour la réalisation des travaux de réhabilitation et d’équipement des quatre palais ;

– une partie en subvention, d’un montant estimé à 10 millions d’euros, qui servira à financer les actions en direction des artisans, des entreprises innovantes, des centres de formation professionnelle et de l’École du patrimoine africain en vue de maximiser les retombées économiques et développer les métiers et les compétences nécessaires pour les musées du Bénin. Cette subvention permettra également de couvrir partiellement les frais de fonctionnement de la nouvelle structure au cours des premières années pour accompagner la montée en puissance de la contribution budgétaire nationale – en effet, comme la plupart des musées, le nouveau musée ne sera pas rentable et devra être subventionné dans la durée.

Ces montants ont été évalués au cours de l’étude de faisabilité du projet menée par l’ANPT et par Expertise France avec l’aide du ministère de la Culture, du musée du Quai Branly et du Musées des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM). La mission d’expertise propose aussi un appui administratif et juridique aux autorités béninoises, notamment sur le cadre législatif et sur les différents modèles potentiels de gestion du site.

Ce projet devra être validé par le conseil d’administration de l’AFD au cours des prochains mois. L’AFD inaugure, avec ce projet, sa capacité à accompagner et à financer un équipement muséal d’ampleur, renforçant pour l’avenir sa faculté d’action en la matière.

Ainsi, loin de se limiter à la restitution des vingt-six œuvres susmentionnées, ce projet constitue une opportunité pour renforcer la coopération culturelle entre les deux pays. Le comité chargé de la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin, auditionné par le rapporteur, témoigne de la volonté d’étendre ce partenariat patrimonial, notamment en imaginant la possibilité d’expositions temporaires de pièces des collections nationales françaises dans les infrastructures nouvellement créées, qui correspondront aux meilleurs standards internationaux.

Toutefois, ce projet ne sera vraisemblablement pas terminé dans le délai d’un an suivant la promulgation de la loi, puisque son achèvement est maintenant estimé à 2023, si bien que la restitution matérielle pourrait avoir lieu dans un autre musée. Le Gouvernement béninois envisage d’exposer les œuvres au sein du musée actuellement en construction à Ouidah.

*

Article 2
Sortie des collections publiques du sabre dEl Hadj Omar Tall
et restitution à la République du Sénégal

Adopté par la commission avec modifications

L’article 2 autorise la sortie du sabre dit d’El Hadj Omar Tall des collections du musée de l’Armée, par dérogation au principe législatif d’inaliénabilité des collections publiques, et prévoit sa remise à la République du Sénégal.

I.   Le sabre d’El Hadj Omar Tall

L’article 2 porte sur la sortie des collections publiques et la restitution du sabre avec fourreau « dit dEl Hadj Omar Tall ».

El Hadj Omar (1797-1864) est le principal protagoniste de la création de l’Empire Toucouleur, ayant existé durant environ cinquante ans au cours du XIXe siècle sur des territoires aujourd’hui maliens, sénégalais et guinéens. Pour ce faire, il a mené une guerre contre les peuples de Ségou et les peuls du Macina et a diffusé l’islam sunnite dans la région, tout en mettant en place une organisation administrative sur l’ensemble du territoire. Il symbolise aussi la résistance à la colonisation, notamment française, comme en témoigne le siège de Médine en 1857 au Mali– bien qu’il se soit soldé par un échec d’El Hadj Omar face aux troupes du général Faidherbe. Son héritage sur le territoire de l’ancien Empire Toucouleur est discuté : tantôt considéré comme un héros national au Sénégal tantôt perçu comme un envahisseur au Mali.

Ce sabre a été récupéré, en 1893, par les troupes françaises du colonel Archinard à l’issue d’une bataille contre Amadou Tall, fils et successeur d’El Hadj Omar. Il fût légué au musée de l’Armée par le colonel Archinard en 1909, en même temps qu’un certain nombre de ses souvenirs des campagnes militaires en Afrique de l’ouest, issus des prises de Ségou, de Djenné et de Bandiagara. Archinard avait affronté Amadou Tall, maître de Ségou depuis la mort de son père. Les archives de l’acquisition comportent la mention « prise de Bandiagara ». C’est probablement à Amadou Tall que le sabre a été confisqué après la prise de Bandiagara.

Le sabre est constitué d’une lame française fabriquée dans une manufacture d’Alsace, caractéristique des officiers d’infanterie. La poignée est en cuir, tandis que le pommeau est composé de bronze. En forme de bec d’oiseau, ce dernier a été gravé et martelé d’une manière caractéristique de la métallurgie toucouleur. Le fourreau, quant à lui, est un assemblage de cuir et de laiton similaire à ceux réalisés pour les armes blanches en Afrique de l’Ouest. Cet ensemble apparaît donc un mélange entre une création africaine et européenne.

Quelle que soit son histoire exacte, ce sabre est porteur d’une valeur symbolique forte, à la fois nationale, pour le Sénégal, et religieuse puisqu’El Hadj Omar Tall était non seulement un chef militaire mais aussi un chef religieux musulman.

Il a été exposé au Sénégal en 1998 à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) et en 2008, à l’occasion du sommet de l’Organisation de la coopération islamique, au même endroit. Il a été à nouveau prêté à partir du 6 décembre 2018, pour une durée d’un an, au Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar, à l’occasion de son inauguration et pour la première année de son ouverture. La convention de prêt consentie par le Musée de l’Armée au Musée des civilisations noires étant arrivée à échéance le 5 décembre 2019, le Musée de l’Armée, compte tenu de la perspective d’une décision de restitution, a mis en œuvre une nouvelle convention pour un dépôt de cinq ans.

La convention passée entre le Sénégal et la France précise la nécessité de présentation du sabre dans les collections permanentes. Le sabre est exposé au MCN dans une vitrine qui est mise à disposition du gouvernement sénégalais par la France afin d’assurer une bonne conservation. La présentation et l’environnement du sabre est à la discrétion des autorités sénégalaises et du directeur du MCN.

II.   La nécessité de recourir à la loi pour déclasser le sabre des collections publiques

L’article 2 dispose que le sabre avec fourreau « cesse de faire partie » des collections nationales à compter de la date d’entrée en vigueur du projet de loi.

Sur la nécessité de recourir à la loi et le principe d’inaliénabilité des collections publiques, le rapporteur renvoie au commentaire de l’article 1er.

Cette sortie des collections se matérialisera par un arrêté du ministre des Armées de radiation du sabre dit d’El Hadj Omar Tall de l’inventaire du musée de l’Armée.

De même qu’à l’article 1er, la commission a adopté un amendement précisant que cette sortie des collections publiques se fait « par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451‑5 du code du patrimoine ».

III.   LA RESTITUTION du sabre, l’OCCASION DE RESSERRER LES LIENS AVEC LE Sénégal

La deuxième phrase de larticle 2 dispose que « Lautorité administrative dispose, à compter de la même date, dun délai dun an au plus pour remettre ces biens à la République du Sénégal ».

Matériellement, le sabre se trouve déjà au Sénégal au sein du MCN, en vertu de la convention de dépôt établie par le musée de l’Armée.

A.   la restitution du Sabre, un geste diplomatique et symbolique

Le Sénégal a adressé à la France une demande officielle le 8 août 2019 pour obtenir restitution des objets « issus du butin de guerre de Ségou et conservés au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, au Musée de lArmée et au Muséum dhistoire naturelle du Havre ».

La décision de restituer le sabre s’est faite dans le cadre du séminaire intergouvernemental entre la France et le Sénégal. Un tel séminaire est organisé chaque année, alternativement à Paris et à Dakar, rassemblant autant de membres des deux gouvernements, sur les secteurs essentiels. En 2018, le séminaire ne s’est pas tenu, en raison d’élections au Sénégal. En 2019, les gouvernements souhaitaient tous les deux que cette rencontre marque une signification politique particulière. Le gouvernement français a eu l’idée d’accomplir un geste culturel symbolique, d’où la remise du sabre – dont la restitution était une demande du gouvernement sénégalais depuis un certain temps déjà, et dont le prêt au MCN arrivait à échéance au moment du séminaire.

La remise du sabre a eu lieu entre le Premier ministre Édouard Philippe et M. Macky Sall, Président de la République du Sénégal. Il y avait dans la salle de la présidence une ferveur à la fois politique et religieuse. La retransmission en direct par des chaînes de télévision a permis une large diffusion de la cérémonie.

Toutefois, la restitution du sabre est un sujet parmi d’autres d’une relation franco-sénégalaise très dense.

B.   La nécessité de renforcer la coopération culturelle entre la France et le Sénégal

La relation franco-sénégalaise est riche et témoigne d’une grande proximité : en deux ans, les deux chefs d’État se sont rencontrés à sept reprises, dont la dernière fois à la fin du mois d’août 2020. La France est le premier fournisseur, investisseur et bailleur du Sénégal et chaque année depuis 2015, le séminaire intergouvernemental – le seul en Afrique subsaharienne – permet d’élaborer des feuilles de route thématiques sur des sujets comme les migrations, la sécurité, la défense ou la culture. Les liens humains sont également étroits, avec plus de 20 000 Français vivant au Sénégal, et une diaspora sénégalaise importante en France.

Le réseau culturel français est très actif dans les principales villes du Sénégal. La relation culturelle franco-sénégalaise est aussi présente à travers des initiatives privées, comme le Musée d’art et d’histoire des cultures d’Afrique de l’Ouest (MAHICAO) créé par M. Réginald Groux, à partir de sa propre collection, dans le Siné Saloum.

Le dépôt de longue durée conclu en décembre 2019 en vue de la restitution du sabre s’est accompagné de la signature d’un accord de coopération entre les ministères de la culture, visant entre autres à renforcer la coopération muséale, y compris dans les domaines de la circulation des œuvres, de la conservation préventive et de la médiation culturelle. Il comprend un projet d’exposition au printemps 2021, « Picasso lAfricain », qui a pour objectif de marier les œuvres prêtées par la France avec des œuvres du Sénégal et un volet autour de la formation, en organisant notamment une circulation des chercheurs, des conservateurs et des étudiants, comprenant un volet « présentiel » et « en ligne ».

Plusieurs personnes auditionnées par le rapporteur ont insisté sur la nécessité de former des conservateurs et des gestionnaires de musées, et d’œuvrer pour que ce type de carrières soit davantage valorisé.

Le bâtiment abritant le Musée des civilisations noires de Dakar a été financé et construit par la Chine, sans contenu préalablement défini. Les Sénégalais ont décidé d’en faire, non pas un musée du Sénégal ou de l’Afrique, mais un musée de l’histoire des civilisations noires, à partir des travaux de Cheikh Anta Diop.

Le nouveau partenariat culturel entre la France et le Sénégal doit être l’occasion de valoriser l’ingénierie muséale française, reconnue partout dans le monde.

*


–  1  –

   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

La commission des affaires étrangères s’est saisie pour avis du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Aménageant une dérogation ciblée aux règles du droit du patrimoine français - notamment au principe d’inaliénabilité des collections publiques - en même temps qu’il crée une doctrine en matière de restitution de biens culturels, le présent projet de loi répond à un engagement du président de la République, formulé en 2017 à l’occasion du discours dit de Ouagadougou. La démarche initiée alors, marquée par la publication en 2018 du rapport confié par le président de la République à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr sur la question des restitutions de biens culturels, a suscité d’importants débats, en France comme chez nos voisins européens. Là où le terme même de restitution peut soulever des réserves du fait de ses implications, il apparaît qu’un certain consensus peut se dégager sur la nécessité de renforcer la circulation des œuvres, et par là-même l’accessibilité du patrimoine culturel africain. À la crainte parfois formulée de voir s’ouvrir une « boîte de Pandore » patrimoniale, on peut opposer la mise en place par la France, et tout particulièrement par les ministères de la culture et de l’Europe et des affaires étrangères, aidés en cela par les institutions muséales et les historiens de l’art, d’une procédure rigoureuse d’encadrement et de traitement des demandes de restitution.

Le recours à la loi, indispensable pour déroger au principe d’inaliénabilité qui a lui-même une valeur législative, répond aussi au caractère relativement tardif de l’adoption d’instruments de droit international dans ce domaine : ainsi la convention UNESCO de 1970 pour empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites des biens culturels, ratifiée par la France en 1997, ne peut encadrer de restitutions que pour litiges concernant des biens culturels dont les faits générateurs ne sont intervenus qu’après l’entrée en vigueur de la convention dans chaque État partie concerné.

Le débat sur les restitutions de biens culturels suscite lui-même de nombreux débats qui dépassent le cadre du présent projet de loi, et touchent notamment aux définitions de l’œuvre d’art, du patrimoine national ou encore de l’institution muséale, dont les acceptions répandues en Europe ne sauraient être uniques ni s’imposer à d’autres pays et continents.

Au plan diplomatique, les restitutions de biens culturels au Sénégal et au Bénin s’inscrivent dans une ambition de renouveau de la politique de coopération culturelle franco-africaine, au profit d’une coopération co-construite où les enjeux patrimoniaux trouvent toute leur place. La demande d’expertise muséale française ne cesse de croître, et certains champs comme la coopération scientifique et universitaire ayant trait au patrimoine mériteront d’être renforcés pour les années à venir. Sans ingérence ni désintérêt, la coopération culturelle franco-africaine peut être le vecteur du renforcement du paysage muséal africain et des capacités de gestion de nos partenaires dans ce domaine.

En outre, la question des restitutions peut se définir comme une problématique européenne, partagée avec plusieurs pays voisins dont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique ou encore le Royaume-Uni. Si les débats et politiques publiques en la matière ne se sont pas structurés de manière identique, l’Europe apparaît comme un terrain propice pour avancer sur ce sujet, sur la base d’une coopération ancienne et dynamique entre les institutions muséales européennes.

I.   une démarche inédite qui dÉfinit un cadre pour les restitutions de biens culturels

A.   UN ENGAGEMENT DU PRésident de la république nécessitant de déroger aux principes du droit français

1.   L’aménagement d’une dérogation ciblée aux principes du droit français du patrimoine

Le présent projet de loi répond à un engagement du président de la République, formulé le 28 novembre 2017 à l’occasion du discours dit de Ouagadougou, dans lequel le président avait présenté les grands axes de la relation souhaitée avec l’Afrique pour les années à venir. Dans son discours, le président déclarait ainsi : « Ce sera une de mes priorités, je veux que dici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ([6]) ». C’est dans ce contexte que le président de la République a confié une mission en 2018 sur le sujet à deux universitaires, M. Felwine Sarr, professeur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal), et Mme Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universitat de Berlin. Le rapport, intitulé « Restituer le Patrimoine africain : vers une nouvelle éthique relationnelle », a été remis le 23 novembre 2018 ([7]).

Pour pouvoir procéder à une restitution de biens issus des collections des musées de France, une modification du cadre juridique est nécessaire. En effet, les collections des musées nationaux, en tant que composante du domaine public, sont protégées par trois principes : inaliénabilité, imprescriptibilité ([8]) et insaisissabilité ([9])

Les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité n’ont pas valeur constitutionnelle, ils peuvent donc faire l’objet de dérogations prévues par la loi. Une procédure de sortie du domaine public est prévue par le code du patrimoine, relevant de la Commission nationale scientifique des collections ([10]), qui est appelée à rendre un avis conforme. Toutefois, le déclassement présuppose le constat d’une « perte d’intérêt public », qui ne vaut pas le plus souvent pour des biens culturels réclamés par un État étranger. Enfin, les biens issus de donations entre vifs ou par legs ne peuvent pas être déclassés, ce qui vaut pour les biens visés par le présent projet de loi ([11]).

Afin de permettre une pleine application de la convention de l’UNESCO de novembre 1970 sur le trafic des biens culturels ([12]) (ratifiée par la France en 1997), la loi de 2016 relative à liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a donné au juge la possibilité d’annuler une acquisition qui apparaîtrait a posteriori comme ayant porté sur des biens volés ou sortis illégalement de leur pays d’origine ([13]). Cette disposition ne peut s’appliquer que dans les cas où l’acquisition est postérieure à l’entrée en vigueur de la convention pour l’État concerné et la France, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En revanche, l’application de la convention UNESCO avait permis d’encadrer la restitution à la Chine en 2015 de plaques en or Qin après la révélation qu’elles étaient issues de fouilles illégales récentes, ainsi que la restitution de fresques provenant de la tombe de Tétiky, illégalement importées d’Égypte et restituées en 2009.

Le dispositif juridique retenu repose donc sur une dérogation ciblée au principe d’inaliénabilité, prévoyant la sortie de biens appartenant aux collections des musées nationaux, en vue d’une restitution. Le véhicule choisi s’applique spécifiquement aux biens identifiés, et figurant en annexe du projet de loi, à savoir, pour le Bénin, les 26 d’œuvres d’Abomey ([14]), prise de guerre du général Dodds actuellement conservées au musée du Quai Branly, et pour le Sénégal, le sabre attribué au chef religieux et militaire El Hadj Omar Tall ([15]), ainsi que son fourreau, qui ont intégré les collections du musée de l’Armée après avoir fait l’objet d’un don du général Archinard.

Dans le cas du Bénin, l’origine et la trajectoire des objets, qui constituent le « trésor de Béhanzin », sont bien référencées et clairement établies. Il s’agit d’une série d’objets pris par les troupes du général Dodds – et ayant dans le même temps échappé aux flammes de l’incendie du Palais royal provoqué par le roi Béhanzin – et donnés par les descendants du général en 1893 et 1895. Dans le cas du sabre d’El Hadj Omar Tall, un débat historique demeure quant à la trajectoire exacte de l’objet. Comme cela a été rappelé en audition par le directeur du musée de l’Armée, le général Henri de Medlege, il est probable que le sabre ait en réalité appartenu à l’un des fils d’El Hadj Omar Tall, après avoir été confisqué ou « pris » par le général Archinard à l’issue de combats.

2.   La consolidation d’une doctrine en matière de restitution de biens culturels

Le procédé choisi suppose de répéter le processus en cas de nouvelles restitutions. Il avait déjà été utilisé dans deux précédents cas de restitution : pour la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite la « Vénus Hottentote » à l’Afrique du Sud (loi du 6 mars 2002 ([16])) et pour des têtes maories à la Nouvelle-Zélande (loi du 18 mai 2010 ([17])), qui portait dans les deux cas sur des restes humains.

Au-delà de ces précédents, l’élaboration du présent projet de loi a aussi été l’occasion de bâtir une doctrine en matière de restitution de biens culturels, qui pourra être répliquée à l’avenir.

Le véhicule législatif constitue par ailleurs l’aboutissement d’une phase d’instruction des demandes, qui décline une série d’exigences permettant un encadrement des restitutions par une expertise scientifique et historique. D’une part, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, point d’entrée des demandes de restitution, ne traite que des demandes adressées officiellement par les autorités de l’État demandeur ([18]). D’autre part, ces demandes doivent être instruites, ciblées, et accompagnées d’un référencement des objets via des notes verbales. Elles peuvent ainsi faire l’objet dans un second temps d’une recherche d’origines, afin d’établir un historique d’appropriation de l’objet, pour cibler les transactions non équitables ou contraintes antérieures au développement du droit international dans ce domaine (voir supra).

La conclusion d’accords bilatéraux de restitution pourrait aussi être envisagée, par exemple dans le cadre d’accords globaux qui pourraient inclure une coopération technique et muséale plus large. Tout accord conclu aux fins de restitution de biens culturels devrait être soumis au Parlement, en vertu de l’article 53 de la Constitution, dans la mesure où ils porteraient sur des dispositions de nature législative.

Comme l’a souligné en audition le directeur du musée du Louvre M. Jean‑Luc Martinez, cette instruction scientifique des demandes est un rempart contre les risques d’instrumentalisation dont les biens culturels peuvent faire l’objet : ainsi certains pays comme l’Égypte voient régulièrement éclore des campagnes de restitution lancées dans les médias, sans être suivies de demandes formalisées.

Dans le cas du Bénin, le travail d’investigation a ainsi conduit à écarter deux objets sur les 28 initialement identifiés par le musée du Quai Branly comme potentiellement issus de l’expédition militaire d’Abomey, du fait de la persistance d’incertitudes sur l’origine et la trajectoire exactes des pièces. L’inventaire électronique du musée permet de maintenir l’accès à ces pièces afin de laisser la porte ouverte à une nouvelle phase d’investigation.

La nécessité de référencement des objets renvoie à l’importance des inventaires tenus par les musées, qui suppose un travail de longue durée. L’existence d’un inventaire public apparaît comme un premier pas potentiel pour avoir un dialogue instruit sur la circulation des biens culturels, or les musées nationaux français se distinguent par le caractère relativement abouti de leurs inventaires. Ainsi toutes les collections du musée du Quai Branly ont été mises en ligne – à l’issue d’un travail qui s’est étalé sur huit ans – dans le cas du musée du Louvre, il est prévu que 60 % des collections soient accessibles d’ici mars 2021.

La capacité des États demandeurs à adresser des demandes instruites peut être freinée par le manque de moyens ou d’expertise de la recherche nationale, comme l’a souligné en audition M. Emmanuel Pierrat, avocat, l’absence de demande de certains États s’explique en partie par l’état de la recherche. Ce constat invite à renforcer la coopération scientifique et universitaire dans ce domaine, d’autant plus que la recherche patrimoniale est aujourd’hui l’un des pans les moins avancés de la coopération culturelle, et fait ainsi l’objet d’une attention renforcée depuis quatre ans ([19]).

En parallèle du processus de restitution, les musées français ont été encouragés à travailler sur l’historique des œuvres et à vérifier les provenances des objets présents dans leurs collections. En audition, le président du musée du Quai Branly M. Emmanuel Kasarhérou a présenté la méthodologie établie pour mener à bien ce travail, selon trois critères : l’illégalité au regard des lois en vigueur (la rétroactivité ne s’appliquant pas), l’illégitimité (absence de consentement des propriétaires dans l’acquisition en cas, par exemple, de violence ou de vente forcée), la préexistence d’une demande.

Concernant les modalités pratiques de restitution, un délai d’un an est prévu, à compter de l’entrée en vigueur de la loi, pour opérer la remise des œuvres concernées. Le sabre d’El Hadj Omar ayant été prêté au Musée des civilisations noires de Dakar depuis son ouverture en décembre 2018, il se trouve déjà au Sénégal.

B.   La levée progressive d’un tabou : une démarche qui a suscité de nombreux débats

1.   Une démarche qui a suscité d’importants débats en France

Dans le cas du Bénin comme dans le cas du Sénégal, les œuvres restituées avaient fait l’objet de demandes préalables. La demande béninoise, formulée dès 2016, avait alors essuyé un refus du ministère des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, au nom du principe d’inaliénabilité.

Si l’engagement du président de la République formulé en 2017 a pu surprendre, les démarches engagées prennent toutefois une certaine distance par rapport aux conclusions du rapport Sarr-Savoy, en privilégiant une approche ciblée, au cas par cas. Pour rappel, selon ce rapport, au moins 90 000 objets d’art d’Afrique subsaharienne se trouvent actuellement dans les collections publiques françaises, dont environ 70 000 sont conservés au musée du Quai Branly.

Pour Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, la période coloniale a correspondu pour la France « à un moment dextrême désinhibition en matière d« approvisionnement » patrimonial dans ses propres colonies, de boulimies dobjets ». Les rapports de domination de l’époque invitent, selon eux, à postuler l’« absence de consentement des populations locales lors de lextraction des objets » et à considérer que les acquisitions ont été obtenues « par la violence, la ruse ou dans des conditions iniques ». En conséquence, ils préconisent la restitution des pièces saisies lors de conquêtes militaires, mais aussi celles collectées durant les missions scientifiques ou par des agents de l’administration coloniale. Ils préconisent également le retour des biens acquis illégalement après 1960 grâce au trafic illicite d’œuvres d’art. Pour lever l’obstacle juridique, les deux chercheurs proposent une modification du code du patrimoine français afin d’y introduire une procédure dérogatoire propre aux anciens protectorats et colonies françaises.

Leur rapport propose une approche en trois phases :

-         État des lieux, consistant à adresser l’inventaire des pièces majeures répertoriées dans les musées français aux États correspondant aux territoires coloniaux dont elles proviennent. Les transferts pourraient alors avoir lieu dans la mesure où le pays d’origine considère être en mesure de recevoir les objets, et sur la base d’une méthodologie de restitution élaborée en commun ;

-         Inventaire, afin d’élaborer un inventaire complet et facile d’accès et de mettre en place des commissions et des ateliers pour permettre un « dialogue intensif » entre les parties ;

-         Transfert des œuvres.

Les conclusions du rapport Sarr-Savoy ont suscité d’importants débats, et un vent d’opposition. Plusieurs experts de l’art africain entendus en audition se sont accordés pour prendre leurs distances avec l’idée défendue de transactions systématiquement contraintes ou inéquitables. Pour Pierre Amrouche, très peu d’objets ont été stricto sensu pillés pendant la période coloniale en Afrique, tout contrat n’était pas léonin même si un rapport de vassalité prévalait souvent. L’existence bien référencée de pillages et de raids ([20]), ne permettrait pas d’affirmer que tout aurait été acquis illégalement, comme l’a également souligné Jean-Luc Martinez. Enfin, tous deux ont rappelé l’existence d’un marché organisé dans de nombreux pays africains pendant la période coloniale, permettant des transactions ([21]).

Certaines des réticences formulées lors de la publication du rapport se sont en partie prolongées au vu de la démarche concrétisée par le présent projet de loi. Les opérateurs du marché de l’art redoutent notamment que les demandes de restitution concernant les musées ne se répercutent ensuite sur le commerce et détournent des acheteurs potentiels, alors que la France occupe la première place mondiale dans le secteur des arts extra-occidentaux. Le ministre de la culture, pour répondre à ces inquiétudes, a indiqué dans son intervention du 4 juillet 2019 que le gouvernement n’avait pas l’intention de « prendre des mesures restrictives concernant les patrimoines africains détenus en mains privées ». Les représentants du Syndicat national des antiquaires (SNA) entendus en audition ont toutefois manifesté une inquiétude toujours vive eu égard au risque de décourager les donateurs d’œuvres d’art, qui pourraient craindre que leurs dons ne soient plus systématiquement protégés par le principe d’inaliénabilité.

Enfin, la crainte de voir le présent projet de loi ouvrir une « boîte de Pandore » ne semble pas justifiée à ce stade. D’une part, du fait de l’encadrement strict de la procédure de restitution et du caractère rigoureux de l’instruction des demandes. D’autre part, en raison d’un nombre de demandes restant très limité, y compris depuis le discours de Ouagadougou, au regard de l’ampleur des collections d’objets africains conservés dans les collections publiques françaises ([22]). Du point de vue du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, les partenaires de la France sont avant tout demandeurs d’un accompagnement en matière de politique publique patrimoniale et de développement des infrastructures culturelles et muséales.

2.   Une priorité partagée : élargir l’accès aux patrimoines culturels

Au-delà des débats historiques, les restitutions s’inscrivent dans une ambition fédératrice, autour de laquelle les personnalités entendues en audition se retrouvent : élargir l’accès aux patrimoines culturels africains, avec une attention particulière pour la jeunesse africaine, mise en avant par le président de la République dans le discours de Ouagadougou. Mme Marie-Cécile Zinsou, historienne de l’art et présidente de la Fondation Zinsou, a insisté en audition sur cet aspect des restitutions, qui pourront renforcer l’accès des populations à leur histoire, grâce à la proximité retrouvée d’objets supports d’une mémoire riche ([23]).

La demande des populations est réelle et l’enthousiasme suscité par le retour des œuvres peut être fort. De nombreux professionnels africains de la culture ont notamment souligné l’engouement suscité par l’exposition à Cotonou en 2006 des œuvres du « trésor de Béhanzin », attirant près de 300 000 visiteurs en trois mois.

Pour assurer un véritable accès aux biens culturels, la sensibilisation des populations, la lutte contre les trafics d’œuvres d’art et plus encore la capacité de conservation des œuvres seront des axes de travail primordiaux pour l’avenir, et, du point de vue de la France, autant de terrains possibles pour la coopération culturelle (voir infra). Interrogés sur le risque de voir des objets restitués se retrouver sur le marché de l’art ([24]), le président et le vice-président du Comité chargé de la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin, MM. Nouréini Tidjani Serpos et Alain Godonou, ont indiqué que toutes les précautions nécessaires seraient prises pour assurer une sécurisation matérielle et juridique des œuvres, et ont rappelé que le Parlement béninois avait autorisé en janvier 2020 l’adhésion à la convention UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés.

L’accessibilité des musées sera aussi un enjeu : au Bénin les billets d’entrée coûtent environ 1,50 euros, pour un revenu moyen mensuel d’environ 51 euros ([25]).

Concernant les enjeux de conservation, il apparaît que la logique même de la restitution suppose de ne pas s’ingérer dans le traitement des œuvres une fois la restitution effectuée : la responsabilité revient alors en priorité aux États nouvellement détenteurs des œuvres. Pour autant, la coopération culturelle menée par la France reste une voie envisageable pour apporter une expertise ou une assistance financière et matérielle, comme en témoigne la contribution de l’Agence française de développement à la construction du nouveau musée d’Abomey au Bénin (voir infra). Plusieurs personnes auditionnées ont souligné l’existence de problèmes récurrents touchant le paysage muséal africain, et relevant davantage de leur entretien que de l’existence même de bâtiments ([26]).

D’autre part, la démarche partenariale prônée par la France autorise voire encourage différentes formes de circulation des œuvres et donc de modalités d’accès aux biens culturels : restitutions, mais aussi prêts, dépôts ou échanges. Comme l’a souligné Bénédicte Savoy, évoquant les entretiens menés avec Felwine Sarr, « tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés en Afrique nous ont dit quil ne sagissait pas de tout reprendre aux musées français, car certaines pièces sont dexcellentes ambassadrices de la culture de leurs pays ([27]) ».

Un certain pragmatisme peut aussi être de mise. Sans méconnaître l’intérêt scientifique que présente les biens culturels pour les conservateurs et autres experts en art, des pistes comme la reproduction d’objets – qui fait primer le symbolique sur l’authentique – ou la mise en évidence dans les inventaires d’objets possédés en de nombreux exemplaires par certains musées européens, sans être exposés, méritent d’être exploitées.

II.   Une démarche qui s’inscrit pleinement dans la politique de coopération culturelle de la france

A.   Une inscription dans l’ambition de renouveau de la politique culturelle de la France en Afrique

La restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal s’inscrit, dans le cas de la France, dans la dynamique impulsée par le discours de Ouagadougou, qui a défini la culture comme l’un des piliers de la relation souhaitée avec l’Afrique. Il s’agit en matière culturelle de promouvoir une approche partenariale, également portée par des projets tels que la Saison culturelle Africa 2020, reportée du fait de la pandémie de covid-19 et qui devrait débuter en décembre 2020.

Cette ambition de renouveau est d’autant plus cruciale que la concurrence est de plus en plus forte en Afrique en matière de diplomatie culturelle et dans le domaine plus spécifique de la coopération patrimoniale. Cette concurrence émane notamment de la Chine, qui a construit au Sénégal le musée des civilisations noires, mais aussi de certains de nos partenaires européens, à l’instar de l’Allemagne.

La restitution des œuvres est voulue comme l’un des aspects d’une coopération plus globale, à commencer par un partenariat scientifique et muséographique, afin de veiller à la formation des conservateurs et au développement d’un cadre garantissant la protection des œuvres. Parmi les initiatives existantes, on peut mentionner les bourses de formation patrimoine Afrique, dont le lancement a été décalé à 2021 du fait de la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, ou encore l’organisation le 4 juillet 2019 du forum « Patrimoines africains : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle », qui a réuni des acteurs européens et africains afin de poser le premier jalon d’une nouvelle politique culturelle d’échanges co-construite. En 2020, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a également soutenu, par le biais de la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger – la Commission des fouilles -  25 missions archéologiques en Afrique subsaharienne. Dans le cadre de ces missions binationales et parfois internationales, de nombreuses actions de formation sont développées (formation de terrain, cotutelles de thèse, montage de formations diplômantes au sein d’universités). Ces missions contribuent également à la mise en valeur de nombreux sites et à leur meilleure connaissance par les populations locales. Elles sont d’ailleurs souvent le point de départ de projets de valorisation patrimoniale d’envergure dans le cadre desquels l’expertise française est sollicitée pour accompagner les autorités étrangères, par exemple à Lalibela en Éthiopie ([28]) .

La capacité des pays africains à accueillir les œuvres figure aussi parmi les dimensions de la coopération proposée ([29]), et apparaît explicitement dans le discours de Ouagadougou, où les partenariats futurs sont décrits comme devant prendre « toutes les précautions pour quil y ait des conservateurs bien formés, pour quil y ait des engagements académiques et des engagements d’État à État pour protéger ces œuvres dart, cest-à-dire votre histoire, votre patrimoine et si vous my autorisez le nôtre ». Il ne s’agit pas là de s’ingérer dans la politique culturelle menée par les États concernés, mais d’inscrire les restitutions dans des politiques de coopération culturelle globales.

Dans le cas du Bénin, un programme de travail franco-béninois a été signé par le ministre de la culture Franck Riester le 16 décembre 2019 à Cotonou. La France est notamment intervenue en appui à la mise en place du plan d’action du gouvernement béninois de promotion du tourisme culturel, et a soutenu, dans le cadre d’un Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) financés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, la création d’une route touristique de 50 km permettant de découvrir un ensemble d’éléments du patrimoine bâti – les Tatas de la culture Somba – réhabilités en lien avec les populations locales, formées afin de permettre l’animation de cette route ([30]). Un nouveau FSPI, intitulé « Des sites et des musées pour le développement des territoires » doit être mobilisé sur deux ans et pour un montant de 780 000 euros, afin d’accompagner la montée en capacité patrimoniale et muséale du Bénin. Il permettra de soutenir différents acteurs publics et privés impliqués dans la vie culturelle et patrimoniale du Bénin, ainsi que de préparer au mieux les conditions d’accueil des biens culturels qui seront restitués par la France tel que prévu par le projet de loi, tout en assurant la promotion de l’expertise culturelle française.

Un accompagnement financier de l’Agence française de développement est également prévu, entre autres, pour la construction du nouveau musée d’Abomey, qui devrait à terme accueillir les œuvres restituées.

Le projet de création du Musée de l’épopée des Amazones et des Rois du Dahomey et de valorisation du site palatial

Dans le cadre du Plan d’action du gouvernement (PAG), les autorités béninoises ont souhaité mettre l’accent sur le développement du tourisme et ont ainsi identifié une série de grands projets prioritaires, dont la valorisation du site d’Abomey, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1985 mais dont le potentiel d’attractivité reste sous‑exploité.

Le futur musée sera le lieu d’accueil, à terme, des 26 œuvres restituées au Bénin, mais peut donc aussi se lire indépendamment du projet de restitutions.

Le projet devrait également permettre le renforcement de l’écosystème artisanal et contribuer à générer des retombées économiques pour le Bénin. La mise en avant du patrimoine béninois et la valorisation d’une histoire commune participeront aussi à la valorisation de la culture comme instrument de cohésion sociale et de dialogue, notamment pour la jeunesse. Le projet sera structuré autour de quatre composantes :

- Construction du musée et réhabilitation des palais, afin de construire et scénographier un musée aux standards internationaux comme « porte d’entrée » au site des palais royaux d’Abomey ;

- Appui à l’écosystème culturel et artisanal ;

- Renforcement des capacités des acteurs du patrimoine béninois et appui à la gestion du site, avec la mise en place de formations aux métiers du patrimoine et du musée au sein de l’École du patrimoine africain, avec l’appui du ministère français de la culture, pour les équipes actuelles et futures des musées béninois (principalement Abomey et Ouidah) ;

- Appui à la mise en œuvre du projet via un appui à l’Agence nationale de promotion des patrimoines et de développement du tourisme (ANPT, créée en 2016) qui aura la charge de la coordination et de l’exécution du projet.

Le projet s’inscrit dans une ambition de renforcement de l’attractivité du pays, afin de développer le tourisme, qui représente aujourd’hui seulement 0,7 % du PIB.

Le plan de financement de la contribution de l’Agence française de développement, qui doit encore être validé en interne, reposerait sur un montant de 35 millions d’euros, dont 25 millions en prêts souverains et 10 millions en subventions.

La question de la viabilité économique du nouveau site palatial et du musée a fait l’objet d’analyses préalables, qui ont rappelé le caractère structurellement déficitaire de ce type d’activités, au moins à court et moyen termes. Les premières projections tablent sur un autofinancement d’environ 40 %, ce qui impliquera un effort budgétaire significatif de l’État béninois. Les représentants de l’AFD interrogés en audition ont indiqué que les autorités béninoises avaient confirmé leur volonté de soutenir budgétairement l’exploitation du site, et cet engagement sera crucial pour assurer la viabilité et la pérennité du projet, dont il importe de rappeler que la finalité ne saurait être que purement économique.

Enfin, un autre point de vigilance doit être signalé : le calendrier prévisionnel de l’AFD à ce jour visant un rendu du projet à la fin de l’année 2023, la question de l’accueil transitoire des œuvres, qui doivent être restituées sous un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi, a toutes les chances de se poser.

Dans le cas du Sénégal, on peut se référer à la déclaration conjointe du 17 novembre 2019, qui prévoit le renforcement du partenariat culturel entre le Sénégal et la France, y compris dans le domaine muséal, en incluant des partenariats entre établissements, impliquant par exemple le musée des civilisations noires de Dakar. Un accord de coopération entre les ministres de la culture des deux pays a également été conclu l’occasion du séminaire intergouvernemental de novembre 2019, comportant un volet sur la coopération muséale, selon deux axes : un premier axe portant sur la circulation des œuvres – une grande exposition sur « Picasso l’Africain » étant prévue à Dakar l’année prochaine – et un deuxième axe sur la conservation des œuvres et la médiation culturelle.

La coopération muséale constituera l’un des pans du projet de FSPI « coopération culturelle », à hauteur de 260 000 euros sur un total prévu d’1 million d’euros, l’autre volet du FSPI devant porter sur les industries culturelles et créatives (ICC).

La formalisation de la coopération franco-sénégalaise culturelle en novembre 2019, par l’intégration d’un volet culture aux quatre feuilles de route bilatérales existantes, est venue compléter une dynamique déjà très forte, marquée par l’importance des échanges humains. Environ deux tiers des étudiants sénégalais en mobilité internationale choisissent la France, les établissements du réseau culturel français sont implantés dans les principales villes du Sénégal et favorisent les mobilités artistiques et scientifiques ([31]).

À l’avenir, un espace de coopération mériterait d’être exploité en matière de coopération muséale et patrimoniale : la Francophonie. Si l’Organisation internationale de la Francophonie n’intervient pas dans ce domaine, il s’agit d’un axe de travail tout à fait envisageable au plan institutionnel, qui gagnerait pour votre rapporteure à être promu par la France pour favoriser la circulation des œuvres au sein de l’espace francophone, et plus encore, pour faire de cet espace un tremplin continental de la circulation des œuvres.

B.   UNE coopération patrimoniale et muséale prometteuse

La dynamique de coopération patrimoniale et muséale portée par la France ne se limite pas à l’Afrique subsaharienne, elle se décline selon différents modèles.

Parmi les initiatives phare, on peut citer le musée du Louvre Abu Dhabi inauguré en novembre 2017, créé ex nihilo dans le cadre d’un accord intergouvernemental d’une durée de trente ans et représentant un projet unique d’un point de vue scientifique et diplomatique. L’expertise des musées français a constitué le fer de lance de ce projet, l’accord engageant treize établissements publics culturels français réunis au sein de l’Agence France-Muséums. Depuis le lancement de ce projet, la demande de coopération muséale adressée à la France a été exponentielle, et l’expertise muséale apparaît comme l’un des grands champs de valorisation pour les années à venir. Un accord d’une durée de dix ans a ainsi été signé en 2018 avec l’Arabie saoudite, qui prévoit la création d’une agence pour favoriser le développement touristique et culturel de la région d’Al-Ula, où se trouvent de nombreux sites archéologiques ([32]).

L’Agence France-Muséums

L’Agence France-Muséums a été créée en 2007, suite à l’accord intergouvernemental conclu entre la France et Abu Dhabi, afin d’accompagner le projet du Louvre Abu Dhabi. L’Agence, qui a réuni treize établissements publics culturels français, a permis une mutualisation de l’expertise de ces institutions afin d’apporter une assistance d’excellence aux autorités émiriennes dans de nombreux domaines : définition du projet scientifique et culturel du musée, l’assistance à la maîtrise d’ouvrage pour le bâtiment y compris la muséographie, la signalétique et les projets multimédia, l’organisation des prêts des collections françaises et d’expositions temporaires, le conseil à la constitution d’une collection permanente et la définition de la politique des publics.

L’inauguration du musée en 2017 a initié la deuxième phase du projet de coopération, qui passera notamment par la coordination des prêts des musées français sur dix ans, l’organisation conjointe et la production d’expositions temporaires sur quinze ans et l’organisation de formations pour les professionnels du musée.

À l’heure où le modèle de l’Agence France-Muséums gagnerait à être répliqué, il importera de veiller à ce que l’expertise accumulée ne soit pas perdue à l’issue de la seconde phase du projet de coopération.

En complément, la nécessité de lutter contre les trafics de biens culturels, ainsi que la sensibilisation des populations à la valeur culturelle et patrimoniale des biens restitués, font aussi partie des axes de travail envisageables en matière de coopération culturelle ([33]).

Dans le domaine du patrimoine, l’engagement de la France passe aussi par un engagement pour la protection du patrimoine en danger. Aux côtés là encore des Émirats arabes unis, la France a joué un rôle clef dans la création de l’Alliance pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), créée en 2017 après avoir été préconisée par le rapport de Jean-Luc Martinez sur la protection du patrimoine en situation de conflit armé. La France a fourni 30 millions de dollars sur un total de 60 millions mobilisé pour la mise en œuvre du plan stratégique d’ALIPH pour 2019-2021. Si ces projets concernent en priorité le Moyen-Orient, la France soutient aussi plus de 150 missions de fouilles archéologiques réparties sur les cinq continents, contribuant ainsi à la valorisation du patrimoine de l’humanité.

C.   Vers une démarche européenne ?

La démarche engagée par la France et la publication du rapport Sarr-Savoy ont eu un important retentissement dans les pays européens, en particulier ceux disposant de musées dont les collections sont susceptibles de faire l’objet de demandes de restitutions. Le ministère de la culture français a ainsi invité les directeurs des grands musées nationaux européens à se réunir en mars 2019 afin d’essayer de définir en commun une « politique déchanges » des œuvres d’art, pour reprendre les termes du communiqué de presse publié par l’Élysée à l’occasion de la remise du rapport Savoy-Sarr. Selon les données du rapport, entre 85 et 90 % du patrimoine africain serait hors du continent, principalement dans les musées européens. Sont notamment cités dans le rapport le Musée Royal de l’Afrique Centrale de Belgique (180 000), le British Museum (69 000 objets), le Weltmuseum de Vienne (37 000), et le Humboldt Forum de Berlin (75 000) inauguré en septembre 2020.

La dimension européenne de la question des restitutions, concernant les anciennes colonies mais sans exclusive, avait déjà pu apparaître en 2002 lorsque les directeurs de plusieurs musées occidentaux avaient co-rédigé un manifeste revendiquant le caractère « universel » de leurs collections (Declaration on the Importance and Value of Universal Museum([34]). Le débat sur les restitutions d’œuvres d’art a toutefois pu prendre des dimensions différentes suivant les pays, et connaître des traductions inégales dans les faits. Beaucoup de directeurs de musées ont ainsi privilégié à ce stade les avancées scientifiques, à réaliser dans le champ des inventaires – domaine dans lequel la France se distingue (voir supra) – et de la numérisation des archives, et aucun État ne s’est engagé dans des démarches de restitution massive.

Aux Pays-Bas et en Allemagne, un certain volontarisme a pu être constaté ces dernières années. Quelques jours avant la publication du rapport Sarr-Savoy, un collectif réunissant plusieurs musées néerlandais a ainsi révélé son intention d’établir les origines de 450 000 objets d’art, qui pourra ouvrir la voie à des restitutions, au cas par cas. En 2018, le gouvernement a également créé une commission censée travailler à l’élaboration d’un cadre de gestion du patrimoine colonial. En pratique, le gouvernement a annoncé en janvier 2020 que 1 500 œuvres d’art emportées pendant la période coloniale allaient être restituées à l’Indonésie. À noter qu’au plan juridique, la question de la restitution apparaît moins complexe qu’en France. En effet, les collections publiques ne sont pas explicitement qualifiées d’inaliénables, bien que les procédures administratives encadrent les procédures d’aliénation des objets concernés ([35]).

Côté allemand, les positions françaises sur la question des restitutions ont été suivies de près depuis le discours de Ouagadougou et la publication du rapport Sarr-Savoy. À la suite d’une réunion organisée autour de la déléguée du gouvernement fédéral pour la culture et les médias Monika Grütters le 9 janvier 2019, les ministres de la culture des différents Länder ont publié une déclaration conjointe, affirmant la nécessité d’un travail sur la recherche de la provenance des œuvres. À la différence de la France, l’Allemagne ne dispose pas d’inventaires des collections publiques, ce qui soulève des difficultés en termes de traçabilité. Signe du volontarisme des autorités, le ministère de la culture (BKM) a créé un département en son sein, doté d’un budget de 50 millions d’euros, pour avancer sur ce travail de recherche. En outre, la réunion des musées allemands (Deutscher Museumsbund) a publié en octobre 2018 un guide de bonnes pratiques pour le « traitement des biens de collections issus de contextes coloniaux ».

L’Allemagne, qui a annoncé en 2019 la restitution de quelques objets à la Namibie ([36]), ancienne colonie, rejoint la France dans le choix d’une approche ciblée et progressive, qui envisage toutes les formes de circulation des œuvres. En revanche, les débats sur les restitutions connaissent des différences, dans la mesure où l’on constate en Allemagne une assimilation entre le patrimoine juif spolié et le patrimoine issu du contexte colonial. C’est désormais la même structure susmentionnée, le Deutsches Zentrum Kulturgutverluste, qui se consacre à la recherche de provenance, qu’il s’agisse de biens pillés pendant la période national-socialiste, de biens expropriés pendant la RDA ou de biens coloniaux.

En Belgique, le débat a également été important et les positions françaises suivies. En décembre 2018, alors que le rapport Savoy-Sarr était rendu public, la réouverture de l’Africa Museum, ancien musée royal de l’Afrique centrale, qui ambitionnait de présenter dans une approche « décolonisée » de ses collections, avait déclenché une forte polémique ([37]). L’approche retenue sur la question des restitutions semble aujourd’hui privilégier les travaux de recherche et d’inventaire, le ministère de la coopération au développement ayant notamment annoncé fin 2018 une enveloppe de 400 000 euros dédiée à la numérisation des archives royales et de celles de lAfrica Museum à Tervuren ayant trait au Rwanda.

Au Royaume-Uni, enfin, la question des restitutions se heurte à la réaffirmation ferme du principe d’universalité des musées, incarné tout particulièrement par le British Museum ([38]). Propriétaire de la Pierre de Rosette ou encore des Marbres du Parthénon, tous deux respectivement réclamés par l’Égypte et la Grèce, le musée britannique se refuse pour l’heure à restituer ces pièces majeures du patrimoine antique gréco-égyptien. Le cadre juridique des musées britanniques diffère toutefois de celui des musées français, la plupart des institutions étant privées et la notion de patrimoine national n’ayant pas la même définition. Le British Museum est ainsi dirigé par un conseil d’administration composé de trustees, et qui est également propriétaire de la collection. Si une restitution pourrait en théorie être autorisée rapidement, par un vote à la majorité des trustees, le gouvernement britannique n’a en contrepartie que peu de prise sur les choix opérés.

Malgré ces nuances d’approche, le cadre européen apparaît a minima comme un espace de dialogue possible sur le sujet. Si les échanges sont déjà intenses entre directeurs de musées européens, il conviendra d’encourager cette dynamique au niveau des gouvernements.

*

*     *

 


–  1  –

   COMPTE RENDU DES TRAVAUX DE LA COMMISSION AU FOND

I.   Discussion générale

La commission examine le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (n° 3221) (M. Yannick Kerlogot, rapporteur).

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, je remercie Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, de sa présence pour l’examen de ce texte en première lecture, et je souhaite la bienvenue à Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. L’examen de ce texte en séance publique est prévu mardi 6 octobre, il fait l’objet d’une procédure accélérée.

Ce projet de loi touche à un sujet important et complexe : la restitution à leurs pays et peuples d’origine des biens culturels conservés dans des collections publiques. Lors du discours de Ouagadougou, le 28 novembre 2017, le Président de la République a engagé une nouvelle démarche partenariale avec plusieurs pays africains, afin de réunir les conditions d’une restitution temporaire ou définitive de certains biens culturels, éléments de leur patrimoine.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la vocation universelle des musées français, ni le principe d’inaliénabilité des collections publiques, mais de reconnaître les enjeux mémoriels et symboliques qui s’attachent à certains objets artistiques ou culturels, et d’autoriser de façon encadrée et circonstanciée le transfert de leur propriété à la République du Bénin et à la République du Sénégal dans le cadre d’un partenariat global en matière culturelle et patrimoniale.

Monsieur le rapporteur, vous avez auditionné de nombreux acteurs culturels français, mais aussi béninois et sénégalais, et je vous remercie de votre travail.

M. Yannick Kerlogot, rapporteur. Madame la ministre, je tiens à vous faire part de ma satisfaction et de ma fierté d’être à vos côtés en ma qualité de rapporteur d’un projet de loi symbolique et positif, relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Ce texte ne comporte que deux articles, mais il renvoie à la volonté de la France de renforcer, de renouveler, de réinventer ses relations bilatérales en direction des pays d’Afrique subsaharienne. Pour y parvenir, elle a fait le choix du champ culturel.

Ce projet de loi traduit la volonté du Président de la République – exprimée le 28 novembre 2017 devant plusieurs centaines d’étudiants burkinabés lors de son discours à l’université de Ouagadougou – de s’adresser à la jeunesse ; à la jeunesse africaine mais aussi à la jeunesse de France, qui se compose pour partie d’une jeunesse afro-descendante.

Dans son allocution, le Président demandait à ce que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique : c’est une décision politique forte, assumée et nouvelle.

Le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui concrétise cette volonté à l’égard de deux pays : la République du Bénin, à laquelle sera restitué le Trésor de Béhanzin, composé de vingt-six objets du Royaume du Dahomey actuellement conservés au Quai Branly ; et la République du Sénégal, qui retrouvera la propriété du sabre dit d’El Hadj Omar Tall, exposé dans le cadre d’un prêt renouvelé au Musée des civilisations noires de Dakar.

Par ce projet de loi, le Gouvernement demande au législateur l’autorisation de sortir des œuvres des collections publiques afin de les restituer, de les remettre, de les rendre au Bénin et au Sénégal. Réécrire l’histoire est impossible, mais faire le choix d’en assumer les pages sombres, les moins glorieuses, participe de cette volonté de repenser les relations à l’autre, et en particulier celui que l’on a opprimé dans le cadre de l’asymétrie du contexte colonial. La restitution ne doit pas se penser exclusivement en termes de réparation, somme toute impossible. La seule repentance ne permet pas le rebond. Toutefois, en restituant, nous poursuivons l’écriture de l’histoire.

La restitution souhaitée par le Président de la République traduit l’intention d’assumer son passé afin de pouvoir se projeter, en toute responsabilité, aux côtés de la jeunesse et des générations futures, dans un XXIe siècle dont les enjeux, replacés dans l’histoire de l’humanité, n’ont jamais été aussi globaux, mondiaux. L’amour d’une culture partagée, le patrimoine accessible au plus grand nombre, restent des champs ô combien appropriés pour exprimer cette volonté de rapprochement, de consolidation des relations bilatérales, des relations d’amitié entre les États.

Rapporteur sur le fond du texte, j’ai tenu à prendre le temps de l’écoute en procédant à une vingtaine d’auditions, que j’ai tenu à organiser dans un esprit constructif et collectif, aux côtés de Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, de M. Pascal Bois, responsable du texte pour le groupe La République en Marche, et de Mme Michèle Victory, rapporteure sur le suivi de l’application de la loi. Je tiens à les saluer pour leur implication. Ensemble, nous avons rencontré un grand nombre de personnalités et d’institutions aux points de vue très variés : ambassadeurs de France et ambassadeurs des pays concernés en France, administrations centrales de la culture et des affaires étrangères, musées, collectionneurs et marchands d’arts, fondateurs de musées privés en Afrique, administration béninoise, conservateur au Sénégal.

Je regrette toutefois de ne pas avoir pu entendre les coauteurs d’un rapport venu nourrir la réflexion et rappeler les enjeux des restitutions projetées. Ils ont été entendus par le groupe d’étude sur le patrimoine, coprésidé par nos collègues M. Raphaël Gérard et Mme Constance Le Grip, alors qu’ils rédigeaient leur rapport. Une nouvelle audition, dans le cadre de ce projet de loi, aurait permis d’éclairer les rapporteurs. En effet, à la suite du discours de Ouagadougou, le Président de la République a confié à deux experts ‑ l’historienne de l’art Bénédicte Savoy et l’universitaire sénégalais Felwine Sarr – la mission d’étudier les possibilités de restitutions. Leur rapport, intitulé « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle » a été remis en novembre 2018. Il a suscité beaucoup d’espoirs, mais aussi l’incompréhension de la part des acteurs directement concernés, les professionnels des musées, qui ont exprimé le sentiment de ne pas avoir été associés à leur juste place à la réflexion.

En effet, si ce rapport – qui ne constitue pas la position officielle du Gouvernement français – a suscité des attentes de la part de ceux qui souhaitaient obtenir la restitution de pièces appartenant aux collections françaises, il a aussi beaucoup agité et inquiété les musées européens, qui se sont sentis remis en cause dans leur raison d’être. Il véhicule une vision subjective du musée occidental, qualifié de « musée de l’autre » dans sa mission universelle. Or l’histoire de l’autre n’est-elle pas l’histoire de l’humanité à laquelle nous appartenons tous ? Les musées européens, et en particulier français, présentent des œuvres de toutes les cultures dans une vision universaliste qui cherche à mettre en valeur le génie humain, d’où qu’il vienne.

Au fond, l’enjeu de ce projet de loi consiste à reconnaître la légitime amorce de restitution de biens spoliés, de biens « mal acquis », tout en reconnaissant les efforts des musées pour consacrer toujours plus de temps à la nécessaire démarche historique et scientifique de recherche de la provenance, et réinterroger les certitudes en assumant un examen de conscience sur la légitimité de la conservation de certains biens culturels. Ce texte nous invite au fond à entamer un examen d’introspection patrimoniale. Des auditions, nous retenons que cette démarche n’est pas franco-française, mais partagée par les musées occidentaux des anciens États colonisateurs.

Non, il n’est pas permis de penser que toute œuvre arrivée d’Afrique durant la période coloniale a forcément été pillée. Par ailleurs, la volonté de certains d’inverser la charge de la preuve – en imposant à chaque musée de prouver qu’un objet conservé n’a pas été volé, spolié ou mal acquis – n’est pas tenable, car techniquement impossible pour l’ensemble des collections : elle reviendrait à penser que la majorité des œuvres d’art conservées est suspecte, alors qu’il n’en est rien. Le rapport Sarr-Savoy le confirme : « Les modalités de l’acquisition initiale de ces objets, qui s’étale sur presque un siècle et demi, peuvent avoir été très diverses : butins de guerres, bien sûr, vols mais aussi dons, trocs, achats et commandes directes aux artisans et artistes locaux. »

Si l’opinion publique, dans sa majorité, penche en faveur des restitutions, elle est néanmoins peu consciente des enjeux complexes qui sous-tendent ce débat. Il est légitime de penser que des biens culturels présentés comme arrachés à leurs propriétaires leur soient rendus. La réalité est autrement plus complexe et se heurte notamment à l’histoire culturelle et aux obstacles juridiques, dont celui de l’inaliénabilité qui cimente le droit français.

En effet les collections publiques sont protégées par ce principe d’inaliénabilité, de niveau législatif. C’est un principe qui protège nos collections publiques depuis la Révolution française, voire depuis l’édit de Moulins de 1566, qui avait déjà acté que le roi n’était que dépositaire des biens de la Couronne.

Rappelons par ailleurs que la procédure de restitution suppose une démarche initiale d’un État demandeur à l’État français dans le cadre diplomatique. Lors de son audition, M. Vedeux, président du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), a lui-même estimé que les demandes de restitution devaient faire l’objet d’un travail préalable d’historiographie sérieux de la part des pays demandeurs. Ils sont aujourd’hui peu nombreux – citons l’Éthiopie, le Tchad, le Mali, la Côte d’Ivoire et Madagascar – et la réponse au cas par cas reste incontestablement la meilleure. Cela étant, nous devons vraisemblablement nous attendre à un nombre croissant de demandes dans les prochaines années, et cette première main tendue en direction du Bénin et du Sénégal se doit d’être une réussite.

Au cours de nos auditions, il a été demandé pourquoi utiliser une loi de circonstance plutôt qu’une loi-cadre. Il est légitime de s’interroger, sachant qu’il pourrait y avoir d’autres demandes à l’avenir. Le législateur, à l’initiative du Sénat, avait tenté de créer une procédure qui aurait permis de déclasser, après avis d’une commission scientifique, sans passer par la loi. Cependant, cette commission s’est d’emblée déclarée incompétente pour déclasser des biens qui auraient toujours leur intérêt artistique, historique ou scientifique. Sans doute la loi n’était-elle pas assez explicite. Cette commission scientifique nationale des collections, créée par la loi sur les musées de 2002, a vu sa composition renforcée en 2010 mais, au final, elle s’est peu réunie, le quorum étant difficile à atteindre. Le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), actuellement en discussion, prévoit sa suppression. La réflexion sur la mise en place d’une procédure dans une loi-cadre ne doit sans doute pas être écartée, mais suppose la capacité de définir des critères précis, et c’est toute la difficulté de l’exercice. Les prochaines restitutions au cas par cas doivent permettre de tirer des enseignements utiles pour la définition de ces critères : trop stricts, ils excluront certaines restitutions symboliques ; trop larges, les restitutions n’auront plus de portée diplomatique et culturelle.

Dans tous les cas, les restitutions doivent nous permettre de resserrer nos liens dans le cadre d’une diplomatie culturelle, d’aider les pays africains qui le souhaitent à mettre en valeur leur patrimoine, et d’utiliser l’expertise française en matière de musées, reconnue dans le monde. Les modalités de coopération avec le Bénin au sujet du Trésor de Béhanzin sont exemplaires. Le président et le vice‑président du comité pour la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin, que nous avons entendus en audition, nous ont démontré leur volonté de se reposer sur les compétences muséales et patrimoniales françaises et l’ambition du projet d’investissement « Bénin révélé », dans lequel figure la construction du musée de l’épopée des Amazones et des Rois du Dahomey, sur le site des palais royaux d’Abomey.

Dans le très intéressant ouvrage Faut-il rendre des œuvres d’art à l’Afrique ?, Emmanuel Pierrat cite l’historien Pascal Ory : « Sans doute la solution la moins radicale – donc la moins absurde – passe-t-elle […] par le principe de compromis. Par exemple, certaines restitutions symboliques seraient de bonne politique humaniste, mais sans aucun système : l’obscurité ou l’ambiguïté des conditions d’acquisition suffiraient à circonscrire les cas. Un second principe pourrait s’apparenter à une sorte de coresponsabilité mémorielle. Ce qu’il faut encourager, dans une perspective universaliste, c’est la circulation des œuvres, contre l’enfermement de chaque culture dans sa spécificité – évidemment largement imaginaire : ça s’appelle du nationalisme culturel (Léonard de Vinci est-il propriété de l’Italie ?), voire du racisme. La partie sera gagnée le jour où, pour voir certains chefsd’œuvre de l’Antiquité romaine ou du Moyen-Âge gothique, il faudra aller dans un musée d’Afrique subsaharienne ».

Vous l’aurez compris, chers collègues : je forme le vœu que notre commission adopte ce projet de loi à la plus large majorité possible, à l’instar de la commission des affaires étrangères qui a donné un avis favorable à l’unanimité. (Applaudissements.)

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le rapporteur, les applaudissements unanimes qui ont salué votre intervention remarquable montrent la qualité du travail que vous avez effectué et dont je veux vous féliciter. J’ai peine à prendre la parole après vous, mais ma fonction m’y invite.

Mesdames, messieurs les députés, le projet de loi soumis à votre examen cet après‑midi marque effectivement l’aboutissement d’un long travail, né de la volonté exprimée par le Président de la République lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2017 de réunir les conditions pour des restitutions du patrimoine africain, dans le cadre d’un partenariat approfondi entre la France et les pays du continent africain.

Ce n’est pas un acte de repentance ou de réparation : c’est la possibilité d’ouvrir un nouveau chapitre du lien culturel entre la France et l’Afrique. C’est un nouveau point de départ, qui ouvre le champ à de nouvelles formes de coopération et de circulation des œuvres.

Le projet de restitution de vingt-six œuvres issues du Trésor de Béhanzin à la République du Bénin, et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et son fourreau à la République du Sénégal s’inscrit dans le cadre d’une politique de coopération culturelle déjà engagée avec ces deux pays.

Ce projet de loi prend également place dans un contexte général de réflexion sur le rôle et les missions des musées en Europe et dans le monde. Le rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy remis au Président de la République en 2018 a permis des échanges passionnants sur l’histoire des collections, notamment issues du continent africain, et sur la nécessité de mieux expliquer leur provenance au public.

Il s’agit donc d’un texte d’importance, qui incarne une nouvelle ambition dans nos relations culturelles avec le continent africain.

Il tient compte du caractère exceptionnel des œuvres et des objets que nous souhaitons restituer à ces deux pays, qui en ont fait la demande. Exceptionnel par les circonstances violentes qui ont conduit à leur appropriation, notamment comme butins de guerre. Exceptionnel par l’incarnation du génie de leurs créateurs, bien entendu, mais aussi parce que l’histoire a fait d’eux des symboles d’une culture, d’un peuple, d’une nation. Devenus de véritables lieux de mémoire, ils sont dotés d’une valeur unique pour toutes celles et tous ceux qui leur accordent, au-delà de leur intérêt esthétique, une forte signification symbolique.

Les objets concernés par le projet de loi que je suis venue vous présenter aujourd’hui sont de ceux-là.

Les œuvres remarquables rassemblées dans le trésor des rois d’Abomey incarnaient la continuité et la grandeur de cette dynastie pluriséculaire quand ils ont été saisis en 1892 par le général Dodds lors des combats opposant le roi Béhanzin aux troupes françaises. La perte de ce trésor royal est ainsi progressivement devenue, pour le peuple béninois, le symbole d’une indépendance perdue. Conservées par différents musées français, puis, à partir de sa création en 1999, par le musée du quai Branly-Jacques Chirac, ces œuvres ont suscité une émotion considérable chez tous ceux qui, comme moi, les ont vues sur le sol béninois, en 2006, lorsqu’elles ont été présentées dans le cadre d’une exposition temporaire. C’est pourquoi la République du Bénin a demandé, en 2016, à la République française de lui restituer les vingt-six œuvres du trésor royal d’Abomey.

De même, le sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall incarnent l’aventure exceptionnelle qu’a été la fondation et l’extension de l’empire toucouleur par ce chef militaire et religieux, qui s’est finalement heurté aux forces françaises. Donné au musée de l’armée il y a plus d’un siècle par le général Louis Archinard, il est actuellement exposé au Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar dans le cadre d’une convention de prêt de longue durée.

En restituant ces objets d’exception au Sénégal et au Bénin, nous contribuerons donc à donner à la jeunesse africaine l’accès à des éléments majeurs de son propre patrimoine, conformément à l’objectif défini par le Président de la République.

Je souhaite à présent insister sur le sens, la portée et les conséquences du texte qui vous est soumis.

La restitution par un État à un autre État de biens culturels, ou plus généralement d’objets, n’a rien d’inédit, y compris dans la période récente ; la France n’est pas à l’écart de ce mouvement international qui prend une ampleur grandissante. Mais concernant le continent africain, l’acte de restitution que nous nous apprêtons à faire reste inédit et exceptionnel par sa portée symbolique et historique.

Au-delà des restitutions d’œuvres d’art saisies par les armées napoléoniennes aux puissances européennes concernées, dans le cadre du congrès de Vienne, notre pays a restitué, dans une période plus récente, des objets d’art au Laos, par un accord bilatéral ; une statue volée d’Amon Min à l’Égypte en 1981, en application du jugement d’un tribunal français ; vingt-et-une têtes maories à la Nouvelle-Zélande, par une loi votée en 2010 à l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Dessaillly ; ou encore trente-deux plaques d’or à la Chine, en application de la convention de l’UNESCO de 1970 pour la lutte contre le trafic illicite des biens culturels, ratifiée par la France en 1997.

Ces différents cas montrent que le droit français propose plusieurs voies pour procéder à des restitutions. S’agissant des objets dont nous traitons aujourd’hui, le Gouvernement a décidé de procéder par la voie législative. En effet, le Bénin et le Sénégal n’ont pas saisi de juridiction pour contester la propriété de la France sur ces objets. C’est donc bien une décision du législateur, et non du juge, qui doit apporter une réponse à leurs demandes. Aussi cette loi, si vous l’adoptez, n’aura-t-elle pas pour effet de créer une jurisprudence, contrairement à la décision d’un juge.

Il est à noter que le projet de loi n’a pas de portée générale : il ne vaut que pour le cas spécifique de l’ensemble d’objets qu’il énumère expressément. Ainsi, même si les objets concernés étaient considérés comme des prises de guerre, le vote de ce projet de loi n’aura pas pour effet de remettre en cause la légalité de la propriété de notre pays sur tout bien acquis dans le contexte d’un conflit armé. Ce mode d’acquisition, tout à fait exclu aujourd’hui, n’était interdit par aucune règle à d’autres époques, pas plus en France que dans les autres pays du monde. Les règles de droit et les principes moraux qui, et c’est fort heureux, ont désormais cours ne peuvent donc pas être appliqués à des cas passés.

La voie législative s’impose à nous, en outre, car la restitution des objets au Bénin et au Sénégal implique de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques, principe de niveau législatif puisqu’il est inscrit dans le code du patrimoine. Ce principe est au cœur de la conception française du musée, qui charge nos institutions publiques de constituer des collections afin qu’elles soient étudiées, conservées et présentées au public. Ainsi, une collection est considérée comme une œuvre collective inscrite dans la durée, qui vise à construire et à transmettre aux générations futures le patrimoine conservé dans notre pays.

Ce projet de loi propose de déroger au principe, fondamental et protecteur, d’inaliénabilité, mais sans le remettre en cause d’aucune façon, pas plus que ne l’ont fait les lois précédentes du même type, comme celle de 2010 sur la restitution des têtes maories.

Au-delà des modalités de leur encadrement législatif, je sais que ces restitutions sont au cœur de vifs débats, qu’elles nourrissent de nombreux questionnements éthiques, philosophiques et politiques. Je veux cependant le dire clairement : accepter, par cette loi, la restitution de ces œuvres au Bénin et au Sénégal, ce n’est pas remettre en cause le rôle joué par les musées français qui en ont assuré la conservation : le musée du quai Branly-Jacques Chirac et le musée de l’Armée. Ces deux établissements ont permis la conservation de ces œuvres mais, plus encore, les ont étudiées pour en montrer la valeur historique et esthétique. Ils en ont également assuré la présentation au public, en France mais aussi à l’étranger, et notamment dans les pays concernés par les restitutions, dans le cadre de prêts. Nous devons leur en être reconnaissants et saluer le rôle qu’ils ont joué.

Par ailleurs, accepter ces restitutions ne remet pas en cause l’approche universaliste des musées, que la France défend et promeut depuis plus de deux cents ans. Dans un monde fracturé par des positions identitaires de toute sorte, nous avons plus que jamais besoin des musées universels pour réunir des œuvres provenant de tous les continents, de toutes les époques, pour faire dialoguer les cultures dont elles sont le témoignage. Notre pays ne renoncera pas à ce modèle, fondé sur le refus absolu du mépris de la culture de l’autre et sur la conviction que la culture exprime aussi ce que notre condition humaine a d’universel.

C’est aussi pour cela que la France n’accepte de restituer des œuvres à d’autres États que s’ils s’engagent à ce qu’elles gardent leur vocation patrimoniale, autrement dit qu’ils donnent l’assurance qu’elles continueront à être conservées et présentées au public dans des lieux consacrés à cette fonction.

Dans le cas du Bénin et du Sénégal, ces garanties sont données. La France accompagne les initiatives de ces deux pays en faveur du patrimoine. Un programme de travail commun a été élaboré avec le Bénin et notre partenariat culturel avec le Sénégal a été renforcé, afin que ces restitutions s’inscrivent dans le cadre d’une coopération ambitieuse. Nous soutenons ainsi des projets de développement de musées et des actions de formation, qui permettront de partager l’expertise exceptionnelle des professionnels français du patrimoine et de mettre en place de véritables filières professionnelles dans ce domaine.

Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis n’est pas un acte de repentance ni une condamnation du modèle culturel français. C’est un acte d’amitié et de confiance envers le Bénin et le Sénégal, pays auxquels nous lient une longue histoire commune et des projets communs d’avenir. Comme nous, les Béninois et les Sénégalais doivent pouvoir s’identifier à des objets symboliques de leur passé, qui seront le fondement d’une politique culturelle et patrimoniale dynamique.

Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Je remercie tout d’abord le rapporteur au fond, Yannick Kerlogot, avec lequel j’ai mené des dizaines d’heures d’audition passionnantes, parfois surprenantes, et particulièrement éclairantes. Je souhaite revenir brièvement sur les débats qui ont animé la semaine dernière notre commission des affaires étrangères, saisie pour avis. M. le rapporteur l’a souligné, le projet de loi a été salué par les commissaires, qui, à l’unanimité, ont émis un avis favorable à l’ensemble de ses dispositions.

Le projet est la déclinaison législative de l’impulsion donnée par le Président de la République lors du discours de Ouagadougou, où il a présenté les grands axes du renouveau souhaité pour notre relation avec l’Afrique, dans lequel la culture occupe une place centrale. Il vise à rendre à la jeunesse africaine l’accès à son histoire et à son patrimoine ainsi qu’à toute la magie qui entoure les biens culturels africains. Mais il s’adresse aussi à la jeunesse française issue de notre histoire commune avec l’Afrique.

Durant nos débats en commission, la question du choix du véhicule législatif a été soulevée : pourquoi faire appel à une loi d’exception alors qu’un cadre plus global pourrait être posé ? Par principe, les lois-cadres mettent en place un décor généraliste, à l’encontre de la réalité historique des États et de leur subtilité. Elles s’opposent donc à la volonté première des États de décider au cas par cas.

Si les campagnes médiatiques sont nombreuses depuis le discours de Ouagadougou, seules sept requêtes ont été formulées, dont celle du Bénin et du Sénégal. Les cinq autres sont encore en cours d’instruction. Cette procédure au long cours d’analyse, de recherche scientifique et historique sur les provenances, va du dépôt de la demande officielle de l’État auprès du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères, jusqu’à la remise des œuvres.

À long terme, la loi-cadre peut s’avérer pertinente sous réserve qu’une évaluation préalable des lois dites d’exception soit conduite, afin d’affiner notre réflexion et de mettre en place des principes généraux de remise des œuvres.

La coopération culturelle franco-africaine a aussi retenu toute l’attention de mes collègues. Il s’agit en effet de promouvoir une approche partenariale, d’égal à égal, et coconstruite. C’est pourquoi les propositions consistant à instaurer une conditionnalité au retour des œuvres me semblent incompatibles avec le projet que nous soutenons. Une fois les œuvres restituées en toute confiance, il ne nous appartiendra plus de nous ingérer dans la politique muséale de nos partenaires.

En revanche, la demande de coopération et d’expertise dans ce domaine étant forte, notre action extérieure devra rester au rendez-vous. À titre d’exemple, l’Agence française de développement (AFD) s’est vue confier le financement du projet de musée aux normes internationales d’Abomey, qui doit accueillir à terme les œuvres remises au Bénin. Ce projet global, dont il faudra s’assurer de la viabilité, dit se lire indépendamment du retour des œuvres. Un musée étant structurellement déficitaire, le gouvernement béninois devra confirmer son engagement de soutien financier et, surtout, d’un bénéfice pour les populations locales.

Quant au Sénégal, il est l’un de nos principaux partenaires mondiaux pour ce qui est des questions culturelles, avec des échanges humains très nombreux
– deux tiers des étudiants sénégalais à l’étranger résident en France. La francophonie pourra également être le support de la coopération muséale et patrimoniale, afin de faire de cet espace un tremplin intercontinental de la circulation des œuvres, si ses États membres en conviennent.

Pour toutes ces raisons, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l’unanimité sur le présent projet de loi, qui autorise le retour des biens culturels de la République du Bénin et de la République du Sénégal. Je vous invite à suivre cet avis.

Mme Michèle Victory, rapporteure d’application. Le rôle d’un rapporteur sur le suivi de l’application d’une loi portant sur la restitution d’objets culturels consiste à vérifier dans les six mois que les textes réglementaires permettant la mise en application de cette loi soient publiés. Quatre minutes pourraient suffire à remplir cette mission, mais le règlement autorise également le rapporteur à produire dans les trois ans un rapport d’évaluation sur l’impact et les conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi. Nous n’en sommes pas encore là.

Les incidences budgétaires du projet de loi semblent faibles. Nous pourrons dans quelque temps nous pencher sur les conséquences du texte sur les opérateurs du marché de l’art et les particuliers. Ces objets appartenant au patrimoine national, leur restitution n’aura pas d’incidence sur les collectivités territoriales.

Les restitutions ne devraient pas non plus avoir de conséquence administrative puisque le magnifique travail qu’a réalisé la responsable des collections d’Afrique au Musée du quai Branly a déjà permis une approche infiniment documentée des œuvres provenant du royaume d’Abomey. Pour ce qui concerne le sabre, déjà conservé au musée de Dakar, il s’agit d’établir par la loi qu’il ne figure plus dans les collections nationales.

Restent des questionnements sur d’éventuels impacts sociaux que le texte a mis en exergue et que nous évoquerons certainement dans nos débats.

Au-delà du fait de savoir si les objets dont nous parlons retrouveront leur terre d’origine dans les conditions que prévoit le projet de loi, nous ne pouvons ignorer les enjeux passionnants, de tous ordres, que pose ce retour. Le rapporteur a mentionné l’importance symbolique que revêt la restitution de ces objets vivants, dont nous avons probablement le plus grand mal à comprendre la fonction de médiation et les cycles de vie. Les débats qu’elle peut provoquer sont légitimes, alors que les questionnements sur les conséquences de la colonisation et de l’esclavage ainsi que sur les traces qu’ils ont laissées sont d’actualité.

Nous avons aussi entendu l’enthousiasme sans amertume, ainsi que l’attente des autorités du Bénin et du Sénégal. Nous les avons entendus comme une demande de geste d’amitié, et d’une preuve de confiance, indispensables pour construire cette nouvelle relation équitable entre la France et l’Afrique, qui s’appuie sur une exigence de vérité et une volonté bilatérale d’apaiser des conflits de mémoire et de nourrir un dialogue constructif.

Il s’agit là de participer, modestement, certes, mais avec conviction, à un geste par lequel nous reconnaissons la légitimité de ces demandes et le rôle qu’elles auront dans la réappropriation par la jeunesse africaine de son histoire fragmentée, où la diaspora des objets et des personnes s’est entremêlée dans le temps et l’espace.

Ce geste doit participer de la construction d’un pont entre le passé et l’avenir, entre celles et ceux qui ont été privés d’une trop grande partie de leur patrimoine, et celles et ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, se sont donné pour mission d’enrichir les collections nationales.

« Le patrimoine africain ne peut pas être prisonnier de nos musées européens ». Ce propos assez libre d’un président de la République plein d’audace, en novembre 2017, ouvrait la porte à des enthousiasmes prudents pour certains, à de grandes inquiétudes pour d’autres, car il pose la question de savoir comment la France entend soutenir le travail de mémoire et de reconstruction que tant d’Africains souhaitent voir se concrétiser. Il nous offre une nouvelle fois l’occasion de repenser notre relation à l’autre et, peut-être, de remettre les choses à leur place.

Nous entendons aussi que ce cheminement de retour n’est pas sans embûches car ces objets, quelles que soient les conditions de leur arrivée dans nos musées nationaux, ont acquis avec le temps et le soin apporté par nos conservateurs et par les amoureux de l’art, qu’il soit marchands, collectionneurs privés ou publics, un statut juridique d’inaliénabilité dont la visée à la fois protectrice et universaliste complique aujourd’hui le processus de restitution autant qu’elle ne protège.

Aussi diverse et complexe qu’est et que fut l’histoire de nos relations avec le continent africain, rien ne semble altérer la fascination et l’étonnement face à la beauté dont les expressions artistiques renouvellent sans cesse l’intérêt muséal et ethnographique. Elles ne cessent de nous interroger sur l’histoire de ces voyages forcés et sur la nécessité de repenser la circulation de ce patrimoine de l’Europe vers l’Afrique, de l’Afrique vers l’Europe.

Il ne peut donc s’agir de tenter de solder un passé colonial ou de déguiser une forme d’ingérence, en faisant de nos musées européens un modèle indépassable, en niant l’expertise des conservateurs africains et en faisant peser sur le Sénégal et le Bénin aujourd’hui, ou sur d’autres pays africains demain, le doute quant à leur capacité et leur volonté de valoriser ces restitutions, et de construire, à travers elles, un chemin d’accès à leur propre culture au bénéfice des populations locales. La tentation de ne pouvoir imaginer ces œuvres hors de l’écrin du Musée du quai Branly est grande, mais la demande d’accompagnement, de soutien et de partage est établie qui, sans naïveté – j’insiste sur ce point –, devrait participer de la promesse d’une nouvelle économie et d’une nouvelle éthique de l’échange.

M. le président Bruno Studer. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

M. Pascal Bois. Sans revenir sur les objets concernés par un retour au Sénégal et au Bénin – Mme la ministre et M. le rapporteur ont très bien détaillé ce sabre et ces 26 regalia, faisant jaillir leur singularité et évoquant la satisfaction de les voir retourner dans leur pays –, je tiens, au nom du groupe La République en marche, à féliciter notre rapporteur pour le travail approfondi qu’il a réalisé. Les nombreuses auditions qu’il a organisées nous ont nourris intellectuellement. Elles ont permis de mieux cerner l’étendue des problématiques liées à ce sujet complexe, où se confrontent volontarisme politique et retranchement derrière l’inaliénabilité des collections publiques ; exigence de vérité et de repentance, là où l’humilité nous impose de ne pouvoir réécrire l’histoire, en acceptant les mystères d’une œuvre ; condescendance au sujet des futures conditions de conservation et confiance dans la coopération muséale en cours et à venir.

Nous avons aussi réabordé les principes de l’universalisme des musées de France et de la circulation des œuvres. Parlons-en, alors que 90 % du patrimoine africain se trouve dans les musées d’Europe et d’autres pays occidentaux. Pour paraphraser un collègue de la commission des affaires étrangères, il s’agit plutôt d’une stagnation puisque, de facto, on empêche les populations d’Afrique
a fortiori sa jeunesse – d’accéder aux œuvres issues de leurs propres cultures et civilisations.

Le Président de la République l’a bien compris. Le retour de ces œuvres concrétise en effet un des engagements qu’il a pris lors de son discours à Ouagadougou, en 2017, dont se dégageaient trois messages forts.

Le premier est la main tendue à l’Afrique en signe d’amitié. Cette démonstration offre le premier rôle à la coopération culturelle entre la France et l’Afrique, qui amorce de nouvelles relations d’échange en assumant, pour reprendre la formule du Président de la République, « un passé qui doit passer ».

C’est aussi la réparation d’une injustice. Nous rendons des objets soustraits à leur pays d’origine dans des circonstances négatives, durant le passé colonial de la France. Nous l’avons constaté au gré des auditions, ces objets sont empreints d’une forte charge symbolique, spirituelle et historique. Au Sénégal comme au Bénin, ils ont été reçus ou sont attendus avec ferveur, dans un climat pacifié. Surtout, ils retrouveront une nouvelle vie, leur vraie vie. Les vingt-six regalia seront les pièces maîtresses du futur complexe muséal d’Abomey, lui aussi en coopération avec l’AFD, qui viendra conforter le développement touristique du Bénin.

C’est enfin un acte de confiance en direction de la jeunesse d’Afrique, ce continent où 70 % de la population a moins de trente ans et qui est confronté aux multiples défis du monde contemporain. La France sera au rendez-vous, notamment pour l’aider à se réapproprier son histoire et à retrouver l’accès à son patrimoine. Tel est aussi l’objet des actions de coopération ambitieuses mises en place, non seulement pour concevoir et aménager des lieux d’exposition, mais aussi pour former des conservateurs à même d’assurer la conservation et la sécurité des collections sur le long terme.

En conclusion, suivant le souhait du Président de la République, nous devrions engager la France dans une nouvelle politique de circulation des œuvres. Nous devons partager les chefs-d’œuvre, les prêter, les déposer. Dans l’environnement muséal, la recherche de l’universel ne doit pas avoir de frontière car il s’agit du patrimoine commun de l’humanité. Avec cette restitution, nous faisons la démonstration de cette volonté.

Pour l’ensemble de ces raisons, je vous invite à adopter ce texte de la façon la plus large possible.

Mme Emmanuelle Anthoine. En 1892, le général Alfred Amédée Dodds conduit la campagne du Dahomey. Lors de la prise de la ville d’Abomey dans l’actuel Bénin, il s’empare du trésor de Béhanzin, des œuvres qui se trouvaient au sein du palais, que le onzième roi du Dahomey fit incendier à la suite de la prise de la ville par les Français, le 17 novembre 1892. Le général Dodds, métis franco-sénégalais à la tête des troupes françaises, récupère ce trésor qu’il léguera par la suite au musée d’ethnographie du Trocadéro, et qui est désormais conservé au Musée du quai Branly-Jacques Chirac.

Après la demande officielle de restitution de la République du Bénin, le Président de la République, sur proposition du Musée du quai Branly-Jacques Chirac et du ministère de la culture, a annoncé que la France procéderait à cette restitution. La demande, limitée à une liste précise d’œuvres, s’inscrit dans la volonté du Bénin de mieux appréhender son histoire, et dans le cadre d’un projet de musée porté par la République du Bénin et pour lequel l’Agence française de développement a prévu un prêt de 12 millions d’euros. La France entend ainsi participer à ce projet dans le cadre du programme de travail franco-béninois, signé le 16 décembre 2019 à Cotonou.

Autre histoire : en avril 1893, au cours des combats qui ont lieu à Bandiagara contre Amadou Tall, le colonel Louis Archinard récupère un sabre attribué au père de celui-ci, El Hadj Omar. En 1909, le général Archinard fait don de ce sabre au musée de l’Armée. Le Président de la République du Sénégal, M. Macky Sall, en a demandé la restitution au Président de la République française en juillet 2019, demande à laquelle le Premier ministre a répondu favorablement en novembre. Comme vous l’avez indiqué, le sabre est exposé au Musée des civilisations noires de Dakar, depuis son ouverture en décembre 2018. Il est maintenant nécessaire d’acter cette restitution de fait par une sortie des collections nationales.

Ces restitutions d’œuvres s’inscrivent dans le cadre d’une coopération culturelle avec le Sénégal et le Bénin. Le groupe Les Républicains soutient cette initiative à partir du moment où des garanties sont apportées. Nous sommes fortement attachés aux grands principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité des collections.

C’est avant tout parce que le projet de loi prévoit une simple dérogation à ces principes, et non leur remise en cause, qu’il est acceptable à nos yeux.

Ces restitutions sont d’une part limitées à certaines œuvres. Elles doivent le rester car elles répondent à des demandes précises des pays. Elles s’effectuent d’autre part avec des garanties de bonne conservation qu’il serait opportun de rappeler. Des amendements ont d’ailleurs été déposés en ce sens, qu’il conviendra d’adopter.

Il est également important de pouvoir octroyer à ces pays le matériau muséal dont ils manquent cruellement pour pouvoir retracer leur histoire et leur culture. Soulignons que les musées français ont conservé ces œuvres non dans une volonté d’appropriation nationale de ces trésors de l’humanité, mais avec une dimension universaliste qui consistait à préserver ce patrimoine mondial. C’est dans nos musées que peut s’opérer le dialogue entre les cultures ; il faut donc veiller à ne pas associer aux œuvres qui s’y côtoient la marque d’une revendication avant tout nationaliste. Il doit être ici question non d’appropriation par un pays plutôt qu’un autre, mais de partage de nos expériences culturelles.

L’histoire particulière de ces biens culturels, que j’ai évoquée dans la première partie de mon propos, doit par ailleurs nous inviter à mieux retracer le parcours des œuvres jusqu’à nos musées. Il est important de pouvoir distinguer si elles proviennent d’acquisitions légales ou illicites, distinguo sur lequel nos musées font un travail remarquable, que je tiens à saluer.

M. Bruno Fuchs. Je félicite également le rapporteur pour l’ampleur du travail qu’il a accompli ainsi que pour la qualité et la précision de son rapport.

Soyons francs, l’examen de ce projet de loi revêt avant tout une dimension symbolique. Il faut bien sûr nous en réjouir. Si nous portons collectivement la volonté qu’il manifeste, ce texte est aussi de nature à ouvrir une refondation profonde de notre histoire et de nos rapports avec les pays auxquels nous lie un passé colonial. Félicitons-nous donc de pouvoir collectivement porter cette ambition à partir d’aujourd’hui.

Félicitons-nous également du chemin parcouru en quelques années, sous l’impulsion du Président de la République : souvenons-nous qu’en 2016, M. Jean-Marc Ayrault, alors ministre des affaires étrangères, avait balayé la restitution demandée par le Bénin, en se réfugiant derrière la complexité des règles du code civil et du code du patrimoine. En 2018, le Président de la République avait déclaré que le patrimoine africain devait être mis en valeur à Paris mais aussi à Dakar, Lagos, Cotonou, et souhaité que d’ici à cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. Il a fallu un courage politique inédit au Président de la République pour opérer un virage radical lors du discours de Ouagadougou.

C’est la raison pour laquelle le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés soutiendra ce projet de loi. Il appelle surtout à amplifier ce mouvement et à le rendre beaucoup plus ambitieux. De fait, le texte n’apporte qu’une réponse immédiate, ponctuelle et très partielle. À ce stade, il ne répond clairement pas à l’ambition exprimée par le Président de la République, et que je partage. Le texte invite en effet à réfléchir sur les règles qui entourent les restitutions, telles qu’elles sont actuellement permises. Nous souhaitons qu’à travers une mission ou un rapport parlementaire, qui associerait la commission des affaires étrangères et notre commission, nous puissions redéfinir le principe d’inaliénabilité des collections des musées publics, et comprendre comment transformer les dispositions de l’article L. 451-7 du code du patrimoine, qui empêche le déclassement des œuvres issues d’un legs ou d’un don, sans passer par une loi ad hoc.

À l’issue de cette démarche, l’objectif est de proposer une loi-cadre sur les restitutions, afin de leur donner une procédure claire, lisible et fluide, qui ne serait pas dépendante des aléas ou du bon vouloir politique ou réglementaire. Tout l’intérêt sera de créer alors un subtil équilibre entre exigence de préservation du patrimoine français et création d’une procédure de restitution universelle.

C’est ainsi que nous pourrons répondre aux questions que ce texte soulève, notamment sur le renforcement de l’accès aux musées africains, la formation des conservateurs et restaurateurs d’œuvres d’art, la facilitation des prêts, de la circulation et du dialogue, de musée à musée, ou le déploiement de l’expertise de l’agence France-Muséums à travers le monde. Nous devons également dépasser la notion de restitution pour fonder une politique partenariale sincère et équitable, construite sur une confiance réciproque avec les États et les musées africains.

J’appelle enfin l’attention sur l’indispensable suivi des œuvres restituées. Le risque peut exister de voir se perdre la trace de ces œuvres dans des pays soumis parfois à une instabilité politique importante et croissante. Des institutions existent, comme l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui nous semblent particulièrement adaptées à ce processus.

Enfin, je rappellerai la portée universelle de ces œuvres. Quiconque s’est rendu au Musée du quai Branly-Jacques Chirac a pu ressentir la profondeur humaine des objets dont nous parlons. C’est le sens même de la philosophie humaniste qui nous inspire depuis deux siècles : rendre accessible au plus grand nombre le legs artistique, culturel et spirituel de nos histoires, devenu notre histoire.

L’initiative que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui est décisive, à bien des égards, mais elle ne peut rester à ce stade d’ébauche. C’est pourquoi nous appelons à lui donner rapidement sa pleine dimension.

Mme Michèle Victory, rapporteure d’application. J’indique que le groupe Socialistes et apparentés votera pour le projet de loi.

M. Pierre-Yves Bournazel. Permettez-moi d’abord de remercier M. le rapporteur pour le travail important qu’il mène depuis plusieurs mois. Notre commission est saisie cet après-midi d’un projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal par la France. Ce texte concrétise un engagement fort du Président de la République formulé en 2017 devant la jeunesse d’Afrique : celui de restituer des œuvres culturelles du patrimoine de l’Afrique dans un cadre partenarial refondé avec les pays africains dont elles sont originaires.

Le projet de loi prévoit ainsi une dérogation limitée au principe d’inaliénabilité des collections publiques, afin de permettre la restitution d’un sabre historique au Sénégal et de 26 objets patrimoniaux au Bénin.

L’objectif est donc bien de faciliter la possibilité pour les peuples africains d’accéder, chez eux, à leur art patrimonial. Pour la France, cette nouvelle forme de coopération se fonde sur la coconstruction avec ses partenaires africains. La coopération culturelle est évidemment l’un des piliers de cette nouvelle relation. Au Bénin comme au Sénégal, elle se matérialise par la mise en œuvre de projets de coopération patrimoniale, avec l’appui d’agences françaises, et par un soutien à la politique muséale.

Le groupe Agir ensemble salue la volonté du gouvernement français de nouer une amitié nouvelle et solide avec les pays d’Afrique. L’annonce de ce projet de loi, dans la lignée du rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, a suscité des débats, parfois très vifs, sur ce que devrait être notre politique patrimoniale.

Le projet de loi ne remet pas en cause la vocation universaliste des musées français, ni le caractère inaliénable des collections nationales. Je tiens d’ailleurs à saluer l’excellence de nos musées dont la qualité de conservation des œuvres ne fait évidemment pas débat. Il était toutefois nécessaire de prendre conscience des enjeux mémoriels et symboliques des questions liées à la restitution de ces œuvres, souvent acquises lors des guerres de colonisation. Il ne s’agit pas de réécrire le passé ou de s’adonner à une repentance bien illusoire mais simplement de faire droit à des demandes légitimes de reconnexion avec un patrimoine, une histoire. Ce qui importe, au-delà de la valeur historique et de la qualité intrinsèque des œuvres, c’est bien le présent et la relation nouvelle de confiance que notre pays entend tisser avec l’Afrique qui importent.

En conséquence, notre groupe soutiendra avec force et conviction ce texte, qui participe du renforcement des relations diplomatiques et culturelles entre la France, le Bénin et le Sénégal.

M. Michel Larive. Le présent projet de loi vise à restituer des biens culturels à la République du Bénin et la République du Sénégal. La France, particulièrement pendant sa période coloniale, a enrichi ses collections publiques grâce à des biens culturels provenant de ses dites colonies. Depuis de nombreuses années, plusieurs nations africaines en réclament légitimement la restitution.

Le rapport dressant un état des lieux des objets africains détenus en France, qu’ont rédigé Bénédicte Savoy du Collège de France et Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis au Sénégal, préconise un programme de restitution des biens culturels bien plus audacieux que votre projet de loi puisque ses auteurs appellent à restituer également des œuvres au Nigeria, à l’Éthiopie, au Mali ou encore au Cameroun.

Nous ne parlerons donc pas aujourd’hui des objets issus de butins de guerre, ni de centaines d’objets africains donnés aux institutions françaises par des officiers ou des médecins militaires, des milliers de pièces issues de missions d’exploration ou données aux musées français par des agents de l’administration coloniale ou leurs descendants. Ainsi, de nombreux pays ayant formulé des demandes de restitution de biens culturels à la France n’obtiendront pas satisfaction avec ce texte.

Pour la République du Sénégal, pourtant concernée par ce texte, la restitution est très incomplète. Parmi les biens culturels sénégalais détenus par la France, citons le trésor de Samory, héros de la résistance africaine face à l’expansion coloniale, fondateur de l’empire wassoulou, qui a résisté pendant deux décennies à la pénétration française en Afrique de l’Ouest sur un territoire actuellement situé entre la Guinée et la Côte d’Ivoire. Arrêté à l’automne 1898, après une campagne de représailles menée par le général français Henri Gouraud, il est déporté au Gabon où il meurt deux ans plus tard. Son trésor est saisi lors de sa reddition et le général Gouraud en donne une partie au musée de l’Armée.

Le présent projet de loi prévoit uniquement la restitution d’un sabre, certes à forte portée symbolique, mais n’inclut pas d’autres pièces comme celles du trésor de Samory. Ce sont pourtant toutes les œuvres identifiées comme étant celles du Sénégal que l’actuel ministre sénégalais de la culture réclame.

Le texte présenté, incomplet, témoigne d’une opération de communication opportune du Gouvernement : la restitution d’œuvres serait la preuve de nouvelles relations entre la France et ses anciennes colonies. Le discours de Ouagadougou a été évoqué. Pourtant personne n’a oublié les propos offensants du Président de la République française envers le président burkinabé ce jour-là. Celui-ci avait d’ailleurs quitté la salle après une remarque déplacée du chef de l’État français, qui a préféré ironiser en affirmant que M. le président du Burkina Faso était parti réparer la climatisation… M. Emmanuel Macron a également refusé de se prononcer contre le franc CFA.

Enfin, nous ne pourrions étudier ce projet de loi sans pointer les promesses non tenues du candidat Macron sur l’aide publique au développement. En 2020, seuls 210 millions d’euros supplémentaires ont été alloués à cette mission. Il semble donc évident que l’objectif de porter l’aide publique au développement à 0,55 % du produit intérieur brut d’ici à la fin du quinquennat ne sera pas tenu.

Le texte semble être à l’image de la politique de la France envers le continent africain depuis 2017 : beaucoup de communication mais aussi de contradictions, d’insuffisances et de renoncement.

Malgré tout, le groupe La France insoumise votera pour ce texte, afin que les biens culturels appartenant aux Béninois et aux Sénégalais leur soient justement et légitimement restitués.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail. Madame la ministre, je voudrais souligner le bien-fondé des demandes des gouvernements du Bénin et du Sénégal. Tout peuple doit avoir accès à son patrimoine historique car, comme vous l’avez très bien dit, ces objets sont des objets de mémoire. Pour construire son avenir, il faut maîtriser sa mémoire, son histoire.

Bien évidemment, on peut parler de réparation puisque toutes ces pièces ont été pillées par les armées coloniales, mais il serait préférable de passer de la notion de réparation à celle de coopération, d’égal à égal, pour effacer ce qu’a été la « Françafrique » pendant des décennies.

Il faut saluer le travail des musées français dans l’effort de conservation : j’ai eu l’occasion d’aller à plusieurs reprises au Musée du quai Branly-Jacques Chirac et je salue le travail des équipes, sur des objets provenant de différents continents. Nous avons un devoir de coopération afin de faire en sorte que tous les pays auxquels nous restituons des œuvres aient les moyens matériels et humains de poursuivre ce travail de conservation et d’analyse historique. Nous devons aussi les aider à construire leurs musées – la construction n’a toujours pas commencé au Bénin – et soutenir la formation des personnels, indispensable. Il faut développer le travail en commun entre les musées français et ces musées.

Tous ces objets ont un caractère universel, qu’ils datent du Moyen-Âge français ou qu’ils fassent partie de l’histoire des pays africains : ils appartiennent au patrimoine de l’humanité, et doivent donc continuer à circuler. Comment faire en sorte qu’ils circulent beaucoup plus d’un continent à l’autre, d’un pays à l’autre, afin qu’ils soient toujours accessibles au public ?

Le projet de loi ne dit rien – ce n’était pas son objet – des marchands privés, mais nous devons veiller à préserver l’accessibilité d’un maximum de ces œuvres au public, aux experts, aux chercheurs, etc. C’est un enjeu pour l’humanité. Il faut davantage mettre en commun la richesse des différents musées dans le monde. Peut-être faudrait-il revaloriser le rôle et les missions de L’UNESCO en la matière, dont les effets ne sont pas toujours visibles.

Le groupe GDR votera pour le projet de loi. J’étais favorable à un projet de loi-cadre, monsieur le rapporteur, mais vos arguments m’ont fait réfléchir. Il faudra retravailler la question.

M. Hubert Julien-Laferrière. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission. J’ai eu le privilège de faire partie des quelques députés qui étaient à Ouagadougou en novembre 2017. Évidemment, j’ai accueilli avec une grande satisfaction le discours du Président de la République, qui avait pour ambition de redéfinir les liens entre la France et l’Afrique subsaharienne. Cette décision de restitution d’œuvres est une réponse à la demande de pays spoliés de leurs richesses. Certains ont parlé de symbole. C’est effectivement une affaire de justice, pour les Africains et pour les afro-descendants en Europe.

Une fois que la décision est prise, beaucoup de questions se posent et c’est l’objet de nos débats : quelles œuvres ? On retient le critère de « spoliation » : encore faut-il le définir. Quelle conservation ? Quelle muséographie ? Le rapport Sarr-Savoy a généré beaucoup d’interrogations et d’incompréhensions, certains estimant qu’il crée une présomption de culpabilité quand la spoliation n’est pas prouvée. Il faut donc que la recherche continue à travailler.

C’est un débat que nous aurons ultérieurement car, pour les œuvres visées par le projet de loi, il n’y a pas débat : même si elles ont été sauvées du feu par des soldats, elles ont été spoliées au royaume du Dahomey.

D’autres collègues l’ont souligné, c’est aussi une formidable occasion de coopération culturelle, patrimoniale et historiographique car il n’est pas question de poser des conditions muséographiques à une restitution. Mais il est évidemment légitime de se poser la question de la bonne conservation des œuvres restituées.

Ce sera l’occasion de renforcer les coopérations culturelles et muséales entre la France et les pays africains, tout en favorisant la circulation des œuvres, essentielle pour le travail de mémoire. Ces œuvres sont des propriétés africaines, mais elles appartiennent aussi au patrimoine mondial et leur force symbolique est importante pour la mémoire collective de la colonisation.

Le groupe EDS votera en faveur de ce projet de loi. Nous sommes surtout disponibles pour la suite, car d’autres pays africains vont probablement demander restitution. Nous devrons encore davantage renforcer nos coopérations culturelles.

M. Raphaël Gérard. Monsieur le rapporteur, je voulais d’abord vous féliciter pour la clarté de votre propos liminaire. J’y souscris presque complètement : à titre personnel, je ne suis pas très partisan d’une loi-cadre. Ce texte constitue la démonstration que nos institutions fonctionnent parfaitement bien, dès lors que chacune est dans son rôle : en l’espèce, la ligne politique et diplomatique est définie par le Président de la République ; des scientifiques – les conservateurs du Musée du quai Branly notamment – ont fait leur travail de recherche, d’études et de documentation des collections ; ensuite, on demande au Parlement de déroger au principe d’inaliénabilité des collections, auquel nous sommes tous particulièrement attachés. Une loi « d’exception » me paraît donc la meilleure solution.

Je vous rejoins également quand vous indiquez qu’il s’agit de marquer le début d’une nouvelle relation entre la France et ces pays, qui vont retrouver une partie de leur patrimoine. Ma question portera sur la manière dont on va construire cette relation. Nous avons évoqué l’aide financière de l’Agence française de développement (AFD). Ces restitutions sont une opportunité pour construire un nouveau mode de relations, beaucoup moins asymétrique, au‑delà de la simple aide financière. Comment procéder ? Qui sera en charge ? Combien va‑t‑on y affecter ? Cette relation devrait, avant tout, être de nature scientifique et donc portée par les personnels scientifiques du ministère de la culture, plutôt que par ceux du ministère des affaires étrangères.

Mme Constance Le Grip. Je voulais également rendre hommage à l’important travail effectué par notre rapporteur. À la suite de l’excellente intervention de notre collègue Emmanuelle Anthoine, je me limiterai à quelques observations. Ce projet de loi a soulevé, et soulève toujours, des questions, des inquiétudes – souvent légitimes –, et a parfois même suscité une certaine polémique. Je vous rends grâce, madame la ministre, pour vos propos, que j’ai accueillis avec beaucoup de plaisir. Ce projet de loi n’est pas un acte de repentance, avez-vous rappelé. Nous partageons ce constat.

Vous avez également souligné, tout comme le rapporteur, que le projet de loi ne constitue absolument pas une entorse au principe d’inaliénabilité des collections, un des trois piliers du modèle muséal français, auquel nous sommes attachés.

Je reviendrai sur le sens de notre vote après la défense de nos amendements.

Mme Jacqueline Dubois. Monsieur le rapporteur, vous jugez que le moment n’est pas venu de déposer un projet de loi-cadre, mais vous suggérez dans votre rapport qu’il pourrait être opportun d’en proposer un ultérieurement, afin de prévoir les cas dans lesquels un bien culturel peut être déclassé en vue de sa restitution. Tout en prônant un déclassement au cas par cas des œuvres des collections publiques…

Les demandes de restitution que nous examinons dans le projet de loi sont le résultat d’une collaboration culturelle entre la France et deux pays africains. Au Bénin, c’est d’ailleurs une exposition très réussie et visitée qui a suscité l’envie du gouvernement béninois de récupérer ces œuvres. Comment continuer à développer ouverture et partage culturels, deux éléments essentiels de nos coopérations franco-africaines, sans risquer de nouvelles demandes de restitution ? L’existence même de ces collections contribue à ouvrir nos esprits aux cultures différentes et, vous l’avez dit, concerne notre humanité commune.

M. Stéphane Testé. Des garanties ont-elles été apportées par ces deux pays africains concernant l’accès des œuvres restituées au plus grand nombre ? Depuis la présentation du projet de loi, d’autres pays ont-ils engagé une procédure similaire ?

Mme Danièle Cazarian. Madame la ministre, monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la clarté de vos propos.

L’article 1er précise que l’autorité administrative dispose d’un délai maximal d’un an pour remettre les œuvres à la République du Bénin. Une fois la loi promulguée, la France devra donc organiser la restitution matérielle des vingt-six pièces dans ce délai. Un tel acte de restitution est symboliquement et historiquement inédit. Il va permettre de redonner vie à une mémoire universelle, ainsi transmise aux nouvelles générations. Pouvez-vous nous préciser quelles seront les modalités techniques de la restitution au Bénin ? À quelle fréquence les vingt-six œuvres seront-elles transférées et connaissez-vous leur destination finale ?

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Vous m’interrogez sur les demandes de restitution réceptionnées par la France : le Bénin en a formulé une – vous en connaissez l’ampleur ; le Sénégal a fait une demande le 8 août 2019 pour les objets issus du butin de guerre de Ségou ; la Côte d’Ivoire, le 10 septembre 2019, pour le tambour du peuple atchan, premier objet d’une liste de cent quarante-huit communiquée à la branche africaine du Conseil international des musées – les demandes sont en cours d’instruction ; l’Éthiopie a rédigé une demande le 20 février 2019 pour 3 081 biens culturels éthiopiens conservés dans les collections publiques françaises et affectés au Musée du quai Branly-Jacques Chirac ; le Tchad, le 17 mai 2019 pour l’ensemble des pièces tchadiennes présentes dans les collections du Musée du quai Branly, soit environ dix mille objets ; le Mali, le 29 janvier 2020, pour seize biens listés dans une annexe ; Madagascar, le 20 février 2020, dans la perspective du soixantième anniversaire de l’indépendance, demande la restitution du dais de la couronne de la dernière reine malgache Ranavalona III, actuellement conservé au Musée de l’Armée.

Ces demandes sont peu nombreuses, certaines, mais d’une ampleur très variable : la demande tchadienne – dix mille objets – ou celle de l’Éthiopie exigeront un travail considérable d’investigation et d’études historiques. À l’inverse, pour Madagascar, nous avions proposé une procédure de prêt, comme nous l’avions fait pour le Musée des civilisations noires (MCN) au Sénégal, en attendant la fin de la procédure habituelle. Madagascar demandait un transfert de propriété immédiat, juridiquement impossible en France du fait du caractère inaliénable des œuvres. Qui plus est, l’épidémie de covid a bloqué tout le processus alors que nous étions plutôt allants sur cette affaire. La liste que je viens de vous détailler a été arrêtée le 24 septembre dernier : il s’agit donc d’un état des lieux extrêmement précis et récent.

Vos interventions l’ont rappelé : les principes sont clairs et il faut veiller à étudier l’histoire et l’origine de ces biens, en les contextualisant. Les biens des musées français ne sont pas systématiquement des biens pillés ou spoliés. C’était toute la difficulté du rapport de Mme Savoy et M. Sarr : comment définir quels biens en provenance d’Afrique sont des biens spoliés ? Doit-on estimer qu’ils le sont par définition ? L’UNESCO – et c’est la raison pour laquelle je suis assez réservée à l’idée d’une intervention de sa part – est allée encore plus loin, puisqu’elle a récemment adopté une résolution indiquant que les œuvres venant d’Afrique et conservées dans les musées occidentaux ont toutes été volées ! On ne peut que regretter cette radicalisation. Lui confier, à partir de présupposés aussi violents et aussi systématiques, le soin de présider aux procédures de restitution me paraît donc, en l’état actuel du débat, extrêmement dangereux.

Plusieurs d’entre vous – comme d’ailleurs les sénateurs – ont parlé de « déclassement ». De grâce, gardez-vous d’utiliser ce mot : le déclassement n’intervient que lorsque l’objet conservé n’a plus de valeur patrimoniale. Or, en l’espèce, c’est justement parce qu’il en a une que les pays d’origine en souhaitent la restitution. Si nous déclassions des œuvres pour les rendre parce qu’elles sont sans intérêt, nous n’aurions plus de problèmes !

Vous appelez de vos vœux une plus grande circulation des biens culturels. Bien sûr ! Il faut restituer ces objets, mais je souhaite également qu’à Cotonou ou à Dakar, on voit des expositions Matisse, Picasso ou Léonard de Vinci. Rappelons toutefois qu’il s’agit souvent d’œuvres très fragiles, qui exigent beaucoup de précautions ; l’organisation d’une telle exposition est extrêmement coûteuse. Je ne suis pas vraiment fan de culture numérique, mais le développement de visites immersives dans les musées offre bien des possibilités plutôt que de véhiculer des œuvres dans des conditions de dangerosité extrême. D’ailleurs, sur les 2 milliards d’euros alloués à la culture dans le plan de relance, 400 millions sont dédiés au développement de la culture numérique, pour faciliter l’accès aux œuvres. Cette approche me paraît tout à fait intéressante et mérite qu’on s’en empare.

M. Raphaël Gérard s’est interrogé sur les moyens que le Quai d’Orsay entend consacrer au renforcement de la coopération scientifique et aux partenariats muséographiques. Le ministère de la culture et le ministère de l’Europe et des affaires étrangères travaillent avec leurs opérateurs à la mise en œuvre de partenariats ciblés, avec notamment l’appui de l’AFD et d’Expertise France, surtout dans la phase de préparation. C’est le cas au Bénin pour le musée d’Abomey, afin de définir la programmation du futur musée, ou à Cotonou, où nous accompagnons la rénovation du musée national. Le Musée du quai Branly-Jacques Chirac est tout à fait impliqué : il a par exemple été un important prêteur, à hauteur de 12 millions d’euros, pour l’ouverture du Musée des civilisations noires de Dakar.

Vous m’interrogez sur la signature de futurs accords bilatéraux pour la restitution d’œuvres d’art. Tout dépend de la définition juridique que l’on donne d’un accord bilatéral. Nous avons écarté le recours à ce type d’accord international au profit d’une loi spécifique. Il est vrai que ces accords, dont la négociation aurait été engagée à l’initiative des autorités françaises, auraient pu prévoir que l’État partenaire sollicite la restitution de biens culturels, mais aussi définir la procédure d’instruction de la demande et les conditions de la restitution. Mais de tels accords, conclus aux fins de restitution de biens culturels, sont nécessairement soumis au Parlement en application de l’article 53 de la Constitution. Nous avons donc retenu la loi ad hoc pour atteindre le même objectif.

D’autres types d’accords bilatéraux propres, qui se rapprocheraient d’un arrangement administratif de coopération, ne nécessitent pas de ratification par le Parlement, et peuvent déjà accompagner le processus de restitution – c’est le cas avec le Bénin où un programme de travail commun a été signé à Cotonou en décembre. De même, afin que les restitutions de biens culturels soient un des éléments au sein de coopérations plus larges, la déclaration conjointe du 17 novembre 2019, issue du quatrième séminaire intergouvernemental franco‑sénégalais, prévoit le renforcement du partenariat culturel entre le Sénégal et la France dans le domaine muséal, grâce à une meilleure circulation des œuvres.

Quelles pourraient être les prochaines restitutions acceptées par la France suite à la demande d’un État étranger ? Il est encore trop tôt pour le dire. Les demandes sont encore peu nombreuses et loin d’être toutes affinées.

Quelles garanties sont apportées quant à l’accès du plus grand nombre à ces biens culturels, me demande M. Stéphane Testé ? C’est la préoccupation centrale des deux États qui nous ont fait la demande de restitution : ils tiennent à ce que les œuvres soient visibles et les conditions de présentation des œuvres au public sont au cœur de leur démarche. La condition est totalement remplie pour le sabre d’El Hadj Omar Tall puisqu’il est d’ores et déjà visible au Musée des civilisations noires de Dakar. Quant aux vingt-six œuvres originaires du palais d’Abomey, elles ont vocation à rejoindre le site du futur musée.

M. Yannick Kerlogot, rapporteur. En complément des propos de Mme la ministre, auxquels je souscris, je partagerai quelques éléments issus de nos auditions.

Monsieur Gérard, vous évoquez une éventuelle loi-cadre. En l’état actuel des demandes, les projets de loi au cas par cas sont opérants, mais je ne ferme la porte d’emblée à une loi-cadre. J’aime réfléchir avec les autres : nous pourrions nous pencher sur son intérêt. L’étude que suggère M. Fuchs me semble intéressante : peut-être démontrera-t-elle la complexité des critères pour établir un projet de loi-cadre, au point de conclure que le cas par cas n’est pas si mal ! Mais je n’ai pas la réponse.

Vous vous interrogez également sur les moyens et les modalités de ces restitutions. Vous le savez mieux que moi mais quand, en 2016, le Bénin a essuyé un premier refus au motif de l’inaliénabilité de la part du ministre des affaires étrangères de l’époque, ce dernier et le ministère de la culture n’ont pas attendu les bras croisés pour entamer une réflexion sur cette démarche historique et scientifique, pleinement intégrée par les professionnels des musées, mais également par les différents services des ministères, afin de caractériser très précisément la nature et la provenance des objets.

Quant aux moyens des deux ministères, ils sont suffisants puisqu’il s’agit de cas isolés. En outre, en lien avec MM. Emmanuel Kasarhérou et Yves Le Fur, du Musée du quai Branly, les ministères ont démontré leur capacité à apporter une réponse, même après un premier refus. Sans oublier, fait nouveau, que l’AFD accompagne désormais financièrement les projets culturels ; c’est le cas au Bénin. La coopération financière est donc opérationnelle.

Madame Le Grip, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen de vos amendements, mais nous comprenons votre souci de ne faire aucune entorse au principe d’inaliénabilité. Nous l’avons répété, les biens restitués doivent pleinement répondre au caractère de provenance mal acquise, relevant d’opérations militaires ou de spoliation ; mais il est hors de question pour l’heure de répondre automatiquement aux différentes demandes. Mme la ministre l’a rappelé : elles sont peu nombreuses et sont systématiquement précédées d’une étude scientifique et historique. Il s’agit d’une garantie, apportée par des professionnels. Le vote de telles lois d’exception au principe d’inaliénabilité est une forme de main tendue, liée à des raisons bien particulières. Je ne reprendrai pas ici les arguments, très intéressants, développés par chacun d’entre vous. On ne remet pas en cause le principe d’inaliénabilité quand on est en mesure de reconnaître la nature et la provenance des objets. C’est une condition préalable à laquelle chacun d’entre nous est très attaché. J’espère que l’examen des amendements finira de vous convaincre que nous pouvons trouver un terrain d’entente.

Madame Dubois, vous avez raison, nous sommes sur une ligne de crête, entre examen des demandes au cas par cas et réflexions sur l’intérêt d’un projet de loi-cadre. Nous devons réussir à trouver un équilibre entre les demandes, légitimes, des États africains et la dimension universaliste des musées occidentaux.

Peut-on procéder sans risque à l’examen de nouvelles demandes ? Oui, car notre démarche est rigoureuse : des recherches sont entreprises à condition qu’un État fasse une demande. Certains d’entre eux sont dans une forme de surenchère
– j’espère que M. Larive excusera l’emploi de ce terme – et revendiquent des collections, sans informations précises sur la manière dont elles ont été ramenées en Europe. Dans tous les cas, il faut accompagner chacune des demandes et en démontrer la légitimité et la pertinence et, plus les demandes sont ciblées, plus nous serons capables d’y répondre.

Monsieur Testé, Mme la ministre l’a souligné, le MCN démontre la capacité du Sénégal à accueillir le plus grand nombre dans un équipement absolument remarquable, paradoxalement financé par la Chine… Nous devons pouvoir répondre aux sollicitations des pays africains quand ils font appel à Expertise France ou à nos savoir-faire pour accompagner leurs projets.

Enfin, madame Cazarian, vous souhaitez savoir si la restitution des vingt-six objets béninois sera progressive. Non, ils seront tous restitués au même moment, dans un délai maximal d’un an. Les objets ne seront initialement pas accueillis dans le musée, dont la création a été décidée mais qui en est encore au stade de concept. Madame Buffet a raison, les travaux n’ont pas encore commencé mais la procédure est actée. Dans un premier temps, ces œuvres seront accueillies dans un musée à Ouidah, avant d’être transférées dans ce nouvel établissement de près de 4 000 mètres carrés, censé accueillir trois cent cinquante autres objets répertoriés.

Cet exemple me permet, en conclusion, de saluer la qualité de la relation entre la France et le Bénin, dans le cadre du comité de coopération muséale et patrimoniale, dont nous avons auditionné le président et le vice-président. Il s’agit d’un véritable projet culturel et touristique : le projet vise à mettre en avant les objets restitués, objets historiques, mais aussi le savoir-faire des artisans. En effet, dans l’histoire du Bénin, le royaume du Dahomey sollicitait des artisans et des artistes professionnels pour la cour et ce savoir-faire s’est un peu estompé avec le temps. Le Bénin souhaite le remettre en valeur dans ce site réhabilité.


–  1  –

II.   examen des articles

La commission passe à l’examen des articles.

Article 1er : Sortie des collections publiques du Trésor de Béhanzin et restitution à la République du Bénin

La commission examine l’amendement AC3 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Cet amendement vise à rédiger ainsi le début de la première phrase : « Par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 4515 du code du patrimoine, », par parallélisme avec la rédaction de l’exposé des motifs du projet de loi. Nous sommes tous attachés à la pérennité de ce principe, qui mérite une mention dans la loi.

M. Yannick Kerlogot, rapporteur. Sauf erreur de ma part, personne n’entend remettre en cause le principe d’inaliénabilité des collections, mais une telle mention aurait peut-être le mérite de rassurer ceux qui s’interrogent sur le devenir de cette procédure de restitution qui doit, par principe, faire l’objet d’une loi autorisant une telle dérogation. Je ne vois pas d’inconvénient à ce qu’on apporte cette précision.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Ce principe est au cœur du projet de loi. Sa mention au début de l’article 1er me paraît opportune. Mon avis sera donc favorable.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis favorable de la ministre, elle adopte l’amendement rédactionnel AC7 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AC5 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Cet amendement, dans le droit fil du précédent, vise à préciser les conditions opportunes pour la mise en œuvre du processus de restitution, dérogeant au principe général d’inaliénabilité du domaine public. Je remercie M. le rapporteur et M. la ministre de leur avis favorable sur mon premier amendement. J’espère que leur avis sera identique pour celui-ci !

M. Yannick Kerlogot, rapporteur. Votre amendement exige que le processus de restitution se fasse en considération des conditions optimales d’accueil, de conservation et de présentation au public des œuvres concernées.

Le projet de loi adresse un message de la France à des pays anciennement colonisés – République du Bénin et République du Sénégal – dans un dialogue d’égal à égal. Nous devons être extrêmement attentifs au message que nous allons délivrer : il doit être positif, une main tendue. En multipliant les conditions et en nous interrogeant sur la manière dont les œuvres seront conservées et présentées, nous prenons le risque de froisser. Au Sénégal, les conditions d’exposition ne posent aucun problème, la qualité du Musée des civilisations noires ne justifie aucune inquiétude sur les conditions de conservation ; s’agissant du Bénin, les auditions de AFD et du comité chargé de la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin ont confirmé le sérieux du projet ; c’est un équipement aux normes internationales qui attend les Béninois.

Il est préférable d’affirmer une forme de confiance plutôt que d’inscrire dans un texte condition qui risquerait de froisser. Je vous invite à retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. L’argumentation du rapporteur a été excellente, je me rallie à sa demande de retrait. La logique de cette proposition me paraît même presque orthogonale à celle de l’amendement AC3, qui rappelle que nous agissons par dérogation, au cas par cas.

En l’occurrence, les bonnes conditions de conservation, de présentation et d’accueil du public sont assurées. Elles sont actées au Sénégal, on le constate en visitant le Musée des civilisations noires. Et une collaboration muséale très active, largement soutenue financièrement par la France, garantira la qualité de la présentation des œuvres au Bénin.

Comme l’a excellemment expliqué le rapporteur, cet amendement peut laisser transparaître une forme de méfiance, voire de condescendance vis-à-vis des opérateurs patrimoniaux et muséaux au Bénin et au Sénégal. Qui plus est, une fois la propriété transférée, nous n’aurons plus aucun moyen de vérifier son application : autrement dit, il n’est pas opérationnel. Mais surtout, il risque de fragiliser le nouveau rapport de confiance que nous souhaitons instaurer avec les pays africains.

Mme Constance Le Grip. Je suis sensible aux arguments du rapporteur et de la ministre : mon intention n’était absolument pas de manifester une quelconque défiance ou condescendance à l’égard du Sénégal ou du Bénin. Je souhaitais plutôt insister sur le fait que la République française, par l’intermédiaire du ministère de la culture, de l’AFD ou des grandes organisations muséales françaises, est partie prenante du processus de restitution et va travailler à la mise en place des modalités d’accompagnement, de formation et d’expertise. Il me semblait utile de relayer cet important travail et ce fort engagement pour l’avenir, car nous souhaitons une coopération culturelle et scientifique riche et apaisée. Mais après avoir entendu vos explications, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er, modifié, et son annexe.

Article 2 : Sortie des collections publiques du sabre d’El Hadj Omar Tall
et restitution à la République du Sénégal

La commission est saisie de l’amendement AC4 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Il s’agit de rappeler, comme dans l’article précédent, que ces mesures sont prises par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises.

Suivant l’avis favorable du rapporteur et du Gouvernement, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte les deux amendements rédactionnels AC8 et AC11 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AC6 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Au vu des observations et considérations précédentes, je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 2, modifié, et son annexe.

Elle adopte ensuite, à l’unanimité, l’ensemble du projet de loi, modifié.

La séance est levée à seize heures cinquante.

*

*     *

 

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

– Texte adopté par la commission : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3387_texte-adopte-commission.pdf

 Texte comparatif : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b3387-compa_texte-comparatif.pdf

 


–  1  –

   TRAVAUX DE LA COMMISSION des affaires ÉTRANGÈRES

La commission des affaires étrangères a examiné, pour avis, lors de sa réunion du 22 septembre 2020, le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal (n° 3221), sur le rapport de Mme Marion Lenne.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Chers collègues, je vous prie d’excuser l’absence de la présidente qui m’a demandé de la suppléer pour cette séance. L’ordre du jour appelle l’examen pour avis et le vote du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels au Bénin et au Sénégal. Notre commission a décidé de se saisir pour avis il y a deux semaines, et je salue notre rapporteure Marion Lenne pour le travail considérable qu’elle a accompli dans cette très courte période. Je me réjouis également de la bonne entente qui s’est établie avec le rapporteur au fond de la commission des affaires culturelles Yannick Kerlogot, présent avec nous ce jour.

Ce projet de loi comporte une dimension internationale incontestable, il sera d’ailleurs défendu en séance conjointement par Jean-Yves Le Drian et Roselyne Bachelot. Il répond à un engagement du président de la République, figurant dans le discours qu’il a prononcé à Ouagadougou le 28 novembre 2017 et dans lequel Emmanuel Macron a présenté les grands axes de la relation souhaitée avec l’Afrique pour les années à venir.

L’adoption d’une loi est nécessaire pour procéder à la restitution de biens détenus dans les collections de nos musées nationaux. Ce projet de loi est ainsi le premier acte de mise en œuvre d’une nouvelle politique avec l’Afrique. Il s’agit donc bien, par ce texte, d’engager une nouvelle démarche à l’égard de pays anciennement occupés par la France, et plus particulièrement de renouveler notre politique culturelle vis-à-vis de l’Afrique. Il ne s’agit pas de vider nos musées des collections africaines mais d’engager un nouveau partenariat qui servira la connaissance et la réappropriation des patrimoines dans les pays dont ils sont originaires. L’enjeu est également de dynamiser les politiques muséales et de tourisme culturel en Afrique, qui en sont à leurs débuts.

Il me semble d’ailleurs justifié d’étudier l’extension de cette démarche aux pays d’Asie et d’Océanie et d’inciter nos voisins européens à suivre notre démarche. Une coordination européenne ne pourrait qu’être profitable.

Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis. Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi pour commencer d’avoir une pensée émue pour notre présidente Marielle de Sarnez avec laquelle Didier Quentin, Christian Huttin et moi-même avons visité, lors d’une mission parlementaire en Éthiopie et à Djibouti, le musée national d’Éthiopie où se trouve Lucie. Autour d’une scénographie moderne et efficace, nous avions pu essentiellement rencontrer des élèves, qui ont donc accès à l’éducation culturelle.

Mon collègue Yannick Kergolot, rapporteur de la commission des affaires culturelles, et moi-même avons entendu une vingtaine de personnes au cours des quinze derniers jours. Comme vous le savez, la démarche engagée par la France a suscité d’importants débats et c’est pourquoi nous avons souhaité entendre tous les acteurs concernés : ambassadeurs, directeurs de musée, administrations centrales, experts et historiens d’art, collectifs d’antiquaires mais aussi des associations et fondations basées en France ou en Afrique. Tous ont répondu positivement à nos invitations, mis à part Bénédicte Savoy et Felwine Sarr, auteurs du rapport sur la restitution des biens culturels « vers une nouvelle éthique relationnelle », remis au président de la République en décembre 2018, pour des raisons logistiques, l’un étant aux Etats-Unis et l’autre en Allemagne, et de redondance, ceux-ci ayant déjà été auditionnés en 2018 par le groupe d’études sur le patrimoine de l’Assemblée nationale.

Leur rapport faisait suite à l’engagement pris par le président de la République dans son discours de Ouagadougou en 2017, où il présentait les grands axes du renouveau souhaité pour notre relation avec l’Afrique, et où la culture occupait une place centrale, sur laquelle je vais revenir. Emmanuel Macron décrivait la restitution – temporaire ou définitive – du patrimoine africain à l’Afrique, et notamment à la jeunesse africaine, comme une priorité pour les années à venir. C’est dans ce contexte que 26 œuvres, prises de guerre du général Dodds qui constituent le « trésor de Béhanzin », vont regagner le Bénin, et que le sabre attribué au chef religieux et militaire El Hadj Omar Tall, « confisqué » ou pris à l’issue de combats par le général Archinard, va être restitué au Sénégal, où il se trouve déjà depuis son prêt au musée des civilisations noires de Dakar.

Je souhaitais tout d’abord revenir brièvement sur le dispositif juridique qui nous occupe aujourd’hui. Pour pouvoir procéder à ces restitutions, le véhicule législatif a permis de déroger aux principes du code du patrimoine et tout particulièrement au principe d’inaliénabilité des collections publiques. En effet, les œuvres qui font partie des collections nationales bénéficient, en tant que composante du domaine public, de cette protection. Ce principe ayant une valeur législative, il était possible d’y déroger par loi. Je précise que le code du patrimoine prévoit une procédure dite de déclassement des œuvres, qui permet une sortie du domaine public et lève donc l’obstacle de l’inaliénabilité : or dans ce cas, il faut que soit constatée une « perte d’intérêt public » des œuvres, qui n’avait pas lieu d’être pour les biens culturels qui nous occupent aujourd’hui. Le droit international offre aussi une voie pour les restitutions, dans le cadre de la convention de l’UNESCO de 1970 sur l’importation, l’exportation et le transfert de propriétés illicites de biens culturels, mais cette convention n’est pas rétroactive et ne s’applique donc pas à tous les biens arrivés en France pendant la période coloniale.

Pour toutes ces raisons, le passage par la loi était donc nécessaire.

Les œuvres en question n’ont pas été choisies au hasard, loin de là. Le présent projet de loi est l’aboutissement d’une longue procédure d’instruction et d’analyse, qui va du dépôt d’une demande officielle par l’État demandeur auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, jusqu’à la restitution. Les demandes doivent être ciblées et documentées, à la suite de quoi un travail de recherche d’origine est conduit, afin de pouvoir établir l’historique d’appropriation des objets et déterminer si nous sommes bel et bien face à des transactions inéquitables ou contraintes. Dans le cas du Bénin, le musée du Quai Branly Jacques Chirac, actuel détenteur des œuvres, a ainsi écarté deux objets au cours de ses recherches, du fait de la persistance d’incertitudes sur leurs origines. À ce sujet, un point important doit être signalé : les musées français se distinguent en Europe par le caractère abouti et public de leurs inventaires, qui permettent en théorie à tous les États du monde d’avoir accès aux collections et ouvrent ainsi la voie à des demandes potentielles de restitution. Les collections du Quai Branly Jacques Chirac sont intégralement disponibles en ligne, celles du Louvre le seront à 60% d’ici mars 2021.

Les demandes de restitution sont donc rigoureusement traitées, et mobilisent toute l’expertise scientifique et historique nécessaire. J’ajouterai sur ces demandes que le ministère des affaires étrangères nous a confirmé qu’elles étaient arrivées à ce stade en nombre limité : sept en tout, en comptant le Bénin et le Sénégal. Il nous faut donc bien distinguer les campagnes médiatiques des demandes en bonne et due forme.

Après avoir exposé le processus de restitution en tant que tel, je souhaiterais insister sur un point qui importe tout particulièrement à notre commission : les restitutions s’inscrivent dans le cadre plus global de la coopération culturelle franco‑africaine, dont le président de la République a souhaité le renouveau dans son discours de Ouagadougou. Il s’agit de promouvoir une approche partenariale, d’égal à égal et co-construite. C’est pourquoi les propositions consistant à instaurer une conditionnalité au retour des œuvres me semblent incompatibles avec le projet que nous portons : une fois les œuvres restituées, il ne nous appartiendra plus de nous ingérer dans la politique muséale de nos partenaires. En revanche, la demande de coopération et d’expertise dans ce domaine est forte et notre action extérieure devra rester au rendez-vous. A titre d’exemple, l’Agence française de développement (AFD) s’est vue confier le financement du projet de musée d’Abomey, qui doit accueillir à terme les œuvres restituées au Bénin. Il s’agit d’un projet global, qui peut se lire indépendamment de la restitution, mais dont il faudra pouvoir s’assurer de la viabilité – un musée étant structurellement déficitaire, le gouvernement béninois devra confirmer son engagement de soutien financier – et surtout du bénéfice pour les populations locales. Concernant le Sénégal, il s’agit d’un de nos principaux partenaires dans le monde pour ce qui est des questions culturelles, avec une importance très forte des échanges humains.

Pour conclure sur les enjeux de coopération, j’ajouterai que les enjeux patrimoniaux sont un axe de valorisation pour les années à venir. La formation aura toute sa place, pour contribuer au développement des capacités de gestion patrimoniale de nos partenaires africains, un programme de bourses sera par ailleurs lancé l’année prochaine par le ministère des affaires étrangères.

Les restitutions d’œuvres d’art soulèvent un autre enjeu international ou plutôt européen. En effet, près de 90 % du patrimoine africain seraient hors du continent aujourd’hui, et pour l’essentiel dans les grands musées européens. Nos voisins – je pense notamment à l’Allemagne, à la Belgique, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure au Royaume-Uni – ont suivi de près la démarche engagée par la France en matière de restitution, et les musées européens coopèrent de longue date sur un ensemble de sujets. La dimension européenne de la question méritera d’être creusée à l’avenir, l’Europe apparaissant comme un niveau propice pour faire avancer le débat.

Pour conclure, je tiens à rappeler combien le débat sur les restitutions d’œuvres d’art est complexe et soulève énormément d’interrogations toutes plus stimulantes les unes que les autres. C’est un débat qui nous invite aussi à l’humilité : il n’y a pas de définition unique de l’œuvre d’art, objet symbolique, spirituel, vivant, magique du patrimoine ou encore du rôle du musée, et les définitions qui nous sont familières ne sont pas nécessairement celles de nos partenaires africains, d’où l’importance d’avoir un dialogue riche et régulier ensemble.

Enfin, s’il y a bien un point qui a fait consensus lors des auditions, c’est la nécessité de renforcer l’accessibilité du patrimoine africain : c’est pourquoi en dehors des restitutions, de nombreuses voies pourront être explorées, comme les prêts, les dépôts et toute autre piste susceptible d’encourager la circulation des œuvres, européennes comme africaines.

Comme l’a rappelé le président de la République dans son discours de Ouagadougou, la culture, c’est aussi ce qui doit nous permettre de changer les regards que nous portons l’un sur l’autre. Pour toutes ces raisons je vous invite à adopter ce projet de loi visant à la restitution d’œuvres d’art à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Nous allons à présent passer aux questions.

M. Jean François Mbaye. Je tenais d’abord en mon nom et au nom de La République en Marche saluer très amicalement et très chaleureusement Marielle de Sarnez et je sais l’investissement qui a été le sien sur ce sujet qui lui est très cher. Je souhaite aussi féliciter Marion Lenne et les équipes qui l’ont accompagnée dans la réalisation de ce rapport. Je veux me féliciter de l’occasion qui nous est donnée de pouvoir examiner ce projet de loi, qui regarde directement les attributions de notre commission. Je m’étais très tôt intéressé à ce sujet et j’avais pris contact avec le président de l’Assemblée nationale afin que notre commission soit saisie pour avis. Je tiens à le signaler puisqu’au départ ce projet de loi devait être uniquement étudié au sein de la commission des affaires culturelles, dont je salue le rapporteur.

Je pense que nous serons tous d’accord pour souligner l’importance de la diplomatie culturelle, et donc des discussions entre les commissaires aux affaires étrangères de notre Assemblée sur ce texte, en amont de son examen en séance.

Vous évoquez, madame la rapporteure, dans votre rapport une réalité surprenante : près de 90% des œuvres connues appartenant au patrimoine culturel africain se trouveraient actuellement en Europe. N’étant ni conservateur de musée, ni historien, je me garderai bien de tout raisonnement hâtif qui pourrait me conduire à des généralités dont on sait qu’elles ne reflètent jamais la complexité de l’Histoire. Il n’en reste pas moins que je me permettrai de dire que cette situation n’est pas acceptable. Elle n’est pas acceptable car – et cela répond directement à la vocation universaliste des musées français – une telle stagnation des œuvres empêche de facto les populations africaines d’accéder librement à des objets en provenance directe de leurs cultures et de leurs civilisations.

La culture ne devrait pas, ne doit pas être l’apanage d’un État ou d’un autre, parce qu’elle permet de créer des ponts entre nos sociétés et permet la compréhension mutuelle des individus malgré leurs différences. La culture doit être partagée. En permettant la circulation des œuvres, nous contribuons pleinement à renforcer une vision des relations internationales chère à la France.

À cet égard, notre groupe salue le dépôt de ce projet de loi, qui concrétise les engagements du président de la République, pris notamment à l’occasion du discours de Ouagadougou. Les États africains sont et resteront des partenaires importants pour la France, et nous saluons toute initiative de nature à développer cette relation privilégiée et constante.

En remettant ces œuvres au Bénin et au Sénégal, la France fait montre d’amitié et de confiance à l’égard de ces pays, mais elle fait également et surtout le choix de permettre l’accès à leur patrimoine culturel à des populations qui, comme vous, comme moi, ont le droit de revendiquer une part de leur identité et de leur histoire.

Madame la rapporteure, cette remise de biens culturels constitue clairement la première étape d’une démarche bien plus vaste qui consiste à renforcer la coopération culturelle entre la France et les pays d’Afrique. Vous avez évoqué la coopération à venir dans vos propos, aussi pouvez-vous revenir sur la nature et les moyens mis en œuvre au service de cette coopération ?

M. Didier Quentin. Je tiens aussi à avoir une pensée émue, amicale et chaleureuse pour Marielle de Sarnez. Je tiens à remercier et féliciter Marion Lenne qui a eu l’amabilité de rappeler un de nos souvenirs commun : cette mission que nous avons effectuée il y a presque trois ans où nous avions effectivement eu la chance de voir les restes de Lucie. Nous y sommes retournés depuis et nous avons eu la chance d’aller en Erythrée où nous avons pu admirer de nombreuses œuvres et notamment, sur le port de Massawa, une inattendue et étonnante croix de Lorraine. Cette croix se trouvait là en raison de la présence d’un bataillon français aux côté des Britanniques lors de l’une des premières victoires des Alliés contre les forces de l’Axe, en l’occurrence les Italiens, en 1941.

Le sujet d’aujourd’hui est évidemment un sujet sensible. Nous avions tous été très sensibles au discours du président de la République prononcé le 27 novembre 2017 à Ouagadougou. Cette journée est une journée d’hommage à Jacques Chirac et ayant été son collaborateur je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour le musée des arts premiers du Quai Branly. Dans le discours du président de la République actuel, il était question de restitutions temporaires ou définitives. Nous traitons aujourd’hui de la restitution de 26 œuvres du trésor de Béhanzin au Bénin et de ce fameux sabre au Sénégal.

Comme Français, je suis, comme la plupart d’entre vous j’imagine, très heureux de voir dans des musées étrangers des œuvres françaises. Je me souviens  à ce sujet d’un entretien il y a une trentaine d’années avec les autorités japonaises. Après avoir accueilli la Joconde du temps de François Missoffe, les Japonais souhaitaient pouvoir exposer quelques temps le tableau La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix. Le président de l’époque, François Mitterrand, et le Premier ministre Jacques Chirac étaient tous deux d’accords pour prêter le tableau aux Japonais et ce fut chose faite malgré les oppositions des conservateurs du musée. Ce tableau a récemment été mentionné dans de nombreux articles à la suite des propos du ministre de l’Éducation nationale au sujet « des tenues républicaines ». On ne sait d’ailleurs si la jeune femme dénudée, qui incarne la Liberté sur le tableau d’Eugène Delacroix, arbore une tenue qui correspond à la notion de « tenue républicaine ».

Je crois qu’il est important que les œuvres dont nous parlons aujourd’hui soient restituées. Une chose intéressante à ce sujet est qu’il y ait pu y avoir des polémiques malgré les demandes de restitution arrivées en nombre limité. Il ne faut donc pas croire qu’il y ait une demande générale. Ce qui est important, c’est que l’on trouve les bons équilibres pour que ces œuvres – et c’est peut-être pour cela que certains de nos amis africains sont relativement timides – puissent être restituées. Cela peut vouloir dire soutenir les capacités de présentation des œuvres culturelles dans les pays demandeurs afin qu’elles bénéficient des meilleurs conditions d’accueil possibles. Il ne faut pas non plus engendrer une ingérence dans les affaires culturelles et muséales des pays africains, en revanche il nous revient de proposer des coopérations pour essayer d’aider ces pays à présenter les œuvres le mieux possible.

Comme dernier point, je souhaite rappeler au souvenir de cette commission que la présence de ces œuvres dans certains musées, à commencer par les nôtres, ont permis peut-être aussi de les conserver. Je pense notamment aux œuvres qui ont pu être détruites de par le monde comme à Palmyre par exemple. Il nous faut donc trouver la mesure et les justes équilibres propres au sujet que nous traitons aujourd’hui.

Le moment venu, dans le débat, les Républicains approuveront ce projet de loi.

M. Bruno Fuchs. Au nom du groupe MoDem, je veux vous remercier pour vos mots de sympathie et d’accompagnement prononcés à l’égard de Marielle de Sarnez, auxquels bien évidement je me joins. Je pense qu’il ne faut pas se voiler la face, ce projet de loi revêt avant tout une dimension symbolique. Mais ce texte est aussi et surtout de nature à ouvrir une refondation profonde de notre histoire et de nos rapports avec les pays auxquels nous lie un passé colonial. Félicitons-nous aussi du chemin parcouru en quelques années sous l’impulsion du président de la République. Nous nous souvenons que Jean-Marc Ayrault, alors ministre des affaires étrangères, avait balayé les demandes de restitution formulées par le Bénin en 2016, en se réfugiant derrière la complexité des règles du code civil et du code du patrimoine. Vous avez cité à plusieurs reprises le discours de Ouagadougou de 2017 du président de la République lors duquel il avait déclaré que le patrimoine africain devait être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou, et que d’ici cinq ans, les conditions devaient être réunies afin de permettre des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain. Il faut donc reconnaitre, je veux ici le souligner, un courage politique inédit du président de la République qui transparaît dans virage radical opéré lors de son discours.

De fait, ce texte n’apporte qu’une réponse immédiate, ponctuelle et très partielle à l’ambition du président et ce texte ne répond pas à ce stade à l’ambition exprimée, et que je partage. C’est la raison pour laquelle nous appelons non seulement à son adoption mais surtout à amplifier ce mouvement et à le rendre beaucoup plus ambitieux. Devra-t-on répéter à chaque fois ce mécanisme en écrivant et en votant un nouveau texte de loi ? Ce texte nous invite en effet à réfléchir à une loi cadre qui initierait une réforme du régime juridique de la restitution afin de le rendre plus lisible, plus fluide, et moins dépendant des aléas et des volontés politiques. Ce serait là la première pierre de la coopération nouvelle que nous appelons de nos vœux. C’est ainsi que nous pourrons répondre aux questions que pose ce texte au sujet du renforcement des musées africains, de la formation des conservateurs et des restaurateurs, de la facilitation des prêts, de la circulation et du dialogue de musée à musée, etc. Nous devons dépasser la notion de restitution pour fonder une politique partenariale sincère et équitable construite sur une confiance réciproque avec des États et des musées africains.

J’attire enfin votre attention sur l’indispensable suivi des œuvres restituées. Nous voyons les risques qui peuvent exister de perdre la trace de ces œuvres dans des pays soumis parfois à une instabilité politique importante et croissante. Des institutions comme l’UNESCO nous semblent particulièrement adaptées pour ce suivi.

Pour le groupe MoDem il semble urgent et nécessaire que nous nous saisissions de cette question. Nous pouvons le faire au moyen d’une mission dédiée ou d’un groupe de travail transpartisan qui, sur la rédaction d’un texte cadre, établirait une procédure claire et simplifiée pour de futures restitutions. Ce projet de loi aurait dû être l’occasion de poser les jalons d’une nouvelle doctrine de la politique française pour l’Afrique à travers la culture. Une doctrine à l’origine d’une nouvelle ère pour le chapitre, souvent critiquable, de la Françafrique.

Je tiens enfin à rappeler la portée universelle de ces œuvres. Quiconque s’est rendu au musée Jacques Chirac du Quai Branly a pu ressentir la profondeur humaine des objets dont nous parlons. C’est le sens même de la philosophie humaniste qui nous anime depuis des siècles : rendre accessible au plus grand nombre le legs artistique, culturel et spirituel de notre histoire, devenue nos histoires. L’initiative que nous nous apprêtons à voter aujourd’hui est décisive à bien des égards mais elle ne peut rester au stade de l’ébauche. C’est pourquoi nous appelons ici à lui donner sa pleine dimension.

M. Alain David. Je me souviens que les débats sur les différentes et précédentes restitutions en 2002 et en 2010 avaient été très vifs et je vous remercie aujourd’hui de cette approche très apaisée et pondérée du sujet. Je crois effectivement que toute entorse au principe d’inaliénabilité des collections publiques doit s’accompagner d’une ambition de coopération culturelle avec les pays concernés. En l’occurrence, je salue le fait que les restitutions engagées s’inscrivent dans un renouveau de la politique culturelle de la France en Afrique et je tiens aussi à saluer l’importance du rayonnement culturel français sur ce contient. Pour ces raisons le groupe des députés socialistes approuve votre excellent rapport, et votera donc le projet de loi.

Mme Frédérique Dumas. Au nom du groupe Libertés et Territoires, je souhaite ajouter un message de soutien à madame la présidente Marielle de Sarnez et saluer le travail de celles et ceux qui ont participé à ce rapport.

Notre pays possède des collections publiques d’une infinie richesse d’un point de vue historique, artistique et culturel. Elles sont le témoin de notre histoire et de nos échanges avec le monde, nous pouvons être fiers de la protection que notre législation garantit à ces collections publiques, qui démontre la conscience que nous avons de leur caractère précieux comme de leur fragilité. Le Conseil d’État le rappelle à juste titre, les biens culturels des collections publiques des musées de France font l’objet d’une triple protection garantie par la loi : à la fois, au titre de leur qualité d’éléments des collections des musées de France, de leur appartenance au domaine publique mobilier et de leur qualité de trésors nationaux.  Dès lors ces biens sont inaliénables, imprescriptibles, insaisissables et leur exportation définitive du territoire est interdite.

Depuis 1970 et l’appel du directeur général de L’UNESCO, Amadou-Mahtar M’Bow, pour le retour d’un patrimoine culturel irremplaçable à ses créateurs, un mouvement d’ouverture s’est créé en France et en Europe. La question des restitutions s’est alors posée, cependant les demandes se sont toutes soldées par des refus au nom de cette inaliénabilité. La dernière en date remonte à 2016, à destination du Bénin. Un an plus tard, en 2017, le président de la République a rompu avec cette tradition et a souhaité que toutes les formes possibles de circulation des œuvres soient considérées : des restitutions, des expositions mais aussi des échanges et coopérations.

Aujourd’hui, la quasi-totalité du patrimoine matériel de l’Afrique subsaharienne est conservé hors du continent africain.  Restituer ces œuvres, ce n’est ni renier le passé, ni se déposséder, c’est au contraire regarder le passé en face et accepter que les annexions patrimoniales aient participé au système colonial. Il faut voir dans la restitution de ces biens culturels une occasion de construire une nouvelle relation entre nos pays, l’opportunité de participer au récit de l’histoire humaine et à sa transmission au-delà de nos frontières afin de rendre à la jeunesse africaine son droit au patrimoine. Enfin, restituer ces biens ne signifie pas ouvrir la voie à une jurisprudence qui nous contraindrait à replacer chaque objet dans son environnement géoculturel d’origine. Cet argument revient à nier la longue histoire des circulations entre l’Europe et l’Afrique, y compris au travers des coopérations muséales. Il est essentiel que des objets du patrimoine africain demeurent dans nos musées comme il est important également que d’autres cultures soient représentées dans les collections africaines.

Ainsi, le mouvement de restitution des collections africaines et extra-européennes doit être progressif et s’accompagner d’un immense et rigoureux travail sur leur provenance, leurs conditions d’acquisition et le projet attaché derrière leur restitution. Pour toutes ces raisons, notre groupe salue l’objectif de ce projet de loi, qui intervient pour mettre en œuvre des engagements pris par la France dans le cadre de la politique de coopération culturelle qu’elle conduit avec les États africains. Pour ceux qui s’en inquièteraient, nous insistons sur le fait que la République du Bénin et la République du Sénégal disposent des moyens appropriés – ou les préparent– pour assurer la conservation future des biens culturels. C’est le cas notamment du projet de musée au Bénin, pour lequel la France apporte son assistance. Par ailleurs, le délai d’un an pour la remise des biens culturels, nous semble tout à fait de nature à assurer la mise en œuvre de coopérations bilatérales permettant de garantir leur conservation à l’issue du transfert.

Le groupe Libertés et territoires, souhaite insister néanmoins sur la nécessité d’accompagner chaque transfert d’un accord de coopération culturelle avec le pays demandeur. Cet accord doit prévoir un programme de coopération scientifique et d’accompagnement passant par la conservation des biens culturels, la formation des équipes et le financement. Dans cette perspective, le groupe Libertés et Territoires soutient par ailleurs le recours à un traité international bilatéral ou à une loi-cadre, permettant de répondre à l’ambition annoncée que nous partageons.

M. Hubert Julien-Laferrière. Je veux d’abord évidemment m’associer aux mots qui ont été prononcés pour Marielle de Sarnez. Je crois qu’à chaque réunion de notre commission, nous pensons à elle et c’est pour cela qu’à chaque réunion, depuis que cette session extraordinaire a commencé, nous avons bien sûr un mot pour elle. Au nom du groupe EDS, je voudrais tout d’abord me satisfaire de ce projet de loi. Il se trouve que j’accompagnais le président de la République avec d’autres collègues à Ouagadougou, et que j’avais accueilli avec surprise – car je n’avais pas vu le projet de discours du président de la République – les mots forts qu’il avait prononcés sur la nécessité de restituer ces collections. C’est évidemment important pour les Africains, mais également pour les afro descendants en Europe. Plus qu’un symbole, c’est faire œuvre de justice.

Alors évidemment, cela soulève beaucoup d’interrogations. Ce n’est pas parce qu’il y a un projet de loi aujourd’hui que l’on a répondu à toutes les questions. C’est pour cela que l’ensemble des professionnels va travailler dans l’avenir à que ces restitutions se fassent dans les meilleures conditions possibles. Certains ont peur que l’on ouvre une boîte de Pandore, d’autres disent que le critère de spoliation est difficile à définir. Je crois que pour le Benin c’est assez évident, on a même souvent cité ces œuvres qui ont été sauvées du feu par les soldats, mais elles viennent du Palais Royal d’Abomey et il y a clairement une nécessité de restituer. La Côte d’Ivoire est en train d’établir une liste d’œuvres, et au-delà du sabre au Sénégal, il y a une volonté du Sénégal de dire qu’il faut tout restituer. Il y a donc ce débat sur la spoliation, qui pose la question de la définition au cas par cas de la spoliation. Donc il faut travailler. Et il est important que les chercheurs continuent à travailler afin d’identifier l’origine et les conditions d’acheminement de ces œuvres sur le territoire français.

En tout cas, je veux dire avec mes collègues qu’il n’y a pas de volonté en France de conditionner la restitution des œuvres à la capacité des musées africains de les accueillir. Ce n’est pas le cas. Ces restitutions se feront dans le cadre de bonnes coopérations bilatérales en matière culturelle qui sont vouées à se renforcer, et c’est très bien, afin qu’au-delà des restitutions il y ait une circulation des œuvres d’arts, car c’est cela les coopérations en matière culturelle. Il y a certes une nécessité de marquer l’idée de restitution parce que des œuvres ont été spoliées, mais si ce projet de loi peut encourager une meilleure circulation d’œuvres d’art entre la France et l’Afrique, ce sera évidemment une étape importante dans les relations culturelles entre la France et les pays africains. De plus, je crois qu’il faut que la recherche ait plus de moyens notamment pour lever le doute sur l’origine des œuvres. En tout cas, ces restitutions participent fortement du renouvellement de nos relations avec le continent africain, que nous appelons tous de nos vœux, et je suis très heureux que nous ayons à débattre, aujourd’hui et dans les prochaines semaines, de ce projet de loi.

Mme Aina Kuric. Tout d’abord, félicitations à la rapporteure pour ce travail très intéressant. Dans son discours de Ouagadougou, Emmanuel Macron a prôné une restitution des œuvres d’art africaines conservées par les musées français. Déjà par le passé, la France a permis la restitution d’un certain nombre d’œuvres, comme par exemple la résolution du don consenti au musée Guimet pour restitution à la Chine en 2015, en raison des fouilles illégales. La France a conclu des accords intergouvernementaux spécifiques comme celui signé en 1968 avec l’Algérie organisant un échange de biens culturels et le retour de plus de 300 œuvres sur le territoire algérien. La loi a quelques fois permis ces restitutions, comme par exemple la restitution des têtes maoris à la Nouvelle-Zélande par une loi du 18 mai 2010.

Mais concrètement, lorsqu’on regarde les moments où la France a fait le choix de restituer des œuvres culturelles aux pays d’origine, je constate indéniablement qu’elle l’a bien souvent fait de manière plutôt timide. Là encore, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui, qui se cantonne à la restitution de biens à deux pays, le Sénégal et le Bénin, quand bien même je le salue évidemment, et l’encourage car il va dans la bonne direction en rendant une partie de leur histoire à ces pays, je m’interroge toujours sur la portée limitée de ce texte. Sans vouloir avoir un discours culpabilisateur, je pense que la culture et l’histoire d’un pays sont indispensables à son peuple dans la construction de son avenir.

Ma question est donc la suivante : pourrait-on prévoir un cadre général en listant un certain nombre de critères qui permettraient plus de célérité dans les restitutions et qui permettrait en même temps d’étudier un nombre plus important d’œuvres dont la restitution pourrait être discutée ?

M. Jean Paul Lecoq. Le prince a parlé à Ouagadougou et a dit qu’il fallait restituer les œuvres d’art aux pays africains. Je parle du prince alors que j’aurais dû dire Sa Majesté. Voilà, cela ne peut pas être l’avenir, nous ne pouvons pas faire la politique de la France seulement à partir des déclarations d’un président de la République. Et même si telle devait être l’impulsion, admettons, nous n’avons eu que trois semaines pour effectuer des auditions, avoir des discussions, ceci dans le but de passer très rapidement au vote, comme si ce débat, soit n’avait pas d’importance parce que le prince avait parlé, soit pouvait poser une multitude de questions que l’on ne veut pas aborder, et dans ce cas-là on va très vite, de manière à éviter le débat dans l’opinion publique. En tout cas, la forme soulève des questions importantes et j’espère que cela ne sera pas toujours comme ça à l’avenir. Tout à l’heure, nous parlions de la liberté guidant le peuple, il faut s’en rappeler, et rappeler que ceux qui agissent au nom du peuple sont les parlementaires et non pas le président de la République, qui fait partie de l’exécutif et doit mettre en œuvre ce que nous décidons ici, et non pas l’inverse. Je referme la parenthèse mais, députés nous sommes et députés nous devons toujours nous souvenir.

Quant au fond, la question de la restitution est évidemment très importante, dans le cadre de la reconnaissance par les anciens pays colonisateurs des pillages qu’ils ont menés sur les sites historiques. Il faut appeler un chat un chat : il y a eu des pillages. La France a accumulé un très grand nombre d’objets de ce type lors de ses expéditions coloniales entre le XIXème et le XXème siècle, en Afrique comme en Asie du Sud-Est. Les musées qui exposent ces objets en France ont des réserves pleines de ces objets, qui ne sont donc jamais exposés. La restitution d’objets culturels est également une question de partage entre des pays qui en sont privés et d’autres qui en ont trop. Vu l’importance des collections muséales en réserve, il est faux de dire que la restitution va vider les musées.

Toutefois, la question de la restitution porte sur la notion de propriété, qui vient en complément de tous les autres sujets qui ont été abordés par mes collègues. Une fois que la France transfèrera ces objets, elle n’aura plus la main sur eux. Or, plusieurs inquiétudes existent et ont fait l’objet de débats à la commission des affaires culturelles et ailleurs. La question notamment de la conservation de ces œuvres dans des conditions optimales – qu’elles soient matérielles ou autres – se pose. Je dis ça pour les pays africains, mais nous ne sommes pas à l’abri. Rappelez‑vous l’Arc de Triomphe : même des œuvres chez nous devraient être mieux protégées, il peut se passer n’importe quoi dans n’importe quel pays du monde qui fasse que les œuvres d’art soient des objets à protéger.

Je vais le dire avec mes mots, cela va peut-être vous choquer. Il y a eu une période où dans notre pays on considérait qu’il fallait faire de l’ingérence humanitaire. On s’autorisait même à envoyer l’armée pour effectuer cette ingérence humanitaire, rappelez-vous la Lybie et ses résultats. Je ne voudrais pas que, prétextant l’universalité des œuvres d’art et la propriété du patrimoine mondial, quelqu’un ose user de l’ingérence culturelle pour protéger ces œuvres d’art. Chaque pays est souverain, et lorsque l’on rend une œuvre d’art à un pays, nous devons lui faire confiance. Je ne souhaite pas que l’on insère des clauses directes. Par contre, que la France porte à l’échelle internationale l’idée véhiculée par les différentes conventions internationales sur le trafic d’œuvres d’art, alors qu’elle n’a pas été très bonne en 2002, et accompagne tous les pays en faisant en sorte que les conventions internationales, qu’elle-même n’a pas ratifiées, puissent être ratifiées dans la continuité de notre commission et que l’on franchisse ainsi un pas, alors que les marchands d’art n’ont pas forcément intérêt à ce que la France ratifie ce type de textes.

Les députés communistes vont donc voter ce projet de loi avec toutes ces réserves et cette volonté que notre commission puisse peser à l’avenir sur la ratification de toutes ces conventions sur le trafic d’art.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Je vais donner la parole à notre rapporteure pour répondre à ce premier groupe de questions.

Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis. Je vais revenir sur la coopération générale, cela a été le sujet de beaucoup de vos questions puis je reviendrai ensuite sur le choix du véhicule législatif. S’agissant de la coopération patrimoniale, la France est reconnue pour son expertise dans la conservation muséale. Dès lors, la demande de coopération est adressée par les États souverains. Le processus c’est d’abord restituer, accompagner puis former à la demande des États, et pour cela nous mobilisons des fonds de solidarité (FSPI), des bourses délivrées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour former les étudiants, mais également des modules numériques, car la culture est aussi la grande victime du covid-19 et que le numérique a permis de maintenir la culture dans notre monde.

Dès lors, le processus est réfléchi, abouti, de manière partenariale. S’agissant des chiffres, pour le Bénin et les musées pour le développement des territoires, le FSPI prévoit 780 000 euros. C’est un accompagnement des professionnels en termes de savoir-faire pour préparer au mieux les conditions d’accueil des biens culturels. Cela se fait également en lien avec l’AFD qui été mobilisée par le gouvernement du Bénin sur le musée d’Abomey, dans le cadre de son programme sur les industries culturelles et créatives. Au Sénégal, dans le cadre d’un séminaire intergouvernemental, un volet culturel et un volet muséal, qui s’élève à 260 000 euros, ont été mis sur pied pour la formation des professionnels, des demandes d’expertises, etc. C’est vraiment un ensemble, une expertise reconnue à travers le monde, ce sont des demandes des États, et j’insiste donc sur l’aspect partenarial.

Pour répondre aux questions de mes collègues, je souhaiterais insister sur le fait que nous refondons nos rapports, nous répondons aux demandes des États. La réflexion sur la loi-cadre est en cours, mais l’outil semble trop global. Il est compliqué de calquer un modèle pour des histoires, des civilisations extrêmement différentes, je pense à Madagascar comme au Sénégal. Il y a une volonté partagée de faire du cas par cas. Un cadre global ne répondrait pas à l’approche souhaitée du cas par cas. Ce projet de loi constitue une doctrine du fait de la dérogation qu’il prévoit. Voilà pour ces explications législatives.

Je répondrai à Hubert Julien-Laferrière, en reprenant les termes de l’ambassadeur du Bénin à Paris avec lequel j’ai déjeuné ce midi et qui me disait au cours d’une conversation sur les spoliations : « qu’importe, pourvu que le serpent soit mort ». Certes, il dit aussi qu’il fallait des formations sur l’histoire, des études sur les provenances, pour autant aujourd’hui nous sommes dans un cadre apaisé de relations partenariales de coopération.

Pour répondre à Aina Kuric, aujourd’hui nous avons cinq demandes de restitution, au-delà du Sénégal et du Bénin, qui sont en cours d’instruction. En temps en en heure, le même véhicule législatif sera, ou pas, utilisé, mais cela reste le cadre pour l’instant retenu.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Merci madame la rapporteure pour cette première salve de réponses. Je donne la parole maintenant à M. M’jid El Guerrab.

M. M’jid El Guerrab. Merci à la rapporteure pour le travail qui a été fait ainsi qu’à l’ensemble des personnes qui ont travaillé sur ce texte parce qu’il y avait besoin d’apaisement. À chaque fois que l’on parle du passé colonial de la France et de ses survivances, il y a toujours de la passion, de la crispation et de l’instrumentalisation politicienne qui peuvent être faites ci et là. Je remercie vraiment du fond du cœur mon collègue Didier Quentin qui a tenu des propos responsables et je pense que l’on va pouvoir aborder ce texte avec toute la responsabilité qui est la nôtre, celle de parlementaires que nous sommes.

En France, plusieurs musées sont concernés par les restitutions et en premier lieu celui du Quai Branly. Ses collections comptent plus de 300 000 œuvres dont 80 000 en provenance d’Afrique subsaharienne, ma circonscription. Au terme d’une enquête menée auprès d’historiens, de marchands, de conservateurs, de collectionneurs, de directeurs de musées, et après un périple qui les a conduits au Bénin, au Sénégal, au Mali, au Cameroun, les auteurs rapporteurs Sarr et Savoy ont estimé que 46 000 œuvres du musée du Quai Branly relevaient d’un vice de consentement. Autrement dit, ces œuvres ont rejoint les collections françaises par des chemins inavoués, conséquences de vols, de pillages ou encore d’achats injustement rétribués. Pour la période 1865-1960, ces appropriations sont la conséquence du fait colonial. En tant que tel, la situation de ces œuvres doit être réexaminée, en ouvrant la porte à des restitutions aux gouvernements africains de manière équilibrée sans jamais tomber dans l’excès inverse, je crois d’ailleurs qu’il y a dans notre commission un consensus autour de cette question. Et dans cette perspective, ne faudrait-il avoir une réflexion sur les restitutions des objets symboliques, comme le burnous d’Abdelkader qui se trouve au musée des Invalides, et le restituer à l’Algérie ?

Mme Mireille Clapot. C’est effectivement important qu’au-delà de ce cas précis du projet de loi, on puisse avoir un débat et porter un regard de parlementaire sur ces questions qui ne sont pas seulement culturelles mais sont aussi un élément constitutif de la politique française à l’international. Nous avons parlé de symboles, d’accessibilité du patrimoine, de définition même de l’œuvre d’art. J’ai même entendu dire de « fait du prince ». Nous pourrions en parler longtemps mais je voudrais plutôt évoquer la question de la coopération muséale avec les pays concernés. La question se pose pour tout pays qui dispose d’œuvres d’art, telles que les statues et les trônes du Bénin. Comment élargir l’accès ? Comment permettre l’appropriation ? Comment avoir une bonne médiation culturelle ? Je voudrais en venir plus spécifiquement au rôle que pourrait jouer la francophonie en tant qu’organisation internationale. Vous l’évoquez très vite dans votre rapport en disant qu’elle n’a pas de rôle de médiation culturelle aujourd’hui mais pourrait-elle l’avoir un jour ? Enfin, la médiation qui va se faire autour de ces œuvres se fera sans conditionnalité. Dès lors peut-elle servir de support à la diffusion de la langue française ?

M. Hervé Berville. Je voudrais d’abord insister sur la qualité du débat de part et d’autre des différents courants politiques. Au fond, il s’agit d’un sujet vraiment consensuel car il touche à la capacité que nous avons collectivement de permettre à des jeunesses, à des pays d’accéder le plus librement et le plus facilement à des œuvres qui constituent pour eux un des piliers de leur histoire culturelle et de leur histoire politique. Au-delà même de la restitution de vingt-sept biens identifiés à nos partenaires béninois et sénégalais, cette démarche s’inscrit plus largement dans la nouvelle relation que nous voulons et que nous appelons de nos vœux avec les 54 pays africains, dans le respect de leur diversité et de leur identité.

Comme vous l’avez dit, ce projet de loi concrétise au fond la volonté du président de la République. En effet, nous sommes sous la Ve République où existe une impulsion présidentielle émanant elle-même d’un vote, en général suivi, et faisant l’objet d’une participation active définissant des lignes directrices. Au fond, notre volonté est que les jeunesses africaines puissent accéder à leur patrimoine culturel. Cette question se situe au cœur de cette dialectique d’apaisement et de réconciliation historique, culturelle et mémorielle, que nous souhaitons insuffler dans notre relation. Ce projet de loi en est la concrétisation, il revêt une réalité tangible qui trouvera, j’en suis certain, un écho dans les jeunesses africaines et dans les diasporas qui nous écoutent, nous regardent et attendent aussi ce projet de loi.

Cette question est bien sûr sensible en France et dans d’autres pays eu égard à notre relation complexe, longue et douloureuse avec des pays africains, mais aussi parce que la culture, au fond, occupe une place majeure chez nous et dans tous ces pays. Au passage, je voudrais dire que la restitution des biens n’est pas l’apanage de la France, c’est une dynamique que l’on observe à l’échelle du monde. Je pense aux Etats-Unis, à la Corée du Sud, en passant par l’Allemagne et le Mexique. Cette dynamique est aussi largement soutenue par la communauté internationale et l’UNESCO en particulier. Au fond ma question est assez simple, en ce jour où l’on célèbre le dialogue des civilisations et l’un de nos plus illustres collègues Jacques Chirac à qui l’on a rendu hommage ce matin, comment ce projet de loi est-il perçu par nos partenaires africains ? Considèrent-ils que ce projet ne va pas assez loin ou pas assez vite ? Nous parlons de ce projet depuis 2017. Au fond, comment concevez-vous le fait de pouvoir à la fois systématiser et rendre plus simple ce processus ?

M. Jean-Paul Lecoq. Je ne suis pas très satisfait de la réponse de madame la rapporteure. Que l’Élysée veuille faire du cas par cas je peux le comprendre car quelque part il peut y avoir de nombreuses considérations de gouvernance qui fassent que l’on veuille faire ainsi, mais que des parlementaires veuillent faire du cas par cas, je ne peux pas le comprendre.

Au moment où l’on s’est posé la question de la déclaration universelle des droits de l’Homme,  imaginez que l’on ait voulu faire du cas par cas, parce que tous les hommes suivant les pays, suivant les cultures, suivant les traditions, ne sont pas à égalité. Nous avons tout de même fait une déclaration universelle, puis malheureusement cela fait des décennies que nous ne disposons pas des mêmes droits et cela n’empêche pas que cette déclaration soit universelle. Donc, nous pouvons proposer une loi-cadre permettant de donner notre philosophie française sur ce sujet.

Ensuite, derrière cette loi-cadre, on examine les choses mais le débat autour de celle-ci, sur son contenu, la protection, les structures internationales qui l’accompagnent, me semble être de bon augure car cela oblige à la tenue d’un débat. Ici le débat est très restreint, très court. Les auditions sont aussi très réduites, les auteurs du rapport demandé par l’Élysée en 2018 n’ont d’ailleurs pas pu être auditionnés. Ainsi, je trouve que même si la philosophie est bonne, nous n’avons pas associé tous ceux qui méritaient d’être associés à ce projet. Puis, nous n’avons pas eu l’avis des pays. Il y a eu peu de demandes, mais les demandes exprimées et les attentes non exprimées existent, comme vient de le dire M. Hervé Berville.

Moi, je rêve qu’on écrive un jour un livre d’histoire commun entre la France et l’Algérie, pour que les gamins de CM2 français et algériens, sur la période qui a mis nos deux pays en conflit, aient la même lecture de l’histoire. À un moment donné, si on veut aussi que la paix se construise et que les relations s’améliorent, il faut que les historiens travaillent dessus. Pour les œuvres d’art, c’est pareil ; il faut travailler à considérer que les unes appartiennent aux autres et permettre leur dépôt ailleurs évidemment. On peut avoir des œuvres d’art béninoises en dépôt en France car cela contribue à la paix. En cela, la culture et les œuvres d’art – je partage ici des passages du discours du président de la République – contribuent aussi à la paix parce qu’elles contribuent à améliorer les relations entre les êtres humains. Vraiment je ne vois pas ce qui perturbe le fait d’avoir une loi-cadre et de voir ensuite comment on inscrit les demandes au sein de cette loi-cadre.

Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis. Monsieur El Guerrab, la réflexion est à faire et elle se fait. C’est tout un cheminement car dans cette réflexion il faut intégrer les directeurs de musées, les marchands... Cette réflexion doit être menée en créant du consensus. Il faut avancer ensemble sur ces sujets-là.

Je dirai à madame Clapot, sur la francophonie, que je suis convaincue que l’organisation internationale de la francophonie a un rôle à jouer. Actuellement, elle ne travaille pas sur le domaine de la coopération muséale et patrimoniale. C’est un niveau d’action sur lequel il serait pertinent et possible qu’elle travaille. Pour donner cette impulsion il faut un vote de ses États membres. Puis, pour aller au-delà de la francophonie, si l’on prend l’exemple du musée historique d’Abomey, la colonisation a établi des frontières qui n’étaient pas forcément celles des royaumes. Je crois qu’il faut donc aller bien au-delà de la francophonie, s’en servir pour également travailler la polyphonie. Les Nigériens parlent aussi avec des Ivoiriens dans des dialectes partagés, sans forcément passer par le français. Cela permet de créer un véhicule dépassant la francophonie et d’aller ainsi vers la polyphonie.

Je répondrai à monsieur Hervé Berville que la perception que nous avons eu des États est plutôt positive, ils sont plutôt enthousiastes du retour de ces œuvres. Les œuvres sont attendues, des cérémonies sont d’ailleurs en phase de conception. L’ambassadeur du Bénin en France nous l’a rappelé encore aujourd’hui. Enfin, comment simplifier ou aller plus vite ? C’est par ce fameux projet de loi qui amène à une dérogation et qui pourra devenir la doctrine appliquée ensuite lorsque les autres demandes seront instruites.

Monsieur Lecoq, je reviens sur le fait que la loi-cadre est trop globale et qu’il faut bien sûr faire du cas par cas pour répondre aux demandes de chaque État. Vous avez une fois de plus évoqué, monsieur Sarre et madame Savoy qui en réalité ont déjà été auditionnés par le groupe d’études « Patrimoine », dont le président est parmi nous aujourd’hui. Ils n’ont pas souhaité de redondance de l’audition. Tout s’est fait dans les règles de l’art.

Mme Sonia Krimi. Tout a été dit, mais les derniers échanges que nous avons eus par rapport au multilatéral apportent quand même un peu plus de débat. Pour ma part, j’ai une remarque et une proposition. Premièrement, il est vrai que l’on ne peut pas prôner le multilatéral sur tout et qu’à un certain moment nous y sommes confrontés. Ainsi, notre assemblée ne pourrait-elle pas créer une mission de nos deux commissions des affaires culturelles et des affaires étrangères au sujet de cette loi-cadre. On ne peut pas avoir une loi-cadre généraliste quand nous sommes face à des pays qui n’ont pas la même capacité à recevoir ces biens culturels. Je connais bien le Moyen-Orient et l’Afrique du nord, et nous n’avons pas toujours des pays capables de recevoir dans de bonnes conditions toutes ces œuvres. Il faudrait ainsi établir une loi-cadre capable de voir les subtilités, les spécificités de chaque pays, nous donnant ainsi une certaine marge de manœuvre. Nous pouvons également réfléchir à mettre en place une mission pour réfléchir sur ce sujet.

Mme Marion Lenne, rapporteure pour avis. Je vous propose madame Krimi d’en faire la suggestion au bureau de la commission afin de voir comment nous pouvons réfléchir à cela ensemble.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Nous allons passer au vote. Je ne suis saisie d’aucun amendement.

La commission adopte, à l’unanimité, l’article 1er sans modification puis l’article 2 sans modification.

Elle adopte ensuite le projet de loi, à l’unanimité, sans modification.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente. Pour ma part, je voudrais remercier madame Marion Lenne pour son excellent rapport sur ce projet de loi qui, vu la richesse de nos débats, montre bien l’importance de ce sujet. Je pense que nous pouvons nous satisfaire de l’avoir adopté à l’unanimité.

 

 

 


–  1  –

   Annexes

annexe 1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

(par ordre chronologique)

       Musée des civilisations noires (MCN) de Dakar  Pr Hamady Bocoum, directeur général

       M. Pierre Amrouche, expert en art africain

       Me Emmanuel Pierrat, avocat

       Ministère de lEurope et des Affaires étrangères – Mme Laurence Auer, directrice de la culture, de l’enseignement, de la recherche et du réseau, Mme Dominique Waag, sous-directrice de l’enseignement supérieur et de la recherche et M. Alexis Mocio-Mathieu, rédacteur en charger du suivi des questions liées au patrimoine, trafic des biens culturels et restitutions de biens culturels

       M. Réginald Groux, marchand d’art, fondateur du Musée dArt et dHistoire des Cultures dAfrique de lOuest (MAHICAO), à Djilor Djidiack au Sénégal

       Comité chargé de la coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin – MM. Nouréini Tidjani Serpos, président, et Alain Godonou, vice-président

       Mme Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation Zinsou

       Musée du Louvre – M. Jean-Luc Martinez, président

       Ministère de lEurope et des Affaires étrangères  M. Jean-Pierre Bat, chargé de mission au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS)

       Musée de lArmée - Général Henri de Medlege, directeur

       S.E. M. Philippe Lalliot, Ambassadeur de France au Sénégal

       Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) – M. Ghyslain Vedeux, président, accompagné de Mme Fatoumata Sissi Ngom, auteur du roman Le Silence du Totem, et Pr Amzat Boukari-Yabara, historien

       M. Pierre Moos, collectionneur, directeur du salon Parcours des mondes

       Collectif des antiquaires de St-Germain – M. Robert Vallois, président

       Musée du Quai-Branly-Jacques Chirac – M. Emmanuel Kasarhérou, président

       Syndicat national des antiquaires (SNA)  Mme Anisabelle Berès, présidente, M. Anthony JP Meyer et Me Yves Bernard Debie, avocat

     Ministère de la Culture  M. Philippe Barbat, directeur général des patrimoines, et Mme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections au service des musées de France

       Musée des civilisations de lEurope et de la Méditerranée (MUCEM) – M. Jean-François Chougnet, président

       S. E. Madame Véronique Brumeaux, ancienne ambassadrice de France au Bénin (16 septembre 2016 – 4 septembre 2020)

       Comité français du Conseil international des musées (ICOM)  Mme Juliette Raoul-Duval, présidente, et M. André Delpuech, directeur du musée de l’Homme

 

 

ENTRETIENS MENÉS PAR LE RAPPORTEUR

       S.E M. El Hadji Magatte Seye, Ambassadeur de la République du Sénégal en France

       S.E. M. Eusèbe Agbangla, Ambassadeur de la République du Bénin en France et M. Angelo Dan, conseiller politique et économique


–  1  –

annexe 2 :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteure POUR AVIS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

La rapporteure a participé aux auditions de M. Yannick Kerlogot, rapporteur au fond (cf. supra).

Elle a en outre entendu M. Charles Houdart, responsable de la cellule industries culturelles et créatives à l’Agence française de développement (AFD) et M. Maurizio Cascioli, directeur adjoint de l’agence AFD de Cotonou.

 

 

 

 

 

 


–  1  –

ANNEXE 3 :
liste des biens restitués en application du projet de loi

ARTICLE 1ER

1. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.1 – Statue anthropomorphe du roi Ghézo ;

2. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.2 – Statue anthropomorphe du roi Glèlè ;

3. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.3 – Statue anthropomorphe du roi Béhanzin ;

4. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.4 – Porte du palais royal d’Abomey ;

5. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.5 – Porte du palais royal d’Abomey ;

6. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.6 – Porte du palais royal d’Abomey ;

7. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.7 – Porte du palais royal d’Abomey ;

8. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1893.45.8 – Siège royal ;

9. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.1 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;

10. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.2 − Calebasses royales grattées et gravées d’Abomey, prise de guerre dans les palais royaux ;

11. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.3 − Autel portatif aseñ hotagati ;

12. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.4 − Autel portatif aseñ royal ante mortem du roi Béhanzin ;

13. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.5 − Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;

14. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.6 − Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;

15. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.7 − Trône du roi Glèlè ;

16. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.8 – Trône du roi Ghézo (longtemps dit « Trône du roi Béhanzin ») ;

17. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.9 – Autel portatif aseñ hotagati à la panthère, ancêtre des familles royales de Porto-Novo, d’Allada et d’Abomey ;

18. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.10 – Fuseau ;

19. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.11 − Métier à tisser ;

20. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.12 – Pantalon de soldat ;

21. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.13 – Siège tripode kataklè sur lequel le roi posait ses pieds ;

22. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.14 – Tunique ;

23. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.15 – Récade (insigne d’autorité) réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;

24. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.16 – Récade réservée aux soldats masculins du bataillon blu, composé uniquement d’étrangers ;

25. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.17 − Autel portatif aseñ du palais royal incomplet ;

26. Numéro d’inventaire du musée du quai Branly-Jacques Chirac : 71.1895.16.18 – Sac en cuir.

ARTICLE 2

Numéro d’inventaire du musée de l’Armée : 6995/Cd 526 − Sabre avec fourreau dit d’El Hadj Omar Tall.


([1])  Rapport au Gouvernement, 20 janvier 2008.

([2]) Voir le dossier législatif :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/acceleration_simplification_action_publique

([3])  Voir le commentaire de la décision n° 2018-743 QPC du 26 octobre 2018 Société Brimo de Laroussilhe, https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2018743qpc/2018743qpc_ccc.pdf

([4]) Sénat, n° LC 191, décembre 2008.

([5])  Un prêt souverain est un prêt contracté ou garanti par un État.

([6])  https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou

([7])  https://bj.ambafrance.org/Telecharger-l-integralite-du-Rapport-Sarr-Savoy-sur-la-restitution-du

([8])  Article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, article L. 451-5 du code du patrimoine (inaliénabilité des biens issus des collections des musées de France).

([9])  Article L. 2311-1 du code général de la propriété des personnes publiques.

([10]) À noter que l’article 10 du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de l’action publique (ASAP) prévoit la suppression de la CNSC, disposition sur laquelle le Sénat est revenu lors de l’examen du texte en mars.

([11]) Dons réalisés respectivement par le général Dodds et le général Archinard.

([12]) Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.

([13])  Voir article L. 124-1 du code du patrimoine.

([14])  Le général Alfred Amédée Dodds (1842-1922) exerça le commandement des troupes françaises au Sénégal à partir de 1890 et mena la conquête du Dahomey dans l’actuel Bénin de 1892 à 1894. Les pièces restituées sont issues des combats menés à Abomey, et avaient été interceptées à l’occasion de l’incendie du Palais royal allumé par Béhanzin, roi d’Abomey.

([15])  El Hadj Omar Tall (1797-1864) était un chef religieux et militaire, ayant assuré la promotion de l’Islam sunnite au Sénégal, il fut le fondateur en 1848 de l’empire toucouleur, auquel mit fin la colonisation française en 1893. Le général Archinard, à l’origine du don du sabre, aurait confisqué le sabre au fils d’El Hadj Omar Tall, à l’occasion d’un combat.

([16])  Loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud.

([17])  Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.

([18]) Dans le cas du Bénin, des demandes de restitution ont ainsi émané de la société civile, et notamment du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN). De même, une demande portant sur une centaine d’objets référencés en Côte d’Ivoire a été adressée à la France en 2018, mais via Africom, la branche africaine du Conseil international des Musées, et non par les autorités ivoiriennes.

([19]) Ce point a notamment été abordé en audition par Laurence Auer, directrice de la culture, de l’enseignement, de la recherche et du réseau.

([20]) Pierre Amrouche a notamment mentionné la mission Dakar-Djibouti, expédition ethnographique menée de 1931 à 1933.

([21]) Jean-Luc Martinez a également rappelé l’existence en Égypte jusqu’à son interdiction en 1984 d’un marché des biens culturels tourné vers l’exportation.

([22])  Outre les demandes béninoise et sénégalaise, la France a reçu des demandes de la Côte d’Ivoire, de l’Éthiopie, du Tchad, du Mali et de Madagascar.

([23]) À cet égard, Pierre Amrouche a parlé en audition d’un « retour au pays natal » des biens culturels.

([24]) Les inquiétudes de certains experts et scientifiques béninois à ce sujet sont notamment détaillées dans un article de Philippe Baqué paru dans le Monde diplomatique d’août 2020, https://www.monde-diplomatique.fr/2020/08/BAQUE/62067

([25]) Indications fournies en audition par Marie-Cécile Zinsou.

([26]) On trouvera un état des lieux des musées africains en annexe de l’ouvrage d’Emmanuel Pierrat, Faut-il rendre les œuvres d’art à l’Afrique ?

([27]) Article pré-cité du Monde diplomatique

([28]) Le MEAE est engagé dans un projet de mise en valeur des églises taillées dans la roche de Labilela, via l’organisation d’une exposition numérique, et en mettant à disposition du projet l’expertise culturelle et patrimoniale française.

([29]) Il s’agit là d’un enjeu bien identifié, ainsi pour rappel, dans le cas de la restitution au Nigeria des sculptures Nok, issues de fouilles illicites et achetées à la fin des années 1990, un accord avait été passé avec le Nigeria afin de laisser en dépôt les statues en France, compte tenu de l’incapacité des musées locaux à fournir des conditions de conservation adaptées.

([30]) Dans le cadre du FSPI 2017-2018 Tourisme culturel et patrimoine durable : création d’une « route des Tatas », habitat traditionnel remarquable en pays Bétamaribé au Nord-Ouest du Bénin, doté d’une enveloppe de 140 000 euros.

([31])  http://www.institutfrancais-senegal.com/p/qui-sommes-nous?v=dakar

([32])  L’agence sera chargée du développement de musées, de la partie archéologique du site, de la formation des professionnels du tourisme et de la mise en place d’infrastructures d’accueil.

([33]) La lutte contre les trafics de biens culturels a par ailleurs fait l’objet d’initiatives multilatérales, telles que l’adoption d’une résolution en décembre 2018 par l’Assemblée générale des Nations unies intitulée « Retour ou restitution de biens culturels à leur pays d’origine » et fait partie des thématiques de coopération portées par l’UNESCO.

([34]) On trouvait notamment parmi les signataires les directeurs du Musée du Louvre, du British Museum, du Rijksmuseum d’Amsterdam et des State Museums de Berlin.

([35])  Voir l’étude de législation comparée n° 191 du Sénat – L’aliénation des collections publiques : « En accord avec les principaux musées, l’Institut pour la protection du patrimoine culturel des Pays-Bas a établi en 2000 un code destiné aux propriétaires et aux gestionnaires de collections d’œuvres d’art qui souhaitent se défaire de certains objets. Ce code dit « pour la cession des œuvres des musées » a été révisé en 2006. Il est accepté par les professionnels, qui en ont fait le fondement de leur politique de sélection et de cession. Utilisé par les musées en complément du code de déontologie du Conseil international des musées, il est également appliqué par les autres propriétaires d’objets d’art. »

([36])  https://www.dw.com/fr/retour-dun-fouet-et-dune-bible-spoli%C3%A9s-en-namibie/a-47729792 https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/culture-africaine/l-allemagne-va-restituer-a-la-namibie-un-monument-du-xve-siecle_3449309.html

([37])  https://www.lalibre.be/culture/arts/africa-museum-les-sculptures-de-propagande-coloniale-de-tervuren-couvertes-d-un-voile-5e57ccbfd8ad58685c3b9111

([38])  Interrogé au sujet de la restitution peu après la publication du rapport Sarr-Savoy, le porte-parole du British Museum déclarait : « Nous croyons que la puissance de notre collection réside dans la profondeur qui permet à nos millions de visiteurs de comprendre les cultures du monde et comment elles interagissent – que ce soit à travers le commerce, les migrations, les conquêtes, ou l’échange pacifique ».