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N° 4228

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles,

 

 

Par M. André Chassaigne,

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  4137

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Révision des conditions d’attribution de la pension majorée de référence

Article 1er bis (nouveau) Annualisation de la transmission aux assurés d’une information sur leur droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées

Article 2 Extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du bénéfice de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC

Article 3 Limitation dans le temps du statut de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole

Article 3 bis (nouveau) Rapport relatif à la déclaration des conjoints collaborateurs agricoles

Articles 4 et 5 Création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières

Article 6 Gage financier

EXAMEN EN COMMISSIOn

ANNEXE N° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

ANNEXE n° 2 : liste des textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi


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   Introduction

La loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer, adoptée après trois ans et demi de débats, permettra, à compter de son application en novembre prochain, d’augmenter le montant des pensions des exploitants agricoles après une vie de labeur.

Il aura fallu presque quatre ans pour que se traduise, dans les faits, une promesse sanctionnée par un vote à l’unanimité de l’Assemblée nationale en février 2017.

Mais le chemin vers une retraite décente pour les travailleurs agricoles est encore long. Il passe par la reconnaissance, enfin, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.

 Les conjoints collaborateurs et les aides familiaux : les grands oubliés

L’ensemble des groupes politiques l’a souligné à l’occasion de l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi du 3 juillet 2020 : le législateur doit désormais se pencher sur les pensions des conjoints et des aides aux exploitants, dont l’histoire sociale est une suite de retards.

Un retard dans la création du statut. Alors que les exploitants agricoles ont bénéficié d’une assurance vieillesse dès la loi du 10 juillet 1952 et d’un véritable régime de retraite de base par la loi du 5 janvier 1955, étendu à l’assurance maladie en 1961, seule la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1999 viendra conférer aux conjoints collaborateurs un véritable statut, leur permettant d’accéder à une pension de base et des droits aux indemnités journalières ne découlant pas uniquement de leur statut d’ayant droit de l’exploitant agricole.

Un retard dans l’accès à la retraite complémentaire obligatoire. La loi du 4 mars 2002, dite « loi Peiro », a permis la création d’un régime de retraite complémentaire obligatoire pour les chefs d’exploitation et d’entreprises agricoles. Mais il a fallu attendre le 1er janvier 2011 pour que soit étendu aux conjoints collaborateurs le bénéfice de la retraite complémentaire obligatoire (RCO).

Un retard, enfin, dans les minima de pension. Le régime agricole consacre aujourd’hui encore une inégalité inacceptable entre les personnes pour une même durée de travail dans l’exploitation.

Aux exploitants agricoles est ouverte une pension minimale de référence de 699,07 euros, pour laquelle la durée minimale d’assurance a été supprimée en 2014. Aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, un même système, mais dont le montant est de 555,50 euros.

Aux exploitants agricoles, un complément différentiel de RCO (CDRCO) qui leur permet désormais de bénéficier, sous réserve d’une durée d’assurance de 17,5 ans, d’un montant de pension garanti à hauteur de 85 % du SMIC. Aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, le seul système de cotisation à la retraite complémentaire sans minimum garanti comparable.

 Reconnaître à leur juste valeur le travail de l’ensemble des nonsalariés agricoles : il est temps.

Aujourd’hui, la majeure partie des aides familiaux et des conjoints collaborateurs sont retraités. Les conjoints collaborateurs actifs sont moins de 25 000 et les aides familiaux moins de 3 000. L’érosion démographique de ces catégories professionnelles est particulièrement rapide, à raison d’une diminution par deux en dix ans pour les premiers, par trois pour les seconds.

La présente proposition de loi s’adresse à eux, bien sûr, mais aussi aux retraités actuels. Une pension digne pour eux ne serait que la reconnaissance du travail qu’ils ont souvent fourni pendant des dizaines d’années sur l’exploitation agricole, sans que notre protection sociale n’en prenne la pleine mesure.

Le constat posé par la présente proposition de loi est largement partagé, comme l’ont montré les interventions des députés à l’Assemblée nationale, de la majorité comme de l’opposition.

Il est inscrit au cœur de la proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l’agriculture, de Mme Jacqueline Dubois et de plusieurs de ses collègues, déposée le 7 avril 2021. Selon ses auteurs, en effet, « concrétiser la démarche entreprise répond à un impératif de justice sociale. C’est aussi un enjeu d’actualité pour l’égalité homme-femme ». Elle prévoit pour ce faire l’alignement des pensions majorées de référence des aides familiaux et des conjoints collaborateurs sur celle des exploitants agricoles. Elle prévoit également un « accès facilité » au CDRCO pour ces mêmes catégories.

En toute hypothèse, les objectifs de la présente proposition de loi sont parfaitement alignés avec ceux de la proposition de loi déposée par les membres du groupe majoritaire.

Au-delà de la seule enceinte parlementaire, la faiblesse singulière des pensions agricoles est reconnue dans les missions commandées par le Gouvernement. Ainsi, même si M. Lionel Causse et M. Nicolas Turquois, dans leur rapport sur les petites pensions de retraite rendu en mai 2021, ne partagent pas a priori les modalités de revalorisation inscrites dans la présente proposition de loi, ils constatent également que les « anciens exploitants agricoles et leurs conjoints collaborateurs constituent l’essentiel de la cohorte » des retraités bénéficiaires de pensions inférieures à 1 000 euros. Cela reflète, selon eux, « les caractéristiques de ces régimes (notamment, pour le régime agricole, l’absence de complémentaire obligatoire jusqu’en 2002), mais aussi le poids plus important de l’activité agricole dans les décennies précédentes ».

Les conjoints collaborateurs, qui sont le plus souvent des conjointes collaboratrices, et les aides familiaux, ne peuvent plus être confinés aux lisières de notre protection sociale.

 Mettre fin aux injustices qui gangrènent la protection sociale agricole : un chemin possible à un coût raisonnable.

143,57 euros. Tel est l’écart, au 1er janvier 2021, entre le montant mensuel de la pension minimale de référence des exploitants agricoles (PMR1) – 699,07 euros – et celle des aides familiaux et des conjoints collaborateurs (PMR2) – 555,50 euros – lorsque la durée validée correspond au taux plein.

Cet écart est donc, pour une même durée d’assurance, de 1 722,84 euros chaque année. Pour une retraite de vingt ans, ce sont 34 457 euros de manque à gagner pour les seconds par rapport aux premiers. Mais cet écart ne peut que s’étendre encore, compte tenu des carrières souvent hachées des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.

Cet écart se reflète naturellement dans l’écart de pensions entre les femmes et les hommes, dans le monde agricole.

Près de 85 % des conjoints collaborateurs sont en effet des femmes, proportion relativement stable depuis l’émergence de ce statut. Elles contribuent donc, bien malgré elles, aux statistiques globales suivantes :

– 73,8 % des personnes bénéficiant d’une retraite de moins de 1 000 euros sont des femmes ;

 l’écart du montant des retraites entre les femmes et les hommes est de 41 %.

Selon les données récoltées par votre rapporteur auprès du Gouvernement, cette extension est estimée à 852 millions d’euros pour l’ensemble des retraités, et concernerait 311 000 personnes, dont 304 000 sont déjà retraitées.

Ce montant est inférieur aux estimations initialement effectuées au moment de l’examen de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

Cet écart provient sans doute de deux éléments combinés :

– l’écrêtement ajouté par voie d’amendement à l’initiative de la majorité parlementaire au mécanisme de complément différentiel. Ce dispositif réduit à due concurrence le montant de ce complément en prenant en compte les pensions dont bénéficient les assurés au titre de leur affiliation à d’autres régimes légaux ou obligatoires, de base et complémentaires ;

– la part des conjoints collaborateurs et des aides familiaux qui sont polypensionnés.

Le coût total de chacune des mesures de la présente proposition de loi est par ailleurs diminué par l’impact qu’elles ont sur les finances sociales, toutes choses égales par ailleurs. Ainsi :

– l’alignement des niveaux des PMR contribue à diminuer l’écart entre ce minimum contributif et le CDRCO ;

– par un « jeu de vases communicants », l’augmentation des bénéficiaires de ces nouveaux minima sur les retraites de base et les retraites complémentaires entraînera une diminution des personnes contraintes de se tourner vers les minimas sociaux, au premier rang desquels l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

S’agissant des recettes proposées par la présente proposition de loi afin de financer l’effort de revalorisation des pensions, celles-ci s’appuient, outre le traditionnel gage sur les « droits tabacs », sur l’augmentation de 0,1 % du taux de la taxe sur les transactions financières.

Cette ressource présente en effet l’avantage de couvrir le coût de la revalorisation et de s’appuyer sur une assiette dynamique dans le temps.

Ces modalités de financement ne sont toutefois en rien gravées dans le marbre et peuvent parfaitement évoluer au fil des débats parlementaires. Il est notamment parfaitement loisible pour le Gouvernement de :

– proposer une recette alternative, dès lors que le choix de cette recette ne soit pas inférieur au montant de la revalorisation. À l’instar des débats préalables à l’adoption du 3 juillet 2020, le choix des modalités de financement ne doit pas servir de prétexte à un « rabotage » du dispositif en dépenses, qui contreviendrait à l’objectif d’universalité que présente cette proposition de loi ;

– proposer, a minima, de « lever le gage » et intégrer le financement de cette revalorisation dans les circuits plus larges de la sécurité sociale, discutés chaque automne dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

 Pour une retraite digne des non-salariés agricoles : trois axes de revalorisation

La proposition de loi, dans ses trois premiers articles, propose d’user d’outils désormais bien connus de la protection sociale agricole.

 Tout d’abord, elle vise à mettre fin à la distinction obsolète entre deux types de PMR selon que les personnes concernées ont cotisé au titre de leur activité d’exploitant agricole ou d’autres catégories de non-salariés agricoles. Par souci de justice, elle aligne les conditions de calcul de cette pension sur celles qui sont aujourd’hui applicables aux salariés du régime général, pour leur propre minimum contributif (MiCo). Cette harmonisation permettra notamment d’éviter que soient laissées de côté, comme c’est le cas aujourd’hui, les majorations perçues notamment au titre de la retraite anticipée des travailleurs handicapés ou le cumul avec les pensions de réversion.

 Ensuite, elle répare un oubli du législateur de 2014, qui avait proposé l’application du complément différentiel de RCO aux seuls exploitants agricoles. Il n’y a en effet aucune raison, alors même que les conjoints collaborateurs et les aides familiaux cotisent désormais à ce régime en échange de l’attribution de points, qu’ils ne puissent pas bénéficier du même complément. En comblant cette omission, la proposition de loi permet à l’ensemble des non-salariés agricoles qui remplissent les conditions d’assurance de bénéficier, à terme, d’une pension minimale à hauteur de 85 % du SMIC.

 Enfin, elle encourage les conjoints collaborateurs à privilégier un statut socialement protecteur, en limitant la durée d’affiliation à ce statut à une durée de cinq ans. Déjà applicable aux aides familiaux, cette limitation de durée, largement appelée de leurs vœux par les organisations syndicales, permettra d’encourager ces personnes, principalement des femmes, à changer de statut, sous réserve d’une information adéquate, notamment par les caisses locales de la Mutualité sociale agricole (MSA).


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
Révision des conditions d’attribution de la pension majorée de référence

Adopté par la commission avec modification

Dans le souci de rétablir une véritable équité aussi bien entre les statuts au sein du régime agricole qu’entre le régime agricole et le régime général, le présent article vise :

– d’une part, à supprimer la différenciation de la pension majorée de référence (PMR) – équivalent du minimum contributif pour les non-salariés agricoles – entre chef d’exploitation (dite « PMR 1 ») et aide familial ou conjoint collaborateur (« PMR 2 ») ;

– d’autre part, à aligner les conditions de calcul de la PMR sur les règles de calcul applicables au minimum contributif (MiCo) pour les salariés, et notamment les règles de cumul avec les pensions de réversion.

I.   La pension majorée de référence joue le même rôle que le minimum contributif dans le régime général sans en reprendre toutes les caractéristiques

Assimilable dans son principe « contributif » au minimum contributif applicable aux ressortissants du régime général, la pension majorée de référence dont peuvent bénéficier les non-salariés agricoles s’en distingue défavorablement par plusieurs aspects, difficilement justifiables au regard de la situation des « petites retraites agricoles » ([1]).

A.   Un dispositif récent, assimilable mais pas identique au minimum contributif dans le régime général

1.   Un dispositif créé seulement en 2009

Inspiré par le minimum contributif applicable au sein du régime général pour les salariés et assimilés ([2]), qui avait été créé dès 1983 ([3]) pour « valoriser la carrière des assurés qui, bien qu’ayant travaillé un grand nombre d’années, n’ont acquis, en contrepartie de salaires faibles, qu’une pension inférieure au montant du minimum vieillesse » ([4]), la pension majorée de référence n’a transposé cet objectif de justice pour les non-salariés agricoles que vingt-six ans plus tard et sans aller au bout de cette logique.

Entre‑temps, les retraités agricoles avaient certes bénéficié en plusieurs étapes de revalorisations ponctuelles entre 1994 et 2002 ([5]) dessinant un début de garantie minimale, dans un contexte démographique plus favorable pour le régime agricole :

– ainsi, la loi du 18 janvier 1994 ([6]) et le décret du 18 août 1994 ([7]) avaient permis la prise en compte pour les chefs d’exploitation des années passées sous le statut d’aide familial sous la forme de points gratuits dans le régime de retraite ;

– le décret du 15 mars 1996 ([8]) a permis progressivement le cumul des droits propres et des droits dérivés des veufs et veuves ;

– la loi de finances pour 1997 ([9]) et le décret du 24 février 1997 ([10]) ont attribué une majoration forfaitaire pour les non-salariés agricoles ayant eu une carrière courte ainsi qu’une majoration de points pour les chefs d’exploitation ayant cotisé 32,5 années comme non-salarié non-agricole et 17,5 années comme chef d’exploitation ;

– la loi de finances pour 1998 ([11]) a à nouveau procédé à une majoration du montant annuel de la retraite des conjoints, aides familiaux et chefs d’exploitation ayant eu une carrière courte ;

– la loi d’orientation agricole pour 1999 ([12]) a attribué de nouveaux points de retraite proportionnelle aux conjoints et aides familiaux ;

– les lois de finances pour 1999 ([13]), 2000 ([14]), 2001 ([15]) et enfin 2002 ([16]) ont relevé progressivement les niveaux des minima de pension pour carrière complète pour l’ensemble des catégories, mais toujours de manière différenciée.

La création du régime complémentaire obligatoire  (RCO) mis en place par la loi du 4 mars 2002 ([17]) combinée à ces mesures devait garantir un montant de pension total égal, à l’époque, à 75 % du SMIC pour les seuls chefs d’exploitation. Les dynamiques relatives du SMIC, de la PMR et de la valeur et du calcul des points RCO n’ont toutefois jamais permis d’obtenir ce résultat ([18]).

Si le terrain n’était donc pas totalement « vierge » avant 2009 ([19]), il n’avait été « labouré » que par une série de mesures ponctuelles et différenciées en fonction des statuts qui ne satisfaisaient complètement ni les organisations professionnelles agricoles ni les associations de retraités agricoles. Ces dernières l’ont fait savoir au Gouvernement dans le cadre d’un groupe de travail qui a rendu ses travaux en février 2008, travaux qui ont à leur tour inspiré une réforme plus globale.

C’est ainsi l’article 77 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a créé un dispositif différentiel permettant de compléter la retraite de base des non-salariés agricoles (chefs d’exploitation, aides familiaux, conjoints collaborateurs) en fonction de la durée d’assurance et du statut de l’assuré, sous réserve de respecter certaines conditions dont certaines sont propres au régime agricole.

2.   Un dispositif qui conserve des spécificités peu favorables à ses bénéficiaires, malgré quelques mesures de convergence intervenues depuis sa création

La pension majorée de référence reprenait de nombreuses caractéristiques du minimum contributif :

– comme évoqué précédemment, il s’agit dans les deux cas d’une allocation différentielle portant uniquement sur la retraite de base ;

– les deux mécanismes tiennent compte de l’ensemble des retraites versées, tous régimes confondus, avec un plafond global de pension à verser ;

– ils sont tous les deux conditionnés à une carrière à l’âge du « taux plein », c’est-à-dire à un certain niveau d’annuités atteint prévu par la loi pour une génération en plus d’avoir atteint l’âge légal ou à défaut, à un âge plus élevé que l’âge légal fixé par la loi, en l’occurrence 67 ans depuis 2010 (2° et 3° de l’article L. 732-54-1 du code rural et de la pêche maritime).

Dès sa création, la PMR différait toutefois en plusieurs points du MiCo :

– le dispositif était conditionné à l’origine à une durée minimale d’assurance fixée à 22,5 ans pour les personnes dont la pension avait pris effet avant le 1er janvier 2002 et à 17,5 ans pour les autres ;

– la pension est significativement différenciée en fonction du statut du non‑salarié, la garantie étant plus élevée pour les chefs d’exploitation (PMR 1) que pour les aides familiaux et conjoints collaborateurs (PMR 2) ; les raisons de cette différenciation semblent résider dans la faiblesse des cotisations versées par les aides familiaux et conjoints collaborateurs ; toutefois, une telle logique ne s’applique pas dans le minimum contributif aux salariés ayant perçu de très faibles revenus ([20]) ; il existe en revanche une différence au sein du minimum contributif entre les assurés ayant cotisé au moins 120 trimestres (30 ans), qui perçoivent un MiCo majoré, et les autres ;

– conçue comme une aide « hyper-subsidiaire », la pension majorée n’était et n’est toujours pas cumulable avec :

Une différence très forte « PMR-MiCo » en termes de réversion

Les règles d’articulation avec les pensions de réversion illustrent parfaitement les divergences très fortes des régimes s’agissant de paramètres importants du calcul des retraites :

– d’un côté, la PMR n’est pas cumulable avec la pension de réversion, alors que le minimum contributif l’est complètement ([22]) ;

– de l’autre, les assurés agricoles bénéficient de quelques règles plus favorables en la matière, inconnues du régime général :

1° la PMR est réversible, ce qui n’est pas le cas du MiCo ; ainsi, le conjoint survivant peut percevoir 54 % de la pension du conjoint décédé en incluant le montant du montant différentiel versé au titre de la PMR ;

2° la PMR 2 du conjoint survivant peut être revalorisée au niveau de PMR 1 au décès du conjoint chef d’exploitation ; toutefois, la soustraction du montant de la pension de réversion vient en tout ou partie « contrer » les effets possibles de cette revalorisation ;

3° le conjoint survivant qui reprendrait l’exploitation du conjoint chef d’exploitation décédé avant sa retraite peut reprendre les annuités « inutilisées » à son compte, sous la forme de retraite proportionnelle et de retraite complémentaire, dans le cadre du dispositif des « droits combinés ».

Il est difficile de comparer globalement deux dispositifs aussi différents, et le rapporteur comprend parfaitement qu’une réelle convergence nécessiterait à terme de « tout remettre à plat ». Il n’en reste pas moins l’urgence de revaloriser les petites retraites agricoles, urgence qu’un reparamétrage des modalités de cumul permettrait de combler en partie.

Source : commission des affaires sociales, à partir des réponses aux questionnaires transmis à la Mutualité sociale agricole et à la direction de la sécurité sociale.

Depuis 2014, la durée minimale d’assurance a été supprimée, laissant toutefois deux différences significatives avec le minimum contributif pour les salariés : la différenciation en fonction des statuts et non de la durée d’assurance et les règles de cumul avec la réversion.

Le tableau suivant issu du rapport de MM. Lionel Causse et Nicolas Turquois précité présente les principales différences entre ces différents minimums contributifs :

MM. Lionel Causse et Nicolas Turquois, mission « petites retraites », rapport précité, p. 51.

B.   Un dispositif contributif et lacunaire qui ne permet pas de résoudre le problème des « petites retraites »

1.   Un mécanisme qui repose encore fortement sur la contributivité

Même après la suppression de la durée d’assurance minimale, la pension majorée de référence, comme le minimum contributif pour les salariés, dépend fortement de la durée d’assurance effective tous régimes confondus (condition d’accès à la PMR) et dans le régime agricole via le mode de calcul (cf. infra).

Ainsi, d’une part, le mécanisme différentiel ne s’enclenche que si l’assuré a atteint l’âge du taux plein, et donc a contrario ne verse rien à ceux à qui il peut manquer quelques trimestres.

D’autre part, le montant de la PMR reflète la durée d’assurance dans le régime agricole.

Si l’assuré n’a pas passé toute sa carrière dans ce régime, la PMR est rapportée de manière proportionnelle à la part de la carrière passée dans le régime agricole.

Ainsi, un assuré ayant une carrière complète tous régimes confondus qui aura passé les trois quarts de sa carrière dans le régime des non-salariés agricoles aura le droit de voir sa retraite de base relevée au niveau de trois quarts du plafond de la PMR.

Le mode de calcul de la PMR

Les dispositions de l’article D. 732-111 du code rural et de la pêche maritime rappellent la formule de calcul de la PMR :

PMR = [PMR 1 × (DM 1 / DR)] + [PMR 2 × (DM 2) / DR]

DM 1 est alors la durée d’assurance en tant que chef d’exploitation, DM 2 en tant qu’aide familial ou conjoint collaborateur et DR est la durée d’assurance nécessaire pour atteindre le « taux plein », qui varie en fonction de la génération de l’assuré, de 37,5 ans pour la génération 1944 à 43 ans pour la génération 1973 ([23]).

La PMR est donc la moyenne pondérée d’un montant dépendant du statut et du temps cotisé dans chaque statut par rapport à la durée totale d’assurance attendue pour bénéficier d’un taux plein. Le montant versé est l’écart entre la retraite de base du régime des non‑salariés agricoles, uniquement, et cette PMR.

En application de l’article D. 732-113 du même code, la PMR est par ailleurs plafonnée au regard de l’ensemble des pensions de retraite perçues à hauteur de 874,76 euros ([24]). Dit autrement, la prestation différentielle versée au titre de la PMR ne peut conduire à verser un montant de pension tous régimes supérieur à ce montant. Si le versement de la PMR conduit à dépasser ce plafond, celle-ci est réduite d’autant. Si le montant total des pensions conduit avant tout versement de la PMR à dépasser ce plafond, celle-ci n’est pas versée.

Source : commission des affaires sociales à partir des réponses aux questionnaires transmis à la Mutualité sociale agricole et à la direction de la sécurité sociale.

2.   Des plafonds toujours très faibles et différenciés selon le statut du non‑salarié agricole

Conformément à l’habilitation législative qui prévoit que le montant de la PMR « est différencié en fonction de la qualité de l’assuré », les dispositions réglementaires de l’article D. 732-111 ont fixé des plafonds différents, dits « PMR 1 » pour les chefs d’exploitation et « PMR 2 » pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux, sachant que ces deux plafonds peuvent se cumuler pour un assuré qui aurait été successivement dans deux statuts différents. Ainsi, depuis 2009, PMR 1 est de 20 % inférieur à PMR 2, alors que l’écart de pension moyenne entre les chefs d’exploitation et leurs conjointes est d’environ 14 %.

Si la PMR a donc l’avantage de ne pas être réservée aux chefs d’exploitation contrairement à la garantie minimale de pension via le CDRCO, modifiée par l’article 2 de la proposition de loi, elle ne participe pas, en raison de sa construction même, à résoudre les différences de pension très fortes en fonction des statuts.

Pour rappel, les niveaux actuels de la PMR (PMR 1 à 699,07 euros et PMR 2 à 555,50 euros ([25])) sont à la fois inférieurs à ceux du MiCo majoré ([26]) (705,36 euros par mois en 2021) pour les salariés et à ceux de l’ASPA (ex-minimum vieillesse) (906,81 euros par mois en 2021). Le rapport récent de MM. Lionel Causse et Nicolas Turquois rappelait par ailleurs que les niveaux de pensions minimales versées sont beaucoup plus faibles pour les non-salariés agricoles (80 euros) que pour les autres catégories bénéficiant d’un minimum contributif (130 euros) ([27]).

Par ailleurs, il existe un écart de 25 % entre le plafond d’écrêtement de la PMR (874,76 euros) et celui du MiCo (1 203,37 euros), ce qui constitue une différence aussi significative qu’injustifiée.

3.   Un dispositif qui n’a pas permis de résoudre le problème des petites retraites, et qui « cohabite » avec la garantie minimale de pension

Conçue à la fois comme le prolongement des plans de revalorisation qui l’avaient précédée et comme une première tentative de garantie minimale de pension, la PMR n’a pas non plus permis de réduire les problèmes de « petite retraite » que ceux d’inégalités entre les statuts :

– les plafonds faibles et décorrélés de l’évolution des salaires ne permettent pas d’atteindre des niveaux de pension conséquents ;

– la « proratisation intégrale » en fonction de la durée d’assurance, comme pour le minimum contributif pour les salariés, conduit par construction dès le premier trimestre non cotisé à une diminution de la pension à due concurrence ;

– les règles de cumul plutôt strictes ne permettent pas d’améliorer la situation de beaucoup d’assurés bénéficiant de majorations diverses ou de pension de réversion.

C’est pourquoi le législateur en 2014 comme en 2020 a privilégié la revalorisation du complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO) pour améliorer la retraite des chefs d’exploitation.

On peut toutefois relever que les publics de ces deux minima ne sont pas exactement les mêmes : si la garantie minimale de pension via le CDRCO est beaucoup plus avantageuse au regard du montant proposé (85 % du SMIC contre 60 % environ du SMIC pour la PMR 1) et touche donc un public ayant des montants de pension plus élevés, celle qu’offre la PMR est beaucoup plus largement ouverte à tous les statuts.

Ainsi, fin 2019, 151 524 assurés bénéficiaient de la PMR, et 120 069 ([28]) ne bénéficiaient pas du CDRCO, notamment en raison de leur ancien statut. D’après les informations transmises au rapporteur par la direction de la sécurité sociale, en moyenne, la majoration apportée est de 71 euros (55 euros pour les hommes, 76 euros pour les femmes) ([29]) et représente 18 % du montant total des pensions versées.

II.   porté par un souci d’équité, l’article 1er propose de faire converger la pension majorée de référence avec le minimum contributif dans un sens favorable aux non-salariés agricoles

A.   La suppression de toute distinction en fonction du statut dans le régime agricole

Le maintien d’une PMR « à deux vitesses » ne saurait se justifier, d’autant que comme l’ont rappelé de nombreuses associations et ainsi que le rapporteur le rappellera de manière plus précise et détaillée à l’article 2, la situation des anciens conjoints collaborateurs et aides familiaux est à la fois dégradée et le résultat d’un choix collectif que nous avons fait pour réduire les coûts de l’alimentation au détriment des revenus des exploitations.

C’est pourquoi la réécriture de l’article qu’implique l’alinéa 2 entraîne l’abrogation des dispositions de l’article L. 732-54-2 précité qui installaient cette différenciation, ce qui aura pour effet indirect d’abroger les dispositions règlementaires fixant « PMR 1 » et « PMR 2 ».

Au risque d’expliciter une évidence, le rapporteur entend rappeler ici que cette convergence doit bien entendu s’opérer « par le haut », c’est-à-dire par un alignement du montant de la PMR des conjoints collaborateurs et des aides familiaux sur celle des chefs d’exploitation, et non l’inverse.

Il devrait s’ensuivre une augmentation d’au moins 20 % des pensions de base servies aux assurés concernés, environ 116 000 personnes, ainsi qu’un élargissement du nombre de retraités concernés par la PMR, environ 58 500 personnes.

Le tableau suivant, également transmis par la direction de la sécurité sociale, présente les gains mensuels par quantile ainsi qu’un gain moyen de 62 euros, mais aussi et surtout 75 euros en prenant en considération uniquement les femmes (entre 24 et 159 euros selon les situations) :

Distribution des gains mensuels par quantiles

(en euros pour 2022)

Quantiles

Hommes

Femmes

Ensemble

1 %

144 €

159 €

159 €

5 %

111 €

144 €

144 €

10 %

84 €

144 €

138 €

25 %

46 €

116 €

106 €

50 %

23 €

81 €

61 €

75 %

8 €

34 €

19 €

Moyenne

30 €

75 €

62 €

Médiane

23 €

81 €

61 €

Source : direction de la sécurité sociale.

Lecture : la sixième ligne indique que 75 % des bénéficiaires toucheraient plus de 8 euros pour les hommes, 34 euros pour les femmes et 19 euros en moyenne.

On voit ainsi, selon une répartition par quantile, que :

– 25 % des non-salariés agricoles concernés, par construction les plus pauvres, gagneraient 106 euros mensuels avec la fusion ;

– les 5 % les plus pauvres bénéficieraient de 144 euros mensuels.

Selon la même source, cet alignement aurait un coût de 130 millions d’euros pour 174 500 bénéficiaires ([30]) dont 3,2 millions d’euros pour le flux de nouveaux pensionnés en métropole et 2,7 millions d’euros en outre-mer pour une entrée en vigueur du dispositif fin 2022 (5 000 bénéficiaires en métropole et 3 300 en outre‑mer). En année pleine, le coût du seul flux est estimé 200 000 euros.

Toujours d’après les données recueillies auprès de l’administration, 74 % des bénéficiaires de la mesure seraient des femmes (129 000 sur 174 500), ce qui témoigne du caractère profondément rééquilibrant de cette fusion. Cette dernière aurait des effets très concentrés sur la cible, comme le détaille le tableau ci-dessous, transmis par la direction de la sécurité sociale :

distribution des gains de la mesure par statut et entre femmes et hommes

 

Effectifs

Part dans l’effectif total

Gain moyen mensuel

Coût

Part dans le coût

« Grands chefs » ([31])

45 400

26 %

 

 

 

dont hommes

33 700

19 %

29 €

10,9 M€

8 %

dont femmes

11 700

7 %

43 €

5,6 M€

4 %

« Petits chefs »

57 800

33 %

 

 

 

dont hommes

4 500

3 %

49 €

2,5 M€

2 %

dont femmes

53 300

31 %

68 €

40,8 M€

31 %

Conjoint collaborateur ou aide familial

71 300

41 %

 

 

 

dont hommes

5 400

3 %

57 €

3,5 M€

3 %

dont femmes

65 900

38 %

90 €

66,7 M€

51 %

Source : direction de la sécurité sociale.

Ainsi, 82 % des gains auraient pour bénéficiaires des femmes ayant été peu ou pas cheffes d’exploitation, et donc non concernées par la mesure « CDRCO à 85 % du SMIC », ce qui montre bien le caractère potentiellement très complémentaire de cette mesure avec le dispositif voté en juillet dernier.

Par ailleurs, si l’article 2 était également adopté, les conjoints collaborateurs et aides familiaux toucheraient davantage de PMR, tout en pouvant bénéficier du CDRCO, dans la limite globale de 85 % du SMIC. Les coûts de ces deux mesures ne seraient pas nécessairement additionnés, une partie de la hausse de PMR pouvant être intégrée dans une montée globale des pensions vers 85 % du SMIC – autrement dit, une part du coût de l’article 2 pris isolément recoupera une partie de l’article 1er.

B.   La convergence des règles de cumul et de majoration avec le minimum contributif

Les alinéas 2, 3 et 4 procèdent à un alignement des règles avec le minimum contributif sur deux aspects : le cumul avec d’autres dispositions et un dispositif de majoration au-delà d’un certain nombre de trimestres.

S’agissant des règles de cumul, l’alinéa 4 précise qu’elles sont désormais identiques à celles prévues à l’article L. 351-10 du code de la sécurité sociale qui s’applique au régime général.

Au regard des règles actuelles, qui permettent déjà de cumuler certaines majorations ([32]), le changement devrait concerner essentiellement :

– la retraite anticipée des travailleurs handicapés, pour un montant jugé « résiduel » par la direction de la sécurité sociale ;

– la pension de réversion, qui serait alors exclue du calcul de la PMR.

Ce second volet aurait un coût de 303 millions d’euros pour 155 000 bénéficiaires dans l’Hexagone et de 5 millions d’euros pour 2 000 bénéficiaires en outre-mer. 97 % des assurés concernés seraient des femmes ([33]).

S’agissant de la majoration qui résulte d’une volonté de convergence des règles applicables entre régime général et régime agricole, elle serait nécessairement plus élevée que les 700 euros actuels, et pourrait, comme aujourd’hui dans le cadre du MiCo, être ouverte aux assurés ayant réalisé 120 trimestres tous régimes confondus (40 annuités). En effet, en alignant à l’identique les règles de majoration sur celles des MiCo, la mesure ferait des perdants, le MiCO non majoré (645,50 euros) pour les assurés n’ayant pas réuni 120 trimestres étant inférieur à la PMR 1 ([34]).

Il va de soi que si, sur ce sujet précis de la majoration alignée sur le MiCo, c’était le scénario faisant des perdants qui devait être retenu par le Gouvernement, le rapporteur n’y serait pas favorable et proposerait a minima une clause de sauvegarde pour qu’aucune pension ne baisse à la suite d’un tel changement.

 

*

Le rapporteur a bien conscience du nombre très important d’effets que comporte l’article 1er et a souhaité récapituler l’ensemble dans le tableau suivant.

mesures prévues par l’article 1er ([35])

Mesure

Chiffrage
(en millions d’euros)

Public concerné

Gain moyen (en euros)

Fusion PMR 1/PMR 2

133 (DSS)

127,5 (MSA)

174 500 (DSS)

175 000 (MSA)

Entre 19 et 159 en fonction des situations et 62 en moyenne (DSS)

Convergence majoration avec le MICO ([36])

117 (DSS)

158 000 (DSS)

62 (DSS)

Cumul pension de réversion avec la PMR

308 (DSS)

316,1 (MSA)

157 000 (DSS)

150 000 (MSA)

163

Cumul majorations de pension avec la PMR

Résiduel

Information non disponible

Information non disponible

TOTAL

441 (DSS)

Source : commission des affaires sociales, à partir des réponses aux questionnaires du rapporteur (source indiquée, sinon calculs commission).

Le total ne correspond pas à la somme de ces mesures car la fusion PMR 1/PMR 2 qui conduit à relever le montant des PMR 2 vers un montant proche de 700 euros a un effet très proche de celui de la convergence avec la majoration du MiCo (654 euros pour le « non-majoré », 705 euros pour le « majoré ») – ce que montrent très bien à la fois le gain moyen, le public concerné et le chiffrage.

Il n’est par ailleurs pas possible de faire une somme ni pour le public concerné, ni pour le gain moyen, chaque mesure couvrant un champ d’assurés assez différent.

Sous ces réserves méthodologiques, ce tableau fait apparaître clairement l’impact très fort de ces mesures pour revaloriser les pensions de base, notamment celles perçues par des femmes.

L’ensemble de ces mesures n’ont, à dessein, pas de date d’entrée en vigueur différée, et doivent pour le rapporteur être appliquées au plus vite, au « stock » des retraités concernés – avec recalcul de leur pension actuelle – et au flux.

III.   La position de la commission

À l’initiative des groupes La République en Marche, Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates et apparentés et Agir ensemble, et contre l’avis du rapporteur, la commission a réécrit entièrement l’article ne conservant qu’une seule « mesure » de la rédaction initiale : la fusion des PMR 1 et 2.

*

*     *

Article 1er bis (nouveau)
Annualisation de la transmission aux assurés d’une information sur leur droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées

Introduit par la commission

Cet article prévoit que des informations sont annuellement transmises aux pensionnés sur leur droit à l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).

Adopté à l’initiative de Mme Jacqueline Dubois et des membres du groupe La République en Marche, avec un avis favorable du rapporteur, cet article additionnel modifie l’article L. 815-6 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que les caisses de retraite adressent à leurs adhérents des informations sur leur droit à l’ASPA ainsi que sur le mécanisme de récupération sur succession que son recours peut entraîner, au moment de la liquidation de la retraite.

Dans la rédaction proposée, directement issue de l’article 5 de la proposition de loi de Mme Jacqueline Dubois et de plusieurs députés ([37]), cette démarche d’information serait réalisée annuellement.

 

*

*     *

 

Article 2
Extension aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux du bénéfice de la garantie d’un revenu minimal de 85 % du SMIC

Rejeté par la commission

Le présent article vise à étendre aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux intervenant dans les exploitations agricoles le bénéfice du complément différentiel de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO). Cette prestation vise à compenser l’écart entre le montant annuel d’une pension comprenant la retraite de base et la retraite complémentaire obligatoire (RCO) et un montant plancher équivalant à 85 % du SMIC annuel.

Actuellement ouverte uniquement aux chefs d’exploitation, cette prestation a été augmentée de 75 % à 85 % par la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer. Bien qu’elle ne soit pas encore entrée en vigueur, cette loi doit permettre une augmentation du montant moyen des pensions de plus de 100 euros.

L’extension que permet cet article complète donc la revalorisation des pensions agricoles modestes pour les conjoints collaborateurs, qui sont à 85 % des femmes et des aides familiaux, dans un souci de justice sociale et de reconnaissance du travail qu’effectuent ces derniers dans les exploitations agricoles.

I.   Les conjoints collaborateurs et les aides familiaux sont les oubliés de la protection sociale agricole

A.   Un système inadapté à la spécificité de leurs revenus

1.   Le système des retraites agricoles se fonde sur une architecture en plusieurs étages

Les non-salariés agricoles cumulent un certain nombre de spécificités en matière de retraites, au regard notamment des salariés du régime général. Ces spécificités tiennent en premier lieu à la structuration par étages, selon l’architecture suivante :

– un premier étage forfaitaire, dont le montant maximal est égal à celui de l’allocation aux vieux travailleurs salariés, qui s’élevait à 283,33 euros par mois au 1er janvier 2021, proratisée en fonction des trimestres cotisés ([38]) ;

– un deuxième étage proportionnel aux revenus perçus, dont le montant est directement lié aux cotisations d’assurance vieillesse appelées pendant la carrière ([39]) ;

– un dernier étage complémentaire, qui nous intéressera davantage dans le cadre du présent commentaire. Celui-ci, financé à la fois par des cotisations et des impositions affectées ([40]), permet aux affiliés de bénéficier d’une retraite exprimée en points.

Les non-salariés agricoles cotisent enfin auprès de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour leurs retraites de base et auprès de l’AGIRC-ARRCO pour ce qui concerne leurs retraites complémentaires, à l’exception notable des non-salariés agricoles à La Réunion et en Guadeloupe.

Ce dispositif est complété, en raison de la faiblesse du montant des retraites agricoles, par des dispositifs de solidarité, contributifs ou non. Il en va ainsi de la pension majorée de référence (PMR), instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ([41]), sur l’histoire de laquelle le commentaire de l’article premier de la présente proposition de loi revient en détail.

2.   Des revenus faibles et des assiettes sociales mitées

a.   Une population sans revenu en propre...

Les conjoints collaborateurs n’ont pas de revenu propre ; il en va de même pour les aidants familiaux. Dès lors, leurs cotisations sont acquittées par les chefs d’exploitation. Elles sont en partie forfaitaires et en partie assises sur le revenu professionnel de ces derniers. L’assiette sur laquelle ils cotisent est plus faible que celle du chef d’exploitation, puisqu’elle correspond à l’équivalent de 400 SMIC horaires, contre 600 SMIC horaires pour les premiers.

Ce premier mitage est également appliqué à l’étage complémentaire, puisque les chefs d’entreprise cotisent sur une assiette minimale de 1 820 SMIC tandis que cette assiette est réduite, s’agissant des aides familiaux et des conjoints collaborateurs, à 1 200 SMIC.

Parmi les conjoints collaborateurs, enfin, ce n’est pas moins d’un quart des retraités qui touchent une retraite inférieure à 1 000 euros. Plus globalement, les revenus des pensionnés du régime des non-salariés agricoles qui ne bénéficient pas du statut d’exploitant se répartissent de la façon suivante :

Montant mensuel des pensions des non-salariés agricoles

(en euros)

 

Retraités qui ont validé une durée d’assurance d’au moins 150 trimestres dans le régime des non-salariés agricoles

Retraités ayant le statut de conjoints ou d’aides familiaux toutes durées de cotisation confondues

Statut

Conjoint collaborateur

Aide familial

Conjoint collaborateur

Aide familial

Montant mensuel global tous avantages confondus (retraite de base, retraite complémentaire, droits directs et droits dérivés)

604,5

806,5

307,5

194

Source : commission des affaires sociales à partir des données de la Mutualité sociale agricole.

La part importante, dans chacune des catégories, des personnes n’ayant pas cotisé 150 trimestres dans le régime des non-salariés agricoles explique en grande partie le montant particulièrement bas des pensions. Ce montant est toutefois porté, pour les aides familiaux et les conjoints collaborateurs, à respectivement 1 317 euros et 943 euros, en prenant en compte le montant total de leurs pensions tous régimes : une grande part notamment des aides familiaux ont accompli une carrière dans plusieurs régimes, grâce à laquelle ils bénéficient de retraites supérieures en moyenne au SMIC.

b.   ... qui connaît un déclin démographique

Cette catégorie de population connaît enfin un déclin dans sa proportion, puisqu’on comptait 24 300 conjoints collaborateurs en 2019, contre 49 740 en 2009. De la même manière, on comptait 2 782 aides familiaux en 2019, contre trois fois plus, 6 561, en 2009 ([42]). Par ailleurs, l’âge moyen des conjoints collaborateurs est de 57 ans en 2020, soit deux ans de plus que l’âge moyen des exploitants agricoles, signalant ainsi une potentielle extinction prochaine de ce statut, au profit d’autres activités jugées plus protectrices.

Il n’en demeure pas moins que l’on comptait 122 000 retraités après une carrière de conjoint collaborateur, parmi lesquels 96,9 % de femmes ([43]). Par ailleurs, les conjoints, aides familiaux et veuves représentent, selon les données de la MSA, plus de la moitié des retraités qui ont eu des carrières de non-salariés agricoles.

B.   Une population, majoritairement composée de femmes, dont les droits sociaux sont notoirement insuffisants

1.   Les conjoints collaborateurs et, dans une moindre mesure, les aides familiaux, sont très majoritairement des femmes

Les femmes cumulent en effet de nombreuses situations handicapantes dans le secteur agricole. Si l’agriculteur fait partie des pensionnés les moins bien rémunérés de France, l’agricultrice est encore moins bien lotie. Quel est le montant moyen de la pension que touche une agricultrice ?

La plupart des données, parfois éparses, font état d’une moyenne de l’ordre de 500 à 550 euros. Selon les données recueillies par la mission d’information du Sénat consacrée aux femmes dans l’agriculture ([44]), la situation en 2017 était la suivante :

– les femmes représentaient 57 % des effectifs du régime de base étaient des femmes, soit 870 000 pensionnées, dont 48 % avaient plus de 80 ans ;

– le régime de RCO servait 707 000 pensions de droit direct, dont un peu moins de la moitié – 375 000 – à des femmes, et 95 000 pensions de réversion, dont 77 000 à des femmes. Cette large majorité s’explique par la prévalence, parmi les retraitées agricoles, des anciennes conjointes d’exploitants. Le RCO couvre donc 51 % des retraitées, contre 54 % pour les retraités, dans le secteur agricole ;

– les femmes sont très majoritairement polypensionnées (82 %), cette proportion s’expliquant par les nombreux compléments d’activité exercés par les agricultrices ;

– la pension moyenne enfin des retraitées anciennement salariées non‑agricoles varie sensiblement en fonction de leur statut de polypensionnées ou non. Les premières bénéficient d’une pension moyenne de 1 080 euros en 2015, contre 714 euros pour celles qui sont uniquement affiliées au régime des non‑salariés agricoles (155 000 femmes). Parmi ces dernières, 40 000 justifient d’une carrière incomplète, dont 14 000 de moins de vingt‑cinq ans d’assurance.

Ces écarts de revenus se reflètent plus généralement dans la population agricole. Dans son étude de 2020 sur l’emploi et les revenus des indépendants ([45]), l’INSEE indique ainsi que les 465 000 retraitées non-salariées agricoles – incluant donc les cheffes d’exploitation – touchaient une pension moyenne de 680 euros, contre 1 170 euros pour les hommes.

S’agissant de l’année 2018, la MSA ([46]) constate les écarts suivants, y compris au sein de la population des conjoints collaborateurs :

– les retraitées du statut de conjointe collaboratrice bénéficient d’une pension mensuelle inférieure de 260 euros à leurs équivalents masculins, soit une différence de 20 % ;

– 90 % des conjoints collaborateurs ont des carrières complètes au moment de la liquidation de leurs droits, contre 62 % des conjointes collaboratrices ;

– pour rappel, même si les écarts sont moins importants, l’écart entre une cheffe d’exploitation et un chef d’exploitation ayant bénéficié d’une carrière complète, s’il est moins important, est de 160 euros, soit une différence de 12 % au détriment des premières.

Il est frappant de constater que même les femmes polypensionnées touchent des retraites inférieures de l’ordre de 30 % au montant moyen des pensions en France. Que dire de celles qui n’ont pas cotisé à d’autres régimes que le régime agricole ?

2.   La faiblesse des pensions s’explique par un cumul de fragilités pendant les carrières agricoles

a.   Le faible niveau de cotisations

Le montant très faible des pensions mentionnées ci-dessus s’explique par le mitage de l’assiette sur laquelle les conjointes, bien souvent, et les aides familiaux ont cotisé. Ils ne cotisent en effet à la retraite proportionnelle que depuis 1999 et ne sont affiliés au RCO que depuis 2011 (voir infra). Les assiettes sur lesquelles ils cotisent sont particulièrement faibles, puisque la retraite proportionnelle est assise sur une assiette de cotisation forfaitaire de 400 SMIC, soit deux tiers du seuil minimal d’ouverture des droits dans le régime général, tandis que l’assiette du RCO est inférieure à celle sur laquelle cotisent les chefs d’exploitation.

Cotisations et prestations au RCO

 

Catégorie professionnelle

Assiette de cotisations

Taux de cotisation

Nombre de points

Valeur de service du point

Chefs d’exploitation

Assiette minimale de 1 820 SMIC

4 %

100 pour les périodes entre le 31 décembre 2002 et le 1er janvier 2017

117 pour l’année 2017

133 à compter de l’année 2018

0,3438 euro pour l’année 2021

Conjoints collaborateurs et aides familiaux

Assiette de 1 200 SMIC

66 pour les périodes entre le 31 décembre 2010 et le 1er janvier 2017

77 pour l’année 2017

88 à compter de l’année 2018

Source : commission des affaires sociales.

Ce constat est d’autant plus frappant en période de crise sanitaire et économique. Si la tendance issue de l’année 2019 était déjà fragile, l’année 2020 s’est traduite par une diminution de la production agricole en valeur de 2,1 % ([47]). Si les effets sont divers en fonction des productions, force est de constater que les productions céréalières et viticoles, parmi lesquelles on compte une grande part des exploitations agricoles dans lesquelles travaillent conjoints collaborateurs et aides familiaux, sont particulièrement touchées.

Or, ces données n’ont pas pris en compte le nouvel épisode de catastrophe agricole intervenue au printemps 2021. L’ensemble de ces données montre donc la difficulté de cotiser sur des revenus stables, y compris sur les assiettes forfaitaires susmentionnées.

b.   Des carrières souvent heurtées

Les carrières des conjointes de chefs d’exploitation sont souvent plus heurtées, en raison d’une conjonction de facteurs :

– une installation plus tardive, souvent couplée, pour les anciennes générations, avec l’effet retard de la possibilité de cotiser correctement au régime des non-salariés agricoles ;

– une difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle, dans un contexte aggravé par l’isolement du monde rural. Le recours à des modes de garde formels se heurte à la fois aux inégalités régionales en la matière, au coût que ceux‑ci peuvent représenter pour des collectivités territoriales peu peuplées et aux horaires atypiques qui sont souvent ceux des travailleuses agricoles.

Ces facteurs expliquent la faiblesse du montant des pensions, y compris au regard de catégories professionnelles comparables, comme les commerçants et les artisans. Ainsi, 63 % des non-salariés agricoles ont moins des pensions inférieures à 1 000 euros, contre 22 % des commerçants et 17 % des artisans.

C.   Une population plus délaissée encore dans les territoires ultramarins

En 2017, les retraités des départements d’outre-mer représentent aujourd’hui 2 % des effectifs du régime des non-salariés agricoles, soit 28 000 assurés ; la moitié de ces assurés résident à La Réunion. La députée Huguette Bello rappelait, au moment des débats sur la première lecture de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en France continentale et les Outre-mer, que le montant moyen des pensions y était de 375 euros par mois en 2016 et que 25 % de ces retraités percevaient moins de 100 euros mensuels. Les non-salariés agricoles d’outre‑mer cumulent plusieurs failles structurelles, dont notamment une proportion de monopensionnés au régime agricole supérieure à l’Hexagone. Par ailleurs, en 2017, les durées d’assurance des non-salariés agricoles sont inférieures – en moyenne de sept ans pour les monopensionnés – à celles constatées dans l’Hexagone ([48]).

Ces distinctions tiennent en premier lieu à un décalage dans le temps de la mise en place du régime de retraite de base, même si ses effets, en 2021, ont nécessairement tendance à s’atténuer. Le régime de retraite agricole de base n’a en effet été mis en place qu’en 1964, soit neuf ans après l’Hexagone. Le régime ultramarin, surtout, se fonde sur une assiette dérogatoire du RCO. Alors que les revenus professionnels servent d’assiette dans le cas hexagonal, le RCO ultramarin est assis sur une assiette calculée notamment en fonction de la surface réelle pondérée de l’exploitation.

Cette assiette dérogatoire, si elle permet aux non-salariés agricoles de cotiser sur une assiette plus restreinte pendant leur vie active, se traduit nécessairement par un barème inférieur au moment de la liquidation de la retraite. Ainsi, le barème de points applicable aux chefs d’exploitation outre-mer permet d’acquérir entre 16 et 30 points par an, là où le barème dans l’Hexagone s’étend de 23 à 104 points.

Les non-salariés agricoles d’outre‑mer bénéficient enfin de pensions inférieures à celles de leurs homologues dans l’Hexagone, ce qui s’applique évidemment également pour les conjoints collaborateurs et les aides familiaux. Ces dernières, puisque ce sont presque uniquement des femmes, ne touchent respectivement que 457 euros et 289 euros mensuels.

D.   Les différentes lois de ces vingt dernières années n’ont pas, trop peu ou trop tardivement pris la mesure de la situation

1.   Un « effet retard » des avancées sociales

Les conjoints collaborateurs ont régulièrement bénéficié des droits sociaux accordés aux exploitants agricoles, avec retard. Il en a été ainsi, par exemple, de la possibilité de s’affilier au RCO, en 2011 ([49]), soit huit ans après l’ouverture de cette possibilité aux chefs d’exploitation. L’extension de cette affiliation a donné lieu à une augmentation progressive de la cotisation forfaitaire à la charge du chef d’exploitation au taux de 3 % jusqu’en 2016, puis 3,5 % en 2017 et 4 % à compter de 2018, sur une assiette minimum de 1 820 SMIC, afin d’assurer l’équilibre financier du régime, fortement déficitaire. Cette extension s’est traduite, s’agissant des droits ouverts, par un montant de 66 points de RCO par an jusqu’en 2016, à 77 points en 2017 puis 88 points par an à compter de 2018.

Ces personnes n’ont par ailleurs bénéficié qu’en 2014 de la possibilité de « rattraper » ce décalage en application de l’article 34 de la loi sur les retraites de 2014 ([50]), alors que cette possibilité était offerte aux chefs d’exploitation s’agissant des années précédant leur affiliation obligatoire de 2002. La loi leur a concrètement permis de se voir attribuer des « points de retraite » gratuits à raison des années antérieures à leur affiliation au RCO. Outre la modification de l’article L. 732-56 du code rural et de la pêche maritime, la loi a prévu, à l’article L. 732-60 du même code, qu’un décret fixe le nombre de points crédités, à partir du 1er janvier 2014, sur le compte de RCO des retraités concernés ainsi que des futurs pensionnés. Ce sont 66 points supplémentaires de RCO qui ont été ainsi attribués aux collaborateurs d’exploitation ou d’entreprise agricole, aux anciens conjoints participant aux travaux et aux aides familiaux, augmentant d’autant le nombre global de bénéficiaires de pensions de droit direct.

Ainsi que l’ont rappelé les débats à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en France continentale et dans les outre-mer, cette extension a bénéficié à 477 000 personnes, dont 266 000 femmes retraitées.

La même loi a permis, en outre, aux aides familiaux et aux conjoints collaborateurs de bénéficier d’une extension de la pension de réversion à la RCO, par le biais de la modification de l’article L. 732-62 du code rural et de la pêche maritime.

Cette loi de 2014 visait enfin l’attribution d’un complément différentiel de RCO permettant d’atteindre progressivement une retraite globale égale à 75 % du SMIC pour une carrière complète de chef d’exploitation (73 % en 2015, 74 % en 2016 et 75 % en 2017). Cette mesure devait concerner 59 000 personnes à horizon 2017, dont 22 % de femmes, pour une augmentation moyenne du montant annuel de la retraite de 491 euros, selon les données de la MSA.

2.   La revalorisation des pensions des exploitants agricoles modestes doit naturellement s’appliquer aux conjoints collaborateurs et aides familiaux

Après un long parcours législatif de plus de quatre ans, la loi du 3 juillet 2020 précitée a permis aux exploitants agricoles de bénéficier d’une augmentation nette de leurs CDRCO à hauteur de 85 %. Si les amendements adoptés à l’initiative de l’actuelle majorité parlementaire ont nuancé cette avancée en introduisant notamment un mécanisme d’écrêtement pour les personnes bénéficiant de pensions issues d’autres régimes, il demeure que cette mesure, qui bénéficie, selon les données fournies alors par la MSA, à 196 000 personnes, constitue une avancée sociale réelle, qu’il serait incompréhensible de ne pas étendre à l’ensemble des travailleurs intervenant dans une exploitation agricole.

Les regrets concernant l’impossibilité d’étendre ce dispositif, en raison notamment de l’article 40 de la Constitution interdisant le dépôt par un parlementaire d’un amendement susceptible d’aggraver les charges publiques, ont été partagés sur l’ensemble des bancs de notre Assemblée à l’occasion de l’adoption en seconde lecture de la proposition de loi. Ces regrets ont été partagés au Sénat ([51]). Si le Gouvernement s’était permis de renvoyer à l’éventualité d’une reprise de l’examen du projet de loi instituant un système universel de retraite, il est désormais clair que cet objectif ne saurait attendre le retour – pour le moins hypothétique –d’un tel projet de loi, et ce d’autant plus compte tenu des divergences de fond. Il semble en effet à votre rapporteur que le projet de loi ne concernerait que les futurs retraités, alors que le souci de la justice sociale commande de reconnaître le travail accompli pendant une vie de labeur par les conjoints collaborateurs et les aides familiaux désormais retraités.

II.   Permettre aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux de bénéficier de pensions décentes

La proposition de loi vise à étendre aux conjoints collaborateurs et aides familiaux le bénéfice du complément de droits aux RCO, et donc aux pensions les plus faibles du secteur agricole, inscrit à l’article L. 762-63 du code rural et de la pêche maritime.

Le prévoit ainsi que pourront désormais bénéficier du complément :

– les conjoints collaborateurs et les aides familiaux à qui étaient versées des pensions avant le 1er janvier 1997 et qui justifiaient d’une période minimale d’assurance, à titre exclusif ou principal dans le régime d’assurance vieillesse de base des non-salariés des professions agricoles, de trente-deux années et demie ;

– la même population de cotisants, à compter du 1er janvier 1997, qui justifie d’une période d’assurance leur permettant de liquider leurs retraites à taux plein et d’une durée d’assurance minimale de dix‑sept années et demie ([52]).

Pourront donc bénéficier du CDRCO les personnes qui ont accompli dix‑sept années et demie dans le régime des non-salariés agricoles au titre d’une activité de chef d’exploitation ou d’entreprise agricole, d’aide familial, de conjoint collaborateur ou au titre de ces activités exercées consécutivement. L’impact de la mesure proposée doit donc prendre en compte les anciens chefs d’exploitation qui pourront prétendre au complément au titre des périodes d’assurance accomplies en tant que conjoint et/ou aide familial.

Selon les données communiquées au rapporteur, la mesure bénéficierait à 311 000 personnes, en dépit de l’application du mécanisme de l’écrêtement susmentionné. Le gain moyen mensuel pour ces personnes en 2022, date d’entrée en vigueur prévisible de la loi, serait de 235,60 euros, pour atteindre un montant de pension minimal de 1 036,15 euros. Ce montant est comparable aux engagements du Gouvernement dans le cadre du projet de loi instituant un système universel de retraite ([53]) : c’est le socle d’une retraite digne.

Plus précisément ([54]), la répartition des bénéficiaires serait la suivante :

Répartition des bénéficiaires de l’extension du CDRCO

 

Répartition par sexe

Femmes

Hommes

243 000 (80 %)

61 000 (20 %)

Répartition par statut

Conjoints collaborateurs et aides familiaux

« Petits chefs ([55]) » d’exploitation

« Grands chefs » d’exploitation

118 000 (39 %)

101 000 (33 %)

85 000 (28 %)

Source : commission des affaires sociales à partir des données du Gouvernement.

Les gains moyens varient nécessairement en fonction des revenus, mais le rapporteur souhaite souligner les éléments suivants :

– le gain moyen de cette mesure pour une femme bénéficiaire sera de 273 euros, contre 78 euros pour un homme dans la même situation professionnelle. Il s’agit d’une mesure d’égalité et de reconnaissance de la vie de labeur des agricultrices ;

– selon une répartition par quantile :

 . – les 25 % des non-salariés agricoles concernés les plus pauvres vont gagner 404 euros mensuels ;

 . – les 5 % les plus pauvres vont bénéficier d’une augmentation de 565 euros.

Il s’agit donc bien d’une vraie réforme des retraites : elle améliorera concrètement la vie des retraités agricoles les plus modestes.

Le même prévoit, outre l’extension susmentionnée, que le montant minimal garanti par ce complément prenne en compte les pensions d’invalidité ([56]). Ces dernières, déjà ouvertes aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, sont versées lorsque « l’intéressé est reconnu comme totalement inapte à l’exercice de la profession agricole » ou, pour un public un peu plus restreint, qui présentent une invalidité limitant d’au moins deux tiers leur capacité à exercer la profession agricole.

Ce même intègre au IV de l’article L. 732-63 du même code les conjoints collaborateurs et les aides familiaux qui prévoit, pour une carrière complète, le versement d’un montant minimal annuel de 85 % du salaire minimal de croissance (SMIC) annuel, montant issu de la loi du 3 juillet 2020 ([57]).

Le rapporteur est évidemment conscient du coût de la mesure, estimé à 867,2 millions d’euros en l’appliquant à l’ensemble des salariés ([58]). Il souhaite néanmoins rappeler que, par construction, le coût l’extension du CDRCO aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux ira décroissant. En effet, sur les 1 225 000 titulaires de droit propre que compte le régime des non‑salariés agricoles, on recense 11 % d’anciens conjoints collaborateurs, 17 % d’anciens aides familiaux et 14 % d’anciens membres de famille. Or, les assurés au statut de conjoint collaborateur et d’aide familial représentaient respectivement, en 2019, 5,5 % et 0,6 % de la population active.

Le coût de cette mesure doit par ailleurs être retraité de celui de l’article 1er de la présente proposition de loi. Celui-ci est estimé par le Gouvernement à une économie de 109 millions d’euros, entraînant un coût global des deux premiers articles de la proposition de loi de 914 millions d’euros.

Le , enfin, prévoit que le dispositif propre aux territoires d’outre-mer issu de la loi du 3 juillet 2020 précitée soit également étendu aux conjoints collaborateurs et aides familiaux, pour faire en sorte que ne soit pas prise en compte leur durée d’assurance pour accéder au complément de RCO. Cette dérogation est cohérente avec la dimension particulièrement heurtée des carrières dans le secteur agricole et la mise en œuvre plus tardive des régimes de protection sociale.

III.   La position de la commission

La commission a rejeté le présent article.

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*     *

 

Article 3
Limitation dans le temps du statut de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole

Adopté par la commission sans modification

L’article 3 limite à cinq ans la durée d’exercice d’une activité non salariée en qualité de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole. Cette limitation s’appliquera aux personnes choisissant le statut de conjoint collaborateur après le 1er janvier 2022.

I.   AvancÉe importante À l’origine, Le statut de conjoint collaborateur n’est AUJOURD’HUI plus adaptÉ aux enjeux d’ÉgalitÉ Économique et professionnelle

A.   Lors de son instauration, le statut de conjoint collaborateur a permis d’amÉliorer la situation des conjoints d’agriculteurs

Créé par la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, le statut de conjoint collaborateur se voulait être un « facteur décisif de modernisation et d’amélioration de la situation sociale des conjoints d’agriculteurs travaillant dans les exploitations » ([59]). Ce statut a en effet permis d’apporter reconnaissance et protection sociale aux conjoints d’agriculteurs, en grande majorité des femmes, dont l’activité n’était jusqu’alors pas déclarée.

1.   Un statut, source de reconnaissance

Jusque dans les années 1980, les conjoints travaillant dans les exploitations ou entreprises agricoles qui n’étaient ni salariés ni associés ne disposaient d’aucun statut. Leur travail n’était ainsi ni reconnu, ni valorisé. Comme le souligne un rapport d’information sénatorial du 5 juillet 2017 sur les femmes et l’agriculture, « leur contribution, pourtant décisive, au fonctionnement des exploitations était considérée comme le prolongement d’une activité domestique qui allait de soi » ([60]).

Afin de remédier à cette situation, la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980 d’orientation agricole a créé le statut de « conjoint participant aux travaux », premier statut social reconnu aux conjoints d’agriculteurs. Ainsi, aux termes de l’ancien article L. 1122-1 du code rural et de la pêche maritime, le conjoint vivant sur l’exploitation et non affilié à un régime de protection sociale à raison d’une autre activité professionnelle était présumé participer à la mise en valeur de l’exploitation, sauf preuve du contraire. Ce nouveau statut ouvrait droit à protection sociale : les conjoints participant aux travaux pouvaient bénéficier d’une allocation de remplacement en cas de maternité et d’une retraite forfaitaire, moyennant une cotisation versée par le chef d’exploitation. Ils disposaient également du mandat pour accomplir les actes d’administratifs au nom du chef d’exploitation. Si ce statut a représenté une première avancée, la reconnaissance apportée restait toutefois limitée : il s’agissait d’un statut appliqué par défaut, subi et non choisi par le conjoint.

La loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole a donc créé le statut de « conjoint collaborateur » ([61]). Aux termes de l’article L. 321-5 du code rural et de la pêche maritime, le conjoint du chef ou associé d’une exploitation ou entreprise agricole, exerçant une activité régulière non rémunérée dans l’exploitation ou l’entreprise, peut désormais choisir d’exercer cette activité en qualité de conjoint collaborateur et bénéficie, à ce titre, d’une protection sociale renforcée, avec notamment droit à une retraite proportionnelle. Il ne s’agit plus d’un statut appliqué par défaut, mais d’un statut positif, choisi par le conjoint.

Ce statut a été progressivement conforté, renforçant la reconnaissance apportée aux conjoints collaborateurs :

– alors qu’en application de l’article L. 321-5 précité, le recours au statut de conjoint collaborateur nécessitait l’accord du chef d’exploitation, la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole a supprimé cette condition d’autorisation préalable ; le choix est désormais laissé aux conjoints d’opter pour le statut de conjoint collaborateur, de salarié ou de chef de l’exploitation ou entreprise ;

– la même loi a étendu le statut de conjoint collaborateur aux personnes liées par un pacte civil de solidarité (PACS) et aux concubins ;

– la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « Pacte », a institué l’obligation, pour le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole, de déclarer l’activité professionnelle régulière de son conjoint au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole et le statut choisi par ce dernier. À défaut de déclaration d’activité professionnelle, le conjoint ayant exercé une activité professionnelle de manière régulière au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole est réputé l’avoir fait sous le statut de salarié de l’exploitation ou de l’entreprise agricole. Il s’agit ici de lutter contre l’exercice d’une activité sans statut.

En 2019, en France, 24 317 conjoints d’agriculteurs exercent ainsi leur activité sous le statut de conjoint collaborateur, soit 2,1 % du total des actifs dans le secteur agricole ([62]) et 13,5 % du total des conjoints d’exploitants ou entrepreneurs agricoles en 2018 ([63]). Les conjoints collaborateurs assument souvent des responsabilités administratives, comptables, commerciales ou encore techniques ([64]), sans toutefois que la nature de ces activités soit limitée.

Conjoints collaborateurs à titre principal et secondaire

Au sein du statut de conjoint collaborateur, une distinction est faite entre :

– les conjoints collaborateurs à titre exclusif ou principal, dont le nombre d’heures de travail salarié effectué en dehors de l’exploitation et apprécié sur l’année n’excède pas la moitié de la durée légale du travail prévue à l’article D. 732-84 du code rural et de la pêche maritime ;

– les conjoints collaborateurs à titre secondaire ou accessoire, dont le nombre d’heures de travail salarié effectué en dehors de l’exploitation et apprécié sur l’année est supérieur à la moitié de la durée légale du travail.

En fonction de ces deux catégories, le montant de certaines cotisations dues au titre du régime de l’assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles varie ([65]). Par ailleurs, aux termes des articles L. 732-28 et R. 732-84 du code rural et de la pêche maritime, les conjoints collaborateurs à titre secondaire peuvent seulement prétendre à la pension de retraite proportionnelle.

Source : code rural et de la pêche maritime.

Il convient de préciser que certains conjoints continuent d’exercer une activité sans statut. Bien que ce phénomène soit difficile à quantifier, ils seraient aujourd’hui entre 5 000 et 6 000 ([66]).

2.   Un statut, source de protection sociale

Sans statut, les conjoints étaient considérés comme sans profession et ne pouvaient bénéficier d’une couverture sociale propre. Cette situation était peu satisfaisante, comme le souligne le rapport du Sénat ([67]) précité : « L’absence de statut est particulièrement dramatique quand survient un événement grave – accident du travail, veuvage ou même divorce – puisqu’elle empêche l’ouverture des droits. »

En 1980, le statut de « conjoint participant aux travaux » a apporté une première forme de protection sociale : le conjoint était considéré, du point de vue de l’assurance maladie, comme ayant droit du chef d’exploitation et pouvait bénéficier d’une allocation de remplacement en cas de maternité. Toutefois, cette protection demeurait limitée en matière de retraite, comme le notait le rapport rendu sur le projet de loi d’orientation agricole de 1999 ([68]) : en matière d’assurance vieillesse, le conjoint bénéficiait d’une couverture de base obligatoire, mais ne pouvait prétendre à une part de retraite proportionnelle que par un partage des points acquis par l’exploitant. Ainsi, même acquise dans des conditions de cotisation les plus favorables, cette retraite forfaitaire restait modeste.

La création du statut de conjoint collaborateur en 1999 ([69]) a renforcé la protection sociale des conjoints exerçant une activité dans l’exploitation ou l’entreprise agricole. Depuis, les conjoints collaborateurs bénéficient des prestations de l’assurance maladie et maternité, de l’allocation de remplacement maternité, de l’assurance accident du travail, de la pension d’invalidité et des prestations de solidarité. Ils peuvent prétendre à des prestations familiales soumises ou non à conditions de ressources, ainsi qu’à la formation professionnelle. Par ailleurs, en 2011, en application de l’article 90 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, la retraite complémentaire obligatoire (RCO) a été entendue aux conjoints collaborateurs.

Votre rapporteur note toutefois avec inquiétude la situation de personnes travaillant dans des exploitations agricoles sans que leur activité ne soit connue des organismes de la sécurité sociale. Sans cotisation, ces personnes sont condamnées à ne pouvoir bénéficier que des minima sociaux au moment de leur retraite.

Les personnes que votre rapporteur a auditionnées lui ont précisé qu’il s’agissait principalement de femmes, sans pouvoir en donner un compte harmonisé. En effet, les auteurs du rapport sénatorial précité ([70]) estimaient que 2 000 à 5 000 femmes « travailleraient dans l’exploitation de leur conjoint sans aucun statut (ni salariée, ni conjointe collaboratrice) ». Les auditions que votre rapporteur a menées ont laissé entendre que cela pourrait concerner bien plus de personnes, entre 8 000 et 10 000.

En tout état de cause, cette situation est d’autant plus inacceptable que le législateur a récemment renforcé les obligations de déclaration des personnes travaillant dans une exploitation agricole. Dans le cadre de la loi dite « Pacte » ([71]), le Gouvernement a en effet prévu, par amendement, l’obligation pour le chef d’une exploitation ou d’une entreprise agricole de procéder à une déclaration lorsque son conjoint y exerce une activité professionnelle régulière. En pratique, cet ajout doit contraindre formellement chaque chef d’exploitation ou d’entreprise agricole à indiquer dans les formulaires de déclaration d’activité si son conjoint exerce ou non une activité régulière au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole, ce qui devrait limiter les cas de non-déclaration.

Surtout, l’article L. 321-5 du code rural et de la pêche maritime prévoit depuis que, à défaut de déclaration d’activité professionnelle, le conjoint est réputé avoir exercé sous le statut de salarié, ce qui permettra de clarifier le droit applicable en cas de négligence du chef d’exploitation ou d’entreprise agricole. De la même manière, en cas d’oubli de déclaration du statut choisi par le conjoint, celui-ci sera considéré par les organismes destinataires comme ayant opté de manière tacite pour le statut de salarié de l’exploitation ou de l’entreprise agricole, qui est le plus protecteur.

Votre rapporteur est très attentif à cette problématique, que la disposition votée semble ne pas avoir permis de régler. Autant par souci de protection des droits sociaux des conjointes concernées que d’application des dispositions votées, il se réservera donc la possibilité de demander des informations plus approfondies au Gouvernement à ce sujet.

Autres statuts d’actifs agricoles et effectifs

En plus du statut de conjoint collaborateur, il existe d’autres statuts permettant d’exercer une activité, salariée ou non salariée, au sein d’une entreprise ou exploitation agricole.

– Chef d’exploitation ou d’entreprise agricole. Ce statut concerne toute personne qui dirige et met en valeur une exploitation répondant à un des critères de l’activité minimale d’assujettissement (AMA), à savoir : une superficie supérieure à la surface minimale d’assujettissement (SMA) fixée au niveau départemental ; un temps de travail nécessaire à la conduite de l’activité agricole supérieur ou égal à 1 200 heures par an ; un revenu professionnel issu de l’activité agricole supérieur ou égal à l’assiette forfaitaire applicable aux cotisations d’assurance maladie, invalidité et maternité, soit 800 salaires minimums interprofessionnels de croissance (SMIC) horaires annuels, soit 8 200 euros pour l’année 2021.

Un chef d’exploitation peut exercer au sein d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), société civile agricole permettant à entre deux et dix agriculteurs, de s’associer pour la réalisation d’un travail en commun, dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère familial. La loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche permet à deux conjoints (mariés, pacsés ou concubins) de constituer un GAEC. Les conjoints disposent ainsi du même statut de chef d’exploitation.

Un chef d’exploitation peut également exercer au sein d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL), société civile à objet agricole, permettant à un à dix agriculteurs de s’associer, tout en préservant leur patrimoine personnel. Deux conjoints peuvent consituer une EARL et disposer du même statut.

– Associé exploitant. L’associé exploitant, dont le statut est prévu à l’article L. 321-6 du code rural et de la pêche maritime, est une personne non salariée âgée de 18 ans révolus et de moins de 35 ans qui, descendant, frère, sœur ou allié au même degré du chef d’exploitation agricole ou de son conjoint, a pour activité principale la participation à la mise en valeur de l’exploitation. L’article L. 321-7 du même code prévoit que l’associé exploitant dispose d’un congé de formation et d’un intéressement aux résultats de l’exploitation.

– Salarié de l’exploitation ou de l’entreprise agricole. En application de l’article L. 722-20 du même code, ce statut concerne les gardes-chasse, gardes-pêche, gardes forestiers, jardiniers et toute personne qui travaille comme salarié, apprenti ou stagiaire sur une exploitation et/ou dans une entreprise agricole, une coopérative agricole, un organisme de la mutualité sociale agricole, une caisse de crédit agricole mutuel, une chambre d’agriculture, un syndicat agricole ou comme enseignant dans un établissement d’enseignement agricole privé. Le salarié agricole cotise auprès de la MSA et bénéficie à ce titre des assurances sociales agricoles (ASA) couvrant les risques maladie, invalidité, maternité, accidents du travail-maladies professionnelles et vieillesse.

– Aide familial. Aux termes de l’article L. 722-10 du même code, ce statut concerne les ascendants, descendants, frères, sœurs et alliés au même degré du chef d’exploitation ou d’entreprise ou de son conjoint, âgés de plus de 16 ans, vivant sur l’exploitation ou l’entreprise et participant à sa mise en valeur comme non-salariés. Ce statut a été limité à une durée de cinq ans par la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole.

– Cotisant solidaire. Aux termes de l’article L. 731-23 du même code, ce statut concerne toute personne qui exerce une activité agricole qui lui procure des revenus professionnels sur une surface inférieure à une SMA mais supérieure ou égale au quart d’une SMA ou pendant un temps de travail au moins égal à 150 heures et inférieur à 1 200 heures par an. Les cotisants solidaires sont redevables de la cotisation de solidarité ([72]), qui n’ouvre pas de droits ([73]).

 

Sources : code rural et de la pêche maritime ; « Chiffres utiles de la MSA. Edition 2020 », MSA, 2020 ; « Les cotisants de solidarité en 2016 », MSA, 2016.

B.   Il est nécessaire d’adapter le statut de conjoint collaborateur pour mieux répondre aux enjeux d’égalité économique et professionnelle

Bien qu’il ait constitué une avancée importante, le statut de conjoint collaborateur n’apparaît plus adapté aux enjeux de notre époque.

1.   Un statut toujours précaire

Si le statut de conjoint collaborateur a permis d’apporter reconnaissance et protection sociale aux conjoints, il reste un statut précaire. En effet, le conjoint collaborateur, qui ne perçoit pas de salaire propre, demeure dans une situation de dépendance économique par rapport au chef d’exploitation. Par ailleurs, l’absence de rémunération ne valorise pas de manière satisfaisante la contribution, souvent importante, du conjoint.

De plus, la protection sociale apportée par ce statut est moins importante que celle apportée par d’autres statuts d’actif agricole. Ainsi, selon une étude de la MSA sur la population active féminine en agriculture en 2018 ([74]), les femmes retraitées du statut de conjoint collaborateur perçoivent une pension 20 % inférieure à celle des hommes, avec près de 260 euros de moins par mois. Les articles 1er et 2 de la présente proposition de loi entendent revaloriser les pensions des conjoints collaborateurs, sans préjudice d’une réflexion sur les conditions actuelles de fonctionnement de ce statut.

Le caractère précaire du statut de conjoint collaborateur peut expliquer que celui-ci soit aujourd’hui en perte de vitesse. Selon le rapport du Sénat précité ([75]), l’effectif des conjoints collaborateurs a été divisé par deux en dix ans. Selon la direction de la sécurité sociale, auditionnée par votre rapporteur, en 2019, 2 315 personnes sont entrées dans le statut de conjoint collaborateur et 4 145 en sont sorties, soit un solde négatif de 1 830 personnes.

Dans ce contexte, plusieurs acteurs ont appelé à prendre acte de cette obsolescence et à moderniser le statut de conjoint collaborateur. En 2013, le comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes recommandait « d’inciter le conjoint collaborateur à valoriser son expérience professionnelle vers une activité rémunératrice » ([76]). De la même manière, le rapport du Sénat ([77]) préconisait de « rendre transitoire le statut de conjoint collaborateur, le temps que la personne concernée puisse se former et affiner son projet professionnel en fonction de l’évolution de la situation économique de l’exploitation, puis qu’elle choisisse le statut le plus adapté ».

Votre rapporteur souscrit à ces recommandations et estime qu’il est nécessaire de limiter le recours au statut de conjoint collaborateur et d’encourager le recours à d’autres statuts assurant une meilleure reconnaissance et protection sociale pour les conjoints.

2.   Un statut d’aide familial déjà limité dans le temps

La loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d’orientation agricole a limité dans le temps la durée d’exercice d’une activité en qualité d’aide familial. Aux termes de l’article L. 722-10 du code rural et de la pêche maritime, « la personne qui devient aide familial à compter du 18 mai 2005 ne peut conserver cette qualité plus de cinq ans ». Cette limitation a pour objectif de favoriser d’autres statuts, comme ceux de co-exploitant et de salarié, au détriment du statut d’aide familial, qui présente objectivement les mêmes défauts que celui de conjoint collaborateur.

En raison des similitudes entre les statuts d’aide familial et de conjoint collaborateur, votre rapporteur estime qu’il est nécessaire d’harmoniser les dispositions relatives à ces deux statuts.

II.   L’ARTICLE 3 LIMITE LE bénéfice du STATUT DE CONJOINT COLLABORATEUR À une durée maximale de cinq ANS

L’article 3 propose de limiter dans le temps l’exercice de l’activité en qualité de conjoint collaborateur.

● Le I complète le deuxième alinéa de l’article L. 321-5 du code rural et de la pêche maritime relatif au statut de conjoint collaborateur. En l’état, l’article L. 321-5 ne limite pas dans le temps le statut de conjoint collaborateur. L’ajout proposé vise à limiter la durée d’exercice de l’activité en qualité de conjoint collaborateur à cinq ans.

Cette limitation a pour objectif d’assurer que les conjoints ne conservent pas ce statut durant toute leur vie professionnelle et qu’ils soient incités à se tourner vers des statuts plus protecteurs et valorisants, comme ceux de salarié, associé ou chef d’exploitation ou d’entreprise agricole.

Par ailleurs, la durée de cinq ans permet une harmonisation avec les dispositions relatives au statut d’aide familial.

Certains acteurs auditionnés par votre rapporteur proposent de limiter à cinq ans la durée cumulée d’exercice de l’activité en qualité d’aide familial et de conjoint collaborateur. Ainsi, une personne ayant déjà exercé en tant qu’aide familial pendant cinq ans ne pourrait pas prétendre au statut de conjoint collaborateur. Votre rapporteur est favorable à cette proposition, conforme à l’esprit dans lequel il convient d’aborder ces statuts, même s’il semblerait toutefois qu’un faible nombre de personnes soit concerné par le cumul des deux statuts.

● En application du II, cette limitation entrerait en vigueur à compter du 1er janvier 2022. Le III précise que les conjoints collaborateurs ayant opté́ pour ce statut avant le 1er janvier 2022 pourront continuer à exercer leur activité sous ce statut, sans être soumis à cette limitation. Il s’agit ici de ne pas remettre en cause les situations déjà acquises. Les personnes optant pour le statut de conjoint collaborateur après le 1er janvier 2022 ne pourront, elles, recourir à ce statut plus de cinq ans.

Certains acteurs auditionnés par votre rapporteur regrettent que cette mesure ne s’applique pas aux actuels conjoints collaborateurs et proposent de limiter la durée d’exercice de l’activité en qualité de conjoint collaborateur à cinq ans, y compris pour les personnes ayant opté pour ce statut avant le 1er janvier 2022. Ils préconisent qu’un « compteur » démarre au 1er janvier 2022 pour ceux qui étaient déjà affiliés sous ce statut. Votre rapporteur, compte tenu de la tonalité très rassurante des auditions sur le délai de cinq ans, qui donne un horizon raisonnable pour s’adapter ou arriver à l’âge de la retraite sous ce statut, est très ouvert à cette proposition, qui pourra être étudiée au cours des débats.

III.   La position de la commission

La commission a adopté le présent article sans modification.

 

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Article 3 bis (nouveau)
Rapport relatif à la déclaration des conjoints collaborateurs agricoles

Introduit en commission

Cet article prévoit la remise d’ici un an après la promulgation d’un rapport sur l’application des dispositions de la loi « Pacte » relatives à la déclaration des conjoints collaborateurs agricoles ainsi que sur la situation de non-déclaration des conjoints.

● L’article 9 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », a complété les articles L. 321‑5 et L. 374-5 du code rural et de la pêche maritime, en vue de clarifier les obligations de déclaration des conjoints collaborateurs ainsi que les conséquences d’une éventuelle non-déclaration.

Il est ainsi prévu dans ces deux articles que « le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole est tenu de déclarer l’activité professionnelle régulière de son conjoint au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole » et qu’« à défaut de déclaration du statut choisi, le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole est réputé avoir déclaré que ce statut est celui de salarié de l’exploitation ou de l’entreprise agricole ». L’exploitant est donc tenu de déclarer son conjoint soit comme collaborateur, soit comme salarié, soit comme chef d’exploitation, et l’absence de déclaration d’activité professionnelle ou du statut préféré lui vaut d’être d’office considéré comme salarié.

Un décret du 25 octobre 2019 ([78]) a précisé les dispositions législatives, en indiquant que la déclaration devait être faite au centre de formalités des entreprises, dès la création de l’entreprise agricole ([79]), et que les modifications de statut ou d’activité devaient être déclarées dans un délai de deux mois.

● Le rapporteur a été alerté en audition sur la persistance d’un phénomène de non-déclaration qui reste, par construction, difficile à chiffrer.

Il a souhaité engager la discussion ce sujet avec le Gouvernement en faisant adopter cet article additionnel, qui vise à préciser le bilan de l’application des dispositions de la loi « Pacte », en vigueur depuis le 28 novembre 2019, mais aussi à clarifier l’ampleur de ce phénomène de non‑déclaration.

 

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Articles 4 et 5
Création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières

Rejetés par la commission

Afin d’assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi et d’asseoir le financement des mesures proposées, l’article 4 prévoit d’élargir le champ de la taxe sur les transactions financières par la création d’une taxe additionnelle de 0,1 %, dont le produit serait affecté à la mutualité sociale agricole en vue de financer la revalorisation des pensions agricoles.

L’article 5 en tire les conséquences en intégrant la taxe additionnelle aux ressources du régime complémentaire obligatoire (RCO) énumérées dans le code rural et de la pêche maritime.

I.   POUR ASSURER LA RECEVABILITÉ FINANCIÈRE DE LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI, plusieurs options sont envisageables

Pour assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi et asseoir le financement des mesures proposées, il est nécessaire de garantir des ressources supplémentaires au régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles. Plusieurs options sont envisageables.

Le financement du régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles

Actuellement, le régime complémentaire obligatoire des non-salariés agricoles est financé par deux ressources, fixées à l’article L. 732-58 du code rural et de la pêche maritime :

– les cotisations versées par les exploitants pour leurs propres droits et, le cas échéant, pour les droits des conjoints collaborateurs ou des aides familiaux ;

– une fraction des recettes du droit de consommation sur certains alcools, fixée à 13,81 %, défini à l’article 403 du code général des impôts.

Source : code rural et de la pêche maritime.

A.   Les options envisagées

L’examen de la loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer a déjà été l’occasion d’étudier différentes options envisageables pour financer les mesures proposées :

– L’assujettissement des revenus financiers des sociétés financières et des sociétés non financières liées au secteur agricole et agroalimentaire à une contribution d’assurance vieillesse complémentaire, qui avait le double avantage d’apporter un surcroît de recettes et de « responsabiliser les acteurs économiques visés au regard des actifs et des retraités agricoles » ([80]), n’a pas été retenu : la création d’une contribution complémentaire assujettissant les seules entreprises du secteur agricole et agroalimentaire présentait des risques d’inégalité de traitement. Il était également difficile d’identifier l’assiette taxable ([81]).

– La création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) et d’une taxe sur le produit de la cessation à titre onéreux des terrains rendus constructibles a été écartée car le rendement limité de ces deux taxes ne permettait pas d’assurer des recettes suffisantes pour couvrir le montant des mesures proposées ([82]).

– La création d’une taxe sur les revenus financiers des groupes de la grande distribution avait également été rejetée en raison de difficultés à identifier précisément la part alimentaire des revenus de la grande distribution, et, partant, l’assiette taxable.

B.   L’option retenue

Lors de l’examen de la loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 précitée, a finalement été retenue ([83]) la création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières. Cette option présente en effet trois avantages :

– prendre appui sur une taxe existante, éliminant ainsi les difficultés d’identification de l’assiette associée ;

– mettre à contribution un secteur dynamique, pour lequel l’effort fiscal demandé apparaît modéré ;

– couvrir le financement des mesures prévues par la proposition de loi, la création de la taxe additionnelle permettant, selon les estimations, en 2018, de générer 450 millions d’euros supplémentaires ([84]).

 

La taxe sur les transactions financières

Créée par la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 et prévue à l’article 235 ter ZD du code général des impôts, la taxe sur les transactions financières s’applique aux achats d’actions d’entreprises françaises dont la capitalisation boursière est supérieure à 1 milliard d’euros. Initialement fixé à 0,2 %, le taux de la taxe a été porté à 0,3 % par la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

En 2020, le produit de la taxe sur les transactions financières est évalué à 1,658 milliard d’euros ([85]). Une partie de ce produit est affectée au fonds de solidarité pour le développement de l’Agence française de développement (AFD).

Souhaitant s’inscrire dans la continuité des travaux menés dans le cadre de l’examen de loi du 3 juillet 2020 et compte tenu des avantages de cette dernière option, votre rapporteur retient la création d’une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières.

Toutefois, votre rapporteur reste ouvert à d’autres propositions. Certaines ont été évoquées lors des auditions, comme celle d’asseoir le financement sur les fonds non utilisés de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), qui connaît aujourd’hui un important taux de non‑recours ([86]) ou d’un déplafonnement de certaines cotisations (notamment, les cotisations AVI et AVA).

II.   L’ARTICLE 4 CRÉE UNE TAXE ADDITIONNELLE DE 0,1 % À la taxe sur les transactions financières, DONT LE PRODUIT SERA AFFECTÉ À LA MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE

L’article 4 complète la section XX du chapitre III du titre Ier de la première partie du livre Ier du code général des impôts, relative à la taxe sur les transactions financières.

Est ainsi créé un article 235 ter ZD bis A du code général des impôts, qui institue une taxe additionnelle à la taxe sur les transactions financières, prévue à l’article 235 ter ZD. Le taux de la taxe additionnelle est fixé à 0,1 %, portant ainsi le taux de la taxe sur les transactions financières de 0,3 % à 0,4 %. La taxe additionnelle devrait générer 550 millions d’euros supplémentaires ([87]).

L’assiette, le recouvrement, l’exigibilité et le contrôle de la taxe additionnelle sont les mêmes que ceux prévus par l’article 235 ter ZD pour la taxe sur les transactions financières.

Le produit de la taxe additionnelle est affecté à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), à qui incomberont les charges résultant de la proposition de loi.

III.   les conséquences tirées par l’article 5 en matière d’affectation

L’article 5 tire les conséquences de cette nouvelle ressource pour le régime complémentaire obligatoire d’assurance vieillesse, au sein de la mutualité sociale agricole, en l’ajoutant à la brève liste prévue par les trois premiers alinéas de l’article L. 732-58 du code rural et de la pêche maritime. Elle rejoint ainsi les différentes cotisations dues au RCO par les différents assurés ainsi que la fraction de droits « alcools » qui lui est affectée.

IV.   La position de la commission

La commission a rejeté ces articles.

 

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Article 6
Gage financier

Adopté par la commission sans modification

Cet article vise à prévoir un mécanisme de compensation de la charge, pour les organismes de sécurité sociale, qui résulterait de l’adoption de la présente proposition de loi dans le souci d’assurer la recevabilité de cette dernière au stade de son dépôt.

 

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   EXAMEN EN COMMISSIOn

Lors de sa réunion du mardi 8 juin 2021 à 17 heures ([88]), la commission examine la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles les plus faibles (n° 4137) (M. André Chassaigne, rapporteur).

M. André Chassaigne, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir de nouveau dans votre commission, après l’avoir déjà fait lors de l’examen de la proposition de loi que j’ai défendue l’année dernière en faveur de la revalorisation des pensions des exploitants agricoles.

Ce n’est qu’après un combat de plus de trois ans que cette première proposition de loi a été finalement adoptée : elle doit entrer en vigueur au 1er novembre prochain, sur la base d’un décret en voie d’être signé. Je souhaite évidemment que la proposition de loi que je vous présente connaisse un chemin moins sinueux, d’autant qu’elle répond à des besoins singulièrement pressants.

Nous en étions tous convenus, sur tous les bancs : la proposition de loi précédente, en portant le complément de retraite complémentaire obligatoire, voté en 2014, de 75 % à 85 % du SMIC, contenait un point aveugle, que les règles de recevabilité des amendements ne m’avaient pas permis de combler à l’époque : la situation des aides familiaux et des conjoints collaborateurs.

Les premiers sont les filles et fils, parfois frères sœurs ou même parents un peu plus éloignés qui viennent travailler dans l’exploitation, avant de devenir souvent à leur tour salarié ou exploitant agricole. C’est une voie d’entrée dans la carrière, limitée depuis 2006 à cinq années pour leur éviter de s’enfermer dans un statut social déficient.

Les seconds, et je devrais dire les secondes, sont les conjoints des exploitants, dont l’existence sociale n’a vraiment été reconnue qu’en 1999 ; les femmes représentent plus de 90 % de cette catégorie. Alors que ce statut était initialement protecteur, la situation des agricultrices a suffisamment évolué pour le considérer désormais comme une potentielle trappe à petites retraites : en basant les cotisations sur une assiette forfaitaire réduite, il ne peut déboucher que sur des pensions modestes.

307 euros. Je dis bien 307 euros ! Voilà le montant, dans le régime des non-salariés agricoles, d’une pension de conjoint collaborateur ou de conjointe collaboratrice. Un montant infime, dérisoire au regard du travail réellement accompli dans l’exploitation.

Certains se rassurent à bon compte en se disant qu’ils ou elles l’ont bien voulu, qu’il s’agit d’un choix consenti. Mais quel choix reste-t-il quand l’ouverture au tout‑marché, la recherche du prix le plus bas pour les produits agricoles, la contrainte d’une alimentation la moins coûteuse possible pour les budgets réduits ne permettent pas de rémunérer correctement ceux qui les produisent – a fortiori lorsqu’il y a deux personnes à rémunérer sur l’exploitation ? Heureusement, nombre de ces conjointes ont cotisé à d’autres régimes, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un système qui pousse des agricultrices à cumuler deux ou trois carrières pour bénéficier d’une retraite décente.

Des carrières plus heurtées, une moindre reconnaissance, voilà ce qui explique la situation des retraitées après une vie de conjointe collaboratrice. Et au sein même du statut de conjoint collaborateur, les retraitées bénéficient d’une pension mensuelle inférieure de 260 euros à celle de leurs équivalents masculins, et sont seulement 62 % à avoir eu une carrière complète au moment de la liquidation de leurs droits, contre 90 % pour les hommes.

Mais les chiffres ne parviennent pas à dire la détresse des hommes et surtout des femmes dont nous parlons. Le constat est sans appel : si les inégalités entre les femmes et les hommes à la retraite sont frappantes partout, elles sont plus criantes encore dans le monde agricole.

Pourquoi cette spécificité agricole ? Parce que les conjointes et les aides familiaux ont souvent été les oubliés de la protection sociale agricole. Quand on a créé, par la « loi Peiro » de 2002, un système de retraite complémentaire obligatoire (RCO), ce qui constituait évidemment un progrès majeur, on a oublié les conjointes et les aides. Quand on a créé un complément différentiel pour porter les pensions minimales à 75 % du SMIC, en 2014, on a oublié les conjointes et les aides.

Le système de protection sociale agricole s’est attaché, jusqu’à aujourd’hui, à créer des assurés de seconde zone. Moi-même, dans la proposition de loi adoptée l’année dernière, n’ai pas pu les intégrer, pour gravir une première marche. Je vous propose de remédier à cette carence aujourd’hui : avec le présent texte, nous pouvons mettre un terme à ce perpétuel retard et réduire ces inacceptables écarts.

On pourrait m’objecter qu’il s’agit d’une loi pour le passé car, en raison notamment de ces droits sociaux défaillants, les statuts d’aide familial et de conjoint collaborateur connaissent ces dernières années une érosion démographique rapide. On comptait près de 50 000 conjointes actives en 2009, et seulement 25 000 aujourd’hui. Les aides familiaux connaissent une évolution similaire : 6 500 en 2009, et moins de la moitié aujourd’hui.

C’est bien pour cela que mon ambition est d’englober autant les futurs retraités que les actuels – j’éviterai les termes peu flatteurs de « flux » et de « stock ». Les futurs retraités, même s’ils sont moins nombreux, ne doivent pas voir se répéter nos erreurs passées, qu’il est encore temps de réparer pour les retraités actuels. Certes, l’application aux seuls futurs retraités serait une avancée sociale, mais ce n’est pas notre ambition initiale.

Ce que nous voulons, c’est rétablir autant que possible l’égalité des droits entre tous les non-salariés agricoles. Pour cela, l’article 1er de ma proposition de loi supprime la distinction malvenue entre les pensions majorées de référence (PMR) des exploitants (PMR 1) et celles des conjoints et des aides familiaux (PMR 2).

Si j’en crois les amendements qui ont été déposés, nous sommes d’accord sur ce point. Mais l’article 1er aligne également, dans un souci de justice sociale, ce minimum contributif sur celui des salariés du régime général, en rapprochant les modalités de majoration et de cumul avec la pension de réversion. In fine, la première mesure, qui semble-t-il nous rassemble, pourrait se traduire par un gain mensuel moyen de 62 euros pour les bénéficiaires, et même de 75 euros pour les femmes, pour environ 175 000 pensionnés. La seconde mesure, sans qu’il y ait de cumul systématique entre les deux, pourrait conduire à une revalorisation de la pension de 163 euros pour environ 150 000 pensionnés. Au regard du montant des retraites dont nous parlons, ce n’est évidemment pas mince. Mais ce n’est surtout pas tout !

L’article 2, qui s’inscrit dans la droite ligne de ma précédente proposition de loi, ouvre simplement aux conjointes et aux aides familiaux les revalorisations de pension complémentaire que nous avons votées l’année dernière. Porter leur pension à 85 % du SMIC se traduirait par un gain moyen de 235 euros, pour plus de 300 000 pensionnés. Le montant de pension minimal attendrait 1 036 euros.

S’agit-il d’un montant excessif ? Est-il déraisonnable de garantir ce montant de pension après une vie de travail agricole ? Je ne le pense pas, mais je suis conscient du coût d’une telle mesure.

Soucieux que d’éventuelles différences d’appréciation n’empêchent pas d’avancer sur les différents instruments que comporte cette proposition de loi, je me tiens prêt à en discuter. Je reste néanmoins persuadé que c’est un objectif que nous devons garder à l’esprit pour faire cesser cette distinction, qui a de moins en moins de pertinence, entre les hommes exploitants et les femmes conjointes dans le monde agricole.

L’article 3, susceptible là encore de rencontrer un accord très large dans cette commission, limite le bénéfice du statut de conjoint collaborateur à une durée maximale de cinq ans, identique à celle des aides familiaux aujourd’hui.

Tout démontre en effet que les personnes qui disposent de ce statut doivent en changer suffisamment rapidement pour se constituer des droits sociaux dignes du travail qu’elles accomplissent. Je serai amené à vous présenter des amendements issus des auditions que j’ai menées pour limiter également dans le temps le cumul du statut d’aide familial et de conjoint collaborateur.

Les derniers articles correspondent, outre le gage, aux recettes dont on pourrait choisir de bénéficier pour financer les revalorisations que je vous propose. Comme pour ma première proposition de loi, ces dispositions seront sans doute amenées à évoluer au cours du débat parlementaire, notamment à l’initiative du Gouvernement.

J’ai d’autant plus confiance dans notre capacité collective à répondre à ces attentes sociales que je rejoins presque totalement la proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l’agriculture de notre collègue Jacqueline Dubois, qui a été cosignée par cent vingt‑cinq députés de la majorité – ce qui n’est pas rien. Vous regrettez que les conjoints collaborateurs et les aides familiaux soient exclus de la loi du 3 juillet dernier, moi aussi. Vous proposez de limiter à cinq ans le statut de conjoint collaborateur, nous sommes d’accord. Vous voulez faciliter l’accès au complément différentiel, c’est l’objet de l’article 2 du texte que je vous présente.

Votre proposition de loi, rejoignant en cela les travaux récents de nos collègues Lionel Causse et Nicolas Turquois sur les petites pensions de retraite, va même au-delà de la mienne en entendant alignant la PMR sur le montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), soit 900 euros – mesure très ambitieuse financièrement et dont je partage naturellement l’objectif, vous l’imaginez bien. Ses signataires ne peuvent donc qu’être d’accord avec le premier pas, significatif, que représente l’article 1er. Nous sommes alignés jusqu’aux recettes que vous choisissez d’affecter à la revalorisation des pensions agricoles.

C’est vous dire ma surprise – mais elles pourront expliquer leur démarche dans un instant – de voir les mêmes personnes qui avaient signé il y a exactement deux mois une proposition de loi si ambitieuse déposer un amendement réduisant la portée de mon article 1er.

J’espère aussi que la question du coût ne sera pas le seul objet de nos discussions, alors que rien ne montre clairement que ma proposition de loi serait beaucoup plus coûteuse que la vôtre. Vous disiez vouloir concrétiser la démarche entreprise pour répondre à un impératif de justice sociale. Faisons avancer votre démarche avec des mesures concrètes que nous pouvons voter aujourd’hui ! Répondons sans délai, puisqu’il s’agit d’un impératif !

Le poète René Char m’a accompagné pendant le long cheminement de ma première proposition de loi, lui qui disait si bien « L’inaccompli bourdonne d’essentiel ». Je vous demanderai cette fois-ci, avec Paul Éluard, de ne pas marcher « sans but sans savoir que les hommes / Ont besoin d’être unis d’espérer de lutter / Pour expliquer le monde et pour le transformer ».

Mme Jacqueline Dubois. Vouloir assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles est un objectif louable, que nous partageons. Le groupe La République en Marche s’associe donc à cette intention afin de porter un progrès ensemble, pour le bien commun et loin des tactiques politiques.

Cela apparaît d’autant plus nécessaire que la proposition de loi adoptée l’an dernier ne concerne ni les aides familiaux ni les collaborateurs d’exploitation, alors que ceux-ci, ou plutôt celles-ci car 95 % sont des femmes, touchent les pensions les plus basses.

C’est pour y remédier qu’avec cent vingt parlementaires de la majorité, j’ai déposé en avril une proposition de loi relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l’agriculture. Plus récemment, nos collègues Lionel Causse et Nicolas Turquois ont remis un rapport détaillé au Premier ministre en vue d’une réforme globale de l’ensemble des petites pensions.

Avant l’examen des articles de la proposition de loi présentée par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, je voudrais souligner que lors des auditions avec les syndicats agricoles et le ministère des solidarités et de la santé, il a été souligné que certaines dispositions, bien que très séduisantes, pourraient manquer la cible des pensionnés les plus modestes. Les mécanismes de transformation retenus à l’article 1er, en passant du code rural au code de la sécurité sociale, pourraient ne concerner que le flux et non le stock, et créer des effets de bord.

Afin de garantir que l’alignement du montant des pensions de majoration 1 et 2 concerne bien les retraités qui ont déjà fait valoir leurs droits, nous proposerons un amendement de réécriture de cet article 1er.

L’article 2 introduit l’accès au complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire (CDRCO) sans corriger les pensions les plus faibles, et en créant une situation inéquitable entre les chefs d’exploitation qui ont beaucoup cotisé et les collaborateurs. M. le rapporteur en a convenu lors de ses auditions, outre son coût, cet article ne semble pas un véhicule approprié pour améliorer ces pensions les plus faibles.

L’article 3 propose de limiter le statut de conjoint collaborateur à cinq ans à compter du 1er janvier 2022, disposition que nous soutenons. Les autres articles, qui concernent le financement, ne paraissent pas adaptés : il nous faudra, avec le Gouvernement, trouver d’autres solutions.

Le groupe La République en Marche soutiendra donc ce texte ainsi amendé.

Mme Isabelle Valentin. La présente proposition de loi ne peut être que très vivement soutenue et encouragée. L’an dernier, nous demandions que la revalorisation des pensions agricoles, devant passer de 75 % à 85 % du SMIC, intervienne dès le mois de janvier 2021 ; la majorité avait préféré reporter l’application de cette mesure à 2022. Nous avons aujourd’hui l’occasion de prolonger le débat en nous concentrant cette fois sur la situation des femmes, des conjoints collaborateurs et des aides familiaux.

Oui, il y a urgence à agir. Comment accepter que certaines agricultrices perçoivent moins de 500 euros par mois alors qu’elles ont travaillé toute leur vie ? Comment tolérer que les pensions de retraite de nos agriculteurs soient inférieures au minimum vieillesse ? Leur précarité est un sujet que nous devons traiter au plus vite.

Le statut des femmes, des conjoints collaborateurs – qui sont le plus souvent des conjointes collaboratrices – et des aides familiaux doit être revalorisé sans attendre. Oui, les femmes sont des actrices incontournables du monde agricole, c’est indéniable. Alors que l’on note une érosion du nombre de conjoints collaborateurs de 9 % par an, nous devons tout mettre en œuvre pour assurer la reconnaissance de leur travail et leur émancipation économique.

L’augmentation des rémunérations de retraite pour ces populations se ferait par l’intermédiaire de trois mesures : l’alignement des conditions d’accès à la pension majorée de référence sur celles du minimum contributif du régime général, l’élargissement de l’accès au complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, et la limitation à cinq ans du statut de conjoint collaborateur et d’aide familial. Le coût de cette mesure et la création d’une source de financement inspirent néanmoins quelques réserves : nous souhaiterions davantage de précisions.

Au-delà de ces interrogations, les dispositions proposées vont dans le bon sens et nous les soutenons. Les agriculteurs sont des personnes respectables qui travaillent et qui n’ont rien coûté à la société. Ils ont besoin d’une retraite convenable. La revalorisation des pensions de retraite agricoles les plus faibles constitue indéniablement une mesure essentielle de justice sociale et de reconnaissance de leur vie de labeur.

M. Nicolas Turquois. En tant qu’agriculteur et que corapporteur du projet de loi portant création d’un système universel de retraite, je porte une attention particulière aux petites retraites, qui concernent tout particulièrement les femmes du secteur agricole. Souvent conjointes ou aides familiales sur l’exploitation, elles se constituent, sans véritablement le savoir, des droits à la retraite beaucoup trop faibles. Hors réversion, leur retraite est en moyenne de 750 euros bruts par mois pour une carrière complète, contre 980 euros chez les hommes, là où la pension moyenne des salariés au régime général s’élève à 1 310 euros bruts par mois.

J’ai dénoncé cette injustice dans le rapport consacré aux petites retraites que j’ai remis au Gouvernement le mois dernier avec Lionel Causse. Nous avons proposé de limiter dans le temps le statut de conjoint collaborateur, comme c’est le cas aujourd’hui pour les aides familiaux. Vous reprenez ce point, monsieur le rapporteur, et nous souscrivons pleinement à votre démarche.

Nous avons également, dans notre rapport, évoqué la nécessité de rapprocher les règles du régime agricole de celles du régime général, par souci d’équité mais aussi de réalité, car nombreux sont les agriculteurs qui, à un moment de leur vie, passent par la case régime général. En ce sens, la fusion des PMR 1 et PMR 2 prévue à l’article 1er est sûrement un prélude à un alignement sur le minimum contributif, dit MICO, du régime général.

En revanche, l’article 2, qui prévoit l’attribution de points gratuits au titre du CDRCO, contrevient grandement au principe même de contributivité de notre système de retraites. J’y reviendrai plus largement lorsque nous l’examinerons. Vous omettez notamment de préciser si les conjoints et les aides devraient, en conséquence, augmenter leurs cotisations, ce qui serait dans la logique des choses. Et vous ne dites rien des conjoints des autres indépendants, comme les commerçants et artisans. Nous ne pouvons saupoudrer des mesures pour les uns sans faire quelque chose d’équivalent pour les autres.