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N° 491

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 360)

PAR M. Guillaume Kasbarian

Député

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 Voir le numéro : 360.


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  SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. la lutte contre le « squat », rÉCEmment renforcÉe par le lÉgislateur, peut encore faire l’objet d’amÉLIORATIONS

A. longtemps lettre morte, le rÉgime de la protection du domicile contre le « squat » a ÉtÉ renforcÉ en 2020

1. Le code pénal punit l’introduction et le maintien dans le domicile d’autrui par voie de fait

2. Une procédure administrative accélérée pour permettre d’expulser rapidement les « squatteurs » et de récupérer son domicile

3. Le dispositif a été renforcé en 2020 par l’impulsion de votre rapporteur

B. en dépit de résultats encourageants, des progrÈS peuvent encore ÊTRE Faits

1. Dès la première année, des résultats encourageants ont été rapportés dans l’application

2. Des précisions doivent être apportées pour en améliorer l’application

3. De nombreux textes ont été déposés pour renforcer la lutte contre les squats

II. le contentieux locatif, lourd, long et coÛteux, met des petits bailleurs dans l’impasse et suscite une attrition de l’offre

A. des Évolutions qui ont fragilisÉ la situation du bailleur

1. Les évolutions successives de la législation ont mieux protégé les locataires

2. Des efforts renforcés sont exigés des bailleurs en matière de rénovation énergétique

B. des procÉdures contentieuses lourdes et alÉatoires qui ont des consÉquences Économiques indÉsirables

1. La complexité de l’expulsion favorise une sélection sévère des locataires

2. La complexité de l’expulsion pousse les prix des loyers bruts à la hausse sur l’ensemble du marché locatif privé

3. La complexité de l’expulsion peut accélérer le défaut des locataires

III. La proposition de loi clarifie, d’une part, le rÉgime juridique du « squat » et accÉlÈRE, d’autre part, le contentieux locatif

A. le chapitre Ier vise À renforcer la protection du domicile face au « squat »

B. Le chapitre II vise À accÉLÉRER les procÉdures du contentieux locatif

commentaire des articles

Chapitre Ier  Mieux réprimer le squat du logement

Article 1er A (nouveau) (art. 315-1 [nouveau] du code pénal) Apparentement à un vol de l’occupation sans droit ni titre d’un immeuble bâti à usage d’habitation

Article 1er  (art. 226-4 du code pénal) Renforcement du quantum de la sanction du délit de violation de domicile

Article 1er bis (nouveau) (art. 313-6-3 [nouveau] du code pénal) Création d’un délit d’usurpation du titre de propriétaire aux fins  de louer un bien immobilier

Article 2 (art. 226-4 du code pénal) Clarification de la caractérisation du délit de violation du domicile

Article 2 bis (nouveau) (art. 1244 du code civil) Régime de responsabilité de l’occupant sans droit ni titre du fait des dommages

Article 2 ter (nouveau) (art. 29 de la loi n° 2018‑1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique) Prorogation du dispositif expérimental de mise à disposition temporaire de locaux vacants

Chapitre II Sécuriser les rapports locatifs

Article 3 (art. 315-1 [nouveau] du code pénal) Création du délit d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers

Article 4 (art. 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs) Systématisation de la clause de résiliation du bail  et suppression de la faculté du juge d’en suspendre les effets

Article 5 (art. 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs,  art. L. 412-1, L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution) Réduction de délais dans la procédure contentieuse du litige locatif

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes

Liste des contributions ÉCRITES

 


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   INTRODUCTION

La protection de la propriété des personnes est un principe fondamental de notre République : inscrite, dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, elle permet de préserver le fruit des longues années de travail de ceux qui se sont constitué un patrimoine à la sueur de leur front.

À ce titre, les diverses atteintes portées à la propriété privée, notamment par le « squat », sont intolérables. Elles sont d’ores et déjà punies dans notre droit, bien que leur régime juridique ait longtemps connu des fragilités. Face à des situations inacceptables qui se reproduisent et suscitent l’indignation de nos concitoyens, nous avons agi. Après la création d’une procédure accélérée d’expulsion des squatteurs en 2007, celle-ci n’avait plus été modifiée. Nous avons repris le sujet en 2020, ce qui a permis de mener à bien 170 expulsions sur ce fondement en 2021. Mais il faut aller plus loin, preuve en est les affaires récurrentes qui ponctuent l’actualité : c’est ce que vise la première partie de cette proposition de loi.

Au-delà de ces cas purs et durs de « squats », toute une « zone grise », comme l’ont qualifiée les avocats entendus lors des auditions, n’est pas traitée par le biais de cette procédure, comme, par exemple, le refus de payer le loyer ou de quitter les lieux en fin de bail, ou encore les cas de dégradation du bien loué.

Si la plupart des locations se passent très bien, il existe pourtant bel et bien une minorité de locataires malhonnêtes, ce dont ont témoigné les personnes interrogées lors de l’élaboration du texte.

Nous avons tous dans notre entourage des personnes pour qui les litiges locatifs évoquent des expériences vécues, des moments difficiles traversés dans leur vie, parfois de véritables traumatismes. La souffrance des personnes victimes de ces situations qui ont témoigné auprès de votre rapporteur doit constituer un moteur pour l’action législative, et votre rapporteur remercie particulièrement ces personnes qui, courageusement, sont venues raconter leurs expériences. Ces situations humaines, les drames décrits tout au long des travaux préparatoires ne peuvent pas être tolérés.

Au-delà de leurs coûts humains immédiats, les lenteurs et le manque de réactivité des procédures tout au long du règlement des conflits dans les rapports locatifs entame la confiance qu’ont nos concitoyens dans la justice et nos institutions. Ils grignotent le pacte républicain en donnant une impression d’impunité en faveur de ceux qui se soustraient à leurs obligations.

La proposition de loi, qui vise à répondre aux problèmes d’occupation illicite des logements, quelle que soit leur origine, traite ainsi, dans son deuxième chapitre, des relations entre les locataires et leurs bailleurs.

Ces dernières années ont vu des évolutions décisives pour la sécurisation, notamment financière, des locataires, par des dispositifs nouveaux et protecteurs.

L’encadrement du niveau des loyers en zone tendue, issu de la loi Élan en 2018 et prorogé jusqu’en 2026 à l’occasion de la loi 3DS en février dernier, empêche la poursuite d’une dynamique haussière très préjudiciable à l’accès au logement.

Le dispositif Visale, lancé aussi en 2018, permet un cautionnement fiabilisé pour les locataires de moins de trente ans et sa notoriété croissante remplit un excellent office auprès des bailleurs.

Le plafonnement de l’évolution à la hausse des loyers, prévu par la loi du 16 août dernier portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, maintient l’évolution des loyers bien en dessous du niveau de l’inflation, sécurisant ainsi financièrement les locataires.

Pour ce qui concerne les bailleurs, le législateur en attend des efforts particuliers en matière de mise à niveau énergétique du parc locatif, efforts exigés, depuis les lois énergie-climat de 2019 et climat et résilience de 2021, sous peine de conséquences graves pour les propriétaires des logements. À la veille de l’entrée en vigueur des premières interdictions à la relocation, qui toucheront 400 000 biens consommant plus de 450 kWh/m²/an dès janvier 2023, et au lendemain des premières interdictions totales d’augmentation du loyer pour tous les logements F et G, intervenues en août dernier, les bailleurs sont mis sous pression.

La proposition de loi que nous présentons s’inscrit dans la recherche d’un équilibre entre les protections accordées aux locataires et les efforts supplémentaires demandés des bailleurs. Autant dans le parc social, dont le législateur a pérennisé la production en février dernier en prorogeant le dispositif SRU, que dans le parc privé, il est nécessaire de penser à l’avenir de la production de logements. Dans un contexte tendu, il est important d’envoyer un signal aux bailleurs, afin de ne pas désinciter à l’investissement et de couper court au mouvement de déport du marché locatif traditionnel vers celui des meublés de tourisme.

Le contentieux locatif constitue à cet égard le plus fécond des chantiers. Actuellement, l’excessive complexité, la longueur, la lourdeur, le coût et l’incertitude des procédures contentieuses dans les litiges locatifs sont sources de craintes. Tout bailleur potentiel sent que, s’il devait lui arriver une difficulté dans sa relation avec le locataire, les voies de recours seraient tortueuses. Cette appréhension nourrit une défiance de plus en plus forte à l’égard de l’investissement locatif d’une part, mais aussi des institutions et des pouvoirs publics, tant se propage le sentiment que les personnes ne sont plus protégées de l’incivisme et de l’illégalité.

 

Dans les litiges locatifs, les procédures durent des années, avec une moyenne estimée entre 24 et 36 mois en cas d’impayés. Ces terribles situations de conflit se prolongent au détriment de la santé et du bien-être de tous ceux qui s’y trouvent impliqués. Ils mettent également au jour des comportements malhonnêtes de la part d’une minorité de locataires.

Loin de résoudre les conflits, les procédures, longues, lourdes, coûteuses, en deviennent un facteur aggravant. Car depuis une trentaine d’années, les évolutions législatives donnent l’impression d’un renforcement unilatéral de la protection des locataires contre les expulsions au détriment des bailleurs : c’est ainsi le cas des lois Besson I en 1990, Aubry en 1998, Dalo en 2007, Alur en 2014 ou encore de la loi LEC en 2017.

Ces évolutions visaient parfois explicitement à rendre plus longues et plus complexes les procédures visant à faire payer ou partir les locataires mauvais payeurs. Pour les bailleurs, face à ce qui peut être perçu comme un acharnement législatif, il peut y avoir le sentiment que l’État se déporte sur eux de son obligation quant au logement des personnes.

Il est plus que temps de rectifier cette situation.

 

 


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I.   la lutte contre le « squat », rÉCEmment renforcÉe par le lÉgislateur, peut encore faire l’objet d’amÉLIORATIONS

Le renforcement de la lutte contre le « squat » date de plusieurs décennies, une loi ayant été prise dès 1992 pour clarifier l’infraction prévue au code pénal. La création de la procédure administrative d’expulsion en 2007 a marqué une avancée dans la rapidité de traitement des cas. Celle-ci est toutefois restée longtemps théorique, avant une nouvelle impulsion législative en 2020 qui a déjà dégagé des résultats concrets, mais qui connaît encore certaines lacunes auxquelles la présente proposition de loi vise à répondre.

A.   longtemps lettre morte, le rÉgime de la protection du domicile contre le « squat » a ÉtÉ renforcÉ en 2020

1.   Le code pénal punit l’introduction et le maintien dans le domicile d’autrui par voie de fait

Le régime de protection du domicile contre le « squat » est fondé dans une infraction, la « violation de domicile », définie dans le code pénal. C’est un délit qui peut être caractérisé de deux manières ([1]) : par l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ; par le maintien dans les lieux après s’y être introduit à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte.

La dualité de cette infraction, et notamment sa deuxième composante, clarifiée par le législateur en 2015, en fait un délit continu. C’est sur le fondement de cette infraction judiciaire que le législateur a greffé une procédure administrative dérogatoire d’évacuation accélérée d’un domicile visant à faire cesser rapidement le trouble.

2.   Une procédure administrative accélérée pour permettre d’expulser rapidement les « squatteurs » et de récupérer son domicile

L’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (« loi Dalo ») ouvre en effet la possibilité au propriétaire ou au locataire d’un domicile occupé par la suite d’une violation de domicile et à la condition d’un dépôt de plainte au titre de cette infraction, de saisir les services préfectoraux d’une demande d’expulsion de l’occupant.

La requête consiste à demander au préfet de mettre en demeure l’occupant frauduleux de quitter les lieux dans un délai défini, au terme duquel le préfet est tenu de procéder à l’évacuation forcée du logement. La procédure permet au préfet, après mise en demeure, d’évacuer des personnes s’étant introduites et maintenues dans le domicile d’autrui, sans recours préalable au juge. Il s’agit de ce fait d’une procédure nettement dérogatoire par rapport au principe selon lequel l’expulsion de l’occupant d’un domicile ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice et après signification d’un commandement de quitter les lieux ([2]).

Cette dérogation résulte de la volonté explicite du législateur de permettre au propriétaire ou au locataire qui subit les conséquences de ce délit de bénéficier d’une procédure plus rapide que celle qui prévaut dans le cas d’un litige classique entre propriétaire et locataire (non-paiement du loyer, défaut d’entretien du bien, arrivée à terme du bail, etc.), afin qu’il puisse retrouver rapidement la jouissance de son domicile dont le prive l’occupation.

3.   Le dispositif a été renforcé en 2020 par l’impulsion de votre rapporteur

Le dispositif a longtemps connu une application très hésitante et peu efficace de la part des administrations. Votre rapporteur a déjà porté une modification sensible à ce régime à l’occasion de l’article 73 de la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (« loi Asap ») qui visait à remédier à certains facteurs d’ineffectivité fréquemment exprimés.

Les débats parlementaires ont montré, à l’occasion de l’examen de cette loi, un relatif consensus autour de la nécessité de faire cesser, le plus rapidement possible, les squats de logements, qu’il s’agisse de résidences principales, secondaires ou occasionnelles. C’est la raison pour laquelle le législateur a souhaité expliciter que la notion de domicile s’entend « qu’il s’agisse ou non de la résidence principale ».

L’un de ces facteurs concernait notamment les délais prolongés de réponse à la requête, ou l’absence de réponse, apportée par les services préfectoraux. Le texte initial ne précisant pas de délai ni même d’obligation de réponse pour l’administration, de nombreux particuliers se plaignaient que les services sollicités n’aient pas donné suite à leur requête.

En outre, cette loi a été l’occasion de prévoir que la décision de prononcer ou non une mise en demeure à l’encontre de l’occupant frauduleux devient pour le préfet une compétence liée. La nouvelle écriture prévoit en effet un délai de quarante-huit heures dans lequel le préfet doit rendre sa décision. Le préfet se voit également contraint de motiver sa décision de refus et de communiquer la motivation au requérant. Cette évolution, favorable à la bonne compréhension de l’administration par les administrés et à la transparence de ses décisions, exige une mobilisation forte de la part des services concernés sur ce sujet.

B.   en dépit de résultats encourageants, des progrÈS peuvent encore ÊTRE Faits

La loi Asap a permis de marquer l’intérêt porté par le législateur au sujet des « squats », et a incité le Gouvernement à intensifier l’accompagnement des victimes face à ce phénomène, effort qu’il convient de saluer.

1.   Dès la première année, des résultats encourageants ont été rapportés dans l’application

Lors des travaux de suivi de l’application de la loi Asap, les personnes auditionnées, aussi bien les administrations que les représentants des publics concernés, avaient globalement salué les évolutions issues du nouveau dispositif de l’article 38 de la loi Dalo, qui ont permis des avancées concrètes dans un nombre important de cas ([3]).

Comme l’a rapporté cette mission, au cours des six premiers mois de l’année 2021, 124 demandes de procédure avaient été déposées auprès des services préfectoraux dans des cas supposés de squats, avec un taux de traitement de 76 %. Dans l’Hexagone, quatre régions (Île‑de‑France, Hauts-de-France, Sud, Occitanie) concentraient 80 % des cas. Les cas étaient répartis de la manière reportée dans le tableau ci-dessous.

RÉPARTITION TERRITORIALE DES DOSSIERS ARTICLE 38 DALO, s1 2021

 Région

Procédures demandées aux préfets depuis le 01/01/21

Dossiers traités (évacuation accordée ou orientation vers la justice)

Dossiers en instance de traitement

Île-de-France

 52

 32

 20

Hauts-de-France

 17

 17

 0

Provence-Alpes-Côte d’Azur

 16

 12

 4

Occitanie

 13

 11

 2

Auvergne-Rhône-Alpes

 10

 8

 2

Nouvelle-Aquitaine

 9

 9

 0

Bretagne

 3

 2

 1

Pays de la Loire

 2

 2

 0

Centre-Val de Loire

 1

 1

 0

Bourgogne-Franche-Comté

 1

 1

 0

Corse

 0

 0

 0

Grand Est

 0

 0

 0

Normandie

 0

 0

 0

TOTAL

 124

 95

 29

Source : direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (données au 26/05/21)

La préfecture de police de Paris, dont les rapporteurs avaient salué l’engagement sur cette thématique, avait transmis quelques premières données chiffrées qui montraient l’application et le sérieux qu’ont mis les services de la préfecture, sensibilisés à l’importance du sujet par une note du préfet de police, à mettre en œuvre le nouveau dispositif de façon volontariste.

Le décompte précis des requêtes depuis le mois de janvier faisait état, au mois de mai 2021, d’un total de 33 demandes dans le ressort territorial de la préfecture de police ([4]), soit plus d’un quart du total national. Sur ce total, 23 évacuations avaient été réalisées, cinq requêtes ayant fait l’objet d’une réponse des services préfectoraux pour obtenir des compléments d’information, quatre requêtes ayant été refusées, et une requête ayant vu son instruction interrompue du fait du départ des occupants.

Ce début de bon augure s’est poursuivi depuis : à la fin de l’année 2021, la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon, avait rapporté que quelque 170 cas avaient pu être résolus par cette nouvelle procédure.

Les résultats chiffrés permettent par ailleurs de battre en brèche certaines idées reçues quant aux statuts respectifs des « squatteurs » et des « squattés ». En particulier, la typologie des cas a permis de tirer quelques enseignements préliminaires : ainsi, sur les 23 évacuations réalisées, 6 d’entre elles avaient été sollicitées par des locataires momentanément absents de leur logement (hospitalisations, journée de travail), soit plus d’un quart des cas répertoriés. Le fait que les locataires sont fréquemment concernés par ces situations a été corroboré, à l’occasion des travaux de la mission d’application de cette loi, par le retour de la Confédération générale du logement.

2.   Des précisions doivent être apportées pour en améliorer l’application

En dépit cependant des modifications portées au dispositif il y a deux ans, des problèmes d’application continuent d’être signalés. En particulier, de nombreuses situations continuent, encore aujourd’hui, d’échappe à la qualification de « squat ». Plusieurs problématiques restent en effet à résoudre pour améliorer la prise en charge des situations de « squat » par les pouvoirs publics.

D’une part, si l’article 38 de la loi Dalo est longtemps resté lettre morte, c’est du fait d’une grande timidité des services préfectoraux. Se fondant sur une interprétation jurisprudentielle très restrictive de la notion de domicile, les préfectures avaient tendance à anticiper des recours, sur le fondement d’une violation de leur propre « domicile » par des occupants expulsés, auxquels les administrations craignaient que le juge donne droit.

D’autre part, l’extension de la notion de domicile à l’occasion de la loi Asap n’a pas permis de clarifier l’intégralité des situations rencontrées, notamment lorsqu’il s’agit de lieux ayant vocation à être effectivement habités à brève échéance (voir commentaire de l’article 2). En outre, il est apparu, notamment à l’occasion de la table ronde que votre rapporteur a organisée avec plusieurs avocats, Me Xavier Bouillot, Me Raphaël Richemond et Me Romain Rossi-Landi, que de nombreux cas de « squats » continuent d’échapper à cette qualification des faits à défaut d’éléments de preuve suffisants pour ce qui concerne l’introduction par menaces, manœuvres, voies de fait ou contrainte.

3.   De nombreux textes ont été déposés pour renforcer la lutte contre les squats

Les affaires de « squats » appellent fréquemment l’attention de la population car elles donnent à voir de véritables drames humains qu’il ne serait ni souhaitable, ni responsable de négliger au motif qu’ils ne seraient pas nombreux. C’est pourquoi le législateur s’est déjà saisi de cette question à plusieurs reprises. Au Sénat, une proposition de loi tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, déposée par Dominique Estrosi Sassone et plusieurs sénateurs, a été adoptée en 2021, et certaines dispositions ont nourri la réflexion des auteurs de la présente proposition de loi.

Dans les deux chambres, le nombre de textes déposés à ce sujet au cours des dernières années témoigne de l’intérêt accordé à ces sujets dans les permanences des parlementaires, et de la volonté politique qu’il existe d’améliorer la législation dans ce domaine.

Une quinzaine de textes déposés depuis 2020

– proposition de loi  3333 visant à faciliter l’expulsion des squatteurs, 17 septembre 2020, par M. Eric Ciotti (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  3335 visant à punir pénalement l’appropriation du bien d’autrui sans motif légitime et à défendre le droit de propriété, 15 septembre 2020, par M. Julien Aubert (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  3367 visant à renforcer les moyens de lutte contre les squatteurs, 29 septembre 2020, par Mme Brigitte Kuster (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  3368 visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de propriétés privées d’habitation, 29 septembre 2020, par M. Marc Le Fur (LR) et ses collègues ;

– proposition de loi  3369 visant à lutter activement contre les occupations illégales de propriétés privées, 29 septembre 2020, par Mme Emmanuelle Ménard (NI) ;

– proposition de loi  6 (2020-2021) renforçant les sanctions de l’occupation d’un logement par des squatteurs, 6 octobre 2020, par M. Jean-Louis Masson (RASNAG) ;

– proposition de loi  3415 assurant le droit au logement et l’expulsion effective des squatteurs, 14 octobre 2020, par M. Éric Diard (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  3420 visant à renforcer la législation contre les squatteurs et garantir le droit de propriété, 15 octobre 2020, par Mme Valérie Bazin-Malgras (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  81 (2020-2021) tendant à garantir le respect de la propriété immobilière contre le squat, par Mme Dominique Estrosi Sassone (LR) et plusieurs de ses collègues, 27 octobre 2020, adoptée par le Sénat le 19 janvier 2021 ;

– proposition de loi  3507 renforçant les sanctions de l’occupation d’un logement par des squatteurs, 3 novembre 2020, par M. Nicolas Dupont-Aignan (NI) ;

– proposition de loi  319 (2020-2021) visant à renforcer les droits des propriétaires contre les squatteurs, 28 janvier 2021, par M. Stéphane Ravier (RASNAG) ;

– proposition de loi  3857 renforçant les sanctions de l’occupation d’un logement par des squatteurs, 9 février 2021, par M. Jean-Luc Warsmann (LR) ;

– proposition de loi  3963 visant à lutter contre les occupations frauduleuses d’immeubles, 9 mars 2021, par Mme Marine Le Pen (NI) ;

– proposition de loi  4545 visant à faciliter l’expulsion des gens du voyage et des squatteurs, 12 octobre 2021, par M. Sébastien Chenu (NI) ;

– proposition de loi  4248 visant à faciliter l’expulsion systématique des squatteurs, 15 juin 2021, par M. Pierre Morel-À-L’Huissier (LR) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  5194 visant à lutter efficacement contre le squat et à protéger la propriété immobilière, 5 avril 2022, par M. Bruno Bilde (NI) et ses collègues ;

– proposition de loi  5236 visant à protéger le droit à la propriété contre le squat, 10 mai 2022, par M. Guillaume Peltier (NI) ;

– proposition de loi  417 visant à lutter contre le squat dans les propriétés privées, 2 novembre 2022, par Mme Marine Le Pen (RN) et plusieurs de ses collègues ;

– proposition de loi  434 visant à libérer le propriétaire d’un bien immobilier squatté de toute obligation d’entretien, 2 novembre 2022, par M. Jean-Louis Thiériot (LR) et plusieurs de ses collègues.

II.   le contentieux locatif, lourd, long et coÛteux, met des petits bailleurs dans l’impasse et suscite une attrition de l’offre

Ces propositions de loi qui traitent des « squats » soulèvent un réel problème et certaines vont inspirer nos travaux. Mais elles ne s’attaquent qu’à une partie des difficultés rencontrées sur ce terrain, qui voient parfois des locataires ne payer qu’un mois de loyer avant de cesser le paiement, ou encore se maintenir dans les lieux après la résiliation du bail. Plus rares sont les textes qui traitent de ces situations ([5]), mais, face à une situation difficile pour le monde du logement, un meilleur équilibre doit impérativement être trouvé entre la protection des locataires et celles des bailleurs.

A.   des Évolutions qui ont fragilisÉ la situation du bailleur

Les statuts respectifs des locataires et des bailleurs ont beaucoup changé au cours des décennies, et doivent souvent faire l’objet d’évolutions législatives pour contrecarrer des tendances de fond. Les mutations constatées ces dernières années ont, d’une part, privilégié la meilleure protection des locataires, du point de vue à la fois réglementaire et financier, et, d’autre part, une hausse des attentes pesant sur les bailleurs, notamment en termes de la performance thermique du bien loué.

1.   Les évolutions successives de la législation ont mieux protégé les locataires

Majoritaire dans la population française pendant deux siècles, avant de devenir minoritaire au tournant des années 1970 et 1980, le statut de locataire est, selon la sociologue Danièle Volman, le résultat d’un long processus de consolidation politique et d’unification juridique qui a progressivement fait de la relation locative un élément structurant des relations sociales et pour lequel le législateur doit avoir un souci tout particulier de l’équilibre ([6]).

À la fin de ce processus, trois textes majeurs des années 1980 (voir encadré) ont contribué à dessiner un équilibre dans les relations entre bailleurs et preneurs, équilibre vu comme satisfaisant par la plupart des observateurs.

 

Principales évolutions législatives en matière d’encadrement des rapports locatifs

Longtemps constitué principalement des règles générales du droit civil, le droit des rapports locatifs a été progressivement renforcé, particulièrement dans les années 1980 :

– loi du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires (« loi de 48 ») : droit au maintien dans les lieux à l’issue du bail dans les logements anciens ou sociaux ; obligation faite au bailleur de reloger le preneur délogé ; création des allocations de logement ; détermination réglementaire du loyer par pondération de la superficie et des éléments de confort ; libération du loyer pour les nouvelles constructions et les biens réhabilités. Les dispositions de la loi de 48 ne s’appliquent qu’au parc existant au moment de la loi ;

– loi du 3 janvier 1977 portant réforme de l’aide au logement (« loi Barre ») : création de l’aide personnalisée au logement (APL), emblématique du passage du modèle des aides à la pierre à celui des aides à la personne ;

– loi du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs (« loi Quilliot ») : définition d’un nouveau droit commun des rapports locatifs s’imposant aux parties au bail ; consécration d’un statut du locataire ; définition du contenu du contrat de location ; durée minimale du bail ; modalités de résiliation pour le locataire et le propriétaire ; obligations du bailleur et du locataire ; règles relatives au dépôt de garantie et aux états des lieux ; commissions des rapports locatifs et Commission nationale des rapports locatifs ; faculté de fixer par décret le taux maximum d’évolution du loyer ;

– loi du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière (« loi Méhaignerie ») : retour à la libre évolution des loyers ;

– loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (« loi Mermaz-Malandain » ou « loi de 1989 ») : fixation du loyer par comparaison de locaux ; reconduction automatique du bail ; préavis du bailleur de six mois ; création de la commission départementale de conciliation ; encadrement de l’évolution du loyer par l’application d’un indice (qui deviendra l’indice de référence des loyers en 2008) ; dispositions dérogatoires pour les zones définies comme tendues

– loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement (« loi Besson I ») : garantie du droit au logement ; création des plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) ; création des fonds de solidarité logement (FSL) pour aider au paiement des loyers ;

– loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (« loi Dalo ») : création d’un droit au logement opposable invocable par le requérant, qui peut demander satisfaction de son besoin à l’État ;

– loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (« loi Alur ») : encadrement du niveau des loyers ; action en diminution du loyer ; grille de vétusté des logements ; garantie universelle des loyers ; maintien des aides au logement pour les locataires impécunieux de bonne foi ; obligation pour le bailleur de signaler les impayés aux services sociaux ; information accrue du locataire en difficulté ; renforcement des commissions départementales de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) créées en 2006, prolongement de la trêve hivernale au 31 mars ; alignement du régime des locations meublées sur celui des locations nues.

Cet équilibre a depuis été affecté à plusieurs reprises. Certains commentateurs estimaient, dès la loi Besson I, que la création d’un droit au logement mettait en péril l’équilibre des rapports locatifs trouvé lors de la décennie 1980 et recréait, de façon déguisée, un droit au maintien dans les lieux pour les locataires impécunieux.

Depuis lors, la loi Aubry, en venant allonger et complexifier les procédures contentieuses pour reculer dans le temps les expulsions, et plus encore la loi Alur sont venues remanier l’équilibre trouvé (voir notamment le commentaire de l’article 5). D’après les propos des rapporteurs de la commission des affaires économiques d’alors, la loi Alur « procédait à une profonde modernisation de la loi de 1989 », notamment « en renforçant les droits des locataires et en assurant ceux du propriétaire » ([7]). Il est possible que dans la réalité de l’exercice, la seconde partie de cette phrase ait été moins satisfaite que la première.

Les grands équilibres issus de la loi de 1989 comprennent des garde-fous précieux érigés par le législateur qui permettent de protéger les locataires, et que ne remet nullement en cause la présente proposition de loi :

– des obligations très strictes en matière de décence des logements, renforcées dans la loi climat et résilience en ce qui concerne leur performance énergétique. Les lois Alur et Élan ont notamment mis en place, à cet égard, deux régimes de déclaration ou d’autorisation préalables pour la mise en location, que le maire peut actionner pour lutter contre le logement indigne. La police de la décence a encore récemment été nettement renforcée à l’occasion de sa réforme intervenue par ordonnance, en vertu d’une habilitation accordée par la loi Élan ;

– l’encadrement du niveau du loyer, d’abord introduit par le législateur dans la loi Alur avant d’être annulé par le juge et remplacé dans la loi Élan par un dispositif qui a été étendu et prolongé cette année à l’occasion de la loi 3DS ([8]). Le contenus des annonces immobilières ont également été renforcés avec la mention obligatoire des informations relatives à l’encadrement des loyers ([9]), et les éléments ouvrant droit à un complément de loyer ont été précisément énumérés ([10]) ;

– l’encadrement de l’évolution du loyer, renforcé récemment à l’occasion de la loi « pouvoir d’achat » ([11]), qui a plafonné la hausse de l’indice de référence des loyers à 3,5 % sur l’année à venir, afin de protéger les locataires contre une hausse des loyers égale à l’inflation ;

– le contenu obligatoire du contrat de bail, précisé dans la loi et nettement renforcé depuis, ainsi que l’opposabilité de ce contenu obligatoire pour le locataire afin d’obtenir une diminution du loyer (cf. encadré) ;

– l’encadrement de la durée de préavis : s’il souhaite reprendre son bien, le bailleur peut mettre fin au bail à chaque date anniversaire du contrat (notamment la fin du contrat), moyennant un préavis de six mois. Le locataire peut mettre fin au bail pour toute raison, moyennant un préavis de trois mois (location nue en zone non tendue) ou d’un mois (location meublée ou location nue en zone tendue).

Ces enrichissements, dans la plupart des cas, sont positifs, permettant en effet de mieux sécuriser les locataires, de garantir la qualité des logements loués, d’adapter le parc à la transition écologique et climatique, et d’accentuer la transparence du marché locatif en améliorant l’information du locataire.

Un contrat de bail toujours plus complet et opposable par le locataire

Ont notamment été portés aux mentions obligatoires du contrat de bail, depuis la loi de 1989 ([12]) :

– la consistance, la destination ainsi que la surface habitable de la chose louée, avec la possibilité d’une diminution du loyer si celle-ci est inférieure de plus d’un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location ([13]) ;

– le montant et la date de versement du dernier loyer appliqué au précédent locataire, dès lors qu’il a quitté le logement moins de dix-huit mois avant la signature du bail ;

– la nature et le montant des travaux effectués dans le logement depuis la fin du dernier contrat de location ou depuis le dernier renouvellement du bail ;

– une indication sur le montant des dépenses théoriques de l’ensemble des usages énumérés dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) ;

Une notice d’information relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs ainsi qu’aux voies de conciliation et de recours qui leur sont ouvertes pour régler leurs litiges est annexée au contrat de location ;

Un dossier de diagnostic technique est fourni, incluant le diagnostic de performance énergétique, réalisé à la charge du bailleur ([14]).

La loi Alur a également précisé que, contrairement au bailleur qui ne peut se prévaloir de la violation de ces termes, « en cas d’absence dans le contrat de location d’une des informations relatives à la surface habitable et au dernier loyer acquitté par le précédent locataire, le locataire peut, dans un délai d’un mois à compter de la prise d’effet du contrat de location, mettre en demeure le bailleur de porter ces informations au bail. À défaut de réponse du bailleur dans le délai d’un mois ou en cas de refus de ce dernier, le locataire peut saisir, dans le délai de trois mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente afin d’obtenir, le cas échéant, la diminution du loyer ».

Ils permettent aussi de pénaliser les comportements abusifs de certains propriétaires malhonnêtes, que le législateur ne pouvait décider ou feindre d’ignorer au motif qu’ils seraient minoritaires. À l’inverse, les auditions menées par votre rapporteur ont permis d’attester de manière incontestable qu’il existe aussi une minorité de locataires malhonnêtes, qui créent des situations insupportables qui ne sauraient davantage être escamotées.

Cela est d’autant plus vrai que l’application par le juge des évolutions législatives globalement favorables pour les locataires a été, dans l’ensemble, dans le même sens, au risque de déséquilibrer définitivement les relations locatives. Ainsi, diverses décisions ont émaillé l’histoire récente de la jurisprudence des rapports locatifs ([15]), le juge se fondant sur une interprétation large de l’obligation faite au bailleur d’assurer au preneur la jouissance paisible du bien, donnant aux bailleurs un sentiment d’inégalité et d’inéquité des rapports.

2.   Des efforts renforcés sont exigés des bailleurs en matière de rénovation énergétique

Nous attendons collectivement beaucoup des propriétaires, du fait d’attentes sociales légitimes en matière de confort, de performance énergétique ou d’équipement. Face à cette évolution, il faut veiller à ne pas dépasser le seuil à partir duquel ces contraintes peuvent décourager durablement l’investissement dans le parc locatif.

C’est d’autant plus vrai que les options s’offrant aux investisseurs sont simples à réaliser, à commencer par le parc des meublés de tourisme ou celui des résidences services. Le législateur ne saurait se dispenser de ces difficiles arbitrages au nom d’une trop facile dénonciation des propriétaires et d’une présentation manichéenne des intérêts des locataires et des bailleurs.

Le législateur souhaite impulser une vaste transformation du parc de logements en maniant l’incitation et la coercition pour pousser les propriétaires à rénover leurs biens. Dans le cadre des récentes lois énergie-climat et climat et résilience, le législateur a :

– interdit à la location pour les nouveaux baux, par intégration aux critères de décence de la performance énergétique, à compter du 1er janvier 2023, quelque 510 000 logements classés G et consommant plus de 450 kWh.m².an d’énergie finale (dont 140 000 actuellement dans le parc locatif privé et 50 000 dans le parc locatif social) ([16]), à compter du 1er janvier 2025, 2 millions de logements classés G, à compter du 1er janvier 2028, 3 millions de logements classés F ([17]). Ce dispositif exige des investissements massifs de la part des propriétaires de ces logements pour assurer leur rénovation dans les délais ;

– renforcé le DPE pour le faire correspondre à un double objectif énergétique et climatique : il classe dorénavant les logements en fonction d’un double seuil de consommation d’énergie primaire et d’émissions de gaz à effet de serre, ce qui rend sa grille plus exigeante. Y figurent désormais aussi des conditions d’aération et de ventilation du bâtiment, ainsi qu’une évaluation de la quantité d’énergie issue de sources d’énergies renouvelables dans la consommation du logement ([18]).

– gelé les loyers des logements classés F et G, mesure entrée en vigueur au 22 août 2022 ([19]) par interdiction de l’application de l’indice de référence des loyers (IRL) ; et interdit le complément de loyer pour ces mêmes logements ([20]).

Face à ces sujétions très importantes, il ne faut pas perdre de vue le risque réel qu’un certain nombre de propriétaires fassent sortir définitivement leurs logements en location du parc locatif en les vendant à des investisseurs pour le tourisme ou à des acheteurs étrangers à la recherche d’une résidence occasionnelle.

B.   des procÉdures contentieuses lourdes et alÉatoires qui ont des consÉquences Économiques indÉsirables

Les auditions ont montré que l’allégement des procédures d’expulsion se justifie du point de vue économique, tant pour le bien-être du propriétaire que pour celui du locataire. Toutes les personnes auditionnées ont mis en avant le fait que la difficulté perçue et vécue de la procédure contentieuse locative joue un rôle déterminant dans les arbitrages des particuliers investisseurs en faveur de leur maintien ou non dans le parc locatif, qui est à son tour un facteur central de la vitalité de l’offre provenant du secteur du parc privé et de sa capacité à répondre à la demande de logement.

La difficulté d’expulsion d’un locataire mauvais payeur résulte à la fois de la complexité de la procédure, de sa durée et de la probabilité pour le propriétaire bailleur d’avoir gain de cause. De ce point de vue, une procédure d’expulsion difficile constitue à la fois un coût direct pour le propriétaire, qui l’intègre dans ses choix quant à la mise en location de son bien, et un coût indirect pour les potentiels locataires, qui doivent faire face aux exigences du propriétaire.

1.   La complexité de l’expulsion favorise une sélection sévère des locataires

De nombreuses études ont montré que plus la procédure d’expulsion est difficile, plus un propriétaire bailleur est incité à être sélectif dans son choix de locataires, afin de diminuer la probabilité de devoir un jour engager cette procédure chronophage et coûteuse d’un point de vue financier et psychologique ([21]).

Les témoignages apportés à votre rapporteur ont fait état des sommes très conséquentes engagées dans ces procédures. À titre d’exemple, ce sont pour le cas de Cécilia ([22]), 73 000 euros de loyers impayés, 22 000 euros de charges de chauffage et d’eau, 4 800 euros d’arriérés de charges dus au syndic, et plus de 6 000 euros de frais de conseil et d’huissier. Pour sa part, sur une procédure plus courte, Yasmina fait état de 15 000 euros de frais de travaux au total.

Ces risques élevés en termes financiers et de délais induisent les propriétaires à être toujours plus exigeants en termes de garanties et à sélectionner les locataires en fonction de leurs revenus, au détriment des locataires les plus fragiles financièrement.

La difficulté de l’expulsion peut donc, paradoxalement, susciter des inégalités sur le marché locatif privé, en favorisant l’exclusion des catégories les plus défavorisées ou précaires. Cette situation peut concerner au premier chef des actifs non titulaires de contrat à durée indéterminée (CDI) ([23]) ou encore des populations immigrées, ou bien des jeunes, des personnes âgées ou des primo‑locataires, quand bien même leurs capacités de paiement seraient similaires à celles de catégories moins défavorisées ([24]).

Les témoignages recueillis lors des auditions menées par votre rapporteur ont confirmé ces dynamiques. L’un des témoins auditionnés, Michel, par exemple, a indiqué en ce sens : « Cette loi est également nécessaire pour fluidifier le marché locatif, dont l’accès s’est vraiment compliqué au vu des garanties exigées et de la peur constante des bailleurs. Si on peut expulser un occupant illégal plus rapidement, on pourra certainement être moins exigeant sur ces garanties. Au final, c’est le locataire qui sortira peut-être gagnant de toute cette loi ».

2.   La complexité de l’expulsion pousse les prix des loyers bruts à la hausse sur l’ensemble du marché locatif privé

La difficulté d’expulsion affecte également l’offre à travers une augmentation du prix des loyers, engendrée par différents mécanismes parallèles :

– une contraction de l’offre : la difficulté d’expulsion engendre une contraction de l’offre de logement locatif, qui s’opère en deux temps ([25]). Dans un premier temps, dans le court terme, les bailleurs potentiels hésitent à mettre leur bien en location, car ils ont peur de se retrouver face à des personnes mal intentionnées. L’un des témoins auditionnés, a ainsi expliqué lors de son audition que « les locations, c’est terminé ! c’est trop risqué : les lois surprotègent les malhonnêtes ». Dans un second temps, de plus long terme, le niveau de construction se réduit, le marché de l’investissement immobilier étant considéré comme plus risqué. Une réduction de l’offre, toutefois confrontée à une demande constante voire croissante, pousse mécaniquement les prix des loyers à la hausse.

 l’augmentation de la prime de risque dans les loyers bruts : face aux coûts supplémentaires potentiels liés à la procédure d’expulsion, le bailleur se couvre avec l’augmentation de la prime de risque intégrée de manière implicite dans le prix du loyer brut proposé au locataire, phénomène attesté dans les travaux empiriques ([26]). Le niveau des loyers proposés sur le marché locatif privé est ainsi d’autant plus élevé que la procédure d’expulsion est difficile ;

 le recours à une agence externe pour la sélection de locataires : la sélection sévère des locataires par les bailleurs introduit un coût psychologique pour ces derniers, notamment les petits propriétaires ([27]). Une telle évolution peut favoriser l’externalisation du processus de sélection via une agence de gestion de biens. Dans ce cas, les frais d’agence sont répercutés à deux reprises sur les locataires, lors du recours à l’agence pour la recherche de la location, mais également à travers le prix du loyer brut, qui intègre le coût supplémentaire des frais d’agence pour les bailleurs.

3.   La complexité de l’expulsion peut accélérer le défaut des locataires

Plus la procédure d’impayés est longue et difficile, plus est faible pour le locataire la probabilité d’avoir à verser de fortes indemnités à son bailleur ou à quitter les lieux rapidement. De cette dynamique résulte un coût du défaut faible pour les locataires, situation d’autant plus manifeste que la procédure de surendettement semblerait, d’après les auditions menées, ne pas être trop difficile à mettre en œuvre.

Dans les études relatives à la question de « l’arbitrage sur le défaut » que doivent faire les ménages en difficulté de paiement, il apparaît que, du fait de ces considérations, face à un coût de défaut plus important sur d’autres postes (interdit bancaire, coupure d’eau, etc.), l’arbitrage des locataires tend vers le défaut sur le loyer ([28]). De tels comportements engendrent, pour la doctrine, une augmentation de la prime de risque intégrée au loyer, sachant que l’augmentation du prix du loyer augmente en retour le risque de défaut, participant ainsi à la construction d’un effet auto-réalisateur, néfaste tant pour les propriétaires que les locataires ([29]).

III.   La proposition de loi clarifie, d’une part, le rÉgime juridique du « squat » et accÉlÈRE, d’autre part, le contentieux locatif

La proposition de loi qui est présentée à la commission traite de deux sujets distincts qui justifient la séparation de ses dispositions en deux chapitres.

A.   le chapitre Ier vise À renforcer la protection du domicile face au « squat »

L’article 1er A, ajouté par la commission, crée un nouveau chapitre dans le code pénal prévoyant que l’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation est apparentée à un vol, et que les occupants doivent être en mesure de présenter un titre justifiant de leur occupation.

L’article 1er alourdit la peine encourue par l’auteur du délit de violation de domicile, en la portant à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

L’article 1er bis, ajouté par la commission, pénalise le fait pour une personne de se faire passer pour le propriétaire d’un bien aux fins de le louer.

L’article 2 apporte des clarifications au régime juridique de la violation de domicile, en précisant que le domicile peut être qualifié comme tel qu’il soit meublé ou non, et que l’infraction peut être constituée même lorsqu’il n’est pas possible d’établir que le maintien dans les lieux par menaces, manœuvres, voies de fait ou contrainte a été précédé d’une introduction délictuelle.

L’article 2 bis, créé par la commission, libère le propriétaire d’un bien immobilier de son obligation d’entretien du bien lorsque celui-ci est occupé sans droit ni titre, de façon à ce que sa responsabilité ne puisse être engagée en cas de dommage résultant du défaut d’entretien.

L’article 2 ter, ajouté par la commission, proroge jusqu’en 2026 le dispositif d’occupation temporaire de locaux vacants par des organismes publics ou associations agréées par l’État à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social, en vue d’en assurer la protection et la préservation.

B.   Le chapitre II vise À accÉLÉRER les procÉdures du contentieux locatif

L’article 4 vise à rendre plus efficace le processus judiciaire en matière de traitement des litiges locatifs. Il prévoit à cet effet l’inclusion systématique dans les contrats de bail d’une clause de résiliation de plein droit, et aménage la faculté du juge d’en suspendre l’effet, pour que cette faculté ne soit mise en œuvre qu’à la demande du locataire, et moyenne résiliation immédiate en cas de nouvelle cessation du paiement du loyer. Il prévoit la suppression du caractère d’office de certaines capacités du juge, qui doivent faire l’objet d’une demande du locataire.

L’article 5 vise à accélérer la procédure contentieuse du litige locatif. Dans ce sens, il réduit le délai minimal entre l’assignation et l’audience, et réduit les délais renouvelables que peut accorder le juge de l’exécution au titre des difficultés de relogement à la suite de l’audience. Il réduit également le délai entre le commandement de payer et l’assignation et prévoit la transmission automatique du dossier d’impayé à la Ccapex dès le stade du commandement de payer. Enfin, après l’audience, il réduit le délai qui succède au commandement de quitter les lieux.

 

 


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   commentaire des articles

Chapitre Ier
Mieux réprimer le squat du logement

Article 1er A (nouveau)
(art. 315-1 [nouveau] du code pénal)
Apparentement à un vol de l’occupation sans droit ni titre d’un immeuble bâti à usage d’habitation

Créé par la commission

 

Le présent article crée un nouveau chapitre dans le code pénal prévoyant que l’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble bâti à usage d’habitation est apparentée à un vol, et que les occupants doivent être en mesure de présenter un titre justifiant de leur occupation.

1.   L’état du droit : l’occupation sans droit ni titre des immeubles n’est pas sanctionnée légalement en-dehors de l’atteinte à la vie privée

L’article 1er de la présente proposition de loi revient sur les peines prévues pour la violation de domicile, infraction définie à l’article 226-4 du code pénal. Ce délit, qui existe déjà, est situé dans le livre II de ce code, qui comprend notamment, qui concerne les atteintes portées à la vie privée et les sanctionne au titre de la protection constitutionnelle et conventionnelle de l’intimité.

Par contraste, il n’existe ni délit, ni peine pesant sur l’occupation d’un immeuble sans titre sur le fondement de l’atteinte au droit de la propriété.

2.   Les dispositions créées par la commission : la protection des immeubles au titre de la propriété

La commission des affaires économiques a adopté un amendement CE31 de Mme Annie Genevard (LR) et plusieurs de ses collègues, qui crée un nouveau chapitre au sein du livre III du code pénal, traitant de « l’occupation frauduleuse d’un immeuble ». Le livre III du code pénal traite la question des crimes et délits contre les biens et son titre Ier de celle des appropriations frauduleuses.

L’article créé rappelle que « l’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble appartenant à un tiers s’apparente à un vol », réaffirmation importante de la primauté du principe de propriété. La désignation d’immeuble concernant strictement l’ensemble des biens immeubles par opposition aux biens meubles, et donc aussi bien les terrains nus que bâtis, un sous-amendement CE72 de votre rapporteur a permis de préciser que les immeubles ainsi protégés sont les « immeubles bâtis à usage d’habitation », afin de préserver la proportionnalité du dispositif.

L’article dans sa première rédaction prévoyait aussi, de manière originale, que c’est à l’occupant réputé sans droit ni titre de « prouver sa bonne foi par la présentation d’un titre de propriété, d’un contrat de bail en cours de validité le liant au propriétaire de l’immeuble occupé ou bien d’une convention d’occupation à titre gratuit signée par le propriétaire du bien ».

Afin de garantir la constitutionnalité des dispositions, et notamment leur conformité à l’article 9 de la Déclaration de 1789, qui protège la présomption d’innocence, la commission a adopté un sous-amendement CE73 de votre rapporteur qui supprime toute référence à la notion qu’il faille pour l’accusé apporter la preuve de sa bonne foi.

Article 1er
(art. 226-4 du code pénal)
Renforcement du quantum de la sanction du délit de violation de domicile

 

Adopté par la comission sans modification

 

Le présent article alourdit la peine encourue par l’auteur du délit de violation de domicile, en la portant à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende.

1.   L’état du droit : une sanction insuffisante du « squat »

Le régime de protection du domicile contre le « squat » est fondé sur une infraction, la « violation de domicile », définie dans le code pénal. Il s’agit d’un délit doublement caractérisé ([30]) : d’une part, par l’introduction dans le domicile ([31])  d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte ; d’autre part, par le maintien dans les lieux après y avoir pénétré de la sorte.

La dualité de cette infraction, et notamment sa deuxième composante, clarifiée par le législateur en 2015, en fait un délit continu. Une enquête de flagrance peut donc, depuis 2015, être ouverte aussi longtemps que l’occupant se maintient dans les lieux ([32]).

Le délit de violation de domicile est caractérisé par la mise en œuvre de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte lors de l’introduction dans le domicile. Les manœuvres concernent des comportements frauduleux, comme la présentation d’un faux document pour s’introduire dans le domicile, ou des comportements malhonnêtes. Les menaces renvoient à des paroles, gestes et attitudes visant l’intimidation. La voie de fait ou la contrainte consistent en des actes de violences physiques ou morales, tels que la dégradation ([33]) ou le non-respect d’une défense verbale de s’introduire dans le domicile ([34]).

La flagrance en droit pénal

L’article 53 du code de procédure pénale prévoit qu’« est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l’action, la personne [...] présente des traces ou indices, laissant penser qu’elle a participé au crime ou au délit ».

La caractérisation de la flagrance de l’infraction est particulièrement importante car elle permet aux services de police et de gendarmerie d’intervenir immédiatement, et de diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance, d’arrêter l’auteur de l’infraction sur les lieux, de le placer en garde à vue... L’intervention des forces de l’ordre dans le cadre de ces dispositions se fait sous l’autorité exclusive du procureur de la République et non du préfet.

Contrairement à ce qui est souvent avancé, le droit positif ne fixe aucun délai précis pour la flagrance, quelle que soit l’infraction concernée. L’article 53 du code de procédure pénale (CPP) est un article général qui définit la flagrance pour l’ensemble des crimes et des délits. Sa rédaction est donc volontairement ouverte pour permettre de couvrir l’ensemble des situations. Est flagrant, le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. La durée souvent évoquée dans ce contexte, de 48 heures, est issue de la pratique. Elle n’est pas intangible et ne saurait contraindre le juge dans son appréciation du temps « très voisin de l’action ».

D’après la jurisprudence, le délit de violation de domicile repose finalement sur le caractère intentionnel des faits réalisés par son auteur, élément constitutif de tout délit : l’article 121-3 du code pénal dispose qu’« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Ainsi, ne constitue pas une violation de domicile l’introduction dans le domicile d’autrui par un individu pensant de manière sincère rentrer chez lui ou avoir été invité chez autrui par l’occupant des lieux.

Des peines complémentaires sont encourues, en application de l’article 226-31 du code pénal : l’auteur des faits peut être privé de ses droits civiques, civils et de famille ; il peut se voir interdire d’exercer une activité professionnelle ou sociale ; être privé du droit de détenir ou de porter une arme ; enfin, la juridiction peut décider de diffuser ou d’afficher la décision de condamnation.

2.   Les dispositions proposées : une peine plus juste et plus dissuasive

L’article 1er de la proposition de la loi renforce le quantum de la peine encourue pour violation de domicile, en le portant d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Cet article vise notamment à parvenir à un meilleur équilibre entre la peine encourue pour violation de domicile et la peine encourue pour expulsion par la force d’un tiers occupant de manière illégitime le domicile d’autrui. En effet, la peine encourue par un propriétaire ayant recours à des manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte pour expulser un tiers du lieu qu’il habite sans avoir obtenu le concours de l’État est puni de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ([35]).

La modification proposée vise donc à remédier à une situation perçue comme inique, la punition pour un propriétaire qui expulse personnellement un tiers de son domicile étant plus sévère que celle que risque un individu occupant de manière illégale le domicile d’autrui.

L’augmentation du quantum de la peine doit également exercer un effet dissuasif, l’augmentation de la sévérité de la peine participant d’une série de signaux politiques et juridiques qui marquent un renforcement des sanctions dans ce domaine.

Au-delà de son impact politique, cette mesure accélère aussi la procédure. En effet, elle permet de mettre en œuvre la comparution immédiate, qui s’applique uniquement pour des délits punis d’au moins deux ans de prison. Cette procédure permet au procureur de la République de faire juger le suspect immédiatement à l’issue de sa garde à vue.

Le triplement de la peine prévue à l’encontre de la violation de domicile avait déjà été adopté par le Parlement dans le cadre de la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (« loi Asap »), à la suite d’un amendement déposé par votre rapporteur, qui était alors rapporteur du texte à l’Assemblée nationale ([36]). La disposition avait été largement adoptée par les deux assemblées. Elle avait cependant été censurée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’elle ne présentait pas de lien, même indirect, avec l’objet du texte initial ([37]).

3.   Les modifications adoptées par la commission

Cet article a été adopté sans modification par votre commission.

Article 1er bis (nouveau)
(art. 313-6-3 [nouveau] du code pénal)
Création d’un délit d’usurpation du titre de propriétaire aux fins
de louer un bien immobilier

Créé par la commission

 

Le présent article pénalise le fait pour une personne de se faire passer pour le propriétaire d’un bien aux fins de le louer.

1.   L’état du droit : les faux propriétaires, une pratique croissante et qui n’est pas prévue dans la loi actuelle

Une pratique croissante chez les marchands de sommeil voit une personne occuper de manière illicite un bien sans y avoir un titre, pour ensuite se faire passer pour son propriétaire aux fins de le louer, souvent dans des conditions indignes, à des personnes vulnérables qui pensent ainsi être en situation régulière.

Le recours à cette pratique est de plus en plus fréquent, ainsi qu’en témoignent plusieurs faits divers récemment médiatisés. Un habitant de l’Oise avait par exemple découvert en octobre 2021 que la maison de sa mère, placée en maison de retraite, était habitée par des locataires eux aussi trompés par un faux propriétaire. Plus récemment, un propriétaire d’une maison dans les Côtes d’Armor, en septembre 2022, a découvert que son logement était habité par une famille qui avait elle-même été dupée par un faux bailleur.

Il s’agit d’une situation qui n’est pas adéquatement prévue dans le droit actuel. En effet, en l’absence d’actes d’extérieurs, le seul fait de se dire faussement propriétaire d’un bien ne constitue pas une prise de qualité au sens de l’article 313‑1 du code pénal relatif au délit d’escroquerie. Ces faits ne sont pas donc nécessairement constitutifs du délit d’escroquerie et leur incrimination nécessite l’adoption d’un délit spécifique.

L’escroquerie dans le droit pénal

L’escroquerie désigne le fait de tromper une personne afin que celle-ci remette de l’argent ou un bien quelconque, fournisse un service ou consente un acte. L’article 313-1 du code pénal ([38]) énonce que  l’escroquerie « est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

Ce délit réunit deux éléments matériels, la tromperie et la remise d’un bien, ainsi qu’un élément moral, la victime devant apporter la preuve que l’escroc a eu la volonté et l’intention de la tromper. Les éléments matériels doivent être des actes positifs et non une simple omission. Les actes positifs sont l’usage d’un faux nom, l’usage d’une fausse qualité ou l’abus d’une qualité vraie, l’emploi des manœuvres frauduleuses. En particulier, l’usage d’une fausse qualité consiste à mentir sur sa qualité professionnelle et d’en abuser. Quant à l’emploi des manœuvres frauduleuses, il consiste à accompagner le mensonge d’un acte extérieur, par lequel l’auteur de l’escroquerie utilise des machinations ou des mises en scène pour tromper la victime.

2.   Les dispositions créées par la commission : la création d’un délit au code pénal

Le présent article, qui résulte de l’adoption par votre commission d’un amendement CE60 de M. Paul Midy et des membres du groupe Renaissance, a pour objectif de répondre à ce phénomène en incriminant le fait pour une personne de se faire passer pour le propriétaire d’un bien aux fins de le louer.

Dans la continuité de l’esprit qui guide la proposition de loi, le fait de se faire passer pour le propriétaire d’un bien aux fins de le louer doit être pénalisé afin de répondre à la diversité des situations de « squat ». L’article prévoit que ne seront passibles de la sanction que les personnes qui remplissent deux critères cumulatifs:

– elles ne disposent d’aucun titre d’occupation, donc ne sont ni locataires ni propriétaires. Cette rédaction permet d’exclure du champ du délit tout locataire licite qui sous-loue le bien, même sans l’aval préalable du propriétaire ;

– elles se font passer pour propriétaires, ou se disent faussement propriétaires, aux fins de le louer.

Le champ du nouveau délit, qui entraîne une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, est précis et contribue utilement au combat contre l’habitat indigne que mène le législateur depuis la loi Elan.

Article 2
(art. 226-4 du code pénal)
Clarification de la caractérisation du délit de violation du domicile

Adopté par la commission sans modification

 

Le présent article apporte des clarifications au régime juridique de la violation de domicile, en précisant que le domicile peut être qualifié comme tel qu’il soit meublé ou non, et que l’infraction peut être constituée même lorsqu’il n’est pas possible d’établir que le maintien dans les lieux par menaces, manœuvres, voies de fait ou contrainte a été précédé d’une introduction délictuelle.

Le présent article traite de l’infraction de violation de domicile, établie dans deux textes distincts, en apportant deux précisions importantes.

1.   L’état du droit : en dépit d’évolutions récentes, des ambiguïtés demeurent dans la protection du domicile

Le traitement juridique du squat est fondé essentiellement sur deux régimes complémentaires : d’une part, la définition pénale de l’infraction de violation de domicile définie à l’article 226-4 (cf. commentaire de l’article 1er), et, d’autre part, une procédure administrative spéciale pour évacuer les occupants, fondée sur cette infraction et définie à l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable (« loi Dalo »).

a.   La notion jurisprudentielle du domicile dans le contentieux de la violation de domicile

i.   L’inviolabilité du domicile est fondée sur la protection de la vie privée

L’inviolabilité du domicile est un prolongement de la liberté individuelle et du droit à la vie privée, et figure au nombre des notions fondamentales du droit public français et du droit international conventionnel ([39]). La protection accordée au domicile intervient, à l’article 226‑4 du code pénal, au titre de la répression des atteintes à la vie privée ([40]).

Dans ce cadre, la jurisprudence a construit une définition du domicile par rapport à la personne qui en a la jouissance ([41]). Comme l’a affirmé à plusieurs reprises la chambre criminelle de la Cour de cassation, « le domicile ne signifie pas seulement le lieu où une personne a son principal établissement, mais encore le lieu où, qu’elle y habite ou non, elle a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux » ([42]).

L’inviolabilité est acquise dès lors que l’occupant peut se dire chez lui, quel que soit son titre. Cette définition par le droit de jouissance protège, en plus du propriétaire, le locataire, le sous-locataire, et toute personne autorisée par le locataire à occuper les lieux. La protection s’étend également à l’occupant précaire ([43]).

ii.   L’extension du délit au maintien dans les lieux

Il résulte de cette interprétation extensive de la protection du domicile que celle-ci est reconnue par le juge même à l’occupant sans titre ne pouvant arguer d’une quelconque autorisation, dès lors qu’il habite les lieux depuis un certain temps. C’est par ce biais que des « squatteurs » vivant depuis plusieurs semaines dans les lieux ont pu être considérés par le juge comme occupant un domicile dont ils ne peuvent être expulsés par la force publique qu’en vertu d’une décision judiciaire exécutoire ([44]).

Une telle lecture du droit est susceptible de mettre en difficulté l’administration si elle souhaite procéder à une expulsion sur le fondement de l’article 38 de la loi Dalo. En effet, il devient alors nécessaire de déterminer le délai au terme duquel le caractère de domicile est acquis, évolution qui entache d’illégalité l’éviction sans décision de justice. C’est au titre de cette considération, qu’avant les modifications législatives de 1992 et 2015, qui ont fait du délit de violation du domicile un délit continu ([45]), les services de police se sont longtemps montrés prudents sur l’intervention au-delà d’une période, souvent considérée comme étant de quarante-huit heures, au bout de laquelle l’éviction des intéressés ne pourrait plus être réalisée sans décision de justice ([46]). Cette période n’est pas fondée en droit positif, et le législateur a clairement affirmé en 2015 qu’il ne souhaitait pas qu’une telle restriction ait lieu.

En étendant le délit de violation de domicile au maintien dans les lieux, le nouveau code pénal de 1993 avait déjà transformé l’infraction instantanée en délit continu ([47]). Le délit se commettait dès lors à chaque fois que l’occupation était menaçante, violente, contrainte ou résultait d’une voie de fait ou d’une surprise, comme le précisait alors une circulaire ministérielle. Le mot de « maintien » n’étant toutefois pas explicitement précisé, des difficultés d’interprétation subsistèrent. Ce débat relatif à la nature de l’infraction ne fut clos que par une loi ad hoc du 24 juin 2015 ([48]), qui modifie la rédaction de l’article 226-4 du code pénal pour prévoir explicitement que le maintien est sanctionnable, lorsqu’il est précédé d’une introduction délictuelle, au titre de la loi

iii.   Le domicile vide de meubles n’est pas protégé

Le législateur civil a défini le domicile, quant à l’exercice des droits civils, comme le lieu où une personne « a son principal établissement » ([49]). Outre que cette définition ne s’applique, strictement, qu’à « tout Français », elle présente des carences qui ont donné lieu à une riche jurisprudence.

Le juge a d’abord eu l’occasion de préciser que le domicile peut désigner tout local d’habitation, quelle qu’en soit la nature : la maison de ville, la maison de campagne, l’appartement loué en meublé, l’appartement privé d’un ministre situé dans les locaux du ministère, la chambre de bonne, voire la chambre d’hôtel ([50]). Dans tous les cas, il n’y a pas lieu de distinguer l’habitation effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout habitant.

Inversement, il ressort de cette définition que la jurisprudence ne considère pas un local vide de meubles comme pouvant constituer un domicile. Elle considère qu’un tel local est inoccupé ou inhabité et, a contrario, il découle de l’ancrage de la protection du domicile dans la protection de la vie privée que le délit de violation de domicile ne vise pas à garantir les propriétés immobilières inoccupées contre une usurpation, comme la Cour de cassation a eu l’occasion de l’expliciter.

Le local vide de tout occupant et dépourvu de mobilier ne peut donc bénéficier de la protection au titre du domicile. Cette interprétation s’est avérée problématique dans les cas où un logement demeure vide de meubles entre deux occupations, cas qui survient lors d’une transaction immobilière ou à l’occasion d’un changement de locataire. Les « squatteurs » qui s’introduisent dans un bien vide de meubles entre deux locations, dans un bien neuf et non occupé ou encore dans un bien vide de meubles en attente de démolition, même par effraction, ne se rendent pas coupables de violation de domicile ([51]).

b.   Les évolutions récentes n’ont pas entièrement résolu ces difficultés

En dépit d’une volonté manifeste du législateur de clarifier la portée du dispositif de l’article 38, votre rapporteur a constaté que certaines ambiguïtés sur la portée de la notion de « domicile » ont résisté à la réécriture opérée dans la loi Asap.

Les débats parlementaires ont montré, à l’occasion de l’examen de cette loi, un relatif consensus autour de la nécessité de faire cesser, le plus rapidement possible, les squats de logements, qu’il s’agisse de résidences principales, secondaires ou occasionnelles. À cette fin, le dispositif accéléré d’évacuation du domicile à la main du préfet est considéré comme nécessaire pour faire respecter les droits des occupants légaux. C’est la raison pour laquelle le législateur a souhaité expliciter que la notion de domicile s’entend « qu’il s’agisse ou non de la résidence principale ».

Votre rapporteur considère que cette modification montre que les parlementaires ont eu le soin de procéder, dans un domaine juridique sensible, à la croisée du droit de propriété et du droit au logement, à une extension proportionnée et circonscrite du champ du dispositif. Les débats ont montré en effet la volonté partagée, de ne pas étendre un dispositif si dérogatoire à d’autres catégories de propriétés. Ainsi l’occupation illicite des immeubles de bureaux, des locaux de commerce ou des terrains nus continue‑t‑elle de ne pas être incluses dans le champ de l’article 38.

Votre rapporteur en retient que, dans un esprit d’équilibre entre les principes juridiques fondamentaux en présence, le législateur a eu à cœur, tout en étendant le domaine d’application de cette procédure dérogatoire, de le circonscrire aux locaux à usage de domicile et non d’en faire un instrument de défense de la propriété en général, ce qui pourrait éventuellement passer par un autre truchement.

Pourtant, en dépit du caractère très modéré des évolutions apportées, des difficultés d’interprétation semblent continuer de se poser.

Ainsi, le Conseil d’État a encore réitéré récemment, en mars 2021, l’interprétation antérieure à la loi Asap, à l’occasion d’une affaire dans laquelle un bailleur social entendait commencer immédiatement dans des logements des travaux de réhabilitation en vue de le louer à des personnes déjà identifiées. Les locaux étaient donc en instance de travaux et déjà affectés à de nouveaux occupants.

Le juge a pourtant estimé que « les quatre locaux d’habitation dont l’évacuation a été demandée par le préfet du Pas-de-Calais étaient vides de tout occupant avant que les requérantes s’y installent avec leurs enfants. Aucun de ces locaux ne pouvait donc être qualifié de “domicile d’autrui” au sens des dispositions de l’article 38 […]. La seule circonstance que le propriétaire des lieux ait déjà choisi les personnes à qui il entend les louer après réhabilitation n’est pas plus de nature à leur conférer cette même qualité » ([52]). Dès lors, le juge a considéré que les mises en demeure prononcées par le préfet du Pas-de-Calais sur le fondement de l’article 38 étaient privées de base légale.

2.   Les dispositions proposées : des clarifications nécessaires

a.   L’infraction pénale est clarifiée pour répondre aux difficultés soulevées

Le 1° du I clarifie l’infraction inscrite au code pénal en prévoyant que l’infraction est constituée dans trois cas :

– dans le cas d’une introduction par menaces, manœuvres voies de fait ou contrainte (alinéa 1 de l’article en vigueur) ;

– dans le cas d’une introduction par menaces, manœuvres, voies de fait ou contrainte, suivie d’un maintien dans les lieux (alinéa 2 de l’article en vigueur) ;

– dans le cas d’un maintien dans les lieux par menaces, manœuvres, voies de fait ou contrainte, non précédé d’une introduction délictuelle (ajout proposé).

L’ajout permet de prendre en compte les situations dans lesquelles les requérants ne parviennent pas à prouver l’existence d’un « squat » à défaut d’éléments matériels attestant de l’introduction par effraction ou autrement délictuelle ([53]).

Le 2° du I précise que le domicile est établi, que le lieu concerné soit « meublé ou non ». Cette clarification devrait permettre, sans s’écarter excessivement de la notion d’un lieu effectivement occupé, de sécuriser les biens qui sont sur le point d’être habités (déménagement, transaction, changement de locataire) mais sont temporairement vides de meubles.

b.   La procédure accélérée est adaptée par coordination

Le II porte deux modifications à l’article 38 de la loi Dalo par coordination avec les évolutions apportées à l’article 226-4 du code pénal.

3.   Les modifications adoptées par la commission

Cet article a été adopté sans modification par votre commission.


Article 2 bis (nouveau)
(art. 1244 du code civil)
Régime de responsabilité de l’occupant sans droit ni titre du fait des dommages

Créé par la commission

 

Le présent article libère le propriétaire d’un bien immobilier de son obligation d’entretien du bien lorsque celui-ci est occupé sans droit ni titre, de façon à ce que sa responsabilité ne puisse être engagée en cas de dommage résultant du défaut d’entretien.

1.   L’état du droit : l’irresponsabilité de l’occupant sans droit ni titre du fait des dommages causés

Le régime de la responsabilité extracontractuelle prévu au code civil fixe notamment le principe selon lequel « le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa ruine, lorsqu’elle est arrivée par une suite du défaut d’entretien ou par le vice de sa construction » ([54]).

Dans une récente affaire, largement médiatisée, la plaignante, qui avait été déchue de tout titre d’occupation à la suite d’une décision rendue par un tribunal d’instance, a chuté au sol depuis la fenêtre de la cuisine du bien qu’elle occupait, à la suite de la rupture du garde-corps. Par suite de cet accident, elle a assigné le propriétaire du bien en justice pour obtenir la reconnaissance de sa responsabilité dans le défaut d’entretien à l’origine l’accident.

Par une décision du 15 septembre dernier dans laquelle elle a jugé que le propriétaire est responsable du défaut d’entretien et l’a condamné à réparer l’entier préjudice subi par l’occupante, la Cour de cassation a estimé que « l’occupation sans droit ni titre d’un bien immobilier par la victime ne peut constituer une faute de nature à exonérer le propriétaire du bâtiment au titre de sa responsabilité, lorsqu’il est établi que l’accident subi par cette dernière résulte du défaut d’entretien de l’immeuble » ([55]).

On peut en déduire que le propriétaire d’un bien immobilier occupé par un occupant sans droit ni titre reste dans l’obligation d’entretenir ledit bien et qu’il est par conséquent responsable en cas d’accident. Cette obligation doit s’entendre, au-delà du cas présent qui concerne une personne dont le bail a été résilié par un juge, également pour les cas de « squat » pur.

Non seulement l’occupant qui se maintient dans un bien immobilier en violation du droit de propriété et d’une décision de justice est exonéré de toute responsabilité dans son accident, mais il peut en outre demander avec succès une indemnisation au propriétaire pour des sommes considérables : à titre d’exemple, dans l’affaire en question, les montants s’élèvent provisoirement à plus de 60 000 euros.

Cette décision témoigne d’une tendance générale dans les décisions judiciaires qui suscitent l’émotion publique tant elles peuvent sembler, bien qu’elles soient fondées en droit, contraires au bon sens et à la conception commune de la justice. Pourtant, la Cour de cassation n’a fait qu’appliquer les dispositions de l’article 1244 du code civil précité en retenant la théorie de la causalité adéquate – un usage constant dans sa jurisprudence– qui ne tient pour responsable que l’auteur de la cause déterminante du dommage, en l’espèce le défaut d’entretien du bien immobilier.

La Cour aurait également pu appliquer la théorie de l’équivalence des conditions, selon laquelle est réputé causal tout événement sans lequel le dommage ne se serait pas produit. L’usage de cette doctrine est plus exceptionnel, et la Cour de cassation n’y a recours que lorsqu’elle souhaite juger en équité, dans les cas où l’application de sa jurisprudence classique aurait conduit à une situation injuste. En l’espèce, elle aurait pu conclure que si l’ancien locataire ne s’était pas maintenu dans les lieux en violation de la propriété d’autrui, l’accident n’aurait pu avoir lieu.

2.   Les dispositions adoptées : la création d’un régime de responsabilité

L’article 2 ter résulte de l’adoption par votre commission d’un amendement CE29 de M. Jean-Louis Thiériot et du groupe Les Républicains, lequel reprend la proposition de loi déposée par ce groupe le 2 novembre dernier ([56]).

L’article prévoit, à l’article 1244 du code civil précité, le transfert explicite de la responsabilité du propriétaire du bien immobilier à son occupant sans droit ni titre en cas de survenue d’un accident résultant d’un défaut d’entretien pendant la période d’occupation illégale, et insère à cet effet un nouvel alinéa ainsi rédigé : « L’occupation sans droit, ni titre d’un bien immobilier libère son propriétaire de l’obligation d’entretien du bien de sorte que sa responsabilité ne saurait être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien du bien pendant cette période d’occupation. En cas de dommage causé à un tiers, la responsabilité incombe dès lors à l’occupant sans droit ni titre du bien immobilier ».

Comme l’explique l’exposé des motifs de l’amendement, ce transfert résulte d’une motivation autant pratique que morale : « la nécessité de procéder à des travaux se constate visuellement et leur réalisation suppose évidemment d’être dans les lieux. Or, on imagine assez mal, sur fond litigieux, le squatteur laisser entrer le propriétaire dans le bien pour procéder à une inspection et réaliser des travaux. Le propriétaire ne peut pas non plus pénétrer dans le bien sans l’aval du squatteur puisqu’il tomberait alors sous le coup de la violation de domicile punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende [voir commentaire de l’article 1er]. En outre, l’absence de loyers pendant une durée prolongée peut mettre le propriétaire dans l’impossibilité de financer les éventuels travaux nécessaires ».

Article 2 ter (nouveau)
(art. 29 de la loi n° 2018‑1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique)
Prorogation du dispositif expérimental de mise à disposition temporaire de locaux vacants

Créé par la commission

 

Le présent article vise à prolonger et à préciser le dispositif d’occupation temporaire de locaux vacants par des organismes publics ou associations agréées par l’État à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social, en vue d’en assurer la protection et la préservation.

1.   État du droit : le dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants

La vacance de locaux exerce des effets délétères sur les locaux et leur environnement : elle entraîne, en l’absence d’un entretien spécifique, une dégradation progressive des bâtiments pouvant mener jusqu’à l’insalubrité, et engendre aussi des coûts de gardiennage pour leurs propriétaires. En confier la charge à des occupants temporaires peut permettre de les conserver dans un état habitable. Du reste, les exigences de mobilité et la diversification des parcours résidentiels ont contribué à élever la demande de logement temporaire.

Face à ces constats, la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (« loi Molle » ou « loi Boutin »), a introduit à son article 101, à titre expérimental, la possibilité de confier par convention à des organismes agréés l’occupation temporaire de locaux vacants, afin d’assurer leur protection et leur préservation.

Ce dispositif permet à des organismes publics ou privés agréés par l’État et conventionnés avec le propriétaire de bénéficier de la mise à disposition de locaux vacants, en échange de quoi ils s’engagent à les entretenir et à les rendre au propriétaire à l’échéance prévue. Ces organismes peuvent eux-mêmes loger des résidents temporaires dans les locaux ainsi mis à disposition, par la signature d’un contrat de résidence temporaire, et contre le versement d’une redevance. L’agrément de l’État peut d’ailleurs prévoir l’accueil de publics spécifiques. La loi prévoyait par ailleurs un suivi et une évaluation par les services de l’État, devant déboucher sur la remise d’un rapport annuel au Parlement.

L’article 51 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (« loi Alur »), a prolongé le dispositif de la loi Molle jusqu’au 31 décembre 2018, alors que celui-ci expirait le 31 décembre 2013. Elle a aussi autorisé l’occupant temporaire à y mener des travaux d’aménagements, et a limité les conventions d’occupation à une période de trois ans prorogeable par périodes d’un an.

Enfin, l’article 29 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (« loi Elan ») a, une nouvelle fois, prorogé le dispositif jusqu’en 2023, en précisant qu’il vise des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social.

2.   Les dispositions adoptées en commission : une nouvelle prorogation, en vue peut-être d’une pérennisation et d’une codification du dispositif ?

L’article 2 ter résulte de l’adoption par votre commission d’un amendement CE58 de M. Paul Midy et des membres du groupe Renaissance.

Il prévoit la prorogation du dispositif de l’article 29 de la loi Elan jusqu’au 31 décembre 2026, et les débats en commission ont ouvert la possibilité à la création d’un dispositif pérenne lors de l’examen en séance publique.


Chapitre II
Sécuriser les rapports locatifs

Article 3
(art. 315-1 [nouveau] du code pénal)
Création du délit d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers

Supprimé par la commission

 

Le présent article vise à sanctionner les occupants qui se maintiennent dans les lieux après un commandement de quitter les lieux délivré par suite d’une décision de justice définitive et exécutoire.

1.   Les dispositions proposées : la sanction de l’occupation sans droit ni titre en dépit d’une décision de justice

L’article 3 de la proposition de loi prévoit d’insérer dans le livre III du code pénal relatif aux crimes et délits contre les biens un nouveau chapitre, intitulé « De l’occupation frauduleuse du logement d’un tiers », composé d’un unique article 315-1.

Cet article 315-1 crée une nouvelle infraction d’occupation sans droit ni titre d’un logement appartenant à un tiers, définie par l’occupation d’un logement par une personne ayant été l’objet d’une décision de justice définitive et exécutoire ayant donné lieu à un commandement régulier de quitter les lieux ([57]). Un tel commandement ne peut être délivré par le commissaire de justice ([58]) qu’à la stricte condition que le bail ait été résilié en justice ou que sa résiliation ait été constatée par le juge, ce qui a pour résultat que l’occupant se trouve alors sans droit ni titre.

Le même article fixe la peine applicable : six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende.

Le fait de se soustraire à une décision de justice ou de ne pas se conformer à ses effets est d’ores et déjà puni par la loi dans certains cas, sans toutefois qu’une véritable constance législative puisse rendre entièrement raison des choix opérés. En matière civile, l’abandon de famille fournit un exemple de conséquences pénales pouvant résulter du refus de se conformer au jugement rendu ([59]). Depuis 2004 ([60]), le législateur tend à rectifier cette situation perçue comme inacceptable, puisqu’elle signale à la fois l’impuissance du juge et l’impunité de celui qui se soustrait à ses décisions.

2.   Les modifications adoptées par la commission

La commission a adopté trois amendements de suppression, CE69 de votre rapporteur M. Guillaume Kasbarian, CE11 de M. François Piquemal et des membres du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale, et CE43 de M. Aurélien Taché et des membres du groupe Écologiste-NUPES.

Article 4
(art. 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs)
Systématisation de la clause de résiliation du bail
et suppression de la faculté du juge d’en suspendre les effets

Adopté par la comission avec modifications

 

Le présent article vise à rendre plus efficace le processus judiciaire en matière de traitement des litiges locatifs. Il prévoit à cet effet l’inclusion systématique dans les contrats de bail d’une clause de résiliation de plein droit, et modifie les conditions de l’exercice de la faculté du juge d’en suspendre les effets.

1.   L’état du droit : la clause de résiliation de plein droit

a.   La clause résolutoire dans les baux d’habitation

La majorité des baux d’habitation contiennent une clause de résiliation de plein droit. Il s’agit d’une clause résolutoire au sens du code civil, c’est-à-dire une clause précisant les engagements dont l’inexécution entraîne la nullité du contrat ([61]), spécifique aux baux d’habitation. En cas de manquements du locataire à ses obligations contractuelles (notamment l’obligation de payer le loyer et les charges locatives notamment), la clause résolutoire doit permettre au bailleur de résilier le bail de manière unilatérale. Cette clause est donc censée garantir une meilleure sécurité juridique au bailleur. 

L’article 4 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (« loi Mermaz-Malandain » ou « loi de 1989 ») prévoit les situations précises dans lesquelles la mise en œuvre d’une clause résolutoire est justifiée. Il s’agit :

– du non-paiement des loyers et/ou des charges locatives ;

– du non-versement du dépôt de garantie par le locataire à son entrée dans le logement ;

– de la non-souscription par le locataire d’une assurance habitation ou d’une assurance propriétaire non occupant (PNO) contre les risques locatifs ;

– du non-respect de l’obligation d’usage paisible des lieux, et notamment en cas de troubles de voisinage constatés par décision de justice passée en force de chose jugée.

Dans la majorité des situations d’impayés, le bailleur agira en justice pour demander à la fois la régularisation de la dette, la résiliation du bail et l’expulsion du preneur. Deux moyens existent donc à cet effet pour le bailleur :

– l’action aux fins de constatation de la clause de résiliation de plein droit du bail, lorsqu’une telle clause est prévue au bail ;

– l’action aux fins de résiliation judiciaire du bail au motif d’un manquement à l’obligation contractuelle de paiement du loyer et des charges.

En mettant en œuvre la clause résolutoire, le bailleur accélère la procédure de résiliation du contrat de bail, en ce sens qu’aucune action en justice n’a besoin d’être ouverte pour obtenir une résiliation judiciaire du bail et procéder à l’expulsion du locataire.

b.   La dégradation de l’efficacité de la clause résolutoire

Le principe de la clause résolutoire tient à son automaticité : à partir du moment où elle est présente au contrat, il est possible de l’activer par simple commandement de payer visant la clause en l’absence de régularisation des sommes dues. À défaut de paiement dans le délai de deux mois qui suit la délivrance du commandement de payer, le bail prend fin.

Toutefois, « au fil des évolutions législatives de ces dernières années, l’efficacité de la clause de résiliation de plein droit s’est dégradée » ([62]). C’est en particulier le cas depuis une évolution législative de 1998 ([63]), qui a donné la faculté au juge, en accordant des délais de paiement au locataire, de suspendre d’office les effets de la clause de résiliation de plein droit.

Le mécanisme du commandement de payer permettait déjà au locataire, dès avant 1998, de saisir le juge d’une demande de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire, étant entendu qu’aucun délai n’est imposé pour cette saisine ([64]). Toutefois, depuis 1998, saisi par le bailleur d’une demande de constat d’acquisition de la clause résolutoire, le juge peut d’office accorder des délais de paiement au preneur et, pendant cette période, suspendre les effets de la clause résolutoire. La saisine du juge pour faire constater la résiliation se retourne donc, pour ainsi dire, contre le bailleur.

Dans ce cas, plutôt qu’une « expulsion ferme » (voir commentaire de l’article 5), le juge prononce une « expulsion conditionnelle » : en même temps qu’il octroie des délais de paiement de la dette locative qui peuvent s’étendre jusqu’à trois ans, il constate l’acquisition de la clause résolutoire mais suspend ses effets. En 2012, 40 % des 115 086 décisions d’expulsion pour impayés étaient prononcées de manière conditionnelle et 60 % de manière « ferme ».

Il en résulte qu’il ne s’agit plus d’une simple « constatation » et que la clause n’est pas « de plein droit » en dépit du nom qu’elle porte. En tout état de cause, l’action en justice du bailleur aux fins de faire constater cette résiliation perd de son intérêt et se différencie moins d’une action aux fins de résiliation judiciaire ([65]).

De ce fait, de nombreux spécialistes recommandent désormais aux bailleurs de saisir doublement le juge :

– à titre principal, d’une action aux fins de constatation de l’acquisition de la clause de résiliation de plein droit ;

– à titre subsidiaire, d’une action aux fins de résiliation judiciaire du bail, au motif d’un manquement grave et répété du locataire à son obligation de s’acquitter du loyer et des charges.

2.   Les dispositions proposées : un renforcement de l’effectivité de la clause résolutoire

Le 1° de l’article 4 prévoit la systématisation de la clause de résiliation de plein droit dans les baux d’habitation. Bien qu’elle soit présente dans la majorité des baux, les avocats entendus lors de la table ronde organisée par votre rapporteur ont confirmé qu’il existe fréquemment des cas de baux qui ne prévoient pas la clause.

Le 2° de l’article prévoit la suppression de la faculté du juge de suspendre les effets de la clause résolutoire. Sans affecter sa capacité à accorder, d’office, des délais de règlement de la dette locative jusqu’à trois ans, l’article supprime la faculté qu’il a, de manière concordante à cette première décision, de suspendre l’effet de clause de résiliation pendant ces délais de paiement.

3.   Les modifications adoptées par la commission

Votre commission a adopté cet article modifié de deux façons. Elle a adopté deux amendements identiques, CE68 de votre rapporteur et CE71 de Mme Caroline Yadan (RE), qui modifient le II de l’article. À la suppression de la faculté du juge de suspendre la clause résolutoire, initialement prévue dans la proposition de loi, ces amendements, issus des travaux préparatoires, substituent la possibilité pour le juge de mettre en œuvre cette suspension, à condition qu’il soit préalablement saisi à cet effet par le locataire. Cette évolution permet de responsabiliser le locataire dans le contentieux locatif et opère un retour à l’état du droit antérieur à l’adoption de la loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (« loi Aubry »).

En outre, votre commission a adopté un second amendement CE71 de votre rapporteur. Par concordance avec l’aménagement prévu à la clause résolutoire et sans supprimer aucune compétence du juge, il propose, toujours à des fins de responsabilisation des parties prenantes au procès, de remplacer certaines facultés actuellement exercées d’office par le juge par des facultés exercées à la demande du locataire, en ce qui concerne notamment l’examen des éléments de la dette locative et l’octroi de délais de règlement de cette même dette.

 

Article 5
(art. 24 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs,
art. L. 412-1, L. 412-3 et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution)
Réduction de délais dans la procédure contentieuse du litige locatif

Adopté par la comission avec modifications

 

Le présent article vise à accélérer la procédure contentieuse du litige locatif. Dans ce sens, il réduit le délai minimal entre l’assignation et l’audience, et réduit les délais renouvelables que peut accorder le juge de l’exécution au titre des difficultés de relogement à la suite de l’audience.

1.   L’état du droit : la procédure contentieuse du litige locatif est longue et soumise à une variété de délais

La longueur des délais contentieux est ressentie par l’ensemble des acteurs interrogés. Les témoignages nombreux reçus par votre rapporteur en attestent de manière unanime et de façon détaillée.

Le ministère de la transition écologique n’ayant pas d’observatoire en la matière, et l’observatoire des impayés manquant à ce jour de moyens propres, les évaluations concrètes et chiffrées de la longueur des procédures manquent toutefois. Cependant, d’après les témoignages concordants d’observateurs, d’associations ayant intérêt à agir, d’experts et de victimes, votre rapporteur estime, sous toutes réserves, entre 24 et 36 mois la durée moyenne cumulée des procédures entre le premier impayé et le départ effectif des occupants.

De précédents rapports l’avaient déjà évoqué : selon le rapport « Louer en confiance » de Mickaël Nogal, en ce qui concerne le délai pour récupérer la possession d’un bien lorsqu’un locataire s’y maintient, « selon les appréciations convergentes des acteurs, ce délai ne peut guère être inférieur à dix-huit mois et atteint plus souvent deux ans ou plus » ([66]). D’autres personnes auditionnées ont mis en avant une durée totale moyenne de l’ordre de deux à trois ans. Selon le même rapport, cette réalité justifierait la mise en place d’un observatoire des délais de traitement des procédures d’expulsion.

Il peut être utile de faire ici un bref rappel des étapes qui marquent ces procédures.

La phase précontentieuse est à l’origine de la procédure d’expulsion. Elle englobe des problématiques distinctes : difficultés de paiement du loyer, des charges ou de l’assurance, qui peuvent aller jusqu’à l’impayé, refus de quitter le logement à la suite de sa vente par le bailleur. Si, à ce stade, aucune solution préventive n’est trouvée, comme par exemple un règlement à l’amiable, le différend s’achemine vers le contentieux locatif, puis une procédure judiciaire.

Dans le cas où le bail contient une clause résolutoire (voir commentaire de l’article 4), le bailleur peut, dès le premier impayé, demander à un commissaire de justice de délivrer au locataire un commandement de payer, document qui appelle l’attention sur l’impayé et l’obligation de le régler, et doit viser la clause résolutoire, en rappelant que celle-ci est activée au bout de deux mois, faute de régularisation.

À défaut de régularisation de l’impayé dans les deux mois suivant le commandement de payer, s’ouvre ensuite la phase judiciaire et d’exécution.

Le bailleur doit alors assigner le locataire en justice, auprès du juge des contentieux de la protection, juridiction spécialisée du tribunal judiciaire et du tribunal de proximité, en vue de la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire.

Dans le droit actuel, cette assignation marque le début d’un travail d’accompagnement social concrétisé par le « diagnostic social et financier » (DSF) de la situation du locataire, réalisé par les services sociaux du département.

Pour cette raison, l’article 24 de la loi de 1989 prévoit qu’un délai minimal de deux mois doit séparer l’assignation du jour de l’audience. Ce délai, censé permettre aux services sociaux de mener leur instruction, ne semble pas être toujours mis à contribution de manière efficace : en effet, un grand nombre d’audiences sont reportées car le DSF n’a pas été élaboré au jour de l’audience. Selon les observations de l’Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil), ces reports contribuent à l’engorgement des tribunaux.

Le rapport de Nicolas Démoulin sur le sujet, sous la précédente législature, souligne que ce temps n’est pas pleinement exploité : « le délai minimal de deux mois imparti entre l’assignation et l’audience, censé permettre d’établir et de fournir au juge un diagnostic éclairant sur la situation du locataire endetté, est une période que l’on pourrait considérer comme "morte", dans la mesure où ce diagnostic social et financier est insuffisamment établi, ce qui aggrave de nombreuses situations » ([67]).

Lorsque le juge prononce une « expulsion ferme », c’est-à-dire constate la résiliation du bail sans octroyer de délais de paiement ni suspendre l’effet de la résiliation (voir commentaire de l’article 4), il ordonne au locataire de quitter le logement sous peine d’expulsion. Le commissaire de justice signifie alors la décision au locataire visé par la procédure. Les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) en sont alors informées afin de prendre en compte la demande de relogement.

À la suite de cette signification, le locataire peut s’exécuter volontairement et rendre le logement au bailleur. Inversement, il dispose d’un mois pour faire appel à compter de la signification de la décision par l’huissier.

Le locataire peut aussi, dans ce délai ou après ce délai, saisir le juge de l’exécution afin que celui-ci lui accorde des délais qui peuvent être :

– un délai de trois mois en cas de conséquences d’une exceptionnelle dureté de l’expulsion ;

– des délais renouvelables de trois mois à trois ans prenant en compte plusieurs critères.

À l’expiration du délai de recours d’un mois suivant la signification de la décision de justice du juge du fond, le commissaire de justice délivre au locataire un commandement de quitter les lieux. Ce commandement accorde un délai de deux mois pour quitter le logement, délai au terme duquel le commissaire de justice constate si le locataire a ou non quitté les lieux.

Si le locataire n’a pas quitté les lieux au bout du délai de deux mois, le commissaire de justice peut saisir le préfet d’une demande de concours de la force publique pour procéder à l’expulsion. Le préfet diligente alors une enquête administrative pour déterminer les conséquences sociales d’une expulsion.

À l’issue de cette enquête, le préfet peut, soit donner son accord pour le concours de la force publique, soit le refuser, auquel cas le bailleur peut être indemnisé. L’expulsion est mise en œuvre par le commissaire de justice avec le concours de la force publique qui intervient au domicile de l’occupant.

2.   Les dispositions proposées : réduire les délais de manière significative sans porter atteinte aux droits de chaque partie

a.   Un délai minimal entre l’assignation et l’audience réduit et plus cohérent

L’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs précise les modalités de mise en œuvre de « la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ».

Il dispose, en premier lieu, que le délai minimal entre le commandement de payer remis au locataire par acte d’huissier mandaté par le bailleur et la résiliation du contrat est de deux mois. Il détaille ensuite, dans le cas où le locataire ne se serait pas acquitté des sommes dues avant ces deux mois, que « l’assignation aux fins de constat de la résiliation est notifiée à la diligence de l’huissier de justice au représentant de l’État dans le département », notification qui doit être réalisée au moins deux mois avant l’audience.

Ainsi, un bailleur faisant face à un locataire mauvais payeur doit actuellement, en principe, attendre au moins quatre mois entre la délivrance du commandement de payer et l’audience. Pendant ce temps, la dette locative continue de s’accroître.

Le I du présent article modifie l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989 de manière à réduire le délai minimal entre l’assignation au titre de l’audience et le jour de l’audience de deux mois à un mois.

Cette disposition, bien qu’elle ne fixe pas de seuil maximal entre l’assignation et le jour de l’audience, vise à inciter l’accélération de la procédure de litige de loyer. Le délai d’un mois est suffisant pour permettre au représentant de l’État dans le département de saisir l’organisme compétent pour le logement et l’hébergement de personnes défavorisées.

b.   Des délais renouvelables réduits pour différer l’expulsion

L’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution permet au juge de différer l’expulsion des occupants connaissant des situations particulières en accordant des délais renouvelables. Il dispose en effet que « le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales, sans que ces occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation ».

L’article L. 412-4 du même code prévoit que la durée des délais renouvelables mentionnés à l’article précédent « ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans ».

Au sein de ces limites, la fixation des délais est laissée à la libre appréciation du juge, qui doit fonder tenir compte :

– de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations ;

– des situations respectives du propriétaire et de l’occupant ;

– des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement ;

– du droit à un logement décent et indépendant ;

– et des délais liés aux recours liés au caractère prioritaire du relogement au titre du droit au logement opposable et du délai prévisible de relogement des intéressés.

Les délais minimaux et maximaux actuellement prévus ont pour origine une modification apportée par l’article 27 de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (« loi Alur »). Avant cette évolution, ces délais devaient être compris entre un mois et un an.

Le II du présent article modifie l’article L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution afin de réduire les délais renouvelables pour différer l’expulsion accordés aux occupants, en réduisant le délai minimal de trois mois à un mois et le délai maximal de trois ans à un an. Ce dispositif revient ainsi sur la modification apportée par la loi Alur.

À l’instar du dispositif prévu par l’alinéa 1, cette disposition poursuit un objectif de fluidification de la prise en charge des litiges concernant les loyers. La durée actuelle de ces litiges est incertaine, du fait d’une fourchette trop large des délais, et cette durée est particulièrement longue puisque la procédure peut s’étendre sur plusieurs années.

3.   Les modifications adoptées par la commission

Votre commission a adopté cet article modifié par quatre amendements :

– un amendement CE48 de M. Christophe Naegelen (Liot), qui réduit de deux mois à un mois le délai minimal qui doit s’écouler entre le commandement de payer et l’assignation en justice, évolution qui résulte notamment de la proposition de loi visant à fluidifier le contentieux locatif ([68]). Une telle évolution doit permettre d’accélérer la première partie du processus contentieux, entre le commandement de payer et le passage devant le juge, qui dure entre six et dix mois en moyenne ;

– un amendement CE61 de M. Paul Midy et des membres du groupe Renaissance, qui prévoit la transmission systématique du dossier à la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (Ccapex) dès le stade du commandement de payer. Cette évolution résulte d’une recommandation du rapport de Nicolas Démoulin ([69]) et doit permettre au travail d’accompagnement social et financier entrepris sous la coordination de la Ccapex de commencer bien amont, alors qu’à l’heure actuelle les Ccapex ne prennent connaissance des cas d’impayés qu’entre trois et six mois au moins après les premières difficultés ;

– un amendement CE59 de M. Paul Midy et des membres du groupe Renaissance, qui prévoit de réduire les délais de procédure à l’issue de l’audience devant le juge, en portant de deux mois à un mois le délai qui suit le commandement de quitter les lieux, lequel n’arrive lui-même qu’après de longs mois de contentieux. En effet, une fois passé le jour de l’audience, qui intervient au moins six mois, et en règle générale aux alentours de huit à douze mois après le premier impayé, en-dehors des reports d’audience, le temps moyen pour que le juge rende sa décision est de l’ordre d’un à deux mois. À compter de la notification au locataire de la décision du juge, s’écoule un délai de recours de droit commun d’un mois. À l’expiration de ce délai, l’huissier peut délivrer un commandement de quitter les lieux qui ouvre pour le locataire un délai de deux mois, dans lequel il doit quitter volontairement les lieux. C’est ce dernier délai qu’il est proposé de réduire ;

– un amendement CE67 de votre rapporteur, qui prévoit une évolution qui, comme les évolutions portées à l’article 4, va dans le sens d’une meilleure responsabilisation du locataire dans le processus contentieux. Actuellement, le juge peut octroyer des délais renouvelables avant l’expulsion pour prendre en compte les situations constatées, ces délais pouvant s’élever jusqu’à trois ans. Il s’agit là d’une faculté du juge de l’exécution, qui doit être saisi en ce sens par le locataire après la décision rendue par le juge du fond. Mais une disposition du code prévoit que le juge du fond peut aussi octroyer ces délais renouvelables dès l’audience : sans affecter la capacité du juge de proposer ces délais, cette disposition précise que, pour ce juge également, cette disposition ne peut être mise en œuvre qu’à la demande du locataire.

 


—  1  —


les phases du contentieux

 

Temps minimal écoulé *

Janvier
2023

Janvier
2023

Février 2023

 

Avril 2023

 

à partir de Juin  2023
AUDIENCE ET DÉCISION:

Difficultés de paiement du loyer

Impayé

Rappels amiables

Commandement de payer
(CDP)

2 MOIS minimum
=>
Art. 5 TAC:
1 MOIS minimum

Assignation en justice

2 MOIS minimum
=>

Art. 5 PPL:
1 MOIS minimum

1 - Constat de résiliation et expulsion immédiate

2 - Constat de résiliation et expulsion différée: conséquences d'une exceptionnelle dureté

3 - Constat de résiliation et expulsion différée: délais renouvelables de relogement

 

=> Art. 5 TAC : à la demande du locataire

4 - Suspension de la résiliation du bail accompagnant l’octroi de délais de paiement de la dette locative

3 ANS maximum

=> Art. 4 TAC: à la demande du locataire

 

Source : commission des affaires économiques.

 

 


dans un litige d’impayÉ

 

 

 

à partir de Août 2023

 

 

à partir de Sept. à
Oct. 2023

 

 

Commandement de quitter les lieux
(CQL)

2 MOIS
minimum
=>
Art. 5 TAC:
1 MOIS minimum

Demande de concours de la force publique
(CFP)

2 MOIS maximum

Octroi force publique
OU Refus motivé

Expulsion avec CFP
OU
Maintien

 

 

 

à partir de Sept. à Nov. 2023

 

à partir de Oct. 2023
à Janv. 2024

Commandement de quitter les lieux

2 MOIS
minimum
=>
Art. 5 TAC:
1 MOIS minimum

+ 3 MOIS supplémentaires maximum

Demande de concours de la force publique

2 MOIS maximum

Octroi force publique
OU Refus  motivé

Expulsion avec CFP
OU
Maintien

 

 

 

à partir de Sept. à Nov. 2023
max. environ Juin 2026

 

 à partir de Sept. à Nov. 2023
max. env. Août 2026

Commandement de quitter les lieux

3 MOIS minimum et 3 ANS maximum
=>
Art. 5 PPL:
2 MOIS minimum et 1 AN maximum

Demande de CFP

2 MOIS maximum

Octroi CFP
OU Refus motivé

Expulsion avec CFP
OU
Maintien

Maintien dans le logement le temps du règlement de la dette (jusqu'à 3 ans)

1 - Dette locative réglée: clause de résiliation réputée non avenue

Maintien dans le logement

2 - Dette locative non réglée: la procédure peut reprendre

 

à partir de Sept. à Nov. 2023
max. env. Juin 2026

 

à partir de Sept. à Nov. 2023
max. env. Août 2026

Demande de concours de la force publique

2 MOIS maximum

Octroi CFP
OU Refus motivé

Expulsion avec CFP
OU
Maintien

 

 

 

 

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 16 novembre 2022, la commission des affaires économiques a examiné la présente proposition de loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite (n° 360) (M. Guillaume Kasbarian, rapporteur).

Mme Anne-Laurence Petel, présidente. Ce n’est pas la première fois que M. Guillaume Kasbarian porte le sujet des logements squattés à l’attention des membres de l’Assemblée nationale. Lors de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (Asap), dont il était également le rapporteur, il avait fait adopter un amendement, devenu l’article 73 de la loi, visant à enrichir le dispositif d’évacuation administrative en cas de squat d’un logement. Le rapport d’application de cette loi a été présenté devant la commission des affaires économiques le 13 juillet 2021. Tout en relevant que ce dispositif avait déjà permis beaucoup d’avancées concrètes, ses auteurs observaient que des problèmes d’application demeuraient, en raison de difficultés d’interprétation, en particulier de la notion de domicile.

L’actualité nous rappelle quasiment chaque semaine les carences qui subsistent. Les litiges qui opposent propriétaires et occupants illicites de leurs logements sont nombreux. Cette situation anormale précarise des propriétaires qui, souvent, se retrouvent endettés, voire surendettés. Le texte que nous soumet notre rapporteur a pour finalité de renforcer la protection contre les squats, mais aussi de mieux accompagner les bailleurs lors des procédures pour impayés de loyers.

Soixante-treize amendements ont été déposés, sur lesquels dix ont été retirés par leurs auteurs et trois, déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution. En outre, j’ai considéré comme cavaliers législatifs neuf amendements qui n’avaient pas de lien avec un article de la proposition de loi (PPL). Il reste, par conséquent, cinquante et un amendement à examiner.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. La propriété des personnes est l’un des principes fondamentaux de notre République. Précieux réconfort pour nos concitoyens qui se sont constitué un patrimoine à la sueur de leur front, ce principe préserve le fruit de longues années de travail. C’est pour cette raison que les atteintes qui y sont portées par les actions de squat suscitent l’indignation collective. Même ceux qui n’ont jamais vécu une telle situation s’en disent malades. Le fait de s’installer chez autrui est ressenti comme une violence particulièrement forte. De telles affaires sont dangereuses pour notre démocratie, car le spectacle de l’impunité et le sentiment d’injustice rongent notre pacte républicain.

Contre une idée reçue, rappelons que le squat est puni par notre droit. Une procédure accélérée d’expulsion des squatteurs existe depuis 2007, que nous avons renforcée, en 2020, dans la loi Asap. Grâce à ces nouvelles règles, 170 expulsions ont pu être menées à bien en quelques jours seulement, en 2021.

Toutefois, l’actualité nous a montré maintes fois qu’il faut aller plus loin, en tout cas appréhender le problème plus globalement. C’est l’objet de la première partie de la proposition de loi.

Il s’agit de traiter ce que les avocats entendus lors des auditions ont qualifié de « zone grise », qui recouvre le non-paiement de loyer pendant des mois voire des années, le refus de quitter un logement en fin de bail ou quand le bailleur souhaite le récupérer pour lui-même ou un membre de sa famille, ou encore les cas de dégradation du bien loué. La proposition de loi n’aura strictement aucun effet sur la plupart des locations, qui se passent très bien. Elle vise les comportements malhonnêtes d’une minorité de locataires, qui existent bel et bien en dépit de ce que certains voudraient nous faire croire et dont ont témoigné les personnes que nous avons entendues tout au long de nos travaux – je les en remercie ainsi que celles qui ont pris la peine de nous envoyer leurs témoignages écrits.

Chacun connaît, dans son entourage, des exemples de litiges locatifs vécus comme des expériences difficiles, parfois de véritables traumatismes. Ces souffrances doivent motiver notre action. Pour ceux qui les balayent d’un revers de main au motif qu’il ne s’agirait que de cas isolés, voici quelques chiffres : nous avons reçu soixante et onze témoignages en à peine quelques jours ; les sommes impayées s’élevaient en moyenne à 17 794 euros ; les délais moyens d’achèvement de la procédure étaient de vingt et un mois – dans un cas même, elle n’a toujours pas abouti au bout de soixante-douze mois.

Quand bien même ces exemples ne seraient que minoritaires, en quoi cela justifierait-il de ne pas légiférer ? Remplirions-nous notre rôle de législateur si nous refusions de nous en occuper ? Avec un tel raisonnement, nous ne nous serions pas attaqués aux propriétaires malhonnêtes à travers la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan). Nous avons renforcé la lutte contre les marchands de sommeil et l’habitat indigne, parce que ces situations sont inacceptables et doivent cesser, quel que soit leur nombre.

De la même façon, nous devons nous intéresser à la minorité de locataires malhonnêtes, qui nuisent non seulement aux propriétaires, mais aussi aux autres locataires, par l’appréhension qu’ils suscitent chez les bailleurs et qui les pousse à augmenter leurs exigences, voire à ne pas louer leurs biens. Si notre marché locatif regorge de certificats, de garanties, de cautions, d’attestations et autres justificatifs, c’est qu’il n’y a pas assez de confiance entre les propriétaires et les locataires. Ceux qui sapent cette confiance sont ces locataires minoritaires, qui grugent les propriétaires et profitent d’une procédure longue et complexe pour agir en toute impunité. Qui en paie les conséquences ? L’immense majorité des locataires bons payeurs.

La lenteur et la lourdeur des procédures de règlement des conflits locatifs entament la confiance que nos concitoyens ont dans la justice et les institutions. C’est pourquoi cette proposition de loi aborde cette zone grise longtemps délaissée par l’aspect des relations entre locataires et bailleurs.

Du côté des locataires, nous avons pris, ces dernières années, des mesures pour sécuriser leur accès au logement : l’encadrement des loyers en zone tendue, créé par la loi Elan et prorogé jusqu’en 2026 par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) ; la garantie Visale (visa pour le logement et l’emploi), qui permet un cautionnement plus fiable des locataires ; le plafonnement de la hausse des loyers en dessous du taux d’inflation pendant un an, dans le cadre de la loi sur la protection du pouvoir d’achat.

Pour ce qui est des propriétaires, nous attendons d’eux des efforts importants en matière de mise à niveau énergétique du parc locatif. Tous les logements G seront concernés dès 2025 et les logements F à compter de 2028. Soit au bas mot 1,5 million de logements du parc locatif privé.

Il y a un équilibre à trouver entre les protections accordées aux locataires et les efforts supplémentaires demandés aux propriétaires. Dans un contexte tendu, la simplicité d’options comme le parc des meublés de tourisme ou celui des résidences services pourrait détourner les bailleurs de l’investissement locatif. Il importe donc de leur envoyer un signal en agissant sur le contentieux locatif, dont l’excessive complexité, la longueur, la lourdeur, le coût et l’incertitude des procédures sont sources d’appréhension. Tout bailleur potentiel pressent que, en cas de litige avec un locataire, les voies de recours seraient tortueuses. Remédier à ces injustices, tel est le sens de la proposition de loi.

Nous ne supprimons aucune des étapes de la procédure du contentieux locatif, aucune des protections accordées au locataire. Nous proposons simplement de faire en sorte d’obtenir plus vite des décisions exécutoires, car les procès interminables ne profitent à personne.

Je me prononcerai en faveur des amendements qui concourent au renforcement de la défense de la propriété privée et à la lutte contre les squats. Je serai favorable également à ceux, issus de bancs différents, qui proposent d’aller plus vite, sans porter atteinte aux droits fondamentaux des parties en présence.

Les auditions ayant montré que l’article 3 ne permettrait pas d’accélérer les procédures contentieuses, j’en proposerai la suppression. Je proposerai également d’aménager la rédaction de l’article 4, afin de laisser au juge la possibilité de mieux apprécier la situation de chaque partie.

La lecture des amendements m’a laissé penser que ce débat donnera lieu à l’expression de positions idéologiques radicalement différentes, certains semblant vouloir défendre les squats, allonger les procédures ou, simplement, ne pas parler de ces petits propriétaires en difficulté au simple motif qu’ils sont propriétaires.

J’ai néanmoins le sentiment qu’une grande majorité d’entre vous souhaite que le législateur renforce la protection du domicile, sanctionne sévèrement le squat, accélère les procédures et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour répondre à ces situations de détresse psychologique et sociale, quand bien même elles seraient peu nombreuses. Ceux qui les subissent et qui en ont témoigné nous regardent et comptent sur nous.

Mme Anne-Laurence Petel, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.

M. Paul Midy (RE). Cette proposition de loi vise à lutter contre les squats et les contentieux locatifs longs et abusifs. Il s’agit, en outre, de mieux protéger les petits bailleurs, mais aussi les locataires, qui peuvent se faire abuser par de faux propriétaires.

Certains témoignages recueillis lors des auditions sont particulièrement édifiants. Mégane, 24 ans, habite la Somme. Elle a pour seul logement la maison que sa maman, décédée, lui a léguée. Cette maison est occupée par un locataire qui ne paie pas son loyer depuis un an et demi. La jeune femme, je la cite, est « dehors quand le locataire est au chaud ». Cécilia, en Île-de-France, possède un appartement de 35 mètres carrés, dans lequel vivent des locataires, qui, de reports de jugement en condamnations, ne paient pas leur loyer depuis six ans. Cécilia voit pourtant, sur les réseaux sociaux, des photos de vacances de ces locataires, de week-ends à l’étranger ou de fêtes organisées dans son appartement. Le total des impayés s’élève à 75 000 euros, auxquels s’ajoutent 25 000 euros de charges et 7 000 euros de frais d’avocat. Ne pouvant plus assumer ses charges, Cécilia a dû changer de logement. Elle est désormais contrainte de vendre son appartement squatté avec, évidemment, une très forte décote. Un autre propriétaire doit payer 60 000 euros à un squatteur au titre d’un garde-corps défectueux sur une fenêtre du logement illégalement occupé. Dans les Côtes-d’Armor, un propriétaire a, quant à lui, trouvé une famille installée chez lui, qui avait elle-même été dupée par un faux propriétaire.

Cette proposition de loi ne vise pas les petits locataires en galère passagère, mais les personnes foncièrement malhonnêtes, qui exploitent les failles de notre droit, les arnaqueurs patentés souvent multirécidivistes. Elle intègre, par exemple, les logements en cours de déménagement dans le délit de squat, car certains de ces arnaqueurs professionnels savent qu’elles ne sont pas comprises dans son champ.

Puisse cette proposition de loi permettre à toutes les victimes de retrouver confiance en la justice et empêcher qu’elles ne se jettent dans les bras de l’extrême droite.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Vous avez raison, cette proposition de loi prend en considération la souffrance des victimes de squatteurs, que nous entendons toutes et tous dans nos circonscriptions. Ces victimes, d’ailleurs, peuvent être propriétaires ou locataires, car vous pouvez louer un logement et être la cible de squatteurs. Vous avez donc raison de ne pas opposer propriétaires et locataires. Je vous rejoins donc sur l’objectif de cette proposition de loi et j’espère que nous aurons un beau débat.

Mme Géraldine Grangier (RN). Un squatteur est un occupant qui ne possède ni droit, ni titre sur le bien qu’il occupe. Il s’agit donc d’un individu qui est entré dans ce bien par effraction, sans autorisation. Un tiers des petits propriétaires sont des retraités et les revenus qu’ils tirent de la location sont indispensables pour leur garantir une retraite sereine. Or ils n’ont pas, comme les gros bailleurs, les moyens de faire protéger leur logement contre les squatteurs.

Depuis la loi Elan du 23 novembre 2018, les squatteurs ne bénéficient plus de la trêve hivernale. Toutefois, beaucoup de nos concitoyens ont l’impression que la loi les protège, en raison du décalage qui existe entre la rapidité avec laquelle un squatteur peut élire domicile dans un logement et la longueur de la procédure légale que le propriétaire doit respecter pour le déloger. Il arrive même que les préfectures refusent de procéder à l’expulsion des squatteurs dans certains cas.

Cela renforce, d’un côté, le sentiment d’injustice et d’inefficacité et, de l’autre, la sensation d’impunité et de toute-puissance. Car les propriétaires de logements squattés ne doivent en aucun cas intervenir directement. S’ils le font, ils s’exposent à une peine d’emprisonnement et au paiement d’amendes qu’ils seront tenus, eux, de régler.

Le délai moyen d’expulsion varie d’un tribunal à l’autre. C’est le juge des contentieux qui est compétent pour trancher les litiges civils sur les baux d’habitation, et plus le tribunal a d’affaires à traiter, plus, logiquement, les délais sont longs – de plusieurs semaines à plusieurs années.

Le groupe Rassemblement national approuve cette proposition de loi, qui représente une avancée : elle remet enfin à niveau les sanctions encourues par les squatteurs et les propriétaires qui ont légitimement cherché à les chasser pour récupérer leur bien. Hélas, son application pâtira probablement de la lenteur extrême de la justice, résultat du manque cruel de moyens dont elle souffre depuis plusieurs années.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. L’objectif de la proposition de loi est d’accélérer les procédures, parce que personne n’a rien à gagner de procédures à rallonge. Vous avez salué les avancées que la majorité a votées : la loi Elan, qui a remis en cause la trêve hivernale pour les squatteurs ; la loi Asap, qui a créé une procédure préfectorale fondée sur l’article 38 de la loi instaurant le droit au logement opposable (Dalo), qui a permis d’accélérer le processus. Je salue, d’ailleurs, l’action des préfets, qui, en application de cet article, ont expulsé 170 squatteurs en 2021, sans avoir la main qui tremble. De même, la justice fait son travail, avec des moyens considérablement renforcés.

C’est en toute confiance dans notre État de droit, dans nos préfets, dans notre justice pour appliquer les lois que nous votons que je propose ce texte.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Une personne à la rue qui meurt toutes les cinq heures en France, 300 000 sans-abri, dont 2 000 enfants, 4,1 millions de personnes mal logées, et voici la loi que vous nous proposez : un texte qui vise à légiférer sur un problème qui ne concerne que 0,005 % des logements recensés dans ce pays. L’observatoire des squats a identifié 170 cas en 2021, dont la majorité, vous l’avez signalé, ont été rapidement réglés.

À lire votre exposé des motifs, il s’agit finalement d’une proposition de loi « fait divers », une loi « CNews » : « La médiatisation constante des squats et litiges de loyers témoigne de la forte émotion […] ». Vous parlez de ressenti. Il y a un an, Mme Wargon, alors ministre déléguée au logement, présentait le premier bilan de l’observatoire du squat en citant comme principal enseignement que le squat n’est pas un phénomène massif en France : « […] on a compté 124 dossiers […] Cela reste 100 fois moins que le nombre de cambriolages. Donc il faut faire attention à ce qu’on n’ait pas d’instrumentalisation politique de ce sujet ». Le rôle du législateur devrait être de désamorcer ces polémiques, en rappelant le droit applicable, qui comprend déjà, vous l’avez dit, un ensemble de mesures, tant civiles que pénales, largement suffisantes.

Sur le fond, ce texte révèle une vision dangereuse de la société. Ses rédacteurs ont visiblement un problème avec la justice, que ce soit l’institution, qui souffre du manque de moyens, ou son principe, qui repose sur le droit à un procès équitable et sur le contradictoire. Tout est fait pour que les expulsions de personnes qui s’abritent dans des logements vides soient effectuées sans aucune procédure judiciaire. Les marchands de sommeil et les arnaqueurs peuvent applaudir : ils auront de bons prétextes pour mettre la pression sur leurs victimes. Puisque vous aimez bien les acronymes, vous pouvez d’ores et déjà parler de loi MDS, pour marchand de sommeil – ça ira plus vite.

Cette proposition de loi est aussi un texte anti-locataires, qui fait l’impasse sur les causes du mal-logement, sur les 3,1 millions de logements vacants, dont vous ne parlez jamais, ou encore sur les nombreux abus dont sont parfois victimes les occupants. Qu’il s’agisse de faux bail, de paiement en liquide sans bail écrit, donc sans impôt, ou encore d’expulsion illégale, les locataires éprouvent le plus grand mal à porter plainte et à obtenir justice lorsqu’ils en sont victimes.

Ces dispositions régressives, qui vont jusqu’à la pénalisation des locataires, sont inédites et en contradiction totale avec la politique gouvernementale, qui prônait le « logement d’abord ». Les expulsions locatives ont un coût économique et humain important. Les prévenir est bien moins coûteux, à tous égards.

Alors que les charges d’énergie ne cessent d’augmenter, que l’inflation est là, que les prix ne sont pas bloqués, que les salaires ne sont pas augmentés et qu’il n’y a pas de baisse des loyers, cette proposition de loi met en place le décor d’un désastre social.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je répondrai sur trois points, faute de temps.

Les cas de squat sont très minoritaires, donc il ne faut pas s’en préoccuper, dites-vous. Si nous tenions ce genre de raisonnement, nous n’aurions rien fait contre les marchands de sommeil, eux aussi minoritaires. Nous avons tous reçu des témoignages de citoyens qui sont victimes de squatteurs ou qui sont pris dans des procédures d’impayés interminables. Ce n’est pas parce qu’ils sont peu nombreux qu’il faut fermer les yeux.

Toujours selon vous, l’arsenal législatif serait suffisant. Dans vos amendements, vous proposez de revenir dessus : pardon, mais j’ai le sentiment que La France insoumise défend idéologiquement le squat.

Enfin, cette proposition de loi peut aussi permettre de sanctionner davantage les marchands de sommeil, grâce notamment à la création d’un délit, proposé dans un amendement de la majorité.

Mme Annie Genevard (LR). Je veux rendre hommage au travail de notre ancien collègue Julien Aubert, car, en matière de squat, tout était dans la proposition de loi visant à restaurer dans leurs droits des propriétaires spoliés de leurs biens et impuissants à faire valoir leurs droits, qu’il avait déposée en 2019. Dans la loi Asap, comme dans la présente proposition de loi, ces mesures vous ont inspiré et je m’en réjouis.

Dans la loi Asap, les expulsions administratives étendues aux résidences secondaires, la mise en demeure des squatteurs par les préfets sous quarante-huit heures et l’ultimatum de vingt-quatre heures pour quitter les lieux sont des mesures que vous avez défendues, monsieur le rapporteur, et qui sont utiles en effet.

En revanche, au motif de cavalier législatif, l’alourdissement de la peine avait été retoqué par le Conseil constitutionnel. La peine actuellement encourue – un an de prison et 15 000 euros d’amende – n’a pas découragé les squatteurs. Des affaires retentissantes prouvent l’insuffisance du dispositif juridique en vigueur, ce que Les Républicains avaient d’ailleurs pointé.

La médiatisation de certaines affaires peut accélérer leur résolution, mais c’est bien le droit, et lui seul, qui peut porter assistance aux victimes de squatteurs. Ces atteintes manifestes au droit de propriété, dont je rappelle tout de même qu’il a une valeur constitutionnelle, sont inacceptables. Les propriétaires victimes de ces occupations illicites, qui ne font pourtant valoir que leur bon droit, se trouvent dans une situation d’impuissance à laquelle nous avons le devoir de répondre. Et le préjudice devient insupportable lorsque le bien est dégradé.

Notre groupe présentera divers amendements. Tout d’abord, l’occupation de mauvaise foi, sans droit ni titre, d’un immeuble appartenant à un tiers, s’apparente, selon nous, à un vol. Il s’agit donc de créer un nouveau délit – le squat, c’est du vol – et, par là même, de définir en creux la notion de propriété. Nous proposerons également d’inverser la charge de la preuve – ce n’est plus au propriétaire de prouver sa légitimité – et le quantum de peine, pour autant qu’il n’y ait pas de violence, est revu.

Monsieur le rapporteur, pourriez-vous nous faire un retour synthétique des nombreuses auditions que vous avez menées ?

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Nous avons entendu des spécialistes de la propriété privée, organisé une table ronde d’avocats, reçu des associations, notamment la Fondation Abbé Pierre qui n’est pas en ligne avec notre proposition de loi – donc, des personnes qui soutiennent ce texte et d’autres qui y sont opposées.

Surtout, nous avons accueilli des victimes. Je tenais en effet à faire venir à l’Assemblée des personnes qui vivent des situations de squat ou d’impayés. La totalité de leurs témoignages sont à votre disposition.

Je tiens à saluer toutes celles et tous ceux qui, avant nous, ont travaillé sur la question des squats et des impayés. Vous avez cité Julien Aubert, mais il y a également la vingtaine de parlementaires qui réfléchissent à la question depuis plusieurs années. Je les liste d’ailleurs en page 14 de mon rapport.

M. Éric Martineau (Dem). Chacun d’entre nous garde en mémoire les affaires récemment médiatisées de propriétaires mis en grande difficulté par l’occupation illicite de leur logement. Ces histoires ont fait naître un profond sentiment d’injustice, car elles touchent beaucoup de petits propriétaires qui ont souvent travaillé et épargné de longues années avant de pouvoir investir dans l’immobilier locatif.

Le législateur doit trouver des solutions pour répondre de manière déterminée et efficace à ces situations, qui ne sont pas acceptables. Le groupe Démocrate apportera son soutien à cette proposition de loi qui vise à mieux protéger les propriétaires.

Cependant, quelques points de vigilance subsistent, eu égard à la complexité des dossiers d’impayés et de squats. Nous soutiendrons l’article 1er, qui propose de renforcer les sanctions pour délit de squat, avec une amende pouvant atteindre 45 000 euros et une peine maximale d’emprisonnement de trois ans. Le groupe approuvera également l’article 2, qui élargit les domiciles protégés aux résidences secondaires et aux logements non meublés.

Notre groupe tient à préserver certains acquis sociaux et nous saluons le retrait de l’article 3 figurant dans la version initiale.

Les articles 4 et 5 contiennent des dispositions intéressantes, mais nous pensons qu’il faut conserver au juge la possibilité d’accorder des délais de paiement au locataire en difficulté qui le demande, puis d’apprécier la situation pour faire jouer, ou non, la clause de résiliation. C’est pourquoi nous serons favorables à l’amendement du rapporteur sur ce sujet.

Nous soutiendrons également la réduction des délais de la procédure judiciaire relative aux impayés, prévue par l’article 5.

Notre groupe salue et soutient la démarche qui ambitionne de protéger davantage les propriétaires, tout en veillant à ce que le droit français soit juste et proportionné pour chacun.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Merci pour votre soutien à cette proposition de loi. J’entends tout à fait vos points de vigilance et nous en discuterons pendant l’examen des articles.

M. Philippe Naillet (SOC). On ne peut pas sanctionner de la même façon des squatteurs violents, qui entrent par effraction dans un logement, et des locataires titulaires d’un bail, qui se retrouvent accidentellement dans l’impossibilité de payer leur loyer. Ces derniers ont surtout besoin d’un accompagnement social, ce qui n’est pas prévu dans votre texte. Pour les propriétaires, il faut, bien sûr, une sécurisation sur le plan financier, une sorte de garantie universelle des loyers.

Je souligne, par ailleurs, que les dispositions de la loi Asap n’ont pas été évaluées et que ce texte fait l’impasse sur la crise du logement, qui se traduit par une construction insuffisante et des logements dégradés, voire insalubres.

En l’état de cette PPL, notre groupe ne peut apporter son soutien.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Il n’est pas prévu de sanctionner de la même manière un locataire en situation d’impayé et un squatteur, ni dans le droit aujourd’hui, ni dans cette proposition de loi.

J’avais prévu, à l’article 3, d’introduire une peine, d’ailleurs différente de celle applicable aux squatteurs, pour ceux qui se maintiennent dans un domicile en dépit d’une décision de justice leur intimant de partir. J’ai entendu, lors des auditions, les remarques sur la complexité qui résulterait d’une telle disposition, par laquelle les propriétaires seraient conduits à porter plainte à nouveau contre le locataire récalcitrant et à déclencher une nouvelle procédure judiciaire. Comme l’effet serait contraire à l’objectif d’accélérer la procédure, j’ai moi-même déposé un amendement de suppression de cet article. En le supprimant, je supprime donc une de vos réticences.

La loi Asap a bien été évaluée, notamment pour ce qui est du squat, six mois après son application. Avec Sylvia Pinel, députée d’opposition, nous avons recueilli des chiffres très précis, région par région, de l’application de son article 73. Des difficultés d’application ont été remontées par les préfets et c’est la raison pour laquelle je propose l’article 2 de cette proposition de loi.

M. Luc Lamirault (HOR). Le groupe Horizons et apparentés tient à saluer le travail accompli sur la protection des propriétaires contre l’occupation illicite de leurs logements depuis la loi Asap. La proposition de loi présentée par les députés du groupe Renaissance prévoit de mieux réprimer les squats grâce à des sanctions renforcées et à un élargissement de la définition légale du délit de violation de domicile. Il organise également la sécurisation des rapports locatifs, en permettant la résiliation du bail de manière automatique en cas d’impayés et en réduisant les délais pour les procédures contentieuses et l’expulsion des occupants indélicats.

S’il est vrai que le phénomène du squat n’est pas massif en France, ce texte n’en est pas moins utile pour répondre aux situations inadmissibles de violation de la propriété, qui suscitent dans notre pays une émotion légitime. De nombreux propriétaires bailleurs peuvent aussi être victimes de locataires qui refusent de payer leur loyer et de partir, ce qui donne lieu à de longues procédures. Certains de ces propriétaires peuvent être des retraités pour lesquels la location de leurs biens constitue une source de revenus importante.

Face à ces différentes situations, ce texte apporte des réponses concrètes, efficaces et attendues sur le terrain. Afin de clarifier les attributions des maires, mon groupe défendra un amendement destiné à élargir la faculté de constater l’occupation illicite d’un logement. En effet, le maire est souvent un acteur de premier plan dans ces affaires et devrait être habilité à procéder à ce constat.

Naturellement, le groupe Horizons et apparentés soutiendra cette proposition de loi.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Merci pour votre soutien. J’accueillerai avec bienveillance votre amendement qui permet de compléter le dispositif de l’article 38 de la loi Dalo, en associant le maire à la procédure. Les territoires ruraux manquent effectivement parfois d’officiers de police judiciaire (OPJ). Le renfort du maire et de ses services peut alors être utile pour accélérer le déclenchement de cet article 38.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). La proposition de loi que nous avons à étudier est aussi inique que dangereuse, et je serais très surpris qu’Olivier Klein, ministre chargé du logement et maire d’une ville qui a souffert plus que toute autre des marchands de sommeil et des propriétaires délinquants, puisse y souscrire. Ce n’est pas ces propriétaires délinquants que cette loi veut punir. Ceux-là pourront continuer d’exploiter tranquillement les souffrances des plus précaires, en empochant les loyers de logements insalubres, parfois prêts à s’effondrer.

Avec l’article 3, c’est bien aux locataires en difficulté que vous vouliez vous en prendre, en les envoyant devant un juge plutôt qu’auprès d’un organisme susceptible de les reloger. Vous souhaitez soudainement le supprimer et ne voulez donc plus incarcérer ceux qui, pris à la gorge, sont contraints de choisir le frigo plutôt que la quittance. Bravo ! Vous avez fait preuve de raison. Heureusement, car vous alliez réinventer la prison pour dettes, qui a été abolie en France en 1867. Malgré votre revirement, je tiens à rappeler quelques données que vous avez manifestement occultées au moment de rédiger votre texte.

Le 115 refuse chaque soir un hébergement à plus de 6 000 personnes, dont 1 700 enfants, des chiffres sous-évalués puisque nombre de personnes, découragées, n’essaient même plus d’appeler ce numéro. Le rapport de la Fondation Abbé Pierre de 2022 révèle que plus de 4 millions de Français sont non ou mal logés. Quant aux expulsions locatives, qui ont concerné 8 156 ménages en 2021, elles devraient repartir à la hausse après avoir baissé grâce à la prolongation de deux mois de la trêve hivernale, en raison du contexte sanitaire. Surtout, la rue a tué 623 personnes l’année passée.

Votre proposition de loi ne fait que cacher sous le tapis les vrais enjeux du logement. Vous prétendez sécuriser les rapports entre propriétaires bailleurs et locataires, mais vous ne vous attaquez jamais aux problèmes à la racine. Pour nous, Écologistes, il est urgent d’instaurer la garantie universelle des loyers, afin de rassurer les propriétaires et permettre à tous d’être logés sans crainte. C’est une question de droit et de dignité. Il est impératif d’encadrer les loyers partout – ils seront ainsi moins difficiles à payer – et d’en finir avec les rentes et la spéculation immobilière, qu’Emmanuel Macron lui-même avait en son temps dénoncées.

Nous ne pouvons pas continuer à faire reposer le risque pour le propriétaire sur un dispositif de garant aléatoire, injuste et inefficace, qui prive de logement tant de nos concitoyens les moins bien nés. C’est en sécurisant le locataire, en amont de la location, et en rassurant le propriétaire que nous pourrons remettre sur le marché les plus de 3 millions de logements vacants. Et permettre ainsi au plus grand nombre de se trouver un toit.

Toujours à court d’idées pour éradiquer la pauvreté, vous en débordez, en revanche, pour la criminaliser. C’est pourquoi les Écologistes s’opposeront à ce texte.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Vous allez devoir voter certains éléments de cette proposition de loi, puisque la majorité va proposer un amendement qui pénalise les marchands de sommeil.

Je vais proposer de supprimer l’article 3 car il me semble complexe à mettre en œuvre, et risque de recréer de la procédure judiciaire et de la paperasse administrative. Mais mon objectif reste bel et bien d’accélérer le processus et des amendements seront soutenus en ce sens.

Nous verrons alors si vous défendez le droit de propriété ou les squatteurs ; si vous souhaitez accélérer la procédure judiciaire ou plutôt la ralentir. Nous verrons si vous entendez la souffrance des petits propriétaires en difficulté qui, pendant des années, sont empêtrés dans des procédures judiciaires interminables ou si, au contraire, vous voulez rallonger encore ces procédures. Sur tous ces sujets, nous verrons quelle est la position de chacun.

M. Max Mathiasin (LIOT). Dans les outre-mer, l’occupation illicite des logements est d’actualité, et les principales chaînes de télévision et de radio s’en saisissent.

Parmi mes concitoyens qui sont venus travailler dans l’Hexagone, certains ont acheté ou hérité de petits bouts de terrain en Guadeloupe, sur lesquels ils ont fait construire une petite maison qu’ils louent en attendant de revenir y passer une retraite bien méritée. Quand vient le moment de les récupérer, elles sont occupées par des personnes qui ne paient plus le loyer et qui les narguent.

Il faut bien comprendre qu’il s’agit ici d’équité, d’équilibre ; il ne s’agit pas de débattre du problème fondamental du mal-logement, qui peut faire l’objet d’un débat ou d’un autre texte. Nous devons renforcer le citoyen dans ses droits, pour le rassurer. Que des personnes qui ont investi et ont cru dans une société de liberté et de justice se retrouvent chez le psychiatre ou le psychologue est tout de même problématique.

Notre groupe approuvera cette proposition de loi.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je suis d’accord avec vous : il ne faut pas opposer politique du logement et lutte contre le squat et l’occupation illicite. On peut très bien préconiser la construction et l’augmentation de l’offre de logements, la rénovation thermique, l’accompagnement social de relogement, l’hébergement d’urgence et, en même temps, considérer que le droit doit s’appliquer, que ni le squat, ni l’occupation illicite d’un logement ne peuvent être justifiés parce qu’on n’aurait pas d’autre choix, comme certains l’expliquent. Des millions de Français connaissent aujourd’hui des conditions de vie précaires, mais ils paient leur loyer. Ils ne vont pas squatter le canapé du voisin.

On peut donc mener une politique du logement ambitieuse tout en prônant le respect des lois de la République. Je salue votre position et votre équilibre.

Mme Anne-Laurence Petel, présidente. J’entends parler depuis tout à l’heure de marchands de sommeil. Je rappelle que, dans la loi Elan, défendue alors par le ministre chargé de la ville et du logement Julien Denormandie, nous avions fiscalement assimilé les marchands de sommeil à des délinquants comme les trafiquants de drogue. Nous nous sommes donc attaqués à cette question très importante et cela devrait nous inciter à sortir de cette position binaire entre gentils squatteurs et méchants propriétaires.

Je souhaite livrer un témoignage supplémentaire, celui d’une jeune femme seule, mère de deux enfants, qui s’est retrouvée endettée à hauteur de 30 000 euros et a dû être logée par sa commune parce que sa maison, léguée par ses parents décédés, était squattée. C’est parce que ce genre de situation précarise des petits propriétaires que nous vous présentons ce texte.

Nous en venons aux questions individuelles des députés.

M. William Martinet (LFI-NUPES). L’heure est grave. Cette proposition de loi est une rupture historique avec un demi-siècle de construction juridique pour protéger les locataires et consacrer le droit au logement. Cette construction juridique repose sur le postulat de l’asymétrie entre locataires et propriétaires bailleurs : un locataire qui perd son logement ne peut plus satisfaire le besoin fondamental d’avoir un toit pour le protéger ; un propriétaire bailleur qui fait face à une occupation sans paiement de loyer subit une perte de rentabilité financière. Sans dire que ce n’est pas grave ni qu’il ne faut pas s’en occuper, on ne peut pas mettre sur le même plan la satisfaction d’un besoin fondamental et la rentabilité financière.

Pour régler ces litiges, la loi dont nous avons besoin est celle de la République, pas celle de la jungle. La République doit veiller à ce que leur règlement ne se traduise pas par des remises à la rue, par l’augmentation du
sans-abrisme. Or ce serait une des conséquences de la proposition de loi.

Si celle-ci venait à être adoptée, à combien estimez-vous le nombre de sans-abri supplémentaires dans les prochaines années ?

M. Jean-Pierre Vigier (LR). Le squat constitue un phénomène inacceptable. C’est une atteinte à la propriété privée psychologiquement traumatisante. Aussi est-il nécessaire de renforcer l’arsenal juridique afin de protéger les Français contre ces occupations illégales, tout en punissant très sévèrement les squatteurs.

Vous souhaitez supprimer l’article 3, qui permettait de sanctionner les occupants qui se maintiennent dans les lieux après un commandement de les quitter. Selon cet article, la peine encourue était de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Puisque ces sanctions disparaissent, que proposez-vous pour les remplacer ?

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Il est surprenant que vous présentiez comme un texte humaniste, presque humanitaire, cette proposition de loi dont la destination est clairement de protéger le droit des petits propriétaires, alors que vous auriez pu faire prévaloir le droit au logement, inscrit dans les droits de l’homme. Certes, il existe, ici et là, sur le territoire français, des situations de squat et d’occupations illicites, et des locataires indélicats. Mais s’il y a autant de cas, selon vous, c’est parce qu’il n’y a pas assez de logements pour abriter ces personnes qui, sans cela, se retrouveraient à la rue.

Pourquoi n’avez-vous pas privilégié un texte qui protège du mal-logement plutôt que de vous livrer, à ce point et sans complexe, à une surenchère de protection des droits des petits propriétaires ?

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Pourquoi une indignation à géométrie si variable ? Vous citez beaucoup de cas particuliers, mais, en tout, 170 cas de squat ont été recensés en 2021 et la plupart ont été réglés rapidement. L’indignation est beaucoup moins importante quand des gamins font la queue pour manger, que des personnes ne trouvent pas de logement, que des soignants alertent sur l’hôpital.

Vous nous faites pleurer sur les propriétaires qui n’arrivent plus à vivre sans ce complément de retraite. Outre que, selon nous, le logement n’est pas un bien financier qui doit compléter une retraite, dans ce pays, la majorité des propriétaires sont des multipropriétaires, qui possèdent de très nombreux logements.

Vous n’abordez pas la question de l’accès au logement. Avez-vous envisagé, dans une prochaine loi ou dans celle-ci, de vous pencher sur les maires voyous qui ne respectent pas la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), qui ne construisent pas de logements sociaux sur leur commune et refusent d’accueillir les travailleurs de ce pays ?

M. Paul Molac (LIOT). Si je comprends bien certains de nos collègues, les manquements de l’État devraient être compensés par les propriétaires individuels. Je ne crois pas cela possible et je ne m’opposerai pas à cette proposition de loi. On ne peut pas laisser quelqu’un s’approprier un bien sans rien dire, sinon, cela signifie que l’on peut se faire justice soi-même face aux carences de l’État en matière de droit au logement.

Quant aux propriétaires qui possèdent plusieurs biens immobiliers, ils ne sont pas concernés ici. Ils ont des avocats et, en général, délèguent la gestion de leurs biens. Ceux qui sont embêtés, ce sont les petits propriétaires. On peut, à juste titre, estimer que les retraites ne sont pas assez élevées, mais comment faire, concrètement, pour que des agriculteurs, qui touchent 800 euros en moyenne, puissent vivre, tout simplement ?

M. Romain Daubié (Dem). La création d’un fichier des personnes condamnées pour squat a-t-elle été évoquée ? Qu’en est-il des faux baux, qui permettent parfois d’obtenir certains droits, comme l’ouverture de compteurs électriques, et qui compliquent les procédures ? Pourrait-on envisager un fonds de solidarité pour les propriétaires de logements squattés, dans des cas très graves, selon des critères de revenus et pour certains montants d’impayés ?

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Si nous voulons avoir des débats constructifs, nous devons faire preuve d’honnêteté intellectuelle. Il n’est pas question de se féliciter qu’un petit propriétaire se fasse squatter le logement dans lequel il vit – cela soulève la notion de domicile, qui devrait nous valoir une discussion intéressante. Simplement, nous disons que ce phénomène est mineur par rapport à d’autres problèmes de mal-logement, qui mériteraient davantage de mobilisation de l’Assemblée.

Vous avez auditionné des petits propriétaires mais avez-vous entendu des personnes qui ont squatté, pour connaître leur statut, leurs revenus, leurs motivations ?

M. Stéphane Vojetta (RE). Je soutiens cette proposition de loi.

En Espagne, où je réside, les okupas sont devenus un phénomène de société et manifestent une volonté d’occupation systématique de logements vides, parfois simplement vacants pour quelques semaines. Ces choix de vie ne peuvent pas se faire aux dépens des petits propriétaires. De nombreux Français sont d’ailleurs victimes de cette situation et du laisser-faire des autorités espagnoles.

Ces Français-là, comme tous les petits propriétaires qui seront protégés par ce texte, se réjouiront de voir que la France décide de reprendre les choses en main face à cette dérive sociétale.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cette PPL ne nie pas le problème du mal-logement ; elle concerne l’occupation illicite des logements, qui est un autre sujet. La rénovation du parc, l’offre de logements, les prix sont des questions tout à fait pertinentes, que notre commission des affaires économiques traite par ailleurs. Nous avons même lancé une mission d’information sur les moyens de faire baisser les prix du logement en zones tendues, notamment les zones touristiques, dont les corapporteurs sont Annaïg Le Meur, pour la majorité, et Vincent Rolland, pour l’opposition. Ce que je propose, ce n’est pas une loi de programmation quinquennale sur le logement, c’est un texte sur le thème spécifique de l’occupation illicite des logements.

J’approuve l’argumentaire de M. Molac : ce n’est pas aux petits propriétaires de payer les engagements de l’État en matière de logement ; pour les multipropriétaires, qui confient la gestion de leurs biens à des sociétés, le squat n’est pas vraiment un problème. C’en est un, en revanche, pour l’agriculteur qui a mis en location un appartement pour s’assurer un revenu complémentaire, ou pour la personne qui doit rembourser chaque mois à sa banque le prêt qu’elle a contracté pour acheter cet appartement. Si elle ne perçoit pas de loyer pendant des mois, voire des années, sa situation devient dramatique. On ne peut pas balayer ces situations sous le tapis.

Je m’élève contre le raisonnement de M. Piquemal, selon lequel un problème minoritaire ne mérite pas d’être traité. Fort heureusement, dans leur immense majorité, les rapports locatifs se passent très bien – les propriétaires ne sont pas victimes de squatteurs et les locataires, modestes ou pas, paient leur loyer rubis sur l’ongle. Certains parmi eux s’insurgent d’ailleurs que les autorités soient laxistes avec ceux qui ne le font pas. À propos d’honnêteté intellectuelle, reconnaissons que cette proposition de loi n’aura aucune conséquence sur l’immense majorité des locataires qui paient leur loyer chaque mois. Elle n’aura d’impact, effectivement, que dans des situations minoritaires, mais qui ont des conséquences insupportables, car elles mettent des gens en difficulté.

Je n’ai pas auditionné de squatteur, car aucun n’a répondu à notre invitation – ils étaient pourtant les bienvenus. Nous avons reçu des collectifs qui défendent l’idéologie du squat et des associations qui défendent les squatteurs, notamment la Fondation Abbé Pierre. En revanche, pour bien faire comprendre de quoi il est question, je tiens à votre disposition des petites brochures, accessibles sur internet, qui donnent des conseils pour réussir un squat. Le guide du squatteur de A à Z recommande ainsi de bien choisir sa maison, de repérer les lieux ou de sélectionner soigneusement son propriétaire. Il fournit également des indications pour l’installation sur place, les premiers contacts avec la police, le « proprio » ou les huissiers, les différentes procédures judiciaires, les amendes potentielles, etc. Ce sont ces gens qu’on m’invite à recevoir à l’Assemblée nationale, mais je rappelle que le squat est puni par la loi, c’est un délit.

Monsieur Vojetta, je salue l’éclairage international que vous avez apporté. D’ailleurs, quand on étudie les procédures en cours chez certains de nos voisins pour lutter contre les squats ou les impayés, on s’aperçoit que la France est plutôt tolérante, pour ce qui est des délais notamment. Je souhaiterais pouvoir aller plus loin sur ce sujet, et je vous invite à y travailler ensemble.

Monsieur Vigier, vous me demandez par quoi nous allons remplacer l’article 3. L’objectif initial de cet article était, non pas de créer un délit, mais d’accélérer la procédure et de réduire les délais. Les premiers retours ont montré que ce n’était pas le cas et qu’il risquait même de les rallonger. J’ai donc décidé de supprimer cet article 3. Dès lors, que faire ? Certains parmi vous ont été très créatifs et ont déposé des amendements qui permettraient de réduire les délais après que le juge a pris sa décision. On peut s’entendre sur ces propositions de réduction, peut-être moins attrayantes que la création d’un délit, mais très efficaces pour accélérer les choses.

Monsieur Daubié, le sujet du fichier des squatteurs a été évoqué lors d’une table ronde avec des avocats. Il s’agit d’une question compliquée, sensible, car elle se heurte au principe du droit au logement. Ce n’est pas parce que vous y êtes inscrit comme squatteur professionnel que l’on peut vous priver de votre droit au logement, qui a valeur constitutionnelle. La création d’un tel fichier pose donc problème, sans parler des aspects opérationnels – qui y serait inscrit et qui le piloterait, notamment.

CHAPITRE Ier
Mieux réprimer le squat du logement

Avant l’article 1er

Amendement CE31 de Mme Annie Genevard et sous-amendements CE72 et CE73 de M. Guillaume Kasbarian.

Mme Annie Genevard (LR). Nous proposons de compléter le titre Ier du livre III du code pénal par un chapitre V intitulé « De l’occupation frauduleuse d’un immeuble » et comportant deux articles.

Le premier crée un nouveau délit en qualifiant de vol l’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble appartenant à un tiers. Je rappelle que l’article 311-1 du code pénal définit le vol comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui », ce qui correspond bien au sujet dont nous discutons. Le squat, c’est du vol.

Le second article vise à inverser la charge de la preuve en imposant non au propriétaire de justifier de sa qualité, mais au tiers occupant sans droit ni titre de prouver sa bonne foi par la présentation d’un titre qui l’autorise à occuper le lieu en question. En cela, il définit le droit de propriété, qui figure dans le bloc de constitutionnalité sans faire encore l’objet d’une définition législative, au contraire de la notion de domicile.

J’appelle votre attention sur l’importance de cet amendement, qui s’inspire de la proposition de loi de M. Julien Aubert visant à punir pénalement l’appropriation du bien d’autrui sans motif légitime, et que je n’hésite pas à qualifier de fondateur.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Vous proposez d’insérer dans le code pénal un article 315-1 disposant que « l’occupation sans droit ni titre, de mauvaise foi, d’un immeuble appartenant à un tiers s’apparente à un vol. » Sur le principe, je suis d’accord : du point de vue idéologique ou philosophique, il me paraît tout à fait justifié et même important d’acter ce principe dans la loi.

Dans l’esprit de tout un chacun, un immeuble est une propriété construite, mais ce n’est pas forcément le cas du point de vue juridique. Or, un promeneur adepte de camping sauvage qui planterait sa tente sur un terrain qui n’est pas le sien ne commet pas de vol. Aussi mon sous-amendement CE72 vise-t-il à clarifier les choses en précisant que seuls les immeubles bâtis à usage d’habitation sont concernés par cette définition ; en en excluant les terrains vagues, les terrains agricoles et tous les terrains non bâtis, nous éviterons des situations ubuesques.

Vous souhaitez également introduire un article 315-2 imposant au tiers occupant de prouver sa bonne foi « par la présentation d’un titre de propriété, d’un contrat de bail en cours de validité le liant au propriétaire de l’immeuble occupé ou bien d’une convention d’occupation à titre gratuit signée par le propriétaire du bien ». La preuve de la bonne foi par la présentation de l’une de ces trois pièces est exclusive : en leur absence, le juge ne peut considérer que le tiers occupant est de bonne foi. Ce renversement de la charge de la preuve, qui ne permet pas au juge de qualifier la bonne foi, pose un problème de constitutionnalité. Par ailleurs, dans la pratique, il est des situations où l’occupant se trouve dans l’impossibilité de présenter l’une de ces trois pièces, par exemple s’il vit en concubinage, ou s’il a été autorisé à dormir chez un ami sans que ce dernier lui ait signé de bail ou de convention d’occupation des lieux. Nous devons accorder au juge une marge d’interprétation. Pour ce faire et afin de rendre votre amendement constitutionnel, mon sous-amendement CE73 vise à prévoir la seule présentation d’un titre, sans qu’il s’agisse de prouver sa bonne foi.

Je donne donc à votre amendement un avis favorable, sous réserve de l’adoption de mes deux sous-amendements de clarification.

M. Thibault Bazin (LR). Nous soutiendrons cet amendement, qui va dans le bon sens en ce qu’il permet d’élargir la cible visée par la proposition de loi. Si le sous-amendement CE73, à propos duquel j’ai échangé avec Mme Genevard, ne nous semble pas poser de problème, nous nous interrogeons cependant sur le
sous-amendement CE72.

La situation d’un immeuble bâti à usage d’habitation est parfois dynamique : un tel immeuble peut être en cours de construction, de reconstruction ou d’extension. Il y a donc des moments où le propriétaire d’un terrain, bâti ou non, n’a pas du tout intérêt à ce que ce dernier soit squatté car cela peut le priver de son futur domicile. Il faut aussi envisager le cas où un immeuble n’est plus occupé du fait d’un incendie ou d’un affaissement de terrain : là encore, une occupation illicite du lieu peut poser problème.

Nous nous interrogeons également sur la notion d’usage d’habitation. Un médecin peut utiliser une partie de son domicile pour accueillir ses patients : ces locaux se trouvent alors exclus de la protection accordée aux immeubles bâtis à usage d’habitation. Imaginons qu’une maison de santé se construise à proximité de chez lui ; il pourrait alors souhaiter récupérer ses locaux professionnels pour y étendre son habitation ainsi que la protection dont nous parlons. De même, je ne vois pas pourquoi un artisan ne verrait pas cette protection s’appliquer à la totalité de son domicile, quand bien même une partie de l’immeuble abriterait ses bureaux. Peut-être pourrions-nous retravailler ce sous-amendement en vue de la séance, afin de nous assurer qu’il ne crée pas de failles dans le dispositif imaginé.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Nous nous opposerons à l’amendement CE31, qui nous paraît profondément régressif, même modifié par les sous-amendements de M. Kasbarian.

Nous souscrivons tous à la nécessité de protéger de toute violation le domicile des personnes. Si un individu s’introduit chez vous, il est normal que les forces de police libèrent votre domicile dans les plus brefs délais. L’objet de cet amendement est tout autre : il vise à protéger non pas le domicile des personnes, mais les logements vides. Nous ne souhaitons pas assurer l’impunité des squats ou faire en sorte qu’un logement vide puisse être occupé ad vitam aeternam par un squatteur ; cependant, dès lors que nous parlons d’un logement vide et non d’un domicile, il convient d’appliquer une procédure qui prend sans doute un certain temps mais qui permet au moins d’évaluer la situation sociale des personnes concernées et d’éviter que leur expulsion de ce logement vide se traduise par leur retour à la rue et par l’augmentation du sans-abrisme.

Nous n’avons pas encore eu l’occasion de rappeler que, dans les cas les plus extrêmes, les squats sont des stratégies de survie. Chaque soir, 6 000 personnes qui appellent le 115, le numéro consacré à l’hébergement d’urgence, ne se voient pas proposer de solution. Pour nous qui sommes bien au chaud, il est facile de dire que ces gens doivent respecter le droit de propriété en tant que principe constitutionnel ! Quand on est à la rue, avec sa famille, et qu’on a vu un logement vide juste à côté, on adopte parfois une stratégie de survie en décidant de l’occuper. Encore une fois, cela ne veut pas dire que ces personnes doivent jouir d’une impunité, mais qu’il convient d’appliquer une procédure judiciaire et d’assurer un traitement social de ces situations. S’il est sans doute intéressant de protéger les logements vides, il faut peut-être aussi penser à protéger les gens et les familles qui se trouvent à la rue.

Mme Annie Genevard (LR). J’approuve totalement le sous-amendement CE73, qui vise à réduire le risque d’inconstitutionnalité du dispositif.

Le sous-amendement CE72 limite le nouveau délit à l’occupation illicite des immeubles bâtis – cette précision est importante – à usage d’habitation, excluant de fait les immeubles à usage commercial comme les commerces vides et les bureaux. Bien que j’entende les interrogations de nos collègues à ce propos, je souscris à ce sous-amendement, compte tenu de l’importance du sujet. Il méritera cependant d’être retravaillé en vue de la séance, car le squat ne concerne pas que des logements.

Monsieur Martinet, je ne sais pas où vous avez vu que mon amendement portait exclusivement sur les logements vides. Tel n’est pas du tout le cas ! Les situations de mal-logement et l’existence de zones tendues où les gens ne peuvent accéder à un toit renvoient à d’autres questions et ne peuvent en aucun cas justifier cet acte délictueux que constitue le squat.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). « Le fait qu’il y ait des logements libres, nombreux, est profondément choquant – je dirais que c’est provocant. Ces logements, de quoi s’agit-il ? Il s’agit des logements qui appartiennent à des grands groupes financiers. Il ne s’agit pas naturellement de logements qui appartiennent à des propriétaires privés et qui, pour une raison ou pour une autre, sont momentanément libres. Ce sont des logements qui sont dans les portefeuilles de grands groupes financiers – des banques, des marchands de biens, etc. – et qui ne sont pas mis sur le marché pour des raisons qui tiennent en réalité à une approche spéculative. Et donc, ce qu’on va faire, c’est utiliser l’ordonnance de 1945, une ordonnance du général de Gaulle qui permet de réquisitionner des logements vacants pour y mettre les gens qui en ont besoin. » Ces mots sont ceux de Jacques Chirac, en décembre 1994. À une époque où on ne comptait pas 3,1 millions de logements vacants, votre famille politique a su défendre une position républicaine face à l’urgence qui se présentait en matière de droit au logement.

L’amendement CE31 ne précise pas si les immeubles concernés sont des domiciles ou des logements vides. En refusant de s’emparer de cet outil qu’est la réquisition, on ne laisse à certaines personnes d’autre choix que de se mettre à l’abri par elles-mêmes, malgré les problèmes qui en découlent.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Nous avons manifestement un désaccord avec les députés de La France insoumise, qui viennent, de façon assez cocasse avec cette citation de Jacques Chirac, de justifier le squat en disant que certaines personnes n’ont pas d’autre choix que de s’installer sur le canapé de leur voisin.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). De se mettre à l’abri !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Non ! Vous justifiez un acte délictueux : vous venez de dire qu’il vous paraissait normal qu’une personne ayant du mal à se loger squatte. Cela ne me surprend pas au regard des amendements que vous avez déposés, qui relèvent eux aussi de la justification ou de la défense du squat.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). En effet, c’est une nécessité impérieuse et vitale.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. J’entends que vous le reconnaissez vous-mêmes. Nous pouvons donc prendre acte d’une différence idéologique fondamentale entre vous et moi : pour ma part, je ne justifie pas le squat, que la loi qualifie de délit.

Je vous remercie, madame Genevard, de votre soutien à mes deux sous-amendements. Je ne doute pas une seconde qu’il sera nécessaire, d’ici à la séance, d’affiner et d’améliorer la rédaction de ces dispositions, mais le fait d’adopter dès à présent votre amendement modifié par mes sous-amendements permettra de poser un principe important tout en précisant la nature des immeubles concernés et en évitant tout risque d’inconstitutionnalité. La procédure législative ne s’arrêtera pas là, puisque les sénateurs seront aussi amenés à examiner ce texte. Je suis convaincu que nous arriverons à améliorer la rédaction de ces dispositions ensemble, dans les jours et les semaines qui viennent.

La commission adopte successivement les sous-amendements et l’amendement sous-amendé.

 

Article 1er : (art. 226-4 du code pénal) Renforcement du quantum de la sanction du délit de violation de domicile

 

Amendements de suppression CE9 de M. François Piquemal et CE41 de M. Aurélien Taché.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous n’avez pas défini la notion de squatteur. Juridiquement, on parle d’occupant sans droit ni titre. Ainsi, les victimes d’un marchand de sommeil qui leur a faussement fait croire qu’il était propriétaire d’un logement sont des occupants sans droit ni titre, donc des squatteurs selon votre terminologie. Ces victimes ont-elles été auditionnées ? Je ne le pense pas. C’est dommage, car cela nous aurait permis de comprendre certaines choses.

J’en viens à l’article 1er. Que changeront, pour les propriétaires, l’allongement de la peine de prison et l’augmentation du montant de l’amende venant sanctionner les occupations illicites ? Nous ne le savons pas, car nous ne connaissons pas les motivations des divers occupants sans droit ni titre, parmi lesquels vous ne faites d’ailleurs aucune différence. Vous avez évoqué tout à l’heure une brochure dont on ne connaît pas l’origine, mais nous n’avons aucun élément permettant de comprendre ce phénomène.

Selon mes calculs, envoyer quelqu’un trois ans en prison coûtent 120 450 euros à la société. Or, à Toulouse, la ville d’où je viens – de même que M. Nogal, un parlementaire fortement impliqué lors de l’examen de la loi Elan –, le loyer mensuel moyen d’un petit T3 s’élève à 650 euros : aussi le coût de trois années d’emprisonnement équivaut-il à quinze ans de loyer. Au lieu d’envoyer un individu dans une prison déjà surchargée, nous pourrions provisionner cette somme pour trouver des solutions en amont et éviter que des gens se retrouvent à la rue ou en train d’occuper un logement sans droit ni titre.

Pour toutes ces raisons, l’article 1er ne sert en rien la cause que vous défendez.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). L’article 1er vise à renforcer les sanctions dont sont passibles les auteurs du délit de violation de domicile afin de les aligner sur la peine qu’encourent les propriétaires qui procèdent à une expulsion sans le concours de la force publique. La loi prévoit en effet que les propriétaires qui se font justice eux-mêmes encourent une peine allant jusqu’à 30 000 euros d’amende et trois ans de prison, tandis qu’une occupation illégale peut être sanctionnée d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Or, si un propriétaire qui commet un délit d’expulsion illégale est plus sévèrement puni, c’est parce qu’il s’en prend physiquement à des familles, qu’il met dehors, souvent violemment. Lorsqu’un squatteur entre dans un domicile, la violence n’est pas la même : il occupe un bien mais ne se confronte pas physiquement à un propriétaire absent.

Cet article est par ailleurs inutile, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’article 38 de la loi Dalo prévoit des dispositions suffisantes pour remédier à ce type de situation. Une personne dont le domicile est occupé peut, après avoir déposé plainte, demander au préfet de mettre l’occupant en demeure de quitter les lieux ; la décision de mise en demeure est alors prise par le préfet dans un délai de
quarante-huit heures à compter de la réception de la demande. Lorsque cette mise en demeure n’a pas été suivie d’effet dans le délai fixé, le préfet doit procéder sans délai à l’évacuation forcée du logement. Bien souvent, la médiatisation de l’affaire et la récupération politique entreprise par certains – nous avons encore eu plusieurs exemples ce matin – incitent le préfet à tout mettre en œuvre pour expulser les occupants du logement et les héberger dans les plus brefs délais.

La peine prévue par l’article 1er équivaut à trente-cinq à soixante-quinze fois le revenu de solidarité active (RSA), selon la composition de la famille des occupants, qui sont souvent des bénéficiaires de cette allocation confrontés à de grandes difficultés. L’amende infligée, impossible à payer, ne changera donc absolument rien. Des peines plus lourdes ne sont pas dissuasives.

Compte tenu des dispositions existantes et de l’absurdité – il n’y a pas d’autre mot – des sanctions prévues, je demande la suppression de l’article 1er.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cet article vise à augmenter les sanctions encourues par les squatteurs, portées d’un à trois ans d’emprisonnement et de 15 000 à 45 000 euros d’amende. En effet, on marche sur la tête : il est aujourd’hui plus sévèrement réprimé d’expulser un squatteur de chez soi que de squatter un logement.

L’Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà largement adopté, dans le cadre de la loi Asap, un triplement des sanctions prononcées contre les squatteurs – ce que prévoit précisément l’article 1er –, mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. En 2020, la gauche n’avait rien trouvé à y redire, à l’exception du groupe La France insoumise, qui s’était abstenu. Deux ans plus tard, elle s’est radicalisée au point de demander la suppression de la même disposition. Je vous invite pourtant à poser la question dans vos circonscriptions : il est pour le moins contre-intuitif que le squatteur risque trois fois moins que le propriétaire qui entreprend de le chasser de chez lui.

Monsieur Taché, monsieur Piquemal, je ne suis pas surpris que vous défendiez les squatteurs. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas déposé un amendement visant à lever toute sanction contre le squat. Allez-y franco ! Je donne évidemment un avis défavorable à vos amendements de suppression.

M. Fabien Di Filippo (LR). Nous nous prononçons contre ces amendements, car c’est une bonne chose que de remettre un peu de responsabilité individuelle et de restaurer des repères dans notre société. N’oublions pas que des aides financières et administratives très importantes existent afin que leurs bénéficiaires trouvent à se loger avant d’être amenés à violer la loi.

Si nous suivions votre raisonnement, monsieur Piquemal, nous ne sanctionnerions plus aucun vol dès lors qu’un séjour en prison coûte plus cher que le bien subtilisé. Cela reviendrait à légaliser ce délit.

Monsieur Taché, le fait d’être empêché d’entrer chez soi pendant deux ans peut provoquer un traumatisme très violent chez certaines personnes, notamment chez les plus âgées.

Les solutions proposées sont pires que le mal. En France, on constate une baisse des mises en location, notamment des petits logements qui s’adressent habituellement aux étudiants et aux personnes à faibles revenus. Les locations de studios diminuent de 12 %, tandis que celles de deux-pièces connaissent une baisse de 10 %. Vos bons sentiments pavent donc le chemin de l’enfer et de l’anarchie, que vous appelez peut-être de vos vœux.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous souhaitons supprimer un article absolument scandaleux, par lequel vous encouragez les gens à se faire justice eux-mêmes. Vous voulez que des propriétaires puissent s’en prendre physiquement à des personnes et à des familles qui, certes, occupent un logement sans titre. Nous ne sommes pas favorables à la justice privée. Vous nous accusez de soutenir l’anarchisme et les squatteurs, mais non : nous assumons de défendre celles et ceux qui sont fragiles, précaires et que la société ne protège pas. L’État n’assume pas son rôle de garant du droit au logement.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CE21 de Mme Danielle Simonnet.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Vous nous accusez d’être favorables à l’anarchie, mais c’est vous qui instaurez la loi de la jungle en voulant passer outre la justice et le principe du contradictoire ! On voit bien de quel côté se trouvent ceux qui sont pour le désordre républicain.

Vous nous accusez aussi de défendre les squats, mais la question n’est pas là. Monsieur le rapporteur, avez-vous auditionné des victimes de marchands de sommeil, qui sont, selon votre terminologie, des squatteurs ? Je vous ai déjà posé cette question tout à l’heure mais vous ne m’avez pas répondu. Il y a trois ans, à Toulouse, les occupants d’un immeuble ont été victimes d’un incendie. Il se trouve que la personne qui leur louait leurs appartements était un marchand de sommeil : ils n’ont donc pas pu se retourner contre cet arnaqueur. Faudrait-il qu’ils subissent une double peine en étant expulsés manu militari, sans aucun droit ? Par cet amendement de bon sens, nous demandons que les victimes de marchands de sommeil se voient proposer un relogement. Cela éviterait de reporter le problème en poussant ces personnes à occuper illégalement un autre logement.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Contrairement à votre collègue Mme Simonnet, qui est venue presque à chaque fois, vous n’avez assisté à aucune audition. Ne me reprochez donc pas de ne pas avoir entendu certaines personnes alors que vous n’êtes même pas venu écouter celles que j’ai invitées !

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Cela ne répond pas à ma question !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. C’est pourtant ma réponse.

Votre amendement, qui vise à interrompre la procédure d’expulsion tant que les squatteurs n’ont pas été relogés, est scandaleux. Dans six cas de squat sur les vingt-trois recensés à Paris au premier semestre 2021, les victimes étaient des locataires ayant trouvé un squatteur à leur domicile en rentrant du boulot. Que fallait-il leur répondre ? Qu’ils ne pourraient pas rentrer chez eux tant qu’une solution de relogement n’a pas été trouvée pour les squatteurs ? Vous rendez-vous compte de l’aberration de votre proposition ? Non seulement vous défendez les squats et les squatteurs, mais vous voulez également faire traîner la procédure d’expulsion.

Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Je m’oppose à cet amendement. Quand on vous écoute, on a l’impression que tous les squatteurs ont été victimes de marchands de sommeil ; or ce n’est généralement pas le cas. Vous avez peut-être un exemple, mais vous ne pouvez pas en faire une généralité. La loi a vocation à protéger les victimes.

Vous affirmez vouloir vous occuper des personnes précaires. Heureusement que toutes ces personnes ne sont pas des squatteurs ! Dans notre République, il y a des droits et des procédures à respecter ; or la précarité ne donne pas le droit de ne pas respecter les autres ou de rendre précaires d’autres personnes en occupant leur logement de manière illicite. Nous n’allons donc pas voter un mécanisme qui inciterait une personne désireuse d’occuper un logement différent à aller squatter chez quelqu’un, sachant qu’elle pourrait y rester tant qu’on ne lui aurait pas proposé le logement qui lui conviendrait. Ce serait profondément scandaleux ! Nous devons mettre en place un système vertueux qui incite au respect de la propriété d’autrui au lieu d’encourager des pratiques déviantes dont les conséquences seraient véritablement malsaines pour notre société.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Effectivement, monsieur le rapporteur, Mme Simonnet a représenté notre groupe durant l’ensemble des auditions. Or ma collègue Aurélie Trouvé me fait remarquer qu’aucun député de la majorité n’a assisté à l’une des auditions relatives à notre proposition de loi visant à accélérer la rénovation thermique des logements en garantissant un reste à charge zéro pour les ménages les plus modestes réalisant des travaux et en interdisant réellement les logements les plus énergivores. Si vous cherchez à évaluer le travail de chaque groupe politique, je crains que la comparaison ne soit en votre défaveur.

M. Bazin a mis en avant les notions d’exemplarité et de respect de la loi. Oui, discutons du respect du droit de propriété, mais discutons aussi du respect de la loi en matière de relogement des personnes ! Des dizaines de milliers de nos concitoyens se sont vu reconnaître un droit au relogement prioritaire et urgent au titre de la loi Dalo, ce qui impose à l’État – en l’occurrence, au préfet de chaque département – de leur proposer une solution de relogement. Certaines personnes qui travaillent n’ont pas les moyens de trouver un logement, pour elles et leur famille, et connaissent des situations d’errance résidentielle ; bien qu’elles bénéficient de la loi Dalo, l’État n’assure pas leur relogement, si bien qu’elles n’ont parfois pas d’autre solution que de squatter des logements vides. Paradoxalement, le même préfet qui n’applique pas la loi Dalo et a été condamné à ce titre par le tribunal administratif organise leur expulsion au nom de la défense du droit de propriété. Autant l’État se montre réactif pour vider les logements vides et lutter contre le squat, autant il n’applique pas la loi concernant le relogement. Une telle asymétrie nous paraît insupportable et inacceptable. C’est pourquoi l’amendement CE21 vise à faire le lien entre droit de propriété et droit au logement et à rappeler à l’État ses obligations en matière de relogement.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements identiques CE30 de Mme Annie Genevard et CE33 de Mme Géraldine Grangier, et amendement CE32 de Mme Annie Genevard (discussion commune).

Mme Annie Genevard (LR). Lorsqu’un propriétaire lésé veut restaurer son droit sans passer par une décision de justice, parce qu’il estime que la procédure serait trop longue et qu’il se trouve dans un impérieux besoin de récupérer son bien, il encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, tandis que le squatteur, qui s’est approprié un bien qui ne lui appartient pas, est pénalisé d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. Ce rapport très asymétrique pose la question du quantum de la peine, qui est plus lourd pour la victime que pour l’auteur du préjudice. Vous conviendrez que cela est contraire au bon sens ! Depuis quand la victime est-elle davantage pénalisée que l’auteur du délit ?

Je propose d’inverser les choses. Le squatteur doit être pénalisé : c’est ce que fait l’article 1er en prévoyant une amende de 45 000 euros et trois ans d’emprisonnement. En revanche, le propriétaire ou le locataire victime doit se voir infliger une peine plus légère. Aussi l’amendement CE30 vise-t-il à ramener à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende la peine encourue par un propriétaire qui, excédé ou lourdement pénalisé par la situation de squat, déciderait, par exemple, de changer la serrure de la porte d’entrée de son appartement afin de récupérer son bien, en agissant sans violence ni intimidation – de tels comportements relèvent d’un autre type de délits.

Au cas où certains estimeraient la différence trop importante, l’amendement CE32 offre une solution de repli en prévoyant qu’un propriétaire qui évince un squatteur encourt dix-huit mois d’emprisonnement et 20 000 euros d’amende.

Mme Géraldine Grangier (RN). Nous ne devons pas nous contenter d’aligner les peines encourues par les squatteurs sur celles que risquent les propriétaires. L’amendement CE33 vise à abaisser le quantum de la peine encourue par les propriétaires, qui passerait de trois à un an d’emprisonnement et de 30 000 à 15 000 euros d’amende. Cela réparerait une injustice flagrante et atténuerait l’impression d’impunité pour les squatteurs ressentie à juste titre par nos concitoyens.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Madame Genevard, vous avez souligné l’absurdité de l’actuel quantum des peines : le squatteur risque trois fois moins que le propriétaire qui, en l’absence de l’occupant illicite, sort les valises de ce dernier, remplace la serrure de sa porte d’entrée et reprend possession de son bien – un comportement qui constitue un délit passible de trois ans de prison et de 30 000 euros d’amende.

L’article 1er vise à rééquilibrer le quantum des peines en rendant l’ensemble des délits commis par le propriétaire ou le squatteur passibles de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Vous proposez d’aller plus loin en renversant le déséquilibre au profit du propriétaire et en diminuant la peine encourue par celui qui sortirait les valises du squatteur et changerait les serrures de sa porte d’entrée. Je précise d’emblée que des peines complémentaires sont prévues si d’autres délits sont commis. Ainsi, le fait de proférer des menaces, y compris des menaces de mort, est passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende. Le propriétaire qui commettrait des violences aggravées encourt jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. On ne peut donc pas accuser ces amendements de libérer la violence.

Une telle mesure permettrait-elle d’accélérer franchement les choses ? Pas forcément. Est-il nécessaire d’aller jusque-là ? Pas forcément non plus. Je m’en remets donc à la sagesse de notre commission.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Le Rassemblement national et Les Républicains sont pris en flagrant délit de laxisme judiciaire puisqu’ils proposent d’abaisser les peines encourues pour expulsion illégale. En outre, ils envoient un message politique très dangereux à la société en encourageant les propriétaires à se faire justice eux-mêmes.

Vous jouez de l’ambiguïté de la notion de « chez soi ». Pour nous, le squat ne désigne pas une famille qui occupe un logement vide pour assurer sa survie. Au lieu d’améliorer la réponse judiciaire, vous incitez les propriétaires à se faire justice eux-mêmes.

Pour avoir accompagné des familles ayant été expulsées illégalement, je peux témoigner de la grande violence qu’elles subissent. Très concrètement, le propriétaire envoie de gros bras pour menacer une famille à son domicile. La violence est évidemment impossible à prouver puisque la famille en est le seul témoin – bon courage pour aller déposer plainte au commissariat !

Il est indispensable de maintenir le délit d’expulsion illégale et d’inviter les forces de l’ordre à le réprimer davantage, afin que ne règne pas la loi de la jungle. Oui, un logement vide doit pouvoir être évacué mais dans le respect de l’État de droit.

Mme Annie Genevard (LR). Que l’auteur de l’occupation sans droit ni titre d’un lieu soit pénalisé moins lourdement que la victime est une insulte non seulement au bon sens mais aussi à la morale. Il ne s’agit pas d’exonérer le propriétaire qui évincerait un squatteur de toute peine – il risque, excusez du peu, un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, dans le cas où l’éviction est dépourvue de violence et d’intimidation. La peine joue bien son rôle dissuasif.

Le législateur ne peut pas raisonnablement mettre sur un même plan l’auteur d’un délit et sa victime. Je suis convaincue que si on interrogeait les Français au nom desquels la justice est rendue, ils considéreraient que la victime ne peut pas être punie plus lourdement que le délinquant, quand bien même elle se ferait justice elle-même. Le principe essentiel de notre droit qu’est la proportionnalité de la peine est ici battu en brèche.

La commission rejette successivement les amendements.

 

Elle adopte l’article 1er non modifié.

Présidence de Mme Marie-Noëlle Battistel.

Après l’article 1er

 

Amendement CE60 de M. Paul Midy.

Mme Maud Bregeon (RE). Il s’agit d’un amendement de la majorité visant à combler un vide juridique, qui pénalise autant les bailleurs que les locataires.

Pour l’illustrer, je prendrai l’exemple d’une famille locataire d’une maison dans les Côtes-d’Armor récemment expulsée, sans aucun espoir de retrouver les 1 280 euros qu’elle avait versés à un faux bailleur, ou celui d’une femme placée en maison de retraite, dont la maison était habitée par des locataires eux aussi trompés par un faux propriétaire.

En l’absence d’actes d’extérieurs pour caractériser le délit prévu par l’article 313-1 du code pénal, ni la famille, ni la vieille dame ne peuvent être reconnues victimes d’escroquerie.

L’amendement a donc pour objet de compléter le code pénal afin de sanctionner le fait pour une personne de se faire passer pour le propriétaire d’un bien aux fins de le louer.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. C’est un très bel amendement qui, j’en suis sûr, fera l’unanimité. Il contribue à renforcer la lutte contre les marchands de sommeil que certains nous reprochent de négliger.

Ne seront passibles de la sanction que les personnes remplissant deux critères cumulatifs : elles ne disposent d’aucun titre d’occupation ; elles se font passer pour propriétaires aux fins de louer le logement.

L’amendement s’inscrit dans la continuité du travail de la majorité sous la précédente législature sur les marchands de sommeil, qui avait été formalisé dans la loi Elan.

Avis très favorable.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Nous voterons l’amendement.

Je note que Mme Bregeon qualifie dans son exemple l’occupante sans droit ni titre de locataire, contrairement à vous qui préférez le terme de squatteur, monsieur le rapporteur.

Faute de définition du terme de squatteur ou de l’expression d’occupant sans droit ni titre, vous ne dissipez pas le flou qui justifie nos réserves. C’est une bonne chose que de sanctionner les arnaqueurs mais quelle réparation proposez-vous à l’occupante sans droit ni titre qui est doublement victime puisqu’outre l’escroquerie, elle se trouve sans logement ?

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. L’amendement de Mme Genevard que nous avons adopté clarifie la notion de squatteur. Si vous n’avez ni titre de propriété, ni bail, ni convention d’occupation à titre gracieux, vous êtes occupant sans droit ni titre. Libre à vous de modifier cette définition par un amendement d’ici à la séance.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE34 de Mme Géraldine Grangier.

Mme Géraldine Grangier (RN). Il s’agit de faciliter l’expulsion d’occupants illégaux, en portant de quarante-huit à quatre-vingt-seize heures le délai pendant lequel le flagrant délit d’occupation sans titre d’un logement peut être constaté.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Il faut en finir avec le mythe des quarante-huit heures, d’autant que la flagrance n’est pas l’élément central du délit.

Il s’agit d’une mauvaise interprétation très répandue de la loi. Quel que soit le délai écoulé depuis l’introduction du squatteur au domicile, le propriétaire peut engager la procédure prévue à l’article 38 de la loi Dalo – saisir le préfet, qui décide, dans les quarante-huit heures, de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux dans un délai minimal de vingt-quatre heures sous peine d’être expulsés par les forces de l’ordre. La procédure d’expulsion express – trois jours top chrono – peut être activée à tout moment. Nous avons essayé de sensibiliser les préfets, les forces de l’ordre et les services judiciaires. Il faut passer le message à tous les acteurs concernés.

Votre amendement est donc satisfait. Demande de retrait, sinon avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Article 2 : (art. 226-4 du code pénal et art. 38 de la loi n° 2007-290) Clarification de la caractérisation du délit de violation du domicile

 

Amendements de suppression CE10 de Mme Danielle Simonnet et CE42 de M. Aurélien Taché.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, je vous recommande l’excellent livre de Mona Chollet, Chez soi, qui évoque le logement en tant que droit humain mais aussi le rapport intime que l’on entretient avec
celui-ci.

Dans l’article 2, vous voulez étendre le « chez soi » à des biens immobiliers dépourvus de meubles alors que sont déjà incluses les résidences secondaires qui peuvent parfois donner lieu à de la spéculation immobilière. Un patron du CAC40 multipropriétaire pourrait ainsi voir toutes ses possessions considérées comme son domicile dès lors qu’il les déclare comme telles.

De nombreux juristes dont ceux de la Fondation Abbé Pierre estiment qu’il s’agit d’un dévoiement de la notion de domicile.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). L’article 2, comme l’ensemble de la proposition de loi, ne répond en rien à la crise historique du logement mais s’attaque plutôt à ses victimes les plus vulnérables. La NUPES n’est pas la seule à le dire, la Fondation Abbé Pierre, qui n’est pas suspecte d’engagement anarchiste, pour reprendre les mots du rapporteur, porte le même jugement.

Il est dangereux d’étendre la procédure d’expulsion de l’article 38 de la loi Dalo aux logements ou immeubles vides.

Permettez-moi de rappeler l’historique de la loi Dalo : elle a été votée en 2007 à la suite de la mobilisation de collectifs tels que Jeudi noir – dont d’illustres collègues ont été membres et je les en remercie – qui investissaient des immeubles vides à Paris pour alerter sur la crise du logement. Voilà la réponse que la droite républicaine et Jacques Chirac apportaient à l’époque : non pas la criminalisation mais la création d’un droit au logement opposable. Nous ne pouvons que constater amèrement l’évolution en la matière de la droite à laquelle vous appartenez désormais.

Quant au fond de l’article, il est indispensable de distinguer un domicile où l’on vit, avec des meubles qui en témoignent, et la propriété. S’il est désormais établi qu’un logement vide ou temporairement vide est un logement inoccupé, alors c’est tout le droit au logement qui est remis en cause. Un domicile doit contenir les éléments minimaux nécessaires à l’habitation des lieux.

L’article offre une protection excessive aux propriétaires de logements vides – la France en compte 3 millions – au détriment des droits les plus élémentaires de la personne.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. L’article 2 vise à conforter la procédure de l’article 38 précitée en levant certaines difficultés d’application qui nous ont été rapportées par les préfectures.

D’une part, la double condition de l’introduction et du maintien délictuels étant compliquée à satisfaire, je propose d’y substituer une condition alternative – l’introduction ou le maintien.

D’autre part, le cas du déménagement à l’occasion duquel le logement est temporairement dépourvu de meubles n’était pas couvert. J’ai été saisi du cas d’un couple qui achète un bien près de Bobigny ; le précédent propriétaire ayant déménagé, le logement se retrouve vide de meubles ; lorsque le nouveau propriétaire veut en prendre possession, un squatteur s’est installé ; la préfecture refuse de lancer la procédure de l’article 38, au motif qu’il n’y a pas de meubles. Pourtant, il s’agit bien d’un domicile. J’essaie d’apporter une solution dans ces cas où le logement est temporairement vide.

Nous aurions pu travailler ensemble à une rédaction qui vous convienne mais vous préférez supprimer purement et simplement l’article. Cela révèle une nouvelle fois votre soutien aux squatteurs. Avis défavorable.

M. William Martinet (LFI-NUPES). L’article 2 a le mérite d’illustrer l’objectif réel de la proposition de loi.

Celle-ci ne vise pas à protéger les propriétaires d’une violation de leur domicile puisque l’arsenal législatif existe déjà et permet heureusement aux forces de police d’intervenir.

Elle n’a pas non plus pour objet de protéger les petits propriétaires bailleurs contre un squat ou un impayé de loyer qui les mettrait en difficulté financière. La réponse, pour eux, se trouve dans l’instauration de la garantie universelle des loyers, que vous refusez.

Elle vise à défendre le patrimoine des multipropriétaires au détriment des personnes pour lesquelles le squat est une stratégie de survie. L’extension du domaine du domicile, si vous m’autorisez l’expression, permettra à un multipropriétaire de déclarer tel ou tel logement, même vacant, en tant que domicile pour faciliter l’expulsion des squatteurs.

M. Paul Midy (RE). Il s’agit d’un article de bon sens. Le rapporteur a présenté les nombreux guides disponibles sur internet, qui présentent les failles de notre droit pour pouvoir squatter impunément.

Le squat d’un logement inoccupé pour cause de déménagement n’est pas acceptable. La logique selon laquelle une personne peut s’approprier un bien inutilisé par son propriétaire, qu’il s’agisse d’une voiture, d’un téléphone ou d’un appartement, signe la fin de l’État de droit.

Selon les termes de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé ». Je vous laisse le soin de trouver les moyens de le modifier si telle est votre ambition.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Vous constaterez que le guide du bon squatteur que j’ai prêté à un député de La France insoumise conseille de déménager les meubles ou de prendre des photos montrant le logement vide pour se prémunir contre l’expulsion. C’est à cette stratégie de contournement que je m’attaque dans l’article 2.

Je vous invite à relire l’article 38 de la loi Dalo, car votre argumentation laisse penser que soit vous ne l’avez pas lu, soit vous y êtes opposé.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CE7 de M. Jiovanny William.

M. Jiovanny William (GDR-NUPES). Je retire l’amendement. Néanmoins, j’invite mes collègues à examiner les contentieux portés devant le juge pour impayés ou occupations sans droit ni titre. La plupart des dossiers que j’ai à connaître ne concernent pas des multipropriétaires mais des gens qui empruntent, souvent avec difficulté, pour acheter le bien. Il faut penser aux propriétaires qui sont pris entre la banque qui menace de saisir le bien et 20 000 euros d’impayés. Mais il faut aussi protéger les locataires et le principe du contradictoire.

Le terme d’incrimination que j’ai entendu me paraît inapproprié. Il n’est pas question d’un crime mais d’un délit.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je salue votre assiduité aux auditions et votre connaissance du sujet, en particulier de la souffrance des petits propriétaires victimes, dont témoignent vos amendements.

Je ne pense pas avoir employé le terme d’incrimination. Mon objectif principal est d’accélérer les procédures, c’est la raison pour laquelle je proposerai de supprimer l’article 3.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’article 2 non modifié.

 

Après l’article 2

 

Amendements CE26 de M. François Piquemal et CE46 de M. Romain Daubié (discussion commune).

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Depuis le début, vous nous accusez de soutenir les squatteurs.

Je vous répète ma question, car vous la comprenez mal : sans les avoir auditionnés, avez-vous néanmoins établi une typologie des occupants sans droit ni titre, dont nous savons que les motivations peuvent être différentes. Par ailleurs, pourquoi défendez-vous les multipropriétaires ?

M. Romain Daubié (Dem). Dans l’esprit de la proposition de loi, l’amendement vise à accélérer la procédure, à mieux protéger le droit de propriété et à lutter contre le squat.

Il s’agit de modifier l’article 38 pour rendre le recours à la force publique, à la demande du préfet, plus systématique. Le législateur doit prendre ses responsabilités en modifiant la loi et le préfet aussi dans l’exécution de la loi, afin de raccourcir les délais d’expulsion.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Les deux amendements vont dans des sens opposés.

Le premier vise à exclure la résidence secondaire du champ d’application de l’article 38 – nous l’avions ajoutée dans la loi Asap à une large majorité, La France insoumise s’était abstenue. Je me souviens d’une affaire à Fréjus dans laquelle des propriétaires avaient trouvé en arrivant leur modeste appartement de vacances squatté et avaient été obligés de dormir dans la rue. Je suis surpris du retour en arrière que vous proposez. J’y suis évidemment défavorable.

Le second amendement vise à interdire au préfet de refuser d’engager la mise en demeure, en dépit d’un motif impérieux d’intérêt général. Je comprends votre intention mais il me semble important de laisser au préfet une marge d’appréciation. Je vous propose de travailler d’ici à la séance pour trouver des réponses aux difficultés liées à un refus du préfet dont vous auriez eu connaissance. Je vous invite donc à retirer l’amendement.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Le rapporteur estime à juste titre qu’il ne faut pas restreindre le pouvoir d’appréciation du préfet. Je l’invite à aller plus loin en renonçant à restreindre celui du juge, contrairement à ce que prévoit l’article 4.

Il faut défendre la liberté du juge car, contrairement à ce qui est dit depuis le début de la discussion, les occupants sans droit ni titre d’un logement ne sont pas tous des personnes sans scrupule, manipulatrices, qui ont lu le guide dont vous avez parlé. Parmi eux, il y a de nombreuses personnes en grande détresse sociale.

Pour pouvoir faire le nécessaire tri entre les squatteurs de mauvaise foi et les personnes en détresse sociale, il convient de conserver le pouvoir d’appréciation du préfet et du juge.

M. Hervé de Lépinau (RN). Il faut distinguer l’occupation sans droit ni titre, qui est la conséquence d’un incident venu perturber l’occupation régulière – impayés, délivrance d’un congé pour reprise –, et le squat brutal.

Dans le premier cas, l’intervention du juge de l’exécution est importante et la justice est souvent bien faite. Dans la majorité des cas, le propriétaire a été négligent en laissant filer la dette de loyer. Il ne réagit pas dès le premier impayé, car les propriétaires sont aussi capables d’humanité ; ce n’est que lorsque la situation est faisandée qu’il engage la procédure judiciaire.

Dans le second cas, l’article 38 depuis la réforme de 2020 définit bien le domicile. Les résidences secondaires sont concernées, à moins que La France insoumise ne fasse adopter une loi qui les interdit. Fort heureusement, nous n’en sommes pas là.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Monsieur Martinet, je vous répondrai lors de l’examen de l’article 4.

Monsieur de Lépinau, vous avez raison, les procédures sont différentes. Dans le cas du squat, il s’agit d’une procédure express impliquant le préfet, sans intervention judiciaire, qui vise à protéger le domicile. Dans l’autre cas, qu’il s’agisse d’impayés, d’une séparation, d’un différend familial, le contentieux, puisque c’en est un, emprunte le circuit judiciaire classique, long.

Contrairement à ce que vous affirmez, d’après les auditions que nous avons effectuées, la justice n’est pas toujours bien faite. La faute n’incombe pas toujours au propriétaire négligent. Certains propriétaires engagent une démarche contentieuse à l’issue du délai légal de deux mois mais la procédure est particulièrement longue.

M. Hervé de Lépinau (RN). L’extrême gauche entretient sciemment la confusion entre les deux situations.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je suis d’accord pour distinguer le domicile d’un logement vide en cas de squat et adapter les pouvoirs du préfet et du juge à chaque situation. Notre collègue d’extrême droite partage avec la majorité une vision extensive de la notion de domicile. Nous considérons que le domicile est l’endroit où les gens vivent.

L’amendement CE46 est retiré.

La commission rejette l’amendement CE26.

 

Amendements CE29 de M. Jean-Louis Thiériot et CE56 de M. Nicolas Meizonnet (discussion commune).

Mme Annie Genevard (LR). L’amendement de Jean-Louis Thiériot vise à corriger une injustice et à effacer les effets kafkaïens d’une jurisprudence dénuée de bon sens et même de sens moral.

Selon cette dernière, la responsabilité du propriétaire dont le bien est squatté peut être engagée en cas de dommage résultant d’un défaut d’entretien pendant cette période.

Afin de permettre au juge de se prononcer en équité, l’amendement a pour objet d’exonérer le propriétaire de son obligation d’entretien dès lors qu’il est privé de la jouissance du bien par une occupation sans droit ni titre.

M. Nicolas Meizonnet (RN). Il importe en effet de mettre un terme à cette aberration où la responsabilité civile d’un propriétaire peut être engagée en cas de dommage survenu lors d’une occupation sans droit ni titre, en raison d’un défaut d’entretien. Cet amendement permettra de protéger les propriétaires en créant une cause d’exonération ad hoc dans le cas où leur responsabilité serait recherchée.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Ces deux amendements s’attaquent à un vrai problème mais le CE29, complétant l’article 1244 du code civil, est plus précis. Il s’agit d’une proposition de bon sens et très attendue.

Avis favorable à l’amendement de M. Thiériot et demande de retrait ou avis défavorable à l’amendement CE56.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Son application entraînerait des effets pervers. Imaginez un locataire en contentieux avec un propriétaire et qui est expulsable en raison d’impayés de loyer. Il sera alors considéré comme occupant sans droit ni titre. Pendant ce temps, le propriétaire se refuse à entretenir le logement, qui fait partie d’une copropriété dégradée, insalubre, menacée d’effondrement. Outre que le refus d’entretenir un bien est contradictoire avec la volonté de le récupérer, la situation peut devenir dangereuse. Nous voterons donc contre cet amendement.

M. Paul Midy (RE). L’amendement de M. Thiériot est, au contraire, remarquable. Lorsqu’un immeuble risque l’effondrement, des arrêtés sont pris et la procédure diffère.

Je rappelle que la Cour de cassation a récemment jugé une affaire où l’occupant, dont l’expulsion n’a pas été exécutée, a fait un procès au propriétaire suite à une chute après le descellement d’un garde-corps de fenêtre. Ce dernier a été condamné à payer 60 000 euros à une personne qui squatte son bien depuis des années !

Nous voterons cet amendement de bon sens.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Ce qui nous oppose, en l’occurrence, n’est pas d’ordre idéologique.

La situation décrite par M. Midy est évidemment scandaleuse mais les conséquences d’un tel amendement excèdent ce cas de figure et peuvent avoir des effets pervers. Un arrêté de péril peut être pris, en effet, si tout se passe bien, mais il convient surtout d’éviter que le défaut d’entretien d’un logement emporte un risque d’effondrement.

Un propriétaire peut décider de cesser d’entretenir son bien en raison d’un conflit qui l’oppose à son locataire mais, si cette situation perdure, la dégradation sera telle qu’elle en deviendra dangereuse, y compris pour la copropriété ou les immeubles mitoyens. Sans doute serait-il opportun de concevoir un autre amendement, mieux ciblé, pour répondre à la situation qui a été évoquée mais
celui-ci est très périlleux.

M. Frédéric Descrozaille (RE). Et cette argumentation, spécieuse. Depuis le début, vous considérez que cette proposition de loi est pro-CAC40,
pro-milliardaires, pro-multipropriétaires. Rien de ce qui est juste n’est sans nuance et vous n’en avez aucune. Il y a des voyous et des abus, y compris parmi les gens qui sont dans le besoin. Dans certains cas, la loi Dalo est instrumentalisée au point que des propriétaires subissent des situations inacceptables. Nous proposons un texte équilibré, qui rétablit un peu de nuance et qui permet de résoudre de tels problèmes. Il ne maltraite absolument pas les procédures, qu’il se contente de raccourcir sans réintroduire une forme d’asymétrie. De grâce, arrêtez de taper sur toutes ces propositions !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Si des ajustements rédactionnels sont nécessaires pour répondre à telle ou elle situation, ils pourront être défendus en séance publique. Cela ne dispense en rien de voter l’amendement de M. Thiériot.

M. Nicolas Meizonnet (RN). J’ai pris note que M. le rapporteur, sur le fond, approuve notre amendement. Je le retire et je le présenterai, modifié, en séance.

L’amendement CE56 est retiré.

La commission adopte l’amendement CE29.

 

Amendement CE22 de Mme Danielle Simonnet.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Nous proposons d’interdire les expulsions de squats pendant la trêve hivernale – 64 % ont lieu pendant cette période – tant elles sont inhumaines, barbares et foulent aux pieds le droit au logement. L’espérance de vie moyenne d’une personne qui vit dans la rue est de 49 ans et les victimes de ces expulsions sont déjà dans la plus grande précarité. Ceux que vous qualifiez de « squatteurs » survivent plus qu’ils ne vivent et ils ne peuvent faire autrement pour avoir un toit sur la tête. Nous ne devrions même pas avoir ce débat dans l’un des pays les plus riches du monde !

Vous nous parlez de ce manuel du parfait squatteur, or celui du parfait évadé fiscal ne semble pas vous émouvoir !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cet amendement est indécent. À Paris, au premier semestre 2021, sur vingt-trois cas de squats, six concernaient des locataires qui sont rentrés chez eux le soir et ont découvert un squatteur dans leur canapé. Aujourd’hui, le 16 novembre, avec votre amendement, un locataire dont le logement serait squatté ne pourrait faire appliquer l’article 38 de la loi Dalo et faire expulser un squatteur avant le mois d’avril. Je suis à moitié étonné qu’il soit suggéré par la Fondation Abbé Pierre et que vous le souteniez.

Avis défavorable.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Nous ne parlons vraiment pas de la même chose.

L’article 38 de la loi Dalo, la plupart du temps, est utilisé pour expulser pendant la trêve hivernale des personnes qui vivent dans des campements de fortune et des bidonvilles. Elles devraient bénéficier de la trêve hivernale, mais vous les qualifiez de squatteurs pour pouvoir procéder à ces expulsions de familles, d’enfants, qui n’ont ensuite nulle part où aller. Cet amendement permettrait de faire cesser ce détournement de la loi qui, une fois encore, vise à s’en prendre aux plus fragiles. Vous ne reculez devant rien quand il s’agit de chasser et de criminaliser les pauvres !

M. Hervé de Lépinau (RN). Je note un nouvel amalgame entre les situations d’impayés et les squats. En cas d’impayés, il est toujours humainement scandaleux de mettre des gens à la porte, or il est ici question des squats.

Conscient du poids électoral de la Nupes, je m’étonne que vous n’ayez pas créé une plateforme de solidarité pour permettre à vos électeurs, qui ont toujours la main sur le cœur, d’organiser l’accueil des personnes expulsées. C’est d’autant plus étonnant que nombre d’habitants des 7e et 8e arrondissements de Paris, où vous avez fait des scores élevés, ont des résidences secondaires. Transférez donc à votre électorat le soin des relogements temporaires plutôt que d’imposer aux propriétaires qui ne votent peut-être pas pour vous de les subir !

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE58 de M. Paul Midy.

Mme Sandra Marsaud (RE). Il vise à proroger l’expérimentation issue de la loi Elan permettant de promouvoir et d’encourager les opérations d’occupation intercalaire afin de protéger les immeubles vacants.

Ce dispositif prévoit que des organismes peuvent être agréés par l’État, au regard de leurs compétences à mener des travaux d’aménagement et à organiser l’occupation de bâtiments par des résidents temporaires, pour mettre en place un dispositif d’occupation temporaire de locaux en vue d’en assurer la protection et la préservation.

Nous proposons une telle prorogation afin de sécuriser les opérations en cours et de réfléchir à une éventuelle pérennisation de ce dispositif à succès.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je suis favorable à la prorogation de ce très beau dispositif et à une réflexion, d’ici à la séance publique, sur sa pérennisation.

La commission adopte l’amendement.

 

CHAPITRE II
Sécuriser les rapports locatifs

 

Article 3 : (art. 315-1 [nouveau] du code pénal) Création du délit d’occupation frauduleuse du logement d’un tiers

 

Amendements de suppression CE69 de M. Guillaume Kasbarian, CE11 de M. François Piquemal et CE43 de M. Aurélien Taché.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. J’ai tout d’abord envisagé la création d’un nouveau délit visant des locataires demeurant dans un logement malgré une décision de justice leur demandant de le quitter.

Néanmoins, après de nombreux échanges, y compris avec des spécialistes du droit, il est apparu qu’une telle procédure serait trop complexe : il faut à nouveau porter plainte, le juge doit être ressaisi et il faut supporter de nouveaux frais d’avocat, ce qui ne permet pas d’accélérer la procédure et, donc, d’atteindre notre objectif.

Je préfère donc proposer la suppression de cet article au profit, un peu plus loin, de dispositifs permettant vraiment d’accélérer la procédure et de gagner en efficacité.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Cet article doit en effet être supprimé.

Je suis de plus en plus ébahi face à votre impréparation. Si vous êtes incapable de répondre sur les types d’occupants, vous êtes, en revanche, passionné par le squat, au point que l’on pourrait vous appeler monsieur squat. Par votre article 4, vous allez même créer de nouveaux squatteurs !

Cette proposition de loi est complètement à côté de la plaque ! Nous avons appris hier que la part des aides au logement n’a jamais été aussi faible dans le PIB ! En 2010, elle était de 2,2 % ; aujourd’hui, elle est d’1,5 %.

Je me demande aussi ce que vous avez contre les locataires.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Je me félicite d’une telle suppression. Je ne comprends d’ailleurs même pas comment vous avez pu imaginer un tel dispositif. Le problème, ce n’est pas une prétendue complexité mais que vous ayez voulu faire des gens qui ne peuvent pas payer leur loyer des délinquants. Un impayé devait devenir un délit pénal ! Vous auriez pu appeler votre texte la « proposition de loi Jean Valjean » ! Votre réflexe, face à de telles situations, ce n’est pas de songer à augmenter l’aide personnalisée au logement (APL) ou de trouver un accompagnement social mais d’emprisonner ! Même les majorités les plus à droite n’ont jamais proposé une chose pareille ! Vous avez eu un accès de bon sens pour des raisons semble-t-il techniques mais j’espère aussi que, philosophiquement, vous vous êtes rendu compte de ce que vous étiez en train de faire. Cet article était odieux et inique.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Vous pourriez saluer notre capacité d’écoute au lieu de vous agiter et de vous livrer à des attaques personnelles. Je ne suis pas dogmatique et j’entends les critiques qui sont faites.

Je reste très clair : je me bats contre le squat, l’occupation illicite, que je condamne. Philosophiquement, donc, je persiste et je signe. Vous devriez plutôt m’appeler monsieur anti-squat. J’en profite pour demander à votre collègue de
La France insoumise de me rendre le guide du bon squatteur qu’il m’a emprunté – son intérêt n’est sans doute pas de même nature que le mien.

M. Paul Midy (RE). Je salue le travail collectif qui a été accompli. Ce n’est tout de même pas anodin que de retirer un article. Nous constatons à quel point les auditions sont précieuses et nous nous montrons à l’écoute, en particulier,
M. le rapporteur, qui est en effet monsieur anti-squat, à la différence des messieurs squat de La France insoumise.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Je partage l’indignation de M. Taché. Il est impensable d’avoir proposé un tel article !

Imaginez une famille dont le taux d’effort est de 50 % ou 60 %, ce qui est fréquent dans les grandes métropoles. Un parent perd son emploi et la moitié des revenus disparaît. Le taux d’effort est impossible à assumer ; la spirale infernale des impayés s’enclenche ; il est très difficile de trouver un nouveau logement plus adapté à la situation. De fil en aiguille, la procédure d’expulsion commence, le jugement est prononcé et cette famille se retrouve sans droit ni titre. Avec votre article Jean Valjean, cette famille était vouée aux amendes et à la prison ce qui, chacun en conviendra, est insupportable. Je regrette que, pour justifier sa suppression, vous ayez fait valoir sa prétendue complexité alors qu’il y va de l’humanisme même.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 3 est supprimé et l’amendement CE57 de M. Hervé de Lépinau tombe.

 

Après l’article 3

 

Amendement CE39 de Mme Françoise Buffet.

Mme Françoise Buffet (RE). Je propose de prévenir les situations conflictuelles en intervenant en amont. Lors de la signature du bail, l’unique moyen de paiement reste le chèque alors qu’il est de moins en moins utilisé par les Français en raison de la recrudescence de chèques non provisionnés. La possibilité de solliciter le versement du dépôt de garantie au moyen d’un chèque de banque permettrait de lever toute difficulté, de protéger le bailleur et d’éviter un impayé.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Un chèque de banque compliquerait un peu le processus en pénalisant les locataires, qui devraient se livrer à une démarche administrative supplémentaire. De plus, le risque est grand que tous les propriétaires en demandent un. N’a-t-il pas d’autres moyens de prévenir les impayés ?

Avis défavorable.

Mme Françoise Buffet (RE). Il ne s’agit que d’une possibilité, au même titre qu’il est possible de demander une attestation de paiement de loyer aux anciens bailleurs. C’est le seul domaine où les chèques soient obligatoires, les virements étant impossibles puisque le versement doit être concomitant avec la signature du bail.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). En stigmatisant les pauvres, ce texte est d’abord antisocial. Les plus précaires, parfois, n’ont même pas de compte bancaire avec chéquier ! Ils peuvent être aussi interdits bancaires.
Voulez-vous leur infliger une double peine en les obligeant à crécher sous les ponts ? Il faudrait être un peu raisonnable et cesser d’obliger ces pauvres gens à disposer de moyens de paiement que vous, à leur différence, vous manipulez facilement.

La commission rejette l’amendement.

 

Article 4 : (art. 24 de la loi n° 89-462) Systématisation de la clause de résiliation du bail et suppression de la faculté du juge d’en suspendre les effets.

 

Amendements de suppression CE12 de Mme Danielle Simonnet et CE44 de M. Aurélien Taché.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). En généralisant la clause de résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement de loyer ou des charges, vous créez davantage de squatteurs. Vous méritez bien votre surnom de monsieur squat puisque votre texte multipliera le nombre de personnes sans droit ni titre, que vous considérez comme des squatteurs.

Les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions (Ccapex) et les moyens qui pourraient leur être consacrés sont totalement absents de cette proposition de loi. Qu’en est-il, également, du Fonds de solidarité pour le logement (FSL) ?

À Toulouse, un logement sur dix est vacant. Une telle situation est-elle normale ? Au lieu d’être monsieur squat, appliquez les dispositifs de réquisition aux 3,1 millions de logements vacants et devenez monsieur réquisition. Vous auriez ainsi une autre envergure, comme le général de Gaulle, Jacques Chirac ou
Lionel Jospin.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je ne répondrai pas aux provocations et je me dois de me réserver un peu pour l’hémicycle. Avis défavorable.

M. Thibault Bazin (LR). Le sujet est sérieux ! Nos concitoyens sont choqués par les abus : squats, loyers jamais honorés, manœuvres frauduleuses. Nous ne sommes pas au théâtre, avec monsieur fraude ou monsieur squat ; nous sommes confrontés à un problème de politique publique. Le général de Gaulle était aussi l’homme du devoir : c’est l’intégralité de son message que les Insoumis devraient retenir !

Les rapports locatifs, nous le constatons, sont déséquilibrés, voire dévoyés. Cet article va dans le bon sens mais il convient de bien distinguer ce qui relève du squat et de l’impayé, tout en prévoyant un arsenal permettant de lutter contre les manœuvres frauduleuses. Certaines personnes rencontrent en effet des problèmes économiques, mais d’autres ne paient pas leur loyer alors qu’elles le pourraient. Cette proposition de loi ne doit pas être caricaturée et ne concerne pas les seuls squats : elle vise aussi à accompagner les propriétaires confrontés à des locataires malhonnêtes. Sans doute conviendra-t-il, à ce propos, de revoir son titre.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Cet article, qui réduit le périmètre d’appréciation du juge et ses marges de manœuvre, doit être supprimé.

Je comprends que le propriétaire considère que la procédure judiciaire limite sa liberté, mais nous devrions tous être attachés à cette dernière car elle permet de réaliser un arbitrage entre les différents droits – le droit de propriété et le droit au logement – et elle soulève la question de l’ordre public : il est normal que le juge puisse s’exprimer lorsque des familles, des enfants, risquent d’être mis à la rue, et qu’il puisse, le cas échéant, accorder un délai supplémentaire avant une expulsion. Le juge joue également un rôle très important pour distinguer ceux qui sont de mauvaise foi et ceux qui sont en détresse sociale. Peut-être avons-nous été collectivement caricaturaux mais il n’en reste pas moins que les situations sont différentes et que le juge peut les distinguer.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CE71 de M. Guillaume Kasbarian.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Il remplace certaines facultés exercées d’office du juge par des facultés exercées à la demande du locataire.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendements identiques CE68 de M. Guillaume Kasbarian et CE28 de Mme Caroline Yadan.

Mme Caroline Yadan (RE). De nombreux locataires peuvent avoir des difficultés et doivent pouvoir faire valoir leurs droits devant les tribunaux. La loi les protège d’ailleurs efficacement, mais aucune obligation d’entamer des démarches judiciaires ne leur incombe.

Par ailleurs, tous les propriétaires ne sont pas aisés et ne peuvent pas assumer une perte financière importante, en particulier les bailleurs privés, pour lesquels l’achat d’un bien immobilier fait l’objet d’un prêt et constitue le seul patrimoine ainsi qu’une source de revenu complémentaire. Les impayés locatifs conduisent souvent les propriétaires dans des situations inextricables et ubuesques. Dans un souci d’équilibre, il nous appartient donc de les protéger eux aussi des abus.

Cet amendement vise ainsi à responsabiliser les locataires en les incitant à solliciter le juge rapidement et à maintenir le paiement du loyer avant que les difficultés s’accumulent. Il me semble plus approprié que le juge puisse conserver la faculté d’apprécier la situation et d’accorder des délais de paiement de la dette locative tout en tenant mieux compte des difficultés rencontrées par le bailleur privé en conditionnant la suspension de la clause de résiliation à la bonne foi démontrée du locataire.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements.

 

Elle adopte l’article 4 modifié.

 

Article 5 : (art. 24 de la loi n° 89-462, art. L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution) Réduction de délais dans la procédure contentieuse du litige locatif

 

Amendements de suppression CE13 de M. François Piquemal et CE45 de M. Aurélien Taché.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). L’article 5 prévoit la réduction des délais de procédure dans le traitement des impayés de loyer. Or, dans certains cas, des personnes qui n’arrivent pas à payer leur loyer pendant un certain temps, sont déclarées expulsables et sont même menacées d’une expulsion locative, peuvent être accompagnées par une structure sociale et renouer le dialogue avec le bailleur pour trouver une sortie par le haut. Si l’on raccourcit les délais, on empêche toute solution à moyen ou long terme.

Par ailleurs, si l’on veut accélérer les expulsions locatives, il faut donner plus de moyens à la force publique, donc augmenter les frais. Une expulsion locative coûte en moyenne 2 000 euros, sans compter les déménageurs, les huissiers etc. Cet argent pourrait utilement servir à la prévention des expulsions.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article.

M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES). Vous dites vouloir ne vous en prendre qu’aux squatteurs et aux locataires de mauvaise foi, et non à ceux qui sont en difficulté, mais si vous réduisez les délais de trois ans à un, vous restreignez considérablement les chances de ces derniers de remonter la pente, quand bien même ils disposeraient de l’accord du propriétaire ou d’une clause favorable du juge. Je ne comprends pas le sens de cet article. Si vous êtes sincère, supprimez-le !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Avis défavorable. L’objectif du texte est d’accélérer les procédures. La lenteur n’est bonne pour personne.

M. William Martinet (LFI-NUPES). C’est faux ! Très fréquemment, les services sociaux se mobilisent pour trouver un nouveau logement aux familles menacées d’expulsion afin qu’elles ne se retrouvent pas à la rue. Avec cet article, vous réduisez la capacité du juge à allonger la durée de la procédure d’expulsion et, partant, vous augmentez le risque que la famille ne trouve aucune solution de relogement.

M. Paul Midy (RE). L’objectif du texte est d’apporter une protection non pas contre les locataires en galère passagère – cela peut arriver à tout le monde –, mais contre ceux qui abusent en toute conscience du droit. Si cet article était adopté, la durée de la procédure contentieuse serait comprise entre un an et trois ans, contre cinq aujourd’hui : on voit bien que ce n’est pas le bas du spectre des procédures qui est visé.

La commission rejette les amendements.

 

Amendement CE48 de M. Christophe Naegelen.

M. Christophe Naegelen (LIOT). Lorsque la procédure d’expulsion est enclenchée, un commandement de payer est délivré par un huissier et un délai de deux mois est laissé aux locataires pour régulariser la situation. Je propose de réduire ce délai à un mois, afin que l’assignation du locataire devant le tribunal puisse être accélérée. Je rappelle qu’avant que la procédure soit enclenchée par le propriétaire, il se passe souvent des mois, voire des années.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Avis favorable. C’est une très bonne idée. Je profite de l’occasion pour saluer votre travail sur le sujet, en particulier la proposition de loi que vous aviez déposée visant à fluidifier la procédure en cas de locataire défaillant.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Tant que vous y êtes, pourquoi ne pas déposer un amendement visant à créer un fonds de solidarité avec les petits propriétaires afin de compenser les manques à gagner résultant de défauts de paiement ?

M. Hervé de Lépinau (RN). Faisons plutôt bénéficier d’une déduction fiscale ceux qui hébergent les personnes expulsées et qui participent à l’effort de solidarité : cela satisferait davantage votre électorat des 16e, 8e et 17e arrondissements !

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE61 de M. Paul Midy.

Mme Annaïg Le Meur (RE). Cet amendement tend à prévoir la transmission systématique, par huissier de justice, du commandement de payer à la Ccapex, afin de permettre la prise en charge le plus en aval possible des difficultés du locataire. Il reprend une suggestion du rapport « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire » remis en décembre 2020 par notre ex-collègue, Nicolas Démoulin. Une étude de 2017 du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) soulignait, elle aussi, la rareté des actions de prévention des impayés et de l’expulsion à un stade précoce.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Très bonne idée. M. Piquemal trouvait qu’on ne parlait pas assez de la Ccapex : voilà qui répond à son interpellation ! Avis favorable.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Ma collègue Le Meur me surprend d’autant plus qu’elle nomme celui que vous appelez un squatteur un « locataire occupant sans droit ni titre ».

Informer la Ccapex en amont, c’est bien, mais ce qui serait encore mieux, c’est qu’on lui donne les moyens humains et financiers pour agir, ce qui n’est pas le cas dans tous les départements.

La commission adopte l’amendement.

 

Amendement CE59 de M. Paul Midy.

M. Paul Midy (RE). Il est proposé de réduire de deux mois à un la durée minimale qui doit s’écouler entre le commandement de quitter les lieux signifié par huissier et l’exécution de la décision.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Encore une accélération bienvenue : avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

 

Elle adopte l’amendement de coordination CE67 de M. Guillaume Kasbarian.

 

Amendement CE64 de M. Hervé de Lépinau.

M. Hervé de Lépinau (RN). Je trouve choquant qu’alors que la résiliation du bail et l’expulsion ont été prononcées après une procédure déjà longue, on donne au juge de l’exécution la possibilité de prolonger l’occupation pour une période de trois ans maximum. Notre rapporteur veut réduire ce délai ; je propose de le supprimer.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. L’objectif de l’article est d’accélérer la procédure, non de réduire la capacité d’appréciation du juge. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’article 5 modifié.

 

Après l’article 5

 

Amendement CE35 de Mme Anaïs Sabatini.

Mme Anaïs Sabatini (RN). Il s’agit de prévoir que l’expulsion d’urgence peut être diligentée par l’autorité administrative, sans aucune condition de durée de l’occupation illégale, dès lors que cette occupation constitue une atteinte à l’ordre public. Cet amendement vise en définitive à accélérer les démarches d’expulsion en permettant aux préfets de recourir aux forces de l’ordre dès lors que la personne prouve que le logement lui appartient ou qu’il en est le locataire officiel. Le droit de propriété sera ainsi mieux protégé, dans la mesure où le dispositif concernerait non seulement l’occupation du domicile, mais aussi celle des logements vacants, se trouvant entre deux locations ou squattés avant que le propriétaire ou le locataire n’y emménage.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. La procédure d’urgence que vous proposez de créer viendrait concurrencer celle prévue à l’article 38 de la loi Dalo et, partant, risquerait de la fragiliser. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

 

Amendement CE16 de Mme Danielle Simonnet.

M. William Martinet (LFI-NUPES). Cet amendement vise à interdire les expulsions sans solution de relogement – ou, plus précisément, à empêcher le concours de la force publique dans ces cas de figure. Une expulsion sans relogement revient à produire du sans-abrisme. Au XXIe siècle, dans la sixième puissance économique mondiale, ce n’est pas acceptable.

Cette mesure devrait aller de pair avec la garantie universelle des loyers, afin que les propriétaires soient indemnisés pendant la période d’attente du relogement. Ce diptyque serait porteur d’un grand progrès social.

Quoi que vous en disiez, monsieur le rapporteur, c’est sur la lutte contre le mal-logement qu’aurait dû porter la proposition de loi. De même que quand on discute du code du travail, on fait évidemment le lien avec le chômage, quand on discute des procédures d’expulsion, on doit faire le lien avec le mal-logement. Les procédures utilisées, le degré de protection des locataires, les règles applicables, tout cela détermine le nombre de personnes susceptibles de se retrouver à la rue. Je rappelle qu’elles sont chaque soir quelque 6 000 à appeler le 115. Voilà le bilan de l’action de la majorité. La présente proposition de loi ne fera qu’aggraver la situation.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Cet amendement, qui vise à allonger les délais, ne va pas dans le sens que nous souhaitons. Avis défavorable.

M. Éric Bothorel (RE). La lutte contre le sans-abrisme était l’un des chevaux de bataille de notre ancien collègue Nicolas Démoulin, qui coprésida, sous la précédente législature, le groupe d’études « Pauvreté, précarité et sans-abri » et remit au Premier ministre un rapport sur la prévention des expulsions locatives. Les mesures prises à la suite de ce rapport ont permis d’éviter une vingtaine de milliers d’expulsions locatives. Qu’il me soit permis de saluer ses travaux, dans la continuité desquels nous nous inscrivons aujourd’hui.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). Si vous êtes contre les squats, votez pour cet amendement, monsieur le rapporteur ! En mettant des gens à la rue, vous réunissez les conditions dans lesquelles les squats prospèrent, car ceux qui appellent le 115 sans recevoir aucune réponse n’ont souvent pas d’autre solution que de devenir des occupants sans droit ni titre.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE25 de M. François Piquemal.

M. Thomas Portes (LFI-NUPES). Cet amendement vise à interdire toute expulsion, dans les zones tendues, dès lors que le propriétaire ne respecte pas l’encadrement des loyers. Vous ne cessez de nous faire part de votre volonté de rétablir l’équilibre entre propriétaires et locataires. Or il est parfaitement injuste qu’un locataire traversant une mauvaise passe soit expulsé par un propriétaire qui ne respecte même pas la loi ! Nous avions déposé un amendement visant à donner plus de moyens aux collectivités territoriales pour vérifier que l’encadrement des loyers est bien respecté, mais il a été jugé irrecevable. C’est dommage.

Notre solidarité n’est pas à géométrie variable ; elle ne dépend pas de la couleur de la peau. Nous n’avons pas de leçons à recevoir du Rassemblement national en la matière. On l’a vu récemment : la solidarité, pour ce dernier, consiste à renvoyer les gens chez eux, quand bien même ils devraient pour cela crever en mer !

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Je suis heureux de vous entendre saluer une mesure mise en place par la majorité : l’encadrement des loyers. Je suis néanmoins surpris que vous jugiez que le locataire a le droit de se faire justice lui-même en ne payant pas son loyer et que vous refusiez qu’il puisse être expulsé. La logique de l’amendement me paraît plutôt tortueuse. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE54 de M. Nicolas Meizonnet.

M. Nicolas Meizonnet (RN). Il convient de protéger les propriétaires victimes de squatteurs. L’occupation illicite d’un logement peut entraîner des coûts difficiles à supporter pour le propriétaire. C’est pourquoi nous proposons que l’ensemble des charges, dépens et frais irrépétibles tendant au recouvrement de sommes nées du fait de cette occupation ou tendant à l’expulsion de l’occupant soient à la charge de ce dernier.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. Sur ce sujet, nous avons déjà adopté l’amendement CE29 de M. Thiériot. Si l’on voulait aller plus loin, il faudrait le faire à partir de cet amendement.

En outre, une telle disposition mettrait en difficulté les copropriétés. Il conviendrait de mieux définir les charges et de préciser les aspects assurantiels. On pourrait partir de la question de l’entretien, comme dans l’amendement que je viens de citer.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CE53 de M. Nicolas Meizonnet.

M. Nicolas Meizonnet (RN). Il importe de donner des outils aux propriétaires pour que ceux-ci puissent empêcher les squatteurs de se fournir en gaz ou en électricité. L’amendement vise à permettre aux fournisseurs d’électricité et de gaz d’exiger la présentation d’un titre, par exemple un contrat de bail, avant la prise d’effet d’un contrat de fourniture.

M. le président Guillaume Kasbarian, rapporteur. À ce que je viens de dire au sujet des charges, j’ajoute qu’une telle mesure risquerait de créer de la complexité : toute personne voulant modifier un contrat se verrait dans l’obligation de présenter des pièces justificatives supplémentaires. Je comprends le sens de l’amendement, mais il faut trouver une autre voie.

Avis défavorable.

M. Hervé de Lépinau (RN). Concrètement, des squatteurs peuvent demander à EDF de les raccorder au réseau, EDF ne se demande même pas s’ils possèdent un titre d’occupation et une fois que le raccordement est fait, c’est trop tard. C’est complètement dingue ! L’amendement ne crée aucune complexité ; au contraire, il clarifie les choses. Il faut l’adopter.

M. François Piquemal (LFI-NUPES). C’est le summum ! Les victimes d’un marchand de sommeil – des squatteurs, donc – ne pourraient même plus se chauffer ? En quoi cela faciliterait-il la procédure judiciaire ou aiderait-il le propriétaire ? Je ne vois pas l’intérêt d’une telle proposition – à part vous faire plaisir.

La commission rejette l’amendement.

 

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

*

*   *

 

 


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Liste des personnes auditionnÉes

Table ronde de témoins : 
Yasmina
Mégane
Cécilia
Michel
Bénédicte
Bruno
Laurent

Table ronde d’avocats spécialisés : 
Me Romain Rossi-Landi 
Me Raphaël Richemond 
Me Xavier Bouillot 

Confédération générale du logement (CGL) *

M. Michel Fréchet, président

Fondation Abbé Pierre

M. Manuel Domergue, directeur des études

Mme Noria Derdek, chargée d’études

Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) *

M. Jean-Marc Torrollion, président

Mme Bénédicte Rouault, cheffe de cabinet

Union nationale des syndicats immobiliers (Unis) *

M. Denis Geniteau, vice-président

Mme Emmanuelle Benhamou, responsable juridique

M. Géraud Delvolvé, délégué général

Syndicat national des professionnels immobiliers (SNPI) *

M. Alain Duffoux, président

Mme Anne Catherine Popot, directrice juridique

Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) *

M. Eudes Baufreton, directeur général

Mme Juliette Martin, responsable des affaires publiques et plaidoyer

M. Henry Buzy-Cazaux, président de l’Institut du management des services immobiliers, membre du Conseil national de l’habitat

 

 

Liste des contributions ÉCRITES

 

Agence nationale pour l’information sur le logement (Anil)

 

Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) *

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


([1]) Article 226-4 du code pénal modifié par la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de domicile.

([2]) La règle générale qui interdit de se faire justice à soi-même veut en effet que, lorsqu’un bailleur estime que son locataire n’est plus en droit d’occuper son bien et souhaite son expulsion, il est tenu de demander l’autorisation du juge. L’obtention d’un titre exécutoire, délivré par un magistrat, permettant de procéder à une expulsion, est obligatoire en vertu de l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution.

([3]) Guillaume Kasbarian et Sylvia Pinel, « Rapport d’information sur la mise en application de la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique », juillet 2021.

([4]) Celui-ci recouvre la collectivité « Ville de Paris » ainsi que les départements des Hauts-de-Seine, de Seine‑Saint-Denis et du Val-de-Marne.

([5]) Par exemple, la proposition de loi n° 3453 visant à fluidifier la procédure en cas de locataire défaillant, déposée le 20 octobre 2020, par M. Christophe Naegelen (UDI) et plusieurs de ses collègues.

([6]) Danièle Voldman, Locataires et propriétaires. Une histoire française, 2017, Payot.

([7]) Rapport n° 1329, tome I (XIVe législature) de M. Daniel Goldberg et de Mme Audrey Linkenheld sur le projet de loi n° 1179 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, page 58.

([8]) Article 85 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

([9]) Article 86 de la même loi n° 2022-217 (portant création d’un article 2-1 de la loi n° 89-462).

([10]) Article 13 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

([11]) Article 12 de la même loi n° 2022-1158.

([12]) Article 3 de la loi n° 89-462.

([13]) Article 3-1 de la loi n° 89-462 résultant de la loi Alur.

([14]) Article 3-3 de la loi n° 89-462 résultant des lois Alur, Élan, Lom et Climat.

([15]) Ainsi, à titre d’exemple, par un arrêt du 8 mars 2018, la Cour de cassation a-t-elle pu estimer que le bailleur est responsable envers le locataire des troubles de jouissance, en l’occurrence des nuisances sonores nocturnes et des violences, causés par les autres locataires ou occupants de l’immeuble, en dépit des tentatives du bailleur, par trois lettres recommandées adressées aux auteurs de ces troubles, de les faire cesser (Chambre civile 3, 8 mars 2018, 17-12.536).

 

([16]) Article 17 de la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat ; décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine.

([17]) Et à compter du 1er janvier 2034, 6 millions de logements classés E. Cette démarche s’inscrit dans un objectif d’atteinte à horizon 2028 de l’élimination des passoires énergétiques, processus qui s’inscrit lui-même dans l’objectif plus large de parvenir en 2050 à un parc entièrement performant.

([18]) Articles 157 et 149 de la loi climat et résilience.

([19]) Article 159 de la loi climat et résilience.

([20]) Article 13 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.

([21]) Wasmer, Étienne, « Analyse économique du marché du logement locatif », Revue économique, 2007/6 vol. 58, pages 1247-1264.

([22]) Les noms de famille des témoins entendus à titre individuel le jeudi 10 novembre ne sont pas publiés.

([23]) Tison, Erwann, « Les cinq dysfonctionnements à corriger sur le marché du logement », Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, 2022.

([24]) Wasmer, Étienne, « Pour une réforme radicale du droit du logement : une analyse économique », En temps réel, 2006, vol. 27, pages 1-56.

([25]) Trannoy, Alain et Étienne Wasmer. « La politique du logement locatif », Les notes du Conseil d’analyse économique, 2013, n° 10.

([26]) Gregoir Stéphane et Maury Tristan-Pierre, « Les dysfonctionnements du marché locatif privé et le rôle de la régulation », Pôle de recherche en économie, EDHEC, 2014.

([27]) Wasmer, Étienne, « Analyse économique du marché du logement locatif », Revue économique, 2007/6 vol. 58, pages 1247-1264.

([28]) Wasmer, Étienne ,« Analyse économique du marché du logement locatif », Revue économique, 2007/6 vol. 58, pp. 1247-1264.

([29]) Gregoir, Stéphane et Maury Tristan-Pierre, « Les dysfonctionnements du marché locatif privé et le rôle de la régulation », op. cit., 2014.

([30]) Article 226-4 du code pénal modifié par la loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de domicile.

([31]) Concernant l’interprétation de la notion de domicile, voir commentaire de l’article 2.

([32]) La jurisprudence avait jusque-là exigé l’ouverture de l’enquête dans un délai de quarante-huit heures à partir de l’introduction dans le domicile. Désormais il n’existe plus de limite de temps à partir de laquelle le constat devient impossible.

([33]) Cf. Cass. crim., 24 avril 1947.

([34]) Cf. Cass. crim., 4 juin 1966.

([35]) Article 226-4-2 du code pénal.

([36]) Amendement n° 1184.

([37]) Décision n°2020-807 DC du 3 décembre 2020.

([38]) Cet article a remplacé l’article 405 de l’ancien code pénal.

([39]) Au titre de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Toute personne peut invoquer devant une juridiction française une disposition de la CEDH, et la juridiction saisie doit la faire prévaloir sur toute règle nationale contraire.

([40]) Le régime de l’article 226-4 n’a donc pas pour objet d’assurer l’intégrité des propriétés immobilières – ces atteintes sont réprimées par les articles 322-1 et suivants du code pénal.

([41]) Cette conception par rapport à l’usus du bien s’oppose à une conception par rapport à la propriété du bien.

([42]) Cass. crim. 13 oct. 1982, Bull. crim., n° 218, Cass. crim. 22 janv. 1997, Bull. crim. n° 95-81.186.

([43]) Cass. crim. 28 janv. 1958, Bull. crim., no 94.

([44]) Cass. crim. 22 janv. 1957, Bull. crim., no 68.

([45]) Loi n° 92-684 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes ; loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l’infraction de violation de domicile

([46]) V. Chapus et Chemin, Centre. doc. et inf. pol. nat. Bull. no 13, janv. 1982

([47]) Cf. circulaire d’application du 14 mai 1993 et réponse parlementaire du ministre de la justice qui précise : « l’infraction de violation de domicile est un délit continu : tant que la personne se maintient dans les lieux [...], les services de police ou de gendarmerie peuvent diligenter une enquête dans le cadre de la flagrance ».

([48]) Loi n° 2015-714 du 24 juin 2015 tendant à préciser l'infraction de violation de domicile.

([49]) Article 102 du code civil.

([50]) L’extension de la notion ne s’arrête pas là, puisque la demeure peut aussi bien caractériser l’habitation légère de loisirs (caravane, tente, roulotte, camping-car), à l’exception de l’automobile. Les dépendances du domicile sont également protégées : balcons, terrasses, caves, greniers, buanderies, débarras, ateliers, garages ; poulaillers, cours, jardins et parcs dès lors que clos et attenants à l’habitation.

([51]) Cass. crim. 19 juill. 1957, Bull. crim., n° 513 ; CA Versailles, 8e ch., 31 janv. 1995, Juris-Data n° 040700.

([52]) Conseil d’État, jeudi 25 mars 2021, n° 450651, considérant n° 6.

([53]) Gabriel Dumenil, « Traitement juridique du "squat" : évolutions, interrogations et perspectives », LexisNexis Droit pénal, juin 2022.

([54]) Article 1244 du code civil.

([55]) Cour de cassation, 2e chambre civile, 15 septembre 2022 – n° 19‑26.249.

([56]) Proposition de loi n° 434 de M. Jean-Louis Thiériot (LR) et plusieurs de ses collègues, visant à libérer le propriétaire d’un bien immobilier squatté de toute obligation d’entretien, 2 novembre 2022.

([57]) Concernant le commandement de quitter les lieux, voir le commentaire de l’article 4.

([58]) Ce métier, qui reprend les prérogatives de l’huissier de justice, résulte de la réforme de l’ordonnance n° 2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice, entrée en vigueur le 1er juillet 2022.

([59]) Article 227-3 du code pénal.

([60]) Loi du 9 mars 2004, cf. Jacques-Henri Robert, « La désobéissance en droit pénal », Pouvoirs, 2015/4, n° 155.

([61]) L’article 1225 du code civil dispose que « La clause résolutoire précise les engagements dont l'inexécution entraînera la résolution du contrat. La résolution est subordonnée à une mise en demeure infructueuse, s'il n'a pas été convenu que celle-ci résulterait du seul fait de l'inexécution. La mise en demeure ne produit effet que si elle mentionne expressément la clause résolutoire. »

([62]) Traité des baux d’habitation et professionnels, dir. Philippe Pelletier, Référence juridique, 2021, page 690.

([63]) Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions (« loi Aubry »).

([64]) (Civ. 3ème, 16 février 2011, n°10-14945, Bulletin 2011, III, n°26).

([65]) Nicolas Monachon Duchêne, « Prévenir l’expulsion locative pour lutter contre l’exclusion », La semaine juridique, n° 44, octobre 1998.

([66]) Mickaël Nogal, « Louer en confiance : 37 propositions pour un développement équilibré et conforme à l’intérêt général du parc locatif privé », rapport au Premier ministre, juin 2019, page 16.

([67]) Nicolas Démoulin, « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire », rapport au Premier ministre, décembre 2020.

([68])  Proposition de loi n° 3453 visant à fluidifier la procédure en cas de locataire défaillant, déposée le 20 octobre 2020, par M. Christophe Naegelen (UDI) et plusieurs de ses collègues.

([69]) Nicolas Démoulin, « Prévenir les expulsions locatives tout en protégeant les propriétaires et anticiper les conséquences de la crise sanitaire », rapport au Premier ministre, décembre 2020.