N° 1005
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
SEIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mars 2023.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche,
Par M. Didier LE GAC,
Député.
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Voir le numéro : 798.
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SOMMAIRE
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Pages
A. Le droit français du travail maritime assure un régime social protecteur aux gens de mer
1. La construction d’un droit du travail français spécifique aux gens de mer résidant en France
a. L’autonomie partielle du droit du travail maritime
2. Les différents registres et régimes applicables au transport maritime
a. Le registre international français
b. L’application des conditions sociales du pays d’accueil
a. Des tentatives limitées d’assurer un lien substantiel entre le navire et l’État de son pavillon
2. Le déploiement limité d’un droit international du travail maritime
1. Un détroit au trafic particulièrement dense
B. La nécessité d’encadrer, par des outils exceptionnels, la concurrence dans le transmanche
Annexe N° 1 : liste des personnes auditionnées
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Le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries licenciait ses 786 marins sans préavis ni consultation des organisations syndicales. Quelques jours plus tard, l’entreprise remplaçait ses équipages par du personnel recruté bien en dessous du salaire minimum britannique et dans des conditions sociales très dégradées.
Si la méthode brusque a choqué l’opinion publique de part et d’autre de la Manche, elle ne fait que s’inscrire dans le développement progressif d’un dumping social qui menace les compagnies maritimes françaises, fait craindre pour la sécurité des navigations et conduira, si rien n’est fait, à la disparition progressive de tout un pan de notre marine marchande.
C’est dans ce contexte que Britanniques et Français ont entamé des discussions pour mieux réguler les liaisons maritimes entre nos deux pays. La présente proposition de loi concrétise ce travail en réaffirmant que la juste rémunération des marins est aux fondements de notre modèle social et constitue un principe dont le respect est jugé crucial pour la sauvegarde de nos intérêts publics.
Bien que régi principalement par le droit international et européen, le droit du travail maritime applicable aux navires effectuant des liaisons transmanche devra désormais prendre en compte les dispositions impératives fixées par cette loi de police.
Le travail en commission a permis, sur proposition de votre rapporteur et des groupes Renaissance et Horizons et apparentés, avec le soutien de l’ensemble des députés, de compléter l’article 1er, initialement circonscrit à la question de la juste rémunération, afin d’imposer également, au nom de la sécurité maritime et de la lutte contre les pollutions marines, qu’un temps d’embarquement maximum, équivalent au temps de repos à terre, soit imposé aux liaisons maritimes concernées.
L’article 2 renforce, pour sa part, la sécurité maritime à bord des navires battant pavillon français en sanctionnant le non-respect du contrôle de l’aptitude physique des marins étrangers avant leur embarquement.
Les articles 3 et 4, introduits en commission, permettront, par la remise de rapports au Parlement, de mieux connaître l’ampleur du dumping social au niveau européen et les besoins des services chargés du contrôle des navires.
Le rapporteur se félicite du travail constructif effectué tout au long de la préparation du texte et lors de sa discussion en commission. Il forme le vœu que la suite de l’examen parlementaire permettra d’agir rapidement contre un phénomène qui porte directement atteinte à la souveraineté nationale.
I. la réglementation du travail applicable aux gens de mer fait face à une concurrence internationale forte génératrice de dumping social
A. Le droit français du travail maritime assure un régime social protecteur aux gens de mer
1. La construction d’un droit du travail français spécifique aux gens de mer résidant en France
a. L’autonomie partielle du droit du travail maritime
La question du droit du travail applicable aux gens de mer fait l’objet d’une imbrication de normes internationales, européennes et françaises qui ont justifié de nombreuses interventions des pouvoirs publics et du législateur.
C’est même, selon le professeur Philippe Delebecque, l’une des spécificités du droit du travail maritime que de conférer un statut particulier aux marins de longue date là où les droits des salariés étaient régis, jusqu’au XXe siècle, sur la base du corporatisme ([1]). Du fait de l’intérêt stratégique que représente la marine marchande, les États ont, depuis le XVIIe siècle, encadré le statut professionnel des marins en assumant une fonction tutélaire ([2]) d’enregistrement des marins et de reconnaissance de leur aptitude professionnelle, de contrôle de légalité de leur contrat et de protection sociale spécifique qui s’est traduite, en France, par la création de l’Établissement national des invalides de la marine (Enim).
Avec le développement du droit du travail terrestre, notamment à partir de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail ([3]), le droit du travail des salariés et celui des marins se sont progressivement rapprochés. La Cour de cassation a ainsi jugé en 1997 que le code du travail s’applique bien aux marins dès lors que la situation dans laquelle ils se trouvent « n’est régie par aucune loi particulière » ([4]).
Le code des transports reprend le principe d’application du droit commun du travail aux marins en l’absence de dispositions qui leur sont spécifiques. L’article L. 5541‑1 dispose ainsi que « le code du travail est applicable aux marins salariés des entreprises d’armement maritime et des entreprises de cultures marines ainsi qu’à leurs employeurs, sous réserve des dérogations ou des dispositions particulières ainsi que des mesures d’adaptation prises par voie réglementaire dans les conditions prévues par le présent titre ».
En revanche, depuis la recodification des codes du travail et des transports, les dispositions relatives aux gens de mer ne figurent plus dans le premier mais forment le titre IV du livre V de la cinquième partie du code des transports consacrée au transport et à la navigation maritimes.
Ces dispositions, dérogatoires du droit commun du travail en ce qu’elles doivent s’adapter au rythme et aux contraintes propres au travail sur les navires, respectent cependant les grands principes du droit du travail en termes de rémunération ([5]), de durée du travail ([6]), de repos ([7]) ou encore de congés ([8]).
b. La francisation du navire, condition d’application du droit du travail aux contrats d’engagement maritime des ressortissants français
Par nature international, le droit maritime, dont fait partie intégrante son droit du travail, répond à des règles concurrentielles qui conduisent à l’application de régimes sociaux très divers s’agissant des navires touchant les ports français.
Si l’objet du présent exposé n’est pas de décrire de manière exhaustive l’ensemble des règles de pavillonnement ([9]) des navires et les conséquences qui s’y attachent, l’encadré ci-après rappelle les conditions de francisation d’un navire dont la conséquence est l’application, à son bord, du droit maritime du travail français à tout ou partie de son équipage en fonction de son registre d’immatriculation.
La francisation du navire implique le respect, dans le cadre des contrats d’engagement maritime des gens de mer à son bord, de l’ensemble des dispositions du code du travail et des dispositions spécifiques prévues par le code des transports dès lors que le navire est immatriculé au premier registre.
Afin de bénéficier de conditions fiscales et sociales dérogatoires du droit commun maritime, les navires peuvent être immatriculés au registre international français (RIF) ou à l’un des registres d’outre‑mer, ce qui leur permet de n’appliquer qu’à une partie de leur équipage le droit du travail maritime.
La francisation des navires
La francisation confère au navire le droit de porter le pavillon de la République française et les avantages qui s’y attachent.
Un navire francisé répond à l’une des conditions suivantes :
1° Il appartient pour moitié au moins à un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou à une personne morale dont le siège social est établi en France ou dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ([10]) ;
2° Il est destiné à appartenir, après levée de l’option ouverte pour l’acquisition de la propriété, dans le cadre d’une opération de crédit-bail, pour moitié au moins à des personnes mentionnées au 1° ;
3° Il est affrété coque nue par une personne mentionnée au 1° ;
4° Il est armé au commerce et sa gestion nautique remplit les critères cumulatifs suivants :
a) Elle est effectivement exercée depuis la France depuis un établissement stable de la personne morale propriétaire ou d’une personne morale établie en France liée contractuellement avec le propriétaire pour assurer cette gestion nautique ;
b) Le gestionnaire du navire est une personne morale dont le siège social est établi en France ou dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen et répond à l’une des conditions suivantes :
– il est détenteur d’un document de conformité en application du code international de gestion pour la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution, adopté à Londres par l’Organisation maritime internationale le 4 novembre 1993, dans sa rédaction en vigueur ;
– lorsque le navire n’est pas régi par le code mentionné au précédent alinéa et que son gestionnaire ne détient pas le document de conformité qui y est mentionné, il prouve qu’il assure depuis la France les mesures équivalentes de gestion nécessaires à l’exploitation du navire.
Source : articles L. 5112-1-1 et L. 5112-1-3 du code des transports.
2. Les différents registres et régimes applicables au transport maritime
Afin de s’inscrire dans la concurrence internationale et d’en réguler les effets, particulièrement au sein de l’Union européenne et de l’Espace économique européen dans lequel un principe de non‑discrimination entre les États s’applique, la France a mis en œuvre différents régimes permettant une application partielle de son droit du travail maritime à des navires francisés ou à certains navires étrangers ayant accès au cabotage maritime national ([11]).
a. Le registre international français
Issu de la loi du 3 mai 2005 ([12]), le registre international français (RIF) ([13]) avait pour ambition de promouvoir le pavillon français en renforçant son attractivité afin de développer l’emploi maritime et de renforcer la sécurité et de la sûreté maritime.
L’immatriculation des navires au registre international français
I. – Peuvent être immatriculés au registre international français :
1° Les navires de commerce au long cours ou au cabotage international, à l’exception des navires transporteurs de passagers mentionnés au 1° du II ;
2° Les navires de plaisance professionnelle de plus de 15 mètres hors tout ;
3° Les navires de pêche professionnelle armés à la grande pêche, classés en première catégorie et travaillant dans des zones définies par voie réglementaire ([14]).
II. – Ne peuvent pas être immatriculés au registre international français :
1° Les navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières intracommunautaires ou, selon une liste fixée par voie réglementaire, des lignes régulières internationales ([15]) ;
2° Les navires exploités exclusivement au cabotage national ;
3° Les navires d’assistance portuaire, notamment ceux affectés au remorquage portuaire, au dragage d’entretien, au lamanage, au pilotage et au balisage ;
4° Les navires de pêche professionnelle non concernés par les exigences du 3° du I.
Source : articles L. 5611-2 et L. 5611-3 du code des transports.
Les navires soumis à ce régime bénéficient de conditions plus souples au regard de la composition de leur équipage ainsi que d’avantages fiscaux en contrepartie de garanties renforcées en matière de droits sociaux et de sécurité.
En ce qui concerne l’équipage, les navires immatriculés au registre international français doivent comporter au moins 35 % de ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou présentant des garanties sociales équivalentes ([16]). Ces membres d’équipage relèvent du droit français du travail maritime ([17]) et de la sécurité sociale maritime et ne sont pas soumis, en outre, à l’impôt sur le revenu.
Les marins extracommunautaires bénéficient, pour leur part, de droits sociaux fondamentaux ([18]) : liberté syndicale, droit de grève, droit à la négociation collective, protection de la santé et de la sécurité. En revanche, leur protection sociale, leur rémunération et leur contrat ne sont soumis qu’aux exigences résultant du droit international du travail maritime.
Le registre international français permet d’assurer de bonnes conditions de sécurité à bord des navires qui y sont immatriculés en confiant les fonctions de capitaine et d’officier chargé de sa suppléance, garants de la sécurité, de la protection de l’environnement et de la sûreté, à un ressortissant français ou d’un État membre de l’Union européenne disposant de qualifications professionnelles, linguistiques et juridiques requises ([19]).
D’autres registres d’immatriculation relevant des collectivités d’outre‑mer, non soumises au droit de l’Union européenne, existent et confèrent des avantages à leurs navires. Ils ne feront pas l’objet, dans le présent rapport, d’une description exhaustive compte tenu de leur particularisme.
b. L’application des conditions sociales du pays d’accueil
Si le droit de l’union européenne a conduit à accentuer la concurrence entre les pavillons des États membres, le règlement (CEE) n° 3577/92 du 7 décembre 1992 ([20]) permet de limiter les effets du dumping social intracommunautaire.
Le cabotage continental ou avec les îles d’un État membre est ainsi ouvert à l’ensemble des autres États membres de l’Union européenne mais ceux‑ci doivent respecter la réglementation applicable dans l’État d’accueil et non celle de l’État du pavillon ([21]).
Comme l’a rappelé M. Pierre-Antoine Villanova, directeur général de Corsica Linea, lors de son audition, le dispositif dit de « l’État d’accueil » permet de limiter les effets de la concurrence entre les compagnies de transport maritime de passagers françaises et celles des autres États membres de l’Union européenne sur les lignes reliant la Corse et le continent.
La présente proposition de loi n’aura donc pas d’impact sur ce marché, qui bénéficie déjà d’une régulation, mais elle est l’occasion de rappeler l’importance des moyens alloués au contrôle des navires et des sanctions qui y sont attachées.
L’application du « dispositif de l’État d’accueil »
Le dispositif est applicable aux navires ([22]) :
1° Ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage continental et de croisière d’une jauge brute de moins de 650 ;
2° Ayant accès au cabotage maritime national et assurant un service de cabotage avec les îles, à l’exception des navires de transport de marchandises d’une jauge brute supérieure à 650 lorsque le voyage concerné suit ou précède un voyage à destination d’un autre État ou à partir d’un autre État ;
3° Utilisés pour fournir une prestation de service réalisée à titre principal dans les eaux territoriales ou intérieures françaises.
Source : article L. 5561-1 du code des transports.
B. La concurrence internationale entre pavillons suscite des craintes quant à la sauvegarde d’une marine marchande nationale
1. La faible régulation du pavillonnement au niveau international et la libre prestation de services au sein de l’Union européenne
a. Des tentatives limitées d’assurer un lien substantiel entre le navire et l’État de son pavillon
Historiquement, le pavillon d’un navire le rattache au pays qui en contrôle les intérêts économiques et constitue ainsi la nationalité du navire, conditionnant le droit applicable à son équipage.
Cependant, avec le développement des échanges maritimes, la libre immatriculation des navires a conduit à une distinction accrue entre l’État du pavillon et celui contrôlant les intérêts économiques derrière le navire. Ce phénomène de pavillonnement de navires selon des critères souples et permettant le recours à du personnel d’exécution (PEX) international auxquels ne s’applique pas le droit du travail maritime français, s’est développé de longue date puisque, dès 1970, la libre immatriculation concernait plus de 30 % de la flotte mondiale ([23]).
La question du libre pavillonnement peut être résumée par la formule du professeur Philippe Delebecque ([24]) : « Comment imposer une réglementation internationale à un navire sous pavillon de tel petit État insulaire dont le capitaine est indien, les marins philippins, les capitaux anglais, le constructeur coréen, l’armateur grec et l’assureur français ? Toutefois, le législateur international s’en est, à juste titre, préoccupé, sans grand succès cependant. »
Certains États dits « complaisants » ou de « libre immatriculation » selon le point de vue défendu ([25]) autorisent en effet le pavillonnement de navires selon des critères souples et avec des exigences minimales voire nulles en matière de droit du travail applicable.
En dépit de tentatives en ce sens, le droit international n’encadre que peu les conditions dans lesquelles les États octroient à des navires leur pavillon. La convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), dite « convention de Montego Bay », signée le 10 décembre 1982, stipule ainsi que « chaque État fixe les conditions auxquelles il soumet l’attribution de sa nationalité au navire [...] Il doit exister un lien substantiel entre l’État et le navire » ([26]).
La convention des Nations unies sur les conditions d’immatriculation des navires, signée à Genève le 7 février 1986, se donne pour objectif d’« assurer ou, le cas échéant, renforcer le lien authentique entre l’État et les navires battant son pavillon, et pour exercer effectivement sur ces navires sa juridiction et son contrôle en matière d’identification et de responsabilité des propriétaires de navires et des exploitants, comme en matière administrative, technique, économique et sociale, l’État du pavillon applique les dispositions figurant dans la présente Convention » ([27]).
Cependant, malgré des exigences minimales liées à la participation des nationaux de l’État du pavillon à la propriété du navire ou à la composition de l’équipage, l’application de la convention du 7 février 1986 reste limitée et n’a pas empêché le développement de pavillonnements sans lien avec les intérêts qui commandent le navire et son équipage.
b. La libre prestation de services au sein de l’Union européenne prohibe l’imposition du pavillon national aux liaisons internationales
En matière de concurrence entre pavillons, la construction européenne n’a pas permis une unification des règles de pavillonnement et participe plutôt d’un recours accru au libre pavillonnement au sein de l’espace économique :
– d’une part, le règlement 4055/86 du 22 décembre 1986 ([28]) instaure la libre concurrence entre États membres ([29]), à l’exception du cabotage national, dans le cadre du transport maritime entre États membres ou entre un État membre et un pays tiers. Ce règlement inclut également, dans le champ de la libre prestation de services, les ressortissants d’États membres installés dans un pays tiers ou les sociétés installées dans un pays tiers et contrôlées par des ressortissants d’un État membre dès lors que leurs navires sont immatriculés dans cet État membre. Elle est également applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire du service ;
– d’autre part, le règlement 3577/92 du 7 décembre 1992 définit les règles de la libre prestation de services de cabotage national en limitant ses effets au travers du dispositif de l’État d’accueil. Celui‑ci qui permet aux États membres d’appliquer leur droit du travail maritime aux navires assurant un service de cabotage national.
2. Le déploiement limité d’un droit international du travail maritime
Dans un contexte où un certain nombre d’États n’imposent que peu de contraintes aux navires qui battent leur pavillon, le droit international a posé des règles minimales s’agissant des conditions de travail des gens de mer. Si cette réglementation correspond à des standards très éloignés des garanties offertes par le droit maritime français, elle a le mérite de s’appliquer de manière universelle à l’ensemble des navires sur les liaisons internationales. En effet, à rebours du principe selon lequel les conventions internationales, notamment celles de l’Organisation internationale du travail (OIT), ne s’appliquent qu’aux parties les ayant ratifiées, la convention n° 147 de l’OIT sur la marine marchande a ouvert la voie à une application de ses stipulations à l’ensemble des États, signataires ou non de ladite convention ([30]). Les membres l’ayant ratifié peuvent en effet procéder à une inspection d’un navire faisant escale dans l’un de leurs ports, quel que soit son pavillon, au titre du non-respect de l’une des dispositions de la convention.
Progressivement, un socle minimal de droits sociaux s’est ainsi développé au travers de conventions internationales successives et en particulier la convention du 23 février 2006 (MLC de 2006), entrée en vigueur le 23 août 2013, qui réaffirme le principe selon lequel « les navires battant le pavillon de tout État ne l’ayant pas ratifiée ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable que ceux battant le pavillon de tout État l’ayant ratifiée » ([31]). En d’autres termes, la convention a une vocation universelle dès lors qu’elle permet aux États l’ayant ratifiée de contrôler l’application de ses dispositions à tout navire faisant escale dans l’un de leurs ports, quel que soit son pavillon. Seuls les États limitant la navigation des navires battant leur pavillon au seul cabotage national peuvent s’extraire à ses stipulations.
Aux titres des droits qu’elle institue en faveur des gens de mer, la MLC de 2006 détermine les modalités de fixation d’un salaire minimum. La règle 2.2 stipule que « le salaire ou la solde de base pour un mois civil de service d’un matelot qualifié ne devrait pas être inférieur au montant établi périodiquement par la Commission paritaire maritime ou par un autre organe autorisé à le faire par le Conseil d’administration du Bureau international du Travail » ([32]).
À la suite de la réunion des 16 et 17 mai 2022 de la sous-commission sur les salaires des gens de mer de la commission paritaire maritime ([33]), le salaire minimum de base d’un matelot qualifié est porté à 658 dollars au 1er janvier 2023, à 666 dollars au 1er janvier 2024 et à 673 dollars au 1er janvier 2025.
Même s’ils permettent d’assurer un niveau de vie minimal au regard de la situation économique de certains États et des conditions de sécurité sur les navires en termes de rythme de travail, ces exigences sont très insuffisantes en comparaison des règles sociales applicables en France. Elles constituent, par conséquent, un élément de concurrence déloyale entre les armateurs se limitant à ces stipulations et ceux qui promeuvent un modèle social et de sécurité maritime conforme aux exigences du pavillon français.
II. l’apparition d’un dumping social dans le contexte spécifique du transmanche pourrait constituer une menace pour l’emploi et la sécurité maritimes
A. Une zone d’échanges particulièrement dense déstabilisée par des pratiques concurrentielles agressives
1. Un détroit au trafic particulièrement dense
La question de la concurrence internationale se pose pour l’ensemble des liaisons maritimes mais occupe une place particulière dans le transport transmanche qui est l’une des zones de trafic les plus denses d’Europe.
Comme l’ont rappelé les armateurs français auditionnés par le rapporteur ([34]), la spécificité des liaisons transmanche, en particulier au niveau de Calais où le détroit est le moins large, réside dans le nombre de traversées avec plus de 130 passages par jour. C’est cette spécificité qui garantit aux ports français une place de choix dans le commerce international.
Les liaisons à destination du Royaume-Uni et de l’Irlande sont assurées principalement par deux compagnies exploitant des navires sous pavillon français et quatre compagnies étrangères. Les compagnies françaises reliant la France au Royaume-Uni sont Brittany Ferries et DFDS France. Brittany Ferries effectue habituellement des rotations sur les lignes Caen-Portsmouth, Cherbourg-Poole, Cherbourg-Portsmouth, Saint-Malo-Portsmouth, Le Havre-Portsmouth et Roscoff‑Plymouth. Elle dessert également l’Irlande à partir de la France et l’Espagne à partir de l’Angleterre. DFDS France effectue des rotations sur les lignes Calais-Douvres, Dunkerque‑Douvres et Dieppe-Newhaven. Brittany Ferries et DFDS France emploient à elles deux 2 200 personnes. Trois compagnies étrangères assurent également les liaisons transmanche : P&O Ferries assure les liaisons Calais-Douvres, Irish Ferries les liaisons Calais-Douvres et Cherbourg-Dublin, et Stena Lines la liaison Cherbourg‑Rosslare.
2. L’émergence d’un dumping social qui affecte l’ensemble du secteur du transport de passagers et de marchandises
La question du dumping social se pose depuis l’ouverture, en 2021, par la compagnie Irish Ferries, d’une ligne entre Calais et Douvres avec un navire battant pavillon chypriote et dont les marins engagés à son bord résident dans d’autres États européens. À sa suite, P&O Ferries a annoncé, le 17 mars 2022, le licenciement de 786 marins, sans préavis, pour être remplacés par des marins extracommunautaires.
S’agissant d’une liaison traditionnellement assurée par des navires embarquant des marins européens sous pavillon britannique ou français, les coûts de production d’une liaison avec un équipage international sont bien inférieurs et suscitent une concurrence très forte.
À titre de comparaison, les armateurs français interrogés par le rapporteur ont indiqué qu’il existait un écart de 60 % de masse salariale entre un navire exploité sous pavillon français au premier registre et un navire exploité sous pavillon chypriote aux conditions offertes par Irish Ferries ou P&O Ferries. Cet avantage comparatif permet de réduire les tarifs de ces opérateurs d’environ 35 % tout en conservant une marge identique.
La réduction de la masse salariale passe bien entendu par une diminution de salaires à des niveaux inférieurs aux salaires minimums pratiqués par les entreprises françaises même s’ils restent, selon Irish Ferries ([35]), conformes aux standards internationaux et supérieurs à ce qui est généralement pratiqué dans les pays d’origines des marins, en l’occurrence la Pologne, la Croatie, la Lituanie ou Chypre.
L’autre levier de réduction de la masse salariale est la moindre rotation des équipages grâce à un temps d’embarquement allongé. Les navires sous pavillon français prévoient une rotation de leur équipage selon un principe de parité entre le temps d’embarquement et le temps de repos qui s’élèvent à une semaine pour les salariés de Brittany Ferries et à deux semaines pour DFDS France. Ces règles de repos des marins constituent, pour les armateurs français, une garantie de sécurité essentielle à bord des navires.
Dans le cadre de la mise en place de son modèle concurrentiel, Irish Ferries module le temps d’embarquement en fonction du lien entre le poste occupé et les responsabilités en matière de sécurité, à savoir un rythme de deux semaines d’embarquement et deux semaines de repos pour les officiers et un rythme moyen de six semaines embarquées et six semaines de repos pour les autres marins. La compagnie P&O Ferries a indiqué au rapporteur être passée d’un modèle rigide imposant la rotation de 4,7 équipages par navire à un modèle concurrentiel de 2 équipages par navire. Les officiers ont un rythme de deux semaines d’embarquement pour deux semaines de repos. Les autres marins connaissent des temps d’embarquement plus longs pouvant aller jusqu’à quatre mois pour deux mois de repos. Les deux sociétés ont indiqué au rapporteur que ce modèle était à la fois conforme aux standards internationaux et parfaitement adapté au respect des règles de sécurité maritime. Cependant, les experts, parmi lesquels le professeur Patrick Chaumette, mettent en doute la capacité de ces compagnies à assurer la sécurité sur ces navires, comme en témoignent certaines inspections révélant des non‑conformités importantes.
Face à la situation actuelle, les craintes sont fortes de voir d’autres armateurs contraints d’abaisser leurs normes sociales afin d’éviter une perte trop importante de clients dans un marché de plus en plus concurrentiel, particulièrement dans le contexte économique incertain de ces dernières années. La faillite en 2012 de Seafrance, qui n’a su faire face à une guerre des prix, est de nature, selon les armateurs français auditionnés par le rapporteur, à alerter les pouvoirs publics sur cette question.
Au‑delà du transport maritime, les représentants de la société Getlink, héritière du groupe Eurotunnel, ont indiqué au rapporteur une baisse de 29 % de leur activité en février 2023 par rapport à février 2019, qu’ils mettent en lien avec la concurrence accrue sur le transport des marchandises de part et d’autre de la Manche. L’entreprise, qui compte près de 2 600 employés et constitue le premier employeur de la région de Calais, a donc attiré l’attention du rapporteur quant à l’urgence à mieux réguler le secteur.
B. La nécessité d’encadrer, par des outils exceptionnels, la concurrence dans le transmanche
Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, la difficulté de réguler le transport transmanche s’est accentuée par l’absence de cadre commun de législation.
Si le droit international comme le droit européen ne permettent pas d’imposer aux navires effectuant les liaisons transmanche de battre pavillon français et d’être immatriculé au premier registre, la fréquence des liaisons dans le détroit de la Manche implique, pour les marins, une présence prolongée dans les eaux territoriales françaises et britanniques qui pourrait justifier que leur soit appliquée une partie du droit du travail maritime de ces États.
Le droit des contrats permet, en effet, aux parties de choisir librement la loi qui leur est applicable mais il garantit également la possibilité aux États de faire respecter des règles impératives « dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique » au travers d’une loi de police ([36]).
À la suite du Royaume-Uni, qui est en train d’adopter une législation en ce sens, la France pourrait, au travers de la présente proposition de loi, imposer aux ferries, compte tenu de la fréquence de touchée des ports français, la rémunération à un salaire équivalent aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles dans les branches d’activité équivalente en France.
Au-delà de la question des salaires, la présente proposition de loi renforce des normes de sécurité qui justifient, au même titre que la sauvegarde de l’organisation sociale française, cette loi de police. Celle‑ci devra, en outre, être prolongée par un travail plus large, à l’échelon européen puis international, sur les normes applicables au transport maritime afin de réguler une concurrence qui ne doit pas conduire à la disparition des normes sociales et, à terme, des marines marchandes des pays les plus protecteurs de leurs marins.
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Article 1er
Imposition des minima hiérarchiques applicables aux marins établis en France à certaines lignes internationales régulières
Adopté par la commission avec modifications
L’article 1er rend applicables à certaines lignes internationales régulières, en particulier celles du transmanche, les minima hiérarchiques pour la détermination du salaire des marins à leur bord, quel que soit le pavillon du navire. Dans l’intérêt de la sécurité maritime et de la lutte contre les pollutions marines, il limite également le temps d’embarquement des marins qui doit être, au plus, équivalent à leur temps de repos à terre.
L’article prévoit, en outre, que la liste des documents obligatoires présents à bord des navires assurant ces liaisons internationales soit déterminée par décret.
Il définit, enfin, un régime de sanctions pénales en cas de non respect des dispositions relatives au salaire et à la durée d’embarquement ainsi que les modalités de leur contrôle.
Le transport transmanche est traditionnellement assuré par des compagnies françaises et anglaises, battant pavillon national et inscrites au premier registre. Les armateurs français rappellent ainsi que, jusqu’à l’arrivée des navires d’Irish Ferries en 2021, les marins employés sur les navires étaient pour moitié des marins établis au Royaume-Uni et pour l’autre moitié en France, tous étant soumis au droit du travail applicable dans ces États et garantissant un haut niveau de protection sociale.
Néanmoins, ce qui résultait d’un accord tacite entre les compagnies françaises et anglaises s’est heurté au principe de libre concurrence au sein de l’espace européen avec l’arrivée de navires d’Irish Ferries et de P&O Ferries battant pavillon chypriote. En application de la réglementation européenne, ceux‑ci peuvent librement opérer des liaisons entre États membres de l’UE et pays tiers tout en employant, comme le pavillon chypriote le permet, des marins ressortissants d’autres États européens ou de pays tiers.
Les organisations syndicales auditionnées par le rapporteur sont unanimes quant au danger que représente ce dumping social pour l’emploi dans la marine marchande française. S’ils appellent de leurs vœux un accord plus large avec le Royaume-Uni sur cette question, ils sont attentifs à une évolution législative qui pourrait limiter la concurrence jugée déloyale des navires battant pavillon chypriote vis-à-vis des navires français.
Au-delà de la question du pavillonnement du navire, c’est la question de la loi applicable au contrat de travail qui se pose dans le cadre du droit maritime qui est, par essence, international.
En matière de droit des contrats, les règles applicables sont fixées par le règlement 593/2008 du 17 juin 2008, dit « Rome I » ([37]), faisant suite à la convention de Rome de 1980 ([38]), qui permet aux parties de choisir la loi régissant le contrat ([39]). S’il relève du droit de l’UE, ce règlement a une vocation universelle puisqu’il permet d’appliquer aux contrats une loi d’un État tiers.
Le règlement « Rome I » limite cependant les effets du choix de la loi applicable.
D’une part, s’agissant des contrats individuels de travail, le choix de la loi par les parties ne peut priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions applicables dans le pays où il accomplit habituellement son travail ([40]).
D’autre part, le règlement donne une définition de la loi de police, c’est‑à‑dire une « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement » ([41]).
Cette définition s’inscrit dans la continuité des jurisprudences du Conseil d’État ([42]) et de la Cour de cassation ([43]) mais aussi de celle de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui a jugé conforme au droit de l’Union européenne une loi de police d’un État membre imposant à une entreprise qui y réalise temporairement une prestation de payer à ses travailleurs détachés la rémunération minimale fixée par la convention collective de travail applicable, à condition que les dispositions en cause soient suffisamment précises et accessibles ([44]).
De l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées, en particulier du professeur Patrick Chaumette ainsi que les services de l’État, une loi de police doit répondre à deux critères pour trouver à s’appliquer :
– la proportionnalité de la mesure au regard de la sauvegarde des intérêts publics en jeu ;
– le lien entre l’application de la mesure et le territoire national.
La jurisprudence ne permet pas de délimiter avec certitude l’étendue des lois de police, dont il n’est que rarement fait application.
La détermination du temps de travail et des garanties qui lui sont associées relèvent d’une compétence de l’Union européenne qui fait l’objet de plusieurs directives fixant les orientations en la matière ([45]). Le principe de libre concurrence pourrait donc s’opposer à ce que des règles nationales puissent faire échec à la réglementation européenne sur le sujet s’agissant de salariés dont le temps de travail se répartit entre plusieurs États membres.
En revanche, la question de la fixation du salaire, qui est une compétence propre des États membres de l’Union européenne, a fait l’objet de plusieurs arrêts de la CJUE, notamment l’arrêt Arblade ([46]) et l’arrêt Nikiforidis ([47]). Le principe de libre concurrence pourrait être écarté face à une loi de police dans le champ des salaires pour lequel le lien entre le territoire et le salarié est plus aisé à établir.
De même, il est apparu qu’une telle loi pouvait se justifier au nom de l’intérêt de la sécurité de la navigation et de la lutte contre les pollutions marines afin d’imposer une règle de parité entre temps d’embarquement et temps de repos à terre. C’est en ce sens qu’un amendement du rapporteur vient proposer une extension du dispositif figurant initialement dans la proposition de loi ([48]).
Enfin, au regard du droit international, le contrôle d’une telle loi de police par un État peut être justifié sur le fondement de l’article 25 de la convention de Montego Bay qui permet de fixer des conditions à l’entrée dans les ports ([49]).
Face à un risque de dumping social qui pourrait se traduire, à terme, par des licenciements de marins résidant en France, une loi de police semble nécessaire pour assurer le respect des garanties sociales dans le cadre des liaisons transmanche.
L’émotion suscitée par le licenciement des marins de P&O Ferries a convaincu le Gouvernement britannique de légiférer sur la question. La présente proposition de loi s’inscrit dans la même logique.
Le projet de loi britannique sur la rémunération des marins
Au Royaume-Uni, un projet de loi portant sur la rémunération des marins, « Seafarers’ Wages Bill », est en cours d’adoption au Parlement. Le texte, composé de quinze articles, a d’ores et déjà été examiné par la Chambre des lords et par la Chambre des communes. Il fera l’objet, après sa promulgation, d’un certain nombre de mesures d’application qui permettront une entrée en vigueur au début de l’année 2024.
Ce projet de loi a été impulsé par le gouvernement britannique en réponse au plan de licenciement massif initié par la société P&O Ferries. En mars 2022, 786 marins ([50]) britanniques ont ainsi été licenciés, sans préavis ni consultation préalable des syndicats, alors que les navires de la compagnie étaient passés sous pavillon chypriote à la suite du Brexit. Cette décision s’explique par une volonté de réduction des coûts en recourant à des services privés de recrutement et de placement de gens de mer, les sociétés de manning, dont la rémunération est largement inférieure au salaire minimum britannique.
Si la loi britannique entre en vigueur, les marins engagés sur des navires de transport de passagers ou de marchandises qui touchent les ports britanniques au moins cent vingt fois par an percevront une rémunération équivalente au salaire minimum national pour le travail qu’ils effectuent dans les eaux territoriales britanniques. Actuellement, le salaire minimum pour les salariés âgés d’au moins 23 ans s’élève à 10,42 livres sterling, soit 1,83 euros.
Afin de contrôler l’application de ces dispositions, les navires entrant dans le champ du projet de loi devront fournir une déclaration attestant qu’ils rémunèrent leurs marins à un taux équivalent au salaire minimum, à défaut de quoi ils devront s’acquitter d’une surtaxe dont le paiement conditionnera leur accès au port.
Il convient de noter que ce projet de loi comporte uniquement des dispositions relatives à la rémunération des marins et ne traite pas de l’organisation de leur travail et de leurs conditions sociales. Une charte d’engagement volontaire à destination des armateurs est en cours d’élaboration par le Gouvernement et permettra de traiter l’ensemble des conditions de travail des marins.
Les échanges que le rapporteur a menés avec les autorités britanniques ont confirmé la nécessité d’une action coordonnée de la France et du Royaume-Uni sur ce sujet. Le choix a été fait de concentrer l’effort sur la définition d’un salaire minimum applicable aux navires qui touchent très régulièrement les ports des côtes de la manche dont le niveau ne pourrait être inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) ou au minimum conventionnel de la branche correspondante.
Cette solution a un double intérêt juridique et économique. D’une part, il ressort de la jurisprudence européenne que l’imposition du salaire minimum à une relation contractuelle appliquant la loi d’un autre État peut constituer, dans certaines conditions, une loi de police ([51]). D’autre part, la coordination avec le Royaume-Uni sur la question du salaire minimum obligera les compagnies de ferries à respecter cette exigence plutôt que d’être tentées de relocaliser leur activité dans un État non soumis à cette obligation.
À ce titre, M. Franck Dhersin, vice-président en charge des mobilités, des infrastructures de transport et des ports de la région Hauts‑de‑France, a rappelé la concurrence importante qui existe entre les ports de sa région, et en particulier celui de Calais, avec les ports belges et néerlandais capables d’assurer les mêmes liaisons ([52]). Il a donc salué l’initiative commune entre la France et le Royaume-Uni, hors cadre européen mais qui devra cependant conduire à une réflexion sur ce sujet à l’échelle de l’UE dans les prochains mois.
Les armateurs français entendus par le rapporteur se sont montrés rassurants quant au risque de délocalisation des activités à la suite de l’entrée en vigueur de nouvelles normes de régulation du transmanche dès lors que la proximité des ports français avec le Royaume-Uni leur confère un avantage significatif permettant de réduire au minimum le temps de traversée par rapport à leurs équivalents belges ou néerlandais.
Les gouvernements français et anglais ont annoncé vouloir poursuivre le travail avec les transporteurs au‑delà des simples mesures législatives.
Le secrétaire d’État chargé de la mer, M. Hervé Berville, a ainsi réuni, le 30 novembre 2022, les différents armateurs assurant les liaisons régulières transmanche, les représentants des régions ainsi que les parlementaires pour leur présenter un projet de charte d’engagement visant à mieux encadrer l’organisation du travail à bord, les effectifs, la protection sociale, le repos ou la protection légale des marins ([53]).
Poursuivant le même objectif, le Gouvernement britannique est résolu à établir une charte d’engagement similaire pour les compagnies britanniques effectuant les liaisons transmanche afin de s’assurer d’un meilleur niveau de protection sociale pour l’ensemble des équipages au‑delà de la simple question des salaires.
Néanmoins, les représentants des sociétés P&O Ferries et Irish Ferries ont indiqué au rapporteur qu’ils considéraient adéquates les règles internationales en matière sociale, la signature de la charte ne semble donc pas envisageable au moment de l’examen de la présente proposition de loi.
Dans la continuité de ce que toutes les personnes auditionnées ont indiqué au rapporteur, le Gouvernement s’est également engagé à renforcer les contrôles dont font l’objet les navires sur le transmanche mais aussi dans l’ensemble des ports français. Le secrétaire d’État chargé de la mer a ainsi annoncé le renforcement des contrôles des navires dans le transmanche et en Méditerranée pour montrer l’exigence de la France en termes de niveau de protection sociale pour les marins à la suite de réunions de travail avec les syndicats. Ces contrôles commencent, selon le secrétariat d’État, à montrer des résultats. En parallèle, un groupe de travail a été mis en place afin d’élargir les compétences utiles aux contrôles en intégrant, notamment, des inspecteurs du travail dans la coordination des opérations, en appui des services préfectoraux.
L’article 1er de la proposition de loi insère, dans le livre V de la cinquième partie du code des transports, un nouveau titre IX consacré aux conditions sociales applicables à certaines dessertes internationales et composé de cinq chapitres.
Le chapitre Ier définit, à l’article L. 5591‑1, le champ d’application du titre IX. Celui‑ci s’applique aux navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français. Un décret en Conseil d’État fixe les critères de détermination de ces lignes liées à l’exploitation, notamment la fréquence de touchée d’un port français par un navire.
Si le champ d’application du dispositif n’est pas strictement limité au transport transmanche, les autres liaisons régulières avec des ports français ne sont pas concernées par le dispositif puisqu’elles bénéficient déjà soit du dispositif de l’État d’accueil, s’agissant des liaisons entre la Corse et le continent, soit de l’exclusion de l’immatriculation au registre international français, s’agissant des liaisons entre la France et l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.
L’article L. 5591‑2 précise la nature de loi de police du titre IX puisque ses dispositions sont applicables aux salariés concernés quelle que soit la loi applicable à leur contrat de travail.
Le chapitre II détermine les droits dont bénéficient les salariés entrant dans le champ des nouvelles dispositions.
L’article L. 5592‑1 dispose ainsi que, pour la détermination du salaire minimum horaire des salariés engagés sur les navires entrant dans le champ du titre IX, les dispositions légales et les stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France sont applicables pour les périodes au cours desquelles les navires sont exploités sur les lignes mentionnées à l’article L. 5591‑1.
Les salariés des navires assurant une liaison régulière transmanche pourront donc, dans certaines conditions, bénéficier d’une rémunération au moins égale au Smic ou, le cas échéant, au salaire minimum hiérarchique de la branche correspondante.
Le chapitre III vise à garantir la sécurité à bord des navires en prévoyant qu’un décret fixe la liste des documents qui sont tenus à la disposition des membres de l’équipage ainsi que les langues dans lesquelles doivent être disponibles ces documents. La liste des documents tenus à la disposition des agents de contrôle et dont ils peuvent prendre copie est également fixée par décret.
Le chapitre IV introduit des sanctions pénales à l’encontre de l’employeur qui rémunère son salarié à un niveau inférieur à celui résultant de l’article L. 5592‑1 ainsi que de l’armateur du navire à bord duquel est employé le salarié. L’infraction est punie d’une amende de 3 750 euros, la récidive de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Les infractions donnent lieu à autant d’amendes qu’il y a de salariés concernés.
Ce niveau de sanction est comparable à ce qui est prévu dans le cadre du dispositif de l’État d’accueil.
Le chapitre V définit les conditions de constatation des infractions par les services de contrôle relevant du ministère chargé de la mer ou par les personnes habilitées à constater des infractions aux règles relatives aux documents de bord des navires. Dans ce cadre, les personnes assurant le contrôle peuvent demander à l’employeur, l’armateur ainsi qu’à toute personne employée à bord du navire de justifier de son identité, de son adresse et, le cas échéant, de sa qualité de salarié à bord du navire.
Outre l’adoption de six amendements rédactionnels du rapporteur, la commission a élargi le champ de la loi de police définie par le présent article en y ajoutant une nouvelle obligation.
En adoptant les amendements AS39 du rapporteur, AS37 de M. Freddy Sertin et plusieurs de ses collègues du groupe Renaissance ainsi qu’AS38 de M. Paul Christophe et des membres du groupe Horizons et apparentés, sous‑amendés à l’initiative de MM. Sébastien Jumel et Yannick Monnet (groupe Gauche démocrate et républicaine - NUPES), la commission contraint les navires entrant dans le champ de la loi de police à respecter une organisation du travail des marins fondée sur une parité entre un temps d’embarquement et un temps de repos à terre équivalents. Un décret en Conseil d’État déterminera, en outre, la durée maximale d’embarquement en prenant en compte les caractéristiques des liaisons maritimes concernées.
La justification de cette nouvelle loi de police réside dans le double impératif de garantir la sécurité de la navigation et de lutter contre les pollutions marines. Elle s’appuie sur des études scientifiques en cours commandées par le Gouvernement relatives aux effets de la fatigue des marins sur leur travail. Le décret permettra de calibrer au mieux la durée maximale d’embarquement en fonction des spécificités de chaque liaison maritime entrant dans le champ de la loi de police. En cas de recours, l’intérêt supérieur de la sécurité maritime et de la lutte contre la pollution justifiera une entorse au principe de libre prestation de services.
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Adopté par la commission sans modifications
L’article 2 crée une sanction en cas d’admission par l’armateur ou le capitaine du navire battant pavillon français d’un marin ne disposant par d’un certificat d’aptitude médicale valide établi à l’étranger sur le modèle du régime de sanction existant pour les marins français.
Bien que le droit du travail maritime ait connu une évolution parallèle au droit du travail terrestre avec lequel il partage désormais nombre de règles, les gens de mer évoluent dans un environnement de travail aux caractéristiques uniques. La vie sur un navire suppose en effet un embarquement d’une durée pouvant être importante qui justifie des exigences accrues en matière d’aptitude physique, d’autant plus face à des conditions de travail parfois difficiles.
L’État a, par conséquent, mis en place une réglementation visant à protéger la vie collective à bord et, par là même, à assurer la sécurité de la navigation. L’aptitude médicale requise pour exercer à bord d’un navire est contrôlée à titre gratuit par le service de santé des gens de mer ([54]), placé au sein de la direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DG-AMPA) et des directions interrégionales de la mer ([55]). Cette réglementation est conforme à la convention MLC de 2006 ([56]) et à la convention OIT n° 188 de 2007 ([57]).
L’article L. 5521-1 du code des transports prévoit que la vérification de l’aptitude médicale, au travers de la délivrance d’un certificat médical, dont les conditions de délivrance sont déterminées par décret en Conseil d’État ([58]) et selon des normes fixées par arrêté ([59]), est un prérequis à l’exercice de la profession de marin. Il prévoit également la possibilité pour des médecins agréés n’appartenant pas au service de santé des gens de mer de contrôler l’aptitude médicale des marins employés sur des navires ne battant pas pavillon français.
Les certificats médicaux délivrés aux marins français sont valides au maximum vingt‑quatre mois, sous réserve d’une surveillance spécifique décidée par le médecin, de l’âge et des fonctions exercées par le marin.
Le respect des exigences liées à l’aptitude physique est de la responsabilité de l’armateur ou du capitaine du navire qui peuvent, par conséquent, être sanctionnés en cas d’admission à bord d’un marin dont le certificat médical n’est pas valide ([60]).
L’article L. 5523‑6 du code des transports punit ainsi d’une peine de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 euros le fait, pour l’armateur ou le capitaine, d’admettre à bord un membre de l’équipage ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale valide délivré dans les conditions prévues à l’article L. 5521‑1.
Par dérogation aux dispositions qui s’appliquent aux marins français, l’article L. 5521-1-1 du code des transports permet la reconnaissance, pour l’aptitude à bord d’un navire battant pavillon français, des certificats médicaux établis à l’étranger par un médecin lorsque :
1° Ce médecin est établi dans un État faisant application d’une convention de l’OIT ou de l’OMI comprenant des exigences relatives aux normes minimales d’aptitude médicale des gens de mer et des pêcheurs inscrites ([61]) ;
2° Ce médecin est agréé à délivrer ces certificats à ce titre par les autorités de cet État ;
3° Les certificats d’aptitude médicale à la navigation ainsi délivrés respectent les normes minimales internationales mentionnées au 1°. Ils sont établis dans une langue comprenant au moins l’anglais et revêtus des références de l’agrément du médecin.
L’article prévoit également les conditions dans lesquelles le marin peut se voir refuser l’embarquement ou se faire rapatrier au prochain port d’escale en cas de fraude détectée. S’il existe une suspicion de fraude, un nouvel examen médical peut être ordonné par l’autorité compétente du port d’immatriculation du navire ou l’autorité consulaire, le cas échéant saisie par le capitaine, aux frais de l’armateur. La fraude est passible de poursuites pénales.
En revanche, aucune sanction n’est prévue lorsque l’armateur ou le capitaine admettent à bord du navire un membre de l’équipage ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale valide au regard des conditions prévues à l’article L. 5521‑1‑1.
Le présent article vise à étendre les sanctions pour l’admission à bord d’un marin ne disposant d’un certificat d’aptitude médicale valide à l’armateur ou au capitaine ayant admis à bord un marin ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale établi à l’étranger conformément aux conditions prévues à l’article L. 5521‑1‑1 du code des transports.
Le 1° complète l’article L. 5523‑6 du code des transports en prévoyant que les sanctions pénales s’appliquent également en cas d’admission à bord d’un marin ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale valide délivré « dans les conditions de l’article L. 5521‑1‑1 lorsque le certificat d’aptitude médicale est établi à l’étranger ».
Le 2° étend l’application de ces nouvelles dispositions dans les collectivités d’outre‑mer où l’article L. 5521‑1‑1 est applicable, Wallis‑et‑Futuna (a) et les Terres australes et antarctiques françaises (b). Les autres collectivités d’outre‑mer étant compétentes en matière de droit du travail et de santé au travail, il n’y a pas lieu de les inclure dans le champ de l’article.
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Introduit par la commission
L’article 3 prévoit la remise d’un rapport sur l’état des pratiques relatives au dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l’Union européenne.
Issu d’un amendement AS17 de MM. Sébastien Jumel et Yannick Monnet (groupe Gauche démocrate et républicaine - NUPES), modifié par un sous‑amendement AS46 du rapporteur allongeant de trois mois le délai laissé au Gouvernement et adopté avec l’avis favorable de ce dernier, ce rapport permettra faire la lumière sur l’ensemble des pratiques de dumping social au sein de l’Union européenne afin de mieux porter une évolution des règles l’encadrant au niveau européen.
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Introduit par la commission
L’article 4 prévoit la remise d’un rapport recensant les besoins humains et financiers des services en charge de l’inspection du travail maritime pour assurer leurs missions, notamment dans la lutte contre le phénomène de dumping social.
Adopté à l’initiative de MM. Sébastien Jumel et Yannick Monnet (groupe Gauche démocrate et républicaine - NUPES), avec un avis de sagesse du rapporteur, l’amendement AS18 prévoit la remise d’un rapport relatif aux moyens des services chargés du contrôle du dumping social en étudiant, notamment, les enjeux de formation des agents en matière de droit du travail maritime.
— 1 —
Au cours de sa première réunion du mercredi 22 mars 2023, la commission examine la proposition de loi visant à lutter contre le dumping social sur le transmanche (n° 798) (M. Didier Le Gac, rapporteur) ([62]).
M. Didier Le Gac, rapporteur. Il y a un an, le 17 mars 2022, la compagnie P&O Ferries licenciait ses 786 marins sans préavis ni consultation des organisations syndicales. Quelques jours plus tard, l’entreprise remplaçait ses équipages par du personnel recruté bien en dessous du salaire minimum britannique et dans des conditions sociales très dégradées.
La méthode brusque employée par l’entreprise britannique a choqué l’opinion publique de part et d’autre de la Manche, mais elle ne fait que s’inscrire dans le développement progressif d’un dumping social, qui menace les compagnies maritimes françaises, fait craindre pour la sécurité des navigations et conduira, si rien n’est fait, à la disparition progressive de tout un pan de notre marine marchande.
Dans ce contexte, les gouvernements britannique et français ont entamé des discussions pour mieux réguler les liaisons maritimes entre les deux pays. La proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter vient inscrire dans la loi cette volonté commune en réaffirmant que la juste rémunération des marins est aux fondements de notre modèle social et constitue un principe dont le respect est jugé crucial pour la sauvegarde de nos intérêts publics.
Par quel moyen comptons-nous imposer cette volonté commune de la France et du Royaume‑Uni, en dehors du cadre européen, dans le contexte de la libre concurrence du marché du transport maritime au sein de l’Union européenne ? C’est toute la difficulté de la proposition loi, qui vise à limiter des pratiques de dumping social lesquelles s’inscrivent dans un phénomène mondial, dont la Manche est un nouveau terrain de mise en œuvre.
Le libre pavillonnement, c’est-à-dire le contournement des règles en matière de pavillonnement, permet à des armateurs d’immatriculer leurs navires dans des États qui appliquent des normes minimales en matière de droit du travail maritime et de réaliser des économies de plus de 35 % sur leur prix final par rapport à leurs concurrents français. Cette situation inacceptable n’est pas tenable pour l’économie du secteur.
Le droit du travail maritime, issu de conventions internationales, se trouve en effet bien éloigné des exigences des armateurs établis en France. Le salaire minimum fixé par l’Organisation internationale du travail (OIT) est de 658 dollars par mois au 1er janvier 2023, soit moins de la moitié du salaire minimum français. Le temps et l’organisation du travail font également l’objet d’un encadrement limité par la convention du travail maritime de 2006, le texte de référence s’agissant des droits des gens de mer.
L’Union européenne, confrontée à une absence de consensus entre des États qui souhaitent promouvoir un modèle social exigeant et d’autres qui facilitent la concurrence par les salaires, n’a jamais véritablement pris la mesure de cet enjeu. Le droit européen encadre ainsi de façon minime le droit du travail maritime. En revanche, le principe de libre concurrence s’applique bien au transport maritime puisque l’ensemble des États membres ont accès aux liaisons maritimes entre tout État membre de l’Union européenne et un autre pays, quel qu’il soit.
Dans ce contexte, il n’est pas envisageable d’imposer à un armateur de battre pavillon français comme condition à l’exploitation d’une ligne maritime internationale. Il n’est pas non plus possible de lui imposer l’intégralité de notre droit du travail maritime puisque les obligations auxquelles il est soumis résultent des contraintes posées par son pays d’immatriculation.
La France a tenté de poser des règles d’encadrement du marché du transport maritime afin de promouvoir son pavillon, tout en s’inscrivant dans la concurrence européenne et internationale.
Les liaisons dans la Méditerranée bénéficient ainsi de régimes d’encadrement du dumping social. Pour ce qui concerne les ferries à destination de la Corse, la France a eu recours au dispositif dit de l’État d’accueil, permis par le droit européen, afin d’imposer aux navires assurant un cabotage national ou avec les îles d’appliquer à leurs marins les conditions sociales françaises, y compris les grilles salariales en vigueur et les règles d’organisation du travail.
Quant aux liaisons avec les pays du Maghreb, elles font l’objet d’une exception dans l’application du registre international français (RIF). Ce « pavillon bis » français permet normalement une application plus souple du droit du travail maritime français, avec 25 % à 35 % de marins français à son bord – ce compromis visait à accroître la compétitivité du pavillon français, pour prévenir son extinction.
Avec le Brexit, l’exclusion du RIF n’est plus explicitement prévue par le droit. Si l’on peut soutenir la démarche de certains d’entre vous visant à exclure du RIF les liaisons transmanche, il n’apparaît pas pertinent d’ajouter une exclusion à la loi car elle relève du pouvoir réglementaire. Je laisserai le Gouvernement s’exprimer en séance sur ce sujet et, à ce stade, je vous demanderai de retirer vos amendements afin de conserver, dans le présent texte, un message clair à destination de l’ensemble du secteur maritime du transmanche.
J’en viens à la méthode adoptée pour cette proposition de loi.
La loi de police est un objet législatif un peu particulier et rarement mis en œuvre. Le règlement Rome I de 2008 définit cette catégorie de norme même si la jurisprudence en avait déjà établi les critères auparavant. La loi de police n’est donc pas une innovation juridique à proprement parler : c’est un mécanisme auquel les États ont parfois recours afin de limiter l’application libre du droit des contrats.
Habituellement, celui‑ci permet aux parties de choisir la loi du pays applicable à leur accord dans les limites fixées par le règlement Rome I. La loi française ne peut donc s’appliquer à des contrats de travail régis par le droit d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un pays tiers dès lors que le pavillon n’impose pas le recrutement de marins dans des conditions particulières.
Néanmoins, lorsque le respect d’une disposition impérative est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, une loi de police peut s’imposer au contrat quelle que soit la loi choisie par les parties.
Lors des auditions, les spécialistes de la question ont tous souligné que le champ et l’ampleur de la loi de police n’étaient pas aisés à définir et qu’il fallait agir avec prudence dans une matière qui susciterait, à n’en pas douter, de nombreux contentieux. Les représentants des sociétés de ferries visées par la proposition de loi, Irish Ferries et P&O Ferries en particulier, ont d’ailleurs confirmé qu’ils s’opposeraient à notre législation et que des recours seraient engagés.
Il est alors apparu que la loi de police devait se conformer à un double critère de proportionnalité de la mesure au regard de la sauvegarde des intérêts publics en jeu et de lien entre l’application de la mesure et le territoire national. C’est dans ce cadre contraint que s’inscrit la proposition de loi. Les débats permettront de l’enrichir mais nous devons garder à l’esprit l’idée qu’une loi efficace est une loi qui s’applique de manière certaine et durable. Il ne s’agit donc pas de se faire plaisir avec un texte qui se trouvera écarté par un juge après quelques mois d’application, suscitant les faux espoirs de certains et renforçant les pratiques concurrentielles agressives des autres.
J’en viens à présent au texte lui-même.
L’article 1er constitue le cœur du dispositif avec, en premier lieu, la définition de la loi de police. Afin de respecter le critère de la territorialité, celle‑ci s’appliquera aux contrats de travail des marins embarqués sur des navires transporteurs de passagers assurant des lignes régulières internationales touchant un port français. Le renvoi à un décret en Conseil d’État précisant les critères d’application de ce dispositif permettra non seulement de conserver une certaine souplesse dans l’application de la loi, en cas d’évolution du trafic maritime dans la Manche, mais aussi de parer à d’éventuelles décisions de justice qui nécessiteraient des ajustements.
La proportionnalité de la mesure a fait l’objet de nombreuses discussions lors des auditions. La proposition de loi vise initialement à appliquer les grilles salariales des marins français à l’ensemble des navires entrant dans le champ d’application de la loi de police. Il s’agit non seulement de respecter le salaire minimum français mais également les minima conventionnels, qui assurent un salaire cohérent avec l’expérience et la qualification des marins.
Bien que centrale dans la structure des coûts de production sur les ferries dans le transmanche, la question de la rémunération n’est pas la seule variable à laquelle ont recours les armateurs pour maximiser leurs profits : le temps de travail, et en particulier le temps d’embarquement au regard du temps de repos à terre, est apparu comme une autre variable essentielle dans la discussion.
Le droit européen nous contraint cependant dans l’édiction de la loi de police : au nom de la libre concurrence entre les États membres, il n’est pas possible d’appliquer l’ensemble de nos règles d’organisation du travail aux navires touchant les ports français dès lors que des directives ont entrepris d’harmoniser cette question et que les marins n’effectuent pas l’intégralité de leur temps de travail dans nos eaux territoriales.
Nous avons néanmoins essayé de trouver une voie de passage : c’est le sens d’un amendement déposé par les groupes Renaissance et Horizons et apparentés que je vous proposerai d’adopter. Il s’agit d’édicter une autre loi de police, justifiée cette fois par l’enjeu de la sécurité maritime et de la prévention des pollutions, afin d’écarter partiellement le principe de la libre concurrence au sein de l’Union européenne.
L’article 1er comprend également d’autres règles en matière de sécurité, notamment la liste des documents présents obligatoirement à bord des navires ainsi que la langue dans laquelle ils doivent être disponibles. Il s’agit surtout de faire respecter cette loi de police par des sanctions pénales dissuasives. Elles s’élèveront à 3 750 euros par contrat de travail non conforme au droit maritime français applicable et, en cas de récidive, à une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende par contrat.
Les personnels habilités à constater ces infractions sont également définis à l’article 1er. Nous devrons nous assurer, notamment dans le cadre de la discussion budgétaire à venir, que ces personnes disposent des moyens nécessaires pour appliquer la nouvelle législation, tant en termes de moyens humains que de formation.
L’article 2, d’une portée plus limitée, corrige une anomalie du droit concernant l’aptitude physique des marins à bord des navires battant pavillon français. La sécurité à bord des navires dépend en effet d’un contrôle rigoureux de l’état de santé des marins avant leur embarquement, qui peut s’étendre sur des périodes longues. Si l’admission d’un marin ne disposant pas d’un certificat français d’aptitude médicale conforme à la réglementation est passible de sanctions pour l’armateur ou le capitaine du navire, celles-ci ne s’appliquent pas en cas de non-conformité d’un certificat médical étranger pourtant reconnu dans certaines conditions. L’article 2 corrige cette différence de traitement qui ne semblait pas compatible avec les exigences de sécurité à bord des navires.
La proposition de loi, qui peut sembler modeste par son ampleur, constitue en réalité une étape décisive dans la régulation d’un marché manquant cruellement de règles communes et dont l’objectif n’est rien moins que la sauvegarde de la marine marchande française.
Au-delà de l’enjeu pour la France et le Royaume‑Uni, la question de la souveraineté maritime européenne doit se poser afin de faire cesser des pratiques concurrentielles entre États européens, lesquelles n’auront d’autre conséquence que la disparition progressive des flottes nationales et de leur équipage. La présidence espagnole du Conseil de l’Union européenne, qui débutera à compter de juillet prochain, doit être l’occasion de faire vivre ce débat avec nos partenaires européens, que nous aurons alors à convaincre du bien-fondé de notre ambition.
Je vous invite à prendre en compte cet enjeu déterminant pour la souveraineté française et à voter, à l’unanimité je l’espère, cette proposition de loi.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Freddy Sertin (RE). M. le rapporteur a rappelé l’émoi qu’a suscité, il y a un an, le licenciement massif de marins français et britanniques par la compagnie P&O Ferries, connue pour effectuer notamment des rotations entre Calais et Douvres. En une journée, l’entreprise britannique avait mis à pied près de 800 marins, pour les remplacer par des travailleurs étrangers, à des conditions de rémunération bien inférieures.
Face à la dégradation des conditions de travail des marins, les acteurs français du secteur maritime se sont mobilisés, notamment en novembre 2022, en réunissant élus locaux et nationaux lors de l’appel de Saint-Malo. Ce temps fort avait pour objectif de sensibiliser le monde politique aux enjeux que rencontrent les armateurs français et d’envisager une possible régulation des conditions de travail sur le transmanche.
L’appel a été entendu : le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, a instauré, quelques semaines plus tard, une charte volontaire, qui prévoit le respect des salaires et acquis sociaux minimaux, au sens des standards français.
Surtout, il a été entendu par la représentation nationale. La proposition de loi vise ainsi à lutter contre le dumping social en instaurant un salaire horaire minimum, tout en prévoyant des sanctions pénales qui permettront d’harmoniser les conditions de validité du certificat d’aptitude médicale à la navigation.
Je salue le travail de coconstruction mené par le rapporteur avec chacun des groupes politiques pour aboutir à un texte de qualité, qui s’attache à préserver les droits des salariés et leurs acquis sociaux. Je sais compter sur l’ensemble des membres de notre commission pour soutenir les mesures marquantes de ce texte.
Au nom du groupe Renaissance, je défendrai un amendement qui instaure une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement pour nos marins. Comme les divers groupes l’ont souhaité, la mesure a pour objet de protéger la santé et la sécurité des salariés d’une fatigue excessive, due à des périodes de travail prolongées.
Nos marins comptent sur nous pour les accompagner dans les crises et les difficultés que rencontre leur profession. Dans cette perspective, le groupe Renaissance soutient tout naturellement la proposition de loi de notre collègue Didier Le Gac.
M. Pierrick Berteloot (RN). Le 17 mars 2022, la compagnie maritime P&O Ferries licenciait 800 marins du jour au lendemain, pour les remplacer presque immédiatement par des personnes issues de pays à faible coût social. Si cet acte honteux a provoqué un émoi justifié au Royaume‑Uni, déclenchant l’application d’une loi pour protéger les marins britanniques, il a également permis, en France, de prendre la pleine mesure du risque que fait peser le dumping social sur nos compagnies maritimes. Ayant travaillé sur des ferries faisant la liaison régulière entre la France et l’Angleterre, je sais que nos marins attendent depuis longtemps qu’on les protège de la concurrence distordue à l’œuvre dans le transmanche.
Le fait que trois parlementaires, dont moi-même, aient déposé une proposition de loi pour lutter contre le dumping social, est encourageant. Ce texte est donc le bienvenu ; le groupe Rassemblement National y est favorable car il va dans l’intérêt des marins et des compagnies maritimes. Il est toutefois insuffisant car il omet des éléments essentiels dans la lutte contre le dumping social.
Nous avons déposé plusieurs amendements de bon sens, qui visent à rendre cette proposition de loi véritablement efficace – j’espère que vous les voterez. La défense de notre souveraineté nationale passe par celle des compagnies maritimes et des marins. Le sujet dépasse les clivages partisans et réclame que nous travaillions en bonne entente. La lutte contre le dumping social dans le transmanche demande des décisions fortes, efficaces et de bon sens telles celles que je proposerai.
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). La prédation sociale n’est pas plus acceptable en mer que sur terre. C’est la raison pour laquelle les députés de La France insoumise soutiennent les mouvements qui ont lieu en ce moment pour le droit à la retraite.
Le transport transmanche est l’archétype du dumping social, puisque 800 marins britanniques ont pu être licenciés en une journée par la société P&O Ferries. M. le rapporteur l’a reconnu, la question du dumping social dans le droit communautaire se pose indépendamment du Brexit : la liberté de pavillonnement consacrée, l’existence de pavillons de complaisance au sein de l’Union européenne, comme le pavillon chypriote, et, en France, la création du RIF, qui n’est rien d’autre d’un pavillon de dumping social, nous inquiètent, au même titre que l’extension des sociétés de manning par la « loi Macron » en 2015, sur laquelle la proposition de loi reste silencieuse.
Une loi de police dans l’urgence pour le transmanche est la moindre des choses, même si elle ne suffit pas à régler les questions. Pour cela, il faudra des dispositions plus globales. Allons-y franchement !
La seule question du salaire minimum n’est pas suffisante si l’on veut lutter contre le dumping social en matière de transport maritime. Celle du temps de travail est cruciale : nous avons déposé des amendements sur le sujet car ces dispositions doivent être introduites dans la loi.
La question des moyens de contrôle et des sanctions se pose également, face à des compagnies qui disposent de moyens financiers considérables. Des sanctions très dissuasives sont nécessaires.
M. Jean-Luc Bourgeaux (LR). La proposition de loi fait suite au licenciement par P&O Ferries de 800 marins, sans préavis, et à l’embauche rapide de marins des pays tiers, à des conditions sociales déplorables. Interpellé comme mes collègues par les syndicats en août 2022, j’ai rejoint l’appel de Saint-Malo, le 5 novembre dernier. Avec la société organisatrice Brittany Ferries, nous avons confirmé la nécessité de lutter contre ces pratiques déloyales afin de préserver notre modèle social. Il est urgent d’agir sur les salaires et le temps de travail, comme y tend le texte.
Les enjeux sont importants pour l’avenir de la marine marchande, des lycées maritimes et des écoles nationales de la marine. La proposition de loi, qui comprend des mesures essentielles, contribuera à la lutte contre le dumping social, même si des recours seront certainement déposés.
La cohérence avec le projet britannique est essentielle : pour mettre fin au dumping social sur le transmanche, nous devons agir en continuité avec les Britanniques.
M. Jimmy Pahun (Dem). Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi n’a rien de modeste : elle nous permet, si j’ose dire, de mettre un pied dans la porte du droit du travail européen.
Le trafic maritime transmanche, zone de navigation la plus dense d’Europe – un bateau naviguant nord-sud croise dix navires voguant d’est en ouest –, demande des compétences et des savoir-faire à tous les niveaux, tant pour les personnels que pour les armements. La France dispose d’écoles – les lycées maritimes, l’École nationale supérieure maritime – à l’avant-garde de la formation. Elle doit conserver cet avantage.
Depuis un an, les compagnies embauchent des marins, souvent malgaches, qui passent de quatre à six mois sur les navires, restant à fond de cale pendant leur période de repos. Nous devons mettre fin à ces méthodes, sans surréagir car le sujet conduira vraisemblablement à une bagarre au niveau européen.
En France, le Gouvernement et le Parlement ont su réagir très vite à ce que l’on peut considérer comme une forme d’esclavagisme.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Le dumping social sur les liaisons maritimes transmanche est un fléau contre lequel il faut lutter, en mettant fin aux pratiques déloyales de certaines sociétés. C’est une nécessité pour préserver les compagnies sous pavillon français ainsi que les 38 000 emplois des marins français travaillant sur différents types de navigations. Le licenciement de près de 800 marins britanniques par P&O Ferries, filiale britannique de Dubaï Ports World, pour les remplacer par des marins extra‑européens, a créé un électrochoc. Comme le Royaume‑Uni, la France doit contribuer à réguler ce secteur d’activité. L’année dernière, j’avais d’ailleurs pris l’initiative d’un courrier transpartisan, que notre rapporteur a cosigné, pour alerter le secrétaire d’État chargé de la mer.
La philosophie de cette proposition de loi est donc pertinente. Celle-ci vise à assurer une rémunération minimale au niveau du Smic des marins employés sur des navires réalisant des liaisons comprenant au moins un port français, ainsi qu’à sanctionner pénalement les compagnies qui présentent des certificats d’aptitude médicale de leurs marins non valides.
Elle est cependant perfectible pour harmoniser les rythmes de travail et de repos, la couverture sociale, les conditions de travail et la représentativité des marins, qui constituent des facteurs de dumping social. C’est le sens des amendements que les députés socialistes ont déposés.
Il est également regrettable que le texte ne prévoie pas de renforcer les contrôles de l’administration.
Toutefois, le groupe Socialistes et apparentés soutient la proposition de loi et son objectif de lutter contre le recours, par des compagnies opérant des liaisons maritimes, à la main-d’œuvre extra‑européenne, moins coûteuse que les marins français.
M. Paul Christophe (HOR). Le licenciement de 800 marins britanniques sans le moindre préavis par la compagnie P&O Ferries au profit de travailleurs étrangers surexploités a constitué un choc pour chacun d’entre nous. L’ensemble de la communauté maritime s’est aussi émue de la volonté de certaines compagnies de dégrader les conditions de travail des marins à des fins économiques.
Ces pratiques délétères ne sont pas nouvelles mais leur augmentation soudaine après le Brexit fait peser un nombre inacceptable de menaces, tant sur les salariés, la sécurité maritime et le marché fluvial que sur l’attractivité des métiers de la mer. En imposant un nivellement par le bas des droits des salariés, ces entreprises ont décrété une guerre des prix dont elles se rêvaient les grandes gagnantes. Elles ont de surcroît mis en danger l’un des couloirs de navigation les plus empruntés au monde.
Face à d’aussi basses manœuvres, nous nous devions de renforcer et d’élargir notre modèle social afin de mieux protéger les marins. C’est pourquoi je salue le travail de M. Didier Le Gac, dont le texte revêt un caractère d’urgence.
En instaurant un salaire minimal pour les compagnies internationales touchant l’un de nos ports, similaire à celui prévu pour le pavillon français, et en créant un délit en cas d’invalidité des certificats d’aptitude médicale à la navigation, ces deux articles permettent de garantir les droits des salariés. Ces dispositions, prises en cohérence avec la proposition législative britannique, visent à protéger nos intérêts fondamentaux et à nous préserver de toute tentative de déstabilisation du marché.
Député du Nord, et d’une circonscription qui comprend le port de Dunkerque, je me réjouis de voir ce texte inscrit à l’ordre du jour car il est une avancée majeure pour la protection des gens de mer.
En complément, le groupe Horizons et apparentés a déposé un amendement portant article additionnel, qui vise à instaurer une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement. Il permet d’éviter toute concurrence déloyale, conformément à l’objectif principal de la proposition de loi.
Ce texte s’inscrit dans le respect des compétences nationales : il nous faudra veiller à aller plus loin au niveau européen. Si nous voulons qu’il prospère, il nous faut l’adopter en l’état. C’est pourquoi nous soutiendrons la proposition de loi.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). Dans la guerre ultraconcurrentielle des ferries transmanche, une nouvelle arme est née : « virer pour réembaucher » – fire and rehire –, procédé qui consiste pour une entreprise, dès lors qu’elle justifie de conditions économiques dégradées, à licencier ses salariés pour en embaucher d’autres à des conditions sociales bien moins protectrices, donc plus avantageuses pour elle.
Cet outil cynique, très utilisé au Royaume‑Uni, a été mis en œuvre en mars 2022 par la compagnie britannique P&O Ferries sur le transmanche, avec un licenciement massif de près de 800 marins, remplacés par des marins ressortissants de pays à bas coût de main‑d’œuvre. L’arrivée récente d’Irish Ferries dans le détroit du pas de Calais, avec des navires sous pavillon chypriote, employant des marins étrangers dans des conditions sociales bien inférieures aux normes françaises et britanniques, vient renforcer la concurrence agressive, injuste et déloyale de ces modèles sociaux à bas coût. Un écart de 60 % des masses salariales permet à Irish Ferries ou P&O Ferries de proposer des tarifs inférieurs de 30 % à ceux des sociétés exploitant des navires sous pavillon français. Le Brexit n’arrange rien : la traversée de la Manche est passée d’une navigation intracommunautaire à une traversée internationale. Le recours à des marins étrangers s’en trouve facilité.
Face à l’offensive des compagnies de ferries aux modèles sociaux à bas coût ainsi qu’à la menace pour l’emploi des partenaires sociaux, les armateurs, les syndicats de marins, les élus pressent les puissances publiques française et britannique d’agir.
La proposition de loi affiche l’objectif de garantir que le transport de passagers dans les dessertes de liaisons régulières internationales soit réalisé dans des conditions sociales soutenables, garantissant les droits des salariés et des conditions de concurrence équitables entre les différentes entreprises du secteur. Cette garantie est nécessaire pour permettre le maintien de l’emploi.
Si le groupe Écologiste - NUPES partage cet objectif, il invite les membres de la commission à adopter plusieurs amendements inspirés notamment par la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel. Ce texte, qui visait à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche, se veut en effet plus protecteur s’agissant du rythme de travail et du paiement des heures supplémentaires.
Si la proposition de loi semble couvrir la sous-traitance et les territoires d’outre‑mer, non mentionnés dans le dispositif, le groupe Écologiste - NUPES souhaiterait toutefois que le rapporteur le rassure sur l’étendue de la couverture juridique du texte.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je veux tout d’abord exprimer ma solidarité avec les marins-pêcheurs de Dieppe, d’Étaples et de Boulogne-sur-Mer, qui manifestent à Rennes aujourd’hui pour défendre leur gagne-pain.
2 500 marins français qui cotisent à l’Établissement national des invalides de la marine (Enim), chargé du régime social des marins, risquent de voir leur beau métier fragilisé si l’on ne stoppe pas le virus de la rage du dumping social. Un marin licencié témoigne : « Le 17 mars 2022, à dix heures cinquante, j’ai reçu un mail de la compagnie nous demandant de nous connecter à son site via le logiciel de vidéoconférence [...]. Je me suis connecté ; ça a duré trois minutes, on était viré, sans aucune forme de rien du tout. »
Après que le groupe communiste a rédigé une proposition de loi allant plus loin, notre collègue Didier Le Gac a réagi pour proposer un texte de régulation. Son texte, on l’a dit, va dans le bon sens, mais il reste au milieu du gué. Il vise à réguler le salaire minimum – c’est la moindre des choses, les marins sous pavillon de complaisance sont vraiment payés au lance‑pierre – mais pas le temps de travail, question pourtant consubstantielle à la sécurité en mer qui, à ce titre, doit figurer dans le texte. Il faudra aussi prévoir des sanctions.
Débarrassons-nous enfin de la crainte du contentieux avec Bruxelles. Que la France tape du poing sur la table et vote une loi de police pour protéger les marins français, parce qu’il y va de la sécurité des passagers comme des marins ! Nous devons cela aux gens de mer.
M. Paul Molac (LIOT). Les agissements de P&O Ferries ont choqué tout le monde, et je rappelle que ce n’est pas la première fois que cette entreprise défraie la chronique : en 1987, elle s’appelait Townsend Thoresen, et le naufrage d’un de ses navires a coûté la vie à 193 personnes : le bateau s’appelait le Herald of Free Enterprise, le héraut de la libre entreprise. Tout un symbole, sans doute.
Je note aussi que les navires de la compagnie Irish Ferries battent pour partie pavillon chypriote.
Nous devons nous prémunir contre ces méthodes agressives de dumping social, qui nivellent par le bas salaires et conditions de travail : elles nuisent aux travailleurs de la mer, bien sûr, mais aussi à la sécurité des navires et des passagers. C’est d’autant plus vrai dans la Manche, région du globe où le trafic est le plus important. La question de la sécurité maritime est indissociable de celle des conditions de vie et de travail des équipages. Or l’intensification des rythmes de travail induite par ces pratiques fait courir un risque plus élevé d’accident.
Ces méthodes nuisent aussi à nos entreprises françaises, à commencer par Brittany Ferries, qui subissent une concurrence déloyale et perdent des marchés alors qu’elles restent plus vertueuses que celles qui battent pavillon étranger. Comment rivaliser quand les coûts salariaux des concurrents sont inférieurs de 80 % ? Cela pose aussi la question de notre souveraineté maritime et de nos filières.
C’est pour ces raisons que j’avais cosigné la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel.
Mon groupe est plutôt favorable à ce texte mais, pour nous prononcer, nous attendons encore quelques réponses. Le champ d’application de ce texte est renvoyé à un décret : quel sera-t-il ? Par ailleurs, au-delà de celle du salaire minimum, la question des conditions de travail – temps de travail, récupération, rotation... – se pose. Il serait judicieux d’intégrer ces enjeux au texte.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Nous en venons aux interventions individuelles.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Le transport maritime fait l’objet, depuis de nombreuses années, d’un dumping social massif, y compris sous l’égide de l’Union européenne, dont le principe de concurrence libre et non faussée a brisé beaucoup de normes et même remis en cause la continuité territoriale et les liaisons intérieures – je pense aux liaisons entre la Corse et le continent. Le travail détaché est devenu plus fréquent, et les logiques de délocalisation, aussi surprenant que cela paraisse, se sont renforcées.
Nous pensons qu’il faut promouvoir le pavillon premier registre, qui n’a pas suffisamment été défendu par les autorités de notre pays.
À l’heure d’aborder le sujet du trafic transmanche, il nous paraît aussi nécessaire d’établir des contacts avec nos homologues britanniques – mais peut-être l’avez-vous fait.
Cette proposition de loi concerne-t-elle vraiment le seul trafic transmanche, ou bien a-t-elle vocation à avoir des effets au-delà ? C’est pour nous une crainte.
Enfin, comment une telle disposition peut-elle mettre en échec les pratiques actuelles, avec des sociétés de manning qui recrutent des gens de mer et extraterritorialisent leur contrat de travail selon le principe du moins-disant social, contournant les règles françaises comme britanniques en matière de droit du travail ? La loi de police s’impose-t-elle à l’ordre public en droit du travail ? La CGT pose la question ; Sébastien Jumel et moi la relayons. Il semble qu’elle demeure une dérogation qu’il faudrait à chaque fois justifier pour la faire primer sur la liberté de contractualiser. Il y a un risque de désarticulation de la protection juridique des travailleurs par la loi, au seul bénéfice des contrats ; et quand on regarde le contenu des contrats actuels, il est évident qu’ils peuvent déboucher sur une déconstruction juridique de la protection des salariés.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Le transport maritime est la clef de voûte de la mondialisation : le grand déménagement du monde implique un coût de transport maritime aussi plus bas que possible. Depuis l’après-guerre, le trafic de marchandises a été multiplié par cinquante alors que le nombre de marins a été divisé par cinq. C’est un plan social qui se déroule à bas bruit depuis des décennies, comme cela s’est passé pour le textile ou la sidérurgie.
Je veux montrer la cohérence de ce qui se passe. Le point de départ de ce dumping a été juridique : en 1967, le Torrey Canyon fait naufrage, et les armateurs risquent d’être mis en cause directement. C’est à partir de là que se développent les montages qui passent par les Bahamas, par Chypre... Ce dumping juridique conduit à un dumping fiscal et social, avec l’emploi de marins indonésiens ou malgaches.
Dans cet univers de concurrence libre et complètement faussée ont été préservés quelques îlots : le trafic intrafrançais entre la Corse et Marseille, le trafic transmanche qui était intraeuropéen. Il y a aujourd’hui une volonté d’éroder le peu de socle social qui demeure en droit maritime.
Comment préserver ces îlots qui subsistent dans un océan de déréglementation ? Et surtout, comme reconquérir du droit en mer ? Comment échapper au dumping permanent entre marins philippins, français et anglais ? Comment faire pour que la réglementation française ne pratique pas elle-même son propre dumping, avec le pavillon des Kerguelen puis avec le pavillon du RIF ? Je ne vois aucune volonté de reconquête. Cela impliquerait de se heurter à la doctrine de Bruxelles selon laquelle la concurrence doit être la seule loi, celle qui règle tout.
Au-delà de la Manche, la question est bien celle du droit sur l’ensemble des mers.
M. le rapporteur. Monsieur Ruffin, nous essayons précisément d’agir en faisant voter une loi ! Oui, il faudra ensuite aller devant les instances européennes, car cette proposition de loi est une première étape, importante, mais aussi un message qui leur est envoyé. De nombreux pays d’Europe nous regardent et vont, je l’espère, engager la même démarche.
Le dumping social, ce n’est pas seulement un salaire insuffisant, mais aussi de mauvaises conditions de travail, j’en suis bien d’accord. C’est pourquoi j’ai déposé, avec d’autres, un amendement visant à instaurer une durée de repos équivalente au temps de travail. Nous reconnaissons ainsi la nécessité d’encadrer le rythme de travail.
Les critères de cet encadrement doivent être définis après une concertation que le Gouvernement engagera avant la promulgation du décret avec les organisations syndicales, les Armateurs de France et les parlementaires qui siègent dans différentes instances comme le Conseil supérieur des gens de mer ou le Conseil supérieur de la marine marchande.
Les Armateurs de France et tous les juristes que nous avons consultés nous l’ont dit : le droit maritime est l’un des plus internationaux. Un parlement national évolue donc dans un cadre extrêmement contraint, limité par l’OIT par l’Organisation maritime internationale, par les directives européennes... Nous voulons avancer, mais nous voulons aussi être efficaces, donc voter un texte parfaitement sécurisé juridiquement.
Monsieur Dharréville, cette proposition de loi ne s’appliquera pas en Méditerranée. Celle-ci dispose déjà d’un cadre juridique ; il ne changera pas, le Gouvernement l’a récemment réaffirmé aux organisations syndicales. Le présent texte ne s’appliquera qu’aux ferries transmanche.
Au moment même où nous allons débattre de cette proposition de loi, le Parlement britannique a adopté un projet quasiment identique. Je me félicite de cette volonté commune de lutter contre le dumping social. Une telle convergence est un beau symbole après le Brexit. Nos deux lois devraient être applicables au début de l’année 2024.
Article 1er : Imposition des minima hiérarchiques applicables aux marins établis en France à certaines lignes internationales régulières
Amendement AS6 de Mme Claudia Rouaux.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés propose une nouvelle rédaction de l’article 1er. Il vise à appliquer la loi française et les conventions collectives à tout marin travaillant sur une liaison transmanche ; à punir tout armateur ne respectant cette harmonisation par le haut du droit du travail, à hauteur de 3 750 euros par marin ; à empêcher l’inscription au registre international français des navires opérés par des compagnies établies en France assurant des lignes régulières en Manche entre les ports français et les ports britanniques.
Cet amendement ne fait que reprendre la proposition de loi de notre collègue Sébastien Jumel, dont je salue la qualité, comme l’ont d’ailleurs fait l’ensemble des organisations syndicales.
M. le rapporteur. Je salue, moi aussi, le travail de Sébastien Jumel.
Vous proposez, madame Rouaux, de réécrire entièrement cet article.
Nous reviendrons un peu plus tard sur le champ de la loi de police, dont l’objet doit être limité à certaines règles essentielles pour lesquelles le risque juridique semble le plus raisonnable au vu des enjeux économiques et sociaux.
Nous sommes d’accord sur le fond : le dumping social ne se limite pas à la question des salaires. Je proposerai tout à l’heure, je l’ai dit, un amendement relatif au temps de travail.
Il faut absolument éviter que les armateurs ne soient victimes d’une décision de justice à l’encontre de notre texte : ils risqueraient de perdre ce que nous pourrions gagner avec cette proposition de loi. Cela a été pour moi une préoccupation constante au cours de la préparation du texte. Certains disent qu’il faut prendre le risque et ferrailler avec Bruxelles. Il est à mon sens préférable de proposer un texte solide avant de descendre dans l’arène politique européenne.
Sur les sanctions, votre amendement est moins ambitieux que le texte, puisque celui-ci prévoit des sanctions aggravées en cas de récidive – peine de prison et doublement de l’amende.
Enfin, le renvoi à un décret permet d’objectiver le critère d’application de la loi de police et de garder de la souplesse, notamment en cas de recours contre la loi. Un décret se modifie bien plus facilement qu’une loi.
Afin de débattre de tous ces points, je vous invite à retirer votre amendement.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Quand j’étais môme, il y avait un feuilleton un peu idiot qui s’appelait L’Amour du risque. (Sourires.) En l’occurrence, nous devrions tenter notre chance.
L’amendement de Mme Rouaux présente trois avantages.
D’abord, il grave dans le marbre de la loi que les bateaux opérant sur les lignes avec l’Angleterre sont exclus du RIF, alors que le Brexit rouvre cette possibilité puisque l’exclusion du RIF ne touche que les navires qui assurent des liaisons intracommunautaires.
Le rapporteur m’a présenté, il y a quelques minutes, son amendement qui prévoit un décret sur ce point, mais sans fixer de parité entre temps de repos et temps de travail ni prévoir de sanction. Cet amendement inscrirait au contraire dans la loi la question des rythmes de travail.
Irish Ferries et P&O Ferries nous menacent de contentieux. Ils sont favorables à une concurrence libre et faussée ! Ils étaient autour de la table avec le Gouvernement il y a quelques jours : on aurait cru une réunion de travail avec Adam Smith ! Ce sont vraiment des tenants du libéralisme le plus effréné. Et s’il y avait un contentieux, on nous dit que cela prendrait neuf ans – et ils ne sont pas sûrs de gagner, car les nombreux juristes que nous avons consultés considèrent qu’une loi de police peut protéger les liaisons transmanche, la sécurité maritime relevant des fonctions régaliennes de l’État.
J’appelle donc à voter cet amendement.
M. Paul Christophe (HOR). Je salue moi aussi le travail de Sébastien Jumel. Nous partageons la même ambition de réguler et de lutter contre le dumping social.
Mais voulons-nous prendre des risques ou faire du droit ? Au vu des compétences de la Commission européenne, en vous suivant, nous serions sûrs de déclencher un contentieux dont les juristes nous ont assuré, à nous, que nous sortirions perdants. Quel message voulons‑nous envoyer ? Voulons-nous un texte contraignant, mais applicable, ou bien une incantation ? Je préfère pour ma part voter un texte qui impose de nouvelles règles pour lutter contre le dumping et qui s’applique, plutôt que de prendre le risque de nous aventurer sur des champs qui ne relèvent pas de notre compétence.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Vous êtes face à des voyous, à des gens qui licencient des centaines de personnes en trois minutes par e‑mail et envoient la police à bord pour les virer avant de faire venir des marins brésiliens pour les remplacer dans la journée. Et vous nous dites qu’il y a un risque que ces voyous, que vous appelez « armateurs », portent plainte parce que vous iriez un peu trop loin dans la régulation de la concurrence, parce que vous diriez qu’il faut réglementer les horaires de travail ? Il faut au contraire entamer un bras de fer ! Il faut montrer aux Français, aux salariés, qu’ils sont défendus par l’État et par nous contre une mondialisation sauvage dont l’état du trafic transmanche illustre la brutalité. Il ne faut pas négocier avec Irish Ferries ou avec P&O ; il faut assumer le conflit. S’ils veulent porter plainte, cela prendra neuf ans – neuf années pendant lesquelles leur activité sera régulée ! Et s’il faut en passer par un référendum pour demander au peuple français ce qu’il en pense, faisons-le ! Il montrera le désir de régulation. C’est un cas d’école de la réponse que nous devons apporter à la mondialisation, qui est devenue insupportable aux Français.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Je partage l’idée que nous devons faire respecter le droit du travail dans notre pays, y compris pour le transport maritime. Il faut empêcher par la loi que certains aillent chercher du droit moins-disant ailleurs alors qu’ils répondent à des besoins locaux.
Nous devrions travailler sur la question de l’établissement : les compagnies de transport devraient être domiciliées dans les pays où elles agissent. De cette façon, le droit du travail et les pavillons concernés s’appliqueraient à elles, ce qui protégerait les marins qui sont sur ces bateaux.
Il faut dire le droit sans nous sentir obligés de plier devant cette volonté de concurrence à tout prix. Cela peut se heurter à quelques directives européennes, mais assumons‑le. C’est un combat qu’il faut mener.
M. Pierrick Berteloot (RN). Nous partageons la position de nos collègues de gauche. Quoi que nous fassions, ces armateurs feront tout leur possible pour que cette loi ne soit pas appliquée : allons donc jusqu’au bout des choses et adoptons cet amendement de bon sens, qui inscrit dans la loi la question du rythme de travail, et en particulier du temps d’embarquement, ainsi que des sanctions renforcées. Ces entreprises n’auront aucun scrupule à licencier à nouveau. Nous devons montrer ce que nous pouvons faire. La France doit être à l’avant-garde et ainsi, je l’espère, entraîner d’autres pays européens.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Occupons-nous d’abord du danger le plus immédiat. Lorsque nous sommes allés à Saint-Malo, les trois armateurs des liaisons transmanche nous ont tous dit que si rien n’était fait, d’ici un an leurs trois entreprises auraient disparu ou adopté un modèle low cost. Entre une disparition complète en une année et un contentieux incertain face à des voyous qui font subir à leurs marins un véritable esclavage moderne, mon choix est vite fait. Cet amendement répond à l’attente des marins et des syndicats. Il va bien plus loin que la proposition de loi.
En outre, nous avons auditionné hier le Gouvernement : il ne prévoit pas de moyens supplémentaires. L’application de la loi sera difficile à contrôler.
Je maintiens donc l’amendement.
M. le rapporteur. Nous avons été réactifs ! Les licenciements au sein de P&O ont eu lieu il y a un an ; la réunion de Saint-Malo et l’appel de Jean-Marc Roué, président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, c’était au mois de novembre ; nous sommes au mois de mars et nous voici déjà en train de légiférer. Nous n’avons pas à rougir de ce calendrier, puisque quelques mois ont suffi pour que nous répondions à l’appel des armateurs pour sauvegarder leurs intérêts.
Nous sommes bien d’accord : nous sommes face à des voyous. Nous répondons avec cette proposition de loi, qui est une loi de police : ce n’est pas une loi franco-française ! Nous marquons par là que ce sont des intérêts majeurs qui sont en jeu. Je ne suis pas sûr pour autant qu’un référendum sur la question mobiliserait beaucoup les Français !
Le RIF relève du pouvoir réglementaire. Nous poserons la question en séance publique lundi au Gouvernement, qui pourra ainsi réexposer la position de la France sur le pavillon premier registre. Le décret permet une large concertation. Aujourd’hui, le décret prévoit que le RIF ne s’applique pas au transport de passagers. Ce sera réaffirmé par le Gouvernement.
En ce qui concerne la durée du contentieux, certains membres de l’administration nous ont parlé de neuf ans, mais d’autres d’un an seulement : un recours devant le Conseil d’État, c’est très rapide ! Je ne pense pas que nos armateurs aient envie de changer leur modèle économique pour devoir revenir en arrière dans un an ou deux...
J’entends que vous estimez cette proposition de loi timorée. Je vous proposerai, je le redis, un amendement sur les rythmes de travail : ce sera la première fois que la parité entre temps de repos et temps de travail est inscrite dans la loi.
Je réitère mon avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS35 de M. Pierrick Berteloot.
M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à préciser que seules les liaisons transmanche sont concernées. C’est là, depuis le Brexit, qu’est l’urgence, même si d’autres lignes sont aussi victimes du dumping social.
M. le rapporteur. Le titre de la proposition de loi montre que c’est bien des liaisons transmanche qu’il s’agit. D’autres liaisons vers la Corse ou le Maghreb font déjà l’objet de dispositions spécifiques qu’il n’est pas question de modifier ici.
J’appelle votre attention sur le fait qu’il n’est pas aisé de définir juridiquement ce qui caractérise une liaison transmanche, ni ce qui en fonde la spécificité au regard de la loi de police. On pourrait d’ailleurs y inclure l’Irlande, dans les eaux de laquelle naviguent parfois les mêmes bateaux.
Afin d’éviter tout risque de censure sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques, il semble que la définition de critères objectifs liés à l’exploitation des lignes internationales est une meilleure voie de passage qu’un critère géographique aux contours moins nets qu’il n’y paraît.
Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS24 de M. Pierrick Berteloot.
M. Pierrick Berteloot. Cet amendement vise à énoncer définir clairement les lignes régulières internationales touchant un port français, ce que ne fait pas la proposition de loi, qui renvoie cette définition à un décret en Conseil d’État. Un trajet régulier serait ainsi défini comme une ligne qui fait escale dans un port français au moins toutes les soixante-douze heures en moyenne ou plus de cent vingt fois par an.
Ces critères sont simplement tirés du projet de loi britannique relatif à la protection des marins, qui a impulsé cette volonté salutaire de protéger nos marins du dumping social.
Évitons les notions juridiques floues qui permettent aux compagnies maritimes de contourner les règles.
M. le rapporteur. Là encore, je comprends votre intention – comme le Gouvernement, qui entend retenir des critères analogues dans le décret en Conseil d’État. Le fait qu’une liaison soit assurée plus de cent vingt fois par an constitue en effet un critère essentiel, qui devrait être repris par les Gouvernements tant français que britannique.
Là encore, il me semble que le renvoi au pouvoir réglementaire présente des avantages. Plus souple, il permet d’adapter rapidement le champ de la loi de police alors que le vote d’une loi peut prendre plusieurs mois et souvent plusieurs années. Les autorités pourront aussi plus facilement tirer les conséquences d’éventuels changements dans le trafic des ferries. En cas de contentieux, il sera enfin plus facile de tirer les conséquences d’une décision judiciaire.
Votre amendement est donc satisfait sur le fond, mais le décret permet une adaptation plus rapide à de nouvelles réalités.
Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS40 de M. Didier Le Gac.
Amendements AS16 de M. Sébastien Jumel, AS1 de Mme Sandrine Rousseau, AS15 de M. Sébastien Jumel, AS2 de Mme Sandrine Rousseau, AS20 de M. Matthias Tavel, AS32 de M. Pierrick Berteloot, amendements identiques AS3 de Mme Sandrine Rousseau et AS21 de M. David Guiraud, amendement AS14 de M. Sébastien Jumel (discussion commune).
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Nous avons pris le temps d’écouter les marins licenciés par P&O. Leurs conditions de travail, leur salaire de 4 livres par heure payé au lance-pierre, l’insuffisance des jours de repos sont autant de manquements qui ne posent pas seulement la question de la protection des salariés mais aussi de leur sécurité ! Je vous invite à rester dix-sept semaines sur un bateau en n’étant pas payé quand vous êtes en repos et en étant hébergé dans des conditions proches de celles des salariés du Mondial au Qatar : vous verrez dans quelles conditions les marins low cost travaillent sur ces lignes. En inscrivant ces mesures dans la loi, nous nous prémunirions contre ce type d’esclavagisme moderne.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS1, qui s’inspire de la proposition de loi de M. Sébastien Jumel visant à lutter contre le dumping social dans le cabotage maritime transmanche, tend à élargir le dispositif proposé. Il prévoit que les marins des lignes concernées, quelle que soit leur nationalité, bénéficient de la majoration des heures supplémentaires. D’autre part, il tend à garantir un rythme de travail équilibré fondé sur l’alternance entre les jours en mer et les repos à terre, le nombre de jours en mer ne pouvant excéder en durée celui prévu dans la convention collective dont relèvent les marins français.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Par l’amendement AS15, de repli, nous souhaitons qu’il soit tenu compte, en plus du salaire minimum horaire, des majorations pour les heures supplémentaires.
Mme Sandrine Rousseau (Ecolo - NUPES). L’amendement AS2, lui aussi de repli, tend à ce que les marins qui travaillent sur les lignes concernées bénéficient de la majoration des heures supplémentaires, quelle que soit leur nationalité.
M. David Guiraud (LFI - NUPES). Nous partageons l’objectif visé par ce texte d’éviter que les opérateurs ne recherchent un avantage économique en dégradant les conditions sociales au détriment de la sécurité maritime mais nous voulons aller plus loin. Le projet de charte d’engagement volontaire concernerait les autres paramètres visant à garantir les droits des salariés ; mais, puisqu’une telle charte repose sur le volontariat, elle ne permettra pas de leur garantir les droits minimaux. S’il est nécessaire de lutter contre les distorsions de concurrence, il est tout aussi prioritaire de garantir des conditions de travail décentes aux gens de mer.
M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement AS32 tend à protéger les heures supplémentaires, qui sont aussi essentielles que le salaire, contre le dumping social. Il est normal qu’elles soient récupérées, financièrement ou en heures de repos, selon les termes de la convention collective.
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Il s’agit, avec l’amendement AS3, de garantir aux marins qui travaillent sur les lignes concernées, quelle que soit leur nationalité, des rythmes de travail fondés sur l’alternance entre les jours en mer et les jours de repos à terre, le nombre de jours en mer ne pouvant excéder en durée celui prévu dans la convention collective dont bénéficient les marins français.
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Je défends l’amendement AS21. S’il est important de protéger la rémunération des marins, il l’est tout autant d’aligner leurs conditions de travail, en particulier leur rythme de travail, pour lutter contre dumping social.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). En défendant l’amendement AS14, je veux souligner que les rythmes de travail, en particulier l’alternance des jours en mer et des jours de repos à terre, sont au cœur des stratégies de dumping social de certaines compagnies observées sur les lignes régulières transmanche. En jouant sur ce paramètre, des entreprises en arrivent à imposer des temps d’embarquement de dix-sept semaines consécutives pour réduire leurs tarifs de 30 à 40 % en abaissant de 80 % le coût de la masse salariale. Lorsque les patrons des compagnies Brittany Ferries ou Det Forenede Dampskibs-Selskab (DFDS) Seaways tirent la sonnette d’alarme parce qu’ils craignent de ne pouvoir tenir encore longtemps en employant des marins français qui cotisent à l’Enim, c’est une manière de nous alerter sur l’urgence de prendre des mesures pour éviter un nivellement des conditions de travail des marins par le bas. Le château est sur le point de s’effondrer et les 2 500 marins transmanche qui cotisent à l’Enim vont fondre comme neige au soleil. De mon côté, j’ai pris des dispositions pour contraindre la compagnie DFDS, détentrice de la délégation de service public pour la ligne Dieppe-Newhaven, à opérer sous pavillon français et à engager des marins français qui cotisent au premier registre. En revanche, pour les autres lignes, ils peuvent, s’ils le souhaitent, niveler les conditions de travail et de rémunération par le bas.
Je ne doute pas de votre sincérité, monsieur le rapporteur, mais je préfère que l’on inscrive ces dispositions dans la loi plutôt que de les renvoyer au décret, d’autant que nous n’aurons même pas limité préalablement la durée du séjour en mer à trois semaines.
M. le rapporteur. En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de nous assurer de la sécurité juridique et de la robustesse des dispositifs que nous adoptons. Je n’hésiterais pas, s’il le fallait, à mener le combat contre une compagnie maritime. Nous pouvons toujours prendre le risque d’un contentieux en adoptant, comme vous le proposez, des mesures contraires au droit communautaire mais ces mêmes mesures pourraient aussi enfreindre la Constitution. En voulant aller trop loin et trop vite, et en adoptant des dispositions contraires aux conventions internationales qui constituent le droit de la mer et au droit maritime, nous prendrions le risque de voter un texte inconstitutionnel.
La loi de police est un type de législation auquel il est rarement fait recours et dont l’étendue fait débat parmi les spécialistes. On s’accorde sur l’importance de deux critères : le lien entre l’application de la mesure et le territoire national et la proportionnalité de la mesure au regard de la sauvegarde des intérêts publics en jeu.
S’inscrivant dans le droit de l’Union européenne, la loi de police ne peut servir de prétexte à faire échec au principe de la libre concurrence entre les États membres. Par conséquent, elle ne peut entrer en contradiction avec des règles posées au niveau européen, une directive relative au temps de travail par exemple, qu’en raison d’un motif qui le justifie.
La question du salaire relevant essentiellement du ressort des États, elle peut faire l’objet d’une loi de police dès lors que les marins concernés se trouvent, de par la fréquence des liaisons transmanche, à exercer régulièrement dans les eaux territoriales françaises. Il s’agit en outre d’un principe essentiel et d’ordre public de notre droit du travail.
En revanche, le sujet du temps de travail ne peut être considéré comme relevant d’un intérêt public propre à la France, s’agissant notamment de marins qui n’effectuent qu’une partie de leur temps de travail dans nos eaux territoriales.
Les amendements qui prévoient des mesures en ce sens ne résisteraient sans doute pas à l’épreuve du contrôle par le juge, en particulier de la Cour de justice de l’Union européenne.
Nous devons donc chercher, comme l’a suggéré le professeur Patrick Chaumette, une justification à la loi de police, au regard de la sécurité maritime notamment.
C’est le sens de l’amendement que je vous proposerai, cosigné par deux de mes collègues, pour limiter le temps d’embarquement sur les bateaux qui assurent les lignes transmanche et inscrire le principe de parité avec le temps de repos à terre afin de garantir la sécurité et éviter les risques de pollution. Ces dispositions sont justifiées par des études qui seront remises l’année prochaine mais dont les premières conclusions nous parviennent régulièrement. Le renvoi à un décret permettra d’affiner le critère de la sécurité juridique en déterminant, pour chaque type de liaison, la durée d’embarquement maximale en lien avec la sécurité maritime. Il sera pris dans le respect de la concertation, notamment dans le cadre du Conseil supérieur des gens de mer et du Conseil supérieur de la marine marchande.
Le même raisonnement ne peut malheureusement pas être tenu pour les autres critères que vous souhaiteriez inscrire dans la loi, en ce qu’ils n’ont pas le même lien avec la sécurité de navigation.
Je vous invite par conséquent à retirer ces amendements pour leur préférer les amendements identiques AS39, AS37 et AS38, qui répondent à vos préoccupations sans ébranler la solidité juridique du texte.
M. Paul Christophe (HOR). Nous partageons vos préoccupations mais nous devons respecter notre champ de compétences. Les armateurs pourraient saisir la Cour de justice de l’Union européenne ou une juridiction française, par exemple un tribunal administratif, ce qui aurait un effet suspensif. Nous devons envoyer un message réaliste en adoptant une loi que nous pourrons appliquer.
M. François Ruffin (LFI - NUPES). Mais qui va trop loin, trop vite ? Ce sont ces patrons-voyous des mers qui, en trois minutes, décident de licencier 800 marins et font intervenir sur les navires des nervis, des bandes armées, dans la journée, pour faire évacuer les salariés. Alors que nous proposons, pour contrer cette violence de dirigeants d’entreprise, de réguler les horaires afin d’empêcher que des marins brésiliens, indonésiens ou malgaches passent dix-sept semaines en mer dans des conditions proches de l’esclavage, on nous rétorque que « ce serait aller trop loin et trop vite ». Les Français attendent des mesures protectrices. En l’espèce, je pense qu’un référendum serait pertinent pour soutenir le rapport de force avec une Union européenne qui place par-dessus tout la concurrence libre et non faussée alors que les Français sont au contraire convaincus que nous devrions être mus par la volonté de les défendre.
Les ouvriers, j’en suis convaincu, font le rapprochement entre ce qu’ont subi ces marins et ce qu’ils ont eux-mêmes vécu lorsque l’industrie du textile a été délocalisée au Maghreb, à Madagascar, en Chine ou que les sociétés de métallurgie se sont transportées en Slovaquie et en Pologne. Il ne s’agit pas d’opposer les peuples les uns aux autres mais, contre la concurrence libre et non faussée, l’État se doit de soutenir nos concitoyens.
M. Jimmy Pahun (Dem). Je crois, monsieur le rapporteur, que votre amendement qui tend à limiter le temps d’embarquement, s’il est adopté, aura résolu une vraie difficulté. En effet, pour le moment, lorsque les marins sont en repos après avoir navigué dix-sept semaines, soit ils sont renvoyés dans leur pays, soit ils passent leur temps de repos à fond de cale. Quand les armateurs seront obligés de les débarquer et de leur trouver un logement, ils verront les choses d’un autre œil et l’on peut espérer qu’ils seront alors soucieux de respecter notre législation.
M. Pierre Dharréville (GDR - NUPES). Les liaisons entre le Royaume‑Uni, l’Irlande et la France peuvent être assurées par des armateurs qui choisissent de se placer sous des pavillons étrangers régis par un droit venu d’ailleurs : voilà la réalité. Le droit qui s’applique devrait être celui en vigueur d’un côté ou de l’autre de la Manche. L’amendement tend à limiter au maximum les conséquences de la législation actuelle en allant plus loin que votre texte. Son adoption serait un minimum pour défendre les conditions de travail des salariés de ces navires. Le paiement du salaire, la majoration des heures supplémentaires, la durée du temps de travail, les repos, les jours fériés, doivent être prévus par la loi. Nous devons défendre le premier registre du pavillon français.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Hier soir, nous avons auditionné les services de l’État. Ils semblent pétrifiés par l’éventualité d’un contentieux mais ils ont fini par admettre qu’ils n’avaient aucune certitude quant aux risques que nos amendements feraient courir au texte. Nous ne prenons donc pas de risque en adoptant ces amendements. La raison impérieuse qui légitime de recourir à une loi de police permet ce type de dérogation. Ne soyons pas plus bruxellois que les cabinets ministériels ! Surtout, il ne s’agit là que d’un amendement de repli par rapport à nos ambitions initiales : appliquer le droit du travail du pays dans lequel la compagnie est installée. Nous le ferons lorsque nous serons aux responsabilités. En attendant, votons au moins cet amendement.
M. le rapporteur. Nous partageons le diagnostic mais nous ne sommes pas d’accord sur les outils de riposte. Cela ferait tant plaisir aux entreprises que l’on s’engouffre dans cette brèche ! Elles se saisiraient alors de l’opportunité pour faire tomber cette proposition de loi. Je vous invite à retirer les amendements ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS4 de Mme Sandrine Rousseau
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). La proposition de loi vise à lutter contre la pratique du fire and rehire qui consiste, pour l’entreprise, dès lors qu’elle justifie de conditions économiques dégradées, de licencier ses salariés pour embaucher à des conditions sociales moins protectrices mais plus avantageuses pour elle.
Afin de compléter le mécanisme, l’amendement tend à préciser que l’ensemble des dispositions du texte s’appliquent également aux salariés en sous-traitance.
M. le rapporteur. Vous proposez que la loi de police s’applique non seulement aux salariés recrutés par l’armateur mais aussi aux gens de mer placés par des sociétés de manning qui fournissent des équipages au travers de contrats de mise à disposition.
Je partage votre intention : la loi doit être la même pour toutes les personnes à bord des navires concernés. Cependant, votre amendement est satisfait par l’alinéa 7 de la proposition de loi, lequel prévoit déjà que la loi sera applicable aux contrats de travail des salariés sur les navires quelle que soit la loi applicable à ces contrats. Un employé ayant un contrat avec une société de manning sera tout de même soumis à la loi de police.
Je vous invite à retirer l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement AS22 de M. Matthias Tavel
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Il s’agit de prévoir une durée maximale d’embarquement de quarante-cinq jours pour les salariés employés sur les navires.
M. le rapporteur. Je vous invite à retirer cet amendement au profit de l’amendement AS39 que je vous présenterai bientôt. Il vise à renvoyer la détermination de la durée d’embarquement à un décret en Conseil d’État. Celui-ci affinera, selon les conclusions des études scientifiques menées, la durée adéquate pour chaque type de ligne – elle pourrait être inférieure à quarante-cinq jours si la sécurité maritime le justifie, ce qui, en l’espèce, sera sans doute le cas.
D’autre part il me semble nécessaire, pour des raisons juridiques, de préciser que cette loi de police est justifiée par la sécurité maritime et la lutte contre la pollution marine, afin que le dispositif ne soit pas considéré comme une entrave à la libre prestation de services au sein de l’Union européenne.
M. Pierrick Berteloot (RN). Quand j’ai lu l’amendement hier soir, j’ai cru tomber de mon siège car, je vous le rappelle, j’ai moi-même travaillé sur ces bateaux. Certes, quarante‑cinq jours, c’est moins que dix-sept semaines, mais je vous mets au défi de rester aussi longtemps sur ces navires qui assurent la liaison entre la France et l’Angleterre. J’ai fait le pont, lancé des toulines, récupéré des haussières. J’ai travaillé douze heures par jour au service général à laver des assiettes, servir des plateaux. Vous ne réalisez pas combien ce métier est fatigant et dangereux. Ce détroit est l’un des plus fréquentés au monde. Le temps d’embarquement des marins à bord des bateaux de Irish Ferries ou P&O Ferries est suicidaire ! Si nous n’imposons pas une durée maximale de trois semaines d’embarquement, nous serons tenus responsables en cas de drame. Les quatre mois et demi que j’ai passés sur un porte‑conteneurs de la compagnie CMA-CGM m’ont moins fatigué que les trois semaines à bord d’un ferry qui transportait 1 000 passagers par traversée. Je vous laisse imaginer l’état des marins après cinq mois d’embarquement et douze heures de travail par jour payées 5 livres de l’heure, si ce n’est pas moins.
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Notre position est très claire : application du premier registre du pavillon français. Puisque vous n’en voulez pas au nom du droit communautaire, nous prévoyons des garde-fous. Je suis heureux de vous entendre dire que le temps d’embarquement pourrait être plus court, monsieur le rapporteur, mais je ne suis pas d’accord pour en renvoyer la fixation au décret. Nous pourrions éventuellement revoir la rédaction de l’amendement pour laisser la possibilité de décider d’une durée inférieure à quarante-cinq jours par décret, mais il est fondamental d’inscrire une limite dans la loi. Je n’ai pas suffisamment confiance dans ce Gouvernement pour lui renvoyer la balle.
M. le rapporteur. L’amendement AS39 prévoit d’inscrire dans la loi que le temps de repos doit être égal au temps de travail. D’autre part, un garde-fou de quarante-cinq jours n’est pas très protecteur ! Enfin, contrairement à ce que vous affirmez, le Gouvernement tient à conserver le premier registre du pavillon français.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS41 et AS42 de M. Didier Le Gac.
Amendement AS29 de M. Pierrick Berteloot
M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement tend à réguler le temps de travail des marins à bord en fixant une durée maximale d’heures consécutives travaillées. Le dumping social affecte autant les revenus que le rythme de travail aussi convient-il de garantir qu’une concurrence distordue ne naîtra pas du temps de travail.
M. le rapporteur. Je vous invite à retirer l’amendement au profit du mien, qui tend à renvoyer la fixation de la durée d’embarquement au décret.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AS30 de M. Pierrick Berteloot, amendements identiques AS39 de M. Didier Le Gac, AS37 de M. Freddy Sertin et AS38 de M. Paul Christophe et sous‑amendements AS48, AS50, AS49 de Mme Claudia Rouaux et AS47 de M. Sébastien Jumel (discussion commune).
M. Pierrick Berteloot (RN). L’amendement AS30 tend à garantir un temps de repos aux marins équivalent au temps de travail effectué dans la journée. Le dumping social s’exerce aussi par les conditions et le rythme de travail. Un temps de repos est nécessaire pour le bien-être des marins et la sécurité des passagers.
M. le rapporteur. L’amendement AS39, en instaurant une durée de repos équivalente à la durée d’embarquement, vise à protéger la santé et la sécurité des salariés contre une fatigue excessive consécutive à des périodes de travail importantes. En préservant l’aptitude au travail des marins et en assurant leur récupération par des périodes de repos à terre, cette disposition assure la sécurité de la navigation et prévient les risques de pollutions marines dans une zone de navigation extrêmement dense.
L’amendement prévoit de renvoyer à un décret en Conseil d’État la fixation de la durée maximale d’embarquement qui pourra être adaptée en fonction des différentes situations de navigation – durée des voyages, périodicité, nombre de dessertes...
C’est à l’issue des auditions qu’il m’a paru important, non seulement de couvrir l’ensemble du sujet du dumping social, en étendant la loi de police à l’organisation du travail, mais aussi de faire en sorte que ce texte soit le plus abouti possible.
Cet amendement constitue un point d’équilibre entre notre volonté commune d’appliquer largement le droit du travail maritime français aux liaisons transmanche et notre souci de législateur de voter une loi applicable pour garantir la sécurité des acteurs économiques.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Le sous‑amendement AS48, auquel nous avons travaillé avec la CFDT Union maritime, vise à garantir que le temps de repos à terre soit équivalent à celui du temps d’embarquement et d’une rémunération au moins égale. L’harmonisation par le bas des salaires est un outil majeur de dumping social, qui dégrade les conditions de travail et altère la sécurité des liaisons.
M. Elie Califer (SOC). Le sous‑amendement AS50, également travaillé avec la CFDT Union maritime, vise à garantir que la durée de repos des marins qui travaillent sur les liaisons transmanche ne puisse être inférieure au repos prévu par le droit commun, soit trois jours calendaires par mois pour les congés payés.
Il tend également à étendre le bénéfice des conventions collectives ou des accords de branche aux marins travaillant sur les liaisons transmanche pour ce qui concerne l’organisation du travail – droit aux congés, repos compensateur...
Mme Claudia Rouaux (SOC). Il s’agit, avec le sous‑amendement AS49, de prévoir des sanctions en cas de non-respect des règles : 3 750 euros par salarié concerné et 7 500 euros en cas de récidive.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). J’ai rédigé le sous‑amendement AS47 à la va‑vite, mais en accord avec le rapporteur pour assortir le dispositif prévu de sanctions.
M. le rapporteur. J’invite M. Berteloot à retirer son amendement au profit des trois identiques, plus complets et plus conformes au droit international.
Je suis favorable au sous‑amendement AS47 visant à étendre les sanctions prévues par la proposition de loi au non-respect des obligations figurant dans mon amendement sur la parité du temps de travail car le volet coercitif me paraît indispensable.
En revanche, le sous‑amendement AS48 me semble moins bien rédigé en prévoyant dans un même article les sanctions pour les deux volets de la loi de police, qui ne sont pas justifiées par les mêmes motifs. Le sous‑amendement AS50 ne me paraît pas conforme aux justifications de la nouvelle loi de police et ne s’inscrit pas dans la préservation de la sécurité maritime et la lutte contre la pollution. De plus, en matière de loi de police, l’excès de précision ne me paraît pas de nature à garantir la sécurité juridique de la loi nécessaire à nos armateurs. Demandes de retrait.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Sur le fond, nous ne pouvons qu’approuver l’amendement AS39 mais, en renvoyant au décret, il n’en demeure pas moins imprécis. Sur quel fondement celui-ci sera-t-il rédigé et avec qui ?
M. Jimmy Pahun (Dem). Il convient de distinguer entre les métiers du pont, des machines et des services. Pour les deux premières catégories de personnels au moins, il n’est pas possible de travailler quarante-cinq jours en mer sur ce type de ferries. D’ici à l’examen en séance publique, pourrait-on travailler à un amendement visant à limiter le temps qu’ils passent en mer ?
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). À force d’argumentation, la question du temps de travail finit par s’imposer à tous. S’il est de bonne politique de poser des principes, nous ne fixons même pas un plafond auquel le décret ne pourrait pas déroger ; or un encadrement de la durée maximale de temps de travail me paraît indispensable.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). La limitation du temps de travail ne doit pas concerner les seuls personnels du pont et des machines. Les agents du service général (ADSG) abattent également un travail considérable. Je vous invite, monsieur Pahun, à devenir ADSG pendant quarante-cinq semaines : vous ne tiendrez pas tant ces métiers sont épuisants.
Je prends note de la sincérité du rapporteur mais, en séance publique, le ministre devra nous donner des engagements sur la rédaction du décret, qui devra être élaborée avec les organisations syndicales et le conseil supérieur de la marine marchande. Il devra également s’engager sur le respect de ce qui est vigueur chez nous.
M. Pierrick Berteloot (RN). Il n’est pas possible, en effet, de distinguer entre ces différents métiers. J’ai travaillé sur le pont et en tant qu’ADSG. Vous ne savez pas le travail que représente, pour ces personnels, une traversée avec 1 000 passagers : ils courent partout ! À l’escale, ils ont vingt minutes pour débarrasser, passer l’aspirateur, ranger les poubelles, remplir les frigos, et cela pendant douze heures et quinze jours.
M. le rapporteur. En séance publique, le ministre devra en effet rappeler un certain nombre de choses.
La loi de police justifie les dispositions que nous prenons au nom de la sécurité maritime. À ce propos, nous disposerons en fin d’année des conclusions d’une étude scientifique demandée par le secrétaire d’État chargé de la mer, qui conforteront les éléments que nous avons. Le décret sera élaboré sur le fondement de cette étude mais, aussi, à partir des discussions entre les armateurs, les organisations syndicales et les instances représentatives. Il n’est pas possible de demander à la fois une concertation et une prise de décision.
La commission rejette l’amendement AS30.
Puis elle rejette successivement les sous‑amendements AS48, AS50 et AS49.
Ensuite, elle adopte successivement le sous‑amendement AS47 et les amendements identiques AS39, AS37 et AS38 sous-amendés.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS43 de M. Didier Le Gac.
Amendements AS5 de Mme Sandrine Rousseau et AS25 de M. Pierrick Berteloot (discussion commune).
M. Sébastien Peytavie (Ecolo - NUPES). Pour rendre ces dispositions encore plus dissuasives, notre amendement AS5 propose de durcir les sanctions prévues en faisant de la peine encourue en cas de récidive la peine principale et, ainsi, de doubler la récidive.
M. Pierrick Berteloot (RN). Une amende de 3 750 euros me semble assez dérisoire pour des compagnies qui s’enrichissent sur le dos des marins. Il convient de la porter à 37 500 euros. La compagnie Irish Ferries, l’année dernière, a engrangé 50 millions de bénéfices uniquement en économisant sur les coûts sociaux.
M. le rapporteur. Demande de retrait et, à défaut, avis défavorable.
Les sanctions proposées ne me semblent pas respecter le principe de la proportionnalité des peines puisque le premier amendement prévoit un emprisonnement dès la première infraction et que le second multiplie l’amende par dix ! Je rappelle, de plus, que cette amende s’applique pour chaque infraction constatée.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Les amendes pourraient être en effet énormes.
M. Pierrick Berteloot (RN). Vous estimez qu’une amende de 37 500 euros serait trop élevée, mais savez-vous combien de marins travaillent sur un ferry ? Une soixantaine.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement AS19 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Amendement de coordination concernant le fait, pour l’employeur, de « méconnaître les dispositions ».
M. le rapporteur. Demande de retrait puisqu’il est satisfait par l’adoption de votre sous‑amendement AS47.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’amendement rédactionnel AS44 de M. Didier Le Gac.
Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement AS26 de M. Pierrick Berteloot.
Amendement AS27 de M. Pierrick Berteloot.
M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à interdire l’accostage aux navires ne respectant pas les normes sociales en vigueur. Nous devons être intraitables avec les compagnies maritimes qui pratiquent le dumping social et distordent ainsi la concurrence, menaçant les emplois des marins et un secteur stratégique indispensable à notre souveraineté. Si elles refusent une concurrence loyale en pratiquant les mêmes règles que les compagnies françaises, alors nous devons les exclure de ladite concurrence. Cette mesure étant expérimentale, un rapport jugeant de son efficacité devra être fourni aux parlementaires.
M. le rapporteur. Cette interdiction soulève à nouveau la question de la proportionnalité de la peine au regard d’autres infractions dont peuvent se rendre responsables les armateurs et au regard de ce que prévoit le code pénal.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS45 de M. Didier Le Gac, rapporteur.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS33 de M. Pierrick Berteloot.
M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à empêcher qu’une flotte soit intégralement armée avec des CDD. Le besoin d’effectif minimum, en effet, doit être comblé par des contrats stables comme des CDI ou des équivalents communautaires. Des équipages complets de la compagnie Irish Ferries sont composés de salariés en CDD, ce qui précarise ces derniers et bloque de nombreuses applications des conventions collectives censées donner des garanties aux marins et les protéger.
M. le rapporteur. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Le droit maritime français prévoit déjà des dispositions empêchant la succession de CDD pour un même salarié ou le remplacement immédiat d’un salarié en CDD par un autre salarié en CDD avant une certaine durée. Les articles L. 5542-11 et L. 5542-12 du code des transports sont très clairs.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS7 de Mme Claudia Rouaux.
Mme Claudia Rouaux (SOC). L’une des causes les plus importantes du dumping social sur les dessertes internationales réside dans l’application de conventions collectives les plus défavorables aux marins, voire, en l’absence de conventions collectives sur des points aussi cruciaux que la rémunération, le droit aux congés ou les conditions de travail. Cet amendement vise donc à protéger les travailleurs à bord et à lutter contre le dumping social afin qu’ils puissent bénéficier de la convention collective la plus favorable entre les deux pays desservis.
M. le rapporteur. Demande de retrait.
Outre les discussions que nous avons déjà eues sur la loi de police et son champ restreint par le droit européen, vos amendements visent à appliquer dans un autre port la loi française, ce qui ne me paraît pas conforme à l’application territoriale de notre droit.
De plus, la délimitation géographique de votre dispositif ne me semble pas appropriée. Pourquoi ne pas se limiter à l’Espace économique européen et inclure des pays tels que la Russie ou l’Azerbaïdjan alors même que d’autres liaisons, avec le Maghreb par exemple, pourraient davantage se justifier ?
De même, vous incluez des pays qui n’ont pas de côtes maritimes et pour lesquels la nouvelle législation serait donc difficilement applicable.
Enfin, il est très difficile, dans de nombreux cas, de déterminer la loi ou la convention collective la plus favorable, de sorte que la mesure conduirait à une application disposition par disposition, laquelle ne semble pas raisonnable pour la clarté et la lisibilité du droit.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS31 de M. Pierrick Berteloot.
M. Pierrick Berteloot (RN). Cet amendement vise à conditionner le temps d’embarquement pour les marins travaillant à bord d’un navire effectuant un trajet régulier sur la ligne transmanche à trois semaines consécutives et à accorder aux marins un temps de repos équivalent au temps d’embarquement.
Si le temps de travail est insoutenable, le manque de repos conduira inévitablement à une catastrophe. Lorsque l’on considère l’importance du trafic passager ou commercial, on imagine que trop les risques qui peuvent survenir parce que les marins sont sous-payés, manquent de repos et sont en tension.
M. le rapporteur. Nous avons déjà adopté un amendement sur le temps d’embarquement maximal des marins et le repos. Je vous invite à retirer celui-ci, qui est satisfait.
L’amendement est retiré.
Amendements AS10, AS11, AS8 et AS12 de Mme Claudia Rouaux (présentation commune).
M. Elie Califer (SOC). Nous osons encore présenter des amendements dans l’intérêt des travailleurs.
L’amendement AS10 vise à étendre le droit aux congés payés aux marins opérant sur des liaisons de passagers ou de marchandises entre un port situé sur le territoire national et un port situé dans un des pays européens.
Un des causes majeures du dumping social sur les dessertes internationales réside dans l’absence ou la faible rémunération des congés payés et des temps de repos sur les mêmes bases que les jours embarqués.
L’objectif de cet amendement est double : améliorer les droits sociaux des marins et lutter contre le dumping social.
Mme Claudia Rouaux (SOC). L’amendement AS11 vise à garantir que le temps de repos à terre soit équivalent à celui du temps d’embarquement et rémunéré d’une manière au moins égale.
L’amendement AS8 propose d’appliquer le droit français à tout marin travaillant sur un navire à destination ou partant d’un port français.
M. Elie Califer (SOC). L’amendement AS12, sur lequel nous avons travaillé avec les organisations syndicales, vise à interdire le recours au registre international français aux navires effectuant des liaisons entre la France et le Royaume‑Uni ou les îles anglo-normandes de Jersey et de Guernesey.
M. le rapporteur. Avis défavorable pour les raisons déjà évoquées lors de la discussion de l’amendement AS7. La délimitation géographique de votre dispositif, en particulier, ne me semble pas appropriée.
M. Nicolas Turquois (Dem). Dans la liste des pays que mentionne l’amendement AS10, la présence du Vatican me surprend : sans doute s’agit-il d’un transport mystique, voire d’une lévitation...
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Nous voterons en faveur de ces amendements, révélateurs des limites de l’article 1er s’agissant du nombre de pays concernés et d’une volonté de limitation plutôt que d’imposition.
Par ailleurs, l’interdiction du RIF, en l’occurrence, ne fragiliserait en rien le transport en Méditerranée et constituerait un bon signal.
La commission rejette successivement les amendements.
Article 2 : Sanction de l’admission à bord d’un marin ne disposant pas d’un certificat d’aptitude médicale établi à l’étranger valide
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Après l’article 2
Amendement AS13 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je remercie le rapporteur de s’inscrire dans une dynamique de coconstruction, mais celle-ci doit être concrétisée.
En raison du Brexit, l’exclusion du RIF ne s’applique plus pour les lignes anglaises. Je propose donc d’étendre cette exclusion aux lignes transmanche.
M. le rapporteur. La rédaction issue de la loi de 2005, renvoyant l’exclusion de certaines lignes au pouvoir réglementaire, doit être conservée en l’état. Cela permet au Gouvernement de garder une certaine souplesse dans l’application du dispositif tout en évitant un risque de rupture d’égalité devant les charges publiques en inscrivant certaines liaisons dans la loi.
Je vous invite également à interroger le Gouvernement sur ce point en séance publique.
Demande de retrait.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Comme disait ma grand-mère, « Méfie-té toujours, méfie-té encore ! ». Dans l’attente de l’engagement du ministre, je maintiens l’amendement. Nous ne donnerons aucun chèque en blanc.
La commission rejette l’amendement.
Article 3 (nouveau) : Rapport sur l’état des pratiques relatives au dumping social sur les lignes régulières de ferries au sein de l’Union européenne
Amendement AS17 de M. Sébastien Jumel et sous‑amendement AS46 de M. Didier Le Gac.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Il serait très utile de disposer d’un rapport sur les conséquences du dumping social, y compris en termes de concurrence déloyale, avec des opérateurs qui embauchent des marins français cotisant à l’Enim.
De plus, les témoignages sur les conditions des licenciements des marins et sur les conditions de travail des marins low cost décrivent un véritable esclavage.
M. le rapporteur. Avis favorable, sous réserve de l’adoption de mon sous‑amendement portant le délai de la remise du rapport de six à neuf mois.
Ce rapport permettra effectivement de compléter nos connaissances sur le phénomène, d’éclairer l’application de la loi et ses éventuelles évolutions.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Soit, mais si le rapport est achevé avant neuf mois, nous sommes tout de même preneurs.
La commission adopte successivement le sous‑amendement et l’amendement sous‑amendé
Article 4 (nouveau) : Rapport recensant les besoins humains et financiers des services en charge de l’inspection du travail maritime pour assurer leurs missions, notamment dans la lutte contre le phénomène de dumping social
Amendement AS18 de M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel (GDR - NUPES). Je propose que le Gouvernement remette un rapport précisant les pistes d’amélioration de la formation des agents en charge de l’inspection du travail maritime en matière de droit du travail maritime.
M. le rapporteur. Nous savons, certes, ce qu’il en est des demandes de rapport dans cette grande maison, mais, s’il est des corps d’inspecteurs à renforcer, c’est bien ceux de l’Inspection du travail et de l’Inspection générale des affaires maritimes. Avec un contrôleur pour 3 000 marins, je ne puis que donner un avis de sagesse.
Mme Claudia Rouaux (SOC). Le manque d’effectifs, patent, empêche de vérifier ce qu’il en est du dumping social sur les navires. J’aurais souhaité un avis favorable de votre part.
M. Matthias Tavel (LFI - NUPES). Une task force des inspecteurs du travail et des inspecteurs des affaires maritimes doit être déployée pour lutter contre le dumping social. Depuis la privatisation de certains contrôles, le classement du pavillon français dans le Mémorandum de Paris s’est dégradé. L’État doit se donner les moyens de faire respecter ce que nous votons.
La commission adopte l’amendement.
Amendement AS23 de M. David Guiraud.
M. le rapporteur. Cet amendement est satisfait puisque le rapport permettra de savoir comment la task force sera déployée. Demande de retrait.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
* *
En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1005_texte-adopte-commission#
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Annexe N° 1 :
liste des personnes auditionnées
(Par ordre chronologique)
M. Patrick Chaumette, professeur émérite de l’Université de Nantes
Corsica Linea M. Pierre-Antoine Villanova, directeur général, et Mme Mathilde Defarges, consultante, Blue Star Strategies
Région Hauts-de-France – M. Franck Dhersin, vice-président aux mobilités, aux infrastructures de transport et aux ports, M. Nicolas Quinones-Gil, directeur général adjoint du pôle mobilités, infrastructures et ports, et M. Sylvain Petit, directeur des ports
Table ronde des armateurs :
– Cluster maritime français * – M. Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président
– Armateurs de France * – M. Jean-Emmanuel Sauvée, président
– Brittany Ferries – M. Jean-Marc Roué, président, et M. Bruno Denoyelle, conseiller auprès de la présidence, affaires publiques & institutionnelles
– DFDS Seaways SAS – M. Jean-Claude Charlo, directeur général & Head of French organization, et M. Mathieu Girardin, vice-président exécutif, président de DFDS Seaways France
P&O Ferries – M. Peter Hebblethwaite, Chief Executive Officer, Mme Amelia Mitchell, Head of Legal Services, et M. Owen Barry, Fleet Director
Audition conjointe :
– Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l’aquaculture (DG AMPA) – M. Christophe Lenormand, chef de service flottes et marins, et Mme Aurélie Virion, adjointe à la cheffe du bureau du travail maritime
– Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) – M. Jean‑Philippe Dufour, chef du bureau mobilités, mer et territoires, M. Sébastien Vincent, adjoint au chef du bureau mobilités, mer et territoires, et Mme Constance Deler, cheffe du bureau Parlements
– Ministère de la justice ‑ Direction des affaires criminelles et des grâces – Mme Claire Harismendy, magistrate, rédactrice
Irish Ferries – M. Andrew Sheen, managing director, M. Brian McKenna, marine & safety manager, et M. Patrick Simon, advisor
Getlink * – M. John Keefe, directeur des relations institutionnelles, et M. David Marteau, responsable des affaires européennes
Table ronde des organisations syndicales :
– Confédération française démocratique du travail (CFDT) – M. Jean‑Paul Corbel, représentant syndical de l’Union fédérale maritime
– Confédération générale du travail (CGT) – M. Emmanuel Chalard, secrétaire général de la fédération des officiers de la marine marchande (FOMM), et M. Frédéric Alpozzo, représentant de la Fédération nationale des syndicats maritimes (FNSM)
– Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – Commandant Jacques Portail, représentant du SNPNSMM‑CFTC au Conseil supérieur des gens de mer
– Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Pierre Maupoint de Vandeul, président CFE-CGC marine
Audition conjointe :
– Ministère de l’Europe et des affaires étrangères – Direction des affaires juridiques – Mme Héloïse Abdalan, conseillère juridique à la sous-direction du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles, et M. Valentin Depenne, conseiller juridique à la sous-direction du droit de l’Union européenne et du droit international économique
– Secrétariat général des affaires européennes – M. Sébastien Vincent, adjoint au chef du bureau mobilités, mer et territoires
– Direction générale du travail (DGT) – Mme Aurore Vitou, sous‑directrice des relations du travail, Mme Eva Jallabert, adjointe à la sous‑directrice des relations du travail, Mme Catherine Tindilliere, sous-directrice de l’animation territoriale du système d’inspection du travail, Mme Dominique‑Anne Michel, adjointe à la cheffe du bureau du pilotage du système d’inspection du travail, et Mme Elodie Boceno, adjointe à la cheffe du bureau des relations individuelles du travail
(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
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Annexe N° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la Proposition de loi
Proposition de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
|
Article |
Codes et lois |
Numéro d’article |
1er |
Code des transports |
L. 5591‑1, L. 5591‑2, L. 5592‑1, L. 5592‑2, L. 5593‑1, L. 5593‑2, L. 5594‑1, L. 5594‑2, L. 5595‑1 et L. 5595‑2 [nouveaux] |
2 |
Code des transports |
L. 5523‑6, L. 5785‑1 et L. 5795‑1 |
([1]) Philippe Delebecque, Droit maritime, 14e édition, Dalloz, 2020, p. 278.
([2]) Patrick Chaumette (dir.), Droits maritimes, 4e édition, Dalloz, 2021, p. 959.
([3]) Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail.
([4]) Cass. Ass. Plén. 7 mars 1997, Port autonome de Bordeaux c/ Vendier.
([5]) Articles L. 5544-34 à L. 5544-62 du code des transports.
([6]) Articles L. 5544-4 à L. 5544-8 du code des transports.
([7]) Article L. 5544-15 à L. 5544-22 du code des transports.
([8]) Articles L. 5544-23 à L. 5544-25-1 du code des transports.
([9]) C’est‑à‑dire le pays dans lequel le navire est immatriculé.
([10]) Dans des conditions fixées par décret, la francisation d’un navire peut également être accordée par agrément spécial lorsque les droits de ces mêmes personnes s’étendent au quart au moins du navire et, en outre, pour les navires armés au commerce et à la plaisance, à la condition que la gestion du navire soit assurée par ces personnes ou, à défaut, confiée à d’autres personnes remplissant les mêmes conditions.
([11]) Soit le transport entre deux ports d’un même État.
([12]) Loi n° 2005-412 du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français.
([13]) Articles L. 5611-1 à L. 5642-2 du code des transports.
([14]) Il s’agit d’une zone de l’océan Atlantique et d’une zone de l’océan Indien définies par le décret n° 2016‑1831 du 22 décembre 2016 relatif aux zones d’exploitation des navires de pêche immatriculés au registre international français.
([15]) Sont exclus les navires assurant les lignes régulières internationales de transport maritime de passagers entre un pays membre de l’Union européenne et l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, conformément au décret n° 2006‑462 du 21 avril 2006 fixant la liste des lignes régulières internationales de transport maritime de passagers mentionnée à l’article 2 de la loi n° 2005‑412 du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français.
([16]) Ce taux est abaissé à 25 % pour les navires ne bénéficiant pas du dispositif d’aide fiscale attribué au titre de leur acquisition.
([17]) Article L. 5612-1 du code des transports.
([18]) Id.
([19]) Article L. 5612-3 du code des transports.
([20]) Règlement (CEE) no 3577/92 du Conseil, du 7 décembre 1992, concernant l’application du principe de la libre circulation des services aux transports maritimes à l’intérieur des États membres (cabotage maritime).
([21]) Articles L. 5561-1 à L. 5567-4 du code des transports.
([22]) Le dispositif n’est pas applicable aux navires de construction traditionnelle participant à des manifestations nautiques.
([23]) Patrick Chaumette (dir.), op. cit., 2021, p. 963.
([24]) Philippe Delebecque, op. cit., 2020, p. 96.
([25]) Ibid., pp. 95-96.
([26]) Article 91 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982.
([27]) Article 1er de la convention des Nations unies sur les conditions d’immatriculation des navires, Genève, 7 février 1986.
([28]) Règlement (CEE) n° 4055/86 du Conseil du 22 décembre 1986 portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers.
([29]) Conformément au principe de libre prestation de services au sein de l’UE figurant à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
([30]) Convention (n° 147) de l’Organisation internationale du travail sur la marine marchande (normes minima), 1976.
([31]) Convention du travail maritime, 2006 (MLC, 2006), article V.
([32]) Principe directeur B2.2.4 – Montant mensuel minimum du salaire ou de la solde de base des matelots qualifiés de la règle 2.2 de la convention du travail maritime de 2006.
([33]) Sous-commission sur les salaires des gens de mer de la Commission paritaire maritime, Rapport final : Mise à jour du montant mensuel minimum du salaire ou de la solde de base des matelots qualifiés : Convention du travail maritime, 2006, telle qu’amendée, principe directeur B2.2.4 – Montant mensuel minimum du salaire ou de la solde de base des matelots qualifiés (Genève, 16 et 17 mai 2022), p. 14.
([34]) Auditions par le rapporteur des représentants de Brittany Ferries, DFDS France, Armateurs de France et du Cluster maritime français.
([35]) Auditions du rapporteur.
([36]) Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
([37]) Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
([38]) Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
([39]) Article 3 du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 précité.
([40]) Article 8 du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 précité.
([41]) Article 9 du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 précité.
([42]) Conseil d’État, 29 juin 1973, Syndicat général du personnel de la Compagnie des wagons-lits.
([43]) Cour de Cassation, Assemblée plénière, 10 juillet 1992, Air Afrique.
([44]) Cour de justice des Communautés européennes, 23 novembre 1999, Arblade.
([45]) Notamment les directives n° 1999/63/CE du Conseil du 21 juin 1999 concernant l’accord relatif à l’organisation du temps de travail des gens de mer, conclu par l’Association des armateurs de la Communauté européenne (ECSA) et la Fédération des syndicats des transports dans l’Union européenne (FST) n° 1999/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 1999 concernant l’application des dispositions relatives à la durée du travail des gens de mer à bord des navires faisant escale dans les ports de la Communauté.
([46]) Id.
([47]) Cour de justice de l’Union européenne, 18 octobre 2016, Nikiforidis.
([48]) Amendement AS39.
([49]) Les services du ministère des affaires étrangères auditionnés par le rapporteur ont néanmoins rappelé que l’article 94 de la convention de Montego Bay, donnant compétence exclusive à la juridiction de l’État de pavillon dans le domaine social, pouvait, en partie, limiter la portée de l’article 25.
([50]) « Seafarers’s Wages Bill [HL] », UK Parliament, House of Commons Library, novembre 2022.
([51]) Cour de justice des Communautés européennes, 23 novembre 1999, Arblade.
([52]) Audition du rapporteur.
([53]) https://mer.gouv.fr/herve-berville-propose-aux-armateurs-du-transport-maritime-transmanche-une-demarche-de-charte.
([54]) Article L. 5521-1 du code des transports.
([55]) Article 1er du décret n° 2015-1574 du 3 décembre 2015 relatif au service de santé des gens de mer.
([56]) Norme A1.2. de la MLC, 2006.
([57]) Article 10 de la convention (n° 188) sur le travail dans la pêche, 2007.
([58]) Décret n° 2015-1575 du 3 décembre 2015 relatif à la santé et à l’aptitude médicale à la navigation.
([59]) Arrêté du 3 août 2017 relatif aux normes d’aptitude médicale à la navigation des gens de mer.
([60]) Article L. 5533-1 du code du travail.
([61]) La liste de ces conventions est fixée par l’arrêté du 20 septembre 2017 précisant les conventions internationales de référence pour l’application de l’article L. 5521‑1‑1 du code des transports.