N° 2600

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mai 2024.

 

 

 

 

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LE PROJET DE LOI,
d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement
des générations en agriculture ( 2436)

PAR

MM. Éric GIRARDIN, Pascal LAVERGNE, Pascal LECAMP
et Mme Nicole LE PEIH

Députés

——

AVIS
FAITS

 

AU NOM DE LA COMMISSION
DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

AU NOM DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

Par Mme SANDRINE LE FEUR

Députée

 

Par Mme GÉRALDINE BANNIER
et M. BERTRAND SORRE

Députés

——

TOME I

Rapport et avis

 

 Voir le numéro : 2436.


SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS

I. La genèse d’un projet de loi attendu

II. Un projet de loi qui s’inscrit dans la ligne d’une action législative résolue pour soutenir le monde agricole

III. Un projet de loi qui fixe un cap pour les réformes à venir

COMMENTAIRE des ARTICLEs

TITRE IER DÉFINIR NOS POLITIQUES EN FAVEUR DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS AU REGARD DE L’OBJECTIF DE SOUVERAINETÉ DE LA France

Article 1er  Consécration de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture comme étant d’« intérêt général majeur » en vue de garantir la souveraineté alimentaire de la France

Article 1er bis (nouveau) Inscription de l’agriculture à l’article L. 410-1 du code pénal

Article 1er ter (nouveau) Instauration d’un soutien financier de l’État en vue de la constitution d’organisations de producteurs

TITRE II  former et innover pour le renouvellement des GÉNÉRATIONS ET LES TRANSITIONS EN AGRICULTURE

Chapitre Ier Objectifs programmatiques en matière d’orientation, de formation, de recherche et d’innovation

Article 2 Buts assignés aux politiques d’orientation et de formation en matière agricole

Article 2 bis (nouveau) Sensibilisation des enfants aux sujets agricoles, dès l’école primaire

Chapitre II Mesures en faveur de l’orientation, de la formation, de la recherche et de l’innovation

Article 3 Consécration de l’enseignement et de la formation professionnelle aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires

Article 4 Enrichissement des contrats de plans régionaux de développement des formations et de l’orientation professionnelles

Article 5  Création d’un « Bachelor Agro »

Article 6 Dispositions renforçant le développement agricole

Article 7 Création d’un dispositif permettant aux auxiliaires et élèves vétérinaires de réaliser certains actes de médecine et de chirurgie vétérinaires pour préserver le maillage vétérinaire du territoire national

Article 7 bis (nouveau) Demande de rapport sur la profession de vétérinaire

TITRE III FAVORISER L’INSTALLATION DES AGRICULTEURS AINSI QUE LA TRANSMISSION DES EXPLOITATIONS ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’EXERCICE DE LA PROFESSION D’AGRICULTEUR

Chapitre Ier Orientations programmatiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmissions des exploitations

Article 8 Programmation des politiques publiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles

Article 9 Mise en place d’un diagnostic modulaire des exploitations

Chapitre II Mesures en matière d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations

Article 10 Création du réseau « France Services agriculture »

Article 10 bis (nouveau) Contrat d’associé à l’essai dans une société

Article 11 Privilèges d’un groupement d’employeurs en cas de défaillance d’un utilisateur de ce groupement

Article 12 Création de groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI)

Article 12 bis (nouveau) Activité commerciale accessoire des groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) et des sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA)

Article 12 ter (nouveau) Rapport sur les besoins en fonds propres des coopératives agricoles

titre iv SÉCURISER, SIMPLIFIER ET LIBÉRER L’EXERCICE DES ACTIVITÉS AGRICOLES

Article 13 Habilitation à prendre par ordonnance toute mesure permettant d’adapter la répression de certaines atteintes à la conservation des espèces et des habitats

Article 13 bis (nouveau)  Présomption de bonne foi des agriculteurs en cas de contrôle de leur exploitation

Article 13 ter (nouveau)  Rapport sur une généralisation de l’identification électronique et la dématérialisation de la base de données nationale d’identification animale

Article 14 Simplification du régime de protection des haies

Article 15  Contentieux de certaines décisions en matière agricole

Article 16 Règles applicables aux détenteurs de chiens de protection de troupeaux

Article 17 Règles applicables au compostage de la laine et à l’aquaculture

Article 18 Capacité d’intervention des départements en matière de gestion de l’approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine

Article 19 Règles relatives à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs propres au secteur agricole

Article 20 (nouveau)  Conditions d’extension des accords interprofessionnels

Liste des personnes auditionnées

avis fait au nom de la commission dU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

avant-propos

introduction

première partie : Titre Ier du projet de loi

deuxième Partie : titre iI du projet de loi

I. article 2 : Orientations programmatiques en matière d’orientation, de formation, de recherche et d’innovation

II. Article 3 : Reformulation des missions de l’enseignement agricole et création d’une nouvelle mission

III. Article 6 : Développement agricole et recherche agronomique et vétÉRINaire

troisième Partie : Titre iii du projet de loi

IV. Article 8 : objectifs des politiques publiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations

V. Article 9 : Diagnostic modulaire d’évaluation de la résilience des exploitations au changement climatique

quatrième Partie : titre iv du projet de loi

VI. la nécessité d’un cadre légal unifié de protection des haies en milieu agricole [article 14]

A. Le déclin des haies s’accélère malgré les mesures de soutien

B. des réglementations disparates manquant de lisibilité

C. Simplifier les démarches administratives pour mieux protéger les haies

1. La nécessité d’une définition englobante de la haie

2. Veiller au caractère opérationnel de la « procédure unique » pour véritablement simplifier les démarches administratives des agriculteurs

3. Les mesures de compensation doivent être à la hauteur des enjeux environnementaux

4. Les enjeux de valorisation économique et de gestion durable demeurent à préciser

VII. Accélérer le traitement des contentieux pour favoriser l’émergence de projets agricoles sur le territoire [article 15]

A. des aménagements à la procédure contentieuse visant à accélérer les prises de décision des juridictions

1. Des contentieux facteurs d’allongement des délais et de complexification de projets agricoles

2. Le champ des projets agricoles et décisions concernés par l’article 15

3. L’instauration de règles de procédure dérogatoires au contentieux de droit commun inspirées du code de l’urbanisme

B. mieux évaluer les effets et les risques juridiques du dispositif

VIII. Habilitations à légiférer par ordonnance [articles 13, 16 et 17]

A. article 13 : alléger la réponse pénale À condition de favoriser une meilleure appropriation des normes environnementales

B. Article 16 : des mesures concernant les chiens de protection des troupeaux de faible portée

1. Un recours croissant aux chiens de protection des troupeaux susceptible de majorer les conflits dans les territoires concernés

2. Des mesures ciblées sur les installations classées et la responsabilité pénale des éleveurs

3. La nécessité de structurer une filière « chiens de protection » demeure

C. Article 17 : des allègements de portée limitée pour la filière laine et l’aquaculture

1. Faciliter le compostage de la laine dans un contexte de crise pour la filière

2. Simplifier les démarches administratives des pisciculteurs

IX. article 18 : sécuriser la gestion de l’eau en facilitant l’intervention des départements

liste des personnes auditionnées par mme sandrine le feur, rapporteurE pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’éDUCATION

INtroduction

I. l’enseignement agricole : un système performant confrontÉ À de nombreux dÉfis

A. L’enseignement agricole : un modÈle performant…

1. L’enseignement agricole tient une place importante dans le paysage éducatif français

2. Un enseignement efficace, qui a déjà su s’adapter

B. …confrontÉ À de nombreux dÉfis

1. Le renouvellement des générations

a. Le vieillissement de la population agricole

b. Des métiers en tension

c. L’insuffisante attractivité de l’enseignement agricole

2. Des transitions majeures à accompagner

a. Des exigences nouvelles et croissantes, face au défi de la transition agroécologique et à la mutation des métiers du vivant

b. Une évolution du contenu des formations qui doit se poursuivre

c. Un besoin global de montée en compétences

3. Les liens à retisser entre le monde agricole et le reste de la société

II. les dispositions du texte

A. l’article 2 : orientations stratÉgiques de la politique d’Éducation, de formation et de recherche agricoles

B. l’article 3 : clarification et extension des missions de l’enseignement agricole

C. l’article 4 : instauration d’un contrat territorial de consolidation ou de crÉation de classes

D. l’article 5 : crÉation d’un nouveau diplôme national de niveau bac + 3

III. les modifications proposées par la commission

ANNEXE : Liste des personnes entendues par lES RAPPORTEURS

 


   AVANT-PROPOS

« L’agriculture est le premier métier de l’homme : c’est le plus honnête, le plus utile, et par conséquent le plus noble qu’il puisse exercer. » Cette phrase de Jean-Jacques Rousseau, dans L’Émile, dit bien à quel point le beau métier d’agriculteur, en contact direct avec la nature, a toujours joué un rôle fondamental pour notre société. Dans L’Identité de la France, Fernand Braudel évoque aussi avec poésie « l’univers paysan », « ses couleurs, ses habitudes, sa connaissance intime du terroir, ses besoins réduits, sa modération profonde » et son lien avec l’histoire de notre pays.

La France a longtemps été un pays d’abord agricole, profondément agricole. Ce que l’on appelait alors le secteur primaire a, pendant des siècles, dominé la structure à la fois de notre société et de notre économie. À la veille de la Révolution française, la population rurale représentait presque 80 % des 27 millions d’habitants que comptait alors notre pays, et c’est alors près de 67 % de la population qui vivait très directement de l’agriculture. Aujourd’hui, on ne compte plus que 496 000 exploitants agricoles, pour un nombre d’exploitations passé depuis quelques années en-deçà de la barre symbolique des 400 000, leur nombre étant de 389 000 environ en 2020. Chaque année depuis 2015, 20 000 chefs d’exploitation cessent leur activité, pour seulement 14 000 qui s’installent.

Jeter aujourd’hui un regard lucide sur l’état de notre agriculture conduit à des constats ambivalents.

D’un côté, il ne faut pas oublier que celle-ci demeure l’une des meilleures du monde et, de loin, la première au sein de l’Union européenne.

Ainsi, selon les chiffres de la Commission européenne, la production agricole du continent a représenté en 2023 environ 552 milliards d’euros, la France ayant représenté à elle seule plus de 17 % du total, suivie notamment par l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, les Pays-Bas, la Pologne et la Roumanie ([1]). En 2023, la valeur de la production agricole française se sera ainsi élevée à 39 milliards d’euros même si, on le sait, de nombreuses productions sont soumises à une forte volatilité des cours, qui dépend à la fois des mouvements sur les marchés, des aléas climatiques, des changements dans les habitudes de consommation… Après une année 2022 qui s’est caractérisée par une hausse globale des prix, portée notamment par un effet rattrapage consécutif au covid-19, l’année 2023 a été plus contrastée, avec des prix qui ont baissé fortement (baisse de 28,4 % pour les céréales, de 25 % pour les oléagineux) ou de façon modérée (baisse de 6,2 % du prix des vins sous appellation) ou, pour certaines productions, qui ont continué d’augmenter (les prix des fruits et des légumes ayant globalement augmenté de respectivement 7,5 % et 7,1 % selon les chiffres de l’Insee).

D’un autre côté donc, l’agriculture française est traversée par des maux qui, compte tenu de son importance dans notre pays, ne peuvent que tous nous affecter.

La baisse des cours de plusieurs matières premières, couplée à des négociations commerciales toujours plus difficiles pour les producteurs, a entraîné une diminution du revenu agricole. En 2023, celui-ci a ainsi baissé de 9 % par rapport à 2022 (après deux années de hausse, respectivement + 13,1 % en 2021 et + 9,6 % en 2022). Aujourd’hui, des études récentes ([2]) ont montré que le revenu courant avant impôt (ou RCAI, c’est-à-dire l’indicateur qui permet de mesurer la rentabilité d’une exploitation agricole) ne s’élevait qu’à 32 000 euros par équivalent temps plein (ETP), toutes exploitations confondues. Le revenu moyen annuel d’un agriculteur n’est actuellement que de 30 000 euros, sachant que les 10 % des revenus les plus faibles sont négatifs – en d’autres termes, l’agriculteur perd de l’argent, et c’est alors le salaire du conjoint qui fait vivre l’ensemble de la famille. Quant au taux de pauvreté des ménages agricoles, il est environ de 18,1 %, soit un taux supérieur de trois points par rapport au taux de pauvreté de l’ensemble de la population de notre pays (15,1 %).

Personne ne peut davantage ignorer le vieillissement de la population agricole, l’âge moyen des agriculteurs étant passé de 47 ans en 2000 à 50,2 ans en 2010, et même à 51,4 ans en 2020. Défi majeur pour notre agriculture et même notre société, la part des exploitants âgés de plus de 55 ans représente 43 % de la population totale, soit sept points de plus qu’en 2010 ; dans ce cadre, le renouvellement générationnel en agriculture doit être une préoccupation de tout premier ordre.

Notre agriculture, nos agriculteurs sont donc pour une bonne part d’entre eux en souffrance. Dans un contexte économique sans cesse plus agressif, où le modèle familial d’exploitation cède de plus en plus le pas à la constitution de grandes exploitations (la surface des exploitations agricoles en France est de 69 hectares en moyenne, soit 14 hectares de plus qu’en 2010 et même 27 de plus qu’en 2000), les interrogations se multiplient : comment mieux prendre en compte dans le cadre de l’activité agricole les changements climatiques, l’évolution des modèles sociaux, les transitions énergétique et écologique, ou encore les bouleversements géopolitiques nécessitant que l’agriculture française se transforme profondément, sans pour autant perdre son âme ?

Car, au-delà des mots, c’est bien de cela dont il s’agit. La résilience et la capacité d’adaptation de l’agriculture de notre pays ont jusque-là permis de conserver un maillage agricole important à travers l’ensemble du territoire national, y compris dans nos outre-mer, préservant ainsi une diversité à nulle autre pareille, en lien avec des territoires et des productions variés qui, par leurs labels et autres appellations d’origine, alimentent et illustrent toute notre culture. Le rôle du politique est de créer, pour et avec les hommes et les femmes qui le font, les conditions de la protection de ce modèle.

Témoin de cette exigence, l’hiver politique 2023-2024 a été marqué, partout en Europe, par des manifestations illustrant la crise profonde qui traverse l’agriculture, en proie à de multiples défis existentiels. Sans prétendre résoudre l’ensemble des problèmes, le présent projet de loi vise à apporter une réponse concrète et à fixer des orientations pour répondre à nombre de ces défis.

I.   La genèse d’un projet de loi attendu

Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture fait suite à plus de six mois de concertations, conduites de décembre 2022 à mai 2023 par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Une concertation aux niveaux régional et national a rassemblé des représentants du monde agricole, des filières, de l’enseignement, de l’orientation et de la formation continue, ainsi que des acteurs de l’installation agricole et du monde associatif. Les travaux ont été menés dans le cadre de trois groupes thématiques traitant de l’orientation et de la formation, des questions relatives à l’installation et à la transmission, et de l’adaptation ainsi que de la transition face au changement climatique. Les synthèses effectuées ont, par ailleurs, été enrichies au mois d’avril 2023 par une large consultation du public, qui a recueilli plus de 44 000 contributions exploitables ; une consultation spécifique des jeunes de l’enseignement agricole a également été menée entre les mois d’avril et mai 2023 au sein d’un échantillon d’établissements de l’enseignement technique agricole public et privé (en France métropolitaine et en outre-mer).

Alors que le projet de loi devait être présenté au Parlement, les mouvements des mois de janvier et février derniers ont conduit à retarder sa présentation, afin d’y intégrer certains sujets de préoccupations majeurs pour le monde agricole. Il a été ainsi renforcé par un titre Ier, qui consacre l’agriculture comme étant, au même titre que la pêche et l’aquaculture, d’intérêt général majeur – ce qui constitue la ligne directrice du texte – et par un titre IV, qui regroupe diverses dispositions dans le domaine de la simplification.

L’inscription, à l’article unique du titre Ier, du caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture permet d’en faire des priorités au sein de nos politiques publiques, propre à contribuer au premier plan à garantir notre souveraineté alimentaire. Il s’agit d’une avancée législative essentielle qui, les travaux en commission des affaires économiques en témoignent, a été au cœur de débats nourris et passionnés. Vos rapporteurs soutiennent à ce titre une vision claire de l’article 1er qui doit, autant que possible, définir les notions aujourd’hui incontournables de souveraineté alimentaire, de souveraineté agricole et de sécurité alimentaire, ainsi que les orientations des politiques publiques qui en découlent.

De ces objectifs fondamentaux découle ensuite la mise en action de trois leviers, qui correspondent aux trois autres titres du projet de loi et qui peuvent se résumer en trois mots : former, accompagner, simplifier.

Le titre II doit permettre d’inscrire au mieux les enjeux liés à l’attractivité des métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire et à la transition écologique au sein des parcours de formation et de la recherche agricole. La création d’un nouveau diplôme de niveau Bac +3, qui prendra en compte la nécessité de développer les compétences managériales et agronomiques, est en ce sens une mesure décisive. Les établissements d’enseignement agricole, lycées comme établissements d’enseignement supérieurs, publics et privés, devront tous être pleinement intégrés dans la poursuite des objectifs programmatiques fixés à l’article 2 du projet de loi, auxquels pourront également concourir l’ensemble des acteurs de terrain, à commencer par les collectivités territoriales et leurs groupements.

Au sein du titre III, l’article 9 fixe des orientations pour les dix prochaines années pour nos politiques publiques en matière d’installation et de transmission d’exploitations agricoles. L’accompagnement se décline à travers deux dispositifs clés. D’une part, est créé le guichet unique « France Services Agriculture », localisé au sein des chambres d’agriculture mais composé de tous les acteurs engagés au service de la Ferme France, dont la principale fonction consistera à faciliter l’entrée des nouveaux agriculteurs quel que soit leur profil, et à accompagner les transmissions d’exploitations ou à aider à la réorientation des projets des exploitants. Les structures agréées du réseau « France Services Agriculture » pourront s’appuyer sur un diagnostic modulaire, dont vos rapporteurs souhaitent qu’il soit prioritairement centré autour des problématiques économique, sociale et environnementale, qui sont interdépendantes. Au-delà des divergences d’appréhension, il semblerait néanmoins qu’un consensus existe pour mettre en place un diagnostic permettant de renforcer la viabilité économique des projets d’installation ou de cession d’exploitation agricole, améliorer la transmissibilité de ces exploitations et, en tout état de cause, de mesurer la résilience de ces projets au changement climatique, grâce à un stress-test climatique.

En outre, le titre III propose la création d’un groupement foncier agricole d’investissement (GFAI), conçu comme un outil de portage foncier au service de l’agriculture. Face aux inquiétudes qui ont pu se manifester, vos rapporteurs souhaitent transformer ce dispositif en un futur groupement foncier agricole d’épargne (GFAE), associé à d’importantes garanties d’encadrement et de contrôle, qui permettront de favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs tout en renforçant le lien avec la société civile et les épargnants. Ces derniers, s’ils le souhaitent, pourront ainsi soutenir l’agriculture aux côtés de personnes publiques telles que les régions ou les établissements publics de coopération intercommunale. Ces collectivités et leurs groupements pourront désormais soutenir le portage foncier des nouveaux installés en agriculture, car les GFAI mettront les terres à bail dans le cadre d’un contrat de bail rural à long terme. Ce nouvel outil est conçu comme un élément complémentaire de ceux déjà existant au service d’un portage du foncier, dans le seul but d’être utile aux exploitants agricoles ou futurs exploitants agricoles, notamment ceux qui ne sont pas issus de ce milieu agricole.

Quant au titre IV, bien qu’ajouté au projet de loi quelque peu in extremis, il a pour ambition d’apporter plusieurs réponses à des problèmes effectivement rencontrés sur le terrain, que le monde agricole a pu souligner lors des grandes manifestations de janvier et février dernier. Qu’il s’agisse du remplacement de sanctions pénales, inutilement déshonorantes, par des sanctions administratives prononcées après des contrôles qui demandent sans doute à être améliorés, de simplifier le régime juridique des haies qui a symbolisé jusqu’à l’absurde la lourdeur administrative s’imposant aux agriculteurs, ou encore de la volonté d’accélérer le traitement contentieux de certains recours juridictionnels afin de permettre à des projets utiles pour l’agriculture de se mettre en place, ce titre vise à apporter des réponses concrètes à des préoccupations anciennes.

II.   Un projet de loi qui s’inscrit dans la ligne d’une action législative résolue pour soutenir le monde agricole

Le présent projet de loi, déjà enrichi par les travaux conduits en commission, s’inscrit dans le prolongement des réformes menées depuis de nombreuses années.

Outre les grandes lois d’orientation intervenues depuis une dizaine d’années ([3]), des mesures importantes ont été prises pour garantir le revenu des agriculteurs, grâce à ce que l’on a appelé les lois Egalim et la loi Descrozailles ([4]). En outre, une mission parlementaire, menée par les députés Anne-Laure Babault et Alexis Izard, est actuellement en cours pour déterminer s’il convient ou non de renforcer ce cadre, et, le cas échéant, dans quelle direction ce renforcement doit avoir lieu.

Afin de renforcer la compétitivité de notre agriculture et la fixation d’un cadre commun protecteur, la France a œuvré à une réforme de la PAC pour la période 2023-2027, qui assure 9,29 milliards d’euros par an d’aide de l’Union européenne à nos agriculteurs.

Pour lutter contre les distorsions de concurrence, le Gouvernement a souhaité mettre au cœur de la Présidence française de l’Union européenne de 2022 une reconfiguration du commerce international, centrée autour de l’ouverture à l’autre et de la réciprocité des normes, en rupture avec certaines conceptions libérales jusqu’au-boutistes et absurdes. Les graines de moutarde, produites au Canada avec des produits phytosanitaires interdits en Europe, sont ainsi transformées à Dijon pour être consommées comme des spécialités bourguignonnes. Certains produits dits de charcuterie corse sont en réalité travaillés à partir de viande importée de basse qualité et ne subissent que quelques transformations de base, au détriment des véritables agriculteurs et artisans qui maîtrisent l’ensemble de la chaîne. Il faut mettre fin à ces circuits qui pénalisent à la fois nos agriculteurs et les consommateurs. C’est également pour ces raisons que nous devons à la France de porter le fer pour refuser de ratifier en l’état l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur, particulièrement dangereux pour nos paysans en sa forme actuelle.

En réponse aux dysfonctionnements du marché du foncier, qui sont autant de frein à l’installation de nouveaux agriculteurs et qui conduisent à un agrandissement sans fin de la surface des exploitations agricoles, la loi dite « Sempastous » de 2021 ([5]) a élargi les compétences des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), en soumettant certaines cessions de parts sociales à leur contrôle.

Prenant acte de l’obsolescence grandissante du système dit « des calamités agricoles », nous avons également mené une réforme d’ampleur de l’assurance‑récolte et réformé la gestion du risque climatique ([6]).

Face aux mutations importantes qu’il convient d’accompagner à long terme, le budget dédié à l’agriculture, à l’alimentation et aux forêts a augmenté de 76 % entre 2022 et 2024, grâce notamment à un effort exceptionnel dans le cadre de la planification écologique, à laquelle 1 milliard d’euros d’autorisations d’engagements est consacré dans le budget 2024.

Enfin, dans le cadre du dialogue constructif mené avec les organisations syndicales agricoles pendant la crise, le Premier Ministre a également engagé un travail de mise en œuvre de 67 mesures de simplification, afin d’alléger les contraintes pesant sur le monde agricole et de laisser le temps aux agriculteurs de travailler, avec le plus de sérénité possible.

III.   Un projet de loi qui fixe un cap pour les réformes à venir

Le présent projet de loi s’insère ainsi dans un vaste mouvement de soutien aux agriculteurs, sachant que d’autres mesures sont d’ores et déjà prévues. Dans les mois à venir, outre les travaux menés pour protéger le revenu agricole (et qui conduiront peut-être à l’adoption d’une loi Egalim 4), plusieurs textes sont attendus, notamment sur la séparation de la vente et du conseil ainsi que sur le partage de la valeur agrivoltaïque. Une nouvelle réforme de la PAC, que vos rapporteurs espèrent recentrée en priorité sur des aides non-surfaciques, permettra également de prendre en considération les enjeux liés au revenu.

Au-delà de ces diverses mesures plus ou moins ciblées, vos rapporteurs souhaitent poursuivre la construction et la réforme de l’architecture légale et réglementaire mise en place depuis 2017, en insistant sur trois points clés.

Cette fiscalité est donc lourde – même si nous avons amélioré depuis 2019 l’abattement sur le bail rural à long terme, porté de 101 000 euros à 300 000 euros, puis à 500 000 euros applicables depuis le 1er janvier 2023. En raison du poids de cette fiscalité et d’une rémunération faible, les terres agricoles constituent l’actif qui a le rendement le plus faible, ce rendement pouvant d’ailleurs être négatif en euros constants en période d’inflation. Cette situation globale est, à l’évidence, pénalisante pour notre agriculture, car elle limite fortement la fluidité des transactions et la circulation des biens fonciers agricoles au bénéfice de l’installation.

Mais si notre volonté commune est d’élever notre agriculture au rang d’intérêt général majeur pour notre pays, il nous faut, en amont, protéger les facteurs de production qu’elle mobilise : il s’agit, en premier lieu, des agricultrices et des agriculteurs, mais également des actifs immobilisés et circulants et, enfin, du foncier.

Compte tenu de ces constats, plusieurs pistes d’amélioration devraient être examinées lors du prochain projet de loi de finances. Une harmonisation de la fiscalité des droits de mutation, quelle que soit la forme d’exploitation de l’activité agricole, individuelle ou sociétaire, s’impose. Il faut, en particulier, poursuivre le processus d’harmonisation de la fiscalité applicable à la transmission du foncier mis à disposition dans le cadre d’un bail rural à long terme avec le pacte Dutreil, ainsi qu’avec l’exonération de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il est enfin souhaitable d’augmenter, dans le cadre d’une donation, l’abattement de droit commun. Ces diverses mesures doivent, selon vos rapporteurs, permettre d’accélérer les opérations de transmission d’exploitations agricoles. Il s’agit, ni plus, ni moins d’un investissement fiscal pour l’avenir.

De même, il est nécessaire, pour lever les blocages qui entravent aujourd’hui l’accès au foncier agricole, d’amplifier le développement des solutions de portage du foncier par la massification des investissements de l’État, en s’appuyant sur le Fonds « entrepreneur du vivant » annoncé par le Président de la République à Terre de Jim en septembre 2022, sur les banques du groupe Caisse des dépôts et consignation, ainsi que sur les banques privées, les Safer et les collectivités territoriales. L’alinéa 5 de l’article 8 du projet de loi, dans la version issue des travaux de la commission des affaires économiques, va dans ce sens.

Accélérer la transmission des cédants en allégeant la fiscalité qui leur est applicable, d’une part, et faciliter l’installation en développant un dispositif équilibré de portage du foncier, d’autre part, sont indissociables de notre volonté de renouveler les générations d’agricultrices et d’agriculteurs qui sont garants de notre souveraineté alimentaire et de notre indépendance stratégique. Il s’agit ainsi de doter l’agriculture française d’un cadre global, clair et cohérent, qui accélère les transitions et donne aux femmes et aux hommes qui nourrissent la France, l’Europe et le monde, les moyens de vivre correctement de leur travail.

On l’a vu, et ce point de vue ne peut qu’être consensuel même si l’on discute et diverge sur les solutions, l’agriculture française doit être au centre de nos préoccupations économiques, sociales, environnementales, de santé publique et de sécurité alimentaire.

Dans ce contexte, vos rapporteurs estiment avec force que ce projet de loi permettra de soutenir efficacement la souveraineté alimentaire française et, par là même, son agriculture, tant en métropole que dans les outre-mer, au travers de trois axes stratégiques au service de nos agriculteurs : former, accompagner et simplifier.

Aujourd’hui, notre défi reste le même : pérenniser la ferme France, en conciliant les attentes et les besoins des agriculteurs et des consommateurs, tout en s’adaptant aux dérèglements climatiques et à l’affaiblissement de la biodiversité. Vos rapporteurs sont convaincus que nous ne pourrons y répondre qu’en Européens, au travers d’une politique agricole commune forte, dont Edgard Pisani fut l’un des fondateurs, et de mesures importantes prises au plan national. Il y va de notre responsabilité.

 

 


COMMENTAIRE des ARTICLEs

TITRE IER
DÉFINIR NOS POLITIQUES EN FAVEUR DU RENOUVELLEMENT
DES GÉNÉRATIONS AU REGARD DE L’OBJECTIF DE SOUVERAINETÉ DE LA France

Article adopté par la commission avec modifications

Cet article élève l’agriculture, la pêche et l’aquaculture au rang d’activités « d’intérêt général majeur » et consacre la notion de « souveraineté alimentaire », au service de laquelle doit notamment être conduite une ambitieuse politique d’installation et de transmission en agriculture.

 

  1.   l’État du droit : une souverainetÉ alimentaire qui reste À construire
    1.   les dÉbats autour de la notion de souverainetÉ alimentaire

Bien qu’il jouisse aujourd’hui d’une indéniable popularité auprès de nos concitoyens et dans le débat public, le concept de « souveraineté alimentaire » reste encore à construire.

  1.   La souveraineté alimentaire : un concept dont la définition fait difficilement consensus

Avant d’essayer de définir et de comprendre ce que recouvre exactement la notion de « souveraineté alimentaire », il convient de rappeler rapidement en quoi consiste la souveraineté.

La « souveraineté » est fondamentalement une notion juridique avant même que d’être politique. Comme l’a par exemple mis en évidence Barbara Delcourt ([7]), certes dans une perspective de droit international, la souveraineté présente à cette aune trois caractéristiques fondamentales :

– c’est une notion éminemment juridique, qui inscrit la question du pouvoir dans le droit ;

– l’autorité qu’elle suppose est absolue, dans la mesure où un État est ou n’est pas souverain. Il ne peut exister de situation d’entre-deux, car le pouvoir de dernière instance ne peut, par définition, être partagé ;

– le caractère absolu implique également une condition d’unité : l’indépendance qu’elle suppose a pour corollaire de faire de l’entité souveraine la seule habilitée à prendre les décisions qui la concernent dans les sphères interne et internationale.

On peut ajouter que la notion de « souveraineté » est consubstantielle à celle de l’État, qu’on réfléchisse dans une perspective de droit interne ou de droit international. Comme l’a très bien écrit le professeur Denis Baranger, « lorsqu’on comprend l’identité de l’État comme souveraineté (l’État n’est que s’il y a un souverain en lui ; puis : l’État n’est que s’il est lui-même souverain), on tend à tout voir selon un schéma rapprochant une essence plus ou moins cachée et des manifestations plus ou moins apparentes. La souveraineté est l’animus universel de l’État, ou du moins la forme que prend cet animus, cette volonté incessante, capable de se porter sur tous les objets » ([8]). La naissance de l’État moderne a, de ce fait, pris deux formes qui se sont mutuellement renforcées :

– d’une part, la souveraineté a illustré l’affirmation du pouvoir royal contre un ordre médiéval constitué de puissances féodales locales et autonomes, cette volonté ayant d’ailleurs par la suite suscité une forte réaction contre les prétentions à l’universalisme manifestées tant par l’empereur du Saint-Empire romain germanique que par le pape (cette dernière dans une perspective essentiellement spirituelle) ;

– d’autre part, la notion de « souveraineté » a simultanément développé et consolidé le principe de territorialité : la souveraineté de l’État implique sa capacité à agir de manière autonome, indépendamment de toute autre puissance étrangère, le territoire de l’État souverain s’avérant donc « imperméable (…) à toute juridiction émanant d’une autorité extérieure » ([9]).

C’est de ce substrat, l’affirmation d’un pouvoir total sur un territoire déterminé, qu’est née la conception contemporaine de la souveraineté suivant laquelle, pour reprendre la célèbre formule du juriste allemand Jellinek, la souveraineté de l’État consiste pour ce dernier à « avoir la compétence de sa compétence ».

De la « souveraineté » à la « souveraineté alimentaire », on pourrait dire qu’il n’y a qu’un pas, mais le passage entre les deux serait trop aisé s’il en était ainsi…

À la faveur du double choc constitué par la pandémie de covid-19 et la guerre en Ukraine, la notion de souveraineté a été remise au goût du jour : comme l’ont très bien écrit Thierry Pouch et Marine Raffray, « on assiste ainsi au retour d’une notion que beaucoup, dans le cadre d’une mondialisation perçue comme porteuse d’un effacement des États nations, considéraient comme appartenant à l’Histoire » ([10]). Sans revenir sur tous les développements historiques de la notion de souveraineté alimentaire, il suffit de rappeler que la souveraineté alimentaire a partie liée avec l’histoire de l’Europe : c’est de cette idée qu’est née la politique agricole commune, puisque l’ambition politique de cette dernière était orientée vers l’accession à l’autosuffisance alimentaire. Comme le rappellent ces deux auteurs, la politique agricole commune incarnait « cette ambition de produire soi-même et pour soi-même des biens agricoles et de garantir l’accès à l’alimentation pour tous » ([11]) . À la suite notamment de la conclusion des Accords de Marrakech (1994), la notion de souveraineté alimentaire de l’Union européenne a perdu de son aura, au point d’apparaître comme totalement dépassée.

Pourtant, c’est à la même époque, dans le cadre du Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu au siège de la FAO, à Rome, du 13 au 17 novembre 1996, que l’organisation non gouvernementale Via Campesina a adopté une déclaration d’une importance capitale en tant qu’elle consacre et définit la souveraineté alimentaire : « Se nourrir est un droit humain de base. Ce droit ne peut être assuré que dans un système où la souveraineté alimentaire est garantie. La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays à maintenir et développer sa propre capacité de produire son alimentation de base, en respectant la diversité des cultures et des produits. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre propre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire ». Cette notion, renforcée et réitérée par la suite dans la « déclaration de Dakar » du 21 mai 2003 – une déclaration qui critiquait la logique libérale des décisions prises au sein de l’Organisation mondiale du commerce, assignait plusieurs objectifs à la politique agricole et concluait que « le marché ne peut assurer le respect de ces droits. C’est la responsabilité des Pouvoirs Publics, à l’échelle locale, d’un pays ou d’un groupe de pays. C’est la base de la souveraineté alimentaire. » ([12]) – et la « déclaration de Nyéléni » ([13]) du 27 février 2007 – du nom du village de Nyéléni au Mali, près du barrage de Sélingué, où s’est tenu en 2007 le Forum mondial sur la souveraineté alimentaire –, a indéniablement rencontré un certain écho, y compris dans les pays industrialisés.

Avec notamment la guerre en Ukraine, l’Union européenne (au sein de laquelle la France a vigoureusement lancé le débat) a perçu sa dépendance à l’égard de l’extérieur, notamment à l’égard des céréales russes et ukrainiennes, des intrants russes (engrais notamment) et, sur le plan énergétique, du gaz russe. C’est dans ce contexte que la souveraineté alimentaire a été érigée comme un but à atteindre, celle-ci pouvant alors se définir comme « une aptitude politique, et ensuite économique, à déterminer ce qu’il convient de produire comme biens agricoles et alimentaires sur son territoire, sans en référer à une quelconque instance suprême ou supranationale » ([14]).

  1.   La souveraineté alimentaire : un but dont l’atteinte suppose de vaincre de nombreux obstacles

Alors que la souveraineté renvoie à la capacité d’un État à agir seul et sans entrave et qu’elle illustre donc la liberté d’un État à être ce qu’il est, la souveraineté alimentaire se heurte à plusieurs obstacles, au point qu’on peut se demander si la France peut seule la mettre en œuvre.

Comme le soulignent Thierry Pouch et Marine Raffray, atteindre la souveraineté alimentaire suppose tout d’abord de vaincre certaines réticences de la société civile ([15]). Cette dernière, fortement attachée à la défense de l’environnement, peut s’opposer à ce que l’État encourage un modèle agricole encore plus intensif, quand bien même le but ultime serait de garantir une sécurité alimentaire pour tous dans un pays donné.

Ensuite, atteindre des rendements élevés pour disposer d’une véritable souveraineté alimentaire suppose, pour un État donné, d’avoir des effectifs d’agriculteurs suffisants, ce qui, en France notamment et comme on le verra dans le cadre du commentaire de l’article 2 du présent projet de loi, s’avère problématique si l’on considère l’attractivité limitée d’une profession qui peine à rémunérer dignement ceux qui l’exercent. Plus largement – et la Commission européenne s’en est d’ailleurs elle-même fait l’écho –, vouloir une véritable souveraineté alimentaire suppose de façon plus globale d’investir non seulement dans l’humain, mais également dans des infrastructures, des installations de stockage et des services apportés aux agriculteurs et aux marchés agricoles ([16]). En d’autres termes, il convient de l’appréhender comme une politique transverse majeure, au service de laquelle plusieurs politiques sectorielles doivent être mises en œuvre.

Enfin, dans le cas spécifiquement français, le dernier obstacle à une véritable souveraineté alimentaire tient à notre appartenance à l’Union européenne. Comme le remarquent Thierry Pouch et Marine Raffray, « si la France a placé la souveraineté alimentaire parmi les priorités de son agenda politique, cette vision ne fait pas l’unanimité au sein de l’Union » : certains pays comme l’Irlande et les Pays-Bas, structurellement excédentaires sur un certain nombre de productions agricoles (viande ovine et lait, notamment) et attachés à la liberté économique, ne sont pas aussi convaincus que la France de la nécessité de s’engager dans cette voie.

  1.   souverainetÉ alimentaire, sÉcUritÉ alimentaire et souverainetÉ agricole

Si la souveraineté alimentaire domine très largement le débat, il convient de souligner qu’elle ne doit pas se confondre avec d’autres notions qui en sont proches, parfois la recoupent (l’article 1er du projet de loi y fait d’ailleurs référence, mais sans jamais les définir) mais doivent en être clairement distinguées, de sorte que l’on sache précisément vers quels points les leviers des politiques publiques doivent être orientés.

  1.   Souveraineté alimentaire et sécurité alimentaire

Si la « souveraineté alimentaire » est délicate à définir, il n’en va pas de même de la « sécurité alimentaire ».

Cette notion est en effet depuis longtemps utilisée au plan international, qu’il s’agisse de l’objectif n° 2 de l’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable (éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable), de l’existence d’un « Comité de la sécurité alimentaire mondiale » au sein de la FAO, de la présence au sein du Parlement européen d’une « Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire » ou de l’adoption de plusieurs textes, à la portée plus ou moins normative, sur ce sujet.

La sécurité alimentaire repose sur quatre piliers ([17]), identifiés en 1996 dans le cadre du Sommet mondial de l’alimentation :

– l’accès, c’est-à-dire la capacité de produire sa propre alimentation (et donc disposer des moyens de le faire) ou celle d’acheter sa nourriture (et de disposer d’un pouvoir d’achat suffisant) ;

– la disponibilité c’est-à-dire l’existence de quantités suffisantes d’aliments, qu’ils proviennent de la production intérieure, de stocks, d’importations ou d’aides ;

– la qualité des aliments et des régimes alimentaires des points de vue nutritionnel, sanitaire mais aussi socioculturel ;

– la stabilité des capacités d’accès et donc des prix et du pouvoir d’achat, des disponibilités et de la qualité des aliments et des régimes alimentaires.

La sécurité alimentaire va donc bien au-delà de la seule production agricole et alimentaire, dans la mesure où elle a des répercussions dans plusieurs domaines – non seulement sur les producteurs primaires et les consommateurs, mais aussi l’économie au sens large, le commerce, le développement et les efforts humanitaires, ainsi que la cohésion sociale et régionale. Si les éléments qui la définissent sont connus, les causes de l’insécurité alimentaire le sont tout autant : au-delà des pénuries d’approvisionnement, il faut mettre l’accent sur le rôle désastreux des conflits, des inégalités dans la distribution des denrées alimentaires, des prix alimentaires excessifs et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale ([18]).

La « souveraineté » et la « sécurité » alimentaires constituent donc deux aspects d’une même thématique, mais ils sont loin de coïncider en dépit de certains textes qui usent facilement d’un terme pour traiter de l’autre. À cet égard, il est intéressant de citer le point 2 d’une récente résolution du Parlement européen (14 juin 2023) ([19]), qui « souligne la nécessité pour l’Union de renforcer sa sécurité alimentaire, son autonomie stratégique et la résilience de son secteur agricole et de l’ensemble de sa chaîne d’approvisionnement en réduisant sa dépendance à l’égard des importations en provenance de pays tiers et en diversifiant l’approvisionnement en produits critiques importés tels que les engrais, les aliments pour animaux et les matières premières » : à travers la sécurité alimentaire, c’est bien de la formalisation d’une véritable « souveraineté alimentaire » à l’échelle européenne dont il est finalement question.

  1.   Souveraineté alimentaire et souveraineté agricole

La « souveraineté agricole », introduite à l’alinéa 7 de l’article 1er du présent projet de loi, est un « nouveau concept », comme l’a souligné le Conseil économique, social et environnemental dans l’avis qu’il a rendu sur ce projet de loi ([20]).

Il est probable que l’absence de définition de ce concept soit due à sa récente émergence. Il est d’ailleurs paradoxal que le présent projet de loi, qui porte pourtant sur « la souveraineté en matière agricole », n’en propose pas une définition et n’en dise pas plus sur son contenu et son périmètre, divers rapports ([21]) sur ce thème ne prenant pas davantage la peine d’en dessiner les contours.

Si l’on se réfère au décret qui a récemment institué, auprès du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, un « délégué interministériel à la souveraineté agricole des outre-mer » (en lieu et place de l’ancien délégué interministériel « à la transformation agricole des outre-mer », aux termes du décret n° 2019-1374 du 17 décembre 2019) ([22]), force est de constater que les indices permettant de cerner la définition de la « souveraine agricole » manquent. Le délégué aura notamment pour fonction de contribuer « au développement durable et à la souveraineté de l’agriculture, de l’alimentation, de l’agroalimentaire et de la recherche agricoles outre-mer », en coordonnant et promouvant les actions en faveur de la production agricole outre-mer afin de favoriser la souveraineté alimentaire de ces territoires, ainsi qu’en contribuant à l’élaboration et au suivi des plans de souveraineté de ces mêmes territoires.

La souveraineté se mesurant, en principe, à l’échelle d’un État et non d’un territoire, il serait sans doute plus opportun de faire référence à la « sécurité agricole » d’un pays plutôt qu’à sa « souveraineté agricole », celle-ci se confondant pour une bonne part avec la souveraineté alimentaire.

  1.   le dispositif proposÉ

L’article 1er du présent projet de loi est fondamental, en ce qu’il crée au 1° de son I un article L. 1 A au sein du code rural et de la pêche maritime, consacrant un ensemble de notions.

  1.   la consÉcration de l’intÉrÊt gÉnÉral majeur attachÉ à l’agriculture, la pÊche et l’aquaculture

Le premier alinéa du nouvel article dispose que « L’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux. ».

Cette disposition est à la fois d’une grande importance symbolique et d’un intérêt juridique relatif.

Outre que cette disposition répond très directement au souhait qu’avaient manifesté les agriculteurs dans le cadre des manifestations organisées en janvier et février dernier, c’est la première fois que l’agriculture se trouve ainsi consacrée dans un texte législatif. En effet, si l’actuel article L. 1 du code rural et de la pêche maritime assigne d’ores et déjà à l’agriculture un certain nombre de missions fondamentales (assurer à la population l’accès à une alimentation sûre, saine et diversifiée, soutenir le revenu, développer l’emploi et améliorer la qualité de vie des agriculteurs, développer la valeur ajoutée dans chacune des filières agricoles et alimentaires…), il ne conférait pas, pour autant, une valeur spécifique à l’agriculture : c’est désormais chose faite. Cette consécration s’avère donc du même ordre que celle qui vaut déjà pour l’éducation (l’article L. 111-1 du code de l’éducation précise que « L’éducation est la première priorité nationale. ») ou l’environnement (l’article L. 110-1 du code de l’environnement dispose que « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, la qualité de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. »).

Au-delà de la dimension symbolique, l’intérêt juridique de cette disposition apparaît relatif, car l’agriculture reste, dans le cadre de notre hiérarchie des normes, du niveau strictement législatif. Comme l’a très justement souligné le professeur Didier Truchet, « la hiérarchie des normes ne serait pas modifiée : la protection de l’environnement a une valeur constitutionnelle, alors que, même « majeur », l’intérêt général agricole n’aurait que valeur législative. En cas de conflit direct entre les deux, le Conseil constitutionnel ferait prévaloir la première sur le second dans le cadre de son contrôle de la loi. Il n’en irait autrement que si, sous l’influence de la législation nouvelle, il portait l’intérêt général majeur de l’agriculture au niveau constitutionnel » ([23]). De fait, en cas de confrontation entre un acte relevant de l’activité agricole et un droit que l’on pourrait faire valoir sur le fondement de la Charte de l’environnement (laquelle a, comme on le sait, valeur constitutionnelle) et toute d’« intérêt général majeur » que soit l’agriculture, c’est le droit fondé sur une disposition constitutionnelle qui l’emporterait devant le juge – même si tout est affaire d’espèce, puisque les principes de la Charte non dotés d’effet direct ne sont pas invocables devant le juge.

  1.   la consÉcration de la souverainetÉ alimentaire

La souveraineté alimentaire n’était pas absente de notre corpus juridique, puisque le 1° A du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime dispose déjà que :

« I. - La politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation, dans ses dimensions internationale, européenne, nationale et territoriale, a pour finalités :

«  A De sauvegarder et, pour les filières les plus à risque, de reconquérir la souveraineté alimentaire de la France [ce sont vos rapporteurs qui soulignent] et de promouvoir l’indépendance alimentaire de la France à l’international (…) ».

Mais, outre que cette souveraineté alimentaire figure dès l’intitulé du titre Ier du projet de loi, le nouvel article L. 1 A du code rural et de la pêche maritime la consacre de manière bien plus visible en mettant l’agriculture à son service (« L’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur en tant qu’elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux. »).

L’article 1er détaille ensuite les politiques publiques qui doivent être mises en œuvre afin de concourir efficacement « à la protection de la souveraineté alimentaire » (alinéas 4 à 7). Cette protection et cette construction même de la souveraineté alimentaire constituent de véritables leitmotivs du projet de loi, puisque ce même article précise que :

– la politique d’installation et de transmission en agriculture « oriente en priorité l’installation en agriculture vers des secteurs stratégiques pour la souveraineté alimentaire et énergétique » (alinéa 14, le lien entre les deux étant également rappelé au premier alinéa de l’article 8) ;

– le renouvellement des générations visant à permettre à la France de disposer de suffisamment d’agriculteurs participe de cette volonté (alinéas 15 et 21) ;

– l’enseignement agricole doit mettre l’accent sur les enjeux de cette souveraineté (article 2, alinéa 7 et article 3, alinéa 6) ;

– le développement agricole, consacré à l’article 6 du projet de loi, vise pour sa part « au renforcement de la souveraineté alimentaire » (alinéa 3).

Dans le cadre du nouvel article L. 1 A du code rural et de la pêche maritime, les politiques publiques concourant à la protection de la souveraineté alimentaire de notre pays doivent donc préserver et améliorer sa capacité à assurer son approvisionnement alimentaire, afin de fournir à l’ensemble de la population une alimentation saine et accessible à tous, sa capacité à surmonter les crises de tous ordres susceptibles de porter atteinte à notre sécurité alimentaire et sa capacité à garantir notre souveraineté agricole. L’agriculture est donc bien au centre de la souveraineté alimentaire française.

Enfin, il est prévu au II de l’article 1er que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur l’état de la souveraineté alimentaire en France.

  1.   la consÉcration de la politique d’installation et de transmission

Le 2° du I réécrit très largement l’actuel IV de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, afin de mettre l’accent sur le rôle joué par la politique d’installation et de transmission en agriculture.

Alors que cette politique ne se voyait assigner que six objectifs décrits d’ailleurs sans grande ambition, elle se voit désormais confier un but beaucoup plus large qui consiste à « contribuer à la souveraineté agricole de la France, en favorisant le renouvellement des générations d’actifs en agriculture par l’accompagnement des reprises d’exploitation » (alinéa 13). Cet objectif est ensuite décliné selon deux grandes directions qui consistent, pour l’une, à prendre en compte le caractère stratégique de ce renouvellement pour améliorer la compétitivité de l’économie française et répondre aux enjeux environnementaux et climatiques qui s’offrent à l’agriculture, et, pour l’autre, à participer à la transition vers des modèles agricoles plus résilients sur les plans économique, social et environnemental et à favoriser la diversification des profils des porteurs de projets d’installation.

La suite du IV détaille, en six points, les pistes à explorer afin de répondre efficacement au défi du renouvellement des générations, qui se pose aujourd’hui à l’agriculture. Qu’il s’agisse de la nécessité de mieux faire connaître le métier d’exploitant agricole ou de susciter des vocations au sein du public scolaire (autant de points qui seront, par ailleurs, détaillés dans le titre II du projet de loi), d’améliorer l’accueil et l’orientation des candidats à l’entrée en agriculture (c’est principalement l’objet de l’article 10 du projet de loi) ou du développement de mécanismes propres à favoriser la transmission des exploitations, la politique d’installation et de transmission est appréhendée dans toute sa globalité, avec un volontarisme qui ne peut qu’être salué.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté plusieurs amendements sur cet article, qui n’ont pas tous la même portée.

  1.   les amendements relatifs À la souveraineté alimentaire de la france

Une première série d’amendements a porté sur les sujets de la souveraineté alimentaire et de son périmètre, décrits à l’article L. 1 A nouveau (alinéas 2 à 11 de l’article 1er).

La commission a tout d’abord adopté deux amendements identiques (CE625 de M. Jean-Pierre Vigier et plusieurs de ses collègues et CE3331 de Mme Juliette Vilgrain et plusieurs de ses collègues), qui ont souhaité affiner la rédaction initiale du premier alinéa de l’article L. 1 A nouveau du code rural et de la pêche maritime, en précisant que ce sont moins l’agriculture, la pêche et l’aquaculture qui sont déclarées d’intérêt général majeur que « la protection, la valorisation et le développement » de ces trois activités.

La commission a adopté également un amendement CE3292 de M. Antoine Armand consacrant le pastoralisme comme d’intérêt général majeur. Il est vrai que le pastoralisme, consacré par la loi n° 72-12 du 3 janvier 1972 relative à la mise en valeur pastorale, a reçu depuis longtemps une reconnaissance juridique, qui a été couronnée par l’inscription de la transhumance au patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO à l’initiative de la France en 2023.

Outre un amendement de précision CE1705 déposé par le président André Chassaigne, la commission a souhaité enrichir la liste des politiques publiques concourant à « assurer » – pour reprendre le terme imposé par l’amendement CE1705 précité – la souveraineté alimentaire de la France, en y ajoutant la volonté de préserver – et surtout d’améliorer – le revenu des agriculteurs et actifs agricoles (amendement CE810 de M. Vincent Descoeur et plusieurs de ses collègues). La question du revenu des agriculteurs est au centre des revendications du monde agricole, comme l’ont montré les manifestations des mois de janvier et février dernier ; elle a, depuis, été souvent discutée et a fait l’objet d’une proposition de loi de notre collègue Marie Pochon qui, même si le dispositif peut sans doute en être fortement amélioré, a été adoptée par l’Assemblée nationale en séance publique, il y a quelques semaines ([24]). Il est donc apparu à la fois naturel et légitime de mentionner la défense du revenu des agriculteurs comme devant faire partie des points d’attention essentiels auxquels les politiques publiques se doivent d’être attentives.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement CE3415 de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire qui a souhaité préciser, à l’alinéa 6 du projet de loi, que, parmi les crises de toute nature susceptibles de porter atteinte à la souveraineté alimentaire de la France, figure en premier lieu la crise liée aux changements climatiques. Cet ajout comble un manque évident dans le projet de loi, alors même que le Président de la République, dans le cadre de la 8e édition des rencontres « Terres de Jim » qui s’était tenue le 9 septembre 2022, avait précisé que le Pacte d’orientation et d’avenir pour le renouvellement des générations en agriculture devait répondre aux enjeux d’adaptation au changement climatique, en même temps qu’aux enjeux de formation, de transmission et d’installation. Nos collègues Aurélie Trouvé et Pascal Lavergne, rapporteurs du groupe de suivi de la préparation de la loi d’orientation agricole, avaient souligné ce point dans leur rapport, présenté à la commission des affaires économiques le 6 décembre dernier ([25]). Dans le cadre de la préparation du projet de loi, l’un des trois groupes de travail qui avait été constitué était ainsi spécifiquement chargé de travailler sur l’adaptation et la transition du monde agricole face au changement climatique. Il était donc regrettable qu’aucune référence à cet enjeu ne soit apparue dans le projet de loi ; c’est désormais chose faite. Cette préoccupation s’est doublée d’une prise en compte des contraintes climatiques et géographiques spécifiques aux territoires d’outre-mer, dont on sait qu’ils sont caractérisés par l’éloignement et l’insularité et qui n’avaient pas davantage été explicitement mentionnés dans le projet de loi initial. Deux amendements identiques CE2162 de M. Johnny Hajjar et plusieurs de ses collègues, ainsi que CE2165 de M. Philippe Naillet et Mme Mélanie Thomin, ont permis de combler ce manque.

La commission des affaires économiques a également souhaité que figure au titre des politiques publiques mises en œuvre celle permettant à la France de renforcer sa capacité à assurer le maintien d’un élevage durable sur son territoire, afin notamment d’enrayer son déclin et d’assurer un approvisionnement alimentaire en viandes qui soit suffisant pour l’ensemble de la population (amendement CE2835 du président André Chassaigne et de plusieurs de ses collègues). Il est vrai que la production de bovins a, par exemple, fortement baissé dans notre pays (– 5 % ces deux dernières années, – 1,24 % prévu en 2024), notamment en ce qui concerne les broutards (– 7 % en 2023, – 5 % attendus en 2024), la production de bœufs (– 10 % en 2023, seulement – 1 % attendu en 2024) ou celle de veaux (cette dernière production ayant connu de forts reculs en 2022 et 2023, à chaque fois de l’ordre de – 7 %). Les autres productions subissent également des évolutions baissières, même si certaines, bien qu’induisant un déficit commercial important, sont plus contrastées (ainsi, pour la viande de poulet, les exportations ont baissé de 5,8 % en 2023 alors que, dans le même temps, les importations augmentaient de 3,8 %). Dans le même ordre d’idée d’un renforcement de l’élevage français, la commission a adopté un amendement CE166 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues insistant sur le lien entre la nécessité, pour notre pays, de préserver une surface agricole utile permettant de produire suffisamment à l’échelle nationale, afin de réduire notre dépendance aux importations alimentaires, et celle de lutter contre la décapitalisation de l’élevage.

Au titre des autres politiques publiques consacrées par votre commission figurent aussi désormais la capacité de la France à prévoir les leviers fiscaux et bancaires permettant d’encourager la reprise d’exploitation (amendement CE167 de M. Dive et plusieurs de ses collègues) et celle permettant de favoriser le renouvellement des générations en agriculture par une régulation du marché foncier (amendement CE211 de M. Dominique Potier et plusieurs de ses collègues). Même si le principe a consisté, dans l’article 1er de ce projet de loi, à ne privilégier que des dispositions programmatiques, les membres de la commission des affaires économiques, à commencer par votre rapporteur général lors de son intervention liminaire, ont insisté sur le fait que l’aide à l’installation des nouveaux agriculteurs allait nécessiter de prévoir des dispositifs fiscaux adaptés ainsi que des mesures permettant de lutter contre la hausse des prix du foncier, orientation rappelée par un autre amendement de notre collègue Dominique Potier sur le « fléchage » des politiques et des financements publics en faveur de l’installation de nouveaux agriculteurs (CE3105). À l’évidence, le fait d’inscrire ces deux moyens à l’article 1er est un signal fort envoyé tant à l’attention des agriculteurs que des pouvoirs publics, la capacité de ces derniers à faciliter l’installation des nouveaux agriculteurs (consacrée par l’amendement CE2991 de Mme Marie Pochon et plusieurs de ses collègues) ayant par ailleurs été consacrée per se après l’alinéa 7 de l’article 1er.

La commission a adopté un amendement CE3417 présenté par Mme Sandrine Le Feur, rapporteure au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, réécrivant l’alinéa 7 de l’article 1er afin de prévoir que les politiques publiques permettant de garantir la souveraineté alimentaire de la France doivent également veiller à améliorer sa souveraineté agricole, tout en s’assurant que la production de biomasse agricole obtenue soit prioritairement orientée vers un usage alimentaire ou nourricier (ce qui est logique au regard de la thématique générale de la souveraineté alimentaire) et non pour un seul usage énergétique. Ont été également adoptés plusieurs amendements identiques (CE3412 de Mme Sandrine Le Feur, CE2371 de M. André Chassaigne, CE2990 de Mme Marie Pochon et CE3104 de M. Dominique Potier) visant à faire figurer parmi les objectifs poursuivis par les politiques publiques celui consistant à veiller à assurer une juste répartition de la valeur en vue de garantir un revenu digne aux agriculteurs – de la question du revenu dépend en effet l’envie de s’engager dans la voie des métiers de l’agriculture, et donc le renouvellement effectif des générations en agriculture – et d’améliorer leurs conditions de travail.

La commission des affaires économiques a également tenu à inscrire le renouvellement des générations en agriculture comme devant faire partie intégrante des buts des politiques publiques conduites à l’appui de la souveraineté alimentaire de notre pays (amendements identiques CE3440 de Mme Sandrine Le Feur, rapporteure au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et CE270 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues). Dans cette même optique, la commission a souhaité rappeler que le modèle d’exploitation familiale devait être privilégié par rapport à celui des grandes exploitations, dont les modes de production et l’effet inévitablement négatif sur les effectifs des exploitants agricoles sont aujourd’hui très largement décriés. Ce faisant, vos rapporteurs tiennent à souligner qu’il ne s’agit pas d’empêcher la constitution de grandes exploitations – celles-ci peuvent, par diverses économies d’échelle, permettre de produire à des coûts intéressants pour l’aval de la chaîne et, in fine, pour le consommateur – mais qu’il importe de privilégier le maintien des exploitations familiales de petite et moyenne superficies, ce modèle mixte étant l’une des plus belles caractéristiques de l’agriculture française. C’est également à ce souci qu’a souhaité répondre l’amendement CE2991 de Mme Marie Pochon et plusieurs de ses collègues.

La commission des affaires économiques a également souhaité inscrire, au titre des buts poursuivis par les politiques publiques conduites en vue de garantir la souveraineté alimentaire du pays, celui consistant à traiter de façon simultanée les enjeux relatifs à la santé humaine, environnementale et animale dans le cadre de la production agricole, cette appréhension large faisant directement écho à la théorie dite du « One Health » (« Une seule santé »), qui consiste à penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’homme et de leur environnement, et ce tant à l’échelle locale que nationale et même mondiale ([26]) (CE1817 de M. Guillaume Garot et plusieurs de ses collègues).

La commission a souhaité enrichir l’article premier en marquant son attachement à un certain type d’agriculture. Il est avéré que la baisse du nombre d’agriculteurs en France s’est accompagnée depuis plusieurs années d’un accroissement de la superficie des exploitations, l’un étant d’ailleurs parfois la conséquence de l’autre. Afin de réagir à cette évolution inquiétante pour le maillage de nos campagnes, la commission a adopté un amendement souhaitant consacrer le modèle familial de l’exploitation agricole (CE1824 de Mme Mélanie Thomin), un amendement visant à inclure le développement des labels de production dans les politiques publiques concourant à la protection de la souveraineté alimentaire de la France (CE2284 de Mme Mélanie Thomin), ainsi qu’un amendement invitant les politiques publiques à garantir et à maintenir le développement de l’agropastoralisme (CE3236 de Mme Marie Pochon), activité par ailleurs déjà consacrée à l’article L. 113-1 du code rural et de la pêche maritime (au sein de la section 1, dédiée à l’agriculture de montagne, du chapitre III du titre Ier du livre Ier du même code). Tout en réaffirmant, dans la droite ligne du dispositif prévu au V de l’article L. 1 réécrit par les alinéas 12 à 22 de l’article 1er du présent projet de loi, que les politiques publiques concourant à la souveraineté alimentaire doivent également mettre en œuvre les actions permettant de faciliter l’installation des exploitants agricoles (amendement CE2991 de Mme Marie Pochon et plusieurs de ses collègues), la commission des affaires économiques a souhaité inscrire, au titre des actions à conduire, celle consistant à renforcer l’égalité de genre en agriculture (CE2277 de M. Loïc Prud’homme), celle visant à orienter les politiques agricoles afin d’atteindre, tant pour l’alimentation humaine que pour l’élevage, un objectif d’autonomie en protéines végétales à l’horizon de l’année 2050 (amendement CE1977 de M. Prud’homme) – sachant que la France a importé plus de 3 millions de tonnes de soja en 2022, majoritairement à destination du bétail.

Dans le cadre d’une prise en compte croissante de la dimension environnementale de l’agriculture, la commission a également adopté un amendement CE3442 de Mme Sandrine Le Feur, au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, spécifiant que les politiques publiques destinées à soutenir la souveraineté alimentaire devaient également s’efforcer de valoriser l’ensemble des modes de production et des dispositifs permettant la captation et le stockage du carbone en agriculture, faisant ainsi écho à l’alinéa 9 de l’article 1er, qui invite ces mêmes politiques publiques à veiller à la préservation des écosystèmes et des ressources naturelles.

La commission a adopté deux amendements identiques (CE3444 de Mme Sandrine Le Feur et CE2999 de Mme Marie Pochon) en faveur du développement et du renforcement des systèmes alimentaires territorialisés, ces derniers ainsi que les circuits courts contribuant à renforcer la souveraineté alimentaire du pays.

À l’initiative de vos rapporteurs, la commission a également adopté un amendement CE3532 qui, souhaitant éviter que la transmission d’exploitations ne soit l’occasion pour des preneurs d’abandonner la voie de l’agriculture biologique dans laquelle les cédants auraient pu s’engager, précise que les politiques alimentaires doivent respecter la « boussole du déploiement de la Stratégie nationale biodiversité 2030 », qui prévoit notamment que la part de la surface agricole utile (SAU) de la France soit portée à 21 % à l’horizon 2030, cet amendement ayant bénéficié d’une modification rédactionnelle suggérée par Mme Delphine Batho.

Enfin, la commission des affaires économiques a adopté un amendement CE2460, présenté par M. Éric Martineau, demandant aux politiques publiques de faire en sorte que les consommateurs soient le mieux informés possible sur l’origine des produits qu’ils consomment, que ceux-ci d’ailleurs soient à l’état brut ou transformés. Puis, elle a adopté un amendement portant sur le nouvel article L. 1 A du code rural et de la pêche maritime, précisant que les politiques publiques en faveur de la souveraineté alimentaire de la France devaient œuvrer pour que notre déficit commercial soit maîtrisé, voire réduit, ce qui serait un signe tangible de notre moindre dépendance à l’égard de l’extérieur quant à l’achat de produits agricoles.

  1.   les amendements relatifs À la politique d’installation et de transmission

La seconde série d’amendements adoptés a, pour sa part, concerné les dispositions de l’article 1er relatives à la politique d’installation et de transmission en agriculture (soit les alinéas 12 à 22 de cet article).

Le premier amendement adopté par la commission des affaires économiques, à l’initiative de vos rapporteurs, a consisté à réécrire plus clairement l’alinéa 13 (soit le premier alinéa du IV de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime) pour mieux définir le contenu de la politique d’installation et de transmission en agriculture (amendement CE3533 et amendement identique CE3212 de M. Jean-François Rousset et plusieurs de ses collègues).

À l’initiative de Mme Marie Pochon et plusieurs de ses collègues, la commission a ensuite adopté un amendement CE3011 réécrivant l’alinéa 14 de l’article 1er, qui contribue également à définir la politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations, en précisant que celle-ci doit en priorité s’orienter vers des systèmes de production stratégiques pour la souveraineté alimentaire et les transitions écologique et climatique.

Dans l’optique de mieux faire connaître les métiers de l’agriculture, il a également été précisé que la politique d’installation devait faire connaître non seulement le métier d’exploitant agricole, mais également celui de salarié agricole (amendement CE377 de Mme Annie Genevard), cette politique devant plus généralement susciter des vocations non seulement au sein du public scolaire, mais également parmi les personnes en reconversion professionnelle ou en recherche d’emploi (amendement CE2154 de Mme Chantal Jourdan).

Ont également été adoptés quatre amendements de clarification rédactionnelle proposés par vos rapporteurs (CE3374, CE3375, CE376 et CE3378).

Après avoir indiqué que, dans le cadre de cette politique, l’État devait veiller au maintien d’un réseau de services dans le monde rural permettant de favoriser l’installation de jeunes agriculteurs (amendements identiques CE3460 de Mme Sandrine Le Feur au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, CE190 de Mme Annie Genevard, CE998 de M. Inaki Echaniz et CE2343 de M. Thierry Benoit et plusieurs de leurs collègues), la commission des affaires économiques a adopté un amendement portant sur le III de l’article 1er, précisant que le rapport devant être remis chaque année par le Gouvernement au Parlement sur l’état de la souveraineté alimentaire de la France devait comporter une annexe spécifique sur l’objectif d’autonomie alimentaire de chacune des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, ainsi que de la Nouvelle-Calédonie (amendement CE2034 de Mme Nathalie Bassire).

 

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Article créé par la commission

 

Le nouvel article 1er bis vise à mentionner l’agriculture parmi les intérêts fondamentaux de la Nation tels qu’ils sont précisés par l’article L. 410-1 du code pénal.

 

 

L’article L. 410-1 du code pénal dispose actuellement que « les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

L’article L. 1 A ayant précisé en son premier alinéa que l’agriculture, la pêche et l’aquaculture garantissaient la souveraineté alimentaire de la Nation, laquelle contribuait « à la défense de ses intérêts fondamentaux », la commission a donc adopté, en miroir, plusieurs amendements identiques (CE311 de M. Julien Dive, CE372 de M. Jean-Pierre Vigier, CE976 de Francis Dubois, CE1356 de M. Charles de Courson, CE1415 de M. Grégoire de Fournas et plusieurs de leurs collègues) précisant que les intérêts fondamentaux de la Nation comprennent en particulier le « potentiel économique, et notamment agricole » de la France, ce qui constitue un juste hommage à l’activité au cœur même du présent projet de loi.

 

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Article créé par la commission

 

Le nouvel article 1er ter a pour objet de soutenir financièrement la constitution d’organisations de producteurs en permettant à l’État de les soutenir financièrement dès le stade de leur formation.

 

Le nouvel article 1er ter, issu d’un amendement CE2468 de M. Éric Martineau, vise à instaurer un soutien financier en faveur de la constitution d’organisations de producteurs.

À l’heure actuelle, l’article L. 553-4 du code rural et de la pêche maritime prévoit que les organisations de producteurs peuvent bénéficier de priorités dans l’attribution de certaines aides que l’État peut apporter en vue de favoriser l’organisation de la production et des marchés.

Le présent article permet aux organisations de producteurs de bénéficier d’une aide dès leur démarrage, ce qui, en encourageant la création de nouvelles organisations de producteurs, faciliterait la structuration de l’amont et la compétitivité du secteur agricole dans son ensemble.

 

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TITRE II
former et innover pour le renouvellement des GÉNÉRATIONS ET LES TRANSITIONS EN AGRICULTURE

Chapitre Ier
Objectifs programmatiques en matière d’orientation, de formation, de recherche et d’innovation

Article adopté par la commission avec modifications

Cet article assigne divers objectifs aux politiques d’orientation et de formation en matière agricole, afin de contribuer efficacement à la politique d’installation et de transmission en agriculture, dans le but d’enrayer la baisse du nombre d’agriculteurs dans notre pays.

 

  1.   l’État du droit : une population agricole structurellement fragile
    1.   les grands caractÈres de la population agricole

L’agriculture française souffre d’un manque de considération et, plus prosaïquement, d’un manque de personnels de plus en plus criant, qui tient aux grandes caractéristiques de sa population.

  1.   La diminution continue de la population agricole

En raison tant de sa surface (et de ses caractéristiques physiques) que de son histoire, la France a longtemps été un pays essentiellement rural.

En 1700, la population rurale représentait en France 16,1 millions de personnes sur une population totale de 19 millions, soit plus de 83 % ([27]). En 1789, la France comptait 27 millions d’habitants, la population rurale représentant alors 78 % de la population totale, sachant que 18,2 millions de personnes vivaient de l’agriculture, ce qui représentait alors 67 % de la population totale. L’industrialisation aidant, la population rurale a diminué tout au long du XIXème siècle, pour ne passer sous la barre des 50 % de la population nationale qu’au début des années 1930 (49 % en 1931, soit 20,4 millions de personnes, sur une population totale de 41,8 millions de personnes). En 1931, 11,5 millions de personnes (soit encore 26 % de la population française) vivaient exclusivement de l’agriculture. À la fin des années 1960, la population rurale a considérablement baissé pour atteindre 35 % de la population totale (représentant 17,2 millions de personnes, pour une population nationale de 49,8 millions d’habitants), seuls 15 % de la population française vivant alors de l’agriculture.

Ce constat est avalisé par diverses études scientifiques, sociologiques et historiques, qui culminent avec le livre phare d’Henri Mendras (1927-2003), La fin des paysans (1967). Anticipant la forte baisse de la population agricole en même temps qu’un changement complet de paradigme (l’agriculteur n’est plus là pour nourrir la population, mais pour produire et contribuer ainsi à la richesse du pays, ce qui fut en effet la logique de la modernisation agricole intervenue à partir des années 1970), Henri Mendras concluait son ouvrage par la question fondamentale : « Et que sera un monde sans paysans ? ». Force est de constater que ses prédictions (pourtant fortement controversées à l’époque) se sont réalisées, presqu’au-delà des scénarios qu’il anticipait alors, comme le montre le graphique ci-après, établi par l’Insee ([28]) :

Si le nombre d’agriculteurs exploitants était encore de 1,4 million en 1986 (auxquels il fallait ajouter près de 240 000 ouvriers agricoles), soit 7,7 % de la population active, leur nombre a chuté de manière continue. Selon le recensement agricole de 2020, les exploitants agricoles ne sont plus aujourd’hui en France que 496 000. Dans le même temps, le nombre d’exploitations n’a cessé de diminuer, pour atteindre environ 389 000 exploitations en 2020, soit près de 800 000 de moins qu’en 1980. Chaque année depuis 2015, en moyenne 20 000 chefs d’exploitation cessent leur activité tandis que seulement 14 000 s’installent ([29]).

  1.   Le vieillissement relatif de la population agricole

Outre sa diminution et l’agrandissement des exploitations (qui tournent ainsi le dos à un modèle économique de petite exploitation familiale depuis longtemps révolu), l’une des faiblesses structurelles de la population agricole française tient à son inéluctable vieillissement.

Ayant, dans son rapport précité, superposé les pyramides des âges de 2010 et de 2020, la Cour des comptes a montré que l’âge moyen des agriculteurs est passé de 47 ans en 2000 à 50,2 ans en 2010, puis à 51,4 ans en 2020. Au surplus, les exploitants de plus de 55 ans, déjà ou potentiellement en situation de faire valoir leurs droits à la retraite dans la décennie à venir, représentent 43 % de la population totale, soit sept points de plus qu’en 2010. Les exploitants agricoles constituent ainsi la catégorie socioprofessionnelle la plus âgée de celles qui composent la population active, l’âge moyen des autres actifs français étant de 40,5 ans.

En 2019, 55 % des agriculteurs avaient ainsi 50 ans ou plus, soit 24 points de plus que pour l’ensemble des personnes en emploi (31 %). En particulier, 13 % des agriculteurs avaient plus de 60 ans, contre seulement 3 % des personnes en emploi.

Les agriculteurs constituent ainsi, et de loin, le groupe socioprofessionnel comportant proportionnellement le plus de seniors en activité. À l’inverse, seuls 1 % des agriculteurs avaient moins de 25 ans, contre 8 % pour l’ensemble des personnes en emploi.

  1.   le dÉfi du renouvellement gÉnÉrationnEl de la population agricole nÉcessite une action d’ampleur

Face aux départs à la retraite de nombre d’agriculteurs qui vont survenir dans les prochaines années, il convient de s’attaquer au problème à bras-le-corps.

Plusieurs voies méritent d’être explorées, qu’il s’agisse de faciliter la transmission des exploitations et l’installation des « nouveaux agriculteurs » (de préférence aux « jeunes agriculteurs », l’installation pouvant également concerner des personnes en reconversion professionnelle) ou de susciter de nouvelles vocations.

À ce titre, on constate depuis quelques années d’indéniables progrès. À la rentrée 2021, on comptait 216 512 élèves, apprentis et étudiants dans l’enseignement agricole, soit une hausse de près de 3 % par rapport à la rentrée précédente, qui avait déjà vu les effectifs croître (on en était alors à 210 677 élèves au sens large). L’augmentation s’est confirmée par la suite, puisque ce sont près de 229 000 élèves qui ont été accueillis à la rentrée 2022 (une hausse de 12 500 par rapport à l’année précédente) subdivisés entre 156 000 élèves en formation initiale (de la classe de quatrième au BTSA) et 57 000 apprentis (du CAP au niveau master ou ingénieur agricole). Il est vrai qu’avec un taux d’insertion professionnelle de plus de 92 % en moyenne au sortir des diverses formations suivies, l’agriculture de manière générale ne peut qu’attirer des candidats, surtout lorsque le contexte économique demeure incertain.

Outre une diversification des formations dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, l’enseignement agricole a également su se moderniser, en intégrant aux formations « classiques » de nouvelles problématiques, propres à répondre aux défis nouveaux que rencontre le monde agricole en particulier, et notre société de manière générale. En effet, face aux problématiques climatiques, environnementales et de souveraineté alimentaire auxquelles l’agriculture est de plus en plus confrontée, de nouvelles compétences se sont faites jour. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’enseignement agricole a initié, en 2020, le plan national de transformation « Enseigner à produire autrement pour les transitions et l’agroécologie », afin de faire évoluer les formations proposées par chaque établissement, en lien avec le contexte agricole local. Il est notamment prévu de mieux former les enseignants à l’agroécologie, de la pratiquer dans les ateliers technologiques et les fermes d’application, ainsi que de renforcer les échanges et les expérimentations dans ce domaine avec les acteurs de chaque territoire.

L’article 2 du projet de loi s’inscrit pleinement dans ce vaste mouvement.

  1.   le dispositif proposÉ

L’article 2 du projet de loi n’emporte aucune codification et ne modifie aucun article existant ; il a pour seul objet de définir, et ce pour la première fois, des objectifs programmatiques assignés aux politiques d’orientation et de formation en matière agricole.

Pour ce faire, l’article procède en trois temps :

– tout d’abord, le I de l’article 2 pose le principe suivant lequel les politiques en matière d’orientation et de formation dans les métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire doivent contribuer pleinement à faciliter l’installation des nouveaux agriculteurs et la transmission des exploitations agricoles ;

– ensuite, le II invite l’État et les régions, avec le concours le cas échéant des autres collectivités territoriales intéressées, à conduire les politiques permettant d’augmenter le nombre de personnes formées aux métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire, d’augmenter également le niveau de diplôme moyen des nouveaux actifs travaillant dans ces secteurs (en vue notamment de leur faire acquérir certaines compétences en matière de transitions agroécologique et climatique), de favoriser la formation continue dans ce secteur et, enfin, de développer l’effort de recherche, d’innovation et de diffusion des connaissances dans les champs thématiques stratégiques qui concourent aux transitions agroécologique et climatique de l’agriculture ;

– enfin, le III invite l’État et les régions à mettre en œuvre un programme national triennal de formation accélérée pour l’acquisition de compétences en matière de transitions agroécologique et climatique à destination des 50 000 professionnels de l’enseignement, de la formation, du conseil et de l’administration de l’agriculture française.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

À la suite de l’adoption d’un amendement CE1023 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues, l’intitulé du Titre II du projet de loi a été modifié afin de mettre l’accent sur le fait que la formation et l’innovation sont toutes deux au service du renouvellement des générations et des transitions en agriculture.

Après avoir adopté un amendement CE3435 de clarification rédactionnelle des rapporteurs, la commission a adopté un amendement CE3537 de Mme Géraldine Bannier, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui a souhaité préciser que les politiques d’insertion professionnelle, au côté des politiques publiques de l’éducation, de la recherche et de l’innovation, concouraient également à la politique d’installation et de transmission en agriculture.

Bien qu’il soit toujours délicat d’insérer dans un texte de loi des objectifs chiffrés, qui bien souvent ne constituent qu’une obligation de moyens et non de résultat, la commission des affaires économiques a tout de même souhaité adopter un amendement CE2052 de M. David Taupiac précisant que les politiques d’orientation et de formation en matière agricole se fixaient, à l’horizon 2030, trois objectifs :

- augmenter de 30 % le nombre d’apprenants dans les formations de l’enseignement agricole technique préparant aux métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire par rapport à 2022 ;

- augmenter de 75 % le nombre de vétérinaires formés en France par rapport à 2017 ;

- enfin, augmenter de 30 % le nombre d’ingénieurs agronomes formés par rapport à 2017.

La commission a ensuite adopté un amendement CE226 de M. Dominique Potier souhaitant préciser que les politiques publiques d’orientation et de formation en matière agricole devaient inclure la promotion de l’agriculture biologique, comme cela a été souhaité dans le cadre de l’article 1er du projet de loi. En effet, bien que l’agriculture biologique (consacrée à l’article L. 641-13 du code rural et de la pêche maritime) attire de plus en plus de candidats à l’installation (on estime entre 30 et 50 % la proportion d’agriculteurs qui souhaitent aujourd’hui s’installer mais dans le cadre d’une production biologique), les formations en bio ne représentent que 5 % de l’éventail des formations proposées. La commission en a profité pour également adopter un sous-amendement CE3569 de M. Henri Alfandari à l’amendement de M. Potier, permettant d’inclure dans les politiques d’orientation et de formation l’agriculture de conservation des sols.

La commission a ensuite adopté un amendement CE3419 des rapporteurs qui, en complétant l’alinéa 4 de l’article 2, a souhaité indiquer que l’accroissement du niveau de diplôme moyen des nouveaux actifs des secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire passait également par un renforcement du socle de connaissances et de compétences dans les domaines des techniques agronomiques et zootechniques, de la gestion d’entreprise, des ressources humaines, du numérique, et même de certaines compétences dans le secteur psychosocial. Tout le monde sait aujourd’hui qu’un exploitant agricole doit posséder de multiples compétences, souvent très fines, requises aussi bien par la modernisation sans cesse croissante des équipements que par certaines contraintes exogènes comme les contraintes administratives ou les techniques à acquérir lorsqu’un exploitant souhaite commercialiser sa production à grande échelle. Les enjeux du métier d’exploitant agricole étant multiples, il importe que celui-ci puisse être le mieux « armé » face à ces défis, qui sont bien souvent nouveaux pour lui.

Les diagnostics modulaires (qui permettent d’évaluer dans le temps la viabilité économique d’une exploitation agricole, notamment sur les plans économique, écologique, social et humain, ainsi qu’au regard de l’évolution climatique du terrain concerné) et les plans de filières sont des éléments importants pour permettre à un nouvel agriculteur de comprendre le fonctionnement d’une exploitation agricole et pour pouvoir ainsi se projeter dans sa future installation. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a adopté un amendement spécifiant que les diagnostics modulaires et les plans de filières devaient être portés à la connaissance des nouveaux agriculteurs, qu’ils allaient ainsi contribuer à mieux former avant leur installation proprement dite (amendements identiques CE273 de M. Julien Dive, CE298 de Mme Mélanie Thomin, CE2491 de Mme Louise Morel et CE3183 de M. François Gernigon).

Dans l’optique de renforcer les politiques en faveur de l’installation et de la transmission, la commission a ensuite adopté un amendement permettant d’inclure parmi les actions poursuivies par les politiques publiques en ce domaine celle consistant à développer des collaborations entre la recherche publique et les entreprises en faveur de diverses actions touchant notamment à la transition agroécologique et climatique de l’agriculture et de l’alimentation (amendement CE1021 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues), ainsi qu’un amendement de M. Jean-Pierre Vigier visant au renforcement de la promotion et de l’accès à la validation des acquis de l’expérience dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire (amendement CE1337 et amendement CE1857 identique de M. Vincent Descoeur). Acteur essentiel dans la politique de formation des futurs agriculteurs, les maisons familiales rurales d’éducation et d’orientation (MFR) ont également fait l’objet d’un amendement prévoyant que l’État, les régions et les collectivités territoriales intéressées seraient attentifs à augmenter les moyens matériels et financiers attribués aux MFR afin de leur permettre d’exécuter leurs missions au mieux.

L’alinéa 7 de l’article 2 propose de mettre en place un programme national d’orientation et de découverte des métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire, ainsi que des métiers du vivant, afin de susciter des vocations et de favoriser ainsi le renouvellement générationnel dans ces secteurs. Afin de mobiliser le plus grand nombre d’acteurs possibles dans cette optique, la commission a adopté un amendement CE3545 de M. Bertrand Sorre, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation (ainsi qu’un amendement identique CE2910 de Mme Sophie Mette). Cet amendement précise que doivent être également associés à cette vaste entreprise les établissements d’enseignement technique agricole publics ou privés, ainsi que les professionnels des métiers concernés. Puis, la commission a adopté un amendement CE3550, également présenté par M. Sorre, afin d’intégrer, au sein du programme national d’orientation et de découverte des métiers de l’agriculture et des autres métiers du vivant, la mise en œuvre d’actions à destination des jeunes réalisant un service national universel. La découverte de ces métiers pourra, le cas échéant, s’appuyer sur le service public audiovisuel, comme l’a accepté la commission en adoptant un amendement CE3551 de Mme Géraldine Bannier, rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.

En adoptant l’amendement CE19 de M. Fabrice Brun et plusieurs de ses collègues, la commission des affaires économiques a introduit dans le projet de loi une mesure permettant de mettre en place, à compter du 1er septembre 2025, un dispositif de communication destiné à sensibiliser et informer l’ensemble des professionnels de l’enseignement et de l’éducation des établissements élémentaires et secondaires publics et privés, sur les formations et la diversité des métiers du vivant, de l’agriculture, de l’élevage, de l’aquaculture et de la viticulture proposés notamment par les établissements d’enseignement techniques agricoles. Il est ainsi possible d’espérer que, grâce à une meilleure connaissance de l’éventail existant, les élèves seront plus enclins à choisir l’une ou l’autre de ces professions fort diverses leur permettant d’entrer dans le secteur de l’agriculture.

Enfin, la commission a adopté plusieurs amendements identiques de précision (CE3552 de M. Sorre, CE466 de Mme Françoise Buffet, CE1381 de Mme Béatrice Descamps).

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Article créé par la commission

 

 

Le nouvel article 2 bis vise à sensibiliser les jeunes élèves, dès l’école primaire, à l’agriculture et au monde agricole.

 

 

En adoptant, à l’initiative de M. Francis Dubois et plusieurs de ses collègues, un amendement CE961, la commission des affaires économiques a complété la section 9 bis du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation par un nouvel article L. 312‑17‑3 imposant que, dès l’école primaire, les enfants soient sensibilisés à l’agriculture et, de manière plus générale, au monde agricole.

Tout en y adjoignant des connaissances sur la nature et l’alimentation, cet amendement souhaite à l’évidence que des connaissances sur ces sujets, dès le plus jeune âge, suscitent à la fois une prise de conscience sur les enjeux qui s’offriront aux générations futures (en termes de changement climatique et de fragilité du monde agricole, ainsi qu’au regard de son caractère essentiel notamment pour nourrir la population) et, le plus possible, de futures vocations pour travailler dans ces secteurs.

 

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Chapitre II
Mesures en faveur de l’orientation, de la formation, de la recherche et de l’innovation

Article adopté par la commission avec modifications

Cet article complète, en l’enrichissant, l’article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime relatif aux missions que doivent poursuivre l’enseignement et la formation professionnelle publics aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires. Il précise également dans quelle mesure ce nouveau dispositif s’applique aux établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricole privés.

 

  1.   l’État du droit : L’enseignement agricole, un enseignement au pÉrimÈtre Élargi
    1.   la lente Émergence de L’enseignement agricole

L’enseignement agricole est né au XIXème siècle, même si des prémisses existaient dès l’Ancien Régime ([30]).

À une culture populaire ayant appris à l’ensemble de la population française certains rudiments relatifs à l’activité agricole, c’est à Rennes semble-t-il qu’est fondée pour la première fois en France, en 1757, une « Société d’agriculture, du commerce et des arts de Bretagne » avant que Paris ne suive, en 1761, la Société d’agriculture de la généralité de Paris ayant à cette occasion demandé le recrutement de professeurs afin de « débrouiller le chaos » dans lequel vivait jusqu’alors le monde agricole. Le XVIIIème siècle voit donc successivement se créer (et sans prétendre à l’exhaustivité) l’école vétérinaire de Lyon (à l’initiative de M. Claude Bourgelat, en 1761), l’école d’arboriculture (fondée par M. Moreau de la Rochette, près de Melun en 1763), l’école vétérinaire de Paris (créée elle aussi par M. Bourgelat et installée à Alfort en 1766), l’école d’Anel (créée par M. Sarcey de Sutières près de Compiègne en 1771) sans oublier l’initiative personnelle de Louis XVI qui, en 1786, créa une ferme expérimentale et une bergerie à Rambouillet dans laquelle il fit introduire paraît-il à grands frais des mérinos espagnols en vue de les implanter en France.

Les réformes révolutionnaires puis napoléoniennes ne marquèrent guère les esprits – même si elles virent la création d’une chaire d’économie rurale et de culture pratique au Jardin des plantes en 1793 et celle de l’école d’agriculture pratique au Museum d’histoire naturelle en 1806. Certains écrits de l’époque militaient toutefois pour un enseignement agricole digne de ce nom ; à cet égard, l’ouvrage de M. François de Neufchateau (Essai sur la nécessité et les moyens de faire entrer dans l’instruction publique l’enseignement de l’agriculture, 1802) eut visiblement un impact non négligeable.

Le premier texte important date de la Deuxième République, avec le décret du 3 octobre 1848 sur l’enseignement professionnel de l’agriculture, suivi en 1850 par l’ouverture de l’Institut national agronomique, ancêtre direct de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) actuel ([31]).

La Troisième République voit fleurir les initiatives, avec la création en 1875 des écoles pratiques d’agriculture et le vote, le 16 juin 1879, de la loi relative à l’enseignement communal et départemental de l’agriculture. Après la création du diplôme d’ingénieur agricole par un arrêté du 5 février 1908, il faut attendre les derniers mois de la Première guerre mondiale pour que soit profondément réorganisé l’enseignement agricole par la loi du 2 août 1918. La loi du 18 janvier 1929 sur l’apprentissage agricole est suivie par la création de la première Maison familiale (ancêtre des MFR actuelles) en 1935, à Sérignac-Peboudou (dans le département du Lot-et-Garonne), à l’initiative de l’abbé Pierre-Joseph Granereau.

Si le régime de Vichy a évidemment pris plusieurs initiatives en la matière ([32]), la Quatrième République ne s’est guère préoccupée de cet enseignement : tout au plus peut-on signaler la création, par un décret du 21 novembre 1946, de l’école nationale supérieure des sciences agronomiques appliquées (ENSSAA). En revanche, les choses changent avec la Cinquième République et l’arrivée à la tête du ministère de l’agriculture de M. Edgar Pisani (qui conserva ce portefeuille ministériel du 24 août 1961 au 8 janvier 1966). Les années 1960 voient successivement se mettre en place de grandes réformes de l’enseignement agricole : la loi relative à l’enseignement et à la formation professionnelle agricoles du 2 août 1960, alors que le ministre en poste est M. Henri Rochereau, qui crée notamment les lycées agricoles, puis la loi de programme du 4 août 1962 relative à la création et au développement des établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles pour la période 1962‑1975, et enfin la création des sections de techniciens supérieurs dans les lycées agricoles en 1965 et de l’école nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF) à Paris en 1966.

L’enseignement agricole s’est ensuite structuré de plus en plus finement, la loi du 28 juillet 1978 relative à la reconnaissance des établissements d’enseignement agricole privés (dite « loi Guermeur agricole ») précédant de quelques années les réformes initiées par M. Michel Rocard en 1984 (loi du 9 juillet portant rénovation de l’enseignement agricole public, loi du 31 décembre réformant les relations entre l’État et les établissements d’enseignement agricole privés). Ces deux derniers textes, dans la droite ligne des lois sur la décentralisation des années 1982 et 1983, prévoient l’élargissement de la formation qui doit préparer à tous les modèles d’agriculture et à tous les métiers ruraux, impliquant une modification des contenus scolaires, des méthodes pédagogiques et de l’évaluation des connaissances et des diplômes.

  1.   le contenu actuel de L’enseignement agricole

La rédaction de l’actuel article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime – qui ne concerne que l’enseignement public, un article « jumeau » ([33]) traitant de l’enseignement privé agricole au chapitre III du Titre Ier du Livre VIII du code rural et de la pêche maritime – est principalement issue de l’article 121 de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole, enrichi notamment en 2014 ([34]) pour tenir compte de nouveaux impératifs et de nouvelles aspirations (promotion de la diversité des systèmes de production agricole, participation au service public du numérique éducatif, lutte contre les stéréotypes sexués dans l’agriculture…).

Aux termes de l’actuel article L. 811-1, l’enseignement et la formation professionnelle publics agricoles (plus complètement dénommés « enseignement et formation professionnelle publics aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires ») visent à dispenser une formation générale et une formation technologique dans les métiers de l’agriculture au sens large (ceux-ci englobant par exemple les métiers de la forêt, de l’aquaculture ou de la commercialisation des produits agricoles).

Au-delà de cette approche purement sectorielle, cet enseignement poursuit des finalités plus larges, en lien notamment avec les préoccupations agro-environnementales du monde contemporain ; à cet égard, il a également pour objet de contribuer à l’éducation au développement durable, à la promotion de la santé ainsi qu’à la promotion de la diversité des systèmes de production agricole et à la sensibilisation au bien-être animal.

L’article L. 811-1 assigne ainsi à l’enseignement et à la formation professionnelle publics aux métiers de l’agriculture cinq missions qui sont les suivantes :

– assurer une formation générale, technologique et professionnelle initiale et continue ;

– participer à l’animation et au développement des territoires ;

– contribuer à l’insertion scolaire, sociale et professionnelle des jeunes et à l’insertion sociale et professionnelle des adultes ;

– contribuer aux activités de développement, d’expérimentation et d’innovation agricoles et agroalimentaires ;

– participer à des actions de coopération internationale, notamment en favorisant les échanges et l’accueil d’élèves, apprentis, étudiants, stagiaires et enseignants.

Consacré comme faisant partie intégrante du service public d’éducation et de formation, l’enseignement et la formation professionnelle publics aux métiers de l’agriculture sont organisés dans le cadre de l’éducation permanente, selon les voies de la formation initiale et de la formation continue, et relèvent statutairement parlant du ministre de l’agriculture.

  1.   le dispositif proposÉ

L’article 3 du projet de loi modifie le Titre Ier du Livre VIII du code rural et de la pêche maritime sur trois points :

– en premier lieu, tout en conservant la quasi-totalité du contenu de l’actuel article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime, il opère une clarification rédactionnelle globale de l’article, en affirmant par exemple d’emblée que cet enseignement constitue une composante du service public de l’éducation et qu’il est assuré « dans le respect des principes généraux de l’éducation prévus au Livre Ier du code de l’éducation » ([35]), remplaçant ainsi l’ancienne formulation suivant laquelle il était dispensé « dans le respect des principes de laïcité, de liberté de conscience et d’égal accès de tous au service public ».

L’article 3 assigne également une nouvelle mission à l’enseignement et à la formation professionnelle aux métiers de l’agriculture, qui répondent aux finalités générales poursuivies par le présent projet de loi (souveraineté alimentaire et volonté de favoriser le renouvellement générationnel des agriculteurs). Ainsi, l’alinéa 6 insiste sur le fait qu’ils doivent répondre à divers enjeux permettant d’assurer la souveraineté alimentaire de notre pays et de sensibiliser la population à ces nouvelles problématiques. Cette mission générale est ensuite explicitement mentionnée à l’alinéa 13, qui complète l’énumération existante par un nouveau 6° suivant lequel l’enseignement agricole doit mettre « en œuvre toute action visant à répondre durablement aux besoins en emplois nécessaires pour assurer la souveraineté alimentaire et assurer le développement des connaissances et compétences en matière de transitions agroécologique et climatique ». On notera que, de façon quelque peu surprenante, la contribution de ces enseignements à l’animation et au développement des territoires, qui figurait jusqu’alors au 2° de l’énumération, n’occupe désormais que la quatrième position. L’association des régions à la mise en œuvre de ces missions, qui figurait déjà au dernier alinéa de l’actuelle rédaction de l’article L. 811-1, est réaffirmée ;

– en deuxième lieu, l’article 3 modifie de façon assez radicale la rédaction de l’article L. 813-1 du code rural et de la pêche maritime relatif aux établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles privés pour, de façon assez lapidaire, rappeler que ces établissements participent au service public de l’éducation (lorsqu’ils ont passé un contrat avec l’État) et qu’ils contribuent à atteindre les divers objectifs assignés aux établissements publics d’enseignement par le nouvel article L. 811-1. Il précise également dans quelle mesure plusieurs dispositions relevant des principes généraux énumérés au Titre Ier du Livre Ier de la partie législative du code de l’éducation sont applicables à ces établissements privés ;

– enfin, en troisième et dernier lieu, l’article 3 précise, par une modification apportée à l’article L. 843-2 du code rural et de la pêche maritime, que les nouvelles dispositions inscrites à l’article L. 811-1 sont pleinement applicables à Wallis-et-Futuna.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission des affaires économiques a adopté un premier amendement CE2855 de M. Jean-Claude Raux qui, portant sur l’article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime, a souhaité préciser que les établissements dispensant l’enseignement et la formation professionnelle publics aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de la nature et des territoires devaient conforter la vocation pédagogique des exploitations agricoles des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles (EPLEFPA).

Puis, elle a adopté deux amendements identiques CE846 de Mme Annie Genevard et 3122 de M. Jean-Pierre Vigier et plusieurs de leurs collègues, modifiant l’article L. 813-1 du même code, en vue d’y indiquer que les établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles privés devaient disposer d’un ou plusieurs ateliers technologiques ou exploitations agricoles afin d’assurer au mieux l’adaptation de la formation aux pratiques professionnelles existantes. Toujours dans une optique d’enrichissement de la formation dispensée, la commission des affaires économiques a ensuite adopté un amendement CE1717 du président André Chassaigne et plusieurs de leurs collègues afin de préciser, au sein de l’article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime (réécrit par l’article 3 du projet de loi), que l’ensemble des filières de formation devaient inclure dans leurs référentiels de formation des modules spécifiques et obligatoires liés à la transition agroécologique et climatique, à l’agriculture biologique, ainsi qu’à l’ensemble des modes de production visant à garantir la durabilité des systèmes agricoles, la stérile opposition entre agriculture et protection de l’environnement devant à l’évidence être dépassée. Outre plusieurs amendements de précision ou rédactionnels (qu’il s’agisse des amendements identiques CE3437 de vos rapporteurs et CE1792 de M. Raux et plusieurs de ses collègues, ou des amendements là aussi identiques CE1221 de Mme Anne-Laure Blin et CE1793 de M. Raux), elle a également adopté un amendement CE2860 de M. Jean-Claude Raux en vue d’ajouter un certain nombre d’items (tels que l’inclusion scolaire, l’attention portée au handicap ou la lutte contre l’illettrisme) dans les formations devant être dispensées dans le cadre de l’enseignement agricole, public ou privé.

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Article adopté par la commission sans modification

Le présent article vise à intégrer la dimension agricole dans les contrats de plans régionaux de développement des formations et de l’orientation professionnelles en vue d’accroître le nombre de personnes formées dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

 

  1.   l’État du droit : un outil essentiellement axÉ sur la formation professionnelle
    1.   la notion de contrat de plan rÉgional de dÉveloppement des formations et de l’orientation professionnelles

La notion de « contrat de plan régional de développement des formations professionnelles » a été créée par l’article 57 de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.

Mentionnés à l’article L. 214-13 du code de l’éducation, ces contrats avaient initialement pour objet de « définir une programmation à moyen terme des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes et d’assurer un développement cohérent de l’ensemble des filières de formation en favorisant un accès équilibré des femmes et des hommes à chacune de ces filières de formation ». La version actuelle du premier alinéa de l’article L. 214-13, fruit de plusieurs modifications intervenues depuis 2009, confère comme objet à ces contrats « l’analyse des besoins à moyen terme du territoire régional en matière d’emplois, de compétences et de qualifications et la programmation des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes, compte tenu de la situation et des objectifs de développement économique du territoire régional ». En d’autres termes, il s’agit d’articuler de la meilleure manière possible les politiques publiques en matière de formation professionnelle au niveau régional en tenant compte des spécificités de chaque bassin d’emploi considéré.

Succédant aux anciens plans régionaux de développement de la formation professionnelle (PRDFP) créés par la loi quinquennale sur l’emploi ([36]) et confortés par l’article 11 de la loi relative aux libertés et responsabilités locales ([37]), les contrats de plan régional de développement des formations professionnelles ne sont devenus les « contrats de plan régionaux de développement des formations et de l’orientation professionnelle » (leur dénomination actuelle) qu’en application de la loi du 5 mars 2014 ([38]).

Aux termes du II de l’article L. 214-13 du code de l’éducation, le contrat est élaboré sous la direction de la région, plus précisément au sein du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (qui, aux termes du premier alinéa de l’article L. 6123-3 du code du travail, a pour mission « d’assurer la coordination entre les acteurs des politiques d’orientation, de formation professionnelle et d’emploi et la cohérence des programmes de formation dans la région »). Élaboré à partir de documents préparés par le président du conseil régional, le préfet de région, les autorités académiques, les organisations syndicales, etc., le projet est ensuite soumis par le comité régional aux parties prenantes du contrat à venir (collectivités territoriales, réseaux consulaires, partenaires sociaux…). Une fois adopté par le comité, le contrat de plan est signé par le président du conseil régional après consultation des départements et approbation par le conseil régional, ainsi que par le représentant de l’État dans la région et par les autorités académiques.

Souvent qualifiés de « schémas structurants » des politiques régionales de formation et d’orientation professionnelles, ces contrats ont pour objet d’analyser les besoins à moyen terme de la région en matière d’emplois, de compétences et de qualifications et de programmer des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes. Ils doivent également définir, sur le territoire régional et en tenant compte des bassins d’emplois existants, les objectifs à atteindre dans le domaine de l’offre de conseil et d’accompagnement en orientation et les objectifs en matière de filières de formation professionnelle (qu’elle soit initiale ou continue) ; plus spécifiquement à l’attention des jeunes, ils doivent établir un schéma de développement de la formation professionnelle initiale. Ces contrats permettent donc de poser le cadre d’un pilotage stratégique à cinq ans de la formation professionnelle à l’échelle d’une région, de partager une analyse de l’évolution des besoins d’emplois et de compétences à son échelle et d’adapter en conséquence les dispositifs régionaux d’orientation et de formation professionnelle existants.

Ces contrats font partie intégrante de la politique économique et de l’emploi conduite au plan régional, puisqu’ils doivent être conclus en accord avec les orientations fixées par ailleurs tant par les schémas régionaux de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (Srdeii) que par les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).

  1.   L’ABSENCE DE PRISE en compte explicite du secteur agricole dans Les contrats de plan rÉgional

Assez étrangement, les domaines dans lesquels peuvent intervenir les contrats de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle ne sont pas décrits très précisément, le texte de l’article L. 214-13 précité s’en tenant à des considérations d’ordre général et aux modalités de leur élaboration. Pour autant, le 2° du I fait explicitement référence aux actions pouvant être mises en œuvre dans le domaine des formations sanitaires et sociales, dans celui de la transition écologique et énergétique ainsi que celui de la politique de la ville, le texte soulignant précisément, à cette occasion, les « besoins spécifiques des quartiers prioritaires ». Si le 3° fait, pour sa part, référence à l’enseignement supérieur de la création artistique dans le domaine du spectacle vivant, il n’est, sinon, jamais question d’agriculture.

La seule mention, très indirecte, qui s’y rattache, figure au V de l’article L. 214-13, lequel fait référence à la possibilité pour l’État, les régions et d’autres acteurs qui le souhaitent (organisations représentatives des milieux professionnels, opérateur France Travail…) de conclure entre eux des contrats d’objectifs, annuels ou pluriannuels, qui « fixent des objectifs de développement coordonné des différentes voies de formation professionnelle initiale et continue, notamment de formation professionnelle par alternance et de financement des formations des demandeurs d’emploi ». À ce titre, le quatrième alinéa de ce V indique explicitement que les chambres d’agriculture notamment peuvent être associées aux contrats d’objectifs.

Cette discrétion ne peut néanmoins qu’étonner dans la mesure où, on le sait, la formation professionnelle est une compétence historique des régions depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983. Cette compétence n’a cessé de s’enrichir au fil du temps, la loi du 5 mars 2014 ayant notamment consacré les régions comme étant les autorités organisatrices de la formation professionnelle ([39]). Il convenait donc, dans le cadre de cette compétence globale, de rappeler la place centrale que doit y occuper l’agriculture.

  1.   le dispositif proposÉ

Afin de pallier cette absence, l’article 4 du projet de loi complète donc tout d’abord le I de l’article L. 214-13 du code de l’éducation en prévoyant que le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle devra fixer des objectifs d’accroissement du nombre de personnes formées dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, si l’analyse effectuée préalablement à l’adoption du contrat de plan régional a mis en évidence des besoins particuliers en ce domaine.

Ensuite, l’article 4 insère après l’article L. 811-8 du code rural et de la pêche maritime (qui porte sur les établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole) un article L. 811-8-1 nouveau, prévoyant qu’un contrat territorial doit être conclu entre un établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole, l’autorité compétente de l’État, la région et les représentants locaux des branches professionnelles afin de définir un plan d’action pluriannuel permettant de répondre aux besoins d’accroissement du nombre de personnes formées dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

Enfin, l’article 4 insère un article L. 813-3-1 nouveau après l’article L. 813-3 du même code, de même objet que l’article L. 811-8-1 nouveau à la réserve que celui-là concerne les établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles privés (et non plus les établissements publics, comme précédemment).

La logique adoptée est donc très claire : si un contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle, défini à l’article L. 214-13 du code de l’éducation, fixe des objectifs en matière d’emploi dans le secteur agricole au sens large, les acteurs concernés sur le terrain devront conclure des contrats territoriaux pour unir leurs efforts et mener une action commune permettant de répondre à ces objectifs.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

  La Commission a adopté l’article 4 sans modification.

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Article adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à créer un nouveau diplôme, le « Bachelor Agro », qui sera délivré à l’issue d’une formation de trois ans assurée conjointement par des établissements publics d’enseignement supérieur agricole ou par des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, conjointement avec des établissements assurant une formation de technicien supérieur agricole.

 

  1.   l’État du droit : les agriculteurs bÉnÉficient d’un niveau de diplÔme sans cesse croissant
    1.   le niveau de diplÔme aujourd’hui CONSTATÉ dans le monde agricole

Le métier d’agriculteur a connu de nombreux bouleversements depuis plusieurs décennies, qui se sont notamment traduits par la nécessité, pour les personnes concernées, d’acquérir des connaissances de plus en plus pointues non seulement sur les techniques de culture ou d’élevage, mais également en matière scientifique (meilleure connaissance des phénomènes météorologiques et naturels, connaissances affinées en matière environnementale, notamment sur les données liées au changement climatique et son impact sur la profession d’agriculteur…), en matière de gestion (un chef d’exploitation doit désormais tenir une comptabilité en bonne et due forme pour renseigner les administrations compétentes, mais également pour bénéficier d’aides ou faire valoir certaines données à ses divers interlocuteurs), en matière informatique ([40])… Même si l’enseignement agricole est ancien en France, puisqu’il date de la Deuxième République (le premier texte intervenu en la matière est un décret du 3 octobre 1848), le temps est donc bien loin où un agriculteur ne possédait aucun diplôme et où, de manière dédaigneuse, on proposait aux jeunes en échec scolaire de devenir agriculteur, faute de mieux en quelque sorte…

En février 2022, encore 13 % des agriculteurs ne possédaient aucun diplôme ou uniquement le brevet des collèges. En revanche, 30 % des agriculteurs étaient titulaires d’un bac professionnel, 25 % possédaient un brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) et la même proportion possédait un brevet professionnel. Les chiffres varient quelque peu suivant la filière – un sondage effectué uniquement auprès des producteurs d’animaux, donc des éleveurs, a mis en évidence un taux de 35 % des éleveurs possédant un BTSA et de 30 % ayant obtenu un bac professionnel agricole ([41]). Si l’on s’en tient, là aussi, aux seuls éleveurs bovins, un récent sondage atteste que 85 % des chefs d’exploitation sont au moins titulaires d’un baccalauréat (voir ci-après).

 

D’après le recensement agricole de 2020 ([42]), 55 % des chefs d’exploitation, toutes productions confondues, possédaient au moins un bac professionnel, ce qui représente une hausse de 17 points en 10 ans ! 27 % d’entre eux ont passé avec succès un examen de l’enseignement supérieur, contre seulement 17 % en 2010. En outre, les chiffres recensés montrent que 83 % des chefs d’exploitations, qui avaient moins de 40 ans en 2020, avaient le bac, contre 30 % des plus de 60 ans. 43 % détenaient un diplôme supérieur, contre 28 % pour les 40-59 ans et seulement 15 % pour les 59-65 ans, ce niveau élevé de formation traduisant également une volonté de certains jeunes diplômés de l’enseignement supérieur de changer de voie, en cherchant dans l’agriculture une profession qui fasse davantage sens à leurs yeux et qui leur semble plus « utile » que ce qu’ils pouvaient faire auparavant ([43]).

Précisons également que le nombre d’apprentis dans le monde agricole n’a cessé de croître, pour atteindre 45 717 élèves en apprentissage et 45 896 élèves et étudiants en alternance sur l’année 2021-2022. En 2020, l’apprentissage dans l’enseignement agricole représentait 7,3 % des effectifs nationaux d’apprentis, leur nombre ayant augmenté de 22,2 % entre 2019 et 2020. Près de 30 % des apprentis sont actuellement en formation de niveau 3 (CAP agricole ou Brevet professionnel agricole), tandis que 35 % d’entre eux préparent un diplôme de niveau 4 (baccalauréat), les autres préparant, dans le cadre d’une formation relevant de l’enseignement supérieur, un diplôme ou un titre à finalité professionnelle de niveaux 5, 6 ou 7.

  1.   l’intÉrÊt de crÉEr un nouveau diplÔme de niveau bac + 3

Il n’existe pas à proprement parler un métier d’« agriculteur », tant les filières sont diversifiées, les spécialisations nombreuses, les passerelles multiples. Les formations existantes, qui vont donc de la 4ème au BTSA (brevet de technicien supérieur agricole, correspondant à un niveau bac + 2), et les diplômes délivrés dans l’enseignement technique agricole (de niveau 3 comme les CAPA, BEPA, BPA, de niveau 4 comme les BP, baccalauréats professionnel ou technologique, ou de niveau 5 comme le BTSA) ([44]) offrent donc à tous ceux qui souhaitent s’orienter vers les métiers agricoles une palette infinie de possibilités.

Pour autant, le niveau Bac + 3 a semblé quelque peu délaissé, ce niveau ayant pourtant été mis en exergue comme étant celui à privilégier en matière d’installation et de conseil.

Il faut tout de même rappeler qu’il existe dès à présent des licences pro en agriculture (créées en 1999), auxquelles on peut accéder en justifiant d’un niveau Bac + 2 (deuxième année de licence ou BTS le plus souvent). Parmi les formations les plus courues, on peut citer notamment la licence pro industries agroalimentaires, la licence pro management des entreprises agricoles ou la licence pro productions végétales. Le suivi de ce cursus, dispensé dans divers types d’établissements (universités comme établissements de l’enseignement supérieur spécialisés dans l’agriculture ou centres de formation professionnelle), permet à l’étudiant de se voir délivrer un diplôme de niveau Bac + 3, qui peut conduire soit à une poursuite des études (dans le but d’obtenir par exemple un master), soit à une entrée directe dans la vie active comme technicien, exploitant ou conseiller agricole, ou encore comme pépiniériste ou acheteur dans le secteur de l’agroalimentaire.

Face au foisonnement des licences professionnelles existantes, qui témoignent de fait d’un certain manque de lisibilité, l’article 5 a cherché à imposer un « signal fédérateur » ([45]) en créant donc de toutes pièces un « Bachelor Agro », solution préférée notamment à la possibilité de porter de deux à trois ans la durée du BTSA (brevet de technicien supérieur agricole).

  1.   le dispositif proposÉ

L’article 5 du projet de loi a pour objet d’insérer au sein du code rural et de la pêche maritime un nouvel article L. 812-12, qui complète la section 3 « Dispositions diverses relatives à l’enseignement supérieur agricole » du chapitre II (« Dispositions propres à l’enseignement supérieur agricole et vétérinaire public ») du Titre Ier du Livre VIII de ce code.

  1.   les Établissements concernÉs

Ce nouvel article L. 812-12 du code rural et de la pêche maritime crée un nouveau diplôme, le « Bachelor Agro », qui équivaudra à un niveau Bac + 3. Ce « diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l’agronomie » (alinéa 3) sera délivré à l’issue d’une formation qui sera dispensée conjointement par des établissements publics d’enseignement supérieur agricole ou par des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel et par des établissements assurant une formation de technicien supérieur agricole.

D’un côté, sont donc impliqués dans le nouveau dispositif des établissements publics d’enseignement supérieur, au premier rang desquels on trouve les établissements publics d’enseignement supérieur agricole. Relevant du ministère chargé de l’agriculture et énumérés à l’article D. 812-1 du code rural et de la pêche maritime, ils sont actuellement au nombre de 10. On y trouve notamment l’Institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement (AgroParisTech), l’École nationale vétérinaire d’Alfort et l’École nationale supérieure de paysage de Versailles. Même si la participation à la formation et à la délivrance d’un « Bachelor Agro » sort quelque peu de leur périmètre de compétence (l’article L. 812-1 du code rural et de la pêche maritime spécifiant en effet que l’enseignement supérieur agricole public « a pour objet d’assurer la formation d’ingénieurs, de vétérinaires, de paysagistes, de cadres spécialisés, d’enseignants et de chercheurs », ce à quoi ne conduira pas le nouveau diplôme, en tout cas pas dans un premier temps), vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de les voir ainsi mis à contribution pour renforcer la formation de nos futurs agriculteurs. Quant aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel ([46]), ils pourront également apporter toute leur excellence au dispositif ainsi visé, ce qui ne manquera pas de redorer le blason de l’ensemble des formations agricoles dans notre pays.

D’un autre côté, sont mentionnés dans le nouveau dispositif « un ou plusieurs établissements mentionnés aux articles L. 811-1, L. 813-8 ou L. 813-9 ». Cette mention assez générale permet de couvrir la totalité des établissements techniques agricoles, qu’il s’agisse donc des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole (article L. 811-1 ; ce sont par exemple les lycées agricoles ([47])), des établissements privés dits « à temps plein » (article L. 813-8) et des établissements d’enseignement agricole privé dits cette fois-ci « à rythme approprié » (article L. 813-9 ([48]) ; il s’agit principalement des maisons familiales et rurales connues sous le sigle MFR).

Comme le souligne l’étude d’impact ([49]), la grande nouveauté du dispositif réside dans le fait que l’accréditation qui sera délivrée par le ministre de l’agriculture visera les deux types d’établissements à la fois, en vue de conférer aux étudiants concernés un diplôme national de premier cycle ayant un objectif d’insertion professionnelle dans les métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire.

  1.   l’accrÉditation dÉlivrÉe

Enfin, le nouvel article L. 812-12 du code rural et de la pêche maritime précise que l’accréditation dont bénéficieront les établissements d’enseignement concernés par le dispositif prendra la forme d’un arrêté du ministre chargé de l’agriculture ; celui-ci devra toutefois être pris après avis conforme du ministre chargé de l’enseignement supérieur pour ce qui concerne l’accréditation des établissements relevant de son autorité.

Comme cela a été indiqué à vos rapporteurs, les modalités portant sur la délivrance de l’accréditation et sur les contrôles effectués par l’inspection de l’enseignement agricole seront ultérieurement précisées par voie réglementaire.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a tout d’abord accepté plusieurs amendements identiques (CE3379 des rapporteurs, CE2421 de M. Robin Reda et plusieurs de ses collègues, CE2517 de M. Philippe Bolo, CE2896 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues) adoptant une nouvelle rédaction de l’article L. 812-4 du code rural et de la pêche maritime, afin d’accréditer les établissements d’enseignement supérieur agricole privés en vue de leur permettre, aux côtés aussi bien des établissements publics que des lycées agricoles (que ces derniers soient d’ailleurs publics ou privés), de dispenser la formation conduisant à l’obtention du « Bachelor agro ». Ces amendements, qui permettent à ces établissements de travailler dans le cadre d’une convention de coopération passée entre un établissement d’enseignement supérieur agricole public et un établissement d’enseignement supérieur agricole privé, ouvrent donc la voie à la possible accréditation d’établissements comme les six grands établissements d’enseignement supérieur agricole privés que sont actuellement l’ESA d’Angers, l’École d’ingénieur de Purpan à Toulouse, l’École supérieure du bois à Nantes, l’ISA de Lille, UniLaSalle à Beauvais et Rouen, ainsi que l’ISARA à Lyon et Avignon, établissements qui comptent plus d’étudiants ingénieurs agronomes que les établissements publics (7 200 étudiants dans les écoles privées contre 5 500 dans les écoles publiques).

Puis, elle a adopté un amendement CE3211 de Mme Anne-Laurence Petel, précisant que la formation dispensée pour obtenir le « Bachelor agro » doit prendre notamment en considération les enjeux portant sur la transition écologique et sur la décarbonation des pratiques agricoles.

Ensuite, la commission des affaires économiques a adopté plusieurs amendements identiques (CE3439 des rapporteurs, CE1490 de Mme Mathilde Hignet, CE1757 de Mme Hélène Laporte, et CE2709 de M. Jean-Claude Raux et plusieurs de leurs collègues) afin de supprimer la seconde phrase de l’alinéa 3 relative à l’appellation même de « Bachelor agro ». Comme l’ont souligné vos rapporteurs lors de cette discussion, cette suppression allait de soi pour plusieurs raisons. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l’article 2 de la Constitution, « La langue de la République est le français » : il n’y avait donc aucune raison de recourir à un quelconque anglicisme ici. Ensuite, comme l’ont récemment mis en exergue Mmes Béatrice Descamps et Estelle Folest dans le rapport n° 2458 du 10 avril 2024 rendu au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur l’enseignement supérieur privé à but lucratif, le terme de « bachelor » est vague (il désigne parfois des formations équivalentes à Bac + 2 ou Bac + 4, et non pas seulement à Bac + 3 comme indiqué hâtivement dans l’étude d’impact du présent projet de loi) et ne s’accompagne d’aucune garantie de qualité. Le « bachelor » peut en effet n’être qu’un diplôme d’établissement ou une certification, dont le contenu n’a pas toujours beaucoup de qualité, notamment sur le marché du travail ou dans la perspective d’une poursuite des études dans un cycle supérieur ; il s’en suit que les étudiants ne peuvent toujours faire valoir avec succès ce diplôme qui bien souvent n’en est pas tout à fait un (voir rapport précité de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, p. 111). Nos collègues préconisent d’ailleurs à ce titre de réserver le terme de « bachelor » aux seules formations proposées par le secteur privé (voir recommandation n° 4, p. 146 du rapport précité). Par ailleurs, l’Union européenne s’est depuis plus de vingt ans organisée sur un dispositif clair, dit « LMD » (licence-master-doctorat), qui rassemble trois cycles d’études supérieures et qui, par l’harmonisation ainsi créée au sein de l’Union, favorise la reconnaissance mutuelle des diplômes, la poursuite de cursus dans un autre État que celui dont on a la nationalité et donc la mobilité des jeunes au travers de l’espace européen. Le « bachelor » n’y figure pas et sa signification varie d’un pays à l’autre. Enfin, le but de l’article 5 étant d’instituer un nouveau diplôme équivalent à Bac + 3 avec une visée professionnelle solennellement affirmée, il a été proposé de supprimer cette appellation, qui entraîne une confusion plus qu’autre chose. La commission a voté en faveur de ces amendements à l’unanimité.

Après avoir adopté deux amendements identiques CE3382 et CE2920 de clarification de vos rapporteurs et de Mme Mette, la commission des affaires économiques a adopté un autre amendement des rapporteurs (CE3380) qui, en insérant dans le code rural et de la pêche maritime un nouvel article L. 813-12, permet d’accréditer les établissements d’enseignement supérieur agricole privés pour dispenser directement, et non plus seulement dans le cadre d’une convention comme dans le cadre de l’amendement CE3379 précédemment adopté, la formation conduisant à l’obtention de ce que l’on appelait alors le « Bachelor agro ». Deux autres amendements identiques furent également adoptés (CE2422 de M. Reda et CE2897 de M. Dive et plusieurs de leurs collègues).

 

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Article adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à enrichir la notion de « développement agricole », en lui assignant de nouvelles missions et en permettant que l’ensemble des actions de développement agricole énumérées à l’article L. 820-1 du code rural et de la pêche maritime puissent être désormais regroupées dans des plans prioritaires pluriannuels de transition agroécologiques.

  1.   l’État du droit : la consÉcration lÉgislative de la notion de dÉveloppement agricole

La consécration législative de la notion de « développement agricole » résulte de l’article 137 de la loi d’orientation agricole de 1999 ([50]).

Lors de son audition par ce qui était alors la commission de la production et des échanges de l’Assemblée nationale (devenue par la suite la commission des Affaires économiques), le ministre de l’agriculture et de la pêche Louis Le Pensec avait défini le développement agricole comme désignant « l’ensemble des actions concourant à la diffusion du progrès technique en agriculture » ([51]), s’inspirant ainsi de la définition plus complète du « développement agricole » qu’en avait donné un décret de mars 1986 spécifiquement relatif à cette notion ([52]). L’article 63 du projet de la future loi de 1999 avait souhaité donner au développement agricole une base législative afin de reconnaître les progrès décisifs permis par ce dernier : accroissement de la productivité et de la compétitivité, amélioration de la qualité sanitaire des produits, préservation de l’environnement. C’est la raison pour laquelle il avait alors créé au sein du Livre VIII du code rural un titre II spécifiquement relatif au « développement agricole », qui était ensuite décliné à travers cinq articles L. 820-1 à L. 820-5.

L’actuel article L. 820-1 définit, en son premier alinéa, le développement agricole comme englobant tout ce qui « a pour mission de contribuer à l’adaptation permanente de l’agriculture et du secteur de la transformation des produits agricoles aux évolutions scientifiques, technologiques, économiques et sociales dans le cadre des objectifs de développement durable, de qualité des produits, de protection de l’environnement, d’aménagement du territoire et de maintien de l’emploi en milieu rural ». Cet article précise en outre, dans les alinéas suivants, que relèvent de ce fait du développement agricole non seulement l’accompagnement des démarches collectives vers des pratiques et des systèmes permettant d’associer performances économique, sociale et environnementale (en particulier ceux relevant de l’agroécologie), mais aussi la mise en œuvre d’actions de recherche finalisée et appliquée, ou la diffusion des connaissances par l’information, la démonstration, la formation et le conseil.

  1.   le dispositif proposÉ

L’article 6 du projet de loi modifie le titre II du Livre VIII du code rural et de la pêche maritime sur trois points :

– en premier lieu, il modifie son article L. 820-1 sur deux points :

→ D’une part, il ajoute une nouvelle rubrique aux domaines qui relèvent du « développement agricole », celui-ci ayant désormais également pour fonction d’accompagner les transitions agroécologique et climatique, ainsi que de renforcer la souveraineté alimentaire.

On rappellera ici rapidement que, comme la définissait il y a quelques années un rapport du Conseil économique, social et environnemental ([53]), « l’agroécologie est avant tout une discipline scientifique au carrefour de l’agronomie et de l’écologie. C’est aussi la somme des pratiques qui en découlent. Elle permet non seulement de transformer l’agriculture, mais aussi de repenser l’ensemble des systèmes alimentaires afin de les rendre plus durables. Elle vise à conjuguer production agricole et reproduction des ressources naturelles ». En d’autres termes, l’agroécologie est à la fois une science des écosystèmes agricoles qui s’appuie sur le savoir-faire des agriculteurs, un ensemble de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement et un mouvement social de défense des systèmes agricoles et alimentaires équitables ([54]).

Sous la pression des acteurs de la communauté scientifique et de la société civile qui ont plébiscité cette démarche globale, les pouvoirs publics ont décidé de s’impliquer au niveau des États ou des organisations internationales. En France, c’est « France 2030 » qui, sous l’égide du Secrétariat général à l’investissement, pilote les actions publiques en matière d’agroécologie en vue de permettre à notre pays de répondre de la manière la plus efficace possible aux défis écologiques et d’attractivité du monde, en consacrant 50 % de ses dépenses à la décarbonation de l’économie et 50 % à des acteurs émergents, porteurs d’innovation, à l’exclusion de toute dépense défavorable à l’environnement. Loin de n’être réservée qu’aux consommateurs, l’agroécologie est évidemment bénéfique pour les agriculteurs en préservant leur capacité à produire sur le long terme. L’adoption de nouvelles méthodes plus respectueuses de l’environnement aura, par exemple, pour effet de rendre les sols moins arides et donc d’éviter ruissellements et inondations, qui ne bénéficient en rien aux cultures et aux milieux ; elle aura également pour effet de rendre les agriculteurs moins dépendants par rapport à certains intrants (engrais, produits phytosanitaires…) qui, outre leurs effets néfastes pour la nature et la santé humaine, grèvent par ailleurs de manière considérable le budget des exploitations. Enfin, ces nouvelles méthodes améliorent sans conteste le revenu des agriculteurs qui s’y investissent, plusieurs études attestant, par exemple, d’un meilleur retour sur investissement pour les maraîchers biologiques (64 %) que pour les maraîchers conventionnels (47 %).

→ D’autre part, l’article 6 précise que l’ensemble des actions de développement agricole énumérées à l’article L. 820-1 du code rural et de la pêche maritime peuvent être regroupées dans des « plans prioritaires pluriannuels de transition agroécologique et climatique et de souveraineté » (PPTS).

Ces plans, qui peuvent être conclus entre l’État et un ou plusieurs acteurs du développement agricole (qui sont en partie énumérés à l’article L. 820-2 du code rural et de la pêche maritime), ont vocation à mettre en œuvre certaines actions relevant du développement agricole, soit seules, soit combinées entre elles, sur un laps de temps assez long afin d’agir sur une certaine continuité et de pouvoir ensuite en évaluer utilement les effets.

Ce type de collaboration existe d’ores et déjà mais, pour le moment, seulement sur des sujets spécifiques. C’est par exemple le cas du PNRI (plan national de recherche et d’innovation) lancé au mois de janvier 2021 pour identifier des solutions alternatives aux néonicotinoïdes opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière. Ce PNRI, dont la gouvernance était assurée conjointement par l’INRAe et l’ITB (Institut technique de la betterave), comprenait des membres venant d’horizons divers (représentants des différents organismes ou entreprises impliqués dans la mise en œuvre des actions techniques, le directeur technique de l’interprofession betterave-sucre, des représentants des ministères en charge de l’agriculture et de l’écologie…) ([55]).

L’expérience était intéressante mais, en l’espèce, la visée serait beaucoup plus générale ; il s’agirait de permettre de façon plus ambitieuse à divers acteurs de travailler à des projets ayant « une portée plus générique, de manière à adresser de manière collective des problématiques communes » pour reprendre les termes un peu vagues de l’étude d’impact ([56]).

en deuxième lieu, l’article 6 du projet de loi modifie l’article L. 820-2 du code rural et de la pêche maritime à deux égards :

→ D’une part, dans l’optique de mieux intégrer l’ensemble des acteurs au sein d’un PPTS, il propose d’expliciter les termes « établissements d’enseignement agricole » qui figurent actuellement à l’article L. 820-2 du code rural et de la pêche maritime, en les remplaçant par les termes « établissements d’enseignement supérieur agricole, établissements d’enseignement technique agricole ». Ce changement d’appellation devrait ainsi permettre d’insister sur la synergie à effectuer entre les différents acteurs au sein d’un PPTS et les acteurs de l’enseignement et de la recherche.

→ D’autre part, il est précisé que les établissements d’enseignement technique agricole (qu’ils soient du temps plein ou du rythme approprié) peuvent bénéficier, pour leurs missions, de l’appui des divers acteurs mentionnés au premier alinéa de l’article L. 820-2, c’est-à-dire des établissements d’enseignement supérieur agricole, établissements d’enseignement technique agricole que l’on vient de mentionner.

en troisième et dernier lieu, l’article 6 complète l’article L. 830-1 du code rural et de la pêche maritime, afin de préciser que la recherche agronomique et vétérinaire apporte un appui à l’enseignement technique agricole.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

Eu égard à l’importance de l’enseignement agricole privé en France, la commission a adopté un amendement CE379 de Mme Annie Genevard et plusieurs de ses collègues afin de rappeler que l’ensemble des établissements de l’enseignement agricole participent aux actions de développement agricole, en vue de l’adaptation de l’agriculture aux évolutions scientifiques, technologiques, économiques et sociales, que ces établissements relèvent du secteur public ou du secteur privé.

 

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Article adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à permettre aux auxiliaires et élèves vétérinaires, dûment inscrits sur une liste tenue par l’ordre des vétérinaires, de réaliser certains actes de médecine et de chirurgie vétérinaires sur des animaux canins, afin de libérer du temps au profit des vétérinaires, principalement en milieu rural, pour intervenir à l’égard des animaux détenus par les agriculteurs.

 

  1.   l’État du droit : la possibilitÉ pour des professionnels non vÉtÉrinaires de rÉaliser certains actes vÉtÉrinaires
    1.   l’exercice de la profession de vÉtÉrinaire aujourd’hui en france

Il existe actuellement dans notre pays 21 494 vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre national des vétérinaires ; si leur population a tendance à rajeunir (l’âge moyen aujourd’hui étant de 42,77 ans) et à fortement se féminiser (on compte 60 % de femmes), la profession de vétérinaire voit néanmoins son équilibre atteindre un stade relativement fragile, puisque 560 vétérinaires sont partis en 2023, auxquels il faut ajouter 170 vétérinaires quittant la profession avant l’âge de 40 ans ([57]). De fait, le problème de renouvellement de génération que l’on peut observer chez les agriculteurs ou dans d’autres professions se retrouve également ici.

Au sein de la profession de vétérinaire, on doit distinguer deux grandes branches qui sont, d’une part, les vétérinaires exerçant leur activité à l’égard des « canins » (chiens, chats, animaux de compagnie de manière générale…) et, d’autre part, ceux exerçant auprès des « animaux de rente » ([58]) (bovins, ovins, volaille…). On compte actuellement 1 359 vétérinaires revendiquant une compétence exclusive à l’égard des animaux de rente et 1 921 qui exercent une activité mixte (animaux canins et animaux de rente), avec une prédominance pour ces derniers ([59]). Comme cela a été indiqué à vos rapporteurs, l’exercice de la profession sur les territoires ruraux est majoritairement assuré sous la forme d’un régime mixte avec prédominance des animaux de compagnie, même si les proportions varient suivant les territoires. Ce modèle est, selon les représentants de la profession auditionnés, l’un des plus solides, des plus robustes et des plus résilients, ce qui permet d’assurer une présence assez forte de la profession sur l’ensemble du territoire ; pour autant, certaines régions (Dordogne, Ardèche, haute vallée de l’Aude, Finistère…) connaissent des problèmes d’effectifs qui, de fait, rendent difficile une véritable continuité des soins, alors même que cette dernière est consacrée par les textes au titre des devoirs fondamentaux des vétérinaires (article R. 242-48-IV du code rural et de la pêche maritime).

En outre, et comme l’avait d’ailleurs signalé une étude ([60]) assez récente du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur ce sujet, l’évolution démographique des effectifs vétérinaires en milieu rural est d’autant plus cruciale qu’elle doit être appréhendée assez largement. En effet, le problème d’accès aux soins vétérinaires des détenteurs d’animaux de rente ne concerne pas uniquement les territoires strictement ruraux, mais touche également de façon assez prégnante les territoires péri-urbains, où se développent fermes pédagogiques, éco-pâturages et petits élevages de loisir ou d’appoint ([61]).

  1.   les personnes habilitÉes À accomplir certains actes vÉtÉrinaires

Fort logiquement, les personnes ayant la qualité de vétérinaire au sens de l’article L. 241-1 du code rural et de la pêche maritime sont autorisées à pratiquer tous les actes relevant de leur profession, qu’il s’agisse des « actes de médecine des animaux » (qui, aux termes du I de l’article L. 243-1 du même code, désignent « tout acte ayant pour objet de déterminer l’état physiologique d’un animal ou d’un groupe d’animaux ou son état de santé, de diagnostiquer une maladie, y compris comportementale, une blessure, une douleur, une malformation, de les prévenir ou les traiter, de prescrire des médicaments ou de les administrer par voie parentérale ») ou des « actes de chirurgie des animaux » (qui, suivant la même disposition, désignent « tout acte affectant l’intégrité physique de l’animal dans un but thérapeutique ou zootechnique »).

Mais les vétérinaires ne sont pas les seuls à effectuer des actes médicaux à l’égard des animaux.

Ainsi, en application d’une ordonnance prise en 2011 ([62]), il a été prévu que plusieurs personnes, outre des soins de première urgence, pouvaient accomplir un certain nombre d’actes de médecine ou de chirurgie des animaux. Il peut s’agir, par exemple, de la possibilité pour les maréchaux-ferrants de soigner les pieds des équidés, ou de la possibilité, pour les élèves des écoles vétérinaires, les inspecteurs de la santé publique vétérinaire ou certains techniciens de laboratoires, d’effectuer un nombre d’actes conséquents – tous néanmoins dans la limite des compétences que les textes applicables peuvent leur avoir octroyées (article L. 243-1 du code rural et de la pêche maritime).

On peut également mentionner, au titre de l’article L. 241-6 du même code, le droit pour les élèves des écoles vétérinaires françaises, titulaires soit d’un diplôme sanctionnant les études fondamentales vétérinaires, soit d’un diplôme qui en permet la dispense, de pratiquer la médecine et la chirurgie des animaux en qualité d’« assistants de vétérinaires », ces derniers exerçant évidemment cette médecine et cette chirurgie de manière régulière. Un « assistant de vétérinaire » désigne donc toute personne qui, en dehors de la présence mais néanmoins sous l’autorité d’un vétérinaire, intervient, à titre médical ou chirurgical, sur des animaux.

Pour autant, les dispositions actuellement en vigueur ne sont pas suffisantes. Ainsi, le travail effectué entre les organisations représentatives des vétérinaires et les pouvoirs publics avait, en 2011, fait porter la réflexion sur les actes médicaux au bénéfice des éleveurs, mais avait omis de prendre en considération les animaux de compagnie. Il s’agit donc, par le biais du présent article, de réparer cet oubli afin que les vétérinaires puissent disposer de davantage de temps pour travailler dans le milieu rural, principalement à l’attention des gros animaux de rente.

  1.   le dispositif proposÉ
    1.   l’extension de la possibilitÉ pour des personnes non vÉtÉrinaires DE RÉALISER certains actes mÉdicaux

C’est le point le plus important de l’article 7, défini aux alinéas 4 à 6, qui complètent l’article L. 243-3 du code rural et de la pêche maritime en permettant à des personnes n’ayant pas la qualité de vétérinaire de réaliser un certain nombre d’actes médicaux.

  1.   Les personnes visées

Les 14° et 15° nouveaux de l’article L. 243-3 visent respectivement deux types de personnes :

– en premier lieu, vont pouvoir exercer un certain nombre d’actes les personnes, inscrites sur une liste tenue par l’ordre des vétérinaires, qui seront soit salariées d’un vétérinaire ou d’une société de vétérinaires, soit employées d’une école vétérinaire française (14° nouveau de l’article L. 143-3). Comme cela a été indiqué à vos rapporteurs, les personnes « employées d’une école vétérinaire française » désignent les techniciens qui, bien que non vétérinaires, travaillent dans les centres hospitaliers des écoles vétérinaires et pourront donc être conduits à dispenser des soins. En tout état de cause, quelle que soit leur qualité, ces personnes pourront donc pratiquer un nombre d’actes limitativement énumérés sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l’agriculture ; il faudra principalement, pour ce faire, qu’elles justifient de compétences suffisantes, lesquelles seront certifiées par le conseil national de l’ordre des vétérinaires ([63]), et qu’elles accomplissent ces actes au sein d’un établissement vétérinaire, sous la responsabilité d’au moins un vétérinaire présent dans cet établissement ;

– en second lieu, pourront exercer un certain nombre d’actes les élèves régulièrement inscrits des écoles vétérinaires qui, bien que n’ayant pas validé le diplôme leur permettant d’avoir la qualité d’« assistant de vétérinaire » au sens de l’article L. 241-6 du code rural et de la pêche maritime ([64]), ont atteint un niveau d’études suffisant leur permettant d’effectuer un certain nombre d’actes médicaux et de chirurgie sur des animaux. Aujourd’hui, un élève d’une école vétérinaire peut pratiquer certains actes soit dans le cadre d’un stage d’études – le stagiaire apprend alors son futur métier auprès du vétérinaire maître de stage –, soit comme assistant de vétérinaire. Le 15° nouveau ouvre donc une troisième voie, en permettant aux élèves qui ne relèvent ni du stage, ni de la qualité d’assistant de vétérinaire, de pratiquer également des actes vétérinaires dans le cadre ainsi défini.

  1.   Les actes concernés

Les actes qui pourraient être effectués par les personnes visées au 14° nouveau seraient arrêtés par le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; même si les modalités d’application de cette nouvelle disposition seront ultérieurement précisées dans le cadre d’un décret en Conseil d’État, les représentants de l’Ordre national des vétérinaires et du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) entendus par vos rapporteurs préconisent dès à présent que la liste des actes soit identique pour les personnes visées cette fois‑ci au 15° de l’article L. 243-3, les élèves concernés ayant, par définition, reçu d’ores et déjà un certain nombre d’enseignements cliniques leur permettant d’accomplir ces actes.

À titre d’exemples, il pourrait s’agir d’actes relatifs aux prélèvements à des fins d’analyse (prélèvements de sang ou d’urine par voie naturelle, écouvillonnage auriculaire, vaginal, buccal ou cutané…), d’actes effectués dans le cadre d’une assistance à l’anesthésie et aux soins intensifs (intubations, pose de sondes nasales, surveillance de monitoring…) et de soins divers (polissage dentaire, soins de plaies…).

  1.   le rÔle de la commission des actes vÉtÉrinaires

Par ailleurs, l’article 7 crée un III nouveau au sein de l’article L. 242-3 du code rural et de la pêche maritime, en instituant une commission des actes vétérinaires réalisés dans les conditions fixées aux 14° et 15° de l’article L. 243-3 de ce code.

Le Conseil national de l’ordre des vétérinaires connaît dès à présent un certain nombre de commissions internes : la commission des budgets visée au II de l’article L. 242-3-1 de ce code, l’observatoire national démographique de la profession vétérinaire mentionné au dernier alinéa du II de l’article L. 242-1 du même code, ou encore la commission Conseil national de la spécialisation vétérinaire – Commission des titres et diplômes. Son règlement intérieur lui permet d’ailleurs de créer librement toute commission nécessaire à son bon fonctionnement et à son organisation.

Cette nouvelle commission serait consultée sur les demandes d’habilitation des centres de formation mais – et c’est l’objet de l’introduction du mot « notamment » dans ce III – elle pourrait également émettre des propositions préalables aux habilitations, ou émettre un avis sur les montants des frais administratifs et d’inscription aux épreuves prévues à l’article D. 243-13 du code (montants perçus par le Conseil national de l’ordre des vétérinaires). Signalons ici que ce « notamment » a vocation à être précisé dans le cadre du décret en Conseil d’État visé à la fin de l’alinéa 5.

Vos rapporteurs souhaitent enfin appeler l’attention sur le fait que le regard qui sera porté par cette commission sur les demandes d’habilitation présentées par des centres de formation ([65]) vise également à éviter certains écueils que nos collègues membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ont récemment mis en exergue à propos de l’enseignement supérieur privé à but lucratif ([66]). En effet, l’accomplissement d’actes vétérinaires nécessitant de très fortes garanties, il importe d’éviter que des organismes privés à but lucratif ne proposent tous azimuts des formations onéreuses, dans un but uniquement mercantile, mais ne remplissant pas les critères attendus par ce nouveau dispositif législatif ; à travers cette habilitation préalable, les centres qui se porteront candidats devront donc présenter un certain nombre d’assurances quant au sérieux des formations dispensées, à la qualité des installations offertes, notamment pour garantir le bien-être animal… L’habilitation prendra, quant à elle, la forme d’un arrêté ministériel pris sur proposition de la commission.

  1.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission n’a pas touché à l’équilibre de l’article 7, écrit en étroite coopération avec les représentants des vétérinaires, à commencer par le Conseil national de l’ordre.

Elle n’a de fait adopté que six amendements rédactionnels ou de précision proposés par vos rapporteurs (CE3424 à CE3428).

 

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Article créé par la commission

Le nouvel article 7 bis demande au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les perspectives de la profession de vétérinaire.

 

La profession vétérinaire en France fait face à un enjeu majeur : celui de garantir l’accès aux soins pour toutes les espèces animales, dans tous les territoires, en particulier en situation d’urgence en présence d’un animal malade ou blessé en péril. La désertification des campagnes rend le métier de vétérinaire en milieu rural des plus complexes, les animaux de rente nécessitant en outre de recevoir des soins particuliers.

Le présent amendement demande donc au Gouvernement de remettre au Parlement, d’ici la fin de l’année 2025, un rapport sur les perspectives d’évolutions du métier de vétérinaire, en vue, le cas échéant, de l’examen d’une future loi sur le sujet.

 

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TITRE III
FAVORISER L’INSTALLATION DES AGRICULTEURS AINSI QUE LA TRANSMISSION DES EXPLOITATIONS ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’EXERCICE DE LA PROFESSION D’AGRICULTEUR

Chapitre Ier
Orientations programmatiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmissions des exploitations

Article 8
Programmation des politiques publiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles

Adopté par la commission avec modification

 

L’article 8 prévoit une programmation, pour les dix prochaines années (2025-2035), des politiques publiques d’installation et de transmission des exploitations agricoles. Il érige en objectif le fait de favoriser la création, l’adaptation et la transmission des exploitations agricoles et celui d’assurer la présence d’un nombre suffisant d’exploitants et d’emplois agricoles.

Il prévoit à cet effet la mise en place du réseau « France Services agriculture », qui permettra aux personnes souhaitant s’engager dans une activité agricole ou s’en retirer de bénéficier de services d’accueil, d’orientation et d’accompagnement.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT
    1.   Le défi du renouvellement des générations

Le recensement agricole de 2020 dénombrait 496 000 exploitants agricoles dans 389 000 exploitations. Cent mille exploitations ont disparu entre 2010 et 2020, le nombre de fermes reculant en moyenne annuelle de 2,2 % sur la période, après avoir reculé de 3 % par an dans les années 1980 et 1990. Il y avait encore un million d’exploitations agricoles et 1,1 million d’exploitants en 1988, puis 664 000 exploitations et 764 000 exploitants en 2000.

Un consensus large existe aujourd’hui pour défendre l’idée qu’un plancher a été atteint, en-deçà duquel serait compromise notre souveraineté agricole et alimentaire, dans un contexte d’adaptation au changement climatique. Mettre un terme à la diminution du nombre d’exploitations pendant la décennie à venir supposera un engagement particulièrement fort, puisque l’âge moyen des agriculteurs a atteint 51,4 ans en 2020 et que près de la moitié des exploitants sera en position de faire valoir ses droits à la retraite entre 2025 et 2035.

Source : Cour des comptes, La politique d’installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles. Communication à la commission des finances du Sénat, avril 2023. Cartes élaborées par la Cour à partir des données des recensements agricoles de 2010 et 2020.

Les projections du ministère chargé de l’agriculture prévoient de 25 000 à 26 000 départs de chefs d’exploitations par an jusqu’en 2027, puis de 22 000 à 24 000 jusqu’en 2033, avant de passer sous la barre des 20 000 départs annuels à partir de 2034 ([67]).

En dépit des dispositifs progressivement mis en place pour accompagner la transmission des exploitations, en 2020, parmi les exploitants de soixante ans ou plus, un tiers ne sait pas ce que va devenir l’exploitation après leur départ à la retraite.

L’ensemble de ces données imposent au pays de relever un véritable défi : celui du renouvellement des générations d’actifs dans le secteur agricole, et notamment le renouvellement des chefs d’exploitations agricoles.

En effet, pour reprendre les exploitations des actifs qui partent à la retraite, il faudra être en mesure de faire mieux que les 13 000 à 14 000 installations annuelles comptabilisées depuis une vingtaine d’années ([68]).

  1.   Une politique d’installation au service d’un modèle d’exploitation familiale

1.   Un objectif de préservation et de renforcement des structures d’exploitation de type familial affirmé dès la loi de programmation agricole de 1960

La promotion des structures d’exploitation de type familial est ancienne, puisqu’elle est déjà évoquée dans la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole. L’article 2 de la loi prévoit en effet, parmi les objectifs de la politique agricole, celui de « promouvoir et favoriser une structure d’exploitation de type familial, susceptible d’utiliser au mieux les méthodes techniques modernes de production et de permettre le plein-emploi du travail et du capital d’exploitation ».

Les lois d’orientation agricole postérieures ont réaffirmé avec constance l’importance des structures d’exploitation de type familial dans le système agricole français.

L’article 1er de la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980 d’orientation agricole fixe ainsi comme objectif à la politique agricole d’assurer « aux exploitations familiales à responsabilité personnelle, qui constituent la base de l’agriculture française, le niveau de compétence technique et économique indispensable pour en accroître la valeur ajoutée ».

La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, dite loi « Laaaf », a inséré dans le code rural et de la pêche maritime un livre préliminaire relatif aux objectifs de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime. Le troisième objectif mentionné à l’article L. 1 de ce code est celui de « préserver le caractère familial de l’agriculture et l’autonomie et la responsabilité individuelle de l’exploitant ».

Ce modèle d’exploitation familiale ne fait pas l’objet d’une définition précise en droit, mais il est entendu qu’il s’agit d’une « entité de production où entreprise et famille se superposent, faisant coïncider travail, propriété des moyens de production (foncier, en pleine propriété ou en fermage, et capital de production), et pouvoir de gestion et de décision » ([69]).

  1.   Le renouvellement des générations, la transmission et l’installation des jeunes, un enjeu intégré aux lois d’orientation agricoles depuis 1980

L’enjeu du renouvellement des générations et de l’installation de nouveaux exploitants est intégré aux textes d’orientation agricole dès la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980, dont l’article 1er prévoit que la politique agricole tend à « assurer le renouvellement des exploitations, en particulier par une politique d’installation des jeunes en agriculture » et à « offrir aux jeunes et autres actifs agricoles la formation nécessaire pour mener à bien les projets d’installation et l’adaptation des exploitants aux nouveaux enjeux de la politique agricole ».

Cette volonté a par la suite été renouvelée au travers des textes successifs.

L’article 1er de la loi n° 95-95 du 1er février 1995 de modernisation de l’agriculture précise que « la politique agricole tend à (…) assurer le renouvellement des exploitations, en particulier par une politique d’installation des jeunes en agriculture [et à] privilégier le développement des exploitations agricoles, sous forme individuelle ou de société, dans lesquelles l’initiative et la responsabilité personnelle des agriculteurs sont préservées ».

L’article 1er de la loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d’orientation agricole fait figurer, parmi les objectifs de la politique agricole, « l’installation en agriculture, notamment des jeunes, la pérennité des exploitations agricoles, leur transmission, et le développement de l’emploi dans l’agriculture, dont le caractère familial doit être préservé, dans l’ensemble des régions françaises en fonction de leurs spécificités ».

Le livre préliminaire du code rural et de la pêche maritime inséré par la loi Laaaf du 13 octobre 2014 a codifié les objectifs de la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime, au nombre desquels on retrouve, au IV de l’article L. 1 du même code, les objectifs de la politique d’installation et de transmission en agriculture (cf. commentaire de l’article 1er supra).

II.   le dispositif proposé

A.   Des orientations pour la politique d’installation et de transmission pour les dix prochaines années

L’article 8 du présent projet de loi prévoit une programmation des politiques publiques mises en œuvre au service du renouvellement des générations pour les dix prochaines années. Vos rapporteurs estiment cette durée parfaitement adaptée au défi du renouvellement des générations, dont les termes viennent d’être rappelés. C’est au départ en retraite de près de la moitié des exploitants dans les dix prochaines années qu’il convient de faire face de manière urgente.

Cette perspective n’empêche pas de penser à plus long terme les objectifs des politiques menées en matière d’installation et de transmission : c’est l’objet de l’article 1er du projet de loi, qui modifie le IV de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que le législateur sera amené à se saisir à nouveau de ces questions avant 2035, pour ajuster les orientations et programmations à la situation à laquelle la présente loi aura permis d’aboutir.

Face aux enjeux identifiés de souveraineté alimentaire, de transition agroécologique et climatique, et de renouvellement des générations d’actifs, l’article 8 assigne aux politiques publiques l’objectif de favoriser « la création, l’adaptation et la transmission des exploitations agricoles ».

Cet objectif est précisé en ces termes : assurer la présence « d’un nombre suffisant d’exploitants et d’emplois agricoles pour permettre de consolider, de renforcer et d’adapter aux nouvelles conditions climatiques la capacité de production agricole et alimentaire ». Cette orientation est donc cohérente avec la défense du modèle d’exploitation familiale dont l’objectif de préservation est affirmé à l’article L. 1 précité.

Alors que la surface agricole utile (SAU) se stabilise depuis le début des années 2000, la diminution du nombre d’exploitations implique mécaniquement une augmentation de leur taille : elle est aujourd’hui de 69 hectares en moyenne, contre 42 hectares en 2000 d’après les données du dernier recensement agricole.

Aussi, le nombre d’exploitations agricoles actuel apparaît comme un plancher en deçà duquel il ne faut pas descendre et vos rapporteurs sont convaincus que cet article d’orientation doit assumer l’ambition de compter au moins quatre cent mille exploitations agricoles au terme de la période de programmation, soit en 2035.

Le texte du projet de loi précise, à cette fin, qu’il conviendra de prendre en compte les attentes socio-professionnelles des personnes qui souhaitent s’engager et la diversité de leurs profils. De fait, l’origine des actifs agricoles se diversifie, puisque 36 % des installations aidées correspondent à des installations hors cadre familial en 2021 ([70]). La part des personnes dites « non issues du monde agricole » (Nima) dans les nouveaux installés est croissante et devra continuer à l’être pour faire face au défi du renouvellement des générations.

B.   Le principe d’un réseau « France Services agriculture »

Au titre des orientations des politiques d’installation et de transmission pour la période 2025-2035, l’article 8 apporte une réponse forte, attendue par les acteurs du monde agricole et dont la mise en œuvre est déjà en cours de préparation : la création du réseau « France Services agriculture ».

Parmi les propositions phares du groupe de travail n° 2 « Installation et transmission » organisé dans le cadre de la concertation nationale sur le Pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricole, l’une a reçu un accueil présenté comme unanime : « la nécessité d’une gouvernance rénovée et renforcée, permettant d’assurer tout à la fois un dispositif d’accueil et d’accompagnement lisible et professionnalisé de type point d’accueil (guichet) unique ».

Cet outil important et ambitieux, dont la création est prévue par l’article 10 du projet de loi (cf. infra), devra bien entendu être accompagné de la mobilisation d’autres leviers pour atteindre les objectifs fixés à l’article 8.

Le soutien apporté à la capacité d’investissement des nouveaux installés passe par les aides à l’installation des jeunes agriculteurs et des nouveaux installés, ainsi que par des aides à l’investissement qui leur sont réservées. Dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) 2023-2027, le plan stratégique national (PSN) de la France prévoit que « les aides à l’installation, y compris les soldes des DJA engagées aujourd’hui, sont planifiées pour représenter une moyenne de près de 100 M€ de Feader par an ». Ces aides sont gérées par les régions.

Mais d’autres leviers doivent être mobilisés par l’État, alors que sont identifiés comme des freins à l’installation et à la transmission « le prix du foncier, malgré une maîtrise relative de ce dernier comparativement à d’autres États européens, le besoin de capitaux qui peut s’avérer élevé au regard des capacités d’emprunt et du retour sur investissement attendu, ainsi qu’une transmission pas toujours fluide entre générations » ([71]).

En particulier, les leviers fiscaux et de soutien public à l’investissement devront impérativement être mobilisés pour libérer les initiatives et encourager les porteurs de projets d’installation, comme de cession.

Si la mise en œuvre de ces outils, tout aussi indispensables que le réseau « France Services agriculture », ne se traduit pas par la présence de dispositifs dans le présent projet de loi, des orientations en la matière pourront être ajoutées à cet article 8, de nature programmatique.

III.   Les dispositions adoptées par la commission

La commission a adopté cet article après lui avoir apporté quelques améliorations d’ordre rédactionnel et y avoir introduit plusieurs mesures complémentaires, destinées à préciser les orientations programmatiques en matière d’installation des agriculteurs et de transmission des exploitations pour la période 2025-2035.

Les corrections rédactionnelles résultent de l’adoption des amendements CE3387, CE3388 et CE3389 des rapporteurs.

Plusieurs amendements identiques (CE3507 de Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis au nom de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, CE506 de M. Dominique Potier, CE2197 de M. David Taupiac et CE3240 de Mme Marie Pochon) sont venus prévoir que les politiques publiques mises en œuvre de 2025 à 2035 doivent favoriser « le développement des pratiques agroécologiques, dont l’agriculture biologique ».

L’amendement CE3404 des rapporteurs a introduit un objectif chiffré en termes de nombre d’exploitations agricoles que devra compter la France au terme de la période de programmation prévue par l'article 8, soit en 2035 : cet objectif est fixé à quatre cent mille exploitations agricoles au moins et il est cohérent avec la précision apportée par l’amendement CE241 de M. Dominique Potier, selon laquelle les politiques publiques sont mises en œuvre dans le respect de l’objectif inscrit au 3° du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, en particulier la préservation du caractère familial de l'agriculture et de l'autonomie et de la responsabilité individuelle de l'exploitant.

Les amendements identiques de M. Julien Dive (CE285), de M. Inaki Echaniz (CE308), de M. Jean-Pierre Vigier (CE645) et de M. Francis Dubois (CE974) ont étendu le champ du dispositif FSA à l’ensemble des actifs agricoles, au-delà des exploitants agricoles ayant un projet de cession de leur exploitation et des personnes ayant un projet d’installation.

Plusieurs amendements sont venus préciser les orientations propres à certaines politiques publiques afin de garantir le renouvellement des générations d’exploitants agricoles :

–  l’amendement CE3403 de M. Pascal Lecamp, rapporteur, précisé par un sous-amendement de M. Dominique Potier (CE3594), fixe comme objectif à l’État, au côté des collectivités territoriales volontaires et d’éventuels investisseurs privés, d’accroître progressivement la mobilisation de fonds publics au soutien du portage du foncier agricole, d’une part, et des investissements nécessaires à la transition agroécologique, d’autre part. Pour ce faire, l’État devra notamment s’appuyer sur la Banque des territoires, comme il a commencé à le faire dans le cadre du fonds Elan en cours de déploiement, et sur la Banque publique d’investissement (BPI), pour les investissements nécessaires à la transition agroécologique ;

–  l’amendement CE3402 de M. Éric Girardin, rapporteur général, donne comme objectif de mener, en vue de son application dès 2025, une réforme de la fiscalité applicable à la transmission des biens agricoles, notamment du foncier agricole. Il s’agit donc d’une orientation à court terme pour le prochain projet de loi de finances ;

–  l’amendement CE3406 rectifié des rapporteurs donne comme objectif à l’État de bâtir une stratégie pour encourager le développement des services de remplacement.

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Article 9
Mise en place d’un diagnostic modulaire des exploitations

Adopté par la commission avec modification

 

L’article 9 fixe l’objectif de mettre en place, d’ici 2026, un diagnostic modulaire des exploitations agricoles, dont il prévoit qu’il permettra d’évaluer les exploitations agricoles en amont de leur transmission, au moment de l’installation puis tout au long de leur cycle de vie.

Il prévoit notamment la création d’un module spécifique d’évaluation rapide de la résilience des projets d’installation au stress climatique.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

La notion de « diagnostic de l’exploitation » n’est pas inconnue du droit en vigueur, mais sa pratique apparaît très peu encadrée.

Dans le cadre du programme « Accompagnement à l’installation‑transmission en agriculture » (Aita), l’État finance des diagnostics d’exploitation à céder à hauteur de 1 500 € par exploitation. Cette aide est d’ores et déjà destinée à encourager la réalisation d’une évaluation, visant à faciliter la transmission en permettant au repreneur d’évaluer le potentiel de l’exploitation susceptible d’être reprise. Toutefois, entre 2017 et 2021, seuls 1 687 agriculteurs ont bénéficié de ce dispositif ([72]), ce qui est très faible au regard des vingt mille à vingt-cinq mille cessations d’activité annuelles.

Par ailleurs, l’article 6 de la loi n° 2022-298 du 2 mars 2022 d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture a inséré, à l’article L. 330-1 du code rural et de la pêche maritime relatif à la politique d’installation, un alinéa aux termes duquel l’aide à l’installation peut être modulée « si les candidats n’ont pas réalisé un diagnostic de gestion des risques constatant un niveau de maîtrise des risques suffisant sur l’exploitation ».

L’existence d’un dispositif légal dont l’esprit se rapproche de celui du diagnostic modulaire envisagé par l’article 9 peut également être relevée. L’article L. 411-4 du même code impose ainsi, préalablement à la conclusion d’un bail rural, la réalisation d’un état des lieux qui « constate avec précision l’état des bâtiments et des terres ainsi que le degré d’entretien des terres et leurs rendements moyens au cours des cinq dernières années. » En pratique, cette obligation est peu respectée.

II.   le dispositif proposé

Le changement climatique rapide a de multiples conséquences, qui varient dans leur ampleur et leur nature selon les territoires et les productions concernés. Ce changement climatique est un facteur d’incertitude qui peut représenter un frein supplémentaire à l’installation.

Dans ce contexte, faciliter la transmission des exploitations et l’installation de nouveaux actifs suppose de renforcer la transparence quant aux caractéristiques des exploitations à céder, afin que la mise en relation avec les cédants soit éclairée. Cet enjeu est d’autant plus prégnant que l’installation se réalise de plus en plus souvent en dehors du cadre familial.

Les conséquences du changement climatique doivent également être prises en compte par les nouveaux installés pour la construction de leur projet d’installation, afin d’en assurer la viabilité à moyen et long termes.

L’article 9 du présent projet de loi érige donc en objectif la création et la mise en place, au plus tard en 2026, d’un dispositif de réalisation de diagnostic de l’exploitation. Ce diagnostic doit faciliter la transmission et l’installation, ainsi que la transition agro-écologique des exploitations. Il permettra ainsi d’orienter les choix du chef d’exploitation tout au long du cycle de vie de l’exploitation.

Cet article prévoit que le diagnostic est constitué de plusieurs modules, dont l’un concerne la résilience de l’exploitation face aux conséquences du changement climatique – ce qui impliquera notamment de prendre en compte les spécificités de l’exploitation relatives aux sols ou à la ressource en eau.

Un deuxième module est prévu, concernant spécifiquement la qualité des sols des parcelles de l’exploitation.

Un autre module, dont la création anticipée est souhaitée dès 2025, concernerait l’évaluation de la résilience des projets d’installation aux épisodes de stress climatique.

Cet article programmatique ne crée, par lui-même, aucune obligation et ne lie pas le législateur qui serait amené à intervenir, à l’avenir, pour rendre obligatoires tout ou partie des modules du futur diagnostic. Il est seulement précisé que l’État étudiera les conditions dans lesquelles la réalisation de certains modules d’évaluation pourrait conditionner le bénéfice de certaines aides.

Vos rapporteurs ont relevé que les acteurs entendus lors des auditions se sont parfois interrogés sur la rédaction de cet article 9. Certains d’entre eux ne retrouvent pas l’esprit de ce qui était ressorti de la concertation, notamment du Pacte d’orientation pour le renouvellement des générations en agriculture.

Vos rapporteurs rappellent le caractère programmatique de cette disposition, qui vise à offrir aux exploitants agricoles un outil utile à la construction et au pilotage de leur projet d’installation ou de cession. De nombreux paramètres devront être fixés en concertation avec les acteurs pour atteindre cet objectif, qu’il s’agisse de l’articulation avec le réseau « France Services agriculture », des structures habilitées à réaliser les diagnostics, de leur financement ou encore des précautions qui devront être prises pour éviter tout usage contreproductif des résultats des diagnostics.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté plusieurs amendements ayant pour objet de redéfinir les contours du dispositif de diagnostic modulaire dont l’article 9 entend prévoir le cadre.

Le rapporteur Pascal Lecamp a proposé une réécriture des deux premiers alinéas de l’article 9 (CE3398). Il s’est agi de préciser la finalité d’un diagnostic qui, outre la facilitation de la transmission des exploitations ou de l’installation de nouveaux exploitants, doit permettre de conforter la viabilité économique des projets dans un contexte de transitions agroécologique et climatique. Les sous-amendements CE3601 et CE3664 de M. Dominique Potier et de Mme Mathilde Hignet, respectivement, ont ajouté que le diagnostic doit permettre d’améliorer la maîtrise des coûts et la stratégie liées à la mécanisation.

L’amendement CE3399 du rapporteur est venu préciser que l’évaluation de l’exploitation au regard de sa résilience face aux conséquences du changement climatique doit s’appuyer sur une analyse de la performance économique de cette exploitation.

L’amendement CE3400 du rapporteur a procédé à une réécriture du quatrième alinéa de l’article 9 afin de circonscrire la portée du module du diagnostic relatif à l’état des sols. Ce dernier doit en particulier renseigner sur la matière organique présente dans ces sols. Un sous-amendement CE3640 de M. Charles de Courson est venu préciser que ce module n’intervient qu’à défaut de réalisation d’un état des lieux pour l’établissement d’un bail rural, tel que prévu à l’article L. 411-4 du code rural et de la pêche maritime.

La commission a en outre adopté l’amendement CE692 de Mme Anne-Laure Blin, supprimant le sixième alinéa de l’article 9 qui prévoyait notamment la possibilité de conditionner le bénéfice de certaines aides publiques à la réalisation de modules d’évaluation.

La commission a également adopté deux amendements identiques de M. Charles de Courson et de Mme Louise Morel (CE1893 et CE3118, respectivement), sous-amendés par le rapporteur Pascal Lecamp (CE3534), afin de prévoir que le réseau France Services agriculture sera chargé de faire la promotion du diagnostic modulaire auprès des porteurs de projet d’installation ou de cession d’exploitation agricole.

Par ailleurs, la commission a adopté l’amendement CE3316 de Mme Brigitte Klinkert qui engage l’État à mettre en place une fiscalité de la transmission des biens agricoles, visant notamment à libérer la transmission du foncier agricole loué par bail à long terme, sous réserve d’engagements de conservation des biens par les bénéficiaires de cette transmission.

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Chapitre II
Mesures en matière d'installation des agriculteurs et de transmission des exploitations

Article 10
Création du réseau « France Services agriculture »

Adopté par la commission avec modification

 

L’article 10 crée le réseau « France Services agriculture ». Il sera composé, dans chaque département, d’un guichet unique mis en place dans le réseau des chambres d’agriculture et d’un réseau de structures d’accompagnement agréées, vers lesquelles le point d’accueil orientera les porteurs de projets d’installation ou de cession d’exploitation.

La mise en relation des cédants et des candidats à l’installation, ainsi que le suivi des installations et des transmissions, seront facilités par l’enregistrement des données dans un répertoire départemental unique.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

A.   La gouvernance de la politique d’installation

Le chapitre préliminaire du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime (articles L. 330-1 à L. 330-5) est relatif à la politique d’installation et de transmission en agriculture.

Créé par l’article 31 de la loi Laaaf du 13 octobre 2014, ce chapitre a été modifié par l’article 38 de la loi n° 2023‑171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture pour tirer les conséquences du transfert aux régions de la gestion des aides à l’installation dans le cadre de la programmation de la PAC 2023‑2027.

Les dispositifs de soutien européen dans le cadre de la PAC, notamment la « dotation jeunes agriculteurs » (DJA), relèvent ainsi intégralement, depuis le 1er janvier 2023, de la responsabilité des régions.

L’article 31 de la loi Laaaf a également confié aux chambres départementales d’agriculture une mission de service public liée à la politique d’installation pour le compte de l’État et des autorités chargées de la gestion des aides à l’installation, prévue au 4° de l’article L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime.

L’État a, par ailleurs, bâti la gouvernance du dispositif d’accompagnement à l’installation et à la transmission par voie réglementaire.

Un décret n° 2015‑445 du 16 avril 2015 relatif à la mise en œuvre des programmes de développement rural pour la période 2014-2020 a ainsi institué un comité national État-régions, le Comité national d’installation-transmission (Cnit), ainsi que des comités régionaux à l’installation et à la transmission (Crit), prévus à l’article D. 343-20 du code rural et de la pêche maritime. Les conseils régionaux sont donc étroitement associés à la gouvernance de l’ensemble du dispositif. Le Cnit et les Crit permettent un pilotage spécifique de cette politique d’aide à l’installation, y compris pour les dispositifs d’aide nationaux hors programmation du Feader.

En 2016, l’État a mis en place, par une instruction technique ([73]), le programme pour l’accompagnement à l’installation-transmission en agriculture (Aita). Celui-ci a pour objet d’accompagner les porteurs de projet, dans leur diversité, en les accueillant dans les points accueil installation (PAI), pour la formalisation de leur projet d’installation, et dans des centres d’élaboration du plan de professionnalisation personnalisé (CEPPP). Les PAI et CEPPP sont des organismes labellisés dans les conditions prévues aux articles D. 343-21 et D. 343‑21-1 du code rural et de la pêche maritime.

La concertation sur le Pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricole a mis en évidence un manque de pluralisme dans les structures intervenant dans le cadre du programme Aita et un manque de fluidité, de lisibilité et de personnalisation de l’accompagnement proposé. De plus, ce programme Aita se concentre sur l’installation des futurs chefs d’exploitation et n’assure pas l’interface avec l’accompagnement à la transmission.

B.   Les dispositifs applicables en matière d’accompagnement à la transmission

En application de l’article L. 330-5 du code rural et de la pêche maritime, une déclaration d’intention de cessation d’activité agricole (Dicaa) doit être adressée par l’exploitant au moins trois ans avant la date à laquelle il projette de cesser son activité. Cette notification est nécessaire pour cumuler la perception de la pension de retraite et une activité, dans les conditions prévues par les articles L. 732-39 et L. 732-40 du même code.

Les services de la Mutualité sociale agricole (MSA) informent chaque exploitant de cette obligation de déclaration, quatre ans avant qu’il n’atteigne l’âge légal de départ en retraite.

Les informations envoyées par la MSA et les Dicaa reçues en retour par les chambres ne semblent toutefois pas faire l’objet d’un véritable suivi et le système de la Dicaa apparaît peu opérationnel en pratique. Seul un quart à un tiers des Dicaa sont envoyées par les exploitants en réponse au courrier de la MSA ([74]).

En application de l’article D. 330-3 du code rural et de la pêche maritime, les chambres départementales d’agriculture assurent la tenue du répertoire départ-installation (RDI) prévu à l’article L. 330-5 du même code, afin de faciliter la mise en relation des cédants et des preneurs. Toutefois, la mise en réseau des RDI dans une base nationale n’est pas assurée.

Pour encourager les cédants à réaliser un diagnostic d’exploitation ([75]) et à rendre publique leur intention de céder leur exploitation, ils peuvent bénéficier d’une prime pour la publication d’une offre au RDI qui conduit à une cession à un bénéficiaire de la DJA. Seuls 609 cédants ont bénéficié de cette prime entre 2017 et 2021([76]). Ce chiffre doit être mis en perspective avec les 25 000 départs annuels d’exploitants à la retraite sur la même période.

C.   Un accompagnement à la transmission et à l’installation riche et diversifié mais insuffisamment accessible et coordonné

De nombreux organismes et professionnels informent et conseillent les porteurs de projets d’installation ou de transmission d’exploitation agricole. Sans prétendre à l’exhaustivité, peuvent être cités : les chambres d’agriculture, la Mutualité sociale agricole, les associations départementales pour le développement de l’emploi agricole et rural (Addear), CERFrance, le Pôle InPact – notamment, en son sein, le réseau Centre d’initiative pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) –, le réseau des associations de formation à la gestion (InterAFOCG) et Terres de Liens, les groupes d’agriculture biologique, les espaces-test agricoles, les sociétés coopératives agricoles, les notaires ou encore les centres de gestion.

Certains acteurs proposent un accompagnement transversal, d’autres des conseils plus ciblés.

II.   le dispositif proposé

A.   La création d’un réseau « France Services agriculture » accessible par un guichet unique

Vos rapporteurs estiment nécessaire de souligner que le réseau « France Services agriculture » (FSA) constituera, en premier lieu, un service public destiné à toute personne qui souhaite s’engager dans une activité agricole, qui exerce une activité agricole ou qui projette de cesser son activité agricole et qui souhaite bénéficier d’un accueil et d’un accompagnement. Cette définition matérielle de FSA pourrait utilement être ajoutée dans le projet de loi. D’un point de vue organique, FSA sera constitué, d’une part, d’un guichet unique chargé de l’accueil, de l’information et de l’orientation des porteurs de projets et, d’autre part, de structures chargées de leur accompagnement dans leur pluralité.

B.   Un guichet unique pour garantir l’accessibilité de « France Services agriculture »

L’article 10 du présent projet de loi prévoit l’existence d’un « point d’accueil unique » ou d’un « guichet unique » au niveau départemental, qui réponde au besoin d’accessibilité et de lisibilité du dispositif d’accompagnement. Il s’agit du « niveau 1 » de FSA, en quelque sorte sa porte d’entrée.

Le projet de loi confie aux chambres départementales d’agriculture le soin de mettre en place ce guichet unique, au titre de leur mission de service public liée à la politique d’installation et de transmission en agriculture.

Comme le souligne l’étude d’impact de cet article, « cette relative concentration de l’accueil des porteurs de projets d’installation ou de transmission n’est acceptée par tous que si, en corollaire, la transparence sur l’orientation des porteurs de projet est améliorée et que la pluralité des parcours est en pratique correctement traitée ». Vos rapporteurs souscrivent pleinement à cette préoccupation exprimée à de nombreuses reprises lors des auditions, y compris par les représentants du réseau des chambres d’agriculture.

Le respect du pluralisme et le traitement équitable de toutes les structures susceptibles d’accompagner et de conseiller les porteurs de projets pourraient d’ailleurs être mieux affirmés.

Vos rapporteurs, très attachés à ce pluralisme et à la transparence de l’orientation des porteurs de projets par le guichet unique, sont convaincus que ce guichet est la condition même de ce pluralisme, en ce qu’il offrira à tout porteur de projet une vision complète des possibilités d’accompagnement qui s’offrent à lui.

Les porteurs de projets d’installation en agriculture ou de cession d’une exploitation agricole sont tenus, pour les premiers, de prendre contact avec le guichet unique, et, pour les seconds, de déclarer leur intention de céder leur exploitation. Toutefois, cette déclaration ne prendra pas nécessairement la même forme que la Dicaa actuelle et la mise en place d’un nouveau support de transmission d’informations est une piste explorée par le ministère chargé de l’agriculture.

Le respect de cette obligation sera sanctionné par le bénéfice de certaines aides, qui seront conditionnées au passage par le guichet. Mais c’est davantage sur un effort d’information et de communication et sur la qualité et l’efficacité du service rendu que reposera l’adhésion au dispositif par ses bénéficiaires.

À cet égard, vos rapporteurs s’interrogent sur les conditions temporelles d’entrée en vigueur de cet article, qui prévoit que le FSA sera opérationnel dès le 1er janvier 2025.

C.   Un réseau de structures d’accompagnement pour structurer les projets

L’article 10 du projet de loi prévoit également la constitution d’un réseau départemental de « structures de conseil et d’accompagnement » agréées par l’État. Ce réseau, qui offrira une gamme diversifiée de services, répondra au besoin d’accompagnements ajustés à des porteurs de projets pluriels, dans leurs profils comme dans leurs problématiques. Ce réseau de structures d’accompagnement constitue le « niveau 2 » de FSA.

Pour être en mesure d’accompagner à la fois des personnes qui ont un projet d’installation peu mature, des personnes dont le projet est déjà bien défini, des personnes en activité ou encore des personnes en fin de carrière qui cherchent à bien préparer la cession de leur exploitation, le réseau des structures d’accompagnement devra être riche de compétences diverses et d’approches plurielles.

Vos rapporteurs s’interrogent sur la dénomination de ce réseau, qui aura vocation à accompagner les porteurs de projets dans la structuration de leur démarche. L’étude d’impact évoque un rôle d’« architecte de projet » ou d’« architecte de formation », qui orientera les intéressés vers des prestataires de conseil ou de formation – une sorte de « niveau 3 » du dispositif, hors champ du service public couvert par FSA. La dénomination « structures d’accompagnement » semblerait alors plus fidèle que celle de « structures de conseil et d’accompagnement », pour décrire le niveau 2 de FSA.

Ces structures seront agréées sur la base d’un cahier des charges comportant des règles nationales et des règles propres à chaque région, à l’élaboration desquelles seront étroitement associés, respectivement, le Cnit et les Crit.

Outre l’accompagnement à la structuration des projets, il reviendra au réseau de ces structures de proposer un parcours de formation aux porteurs de projet pour lesquels un tel parcours apparaîtrait utile. Le projet de loi prévoit que ce parcours sera conçu conjointement par la structure agréée et par l’établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole désigné à cette fin, par le ministre chargé de l’agriculture, pour le département en cause.

Afin de répondre au mieux à la diversité des besoins qui pourront être exprimés en matière de formation, vos rapporteurs s’interrogent sur l’opportunité d’ouvrir à tout établissement d’enseignement et de formation professionnelle agricole la possibilité d’être désigné par le ministre pour assumer ce rôle.

D.   Un répertoire unique pour une mise en relation efficace des porteurs de projets de cession et d’installation

L’enregistrement de chaque personne accueillie par le réseau FSA dans un répertoire départemental unique partagé entre la chambre départementale d’agriculture et alimenté par l’ensemble des membres du réseau FSA et destiné à faciliter les mises en relation entre cédants et repreneurs – ainsi que le suivi des installations et transmissions – constitue un aspect fondamental du dispositif.

L’agrégation des données dans une base nationale mise à disposition de l’Observatoire national de l’installation et de la transmission (Onit) permettra de donner plus d’envergure à cette structure, prévue à l’article L. 513-1 du code rural et de la pêche maritime.

Ce support immatériel est une condition indispensable à la réussite du réseau FSA, pour son efficacité, sa fluidité, sa pluralité, son équité. Au‑delà de la base légale fournie par le présent projet de loi, sa mise en œuvre rapide suppose un investissement humain et financier important.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté l’amendement CE3573 de M. Pascal Lecamp, qui proposait une réécriture globale des alinéas 2 à 15 de l’article 10.

La nouvelle rédaction présente de manière plus claire le réseau FSA et ses missions. Ce réseau est notamment constitué du point d’accueil départemental unique pour la transmission des exploitations et l’installation des agriculteurs, des structures de conseil et d’accompagnement agréées et des établissements locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricole. Toute personne qui souhaite s’engager dans une activité agricole, qui exerce une activité agricole, ou qui projette de cesser son activité agricole, bénéficie d’un accueil et d’un accompagnement par ce réseau.

Cette rédaction insiste également sur la nécessité, pour le guichet unique comme pour les structures de conseil et d’accompagnement, de respecter le pluralisme et la transparence dans l’orientation des porteurs de projets. À cet égard, un sous-amendement CE3654 de M. David Taupiac a été adopté pour préciser que le point d’accueil départemental unique veille notamment à une « présentation exhaustive » de l’offre de conseil et d’accompagnement.

La commission a également adopté un amendement CE2208 de Mme Aurélie Trouvé, précisant, à l’alinéa 16, que le conditionnement de certaines aides publiques au fait d’avoir eu recours au dispositif de conseil et d’accompagnement ne peut créer d’obligations administratives supplémentaires pour les bénéficiaires.

S’agissant des missions des chambres départementales d’agriculture et, plus spécifiquement, de la mise en place du point d’accueil départemental unique, la commission a adopté l’amendement CE3229 de M. Jean-François Rousset, qui prévoit que la chambre peut déléguer cette mission à une structure de son choix.

Un amendement des rapporteurs qui prévoit de décaler d’un an l’entrée en vigueur de l’article 10 – au 1er janvier 2026 – a également été adopté (CE3397).

 

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Article 10 bis (nouveau)
Contrat d’associé à l’essai dans une société

Article créé par la commission

 

Le nouvel article 10 bis crée un statut d’associé à l’essai sur une base conventionnelle.

 

La commission a adopté l’amendement CE309 de M. Dominique Potier, créant un statut d’associé à l’essai sur une base conventionnelle et permettant à une personne physique de participer à la direction, aux travaux et aux bénéfices d’une exploitation agricole pour une durée limitée, afin d’expérimenter un travail en commun au sein de cette exploitation.

A.   Une convention écrite entre une personne physique et une société dans laquelle se réalise le test

Le dispositif de « droit à l’essai » proposé dans l’article 10 bis repose sur une convention entre une personne physique et une société à objet principalement agricole. Cette convention peut également être conclue entre un exploitant agricole exerçant à titre individuel et une telle société, afin que ledit exploitant puisse tester l’exploitation en commun dans un cadre sociétaire.

Le texte prévoit que l’essai peut être réalisé sous le régime de l’entraide prévu à l’article L. 325-1 du code rural et de la pêche maritime.

Cette convention comporte « les conditions de réalisation de l’essai et détermine les conditions d’exercice de l’activité au sein de l’exploitation agricole, et notamment la participation au travail en commun ainsi qu’aux décisions relatives à la direction collective de l’exploitation ».

Elle est conclue pour une période d’un an renouvelable une fois, sous le contrôle de l’autorité administrative.

L’enjeu est de distinguer ce contrat d’association à l’essai d’un contrat de constitution d’une société ou d’un contrat de travail, afin d’en assurer la réversibilité.

B.   Un accompagnement par un tiers

Le réseau France Services agriculture sera chargé de proposer un accompagnement spécifique pour formaliser la convention d’association à l’essai.

 

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Article 11
Privilèges d’un groupement d’employeurs en cas de défaillance d’un utilisateur de ce groupement

Adopté par la commission sans modification

L’article 11 prévoit que les groupements d’employeurs bénéficient, pour leurs prestations facturées à un membre du groupement exerçant une activité agricole, des mêmes privilèges que ceux qui s’attachent aux créances des salariés et des organismes de sécurité sociale, en cas de défaillance de l’entreprise utilisatrice concernée.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

Les groupements d’employeurs, définis à l’article L. 1253-1 du code du travail, sont des associations ou des sociétés coopératives constituées par des entreprises membres entrant dans le champ d’application d’une même convention collective, pour être l’employeur unique de salariés en vue de leur mise à disposition des entreprises membres. Ces groupements ont toujours un but non lucratif.

Leur régime juridique est prévu par le chapitre III du titre V du livre II de la première partie du code du travail.

La mise à disposition de salariés du groupement d’employeurs au bénéfice des utilisateurs rend ces derniers responsables des conditions d’exécution du travail (article L. 1253-12 du code du travail).

L’intérêt du groupement d’employeurs, notamment pour les exploitants agricoles, réside dans le fait que les utilisateurs bénéficient d’une certaine souplesse pour l’affectation de la force de travail de ce groupement, tout en fidélisant une main-d’œuvre de plus en plus rare. Ces groupements permettent également de faciliter et sécuriser la gestion des ressources humaines pour les exploitants.

Dans une étude publiée en 2021, le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a ainsi pu relever que « la création des groupements d’employeurs a accompagné le développement de l’emploi salarié agricole parallèlement à la diminution du nombre d’actifs familiaux, en complément de l’emploi direct par les exploitations. » ([77]).

Les chiffres montrent bien l’intérêt de cette forme de portage salarial, puisqu’on dénombrait 3 750 groupements d’employeurs dans la production agricole en 2021, soit 80 % du total des groupements d’employeurs.

Pour les salariés, le groupement d’employeurs présente aussi de nombreuses vertus. Il donne accès à un emploi stable et à la formation et il permet une expérience diversifiée des métiers agricoles, le cas échéant dans une perspective d’installation. En 2021, les groupements d’employeurs actifs dans la production agricole employaient 30 219 équivalents temps plein (ETP), soit 11 % des ETP salariés de la production agricole (+ 7 % par rapport à 2010) ([78]).

L’étude d’impact annexée au présent projet de loi souligne que 20 % des heures de travail réalisées par les salariés des groupements d’employeurs agricoles le sont par des groupements d’employeurs de moins de 11 salariés. Parmi ces groupements, on compte 350 services de remplacement, représentant environ 3 000 ETP ([79]), et 112 coopératives d’utilisation de matériel agricole (Cuma), correspondant à 2 210 ETP.

Les petits groupements d’employeurs sont des structures fragiles, notamment en cas de défaillance de l’un de leurs membres.

En particulier, le groupement d’employeurs, qui est un prestataire de services vis-à-vis de ses membres utilisateurs, est créancier chirographaire de ces derniers. Dès lors que les salariés du groupement ne sont pas salariés du membre utilisateur, les privilèges légaux dont ils bénéficient pour les créances qu’ils détiennent sur leur employeur ne trouvent pas à s’appliquer en cas de défaillance du membre utilisateur auprès duquel ils sont mis à disposition : ces privilèges ne trouveraient à s’appliquer, le cas échéant, que vis-à-vis du groupement d’employeurs défaillant.

II.   le dispositif proposé

L’article 11 du projet de loi permet aux créances du groupement d’employeurs, pour les prestations de mise à disposition de ses salariés qu’il facture à ses membres utilisateurs, de bénéficier des mêmes privilèges que ceux attachés aux créances des salariés et des organismes de sécurité sociale, en cas de défaillance de l’utilisateur membre du groupement.

Cette disposition, insérée dans le titre du code rural et de la pêche maritime relatif aux exploitations agricoles en difficulté, n’a vocation à s’appliquer qu’aux groupements d’employeurs formés entre exploitants agricoles.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté l’article 11 sans modification.

 

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Article 12
Création de groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI)

Supprimé par la commission

 

L’article 12 fixe les conditions dans lesquelles peuvent être créés des groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI) et le régime juridique applicable à ces groupements.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

A.   Favoriser l’installation suppose que les porteurs de projet aient accès au foncier agricole

Le défi du renouvellement des générations imposera d’augmenter le nombre de nouvelles installations à très court terme (cf. article 8 supra).

La transmission des exploitations agricoles doit se faire dans des conditions qui permettront aux nouveaux installés d’investir et de développer des pratiques qui seront à même de porter la transition de notre agriculture pour s’adapter au changement climatique.

Or le coût d’acquisition du foncier agricole augmente fortement le coût d’une reprise d’exploitation et peut freiner les potentiels repreneurs dans leur démarche d’installation.

Le modèle d’exploitation familiale n’implique pas que l’exploitant soit propriétaire du foncier qu’il exploite. Le statut du fermage lui offre la maîtrise nécessaire de ce moyen de production. Ainsi, 70 % à 80 % de la surface agricole utile (SAU) française est d’ores et déjà en fermage ([80]), sachant qu’une partie de ces baux sont conclus dans un cadre familial.

Dans ce contexte, l’accès au foncier des futurs exploitants, en particulier ceux non issus du milieu agricole, doit être favorisé par tous les moyens possibles. Les instruments de portage du foncier participent donc à la facilitation de l’installation de ces nouveaux exploitants.

Lors du dernier salon international de l’agriculture, le lancement d’un fonds intitulé « Elan » a été annoncé. Ce fonds de portage destiné à faciliter l’installation d’agriculteurs sera financé par le Crédit agricole, le Crédit mutuel, France active et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Les terres acquises par le fonds de portage seront louées à des agriculteurs souhaitant s’installer, qui pourront racheter le foncier à partir de la dixième année du bail.

B.   Le groupement foncier agricole : une société de portage du foncier agricole

Le groupement foncier agricole (GFA) a été créé par la loi n° 70-1299 du 31 décembre 1970 relative aux groupements fonciers agricoles.

L’étude d’impact annexée au présent projet de loi précise que la constitution d’un GFA « peut être utilisée dans plusieurs cas, tels que le maintien sur son exploitation d’un fermier dont la ferme est mise en vente et qui n’est pas en mesure de financer seul l’acquisition, ou l’installation d’un agriculteur sur une exploitation agricole ». Près de trente mille GFA sont aujourd’hui recensés.

L’article L. 322-6 du code rural et de la pêche maritime en définit l’objet, qui est de créer ou conserver une ou plusieurs exploitations agricoles et d’en faciliter la gestion, notamment en les donnant en location. Il s’agit donc d’une forme de portage de long terme du foncier agricole, qui permet de dissocier la détention du foncier de la gestion de l’exploitation.

Les articles L. 322-1 à L. 322-3 du même code dressent la liste des personnes qui peuvent être membres d’un GFA. Le groupement prend, en principe, la forme d’une association entre personnes physiques, mais par exception, les Safer peuvent y être associées à titre transitoire ; des sociétés civiles autorisées à procéder à une offre au public de titres financiers agréées à cette fin, les entreprises d’assurances et de capitalisation, les coopératives agricoles et les sociétés d’intérêt collectif agricole peuvent en être membres.

L’article L. 322-4 instaure un droit de préférence pour l’acquisition des parts d’un GFA qui seraient mises en vente, au bénéfice des membres du groupement autres que les personnes morales. L’article L. 322-5 prévoit, pour sa part, que les statuts peuvent exiger l’acquisition des parts détenues par des personnes morales, après l’expiration d’un délai ne pouvant excéder vingt ans, avec une priorité pour les associés participant à l’exploitation des biens du groupement.

L’article L. 322-7 prévoit que la superficie totale des exploitations appartenant à un même groupement foncier agricole peut être limitée par décret.

Les articles L. 322-8 et L. 322-9 régissent la constitution des apports du GFA et le sort des baux à l’expiration du temps pour lequel le GFA a été constitué.

L’article L. 322-10 prévoit le principe selon lequel les droits de vote attachés aux parts sont proportionnels à la quotité de capital qu’elles représentent. En application de l’article L. 322-13, les apports en numéraire doivent faire l’objet d’investissements à destination agricole au profit du groupement dans le délai d’un an.

Les articles à L. 322-14 à L. 322-18 concernent le régime fiscal applicable au GFA, en reproduisant les dispositions du code général des impôts applicables aux droits d’enregistrement des apports, aux droits d’enregistrement au titre du partage des actifs du groupement, aux conditions de l’exonération des parts du groupement des droits de mutation à titre gratuit et au régime spécial en cas de cession des droits sociaux du groupement.

L’article L. 322-21 tire les conséquences du caractère d’ordre public du statut des baux ruraux et des dispositions concernant le contrôle des structures en prévoyant que les dispositions relatives au GFA ne doivent pas permettre d’y déroger.

La mise à la disposition des exploitants des biens du GFA s’effectue dans le cadre du statut du fermage, défini aux articles L. 411-1 à L. 418-5 du code rural et de la pêche maritime. Les loyers et les modalités de leur révision sont donc encadrés, une durée minimale du bail de neuf ans et des règles précises de reconduction et de transmission s’appliquent.

C.   Le groupement forestier d’investissement : une inspiration pour collecter des fonds au service du portage du foncier

Les groupements forestiers d’investissements (GFI) ont été créés par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

En application de l’article L. 331-4-1 du code forestier, les groupements forestiers peuvent lever des capitaux auprès d’investisseurs en vue de les investir, dans l’intérêt de ces derniers, dans le respect des dispositions relatives aux gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs prévues par le code monétaire et financier, qui transpose la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011.

Selon l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, la capitalisation totale des groupements forestiers ouverts à l’épargne représentait au moins 650 M€ en 2022. Plus de 90 % des capitaux des groupements forestiers collectés chaque année le seraient par des GFI. Ces données montrent l’efficacité de cet outil pour augmenter le capital susceptible d’être mobilisé pour le portage du foncier.

II.   Le dispositif proposé

L’article 12 du présent projet de loi porte une intention claire, celle de créer une structure dont le régime juridique serait proche de celui des GFA, mais qui serait habilitée à lever des capitaux auprès d’investisseurs dans le cadre d’un appel public à l’épargne, en vue d’acquérir et de détenir des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole, pour les mettre à disposition d’exploitants agricoles dans le cadre de baux à long terme.

Le groupement foncier agricole d’investissement (GFAI) est donc un outil nouveau, qui n’a pas vocation à se substituer à d’autres instruments de portage du foncier comme le GFA.

Cet article rend applicable aux GFAI certaines dispositions qui régissent les GFA et qui ont été présentées ci-dessus : les articles L. 322‑1, L. 322‑2, L. 322‑6 à L. 322‑9, le premier alinéa de l’article L. 322‑10, les articles L. 322‑13 à L. 322‑18 et l’article L. 322‑21 du code rural et de la pêche maritime.

Il faut notamment en retenir que les baux à long terme que le GFAI devra conclure avec les exploitants agricoles seront encadrés comme tous les autres baux soumis au statut du fermage et que les dispositions concernant le contrôle des structures s’appliqueront.

Le régime applicable aux GFA est adapté et complété pour que les GFAI puissent lever des capitaux auprès du public dans les conditions prévues par le code monétaire et financier. Les GFA sont en effet aujourd’hui limités dans leur capacité à lever des fonds auprès des particuliers, faute de pouvoir procéder à une offre au public de leurs parts sociales. Les parts des GFA sont peu liquides, ce qui rebute maints investisseurs potentiels. Enfin, les associés du GFA ont une responsabilité illimitée et proportionnelle au nombre de parts détenues en cas de pertes du GFA.

Il est donc prévu que les GFAI, sur le modèle des groupements forestiers d’investissement prévus à l’article L. 331-1-1 du code forestier, soient des fonds d’investissement alternatif dits « FIA » au sens de l’article L. 214-24 du code monétaire et financier et de la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs.

Les parts du GFAI pourront alors être commercialisées auprès du public et les porteurs de parts ne seront tenus des dettes de la copropriété qu’à concurrence de l’actif du fonds et proportionnellement à leur quote-part.

Enfin, l’attractivité du GFAI reposera également sur son régime fiscal, lui aussi repris de celui applicable au GFA dès lors que les articles L. 322-14 à L. 322‑18 du code rural et de la pêche maritime lui sont rendus applicables. Ce régime implique notamment une exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit en application des articles 793 et 793 bis du code général des impôts, une exonération partielle de l’impôt sur la fortune immobilière en application de l’article 976 du même code ou encore un droit fixe pour les cessions à titre onéreux de parts du groupement en application de l’article 730 bis du même code.

L’objectif affiché par l’étude d’impact serait de lever environ 100 millions d’euros de capitaux par an, au regard d’une profondeur de marché qui devrait être comparable à celle observée pour les GFI.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté les amendements de suppression CE450 de M. Dominique Potier, CE1286 de M. Francis Dubois, CE1784 de Mme Lisa Belluco, CE2005 de Mme Hélène Laporte, CE2046 de M. David Taupiac, CE2402 de Mme Mathilde Hignet et CE3285 de Mme Marie Pochon.

 

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Article 12 bis (nouveau)
Activité commerciale accessoire des groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) et des sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA)

Article créé par la commission

 

Le nouvel article 12 bis prévoit la possibilité, pour les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) et les sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA), d’exercer des activités commerciales accessoires.

 

La commission a adopté les amendements identiques CE363 de M. Julien Dive, CE447 de Mme Véronique Louwagie, CE949 de M. Francis Dubois, CE1516 de M. Dominique Potier, CE1522 de M. Jean-Pierre Vigier, CE1566 de M. Charles de Courson et CE3350 de Mme Anne-Cécile Violland.

Cet article additionnel prévoit la possibilité, pour les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec) et les sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA), d’exercer des activités commerciales accessoires à hauteur de 10 000 euros et dans la limite de 50 % de leur chiffre d’affaires.

L’objectif poursuivi est de permettre aux Gaec et aux SCEA d’avoir une activité commerciale accessoire à leur activité agricole, dans le respect de seuils et sans que cela remette en cause leur statut et les conséquences qui y sont attachées – notamment, en termes de traitement fiscal et de transparence du Gaec pour la perception des aides de la PAC. Il faut ici rappeler que ce principe de transparence permet à chaque associé d’un groupement d’agriculteurs, lorsqu’il assure l’activité agricole sur l’exploitation et qu’il contribue au renforcement de la structure, de faire bénéficier sa société des aides de la PAC auxquelles il aurait été en droit de prétendre en tant qu’agriculteur à titre individuel. Les conditions de reconnaissance de ce principe de transparence sont toutefois prévues par les textes européens sur la PAC.

 

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Article 12 ter (nouveau)
Rapport sur les besoins en fonds propres des coopératives agricoles

Article créé par la commission

 

Le nouvel article 12 ter demande au Gouvernement de remettre un rapport sur les besoins en fonds propres des coopératives agricoles.

 

La commission a adopté l’amendement CE2921 de M. Julien Dive, prévoyant que le Gouvernement remette au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport portant sur les besoins en fonds propres des coopératives agricoles.

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titre iv
SÉCURISER, SIMPLIFIER ET LIBÉRER L’EXERCICE DES ACTIVITÉS AGRICOLES

Article 13
Habilitation à prendre par ordonnance toute mesure permettant d’adapter la répression de certaines atteintes à la conservation des espèces et des habitats

Article adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance, en application de l’article 38 de la Constitution, pour adapter l’échelle des sanctions réprimant les dommages causés à l’environnement et, éventuellement, pour en modifier la nature en substituant à des sanctions pénales des sanctions administratives.

 

  1.   l’État du droit : une PÉNALISATION EXCESSIVE des atteintes portÉes À l’environnement

A.   un arsenal juridique À la finalitÉ punitive assumÉe

  La protection des milieux naturels ainsi que des espèces animales et végétales est ancienne… Ainsi, la première loi portant sur ce sujet daterait du VIIème siècle : on la devrait à Cuthbert de Lindisfarne, un évêque anglo-saxon. Dès 676, celui-ci aurait instauré des lois pour protéger les oiseaux qui venaient nicher sur l’îlot d’Inner Farne, ce qui a valu aux canards locaux, les eiders à duvet, d’être renommés des « Cuddy ducks », en d’autres termes les « canards de Cuthbert ». La charge d’évêque, à Hexham, que l’intéressé obtint en 685, acheva de lui conférer un pouvoir administratif et judiciaire, entérinant en droit sa décision de protéger les volatiles de l’île.

  Depuis cette époque, les textes protégeant les milieux naturels ainsi que les espèces, tant animales que végétales d’ailleurs, se sont évidemment multipliés.

  En France, le code rural et de la pêche maritime ainsi que le code de l’environnement (créé, pour ce dernier, par l’ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de l’environnement) ont eu à cœur de proclamer ces grands principes protecteurs du milieu naturel. Ainsi, l’article L. 110-1 du code de l’environnement a très vite consacré le principe suivant lequel « Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation. Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».

  Dans la logique des principes ainsi énoncés, les articles L. 411-1 et suivants du même code, issus de deux textes communautaires fondamentaux dans le domaine de la protection de l’environnement ([81]), se sont, pour leur part, attachés à interdire un certain nombre d’actes (destruction de nids, enlèvement d’œufs, destruction d’animaux ou de végétaux, dégradation d’habitats naturels, dégradation de sites géologiques…) lorsqu’un intérêt scientifique ou la nécessité de préserver le patrimoine naturel notamment justifient la sauvegarde de ces espèces animales ou végétales, de ces sites géologiques ou de ces habitats naturels. Fort logiquement ensuite au regard de la volonté d’assurer l’effectivité de ces règles, le chapitre V du même titre du code de l’environnement a instauré des dispositions pénales permettant de constater les infractions commises (articles L. 415-1 à L. 415-2-1) et de les sanctionner (articles L. 415-3 à L. 415-8). Ainsi, l’article L. 415-3 a prévu de punir de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait de porter atteinte à des espèces animales, à des espèces végétales, à la conservation d’habitats naturels ou à des sites d’intérêt géologique en méconnaissance des interdictions et prescriptions de l’article L. 411-1 du même code.

  Par ailleurs, le code de l’environnement a prévu, de manière générale, un certain nombre de dispositions permettant de contrôler divers installations, ouvrages ou travaux et de sanctionner ensuite les potentiels manquements ou infractions aux prescriptions les concernant (articles L. 170-1 à L. 174-2). Deux types de contrôles sont prévus :

  d’une part, les articles L. 171-1 à L. 171-12 instaurent des contrôles administratifs qui peuvent ensuite donner lieu à l’application de mesures et de sanctions administratives (qui, à l’issue d’une procédure contradictoire, peuvent prendre aussi bien la forme d’une suspension du fonctionnement d’un ouvrage ou d’une installation contrevenant à une réglementation existante que celle d’une obligation de payer une amende au plus égale à 45 000 euros, ces diverses décisions étant susceptibles d’un recours de plein contentieux devant le juge administratif) ;

  d’autre part, les articles L. 172-1 à L. 172-17 habilitent les officiers et agents de police judiciaire, ainsi que certains agents publics (les inspecteurs de l’environnement), à rechercher et à constater les infractions à diverses règles établies tant par le code de l’environnement que par le code pénal, celles-ci pouvant ensuite être sanctionnées pénalement aussi bien par des peines privatives de liberté que par des amendes aux montants fort divers (articles L. 173-1 à L. 173-13). À ce titre, l’article L. 173-1 du code de l’environnement punit d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait de commettre certains actes, d’exercer certaines activités ou de conduire certaines opérations sans avoir obtenu les autorisations ou agréments nécessaires ; il punit également le fait d’exploiter un ouvrage ou une installation ou, par exemple, d’exercer une activité en méconnaissance de certaines règles (refus d’autorisation, mesure de fermeture d’un ouvrage ou d’une installation, décision refusant une homologation…), mais la peine peut alors dans ce cas s’élever à deux ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

B.   unE application dont la sÉvÉritÉ ne peut qu’interroger

  Reprenant une étude très fouillée du service statistique ministériel de la justice (SDSE) datant du mois d’avril 2021 ([82]), l’étude d’impact du présent projet de loi souligne l’excessive pénalisation de la répression des atteintes à l’environnement ayant pu être constatées sur la période 2015-2019 ([83]).

  Il est ainsi démontré que les infractions en lien avec une pollution ou une détérioration des ressources naturelles ont représenté 48 % des atteintes à l’environnement constatées sur la période, soit 86 167 affaires (avec auteur identifié), qui se décomposent de la manière suivante :

   9 026 affaires liées à la protection de l’eau et de l’air ;

   8 354 affaires relatives à des infractions à la protection des espaces naturels ;

   33 502 affaires relatives à la protection de la faune et de la flore (dont 12 414 affaires relatives à la chasse) ;

   35 285 affaires relatives à la prévention des pollutions et des risques (dont 29 788 affaires portant sur des ordures et des déchets).

  Si 87,4 % des affaires impliquent uniquement des personnes physiques, le fait que 12,6 % des affaires impliquent des personnes morales doit être souligné ; en effet, ce dernier taux apparaît assez élevé, car en droit pénal, de manière globale, seules 4 % des affaires impliquent une personne morale. L’étude relève par ailleurs que parmi les auteurs pouvant être poursuivis, le taux de réponse pénale a été de 92 % ; les magistrats du parquet ont décidé, dans 62 % des cas, de recourir à une procédure alternative (article 40-1 du code de procédure pénale) prenant généralement la forme d’un rappel à la loi ou d’une régularisation, dans 15 % des cas de recourir à une composition pénale et, dans 24 % des cas, de poursuivre effectivement le contrevenant, soit en saisissant un juge d’instruction, soit en saisissant directement une juridiction de jugement. Entre 2015 et 2019, 6 187 personnes ont ainsi été jugées devant un tribunal correctionnel pour une atteinte à l’environnement (dont 3 349 personnes pour des atteintes à la faune et à la flore, 1 767 personnes ayant été pour leur part impliquées dans des affaires touchant à la prévention des pollutions et des risques). 87 % de ces personnes ont été effectivement condamnées et 12 % ont bénéficié d’une relaxe. Quant aux peines prononcées, elles ont principalement pris la forme d’amendes ([84]) (73,6 % des verdicts, dont 65,4 % portant sur des amendes sans sursis), les peines de prison ayant tout de même touché 17,5 % des prévenus (34 % des personnes concernées ayant été condamnées à de la prison ferme pour tout ou partie de la peine prononcée).

  S’il est indéniablement opportun de sanctionner les personnes (physiques et morales) qui commettent des infractions portant atteinte à l’environnement, il convient que cela se fasse avec prudence ([85]). Outre que certaines peines peuvent sembler disproportionnées au regard des dommages causés (même si, comme toutes les peines, celles-ci sont des maximums et non pas des peines appliquées sans discernement par le juge), le fait d’infliger une sanction pénale peut être durement ressenti par les personnes concernées, alors même qu’elles ont le sentiment de ne rien avoir à se reprocher. Comme le signale, là encore, l’étude d’impact, c’est par exemple le cas lorsqu’un agriculteur effectue un débroussaillement en application des articles L. 131-10 et suivants du code forestier ([86]) (le conduisant donc à réaliser une « obligation légale de débroussaillement » ou OLD), mais que cette opération détruit dans le même temps un habitat dans lequel vit une espèce d’oiseau par ailleurs protégée. Certains textes ([87]) ont certes essayé de combiner ces injonctions contradictoires – le représentant de l’État dans le département pouvant par exemple prescrire, en application de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, des « mesures d’évitement et de réduction d’impact sur les espèces protégées et leurs habitats ». Toutefois, outre qu’ils mettent en évidence l’existence malheureuse de normes contradictoires, ces textes témoignent plus globalement de l’insécurité juridique à laquelle les agriculteurs, en particulier, peuvent se trouver confrontés.

II.   le dispositif proposÉ

  Au regard des risques contentieux existants, le présent article 13 vise, pour reprendre les termes de l’étude d’impact, à « sécuriser la réalisation de certaines activités humaines, notamment les travaux forestiers et agricoles courants, tout en répondant aux enjeux de protection de l’environnement, en particulier lorsque ces travaux sont exécutés conformément aux autorisations délivrées ou dans le cadre d’obligations légales ».

  L’article 13 prévoit ainsi, en premier lieu, que le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance toute mesure permettant d’adapter l’échelle des peines applicables en cas d’atteinte à l’environnement, au sens des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement, et, le cas échéant, de substituer des sanctions administratives aux sanctions pénales existantes. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une innovation – voici plus d’un siècle que le commissaire du Gouvernement Jean Romieu pouvait affirmer que « le mode d’exécution habituel et normal des actes de la puissance publique est la sanction pénale confiée à la juridiction répressive » ([88]). Pour autant, un recours plus fréquent à des sanctions administratives a l’avantage de sanctionner plus rapidement un comportement que ne le ferait le juge pénal, tout en offrant à la personne poursuivie toutes les garanties procédurales existantes (respect des droits de la défense, motivation de la décision de sanctionner, obligation pour l’autorité prononçant la sanction d’obéir au principe d’impartialité) ([89]). Le passage en revue des législations existantes permettra ainsi de vérifier l’adéquation des peines aux faits en cause afin, par exemple de ne pas sanctionner de la même manière une personne ayant commis un dommage à l’environnement par inadvertance et celle qui en serait à son quatrième ou cinquième dommage, commis qui plus est sciemment ; on évitera également de prononcer la même peine à l’égard d’un agriculteur contrevenant et d’une entreprise multinationale qui aurait rejeté des effluents de nature à causer un dommage écologique important.

  En deuxième lieu, l’article 13 prévoit que le Gouvernement pourra explorer les pistes permettant de mettre à la charge des auteurs de manquements des obligations de restauration écologique.

  Enfin, en troisième et dernier lieu, le Gouvernement aura pour tâche de « nettoyer » la législation existante afin d’abroger ou de modifier les dispositions qui seraient devenues inadaptées ou obsolètes.

  Dans ce cadre, le fait de permettre au Gouvernement d’effectuer ce travail dans le cadre d’une habilitation à légiférer par ordonnance paraît adapté à la nature de la réforme envisagée, tous les services de l’État compétents ayant évidemment vocation à être mobilisés dans le cadre de cette vaste entreprise. La disposition proposée par le Gouvernement paraît par ailleurs déterminer avec une précision suffisante la finalité des mesures que celui-ci envisage de prendre, compte tenu des exigences constitutionnelles applicables au contrôle que le Parlement doit exercer au stade de l’habilitation ([90]).

  Rappelons également que, comme habituellement dans ce cadre et comme le dispose d’ailleurs l’article 38 de la Constitution, le Parlement pourra juger du résultat obtenu et se prononcer sur les dispositions retenues par le Gouvernement, dans le cadre de l’examen du projet de loi de ratification de ou des ordonnances ainsi prises ; ces dispositions pourraient alors, si nécessaire, être amendées.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

  Outre un amendement de vos rapporteurs ayant modifié l’intitulé du Titre IV du projet de loi (amendement CE3429), la commission des affaires économiques a adopté un autre amendement CE3431 de vos rapporteurs précisant la rédaction de l’alinéa 2 de l’article 13. La rédaction initiale de l’alinéa 2 faisait référence au fait que, dans le cadre de l’habilitation visée à l’article 13 du projet de loi, le Gouvernement devait réexaminer la nécessité des peines appliquées ; en réalité, il s’agit moins d’examiner les peines proprement dites que la raison d’être des incriminations existantes, lesquelles peuvent ensuite conduire à appliquer ces peines, une peine devant en toute hypothèse être infligée en cas d’infraction constatée (sauf si le juge ou l’autorité compétente pour le faire en décide autrement).

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Article 13 bis (nouveau)
Présomption de bonne foi des agriculteurs en cas de contrôle de leur exploitation

Article créé par la commission

 

Le nouvel article 13 bis introduit dans le code des relations entre le public et l’administration une disposition suivant laquelle la bonne foi de l’agriculteur est présumée en cas de contrôle effectué sur son exploitation ou son activité.

 

De vifs débats ont eu lieu en commission des affaires économiques sur la possible instauration d’un droit à l’erreur au bénéfice des agriculteurs.

On sait que ce droit à l’erreur a été instauré dans notre corpus législatif par l’article 2 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite « loi ESSOC »), au bénéfice des usagers de l’administration (cette disposition étant d’ailleurs désormais codifiée à l’article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration). S’il peut arriver que certains dommages soient causés à l’environnement, notamment par des exploitants agricoles, tout le monde s’accorde sur le fait qu’il convient de différencier les dommages causés sciemment, par négligence coupable ou réitérés, de ceux qui n’auraient été commis que par inadvertance, voire en application d’une législation existante mais, le cas échéant, mal interprétée par l’intéressé (on peut penser par exemple aux obligations légales de débroussaillement). De fait, plusieurs initiatives sont nées au sein de la commission pour étudier la possibilité d’introduire dans le code rural et de la pêche maritime (ou dans tout autre code qui serait plus adapté) un droit à l’erreur qui permettrait ainsi au contrevenant de ne pas être sanctionné, sauf à ce que sa mauvaise foi ou une fraude n’ait été prouvée.

À cet égard, Mme Anne-Laure Blin, co-auteur avec M. Eric Martineau en octobre 2023 d’une communication portant sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles[91], a déposé avec plusieurs de ses collègues un amendement CE83 proposant de compléter le chapitre III du titre II du livre Ier du code des relations entre le public et l’administration par un nouvel article L. 123‑3 prévoyant, en premier lieu, que la bonne foi de l’exploitant est présumée en cas de contrôle opéré dans une exploitation agricole, en deuxième lieu, que si un manquement venait à être constaté pour la première fois, l’exploitant pourrait régulariser sa situation de sa propre initiative ou après avoir été invité à le faire par l’administration sans pour autant être sanctionné et, en troisième et dernier lieu, que l’exploitant ne pourrait encourir aucune sanction si le manquement repose a priori sur une contradiction entre normes également applicables.

La généralité de certaines dispositions de l’amendement a conduit le Gouvernement, après une suspension de séance n’ayant pas permis de trouver aussitôt une rédaction juridiquement satisfaisante, à déposer un sous-amendement CE3699 supprimant les deux derniers alinéas de l’amendement et conduisant à ne garder que la présomption de bonne foi de l’agriculteur en cas de contrôle effectué sur son exploitation.

Même si l’on peut, comme cela a été évoqué en commission, se demander si la règle ainsi établie au profit des professionnels du seul secteur agricole respecte parfaitement le principe d’égalité par rapport à ceux d’autres secteurs économiques faisant l’objet de contrôles administratifs, le dispositif ne semble pas pour autant présenter une inconstitutionnalité manifeste. En effet, les agriculteurs sont placés dans une situation particulière au regard du nombre et de la complexité des règles auxquelles ils sont soumis, le plus souvent sans disposer de moyens comparables à ceux d’entreprises du secteur industriel, et cette différence de situation pourrait justifier une différence de traitement par rapport à d’autres administrés s’agissant de la mise en œuvre de ces contrôles. Par ailleurs, sur le modèle de ce qu’a prévu la loi ESSOC [92] (désormais codifiée à l’article L. 123-1 du code des relations entre le public et l’administration), la logique permettant à l’administration de ne pas sanctionner une personne qui aurait commis une erreur de bonne foi ne se heurte à aucune règle juridique, la présomption de bonne foi pouvant être renversée si l’administration démontre la mauvaise foi ou la fraude commise par la personne contrôlée.

Le dispositif de ce nouvel article demandera sans doute à être affiné au cours de la navette parlementaire, notamment si l’on souhaite préciser qu’une infraction commise en application d’une règle juridique existante ne peut donner lieu à sanction, mais le principe acquis à l’issue des travaux de la commission va à l’évidence dans le bon sens.

 

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Article 13 ter (nouveau)
Rapport sur une généralisation de l’identification électronique et la dématérialisation de la base de données nationale d’identification animale

Article créé par la commission

 

Le nouvel article 13 ter demande au Gouvernement le dépôt d’un rapport évaluant la possible mise en place de la généralisation de l’identification électronique ainsi que de la dématérialisation de la base de données nationale d’identification animale (BDNI).

 

À l’ère du digital, et alors que la simplification et la rationalisation des tâches administratives et sanitaires ont constitué l’une des principales revendications des éleveurs lors des manifestations du début d’année, le présent amendement CE3433 vise à évaluer la pertinence et l’impact sur la filière bovine de la généralisation de l’identification électronique et la dématérialisation de la base de données nationale d’identification animale (BDNI).

Dans un contexte sociétal où les attentes sont de plus en plus fortes sur les sujets de bien-être animal, de transparence et de traçabilité des produits d’origine animale, l’identification électronique permet de répondre à ces enjeux, tout en simplifiant la gestion quotidienne des exploitations, comme le prouve son déploiement obligatoire dans les élevages des filières ovines et caprines depuis 2010. Parallèlement, la dématérialisation de cette base de données permettrait d’assurer aux éleveurs et aux services vétérinaires un accès constant à une information fiable et actualisée, ce qui simplifierait la gestion des troupeaux, améliorerait l’efficacité des contrôles sanitaires et renforcerait la confiance des consommateurs sur la provenance des produits issus de la filière bovine.

C’est dans cette optique que vos rapporteurs ont déposé cet amendement demandant la remise d’un rapport sur ce sujet, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi.

 

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Article 14
Simplification du régime de protection des haies

Article adopté par la commission avec modifications

Le présent article vise à établir un régime juridique simplifié pour la protection des haies, en soumettant notamment tout projet de destruction d’une haie à une déclaration unique préalable, toute mesure de destruction étant par ailleurs soumise à une mesure de compensation par replantation d’un linéaire au moins égal à celui précédemment détruit.

 

  1.   l’État du droit : un rÉgime d’une Étonnante complexitÉ

  Lors des mouvements de colère des agriculteurs qui se sont fait jour au mois de janvier 2024, l’un des points de crispation, au sein des revendications portant sur la complexité des réglementations applicables, a concerné les haies.

  D’aucun se seront sans doute étonnés de voir cette réglementation, peu connue et n’ayant guère donné lieu à des grandes batailles juridiques, érigée en symbole de la « folie réglementaire » s’imposant au monde agricole et, pourtant, il est vrai que le régime des haies s’avère d’une incroyable complexité.

A.   la haie : une notion aux dÉfinitions multiples et aux finalitÉs diverses

1.   Une définition qui reste à construire

  Paradoxalement peut-être, la première complexité relative à la gestion des haies tient à sa définition.

  Si tout un chacun voit à peu près ce dont il s’agit, il est étonnant que ni le code rural et de la pêche maritime, ni le code de l’environnement ne définissent à l’heure actuelle ce que l’on doit entendre par le mot « haie ».

  Au niveau communautaire, il faut se référer aux bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) qui, dans le cadre de la politique agricole commune, constituent l’un des principaux critères de conditionnalité des aides financières européennes allouées à l’agriculture, pour trouver une définition de la haie. La nouvelle BCAE 8 ([93]), intitulée « Part minimale de la superficie agricole consacrée à des zones ou des éléments non productifs – Maintien des éléments topographiques du paysage – Interdiction de couper les haies et les arbres pendant la saison de nidification », estime ainsi que la haie doit s’entendre comme toute « unité linéaire de végétation ligneuse, d’une largeur inférieure ou égale à vingt mètres, implantée à plat, sur talus ou sur creux, avec :

   une présence d’arbustes et, le cas échéant, une présence d’arbres et/ou d’autres ligneux (ronces, genêts, ajoncs…),

   ou une présence d’arbres et d’autres ligneux (ronces, genêts, ajoncs…) ».

  Au plan national, certains textes ont également tenté une définition à l’image d’un arrêté du 24 avril 2015 ([94]), dont l’article 4 définit la haie en son I comme étant « une unité linéaire de végétation ligneuse, implantée à plat, sur talus ou sur creux, avec une présence d’arbustes, et, le cas échéant, une présence d’arbres et/ou d’autres ligneux (ronces, genêts, ajoncs…) ou avec une présence d’arbres et d’autres ligneux (ronces, genêts, ajoncs…). Une discontinuité ([95]) de 5 mètres ou moins dans une haie ne remet pas en cause sa présence sur le linéaire considéré. Une discontinuité de plus de 5 mètres n’est pas considérée comme une partie du linéaire de la haie ».

  Par ailleurs, certaines règles d’entretien et de taille des haies étant du ressort des préfets en application notamment du code de l’environnement, une difficulté nouvelle vient de ce que les préfectures n’ont pas forcément adopté la même définition de la haie. Ainsi, selon les sites internet de telle ou telle préfecture, la haie pourra désigner « un alignement végétal composé d’arbustes, d’arbres et/ou d’autres formations végétales, de largeur et de hauteur variables », un « ensemble linéaire, aux formes variées, d’essences végétales ligneuses se développant sur une strate herbacée », « un groupe d’arbustes et d’arbres, de longueur et de hauteur variables, de largeur faible (souvent inférieure à 10 mètres) enclavé dans des prairies, champs, cultures ou habitations, qu’elle peut délimiter » ou un « alignement végétal de largeur et de hauteur variables (…) composé d’arbustes, d’arbres et/ou d’autres espèces végétales », certains arrêtés préfectoraux pouvant également définir la haie comme « une structure végétale linéaire associant arbres, arbustes et arbrisseaux, inférieure à 10 mètres de largeur, qui pousse librement, ou est entretenue et qui constitue un habitat nécessaire à l’alimentation et à la reproduction des espèces [mentionnées dans l’arrêté] ou est susceptible d’accueillir de telles espèces » ([96]).

  On le constate aisément, et d’autres documents émanant tant de services de l’État ([97]) que des chambres d’agriculture, d’associations de protection des oiseaux ou même de fédérations de chasse le corroborent, chacun y va de sa propre définition, avec des différences aussi réelles que subtiles, ce qui rend logiquement l’application de la réglementation d’autant plus malaisée.

2.   La haie, un élément du milieu agricole aux enjeux multiples

  La seconde grande source de complexité relative à la gestion des haies vient de la fonction que doit remplir la haie ; là encore, tout le monde n’est pas d’accord et ces débats sont anciens.

  Dans la monumentale Histoire de la France rurale qu’il a dirigée, le grand médiéviste Georges Duby (1919-1996) écrivait par exemple au sujet des premiers villages agricoles danubiens (on est alors au cinquième millénaire avant Jésus-Christ) : « Selon toute probabilité, les champs et les pâtures étaient déjà bien délimités, et entourés de haies dont l’implantation et la croissance sont l’œuvre des premiers paysans. Le rôle protecteur de celles-ci est évident : écran garantissant les céréales contre les atteintes du vent, protection des cultures et des troupeaux contre certains animaux indésirables, obstacle à la divagation du bétail. En outre, ces haies ont pu donner abri à de nombreuses plantes ou arbustes dont les baies comestibles pouvaient être consommées, peut-être même déjà à des pommiers » ([98]). La dimension protectrice de la haie est alors prégnante.

  Au-delà de cette fonction première, il est acquis depuis des décennies au moins que la haie revêt de multiples fonctions. Élément patrimonial dans certaines régions (on pense au bocage vendéen ou à celui de la Somme), la haie est un élément fondamental pour limiter l’érosion des sols grâce à un système racinaire important qui coupe le mouvement du vent et favorise une bonne infiltration des eaux de pluie, surtout si la haie est implantée perpendiculairement à la pente ou au talus. La haie revêt également une grande importance pour la biodiversité, fournissant nourriture (baies, fruits et fleurs par exemple) et gîte pour de nombreuses espèces d’oiseaux (verdier, linotte, tourterelle notamment) et autres animaux (insectes, rongeurs ou reptiles). Les haies jouent un rôle évident dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique en étant d’excellents capteurs de dioxyde de carbone, comme tous les végétaux, et en favorisant une bonne régulation des températures aux abords des habitations – ce bienfait étant ressenti de plus en plus fréquemment à la faveur des épisodes caniculaires que connaît désormais régulièrement notre pays. Enfin, les haies peuvent être une source non négligeable de revenus, en produisant de la biomasse, du paillage ou du bois de chauffage, sans compter la possibilité d’y récolter certaines baies (on peut penser aux mûres notamment), avant ensuite de les commercialiser.

B.   la haie : une rÉglementation protÉiforme et inÉvitablement contradictoire

  La complexité réglementaire applicable et dénoncée par les mouvements agricoles aux mois de janvier et février derniers n’est rien d’autre que la conséquence de l’utilité multiple des haies. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut relever les dispositions suivantes :

  – le code de l’environnement comporte plusieurs dispositions permettant de protéger et de réguler l’usage qui est fait des haies, qu’il s’agisse par exemple de l’article R. 411-17 (qui permet au préfet d’interdire « la destruction des talus ou des haies » si celle-ci est de nature à porter atteinte à l’équilibre biologique ou à la fonctionnalité des milieux), de l’article R. 414-27 relatif aux listes locales Natura 2000 ou de l’article R. 422-91 (qui permet à l’arrêté instituant une réserve de chasse d’interdire ou de réglementer la destruction des talus ou des haies afin de favoriser la protection et le repeuplement du gibier par le maintien de l’équilibre biologique du territoire mis en réserve) ;

  – les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine protègent les immeubles (ce que sont des haies) ou ensembles d’immeubles « qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur ». Spécifiquement protégées au titre de la protection des « abords » d’un monument historique, les haies ainsi considérées ne peuvent être coupées, arrachées ou déplacées qu’après autorisation préalable de l’autorité administrative compétente, qui sera bien souvent l’architecte des Bâtiments de France (article L. 621-32) ;

  – le code rural et de la pêche maritime permet au préfet, au titre de la protection accordée aux formations linéaires boisées, de prononcer « la protection de boisements linéaires, haies et plantations d’alignement, existants ou à créer » soit lorsque les emprises foncières correspondantes ont été identifiées en application du 6° de l’article L. 123-8 (relatif aux travaux pouvant être ordonnés par la commission communale d’aménagement foncier), soit lorsque le propriétaire en fait la demande (article L. 126-3) ; d’autres articles du code permettent également au preneur d’un bien rural, sous conditions, de faire disparaître, dans les limites du fonds loué, « les talus, haies, rigoles et arbres qui les séparent ou les morcellent, lorsque ces opérations ont pour conséquence d’améliorer les conditions de l’exploitation » (article L. 411-28) sachant que, dans le même temps, de telles opérations peuvent être prohibées si le rôle essentiel dans l’écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de certains habitats naturels, laquelle interdit «  La destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces ; » (article L. 411-1 du code de l’environnement) ;

  – le code de la santé publique peut s’opposer à l’arrachage ou à la taille de haies si de telles opérations sont de nature à nuire au captage d’eau potable, le premier alinéa de l’article L. 1321-2 du code de la santé publique spécifiant à cet égard qu’il peut être instauré « un périmètre de protection rapprochée à l’intérieur duquel peuvent être interdits ou réglementés toutes sortes d’installations, travaux, activités, dépôts, ouvrages, aménagement ou occupation des sols de nature à nuire directement ou indirectement à la qualité des eaux » ;

  – enfin, on peut mentionner le code de l’urbanisme, dont l’article L. 1131 autorise les plans locaux d’urbanisme à « classer comme espaces boisés, les bois, forêts, parcs à conserver, à protéger ou à créer », ce classement pouvant « s’appliquer également à des arbres isolés, des haies ou réseaux de haies ou des plantations d’alignements ».

  Face à cette multiplicité de réglementations, qui plus est dispersées dans nombre de codes, il est bien difficile pour nos concitoyens et les professionnels de s’y retrouver.

  Au-delà de ces diverses prescriptions, les agriculteurs ne peuvent faire ce qu’ils veulent à l’égard des haies, pour au moins deux raisons.

  D’une part, les agriculteurs sont soumis à une conditionnalité pour bénéficier du versement d’aides de la politique agricole commune (PAC). Mis en œuvre depuis 2005, ce dispositif soumet donc le versement de certaines aides communautaires (paiements découplés, aides couplées pour des animaux ou des végétaux, ICHN, MAEC surfaciques, agroforesterie) au respect de règles de base en matière d’environnement, de bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE), de santé (santé publique, santé des animaux, santé des végétaux) et de bien-être des animaux. Les particularités topographiques et les éléments pérennes du paysage (dont font partie les haies au même titre que les bosquets ou les mares) sont des milieux semi-naturels, essentiels à la mise en œuvre d’une politique de développement durable, et qui forment ainsi des habitats, des zones de transition et des milieux de déplacement favorables à la diversité des espèces végétales et animales. Pour ces raisons, le maintien des haies constitue l’une des exigences de la conditionnalité au titre de la BCAE 8 (comme c’était déjà le cas dans le cadre de la BCAE 7). Si des haies sont taillées, arrachées, détruites ou déplacées en méconnaissance de la réglementation existante (notamment de l’article D. 614-52 du code rural et de la pêche maritime qui spécifie que « La taille des haies et des arbres est interdite pendant la période de nidification et de reproduction des oiseaux entre le 16 mars et le 15 août ») ([99]), les aides versées au titre de la PAC peuvent être diminuées, jusqu’à 3 %. Précisons tout de même sur ce point que les contrôles effectués sont extrêmement faibles (la réglementation européenne prévoit que, chaque année, 1 % des bénéficiaires d’aides surfaciques doivent faire l’objet d’un contrôle sur place) et souffrent de nombreuses lacunes récemment soulignées par le CGAAER ([100]).

  D’autre part, nos campagnes souffrent d’une importante et constante disparition de haies depuis plusieurs années. Comme le souligne par exemple le rapport précité du CGAAER, la France a perdu en quinze ans, entre 2006 et 2021, près de 15 % de son patrimoine de haies et alignements. En 2006, la surface de haies et alignements d’arbres était de 1 003 028 hectares, contre seulement 859 350 hectares en 2021, 16 500 hectares de haies ayant disparu entre 2018 et 2020 (ce qui, sur la période 2017 – 2021, correspond à la disparition d’environ 23 500 kilomètres de haies chaque année, alors qu’elle était de 10 400 kilomètres par an entre 2006 et 2014) ([101]). Vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de voir que le Gouvernement a pleinement pris la mesure de cette dégradation et décidé de mener une action volontariste en ce domaine, grâce au « Pacte en faveur de la haie » ([102]) présenté conjointement le 29 septembre dernier par M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, et Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargée de la Biodiversité. Issue d’une concertation nationale menée au printemps 2023 par les ministères chargés de l’agriculture et de la transition écologique, ce pacte a rappelé que les haies constituent un levier essentiel de la transition agroécologique et qu’il convient de mieux valoriser les produits et les services qui en sont issus, ce qui permettra d’autant plus facilement de faciliter leur préservation et leur développement. Doté de 110 millions d’euros dès 2024 (auxquels il faut ajouter les financements existants, notamment en provenance de la PAC), ce plan reflète une véritable ambition en faveur de la haie ; il convient à l’évidence de soutenir avec force cette ambition.

II.   le dispositif proposÉ

  Au regard des enjeux et des difficultés rencontrées par les agriculteurs notamment pour bien appliquer la réglementation existante – l’étude d’impact soulignant à juste titre que ces « réglementations en silo obéissant à des logiques qui ne sont pas toujours compatibles (…) complexifient [également] le travail et la coordination des différents services chargés du respect de ces réglementations » ([103]) –, le I de l’article 14 du projet de loi a principalement souhaité compléter le chapitre II (« Encadrement des usages du patrimoine naturel ») du titre Ier du Livre IV du code de l’environnement par une nouvelle section 4 spécifiquement relative à la « protection des haies », cette section comprenant les articles L. 412-21 à L. 412-26 nouveaux.

  En premier lieu, l’article L. 412-21 propose une définition (la première !) de la haie, qui désignerait ainsi « toute unité linéaire de végétation ligneuse comportant plusieurs essences et d’origine humaine, à l’exclusion des allées et alignements d’arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique mentionnés à l’article L. 350-3 », le second alinéa de l’article rappelant la gestion durable dont les haies doivent faire l’objet.

  En deuxième lieu, l’article L. 412-22 pose le principe suivant lequel tout projet de destruction d’une haie mentionnée à l’article L. 412‑21 est désormais soumis à déclaration unique préalable, qui pourra remplacer, le cas échéant, diverses législations autorisant conjointement la destruction d’une haie.

  En troisième lieu, l’article L. 412-23 traite des relations entre l’autorité administrative compétente et la personne souhaitant bénéficier d’une autorisation de destruction de haie ; ainsi, l’autorité administrative pourra indiquer au demandeur que son projet est soumis à déclaration unique préalable et, notamment, lui préciser les délais d’instruction de sa demande (les travaux ne pouvant commencer avant la délivrance de cette autorisation qui est appréciée au regard des règles propres à chaque législation énumérée à l’article L. 412-24).

  En quatrième lieu, l’article L. 412-24 énumère les diverses hypothèses dans lesquelles une absence d’opposition, une déclaration, une dérogation ou une autorisation pourront être remplacées par une déclaration unique préalable, qui tiendra lieu de l’ancienne réglementation applicable.

  En cinquième lieu, et dans la droite ligne de ce que souhaite le « Pacte en faveur de la haie » présenté en septembre 2023, l’article L. 412-25 prévoit que toute destruction de haie est subordonnée à des mesures de compensation qui prendront la forme d’une replantation d’un linéaire au moins égal à celui détruit. Il est également précisé que si la personne bénéficiant de l’autorisation de détruire une haie ne respecte pas les intérêts protégés à l’article L. 412-24, l’autorité administrative pourra lui imposer des prescriptions complémentaires à cette fin.

  En sixième et dernier lieu, l’article L. 412-26 renvoie assez classiquement à un décret en Conseil d’État le soin de définir et de mettre en œuvre la nouvelle section 4, notamment en ce qui concerne les périodes pendant lesquelles des haies pourront être détruites, les modalités de mise en œuvre de la déclaration unique préalable et les conditions dans lesquelles la destruction d’une haie peut faire l’objet de mesures de compensation.

  Le II de l’article 14 complète également le I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement par un 19° nouveau, précisant que l’autorisation environnementale régie par les articles L. 181-1 à L. 181-32 du code de l’environnement tient lieu d’absence d’opposition à déclaration ou autorisation unique de destruction d’une haie telles que prévues par les articles L. 412-22 et L. 412-23 nouveaux.

  Enfin, le III du même article complète l’article L. 181-3 du code de l’environnement, en prévoyant que l’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte assurent également le respect des conditions de non-opposition à la déclaration unique ou de délivrance de l’autorisation unique, préalables à la destruction de haies et prévues aux articles L. 412-22 et L. 412-23 du même code.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

  Après avoir adopté un amendement CE255 de Mme Chantal Jourdan afin de modifier le titre de la nouvelle section 4 sur les haies, créée au sein du chapitre II du titre Ier du Livre IV du code de l’environnement, la commission a adopté un amendement CE3432 de vos rapporteurs, simplifiant et clarifiant la définition de la haie au sens où il faut désormais l’entendre dans le code de l’environnement (article L. 412-21 nouveau). Outre la définition en tant que telle, cet amendement a souhaité préciser qu’elle concernait désormais toutes les haies, au sens générique du terme, sans la cantonner à la notion d’« unité linéaire de végétation ligneuse » utilisée dans le cadre de la politique agricole commune pour la mise en œuvre des bonnes conditions agricoles et environnementales. En outre, plutôt que de circonscrire le champ d’application du dispositif aux haies multi-essences d’origine humaine que sont généralement les haies agricoles, cet amendement précise explicitement que ne sont pas concernées les haies entourant un bâtiment, les haies implantées sur une place et les haies situées autour ou à l’intérieur d’un jardin ou d’un parc attenant à une habitation.

  Ensuite, la commission a adopté plusieurs amendements identiques (CE338 de M. Julien Dive et plusieurs de ses collègues, CE923 de M. Francis Dubois, CE1433 de M. Charles de Courson et CE3078 de M. Benoît Bordat) afin d’étendre le champ des hypothèses (en en ajoutant trois nouvelles à celles d’ores et déjà prévues à l’article 14 du projet de loi) dans lesquelles la déclaration préalable unique permettant de détruire une haie peut se substituer à une autorisation ou à une déclaration existant dans une autre réglementation applicable.

  Enfin, elle a adopté un amendement CE1025 de M. Julien Dive précisant que l’application de l’article L. 411-1 du code de l’environnement relatif à la période de taille des haies existant sur des espaces agricoles doit tenir compte des spécificités de chaque territoire, notamment climatiques et pédologiques (tenant donc à la composition et à la qualité des sols), afin qu’il n’y ait pas de réglementation unique sur l’ensemble du territoire relative aux possibles dates de taille des haies.

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Article 15
Contentieux de certaines décisions en matière agricole

Article adopté par la commission sans modification

Le présent article vise, sur le modèle de ce qui existe en droit de l’urbanisme, à accélérer le contentieux portant devant la juridiction administrative sur certains projets de retenues d’eau ou d’élevages, afin de trouver un équilibre entre le droit au recours des requérants et la stabilité juridique des porteurs de projets.

 

  1.   l’État du droit : UN ACCROISSEMENT DU CONTENTIEUX DE NATURE À ENTRAVER CERTAINS PROJETS AGRICOLES

A.   unE JUDICIARISATION PRÉJUDICIABLE À LA RÉALISATION DE CERTAINS PROJETS AGRICOLES

  La petite commune de Sainte-Soline, au sud-est du département des Deux-Sèvres, restera longtemps célèbre pour avoir vu des affrontements violents se dérouler, le 25 mars 2023, autour du projet de construction d’une méga-bassine de plus de 10 hectares (pour un volume attendu de 628 000 mètres cubes d’eau recueillis). Il ne rentre pas dans le cadre du présent rapport d’apprécier les avantages et les inconvénients de cette technique (qui, à la différence des retenues collinaires qui recueillent l’eau de ruissellement provenant des pluies ou de la fonte des neiges, se remplissent en pompant directement dans les nappes phréatiques) ([104]), mais il convient de souligner combien ce type de projets a pu susciter la contestation et, de fait, la multiplication des procédures, notamment devant le juge administratif. Comme le spécifiaient les conclusions de ce que l’on a appelé le « Varenne agricole de l’eau » présentées le 1er février 2022, « La disponibilité de la ressource en eau est un enjeu central pour les productions agricoles. La protection de la ressource en eau, tout comme le respect des équilibres naturels et d’une gestion durable, relèvent de l’intérêt général. À l’heure du changement climatique, les tensions autour de la ressource en eau entre les différents usages deviennent de plus en plus visibles, notamment à l’étiage quand les prélèvements agricoles interviennent » ([105]).

  Ces projets, qui ont notamment pour effet d’entraîner « des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, [ainsi qu’une potentielle] modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux », sont soumis à un régime d’autorisation ou de déclaration comme le spécifie la section 1 (« Régime d’autorisation ou de déclaration », soit les articles L. 214-1 à L. 214-11) du chapitre IV (« Activités, installations et usage ») du Titre Ier (« Eau et milieux aquatiques et marins ») du Livre II du code de l’environnement. Fortement contestés tant par des riverains que par des associations de protection de l’environnement, ces projets ont pu donner lieu à de nombreux recours qui, du strict point de vue temporel, ont pu en retarder la réalisation (quand celle-ci n’a pas été finalement abandonnée en cours de route) pendant plusieurs années. Ainsi, par un récent jugement du 11 avril 2023 ([106]), le tribunal administratif de Poitiers a définitivement rejeté les requêtes déposées par plusieurs associations de défense de l’environnement contre deux arrêtés préfectoraux des 23 octobre 2017 et 20 juillet 2020 autorisant la construction et le remplissage de plusieurs réserves de substitution dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente-Maritime. L’affaire est désormais pendante devant le Conseil d’État. À l’inverse, ce même tribunal a, par deux jugements du 3 octobre 2023 ([107]), annulé deux arrêtés préfectoraux contestés notamment par l’association Poitou-Charentes nature et la Ligue française pour la protection des oiseaux qui autorisaient la création et l’exploitation de quinze réserves de substitution ; là encore, le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi en cassation, allongeant d’autant plus la réalisation ou l’abandon du projet en cause.

  Il en va de même pour les projets visant à construire ou étendre des élevages existants, qui suscitent là aussi l’opposition aussi bien des riverains que des associations de protection de l’environnement. Plusieurs mesures ont d’ores et déjà été engagées en vue de faciliter certaines opérations comme les extensions d’installations existantes ou comme la simplification de certaines procédures ; citons à cet égard la proposition de loi de notre collègue et rapporteure Nicole Le Peih sur les troubles anormaux de voisinage ([108]) ou la prise du futur décret créant un nouvel article R. 122-2-1 au sein du code de l’environnement, permettant de prévoir que l’autorité compétente pour autoriser ou recevoir la déclaration d’un projet (notamment d’élevage extensif) pourra soumettre à examen au cas par cas tout projet situé en-deçà des seuils de la nomenclature annexée à l’article R. 122-2 sous réserve que celui-ci soit susceptible d’avoir des incidences sur l’environnement ([109]). Dans la droite ligne de ces initiatives qui permettront de libérer l’activité agricole tout en veillant à ce que celle-ci n’ait pas de conséquence néfaste sur l’environnement, il importe également de limiter les contentieux qui, là aussi, peuvent durer plusieurs années ([110]) et ainsi plonger tous les intéressés dans l’expectative, poussant éventuellement les agriculteurs à abandonner leurs projets face à l’épuisement contentieux dont ils s’estiment alors victimes.

B.   les accÉlÉrations contentieuses opÉrÉes en droit de l’urbanisme

  Avant de s’intéresser au dispositif proposé par l’article 15 du projet de loi, il convient au préalable de rappeler la manière dont tant le législateur que le juge administratif ont essayé de simplifier le contentieux de l’urbanisme, qui présente à l’évidence certaines analogies avec le contentieux des ouvrages hydrauliques et des installations d’élevage.

  Pour des raisons fort diverses, motivées d’ailleurs aussi bien par des préoccupations d’ordre personnel (citons pêle-mêle le refus de voir une construction s’élever trop près de son domicile et dont on pourrait craindre tous types de nuisances ou la peur de voir une construction trop haute et trop proche de son domicile obscurcir la vue dont on dispose depuis son salon) que d’intérêt général (empêcher la coupe d’arbres pour construire un immeuble d’habitation sur l’espace ainsi libéré), le contentieux de l’urbanisme n’a cessé de prendre de l’ampleur. Mais, comme l’avait souligné Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, dans un discours ([111]) ouvrant la journée des Entretiens du contentieux, le 29 novembre 2022, qui était alors consacré à la « Politique de l’urbanisme, droit à construire et juge administratif », cette complexité a eu des retours heureux : « Confronté à ces difficultés, le développement du contentieux a toutefois, en retour, permis la création de remèdes ingénieux. Ils doivent limiter les recours parfois malveillants ou abusifs, et donner des solutions effectives et pratiques aux litiges dont le juge a à connaître. Qu’il s’agisse des questions de recours (compétence juridictionnelle, recevabilité et pouvoir d’instruction) ou de l’office du juge, le droit de l’urbanisme est à bien des égards un ‘‘laboratoire’’ du droit, pour reprendre l’idée de Daniel Labetoulle ».

  La volonté d’intervenir dans le contentieux de l’urbanisme était justifiée par les mêmes motifs que ceux invoqués à l’appui de l’article 15 du présent projet de loi : a ainsi été principalement cité « un lien, toutefois jamais établi » ([112]) entre la faiblesse de la construction et le nombre de recours ou la durée pour les juger. La volonté d’accélérer les procédures et le traitement des recours s’est ainsi traduite par une volonté de favoriser la régularisation des actes attaqués, permettant ainsi de purger un acte de l’éventuelle illégalité l’ayant atteint sans pour autant prononcer une annulation globale qui aurait conduit à reprendre la procédure en cours à son début. Était ainsi trouvé un intéressant équilibre entre principe de légalité (un requérant peut continuer de voir ses moyens accueillis dans le cadre d’un procès administratif) et stabilisation des situations juridiques (en évitant une complète remise en cause de certains processus décisionnels qui peuvent parfois prendre des années).

  À cet égard, le code de l’urbanisme compte désormais quelques articles dont l’utilité est patente pour favoriser l’aboutissement de certaines opérations d’urbanisme :

  – l’article L. 600-5 (issu de l’article 11 de la loi « ENL » de 2006 et modifié substantiellement par l’article 80 de la loi « ELAN » de 2018) ([113]) permet désormais au juge de prononcer l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme dans le cas où, après avoir constaté que les autres moyens soulevés devant lui n’étaient pas fondés, il estime « qu’un vice n’affectant qu’une partie du projet peut être régularisé ». Dans ce cas, il limite son annulation à cette seule partie ; il peut également fixer le délai dans lequel le titulaire de l’autorisation d’urbanisme pourra en demander la régularisation, même après l’achèvement des travaux ;

  – l’article L. 600-5-1 (issu pour sa part de l’article 2 de l’ordonnance du 18 juillet 2013) ([114]) dispose pour sa part que, sous réserve qu’il ait constaté dans le cadre d’un contentieux porté devant lui que les autres moyens soulevés devant lui ne sont pas fondés et qu’un vice entraînant l’illégalité de cette autorisation est susceptible d’être régularisé, le juge administratif doit surseoir à statuer et fixer par là même un délai permettant à l’autorité administrative de procéder à la régularisation du vice, que celui-ci d’ailleurs affecte une partie seulement ou la totalité du permis initial.

  Il convient de préciser ici, d’une part, que le juge a le choix entre les deux procédures, le début de l’article L. 600-5-1 commençant par les mots « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5 » et, d’autre part, que le juge n’est pas obligé de surseoir à statuer si le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme a indiqué ne pas souhaiter bénéficier d’une mesure de régularisation ([115]).

II.   le dispositif proposÉ

  C’est donc au regard des règles applicables en droit de l’urbanisme, et principalement des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, que l’article 15 du présent projet de loi propose d’instituer un dispositif contentieux spécifique dont les particularismes ont d’ailleurs donné lieu à de vives critiques de la part du Conseil d’État dans le cadre de l’avis rendu sur le projet de loi, le Conseil en étant arrivé à une conclusion des plus laconiques : « Le Conseil d’État estime, dans ces conditions, que les dispositions du projet de loi, qui sont susceptibles de présenter des risques de constitutionnalité au regard notamment du principe d’égalité devant la justice, comportent des inconvénients importants en termes de sécurité juridique pour les justiciables et, plus généralement, pour la bonne administration de la justice. Il propose, en conséquence, de ne pas les retenir » ([116]).

  L’article 15 propose donc de compléter le titre VII du livre VII du code de justice administrative par un nouveau chapitre XV intitulé « Le contentieux de certaines décisions en matière agricole ». Ce nouveau chapitre comporte quatre articles qui sont les suivants :

  – l’article L. 77-15-1, qui détermine le champ d’application du nouveau régime contentieux.

  Seuls certains projets sont concernés : il s’agit uniquement des projets qui nécessitent des installations, ouvrages, travaux ou activités soumis à l’article L. 214-1 du code de l’environnement et des projets qui nécessitent une installation soumise aux dispositions de l’article L. 511-1 du même code (c’est-à-dire les installations classées pour la protection de l’environnement ou ICPE) mais qui ne peut concerner que l’élevage animal, les couveuses ou la pisciculture. En outre, au sein de ces projets, seules certaines décisions individuelles sont concernées, c’est-à-dire que la procédure définie au présent article ne s’applique que dans le cas d’un recours juridictionnel formé contre ces décisions limitativement énumérées aux alinéas 15 à 24 de l’article 15.

  – l’article L. 77-15-2, qui concerne les décisions pouvant être prises par le juge administratif dans le cadre de certains contentieux :

  → le 1° du I propose, dans une formule calquée sur l’article L. 6005 du code de l’urbanisme, de permettre au juge administratif de n’annuler que partiellement une décision individuelle visée au III de l’article L. 77-15-1 du code de justice administrative. Cela n’est toutefois possible qu’une fois que le juge a constaté que les autres moyens soulevés devant lui ne sont pas fondés, et seulement s’il estime qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande ; il demande alors à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase d’instruction ou sur la partie de la décision qui a été entachée d’irrégularité ;

  → le 2° du I propose, dans une formule calquée cette fois-ci sur l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, que le juge, après avoir constaté que les autres moyens soulevés devant lui ne sont pas fondés, s’il estime qu’un vice entraînant l’illégalité de l’une des décisions visées au III de l’article L. 77-15-1 du code de justice administrative est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer (c’est donc une obligation, comme dans le cadre du droit de l’urbanisme) jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe pour que cette régularisation soit effectuée. Si une mesure de régularisation est effectivement notifiée au juge dans le délai imparti, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ;

  → le dernier alinéa du I précise, pour sa part, en une seule phrase (mais rassemblant deux dispositions qui figurent respectivement aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l’urbanisme), que le juge doit motiver sa décision s’il refuse de faire droit à une demande d’annulation partielle (dans le cadre du 1° de l’article L. 77-15-2 du code de justice administrative) ou de sursis à statuer (2° de l’article L. 77-15-2 du même code) ;

  → le II de l’article laisse enfin à la discrétion du juge le soin de déterminer, dans le cas où une partie de la décision est annulée (hypothèse du 1° du I) ou dans celui où le sursis est prononcé (2° du I), s’il convient ou non de suspendre l’exécution du reste de la décision qui ne serait pas viciée.

  – l’article L. 77-15-3, qui définit un principe propre au contentieux administratif, assez technique.

  Si le juge administratif admet depuis plusieurs années la faculté de rouvrir l’instruction lorsqu’il est saisi d’une production postérieure à la clôture de celle-ci ([117]), le dispositif applicable au contentieux de l’urbanisme est spécifique. Rappelons que l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, dans sa rédaction issue de l’article 80 de la loi ELAN, dispose que :

  « Un recours dirigé contre une décision de non-opposition à déclaration préalable ou contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir ne peut être assorti d’une requête en référé suspension que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort (...) ».

  Par ces dispositions, le législateur a entendu enserrer dans des délais particuliers la possibilité d’assortir une requête ayant pour objet l’annulation d’une autorisation d’urbanisme (telle qu’un permis d’aménager) d’une demande de suspension de l’exécution de cet acte afin de ne pas ralentir de façon excessive la réalisation du projet autorisé par ce permis ([118]). Comme le Conseil d’État a pu le préciser, le principe ainsi retenu a eu pour objet de faire en sorte que l’expiration du délai fixé pour la « cristallisation des moyens » soulevés dans le cadre du recours au fond dirigé contre un permis de construire ait également pour effet, par une sorte de parallélisme des formes, de rendre irrecevable l’introduction d’une demande en référé tendant à la suspension de l’exécution de ce permis qui serait présenté au-delà de ce même délai de deux mois ([119]).

  Précisons en outre que l’article R. 600-5 du code de l’urbanisme sur la cristallisation des moyens prévoit que :

  « Par dérogation à l’article R. 611-7-1 du code de justice administrative, et sans préjudice de l’application de l’article R. 613-1 du même code, lorsque la juridiction est saisie d’une requête relative à une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le présent code, ou d’une demande tendant à l’annulation ou à la réformation d’une décision juridictionnelle concernant une telle décision, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Cette communication s’effectue dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du code de justice administrative.

  « Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation est contesté dans les conditions prévues à l’article L. 600-5-2, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à son encontre passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense le concernant.

  « Le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie. »

  Comme a eu l’occasion de l’expliciter le Conseil d’État ([120]), il résulte de cet article que la cristallisation des moyens qu’il prévoit intervient à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense produit dans l’instance par l’un quelconque des défendeurs.

  Le Conseil a ensuite eu l’occasion de préciser que l’article R. 600-5 du code de de l’urbanisme avait pour effet de faire en sorte qu’un moyen nouveau présenté après l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense était, en principe, irrecevable. Mais que, pour autant, le président de la formation de jugement a toujours la faculté de fixer une nouvelle date de « cristallisation des moyens » (figeant une situation contentieuse en quelque sorte), qui permet d’accueillir de nouveaux moyens au-delà de la limite initialement prévue, s’il estime que les circonstances de l’affaire le justifient. Tel est notamment le cas lorsque le nouveau moyen dont veut exciper une partie est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n’était pas en mesure de faire état avant l’expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est, dès lors, susceptible d’exercer une influence sur le jugement de l’affaire ([121]). Enfin, le Conseil d’État a précisé que, lorsque le président de la formation de jugement a déterminé une nouvelle date de cristallisation des moyens, le délai dans lequel une requête en annulation d’une autorisation d’urbanisme peut être assortie d’une demande de suspension est rouvert, mais seulement jusqu’à l’expiration du nouveau délai ainsi fixé pour la cristallisation des moyens ([122]).

  En l’espèce, le nouvel article L. 77-15-3 du code de justice administrative précise, dans un souci d’accélération des procédures, qu’une requête en référé suspension (fondée sur l’article L. 521-1 du même code) formée contre l’une des décisions visées au III de l’article L. 77-15-1 ne peut être déposée que jusqu’à l’expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort. En d’autres termes, il reprend, pour le contentieux spécifique des décisions visées au III de l’article L. 77-15-1 du code de justice administrative, le dispositif établi à l’article L. 600-3 du code de l’urbanisme, précisant à cet égard – comme le fait le deuxième alinéa de l’article L. 600-3 – que la condition d’urgence prévue pour déposer un référé suspension est présumée satisfaite, le requérant devant seulement faire état, dans sa requête en référé, d’un « moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » attaquée (article L. 521-1 du code de justice administrative).

  – l’article L. 77-15-4, enfin, qui précise, dans son I, que la durée de validité de l’autorisation accordée par la décision attaquée demeure valide jusqu’à ce que la juridiction saisie se soit prononcée au fond. Quant au II, il précise uniquement que les nouvelles dispositions des articles L. 77-15-2 à L. 77-15-4 s’appliquent seulement pour l’avenir (aux requêtes « enregistrées à compter de la date de publication de la présente loi »), ce qui sécurise juridiquement le dispositif.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

  La Commission a adopté l’article 15 sans modification.

  Même si le nombre de recours contre les projets concernés s’avère très faible (cent au plus) au regard du nombre d’affaires jugées chaque année par les tribunaux administratifs (243 089 affaires en 2023), la commission a estimé ces dispositions particulièrement importantes au regard des enjeux existants. La capacité à pouvoir disposer de réserves d’eau suffisantes, de nature à pallier des épisodes de sécheresse de plus en plus récurrents, est indispensable pour notre agriculture, celle-ci étant désormais consacrée comme d’« intérêt général majeur » à l’article 1er du projet de loi. L’existence de cet intérêt général s’attachant à la préservation et à la poursuite des activités agricoles, dans toute la mesure du possible également en cas de contentieux, devrait être prise en compte pour nuancer les critiques, émises en commission, selon lesquelles l’adaptation des procédures prévues par cet article pourrait porter atteinte au principe d’égalité devant la justice. Comme cela a été précédemment rappelé, de telles adaptations procédurales ne sont pas sans précédent si l’on considère les récentes évolutions du droit de l’urbanisme.

  Ainsi, s’inspirant du droit déjà applicable pour le contentieux en matière d’urbanisme, le dispositif de l’article 15, qui permet d’accélérer le traitement contentieux des recours contre ces projets agricoles tout en préservant le droit de recours des personnes et associations intéressées, répond à une forte attente des professionnels du monde agricole et conduit à un compromis que l’on ne peut que saluer.

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Article 16
Règles applicables aux détenteurs de chiens de protection de troupeaux

Adopté par la commission avec modification

 

L’article 16 prévoit que la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) peut être modifiée sans que le principe légal de non-régression en matière de protection de l’environnement ne s’y oppose, concernant les chiens de protection de troupeaux.

En outre, il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi permettant de fixer des règles adaptées d’engagement de la responsabilité pénale en cas de dommages causés par les chiens de protection de troupeaux.

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

Le recours aux chiens de protection de troupeaux par les éleveurs apparaît comme un moyen efficace pour protéger les troupeaux contre les grands prédateurs, au premier rang desquels se trouve le loup, mais aussi l’ours ou le lynx.

Son intérêt et son efficacité ont été reconnus, notamment dans le cadre du Plan national d’action Loup, dans ses versions successives. Le recours à ce moyen de protection est d’ailleurs encouragé par l’État, tant au travers du dispositif d’aide à la protection contre la prédation que par le biais de la conditionnalité posée à l’indemnisation consécutive à une attaque de loup.

Le nombre de ces chiens est aujourd’hui estimé à plus de 6 500.

Face à l’expansion tant démographique que géographique des loups sur le territoire français, le recours à ce moyen de protection efficace doit continuer à être encouragé et facilité. À ce titre, l’adaptation de la réglementation applicable à l’utilisation de ces chiens apparaît nécessaire.

A.   La rÉglementation des installations classées pour la protection de l’environnement applicable aux élevages de chiens

La législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) a notamment pour objet la protection du voisinage, de la sécurité et la salubrité publique, de l’agriculture, ou encore de la protection de la nature et de l’environnement contre les dangers ou inconvénients provoqués par les installations d’élevage. Les intérêts que cette réglementation protège sont cités à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

L’annexe à l’article R. 511-9 du code de l’environnement établit la nomenclature des ICPE. La rubrique 2120 de cette annexe concerne les établissements ayant une activité d’élevage, de vente, de transit, de garde, de détention, de refuge, ou de fourrière de chiens. Il en résulte qu’à partir de 10 chiens âgés de plus de 4 mois détenus et jusqu’à 50 animaux, l’établissement est soumis à un régime de déclaration. Le régime de la déclaration implique, pour les installations qui y sont soumises, de déclarer leur activité auprès du préfet et de respecter les prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique n° 2120 prévues par l’arrêté du 8 décembre 2006. Lorsque l’établissement compte de 51 à 250 chiens, le régime de l’enregistrement est applicable, tandis que lorsque le nombre de 250 chiens est dépassé, le régime de l’autorisation s’impose.

Il n’est pas rare que ce seuil de dix chiens soit atteint par des éleveurs ou des bergers dès lors qu’aux chiens de protection de troupeaux s’ajoutent les chiens de conduite des troupeaux, les chiens de chasse ou les chiens qu’ils possèdent pour leur seul agrément.

Or, les prescriptions imposées par cette réglementation relative aux ICPE ne sont pas toujours en adéquation avec les nuisances induites par ces installations. Certaines prescriptions sont incompatibles avec le pastoralisme et peu justifiées. Ces difficultés se posent en des termes différents selon que les troupeaux, donc les chiens de protection, se trouvent en alpage, en pâturage dans des zones habitées, ou en bergerie.

Les difficultés d’application concernent les règles d’implantation des bâtiments, annexes et parcs d’élevage, les règles relatives à la lutte contre la fuite des animaux et les règles relatives aux valeurs limites de bruit ([123]). En particulier, les mesures concernant la surveillance du site en permanence et son accès par les services de secours via une voie-engin ne sont pas adaptées à un pâturage en altitude. A contrario, les prescriptions sur les distances, l’installation devant être à 100 mètres minimum des tiers, sont difficilement respectées dans des villages de montagne, alors que les élevages sont implantés de longue date ([124]).

B.   La responsabilité pénale des éleveurs en cas de dommages causés par les chiens de protection des troupeaux

Le propriétaire ou le détenteur d’un chien de protection des troupeaux qui porte atteinte à une personne peut voir sa responsabilité pénale engagée dès lors qu’il a commis une faute.

Les infractions prévues en la matière sont applicables aux atteintes aux personnes causées par tous les chiens, quels qu’ils soient. Elles n’ont pas été conçues pour appréhender spécifiquement la problématique des morsures par les chiens de protection de troupeaux.

Les textes de niveau réglementaire prévoient différentes infractions en fonction du degré de gravité de l’atteinte. Ainsi, en l’absence d’incapacité totale de travail (ITT) de la victime, une faute simple du propriétaire ou du détenteur de l’animal l’expose à une contravention de deuxième classe, alors qu’une faute caractérisée l’expose à une contravention de cinquième classe.

En présence d’une incapacité totale de travail pour la victime, des dispositions de niveau législatif spécifiques aux agressions commises par un chien s’appliquent. Il s’agit des infractions de blessures ou d’homicide involontaire prévues aux articles 221-6-2, 222-19-2 et 222-20-2 du code pénal.

Si la victime a subi une ITT de moins de 3 mois, l’article 222-20-2 du Code pénal dispose que « le propriétaire ou celui qui détient le chien au moment des faits est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende ».

Si la victime a subi une ITT supérieure à 3 mois, l’article 222-19-2 prévoit que « le propriétaire ou celui qui détient le chien au moment des faits est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

Pour l’homicide involontaire qui résulte de l’agression commise par un chien, l’article 221‑6‑2 prévoit que « le propriétaire ou celui qui détient le chien au moment des faits est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque : (…) 3° Le propriétaire ou le détenteur du chien n’avait pas exécuté les mesures prescrites par le maire, conformément à l’article L. 211-11 du code rural, pour prévenir le danger présenté par l’animal ; (…) 7° Il s’agissait d’un chien ayant fait l’objet de mauvais traitements de la part de son propriétaire ou de son détenteur. »

Ces infractions constituent des délits involontaires au sens de l’article 121‑3 du code pénal, qui prévoit que : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Ainsi, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement dans deux cas : s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.

Il résulte de ces dispositions qu’une infraction involontaire suppose a minima une faute simple, laquelle est constituée par la maladresse, l’imprudence, la négligence ou la violation d’une obligation particulière. En jurisprudence, la faute simple est assez facilement établie.

Cependant, dans le cas des personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage (cas dit de « causalité indirecte »), la faute qualifiée est requise. Or, en pratique il semble que le propriétaire d’un chien de protection des troupeaux ayant mordu autrui se trouve dans cette situation.

Il existe deux types de faute qualifiée : la faute de mise en danger délibérée qui suppose d’une part la violation d’une obligation particulière, mais aussi et surtout, la volonté manifestement délibérée d’exposer autrui à un risque, seuil qui est en pratique très difficile à atteindre, et la faute caractérisée qui consiste en une faute grave (faute évidente ou résultant de multiples fautes simples), ainsi qu’un deuxième critère qui est le véritable déterminant : le fait que l’auteur avait connaissance ou devait avoir connaissance du risque auquel il exposait autrui.

Il résulte de ces dispositions que les cas d’engagement de la responsabilité du propriétaire sont extrêmement rares et supposent en principe la commission de fautes ou manquements particulièrement graves de la part du propriétaire.

II.   Le dispositif proposé

A.   Permettre au pouvoir rÉglementaire d’adapter, pour les chiens de protection de troupeaux, la nomenclature de la rÉglementation ICPE applicable aux élevages de chiens

Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire ne peut, sans porter atteinte au principe législatif de non-régression de la protection de l’environnement, assouplir la réglementation en matière d’ICPE applicable à certaines installations, sans faire état d’éléments permettant d’établir que ces installations ne font pas courir de risque à l’environnement ou à la santé humaine ou que la nature d’un tel risque a changé ou que la procédure issue de la modification de la réglementation opérée, offrirait une protection équivalente à celle qu’assuraient les règles antérieurement à leur modification ([125]).

Le I de l’article 16 prévoit que le principe de non-régression ne s’oppose pas, en ce qui concerne les chiens de protection de troupeau, à la modification de la nomenclature mentionnée à l’article L. 511-2 du code de l’environnement.

Ainsi, cette disposition permettra au pouvoir réglementaire de modifier la nomenclature applicable aux élevages de chiens, afin de répondre aux problèmes d’inadaptation de cette réglementation concernant les chiens de protection de troupeaux.

B.   Une habilitation pour adapter les règles d’engagement de la responsabilité pénale des éleveurs en cas de dommage causés par les chiens de protection des troupeaux

Le II de l’article 16 prévoit que le Gouvernement est habilité à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour adapter les règles d’engagement de la responsabilité pénale des éleveurs en cas de dommages causés par leurs chiens.

L’objectif est de rassurer les propriétaires ou détenteurs de chiens de protection de troupeaux quant au risque d’engagement de leur responsabilité pénale du fait des dommages causés par leurs chiens, afin de les inciter à recourir encore davantage à ce moyen de protection contre la prédation du loup.

Une telle adaptation de la responsabilité pénale des propriétaires de chiens concernera certainement les infractions d’atteintes involontaires aux personnes évoquées précédemment. Il pourrait, par exemple, être explicitement prévu que le propriétaire d’un chien de protection de troupeaux ne peut être considéré que comme ayant causé indirectement le dommage, ce qui reviendrait à créer une présomption irréfragable de causalité indirecte, qui nécessiterait la démonstration d’une faute qualifiée (cf. I.2 supra).

Ce type d’adaptation pour les propriétaires de chiens de protection des troupeaux semble admissible au regard du principe d’égalité devant la loi pénale, le Conseil constitutionnel admettant les différences de traitement si elles résultent d’une différence de situation et si elles sont justifiées par l’objet de la loi.

Les propriétaires ou détenteurs de chiens de protection de troupeaux bénéficient d’ailleurs déjà d’un cadre juridique dérogatoire en application de l’article L. 211-23 du code rural et de la pêche maritime. Cet article prohibe la divagation d’un chien, en assortissant cette interdiction d’une sanction pénale (article R. 622-2 du code pénal) et tout en prévoyant qu’un chien qui se trouve en action de protection d’un troupeau ne peut être considéré comme étant en état de divagation.

Par ailleurs, les dispositions qui seront adoptées sur le fondement de cette habilitation ne pourront pas concerner le droit à réparation des victimes pour les dommages que leur ont causés des chiens de protection de troupeaux. Les règles d’engagement de la responsabilité civile n’entrent pas dans le champ de l’habilitation.

Enfin, l’habilitation proposée paraît préciser correctement, au regard de l’article 38 de la Constitution, la finalité des mesures que le Gouvernement envisage de prendre par ordonnance – le Parlement conservant ultérieurement la possibilité de procéder si nécessaire, au stade de la ratification des ordonnances, à des modifications de leur contenu.

III.   Les modifications adoptÉEs par la commission

La commission a adopté un amendement rédactionnel CE3391 des rapporteurs et l’article 16 ainsi modifié.

 

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Article 17
Règles applicables au compostage de la laine et à l’aquaculture

Adopté par la commission sans modification

 

L’article 17 comprend des dispositions relatives aux activités de valorisation des sous-produits lainiers et aux activités aquacoles, qui visent à faciliter leurs conditions d’exercice.

Il prévoit que la réglementation des ICPE peut être modifiée sans que le principe légal de non-régression en matière de protection de l’environnement ne s’y oppose, concernant les sous-produits lainiers.

Il habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi pour modifier, concernant l’aquaculture, les règles applicables aux ICPE et aux installations, ouvrages, travaux ou activités ayant une incidence sur l’eau et les milieux aquatiques (IOTA).

  1.   L’ÉTAT DU DROIT

A.   La réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement applicable aux sous‑produits lainiers

La réglementation ICPE ne prévoit pas spécifiquement le cas du compostage de la laine. Celui-ci est, par conséquent et par défaut, couvert par la rubrique 2780-3 « compostage d’autres déchets » sous le régime d’enregistrement dès le premier gramme de matière compostée.

La rubrique 2780-1 encadre le « compostage de matière végétale ou déchets végétaux, d’effluents d’élevage, de matières stercoraires ». Elle couvre ainsi les matières d’origine animale ou végétale identifiées comme compostables dans des conditions compatibles avec une exploitation agricole. En application de la no