N° 1697

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 juillet 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements

 

 

Président

M. Denis MASSÉGLIA

 

Rapporteur

M. Benjamin LUCAS-LUNDY

Députés

 

——

 

TOME I
RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 971 et 1031.

 

 

La commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements est composée de : M. Denis Masséglia, président ; M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur ; Mme Anchya Bamana ; M. Anthony Boulogne ; M. Louis Boyard ; Mme Gabrielle Cathala (le 20 mai 2025) ; M. Hadrien Clouet  (jusqu’au 7 mai 2025) ; M. Pierrick Courbon ; M. Jocelyn Dessigny ; Mme Alma Dufour ; M. Gaëtan Dussausaye ; M. Charles Fournier ; Mme Martine Froger ; Mme Océane Godard ; M. Pascal Jenft ; M. Guillaume Kasbarian ; M. Didier Le Gac (à compter du 21 mars 2025) ; M. Emmanuel Mandon (à compter du 16 mai 2025) ; Mme Élisa Martin (à compter du 8 mai 2025) ; Mme Estelle Mercier ; M. Éric Michoux ; Mme Joséphine Missoffe (à compter du 21 mars 2025) ; M. Yannick Monnet ; M. François Piquemal (jusqu’au 19 mai 2025 et à compter du 21 mai 2025) ; Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback ; Mme Sophie-Laurence Roy ; M. Thierry Tesson ; Mme Annie Vidal ; Mme Anne-Cécile Violland.


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos du président

Introduction

PREMIÈRE PARTIE

I. Depuis La réforme de 2013, lE NOMBRE De plans de sauvegarde de l’emploi s’est stabilisé avant de connaÎtre un regain préoccupant depuis 2024

A. Les plans de sauvegarde de l’emploi sont une modalité de licenciement pour motif économique qui offre un cadre relativement protecteur pour les salariés

1. Les plans de sauvegarde de l’emploi, qui peuvent prendre une forme unilatérale ou négociée, ont pour objectif d’éviter les licenciements économiques ou d’en limiter le nombre

2. Les plans de sauvegarde de l’emploi comportent différentes mesures visant à accompagner les salariés concernés

B. Les plans de sauvegarde de l’emploi ne reprÉsentent qu’une part marginale des ruptures de contrat de travail mais leur nombre connaît une hausse inquiÉtante et multifactorielle depuis 2024

1. Les PSE ne représentent qu’une fraction des licenciements pour motif économique mais suivent la même dynamique haussière

2. Les PSE concernent davantage des entreprises de taille moyenne, dans le secteur industriel et sont concentrés dans quelques régions

3. La forte hausse du nombre des défaillances d’entreprises explique l’augmentation du nombre des licenciements économiques et, dans une moindre mesure, de celui des PSE

4. Le rattrapage post-crise sanitaire, la hausse des coûts de l’énergie et un contexte géopolitique incertain dégradent la conjoncture économique

5. Les transitions numériques et écologiques ont déjà un impact sur la restructuration des entreprises et sur l’emploi

C. Les plans de sauvegarde de l’emploi n’en ont pas moins des effets délétères sur les salariés et les bassins d’emplois

1. Les plans de sauvegarde de l’emploi ont des effets démultipliés à l’échelle des territoires et des bassins d’emplois

a. Les PSE ont des conséquences économiques, sociales et environnementales de long terme

b. Les entreprises sous-traitantes sont particulièrement exposées aux conséquences des PSE mis en œuvre par leurs donneurs d’ordre

2. Les plans de sauvegarde de l’emploi génèrent pour les salariés des risques socioéconomiques et psychosociaux

a. Le suivi des conséquences des PSE sur les salariés pourrait être amélioré par un accès renforcé aux données

b. Les PSE ont des conséquences durables sur les salariés concernés

II. L’évolution des plans de sauvegarde de l’emploi reflète la fragilisation du droit du travail engagée depuis 2013

A. Le droit du licenciement Économique a ÉtÉ assoupli par plusieurs rÉformes successives

1. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a introduit le principe de la négociation du PSE et de son contrôle par l’administration

2. La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a redéfini le licenciement pour motif économique

a. La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a ouvert la voie à de nouvelles édulcorations des droits des salariés en cas de licenciement pour motif économique

b. La loi du 8 août 2016 a précisé les notions de difficultés économiques et de mutations technologiques, définies jusqu’alors de manière prétorienne

c. La loi du 8 août 2016 a introduit deux nouveaux motifs de licenciement économique, dont la controversée notion de « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », majoritairement mobilisée aujourd’hui à l’appui des PSE

d. Face à ces dérives, il est nécessaire de restreindre la définition du licenciement économique

3. Les « ordonnances Macron » de 2017 réformant le code du travail ont parachevé le mouvement de libéralisation

a. Le périmètre d’appréciation des critères susceptibles de justifier un licenciement pour motif économique est désormais limité au territoire national

b. Le reclassement interne à l’étranger n’est plus une obligation

c. L’introduction du barème des indemnités prud’homales, en permettant aux employeurs d’internaliser le coût du licenciement, facilite les suppressions d’emplois

B. L’apparition de nouvelles formes de gestion de l’emploi a facilitÉ le dÉploiement de « restructurations À bas bruit »

1. De nouvelles modalités de ruptures du contrat de travail ont été introduites pour faciliter les réorganisations…

a. La rupture conventionnelle collective

b. L’accord de performance collective

2. … et tendent à se substituer aux PSE

a. Un recours croissant à ces dispositifs

b. Un effet de substitution difficilement mesurable mais largement reconnu

3. Afin de limiter le risque de contournement de la législation relative aux PSE, il est impératif de mieux encadrer les dispositifs alternatifs

a. Le contrôle par l’administration des ruptures conventionnelles collectives revêt une portée trop limitée

b. Le contrôle par le juge judiciaire de la régularité des APC est insuffisant

c. Le contenu de ces dispositifs doit être davantage restreint pour mieux protéger les salariés

C. Les plans de sauvegarde de l’emploi sont anormalement compatibles avec le versement d’aides publiques aux entreprises

1. Les aides publiques aux entreprises, qui peuvent prendre différentes formes, représentent des montants considérables

2. Le conditionnement des aides publiques au maintien et à la création d’emplois doit être renforcé

a. L’octroi des aides publiques est généralement encadré par des règles qui imposent parfois la restitution des montants accordés

b. Les critères d’octroi des aides publiques relatifs au maintien de l’emploi doivent être généralisés et renforcés

III. UNE TYPOLOGIE DES PLANS DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI EN 2025 : LES ÉTUDES DE CAS effectuées PAR LA COMMISSION D’enquête

A. des restructurations d’ampleur dans les industries stratégiques

1. La fermeture de deux usines Michelin, un drame économique et social

a. La direction de l’entreprise et les organisations syndicales portent un regard différent sur les raisons de la fermeture des sites de Cholet et Vannes

b. Le PSE affectant les sites de Cholet et Vannes s’inscrit dans le cadre du déploiement plus global de mesures de gestion de l’emploi prises sur différents sites du Groupe Michelin

c. Seules les mesures d’accompagnement prévues par le PSE, dont le montant s’élève à 400 millions d’euros, ont été signées par les organisations syndicales représentatives

d. Michelin est un groupe robuste financièrement qui, malgré un soutien public significatif, fait le choix de délocaliser ses activités

2. Le cas Vencorex et Arkema, symptomatique du désengagement de la puissance publique dans la sauvegarde de l’emploi industriel

a. Les causes des difficultés économiques de Vencorex sont largement partagées par les différentes parties prenantes

b. La célérité de la fermeture du site de « Jarrie sud » par Arkema suscite des interrogations

c. Les PSE mis en œuvre sur les sites de Pont-de-Claix et de Jarrie visent prioritairement le reclassement interne et externe des salariés concernés

d. Plusieurs scénarios alternatifs à la reprise par le groupe chinois Wanhua étaient envisageables pour préserver davantage d’emplois

3. L’avenir sombre de l’emploi chez ArcelorMittal, industrie stratégique pour la souveraineté de la France

a. Dans un contexte de crise de la sidérurgie européenne, ArcelorMittal s’engage dans un projet de décarbonation d’ici 2030

b. Dans un contexte de concurrence internationale déloyale, les orientations stratégiques d’ArcelorMittal France, qui délocalise une partie de ses activités vers des pays moins réglementés, interrogent

c. Le PSE annoncé en avril 2025 s’inscrit dans la continuité d’autres restructurations, menées dans un climat social dégradé

d. En excellente santé financière, ArcelorMittal bénéficie d’un soutien exorbitant des pouvoirs publics

e. Face au désengagement d’ArcelorMittal, plusieurs solutions se dessinent, parmi lesquelles un projet de nationalisation des actifs français du groupe

B. des plans de licenciement massifs dans LE SECTEUR TERTIAIRE

1. La recomposition préoccupante de la grande distribution : les cas d’Auchan et de Casino

a. Partageant le constat alarmant des difficultés de la grande distribution, les représentants des salariés regrettent chez Auchan comme chez Casino le manque d’association aux orientations stratégiques

b. Bien qu’en difficulté financière, Auchan, qui appartient à la prospère « galaxie Mulliez », n’est pas une entreprise isolée

c. Le caractère risqué de la stratégie de croissance de Casino a été trop longtemps ignoré malgré les alertes des salariés

d. Les PSE mis en œuvre chez Auchan et Casino font craindre d’autres mesures de gestion de l’emploi à l’avenir

e. Auchan et Casino ont perçu d’importantes aides publiques

2. CCF, un groupe bancaire en perte de vitesse

a. Le motif de la sauvegarde de la compétitivité pour justifier le PSE dans un secteur bancaire en mutation mais soutenu par les pouvoirs publics est discutable

b. La stratégie économique du fonds d’investissement Cerberus interpelle quant aux moyens réellement déployés pour préserver l’emploi

c. Le PSE s’inscrit dans la continuité des réorganisations de l’emploi mises en œuvre successivement dans le groupe, qui conduisent à l’épuisement professionnel des salariés

d. La négociation du PSE est plus longue qu’escompté

C. LE SECTEUR DU PRÊT-À-PORTER DANS L’ANGLE MORT DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

1. En situation de défaillance pour des raisons différentes, Camaïeu, Kaporal et Jennyfer ont mis en œuvre des plans de licenciements d’envergure ces dernières années

a. Camaïeu, victime des pratiques de la Financière immobilière bordelaise, a mis en œuvre le PSE le plus important

b. Après une première tentative de redressement, Kaporal est aujourd’hui contraint à la fermeture

c. Jennyfer, marque emblématique des adolescentes, est plus menacée que jamais

2. Les difficultés de ces enseignes révèlent que le secteur du prêt-à-porter est un grand « oublié » des pouvoirs publics

a. Dans un contexte international hyperconcurrentiel, le prêt-à-porter français est en crise

b. Toutes ces enseignes ont pâti d’un manque de soutien des pouvoirs publics à la fois financier et durant les procédures judiciaires

c. Les dirigeants de ces enseignes déplorent une absence de perspectives et militent en faveur de la conditionnalité de l’octroi des aides publiques

seconde partie

I. Un rôle des pouvoirs publics réel mais affaibli

A. les plans de sauvegarde de l’emploi sont soumis à un contrôle administratif limitÉ

1. Les plans de sauvegarde de l’emploi sont élaborés au sein de l’entreprise avec l’aide de l’administration et en vue de leur validation ou homologation

2. Les plans de sauvegarde de l’emploi peuvent faire l’objet de différents types de recours, globalement peu utilisés

3. L’absence de contrôle administratif du motif économique du licenciement sur lequel reposent les plans de sauvegarde de l’emploi pose question

B. L’accompagnement des pouvoirs publics auprÈs des entreprises en difficulté, aux côtés d’acteurs associatifs et privés, repose sur de nombreux dispositifs ne permettant pas toujours de préserver les emplois

1. L’action des pouvoirs publics se décline à plusieurs niveaux

a. Le rôle des directions des ministères économiques et financiers

b. Le rôle des services déconcentrés de l’État

c. Les services dédiés à la restructuration

i. Le comité interministériel de restructuration industrielle

ii. La délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises

2. L’intervention des acteurs privés et associatifs est essentielle pour les entreprises en difficulté

a. Les procédures applicables aux entreprises en restructuration mobilisent diverses professions

b. Le rôle des associations et des organisations patronales

3. L’importance de la formation et de la sensibilisation des employeurs aux difficultés économiques

C. Une bataille pour l’emploi qui repose sur la volonté politique des élus locaux

1. L’action des élus locaux s’appuie sur les compétences des collectivités territoriales dans les domaines économique et social

2. La nécessité de renforcer la conditionnalité des aides versées aux entreprises par les collectivités territoriales : les enseignements tirés du cas AGCO

II. la nécessité de placer le maintien de l’emploi au cœur des interventions des pouvoirs publics auprès des entreprises en difficulté

A. Les processus de reprise des entreprises en difficulté et de revitalisation des territoires peinent À produire leurs effets

1. La nécessité de revoir les obligations des employeurs en cas de fermeture de site

a. Les entreprises de plus de 1 000 salariés sont soumises à des obligations en cas de fermeture de site ayant pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi

b. La procédure créée par la loi du 29 mars 2014 connaît un succès limité en pratique

2. Les obligations de revitalisation des employeurs doivent également être renforcées

B. la nÉcessitÉ de renforcer l’impératif du maintien de l’emploi en cas de cession d’une entreprise

1. Les cessions d’entreprises présentent de forts enjeux en matière d’emploi

2. La nécessité de mieux évaluer et encadrer l’activité des fonds de retournement : les enseignements tirés du cas Mutares

C. Les pouvoirs restreints de l’État actionnaire interrogent sur la capacité de la puissance publique à faire face aux restructurations dans des secteurs stratégiques

1. L’État peut prendre différentes formes de participations dans des entreprises

2. Pour préserver des emplois, les leviers dont dispose l’État actionnaire devraient être davantage mobilisés

III. UNE Asymétrie de moyens entre salariés et employeurs

A. une moindre maÎtrise du temps et des procédures limite les moyens des représentants du personnel pour exercer leurs pouvoirs dans l’entreprise

1. Le risque d’une négociation déloyale des plans de sauvegarde de l’emploi

a. Les représentants du personnel sont souvent placés devant le fait accompli

b. Les délais préfix encadrant la procédure d’information-consultation du CSE contraignent les prérogatives des représentants du personnel

2. Des moyens insuffisants pour des représentants du personnel soumis à une forte pression

a. Les représentants du personnel doivent composer avec des ressources limitées

b. L’accès aux experts est inégal selon les entreprises

B. Malgré les réformes successives valorisant la négociation collective, les instances représentatives du personnel se sont éloignées des salariés

C. Des administrateurs salariés au déploiement des sociétés coopératives : renforcer la place des salariés dans la gouvernance des entreprises

1. Un nécessaire approfondissement de la démocratie économique et sociale

a. En France, un management caractérisé par la faible place laissée à l’autonomie des salariés

b. La place des salariés dans les instances de gouvernance des entreprises doit être renforcée

2. Le développement du modèle coopératif (Scop et Scic) doit être mieux accompagné par les pouvoirs publics

Liste des recommandations

EXAMEN EN COMMISSION

CONTRIBUTIONS des GROUPES POLITIQUES

annexe : PRINCIPALES DONNÉES RELATIVES AUX ENTREPRISES ÉTUDIÉES

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

LISTE DES contributions écrites

 

 

 

 

 


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   avant-propos du président

 

Le 11 mars 2025, la Conférence des présidents de notre Assemblée prenait acte de la création, à l’initiative du groupe Écologiste et Social, de la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements.

Immédiatement, celle-ci s’est mise au travail. Elle a, dans des délais particulièrement resserrés, procédé à quarante et une auditions de personnalités d’horizons très divers : économistes, juristes, avocats, professeurs de droit, sociologues, dirigeants de sociétés, représentants syndicaux, administrateurs et mandataires judiciaires, élus locaux, agents de l’État et ministres ont livré leur témoignage – toujours précieux – et répondu aux interrogations – nombreuses et toujours légitimes – des députés. Qu’ils en soient sincèrement remerciés.

À l’heure du bilan, je veux me féliciter que la commission ait travaillé, en dépit du caractère clivant du sujet, dans le calme et la sérénité. Je veux saluer ses membres qui, au-delà de leurs divergences d’opinions, ont su faire preuve d’écoute et de respect les uns envers les autres.

C’est peu dire que l’objet de cette enquête parlementaire était vaste. Des réformes intervenues dans le champ du droit du travail depuis plusieurs années à l’évolution de la place du dialogue social dans les entreprises, de l’accompagnement des entreprises en difficulté au développement du modèle des sociétés coopératives, de la fiscalité aux aides publiques, des mutations du marché du travail à la hausse récente du nombre de plans de sauvegarde de l’emploi, autant de problématiques – toutes complexes mais toutes passionnantes – que les commissaires ont examinées aux fins de trouver des solutions pour répondre aux attentes des acteurs de terrain, corriger les imperfections législatives ou réglementaires et, plus généralement, améliorer l’efficacité de l’action publique.

Après quelques mois d’un travail intense et rigoureux, le rapporteur fait, comme il se doit, une série de constats et de recommandations. S’il ne m’est évidemment pas possible de les commenter dans leur intégralité, il me paraît néanmoins nécessaire de faire part, de façon très synthétique et nécessairement partielle, de quelques-unes de mes remarques et de mes convictions.

Avant toute chose, il me semble juste et utile de rappeler – car certains ont tendance à l’oublier ou à refuser de l’admettre – que la politique conduite par la majorité présidentielle depuis 2017 a produit quantité de résultats positifs. Il n’est pas envisageable d’en faire ici un inventaire exhaustif. Mais qu’il me soit tout de même permis d’insister sur quelques points.

Nul ne peut nier que cette politique s’est traduite par une baisse sensible du taux de chômage et une hausse concomitante du taux d’activité. Or, on le sait bien, c’est l’une des conditions sine qua non de l’amélioration durable de la situation économique de notre pays.

Dans un registre distinct, il me semble important de souligner que les réformes portées par la même majorité ont eu pour effet de renforcer le dialogue social au plus près du terrain. Nombre de nos interlocuteurs l’ont dit. Ne pas le reconnaître, c’est faire preuve de mauvaise foi.

Du reste, je ne peux passer sous silence les initiatives destinées à soutenir l’industrie française – que l’on songe seulement au plan France 2030 – dans un contexte marqué par la progression d’une concurrence internationale toujours plus féroce et inéquitable.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, beaucoup de changements positifs pour les entreprises et les salariés à évoquer – les progrès accomplis dans les domaines de la formation professionnelle ou de l’alternance notamment –, mais, encore une fois, cela ne peut être fait dans cet avant-propos.

Je veux le dire sans détour : les licenciements économiques, qui touchent des secteurs aussi différents que la grande distribution, l’automobile, la chimie, la sidérurgie ou le textile, ont des conséquences dramatiques pour celles et ceux qui les subissent comme pour les territoires qui en sont le théâtre. Sur ce point, nous pouvons tous nous rejoindre. Toutefois, je ne suis pas de ceux qui considèrent que les employeurs licencient pour maximiser les bénéfices ou distribuer plus de dividendes, comme aiment à le prétendre les démagogues de tous bords. Je pense plutôt qu’ils licencient quand ils n’ont plus le choix.

À l’évidence, il reste beaucoup à faire pour mieux prévenir les difficultés des sociétés, limiter autant que possible la mise en œuvre des plans sociaux et soutenir avec davantage de réussite les structures les plus fragiles.

Dans cette perspective, l’affermissement du dialogue social à l’échelle des entreprises en général et la création des conditions d’une meilleure représentation des travailleurs dans les organes de gouvernance en particulier sont des pistes intéressantes.

Par ailleurs, la révision de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange, me paraît aller dans la bonne direction pourvu qu’elle permette à la recherche d’un repreneur dans l’hypothèse d’une fermeture d’établissement de réussir plus souvent qu’à l’heure actuelle, ce qui implique, entre autres, de laisser plus de temps aux parties pour parvenir à leurs fins.

Au demeurant, je ne suis pas opposé à ce que se développe le modèle des sociétés coopératives (sociétés coopératives et participatives ou sociétés coopératives d’intérêt collectif), lesquelles peuvent, dans certains cas de figure, présenter un réel intérêt aux plans économique et social, mais je ne suis pas favorable à ce que soit créé un fonds destiné à financer les opérations de reprise sous ces formes.

Je ne suis pas non plus opposé à ce qu’un contrôle plus strict soit exercé sur les fonds d’investissement qui achètent des entreprises en difficulté avant de les vendre en espérant en tirer un profit, indépendamment de toute considération sociale. Il est vrai que certains de ces fonds ont des comportements condamnables, mais cela ne se vérifie pas systématiquement, ce qui est heureux. Peut-être faudrait‑il d’ailleurs faire en sorte qu’émergent plus de fonds français – abondés pour partie grâce à la montée en puissance du système de retraite par capitalisation que j’appelle de mes vœux – capables d’aider financièrement les entreprises en mauvaise posture.

Je suis, en revanche, franchement défavorable à ce que l’octroi des aides publiques soit assorti de nouvelles conditions. Nouvelles car, contrairement à ce que l’on entend parfois, cet octroi est le plus souvent d’ores et déjà conditionné au respect d’engagements précis. Quant à la création d’une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises, dotées de missions extraordinairement étendues, elle ne s’impose nullement. Est-il raisonnable, à l’heure de la simplification, de s’engager dans cette voie sans proposer en parallèle une véritable rationalisation de l’écosystème des aides aux entreprises ?

S’il devait y avoir une transformation en profondeur, elle devrait plutôt résider dans une remise à plat simultanée de cet écosystème et de la fiscalité des entreprises qui – cela n’est pas contestable – pèse plus lourd en France que chez ses voisins.

Le présent rapport contient des recommandations pertinentes, susceptibles de rassembler les députés siégeant sur différents bancs de l’Assemblée nationale. C’est le propre des travaux de contrôle et d’évaluation. Mais il propose également d’explorer des chemins qui ne mèneront nulle part. Ce n’est ni la hausse des dépenses publiques ou des impôts, ni la définition de règles toujours plus contraignantes pour les employeurs qui garantiront à notre pays de bons résultats économiques ou un climat social apaisé. C’est bien davantage à la poursuite de la politique de l’offre – qui a montré son efficacité – et de la simplification, mais aussi à la consolidation des dispositifs d’accompagnement des salariés licenciés, qu’il faut œuvrer résolument.


  1  

   Introduction

 

Le 11 mars 2025, la Conférence des présidents a pris acte de la création de la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements, demandée par le groupe Écologiste et Social dans le cadre de son droit de tirage.

Face à la recrudescence des plans de licenciements dans des secteurs clés de notre économie, le Parlement a pu se doter dun outil nécessaire d’évaluation précis et exigeant. Cette commission denquête a été mise en place pour répondre à lurgence sociale, économique et démocratique que représentent ces plans de licenciements à répétition, menés au détriment de la dignité des salariés et des territoires.

Alors que les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) se sont multipliés au cours de l’année 2024 et que cette tendance préoccupante s’est poursuivie au début de l’année 2025, il est apparu indispensable d’interroger les causes de cette évolution et d’évaluer les moyens et outils dont disposent les pouvoirs publics pour tenter de l’endiguer. Depuis plusieurs décennies, les politiques publiques ont souvent donné la priorité à une quête defficacité économique pensée à laune des intérêts des actionnaires, au détriment de la protection de lemploi et du tissu industriel national.

Si les licenciements économiques suscités par les PSE ne représentent qu’une part modeste des ruptures de contrat de travail, les PSE n’en ont pas moins de lourdes conséquences sur les salariés et les territoires concernés, à la fois sociales, économiques et environnementales. En outre, ils s’inscrivent dans un contexte qui a vu se développer de nouvelles formes de gestion de l’emploi permettant des restructurations « à bas bruit », attestant de fragilisations répétées du droit du travail.

La commission d’enquête a nourri ses travaux de plusieurs études de cas visant à établir une typologie des PSE contemporains. Or, ce tableau se compose d’entreprises en difficulté, mais aussi d’entreprises solides, qui ont par ailleurs bénéficié de volumes importants d’aides publiques, parfaitement compatibles dans la majorité des cas avec la mise en œuvre de licenciements économiques. Les licenciements « boursiers » sont ainsi à la fois possibles et répandus, alors même que les salariés sont souvent pris dans une asymétrie de moyens et de prérogatives lorsque l’employeur prend la décision de recourir à un PSE.

Les travaux de cette commission révèlent une constante inquiétante : le recul progressif de la capacité de l’État à orienter les choix stratégiques des grandes entreprises, y compris lorsqu’elles sont massivement soutenues par des fonds publics. La responsabilité de l’État ne peut être éludée. Trop souvent, son inaction, son silence ou ses réponses diluées ont renforcé le sentiment dabandon dans les bassins demplois.

Les pouvoirs publics, appelés à homologuer et valider les PSE et à accompagner les entreprises en difficulté et leurs salariés, disposent de plusieurs outils et leviers face à la hausse des licenciements économiques. Aux côtés d’acteurs privés et associatifs, ils peuvent intervenir à différentes étapes, tant en anticipation des difficultés que dans l’accompagnement des entreprises et des salariés exposés à un PSE.

Si leur rôle a été salué à de nombreuses reprises au cours des travaux de la commission d’enquête, il est urgent de redonner aux pouvoirs publics les moyens de protéger les emplois et les territoires, à la fois en encadrant mieux le droit des licenciements économiques, les outils de gestion de l’emploi et l’usage des aides publiques et en consolidant les leviers d’action de l’État et des collectivités territoriales. Cette évolution doit s’accompagner d’un renforcement des droits et des ressources des salariés, tant en cas de PSE que dans la gouvernance des entreprises.

La commission sest aussi penchée sur les leviers à disposition de l’État pour agir en amont des restructurations. Parmi ceux-ci, la question dune nationalisation temporaire des sites stratégiques a été évoquée comme une mesure de dernier recours, dans lintérêt général.

Dans le respect de ses prérogatives, la commission a mené ses travaux avec exigence, pluralisme et rigueur. Mais au-delà des constats techniques, elle entend aussi faire œuvre utile pour rouvrir le débat sur les responsabilités, les choix politiques et les marges daction de la puissance publique.

Le rapporteur formule en ce sens 52 recommandations.

 


  1  

   PREMIÈRE PARTIE

I.   Depuis La réforme de 2013, lE NOMBRE De plans de sauvegarde de l’emploi s’est stabilisé avant de connaÎtre un regain préoccupant depuis 2024

A.   Les plans de sauvegarde de l’emploi sont une modalité de licenciement pour motif économique qui offre un cadre relativement protecteur pour les salariés

Créés en 2002 et réformés en 2013, les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) ont pour objectif de prévenir les licenciements économiques d’ampleur ou d’en atténuer les effets. Néanmoins, comme cela est exposé dans les différentes parties de ce rapport, leur utilisation par des entreprises rentables interroge sur leur fonction réelle. Cette procédure, censée incarner une forme de régulation sociale, est aujourd’hui souvent instrumentalisée par des groupes puissants pour optimiser des choix stratégiques peu compatibles avec l’intérêt général. Malgré une place prévue pour la négociation, l’élaboration des PSE peut être fragilisée par une asymétrie entre employeur et salariés, tout particulièrement dans des grandes entreprises et comme l’ont mis en avant les études de cas réalisées par cette commission d’enquête (citons les cas d’ArcelorMittal, Auchan, Michelin, etc.). Enfin, l’administration, cantonnée à un rôle d’homologation ou de validation des PSE, ne dispose ni du temps ni des leviers nécessaires pour peser sur les orientations stratégiques des entreprises.

1.   Les plans de sauvegarde de l’emploi, qui peuvent prendre une forme unilatérale ou négociée, ont pour objectif d’éviter les licenciements économiques ou d’en limiter le nombre

Les plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) sont un dispositif qui regroupe une série de mesures visant à éviter les licenciements économiques ou à en limiter le nombre. Créés par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a substitué aux « plans sociaux » les PSE, ils ont fait l’objet d’une importante réforme portée par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Cette dernière a permis la transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 et a revu les procédures applicables et le rôle de l’État dans l’élaboration et la mise en œuvre des PSE.

La définition du licenciement économique figure à l’article L. 1233-3 du code du travail. Il s’agit d’un licenciement, qui, par opposition à un licenciement pour motif personnel, est « effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail », faisant suite à des difficultés économiques (voir infra), des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou la cessation de son activité, aux termes des critères revus par la loi n° 2016‑1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi « travail » (voir infra).

La suppression d’un emploi peut être une suppression de poste pure et simple ou une répartition des tâches effectuées par le salarié licencié entre d’autres salariés de l’entreprise. Elle n’implique pas nécessairement une diminution d’effectifs, une réorganisation de l’entreprise pouvant exiger la création de nouveaux emplois simultanément à la suppression de certaines fonctions.

La transformation d’un emploi correspond à une modification de la nature de l’emploi, du fait par exemple de tâches nouvelles ou d’une informatisation.

La modification d’un élément essentiel du contrat de travail est une modification qui touche un élément tel que la qualification, la rémunération ou la durée de travail.

L’élaboration et la mise en œuvre d’un PSE sont obligatoires lorsqu’une entreprise d’au moins 50 salariés envisage un licenciement collectif pour motif économique et se trouve dans l’une des situations suivantes :

– lorsque le projet de licenciement concerne au moins 10 salariés dans une même période de trente jours, en application de l’article L. 1233‑61 du code du travail ;

– lorsqu’il a été procédé, pendant trois mois consécutifs, au licenciement pour motif économique de plus de 10 salariés au total, sans que soit atteint le seuil de 10 salariés dans une même période de trente jours, pour tout nouveau licenciement envisagé au cours des trois mois suivants, en application de l’article L. 1233‑26 du code du travail ;

– lorsqu’il a été procédé, au cours d’une année civile, au licenciement pour motif économique de plus de 18 salariés au total, sans qu’un PSE ait dû être présenté, pour tout nouveau licenciement envisagé au cours des trois premiers mois de l’année civile suivante, en application de l’article L. 1233‑27 du code du travail ;

– lorsque 10 salariés au moins dont le licenciement est envisagé ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif économique, en application de l’article L. 1233‑25 du code du travail.

La loi du 14 juin 2013 a modifié la procédure d’élaboration des PSE, dans l’objectif de favoriser la négociation collective. Avant la réforme, les PSE reposaient sur un acte unilatéral de l’employeur, avec une simple information et consultation des instances représentatives du personnel. Depuis la réforme, les voies possibles d’élaboration du PSE sont les suivantes :

– la voie négociée, par laquelle l’employeur et les délégués syndicaux négocient un accord de droit spécial portant contenu du PSE dans le respect de l’ordre public social ([1]), signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections professionnelles dans l’entreprise ([2]). L’accord peut également aborder d’autres points, tels que les modalités d’information et de consultation du comité social et économique (CSE), le nombre de suppressions d’emploi et les catégories concernées, ou encore le calendrier des licenciements ;

– la voie unilatérale, qui repose sur l’élaboration par l’employeur d’un document unilatéral après information et consultation du CSE. Dans ce cas, le document ne peut que préciser les conditions de mise en œuvre des règles légales, sans pouvoir y déroger ;

– la voie dite « mixte », qui consiste à conclure un accord collectif portant sur le contenu du PSE complété par un document unilatéral traitant des autres éléments (critères d’ordre des licenciements, catégories professionnelles concernées…).

En pratique, la voie négociée est tentée dans la majorité des cas et la part des PSE faisant l’objet d’un accord est majoritaire dans les entreprises in bonis, ne connaissant pas de difficultés (voir infra).

évolution du recours à la voie négociée
dans l’élaboration des pse depuis 2015

Source : délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Ces différents modes d’élaboration, qui déterminent la nature du contrôle appliqué par l’administration (voir infra), s’accompagnent d’une procédure d’information et de consultation du comité social et économique (CSE), conformément à l’article L. 1233-28 du code du travail. La consultation doit porter, conformément à l’article L. 1233-30 du même code, sur :

– d’une part, l’opération projetée et ses modalités d’application, soit le projet de restructuration ([3]) et de compression des effectifs ;

– d’autre part, le projet de licenciement collectif, soit le nombre de suppressions d’emploi, les catégories professionnelles concernées, les critères d’ordre et le calendrier prévisionnel des licenciements, les mesures sociales d’accompagnement prévues par le PSE et, s’il y a lieu, les conséquences des licenciements projetés en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail. Ces éléments ne sont toutefois pas soumis à la consultation du comité dès lors qu’un accord collectif a été conclu, conformément à l’article L. 1233‑24‑1 du code du travail.

En application des articles L. 1233-31 et L. 1233-32 du code du travail, l’employeur adresse au CSE tous renseignements utiles ayant trait au projet de licenciement collectif ([4]).

L’information du comité social et économique
sur le projet de licenciement collectif

Aux termes de l’article L. 1233‑31 du code du travail, l’employeur adresse aux représentants du personnel, avec la convocation à la première réunion, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif.

Dans le détail, il indique :

– la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet ;

– le nombre de licenciements envisagé ;

– les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements ;

– le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l’établissement ;

– le calendrier prévisionnel des licenciements ;

– les mesures de nature économique envisagées ;

– le cas échéant, les conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail.

La consultation porte ainsi sur le livre 1, soit l’ensemble des mesures liées aux licenciements (conditions de départ, critères d’ordre des départs, mesures d’accompagnement, etc.), le livre 2, soit une présentation de la situation économique et financière de l’entreprise et des motivations du projet, et le livre 4, qui décrit l’impact du projet sur la santé, la sécurité et les conditions de travail.

La notion de catégories professionnelles, dont la définition occupe une place centrale dans l’élaboration des PSE, renvoie, selon un arrêt rendu le 13 février 1997 ([5]) par la Cour de cassation, à « l’ensemble des salariés qui exercent au sein de l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ». Ainsi, au sein d’une même catégorie professionnelle, le salarié occupant le poste supprimé ne sera pas nécessairement licencié et pourra être réaffecté sur un autre poste non supprimé. Des critères d’ordres de licenciement sont appliqués pour chaque catégorie professionnelle concernée ([6]), dès lors que l’employeur se trouve contraint d’opérer un choix parmi les salariés concernés par le projet de réorganisation au sein d’une ou plusieurs catégories professionnelles touchées.

Afin de sécuriser les procédures de licenciements économiques, la loi du 14 juin 2013 a également instauré des délais préfix pour la phase d’information‑consultation du CSE.

Le comité, qui tient au minimum deux réunions espacées de quinze jours a minima, rend ses deux avis dans un délai qui dépend du nombre de licenciements envisagé et qui, à compter de la date de sa première réunion, ne peut être supérieur à :

– deux mois lorsque ce nombre est inférieur à cent ;

– trois mois lorsque ce nombre est au moins égal à cent et inférieur à deux cent cinquante ;

– quatre mois lorsque ce nombre est au moins égal à deux cent cinquante.

Les délais prévus en cas de PSE sont ainsi plus importants que pour les licenciements économiques intervenant hors PSE.

modalités de consultation du cse
selon le type de licenciement économique

Nombre de licenciements économiques et de salariés dans l’entreprise

Consultation du CSE

PSE

2 à 9 licenciements

Délai de consultation de 1 mois au maximum

Art. L. 1233-8 du code du travail

Non

10 licenciements et plus, entreprise de moins de 50 salariés

Délai de consultation de 14 jours

Art. L. 1233-29 du code du travail

Non

10 licenciements et plus, entreprise d’au moins 50 salariés

Délai de consultation de 2, 3 ou 4 mois

Art. L. 1233-30 du code du travail

Oui

Art. L. 1233-61 du code du travail

Il peut formuler des propositions de modifications du projet de restructuration et des suggestions relatives aux mesures sociales proposées, que l’employeur étudie et auxquelles il apporte une réponse motivée, conformément à l’article L. 1233‑33 du code du travail.

Lorsque le plan repose sur un accord collectif, le CSE est consulté sur le contenu de l’accord avant sa signature mais il ne peut pas faire de propositions en vue de le modifier. Il est également consulté sur le projet de restructuration et de compression des effectifs. Lorsqu’il s’agit d’un document unilatéral établi par l’employeur, le CSE rend un avis sur le projet de restructuration et de compression des effectifs ainsi qu’un avis sur le projet de licenciement. Tous les points du PSE sont soumis à son appréciation, en amont de la finalisation du document. Dans le cas de figure où le PSE est issu à la fois d’un accord collectif et d’un document établi unilatéralement par l’employeur, les règles d’information et de consultation propres à chaque mode d’élaboration s’appliquent, les unes pour la partie négociée, les autres pour la partie décidée par l’employeur.

2.   Les plans de sauvegarde de l’emploi comportent différentes mesures visant à accompagner les salariés concernés

Les mesures devant être contenues dans le PSE sont également encadrées par le code du travail. Les PSE doivent ainsi comporter un nombre important de dispositifs et mesures visant à l’accompagnement des salariés concernés, qui ne sont pas tous nécessairement licenciés. Comme évoqué au point C de la présente partie, les mesures d’accompagnement ne garantissent pas toujours un retour rapide à l’emploi ni une protection contre la précarité, tout particulièrement pour les salariés des zones désindustrialisées ou des filières fragilisées.

En application de l’article L.1233-62 du code du travail, le PSE doit notamment prévoir les mesures suivantes :

 des actions en vue du reclassement interne sur le territoire national des salariés, sur des emplois relevant de la même catégorie d’emplois ou équivalents à ceux qu’ils occupent ou, sous réserve de l’accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;

– des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements ;

– des créations d’activités nouvelles par l’entreprise ;

– des actions favorisant le reclassement externe à l’entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d’emploi ;

– des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;

– des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;

– des mesures de réduction ou d’aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires réalisées de manière régulière lorsque ce volume montre que l’organisation du travail de l’entreprise est établie sur la base d’une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée.

Le PSE peut également prévoir des mesures facultatives, comme des primes à l’incitation au départ volontaire ou des mesures pouvant tenir compte des problèmes spécifiques de certains salariés (personnes handicapées, femmes enceintes, etc.).

En application de l’article L. 1233-61 du code du travail, le PSE doit intégrer un plan de reclassement « visant à faciliter le reclassement sur le territoire national des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile ». Le plan de reclassement interne contient la liste des postes envisageables pour un reclassement ainsi que des mesures d’accompagnement ou d’autres mesures de reclassement, dont la liste n’est pas définie par le code du travail (actions de formation, aides à la mobilité géographique, visite du nouveau lieu de travail, etc.).

Le PSE peut également contenir un plan de départs volontaires (PDV), qui correspond à un mode de rupture particulier d’un contrat à durée indéterminée (CDI), sur la base d’un commun accord entre l’employeur et le salarié ([7]).

Ainsi, selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail publiée en janvier 2024, en moyenne, entre 2018 et 2021 ([8]), 63 % des salariés concernés par un PSE ont été licenciés, 27 % ont opté pour un départ volontaire et 9 % ont fait l’objet d’un reclassement en interne au sein de l’entreprise ou de son groupe.

Répartition des salariés concernés par un PSE,
par année, entre 2018 et 2021

Source : DGEFP, Rupco, Dares.

Les mesures prévues par le PSE, qui doit être proportionné aux moyens financiers de la structure ou du groupe, sont financées par l’entreprise, qui peut bénéficier d’une aide financière de l’État lorsqu’elle ne peut pas en assumer la charge.

Si le coût total des PSE n’est pas toujours connu dans la mesure où les entreprises ne sont pas tenues de le communiquer à l’administration, celui-ci dépend de nombreux facteurs (support du PSE, situation de l’entreprise et difficultés rencontrées, statut des salariés concernés, secteur, etc.). Ce coût peut être très variable. Si les coûts estimés des PSE mis en œuvre par les entreprises Michelin et Crédit commercial de France (CCF) (voir infra) s’élèvent respectivement à 400 et 300 millions d’euros ([9]), ils sont parfois très inférieurs, ainsi que l’a expliqué Mme Nadia Gssime, docteure en droit, laquelle a évoqué des sommes allant de 30 000 euros pour un PSE impliquant 50 licenciements à 16,9 millions d’euros pour un PSE impliquant 204 licenciements ([10]) .

De façon générale, les mesures d’accompagnement des salariés prévues en cas de PSE sont plus protectrices que les mesures prévues en cas de licenciement économique hors PSE, ou encore en cas de rupture conventionnelle. Si des indemnités légales sont prévues pour tous les salariés en CDI licenciés pour un autre motif qu’une faute grave ou lourde ([11]), les salariés licenciés dans le cadre d’un PSE peuvent aussi bénéficier d’une indemnité supralégale, dont le montant est fixé après négociation entre les représentants du personnel et l’employeur, ou encore de compléments tels que la prime de départ volontaire.

les différentes mesures d’accompagnement des salariés
en fonction des procédures d’ajustement de l’emploi

 

 

 

Mesures d’accompagnement des salariés

Modalités de fin du contrat de travail

Indemnités de rupture du contrat de travail

Contrat de sécurisation professionnelle (entreprises de moins de 1 000 salariés et entreprises en procédure collective)

Congé de reclassement (entreprises in bonis de 1 000 salariés)

Aides financières (mobilité, différentiel de rémunération, création / reprise d’entreprise), actions de formation

Revitalisation des bassins d’emploi

Licenciement pour motif économique

hors PSE

 

 

 

 

PSE

Plan de départs volontaires dans le cadre d’un PSE

Ruptures conventionnelles

collectives

 

 

individuelles

 

 

 

 

Fin de contrats temporaires (CDD, CTT)

 

 

 

 

 

Source : Cour des comptes.

Parmi les principaux dispositifs d’accompagnement mis en œuvre en cas de PSE figurent le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) – également mobilisable hors PSE – et le congé de reclassement, qui n’est toutefois pas applicable pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire (voir infra). Ces mesures relèvent du reclassement externe, en dehors de l’entreprise ou du groupe auquel celle-ci appartient, au même titre que des mesures telles que les aides à la création d’entreprise ou les dispositifs de dispense d’activité en vue de rechercher un emploi, ou encore les aides financières pour passer le permis de conduire ou les aides à la rédaction de curriculum vitæ (CV) et de lettre de motivation.

Dispositifs d’accompagnement des salariés licenciés pour motif économique selon les caractéristiques de l’entreprise

Taille de l’entreprise

Nombre de licenciements pour motifs économique envisagés sur un mois

Dispositif d’aide au reclassement proposé par l’entreprise aux salariés licenciés pour motif économique

Obligation d’élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi

< 50 salariés

Quel que soit le nombre de salariés concernés

Proposition d’un contrat de sécurisation professionnelle

-

de 50 à 999 salariés

Entre 1 et 9 salariés

10 salariés ou plus

> 1 000 salariés

Entre 1 et 9 salariés

Proposition d’un congé de reclassement (sauf si le salarié bénéficie d’un congé de mobilité ou si l’entreprise est en redressement ou en liquidation judiciaire : dans ce dernier cas, proposition d’un contrat de sécurisation professionnelle)

-

10 salariés ou plus

Source : Cour des comptes.

Le contrat de sécurisation professionnelle ([12]) est un dispositif d’accompagnement intensif mis en œuvre par France Travail. D’une durée de douze mois, il a pour objectif le retour rapide à l’emploi durable (CDI, contrat à durée déterminée (CDD), contrat de travail temporaire de plus de six mois ou encore création ou reprise d’entreprise). Il combine plusieurs éléments : un accompagnement renforcé et personnalisé assuré par des professionnels dédiés, une allocation spécifique, l’allocation de sécurisation professionnelle (ASP), dont le montant est en général plus avantageux que celui de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) ([13]) et équivalent au salaire net ([14]), des aides au reclassement spécifiques (indemnité différentielle de reclassement, prime de reclassement) et une protection sociale sans cotisation supplémentaire. D’autres aides financières sont également prévues, répondant à divers objectifs (mobilité, création ou reprise d’entreprise, formation, etc…).

Selon les données fournies par France Travail, sur les dix dernières années, entre 48 % et 64 % des personnes inscrites à France Travail à la suite d’un licenciement économique ont adhéré au CSP.

Le congé de reclassement ([15]), entièrement financé par l’entreprise, permet aux salariés qui en bénéficient de disposer d’un accès privilégié à la formation et d’un accompagnement dans leurs démarches de recherche d’emploi, souvent assuré par un cabinet spécialisé sélectionné par l’employeur, au sein d’une cellule de reclassement. Il se distingue du CSP sur plusieurs points (durée d’accompagnement allant de quatre à douze mois ([16]), allocation d’un montant minimum égal à 65 % du salaire brut de référence des douze derniers mois, modalités d’accompagnement variables selon la situation de l’entreprise).

Pour les entreprises placées en procédure collective, l’État peut intervenir pour apporter un accompagnement renforcé aux salariés, sous la forme de deux principaux dispositifs :

– la cellule d’appui à la sécurisation professionnelle (CASP) prend en charge, pendant six semaines, de façon anticipée et collective les salariés dont le licenciement est envisagé avant leur entrée potentielle en contrat de sécurisation professionnelle. Elle permet d’informer les salariés sur les conséquences de leur licenciement et de leur adhésion audit contrat, d’initier une réflexion sur leur projet professionnel et de leur apporter, le cas échéant, un appui psychologique. Sont concernées les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire qui emploient plus de 20 salariés et qui licencient au moins 20 personnes ;

– la prestation grands licenciements (PGL) combine la CASP et l’accompagnement en CSP ; elle est proposée dans un souci d’équité d’accompagnement de tous les salariés d’une même entreprise répartis en plusieurs points du territoire. Elle permet par ailleurs un suivi renforcé de l’accompagnement. Sont concernées les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire qui licencient au moins 200 personnes réparties en plusieurs points du territoire.

évolution du recours à la cellule d’appui
à la sécurisation professionnelle

Source : DGEFP.

Les CASP et le CSP ont entraîné la suppression progressive des cellules de reclassement, qui étaient accordées dans le cadre de PSE financés totalement ou partiellement par l’État et avaient vocation à accompagner les salariés licenciés des entreprises en difficulté. Comme l’a indiqué la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) au rapporteur, l’absence de plus-value des cellules de reclassement après la mise en œuvre du CSP et la prise en compte des faiblesses de ce dispositif ont amené la DGEFP à refuser toute mise en place de cellule de reclassement depuis 2018, au profit de la mobilisation des CASP, du CSP et de la PGL en fonction des caractéristiques des entreprises concernées.

En outre, en plus de ces dispositifs de droit commun, dans le cadre du plan d’actions et de soutien spécifique de la filière automobile annoncé par le Gouvernement le 26 avril 2021, l’État a créé, en partenariat avec les constructeurs automobiles Renault et Stellantis et les acteurs de la filière, un fonds exceptionnel d’accompagnement et de reconversion des salariés licenciés économiques de la filière automobile. Ce fonds, doté de 50 millions d’euros dont 20 millions apportés par les constructeurs et 30 millions apportés par l’État, aura permis d’accompagner plus de 3 000 salariés licenciés économiques de 26 entreprises de la filière automobile entre juin 2021 et juillet 2025. En raison de moyens renforcés par rapport aux dispositifs de droit commun, le taux de reclassement des bénéficiaires du fonds est supérieur au taux de reclassement des dispositifs de droit commun. Entre 2021 et 2024, 25 CASP ont été financées et mises en œuvre dans ce fonds, au bénéfice de 2 908 salariés licenciés.

B.   Les plans de sauvegarde de l’emploi ne reprÉsentent qu’une part marginale des ruptures de contrat de travail mais leur nombre connaît une hausse inquiÉtante et multifactorielle depuis 2024

1.   Les PSE ne représentent qu’une fraction des licenciements pour motif économique mais suivent la même dynamique haussière

Ainsi que l’a d’emblée rappelé M. Rémi Bourguignon, professeur des universités, « d’un point de vue strictement statistique, les PSE représentent un phénomène assez marginal dans la gestion globale de l’emploi en France. Bien qu’ils soient très médiatisés, notamment en période de crise ou lors de restructurations importantes, leur volume reste relativement limité. » ([17])

Pour le rapporteur, le fait que les PSE ne représentent qu’une fraction des licenciements ne doit pas masquer leur rôle d’indicateur des choix économiques dominants. Leur hausse, bien que marginale en volume, est révélatrice de stratégies de rentabilité actionnariale déconnectées de la réalité sociale.

Les licenciements pour motif économique ne représentent eux-mêmes qu’une faible part des ruptures de contrat de travail, comme l’a souligné M. Clément Malgouyres, chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) auprès du Centre de recherche en économie et statistique (CREST) : « La situation actuelle est très différente de celle qui prévalait en 2008 et 2009, au moment de la crise financière. […] La différence est encore plus marquée en ce qui concerne les licenciements économiques. Au pic de la crise de 2008, ils représentaient environ 11 % des ruptures de contrat à durée indéterminée (CDI). Depuis, ce taux a régulièrement diminué, même lors des périodes de hausse du chômage, comme en 2011-2013. » ([18])

Ainsi, selon les données fournies par la Dares, au quatrième trimestre 2024, 18 200 licenciements pour motif économique ont eu lieu, représentant 1 % des ruptures de contrat de travail, hors CDD arrivés à terme. Dans le détail, le nombre de procédures de licenciement collectif pour motif économique, hors PSE, s’établit à 3 205 ; 91 % concernent des licenciements collectifs de moins de 10 salariés et 9 % concernent des licenciements collectifs de 10 salariés ou plus mis en œuvre par des entreprises de moins de 50 salariés.

RÉPARTITION DES RUPTURES DE CONTRAT DE TRAVAIL,
HORS CDD ARRIVÉS À TERME, par motif AU 4ème trimestre 2024

Lecture : les licenciements économiques représentent 1 % des ruptures de contrat de travail, hors CDD arrivés à terme, au quatrième trimestre 2024.

Source : commission d’enquête, sur la base des données de la Dares.

Toutefois, le nombre de licenciements économiques connaît une hausse préoccupante, comme le révèle le nombre d’entrées à France Travail pour ce motif, qui a atteint son plus haut niveau depuis la crise sanitaire. Sur les deux dernières années, France Travail a ainsi enregistré plus de 48 000 inscriptions à la suite de licenciements économiques.

NOMBRE MOYEN D’ENTRÉES À FrANCe TRAVAIL À LA SUITE
D’UN LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE (EN MILLIERS de personnes)

Lecture : au quatrième trimestre 2024, près de 10 000 entrées à France Travail étaient dues à un licenciement économique.

Source : STMT-France Travail, Dares

D’après les dernières données disponibles fournies par la DGEFP, entre le 1er janvier et le 31 mars 2025, 200 PSE ont été initiés, représentant 14 094 ruptures prévisionnelles de contrat de travail. Le nombre de dossiers initiés entre le 1er janvier et le 31 mars 2025 est ainsi en hausse de 32,4 % par rapport à la même période en 2024. Le nombre de ruptures prévisionnelles en début de procédure est, quant à lui, stable.

Lors de son audition, le directeur de la Dares a apporté quelques précisions sur cette tendance : « Les informations issues du dispositif Rupco, qui suit l’ensemble de la procédure des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), depuis leur déclaration jusqu’à leur validation ou homologation, montrent une augmentation du nombre de PSE au cours des derniers mois. Ce niveau reste néanmoins inférieur à celui observé au milieu des années 2010. Sur un an, le nombre de PSE validés ou homologués progresse de 27 %, tandis que le nombre de ruptures de contrats de travail concernés par ces PSE augmente de 131 %. Cette dernière évolution est toutefois portée par un nombre restreint d’entreprises. » ([19])

Plans de sauvegarde de l’emploi validÉs ou homologuÉs
et ruptures de contrat de travail envisagÉes concernÉes

Lecture : au deuxième trimestre 2024, 140 PSE ont été validés ou homologués et 10 000 ruptures de contrat de travail sont concernées.

Source : Dreets-DGEFP, SI-Homologation et Rupco, traitements Dares.

Pour le rapporteur, cette évolution témoigne d’un affaiblissement du droit du travail consécutif aux réformes successives de 2013, 2015, 2016 et 2017 qui ont facilité les restructurations rapides.

2.   Les PSE concernent davantage des entreprises de taille moyenne, dans le secteur industriel et sont concentrés dans quelques régions

Les données et constats factuels qui suivent ont été présentés par la Dares lors de son audition.

● En 2024, la moitié des PSE validés ou homologués par l’autorité administrative concernent des entreprises de moins de 150 salariés. Celles-ci concernent néanmoins 29 % des ruptures de contrat de travail autorisées. La part des entreprises de 1 000 salariés et plus a été particulièrement importante pendant la crise sanitaire : 14 % des PSE validés ou homologués en 2021 (pour 45 % des ruptures autorisées), contre 10 % en 2024 (pour 37 % des ruptures autorisées).

ruptures validÉes ou homologuÉes selon la taille de l’entreprise

Lecture : en 2024, environ 20 500 ruptures de contrat de travail ont été validées ou homologuées dans des entreprises de plus de 1 000 salariés.

Source : DGEFP, SI Rupco, données brutes, traitements Dares.

Les entreprises de 1 000 salariés et plus concentrent davantage de ruptures autorisées en 2024 en raison d’un nombre très limité d’entreprises de grande taille concernées.

● En 2024, l’industrie concentre 22,3 % des ruptures de contrat validées ou homologuées dans le cadre d’un PSE contre, en moyenne, 32 % entre 2014 et 2023, tandis que sa part dans l’emploi salarié est restée stable sur cette période – autour de 11 % –, ce qui indique une forte surreprésentation de ce secteur parmi les PSE.

48 % des ruptures concernent le commerce, les activités et techniques et les activités de services administratifs et de soutien, tandis que seuls 27 % des salariés travaillent dans ces secteurs à la fin de l’année 2023.

répartition des ruptures autorisées dans le cadre d’un pse
selon le secteur de l’entreprise

Lecture : l’industrie manufacturière concentre 22,3 % des ruptures maximales autorisées dans le cadre d’un PSE (en 2024) contre 10,5 % de l’emploi salarié (fin 2023).

Source : DGEFP, SI Rupco, données brutes, traitements Dares, Insee, estimations d’emploi.

● En moyenne, 40 % des ruptures de contrat de travail sont autorisées dans un établissement situé en Île-de-France dans le cadre d’un PSE entre 2014 et 2023, alors que la région ne concentre que 23 % de l’emploi salarié. Cette part baisse à 29 % en 2024. Les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Normandie concentrent ensemble près d’un tiers des ruptures en 2024.

RUPTURES VALIDÉES OU HOMOLOGUÉES
SELON LA RÉGION DE L’Établissement en 2024

Lecture : en 2024, 15 936 ruptures autorisées sont envisagées dans un établissement d’Îlede-France.

Source : DGEFP, SI Rupco, données brutes, traitements Dares.

Cette concentration des PSE en Île-de-France s’explique notamment par le fait que beaucoup de sièges sociaux y sont installés. Et, en vertu de l’article L. 1233-57-8 du code du travail, l’autorité administrative compétente pour prendre la décision d’homologation ou de validation est celle du lieu où l’entreprise ou l’établissement concerné par le projet de licenciement collectif est établi. Ainsi, les PSE liés à la fermeture des sites de Michelin à Vannes et à Cholet ont été validés par la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) d’Auvergne-Rhône-Alpes.

Lors de son audition, M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail, a rappelé que le dispositif « Prestation grand licenciement » (PGL) permet, lorsqu’un PSE affecte non seulement le siège de l’entreprise mais aussi des salariés répartis sur l’ensemble du territoire, un accompagnement uniforme partout en France.

Pour le rapporteur, cette concentration territoriale révèle aussi l’insuffisance des politiques industrielles et de réindustrialisation sur les territoires déjà éprouvés par des décennies de désengagement. La succession de restructurations mal accompagnées participe à une perte de confiance des citoyens envers la puissance publique, renforçant les fractures territoriales.

3.   La forte hausse du nombre des défaillances d’entreprises explique l’augmentation du nombre des licenciements économiques et, dans une moindre mesure, de celui des PSE

● D’après l’Observatoire des données économiques du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), on dénombrait, au 14 mars 2025, 65 683 défaillances en 2024, soit une progression de 17,6 % par rapport à 2023 – un niveau historiquement élevé puisque supérieur à celui de la crise économique de 2008.

DÉFAILLANCES D’ENTREPRISES en MILLIERS (CUMULÉES SUR 12 MOIS)

Lecture : en 2024, 66 000 entreprises étaient défaillantes.

Source : Banque de France.

193 150 emplois ont été menacés par une procédure collective en 2024 ([20]), notamment du fait de la défaillance de l’entreprise Milee, qui comptait 10 207 salariés. Ce chiffre est moins important qu’en 2023 : 213 085 emplois étaient menacés, en partie du fait de l’entrée en procédure collective d’entreprises de taille importante, comme Casino ou Orpea. D’après le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), 30 % des emplois menacés seraient in fine détruits.

Qu’est-ce qu’une défaillance d’entreprise ?

La défaillance d’entreprise renvoie à une situation où l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à ses obligations financières, comme le remboursement de ses dettes, le paiement des salaires ou la couverture de ses charges d’exploitation. L’entreprise risque alors de se retrouver en état de cessation des paiements tel que défini à l’article L. 631-1 du code de commerce, c’est-à-dire dans l’incapacité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.

En droit, la défaillance d’entreprise recouvre trois procédures collectives distinctes : la sauvegarde (art. L. 620-1 et suivants du code de commerce), le redressement judiciaire (art. L. 631-1 et suivants du code de commerce) ou la liquidation judiciaire (art. L. 640‑1 et suivants du code de commerce) :

-          la sauvegarde concerne les entreprises dont les difficultés financières les placent dans l’imminence d’une cessation des paiements (non encore avérée) et pour lesquelles le sauvetage semble envisageable si les mesures nécessaires sont prises à temps. Elle est instaurée pour une durée maximum de dix-huit mois ;

-          le redressement judiciaire s’applique aux entreprises en situation de cessation des paiements mais dont la survie reste possible en cas de restructuration. L’objectif est de créer un plan de redressement pour envisager la poursuite d’activité et la sauvegarde, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Elle s’appuie sur une période d’observation d’une durée maximum de dix-huit mois (six mois renouvelables trois fois maximum), qui peut aboutir soit à un plan de redressement par continuation si le tribunal estime que le débiteur est capable de rétablir l’entreprise, soit à la cession de l’entreprise à un tiers avec sauvetage de l’emploi dans le cas inverse, soit à une liquidation judiciaire s’il n’existe aucun espoir de redressement ;

-          la liquidation judiciaire est prononcée lorsque l’entreprise se trouve en état de cessation des paiements et que son redressement semble impossible. Dans ce cas, l’activité est immédiatement arrêtée. Les salariés sont licenciés et les actifs de la société sont vendus par un liquidateur, afin de rembourser les créanciers.

● La répartition sectorielle des défaillances d’entreprise reste assez stable tandis que la taille moyenne des entreprises défaillantes croît, contribuant nettement à l’augmentation de l’emploi menacé ([21]). Ainsi, en 2024, les défaillances ont augmenté de 60 % par rapport à la moyenne pré-crise (2017 à 2019) pour les petites entreprises de 10 à 49 salariés et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de 250 à moins de 5 000 salariés, soit un rythme plus rapide que pour les défaillances des très petites entreprises (TPE) de 1 à 9 salariés, qui ont crû de 16 %. Les moyennes entreprises de 50 à 249 salariés connaissent la plus forte croissance des défaillances, en hausse de 70 % par rapport à la période pré-crise précitée.

NOMBRE DE DÉFAILLANCES PAR TAILLE D’ENTREPRISE

Lecture : en 2024, 27 949 TPE étaient en défaillance.

Source : bases Bodacc et FAIRE ; calculs DGE sur le champ des unités légales d’au moins un salarié.

● D’après les données fournies par la DGEFP, les PSE initiés par des entreprises en situation de redressement ou de liquidation judiciaire représentaient, entre le 1er et le 31 mars 2025, 38,8 % du total. Cela signifie que la majorité des PSE est initiée dans des entreprises in bonis relevant du droit commun, qui ne sont pas en risque de défaillance.

ruptures VAlidÉes ou homOloguÉes
selon la situation juridique de l’entreprise en 2024

Lecture : en 2024, environ 28 500 ruptures autorisées sont envisagées dans des entreprises in bonis.

Source : DGEFP, SI Rupco, données brutes, traitements Dares.

Les PSE concernant des entreprises qui relèvent du droit commun représentaient 75 % des ruptures validées ou homologuées entre 2014 et 2020 et 64 % des mêmes ruptures en 2024.

Au total, l’aggravation des défaillances d’entreprises explique l’accroissement du nombre des licenciements pour motif économique mais dans une moindre mesure seulement l’augmentation du nombre des PSE, dont une majorité demeure initiée dans des entreprises non défaillantes. Le rapporteur tient à insister sur le fait que parmi ces entreprises non défaillantes figurent de grands groupes en excellente santé financière qui procèdent à des fermetures de sites pour des raisons d’optimisation financière internationale, sans que la puissance publique ne s’y oppose.

4.   Le rattrapage post-crise sanitaire, la hausse des coûts de l’énergie et un contexte géopolitique incertain dégradent la conjoncture économique

Les causes conjoncturelles de la hausse du nombre des licenciements économiques ont été largement identifiées lors des auditions de la commission d’enquête. Toutefois, pour le rapporteur, ces facteurs exogènes ne sauraient exonérer les choix politiques de soutien inconditionnel aux entreprises, ni les stratégies patronales court-termistes. En outre, ces situations conjoncturelles ont pu servir de justification à des plans opportunistes, parfois programmés bien avant la guerre en Ukraine ou la hausse des coûts énergétiques.

● Pour reprendre les termes du secrétaire général du Ciri, les années 2020 et 2021 ont été caractérisées par un « effondrement statistique artificiel » des défaillances d’entreprises dû aux aides d’État massives pendant la crise sanitaire (prêts garantis par l’État, activité partielle, reports de charges, gel des assignations), lesquelles ont ramené le nombre de défaillances à un point bas de 27 582 en décembre 2021.

Or, nous assistons aujourd’hui à une double tendance : d’une part, certaines entreprises déjà en difficulté en 2020 et artificiellement maintenues en vie font faillite aujourd’hui. D’autre part, des entreprises fragiles sont précipitées vers la faillite avec l’échéance du remboursement des aides exceptionnelles accordées par l’État.

Le dispositif de prêt garanti par l’État (PGE)

Le prêt garanti par l’État est un dispositif de soutien aux entreprises déployé en mars 2020 pour atténuer les retombées économiques de la crise du covid-19. Il consiste à accorder des prêts aux entreprises françaises avec la garantie de l’État à des taux d’intérêt entre 1 % et 2,5 % pour une durée maximale de six ans.

Sont éligibles les sociétés non financières établies en France, indépendamment de leur taille ou de leur forme juridique (micro-entrepreneurs, agriculteurs, artisans, professions libérales, petits commerces, PME, grandes entreprises, etc.).

Le montant maximal du prêt dépend de la taille de l’emprunteur :

– pour les entreprises créées avant le 1er janvier 2019, le montant maximal du prêt équivaut à 25 % du chiffre d’affaires en 2019 ;

– pour les entreprises créées après le 1er janvier 2019, le montant maximal du prêt équivaut à 2 ans de masse salariale estimés ;

– pour les entreprises considérées comme « innovantes », notamment les start-ups, le montant maximal du prêt est le plus élevé, entre 25 % du chiffre d’affaires (année de référence 2019) ou 2 ans de masse salariale ;

– les entreprises de plus de 5 000 salariés ou dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1,5 milliard d’euros nécessitent une pré-approbation du prêt de la part du Trésor Public.

La garantie de l’État varie de 70 % à 90 % selon la taille et le chiffre d’affaires de l’emprunteur.

Entre mars 2020 et juin 2022, près de 700 000 PGE ont été accordés par les banques pour un montant total avoisinant 145 milliards d’euros.

Les premiers remboursements devaient initialement être effectués dès 2021 mais, à la suite du deuxième confinement, le délai de remboursement a été prolongé de deux années supplémentaires.

S’agissant des premières, une étude de la direction générale des entreprises (DGE) ([22]) confirme que les entreprises défaillantes présentent un écart de productivité légèrement accru par rapport aux entreprises pérennes – de l’ordre de 20 % –, comparé à la situation antérieure à la crise sanitaire. En clair, la hausse des défaillances d’entreprises en 2024 serait une conséquence différée de la baisse des défaillances pendant la crise sanitaire.

La situation dramatique des entreprises devant aujourd’hui faire face à un mur de la dette a été largement évoquée lors des auditions. Ainsi, M. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique, s’est montré particulièrement sévère à l’encontre de ce dispositif : « Aujourd’hui, l’État procède à un recouvrement à travers les banques et, ce faisant, envoie au tapis des entreprises qui ne sont pas en mesure de rembourser et qui achèvent leur parcours au tribunal de commerce. En ce moment, les PGE sont des machines à tuer les entreprises. […] De leur côté, les États-Unis ont proposé l’équivalent de notre PGE, mais sur trente ans, soit sur quasi-fonds propres. Cette mesure change tout. Le ministre m’a répondu qu’il devait retourner en discuter à Bruxelles. Mais pendant ce temps, le feu se répand dans nos entreprises. En résumé, les aides peuvent être létales ; les PGE représentent une aide destructrice. » ([23])

Toutefois, selon M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DG Trésor), le remboursement des PGE « se poursuit globalement sans difficulté majeure » ([24]). À la fin du mois de décembre 2024, le montant restant à rembourser s’élevait à 37 milliards d’euros, soit 26 % du montant total des prêts octroyés. La sinistralité brute constatée à ce jour atteint 5 milliards d’euros, ce qui représente environ 3,5 % du volume total.

 Pour la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) d’Île-de-France, l’augmentation des défaillances d’entreprises « s’explique sans doute principalement par un effet de rattrapage faisant suite à la période particulière du covid-19, et dans une moindre mesure par les conséquences de la hausse des prix de l’énergie et des taux d’intérêt » ([25]).

En effet, la conjoncture économique, caractérisée par une hausse des prix de l’énergie, une inflation généralisée sur l’ensemble des postes de charge des entreprises et des taux d’intérêt à la hausse entraînant un accès plus restreint au crédit, a des effets néfastes sur la santé économique des entreprises.

Ainsi que le rappelle M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), « jusqu’en 2021, la situation était en effet caractérisée par la faiblesse de la demande et de l’offre, cette dernière étant fortement contrainte par la désorganisation des chaînes logistiques mondiales. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2022, puis au début de l’année 2023, que les échanges internationaux ont véritablement repris, au moment de l’apparition d’une inflation d’une ampleur inédite depuis plus de quinze ans. Cette hausse généralisée des coûts a mécaniquement contracté les marges des entreprises […]. » ([26])

La hausse de ces coûts a été particulièrement mortifère pour le secteur du prêt-à-porter. Une étude citée par M. Bailly, effectuée dans la distribution textile, a mis en évidence que, pour préserver la rentabilité nette face à l’augmentation des coûts de production, de main‑d’œuvre, de transport et de loyer, il devenait nécessaire d’accroître les prix de vente de 13 %, sans même tenir compte de la charge représentée par les PGE. Si ces hausses tarifaires ont pu être absorbées, dans une certaine mesure, à la fin de l’année 2022 et au début de l’année 2023, elles sont devenues bien plus difficiles à maintenir à partir de l’été 2023. C’est notamment ce contexte qui a conduit aux fermetures des enseignes Camaïeu, Kaporal et Jennyfer, étudiées par la commission d’enquête (voir infra).

● Enfin, un contexte géopolitique incertain dégrade la confiance. Pour Mme Céline Domenget Morin, vice-présidente de l’ARE, « cette accumulation d’obstacles a conduit certaines entreprises à entrer dans la "zone rouge". […] Dans un contexte économique particulièrement contraint, marqué par une instabilité persistante, il devient naturellement difficile pour nombre d’entreprises d’honorer leur dette. Il faut souligner que la politique du "quoi qu’il en coûte", si elle avait été déployée dans un environnement plus stable, sans la crise ukrainienne ni l’explosion des taux d’intérêt, aurait sans doute produit des effets sensiblement différents. » ([27])

Interrogé par le rapporteur sur les effets économiques attendus des récentes décisions américaines en matière douanière – qualifiées de « dinguerie » par M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie et des finances ([28]) – et leurs répercussions sur les marchés financiers, M. Clément Malgouyres a indiqué qu’à court terme, cela « risque de provoquer une récession, ce qui constituera probablement l’effet de premier ordre sur l’emploi. Cet impact récessif global sur l’économie sera vraisemblablement plus significatif que les effets sectoriels. » ([29])

5.   Les transitions numériques et écologiques ont déjà un impact sur la restructuration des entreprises et sur l’emploi

● Les mutations technologiques, qui figurent parmi les motifs pouvant justifier un licenciement pour motif économique, sont aujourd’hui particulièrement rapides, notamment avec le développement de l’intelligence artificielle (IA).

Lors de son audition, M. Clément Malgouyres a détaillé les effets connus à ce jour et contrastés de l’IA sur l’emploi :

« Nos méthodes habituelles d’analyse statistique ne nous permettent pas d’avoir une vision précise du rythme d’adoption des technologies comme l’intelligence artificielle (IA). Certaines études suggèrent néanmoins que celle-ci se diffuse rapidement comparée à d’autres innovations technologiques. La deuxième révolution industrielle s’est faite dans la durée. Cela ne semble pas être le cas de l’IA générative.

Ses effets sur la productivité sont déjà tangibles. Des tests ont démontré son impact sur la performance relative de certains travailleurs par rapport à d’autres. Une étude particulièrement intéressante révèle que la productivité des chercheurs en sciences des matériaux est considérablement augmentée par l’utilisation de l’intelligence artificielle. Cette perspective est prometteuse car elle implique que l’augmentation de la productivité dans le domaine de l’innovation pourrait avoir des effets induits potentiellement très importants.

À moyen terme, certaines sociétés, notamment dans le secteur des services aux entreprises, qui utilisent massivement l’IA, auront besoin de moins de salariés. Ce sont principalement des emplois qualifiés. Mais, parallèlement, il y aura peut-être une expansion du secteur des services aux entreprises du fait de l’apparition de tarifs inférieurs, plus compétitifs et plus attractifs, précisément grâce au déploiement de l’IA. Il est difficile, à ce jour, d’affirmer qu’un scénario l’emportera sur l’autre. » ([30])

« L’affaire Onclusive » ou la tentative avortée de justifier un PSE par l’IA

L’entreprise Reputational Intelligence France appartenant au Groupe Onclusive (ex‑Kantar Media), comptant 383 salariés, a engagé, le 12 septembre 2023, une procédure de PSE portant sur un maximum de 233 ruptures de contrat de travail pour motif économique.

Le projet de restructuration présenté au CSE s’inscrivait dans un projet de mutations technologiques via l’automatisation des tâches manuelles et l’intégration de nouveaux algorithmes modifiant ses prestations intellectuelles.

Il s’agissait donc d’un projet explicitement fondé sur l’intégration de l’intelligence artificielle au sein de l’activité de l’entreprise.

Dans le cadre du contrôle qu’elle opère préalablement à la validation ou à l’homologation du PSE, la Drieets d’Île-de-France, bien que n’étant pas compétente pour contrôler le motif économique, a adressé une lettre d’observations à l’entreprise, rappelant les obligations de sécurité liées à la restructuration, et l’a invitée à élaborer un plan de prévention des risques listant et détaillant les actions déjà réalisées et prévues afin de limiter les risques identifiés.

Tenant compte des observations, Reputational Intelligence France a informé son CSE, le 19 octobre 2023, de l’abandon de la procédure relative au projet de PSE. Une lettre de clôture de la procédure a été transmise en ce sens à l’administration le 24 octobre 2023, précisant que l’entreprise souhaitait redémarrer une nouvelle procédure ultérieurement sur la base d’un nouveau projet de restructuration plus abouti et plus complet permettant une meilleure information du CSE.

Dans la présentation du nouveau PSE au CSE, le 15 janvier 2024, la société Onclusive a présenté le recours à l’IA comme une part « marginale » du plan de modernisation et s’est fondée sur le motif de la sauvegarde de la compétitivité. C’est également ce motif qu’avait privilégié la société Pages Jaunes au détriment des mutations technologiques lors du PSE de 2014 engendré par la transition de l’annuaire papier à l’annuaire en ligne.

Le secteur bancaire est particulièrement affecté par ces mutations technologiques. Toujours à l’appui de sa démonstration, M. Malgouyres a rappelé que le déploiement des distributeurs automatiques de billets de banque aux États‑Unis n’avait pas conduit à des destructions d’emplois de guichetiers dans les établissements, contrairement aux craintes initiales.

Néanmoins, les salariés de CCF entendus par la commission d’enquête constatent bien aujourd’hui que la bascule vers les services en ligne conduit à une réduction des effectifs dans les agences. Ils relèvent également que « l’arrivée de l’IA, notamment dans sa dimension générative, suscite l’inquiétude. Si nous manquons encore de recul pour bien en apprécier les impacts, il semble évident que certaines fonctions de la banque sont particulièrement exposées à ces changements. » ([31])

● Les causes environnementales réorientent déjà les choix de consommation et de production, produisant des effets contrastés sur l’emploi.

Le cas de l’industrie automobile est particulièrement emblématique. Les effectifs de cette industrie ont diminué depuis 2019 en raison de la chute des ventes de véhicules neufs en France, une baisse estimée à environ 40 %, tous types de motorisation confondus.

La commission d’enquête a souhaité interroger le Conseil national des professions automobiles (CNPA) ainsi que des sous-traitants, à l’instar de l’entreprise MMT-B, qui a présenté un PSE en mars 2025 motivé par la baisse progressive des volumes commandés par le Groupe Ford, principal donneur d’ordre historique de l’entreprise notamment s’agissant des boîtes de vitesses manuelles.

Le CNPA analyse ainsi la situation actuelle :

« Les objectifs de décarbonation du parc automobile peuvent avoir des impacts variés sur la compétitivité de la filière automobile française, selon certains aspects. D’une part, la transition vers des véhicules plus propres peut stimuler l’innovation et favoriser l’émergence de nouveaux marchés. Cela peut conduire à de nouvelles opportunités commerciales et renforcer la compétitivité des entreprises françaises qui se positionnent en tant que leaders dans le domaine de la mobilité durable.

D’autre part, la décarbonation du parc automobile implique des investissements importants en recherche et développement, y compris dans les services, ainsi que des adaptations de l’outil productif. Ces coûts supplémentaires peuvent exercer une pression sur les acteurs de la filière automobile, en particulier les petites et moyennes entreprises, et potentiellement réduire leur compétitivité à court terme. » ([32])

Ainsi que le résume M. Régis Labasse, délégué syndical Force ouvrière (FO) de MMT-B : « La conjoncture économique actuelle, marquée par le passage du véhicule thermique à l’électrique, présente à la fois des défis et des opportunités pour le secteur automobile en France. La diminution de la main-d’œuvre doit être compensée par la création de nouveaux emplois dans les technologies de l’électrique. La France et les pouvoirs publics doivent également se préparer à une concurrence accrue avec les marchés asiatiques et investir dans l’innovation pour rester compétitifs face aux tendances mondiales. » ([33])

Le cas d’ArcelorMittal développé infra est également significatif de l’ambivalence en matière d’emploi puisque les projets de décarbonation annoncés notamment sur le site de Dunkerque n’emporte aujourd’hui aucune garantie d’emploi.

Le secteur de l’habillement subit lui aussi des effets contradictoires (voir infra). D’un côté, pour réduire les coûts des transports maritimes et, par ricochet, l’empreinte carbone des produits, certaines enseignes comme Jennyfer ont fait le choix de relocaliser plus près – en Turquie – une part significative de leur production. Ce choix peut avoir un effet vertueux sur l’emploi en accroissant la « désirabilité » de la marque. Malheureusement, l’influence croissante de la fast‑fashion et ses effets désastreux sur l’environnement annihilent ces efforts.

En définitive, même si les plans de sauvegarde de l’emploi ne représentent qu’une part marginale des ruptures de contrat de travail, leurs effets délétères sur l’emploi, les salariés et les territoires sont tels qu’ils méritent toute l’attention des pouvoirs publics.

Il est clair que sans stratégie nationale de pilotage, ces transitions se traduisant par des pertes d’emplois plus que par des reconversions soutenues. À défaut d’un État stratège, ces mutations se font au détriment de l’emploi et de l’équilibre des territoires.

C.   Les plans de sauvegarde de l’emploi n’en ont pas moins des effets délétères sur les salariés et les bassins d’emplois

1.   Les plans de sauvegarde de l’emploi ont des effets démultipliés à l’échelle des territoires et des bassins d’emplois

a.   Les PSE ont des conséquences économiques, sociales et environnementales de long terme

Lorsqu’un PSE est mis en œuvre, ses effets se font généralement sentir audelà du site sur lequel est implantée l’entreprise concernée et affectent durablement les territoires et les bassins d’emplois. Ainsi, dans bien des cas, les PSE ont accentué la désertification industrielle de zones déjà fragiles, sans stratégie alternative de redéploiement de l’activité et des emplois. Certaines reconversions échouées ou inexistantes laissent derrière elles des friches industrielles polluées et des salariés sans perspectives. Pour le rapporteur, ces effets alimentent un ressentiment croissant vis-à-vis de la puissance publique, perçue comme absente ou complice.

Comme cela a pu être mis en avant par une étude publiée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) en mars 2023, après un licenciement massif, on observe une précarisation accrue dans la zone d’emploi : six ans après un PSE, les proportions de salariés intérimaires et de salariés en CDD dans l’emploi total sont plus élevées respectivement de 21 % et 47 % que dans une zone non touchée et le taux de chômage est supérieur de 12 % ([34]).

En effet, « lorsqu’une usine ferme ou réduit drastiquement sa taille, c’est l’activité des sous-traitants et de tous les services associés qui sont menacés : commerces, restaurants, entreprises de nettoyage, etc. » ([35]). Comme le soulignent les auteurs de l’étude, ces effets démultiplicateurs apparaissent progressivement, ce qui explique que la propagation des effets des PSE sur le taux de chômage ne soit pas immédiate et s’amplifie avec le temps. Ainsi, la logique de destruction créatrice, selon laquelle les suppressions d’emplois pourraient être compensées par la création d’établissements et d’emplois plus productifs, n’est pas observée : « dans les zones d’emploi où les plans sociaux ont eu lieu, la part d’établissements industriels créés est 14 % plus basse un an après le licenciement collectif, et même 22 % six ans après. Là encore, la situation se dégrade avec le temps, et se propage aux autres secteurs : l’effet sur la création d’établissements, tous secteurs confondus, est négatif et significatif cinq ans après le licenciement collectif. » ([36])

les effets des pse sur les bassins d’emplois

Source : Axelle Arquié et Thomas Grejbine, « Vingt ans de plans sociaux dans l’industrie : quels enseignements pour la transition écologique ? », La lettre du CEPII, n° 435, mars 2023.

Selon les éléments communiqués au rapporteur par Mme Hélène Lebedeff, déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire), si les effets indirects des restructurations sur l’emploi peuvent être difficiles à quantifier dans la mesure où ils varient « selon le tissu économique local et les interconnexions sectorielles », trois principaux types d’effets peuvent être constatés :

– des conséquences en chaîne sur les sous-traitants en cas de restructuration d’un donneur d’ordre industriel : réduction des volumes de commandes, allongement des délais de paiement, ruptures de contrats ;

– des répercussions des fermetures d’usine sur les activités externalisées (logistique, sécurité, restauration, etc.) qui dépendent directement de la présence de l’usine, pouvant entraîner l’effondrement de l’activité locale d’entreprises de services ;

– des effets de déstructuration du tissu économique local, tout particulièrement dans des zones déjà fragiles, avec une hausse du chômage et une dégradation de l’attractivité territoriale ([37]).

Comme le précise également Mme Hélène Lebedeff, « dans les opérations de restructurations importantes, les entreprises concernées établissent en général, avec l’appui de cabinets spécialisés, des études d’impact territorial et des études d’employabilité des salariés dont l’emploi est menacé (ex : Exxon Chemical France, Michelin, Watts Industrie...). Ces études, lorsqu’elles sont solidement réalisées, permettent d’avoir un diagnostic complet sur l’ensemble des conséquences économiques et sociales d’une restructuration sur un bassin d’emploi. Ces études, partagées avec les représentants du personnel, les services de l’État et souvent aussi, par l’intermédiaire des comités de suivi territoriaux initiés par les Préfets, avec les élus locaux, permettent d’avoir une vision assez précise de la situation et, de ce fait, facilitent la détermination, la mise en œuvre et le suivi d’actions territoriales dédiées. » ([38]) Elles peuvent s’accompagner de la mise en œuvre d’obligations incombant aux employeurs en matière de revitalisation (voir infra).

Selon les estimations communiquées par Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la Confédération générale du travail (CGT), les 354 PSE comptabilisés au printemps 2025 par le syndicat pourraient concerner plus de 220 000 emplois directs et indirects ([39]). Comme cela est indiqué dans les réponses adressées par la CGT, une suppression d’emploi dans l’industrie se traduit par 4,5 suppressions d’emplois indirectes, selon la méthode de chiffrage employée par Bpifrance ([40]). En outre, les PSE élaborés dans d’autres secteurs ont également des effets indirects.

Le nombre d’emplois indirects menacés par la mise en œuvre du PSE au sein de l’usine chimique de Vencorex est de l’ordre de 5 000 à 6 000. Selon M. Régis Aymes, délégué syndical central CGT d’Arkema, « le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) mis en œuvre sur le site de Jarrie implique 154 suppressions de poste. Or il faut multiplier ce nombre par six ou sept pour obtenir le nombre total d’emplois qui seront affectés par cette décision. En effet, pour que les usines fonctionnent, il est nécessaire de faire appel à des prestataires extérieurs, des soustraitants. » ([41]) Ainsi, les effets en cascade des PSE sont particulièrement flagrants lorsqu’ils interviennent dans des entreprises dont l’activité dépend étroitement d’une autre.

Pour M. Joseph Tarantini, délégué syndical central de la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) chez Michelin, « il est essentiel de comprendre que, lorsqu’un PSE est mis en œuvre, ses effets ne se limitent pas à un site isolé car la fermeture d’une usine entraîne des répercussions sur l’ensemble des services centraux tels que l’ingénierie, la logistique, la qualité, le marketing ou les finances » ([42]). En outre, les destructions d’emplois générées par les PSE se traduisent par des pertes de compétences et de savoir-faire durables. Pour M. Benjamin Oudet, s’exprimant à propos des PSE mis en œuvre par les entreprises Vencorex et Arkema (voir infra), « à l’échelle nationale, le grand risque est la perte de compétences dans la chimie du chlore et l’électrolyse en particulier : conception, exploitation d’ateliers » ([43]).

Enfin, les PSE ont des conséquences environnementales souvent méconnues. Comme l’a également souligné Mme Sophie Binet devant la commission, « les conséquences sociales et environnementales des plans de licenciements sont désastreuses. Prenons l’exemple de l’usine PSA d’AulnaysousBois : dix ans après sa fermeture, le site reste une friche industrielle. De même, les locaux de la Société aveyronnaise de métallurgie (SAM), sous-traitant de Renault, ont connu une occupation de près de deux ans à la suite des licenciements, sans qu’aucune reconversion du site n’ait été effectuée à ce jour. Sur le plan environnemental, certains sites, comme celui de Vencorex, représentent de véritables bombes à retardement au regard des coûts de dépollution. » ([44]) Ces conséquences peuvent amplifier les risques économiques et sociaux, en fragilisant la revitalisation des sites concernés.

PSE et dépollution des sites : le cas de Vencorex

Dans le cas de l’entreprise Vencorex, entreprise de chimie industrielle qui a été placée en redressement judiciaire et fait l’objet d’une reprise partielle par BorsodChem, filiale hongroise du groupe chinois Wanhua, des inquiétudes concernant la dépollution du site touché par la fermeture de l’usine du Pont‑de‑Claix ont été portées à l’attention de la commission d’enquête.

Spécialisée dans l’extraction de saumure, la fabrication de sel, la transformation du sel en chlore et en soude, la fabrication de monomères isocyanates aliphatiques et la transformation de ces monomères en dérivés isocyanates, l’entreprise Vencorex menait à bien son activité de fabrication de sel sur le site de Pont-de-Claix, classé seuil Seveso haut (1). Ainsi, environ 76 000 tonnes de déchets chimiques – dont environ 30 000 tonnes de dioxine, polluant organique persistant issu des processus industriels – ont été enfouis dans des fosses autour de la plateforme.

Pour M. Denis Carré, responsable CGT du site chimique de Vencorex à Pont-de-Claix, « la dépollution du site n’a pas été envisagée, la mise en sécurité a été effectuée a minima » (2).

Comme l’a indiqué au rapporteur M. Jean-Luc Béal, président de Vencorex France, si la société Vencorex assurait des activités de gestionnaire de la plateforme de Pont-de-Claix en tant que prestataire de services, elle n’est pas propriétaire de l’ensemble des surfaces et n’est donc pas responsable à ce titre de la situation sur les zones ne lui appartenant pas, ni des situations historiques héritées antérieures à sa création.

D’après les informations communiquées par M. Béal, « l’ensemble des risques pour la population ont été levés, les installations arrêtées ont été vidangées et nettoyées, l’élimination des déchets est en cours via des filières spécialisées et contrôlées. Les éventuels risques résiduels (pour des futurs intervenants sur site) ont été documentés ainsi que les quelques opérations mineures restantes, à charge de la cellule liquidative. » (3) L’ensemble des procédures mises en œuvre ont fait l’objet d’un suivi régulier, notamment de la part de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, prenant la forme de comptes rendus hebdomadaires de la présidence de Vencorex et de plusieurs visites sur site. Pour M. Béal, la plateforme n’est donc pas une « friche ouverte à tous les vents » inapte à la revitalisation.

Au printemps 2025, plusieurs associations et syndicats ont alerté la préfecture de région et la société Rhodia Chomie (filiale de Solvay, propriétaire des terrains) sur les risques liés à la pollution des sols. Pour M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble et maire de Pont-de-Claix, « les 120 hectares de la plateforme chimique de Pont-de-Claix figurent parmi les sites les plus pollués de France » et la situation actuelle de Vencorex, en cours de reprise, soulève de « grandes incertitudes sur la pollution des sols » (4). Alors que les procédures de dépollution sont encore en cours et que le bureau spécialisé ATTES-SECUR a été mandaté pour superviser la mise en sécurité du site et délivrer une attestation, la préfète de l’Isère a indiqué, dans un courrier adressé à M. Ferrari le 8 avril 2025, qu’un suivi renforcé par la Dreal avait été demandé. Si les risques « les plus critiques » ont été traités depuis fin janvier, avec un suivi des opérations portant sur l’achèvement de la mise en sécurité et l’évacuation des déchets, il est indiqué que le niveau résiduel attendu en matière de dépollution des sols devra permettre un « usage industriel comparable à la dernière période d’exploitation ».

Pour M. Benjamin Oudet, délégué syndical CFE-CGC sur le site de Jarrie de la société Framatome, qui a expliqué à la commission d’enquête qu’à l’occasion de fouilles conduites par Rhodia Chomie en 2011, des liquides verts, potentiellement neurotoxiques, avaient été repérés, il importe de s’assurer de l’exhaustivité de l’inventaire effectué concernant la pollution des sols de la plateforme chimique, afin d’éviter de minimiser la présence de polluants. De même, il importe de « quantifier le risque pour les nappes phréatiques et l’alimentation du territoire en eau potable » et, dans l’intervalle, de « n’implanter aucune présence permanente humaine publique ou privée (commerces, habitations) sur le site » (5).

(1) La directive 2012/18/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, modifiant puis abrogeant la directive 96/82/CE du Conseil, dite directive « Seveso », impose aux États membres de l’Union européenne d’identifier les sites industriels à risque pour y maintenir un haut niveau de prévention. Les sites Seveso produisent ou stockent des substances pouvant être dangereuses pour l’homme et l’environnement. Ils sont soumis à une réglementation très encadrée qui vise à identifier et à prévenir les risques d’accident pour en limiter l’impact. Un établissement est classé Seveso en fonction de la quantité maximale de substances dangereuses susceptibles d’être présentes. Ces substances dangereuses sont listées dans la directive Seveso et ont été reprises au niveau national dans la nomenclature des installations classées pour la préservation de l’environnement (ICPE).

(2) Compte rendu n° 21.

(3) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

(4) Compte rendu n° 33.

(5) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

Ces risques, particulièrement marqués dans l’industrie, sont insuffisamment documentés et identifiés lors des procédures d’élaboration des PSE.

Comme l’a souligné devant les députés, M. Jean-Marie Michelucci, directeur de Cidecos, il est impératif de renforcer l’information et la consultation des CSE sur « la traçabilité des risques chimiques et les enjeux environnementaux lors de fermetures d’ateliers ou d’usines », afin notamment de permettre aux représentants du personnel « d’apporter leur expertise du terrain à l’enrichissement des connaissances à ce propos ». Ainsi, « il est nécessaire de contraindre plus fermement les directions à communiquer systématiquement aux comités sociaux et économiques ainsi qu’aux experts les informations consolidées sur les expositions aux substances chimiques dangereuses, notamment cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques. Nous recensons des décisions administratives contradictoires sur ce sujet dans différentes régions, ce qui souligne un besoin d’harmonisation. » ([45]) Un renforcement des obligations de communication sur les expositions individuelles et collectives à certaines substances chimiques serait ainsi souhaitable et pourrait être complété par la mise en place d’une obligation d’archivage pour certains sites et usines, accessible aux salariés concernés et à leurs représentants.

De façon générale, l’information des représentants du personnel sur l’impact environnemental des PSE et plus particulièrement des fermetures de sites, qui impliquent parfois des sols pollués ou contaminés, devrait être renforcée.

Recommandation n° 1

Renforcer l’information et la consultation des comités sociaux et économiques (CSE) sur les risques chimiques et les enjeux environnementaux en cas de plan de sauvegarde de l’emploi accompagnant la fermeture de sites ou d’usines.

Prévoir l’archivage des informations relatives aux risques chimiques et environnementaux et les rendre accessibles aux repreneurs ainsi qu’aux salariés et représentants du personnel.

b.   Les entreprises sous-traitantes sont particulièrement exposées aux conséquences des PSE mis en œuvre par leurs donneurs d’ordre

Comme cela a été évoqué, l’un des éléments déterminants de la démultiplication des effets des PSE tient à l’impact des PSE mis en œuvre par un donneur d’ordre sur son ou ses sous-traitants. Ainsi, un PSE mis en œuvre dans une grande entreprise industrielle peut fragiliser une constellation de PME sous-traitantes, rarement soutenues par l’État.

Au sens large, la sous-traitance désigne une forme de collaboration économique entre plusieurs entreprises : elle décrit le fait pour une entreprise de confier à une autre, sous sa responsabilité et selon un cahier des charges prédéfini, tout ou partie des opérations menant à la confection d’un produit, pour lequel elle a passé un marché.

La sous-traitance a notamment été définie par l’article 1er de la loi n° 75‑1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, qui demeure le cadre légal de référence, aux termes duquel cette dernière est « l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ».

Cette première définition, caractéristique du secteur du bâtiment, peut être complétée par une approche plus large, définissant la sous-traitance industrielle et consistant, pour un donneur d’ordre, à confier la réalisation à un sous-traitant (ou preneur d’ordres) d’une ou de plusieurs opérations de conception, d’élaboration, de fabrication, de mise en œuvre ou de maintenance du produit. On parle de sous‑traitant de « rang 1 » lorsqu’une entreprise travaille directement pour le donneur d’ordre, sans intermédiaire, et de sous-traitant de « rang 2 » lorsqu’un premier sous-traitant délègue une partie de l’exécution du contrat dont il est responsable à un autre sous-traitant.

Dans certains secteurs, les sous-traitants sont particulièrement exposés aux évolutions conjoncturelles et aux destructions d’emplois. C’est notamment le cas dans l’industrie automobile. Ainsi, comme l’a indiqué M. Olivier Boidin, président de l’entreprise MMT-B, pour lequel il existe une « vulnérabilité structurelle » de nombreux sous-traitants automobiles en France, « entre 2000 et 2023, la France a vu sa part de la production automobile mondiale passer de 5,7 % à 1,6 %. De 2020 à 2023, 86 000 emplois ont été supprimés dans la filière, dont une majorité dans la sous-traitance. » ([46])

Ces derniers mois, plusieurs entreprises ont annoncé des PSE après que leur donneur d’ordre exclusif ou principal a lui aussi mis en œuvre un tel plan. C’est le cas de MMT-B, sous-traitant historique de « rang 1 » du Groupe Ford, pour lequel elle fabrique depuis les années 1970 des composants de boîtes de vitesses manuelles, en particulier la transmission MX65, qui représente aujourd’hui plus de 95 % de son chiffre d’affaires. L’entreprise a ainsi été exposée à une très importante baisse des commandes : de plus de 330 000 unités en 2022 à moins de 76 000 prévues en 2025, en raison de la disparition progressive de la boîte de vitesses MX65 ([47]). Le cas de l’entreprise F2J Japy, basée à Valentigney, dont la direction a annoncé fin 2024 la mise en œuvre d’un sixième PSE en dix ans, impliquant 40 % de ses effectifs, peut également être mentionné. L’entreprise est ainsi particulièrement exposée aux résultats de son principal client, Stellantis, qui a annoncé courant 2024 l’arrêt de la fabrication des boîtes cinq vitesses, qui représente 30 % à 35 % du chiffre d’affaires de F2J Japy, soit 5 à 6 millions d’euros.

Face à ces conséquences en chaîne, des évolutions juridiques sont souhaitables afin de responsabiliser les donneurs d’ordre, dont les décisions ont des effets majeurs sur l’activité et l’emploi des sous-traitants. Plusieurs représentants syndicaux de MMT-B ([48]) ont manifesté auprès du rapporteur leur intérêt pour la création d’un statut juridique du donneur d’ordre assorti de responsabilités sociales, économiques et environnementales, de même que Mme Sophie Binet lors de son audition devant la commission d’enquête. En outre, plusieurs propositions de loi récemment déposées ont mis en avant des pistes d’évolutions juridiques ([49]), telles que la création d’un statut juridique de la sous‑traitance, la responsabilisation des donneurs d’ordre en cas de PSE chez un sous‑traitant faisant suite à une restructuration chez le donneur d’ordre ou encore l’octroi de droits aux salariés du sous-traitant dans la gouvernance et la création d’une responsabilité environnementale partagée, ainsi que la confection d’un encadrement renforcé de la sous-traitance par l’interdiction, notamment, de la sous‑traitance au-delà du second niveau.

S’il existe déjà des obligations d’informations pour les donneurs d’ordre employant au moins 50 salariés, tenus d’informer les entreprises sous-traitantes en cas de projet de licenciement pour motif économique quand la réduction d’effectif peut être de nature à affecter le volume d’activité ou d’emploi chez ledit sous‑traitant ([50]), il est nécessaire d’aller plus loin afin de prévoir une véritable responsabilité du donneur d’ordre vis-à-vis des entreprises qui peuvent être déstabilisées par ses décisions.

Le rapporteur accorde une attention particulière aux propositions visant à imposer au donneur d’ordre une participation financière au PSE du soustraitant, rechercher des possibilités de reclassement dans son périmètre, en créant un « groupe de reclassement », et organiser une négociation inter-entreprises préalable. De même, la création d’un comité de groupe de sous-traitants au sein du groupe donneur d’ordre, intégrant des représentants du personnel des sous-traitants, permettrait d’améliorer la circulation de l’information sur les orientations stratégiques du donneur d’ordre et de mieux anticiper les conséquences de ses décisions.

Recommandation n° 2

Créer un statut juridique de la sous-traitance et définir un encadrement renforcé de la sous‑traitance.

Renforcer les obligations du donneur d’ordre en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) chez un sous-traitant à la suite d’une restructuration chez ledit donneur d’ordre (mise en place d’une participation financière au PSE du sous-traitant, création d’un groupe de reclassement afin d’imposer au donneur d’ordre la recherche de possibilités de reclassement en son sein pour les salariés du sous-traitant, organisation de négociations interentreprises et création d’un comité de groupe de sous-traitants).

2.   Les plans de sauvegarde de l’emploi génèrent pour les salariés des risques socioéconomiques et psychosociaux

a.   Le suivi des conséquences des PSE sur les salariés pourrait être amélioré par un accès renforcé aux données

En préambule de toute présentation des effets qu’ont les PSE sur les salariés concernés, notamment au regard des mesures d’accompagnement dont ils ont pu bénéficier, il convient d’apporter une précision méthodologique. En l’état actuel des choses, les données disponibles sont lacunaires. Par conséquent, ni le reclassement effectif ni les trajectoires de reconversion des salariés ne sont documentés de façon satisfaisante. Ainsi, lorsqu’un PSE est subventionné par des fonds publics, labsence de suivi empêche d’évaluer la pertinence des mesures financées.

En effet, le suivi des PSE et de leurs effets repose notamment sur les bilans que les entreprises sont appelées à établir et transmettre à l’administration une fois les plans mis en œuvre, indiquant le nombre de salariés concernés et leur situation (licenciement économique, départ volontaire, mobilité ou reclassement interne). Le contenu de ces bilans a été précisé par un arrêté du 3 avril 2014 ([51]), qui contient trois rubriques : suivi du plan de sauvegarde de l’emploi (nombre de réunions de la commission de suivi prévue par l’article L. 1233-63 du code du travail), mesures du plan de sauvegarde de l’emploi et situation des personnes à l’issue du plan de sauvegarde de l’emploi.

À l’instar de l’ensemble des documents qui doivent être transmis par les entreprises élaborant et mettant en œuvre des PSE, les données doivent être communiquées via le portail Rupco du ministère du travail, dédié à la gestion dématérialisée des procédures de ruptures collectives de travail (PSE, ruptures conventionnelles collectives, licenciements collectifs hors PSE, etc.).

Or, si la transmission de ces bilans portant sur la mise en œuvre effective des PSE est, conformément à l’article L. 1233-63 du code du travail, obligatoire, l’absence de transmission n’est assortie d’aucune sanction. Selon les données recensées par la Dares, entre 2018 et 2021, seuls 44 % des PSE validés ou homologués par l’autorité administrative ont fait l’objet d’un bilan.

Outre l’absence de sanction, ce phénomène peut aussi s’expliquer par la durée parfois longue de mise en œuvre des PSE, qui peuvent durer plusieurs mois voire plusieurs années. En outre, l’employeur peut être amené à confier à un cabinet spécialisé le suivi du PSE, pendant une durée pouvant être inférieure à celle du plan, alors qu’il n’est censé renseigner ce bilan qu’au terme de la procédure. Dans le cas particulier des entreprises placées en procédure collective, des difficultés supplémentaires peuvent être rencontrées par les mandataires judiciaires chargés des dossiers.

Comme cela a été indiqué au rapporteur par les représentants des Dreets sollicitées par la commission d’enquête ([52]), ces dernières sont amenées à relancer régulièrement les employeurs, sans que cela ne puisse garantir l’obtention de réponses. Selon M. Benjamin Maurice, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, « pour remédier à cette situation, nous pourrions soit intervenir au plan législatif afin de poser des règles plus contraignantes, soit renforcer les actions de sensibilisation, bien que cette seconde stratégie, malgré les efforts que nous déployons, ne produise pas toujours les résultats escomptés » ([53]).

L’absence de données exhaustives et fiables crée par conséquent des biais statistiques dans le suivi et l’évaluation des PSE. Comme l’a souligné le professeur Rémi Bourguignon, « malgré l’existence d’une base de données sur les accords collectifs, les PSE échappent au dépôt obligatoire et cette opacité oblige les chercheurs à travailler sur des échantillons restreints, identifiés par des réseaux syndicaux ou des cabinets d’experts. Cela introduit nécessairement un biais, puisque nous avons principalement accès aux plans les mieux construits, les plus encadrés, élaborés dans un contexte où le dialogue social est solide, tandis que les restructurations les plus problématiques nous échappent. » ([54]) Comme il est indiqué dans l’étude réalisée par la Dares sur les PSE mis en œuvre entre 2018 et 2021, si les entreprises ne remplissant par leur bilan sont « significativement différentes des autres, les analyses de ces bilans risquent d’être affectées d’un biais de sélection » ([55]), les bilans étant dans les faits souvent moins renseignés lorsque l’entreprise est en procédure collective ([56]), lorsque l’entreprise dispose d’un effectif de salariés important ou lorsqu’elle appartient au secteur de l’information et des communications.

Si les chercheurs disposent d’outils et de méthodes pour corriger les biais de sélection, un renforcement de leur accès aux données permettrait d’améliorer le suivi des effets des PSE et de la mesure de l’efficience des moyens engagés, et par là-même d’en améliorer la qualité.

Il pourrait ainsi être envisagé de prévoir des sanctions en cas de non-transmission des bilans, avec un aménagement pour les entreprises placées en procédure collective, qui pourraient bénéficier d’un délai supplémentaire pour s’acquitter de leur obligation. En outre, s’il est déjà possible pour des chercheurs de solliciter sur demande un accès ponctuel aux données du portail Rupco, un renforcement de ce dispositif pourrait, en l’absence de données publiques sur les PSE, être utile.

Recommandation n° 3

Prévoir un dispositif de sanctions financières graduelles en cas d’absence de transmission par l’employeur ou le mandataire judiciaire du bilan du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans un délai de deux à quatre mois à compter de la fin de sa mise en œuvre.

Permettre une transmission progressive des documents relatifs au suivi de la mise en œuvre du PSE, tels que les comptes rendus des réunions de la commission de suivi.

Recommandation n° 4

Développer les conventions permettant aux chercheurs d’accéder ponctuellement aux données du portail Rupco, dans le respect de l’anonymat et du secret des informations.

Par ailleurs, davantage de données pourraient être transmises par les entreprises via le portail Rupco. Dans un rapport remis en 2020 et portant sur les dispositifs de l’État en faveur des salariés des entreprises en difficulté, la Cour des comptes déplorait ainsi le fait que le bilan ne comprenne que des données quantitatives et ne fasse pas état des éventuelles difficultés rencontrées par l’entreprise dans la mise en œuvre du PSE ou du niveau d’exécution définitif du budget alloué au reclassement, ce qui vaut de façon générale pour le suivi du budget alloué par l’employeur au PSE. La Cour recommandait de rendre obligatoire la saisie par les entreprises des données financières (prévisionnelles et exécutées) relatives au plan de reclassement dans le système d’information et de suivi des plans de sauvegarde de l’emploi. Comme cela a été indiqué au rapporteur par la DGEFP, si la mise en ligne du portail Rupco en décembre 2019 a permis « la transmission de données relatives à l’effort mis en œuvre par les plus grandes entreprises (plus de 1 000 salariés), d’autres évolutions techniques nécessiteraient des évolutions législatives et réglementaires, à l’instar de la possibilité de saisir plusieurs items supplémentaires (montants des aides à la formation, montants des aides à la création d’entreprise). Une consultation des partenaires sociaux devrait accompagner de telles évolutions. » ([57])

Recommandation n° 5

Compléter la liste des informations devant figurer sur le bilan de suivi du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en y ajoutant des informations financières sur le coût des mesures déployées et prévoir la possibilité de communiquer sur les difficultés éventuelles rencontrées dans la mise en œuvre du PSE.

Modifier en conséquence le portail Rupco afin qu’il puisse recueillir ces informations.

Enfin, une évolution dans la classification statistique des licenciés économiques par France Travail pourrait également améliorer le suivi des licenciements économiques. En effet, les licenciés économiques, notamment dans le cadre de PSE, bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle (CSP), apparaissent dans les statistiques du chômage en catégorie D en tant que stagiaires de la formation professionnelle et non dans les catégories A, B ou C regroupant les demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi. Comme cela a été indiqué par M. Jean-Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi de France Travail, « il est important de souligner que cette classification n’est pas une invention de France Travail. Elle a été établie dans la convention portant sur le CSP signée par les partenaires sociaux, dont la dernière version, qui date de 2015, est renouvelée chaque année. L’origine de cette classification remonte aux années 2000, époque où elle a été retenue pour deux dispositifs : le contrat de transition professionnelle (CTP) et le contrat de reconversion professionnelle (CRP). Ces dispositifs mettaient l’accent sur la reconversion professionnelle et la formation. C’est probablement ce qui a motivé les partenaires sociaux et l’État dans leur choix à l’époque, bien qu’il puisse sembler moins pertinent aujourd’hui. » ([58]) Si les chercheurs peuvent travailler sur la base des données trimestrielles détaillées publiées par la Dares concernant le suivi des dispositifs publics d’accompagnement des restructurations, ce qui permet de limiter le risque que cette classification ne fausse la réalité statistique, une modification de la classification, sur la base d’une consultation des partenaires sociaux et du Conseil national de l’information statistique (Cnis), pourrait faciliter la lecture de ces données, notamment pour le grand public.

Recommandation n° 6

Modifier la classification statistique mise en œuvre par France Travail des licenciés économiques bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle afin qu’ils apparaissent comme des demandeurs d’emploi et non comme des stagiaires de la formation professionnelle.

b.   Les PSE ont des conséquences durables sur les salariés concernés

En dépit d’un accès partiel aux données relatives au suivi des PSE, les effets des licenciements économiques et des PSE sur les salariés concernés ont été évalués ; leurs conséquences, à la fois économiques, sociales et psychologiques, sont durables, protéiformes et touchent particulièrement certains salariés.

Comme l’a notamment souligné M. Nicolas Robert, délégué syndical central SUD chez Michelin, « dans les territoires, ce sont des bassins d’emploi sinistrés, des savoir-faire détruits, une jeunesse désorientée, des commerces qui ferment, des familles qui partent, des collectivités qui s’appauvrissent. Pour les salariés, ce sont des trajectoires brisées, des requalifications illusoires, des vies profondément affectées. Trop souvent, cela se traduit par des burn-out, des dépressions et parfois même par des drames. Derrière les mots "mobilité", "transition" ou "plan d’adaptation", il y a des êtres humains qui souffrent. » ([59])

Pour rappel, selon les données communiquées par France Travail afin de comparer les licenciés économiques inscrits aux autres entrants, on constate :

– une part d’hommes supérieure de l’ordre de 4,8 points ;

– une surreprésentation des personnes âgées de plus de 50 ans de l’ordre de 15,5 points et, en conséquence, une sous-représentation des personnes âgées de moins de 25 ans de l’ordre de 17,7 points.

Les catégories socio-professionnelles les plus concernées par un licenciement économique sont les techniciens et agents de maîtrise (+ 5,4 points) et les cadres (+ 9,1 points). Les employés non qualifiés sont moins concernés par ce motif de fin de contrat de travail (– 14,4 points). On note également des différences selon les secteurs d’activité : le motif « licenciement économique » est plus fréquent pour les secteurs « support à l’entreprise » (+ 7,9 points) et « BTP » (+ 3,9 points). En revanche, ce motif est moins répandu dans le secteur du service à la personne (– 7,7 points).

Comme l’a souligné M. Clément Malgouyres, « les licenciements économiques ont un impact particulièrement lourd pour les salariés concernés. Des études menées en France et à l’étranger montrent que les pertes associées à un licenciement économique ou à une fermeture d’établissement sont substantielles et durables. Les salariés peinent à retrouver leur niveau de salaire initial, même après avoir retrouvé un emploi, situation qui tend à s’aggraver en période de récession. La persistance de la baisse des revenus s’explique généralement par une réembauche dans des entreprises offrant des salaires globalement inférieurs. Nos travaux indiquent que ces entreprises sont souvent moins enclines à conclure des accords salariaux favorables. » ([60]) Si l’on peut observer des réallocations d’emplois, celles-ci sont plus rares en cas de perte d’emploi dans un environnement caractérisé par une récession ou d’importantes difficultés sectorielles ou locales.

L’étude susmentionnée du CEPII portant sur les plans sociaux intervenus dans l’industrie entre 1997 et 2019 en France fait état de ces effets de long terme sur les salariés. Ainsi, en France, près de 40 % des salariés licenciés dans le cadre d’un plan social ne sont plus en emploi au sens de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) un an après leur licenciement, et plus de la moitié six ans après. La probabilité pour un salarié licencié dans ce cadre d’être en emploi un an après le licenciement est de 21 points inférieure à celle prévalant pour son « jumeau » non licencié et de 17 points inférieure six ans après. S’il a retrouvé un emploi, son salaire est en moyenne de 25 % inférieur à celui de son « jumeau » un an après le licenciement et de 6 % inférieur six ans après, du fait notamment de pertes de compétences et de pouvoir de négociation. En outre, tous les salariés ne sont pas égaux face aux licenciements : les salariés peu qualifiés sont particulièrement exposés aux baisses de salaire, de même que les salariés licenciés dans une zone d’emploi connaissant un taux de chômage supérieur à la médiane nationale.

Le mécanisme de réallocation connaît ainsi de nombreuses limites : « les établissements dans lesquels les salariés retrouvent un emploi ont une valeur ajoutée plus faible, emploient moins de salariés, davantage d’entre eux en CDD, et le taux d’investissement y est en moyenne, sur les six années après le plan social, 36 % inférieur à celui des établissements non licenciés » ([61]).

LES EFFETS DES PSE SUR LES SALARIés retrouvant un emploi

Source : Axelle Arquié et Thomas Grejbine, op. cit.

Par ailleurs, les licenciements économiques peuvent avoir des effets psychologiques sur les salariés et augmenter les risques psychosociaux (RPS), également pour les salariés appelés à rester dans l’entreprise, comme les études de cas réalisées par la commission d’enquête et présentées en détail dans le III de cette première partie l’ont rappelé. Comme l’a souligné devant la commission Mme Mélanie Guyonvarch, maîtresse de conférences à l’université Évry Paris‑Saclay, si l’on peut constater une forme de banalisation institutionnelle des licenciements (voir infra), « il n’existe pas de banalisation sociale, d’intériorisation de cette logique par les salariés, même les plus qualifiés. Le licenciement reste une épreuve collective, en ce qu’il brise les collectifs de travail, et individuelle, en ce qu’il affecte différemment chaque individu. Cette non-banalisation sociale, combinée à l’intensification du travail, contribue à l’augmentation des risques psychosociaux. Les salariés, confrontés à la possibilité d’être remerciés malgré la qualité de leur travail, expriment un sentiment de tiraillement. La déconnexion entre la réussite économique de l’entreprise et la destruction des emplois engendre une perte de sens et une atteinte à l’estime de soi, qui affecte non seulement les licenciés mais aussi les salariés qui demeurent dans l’entreprise. » ([62])

Pour Mme Nadia Gssime, en cas de PSE et, plus généralement, de licenciement, les salariés « doivent "faire le deuil" de leur emploi et de tout ce qui l’accompagne (stabilité financière et avantages sociaux, rythme de vie, cercle social, carrière professionnelle, etc.) et faire face au stress de la recherche d’emploi qui peut aussi entraîner un sentiment de dévalorisation (quand retrouver un travail, où, pour quel salaire, dans quel environnement de travail, etc.) » ([63]).

Les multiples effets des PSE sur les salariés imposent d’accorder une attention particulière aux différents dispositifs d’accompagnement tels que le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) et le congé de reclassement présentés plus haut.

Plusieurs remarques peuvent être formulées.

Dans le cas du congé de reclassement, comme l’a également indiqué Mme Gssime, il existe un « piège » consistant pour les représentants du personnel à demander le congé le plus long possible, alors que la « pratique montre qu’une durée trop longue, de deux ans par exemple, est contre-indiquée pour le salarié car ce dernier reste trop longtemps en dehors du marché du travail et attire la méfiance des recruteurs » ([64]). Pour cette dernière, la réalisation d’une étude sur les mesures de prévention des risques psychosociaux en cas de licenciements économiques serait également utile. En effet, si la mise en place d’une cellule d’écoute est quasi systématique en cas de PSE, « la pratique montre que dans la majorité des cas, aucun salarié ne la contacte. Donc, cela représente un coût supplémentaire inutile pour une entreprise qui rencontre des difficultés économiques et qui aurait pu investir cet argent dans d’autres mesures, peut-être de reclassement et d’accompagnement. » ([65])

De façon générale, il pourrait être utile de disposer d’une étude globale concernant l’efficacité des différentes mesures de reclassement et d’accompagnement, sur laquelle pourraient s’appuyer les employeurs, les représentants du personnel et les Dreets en cas de mise en œuvre d’un PSE. Afin de disposer de l’étude la plus fiable et complète possible, un renforcement préalable de l’accès aux données relatives au suivi des PSE est souhaitable (voir supra). Comme l’a souligné Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes, « en l’absence de données complètes en provenance des entreprises, la possibilité de conduire une évaluation des mesures de reclassement demeure […] limitée » ([66]). Dans un rapport de 2020 déjà cité consacré aux dispositifs de l’État en faveur des salariés des entreprises en difficulté, la Cour des comptes avait notamment « souligné l’absence d’évaluation des résultats concrets du CSP, en particulier sur l’efficacité de l’accompagnement et les trajectoires professionnelles des bénéficiaires » et « recommandé que des évaluations précises soient menées sur les performances de France Travail et des opérateurs privés, tant sur la qualité que sur la pérennité du retour à l’emploi » ([67]).

Le rapporteur rejoint les constats ainsi formulés consistant dans la nécessité de conduire une étude approfondie sur les effets du CSP et des mérites comparés de ces opérateurs et de France Travail.

Certains éléments d’évaluation ont d’ores et déjà pu être communiqués au rapporteur.

Ainsi, selon les données communiquées par France Travail, les inscrits en CSP ont un accès à l’emploi total plus faible que l’ensemble des inscrits, mais ils accèdent plus vite à l’emploi durable.

taux d’accès à l’emploi des inscrits à France travail
en contrat de sécurisation professionnelle (2022)

Année 2022

TAE 6 mois

TAE durable 6 mois

TAE 9 mois

TAE durable 9 mois

TAE 12 mois

TAE durable 12 mois

Entrants CSP

41,0 %

33,5 %

52,0 %

43,1 %

62,4 %

51,5 %

Entrants hors CSP

43,3 %

26,0 %

50,6 %

32,2 %

56,0 %

37,2 %

Entrants

51,1 %

31,9 %

58,7 %

38,6 %

64,2 %

44,0 %

Source : France Travail.

Or, si aucune évaluation d’ampleur n’a été, selon les informations transmises par la DGEFP, conduite depuis la remise du rapport de la Cour des comptes, les données provisoires disponibles font état d’une meilleure performance comparée de France Travail. Ainsi, tendanciellement et sous réserve d’une étude plus approfondie et statistiquement robuste, France Travail présenterait de meilleures performances que les opérateurs privés de placement.

Part de retour à l’emploi durable des bénéficiaires du CSP : comparaison entre France travail et les opérateurs privés de placement

Cohorte

Nombre de bénéficiaires

% de l’ensemble des bénéficiaires sortis pour reprise d’emploi durable

OPP

% de l’ensemble des bénéficiaires sortis pour reprise d’emploi durable OPP

FT

% de l’ensemble des bénéficiaires sortis pour reprise d’emploi durable FT

Cohorte 2015

25 506

23 %

8 383

18 %

17 127

27 %

Cohorte 2016

27 572

29 %

9 315

24 %

18 260

33 %

Cohorte 2017

24 567

31 %

8 848

26 %

15 721

35 %

Cohorte 2018

24 102

33 %

8 949

27 %

15 154

37 %

Cohorte 2019

22 140

30 %

8 174

24 %

13 968

36 %

Cohorte 2020

23 918

29 %

10 059

24 %

13 859

35 %

Cohorte 2021

19 396

33 %

7 355

28 %

12 042

37 %

Cohorte 2022

20 768

35 %

7 661

30 %

13 107

39 %

Cohorte 2023

27 509

34 %

11 026

28 %

16 483

39 %

Cohorte 2024*

15 959

18 %

5 582

14 %

10 377

22 %

Total général

226 947

29 %

84 730

24 %

143 840

33 %

Source : DGEFP.

En 2023, parmi les 27 509 bénéficiaires de la cohorte, 34 % sont sortis du dispositif pour reprendre un emploi durable, 39 % étaient accompagnés par France Travail et 28 % étaient accompagnés par un opérateur privé de placement.

La durée moyenne passée dans le dispositif est également moins longue en cas de prise en charge par France Travail. En 2023, cette durée, pour l’ensemble des bénéficiaires, était de 288 jours. Elle était de 148 jours pour tous les bénéficiaires sortis du dispositif pour reprendre un emploi durable, de 125 jours dans le cadre d’un accompagnement par France Travail et de 183 pour un opérateur privé de placement.

Selon les éléments communiqués au rapporteur par France Travail, le coût du CSP, assumé par l’État et par l’Unédic, s’est élevé en 2024 à 1 723,6 millions d’euros (dont 1 635, 51 millions pris en charge par l’Unédic et 87,75 millions d’euros pris en charge par l’État) pour la partie correspondant aux allocations et à 165,5 millions d’euros pour la partie correspondant à l’accompagnement (dont 70,1 millions d’euros financés par l’Unédic et 53,7 millions d’euros pour le recours à des opérateurs privés de placement). Dans les deux cas, ces montants s’inscrivent dans une tendance haussière depuis 2020, après un point bas atteint en 2022.

De même, il pourrait être utile d’intégrer à cette étude une évaluation des mesures de reclassement et de l’efficience de l’intervention des cabinets privés de reclassement, fréquemment mobilisés par les employeurs mettant en œuvre des PSE.

Une telle étude serait d’autant plus utile que plusieurs cabinets de reclassement se sont illustrés par la pratique de tarifs très élevés, qui pèsent sur le budget que les employeurs peuvent allouer aux PSE. Selon un recensement effectué par L’Humanité ([68]), les cabinets de reclassement facturent en moyenne entre 2 000 et 5 000 euros par salarié accompagné. Dans le cas de Casino, ce montant était de l’ordre de 2 250 euros, comme cela a été indiqué dans la presse ([69]) et confirmé au rapporteur par la direction. Pour l’entreprise Jennyfer, dont le cas a aussi été examiné par la commission d’enquête (voir infra), le cabinet de reclassement mobilisé, BPI Group, a touché 4 000 euros pour chacun des 77 salariés concernés. Si le dispositif des cellules de reclassement, qui avait notamment fait l’objet d’un rapport critique du Conseil économique, social et environnemental (Cese) en 2010 ([70]), n’est plus déployé, il importe de se doter d’outils de suivi des dispositifs de reclassement et plus particulièrement des cabinets privés travaillant dans ce secteur. En effet, les sommes, parfois très importantes, allouées par les entreprises à ces cabinets, pourraient être réallouées vers d’autres mesures d’accompagnement.

Recommandation n° 7

Faire une évaluation de l’effet des mesures de reclassement mises en œuvre en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, en tenant compte de l’efficience de l’intervention des acteurs mobilisés.

Faire une évaluation des performances comparées de France Travail et des opérateurs privés de placement concernant l’accompagnement des salariés et leur retour à l’emploi, ainsi que des effets du contrat de sécurisation professionnelle sur le retour à l’emploi.

Recommandation n° 8

Faire une évaluation de l’efficacité des mesures concernant les risques psychosociaux suscités par les plans de sauvegarde de l’emploi.

Enfin, dans le même rapport, la Cour des comptes préconisait également une évolution de la stratégie de recours au Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), afin d’en faire bénéficier les salariés de PME en difficulté dans une approche prenant en compte les filières et les territoires. Alors que l’utilisation de ce fonds reste marginale, seuls Air France et Airbus y ayant eu récemment recours, une évolution des procédures est apparue souhaitable ([71]).

Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM)

Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), créé en 2007, est un instrument financier qui a permis d’accompagner 169 000 travailleurs licenciés dans 20 États membres de l’Union européenne, dont 22 000 en France (principalement dans le secteur du transport) pour un montant de 123 millions d’euros au titre du cofinancement de mesures de reclassement externe sur les 690 millions d’euros attribués à l’ensemble des États membres depuis la création du dispositif.

Renouvelé pour la période 2021-2027 (règlement (UE) 2021/691), le FEM est doté d’une ligne budgétaire de 210 millions d’euros par an, en dehors du cadre financier pluriannuel. Il est très sous-mobilisé au niveau européen. Les causes identifiées de cette sous‑mobilisation sont : d’une part, le critère d’intervention fixé à 200 salariés licenciés sur une période de 4 mois pour une seule entreprise (et ses fournisseurs et producteurs) ou de 6 mois pour les entreprises d’un même secteur dans une ou plusieurs régions contiguës ; d’autre part, l’importance de la charge administrative que le recours au dispositif implique.

Contrairement aux règles qui prévalent pour d’autres instruments financiers, le règlement du FEM ne prévoit ni appels à projet, ni processus de sélection des bénéficiaires, et ne fixe pas les règles relatives à la relation entre l’État membre et l’entreprise à l’origine des licenciements.

Les 12 demandes portées par la France visent 22 000 salariés licenciés et représentent 123 millions d’euros, soit 17,7 % des fonds alloués par le FEM depuis sa création. La grande majorité des demandes portées par la France concerne le secteur du transport : 4 en faveur des constructeurs automobiles, 4 dans le secteur aéronautique/aérien et 2 dans le transport routier.

Sur la période 2021-2024, seulement 6,21 % du budget théorique alloué au FEM a été consommé, soit 52,19 millions d’euros au travers de 17 demandes émanant de 7 États membres.

Sur cette période, la France est l’État membre qui a le plus mobilisé le FEM en termes de capital mobilisé, avec 23 millions d’euros pour 3 demandes accordées, soit 45 % du total mobilisé par les États membres. La Belgique est l’État membre qui a le plus souvent mobilisé le fonds, avec 5 demandes formulées pour un montant plus faible de 10 millions d’euros sur la même période.

La France a choisi de confier le portage financier et le suivi des bénéficiaires du FEM aux entreprises pour faire porter en partie la responsabilité sur les employeurs et rester cohérente avec les dispositifs nationaux. Les entreprises doivent contribuer à hauteur de 15 % au cofinancement et assurer le suivi comptable, administratif et humain de la mise en œuvre du FEM. Seules les entreprises in bonis peuvent aujourd’hui assumer cette charge, dans le cadre d’une démarche volontaire.

Source : DGEFP.

Aussi, la DGEFP conduit actuellement deux actions :

– un renforcement de la communication sur le dispositif auprès des services de l’État et des partenaires sociaux ;

– un projet de construction, au travers d’un schéma expérimental, d’une demande de fonds portée par un acteur institutionnel ou une collectivité au bénéfice des salariés licenciés de plusieurs PME.

Par ailleurs, une réforme du règlement du FEM a été proposée par la Commission européenne le 1er avril 2025. Elle vise à élargir le recours au FEM à de nouveaux publics en amont du licenciement, à simplifier la procédure budgétaire et à réduire les délais attachés à la procédure d’obtention des fonds. Cette proposition fait partie du pilier IV du plan d’action pour le secteur automobile présenté le 5 mars 2025 par la Commission.

En outre, afin d’améliorer l’accès des salariés aux mesures de reclassement et de compenser les écarts entre les entreprises, dont les moyens peuvent sensiblement varier, une consultation des partenaires sociaux pourrait être menée à propos de la possibilité de mettre en place une mutualisation du financement des aides au reclassement, comme cela existe notamment en Suède ([72]). Ce modèle, qui permet aux grandes entreprises de contribuer au financement des restructurations affectant les sous-traitants, pourrait s’avérer moins coûteux pour les entreprises que les outils actuels de reclassement, tout en en élargissant l’accès.

Recommandation n° 9

Consulter les partenaires sociaux sur la possibilité de mettre en place un financement mutualisé des mesures de reclassement en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, qui pourrait prendre la forme d’un fonds mutualisé de branche.

De même, des propositions telles que la « transition emploi », présentée par M. Olivier Guivarch, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ([73]), pourrait utilement faire l’objet de discussions. Le dispositif reposerait sur la sécurisation financière des salariés, avec une aide éventuelle de l’État, la possibilité de disposer du temps nécessaire pour mettre en œuvre sa transition professionnelle et l’octroi d’un accompagnement personnalisé.


II.   L’évolution des plans de sauvegarde de l’emploi reflète la fragilisation du droit du travail engagée depuis 2013

A.   Le droit du licenciement Économique a ÉtÉ assoupli par plusieurs rÉformes successives

« La définition de la cause économique du licenciement a été tellement assouplie par la loi et la jurisprudence qu’il est difficile de cerner quelle situation économique de l’entreprise ne pourrait plus justifier un licenciement pour motif économique aujourd’hui. » ([74]) Ce constat, établi par Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS, résume l’état du droit en matière de licenciement économique depuis les différentes réformes intervenues ces dernières années.

Ainsi que le rappelle Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg et autrice d’une thèse sur le droit des réorganisations en 2023, le droit du licenciement économique « s’est construit en érigeant quelques digues face à la liberté d’entreprendre » ([75]). Il s’est construit comme un processus qui implique notamment des garanties en matière d’information-consultation des instances représentatives de personnel, de recherche de reclassements internes et externes ou d’accompagnement des salariés licenciés (voir supra).

Pour Mme Cavat, jusqu’à la fin des années 1990, le droit du travail s’efforçait de rattacher toutes les opérations de restructuration au droit du licenciement pour motif économique, car il était porteur de garanties pour les salariés. Schématiquement, toute rupture ou transformation de l’emploi qui ne relevait pas du motif personnel était considérée comme économique et devait se voir appliquer le régime du licenciement pour motif économique.

Depuis les années 2000, le mouvement s’est inversé : des pans entiers de ces opérations ont été soustraits au droit du licenciement économique, favorisant ainsi un état de réorganisation permanente.

Il ne s’agit pas de remonter aux origines de ce mouvement mais de se concentrer sur les dernières réformes significatives intervenues en la matière :

– la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi ;

– la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels ;

– la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ([76]).

Pour le rapporteur, les modifications portées par ces textes ont eu pour conséquence de rendre possibles les licenciements boursiers, mis en œuvre par des entreprises qui connaissent une bonne situation financière et en l’absence de réelles difficultés économiques.

Comme l’a souligné M. Clément Malgouyres, dans le cas des entreprises du CAC 40, la juxtaposition du versement des dividendes et des suppressions d’emplois peut s’expliquer par la forte internationalisation des structures, dont une partie importante de l’actionnariat et de l’activité est située à l’étranger. En outre, les entreprises cotées peuvent avoir tendance à lisser le flux de dividendes par rapport au flux de revenus, « en partie pour répondre aux attentes d’investisseurs, notamment institutionnels, qui privilégient le versement régulier de dividendes. Cette logique explique que, parfois, des entreprises continuent de verser des dividendes alors qu’elles réduisent parallèlement leurs effectifs dans le cadre de restructurations. » ([77])

Du reste, il est possible pour une entreprise de verser des dividendes et de procéder à des rachats d’actions ([78]) alors même qu’elle procède à des licenciements économiques. Ainsi, les dividendes versés par Michelin en 2024 se sont élevés à 900 millions d’euros et les rachats d’actions à 500 millions d’euros. Dans le cas d’Arkema, 261 millions d’euros de dividendes ont été versés en 2024 (dont 20 millions d’euros aux salariés) et les rachats d’actions se sont élevés à 35 millions d’euros. Dans le cas d’ArcelorMittal, les dividendes versés sur les dix dernières années ont été de 225 millions d’euros par an en moyenne, tandis que les rachats d’actions ont atteint 2,6 milliards d’euros par an depuis 2020. D’autres exemples d’entreprises ayant mis en œuvre des PSE ou d’autres mesures de réduction de l’emploi tout en affichant des montants élevés de dividendes ou rachats d’actions peuvent être cités : Stellantis, Alstom, Thales Alenia Space, la Société Générale, Bouygues Immobilier ou Sanofi ([79]).

De façon générale, comme l’a rappelé M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la DG Trésor, « en France, au cours des trente dernières années, la part des dépenses liées au travail dans la valeur ajoutée des sociétés non financières est restée globalement stable, autour des deux tiers. Par ailleurs, entre 1990 et 2023, il y a eu une hausse du montant des dividendes nets versés, tandis que le montant des intérêts nets a diminué. Il est vrai que, sur la période 2017-2023, la part de la rémunération du travail a légèrement reculé. C’est cet aspect qu’il conviendrait d’analyser si nous souhaitions nous interroger sur l’évolution de cette rémunération. Il s’agit donc bien d’une question de répartition de la valeur ajoutée, laquelle demeure relativement stable sur le long terme. Pour les entreprises du SBF 120, la part des dividendes versés rapportée au chiffre d’affaires est passée, en moyenne, de 3,2 % avant la crise sanitaire à 3,8 % après ladite crise. La part des rachats d’actions effectués rapportée au chiffre d’affaires est passée de 0,9 % à 1,8 %. » ([80])

rémunération totale des actionnaires par rapport
au chiffre d’affaires des entreprises du cac 40 (2013-2024)

Source : Bloomberg, direction générale des entreprises, direction générale du Trésor.

Il est important de rester vigilant face aux pratiques potentiellement abusives telles que l’endettement volontaire d’entreprises saines pour distribuer des dividendes, ce qui peut fragiliser leur structure financière au détriment de l’emploi. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que le flux de dividendes n’est pas nécessairement corrélé aux dynamiques de l’emploi ou aux profits de l’entreprise.

Recommandation n° 10

Dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, obliger une entreprise versant des dividendes à ses actionnaires à provisionner un montant équivalent pour financer les mesures d’accompagnement des salariés concernés par ledit plan.

1.   La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a introduit le principe de la négociation du PSE et de son contrôle par l’administration

Comme le résume la DGEFP, la loi de 2013 a « créé un bloc de compétence au profit de l’administration sous le contrôle du juge administratif et unifié le contentieux dans une action unique encadrée par des délais contraints » ([81]).

Concrètement, la loi a organisé la refonte de la procédure de licenciement collectif dans les entreprises de plus de 50 salariés, en prévoyant que le PSE doit être négocié entre l’employeur et les syndicats ou établi unilatéralement par l’employeur, après consultation des représentants du personnel.

Elle a également transféré à l’administration la compétence en matière de contrôle du PSE, le contentieux étant corrélativement confié au juge administratif.

Lors de son audition, M. Jean-Denis Combrexelle, président de section honoraire au Conseil d’État et ancien directeur général du travail, est revenu sur l’intention et le contexte d’élaboration de la réforme :

« [La loi de 2013 a] transformé en profondeur la procédure applicable aux PSE, en substituant à une logique de décision unilatérale de l’employeur une logique de négociation dans l’entreprise. Ce basculement a été accueilli avec scepticisme, tant par le monde académique que par les acteurs sociaux, beaucoup doutant de la possibilité d’engager les organisations syndicales dans une négociation sur des sujets aussi sensibles. Les faits ont démenti ces craintes : les accords se sont multipliés et la dynamique de négociation s’est installée durablement.

La France disposait auparavant d’un système dans lequel l’intervention du juge judiciaire introduisait une forme d’instabilité. Le juge, en effet, apportait une réponse binaire : lorsqu’un PSE lui était présenté, il décidait s’il était valable ou non. L’objectif de la loi n’était pas de supprimer tout contrôle juridictionnel mais de renforcer la place et le pouvoir de l’administration dans le processus. » ([82])

Pour Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy-Grangé, la promesse portée par la loi a été tenue puisqu’elle « a considérablement amélioré la procédure » ([83]). En effet, le nombre de contentieux engendrés par l’intervention a posteriori du juge judiciaire a fortement diminué avec l’intervention, au cours de la procédure, de l’administration.

En revanche, Mme Hélène Cavat considère que cette réforme a posé les jalons d’un assouplissement du droit du licenciement économique défavorable aux salariés pour plusieurs raisons :

– elle incite à négocier les PSE, qui se trouvent dès lors moins contrôlés que les autres procédures de licenciement ;

– elle enserre l’information-consultation du CSE dans des délais contraints, très courts, allant de deux à quatre mois ;

– elle écarte le juge pendant la réorganisation, puisqu’elle met fin à la possibilité de suspendre un plan social en saisissant la justice ;

– la validation ou l’homologation du PSE par l’administration ne constitue pas une autorisation de licencier comparable à celle qui existait jusqu’à la loi n° 86‑797 du 3 juillet 1986, puisque l’administration n’est pas compétente pour contrôler le motif économique du licenciement.

Si cette loi visait à sécuriser l’emploi, elle a aussi offert aux entreprises un cadre plus flexible de négociation, facilitant certaines suppressions de postes. Ainsi que l’ont relevé les organisations syndicales auditionnées, dans le contexte de négociation d’un PSE, les conditions de négociation sont souvent déséquilibrées, les représentants du personnel étant soumis à une forte pression.

2.   La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a redéfini le licenciement pour motif économique

a.   La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a ouvert la voie à de nouvelles édulcorations des droits des salariés en cas de licenciement pour motif économique

Avant la loi du 8 août 2016, portée par Mme Myriam El Khomri, alors ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a procédé à de nouveaux assouplissements dans le régime juridique du licenciement pour motif économique :

– les licenciements de moins de 10 salariés sur une période de 30 jours ne sont plus soumis à l’obligation d’information préalable de l’administration ;

– il appartient aux salariés dont le licenciement est envisagé de demander à leur employeur communication des offres de reclassement à l’étranger dans d’autres établissements du groupe, lorsqu’elles existent ;

– l’employeur est autorisé, en cas de licenciement dans le cadre d’un PSE, à fixer unilatéralement, dans certaines limites, le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise ;

– le contrôle du PSE est allégé en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, puisque l’administration n’est plus tenue de prendre en compte, pour valider ou homologuer le plan, les moyens dont dispose le groupe ou l’unité économique et sociale (UES) ; seuls les moyens de l’entreprise sont pris en compte.

b.   La loi du 8 août 2016 a précisé les notions de difficultés économiques et de mutations technologiques, définies jusqu’alors de manière prétorienne

Avant la réforme, le licenciement économique était ainsi défini à l’article L. 1233-3 du code du travail : « constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. »

Le motif économique du licenciement a fait l’objet d’une abondante jurisprudence, laquelle a surtout précisé la notion de difficultés économiques et, dans une moindre mesure, la notion de mutations technologiques.

● Les difficultés financières rencontrées par l’entreprise doivent être réelles et sérieuses, même s’il n’est pas exigé que la situation de l’entreprise soit catastrophique (Cass. soc., 9 juillet 1997). Ainsi, ne justifient pas à eux seuls le licenciement :

– la perte d’un marché (Cass. soc., 29 janvier 2014), sauf s’il s’agit de l’unique marché de l’entreprise ou de l’unique marché public d’une entreprise qui représentait 30 % de son chiffre d’affaires ;

– le souci de rentabilité de l’entreprise (Cass. soc., 5 mars 2014) ;

– des difficultés économiques résultant d’un manquement de l’employeur.

De la même manière, la baisse du chiffre d’affaires et du bénéfice de l’entreprise ne suffit pas à caractériser l’existence de difficultés économiques (Cass. soc., 16 avril 2015) si elle ne s’accompagne pas d’autres indicateurs négatifs.

L’existence de résultats déficitaires permet de fonder le motif économique, a fortiori s’il s’agit d’une dégradation spectaculaire des résultats (Cass. soc., 19 mars 2014). Le motif économique est également fondé en cas de résultat d’exploitation négatif, de perte de clients, ou encore d’une chute du chiffre d’affaires liée à la crise affectant le secteur d’activité de l’entreprise.

En revanche, le motif économique n’est pas fondé si ces résultats déficitaires sont en amélioration par rapport aux exercices précédents, que le chiffre d’affaires est en augmentation et que l’entreprise améliore ses parts de marché.

● La jurisprudence avait tendance à exiger que deux ou plusieurs critères soient remplis pour fonder la légitimité d’un licenciement pour motif économique. Comme l’indique l’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi de 2016, ont, par exemple, été jugées valides les difficultés économiques suivantes :

– une baisse brutale et durable du volume d’activité de l’établissement et une tension à la baisse des prix de vente ayant conduit à une diminution des bénéfices (Cass. soc., 19 juin 2007) ;

– un surendettement bancaire de 4 millions de francs et une baisse du chiffre d’affaires (Cass. soc., 30 septembre 1997) ;

– un recours au chômage partiel pendant trois mois (CE, 20 mars 1996, s’agissant d’une société placée sous le contrôle technique du ministère des travaux publics, des transports ou du tourisme) ;

– des charges financières compromettant durablement les résultats de l’entreprise (Cass. soc., 26 janvier 2005) ;

– une baisse significative de la production et une contraction importante du marché intérieur, se traduisant par une baisse sensible du chiffre d’affaires (Cass. soc., 29 janvier 2008).

● S’agissant des mutations technologiques, la jurisprudence était moins fournie mais révélait tout de même que l’introduction d’une nouvelle technologie ayant une incidence sur l’emploi pouvait constituer une cause économique de licenciement, même si la compétitivité de l’entreprise n’était pas menacée (Cass. soc., 9 octobre 2002 et 15 mars 2012). Le motif économique est également fondé dans le cas d’une entreprise procédant à l’acquisition de nouvelles machines permettant une automatisation des tâches (Cass. soc., 14 mai 1998) ou dans le cas de la mise en œuvre d’un nouveau logiciel informatique entraînant la suppression d’une grande partie des attributions d’un salarié (Cass. soc., 17 mai 2006). A contrario, le changement de logiciel d’une entreprise déjà habituée à la technologie informatique ne constitue pas une évolution pouvant être qualifiée d’innovation technologique (Cass. soc., 13 mai 2003).

● La loi du 8 août 2016 a donc précisé les critères non définis par la loi que la jurisprudence avait retenus pour qualifier les difficultés économiques :

– soit l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation ;

– soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Le nombre de trimestres devant être retenus pour apprécier la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, varie selon la taille de l’entreprise.

Moins de 11 salariés

Un trimestre

Au moins 11 salariés et moins de 50 salariés

Deux trimestres consécutifs

Au moins 50 salariés et moins de 300 salariés

Trois trimestres consécutifs

300 salariés et plus

Quatre trimestres consécutifs

Il est intéressant de noter que le rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale, M. Christophe Sirugue, s’interrogeait au moment des travaux préparatoires sur la voie retenue « car la jurisprudence retient très rarement un critère unique pour juger du caractère fondé du motif économique, sauf le plus souvent, si ce critère est massif, par exemple une perte d’exploitation. Or, dans l’option retenue par le texte, l’existence d’un seul critère suffirait à valider le motif économique, par exemple une importante dégradation de la trésorerie. » ([84])

Il est pertinent d’avoir d’emblée remarqué que l’allègement de la démonstration de difficultés économiques, associé à la très critiquée notion de sauvegarde de la compétitivité, pouvait conduire à une interprétation extrêmement souple d’une situation économiquement difficile.

Cette réforme a marqué un tournant en consacrant la compétitivité comme critère suprême, souvent au détriment de la stabilité de l’emploi. Cette clarification a été utilisée par les employeurs pour justifier des licenciements dans des groupes affichant pourtant des résultats financiers positifs, comme l’ont illustré plusieurs cas examinés.

c.   La loi du 8 août 2016 a introduit deux nouveaux motifs de licenciement économique, dont la controversée notion de « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité », majoritairement mobilisée aujourd’hui à l’appui des PSE

L’article 67 de la loi a ajouté à l’article L. 1233-3 précité deux motifs pouvant justifier un licenciement économique, issus de la jurisprudence de la Cour de cassation : la cessation d’activité de l’entreprise et la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

Selon ses partisans, cette évolution législative répondait à un double objectif :

 d’une part, sécuriser les entreprises confrontées à l’incertitude sur le caractère justifié ou non des difficultés économiques à l’origine d’un licenciement ;

– d’autre part, contribuer au renforcement de l’attractivité du territoire national pour les grands groupes détenant des filiales en France.

Pour rappel, dans son arrêt Vidéocolor de 1995, la Cour de cassation avait précisé que « lorsqu’elle n’est pas liée à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, une réorganisation ne peut constituer un motif économique que si elle est effectuée pour sauvegarder la compétitivité du secteur d’activité » ([85]).

Interrogée sur la pertinence de l’inscription dans la loi de ces deux nouveaux motifs, Mme Myriam El Khomri a répondu en ce sens : « La question que vous posez, finalement, est de savoir si ces notions sont floues. Je ne le pense pas : nous avons renvoyé à la notion de sauvegarde de la compétitivité et non à celle d’une amélioration. Nous n’avions pas identifié de risque et je ne suis pas certaine que l’application de ce critère ancien, qui remonte à des arrêts de 1995, pose aujourd’hui de réelles difficultés. » ([86])

Pourtant, c’est peu de dire que la notion de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité a fait l’objet de nombreuses critiques par les personnes auditionnées par la commission d’enquête, tant elle est floue. Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS, en a ainsi résumé les principaux défauts :

– la notion de compétitivité ne repose sur aucun critère comptable ou financier clairement défini, les experts-comptables mesurant plutôt la performance économique en termes de profitabilité ou de rentabilité ;

– pour tenter de donner une certaine consistance à cette notion, les praticiens ont considéré qu’il appartenait à l’entreprise qui voulait licencier de se comparer à ses concurrents pour démontrer une perte de parts de marché. Cette position logique a fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle défavorable en 2022 lorsque la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas nécessaire pour l’entreprise d’apporter des éléments de preuve au sujet de la situation de ses concurrents ;

– la jurisprudence s’est encore complexifiée en 2024 lorsque le Conseil d’État a estimé que la compétitivité d’une association à but non lucratif pouvait être menacée.

Au total, pour Me Rollin, « cette absence de définition stricte de la cause économique favorise des décisions arbitraires de restructurations opportunistes plutôt qu’économiquement nécessaires » ([87]).

D’après les données fournies par la DGEFP, la sauvegarde de la compétitivité est le motif le plus fréquemment invoqué par les entreprises de plus de 250 salariés qui procèdent à des licenciements économiques.

MOTIFS INVOQUÉS À L’APPUI DES PSE DANS LES ENTREPRISES
DE 250 SALARIÉS ET PLUS DEPUIS 2020

Source : DGEFP.

Les travaux de la commission d’enquête corroborent ce constat. En effet, dans la plupart des entreprises examinées (voir infra), c’est ce motif qui justifie la mise en œuvre des PSE.

Le recours systématique à cette notion, pourtant sujette à interprétation, a vidé de sa substance la logique de justification économique sérieuse.

d.   Face à ces dérives, il est nécessaire de restreindre la définition du licenciement économique

L’avis des organisations syndicales est unanime sur ce point : les motifs de sauvegarde de la compétitivité et de mutations technologiques sont trop facilement mobilisables par les employeurs pour procéder à des licenciements économiques.

Ainsi, pour la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), ces deux motifs prévus par la loi paraissent nécessiter un cadrage plus restrictif. D’une part, le motif de sauvegarde de la compétitivité est parfois utilisé pour des risques non avérés voire pour des raisons de pure opportunité. D’autre part, dans certains secteurs d’activité, les mutations technologiques sont à l’œuvre depuis des décennies, à tel point qu’il ne s’agit plus aujourd’hui d’un changement subi mais plutôt d’un manque d’anticipation.

Au sujet du motif des mutations technologiques – encore peu mobilisé par les employeurs –, M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, estime que deux solutions sont envisageables, entre lesquelles il faudra opter à court ou moyen terme :

– la première consiste à renoncer à faire des mutations technologiques un motif autonome de licenciement, ce qui obligerait l’employeur qui entend remplacer l’homme par la machine à justifier de difficultés économiques ou, plus vraisemblablement, de la menace qui pèse sur la compétitivité de l’entreprise. De cette façon, les licenciements consécutifs à la mise en place d’une intelligence artificielle ne seraient valides que si la situation économique de l’entreprise le justifiait. C’est la voie qu’avait par exemple choisie la société Pages Jaunes lorsqu’elle a supprimé des emplois et modifié les contrats des salariés affectés à l’annuaire papier et au minitel en raison du passage à l’informatique ;

– la seconde solution – qui n’a pas la préférence de son auteur en raison de la complexité de sa mise en œuvre – consiste à définir le motif des mutations technologiques au moyen d’indicateurs, comme pour les difficultés économiques.

En clair, un consensus se dégage pour restreindre la définition du licenciement économique aux seules difficultés graves et durables mettant en péril la survie de l’entreprise. Face aux abus constatés et aux dangers risques déséquilibrés qu’ils font peser sur les salariés, les motifs de sauvegarde de la compétitivité et de mutations technologiques ne doivent plus pouvoir justifier un licenciement économique à eux seuls. Cette nécessité est partagée par de nombreux représentants syndicaux et experts auditionnés qui plaident pour une redéfinition législative précise et restrictive.

Recommandation n° 11

Restreindre la définition du licenciement pour motif économique aux seules difficultés graves et durables mettant en péril la survie de l’entreprise.

3.   Les « ordonnances Macron » de 2017 réformant le code du travail ont parachevé le mouvement de libéralisation

a.   Le périmètre d’appréciation des critères susceptibles de justifier un licenciement pour motif économique est désormais limité au territoire national

L’article L. 1233-3 du code du travail a été modifié par l’ordonnance 2017‑1397 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail afin qu’il y soit précisé que « les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude ».

Ces dispositions figuraient déjà dans le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, devenu la loi du 8 août 2016, mais elles avaient finalement été retirées du texte considéré comme adopté en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, en raison de l’opposition de plusieurs groupes politiques à l’Assemblée nationale.

Le nouveau périmètre est en rupture avec la jurisprudence, qui appréciait jusqu’alors les difficultés économiques d’une entreprise en France à l’aune de la situation économique des filiales du groupe éventuellement installées à l’étranger et appartenant au même secteur d’activité (Cass. soc., 5 avril 1995, Vidéocolor ; Cass. soc., 14 octobre 2015).

Mme Muriel Pénicaud, ancienne ministre du travail ayant porté la réforme, estime que « les ordonnances ont corrigé une incohérence majeure de notre droit du travail : le motif économique d’un licenciement est désormais apprécié au niveau national et non plus à l’échelle mondiale d’un groupe. C’était une exigence de bon sens, de cohérence et d’équité. Comment pouvait-on justifier qu’une filiale française, réellement en difficulté, ne puisse engager un plan de sauvegarde de l’emploi, sous prétexte qu’une autre filiale ou que le groupe réalisait des bénéfices en Chine, aux États-Unis ou ailleurs ? Cette logique n’était ni tenable juridiquement ni soutenable socialement. En alignant notre droit sur ce qui se pratique dans la majorité des pays européens, nous avons renforcé la crédibilité et l’attractivité de la France pour les investisseurs internationaux, sans renoncer à notre exigence de justice sociale. » ([88])

Pour la secrétaire générale de la CGT, le nouveau périmètre a pour conséquence de favoriser les licenciements pour motif économique : « Michelin n’aurait probablement pas pu procéder à ces licenciements sous l’empire de l’ancienne législation applicable aux PSE. La réforme permet d’apprécier les difficultés économiques à l’échelle choisie par l’entreprise. Michelin a choisi de les apprécier à l’échelle française alors que le groupe affiche d’excellents résultats à l’échelle mondiale, avec 2 milliards d’euros de profit, dont une part importante est redistribuée aux actionnaires. » ([89])

Cette restriction permet à une filiale française d’un groupe multinational florissant de supprimer des postes sans que soit prise en compte la santé globale du groupe. Parce que ce dispositif permet à de grands groupes de licencier tout en réalisant des profits importants, il est impératif de le supprimer.

Recommandation n° 12

Revenir sur la nouvelle rédaction de l’article L. 1233-3 du code du travail relative au périmètre d’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques et de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

b.   Le reclassement interne à l’étranger n’est plus une obligation

En cohérence avec la réduction du périmètre d’appréciation des difficultés économiques, l’ordonnance a également circonscrit le périmètre des obligations de reclassement interne au territoire national.

Pour Mme Pénicaud, il s’agit là d’une « preuve de réalisme et de respect envers les salariés. […] Ce que d’aucuns ont présenté comme un recul est, au contraire, une protection renforcée. Proposer un poste à l’autre bout du monde à un salarié français, sans tenir compte de ses attaches et contraintes personnelles, ce n’est pas une solution de reclassement. Cela revenait trop souvent à dissimuler l’absence de réelles propositions. En restreignant cette obligation au territoire français, nous contraignons l’employeur à formuler des offres acceptables, crédibles, compatibles avec la vie du salarié. » ([90])

Bien que de nombreux salariés licenciés ne soient pas mobiles et ne souhaitent sans doute pas bénéficier d’un reclassement interne à l’étranger, il est regrettable d’exonérer là-encore l’employeur d’une obligation d’accompagnement des salariés licenciés. En effet, les salariés se voient privés de toute possibilité de reclassement dans une autre entité du groupe même lorsque cela est techniquement et économique envisageable.

c.   L’introduction du barème des indemnités prud’homales, en permettant aux employeurs d’internaliser le coût du licenciement, facilite les suppressions d’emplois

Comme l’a rappelé la DGEFP, l’instauration de montants minimaux et maximaux d’indemnités de licenciement survenu pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse poursuivait plusieurs objectifs :

– une équité accrue entre salariés, dans la mesure où, en l’absence de barème, des pratiques inégales étaient observées selon les juridictions en matière de réparation du préjudice ;

– une meilleure prévisibilité des coûts de licenciement pour les entreprises ;

– une incitation pour les employeurs à embaucher en CDI, grâce à la prévisibilité des coûts.

L’évaluation de l’impact de cette mesure faite par M. Pierre Cahuc et M. Stéphane Carcillo ([91]) a mis en évidence que :

– la réforme a permis d’accroître la prévisibilité de l’impact des actions en justice, dès lors qu’une nette réduction de la dispersion des montants accordés au titre des indemnités de licenciement dénué de cause réelle et sérieuse peut être observée, tout spécialement s’agissant des anciennetés inférieures à cinq ans ;

– des effets de substitution entre indemnités apparaissent, notamment en raison de la hausse des demandes de nullité qui permettent de s’extraire des montants maximaux prévus à l’article L. 1235-3 du code du travail, si bien que les indemnités totales n’auraient pas diminué de façon significative ;

– s’agissant de l’impact sur les embauches et les licenciements, les effets sont plus difficiles à mesurer, notamment en raison de la survenance de la crise sanitaire et, de manière plus générale, des aléas de la conjoncture économique.

Selon l’étude faite par Mme Camille Signoretto et M. Raphaël Dalmasso, le barème produit deux effets qui méritent d’être signalés : d’une part, les indemnités moyennes et médianes sont, pour chaque tranche d’ancienneté, inférieures à ce qu’elles étaient en 2017 ; d’autre part, figurent parmi « les grands perdants » les salariés ayant entre deux et cinq ans d’ancienneté qui travaillent dans des entreprises de 11 salariés et plus ([92]).

Nombre de personnes auditionnées par la commission d’enquête, à l’instar de Mme Hélène Cavat, estiment que le plafonnement des indemnités prud’homales porte une atteinte grave aux droits des salariés licenciés en ce qu’il représente « une infraction flagrante au principe de réparation intégrale du dommage. Le plancher d’indemnisation est divisé par deux : il passe de six à trois mois. Or, s’il avait été fixé à six mois en 1975, c’est parce que la durée moyenne passée au chômage à la suite d’un licenciement était à l’époque de six mois tandis qu’elle est aujourd’hui de presque dix-huit mois. » ([93])

Ce barème a banalisé le coût des licenciements, considéré comme une simple ligne comptable dans les décisions de gestion. En outre, les représentants syndicaux ont dénoncé la perte de l’effet dissuasif du contentieux, réduisant les garanties effectives pour les salariés.

B.   L’apparition de nouvelles formes de gestion de l’emploi a facilitÉ le dÉploiement de « restructurations À bas bruit »

Plusieurs dispositifs alternatifs au licenciement pour motif économique permettent des départs collectifs de salariés et des suppressions d’emplois moins retentissantes qu’avec les PSE. De nombreuses personnes auditionnées parlent de « restructurations à bas bruit » – lesquelles sont quantitativement importantes – pour qualifier ce phénomène. Aux côtés de la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP), essentiellement orientée vers des reconversions internes, ce sont surtout la rupture conventionnelle collective (RCC) et l’accord de performance collective (APC) qui connaissent un essor croissant depuis 2017.

1.   De nouvelles modalités de ruptures du contrat de travail ont été introduites pour faciliter les réorganisations…

a.   La rupture conventionnelle collective

Aux termes de l’article L. 1237-19-1 du code du travail ([94]), un accord portant rupture conventionnelle collective détermine :

– les modalités et conditions d’information du comité social et économique s’il existe ;

– le nombre maximal de départs envisagés, de suppressions d’emplois associées, et la durée pendant laquelle des ruptures de contrat de travail peuvent être engagées sur le fondement de l’accord ;

– les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier ;

– les modalités de présentation et d’examen des candidatures au départ des salariés, comprenant les conditions de transmission de l’accord écrit du salarié au dispositif prévu par l’accord collectif ;

– les modalités de conclusion d’une convention individuelle de rupture entre l’employeur et le salarié et d’exercice du droit de rétractation des parties ;

– les modalités de calcul des indemnités de rupture garanties au salarié, qui ne peuvent être inférieures aux indemnités légales dues en cas de licenciement ;

– les critères de départage entre les potentiels candidats au départ ;

– des mesures visant à faciliter l’accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que le congé de mobilité, des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;

– les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l’accord portant rupture conventionnelle collective.

La RCC est exclusive du licenciement ou de la démission. Elle permet de supprimer des emplois sans avoir à justifier d’une situation économique particulière. C’est un dispositif « à tiède », pour reprendre la typologie présentée par la DGEFP, que l’entreprise peut mobiliser lorsqu’elle souhaite rompre des contrats de travail sur la base du volontariat, sans recourir à un licenciement pour motif économique, pour atteindre les objectifs fixés en termes de suppression d’emplois durant la période déterminée par l’accord.

Contrairement aux PSE, les RCC ne nécessitent ni justification économique documentée, ni validation par l’administration sur le fond, ce qui favorise leur usage par les directions d’entreprise dans une logique d’opportunité. Par ailleurs, la RCC permet de réduire les conflits sociaux et de lisser l’image de l’entreprise, tout en vidant de leur substance les outils traditionnels de défense de l’emploi.

Un exemple de rupture conventionnelle collective (RCC) :
Airbus Defence and Space

Dans le cadre de son projet de réorganisation et d’adaptation des effectifs, baptisé projet « Proton », la direction d’Airbus Defence and Space a conclu, le 5 mars 2025, avec les syndicats CFDT et CFE-CGC, un accord de RCC qui prévoit le départ de 394 salariés d’ici à fin juin 2026. Le texte définit les mesures visant à faciliter la mobilité interne et externe ainsi que les conditions de départ des seniors.

La RCC s’adresse aux salariés volontaires ayant une ancienneté minimale de 12 mois dans le Groupe Airbus, appartenant aux établissements et familles d’emploi listés dans l’accord et occupant un poste en contrat à durée indéterminée.

Pour en bénéficier, les salariés devront s’inscrire dans l’un des parcours suivants :

 le parcours mobilité interne sur un autre poste disponible dans la société ou dans le groupe en France ou à l’international ;

– le parcours mobilité externe. Les salariés devront justifier d’un projet professionnel ou personnel « immédiat ou à terme » ;

– le parcours fin de carrière pour les salariés pouvant liquider leur retraite au plus tard le 1er juillet 2026.

En fonction du parcours des salariés, l’accord prévoit des aides financières à la création ou à la reprise d’entreprise, la prise en charge d’une formation d’adaptation au nouveau poste de travail, le financement d’une formation qualifiante ou diplômante et une aide financière pour le rachat de deux trimestres de retraite maximum.

Pour ses partisans, la RCC est une alternative négociée au licenciement plus protectrice que le plan de départs volontaires car nécessairement subordonnée à l’existence d’un accord collectif conclu au niveau de l’entreprise ou de l’établissement, approuvé par la majorité des représentants du personnel.

Ainsi, pour Mme Muriel Pénicaud, « ce dispositif constitue un progrès par rapport au fameux plan de départ volontaire, qui était très peu encadré. Les obligations sont désormais beaucoup plus précises. » ([95])

Toutefois, un employeur qui n’obtient pas la signature d’un accord de RCC peut mettre en œuvre un PDV classique par voie unilatérale.

La rupture conventionnelle collective a été créée après la rupture conventionnelle individuelle (RCI), introduite dans le code du travail par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail et décrite par le sociologue Claude Didry comme une « troisième voie entre la démission et le licenciement » ([96]).

Dans les conditions fixées par les articles L. 1237-11 à L. 1237-16 du code du travail, la RCI permet à l’employeur et au salarié de convenir d’un commun accord des conditions de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée qui les lie. Comme la RCC, la RCI est exclusive du licenciement ou de la démission.

Pour le salarié, elle ouvre droit, dans les conditions de droit commun, au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage ainsi qu’à la perception d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle dont le montant ne peut être inférieur au montant de l’indemnité légale de licenciement. La RCI doit être transmise à la Dreets, qui est chargée de son homologation (voir infra). L’administration dispose d’un délai d’instruction de quinze jours ouvrables et doit s’assurer du respect de la liberté de consentement des parties et des conditions prévues par le code du travail : respect des règles relatives à l’assistance des parties, au droit de rétractation, au montant minimal de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle.

b.   L’accord de performance collective

En vertu de l’article L. 2254-2 du code du travail, l’accord de performance collective (APC) vise à répondre aux « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » ou à « préserver ou développer l’emploi ».

Il peut porter sur :

– l’aménagement de la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;

– l’aménagement de la rémunération ;

– la détermination des conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Il ne conduit pas nécessairement à des suppressions d’emplois.

Contrairement aux accords de préservation ou de développement de l’emploi (APDE) et aux accords de maintien de l’emploi (AME), l’APC, qui les a remplacés, peut être conclu même en l’absence de difficultés économiques pour l’entreprise. Moyennant des mesures portant sur la durée du travail, son organisation, la rémunération des salariés, voire leur mobilité, l’accord doit permettre à l’entreprise de conserver ou d’améliorer sa compétitivité.

Il est signé par les organisations syndicales et fait l’objet d’un vote des salariés dans l’hypothèse où il aurait été signé par des organisations syndicales ayant recueilli 30 % des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles au lieu de 50 %. À défaut de stipulation explicite sur sa durée, l’APC ne dure que cinq ans.

Les partenaires sociaux peuvent prévoir des clauses de retour à meilleure fortune et, dans tous les cas, l’accord prévoit un suivi de la mise en œuvre des mesures présenté aux organisations syndicales et en CSE.

Mme Hélène Cavat, selon laquelle l’APC est un « bulldozer du contrat de travail » ([97]), dans la mesure où il peut porter sur l’ensemble de ses éléments, a transmis au rapporteur les données suivantes (année 2018) :

– seuls 6 % des accords invoquent des difficultés économiques ;

– dans plus de 50 % des accords, la rémunération est diminuée ou sa part variable augmentée ;

– 37,8 % des accords augmentent le temps de travail ;

– 33 % des accords organisent des variations ponctuelles ou définitives du lieu de travail.

Un exemple d’accord de performance collective (APC) : Kiabi

L’enseigne de vêtements a signé en juin 2024 un APC lui permettant de rétrograder ses agents de maîtrise.

Les salariés aux postes de « visual merchandiser » ou « gestionnaires de flux » se sont ainsi vu proposer d’occuper un poste de vendeur, catégorie « employé » et non plus « agent de maîtrise ».

Pour certains salariés, cette requalification entraînait une baisse de rémunération d’environ 1 000 euros bruts par mois. En cas de refus de l’APC, les salariés pouvaient être licenciés à des conditions plus favorables que celles du droit commun.

Afin de parvenir à un accord, la direction a toutefois renoncé à la baisse de rémunération mais le changement de poste a eu pour conséquence de modifier les règles sur la modulation du temps de travail.

Pour M. Raphaël Dalmasso, maître de conférences, la spécificité de l’APC réside dans le fait qu’il n’y a « aucune obligation de compenser les modifications des contrats de travail dans un sens défavorable par des mesures gagnantes pour les salariés. C’est une différence fondamentale avec les anciens accords de préservation et de développement de l’emploi. » ([98])

Les APC placent les salariés devant un choix contraint entre l’acceptation d’une dégradation de leurs conditions de travail ou le licenciement individuel, créant un rapport de force déséquilibré.

2.   … et tendent à se substituer aux PSE

a.   Un recours croissant à ces dispositifs

D’après les données fournies par la Dares, le nombre de procédures de RCC validées a augmenté entre 2018 et 2019, connu un pic en 2020 et 2021 puis diminué en 2022. Depuis 2023, la tendance est de nouveau à la hausse.

NOMBRE DE RCC VALIDÉES DEPUIS 2018

Lecture : au quatrième trimestre 2024, 20 RCC ont été validées par l’administration.

Source : DGEFP, SI Rupco, données brutes, traitements Dares.

Selon les données communiquées par France Travail, on constate également une tendance marquée à la hausse des inscriptions faisant suite à une rupture conventionnelle individuelle sur la dernière décennie.

répartition des motifs d’inscription À France travail depuis 2013

Année

Licenciements économiques

Dont CSP

Fin CDD ou intérim

Ruptures conventionnelles

Démissions

Autres**

2013

196 957

122 918

1 672 926

285 816

160 974

2 279 945

2014

180 832

115 886

1 620 692

307 244

147 027

2 398 850

2015

173 529

110 056

1 570 392

321 647

143 531

2 428 226

2016

162 622

92 302

1 561 158

380 659

162 719

2 821 939

2017

143 907

77 339

1 596 825

393 552

179 241

2 589 372

2018

134 666

71 437

1 646 871

411 957

215 345

2 348 009

2019

130 732

71 113

1 608 783

421 668

234 331

2 403 325

2020

154 048

80 273

1 604 631

422 158

239 861

2 259 103

2021

118 876

57 520

1 390 818

434 554

237 971

2 372 323

2022

113 299

57 732

1 551 293

467 951

290 119

2 366 255

2023

135 765

79 185

1 574 338

475 626

320 008

2 483 388

2024

161 000*

96 114

1 562 947

474 283

322 879

2 456 561

Source : France Travail.

Par ailleurs, 1 303 APC ont été recensés par la direction générale du travail (DGT), au 1er mai 2024, depuis la création du dispositif, en janvier 2018 ; 133 accords ont été conclus en 2023. Le nombre d’APC a augmenté à l’occasion de la crise sanitaire. La tendance est aujourd’hui à la stabilisation.

NOMBRE d’APC CONCLUS DEPUIS 2018

Source : direction générale du travail (DGT).

b.   Un effet de substitution difficilement mesurable mais largement reconnu

Même si les données statistiques peuvent manquer, les auditions convergent vers un constat : ces dispositifs sont devenus loutil privilégié de nombreuses entreprises pour éviter un PSE et contourner les obligations de négociation et de reclassement. Ils témoignent d’une dérive managériale consistant à transférer le poids des restructurations sur les salariés sans réel contrôle

S’appuyant sur des données de la Dares, Mme Nadia Gssime, docteure en droit, estime difficile d’affirmer que les restructurations passent davantage par la RCC et l’APC au détriment du PSE au regard des données concernant ces différents dispositifs ([99]).

NOMBRE DE PSE, D’APC et de RCC DEPUIS 2014

Source : Dares.

Cet effet est difficilement quantifiable, notamment à cause de la complexité du suivi des ruptures conventionnelles et de leur imbrication avec les PSE. Comme l’explique le professeur Rémi Bourguignon, « une part non négligeable des ruptures enregistrées correspond en réalité à des départs volontaires inscrits dans des PSE. Juridiquement, ces départs prennent la forme de ruptures conventionnelles même s’ils relèvent d’une restructuration. » ([100])

Ainsi, pour la Dreets des Hauts-de-France, « le risque principal de détournement résiderait dans un recours abusif à des ruptures conventionnelles individuelles (RCI) pour contourner la réglementation sur les PSE dans les entreprises de plus de 50 salariés » ([101]). En effet, les directions départementales qui procèdent à l’homologation des RCI se contentent de faire un contrôle formel du respect du consentement des parties et des montants minimaux de l’indemnité de rupture. C’est la plupart du temps une alerte de l’inspecteur du travail ou des représentants du personnel qui amènent les services à considérer le volume conséquent de RCI sur une courte période. Dans ce cas, les données précises sont transmises à l’inspecteur et une mesure de suspension des demandes est activée dans l’attente du retour d’enquête de l’inspecteur.

Le portail dématérialisé d’enregistrement des demandes de RCI ne comporte pas de fonction d’alerte liée au volume de demandes d’une même entreprise sur une période considérée qui permettrait de prévenir plus rapidement le risque de détournement de procédure.

Recommandation n° 13

Prévoir une fonction d’alerte sur le portail dématérialisé d’enregistrement des ruptures conventionnelles individuelles au-delà de dix ruptures conventionnelles conclues dans une même entreprise sur une période de trente jours.

De fait, pour M. Bourguignon, la substitution des ruptures conventionnelles aux licenciements économiques est une réalité incontestable : « Il est clair que ce dispositif a été largement détourné de sa vocation initiale. Dans certains cas, les départs dits volontaires s’inscrivent dans un cadre contraint, comme lorsqu’une entreprise ferme un site entier et ne propose que des départs volontaires. Le caractère réellement libre de la décision du salarié, dès lors que tous les postes sont supprimés, peut alors légitimement être questionné. » ([102])

Selon Mme Hélène Cavat, le succès considérable des RCI « a encore réduit le nombre de ruptures soumises au régime du licenciement économique » ([103]).

En ce qui concerne les RCC, M. Cyril Chabanier, président de la CFTC, estime qu’elles « sont rapidement devenues un outil de restructuration privilégié dans les grands groupes. Nous sommes très réservés sur ce dispositif, qui s’apparente souvent à un instrument de réorganisation et qui peut constituer une première étape avant un PSE. » ([104])

Pour M. Pascal Lokiec, les APC, bien qu’ils soient peu nombreux, présentent un fort risque de détournement, puisqu’ils sont utilisés au service de la fermeture de sites ou du déménagement de services ([105]). Selon M. Bertrand Mahé, délégué national de la CFE-CGC, « ce dispositif porte atteinte aux droits des salariés et dénature le rôle des accords d’entreprise. Les APC deviennent un outil de gestion qui fait peser l’intégralité des sacrifices sur les salariés. » ([106])

Mme Hélène Cavat a également pointé du doigt l’impossibilité de mesurer le réel volontariat des salariés. En effet, comment quantifier le nombre de départs volontaires lorsque ceux-ci peuvent résulter de pressions diverses et variées, notamment de chantage à l’emploi ? Pour M. Rémi Bourguignon, le suivi des salariés concernés par ces procédures est d’une grande hétérogénéité, puisque si certaines directions des ressources humaines travaillent en étroite collaboration avec les syndicats pour s’assurer de l’absence de vices de consentement, d’autres centralisent les décisions sans qu’un réel dialogue ne soit instauré ([107]).

Dans certaines situations, les employeurs peuvent mettre en place des dispositifs de gestion de l’emploi qui ne mobilisent ni PSE, ni RCC, ni APC, mais qui n’en ont pas moins des conséquences importantes pour les salariés.

La « gestion active de l’emploi » : le cas de Thales Alenia Space (TAS)

Parmi les entreprises étudiées par la commission d’enquête, certaines ont eu recours à des dispositifs de gestion de l’emploi faisant la part belle au volontariat mais n’en ayant pas moins des effets importants pour les salariés.

C’est le cas de l’entreprise Thales Alenia Space, « co-entreprise » des groupes Thales et Leonardi, qui la détiennent respectivement à 67 % et 33 %. L’entreprise, qui dispose de filiales dans plusieurs pays (France, Italie, Belgique, Espagne, Luxembourg, Suisse, Royaume-Uni), a adopté un plan dit de « gestion active de l’emploi », le plan Themis. Ce plan concerne 1 300 postes, dont 980 en France (684 à Toulouse, 296 à Cannes), les autres étant répartis dans plusieurs pays d’Europe (réduction d’effectifs en Belgique, fermeture d’un site au Royaume-Uni, fermeture de l’implantation en Pologne, transfert de l’implantation en Allemagne vers le Groupe Thales) ; il a été mis en œuvre à compter de mi-2024. La direction de l’entreprise a indiqué au rapporteur que la « genèse » du plan remontait à 2023, lorsque plusieurs signaux d’alerte sont apparus en raison, d’une part, d’un ralentissement pérenne du marché des satellites télécoms géostationnaires et de la perte de plusieurs projets internationaux, couplés à des difficultés de développement du nouveau produit « Space Inspire », et, d’autre part, d’un décalage dans le temps de la plupart des projets prévus par la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (Iris, Celeste, Egide, Syracuse) ainsi que de programmes italiens, comme OPTSTAT.

Ce plan, dont le déploiement doit s’achever mi-2026, repose sur le dispositif de gestion active de l’emploi créé par un accord d’entreprise de 2006, signé par l’ensemble des organisations syndicales (FO, CFDT, CFE-CGC, CGT), qui vise à mettre en œuvre des mesures négociées localement pour accompagner des situations de baisse d’activité et de transformation. Comme l’a indiqué au rapporteur la présidence de TAS, ce plan repose sur le volontariat : « il ne s’agit pas de viser la suppression de postes bien identifiés, mais d’enregistrer les candidatures pour telle ou telle option proposée par le plan. » En pratique, les options proposées aux salariés sont les suivantes : accompagnement des mobilités au sein de l’ECC (centre de compétence ingénierie TAS travaillant au profit du groupe) et de l’ICC (centre de compétence industrie TAS travaillant au profit du groupe) ; accompagnement des mobilités au sein de TAS et du Groupe Thales ; plan de formation spécifique pour accompagner les reconversions professionnelles et changements de métiers ; incitation au temps partiel aidé ; accompagnement des départs à la retraite (prime exceptionnelle de 5 mois de salaire brut, possibilité de racheter des trimestres au titre d’années d’études incomplètes, possibilité d’utiliser des jours du contrat épargne temps abondés à 40 %) ; aides à la création d’entreprise.

Fin avril 2025, deux tiers du plan étaient mis en œuvre, avec 650 « solutions » validées sur l’objectif de 980, réparties comme suit : 200 départs à la retraite et en congé de fin de carrière ; 125 démissions ; 155 mutations au sein du Groupe Thales, 100 mobilités vers le centre de compétence ingénierie et 50 mobilités vers le centre de compétence production, (+ 20 « autres solutions »). Fin mai, une nouvelle révision du plan de charge a conduit au gel de la décroissance des « équipes projets » et une nouvelle évaluation doit avoir lieu au premier trimestre 2026.

TAS a eu recours au cabinet Boston Consulting Group (BCG) afin de disposer d’un support méthodologique pour la construction et la définition du plan. La méthode et la structure ont été élaborées par le cabinet ; le contenu a été défini et validé par les équipes de direction de Thales et de TAS.

Pour les représentants des organisations syndicales représentatives de TAS, la nécessité du plan Themis fait toutefois l’objet d’interrogations. Ainsi, selon le rapport du cabinet Syndex, mandaté par lesdites organisations :

– la démonstration du calcul du sureffectif n’a jamais été faite et le plan de charge normatif avancé par la direction relève plus de « l’incantation que de la démonstration » ;

– les effets spécifiques du plan ne sont pas présentés et les économies attendues ne sont pas connues ;

– le plan ne prétend pas résoudre les difficultés structurelles et culturelles de l’entreprise, mais a pour objectif de traiter le sureffectif sans en traiter les « causes racines » ;

– les moyens mis en place pour accompagner la réduction des postes dans l’activité spatiale sont jugés prometteurs, mais leur « caractère opérationnel » reste à démontrer ;

– le projet « se construit après avoir été initié », avec un nombre de postes à supprimer annoncé avant la construction du plan.

En outre, pour les représentants syndicaux, si l’accord devait permettre à tous les salariés concernés de retrouver une place au sein de TAS ou du Groupe Thales, « suite à une communication plus qu’insistante sur la santé économique de TAS et au besoin de recrutement du groupe, plus de 125 équivalents temps plein ont démissionné, partant avec des compétences certaines ».

Source : présidence et intersyndicale de Thales Alenia Space.

En définitive, comme l’explique justement Mme Hélène Cavat, il apparaît que le contournement n’a pas besoin d’être quantifié pour être démontré, puisqu’il résulte de l’esprit même de ces dispositifs : « Il faut définitivement écarter le raisonnement consistant à dire : nous n’avons pas les chiffres, donc nous n’avons pas la réponse à cette question. C’est tout prouvé car ces dispositifs sont paramétrés précisément pour permettre de contourner le droit du licenciement pour motif économique. » ([108])

En outre, des phénomènes de contournement direct de la procédure applicable aux PSE ont été mis en lumière par les travaux de la commission d’enquête. Ainsi que l’a déclaré Mme Mélanie Guyonvarch, maîtresse de conférences à l’université Évry Paris‑Saclay, « des directeurs des ressources humaines m’ont confié sans détour qu’ils procèdent systématiquement à des licenciements par groupes de neuf salariés, car c’est à partir de dix salariés que la procédure devient juridiquement plus contraignante. Il existe aujourd’hui un ensemble de pratiques de gestion de l’emploi qui visent à contourner la législation existante sur les PSE. » ([109])

Dans ce contexte, il est nécessaire de mieux encadrer les dispositifs alternatifs au PSE.

3.   Afin de limiter le risque de contournement de la législation relative aux PSE, il est impératif de mieux encadrer les dispositifs alternatifs

a.   Le contrôle par l’administration des ruptures conventionnelles collectives revêt une portée trop limitée

L’employeur doit informer par voie dématérialisée la Dreets de l’ouverture d’une négociation en vue de la conclusion d’un accord de RCC. Une fois l’accord conclu, celui-ci doit être communiqué à la Dreets en vue de sa validation.

La Dreets notifie à l’employeur sa décision dans un délai de quinze jours à compter de la réception du dossier complet, dès lors qu’elle s’est assurée :

– de la conformité de l’accord avec l’article L. 1237-19 du code du travail ([110]) ;

– de la présence dans l’accord des clauses prévues à l’article L. 1237-19-1 du même code ;

– du caractère précis et concret des mesures prévues, visant à faciliter l’accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que le congé de mobilité, des actions de formation, de validation des acquis de l’expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d’activités nouvelles ou à la reprise d’activités existantes par les salariés ;

– de la régularité de la procédure d’information‑consultation du CSE.

Comme cela a été indiqué par la Drieets d’Île-de-France, les principaux points de vigilance de l’autorité administrative dans le contrôle des projets de RCC sont les suivants :

– l’obligation de ne pas licencier (champ d’application et durée de l’obligation) ;

– les types de projets professionnels, afin de s’assurer notamment que les projets en question permettent le reclassement effectif des salariés ;

– le caractère précis et concret des mesures de reclassement externe (aucune obligation de reclassement interne n’étant prévue) ;

– l’absence de fermeture de site ou de modification des contrats de travail ;

– la validité de la procédure d’information-consultation du CSE ;

– l’absence de critère discriminatoire parmi les critères de départage.

Le contrôle de l’administration porte donc sur les obligations procédurales de l’employeur et non sur le fond des mesures. Or, pour donner davantage d’effectivité à l’interdiction légale de supprimer des emplois via la RCC, le rapporteur propose de renforcer le contrôle de l’administration. En effet, l’absence d’évaluation de l’impact social et territorial des RCC traduit une forme de désengagement de la puissance publique qui délègue à l’entreprise l’autorité exclusive sur l’emploi.

Recommandation n° 14

Renforcer le contrôle de l’administration sur le contenu des accords portant rupture conventionnelle collective.

b.   Le contrôle par le juge judiciaire de la régularité des APC est insuffisant

Seul un recours devant le juge judiciaire dans un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de l’APC permet d’en contrôler la régularité. Le contrôle du juge porte, d’une part, sur les conditions du déroulement de la négociation et, d’autre part, sur le contenu même de l’accord. Ainsi, la volonté des salariés de s’inscrire dans le cadre juridique de l’APC doit ressortir à la lecture de l’accord, sous peine de requalification en accord de droit commun.

Les parties à la négociation doivent bénéficier d’une information loyale et complète même si la loi n’a pas prévu une liste d’informations devant être obligatoirement communiquées (Cass. soc., 9 octobre 2019).

Le contrôle du juge peut également porter sur le préambule de l’accord qui, en vertu de l’article L. 2254-2 du code du travail, définit ses objectifs et peut préciser :

– les modalités d’information des salariés sur son application et son suivi pendant toute sa durée, ainsi que, le cas échéant, l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord ;

– les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux salariés, pendant toute sa durée, les dirigeants salariés exerçant dans le périmètre de l’accord, les mandataires sociaux et les actionnaires, dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance ;

– les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés ;

– les modalités d’accompagnement des salariés.

Pour autant, aucune sanction n’est prévue si le préambule ne mentionne pas les objectifs poursuivis. En outre, le juge ne contrôle que la mention des objectifs et non leur opportunité, ce point d’appréciation étant laissé aux acteurs de la négociation.

Au vu de l’ampleur des conséquences pour les salariés de la mise en œuvre d’un accord de performance collective, la seule saisine du juge judiciaire en cas de contestation apparaît largement insuffisante. Aussi le rapporteur reprend-il à son compte la préconisation du cabinet d’avocats LBBa consistant à soumettre ce type d’accords au contrôle de l’administration, comme cela est prévu pour les RCC, et à obliger les employeurs à déclarer la conclusion d’un APC sur le portail Rupco.

Recommandation n° 15

Soumettre les accords de performance collective au contrôle de l’administration et prévoir le principe de leur déclaration par l’employeur sur le portail Rupco.

c.   Le contenu de ces dispositifs doit être davantage restreint pour mieux protéger les salariés

L’accord de performance collective est dénoncé par les organisations syndicales :

– pour la CFTC, il est « un dispositif très déséquilibré, car il modifie les éléments essentiels du contrat de travail. Si le salarié refuse, il peut être licencié sans motif. C’est un ovni dans les accords collectifs auquel il faudrait mettre fin ou à tout le moins qu’il faudrait sécuriser avec des garde-fous. » ([111]) ;

– pour la CGT, les APC, « actuellement non encadrés, doivent être réformés » ([112]) ;

– la CFE-CGC indique ne pas être favorable à ce dispositif ([113]) ;

– la CFDT souhaite « interdire les APC à durée indéterminée […] dans le but d’éviter les contournements des obligations liées aux PSE » ([114]).

Aussi, le rapporteur souscrit à l’idée de mieux encadrer ces accords pour revenir à la philosophie des accords de maintien de l’emploi qui étaient plus équilibrés dans la mesure où étaient exigés des efforts de la part des dirigeants, des actionnaires et des mandataires. Un tel encadrement se traduirait par :

– l’interdiction des APC à durée indéterminée ;

– l’instauration obligatoire d’une clause de retour à meilleure fortune ;

– l’instauration obligatoire d’un bilan d’étape ;

– l’interdiction de négocier un APC sans difficultés économiques dans l’entreprise.

Le renforcement des moyens et prérogatives des représentants du personnel est une condition indispensable pour restaurer un équilibre dans la négociation de ces accords.

Recommandation n° 16

Mieux encadrer le contenu et les motifs de recours aux accords de performance collective.

Si la RCC est moins attentatoire aux droits des salariés et peut être plus généreuse sur le plan de l’accompagnement financier, il n’en demeure pas moins que son contenu doit être enrichi pour apporter davantage de garanties. Dans cette perspective, il est nécessaire de mettre en place des garde-fous pour s’assurer que soit proposé un accompagnement solide vers le retour à l’emploi des salariés concernés, notamment par la formation et la reconversion. Aussi, les préconisations du cabinet Syndex consistant à rendre obligatoires dans un accord de RCC le congé de mobilité ainsi que la présence d’une clause portant sur les impacts en termes de santé et de sécurité au travail ([115]) apparaissent tout à fait pertinentes.

Recommandation n° 17

Rendre obligatoire dans les accords de rupture conventionnelle collective la présence du congé de mobilité et d’une clause portant sur les impacts en termes de santé et de sécurité au travail.

C.   Les plans de sauvegarde de l’emploi sont anormalement compatibles avec le versement d’aides publiques aux entreprises

1.   Les aides publiques aux entreprises, qui peuvent prendre différentes formes, représentent des montants considérables

Comme cela a été indiqué au rapporteur par la DGE et la DG Trésor, « il n’existe pas de définition spécifique des aides publiques aux entreprises utilisée par les services de l’État. La définition la plus proche est la définition européenne des aides d’État, prévue par l’article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) : il s’agit des aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. » ([116]) La définition utilisée en droit européen a été précisée dans la communication de la Commission européenne relative à la notion d’aide d’État visée à l’article 107, paragraphe 1, du TFUE (2016/C 262/01) ([117]). Ainsi, les éléments constitutifs de l’aide d’État au sens du droit européen sont les suivants : l’existence d’une entreprise, l’imputabilité de la mesure à l’État, son financement au moyen de ressources d’État, l’octroi d’un avantage, la sélectivité de la mesure et ses effets sur la concurrence et les échanges entre États membres.

Les aides d’État peuvent prendre plusieurs formes :

– des dépenses budgétaires, qui sont majoritairement des subventions octroyées par des opérateurs et renvoient également à d’autres instruments, tels que les avances remboursables et les prêts à taux bonifiés ;

– des avantages fiscaux, qui prennent la forme de crédits d’impôts (crédit d’impôt recherche (CIR), crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte, etc.), d’exonérations de taxes, de taux réduits ou encore de suramortissements ;

– des allègements de cotisations sociales, qui sont principalement pilotés par le ministère du travail (exonérations pour l’apprentissage, heures supplémentaires au sein des entreprises de moins de 20 salariés, aide à la création ou à la reprise d’une entreprise, etc.), le ministère des outre-mer (pour ce qui est des cotisations patronales des entreprises implantées outre-mer) et le ministère de l’économie, qui gère notamment le dispositif d’exonération pour les jeunes entreprises innovantes (JEI) ([118]).

Si la notion d’avantage fiscal renvoie tout d’abord aux dépenses fiscales, qui désignent des dispositions dérogatoires par rapport à une norme fiscale et qui entraînent des pertes de recettes budgétaires pour l’État, il importe de tenir également compte des dépenses fiscales déclassées. Il s’agit de dispositifs qui étaient auparavant comptabilisés comme des dépenses fiscales et qui sont désormais considérés comme des modalités particulières du calcul de l’impôt. En pratique, cela renvoie essentiellement à des modes de calcul de l’impôt sur les sociétés plus favorables que les modes de calcul de référence, tels que le régime « mère-fille ».

Au sens de la règlementation européenne, les mesures générales, qui s’appliquent de la même façon à toutes les entreprises sans modifier a priori la concurrence entre elles, ne sont pas considérées comme des aides d’État en ce qu’elles ne favorisent pas certaines entreprises ou productions. Les aides d’État renvoient plutôt aux mesures dites spécifiques, qui s’adressent à une seule entreprise ou à une catégorie restreinte d’entreprises ciblées et sélectionnées, entraînant un traitement différencié entre concurrents sur le marché. Dans sa revue de dépenses de 2024 sur les aides aux entreprises, l’Inspection générale des finances (IGF) a ainsi écarté du champ de son étude les mesures de soutien général à l’économie, ce qui revenait à exclure les allègements généraux de cotisations sociales bénéficiant à l’ensemble des entreprises implantées en France.

La multiplicité des aides aux entreprises et leur éclatement entre différents ministères et administrations compliquent la réalisation d’un suivi exhaustif et par là-même d’un chiffrage. Pour le rapporteur, cette situation, associée à un manque de transparence et d’évaluation, constitue un angle mort de la puissance publique.

Sur le site « aides-entreprises.fr », édité par l’Institut supérieur des métiers (ISM) avec le soutien de la DGE, on dénombre 2 200 dispositifs d’aides financières aux entreprises, à l’échelle locale, nationale ou européenne ([119]). Comme l’a indiqué Mme Constance Maréchal-Dereu, cheffe du service de l’industrie de la DGE, celle-ci travaille actuellement à la création d’une plateforme centralisée – dont la mise en service est prévue pour le début de l’année 2026 – qui aura pour vocation de compiler les aides de minimis ([120]), soit les aides d’un petit montant qui permettent de couvrir tous types de dépenses – et qui sont très souvent utilisées dans les situations d’urgence ([121]).

Quant au montant des aides, le rapport susmentionné de l’IGF et le rapport de France Stratégie sur les politiques industrielles en France, remis en 2020 ([122]), ont fourni des évaluations allant de 150 à 220 milliards d’euros. Selon l’IGF, le montant alloué – hors exonérations générales de cotisations sociales – s’élevait à 88 milliards d’euros (soit environ 3 points de PIB) en 2022, ainsi répartis :

– 36 milliards d’euros de dépenses fiscales, les plus importantes étant le CIR (7 milliards d’euros), des mesures de fiscalité réduite dans les départements et régions d’outre-mer (DROM) (5 milliards d’euros), la TVA restauration (4 milliards d’euros), la taxe au tonnage (4 milliards d’euros), la TVA réduite dans le bâtiment (2 milliards d’euros), le GNR agricole (1,5 milliard d’euros), etc. ;

 28 milliards d’euros de dépenses budgétaires, avec les aides au ferroviaire (4 milliards d’euros), l’aide à l’embauche d’apprentis (3 milliards d’euros), le soutien à la filière photovoltaïque – soutien à la demande – (3 milliards d’euros), etc. ;

– 15 milliards d’euros correspondant à des mesures de crise ponctuelles (le bouclier tarifaire énergie : 4,5 milliards d’euros ; la garantie PGE : 2 milliards d’euros, etc.) ou à des dispositifs en extinction tels que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) (6 milliards d’euros) ([123]) ;

– 7 milliards d’euros de compensation de dépenses sociales par le budget de l’État, et ce pour l’emploi dans les DROM (1,5 milliard d’euros), l’apprentissage (1,2 milliard d’euros) ou encore l’emploi par des associations d’aide à domicile auprès de personnes fragiles (1 milliard d’euros), etc.

Le crédit d’impôt recherche (CIR), dépense fiscale la plus coûteuse
pour le budget de l’État

Créé en 1983 et codifié à l’article 244 quater B du code général des impôts (CGI), le crédit d’impôt recherche (CIR) bénéficie aux entreprises qui effectuent des dépenses de recherche au cours de l’année. Son taux s’élève à 30 % pour la fraction de dépenses inférieure ou égale à 100 millions d’euros et à 5 % pour la fraction dépassant ce montant (1).

Le champ des dépenses éligibles au CIR est composé de sept strates et recouvre des dépenses relevant tant d’opérations de recherche et développement (R&D) proprement dites que d’opérations qui, si l’on se réfère à la définition donnée par le manuel de Frascati (2), ne relèvent pas stricto sensu de la R&D. Dans le premier cas, il s’agit :

– des dotations aux amortissements des immobilisations directement affectées à la réalisation d’opérations de R&D ;

– des dépenses de personnel relatives aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés aux opérations de R&D. En outre, les dépenses de personnel afférentes aux jeunes docteurs sont prises en compte pour le double de leur montant durant les vingt-quatre premiers mois suivant leur premier recrutement ;
– d’une partie des dépenses allouées à des opérations de recherche confiées à des organismes agréés par le ministre chargé de la recherche ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions. Ces dépenses sont retenues dans la limite de trois fois le montant total des autres dépenses de recherche ouvrant droit au CIR. Elles sont par ailleurs plafonnées à 2 millions d’euros par an s’il existe un lien de dépendance entre l’entreprise qui bénéficie du crédit d’impôt et ces organismes ou à 10 millions d’euros dans le cas contraire ;

– d’une partie des dépenses de fonctionnement que les entreprises exposent dans le cadre de leurs opérations de recherche. Ces dépenses sont comptabilisées de manière forfaitaire, en retenant 75 % des dotations aux amortissements, 43 % des dépenses de personnel (hors dépenses relatives aux jeunes docteurs) et 200 % des dépenses de personnel se rapportant aux jeunes docteurs.

Les dépenses éligibles au CIR ne portant pas stricto sensu sur des opérations de R&D concernent :

– les dépenses de propriété intellectuelle recouvrant les frais de prise, de maintenance et de défense des brevets et des certificats d’obtention végétale, et les dotations d’amortissements de brevets et certificats d’obtention végétale ;

– la moitié des dépenses de normalisation afférentes aux produits de l’entreprise (3) ;

– les dépenses de veille technologique, dans la limite de 60 000 euros par an.

De ces sommes est ensuite déduit le montant des subventions publiques perçues par l’entreprise.

Le CIR s’impute sur l’impôt dû par l’entreprise au titre de l’année au cours de laquelle les dépenses de recherche ont été exposées. L’excédent de crédit d’impôt constitue au profit de l’entreprise une créance sur l’État d’un égal montant, qui peut être utilisée pour le paiement de l’impôt sur les trois années suivantes. La fraction non utilisée est remboursée à l’issue de cette période.

Le coût du CIR a atteint 7,3 milliards d’euros en 2023 et devrait encore progresser en 2024 et 2025. Il représente désormais la dépense fiscale la plus coûteuse du budget de l’État, devant le crédit d’impôt au titre de l’emploi d’un salarié à domicile (dont le coût prévisionnel est de 6,9 milliards d’euros en 2025, contre 7,7 milliards d’euros pour le CIR).

Comme l’a montré une étude publiée en 2021 par la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi) (4), rattachée à France Stratégie, les effets produits par le CIR sont :

– positifs mais modérés sur les activités de R&D et d’innovation ;

– concentrés sur les petites et moyennes entreprises (PME), quand bien même plus d’un tiers du coût du CIR est capté par les plus grandes entreprises.

La loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 a procédé à plusieurs ajustements aux fins de limiter le coût du dispositif pour les finances publiques (suppression du doublement de l’assiette pour les jeunes docteurs, abaissement de trois points du forfait des dépenses de fonctionnement applicable en fonction des dépenses de personnel et suppression de l’éligibilité de certaines dépenses n’étant pas considérées comme de la R&D stricto sensu, à savoir les dépenses liées aux brevets et les dépenses de veille technologique).

(1) Le taux de 30 % est porté à 50 % pour les dépenses de recherche exposées dans des exploitations situées dans un département d’outre-mer.

(2) Publié par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2015, le manuel de Frascati est la référence méthodologique internationale en matière de recueil et d’exploitation des statistiques de R&D. Selon ce manuel, les activités de R&D regroupent « les activités créatives et systématiques entreprises en vue d’accroître la somme des connaissances – y compris la connaissance de l’humanité, de la culture et de la société – et de concevoir de nouvelles applications à partir des connaissances disponibles ».

(3) La normalisation, définie par le décret n° 2009-697 du 16 juin 2009, est « une activité d’intérêt général qui a pour objet de fournir des documents de référence élaborés de manière consensuelle par toutes les parties intéressées, portant sur des règles, des caractéristiques, des recommandations ou des exemples de bonnes pratiques, relatives à des produits, à des services, à des méthodes, à des processus ou à des organisations ».

(4) Cnepi, Évaluation du crédit d’impôt recherche, juin 2021.

Selon les données de l’Urssaf, le montant des exonérations générales de cotisations sociales (hors travailleurs indépendants) s’élevait, en 2022, à 68,3 milliards d’euros (2,6 points de PIB) : 35,9 milliards d’euros au titre de la réduction générale sur les bas salaires (1,4 point de PIB), 23,6 milliards d’euros au titre de la réduction de six points de cotisation maladie (0,9 point de PIB) et 8,8 milliards d’euros au titre de la réduction de cotisation famille (0,3 point de PIB).

En outre, selon la Cour des comptes, entre 2020 et 2022, les dispositifs exceptionnels déployés pour venir en aide aux entreprises face à la crise sanitaire puis à la crise énergétique ont coûté respectivement 92,4 milliards d’euros et 206,4 milliards d’euros – en intégrant le montant des prêts garantis et des reports de paiements des cotisations sociales ([124]). La première phase a été marquée par la mobilisation de dispositifs faits pour être déployés rapidement, tels que le fonds de solidarité, l’activité partielle (voir infra), les exonérations de cotisations sociales ou encore les prêts garantis par l’État (PGE). La seconde phase, caractérisée par la mise en œuvre du plan de résilience, a été marquée par le recours à des mesures générales et automatiques, comme le bouclier tarifaire et la baisse de la fiscalité sur l’électricité, et à des aides visant certains secteurs, tels que le bâtiment, les travaux publics ou les entreprises énergo‑intensives.

Les aides publiques aux entreprises représentent ainsi des montants considérables, qui imposent un suivi et un encadrement rigoureux.

2.   Le conditionnement des aides publiques au maintien et à la création d’emplois doit être renforcé

a.   L’octroi des aides publiques est généralement encadré par des règles qui imposent parfois la restitution des montants accordés

Comme cela a été indiqué au rapporteur par la DGE et la DG Trésor, il existe de nombreux organismes sur lesquels l’administration peut s’appuyer pour évaluer les aides publiques aux entreprises (directions des ministères économiques et financiers, Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales, Cour des comptes, Conseil des prélèvements obligatoires, France Stratégie et comités d’évaluation placés sous son égide, Conseil d’analyse économique, etc.). En audition, M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor, a en outre précisé que « le suivi et l’évaluation des aides publiques aux entreprises se sont progressivement renforcés avec le temps. Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, tout projet de loi doit être accompagné d’une étude d’impact. Cette exigence a permis de structurer davantage l’analyse des politiques publiques. Elle a été complétée, à partir de 2017, par l’intégration d’un suivi rigoureux du déploiement des aides au sein des grands plans gouvernementaux en direction des entreprises, notamment France Relance et France 2030. » ([125])

Les différents rapports d’évaluation remis ces dernières années tiennent notamment compte de l’impact sur l’emploi des aides publiques aux entreprises. C’est le cas du rapport de France Stratégie sur les mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de covid‑19, de l’évaluation du crédit d’impôt recherche par la Cnepi, du premier rapport d’évaluation du plan France 2030 ou encore de la note de la Cour des comptes sur l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises. Selon ces travaux, « les mesures du plan d’urgence se sont révélées efficaces pour soutenir la trésorerie des entreprises, préserver le tissu économique et sauvegarder l’emploi » ([126]). Selon les informations communiquées au rapporteur par la DGE et la DG Trésor, « en 2020, l’emploi salarié marchand non agricole (SMNA) a baissé de 0,7 % en moyenne, alors que le PIB chutait de 7,6 % (en comparaison, l’emploi SMNA avait chuté de 2,2 % en 2009 alors que le PIB avait diminué de 2,7 %) » ([127]).

Le plan France 2030

Le plan France 2030, annoncé en 2021 et placé au premier rang des politiques prioritaires du Gouvernement en 2022, vise à accélérer la transformation des secteurs clés de l’économie par l’innovation et à positionner la France en tête dans plusieurs domaines stratégiques. Au bout de trois ans de déploiement, 38 milliards d’euros ont été engagés pour plus de 7 400 projets.

Les impacts attendus du plan sur l’emploi sont majeurs, avec une fourchette de 288 000 à 600 000 créations nettes d’emplois (Comité de surveillance des investissements d’avenir, 2023). Ces créations d’emplois concerneraient en particulier les profils peu qualifiés, qui bénéficieraient de la moitié d’entre elles. À titre d’exemples :

– les investissements dans la santé et dans l’électronique-robotique conduiraient à créer respectivement 117 000 et 85 000 nouveaux emplois ;

– près de 20 000 emplois seraient à pourvoir dans le secteur des batteries d’ici 2030.

Enfin, d’après les estimations communiquées au rapporteur par la direction générale du Trésor, 40 000 emplois directs ont été créés ou maintenus et 12 000 nouvelles formations diplômantes relatives aux métiers d’avenir ont été ouvertes en 2022 ou 2023.

Le plan en est encore à un stade précoce de déploiement et les évaluations ne sont pas disponibles. Toutefois, la direction générale du Trésor travaille actuellement à une évaluation macroéconométrique des emplois créés.

Source : direction générale du Trésor.

Plusieurs évaluations des effets allègements généraux de cotisations sociales, qui représentent l’aide la plus importante en volume, ont également été faites.

L’évaluation des allègements généraux de cotisations sociales

Instaurés au début des années 1990, les allègements généraux de cotisations sociales sont une politique en faveur de l’emploi consistant à réduire le montant des cotisations sociales versées par l’employeur afin de réduire le coût du travail. Initialement réservés aux bas salaires, les allègements généraux ont été progressivement renforcés et étendus à des salaires plus élevés (jusqu’à 3,3 Smic depuis le 1er janvier 2025). Actuellement, ils se composent de deux types de dispositifs : la réduction générale dégressive (RGD) (1) et les réductions de taux de cotisations d’assurance maladie (« bandeau maladie ») et d’allocations familiales (« bandeau famille ») (2). Au total, ces dispositifs ont engendré des pertes de recettes de 75,7 milliards d’euros en 2023 : 39,5 milliards d’euros au titre de la RGD, 26,7 milliards d’euros au titre du « bandeau maladie » et 9,5 milliards d’euros au titre du « bandeau famille ».

Les évaluations empiriques des différentes mesures d’allègement du coût du travail confirment leur efficacité sur l’emploi, en particulier lorsque ces mesures sont ciblées sur les bas salaires. Bruno Crépon et Rozenn Desplatz estiment que les mesures de ce type déployées dans les années 1990, concentrées sur les salaires inférieurs à 1,3 Smic, auraient permis de créer ou sauvegarder 460 000 emplois entre 1994 et 1997 pour un coût d’environ 38 milliards de francs, soit 5,8 milliards d’euros en 1996 (3). À titre de comparaison, les travaux microéconométriques d’évaluation du CICE (qui concerne les salaires inférieurs ou égaux à 2,5 Smic) indiquent que 100 000 emplois environ auraient été créés ou sauvegardés au total sur la période 2014-2016, pour un coût annuel de 18 milliards d’euros (4).

La suppression de tous les allègements généraux de cotisations sociales génèrerait une perte comprise entre 1,5 et 2,2 millions d’emplois selon le groupe d’experts sur le Smic et proche de 1 million d’emplois selon le rapport Bozio-Wasmer d’octobre 2024 (5).

Selon ce même rapport, le coût budgétaire des allègements et exonérations de cotisations sociales a été multiplié par cinq depuis 1999. En effet, depuis 1993, des allègements et exonérations de plus en plus importants ont été mis en place pour les bas salaires, le taux de cotisation employeur au niveau du Smic étant passé de 45 % en 1993 à 6,9 % en 2024. Si les effets de ces dispositifs sont globalement positifs sur l’emploi des salariés touchant de bas salaires, ils sont décevants, dans l’ensemble, pour les rémunérations plus élevées, du fait de la dégressivité des allègements (les aides diminuent à mesure que le salaire augmente). Cela favorise le phénomène dit des « trappes à bas salaires », soit le maintien des salaires à un niveau ne dépassant pas les seuils d’exonération de certaines cotisations.

(1) La réduction générale dégressive des cotisations et contributions sociales permet une suppression de l’ensemble des cotisations et contributions de droit commun au niveau du Smic ; son niveau décroît en fonction du salaire pour devenir nul pour une rémunération annuelle égale à 1,6 fois le Smic.

(2) Les réductions proportionnelles des cotisations d’assurance maladie et d’allocations familiales (« bandeau maladie » et « bandeau famille ») permettent une diminution de respectivement 6 points et 1,8 point des cotisations pour les rémunérations annuelles inférieures, respectivement, à 2,25 et 3,3 fois le Smic.

(3) Bruno Crépon et Rozenn Desplatz, « Une nouvelle évaluation des effets des allégements de charges sociales sur les bas salaires », Économie et Statistique, n° 348, 2001.

(4) Rapport de France Stratégie sur l’évaluation du CICE, septembre 2020. L’évaluation macroéconomique intègre des effets indirects. Lorsqu’on les prend en compte, les emplois créés ou sauvegardés grâce au CICE seraient plus nombreux, entre 150 000 et 200 000 en tenant compte du financement de la mesure (par une combinaison d’économies de dépenses publiques et de hausse de la fiscalité) et jusqu’à 400 000 dans un scénario où le coût du CICE n’est pas compensé par des taxes ou des dépenses moindres. Néanmoins, ces estimations macroéconomiques sont entourées d’une plus forte incertitude statistique et doivent être considérées avec prudence.

(5) Antoine Bozio et Étienne Wasmer, Les politiques d’exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire, octobre 2024.

En amont, et pendant leur décaissement, lorsqu’il est progressif, les aides aux entreprises font en principe l’objet d’un suivi et sont, « dans leur très grande majorité, assorties de conditions précises », comme l’a souligné Mme Constance Maréchal-Dereu. Ainsi, « les aides versées par la DGE sont liées à des projets définis et font l’objet d’une instruction approfondie de la part des services compétents. Chaque versement est conditionné à la vérification du respect des critères fixés. Les entreprises doivent apporter la preuve de la réalisation effective des actions prévues. Pour certains dispositifs, notamment dans le cadre du plan d’investissement France 2030, nous procédons même à des visites sur site afin de contrôler la véracité des éléments transmis. Le niveau de suivi est ajusté en fonction du montant de l’aide octroyée. Ce travail de contrôle s’exerce de manière continue et pas exclusivement en cas de difficulté. » ([128])

Dans le cadre du plan d’investissement France 2030, qui repose sur des appels à projet assortis de critères, des organismes comme l’Agence de services et de paiement (ASP) ou Bpifrance sont chargés d’examiner le respect des critères définis. En ce qui concerne les aides ponctuelles fondées sur des situations passées, le respect des critères d’éligibilité conditionne généralement le versement. En revanche, pour les projets de plus grande ampleur, il existe un système de suivi plus élaboré qui permet de réviser les contrats, d’appliquer des sanctions ou d’ajuster les conditions en fonction de l’évolution concrète du projet, ainsi qu’une clause de récupération, dite clause de « clawback », systématiquement prévue pour les aides dont le montant dépasse 50 millions d’euros. Lorsqu’un projet s’avère plus rentable que prévu, l’entreprise est tenue de reverser une part de l’aide perçue afin de rétablir l’équilibre initial ([129]).

D’autres exemples de clauses de récupération des aides peuvent être cités :

 les clauses anti-délocalisation intra-Union européenne, qui s’appliquent aux aides à l’investissement productif en zone d’aides à finalité régionale. Les grandes entreprises ont alors pour obligation de maintenir l’investissement et les emplois créés du fait de l’aide pendant cinq ans (trois ans pour les PME) ;

 les clauses de maintien de l’emploi, qui s’appliquent aux aides visant à financer des emplois et notamment aux aides à finalité régionale, qui sont obligatoirement conditionnées au maintien de l’emploi. Ainsi, les emplois financés par l’aide doivent être maintenus pendant une période minimale de cinq ans (trois ans pour les PME) à compter de la date à laquelle le poste a été pourvu.

Lorsque les aides ont un objectif précis, comme le CIR avec le financement des dépenses de recherche et développement ou les aides en faveur de l’apprentissage, elles sont conditionnées à la réalisation effective de l’objectif assigné.

Néanmoins, comme l’a souligné Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, à propos des aides d’urgence mises en œuvre en 2020 et 2022, le déploiement et le suivi des aides publiques demeurent perfectibles. Ainsi, si les mesures mises en œuvre face à la crise provoquée par la pandémie de covid19 « ont permis de préserver le tissu économique et de limiter le nombre de défaillances d’entreprises, en autorisant des versements massifs et rapides, cette simplicité d’accès, conjuguée à un ciblage initial peu précis et à des contrôles a priori limités, a en revanche généré des risques significatifs de versements indus et de fraudes. Le cumul possible des aides issues de différents dispositifs a également soulevé des interrogations quant à l’adéquation entre le montant des aides perçues et les besoins réels des entreprises bénéficiaires. » ([130]) Quant au plan de résilience de 2022, il a « rencontré davantage de difficultés de mise en œuvre, l’évaluation des besoins réels des entreprises s’étant révélée encore plus complexe, entraînant dans certains cas une surestimation des enveloppes budgétaires. Par ailleurs, les critères d’éligibilité à certaines aides se sont avérés particulièrement complexes à définir. En l’absence d’un système automatisé de partage des données avec les fournisseurs d’énergie, pourtant chargés de mettre en œuvre ces aides, il a été difficile d’évaluer précisément les risques de surcompensation ou de versements injustifiés. » ([131])

S’agissant des allègements de cotisations patronales, dont l’objectif affiché est la baisse du coût du travail dans l’intention d’encourager l’emploi des travailleurs faiblement qualifiés et d’améliorer la compétitivité des entreprises, des réserves peuvent être formulées sur l’efficience des dispositifs. Comme l’a notamment souligné un rapport produit en mai 2022 pour le compte de l’université de Lille, les études menées sur le sujet font apparaître que « l’élasticité de substitution entre le capital et le travail, l’un des fondements de ces politiques de baisse du coût du travail, est décevante (telle qu’elle ressort des estimations) au regard des attendus théoriques, et que les effets constatés sur la compétitivité extérieure sont pour le moins modérés, du fait que la compétitivité ne passe pas principalement par les coûts. Au total, le coût pour les finances publiques d’un dispositif comme le CICE, pour reprendre ce dispositif phare, s’avère totalement déraisonnable (au bas mot, suivant les meilleures hypothèses, 100 000 euros par emploi créé ou sauvegardé par an). » ([132])

Pour le rapporteur, s’il n’est pas question de remettre en cause l’intérêt et le bien-fondé de toutes les aides publiques aux entreprises, il apparaît indispensable de faire un audit exhaustif des dispositifs existants et d’étendre le champ de la plateforme en cours d’élaboration au sein de la DGE à toutes les aides existantes, sans le limiter aux aides de minimis. Il plaide également pour une transparence renforcée en la matière, en rendant accessible aux contribuables la liste des aides publiques attribuées aux entreprises (précisant le motif, le montant et les critères et conditions), afin de permettre un véritable contrôle démocratique de l’utilisation des deniers publics.

Recommandation n° 18

Faire une évaluation exhaustive et mettre en place une plateforme de suivi de l’ensemble des aides publiques.

Recommandation n° 19

Rendre publiques les informations relatives aux aides publiques attribuées aux entreprises (motif, montant, critères et conditions).

En ce qui concerne les critères encadrant l’octroi des aides publiques, comme l’a souligné la professeure Anémone Cartier-Bresson, « en France, les principales lacunes dans ce domaine résident dans le manque de précision et d’exigence quant aux conditionnalités. Ce phénomène a été observé, par exemple, avec certains crédits d’impôt ou durant la crise du covid19, la France s’étant montrée moins exigeante que ses voisins européens, particulièrement vis-à-vis des grands groupes. » ([133]) Ainsi, s’il existe en général des critères encadrant le versement des aides, ceux-ci pourraient être revus et renforcés.

b.   Les critères d’octroi des aides publiques relatifs au maintien de l’emploi doivent être généralisés et renforcés

Si l’octroi de la plupart des aides aux entreprises est encadré par des critères, force est de constater qu’il n’est pas, dans la majorité des cas et en dehors notamment de la clause de maintien de l’emploi appliquée à certaines aides ayant pour objectif de financer des emplois, conditionné à une interdiction ou un encadrement des licenciements ni à l’obligation de restituer les montants reçus dans l’éventualité où des emplois seraient supprimés. En outre, de façon générale, le remboursement d’aides pour non-respect des critères prévus demeure exceptionnel et largement symbolique.

Pour le rapporteur, la possibilité pour une entreprise de toucher d’importants montants d’aides publiques tout en ayant la possibilité de mettre en œuvre des plans de licenciements massifs alimente une crise de confiance démocratique sur la manière dont les deniers publics sont utilisés.

Comme cela a été évoqué, les entreprises étudiées par la commission d’enquête ont pu présenter des plans de sauvegarde de l’emploi alors même qu’elles ont bénéficié de montants importants, voire très importants, d’aides publiques. De même, il est possible pour une entreprise de verser des dividendes et de procéder à des rachats d’actions alors qu’elle licencie pour motif économique.

Un mécanisme de ce type a été mis en place, dans le contexte de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid19, par le décret n° 2020‑926 du 28 juillet 2020 ([134]), dont l’article 2 confiait au préfet de département le soin de demander à l’employeur le remboursement des sommes perçues pour chaque salarié placé en activité partielle dont le licenciement pour motif économique aurait été prononcé pendant la durée du déploiement de la mesure. Il était précisé, cependant, que le remboursement ne serait pas nécessairement exigé s’il s’avérait incompatible avec la situation économique et financière de la structure et même qu’il ne le serait pas s’il s’avérait que les perspectives d’activité s’étaient dégradées avec le temps.

Un mécanisme pérenne inspiré d’une logique proche existe dans le code du travail, à l’article L. 1233‑57‑21. Il consiste dans la possibilité, pour le préfet de département, de réclamer à une entreprise d’au moins 1 000 salariés, qui envisagerait la fermeture d’un établissement et qui n’aurait pas accompli les efforts nécessaires dans le processus de recherche d’un repreneur (voir infra), la restitution des aides pécuniaires « en matière d’installation, de développement économique, de recherche ou d’emploi » attribuées par une personne publique, au titre de l’établissement concerné par la fermeture, durant les deux années précédant la réunion du comité social et économique sur le projet de licenciement collectif ([135]).

Malgré des sollicitations adressées au ministère du travail et au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, aucune donnée permettant d’évaluer la mise en œuvre de ce second dispositif n’a pu être communiquée au rapporteur, qui considère en tout état de cause qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour garantir une véritable justice dans le cas où une société soutenue financièrement par la collectivité déciderait de se séparer d’une partie de ses collaborateurs.

Les dispositifs d’activité partielle sont également conditionnés à une interdiction de licencier pour motif économique.

Comme cela a été indiqué par Mme Anémone Cartier-Bresson, « la possibilité de conditionner l’octroi d’une aide au maintien de l’emploi dépend de son objet. Pour les aides à l’embauche, cela va de soi. Il y a une tendance croissante à la conditionnalité en termes de maintien de l’emploi, notamment pour les aides à l’investissement ou les aides octroyées par les collectivités territoriales aux entreprises en difficulté. Cependant, cette conditionnalité peut s’avérer plus complexe à établir pour des aides dont l’objet n’est pas directement lié à l’emploi, comme celles qui vont à la recherche. » ([136])

Pour le rapporteur, s’il est indispensable de renforcer les conditions en matière de maintien de l’emploi appliquées aux aides portant spécifiquement sur cet objectif, il serait également bienvenu d’introduire et de développer de tels critères pour l’attribution d’aides ayant une autre finalité, lorsqu’elles représentent des montants importants de dépenses publiques. De même, un plafonnement annuel des aides reçues par entreprise ou par groupe pourrait être mis en place.

Les organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel sont favorables au renforcement de la conditionnalité des aides publiques aux entreprises, voire à leur restitution dans certaines situations.

Comme l’a indiqué Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, celle‑ci « propose de conditionner toutes les aides publiques à l’avis conforme du CSE et d’instaurer une restitution automatique de ces aides en cas de fermeture de site ou de PSE injustifié » ([137]). Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation et des affaires juridiques de FO, a indiqué que le syndicat propose « de conditionner l’octroi de ces aides à des engagements en matière de formation et de maintien de l’emploi et d’organiser le remboursement obligatoire des sommes versées en cas de licenciements injustifiés lorsque les entreprises sont en bonne santé financière » ([138]). Pour M. Cyril Chabanier, président de la CFTC, « il est nécessaire de conditionner l’octroi des aides publiques aux entreprises, ce qui pourrait aller jusqu’au remboursement en cas de non-respect des engagements » ([139]). D’après M. Olivier Guivarch, secrétaire national de la CFDT, cette dernière est favorable à la « mise en place d’un contrôle strict de l’utilisation de ces aides, tant par le CSE que par l’administration », et au « remboursement [desdites] aides si l’entreprise en restructuration qui met en œuvre un PSE réalise des bénéfices » ([140]). La CFE-CGC milite également en faveur de la conditionnalité des aides publiques, décrites comme « un formidable levier pour réorienter notre modèle vers une économie plus durable avec un partage de la valeur laissant plus de place à l’investissement et à l’emploi » ([141]). Selon elle, l’adaptation des critères de conditionnalité doit se faire au niveau territorial par l’intermédiaire du dialogue social et le CSE doit jouer un rôle central dans le contrôle de l’utilisation des aides.

Recommandation n° 20

Prévoir le remboursement par l’entreprise des exonérations de cotisations sociales et des montants versés au titre du crédit d’impôt recherche en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ([142]).

Prévoir le remboursement des aides publiques lorsque l’entreprise qui met en œuvre un PSE réalise des bénéfices.

Recommandation n° 21

Systématiser l’introduction de critères d’ordre économique, social et environnemental à l’occasion du versement des aides publiques, en généralisant les critères relatifs au maintien de l’emploi et à la formation.

Prévoir un plan d’engagement sur le maintien de l’emploi conditionnant l’octroi de toute aide dépassant un certain seuil.

Recommandation n° 22

Mettre en place un plafonnement annuel du montant d’aides publiques perçues par une entreprise ou un groupe.

En outre, le rapporteur appelle de ses vœux la création d’une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises, qui serait composée de représentants des organisations syndicales et patronales représentatives, des collectivités territoriales, de députés et de sénateurs, ainsi que de membres de l’administration. Cette Haute autorité constituerait un guichet unique pour l’accès aux aides publiques et disposerait de pouvoirs d’enquête contraignants ainsi que de la capacité d’enclencher le recouvrement des aides publiques. Elle publierait un rapport annuel comportant des recommandations, qui pourrait faire l’objet d’un débat chaque année au Parlement avant l’examen du projet de loi de finances initiale.

Recommandation n° 23

Créer une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises remplissant les fonctions de guichet unique pour les entreprises et d’organisme de contrôle du respect des critères encadrant l’octroi des dites aides.

Enfin, le rapporteur préconise de renforcer les conditions relatives au maintien de l’emploi prévues par le dispositif d’activité partielle. Pour rappel, ce dispositif a connu plusieurs déclinaisons ces dernières années.

L’activité partielle, encadrée par les articles L. 5122-1 et suivants et R. 5122-1 et suivants du code du travail, est un outil au service de la politique publique de prévention des licenciements économiques. Elle permet à l’employeur de réduire l’horaire de travail ou de fermer temporairement un établissement, ou une partie de l’établissement, s’il rencontre des difficultés ponctuelles. L’entreprise assure aux salariés une indemnisation en compensation de la perte de rémunération qui en découle et bénéficie d’une prise en charge de l’indemnisation des heures dites chômées par l’État et l’Unédic.

Le champ d’application de l’activité partielle

Le dispositif s’adresse aux salariés qui subissent une perte de rémunération induite par une réduction de la durée habituelle de temps de travail de l’établissement ou par une fermeture temporaire de tout ou partie de l’établissement, imputable à :

– la conjoncture économique ;

– des difficultés d’approvisionnement en matière première ou en énergie ;

– un sinistre ou des intempéries de caractère exceptionnel ;

– la transformation, la restructuration ou la modernisation de l’entreprise ;

– toute autre circonstance de caractère exceptionnel (articles L. 5122-1 et R. 5122-1 du code du travail).

Le préfet de département est l’autorité administrative compétente pour instruire les demandes présentées par les employeurs et déterminer l’éligibilité au dispositif. À ce titre, il examine au cas par cas la situation présentée par l’employeur à l’appui des justificatifs fournis par ce dernier.

Après décision d’autorisation, l’employeur peut placer ses salariés en position d’activité partielle, ce qui entraîne la suspension de leurs contrats de travail pour les heures chômées. Le recours à l’activité partielle est toutefois limité dans le temps. L’article R. 5122-9 prévoit ainsi qu’une entreprise peut bénéficier d’une autorisation d’activité partielle pour une durée maximum de trois mois renouvelable une fois sur une période de référence de douze mois consécutifs. Cette contrainte n’est pas applicable en cas de sinistre ou d’intempéries de caractère exceptionnel : en effet, l’entreprise peut bénéficier d’autorisations d’activité partielle de six mois renouvelables sans limitation.

En outre, le bénéfice de l’allocation d’activité partielle est également limité. L’article R. 5122-6 prévoit ainsi qu’elle est attribuée dans la limite d’un contingent d’heures indemnisables fixé par arrêté du ministre chargé de l’emploi. L’arrêté du 26 août 2013 fixe ce contingent à 1 000 heures par salarié et par an. Il est toutefois limité à 100 heures par salarié et par an en cas de recours à l’activité partielle pour transformation, restructuration ou modernisation de l’entreprise.

En raison des conséquences durables de la crise sanitaire, l’article 53 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ([143]) et le décret n° 2020-926 du 28 juillet 2020 ([144]) ont institué un dispositif spécifique d’activité partielle, dit « activité partielle de longue durée » (APLD), à compter du 1er juillet 2020. Depuis le 1er janvier 2023, aucune nouvelle entrée dans le dispositif n’est plus possible. En effet, aux termes de l’article 53 précité, l’employeur devait transmettre l’accord collectif ou le document unilatéral au plus tard le 31 décembre 2022. Par conséquent, l’APLD entre progressivement en extinction, les derniers accords ou documents unilatéraux expirant à compter de la fin de l’année 2026.

En revanche, un nouveau dispositif d’activité partielle, « l’activité partielle de longue durée rebond » (APLD-R), a récemment été créé par l’article 193 de la loi n° 2025‑127 du 14 février 2025 ([145]) et le décret n° 2025-338 du 14 avril 2025 ([146]).

Inspirée de l’APLD mise en œuvre en réponse à la crise sanitaire, l’APLD‑R vise à soutenir les entreprises confrontées à une baisse d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité. Elles peuvent recourir au dispositif moyennant la conclusion d’un accord collectif ou l’élaboration d’un document unilatéral produit en application d’un accord de branche étendu. Cet accord ou ce document unilatéral, qui doit être transmis à l’autorité administrative avant le 28 février 2026, doit contenir un ensemble d’informations permettant de caractériser la situation économique de l’entreprise et de justifier le recours au dispositif. L’accord ou le document unilatéral contient notamment un diagnostic économique de la situation de l’entreprise et des besoins en développement des compétences ainsi que des engagements en matière de maintien dans l’emploi et de formation professionnelle qui doivent permettre de répondre à ce diagnostic.

L’entreprise peut mobiliser l’APLD-R pour une durée de vingt-quatre mois consécutifs au maximum (article 10 du décret n° 2025-338). Au cours de cette durée, l’employeur peut bénéficier d’une indemnisation jusqu’à dix-huit mois consécutifs ou non (article 12 du décret n° 2025-338).

Le préfet de département est compétent pour valider l’accord collectif ou homologuer le document unilatéral élaboré par l’employeur. À l’occasion de son instruction, il vérifie, d’une part, que le contenu de l’accord ou du document unilatéral comporte les éléments prévus par les dispositions légales et réglementaires, et, d’autre part, que la situation de l’entreprise relève bien d’une baisse d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre sa pérennité.

Les dispositifs d’activité partielle peuvent, dans certains cas, donner lieu à une restitution des aides perçues.

Les conditions de maintien de l’emploi attachées à
l’activité partielle et l’activité partielle de longue durée rebond

S’agissant de l’activité partielle

Conformément à l’objectif de maintien dans l’emploi assigné à l’activité partielle, un salarié dont le contrat de travail est rompu en raison d’un licenciement économique ne saurait être placé en position d’activité partielle avant la rupture effective du contrat de travail.

D’un point de vue opérationnel, un employeur ayant placé un salarié en activité partielle et souhaitant procéder à son licenciement économique doit interrompre le placement en activité partielle dès lors que le licenciement économique est certain. Le placement en activité partielle doit être interrompu à compter de la notification du licenciement économique au salarié.

L’autorité administrative (en l’espèce, la Dreets) contrôle la bonne application de cette règle par l’employeur. Lorsqu’elle dispose de l’information relative à la mise en œuvre de licenciements économiques par une entreprise bénéficiaire de l’activité partielle, elle est fondée à s’assurer que le placement en activité partielle des salariés concernés a été interrompu à compter de la notification du licenciement. En cas de non-respect de cette règle, l’autorité administrative peut demander le remboursement des sommes d’allocation indues (article R. 5122-10 du code du travail).

Lorsque l’employeur a préalablement défini des engagements, le contrôle de l’autorité administrative peut être étendu. L’article R. 5122-9 du code du travail impose à l’employeur de prendre des engagements (non attendus lors de la première demande) lorsque celui-ci a préalablement mobilisé le dispositif au cours des 36 mois précédant sa nouvelle demande. Ces engagements peuvent notamment porter sur le maintien dans l’emploi des salariés pendant une durée pouvant atteindre le double de la période d’autorisation. Par conséquent, l’autorité administrative est compétente pour contrôler le respect des engagements (IV de l’article R. 5122-9). En cas de licenciement économique d’un salarié concerné par les engagements, l’autorité administrative est compétente pour ordonner le recouvrement de tout ou partie de l’allocation dans les conditions prévues à l’article R. 5122-10 du même code.

Si le licenciement concerne un salarié qui n’a pas été placé en position d’activité partielle mais qui relève du périmètre de l’engagement pris par l’employeur, l’autorité administrative est compétente pour ordonner le recouvrement de l’allocation indue pour un montant défini et adapté au cas d’espèce.

Indépendamment du non-respect des engagements pris par l’employeur, le remboursement peut également être demandé quand, lors d’un contrôle, il s’avère que le taux horaire de l’allocation est erroné. Dans ce cas, une régularisation est opérée, sans que soit exigé le remboursement intégral des sommes versées à l’entreprise.

Dans le cas d’un recours à l’activité partielle pour sinistre, les services s’assurent du non‑cumul de l’activité partielle avec une indemnisation par l’assurance perte d’exploitation souscrite par l’entreprise.

S’agissant de l’activité partielle de longue durée rebond

À l’image de l’activité partielle de longue durée (APLD), le bénéfice de l’APLD rebond (APLD-R) est conditionné à la prise d’engagements en matière de maintien dans l’emploi et de formation professionnelle définis dans l’accord collectif ou le document unilatéral. Si l’interdiction des licenciements économiques pour les salariés concernés demeure une condition minimale, les dispositions légales et réglementaires prévoient des exigences renforcées en la matière.

Tout d’abord, l’article 193 de la loi de finances pour 2025 apporte des précisions complémentaires sur le contenu des engagements. Il est ainsi précisé que l’accord ou le document unilatéral prévoit non seulement des engagements en matière de maintien dans l’emploi mais aussi en matière de formation professionnelle. À ce titre, l’accord ou le document unilatéral doit définir précisément une liste d’actions au sens de l’article L. 6313-1 du code du travail.

Ensuite, le contenu des engagements est davantage encadré afin que ces engagements soient ambitieux. L’article 5 du décret n° 2025-338 du 14 avril 2025 précise que les engagements ont pour objectif de développer les compétences des salariés afin de favoriser leur mobilité professionnelle et de répondre aux besoins en compétences identifiés dans le diagnostic économique. Ce renforcement des dispositions réglementaires vise à prévenir toute prise d’engagements limités ou de simple forme dépourvus de lien avec la baisse d’activité affectant l’entreprise, une pratique largement identifiée dans les entreprises bénéficiaires de l’APLD.

Enfin, tant les dispositions légales que réglementaires définissent précisément le périmètre d’application des engagements pris par l’employeur. Ces engagements sont systématiquement applicables et opposables, au minimum, pour tous les salariés compris dans le périmètre de l’accord ou du document unilatéral pendant toute la durée d’application du dispositif d’APLD-R. Cet encadrement renforcé garantit l’impossibilité, pour l’employeur, de définir un périmètre d’engagements limité permettant de procéder à une restructuration ou des licenciements économiques en cours de dispositif sans s’exposer à des sanctions de l’autorité administrative.

L’article 21 du même décret précise les conditions dans lesquelles l’autorité administrative est compétente pour demander le remboursement de l’allocation d’APLD-R.

Ce remboursement peut être ordonné en cas de trop-perçu identifié par l’administration à l’occasion d’un contrôle. Le trop-perçu est caractérisé dès lors que l’employeur ne respecte pas les conditions mises à l’octroi de l’allocation. Par conséquent, l’autorité administrative est fondée à demander le remboursement si le contrôle réalisé démontre le non-respect d’une disposition légale ou réglementaire ou d’une stipulation de l’accord d’entreprise ou du document unilatéral. À titre d’exemple, le remboursement peut être demandé lorsque l’employeur ne respecte pas ses engagements en matière de maintien dans l’emploi et de formation professionnelle.

Le remboursement de l’allocation peut aussi être demandé lorsque l’employeur procède au licenciement économique d’un salarié compris dans le périmètre d’application de l’accord collectif ou du document unilatéral. Dans cette hypothèse, l’autorité administrative ordonne le recouvrement de l’ensemble des sommes versées au titre des salariés concernés par le licenciement économique.

Enfin, le remboursement de l’allocation d’APLD-R est ordonné lorsque l’employeur n’a pas respecté la réduction maximale de l’horaire de travail pour un salarié donné définie par l’accord collectif ou le document unilatéral. En effet, en application de l’article 4 dudit décret, l’accord collectif ou le document unilatéral doit définir un taux maximal de réduction de l’horaire de travail qui ne peut être supérieur à 40 % de la durée légale de travail ou, lorsqu’elle est inférieure, de la durée collective du travail ou de la durée stipulée au contrat sur la période considérée. Cette réduction s’apprécie sur l’intégralité de la durée d’application du dispositif. La réduction maximale de l’horaire de travail peut être portée à 50 % sur décision de l’autorité administrative lorsque la situation économique particulière de l’entreprise le justifie. En cas de non-respect de la réduction maximale de l’horaire de travail pour un salarié donné, l’autorité administrative est compétente pour recouvrer les sommes perçues au titre de chaque heure de placement au-delà du seuil de réduction maximale de l’horaire de travail.

Une stratégie de contrôle de l’activité partielle (Scap) est établie chaque année par l’administration, à la fois pour l’activité partielle et l’APLD, sans distinction. Compte tenu des enseignements des plans de contrôle précédents, l’accent est mis sur les demandes d’autorisation préalable a priori et les demandes d’indemnisation avant paiement.

En 2024, 2 869 contrôles a priori et 496 contrôles a posteriori ont été mis en œuvre par la Dreets des Hauts-de-France. Les seconds se sont concentrés sur les cibles suivantes : la lutte contre la fraude, le contrôle des demandes d’indemnisations et les engagements en matière d’activité partielle de droit commun. Au total, 21 175 euros ont été reversés à l’ASP au titre des trop‑perçus et 2 362 euros ont été régularisés en faveur des entreprises ; en outre, le montant de la fraude signalée à l’ASP s’élevait à 32 521 euros ([147]). En Bretagne, la stratégie déployée en 2024 prévoyait des contrôles a posteriori portant sur le respect du taux plafond d’inactivité des salariés ou des engagements en matière d’emploi et de formation professionnelle. En outre, des contrôles ont également été réalisés lors des renouvellements d’avenants. L’ensemble des contrôles n’a donné lieu à aucune demande de remboursement. La même année, la Drieets d’ÎledeFrance et les Ddets ont effectué 4 235 contrôles a priori. Les contrôles a posteriori, effectués par une équipe régionale de contrôle (Ercap), ont porté sur le recouvrement des sommes indues versées au cours de la période 2020-2022 non encore prescrites et la gestion des contentieux liés à cette activité de recouvrement. Par ailleurs, l’équipe a été mobilisée pour traiter de manière centralisée les demandes formulées dans le contexte de la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. L’Ercap a réalisé 314 contrôles a posteriori en 2024 : 49 % des dossiers ciblés ont révélé des non‑conformités. Parmi eux, 73 dossiers ont fait l’objet d’un recouvrement de trop‑perçus par l’entreprise et 15 dossiers ont été régularisés par les entreprises sans procédure contraignante. Au total, ce sont 4 983 638 euros de trop‑perçus qui ont été révélés par les contrôles effectués.

Si l’APLD-R obéit à un principe de conditionnalité renforcée, qui se traduit par des exigences quant au contenu de l’accord ou du document unilatéral ([148]) et par une clarification des compétences d’instruction et de contrôle de l’autorité administrative ([149]), certains aspects du dispositif pourraient être revus, dans un souci de protection des emplois. De même, les conditions encadrant le bénéfice de l’activité partielle pourraient être renforcées. Comme l’a notamment souligné Mme Hélène Cavat, les critères entourant l’activité partielle ont exclu la possibilité de procéder à des licenciements économiques, tout en laissant à l’employeur la possibilité de conclure des plans de départs volontaires, des accords de performance collective ou des ruptures conventionnelles.

Lorsque l’employeur déploie l’une ou l’autre de ces mesures, il doit interrompre le placement en activité partielle des salariés concernés dès lors que la rupture du contrat de travail est certaine. L’autorité administrative contrôle la bonne application de cette règle et peut demander le remboursement de l’allocation pour les heures injustifiées. Si l’employeur définit volontairement un engagement prévoyant expressément le non‑recours à l’une ou l’autre de ces mesures, l’autorité administrative est fondée à contrôler le respect de cet engagement et à demander le remboursement de l’allocation en cas de non‑respect de ce dernier. Il en va de même pour l’APLD-R, qui peut s’accompagner d’un engagement de l’employeur – le cas échéant contrôlé par l’administration – consistant à ne pas établir un plan de départs volontaires ou à conclure un accord de performance collective ou portant rupture conventionnelle collective.

Sur la base d’une concertation avec les partenaires sociaux, le rapporteur est favorable à ce que ces engagements soient imposés aux employeurs bénéficiant de l’activité partielle ou de l’activité partielle de longue durée rebond et à ce que la restitution de l’aide soit prévue en cas de non-respect de cette règle.

Recommandation n° 24

Interdire le recours aux accords de performance collective, aux plans de départs volontaires, aux ruptures conventionnelles individuelles et collectives pour les salariés placés en position d’activité partielle ou d’activité partielle de longue durée rebond.

III.   UNE TYPOLOGIE DES PLANS DE SAUVEGARDE DE L’EMPLOI EN 2025 : LES ÉTUDES DE CAS effectuées PAR LA COMMISSION D’enquête

A.   des restructurations d’ampleur dans les industries stratégiques

1.   La fermeture de deux usines Michelin, un drame économique et social

L’annonce de deux fermetures de site simultanées à Cholet et à Vannes, qui emploient près de 1 250 salariés, est inédite en France pour le Groupe Michelin.

a.   La direction de l’entreprise et les organisations syndicales portent un regard différent sur les raisons de la fermeture des sites de Cholet et Vannes

De l’avis unanime de la direction de l’entreprise et des organisations syndicales, des signes avant-coureurs sur certains sites, parmi lesquels ceux de Cholet et Vannes, annonçaient la baisse des activités industrielles. Face aux interrogations légitimes des organisations syndicales restées sans réponse sur cette diminution continue de l’activité, le CSE de Michelin a fait usage de son droit d’alerte économique en mai 2024 pour obtenir des informations de la part de la direction.

Chronologie des étapes ayant conduit à la fermeture des sites de Cholet et Vannes

D’après M. Florent Menegaux, président de Michelin, « une fois la décision arrêtée, nous nous accordons généralement une période d’une durée comprise entre un an et deux ans avant sa mise en œuvre effective ». Les premières études de faisabilité dateraient logiquement du courant de l’année 2023.

– Printemps 2024 : utilisation par le CSE de son droit d’alerte économique.

– 4 novembre 2024 : en réaction à l’intervention télévisée de M. Fabien Roussel, annonce du projet de fermeture des sites de Cholet et Vannes.

– 5 novembre 2024 : début de la procédure d’information-consultation des instances représentatives du personnel sur le projet de fermeture et transmission aux élus, via la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) de l’ensemble des informations (opération projetée, modalités d’application, impacts sociaux, mesures d’accompagnement envisagées, recherche d’un repreneur).

– 24 mars 2025 : 3 organisations syndicales majoritaires signent les mesures d’accompagnement du PSE.

– 26 mars 2025 : clôture de la procédure de consultation du CSE.

– 14 avril 2025 : validation du PSE par la Dreets de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Néanmoins, les raisons invoquées par celle-ci pour justifier la fermeture de ces deux sites sont contestées par les organisations syndicales entendues par le rapporteur. En effet, la direction met en avant des facteurs exogènes liés à la dégradation de la compétitivité de l’industrie française, et plus largement européenne, qui ont conduit à un traitement similaire des sites de Cholet et Vannes.

● Lors de son audition, M. Florent Menegaux, président de Michelin, a évoqué la hausse des coûts de production en Europe, la fiscalité, la hausse du prix des matières premières, l’instabilité réglementaire, l’inflation normative et a particulièrement insisté sur deux facteurs : la concurrence des pneus asiatiques et la hausse des coûts de l’énergie.

Il a d’emblée souligné « la perte significative de parts de marché subie par Michelin ainsi que par ses concurrents occidentaux, au bénéfice de fabricants asiatiques, en particulier chinois et taïwanais. En Europe, sur une période de dix années à compter de 2013, Michelin a enregistré une baisse de ses parts de marché dans quasiment tous les segments […]. » ([150])

L’envolée des prix de l’énergie entraînerait également une perte drastique de compétitivité énergétique, qui affecte particulièrement les industries de transformation de la matière, le coût de l’électricité en Europe demeurant deux fois supérieur à celui qui prévaut en Amérique du Nord.

● Les organisations syndicales ont une lecture plus nuancée de la responsabilité de ces facteurs et insistent davantage sur l’échec de la réorientation stratégique du Groupe Michelin.

Selon le syndicat CFE-CGC, les coûts énergétiques sont revenus à des niveaux proches de ceux d’avant le conflit ukrainien. Si ces coûts restent supérieurs à ceux pratiqués aux États-Unis et en Chine, les coûts de l’électricité en France demeurent inférieurs à ceux qui existent en Pologne, où Michelin produit pourtant massivement. Par ailleurs, le groupe ayant une stratégie de production locale, les pneus pour camionnettes et poids lourds vendus en Europe continueront à être produits en Europe et non aux États-Unis ou en Chine.

Par ailleurs, le cabinet d’expertise Secafi, qui accompagne les organisations syndicales, fait valoir dans son rapport du 9 octobre 2024 que la croissance des importations de pneus depuis la Chine n’est que de 25 % depuis 2014 et qu’elle tend à se stabiliser depuis 2018.

ÉVOLUTION DE L’IMPORTATION DE PNEUS TC DANS L’UNION EUROPÉENNE

Source : Rapport Secafi CSEC, octobre 2024.

Les organisations syndicales s’accordent à identifier la réorientation stratégique de valeur du groupe comme principale cause de la baisse d’activité.

En effet, Michelin a choisi depuis une dizaine d’années de se concentrer sur les marchés haut de gamme les plus rémunérateurs. Le groupe a fortement augmenté ses prix et s’est désengagé des marchés à faible rentabilité, ce qui a conduit à des résultats financiers en hausse mais également à des pertes de parts de marché et des baisses de volumes. C’est cette baisse de volumes qui a entraîné une adaptation à la baisse des capacités industrielles et la fermeture des sites de Cholet et Vannes, pénalisés par les charges fixes qu’ils ne peuvent plus amortir.

La CFDT indique pour autant, en réponse au questionnaire envoyé par le rapporteur, que « même à ce niveau de faible activité, l’entreprise ne perdait pas réellement d’argent mais avait une marge plus faible que sur d’autres sites ».

Au total, ainsi que le résume M. Nicolas Robert, délégué syndical central SUD, « les licenciements ne procèdent pas toujours d’une fatalité économique mais sont bien souvent le résultat de choix politiques, managériaux et financiers, parfois accompagnés d’un silence complice de l’État » ([151]).

Pour le rapporteur, cette divergence de vues illustre les limites d’un dialogue social asymétrique, où les choix stratégiques sont imposés au nom d’une compétitivité abstraite, sans réelle concertation démocratique alors que selon les représentants syndicaux, des investissements ciblés auraient pu pérenniser les sites à moyen terme.

b.   Le PSE affectant les sites de Cholet et Vannes s’inscrit dans le cadre du déploiement plus global de mesures de gestion de l’emploi prises sur différents sites du Groupe Michelin

Les organisations syndicales ont toutes fait remarquer que plusieurs plans « à bas bruit » sont en cours de déploiement sur différents sites du groupe et sont revenues sur plusieurs plans mis en œuvre ces dernières années.

● En 2017, Michelin a engagé un plan de départs volontaires pour la période 2018-2021, qui prévoyait 970 suppressions de postes.

● En 2020, la société a lancé un plan de restructuration, baptisé « Adapt », qui avait pour objet la suppression de 2 300 postes et qui reposait sur la mise en œuvre de ruptures conventionnelles collectives (RCC) pour la période 2021-2023.

● En 2023, l’accord de gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) a été renégocié afin d’accompagner la mobilité des salariés occupant des emplois dits sensibles parce que nécessitant un renouvellement des compétences ou une adaptation aux évolutions du monde du travail en priorité en interne ou en externe, sur la base du volontariat. Le syndicat SUD note que cette GEPP « a servi exclusivement à dégraisser sur les sites où ces emplois sensibles ont été définis, notamment à Cholet mais aussi à ClermontFerrand » ([152]). Ainsi, le transfert de la trésorerie de Clermont-Ferrand à Bucarest, en Roumanie, s’est traduit par la suppression d’une vingtaine de postes au siège.

● Le 28 février 2025, Michelin a annoncé aux représentants du personnel du site de Troyes la suppression des équipes de fin de semaine (79 personnes) et la nécessité de porter les effectifs à 500 personnes – contre 671 aujourd’hui – d’ici à la fin de l’année 2026. Pour les équipes de fin de semaine, l’entreprise négocie actuellement un accord de performance collective (APC). Les organisations syndicales s’alarment de l’intention de la direction de supprimer le sureffectif de Troyes par la GEPP, les personnes concernées ayant été intégrées dans les emplois « sensibles », ce qui représente à leurs yeux un dévoiement de la procédure.

La logique de réorganisation par PSE successifs, site par site, empêche toute réponse publique coordonnée et rend invisibles les pertes demplois à l’échelle nationale.

c.   Seules les mesures d’accompagnement prévues par le PSE, dont le montant s’élève à 400 millions d’euros, ont été signées par les organisations syndicales représentatives

La direction de Michelin a indiqué, lors de son audition, avoir constitué une provision d’un montant légèrement supérieur à 400 millions d’euros pour la fermeture des sites de Cholet et Vannes, majoritairement destinée au financement du plan d’accompagnement social. Lors de leur audition, les organisations syndicales ont accueilli positivement cette information, qui ne leur avait jamais été communiquée. Les organisations syndicales ont signé les mesures d’accompagnement, une signature qui ne saurait être interprétée comme un consensus mais davantage comme un choix par défaut, faute de réelle marge de négociation.

Ce montant couvre néanmoins également le recours à un cabinet spécialisé chargé d’accompagner les salariés dans leur projet de requalification professionnelle, la mise en place de cellules de soutien psychologique et englobe les actifs directement inscrits en charge dans le compte de résultat.

Le plan concerne 1 254 salariés répartis sur les deux sites, lesquels bénéficient des mêmes conditions de départ. En sus de l’indemnité légale, le plan prévoit une prime supralégale d’un montant de 40 000 euros, à laquelle s’ajoutent une prime complémentaire calculée en fonction de l’ancienneté ainsi qu’une prime supplémentaire tenant compte de l’âge du salarié.

Au 9 avril 2025, sur le site de Cholet, qui comptait 955 salariés en novembre 2024 :

– 71 salariés avaient accepté un reclassement interne sur un autre site de Michelin en France ;

– 100 salariés avaient retrouvé un emploi à l’extérieur tout en bénéficiant des modalités d’accompagnement prévues par le plan ;

– 116 salariés pouvaient partir à la retraite.

À la même date, sur le site de Vannes, qui comptait 299 salariés en novembre 2024, 10 avaient été mutés en interne, 10 avaient trouvé un emploi à l’extérieur et 21 pouvaient partir à la retraite.

D’après les organisations syndicales, la négociation s’est cristallisée sur le montant des indemnités supralégales, puisque les propositions de départ correspondaient à celles formulées lors de la négociation du dernier PSE à La Roche-sur-Yon, il y a cinq ans, sans prise en compte de l’inflation. Toutefois, les dernières négociations ont permis une nouvelle proposition pour la prise en compte de l’ancienneté, qui a été appréciée même si elle a été jugée insuffisante.

Les territoires de Cholet et Vannes présentent par ailleurs des opportunités d’emploi, en particulier dans l’agroalimentaire mais avec des baisses attendues de rémunération de l’ordre de 20 % à 40 %.

d.   Michelin est un groupe robuste financièrement qui, malgré un soutien public significatif, fait le choix de délocaliser ses activités

Au troisième trimestre 2024, Michelin a annoncé viser en fin d’année un résultat opérationnel de 3,4 milliards d’euros, ce qui correspondrait au deuxième résultat opérationnel le plus élevé dans l’histoire du groupe, après celui mesuré en 2023. Le groupe affiche également une prévision de marge à hauteur de 14 % en 2026 et 15 % à l’horizon 2030. Pour le syndicat SUD, « ces niveaux […] correspondent davantage aux marges pratiquées dans le secteur du luxe que dans l’industrie du pneumatique. Nous sommes manifestement en présence d’une entreprise qui cherche à maximiser ses profits. » ([153])

● La progression des dividendes versés aux actionnaires est plus forte que la rémunération des salariés.

En 2024, les dividendes versés aux actionnaires s’élevaient à 900 millions d’euros et les rachats d’actions à 500 millions d’euros, soit un total d’1,4 milliard d’euros. La même année, les actionnaires ont perçu au travers des dividendes et des rachats d’actions 74 % du résultat net de l’année 2023. Quelle que soit l’année de référence considérée depuis 2021, le montant des dividendes versés a progressé, en pourcentage, plus rapidement que les salaires. Le cabinet d’expertise Secafi a ainsi démontré que, tendanciellement, la part revenant aux salariés était sur une pente descendante – avec une perte de 15 points entre 2009 et 2023 –, alors que la part dévolue aux actionnaires ne cessait de progresser.

Pour reprendre les mots de M. Joseph Tarantini, délégué syndical central CFE-CGC, « si nous ne revendiquons pas une égalité de rémunération entre les salariés du Groupe Michelin et les actionnaires, nous sommes en revanche profondément préoccupés par le déséquilibre croissant dans le partage de la valeur. On évoque fréquemment les "trois P" pour désigner le profit, la planète et les personnes. Le profit, jusqu’à l’an dernier du moins, était bien présent. En ce qui concerne la planète, Michelin s’est doté d’une feuille de route claire et d’une gouvernance structurée, mais ces engagements sont trop souvent relégués au second plan, en raison d’un retour sur investissement difficilement quantifiable. Quant aux personnes, elles tendent malheureusement à devenir la variable d’ajustement. » ([154])

● Les investissements importants du groupe en Italie et en Pologne interpellent quant à une stratégie de délocalisation de l’activité.

En 2015, pour les produits finis, Michelin investissait 11,8 millions d’euros à Cholet, 12,2 millions d’euros à Obstine (Pologne) et 22,1 millions d’euros à Cuneo (Italie). En 2024, l’entreprise n’investissait plus que 5,4 millions d’euros à Cholet, contre 63,4 millions d’euros à Obstine et 68,3 millions d’euros à Cuneo. La direction rappelle que la comparaison directe des montants est peu pertinente en raison de la multiplicité d’activités sur les sites italien et polonais et de la différence de taille des trois sites (les sites de Cuneo et Obstine étant respectivement deux et quatre fois plus importants que le site de Cholet en nombre d’équivalents temps plein). Quoi qu’il en soit, alors que les investissements étaient équivalents à Cholet et à Obstine en 2015, ils étaient près de douze fois supérieurs sur le site polonais dix ans plus tard.

Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques de la société, a souhaité préciser que « l’activité résiduelle actuellement assurée à Cholet continuera[it] d’être prise en charge par des usines [en Italie et en Pologne] dont ce n’est pas la vocation principale. La production de pneumatiques pour camionnettes à Obstine ou à Cuneo ne représente qu’une part marginale de l’activité de ces sites. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’un processus de délocalisation. » ([155])

M. Laurent Bador, délégué syndical central CFDT, a fait part de « sa surprise d’entendre que le transfert de la production vers la Pologne et l’Italie était résiduel », rappelant que ce sont près de 2,5 millions de pneumatiques qui vont être transférés depuis le site de Cholet. L’annonce a semblé d’autant plus surprenante que « nous avions compris qu’un transfert de la production de Cholet vers Olsztyn et Cuneo était impossible, en raison d’un manque de capacité sur ces sites. Découvrir que cette production était considérée comme résiduelle a donc provoqué une réelle incompréhension parmi nous. » ([156])

● Michelin bénéficie de nombreuses aides publiques dont le détail est annexé au présent rapport. Lors de son audition, la direction a indiqué que l’entreprise a bénéficié de :

– 43 millions d’euros de déductions fiscales sur la période 2019-2024 au titre du mécénat et des actions sociétales, pour un total de 100 millions d’euros de dépenses ;

– 40,4 millions d’euros de déductions fiscales au titre du crédit d’impôt recherche (CIR), pour un total de 400 millions d’euros de dépenses en recherche et développement, en 2023 ;

– 32,4 millions d’euros d’allègements de cotisations sociales et de charges fiscales, pour un total de 400 millions d’euros de cotisations versées, en 2023 ;

– 14,7 millions d’euros de subventions sur la période 2020-2024, pour un total de 82 millions d’euros de dépenses liées à des projets de recherche ;

– 10,6 millions d’euros au titre de dispositifs de soutien à l’emploi (activité partielle, aides à l’embauche et à la formation), pour une masse salariale de 1,5 milliard d’euros, en 2023 ;

MONTANT DES AIDES À L’ACTIVITÉ PARTIELLE
SUR LES SITES DE CHOLET ET VANNES

Année / Site

Cholet

Vannes

2024

0,00 €

0,00 €

2023

702 688,52 €

0,00 €

2022

355 887,84 €

39 702,51 €

Source : Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

– 4 millions d’euros de compensation des surcoûts énergétiques liés au conflit russo-ukrainien sur la période 2022-2024, pour un surcoût énergétique de 129,4 millions d’euros ;

– 1,8 million d’euros d’aides au titre de la transition environnementale, en 2023. En 2009, une aide d’1,4 million d’euros avait été versée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) pour l’installation d’une chaudière biomasse à Cholet ;

– 1,4 million d’euros d’aides des collectivités territoriales au titre de la modernisation industrielle, pour un total de 155 millions d’euros de dépenses, en 2023.

Michelin a donc bénéficié d’importants soutiens publics sans contrepartie quant au maintien de l’emploi ou la localisation des activités.

In fine, la fermeture de deux sites de production entraînant la suppression de milliers d’emplois directement et indirectement interpelle au vu des bons résultats du groupe et du montant des aides publiques perçues pendant de nombreuses années.

2.   Le cas Vencorex et Arkema, symptomatique du désengagement de la puissance publique dans la sauvegarde de l’emploi industriel

Depuis l’automne 2024, la société Vencorex, fournisseur de sel dans le bassin grenoblois, est engagée dans une procédure de redressement judiciaire. Le 10 avril 2025, le tribunal des activités économiques (TAE) de Lyon a autorisé la reprise très partielle de l’activité de l’usine du Pont-de-Claix par l’entreprise chinoise Wanhua, ce qui a conduit à la suppression de près de 400 emplois.

Au début de l’année 2025, la société Arkema a, quant à elle, annoncé la réorganisation des activités sur le site voisin de Jarrie à la suite de l’arrêt de son approvisionnement en sel par Vencorex. Concrètement, l’arrêt des activités de production de chlore, de soude, de chlorure de méthyle et de fluides techniques devrait conduire à la suppression de 150 postes.

a.   Les causes des difficultés économiques de Vencorex sont largement partagées par les différentes parties prenantes

Après une année de résultat positif en 2022, la situation de Vencorex s’est inversée l’année suivante. Dès le début de l’année 2023, les volumes de ventes ont diminué et les prix de ventes ont été revus à la baisse, conduisant à un résultat net négatif de près de 80 millions d’euros. L’entreprise anticipait une perte de 100 millions d’euros à la fin de l’année 2024, sa compétitivité devenant ainsi nettement inférieure à celle de ses deux grands concurrents, Covestro et Wanhua. Pour le rapporteur, l’absence de vision stratégique de l’État quant à l’avenir de filières chimiques clés et structurantes pour la transition écologique interroge.

● Direction, organisations syndicales et élus locaux auditionnés par la commission d’enquête ont tous identifié les raisons suivantes pour expliquer la dégradation de la situation de Vencorex :

– une forte concurrence liée aux surcapacités de la production chinoise ;

– une hausse massive des coûts de l’énergie : les prix hors taxe sur la valeur ajoutée (TVA) du gaz naturel pour les entreprises ont augmenté de 67 % en un an, entre 2021 et 2022. En 2023, les approvisionnements énergétiques pour les industriels de la chimie européens étaient 75 % plus chers qu’en 2021 ;

– la menace de l’augmentation des droits de douane par les États-Unis et de leurs effets directs et indirects.

La direction d’Arkema comme celle de Vencorex – à l’instar de nombreuses directions de sociétés auditionnées dans le cadre des études de cas – pointent également la complexité de la réglementation européenne et le poids de la fiscalité sur les entreprises.

De leur côté, les organisations syndicales et les élus locaux estiment que Vencorex a également pâti d’un trop faible investissement dans la décarbonation, ce qui a accéléré le vieillissement des outils industriels. M. Denis Carré, responsable CGT du site chimique de Vencorex à Pont-de-Claix, souligne ainsi que « la vétusté pèse sur les coûts de l’énergie. Or il apparaît que la remise à niveau d’une structure pour quelques millions d’euros est moins onéreuse que les coûts d’approvisionnement énergétiques. Si 50 millions d’euros avaient été investis dans la modernisation de la compression du chlore, cette activité aurait consommé 80 % d’énergie en moins et aurait pu redevenir rentable. » ([157])

La situation de Vencorex est malheureusement loin d’être isolée et reflète la perte de compétitivité des usines chimiques en France et en Europe ; nombre d’entre elles sont en sous-capacité, à l’image de Kem One, à Fos-sur-Mer, qui fonctionne aujourd’hui à 60 % de ses capacités.

Au total, selon France Chimie, la part de marché de l’Union européenne sur la scène mondiale de la chimie est passée de 27 % en 2002 à 14 % en 2022. 47 sites industriels sont menacés en France, qui représentent entre 15 000 et 20 000 emplois ([158]).

Chronologie de la fermeture du site du Pont-de-Claix

– Septembre 2023 : recours au cabinet AlixPartners pour établir un plan d’affaires de retournement, baptisé « Projet Agate », incluant un plan d’économies de 80 millions d’euros, nommé « Projet Butterfly », visant à renégocier avec les principaux fournisseurs et améliorer la productivité du site.

– Novembre 2023 : utilisation par le CSE de son droit d’alerte économique.

– Janvier 2024 : ouverture d’une procédure de conciliation pendant cinq mois supervisée par le tribunal des affaires économiques (TAE) de Lyon. Information du CSE et des salariés de Vencorex via des présentations trimestrielles.

– 5 septembre 2024 : information du CSE de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire après le désengagement de l’actionnaire de Vencorex France.

– 6 septembre 2024 : déclaration de cessation des paiements auprès du TAE de Lyon.

– 10 septembre 2024 : ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

– 21 octobre 2024 : date limite de dépôt des offres. Une seule société s’est portée repreneur.

– 4 novembre 2024 : premier comité de pilotage à la préfecture de l’Isère.

– 20 novembre 2024 : premier échange téléphonique entre M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble, et le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, M. Marc Ferracci.

– 4 décembre 2024 : annonce par Arkema via un communiqué de presse de la fermeture de l’usine sud du site de Jarrie.

– 5 décembre 2024 : deuxième comité de pilotage en visioconférence avec le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.

– Février et mars 2025 : plusieurs échanges entre les élus locaux, les parlementaires, le Premier ministre et son cabinet.

– 3 avril 2025 : audience du TAE de Lyon.

– 7 avril 2025 : lettre d’intention d’un investisseur indien dans le projet de société coopérative d’intérêt collectif (Scic).

– 10 avril 2025 : décision du TAE de Lyon validant la reprise par Wanhua.

● Pourtant, Vencorex a reçu des aides publiques pour un total de 80 millions d’euros, depuis 2012, ainsi répartis :

– 43 millions d’euros de subventions d’investissements en quasi-totalité dédiées à l’installation de nouveaux électrolyseurs démarrés entre 2016 et 2017, requis par l’introduction de la nouvelle réglementation sur les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) ;

– 22 millions d’euros au titre de la compensation carbone ;

– 10 millions d’euros au titre du CIR ;

– 3 millions d’euros au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) ;

– 2 millions d’euros de subventions opérationnelles liées au coût de l’énergie, perçus en 2022.

b.   La célérité de la fermeture du site de « Jarrie sud » par Arkema suscite des interrogations

● Lors de son audition, M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France, a dressé le portrait d’un groupe « solide, qui arrive à tirer son épingle du jeu malgré une conjoncture globalement difficile pour la chimie et un environnement international turbulent » ([159]).

En effet, Arkema est le premier groupe de chimie français. Il réalise un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 10 milliards d’euros et un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement de 1,2 milliard d’euros.

La direction tient à souligner que les salariés sont les premiers actionnaires, avec 9 % du capital détenu, contre 7,5 % en 2024. 20 millions d’euros de dividendes ont été versés aux salariés en 2024 au titre de l’exercice 2023. Les montants des rachats d’actions ont été majoritairement consacrés aux plans de distribution d’actions de performance aux salariés, soit 30 millions d’euros sur les 35 millions d’euros en 2024.

Par ailleurs, sur la période 2021-2024, Arkema a perçu 58 millions d’euros de subventions et 124 millions d’euros au titre du CIR, ainsi que 35 millions d’euros pour l’achat d’électrolyseurs sur la période 2010-2015.

● Dans ce contexte, la fermeture rapide du site de « Jarrie sud » interroge.

En effet, pour la direction d’Arkema, « le projet de PSE sur le site de Jarrie est une conséquence directe du redressement judiciaire de Vencorex. Il n’était pas planifié, et ce, même si la situation financière du site était fragile. […] Un site comme celui de Jarrie ne peut rester à l’arrêt pendant des mois et l’incertitude quant à la situation de Vencorex a exigé d’Arkema France de réagir très rapidement et d’anticiper. Après l’étude de plusieurs scénarios, le projet de PSE s’est imposé comme la solution permettant d’inscrire Jarrie dans une situation la plus pérenne possible, via un recentrage de son activité. » ([160])

Or, les organisations syndicales considèrent, pour leur part, que l’entreprise n’a pas subi la situation à l’automne 2024 mais s’est montrée passive face aux difficultés de Vencorex connues depuis 2023. Pour M. Emmanuel Grandjean, coordinateur CGT chez Arkema, « la fermeture de Vencorex, fournisseur de sel, a offert à la direction d’Arkema l’opportunité de se débarrasser de la partie sud du site de Jarrie. Il s’agit donc bien d’un choix stratégique. » ([161]) Pour les représentants syndicaux comme les élus locaux, cette fermeture a été annoncée de manière abrupte, sans exploration de solutions industrielles alternatives.

c.   Les PSE mis en œuvre sur les sites de Pont-de-Claix et de Jarrie visent prioritairement le reclassement interne et externe des salariés concernés

● Le PSE de Vencorex a été conduit en deux temps :

– la première vague de licenciements a conduit au départ de 136 salariés sur un effectif de 431 salariés. La sortie des effectifs s’est effectuée au 22 mars 2025, sauf pour les salariés protégés. Seule la CFE-CGC a signé ce premier plan ;

– la seconde vague concerne 250 salariés, avec des sorties d’effectifs à compter du 15 mai 2025 – 169 salariés licenciés qui n’étaient pas concernés par le volontariat de transfert et 109 salariés éligibles au volontariat de transfert. Aucune organisation syndicale n’a signé ce plan, qui a donc été converti en document unilatéral.

● Ces deux plans de sauvegarde de l’emploi ont été mis en œuvre dans le cadre des règles définies en cas de redressement judiciaire, notamment avec la prise en charge par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) des indemnités de licenciement et une éligibilité des salariés au contrat de sécurisation professionnelle (CSP) via France Travail.

Le PSE de Vencorex prévoit en outre :

– le versement d’une indemnité complémentaire par l’actionnaire de Vencorex France de 40 000 euros nets pour chaque salarié licencié, quelle que soit son ancienneté ;

– des mesures d’accompagnement au reclassement : aides à la mobilité pour un montant de 5 000 euros par salarié, aide à la formation pour un montant de 9 000 euros par salarié et aide à la création d’entreprise pour un montant allant de 15 000 à 20 000 euros par salarié.

Ces deux plans représentent une vingtaine de millions d’euros engagés par le Groupe Vencorex Holding et 3 millions d’euros de mesures d’accompagnement au reclassement.

● Sur le site d’Arkema, à Jarrie, les suppressions de postes interviendront en trois phases – juillet 2025, novembre 2025 et février 2026 – afin d’effectuer la mise à l’arrêt et en sécurité des installations et leur nettoyage en vue de leur démantèlement. Le plan de licenciement vise tant les personnels de fabrication que les personnels exerçant des fonctions « support », compte tenu de l’impact sur l’activité générale de l’arrêt de la production.

Le projet de PSE a été présenté au mois de janvier 2025 aux instances représentatives du personnel et fait l’objet d’une procédure d’information et de consultation devant s’achever fin mai 2025. À ce stade, les mesures présentées ci-dessous sont celles qui sont encore soumises à la négociation. 154 postes seront supprimés. Au sein de cet ensemble :

– 50 salariés devraient être reclassés chez Framatome (35 à Jarrie et 15 sur le bassin grenoblois ou à proximité) ;

– 26 postes seront soit réinternalisés, soit rajoutés à l’organisation cible ;

– 78 salariés devraient être reclassés en externe et en interne, Arkema France indiquant disposer de plus de 100 postes disponibles sur ses différents sites industriels, à salaires et qualifications équivalents à ceux de Jarrie.

Pendant la durée du déploiement du PSE, les salariés concernés bénéficient d’une affectation au sein de l’antenne « mobilité emploi » pour se consacrer entièrement à la recherche d’une solution de repositionnement professionnel. Durant cette période, les salariés seront indemnisés sur la base de 100 % du salaire mensuel net, alors qu’ils devraient l’être sur la base de 65 % du salaire brut, aux termes des dispositions réglementaires.

À ces mesures d’accompagnement s’ajoutent :

– une indemnité supralégale de 30 000 euros + 1 000 euros par année d’ancienneté, avec un plafond à 40 000 euros, pour les salariés qui ne trouveraient pas de solution de reclassement interne et pour les salariés qui opteraient pour un départ volontaire ;

– un congé de reclassement de 14 mois pour les salariés âgés de moins de 50 ans, contre 9 mois dans le plan initial, et de 18 mois pour les salariés âgés de plus de 50 ans, contre 13 mois dans le plan initial, avec un salaire net payé à 100 %.

Pour le rapporteur, ces mesures, bien que présentées comme exemplaires, ne sauraient masquer la réalité d’un effondrement industriel local.

d.   Plusieurs scénarios alternatifs à la reprise par le groupe chinois Wanhua étaient envisageables pour préserver davantage d’emplois

Le 10 avril 2025, le TAE de Lyon a retenu l’offre présentée par la société chinoise Wanhua et sa filière hongroise BorsodChem, qui ne s’est engagée à reprendre que 44 salariés sur 450.

Certaines organisations syndicales, comme la CFE-CGC, considèrent que « le tribunal a rendu la meilleure décision possible sur la base des éléments en sa possession. […] La concurrence agressive de Wanhua et un marché toujours en berne ne donnaient pas de perspectives optimistes pour l’avenir. » ([162])

Pour autant, au moins trois autres solutions auraient pu être viables :

– la reprise d’une partie de l’activité par Arkema ;

– la nationalisation temporaire partielle ;

– le projet de société coopérative d’intérêt collectif (Scic) porté par certains salariés.

 La reprise par Arkema

Interrogé lors de son audition sur un éventuel projet de reprise de Vencorex afin de pérenniser l’emploi sur le site de Jarrie, M. Thierry Parmentier a indiqué qu’« économiquement, cela n’avait pas de sens de racheter l’ensemble de la plateforme [et qu’il était] impossible de procéder au compartimentage » ([163]) des activités du site de Pont-de-Claix, rappelant qu’Arkema ne représentait que 3 % du chiffre d’affaires de Vencorex.

Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema, a apporté les précisions suivantes :

« Après le placement en redressement judiciaire, nous avons étudié plusieurs scénarios, parmi lesquels celui de la reprise des activités de Vencorex, notamment de la mine de sel de Chloralp. Nos équipes techniques ont découvert que de nombreux investissements étaient nécessaires sur le saumoduc qui relie la mine à l’usine. Surtout, l’actif purification‑cristallisation de Vencorex est dimensionné pour l’activité actuelle de l’entreprise. Une division des volumes de production rendrait celle-ci encore moins rentable qu’elle ne l’est aujourd’hui.

Au regard du montant astronomique des investissements à consentir, ce scénario a été abandonné. Nous avons alors étudié d’autres pistes, évoquées avec les organisations syndicales, parmi lesquelles celle d’une reprise de la mine et, potentiellement, de la réalisation d’un investissement en purification, qui aurait pris trois ans. La société PTTGC n’a pas consenti à nous laisser ce temps de transition. Que pouvions-nous donc faire ? Nous n’avions plus de sel pour alimenter l’usine. Il nous a fallu trouver une solution n’impliquant pas la purification du sel. Nous l’avons trouvée avec le sel de la société Qemetica, produit en Allemagne, qui nous a permis de sauver une bonne partie de l’usine. » ([164])

Pourtant, il faut rappeler que, depuis la fermeture du site de Pont‑de‑Claix, le prix d’achat d’une tonne de sel a triplé pour Arkema : si le prix de départ proposé par l’entreprise polonaise Qemetica est de 50 euros – soit le même prix que celui pratiqué par Vencorex –, les frais de logistique qui viennent s’ajouter portent ce prix à 150 euros.

Dans ce contexte, les organisations syndicales, à l’instar de la CFE‑CGC, considèrent que la reprise par Arkema de l’activité de production de sel et des activités directement associées (saumuration, électrolyse et production de soudes) paraissait « logique au vu du caractère de sécurité nationale lié aux activités de productions » ([165]).

 La nationalisation temporaire partielle

M. Jean-Luc Béal, président de Vencorex, estime que « l’entreprise ne détient […] ni technologies critiques ni positionnement unique qui justifieraient une nationalisation au nom de l’intérêt stratégique national » ([166]).

Interrogé par le rapporteur, M. Jean-Luc Béal a précisé que le coût d’une éventuelle nationalisation correspondrait au besoin en trésorerie sur une période de dix ans, estimé à 370 millions d’euros, avec un flux de trésorerie qui resterait négatif au-delà de cette période et aucune perspective de retour à l’équilibre. Ce montant est cependant contesté par M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble et maire de Pont-de-Claix, et M. Raphaël Guerrero, maire de Jarrie, qui estiment que le plan de financement pour sauver la quasi-totalité de la société Vencorex s’élevait à 120 millions d’euros.

L’option de la nationalisation temporaire fait consensus parmi les organisations syndicales et les élus. Pour M. Benjamin Oudet, délégué syndical CFE-CGC sur le site de Jarrie de la société Framatome, « le refus de la nationalisation temporaire de Vencorex demeure incompréhensible » ([167]).

Pour M. Carlos Martins, délégué syndical CFE-CCG de Vencorex, la nationalisation temporaire partielle de l’entreprise aurait permis une meilleure gestion des moyens communs de la plateforme chimique du Pont-de-Claix et de meilleures conditions pour la revitaliser dans des conditions de sécurité assurée par une caserne de pompiers gérée dans le cadre de la nationalisation. La recherche d’un repreneur pour l’activité de la mine de sel et l’activité sur la plateforme liée au sel aurait pu être réalisée dans des conditions satisfaisantes ([168]).

MM. Christophe Ferrari et Raphaël Guerrero ont rappelé, lors de leur audition, que la nationalisation temporaire partielle était réclamée par les députés de l’Isère pour sauver a minima la filière « sel-chlore », ce qui aurait permis de sauvegarder l’usine de « Jarrie sud ». Eux-mêmes ont d’abord soutenu cette solution « non par idéologie, mais comme moyen de gagner du temps, car il existait un projet viable derrière » ([169]). Toutefois, ils ont ensuite concentré leurs efforts en faveur du projet de reprise de l’entreprise sous forme de Scic.

Pour le rapporteur, l’absence de soutien de cette solution interroge le rôle de l’État qui n’a pas su ou voulu structurer une solution nationale ou européenne.

 Le projet de Scic

Le statut et les modalités de mise en œuvre d’une Scic seront développés ultérieurement.

Rappelons succinctement qu’une Scic est une entreprise coopérative qui a pour objet « la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale » ([170]). Une Scic peut être créée dans tous les secteurs d’activité, dès lors que l’intérêt collectif se justifie par un projet de territoire ou de filière d’activité. Elle doit respecter les règles coopératives, c’est‑à‑dire l’obligation de réinvestir la quasi-totalité des excédents dans l’activité et le principe selon lequel une personne est égale à une voix.

Ce projet était essentiellement porté par les salariés de la CGT, ainsi que l’a indiqué M. Serge Allègre, secrétaire général de la Fédération nationale des industries chimiques CGT : « Notre plan reposait sur la participation d’un industriel indien, qui a répondu deux jours après l’audience. Nous avons informé le procureur que cet industriel était prêt à investir 44 millions d’euros pour s’installer en France, dans le but de se développer en Europe. Notre plan aurait permis la sauvegarde de 6 000 emplois au total. » ([171])

Pour MM. Christophe Ferrari et Raphaël Guerrero, le projet de Scic a été un « moment important du dossier Vencorex » ([172]). Même non abouti, il a révélé, d’une part, que le projet industriel était viable, même si des investissements étaient nécessaires, et, d’autre part, que tous les investisseurs potentiels n’avaient pas été contactés par l’État, puisque ce sont les élus locaux qui ont trouvé l’industriel indien.

M. Denis Carré rappelle que l’État « s’[était] engagé oralement à contribuer sur la base suivante : pour un euro versé par un industriel repreneur, il aurait versé un euro. En revanche, nous n’avons jamais obtenu de document écrit à ce sujet. » ([173]) En effet, il est apparu que le TAE de Lyon n’a même pas mentionné le projet de reprise sous forme de Scic lors du rendu de sa décision, le tribunal n’ayant reçu aucune lettre d’engagement ni de l’État, ni de la région Auvergne‑Rhône-Alpes alors même que le soutien à l’investissement et au développement des plateformes industrielles relève de ses compétences.

En définitive, l’entreprise BorsodChem, filiale hongroise du groupe chinois Wanhua, a aujourd’hui repris l’ensemble de la documentation de Vencorex et les brevets français de la société, y compris la documentation relative aux ateliers qui ont été fermés.

3.   L’avenir sombre de l’emploi chez ArcelorMittal, industrie stratégique pour la souveraineté de la France

Le 23 avril 2025, la direction d’ArcelorMittal France a annoncé un plan de restructuration prévoyant la suppression de 636 postes dans divers services, de la production aux fonctions « support », répartis sur huit sites en France, parmi lesquels Dunkerque et Florange, les plus touchés. La direction a fait parvenir au rapporteur la répartition des postes et potentiels emplois supprimés actualisée à la fin mai 2025.

Source : direction d’ArcelorMittal France.

ArcelorMittal, multinationale née de la fusion, en 2006, de deux géants de la sidérurgie, Mittal Steel Company NV et Arcelor, est aujourd’hui implantée dans quinze pays, répartis sur quatre continents, avec trente-sept sites de production d’acier et neuf exploitations minières (Brésil, Bosnie, Canada, Liberia, Mexique, Ukraine, Afrique du Sud, Inde et Canada).

ArcelorMittal compte 126 756 employés, dont 49 959 en Europe.

En France, le groupe compte 15 400 salariés (on recense 25 300 emplois directs dans le secteur de la sidérurgie), ce qui représente 25 % de ses effectifs européens. Il y produit 6,3 millions de tonnes d’acier, soit 63 % de la production nationale. Enfin, la moitié des 850 salariés des équipes de recherche et développement du groupe travaille en France.

a.   Dans un contexte de crise de la sidérurgie européenne, ArcelorMittal s’engage dans un projet de décarbonation d’ici 2030

● ArcelorMittal évolue sur un marché mondial de la sidérurgie en pleine mutation, marqué par une surproduction chinoise et une baisse de la production dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). D’après un récent rapport de l’OCDE, la capacité de production mondiale va croître de 6,7 % entre 2025 et 2027. Les excédents de capacités devraient atteindre 721 millions de tonnes d’ici à 2027, soit environ 290 millions de tonnes de plus que la production d’acier cumulée des pays de l’OCDE en 2024 ([174]).

PRODUCTION SIDÉRURGIQUE DANS LES PAYS DE L’OCDE,
EN CHINE ET DANS LE RESTE DU MONDE ENTRE 2005 et 2024

Source : World Steel Association, 2024 World Steel in Figures, OCDE, d’après COMTRADE et ISSB.

ArcelorMittal reste le numéro deux mondial en termes de tonnage, avec 57,9 millions de tonnes d’acier produites en 2024, mais ses bénéfices sont en baisse constante : 14,9 milliards de dollars en 2021, 10,6 milliards de dollars en 2022, 4,9 milliards de dollars en 2023 et 2,3 milliards de dollars en 2024.

D’après M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France, « du fait de la diminution de la demande, notre production est en baisse continue. Nous produisons à l’heure actuelle 30 % à 40 % de moins que ce que nos capacités permettent, soit 6,8 millions de tonnes en 2024 pour une capacité de production de 10 millions de tonnes. » ([175]) Plus précisément, sur la base d’un index 100 en 2007, la demande d’acier en Europe en produits plats a atteint, en 2023, une valeur de 45 pour la France, 70 pour l’Allemagne et 80 pour l’Italie. La demande d’acier en France était de 9 millions de tonnes en 2007 ; elle est de seulement 3,8 millions de tonnes en 2024.

Au sujet des sites concernés par le PSE, la direction d’ArcelorMittal France indique une baisse des volumes de production et une augmentation des coûts de production de l’ordre de 30 % depuis 2019.

Aujourd’hui, les cinq hauts fourneaux de France fonctionnent à 50 % de leurs capacités.

● C’est dans ce contexte qu’ArcelorMittal doit mettre en œuvre son projet de décarbonation avant l’augmentation de la taxation du carbone en 2030. En effet, dans le cadre du Pacte vert, l’Union européenne prévoit une baisse de 55 % des émissions de carbone d’ici 2030 et la disparition progressive des quotas gratuits de CO2 à l’horizon 2034.

Pour M. David Thourey, délégué syndical central FO : « La volonté d’atteindre le zéro carbone implique des changements radicaux pour la sidérurgie car, concrètement, la décarbonation signifie l’arrêt des hauts fourneaux et un changement fondamental du processus de fabrication pour passer à des aciéries électriques. » ([176]) M. Philippe Avocat, délégué syndical central CFE-CGC, a d’ailleurs indiqué que l’arrêt d’un des deux hauts fourneaux, à Fos-sur-Mer, était dû non seulement à la baisse de la consommation d’acier en Europe mais aussi à l’impact des quotas de CO2 sur les coûts de production. En diminuant sa production, le site de Fos-sur-Mer reste ainsi en dessous des seuils de la taxe carbone, ce qui permet de maintenir l’activité.

● La volonté d’ArcelorMittal d’investir réellement dans la décarbonation suscite, néanmoins, des interrogations. Si l’effort de décarbonation est salué, plusieurs acteurs alertent sur un plan qui s’accompagne paradoxalement d’une réduction massive de l’emploi.

En effet, au premier semestre 2024, ArcelorMittal France a annoncé le lancement d’un projet de décarbonation du site de Dunkerque, soutenu par l’État à hauteur de 850 millions d’euros, pour un investissement total d’1,8 milliard d’euros, consistant en la construction de deux fours électriques et d’une unité de réduction directe du fer (DRI). Dès novembre 2024, ce projet a été suspendu au motif que la décision d’investissement dépendait du contenu du plan d’action de la Commission européenne pour renforcer la compétitivité de l’industrie sidérurgique et métallurgique – le « plan acier européen ». Ce plan a été dévoilé en mars 2025 et intègre, pour reprendre les mots du commissaire européen en charge de l’industrie, M. Stéphane Séjourné, « l’ensemble des demandes qui avait été formulées par ArcelorMittal pour maintenir les sites de production ». C’est pourtant en avril 2025 qu’a été annoncé le PSE puis seulement en mai qu’a été faite la promesse d’investissement réduite à 1,2 milliard d’euros pour le site de Dunkerque – n’était alors plus prévue que la construction d’un seul four.

Pour M. Le Grix de la Salle, « l’annonce de l’investissement de 1,2 milliard d’euros traduit un optimisme plus marqué qu’il y a deux mois, dans la mesure où la Commission européenne évolue de manière positive sur le plan acier. Il est cependant exact que la décision reste conditionnée au fait que la Commission mette en place ce qui est prévu […]. À ce moment-là, disposant de visibilité, nous pourrons clarifier nos projets d’investissement et nous communiquerons sur nos plans de décarbonation au niveau européen – cela concerna notamment FossurMer et le deuxième four électrique à Dunkerque. » ([177])

Toutefois, selon M. Gaëtan Lecocq, secrétaire général CGT sur le site de Dunkerque : « Il est clair que Mittal n’investira pas dans la décarbonation en France ou en Europe. L’entreprise organise soigneusement le déclin progressif de ses activités en commençant par délocaliser les emplois "support", puis en s’attaquant à la maintenance, essentielle pour des installations vieillissantes. » ([178])

b.   Dans un contexte de concurrence internationale déloyale, les orientations stratégiques d’ArcelorMittal France, qui délocalise une partie de ses activités vers des pays moins réglementés, interrogent

La concurrence dans l’industrie sidérurgique est incontestablement inéquitable.

Le rapport précité de l’OCDE reconnaît que cette concurrence est aujourd’hui faussée, notamment du fait des subventions versées en Chine, qui sont dix fois supérieures à celles versées dans les pays de l’OCDE en pourcentage du chiffre d’affaires, ce qui favorise les surcapacités et encourage les investissements non viables.

M. Le Grix de la Salle a logiquement dénoncé ces règles hétérogènes : « si nous disposons de quotas de CO2, ceux-ci ne couvrent pas la totalité de nos émissions. En conséquence, nous acquittons des droits […], ce qui n’est pas le cas des autres pays. » ([179])

● Les organisations syndicales ont toutes mis en avant la responsabilité de l’Union européenne dans la protection de la sidérurgie.

Ainsi, M. David Thourey a dénoncé « la lenteur des décisions européennes en ce qui concerne la taxe carbone et la protection de notre industrie. […] Pendant que nous réduisons nos émissions en n’exploitant plus que deux hauts fourneaux sur les cinq que nous possédions, les importations d’acier non décarboné augmentent à des prix défiant toute concurrence car non soumis à nos contraintes environnementales. » ([180])

Pour M. Xavier Le Coq, élu CFE-CGC : « Pour protéger l’ensemble de la sidérurgie continentale, et par conséquent nos usines en France, il est nécessaire de limiter les importations en instaurant un quota. Cette mesure est facile à mettre en œuvre, contrairement aux enquêtes sur le dumping qui prennent jusqu’à six mois avant toute mesure concrète. Nous soutenons également un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Même si sa conception semble complexe, il pourrait protéger nos usines des délocalisations, mais il faut veiller à ce qu’il ne pénalise pas les consommateurs d’acier et les filières aval. » ([181])

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF)

Pilier du Pacte vert de l’Union européenne (UE), le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) est un instrument règlementaire européen qui vise à soumettre les produits importés dans le territoire douanier de l’Union européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits.

Le MACF vise à limiter les fuites d’émissions carbone, c’est-à-dire à empêcher que les multinationales implantées dans l’UE ne délocalisent leurs activités vers des pays moins‑disant du point de vue environnemental.

Le mécanisme permet d’appliquer des coûts supplémentaires en fonction des émissions de carbone des entreprises situées dans les pays tiers. Les biens importés sur le territoire de l’UE et dont la production n’est pas soumise à un prix du carbone ou à un prix faible se verront appliquer un surcoût en entrant sur le marché européen.

Les surcoûts prévus par le MACF sont calqués sur les cours du système d’échange des quotas d’émissions carbone (ETS ou SEQE), qui concerne aujourd’hui les seules entreprises implantées en Europe.

Le MACF n’est ni une mesure de politique commerciale ni une mesure tarifaire, mais une mesure de politique environnementale. En France, l’autorité compétente est la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui relève du ministère de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du ministère de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Le mécanisme est progressivement mis en œuvre depuis le 1er octobre 2023, avec une phase de transition jusqu’à fin 2025 durant laquelle les importateurs doivent seulement déclarer les émissions carbone des produits importés ; ils ne commenceront à payer celles-ci qu’à partir de 2026.

● Dans le même temps, les orientations du Groupe ArcelorMittal en matière de délocalisation de l’activité laissent perplexe. Pour M. David Thourey, « sous couvert de compétitivité internationale, nous assistons à des transferts massifs d’activités vers des pays où les conditions sociales et salariales sont bien inférieures aux nôtres » ([182]).

En effet, ArcelorMittal France a annoncé, lors de la réunion du comité d’entreprise européen du 11 février 2025, le déploiement d’un projet européen de délocalisation de fonctions transverses en Pologne et en Inde. Au cours de son audition, M. Le Grix de la Salle a confirmé ce projet : « Ces transferts sont nécessaires à la compétitivité. » ([183])

● Pour plusieurs organisations syndicales, le sous-investissement d’ArcelorMittal en France, notamment en termes de maintenance, témoigne d’une volonté manifeste de désindustrialisation. Ces mêmes organisations alertent depuis des mois sur un sous-investissement chronique dans certains sites stratégiques comme Florange ou Fos-sur-Mer.

Ainsi, pour M. Jean-Marc Vecrin, élu CFDT : « Sur le long terme, le bilan de Mittal en Europe s’apparente à un pillage et une désindustrialisation, avec la fermeture de nombreux actifs. […] Le groupe assèche clairement les sites, exploitant au maximum les ressources sans les renouveler. Les hauts fourneaux de Dunkerque figuraient parmi les plus récents et les plus performants d’Europe. Les récents problèmes de production, sur ce site mais également aux Asturies, témoignent de cette désindustrialisation silencieuse quoique massive. » ([184])

M. Xavier Le Coq confirme que « le manque d’investissement dans l’entretien et la maintenance des installations majeures a conduit à leur détérioration, notamment ces dernières années à Dunkerque, ce qui se traduit par une performance économique moindre par rapport à nos concurrents, y compris internes au groupe et notamment en Belgique » ([185]).

Toutefois, les avis des organisations syndicales divergent quant à une stratégie de départ de la France et de l’Europe en général d’ArcelorMittal, elle‑même démentie par M. Le Grix de la Salle. Pour la CGT comme pour la CFDT, la question relative à la volonté de se désengager de l’Europe est « rhétorique » ([186]). La CFE-CGC considère a contrario que, si le groupe avait pour intention de quitter la France, il n’aurait très probablement pas recapitalisé la filiale ArcelorMittal Méditerranée à hauteur de 425 millions d’euros depuis 2020, ni procédé à une nouvelle recapitalisation à hauteur de 170 millions d’euros en juin 2025.

c.   Le PSE annoncé en avril 2025 s’inscrit dans la continuité d’autres restructurations, menées dans un climat social dégradé

La direction d’ArcelorMittal France a présenté les sept PSE intervenus ces dix dernières années, qui ont concerné 314 salariés au total :

– en 2016, à Manois : 45 salariés concernés ;

– en 2016, chez ArcelorMittal Construction France : 43 salariés concernés ;

 en 2017, à La Réunion : 43 salariés concernés ;

 en 2023, à Fresnoy : 15 salariés concernés ;

 en 2024, chez ArcelorMittal Distribution : 28 salariés concernés ;

 en 2024, chez ArcelorMittal Centres de Service : 131 salariés concernés ;

 en 2024, chez ArcelorMittal Construction : 9 salariés concernés.

La direction d’ArcelorMittal France tient à préciser que l’arrêt des hauts fourneaux de Florange, en 2012, qui a affecté 629 salariés, n’a pas donné lieu à l’élaboration d’un PSE car les salariés ont tous été reclassés dans l’entreprise ([187]). De la même manière, l’arrêt durable d’un haut fourneau à Fos-sur-Mer, en 2024, a touché 140 salariés reclassés en interne. La direction tient à préciser qu’en dehors des PSE, il n’y a pas eu d’accord de performance collective.

Pour M. Jean-Marc Vecrin, cette série de licenciements montre que « les restructurations ont, en réalité, débuté bien avant l’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) chez ArcelorMittal France. […] Ces restructurations se sont également étendues à l’Europe, sans que le comité de groupe européen n’en ait été informé. » ([188])

Ainsi que l’a exposé la CFE-CGC, le PSE d’avril 2025 s’inscrit dans le cadre de deux projets de restructuration distincts :

– un projet européen de délocalisation de fonctions transverses en Pologne, en Inde et en Belgique. C’est dans ce cadre que l’intégralité du service « order management » de Florange, qui comprend 25 salariés, est délocalisée en Belgique ;

– un projet interne à la société ArcelorMittal France, baptisé ReACT, lancé à l’automne 2024.

● Ces plans de restructuration interviennent alors que le dialogue social est présenté comme inexistant par la CGT et dégradé par la CFDT.

Lors de l’audition des organisations syndicales, M. Gaëtan Lecocq a fait part de l’accueil « particulièrement choquant » qui a été réservé aux syndicalistes mobilisés lors de la première réunion du CSE en mai dernier ; il a regretté que les élus aient été traités « comme des terroristes, certains allant jusqu’à nous demander si nous portions des fumigènes ou des armes» ([189]).

M. Jean-Marc Vecrin a par ailleurs déploré qu’ArcelorMittal ait opté pour des consultations « perlées », au cas par cas, privant ainsi les partenaires sociaux d’une vision d’ensemble. Pour lui, « cette approche permet au groupe de limiter les pressions politiques et médiatiques, tout en négociant ces restructurations individuellement, empêchant les représentants du personnel d’anticiper et de négocier sereinement » ([190]).

Une telle absence de dialogue social – un point que contestent d’autres organisations, comme la CFE-CGC, qui le qualifie de « globalement bon mais variable suivant les filiales » ([191]) – est particulièrement préjudiciable pour comprendre et anticiper la stratégie du groupe à court et moyen termes.

d.   En excellente santé financière, ArcelorMittal bénéficie d’un soutien exorbitant des pouvoirs publics

● À l’échelle mondiale, le Groupe ArcelorMittal a réalisé, entre 2020 et 2024, 60 à 80 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an, la France représentant 4 % des revenus générés. Au premier trimestre 2025, le groupe a dégagé un bénéfice net de 805 millions de dollars.

En 2024, les dividendes versés aux actionnaires se sont élevés à 1,34 milliard de dollars ; sur les dix dernières années, ils se sont élevés en moyenne à 226 millions d’euros par an, sans compter les rachats d’actions.

Pour M. Jean-Marc Vecrin, ArcelorMittal bénéficie « d’une assise financière très saine, unique dans une industrie lourde comme la nôtre. […] ArcelorMittal a reversé plus de 10 milliards d’euros à ses actionnaires en trois ans, combinant dividendes et rachats d’actions. Ainsi, bien que l’industrie sidérurgique européenne soit indéniablement en crise, ArcelorMittal disposait des ressources nécessaires à une approche vertueuse. » ([192])

Dans le même temps, les aides publiques accordées à l’entreprise par la France sont multiples. Leur montant total s’élevait à 298 millions d’euros en 2023 :

– 195 millions d’euros à titre de compensation de la hausse du coût de l’énergie ;

– 41 millions d’euros d’allègement de cotisations sociales ;

– 40 millions d’euros au titre du CIR ;

– 74 millions d’euros d’aides à l’investissement sur les cinq dernières années, dont 28 millions d’euros effectivement perçus ;

– 10 millions d’euros d’aides versés par le Fonds européen de développement régional (Feder) ;

– 6 millions d’euros d’aides liées à l’activité partielle de longue durée (voir infra) ;

– 4 millions d’euros destinés à des investissements financés par France Relance et France 2030 ;

– 2 millions d’euros au titre de l’aide à l’apprentissage.

Sans surprise, les organisations syndicales se sont largement prononcées en faveur d’une meilleure conditionnalité de l’octroi des aides versées. M. Gaëtan Lecocq « dénonce l’absence de contreparties aux 300 millions d’euros d’aides publiques annuelles accordées à ArcelorMittal » et estime que « l’État doit avoir un droit de regard sur le respect des salariés et de l’environnement pour chaque euro d’argent public versé » ([193]).

● D’après les organisations syndicales, ArcelorMittal semble bénéficier d’un traitement de faveur dans la mobilisation du dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD). Selon M. Lecocq, ce dispositif, « conçu pour surmonter la crise sanitaire, ce mécanisme est devenu une norme chez ArcelorMittal, utilisé comme outil d’ajustement pour augmenter les profits » ([194]). M. Lecocq a rappelé avoir dû intervenir dans des situations où les salariés travaillaient dix heures par jour du lundi au jeudi pour être ensuite placés en APLD le vendredi.

Évoquant une « situation devenue chaotique, avec de l’activité partielle dans un atelier tandis que l’atelier voisin effectue des heures supplémentaires » ([195]), M. Vecrin va plus loin en expliquant que lorsqu’il a interpelé la Dreets sur cette incohérence, il lui aurait été répondu qu’ArcelorMittal bénéficiait « d’un traitement spécial et de directives spécifiques » ([196]). Interrogé sur ce point, M. Le Grix de la Salle a fait savoir que les conventions d’APLD « ont toujours été validées ou homologuées, selon qu’elles reposaient sur un accord ou une décision unilatérale. La direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets) a exercé son contrôle sur le respect de la réduction maximale de l’horaire de travail, sur nos engagements en matière d’emploi et de formation, sur le diagnostic économique et les perspectives d’activité. » ([197])

Comme le résume Mme Agnès Laurent, déléguée syndicale FO, « l’APLD, largement utilisée par ArcelorMittal en France, était initialement conditionnée au maintien de l’emploi. Or, son utilisation n’empêche nullement les licenciements et les PSE. Cette situation illustre parfaitement le paradoxe auquel nous sommes confrontés. » ([198])

● L’audition de M. Le Grix de la Salle a, enfin, révélé l’existence d’un traitement très particulier d’ArcelorMittal par le pouvoir exécutif.

En effet, il a indiqué avoir participé à une réunion à l’Élysée avec le Président de la République et M. Aditya Mittal à la mi-mars 2025, à l’occasion de laquelle ont été évoquées les difficultés du groupe en France, notamment sur le site de Fos-sur-Mer, mais pas les difficultés sur les sites d’ArcelorMittal Nord. Or, selon la chronologie présentée par M. Le Grix de la Salle, au vu de la dégradation des résultats au premier trimestre 2025, la direction générale de l’entreprise a demandé à la direction de France Nord de mettre en place un plan pour corriger la situation dès la fin du mois de février. Un plan social était donc bien à l’étude au moment de la réunion à l’Élysée sans que la direction d’ArcelorMittal ne l’évoque, ni que le Président de la République ne s’interroge sur les perspectives en termes d’emploi. Cette situation est pour le moins difficilement compréhensible.

Pour le rapporteur, ArcelorMittal est un cas emblématique de déconnexion entre aides publiques perçues et responsabilité sociale.

e.   Face au désengagement d’ArcelorMittal, plusieurs solutions se dessinent, parmi lesquelles un projet de nationalisation des actifs français du groupe

« Je ne vais pas nationaliser ArcelorMittal, parce que ce serait dépenser des milliards d’euros », a répondu le Président de la République à Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, qui l’interrogeait sur un plateau de télévision le 14 mai dernier.

Ce refus de nationaliser l’entreprise fait écho à la proposition de nationalisation de l’industrie sidérurgique française portée notamment par la CGT. Ainsi que l’a exposé M. Gaëtan Lecocq, l’analyse de la CGT, soutenue par deux économistes, « démontre qu’il serait financièrement plus avantageux pour l’État de nationaliser plutôt que de laisser disparaître cette industrie » ([199]). Le coût de la nationalisation de l’ensemble des sites français d’ArcelorMittal – qui correspond à l’indemnisation des actionnaires – est estimé à 1 milliard d’euros.

Cette nationalisation, qui pourrait être temporaire, reçoit l’assentiment de nombreux groupes politiques, certains ayant déposé des propositions de loi à l’appui du projet ([200]).

La nationalisation expresse de British Steel

Le samedi 12 avril 2025, le Parlement britannique a adopté une loi d’urgence permettant au Gouvernement de prendre le contrôle des deux derniers hauts fourneaux du pays menacés de fermeture imminente par leur propriétaire chinois Jingye.

Cette loi permet au Gouvernement de nommer un dirigeant exécutif et de s’engager à financer les matières premières pour éviter l’arrêt de la production sur le site de Scunthorpe, où 2 700 emplois étaient menacés. La loi prévoit également des sanctions visant à contraindre British Steel à la poursuite de l’activité.

Cette situation est toutefois très différente de celle d’ArcelorMittal, puisque l’entreprise était au bord de la faillite et incapable de payer ses fournisseurs.

Toutefois, certaines organisations syndicales, comme la CFE‑CGC ou FO, considèrent que la nationalisation n’est pas une bonne option ou que son bien‑fondé reste à démontrer. M. Paul Ribeiro, secrétaire fédéral national FO, redoute « une socialisation des pertes suivie d’une privatisation des bénéfices, que l’on a connu[es] par le passé » ([201]).

M. Xavier Le Coq, qui estime qu’ArcelorMittal « est trop intégrée en Europe pour qu’une nationalisation des seuls sites français soit pertinente » ([202]), juge intéressante l’idée d’une prise de participation conjointe des États européens là où ArcelorMittal possède des implantations majeures. En possédant 6 % ou 7 % du groupe, chaque État pourrait exiger un poste d’administrateur au conseil d’administration et ainsi influer sur la stratégie à moyen terme.

Le présent rapport d’enquête propose d’envisager une nationalisation temporaire, ciblée sur les actifs stratégiques du groupe, comme levier de négociation et de maintien de l’emploi (voir infra).

B.   des plans de licenciement massifs dans LE SECTEUR TERTIAIRE

1.   La recomposition préoccupante de la grande distribution : les cas d’Auchan et de Casino

Les salariés de la grande distribution aujourd’hui massivement affectés par des restructurations sont ceux-là mêmes qui ont été jugés essentiels pendant la crise sanitaire. Pour reprendre les mots de M. Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT en charge, notamment, du commerce alimentaire et de la grande distribution : « S’ils ont été félicités par tous et bien que leur travail ait permis de maintenir la continuité de la distribution alimentaire en France, force est de constater qu’ils n’ont pas vraiment été reconnus par la suite. » ([203])

Pour le rapporteur, ces cas révèlent une transformation profonde du modèle de la grande distribution, pilotée par des groupes familiaux ou financiers, souvent opaques, qui reconfigurent les implantations au détriment de l’emploi et des territoires, interrogeant directement l’inaction des pouvoirs publics dans le pilotage de ces mutations.

● En novembre 2024, la direction d’Auchan Retail a annoncé une réorganisation majeure de ses activités impliquant la mutualisation de certaines fonctions « support », la fermeture de plusieurs magasins et la mise en place d’un nouveau schéma logistique pour les livraisons à domicile, entraînant la suppression de 2 400 emplois. Un plan de sauvegarde de l’emploi a été présenté par la direction et signé le 19 mars 2025 par la CFTC, la CFDT et SEGA-CFE-CGC, mais pas par la CGT.

● En octobre 2023, le Groupe Casino est entré en procédure de sauvegarde judiciaire ([204]). Son plan de sauvegarde a été arrêté le 26 février 2024 par le tribunal de commerce de Paris, qui a placé l’entreprise en sauvegarde pour une période de quatre ans. Cette procédure a abouti, le 27 mars 2024, à la restructuration financière de Casino et à la cession de 427 hypermarchés et supermarchés, entraînant la mise en œuvre de plusieurs PSE à partir de mai 2024.

Lors de leur audition, les organisations syndicales ont établi le bilan suivant des licenciements envisagés sur la période s’étendant de septembre 2024 à fin juin 2025 :

– 2 025 pour le premier PSE de Distribution Casino France (DCF) et 57 pour le second ;

– 762 pour Easydis ;

– 103 pour Monoprix Holding ;

– 92 pour Achats Marchandises Casino (AMC) ;

– 66 pour Casino Services ;

– 41 pour le premier PSE de Franprix Support et 42 pour le second ;

– 22 pour IGC Services ;

– 11 pour Retail Extended Logistics (REL) ;

– 10 pour Campus Casino.

Soit un total de 3 128 licenciements envisagés, auxquels s’ajoutent les ruptures de contrat de plus de 500 gérants mandataires non-salariés, exclus du dispositif des PSE.

Toutefois, d’après la direction, après négociation avec les partenaires sociaux, le nombre de licenciements a été ramené à 2 195.

a.   Partageant le constat alarmant des difficultés de la grande distribution, les représentants des salariés regrettent chez Auchan comme chez Casino le manque d’association aux orientations stratégiques

La recomposition de l’écosystème de la grande distribution se traduit par des rachats et des restructurations dont pâtissent les salariés : alors que Casino est en procédure de sauvegarde, Auchan a investi 300 millions d’euros pour racheter 100 magasins Casino tout en mettant en place un PSE et Carrefour a racheté Cora et Match tout en cédant des magasins en location-gérance. Au total, 582 magasins ont changé d’enseigne sur les deux dernières années.

● Certaines causes des difficultés rencontrées par le secteur sont unanimement reconnues :

– un changement d’environnement concurrentiel avec le développement des enseignes de hard discount, qui opèrent avec des structures de coûts plus légères, des centrales d’achat souvent implantées hors de France et qui bénéficient d’une fiscalité plus favorable ;

– une préférence croissante des clients pour un format de supermarché à taille plus humaine et de proximité, alors que le modèle hypermarché vise une zone de chalandise plus étendue ;

– une augmentation progressive du coût des carburants, qui a probablement joué un rôle dans la nouvelle orientation des consommateurs ;

– la transformation des usages et l’effondrement des ventes de produits non alimentaires en hypermarché, autrefois pilier du chiffre d’affaires, au profit du commerce en ligne et de la fast-fashion ;

– la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), avec une majoration de 50 % pour les surfaces excédant 2 500 mètres carrés, pénalise le modèle de l’hypermarché alors qu’elle ne touche pas les acteurs du commerce en ligne. Ainsi M. Barthélémy Guislain, président du conseil de gérance de l’Association familiale Mulliez (AFM), a-t-il indiqué que les entreprises de l’AFM contribuent à hauteur de plus de 10 % à la Tascom nationale ([205]).

Si les organisations syndicales, à l’image de la CFDT d’Auchan, reconnaissent que, « dans un contexte économique instable, les entreprises ajustent régulièrement leurs effectifs », et que « ces adaptations peuvent se justifier », elles n’en sont pas moins interpellées par les modalités de leur mise en œuvre, « la brutalité des annonces, les erreurs stratégiques et l’absence de conditionnalité des aides publiques » ([206]).

● Chez Auchan, les organisations syndicales pointent ainsi une instabilité chronique dans la gouvernance, avec la succession de dix-sept dirigeants en vingt ans. Pour M. Gilles Martin, délégué syndical CFDT, cette instabilité a provoqué « des décisions prises dans l’urgence, sans vision à long terme, conduisant à des suppressions de postes massives et brutales » ([207]). Le rapport des experts comptables ayant accompagné les représentants du personnel dans la négociation du PSE ne dit pas autre chose : « ce plan génère parfois de très faibles améliorations de la situation économique pour un coût social important. Le projet présenté paraît souvent être le fruit d’improvisations et ne manque pas de contradictions. » ([208])

Sur le fond, les organisations syndicales évoquent des erreurs stratégiques de la part de la direction, parmi lesquelles un sous-investissement dans la modernisation des magasins et une incapacité à prendre le virage du ecommerce. Les organisations syndicales ont fait savoir qu’elles ont émis des alertes à plusieurs reprises, restées sans réponse.

M. Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail, estime pour sa part que, « dans certains domaines tels que les systèmes d’encaissement, une meilleure implication des salariés aurait pu être bénéfique ». Néanmoins, « en ce qui concerne certaines orientations stratégiques telles que le virage vers le format supermarché, je ne suis pas convaincu que les collaborateurs, attachés au modèle du grand hypermarché, auraient nécessairement soutenu cette option. Il faut distinguer les domaines où l’apport des salariés aurait été précieux de ceux où il aurait pu freiner des évolutions nécessaires. » ([209])

● La situation particulière de Casino sera développée plus loin mais les organisations syndicales ont particulièrement déploré, elles-aussi, le manque de réaction face aux multiples alertes lancées par les instances représentatives du personnel sur la dégradation inquiétante des résultats du groupe depuis 2019.

b.   Bien qu’en difficulté financière, Auchan, qui appartient à la prospère « galaxie Mulliez », n’est pas une entreprise isolée

● En 2023, Auchan a accusé une perte nette de 236 millions d’euros. Pour M. Darrasse, cette perte ne relève pas d’un aléa conjoncturel, puisque depuis plus de dix ans, la fréquentation des magasins connaît une baisse constante – on observe une chute des parts de marché de 12,1 % à 8 % depuis 2012 ainsi qu’une dégradation continue des résultats.

Dans le même temps, les fonds salariés ont considérablement baissé : après avoir atteint 2,5 milliards d’euros par le passé, ils représentent actuellement environ 250 millions d’euros. Cette baisse s’explique par la vente massive de titres par les salariés, ces dernières années, pour un montant total avoisinant 2 milliards d’euros, dans un contexte de salaires affaiblis, de primes moins généreuses et d’intéressement moins favorable.

Pourtant, Auchan appartient à l’AFM, qui compte plus de 130 entreprises implantées dans plus de 80 pays et qui emploient plus de 620 000 collaborateurs dans le monde, dont près de 175 000 en France.

● Juridiquement, l’AFM n’est pas un groupe. Elle est constituée de quatre holdings, Acanthe, Cimofat, Valorest et Soliance, dont M. Barthélémy Guislain est président. Ainsi qu’il l’a rappelé devant la commission d’enquête, « les entreprises dans lesquelles nous détenons des intérêts majoritaires disposent d’une forte autonomie et sont indépendantes les unes des autres. Elles sont dotées d’organes de gouvernance distincts qui déterminent leurs stratégies politiques, commerciales et financières. […] Aucune solidarité financière statutaire n’existe entre nos entreprises. Les membres de la famille ne contrôlent individuellement aucune de ces entreprises et aucun des membres ne détient plus de 10 % du capital ou des droits de vote. » ([210])

Pour M. Gilles Martin, la question du groupe est pourtant un sujet porté depuis longtemps par les organisations syndicales, étant donné que l’AFM, « bien qu’elle ne se présente pas comme telle, fonctionne de fait comme un groupe, puisqu’elle procède à des achats groupés et partage ses données. Sur le plan économique, cette réalité est indéniable, alors que l’aspect social est malheureusement négligé. Cette situation est particulièrement incompréhensible et inacceptable pour les salariés. » ([211])

En effet, il est important de rappeler que, concomitamment à l’annonce du PSE chez Auchan, en novembre 2024, l’entreprise Decathlon a annoncé verser 1 milliard d’euros de dividendes à la fin de la même année. Interrogée sur ce versement, la direction d’Auchan a indiqué que la somme avait été répartie de la façon suivante :

– 594 millions d’euros pour l’AFM, actionnaire principal ;

– 260 millions d’euros pour les coactionnaires ;

– 146 millions d’euros pour les salariés actionnaires.

Sur les 594 millions d’euros alloués à l’AFM, aucun euro n’a été directement versé aux actionnaires familiaux. Les fonds ont été utilisés de la manière suivante : 266 millions d’euros pour soutenir Auchan, 193 millions d’euros pour rembourser partiellement la dette bancaire liée au rachat de titres Decathlon, 105 millions d’euros pour le Groupe Maisons de Famille, 15 millions d’euros pour Alinéa et 15 millions d’euros pour Flunch. Ainsi, l’intégralité des 594 millions d’euros a été réinvestie dans l’écosystème.

● Nonobstant l’injection d’argent dans les entreprises de la galaxie rencontrant les difficultés les plus sévères, l’AFM, qui n’est pas un groupe, est exonérée de l’obligation légale de reclassement des salariés entre entreprises du même groupe dans l’hypothèse où un plan de licenciement collectif est mis en œuvre dans l’une d’entre elles.

Pour M. Guislain, l’absence d’obligation légale de reclassement des salariés entre les entreprises de l’AFM ne signifie nullement que de telles démarches ne sont pas entreprises : lors du PSE d’Alinéa engagé en mai 2020, un accord majoritaire a été conclu avec les principales organisations syndicales pour prévoir un reclassement interne des personnels au sein d’Auchan et de Ceetrus, deux entités appartenant au même groupe juridique qu’Alinéa, 750 postes ayant été proposés à cet effet. Toutefois, aucun des salariés concernés par ce PSE n’a souhaité rejoindre une entreprise de l’AFM. Tous ont fait le choix de percevoir les indemnités légales et supralégales de licenciement, malgré les 2 700 offres de reclassement mises sur la table. Interrogées sur ce point, les organisations syndicales ont évoqué des pertes de salaires sur les nouveaux postes proposés pour expliquer le choix des salariés.

Dans le cadre de l’actuel PSE, M. Franck Martinaud, délégué syndical FO, a indiqué que l’AFM mettait en place un outil nommé « Tipik », soit une bourse à l’emploi visant à ce qu’un salarié postulant dans une entreprise de l’AFM bénéficie d’une recommandation sur son CV ([212]). Les organisations syndicales seront attentives aux résultats concrets de cette initiative.

La galaxie Mulliez, bénéficiaire régulier de fonds publics à travers ses nombreuses enseignes n’a jamais été contrainte de rendre compte de ses engagements sociaux. La dilution des responsabilités entre filiales contribue à rendre inopérante toute forme de conditionnalité des aides publiques.

c.   Le caractère risqué de la stratégie de croissance de Casino a été trop longtemps ignoré malgré les alertes des salariés

Le Groupe Casino est un groupe plus que centenaire, fondé en 1898 par Geoffroy Guichard, à Saint-Étienne. Il connaît aujourd’hui des difficultés économiques d’une ampleur inédite. En 2014, il réalisait un chiffre d’affaires de près de 48,5 milliards d’euros, comptait 14 572 points de vente répartis dans plus de dix pays et employait environ 329 000 salariés dans le monde. Son résultat net était de 824 millions d’euros et il était le quatrième acteur français de la distribution alimentaire, avec une part de marché de 11,5 %. Au 31 décembre 2023, le groupe affichait un résultat net consolidé négatif de 5,7 milliards d’euros et une dette de 6,2 milliards d’euros.

Ces résultats sont le fruit de défaillances majeures dans la gestion de la structure sous la présidence de M. Jean-Charles Naouri, soupçonné de manipulation de cours en bande organisée et de corruption privée active.

Le montage financier dit des « poulies bretonnes »
a conduit à l’endettement colossal du Groupe Casino

Le modèle financier dit des « poulies bretonnes » consiste, via une cascade de sociétés holding, à prendre le contrôle d’une entreprise avec un investissement en capital très limité.

Jusqu’en mars 2024, Casino est contrôlé par une cascade de holdings gérée par M. JeanCharles Naouri, à savoir Rallye, Foncière Euris, Finatis, Euris, dans laquelle chaque société mère contrôle la fille de l’échelon suivant. Chacune avait contracté des dettes importantes qu’elle remboursait en percevant les dividendes de sa fille. Afin d’obtenir des emprunts, les holdings avaient par ailleurs apporté en garantie l’actif de leur fille. Rallye avait ainsi nanti les actions de Casino pour obtenir des prêts.

La réussite de ce montage financier extrêmement risqué fonctionnait uniquement si deux conditions étaient simultanément réunies : un cours de bourse élevé et des versements de dividendes importants de la part de Casino, afin de faire face aux échéances d’emprunts contractés par les holdings.

En 2015, l’action de Casino commence à chuter. Le groupe est attaqué par des fonds spéculatifs qui dénoncent l’opacité et la fragilité du modèle. Le fonds activiste américain Muddy Waters publie dans une note les raisons de la vente à découvert des actions Casino.

Si la note d’analyse de Muddy Waters et les ventes à découvert qui ont suivi ont aggravé les difficultés du groupe, elles n’en sont toutefois pas à l’origine.

En mai 2019, la dette nette cumulée des quatre holdings était de 3,5 milliards d’euros (dont 3 milliards d’euros pour Rallye) et la dette de Casino était de 4,7 milliards d’euros (fin juin 2019).

Le 23 mai 2019, la holding Rallye et ses maisons-mères, Foncière Euris, Finatis et Euris, sont placées en procédure de sauvegarde par jugement du tribunal de commerce de Paris.

Le 28 février 2020, le tribunal arrête leur plan de sauvegarde. Il prévoit l’étalement du remboursement des dettes cumulées de toutes les sociétés holdings sur dix ans et maintient leur capacité à verser des dividendes pendant la durée du plan.

Cependant, le montage financier à l’origine des difficultés du groupe n’est pas remis en cause. Le plan d’amortissement de la dette de Rallye présente deux échéances importantes, en 2023 (1,2 milliard d’euros) et en 2030 (1,1 milliard d’euros), obligeant Casino à se mettre en capacité de verser d’importants dividendes afin que Rallye honore ses échéances tout en assurant son propre désendettement.

En octobre 2023, Casino entre en procédure de sauvegarde judiciaire.

Le 26 février 2024, la restructuration de la dette du Groupe Casino est approuvée par le tribunal de commerce de Paris à la suite de la procédure de sauvegarde accélérée. Le groupe obtient de ses créanciers la conversion de 3,8 milliards d’euros de dette en capital.

Source : Synthèse du rapport de l’expert-comptable Syndex au comité social et économique, août 2024.

La procédure de sauvegarde judiciaire a abouti, le 27 mars 2024, à la restructuration financière du groupe. Elle a également entraîné un changement dans le contrôle du groupe au profit de nouveaux actionnaires, la désignation d’un nouveau conseil d’administration ainsi que la nomination d’un nouveau comité exécutif, avec une dissociation des fonctions de président et de directeur général, afin que le groupe ne soit plus géré, pour reprendre les mots de M. Didier Marion, délégué syndical CFE-CGC, « par un président-directeur général (PDG) concentrant tous les pouvoirs » ([213]). Pour autant, le conseil d’administration ne comprend aujourd’hui qu’une seule représentante des salariés, conformément à la loi.

Les organisations syndicales ont fait part de leur frustration de ne pas avoir été entendues depuis plusieurs années malgré les multiples alertes lancées par les instances représentatives du personnel. M. Didier Marion témoigne ainsi : « Durant cette période, nous avons constaté des failles majeures. […] En dépit des différents constats et des alertes des représentants du personnel sur la dégradation des résultats du groupe, lancées à l’occasion de réunions du CSE ou d’expertises indépendantes, les commissaires aux comptes ainsi que les organismes de surveillance des marchés financiers ont continué à valider les comptes. Quant au ministère de l’économie et des finances, il est resté bien silencieux tout en connaissant la situation économique du groupe. De plus, le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) s’est plus préoccupé de la restructuration financière et des intérêts des banques que de l’impact social et donc des salariés. » ([214])

Mme Liliane Barbrel, ancienne déléguée syndicale centrale CFE-CGC chez Monoprix, abonde en ce sens : « Depuis 2020, avis après avis, le CSEC de l’unité économique et sociale (UES) Monoprix a alerté sans succès sur la situation de surendettement du groupe. La dette de 9,5 milliards d’euros n’a pas diminué alors que 4,6 milliards d’euros d’actifs non stratégiques ont été cédés. » ([215])

Plus grave encore, M. Hervé Preynat, délégué syndical central CFDT, rappelle que, dès le mois de mars 2019, son syndicat a alerté les salariés sur la situation financière du groupe, en distribuant des tracts puis en publiant un article dans la presse faisant état des dangers d’une dette devenue incontrôlable et dénonçant la stratégie du groupe consistant à vendre des sociétés pour masquer une faillite prévisible. Or, après cette alerte, plusieurs délégués syndicaux ont été convoqués à un entretien préalable à un licenciement pour avoir contesté les informations financières publiées par le groupe.

Pourtant, les alertes précoces des représentants du personnel n’ont donné lieu à aucune action publique contraignante. La passivité des pouvoirs publics a accompagné la dégradation lente mais inéluctable du groupe.

d.   Les PSE mis en œuvre chez Auchan et Casino font craindre d’autres mesures de gestion de l’emploi à l’avenir

● Comme le rappelle M. Bruno Delaye, délégué syndical CFTC, le PSE d’Auchan est complexe car il concerne cinq entités juridiques distinctes, chacune étant confrontée à des problématiques spécifiques ([216]). Toutefois, un accord de méthode a permis la négociation d’un PSE unique plutôt que de cinq PSE différents. Parmi les principales mesures négociées et validées par la Dreets des Hauts‑de‑France figurent :

– une indemnité extralégale applicable à toutes les situations ;

– un dispositif de fin de carrière ;

– des formations préalables ou complémentaires à la reconversion ;

– une enveloppe renforcée pour la création d’entreprise pouvant atteindre 14 000 euros par salarié ;

– une prime de mobilité interne de 4 500 euros par salarié ;

– une période d’adaptation avec droit au retour ;

– un maintien du salaire avec dégressivité pour les mobilités internes vers un poste de niveau inférieur.

Toutefois, M. Franck Martinaud, élu FO, se montre critique vis-à-vis du PSE et pointe du doigt les éléments suivants : un accompagnement insuffisant des salariés par le cabinet de reclassement, avec des délais extrêmement longs pour les demandes de rendez‑vous ; un document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp) trop général, sans prise en compte des spécificités locales ; l’absence de garantie du maintien du salaire et de l’ancienneté en cas de reclassement interne – ce qui explique que le syndicat n’ait pas signé l’accord ([217]).

● Sans entrer dans le détail des différents PSE négociés au sein du Groupe Casino, il ressort parmi les évolutions obtenues au fil des négociations :

– une revalorisation du montant des indemnités supralégales ;

– un renforcement des dispositifs d’accompagnement (durée prolongée de la cellule de reclassement, aides financières à la mobilité) ;

– des engagements plus précis sur les reclassements internes ;

– l’ouverture d’un congé de reclassement financé par l’entreprise ;

– une plus grande attractivité des plans de départ volontaires.

● Au-delà de ces PSE, les organisations syndicales d’Auchan et de Casino anticipent de nouvelles restructurations à l’avenir.

S’agissant de Casino, les organisations syndicales de Franprix font savoir que la réorganisation profonde de certains services laisse penser que de nouveaux PSE seront mis en œuvre car la fusion des services dans les différentes structures engendre mécaniquement des économies d’échelle et donc des restructurations.

Par ailleurs, les organisations syndicales CFE-CGC, SNTA FO et Unsa estiment que l’apport financier des actionnaires majoritaires ne permet pas de remettre à niveau les actifs dans les différentes sociétés, ce que laisse percevoir la mauvaise performance et les résultats financiers du groupe. L’incertitude quant à la viabilité même du groupe amène à anticiper fortement de nouvelles cessions ou restructurations, qui conduiront à de nouvelles pertes d’emplois.

● S’agissant d’Auchan, les organisations syndicales redoutent de nouvelles restructurations au vu des orientations stratégiques présentées par la direction reposant sur le développement de la franchise et la cession future de plusieurs magasins. Parallèlement, le projet « zones de vie », qui a vocation à regrouper les magasins en « grappes commerciales » sur tout le territoire, interpelle sur la mutualisation des services.

Ce manque de réactivité publique et d’anticipation sociale nourrit un sentiment de dépossession dans les territoires où les élus locaux comme les syndicats alertent, en vain, depuis des années.

e.   Auchan et Casino ont perçu d’importantes aides publiques

M. Sylvain Macé, secrétaire national de la CFDT, rappelle d’emblée que, dans le secteur de la grande distribution, il existe « une grande difficulté pour les représentants du personnel à obtenir des informations précises sur le montant des aides perçues et, surtout, sur le rapport entre leur versement et leur utilisation » ([218]).

D’après les données fournies, ces deux entreprises ont perçu des aides publiques significatives.

● Auchan a bénéficié entre 2013 et 2023 de 636 millions d’euros de crédits et réductions d’impôts, dont 478 millions d’euros au titre du CICE, 150 millions d’euros au titre du mécénat et 8 millions d’euros au titre des crédits famille et apprentissage.

Auchan a aussi bénéficié sur la même période de réductions de cotisations et charges sociales à hauteur de 1,26 milliard d’euros et perçu 67 millions d’euros de subventions à l’embauche pour un total de 5,65 milliards d’euros de cotisations sociales versés.

D’autres entreprises phares de la « galaxie Mulliez » bénéficient d’un important soutien public. Ainsi, Décathlon a bénéficié de 120 millions d’euros d’allégements sociaux et fiscaux par an entre 2020 et 2023 (exonérations de charges, aides à l’apprentissage, crédits d’impôts) tandis que Leroy Merlin a perçu 62 millions d’euros d’aides annuelles pour 700 millions d’euros de contributions fiscales et sociales.

● Le Groupe Casino ne faisant, pour l’instant, pas de bénéfices, il n’est pas redevable de l’impôt sur les sociétés. Il bénéficie, en 2024 de 22,8 millions d’euros de réduction d’impôt mécénat ([219]), de 713 039 euros de CIR pour une dépense de 2,3 millions d’euros et de 214 926 euros de crédit d’impôt famille pour une dépense totale de 429 852 euros.

En sus des difficultés structurelles inhérentes au secteur de la grande distribution, les salariés d’Auchan et de Casino pâtissent aujourd’hui des erreurs stratégiques des anciens dirigeants de ces sociétés. Malgré l’ampleur des restructurations actuelles, l’horizon semble encore incertain pour elles.

2.   CCF, un groupe bancaire en perte de vitesse

Le Groupe CCF réunit la banque Crédit commercial de France (CCF), issue de l’acquisition de RBWM France, entité de HSBC, au 1er janvier 2024, My Money Bank (MMB) et Somafi-Soguafi, Soréfi, des entités financières ultramarines.

Le cas de CCF est emblématique des restructurations discrètes mais profondes dans le secteur bancaire, dans un contexte de forte transformation numérique, de pression des actionnaires et d’orientation stratégique des fonds d’investissement.

a.   Le motif de la sauvegarde de la compétitivité pour justifier le PSE dans un secteur bancaire en mutation mais soutenu par les pouvoirs publics est discutable

Fin 2021, la banque HSBC a présenté au CSE un projet de cession de ses activités de banque de détail en France qui s’est concrétisé au 1er janvier 2024 par un accord sur le maintien de l’emploi dans les douze mois suivants. Pourtant, dès le 2 octobre 2024, un PSE justifié par la nécessaire sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise a été présenté au CSE, impliquant la fermeture de plusieurs dizaines d’agences et la suppression initiale de 1 350 emplois.

Le PSE vise à supprimer le même ratio de postes dans les deux entités, CCF et MMB. Au total, chacune perdra un peu plus d’un tiers de ses effectifs.

● La direction explique que le plan est mis en œuvre pour des raisons liées à la fois à l’environnement de marché et à la situation économique de la banque.

Pour M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France, le secteur bancaire connaît une accélération rapide et mondiale du phénomène de digitalisation, qui modifie le rapport entre une banque et ses clients, lesquels ne sont désormais plus que 5 % à se rendre régulièrement en agence ([220]). Dans ce contexte, CCF envisage, à date, de fermer 70 agences sur 200 – contre 85 initialement – ainsi réparties :

– 32 agences à Paris, soit 46 % du total ;

– 19 agences dans d’autres grandes villes (Lyon, Nice, Marseille, Toulouse, Cannes, Lille, Nantes, Montpellier, Orléans, Strasbourg), soit 27 % du total ;

– 12 agences en Île-de-France, soit 17 % du total ;

– 7 agences dans des villes de taille moyenne ou petite (Remiremont, Montbéliard, Besançon, Belfort, Dijon, Saint-Benoît-du-Sault, Argenton-sur-Creuse, Valençay, Vierzon et Châteauroux), soit 10 % du total.

La direction tient à préciser que la fermeture d’agences est un mouvement général qui n’est pas propre à la France puisque, depuis 2008, le nombre total d’agences bancaires en Europe a diminué d’environ 42 % ([221]).

NOMBRE D’AGENCES DES PRINCIPAUX RÉSEAUX BANCAIRES EN FRANCE

Source : Infostat marketing, 2 juin 2025.

En réponse au rapporteur, qui l’interrogeait sur les critères retenus dans le choix des agences fermées, M. Niccolò Ubertalli a affirmé qu’il ne fermerait pas d’agences rentables car, « si tel était le cas, je mettrais en danger la pérennité de la banque, laquelle perdrait 400 millions d’euros l’année prochaine » ([222]). Cette affirmation a été contestée par les organisations syndicales, qui ont fait savoir, à l’instar de Mme Frédérique Dupraz, déléguée syndicale CFDT, que « la direction n’a pas présenté la justification économique et financière derrière la fermeture de chaque agence. Des directeurs d’agence et des organisations syndicales sont d’ailleurs intervenus, dans certains territoires, pour que des agences qui sont rentables restent ouvertes. » ([223])

En ce qui concerne la situation économique de CCF, la direction indique que, si le réseau dispose « d’atouts uniques », il n’en reste pas moins structurellement déficitaire depuis plusieurs années : il a perdu 723 millions d’euros entre 2017 et 2020 (– 125 millions d’euros en 2017 ; – 194 millions d’euros en 2018 ; – 168 millions d’euros en 2019 ; – 236 millions d’euros en 2020). Cette tendance se confirme depuis lors avec une perte d’exploitation avoisinant 200 millions d’euros en 2024. La direction précise également qu’aucun dividende n’a été versé depuis 2018 et qu’aucun ne le sera jusqu’à la fin du PSE.

● Pour les organisations syndicales, la restructuration de grande ampleur de CCF était envisagée dès l’élaboration du projet de rachat de HSBC en 2021 et n’est donc pas la seule conséquence des mauvais résultats des années 2023 et 2024.

Ainsi que l’explique M. Jean-Jacques Hery, délégué syndical CFTC : « Cerberus a acheté les activités de HSBC pour un euro symbolique alors que l’actif cédé avait une valeur proche de 1,7 milliard d’euros. En outre, à la suite de l’évolution des conditions de vente, HSBC a conservé dans ce compte 7,1 milliards d’euros d’encours de crédits à taux faible, soit une charge pour HSBC, qui ne paye pas CCF. HSBC les a remplacés dans le bilan de CCF par des dépôts à la Banque centrale européenne (BCE). Avec la hausse des taux, ces liquidités se sont avérées beaucoup plus rémunératrices pour le CCF. À l’occasion de cette opération, le groupe a réalisé une plus-value de près de 2,5 milliards d’euros, portant son résultat net après impôts à 2,25 milliards d’euros en 2024. » ([224])

Pour M. Ubertalli, ces 2,25 milliards d’euros doivent être détenus en fonds propres en application des exigences de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

De l’avis des organisations syndicales, l’actionnaire est en train de renoncer à un investissement massif en annonçant engager une somme de 80 millions d’euros qui fait porter sur CCF une grande partie du financement de sa propre réorganisation. Ainsi, Mme Delphine Deschênes, déléguée syndicale SNB/CFE‑CGC, estime que « [le] PSE était prévu et préfinancé dès le départ par HSBC. Nous avons le sentiment que le PSE a été externalisé. » ([225])

Un droit d’alerte économique du CSE entravé

Par une résolution du 18 avril 2023, le CSE de HSBC Continental Europe a initié une procédure d’alerte économique et décidé de faire appel à un expert-comptable pour l’assister à cette fin.

Le 28 avril 2023, la société a assigné le CSE devant le tribunal judiciaire en demandant l’annulation de la résolution et la condamnation du comité à lui verser la somme de 2 000 euros. La société a fait valoir qu’elle ne visait pas le droit d’alerte économique mais le bien-fondé de l’expertise, soutenant que le CSE ne disposait pas, à la date de la résolution, d’éléments démontrant l’existence de faits préoccupants de nature à affecter la situation économique de l’entreprise.

Le CSE avançait pour sa part que les mauvais résultats financiers, la perte de la clientèle, la hausse des taux d’intérêt et l’incertitude quant au projet de cession de la banque de détail constituaient autant de faits préoccupants.

Le tribunal judiciaire de Nanterre a donné gain de cause à l’entreprise le 20 octobre 2023 – rejetant toutefois la demande tendant à ce que soit appliquée une pénalité financière – en estimant que le comité n’avait apporté aucun élément de nature à objectiver le caractère préoccupant des faits.

Les organisations syndicales redoutent aujourd’hui d’autres fermetures d’agences en raison, notamment, des fragilités intrinsèques de CCF et « de la stratégie plus que délétère de l’actionnaire » ([226]), selon les mots de M. Éric Poyet, délégué syndical national FO. En effet, les activités de banque de détail sont celles qui présentent les plus grandes difficultés du fait de la hausse des taux et de la concurrence des néo-banques. Or CCF, à la différence des banques obéissant au modèle – répandu en France – de la banque universelle, qui regroupe dans un même établissement, banque de détail, banque de gros, activités de marchés et d’assurances, n’est qu’une banque de réseau de particuliers et se trouve, de fait, moins résiliente que ses concurrents.

● Malgré les difficultés du secteur, les grandes banques françaises restent globalement rentables et ont su préserver leurs marges. Les cinq grands groupes bancaires français (Crédit Mutuel Alliance Fédérale, BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole et Société Générale) affichent tous des profits en hausse en 2024, qui atteignent 32,2 milliards d’euros au total, soit 11 % de plus qu’en 2023.

Par ailleurs, le Groupe CCF a perçu des aides publiques ces dernières années :

– 400 000 euros d’aide au financement de l’activité partielle, en 2020 ;

 3,6 millions d’euros au titre du CICE et 200 000 euros au titre du CIR, avant 2019.

Comme l’indiquent en outre très justement les organisations syndicales, les banques disposent de filets de sécurité tels que l’intervention de la Banque centrale européenne ou l’aide de l’État en cas de crise majeure, comme en 2008 ou, plus récemment, en 2023, avec l’actualisation des taux d’usure sur une base mensuelle et non trimestrielle.

Pour le rapporteur, alors même que le secteur bancaire a bénéficié de soutiens répétés de l’État, notamment via les garanties publiques et une régulation favorable, l’argument de la compétitivité masque souvent une stratégie de reconfiguration axée sur la rentabilité à court terme.

b.   La stratégie économique du fonds d’investissement Cerberus interpelle quant aux moyens réellement déployés pour préserver l’emploi

La stratégie de rachat de HSBC par le fonds d’investissement américain Cerberus interroge quant aux intentions de ce fonds à moyen terme.

Les conditions financières de la cession des activités de la banque de détail de HSBC sont, pour reprendre les termes des organisations syndicales, « atypiques », puisque le fonds d’investissement a acheté les activités de HSBC pour un euro symbolique, alors que l’actif cédé avait une valeur de 1,7 milliard d’euros. Cette transaction étonne d’autant plus au regard du profil du fonds d’investissement.

Le montage est quelque peu complexe puisque l’acquéreur est juridiquement la Banque des Caraïbes, une petite banque de moins de 200 salariés, achetée en 2020 à la Société Générale par le fonds Cerberus. Cette acquisition lui a permis de disposer de la licence bancaire pour pouvoir absorber les activités de HSBC. À ce jour, la Banque des Caraïbes est une filiale de My Money Group (MMG), elle-même filiale de plusieurs holdings néerlandaises de Promontoria, gérée par le même Cerberus. Mme Carole Cebe, déléguée syndicale nationale FO, a fait part de l’incompréhension quant à cette cession, puisque les activités de détail de HSBC France, qui représentaient 700 000 clients et 20 milliards d’euros de dépôts, ont été cédées à la très petite entité qu’est la Banque des Caraïbes ([227]).

Pendant la durée de la procédure d’information-consultation du CSE précédant l’opération de cession de HSBC, les organisations syndicales ont demandé, à plusieurs reprises, à être reçues par les autorités de régulation et de contrôle, notamment l’ACPR, afin de connaître les intentions du repreneur. Le CSE s’est malheureusement heurté à un refus de l’ACPR au nom du respect du secret professionnel et du secret des affaires.

● Pourtant, selon les organisations syndicales, le fonds d’investissement Cerberus a d’emblée indiqué son intention de revendre l’entité à moyen terme. C’est ce qu’a expliqué Mme Frédérique Dupraz en ces termes : « Avant l’arrivée de M. Niccolò Ubertalli à la tête de CCF, c’est M. Eric Shehadeh, à l’origine du plan de cession, qui dirigeait l’entreprise. Il avait clairement indiqué que l’objectif de Cerberus consistait à revendre l’entité à moyen terme, en faisant une plus-value. Cette stratégie est connue de tous autour de cette table. Il avait même ajouté qu’une introduction en bourse pourrait être envisagée si les résultats étaient exceptionnels. Nous sommes tous conscients qu’une revente est inévitable à plus ou moins long terme. » ([228])

Interrogé sur la stratégie à court et moyen termes de l’actionnaire, M. Ubertalli a insisté sur les succès du fonds Cerberus, en particulier en Autriche, où il a redressé une banque en faillite qu’il possède depuis plus de sept ans. Il a souligné que Cerberus « n’a aucune velléité de départ d’ici deux ans » ([229]). Toutefois, pour M. Poyet, ce cas de figure est une exception et M. Ubertalli « en fait une règle » ([230]).

Pour le rapporteur, le caractère prédateur de Cerberus, déjà dénoncé dans d’autres dossiers industriels, interroge : Peut-on laisser sans régulation des fonds d’investissement s’emparer d’établissements historiques sans contrepartie, ni contrôle démocratique ?

c.   Le PSE s’inscrit dans la continuité des réorganisations de l’emploi mises en œuvre successivement dans le groupe, qui conduisent à l’épuisement professionnel des salariés

● Lors de leur audition, les organisations syndicales ont indiqué recenser un plan tous les deux ans environ, que ce soit pour cause de fermeture, de vente d’activités ou de délocalisations des équipes opérationnelles ([231]).

Sous l’empire de HSBC, un plan de sauvegarde de l’emploi et un plan de départs volontaires avaient déjà été mis en œuvre en 2018, de même que deux ruptures conventionnelles collectives (RCC) dans les fonctions « support ».

Chez My Money Bank, en 2024, une RCC a été mise en œuvre, l’accord signé le 30 janvier 2024 fixant le nombre maximum de départs à 80 sur 562 salariés. 62 départs volontaires ont eu lieu entre mai et octobre 2024.

Aussi le PSE annoncé en octobre 2024 intervient-il à peine la RCC finalisée. À l’issue du PSE, My Money Bank aura perdu 40 % de ses effectifs cumulés. Pour les organisations syndicales de l’entité, « cet enchaînement de dispositifs interpelle. La RCC a produit les effets escomptés, cela ne nous a pas empêchés de subir un PSE encore plus violent. » ([232]) Les organisations syndicales précisent, par ailleurs, que MMB affiche un résultat à l’équilibre au 31 décembre 2024, ce qui rend encore plus incompréhensible la nouvelle réduction d’effectifs.

● Les organisations qui représentent les salariés du groupe soulignent que « la multiplication des plans de réorganisation, dans un contexte où les établissements de la place n’ont jamais dégagé autant de résultats qu’en 2024, avec un bénéfice de 32 milliards d’euros, est particulièrement mal vécue par les salariés du secteur, confrontés à un environnement incertain et anxiogène » ([233]).

Les organisations syndicales ont fait part de l’usure des personnels et de l’apparition de risques psychosociaux pour les salariés qui perdent leur emploi en priorité mais aussi pour ceux qui restent et se trouvent confrontés à une charge de travail accrue. Pour M. Philippe Leggio, délégué syndical CFDT, « l’ampleur des réductions d’effectifs a créé un effet de sidération très important et […] une grande défiance vis-à-vis du repreneur et des actionnaires » ([234]).

Cette apparition des risques psychosociaux est, hélas, à redouter dans l’ensemble du secteur bancaire : en effet, l’enquête triennale du syndicat national de la banque (SNB/CFE-CGC) sur les risques psychosociaux des salariés du secteur indiquait, en 2024, qu’il existait un risque « élevé ou très élevé » de burn-out chez 44 % des 10 000 salariés interrogés.

d.   La négociation du PSE est plus longue qu’escompté

● Il faut d’emblée préciser que le contenu du PSE sera définitivement arrêté le 7 juillet 2025, soit postérieurement à la rédaction du présent rapport. Les données disponibles à ce jour sont donc susceptibles d’évoluer.

Lors des premières présentations au CSE, la direction envisageait la suppression de 1 414 postes : 1 254 chez CCF – pour 3 214 salariés – et 160 chez MMB – pour 475 salariés. À la suite de l’actualisation des effectifs au 1er avril 2025 et de la prise en compte d’un certain nombre de demandes des élus, la direction indique qu’environ 1 100 postes seraient finalement supprimés, soit 22 % de moins que dans le plan initial.

La direction précise également que le coût global des mesures d’accompagnement est estimé à environ 300 millions d’euros à ce stade. Ce montant a vocation à couvrir à la fois les indemnités de départ et les autres dispositifs d’accompagnement et de soutien.

● Lors de leur audition, les organisations syndicales ont fait part de plusieurs griefs quant au contenu et à la méthode de discussion du PSE :

– les mesures proposées (congés de fin de carrière et solidarité, formation, indemnités) sont significativement inférieures à celles qui figuraient dans les trois derniers plans (PSE, PDV et RCC) mis en œuvre au sein de HSBC ;

– malgré le nombre important de réunions organisées, les représentants du personnel estiment avoir obtenu peu d’avancées durant les premiers mois, ce qui a nécessité une prorogation du délai de consultation, et regrettent que la direction ait communiqué directement avec les salariés ;

– les négociations achoppent notamment sur le premier thème de négociation : les catégories professionnelles. Les représentants des salariés considèrent que le nombre de catégories professionnelles affectées est bien trop conséquent (initialement, 207 catégories professionnelles étaient concernées, mais ce nombre a été réduit de 25 % pour minimiser le risque de départs forcés) ;

– les mesures d’ordre des licenciements ont pu également « choquer » les représentants, dans la mesure où les notes de performance des salariés étaient initialement davantage prises en compte que les situations de fragilité. À titre d’exemple, un enfant à charge donnait droit à 0,5 point tandis qu’une très bonne note de performance valait 7 points.

Enfin, les organisations syndicales indiquent que la Drieets d’Île-de-France a sollicité du CCF la revalorisation des mesures d’accompagnement au regard des moyens du groupe.

Au total, ces exemples du secteur tertiaire démontrent une tendance inquiétante : des décisions stratégiques prises dans des logiques financières souvent déconnectées des réalités de terrain, facilitées par un cadre légal permissif et par labsence doutils publics de régulation efficace. Le manque de conditionnalité, danticipation et de stratégie industrielle ou de service dans ces secteurs essentiels rend la puissance publique spectatrice dun processus de désagrégation sociale qui touche désormais tous les territoires.

C.   LE SECTEUR DU PRÊT-À-PORTER DANS L’ANGLE MORT DE LA PUISSANCE PUBLIQUE

La commission d’enquête a souhaité entendre trois entreprises du secteur de l’habillement dont les difficultés illustrent celles que rencontrent nombre d’entités du prêt-à-porter :

– Camaïeu a été placée en liquidation judiciaire en septembre 2022, ce qui a entraîné le licenciement de 2 600 salariés. La marque a été relancée deux ans plus tard par le groupe Celio, qui la distribue dans une douzaine de boutiques en France et en Belgique ;

– Kaporal a été reprise par trois de ses cadres à la suite de son placement en redressement judiciaire en mars 2023, puis mise en liquidation judiciaire avec arrêt immédiat de l’activité en mars 2025 par le tribunal de commerce de Marseille, ce qui a entraîné le licenciement de 280 personnes ;

– Jennyfer, qui compte près de 200 boutiques en France et à l’étranger et qui emploie 968 personnes, a été placée en liquidation judiciaire avec poursuite de l’activité jusqu’au 12 juin 2025 par le tribunal de commerce de Bobigny. Ce sont les sociétés Beaumanoir et Celio qui ont été choisies par le tribunal de commerce pour reprendre 26 magasins et préserver 192 emplois. La disparition de l’enseigne Jennyfer entraîne toutefois le licenciement de 729 salariés.

1.   En situation de défaillance pour des raisons différentes, Camaïeu, Kaporal et Jennyfer ont mis en œuvre des plans de licenciements d’envergure ces dernières années

a.   Camaïeu, victime des pratiques de la Financière immobilière bordelaise, a mis en œuvre le PSE le plus important

Au cours de son audition, Mme Sandrine Lilienfeld, ancienne directrice générale de Camaïeu, a rappelé l’historique des difficultés de l’enseigne.

Fondée en 1984, Camaïeu connaît une première opération d’achat à effet de levier réussie. Lors d’une seconde opération de cette nature, les fondateurs quittent l’entreprise en raison d’exigences financières considérables ; cela entraîne alors un endettement important et, partant, un investissement de la majorité des bénéfices dans le remboursement de la dette au détriment des investissements dans les magasins et le e-commerce.

En mai 2020, en proie à des difficultés financières, Camaïeu est placée en redressement judiciaire. Sur les deux plans de reprise proposés, le tribunal de commerce de Lille valide l’offre de reprise de la Financière immobilière bordelaise (FIB), fondée et dirigée par M. Michel Ohayon, au détriment du projet porté par l’équipe dirigeante en place qui prévoyait une réduction des effectifs plus importante. La reprise s’est avérée, selon les mots de Mme Lilienfeld, « désastreuse, l’équipe constituée étant inadaptée et les moyens financiers promis n’ayant pas été apportés » ([235]).

Ce premier redressement judiciaire a conduit :

– à la fermeture de 300 magasins en France et au licenciement d’un tiers des effectifs du siège, soit plus de 1 000 personnes ;

– à la fermeture de toutes les filiales internationales, en Belgique, en Espagne, en Italie et en Pologne ;

– à la cession des actifs résiduels à M. Ohayon ;

– à l’annulation des dettes.

En juin 2022, face à une baisse de chiffre d’affaires de près de 45 %, une dette de 250 millions d’euros et plusieurs dizaines de millions d’euros de loyers impayés, Camaïeu est mise sous mandat ad hoc puis, le mois suivant, placée en redressement judiciaire avant d’être liquidée par le tribunal de commerce de Lille, le 28 septembre 2022. Cette liquidation judiciaire entraîne la fermeture de 514 magasins et le licenciement de 2 600 salariés.

En avril 2025, M. Michel Ohayon, propriétaire de la FIB, est mis en examen pour banqueroute, abus de biens sociaux, escroqueries en bande organisée, abus de confiance et blanchiment aggravé, le parquet ayant établi que la procédure de liquidation judiciaire de Camaïeu avait notamment été provoquée par des mouvements de trésorerie suspects. Le préjudice concernerait également les enseignes Gap, Go Sport et Campus Academy. Les faits reprochés à M. Ohayon donnant lieu à des poursuites judiciaires, la commission d’enquête n’a pas pu se pencher dessus. Cela étant, selon Mme Sandrine Lilienfeld, la liquidation judiciaire aurait pu être évitée si la marque n’avait pas été reprise par la FIB.

Lors du redressement judiciaire de 2022 ayant abouti à la liquidation de l’enseigne, les mandataires judiciaires ont obtenu du tribunal de commerce que la cessation totale de l’activité intervienne quatre jours après le prononcé de la liquidation, afin que le chiffre d’affaires généré soit affecté au PSE.

Par une décision du 18 octobre 2022, le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France a homologué le document unilatéral préparé par les liquidateurs judiciaires, lequel prévoyait un montant de 8 000 euros par salarié, dont 4 000 euros sous forme d’indemnités supralégales et 4 000 euros au titre des mesures d’accompagnement.

b.   Après une première tentative de redressement, Kaporal est aujourd’hui contraint à la fermeture

M. Nicolas Ciccione, directeur général de Kaporal, a exposé la chronologie des évènements menant au redressement judiciaire de l’enseigne.

Kaporal est une marque de jeans créée à Marseille, en 2004, positionnée sur le segment, aujourd’hui en grande difficulté, de la moyenne gamme et cédée par ses fondateurs à un fonds d’investissement, en 2013, dans le cadre d’une opération d’achat à effet de levier. Les premières difficultés commencent à émerger en 2018 et sont ensuite accentuées par la crise sanitaire de 2020. Fin 2022, eu égard à la baisse du chiffre d’affaires, le fonds d’investissement, arrivé au terme de son engagement décennal, met en vente la société. Un autre fonds d’investissement ayant manifesté son intérêt se retire au vu de l’importance de l’endettement de la structure, jusqu’alors méconnu du comité de direction. Cette situation conduit alors à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire en 2023.

En juillet 2023, le dossier de reprise, porté par trois anciens cadres, est retenu sous la forme d’un plan de continuation, un format spécifique qui permet au groupe en redressement judiciaire initialement composé de six sociétés de ne conserver que celle gérant les 90 magasins restants, en récupérant les actifs des autres entités pour créer une structure unique.

Pendant la période d’observation du redressement judiciaire, deux PSE sont mis en place pour fermer plusieurs boutiques :

– en novembre 2023, 28 salariés sont licenciés – le montant total des indemnités prévues était de 189 676 euros ;

– en février 2024, 90 salariés sont licenciés – le montant total des indemnités prévues était de 1 208 782 euros.

En mars 2024, le plan de continuation étant validé, Kaporal sort de la procédure de redressement judiciaire. En octobre 2024, une audience de contrôle dudit plan permet de confirmer le respect des objectifs fixés. Cependant, la fin de l’année 2024 est marquée par une très faible consommation, qui entraîne une dégradation rapide du niveau de trésorerie. En conséquence, la société se trouve en état de cessation des paiements au mois de février 2025. Kaporal est alors placée en liquidation judiciaire avec cessation immédiate de l’activité ; cela conduit au licenciement de 280 salariés.

M. Ciccione estime que la trésorerie était néanmoins suffisante pour poursuivre l’activité pendant deux à trois mois, un délai qui aurait pu faciliter l’émergence d’un nouveau projet de reprise sauvegardant quelques dizaines d’emplois.

c.   Jennyfer, marque emblématique des adolescentes, est plus menacée que jamais

Pour M. Yann Pasco, directeur général de Jennyfer, la principale difficulté à laquelle l’enseigne a été confrontée réside dans l’étroitesse de son marché, déjà identifiée depuis plusieurs années.

Dès 2018, un premier plan de retournement avait été initié. Il reposait sur plusieurs axes stratégiques :

– un ralentissement de l’ouverture de nouveaux points de vente pour privilégier un réseau plus restreint, exploitant ainsi les économies d’échelle ;

– un accroissement de la « désirabilité » de la marque, notamment par le biais de collaborations avec des influenceurs et d’importants investissements marketing ;

– une transformation du modèle d’approvisionnement, afin de répondre plus efficacement aux attentes d’une clientèle à la recherche de nouveautés.

En 2021, un premier PSE visant à fermer les magasins non rentables et déficitaires conduit à la suppression de 61 postes. Au cours des négociations, les représentants des salariés obtiennent notamment la création d’une cellule d’accompagnement de conseil interne.

Ces initiatives permettent à l’enseigne de redevenir rentable en 2021, une rentabilité qui se dégrade dès 2022, contraignant Jennyfer à déclarer une cessation des paiements et à entrer en procédure de redressement judiciaire en juin 2023. Nonobstant le soutien d’un industriel chinois, la lenteur du processus de renégociation avec les créanciers ne permet à l’enseigne de sortir du redressement judiciaire qu’en juin 2024, qui progressivement « disparaît du paysage commercial français » ([236]).

Dans le cadre du redressement judiciaire, un second PSE est initié en octobre 2023, concernant 77 postes en magasin ainsi que dans les fonctions centrales au siège et à l’entrepôt. Le budget global alloué pour la mise en œuvre des mesures d’accompagnement, hors indemnités légales et conventionnelles, est d’environ 308 000 euros, incluant le recours au cabinet de reclassement BPI group – le coût d’intervention étant de 4 000 euros par salarié licencié. À la demande des représentants du personnel, les salariés refusant une réorganisation ou une mutation ont bénéficié des mesures du PSE.

Comme pour Kaporal, les difficultés conjoncturelles de l’année 2024 n’ont pas permis aux nouveaux repreneurs de disposer de suffisamment de temps pour déployer leur nouveau projet. La société a ainsi été placée en liquidation judiciaire le 30 avril 2025 avec une poursuite de l’activité jusqu’au 12 juin. Le tribunal de commerce de Bobigny a choisi Beaumanoir et Celio pour reprendre 26 magasins et préserver 192 emplois, sans toutefois conserver l’enseigne Jennyfer.

2.   Les difficultés de ces enseignes révèlent que le secteur du prêt-à-porter est un grand « oublié » des pouvoirs publics

a.   Dans un contexte international hyperconcurrentiel, le prêt-à-porter français est en crise

Bien que la commission d’enquête n’ait interrogé que trois enseignes du prêt-à-porter, c’est tout un secteur qui s’effondre, comme le montre l’infographie ci-dessous.

NOMBRE D’EMPLOIS SUPPRIMÉS DANS LES PRINCIPALES
ENSEIGNES DEPUIS 2022

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Source : Libération, 1er mai 2025.

D’après une enquête effectuée par la société de conseil Newmark, le nombre de magasins d’enseignes de mode a diminué de 16 % entre 2019 et 2024 ([237]). Sur les 6 800 magasins de ce type impliqués dans une procédure de défaillance depuis 2020, plus de la moitié a disparu.

Lors de leur audition, les dirigeants de Camaïeu, Kaporal et Jennyfer ont tous trois identifié des raisons communes à ce déclin, parmi lesquelles :

– une concurrence redoutable de la fast-fashion ;

– la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de covid-19 et un manque de soutien du secteur bancaire pour y faire face ;

– une hausse des coûts devenue incontrôlable depuis 2022.

 Une concurrence débridée et inéquitable

Le secteur du prêt-à-porter de basse et moyenne gamme se trouve aujourd’hui concurrencé par des enseignes de fast-fashion à la fois en boutique, avec Primark, Zara ou H&M, mais surtout en ligne, avec les géants chinois Shein et Temu. D’après l’enquête récente de Newmark déjà citée, l’e-commerce représente 25 % des ventes du secteur en France, contre à peine 4 % en 2010. La part de l’e‑commerce dans le chiffre d’affaires des enseignes de mode traditionnelles est passée de 7,3 % en 2019 à 14,2 % en 2024.

Pour Mme Sandrine Lilienfeld, la concurrence avec les enseignes comme Shein ou Temu est particulièrement inéquitable puisque les acteurs européens de fast-fashion, tels qu’Inditex, opèrent dans le même cadre réglementaire que les enseignes françaises tandis que les acteurs chinois « ne sont pas soumis aux mêmes normes que nous, et les détaillants français ont considérablement progressé en matière de responsabilité sociale des entreprises. Nous sommes ainsi assujettis à des obligations de traçabilité qui peuvent représenter un coût allant jusqu’à un à deux dollars par article. Par conséquent, nous ne luttons pas à armes égales, ni avec les mêmes structures de coûts. » ([238])

M. Barthélémy Guislain, président du conseil de gérance de l’Association familiale Mulliez (AFM), qui possède notamment Decathlon, Jules ou Kiabi, a rappelé devant la commission d’enquête que les entreprises Shein et Temu « génèrent aujourd’hui un trafic quotidien de 600 avions-cargos vers l’Europe, avec une organisation radicalement différente » ([239]) du secteur traditionnel de l’habillement.

Pour M. Nicolas Ciccione, la situation est « absurde ». Face aux efforts des détaillants français pour réduire les volumes afin de produire uniquement ce qui peut être vendu dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale (RSE), « nous nous trouvons confrontés à des acteurs qui inondent le pays de produits de mauvaise qualité, encore plus nombreux qu’ils ne l’étaient avant la prise de conscience écologique » ([240]).

M. Yann Pasco reconnaît une situation paradoxale « dans les pratiques de ces acteurs puisqu’elles apportent une réponse concrète à la question du pouvoir d’achat qui demeure centrale en France. Toutefois, cette dynamique exerce une pression considérable sur des enseignes comme Jennyfer, en brouillant totalement la perception du rapport entre la valeur, le prix et le produit. » ([241]) Alors que l’enseigne s’est historiquement construite sur un positionnement tarifaire très accessible, elle est aujourd’hui considérée comme une marque coûteuse par de nombreuses clientes.

Face à cette situation, les trois dirigeants se sont prononcés en faveur de nouvelles règles plus protectrices pour garantir une concurrence équitable, notamment par la mise en place d’une taxe sur les colis, une revendication portée par la Fédération du prêt-à-porter.

 Un manque de soutien du secteur bancaire pour faire face aux effets de la crise sanitaire

Les dirigeants des trois enseignes ont pointé la responsabilité de la crise sanitaire dans les difficultés du secteur : n’étant pas considérés comme des commerces « essentiels », les magasins ont fermé pendant la période de confinement. Pour M. Ciccione, le secteur du prêt-à-porter mérite pourtant une considération plus approfondie puisqu’il « apporte de la joie, […] incarne la créativité, génère de la valeur ajoutée et préserve un savoir-faire sur nos territoires » ([242]).

Or, pendant cette période de fermeture imposée, les loyers ont été exigés par les bailleurs, ce que M. Pasco dénonce comme une « aberration », tout comme Mme Lilienfeld, qui s’interroge sur le sens de cette exigence dans un contexte où une enseigne ne gagne plus d’argent.

En outre, pour cette dernière, lorsque les prêts garantis par l’État (PGE) ont été octroyés – parfois difficilement –, les banques n’ont pas toujours soutenu le secteur. Ainsi, alors que l’enseigne Caroll, qu’elle dirigeait, était rentable, « nous rencontrions des difficultés pour simplement ouvrir un compte de dépôt à l’occasion de l’ouverture d’un nouveau magasin » ([243]).

M. Ciccione a également fait part de plusieurs expériences révélatrices d’un manque de soutien de la part des banques, qui ont soit refusé d’alimenter le besoin en fonds de roulement de son enseigne, soit exigé le remboursement d’échéances de prêts malgré l’échec du projet de reprise. M. Pasco estime également que la lourdeur du processus de renégociation avec les banques et l’État a allongé les délais de sortie du redressement judiciaire en dépit de la présentation d’un projet économiquement viable.

 La hausse des coûts et l’inflation en 2022

Comme nombre de commerces, les entreprises du prêt-à-porter ont dû faire face à une hausse généralisée des coûts, en particulier ceux de l’énergie, qui ont considérablement affecté les finances d’entreprises déjà en difficulté financière.

Ainsi, M. Yann Pasco indique que les loyers de son enseigne « ont augmenté de 18 % en trois ans, tandis que le chiffre d’affaires diminuait de 20 %, entraînant un effet ciseau mécanique » ([244]).

De la même manière, ces enseignes sont particulièrement affectées par le coût du transport maritime. Comme le rappelle M. Pasco, « en 2022, le coût d’un conteneur maritime est passé de 2 000 à 20 000 dollars en quelques semaines. Face à cette situation imprévisible et incontournable pour l’acheminement de nos marchandises, nous ne disposions d’aucun pouvoir de négociation, ce qui a immédiatement affecté nos marges. » ([245])

b.   Toutes ces enseignes ont pâti d’un manque de soutien des pouvoirs publics à la fois financier et durant les procédures judiciaires

● Mme Sandrine Lilienfeld s’est montrée particulièrement critique envers l’inaction des pouvoirs publics : elle a regretté « un désintérêt manifeste » et estimé que « le secteur textile s’est senti abandonné, confronté à des difficultés majeures pour obtenir les prêts garantis par l’État. Cette situation a mis en lumière le manque de considération politique et médiatique pour la distribution, pourtant premier employeur de France. » ([246])

S’agissant des PGE, la situation semble différente d’une enseigne à l’autre. Mme Lilienfeld considère que beaucoup d’entreprises n’ont pas eu accès au dispositif alors qu’elles pouvaient légitimement y prétendre. Ainsi, l’enseigne Caroll, sans difficulté financière, n’a pas pu obtenir un PGE car elle appartenait au groupe Vivarte, alors en difficulté.

M. Pasco fait un constat plus nuancé au sujet de Jennyfer : « Je n’ai pas constaté un désintérêt total des pouvoirs publics, puisque nous avons bénéficié de divers soutiens sous la forme de PGE, d’aides coûts fixes et, à cinq reprises entre 2018 et 2023, de reports d’échéances fiscales et sociales. Le comité interministériel de restructuration industrielle nous a également apporté un soutien considérable dans nos restructurations, tandis que les bailleurs et les banques ont consenti des efforts. » ([247])

Il n’en reste pas moins que le PGE est avant tout une dette à rembourser. Pour certaines entreprises, c’est « une aide létale », pour reprendre les mots de l’ancien ministre Arnaud Montebourg ([248]).

Par ailleurs, M. Yann Pasco a reconnu que ces aides sont accordées une fois les difficultés avérées, c’est-à-dire trop tardivement.

Pour sa part, M. Nicolas Ciccione a regretté d’avoir passé beaucoup de temps avec les équipes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Bpifrance à rechercher des aides rapides et simples à mobiliser qui se sont très souvent avérées être réservées aux PME. Le statut d’entreprise de taille intermédiaire, même lorsqu’il s’agit d’une petite ETI comme Kaporal l’a empêchée de bénéficier de « la quasi-totalité » du catalogue d’aides.

● Au total, les trois enseignes ont déclaré avoir perçu les aides publiques suivantes :

– Camaïeu : 9,5 millions d’euros d’aides aux coûts fixes ;

– Kaporal : un PGE de 12 millions d’euros et 2 millions d’euros de la part de Bpifrance ;

– Jennyfer : un PGE de 50 millions d’euros et 10 millions d’euros d’aides aux coûts fixes ;

● Sans remettre en question les décisions de justice, les dirigeants ont fait part de leur incompréhension s’agissant notamment des délais et de l’obligation consistant dans la cessation immédiate de l’activité.

Pour M. Nicolas Ciccione, l’injonction de fermer les magasins et le site internet dès le lendemain de la décision du tribunal de commerce « a surpris de nombreux acteurs […] et s’est révélée particulièrement traumatisante, d’autant plus que nous avions précisément aménagé les conditions pour disposer d’un mois supplémentaire, afin d’accompagner au mieux notre personnel. Sur le plan humain, cette expérience a été éprouvante pour l’ensemble de l’équipe. » ([249])

Mme Sandrine Lilienfeld interroge, pour sa part, les délais extrêmement courts accordés par les tribunaux pour trouver des solutions de reprise. « Pour Camaïeu, véritable fleuron français, nous n’avons eu qu’un mois pour trouver une solution. J’ai sollicité quinze jours supplémentaires auprès du tribunal, qui m’ont été refusés. » ([250])

Dans le cas de Kaporal, M. Nicolas Ciccione a également pointé les effets de bord auxquels peuvent aboutir les reports d’audience. Ainsi, alors qu’en juillet 2023, trois offres étaient initialement présentées pour la reprise de l’enseigne, le report de l’audience de trois semaines a conduit deux repreneurs potentiels sur trois à se désengager en raison du caractère peu fructueux de la période des soldes.

c.   Les dirigeants de ces enseignes déplorent une absence de perspectives et militent en faveur de la conditionnalité de l’octroi des aides publiques

● Interrogés sur l’hypothétique réindustrialisation du secteur textile au‑delà de la simple distribution commerciale, les dirigeants du prêt-à-porter se sont montrés peu optimistes.

Mme Sandrine Lilienfeld « y croit peu car le tissu industriel a disparu depuis trop longtemps » ([251]). Pour M. Yann Pasco, « la réindustrialisation est inenvisageable en France car les coûts de production sont trop élevés pour maintenir des prix accessibles face à une concurrence internationale trop agressive qui pratique des prix déjà trop bas. La capacité de production en France est trop limitée pour envisager de produire localement. » ([252])

M. Nicolas Ciccione a suggéré de créer davantage de symbiose entre les marques. Il a pris l’exemple de l’enseigne Le Coq sportif, qui a des unités de production en France et qui pourrait les mettre à disposition d’autres marques lorsqu’elles sont sous-utilisées.

Si peu de cas de réindustrialisation dans le secteur du textile ont été évoqués lors des auditions, M. Barthélémy Guislain s’est toutefois félicité de l’implantation d’une usine de jeans à Neuville-en-Ferrain, près de Tourcoing, il y a une dizaine d’années. Le jean « Le Cinq neuf », distribué par la marque Jules, est désormais vendu à un prix aussi compétitif que les jeans fabriqués en Asie du Sud‑Est.

● Il est intéressant de noter que ce sont les dirigeants de ces entreprises en grande difficulté qui se sont montrés les plus ouverts au principe de la conditionnalité de l’octroi des aides publiques. Mme Sandrine Lilienfeld s’est prononcée en faveur d’un tel conditionnement, tout comme M. Yann Pasco, qui estime que « lier les aides publiques à des engagements en matière d’emploi répond à une attente sociétale légitime  » ([253]). Pour M. Nicolas Ciccione, il est « sain de conditionner l’octroi des aides à des engagements de maintien ou de création d’emploi par de la création de valeur » ([254]).


  1  

   seconde partie

  1.   Un rôle des pouvoirs publics réel mais affaibli
    1.   les plans de sauvegarde de l’emploi sont soumis à un contrôle administratif limitÉ
      1.   Les plans de sauvegarde de l’emploi sont élaborés au sein de l’entreprise avec l’aide de l’administration et en vue de leur validation ou homologation

La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a confié à l’administration un rôle de garde-fou de la procédure d’élaboration des PSE, dans le but notamment d’en renforcer la sécurisation pour l’employeur et d’apporter des voies de recours aux salariés.

Avant la réforme, l’absence de délai et le rôle du juge judiciaire comme principal levier de contestation pouvait aboutir à une remise en cause totale de la procédure et du PSE adopté. Comme l’a souligné le professeur Rémi Bourguignon lors de son audition, le « risque juridique tenait moins au volume des contentieux, relativement limité, qu’à leur imprévisibilité, puisque la complexité des procédures rendait les décisions de justice particulièrement difficiles à anticiper. Les sanctions financières liées à ces contentieux, parfois très lourdes en termes d’indemnités, représentaient un enjeu majeur. » ([255])

La loi du 14 juin 2013 a ainsi confié aux directions régionales et départementales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets et Ddets) un rôle de contrôle de la procédure et de la proportionnalité des mesures prévues par les PSE, devant aboutir à leur validation ou à leur homologation. Lorsqu’un PSE n’est pas validé ou homologué, aucun licenciement économique envisagé n’est possible.

Si le contrôle administratif exercé dans le cadre d’un PSE est plus poussé que dans le cadre d’un licenciement économique sans PSE ([256]), aucun contrôle n’est exercé par l’administration sur la validité du motif économique retenu pour justifier l’élaboration du PSE (voir infra). L’administration n’évalue donc pas la stratégie de l’entreprise et doit cibler son contrôle sur le PSE.

Conformément à l’article L. 1233-57-1 du code du travail, l’autorité administrative doit valider le PSE lorsqu’il prend la forme d’un accord négocié et l’homologuer lorsqu’il prend la forme d’un document unilatéral établi par l’employeur, sur lequel le contrôle est plus approfondi.

Conformément à l’article L. 1233-57-4 du même code, l’autorité administrative notifie à l’employeur la décision de validation dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l’accord collectif et la décision d’homologation dans un délai de vingt et un jours à compter de la réception du document unilatéral.

En application de l’article L. 1233-57-8 du code du travail, l’autorité administrative compétente « est celle du lieu où l’entreprise ou l’établissement concerné par le projet de licenciement collectif est établi ». L’article R. 1233-3-5 définit les conditions qui déterminent le choix de l’autorité compétente lorsque le PSE porte sur des établissements implantés en différents endroits du territoire. En principe, c’est la localisation du siège de l’entreprise qui détermine la Dreets compétente.

Comme cela a été indiqué à la commission d’enquête par les représentants de plusieurs Dreets ([257]), en cas de contrôle d’un document unilatéral, les principaux points de vigilance sont les suivants : la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE, la définition des catégories professionnelles concernées par le projet de licenciement et les critères d’ordre des licenciements, l’évaluation des mesures de reclassement interne et externe, l’adéquation du PSE et des mesures prévues avec les moyens de l’entreprise et du groupe et la mise en œuvre effective des obligations de recherche d’un repreneur lorsque cela est exigé ([258]).

Le contrôle de l’autorité administrative sur un accord négocié est plus restreint et porte notamment sur les points suivants : la représentativité des organisations syndicales et le caractère majoritaire de l’accord, la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE, l’évaluation des mesures de reclassement interne et externe ainsi que la mise en œuvre effective des obligations de recherche d’un repreneur lorsque cela est exigé.

Les principaux points de vigilance lors du contrôle des plans de sauvegarde de l’emploi par l’autorité administrative

Source : Drieets d’Île-de-France.

L’attention du rapporteur a été appelée sur l’insuffisance des moyens dont dispose l’administration pour analyser « en profondeur la qualité de l’évaluation des risques professionnels » ([259]), selon les mots de M. Paul Motte, responsable des activités licenciement et restructuration chez Syndex. Ainsi, « les conditions de travail sont […] souvent reléguées au second plan dans le processus. Les suppressions de postes sont déterminées sur des bases purement économiques, loin des réalités du travail. Le livre 4 du PSE, qui traite des conditions de travail et de leur évolution, est élaboré après la détermination du nombre de suppressions de postes, alors qu’il devrait en partie influencer cette décision. Ce document, souvent construit par les conseils des employeurs, ne reflète pas le travail réel de l’entreprise et se contente d’une évaluation des risques basée sur des standards macroscopiques, éloignés de la réalité du terrain. Cette approche formelle aboutit fréquemment à des organisations cibles pathogènes, comme nous le constatons lors de nos interventions sur les plans de sauvegarde de l’emploi ou par la suite. » ([260])

Recommandation n° 25

Renforcer le contrôle par les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des obligations de l’employeur en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ainsi que d’évaluation de l’impact des plans de sauvegarde pour l’emploi sur les conditions de travail, en leur allouant pour ce faire des moyens supplémentaires.

Globalement, très peu de PSE font l’objet d’une décision de refus de validation ou d’homologation. Sur la période allant de 2014 à 2022, à l’échelle nationale, seuls 4 % des PSE présentés ont fait l’objet d’une telle décision, selon les données communiquées par la DGEFP.

Selon les données communiquées par la Drieets d’Île-de-France et les Dreets d’Auvergne-Rhône-Alpes et des Hauts-de-France, soit les trois régions qui ont dû traiter le plus de dossiers en 2024 ([261]), les décisions de refus ont sensiblement baissé depuis l’adoption des nouvelles procédures issues de la loi relative à la sécurisation de l’emploi. En Île-de-France, on comptait 20 à 25 décisions de refus par an (soit environ 7 % des dossiers) sur la période 2013-2016 et 10 à 15 sur la période 2017-2021 (soit 3 % à 5 % des dossiers) ; on en compte moins de 4 depuis 2022, soit entre 1,5 % et 3 % des dossiers. Dans les Hauts-de-France, depuis 2013, 1 à 2 dossiers en moyenne font l’objet d’une décision de refus chaque année et aucune décision de la sorte n’a été prononcée entre 2018 et 2023. En Auvergne-Rhône-Alpes, seules trois décisions de refus ont été prononcées depuis 2010.

En Île-de-France, les principaux motifs de refus ont été liés à des problèmes relatifs aux critères d’ordre et/ou aux catégories professionnelles, à l’irrégularité de la procédure d’information-consultation du CSE et à l’insuffisance des mesures. Dans les Hauts-de-France, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2013, la moitié des refus ont eu pour motif l’insuffisance des mesures et un quart l’irrégularité de la procédure d’information-consultation du CSE. En Auvergne-Rhône-Alpes, les motifs de refus ont tenu à une irrégularité de la procédure d’information-consultation du CSE ou à une insuffisance des informations transmises au CSE, ainsi qu’à une absence de justification des distinctions opérées entre les catégories professionnelles au sein d’un établissement.

La faible proportion des décisions de refus s’explique notamment par l’intervention de l’administration tout au long de la procédure d’élaboration des PSE.

Les Dreets et les Ddets assurent ainsi un suivi régulier auprès de l’employeur et des représentants du personnel, qui peut démarrer avant le début de la procédure. Très souvent, les échanges avec l’employeur sont initiés avant le lancement du PSE à l’initiative de l’une ou l’autre des parties (par exemple, en cas de signalement du commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises ou de saisine des organisations syndicales), ce qui permet de présenter la procédure et les points de contrôle principaux, ainsi que de rappeler le rôle de médiation des Dreets. Dans certains cas, ces réunions peuvent orienter l’employeur vers le recours à d’autres outils que le PSE (RCC, activité partielle, etc.). En pratique, les Dreets cherchent le plus souvent à entrer en contact dès cette phase avec les représentants du personnel.

Tout au long de la procédure, qui commence avec la création par l’employeur d’un espace personnel sur le portail Rupco afin d’y déposer un dossier présentant les informations relatives à l’entreprise et au projet de PSE, des échanges (réunions, courriers) ont lieu dans le but de sécuriser la procédure et d’assurer l’élaboration des mesures d’accompagnement requises. Dès le dépôt du projet, un agent instructeur est nommé par la Dreets afin de suivre le dossier. Tout au long de la procédure, l’entreprise doit transmettre sur son espace personnel l’ensemble des documents relatifs au PSE (convocations du CSE, procès‑verbaux de réunions, documents d’information transmis au CSE, rapports d’expertise, etc.), ce qui permet à l’administration d’exercer son contrôle à chaque étape.

Les Dreets disposent de plusieurs outils règlementaires, tels que les lettres d’observation et le pouvoir d’injonction (permettant notamment d’enjoindre à l’employeur d’améliorer la qualité et la quantité des informations transmises au CSE), et peuvent être saisies par les organisations syndicales. Dans certains cas, les entreprises peuvent être amenées à abandonner le projet en cours au vu d’observations et d’injonctions préfigurant un fort risque de refus d’homologation ou de validation du PSE.

En outre, les décisions de refus ne sont pas nécessairement définitives. À titre d’exemple, dans les Hauts-de-France, en 2024, deux entreprises ayant vu leurs PSE refusés ont amélioré le contenu des mesures d’accompagnement et de reclassement prévues pour les salariés, ce qui a permis l’homologation des plans.

Les ruptures conventionnelles collectives sont également soumises au contrôle des Dreets (voir supra).

En aval, les Dreets assurent la gestion des éventuels contentieux dont les PSE (ou les RCC) peuvent faire l’objet devant les juridictions administratives (préparation de mémoires et d’interventions). Elles peuvent également participer aux commissions de suivi de la mise en œuvre des PSE, afin de favoriser l’efficacité des mesures, mais avec un rôle de conseil uniquement, sans prérogatives exécutives.

Afin d’améliorer le suivi des PSE, un renforcement du rôle et des moyens des commissions de suivi pourrait être utile.

  1.   Les plans de sauvegarde de l’emploi peuvent faire l’objet de différents types de recours, globalement peu utilisés

À l’instar des décisions de refus d’homologation et de validation, les taux de recours administratif (recours pour excès de pouvoir ou recours de plein contentieux ([262])) contre les décisions d’homologation ou de validation des PSE, ainsi que les taux d’annulation de ces décisions, sont très faibles. Pour le rapporteur, il importe de souligner que la faiblesse des taux de recours ne reflète pas nécessairement la satisfaction des salariés, mais peut aussi être la conséquence d’une certaine complexité juridique et de la perception d’un rapport coûts avantages défavorable pour le personnel. En outre, les délais de recours sont restreints, tandis que les motifs pouvant justifier l’annulation d’une décision administrative sont limités.

Le contentieux administratif est l’un des contentieux dont les PSE peuvent faire l’objet, à côté du contentieux judiciaire lié à la mise en œuvre collective ou individuelle du PSE et à la validité du motif économique du licenciement et du contentieux pénal, notamment en cas de délit d’entrave ([263]).

Selon les données communiquées par la DGEFP, entre 2013 et 2022, moins de 8 % de l’ensemble des décisions administratives rendues en matière de PSE ont fait l’objet d’un ou plusieurs recours. Si le taux de recours a augmenté au premier semestre 2024, cela peut s’analyser comme une conséquence de la hausse observée du nombre de PSE (voir supra).

LE contentieux adminisratif des PSE ENTRE 2013 et 2022

Source : DGEFP.

Le délai pour former un recours est de deux mois à compter de la notification de la décision d’homologation ou de validation. Lorsque le recours est suivi d’un appel, le délai pour obtenir un arrêt est au maximum de dix mois. En cas de pourvoi devant le Conseil d’État, le délai moyen de la procédure contentieuse dans son ensemble est de deux ans et quatre mois.

Lorsque le juge administratif annule la décision en raison de l’absence ou de l’insuffisance du PSE ([264]), la procédure de licenciement économique collectif est nulle. Dans ce cas, le salarié concerné par le PSE peut solliciter, auprès du conseil de prud’hommes, que celui-ci prononce la poursuite de son contrat de travail ou, si son licenciement a déjà été notifié, sa réintégration dans l’entreprise ([265]).

Comme le souligne le bilan des PSE réalisé par la DGEFP en 2023 ([266]), l’utilisation des procédures d’urgence est « marginale », avec seulement deux ordonnances de suspension sur les dix dernières années. Cette tendance est analysée comme résultant du déplacement de l’intervention du juge à la fin de la procédure d’information-consultation du CSE, au moment où le projet de licenciement fait l’objet d’une décision administrative, et des conditions particulières du référé administratif (qui suppose le dépôt d’une requête en annulation) combinées à la brièveté du délai de jugement.

Les recours portent majoritairement sur les décisions d’homologation : entre 2022 et 2024, le taux de recours contentieux contre une décision d’homologation était de 10 % pour les entreprises in bonis et de 7 % pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire. En comparaison, sur la même période, ce taux était de 2 % s’agissant des décisions mixtes ou de validation dans les entreprises in bonis et il était nul pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, ce qui suggère que les PSE reposant sur un accord majoritaire sont plus sécurisants pour les entreprises, bien que l’existence de recours contre les décisions de validation ou les décisions mixtes souligne que les accords obtenus par le dialogue social ne sont pas nécessairement exempts de contestation.

Les recours peuvent être déposés par l’ensemble des parties prenantes : employeur, CSE, organisations syndicales, salariés de l’entreprise. Ces derniers, qui doivent prouver leur intérêt à agir en démontrant qu’ils ont été affectés par le PSE, sont aujourd’hui les premiers requérants.

la répartition des recours contre les décisions administratives
relatives aux pse par type de requérant (2013-2022)

Source : DGEFP.

Le taux d’annulation des décisions administratives par les juges est également assez faible : sur l’ensemble des procédures initiées, il était de 8 % en 2022, 13 % en 2023 et 10 % en 2024.

Au total, le taux d’annulation, sur l’ensemble des décisions administratives rendues, est résiduel : ainsi, entre 2022 et 2024, 1,15 % des décisions d’homologation rendues pour des entreprises in bonis ont été annulées par le juge (0,55 % pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire). Cette part est de 0,36 % pour les décisions mixtes et de validation pour les entreprises in bonis (le taux pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire étant nul).

évolution du taux de recours et d’annulation contentieuse
des décisions administratives relatives aux pse

Source : DGEFP.

Les principaux motifs d’annulation sont l’absence de respect des critères d’ordre des licenciements et des catégories professionnelles, suivi par l’insuffisance des mesures prévues par le PSE au regard des moyens de l’entreprise ou du groupe. L’application des motifs tenant à la motivation des décisions et au caractère suffisant des mesures a fortement baissé à compter de 2015, après l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui a autorisé la prise d’une nouvelle décision en cas d’annulation fondée sur l’insuffisance de la motivation de la décision, en écartant toute incidence sur les licenciements intervenus, et qui a limité au périmètre de l’entreprise l’appréciation de la suffisance du PSE pour les entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.

Le contentieux individuel porté par les salariés licenciés pour un motif économique est également modéré. En 2023, les conseils de prud’hommes ont été saisis de 107 500 demandes au fond ou en référé. Ces recours ont été introduits dans 96 % des cas par un salarié « ordinaire » (non protégé), 88 % des affaires portant sur une demande liée à la rupture du contrat de travail. Les contestations des motifs économiques ne représentent que 1 % de ces litiges.

évolution des demandes formées devant les conseils de prud’hommes

Source : ministère de la justice.

  1.   L’absence de contrôle administratif du motif économique du licenciement sur lequel reposent les plans de sauvegarde de l’emploi pose question

Dans un contexte de recul de la part des PSE dans les évolutions de l’emploi ainsi que du rôle du juge dans le contrôle des licenciements économiques, l’absence de contrôle par l’administration de la validité du motif économique mis en avant par l’employeur a été déplorée par plusieurs interlocuteurs de la commission d’enquête intervenant à différents titres dans la mise en œuvre des PSE (organisations syndicales, avocats, cabinets de conseil, juristes, etc.).

Si le droit du travail admet aujourd’hui comme évoqué dans la première partie du rapport les « licenciements boursiers », l’absence de contrôle du motif économique invoqué par les employeurs renforce la possibilité pour des entreprises et groupes rentables de mettre en œuvre des PSE, à l’instar notamment d’ArcelorMittal ou de Michelin, étudiés par la commission d’enquête.

Pour rappel, la loi n° 75-5 du 3 janvier 1975 relative aux licenciements pour cause économique avait mis en place une autorisation administrative des licenciements économiques, supprimée par la loi n° 86-797 du 3 juillet 1986 relative à la suppression de l’autorisation administrative de licenciement. Cette autorisation s’appliquait quelle que soit l’entreprise ou la profession, sauf en cas de règlement judiciaire ou de liquidation des biens. Portée par le Gouvernement nommé à l’issue des élections législatives de mars 1986 ([267]) et le ministre des affaires sociales et de l’emploi, Philippe Séguin, cette réforme prétendait répondre au « frein non négligeable à l’embauche » que représentait l’autorisation administrative de licencier, dans un contexte où la majorité des demandes étaient toutefois satisfaites. En outre, l’effet positif attendu de la suppression de l’autorisation administrative des licenciements économiques sur les créations d’emplois reste à prouver ([268]).

L’autorisation administrative préalable au licenciement économique existe toujours pour les salariés protégés, soit les salariés candidats lors d’une élection professionnelle, titulaires ou ancien titulaires d’un mandat de représentant du personnel ou exerçant certains mandats ou certaines fonctions extérieurs à l’entreprise. Ces salariés bénéficient d’une protection spéciale, afin de s’assurer que le licenciement n’a pas de lien avec leur mandat ou fonction. Ainsi, le licenciement économique d’un salarié protégé doit faire l’objet d’un contrôle a priori de l’inspection du travail sur : la régularité de la procédure d’information-consultation du CSE, la réalité du motif économique invoqué et l’effectivité de la recherche de postes en vue du reclassement du salarié licencié.

Or, si les réformes intervenues ces dernières années, notamment la loi relative à la sécurisation de l’emploi, ont eu pour objectif de renforcer la place de la négociation collective dans l’élaboration des PSE (voir supra), elles se sont aussi accompagnées d’un affaiblissement tendanciel de la notion de motif économique, qui occupe une place de moins en moins centrale dans l’encadrement des restructurations, alors même que ce motif conserve un rôle de premier plan dans la perception qu’ont les salariés des licenciements économiques et dans la détermination des relations entre la direction et les représentants syndicaux ([269]). De même, l’évolution du mode d’élaboration et de validation des PSE a supposé un « dessaisissement » du juge judiciaire au profit de l’administration et du juge administratif, selon l’expression de M. Claude Didry, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ([270]).

Alors que le recours à la justice prud’homale pour contestation d’un licenciement économique est devenu marginal et que la définition du motif économique a été assouplie par la loi et la jurisprudence, tout en supposant pour le salarié licencié, en cas de contestation, de se heurter au barème des indemnités prud’homales mis en place en 2017 « on peut craindre que seuls les salariés disposant d’une grande ancienneté et de salaires conséquents jugent pertinent d’engager une procédure judiciaire » ([271]), comme l’a souligné Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg. Pour cette dernière, l’encadrement actuel des licenciements économiques et des PSE associe un contrôle administratif modéré censé sécuriser le licenciement – qui peut en outre bénéficier d’un accord syndical – à un contrôle judiciaire entravé ([272]). Comme l’a souligné Me Bénédicte Rollin, le fait que les indemnités perçues lors du plan de licenciement puissent être prises en compte pour réduire les indemnités allouées par le conseil de prud’hommes en cas de licenciement illégal – bien que ces deux éléments soient sans rapport – vise « manifestement à dissuader les recours des salariés en contestation de leur licenciement pour motif économique » ([273]).

En conséquence, le rapporteur préconise de confier aux Dreets, qui verraient leurs moyens financiers et humains renforcés pour ce faire, le contrôle du motif économique des licenciements mis en œuvre dans le cadre d’un PSE par les entreprises in bonis. En effet, comme l’a souligné M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France, « nous ne disposons pas aujourd’hui des moyens nécessaires ; il faudrait renforcer nos effectifs, mais également disposer de profils différents, sans doute moins juridiques, mais plus économiques qu’aujourd’hui. » ([274])

Les délais dans lesquels les décisions d’homologation et de validation sont rendus pourraient également être allongés d’une semaine.

Comme le souligne la DGEFP, « rétablir un contrôle préalable du motif économique entre les mains de l’administration reviendrait de fait à lui transférer une grande responsabilité. Celle d’arbitrer les choix stratégiques d’une entreprise, lesquels sont dictés par des considérations diverses et propres à chaque activité, ce qui n’est pas son métier et ce qui pourrait être contraire au principe constitutionnel de liberté d’entreprendre. » ([275]) Sur ce point, Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy‑Grangé, a également exprimé des réserves lors de son audition : « à mon sens, la démarche franchirait une ligne rouge et serait immédiatement censurée par le Conseil constitutionnel pour atteinte à la liberté d’entreprendre. En effet, c’est l’entreprise qui assume le risque et qui doit, par conséquent, déterminer le nombre d’emplois à supprimer. » ([276]) Ces remarques s’appuient notamment sur la décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002 portant sur la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, qui avait censuré la nouvelle définition retenue pour le licenciement économique au nom de la liberté d’entreprendre. La décision indiquait notamment « qu’en subordonnant les licenciements économiques à "des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen", la loi conduit le juge non seulement à contrôler, comme c’est le cas sous l’empire de l’actuelle législation, la cause économique des licenciements décidés par le chef d’entreprise à l’issue des procédures prévues par le livre IV et le livre III du code du travail, mais encore à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles » ([277]).

Pour le rapporteur, un contrôle limité à l’absence manifeste de motif économique, qui permettrait, une fois constatée, de laisser à l’employeur la possibilité d’apporter des éléments complémentaires, pourrait répondre au risque de censure constitutionnelle.

D’autres réserves ont pu être exprimées par les représentants des Dreets entendus par la commission. Pour M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France, « si nous devions apprécier le motif économique, nos échanges avec les représentants du personnel seraient inévitablement concentrés sur cette question. Si nous devions couvrir les deux champs, nous éprouverions plus de difficultés à jouer notre rôle ; j’en suis intimement convaincu. » ([278]) Pour le rapporteur, des moyens supplémentaires et des délais allongés devraient toutefois limiter le risque de fragiliser le travail de contrôle et d’accompagnement des Dreets. Pour Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne, « l’articulation actuelle est plutôt pertinente » : elle permet aux partenaires sociaux de disposer d’éléments pour connaître la situation de l’entreprise et à l’administration d’intervenir « à tout moment lors des discussions entre les partenaires sociaux, afin que […] le recours à l’expertise soit possible » ([279]).

Recommandation n° 26

Confier aux directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités le contrôle du motif économique des licenciements, en renforçant leurs moyens humains et financiers et en allongeant d’une semaine les délais de consultation prévus à l’article L. 1233‑57-4 du code du travail.

  1.   L’accompagnement des pouvoirs publics auprÈs des entreprises en difficulté, aux côtés d’acteurs associatifs et privés, repose sur de nombreux dispositifs ne permettant pas toujours de préserver les emplois

En complément des aides publiques destinées aux entreprises en difficulté, telles que l’activité partielle, il existe en France un nombre important de dispositifs conçus pour anticiper les difficultés des entreprises et les accompagner en cas de fragilités avérées. Le rapporteur a accordé une attention particulière au rôle que jouent ces dispositifs pour préserver les emplois.

En outre, pour les entreprises en difficulté au sens du livre VI du code de commerce, qui prévoit une série de procédures pour assurer la prévention et le traitement des difficultés des entreprises, l’action de l’État se conjugue avec celle d’acteurs associatifs et privés (administrateurs judiciaires, tribunaux de commerce, etc.), ce qui implique une importante coordination des acteurs mobilisés.

  1.   L’action des pouvoirs publics se décline à plusieurs niveaux
    1.   Le rôle des directions des ministères économiques et financiers

Les dispositifs de veille et d’accompagnement mobilisés par l’État en vue d’anticiper les difficultés des entreprises et d’y répondre le cas échéant ont notamment été précisés par deux circulaires du 20 juin 2018 ([280])et du 6 mars 2024 ([281]). La circulaire interministérielle du 6 août 2021 ([282]), à laquelle la circulaire de mars 2024 a succédé, avait par ailleurs précisé les modalités de mise en œuvre du plan d’action sur l’accompagnement des entreprises en sortie de crise, signé le 1er juin 2021 et visant à soutenir la reprise d’activité des entreprises après la crise provoquée par la pandémie de covid-19.

Au niveau du ministère de l’économie et des finances, plusieurs services sont mobilisés afin d’assurer le pilotage des dispositifs ou la coordination de l’ensemble des acteurs concernés.

Ainsi, prévue par le décret n° 64-251 du 14 mars 1964, la mission d’action économique et financière en direction des agents économiques, et plus particulièrement l’accompagnement des entreprises en difficulté, constitue l’une des missions originelles de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Il s’agit de l’objectif n° 8 visé par son cadre d’objectifs et de moyens pour 2023‑2027.

Si une bonne partie de ses missions s’exerce au niveau local, et notamment départemental (voir infra), avec un pilotage des services déconcentrés par la mission conseil et continuité économiques (MCCE), la DGFiP joue également un rôle de coordination et de créancier public.

La circulaire du 6 mars 2024 a ainsi défini les modalités d’animation des instances de concertation nationale et locale réunissant l’ensemble des acteurs privés et publics intervenant auprès des entreprises en difficulté, en désignant la DGFiP comme coordinateur. Au niveau national, cette action de coordination passe par deux comités :

– le comité de pilotage des mesures d’accompagnement et de soutien aux entreprises en difficulté (Copil), qui réunit chaque trimestre le directeur général des finances publiques, le directeur général du Trésor, le directeur général des entreprises, la déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises ainsi que le directeur de la sécurité sociale et le directeur de l’Urssaf Caisse nationale. Ce comité a vocation à coordonner l’action des services dans la détection, l’accompagnement et le conseil dédiés aux entreprises en difficulté. Grâce à l’expertise partagée de ces acteurs, il permet notamment de mettre en commun des projections et des études économiques, afin d’éclairer et d’orienter la décision publique voire de proposer, le cas échéant, des mesures spécifiques au profit des entreprises fragilisées ;

– le comité national d’accompagnement et de soutien des entreprises en difficulté (Cnased), qui réunit, deux fois par an, sous l’égide de la DGFiP, l’ensemble des parties prenantes publiques et privées dans le soutien aux entreprises en difficulté, signataires du plan d’action de sortie de crise de 2021, afin de partager leur appréciation de la situation économique.

En miroir, un comité départemental, le Cdased, se réunit pour assurer le suivi des dispositifs de soutien définis au niveau national.

Pour les entreprises en difficulté, les comptables des services des impôts des entreprises (SIE) et des pôles de recouvrement spécialisés (PRS) répartis sur le territoire ont la possibilité d’accorder des plans de règlement échelonnant les dettes jusqu’à 24 mois, ainsi que des remises gracieuses d’amendes ou de pénalités.

En outre, au niveau des commissions des chefs de services financiers et des organismes de sécurité sociale et de l’assurance chômage (CCSF), instances départementales présidées par le directeur régional ou départemental des finances publiques et associant différents créanciers publics (Urssaf, douanes, Agirc‑Arrco, France Travail, etc.), des plans d’apurement échelonné regroupant à la fois les dettes sociales et fiscales peuvent être accordés à toutes les entreprises, sans distinction de taille ou de secteur d’activité, dès lors qu’elles sont débitrices d’un ou plusieurs créanciers publics. Pour les dossiers à fort enjeux financiers ou sociaux, notamment eu égard au nombre de salariés concernés, le secrétaire permanent de la CCSF peut mener un entretien avec le ou les dirigeants de l’entreprise entre le dépôt du dossier et le passage en commission afin d’aborder la situation de l’entreprise et ses perspectives de redressement. Enfin, chacun des créanciers publics participant à la CSSF peut octroyer, à titre gracieux, des remises à une entreprise en difficulté, conformément à l’article L. 626-6 du code de commerce.

Parmi les principales instances locales, on trouve ainsi, outre les CCSF, les comités départementaux d’accompagnement et de soutien aux entreprises en difficulté (Cdased) et les comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi), dont le secrétariat est assuré par les services de la DGFiP.

Le Codefi est la structure locale permettant d’accueillir et d’orienter les entreprises qui rencontrent des problèmes de financement. Plus spécifiquement, il a pour objectif d’aider les entreprises en difficulté de moins de 400 salariés ([283]) à élaborer et mettre en œuvre des solutions permettant d’assurer leur pérennité et leur développement. Présidé par le préfet de département, le Codefi dispose d’un secrétariat assuré par la DGFiP. Il réunit les Ddets et Dreets, des représentants de la Banque de France et des Urssaf, qui se rencontrent régulièrement afin de rendre compte des difficultés sectorielles des entreprises.

Le comité peut, sous certaines conditions :

– commander des audits en accord avec l’entreprise, afin d’établir un diagnostic de sa situation, valider des hypothèses de redressement économique et financier ;

– accorder des prêts du fonds de développement économique et social (FDES) dans le cadre d’un plan de restructuration et lorsque les perspectives de redressement sont réelles. Pour être éligibles à cette procédure, les entreprises doivent être en situation régulière par rapport à leurs obligations fiscales et sociales.

Concrètement, le Codefi effectue des diagnostics pour évaluer les difficultés de l’entreprise et l’orienter vers la structure la plus adaptée ; il détient un rôle de médiation en vue d’identifier une solution de redressement pérenne, avec la possibilité de mobiliser des outils comme les prêts et les audits et en articulation avec la CCSF. Il peut notamment s’appuyer sur le dispositif Signaux faibles (voir supra), qui permet d’accéder aux listes des entreprises détectées par l’algorithme et, par là même, de déterminer le ou les acteurs les plus à même de fournir un soutien aux entreprises concernées.

Parmi les acteurs vers lesquels le Codefi – en format restreint ([284]) – peut orienter une entreprise en difficulté, on trouve les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), les CCSF, le médiateur du crédit, le médiateur des entreprises, le tribunal judiciaire ou de commerce, les chambres consulaires, ou encore les groupements de prévention agréés, les centres d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP), l’Aide psychologique aux entrepreneurs en souffrance aigüe (Apesa) et le Portail du rebond des entrepreneurs (voir infra).

Enfin, la DGFiP comprend un réseau de « points de contacts universels », les conseillers départementaux à la sortie de crise, pérennisés et devenus en 2023 les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté (CDED), qui jouent un rôle d’orientation des entreprises vers les acteurs les plus à même de répondre à leurs besoins, en complément des CRP, tournés vers les entreprises moyennes ou de taille intermédiaire, principalement industrielles. Selon les réponses de la DGFiP au questionnaire adressé par le rapporteur, le CDED constitue le « point d’accueil des entreprises en situation de fragilité financière », à même de proposer « des solutions adaptées et opérationnelles à chaque entreprise en fonction de ses besoins ». La circulaire du 6 mars 2024 précitée a réaffirmé le rôle du Cdased et des CDED.

Dans un rapport remis en juin 2024 sur la détection et le traitement des difficultés des TPE et PME ([285]), la Cour des comptes signale une hausse significative du nombre des contacts entre ces conseillers et les entreprises – passé de 3 500 en 2021 à près de 20 000 en 2023 – tout en précisant que cette hausse doit être interprétée avec prudence dans la mesure où les conseillers se sont également vu confier un rôle dans la distribution des aides « énergie » à compter de la mi‑2022 ainsi que dans l’accompagnement des entreprises à la suite des mouvements sociaux et des émeutes de 2023 ([286]). Le nombre de contacts mensuels a ainsi fortement diminué sur l’année 2023, passant de 4 000 en janvier à moins de 1 000 en décembre.

Au sein de la direction générale des entreprises (DGE), la mission de restructuration des entreprises (MRE) est un acteur de la restructuration et de l’accompagnement des entreprises en difficulté. Elle se caractérise par l’ancrage territorial de ses agents et son rôle de pilotage et d’animation du réseau des CRP. La mission travaille en lien étroit avec le Ciri, la délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire) et les différents services sectoriels de la DGE.

Elle contribue à l’élaboration des politiques publiques et des dispositifs d’anticipation et de traitement des restructurations. Elle propose notamment les mesures nécessaires à leur évolution et à la bonne performance de l’écosystème national de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises.

L’action de la DGE est facilitée par le développement d’outils numériques partagés et innovants, comme ceux fournis par la start-up d’État Signaux faibles, qu’elle héberge. Cet outil s’intègre dans l’ensemble des outils étatiques d’accompagnement des restructurations d’entreprises, dont l’animation, la coordination et l’optimisation est assurée par la Dire.

L’outil de détection Signaux faibles

Développé dans le cadre d’un partenariat entre la DGE, la DGFiP, la DGEFP, l’Urssaf et la Banque de France, l’outil Signaux faibles s’inscrit dans une dynamique de développement de l’intelligence artificielle au sein du ministère de l’économie et des finances. Le programme, qui vise à améliorer la détection des difficultés des entreprises dès l’apparition des premiers signes, permet aux services de fonder certaines de leurs interventions sur des données plus complètes. Au total, 1 000 agents des services déconcentrés de l’État s’en saisissent aujourd’hui pour consulter des données clés sur les entreprises de plus de 10 salariés et, plus encore, pour cibler des entreprises présentant un risque de défaillance à 18 mois à partir de listes trimestrielles produites par un modèle de détection. Ce produit informatique évolue avec la politique publique, en temps de crise ou non. En amont d’une crise conjoncturelle, l’outil favorise l’approche préventive. En dehors des périodes de mobilisation et de crise, il répond aux besoins des agents d’avoir le maximum d’éléments pour être proactifs et proposer des ciblages sectoriels spécifiques.

Les commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP), créés en 2012 sous le nom de commissaires au redressement productif, dont les missions sont précisées dans la circulaire relative à l’évolution du dispositif d’accompagnement des entreprises en difficulté du 20 juin 2018, sont positionnés dans les services déconcentrés de l’État (Dreets) et placés sous le contrôle de la déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire), avec un pilotage de la DGE via la MRE.

Le CRP est le point d’entrée aux niveaux régional et départemental pour toutes les questions relatives à l’accompagnement des entreprises industrielles en difficulté de plus de 50 salariés. Il veille à la cohérence des actions des autorités publiques à destination de ces entreprises. Il intervient à tous les stades de difficulté des entreprises, de la prévention aux procédures collectives, et participe aux différentes instances départementales et régionales, dont les Codefi.

Afin de centraliser les informations et d’en favoriser le partage au niveau régional, les CRP animent notamment des cellules de veille et d’alerte précoce (CVAP), permettant d’apporter aux entreprises qu’ils soutiennent une réponse concertée entre les services de l’État et ceux des collectivités territoriales, en particulier des conseils régionaux. Les entreprises présentant des enjeux particuliers et des problématiques d’envergure nationale sont, quant à elles, prises en charge par la Dire ou le Ciri (voir supra).

Les CRP, en s’appuyant notamment sur l’outil Signaux faibles, ont un rôle d’analyse et de veille du tissu économique et entrepreneurial local, et peuvent mobiliser, lorsque cela apparaît opportun, des ressources publiques pour accompagner les entreprises.

Selon M. Guillaume Primot, secrétaire général du Ciri, « outre un rôle d’alerte essentiel, les Codefi et les CRP jouent un rôle primordial dans certains dossiers suivis par le Ciri, en intervenant à la fois comme relai et comme sonde au plus proche de l’échelon local. Cela permet notamment de maintenir un contact étroit avec les parties prenantes, en particulier les salariés – en complément des échanges directs que le Ciri peut nouer avec les salariés ou leurs représentants au cas par cas –, mais aussi les écosystèmes de clients et de fournisseurs. » ([287])

De façon générale, les entreprises détectées par les services compétents ont vocation à être accompagnées, si elles le souhaitent, par les services de l’État, qui peuvent également contacter de leur propre initiative les CRP.

La direction générale du Trésor (DG Trésor) dispose d’une double mission en matière d’aides aux entreprises.

D’une part, un rôle de synthèse et d’analyse du suivi des aides. Les services de la direction effectuent un suivi de la littérature afin de pouvoir apporter un éclairage économique sur la conduite de la politique publique. Ils fournissent aux ministres et, dans certains cas, aux assemblées parlementaires, des analyses économiques sur les finances publiques, sur les politiques sectorielles et les politiques sociales, avec des approches microéconomiques et macroéconomiques.

D’autre part, la DG Trésor gère quelques aides de manière directe, notamment s’agissant du développement international des entreprises, du soutien à l’économie sociale et solidaire (ESS). Elle est également mobilisée via le Ciri, présenté ci-après.

  1.   Le rôle des services déconcentrés de l’État

Si les CRP jouent un rôle central au sein des Dreets en matière de détection des entreprises en difficulté et d’intervention auprès d’elles, d’autres services interviennent également :

– les délégués à l’accompagnement des entreprises et des parcours professionnels (Darp), qui ont pour mission d’accompagner les entreprises concernées par les grandes mutations économiques et de faciliter la mise en place de réponses adaptées, et qui participent notamment aux CVAP ;

– les services « mutations économiques » à l’échelon régional et dans chacune des unités et directions départementales, qui sont chargés notamment de l’instruction des PSE et des RCC et du dispositif de l’activité partielle ;

– l’inspection du travail ou les services de renseignement du travail, à l’occasion des visites d’entreprises et/ou de contacts avec les employeurs et/ou les salariés ou les représentants du personnel ;

– les chargés de mission « innovation et filières » du service économique de l’État en région (SEER), qui suivent les principales filières stratégiques du territoire, effectuent des visites d’entreprise et échangent régulièrement avec des partenaires (représentants de filières, pôles de compétitivité, etc.). Ces agents peuvent notamment animer des cellules de veille spécifique dans des secteurs sensibles ou en difficulté (automobile, ferroviaire, chimie, etc.) en lien avec les associations de filières (Aria, AIF, France Chimie), le conseil régional et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) concernés.

Les contrats d’étude prospective (CEP), qui permettent de disposer d’un état des lieux sur un secteur, peuvent également être mentionnés. Cela a par exemple été fait récemment dans les Hauts‑de‑France avec les succursalistes de l’habillement, pour une étude visant à dresser un état des lieux et un diagnostic de la situation des entreprises et des salariés devant aboutir à des préconisations d’actions d’accompagnement pour le secteur.

Comme cela a été rappelé par les services de la Dreets d’Auvergne‑Rhône‑Alpes, lorsqu’une entreprise met en œuvre un PSE, il n’y a « aucune obligation d’accompagnement » ([288]) si l’entreprise ne souhaite pas être accompagnée.

La Dreets assure toutefois en son sein le partage d’informations sur les difficultés rencontrées par les entreprises, qui peuvent conduire ou non à la mise en œuvre d’un PSE. Ces difficultés et les éventuels projets de restructuration pouvant en découler font l’objet d’une collaboration étroite, lorsque la typologie des entreprises le permet, entre les CRP et le service en charge du traitement social des restructurations à la Dreets, ainsi qu’avec les Ddets. Cette coopération associe également, lorsque cela est nécessaire, les délégués à l’information stratégique et à la sécurité économique de la Dreets. Pour les entreprises relevant de leur champ d’intervention, les CRP peuvent apporter une contribution tout au long de la procédure, en complément des Ddets, pour faciliter leur retournement économique et financier, mais également pour accompagner à la recherche de repreneurs, le cas échéant ([289]).

À titre d’exemple, en Île-de-France, qui enregistre le nombre le plus élevé de PSE, les principaux outils d’accompagnement des entreprises, en 2024, ont été les suivants :

– la saisine de la CCSF pour obtenir un étalement des dettes publiques ;

– la mise en place d’une médiation du crédit pour restructurer les dettes privées ou maintenir les lignes de liquidité à court terme, ou d’une médiation des entreprises dans le cadre des négociations menées avec les fournisseurs/clients (prix/modalités de règlement) ;

– l’étude de financement et/ou la restructuration des dettes avec Bpifrance ;

– la demande de recours à l’activité partielle sous réserve de démontrer le caractère temporaire et conjoncturel des difficultés ;

– la recherche de repreneurs en cas de cession d’une entreprise en difficulté, en lien avec la DGE ;

– la recherche de la mise en place d’une opération de cession-bail sur un bien immobilier détenu par l’entreprise avec la société d’économie mixte (SEM) de la région, pour obtenir un apport important de trésorerie ;

– l’orientation vers la cellule préventive du tribunal de commerce afin d’étudier l’opportunité d’ouvrir une procédure amiable ou collective.

  1.   Les services dédiés à la restructuration
    1.   Le comité interministériel de restructuration industrielle

Le Ciri, dont le secrétariat général est rattaché à la DG Trésor, a la charge de l’accompagnement des entreprises privées en difficulté porteuses des enjeux industriels, sociaux et financiers les plus importants.

Créé par un arrêté du Premier ministre du 6 juillet 1982 et héritier du comité interministériel pour l’aménagement des structures industrielles (Ciasi), qui a vu le jour en 1974 à la suite du premier choc pétrolier, le Ciri accompagne les entreprises en difficulté employant plus de 400 salariés sur le territoire français et qui en font la demande. Organisme interministériel ad hoc, le Ciri représente les administrations compétentes en matière d’accompagnement des entreprises en difficulté et assure la coordination de l’action des services de l’État auprès des entreprises qui le saisissent.

Son action est complémentaire de celle – pour les entreprises de moins de 400 salariés – des Codefi et des 22 CRP.

L’action du Ciri consiste, aux côtés du dirigeant d’une entreprise, à définir un plan de transformation, puis à le négocier et à en préciser le financement avec les différentes parties prenantes (actionnaires, créanciers, etc.). Il intervient auprès des entreprises qui le sollicitent, généralement en phase de traitement amiable, dans le cadre de procédures prévues par le code de commerce (mandat ad hoc ou conciliation). Disposant d’une compétence interministérielle, il peut intervenir sur tous les secteurs d’activité, à l’exception du secteur financier qui dispose de ses propres règles et institutions de résolution.

Le nombre moyen de salariés des entreprises qui font appel au Ciri était, en 2023 et 2024, de 2 300, mais ce nombre est fortement influencé par la présence de quelques très grosses entreprises.

Pour le secrétaire général du Ciri, le rôle du comité « n’est pas de se substituer à la responsabilité des acteurs privés dans la résolution des difficultés de l’entreprise » ([290]). Néanmoins, le Ciri dispose de plusieurs outils qui lui permettent de répondre, à titre exceptionnel, à certaines situations. Il peut ainsi :

– intervenir dans l’aménagement des dettes fiscales et sociales : alors que les entreprises en difficulté sont parfois contraintes, en dernier recours et sous leur responsabilité, de décaler le paiement de certaines charges fiscales et sociales, le Ciri peut recommander aux CCSF de mettre en place des moratoires ou d’accorder des plans d’apurement des créances sociales et fiscales, conditionnés à des engagements précis de l’entreprise. Il va de soi que ces reports ne sauraient en aucun cas constituer une source de financement de substitution aux sources privées. L’interaction entre le Ciri et les créanciers publics est encadrée par une circulaire du 9 janvier 2015 ;

– recommander aux ministres d’accorder des prêts : le secrétariat général du Ciri est l’ordonnateur du Fonds de développement économique et social (FDES). Le FDES permet aux ministres, sur recommandation du Ciri ou de la Dire, de disposer d’une capacité de prêt permettant, de manière subsidiaire et lorsque cela est absolument nécessaire, de participer au bouclage d’un tour de table financier. L’intervention de l’État comme prêteur a vocation à demeurer exceptionnelle et est encadrée par des conditions très restrictives. Elle doit notamment avoir lieu dans des conditions strictement analogues à celles dans lesquelles interviennent les financeurs privés, compte tenu des règles européennes sur les aides d’État. De fait, la dimension stratégique de l’entreprise et son importance pour le tissu économique et social sont également prises en compte. Entre 2020 et 2024, 69 prêts du FDES ont été accordés, pour un montant total d’1,7 milliard d’euros et un ticket moyen de 25 millions d’euros, cette période ayant toutefois revêtu un caractère exceptionnel du fait de la crise induite par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de plusieurs opérations de grande envergure, notamment en soutien à la filière du nickel en Nouvelle-Calédonie.

Après une normalisation en 2021 et 2022 (environ une trentaine de nouvelles saisies par an), le Ciri a été saisi de 68 nouveaux dossiers en 2023, avec une tendance équivalente en 2024 (60 nouveaux dossiers). Les 60 entreprises accompagnées par le Ciri en 2024 représentaient plus de 82 000 emplois (contre environ 175 000 en 2023 du fait d’une augmentation significative de la taille moyenne des entreprises suivies cette année-là, parmi lesquelles les entreprises du Groupe Casino).

L’augmentation du nombre de saisies du Ciri observée ces deux dernières années s’inscrit dans une dynamique de reprise des défaillances d’entreprises (voir supra). Elle s’explique également par la place croissante que prend le Ciri dans le domaine de l’aide aux entreprises en difficulté et par une meilleure connaissance des procédures amiables.

Les entreprises du secteur industriel continuent de représenter une partie significative des entreprises qui saisissent le Ciri, bien que cette part soit en recul (49 % en 2023, 45 % en 2024 contre 69 % en 2022) ; ces dernières doivent en effet encore faire face à des changements en profondeur dans leur activité, par exemple pour s’adapter à la restructuration du marché automobile.

Les entreprises appartenant au secteur des services – en particulier en ce qui concerne la distribution, le commerce d’articles textiles et les transports – ont, quant à elles, représenté une part croissante des nouveaux dossiers suivis, soit 52 % en 2024 contre 31 % en 2022, en raison d’une conjoncture difficile, d’un niveau de dette élevé et de la faiblesse de la reprise de la consommation.

Sur les 165 dossiers traités en 2023 et 2024, 50 ont connu une issue favorable la première année (représentant 95 000 emplois) et 43 la seconde année (représentant 234 000 emplois). 63 dossiers étaient encore en cours de traitement au 31 décembre 2024.

Les échecs que peut rencontrer le Ciri sont essentiellement liés à l’absence de repreneurs dans les cas où les actionnaires souhaitent se désengager des entreprises en difficulté, quand bien même des recherches auraient été menées, y compris avec l’appui du Ciri. Il s’agit d’une configuration fréquente dans le secteur de la distribution textile.

  1.   La délégation interministérielle aux restructurations d’entreprises

Le champ d’intervention et les moyens de la Dire sont fixés par le décret n° 2017-1558 du 13 novembre 2017 et précisés dans la circulaire du 20 juin 2018 précitée.

La Dire coordonne l’action des services de l’État compétents en matière de restructurations d’entreprises, et notamment d’entreprises industrielles, et les mobilise pour le traitement des dossiers qu’elle suit directement, à la demande des ministres. Elle facilite et coordonne les échanges entre les services de l’État et les autres personnes publiques et privées parties à ces dossiers.

Les dossiers suivis par la Dire relèvent de tous les secteurs, à l’exception du secteur financier et des restructurations financières d’entreprises de plus de 400 salariés, qui relèvent de la compétence du Ciri. La déléguée interministérielle est placée auprès des ministres chargés de l’industrie et de l’emploi.

Elle est actuellement assistée d’un délégué adjoint et de trois rapporteurs, ainsi que d’une négociatrice spécialisée dans les dossiers touchant à l’énergie. Pour l’exercice de ses missions, elle peut notamment faire appel à la DGE, la DGEFP, la DG Trésor ainsi qu’aux services déconcentrés de l’État compétents en matière de restructurations d’entreprises. Sur les dossiers qu’elle instruit, la Dire s’appuie plus particulièrement sur le réseau des CRP, qui sont ses correspondants privilégiés dans les territoires, et sur les services déconcentrés, en particulier au sein des Dreets et des Ddets.

La Dire interagit par ailleurs avec les professionnels de la restructuration sur les dossiers qu’elle instruit, notamment dans le cadre des procédures judiciaires, et participe aux événements organisés par la profession (Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, Institut français des praticiens des procédures collectives, Association pour le retournement des entreprises, etc.)

La Dire n’a pas d’outils ou de budget d’intervention et s’appuie sur les moyens des différentes administrations pour accompagner les entreprises (DGE, DGEFP, DG Trésor, services déconcentrés de l’État).

Elle peut mobiliser, sous l’autorité des ministres, des prêts de l’« enveloppe FDES » gérée par le Ciri et dispose de l’enveloppe d’intervention du marché « recherche de repreneurs » (5 millions d’euros sur la période 2021-2024) de la DGE afin, par exemple, de financer des études de marché ou des recherches de repreneurs dans les situations critiques.

En matière d’emploi, la Dire peut être sollicitée pour identifier les outils mobilisables en amont d’un éventuel PSE (activité partielle, activité partielle de longue durée, aides à la formation), apprécier leur éligibilité et possibilité de mise en œuvre. Elle coordonne les réponses apportées avec la DGEFP et les services déconcentrés du ministère du travail, qui demeurent décisionnaires.

La Dire peut également être force de proposition pour l’élaboration des dispositifs visant les salariés de ces entreprises, sur la base de ses retours d’expérience, et être consultée sur leur mise en œuvre.

L’activité de la structure a été marquée ces dernières années par une forte mobilisation des équipes dans le contexte d’une augmentation des restructurations en 2023 et 2024. Plus de 80 dossiers ont été suivis en 2024 (contre 65 l’année précédente), représentant plus de 20 000 emplois. Les difficultés rencontrées viennent essentiellement d’une contraction de certains marchés (automobile notamment), d’une perte de compétitivité liée à la hausse des coûts ou à la concurrence accrue des pays à bas coûts (chimie notamment), ou encore de transitions technologiques (automobile). Au 1er avril 2025, la Dire était mobilisée sur plus de 70 dossiers actifs concernant plus de 20 000 salariés. Les principaux secteurs concernés sont l’automobile (33 % des dossiers), les autres industries (20 %), la chimie (13 %), l’agroalimentaire (8 %) et la métallurgie (7 %).

Selon les informations communiquées par Mme Hélène Lebedeff, l’action de la Dire a permis d’obtenir des résultats positifs et de sauver plusieurs entreprises stratégiques et les emplois industriels correspondants dans le cadre de procédures collectives ayant abouti à des reprises en plans de cessions. On peut en particulier citer plusieurs entreprises dans le secteur des forges (fonderies particulièrement fragilisées) ou dans celui de l’industrie de la transformation (aciéries, verreries, fonderies d’aluminium, etc.). Ces entreprises étaient situées très majoritairement dans des zones rurales caractérisées par l’absence d’autres industries, laquelle aurait rendu particulièrement difficile la recherche d’un repreneur pour le site et le reclassement ou la reconversion des salariés.

Ces projets ont été accompagnés par les équipes de la Dire en lien avec les acteurs territoriaux, les organisations syndicales, les services déconcentrés de l’État, les acteurs participant à la mise en œuvre des procédures collectives et moyennant la mobilisation d’outils financiers publics ayant permis la finalisation du financement des projets de reprise.

La Dire suit avec une attention particulière la mise en œuvre des PSE les plus sensibles, en lien étroit avec les services du ministère du travail. Elle veille ainsi, conjointement avec les Dreets, à la régularité de la procédure d’information-consultation du CSE, à la qualité du dialogue social ainsi qu’à l’adaptation des mesures de reclassement et de reconversion des salariés licenciés. Elle peut également intervenir comme « facilitatrice » lors de conflits sociaux.

D’après Mme Hélène Lebedeff, les échecs sont rares et concernent des sites ou des entreprises pour lesquels les conditions de marché ne permettent pas la reprise de l’ensemble des activités à des conditions économiques viables.

  1.   L’intervention des acteurs privés et associatifs est essentielle pour les entreprises en difficulté
    1.   Les procédures applicables aux entreprises en restructuration mobilisent diverses professions

Si la majorité des PSE est mise en œuvre par des entreprises in bonis et bien que 60 % des procédures collectives concernent des entreprises ne comptant aucun salarié ([291]), les entreprises en difficulté représentent une part non négligeable des licenciements économiques, dans des situations où la préservation de l’emploi apparaît comme un enjeu majeur.

Selon l’observatoire du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ), qui recueille des données permettant d’estimer le nombre d’emplois théoriquement menacés par une procédure collective ([292]), plus de 193 000 emplois ont été concernés en 2024, la majorité d’entre eux relevant des plus petites structures. Comme l’a souligné M. François-Charles Desprat, son président, « la préservation de l’emploi constitue d’ailleurs un objectif fondamental dans les procédures collectives et un enjeu central pour les professionnels du secteur. […] Une étude comparative menée il y a cinq ans sur les dispositifs de traitement des difficultés d’entreprises dans plusieurs pays voisins a démontré que, grâce aux efforts de l’ensemble des intervenants, 68 % des emplois étaient préservés dans les procédures collectives françaises. » ([293])

Néanmoins, certaines situations sont particulièrement difficiles pour les salariés. Selon les informations communiquées par la Dire, « lorsqu’une liquidation judiciaire est prononcée sans plan de cession, la conséquence immédiate est la suppression de tous les contrats de travail liés à l’entreprise. Même en cas de reprise partielle, une part importante des effectifs peut être écartée du périmètre de reprise. En effet, dans le cadre d’un plan de cession, il est possible de tenir en échec les dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail prévoyant une reprise automatique des contrats de travail. Le repreneur en plan de cession décide des contrats qu’il souhaite reprendre et les postes non repris donneront lieu à des licenciements pour motif économique, qui devront intervenir dans le mois de l’arrêté du plan sur simple notification de l’administrateur ou à défaut du liquidateur, sous réserve des droits de préavis et sans préjudice de l’obligation d’établir un plan de sauvegarde de l’emploi. Les données issues des juridictions commerciales indiquent qu’en moyenne, moins d’un quart des entreprises en liquidation font l’objet d’une reprise partielle. Lorsqu’il y a cession, les emplois conservés dépassent rarement 50 % des effectifs initiaux. » ([294])

Lorsqu’une entreprise fait face à une restructuration, celle-ci peut s’inscrire dans le cadre de procédures amiables prévues par le code de commerce :

– le mandat ad hoc (article L. 611-3 du code de commerce) est une procédure confidentielle, non judiciaire, accessible à toute entreprise à titre préventif, et par laquelle le dirigeant d’une entreprise sollicite du président du tribunal la désignation d’un mandataire ad hoc, soit un tiers de confiance chargé de faciliter la résolution amiable des difficultés de l’entreprise (par exemple, négocier avec les créanciers ou rechercher de nouveaux financements sans contrainte de durée ni d’obligation d’accord formalisé) ;

– la conciliation (article L. 611-4 du code de commerce), en revanche, s’adresse aux entreprises dont les difficultés sont avérées, mais qui restent solvables (l’entreprise ne doit pas être en cessation des paiements depuis plus de 45 jours), et implique la nomination d’un conciliateur par le président du tribunal de commerce. D’une durée de cinq mois maximum, elle vise à aboutir à un accord amiable avec les créanciers, qui peut être homologué par le tribunal pour garantir sa sécurité juridique. Ce dispositif permet d’anticiper et de traiter les difficultés financières avant qu’elles ne deviennent insurmontables.

Lorsque ces procédures dites préventives ne sont pas suffisantes, l’entreprise en difficulté peut entrer dans l’une de ces procédures collectives :

 la sauvegarde (articles L. 620-1 et suivants du code de commerce) est une procédure judiciaire devant permettre la poursuite de l’activité, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif ; elle est initiée par le débiteur qui n’est pas en état de cessation des paiements. La sauvegarde donne lieu, à l’issue d’une période d’observation, à l’arrêté d’un plan dont les cautions personnes physiques peuvent se prévaloir.

Il existe également une procédure de sauvegarde accélérée, prévue à l’article L. 628-1 du même code, qui est ouverte à l’initiative du débiteur sous réserve qu’il soit engagé dans une procédure de conciliation au cours de laquelle il élabore un projet de plan « tendant à assurer la pérennité de l’entreprise » ;

– le redressement judiciaire (articles L. 631-1 et suivants du code de commerce) est une procédure qui, à l’instar de la procédure de sauvegarde, doit permettre à l’entreprise défaillante de poursuivre son activité, de maintenir l’emploi et d’apurer son passif. À la différence de la sauvegarde, elle est applicable aux débiteurs en état de cessation des paiements. Cette procédure peut être ouverte sur requête du débiteur, du ministère public, ou sur assignation d’un créancier. Elle passe par une période d’observation, accordée par le tribunal en vue de dresser un bilan économique, social, voire environnemental et de faire des propositions pour la poursuite de l’activité. Ces propositions aboutissent soit à un plan de redressement par continuation si le tribunal estime que le débiteur est capable de rétablir l’entreprise, soit à la cession de l’entreprise à un tiers avec sauvetage de l’emploi, soit à une liquidation judiciaire s’il n’existe aucun espoir de redressement ;

– la liquidation judiciaire (articles L. 640-1 et suivants du code de commerce) vise à réaliser l’actif et apurer le passif d’un débiteur en état de cessation des paiements, dont le redressement est manifestement impossible. Elle est ouverte sans période d’observation sur assignation d’un ou plusieurs créanciers à condition de prouver l’état de cessation des paiements, à l’initiative du débiteur lui-même ou à la demande du procureur de la République. Elle peut résulter de la conversion d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire s’il s’avère que le débiteur est en état de cessation des paiements et qu’un plan de continuation est impossible à mettre en œuvre. Elle met en principe fin à l’activité de l’entreprise, mais peut être exceptionnellement assortie d’une poursuite d’activité pour faciliter la cession de l’entreprise. Elle implique la désignation d’un mandataire judiciaire, nommé en qualité de liquidateur judiciaire.

Comme l’a rappelé Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire, dans ses réponses au questionnaire adressé par le rapporteur, la continuation de l’activité et le maintien de l’emploi sont au cœur des procédures de restructuration. Le maintien de l’emploi est ainsi l’un des trois piliers des plans de redressement et de sauvegarde, aux côtés de la poursuite de l’activité et de l’apurement du passif, conformément aux articles L. 620-1 et L. 631‑1 du code de commerce. En cas de mise en œuvre d’un plan de cession d’une entreprise, les critères retenus sont, dans l’ordre, le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, la préservation de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et l’apurement du passif.

Néanmoins, en cas de reprise d’une entreprise en difficulté, il n’y a pas d’obligation légale de maintien de l’emploi, bien que l’usage se soit répandu de prendre des engagements de non licenciement pour motif économique pendant au moins deux ans sauf autorisation du tribunal, sans qu’il n’existe de sanction en cas de non-respect de ces engagements.

Modalités et encadrement juridique de la reprise d’une entreprise en difficulté

Une entreprise en procédure collective peut faire l’objet d’une cession, et ce sous différentes formes, dans un cadre juridique particulier :

– cession interne (articles L. 626-1 et suivants du code de commerce pour les entreprises en sauvegarde, articles L. 631-18 et suivants pour les entreprises en redressement judiciaire) : changement d’actionnaire, prise de contrôle par rachat de titres de l’entreprise ou souscription à une augmentation de capital, subordonné à l’adoption d’un plan de sauvegarde ou de continuation. Ainsi, la reprise comprend l’actif et le passif de la société ;

– cession d’entreprise (articles L. 642-1 et suivants du code de commerce) : rachat par un repreneur des actifs nécessaires à la poursuite de l’activité, sans transfert de la dette et avec un périmètre social à déterminer.

En cas de cession, un contrôle étroit du tribunal de commerce est exercé, dans le respect des critères mentionnés plus haut. Un processus d’appel d’offres est organisé par un auxiliaire de justice indépendant, l’administrateur judiciaire, avec un contrôle de la provenance des fonds et de la probité des repreneurs ;

– cession d’actifs isolés, en cas de liquidation judiciaire (articles L. 642-18 et suivants du code de commerce) : rachat par le repreneur de certains actifs de la société.

Plusieurs dispositifs sont prévus par la loi pour assurer l’inaliénabilité des actifs repris afin de prévenir les stratégies d’achat-revente au détriment de la poursuite de l’activité et du maintien de l’emploi :

o article L. 626-14 du code de commerce pour les plans de continuation ;

o article L. 642-10 du code de commerce pour les plans de cession d’entreprise ;

o article L. 654-8 du code de commerce sur l’incrimination (infraction pénale) de la cession d’un bien rendu inaliénable au titre d’un plan de cession.

La mise en œuvre de ces procédures implique l’intervention de différents professionnels, amenés à agir en coordination avec les pouvoirs publics : administrateurs ou mandataires judiciaires, conciliateurs, tribunaux de commerce, associations, etc.

Les administrateurs judiciaires peuvent intervenir à titre préventif, dans le cadre des procédures amiables, mais l’essentiel de leur activité demeure judiciaire, sur désignation du tribunal, dans le cadre des procédures collectives. En cas de procédure collective, la désignation d’un administrateur judiciaire est obligatoire pour les entreprises employant au moins 20 salariés ou réalisant un chiffre d’affaires de plus de 3 millions d’euros, et optionnelle en-deçà.

L’administrateur judiciaire a une mission de surveillance, d’assistance et de représentation dans la gestion, en cas de redressement judiciaire.

Les mandataires judiciaires représentent l’intérêt collectif des créanciers, en cas de cessation des paiements.

Le tribunal de commerce est compétent pour appliquer les dispositions du livre VI du code de commerce aux entreprises en difficulté exerçant une activité commerciale ou artisanale ([295]).

Ils interviennent dans la prévention et le traitement des difficultés. En cas de procédures amiables, le président du tribunal intervient à l’initiative du dirigeant de l’entreprise en vue de l’ouverture d’une procédure de mandat ad hoc ou d’une conciliation et peut prendre en compte des informations communiquées par d’autres acteurs publics ou privés. En cas de traitement judiciaire, le tribunal est saisi soit à l’initiative du dirigeant, soit sur assignation d’un créancier impayé ou du ministère public.

En cas de cession d’une entreprise, c’est le tribunal de commerce qui rend la décision relative au choix du repreneur. En cas de conciliation, le tribunal est appelé à constater ou homologuer l’accord amiable adopté par l’entreprise et ses créanciers ([296]). Dans le cadre d’une procédure collective, le tribunal est appelé à statuer sur une ou plusieurs offres de reprise, après avoir recueilli l’avis de diverses parties, dont le CSE.

Lorsqu’une entreprise en difficulté établit un PSE, ces professionnels jouent un rôle dans la mise en œuvre de la procédure, pour partie dérogatoire du droit commun.

Les spécificités de la procédure d’élaboration
des PSE dans les entreprises en difficulté

Lorsqu’une entreprise placée en redressement ou en liquidation judiciaire met en œuvre un PSE, certaines étapes de la procédure sont aménagées, dans les conditions prévues aux articles L. 1233-58 à L. 1233-60-1 du code du travail.

Le CSE peut rendre un avis après une seule réunion (une seconde réunion étant organisée en cas de recours à un expert) et les délais en vigueur sont raccourcis.

Dans une procédure de redressement, le tribunal de commerce est appelé, sous la forme d’un jugement, à refuser ou à arrêter un plan de redressement indiquant le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé et les activités et catégories professionnelles concernées. Le jugement est ensuite notifié au CSE. La demande de validation administrative est transmise à la Dreets dans le mois qui suit le jugement arrêtant le plan. La Dreets dispose alors d’un délai de huit jours pour homologuer ou valider le PSE (le délai est identique en cas de procédure de sauvegarde et il est porté à quatre jours en cas de liquidation). Conformément à l’article L. 631-17 du code de commerce, les licenciements pour motif économique ne sont pas autorisés pendant la période d’observation, sauf s’ils présentent un caractère « urgent, inévitable et indispensable » et que l’administrateur a été autorisé par le juge‑commissaire à y procéder.

L’administrateur chargé de gérer les biens de l’entreprise, dont la désignation est obligatoire dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire lorsque l’entreprise compte plus de 20 salariés et fait un chiffre d’affaires hors taxes supérieur à 3 millions euros, doit adresser au juge-commissaire ([297]) , une demande d’autorisation des licenciements contenant notamment l’avis du CSE et la décision rendue par la Dreets. Il se prononce sous la forme d’une ordonnance, notifiée au CSE ou aux représentants des salariés.

Dans une procédure de liquidation, le liquidateur est appelé à transmettre copie du jugement de liquidation judiciaire à la Dreets et les modalités encadrant l’avis rendu par le CSE sont les mêmes qu’en cas de redressement. Le liquidateur doit établir un PSE et le transmettre au CSE et à la Dreets. Celle-ci dispose d’un délai de quatre jours à compter de la dernière réunion du CSE pour rendre sa décision de validation ou de rejet du PSE. En cas de décision défavorable, le CSE est consulté dans un délai de trois jours. Si cela est nécessaire, le document modifié et l’avis du CSE sont transmis à la Dreets, qui se prononce dans un délai de trois jours.

  1.   Le rôle des associations et des organisations patronales

L’accompagnement des entreprises en difficulté repose également sur un important réseau associatif et sur l’appui des organisations patronales, qui jouent aussi un rôle auprès des salariés dont l’emploi est menacé.

La commission d’enquête a entendu M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), fondée en 2002 dans le but d’encourager la détection précoce des signaux de fragilité, d’améliorer la diffusion et la compréhension des dispositifs de prévention et de traitement, et de renforcer l’efficacité opérationnelle des restructurations, le tout pour favoriser des retournements d’entreprises durables et réussis.

Initialement composée d’une vingtaine de membres, l’ARE rassemble aujourd’hui 320 professionnels spécialisés dans le retournement des entreprises. Son fonctionnement repose sur une approche strictement associative et mobilise l’expérience de professionnels (avocats, juristes, administrateurs judiciaires, investisseurs, conseillers financiers, managers, etc.) dans différents domaines (droit des entreprises en difficulté, droit des contrats, droit social, droit fiscal ou droit des sûretés). L’ARE a également développé des partenariats universitaires visant à sensibiliser le grand public ainsi que les dirigeants de très petites entreprises (TPE) et de petites et moyennes entreprises (PME) aux outils de prévention. Ces partenariats, organisés avec des écoles de commerce et des universités implantées à Paris, Lyon et Marseille, ont pour objectif de former les étudiants à ces enjeux afin de favoriser une prise de conscience ancrée dans la durée.

Comme cela a été souligné par M. Bailly, l’ARE entretient « des relations suivies avec les pouvoirs publics, notamment en assurant bénévolement la formation des commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises (CRP) et en siégeant au comité national de sortie de crise » ([298]).

D’autres structures sont mobilisées auprès des entreprises en difficulté, à l’instar du Portail du rebond des entrepreneurs, qui réunit six associations pour intervenir auprès des entrepreneurs, ou encore des groupements de prévention agréés (GPA) ou des centres d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP).

Mentionnés à l’article L. 611-1 du code de commerce, les GPA sont ouverts à toute personne immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre national des entreprises en tant qu’entreprise du secteur des métiers et de l’artisanat ainsi qu’à tout entrepreneur individuel à responsabilité limitée et à toute personne morale de droit privé.

Ils ont pour mission de fournir à leurs adhérents, de façon confidentielle, une analyse des informations économiques, comptables et financières qu’ils leur transmettent régulièrement. Lorsque le groupement relève des indices de difficulté, il en informe le chef d’entreprise et peut lui proposer l’intervention d’un expert. Les administrations compétentes sont amenées à coopérer avec les GPA. Comme l’a rappelé M. Didier Moinereau, président de la CPME 91, il s’agit d’un service gratuit assuré par des bénévoles, en collaboration étroite avec les services de Bercy, la médiation du crédit et la médiation des entreprises « pour intervenir le plus tôt possible et soutenir le tissu économique » ([299]).

Les CIP – un CIP national et plus de 60 CIP territoriaux – sont des dispositifs d’accueil et d’écoute des chefs entreprise, qui leur permettent d’avoir accès à différents professionnels et experts bénévoles afin de les aider à anticiper et traiter les difficultés.

Enfin, il faut également mentionner l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), qui joue un rôle important pour les salariés des entreprises en difficulté.

L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés

Encadré par les articles L. 3253-1 à L. 3253-23 et D. 3253-1 à R. 3253-6 du code du travail, le régime de garantie des salaires assure le paiement des sommes dues aux salariés en cas de procédure collective (salaires, préavis, indemnités de licenciement, etc.) lorsque l’employeur ne dispose pas des fonds nécessaires (1). L’ensemble des salariés liés par un contrat de travail, y compris les apprentis et les salariés intérimaires, quelle que soit leur ancienneté, peuvent en bénéficier.

Cette mission est assurée, depuis sa création en 1974, par l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), sur la base d’une solidarité interentreprises. L’employeur s’acquitte d’une cotisation fixée à 0,25 % des salaires (2), recouvrée par les Urssaf pour le compte du régime d’assurance chômage et plafonnée à quatre plafonds mensuels de la sécurité sociale (soit 15 700 euros en 2025) pour un salarié à temps plein.

Selon son bulletin trimestriel n° 48, l’AGS a versé, en 2024, plus de 2,1 milliards d’euros (+ 23 % par rapport à 2023) à près de 250 000 salariés qui ont reçu, en moyenne, plus de 8 500 euros.

L’étendue des sommes garanties par l’AGS dépend de la procédure collective ouverte. En cas de procédure de sauvegarde ou de redressement, elle est limitée à un plafond fixé en fonction de l’ancienneté du salarié. En cas de liquidation judiciaire, la garantie des salaires est limitée à 7 850 euros pour un mois de salaire.

(1) En procédure de sauvegarde, l’entreprise, qui n’est pas en état de cessation des paiements, doit prouver qu’elle n’est pas en capacité de payer les sommes dues.

(2) Certaines catégories d’employeurs ne sont pas soumises à la cotisation AGS : les personnes morales de droit public, les syndicats de copropriété, les employeurs de personnel de maison.

Source : Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés.

  1.   L’importance de la formation et de la sensibilisation des employeurs aux difficultés économiques

Dans son rapport sur la détection et le traitement des difficultés des TPE et PME, la Cour des comptes constate que le système de détection et d’orientation, qui a fait l’objet de réorganisations en sortie de crise, est « éclaté ». L’écosystème, ajoute-t-elle, est « foisonnant », du fait de la coexistence de plusieurs réseaux relevant de la DGFiP, de la DGE, du ministère du travail ou encore des Urssaf, auxquels s’ajoutent des acteurs associatifs et privés et les élus locaux (voir infra). Pour le rapporteur, la multiplicité des outils emporte un risque de complexité pour les acteurs économiques et notamment pour les représentants du personnel, et par là-même de fragilisation des dispositifs existants. Par conséquent, la Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises, dont la création est proposée par la recommandation n° 23, pourrait utilement jouer un rôle de guichet unique à la fois pour l’octroi et le contrôle des aides et pour l’orientation des entreprises confrontées à des difficultés.

Le bilan des dispositifs mis en œuvre récemment, à commencer par les CDED, est jugé « décevant ». Comme cela a été indiqué par Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, « [le] travail d’enquête a mis en lumière une forte fragmentation et un manque de lisibilité du système de détection et de traitement des difficultés des TPE et PME. De nombreux acteurs interviennent dans ce champ et, bien qu’un point d’entrée unique ait été mis en place en 2021 avec les conseillers départementaux aux entreprises en difficulté, cette diversité d’intervenants continue à complexifier les dispositifs. » ([300]) En outre, « la Cour a également constaté que les bilans de ces dispositifs étaient décevants, les intervenants départementaux étant mal identifiés par les chefs d’entreprise, les contacts initiés par l’administration peu concluants et l’orientation vers les structures insuffisantes. La multiplication des structures et des instances rend ainsi le parcours usager peu lisible. » ([301]) Les procédures de traitement des difficultés sont par ailleurs décrites comme « nombreuses et adaptées aux difficultés spécifiques de chaque entreprise » ([302]).

En conclusion, la Cour recommande le renforcement de la coordination entre les acteurs. Néanmoins, pour la DGFiP, il importe de tenir compte du « caractère relativement récent des évolutions » concernant le Cnased, les Cdased, le CDED ou encore la plateforme Signaux faibles. Par conséquent, « une partie des critiques mises en avant par la Cour trouvent ainsi leur réponse dans les évolutions actuellement mises en œuvre » ([303]).

Pour M. François-Charles Desprat, président du CNAJMJ, « s’il semble difficile de ne pas souscrire au constat établi par la Cour, [il faut] reconnaître que la multiplication des intervenants, qui s’est faite au fil du temps, procédait initialement d’une intention positive » ([304]).

De façon générale, le rôle des pouvoirs publics dans l’accompagnement des entreprises a été salué par de nombreux interlocuteurs. Pour M. Patrick Martin, président du Mouvement des entreprises de France (Medef), « le Medef porte une appréciation positive sur les dispositifs en vigueur. Le panel des outils s’est étoffé au fil des années. Pour les avoir moi-même utilisés en tant que chef d’entreprise, je peux attester de leur utilité. Ils permettent de gérer des situations délicates, dont les chefs d’entreprise se passeraient volontiers, de manière plus efficace qu’auparavant aux plans humain, social et financier. » ([305])

Mme Hélène Bourbouloux a également souligné l’existence d’une « vraie compétence », en France, en matière d’accompagnement des entreprises en difficulté ou en restructuration, avec une « prise en compte croissante des difficultés des entreprises par les pouvoirs publics, notamment via une volonté du législateur d’appréhender les difficultés le plus en amont possible » ([306]).

Deux éléments ont été mis en avant : d’une part, l’importance de l’anticipation des difficultés, et d’autre part l’importance de la formation des employeurs, notamment dans les TPE et PME.

Comme l’a souligné Mme Bourbouloux, « les procédures collectives sont complexes et les entrepreneurs peinent à naviguer dans les changements législatifs et à comprendre leurs droits et obligations » ([307]), ce qui rend particulièrement importants les efforts engagés en matière de formation et de sensibilisation des entrepreneurs au stade des études supérieures. Pour M. Pascal Lokiec, professeur des universités, « il est évident que les petites entreprises rencontrent des difficultés dans l’application du droit du travail. […] Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de renforcer l’aide judiciaire, notamment pour faciliter l’accès aux services des avocats. Ces derniers jouent un rôle crucial de conseil, particulièrement auprès des grandes entreprises. Malheureusement, les petits patrons n’ont généralement pas les moyens de bénéficier de tels services. Un véritable effort doit être accompli pour améliorer l’accès au droit des petites entreprises, en tenant compte de leurs ressources limitées par rapport aux grands groupes. » ([308])

Une sensibilisation accrue des employeurs pourrait utilement porter sur l’importance d’une anticipation le plus en amont possible des difficultés, afin que les employeurs puissent être pleinement proactifs en cas de difficulté. Pour M. Amir Reza-Tofighi, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), « il est essentiel de sensibiliser les dirigeants sur la nécessité de solliciter de l’aide dès l’apparition des premiers signes de difficulté. C’est un enjeu majeur pour nos organisations et pour l’ensemble de l’économie. » ([309]) Or, pour M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, « l’insuffisance d’anticipation des difficultés des entreprises est une réalité constatée par nos tribunaux. Pour y remédier, une meilleure information par les acteurs publics pour encourager le chef d’entreprise à rencontrer le président du tribunal de commerce en toute confidentialité pour exposer ses difficultés permettrait de mettre en œuvre les mesures prévues par la loi en la matière. » ([310])

Pour le rapporteur, les pouvoirs publics – tant les services de l’État que les collectivités locales – pourraient également mettre en place des programmes de médiation associant les représentants du personnel et les employeurs afin de prévoir et de systématiser la concertation lorsque les premières difficultés apparaissent, dans le but d’intervenir le plus en amont possible. La concertation et l’intervention des pouvoirs publics comme médiateurs pourraient être obtenues sur demande des représentants du personnel ou de l’employeur.

Recommandation n° 27

Renforcer les modules de formation des entrepreneurs en matière de droit des licenciements économiques et de droit des entreprises en difficulté et développer ce type de formation dans les cursus d’études supérieures.

Recommandation n° 28

Renforcer l’accompagnement juridique des dirigeants de très petites entreprises et petites et moyennes entreprises en difficulté.

Recommandation n° 29

Mettre en place des programmes de médiation réunissant les pouvoirs publics, les représentants du personnel et l’employeur d’une entreprise en cas de difficulté rencontrée par celle-ci, sur demande des représentants du personnel ou de l’employeur.

Pour le rapporteur, il importe de souligner que l’anticipation des difficultés économiques peut et doit aussi reposer sur les salariés et leur participation à la gouvernance de l’entreprise (voir infra).

  1.   Une bataille pour l’emploi qui repose sur la volonté politique des élus locaux

Les collectivités territoriales et les élus locaux sont « en première ligne » face aux difficultés économiques et sociales provoquées par les licenciements économiques et à la multiplication des PSE ([311]).

Comme l’a souligné M. Christophe Ferrari, s’exprimant à propos de la mobilisation des élus locaux – épaulés par plusieurs parlementaires – et du Gouvernement au regard des difficultés économiques rencontrées par l’entreprise Vencorex, « nous avons travaillé d’arrache-pied pour trouver des solutions, mais nos efforts n’ont pas été pleinement considérés. J’insiste sur la nécessité, pour le futur ministre, de collaborer étroitement avec les élus locaux et les forces vives du territoire. » ([312]) Ainsi, « il a en effet fallu attendre le 20 novembre pour qu’un premier échange téléphonique ait lieu entre le ministre de l’industrie et moi-même, à la suite d’une rencontre fortuite avec l’ancien ministre Roland Lescure, qui a probablement contribué à susciter cet échange. Le ministre Marc Ferracci, quant à lui, ne s’est jamais rendu sur place. Toutes les réunions ont eu lieu par visioconférence, ou à Bercy, mais jamais directement sur le territoire. Il a fallu attendre le 20 mars 2025, soit deux semaines avant la fin de la période de redressement judiciaire, pour qu’une délégation de Bercy daigne se déplacer. Le dossier a été intégralement géré depuis Paris, en dehors de toute logique partenariale, l’approche adoptée ayant été exclusivement descendante. » ([313]) Lors de son audition, le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, M. Marc Ferracci, a confirmé pour sa part avoir eu « plusieurs visioconférences avec l’ensemble des parties prenantes » ([314]).

  1.   L’action des élus locaux s’appuie sur les compétences des collectivités territoriales dans les domaines économique et social

Si tous les élus – élus locaux, parlementaires – sont amenés à se mobiliser lors de l’élaboration d’un PSE, il convient de rappeler que les compétences des collectivités territoriales en matière d’aide économique sont distinctes selon le niveau d’intervention. En d’autres termes, toutes les collectivités territoriales – régions, départements, communes et intercommunalités – sont mobilisées face aux difficultés économiques et aux PSE, mais elles n’ont pas les mêmes compétences dans ces domaines.

Ainsi, la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi Maptam, et la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, ont établi une plus grande spécialisation dans les compétences – notamment en matière économique – des différentes catégories de collectivités.

La loi NOTRe a confié aux régions une compétence exclusive pour la définition des aides aux entreprises (à l’exception des aides à l’immobilier d’entreprise, qui relèvent du bloc communal), alors qu’elles disposaient auparavant d’un rôle de chef de file en la matière. Ces aides comprennent le soutien à la création et à l’extension de l’activité des entreprises, aux organismes qui participent à la reprise ou à la création d’entreprises et aux entreprises en difficulté. Les régions sont également chargées du recensement annuel des aides versées par les collectivités territoriales au titre de la politique européenne de la concurrence. Ce sont les régions qui disposent aujourd’hui des possibilités d’intervention les plus étendues pour le financement des entreprises par le biais de l’ingénierie financière ou de prises de participations dans des sociétés commerciales.

Les régions sont également les seules collectivités compétentes pour octroyer des aides aux entreprises en difficulté, mais elles peuvent, sur la base de conventions de délégation ([315]), déléguer leurs compétences à une autre collectivité territoriale ou à un EPCI. La convention de délégation doit respecter les objectifs fixés dans le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation ([316]), définir les conditions de financement mobilisées par chacune des parties et être signée par le président du conseil régional après autorisation par délibération.

La même loi a par ailleurs limité la capacité d’intervention des départements en matière économique. Depuis le 1er janvier 2016, ils ne peuvent plus participer au financement des aides et régimes d’aides en faveur de la création ou de l’extension économique, ni définir de régimes d’aides. Ils peuvent en revanche intervenir par délégation de l’octroi de tout ou partie des aides ou en cofinancement. Les départements peuvent ainsi attribuer par délégation du bloc communal les aides à l’immobilier d’entreprise ou au développement foncier d’entreprise.

Les départements peuvent soutenir les filières agricoles et forestières en complément de la région, dans le cadre d’une convention conclue entre les parties. L’article L. 3231-1-2 du code général des collectivités territoriales leur permet de participer au financement d’aides accordées par la région en faveur d’organisations de producteurs et d’entreprises exerçant une activité de production, de commercialisation et transformation de produits agricoles, de produits de forêt ou de produits de la pêche. Ces aides doivent s’inscrire dans un programme de développement rural et régional ou dans un régime d’aides existant, au sens du droit européen.

Dans le domaine de la solidarité territoriale, les départements disposent toujours d’une importante capacité d’intervention. Ils peuvent octroyer, sous conditions ([317]), des aides d’investissement aux communes ou à leurs groupements pour un projet dont ils sont maîtres d’ouvrage. L’intervention des départements a vocation à s’inscrire en complément de l’action des communes et des EPCI. Du reste, pour que leur intervention soit justifiée, la carence de l’initiative privée doit être constatée.

Les départements peuvent également intervenir au titre de la solidarité sous différentes formes : versement de subventions de fonctionnement aux structures locales des organisations syndicales représentatives (article L. 3231-3-1 du code général des collectivités territoriales) ; octroi de garanties d’emprunt ou cautions à une personne de droit privé sous certaines conditions prévues aux articles L. 3231‑4 et L. 3231-5 du code général des collectivités territoriales ; participation au capital de sociétés dans le cadre prévu à l’article L. 3231‑6 du même code.

Par ailleurs, les départements interviennent dans les domaines de l’insertion et de l’accompagnement. Ils financent – sauf exceptions – le revenu de solidarité active (RSA), dont le nombre de bénéficiaires tend à augmenter lorsque la situation économique se dégrade.

Les départements déploient également des dispositifs d’accompagnement personnalisés pour aider les personnes à retrouver un emploi ou à se former, en collaboration avec les acteurs locaux (France Travail, missions locales, associations, etc.). Ils financent et soutiennent des dispositifs d’insertion, comme les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE), qui proposent des emplois temporaires adaptés au profil des personnes.

Pour les publics les plus vulnérables, les principaux dispositifs relevant des politiques d’action sociale et d’insertion sont :

– les aides financières accordées en règlement des factures d’énergie (eau, électricité), de logement (accès, maintien, aménagement, rénovation, etc.), de mobilité (réparation ou aide aux déplacements, etc.) ;

– l’accompagnement social global par des travailleurs sociaux en cas de situations de surendettement ainsi que l’aide à la gestion du budget familial ;

– les aides à l’insertion ou à la réinsertion sociale et professionnelle et l’accompagnement par des conseillers en insertion.

Enfin, le bloc communal (communes et intercommunalités) dispose de compétences en matière d’aides aux entreprises dans les domaines suivants :

– l’aide à l’immobilier d’entreprise ;

– le soutien aux professionnels de santé ;

– l’aide au maintien du dernier commerce ;

– l’aide au cinéma ;

– la garantie d’emprunt ;

– la participation au capital des sociétés sous conditions.

La compétence principale du bloc communal en matière économique est l’aide à l’immobilier d’entreprise, particulièrement exercée par les intercommunalités à fiscalité propre ([318]).

Les intercommunalités – et les communes si la définition de l’intérêt communautaire le permet – peuvent, moyennant la conclusion d’une convention avec la région, intervenir en complément de celle-ci dans le cadre du versement des aides en faveur d’organisations de producteurs des filières agricole, forestière et halieutique, des aides aux entreprises en difficulté et des aides générales dédiées à la création ou à l’extension d’activités économiques. Les intercommunalités peuvent également recevoir délégation de compétence de la région pour l’octroi d’aides aux entreprises sur le fondement de l’article L. 1111-8 du code général des collectivités territoriales.

Enfin, les métropoles (ainsi que les communes et les EPCI, dans le cadre d’une convention conclue avec la région) peuvent subventionner les organismes qui participent à la création ou à la reprise d’entreprises.

En outre, d’autres structures se sont développées en appui de l’intervention économique des collectivités territoriales. Il s’agit notamment :

– des agences de développement économique, créées à l’initiative d’une collectivité territoriale afin de promouvoir la création d’activité et d’emplois sur le territoire et de faire le lien entre les collectivités, les entreprises et l’État. Elles interviennent pour favoriser la création d’emplois, l’implantation d’activités, l’innovation et la compétitivité. Leurs missions incluent l’appui aux entreprises dans leurs projets d’investissement, le soutien à l’entrepreneuriat, la mise en réseau des acteurs économiques et la valorisation des filières stratégiques du territoire ;

– des agences d’attractivité, chargées de renforcer l’attractivité d’un territoire en agissant sur plusieurs leviers, notamment le développement économique, le tourisme, l’enseignement supérieur et la qualité de vie. Elles visent à promouvoir un territoire auprès des entreprises, des investisseurs, des talents et des visiteurs et travaillent en collaboration avec les acteurs locaux pour élaborer une stratégie cohérente d’attractivité territoriale.

Ces agences sont regroupées au sein de la fédération des agences d’attractivité, de développement et d’innovation (Cner), qui compte aujourd’hui près de 80 adhérents.

  1.   La nécessité de renforcer la conditionnalité des aides versées aux entreprises par les collectivités territoriales : les enseignements tirés du cas AGCO

Les collectivités territoriales peuvent apporter une part importante des aides publiques allouées aux entreprises. Le cas d’AGCO, groupe américain implanté dans 33 pays, dont la France, où il compte trois sites (Beauvais, Ennery et Bondoufle), est intéressant à cet égard. Dans le cadre d’un plan de transformation du site industriel de Beauvais, la direction d’AGCO a indiqué au rapporteur avoir été approchée par les autorités locales afin de revaloriser un site ayant appartenu au Groupe Froneri ([319]). D’après les informations communiquées au rapporteur, AGCO a, le 15 avril 2019, présenté à la communauté d’agglomération du Beauvaisis, au département et à la préfecture de l’Oise ainsi qu’au conseil régional des Hauts‑de‑France un projet d’agrandissement du site visant à acquérir les terrains et bâtiments de Froneri France, reconvertir la friche industrielle et créer 195 emplois sur le territoire en cinq ans.

L’octroi des financements publics était conditionné à la mise en place d’une « solution technique qui conduirait à une libre circulation » entre les sites « se trouvant de part et d’autre de l’avenue Blaise Pascal » ([320]), à Beauvais, afin de rationaliser et de sécuriser l’intégralité des flux logistiques de l’entreprise en dehors de l’espace public et de fluidifier la circulation urbaine entre le nord et le sud. La confirmation par l’agglomération du Beauvaisis, le 7 octobre 2020, de la disponibilité de l’avenue Blaise Pascal dès le mois de juin 2021 a permis à l’entreprise d’effectuer les travaux de pré-connexion des sites et d’accélérer la mise en place des investissements de production. Cela s’est traduit par une anticipation des embauches promises que M. Thierry Lhotte, alors président d’AGCO France, a annoncées à la présidente de la communauté d’agglomération du Beauvaisis, Mme Caroline Cayeux, dans un courrier en date du 15 décembre 2020, transmis au rapporteur.

Selon les informations communiquées par la direction du groupe, les aides exceptionnelles versées pour la revitalisation de la friche de Froneri entre 2018 et 2023, la transformation industrielle et l’intégration de valeur (emplois et nouveaux métiers) au sein du site de Beauvais se sont élevées à près de 2,7 millions d’euros ([321]). Selon les informations relayées dans la presse, notamment par certains élus locaux, l’entreprise aurait reçu 13 millions d’euros d’aides publiques, dont 4 millions d’euros de la part de la communauté d’agglomération, 6 millions d’euros de la part de l’État et 3 millions d’euros – répartis à parts égales – de la part du département et de la région.

Or le groupe AGCO a annoncé, le 24 juin 2024, une réduction de 6 % de ses effectifs à l’échelle mondiale. Le plan à destination de la France a été précisé en octobre 2024, de même que les emplois concernés par la réorganisation : 103 emplois sur le site de Beauvais, 12 emplois sur le site d’Ennery et 11 emplois sur le site de Courcouronnes (Bondoufle), soit 6,2 % de l’effectif total en CDI au 31 août 2024. Pour la direction, l’engagement relatif à la création d’emplois a été tenu et même dépassé, puisque le groupe a créé, en France, 330 nouveaux postes en CDI entre décembre 2020 et août 2024, aucun n’étant affecté par le PSE. Pour Mme Caroline Cayeux, « le contrat moral avec l’entreprise [a] été respecté puisque 307 personnes avaient été embauchées le jour de l’inauguration » ([322]) du pont reliant les différents sites de l’entreprise.

Interrogé par le rapporteur sur « l’engagement moral » pris vis-à-vis des territoires pour développer l’emploi, M. Thierry Lhotte, alors président d’AGCO France, a indiqué avoir « scrupuleusement respecté les engagements » ([323]) établis par écrit.

L’insuffisance des engagements « moraux » accompagnant l’octroi des aides publiques versées par les collectivités territoriales n’en est pas moins réelle. Comme cela ressortait d’un rapport d’information de l’Assemblée nationale sur le sujet, « le débat sur la récupération des aides est double : il comporte un volet juridique issu du droit européen et un volet moral et pratique lorsqu’une entreprise procède à des licenciements ou fait faillite alors qu’elle a perçu des aides publiques. Dans les deux cas, la question de la récupération des deniers publics se pose. » ([324]) Ainsi, « une collectivité publique qui constate que les conditions d’octroi d’une aide ne sont pas respectées doit chercher à la récupérer, mais elle ne peut aboutir que si le droit permet cette récupération » ([325]).

Comme cela a été indiqué au rapporteur par l’Association des maires de France (AMF), « le contrôle des aides octroyées par les communes et les intercommunalités se matérialise d’abord par la définition de critères d’attribution des aides et la signature d’une convention entre la ou les collectivités concernées et l’entreprise bénéficiaire. Ces conventions prévoient généralement des contreparties, notamment pour les aides accordées pour pallier une carence de l’initiative privée (horaires d’ouverture, obligation de "garnissement" de commerce, etc.) et pour les aides permettant l’installation de professionnels de santé. » ([326]) Toutefois, les aides octroyées par les communes n’ont pas pour objectif principal la promotion de l’emploi et le développement économique.

Pour la mission d’information de l’Assemblée nationale, « dans la logique d’une approche territoriale et contractuelle des conditionnalités, il est recommandé que les aides à l’installation ou à l’extension d’entreprises soient accompagnées de conventions portant notamment sur le maintien de l’emploi pendant une période déterminée. À défaut du respect de cette condition, la collectivité publique disposerait ainsi d’une base juridique pour demander le remboursement de l’aide. » ([327]) Pour Départements de France, une solution pourrait consister dans la généralisation des avances remboursables.

En cohérence avec les recommandations formulées au sujet de la restitution des aides publiques versées aux entreprises mettant en œuvre des plans de sauvegarde de l’emploi, le rapporteur plaide pour la généralisation de la conclusion de conventions juridiquement contraignantes entre les collectivités territoriales et les entreprises bénéficiant d’aides publiques, qui comporteraient, quel que soit l’objectif de l’aide, des engagements en matière de maintien de l’emploi.

II.   la nécessité de placer le maintien de l’emploi au cœur des interventions des pouvoirs publics auprès des entreprises en difficulté

A.   Les processus de reprise des entreprises en difficulté et de revitalisation des territoires peinent À produire leurs effets

Les employeurs qui mettent en œuvre un PSE accompagnant une fermeture de site ou perturbant, par leur ampleur, l’équilibre d’un ou plusieurs bassins d’emplois sont soumis, pour certains d’entre eux, à des obligations. Toutefois, celles-ci ne sont pas suffisantes et pourraient donc être revues.

1.   La nécessité de revoir les obligations des employeurs en cas de fermeture de site

a.   Les entreprises de plus de 1 000 salariés sont soumises à des obligations en cas de fermeture de site ayant pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi

L’entreprise comptant au moins 1 000 salariés qui envisage la fermeture d’un établissement qui aurait pour conséquence la mise en œuvre d’un PSE emportant un projet de licenciement collectif est soumise à un certain nombre d’obligations issues de la loi  2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange, et définies dans le code du travail. Sont incluses dans le champ d’application du dispositif les entreprises relevant de l’article L. 1233-71, à savoir les entreprises ou les établissements d’au moins 1 000 salariés, les entreprises appartenant à des groupes d’au moins 1 000 salariés et les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire d’au moins 1 000 salariés.

La fermeture d’établissement au sens de l’article R. 1233‑15
du code du travail (deuxième et dernier alinéas)

« Constitue une fermeture au sens de l’article L. 1233579 la cessation complète d’activité d’un établissement lorsqu’elle a pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi emportant un projet de licenciement collectif au niveau de l’établissement ou de l’entreprise.

« Constitue également une fermeture d’établissement la fusion de plusieurs établissements en dehors de la zone d’emploi où ils étaient implantés ou le transfert d’un établissement en dehors de sa zone d’emploi, lorsqu’ils ont pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi emportant un projet de licenciement collectif. »

Aux termes des articles L. 1233‑57‑9 et L. 1233‑57‑10, l’employeur est tenu, en premier lieu, d’en informer le CSE ([328]) et d’adresser aux représentants du personnel tous les renseignements utiles sur le projet de fermeture, en faisant notamment état :

– des raisons économiques, financières ou techniques dudit projet ;

– des actions qu’il envisage d’engager pour trouver un repreneur ;

– des possibilités pour les salariés de déposer une offre de reprise, des différents modèles de reprise susceptibles d’être retenus ainsi que du droit reconnu aux représentants du personnel de recourir à un expert.

En deuxième lieu, l’employeur est tenu de notifier sans délai tout projet de cette nature à l’autorité administrative – en l’espèce, la Dreets territorialement compétente ([329]) – et de lui communiquer, entre autres, les informations fournies au CSE, en vertu de l’article L. 1233‑57‑12 ([330]).

En troisième et dernier lieu, il lui revient d’avertir de l’initiative le maire de la commune intéressée, l’autorité administrative étant chargée, de son côté, d’aviser les élus concernés, conformément à l’article L. 1233-57-13.

La loi impose par ailleurs à l’employeur, une fois le CSE instruit, la recherche d’un repreneur. À cet effet, et dans le détail, elle le charge de l’accomplissement des tâches énumérées à l’article L. 1233‑57‑14 :

– informer, par tout moyen approprié, des repreneurs potentiels de son intention de céder l’établissement ;

– élaborer un document de présentation de l’établissement destiné aux mêmes repreneurs ;

– s’il y a lieu, engager l’exécution du bilan environnemental mentionné à l’article L. 623‑1 du code de commerce ([331]) ;

– donner accès à toutes informations nécessaires aux entreprises candidates à la reprise de l’établissement, à l’exception des informations dont la communication serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la société ou mettrait en péril la poursuite de l’ensemble de son activité ;

– examiner les offres de reprise reçues ;

– apporter une réponse motivée à chacune de ces offres, dans les délais prévus à l’article L. 1233-30 ([332]).

Dans ce processus, le CSE joue un rôle dont la teneur varie suivant les situations.

S’il doit être informé des offres de reprise formalisées, au plus tard huit jours après leur réception, il peut, à la lecture de l’article L. 1233‑57‑15, émettre un avis ([333]), participer à la recherche d’un repreneur et formuler des propositions. Lorsqu’il participe à la recherche d’un repreneur, il accède, à sa demande, aux informations transmises aux entreprises candidates, conformément à l’article L. 1233-57-16, et dispose de la faculté de recourir à l’assistance d’un expert de son choix.

Le détail des missions de l’expert susceptible
d’assister le comité social et économique

En application de l’article L. 1233‑57‑17 du code du travail, l’expert, rémunéré par l’entreprise, a pour mission :

– d’analyser le processus de recherche d’un repreneur, sa méthodologie et son champ ;

– d’apprécier les informations mises à la disposition des repreneurs potentiels ;

– d’étudier les offres de reprise ;

– d’apporter son concours à la recherche d’un repreneur par le comité social et économique et à l’élaboration de projets de reprise.

En tout état de cause, le CSE est nécessairement consulté par l’employeur sur toute offre de reprise à laquelle le second entend donner suite et doit, dans ce cas de figure, émettre un avis, en vertu de l’article L. 1233‑57‑19.

En l’absence d’offre de reprise ou dans l’hypothèse où l’employeur n’aurait souhaité donner suite à aucune des offres formulées, celui-ci réunit le CSE, conformément à l’article L. 1233‑57‑20, aux fins de lui présenter un rapport, au demeurant communiqué à l’autorité administrative, faisant mention :

– des actions engagées pour rechercher un repreneur ;

– des offres de reprise reçues et de leurs caractéristiques ;

– des motifs l’ayant conduit, le cas échéant, à refuser la cession de l’établissement.

En l’espèce, le comité n’est guère consulté à proprement parler et ne formule donc pas d’avis ([334]).

Tout au long du processus, les entreprises peuvent bénéficier de l’appui des pouvoirs publics, les Dreets étant destinataires des informations communiquées au CSE et pouvant refuser la validation ou l’homologation du PSE en cas de manquement de l’employeur à son obligation de recherche d’un repreneur.

b.   La procédure créée par la loi du 29 mars 2014 connaît un succès limité en pratique

Comme cela a été mis en avant par de nombreuses personnes entendues par la commission d’enquête, les obligations relatives à la recherche d’un repreneur incombant aux entreprises incluses dans le champ d’application du dispositif peinent à produire des effets et doivent être revues. Dans certaines situations, l’obligation de recherche d’un repreneur apparait contournée, sans qu’un projet alternatif ne puisse prendre forme faute d’un délai suffisant.

Selon les données communiquées par la DGEFP, le nombre d’entreprises assujetties était de :

– 52 en 2021 ;

– 32 en 2022 ;

– 56 en 2023 ;

– 46 en 2024 ;

– 9 au cours du premier trimestre de l’année 2025.

Si des reprises peuvent intervenir après la procédure de PSE et ne pas apparaître sur le portail Rupco ([335]), dont sont issues les données ci-dessus, « le dispositif semble avoir des effets disparates. Peu de recherches de repreneurs conduites dans le cadre de la loi aboutissent à une reprise effective, du moins dans les délais légaux. » ([336])

À titre d’exemple, en 2023, sur les 56 dossiers ayant fait l’objet d’une recherche de repreneurs, sept ont donné lieu à un dépôt d’offre de reprise par des repreneurs et trois ont abouti à une reprise effective. En 2024, sur les 664 dossiers de PSE initiés, 46 répondaient aux critères d’assujettissement à la loi Florange, 6 ont reçu des marques d’intérêt et une entreprise a fait l’objet d’une reprise effective (un magasin de Distribution Casino France sur 25 a été repris). Quatre dossiers faisaient encore l’objet d’une recherche à l’issue de la procédure légale, avec des marques d’intérêt formulées.

Pour M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif au moment de l’élaboration et de l’adoption du projet de loi devenu la loi du 29 mars 2014, « il s’agit surtout d’une loi proclamatoire, sans grandes conséquences, même si nous aurions pu souhaiter qu’elle en eût », dont on peut toutefois souligner qu’elle a permis d’induire « quelques réflexes » chez les entrepreneurs, en permettant « d’obliger le propriétaire d’un outil de travail dont il veut se débarrasser à y réfléchir à deux fois » et en offrant « la possibilité de construire le débat avec les organisations syndicales et les élus » ([337]).

En audition, Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa, est revenu sur les principales raisons invoquées pour expliquer les limites du dispositif :

– le délai accordé pour la recherche d’un repreneur, décrit comme manifestement insuffisant : « tous les acteurs impliqués dans les plans sociaux – l’administration, les cabinets spécialisés, les représentants du personnel et les employeurs – s’accordent sur ce point. Une véritable recherche nécessiterait un temps bien plus long que celui actuellement imparti. » ([338]) ;

– l’application du dispositif aux seules entreprises ou groupes d’au moins 1 000 salariés, « ce qui crée un angle mort considérable » ([339]) ;

– les craintes des employeurs face à la possibilité de voir un concurrent reprendre le site concerné et gagner ainsi des parts de marché. Or, si l’employeur remplissant les conditions visées ci-dessus est tenu de rechercher un repreneur, il n’existe pas d’obligation d’accepter une offre de reprise.

En outre, comme cela a été notamment mis en avant par MM. Alain Magisson et Richard Guitton dans une tribune publiée par Libération le 20 novembre 2024 au sujet de la liquidation de la papeterie Stenay ([340]), il conviendrait de revoir le dispositif afin d’imposer aux repreneurs la présentation d’un projet industriel « sérieux et viable, avec des garanties d’investissement et de maintien de l’emploi ». Cédée en 2023 par le groupe finlandais Ahlstrom au fonds de retournement Accursia Capital, la papeterie fondée en 1925 a connu, quelques mois après la reprise, deux périodes de redressement judiciaire, avant d’être liquidée en novembre 2024. Pour les auteurs de la tribune, « les repreneurs, souvent des fonds d’investissement, mettent le projet industriel et ouvrier au second plan » (voir infra). Dans un contexte de désindustrialisation, dont les conséquences sont très lourdes pour les territoires et les salariés, ils en appellent à un renforcement du dispositif créé par la loi Florange, qui, pour rappel, n’est pas applicable aux entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.

Pour Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, il faut toutefois souligner que la recherche de repreneur, « auparavant traitée de manière superficielle […] est désormais menée avec sérieux, notamment en raison des enjeux locaux et de l’implication des acteurs publics tels que les maires et les préfets. Les entreprises ne cherchent plus simplement à remplir une obligation formelle, mais s’engagent réellement dans cette démarche. » ([341]) En ce qui concerne les délais, « si une perspective de reprise se dessine, il est courant d’aménager les calendriers d’information-consultation du CSE pour permettre l’étude approfondie de la solution » ([342]). Si le rapporteur salue ce pragmatisme, il n’en juge pas moins nécessaire d’allonger les délais applicables, en cohérence avec la proposition relative à l’allongement des délais d’information et de consultation du CSE en cas de PSE développée plus loin, afin que soient d’emblée fixés des délais légaux plus conformes à la réalité des besoins des entreprises. En complément de cet allongement des délais, une information-consultation du CSE sur la recherche de repreneurs trois mois avant l’ouverture de la procédure d’information-consultation du CSE sur le PSE permettrait d’augmenter les chances de trouver un repreneur.

Par ailleurs, le rapporteur préconise d’abaisser le seuil d’assujettissement au dispositif de sorte qu’y soient soumises les entreprises de plus de 250 salariés ([343]). Afin de tenir compte du risque de coût important pour les nouvelles entreprises assujetties, il suggère de prévoir un accompagnement renforcé des entreprises de moins de 500 salariés par les pouvoirs publics.

Enfin, divers leviers sont actionnables pour renforcer les obligations des employeurs et les prérogatives des salariés. Ainsi, Me Beziz suggère d’étendre les obligations des employeurs vis-à-vis du CSE, présentées plus haut, à toutes les manifestations d’intérêt. Pour la CGT, il conviendrait, de façon générale, de renforcer les obligations de résultat dans la recherche d’un repreneur, de donner au CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce en cas de recherche fictive et d’interdire toute suppression d’emploi pendant la procédure de cession ou la recherche de solution alternative.

Recommandation n° 30

Étendre aux entreprises de plus de 250 salariés l’application du dispositif de recherche d’un repreneur en cas de fermeture d’un établissement.

Allonger les délais encadrant la procédure de recherche d’un repreneur et d’information-consultation du comité social et économique (CSE).

Étendre les obligations d’information-consultation de l’employeur vis-à-vis du CSE à toutes les manifestations d’intérêt.

Donner au CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce en cas de recherche fictive d’un repreneur.

Interdire toute suppression d’emploi pendant la procédure de recherche d’un repreneur.

2.   Les obligations de revitalisation des employeurs doivent également être renforcées

Aux termes de l’article L. 1233‑84 du code du travail, l’entreprise de plus de 1 000 salariés qui, sans faire l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, procède à un licenciement collectif affectant, par son ampleur, l’équilibre du bassin ou des bassins d’emploi dans lesquels elle est implantée est tenue de « contribuer à la création d’activités et au développement des emplois et d’atténuer les effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises » ([344]).

Dans l’hypothèse où l’autorité administrative – en l’espèce, le préfet de département ([345]) – juge nécessaire que l’entreprise soit soumise à l’obligation de revitalisation du bassin ou des bassins d’emploi au regard du nombre et des caractéristiques des emplois susceptibles d’être supprimés, des restructurations et suppressions d’emploi intervenues au cours des vingt-quatre derniers mois ou encore des caractéristiques socio-économiques de la zone géographique ([346]), les deux parties concluent, dans un délai de six mois à compter de la notification à l’autorité administrative du projet de licenciement d’au moins 10 salariés dans une période de trente jours, une convention sur le fondement de l’article L. 123385 du même code, qui détermine, le cas échéant sur la base d’une étude d’impact social et territorial prescrite par la première, la nature et les modalités de financement et de mise en œuvre des actions incombant à la seconde ([347]). Ces dernières sont arrêtées après consultation des collectivités territoriales intéressées, des organismes consulaires et des partenaires sociaux membres de la commission paritaire interprofessionnelle régionale, conformément à l’article L. 1233-88 du code du travail.

Il est tenu compte, dans la convention, des actions d’ordre similaire éventuellement engagées par anticipation dans un accord collectif relatif à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou prévues dans un PSE, entre autres.

La loi admet qu’un accord collectif (accord de groupe, d’entreprise ou d’établissement) tienne lieu de convention, sous réserve que son contenu réponde à certaines exigences ([348]).

Le plus souvent, l’obligation de revitalisation se traduit par la signature d’une convention entre l’État et l’entreprise, comme la DGEFP l’a indiqué au rapporteur.

Précisions sur le contenu de la convention conclue entre l’entreprise
et l’autorité administrative (convention de revitalisation)
(article D. 1233-40 du code du travail)

« La convention mentionnée aux articles L. 1233‑85 et L. 1237‑19‑10 comporte notamment :

« 1° Les limites géographiques du ou des bassins d’emploi affectés par le licenciement collectif ou par la rupture conventionnelle collective et concernés par les mesures qu’elle prévoit ;

« 2° Les mesures permettant la création d’activités, le développement des emplois et l’atténuation des effets du licenciement envisagé ou de la rupture conventionnelle collective sur les autres entreprises dans le ou les bassins d’emploi concernés, ainsi que, pour chacune d’entre elles, les modalités et les échéances de mise en œuvre et le budget prévisionnel et, le cas échéant, le ou les noms et raisons sociales des organismes, établissements ou sociétés chargés pour le compte de l’entreprise de les mettre en œuvre et les financements qui leur sont affectés ;

« 3° La durée d’application de la convention qui ne peut dépasser trois ans, sauf circonstances particulières ;

« 4° Le montant de la contribution de l’entreprise par emploi supprimé et le nombre d’emplois supprimés au sens de l’article D. 1233‑43 ;

« 5° Les modalités de suivi et d’évaluation des mesures mises en œuvre. »

Les mesures susceptibles de figurer dans une convention de revitalisation prennent notamment la forme :

– d’actions en faveur de la reconversion d’un site ;

– d’aides à l’emploi et au développement d’activités économiques ;

– d’actions en faveur du développement des compétences et de la valorisation des ressources humaines ;

– d’un soutien à l’insertion professionnelle des personnes éloignées de l’emploi ;

– d’un appui à l’innovation, au transfert de savoir-faire et à la mise en réseau des acteurs économiques locaux.

L’entreprise verse une contribution dont le montant ne peut être inférieur à deux fois la valeur mensuelle du Smic par emploi supprimé, conformément à l’article L. 1233‑86 du code du travail. Toutefois, l’autorité administrative peut fixer un montant inférieur lorsque l’entreprise est dans l’incapacité de supporter une telle charge financière ([349]).

En l’absence de convention ou d’accord collectif, elle verse au Trésor public une contribution égale au double du premier montant susmentionné (ce qui correspond à quatre fois la valeur du Smic par emploi supprimé).

Précisions sur les modalités de calcul de la contribution
financière due par l’entreprise
(premier alinéa de l’article D. 1233-43 du code du travail)

« Pour le calcul de la contribution instituée à l’article L. 1233-84, le nombre d’emplois supprimés est égal au nombre de salariés dont le licenciement est envisagé, duquel est déduit le nombre de salariés dont le reclassement, dans l’entreprise ou dans le groupe auquel elle appartient, est acquis sur le ou les bassins d’emploi affectés par le licenciement collectif, à l’issue de la procédure de consultation des représentants du personnel prévue aux articles L. 1233-8 et L. 1233-9, en cas de licenciement de moins de dix salariés dans une même période de trente jours, et L. 1233-28 à L. 1233-30, en cas de licenciement de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours. »

En outre, les dispositions présentées ci-dessus s’appliquent également en cas d’accord portant rupture conventionnelle collective (RCC).

Selon le rapport de la Cour des comptes sur les dispositifs de l’État en faveur des salariés des entreprises en difficulté, « le processus de revitalisation des territoires demeure fragile et ses résultats ne sont pas évalués » ([350]).

Selon les données communiquées par la DGEFP, la part des PSE s’accompagnant d’une convention-cadre nationale (CCN) de revitalisation a diminué entre 2019 et 2024, et il en va de même pour les RCC.

Cela peut s’expliquer par le contexte de la crise sanitaire. En effet, en 2020, aucune convention résultant d’un PSE n’a été signée (une seule CCN de revitalisation résultant d’une RCC a été signée).

Par conséquent, beaucoup de conventions ont été signées en 2021 et 2022 (en rattrapage de l’année 2020). Les données relatives à ces deux années ne sont donc pas représentatives du rythme habituel de signature des CCN de revitalisation.

Par ailleurs, à compter de l’année 2023, de nombreuses négociations se sont engagées mais elles n’aboutissent pas toujours à la signature d’une convention la même année. En effet, d’une part, la négociation d’une convention dure en moyenne une année. D’autre part, il convient de noter que la DGEFP propose désormais de flécher une partie du montant de la contribution vers des actions d’envergure nationale pouvant être proposées par elle ou par l’entreprise assujettie. Cette pratique, mise en place en 2021, a été renforcée à partir de 2023. Ces actions nécessitent des échanges avec les porteurs de projets identifiés ainsi que des vérifications spécifiques par l’ensemble des parties prenantes – ceci peut allonger de quelques mois le processus de négociation.

Dès lors, le montant cumulé des contributions de revitalisation connaît également une baisse à partir de 2023, en raison du nombre de CCN de revitalisation signées en 2023 et 2024. Le montant moyen de contribution au titre d’une CCN de revitalisation évolue donc également à la baisse.

Aussi, la hausse des PSE constatée depuis 2023 aura des répercussions sur le volume de conventions-cadres nationales de revitalisation qui seront signées en 2025 et 2026. Actuellement, 13 négociations sont en cours entre la DGEFP et des entreprises assujetties au dispositif (la grande majorité des négociations devrait aboutir à la signature d’une CCN de revitalisation avant la fin de l’année 2025).

Les secteurs d’activité concernés sont sensiblement les mêmes sur la période 2019-2024. Les secteurs les plus représentés sont l’industrie (aéronautique, spatiale, métallurgique, énergétique, automobile, etc.), la grande distribution, les télécommunications, la restauration et la santé (y compris les industries pharmaceutiques).

part des PSE et des RCC qui s’accompagnent d’une convention‑cadre nationale de revitalisation entre 2019 et 2024

Année

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Nombre de CCN de revitalisation signées

15

1

16

17

8

7

Nombre de PSE/RCC initiés

588

1 060

558

423

617

779

Part de PSE/RCC suivis d’une CCN de revitalisation

2,55 %

0,09 %

2,87 %

4,02 %

1,30 %

0,90 %

Montant total des contributions (en euros)

43 287 701, 50

3 422 745,00

25 900 939, 47

35 546 139, 81

12 642 562, 75

11 365 343, 93

Contribution moyenne pour une CCN de revitalisation (en euros)

2 885 846, 77

3 422 745,00

1 618 808, 72

2 090 949, 40

1 580 320, 34

1 623 620, 56

Source : DGEFP.

S’agissant de la part des PSE qui s’accompagnent de la conclusion d’une convention locale de revitalisation, les données disponibles couvrent la période 2022-2024. Comme cela a été indiqué par la DGEFP, il n’est pas possible de présenter des données exhaustives sur la période antérieure à 2022, du fait de difficultés rencontrées avec le système d’information de reporting.

La part des PSE qui s’accompagnent d’une convention locale de revitalisation (y compris déclinaisons locales de conventions-cadres nationales), tend à légèrement diminuer entre 2022 et 2024.

Le montant cumulé des contributions de revitalisation connaît également une légère baisse concomitante à la baisse du nombre de conventions locales de revitalisation signées sur la période et à l’augmentation du volume de PSE.

Par ailleurs, le montant moyen de contribution évolue également à la baisse : 285 696,08 euros en 2024 contre 389 565,94 euros en 2022.

L’Île-de-France est la région la plus concernée par la signature de conventions locales de revitalisation à la suite d’un PSE (entre 15 et 17 PSE), en raison de ses caractéristiques propres (notamment la présence des sièges sociaux des entreprises), suivie de la région Hauts-de-France (entre 9 et 11 PSE) et de la région Auvergne‑Rhône-Alpes (entre 8 et 13 PSE).

L’industrie manufacturière est le principal secteur concerné ; vient ensuite le secteur du commerce de gros et de détail. Toutefois, les données ne sont pas exhaustives pour la raison évoquée plus haut.

part des PSE qui s’accompagnent de conventions locales
de revitalisation entre 2022 et 2024

Année

2022

2023

2024

Nombre de conventions locales signées

73

58

61

Nombre de PSE initiés

322

512

664

Part de PSE suivis d’une convention de revitalisation

22,67 %

11,33 %

9,19 %

Nombre de PSE initiés par une entreprise in bonis *

211

325

431

Part de PSE initiés par une entreprise in bonis suivis d’une convention de revitalisation *

34,60 %

17,85 %

14,15 %

Montant cumulé des contributions (en euros)

28 438 313,40

20 304 653,45

17 427 460,66

Contribution moyenne pour une convention (en euros)

389 565,94

350 080,23

285 696,08

* Il convient de noter que seules les entreprises in bonis de plus de 1 000 salariés (hors redressement ou liquidation judiciaire) peuvent être assujetties à l’obligation de revitalisation des territoires. Il est donc pertinent de se baser sur le volume de PSE initiés par une entreprise in bonis afin de déterminer la part de ces derniers ayant fait l’objet de la conclusion d’une convention.

Source : DGEFP.

Du point de vue des collectivités territoriales, la pertinence d’un tel dispositif ne fait aucun doute. Ainsi, pour Départements de France, « il semble logique que les grandes entreprises contribuent à la revitalisation des bassins d’emploi affectés lorsqu’elles procèdent à de nombreux licenciements qui vont affecter durablement la structure économique du territoire qui accueille leur activité » ([351]). Pour sa part, l’Association des maires de France indique ne pas avoir d’observation particulière sur la détermination du montant de la contribution mais demande « néanmoins à l’État de veiller à ce que cette contribution, définie en fonction des capacités de l’employeur, puisse concrètement participer à la redynamisation du bassin d’emploi » ([352]).

Le dispositif n’en apparaît pas moins perfectible.

Il apparaît que la procédure de revitalisation, peu contraignante, demeure souvent formelle et trop éloignée des besoins réels des territoires. Pour le rapporteur, la procédure actuelle doit être profondément revue afin de ne pas constituer une compensation dérisoire face à la casse industrielle.

Pour Me Bénédicte Rollin, le dispositif des conventions de revitalisation « mériterait d’être enrichi, notamment à travers une implication plus forte des pouvoirs publics. Le délai de la procédure actuelle est souvent trop court pour que l’obligation légale soit efficacement mise en œuvre. Malheureusement, le dispositif est parfois perçu comme une simple taxe, l’employeur étant tenu de payer une certaine somme s’il ne remplit pas son obligation. Il est regrettable que cette mesure soit réduite à une incitation financière. Nous devrions repenser la revitalisation du territoire dans le cadre de ces licenciements pour en faire un véritable outil de développement économique local. » ([353])

Parmi les entreprises étudiées par la commission d’enquête, on peut citer le cas de Michelin, dont le PSE affectant les sites de Cholet et Vannes doit s’accompagner de la mise en œuvre de deux conventions de revitalisation, comme cela avait été le cas pour le PSE déployé en 2020 sur le site de La Roche‑sur‑Yon. Selon Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques de l’entreprise, « ce processus revêt […] une importance majeure. Notre démarche en matière de revitalisation des sites repose sur une logique de coconstruction. Nous cherchons à élaborer, avec les acteurs locaux, des projets qui répondent aux besoins du territoire. Au plan national, nous échangeons en permanence avec les services de l’État afin de contribuer à éclairer la décision publique. » ([354])

Dans leurs réponses au questionnaire adressé par le rapporteur, les délégués syndicaux SUD et CFE-CGC ont toutefois exprimé des réserves. Ainsi M. Nicolas Robert, délégué syndical central SUD, que dans le cas de la convention conclue par Michelin suite au PSE mis en œuvre sur le site de La Roche-sur-Yon, le dispositif avait permis de recréer plus d’emplois que ceux qui avaient été supprimés, mais qu’ils n’avaient pas pu bénéficier aux salariés touchés par la fermeture du site. Les délégués syndicaux CFE-CGC ont par ailleurs indiqué être « très sceptiques sur l’efficacité de telles mesures. Il suffit de regarder ce qui s’est fait ailleurs, dans le passé. Cela n’a pas eu beaucoup d’effet et les bassins d’emploi de Cholet et de Vannes ne nous semblent pas très dynamiques. »

Pour le rapporteur, il importe d’évaluer dans les meilleurs délais l’efficacité de ce dispositif en termes de maintien et de création d’emplois dans les territoires, et de porter le montant de la contribution financière due par les sociétés à quatre plutôt que deux fois la valeur mensuelle du Smic par emploi supprimé ([355]), étant entendu que ce montant est déjà en pratique souvent supérieur au minimum légal actuel et que les entreprises qui ne pourront pas faire face à la dépense pourront toujours verser un montant revu à la baisse sur décision de l’administration.

Le rapporteur est également favorable à un renforcement de la transparence du dispositif, en prévoyant une publication des conventions de revitalisation et un renforcement de l’évaluation prévue à l’article L.1233-88 du code du travail, prenant la forme d’une évaluation renouvelée au bout d’un, trois et cinq ans, accompagnée de la mise en place d’une obligation de résultat en matière de maintien de l’emploi.

Recommandation n° 31

Évaluer l’efficacité des conventions de revitalisation et leurs effets sur le maintien et les créations d’emplois.

Recommandation n° 32

Porter à quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé le montant de la contribution financière due par les sociétés assujetties aux obligations de revitalisation.

Prévoir la publication des conventions de revitalisation et un renforcement de l’évaluation de leur exécution telle que prévue par l’article L.1233-88 du code du travail.

B.   la nÉcessitÉ de renforcer l’impératif du maintien de l’emploi en cas de cession d’une entreprise

Lorsqu’une entreprise est cédée, le maintien de l’emploi est identifié comme un critère de premier plan sans pour autant que des leviers suffisants ne soient mis à la disposition des pouvoirs publics et des salariés pour s’assurer de sa parfaite prise en compte. Ces situations sont d’autant plus critiques qu’elles exposent les entreprises cédées, et avec elles de nombreux emplois, aux pratiques parfois dommageables de fonds de retournement.

1.   Les cessions d’entreprises présentent de forts enjeux en matière d’emploi

Si le maintien de l’emploi est l’un des principaux critères de décision lorsqu’un plan de cession est mis en œuvre, il n’existe aucune obligation légale de maintien de l’emploi et aucune possibilité de sanctionner l’éventuel engagement pris par le repreneur concernant les licenciements pour motif économique ([356]).

Comme l’ont indiqué au rapporteur la DGE et la DG Trésor, « la recherche de repreneurs d’une entreprise en difficulté est un processus encadré, en particulier lorsqu’elle a lieu en redressement judiciaire, sous l’égide d’un tribunal de commerce, garant des règles de transparence et d’égalité des candidats, qui peuvent être des industriels ou des acteurs spécialisés tels que des fonds de retournement. Lorsque le processus se déroule sous l’égide du Ciri, l’État s’assure que l’offre in fine retenue est celle qui donne le plus de chance à l’entreprise de retrouver sa pérennité. » ([357]) De fait, le Ciri comme la Dire sont amenés à suivre les dossiers d’entreprises qui doivent s’engager dans la recherche de fonds propres et de repreneurs, dans le cadre des différentes procédures présentées plus haut. Il arrive que les entreprises en difficulté suivies par l’un ou l’autre soient contraintes d’initier un processus de recherche de fonds propres, en particulier lorsque le ou les actionnaires ne souhaitent pas ou ne sont plus en mesure de faire face à leurs besoins de liquidité.

Dans ces situations, on trouve trois principaux types de repreneur :

 les repreneurs industriels, qui peuvent être des concurrents, disposant en général d’une connaissance du secteur et d’une capacité à dégager des synergies commerciales et opérationnelles, ainsi que d’une propension à s’engager sur le long terme ;

 les fonds d’investissement spécialisés, habitués aux restructurations et aux situations d’urgence, disposant d’une approche plus financière. Le rachat par ces fonds peut conduire à des réductions d’effectifs. Ils peuvent mettre en œuvre une stratégie de moyen terme en vue d’une revente après avoir assaini les bases de l’exploitation ;

 les créanciers, qui convertissent leur créance lorsque des abandons de dette sont demandés, avec dans certains cas des stratégies d’acquisition de dette en vue d’une conversion.

Comme cela a été rappelé en audition par le secrétaire général du Ciri, « s’agissant du cadre applicable aux rachats, il n’existe pas de règle différenciée selon le type d’investisseur » ([358]).

Pour le Ciri comme pour la Dire, si « la recherche d’un adossement avec un acteur industriel est en général privilégiée car ces opérations permettent a priori de créer des synergies (commerciales, opérationnelles, etc.) et de s’assurer, dans la majorité des cas, d’un investissement de moyen/long terme, il est cependant important de noter que des fonds d’investissement spécialisés dans le restructuring jouent un rôle structurant dans les dossiers dits de "distressed M&A" du fait de leur expertise des situations d’urgence et des restructurations opérationnelles » ([359]). Pour M. Guillaume Primot, secrétaire général du Ciri, « il serait inexact de considérer que les fonds d’investissement seraient, par nature, des investisseurs moins légitimes que les autres. Ils jouent, dans de nombreux dossiers, un rôle structurant et parfois décisif. Leur familiarité avec les situations d’urgence et les restructurations opérationnelles, de même que leur appétence pour le risque, souvent plus marquée que chez les autres acteurs, leur permettent d’intervenir dans des contextes où ils sont parfois les seuls à pouvoir le faire. » ([360])

Les fonds spécialisés dans les restructurations, baptisés fonds de retournement, sont identifiés par le Ciri et la Dire comme pouvant disposer « de ressources humaines et financières qui leur permettent de mener à bien des plans de restructuration très complexes (réorganisation opérationnelle et logistique, optimisation de la structure de coûts, professionnalisation du top management) et d’intervenir dans des délais contraints pour la reprise d’entreprises en difficulté, ce qui peut être moins le cas pour les acteurs industriels » ([361]).

Le capital-retournement

Le capital-retournement s’adresse aux entreprises dont la performance est jugée inférieure à son potentiel ou à celles dont la situation financière est dégradée. Des fonds spécialisés dans ce type d’opérations interviennent afin, dans un premier temps, de revoir la structure de coût – ce qui s’accompagne, dans de nombreux cas, de plans de sauvegarde de l’emploi – et surtout, dans un second temps, de relance de la croissance de l’entreprise, notamment en réinvestissant dans l’innovation grâce à l’apport en fonds propres réalisé. Le capital-retournement présente donc à la fois un caractère défensif orienté vers le maintien de l’outil de production et des emplois, mais également un caractère offensif, dans une perspective de développement de l’activité. Le capital-retournement soulève, compte tenu du profil de risque et du savoir requis, d’importantes difficultés pour les équipes de gestion, et présente un potentiel de sinistres important dans le portefeuille. En outre, les associés des sociétés de gestion sont susceptibles de prendre des mandats dans des entreprises, ce qui peut être source de tensions.

Source : Cour des comptes, Les activités d’investissement de Bpifrance, mars 2023.

Or, il importe de ne pas minimiser les pratiques agressives de certains de ces fonds. Bien que les pratiques « problématiques » de certains fonds ne soient « pas toujours la règle » ([362]), comme l’a indiqué M. Guillaume Primot, ces pratiques, lorsqu’elles sont avérées, ont des conséquences dévastatrices sur l’emploi, qui justifient de s’y attarder. Si le Ciri comme la Dire ont indiqué au rapporteur accorder une attention particulière à l’intérêt social de l’entreprise, force est de constater que le maintien de l’emploi est parfois sacrifié par certains fonds au profit d’autres impératifs.

Parmi les entreprises ayant récemment mis en œuvre un PSE étudiées par la commission d’enquête, on peut citer le cas de la banque CCF, issue de la cession par HSBC des activités de banque de détail au fonds d’investissement Cerberus. Comme l’a rappelé en audition M. Jean-Jacques Hery, délégué syndical CFTC, « Cerberus a acheté les activités de HSBC pour un euro symbolique alors que l’actif cédé avait une valeur proche de 1,7 milliard d’euros. » ([363]). En parallèle, l’engagement pris par la direction de ne procéder à aucun licenciement pendant douze mois n’était pas tenu, avec, dès le 4 décembre 2024, l’annonce d’un plan de suppression de 1 400 postes et de la fermeture de 83 agences. Dans ses réponses au rapporteur, la direction de la banque a indiqué ne pas être en mesure de « répondre en lieu et place de Cerberus sur [sa] stratégie économique » ([364]).

Plus encore, la commission d’enquête s’est penchée avec attention sur le cas du fonds d’investissement allemand Mutares, qui a racheté ces dernières années plusieurs entreprises françaises en difficulté.

2.   La nécessité de mieux évaluer et encadrer l’activité des fonds de retournement : les enseignements tirés du cas Mutares

Selon les informations communiquées ([365]) par M. André Calisti, président de Mutares France, Mutares est une holding industrielle allemande créée il y a dix‑sept ans, cotée à la Bourse de Francfort et spécialisée dans la reprise et la transformation d’entreprises en difficulté. Après une période « indicative » de cinq ans, la société tend à céder à un autre investisseur ou à un autre actionnaire les entreprises acquises.

Si le siège social de l’entreprise est situé à Munich, Mutares dispose de bureaux en France depuis 2015. Le fonds acquiert des entreprises « de taille moyenne » faisant un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros et plus, qui présentent « un potentiel d’amélioration opérationnelle et significatif et qui sont cédées à l’issue d’un processus de repositionnement et de stabilisation, stratégique et financier ». En 2024, il a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de 5,261 millions d’euros, un bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement de 117,1 millions d’euros et un résultat net de 108,3 millions d’euros. Mutares a par ailleurs versé 47,4 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires, « en cohérence avec les plus-values issues de plusieurs cessions industrielles réussies dont SMP, Steyr Motors et Frigoscandia ».

Depuis 2015, Mutares a procédé à 24 acquisitions en France, dans différents secteurs ([366]) :

– l’automobile et la mobilité (Walor, Peugeot Motocycles, MMT-Bordeaux, Moldtecs, SFC Solutions ainsi que Plastic Omnium Trucks et Mecaplast Trucks, cédées depuis) ;

– les biens et les services (Alcura France, Stuart, La Rochette Cartonboard, Lapeyre ainsi que Repartim, CENPA et GrosBill, cédées depuis, et Cogemag‑Exédence et JD Diffusion, liquidées en 2018) ;

– la distribution (Team Tex-Logiplast, liquidée en 2024) ;

– l’ingénierie et les technologies (Clecim, ainsi que JapyTech, TrefilUnion, La Meusienne, BSL Pipes and Fittings, Norsilk, cédées depuis, et Valti, liquidée en 2025).

Pour M. Olivier Boidin, président de MMT-B, le rachat de l’entreprise par Mutares, en 2023, s’est inscrit dans une logique de « retournement industriel assumée : préserver temporairement l’activité existante tout en engageant une transformation en profondeur » ([367]). Plusieurs décisions structurantes ont ainsi été prises ; néanmoins, l’effondrement brutal des commandes du principal donneur d’ordre, Ford, à compter de 2025, a abouti à la présentation d’un PSE qui prévoit la suppression nette de 195 postes (voir supra). Le rachat de Mutares est ainsi décrit comme « un tournant industriel majeur et une prise de risque stratégique » ([368]).

Pour autant, les prises de risque ne sauraient tout justifier lorsque des emplois sont en jeu.

Pour M. Régis Labasse, délégué syndical FO de MMT-B, si le rachat de MMT-B par Mutares peut être défini comme « un évènement marquant, motivé par la nécessité de redresser l’entreprise en difficulté, les décisions prises par Mutares, bien que potentiellement bénéfiques à long terme, ont engendré des réactions négatives, conduisant à une des démissions et à un climat d’incertitude » ([369]), qui peut avoir des répercussions sur la productivité et l’engagement des salariés, le tout pour un coût estimé de 4 millions d’euros. Pour la CFE-CGC de MMT-B, ce rachat, intervenu dans un contexte de « désengagement progressif de l’actionnaire historique » ([370]), s’est traduit par « un repositionnement par la contrainte » ([371]), qui a nourri l’inquiétude des salariés. « Mutares s’est engagé à redresser l’entreprise, mais les décisions prises depuis 2023 se sont principalement concentrées sur des logiques de réduction des coûts et de rationalisation, sans projet industriel clair ni véritable stratégie de développement. » ([372]) En conséquence « la politique industrielle du fonds reste encore largement à démontrer, notamment en matière de recherche de nouveaux clients, de partenariats industriels et de projets structurants permettant de donner de la visibilité et de la stabilité à l’activité. En l’absence de volumes suffisants et de diversification concrète, la conséquence directe a été la mise en œuvre d’un PSE, dans un site pourtant équipé, compétent et disposant d’un fort potentiel de redéploiement. » ([373]) Pour la CFDT de MMT-B, le rachat de l’entreprise par Mutares, « sans vision industrielle crédible, reste vécu comme une trahison » ([374]).

Si, dans le cas de MMT-B, un PSE a dû être présenté, d’autres entreprises rachetées par Mutares ont fait l’objet d’une liquidation.

En audition, M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements de Mutares France, a indiqué que, sur l’ensemble des acquisitions réalisées par l’entreprise en France, trois dossiers avaient été « marqués par des difficultés », faisant référence à la liquidation judiciaire de Pixmania, Artmadis et Logiplast-TeamTex. Selon lui, il « n’est pas possible de rendre Mutares responsable des défaillances des sociétés cédées qui ont par la suite connu une procédure collective, dix-huit à trente-six mois après la cession » ([375]). Or, celles-ci sont nombreuses et concernent des sociétés qui, pour certaines, ont été cédées à des dirigeants de Mutares. C’est le cas de la société Valti, liquidée en 2025 après avoir été cédée à M. François Martin, ancien responsable des opérations de restructuration du fonds entre 2016 et 2024. Dans un récent article ([376]), Les Jours citait en exemple trois sociétés métallurgiques basées en France, TréfilUnion, EUPEC et La Meusienne, cédées en 2021 à LiCap Gmbh ([377]), société basée au Liechtenstein et contrôlée par MM. Franck Richter et Wolfgang Lichtenwald, anciens collaborateurs du fonds.

D’autres entreprises rachetées par Mutares connaissent actuellement d’importantes difficultés, qui font redouter le pire pour l’avenir. Ainsi, deux usines du sous-traitant automobile Walor ont été placées en redressement judiciaire et en procédure de sauvegarde fin 2024.

L’entreprise Lapeyre, spécialisée dans la production et la vente d’équipements de maison, qui emploie 2 700 personnes en France, a été rachetée par Mutares en 2021 pour un euro symbolique à l’entreprise Saint-Gobain. Depuis, plusieurs PSE et fermetures de magasins ont été mis en œuvre, réduisant d’environ 10 % les effectifs de l’entreprise. Entre janvier et avril 2024, cette dernière perdait 7 millions d’euros par mois et une opération de vente des murs des usines a été lancée, pour un montant indiqué en audition de 94 millions d’euros, afin de contribuer au financement du retournement de l’entreprise. Par ailleurs, 20 millions d’euros de frais de conseil ont été facturés entre 2021 et 2024, soit un montant nettement supérieur au montant prévu par le contrat de cession. En conséquence, comme cela est indiqué dans un document transmis au rapporteur par un délégué syndical de l’entreprise, Mutares a attendu la fin de la période pour encaisser la somme de 12 millions d’euros sur le seul premier trimestre 2025. En outre, il faut ajouter à ces frais de conseil 14 millions d’euros de frais de comex sur 43 mois, dont 9 millions d’euros pour quatre personnes payées en moyenne 669 000 euros par personne et par an. Selon le rapport rédigé par le cabinet de conseil Altinea pour le CSE, « le cumul de ces frais, sur une si courte période, apparait totalement disproportionné au regard de ce que nous avons pu constater au cours des 17 dernières années d’audit du groupe Lapeyre, au regard de la situation financière actuelle du groupe Lapeyre et au regard des résultats obtenus ». En outre, ces montants sont nettement supérieurs à ceux qui étaient prévus initialement dans le plan d’affaires de Mutares du 25 novembre 2020, sur la base duquel il a été retenu par Saint-Gobain ([378]).

Selon M. Garnier, « ces 20 millions d’euros n’ont pas bénéficié uniquement à Mutares : quand nous avons débuté le programme de transformation du groupe, quarante-deux ou quarante-trois intervenants étaient sur place, dont une dizaine appartenant à Mutares. Mutares n’est pas la structure qui a le plus bénéficié de cette somme. À titre d’exemple, le simple détourage informatique du Groupe Lapeyre vis-à-vis de son actionnaire précédent a coûté entre 15 et 20 millions d’euros. Ces montants ne correspondent pas seulement à des frais de conseil ; ils intègrent des achats de serveurs et d’autres frais. » ([379]) Dans les réponses adressées par écrit au rapporteur, Mutares indique que « ces prestations ne relèvent en rien d’une logique d’extraction de valeur, mais d’un accompagnement concret du redressement sur le terrain, correspondant au temps passé par des experts métiers mobilisés pour traiter une situation d’urgence, structurer et actionner la transformation de la société » ; en outre, « les intervenants de Mutares ne sont pas des consultants au sens traditionnel du terme, mais avant tout des experts ». Pour le président du fonds, ils peuvent même être comparés à des médecins agissant « auprès d’un patient » ([380]).

Selon les informations révélées par Mediapart dans un article publié le 11 mars 2025, les revenus de Mutares proviennent à 100 % des commissions remontées des entreprises rachetées, en échange de services facturés par ses consultants. Néanmoins, du fait de flux de trésorerie opérationnels négatifs, Mutares procède régulièrement à des levées de dette sur les marchés financiers (en 2024, on en recense deux pour un montant total de 235 millions d’euros). Face à une charge de la dette ayant atteint, en 2024, 28,6 millions d’euros, soit environ un quart de ses revenus annuels, l’entreprise doit impérativement réaliser d’importantes plus-values sur les entreprises cédées. Selon le fonds spéculatif Gotham City Research, qui a publié une note sur Mutares en 2024 ([381]), ce modèle renvoie à l’image du « hamster dans une roue ».

En attendant, l’entreprise Lapeyre prévoit désormais, comme cela a été indiqué au rapporteur par un délégué syndical, de rendre liquides les murs industriels de l’entreprise par « lease back », afin de dégager 50 millions d’euros, ce qui risque de compromettre « l’avenir des sites industriels du groupe Lapeyre en rendant leur reprise difficile dans le cadre du futur redressement judiciaire qui apparait malheureusement inévitable » ([382]). En conséquence, il ne reste quasiment plus rien des 243 millions d’euros laissés par Saint-Gobain au moment de la cession, tandis que les pouvoirs publics maintiennent le versement d’aides (activité partielle, subventions de la région Pays de la Loire) à Mutares.

Enfin, une incompréhension au sujet de la cession à Mutares de l’entreprise Stuart en novembre 2023, sur la base d’une homologation du tribunal de commerce de Paris avec l’aval du ministère de l’économie, dans la mesure où il s’agit d’une filiale de La Poste, a été communiquée au rapporteur, qui la partage pleinement.

En audition, Mme Hélène Bourbouloux, intervenue en tant qu’administratrice judiciaire lors des cessions de Lapeyre et de Stuart, a indiqué au rapporteur que le caractère public de l’audition l’obligeait à « taire certaines informations ». Elle a toutefois rappelé que, « dans une procédure de conciliation, le choix du candidat à la reprise appartient à l’actionnaire. Cette réalité peut engendrer une forme de frustration, que nous nous efforçons d’expliquer aux salariés. Bien que la solution retenue ne soit pas toujours la plus favorable en matière d’emploi ou de structuration industrielle, elle est la solution la plus opérationnelle. » ([383]) En cas de conciliation, si les trois conditions prévues par la loi sont remplies ([384]), « l’homologation s’impose au tribunal » ([385]).

Si les salariés, notamment via le CSE, disposent de certaines prérogatives en cas de cession de leur entreprise, force est de constater que celles-ci pourraient être renforcées.

Ainsi, en cas de conciliation, du fait de la nature confidentielle de la procédure, l’entreprise peut ne pas informer le CSE de l’existence de la procédure (article L. 611-6 du code de commerce). Il est néanmoins informé en cas d’homologation de l’accord final, qui rend la procédure de conciliation publique. Le tribunal de commerce doit avoir « entendu ou dûment appelé » un représentant désigné par le CSE avant de statuer sur la demande d’homologation. Néanmoins, le code de commerce (article L. 611-8-1) n’exige pas la consultation mais seulement l’information du comité. De même, en cas de mandat ad hoc, la société n’est pas tenue d’informer le CSE de la désignation du mandataire (article L. 611-3 du code de commerce).

Ainsi, une obligation de consultation du CSE – et pas seulement d’information – en cas d’homologation, avec une possibilité d’exercer un droit d’alerte en cas de risques avérés sur le maintien de l’emploi et la poursuite de l’activité, pourrait utilement renforcer les prérogatives des salariés confrontés à la cession de leur entreprise. Dans le cas de Lapeyre, le CSE avait émis un avis négatif à l’unanimité des membres sur l’homologation de la reprise par Mutares.

Recommandation n° 33

Remplacer l’obligation d’information du comité social et économique en cas d’homologation par le tribunal de commerce d’un accord de conciliation par une obligation de consultation, avec la possibilité d’exercer un droit d’alerte en cas de menaces sur le maintien de l’emploi et la poursuite de l’activité.

Cette recommandation, qui ne s’appliquerait pas uniquement aux reprises envisagées par un fonds de retournement, pourrait s’accompagner d’une évolution générale du cadre juridique applicable aux plans de cession d’entreprises, afin d’accompagner le critère d’ores et déjà prévu par la loi ([386]) de « préservation de tout ou partie des emplois » de l’imposition d’engagements chiffrés de maintien de l’emploi pour le repreneur, et la possibilité d’imposer des sanctions en cas de non-respect de ces engagements.

Recommandation n° 34

Prévoir, en cas de présentation d’un plan de cession d’entreprise, la formulation par le repreneur d’engagements chiffrés en matière de maintien de l’emploi, assortis de sanctions en cas de non-respect.

En outre, il apparaît indispensable de renforcer l’évaluation des fonds de retournement et de l’impact de leurs activités sur l’emploi, afin d’en faire un critère à part entière de sélection pour les acteurs mettant en œuvre les différentes procédures impliquant une cession, qui pourrait prendre la forme d’une échelle de notation permettant une forme de certification du fonds par les pouvoirs publics. Pour M. Arnaud Montebourg, qui estime que Mutares a « causé des dégâts considérables sur le territoire » ([387]), « le moment est venu d’établir une forme d’agence de notation des fonds d’investissement, à l’instigation des pouvoirs publics ou à laquelle les pouvoirs publics pourraient participer. En outre, les organisations syndicales, les élus du territoire, l’écosystème des petites et moyennes entreprises (PME), les organisations professionnelles patronales ont leur mot à dire. La manière dont Mutares s’est comporté dans plusieurs dossiers justifierait que cette entreprise soit interdite de reprise ou soit au moins stigmatisée – c’est le "name and shame". » ([388])

Or, les outils actuellement à disposition des pouvoirs publics pour évaluer ces fonds et en renforcer l’encadrement font aujourd’hui défaut. Comme l’a expliqué le secrétaire général du Ciri, « l’évaluation de l’impact de l’action des fonds d’investissement sur la relance des entreprises et sur l’emploi est délicate car nous ne disposons pas de données consolidées permettant de tirer des conclusions définitives » ([389]).

En outre, là encore selon M. Montebourg, « il n’y a pas assez de fonds de retournement en France. Bpifrance ne dispose pas de telles missions, d’abord parce qu’elle ne voulait pas être soumise à une pression politique la contraignant à reprendre tous les "canards boiteux". En revanche, Bpifrance pourrait alimenter des fonds de retournement, qui effectueraient le travail à sa place. En cette absence, des fonds prédateurs ou des pays à excédents commerciaux viennent faire leur marché en France et ramassent les dossiers à la barre des tribunaux de commerce. Le moment est venu d’investir de l’argent dans les fonds de retournement, afin qu’ils adoptent des stratégies bien plus respectueuses des territoires, des outils de travail et des êtres humains qui travaillent dans les usines. » ([390])

Si les administrations interrogées par le rapporteur n’ont pas été en mesure de fournir des données exhaustives sur l’évolution du capital-retournement en France, un récent rapport de la Cour des comptes ([391]) fait état des données suivantes au sujet des fonds français.

évolution des investissements réalisés par des fonds français entre 2007 et 2021 (activité de financement, flux annuels, en mILLIARDS D’euros)

Source : France Invest, traitement Cour des comptes.

Dans les réponses au questionnaire adressé par le rapporteur, Bpifrance indique que « [s]a doctrine d’intervention dispose […] que si Bpifrance peut intervenir exceptionnellement sur le segment du capital retournement (qui vise au redressement des entreprises en difficulté), en particulier pour les PME et les plus petites des ETI, elle doit s’entourer de précautions particulières ».

Ce type d’investissement contrevient par nature aux principes directeurs de Bpifrance pour trois raisons :

– ils supposent généralement un investissement majoritaire afin de disposer de l’ensemble des leviers d’action ;

– les investissements publics dans les entreprises en difficulté font l’objet d’une présomption d’aide d’État et doivent, de ce fait, être systématiquement notifiés aux autorités de la concurrence, induisant des délais plus longs, voire un risque de non-réalisation des opérations ;

– la restructuration des entreprises en difficulté soumettrait Bpifrance, investisseur public, à de forts risques d’image. Compte tenu de ces éléments, Bpifrance privilégiera des investissements en capital retournement en investissant en minoritaire, aux côtés d’investisseurs privés, dans des fonds gérés par des équipes indépendantes spécialisées.

Bpifrance dispose néanmoins d’un outil dédié au retournement, le Fonds de fonds de retournement (FFR), mis en place en 2016 et doté de 125 millions d’euros, qui lui permet d’investir dans des fonds privés nationaux qui peuvent avoir une stratégie de prise de participation majoritaire, à l’inverse de Bpifrance. En 2021, la période d’investissement du fonds a été rouverte pour deux ans et sa taille augmentée de 50 millions d’euros, afin de permettre la souscription de trois nouveaux fonds nationaux.

Au global, les fonds investis par le FFR ont levé près de 850 millions d’euros et les fonds soutenus ont investi dans une cinquantaine de sociétés. Selon les données communiquées par Bpifrance, le déploiement du FFR est terminé depuis deux ans et trois des sept fonds en portefeuille ont, eux-aussi, terminé leur déploiement, tandis que les quatre autres termineront leur période d’investissement d’ici à 2027 au plus tard. « Par ailleurs, la performance financière sur la dizaine de cessions déjà réalisées par les fonds du FFR est très satisfaisante puisqu’elles ont permis de générer un multiple brut de 2,8x les montants investis. » ([392])

En conséquence, il pourrait être utile de relancer le FFR de Bpifrance tout en fixant des critères d’attribution du capital disponible vers des fonds préalablement évalués et jugés vertueux en matière de maintien de l’emploi, afin de renforcer les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour investir dans les entreprises en difficulté sur le territoire national.

Recommandation n° 35

Faire une évaluation des fonds de retournement intervenant en France et de l’impact des rachats opérés sur les entreprises et sur l’emploi ; actualiser régulièrement cette évaluation afin d’en faire un outil à la disposition des pouvoirs publics.

Recommandation n° 36

Relancer et renforcer le Fonds de fonds de retournement de Bpifrance afin d’accentuer les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour investir dans les entreprises en difficulté sur le territoire national.

C.   Les pouvoirs restreints de l’État actionnaire interrogent sur la capacité de la puissance publique à faire face aux restructurations dans des secteurs stratégiques

Dans certaines situations, l’État peut être amené à intervenir de façon directe par des prises de participation au capital d’entreprises. Pour le rapporteur, il existe une forme de tabou à ce sujet, alors même que le caractère stratégique de certaines entreprises en difficulté et le nombre d’emplois potentiellement concernés peuvent pleinement justifier une intervention publique.

1.   L’État peut prendre différentes formes de participations dans des entreprises

Il existe trois principaux pôles d’actionnariat public en France, qui se présentent comme complémentaires et qui disposent chacun de domaines de spécialité propres :

– l’Agence des participations de l’État (APE) est un actionnaire de long terme, qui intervient dans une position d’actionnaire majoritaire ou de référence dans des entreprises relevant de secteurs d’activité liés à la souveraineté ou qui sont d’importance systémique pour notre économie, et qui ont une position de tête de filière ;

– Bpifrance, dont l’État est actionnaire à hauteur de 49,18 %, au côté de la Caisse des dépôts et consignations, privilégie des prises de participations minoritaires en partenariat avec d’autres investisseurs privés en apportant de nouveaux fonds propres ou de la dette, essentiellement dans des PME et des ETI, avec une perspective de sortie au terme d’une étape de leur développement, de leur croissance internationale ou de leur consolidation. Bpifrance opère également au travers d’une activité de fonds de fonds (voir supra) ;

Les compétences de Bpifrance

Définies par l’ordonnance n° 2005-722 du 29 juin 2005, les missions de Bpifrance consistent à favoriser la création, l’innovation, l’amorçage, le développement, l’internationalisation, la mutation et la transmission des entreprises, en contribuant à leur financement en prêts et en fonds propres. Bpifrance a pour mission de répondre aux besoins de financement des TPE, PME et ETI et de contribuer à la stabilisation de l’actionnariat de grandes entreprises stratégiques pour l’économie nationale et à l’émergence de champions français à l’échelle mondiale. Elle agit en appui des politiques publiques conduites par l’État, les régions et l’Union européenne.

En pratique, Bpifrance est une banque intégrée qui exerce l’ensemble des métiers du financement, de l’investissement et de l’accompagnement des entreprises.

Bpifrance garantit des financements bancaires et des interventions des organismes de fonds propres, en s’appuyant sur des fonds de garantie abondés par l’État et les régions.

Bpifrance cofinance, aux côtés des établissements bancaires, les investissements et le cycle d’exploitation des entreprises, notamment à travers la gamme des prêts sans garantie. Bpifrance finance également la trésorerie des entreprises à travers la mobilisation de créances qu’elles détiennent sur les acteurs publics et les grands donneurs d’ordre privés.

Le financement de l’internationalisation des PME et ETI, priorité de Bpifrance depuis sa création, s’appuie sur un prêt sans garantie et, depuis 2015, sur le métier du crédit export. En outre, depuis le 1er janvier 2017, Bpifrance assure la gestion des garanties publiques à l’exportation au nom, pour le compte et sous le contrôle de l’État.

Bpifrance soutient la création d’entreprise, à toutes les étapes du parcours d’un porteur de projets, à savoir la sensibilisation, l’information, l’orientation, l’accompagnement et le financement (garantie, microcrédits, prêts d’honneur, etc.) sur l’ensemble du territoire.

Bpifrance finance par ailleurs l’innovation portée par les start-ups, PME et ETI françaises via la mobilisation de prêts sans garantie, de subventions et d’avances récupérables à partir des enveloppes que l’État (plan France 2030), les régions et l’Union européenne lui confient.

Bpifrance investit directement au capital des entreprises. Il peut s’agir d’investissements en capital innovation dans des entreprises (ou projets industriels) relevant de différents (biotechs, digital, écotechnologies ou encore les technologies de la ville de demain), comme en capital développement, en soutenant des PME traditionnelles, des grands groupes, et des ETI de secteurs stratégiques.

Bpifrance investit dans des fonds de capital innovation et capital développement nationaux et régionaux gérés par plus de 200 sociétés de gestion privées partenaires, ce qui permet notamment d’assurer un important effet d’entraînement sur les capitaux privés. Par ce biais, Bpifrance est indirectement présente au capital de plus de 5 000 entreprises, quel que soit leur stade de maturité.

Enfin, Bpifrance déploie depuis sa création une action de conseil aux entreprises. Elle a ainsi développé une gamme de services de conseil, de formation ou encore de mise en relation, afin de répondre aux besoins d’accompagnement des chefs d’entreprise, quelles que soient leurs caractéristiques (taille, stade de développement, secteur d’activité, etc.). Cette action est mise en œuvre avec l’ensemble des parties prenantes pertinentes, au premier rang desquelles les régions, mais également Business France pour l’accompagnement à l’international et les filières industrielles.

– la Caisse des dépôts et consignations, dans sa fonction d’actionnaire actif et représenté en gouvernance se distingue de l’APE par les secteurs dans lesquels elle investit. En cohérence avec les priorités stratégiques à l’échelle du groupe – transformation écologique, développement économique et cohésion sociale et territoriale –, la Caisse des dépôts a réalisé ses participations stratégiques, jusqu’à présent, principalement dans le secteur des services (y compris financiers et de transport), dans les réseaux postaux et bancaires, dans l’immobilier et les réseaux d’énergie et de ressources en eau.

Pour exercer les missions de l’État actionnaire, l’APE joue un rôle de premier plan.

Sa doctrine actionnariale a été redéfinie en 2017. Le Gouvernement avait souhaité recentrer le portefeuille de l’État actionnaire autour de trois axes prioritaires :

– les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de la France (défense et nucléaire) ;

– les entreprises participant à des missions de service public ou d’intérêt général national ou local pour lesquelles la régulation serait insuffisante pour préserver les intérêts publics et assurer les missions de service public ;

– les entreprises en difficulté dont la disparition pourrait entraîner un risque systémique ou une perte d’indépendance.

Le portefeuille de l’APE compte, en 2025, 86 sociétés, dont 72 sociétés non cotées, 10 sociétés cotées et 4 structures de défaisance ou entités en extinction. La valeur totale du portefeuille était estimée à 179,5 milliards d’euros au 30 juin 2024 (date de publication du rapport d’activité) – dont 50,3 milliards d’euros de participations dans des sociétés cotées. Les vingt plus grandes sociétés du portefeuille emploient plus de 1,6 million de collaborateurs dans le monde.

Les entreprises qui ont l’État pour actionnaire interviennent dans le secteur de l’énergie (EDF, Engie, Orano, etc.), dans les transports (SNCF, RATP, Air France-KLM, les grands ports et aéroports), l’industrie (Thales, Les Chantiers de l’Atlantique, Renault, Safran, Naval Group, etc.), les services et la finance (La Poste, Bpifrance), les médias (audiovisuel public), les télécommunications et les infrastructures numériques (Orange et ASN).

L’année 2024 a été marquée par l’acquisition d’une participation de 10 % dans le capital de John Cockerill Défense, à la faveur de son entrée au capital du constructeur de véhicules blindés Arquus, ainsi que par la prise de contrôle d’Alcatel Submarine Networks, qui fabrique, pose et entretient des câbles de télécommunication sous-marins. En outre, l’APE a acquis des actions de préférence dans certaines entreprises, comme Roxel ou Bull. Elle a par ailleurs cédé, en avril 2024, 21,56 % du capital de Defense Conseil International à Groupe Adit, qui en est devenu l’actionnaire majoritaire, l’État conservant 34 % du capital.

L’APE a conduit ces dernières années deux opérations auprès d’entreprises en difficulté dont la disparition aurait pu entraîner un risque systémique ou une perte d’indépendance :

– en octobre 2008, le groupe bancaire Dexia a connu des difficultés. Grande banque franco-belge spécialisée dans le financement du secteur public (notamment les collectivités territoriales), Dexia a été considérée comme un acteur à risque systémique majeur en Europe, en raison de sa taille. Cette situation a nécessité une intervention publique sous la forme d’une entrée au capital d’entités publiques belges (État et régions) et de l’État français ;

– en mai 2014, l’État est devenu actionnaire à hauteur de 14,1 % de PSA Peugeot Citroën, ce qui a fait de l’APE l’un des actionnaires-clés du groupe, qui connaissait de graves difficultés. En mars 2017, une fois le redressement du groupe confirmé, l’APE a cédé à Bpifrance la totalité des titres de la société détenus par l’État.

Par ailleurs, l’État vient de conclure un accord avec le groupe Atos – qui a récemment mis en œuvre une opération de restructuration – pour acquérir l’activité stratégique de supercalculateurs.

Ces interventions sont relativement rares. Comme l’a indiqué M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État, dans un souci notamment d’économie des deniers publics, « l’État n’intervient que si cela a du sens et si les autres outils à sa disposition ne peuvent pas être mobilisés. Le fait qu’une entreprise puisse être considérée comme stratégique ne suffit pas à déclencher automatiquement l’entrée de l’État à son capital. Ce dernier dispose d’autres leviers d’action : l’octroi d’aides sous différentes formes ou la régulation. Il existe également un dispositif de contrôle des investissements étrangers en France, qui a été renforcé à de nombreuses reprises ces dernières années et qui a montré son efficacité. » ([393]) (voir infra)

Les interventions sont également mesurées concernant la gestion quotidienne des entreprises dont l’État est actionnaire : « L’État actionnaire n’a pas pour mission d’intervenir dans la gestion quotidienne des entreprises. La vie interne de la société, de même que le dialogue social, sont des sujets qui relèvent de la direction. Il ne faut pas confondre les rôles. L’État doit s’assurer du bien-fondé des décisions structurantes de l’entreprise, de la cohérence de sa stratégie avec les perspectives et objectifs de long terme – le maintien d’un ancrage territorial, la réindustrialisation du pays, le développement d’un secteur, etc. En résumé, l’État laisse aux entreprises une véritable liberté de gestion. En outre, il doit tenir compte du fait qu’il n’est pas toujours le seul actionnaire et que les autres parties ont leur propre vision des choses et leurs propres objectifs. » ([394])

Ainsi, comme cela a été précisé par écrit, lorsqu’une entreprise de son portefeuille envisage de mettre en œuvre des mesures de restructuration significatives impliquant des suppressions d’emplois, l’APE participe à un dialogue stratégique, dans le cadre de la gouvernance, afin d’apprécier la pertinence de la restructuration ainsi que sa nécessité pour la bonne santé sur le long terme de l’activité. Dans ce cadre, qui n’est pas toujours public, l’État actionnaire peut exprimer un avis défavorable sur certaines décisions.

Lorsque les mesures de restructuration impliquant des suppressions d’emplois sont effectivement déployées, l’Agence est vigilante quant aux modalités de leur mise en œuvre et veille à ce que les entreprises examinent toutes les possibilités de reclassement interne ou externe, dans un esprit de responsabilité sociale. Elle veille également à ce que la mise en œuvre de ces mesures fasse l’objet d’un suivi par le conseil d’administration.

L’APE a ainsi indiqué être vigilante quant aux modalités de mise en œuvre du plan de gestion active de l’emploi déployé par Thales Alenia Space (voir supra), qui concerne 1 000 emplois en France.

Dans le cas de Renault Group, qui est confronté à des mutations majeures, la reprise de la Fonderie de Bretagne, validée le 25 avril 2025 par le tribunal de commerce de Rennes, doit permettre la sauvegarde de 266 emplois sur 285, reposant notamment sur la diversification de l’activité vers la défense, et plus spécifiquement, la production d’obus.

En résumé, le rôle de l’État actionnaire s’apparente, selon M. Alexis Zajdenweber, à « un jeu d’équilibriste : il doit rester dans son rôle d’actionnaire tout en pesant sur l’action des entreprises pour obtenir des résultats » ([395]) dans différents domaines, allant de la responsabilité sociale et environnementale aux conditions de travail, en passant par la souveraineté nationale et la défense.

Pour le rapporteur, la doctrine actuelle de l’État actionnaire reste ainsi essentiellement déterminée par une logique financière, au détriment d’objectifs de souveraineté économique ou de la préservation des emplois.

2.   Pour préserver des emplois, les leviers dont dispose l’État actionnaire devraient être davantage mobilisés

Plusieurs interlocuteurs de la commission d’enquête ont fait part de leur incompréhension et de leur frustration face à la position de retrait de l’État actionnaire, quand bien même ne serait-il pas un actionnaire comme les autres. Pourtant, comme cela a été précisé par l’APE, la crise provoquée par la pandémie de covid-19 et les autres chocs des dernières années (l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la crise énergétique, l’inflation) « ont renforcé la légitimité de l’action de l’État actionnaire. Dans ce contexte, la notion de souveraineté s’est élargie, englobant désormais non seulement les secteurs traditionnellement stratégiques (la défense et de l’énergie), mais également les chaînes de valeur industrielles, la transition énergétique, ou encore les capacités d’innovation. L’État actionnaire est ainsi réaffirmé comme un levier d’orientation et de protection des intérêts économiques fondamentaux de la Nation. » ([396])

Pour Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, « l’État, bien qu’actionnaire dans certains secteurs, reste passif et dépourvu de stratégie industrielle, particulièrement dans l’automobile. La France détient 15 % de Renault, mais qu’avons-nous fait pour anticiper les transformations et prévenir la catastrophe industrielle en cours ? » ([397]) De façon générale, « il apparaît que l’État refuse d’utiliser les leviers à sa disposition pour mettre en œuvre une stratégie volontariste sur le tissu productif » ([398]).

En audition, la secrétaire générale de la CGT a donné plusieurs exemples. Dans le cas d’Atos, « l’État a choisi de ne sauvegarder qu’une infime partie de l’entreprise, pour un coût équivalent à une nationalisation complète, compte tenu de la chute du cours de l’action. Des choix plus ambitieux auraient pu être envisagés pour garantir une véritable souveraineté numérique, indispensable dans le contexte géopolitique actuel. » ([399]) La cession d’Opella par Sanofi a également été décrite comme illustrant « le refus de l’État d’utiliser les outils à sa disposition pour intervenir, par crainte de dissuader les investisseurs » ([400]), tandis que, dans « le cas de Valdunes, dernier fabricant français de roues et d’essieux de trains, nous avons réussi à trouver un repreneur après un an de lutte. Cependant, notre proposition initiale de reprise par Alstom, cohérente sur le plan de la chaîne de valeur, n’a pas été retenue, l’État n’ayant pas utilisé son influence en tant qu’actionnaire pour l’imposer. Les investissements du repreneur Europlasma peinent à venir et l’entreprise reste dans une situation très fragile. » ([401])

Dans le cas de Vencorex, la nationalisation temporaire partielle faisait partie des solutions envisageables pour éviter la fermeture du site, finalement repris par un investisseur chinois. Si le concept de nationalisation temporaire n’a pas d’existence juridique à proprement parler, il s’agit en pratique d’une nationalisation – soit une prise de contrôle du capital d’une entreprise par l’État qui se matérialise par la détention de titres – qui prend fin (cession des titres à un investisseur extérieur ou à un autre acteur public, comme Bpifrance) une fois la situation de l’entreprise améliorée.

Force est de constater que ce projet a fait l’objet d’un débat ([402]) marqué par une opposition entre la direction de la société et le Gouvernement d’une part, les salariés et les élus locaux d’autre part, ces derniers ayant vu dans la nationalisation une manière de « gagner du temps » grâce à un « projet viable ». Pour M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble, la situation actuelle de Vencorex soulève des enjeux de souveraineté : « en résumé, le scénario catastrophe que nous vivons dépasse largement la seule usine Vencorex de PontdeClaix. Ce qui est en jeu, c’est la liquidation de toute une filière régionale, estimée aujourd’hui à 6 000 emplois pour le seul bassin grenoblois, la fermeture de deux des dix-huit plateformes chimiques françaises et des enjeux de souveraineté industrielle considérables, puisque Vencorex représentait 14 % de la capacité de production de chlore du pays. Son arrêt fait ainsi passer la France du statut de pays exportateur à celui de pays importateur de chlore. » ([403])

Pour le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, M. Marc Ferracci, « la défaillance de l’entreprise et son rachat partiel par BorsodChem ne posent pas de problème de souveraineté » ([404]). En outre, « les analyses financières relatives à la reprise de l’activité ont démontré que l’activité de Vencorex n’était pas viable, quels que soient les scénarios, y compris les plus optimistes, avec des pertes accumulées de plusieurs centaines de millions d’euros à un horizon 2032/2033. Et de fait, malgré la mobilisation des administrateurs judiciaires et des services de l’État durant les procédures de conciliation puis de redressement judiciaire, il n’y a pas eu d’offre de reprise globale de l’entreprise. Dans ces conditions, une nationalisation n’est pas, d’un point de vue économique, une solution qui permette d’assurer une pérennité d’une industrie. » ([405])

Lors de leur audition, les délégués syndicaux de Vencorex et d’Arkema ont toutefois souligné l’importance des matériaux produits, utilisés, pour certains, dans le domaine nucléaire ([406]). À ce stade, comme cela a été confirmé par le ministre, concernant spécifiquement l’approvisionnement en sel pour la défense, le ministère des armées a indiqué que des travaux étaient conduits pour définir une source française alternative. Dans l’intervalle, des stocks permettent de poursuivre l’activité pendant une longue durée. Ainsi, le fournisseur alternatif à Vencorex reste à identifier.

Du reste, tous les brevets français de Vencorex ont été repris par BorsodChem, y compris la documentation relative aux ateliers qui ont été fermés, ce qui soulève, selon les organisations syndicales, des risques pour l’avenir du site. Pour le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, le fait que la reprise partielle couvre l’ensemble de la propriété intellectuelle de Vencorex France relève de l’usage et ne constitue pas une menace pour la souveraineté : « le tribunal a imposé qu’en cas de vente des actifs sel ou électrolyse dans le cadre de la liquidation, le savoir-faire devra être mis à disposition de l’acheteur. Les brevets repris par BorsodChem concernent donc l’activité de production de monomères isocyanates, à destination de peintures industrielles, ce qui ne soulève pas d’enjeux de souveraineté. Si un repreneur venait à reprendre des actifs non repris par BorsodChem, rien ne l’empêchera de négocier la reprise de la propriété intellectuelle. » ([407])

Comme cela a été confirmé par le ministre, l’opération portant sur l’acquisition d’une partie des activités de Vencorex par un investisseur étranger a bien été soumise à la procédure de contrôle des investissements étrangers en France.

La procédure d’autorisation préalable des investissements étrangers en France

L’article L. 151-3 du code monétaire et financier soumet à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie certains investissements étrangers qui peuvent se classer en deux catégories :

– les investissements dits « sensibles par nature », qui relèvent principalement du secteur de la défense nationale et de la sécurité publique, qui participent à l’exercice de l’autorité publique ou qui sont de nature à porter atteinte à l’ordre public (activités relatives aux armes, aux biens à double usage, à la sécurité des systèmes d’information, etc.) ;

– les investissements dans des « infrastructures, biens ou services essentiels » qui permettent de garantir l’intégrité, la sécurité ou la continuité de l’approvisionnement en eau, en énergie, la continuité de l’exploitation des réseaux de transport ou des opérations spatiales, la protection de la santé publique, ou encore la production et la distribution de produits agricoles.

Si la procédure d’autorisation préalable est relativement ancienne (loi n° 66-1008 du 28 décembre 1966 relative aux relations financières avec l’étranger), – le champ des investissements concernés par ladite procédure a été progressivement étendu par voie réglementaire. C’est dans ce cadre que le décret  2014-479 du 14 mai 2014, dit « décret Montebourg », a intégré dans le périmètre du contrôle les activités stratégiques relatives à la santé, aux transports, ainsi qu’à l’approvisionnement en eau et en énergie. Depuis 2014, le régime de contrôle a ainsi été significativement renforcé dans son champ d’application, ses leviers d’intervention et ses modalités de sanction.

Plus récemment, le décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023 a étendu le champ du contrôle aux activités de sécurité dans les établissements pénitentiaires et aux activités d’extraction, de transformation et de recyclage de matières premières.

Il s’agit d’un régime de police administrative ciblé sur les investissements étrangers portant atteinte aux intérêts nationaux, qui s’applique par dérogation au principe de la liberté des relations financières entre la France et l’étranger (article L. 151-1 du code monétaire et financier) et de la libre circulation des capitaux (article 63 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne).

Les opérations qualifiées par le code monétaire et financier d’investissements susceptibles de faire l’objet d’une autorisation préalable sont celles réalisées par :

– toute personne physique de nationalité étrangère ou de nationalité française mais qui n’est pas domiciliée fiscalement en France ;

– toute entité de droit étranger ;

– toute entité de droit français contrôlée par une ou plusieurs entités énumérées précédemment.

En outre, un investissement est défini comme une opération visant à :

– acquérir le contrôle d’une entité de droit français ;

– franchir le seuil de 25 % de détention des droits de vote d’une entité française.

À compter du mois de juillet 2020, le seuil de détention a été abaissé à 10 % des droits de vote pour les investissements réalisés par des investisseurs étrangers au sein de sociétés cotées. Cette mesure, au départ conçue dans le contexte de la crise sanitaire pour s’appliquer de manière temporaire, a ensuite été pérennisée à compter du 1er janvier 2024 par le décret n° 2023-1293 du 28 décembre 2023.

La procédure de contrôle des investissements étrangers débute par le dépôt d’une demande d’examen par l’investisseur auprès de la direction générale du Trésor. Le bureau du contrôle des investissements étrangers en France est chargé d’instruire la demande, en s’appuyant sur le comité interministériel des investissements étrangers en France.

Ce premier examen peut déboucher sur trois catégories de décisions :

– une décision tendant à considérer que l’investissement ne relève pas du champ des investissements stratégiques et qu’il est inéligible au contrôle (ce qui a pour effet d’autoriser sans conditions l’investissement) ;

– un accord préalable du ministre sans conditions ;

– un examen complémentaire, qui peut lui-même aboutir à un refus de l’opération, une autorisation sans conditions ou une autorisation sous conditions, visant à préserver les intérêts nationaux.

La première phase d’examen dure au maximum 30 jours. La durée de l’examen complémentaire est plafonnée à 45 jours. En l’absence de réponse à l’investisseur dans ces délais, la demande d’autorisation est réputée rejetée.

Si un investissement étranger a été réalisé sans autorisation préalable ou si les conditions définies par le ministre n’ont pas été respectées, ce dernier dispose d’un pouvoir d’injonction et de sanction. Ces sanctions peuvent prendre la forme d’une suspension des droits de vote attachés à la fraction des parts ou actions dont la détention aurait dû faire l’objet d’une autorisation préalable, d’une interdiction ou de la suspension de la distribution de dividendes, ou encore d’un gel des actifs liés aux activités soumises à autorisation.

Le contrôle du respect des engagements pris par l’investisseur, après une décision d’autorisation sous conditions, est assuré, en termes opérationnels, par le service de l’information stratégique et de la sécurité économique (Sisse) relevant de la direction générale des entreprises ; disposant d’un réseau territorial, le Sisse s’appuie également, pour assurer le suivi des engagements, sur les administrations compétentes, par exemple la délégation générale de l’armement dans le secteur militaire.

En outre, l’État avait annoncé être prêt à s’impliquer pour soutenir le projet de reprise de l’usine, sous forme de Scic, porté par une partie des salariés (voir infra et supra), sur la base du principe « un euro privé pour un euro public », à la condition toutefois que l’offre soit jugée recevable par le tribunal de commerce.

Dans le cas d’ArcelorMittal, également étudié par la commission d’enquête, la piste d’une nationalisation a, de même, été exclue par le Gouvernement.

Pour M. Marc Ferracci, « un changement d’actionnaire avec un rachat public ne résout en rien les difficultés de la sidérurgie européenne. En outre, dans l’évaluation du coût d’une nationalisation, il convient d’additionner le coût de rachat des titres qui se traduit par un décaissement d’argent public au bénéfice de l’actionnaire privé actuel, le coût du portage des investissements de décarbonation qui sont massifs pour chaque usine et le coût du portage des pertes accumulées à venir qui peut devenir massif pour une industrie cyclique en difficulté comme la sidérurgie. À ce titre, le résultat net du groupe en France s’établit à plus de 1 Md€ en cumul sur 2023-2024. La réponse est donc d’abord dans la protection de nos intérêts au niveau européen contre la surproduction asiatique, par les mécanismes d’ajustement carbone aux frontières et de clauses de sauvegarde » ([408]), ainsi que dans une action visant à « amplifier » l’effort d’investissement du groupe en France.

Si la nationalisation d’ArcelorMittal fait débat, y compris parmi les organisations syndicales (voir supra), plusieurs options sont envisageables, parmi lesquelles une prise de participation conjointe des États européens là où ArcelorMittal possède des implantations majeures. Or, toutes ces options ont été écartées par le Gouvernement et le Président de la République, alors qu’il s’agit, comme le rapporteur a eu l’occasion de le souligner lors de l’audition du président d’ArcelorMittal France, « d’un outil industriel vital pour la Nation », qui peut justifier une reprise, « au moins provisoire » ([409]), par l’État.

Enfin, il importe également de souligner que certains projets peuvent aboutir à une intervention de l’État. Lors de son audition, Mme Sophie Binet avait évoqué le projet de reprise de la papeterie de Chapelle-Darblay, à GrandCouronne, fermée il y a cinq ans. Porté par trois anciens salariés du site et par le groupe canadien Fibre Excellence, le projet a été soutenu par la CGT, la métropole Rouen Normandie et la ville de Grand-Couronne, et constitue un exemple parmi d’autres illustrant le rôle pivot que peuvent jouer les élus locaux face aux difficultés économiques des entreprises de leurs territoires. En avril, Mme Binet déclarait la chose suivante : « malgré l’identification d’un repreneur, Fibre Excellence, et le soutien des collectivités, nous attendons depuis un an que Bpifrance ou la Caisse des dépôts et consignations investisse 20 millions d’euros pour concrétiser ce projet créateur de deux cents emplois. » ([410]) Le 6 juin 2025, l’État a confirmé son engagement à verser 27 millions d’euros au capital de l’entreprise, via Bpifrance, ainsi que des subventions à hauteur de 25 millions d’euros.

Ainsi, même si cette piste dépasse le strict champ d’investigation de la commission d’enquête, le rapporteur voit d’un œil favorable la recommandation formulée notamment par la CGT en vue de la constitution d’un pôle financier public qui réunirait les acteurs chargés des investissements de l’État ou de leur suivi (APE, Bpifrance, Caisse des dépôts et consignations, secrétariat général pour l’investissement, Agence de la transition écologique) et qui pourrait être doté d’une doctrine d’intervention plaçant le maintien et la création des emplois au premier plan. La constitution d’un tel pôle pourrait utilement s’accompagner d’une révision de la doctrine d’intervention de l’État actionnaire, en y intégrant des objectifs à la fois industriels, sociaux et environnementaux. Les activités de ce pôle feraient chaque année l’objet d’un rapport public remis au Parlement, contenant une évaluation portant notamment sur la sauvegarde de l’emploi.

Recommandation n° 37

Créer un pôle financier public réunissant notamment l’Agence des participations de l’État, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, le secrétariat général pour l’investissement et l’Agence de la transition écologique.

Doter ce pôle d’une doctrine d’intervention prévoyant des objectifs industriels, sociaux et environnementaux, dont le maintien de l’emploi.

Le rapporteur est également favorable aux évolutions prévues par la proposition de loi relative à la protection des entreprises stratégiques d’intérêt national, présentée en juin 2025 par M. Charles Fournier et ses collègues du groupe Écologiste et Social ([411]). Cette proposition de loi vise à créer une procédure de mise sous gestion publique exceptionnelle, s’appliquant à des entreprises considérées comme stratégiques, « en cas d’ouverture d’une procédure collective de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou liquidation judiciaire, d’arrêt substantiel d’activité ou menace imminente d’arrêt substantiel d’activité ou de suppressions d’emplois, de transfert ou menace imminente de transfert d’actifs essentiels à leur fonctionnement, et de projet d’investissement étranger, afin d’assurer la préservation de savoirfaire, d’infrastructures ou technologies non substituables à court terme, la réduction de la vulnérabilité externe de l’économie de la nation ou le maintien d’activités économiques et industrielles essentielles aux intérêts de la nation ». Elle crée également un fonds souverain de sauvegarde industrielle chargé de financer les entreprises et établissements stratégiques placés sous gestion publique exceptionnelle.

Recommandation n° 38

Créer une procédure de mise sous gestion publique exceptionnelle applicable sous certaines conditions aux entreprises stratégiques d’intérêt national.

En ce qui concerne le contrôle des investissements étrangers, si l’autorisation accordée par le ministre en charge de l’économie peut être assortie de conditions ([412]), celles qui sont relatives à la préservation de l’emploi au sein d’une société française ne peuvent être imposées que lorsqu’elles sont nécessaires à la sécurité et la pérennité des activités sensibles.

Selon la DG Trésor, l’activité a connu en 2023 une légère diminution, avec 309 dossiers soumis (demandes d’autorisation, demandes d’examen préalable et notifications de franchissement du seuil de 10 % des droits de vote dans une société cotée) contre 325 en 2022. Les dossiers de demandes d’autorisation ont donné lieu à 255 décisions, dont 135 décisions autorisant des opérations, dans la mesure où les investissements portaient sur des entités participant, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique, ou des entités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale. Parmi celles-ci, 44 % ont été assorties de conditions pour garantir la préservation des intérêts nationaux ([413]). Selon les éléments communiqués au rapporteur par le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, les investissements effectués dans des infrastructures, biens ou services essentiels, qui comprennent notamment les secteurs de la santé, des transports et de l’approvisionnement en eau et en énergie, ont représenté 43 % des investissements contrôlés en 2023 ([414]).

Néanmoins, le nombre de refus d’investissements n’est pas public, du fait notamment de l’application du secret des affaires ou du secret de la défense nationale. Dès lors, les 120 dossiers n’ayant pas fait l’objet d’autorisations peuvent correspondre à des inéligibilités ou des refus. Ces dernières années, deux vetos ont fait l’objet d’une communication médiatique : un premier opposé au rachat de Photonis par la société Teledyne, en 2020 ; un second opposé au rachat de Segault et Velan par Flowserve, en 2023. Dans le second cas, Framatome, filiale d’EDF, et TechnicAtome, deux entreprises du portefeuille de l’APE, ont fait, le 28 mars 2025, l’acquisition de ces deux entreprises françaises spécialisées dans la robinetterie de pointe, stratégiques pour le nucléaire civil et la défense de notre pays.

En outre, l’objectif de préservation des emplois invite à se tourner également vers le contrôle des investissements sortants, effectués par des entreprises françaises ou européennes dans des pays tiers. Si un tel contrôle existe au Japon, en Chine ou aux États-Unis, cela n’est pas le cas en France ni à l’échelle de l’Union européenne. Ce sujet a fait l’objet d’un livre blanc publié par la Commission européenne le 24 janvier 2024, ainsi que d’une recommandation, en janvier 2025 ([415]), invitant les États membres à examiner les investissements sortants et à évaluer les risques que ceux-ci posent pour la sécurité économique. Si les réflexions en cours portent notamment sur les enjeux liés aux technologies et à la propriété intellectuelle, le contrôle des investissements sortants pourrait également intégrer une dimension visant à la protection des emplois, à l’occasion, par exemple, d’opérations de délocalisation de l’activité.

III.   UNE Asymétrie de moyens entre salariés et employeurs

A.   une moindre maÎtrise du temps et des procédures limite les moyens des représentants du personnel pour exercer leurs pouvoirs dans l’entreprise

Parmi les objectifs de la réforme des plans de sauvegarde de l’emploi mise en œuvre en 2013, figurait la volonté de renforcer la place de la négociation dans leur élaboration.

Or, les travaux de la commission d’enquête ont mis en lumière l’existence d’une asymétrie de moyens entre les employeurs et les représentants du personnel et d’une insuffisance des moyens humains ou financiers qui peut, dans certaines situations et dans des délais contraints, fragiliser les prérogatives des seconds dans le contexte de l’établissement d’un PSE.

1.   Le risque d’une négociation déloyale des plans de sauvegarde de l’emploi

Tout d’abord, employeur et représentants du personnel, CSE comme délégués syndicaux, doivent faire face à une asymétrie initiale face au projet de PSE, par définition élaboré par l’employeur avant toute phase de consultation et de négociation.

a.   Les représentants du personnel sont souvent placés devant le fait accompli

Ce déséquilibre peut être amplifié dans les petites et moyennes entreprises, où les représentants du personnel disposent tendanciellement de moins de moyens humains et financiers. Pour rappel, la part des accords collectifs majoritaires portant PSE est nettement plus importante au sein des grandes entreprises (plus de 500 salariés). Sur la période allant de 2015 à 2022, elle s’établissait à 75 % contre 48 % dans les entreprises in bonis de moins de 100 salariés. De même, selon les données recensées par la DGEFP, les entreprises qui appartiennent à un groupe sont plus fréquemment concernées par la signature d’un accord, à hauteur de 70 % contre 65 % pour les entreprises in bonis n’appartenant pas à un groupe. Comme cela est évoqué dans la première partie du présent rapport, les grandes entreprises intègrent plus fréquemment des plans de départs volontaires dans les PSE élaborés ; or, les entreprises passent plus souvent par la voie négociée lorsqu’elles envisagent un dispositif de départs volontaires : 80 % contre 63 % en cas de départs contraints, en 2022. Au total, sur la période allant de 2015 à 2022, 51 % des accords portant PSE prévoyaient un dispositif de volontariat, contre 31 % des PSE mis en œuvre de manière unilatérale.

Comme l’ont souligné Me Bénédicte Rollin et Me Laurent Beziz, avocats, le droit du travail – et tout particulièrement le champ des relations collectives – est en général très peu connu des représentants du personnel et des salariés, sauf lorsque ces représentants disposent d’une longue expérience syndicale ou qu’ils ont déjà vécu une procédure de licenciement économique. Les ressources juridiques des organisations syndicales sont principalement orientées vers la défense prud’homale individuelle, tandis que le droit du licenciement collectif reste relativement méconnu ([416]).

Ce déséquilibre vient renforcer l’asymétrie de préparation entre l’employeur, qui a généralement préparé le projet de PSE pendant des semaines ou des mois, et les représentants du personnel, qui doivent en prendre connaissance et s’efforcer de proposer des mesures alternatives. Comme l’a indiqué M. Nicolas Robert, délégué syndical central SUD chez Michelin, « trop souvent, les décisions stratégiques majeures sont prises de manière unilatérale, sans concertation réelle avec les organisations syndicales. Les instances représentatives du personnel (IRP) sont informées après coup, dans des délais trop contraints pour permettre une analyse sérieuse ou la formulation de contre-propositions. Ce mode de gouvernance alimente un profond sentiment d’injustice et accentue la crise de confiance au sein des entreprises. » ([417]) En conséquence, le dialogue social n’est plus un véritable « espace de construction collective » ([418]). De même, pour M. Gilles Martin, délégué syndical CFDT chez Auchan, s’il est indéniable que le dialogue social existe dans la société, les représentants du personnel sont « trop souvent mis devant le fait accompli », avec, malgré la communication d’informations, des marges de manœuvre limitées pour « influencer les décisions stratégiques ».

Si les négociations sont d’autant plus cruciales qu’elles peuvent permettre de limiter le nombre de suppressions d’emplois et de renforcer les mesures d’accompagnement prévues pour les salariés, de nombreux représentants syndicaux entendus par la commission d’enquête ont indiqué avoir signé les accords portant PSE car ils constituaient un moindre mal ([419]). À titre d’exemple, le tableau ci‑dessous, transmis par la CFE-CGC de Monoprix, présente les avancées obtenues par les délégués syndicaux ayant participé aux négociations du PSE annoncé en 2024.

comparaison entre le projet de pse initial de la direction de monoprix
et le document obtenu à l’issue des négociations

Indemnité supra-légale

Sur base de l’ancienneté

Projet Initial

Accord négocié

Entre 1 et 10 ans

1 mois

1 mois

Entre 10 et 20 ans

2 mois

2 mois

Entre 20 et 30 ans

3 mois

3 mois

Entre 30 et 40 ans

3 mois

4 mois

Entre 40 et 45 ans

3 mois

5 mois

Plus de 45 ans

3 mois

6 mois

 

Prime liée au « double run » des services paie et comptabilité

 

Projet Initial

Accord négocié

Terminer 2024

Non

1 000 € si présent au 31/12/2024 puis

Contrôle CSP phase 1

600 € si présent au 31/01/2025

Contrôle CSP phase 2

700 € si présent au 28/02/2005

 

Congé de reclassement

Sur base de l’âge

Projet Initial

Accord négocié

Moins de 45 ans

6 mois à 65 % du salaire brut

7 mois à 70 % du salaire brut

Entre 45 et 55 ans

7 mois à 65 % du salaire brut

9 mois à 70 % du salaire brut

Plus de 55 ans ou RQTH

8 mois à 65 % du salaire brut

10 mois à 70 % du salaire brut

 

Budgets de formation

 

Projet Initial

Accord négocié

Adaptation

Maximum de 2 500 € HT

Minimum de 4 000 € HT

Reconversion

Maximum de 5 000 € HT

Minimum de 8 000 € HT

Diplômante ou qualifiante

Maximum de 7 000 € HT

Minimum de 9 000 € HT

Collaborateurs RQTH

Non

Majoration de 2000€ HT

Pot commun des budgets non consommés sur les formations accordées

Non

Majoration potentielle de 2000 € (ou 3 000 € pour les RQTH) dans la limite du pot commun.

 

Mobilité géographique

 

Projet Initial

Accord négocié

 

Ou

Différentiel de loyer

Plafonné à 10 % du loyer et à 150 €mois

Plafonné à 10 % du loyer et à 200 € /mois

Maximum 6 mois

Minimum 6 mois avec fin au plus tard le 30/09/2025

Indemnité de double résidence

Limité à 1 000 €

Limité à 3 000 €

Période d’adaptation ou d’essai

Jusqu’au 31/12/2025

Aide au déménagement

2 000 € HT

3 000 € HT

Prime d’installation

1 000 € +

500 € par enfant à charge

1 800 € +

750 € par enfant à charge

 

Autres aides au reclassement

 

Projet Initial

Accord négocié

Différentiel de salaire en cas de reclassement interne

Max. 150 €/mois sur 12 mois

100 % de l’écart sur 6 mois

Max. 300 €/mois sur 6 mois

Max. 200 €/mois sur 6 mois

Différentiel de salaire en cas de reclassement externe

Max. 150 €/mois sur 12 mois

Max. 200 €/mois sur 12 mois

Aide à la création ou reprise d’entreprise

6 000 €

30 % des besoins d’investissement du projet dans la limite de 15 000 €

Source : CFE-CGC Monoprix.

Pour les organisations syndicales, le fait que la direction puisse, si les négociations échouent, proposer un document unilatéral, consolide le déséquilibre entre les parties, car cela incite les délégués syndicaux à accepter un accord qui n’est pas toujours satisfaisant mais qui apparaît plus favorable que le projet initial de l’employeur ([420]).

Le rapporteur est ainsi favorable à l’octroi au CSE de pouvoirs renforcés lorsqu’il est informé et consulté sur un PSE prenant la forme d’un document unilatéral. Dans ce cas de figure, le CSE rend un avis sur le projet de restructuration et de compression des effectifs ainsi qu’un avis sur le projet de licenciement. Tous les points du PSE sont soumis à son appréciation, en amont de la finalisation du document. Le rapporteur est favorable à ce que le CSE puisse contraindre l’employeur à réformer son projet si les actions prévues pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre, d’un côté, faciliter le reclassement des salariés, d’un autre côté, sont jugées insuffisantes pour atteindre ces objectifs ([421]).

Recommandation n° 39

Donner au comité social et économique le pouvoir d’approuver le document élaboré par l’employeur, à défaut de conclusion d’un accord collectif, aux fins de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Enfin, le déséquilibre entre employeur et représentants du personnel peut être particulièrement marqué lors de la mise en œuvre de licenciements économiques hors PSE. Ces licenciements sont, en effet, caractérisés par des délais de consultation plus courts (14 jours pour 10 licenciements et plus dans une entreprise de moins de 50 salariés, un mois lorsque sont prononcés 2 à 9 licenciements économiques, conformément aux articles L. 1233-8 et L. 1233-29 du code du travail), un contrôle administratif inexistant ou restreint (voir supra) et une absence d’expertise économique et financière, voire de négociation syndicale.

b.   Les délais préfix encadrant la procédure d’information-consultation du CSE contraignent les prérogatives des représentants du personnel

L’introduction de délais « préfix » par la loi relative à la sécurisation de l’emploi, afin d’encadrer la durée de la procédure d’information-consultation du CSE et allant de deux à quatre mois, a limité le temps dont disposent les représentants du personnel pour faire des propositions. Conçus dans le but d’offrir un espace au dialogue social tout en limitant les risques d’insécurité juridique ([422]), ces délais, à l’issue desquels le CSE est réputé, en l’absence d’avis, avoir été consulté, s’imposent de façon inégale à l’employeur, à l’origine du PSE et du projet qui l’accompagne, et aux représentants du personnel appelés à en prendre connaissance et à formuler des propositions de modification dudit projet.

Comme l’a souligné le sociologue Claude Didry, « jusqu’à la loi de 2013, les employeurs étaient confrontés à la possibilité de voir les comités d’entreprise contester et faire annuler les procédures de licenciement devant la justice. La loi de 2013 a marqué un tournant en privilégiant la négociation syndicale, axée principalement sur les contreparties aux suppressions d’emplois, plutôt que sur la remise en question de ces suppressions elles-mêmes. » ([423])

Or, les délais ne permettent pas toujours aux représentants syndicaux d’obtenir les modifications souhaitées. Comme l’a indiqué M. Olivier Guivarch, « nous plaidons pour des négociations loyales, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. Les délais actuels contraignent souvent les représentants du personnel à se focaliser sur la négociation des indemnités, au détriment de la recherche d’autres solutions pour préserver l’emploi. » ([424]) De façon générale, les délais légaux ne permettent pas toujours de trouver des solutions adaptées aux besoins des salariés, dans des situations économiques souvent complexes.

Pour M. Bertrand Mahé, délégué national CFE‑CGC en charge de l’emploi, l’introduction des délais préfix en 2013 devait s’accompagner de l’octroi de moyens renforcés pour les élus leur permettant d’accéder à « une information complète et sincère sur les aspects économiques et stratégiques de l’entreprise, notamment par l’intermédiaire de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). Malheureusement, l’expérience montre que ce dispositif n’a pas atteint son objectif. Dans de nombreuses entreprises, la BDESE est peu ou pas mise en place et l’information fournie est souvent partielle, voire partiale. » ([425])

Pourtant, les points d’attention des représentants du personnel en amont et lors des négociations sont nombreux et ne se limitent pas à l’enjeu des indemnités. Parmi les principaux points d’attention recensés figurent : l’évaluation du motif économique retenu par l’employeur ; l’analyse des décisions de gestion et du projet de réorganisation de l’employeur ; l’identification des catégories et des emplois concernés ainsi que de l’ordre des licenciements ; la définition des mesures d’accompagnement des salariés et des mesures alternatives au licenciement.

2.   Des moyens insuffisants pour des représentants du personnel soumis à une forte pression

a.   Les représentants du personnel doivent composer avec des ressources limitées

Faire face à un PSE est particulièrement difficile pour les représentants du personnel. Comme l’a souligné Me Laurent Béziz lors de son audition, « les représentants du personnel font face à une forte pression. Ils doivent gérer une multitude de sujets complexes allant de l’analyse économique et stratégique à la gestion des suppressions d’emplois, en passant par les mesures de reclassement, les questions environnementales et les problématiques de santé et de sécurité. Ils doivent traiter ces sujets avec des moyens en temps, financiers et humains limités. » ([426]) Ils doivent aussi tenir compte, comme l’a mis en avant Me Bénédicte Rollin, des intérêts divergents des salariés qui restent et des salariés qui partent, ce qui implique de prendre en considération les incidences qu’aura la réorganisation sur les futures conditions de travail ([427]).

Par conséquent, les risques psychosociaux sont élevés pour les représentants du personnel dans ces situations.

Comme l’a souligné Mme Stéphanie Saad, déléguée syndicale CFDT chez Crédit commercial de France (CCF), « notre rôle de négociateurs est très important, mais notre rôle de médiateurs l’est encore plus. Nous sommes le réceptacle des angoisses et des inquiétudes des collaborateurs et nous demeurons souvent impuissants, faute de moyens. De quelle crédibilité jouissons-nous auprès des salariés quand nous n’avons que très peu de marges de manœuvre ? » ([428])

Les représentants des cabinets d’avocats LBBa et JDS, qui interviennent auprès des représentants du personnel confrontés à des PSE, ont également mis en avant la nécessité de moderniser les moyens de communication des représentants du personnel, décrits par Me Rollin comme « archaïques, surtout à l’heure du télétravail et des entreprises multi-sites » ([429]). Ils ont ainsi plaidé pour qu’il soit permis au CSE et aux syndicats représentatifs de communiquer avec les salariés par mail sur leur messagerie professionnelle. De même, il pourrait être utile qu’en cas de projet de réorganisation ayant une incidence sur l’emploi, des assemblées générales du personnel organisées sur le lieu (ou par visioconférence) et le temps de travail.

Ces moyens de communication prennent actuellement les formes suivantes :

 affichage sur des panneaux syndicaux (article L. 2142-3 du code du travail) ;

– distribution de tracts syndicaux dans l’enceinte de l’entreprise aux heures d’entrée et de sortie du travail (article L. 2142-4 du code du travail) ;

– mise à disposition de publications et tracts syndicaux accessibles à partir de l’intranet de l’entreprise, s’il existe un intranet (article L. 2142-6 du code du travail).

L’article L. 2142-6 prévoit également la possibilité pour un accord d’entreprise de définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise.

Recommandation n° 40

Renforcer les moyens de communication numériques des représentants du personnel pour leur permettre de communiquer plus facilement et efficacement avec les salariés.

Permettre aux représentants du personnel de tenir, en cas de projet de réorganisation ayant une incidence sur l’emploi, des assemblées générales du personnel organisées sur le lieu (ou par visioconférence) et le temps de travail.

Le développement des accords de méthode, qui sont actuellement facultatifs, pourrait également renforcer les moyens des représentants du personnel.

Ces accords, prévus à l’article L. 1233-21 du code du travail ([430]), sont conclus entre un employeur ou des représentants d’employeurs et une ou plusieurs organisations syndicales de salariés afin de définir en amont la méthode de négociation. Ils visent à sécuriser juridiquement les procédures dans lesquelles le CSE est informé de la situation économique et financière de l’entreprise, peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l’origine de la restructuration et recourir à une expertise ([431]). Ces accords pourraient opportunément prévoir davantage de moyens financiers et de temps pour les représentants du personnel, ou encore la possibilité pour les délégués syndicaux suppléants d’assister aux réunions relatives aux PSE, afin d’augmenter le nombre de représentants du personnel aptes à répondre aux questions des salariés.

Recommandation n° 41

Encourager la conclusion d’accords de méthode afin de renforcer les moyens humains et financiers des représentants du personnel.

De même, le renforcement du champ et des moyens alloués à la formation des représentants du personnel serait utile pour améliorer leur capacité à aborder les projets de PSE, ainsi que d’autres dispositifs de gestion de l’emploi soumis à la négociation.

Recommandation n° 42

Prévoir une formation obligatoire, financée par l’employeur, pour les représentants du personnel et les salariés le souhaitant sur le droit des licenciements économiques.

b.   L’accès aux experts est inégal selon les entreprises

De façon générale, si le recours à diverses expertises est possible pour aider les représentants du personnel, celui-ci peut se heurter en pratique à un manque de temps et de moyens.

Selon Me Laurent Beziz, il y a « un déséquilibre persistant entre les représentants du personnel et syndicaux d’une part, et les directions d’entreprise d’autre part, en matière de conseil juridique, particulièrement dans le domaine des relations collectives du travail » ([432]). Selon les éléments d’analyse communiqués au rapporteur par Mme Nadia Gssime, docteure en droit, et par les représentants des cabinets de conseil Syndex et Alpha, si les employeurs sont presque systématiquement accompagnés par des avocats pour élaborer un PSE, cela est beaucoup moins souvent le cas des CSE et des délégués syndicaux. Pour Me Rollin, « le recours à l’assistance d’un avocat est directement et principalement lié à l’existence d’un budget suffisant du CSE et/ou des organisations syndicales » ([433]). Ainsi, il est beaucoup plus fréquent dans les entreprises de grande taille, dans lesquelles les CSE disposent d’un budget de fonctionnement plus important ([434]) et dans lesquelles les délégués syndicaux sont plus fréquemment issus d’organisations ou de fédérations pouvant faciliter le recours à un avocat ou à un conseil juridique interne.

En revanche, les CSE ont fréquemment recours à un expert-comptable ou à un expert habilité ([435]) pour obtenir un éclairage sur le projet de PSE, dans la mesure où cet appui peut être intégralement ou partiellement financé par l’employeur, à hauteur de 80 % (les 20 % qui restent étant financés par le budget de fonctionnement du CSE), conformément à l’article L. 2315-80 du code du travail. Le financement par l’employeur d’un expert mobilisé par le CSE est notamment prévu en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi et en cas de licenciements collectifs pour motif économique.

S’il n’existe pas de données publiques sur la proportion des CSE ayant recours à une expertise en cas de PSE, d’après les estimations communiquées au rapporteur par le cabinet Syndex, à qui 10 % à 15 % des CSE confrontés à un PSE ont fait appel sur la période récente, on peut supposer que plus de la moitié des CSE confrontés à un PSE font appel à un expert-comptable ou à un expert habilité. Si ce recours est fréquent dans les entreprises in bonis, il est plus systématique dans les grandes entreprises et moins répandu dans les entreprises faisant l’objet d’une procédure de sauvegarde. D’après le cabinet Alpha, on constate, en plus d’une corrélation forte entre la taille de l’entreprise et le recours à l’expertise, des différences sectorielles, avec un recours à l’expertise historiquement développé dans l’industrie et une tendance plus récente à cette pratique dans le secteur tertiaire.

Afin de renforcer le recours à l’expertise par les CSE, un financement intégral par l’employeur pourrait être prévu lorsque le CSE est dans l’incapacité d’apporter les financements nécessaires.

Recommandation n° 43

Prévoir un financement intégral de l’employeur en cas de recours par le comité social et économique à un expert-comptable ou à un expert habilité sur un projet de plan de sauvegarde de l’emploi, si le CSE n’est pas en mesure de fournir les financements nécessaires.

Si le recours à l’expertise apporte un appui important aux représentants du personnel, les délais peuvent également les contraindre. Ainsi, le temps de consultation étant restreint, les informations utiles sont souvent transmises à l’expert-comptable à un stade avancé des négociations.

Pour le rapporteur, il importe a minima de revoir les délais encadrant la procédure d’information-consultation du CSE et les négociations des projets de PSE. Si ceux-ci peuvent déjà être revus sur la base d’une convention ou d’un accord collectif de travail, conformément à l’article L. 1233-30 du code du travail, il semble impératif de revoir les délais préfix, qui sont déjà dépassés dans 40 % des cas, selon les données recensées par la DGEFP sur la période allant de 2014 à 2022. Parmi ces cas, une procédure sur deux excède la durée légale d’au moins trois semaines, une sur quatre d’au moins cinq semaines et demie, et une sur dix de neuf semaines ou plus. Ainsi, des délais maximums allant de quatre à six mois constitueraient une avancée pour les représentants du personnel.

De même, les délais prévus pour les licenciements économiques hors PSE pourraient utilement être portés à deux mois, tant pour les licenciements de deux à neuf personnes que pour les licenciements de plus de dix personnes dans les entreprises de moins de 50 salariés.

Recommandation n° 44

Allonger les délais de la procédure d’information-consultation du comité social et économique en cas de licenciements économiques, en les portant à :

– quatre, cinq et six mois en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (article L. 1233-30 du code du travail) ;

– deux mois en cas de mise en œuvre d’un licenciement économique touchant 2 à 9 salariés ou touchant 10 salariés et plus dans une entreprise de moins de 50 salariés (articles L.1233-8 et L.1233-29 du code du travail).

En outre, si les Dreets prennent souvent contact avec les représentants du personnel lorsqu’un PSE est mis en œuvre, il conviendrait, dans la mesure du possible, de systématiser cette prise de contact, qui permet un accès renforcé à l’information pour les salariés.

Recommandation n° 45

Prévoir, lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est mis en œuvre, une prise de contact systématique entre la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités et les représentants du personnel.

Enfin, le rapporteur est favorable à ce que les partenaires sociaux soient consultés sur la possibilité de mettre en place un fonds national d’appui aux représentants du personnel, qui pourrait être financé par une nouvelle taxe sur les restructurations lorsque celles-ci entraînent la suppression de plus d’un nombre d’emplois à définir.

Recommandation n° 46

Consulter les partenaires sociaux sur la création d’un fonds national d’appui aux représentants du personnel.

B.   Malgré les réformes successives valorisant la négociation collective, les instances représentatives du personnel se sont éloignées des salariés

L’élaboration et la négociation des PSE s’inscrivent dans un contexte d’évolution du champ et des modalités du dialogue social plusieurs fois réformés ces dix dernières années.

Comme l’a rappelé M. Jean-Denis Combrexelle, président de section honoraire au Conseil d’État et ancien directeur général du travail, la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi « s’inscrivait dans le prolongement de la loi du 31 janvier 2007 de modernisation du dialogue social, dite "loi Larcher", qui a donné naissance à l’actuel article L. 1 du code du travail. Elle a été suivie par d’autres textes – la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite "loi El Khomri", et les ordonnances de 2017, dites "ordonnances Macron", notamment – inspirés par une logique similaire : renforcer la place de la négociation collective dans notre pays. » ([436])

Or, ces dernières années, « la négociation collective et les instances représentatives du personnel ont connu des évolutions suivant des trajectoires distinctes. Ce phénomène engendre des difficultés réelles pour les acteurs de terrain, en particulier les organisations syndicales, ce qui éclaire probablement une partie des observations qu’elles formulent. » ([437]) Si la négociation collective a connu « un mouvement de décentralisation vers l’entreprise reposant sur l’idée selon laquelle le droit du travail trouve sa pleine légitimité dans son application au sein de la communauté de travail […], l’architecture des IRP a connu un mouvement de centralisation » ([438]). Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), « instance de proximité pourtant jugée essentielle » ([439]), de même que le comité d’entreprise et les délégués du personnel ont été fusionnés dans une nouvelle structure, le comité social et économique (CSE). Ainsi, « ces mouvements contraires compliquent la tenue de discussions sur les choix stratégiques de l’entreprise dans leurs dimensions économiques et sociales » ([440]).

Modalités de fonctionnement et attributions des instances représentatives du personnel antérieures à la
création du comité social et économique

 

Délégués du personnel (DP)

Comité d’entreprise (CE)

Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)

Mise en place obligatoire

Entreprises d’au moins 11 salariés

Entreprises d’au moins 50 salariés

Entreprises d’au moins 50 salariés ou, en deçà, sur décision de l’inspecteur du travail

Membres assistant aux réunions

− Membres élus

− Membres élus

− Éventuellement, délégués syndicaux (voix consultative)

− Délégation du personnel désignée par un collège de membres du CE et des DP

− Personnalités qualifiées (médecin du travail…)

− Éventuellement, DS

− Inspection du travail et services de prévention (facultatif)

Droit à la formation

Non

Oui

Oui

Personnalité civile

Non

Oui

Oui

Périodicité des réunions avec l’employeur

Au moins une fois par mois

Moins de 300 salariés : au moins une fois tous les 2 mois

− Au moins une fois par trimestre (plus en cas de besoin)

− À la suite de tout accident aux conséquences graves

− En cas d’événement grave portant atteinte à la santé publique ou à l’environnement

− Sur demande motivée de 2 membres

Plus de 300 salariés : au moins une fois par mois

Possibilité de recourir à l’expertise

Non

Oui. Le CE peut se faire assister par :

− un expert-comptable

− des experts compétents en cas d’opération de concentration, de recherche d’un repreneur, de l’introduction de nouvelles technologies…

− de tout expert rémunéré par ses soins pour la préparation de ses travaux

Pas de droit général à l’expertise sauf :

− risque grave constaté dans l’établissement ;

− projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail

− projet de restructuration et de compression des effectifs

Ressources

Pas de ressources spécifiques

2 types de ressources :

− subvention de fonctionnement (au moins égale à 0,2 % de la masse salariale brute) ;

− subvention aux activités sociales et culturelles (non systématique)

Pas de ressources propres, mais obligation de l’employeur de mettre à disposition les moyens nécessaires à la préparation et à l’organisation des réunions, ainsi qu’aux déplacements imposés par les enquêtes ou inspections.

Attributions

− Réclamations individuelles/collectives

− Droit d’alerte sur les atteintes aux personnes (harcèlement, discriminations…)

− Saisine de l’inspecteur du travail

− Attributions du CE ou du CHSCT en cas de carence

− Attributions économiques : possibilité de formuler ou examiner toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi, de vie dans l’entreprise et de formation professionnelle des salariés, et droit d’alerte économique

− Attributions d’ordre social (monopole)

− Actions de prévention

− Analyse des risques professionnels, des conditions de travail et d’exposition aux facteurs de pénibilité

− Mission d’enquête et d’inspection

− Pouvoir de proposition en matière de prévention

Information consultation

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les DP ne sont consultés le plus souvent qu’à défaut de CE.

Les DP sont néanmoins obligatoirement consultés dans 3 cas :

− reclassement d’un salarié déclaré inapte ;

− organisation des congés payés ;

− repos compensateur.

Consultation annuelle obligatoire :

− orientations stratégiques de l’entreprise ;

− situation économique et financière de l’entreprise ;

− politique sociale, conditions de travail et emploi

Consultation ponctuelle sur les nouvelles technologies, la compression des effectifs, les procédures collectives…

Moyens d’information : base de données économiques et sociales (BDES)

Le CHSCT est obligatoirement consulté sur :

− l’aménagement des postes de travail ;

− la modification des cadences ;

− le prêt de main-d’œuvre ;

Il est également destinataire de documents soumis pour avis, notamment le règlement intérieur.

Relations avec les autres IRP

Peut formuler des observations ou suggestions ou saisir le CHSCT sur tout sujet relevant de sa compétence

Peut demander l’expertise du CHSCT sur tout sujet relevant de sa compétence.

Bénéficie du concours du CHSCT dans les matières relevant de sa compétence.

Peut être saisi à titre consultatif par les DP (observations ou suggestions) ou le CE sur les sujets de sa compétence

Source : rapport (n° 369) fait par M. Laurent Pietraszewski au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 novembre 2017.

Dans les entreprises de 11 à 49 salariés, le CSE a des attributions qui reprennent celles des anciens délégués du personnel et a pour mission de présenter à l’employeur les réclamations individuelles ou collectives des salariés sur les salaires et l’application du droit du travail dans l’entreprise. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, le CSE a des attributions plus étendues, qui reprennent celles des instances qu’il a remplacées. Il est doté d’un budget et de différents droits (information, consultation, expertise).

Dans les entreprises de plus de 300 salariés ([441]), l’ordonnance a prévu la création d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Présidée par l’employeur, elle comprend au moins trois élus du CSE et exerce tout ou partie des attributions en matière de santé et sécurité que lui délègue le CSE. Celui-ci peut notamment lui confier l’étude du bilan annuel et du programme de prévention des risques professionnels, la préparation des points de l’ordre du jour des réunions plénières se rapportant aux questions de santé, de sécurité et des conditions de travail ou encore l’étude de l’opportunité pour le CSE de décider d’une expertise.

Pour Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail lors de l’adoption de la réforme, si celle-ci « a élargi le champ de compétences des instances, cela ne signifie pas une addition de compétences, mais le passage à une vision plus globale : les CSE font le lien entre l’économique et le social. Au début, cela soulève de nombreuses questions, notamment de formation, pour que chacun soit capable d’utiliser pleinement son pouvoir de négociation dans les domaines de l’économie ou de la santé au travail. Dans ce dernier domaine, notre rapport ([442]), vieux de quinze ans, est malheureusement encore d’actualité. Nous y écrivions que 80 % des problèmes de santé au travail ou d’accidents de travail étaient liés à l’organisation et au management, domaines qui relèvent de la direction générale. Un CHSCT ne pouvait pas le voir ; un CSE peut désormais s’en saisir. Encore faut-il que, petit à petit, tout le monde puisse intégrer l’ensemble du champ. » ([443])

Or cette réforme, qui s’est inscrite dans un mouvement contraire à la dynamique d’évolution de la négociation collective, a été déplorée à plusieurs reprises au cours des travaux de la commission d’enquête.

Comme l’a souligné le professeur Rémi Bourguignon, l’étude « conduite pour France Stratégie et le comité d’évaluation des "ordonnances travail" montre que la centralisation croissante des relations sociales au sein des grandes entreprises a contribué à éloigner les instances de représentation du personnel de la réalité du travail. Bien que notre étude n’ait pas exploré directement ce lien avec les PSE, il est donc possible de craindre qu’à moyen terme, les négociations soient déconnectées des réalités concrètes des salariés, faute de relais solides entre les représentants syndicaux et les acteurs de terrain. Cette problématique rejoint d’ailleurs d’autres débats récents, liés notamment à la sécurité au travail ou à la réforme des retraites, qui ont souligné l’importance de renforcer le dialogue sur le travail lui-même. Les réformes successives ont, au contraire, fragilisé ce dialogue, alors même qu’il reste un levier essentiel pour prévenir les crises sociales. » ([444])

Selon le rapport d’évaluation de France Stratégie sur les « ordonnances travail », « au fil du temps, l’empilement des prérogatives et la complexité des problèmes à traiter rendent de plus en plus compliquée la mission des élus, ne facilitent pas le travail des directions attachées à faire vivre le dialogue social et poussent au formalisme le travail des instances de représentation et à l’inefficacité un dialogue social qui s’éloigne des salariés. C’est un paradoxe de la traduction d’une réforme dont l’objet est de décentraliser le dialogue au plus près de là où se posent les problèmes : bon nombre d’entreprises à établissements multiples ont choisi au contraire de le centraliser, semblant ignorer l’enjeu clé de la proximité. Parallèlement, on voit s’affirmer le souhait des salariés d’être associés aux réflexions sur tout ce qui touche à leur travail et aux décisions qui vont les impacter. Ce souhait trouve un début de prise en compte positif dans des formes de dialogue piloté par le management. Si cette approche n’est pas articulée avec le dialogue social institutionnel, elle l’affaiblira un peu plus. » ([445])

Le constat de l’éloignement des instances de représentation des réalités du terrain, tout particulièrement dans les grandes entreprises et les groupes, a été évoqué par plusieurs représentants syndicaux entendus par la commission d’enquête. Ainsi, pour M. Nicolas Robert, délégué syndical central SUD chez Michelin, « les syndicalistes de terrain ne sont ni des empêcheurs de produire, ni les gardiens d’un monde révolu. Ils sont les sentinelles de la réalité sociale. Ils alertent, négocient, proposent, souvent dans l’indifférence, parfois dans l’urgence, et sont trop rarement entendus à temps. Il est indispensable que les pouvoirs publics rétablissent un véritable équilibre entre les forces économiques et les forces sociales. » ([446]) M. Laurent Bador, délégué syndical central CFDT chez Michelin également, a, quant à lui, tenu les propos suivants : « J’appelle votre attention sur le fait qu’il y a eu une professionnalisation croissante des représentants du personnel à la suite de l’entrée en vigueur des "ordonnances Macron". Cette transformation a produit des effets préoccupants, à commencer par la suppression des délégués du personnel. À Clermont-Ferrand, par exemple, on compte seulement 70 élus, contre environ 200 délégués auparavant, pour représenter près de 10 000 salariés. Cette réduction drastique du maillage représentatif affaiblit notre capacité à capter les signaux faibles, qu’il s’agisse d’un climat social dégradé dans un service ou de dysfonctionnements émergents. Ce déficit de proximité favorise l’émergence de tensions que nous aurions pu anticiper et désamorcer. » ([447])

La disparition des comités d’entreprise et des CHSCT a également été regrettée. Pour M. Bertrand Mahé, délégué national CFE‑CGC en charge de l’emploi, « la disparition du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a eu des conséquences désastreuses sur le plan sanitaire. Nous avons beaucoup évoqué le sort des salariés qui partent, mais il est crucial de se préoccuper de celui des salariés qui restent, souvent dans des conditions dégradées. La santé mentale est actuellement un enjeu majeur en entreprise. » ([448]) En outre, M. Bruno Delaye, délégué syndical CFTC chez Auchan, a indiqué, à propos de la mise en place des CSE, constater « une perte d’attractivité des rôles autrefois dévolus aux élus du comité d’entreprise (CE) ou d’établissement et aux délégués du personnel. En particulier, l’instance dédiée aux conditions de travail, anciennement comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), est désormais réduite à une simple commission, ce qui engendre une lourdeur de gestion accrue et une diminution du pouvoir décisionnel en matière de conditions de travail. Ce point soulève des interrogations au sein de l’ensemble des organisations syndicales, tous secteurs confondus, quant à l’efficacité de ces nouvelles structures. » ([449]) M. Franck Martinaud, délégué syndical FO dans la même entreprise, a également dénoncé un accroissement des contraintes pesant sur les représentants du personnel induit par la réforme de 2017 : « Un autre changement significatif concerne la transition entre CE et CSE. Si chaque hypermarché disposait auparavant de son propre CE, le fonctionnement s’articule désormais autour de ce qu’Auchan nomme des "zones de vie", avec trois ou quatre hypermarchés et des supermarchés au sein d’un même CSE. Le périmètre d’action est de plus en plus vaste pour les délégués locaux, rendant ardue la tâche de représentant du personnel. Les contraintes géographiques, temporelles et les limitations deviennent considérables. » ([450])

En définitive, si l’on peut considérer que les compétences exercées autrefois par les CHSCT n’ont pas disparu mais ont été redistribuées, les changements intervenus n’en ont pas moins eu des effets sur la couverture des salariés et sur la qualité du dialogue social. « Logiquement, du fait de leur caractère facultatif dans les entreprises de 50 à 300 salariés (contrairement aux anciens CHSCT obligatoires dès 50 salariés), la couverture globale des salariés par [les CSSCT] est en recul : elle est d’au moins 46 % dans les entreprises de 10 salariés ou plus en 2019, contre les trois quarts en 2017. » ([451])

Si le rapporteur plaide pour un renforcement de la place des salariés dans les conseils d’administration des entreprises (voir infra), il est également favorable à l’ouverture d’un débat avec les partenaires sociaux sur les instances représentatives du personnel, qui aborderait à la fois la perspective d’une refonte des prérogatives du CSE et celle d’un rétablissement des CHSCT et des comités d’entreprise. Plusieurs solutions sont envisageables, parmi lesquelles le rétablissement d’un CHSCT renforcé (grâce, par exemple, à un budget propre et à une personnalité juridique) qui pourrait être doté de prérogatives en matière environnementale.

Recommandation n° 47

Organiser un débat réunissant les partenaires sociaux sur la refonte des instances représentatives du personnel, dans la perspective du rétablissement de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail renforcés.

La réorganisation et le renforcement des instances représentatives du personnel sont en effet de nature à favoriser une meilleure anticipation des difficultés économiques et une meilleure prise en compte des enjeux liés à la santé et à la sécurité au travail. Comme l’a souligné M. Jean-Marie Michelucci, directeur de Cidecos, « il est impératif de rétablir les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en comblant leurs lacunes antérieures. Auparavant, ils ne disposaient d’aucun budget propre pour fonctionner ou pour décider de leurs missions d’enquête. Lors des réorganisations, leur consultation intervenait avant celle du comité d’entreprise, plaçant les questions de santé au travail au premier plan. Cette approche offrait des leviers d’action contre la brutalité de certains plans, souvent excessifs. L’expérience montre que parfois, des emplois ont été réintégrés quelques années plus tard, révélant les limites de la course à la productivité. » ([452]) Pour M. Paul Motte, responsable des activités « licenciement et restructuration » chez Syndex, « dans les grands groupes, où les établissements ont été réunis, on peut avoir des comités sociaux et économiques couvrant jusqu’à quatre mille salariés, ce qui rend les échanges directs pratiquement impossibles. L’instauration de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail sur les sites d’au moins cinquante salariés restaurerait cette proximité et faciliterait les échanges sur le travail réel. Cela aiderait considérablement les représentants du personnel à exercer leur mission, qui ne se limite pas à éviter le travail mais à le comprendre et l’améliorer. » ([453])

De façon générale, la place des salariés dans la gouvernance des entreprises connaît en France d’importantes marges de progression.

C.   Des administrateurs salariés au déploiement des sociétés coopératives : renforcer la place des salariés dans la gouvernance des entreprises

La problématique du dialogue social, en ce qui concerne l’élaboration des PSE mais aussi plus généralement, s’inscrit dans un contexte plus global qui laisse insuffisamment de place aux salariés et à la démocratie économique.

1.   Un nécessaire approfondissement de la démocratie économique et sociale

a.   En France, un management caractérisé par la faible place laissée à l’autonomie des salariés

Le modèle français, par comparaison avec les modèles qui prévalent dans d’autres pays européens, se caractérise par un management vertical et une faible autonomie des salariés.

Comme l’a souligné Mme Danièle Linhart, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), « nos salariés souffrent d’un manque flagrant d’autonomie, d’une incapacité à influencer la définition de leurs missions et de leur travail, d’un déficit de reconnaissance, d’un manque d’information et de soutien hiérarchique. La France fait face à des problématiques d’organisation du travail particulièrement préoccupantes. Ces difficultés engendrent non seulement un mal-être généralisé, mais aussi une sous-utilisation flagrante des compétences et du professionnalisme des salariés. Ce modèle trouve ses racines dans notre histoire, notamment dans l’héritage des Trente Glorieuses, marquées par des luttes sociales intenses et des rapports de force prononcés. L’approche managériale actuelle, fondée sur l’exercice d’un contrôle maximal sur les salariés, nuit à la performance globale. » ([454]) En outre, comme cela a été rappelé par le professeur Pascal Lokiec, « les enquêtes récentes révèlent un manque d’autonomie préoccupant chez les salariés français. Cette situation est déplorable tant pour les employés que pour les entreprises. En effet, la qualité de vie au travail dépend largement de la capacité des salariés à avoir leur mot à dire. Qui mieux que le salarié lui-même peut savoir ce qui est bon pour son travail ? » ([455]) En conséquence, « il est crucial de revoir la répartition du pouvoir au sein de l’entreprise avant même d’aborder la question des licenciements » ([456]).

Dans un récent rapport sur les pratiques managériales dans les entreprises et les politiques sociales en France ([457]), l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) fait plusieurs constats mettant en avant le management vertical qui prévaut en France. Si les critères définissant un management de qualité convergent dans les pays étudiés, avec un « bon » management partout décrit en priorité comme « celui qui se caractérise par un fort degré de participation des travailleurs » et par une « reconnaissance du travail accompli », « l’examen comparatif des pratiques managériales place la France dans une position peu flatteuse par rapport à ses voisins ». Les pratiques managériales françaises apparaissent comme « très verticales et hiérarchiques », tandis que la reconnaissance du travail apparaît comme « beaucoup plus faible que dans les autres pays de la comparaison ». Le rapport décrit aussi une formation des managers « très académique et peu tournée vers la coopération, malgré des progrès que le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur devrait amplifier ».

Au demeurant, l’importance d’une meilleure anticipation des mutations économiques et professionnelles a été soulignée à de nombreuses reprises au cours des travaux de la commission d’enquête. Un dialogue social renforcé et une meilleure association des salariés apparaissent comme de précieux leviers d’amélioration de la situation.

Comme l’a expliqué Mme Muriel Pénicaud, ancienne ministre du travail, l’anticipation « peut changer beaucoup de choses. Il faut en débattre dans le cadre du CSE, car plus l’entreprise anticipe en amont les évolutions technologiques et du marché, plus il sera possible de prévoir des reconversions internes et de faire évoluer les compétences. » ([458])

Cet aspect a été mis en avant par les représentants des organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. Mme Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a présenté le « déficit d’anticipation et de planification, notamment sur les enjeux environnementaux et numériques » ([459]), comme l’un des deux principaux facteurs explicatifs de la vague actuelle de licenciements. Pour M. Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi et de chômage à la CFTC, « on observe aussi que les chefs d’entreprise ont tendance à opter pour la solution la plus simple face aux difficultés. Ils utilisent les leviers offerts par la législation, notamment les ordonnances dites "Macron", pour agir sur la masse salariale et se séparer des salariés. Cette approche révèle un manque flagrant d’anticipation et de prévision. » ([460]) En outre, M. Bertrand Mahé, s’exprimant au nom de la CFE-CGC, a décrit le recours aux APC, RCC et PSE comme la preuve d’un « manque d’anticipation ». Enfin, M. Cyril Chabanier, président de la CFTC, a déploré le fait que les mutations technologiques soient subies « plutôt que d’être perçues comme une opportunité nécessitant de l’anticipation, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et une planification à long terme [...]. Ainsi, ces bouleversements, qui pourraient être une source formidable de développement économique, deviennent un motif de licenciements plutôt qu’un vecteur de projection vers l’avenir. » ([461])

La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences

La gestion des emplois et des parcours professionnel (GEPP), qui a remplacé la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), est une méthode pour adapter, à court et moyen termes, les emplois, les effectifs et les compétences aux exigences issues de la stratégie des entreprises et des modifications de leur environnement économique, technologique, social et juridique. La GEPP est une démarche de gestion prospective des ressources humaines qui vise à permettre d’accompagner le changement. Elle doit permettre d’appréhender, collectivement, les questions d’emploi et de compétences ainsi que de construire des solutions transversales répondant simultanément aux enjeux de tous les acteurs concernés : les entreprises, les territoires et les actifs. Les démarches de GEPP peuvent être réalisées au niveau de l’entreprise, d’une branche professionnelle ou d’un territoire.

L’article L. 2242-20 du code du travail oblige les entreprises et groupes d’entreprises d’au moins 300 salariés ainsi que les entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire comportant au moins un établissement ou une entreprise d’au moins 150 salariés en France à négocier sur la gestion des emplois et des parcours professionnels tous les trois ans.

Toutefois, les partenaires sociaux peuvent, par un accord global aménageant la mise en œuvre de cette négociation, décider d’une périodicité pouvant aller jusqu’à quatre ans.

Comme l’a souligné le professeur Rémi Bourguignon, « le fait même que ces restructurations surviennent indique probablement un déficit d’anticipation. Malgré la mise en place de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), obligatoire depuis 2005 et dont l’objectif était de prévenir l’apparition de telles situations, les restructurations ne peuvent pas toujours être évitées. Les entreprises elles-mêmes rencontrent souvent des difficultés d’anticipation ou peinent à annoncer de manière précoce des difficultés à venir. » ([462])

À ce propos, Mme Myriam El Khomri a suggéré de faire évoluer la législation pour prévoir des négociations plus régulières en matière de GPEC ([463]).

En complément des recommandations formulées dans les parties précédentes pour renforcer les moyens et la place des représentants du personnel dans l’élaboration des PSE, le rapporteur est favorable à un renforcement des outils et des moyens dont disposent les représentants du personnel en matière d’expertise stratégique, économique, sociale et environnementale. Ce renforcement pourrait être mis à profit dans le cadre d’une réforme de l’information-consultation du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise qui fait partie des consultations obligatoires dans les entreprises d’au moins 50 salariés ([464]).

Un accord d’entreprise majoritaire au sens du premier alinéa de l’article L. 2232-12 du code du travail ou, en l’absence de délégué syndical, un accord entre l’employeur et le CSE, adopté à la majorité des membres titulaires de la délégation du personnel du comité, peut définir :

– le contenu, la périodicité et les modalités des consultations récurrentes du CSE ainsi que la liste et le contenu des informations nécessaires à celles-ci ;

– le nombre de réunions annuelles du CSE, qui ne peut être inférieur à six ;

– les niveaux auxquels les consultations sont conduites et, le cas échéant, leur articulation ;

– les délais dans lesquels les avis du comité sont rendus.

L’accord peut également prévoir la possibilité pour le CSE d’émettre un avis unique portant sur tout ou partie des thèmes de consultation obligatoires. La périodicité des consultations prévue par l’accord ne peut être supérieure à trois ans.

Pour le cabinet de conseil Alpha, la procédure d’information-consultation sur les orientations stratégiques est actuellement « peu exigeante » et s’apparente à un « exercice de communication pour les directions où la stratégie est dessinée à grands traits » ([465]), sans que les enjeux de restructuration ne soient évoqués. Cette information-consultation pourrait être enrichie afin d’intégrer une présentation et une mise à disposition du CSE de scénarios et de leurs conséquences sur l’emploi et les besoins de compétences, ainsi qu’une information sur les projets de transformation programmés pour l’année en cours, quel que soit leur degré de préparation. En outre, pour renforcer les moyens d’expertise du CSE, le principe du co-financement (80 % à la charge de l’employeur et 20 % à la charge du CSE) en cas de recours à un expert-comptable en vue de la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise pourrait laisser la place au principe d’un financement intégral par l’employeur, comme cela est déjà prévu dans certaines situations par l’article L. 2315-80 du code du travail (voir supra).

Dans le rapport de l’Igas cité plus haut, d’autres recommandations pertinentes sur ce thème sont formulées, telles que l’extension des pouvoirs du CSE en matière d’organisation du travail et l’inscription des pratiques managériales parmi les orientations stratégiques devant faire l’objet de la procédure d’information‑consultation du CSE.

Enfin, le rapporteur plaide également pour la réalisation d’une évaluation approfondie du dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, en vue d’une consultation des partenaires sociaux sur son éventuelle évolution.

Recommandation n° 48

Renforcer les outils et moyens dont disposent les représentants du personnel en matière d’expertise stratégique, économique, sociale et environnementale.

Enrichir le contenu de l’information-consultation du comité social et économique (CSE) sur les orientations stratégiques.

Prévoir le financement intégral par l’employeur du recours à un expert-comptable au bénéfice du CSE en vue de l’information-consultation dudit CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

Recommandation n° 49

Faire une évaluation du dispositif de gestion des emplois et des parcours professionnels.

b.   La place des salariés dans les instances de gouvernance des entreprises doit être renforcée

Il importe de renforcer la place des salariés dans les conseils d’administration, là où les décisions majeures en matière de gestion et de restructurations sont prises. Ce point, évoqué notamment par Mme Sophie Binet et M. Cyril Chabanier, a fait l’objet d’un large consensus parmi les délégués syndicaux entendus par la commission d’enquête.

Comme l’a rappelé le président du groupe Alpha, M. Pierre Ferracci, « bien que la loi n° 2019486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, ait apporté des avancées non négligeables, nous sommes encore loin des pratiques en vigueur dans les pays scandinaves et en Allemagne, mais aussi dans certains pays d’Europe centrale qui nous surpassent en matière de représentation des salariés » ([466]). Ainsi, actuellement, « près de la moitié des pays européens intègrent un tiers d’administrateurs représentant les salariés dans leurs instances de gouvernance, comme les conseils d’administration et de surveillance. La France pourrait devenir le quatorzième État à adopter cette pratique, créant une majorité absolue au sein de l’Union européenne. » ([467])

La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi Pacte, a apporté des évolutions au cadre normatif applicable à la représentation des salariés dans les organes de décision des sociétés commerciales. Elle a prévu que les sociétés, mutuelles, unions et fédérations de plus de 1 000 salariés devraient intégrer au moins deux administrateurs salariés au sein du conseil d’administration (ou de surveillance) dès lors que ce conseil comporte plus de huit administrateurs nonsalariés, contre douze auparavant. La loi a également étendu aux sociétés non cotées comptant au moins 1 000 salariés permanents en France et à l’étranger l’obligation, pour l’assemblée générale des actionnaires, lorsque les salariés détiennent plus de 3 % du capital social, de nommer des représentants des salariés actionnaires au sein du conseil d’administration ou de surveillance. Enfin, elle a permis aux représentants des salariés (autres que les représentants des salariés actionnaires) de bénéficier, à leur demande, lors de leur première année d’exercice, d’une formation à la gestion adaptée à l’exercice de leur mandat.

Conformément à l’article 184 de la loi Pacte, le Gouvernement a remis, en 2022, un rapport évaluant les effets économiques et managériaux de la présence de représentants des salariés au sein des conseils d’administration et de surveillance des sociétés ([468]). Il ressort de cette évaluation que la présence d’administrateurs représentant les salariés dans certains comités des conseils d’administration ou de surveillance modifie positivement le fonctionnement de ces organes (envoi précoce aux administrateurs de la documentation relative aux réunions du conseil d’administration, envoi, dans la mesure du possible, de documents traduits en français etc.). Si le rapport préconisait de ne pas augmenter le nombre d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance en le portant de deux à trois, dans la mesure où une telle évolution nécessiterait « plus de recul sur la mise en œuvre du régime de représentation obligatoire des salariés instauré par la loi Pacte », force est de constater que cette revendication demeure forte chez les représentants du personnel et qu’elle serait à même de répondre à une évolution nécessaire du mode de gouvernance de nos entreprises. Comme l’a souligné Mme Delphine Deschênes, déléguée syndicale SNB/CFE-CGC chez CCF, il semble nécessaire « d’inclure un plus grand nombre de salariés au sein des conseils d’administration. Ce sont des acteurs de terrain dont la contribution est précieuse, car ils connaissent les enjeux de leur métier et de leur secteur. » ([469])

Le rapport de Mme Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT, et M. Jean-Dominique Senard, alors président du Groupe Michelin, intitulé L’entreprise, objet d’intérêt collectif ([470]), remis au Gouvernement en 2018, avait formulé plusieurs recommandations, pour partie reprises par la loi Pacte.

En matière de gouvernance, le rapport préconisait ainsi :

– d’accroître le nombre des administrateurs salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 1 000 salariés à partir de 2019, en passant à deux salariés à partir de 8 administrateurs non-salariés et trois salariés à partir de 13 administrateurs non‑salariés (recommandation n° 6) ;

– de faire le point sur la représentation des salariés dans les conseils par l’intermédiaire d’une mission tirant les enseignements de 12 ou 24 mois de pratique, avant d’envisager de l’étendre aux sociétés de 500 à 1 000 salariés ou d’augmenter la proportion des administrateurs salariés dans les conseils (recommandation n° 7) ;

– de doter les sociétés par actions simplifiée (SAS) de plus de 5 000 salariés d’un conseil d’administration ou de surveillance régi par les dispositions applicables aux sociétés anonymes, afin que ceux-ci disposent des mêmes proportions d’administrateurs salariés (recommandation n° 8).

Le rapporteur est favorable à un passage progressif à 50 % d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration des entreprises visées aux articles L. 225-27-1 (sociétés anonymes à conseil d’administration) et L. 225-197-1 du code de commerce (sociétés anonymes à directoire et conseils de surveillance). Cette proportion d’administrateurs salariés pourrait ensuite être étendue à ces mêmes sociétés dès 500 salariés. À titre de comparaison, en Allemagne, « la codétermination incarnée par les conseils de surveillance va plus loin : obligatoire à partir de 500 salariés, elle offre aux représentants élus des salariés un nombre de sièges supérieur ; selon les cas, entre un tiers et la moitié. » ([471])

En outre, comme l’a souligné M. Matthieu Bidaine, directeur de Syndex, « la loi Pacte a certes renforcé la présence des administrateurs salariés dans les grandes entreprises, mais des propositions plus ambitieuses existent. L’Institut Montaigne, par exemple, a suggéré d’étendre cette représentation aux entreprises dès cinquante salariés. Cette approche est pertinente car elle favorise la participation des salariés et crée des espaces de discussion autour des décisions stratégiques. Cependant, il est impératif d’accompagner cette évolution par des formations adéquates. » ([472])

Si une application des règles susmentionnées aux entreprises de 50 salariés et plus constitue en effet une piste intéressante, le rapporteur souscrit à la nécessité d’accompagner les salariés par des formations – notamment juridiques et financières – pour leur permettre de s’emparer au mieux de leurs nouvelles prérogatives.

Enfin, un point de vigilance a été signalé au rapporteur. Pour M. Laurent Bador, délégué syndical central CFDT chez Michelin, si l’augmentation du nombre de représentants du personnel dans les conseils d’administration des grandes entreprises est une bonne chose, il importe que ces représentants soient affiliés à des organisations syndicales représentatives : « notre expérience montre en effet que les salariés non syndiqués, lorsqu’ils participent à des groupes de travail, s’expriment le plus souvent en leur nom propre, sans disposer d’une vision d’ensemble de l’entreprise. À l’inverse, les représentants syndicaux, en lien avec leurs collègues, possèdent une connaissance approfondie du terrain ainsi que de l’organisation dans sa globalité. » ([473])

En outre, M. Bador a déploré le fait qu’un délégué syndical ne puisse pas cumuler son mandat avec celui de représentant des salariés au conseil d’administration, car cela « limite considérablement sa capacité d’action » ([474]). Dans la perspective d’une hausse du nombre de salariés dans les conseils d’administration, un assouplissement de cette règle pourrait être envisagé.

Recommandation n° 50

Passer progressivement à 50 % d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 1 000 salariés, en accompagnant les salariés concernés par des formations.

2.   Le développement du modèle coopératif (Scop et Scic) doit être mieux accompagné par les pouvoirs publics

Le développement des sociétés coopératives et participatives (Scop) et des sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) apparaît également comme une voie pertinente.

Les Scop sont des sociétés à capital variable qui peuvent prendre différentes formes juridiques (SA, SARL ou SAS) et qui peuvent être créées dans tous les secteurs d’activité, sur la base d’un agrément préalablement octroyé par le ministère du travail. Elles se caractérisent par un capital détenu majoritairement par les salariés (51 % minimum du capital social) – qui doivent également détenir au moins 65 % des droits de vote – et appliquent le principe « une personne = une voix ». Chaque salarié dispose donc d’une voix, quels que soient son statut, son ancienneté et le montant du capital investi.

Les bénéfices sont répartis selon les règles suivantes : 25 % minimum pour les salariés (40 % observés en pratique), 16 % pour les réserves impartageables de l’entreprise (45 % en pratique) et 33 % maximum pour les associés ([475]).

En d’autres termes, les salariés des Scop sont leurs propres patrons, dans la mesure où ils détiennent le capital de l’entreprise.

Les Scop sont soumises à une série d’obligations liées à l’agrément du ministère du travail, qui impliquent notamment la transmission régulière de documents et d’informations.

Elles bénéficient d’avantages fiscaux et sociaux, parmi lesquels :

– la possibilité, en matière d’épargne salariale, de conclure un accord dérogatoire de participation dans lequel la part des excédents nets de gestion répartie entre les salariés peut être affectée en tout ou partie à la constitution de la réserve spéciale de participation ;

– la possibilité, pour les Scop ayant conclu un accord dérogatoire de participation, de constituer une provision pour investissement d’un montant identique à celui de la réserve spéciale de participation et de la déduire du résultat fiscal imposable de l’exercice sur lequel elle est calculée en plus de la réserve spéciale de participation ;

– l’exonération des deux composantes de la contribution économique territoriale : la cotisation foncière des entreprises (CFE), ainsi que les droits additionnels qui y sont attachés, et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ([476]) ;

– les dirigeants de Scop rémunérés au titre de leur mandat sont assimilés à des salariés, ce qui leur confère notamment la même protection sociale.

Les Scic sont, elles aussi, des sociétés coopératives à capital variable qui peuvent prendre différentes formes juridiques (SA, SARL ou SAS). En application de la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d’ordre social, éducatif et culturel, elles ont pour objet « la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale ».

Elles s’appuient sur une gouvernance multipartite réunissant trois catégories d’associés : les salariés ou producteurs de biens et services, les bénéficiaires de biens ou services (usagers, fournisseurs, clients, etc.) et les tiers (collectivités territoriales, associations, etc.). Chaque collège peut disposer de droits de vote à hauteur de 10 % au minimum et de 50 % au maximum.

Comme les Scop, les Scic peuvent être créées dans tous les secteurs d’activité, dès lors que l’intérêt collectif est avéré. Il suppose l’existence d’un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène, le respect des règles coopératives (une personne = une voix) et la « lucrativité » limitée (obligation de réinvestir dans l’activité la quasi-totalité des excédents).

Aujourd’hui, on recense près de 4 600 Scop et Scic, qui représentent 90 000 emplois et font un chiffre d’affaires d’un peu plus de 10 milliards d’euros.

le mouvement des scop et des scic en chiffres

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Source : confédération générale des Scop.

Comme l’a souligné Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop, « le secteur a connu une progression notable. Le nombre d’emplois a été multiplié par deux au cours des dix dernières années, notamment grâce à des entreprises comme Duralex. » ([477])

Néanmoins, il existe encore de nombreux freins au développement des Scop et des Scic. Pour la confédération générale des Scop, ces freins sont à rechercher dans le financement ou la notoriété du modèle.

Les principaux freins financiers identifiés sont les suivants :

– la faible attractivité financière des parts sociales pour les investisseurs « classiques », car non valorisables au gré des bénéfices, ne pouvant générer de plus-value ;

– la dissociation du capital et des droits de vote, qui peut repousser des investisseurs souhaitant intervenir en échange de droits de vote, dans la gouvernance des Scop en particulier ;

– la méconnaissance par les acteurs financiers de l’émission de titres participatifs, seul outil permettant à un investisseur de s’intéresser à une Scop ou une Scic autrement qu’en souscrivant à des parts sociales et permettant une rémunération élevée ;

– l’appréciation erronée de la viabilité économique des Scop et des Scic. Malgré les idées reçues, le modèle coopératif est un modèle pérenne : le taux de survie de l’ensemble des Scop et des Scic est de 79 % à cinq ans, contre 61 % pour l’ensemble des entreprises classiques.

Quant aux freins liés à la notoriété du modèle coopératif, qui peuvent être qualifiés de freins culturels, ils s’expliquent de la façon suivante :

– le modèle est peu enseigné dans les filières générales de l’enseignement supérieur (masters hors spécialité économie sociale et solidaire, écoles de commerce, etc.) ;

– le modèle est peu connu des acteurs privés et publics (chambres de commerce et d’industrie, ordre des experts-comptables, banques privées et banques publiques, etc.) ;

– le modèle est peu connu des agents des collectivités territoriales, celles‑ci ayant pourtant la possibilité d’investir dans des Scic (une Scic sur deux compte une collectivité dans sa gouvernance) ;

– le modèle est peu connu des opérateurs de l’État, en particulier le modèle des coopératives d’activité et d’emploi (CAE).

En outre, des difficultés spécifiques apparaissent pour les entreprises coopératives en cas de transmission ou de reprise.

La confédération générale des Scop distingue les « transmissions d’entreprises saines », qui désignent la reprise par des salariés – qui font l’acquisition des parts sociales ou du fonds de commerce –, des reprises « à la barre », dans le cadre de procédures collectives (voir supra).

Dans le premier cas, les salariés porteurs du projet disposent généralement d’un montant faible d’apport – au regard des besoins d’une opération de transmission –, souvent compris entre 10 % et 20 % des fonds nécessaires, ce qui rend complexe l’intervention d’une banque pour compléter le financement.

Dans le cas des reprises encadrées par le tribunal de commerce, les fonds propres des salariés peuvent provenir, exceptionnellement, de dispositifs tels que l’aide à la reprise et à la création d’entreprise (Arce) ([478]), de leurs primes de licenciement voire de leur épargne personnelle. En cas d’échec du projet, les salariés prennent un double risque : la perte définitive de leur emploi (dans des bassins qui sont souvent sinistrés) et la perte des fonds investis, en l’absence de garantie.

Ces opérations sont d’autant plus difficiles à conduire que les salariés disposent d’un temps extrêmement limité pour bâtir une offre de rachat à la barre du tribunal, qui soit solide, financée et compétitive. Selon la confédération générale des Scop, « bien qu’ils aient le plus intérêt à la pérennité de leur entreprise, ils ne bénéficient d’aucun outil au niveau national facilitant leurs projets de reprise » ([479]). Ainsi, « seules deux régions (Grand-Est et Normandie) disposent de fonds d’abondement "1 euro pour 1 euro" permettant de compléter les financements des salariés pour des opérations de reprise ou de création. Cette situation explique la difficulté des salariés à pouvoir déposer des offres de rachat de leur entreprise. » ([480])

La commission d’enquête a étudié plusieurs exemples de projets de Scop et de Scic qui se sont heurtés à un manque de moyens, malgré un soutien parfois marqué des pouvoirs publics, tout particulièrement au niveau local.

Dans le cas de la société Vencorex, placée en redressement judiciaire, un projet de Scic porté par la CGT et une partie des salariés figurait parmi les alternatives à la solution retenue in fine par le tribunal de commerce de Lyon. Alors que le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie s’était engagé à apporter un euro d’argent public pour un euro d’argent privé investi, l’offre de reprise sous forme de Scic n’a pas été considérée comme recevable par le tribunal, ce qui explique, pour le ministre, l’absence de soutien financier public ([481]). Le soutien d’un investisseur indien, prêt à injecter 44 millions d’euros – auxquels s’ajoutait le soutien de la métropole de Grenoble et des mairies de Pont-de-Claix et Jarrie –, est arrivé deux jours après l’audience. Toutefois, le tribunal de commerce de Lyon a considéré que l’état de la trésorerie de Vencorex ne permettait pas d’envisager un report de plus de deux semaines de la décision sans mettre en péril le financement de la mise en sécurité du site.

Le cas de Vencorex peut être rapproché de celui de l’entreprise industrielle Sitek Insulation, pour laquelle un projet de reprise sous forme de Scop n’a pu aboutir, faute de réunion des financements nécessaires dans les délais impartis par la procédure de redressement judiciaire, et ce malgré un soutien unanime au niveau local (préfet de département, CRP, Dreets, région Grand Est, Agence de l’eau, Sodiv, un acteur industriel, banques – malgré un accord tardif –, mouvement coopératif).

Le cas de Sitek Insulation : un projet de Scop face au manque de financements

Créée en 1965 à Wissembourg, l’entreprise Sitek Insulation était spécialisée dans la fabrication de panneaux isolants et haute température. Elle faisait un chiffre d’affaires annuel de 23 millions d’euros. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire en juillet 2024. Un projet de Scop, réunissant 65 salariés associés (sur 107), a été élaboré dans ce contexte.

Le besoin de financement du projet était évalué à 6 millions d’euros : cela devait couvrir des investissements structurants pour l’entreprise et le cycle d’exploitation après la reprise.

Les sommes à recueillir à travers l’Aide à la reprise et à la création d’entreprise (Arce) étaient estimées à 1 140 000 euros et celles à mobiliser à travers les primes de reclassement des salariés à 806 300 euros ; ce qui devait permettre de couvrir environ un tiers du besoin de financement global. Dans ce contexte, la confédération générale des Scop (CGscop) avait estimé que les sommes issues du cumul de l’Arce et des primes de reclassement des salariés concernés étaient équivalentes voire inférieures aux montants d’indemnités devant être perçues par les salariés en cas de chômage de longue durée (1).

La CGscop avait ensuite sollicité auprès de l’Unédic une dérogation exceptionnelle permettant aux salariés repreneurs de cumuler la prime de reclassement accompagnant le contrat de sécurisation professionnelle et l’aide à la reprise création d’entreprise, comme ce fut le cas lors de la reprise de Bergère de France.

Le cumul n’ayant pas été autorisé, le plan de financement n’a pas pu être bouclé. En l’absence d’autres solutions de financement dans les délais contraints par la procédure, le projet de reprise n’a pas pu aboutir. Faute de dépôt d’une offre concurrente, le tribunal a prononcé la liquidation de l’entreprise et le licenciement de l’ensemble des 107 salariés.

(1) Estimation réalisée en tenant compte du profil des salariés repreneurs de Sitek Insulation (18 avaient plus de 57 ans, 7 avaient entre 53 et 57 ans, 40 avaient moins de 53 ans) et sur la base d’une hypothèse de difficulté de reclassement dans l’emploi.

Source : confédération générale des Scop.

Pour Mme Fatima Bellaredj, le projet de reprise de Sitek Insultation sous forme de Scop est « emblématique de l’impuissance publique. […] C’était juste après la censure du Gouvernement de M. Michel Barnier, et nous n’avions plus d’interlocuteurs. Il nous a été demandé de patienter – mais, dans le cadre d’une reprise d’entreprise devant le tribunal, les délais sont très courts. Vous ne pouvez pas demander un délai de trois mois supplémentaires : le tribunal détermine les délais en fonction de ce qu’il reste dans les caisses, et il n’y a des reports que tant qu’il reste de l’argent pour payer les salaires. » ([482])

Enfin, la commission d’enquête a étudié le cas de l’entreprise Duralex, dont la reprise sous forme de Scop a abouti en dépit des obstacles.

Comme l’a souligné M. François Marciano, son directeur général, « il a été extrêmement compliqué pour Duralex de devenir une Scop. Nous nous sommes trouvés face à des acteurs, publics et privés, qui ignoraient ce qu’était une Scop et qui n’y comprenaient rien. Duralex Scop SA est pourtant une société standard : une société anonyme avec des actionnaires – à la différence près qu’ils ont chez nous des cols bleus –, un comité de suivi qui gère l’entreprise – l’équivalent d’un board – et un directeur général. » ([483])

La verrerie Duralex a accusé six dépôts de bilan depuis sa création, en 1945. En avril 2024, elle a été placée en redressement judiciaire, à la suite de quoi un groupe de salariés s’est constitué pour porter un projet de reprise de l’entreprise. Selon les informations communiquées par la confédération générale des Scop, plusieurs motifs expliquent les difficultés successives rencontrées par la société : la hausse des prix de l’énergie ou encore un désinvestissement marketing et commercial fort sur les dix dernières années, marqué par l’absence de nouvelles gammes proposées sur la période.

Le projet de Scop déposé au tribunal de commerce d’Orléans a pu bénéficier de différents soutiens publics – au total, 15 millions d’euros étaient nécessaires pour financer le projet – répartis de la façon suivante :

– métropole d’Orléans : achat du foncier dans l’année suivant la reprise, pour un montant de 7 millions d’euros ;

– Crédit Agricole : 1,5 million d’euros ;

– région Centre-Val de Loire : 1 million d’euros ;

– Fonds de développement économique et social (FDES) : 750 000 euros ;

– France Active : 400 000 euros ;

– Socoden (outil financier de la confédération générale des Scop) : 400 000 euros ;

– apports des salariés : 20 300 euros.

Pour la confédération générale des Scop et la direction de Duralex, deux éléments d’incompréhension subsistent en dépit de l’intervention de la Dire et de la préfète de département pour réunir les financements nécessaires : la faible mobilisation de l’État à travers le FDES ; la promesse de financement d’une offre concurrente par Bpifrance pour un montant de 7 millions d’euros.

Ainsi, selon les données compilées par la confédération générale des Scop sur la base des arrêtés publiés depuis le 1er janvier 2022 concernant l’intervention du FDES, Duralex a bénéficié du deuxième plus faible montant de la part de ce dernier, étant observé que le montant médian de prêt est de 15 millions d’euros et le montant moyen de 29,5 millions d’euros.

interventions du fdes depuis le 1er janvier 2022

Source : confédération générale des Scop.

Selon la confédération générale des Scop, « afin de justifier le montant du prêt accordé à Duralex, le FDES mentionne un "plafond d’intervention équivalent au cinquième de l’apport de financements privés", qui ne nous semble pas correspondre au volume de prêt accordé dans d’autres dossiers. Le FDES est intervenu pour des montants bien supérieurs dans des opérations impliquant un nombre similaire de salariés au cours de procédures collectives, et dont certaines se sont soldées, depuis, par des liquidations judiciaires. En témoignent les interventions arrêtées au 25 janvier 2022 pour un montant de 9 400 000 euros et au 14 décembre 2023 pour 39 100 000 euros à destination de la même société, dont la liquidation judiciaire a été prononcée dans le courant du mois de juillet 2024. » ([484])

La confédération générale des Scop et la direction de Duralex ont indiqué s’interroger sur une appréciation du risque vraisemblablement différente dans le cadre de projets de reprise reposant sur un modèle coopératif et dans le cadre de projets de reprise plus classiques, alors même que la Scop apporte des garanties en matière d’ancrage local de l’activité et de maintien des emplois, non délocalisables. En outre, le taux de pérennité à cinq ans des Scop issues de reprises d’entreprises en difficulté est de 76,4 % alors qu’il est de 61 % pour l’ensemble des entreprises, selon les données de l’Insee.

Recommandation n° 51

Créer des outils de financement et d’investissement publics adaptés au modèle coopératif des sociétés coopératives et participatives et des sociétés coopératives d’intérêt collectif et envisager la création d’un fonds dédié à la reprise d’entreprises par les salariés.

Recommandation n° 52

Assouplir les conditions permettant le cumul de la prime de reclassement accompagnant le contrat de sécurisation professionnelle et de l’aide à la reprise et à la création d’entreprise en cas de projet de reprise d’une entreprise en difficulté porté par ses salariés.

 


  1  

   Liste des recommandations

Recommandation  1

Renforcer l’information et la consultation des comités sociaux et économiques (CSE) sur les risques chimiques et les enjeux environnementaux en cas de plan de sauvegarde de l’emploi accompagnant la fermeture de sites ou d’usines.

Prévoir l’archivage des informations relatives aux risques chimiques et environnementaux et les rendre accessibles aux repreneurs ainsi qu’aux salariés et représentants du personnel.

Recommandation n° 2

Créer un statut juridique de la sous-traitance et définir un encadrement renforcé de la sous‑traitance.

Renforcer les obligations du donneur d’ordre en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) chez un sous-traitant à la suite d’une restructuration chez ledit donneur d’ordre (mise en place d’une participation financière au PSE du sous-traitant, création d’un groupe de reclassement afin d’imposer au donneur d’ordre la recherche de possibilités de reclassement en son sein pour les salariés du sous-traitant, organisation de négociations interentreprises et création d’un comité de groupe de sous-traitants).

Recommandation n° 3

Prévoir un dispositif de sanctions financières graduelles en cas d’absence de transmission par l’employeur ou le mandataire judiciaire du bilan du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) dans un délai de deux à quatre mois à compter de la fin de sa mise en œuvre.

Permettre une transmission progressive des documents relatifs au suivi de la mise en œuvre du PSE, tels que les comptes rendus des réunions de la commission de suivi.

Recommandation n° 4

Développer les conventions permettant aux chercheurs d’accéder ponctuellement aux données du portail Rupco, dans le respect de l’anonymat et du secret des informations.

Recommandation n° 5

Compléter la liste des informations devant figurer sur le bilan de suivi du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) en y ajoutant des informations financières sur le coût des mesures déployées et prévoir la possibilité de communiquer sur les difficultés éventuelles rencontrées dans la mise en œuvre du PSE.

Modifier en conséquence le portail Rupco afin qu’il puisse recueillir ces informations.

Recommandation n° 6

Modifier la classification statistique mise en œuvre par France Travail des licenciés économiques bénéficiant d’un contrat de sécurisation professionnelle afin qu’ils apparaissent comme des demandeurs d’emploi et non comme des stagiaires de la formation professionnelle.


Recommandation n° 7

Faire une évaluation de l’effet des mesures de reclassement mises en œuvre en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, en tenant compte de l’efficience de l’intervention des acteurs mobilisés.

Faire une évaluation des performances comparées de France Travail et des opérateurs privés de placement concernant l’accompagnement des salariés et leur retour à l’emploi, ainsi que des effets du contrat de sécurisation professionnelle sur le retour à l’emploi.

Recommandation n° 8

Faire une évaluation de l’efficacité des mesures concernant les risques psychosociaux suscités par les plans de sauvegarde de l’emploi.

Recommandation n° 9

Consulter les partenaires sociaux sur la possibilité de mettre en place un financement mutualisé des mesures de reclassement en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, qui pourrait prendre la forme d’un fonds mutualisé de branche.

Recommandation n° 10

Dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, obliger une entreprise versant des dividendes à ses actionnaires à provisionner un montant équivalent pour financer les mesures d’accompagnement des salariés concernés.

Recommandation n° 11

Restreindre la définition du licenciement pour motif économique aux seules difficultés graves et durables mettant en péril la survie de l’entreprise.

Recommandation n° 12

Revenir sur la nouvelle rédaction de l’article L. 1233-3 du code du travail relative au périmètre d’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques et de la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise.

Recommandation n° 13

Prévoir une fonction d’alerte sur le portail dématérialisé d’enregistrement des ruptures conventionnelles individuelles au-delà de dix ruptures conventionnelles conclues dans une même entreprise sur une période de trente jours.

Recommandation n° 14

Renforcer le contrôle de l’administration sur le contenu des accords portant rupture conventionnelle collective.

Recommandation n° 15 

Soumettre les accords de performance collective au contrôle de l’administration et prévoir le principe de leur déclaration par l’employeur sur le portail Rupco.


Recommandation n° 16

Mieux encadrer le contenu et les motifs de recours aux accords de performance collective.

Recommandation n° 17

Rendre obligatoire dans les accords de rupture conventionnelle collective la présence du congé de mobilité et d’une clause portant sur les impacts en termes de santé et de sécurité au travail.

Recommandation n° 18

Faire une évaluation exhaustive et mettre en place une plateforme de suivi de l’ensemble des aides publiques.

Recommandation n° 19

Rendre publiques les informations relatives aux aides publiques attribuées aux entreprises (motif, montant, critères et conditions).

Recommandation n° 20

Prévoir le remboursement par l’entreprise des exonérations de cotisations sociales et des montants versés au titre du crédit d’impôt recherche en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Prévoir le remboursement des aides publiques lorsque l’entreprise qui met en œuvre un PSE réalise des bénéfices.

Recommandation n° 21

Systématiser l’introduction de critères d’ordre économique, social et environnemental à l’occasion du versement des aides publiques, en généralisant les critères relatifs au maintien de l’emploi et à la formation.

Prévoir un plan d’engagement sur le maintien de l’emploi conditionnant l’octroi de toute aide dépassant un certain seuil.

Recommandation n° 22

Mettre en place un plafonnement annuel du montant d’aides publiques perçues par une entreprise ou un groupe.

Recommandation n° 23

Créer une Haute autorité indépendante pour les aides publiques aux entreprises remplissant les fonctions de guichet unique pour les entreprises et d’organisme de contrôle du respect des critères encadrant l’octroi des dites aides.

Recommandation n° 24

Interdire le recours aux accords de performance collective, aux plans de départs volontaires, aux ruptures conventionnelles individuelles et collectives pour les salariés placés en position d’activité partielle ou d’activité partielle de longue durée rebond.


Recommandation n° 25

Renforcer le contrôle par les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des obligations de l’employeur en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ainsi que d’évaluation de l’impact des plans de sauvegarde pour l’emploi sur les conditions de travail, en leur allouant pour ce faire des moyens supplémentaires.

Recommandation n° 26

Confier aux directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités le contrôle du motif économique des licenciements, en renforçant leurs moyens humains et financiers et en allongeant d’une semaine les délais de consultation prévus à l’article L. 1233‑57-4 du code du travail.

Recommandation n° 27

Renforcer les modules de formation des entrepreneurs en matière de droit des licenciements économiques et de droit des entreprises en difficulté et développer ce type de formation dans les cursus d’études supérieures.

Recommandation n° 28

Renforcer l’accompagnement juridique des dirigeants de très petites entreprises et petites et moyennes entreprises en difficulté.

Recommandation n° 29

Mettre en place des programmes de médiation réunissant les pouvoirs publics, les représentants du personnel et l’employeur d’une entreprise en cas de difficulté rencontrée par celle-ci, sur demande des représentants du personnel ou de l’employeur.

Recommandation n° 30

Étendre aux entreprises de plus de 250 salariés l’application du dispositif de recherche d’un repreneur en cas de fermeture d’un établissement.

Allonger les délais encadrant la procédure de recherche d’un repreneur et d’information-consultation du comité social et économique (CSE).

Étendre les obligations d’information-consultation de l’employeur vis-à-vis du CSE à toutes les manifestations d’intérêt.

Donner au CSE la possibilité de saisir le tribunal de commerce en cas de recherche fictive d’un repreneur.

Interdire toute suppression d’emploi pendant la procédure de recherche d’un repreneur.

Recommandation n° 31

Évaluer l’efficacité des conventions de revitalisation et leurs effets sur le maintien et les créations d’emplois.

Recommandation n° 32

Porter à quatre fois la valeur mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance par emploi supprimé le montant de la contribution financière due par les sociétés assujetties aux obligations de revitalisation.

Prévoir la publication des conventions de revitalisation et un renforcement de l’évaluation de leur exécution telle que prévue par l’article L.1233-88 du code du travail.

Recommandation n° 33

Remplacer l’obligation d’information du comité social et économique en cas d’homologation par le tribunal de commerce d’un accord de conciliation par une obligation de consultation, avec la possibilité d’exercer un droit d’alerte en cas de menaces sur le maintien de l’emploi et la poursuite de l’activité.

Recommandation n° 34

Prévoir, en cas de présentation d’un plan de cession d’entreprise, la formulation par le repreneur d’engagements chiffrés en matière de maintien de l’emploi, assortis de sanctions en cas de non-respect.

Recommandation n° 35

Faire une évaluation des fonds de retournement intervenant en France et de l’impact des rachats opérés sur les entreprises et sur l’emploi ; actualiser régulièrement cette évaluation afin d’en faire un outil à la disposition des pouvoirs publics.

Recommandation n° 36

Relancer et renforcer le Fonds de fonds de retournement de Bpifrance afin d’accentuer les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour investir dans les entreprises en difficulté sur le territoire national.

Recommandation n° 37

Créer un pôle financier public réunissant notamment l’Agence des participations de l’État, Bpifrance, la Caisse des dépôts et consignations, le secrétariat général pour l’investissement et l’Agence de la transition écologique.

Doter ce pôle d’une doctrine d’intervention prévoyant des objectifs industriels, sociaux et environnementaux, dont le maintien de l’emploi.

Recommandation n° 38

Créer une procédure de mise sous gestion publique exceptionnelle applicable sous certaines conditions aux entreprises stratégiques d’intérêt national.

Recommandation n° 39

Donner au comité social et économique le pouvoir d’approuver le document élaboré par l’employeur, à défaut de conclusion d’un accord collectif, aux fins de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Recommandation n° 40

Renforcer les moyens de communication numériques des représentants du personnel pour leur permettre de communiquer plus facilement et efficacement avec les salariés.

Permettre aux représentants du personnel de tenir, en cas de projet de réorganisation ayant une incidence sur l’emploi, des assemblées générales du personnel organisées sur le lieu (ou par visioconférence) et le temps de travail.

Recommandation n° 41

Encourager la conclusion d’accords de méthode afin de renforcer les moyens humains et financiers des représentants du personnel.

Recommandation n° 42

Prévoir une formation obligatoire, financée par l’employeur, pour les représentants du personnel et les salariés le souhaitant sur le droit des licenciements économiques.

Recommandation n° 43

Prévoir un financement intégral de l’employeur en cas de recours par le comité social et économique (CSE) à un expert-comptable ou à un expert habilité sur un projet de plan de sauvegarde de l’emploi, si le CSE n’est pas en mesure de fournir les financements nécessaires.

Recommandation n° 44

Allonger les délais de la procédure d’information-consultation du comité social et économique en cas de licenciements économiques, en les portant à :

– quatre, cinq et six mois en cas de mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (article L. 1233-30 du code du travail) ;

– deux mois en cas de mise en œuvre d’un licenciement économique touchant 2 à 9 salariés ou touchant 10 salariés et plus dans une entreprise de moins de 50 salariés (articles L.1233-8 et L.1233-29 du code du travail).

Recommandation n° 45

Prévoir, lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est mis en œuvre, une prise de contact systématique entre la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités et les représentants du personnel.

Recommandation n° 46

Consulter les partenaires sociaux sur la création d’un fonds national d’appui aux représentants du personnel.

Recommandation n° 47

Organiser un débat réunissant les partenaires sociaux sur la refonte des instances représentatives du personnel, dans la perspective du rétablissement de comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail renforcés.

Recommandation n° 48

Renforcer les outils et moyens dont disposent les représentants du personnel en matière d’expertise stratégique, économique, sociale et environnementale.

Enrichir le contenu de l’information-consultation du comité social et économique (CSE) sur les orientations stratégiques.

Prévoir le financement intégral par l’employeur du recours à un expert-comptable au bénéfice du CSE en vue de l’information-consultation dudit CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise.

Recommandation n° 49

Faire une évaluation du dispositif de gestion des emplois et des parcours professionnels.


Recommandation n° 50

Passer progressivement à 50 % d’administrateurs salariés dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 1 000 salariés, en accompagnant les salariés concernés par des formations.

Recommandation n° 51

Créer des outils de financement et d’investissement publics adaptés au modèle coopératif des sociétés coopératives et participatives et des sociétés coopératives d’intérêt collectif et envisager la création d’un fonds dédié à la reprise d’entreprises par les salariés.

Recommandation n° 52

Assouplir les conditions permettant le cumul de la prime de reclassement accompagnant le contrat de sécurisation professionnelle et de l’aide à la reprise et à la création d’entreprise en cas de projet de reprise d’une entreprise en difficulté porté par ses salariés.


  1  

   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 9 juillet 2025, la commission d’enquête procède à l’examen, à huis clos, du projet de rapport.

M. le président Denis Masséglia. Cette dernière réunion de la commission d’enquête sera consacrée à l’examen du projet de rapport et à sa mise aux voix.

Je vous rappelle, comme j’ai eu l’occasion de le faire lors de notre échange de vues du 4 juin dernier, que la commission a procédé à quarante et une auditions, toutes publiques. Je me félicite qu’elle ait travaillé dans le calme et la sérénité et que ses membres aient su faire preuve, par-delà leurs divergences d’opinions, d’écoute et de respect. Des députés qui n’en étaient pas membres ont pu prendre la parole ; cela me semblait important.

Je tiens à remercier en particulier celles et ceux qui se sont investis dans les travaux et qui se sont efforcés de participer aux auditions en dépit d’agendas très chargés. Je veux évidemment saluer le rapporteur pour son investissement et pour la qualité de son travail.

Dans un premier temps, le rapporteur exposera les grandes lignes de son rapport, que vous avez eu l’occasion de consulter ces derniers jours, et ses conclusions. Nous entendrons ensuite les commissaires qui souhaitent s’exprimer, après quoi le rapporteur pourra, s’il le désire, apporter les réponses et les précisions qu’il jugera nécessaires. Enfin, nous voterons sur l’adoption du projet de rapport.

Je souhaiterais au préalable rappeler quelques points importants de procédure.

Si le rapport est adopté, l’article 144-2 de notre règlement apporte les précisions suivantes :

« Le rapport adopté par une commission d’enquête est remis au Président de l’Assemblée. Le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué. Il peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique.

« La demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel. »

Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le mercredi 16 juillet. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite de son contenu.

Le compte rendu de la présente réunion sera annexé au rapport publié.

Comme cela vous a été indiqué dans la convocation, des contributions individuelles ou de groupe peuvent être rédigées. Elles figureront en annexe du rapport et peuvent être adressées au secrétariat de la commission d’enquête jusqu’au vendredi 11 juillet à 15 heures.

S’il est rejeté, le projet de rapport n’est pas publié et sa divulgation est passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose ainsi :

« Sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, […] divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

Dans l’un et l’autre cas, il vous sera demandé à la fin de la réunion de bien vouloir remettre aux administrateurs les exemplaires du rapport qui vous ont été distribués.

M. Benjamin Lucas-Lundy, rapporteur. Nous arrivons au terme d’un temps très court mais très dense d’auditions, d’analyses et de débats sincères et respectueux. Nos travaux nous ont permis d’établir un constat sur la réalité des plans de licenciements dans notre pays et sur la capacité de l’État et de la puissance publique à y répondre.

Je voudrais remercier très sincèrement le président de notre commission d’enquête. Si nous avons des désaccords de fond – c’est bien normal –, je tiens à saluer la rigueur, la disponibilité et l’esprit de respect qui ont permis que nos travaux se déroulent dans de très bonnes conditions.

Nous avons pu entendre, au fil des auditions, plus de soixante personnes : syndicalistes, dirigeants d’entreprise, experts, chercheurs, représentants de l’État et élus locaux. Je tiens à saluer la qualité et la sincérité des échanges et je remercie celles et ceux qui ont accepté de répondre à nos convocations – tout le monde ne l’a pas fait – sur des sujets parfois délicats ou sensibles.

Nous avons pu constater la diversité des approches, la richesse des analyses et surtout la force des témoignages humains. Cela ne vous surprendra pas, je voudrais remercier tout particulièrement les organisations syndicales et les représentants des salariés. Leur expertise et leur connaissance fine des sites, des bassins d’emploi et des réalités sociales nous ont été précieuses. À travers leurs interventions, nous avons compris que les représentants des salariés étaient bien souvent les premiers à alerter, à proposer des solutions alternatives et à chercher les moyens d’éviter les fermetures de sites. Il ressort de nos travaux qu’ils sont trop souvent ignorés. Il était de notre devoir de les écouter pleinement.

Le rapport dresse un état des lieux précis des failles de notre système. Il met en lumière la facilité avec laquelle les entreprises peuvent procéder à des licenciements parfois massifs tout en bénéficiant de soutiens publics importants. Il questionne le rôle de l’État, son degré d’exigence et la conditionnalité des aides publiques.

Nous avons aussi pu mesurer l’impact concret des plans de licenciements sur les territoires : des bassins entiers fragilisés, des familles plongées dans la précarité, des savoir‑faire détruits. Ces constats ne sont pas seulement des chiffres. Ce sont des vies, des projets, des régions entières qui se trouvent menacés.

L’actualité est venue percuter nos travaux. Le cas d’ArcelorMittal, notamment, a conduit à une adaptation du programme des auditions en cours de route. Je vous en remercie, monsieur le président, car il était essentiel que nous nous préoccupions de cette situation révélatrice.

Notre commission a permis d’ouvrir un débat utile sur le rôle de l’État stratège, sur la nécessité de repenser la gouvernance des entreprises et sur la question de la démocratie sociale. Nous avons exploré des pistes de réformes concrètes : redéfinir le licenciement économique, instaurer une conditionnalité stricte des aides publiques, renforcer les droits des représentants du personnel, développer le modèle coopératif ou encore envisager la nationalisation temporaire des sites stratégiques.

Ces propositions appartiendront, je l’espère, au débat public et parlementaire. Notre rôle n’est pas d’imposer une ligne unique mais d’éclairer, de documenter et d’alerter. Nous devons ensuite laisser chacune et chacun se nourrir de ces travaux pour nourrir la réflexion collective sur l’avenir industriel et social de notre pays. Il me semble indispensable que, dans les semaines et les mois à venir, l’Assemblée nationale se saisisse de ces sujets, dans la pluralité des convictions qui se sont exprimées lors de nos travaux. Les questions de l’avenir de nos territoires industriels, de l’emploi et de la dignité des salariés sont en effet au cœur des préoccupations des Françaises et des Français.

Je tiens à rappeler que le vote auquel nous nous apprêtons à procéder porte sur le principe de publication du rapport. Me gardant de toute instrumentalisation des votes favorables, je ne les considérerai pas comme une approbation de l’ensemble des préconisations ou des analyses. Il me semble important, quoi qu’il en soit, que nos travaux soient publiés – d’autant plus qu’ils ont été suivis par des collègues de différents groupes politiques. Nous avons même eu des échanges, vifs mais respectueux, qui ont montré que ces sujets étaient d’une actualité bouillante.

Je souhaite que ce rapport serve d’outil, de boussole et d’alerte. Il ne prétend pas tout régler mais permet de poser des bases solides pour réinventer un modèle plus juste, plus protecteur et plus démocratique. Je vous invite donc à voter en faveur de sa publication, afin qu’il puisse pleinement contribuer au débat et à la construction des réponses dont notre pays a tant besoin.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je vous remercie, monsieur le rapporteur, monsieur le président, d’avoir réalisé ce travail et d’avoir su mettre de côté, le temps de la commission d’enquête, les désaccords entre vous et entre nous. Il est important, pour le sérieux et la qualité de notre travail parlementaire, de le faire.

Notre groupe n’a pas rédigé de contribution spécifique mais j’ai transmis à M. le rapporteur l’ensemble des remarques que je souhaitais faire. Nous sommes évidemment favorables à la publication de ce rapport, qui permettra de mettre à l’ordre du jour du Parlement un certain nombre de travaux.

M. Pierrick Courbon (SOC). En mon nom personnel, au nom de mon groupe et en celui de ma collègue Estelle Mercier qui a assidûment participé aux auditions, je voudrais remercier le groupe Écologiste et Social d’avoir utilisé son droit de tirage pour travailler sur ce sujet important. Je vous remercie aussi pour la qualité de nos échanges. En acceptant de faire de Casino l’un des objets d’étude de la commission, alors que cela n’était pas envisagé à l’origine, vous avez démontré que vous étiez à l’écoute de nos propositions et des sujets qui nous tenaient à cœur.

La thématique de notre commission a percuté de plein fouet l’actualité. Comme le souligne la première partie du rapport, nous sommes malheureusement confrontés à une recrudescence significative des plans de licenciements depuis 2024 et il y a fort à craindre que les prochaines années soient très douloureuses sur le plan social.

Je forme le vœu qu’en plus de permettre la publication du rapport, nous donnions un débouché législatif rapide à plusieurs propositions du rapporteur : même s’il subsiste de profonds désaccords sur certaines recommandations, il en est de consensuelles sur lesquelles nous devrions pouvoir nous retrouver. Des textes nourris de l’expérience de plans sociaux, éventuellement transpartisans, permettraient d’éviter certaines défaillances majeures. Sans changer la situation socio-économique de notre pays d’un coup de baguette magique, nous pourrions apporter davantage de considération et de dignité aux salariés qui se retrouveront sur le carreau dans les jours, les mois et les années à venir.

Je vous invite, monsieur le président, monsieur le rapporteur, à continuer d’une manière ou d’une autre à travailler ensemble pour les débouchés les plus nombreux possible à ce rapport. Le groupe Socialistes et apparentés a déposé une contribution reprenant les préconisations qui lui tenaient à cœur, dont nous espérons qu’elle sera utile.

M. le président Denis Masséglia. Je précise que ce n’est pas sur la publication du rapport que nous devons nous prononcer mais sur son adoption ou son rejet.

Nous pouvons reconnaître, je crois, qu’il y a un désaccord majeur entre nous sur une grande majorité de propositions. N’appartenant pas aux mêmes partis politiques, nous ne partageons pas la même vision. Le rapport plaide pour un rôle accru de l’État, alors que mon groupe politique souhaite plutôt donner la possibilité aux partenaires sociaux de discuter et de négocier.

Cela étant dit, il y a aussi des sujets sur lesquels nous pouvons nous accorder. Peut‑être pourrions‑nous travailler ensemble à une évolution de la représentation des salariés dans les conseils d’administration – pas pour la porter à hauteur de 50 %, cependant – ou encore au développement des sociétés coopératives et participatives.

Le rapport évoque la création d’une agence sur les aides publiques, alors que je considère pour ma part qu’il faut supprimer des agences : vous comprendrez que sur ce point, nos positions ne puissent converger.

Le groupe Ensemble pour la République a bien sûr conscience des difficultés que traverse l’industrie française, au vu de la recrudescence des plans de licenciements. Ceux-ci s’expliquent par divers facteurs et sont parfois dus à un effet de rattrapage après le versement d’aides pendant la crise du covid-19. Il convient néanmoins de rappeler que l’industrie a pu créer de nouveau des emplois depuis 2017, alors que ce n’était pas arrivé depuis de très longues années. Nous continuerons au moins jusqu’en 2027 – et même plus longtemps, j’en suis certain – à investir l’énergie nécessaire dans la réindustrialisation de la France et nous ferons à ce sujet des propositions dans le cadre du rapport.

Notre groupe ne partageant pas de façon majoritaire les propositions du rapporteur, il ne peut donner un avis favorable à l’adoption du rapport. Parce que nous souhaitons néanmoins que le débat puisse continuer – la démocratie, c’est l’expression des désaccords –, nous nous abstiendrons.

Je vais à présent mettre aux voix, à main levée, le rapport.

La commission adopte le rapport.

Je remercie une nouvelle fois l’ensemble des députés qui ont participé à nos travaux ainsi que M. le rapporteur, pour son travail et pour les échanges que nous avons eus.

 


  1  

   CONTRIBUTIONS des GROUPES POLITIQUES

1. Contribution du groupe Socialistes et apparentés..............291

2. Contribution du groupe Ensemble pour la République.........297

3. Contribution du groupe Rassemblement National.............303

 


  1  

  1.   Contribution du groupe Socialistes et apparentés

NB : L’ensemble des mesures qui suivent doivent être considérées comme un tout : certaines dispositions, nécessitant par exemple la mobilisation de fonds publics, sont rendues possibles grâce à l’introduction d’autres mesures contraignantes présentées ailleurs dans le document.

Phase « amont » : anticiper, prévenir et encadrer

Propositions visant à agir avant que les restructurations ne surviennent, en renforçant l’anticipation, le dialogue social, l’encadrement des aides et la transparence.

 

 

 

 

 

 

Phase « pendant » : gestion des restructurations

Cette phase couvre les actions et contrôles à mettre en place spécifiquement lorsqu’un plan de licenciements est en cours ou imminent.

 

 

 

Phase « aval » : accompagnement, reconversion et revitalisation

Cette phase rassemble les propositions relatives à l’accompagnement des salariés licenciés, à la reprise d’activité sur les territoires touchés et au soutien aux alternatives comme le modèle coopératif.

 

 

 

 

Pierrick COURBON et Estelle MERCIER, députés

 

 

 


  1  

  1.   Contribution du groupe Ensemble pour la République

La commission d’enquête à l’origine de ce rapport s’est penchée sur les défaillances éventuelles des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciements survenus ces dernières années. Ses travaux interviennent dans un contexte économique particulièrement tendu, marqué à la fois par une concurrence mondiale accrue et par de profondes mutations industrielles, liées notamment à la transition écologique et à la révolution numérique. À ces défis s’ajoutent le poids des coûts de production en France et la complexité normative, qui pèsent lourdement sur la compétitivité de nos entreprises et, in fine, sur l’emploi industriel dans nos territoires.

 

Nous partageons pleinement l’objectif de protéger l’emploi et d’éviter les plans de licenciements, enjeu majeur pour nos territoires et pour la cohésion sociale. Depuis 2017, sous l’impulsion du programme Choose France, notre pays a su attirer plus de 10 000 projets d’investissements étrangers, preuve qu’une politique volontariste peut produire des résultats concrets.

 

Néanmoins, le rapport issu des travaux de la commission d’enquête adopte un prisme que nous contestons fermement. Là où son auteur voit dans la multiplication des plans sociaux la seule conséquence de défaillances publiques ou de choix stratégiques cyniques des entreprises, nous y voyons avant tout le symptôme d’une perte de compétitivité et d’attractivité face à une concurrence internationale toujours plus vive.

 

C’est là, selon nous, le véritable angle mort du rapport : il s’attarde uniquement sur les symptômes, sans jamais remonter aux causes. Or, des facteurs tels que le coût du travail, la fiscalité de production, l’instabilité réglementaire ou encore le climat anti-industrie dans certains territoires constituent autant d’obstacles majeurs à l’investissement et, par conséquent, à l’emploi. Le grand absent de ces pages, c’est donc bien la compétitivité.

 

Notre approche se situe à l’opposé de celle défendue dans ce rapport. Nous voulons nous attaquer aux racines des difficultés, pour trouver un véritable remède plutôt que de poser un simple pansement. Notre vision, résolument pro-business et libérale, repose sur la simplification, la stabilité et le soutien à des modèles innovants.

 

  1. Une vision punitive et étatiste, sans réponse aux causes

 

  1.      Un diagnostic partiel et biaisé

 

Le présent rapport propose un diagnostic incomplet et biaisé de la réalité des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE). Il tend à considérer ces derniers comme la seule conséquence de stratégies cyniques de groupes industriels, motivées exclusivement par la recherche de profits immédiats. Cette approche est réductrice et ne tient pas compte de la complexité des arbitrages industriels.

 

Certaines décisions, notamment de délocalisation partielle ou de création de sites à l’étranger, peuvent au contraire contribuer à préserver des emplois en France. C’est le cas notamment de Safran, qui, grâce au développement d’un site à Casablanca a pu sauver celui du Havre. Sans cet investissement, il n’aurait pas pu répondre à la demande d’Airbus tout en maintenant le site du Havre.

 

Cet exemple très concret montre bien que dans un contexte de forte concurrence internationale, certains investissements hors de France sont parfois indispensables pour sécuriser les commandes et maintenir les emplois sur le territoire national. Occulter cette réalité, c’est risquer de dresser un portrait caricatural du tissu industriel.

 

Nous tenons également à dénoncer la logique à l’œuvre dans la proposition 23, qui suggère de créer une Haute autorité indépendante chargée de contrôler l’attribution et l’usage des aides publiques aux entreprises. Cette proposition illustre une tendance constante : dès qu’une difficulté économique survient, la réponse politique consiste à créer une nouvelle instance, à superposer un nouvel organisme de contrôle ou à instaurer une nouvelle procédure administrative. C’est le réflexe bureaucratique par excellence.

 

Plutôt que de simplifier et d’alléger le cadre existant, on multiplie les structures et les contrôles, au risque de retarder encore davantage les décisions, d’accroître la complexité et d’alourdir les délais pour les entreprises. Créer cette haute autorité ne résoudra pas le problème de fond : la perte de compétitivité de notre économie. Cela reviendrait à traiter le symptôme, sans jamais s’attaquer aux causes profondes des difficultés industrielles : coût du travail, fiscalité de production, instabilité réglementaire.

 

  1.      Une présomption de culpabilité des entreprises

 

Plusieurs propositions du rapport traduisent une vision punitive de l’entreprise, fondée sur une présomption quasi systématique de culpabilité. Les entreprises ne sont plus envisagées comme des partenaires de la croissance et de l’emploi, mais présentées comme des acteurs qu’il faudrait surveiller, contrôler et sanctionner.

 

Ainsi, la proposition 10 prévoit d’obliger toute entreprise versant des dividendes à provisionner un montant équivalent destiné au financement des mesures d’accompagnement en cas de licenciements économiques. Cette mesure repose sur une logique punitive, en assimilant la distribution de dividendes à un acte suspect ou immoral, sans tenir compte de la réalité économique et de la nécessité de rémunérer l’investissement actionnarial.

La proposition 20, qui impose le remboursement des aides publiques ou des crédits d’impôt en cas de PSE, menace directement la trésorerie et la capacité d’investissement des entreprises. Une telle mesure instaurerait une insécurité juridique permanente, dissuadant nombre d’entre elles de recourir à des dispositifs pourtant légitimes et nécessaires à leur développement.

 

Quant à la proposition 39, visant à accorder un droit de veto au Comité social et économique (CSE) sur le document unilatéral de l’employeur relatif aux projets de réorganisation, elle risque de provoquer un blocage systématique des décisions stratégiques. Ce serait un retour à un modèle économique dépassé, où l’entreprise perd toute agilité face aux mutations rapides du marché.

 

Ces mesures traduisent un climat de défiance à l’égard des entreprises. En réalité, elles visent à « ponctionner » davantage la trésorerie des entreprises au moment où elles rencontrent déjà des difficultés. Or, toutes les dispositions qui consistent à prélever du cash sur des entreprises fragilisées ont un effet paradoxal : loin d’éviter les licenciements, elles peuvent accélérer la mise en œuvre d’un PSE en aggravant la situation financière de l’entreprise. C’est une spirale dévastatrice, un cercle vicieux où la perte de compétitivité nourrit la perte d’emplois.

 

  1.      Une inflation bureaucratique et des délais rallongés

 

Le rapport propose également un ensemble de mesures qui risquent d’alourdir encore davantage le cadre administratif auquel sont soumises les entreprises industrielles. Plusieurs propositions, telles que les propositions 15, 44 ou encore 2, témoignent d’une inflation bureaucratique préoccupante : allongement des délais de procédure, multiplication des obligations déclaratives, renforcement des contraintes pesant sur les relations interentreprises.

 

Chaque mois supplémentaire dans une procédure administrative peut entraîner des conséquences lourdes sur la compétitivité d’un site industriel. Or, dans un contexte où les cycles industriels se raccourcissent et où la réactivité est déterminante, de tels retards risquent de se traduire par des pertes de contrats, des délocalisations ou la fermeture d’activités stratégiques.

 

Il est d’ailleurs révélateur que ceux qui, tout au long du rapport, dénoncent les fusions industrielles et appellent à davantage d’encadrement, proposent dans le même temps de fusionner plusieurs structures publiques au sein d’un unique pôle financier (proposition 37). Ce serait, pour la première fois, un ralliement à la logique de rationalisation et de simplification administrative que nous défendons de longue date. Il est regrettable qu’ils ne tirent pas les mêmes conclusions pour nos entreprises industrielles, qui ont elles aussi besoin de cohérence et de simplification pour rester compétitives.

 

  1.      Risques pour la compétitivité et l’emploi

 

Enfin, certaines propositions du rapport comportent un risque majeur pour la compétitivité et l’emploi industriel en France.

La proposition 38, prévoyant une gestion publique exceptionnelle des entreprises stratégiques, constitue une mesure radicale, proche d’une nationalisation de fait. Elle envoie un signal inquiétant aux investisseurs et risque de dissuader durablement l’implantation ou le maintien de capitaux privés dans des secteurs stratégiques.

 

La proposition 12, visant à élargir le périmètre d’appréciation des difficultés économiques, pourrait limiter la capacité des entreprises à se réorganiser pour sauvegarder leur compétitivité. En retenant une définition trop extensive de la notion de difficulté économique, elle risquerait d’empêcher des ajustements pourtant indispensables pour maintenir à flot des sites industriels et préserver l’emploi sur le long terme.

 

Il faut rappeler que les entreprises françaises subissent déjà plusieurs handicaps structurels : coût élevé du travail, fiscalité de production plus lourde qu’ailleurs en Europe, instabilité réglementaire, et parfois un climat politique défavorable à l’industrie. Sans réformes profondes pour lever ces freins, l’attractivité de notre pays continuera de se dégrader et provoquera des décisions industrielles défavorables à l’emploi.

 

Le risque est clair : sans traitement des causes structurelles, la France s’expose à une multiplication des plans de sauvegarde de l’emploi et à une érosion continue de son tissu industriel, pourtant essentiel à notre souveraineté économique et à la vitalité de nos territoires.

 

Ainsi, si l’ensemble des mesures préconisées dans ce rapport était appliqué, nous basculerions dans un modèle profondément étatiste et dirigiste, où la défiance et la régulation excessive primeraient sur la liberté d’entreprendre et sur l’attractivité économique. Ce serait la mise à l’arrêt de notre appareil productif : la compétitivité serait étouffée, l’investissement découragé et l’emploi industriel gravement menacé, avec à la clé un affaiblissement durable de la souveraineté économique de notre pays.

 

  1. Prévenir les plans de licenciements : faire le choix de la compétitivité et de l’attractivité

 

  1.      Alléger le coût du travail pour préserver l’emploi industriel

 

La première urgence pour prévenir les plans de licenciements est de réduire le poids du coût du travail, qui demeure l’un des principaux handicaps structurels de notre économie. Nous proposons d’étendre significativement les allègements de charges sociales au-delà du seuil actuel, jusqu’à 2,5 SMIC, voire jusqu’à 3,5 ou 4 SMIC pour les emplois industriels et qualifiés. Une telle mesure est indispensable pour maintenir les sites de production en France, éviter les délocalisations et préserver l’emploi dans nos filières stratégiques.

 

Nous assumons pleinement que ce choc de compétitivité a un coût. Mais nous refusons qu’il soit financé par de nouvelles taxes ou par une hausse des prélèvements sur les entreprises. Il doit l’être par une réduction des dépenses publiques et par la suppression ou la révision de dispositifs fiscaux dont l’efficacité économique n’est pas pleinement démontrée. C’est ainsi que nous pourrons protéger l’emploi et prévenir les plans de licenciements, en rendant nos entreprises plus solides face à la concurrence internationale.

 

  1.      Offrir un environnement économique stable et prévisible

 

Au-delà du coût du travail, la compétitivité de notre industrie souffre d’une instabilité réglementaire et fiscale chronique qui freine l’investissement. Nous défendons l’idée d’une stabilité fiscale et juridique inscrite sur plusieurs années. Elle doit garantir qu’aucune nouvelle taxe ou prélèvement ne sera créé, qu’aucune réforme ne sera rétroactive et que les entreprises pourront obtenir des réponses claires et opposables de l’administration, dans l’esprit de la relation de confiance instaurée par la loi ESSOC.

 

Cette stabilité est un prérequis pour restaurer la confiance des investisseurs, favoriser la prise de risque économique et éviter la fuite des projets industriels vers d’autres territoires plus accueillants. Sans cette visibilité, aucun entrepreneur ne peut engager sereinement des investissements lourds ou préserver l’emploi à long terme.

 

  1.      Mobiliser l’épargne des Français au service de la réindustrialisation

 

Nous défendons également la création d’un fonds stratégique de réindustrialisation, financé par l’épargne longue des Français. Ce fonds permettrait de soutenir l’industrie et l’innovation, d’accompagner les entreprises stratégiques françaises et de faciliter la reprise de sites industriels par leurs salariés, notamment sous forme de SCOP, chaque fois que des emplois sont menacés.

 

Nous considérons que ce fonds doit aller de pair avec une réforme de notre système de retraites, introduisant une part de capitalisation dans son financement. Cela permettrait à chaque citoyen de devenir acteur de la réindustrialisation tout en se constituant une épargne pour sa retraite.

 

Il faudra toutefois veiller à ce que ce fonds poursuive également un objectif de rendement élevé à moyen et long terme. Sans cette exigence, il risquerait de se transformer en simple outil de soutien à des entreprises fragiles, avec un rendement faible, et de perdre ainsi tout intérêt dans la perspective d’un système de retraite par capitalisation. L’enjeu est donc de conjuguer soutien à la réindustrialisation et performance financière, afin de garantir la confiance des épargnants et la pérennité du dispositif.

 

C’est également une réponse concrète face aux logiques prédatrices de certains fonds d’investissement étrangers, en protégeant les actifs industriels français, en renforçant notre compétitivité et en consolidant notre souveraineté économique.

 

En misant sur la compétitivité, la stabilité et l’épargne nationale, nous faisons le choix de prévenir durablement les plans de licenciements et de garantir l’avenir industriel de notre pays. Notre objectif est clair : défendre l’emploi et l’industrie française, sans renoncer à la liberté d’entreprendre ni à la responsabilité budgétaire.

 

En définitive, ce rapport affiche donc l’ambition de protéger l’emploi, mais il se trompe de cible et de méthode. Là où il faudrait libérer les énergies et encourager l’investissement, il fait des entreprises des boucs émissaires, empile contrôles et bureaucratie, et nourrit un climat de suspicion.

 

Il dresse un constat alarmiste et caricatural, confond la recherche de compétitivité avec du cynisme patronal, et tourne ainsi le dos au réel. Au lieu de traiter les causes profondes des plans de licenciements, il se limite à des réponses punitives, étatiques et inefficaces, qui risqueraient d’aggraver la perte d’attractivité de notre pays et de précipiter des fermetures d’usines plutôt que de les prévenir.

 

Au regard des préconisations du rapporteur, nous comprenons pleinement les déclarations récemment tenues par Olivier Andriès, Directeur Général de Safran, devant une commission d’enquête parlementaire sur les freins à la réindustrialisation. Ses propos résonnent comme un véritable signal d’alarme :

« Je serai très clair : il n’est plus question d’investir en France dans une ville détenue par une majorité écologiste. Ce n’est plus possible. »

 

Cette déclaration, prononcée à propos d’un projet de fonderie à Rennes, rappelle une réalité trop souvent oubliée : les entreprises ne licencient pas par plaisir. Elles cherchent avant tout à préserver leur activité et l’emploi en France, mais fuient la complexité administrative, l’instabilité réglementaire et fiscale ou encore certains discours politiques hostiles à l’industrie qui peuvent rendre notre pays moins attractif.

 

Cet exemple très concret montre bien que, dans un contexte de forte concurrence internationale, certains investissements hors de France sont parfois indispensables pour sécuriser les commandes et maintenir les emplois sur le territoire national. Occulter cette réalité, c’est risquer de dresser un portrait caricatural du tissu industriel.

 

Nous faisons un autre choix. Celui de la confiance, de la stabilité et de la compétitivité. Nous savons que la France a des atouts considérables et qu’elle a déjà su prouver, ces dernières années, qu’elle pouvait attirer des investissements et relancer son industrie. Nous refusons tout fatalisme.

 

Le Groupe Ensemble pour la République continuera de défendre une ligne claire : libérer les entreprises des contraintes inutiles, alléger le coût du travail, garantir un environnement fiscal stable et mobiliser l’épargne nationale au service de la réindustrialisation. C’est ainsi que nous protégerons réellement l’emploi, que nous construirons l’avenir de notre économie et que nous assurerons à la France la place qu’elle mérite parmi les grandes nations industrielles et innovantes.

 


  1  

  1.   Contribution du groupe Rassemblement National

 Les députés du Rassemblement National tiennent à saluer le travail mené par la commission d’enquête sur les défaillances des pouvoirs publics face à la multiplication des plans de licenciement. Ils remercient l’ensemble des acteurs de terrain qui ont accompagné les travaux de cette commission par leur expertise et leurs témoignages, tout comme les services de l’Assemblée nationale pour leur dévouement et leur professionnalisme.

Le rapport a retenu une lecture idéologique tendant à désigner systématiquement les entreprises comme les principales responsables de ces restructurations, et à exiger de l’État un durcissement de ses interventions. Il ne prend pas en compte les réalités économiques que les entreprises françaises subissent et affrontent au quotidien.

Contrairement à ce que laisse supposer le rapporteur, les entreprises licencient par contrainte, non par choix. Les auditions ont montré à de nombreuses reprises qu’aucune entreprise ne se sépare de ses salariés par plaisir. M. Florent Menegaux, président de Michelin, a ainsi rappelé : « Un salarié formé, compétent, c’est une richesse pour l’entreprise. Le perdre, c’est perdre une partie de son outil de production. » Les chefs d’entreprise auditionnés ont tous insisté sur ce point : l’objectif d’une entreprise est de préserver ses salariés, qui sont au cœur de sa capacité à produire, à innover et à se développer. Mais une entreprise ne peut préserver l’emploi que si elle parvient à vendre sa production à un prix qui couvre l’ensemble de ses coûts : salaires, charges sociales, fournitures, énergie, loyers, services supports. Lorsqu’elle ne trouve plus d’acheteur à son prix de revient, le licenciement ne relève pas d’un choix mais d’une nécessité pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être et surtout les autres emplois. Ce n’est que lorsqu’elles ne peuvent plus payer ces salariés qu’elles sont contraintes d’engager des plans sociaux, pour éviter la faillite totale, comme l’a expliqué le président de Vencorex : « Nous perdions 10 millions d’euros par mois. À ce stade, le plan social était la seule alternative avant la cessation complète d’activité. »

Les véritables causes des difficultés des entreprises françaises, pourtant étayées en audition, sont peu reprises dans ce rapport.

-          La surtransposition des normes européennes, qui alourdit inutilement la charge des entreprises françaises par rapport à leurs concurrentes. M. Menegaux a souligné la multiplication des normes : « À titre d’exemple, chaque directive européenne est non seulement transposée en droit français mais fait en outre l’objet d’une surtransposition systématique, ce qui engendre des contraintes supplémentaires. » À cela s’ajoute le coût du normage administratif, avec sa complexité et lourdeur dont notre pays est coutumier.

-          Un coût de l’énergie élevé, alors même que la France dispose de nombreux atouts tels que le nucléaire, mais mis à mal par les gouvernements successifs.

-          La fiscalité sur le travail et sur les entreprises est parmi les plus élevées d’Europe.

-          Enfin, la concurrence déloyale, en particulier de la part de certains pays asiatiques, face à laquelle l’Union européenne n’a pas voulu et la France n’a pas su protéger nos industries.

 

Le rôle de l’État et du législateur est clair : agir sur les causes réelles des difficultés des entreprises. Cela passe par :

-          La simplification et la rationalisation des normes administratives ;

-          La stabilité des règles : le législateur et le gouvernement doivent veiller à ne pas changer constamment les normes et réglementations. Comme l’a indiqué M. Menegaux : « De surcroît, la fréquence des changements réglementaires est bien trop élevée, ce qui représente un véritable obstacle aux investissements industriels de long terme. » Rigidifier l’emploi, au lieu de favoriser la souplesse nécessaire aux investissements (notamment dans des secteurs innovants comme la robotique), restreint en réalité la création d’emplois.

-          La réduction des dépenses de production inutiles imposées par des normes et charges excessives ;

-          Une relance des énergies décarbonées, pilotables, compétitives, que sont le nucléaire et l’hydraulique ;

-          Une lutte déterminée contre les distorsions de concurrence et un soutien aux filières stratégiques ;

-          Une baisse des impôts de production grevant la compétitivité de nos entreprises tout en freinant l’attractivité des salaires.

 

Le Rassemblement National, sous l’égide de Marine Le Pen et de Jordan Bardella, tient à rappeler que l’avenir de l’emploi passe par la reconstruction d’une politique industrielle ambitieuse, libérée des entraves normatives et fiscales qui étouffent nos entreprises. Ce n’est pas en accusant celles-ci ni en multipliant les lois inefficaces que nous éviterons les plans sociaux, mais en donnant aux entreprises françaises les moyens de garder et de développer les emplois sur notre sol. Notre collègue Alexandre Loubet, député de la 7ème circonscription de Moselle, a rendu son rapport de la commission d’enquête visant à établir les freins à la réindustrialisation de la France. Il y dévoile une véritable feuille de route industrielle pour soutenir les industries (et entreprises) dans leur compétitivité et pour améliorer le pouvoir d’achat des salariés.

 


  1  

   annexe : PRINCIPALES DONNÉES RELATIVES AUX ENTREPRISES ÉTUDIÉES

 

AGCO

Aides publiques entre 2018 et 2024

Prélèvements obligatoires versés en France sur la période 2018-2024

Montant des dividendes et rachats d’action

Chiffre d’affaires du groupe en 2024 (milliards de dollars US)

PSE

Mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

Nombre de personnes concernées

Coût

Aucune

CIR

Crédit Impôt Familial

Crédit Impôt Mécénat

Aides exceptionnelles (friche Froneri et site de Beauvais, sur la période 2018-2023)

113

Entre 150 et 200 millions de dollars pour l’ensemble des mesures de restructuration au niveau mondial

Taxes diverses

Cotisations patronales

Aucun en France

11,7

Départs volontaires (retraites, CDI en externe, reprise ou création d’entreprise)

Reclassements internes

Licenciements

Entre 1,8 et 2,3 millions d’euros/an

75 000 euros/an

60 000 euros/an

2,7 millions d’euros

Environ 13 millions d’euros/an

41,3 millions d’euros/an

56

17

40

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Aides publiques

Prélèvements obligatoires payés en France sur la période 2020-2024 (en milliards d’euros)

Chiffre d’affaires réalisé sur la période 2020-2024

Dividendes et rachats d’actions du groupe

Aides liées aux investissements de 2020 à 2024 inclus (en millions d’euros)

Autres aides liées (année 2023) (en millions d’euros)

Monde

France

Dividendes

Rachats d’action

74 dont 28 effectivement perçues

298

2,5

Entre 60 et 80 Mds $ par an

4% soit entre 2,4 et 3,2 Mds $ par an

Sur 10 ans, moyenne de 225 millions $ /an

2,6 Mds $ par an depuis 2020, soit un total de 11 Mds $

Énergie

Autres sujets

195

103

France Relance et France 2030

Aides du type FEDER

CIR

APLD

Réductions de cotisations patronales

Apprentissage

4

10

40

6

41

2

Arcelormittal

 

PSE dont la négociation a débuté le 2 juin 2025

Autres mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

636 suppressions de postes annoncées initialement, chiffres non définitifs

Six PSE mis en œuvre entre 2016 et 2025 dont deux sur 2024-2025 concernant 168 salariés

Ajustement de la main-d’œuvre externe (intérim et contractants), recours à l’activité partielle, non-remplacement des départs ; mobilité interne pour les 140 salariés concernés par l’arrêt durable d’un haut fourneau en 2024 à Fos-sur-Mer 

« Plan de transformation » visant à supprimer 80 emplois mis en œuvre chez Industeel France, en 2021/2022 (mobilités internes, départs négociés)

 

Accord de mobilité sans mesures contraignantes en cours de mise en œuvre chez ArcelorMittal Méditerranée, concernant 308 emplois internes 

 

 

 


ARKEMA

Aides publiques (en millions d’euros)

Dividendes versés et rachats d’action réalisés en 2024 (en millions d’euros)

Chiffre d’affaires du groupe en 2024 (en milliards d’euros)

PSE en négociation

Mesures de gestion de l’emploi (depuis 2022)

Aides au titre des appels à projets Decarb Indus en 2021 et 2023

Entre 2021 et 2024 inclus

En 2024

Entre 2010 et 2015

Nombre de personnes concernées

Coût

Subventions encaissées nettes des remboursements effectués

CIR des exercices

Subventions encaissées nettes des remboursements effectués

CIR de l’exercice

Aide consacrée à l’achat d’électrolyseurs

154 suppressions de postes

Ajustements d’organisation par des mesures de GEPP (site de Feuchy dans le Pas de Calais)

Plan de départ volontaire autonome (PDVA) accompagnant une réorganisation de la filiale MLPC en Nouvelle Aquitaine en 2021

Dividendes

Rachats d’actions

9,5

Reclassés chez Framatome (prévision)

Réinternalisés ou rajoutés à l’organisation cible (prévision)

Personnes devant être reclassées en externe ou en interne

nc

19

261

35

58

124

19

32

35

50

26

78

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


AUCHAN retail

 

 

 

 

Aides publiques touchées par Auchan entre 2013 et 2023 (en millions d’euros)

Prélèvements obligatoires versés en France entre 2013 et 2023 par Auchan (en millions d’euros)

Dividendes versés et rachats d’action réalisés 2024 par le groupe ELO

Chiffre d’affaires du d’Auchan Retail en 2024 (en millions d’euros)

PSE Auchan signé en 2024

Crédits et réductions d’impôts

Réductions de cotisations patronales

Subventions à l’embauche

Nombre de personnes concernées

2389

Licenciements économiques contraints

Départ volontaire pour une solution emploi

Dispositif de préretraite

Reclassement en interne

636

1 259

67

Dividendes

Rachats d’actions (en millions d’euros)

16 951 en France

CICE

Mécénat

Crédits d’impôts famille et apprentissage

Taxes

Impôts

Cotisations sociales

478

150

8

3 545

416

5 649

Aucun (100 millions d’euros en 2023)

11

80

738

194

320

Mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

Plan de départ volontaire sur les services d’appuis mis en place en 2020 (réponses OS)

Accord GEPP signé en juillet 2024 chez Auchan Retail France (audition direction)

RCC engagée en 2024 chez LEROY MERLIN (environ 170 collaborateurs)

APC mis en œuvre en 2025 chez KIABI

 

 

 

 

 


CASINO

 

Aides fiscales reçues par le groupe Casino en 2024 (en millions d’euros)

Prélèvements obligatoires versés en France en 2024 (en millions d’euros)

Dividendes et rachats d’action distribués en 2024

Chiffre d’affaires du groupe en 2024 (en millions d’euros)

Impôts : 74

CIR

 

Crédit d’impôt famille

Réduction d’impôt mécénat

CET

Taxe foncière

Taxe sur les bureaux en Ile-de-France

Taxes locales sur les enseignes et publicités extérieures

Tascom

C3S

Aucun dividende depuis 2019 ; Nombre d’actions rachetées : 611 200

8 474

0,713

0,215

22,84

31,2 (CVAE : 6 ; CFE : 25,1)

10,44

0,13

1

13,5

16,7

 

8 PSE signés en 2024 au sein du groupe

Autres mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

Nombre de personnes concernées

3 230 suppressions de postes envisagées initialement, 2 195 envisagées in fine à l’issue des négociations

 

Mesures de départs volontaires ; PSE sur fonctions siège Franprix (avril 2025) ; Accord sur l’accompagnement de Gérants Mandataires Non-Salariés dans le cadre de la restructuration du parc intégré

 


Crédit commercial de france

Aides publiques (en millions d’euros)

Prélèvements obligatoires versés en 2024 en France (en millions d’euros)

Dividendes et rachats d’action en 2020

Résultat net du groupe en 2024 (en milliards d’euros)

PSE (en négociation)

Autres mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

Dispositif d’aide à l’activité partielle pendant la crise du Covid

Crédits d’impôt

Nombre de personnes concernées

Coût

4 plans de départs volontaires ; une RCC signée en janvier 2024 par My Money Bank pour 80 départs maximum

Au sein de HSBC France

Aucun depuis 2019

Avant 2019

1414 initialement (1254 de suppressions de postes occupés et 93 modifications de travail pour l’entité CCF, 160 suppressions de postes occupés pour l’entité MMB), environ1100 suppressions de postes prévues au 1er avril 2025 ([485])

300 millions d’euros

PSE/PDV en 2020 sur les activités de banque de marché

Deux RCC sur les activités banque d’entreprises et fonctions « support »

CICE : 3,6

CIR : 0,2

Impôt sur les bénéfices : 0,015

Aucun depuis 2018

2,25

Mobilité

Congé de fin de carrière et de solidarité (CFCS)

Montant inférieur à 0,4 million d’euros

Interne

Externe

130 postes vacants gelés et réservés en priorité aux salariés concernés

Divers dispositifs


MICHELIN

Aides publiques (en millions d’euros)

Prélèvements obligatoires versés en 2023 en France (millions d’euros)

Recherche et développement

 

Emploi et formation (activité partielle, aides à l’embauche, formation ou reconversion)

 

Mécénat et actions sociétales de 2019 à 2024

Compétitivité

Aides pour la transition environnementale des sites (2023)

Aides des collectivités territoriales pour la modernisation industrielle (2023)

Aides exceptionnelles relatives au coût de l’énergie de 2022 à 2024

222

Impôts sur les bénéfices dus

Impôts sur les biens et services

Impôts sur les salaires

Taxes environnementales et autres impôts

Subventions sur projets (2020 à 2024)

Crédit impôt recherche (2023)

 

Réductions de cotisations sociales (2023)

121

48

51

2

Dividendes et rachats d’action en 2024 (en milliards d’euros)

Chiffre d’affaires en 2024 (en milliards d’euros)

 

1,4

Dividendes

Rachats d’actions

14,7

40,4

10,6

43,5

32,4

1,8

1,4

4

0,9

0,5

 

27,2

PSE signé en 2025

Autres mesures de gestion de l’emploi mises en œuvre récemment

Nombre de personnes concernées

Coût (en millions d’euros)

Plan de restructuration « Adapt » reposant sur des plans de départs volontaires et des RCC ; RCC circonscrite à l’établissement de Troyes pour 2024 et 2025 avec des dispositifs de fin de carrière et des congés de mobilité

Accord GEPP 2024-2026 prévoyant la mise en œuvre d’un congé de mobilité

Projet d’APC concernant l’usine de Troyes

Plan de départs volontaires de 2017 prévoyant la suppression de 970 postes

Quatre autres PSE depuis 2015

1 254, dont :

400

Mobilité (prévisions)

Dispositifs de fin de carrière

Interne

Externe

84 effectives à la date de transmission des informations

109 effectives (à la date de transmission des informations)

166 (à ce jour)

 

 

 

 

 

 


VENCOREX

Aides publiques (en millions d’euros)

Prélèvements obligatoires versés en France depuis 2012 (en millions d’euros)

Chiffre d’affaires du groupe en 2024

Deux PSE en 2024-2025

Mesures de gestion de l’emploi

Période 2012-2024

Depuis 2020

Nombre de personnes concernées

Coût

2015-2016

déc-23

80

Majoritairement liées à la compensation Carbone et au CIR

Plan de départs volontaires concernant 180 personnes

Mise en œuvre de l’activité partielle

Subventions d’investissements en quasi-totalité dédiées à l’installation de nouveaux électrolyseurs entre 2016 et 2017

Subventions opérationnelles liées au coût de l’énergie en 2022

Compensation carbone

CIR

CICE

Impôts et taxes (C3S, CVAE, Taxes foncières)

En redressement judiciaire (271 millions d’euros de CA et 80 millions d’euros de pertes en 2023)

374 licenciements

Une vingtaine de millions d’euros + 3 millions d’euros de mesures d’accompagnement au reclassement

40

43

2

22

10

3

21

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


  1  

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(Par ordre chronologique)

     M. Michel Houdebine, directeur de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère chargé du travail, Mme Sophie Ozil, cheffe du département suivi et indemnisation des demandeurs d’emploi, et Mme Laurie Pinel, adjointe au chef de la mission analyse économique

     Mme Carine Camby, présidente de la 1re chambre de la Cour des comptes, et Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes

     M. Rémi Bourguignon, professeur des universités

     Table ronde réunissant Mme Nadia Gssime, docteure en droit, Me Laurent Beziz, avocat associé chez LBBa, Me Éliane Chateauvieux, avocate associée chez Actance, Me Joël Grangé, avocat associé chez Flichy‑Grangé, et Me Bénédicte Rollin, avocate associée chez JDS

     M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué chargé de l’offre de services de France Travail, M. Jean-Pierre Tabeur, directeur des services aux demandeurs d’emploi, et Mme Virginie Met, responsable du département dispositifs spécifiques et inclusion par l’emploi au sein de la direction des services aux demandeurs d’emploi

     Table ronde réunissant les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel

 Confédération française démocratique du travail (CFDT)  M. Olivier Guivarch, secrétaire national, et M. Éric Mignon, secrétaire confédéral au service emploi et sécurisation des parcours professionnels

– Confédération générale du travail (CGT) – Mme Sophie Binet, secrétaire générale, et M. Baptiste Talbot, responsable confédéral de la coordination des luttes

 Force ouvrière (FO) – Mme Patricia Drevon, secrétaire confédérale en charge de l’organisation et des affaires juridiques, et M. Sébastien Dupuch, assistant du secrétaire général

 Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – M. Bertrand Mahé, délégué national en charge de l’emploi, et M. Franck Boissart, responsable du service emploiformationtravail

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Cyril Chabanier, président, et M. Frédéric Belouze, chef de file sur les questions d’emploi et de chômage

     Table ronde réunissant les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel

 Mouvement des entreprises de France (Medef) * – M. Patrick Martin, président, Mme France Henry-Labordère, directrice générale adjointe, responsable du pôle social, et Mme Elizabeth Vital Durand, responsable du pôle affaires publiques

– Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) * – M. Amir Reza-Tofighi, président, M. Didier Moinereau, président de la CPME 91, Mme Claire Richier, juriste spécialisée dans les affaires sociales, et M. Adrien Dufour, responsable des affaires publiques

– Union des entreprises de proximité (U2P) * – M. Michel Picon, président, M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires

     Table ronde réunissant Mme Anémone Cartier-Bresson, professeure de droit public à l’université Paris Cité, Mme Hélène Cavat, maîtresse de conférences en droit privé à l’université de Strasbourg, et M. Pascal Lokiec, professeur de droit privé à l’université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne

     M. Clément Malgouyres, chercheur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) auprès du Centre de recherche en économie et statistique (CREST) et économiste auprès de l’Institut des politiques publiques (IPP)

     Table ronde réunissant M. Claude Didry, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Mme Mélanie Guyonvarch, maîtresse de conférences à l’université Évry Paris‑Saclay, et Mme Danièle Linhart, directrice de recherche émérite au CNRS

     M. Jean-Denis Combrexelle, président de section honoraire au Conseil d’État, ancien directeur général du travail au ministère du travail

     M. Florent Menegaux, président du Groupe Michelin, M. Alexander Law, directeur du développement social, et Mme Fabienne Goyeneche, directrice des affaires publiques

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives de Michelin *

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives de Crédit commercial de France (CCF)

     M. Niccolò Ubertalli, directeur général de Crédit commercial de France (CCF), et Mme Delphine de Mailly Nesle, directrice des ressources humaines

     M. Benjamin Maurice, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), M. Olivier Juvin, chef de la mission de l’anticipation et de l’accompagnement des plans de sauvegarde de l’emploi, Mme Julia Colbeaux, adjointe au chef de la mission de l’anticipation et de l’accompagnement des plans de sauvegarde de l’emploi, M. Mathieu Guibard, adjoint à la sous-directrice des mutations économiques et de la sécurisation de l’emploi, M. François Desimon, adjoint à la cheffe de la mission du fonds national de l’emploi, et Mme Camille Tafani, chargée de mission au sein de la mission du fonds national de l’emploi

     Table ronde réunissant M. Éric Barbier, chef du service des gestions publiques locales, des activités bancaires et économiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP), M. Benjamin Delozier, chef du service des politiques écologiques et sectorielles de la direction générale du Trésor (DG Trésor), M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), Mme Dorine Bérard, rapporteure au Ciri, M. Marin Guédo Guilloteau, adjoint à la cheffe du bureau institutions et évaluations des politiques sociales et de l’emploi de la DG Trésor, et Mme Constance MaréchalDereu, cheffe du service de l’industrie de la direction générale des entreprises (DGE)

     M. Guillaume Primot, secrétaire général du comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), M. Julien Bracq, secrétaire général adjoint du Ciri, Mme Dorine Bérard, rapporteure au Ciri, Mme Hélène Lebedeff, déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises (Dire), et M. Philippe Lagrange, adjoint à la déléguée interministérielle

     Table ronde réunissant M. François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires (CNAJMJ) *, M. Sébastien Velez, directeur général du CNAJMJ, M. Michel Peslier, président de la Conférence générale des juges consulaires de France, M. Xavier Bailly, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE), Mme Céline Domenget Morin, vice‑présidente de l’ARE, et Mme Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives d’Arkema * et de Vencorex

     M. Thierry Parmentier, directeur général d’Arkema France, et Mme Virginie Guérin, directrice des relations institutionnelles du Groupe Arkema

     Table ronde réunissant M. Bruno Drolez, directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités des Hauts-de-France, Mme Véronique Descacq, directrice régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités de Bretagne, M. Marc Rohfritsch, directeur régional et interdépartemental par intérim de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France, M. JeanPhilippe Devoucoux, responsable du département accompagnement des entreprises de l’unité départementale de Paris, Mme Valérie Guern, responsable du pôle entreprises, emploi et solidarités de l’unité départementale des Hauts‑de‑Seine, et M. Alexandre Marx, adjoint à la cheffe du service restructurations

     M. André Calisti, président de Mutares France, et M. Henri-Pierre Garnier, directeur des investissements

     M. Thierry Lhotte, président d’AGCO France, vice-président et directeur général de Massey Ferguson pour l’Europe et le Moyen-Orient, M. Éric Odièvre, directeur des ressources humaines d’AGCO France et de Massey Ferguson pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, et M. Xavier Arruego, responsable de la communication d’entreprise, des relations publiques et de l’engagement des collaborateurs d’AGCO France

     Table ronde réunissant des cabinets de conseil aux entreprises et aux salariés

 Groupe Alpha  M. Pierre Ferracci, président, Mme Estelle Sauvat, directrice générale, et M. Olivier Guillou, directeur associé

– Cidecos – M. Jean-Marie Michelucci, directeur, M. Lilian Brissaud, directeur des missions économiques, et M. Erwan Jaffrès, responsable des études santé, sécurité et conditions de travail

– Syndex – M. Matthieu Bidaine, directeur, et M. Paul Motte, responsable des activités licenciement et restructuration

     M. Jean-Luc Béal, président de Vencorex, et M. Julien Parmentier, directeur des ressources humaines

     M. Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations de l’État

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives d’Auchan Retail *

     M. Guillaume Darrasse, directeur général d’Auchan Retail *, M. Guillaume Gardillou, directeur des affaires publiques, et M. Barthélemy Guislain, président du conseil de gérance de l’Association familiale Mulliez (AFM)

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives du Groupe Casino

     M. Laurent Pietraszewski, président du conseil d’administration du Groupe Casino, M. Philippe Palazzi, directeur général du groupe, M. Christophe Piednoël, directeur de la communication, des affaires publiques et de la RSE, et M. Jérôme Breysse, directeur des relations institutionnelles

     M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble et maire du Pont-de-Claix, et M. Raphaël Guerrero, maire de Jarrie

     Table ronde réunissant des représentants des organisations syndicales représentatives d’ArcelorMittal *

       Table ronde réunissant Mme Sandrine Lilienfeld, ancienne directrice générale de Camaïeu, M. Nicolas Ciccione, directeur général de Kaporal, M. Yann Pasco, directeur général de Jennyfer, et Mme Chloé Couvois, directrice financière de Jennyfer

     Mme Myriam El Khomri, ancienne ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social

     Mme Muriel Pénicaud, ancienne ministre du travail

     Table ronde réunissant Mme Fatima Bellaredj, déléguée générale de la confédération générale des Scop *, Mme Lynda-May Azibi, déléguée aux affaires publiques et institutionnelles, et M. François Marciano, directeur général de Duralex

     M. Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique

     M. Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal France *, M. Bertrand Chauvet, directeur de la coordination des ressources humaines, M. Stéphane Delpeyroux, directeur des affaires publiques, et Mme Audrey Gies, directrice fiscale

     M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie et des finances

     M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


  1  

   LISTE DES contributions écrites

     Association des maires de France (AMF)

     Départements de France (DF)

     M. Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance

      France Stratégie

     M. Olivier Boidin, président‑directeur général de MMT-Bordeaux

     Organisations syndicales de MMT-Bordeaux

     M. Francis Bartholomé et M. Xavier Horent, président et délégué général de Mobilians

     M. Hervé Derrey, président‑directeur général de Thales Alenia Space

     Organisations syndicales de Thales Alenia Space

     M. Jean-Pierre Fine, secrétaire général de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM)


([1]) Ainsi, le PSE ne peut déroger à certaines règles, visées à l’article L. 1233‑24‑3 du code du travail, touchant à l’obligation d’effort de formation, d’adaptation et de reclassement qui incombe à l’employeur, à l’information et à la consultation du comité social et économique (CSE) ou encore à la communication aux représentants du personnel des renseignements sur le projet de licenciement collectif.

([2]) Conformément à l’article L. 1233-24-1 du code du travail.

([3]) La restructuration d’entreprise désigne, au sens large, l’ensemble des opérations visant à transformer et réorganiser une entreprise afin de l’adapter à un nouvel environnement économique, financier ou stratégique.

([4]) Cette procédure d’information-consultation s’applique également aux licenciements économiques collectifs ne requérant pas la mise en œuvre d’un PSE, dès lors que la procédure est engagée dans une entreprise ayant mis en place un CSE.

([5]) Dans l’arrêt n° 387798 rendu le 30 mai 2016, le Conseil d’État a indiqué qu’il était possible de tenir compte des acquis de l’expérience professionnelle lors de la caractérisation d’une catégorie professionnelle, à la condition que ces acquis équivalent à une formation complémentaire. Cet arrêt rejoint à l’arrêt n° 09-71.599 rendu le 23 mars 2011 par la Cour de Cassation, qui admet que l’expérience professionnelle peut fonder des catégories professionnelles distinctes à la condition d’excéder la simple adaptation à l’évolution des emplois.

([6]) À l’exception des catégories au sein desquelles tous les postes sont supprimés.

([7]) Les plans de départs volontaires (PDV) peuvent être mis en place dans le cadre d’un PSE ou de façon autonome.

([8]) Ces estimations ont été réalisées sur la base de données partielles, seuls 44 % des PSE validés ou homologués par l’administration sur la période ayant fait l’objet d’un bilan transmis à cette dernière. Il faut donc tenir compte d’un possible biais de sélection.

([9]) Estimation communiquée au rapporteur par l’entreprise Crédit commercial de France (CCF) en avril 2025, alors que les négociations étaient encore en cours.

([10]) Document écrit transmis au rapporteur.

([11]) Et comptant au moins 8 mois d’ancienneté ininterrompus dans l’entreprise à la date de la notification du licenciement.

([12]) Le dispositif est notamment régi par la convention du 19 juillet 2011 relative au contrat de sécurisation professionnelle.

([13]) L’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) est un revenu de remplacement versé par France Travail, sous certaines conditions, aux personnes inscrites comme demandeurs d’emploi et involontairement privées d’emploi. Les conditions d’indemnisation varient selon que le demandeur d’emploi a perdu son emploi avant ou depuis le 1er avril 2025.

([14]) À condition d’avoir au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise qui procède au licenciement économique.

([15]) Le dispositif a été créé par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.

([16]) Si le salarié suit une formation de reconversion professionnelle, la durée du congé de reclassement peut être portée jusqu’à 24 mois.

([17]) Compte rendu n° 4.

([18]) Compte rendu n° 10.

([19]) Compte rendu n° 2.

([20]) L’emploi menacé désigne le nombre de salariés des entreprises entrant en procédure collective.

([21]) Thibaud Cazanave, « Comment expliquer l’augmentation des faillites d’entreprise ? », Les thémas de la direction générale des entreprises, Théma n° 28, février 2025.

([22]) Thibaud Cazanave, op.cit.

([23]) Compte rendu n° 39.

([24]) Compte rendu n° 18.

([25]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([26]) Compte rendu n° 20.

([27]) Id.

([28]) Compte rendu n° 41.

([29]) Compte rendu n° 10.

([30]) Id.

([31]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([32]) Id.

([33]) Id.

([34]) Axelle Arquié et Thomas Grejbine, « Vingt ans de plans sociaux dans l’industrie : quels enseignements pour la transition écologique ? », La lettre du CEPII, n° 435, mars 2023.

([35]) Id.

([36]) Id.

([37]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([38]) Id.

([39]) Compte rendu n° 7.

([40])https://www.bpifrance.fr/nos-actualites/fonds-spi-3-200-emplois-directs-generes-par-les-nouveaux-sites-industriels.

([41]) Compte rendu n° 21.

([42]) Compte rendu n° 14.

([43]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([44]) Compte rendu n° 7.

([45]) Compte rendu n° 26.

([46]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([47]) Comme il est indiqué par M. Olivier Boidin dans ses réponses au questionnaire transmis par le rapporteur, « cette chute est liée à la disparition progressive de la boîte MX65, qui équipe des modèles en fin de vie (Fiesta et Focus notamment) et qui ne seront pas remplacés dans la gamme Ford. L’électrification de la gamme Ford rend superflues les capacités de production de MMT-B dans son réseau de fournisseurs déjà en surcapacité ».

([48]) CFDT, CFE-CGC et M. Régis Labasse, secrétaire du CSE de MMT-B et délégué syndical FO.

([49]) Voir notamment la proposition de loi portant sur la responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis des sous‑traitants, des emplois et des territoires (n° 505), enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le mardi 29 octobre 2024, et la proposition de loi portant sur la responsabilité des donneurs d’ordres vis‑à‑vis des sous-traitants, des emplois et des territoires (n° 125), enregistrée à la Présidence du Sénat le 7 novembre 2024.

([50]) Aux termes de l’article L. 2312-58 du code du travail, « à défaut d’accord, lorsque le projet de restructuration et de compression des effectifs soumis au comité social et économique est de nature à affecter le volume d’activité ou d’emploi d’une entreprise sous-traitante, l’entreprise donneuse d’ordre en informe immédiatement l’entreprise sous-traitante. Le comité social et économique de cette dernière en est immédiatement informé et reçoit toute explication utile sur l’évolution probable de l’activité et de l’emploi ».

([51]) Arrêté du 3 avril 2014 précisant le contenu du bilan de la mise en œuvre effective du plan de sauvegarde de l’emploi (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028887479).

([52]) Ont été sollicitées les Dreets des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne et Hauts-de-France ainsi que la Drieets de la région Île-de-France.

([53]) Compte rendu n° 17.

([54]) Compte rendu n° 4.

([55]) https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/apres-un-plan-de-sauvegarde-de-lemploi-81-des-ruptures-autorisees-sont-effectivement.

([56]) Selon les données compilées par la Cour des comptes sur la période 2013-2018, la transmission était de 36 % pour les entreprises en procédure collective. Voir le rapport public thématique sur Les dispositifs de l’État en faveur des salariés des entreprises en difficulté – Bilan de la période 2008-2019, juillet 2020.

([57]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([58]) Compte rendu n° 6.

([59]) Compte rendu n° 14

([60]) Compte rendu n° 10.

([61]) Axelle Arquié et Thomas Grejbine, op. cit.

([62]) Compte rendu n° 11.

([63]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([64]) Id.

([65]) Id.

([66]) Compte rendu n° 3.

([67]) Id.

([68]) « Entre 2 000 et 5 000 euros par salarié "accompagné" : les dessous du juteux business des plans de licenciement », Les enquêtes de L’Humanité, 11 février 2025.

([69]) https://www.humanite.fr/social-et-economie/crise/entre-2-000-et-5-000-euros-par-salarie-accompagne-comment-les-consultants-senrichissent-sur-les-plans-de-licenciement

([70]) « Si les cellules constituent, pour les salariés concernés, un outil essentiel en termes d’accompagnement humain et psychologique, leur efficacité est souvent jugée peu satisfaisante sur le plan du retour à l’emploi, en particulier l’emploi durable » (Marcelle Ramonet, Les cellules de reclassement, 2010).

([71]) Selon Mme Anne-Laure de Coincy, présidente de section à la 5e chambre de la Cour des comptes, « l’expérience des premières années, marquée par des procédures longues, complexes et une fourniture insuffisante de documents justificatifs qui a pu entraîner des coûts pour l’État, a sans doute dissuadé de nombreux acteurs » (compte rendu n° 3).

([72]) Ce modèle a été évoqué par Mme Anne-Laure de Coincy (compte rendu n° 3).

([73]) Compte rendu n° 7.

([74]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([75]) Id.

([76]) Il s’agit de cinq ordonnances : l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective ; l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales ; l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ; l’ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective ; l’ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

([77]) Compte rendu n° 10.

([78]) Les rachats d’actions sont encadrés par les articles L. 22‑10‑62 et suivants du code de commerce pour les sociétés cotées et les articles L. 225‑206 et suivants du même code pour les autres sociétés. Ces articles énumèrent différents cas dans lesquels les sociétés peuvent procéder à un rachat : opérations visant à attribuer des actions aux salariés, opérations visant à améliorer la gestion financière des fonds propres de l’entreprise, notamment pour stabiliser la cotation, favoriser la liquidité des titres, réaliser une opération de croissance externe (fusion, scission, apport) ou encore permettre à la société d’honorer ses obligations liées à des titres de créances convertibles ou échangeables en actions et opérations de rachat non motivées par des pertes, le cas échéant en vue d’une réduction du capital de l’entreprise.

([79]) Voir notamment la « liste noire » des plans de licenciements publiée par la CGT à l’automne 2024.

([80]) Compte rendu n° 18.

([81]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([82]) Compte rendu n° 12.

([83]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([84]) Rapport (n° 3675) de M. Christophe Sirugue fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2016.

([85]) Cass. soc., 5 avril 1995.

([86]) Compte rendu n° 36.

([87]) Compte rendu n° 5.

([88]) Compte rendu n° 37.

([89]) Compte rendu n° 7.

([90]) Compte rendu n° 37.

([91]) Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et al., Évaluation de l’impact du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, février 2024.

([92]) Raphaël Dalmasso, Camille Signoretto et al., Relations de travail et d’emploi et comportements des acteurs dans un contexte de réformes législatives, janvier 2023.

([93]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([94]) Introduit par l’article 1er de l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 visant à compléter et mettre en cohérence les dispositions prises en application de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social.

([95]) Compte rendu n° 37.

([96]) Compte rendu n° 11.

([97]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([98]) Raphaël Dalmasso et Jordan Poulet, L’accord de performance collective ; premier bilan d’une analyse de 37 accords, 2023.

([99]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([100]) Compte rendu n° 4.

([101]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([102]) Compte rendu n° 4.

([103]) Compte rendu n° 9.

([104]) Compte rendu n° 7.

([105]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([106]) Compte rendu n° 7.

([107]) Compte rendu n° 4.

([108]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([109]) Compte rendu n° 11.

([110]) Il doit s’agir d’un accord collectif, régulièrement conclu dans les conditions de droit commun, qui détermine le contenu d’une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois.

([111]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([112]) Compte rendu n° 7.

([113]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([114]) Compte rendu n° 7.

([115]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([116]) Id.

([117]) Communication de la Commission relative à la notion d’«aide d’État» visée à l’article 107, paragraphe 1, du TFUE (2016/C 262/01).

([118]) Une nouvelle entreprise qui investit dans la recherche et le développement a le statut de jeune entreprise innovante (JEI), de jeune entreprise universitaire (JEU) ou de jeune entreprise de croissance (JEC). Elle peut bénéficier à ce titre d’exonérations fiscales et sociales.

([119]) http://www.aides-entreprises.fr/.

([120]) En droit européen, les aides de minimis sont les aides d’État de faible montant accordées aux entreprises. Elles sont encadrées par le règlement 2023/2831 du 13 décembre 2023.

([121]) Compte rendu n° 18.

([122]) Dans ce rapport, quatre différents périmètres d’évaluation des aides publiques ont été retenus, pour des montants allant de 139,4 à 223,2 milliards d’euros.

([123]) Créé en 2012 et mis en œuvre jusqu’en 2019, avant d’être remplacé par un nouvel allègement de cotisations sociales patronales, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) était accessible à toutes les entreprises employant des salariés et portait sur l’ensemble des rémunérations versées aux salariés au cours d’une année civile n’excédant pas 2,5 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) calculé sur la base de la durée légale de travail, augmentée le cas échéant des heures complémentaires ou supplémentaires de travail.

([124]) Cour des comptes, Garantir l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises, note thématique publiée en juillet 2023.

([125]) Compte rendu n° 18.

([126]) Cour des comptes, Garantir l’efficacité des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises, note thématique publiée en juillet 2023.

([127]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([128]) Compte rendu n° 18.

([129]) La durée retenue pour l’application de la clause est de cinq ans, conformément à ce que prévoient les règles européennes pour les projets en matière de R&D et d’amortissement des investissements. La durée de la clause pour les projets d’infrastructures environnementales (tels que les projets de décarbonation de l’industrie) peut être plus longue et être adossée à l’horizon de temps du plan d’affaires (15-20 ans).

([130]) Compte rendu n° 3.

([131]) Id.

([132]) Aimane Abdelsalam, Florian Botte et al., Un capitalisme sous perfusion  Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, mai 2022.

([133]) Compte rendu n° 9.

([134]) Décret n° 2020‑926 du 28 juillet 2020 relatif au dispositif spécifique d’activité partielle en cas de réduction d’activité durable.

([135]) Il s’agit de la réunion prévue au I de l’article L. 1233-30 du code du travail.

([136]) Compte rendu n° 8.

([137]) Compte rendu n° 7.

([138]) Id.

([139]) Id.

([140]) Id.

([141]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([142]) Cette mesure était portée par l’article 4 de la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769), enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

([143]) Loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

([144]) Décret n° 2020-926 du 28 juillet 2020 relatif au dispositif spécifique d’activité partielle en cas de réduction d’activité durable.

([145]) Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([146]) Décret n° 2025-338 du 14 avril 2025 relatif au dispositif d’activité partielle de longue durée rebond.

([147]) La Dreets n’a pas été en mesure de communiquer au rapporteur le montant effectivement récupéré.

([148]) Contrairement à la situation qui prévaut pour l’APLD, le diagnostic économique exigé dans l’accord ou le document unilatéral d’APLD‑R doit respecter un contenu précis pour permettre de déterminer l’éligibilité au dispositif.

([149]) Les compétences de l’autorité administrative pour contrôler le respect des engagements et les conditions mises à l’octroi de l’allocation d’APLD-R sont précisées. L’article 193 de la loi de finances pour 2025 consacre ainsi cette compétence de contrôle et la possibilité, pour l’autorité administrative, de demander le remboursement de l’allocation en cas de non-respect des engagements. Par ailleurs, les modalités de transmission des bilans relatifs aux engagements sont renforcées afin de faciliter le contrôle du recours au dispositif par l’autorité administrative. Au-delà des bilans exigés en fin de période d’autorisation ou en cas de demande de renouvellement d’autorisation, la transmission d’un bilan final avant l’échéance de la durée d’application du dispositif est imposée par l’article 19 du décret n° 2025-338.

([150]) Compte rendu n° 13.

([151]) Compte rendu n° 14.

([152]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([153]) Compte rendu n° 14.

([154]) Id.

([155]) Compte rendu n° 13.

([156]) Compte rendu n° 14.

([157]) Compte rendu n° 21.

([158]) France Chimie, La Chimie en France 2024 : bilan économique, social et RSE, 9 avril 2025.

([159]) Compte rendu n° 22.

([160]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([161]) Compte rendu n° 21.

([162]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([163]) Compte rendu n° 22.

([164]) Id.

([165]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([166]) Id.

([167]) Id.

([168]) Id.

([169]) Compte rendu n° 33.

([170]) Article 19 quinquies de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération.

([171]) Compte rendu n° 21.

([172]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([173]) Compte rendu n° 21.

([174]) OCDE, Perspectives de l’acier de l’OCDE 2025, mai 2025.

([175]) Compte rendu n° 40.

([176]) Compte rendu n° 34.

([177]) Compte rendu n° 40.

([178]) Compte rendu n° 34.

([179]) Compte rendu n° 40.

([180]) Compte rendu n° 34.

([181]) Id.

([182]) Id.

([183]) Compte rendu n° 40.

([184]) Compte rendu n° 34.

([185]) Id.

([186]) Réponses écrites de la CFDT au questionnaire adressé par le rapporteur.

([187]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([188]) Compte rendu n° 34.

([189]) Id.

([190]) Id.

([191]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([192]) Compte rendu n° 34.

([193]) Id.

([194]) Id.

([195]) Id.

([196]) Id.

([197]) Compte rendu n° 40.

([198]) Compte rendu n° 34.

([199]) Id.

([200]) Proposition de loi visant à la nationalisation des actifs stratégiques d’ArcelorMittal situés sur le territoire national (n° 626), enregistrée à la Présidence du Sénat le 14 mai 2025.

([201]) Compte rendu n° 34.

([202]) Id.

([203]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([204]) La procédure de sauvegarde accélérée a été ouverte au bénéfice de Distribution Casino France (DCF) et de six autres sociétés du groupe : Casino Guichard-Perrachon (CGP), Casino Participations France (CPF), Quatrium, Monoprix, Casino Finance et Ségisor.

([205]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([206]) Compte rendu n° 29.

([207]) Id.

([208]) Synthèse du rapport d’expertise sur le plan de licenciement collectif pour motif économique du 12 mars 2025.

([209]) Compte rendu n° 30.

([210]) Id.

([211]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([212]) Compte rendu n° 29.

([213]) Compte rendu n° 31.

([214]) Id.

([215]) Id.

([216]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([217]) Id.

([218]) Compte rendu n° 29.

([219]) La réduction d’impôt mécénat est non restituable (en l’absence de bénéfices) et imputable à l’impôt sur les sociétés durant les cinq années suivant son obtention. Le montant de la réduction est notamment lié aux obligations prévues par la loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui imposent aux commerces de détail alimentaires de plus de 400 m² de proposer une convention de don à une association d’aide alimentaire habilitée. Cette obligation a été étendue par l’ordonnance n° 2019-1069 du 21 octobre 2019 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et par la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

([220]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([221]) Compte rendu n° 16

([222]) Compte rendu n° 16.

([223]) Compte rendu n° 15.

([224]Id.

([225]) Id.

([226]) Id.

([227]) Id.

([228]) Id.

([229]) Compte rendu n° 16.

([230]) Compte rendu n° 15.

([231]) Id.

([232]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([233]) Id.

([234]) Id.

([235]) Compte rendu n° 35.

([236]) Id.

([237]) Newmark, Retail Lab, Le marché des commerces en France – Zoom sur le secteur de la mode, mai 2025.

([238]) Compte rendu n° 35.

([239]) Compte rendu n° 30.

([240]) Compte rendu n° 35.

([241]Id.

([242]) Id.

([243]) Id.

([244]) Id.

([245]) Id.

([246]) Id.

([247]) Id.

([248]) Compte rendu n° 39.

([249]) Compte rendu n° 35.

([250]) Id.

([251]) Id.

([252]) Id.

([253]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([254]) Id.

([255]) Compte rendu n° 4.

([256]) Lorsque les licenciements économiques concernent 2 à 9 salariés, la Dreets est informée, conformément à l’article L. 1233-19 du code du travail. Lorsque 10 licenciements économiques et plus interviennent dans une entreprise de moins de 50 salariés, la Dreets vérifie la régularité de la procédure (régularité de la procédure d’information et de consultation des représentants du personnel, obligations relatives à l’élaboration et à la mise en œuvre des mesures de reclassement).

([257]) Île-de-France, Hauts-de-France, Bretagne et Auvergne-Rhône-Alpes (sous forme de contribution écrite pour cette dernière).

([258]) L’entreprise comptant au moins 1 000 salariés qui envisage la fermeture d’un établissement qui aurait pour conséquence la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) emportant un projet de licenciement collectif est soumise à un certain nombre d’obligations issues de la loi du 29 mars 2014, dite loi Florange, prévoyant la recherche d’un repreneur pour le site.

([259]) Compte rendu n° 26.

([260]) Id.

([261]) Les données pour 2024 sont les suivantes : Île-de-France : 261 dossiers, soit 39 % du total ; Auvergne‑Rhône-Alpes : 82 dossiers, soit 12,35 % du total ; Hauts-de-France : 50 dossiers, soit 7,5 % du total.

([262]) Auxquels s’ajoutent les contentieux expertise. L’expertise est une mesure d’instruction qui peut être ordonnée par le juge, soit d’office soit à la demande des parties, consistant en la désignation d’un expert chargé d’apporter des éclaircissements sur des questions factuelles dont l’appréciation requiert des compétences techniques.

([263]) Le délit d’entrave est défini à l’article L. 2317 du code du travail de la façon suivante : « Le fait d’apporter une entrave soit à la constitution d’un comité social et économique, d’un comité social et économique d’établissement ou d’un comité social et économique central, soit à la libre désignation de leurs membres, notamment par la méconnaissance des dispositions des articles L. 2314-1 à L. 2314-9 est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 7 500 €. Le fait d’apporter une entrave à leur fonctionnement régulier est puni d’une amende de 7 500  ». Il vise à protéger les prérogatives des représentants des salariés et à garantir l’effectivité des attributions du CSE.

([264]) Aux termes de l’article L. 1235-10 du code du travail, « en cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233-57-2 ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-3 en raison d’une absence ou d’une insuffisance de plan de sauvegarde de l’emploi mentionné à l’article L. 1233-61, la procédure de licenciement est nulle ».

([265]) Si cette réintégration est devenue impossible, par exemple du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible de nature à permettre cette réintégration, ou si le salarié ne la demande pas, le salarié ayant au moins deux ans d’ancienneté a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Si le salarié a moins de deux ans d’ancienneté, l’indemnité est calculée par le juge en fonction du préjudice subi.

([266]) https://travail-emploi.gouv.fr/les-plans-de-sauvegarde-de-lemploi-10-ans-apres-la-promulgation-de-la-loi-relative-la-securisation-de-lemploi-lse-rediffusion-des-echanges.

([267]) Ces élections accordèrent une majorité au bloc de droite constitué par le Rassemblement pour la République (RPR) et l’Union pour la démocratie française (UDF).

([268]) Voir cet article paru dans L’Humanité le 10 juin 2016 : https://www.humanite.fr/histoire/histoire/1986-la-fin-de-lautorisation-administrative-de-licenciement.

([269]) Sur ces points, voir le rapport La négociation des plans de sauvegarde de l’emploi, quels arbitrages ?, remis en septembre 2020 par Vincent Pasquier, Rémi Bourguignon et Géraldine Schmidt (rapport ayant reçu le soutien financier de l’Institut de recherches économiques et sociales) et produit à la demande de la CFDT.

([270]) Compte rendu n° 11.

([271]) Compte rendu n° 9.

([272]) Selon les réponses écrites transmises par Mme Cavat au questionnaire adressé par le rapporteur : « C’est toujours la même logique : le contrôle administratif est utilisé pour "sécuriser", c’est-à-dire empêcher le contrôle judiciaire, immuniser les réorganisations, selon une logique éprouvée : puisque cette réorganisation a été "validée" par l’administration (et en plus a le blanc-seing syndical), alors qui est le juge pour la retoquer ? Pourtant, le contrôle judiciaire est crucial ! Il ne pourrait être remplacé par un contrôle de l’administration que si celui-ci était extrêmement précis et approfondi ; or en l’état actuel du droit, c’est l’inverse qui a été prévu. »

([273]) Compte rendu n° 5.

([274]) Compte rendu n° 23.

([275]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([276]) Compte rendu n° 5.

([277]) https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2002/2001455DC.htm.

([278]) Compte rendu n° 23

([279]) Id.

([280]) https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/43697.

([281]) https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/documents/circulaire_ecoe2335742c-1.pdf.

([282]) https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45227.

([283]) Les entreprises de plus de 400 salariés relèvent de la compétence du Ciri.

([284]) Afin de respecter les secrets fiscal, bancaire et des affaires, la plupart des comités départementaux n’instruisent pas de dossier d’entreprise en propre ; cette attribution appartient au seul Codefi dans sa formation la plus restreinte.

([285]) Cour des comptes, La détection et le traitement des difficultés des TPE et PME, juin 2024.

([286]) 60 % des contacts ont été liés aux aides financières ou à un accompagnement de type conjoncturel : 53 % aux aides énergétiques et 7 % aux mouvements sociaux et aux émeutes.

([287]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([288]) Id.

([289]) Le suivi (dès l’ouverture de la procédure, et, le cas échéant, des négociations) et l’instruction des projets de PSE sont toutefois assurés essentiellement par les directions départementales (Ddets/PP), sous le pilotage du service compétent de la Dreets.

([290]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([291]) Données communiquées au rapporteur par la Conférence générale des tribunaux de commerce.

([292]) Tous les salariés dont l’entreprise entre en procédure collective ne voient pas in fine leurs emplois supprimés.

([293]) Compte rendu n° 20.

([294]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([295]) À titre expérimental, pour quatre ans, la compétence des 12 tribunaux des activités économiques a été étendue à toutes les activités (article 26 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027).

([296]) L’accord est soit constaté par une ordonnance du président du tribunal, à la demande des créanciers et de l’entreprise en difficulté (il reste alors confidentiel), soit homologué par un jugement du tribunal à la demande de l’entreprise en difficulté uniquement. La procédure n’est plus secrète.

([297]) Membre du tribunal de commerce nommé en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire afin de veiller à la protection des intérêts de chaque partie et au bon déroulement de la procédure.

([298]) Compte rendu n° 20.

([299]) Compte rendu n° 8.

([300]) Compte rendu n° 3.

([301]) Id.

([302]) Id.

([303]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([304]) Compte rendu n° 20.

([305]) Compte rendu n° 8.

([306]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur

([307]) Id.

([308]) Compte rendu n° 9.

([309]) Compte rendu n° 8.

([310]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([311]) Selon les mots de M. Christophe Ferrari, président de la métropole de Grenoble et maire de Pont-de-Claix.

([312]) Compte rendu n° 33.

([313]) Id.

([314]) Compte rendu n° 42.

([315]) Voir notamment l’article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales.

([316]) Le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) a succédé au schéma régional de développement économique (SRDE), instauré, à titre expérimental, en 2004 pour permettre la délégation de certaines aides de l’État aux régions. Il est élaboré par les régions et définit la feuille de route régionale pour cinq ans en matière d’aides aux entreprises, de soutien à l’internationalisation, d’appui à l’investissement immobilier et à l’innovation des entreprises ainsi que d’attractivité du territoire. Il comporte un volet dédié à l’économie sociale et solidaire. Ses orientations doivent favoriser un développement économique innovant, durable et équilibré du territoire, ainsi que le maintien des activités économiques exercées en son sein.

([317]) L’initiative privée doit être défaillante ; le projet doit correspondre à une opération d’investissement ; l’entreprise concernée doit être une entreprise de services marchands nécessaires aux besoins de la population en milieu rural ; l’aide ne doit pas apparaître comme étant une aide à l’entreprise.

([318]) Toutefois, cette compétence peut être directement exercée par les communes si la définition de l’intérêt communautaire les y autorise.

([319]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([320]) Id.

([321]) En audition, M. Thierry Lhotte a toutefois indiqué que les 2,7 millions d’euros avaient été répartis sur les années 2020 et 2021 (compte rendu n° 25).

([322]) https://france3-regions.franceinfo.fr/hauts-de-france/oise/beauvais/103-personnes-licenciees-par-l-usine-massey-ferguson-agco-de-beauvais-ils-devaient-conserver-les-emplois-et-meme-en-creer-3042740.html.

([323]) Compte rendu n° 25.

([324]) Rapport d’information (n° 4040) sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises présenté par M. Stéphane Viry, président, et M. Saïd Ahamada, Mme Barbara Bessot Ballot, M. Dominique Da Silva et Mme Laurianne Rossi, rapporteurs, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021.

([325]) Id.

([326]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([327]) Rapport d’information (n° 4040) précité.

([328]) Au plus tard à l’ouverture de la procédure d’information et de consultation du CSE, prévue à l’article L. 1233-30 du code du travail, sur un projet de licenciement collectif.

([329]) Article R. 1233-15-1 du code du travail.

([330]) L’employeur adresse également à l’autorité administrative le procès-verbal de la réunion du CSE mentionnée à l’article L. 1233-57-9 du code du travail ainsi que tout renseignement relatif à la convocation, l’ordre du jour et la tenue de cette réunion.

([331]) Le bilan doit établir un diagnostic précis des pollutions dues à l’activité de l’établissement et présenter les solutions de dépollution envisageables ainsi que leur coût.

([332]) Il s’agit des délais prévus en matière d’information-consultation du CSE.

([333]) Là encore, les délais sont les délais visés à l’article L.1233-30 du code du travail, applicables à l’information consultation du CSE sur les PSE.

([334]) Voir, notamment, l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles, 4e chambre, 5 juillet 2022, n° 22VE00783.

([335]) Comme cela a été indiqué par la DGEFP dans ses réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur, plusieurs magasins du Groupe Casino ont été repris depuis la fin de la procédure du PSE.

([336]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([337]) Compte rendu n° 39.

([338]) Compte rendu n° 5.

([339]) Id.

([340])  https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/la-liquidation-de-la-papeterie-de-stenay-appelle-a-une-modification-urgente-de-la-loi-florange-20241120_57HMT7ZMKRB67M7GYJNYWKJAR4/.

([341]) Compte rendu n° 5.

([342]) Id.

([343]) Cette mesure était portée par l’article 1er de la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769), enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

([344]) Sont incluses dans le champ d’application du dispositif les entreprises relevant de l’article L. 1233-71 du code du travail, à savoir les entreprises ou les établissements d’au moins 1 000 salariés, les entreprises appartenant à des groupes d’au moins 1 000 salariés et les entreprises ou groupes d’entreprises de dimension communautaire d’au moins 1 000 salariés.

([345]) Article D. 1233-37 du code du travail.

([346]) I de l’article D. 1233-38 du code du travail.

([347]) En vertu de l’article L. 1233-90-1 du code du travail, lorsque les suppressions d’emplois concernent au moins trois départements, une convention-cadre nationale de revitalisation est conclue entre le ministre chargé de l’emploi et l’entreprise. Cette convention donne lieu à une ou plusieurs conventions locales, qui se conforment au contenu de la convention-cadre nationale, conclues entre le ou les préfets de département et l’entreprise.

([348]) L’accord collectif doit prévoir des actions en faveur de la création d’activités et du développement des emplois ainsi que de l’atténuation des effets du licenciement envisagé sur les autres entreprises dans le bassin ou les bassins d’emploi d’une part, des engagements financiers de la part de l’entreprise au moins égaux au montant de la contribution dont elle doit s’acquitter en application de l’article L. 1233-86 du code du travail d’autre part.

([349]) Article D. 1233-43 du code du travail.

([350]) Cour des comptes, op. cit.

([351]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([352]) Id.

([353]) Compte rendu n° 5.

([354]) Compte rendu n° 13.

([355]) Cette mesure était portée par l’article 3 de la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769), enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

([356]) En cas de mise en œuvre d’un plan de cession d’une entreprise, les critères retenus sont, dans l’ordre, le maintien d’activités susceptibles d’exploitation autonome, la préservation de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et l’apurement du passif.

([357]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([358]) Compte rendu n° 19.

([359]) Réponses écrites de la Dire au questionnaire adressé par le rapporteur.

([360]) Compte rendu n° 19.

([361]) Réponses écrites du Ciri au questionnaire adressé par le rapporteur.

([362]) Compte rendu n° 19.

([363]) Compte rendu n° 15. « En outre, à la suite de l’évolution des conditions de vente, HSBC a conservé dans ce compte 7,1 milliards d’euros d’encours de crédits à taux faible, soit une charge pour HSBC, qui ne paye pas CCF. HSBC les a remplacés dans le bilan de CCF par des dépôts à la Banque centrale européenne (BCE). Avec la hausse des taux, ces liquidités se sont avérées beaucoup plus rémunératrices pour le CCF. À l’occasion de cette opération, le groupe a réalisé une plus-value de près de 2,5 milliards d’euros, portant son résultat net après impôts à 2,25 milliards d’euros en 2024 ».

([364]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([365]) Id.

([366]) En audition, il a été indiqué que Mutares avait acquis 27 sociétés en France depuis 2010, dont 22 après 2015.

([367]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([368]) Id.

([369]) Id.

([370]) Id.

([371]) Id.

([372]) Id.

([373]) Id.

([374]) Id.

([375]) Compte rendu n° 24.

([376]) https://lesjours.fr/obsessions/mutares/ep1-fossoyeur/.

([377]) https://mutares.com/en/mutares-has-successfully-sold-trefilunion-eupec-and-la-meusienne/.

([378]) Ce contrat prévoyait sur une période de 36 mois 11,6 millions d’euros de redevances et 11 millions d’euros de frais de conseil extérieurs.

([379]) Compte rendu n° 24.

([380]) Id.

([381]) https://www.gothamcityresearch.com/post/mutares-se-co-kgaa-research-report.

([382]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([383]) Compte rendu n° 20.

([384]) Il appartient au tribunal « de s’assurer que l’accord contribue à garantir la pérennité de l’entreprise, que celle-ci n’est pas en état de cessation des paiements au moment de la conclusion de l’accord et que le contenu de ce dernier ne porte pas atteinte aux droits de tiers non-signataires » (compte rendu n° 20).

([385]) Compte rendu n° 20.

([386]) Articles L. 620-1 et L. 631‑1 du code de commerce.

([387]) Compte rendu n° 39.

([388]) Id.

([389]) Compte rendu n° 19.

([390]) Compte rendu n° 39.

([391]) Cour des comptes, Les activités d’investissement de Bpifrance, mars 2023.

([392]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([393]) Compte rendu n° 28.

([394]) Id.

([395]) Id.

([396]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([397]) Compte rendu n° 7.

([398]) Id.

([399]) Id.

([400]) Id.

([401]) Id.

([402]) Jusqu’à l’évaluation de son coût, estimé à 370 millions d’euros par M. Jean-Luc Béal, président de Vencorex, et à 120 millions d’euros par MM. Christophe Ferrari et Raphaël Guerrero, respectivement président de la métropole de Grenoble et maire de Jarrie.

([403]) Compte rendu n° 33.

([404]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([405]) Id.

([406]) Le perchlorate d’ammonium, issu de la transformation par Arkema du sel fourni par Vencorex, est utilisé comme carburant pour les missiles M51 fabriqués par ArianeGroup, dont les ogives peuvent contenir plusieurs têtes nucléaires.

([407]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([408]) Id.

([409]) Compte rendu n° 40.

([410]) Compte rendu n° 7.

([411]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1503_proposition-loi#.

([412]) Une autorisation peut être assortie de conditions visant à assurer la pérennité et la sécurité, sur le territoire national, des activités exercées par la société cible, notamment en veillant à ce que ces activités ne soient pas soumises à la législation d’un État étranger susceptible d’y faire obstacle, assurer le maintien des savoirs et des savoir-faire de l’entité objet de l’investissement et faire obstacle à leur captation, adapter les modalités internes et de gouvernance de l’entité, fixer les modalités d’information de l’autorité administrative chargée du contrôle (article R. 151-8 du code monétaire et financier).

([413]) Direction générale du Trésor, Contrôle des investissements étrangers en France, rapport annuel 2024.

([414]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([415]) Recommandation (UE) 2025/63 de la Commission du 15 janvier 2025 relative à l’examen des investissements sortants dans des domaines technologiques essentiels pour la sécurité économique de l’Union.

([416]) Compte rendu n° 5.

([417]) Compte rendu n° 14.

([418]) Compte rendu n° 29.

([419]) Comme l’a indiqué la CFE-CGC de Monoprix dans ses réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur : « Nous avons fini par signer car les résultats des négociations nous paraissaient préférables aux dispositions prévues en cas de démarche unilatérale de Monoprix. Bref, nous avons choisi le moindre mal tout en restant très insatisfaits. »

([420]) Comme il est indiqué dans les réponses écrites de la CFE-CGC au questionnaire adressé par le rapporteur : « Le problème est qu’en cas d’échec, l’employeur peut passer outre en proposant un PSE unilatéral ! Cette situation crée un déséquilibre dans la négociation puisque peu importe, en cas d’échec l’employeur peut faire ce qu’il veut. »

([421]) Cette mesure était portée par l’article 2 de la proposition de loi visant à sauvegarder et pérenniser les emplois industriels en empêchant les licenciements boursiers (n° 769), enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 janvier 2025.

([422]) Voir notamment l’audition de M. Benjamin Maurice, délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle (compte rendu n° 17).

([423]) Compte rendu n° 11.

([424]) Compte rendu n° 7.

([425]) Id.

([426]) Compte rendu n° 5.

([427]) Id.

([428]) Compte rendu n° 15.

([429]) Compte rendu n° 5.

([430]) Aux termes de cet article, « un accord d’entreprise, de groupe ou de branche peut fixer, par dérogation aux règles de consultation des instances représentatives du personnel prévues par le présent titre et par le livre III de la deuxième partie, les modalités d’information et de consultation du comité social et économique et, le cas échéant, le cadre de recours à une expertise par ce comité lorsque l’employeur envisage de prononcer le licenciement économique d’au moins dix salariés dans une même période de trente jours ».

([431]) Conformément à l’article L. 1233-22 du code du travail.

([432]) Compte rendu n° 5.

([433]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([434]) Dans les entreprises de 50 salariés à 1999 salariés, le budget de fonctionnement du CSE est égal à 0,20 % de la masse salariale brute. À compter d’au moins 2 000 salariés, il s’élève à 0,22 % de la masse salariale brute (article L. 2315-61 du code du travail).

([435]) Les cas dans lesquels le CSE peut faire appel à un expert habilité sont prévus à l’article L. 2315-94 du code du travail.

([436]) Compte rendu n° 12.

([437]) Id.

([438]) Id.

([439]) Id.

([440]) Id.

([441]) Ainsi que dans les établissements comprenant une installation nucléaire et les sites Seveso.

([442]) Il s’agit du rapport intitulé Le bien-être et l’efficacité au travail, présenté en 2010 par M. Henri Lachmann, M. Christian Larose et Mme Muriel Pénicaud.

([443]) Compte rendu n° 37.

([444]) Compte rendu n° 4.

([445]) Rapport du comité d’évaluation de France Stratégie sur les ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail, décembre 2021.

([446]) Compte rendu n° 14.

([447]) Id.

([448]) Compte rendu n° 7.

([449]) Compte rendu n° 29.

([450]) Id.

([451]) Comité d’évaluation de France Stratégie, op. cit.

([452]) Compte rendu n° 26.

([453]) Id.

([454]) Compte rendu n° 11.

([455]) Compte rendu n° 9.

([456]) Id.

([457]) Igas, Pratiques managériales dans les entreprises et politiques sociales en France : les enseignements d’une comparaison internationale (Allemagne, Irlande, Italie, Suède) et de la recherche, juin 2024.

([458]) Compte rendu n° 37.

([459]) Compte rendu n° 7.

([460]) Id.

([461]) Id.

([462]) Compte rendu n° 4.

([463]) Compte rendu n° 36.

([464]) Avec la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise et la consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

([465]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([466]) Compte rendu n° 26.

([467]) Id.

([468]) Rapport remis par le Gouvernement au Parlement évaluant les effets économiques et managériaux de la présence d’administrateurs représentant les salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés, juillet 2022.

([469]) Compte rendu n° 15.

([470]) Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, L’entreprise, objet d’intérêt collectif, mars 2018.

([471]) La codétermination consiste « en la participation, au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, de représentants désignés par les salariés. Elle donne le pouvoir directement aux salariés de l’entreprise, par le biais de leurs représentants, sans détention de capital […]. C’est en Allemagne que sa forme est la plus complète, reposant sur deux échelons distincts de participation, qui interviennent dans la gestion des entreprises, via des représentants des salariés : le conseil de surveillance (Aufsichtsrat) et le conseil d’établissement (Betriebsrat). » (Igas, op. cit.)

([472]) Compte rendu n° 26.

([473]) Compte rendu n° 14.

([474]) Id.

([475]) Réponses écrites de la confédération générale des Scop au questionnaire adressé par le rapporteur.

([476]) Conformément à l’article 62 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, la CVAE sera supprimée pour toutes les entreprises à compter de 2030.

([477]) Compte rendu n° 38.

([478]) L’Aide à la reprise et à la création d’entreprise (Arce) est une aide financière gérée par France Travail, destinée aux créateurs ou repreneurs d’entreprise en France qui choisissent de recevoir une somme (versée en deux fois) en lieu et place du maintien partiel du versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE).

([479]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([480]) Id.

([481]) « Le Gouvernement a toujours indiqué qu’il se tiendrait à côté de projets viables de reprise de Vencorex dès lors qu’il respecterait le principe d’un euro privé pour un euro public. Après 10 mois de recherche dans le cadre de la procédure de conciliation puis de redressement judiciaire, aucun projet de reprise global n’a pu aboutir. Le projet de reprise sous forme de Scic a reçu le même soutien. La déléguée interministérielle aux restructurations d’entreprises s’est rendue sur place le 20 mars 2025, au cours de la procédure, pour échanger avec les porteurs du projet et les acteurs économiques. Ce projet et l’appui de l’État n’ont pas permis de convaincre des investisseurs privés, ce qui a conduit le tribunal à considérer l’offre comme non recevable. » (réponses écrites de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, au questionnaire adressé par le rapporteur)

([482]) Compte rendu n° 38.

([483]) Id.

([484]) Réponses écrites au questionnaire adressé par le rapporteur.

([485]) Selon l’état d’avancement des discussions entre la direction et les organisations syndicales.