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N° 1572

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 janvier 2019.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur la révision de la loi relative à la bioéthique ([1]),

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Xavier BRETON,

Président,

 

M. Jean-Louis TOURAINE,

Rapporteur

 

Députés.

 

——

 

 

 

La mission d’information de la Conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique est composée de :

– M. Xavier Breton, président ;

 M. Jean-Louis Touraine, rapporteur ;

 M. Joël Aviragnet, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Caroline Janvier, M. Jean François Mbaye, vice-présidents ;

 M. Philippe Berta, M. Jean-François Eliaou, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Jean-Carles Grelier, secrétaires ;

 Mme Emmanuelle Anthoine, Mme Gisèle Biémouret, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Blandine Brocard, Mme Marie-George Buffet, Mme Samantha Cazebonne, M. Philippe Chalumeau, M. Guillaume Chiche, M. Charles de Courson, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. M’jid El Guerrab, Mme Élise Fajgeles, Mme Patricia Gallerneau, M. Patrick Hetzel, Mme Brigitte Liso, Mme Sereine Mauborgne, M. Thomas Mesnier, Mme Danièle Obono, Mme Bérengère Poletti, M. Alain Ramadier, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les comptes rendus des auditions sont disponibles sur le site Internet de l’Assemblée nationale, à l’adresse :

http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/revision-de-la-loi-relative-a-la-bioethique/(block)/ComptesRendusCommission/(instance_leg)/15/(init)/0-15

L’ensemble des informations relatives à la mission sont accessibles sur son portail, à l’adresse :

http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/revision-de-la-loi-relative-a-la-bioethique/(block)/51198

 

 

 


— 1 —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos du président

Introduction

Chapitre premier – Procréation et société

I. Dépasser les limites biologiques de la procréation aujourd’hui : un mime du modèle familial traditionnel

A. L’assistance médicale à la procréation : des techniques réservées aux couples hétérosexuels SUPPOSÉS infertiles ET en âge de procréer

1. L’« AMP », une dénomination unique qui recouvre plusieurs techniques

2. L’accès à l’AMP est aujourd’hui conditionné à des indications médicales

3. D’autres conditions tiennent à la situation du couple

a. Les deux membres du couple doivent être vivants : la procréation post mortem est interdite

b. Les membres du couple doivent être « en âge de procréer », mais la condition d’âge n’est pas fixée par la loi

c. Le consentement des membres du couple est une formalité substantielle

4. La société s’efforce de lever les obstacles à l’AMP

a. Le critère d’infertilité pathologique justifie une prise en charge par la sécurité sociale

b. Les contraintes qu’occasionnent les parcours d’AMP au regard de la vie professionnelle justifient un régime d’autorisation d’absence

5. L’intervention d’un tiers donneur nécessite des règles spécifiques

a. Le don de gamètes ou d’embryon repose sur les principes de gratuité et d’anonymat

b. L’utilisation des gamètes issus d’un don met en jeu une pratique d’appariement

B. Une filiation par AMP calquée sur la filiation par procréation naturelle

1. La filiation en cas d’assistance médicale à la procréation endogène

2. La filiation en cas d’assistance médicale à la procréation avec don de gamètes

II. Dépasser les limites biologiques de la procréation demain : une reconnaissance DE TOUS LES modèles familiaux

A. Le projet parental, une revendication légitime AU cœur DES NOUVEAUX MODÈLES FAMILIAUX

1. Un paysage familial désormais pluriel

2. Le désir d’enfant en question

3. La question de la fertilité reste néanmoins au cœur des débats

4. L’accès à l’AMP, le principe d’égalité et de non-discrimination

B. Une extension de l’AMP NÉCESSITE DE RÉINTERROGER certains pans du cadre bioéthique

1. La revendication d’un droit d’accès aux origines personnelles se heurte au principe d’anonymat du don

a. L’accès aux origines personnelles et le principe d’anonymat : vers un nouvel équilibre

b. Les modalités pratiques de l’accès aux origines

2. Une ouverture de l’AMP aux femmes seules légitimerait la procréation post mortem

a. Une double évolution sociale et jurisprudentielle

b. La portée d’une autorisation de la procréation post mortem

3. Face à l’infertilité, l’interdiction du double don de gamètes en question

4. L’extension de l’AMP pourrait entraîner des tensions sur les flux et stocks de gamètes disponibles

a. Le don de sperme

b. Le don d’ovocytes

5. La prise en charge par la sécurité sociale d’une AMP étendue ne fait pas l’unanimité

C. L’extension de l’accès à l’AMP reste controversée

1. L’intérêt de l’enfant à naître, un intérêt de second rang ?

2. Une rupture avec la conception traditionnelle de la filiation ?

a. Le principe : une filiation d’intention qui prendrait le pas sur la filiation biologique

b. Les voies d’évolution : plusieurs options qui devraient toutes tendre vers un même but, l’absence de stigmatisation

i. L’extension aux couples de femmes des dispositions aujourd’hui applicables aux couples hétérosexuels bénéficiaires d’un don de gamètes

ii. La création d’un mode d’établissement de la filiation spécifique aux seuls couples de femmes

iii. La création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation applicable à tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes

3. La procréation technique, horizon de l’AMP ?

III. la gestation pour autrui : prolonger l’interdit opposable aux adultes, mais accueillir les enfants qui en sont nés

A. l’absence de consensus au niveau international

1. Des législations différentes selon les pays

2. Des institutions européennes en faveur de l’interdiction

B. la prohibition posÉe par le droit français

1. Une interdiction fondée sur la protection de l’indisponibilité du corps et de l’état des personnes

a. Le principe d’indisponibilité de l’état des personnes

b. Le principe d’indisponibilité du corps humain

2. Une prohibition sanctionnée pénalement et renforcée par la règle autorisant le ministère public à agir en nullité des reconnaissances en cas de fraude à la loi

C. L’indispensable réception sur le territoire national de la gestation pour autrui réalisée à l’étranger

1. La force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger

a. La transcription en France des actes d’état civil dressés à l’étranger n’est pas obligatoire

b. Cette transcription est néanmoins souhaitée par les parents dans l’intérêt de leurs enfants et d’eux-mêmes

2. Les conditions de transcription des actes d’état civil dressés à l’étranger

a. La transcription en France d’un lien de filiation existant à l’étranger à l’égard du père biologique est désormais possible

b. La transcription en France d’un lien de filiation existant à l’étranger à l’égard du parent d’intention est suspendue à un avis de la Cour européenne des droits de l’homme

c. L’établissement en France d’un lien de filiation inexistant à l’étranger vis-à-vis du parent d’intention est actuellement impossible

3. Les voies possibles pour la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention

a. L’adoption par le parent d’intention

b. La reconnaissance de l’enfant par le parent d’intention

c. La possession d’état

d. La reconnaissance de plein droit du statut juridique du parent d’intention tel qu’il est légalement établi à l’étranger

D. L’enjeu spécifique de la GPA « éthique » : la GPA peut-elle devenir une pratique acceptable ?

Chapitre 2 – La prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel

A. La licéité des actes portant atteinte à l’intégrité du corps humain repose sur la nécessité médicale et l’existence d’un consentement

1. La démonstration d’une nécessité médicale

2. Le recueil du consentement

B. Certaines prises en charge sont réalisées de façon illicite

1. Les interventions ne sont pas toujours justifiées par une nécessité médicale

a. Les actes médicaux peuvent entraîner de graves préjudices

b. Le critère de nécessité médicale est questionné

2. L’intégrité du consentement est souvent contestable

C. Des mesures simples permettraient d’éviter les dérives éthiques

1. Interdire toute intervention médicale non nécessaire jusqu’à ce que la personne directement concernée puisse donner un consentement éclairé

a. Une revendication largement partagée

b. La nécessité de rappeler la portée du droit en vigueur

2. Promouvoir des mesures de formation et d’accompagnement social

Chapitre 3 – les recherches impliquant l’embryon

I. Un cadre juridique qui concilie protection de l’embryon et liberté de la recherche

A. Le statut juridique de l’embryon et la question des cellules souches

1. Le statut de l’embryon est marqué par une absence de qualification juridique précise

2. La portée de la protection offerte par la loi à l’embryon a peu à peu évolué

B. Le cadre actuel des recherches portant sur l’embryon

1. Deux régimes différents selon la destination de l’embryon

2. Un édifice juridique qui maintient des interdits

3. Le régime des recherches sur les embryons non implantés

i. Trois critères sont de nature scientifique

ii. Un quatrième critère, de nature éthique, est également posé

iii. Le consentement du couple parental à la recherche est nécessaire en tout état de cause

II. une nÉcessaire Évolution du cadre lÉgislatif

A. Le développement de la recherche sur l’embryon, un enjeu fort pour l’attractivité de la recherche et pour la santé publique

B. plusieurs directions devraient être privilégiées

1. L’allongement de la durée de culture de l’embryon

2. La recherche sur les cellules souches embryonnaires

a. Les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes reprogrammées : des instruments prometteurs

b. Les recherches portant sur ces deux types de cellules sont complémentaires et non concurrentes

c. Le régime des recherches sur les cellules souches embryonnaires pourrait être simplifié

3. L’élargissement du champ des recherches

a. L’édition du génome

b. Les embryons chimériques

4. Une évolution du cadre juridique qui interroge

Chapitre 4 – La prise en charge des patients à l’épreuve de la médecine génomique et des tests génétiques

I. Les tests génétiques s’inscrivent dans le cadre d’un accompagnement médical

A. Les tests génétiques poursuivent des finalités diverses

1. L’examen des caractéristiques génétiques poursuit une finalité médicale ou de recherche

a. Les analyses pratiquées

b. Un examen dont la réalisation est conditionnée au consentement de la personne

c. La communication des résultats s’inscrit dans un cadre médical

d. Les examens génétiques peuvent aussi être pratiqués aux fins de recherche

2. La détermination des empreintes génétiques vise essentiellement à une fin d’identification

B. Le dépistage néo-natal relève d’une démarche de prévention secondaire

C. Les examens réalisés sur l’embryon et le fœtus visent à détecter des affections d’une particulière gravité

1. Le diagnostic prénatal (DPN) s’inscrit dans une perspective thérapeutique pour l’enfant à naître

2. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) vise à identifier les embryons exempts de mutations génétiques déterminées

3. Le DPI–HLA est une version du DPI complétée pour l’intérêt d’un tiers

II. un cadre juridique percuté par l’avancée des sciences et des techniques

1. Le « plan « France Médecine génomique 2025 » entend faire entrer la médecine génomique dans une phase industrielle

a. Un plan porteur de forts enjeux

b. Un plan aiguillon d’évolutions dans le champ éthique

2. La banalisation des tests prédictifs ouvre la voie à une demande sociale croissante pour l’extension de leurs indications

a. L’extension des dépistages néonataux

b. Le statu quo en matière de dépistage en population générale dans l’attente d’un avis du CCNE

c. La question toujours ouverte des examens post mortem impliquant la parentèle

d. L’extension du cadre des diagnostics portant sur l’enfant à naître

i. Les dépistages « préconceptionnels »

ii. L’extension des indications du DPI vise à favoriser l’implantation des embryons

iii. L’enjeu du diagnostic prénatal non invasif

iv. La portée du DPN doit être reprécisée

III. Les enjeux soulevés par la médecine génomique

A. acter que le « tout génome » a des limites

1. La notion de « variant de signification inconnue » rappelle le caractère incomplet de la science génomique

2. Le devenir de l’individu ne dépend pas que de son génome, mais aussi de l’épigénétique

B. Écarter les craintes liées À l’eugénisme

1. L’eugénisme reste prohibé par le code civil

2. L’évitement de la naissance d’enfants qui seraient atteints de pathologies graves ne relève pas de l’eugénisme

3. Un débat pourtant persistant

C. MAINTENIR le cadre MéDICAL de l’examen des caractéristiques génétiques

1. La profession de conseiller en génétique doit être promue

2. L’extension des indications des tests génétiques ne sera pas sans conséquences sur la portée de l’information délivrée aux patients

a. La gestion des données secondaires

b. La gestion des données incidentes

Chapitre 5 – Dons des éléments et produits du corps humain

I. Un cadre juridique protecteur du corps humain, du donneur et du receveur

A. Les règles du code civil visent à protéger le corps humain

1. Le respect du corps ne cesse pas avec la mort

2. Le corps humain est inviolable

3. Le corps humain ne fait l’objet d’aucun droit patrimonial

a. L’affirmation du principe de gratuité

b. La conciliation entre le principe de gratuité et le principe de neutralité financière du don pour le donneur

c. La compatibilité entre la gratuité et la couverture des frais supportés par les établissements dans le cadre de leur activité de collecte, de prélèvements ou de transplantation

B. Les principes de protection du donneur et du receveur participent de l’éthique de vulnérabilité

1. La collecte ou le prélèvement poursuit un but thérapeutique ou scientifique

2. Le consentement préalable et explicite du donneur vivant est au cœur de l’éthique du don

3. Des règles spécifiques existent pour les prélèvements sur des personnes décédées

4. Le principe d’anonymat, d’ordre public, est assorti de tempéraments

a. L’anonymat du don est un principe d’ordre public

b. La loi prévoit deux tempéraments au principe de l’anonymat

5. La gratuité protège le corps du commerce

II. La couverture des besoins médicaux rend nécessaires des adaptations

A. Les dons du vivant : des ajustements mineurs à un équilibre globalement satisfaisant

1. Installer la neutralité du don comme principe structurant

a. La neutralité financière comme élément du statut du donneur

b. La neutralité du don et l’état de santé du donneur

2. Élargir le cercle des donneurs vivants

a. Le don d’organes par des patients vivants doit être élargi au « don altruiste » et au don par chaîne de donneurs

b. Le don de cellules hématopoïétiques ne doit plus rester fermé au don ascendant

B. les dons post mortem : de nouvelles clefs pour un recueil éthique du consentement

1. Sensibiliser davantage nos concitoyens à l’importance du don post mortem

2. Consolider la formation des équipes soignantes

3. Les prélèvements sur donneurs à cœur arrêté

a. La mort est aujourd’hui caractérisée par la destruction irréversible de l’encéphale

b. Les prélèvements peuvent à nouveau être opérés à cœur arrêté

C. Une organisation hospitalière à consolider

Chapitre 6 – L’intelligence artificielle, un « nouveau territoire » de la bioéthique

I. L’intelligence artificielle se nourrit de l’accumulation des données de santé

A. Le secteur de la santé est d’ores et déjà concerné par les techniques d’intelligence artificielle

B. L’intelligence artificielle nécessite de grandes quantités de données de santé

1. La collecte des données de santé

a. Un cadre juridique déjà protecteur

b. Les enjeux éthiques de l’accès aux données de santé

2. La valorisation des bases de données de santé est un enjeu important

a. Le stockage des données de santé repose aujourd’hui sur le SNDS

b. Le développement souhaité de l’intelligence artificielle est freiné par les limites du SNDS

c. La création annoncée d’un Health Data hub national permettra à l’intelligence artificielle en santé de prendre un réel essor

C. LA QUALITÉ ET LA PERTINENCE DES DONNÉES conditionnent l’efficacité de l’innovation

1. La conception des bases de données doit éviter les biais

2. L’annotation et la catégorisation des données sont un enjeu majeur

II. L’application de l’intelligence artificielle à la santé pose des questions éthiques sensibles

A. La relation de soins altérée par la technique ?

1. Le risque d’exclusion du médecin

2. Le risque d’exclusion du patient

B. Le médecin : véritable décideur ou simple auxiliaire de l’algorithme ?

C. La responsabilité médicale perturbée par le partage de l’expertise ?

1. L’intelligence artificielle en santé rend plus complexes les contours de la responsabilité médicale

2. La modification du régime de la responsabilité médicale ne paraît pas pertinente

D. L’accès aux techniques d’intelligence artificielle : le risque d’une nouvelle fracture sociale ?

III. Vers une régulation de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé

A. Trois principes généraux comme prolégomènes d’une éthique de l’intelligence artificielle en santé

1. Le principe de garantie humaine du numérique en santé

2. L’exigence d’explicabilité de l’algorithme

a. L’exigence d’explicabilité n’est pas synonyme de transparence

b. L’exigence d’explicabilité doit pouvoir être différenciée

c. La formation médicale doit être adaptée en conséquence

3. L’effectivité du consentement de la personne

a. Le consentement à la collecte des données de santé pourrait évoluer pour favoriser la recherche tout en restant protecteur de la vie privée

b. Le médecin devrait être tenu d’informer le patient du recours à un algorithme

c. Le consentement du patient aux actes et traitements proposés après intervention d’un algorithme pourrait évoluer dans un cadre précisé par des recommandations de bonnes pratiques

B. L’organisation du cadre de la réflexion éthique sur l’intelligence artificielle en santé

1. Instituer à terme un nouvel organe de réflexion éthique sur le numérique en santé

2. Promouvoir la création d’un observatoire européen de l’intelligence artificielle en action

C. La certification des algorithmes dans le domaine de la santé

1. La certification des algorithmes dans le domaine de la santé est actuellement soumise aux règles de droit commun applicables aux dispositifs médicaux

a. L’algorithme est considéré comme un dispositif médical

b. La certification d’un dispositif médical fait la part belle au fabricant

2. Des certifications spécifiques aux algorithmes dans le domaine de la santé sont nécessaires mais ne pourront se déployer que dans un cadre européen

Chapitre final – La loi et la bioéthique : pour un approfondissement démocratique

A. La bioÉthique, un impératif moral par tous et pour tous

1. La bioéthique comme imprégnation des chercheurs et des professionnels de santé

2. La participation citoyenne, une chance pour la bioéthique

a. Pour une meilleure association des citoyens

b. Pour une meilleure appropriation des questions de bioéthique

B. un cadre lÉgislatif appelÉ À Évoluer

1. Un champ de la loi qui doit s’ouvrir plus largement

2. Un processus de réexamen qui doit conjuguer le continu et les rendez-vous réguliers

Liste des propositions

Examen du rapport

Contributions des groupes politiques

Contributions des membres de la mission

Liste des personnes auditionnées

 


— 1 —

   Avant-propos du président

 

Le cycle de révision de la loi de bioéthique organise des « passages obligés » désormais bien rôdés, justifiés par l’importance des questions suscitées par l’évolution des connaissances scientifiques et des pratiques sociales au regard des sciences de la vie et de la santé : un rapport de l’Agence de la biomédecine, une étude du Conseil d’État, un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), des États généraux de la bioéthique qui reposent sur des consultations citoyennes et, pour ce qui concerne le Parlement, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et un rapport d’information par une mission ad hoc préalable au dépôt du projet de loi.

Pour le cycle qui s’est ouvert il y a quelques mois en vue de la prochaine révision, la Conférence des présidents a bien voulu, le 12 juin dernier, répondre favorablement à la demande exprimée par le groupe Les Républicains, mais partagée sur tous les bancs, tendant à créer la mission à qui serait confié le soin de réaliser le rapport d’information évoqué ci-dessus. Qu’elle en soit remerciée car sur ces sujets si sensibles, il était essentiel que l’Assemblée nationale soit pleinement éclairée.

Contrainte par un calendrier a priori resserré, la mission d’information a concentré ses travaux sur les mois de septembre et octobre et a entendu réserver, dans la mesure du possible, deux temps distincts.

Une première série d’auditions « généralistes » a permis d’éclairer les contours et les enjeux de la révision à venir. Dans cette perspective, ont notamment été entendus le président du CCNE, la directrice générale de l’Agence de la biomédecine, les principaux maîtres d’œuvre de l’étude réalisée par le Conseil d’État, des représentants de courants de pensée philosophique ou religieux, etc. La mission d’information a défini un programme d’auditions visant à l’équilibre et de nature à couvrir l’ensemble des questions, même si, dans les faits, les auditions généralistes ont principalement abordé les sujets liés à la procréation, notamment l’extension de l’assistance médicale à la procréation et la gestation pour autrui. Cependant, la qualité et l’exhaustivité des très nombreuses contributions remises à la mission ont permis de l’éclairer sur toutes les questions de bioéthique.

Une seconde série d’auditions a visé à aborder de manière approfondie des thèmes plus circonscrits : santé et environnement, diagnostics prénatal et préimplantatoire, tests génétiques, recherches sur l’embryon, accès aux origines personnelles, intelligence artificielle, etc. Rassemblant des chercheurs, des praticiens, des juristes, des représentants d’associations, ces auditions ont été l’occasion de présenter aux parlementaires des éclairages variés sur des sujets qui ne l’étaient pas moins.

Au terme de cette séquence particulièrement chargée, le bilan que l’on peut tirer est positif. 65 auditions, principalement sous la forme de tables rondes, ont été organisées. Je me réjouis de ce que la participation des membres a été très active alors même que la période automnale mobilise l’investissement des parlementaires autour de l’examen des budgets de l’État et de la sécurité sociale.

Les échanges ont été denses et approfondis, donc utiles : chacun, parlementaire ou personne auditionnée, a eu l’occasion d’exprimer ses points de vue, ses doutes et ses interrogations dans un climat de sérénité et de courtoisie rarement démenti. L’objectif de la mission d’information, consistant à éclairer le législateur, peut être considéré comme rempli.

L’exercice s’achève maintenant avec la présentation du rapport, qui traite des principaux thèmes qui seront abordés par la révision de la loi de bioéthique. Il fournit à cet égard plusieurs clefs de lecture puisque, pour chacun des thèmes, figure, au côté de l’indispensable rappel du cadre législatif et des évolutions opérées au fil des révisions, une synthèse des enjeux et des points de vue qui prend appui sur les auditions ou la lecture d’ouvrages ou d’articles juridiques, politiques, philosophiques ou sociologiques.

Le rapporteur a souhaité avancer plusieurs propositions qui, si elles devaient être adoptées, conduiraient à de profondes évolutions pour notre droit de la bioéthique et, plus largement, pour notre société. J’ai considéré que, dans ma fonction de président, et malgré mes désaccords sur ces propositions, il ne m’appartenait pas d’intervenir sur leur contenu. Chaque membre de la mission, comme d’ailleurs chaque parlementaire, pourra donc en prendre connaissance et en discuter les termes et la portée.

Le dépôt du projet de loi sera l’occasion de débattre des choix du Gouvernement en matière de bioéthique. Les divergences d’approche seront alors abordées, exprimées, discutées, débattues. Ce rapport pourra à cet égard constituer la toile de fond des débats parlementaires. Il recèle nombre d’éléments permettant de nourrir les échanges et mérite donc d’être lu avec une particulière attention.

 


— 1 —

   Introduction

 

Dès 1927, Fritz Jahr, pasteur et philosophe allemand, a utilisé le terme de Bio-Ethik ([2]) pour désigner l’éthique des relations entre l’homme et les autres espèces, invitant de la sorte à étendre à l’ensemble du règne vivant une réflexion éthique qui était surtout anthropocentrée jusqu’alors. Toutefois, l’expression ne s’est imposée qu’à partir de 1971, à la suite de la publication par Van Resselaer Potter, chercheur américain en biochimie et spécialiste du cancer, du livre intitulé Bioethics : Bridge to the Future, dans lequel celui-ci définit la bioéthique comme une combinaison des connaissances biologiques (bios) et des valeurs humaines (ethos). Si la notion était initialement comprise de manière large, au regard de l’ensemble du vivant, son acception a été circonscrite, à la fin des années 1970, aux questions soulevées par l’apparition de nouvelles pratiques médicales comme les techniques de reproduction artificielle. Dans l’intervalle, le code de Nuremberg a défini les règles acceptables de la pratique des recherches sur l’Homme. Édicté en 1947, peu après la Shoah et les expériences inhumaines conduites par les médecins nazis sur des sujets privés de liberté, essentiellement des Juifs, ce code entend protéger la personne humaine contre toute résurgence de pratiques médicales barbares.

Pour Fritz Jahr et Van Resselaer Potter, le champ de la bioéthique était très large. Il s’agissait d’une éthique globale, pour la survie de l’être humain, des autres espèces vivantes et de la planète Terre elle-même. L’éthique animale, l’éthique environnementale et l’écosystème, où interagissent les diverses espèces, font partie de la bioéthique autant que l’éthique humaine. Dans celle-ci, les questions de santé individuelle et collective sont traitées, de même que le contrôle des naissances, la lutte contre la pauvreté, l’épanouissement psychique et social, la promotion de la paix. Avec le développement intense et rapide des progrès en biologie et en médecine humaine, la bioéthique s’est très vite concentrée sur l’humain et sur l’éthique de l’application à l’homme des progrès technologiques et biologiques. Les aspects ne concernant pas directement l’homme sont laissés à des disciplines parallèles nécessitant, elles aussi, réflexion et développement. Dans cette évolution, malheureusement, les interactions sont quelque peu négligées.

S’inscrivant dans cette évolution, le projet de loi organisant la première révision des lois relatives à la bioéthique ([3]) a consacré pour la première fois ce mot au niveau législatif et a proposé, dans son exposé des motifs, de le définir de la façon suivante : « la bioéthique s’entendrait des questions éthiques et sociétales liées aux innovations médicales qui impliquent une manipulation du vivant : expérimentations sur l’homme, greffes d’organes et utilisation des parties du corps humain, “procréatique”, interventions sur le patrimoine génétique, etc. » Plus récemment, le champ de cette réflexion s’est étendu à des domaines tels que les neurosciences et l’intelligence artificielle.

Selon Noëlle Lenoir et Bertrand Mathieu dans Les normes internationales de la bioéthique, « la bioéthique se conçoit comme l’ensemble des règles de conduite qu’une société s’assigne afin de faire face aux difficultés ou aux dilemmes nés des avancées des sciences de la vie ». Pour ne pas réduire la tonalité de la réflexion à une problématique de la lutte contre les difficultés, il est tentant de remplacer la deuxième partie de cette définition par les termes suivants : « afin d’intégrer les bienfaits des progrès effectués dans les sciences de la vie, sans nuire à l’humain ». Cela suppose en effet d’affronter des questions où plusieurs visions s’opposent. Le plus souvent, aujourd’hui, les défenseurs de chacune des propositions sont persuadés qu’ils œuvrent à l’accomplissement du bien. Celui-ci est donc perçu différemment par les uns et par les autres, sur des arguments rationnels, intuitifs, de tradition ou de croyance. Les divers pays partageant une culture commune ou comparable ont d’ailleurs fait des choix différents en bioéthique. Quant à l’évolution dans le temps, elle dépend en partie de la progression des connaissances et en partie de la variation dans les perceptions sociétales.

La France n’a pas été pionnière en bioéthique. Beaucoup de pays, en particulier anglo-saxons, se sont dotés de comités de bioéthique plus tôt que nous. Cependant, la France a été la première à codifier précisément les recommandations formulées au niveau national, à l’échelle du pays tout entier, puis à voter des lois sur l’ensemble du sujet. En effet, sous l’impulsion de l’ancien Président de la République, M. François Mitterrand, elle a été le premier pays à créer un Comité consultatif national d’éthique, en 1983. Elle a aussi été le premier État en Europe à se doter d’une législation complète en matière de bioéthique, dès 1994.

La France a également joué un rôle moteur au niveau européen. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la France a ainsi activement participé à l’élaboration de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du 4 avril 1997, dite Convention d’Oviedo, qu’elle a ratifiée le 13 décembre 2011. Cette convention, de portée contraignante, consacre la dignité de l’être humain et la protection des droits fondamentaux de la personne. Elle reconnaît notamment la liberté de la recherche, la protection des informations relatives à la santé de la personne, la nondiscrimination en raison du patrimoine génétique, la protection des personnes se prêtant à une recherche, le consentement des personnes à une intervention dans le domaine de la santé. Elle interdit de constituer des embryons humains aux fins de recherche et de faire du corps humain une source de profit.

Au-delà de ce traité et de quelques autres textes européens propres à la bioéthique, les stipulations de la Convention européenne des droits de l’homme ([4]) et de la Charte des droits fondamentaux ([5]) et l’interprétation qu’en donne la jurisprudence offrent un cadre juridique suffisamment souple pour ne pas imposer un modèle unique. Compte tenu de l’hétérogénéité d’approche de ces questions de bioéthique, en fonction notamment de la culture et de l’histoire de chaque pays, la Cour européenne des droits de l’homme reconnaît d’ailleurs aux États une marge d’appréciation importante en la matière.

Si les cadres juridiques nationaux de bioéthique ont tous pour point commun l’affirmation des principes de dignité, de liberté et solidarité, ainsi que la recherche d’un équilibre entre des intérêts différents, ils se différencient par la pondération accordée à chacun d’eux.

Inspiré par une conception particulière de la personne humaine, le cadre juridique français se caractérise par la place prépondérante accordée au principe de dignité, sans négliger l’impératif de solidarité et l’aspiration à la liberté.

Au fondement de cet ordonnancement juridique figure en effet le principe de dignité, dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le Conseil constitutionnel lors de l’examen des deux premières lois de bioéthique ([6]). Dans sa décision du 27 juillet 1994, le Conseil s’est référé au Préambule de la Constitution de 1946 dont il a déduit que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle et qu’un ensemble de principes tendent à assurer son respect : la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’inviolabilité et l’intégrité de l’espèce humaine.

Inscrite à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, la liberté personnelle inspire également le cadre juridique français de bioéthique. Il s’agit de préserver la part de vie privée et donc l’autonomie de l’individu dans ses choix, tant pour la construction de sa vie familiale que pour l’utilisation de ses données personnelles ou son souhait de connaître ou non ses prédispositions génétiques. Il s’agit également de préserver la possibilité d’exprimer un consentement personnel qui ne soit pas vicié.

Le cadre juridique français de bioéthique accorde enfin une grande importance au principe de solidarité, qui trouve notamment son fondement dans le dixième alinéa du Préambule de 1946 selon lequel « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et dans son onzième alinéa aux termes duquel « elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère (…) la protection de la santé ». Ce principe de solidarité trouve des prolongements dans la conception française du don, sans contrepartie et anonyme, et dans le mécanisme de mutualisation des dépenses de santé.

Les règles relatives à la bioéthique ont été posées par la loi du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pour fin la recherche dans le domaine de la santé ainsi que par deux lois du 29 juillet 1994 qui ont défini un statut juridique du corps humain.

La loi relative au respect du corps humain a ainsi introduit, aux articles 16 et suivants du code civil ([7]), des principes cardinaux destinés à assurer la protection de l’homme contre les risques éthiques qui pourraient résulter de la biomédecine : la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine et l’obligation du consentement. Si ces garanties sont de nature légale, leur protection est nécessaire pour assurer le respect du principe constitutionnel de dignité lui-même.

Dans le même temps, la loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal a inscrit, dans le code de la santé publique, plusieurs dispositions de nature dérogatoire, mais strictement encadrées. Les règles ainsi posées portaient notamment sur l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples stériles et stables formés d’un homme et d’une femme, assortie toutefois de l’interdiction du « double don de gamètes », de la recherche sur l’embryon et des manipulations génétiques susceptibles de modifier la descendance, ainsi que sur le don et l’utilisation des éléments et des produits du corps humain, encadrés par les principes de l’anonymat, de la gratuité, du caractère libre et éclairé du consentement.

C’est ainsi que sous l’effet conjugué des progrès scientifiques et des évolutions sociétales, le corpus juridique relatif à la bioéthique posé en 1994 a été modifié à quatre reprises, élargissant à chaque fois les aménagements aux principes cardinaux destinés à assurer la protection de l’homme.

La première actualisation a résulté de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, qui a notamment défini un cadre juridique pour la thérapie cellulaire, étendu les principes régissant le don et l’utilisation de produits du corps humain aux exportations et importations d’organes, généralisé le consentement présumé et élargi le champ des donneurs vivants, interdit le clonage ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée et le clonage à visée reproductive, prohibé le diagnostic préimplantatoire tout en en prévoyant un usage encadré lorsqu’il a pour objectif d’apporter un espoir de traitement à un aîné atteint d’une maladie.

La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique a notamment autorisé le don croisé d’organes en cas d’incompatibilité entre proches, donné une nouvelle définition des modalités d’autorisation des techniques d’assistance médicale à la procréation et d’encadrement de leur amélioration, et soumis le recours aux techniques d’imagerie cérébrale au consentement exprès de la personne concernée tout en restreignant leur usage aux seules fins médicales ou de recherche scientifique ou encore d’expertise judiciaire.

Ce corpus juridique a enfin été modifié par la loi du 6 août 2013 ([8]), qui a organisé le passage d’un régime d’interdiction de la recherche sur l’embryon avec dérogations à un régime d’autorisation encadrée, et par la loi du 26 janvier 2016 ([9]), qui a autorisé la réalisation de recherches dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation, sous réserve du consentement de chaque membre du couple.

Caractérisé par sa grande cohérence et par sa relative stabilité depuis 25 ans, le cadre juridique français de bioéthique se trouve aujourd’hui confronté à quatre défis.

Le premier résulte des progrès scientifiques, techniques, biologiques et médicaux qui se développent à un rythme de plus en plus rapide, obligeant à des décisions incessantes sur les applications opportunes de ces progrès. Le deuxième est lié à la vulgarisation du savoir médical, maintenant partagé par le plus grand nombre mais dont tous les aspects ne sont pas aisément appréhendés, « digérés » par des esprits non préparés. Le troisième est la grande diversité, connue par tous, des règles éthiques selon les pays, ce qui conduit à du « tourisme médical », voire du « tourisme bioéthique ». Le quatrième résulte d’aspirations légitimes à plus de libertés individuelles, incitant à substituer aux règles rigides imposées pour tous, des possibilités de recours à des droits, utilisés par les uns, non par les autres.

Certains s’alarment de ce que les opportunités augmentent lors de chacune des révisions des lois de bioéthique. Or, il s’agit là du modèle même de la « bioéthique à la française ». L’objectif n’est pas de se cantonner à des interdits multiples et définitifs. Il n’est pas de rechercher le confort de l’immobilisme et de la frilosité à tout crin. Il n’est pas non plus d’autoriser la prise de risque excessive, l’imprudence, le non-respect de valeurs. Il implique donc une progressivité au fur et à mesure de l’acquis de connaissances additionnelles et d’une expérience permettant d’avancer sans danger. De façon un peu schématique, disons que lorsqu’un problème est nouveau, il est appréhendé non avec le principe de précaution mais avec celui de prudence, qui incite à des moratoires sur tout ce qui n’est pas encore maîtrisé. Si, la progression des connaissances scientifiques aidant, il apparaît que l’application ne comporte pas de risque, alors la décision d’ouvrir un nouveau champ est prise. La formulation d’un encadrement précis pour cette évolution prévient toute dérive inopportune.

C’est dans ce contexte et avec un désir d’une évolution significative mais prudente, résolue mais respectueuse des valeurs de notre République, que se développe l’examen renouvelé du domaine élargi de la bioéthique par le Parlement en 2019.

La réflexion sur l’évolution des règles de bioéthique a été lancée avec l’ouverture, le 18 janvier 2018, par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), des États généraux de la bioéthique, qui se sont conclus par le rapport des États généraux de la bioéthique 2018 ([10]), publié le 2 juillet 2018, et un avis du Comité consultatif national d’éthique ([11]), rendu public le 25 septembre 2018. L’Agence de biomédecine a également publié, en janvier 2018, un rapport sur l’application de la loi destiné à préparer son réexamen. Comme lors des précédentes révisions, le Conseil d’État a été saisi par le Premier ministre d’une demande d’étude destinée à en éclairer les enjeux juridiques ; le Conseil a adopté son étude intitulée Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? le 28 juin 2018. Enfin, conformément à l’article 47 de la loi du 7 juillet 2011, l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques a présenté cet automne un rapport sur l’évaluation de l’application de la loi ([12]).

Compte tenu des enjeux liés à la future loi de bioéthique, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale a décidé, le 12 juin 2018, de créer une mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique, afin de préparer dans les meilleures conditions le travail législatif à venir.

À l’issue des 64 réunions qui l’ont amenée à entendre pendant environ 90 heures plus de 150 professionnels dans les domaines de la santé, des sciences, du droit, de la philosophie, des courants de pensée et des religions mais également des représentants de très nombreuses associations, la mission d’information se propose de réinterroger les principes de la bioéthique à l’aune des dernières évolutions scientifiques, techniques et sociales. La mission s’est également conformée à l’usage français qui veut que les questions liées à la fin de vie ne soient pas traitées dans le cadre des lois de bioéthique et, en conséquence, elle a fait le choix de ne pas aborder ces questions. Afin d’éclairer au mieux la représentation nationale, la mission d’information formule, bien avant le dépôt du projet de loi relatif à la bioéthique, 60 propositions.

 


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   Chapitre premier

Procréation et société

 

Aujourd’hui, la procréation occupe une place centrale dans les débats de bioéthique, et les États généraux de la bioéthique l’ont très clairement montré ([13]). Ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules, accès aux origines, autoconservation ovocytaire ou gestation pour autrui : la question s’est posée de répondre à ces demandes dans un cadre autre que la loi de bioéthique ([14]). Pour certains, un éventuel décentrement se justifierait par les implications de l’extension de l’AMP sur le droit de la filiation. Pour autant, c’est d’abord au regard des principes qui régissent la bioéthique qu’il apparaît nécessaire d’analyser l’opportunité d’un tel décentrement. Par ailleurs, comme le rappelle le Conseil d’État dans son étude, « les questions de procréation sont, depuis 1994, au cœur de la réflexion de lois de bioéthique » ([15]).

Une certaine confusion entoure la portée de la loi de bioéthique, trop souvent réduite à la « biomédecine » ou confondue avec l’éthique médicale. La bioéthique, comme « mise en tension permanente d’impératifs contradictoires » est une réflexion née de la confrontation entre le développement technoscientifique et « l’interrogation éthique nourrie par des exigences normatives héritées de diverses traditions (la plus importante, la sur-dominante, étant la tradition chrétienne) » ([16]). À cet égard, l’évolution des modes de procréation, facilitée par la maîtrise des techniques de reproduction, doit être saisie dans le cadre de la loi de bioéthique en tant qu’elle façonne notre rapport à l’être humain (quelle humanité voulons-nous ?) et qu’elle interroge sur les limites (jusqu’où peut-on mobiliser les techniques et la médecine ?).

Deux horizons extrêmes pourraient s’ouvrir aujourd’hui à notre société, qui devra choisir vers où elle dirigera ses pas :

– l’option de laisser les choses en l’état, sans entendre les demandes d’aides additionnelles à la procréation par des couples ou des femmes ne trouvant pas en France la solution à leur désir (non leur droit) d’enfant ;

– l’option d’ouvrir toutes les modalités d’aide à la procréation à toute personne en faisant la demande et qui s’estime discriminée si elle n’a pas accès à une technique médicale disponible.

Entre ces deux extrêmes, il nous apparaît que la société peut déterminer les circonstances aujourd’hui satisfaisantes pour aider à la procréation, sans préjuger d’évolutions ultérieures, basées sur des connaissances ou techniques nouvelles, ainsi que sur une appréciation renouvelée du regard des sciences humaines et sociales, et de la société de demain. C’est ainsi que la mission d’information s’est efforcée d’aborder ces questions dans le cadre d’un débat serein et équilibré, loin des passions et des idées a priori.

I.   Dépasser les limites biologiques de la procréation aujourd’hui : un mime du modèle familial traditionnel

A.   L’assistance médicale à la procréation : des techniques réservées aux couples hétérosexuels SUPPOSÉS infertiles ET en âge de procréer

1.   L’« AMP », une dénomination unique qui recouvre plusieurs techniques

Le terme d’« assistance médicale à la procréation » recouvre plusieurs techniques qui permettent de répondre à différents problèmes de fertilité, sans pour autant en traiter la cause. Elles peuvent faire appel ou non à un don de gamètes par un tiers.

On distingue l’insémination artificielle, la fécondation in vitro, l’accueil d’embryon et la gestation pour autrui.

L’insémination artificielle consiste à injecter directement le sperme du conjoint (insémination artificielle intraconjugale) ou issu d’un don (insémination artificielle avec donneur) au fond de la cavité utérine de la femme à l’aide d’un cathéter. La fécondation peut alors se produire naturellement à l’intérieur du corps de la femme (« in vivo »).

Il en va différemment de la fécondation in vitro (FIV) pour laquelle la rencontre de l’ovule et du spermatozoïde ainsi que les premières étapes du développement embryonnaire ne se produisent pas à l’intérieur de l’utérus mais en laboratoire (« ex vivo »).

Cette technique nécessite le prélèvement des ovocytes de la femme sous anesthésie locale ou générale, ou l’utilisation d’ovocytes issus d’un don en cas d’infertilité de la femme. Les spermatozoïdes sont mis au contact des ovocytes dans une boîte de culture afin d’obtenir une fécondation et les embryons éventuellement obtenus sont transférés dans l’utérus de la femme au bout de deux à trois jours dans la plupart des cas.

La fécondation in vitro peut aussi être réalisée par micro-injection en laboratoire (FIV-ICSI pour « intracytoplasmic sperm injection »). Un spermatozoïde est alors introduit directement dans un ovocyte sous le contrôle d’un microscope. L’embryon ainsi créé est ensuite transféré dans l’utérus pour y suivre son développement. Deux ou trois embryons peuvent être implantés simultanément pour augmenter les chances de grossesse. Les embryons additionnels non implantés sont conservés à l’état congelé et sont qualifiés d’embryons surnuméraires.

Dans le cas où ni les gamètes de l’homme, ni ceux de la femme ne peuvent être utilisés pour cause d’infertilité (double infertilité) ou s’il existe un risque de transmettre une maladie génétique grave à l’enfant, et dans la mesure où le « double don » de gamètes est actuellement interdit par la loi, un accueil d’embryon peut être effectué. Cette technique consiste à transférer dans la cavité utérine de la femme un embryon obtenu dans le cadre d’une FIV entreprise par un couple tiers, embryon qui n’a pas été retenu pour être implanté chez ce couple et qui ne fait plus l’objet d’un projet parental de sa part.

2.   L’accès à l’AMP est aujourd’hui conditionné à des indications médicales

En droit, le recours aux techniques artificielles de procréation est considéré comme une assistance à un état pathologique, en l’occurrence l’infertilité. Elle est une solution technique mise au service de couples pour lesquels la procréation, dans le cadre d’un processus naturel, ne se réalise pas. L’AMP est aussi possible pour éviter la transmission d’une maladie. Tels sont les termes du premier alinéa de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité ». Cela permet d’envisager une prise en charge des actes techniques correspondants par la collectivité ainsi qu’une extension des protections accordées à la femme par le droit du travail dans les situations touchant à la maternité. Le législateur a souhaité que le caractère pathologique soit « médicalement diagnostiqué ». La technique est donc légalement conçue comme une réponse à une infertilité. On notera, à cet effet, l’évolution opérée par la loi de 2011 sur la rédaction de l’article précité : l’AMP était auparavant vue comme une « réponse à la demande parentale d’un couple ». En 2011, en centrant la condition d’accès sur une réponse à une infertilité, le législateur a voulu donner corps à l’idée que si la satisfaction du désir d’enfant est une « conséquence possible de l’AMP », elle ne constitue pas « sa finalité » ([17]).

La prise en charge fait l’objet d’une indication médicale, renvoyant soit à des pathologies (baisse de la qualité ou de la quantité des spermatozoïdes pour les hommes, anomalies des trompes, troubles de l’ovulation ou endométriose pour les femmes, par exemple), soit à la simple constatation d’une absence de procréation. Celle-ci peut provenir de causes différentes d’une stérilité médicalement établie ; d’ailleurs, certains des couples ayant bénéficié d’une AMP ont ensuite des enfants dans des conditions naturelles, sans aide médicale.

Aujourd’hui, ce choix politique antérieur prête le flanc à des interrogations et à une remise en question, l’AMP pouvant servir de remède à une demande parentale n’émanant pas de couples hétérosexuels. Certains chercheurs pointent même, à l’instar d’Irène Théry, que l’AMP avec tiers donneur « n’a jamais été un traitement et n’a jamais guéri une personne stérile » ([18]).

S’agissant de la transmission du risque de maladie, l’AMP vise deux situations : le risque de transmission d’une maladie d’une particulière gravité soit à l’enfant, soit à l’un des membres du couple. Dans le premier cas, l’objectif consiste à éviter la transmission d’une maladie d’origine génétique ; il est alors fait appel au diagnostic pré-implantatoire (cf. chapitre Médecine génomique et tests génétiques) et à la sélection des embryons. Dans le second cas, il s’agit plutôt d’éviter la transmission d’une maladie virale telle l’infection au VIH ; les gamètes sont alors séparés des virus in vitro. Les règles de bonnes pratiques en matière d’AMP prévoient d’ailleurs la mise en place de « tests de sécurité sanitaire » consistant à rechercher des marqueurs biologiques pour les virus de l’immunodéficience acquise et de l’hépatite B, ainsi que pour l’agent de la syphilis ([19]).

3.   D’autres conditions tiennent à la situation du couple

D’autres conditions sont également requises tenant à la situation du couple ainsi qu’au recueil de son consentement : le deuxième alinéa de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique prévoit que le recours à l’AMP est réservé aux couples formés d’un homme et d’une femme, vivants et en âge de procréer.

a.   Les deux membres du couple doivent être vivants : la procréation post mortem est interdite

Le décès d’un membre du couple fait obstacle à l’AMP. Cette interdiction concerne aussi bien l’insémination artificielle que le transfert d’embryon.

 Le rapport de l’Agence de la biomédecine paru en janvier 2018 ([20]) rappelle que l’interdiction applicable à l’insémination artificielle fait l’objet de « débats récurrents, dans des termes toutefois renouvelés compte tenu de la décision du Conseil d’État du 31 mai 2016 » ([21]).

L’insémination artificielle post mortem, qui s’effectuerait dans le cadre d’une AMP intraconjugale, relève de deux situations distinctes après que le sperme a été congelé : elle peut intervenir soit « dans le cadre d’une autoconservation préventive avant traitement potentiellement stérilisant » ([22]), soit dans le cadre d’une procédure d’AMP.

S’agissant de l’autoconservation préventive, les règles de bonnes pratiques ([23]) prévoient que « toute personne, dont la fertilité ultérieure risque d’être altérée, du fait d’une pathologie ou de ses traitements ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, a accès aux informations concernant les risques pour sa fertilité ultérieure et les possibilités de conservation de gamètes ou de tissus germinaux ». Dans le paragraphe lié aux indications médicales, il est notamment ajouté que « dans la majorité des cas, la pathologie justifiant le recours à la préservation de la fertilité est d’origine cancéreuse ». Les mêmes règles rappellent la nécessité d’un consentement écrit ainsi que les circonstances mettant fin à cette autoconservation, particulièrement le décès.

Dans le deuxième cas, le sperme cryoconservé a été prélevé dans le cadre d’une procédure d’AMP en vue soit d’une insémination artificielle, soit d’une fécondation in vitro (FIV). En l’espèce la question de l’insémination post mortem se pose lorsque le décès du conjoint survient avant l’insémination ou la FIV.

L’interdiction vaut également pour le transfert d’embryons conservés à l’état congelé en vue d’une AMP, option éthique qui a aussi fait l’objet d’intenses débats.

 Le recours à ces techniques pose des difficultés éthiques que le CCNE a résumées dans son avis n° 113, publié en 2011 ([24]).

La première difficulté éthique était posée par la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à naître dont on sait qu’il sera de facto privé de père. Le CCNE rappelait que, par construction, cette privation se distingue des situations où la perte du père intervient à la suite d’un accident de vie (décès, départ ou absence de père) en ce qu’elle est programmée a priori. À côté de cet argument de principe, le CCNE soulevait également les difficultés qui pourraient peser sur l’enfant en lui faisant porter le « rôle, réel ou supposé, de substitut à l’homme décédé ». Le CCNE relevait enfin qu’il convient de ne pas sous-estimer les difficultés que risqueraient de rencontrer ces enfants pour lesquels, au manque entraîné par l’absence de père, s’ajoute le fait d’avoir à expliquer et à faire accepter que le père était déjà mort au moment de leur conception.

Le CCNE s’interrogeait ensuite sur l’intérêt de la mère. La question posée était moins celle de la capacité à élever seule un enfant que celle du consentement libre et éclairé. Le deuil place la femme en situation de vulnérabilité, particulièrement si le décès du conjoint intervient à la suite d’une maladie. Et le CCNE soulignait que « l’état de vulnérabilité à ce moment peut, notamment, la rendre particulièrement sensible aux pressions familiales, amicales, voire sociales ».

Une troisième interrogation portée par le CCNE concernait l’intérêt pour la société de prêter son concours à la conception d’enfants « dans un contexte qui peut lui être défavorable puisqu’il sera privé de père et que la monoparentalité est souvent un facteur de fragilisation, voire de précarisation des familles ». En l’espèce, le CCNE mettait l’accent sur la distinction entre « la situation voulue et se présentant dans un contexte exceptionnel » et la situation subie par l’enfant à raison des accidents de la vie.

Le CCNE a tiré des conclusions divergentes selon les situations abordées : il était d’avis de maintenir l’interdiction de l’insémination post mortem, mais il était enclin à autoriser, sous conditions, le transfert d’embryon post mortem.

On rappellera qu’afin d’augmenter les chances de réussite de la FIV, qui suppose une hyperstimulation hormonale particulièrement lourde et ne procure aucune garantie quant au bon aboutissement de la grossesse après implantation d’un embryon (taux de succès inférieur à 30 % à chaque tentative), il est habituel de créer un nombre relativement important d’embryons. Or le décès de l’homme met brutalement fin au projet parental. Dans ce cas de figure, le CCNE met en avant le « choix impossible » laissée à la mère, privée de conjoint, à laquelle on demande non seulement d’entériner la fin d’un projet parental mais aussi de consentir à la destruction des embryons, à leur utilisation à des fins de recherche, ou à un transfert au bénéfice d’un autre couple. Dans ces circonstances, l’instance met en balance l’intérêt de l’enfant, privé de père, et le respect de la volonté du couple manifestée par le projet parental. Elle met aussi en balance « la programmation de la naissance d’un enfant privé de père » avec « la réalité présente d’un embryon existant et le respect qui lui est dû ».

Alors que la précédente mission d’information sur la révision de la loi de bioéthique avait, en 2010, recommandé que soit autorisé le transfert d’embryon post mortem, le législateur a finalement décidé de ne pas lever cet interdit. M. Jean Leonetti avait alors souligné l’importance du projet parental dans ce transfert d’embryon post mortem, jugé « éthiquement concevable » ([25]) car le décès du conjoint vient interrompre un projet parental déjà engagé et devant aboutir dans un bref délai à la naissance d’un enfant.

b.   Les membres du couple doivent être « en âge de procréer », mais la condition d’âge n’est pas fixée par la loi

L’âge de procréation est un autre paramètre d’accès aux techniques d’AMP. Aucun texte ne le fixe cependant. Il revient aux praticiens, voire au juge, d’apprécier dans chaque cas d’espèce si les membres du couple sont effectivement en âge de procréer, avec les risques d’inégalité d’accès qui résultent de l’absence de limite clairement fixée.

Dans un avis adopté le 8 juin 2017, le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine a apporté un éclairage sur l’âge de procréation ([26]). Constatant une certaine hétérogénéité parmi nos voisins européens, le document rappelle que le principe d’une limite d’âge a été posé dès les premières lois de bioéthique, afin d’éviter certaines « “dérives” » ([27]) observées notamment en Italie. Le conseil d’orientation estime qu’il faut tenir compte non seulement du projet parental mais aussi de l’intérêt de l’enfant et des conséquences prévisibles d’une autorisation d’AMP tardive sur ses conditions de vie.

L’avis rappelle d’ailleurs que la « commission nationale de médecine et biologie de la reproduction (CNMBR : commission nationale en place avant la création de l’ABM) avait proposé en juillet 2004 que “pour des raisons associant l’efficacité des techniques d’AMP et l’intérêt de l’enfant, il est recommandé de ne pas accéder à une demande d’AMP lorsque l’âge de la femme est supérieur à 42 ans révolus et / ou l’âge de l’homme est supérieur à 59 ans révolu ».

Parallèlement, l’assurance maladie a été amenée à fixer une limite d’âge pour la prise en charge des actes réalisés dans le cadre d’une AMP. La classification commune des actes médicaux précise ainsi que « les actes […] ne peuvent pas être facturés au-delà du jour du 43ème anniversaire de la femme ». Cette décision prise par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie en mars 2005 n’empêche cependant pas un praticien d’apprécier différemment la situation de l’intéressée, étant précisé que les actes pratiqués resteront à sa charge. L’avis de l’Agence de la biomédecine rappelle d’ailleurs que la balance bénéfice/risque est un paramètre important de la prise de décision. Au‑delà d’un certain âge, les « très mauvais résultats de l’AMP » aboutissent à un « rapport bénéfice/risque négatif ».

Dans son avis, le conseil d’orientation rappelle que « la question de l’âge en AMP ne se pose pas de façon identique chez la femme et l’homme ». Soulignant que l’horloge biologique est une réalité, il s’est prononcé en faveur d’une limite d’âge fixée pour la femme à 43 ans « dans le cas de l’utilisation d’ovocytes préalablement conservés ou de donneuse » sans exclure « une discussion au cas par cas entre 43 et 45 ans ». S’agissant de l’homme, pour lequel « il n’existe pas d’arrêt du fonctionnement gonadique net », la limite a été fixée à 60 ans (âge audelà duquel l’innocuité de l’action médicale se pose pour la « procréation intraconjugale ou avec don de spermatozoïdes »). Dans les deux cas, le conseil d’orientation insiste pour qu’une information soit délivrée aux candidats à une AMP quant aux limites fixées par l’Agence.

Le juge administratif a été saisi de la légalité des limites fixées par l’Agence de la biomédecine. En juin 2016, celle-ci n’avait pas autorisé l’exportation de gamètes recueillis d’hommes âgés de plus de soixante ans et les deux refus avaient été contestés devant le tribunal administratif de Montreuil. Saisie en appel, la cour administrative d’appel de Versailles a estimé qu’« en fonction des connaissances scientifiques […] disponibles, un homme peut être regardé comme étant “en âge de procréer”, […], jusqu’à un âge d’environ 59 ans, au-delà duquel les capacités procréatives de l’homme sont généralement altérées » ([28]).

Sur la base de ces éléments, l’Agence de la biomédecine souhaite que le législateur apporte des précisions sur l’âge de procréer ([29]).

c.   Le consentement des membres du couple est une formalité substantielle

Un préalable à tout projet d’AMP est l’expression du consentement à toute intervention technique, qu’il s’agisse des donneurs ou des receveurs. Tant le code de la santé publique que les recommandations de bonnes pratiques insistent sur la nécessité d’un consentement libre et éclairé et sur la délivrance d’une information loyale, claire et appropriée. Le consentement demeure un principe cardinal des lois de bioéthique, particulièrement en cas d’AMP. Tout l’édifice juridique repose sur la vérification de ce consentement au début de la démarche et tout au long de l’accompagnement du couple jusqu’à la réalisation de l’opération.

Un consentement préalable est nécessaire en vue d’une insémination ou d’un transfert d’embryon (article L. 2141-2 du code de la santé publique) tandis qu’une série d’entretiens est requise pour toute mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation (article L. 2141-10).

Ces rencontres visent à vérifier la motivation des membres du couple, à les informer des « possibilités de réussite et d’échec » (taux de réussite en termes de naissances effectives, pénibilité et contraintes organisationnelles, risques de grossesse multiple et de complications obstétricales, risques à court, moyen et long terme pour la santé des personnes qui ont recours à l’AMP) et à leur remettre un « dossier-guide » comportant diverses informations sur les techniques utilisées et le rappel des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’AMP (existence du dispositif de vigilance, modalités de prise en charge par l’assurance maladie, protection des données personnelles). Le couple dispose, à l’issue de ces entretiens, d’un délai d’un mois avant de confirmer sa demande par écrit.

Le consentement se prête à un formalisme particulier lorsque le projet porte sur une insémination artificielle avec donneur ou l’accueil d’un embryon. Dans le premier cas, le code de la santé publique dispose que « les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur doivent préalablement donner, dans les conditions prévues par le code civil, leur consentement au juge ou au notaire ». L’article 311-20 du code civil prévoit une disposition miroir qui précise, en outre, que le juge ou le notaire « les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation ». Dans le second cas, l’accueil de l’embryon n’est possible qu’après décision judiciaire, qui ne peut intervenir qu’après qu’a été recueilli le « consentement écrit du couple à l’origine de [la] conception [de l’embryon] ».

Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions, actuellement en cours de navette parlementaire, prévoit que le recueil du consentement à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et à l’accueil de l’embryon relèvera de la compétence exclusive du notaire ([30]).

Si le consentement est nécessaire pour initier la démarche d’AMP, sa réitération l’est tout autant. Le dernier alinéa de l’article L. 2141-3 dispose ainsi que « les deux membres du couple sont consultés chaque année pendant cinq ans [délai légal de conservation des embryons permettant la réalisation de l’AMP] sur le point de savoir s’ils maintiennent leur demande parentale ».

Enfin, le code civil dispose enfin que le consentement peut être révoqué par écrit « avant la réalisation de la procréation médicalement assistée » auprès du praticien chargé de l’opération. Le consentement cesse également en « cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée ».

4.   La société s’efforce de lever les obstacles à l’AMP

a.   Le critère d’infertilité pathologique justifie une prise en charge par la sécurité sociale

La prise en charge de l’AMP par l’assurance maladie repose sur l’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale, en raison de sa dimension pathologique, et sur une décision de l’UNCAM, s’agissant des conditions de prise en charge.

Puisqu’il est conditionné à une dimension pathologique – une infertilité « médicalement diagnostiquée » ou le risque de « transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité » –, le recours aux techniques d’AMP entre dans le champ du 1° de l’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que « la protection sociale contre le risque et les conséquences de la maladie » et comporte notamment « la couverture des frais de médecine générale et spéciale » ou encore « des frais de biologie médicale » et de ceux « relatifs aux actes d’investigation individuels ».

La prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale

L’Agence de la biomédecine évalue à 200 M€ le coût de l’AMP qui recouvre à la fois le financement en France et le financement de l’AMP à l’étranger.

 Sur le territoire national, l’AMP comprend 2 modes de financement :

Le financement par les prestations facturables qui couvre l’hospitalisation pour ponction d’ovocytes, effectuée en hôpital de jour, les actes biologiques de FIV sans ou avec micromanipulation (ICSI) et le transfert d’embryons intra-utérin par voie vaginale ;

Le financement par le biais d’une dotation forfaitaire au titre d’une mission d’intérêt général AMP dont l’objectif est de compenser les surcoûts des activités de soins. La dotation MIG AMP s’élève à près de 19 millions d’euros.

 Conformément à l’article R. 160-2 du code de la sécurité sociale, les activités cliniques et biologiques d’AMP réalisées à l’étranger peuvent être prises en charge sous réserve d’un d’accord préalable de l’assurance maladie. Pour 2017, le rapport d’activité du Centre national des soins à l’étranger (CNSE) fait état de 1 292 dossiers avec un remboursement à hauteur de 1,8 M€ (dont 1,6 pour les actes cliniques d’AMP et 0,2 M€ pour les frais de transport) pour des dépenses évaluées à 6,4 M€.

Source : réponse de l’Agence de biomédecine au questionnaire transmis par le rapporteur

En vertu d’une décision de l’UNCAM, la classification commune des actes médicaux identifie les conditions de prise en charge des actes par le régime de base. Les actes de procréation médicalement assistée sont pris en charge jusqu’au 43ème anniversaire de la femme, sous accord préalable de la caisse primaire d’assurance maladie. Sont remboursés :

– une insémination artificielle par cycle, avec un maximum de six pour obtenir une grossesse ;

– quatre tentatives de fécondation in vitro pour obtenir une grossesse.

b.   Les contraintes qu’occasionnent les parcours d’AMP au regard de la vie professionnelle justifient un régime d’autorisation d’absence

Depuis la modification apportée par la loi de modernisation de notre système de santé à l’article L. 1225-16 du code du travail ([31]), les salariées bénéficiant d’une AMP dans les conditions définies par le code de la santé publique obtiennent de droit une autorisation d’absence « pour les actes médicaux nécessaires ».

Cette modification, introduite en cours de navette et à l’initiative du Sénat, faisait suite aux propositions de sa Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Elle avait ensuite été approuvée par l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, moyennant quelques modifications. Il s’agissait d’étendre aux femmes bénéficiant d’une AMP des dispositions alors prévues pour les salariées en état de grossesse.

Le bénéfice d’une autorisation d’absence s’étend au conjoint de la femme bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation, qu’il soit marié, lié par un pacte civil de solidarité ou concubin. Une autorisation d’absence lui est délivrée pour se rendre à trois des actes médicaux nécessaires pour chaque protocole du parcours d’assistance médicale au maximum.

Enfin, l’autorisation d’absence n’entraîne aucune diminution de la rémunération et reste assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux et conventionnels acquis au titre de l’ancienneté dans l’entreprise.

Ces dispositions du code du travail ne sont pas immédiatement applicables aux salariés du secteur public, qui sont placés dans une situation légale et réglementaire. Une circulaire du 24 mars 2017 ([32]) invite les employeurs publics à accorder ce droit aux « agentes publiques » et à leur conjoint « agent public » « dans les mêmes conditions que dans le secteur privé, sous réserve des nécessités de service ».

5.   L’intervention d’un tiers donneur nécessite des règles spécifiques

a.   Le don de gamètes ou d’embryon repose sur les principes de gratuité et d’anonymat

Les règles relatives au don de gamètes ou d’embryon ne s’écartent pas du corpus applicable au don des éléments et produits du corps humain. On se reportera à cet effet à la partie du rapport qui y est consacrée.

 On rappellera que l’interdiction de tout paiement résulte de l’article 16‑6 du code civil et de l’article L. 1211-4 du code de la santé publique, qui fixent un interdit applicable à tous les éléments et produits du corps humain, donc aux gamètes. Le cinquième alinéa de l’article L. 2141-6 du code de la santé publique prohibe également la rémunération du don d’embryon. Ces interdits font écho au principe de non-patrimonialité du corps humain et visent à lutter contre toute logique de marchandisation du corps humain ainsi qu’à garantir le caractère purement altruiste du don.

 L’AMP avec tiers donneur repose également sur l’anonymat du don, qui protège le donneur et le receveur de gamètes ou d’embryon.

La loi « institue un anonymat absolu, inconditionnel et irréversible dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée » ([33]), rappelle le Conseil d’État dans son étude précitée. La règle selon laquelle « le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur » est consacrée par l’article 16-8 du code civil, par l’article L. 1211-5 du code de la santé publique ainsi que par le troisième alinéa de l’article L. 2141-6 du même code pour le don d’embryon. Seule la nécessité thérapeutique (article L. 1211-5 précité) et le diagnostic d’une « anomalie génétique grave » (article L. 1131-1-2 du code de la santé publique) permettent d’y déroger. Encore faut-il préciser qu’il s’agit alors seulement de recueillir les données de santé relatives au donneur strictement nécessaires à l’élaboration de la stratégie médicale et non de « lever l’anonymat » à proprement parler.

Imaginé dès 1973 sur le modèle du don du sang – anonyme et gratuit – et réglementé alors à l’initiative du corps médical, le don de gamètes est gravé dans le marbre de la loi de 1994.

Le principe d’anonymat est alors posé avec l’objectif d’une bonne intégration de l’enfant dans sa famille, en instituant le mari ou le compagnon de la mère en qualité de père, sans que le géniteur ne puisse venir troubler cela. Comme le rappelle Mme Dominique Mehl, « à l’aube de l’institutionnalisation de l’insémination artificielle avec donneur, […] la préoccupation majeure des fondateurs est de prémunir cette famille éclose grâce à la médiation d’un tiers contre une éventuelle concurrence de figures paternelles » ([34]). L’anonymat est ainsi conçu pour que l’AMP s’inscrive comme substitut à la procréation « naturelle ». Dans cette logique, la société préserve le secret de la conception : il revient alors aux seuls parents de décider de lever ou de conserver ce secret.

Du point de vue du donneur, l’anonymat est la garantie que le don, effectué dans une optique altruiste, ne se traduira pas, à terme, par une implication quelconque dans la vie de l’enfant. Ainsi, il « protège le donneur contre toute velléité de l’enfant de lui faire occuper une place parentale » ([35]). Dans un arrêt rendu le 12 novembre 2015, le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler que la règle de l’anonymat du donneur de gamètes répond à l’objectif de préservation de sa vie privée et de sa famille. En l’espèce, il avait rejeté une demande de communication de documents formulée auprès de l’administration hospitalière. Juge de la Convention européenne des droits de l’homme, il avait alors conclu à l’absence de violation des droits et libertés que celle-ci garantit.

L’anonymat au moment du don est aussi la garantie de non-sélection, car « la possibilité de connaître l’identité du donneur alimente inévitablement la tentation de le choisir », ce qui « ouvrirait la voie à une conception “sur catalogue” » ([36]).

Il est aussi motivé par le souhait de préserver la vie privée des receveurs, les arguments n’étant, sur ce point, pas différents de ceux exposés dans la partie du présent rapport consacrée au don des éléments et produits du corps humain. S’y ajoute le fait, souligné dans la contribution transmise à la mission par la fédération française des CECOS, que « l’anonymat du don aide les couples à maintenir le droit à préserver leur vie privée, à respecter leur choix du recours à un tiers donneur et à inscrire l’enfant ainsi conçu dans leur généalogie. Le secret de la conception peut être plus facilement levé dans le contexte d’un don anonyme et le couple infertile peut s’installer dans sa fonction parentale ». Par contre, lors de plusieurs auditions, le rapporteur a eu l’occasion de souligner que beaucoup plus d’efforts avaient malencontreusement été déployés pour préserver le secret (celui de la stérilité, celui de la conception, celui sur les origines) que pour inciter la famille à informer celui né avec un tiers donneur du mode de conception, précocement, dans l’enfance. Parfois même, des encouragements au silence absolu ont été dispensés, au prétexte de ne pas délégitimer les parents mais sans prendre en considération les graves conséquences psychologiques de ce « secret de famille » gardé trop longtemps.

b.   L’utilisation des gamètes issus d’un don met en jeu une pratique d’appariement

Auditionné par la mission d’information, M. Jacques Testart a abordé l’enjeu de l’appariement dans le cadre des dons de gamètes, considérant que ses modalités posent une difficulté. Selon lui, « nos grands principes d’égalité et de “refus de tout eugénisme” sont aussi mis à mal par l’assistance médicale à la procréation avec don de sperme – IAD ou fécondation in vitro (FIV) avec donneur –, qui donne de facto aux praticiens la responsabilité de choisir le père génétique de l’enfant ». Pour M. Testart, « ces opérations débordent les pratiques sociales usuelles pour le choix d’un partenaire, auquel on ne demande pas un bilan médical » parce qu’elles « reposent sur des critères établis par les banques de sperme elles-mêmes et demeurent largement opaques. Ainsi, les praticiens s’accaparent un pouvoir eugénique potentiellement sans limites, si la loi n’établit pas les règles nécessaires et suffisantes » ([37]).

Le rapporteur ne partage par les conclusions de M. Testart, qui font un lien quelque peu excessif entre l’AMP avec tiers donneur et l’eugénisme.

Lors de toute procédure d’AMP impliquant un don de gamètes, un appariement est effectué en application de recommandations de bonnes pratiques ([38]). En France, il est effectué par le personnel médical, alors que dans d’autres pays tels que les États-Unis, le Danemark ou l’Espagne, les receveurs choisissent eux-mêmes les donneurs à partir de descriptions très précises ou, dans certains cas, de photographies ([39]).

Mme Florence Eustache, présidente de la commission scientifique et technique de la Fédération des CECOS, a présenté les modalités pratiques du processus d’appariement, qui, selon elle, « suscite de nombreux fantasmes » ([40]). Concrètement, l’appariement est d’abord motivé par le souci d’exclure tout facteur de risque présent chez le donneur ou chez le receveur. L’appariement vise aussi à prendre en compte les caractéristiques physiques et les groupes sanguins du couple receveur « dans la mesure du possible et si le couple le souhaite » ([41]). Mme Eustache a donc précisé que « lorsque nous recevons un donneur ou une donneuse, un bilan est effectué, de même qu’une enquête génétique visant à s’assurer que la personne n’est pas porteuse d’une maladie génétique. Lorsque nous accueillons les couples receveurs, nous tenons compte des phénotypes physiques – couleur des yeux, des cheveux, taille, poids, etc. –, de façon à disposer d’un gabarit et d’une représentation du couple. Nous pratiquons de la même façon avec les donneurs. L’idée présidant à l’appariement est que l’enfant soit cohérent avec le couple. Nous respectons donc également les ethnies. […] Je ne vois pas en quoi nos pratiques pourraient s’apparenter à de l’eugénisme : nous essayons simplement de faire en sorte que l’enfant soit cohérent avec les parents. » ([42])

Il s’agit effectivement de faire un choix, parmi les gamètes disponibles, permettant que le donneur ou la donneuse ressemble le plus possible au membre du couple correspondant, favorisant notamment, « la vraisemblance du lien de filiation entre l’enfant issu d’un don et le parent stérile » ([43]). L’objectif n’est donc pas la recherche d’un enfant idéal, parfait à tous égards et répondant à des caractéristiques imposées arbitrairement.

L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules a amené plusieurs personnes auditionnées par la mission d’information à émettre de nouvelles interrogations sur ce point. Le conseil national de l’ordre des médecins se demande ainsi « comment le choix se fera lorsque la demande sera celle d’une femme seule. Faudra-t-il apparier avec ses seules caractéristiques personnelles ? » ([44]).

Une étude sur les pratiques d’appariement mises en œuvre dans différents pays relève qu’au « Cryos ([45]), comme dans les banques de sperme américaines, les femmes célibataires choisissent leur donneur parmi des hommes qui sont essentiellement de type européen, de grande taille et aux yeux bleus » ([46]). La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a souligné que « cette technique de sélection du donneur peut avoir des effets discriminatoires à l’égard de certaines catégories de personnes » ([47]).

Le rapporteur rappelle toutefois que l’éventuel maintien d’un interdit en France de l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules reviendrait à laisser perdurer le fait que les femmes françaises puissent avoir recours à ces banques, dont les modalités d’appariement ne correspondent pas aux critères éthiques définis dans notre pays.

Afin d’éviter des effets susceptibles de nuire au désintéressement du don, il pourrait être opportun de compléter les recommandations de bonnes pratiques pour rappeler l’interdiction de toute discrimination et éviter les choix de convenance au regard des caractéristiques physiques du donneur.

B.   Une filiation par AMP calquée sur la filiation par procréation naturelle

La filiation est le lien juridique qui unit un enfant à son ou ses parent(s). Elle peut être établie de façon non contentieuse par l’effet de la loi, par une reconnaissance volontaire ou encore par la possession d’état ([48]) à condition qu’elle ait été constatée dans un acte de notoriété délivré par le juge d’instance ([49]) à la demande de l’un ou des deux parents ou de l’enfant. À défaut, elle peut l’être de façon contentieuse par un jugement rendu à l’issue d’une action engagée à cette fin.

1.   La filiation en cas d’assistance médicale à la procréation endogène

La filiation d’un enfant conçu et né d’une assistance médicale à la procréation endogène est soumise au droit commun (« établissement de la filiation par l’effet de la loi ») défini par le titre VII du livre Ier du code civil.

Le droit commun de la filiation repose sur la vraisemblance et la présomption biologiques. Ainsi, la mère est la femme qui accouche – ce que traduit l’adage romain mater certa est, la mère est certaine – et son époux est présumé être le père de l’enfant – pater is est quem nuptiae demonstrant, le père est celui que le mariage désigne – ou, s’ils ne sont pas mariés, le père est celui qui reconnaît l’enfant.

L’article 311-25 du code civil prévoit en effet que la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. Toutefois, lors de l’accouchement, la mère peut demander que le secret de son admission et de son identité soit préservé.

La présomption de paternité en faveur du mari repose sur l’article 312 du code civil, selon lequel « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Toutefois, lorsque la filiation n’est pas établie dans ces conditions – soit que la femme n’a pas indiqué son nom dans l’acte de naissance ou que les parents ne sont pas mariés –, elle peut l’être par une reconnaissance de paternité ou de maternité, faite avant ou après la naissance, en vertu de l’article 316 du code civil. Dans ce cas, la reconnaissance n’établit la filiation qu’à l’égard de son auteur. Elle est faite dans l’acte de naissance, par acte reçu par l’officier de l’état civil ou par tout autre acte authentique.

2.   La filiation en cas d’assistance médicale à la procréation avec don de gamètes

La filiation d’un enfant conçu et né d’une assistance médicale à la procréation avec don de gamètes est calquée sur les règles de droit commun mais elle doit répondre à certaines conditions propres à cette méthode de procréation, qui ont été introduites dans le code civil par la loi de 1994, au sein d’une section du titre VII du livre Ier consacrée à l’assistance médicale à la procréation.

Le dispositif a été conçu « dans un souci – d’ailleurs critiqué ensuite par certains et certaines – de mimer le biologique. C’était donc bien le conjoint du couple, marié ou pas, qui engageait le processus d’AMP qui était présumé être le père. Cela a été décalqué, si je puis dire : on restait toujours dans cette idée du biologique même si, avec un tiers donneur, on l’écornait quelque peu puisque le père biologique n’était plus le même. Mais on mimait les choses », comme l’a souligné Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’État ([50]). Ainsi, bien que la filiation ne soit pas biologique, elle en utilise les modes classiques d’établissement, telle une « pseudo filiation charnelle » ([51]).

Par conséquent, la mère est celle qui accouche et son époux est présumé être le père de l’enfant ou, s’ils ne sont pas mariés, le père est celui qui reconnaît l’enfant.

Toutefois, la filiation paternelle, alors plus fragile que dans les autres situations, nécessite d’être consolidée dans un souci de protection de la famille ainsi constituée. Pour que l’absence de caractère biologique ne fragilise pas le lien institué – puisqu’une action en contestation de la filiation paternelle aboutirait nécessairement –, le code civil prévoit que la filiation établie à l’égard du père qui a consenti à l’AMP avec tiers donneur est la seule à ne pas pouvoir être contestée, ni par le père, qui s’engage devant le juge à reconnaître l’enfant sous peine de s’exposer à une action en responsabilité engagée par la mère ou l’enfant, ni par le donneur, ni par un quelconque tiers, sauf à prouver que l’enfant n’est pas issu de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

L’article 311-20 du code civil prévoit en effet que le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation, à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet. En outre, celui qui a donné son consentement et qui ne reconnaît finalement pas l’enfant issu de l’AMP engage sa responsabilité envers la mère et l’enfant et voit sa paternité judiciairement déclarée.

L’article 311-19 du code civil dispose en outre qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de l’AMP et qu’aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur.

II.   Dépasser les limites biologiques de la procréation demain : une reconnaissance DE TOUS LES modèles familiaux

La question de l’accès à l’AMP s’insère dans un contexte où s’entremêlent l’affirmation des libertés individuelles, la revendication d’une égalité des droits, la pluralité des systèmes familiaux et le désir d’enfant. Son intensité actuelle ne tient pas tant aux évolutions scientifiques ou techniques qu’aux avancées sociétales intervenues ces dernières années. En particulier, l’institution du mariage entre couples de personnes de même sexe, couplé au droit à l’adoption pour les couples homosexuels, a permis de lever certaines barrières et incite à ouvrir à de nouvelles formes de famille l’assistance médicale à la procréation. À cet égard, le phénomène majeur qui bouscule les lignes d’équilibre précédemment établies est la résonance nouvelle donnée au projet parental : il semble avoir pris définitivement le pas sur le critère d’infertilité pathologique qui, actuellement, verrouille le champ d’intervention de l’AMP.

Cette question fait cependant débat au sein de la société, et la mission d’information a eu à cœur d’entendre le plus grand nombre d’avis, sans exclusive, considérant que les parlementaires devront être pleinement éclairés lorsque viendra le temps du choix. Sans surprise, les développements qui suivent s’efforcent de synthétiser les arguments exposés devant la représentation nationale.

A.   Le projet parental, une revendication légitime AU cœur DES NOUVEAUX MODÈLES FAMILIAUX

1.   Un paysage familial désormais pluriel

La revendication de l’accès à l’AMP ne fait que refléter la pluralité des cellules familiales, mise en lumière par de nombreux chercheurs en sciences sociales notamment. Le rapport du groupe de travail « Filiation, origines, parentalité », conduit par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer ([52]) en offre un panorama particulièrement éclairant. Alors que notre société s’inscrit depuis les années 1960 dans le temps du « démariage » ([53]) et que de nouvelles formes de conjugalité sont aujourd’hui socialement acceptées (concubinage, pacte civil de solidarité (PACS), famille monoparentale, famille recomposée, famille homoparentale), tout se passe comme si les conclusions n’en avaient pas été tirées au regard des représentations et de l’égalisation des régimes de filiation. Le rapport relève que « notre droit se refuse toujours à accueillir à égalité toutes les filiations : qu’elles soient fondées sur la procréation charnelle, sur l’adoption ou sur l’engendrement avec tiers donneur ». Nous sommes encore pétris du poids du « modèle matrimonial de filiation » fondé sur « l’idéal du mariage traditionnel » pour lequel « les trois grandes composantes de la filiation (biologique, sociale/éducative et juridique/symbolique) [sont] en quelque sorte rassemblées sur une seule tête masculine, le père, et une seule tête féminine, la mère » ([54]).

Si vivre en couple marié reste la situation la plus répandue, de nouvelles formes de conjugalité sont apparues avec le PACS et le concubinage. Les dernières enquêtes de l’INSEE font état de la répartition suivante : 73 % de couples mariés, 4 % de « pacsés » et 23 % d’unions libres ([55]). La part des couples mariés était de 96 % en 1975 et de 87 % en 1990. L’évolution de la conjugalité montre aussi une certaine forme de fragilité des unions, conduisant à l’émergence de familles recomposées et de familles monoparentales. Si les familles « traditionnelles » sont encore majoritaires (70 %), on observe une part non négligeable de familles recomposées (9,3 %) et de familles monoparentales (20 %). Pour mémoire, ces trois types représentaient respectivement 75 %, 8,7 % et 16,3 % en 1999. La conjugalité contemporaine ne repose pas sur le maintien d’une cohabitation subie, mais sur l’élection implicitement renouvelée du conjoint et de la famille.

La multiplication des types familiaux se nourrit aussi de l’éclosion et de la reconnaissance progressive de conjugalités nouvelles, en particulier les couples de personnes de même sexe. Cette reconnaissance est d’abord passée par l’adoption du pacte civil de solidarité en 1999 puis confirmée par l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels en 2013 ([56]). L’INSEE évalue à 205 000 les personnes en couple avec un conjoint du même sexe, « soit 0,6 % des 31,8 millions de personnes en couple ». L’institut estime à 90 000 le nombre de personnes du même sexe ayant conclu un PACS (soit 6,5 % des 1,4 million de personnes pacsées) et évalue à 7 400 et 10 000 le nombre de mariages célébrés en 2013 et en 2014 (respectivement 3 % et 4 % des mariages célébrés à ces années).

Au côté de ces évolutions, émergent aussi, quoique de façon renouvelée, des constructions familiales autour de ce que Mme Dominique Mehl appelle les « mères solos ». Ce phénomène se distingue de la « monoparenté », qui résulte « d’une séparation, d’un divorce ou d’une crise conjugale ». Au cours de la table ronde « Procréation et société » organisée conjointement par les commissions des lois et des affaires sociales, la sociologue évoquait les différentes façons de devenir, par choix, une mère célibataire. Outre la possibilité de l’adoption, ouverte aux célibataires, elles ont deux possibilités : « la première et la plus simple d’entre elles consistant à piéger un homme, qu’il soit votre compagnon ou une rencontre de passage », une autre, plus récente mais plus périlleuse (risque infectieux et risque juridique), consistant en « la recherche d’un donneur sur internet ». À cela s’ajoute la possibilité de se rendre à l’étranger, là où l’AMP est ouverte aux femmes seules. Mme Mehl fait par ailleurs le constat que ces femmes n’ont pas renoncé à une certaine conjugalité puisque « le conjoint sera toujours bienvenu, et certaines n’ont pas renoncé à l’idée du prince charmant » ([57]).

La mission d’information a auditionné les représentantes de l’association « Mam’en solo » qui ont confirmé en tous points les propos de Mme Mehl. Mme Laure Narce souligne ainsi que « les mamans solos, elles, ne sont pas seules : […] l’enfant est intégré dans une famille élargie, avec un parrain, des oncles, un grand-père, des amis, des institutions. Ces mamans sont particulièrement attentives au fait que l’enfant interagisse avec les autres. Les mamans solos et leurs enfants ne se sentent pas amputés d’un père, car ils ont construit dès le départ un équilibre familial incluant ces données. Les différentes études le démontrent : ce n’est pas le format de la famille qui compte, mais la qualité des interactions avec les enfants. Les anti-PMA pensent qu’il est presque criminel qu’un enfant naisse sans un père à ses côtés ; nous considérons pour notre part que ce type de considération sur nos familles est davantage susceptible de faire souffrir nos enfants que l’absence d’un père » ([58]).

Émerge ainsi au côté de la parenté biologique, à laquelle se rattacheraient les familles traditionnelles, une parenté sociale qui, pour une part, procède des événements de la vie (rupture et recomposition), et, pour une autre part, procède de choix de vie assumés. C’est à ce dépassement de l’opposition entre parenté biologique et parenté sociale qu’appelle le groupe de travail « Filiation, origines, parentalité », notamment à travers l’égalisation des « conditions de filiation et la mise en lumière du projet parental ».

Le rapporteur souligne à cet égard la pertinence des études menées outre-Manche, notamment par Mme Susan Golombok, professeure à l’Université de Cambridge, directrice du Centre de recherches familiales, mais également de l’ensemble des travaux menés dans les pays où l’AMP est ouverte à toutes les femmes. Toutes les études portées à la connaissance du rapporteur, sans exception et quel que soit le pays où elles ont été conduites, révèlent que le devenir des enfants conçus par AMP et élevés par un couple homosexuel ou par une femme seule ne pose pas de difficultés. Mme Golombok a directement confirmé à la mission qu’« il apparaît très clairement que les enfants qui grandissent dans un foyer de couples de lesbiennes ne sont pas différents de ceux qui grandissent dans une famille dite traditionnelle. Leur bien-être psychologique est tout à fait comparable, ainsi que leur développement en matière de genre. Il n’y a pas de différence qui tende à montrer que ce dernier soit affecté par le comportement des parents» ([59]).

Le rapporteur ne méconnaît pas les critiques qui ont été adressées à ces études : elles seraient trop partielles, ne touchant qu’une part limitée des familles concernées ; elles ne reposeraient pas sur des observations cliniques (argument avancé par le Dr Sarah Bydlowski). Mais aucun élément probant n’a jamais été apporté à l’appui des thèses qui agitent l’idée d’un enfant perturbé, malheureux ou entravé dans son développement par le fait qu’il grandirait dans un cadre familial « non traditionnel ». Toute personne qui se prévaut d’une démarche scientifique devra donc convenir, en toute honnêteté, que l’intérêt de l’enfant n’est pas menacé, en l’état des connaissances disponibles. Cette constatation d’un épanouissement normal de ces enfants tend à confirmer la notion classique d’une capacité considérable d’adaptation du jeune enfant aux conditions de vie qui lui sont proposées. Elle souligne aussi que le facteur prioritaire au bon éveil et au bon développement de cet enfant est l’attention et l’amour qui lui sont prodigués par un ou des parent(s) l’ayant fortement désiré.

Pour autant, le rapporteur souhaite l’amplification et le développement prolongé de telles études Il tient toutefois à rappeler, comme Mme Martine Gross, pionnière des travaux sur l’homoparentalité en France, que « si l’on manque de recul en France, puisque l’homoparentalité n’y est visible que depuis une vingtaine d’années, dans les pays où la législation n’entravait pas l’homoparentalité, le phénomène a suscité de nombreuses études scientifiques depuis les années 1970, notamment aux États-Unis puis ultérieurement au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Belgique » ([60]).

2.   Le désir d’enfant en question

À la pluralité des formes de conjugalité répond aujourd’hui la pluralité des modes d’accès à la parentalité : procréation naturelle, adoption et procréation artificielle via l’assistance médicale à la procréation. Qu’il s’agisse de couples hétérosexuels, homosexuels ou de femmes célibataires, cette seconde pluralité nourrit le désir de parentalité ; le dénominateur commun de l’accès aux techniques médicales de procréation est le désir d’enfant. En ce sens, la diversification des structures familiales ne remet pas en cause ce qui paraît être une finalité anthropologique première : faire descendance. La famille a été renouvelée pour ce qui concerne la relation entre les adultes qui peuvent la composer ; elle reste « traditionnelle » au regard de l’irrépressible désir d’engendrement, que la condition biologique peut refuser mais que la science peut offrir, dans un cadre socialisé.

S’agissant des femmes seules, Mme Dominique Mehl souligne le fait qu’elles se détournent de l’adoption « pour les mêmes raisons que les couples de femmes ou les couples hétérosexuels, à savoir le désir de porter l’enfant, d’avoir un nouveau-né, pour ne pas construire le projet familial avec un enfant lesté par un passé d’abandon mais avec un enfant réellement désiré » ([61]).

S’agissant des couples de femmes, ce désir ne peut être satisfait, aujourd’hui, qu’à la condition de contourner la loi, de recourir à des expédients (auto-insémination, procréation naturelle dans le cadre d’un arrangement avec un donneur connu ou co-parentalité) ou d’une recomposition familiale.

S’agissant des couples hétérosexuels, le désir d’enfant est également un moteur important du recours à l’AMP car l’infertilité est un obstacle biologique au désir d’enfant, et ce d’autant que la condition d’infertilité n’est pas toujours remplie. Lors des auditions conduites par la mission, il a été souligné à plusieurs reprises que le diagnostic d’infertilité n’est pas aisé à poser et que l’impossibilité de procréer, dans certains cas, n’est pas irréversible et ne procède alors pas d’une infertilité médicalement établie.

Le désir d’enfant est tel que les adultes sont parfois prêts à se rendre à l’étranger pour le concrétiser. Cela concerne au premier chef les couples de femmes ou les femmes seules mais aussi les couples hétérosexuels ayant recours à l’insémination artificielle avec donneur (IAD) en raison de la pénurie de gamètes. Dans son rapport sur l’application de la loi de bioéthique, l’Agence de la biomédecine souligne que, pour ces couples, les délais d’attente sont longs et vont de un à 3 ans ([62]). Selon une récente publication de l’Institut national d’études démographiques (INED) ([63]), 5 % des enfants conçus par AMP en France le sont avec tiers donneur. L’AMP avec tiers donneur « concerne très largement le don de spermatozoïdes (4 % des naissances AMP, soit environ 1 000 enfants par an) et de manière marginale le don d’ovocytes (1 % des naissances d’AMP, soit environ 250 enfants par an) ». La même publication souligne que « la pénurie de donneurs en France ne permet pas de répondre à la demande des couples hétérosexuels infertiles en âge reproductif, en particulier la demande d’ovocytes », étant précisé que le recours à l’AMP transnationale peut faire l’objet d’un remboursement auprès du centre de remboursement des soins à l’étranger (cf. encadré sur la prise en charge de l’AMP). La même tendance se retrouve dans d’autres pays européens dont les règles sont parfois plus strictes qu’en France
– les dons d’ovocytes sont interdits en Allemagne et en Italie, le don de sperme est interdit en Italie. Se dessine ainsi une concentration du marché européen du don de sperme et d’ovocytes au Danemark, en Belgique et en Espagne : « deux pays, le Danemark et la Belgique, qui ne représentent respectivement que 1 % et 2 % des naissances de l’UE, mais assurent 26 % et 20 % des dons de sperme de l’UE, et l’Espagne, qui représente 8 % des naissances et assure 19 % des dons de sperme ».

Le nombre de couples de femmes et des femmes seules se rendant à l’étranger pour recourir à une AMP, dont elles ne peuvent aujourd’hui bénéficier en France, reste difficile à estimer. Dans son avis n° 126, le CCNE estimait qu’« entre 2005 et 2007, plus de 2 000 françaises ont fait une IAD dans un centre Belge » ([64]), tandis que le Centre national des soins reçus à l’étranger (CNSE) a répertorié environ 1 300 demandes en 2013 et près de 1 500 demandes en 2015 ([65]).

Certaines auditions ont suggéré que la notion de désir d’enfant méritait d’être interrogée, car recouvrant des situations variées. Le rapporteur en convient : tout d’abord, le désir d’enfant – très noble et légitime – ne doit pas être confondu avec la revendication d’un droit à l’enfant – qu’il n’est pas question de reconnaître ; par ailleurs, les motivations de ce désir sont très diverses et, dans l’intérêt même de l’enfant, une consultation médicale préalable spécialisée est nécessaire, suivie d’un accompagnement. La proposition d’intégrer un pédopsychiatre au suivi post-AMP, formulée par le Dr Sarah Bydlowski, paraît judicieuse ([66]).

3.   La question de la fertilité reste néanmoins au cœur des débats

Plusieurs des auditions menées par la mission d’information ont mis au jour une problématique centrale : la question de la fertilité. Les femmes, dont la fertilité est contrainte par leur « horloge biologique », voient la possibilité d’accéder à la maternité réduite, en particulier par l’évolution des modes de vie et par les mutations socio-professionnelles du monde contemporain.

Plusieurs personnes ont souligné ce phénomène, comme Mme Dominique Mehl s’agissant de la « maternité solo ». Selon la sociologue, « c’est un mouvement qui semble à peu près irréversible dans la mesure où il découle des mutations de l’engagement professionnel, de l’allongement des études et de toutes ces conditions qui font qu’on se décide plus tardivement à faire un enfant » ([67]) . Ce phénomène a largement été l’une des conséquences de la contraception et du contrôle des naissances, l’enfant n’arrivant maintenant que lorsque la mère ou le couple le décide. Le découplage entre la disponibilité pour la procréation et l’horloge biologique a été confirmé par d’autres personnes qui, elles, soulignaient soit un effacement de l’homme, très peu sensibilisé au couperet de l’horloge biologique, soit l’effet d’une organisation sociale et professionnelle peu propice à la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale.

Au cours de son audition, le Dr Joëlle Belaisch Allart a souhaité approfondir cet enjeu. Le retard croissant du premier enfantement est régulièrement mis sur le compte des femmes, notamment de la pilule et du « carriérisme ». En réalité, il faut surtout incriminer la difficulté à trouver « le temps de rencontrer l’homme de sa vie ou le “prince charmant”, c’est-à-dire celui avec qui on veut faire un enfant et fonder une famille, et surtout que celui-ci soit d’accord pour le faire » ([68]). Selon le Dr Belaisch Allart, « toutes les études scientifiques à ce sujet montrent que le problème principal est bien celui de l’homme et non celui de la femme carriériste ». Celui-ci se sentirait moins concerné et très en retrait du désir d’enfant ou de fonder un foyer. Dans ces conditions, la femme qui a maintenant la possibilité de choisir le moment de l’enfantement diffère cette décision quand son compagnon lui apparaît insuffisamment fiable (en termes de stabilité du couple ou de maturité pour exercer une responsabilité de père).

Prolongeant cette idée, elle a plaidé pour une information plus précoce des hommes sur la chute de la fertilité « dans les lycées, à la fac » et via les journaux à destination des publics masculins. Elle a d’ailleurs relevé que si « les journaux féminins jouent bien le jeu », elle n’a jamais été interviewée sur ces questions « ni par L’Équipe, ni par un journal de voitures, ni par un journal d’avions, ni par quelque média masculin que ce soit ». Or, « le message que la fertilité de la femme chute n’est pas connu des hommes, et le message que la fertilité des hommes chute aussi avec l’âge est encore moins connu d’eux » ([69]).

Le site internet de l’Inserm apporte quelques éclairages sur ce fait structurant et constate que « le recul de l’âge des femmes désirant concevoir un premier enfant est une cause importante d’infertilité et de recours à l’AMP ». « L’âge moyen au moment de devenir mère » était de « 26,5 ans en 1977 ». Il est passé à « 30,4 ans en 2016 » ([70]). Cet âge n’est déjà plus celui de la fertilité optimale et il ne s’agit que du premier enfant. Ce chiffre étant une moyenne, il signifie qu’un nombre important de femmes sont susceptibles d’accoucher à des âges avancés. Il est admis qu’après 35 ans, le déclin de la qualité des ovocytes accroît le risque d’infertilité. Or, l’Inserm souligne que « 21,3 % des femmes ont plus de 35 ans quand elles accouchent et 4,1 % plus de 40 ans ».

Le tableau ne serait pas complet s’il n’était fait mention de la baisse de la qualité du sperme, phénomène suivi par Santé Publique France. Sur son site internet, l’agence mentionne ainsi l’étude rétrospective réalisée pour la période 1989-2005 qui conclut à la « baisse de la concentration spermatique et de la qualité morphologique des spermatozoïdes ». Une seconde étude évoque comme cause possible de cette perte de qualité des facteurs environnementaux ([71]).

L’audition relative aux relations entre la santé et l’environnement a permis à la mission de recueillir des informations complémentaires sur l’évolution de la gamétogenèse ([72]). Le Pr Charles Sultan a confirmé que les « perturbateurs endocriniens altèrent la cellule de Sertoli », dont la fonction est de nourrir les spermatozoïdes, conduisant au « syndrome de dysgénésie testiculaire (testicular dysgenesis syndrome – TDS) [et] réduisant la spermatogenèse à l’âge adulte ». Mis en évidence par le professeur Niels-Erik Skakkebaek en 2001, ce phénomène demeure aujourd’hui largement méconnu. Au maximum, il peut en résulter une azoospermie, cause de stérilité masculine. Le Pr Sultan a également rappelé les conséquences néfastes des perturbateurs endocriniens sur le pool folliculaire en soulignant qu’« au lieu de naître avec quatre cents follicules – c’est-à-dire quatre cents cycles d’ovulation à raison d’un follicule par mois, soit une moyenne de trente ans, durée de vie endrocrino-gynécologique d’une femme […], la petite fille va naître avec deux cents ou trois cents follicules, ce qui pourrait expliquer en partie l’accélération de la ménopause observée en France et la hausse du taux d’infertilité ».

Sans méconnaître ces réalités, le Dr Joëlle Belaisch Allart a mis en avant d’autres facteurs, tels l’obésité ou le tabagisme, pour lesquels les documentations scientifiques recommandent d’agir via une politique de prévention globale et renforcée, notamment à l’attention des jeunes générations. Elle a notamment souligné, à propos du tabagisme, que, « selon une enquête parue dans les hôpitaux, tout le monde connaît le cancer du poumon mais très peu savent qu’il avance l’âge de la ménopause et favorise les fausses couches, et même que le tabagisme du père favorise les fausses couches » ([73]). Constatant la prévalence croissante de l’obésité chez les hommes, le Dr Belaisch Allart a appelé l’attention de la mission sur la lutte contre l’obésité, qui serait le second facteur de la baisse de la gamétogenèse. À tout le moins, il lui semble indispensable de renforcer l’information du public sur ce sujet.

Face à cela, plusieurs personnes ont appelé les pouvoirs publics à faire de l’infertilité une priorité en matière de santé publique, à l’instar du collectif Bamp !, auditionné par la mission d’information, ou encore de MM. René Frydman, Alain Houpert et Christian Hervé, à l’initiative d’une tribune en faveur d’un « plan fertilité » ([74]).

Le rapporteur considère qu’il est indispensable d’intensifier les efforts de recherche sur l’infertilité pour réduire le recours à l’AMP, procédure longue, lourde et pas toujours couronnée de succès ; il lui paraît également indispensable d’informer davantage les personnes sur la baisse de la fertilité, liée à l’âge, à des facteurs comportementaux comme le tabagisme ou l’obésité et à des facteurs environnementaux. Une véritable politique de prévention pourrait être mise en œuvre à cet effet comme cela a pu être proposé par Mme Larissa Meyer, présidente du Réseau Fertilité France. Au cours de son audition, cette dernière a plaidé pour « la mise en place d’un plan global de lutte contre l’infertilité et d’un programme de consultation préventive pour tous » tout en soulignant, qu’« à l’image des consultations de prévention prévues par l’assurance maladie pour le bilan bucco-dentaire à l’âge de 6 ans, “M’T Dents”, on pourrait imaginer une consultation entre 25 et 30 ans, non seulement pour les femmes, mais aussi pour expliquer aux jeunes gens la réalité de leur vie génésique, l’évolution dans le temps de la fertilité ovarienne, les techniques de prévention existantes et les meilleurs âges pour les mettre en place, afin d’éviter les surprises » ([75]).

Proposition n° 1 Mettre en place un plan global de lutte contre l’infertilité et un programme de consultation préventive pour tous.

4.   L’accès à l’AMP, le principe d’égalité et de non-discrimination

Les promoteurs de l’ouverture de l’AMP à toutes les femmes, vivant seules ou en couple veulent assurer l’égalité d’accès aux droits et mettre fin à la discrimination dont ces femmes seraient aujourd’hui victimes. Pourtant, dans son étude consacrée à la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’État affirme qu’« en droit, rien n’impose au législateur d’ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules la possibilité d’accéder aux techniques d’AMP. » ([76]) Auditionnées par la mission, Mmes Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’État, et Laurence Marion, rapporteure générale, ont confirmé qu’« il n’existe pas de principe juridique qui contraindrait le législateur à s’engager dans cette voie » ([77]) de l’extension de l’accès à l’AMP. Au reste, une récente décision rendue le 28 septembre 2018 s’inscrit dans cette perspective ([78]).

Valeur fondatrice de notre société, l’égalité est consubstantielle à notre vie démocratique. Le principe d’égalité a longtemps nourri le droit administratif (c’est un « principe général du droit ») avant qu’il ne se voit donner une valeur constitutionnelle par une décision fondatrice du Conseil constitutionnel ([79]).

Le principe de non-discrimination découle du principe d’égalité. Dans le champ du droit administratif, ce dernier affirme que des personnes placées dans des situations identiques doivent se voir appliquer un traitement identique. Il ne peut en être autrement qu’à des conditions précises : si la loi l’autorise, si l’intérêt général le justifie ou si la situation présente des différences qui justifient la différence de traitement ([80]). Le Conseil constitutionnel a, pour sa part, développé une jurisprudence constante selon laquelle « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ».

En revanche, certaines distinctions restent interdites en tout état de cause. L’article 1er de la Constitution de 1958 et l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 interdisent ainsi les distinctions fondées sur l’origine, la race, la religion, les croyances et le sexe.

Au regard du principe d’égalité, le Conseil d’État a développé ses analyses dans deux directions. En premier lieu, il a considéré le « point d’aboutissement » d’un parcours d’AMP – la mise au monde d’un enfant – pour « écarter, sur ce terrain, l’invocation de la méconnaissance du principe d’égalité ». En effet, « l’invocation d’un “droit à l’enfant” est sans portée, une telle notion n’ayant pas de consistance juridique dès lors qu’un enfant est une personne, un sujet de droit, et qu’il ne saurait être envisagé comme l’objet du droit d’un tiers. » ([81]) Sur ce plan, les couples hétérosexuels infertiles ne sont d’ailleurs pas dans une situation différente de celle des personnes revendiquant l’extension de l’AMP.

Le Conseil d’État s’est ensuite penché sur la « substance » du parcours d’AMP, à savoir la mise en œuvre de techniques qui permettent, « par le biais d’une intervention de la médecine de surmonter l’impossibilité de concevoir et donner la vie. » En rapprochant l’objet de la loi – compenser une infertilité pathologique – et la situation des catégories concernées – couples hétérosexuels fertiles, couples homosexuels, personnes seules, veufs ou veuves – il a écarté l’existence d’une discrimination : toutes ces personnes sont placées « dans des situations différentes de celle des couples hétérosexuels infertiles puisque l’impossibilité de procréer à laquelle [elles] sont confronté[e]s ne résulte pas d’une pathologie. » La fermeture de l’accès à l’AMP pour toutes les femmes ([82]) ne résulte donc pas d’une différenciation au regard de l’orientation sexuelle ou du statut matrimonial, mais du critère d’infertilité pathologique.

Le Conseil d’État ne réitère pas l’analyse au regard du deuxième objectif affirmé par la loi : éviter la transmission d’une maladie d’une particulière gravité. En fait, le cœur du raisonnement est inchangé sachant qu’ici, l’impossibilité de procréer ne vient pas d’une infertilité à caractère pathologique mais d’une pathologie créant un risque sanitaire qui fait obstacle à la procréation.

Sur un plan strictement juridique, il est difficile de prendre en défaut ces conclusions. Mais, souligne le Conseil d’État, si le droit n’est pas un moteur, il n’est pas non plus un obstacle. La haute juridiction administrative indique ainsi très explicitement dans son étude que « Le droit ne commande ni le statu quo, ni l’évolution » ([83]). Elle dit plus loin que « rien n’impose de maintenir les conditions actuelles d’accès à l’AMP » : ni le principe de précaution, ni la notion d’intérêt de l’enfant, ni le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, souvent invoqués pour contester l’idée d’étendre le bénéfice de l’AMP. C’est donc au législateur qu’il revient d’apprécier souverainement, dans la plénitude des compétences que lui reconnaît la Constitution, si des modifications sont opportunes ou si l’état du droit est satisfaisant.

Or, pour le rapporteur – comme d’ailleurs pour de nombreuses autres personnes auditionnées –, une partie de la population se voit refuser l’accès à l’AMP comme conséquence de son orientation sexuelle, alors que cet accès est ouvert à d’autres. Cette inégalité de fait apparaît d’autant plus choquante que les techniques d’AMP se voient aujourd’hui proposées à des couples qui ne sont pas véritablement confrontés à une infertilité pathologique. Comment ne pas y voir une certaine forme d’hypocrisie, puisque le critère d’infertilité pathologique est érigé comme verrou indépassable à l’extension de l’AMP alors qu’il est considéré comme étant d’une portée toute relative lorsque l’AMP est sollicitée par un couple hétérosexuel qui ne parvient pas à procréer ?

De nombreuses institutions auditionnées, comme le Défenseur des droits, ont jugé qu’il n’est pas déraisonnable de mettre fin à cette discrimination. Les représentants de l’Association des parentes et futurs parents gays et lesbiens ont rappelé en audition que « la PMA est une technique procréative [et] n’est pas un traitement curatif contre l’infertilité ». En ce sens, « maintenir l’interdiction faite à une femme d’accéder à une technique procréative parce qu’elle est homosexuelle est une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » ([84]).

La Ligue des droits de l’homme a souligné, quant à elle, que le législateur s’est déjà engagé dans une voie tendant à envisager de traiter de façon égale les couples homosexuels et hétérosexuels « en admettant, par la loi Taubira de 2013, qu’un couple d’homosexuels mariés peut adopter » manifestant ainsi que ces couples « ne sont pas dans une situation différente de celle des couples hétérosexuels par rapport à la parentalité ». Suivant le même raisonnement, elle considère les femmes seules sont également dans une situation de discrimination puisqu’« il n’y a pas de différence de situation entre couples et célibataires » ([85]). Dans la mesure où le législateur reconnaît aux femmes célibataires la possibilité d’adopter, il leur garantit déjà un accès à la parentalité.

Ainsi, l’ouverture de l’accès à l’AMP apparaît comme une nouvelle étape sur le long chemin de l’émancipation des femmes par le renforcement de « l’autonomie des choix reproductifs » ([86]) et sur celui de la reconnaissance de toutes les familles.

Proposition n° 2 Ouvrir l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules.

B.   Une extension de l’AMP NÉCESSITE DE RÉINTERROGER certains pans du cadre bioéthique

L’ouverture éventuelle de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules conduit à revisiter certains questionnements éthiques sur lesquels le législateur s’est prononcé il y a quelques années. Il en est ainsi de l’anonymat du don de gamètes et de l’accès aux origines, de la procréation post mortem, du double don et de l’autoconservation des gamètes. À ces questions qui ne sont donc pas totalement nouvelles, s’ajoute une interrogation liée aux effets de la suppression du critère pathologique sur la situation même des couples hétérosexuels et la prise en charge financière par la collectivité au titre du risque social.

1.   La revendication d’un droit d’accès aux origines personnelles se heurte au principe d’anonymat du don

La question de la levée de l’anonymat du don et de l’accès aux origines personnelles pour les personnes issues d’AMP avec tiers donneur n’est pas nouvelle : elle a été soulevée dès que l’usage des techniques d’AMP s’est répandu. Pour autant, le paysage de l’anonymat connaît depuis quelque temps des évolutions notables. Comme le rappelle à juste titre Mme Dominique Mehl, les années passées depuis l’institutionnalisation de l’insémination artificielle avec tiers donneur ont vu apparaître un nouvel acteur, concerné au premier chef : l’enfant issu de ce don. La sociologue constate l’émergence dans le débat des enfants issus de l’AMP et y voit un « phénomène accélérateur de doutes sur la légitimité de l’anonymat » ([87]).

a.   L’accès aux origines personnelles et le principe d’anonymat : vers un nouvel équilibre

Certains des arguments traditionnellement avancés pour promouvoir le maintien du principe d’anonymat ont été exposés à la mission. Ils reposent sur le fait que l’anonymat serait protecteur pour l’enfant et sa famille. Le Dr Christian Flavigny a ainsi souligné que « le principe de l’enfantement constitue ce que l’on appelle en psychologie “l’originaire” » qui doit être mis en regard de la connaissance des origines. À cet égard, « l’originaire, c’est la façon dont l’enfant va se constituer lui-même comme issu de ses deux parents », en dépit de l’apport de gamètes par un tiers donneur. Cette notion « est centrale pour la vie psychologique de l’enfant » et « lui permet de s’inscrire dans le principe psychique de sa filiation ». La « filiation psychique, mise en cohérence avec la filiation juridique, établira le principe régulateur de la vie familiale, à savoir les interdits familiaux de l’inceste et du meurtre ». En cela, l’anonymat apparaît comme participant de la protection de l’enfant car il éviterait « le tiraillement entre la filiation proposée à l’enfant et une autre filiation, et l’impression que l’enfant aurait une dette à rédimer » ([88]).

Le Dr Pierre Lévy-Soussan a également insisté sur la constitution de cet originaire, particulièrement dans le cadre d’une AMP où la filiation biologique est dissociée de la filiation psychique et de la filiation juridique. S’appuyant sur les travaux du psychiatre lyonnais Jean Guyotat, il a expliqué que la construction d’un enfant s’appuyait sur ces trois piliers afin de restituer la « scène originaire » grâce à laquelle « il saura qu’il vient d’un ailleurs d’un point de vue biologique, mais il aura la capacité psychologique de se réoriginer, c’est-à-dire de renaître au sein de ce couple-là. » ([89]). En dissociant la filiation biologique des deux autres piliers, l’AMP – comme l’adoption – requiert un renforcement du pilier psychique, qui doit être « cohérent et crédible si l’on veut pouvoir dépasser le lien du sang ». Un grand nombre de difficultés vient de l’« idéalisation du lien du sang », qui est bien souvent responsable des « échecs filiatifs ». L’anonymat permettrait donc, selon les mots du Dr Sarah Bydlowski, « de ne pas donner trop de réalité au donneur » ([90]).

Il n’y a toutefois pas de consensus parmi les psychiatres et psychanalystes. Ainsi, si on se réfère aux travaux de Mme Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, « nombre d’études font apparaître que le secret de l’anonymat engendre souvent chez les enfants de la honte sans qu’ils comprennent pourquoi » ([91]).

L’ensemble de ces considérations méritent d’être entendues, mais elles sont de peu de poids face à deux phénomènes, dont l’un, bien réel, bouscule la portée effective du principe et dont l’autre, soumis à la volonté du législateur, en bouscule l’essence.

Le rapporteur relève, en premier lieu, que le recours aux tests génétiques, disponibles à l’étranger et de plus en plus facilement accessibles sur internet, permet aujourd’hui de retrouver son géniteur, soit que celui-ci ait expressément confié ses données génétiques à une banque spécialisée, soit que des informations émanant de sa parentèle soient accessibles dans les mêmes conditions. Auditionné par la mission d’information, M. Arthur Kermalvezen a relaté son histoire, très éclairante ([92]), qui a montré qu’au prix d’un test et d’une petite enquête dans l’entourage de la personne ainsi pré-identifiée, il lui a été possible d’entrer en contact avec elle. La combinaison d’internet et de la génétique frappe de quasi caducité l’anonymat du donneur, quand bien même le législateur choisirait d’en maintenir strictement le principe.

En deuxième lieu, dans l’hypothèse où l’accès à l’AMP serait ouvert aux femmes, seules ou vivant en couple, le secret portant sur le mode de conception serait de facto inexistant puisque, double ou simple, la filiation biologique serait invraisemblable. On peut donc prévoir, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation du nombre de demandes portant sur l’accès aux origines, qui seront autant de remises en cause du principe d’anonymat. Au reste, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est invitée dans le débat puisque le 5 juin dernier, une requête a été transmise pour connaître les intentions du Gouvernement sur cette question dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique ([93]).

Il faut donc aujourd’hui établir un nouvel équilibre afin de mieux prendre en compte l’intérêt de l’enfant advenu par AMP – soit dans le cadre actuel, soit dans un cadre étendu – qui souhaiterait, à la faveur d’une quête identitaire, pouvoir connaître son ou ses géniteurs biologiques. En cela, le rapporteur souligne qu’il ne serait aucunement porté atteinte à la liberté de ne pas vouloir connaître ses origines, défendue devant la mission par M. Christophe Masle, président de France AMP ([94]), et qui mérite assurément d’être préservée.

C’est pourquoi n’est pas si absolu l’argument selon lequel le caractère prétendument « médiatique » de certaines quêtes ne devrait pas influencer le législateur. Peu importe que la part des 70 000 enfants conçus avec l’aide d’un tiers donneur et souhaitant accéder à ses origines soit « faible » ou « élevée »
– selon quel critère, d’ailleurs ? Une demande existe, dont la satisfaction ne nuirait en rien aux intérêts de ceux qui ne souhaitent pas accéder à leurs origines.

L’équilibre nouveau doit concilier deux droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme : le respect de la vie privée et le droit de connaître son ascendance. Le premier est directement issu de l’article 8 de la convention et englobe les données à caractère personnel ; le second a été dégagé de manière prétorienne à partir du même article ([95]).

Si les autorités nationales disposent d’une certaine marge quant à l’interprétation des dispositions conventionnelles, on doit rappeler que parmi les paramètres pris en compte par la CEDH pour trancher les litiges qui lui sont soumis figure « la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants » ([96]). La doctrine souligne qu’en l’espèce, la France est de plus en plus isolée car plusieurs États ayant auparavant opté pour la règle du secret y ont désormais renoncé ([97]), à commencer par la Suède dès 1985.

En tout état de cause, sauf à attenter au principe d’égalité, on ne peut vouloir établir deux régimes juridiques différents, l’un préservant l’anonymat le plus absolu pour les couples hétérosexuels, l’autre levant d’emblée cette prescription pour les autres personnes auxquelles serait ouverte l’AMP. Du reste, le Conseil rappelle que projet de loi initial de bioéthique incluait des dispositions garantissant la levée de l’anonymat.

Sur ces considérations, le Conseil d’État a été amené à proposer les conditions d’une levée de l’anonymat :

‑ afin de garantir la cohérence du régime juridique des dons d’éléments et de produits du corps humain, il est conseillé de préserver a minima l’anonymat au moment du don ;

– une levée « sèche » de l’anonymat pourrait bénéficier à l’ensemble des personnes conçues avec tiers donneur à l’avenir. Pour les personnes conçues antérieurement à l’application de la loi nouvelle, le risque d’inconstitutionnalité d’une levée rétroactive est trop important, à moins de prévoir le consentement exprès du donneur. Sur ce dernier point, le Conseil d’État rappelle qu’une telle hypothèse n’est pas sans effet « alors qu’il leur avait été garanti que leur don n’emporterait aucune conséquence pour eux », et suggère en creux une levée de l’anonymat valant pour l’avenir ;

– la disposition ne doit pas établir de distinction entre don de sperme, don d’ovocyte et accueil d’embryon.

Le temps semble donc venu de permettre une levée de l’anonymat, dans des conditions encadrées, à l’initiative des personnes issues d’AMP, pour leur permettre d’accéder à la totalité de leur histoire. On ne peut accepter l’idée que surviennent des « levées sauvages » de l’anonymat en raison du développement prévisible des tests génétiques. La loi doit continuer de préserver la vie privée et établir le cadre qui y pourvoira ; à cet égard, une levée de l’anonymat qui n’interviendrait que plusieurs années après le don respecterait la cohérence de l’édifice juridique relatif au don des produits et des éléments du corps humain. Le rapporteur se réjouit que la société soit désormais mûre pour mettre fin à ce que Mme Valérie Depadt a appelé « l’effet délétère du secret » ([98]).

Cette évolution est d’autant plus nécessaire que l’accès aux origines, qui permettra de répondre à une souffrance, pourra aussi être un moyen d’accéder aux éventuelles pathologies susceptibles d’être transmises à l’enfant par la voie génétique. L’accès à ces informations est en effet de nature à améliorer leur prise en charge et concourt, de ce fait, à un objectif sanitaire. Il est donc important que le donneur de gamètes fasse l’objet d’une interrogation régulière sur son état de santé afin de permettre la transmission des informations signifiantes pour l’enfant issu du don ou sa famille.

Il faudra, bien sûr, définir des limites pour ne pas attenter au secret médical et au droit, aujourd’hui consacré, à rester dans l’ignorance d’un diagnostic – droit qui est applicable aussi bien au donneur qu’au receveur et à l’enfant. En tout état de cause, il faudra rester dans une démarche médicalisée et encadrée pour éviter, par exemple, que le donneur soit destinataire d’une information directement apportée par l’enfant conçu par IAD.

Proposition n° 3 Permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à leurs origines :             
– sur simple demande, dès l’âge de 18 ans ; 
– pour tous les dons effectués après l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique ;             
 sous réserve du consentement du donneur pour les dons effectués avant l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique.

b.   Les modalités pratiques de l’accès aux origines

Trois sujets doivent être abordés pour instaurer, concrètement, un dispositif d’accès aux origines personnelles.

 Il faut d’abord déterminer si le dispositif doit viser à révéler des données identifiantes ou non. En l’espèce, il est probable que les dispositions actuelles, qui ne prévoient aucun mécanisme d’accès à la connaissance de ses origines, sont une véritable entorse à la jurisprudence dégagée par la CEDH : le déséquilibre est trop flagrant au détriment des personnes issues d’une conception par AMP. En revanche, une marge d’interprétation subsiste sur la portée des données mises à disposition. Le législateur pourrait faire le choix d’ouvrir l’accès à des éléments non identifiants, à l’instar du projet de loi initial de 2009. Le rapport du Conseil d’État rappelle qu’un « certain nombre de données objectives en possession des CECOS peuvent être aisément divulguées (âge, taille, etc.) ». On peut cependant supposer que ces informations ne satisferont pas les personnes en demande d’origines. D’ailleurs, l’association France AMP et la Fédération française des CECOS, qui ne sont pas favorables à l’ouverture de l’accès aux origines, tiennent cette solution pour un objectif de second rang, si cet accès devait être ouvert.

Le rapporteur considère qu’il faut organiser l’accès à des données non-identifiantes dans tous les cas et l’accès à des données identifiantes chaque fois que le donneur et la personne née d’une AMP le souhaitent. Ceci ouvrirait la voie à une rencontre avec le donneur ou à la délivrance d’informations relatives à sa vie personnelle, sous réserve de son consentement préalable. Dans cette hypothèse, il conviendrait d’informer le donneur, au moment du don de la possibilité que l’anonymat soit levé dans le futur. Il faudrait ensuite recueillir son consentement exprès lorsqu’une demande d’accès à sa vie personnelle serait formulée. L’accès aux données non identifiantes serait également prévu, notamment pour prévoir l’hypothèse du décès du donneur. Le rapporteur estime également nécessaire de prévoir l’accompagnement des personnes issues d’une conception par AMP, de leurs parents et des donneurs.

 L’événement déclencheur d’un accès aux origines personnelles ne peut être qu’une demande de l’enfant lui-même. Cela suppose qu’il soit au courant de son mode de conception, préalable qui se pose en des termes différents selon que l’enfant est né d’un couple hétérosexuel ou qu’il naîtrait dans le cadre d’une autre famille, comme cela a été vu précédemment. La question peut rester ouverte de savoir s’il faut recueillir le consentement des parents lorsque l’enfant est mineur, sachant qu’un éventuel refus aurait certainement des répercussions défavorables sur la paix du foyer. En tout état de cause, le droit serait ouvert sans conditions une fois atteint l’âge de la majorité, c’est-à-dire à partir du moment où l’enfant dispose de la capacité juridique à exercer ses droits et obligations.

 Il faut enfin organiser les modalités d’accès aux informations relatives au donneur. Dans son étude, le Conseil d’État écarte l’hypothèse de confier cette mission aux CECOS. Ce point de vue est partagé par les parlementaires de la mission qui estiment nécessaire d’investir de ces attributions une instance spécifique, sur le modèle de ce qui existe aujourd’hui pour la levée de l’anonymat entourant l’adoption. Afin d’éviter toute rupture d’égalité, de faciliter les circuits administratifs et de permettre l’accès effectif à l’information, cette instance doit être unique, établie au niveau national. Cette hypothèse rejoint la proposition de la Fédération française des CECOS, qui plaide pour la mise en place d’un « registre national des donneurs (…) qui serait géré par un organisme d’État indépendant des centres mettant en œuvre le don ». En effet, les professionnels des CECOS « ne souhaitent plus être les seuls garants de l’anonymat des donneurs et de la conservation des données identifiantes et non identifiantes ».

Deux hypothèses sont alors envisageables :

– la création d’une commission ad hoc, à l’instar du projet envisagé par l’exécutif au moment du dépôt du projet de loi de bioéthique en 2010 ;

– l’élargissement des missions de l’actuel Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), qui est aujourd’hui le point d’accès aux origines personnelles des personnes adoptées. Compte tenu des différences entre l’accouchement sous X et la procréation avec parcours d’AMP, il semble nécessaire de bien distinguer le traitement des demandes d’accès aux origines selon qu’il s’agit d’adoption ou d’AMP. Le CNAOP pourrait être composé de deux sections distinctes tant dans leur objet que dans leur composition, l’une consacrée à l’accès aux origines des personnes adoptées, l’autre consacrée à l’accès aux origines des personnes conçues par AMP.

Dans les deux cas, le législateur devra s’assurer que l’un ou l’autre de ces organismes disposera bien des moyens nécessaires à l’accomplissement de ses missions, faute de quoi les demandes d’accès aux origines resteraient vaines. Il est en effet ressorti des auditions de la mission sur le sujet que le CNAOP, faute de moyens suffisants, n’était pas en mesure de satisfaire toutes les demandes effectuées par les enfants de l’accouchement sous X.

Proposition n° 4 Instituer un organisme chargé d’accompagner les personnes issues d’un don, la personne ou le couple receveur et le tiers donneur dans le cadre de l’accès aux origines personnelles.

2.   Une ouverture de l’AMP aux femmes seules légitimerait la procréation post mortem

a.   Une double évolution sociale et jurisprudentielle

Le lien entre l’extension de l’AMP aux femmes seules et l’interdiction de la procréation post mortem a été intégré aux débats de bioéthique depuis longtemps. Déjà, le précédent rapport d’information sur la révision de la loi de bioéthique ([99]) estimait qu’il fallait maintenir l’interdiction de l’insémination post mortem dans la mesure où il faudrait « ensuite permettre l’accès à l’AMP des femmes seules ». Le rapporteur relève que le raisonnement s’est aujourd’hui inversé puisque c’est l’hypothèse de l’accès de l’AMP aux femmes seules qui apparaît avoir pour conséquence de fragiliser les interdits liés à la procréation post mortem. Il est clair qu’on ne peut à la fois, d’un côté, permettre à des femmes seules d’accomplir un projet de maternité solo et, d’un autre côté, interdire à une femme frappée par un accident de la vie de poursuivre un projet parental mûrement réfléchi.

En matière de transfert d’embryon, le Conseil d’État souligne la contradiction qui existerait entre l’obligation de « demander à la femme de procéder au don ou à la destruction de ses embryons » en raison de l’impossibilité d’un transfert post mortem et « la possibilité de procéder seule à une insémination avec le sperme d’un donneur ». En quelque sorte, la femme serait frappée d’une double peine. Frappée par la perte de son conjoint, elle devrait également se voir interdire la poursuite du projet parental commun et, le cas échéant, consentir à la destruction des embryons, à leur abandon au profit de la recherche ou à leur transfert au profit d’un autre couple. Elle pourrait néanmoins s’engager dans un projet, monoparental, avec ce qu’il suppose d’attente, d’épreuves et d’échecs possibles : difficultés de la stimulation ovarienne, recours à un tiers donneur, fécondation in vitro, incertitude sur la réussite de la grossesse. Un tel parcours, dépourvu de logique autant que d’humanité justifierait la levée de l’interdit.

La ligne de démarcation entre la procréation à partir de gamètes conservés et la procréation à partir d’un zygote déjà formé – révélateur d’un projet parental plus avancé que le précédent, donc plus légitime à être éventuellement poursuivi – ne paraît plus aussi clairement définie. En témoigne une décision récente du Conseil d’État, qui invite justement à réexaminer le cas de l’insémination post mortem.

En 2016, la haute juridiction a eu à se prononcer sur le refus de l’Agence de la biomédecine d’autoriser l’exportation vers l’Espagne des gamètes de son mari défunt à une requérante espagnole pour y poursuivre son projet parental. À la différence de la France, l’Espagne autorise en effet la pratique de l’insémination post mortem. Hospitalisé dans un hôpital parisien, le mari y avait effectué un dépôt de gamètes mais n’avait pas eu le temps de faire de même dans son pays d’origine, son état s’étant aggravé ; il était ensuite décédé des suites de sa maladie. Estimant que le refus de l’Agence de biomédecine portait une atteinte excessive aux droits et aux libertés protégés par la CEDH, en l’espèce le respect de la vie privée et de la vie familiale, le Conseil d’État a autorisé l’exportation des gamètes tout en assortissant sa décision d’une condition : le consentement du mari défunt ([100]).

Cette décision ne portait certes pas expressément sur la possibilité d’une procréation post mortem en France, mais, à tout le moins, elle montre que l’interdiction faite sur le territoire national ne prive pas de tout recours les personnes désireuses de poursuivre un projet parental, même à partir de gamètes et non d’un embryon, étant entendu que la décision du Conseil d’État n’est pas reproductible à toutes les situations – en l’espèce, le couple avait une attache effective dans le pays où l’insémination post mortem était légalement possible et le projet de la conjointe survivante ne pouvait donc être considéré comme relevant de la volonté de contourner la loi française.

b.   La portée d’une autorisation de la procréation post mortem

Au regard de cette double évolution, sociale et jurisprudentielle, le législateur sera amené à se prononcer sur deux questions distinctes : la levée du tabou de la procréation post mortem d’une part, la portée qu’il entend donner à cette décision d’autre part.

Sur le premier point, le législateur devra se demander si l’évolution des pratiques sociales est un argument suffisant pour que le projet parental vienne à primer sur les vulnérabilités identifiées par le CCNE. Mme Valérie Depadt estime d’ailleurs que la décision précitée du Conseil d’État « a creusé une brèche dans notre système » ([101]). Le législateur devra aussi se demander si le refus d’autoriser la poursuite d’un projet parental inscrit dans une filiation bilinéaire n’aura pas pour effet de favoriser des demandes d’AMP émanant de femmes devenues seules.

Sur le second point, le législateur devra se demander s’il y a lieu d’établir une différence de régime entre insémination et transfert d’embryon post mortem. Auditionnée par la mission d’information, Mme Depadt a souligné que la décision du Conseil d’État relativise la distinction habituellement opérée entre les deux actes : si elle était décidée, la levée de l’interdiction devrait donc être totale. À défaut – ce qui signifie que le transfert d’embryon post mortem serait autorisé alors que l’insémination resterait interdite – l’Agence de la biomédecine serait vraisemblablement saisie de demandes tendant à autoriser l’exportation des gamètes du conjoint défunt, demandes auxquelles elle ne pourrait accéder, ouvrant la voie à des contentieux. La distinction jusqu’ici opérée pourrait de toute façon trouver à s’effacer devant l’importance du projet parental. Le rapport du Conseil d’État fait du consentement du défunt un paramètre essentiel et conclut à la difficulté de « distinguer le sort des embryons de celui des gamètes ».

Le rapporteur relève que l’on peut s’appuyer sur la même décision du 31 mai 2016 pour aboutir à une conclusion inverse. En effet, la haute juridiction administrative n’a rendu sa décision que sur un cas d’espèce. Le transfert de l’embryon pourrait donc être autorisé et, si l’expression du législateur était limpide, rien n’interdirait de maintenir le refus de l’insémination post mortem.

Le choix consistant à autoriser le transfert d’embryon post mortem et à continuer d’interdire l’insémination pourrait-il encourir une censure de la part du Conseil constitutionnel au regard du principe d’égalité ? La réponse n’est pas des plus aisées mais force est de reconnaître qu’il existe une différence de situation entre l’insémination avec tiers donneur dans le cadre d’un projet monoparental inscrit dans une « indication sociale » et l’insémination post mortem dans le cadre d’un projet biparental interrompu par un accident de vie. Il peut aussi exister une différence de situation entre la femme souhaitant poursuivre un projet parental simplement amorcé par un don de gamètes de son conjoint et celle pour laquelle le projet parental était suffisamment avancé pour que des embryons aient été conçus avant le décès du conjoint. Le Conseil d’État paraît faire reposer la distinction sur la libre disposition de l’embryon par la femme : il relève ainsi qu’« à l’inverse des gamètes de l’homme disparu, les embryons ont été conçus également avec les gamètes de la femme, qu’elle devrait donc pouvoir en disposer, notamment au regard de l’article 8 de la CEDH, et que le fait de lui demander de choisir entre le don et la destruction n’est pas satisfaisant ». Le Pr Israël Nisand plaide de même en faveur d’une distinction, en raison de la différence entre le spermatozoïde, qui « est un objet » et l’embryon qui « est un sujet, […] un être humain ». S’il « n’a pas tous les droits de la personne, […] il s’agit bien d’un être humain » et « reconnaître à l’embryon sa dignité, c’est précisément en finir avec le seul choix laissé aujourd’hui à une femme : jeter ses embryons ou les donner à autrui » ([102]).

Le rapporteur est favorable à une levée de l’interdiction de la procréation post mortem aussi bien par transfert de spermatozoïdes conservés que d’embryons. Dans ce cas, il conviendrait d’en encadrer les conditions, comme le recommande le rapport du Conseil d’État à travers le consentement par acte notarié, ainsi que les modalités de son retrait éventuel, et surtout l’inscription de l’AMP post mortem dans un double délai : un délai de réflexion postérieurement à la disparition du conjoint et un second délai au-delà duquel il ne serait plus possible d’y recourir afin d’éviter la mise au monde d’un enfant un trop grand nombre d’années après le décès du père.

Cette question a été abordée par le passé. Dans son avis de février 2011 ([103]), le CCNE optait pour un délai de réflexion de 3 mois, et un délai maximal d’un an à compter du décès. Le rapport du Conseil d’État fait état des travaux parlementaires de 2004 mentionnant des délais respectifs de 6 mois et 18 mois. Le dernier avis du CCNE s’affirme dans la continuité de l’avis de 2011 et précise les conditions qui devraient être « strictement respectées » : un consentement exprès de l’homme au transfert d’embryon après décès ; le double délai opposable à la femme et la nécessité de mettre en place un accompagnement médical et psychologique ; la modification du droit de la filiation « de façon à ce que la filiation paternelle de l’enfant soit assurée ».

Le rapporteur ajoute que la procédure préparatoire doit prévoir la modalité d’une garantie que la future mère n’est soumise à aucune pression extérieure, venant, par exemple, de sa belle-famille.

Proposition n° 5 Lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon.

3.   Face à l’infertilité, l’interdiction du double don de gamètes en question

Là encore, la question n’est pas nouvelle et l’éventuelle extension de l’AMP à toutes les femmes ne fera que la poser avec plus de force. Dans les cas où les deux membres du couple sont inféconds (ou la femme dans le cas d’une maternité solo), il apparaît le besoin d’un apport de gamètes à la fois masculin et féminin. Pour y remédier, deux possibilités existent : l’accueil d’un embryon, aujourd’hui possible, et le double don de gamètes, aujourd’hui interdit. Le législateur sera ainsi amené, dans le cadre du débat futur, à interroger la pertinence du cadre juridique actuellement en vigueur sur ce point.

Comme le rappelle l’Agence de la biomédecine, « les embryons congelés qui ont permis la réalisation du projet parental d’un couple peuvent, après consentement, et dans certaines circonstances, être accueillis par des couples ayant de grandes difficultés à procréer et leur permettre ainsi de réaliser leur projet d’enfant. L’accueil d’embryons est destiné à des couples qui ont une double infertilité ou des risques de transmission d’une maladie génétique connue à l’enfant » ([104]) . Selon les données de l’Agence de la biomédecine, seuls 25 enfants sont nés d’un transfert d’embryons en 2016 ([105]), après 27 en 2015.

Lors des précédentes révisions, le législateur a fait le choix de maintenir l’interdit du double don de gamètes au profit de l’accueil d’un embryon, donné par un autre couple, et ce pour éviter de détruire les embryons surnuméraires cryoconservés. Comme le rappelaient Mmes Geneviève Delaisi de Parseval et Pauline Tiberghien dans une tribune publiée en 2004 par Libération, « on avait même imaginé de présenter ce “montage” comme une adoption anté-natale » ([106]).

L’expérience acquise semble tout indiquer pourtant que l’accueil d’un embryon est plus difficilement vécu par les couples concernés. Comme le rappellent Mmes Dominique Mehl et Martine Gross dans un très récent article, « du point de vue psychologique, les deux démarches ne semblent pas équivalentes. Dans un cas, celui du don d’embryon autorisé en France, le couple hérite d’un enfant potentiel conçu par d’autres. Dans le cas du double don, le couple reçoit les ovules et les spermatozoïdes étrangers l’un à l’autre et la rencontre fécondante tient à leur seule responsabilité ». Le vécu n’est ainsi pas le même, et l’acte d’engagement, qui se traduit pleinement dans le double don, semble être essentiel pour ces couples : « alors que l’embryon donné a déjà une histoire, l’embryon issu d’un double don commence son histoire avec le ou les parents qui le souhaitent » ([107]).

Dans la logique développée préalablement pour moderniser le droit d’accès à la procréation pour tous, il paraîtrait contradictoire de maintenir l’interdiction du double don de gamètes.

Proposition n° 6 Lever l’interdiction du double don de gamètes.

4.   L’extension de l’AMP pourrait entraîner des tensions sur les flux et stocks de gamètes disponibles

Le don de gamètes est aujourd’hui tout juste suffisant pour répondre aux besoins de l’AMP dans le cadre actuel ; le risque de pénurie pourrait représenter un obstacle pratique à l’élargissement effectif des indications d’AMP. Si ce risque se concrétisait, la reconnaissance symbolique de l’égalité des droits ne déboucherait pas sur une égalité réelle.

Les équipes médicales d’AMP feraient face à un dilemme inconfortable : prendre les demandes « au fil de l’eau » ou les hiérarchiser, mais alors, selon quels critères ? Dans sa contribution transmise à la mission d’information, la Fédération française des CECOS souligne qu’« aucun consensus n’a pu se dégager concernant la hiérarchisation de la prise en charge en AMP en fonction du motif de la demande (couples infertiles, couples de femmes, femmes seules) ». Elle ajoute que « l’absence de consensus découle aussi de la crainte que cette hiérarchisation puisse être considérée comme une discrimination » avant de proposer des critères de prise en charge fondé d’abord sur « l’âge de la femme au moment de la demande ».

À défaut de pouvoir augmenter l’offre de gamètes, une régulation s’établira de toute façon. Elle se traduira soit par l’allongement des délais d’attente, qui pourrait s’accompagner, pour ceux qui en ont les moyens, par l’engagement d’un parcours d’AMP à l’étranger (ce qui s’avère déjà être le cas, notamment en cas de besoin d’ovocytes), ou par l’intervention de la loi du marché qui écornerait notre standard éthique.

a.   Le don de sperme

L’avis rendu par le CCNE sur la révision de la loi de bioéthique appelle à anticiper les conséquences de l’ouverture de l’AMP sur le don de sperme. L’étude du Conseil d’État appelle à la même précaution. La fédération des CECOS a également fait part de ses inquiétudes lors de son audition par la mission.

Les campagnes d’incitation au don sont une première réponse. En effet, ces campagnes sont extrêmement réduites dans notre pays et il est certain que le nombre de donneurs serait plus important si des campagnes bien organisées et de qualité étaient effectuées comme dans beaucoup de pays européens. Pour l’instant, dans maintes villes de France, les donneurs se limitent à la proximité des centres de prélèvement. Lors de son audition, le Pr Jean-François Mattéi évoquait cependant quelques réticences quant aux « campagnes faites par les CECOS à la sortie des maternités, où l’on agrippait les jeunes pères pour leur dire : “Vous avez un jeune enfant maintenant mais certains n’ont pas cette chance, est-ce que vous ne pourriez pas…” » ([108])

Il a été rappelé à maintes reprises en audition, qu’au moins à court terme, la courbe du don pourrait transitoirement s’affaisser si le choix était fait d’ouvrir l’accès aux origines personnelles. Ce phénomène a été constaté dans les pays ayant opté pour cette voie. Cependant, après deux ou trois ans, une hausse des dons a été constatée, associée à une modification du profil de donneurs. Les auditions suggèrent donc que la baisse des dons n’est que passagère et doit être vue comme une transition entre deux logiques de don. Cela étant, il n’a pas été apporté à la mission d’éléments documentés établissant qu’à terme, l’ouverture de l’accès aux origines permettrait d’augmenter de façon significative le nombre de donneurs et d’écarter un risque de pénurie.

L’augmentation de l’offre de gamètes peut aussi être recherchée de deux manières additionnelles : soit en assouplissant les critères du don, soit en attirant de nouveaux publics réceptifs au message de solidarité.

Dans le premier cas, c’est la limite du nombre de paillettes utilisable qu’il conviendrait de relever. Cela a déjà été fait dans le passé. À l’heure actuelle, le recueil de sperme ne permet réglementairement de réaliser qu’un nombre limité de paillettes de spermatozoïdes. Par ailleurs, les textes limitent à dix le nombre d’enfants nés avec les spermatozoïdes d’un même donneur. Le site internet des CECOS souligne qu’« avec ce nombre d’enfants pouvant être issus du même donneur, le risque de consanguinité est semblable au risque présent dans la population générale » ([109]). Augmenter significativement le nombre de paillettes et relever le plafond du nombre d’enfants nés d’un même donneur n’est pas une voie souhaitable. Lors de son audition, le Pr Jean-François Mattéi a insisté sur les relèvements successifs du seuil ‑ trois utilisations d’un même don de spermatozoïdes puis cinq, puis dix – pour conclure que cette voie ne doit pas d’être poursuivie en raison des risques de consanguinité.

La piste consistant à rémunérer les donneurs déléguerait au marché la responsabilité de la régulation. Cette situation est doublement insatisfaisante car elle porterait aussi atteinte à l’unité du régime juridique du don des produits et éléments du corps humain.

Abandonner la gratuité du don de gamètes aujourd’hui pourrait conduire à abandonner la gratuité du don du sang demain puis du don d’organes après-demain. La Fédération française des CECOS a souligné, pour sa part, que « 70 % des professionnels restent attachés au principe de gratuité du don de spermatozoïdes et plus largement du don de gamètes et d’embryons, afin de respecter le principe de non-marchandisation des éléments et produits du corps humain et de ne pas créer un précédent qui pourrait remettre aussi en question le principe de gratuité des autres dons en dehors de la procréation ». Rien ne permet d’affirmer que cet enchaînement est inéluctable, mais rien ne permet de l’écarter non plus. Pour certains, cette position de principe ne serait qu’hypocrisie puisque, de fait, de nombreuses personnes décident de s’affranchir de la législation nationale pour réaliser leur projet à l’étranger, où la rémunération du donneur ne pose pas de difficulté. Faut-il se résigner devant la force du marché ou faire en sorte que notre modèle soit imité à l’étranger ? Posée en ces termes, l’alternative est claire, mais il faudra se donner les moyens d’une diffusion de notre modèle éthique.

L’instauration d’une rémunération intégrerait également la France dans le réseau des échanges marchands de gamètes qui irrigue l’Europe depuis quelques années. De fait, la situation européenne fait apparaître un déséquilibre très marqué pour le don de sperme, souligné par l’étude précitée de l’INED. L’Allemagne réserve l’AMP aux couples hétérosexuels et son activité en terme de don de sperme est mal connue. L’Italie interdit le don de sperme. Seuls trois pays sont en mesure de répondre aux besoins qui se manifestent en Europe : la Belgique, le Danemark et l’Espagne. L’instauration d’un don rémunéré permettra peut-être de répondre aux besoins nationaux, provoquera sans doute de nouveaux flux intra-européens mais ne mettra sans doute pas fin à la concurrence entre « pays rémunérateurs » : au contraire, elle pourrait créer une intensité concurrentielle telle qu’elle provoquerait un abaissement des standards éthiques. Est-il raisonnable d’espérer que les centres espagnols ou belges se délesteront facilement de la clientèle des bénéficiaires et des donneurs ? La publication de l’INED souligne qu’actuellement, la Belgique, le Danemark et l’Espagne « doivent recruter un nombre important de donneurs qui ne peut reposer sur le seul altruisme de la population locale ». Il a par ailleurs été indiqué à la mission que les AMP pratiquées à l’étranger au bénéfice de Françaises faisaient souvent appel aux ressources de la banque de sperme située au Danemark ([110]).

Cette situation donne enfin matière à réflexion sur les conséquences d’une régulation de notre système de santé par les lois du marché. Ce que le marché a suscité (la promesse de répondre à un désir et de remédier à une souffrance), le marché peut le satisfaire. Personne ne peut nier que cette régulation apporte des résultats probants du point de vue des bénéficiaires : il suffit de constater combien de femmes ont décidé de sauter le pas pour réaliser une AMP à l’étranger. Cette situation est-elle pour autant satisfaisante pour elle comme pour les donneurs ?

La Fédération française des CECOS souligne à cet effet plusieurs risques qui résulteraient d’un don rémunéré. La rémunération pratiquée dans d’autres pays s’inscrit dans un circuit à but lucratif et est susceptible d’altérer la relation entre le donneur et l’équipe médicale. Il est notamment relevé que « cela peut inciter le donneur à ne pas transmettre des informations personnelles ou médicale susceptibles de récuser son don et à tenter de répéter la démarche de dons dans des centres différents ». Parallèlement, il est aussi constaté que les pays ayant instauré une rémunération ont également mis en place « le screening génétique systématique des donneurs (panel de gènes des maladies génétiques les plus fréquentes voire séquençage du génome) ». La rémunération modifierait le profil des donneurs recrutés, leurs motivations et les critères d’acceptation et de refus du don. S’agissant des receveurs, « le don devenant un bien matériel, ils seraient en droit de vouloir choisir les caractéristiques de leur donneur et la qualité des gamètes à la hauteur de leur investissement ».

La Fédération française des CECOS plaide pour une réorganisation du don de gamètes à travers la mise en place d’équipes de coordination du don, à l’instar du don d’organes, « dotées de personnels médicaux et non-médicaux dédiés exclusivement à ces activités ». Elles seraient notamment chargées de la pédagogie dans la population générale avec des professionnels de la communication, d’assurer le recrutement, l’accueil des candidats, l’organisation de la prise en charge médicale des donneurs et des demandeurs, le suivi des donneurs, des demandeurs et des enfants issus du don ainsi que les actions de formation et d’information. Une telle évolution supposerait parallèlement de repenser les modalités de financement des CECOS, qui ne pourraient, à financement inchangé, assumer ces nouvelles tâches.

b.   Le don d’ovocytes

Le don d’ovocytes présente quelques particularités qu’il convient d’approfondir.

Le rapporteur tient tout d’abord à rappeler que la stimulation ovarienne est éprouvante pour les femmes et constituerait une violence à leur encontre si elle était doublée d’une mercantilisation.

La procédure de recueil des ovocytes

Le recueil des ovocytes exige d’abord une « hyperstimulation » ovarienne, par antagonistes de la LHRH et gonadotrophines recombinantes, propre à induire la croissance du plus grand nombre possible de follicules ovariens. La procédure exige un monitorage hormonal et échographique pluri-hebdomadaire jusqu’au déclenchement de l’ovulation. Vient ensuite la ponction ovarienne sous échographie par voie trans-vaginale, sous sédatifs ou anesthésie générale. La fécondation s’obtient majoritairement par ICSI. La démarche n’est jamais anodine, toujours pénible, elle expose à des complications aujourd’hui rares (1 % sur 4 000 cycles de don), parfois sérieuses ou sévères : le syndrome d’hyperstimulation ovarienne avec des kystes ovariens, éventuellement une ascite, des troubles hydro-électrolytiques, parfois des thromboses vasculaires. Les échecs de stimulation ovarienne, les ponctions « blanches », les échecs de recueil du sperme, mais surtout le nombre trop faible d’ovocytes recueillis au regard du nombre nécessaire pour assurer des chances de grossesse, conduisent à multiplier éventuellement les cycles de traitement.

Source : Académie de médecine, La conservation des ovocytes, Rapport 17-04, 13 juin 2017.

 Les risques liés à la stimulation ovarienne et la souffrance que ces actes font subir aux femmes s’opposent à toute proposition d’augmentation de l’offre par la voie de la rémunération dans notre pays. Pour reprendre les termes employés par Mme Sylviane Agacinski dans son ouvrage Corps en miettes, « si le sperme est un “matériau” qu’il n’est ni difficile ni désagréable de donner, le cas des ovocytes est bien différent » ([111]). Ces problèmes sont exacerbés lorsque le prélèvement n’est pas assuré pour sa propre demande de fécondation in vitro.

À l’instar du don de sperme, il importe de considérer l’existence d’un « marché européen des ovocytes ». La France ne contribue qu’à 2 % des dons d’ovocytes dans l’Union européenne, quand l’Allemagne et l’Italie les interdisent. Selon l’INED, ces trois pays représentent « 39 % de la population féminine des 20 à 44 ans de l’UE » ([112]), ce qui conduit l’offre à se concentrer sur l’Espagne, la République tchèque et la Grèce. Là encore, la publication de l’INED apporte quelques éclairages sur le profil des donneuses, qui sont notamment des « femmes en situation de fragilité économique, motivées par la compensation financière de 400 € à 2 000 € versée par les centres » ([113]). L’Union européenne est donc déjà confrontée à un enjeu majeur d’aliénation de certaines femmes sur le marché de la procréation.

Hors rémunération, deux pistes sont aujourd’hui susceptibles de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes.

 On pourrait en premier lieu favoriser l’autoconservation ovocytaire. À cet effet, le législateur devrait donc réévaluer le choix opéré en 2011.

Les techniques permettent, après stimulation ovarienne, de conserver les ovocytes par vitrification, qui est une congélation ultra-rapide par plongée dans l’azote liquide. C’est aujourd’hui la technique de conservation de référence dans la mesure où elle accroît le taux de succès de la grossesse.

La loi réserve cette technique à deux situations. L’article L. 2141-11 du code de la santé publique l’autorise aux femmes qui souffrent de pathologies ou subissent un traitement compromettant leur fertilité. L’autoconservation, qui s’appuie donc sur des indications médicales, permet à la femme d’envisager la réalisation ultérieure d’un projet parental. La pénurie persistante d’ovocytes a cependant conduit le législateur à autoriser la possibilité d’une conservation autologue pour des raisons non médicales. L’article L. 1244-2 du code de la santé publique admet ainsi le recueil et la conservation des gamètes ou des tissus germinaux en vue d’une éventuelle réalisation ultérieure, au bénéfice de la personne, d’une assistance médicale à la procréation. Cependant, cette possibilité n’est ouverte qu’à un donneur : la loi établit une connexion entre le don et l’autoconservation des gamètes, la seconde étant conditionnée par le premier. Le décret n° 2015-1281 du 13 octobre 2015 relatif au don de gamètes en précise les modalités d’application.

Au-delà du fait que le rapport d’application de la loi de bioéthique publié en janvier 2018 par l’Agence de la biomédecine souligne que ces modalités n’ont pas vraiment permis d’augmenter de façon significative le nombre d’ovocytes, ce choix suscite aujourd’hui d’importantes réserves éthiques.

Le rapporteur estime tout d’abord qu’il est une sorte de subterfuge puisque, comme le relève le CCNE, « cette procédure “don avec autoconservation” a été mise en œuvre pour pallier la rareté des dons d’ovocytes et l’allongement des listes d’attente » ([114]).

La procédure s’apparente ensuite à une forme de « chantage », puisque l’autoconservation est la contrepartie d’une cession d’ovocytes. Comme le dit le CCNE, « On peut considérer, dans cette situation, que la notion de “don gratuit” n’existe plus et qu’il s’agit d’un marché. » ([115]) Le décret d’application évoque ainsi la nécessité d’informer la donneuse de « l’existence de règles de répartition des gamètes entre ceux conservés en vue de don et ceux conservés à son bénéfice » et de « la nécessité d’obtenir des gamètes en quantité suffisante pour constituer un don ». Dans l’un de ses rapports ([116]), l’Académie de médecine souligne cependant que « compte tenu de la large priorité accordée au don, les chances pour ces donneuses de conserver des ovocytes pour elles-mêmes sont quasi nulles. Il faut en effet au moins 15-20 ovocytes vitrifiés pour raisonnablement espérer une grossesse plus tard. La nouvelle réglementation, en faisant du don un préalable obligatoire à l’autoconservation, exige de doubler le nombre d’ovocytes recueillis, passant de 15-20 à 30-40 » aboutissant à « multiplier indûment, deux peut-être trois fois, les cycles de stimulation et de recueil des ovocytes ». Ces obligations constituent « un défi qui semble insurmontable quel que soit l’engagement de ces jeunes femmes ». C’est pourquoi le CCNE peut qualifier de « biaisé » le marché dont il a dénoncé l’existence. Des difficultés d’ordre matériel se surajoutent à ces obstacles, aucune base juridique ne prévoyant explicitement le financement de la conservation du don.

Cette situation conduit à reconsidérer les conditions dans lesquelles l’autoconservation ovocytaire sur « indication non médicale » est proposée. Il conviendrait en premier lieu de dissocier l’autoconservation du don. Il faudrait ensuite voir comment la congélation ovocytaire pourrait devenir une réponse au phénomène du recul de l’âge auquel les femmes envisagent d’avoir un enfant.

Le CCNE fait désormais prévaloir l’autoconservation « comme un espace dans lequel la liberté des femmes pourrait s’exercer sans qu’elles compromettent leur maternité future ». Il relativise ainsi les réserves précédemment exprimées dans son avis n° 126 ([117]) : sa position avait alors été motivée par une surestimation des risques liées à la stimulation ovarienne. La teneur de l’avis n° 129 suggère que, si les risques subsistent, ils ne sont en fait pas de nature à faire obstacle à l’autoconservation ovocytaire.

Cette évolution n’est pas sans poser de questions, dont bon nombre ont été évoquées devant la mission et semblent donc conserver une part de pertinence.

Tous s’accordent à reconnaître que la fertilité baisse avec l’âge. Certains éléments ont déjà été évoqués dans les développements précédents ([118]), mais il est utile de préciser que « la fécondabilité, soit la probabilité de concevoir par cycle, baisse avec l’âge : de 25 % par cycle si la femme a 25 ans, on passe à 12 % si elle a 35 ans et seulement 6 % à 42 ans » ([119]). L’Agence de la biomédecine souligne aussi que certaines « femmes confondent avoir leurs règles et être fertiles, alors que la fertilité chute environ 10 ans avant la ménopause. La méconnaissance de cette réalité aiguise le sentiment d’injustice devant une infécondité toujours vécue comme trop précoce » ([120]). L’autoconservation ovocytaire pourrait être l’une des réponses à cette réalité.

Cependant, la revendication d’autonomie et de liberté ne doit pas faire oublier les risques de pression sociale et professionnelle qui pourraient s’exercer sur les femmes. On se souvient qu’Apple et Facebook avaient annoncé leur intention de prendre en charge la congélation des ovocytes de leurs employées, accréditant l’idée que le projet personnel des femmes doit s’adapter au marché du travail et au désir de l’homme (pour lequel la question des ponctions ovariennes ne se pose pas et la question de l’horloge biologique se pose en des termes bien moins contraignants). En fait, la promesse émancipatrice portée par les techniques d’AMP se heurterait alors à la réalité d’une organisation sociale pensée par et pour les hommes. Comment les femmes qui souhaiteraient d’abord se consacrer à la maternité avant d’envisager un projet professionnel pourraient-elles librement évoluer dans le marché du travail quand leurs collègues accepteraient de différer une grossesse ? L’autoconservation, présentée comme un choix individuel, pourrait, dans ces cas non encadrés, se révéler être une contrainte sociale.

En outre, il n’est pas du tout certain que l’autoconservation garantisse la venue d’un enfant. Dans un article consacré à cette question, Mme Valérie Depadt souligne à juste titre qu’« en l’état actuel de la science, nul ne peut garantir à une femme que l’utilisation tardive des ovocytes conservés lui permettra de devenir mère » ([121]). Et le CCNE prévient que « différer un projet de grossesse à un âge tardif – connaissant les risques de ces grossesses tardives – peut difficilement être considéré comme participant à l’émancipation des femmes face aux limites biologiques » ([122]). En audition, il a également été rappelé à plusieurs reprises que l’autoconservation ovocytaire ne pouvait être une « assurance tous risques », surtout en cas de grossesse à un âge avancé.

La balance des risques est donc difficile à apprécier, ce dont témoignent les positions différentes prises, à moins de deux ans d’intervalle, par le CCNE. Le choix de « proposer, sans encourager, une autoconservation ovocytaire indépendamment du don », en septembre 2018, fait suite à celui qui conduisait à trouver « difficile à défendre » la même proposition, en juin 2017. Entretemps, seuls sont intervenus les États généraux de la bioéthique et les propositions consistant à « développer une information documentée et sérieuse sur l’évolution de la fertilité féminine destinée à l’ensemble de la population jeune » ([123]). Ce qui est clair, en revanche, c’est que la revendication d’autonomie des femmes associée à la capacité de disposer de son corps – qui justifie la levée de la condition thérapeutique – ne réduit pas l’urgence de repenser une organisation sociale dont le rythme est aujourd’hui façonné par les promesses technoscientifiques et régulé par la loi du marché plutôt que par des exigences éthiques.

Pour autant, un certain consensus s’est formé sur la nécessité d’informer convenablement les femmes, mais aussi les hommes, sur les limites inhérentes à l’autoconservation ovocytaire. Le CCNE propose un avis médical préalable, ce qui ne modifie pas fondamentalement la situation actuelle, les équipes médicales intervenant en AMP étant particulièrement investies dans l’accompagnement des patients. Par contre, la proposition consistant à développer les consultations médicales sur l’évolution de la fertilité serait de nature à donner aux femmes davantage de maîtrise sur leur corps et leur destin et à éviter les déceptions qui pourraient résulter d’une trop grande dépendance aux promesses portées par la technique. Elle pourrait être complétée par l’envoi systématique d’un courrier de sensibilisation de l’assurance maladie aux jeunes assurés. Cette piste correspond par ailleurs aux recommandations de l’Agence de la biomédecine, dont le conseil d’orientation « souligne la nécessité de rappeler que la situation la moins à risque est la procréation à un âge jeune […], la procréation à un âge avancé demandant une médicalisation quelque peu artificielle de la procréation » ([124]).

On rappellera toutefois les propos tenus par le Dr Joëlle Belaisch Allart pour qui la consultation n’apparaît pas être la solution « miracle ». Aux campagnes d’information dans la presse, particulièrement masculine, doivent être ajoutées des actions de prévention relatives au tabagisme et à l’obésité ([125]).

Enfin, si l’autorisation d’une conservation à des fins autologues était décidée, il conviendrait d’en définir le cadre pour éviter toute dérive. Dans sa séance du 8 juin 2017, le conseil d’orientation de l’ABM rappelle sa préconisation de 2012 tendant à aligner les limites d’âge pour l’utilisation des gamètes conservés sur le cadre en usage pour l’AMP, soit 42 ans révolus pour les femmes et 59 ans révolus pour les hommes ([126]).

Dans ces conditions d’autoconservation autorisée des ovocytes, ceux des ovocytes qui ne sont pas utilisés pour un projet parental personnel pourraient être donnés aux femmes ou aux couples en demande. En effet, lorsqu’une femme réalise une autoconservation ovocytaire, il lui est demandé ce qu’il adviendra de ses ovocytes dans le cas où ils ne seraient pas utilisés pour elle-même : elle décide alors si elle souhaite qu’ils soient donnés à la banque d’ovocytes, à la recherche biomédicale publique ou qu’ils soient détruits. Comme le rappelle le Réseau Fertilité France dans une contribution adressée à la mission d’information, « ces ovocytes étant déjà prélevés et congelés, le don à une autre femme se révèlerait bien plus accessible et éthique que la sollicitation de donneuses dont on connaît le parcours qu’il leur est demandé d’endurer ».

 La deuxième piste susceptible de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes consisterait à étendre à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation que délivre l’Agence de la biomédecine.

L’ABM a avancé l’idée d’une telle extension dans son dernier rapport sur l’application de la loi de bioéthique. Ce n’est en fait pas une idée nouvelle. Dans la réponse à un questionnaire transmis par le rapporteur, l’Agence indique que la suggestion avait déjà été formulée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport remis en 2011. L’IGAS n’envisageait alors l’ouverture au secteur privé qu’en cas de défaillance du secteur public. Dans son rapport précité, l’Agence justifie l’extension « dans une perspective de facilitation et de développement du don d’ovocytes, qui reste en situation de pénurie ». En réponse aux interrogations du rapporteur relative aux risques de dérive mercantile, l’Agence a précisé les modalités de régulation :

– en rappelant les leviers de maîtrise de l’implantation des centres privés : « régime d’autorisation et d’inspection-contrôle par les agences régionales de santé tenant compte de l’offre existante et des besoins dans la région, et le cas échéant […] mode de financement » ;

– en rappelant les préconisations de l’IGAS tendant à l’instauration d’un « processus de collecte collectif transparent et sous assurance qualité » et à la séparation entre, d’une part, les activités de recrutement des donneurs et de collecte des gamètes et, d’autre part, « les activités de distribution qui doivent rester sous la responsabilité d’un établissement sans lien financier avec les receveurs ».

Proposition n° 7 Accompagner les évolutions relatives à l’AMP par des campagnes d’incitation au don de gamètes.

Proposition n° 8 Autoriser l’autoconservation ovocytaire.

Proposition n° 9 Étendre à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation que délivre l’Agence de la biomédecine afin de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes.

Proposition n° 10 Améliorer l’information des concitoyens sur la fertilité et les conditions de son évolution avec l’âge.

5.   La prise en charge par la sécurité sociale d’une AMP étendue ne fait pas l’unanimité

L’éventualité d’un remboursement, par la sécurité sociale, des actes d’AMP et d’autoconservation ovocytaire pour des indications non pathologiques pose une question de principe.

La sécurité sociale a complété, sinon remplacé, les formes de prise en charge traditionnelles visant à se protéger des malheurs de la vie et à atténuer leurs conséquences (famille, charité, philanthropie, prévoyance). Elle est à la fois fondée sur une solidarité au sein de chaque risque et sur une solidarité globale au regard de l’ensemble des risques sociaux. L’article L. 111-1 du code de la sécurité sociale prévoit ainsi que « la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale ».

Le même article dispose que la sécurité sociale assure « la couverture des charges de maladie, de maternité et de paternité ainsi que des charges de famille ». Elle constitue également un mécanisme de garantie « contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer le revenu des travailleurs » à travers le mécanisme de l’affiliation à un régime obligatoire. Le risque maladie est ainsi couvert par un mécanisme de solidarité entre personnes bien portantes et malades, qui trouve à s’incarner dans les cotisations sociales et l’impôt d’une part, la couverture des frais de prise en charge et la compensation des pertes de revenus, d’autre part.

Les actes de procréation médicalement assistée sont pris en charge jusqu’au 43ème anniversaire de la femme, sous accord préalable de la caisse primaire d’assurance maladie, dans la limite d’une insémination artificielle par cycle, avec un maximum de six pour obtenir une grossesse et de quatre tentatives de fécondation in vitro pour obtenir une grossesse.

En effet, puisqu’il est conditionné à une dimension pathologique – soit une infertilité « médicalement diagnostiquée », soit le risque de « transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité » –, le recours aux techniques d’AMP entre dans le champ du 1° de l’article L. 160-8 du code de la sécurité sociale, qui prévoit que « la protection sociale contre le risque et les conséquences de la maladie » comporte notamment « la couverture des frais de médecine générale et spéciale » ou encore « des frais de biologie médicale » et de ceux « relatifs aux actes d’investigation individuels ». Selon le conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, le coût de l’AMP pour l’assurance maladie peut être évalué à environ 200 millions d’euros par an, soit 0,1 % de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, fixé à 195 milliards d’euros.

Ouvrir aux couples de femmes ou aux femmes seules la possibilité de recourir à l’AMP n’est pas seulement une évolution symbolique. S’il est loisible au législateur d’étendre « le champ d’application de l’organisation de la sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus le code de la sécurité sociale » ([127]), la suppression (qui s’est développée en pratique) du critère d’infertilité pathologique conditionnant l’accès à l’AMP a modifié de façon substantielle la nature d’une éventuelle prise en charge par la sécurité sociale.

Cette modification ne constitue pas pour autant une altération qui aurait un caractère dirimant. Il n’est pas interdit d’y voir une analogie avec la loi Roudy sur la prise en charge de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), laquelle n’a pas de justification thérapeutique ([128]).

Les professionnels de santé sont confrontés de manière récurrente à des demandes de prise en charge qui ne répondent pas strictement aux conditions fixées par la loi. Plusieurs personnes auditionnées ont mis le doigt sur une réalité très différente de celle que visait le législateur lorsqu’il a fondé l’accès à l’AMP sur un critère d’infertilité pathologique, autorisant de facto la prise en charge des actes correspondants. Quand bien même il aurait implicitement accepté cette réalité, il renvoyait à la profession médicale le soin de s’ériger comme garant du respect de la loi. Aujourd’hui, des parcours d’AMP sont remboursés alors même qu’aucune infertilité pathologique n’est clairement établie. Ces faits ont été rappelés à plusieurs reprises lors des auditions. L’écart à la norme législative ne concerne pas seulement l’AMP : il existe aussi pour nombre d’actes de chirurgie esthétique dont certains donnent lieu à des contournements et aboutissent à une prise en charge malgré l’absence d’intérêt thérapeutique. Le Dr François Olivennes soulignait qu’« il existe ainsi sûrement des prises en charge médicales effectuées pour pallier à des problèmes pas nécessairement médicaux » et « la chirurgie esthétique, [qui,] en dehors de la chirurgie reconstructrice, ne répond pas à des problématiques foncièrement médicales » ([129]). Pour se limiter au domaine de l’AMP, des couples de femmes ou des femmes seules témoignent également des « arrangements » passés avec des gynécologues pour assurer la prise en charge d’une partie des frais liés à la préparation des actes d’AMP, à l’exclusion toutefois du coût de l’intervention. Somme toute, l’extension du remboursement aux actes d’AMP pour « indication sociale » ne serait que la régularisation d’une situation de fait.

Du reste, comme le précise le Conseil d’État, la prise en charge par l’assurance maladie de cette extension n’aurait pas un coût extrêmement important : « il s’agirait seulement de prendre en charge l’acte même d’IAD (de 500 à 1 500 euros) puisque la grossesse, voire la stimulation, sont déjà prises en charge » ([130]).

Surtout, l’égalité des droits est un fort argument en faveur d’une prise en charge. À partir du moment où l’accès à l’AMP est autorisé pour une indication autre que pathologique, aucune différence de traitement ne se justifie plus : il s’agit bien de soins. L’étude du Conseil d’État rappelle ainsi que « la tradition juridique française d’égalité d’accès aux soins rend en effet difficilement concevable l’ouverture de nouveaux droits sans que soit prévu un remboursement par l’assurance maladie ». Dans son avis n° 129, le CCNE rappelle aussi que la question du remboursement « fait partie intégrante des aspects éthiques du sujet et [que] la solution adoptée […] devra être soigneusement étudiée au regard des critères de justice ».

Si une prise en charge par la sécurité sociale est décidée en complément de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules, il faudra décider également du niveau de cette prise en charge : pourrait-elle être complète ou une partie du coût devrait-elle être supportée par les personnes concernées ? Le Pr. René Frydman, « père du premier bébé-éprouvette », s’est interrogé sur le rapport qu’entretient le demandeur avec les équipes médicales dans un contexte de gratuité totale de l’acte ([131]). Il lui apparaît que le remboursement intégral des actes d’AMP conforte le demandeur dans la revendication d’un droit même lorsque l’examen de sa situation personnelle ne permet pas d’envisager une issue positive. Ce droit, qui confine à l’exigence, modifie le rapport entre le patient et son médecin. Celui-ci doit se résoudre à n’être qu’un prestataire de service qui, en cas de désaccord avec le patient, peut seulement se récuser au profit d’un autre médecin. Cette situation amène certains médecins à poser la question d’un remboursement partiel lorsque la situation financière de la femme ou du couple est suffisamment aisée.

Extrait du code de déontologie médicale

La récusation
Article 60 (codifié à l’article R. 4127-60 du code de la santé publique)

Le médecin doit proposer la consultation d’un confrère dès que les circonstances l’exigent ou accepter celle qui est demandée par le malade ou son entourage.

Il doit respecter le choix du malade et, sauf objection sérieuse, l’adresser ou faire appel à tout consultant en situation régulière d’exercice.

S’il ne croit pas devoir donner son agrément au choix du malade, il peut se récuser. Il peut aussi conseiller de recourir à un autre consultant, comme il doit le faire à défaut de choix exprimé par le malade.

À l’issue de la consultation, le consultant informe par écrit le médecin traitant de ses constatations, conclusions et éventuelles prescriptions en en avisant le patient.

Proposition n° 11 Étendre aux couples de femmes et aux femmes seules la prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels.

C.   L’extension de l’accès à l’AMP reste controversée

S’assurer le concours de la médecine et des technosciences pour répondre à un désir de parentalité ne fait pas l’unanimité. Sans nier l’importance de ce désir, ni la souffrance de ne pouvoir concevoir, ni la capacité à élever un ou plusieurs enfants, les opposants à une éventuelle extension émettent des réserves sur les conséquences qu’elle pourrait avoir. La société semble prête à accéder aux demandes exprimées par les couples de femmes ou les femmes seules – qui oserait dire qu’elles sont moins capables d’élever un ou des enfants ? –, mais est-elle aussi prête à en accepter toutes les implications ? Si la démarche bioéthique consiste à chercher un équilibre entre des intérêts parfois divergents, en tout cas différents, l’extension « sociétale » de l’AMP ne conduit-elle pas à privilégier les intérêts des adultes par rapport aux intérêts de l’enfant et de la société ? Ces questions ont été largement abordées lors des auditions de la mission et ne peuvent donc être écartées d’un revers de main.

1.   L’intérêt de l’enfant à naître, un intérêt de second rang ?

L’étude du Conseil d’État souligne fort opportunément l’ambiguïté de la notion d’« intérêt de l’enfant ». D’une part, complétée par l’adjectif « supérieur », elle a acquis une valeur supra-législative, puisque le Conseil d’État en 1997, puis la Cour de cassation en 2005 ont reconnu un effet direct en droit national à certaines stipulations de la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990. D’autre part, elle reste « incertaine et évolutive » ([132]).

De ce fait, si le droit à l’enfant n’existe pas, la notion d’intérêt de l’enfant ne saurait être suffisamment déterminante pour faire obstacle à une extension de l’AMP. Le Conseil d’État invite cependant le législateur à ne pas négliger cet aspect en soulignant qu’il « ne saurait, dans son ouvrage, s’abstraire de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant ». Notre droit connaît évidemment l’intérêt de l’enfant déjà né ; il connaît aussi, en matière de succession, l’intérêt de l’enfant à naître, sous conditions ; la haute juridiction rappelle qu’à travers l’article L. 2141-10 du code de la santé publique, la mise en œuvre de l’AMP peut être différée « dans l’intérêt de l’enfant à naître ».

Chacun convient qu’il serait paradoxal de répondre à la souffrance des femmes en désir d’enfanter tout en refusant de prendre en compte l’atteinte à l’intérêt de l’enfant qui pourrait résulter des modalités de sa conception ou des caractéristiques de la famille où il vient au monde. Le débat devant la mission s’est essentiellement focalisé sur deux types de considérations.

L’extension de l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules donnerait naissance à des enfants « sans père », dans un processus voulu par son ou ses parents et organisé par la société. Cependant, l’accès aux origines personnelles ou la présence de référents masculins dans le proche entourage suffiraient à l’enfant pour se construire. Ces arguments n’apparaissent pas déterminants aux yeux des défenseurs d’une conception différente de l’intérêt de l’enfant. Ceux-ci refusent les résultats de la totalité des études concrètes, effectuées dans plusieurs pays, et mettent en avant l’importance anthropologique théorique, non pas de l’homme, mais du « père », soulignant par ailleurs le pivot que représente son meurtre symbolique dans la puissance psychique de l’enfant : cette « symbolisation transforme le vœu meurtrier en profit de transmission entre les générations, situant l’enfant dans la généalogie familiale et par-delà dans son devenir humain » ([133]).

C’est également la volonté de préserver cette vision de l’intérêt de l’enfant qui amène certains membres du corps médical à vouloir éviter de créer des situations qu’ils jugent « à risque », où l’enfant serait en situation de vulnérabilité. Les docteurs Sarah Bydlowski et Pierre Lévy-Soussan ont fait état devant la mission de consultations réalisées chez les enfants issus de l’adoption ainsi que chez ceux issus de l’AMP, la première dans le cadre du centre Alfred-Binet (Association de santé mentale du 13ème arrondissement de Paris – ASM13) et le second dans le cadre de la consultation « Filiations » du centre médico-psychologique pour l’enfant et la famille (association Phymentin). De l’avis de ces deux professionnels, il y aurait dans ces consultations une surreprésentation des enfants conçus par AMP – et de leur famille – justifiant qu’un accompagnement soit réalisé. Étendre l’AMP à de nouvelles indications conduirait inévitablement à multiplier les facteurs de risques et à augmenter la vulnérabilité des enfants. Il serait dès lors pertinent d’inclure dans la chaîne de l’AMP un pédopsychiatre chargé d’assurer le suivi de l’enfant ainsi né. Le Dr Sarah Budlowski souligne ainsi qu’il n’existe « pas suffisamment de propositions et d’organisation du système de santé permettant d’effectuer un suivi des adultes souffrant dans leur désir d’enfant, puis des enfants issus de ces situations encore mal connues et de leurs familles ». Il lui semble par ailleurs « essentiel de mettre l’accent sur l’organisation d’un accompagnement en amont et en aval de ces situations, pour les adultes, les enfants issus de ces situations et leurs familles ». Elle ajoute enfin qu’il « conviendrait de même de prévoir et d’organiser une collaboration entre les équipes d’AMP et les pédopsychiatres, dans le cadre des soins de santé publique, accessibles à tous » ([134]).

Certaines auditions ont clairement mis en avant le fait que l’enfant serait suffisamment résilient pour faire face à d’éventuelles difficultés pouvant résulter des conditions de sa conception. Ainsi, Mme Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la Grande loge féminine de France, a fait valoir que « les capacités de résilience d’un enfant font que, de toute façon, ce qu’il attend est d’être accueilli avec amour et tendresse, d’être élevé avec attention. » ([135]) Le phénomène de « résilience » a également été évoqué par M. Bertrand Lionel-Marie, responsable du secteur bioéthique de la Confédération nationale des associations familiales catholiques ([136]). Pour autant, la résilience de l’enfant, conçu dans le cadre d’une AMP, n’est pas un argument déterminant pour le psychanalyste Jean‑Pierre Winter qui appelle le législateur à raisonner, non pas sur une génération, mais sur plusieurs générations. Il souligne « qu’il faudrait se préoccuper, au-delà de la parentalité au présent, de la généalogie et du fait que la loi pourrait autoriser des femmes seules ou en couple à s’arroger le droit de priver un enfant de ces pères généalogiques qui leur ont permis, à elles d’exister » ([137]). Dès lors, si rien ne permet d’affirmer que l’enfant ne sera pas résilient, rien ne permet de rejeter les arguments selon lesquels la société devra assumer les conséquences d’une « généalogie […] trouée de blancs ou d’absences » ([138]).

Le rapporteur, s’il estime toutes ces opinions respectables, ne les juge pour autant pas toujours recevables. La pluralité des situations familiales est une réalité depuis de nombreuses années, et l’extension de l’AMP n’entraînera pas de bouleversement fondamental de notre société. La filiation bilinéaire et les représentations symboliques seront maintenues. Quel risque cette mesure ferait-elle courir ? Le Conseil d’État souligne d’ailleurs dans son étude que « la question de savoir si priver a priori un enfant d’une double filiation sexuée serait nécessairement contraire à son intérêt reste controversée » ([139]) et qu’aucune étude n’apporte la preuve de la survenue d’aucun des risques allégués. Le principe de précaution, parfois avancé par les opposants à l’extension de la PMA, ne paraît guère opérant : comment peut-on valablement opposer qu’il faudrait en priorité prévenir une souffrance ou des problèmes de développement à ce jour non prouvés chez l’enfant plutôt que répondre à la souffrance bien visible aujourd’hui chez celles qui revendiquent l’extension controversée ?

Le rapporteur a présenté précédemment les remarquables travaux conduits par le Pr Susan Golombok et les critiques qui leur ont été adressés ([140]). Il réitère à ce stade du rapport l’idée que l’extension de l’AMP pourrait être l’occasion de renforcer les travaux de recherche sur la parentalité ou encore sur l’intégration de ces enfants et de ces familles, sans se limiter aux couples de lesbiennes ou aux femmes seules. Nous disposons d’un recul de plusieurs années sur ces techniques mais nous manquons de données qualitatives qui pourraient par exemple porter sur la tolérance aux techniques médicales, l’accompagnement des parents, le parcours de vie des enfants conçus par AMP et l’accueil réservé par la société. De telles études seraient de nature à mieux objectiver les raisons justifiant le recours à l’AMP et permettraient aussi d’améliorer la prise en charge de ces familles et de ces enfants.

Enfin, le rapporteur rappelle que le principe de précaution, invoqué par plusieurs personnes auditionnées, s’applique essentiellement à l’environnement ([141]) et « a été peu transposé par la jurisprudence aux questions de bioéthique » ([142]) comme le précise le Conseil d’État, en dehors de quelques décisions dans le domaine de la santé publique.

2.   Une rupture avec la conception traditionnelle de la filiation ?

L’ouverture de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules ne nécessite aucun aménagement du droit de la filiation, car le droit commun permet déjà de répondre à l’ensemble des situations envisageables. Il convient en particulier de laisser vacante la filiation dans la deuxième branche parentale pour ne pas empêcher l’établissement ultérieur d’un lien de filiation avec un homme ou une femme dépourvu de lien biologique à l’égard de l’enfant, dans l’intérêt de ce dernier.

En revanche, l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes conduit en revanche à s’interroger sur une éventuelle évolution du droit de la filiation.

a.   Le principe : une filiation d’intention qui prendrait le pas sur la filiation biologique

Aujourd’hui, le droit de la filiation repose sur un principe de vérité : la filiation juridique doit, dans la mesure du possible, correspondre à la vérité biologique. Ce principe fondateur part du postulat qu’il n’est pas raisonnable d’admettre des filiations fictives, détachées du lien du sang. La filiation biologique est celle qui doit primer. Elle présente l’avantage de la stabilité et est accessible directement et assez facilement.

Toutefois, si la filiation biologique est primordiale, elle n’est pas absolue. En effet, la filiation juridique n’est pas un simple décalque de la filiation biologique car, au-delà du fait purement biologique de la naissance, la filiation s’inscrit dans une histoire familiale et dans un héritage culturel. Aussi, le droit ne se contente pas de consacrer les situations de fait, en rattachant juridiquement l’enfant à ses père et mère par le sang. Il tient compte de certaines données psychologiques et affectives, ce qui conduit à ce que, même dans ce qui est nommé la filiation par le sang ou la filiation par voie naturelle, l’enfant ne soit pas systématiquement rattaché à son géniteur ou à sa génitrice. Une place importante est ainsi accordée à la volonté individuelle et au projet du couple : l’enfant peut être adopté ou peut être rattaché à celui qui l’élève ou l’a élevé un temps par exemple par le mécanisme de la possession d’état ([143]).

Comme l’a souligné M. André Lucas, professeur de droit, « le droit de la filiation n’a jamais été fondé sur le “tout biologique”. Quantité de règles témoignent de tempéraments à ce principe. Il suffit de prendre l’exemple de la possession d’état, dont la loi du 3 janvier 1972 a accru le rôle, faisant apparaître que la filiation revêt aussi une dimension sociologique. La preuve de la filiation peut résulter de la possession d’état. Reste, comme le CCNE le notait lui-même en 2005, que “la vérité biologique est au fondement de la filiation selon le modèle traditionnel » ([144]). Cette analyse rejoint quelque peu celle de Mme Geneviève Delaisi de Parseval, qui rappelle ainsi que depuis la loi du 3 janvier 1972 « ce qui fait père […] est la coïncidence entre le père et le social, puisqu’on peut être père sans lien biologique » ([145]).

Le droit de la filiation correspond donc à la recherche d’un équilibre entre deux vérités parfois différentes : la vérité biologique et la vérité sociologique ou affective, qui laisse une place importante à la volonté individuelle.

D’aucuns sont opposés à une évolution du droit vers une filiation de la volonté. M. Geoffroy de Vries, avocat, a ainsi dénoncé devant la mission d’information « les effets nocifs du projet parental qui serait uniquement fondé sur la volonté parce que la volonté, qu’on le veuille ou non, est versatile : je peux vouloir être parent aujourd’hui et décider de ne plus l’être demain. On peut donner son consentement, soi-disant sans possibilité de revenir en arrière, mais que se passe-t-il si le consentement a été vicié ? La parenté fondée sur le projet parental aboutira à la multiparenté » ([146]).

Au contraire, les défenseurs de l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes affirment que la question du lien de filiation n’est pas liée à la biologie ou à la génétique. Ainsi, Mme Caroline Mécary, avocate, a indiqué que « le lien de filiation est toujours une construction juridique, toujours une construction sociale. (…) La question du lien de filiation n’est pas liée à la biologie ou à la génétique. La présomption de paternité en est un exemple, les règles relatives à l’adoption en sont un autre. Nous pouvons donc envisager des modes d’établissement du lien de filiation pour des couples de femmes qui ont recours à la PMA. Ce sont des constructions sociales qui deviendront des constructions juridiques, incluses dans notre code civil » ([147]).

Le rapporteur est d’avis que la filiation d’intention doit être pleinement considérée à sa juste valeur et prévaloir sur la filiation biologique. C’est d’ailleurs ce qui est d’ores et déjà prévu en matière d’AMP avec tiers donneur pour les couples hétérosexuels, pour la filiation paternelle lorsqu’a eu lieu un don de spermatozoïdes ([148]). Ce qui importe, c’est l’engagement fort des parents envers l’enfant. La mère et le père sont ceux qui prodiguent éducation et amour et qui démontrent leur intérêt pour l’enfant, qui l’accompagnent souvent longtemps dans sa vie.

Il est également très important de veiller à ce que l’enfant ne soit pas stigmatisé par son mode de procréation, car ce n’est pas lui qui l’a choisi. L’enfant doit en effet trouver son intérêt et sa capacité à se développer sans jamais avoir l’impression d’être différent. À cet égard, s’il est évidemment indispensable de réfléchir aux modes d’établissement de la filiation en cas d’extension de l’AMP, il est tout aussi évident, aux yeux du rapporteur, que le lien de filiation, une fois établi, doit avoir la même portée, les mêmes effets quel que soit le mode de conception de l’enfant.

b.   Les voies d’évolution : plusieurs options qui devraient toutes tendre vers un même but, l’absence de stigmatisation

Parmi les pistes de réflexion possibles, le rapporteur considère qu’il faut tout d’abord écarter l’option du maintien en l’état du droit de la filiation.

Fondée sur la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, qui a conféré aux couples composés de personnes de même sexe le droit de se marier et a autorisé l’adoption plénière de l’enfant du conjoint ([149]), cette option conduit à établir le lien de filiation de la mère qui donne naissance à l’enfant par la seule mention de son nom sur l’acte de naissance et celui de la mère d’intention par la voie de l’adoption de l’enfant de sa conjointe ([150]). Outre qu’elle diffère du mode d’établissement de la filiation prévue pour les couples hétérosexuels bénéficiant d’une insémination artificielle avec donneur, elle présente de nombreux inconvénients :

– pour reprendre les mots de Mme Laurence Brunet lors de son audition, « ce serait une sorte de dénaturation de l’adoption » ([151]) en ce qu’une telle modalité d’établissement de la filiation détourne l’adoption de sa finalité première, qui est de donner des parents et une famille à un enfant qui n’en a pas ;

– accessible aux seules femmes unies par les liens du mariage, elle porte une atteinte excessive à la liberté de choisir son statut matrimonial et serait contraire au principe d’égalité ([152]), écueil d’ailleurs relevé par le Conseil d’État ([153]) ;

– elle introduit une différence de traitement importante entre la mère biologique et sa conjointe –  le parent légal devant donner son consentement à l’adoption par son conjoint –, alors qu’elles sont toutes deux à l’origine du projet parental ;

– elle génère une forme d’incertitude liée à la lourdeur et au caractère parfois aléatoire de la procédure d’adoption ;

– elle crée un risque d’insécurité juridique pendant le temps écoulé entre la naissance de l’enfant et le prononcé de l’adoption. En effet, au cours de cette période, les droits de la mère d’intention ainsi que ceux de l’enfant à son égard sont inexistants, ce qui soulève des difficultés notamment en cas de décès de la mère légale ou de séparation. Mme Laurence Brunet, maître de conférences en droit, a ainsi souligné que « le risque subsiste qu’entre la naissance de l’enfant et l’introduction de la requête en adoption, le couple se dispute et qu’à la suite de tensions, la mère légale refuse de donner son consentement à l’adoption. Ce sont des hypothèses que les tribunaux commencent à rencontrer » ([154]). À cet égard, il convient de souligner que les tentatives portées par des femmes qui se sont séparées pour faire établir la filiation par possession d’état se sont jusqu’à présent soldées par un échec : saisie par le tribunal d’instance de Saint-Germain-en-Laye, la Cour de cassation a rendu un avis selon lequel la filiation de la seconde mère ne peut être établie par possession d’état après séparation du couple ([155]).

Dans les situations où le projet d’adoption n’est pas mené à son terme, comme à la suite du renoncement au projet de mariage, la conjointe ou compagne de la mère légale peut certes bénéficier d’une délégation de l’autorité parentale ou d’un droit au maintien des relations avec l’enfant. Néanmoins, ces dispositifs ne permettent pas l’établissement d’un lien de filiation à l’égard de l’enfant.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le rapporteur considère qu’il faut écarter l’option de l’adoption, au profit de scénarios d’évolution du droit qui soient plus protecteurs des droits de chacun et non discriminants. L’intérêt prioritaire de l’enfant exige cette évolution.

Ces scénarios ont pour point commun de donner à l’enfant un état civil qui manifeste, par la référence à des parents de même sexe, la fiction juridique sur laquelle repose sa filiation.

En prévoyant, pour la première fois, de dissocier les fondements biologique et juridique de la filiation d’origine, par la création d’une double filiation maternelle, ils devraient tous avoir pour conséquence un changement de paradigme du droit français. Le Pr. André Lucas a ainsi souligné que « si l’on veut véritablement fonder la filiation sur le consentement, il faut le dire et en tirer toutes les conséquences, accepter une révolution. Je ne défends pas cette position, mais au moins a-t-elle une cohérence. J’insiste sur le travail considérable que représenterait une refonte complète du droit de la filiation fondée sur cette inversion totale de perspective » ([156]).

i.   L’extension aux couples de femmes des dispositions aujourd’hui applicables aux couples hétérosexuels bénéficiaires d’un don de gamètes

La première solution consiste à étendre aux couples de femmes, en les adaptant, les modalités d’établissement de la filiation actuellement applicables aux couples hétérosexuels bénéficiant d’une insémination artificielle avec tiers donneur prévues par le titre VII du livre Ier du code civil.

Dans ce nouveau dispositif, le consentement à la réalisation de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, qui est prévu à l’article 311-20 du code civil, aurait pour effet, d’une part, de recueillir le consentement du couple et de l’informer des effets sur le lien de filiation et, d’autre part, de prendre acte du projet parental formé par les deux femmes.

La femme qui accouche serait la mère de l’enfant et son épouse deviendrait la « coparente » de l’enfant par présomption de « co-parenté » ou de « comaternité », sur le modèle de la présomption de paternité.

Hors mariage, la compagne de la mère remettrait à l’officier d’état civil l’attestation de consentement et reconnaîtrait l’enfant, avant ou après la naissance de celui-ci. La reconnaissance serait alors inscrite ou portée en marge de l’acte de naissance de l’enfant.

S’il ne s’agit pas d’une transcription exacte des dispositions applicables aux couples hétérosexuels – puisqu’il faudrait notamment, au moment de la reconnaissance, apporter à l’officier d’état civil l’attestation de consentement qui serait la preuve de l’existence du projet parental –, cette option présente plusieurs avantages :

– elle propose un mode d’établissement unique de la filiation pour tous les couples bénéficiaires d’une insémination artificielle avec un tiers donneur ;

– elle assure l’égalité entre les mères, toutes deux le devenant dès la naissance ;

– elle reproduit le système actuel sans nécessité d’y apporter des modifications pour les couples hétérosexuels ;

– elle permet, selon Mme Laurence Brunet, « d’opérer des distinctions (…) sans que figure sur l’acte de naissance aucune indication, laquelle est toujours traumatique, sur le mode de conception » ([157]).

D’ailleurs, la plupart des pays qui ont modifié leur droit, comme le Québec, la Belgique ou le Royaume-Uni, ont privilégié la solution de la « co-maternité ». Mme Caroline Mécary a ainsi indiqué que « pour prendre l’exemple du code civil belge, l’enfant né pendant le mariage ou dans les trois cents jours qui suivent la dissolution ou l’annulation du mariage a pour co-parente l’épouse. Les dispositions sur le mariage s’appliquent. Les Québécois et les Britanniques ont procédé à l’identique » ([158]).

Tant Mme Laurence Brunet que Mme Frédérique Dreifuss-Netter se sont prononcées en faveur de cette solution. Après avoir indiqué sa préférence pour l’adoption, Mme Frédérique Dreifuss-Netter, conseillère à la Cour de cassation, a indiqué : « parce que je sais bien que personne ne veut de cette solution, l’adoption ayant mauvaise presse –, pourquoi ne pas simplement étendre la “présomption de paternité” qui existe actuellement pour les couples hétérosexuels, en instituant une “présomption de maternité” ? On me dira que cela n’est pas vraisemblable ; mais, déjà, lorsqu’il y a un donneur de gamètes, la présomption de paternité est une fiction puisque, par hypothèse, pour que le couple ait accès au don de sperme, l’homme doit avoir fait la preuve de son infertilité. On pourrait donc pousser la fiction un peu plus loin et permettre aussi l’établissement automatique de la filiation maternelle dans le mariage, et la reconnaissance dans les autres cas » ([159]).

Mme Laurence Brunet a précisé qu’il faudrait sans doute créer, au sein du livre Ier du code civil, un nouveau titre entre le titre VII relatif à la filiation et le titre VIII relatif à l’adoption, « car il est nécessaire d’opérer une distinction entre les modes de conception », avant d’ajouter que « ce régime retient ma faveur car il me semble qu’en créant un titre VII bis on pourrait à la fois maintenir la cohérence des règles du droit commun de la filiation dite charnelle et distinguer les règles concernant la procréation médicalement assistée avec don de gamètes ».

Toutefois, cette solution présente deux inconvénients.

Elle constitue d’abord une fiction en mimant les modalités classiques d’établissement de la filiation, qui reposent sur la vraisemblance, le sens de la présomption et de la reconnaissance étant de refléter une vérité biologique. Ce scénario « transforme l’engendrement avec tiers donneur en prétendue procréation du couple receveur » ([160]) alors qu’il conviendrait de clarifier ces modalités pour valoriser le projet parental et de donner toute sa place au don.

Elle ne peut non plus se concevoir qu’en lien avec le maintien du strict anonymat du don, ce qui pose la question de la subordination à la volonté des parents du droit d’accès de l’enfant à ses origines.

ii.   La création d’un mode d’établissement de la filiation spécifique aux seuls couples de femmes

La deuxième voie d’évolution du droit de la filiation repose sur la création d’un mode d’établissement de la filiation propre aux couples de femmes bénéficiant d’une assistance médicale à la procréation.

Il s’agirait de demander à ces couples de procéder à une déclaration commune anticipée de filiation lors du recueil de consentement à l’AMP avec tiers donneur devant le notaire. Cette déclaration aurait un double effet :

– recueillir le consentement du couple à l’AMP avec tiers donneur ;

– prendre acte de l’engagement de chacun de ses membres à faire établir son lien de filiation à l’égard de l’enfant.

Il pourrait être envisagé de maintenir la règle selon laquelle la mère est toujours certaine en n’imposant pas à la femme qui accouche de présenter cette déclaration à l’officier de l’état civil pour obtenir l’établissement de son lien de filiation à l’égard de l’enfant. En revanche, l’un ou l’autre des membres du couple devrait transmettre la déclaration commune anticipée à l’officier de l’état civil au moment de la déclaration de la naissance de l’enfant afin d’établir simultanément la filiation à l’égard des deux membres du couple.

Permettant la coexistence de deux modes d’établissement de la filiation, cette solution traduit deux philosophies différentes selon que le couple est de même sexe ou non, la première reposant sur le rôle accru de la volonté, la seconde sur le mimétisme avec la procréation charnelle.

Cette option a été privilégiée par le Conseil d’État dans son étude de 2018 sur la révision de la loi de bioéthique car :

– elle préserve un traitement égal des couples hétérosexuels, qu’ils aient recours ou non au don, ce qui permet d’éviter d’opérer une distinction selon les causes médicales de leur recours à l’AMP ;

– elle ménage la possibilité de préserver le secret sur le mode de conception d’un enfant issu d’un don au sein d’un couple hétérosexuel, dès lors qu’il est vraisemblable, conformément au droit au respect de la vie privée des parents ;

– elle offre aux couples de femmes un établissement des deux filiations maternelles de l’enfant simple, simultané et sécurisé par l’exigence d’un projet parental antérieur à l’AMP revêtant la forme d’un acte authentique.

Toutefois, l’instauration d’un mode d’établissement de la filiation spécifique pour les couples de femmes ne fait pas consensus. Mme Valérie Depadt, maître de conférences en droit, a estimé qu’« il ne [lui] sembl[ait] pas gênant que les modes d’établissement de la filiation soient différents d’autres modes ou du mode classique : une fois établie, la filiation produit des effets identiques. De toute façon, selon que le couple hétérosexuel est marié ou non, selon que la filiation est dite charnelle ou adoptive, elle ne s’établit pas de la même façon. L’important est qu’une fois établie, elle confère des droits et des devoirs identiques. En la matière, il faut un acte de volonté » ([161]). Mme Laurence Brunet, au contraire, a jugé cette option « attentatoire à l’égalité entre les modes d’établissement comme entre les couples ».

Le rapporteur estime, dans sa volonté de supprimer des situations discriminatoires et des inégalités entre les couples, que cette option ne peut être retenue par le législateur.

iii.   La création d’un nouveau mode d’établissement de la filiation applicable à tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes

Une troisième option consisterait à créer un mode d’établissement du lien de filiation unique pour tous les couples ayant recours à une AMP avec tiers donneur, qu’ils soient hétérosexuels ou lesbiens.

Il s’agirait, avec la création d’un titre VII bis dans le livre Ier du code civil, de mettre en place un mécanisme identique à celui présenté dans l’option précédente qui reposerait sur la transmission à l’officier de l’état civil d’une déclaration commune anticipée notariée au moment de la déclaration de naissance de l’enfant qui figurerait en marge de la copie intégrale de son acte de naissance.

Cette option donnerait toute sa portée à la volonté tout en créant une sécurité juridique qui apparaît suffisante, la déclaration commune anticipée consolidant le lien de filiation établi, sur le modèle de ce qui existe actuellement pour les couples hétérosexuels ayant recours au don.

Cette piste de réflexion, imaginée notamment par le groupe de travail « Filiation, origines, parentalité » présidé par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, est en outre simple et juridiquement cohérente : à un même mode de procréation – que le couple soit hétérosexuel ou homosexuel – répond un même mode d’établissement de la filiation.

Elle apparaît par ailleurs plus cohérente avec le recours au don dès lors qu’elle abandonne le détour par la présomption et la reconnaissance qui relèvent davantage du modèle de procréation charnelle.

Elle permet enfin d’envisager un cadre juridique cohérent pour que les enfants puissent accéder à leurs origines. Elle supposerait en particulier de modifier l’article 311-20 du code civil, qui dispose que les couples consentent au don « dans des conditions garantissant le secret », pour que ce consentement soit donné « dans des conditions garantissant le droit au respect de la vie privée ».

Cette solution appelle toutefois à une certaine vigilance quant aux couples de personnes de sexes différents ayant eu recours au don, qui pourraient percevoir ce nouveau mécanisme comme un recul, voire comme une discrimination selon la nature de leur pathologie, car :

– elle supprime la possibilité, pour ces couples, d’établir leur lien de filiation selon les modes traditionnels – en particulier la présomption de paternité –, ce qui peut avoir un impact symbolique d’autant plus important que cela distingue les couples hétérosexuels ayant eu besoin d’un don de gamètes des autres couples hétérosexuels dont la pathologie est surmontable par des techniques d’assistance médicale à la procréation endogènes ;

– elle fait perdre aux couples hétérosexuels la possibilité de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception, la déclaration commune anticipée de filiation devant, comme tous les modes d’établissement de la filiation ([162]), apparaître sur l’acte de naissance de l’enfant ou sur sa copie intégrale. Il conviendrait à cet égard de ne la faire figurer que sur la copie intégrale de l’acte de naissance de l’enfant dont l’accès devrait alors être réservé aux seuls parents et à l’enfant lorsqu’il atteint la majorité, les tiers en étant exclus. Ce serait dès lors une incitation – jugée opportune – à révéler à l’enfant son mode de conception le plus tôt possible dans sa vie, en tout état de cause avant 18 ans.

Proposition n° 12 Dans l’hypothèse où l’accès à l’AMP serait étendu aux couples de femmes, instaurer un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes, que leurs membres soient de même sexe ou de sexe différent, fondé sur une déclaration commune anticipée de filiation (création d’un titre VII bis dans le livre Ier du code civil)

3.   La procréation technique, horizon de l’AMP ?

La transformation de la médecine en une simple prestation technique est une troisième réserve exprimée par les opposants à l’évolution de la législation. Cet argument ne couvre pas seulement l’hypothèse de l’extension de l’AMP mais est aussi opposé à l’autoconservation ovocytaire.

Juridiquement, les projets parentaux qui nécessitent un parcours d’AMP doivent répondre à un critère pathologique. S’il existe des cas d’AMP pour lesquels la condition pathologique n’apparaît pas remplie, ce n’est pas en raison du droit ‑ qui fixe une limite définie par la société ‑ mais de la réponse apportée par les équipes médicales à des demandes exprimées par les couples hétérosexuels. Ce constat a représenté le début de l’extension de l’AMP à des « indications sociales ».

Auditionné par la mission d’information, M. Jean-François Mattéi évoquait ainsi, à travers l’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes célibataires, « la femme augmentée » pour appuyer l’idée que la technique ne serait plus utilisée à des fins de réparation mais permettrait de dépasser ce qu’il est impossible de réaliser de façon naturelle. Une telle perspective peut aussi se concevoir pour les couples d’hommes et l’ensemble des couples hétérosexuels compte tenu respectivement de l’évolution des techniques d’une part (recours à l’utérus artificiel qui ne présentera plus l’obstacle de l’atteinte aux corps des femmes) et de la levée de la condition d’infertilité.

Étendre l’AMP aux couples de femmes et aux femmes validerait en fait ce qui est aujourd’hui masqué : l’oubli de la part du don qui prévaut dans la procréation naturelle, au profit d’une « anthropotechnie » qui fait du médecin un technicien « faiseur d’enfants » et qui fait du corps du donneur un gisement de ressources. L’argument consistant à lever un obstacle parce qu’une pratique existe déjà à l’étranger peut se comprendre du point de vue des demandeurs. Il suscite des questions sur le rôle du médecin, qui serait circonscrit au rôle de technicien, ou sur le donneur, qui serait réduit à un fournisseur de gamètes au début de la vie, serait exclu à juste titre de toute relation de filiation dans l’intérêt de la construction d’une famille, mais serait sommé quelques années plus tard d’avoir à révéler son existence pour combler des absences.

On objectera que la reconnaissance d’une « indication sociale » ouvrant l’accès à l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules n’emporterait pas d’effet sur les couples hétérosexuels pour lesquels le critère pathologique resterait maintenu. La question a été posée à plusieurs reprises au cours des auditions mais la réponse apportée n’est pas des plus évidentes. Quand le président du CCNE se dit favorable au maintien du critère de l’infertilité pathologique pour les couples hétérosexuels, le Défenseur des droits n’apparaît pas aussi affirmatif. Pour lui, « toutes les conséquences potentielles » n’ont pas été mesurées et l’idée de maintenir la condition d’infertilité pour les couples hétérosexuels alors qu’elle ne vaudrait plus pour les autres n’est pas si évidente ([163]). Le maintien du critère pathologique n’apparaît pas tenable dans la mesure où, déjà aujourd’hui, l’AMP apportée aux couples hétérosexuels ne s’appuie pas toujours sur des critères pathologiques. Il serait alors logique d’égaliser les conditions d’accès et de légitimer une « procréation sans sexe pour tous ». Cette évolution serait par ailleurs assez cohérente avec l’idée d’égaliser les conditions de filiation au regard de la diversité des modèles familiaux.

C’est dans ce contexte qu’émerge la question de l’objection de conscience qui figure au titre des règles du code de déontologie médicale. Son article 47 (article R. 4127-47 du code de la santé publique) dispose qu’« Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». Les commentaires associés au code indiquent que « lorsque le médecin estime devoir rompre unilatéralement le contrat médical, il peut fournir au patient les raisons de sa rupture mais n’est pas obligé de le faire. Celles-ci lui étant strictement personnelles, et pouvant relever d’une clause de conscience, il n’a pas à les justifier ». Une telle hypothèse ne saurait se concevoir dans le cadre de l’extension d’une AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules. Elle entrerait en contradiction avec l’article 7 du code de déontologie médicale (article R. 4127-7 du code de la santé publique) qui prohibe toute discrimination. Le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Éthique et déontologie du conseil national de l’ordre des médecins, a été on ne peut plus clair lors de son audition : « les médecins ne peuvent s’abriter derrière la clause de conscience pour opérer une discrimination » ([164]).

Le rapporteur estime qu’à côté du recours à l’AMP, il importe d’encourager la recherche sur l’infertilité et de développer des consultations médicales et d’information afin d’aborder les questions de fertilité. Pour le reste, il estime que l’évolution technique, au service de l’homme, est un progrès dont il serait regrettable de se priver. L’histoire humaine est jalonnée d’avances scientifiques qui ont permis l’évolution de l’homme en l’arrachant à une certaine servitude.

III.   la gestation pour autrui : prolonger l’interdit opposable aux adultes, mais accueillir les enfants qui en sont nés

Déjà connue dans l’Antiquité (ventrem locare), la gestation pour autrui consiste, pour un couple, à conclure une convention avec une femme afin que celle-ci porte un enfant qu’elle s’engage à abandonner après sa naissance au profit des « parents d’intention ».

Cette pratique recouvre deux réalités différentes, selon le moment auquel intervient la fécondation. Il s’agit, d’une part, de la gestation pour autrui stricto sensu, pratiquée après une fécondation in vitro et qui permet à un couple de faire porter par une autre femme un enfant conçu avec ses propres gamètes (l’enfant est alors le produit génétique des deux parents d’intention) ou avec les gamètes d’une tierce personne. Il s’agit, d’autre part, de la procréation pour le compte d’autrui : après insémination artificielle, la fécondation a lieu in utero avec les ovocytes de la femme porteuse.

Le recours à la gestation pour autrui s’est développé à partir des années 1980, à la suite des progrès des techniques d’assistance médicale à la procréation, qui ont permis une dissociation de la maternité gestationnelle et de la maternité génétique. Il avait déjà été montré, beaucoup plus tôt, chez l’animal qu’une gestation se développe normalement, jusqu’à son terme, même lorsque la porteuse ne possède aucun gène de compatibilité en commun avec le fœtus.

En 2017, environ 400 couples ou célibataires français auraient eu un enfant issu d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger ([165]). Plus de 2 500 enfants résidant en France seraient nés par gestation pour autrui, dont les trois quarts seraient issus de couples hétérosexuels et 99 % d’entre eux seraient nés aux États-Unis ou au Canada, selon l’association C.L.A.R.A.

A.   l’absence de consensus au niveau international

1.   Des législations différentes selon les pays

Au sein des principaux systèmes juridiques, aucun modèle dominant ou standard n’est identifiable, ainsi que l’ont mis en évidence une étude comparative réalisée sous la direction de Mme Laurence Brunet pour le compte du Parlement européen ([166]) et, plus récemment, le rapport scientifique réalisé avec le soutien du groupement d’intérêt public Mission de recherche Droit et justice sous la direction de Mme Clotilde Brunetti-Pons ([167]).

Ainsi, plusieurs États membres de l’Union européenne – dont l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne, la Suède et la Finlande – interdisent expressément le recours à la gestation pour autrui tandis que d’autres ne disposent pas de législation spécifique, ce qui recouvre soit des interdictions en vertu de dispositions générales, soit des incertitudes quant au droit applicable, comme au Luxembourg, en Irlande ou en Hongrie. En revanche, certains pays autorisent la GPA, comme la Grèce, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Portugal, le plus souvent sous sa forme dite « altruiste » (que certains qualifient aussi de GPA « éthique »), c’est-à-dire gratuite, alors qu’en l’absence de législation spécifique, d’autres paraissent la tolérer, comme la Belgique ou la République tchèque.

Le même constat peut être dressé hors de l’Union européenne. La gestation pour autrui est interdite dans certains pays d’Asie, comme le Vietnam, le Japon ou les Philippines, et dans certains États des États-Unis, en particulier ceux de Washington, de l’Arizona, du Nouveau-Mexique, de l’Utah, du Michigan et de New-York. Elle est en revanche autorisée par d’autres États, soit en vertu d’une législation expresse, soit parce que les autorités la tolèrent et ont adapté en conséquence leur droit de la filiation, notamment en Ukraine, en Russie, au Canada, en Israël, au Brésil, en Inde ou encore dans certains États des États-Unis comme la Californie.

2.   Des institutions européennes en faveur de l’interdiction

Le Parlement européen s’est prononcé contre la gestation pour autrui dans une résolution du 17 décembre 2015 ([168]). Il y « condamne la pratique de la gestation pour autrui qui va à l’encontre de la dignité humaine de la femme, dont le corps et les fonctions reproductives sont utilisés comme des marchandises » et considère que « cette pratique, par laquelle les fonctions reproductives et le corps des femmes, notamment des femmes vulnérables dans les pays en développement, sont exploités à des fins financières ou pour d’autres gains, doit être interdite et qu’elle doit être examinée en priorité dans le cadre des instruments de défense des droits de l’homme ».

Pour sa part, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a rejeté, en 2016, une proposition de résolution qui visait à libéraliser la gestation pour autrui altruiste en Europe.

B.   la prohibition posÉe par le droit français

1.   Une interdiction fondée sur la protection de l’indisponibilité du corps et de l’état des personnes

La gestation pour autrui est interdite en France parce qu’elle contrevient aux principes d’indisponibilité du corps humain et d’indisponibilité de l’état des personnes, qui sont d’ordre public :

–  l’indisponibilité du corps humain signifie que celui-ci ne peut ni être mis à disposition, vendu ou donné ni faire l’objet d’une convention, qu’elle soit gratuite ou onéreuse, sauf, sous conditions, certains de ses éléments ;

–  l’indisponibilité de l’état implique que les personnes ne peuvent pas modifier les éléments par lesquels elles sont individualisées (nom, prénom, sexe, filiation, nationalité, situation de famille) comme elles le souhaitent, notamment par convention.

Ces principes reposent sur l’idée que la personne humaine, dans son corps et ses attributs juridiques les plus essentiels, est une et inviolable et doit être protégée contre les atteintes qui peuvent lui être portées par autrui et par ellemême.

Ils résultent de la lecture combinée des articles 6 et 1128 du code civil, lesquels prévoient respectivement qu’il n’est pas possible de « déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs » et qu’« il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet des conventions ».

a.   Le principe d’indisponibilité de l’état des personnes

En ce qu’ils touchent à son essence même, les éléments de l’état juridique d’une personne, comme son nom ou son sexe ([169]), ne sont pas modifiables, échangeables ou cessibles par l’effet de la seule volonté, hormis les cas expressément prévus par la loi qui impliquent un contrôle, le plus souvent judiciaire.

En particulier, la filiation ne peut pas être modifiée unilatéralement par les personnes mais elle peut l’être en respectant certaines exigences d’ordre public. Ainsi, l’établissement de la filiation maternelle repose sur le principe selon lequel la mère est celle qui accouche de l’enfant (mater semper certa est), principe dont la traduction juridique figure aux articles 325 et 332 du code civil. Seule l’adoption peut permettre d’attribuer la maternité d’un enfant à une femme qui n’en a pas accouché. La filiation paternelle est fondée sur la présomption de paternité, qui bénéficie à l’enfant conçu ou né pendant le mariage, dans un couple hétérosexuel. Ces deux modes « classiques » d’établissement de la filiation sont organisés pour donner à l’enfant, être vulnérable, d’une part une mère du seul fait de l’accouchement et, d’autre part, un père lorsque le mariage socialement institué donne une très grande vraisemblance à sa participation à l’engendrement.

La Cour de cassation a appliqué, dès 1989, le principe d’indisponibilité de l’état des personnes en confirmant la dissolution de l’association Alma mater qui se proposait, sans but lucratif, de mettre en relation des couples stériles désireux d’avoir un enfant et des femmes porteuses. La Cour a considéré que les conventions favorisées par l’association « contreviennent au principe d’ordre public de l’indisponibilité de l’état des personnes en ce qu’elles ont pour but de faire venir au monde un enfant dont l’état ne correspondra pas à sa filiation réelle au moyen d’une renonciation et d’une cession, également prohibées, des droits reconnus par la loi à la future mère » ([170]).

b.   Le principe d’indisponibilité du corps humain

Le principe d’indisponibilité du corps humain a été dégagé par le juge avant de faire l’objet d’une reconnaissance indirecte par le législateur.

D’abord visé par plusieurs décisions des juges du fond ([171]), ce principe a été consacré par la Cour de cassation dans un arrêt d’assemblée plénière du 31 mai 1991 au sujet de la légalité d’une convention de femme porteuse ([172]). Visant les articles 6 et 1128 précités du code civil, l’assemblée plénière a considéré que « la convention par laquelle une femme s’engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l’abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d’ordre public de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes » et qu’elle constitue un détournement de l’institution de l’adoption.

En adoptant la loi relative au respect du corps humain en 1994, le législateur a introduit, aux articles 16 et suivants du code civil, des principes cardinaux destinés à assurer la protection de l’homme contre les dérives de la biomédecine – la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine – sans toutefois y faire figurer expressément le principe d’indisponibilité du corps humain. Cependant, ainsi que le souligne le Pr. Jean-René Binet ([173]), en consacrant des règles dont le respect concourt à son effectivité, comme le principe de non-patrimonialité du corps humain, le législateur a consacré implicitement le principe d’indisponibilité du corps humain.

C’est à l’occasion de l’examen des deux premières lois bioéthiques que le Conseil constitutionnel a déduit du Préambule de la Constitution de 1946 que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle » ([174]). Il a considéré, en l’espèce, que les principes affirmés par ces lois, au nombre desquels figurent l’absence de caractère patrimonial, l’inviolabilité et l’intégrité du corps humain, la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine, tendent à assurer le respect du principe supérieur de dignité ([175]).

D’aucuns qualifient ces principes de « principes sentinelles » : ils n’ont pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle mais ils sont les garants de principes constitutionnels. Ils ne peuvent par conséquent être modifiés par le législateur sans déclencher une sorte d’« alerte constitutionnelle » ([176]). Le législateur ne semble ainsi pouvoir y déroger sans justification tirée d’exigences constitutionnelles ou de motifs d’intérêt général suffisants.

Sur le fondement de ces principes d’indisponibilité, le législateur a expressément interdit le recours à la gestation pour autrui, en introduisant en 1994 dans le code civil :

–  les articles 16-5 et 16-7, qui prévoient respectivement que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » et que « toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle » ;

–  l’article 16-9, qui confère un caractère d’ordre public à ces règles.

2.   Une prohibition sanctionnée pénalement et renforcée par la règle autorisant le ministère public à agir en nullité des reconnaissances en cas de fraude à la loi

Sur le plan pénal, les pratiques liées à la gestation pour autrui sont soumises, sur le territoire français, à un dispositif répressif complet, qui figure à la section 4 du chapitre VII du titre II du livre II du code pénal, relative aux atteintes à la filiation. Ce dispositif vise :

– les intermédiaires, à travers le délit d’entremise, puni, selon les circonstances, d’un à deux ans d’emprisonnement et de 15 000 à 30 000 euros d’amende ([177]), et dont la sanction est accrue lorsqu’il s’agit de personnes morales, comme les agences d’intermédiation ([178]) ;

– les parents d’intention, à travers la poursuite des atteintes à l’état civil, punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([179]), ou le délit de provocation à l’abandon d’enfant, sanctionné par six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende ([180]) ;

– la femme porteuse, dans l’hypothèse où elle dissimulerait son accouchement ou son identité.

Toutefois, compte tenu des règles d’application territoriale de la loi pénale française, ce dispositif est rarement mis en œuvre, car les Français qui souhaitent recourir à la gestation pour autrui se rendent à l’étranger. En effet, lorsque le délit est commis à l’étranger, les faits ne peuvent être réprimés par la loi française que si la loi du pays les incrimine également et après une plainte de la victime ou une dénonciation officielle par l’autorité du pays où ils ont été commis, conformément aux articles 113-6 à 113-8 du code pénal.

Or, comme le souligne le Conseil d’État dans son étude relative à la révision de la loi de bioéthique, « même parmi les pays qui interdisent la GPA, rares sont ceux qui l’assortissent de sanctions pénales en dehors de l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse. Ainsi, le recours à la gestation pour autrui à l’étranger, et notamment aux ÉtatsUnis, en Inde, en Ukraine, en Russie, au RoyaumeUni, ou même au Portugal, qui l’autorise depuis 2016 pour les couples hétérosexuels mariés sans rémunération de la mère porteuse, n’est pas punissable en droit français, en l’absence de réciprocité de la répression de cette pratique dans le droit national du pays étranger ».

Par ailleurs, les couples qui ont recours à la gestation pour autrui dans un pays où cette pratique est légale ne peuvent être poursuivis à leur retour en France que si l’un des faits constitutifs de cette infraction a eu lieu sur le territoire de la République. C’est le cas lorsque l’enfant est né en France ou lorsqu’il y a été introduit secrètement. En revanche, lorsque tous les faits se sont produits à l’étranger, aucune poursuite en France n’est possible.

Ainsi, dans l’affaire Dominique et Sylvie Mennesson, qui avaient eu recours à une gestation pour autrui aux États-Unis, le procureur de la République avait délivré à leur encontre un réquisitoire introductif du chef d’entremise en vue de gestation pour le compte d’autrui et de tentative de simulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil des enfants. Toutefois, toutes les démarches du couple ([181]) ayant été entreprises sur le sol américain, le tribunal de grande instance de Créteil a rendu, le 30 septembre 2004, une ordonnance de non-lieu.

Au-delà des sanctions pénales applicables aux pratiques liées à la gestation pour autrui, les modalités de la filiation sont également susceptibles d’être contestées sur le plan civil. En effet, l’article 336 du code civil dispose que « la filiation légalement établie peut être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi. »

Alors qu’une demande sociale plus pressante, émanant aussi bien de couples hétérosexuels infertiles que de couples homosexuels masculins, questionne la prohibition de la gestation pour autrui, le rapporteur estime sage, dans l’état actuel des connaissances, de suivre les avis du Comité consultatif national d’éthique et du Défenseur des droits, c’est-à-dire qu’il n’est pas justifié de lever cet interdit portant sur la réalisation de GPA en France.

C.   L’indispensable réception sur le territoire national de la gestation pour autrui réalisée à l’étranger

La question de la GPA comme pratique éventuellement accessible aux adultes étant close, reste néanmoins ouverte celle de la situation juridique des enfants conçus dans le cadre de conventions de gestation pour autrui à l’étranger.

1.   La force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger

a.   La transcription en France des actes d’état civil dressés à l’étranger n’est pas obligatoire

Les personnes qui ont recours à la gestation pour autrui dans un pays où cette pratique est légale disposent d’actes d’état civil étrangers établis selon les formes et le contenu légalement prescrits dans l’État de naissance, éventuellement après intervention d’un jugement.

S’ils ont été régulièrement établis, ces actes font foi en France, sans qu’il soit besoin de procéder à leur transcription sur les registres de l’état civil français. La force probante des actes d’état civil dressés à l’étranger est en effet reconnue par l’article 47 du code civil, selon lequel « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

Pour produire leur plein effet en France, ces actes doivent simplement avoir été établis conformément à la loi locale, traduits et authentifiés.

Ainsi, l’absence de transcription de l’acte d’état civil étranger ne fait pas obstacle à ce que cet état civil soit reconnu et utilisé par les parents dans les actes de la vie courante, que ce soit dans leurs rapports avec les administrations, les écoles ou les structures de soins.

b.   Cette transcription est néanmoins souhaitée par les parents dans l’intérêt de leurs enfants et d’eux-mêmes

En l’absence de transcription ou en présence d’une transcription partielle, la vie des familles ayant des enfants nés par GPA est plus compliquée compte tenu des formalités à accomplir à l’occasion de certains événements de la vie et des difficultés administratives auxquelles elles peuvent être confrontées quand elles ne produisent que l’acte étranger, même si celui-ci est valable en droit. Certaines administrations, face à un acte étranger, craignent en effet une fraude et ont tendance à rejeter ou à contester cet acte, ce qui n’est pas sans créer des situations d’inégalités.

Comme l’a souligné Mme Sylvie Mennesson, co-présidente de l’association CLARA, « les parents de ces enfants rencontrent (…) des problèmes pour les inscriptions à la caisse d’allocations familiales et à la sécurité sociale et pour bénéficier des droits au congé post-natal ou parental (…). D’autres difficultés surviennent lors de l’inscription des enfants à la crèche et à l’école ». Elle a également mentionné « les grandes difficultés auxquelles sont confrontés les parents de ces enfants lorsqu’ils demandent que leur soit délivré un certificat de nationalité française, une carte d’identité ou un passeport français. Toutes les préfectures qui ont fait obstruction à la délivrance de ces papiers d’identité ont été condamnées, mais certains parents ont préféré déménager plutôt que de demeurer dans une ville ou un département qui refusait de les leur délivrer » ([182]).

Devant ces difficultés, Mme Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, a adressé une circulaire aux parquets, le 25 janvier 2013, afin de faciliter la vie des familles en matière de séjour et de voyage : en effet, tant que l’enfant n’a pas la nationalité française, il doit disposer d’un titre de séjour et d’un titre de voyage, puisqu’il est impossible de lui établir un passeport français – mais, en fonction du droit de son pays de naissance, il peut éventuellement disposer du passeport de ce pays. Cette circulaire demande aux parquets de veiller à ce qu’il soit fait droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française présentées par les parents, « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant au regard de l’article 47 du code civil […]. À l’inverse, face à un acte d’état civil étranger non probant, le greffier en chef du tribunal d’instance, sera fondé, après consultation préalable du bureau de la nationalité, à refuser la délivrance d’un certificat de nationalité française », étant entendu que « le seul soupçon du recours à une telle convention [de femme porteuse] conclue à l’étranger ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de certificat de nationalité française dès lors que les actes de l’état civil local attestant du lien de filiation avec un Français, légalisés ou apostillés sauf dispositions conventionnelles contraires, sont probants au sens de l’article 47 précité » ([183]).

Le Conseil d’État, qui a jugé cette circulaire conforme à la légalité ([184]), a également considéré que les enfants nés par gestation pour autrui à l’étranger, d’un parent d’intention français, peuvent se voir délivrer des documents de voyage ([185]).

Afin de faciliter leurs démarches en France, les couples ayant eu recours à une gestation pour autrui à l’étranger peuvent demander à faire reconnaître en France le lien de filiation que le droit étranger leur a garanti, soit par la transcription des jugements ou actes de naissance étrangers, soit par la transcription d’un acte du juge des tutelles reconnaissant leur possession d’état de parents à l’égard de l’enfant.

La transcription d’actes de l’état civil étrangers n’est pas automatique : elle peut être réalisée d’office, sur réquisition du procureur de la République, ou à la demande de la personne concernée après l’accord de ce dernier. Le procureur de la République vérifie alors que l’acte n’est pas contraire à l’ordre public français ou qu’il n’a pas été réalisé en fraude à la loi nationale – dans ce dernier cas, la fraude peut être constituée lorsque le comportement des intéressés a été motivé par leur volonté d’échapper aux dispositions de la loi nationale qui aurait dû s’appliquer. Il en va de même lorsque l’acte de l’état civil étranger a été dressé en exécution d’un jugement étranger : les deux étant indissociables, les magistrats doivent vérifier la régularité du jugement, en particulier la compétence du juge, la non-contrariété du jugement avec l’ordre public international français et l’absence de fraude.

Les juridictions ont été saisies à diverses reprises par des couples français de demandes de reconnaissance et de transcription, dans les registres français de l’état civil, d’actes de naissance dressés à l’étranger ou de jugements rendus par des juridictions étrangères relatifs à la filiation d’un enfant conçu et né à l’étranger en exécution d’une convention de maternité pour autrui conclue par les parents d’intention français dans un État où la loi ne l’interdit pas.

2.   Les conditions de transcription des actes d’état civil dressés à l’étranger

Il convient de distinguer les cas où un lien de filiation a été établi à l’étranger de celui où aucun lien n’a été établi à l’étranger.

a.   La transcription en France d’un lien de filiation existant à l’étranger à l’égard du père biologique est désormais possible

La Cour de cassation a longtemps affirmé que la nullité d’ordre public dont est frappée toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, fût-elle licite à l’étranger, interdisait que celle-ci produise effet au regard de la filiation en France. Elle en déduisait que cette nullité faisait obstacle :

– à l’établissement d’un lien de filiation par adoption, car celle-ci serait constitutive d’un « détournement de l’institution de l’adoption » ([186]) ;

– à la transcription des actes de naissance établis en application d’un jugement étranger donnant effet à une convention de GPA, car ce jugement serait « contraire à la conception française de l’ordre public international » ([187]) ;

– à la transcription de l’acte de notoriété constatant la possession d’état d’enfant légitime à l’égard des parents d’intention et à l’établissement d’un lien de filiation paternelle par possession d’état en conséquence d’une telle convention de GPA, « en raison de sa contrariété à l’ordre public international français » ([188]) ;

– à l’établissement d’un lien de filiation par reconnaissance de paternité faite préalablement à la naissance par le père biologique, car cette naissance est l’aboutissement d’un processus conduit « en fraude à la loi française » ([189]) et qu’en raison de ce caractère frauduleux, la reconnaissance de paternité elle-même doit être annulée ([190]).

Ces arrêts intègrent des éléments complémentaires qu’il convient de noter :

– d’une part, les deux arrêts du 6 avril 2011 précisent que le refus de transcription des actes de naissance dans l’état civil français « ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien [/ de l’État du Minnesota] leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux X… en France [et] ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la Convention internationale des droits de l’enfant. »

– d’autre part, les deux arrêts du 13 septembre 2013 affirment qu’en présence de fraude à la loi, « ni l’intérêt supérieur de l’enfant que garantit l’article 3, § 1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni le respect de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne sauraient être utilement invoqués. »

Dans deux arrêts du 26 juin 2014 ([191]), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France au motif que le refus de reconnaître, par la voie de la transcription, le lien de filiation d’enfants nés d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger avec les gamètes de leur père d’intention, constituait une violation du droit au respect de la vie privée des enfants.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Dans les arrêts Mennesson et Labassee du 26 juin 2014, la Cour a d’abord souligné que l’absence de consensus en Europe sur cette question « reflète le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique », que cela justifie « que les États doivent en principe se voir accorder une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision (…) d’autoriser ou non ce mode de procréation », mais que cette marge d’appréciation est « atténuée » parce qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation ».

La Cour a ensuite écarté le grief tiré de la violation du droit des parents à une vie familiale normale.

Elle a, en revanche, fait droit au grief tiré de la violation du droit des enfants au respect de leur vie privée, en mettant en avant quatre éléments, tous rattachés à « l’identité » de la personne. Elle a tout d’abord rappelé que le « respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation ». Elle a en outre souligné une « contradiction » entre le fait que le juge français admet un lien de filiation à l’égard de chacun des parents en tant qu’il est établi par le droit de l’État de naissance, mais lui dénie toute existence dans l’ordre juridique interne ; « pareille contradiction porte atteinte à [l’]identité [de l’enfant] au sein de la société française ». Elle a ensuite relevé que cela entraîne une « indétermination » sur la possibilité pour l’enfant de se voir reconnaître la nationalité française par application de l’article 18 du code civil, qui est « de nature à affecter négativement la définition de [la] propre identité » de l’enfant. Elle a enfin souligné les conséquences sur les droits successoraux de l’enfant, précisant qu’il s’agit là d’un « élément lié à l’identité filiale ». La Cour a conclu de ces premiers éléments que le droit au respect de la vie privée de l’enfant était « significativement affecté ». Elle a souligné que ces analyses prennent un « relief particulier » lorsque l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant : « au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun, on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. » La Cour a alors estimé que les obstacles mis tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne du lien de filiation à l’égard du père biologique étaient constitutifs d’une « grave restriction » sur l’identité et le droit au respect de la vie privée de l’enfant.

La Cour a adopté une solution identique dans un arrêt du 21 juillet 2016 concernant des enfants issus de GPA pratiquées en Inde dont le père d’intention était également le père biologique ([192]). Sur la base des arrêts qu’elle avait rendus précédemment dans les affaires Mennesson c. France et Labassee c. France, la Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8 s’agissant du droit des pères au respect de leur vie familiale, mais à la violation de l’article 8 s’agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée.

La décision de la Cour ne semble valoir que lorsque la filiation alléguée correspond à la réalité biologique. Dans un arrêt rendu en Grande Chambre, concernant une requête dirigée contre l’Italie ([193]), elle a en effet écarté toute violation de la Convention par les autorités après le retrait d’un enfant de neuf mois, issu d’une gestation pour autrui pratiquée en Russie, par les services sociaux à ses parents d’intention, dépourvus de liens biologiques à son égard. À cette occasion, la Cour a estimé que les juges nationaux, en refusant de reconnaître la filiation établie à l’étranger « au motif que les requérants n’avaient pas un lien génétique avec l’enfant, (…) n’ont pas pris une décision déraisonnable ».

Tenant compte des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme de 2014, la Cour de cassation a infléchi sa position en admettant qu’une convention de gestation pour autrui conclue à l’étranger ne fait pas obstacle à la transcription sur les registres de l’état civil français des actes de naissance, établis à l’étranger et rédigés dans les formes usitées de ce pays, établissant le lien de filiation entre l’enfant et le père biologique, dès lors que ces actes ne sont ni irréguliers, ni falsifiés et que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité ([194]).

À la suite des arrêts précités de la Cour européenne des droits de l’homme de 2014, la Cour de cassation a également ouvert la voie de l’adoption pour le conjoint ou la conjointe du père ([195]). Elle s’est penchée, en 2017, sur une demande d’adoption simple, à propos de laquelle elle a jugé que « le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant ».

Par un arrêt du 18 septembre 2018, la cour d’appel de Paris est allée plus loin en faisant droit à la demande d’adoption plénière ([196]) par l’époux du père biologique de jumelles nées en 2011 d’une gestation pour autrui réalisée au Canada.

L’adoption, qu’elle soit simple ou plénière, apparaît toutefois subordonnée au consentement de la femme porteuse et à son absence de rétractation. La Cour de cassation a en effet considéré, dans son arrêt du 5 juillet 2017 précité, que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas obstacle au prononcé de l’adoption simple, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, la femme porteuse ayant donné valablement son consentement à une telle adoption et ne l’ayant pas rétracté. En l’absence d’informations précises relatives à la mère de naissance et à sa renonciation définitive à établir la filiation de l’enfant envers elle, des juridictions du fond ont parfois refusé de prononcer l’adoption plénière par l’époux du père d’intention géniteur ([197]), tandis que, dans d’autres cas, elles ont considéré qu’il n’y avait pas lieu de recueillir le consentement de la femme porteuse, dès lors que « celle-ci a(vait) renoncé à tout droit de filiation avec les enfants et ne figur(ait) pas sur les actes de naissance canadiens des fillettes, sur lesquels seul le père biologique est mentionné » ([198]).

Il s’ensuit qu’aujourd’hui, peut être transcrit sur les registres français de l’état civil le lien de filiation d’un enfant à l’égard de son père biologique. En revanche, la mère d’intention, qui n’est pas la femme qui accouche, ou le conjoint du père, doit entreprendre une procédure d’adoption de l’enfant de son époux.

À cet égard, par une dépêche du 24 juillet 2017, Mme Nicole Belloubet, garde des Sceaux, a invité les parquets à prendre des réquisitions favorables lors des procédures d’adoption simple ou plénière d’un enfant né de gestation pour autrui par le conjoint du parent, dans l’hypothèse où l’adoption apparaîtrait conforme à l’intérêt de l’enfant.

b.   La transcription en France d’un lien de filiation existant à l’étranger à l’égard du parent d’intention est suspendue à un avis de la Cour européenne des droits de l’homme

S’agissant de la reconnaissance du parent d’intention dont la filiation est établie par l’acte étranger, la Cour de cassation a, jusqu’à présent, toujours refusé de transcrire sur les registres français de l’état civil un acte d’état civil étranger qui mentionnerait en qualité de mère une femme qui n’a pas accouché ([199]) ou un second lien de filiation paternelle lorsque l’enfant a déjà un père, ce sur le fondement de l’article 47 du code civil – dans le premier cas, la Cour estime notamment que « la réalité au sens de [l’article 47] est la réalité de l’accouchement ».

Il en résulte en particulier un problème en matière d’héritage. Dans son étude préalable à la révision des lois de bioéthique, adoptée en avril 2009, le Conseil d’État avait ainsi relevé qu’« en l’absence de reconnaissance en France de la filiation de l’enfant établie à l’étranger à l’égard de la mère d’intention, lorsque celle-ci décède, l’enfant ne peut pas hériter d’elle, sauf à ce qu’elle l’ait institué légataire, les droits fiscaux étant alors calculés comme si l’enfant était un tiers. »

Toutefois, la question est actuellement pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme.

En effet, en application de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ([200]), la Cour de cassation a été saisie de deux demandes de réexamen auxquelles elle a fait droit, décidant que la procédure se poursuivrait devant l’assemblée plénière ([201]). Si cette dernière a statué sur l’une de ces demandes en rappelant que l’acte de naissance étranger doit être transcrit dans les registres français s’il n’est ni irrégulier, ni falsifié, et s’il correspond à la réalité, c’est-à-dire s’il indique le nom du père d’intention géniteur et de la mère qui a accouché de l’enfant ([202]), elle a, contre les réquisitions de son avocat général, sursis à statuer sur la seconde demande de réexamen, portée par les époux Mennesson, et a saisi la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande d’avis, sur le fondement du protocole n° 16 à la Convention ([203]), entré en vigueur le 1er août 2018, pour savoir comment pourrait être établie et inscrite sur les registres de l’état civil français la filiation de ces enfants envers la mère d’intention ([204]).

Dans sa saisine, la Cour de cassation a posé les questions suivantes.

Tout d’abord, « en refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa “mère légale” la “mère d’intention”, alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le “père d’intention”, père biologique de l’enfant, un État-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? À cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la “mère d’intention” ? ».

Ensuite, « dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? ».

Après que le collège de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a accepté, le 3 décembre 2018, cette première demande d’avis consultatif présentée sur le fondement du protocole n° 16, le président de la Grande Chambre a invité, le 4 décembre 2018, les parties à la procédure interne à présenter leurs observations écrites d’ici au 16 janvier 2019. Le président a par ailleurs décidé de raccourcir les délais de présentation des observations écrites, afin de tenir compte du caractère prioritaire de la demande présentée. La France et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, s’ils souhaitent présenter des observations écrites, et toute autre partie contractante ou personne intéressée, sous réserve que l’autorisation leur en soit donnée, devront y procéder d’ici au 31 janvier 2019.

c.   L’établissement en France d’un lien de filiation inexistant à l’étranger vis-à-vis du parent d’intention est actuellement impossible

Il convient enfin d’examiner le cas d’un enfant issu de gestation pour autrui et dont le parent d’intention autre que le père biologique ne figure pas sur l’acte de naissance étranger, soit parce que l’acte désigne la mère gestationnelle, soit parce qu’il ne désigne pas de deuxième parent.

Dans le premier cas, la Cour de cassation permet la transcription complète de l’acte de naissance, si le père censément biologique et la femme qui a accouché de l’enfant sont mentionnés sur l’acte de naissance. Mme Anne-Marie Leroyer, professeur de droit, a souligné que « c’est évidemment tout à fait dommageable pour l’enfant, pour plusieurs raisons. Dans l’hypothèse d’une transcription totale, l’enfant va être rattaché à une femme qui ne va pas s’occuper de lui – la gestatrice » ([205]).

Mais, dans ce cas comme dans le second, la filiation avec le parent d’intention autre que le père biologique n’est pas établie à l’étranger. Si la question de la filiation paternelle biologique a été réglée, celle du père d’intention qui ne serait pas le géniteur et celle de la filiation maternelle – que la mère d’intention ait ou non donné ses ovocytes dans le cadre de la gestation pour autrui – demeurent ainsi entières : en l’état du droit positif, il n’est pas possible d’établir un lien de filiation.

3.   Les voies possibles pour la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention

Si la jurisprudence de la Cour de cassation a du sens au regard de la prohibition d’ordre public de la gestation pour autrui, en faire porter les conséquences par les enfants ainsi mis au monde apparaît très contestable et particulièrement dommageable dans la mesure où cette solution conduit à les ramener indéfiniment à leur situation d’objet d’un contrat prohibé.

À cette crainte que l’admission de l’établissement de la filiation des enfants conçus par GPA ne heurte le principe d’interdiction générale et conduise à une ouverture plus large, Mme Anne-Marie Leroyer oppose « les statistiques espagnoles, belges ou d’autres pays, où la consécration de la filiation n’a pas accéléré le recours à la gestation pour autrui », avant d’ajouter que deux conceptions différentes de l’intérêt de l’enfant s’opposent : « La considération abstraite de l’intérêt des enfants s’oppose alors à l’établissement ut singuli de la filiation. La position essentialiste – dignité abstraite et pas d’établissement de la filiation – s’oppose à une position plus conséquentialiste […] : ces enfants existent, ils sont nés, ils sont vivants et ont besoin de parents. Il faut donc établir la filiation ».

Aujourd’hui, avec les moyens d’assistance médicale à la procréation, le père ou la mère ne sont plus, respectivement, celui qui a donné les spermatozoïdes et celle qui a accouché : sont parents ceux qui désirent un enfant, lui consacrent leur énergie, lui donnent leur amour, lui procurent les moyens matériels dont il a besoin, font son éducation et l’amènent à l’âge adulte, voire bien au-delà. Aussi, le rapporteur considère-t-il qu’il faut faire en sorte que tous les enfants se voient garantir les mêmes droits, quel que soit leur mode de procréation.

D’ailleurs, l’étude réalisée sous la responsabilité scientifique de Mme Michelle Giroux et M. Jérôme Courduriès indique que les magistrats attendent du législateur une intervention afin que la situation des enfants nés dans le cadre de conventions de GPA à l’étranger soit intégralement réglée en droit français ([206]).

Dans cette perspective, quatre possibilités pour l’établissement de la filiation à la suite d’une gestation pour autrui peuvent être distinguées.

a.   L’adoption par le parent d’intention

La première solution est celle de l’adoption simple ou plénière ([207]) par le parent d’intention ; elle correspond à l’état actuel du droit.

Elle présente l’avantage de concilier les impératifs en présence : le respect de l’interdiction de la GPA en France et la nécessité de conférer un statut à l’enfant. En outre, l’adoption plénière est irrévocable : elle fait disparaître toute autre filiation.

Elle a toutefois comme inconvénient de créer une dissymétrie en matière d’établissement de la filiation entre le parent biologique et celui d’intention, qui doit attendre la fin de la procédure d’adoption, avec des conséquences négatives pour l’enfant en cas de décès d’un des parents ou de séparation.

La filiation par adoption suppose aussi que le parent d’intention adoptant soit marié au parent biologique, ce qui peut être perçu comme une atteinte à la liberté des parents et conduire à des situations délicates dans l’hypothèse où les parents d’intention se sépareraient après la conception de l’enfant sans que le mariage ait été prononcé. L’adoption de l’enfant du concubin est certes possible, mais elle conduit à un transfert d’autorité parentale à l’adoptant, sans délégation-partage possible, ce qui est contraire à l’objectif recherché.

Pour les couples non mariés, les alternatives à l’adoption consistent à conférer un lien d’une autre nature, par la délégation d’autorité parentale ou par la tutelle.

En vertu de la délégation de l’autorité parentale prévue par l’article 377-1 du code civil, le juge aux affaires familiales peut décider, par exemple lorsque la filiation paternelle est établie, d’autoriser l’autre membre du couple à effectuer les actes de la vie courante visés dans la décision de délégation.

En application des articles 394 à 413 du même code, la tutelle des mineurs permet également au parent avec lequel le lien de filiation est établi de désigner l’autre membre du couple comme tuteur de l’enfant par testament ou par une déclaration spéciale devant notaire. À défaut, l’article 404 du même code dispose que le tuteur est choisi par le conseil de famille selon l’intérêt de l’enfant ; l’un des parents d’intention peut donc être désigné tuteur.

Comme l’a souligné Mme Anne-Marie Leroyer, l’adoption crée « une distinction entre parents mariés ou non et, surtout, selon que le parent d’intention est le parent biologique de l’enfant ou non et sans considération du fait que la mère d’intention puisse être la mère génétique de l’enfant et ne pas avoir accouché de cet enfant ».

Par ailleurs, comme cela a également été indiqué à propos des modalités d’établissement du lien de filiation dans le cadre d’une AMP réalisée à l’étranger, le recours à cette option revient « à détourner l’adoption de sa finalité (qui n’est pas d’adopter un enfant que l’on a contribué à faire naître) » ([208]).

L’adoption est toutefois la solution retenue par le Conseil d’État, qui a indiqué dans son étude du 28 juin 2018, qu’« il semble que le fait de devoir recourir à l’adoption pour le parent dépourvu de lien biologique, certes contraignant, n’est pas inadapté, qu’en outre les contrôles que cette procédure implique apparaissent nécessaires pour éviter de faire produire des effets aux pratiques de GPA les plus inacceptables. Aussi, la solution actuelle semble respecter un équilibre entre l’intérêt de l’enfant et le souci du maintien de l’interdiction de la GPA ».

Il faut rappeler, enfin, que la procédure d’adoption demeure relativement longue. S’il existe un délai de 6 mois fixé par l’article 1171 du code de procédure civile, il n’en demeure pas moins que, dans la pratique, l’adoption, lorsqu’elle est prononcée, l’est dans un délai entre 6 et 14 mois après le dépôt de la requête (requête qui n’est pas effectuée dès la naissance de l’enfant). Dans les faits, il ressort que l’adoption n’intervient au mieux que lorsque l’enfant a atteint l’âge de 18 mois, ce qui n’est pas sans créer d’insécurité juridique pour l’enfant et ses parents d’intention.

b.   La reconnaissance de l’enfant par le parent d’intention

La filiation peut être établie par un acte de reconnaissance, conformément à l’article 316 du code civil, lorsque la mère n’est pas mentionnée dans l’acte de naissance ou lorsque n’est pas opérante la présomption de paternité – naissance dans un couple non marié ou présomption écartée dans les conditions de l’article 313.

La reconnaissance peut avoir lieu préalablement ou postérieurement à la naissance par le père, par la mère ou par les deux.

Elle n’est valable que si elle est faite dans un acte authentique, qu’il s’agisse d’un acte de l’état civil (reconnaissance faite dans l’acte de naissance ou acte de reconnaissance distinct), d’un jugement ou d’un acte notarié.

Il s’agit d’un acte unilatéral, qui n’établit la filiation qu’à l’égard de son auteur, et déclaratif, c’est-à-dire qui produit ses effets rétroactivement depuis la naissance, voire dès la conception de l’enfant chaque fois que c’est son intérêt.

L’officier public ou le juge qui la reçoit n’est pas tenu d’en vérifier la conformité à la vérité biologique, de sorte que dans l’hypothèse d’une non-conformité, il n’engage pas sa responsabilité à l’égard de l’enfant reconnu ([209]), l’exactitude et la sincérité d’une reconnaissance pouvant néanmoins être contestées a posteriori.

Il s’agit enfin d’un acte irrévocable, que son auteur ne peut donc pas rétracter par sa seule volonté. Une reconnaissance peut en revanche être contestée en justice, y compris par son auteur.

L’avantage de la reconnaissance est qu’il s’agit d’une démarche simple. Les inconvénients ont cependant été signalés.

En premier lieu, elle ne peut pas valoir pour les couples homosexuels, car une double reconnaissance paternelle n’est actuellement pas possible. En effet, la filiation légalement établie fait obstacle, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, à l’établissement de toute autre filiation qui la contredirait (article 320 du code civil). Cependant cet obstacle pourrait être levé, dans le cas d’espèce, par le législateur.

En second lieu, elle doit être exempte de tout vice – notamment être conforme à la réalité – sous peine d’être frappée de nullité en cas d’action contentieuse. Il en résulte que, comme l’a souligné le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, « cela implique de reconnaître comme licite un acte étranger où figurent deux parents qui sont distincts de la mère porteuse, et donc de faire prévaloir la réalité juridique par rapport à la réalité biologique : on se heurte alors au principe mater semper certa est ».

c.   La possession d’état

La possession d’état permet d’établir l’existence d’un lien de filiation et de parenté entre un enfant et un parent qui se comportent comme tels dans la réalité, même en l’absence de lien biologique.

La possession d’état doit être constatée dans un acte de notoriété délivré par le juge, conformément à l’article 317 du code civil ([210]). Aux termes de l’article 5 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, en cours de navette parlementaire, l’établissement de cet acte devrait toutefois être confié au notaire, afin de regrouper l’ensemble des actes de notoriété sous la responsabilité du seul notaire.

L’acte est établi à partir des déclarations d’au moins trois témoins et, si besoin, de tout autre document attestant de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté nécessaires à l’établissement de la possession d’état.

Ni l’acte de notoriété, ni le refus de le délivrer ne sont susceptibles de recours.

L’avantage principal de la possession d’état est, selon le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, qu’« elle rejoint la réalité sociologique, qui constitue un facteur d’établissement de la filiation à l’égard d’un parent de fait ». Elle présente également l’intérêt de rétroagir au jour de la naissance de l’enfant, à l’inverse de l’adoption. Par ailleurs, il n’y a pas de condition liée au mariage. Le caractère non équivoque de la possession d’état tient à l’absence de doute sur le lien entre l’enfant et le parent de fait.

Ses inconvénients sont liés, en premier lieu, au refus opposé par le juge à l’établissement de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe. Prenant acte de ce que l’article 6-1 du code civil – créé par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe – a exclu expressément que les modes d’établissement de la filiation prévus par le titre VII du code civil soient ouverts aux couples – et a fortiori aux concubins – de même sexe ([211]), la Cour de cassation considère en effet que « le juge d’instance ne peut délivrer un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie » ([212]). Cet obstacle pourrait toutefois être levé par le législateur.

Ils résultent en second lieu des conditions qui sont attachées à la possession d’état. Cette dernière doit être à la fois continue, paisible, publique et non équivoque. Ainsi, alors qu’elle doit s’appuyer sur des faits habituels et doit être continue, aucun délai n’est pas fixé par la loi, renvoyant de fait à l’appréciation du juge – et demain du notaire – qui peut fortement varier d’un officier public à l’autre.

d.   La reconnaissance de plein droit du statut juridique du parent d’intention tel qu’il est légalement établi à l’étranger

Une quatrième voie d’établissement de la filiation avec le parent d’intention pourrait consister dans la modification de l’article 47 du code civil ou, à tout le moins, de sa portée, en donnant au mot « réalité » le sens de « réalité juridique au sens du droit local ».

Il s’agirait de reconnaître, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, le statut juridique des parents d’intention tel qu’il est inscrit dans l’acte de naissance étranger ou établi par voie de jugement.

Cette solution ferait primer la réalité juridique, comme l’a fait le tribunal de grande instance de Nantes dans plusieurs jugements qui ont tous été infirmés ([213]).

Le tribunal de grande instance de Nantes a ainsi considéré, le 14 décembre 2017, que le fait que soit mentionnée sur l’acte de naissance la mère qui n’a pas accouché « ne saurait justifier à lui seul le refus de reconnaissance de cette filiation maternelle qui est la seule juridiquement reconnue comme régulièrement établie dans le pays de naissance et qui correspond à la réalité juridique », au sens de l’article 47 du code civil. Le tribunal a fait prévaloir la réalité juridique, et non pas biologique, en considérant que l’intérêt supérieur de l’enfant « suppose également de pouvoir bénéficier de la protection et de l’éducation du couple parental, de la stabilité des liens familiaux et affectifs, ainsi que de la continuité de la communauté de vie effective et affective qu’il partage avec ses parents et, enfin, d’avoir un rattachement juridique tant à l’égard de son père que de sa mère, lui permettant son intégration complète dans sa famille et l’inscription sur le livret de famille de ses parents » ([214]).

La proposition de faire prévaloir la réalité juridique a été formulée en 2014 par le groupe de travail présidé par Mme Irène Théry et dont la rapporteure était Mme Anne-Marie Leroyer ([215]), sous la forme d’une reconnaissance totale des situations valablement constituées à l’étranger. Mme Caroline Mecary, avocate, s’est, elle aussi, prononcée pour que le législateur rappelle que « la transcription de l’acte de naissance étranger doit être faite dès lors qu’est fourni un acte de naissance étranger valablement établi selon les formes du droit étranger ».

Cette solution « aurait des impacts préjudiciables dans d’autres domaines du droit, notamment en matière de lutte contre la fraude documentaire et apparaît dès lors imprudent(e) », comme le souligne le Conseil d’État dans son étude du 28 juin 2018. Il ajoute que « pour parer à cet effet, une solution consistant à autoriser la transcription de l’acte de naissance à l’égard des deux parents d’intention après la mise en œuvre d’un contrôle quant au respect de standards éthiques minimaux, tels que le recueil du consentement de la mère porteuse avant et après la naissance de l’enfant, l’absence de rémunération, son bon état de santé ou encore l’exigence d’un jugement étranger, a pu être envisagée, rejoignant ainsi la solution adoptée par l’Espagne », tout en mettant en évidence les obstacles auxquels elle pourrait se heurter ([216]).

La voie de la reconnaissance du jugement étranger ayant établi la filiation de l’enfant né dans le cadre d’une GPA est un mécanisme retenu dans d’autres pays, par exemple en Allemagne ([217]) et en Belgique ([218]).

Ce mécanisme est d’ailleurs courant en matière de filiation adoptive, en application des règles de droit commun relatives à la reconnaissance en France des effets des jugements étrangers. Les juridictions françaises peuvent donc déclarer exécutoires sur le territoire national (en leur reconnaissant les mêmes effets, au sens des dispositions de l’article 370-5 du code civil, que les jugements d’adoption plénière) les jugements étrangers prononçant l’adoption de l’enfant du conjoint.

Cela ne règle cependant pas toutes les situations concernant les enfants nés dans le cadre d’une GPA. D’une part, le procureur de la République de Nantes subordonne la reconnaissance d’une filiation adoptive au mariage préalable des parents et refuse en l’état actuel du droit de reconnaître les jugements établissant la filiation hors adoption. D’autre part, la reconnaissance de ces derniers jugements par d’autres tribunaux de grande instance demeure aléatoire.

C’est la raison pour laquelle il pourrait être opportun de préciser les dispositions de l’article 370-5 du code civil pour que tout jugement étranger, qu’il soit un jugement d’adoption ou un jugement établissant un lien de filiation hors adoption, y compris pour un enfants né dans le cadre de convention de GPA, soit regardé par le parquet de Nantes et par l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire comme ayant les mêmes effets qu’un jugement d’adoption plénière. Leur reconnaissance pourrait donc être obtenue :

– soit par l’intermédiaire d’une procédure juridictionnelle engagée devant le tribunal de grande instance du lieu de résidence des parents ou devant un tribunal de grande instance spécialisé (comme c’est déjà le cas) ;

– soit par l’intermédiaire des services du procureur de la République de Nantes dans le cadre actuel de la vérification d’opposabilité d’une décision étrangère d’adoption, qui serait alors étendue aux jugements établissant la filiation hors adoption (cette dernière procédure devant alors se dérouler dans un délai raisonnable).

Cette solution permettrait alors une reconnaissance de l’état civil d’un enfant né dans le cadre d’une gestation pour autrui par les mêmes mécanismes que ceux retenus pour les adoptions internationales. Elle présenterait également plusieurs avantages.

D’abord, elle permettrait de maintenir la filiation de ces enfants établie à l’égard des parents intentionnels sous le contrôle effectif des autorités françaises et dans un cadre connu du droit, le contrôle alors exercé se limitant au contrôle appliqué à tout jugement étranger tel que défini par la Cour de cassation dans son arrêt Cornelissen (Civ. 1ère, 20 février 2007, n° 05-14.082), à savoir la vérification de la compétence indirecte du juge étranger, l’absence de violation de l’ordre public international français et l’absence de fraude à la loi et à la compétence du juge.

Elle permettrait également d’assurer un équilibre entre les droits de l’enfant à voir sa filiation intégrale être reconnue dans un État dont il a la nationalité et les droits de la France à conserver un contrôle sur les conséquences d’une pratique qui demeure interdite sur le territoire national. La solution ainsi proposée donne aux autorités françaises les moyens d’assumer pleinement leurs obligations à l’égard de ces enfants après un examen auquel tout jugement étranger est nécessairement soumis.

Proposition n° 13 Permettre la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger.

D.   L’enjeu spécifique de la GPA « éthique » : la GPA peut-elle devenir une pratique acceptable ?

Le recours à la GPA est invoqué à l’appui de deux revendications différentes. Confrontées à des accidents de la vie ou de graves maladies, certaines femmes ne sont plus en mesure de porter un enfant. À la souffrance physique s’ajoute le drame de ne pouvoir engendrer. Au cours de son audition, le Pr Israël Nisand a ainsi voulu appeler l’attention de la représentation nationale sur ces difficultés de vie pour les couples hétérosexuels dont la femme n’abrite plus d’utérus fonctionnel. Le recours à la GPA concerne aussi les couples d’hommes, désireux de fonder une famille.

Depuis quelques mois, le débat public s’est fait écho de ces demandes et la question d’une gestation pour autrui, qui serait pratiquée conformément à des standards éthiques, a été largement questionnée, que ce soit par ceux qui y voient un chemin raisonnable ou par ceux qui s’y opposent.

L’exemple californien est mis en avant et présenté comme étant plus respectueux des mères gestationnelles que d’autres pays, moins regardants sur la condition des femmes porteuses. Il est vrai que le remboursement des frais supportés par la femme porteuse, via une indemnisation et non une rémunération, son accompagnement et le possible maintien de liens avec l’enfant tranchent avec des cas plus dramatiques.

Toutefois, selon Mme Anne-Marie Leroyer ([219]), les conditions ne sont pas réunies pour la mise en place d’une GPA éthique : la pénurie d’ovocytes, comme sans doute celles de femmes porteuses, entraînera le départ des couples demandeurs à l’étranger. Pour Mme Leroyer, qui dit soutenir une position médiane, « ni essentialiste ni autonomiste », cela ne « paraît pas encore envisageable en droit français, compte tenu d’un contexte international dans lequel il est urgent de protéger les femmes de l’exploitation qu’elles subissent ». S’il lui semble possible « qu’une femme [porte] un enfant pour une autre […] cela ne peut avoir lieu n’importe comment et n’importe quand ». Il importe au préalable de s’attaquer au problème de l’exploitation des femmes au niveau international.

Pour d’autres, tenants de la vision « essentialiste », le caractère « éthique » occulte la réalité de l’opération. Il s’agit ni plus ni moins que d’un marché et le glissement du vocabulaire ne peut effacer la réalité d’une transaction qui implique la mise en liberté surveillée d’une femme et la remise d’un enfant.

Quelle que soit la vision retenue, la GPA constitue une sérieuse entorse au principe d’indisponibilité du corps humain. Le fait qu’on puisse éventuellement lui conférer un caractère éthique n’enlève rien à cette situation. C’est ce que l’étude du Conseil d’État a voulu signifier en affirmant qu’il n’existe pas de « GPA éthique ».

Si l’égalité des droits tend à justifier l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation, son principe n’est pas opérant en matière de GPA. La situation de la GPA est intrinsèquement différente de celle la PMA. Les techniques utilisées sont les mêmes (recours à des gamètes, stimulation ovarienne, fécondation in vitro,..), mais la GPA se caractérise par la mise à disposition du corps de la femme et celle de l’enfant, objet du contrat qui a été passé. Ces seules circonstances sont de nature à fonder la différence de traitement entre GPA et PMA, sans compter que la gestation pour autrui est aujourd’hui interdite pour tous.

C’est tout d’abord l’absence de maîtrise de son propre corps qui peut être considérée comme une relative atteinte à la dignité de la femme porteuse, même si elle y consent. On pourra convenir que des raisons de santé publique imposent à une femme en état de grossesse un suivi médical régulier. C’est effectivement le cas à ceci près que dans une situation, le suivi résulte de l’application d’une convention, alors que dans l’autre cas l’état de grossesse s’inscrit dans la complète maîtrise de son corps et de sa destinée. La circonstance d’un consentement ne suffit pas à effacer la réalité de l’opération.

De plus, la « location d’utérus » peut se doubler d’une autre atteinte à la dignité en cas de recours à la stimulation ovarienne si les parents d’intention ne sont pas en mesure d’apporter leurs gamètes. On retombera sur les mêmes errements que ceux précédemment décrits : le caractère éprouvant de la stimulation, les risques avérés, sans compter l’atteinte potentielle au principe de gratuité du don si l’offre d’ovocytes ne peut correspondre à la demande.

Enfin, la GPA peut parfois porter atteinte à l’intérêt de l’enfant. Plusieurs situations semblent pouvoir être distinguées.

Alors qu’il n’est pas encore né, le futur enfant développe des liens avec la femme porteuse que la séparation viendra rompre irrémédiablement. Mme Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des droits des femmes de la grande loge féminine de France, souligne ainsi que « la covivance et la relation materno-fœtale laissent des traces très importantes pour la vie future » et qu’il faut « en tenir compte, même si les capacités de résilience d’un enfant font que, de toute façon, ce qu’il attend est d’être accueilli avec amour et tendresse, d’être élevé avec attention » ([220]).

En outre, l’enfant, à sa naissance, passe d’une famille à une autre. Si le désir d’enfant est un point commun entre la procréation naturelle et la GPA, il n’en reste pas moins que, dans ce dernier cas, la transaction dont l’enfant est l’objet le réduit à l’état de chose. On relèvera également l’effet de la GPA sur l’environnement familial de la femme porteuse. Lors d’une audition par les commissions réunies des lois et des affaires sociales ([221]), Mme Sylviane Agacinski a fait ainsi référence à une enquête anthropologique sur les enfants de la femme porteuse. Ceux-ci vivent « dans le foyer avec la femme qui est enceinte et qui explique qu’elle va “donner” […] le bébé, […] demandent à leur mère si elle va les donner ou les vendre, eux aussi ».

Dans cet esprit, l’accès à la GPA ne pourrait idéalement se concevoir que s’il était mis fin à « l’emprisonnement » du corps de la femme porteuse, en recourant à l’utérus artificiel et, pour éviter les contraintes liées à la stimulation ovarienne, s’il était recouru à la production de gamètes à partir des cellules de la peau, comme le laissent espérer aujourd’hui certaines recherches sur les animaux. Cette « quasi science-fiction » anthropotechnique ne manquerait pas de poser des questions sur l’atteinte portée à l’intérêt de l’enfant qui, en certaines situations, serait privé de mère.

 


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   Chapitre 2

La prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel

 

Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme définit les personnes présentant des variations du développement sexuel comme celles qui « naissent avec des caractères sexuels qui ne correspondent pas aux définitions traditionnelles du sexe masculin ou du sexe féminin » ([222]). Selon l’étude du Conseil d’État portant sur la révision de la loi de bioéthique, ces variations renvoient à « des situations médicales congénitales caractérisées par un développement atypique du sexe chromosomique (ou génétique), gonadique (c’est-à-dire les glandes sexuelles, testicules ou ovaires) ou anatomiques (soit le sexe morphologique visible). Les variations du développement sexuel intègrent ainsi des réalités très diverses. Le rapport privilégie l’expression « individus présentant des variations du développement sexuel » plutôt que celle d’« individus intersexes », controversée et principalement utilisée dans le milieu associatif.

Il n’existe pas de statistiques permettant de connaître précisément la prévalence de ces variations du développement sexuel. Les associations et les institutions internationales estiment qu’elles concernent 1,7 % des naissances en prenant en compte l’ensemble des variations des caractéristiques sexuelles ([223]). Celles-ci ne sont cependant pas forcément découvertes à la naissance, mais parfois pendant l’enfance, l’adolescence ou même à l’âge adulte ([224]).

Catégories de variations du développement sexuel

Les causes et les manifestations de ces variations sont très variables. On peut, pour simplifier, distinguer trois situations principales (parmi un beaucoup plus grand nombre de variations pathologiques du développement sexuel).

La première rassemble les enfants XX, pour lesquels l’appartenance au sexe féminin ne pose pas de question, qui naissent avec des organes génitaux inhabituels sur le plan anatomique (développement inhabituel du clitoris et absence d’ouverture du vagin au périnée) : ils sont le plus souvent atteints d’hyperplasies congénitales des surrénales (HCS).

Une deuxième catégorie, beaucoup plus hétérogène, rassemble les enfants XY, qui présentent une formule génétique de garçon mais des anomalies, principalement de nature hormonale, qui se traduisent pas une formation atypique des organes génitaux (hypospade, testicules non descendus, micropénis).

Une troisième catégorie concerne les enfants présentant une formule chromosomique dite « mosaïque ». La variation la plus rencontrée, qui demeure néanmoins rare, est la variation 45,X/46,XY, qui regroupe les enfants qui ont plusieurs groupes de chromosomes et dont les organes génitaux présentent une forme atypique.

Source : Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, page 129.

Les individus présentant des variations du développement sexuel, dont le sexe est indéterminé, n’entrent donc pas dans les catégories juridiques, sociales et médicales couramment admises. Dans ce contexte, de lourds traitements médicaux sont fréquemment pratiqués afin de conformer les enfants concernés au contenu de ces trois catégories. Ces traitements sont régulièrement dénoncés par les associations de personnes présentant des variations du développement sexuel, mais aussi par de nombreuses autorités nationales et internationales, telles que la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT ([225]), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme ([226]), l’Organisation Mondiale de la Santé ([227]), le Parlement européen ([228]) ou encore l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ([229]).

A.   La licéité des actes portant atteinte à l’intégrité du corps humain repose sur la nécessité médicale et l’existence d’un consentement

Le principe d’inviolabilité du corps humain, proclamé par l’article 16-1 du code civil, garantit le droit pour chacun au respect de son intégrité physique. Il a trouvé son fondement dans l’idée « que le corps humain, incarnation de la personne, participe à l’essence même de l’homme et doit bénéficier du respect dû à celui-ci » ([230]). Le respect du caractère inviolable du corps humain est également assuré par le droit pénal qui, au travers des articles 222-7 et suivants, réprime les violences en tant qu’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne. Afin de justifier légalement la réalisation de certains actes médicaux tout en protégeant ce principe, l’article 16-3 du code civil subordonne donc les actes portant atteinte à l’intégrité du corps humain à deux conditions cumulatives.

1.   La démonstration d’une nécessité médicale

L’exigence de nécessité médicale, posée à l’alinéa 1 de l’article 16-3 du code civil, impose qu’un acte médical soit justifié par une finalité thérapeutique et qu’il soit nécessaire à la poursuite d’un tel but ([231]).

Le code de déontologie médicale insiste sur cette notion de nécessité médicale en énonçant qu’« aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement » ([232]).

2.   Le recueil du consentement

Le deuxième alinéa de l’article 16-3 du code civil impose le recueil préalable du consentement de l’intéressé avant tout acte portant atteinte à son intégrité corporelle. Ce principe est parallèlement affirmé à l’article L. 1111-4 du code de la santé publique. Afin d’être valable, le consentement à un acte médical doit être libre et éclairé, c’est-à-dire qu’il doit découler d’une information préalable fournie par le professionnel de santé ([233]). L’article L. 1111-2 du code de la santé publique précise que l’information doit porter sur « les différentes investigations, traitements ou actions de préventions qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus » ([234]).

Dans le cas d’un acte médical pratiqué sur un mineur, ce n’est pas l’intéressé lui-même qui donne son consentement mais les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant ([235]).Comme le rappelle Mme Laurence Brunet, « le consentement de chaque parent est requis » ([236]). Le code de la santé publique précise toutefois que les mineurs « ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée (…) à leur degré de maturité (…) ([237]), mais également que « le consentement du mineur (…) doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision » ([238]).

Comme le mentionne l’étude du Conseil d’État, l’autorité parentale « ne confère pas [aux parents] un pouvoir de décision discrétionnaire s’agissant des actes médicaux effectués à l’égard de leur enfant », notamment puisque tout acte portant atteinte à l’intégrité corporelle de l’enfant doit impérativement répondre à une nécessité médicale ([239]).

B.   Certaines prises en charge sont réalisées de façon illicite

1.   Les interventions ne sont pas toujours justifiées par une nécessité médicale

a.   Les actes médicaux peuvent entraîner de graves préjudices

La prise en charge médicale des enfants présentant des variations du développement sexuel est le problème majeur soulevé par les associations et personnes auditionnées. En effet, dans un « contexte de pression sociale et légale majeure pour assigner l’enfant à l’un des deux sexes d’un point de vue juridique mais également du point de vue anatomique eu égard aux stéréotypes sur le corps masculin et le corps féminin qui marquent une société éminemment genrée » ([240]), cette prise en charge consiste souvent en des interventions dites « d’assignation sexuée », bien qu’il existe des divergences d’opinion et de pratique au sein du corps médical. En cela, comme le souligne Mme Gogos-Gintrand, « l’intersexualité révèle comment la médecine peut venir au soutien des constructions culturelles » ([241]).

Les interventions sont pour la plupart pratiquées par le corps médical dans un objectif d’amélioration du bien-être et du développement psychique et social de l’enfant. Il est fréquemment invoqué le fait qu’elles permettraient d’éviter les discordances entre la réalité du développement physique et le genre selon lequel ces individus sont élevés ainsi que les stigmatisations en découlant lors de la puberté ([242]). Or, comme le souligne le Conseil d’État, « les actes de conformation sexuelle justifiés par de tels motifs “psychologiques” visent à éviter à l’enfant une souffrance non directement liée à la lésion qu’il présente, c’est-à-dire la variation du développement génital, mais au regard que la société, dans laquelle prévaut la binarité des sexes, porte sur cette lésion » ([243]).

Les interventions pratiquées impliquent des protocoles invasifs incluant notamment des opérations chirurgicales sur les organes sexuels (telles que clitoridectomie, vaginoplastie, dilatation vaginale, castration et ablation des gonades, etc.) ainsi que des traitements hormonaux pendant plusieurs années, voire toute la vie. Ces protocoles, le plus souvent réalisés dans les trois premières années de vie, visent à effacer les variations corporelles afin de donner aux organes génitaux des enfants nés avec une variation du développement sexuel une apparence conforme au sexe dans lequel l’enfant sera élevé.

Or, les traitements effectués dans le seul but de corriger l’apparence des organes génitaux et d’assigner un sexe masculin ou féminin à l’enfant ont été dénoncés pour leur caractère mutilant non seulement par les personnes auditionnées par la mission, notamment le président de la section « Éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins, mais également par plusieurs organismes nationaux et internationaux susmentionnés.

En effet, les actes médicaux dits « d’assignation sexuée » peuvent causer de graves préjudices physiques et psychologiques, éventuellement irréversibles. Parmi ces préjudices, la représentante du Collectif Intersexes et Allié.e.s. a notamment cité « les ablations d’organes sains, les cicatrices très marquées, les infections des voies urinaires, la diminution ou la perte totale des sensations sexuelles, l’arrêt de la production d’hormones naturelles, la dépendance aux médicaments, le sentiment profond de violation de la personne et de pathologisation d’un corps sain » ([244]). Ces interventions peuvent également entraîner des « souffrances induites par une assignation qui ne correspond pas forcément à l’identité du genre de la personne et la dépression, allant parfois jusqu’au suicide » ([245]). En effet, comme l’a indiqué M. Benjamin Pitcho dans un document transmis à la mission d’information, les interventions sont « réalisées vers un sexe masculin ou féminin sur de simples critères médicaux arbitraires sans que nul ne sache vers quelle identité de genre l’enfant va se développer, risquant ainsi de l’enfermer dans un corps en discordance grave avec son identité ».

b.   Le critère de nécessité médicale est questionné

Certains traitements répondent effectivement à la condition de nécessité médicale imposée par le premier alinéa de l’article 16-3 du code civil. Parmi eux figurent les traitements hormonaux dans certains cas d’hyperplasie congénitale des surrénales avec perte de sel, qui évitent les complications susceptibles d’engager le pronostic vital de l’enfant, ou encore les actes médicaux visant à traiter certaines variations du développement génital entraînant d’importantes souffrances physiques, telles que des infections urinaires ou encore des rétentions sanguines ou de fluides ([246]).

Toutefois, de nombreuses variations du développement sexuel n’entraînent pas de souffrance physique et n’engagent pas le pronostic vital des enfants. Afin de déterminer si, dans ces situations, les interventions pratiquées répondent à une « nécessité médicale », le Conseil d’État utilise la grille d’analyse préalablement définie, à savoir qu’un acte médical doit avoir une finalité thérapeutique, c’est-à-dire qu’il doit viser à diagnostiquer, guérir ou prévenir une pathologie, et être nécessaire à la poursuite d’un tel but.

Le Conseil d’État s’appuie sur les travaux du philosophe et médecin Georges Canguilhem pour énoncer que la notion de pathologie suppose l’existence d’une lésion, « entendue comme un écart aux caractères moyens des cas les plus fréquemment observés », ainsi que d’une souffrance associée à cette lésion. S’il dit qu’une variation du développement sexuel peut « sans difficultés » être considérée comme une lésion « dans la mesure où elle est constitutive d’un écart aux stéréotypes des organes génitaux masculins et féminins », la caractérisation d’une souffrance est plus délicate, celle-ci étant intimement liée à chaque individu ([247]).

Il estime cependant que les variations du développement sexuel doivent être qualifiées de « pathologies » afin d’éviter que seul le régime des actes esthétiques, impliquant notamment le non-remboursement des soins, soit applicable aux opérations d’assignation sexuée, et ce même dans les cas où les individus y consentent de façon éclairée ([248]).

M. Benjamin Pitcho a relevé que le critère pathologique n’implique pas celui de « nécessité » : « à supposer même que le caractère pathologique soit établi, encore faudrait-il établir aussi la nécessité. Cela signifie, d’une part, que l’acte que les médecins réalisent ait plus d’avantages que d’inconvénients, et, d’autre part, que cet acte soit le seul à même de traiter, de la meilleure façon possible, cette maladie – à supposer que ce soit une maladie » ([249]). La nécessité doit ainsi être évaluée au regard de l’ensemble des options thérapeutiques existantes. Or, le Conseil d’État souligne que « dans de nombreux cas, aucune intervention médicale ne s’impose, et l’accompagnement psychologique de l’intéressé et de ses parents suffit à garantir son développement » ([250]), ce qui traduit le fait que l’intervention médicale ne vise en fait qu’à répondre à une norme sociale de binarité des sexes. Or, selon M. Pitcho, il n’existe aucune étude permettant d’établir que les opérations dites d’assignation sexuée auraient permis d’améliorer le bien-être psychique des individus concernés ([251]). De plus, la supériorité des traitements chirurgicaux par rapport à d’autres réponses moins invasives, en particulier l’accompagnement psychologique individuel ou les thérapies de groupe, n’a pas été démontrée ([252]). Le Conseil d’État a également écarté l’argument selon lequel les interventions chirurgicales sur les nourrissons ou enfants en bas âge seraient plus faciles au plan chirurgical et auraient un moindre impact psychologique ([253]).

Enfin, l’acte médical ne doit pas « faire courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté » ([254]) : il doit donc rester subordonné à une évaluation de la balance bénéfice-risque. Le Conseil d’État indique que lorsque la balance n’est pas manifestement déséquilibrée, « c’est le patient lui-même qui, en principe, module le rapport entre les avantages et les risques escomptés de l’acte envisagé » ([255]), laissant entendre qu’il serait souhaitable d’attendre que l’enfant soit suffisamment âgé pour être mesure d’évaluer cette balance bénéfice-risque et d’exprimer sa volonté. À l’inverse, seul un « “motif médical très sérieux” peut justifier que, sans attendre que l’enfant soit en âge de participer à la décision, un acte médical portant gravement atteinte à son intégrité corporelle soit mis en œuvre » ([256]).

L’interdiction des traitements et interventions chirurgicales à Malte

Le 14 avril 2015, Malte a adopté le Gender Identity, Gender Expression and Sex Characteristics Act afin de reconnaître l’identité de genre – qui devient la référence de l’état civil, et non plus le sexe – et de protéger les droits des personnes intersexes.

Son article 14 interdit tout traitement ou toute intervention chirurgicale d’assignation sexuée tant que le mineur n’est pas apte à y consentir de façon libre et éclairée, ce consentement pouvant cependant être exprimé par les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur de l’enfant. Il interdit toute intervention qui serait motivée par des considérations d’insertion et d’acceptation sociale, rejoignant la législation française qui pose un critère de nécessité médicale.

Source : https://tgeu.org/wp-content/uploads/2015/04/Malta_GIGESC_trans_law_2015.pdf

2.   L’intégrité du consentement est souvent contestable

Les interventions étant le plus souvent pratiquées sur des enfants de moins de trois ans, ceux-ci ne peuvent être associés à la décision médicale ou consentir à un traitement, comme l’exige pourtant le code de la santé publique ([257]). Comme indiqué précédemment, c’est aux titulaires de l’autorité parentale de consentir de façon éclairée à un traitement hormonal ou à une opération chirurgicale, sur la base d’une information préalable fournie par le corps médical.

Toutefois, le caractère éclairé, donc l’intégrité du consentement des parents est assez contestable dans le cas de traitements médicaux effectués sur des enfants en bas âge dans un but d’assignation sexuée.

En effet, le Conseil d’État constate tout d’abord que les soignants sont souvent dans l’incapacité de fournir une information exhaustive sur les bénéfices et les risques des traitements envisagés, dans la mesure où les cas cliniques sont rares et qu’ils sont pris en charge par des équipes de soins qui ne bénéficient pas nécessairement d’une expertise suffisante. De plus, il n’y a que peu d’études sur le suivi des individus concernés et les soignants ne disposent donc pas d’une vision à long terme de l’impact sur les patients des traitements effectués ([258]).

En outre, le « regard pathologisant » porté par le corps médical sur les variations du développement sexuel, fréquemment considérées comme « une anomalie qu’il faut corriger » ([259]), selon les mots de M. Pitcho, conduit dans certains cas à ne donner qu’une information parcellaire et biaisée aux parents des enfants concernés. M. Pitcho s’est fait le relais de nombreux témoignages dénonçant l’absence d’informations données aux parents sur la réalité médicale et le caractère le plus souvent sain des variations du développement sexuel, mais également sur les conséquences à court, moyen et long terme des traitements médicaux imposés aux enfants ([260]).

Ainsi, les parents ne bénéficient pas toujours d’une information loyale, claire et appropriée qui leur permettrait d’effectuer un choix éclairé.

À cela s’ajoute la difficulté pour une grande partie des parents de dépasser une forme de désarroi à la naissance de leur enfant, comme Mme Laurence Brunet le souligne : « Au demeurant les parents, souvent bouleversés par la naissance d’un enfant atypique à laquelle ils ne sont pas préparés, isolés dans leur détresse, insistent fortement auprès des médecins pour que la physionomie de leur enfant soit normalisée au plus vite » ([261]). Ce choc pousserait alors les parents à accorder leur consentement, notamment parce que « [les] difficultés à s’approprier leur enfant, à l’investir affectivement et à créer des liens avec lui tant que ses organes génitaux demeurent en l’état et qu’une identité sexuée claire ne lui est pas attribuée » ([262]) sont importantes.

C.   Des mesures simples permettraient d’éviter les dérives éthiques

1.   Interdire toute intervention médicale non nécessaire jusqu’à ce que la personne directement concernée puisse donner un consentement éclairé

a.   Une revendication largement partagée

La mesure que le Collectif Intersexes et Allié.e.s. présente comme absolument prioritaire est l’interdiction des modifications des caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires lorsque ces actes ne présentent aucun caractère d’urgence vitale et pourraient être réalisés sans le consentement libre, éclairé et explicite de la personne elle-même ([263]). Comme le souligne Mme Gogos-Gintrand, une telle interdiction reviendrait à accepter que des enfants grandissent avec un corps sexué ambigu et qu’ils puissent à terme le conserver, si telle est leur volonté ([264]). Cette revendication a été répétée lors des auditions et appuyée par divers autres acteurs, tel que le Conseil national de l’Ordre des médecins, le Conseil d’État ou encore le Défenseur des droits.

Ainsi, M. Jean-Marie Faroudja, président de la section « Éthique et déontologie » du Conseil national de l’Ordre des médecins, a insisté sur « l’urgence d’attendre » en expliquant que « d’un point de vue médical, soit une intervention chirurgicale se justifie d’emblée car, à trop attendre, des complications rénales se produiront, soit il n’y a pas urgence, auquel cas il est plutôt conseillé d’attendre que l’enfant atteigne la majorité, le temps pour lui de se construire sa propre identité plutôt que celle qu’aurait choisi pour lui ses parents » ([265]).

Le Conseil d’État estime quant à lui que si un « motif médical très sérieux » ne peut être établi, « il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui-même la balance avantage-risque de l’acte envisagé ». Il conclut en affirmant que « l’acte médical ayant pour seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant ne devrait pas pouvoir être effectué tant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et de participer à la prise de décision » ([266]).

Si le consentement libre et éclairé de l’enfant est considéré comme une condition préalable indispensable à toute intervention médicale non nécessaire, il paraît plus difficile de définir des critères d’application précis. À partir de quel âge l’enfant est-il considéré comme apte à se prononcer ? Comment s’assurer qu’un éventuel consentement de l’enfant n’est pas soumis à la pression de ses parents ou de toute autre personne ? La Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine de la Confédération helvétique apporte sur ce point quelques réponses qui méritent notre attention. Alors qu’il est communément admis qu’un enfant est capable de discernement entre 10 et 14 ans, le comité d’éthique suisse plaide pour que ces enfants puissent prendre part à ces décisions avant cela, mettant en avant « l’expérience qu’ils ont de leur propre corps et de la maladie » ([267]), en fonction finalement de la maturité propre à chaque individu. Pour ce même comité, et selon les mots de Mme Brunet, l’équipe pluridisciplinaire de prise en charge doit « prendre le temps et les moyens de s’assurer qu’en fonction de sa maturité, l’enfant a été informé de toutes les options thérapeutiques et qu’il exprime ses propres souhaits, non ceux de son entourage familial » ([268]).

Lors de son audition, la représentante du Collectif Intersexes et Allié.e.s. a par ailleurs plaidé pour une redéfinition totale de la prise en charge des individus présentant une variation du développement sexuel par le biais d’une modification du protocole national de diagnostic et de soins publié par la Haute Autorité de Santé ([269]). Cette proposition, bien que ne relevant pas du domaine de la loi, mérite d’être retenue.

b.   La nécessité de rappeler la portée du droit en vigueur

La revendication de mettre fin à des pratiques fréquemment qualifiées de « mutilations » pourrait trouver satisfaction par le biais d’un amendement interprétatif de la loi existante. Pour M. Benjamin Pitcho, il est indispensable de modifier la loi, « dans la mesure où cet état législatif ne permet pas une application correcte et une transposition correcte de la loi dans les faits » ([270]). M. Benjamin Moron-Puech a cependant souligné que les opérations d’assignation sexuée ne relèvent pas d’une mauvaise application de la loi, dans la mesure où, selon lui, les professionnels de santé ne sont pas conscients de violer la loi, mais sont convaincus d’agir pour le bien-être des patients. Il s’agit plutôt d’un problème d’interprétation et il faudrait donc « leur rappeler que l’interprétation qu’ils ont de la réalité est erronée et se heurte au principe de nécessité médicale telle que (le législateur) l’a conçu » ([271]). Dans cette perspective, deux pistes ont été envisagées lors des auditions :

– l’adoption, dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, d’une disposition législative interprétative de l’article 16-3 du code civil, qui affirmerait que les actes médicaux d’assignation sexuée – n’incluant donc pas les interventions médicales réalisées lorsque le pronostic vital est engagé – réalisés sur des mineurs ne répondent pas à une nécessité médicale. Cette disposition législative interprétative pourrait prendre la forme d’un nouvel alinéa à l’article 16-3 du code civil ;

– la publication d’une circulaire de rappel à la loi par la ministre des Solidarités et de la Santé, qui ne nécessiterait pas l’intervention du législateur.

Le Conseil d’État recommande également de considérer de façon restrictive la notion de « nécessité médicale » du premier alinéa de l’article 16-3 du code civil pour les cas de mineurs présentant des variations du développement sexuel, afin de n’y inclure que les « motifs médicaux très sérieux ». Ce critère correspondrait « aux seules interventions qui s’imposent afin d’éviter de mettre en jeu le pronostic vital de la personne ou les souffrances physiques associées à ces variations » ([272]).

2.   Promouvoir des mesures de formation et d’accompagnement social

L’interdiction des interventions d’assignation sexuée non justifiées par une nécessité médicale et non consenties par la personne elle-même, bien qu’étant la revendication principale entendue lors des auditions de la mission d’information, n’est pas suffisante. Il faut également prévoir des mesures de formation du corps médical sur la réalité des différentes variations du développement sexuel ainsi que des mesures d’accompagnement social visant à favoriser la reconnaissance des individus concernés dans notre société tout en luttant contre les stigmatisations. Comme l’a dit avec force M. Benjamin Moron-Puech : « ce ne sont pas les personnes intersexes qu’il faut soigner, mais la société, notamment en changeant ses normes ». La représentante du Collectif Intersexes et Allié.e.s. a notamment plaidé pour une mise en relation systématique des familles et des enfants avec le milieu associatif.

Le Conseil d’État recommande « d’orienter les familles des nouveau-nés présentant les variations les plus marquées vers un nombre limité d’établissements disposant de compétences pluridisciplinaires en la matière », à l’instar des centres de référence des maladies rares (CRMR) du développement génital, situés à Lyon, Paris, Lille et Montpellier ([273]), recommandation également formulée par le Défenseur des droits ([274]). Les CRMR pourraient a minima être informés de la naissance de nouveau-nés présentant des variations moins marquées, « afin que leur situation fasse l’objet d’une discussion pluridisciplinaire à l’occasion de réunions mensuelles de concertation nationale » ([275]).

Le Conseil d’État est également favorable à ce que les traitements les plus intrusifs, envisagés car répondant à une nécessité médicale, ne puissent être pratiqués que dans des CRMR sur le fondement de l’article L. 1151-1 du code de la santé publique, qui prévoit que « la pratique des actes, techniques et méthodes à visée diagnostique ou thérapeutique […] peuvent être limités pendant une période donnée à certains établissements de santé » ([276]).

M. Benjamin Pitcho ([277]) et les co-rapporteures d’un rapport du Sénat sur les variations du développement sexuel ([278]) plaident pour la mise en place d’un fonds d’indemnisation des préjudices subis par les personnes sur lesquelles ont été pratiqués des actes médicaux d’assignation sexuée. Ce fonds, qui pourrait être autonome ou relever de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), aurait pour mission la réparation des préjudices et la réhabilitation sociale des personnes concernées.

Enfin, le Conseil d’État ([279]) ainsi que les co-rapporteures du rapport du Sénat précité et le Défenseur des droits ([280]) recommandent de soutenir les travaux de recherche clinique et en sciences sociales afin de disposer d’informations fiables sur les besoins et l’évolution de la situation sur le long terme des individus présentant des variations du développement sexuel.

Le rapporteur estime que toutes ces propositions doivent être entendues.

Proposition n° 14 Sauf motif médical impérieux et urgent, conditionner tout traitement ou toute intervention visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne :
– à une consultation préalable dans l’un des centres de référence des maladies rares du développement génital ;
– à l’appréciation, par une équipe pluridisciplinaire, de la capacité de la personne à participer à la prise de décision, lorsqu’elle est mineure ;             
– au recueil de son consentement explicite, libre et éclairé, exprimé personnellement, y compris lorsqu’elle est mineure.


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   Chapitre 3

les recherches impliquant l’embryon

 

Considérée par M. Pierre le Coz comme étant la « science du malaise » ([281]), l’éthique est aussi la discipline des limites. Pour que s’opère la conciliation des contraires, des frontières doivent être clairement tracées. Pour continuer à partir à la découverte de l’inconnu, le scientifique, le technicien, l’industriel, à travers la figure du promoteur et de l’investigateur, doivent rester liés à la société et aux principes intangibles qu’elle entend promouvoir. Si le monde de la recherche est celui de la découverte, il est aussi celui du tâtonnement, du doute et de la complexité, des succès et des échecs. En posant clairement des limites, le législateur a entendu faire en sorte que le chercheur, qui doit agir pour le bien de la société, soit partie intégrante de celle-ci et s’inscrive dans les principes qu’elle promeut. En vérité, ainsi que le dit le professeur Jean-François Delfraissy, président du comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), les questions de bioéthique actuelles ne relèvent pas d’un choix entre le bien et le mal. Le rapporteur souscrit à ces propos en ajoutant qu’il s’agit d’un choix entre diverses représentations du bien.

Les fondements juridiques de la recherche biomédicale et des recherches portant sur l’embryon sont dans notre pays les mêmes que pour les dons et éléments des produits du corps humain : consentement, anonymat, gratuité.

La définition des limites constitue le cœur des lois françaises de bioéthique dès l’origine. Sans cesse questionnées, ces limites ont pu, de l’avis du rapporteur, brider la recherche et dégrader, en quelque sorte, notre savoir-faire et notre renommée. Ce fait est avéré pour la recherche sur l’embryon, qui n’a timidement démarré qu’à compter de 2004, soit 10 ans après les premières lois de bioéthique. Le rapporteur se réjouit de la façon dont le cadre juridique a évolué depuis mais ne reste pas moins conscient de la nécessité de fixer des lignes rouges.

I.   Un cadre juridique qui concilie protection de l’embryon et liberté de la recherche

La recherche sur l’embryon a suscité de vifs débats dès les premières lois de bioéthique, puis lors de chaque révision.

L’embryon s’est vu accorder une protection particulière, qui interdit qu’il soit créé aux fins de recherche, mais il peut servir de « matériau » lorsque, conçu dans le cadre d’une AMP, il ne fait plus l’objet d’un projet parental. Le cadre juridique a par ailleurs évolué puisqu’il est passé d’une interdiction de principe, assortie de dérogations, à un régime d’autorisation encadrée. Les recherches portant sur les cellules souches embryonnaires ont été incluses dans le champ des lois de bioéthique en 2004, dans la mesure où elles ne peuvent pas être obtenues autrement qu’en effectuant un prélèvement sur l’embryon.

La recherche sur l’embryon est motivée notamment par la perspective d’accroître le taux de succès de la procréation dans le cadre d’une assistance médicale. Auditionné par la mission d’information, le Pr Samir Hamamah attirait l’attention sur le faible taux de succès constaté en France ([282]) : en 2015, 22,9 % des tentatives d’AMP se concrétisent par une grossesse contre 26,4 % pour l’Allemagne et près de 30 % pour le Portugal. Il y a donc une marge de progression, qui implique de développer la recherche sur l’embryon, non seulement pour maîtriser mieux les techniques d’AMP, mais aussi dans l’intérêt direct des patients. De plus, des progrès dans le taux de succès de l’AMP conduiraient à réduire le nombre d’embryons surnuméraires produits et voués à la destruction.

A.   Le statut juridique de l’embryon et la question des cellules souches

En matière biomédicale, la convention du Conseil de l’Europe dite d’Oviedo ([283]), ouverte à la signature en avril 1997 et entrée en vigueur en décembre 1999, est l’un des principaux instruments internationaux de référence. Elle affirme la primauté de l’être humain sur l’intérêt de la société et de la science. Son article 18 admet la recherche portant sur l’embryon in vitro mais, d’une part, requiert pour lui une protection adéquate de la loi et, d’autre part, prohibe la fabrication d’embryons à des fins de recherche.

1.   Le statut de l’embryon est marqué par une absence de qualification juridique précise

Ainsi que le rappelle l’étude du Conseil d’État sur la révision de la loi de bioéthique ([284]), le statut de l’embryon revêt une portée très incertaine et reste sujet à controverses juridiques. Qu’il soit sujet de droit, objet de recherche, ou partie d’un projet parental, la perception de l’embryon varie d’ailleurs au gré des croyances et des convictions.

De jure, l’embryon n’est pas regardé comme une personne humaine. Cette question a d’ores et déjà été tranchée par le Conseil constitutionnel saisi au titre du contrôle de constitutionnalité a priori des lois de bioéthiques de 1994. Il « a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie » n’est pas applicable aux embryons, pas plus que le principe d’égalité.

Auditionnée par la mission d’information, Mme Dominique Thouvenin a tenu à souligner que, « en France, on distingue bien l’embryon de la personne humaine » et que ces « règles juridiques [sont] acquises depuis le code civil » de 1804 ([285]). Il n’y a de personnalité juridique et humaine qu’à compter de la naissance, à l’exception « de la transmission des biens à cause de mort » ([286]).

Le statut de l’embryon ne dépend que de finalités identifiées qui lui sont extérieures : il est personne humaine potentielle lorsqu’il fait l’objet d’un projet parental et la valeur intrinsèque liée à son humanité et à sa potentialité de personne ne s’exprimera que s’il est transféré in utero avec une finalité de gestation, note le comité d’éthique de l’INSERM ([287]) ; il est objet de recherche ou voué à la destruction s’il ne fait plus l’objet d’un projet parental ; il est sujet à une interruption volontaire de grossesse « pour protéger le droit fondamental d’un tiers identifié (avortement) » ([288]), ou à une interruption médicale de grossesse « soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. » ([289]) Ce statut à part – ni totalement objet ni personne humaine – est le point de départ d’une véritable casuistique pour en déterminer les contours.

Le rapport de la commission spéciale de l’Assemblée nationale établi en première lecture lors de la dernière révision de la loi de bioéthique souligne qu’« en matière de conventions internationales, l’article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule que “le droit de toute personne à la vie est protégée par la loi”. Toutefois, outre le fait que la Convention se réfère à la “personne”, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des États » ([290]).

Sans trancher clairement sur un tel point de départ, le législateur français a cependant souhaité définir un statut protecteur de l’embryon, comme le souligne M. Jean-René Binet dans son ouvrage portant sur le droit de la bioéthique ([291]). S’appuyant sur les travaux parlementaires, l’auteur rappelle les mots prononcés par M. Pierre Méhaignerie, alors garde des Sceaux : « il est donc plus sage de s’en tenir à ce que tous reconnaissent comme une nécessité absolue : protéger l’embryon ». Même s’il peut faire l’objet de recherches, celles-ci sont strictement délimitées, comme s’il convenait de ne pas porter atteinte à la dignité d’un être humain potentiel. L’embryon est donc pourvu d’une valeur particulière qui dépasse celle de sa simple « utilité ». C’est la raison pour laquelle le législateur ne l’a, jusque ici, jamais assimilé à un objet.

2.   La portée de la protection offerte par la loi à l’embryon a peu à peu évolué

Le régime des recherches portant sur l’embryon, prévu par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, a considérablement évolué depuis 1994. Quatre étapes peuvent être identifiées.

 Considérant qu’ayant vocation à pouvoir devenir partie de l’humanité, l’embryon ne pouvait être assimilé à un simple matériau d’expérimentation, le principe de la prohibition absolue de toute recherche a été posé dans les premières lois de bioéthique, en 1994, faisant écho à l’article 16 du code civil, selon lequel la loi « garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Le législateur considérait alors que la recherche, aboutissant inéluctablement à la destruction de l’embryon, constituait une grave entorse au droit civil.

Depuis lors, le statut juridique hybride de l’embryon – ni totalement objet, ni totalement personne – a amené à relativiser la protection apportée par le code civil, qui s’est progressivement amenuisée au profit de dérogations introduites dans le code de la santé publique au nom de l’intérêt de la recherche et des bénéfices qu’en pouvait retirer l’humanité.

 La question de l’intérêt de la recherche ne s’est véritablement imposée au législateur que lorsque celui-ci s’est trouvé confronté à l’importance du stock d’embryons surnuméraires, conçus dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) mais n’étant plus inscrits dans un projet parental.

Cela a conduit le législateur de 2004 à ouvrir un cadre dérogatoire et temporaire. Les recherches ont d’abord été autorisées pour une durée limitée à cinq ans pour autant qu’elles étaient « susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques » ([292]). Cette dérogation a été étendue aux cellules embryonnaires.

Le régime de l’interdiction de principe donnant lieu à dérogations a ensuite été pérennisé dans la loi du 7 juillet 2011 ([293]) tout en étant étendu aux lignées de cellules souches, en l’occurrence les lignées dérivées d’embryons détruits depuis plusieurs années.

Les travaux préparatoires de la loi de 2011 ont souligné l’importance d’un régime juridique identique entre embryon et cellules souches embryonnaires pour ce qui est de la recherche. M. Jean Leonetti, rapporteur du projet, écrivait ainsi que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires pose éthiquement des problèmes de même nature que la recherche sur l’embryon puisque l’embryon dont sont issues les cellules est nécessairement détruit dans tous les cas » ([294]). Cette position s’appuyait sur l’éclairage apporté par le Conseil d’État qui avait écarté la piste d’un régime juridique différencié entre l’embryon et les cellules souches embryonnaires, proposé par l’Agence de la biomédecine. L’étude, qui souligne « la destruction initiale d’un embryon tout comme la recherche sur l’embryon lui-même », conclut qu’« au bout du compte, aucun impératif éthique ne permet de justifier une différence de traitement entre ces deux types de recherche » ([295]).

La question des embryons surnuméraires

L’existence d’embryons surnuméraires ne peut se comprendre qu’à la lumière de l’aide médicale à la procréation et de la technique de la fécondation in vitro.

Afin de multiplier les chances de grossesse, l’article L. 2141-3 du code de la santé publique autorise, moyennant le consentement écrit du couple, la fécondation de plusieurs ovocytes « pouvant rendre nécessaire la conservation d’embryons ».

En fait, le taux de réussite très peu élevé d’une grossesse consécutive à une FIV appelle à la production d’un nombre d’embryons suffisamment élevé pour espérer la naissance d’un enfant. Le sort de l’embryon reste donc fondamentalement rattaché à la réalisation du projet parental, comme le souligne l’article L. 2141-3. Dans l’attente d’un éventuel transfert dans l’utérus, ces embryons sont congelés et stockés. L’augmentation spectaculaire et mal anticipée de leur nombre a conduit le législateur, en 2004, à autoriser des recherches après le recueil du consentement du couple ou à en autoriser la destruction.

 Une troisième évolution est intervenue en 2013, conduisant à instaurer un régime d’autorisation sous conditions. Adoptant une position inverse des travaux préparatoires de la loi de 2011, qui tenait le régime de dérogations pour peu contraignant, les travaux préparatoires de la loi de 2013 ([296]) insistaient sur les avis convergents du CCNE, du Conseil d’État et de l’Agence de la biomédecine qui se prononçaient en faveur d’un régime d’autorisation. Il était avancé qu’un tel régime comportait autant de garde-fous pour la protection de l’embryon que le régime d’interdiction avec dérogations. À l’appui de cette assertion, il était notamment indiqué que « la loi du 7 juillet 2011 n’[avait] pas réglé le problème éthique fondamental, à savoir la destruction d’embryons créés dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation, qui permet de fait la recherche » ([297]).

 Une dernière évolution est résultée de la loi de modernisation de notre système de santé ([298]). Elle est venue étendre le champ des recherches sur l’embryon en ouvrant la possibilité d’effectuer des recherches biomédicales sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation. L’extension ainsi faite met fin à des ambiguïtés créées par la loi du 6 août 2013, qui s’était donnée pour but de simplifier le régime des recherches dites « non interventionnelles » (ou encore « observationnelles » ou dites encore « études »). La compréhension de l’enjeu nécessite de reprendre précisément le fil chronologique des évolutions législatives.

L’une des deux lois du 29 juillet 1994 ([299]) avait introduit dans le code de la santé publique la possibilité de réaliser des « études » sur l’embryon ; ces études devaient avoir un caractère exceptionnel, une finalité médicale et ne pas porter atteinte à l’embryon ; elles étaient évidemment conditionnées à l’accord du couple en parcours d’AMP, exprimé par écrit ; l’implantation des embryons ainsi « étudiés » n’était pas explicitement interdite. Le principe des « études » a été repris par la loi du 6 août 2004, qui les a soumises au droit commun de la recherche sur l’embryon, y compris – explicitement – à la disposition prévoyant que « Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation. »

La loi du 7 juillet 2011 a maintenu la possibilité des « études […] ne portant pas atteinte à l’embryon » et précisé leur finalité : elles devaient viser « notamment à développer les soins au bénéfice de l’embryon et à améliorer les techniques d’assistance médicale à la procréation ». Surtout, elle a permis que soient implantés les embryons ayant fait l’objet de telles études, en prévoyant que celles-ci pourraient être « conduites avant et après leur transfert à des fins de gestation ». Elle soumettait ces études à l’autorisation de l’Agence de la biomédecine selon les règles applicables à tout protocole de recherche sur l’embryon.

Les dispositions relatives aux « études » ont été intégralement supprimées par la loi du 6 août 2013, au motif qu’il ne paraissait pas nécessaire de soumettre des études purement observationnelles à une autorisation de l’Agence de la biomédecine. Les travaux préparatoires n’en disent pas plus ; en particulier, ni au Sénat, ni à l’Assemblée n’ont été évoquées les conséquences que l’on pouvait attendre d’une telle modification. Le fait que les embryons concernés restassent inscrits dans un projet parental les excluait du champ de la « recherche sur l’embryon » à proprement parler ; le fait que la loi fût devenue silencieuse sur ces « études » ne les faisait pas ipso facto entrer dans le champ des « recherches impliquant la personne humaine », sauf à ne prendre en considération que les seuls embryons implantés et à condition de les considérer comme des « appendices » de la femme enceinte, sujet juridique de la recherche.

Le décret du 11 février 2005 pris pour l’application de la loi du 6 août 2013 a retenu cette perspective. La notice dont il est assorti ([300]) indique de façon assez sibylline : « […] en conséquence de la suppression du régime spécifique [des études sur l’embryon], les recherches cliniques conduites dans les conditions de prise en charge d’un couple recourant à l’assistance médicale à la procréation sont soumises aux dispositions du code de la santé publique applicables aux recherches organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ; le décret précise que des recherches biomédicales ne peuvent porter sur l’embryon in vitro ou les gamètes destinés à constituer un embryon. […] » Pourtant, contredisant sa notice, le décret prévoit que certaines recherches ([301]) « peuvent être menées sur les gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant son transfert à des fins de gestation ».

Cet édifice n’était donc pas sans quelque fragilité juridique, tant était peu évident le fondement législatif des recherches ainsi prévues par décret sur les gamètes et l’embryon avant implantation. C’est d’ailleurs ce qui ressort de l’explication, par le Gouvernement, du rétablissement d’un régime spécifique à de telles « recherches biomédicales » : « L’objet de cet amendement est d’introduire, à la demande du Conseil d’État, une base légale afin que les recherches en assistance médicale à la procréation puissent être poursuivies avec les garanties de la recherche biomédicale. » ([302]) Le rapport établi lors de l’examen du projet de loi en première lecture par le Sénat a précisé à cet égard que « Ces recherches, qui ne sont actuellement pas autorisées, ont donné lieu à des contentieux. » ([303]) Il résulte de la loi adoptée que des recherches biomédicales sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation sont désormais possibles et qu’elles sont considérées comme des « recherches impliquant la personne humaine ».

B.   Le cadre actuel des recherches portant sur l’embryon

1.   Deux régimes différents selon la destination de l’embryon

Depuis 2016, la recherche sur l’embryon est donc soumise à deux régimes différents :

– lorsque l’embryon n’est plus inscrit dans un projet parental et qu’il a été donné par le couple à la recherche, celle-ci est organisée par le titre V du livre Ier de la deuxième partie du code de la santé publique, plus précisément les quatre premiers paragraphes de l’article L. 2151-5 ; la recherche est exclusivement conduite sur des embryons in vitro, requiert une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine et s’achève par la destruction des embryons ;

– lorsque l’embryon est inscrit dans un projet parental, la recherche est organisée par le dernier paragraphe de l’article L. 2151-5 ; il s’agit de « recherches biomédicales menées dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation », qui peuvent être conduites – comme dit précédemment – sur les gamètes destinés à constituer un embryon ou sur l’embryon in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation – cette dernière expression exclut tout protocole de recherche biomédicale in utero portant sur un embryon ne résultant pas d’une FIV ; la procédure applicable est celle du régime général des « recherches impliquant la personne humaine », fixé par le titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique ; elle requiert notamment une autorisation délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’avis d’un comité de protection des personnes (CPP) ; l’embryon ne pouvant lui-même consentir à la recherche, le consentement requis est évidemment exprimé par le couple.

Cette dualité ne va pas de soi et elle a d’ailleurs été critiquée.

 La première critique porte sur ses inconvénients pratiques. Le comité d’éthique de l’Inserm en a synthétisé les principaux arguments à l’issue des réflexions conduites par un groupe de travail ad hoc en 2015 ([304]).

Tout d’abord, le régime des recherches biomédicales confie à l’ANSM, et non à l’ABM, le soin de délivrer les autorisations. Cette situation n’est pas souhaitable, la première n’ayant pas « d’expertise en matière d’AMP ».

Le comité d’éthique de l’INSERM s’interroge également sur la complexité du dispositif, « source parfois d’ambiguïtés pour les praticiens et les chercheurs », et doute de sa pertinence à « répondre de manière satisfaisante à l’ensemble des questions scientifiques et éthiques posées par la recherche sur l’embryon humain in vitro ». Il souligne à cet égard la concomitance de « deux types d’évaluation éthique différentes » relevant de l’ABM pour les recherches impliquant la destruction d’embryons, et des comités de protection des personnes pour les recherches biomédicales.

Enfin, rappelant sa position sur le statut de l’embryon et sa finalité, le comité d’éthique souligne que les projets de recherche peuvent voir coexister plusieurs situations qui relèvent de décisions prises ou à prendre par le couple inscrit dans un parcours d’AMP : « les “soins” qui sont accordés [à l’embryon] pendant son séjour in vitro » et l’éventuel transfert d’un ou plusieurs embryons in utero pour déclencher une grossesse. Cet imbroglio se complexifie dans le cadre d’une FIV aboutissant à la création d’embryons surnuméraires qui ne peuvent tous être transférables, et qui sont susceptibles d’être détruits parce que cédés par le couple à des fins de recherche.

Au regard de ces arguments, le comité d’éthique de l’Inserm concluait à la nécessité d’instaurer un régime d’autorisation unique, délivrée par l’ABM et assortie le cas échéant d’un avis de l’ANSM lorsque les recherches impliquent des produits de santé.

Pour des raisons analogues, Mme Dominique Thouvenin a plaidé devant la mission pour remettre de la cohérence dans l’encadrement de la recherche, en privilégiant la distinction entre personne humaine et embryon. Un mélange inopportun subsiste entre « les règles impliquant les personnes humaines qui sont […] vivantes, et celles qui s’appliquent à l’embryon » ([305]).

Le rapporteur souligne enfin que le régime des recherches impliquant la personne humaine oblige le promoteur d’une telle recherche à « assume[r] l’indemnisation des conséquences dommageables de la recherche impliquant la personne humaine pour la personne qui s’y prête et celle de ses ayants droit […] » et qu’à cette fin, toute recherche exige « la souscription préalable, par son promoteur, d’une assurance garantissant sa responsabilité civile […] et celle de tout intervenant » ([306]). La réticence des assureurs à s’engager sur la couverture du risque associé à des recherches biomédicales effectuées dans le cadre de l’AMP pourrait être un facteur limitant du développement de ces recherches.

 La seconde critique, beaucoup plus essentielle, porte sur le fait même d’autoriser des recherches sur des embryons destinés à être implantés et, si la grossesse va à son terme, à donner naissance à des êtres humains.

Sans remettre en question la pertinence de la recherche sur les embryons, M. Jacques Testart analyse cette évolution comme une étape supplémentaire de la « réification de l’embryon humain » ([307]). Il a souligné lors de son audition que la recherche est aujourd’hui « freinée par l’impossibilité de connaître la viabilité et la normalité ultérieures des embryons qui ont été soumis à des études ou à des manipulations, ce qui n’est actuellement possible que chez l’animal ». La possibilité de transférer in utero l’embryon humain ayant fait l’objet de recherches biomédicales permettrait de contourner cet obstacle sous couvert d’une « considération compassionnelle », les recherches étant « qualifiées de soins » apportés au bénéficie de l’embryon.

Le rapporteur ne partage pas ce point de vue et rappelle l’importance de ces recherches au regard des bénéfices qu’elles peuvent apporter à l’embryon lui-même et à l’humanité. Même lorsqu’elles sont « invasives » – et à plus forte raison lorsqu’elles sont observationnelles –, ces recherches n’aboutissent pas systématiquement à la destruction de l’embryon mais aussi à son transfert à fin de gestation. Elles visent également à améliorer les techniques d’AMP et permettent de réduire la création d’embryons surnuméraires, concourant ainsi à dépasser les interrogations éthiques portant sur leur abandon pour défaut de projet parental. Elles bénéficient directement à l’embryon puisqu’elles permettent de sécuriser les conditions de son développement in utero ainsi que sa viabilité : qui pourrait sérieusement prétendre que l’on voudrait mener des recherches pour mettre au monde des enfants non viables ?

En outre, la dualité des régimes juridiques, selon que l’on se situe ou non dans le cadre d’un projet parental, ouvre une souplesse utile à la recherche sur les gamètes. L’interdiction de certaines manipulations sur les embryons ou les cellules germinales revêt un sens lorsque la recherche porte sur un embryon destiné à faire l’objet d’un transfert in utero ; c’est bien moins certain lorsque la même recherche implique un embryon qui a vocation à être détruit.

À l’instar de l’étude du Conseil d’État publiée en juin 2018, le rapporteur ajoute que l’application à l’embryon du régime des recherches impliquant la personne humaine a été validée par le Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité réalisé a priori ([308]). Cette décision souligne que les essais cliniques sont réalisés au bénéfice de l’embryon et qu’ils ne présentent pas un risque disproportionné au regard des bénéfices attendus.

Effectivement, les essais cliniques s’avancent dans trois directions identifiées par le comité d’éthique de l’Inserm ([309]) :

– « la mise au point ou l’amélioration des techniques utilisées pour le développement et/ou la conservation des embryons in vitro ». L’implantation dans l’utérus permet à cet effet d’évaluer l’efficacité de la technique et d’en limiter les effets indésirables ;

– « l’identification de marqueurs permettant de distinguer les embryons ayant les meilleures chances de conduire à la naissance d’un enfant en bonne santé ». La note de l’Inserm souligne que ces recherches sont guidées par le souci d’identifier les embryons « qui doivent être transférés en priorité, afin de donner les meilleures chances au projet parental de se réaliser », dans le cadre d’une fécondation in vitro. Plusieurs méthodes sont utilisées, depuis l’étude observationnelle jusqu’aux pratiques invasives mais qui ne portent pas atteinte à l’intégrité de l’embryon. Se référant à la possibilité de séquencer la totalité du génome « à partir de biopsies prélevées sur des embryons humains, cinq jours après une FIV », la note indique qu’« à la différence du DPI qui cherche à identifier une anomalie présente chez l’un et/ou l’autre des embryons, pour éviter son développement, l’analyse ici menée cherche à sélectionner les embryons ayant les meilleures capacités de développement » ;

– la thérapie « embryonnaire ». Cette recherche vise à « agir sur l’embryon in vitro afin d’augmenter les chances qu’il conduise à la naissance d’un enfant en bonne santé quand il est transféré à fin de gestation ». Il peut s’agir d’intervention sur l’embryon « pour corriger un défaut dont il est porteur ». La note relève que certains embryons contiennent trois pronuclei ([310]) au lieu de deux : l’intervention consiste alors à restaurer la « diploïdie » ([311]) en ôtant le pronucleus supplémentaire ;

2.   Un édifice juridique qui maintient des interdits

Les limites fixées aux recherches sur l’embryon ne varient pas seulement selon la finalité qui lui est donnée (projet parental, destruction après recherche ou simple destruction) : elles sont soumises à des interdits de portée plus générale, si fondamentaux qu’ils ont été inscrits dans le code civil car ils touchent aux droits de la personne.

Le législateur a ainsi prohibé les pratiques susceptibles de porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine, dont le principe est réaffirmé par le premier alinéa de l’article 16-4 du code civil : « Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. »

Il découle de cette règle primordiale trois autres interdits, qui ont d’ailleurs inspiré le droit international, particulièrement la convention d’Oviedo précitée.

 Le deuxième alinéa de l’article 16-4 prohibe les pratiques eugéniques « tendant à l’organisation de la sélection des personnes ». On renverra notamment aux développements portant sur l’eugénisme dans la partie relative à la médecine génomique.

 Le troisième alinéa de l’article 16-4 interdit les interventions « ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ». Est ici visé le clonage reproductif, qui concerne tant le clonage intergénérationnel que le clonage gémellaire, voire multiple. L’article L. 2151‑1 du code de la santé publique, qui s’insère dans le titre consacré à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, formule la même interdiction.

Il faut noter que le code de la santé publique édicte d’autres interdictions en matière de clonage :

– l’article L. 2151-4 interdit « toute constitution par clonage d’un embryon humain à des fins thérapeutiques ». Cette pratique consiste à créer un embryon par transfert de noyau ([312]) puis à en extraire des cellules souches destinées à la recherche. Elle repose sur la création d’embryons destinés à être détruits. Pratique fortement médiatisée à la suite du clonage de la brebis Dolly en 1996 à partir d’une cellule adulte, cette technique n’a pas produit de résultats manifestes et elle d’ailleurs prohibée par la convention d’Oviedo, en ce qu’elle implique la constitution d’embryons à des fins scientifiques

– les articles L. 2151-2 et L. 2151-3 prohibent tout clonage d’embryon à des fins de recherche, commerciale ou industrielle.

Par ailleurs, l’article L. 2151-2 interdit la création d’embryons transgéniques et chimériques. Ces notions couvrent deux réalités distinctes.

L’embryon transgénique se caractérise par un génome partiellement modifié au sein duquel ont été intégrées une ou plusieurs séquences d’ADN exogène, c’est-à-dire n’appartenant pas à l’embryon lui-même. Ces séquences d’ADN peuvent être d’origine animale ou humaine.

L’embryon chimérique comporte des cellules d’origine différente mais sans qu’il y ait mélange des matériels génétiques. On distingue ainsi les embryons dans lesquels ont été introduits des cellules pluripotentes exogènes des « cybrides » ([313]) qui « sont des embryons créés en introduisant le noyau d’une cellule somatique humaine dans un ovocyte animal ».

En raison de leur caractère transgressif, ces deux techniques ont été interdites par la loi du 7 juillet 2011.

L’enjeu des embryons chimériques

Le terme « embryon chimérique » recouvre plusieurs notions. Un embryon chimérique se définit comme contenant au moins deux populations de cellules génétiquement distinctes. Il peut donc s’agir d’un embryon humain auquel auraient été ajoutées des cellules animales ou humaines, ou d’un embryon animal auquel auraient été ajoutées des cellules de la même espèce, d’une autre espèce animale ou des cellules humaines.

Selon l’Agence de la biomédecine, chacune de ces catégories relève de problématiques différentes.

Au Royaume-Uni, des discussions ont notamment été menées concernant :

– les expériences menées à partir d’embryons humains ;

– les expériences menées à partir d’embryons animaux ;

– le pourcentage de cellules humaines / animales ajoutées dans l’embryon d’origine ;

– la durée de culture in vitro de l’embryon chimérique (stade de développement) ;

– la possibilité de transférer ces embryons en vue d’une gestation et jusqu’à quel stade.

L’Agence de la biomédecine souligne qu’une telle discussion n’a jamais été menée en France et relève par ailleurs que la terminologie actuellement utilisée dans la loi est ambigüe et peut être interprétée de façon très restrictive.

Source : réponse de l’Agence de la biomédecine aux questions posées par le rapporteur.

 Enfin, le quatrième alinéa de l’article 16-4 du code civil proscrit les transformations apportées « aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». Cette disposition vise l’interdiction de la thérapie génique germinale.

La thérapie génique est une technique médicale qui permet d’insérer du matériel génétique dans un organisme vivant. Elle a tout d’abord cherché à remédier à des anomalies génétiques en palliant l’insuffisance d’un gène malade. Ses applications se sont aujourd’hui étendues à l’édition génomique, qui consiste à éliminer ou réparer un gène directement dans la cellule. L’Inserm rappelle que plusieurs outils existent, tels que « les nucléases à doigt de zinc, les TALEN et surtout les outils CRISPR » ([314]). La découverte remarquable du dispositif CRISPR-Cas9, par Mmes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, a ouvert des possibilités considérables d’action précise sur les gènes des cellules de toutes les espèces, y compris l’espèce humaine. Enfin, la thérapie génique consiste aussi à modifier l’acide ribonucléique (ARN) pour rendre une protéine tout à fait fonctionnelle. L’ARN est une molécule, synthétisée à partir d’une partie de l’ADN dont il est une copie, et dont l’un des rôles consiste à véhiculer vers les ribosomes, organites cellulaires produisant des protéines, l’information génétique portée par les gènes codant ces protéines.

On distingue deux types de thérapie génique selon la portée des modifications qu’elle induit :

– la thérapie génique somatique consiste à modifier le « capital génétique concernant seulement des cellules non reproductrices de l’organisme, qui n’atteindrait qu’un organe ou qu’un système cellulaire » ([315]).

– la thérapie génique germinale est la « modification du capital génétique des cellules reproductives (ovocytes et spermatozoïdes et leurs précurseurs), qui aurait pour conséquences une modification du génome de tout l’individu » ([316]) et de sa descendance.

Dans son avis n° 22 consacré à la thérapie génique ([317]), le CCNE avait proposé l’interdiction de la thérapie génique germinale.

Le CCNE a au contraire approuvé le recours à la thérapie génique somatique moyennant quelques limites : elle doit ne viser que la correction d’un défaut génétique spécifique conduisant à une pathologie grave, et exclure toute modification des caractères génétiques généraux physiques (par exemple la taille) ou psychiques (le comportement).

3.   Le régime des recherches sur les embryons non implantés

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique définit le cadre dans lequel les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires doivent s’insérer. L’autorisation accordée aux protocoles de recherche est délivrée par l’Agence de la biomédecine pour une durée maximale de cinq ans sur la base du respect de quatre critères.

i.   Trois critères sont de nature scientifique

Le rapporteur souligne en préalable que l’assouplissement progressif des critères depuis les premières lois de bioéthique, qui permet d’ouvrir aux recherches un champ plus large, ne peut se comprendre qu’au regard du renversement de la logique gouvernant l’encadrement juridique : dans un régime d’interdiction avec dérogations, les exceptions à l’interdit ne peuvent être admises qu’en s’appuyant des arguments précis et étayés nécessairement reliés à des exigences juridiques précises. Dans un régime d’autorisation, ces exigences ne revêtent pas la même portée.

De plus, l’interdiction préalable a dissuadé certains programmes de recherche et certains chercheurs, qui n’ont pas persévéré dans cette voie ou sont allés dans d’autres pays. La place de la France dans cette discipline a quelque peu régressé de ce fait.

 Le premier critère a trait à la « pertinence scientifique » du projet : il ne fait l’objet d’aucune précision d’ordre réglementaire.

 Le second critère oblige la recherche, « fondamentale ou appliquée », à s’inscrire « dans une finalité médicale » depuis la loi du 6 août 2013.

En 2004, la condition posée était que les recherches devaient permettre des « progrès thérapeutiques majeurs ». Étaient susceptibles d’y satisfaire les recherches poursuivant une « visée thérapeutique pour le traitement de maladies particulièrement graves ou incurables, ainsi que le traitement des affections de l’embryon ou du fœtus » ([318]).

En 2011, le législateur a choisi d’élargir le domaine des recherches en imposant qu’un projet soit susceptible de permettre des « progrès médicaux majeurs ». Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT) avait souligné la nature restrictive du caractère « thérapeutique » en relevant qu’une telle visée n’admettait pas les recherches à visée cognitive, insusceptibles dans un premier temps de conduire à des progrès thérapeutiques ([319]). Le même rapport dénonçait aussi l’attitude consistant « à laisser croire à des progrès thérapeutiques majeurs », même au stade de l’essai clinique, pour les recherches sur les cellules souches, et concluait à la nécessité de ne pas susciter des espoirs parfois insuffisamment étayés.

Le critère « thérapeutique » pouvant faire obstacle au développement de la recherche fondamentale, la loi de 2011 a mis en avant la notion de « progrès médicaux majeurs ». Les travaux parlementaires rappellent les motifs de cette substitution : l’exposé des motifs du projet de loi souligne que la substitution vise à « inclure le diagnostic et la prévention » ; le rapport établi par M. Jean Leonetti ([320]) souligne que la directrice générale de l’Agence de la biomédecine avait indiqué « lors de son audition en date du 1er décembre 2010, qu’elle considérait que le terme “médical” » englobe « ce qui relève du diagnostic, du soin, et plus globalement, de l’ensemble de la clinique ». C’est d’ailleurs cette perspective qui était retenue par l’article R. 2151-1 du code de la santé publique ([321])

La substitution du critère « médical » au critère « thérapeutique » semble avoir aussi été motivée pour lever les blocages constatés lors de « “la soumission de projets très fondamentaux”, dont on ne peut anticiper leur application dans la mise au point de thérapie » ([322]). Les travaux parlementaires lors de l’examen du texte en première lecture évoquent aussi « la possibilité de tester sur des cellules souches embryonnaires de nouvelles molécules par le criblage à haut débit dit “screening » ([323]). La même source indique, dans une note de bas de page, que « le rapport au Premier ministre de M. Pierre-Louis Fagniez, député du Val-de-Marne, relatif “aux cellules souches et choix éthiques” (2006), indique ainsi clairement que “la pharmacologie utilisant des cellules souches pour ses recherches n’agirait pas directement à des fins thérapeutiques ».

Le rapporteur rappelle qu’en dépit des critiques formulées par l’OPESCT, pour qui « la qualité d’une découverte se mesure au degré de surprise qu’elle provoque », l’exigence portant sur le caractère « majeur » du progrès espéré a néanmoins été maintenue.

La loi du 6 août 2013 a posé la formulation du critère qui prévaut aujourd’hui, à savoir la notion de « finalité médicale ». Celle-ci n’était pas inconnue du législateur : elle avait été mise en avant par le rapport de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique présidée par M. Alain Claeys ; les travaux parlementaires rappelaient également que le projet de loi relatif à la bioéthique déposé en 2001 avait retenu la notion de « fin médicale », que M. Alain Claeys, rapporteur du projet en première lecture avait ainsi explicitée : cette notion « englobe et dépasse celle de “finalité thérapeutique” puisqu’elle englobe non seulement le but de soigner ou de traiter la maladie mais aussi celui de la prévenir ou de la diagnostiquer. » ([324])

 Le troisième critère impose qu’« en l’état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires ».

En 2004, le législateur avait posé comme condition incontournable la démonstration de l’absence de méthodes alternatives ([325]).

En 2011, le législateur a retenu comme critère l’impossibilité de « parvenir au résultat escompté par le biais d’une recherche ne recourant pas à des embryons humains, des cellules souches embryonnaires ou des lignées de cellules souches ». Il souhaitait cependant toujours promouvoir les recherches alternatives : « les recherches alternatives à celles sur l’embryon humain et conformes à l’éthique doivent être favorisées. »

La loi du 6 août 2013 ne fait plus aucune référence aux méthodes alternatives et acte la nécessité de mener de front les recherches sur les cellules souches embryonnaires, riches en promesses, en complément et non en substitution des méthodes alternatives. Les travaux parlementaires mentionnent « les problèmes éthiques majeurs » posés par « les cellules adultes reprogrammées » justifiant la poursuite des recherches portant sur les cellules souches embryonnaires ([326]).

ii.   Un quatrième critère, de nature éthique, est également posé

Tout projet de recherche – ainsi que « les conditions de mise en œuvre du protocole » – doit respecter les « principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires ». Saisi de la loi du 6 août 2013, le Conseil constitutionnel a affirmé que « le législateur a entendu faire référence aux principes fixés notamment aux articles L. 2151-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs à la conception et à la conservation des embryons fécondés in vitro et aux principes fixés notamment aux articles 16 et suivants du code civil et L. 1211-1 et suivants du code de la santé publique, relatifs au respect du corps humain » ([327]).

Dans son ouvrage précité, M. Jean-René Binet en déduit que les principes applicables sont finalement « la gratuité, le consentement, l’anonymat ».

iii.   Le consentement du couple parental à la recherche est nécessaire en tout état de cause

Le consentement du couple à la recherche est également prévu par l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, étant précisé que les recherches ne portent que sur les embryons surnuméraires, c’est-à-dire ceux qui ne font plus l’objet d’un projet parental.

Le consentement est donné par écrit après que le couple a été dûment informé des autres finalités prévues par le législateur pour les embryons surnuméraires (don à un autre couple ou destruction). Le consentement est réitéré dans un délai de trois mois, afin de permettre au couple une réflexion supplémentaire, et demeure révocable « sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté ».

II.   une nÉcessaire Évolution du cadre lÉgislatif

A.   Le développement de la recherche sur l’embryon, un enjeu fort pour l’attractivité de la recherche et pour la santé publique

Plusieurs motifs justifient une évolution du cadre juridique de la recherche sur les embryons.

Le maintien de l’attractivité des activités de recherche est sans nul doute un argument déterminant. C’est d’ailleurs pour cette raison que le régime est passé d’une interdiction de principe, avec dérogations, à une autorisation encadrée. M. Jean Léonetti, rapporteur du projet de loi de la précédente révision, n’occulte pas cet aspect même s’il en relativise la portée. Il écrivait alors que « si elles ne doivent naturellement pas être ignorées, les considérations économiques de l’industrie pharmaceutique, la crainte de connaître une fuite des cerveaux à l’étranger ou de prendre du retard dans la compétition scientifique internationale, ne sauraient toutefois être un argument pour affaiblir des principes éthiques forts et légitimer tout type de recherche sur l’embryon. » ([328])

Cet intérêt ne saurait se réduire à l’économie et au marché. Il est aussi motivé par une finalité médicale : soigner des gens en éliminant des maladies graves dont l’origine est génétique ou en développant la médecine régénérative et la thérapie cellulaire. M. Marc Peschanski, auditionné par la mission, a fort bien résumé ces enjeux en soulignant que « susceptibles d’être orientées vers n’importe quel phénotype cellulaire, [les cellules souches embryonnaires constituent] pour la recherche translationnelle, tournée vers la mise au point d’outils thérapeutiques et la médecine, un matériau biologique exceptionnel sans aucun équivalent » ([329]).

B.   plusieurs directions devraient être privilégiées

Dans ce contexte, plusieurs pistes paraissent devoir être privilégiées, qui concernent tant la recherche sur l’embryon que la recherche sur les cellules souches embryonnaires et leurs lignées et, sous réserve d’une approche internationale, une ouverture prudente de la recherche sur les chimères.

1.   L’allongement de la durée de culture de l’embryon

La question de l’allongement de la durée maximale de culture des embryons faisant l’objet d’une recherche nécessite de faire œuvre de pédagogie.

Le développement de l’être humain fait se succéder deux périodes distinctes : la phase embryonnaire commence au moment de la fécondation et durerait 8 semaines ; elle correspond à la formation tout à fait initiale des organes. La phase fœtale lui succède et elle comporte le développement beaucoup plus avancé de l’ensemble des organes.

Si le code de la santé publique proscrit formellement la création de l’embryon aux fins de recherche ([330]), il est en revanche possible de conduire des recherches à partir d’embryons surnuméraires qui ne font plus l’objet d’un projet parental. Le rapporteur insiste sur le fait que ces embryons surnuméraires, s’ils n’étaient ni cédés à la recherche par le couple ni destinés par lui à être accueillis par un autre couple, seraient détruits dans un délai de cinq ans, durée maximale de conservation fixée par l’article L. 2141-4 du code de la santé publique.

À l’heure actuelle, les embryons issus d’une FIV sont mis en culture pour une durée n’excédant pas 7 jours, comme le rappelle le rapport de l’Agence de la biomédecine sur l’application de la loi de bioéthique rendu public en janvier 2018. Cette durée n’a pas été fixée par la loi mais résulte d’une recommandation du CCNE, qui la justifie par la « différence entre le stade pré-implantatoire et le stade où l’embryon sera devenu capable, s’il est transféré, de s’implanter dans le corps de sa mère » ([331]). Cette durée correspondait aussi aux limites techniques des cultures d’embryon in vitro au moment où le CCNE a formulé cette recommandation. En théorie, rien n’interdit d’effectuer une recherche au-delà ce délai de 7 jours. C’est précisément ce que souligne l’avis précité du CCNE.

Deux circonstances peuvent amener le législateur à s’interroger sur l’opportunité de fixer une durée maximale et sur l’allongement éventuel de cette durée par rapport aux sept jours actuellement pratiqués.

Le rapport précité de l’Agence de la biomédecine ainsi que les chercheurs auditionnés par la mission d’information ont fait part de récentes découvertes en Grande‑Bretagne et aux États-Unis qui permettent de porter la durée de culture à 14 jours.

Lors de son audition ([332]), M. Laurent David a d’ailleurs souhaité que la recherche ne soit pas bridée, puisqu’elle ne porte que sur des embryons n’ayant pas vocation à être transférés in utero. Une discussion s’est même ouverte sur l’opportunité de cultiver les embryons au-delà 14 jours si les techniques le permettaient. Une telle idée doit être regardée avec circonspection. On ne peut en effet exclure que de telles recherches soient fragilisées par l’absence de critère légal, leur sort pouvant être alors menacé en cas de contentieux. C’est pourquoi l’étude du Conseil d’État appelle le législateur à fixer une durée maximale de culture des embryons – bien qu’elle ne se prononce pas sur le quantum de temps qui serait le plus pertinent. Une durée légalement fixée éviterait de faire peser sur l’ABM et, en cas de recours, sur le juge administratif, la responsabilité d’avoir à se prononcer sur un tel grief s’il était soulevé à l’instance.

Au Royaume-Uni, la recherche est autorisée pour une durée de 14 jours, cette durée correspondant au début de la différenciation de l’embryon : c’est à compter de ce moment que s’initie la formation du système nerveux. Cette limite aurait été initialement recommandée par le Conseil consultatif sur l’éthique du ministère de la santé des États-Unis dans un rapport de 1979.

L’allongement de 7 à 14 jours de la durée maximale de culture est motivé par la possibilité ainsi offerte de comprendre le développement des modèles cellulaires issus de la deuxième semaine de développement. Il est nécessaire de pousser les recherches lorsque les cellules commencent à se différencier pour mieux comprendre leur évolution. Or, rappelait M. Laurent David, il est nécessaire d’accéder à ce qui se passe ensuite afin de proposer des thérapies cellulaires effectives comme la production de « cellules de foie destinées à être injectées à des patients souffrant d’insuffisance hépatique aigüe et en état de surdose de paracétamol » ([333]).

La recherche sur l’embryon est primordiale pour les scientifiques. Lors de son audition commune par la commission des lois et la commission des affaires sociales, le Pr Alain Fischer soulignait qu’elle permet de « s’interroger sur les étapes du développement en ce qu’elles concernent tous [ses] tissus » et qu’en tout état de cause, s’il est possible de conduire des travaux sur les mammifères, les recherches sur l’embryon humain se justifient en raison des « spécificités chez l’homme » ([334]). L’étude du Conseil d’État évoque, quant à elle, un allongement motivé par la volonté de « mieux connaître la dynamique de l’embryogénèse et les pathologies de l’implantation en les étudiant in vitro ». Pour reprendre les termes du Pr Fischer, « ces recherches sont pertinentes, ont un intérêt cognitif et, potentiellement, un intérêt médical » ([335]).

Le rapporteur souscrit à l’idée de permettre un allongement de la durée de culture de l’embryon sur lequel sont effectuées des recherches. En revanche, il estime qu’une limite de 14 jours apparaît aussi arbitraire que la durée de 7 jours préconisée par le CCNE. Rien n’interdirait de retenir une durée quelque peu supérieure pour autant qu’une justification scientifique existe et que, bien sûr, l’embryon en question ne soit pas dévolu à une progression jusqu’au stade fœtal.

Proposition n° 15 Autoriser un allongement de la durée de culture de l’embryon sur lequel sont effectuées des recherches.

2.   La recherche sur les cellules souches embryonnaires

Les cellules souches se caractérisent par des propriétés de différenciation multiple et d’autorenouvellement. Leur étude permet d’envisager des techniques de soins procédant de la médecine régénérative : on peut ainsi espérer régénérer des tissus et des organes des patients. Lors de son audition, M. Marc Peschanski a ainsi souligné qu’ « en mars 2017, une équipe de chercheurs anglais […] a permis à deux patients atteints de cécité, à la suite d’une accélération brutale d’une dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), de retrouver la vue » ([336]).

La recherche sur ces cellules souches a longtemps été freinée en France, d’où un retard progressivement constitué par rapport aux pays les plus avancés dans ce domaine. Aujourd’hui autorisée, sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine, la recherche se heurte à des procédures judiciaires très fréquentes, en particulier venant de la Fondation Jérôme Lejeune. Il en résulte des ralentissements et des frais supplémentaires, même si la plupart de ces procédures ne débouchent naturellement pas sur des interdits.

Pour le rapporteur, ce domaine est assez symptomatique de la bioéthique à la française. Au début sont essentiellement formulés des interdits, souvent plus par prudence que pour de véritables raisons de respect de certaines valeurs humaines. Puis, avec la progression des connaissances, lorsqu’est acquise la certitude que l’on ne s’aventure pas dans une direction non maîtrisée tels des apprentis sorciers, il devient possible de soulever progressivement le voile des interdits. Quelques personnes tentent alors de mettre des obstacles à l’application des lois révisées.

a.   Les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes reprogrammées : des instruments prometteurs

Plusieurs types de cellules souches existent, en particulier les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes.

Parmi les cellules souches embryonnaires, on distingue les cellules totipotentes des cellules pluripotentes. Alors que les premières ont la capacité de se différencier et de se structurer pour constituer un individu – y compris pour donner les cellules constitutives du placenta et du cordon ombilical – les secondes peuvent se différencier pour former tous les tissus de l’organisme sans toutefois se structurer de façon à construire un organisme. En d’autres termes, le clonage reproductif est possible avec les premières mais pas avec les secondes.

Les cellules souches totipotentes se développent depuis l’ovule fécondé jusqu’à 4 jours après la fécondation. Au cinquième jour de développement, elles laissent place au blastocyste, dont la caractéristique est de pouvoir se développer dans l’utérus, qui comprend deux catégories de cellules différenciées : les cellules externes qui ont vocation à produire le placenta et le cordon ombilical, et les cellules de la masse interne que, par commodité, on dénomme cellules souches embryonnaires mais qui ne sont que pluripotentes.

Les recherches actuelles portent sur les cellules souches embryonnaires pluripotentes qui se distinguent par leur capacité à produire, lors de leur différenciation, n’importe quel type cellulaire, y compris les cellules germinales. Lors de l’audition précitée, le Pr Fischer soulignait ainsi que « ces cellules, qu’on peut maintenir indéfiniment en culture, peuvent être différenciées in vitro à peu près dans tous les tissus et sont donc un outil très important de la recherche sur le développement de l’embryon humain et au-delà, des différentes lignées cellulaires » ([337]).

Les cellules souches embryonnaires utilisées pour la recherche proviennent majoritairement d’embryons qui sont détruits.

Les cellules souches adultes, quant à elles, sont présentes dans la majorité des tissus mais en faible quantité. Leur potentiel scientifique et thérapeutique est restreint car elles sont que multipotentes : elles sont capables de s’autorenouveler mais si elles permettent d’engendrer plusieurs types de cellules, elles ne peuvent les produire toutes : elles restent « spécialisées ». De plus, elles sont en général difficiles d’accès.

Cependant d’importantes recherches menées au Japon avaient fait croire à certains (mais pas à leur auteur, le prix Nobel Shinya Yamanaka, plus prudent) que l’on pourrait se passer des cellules souches embryonnaires et contourner ainsi l’obstacle éthique de la destruction de l’embryon. Elles avaient montré, en 2006, qu’il est possible de reprogrammer en cellules souches des cellules adultes en réactivant l’expression des gènes associés à la pluripotence grâce à une manipulation génétique de ces cellules. On parle de cellules souches pluripotentes induites ou cellules iPS (induced pluripotent stem cells). On sait aujourd’hui que presque toute cellule de l’organisme peut être reprogrammée, y compris les cellules sanguines, très faciles d’accès.

Les cellules iPS jouissent donc de deux des propriétés des cellules souches embryonnaires : l’autorenouvellement indéfini et la possible différenciation vers de multiples voies tissulaires.

b.   Les recherches portant sur ces deux types de cellules sont complémentaires et non concurrentes

La majorité des chercheurs auditionnés s’accordent à penser que les recherches menées sur l’une ou l’autre des catégories de cellules souches sont très complémentaires, parce que ces cellules ne sont pas exactement équivalentes.

Le Pr Alain Fischer souligne ainsi qu’« assez souvent dans le débat, on considère un peu rapidement que les cellules souches embryonnaires issues d’un embryon et les cellules souches pluripotentes sont équivalentes. Elles ont en effet énormément de points de commun. Mais elles ont des différences. Les cellules souches pluripotentes ont un programme épigénétique de reprogrammation de la façon dont les gènes sont commandés et régulés qui n’est pas tout à fait stable ni physiologique – c’est en soi un sujet de recherche extrêmement important, si de telles cellules devaient être utilisées un jour dans un usage thérapeutique. Ce sont donc deux sources de cellules de grand intérêt en recherche, comparables mais non identiques » ([338]).

Sans méconnaître ces différences, le Pr Alain Privat défend néanmoins le point de vue que les cellules iPS seraient un modèle cellulaire permettant d’obtenir les mêmes avancées scientifiques et médicales que celles recherchées avec les cellules souches embryonnaires : « je pense qu’actuellement, nous disposons d’outils qui ne nécessitent pas d’avoir recours à des embryons humains ou aux cellules souches embryonnaires humaines pour mener des recherches. […] Selon moi, la rédaction des lois actuelles permet de poursuivre les recherches dans d’excellentes conditions, avec des modèles tout à fait appropriés, qu’il s’agisse de l’embryon ou des cellules souches. » ([339])

Cependant, les autres intervenants de la table ronde consacrée à la recherche sur l’embryon et les cellules souches ont affirmé à plusieurs reprises que les cellules souches embryonnaires humaines restent le gold standard permettant d’évaluer l’efficacité des cellules pluripotentes induites. Ceci amène certains chercheurs à s’interroger sur les critères actuellement retenus par le législateur pour autoriser les recherches. Le code de la santé publique prévoit de n’autoriser ces recherches que si elles ne peuvent pas être menées sans recourir à ces cellules souches embryonnaires. Fondée ou non, l’alternative que représenteraient les cellules iPS est invoquée par certains pour contester les recherches impliquant des cellules embryonnaires. En insistant sur le fait que les progrès en matière de cellules iPS ne pourront être probants que si l’on est en capacité de comparer celles-ci aux cellules souches embryonnaires, pour un panel de recherches étendues, les chercheurs entendus par la mission d’information ont implicitement suggéré que le fait de pouvoir autoriser seulement les recherches qui ne peuvent être menées « sans recourir à ces cellules embryonnaires » mérite d’être revisité.

Au demeurant, le recours aux cellules iPS n’est pas plus exempt d’interrogations éthiques que l’usage des cellules souches embryonnaires. En effet, d’une part ce sont des cellules génétiquement modifiées, et d’autre part, elles peuvent être sources de gamètes et, partant, d’êtres humains génétiquement modifiés. M. Laurent David disait ainsi qu’il est « possible ou presque de produire des gamètes, des ovules et des spermatozoïdes à partir des IPS » en ajoutant que « si la création d’embryons est interdite, les étapes antérieures ne le sont pas » ([340]).

c.   Le régime des recherches sur les cellules souches embryonnaires pourrait être simplifié

 Les auditions conduites par la mission d’information ont montré le souhait des chercheurs les plus engagés dans les travaux sur les cellules souches embryonnaires (CSEh) d’alléger le faisceau des obligations qui pèsent sur leurs projets.

L’un des principaux enjeux de la révision de la loi de bioéthique consisterait à établir une distinction entre, d’une part, le régime juridique de la recherche sur les embryons et des créations de lignée de CSEh, et, d’autre part, un régime juridique relatif au maintien et à l’utilisation des lignées de cellules souches une fois créées, qui serait plus souple.

La recherche sur les cellules souches nécessite de « dériver » à partir d’une cellule originelle, en tirant profit de sa propriété d’autorenouvellement infini, une lignée de cellules en tous points semblable à elle, qui en sont les copies conformes au plan du matériel génétique. L’embryon duquel on a extrait la cellule originelle peut ainsi donner aux chercheurs des millions, voire des milliards de cellules qui seront utilisées pour de nombreux projets. Si, de l’avis du professeur Fischer, il existerait encore un intérêt à créer de nouvelles lignées de cellules souches, à partir d’un embryon « sain » ou d’un embryon pathologique lorsqu’un diagnostic préimplantatoire de maladie a été établi, M. Marc Pechanski a souligné devant la mission le faible impact de la dérivation de cellules souches en matière d’utilisation d’embryons soustraits à un projet parental. Évoquant les activités de l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des malades monogénétiques (I-Stem), qu’il dirige, il indiquait : « En ce qui nous concerne, la dernière lignée cellulaire obtenue à partir d’un embryon porteur d’une maladie génétique date de 2009 ou 2010. En clair, nous sommes loin de passer notre temps à créer des lignées de cellules souches embryonnaires. »

Il est clair que ces milliards de cellules n’ont plus rien à voir avec l’embryon duquel elles dérivent. C’est ce qui explique la revendication d’un allégement des procédures, pour les projets qui les utilisent. Mme Cécile Martinat a très clairement exposé les arguments qui justifient, à ses yeux, un tel allégement : « Il est aujourd’hui clairement établi que les cellules souches embryonnaires humaines n’ont pas le potentiel d’un embryon entier. Après les avoir extraites de l’embryon originel et les avoir cultivées in vitro, elles sont incapables de former un nouvel embryon. Nous considérons qu’une fois prise la décision de destruction de l’embryon surnuméraire, l’usage fait des cellules qui en sont issues ne relève plus de la problématique de la recherche sur l’embryon. Il nous paraîtrait donc légitime de soumettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines non plus au même régime juridique que l’embryon mais à un simple système déclaratif, comme nous l’avons fait valoir au Comité consultatif national d’éthique (CCNE). » ([341])

Proposition n° 16 Assouplir le régime juridique de la recherche relative au maintien et à l’utilisation des lignées de cellules souches déjà existantes.

 Un autre point d’interrogation concerne le périmètre du régime d’autorisation. Le rapport de l’ABM relatif à l’application de la loi de bioéthique publié en janvier 2018 souligne à cet égard que l’« un des questionnements auxquels l’Agence est confrontée concerne le statut des demandes d’autorisation impliquant la manipulation de CSEh à des fins de connaissances non pas cognitives stricto sensu, mais plutôt technologiques et techniques ». Interrogée sur ce point, l’ABM a bien voulu apporter les précisions suivantes.

L’Agence rappelle que la plupart des protocoles de recherche qu’elle autorise utilisant des cellules souches embryonnaires ont pour objectif le développement de produits de thérapie cellulaire destinés au patient.

De telles recherches, qui comportent plusieurs étapes, peuvent se dérouler sur une durée de 10 à 15 ans, conduisant leurs promoteurs à solliciter auprès de l’ABM un ou plusieurs renouvellements de l’autorisation initiale.

Une fois le produit de thérapie cellulaire obtenu, l’équipe de recherche doit solliciter une autorisation en vue d’un essai clinique, cette fois auprès de l’ANSM. S’agissant de produits impliquant à nouveau des cellules souches embryonnaires, une nouvelle autorisation de l’Agence de la biomédecine est nécessaire, portant sur des études de toxicité et sur la production de lots cliniques dans des normes de qualité compatibles avec une administration chez l’homme. Or l’ABM fait valoir que :

– d’une part, ces deux catégories d’études (toxicité et production des lots cliniques) sont directement rattachables au protocole de recherche princeps, qui a déjà reçu une autorisation de l’Agence ;

– d’autre part, « ces études sont souvent réalisées par des prestataires (généralement, des laboratoires pharmaceutiques) qui ont déjà reçu une accréditation tant pour les bonnes pratiques de laboratoire que de fabrication et qui ne comprennent pas l’obligation de déposer un nouveau dossier auprès de l’Agence ». L’Agence souligne aussi que l’instruction de l’autorisation n’est pas dépourvue d’un risque de « contentieux, qui peut causer un préjudice en termes d’image à ce type d’établissement ayant une activité commerciale ».

L’Agence conclut en recommandant d’envisager la possibilité d’exclure ces études, qui interviennent en amont d’un protocole d’essai clinique, du champ des autorisations qu’elle doit délivrer. Le rapporteur considère qu’une telle simplification est éminemment souhaitable.

Proposition n° 17 Ne plus soumettre à autorisation de l’Agence de la biomédecine les études, impliquant la manipulation de cellules souches embryonnaires, postérieures au protocole princeps précédemment autorisé par l’ABM et directement rattachables à celui-ci.

3.   L’élargissement du champ des recherches

a.   L’édition du génome

L’édition du génome est l’une des voies ouvertes à la recherche sur l’embryon. Cette technique « consiste à ajouter, enlever, modifier une ou quelques bases dans une séquence d’ADN » ([342]).

Elle s’inscrit dans le cadre défini par la convention d’Oviedo. Son article 13 n’interdit pas la modification du génome humain mais l’encadre doublement : elle ne peut être justifiée que par des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques ; elle ne doit pas avoir pour but « d’introduire une modification dans le génome de la descendance ». En d’autres termes, elle ne doit pas avoir pour objet de modifier les cellules germinales. Cet interdit est également rappelé au quatrième alinéa de l’article 16-4 du code civil au terme duquel « sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ».

Cellules germinales et cellules somatiques

Les cellules germinales fabriquent les gamètes qui transmettent le patrimoine génétique de chaque individu à la génération suivante. Toute modification du génome humain intervenant sur des cellules germinales est susceptible d’être transmise à la descendance. Une telle modification peut donc présenter un caractère d’irréversibilité et modifier substantiellement l’espèce humaine.

Les cellules somatiques sont l’ensemble des cellules du corps humain à l’exception des cellules germinales. Si des problèmes éthiques peuvent surgir quant à l’intervention sur les caractéristiques génétiques d’une cellule souche (modification non conforme à la règle définie par la convention d’Oviedo par exemple), les modifications n’emportent toutefois aucune conséquence sur la descendance.

La technique dite CRISPR-Cas9, ou technique du « ciseau moléculaire », est aujourd’hui la plus discutée. Elle permet de modifier très facilement, rapidement, avec des moyens réduits et des outils simples, l’ADN de toute cellule végétale, animale ou humaine.

Cette technique a été développée à partir de l’observation des mécanismes de défense des bactéries contre les infections apportées par les virus. M. François Hirsch expose ainsi que lorsqu’une « bactérie est attaquée par un virus, elle se protège en découpant l’ADN viral et en garde la mémoire en en conservant quelques fragments » ([343]). Ainsi le mécanisme CRISPR agit comme « une sorte de disque dur pour stocker ces fragments » ([344]). À l’occasion d’une nouvelle attaque par le même virus, la bactérie, qui possède déjà l’identité du virus, est susceptible de reconnaître l’ADN viral, grâce à ses « fragments “mémoires” » ([345]) et sollicite l’enzyme Cas qui, tel un ciseau moléculaire, neutralise la menace en découpant et détruisant le virus.

Les techniques permettent aujourd’hui de couper un brin d’ADN codant une pathologie génétique à l’aide d’une enzyme dite Cas-9 pour le supprimer ou permettre son remplacement par une nouvelle séquence. Des recherches ont été effectuées visant à appliquer cette technique à des embryons pour corriger une maladie génétique grave. Un rapport récent du comité international de bioéthique de l’UNESCO ([346]) appelle les États à renoncer à l’idée de légiférer chacun de son côté et invoque le « principe d’une responsabilité mondiale partagée dans le cas de l’ingénierie du génome humain ».

Dans une note établie par son comité d’éthique en février 2016, l’Inserm souligne les enjeux financiers « se chiffrant déjà en centaines de millions d’euros investis » et avertit que « la pression induite par la peur de perdre des parts de marché ne doit pas être un obstacle à l’évaluation éthique des applications de la méthode » ([347]). Depuis janvier 2016, un contentieux oppose plusieurs chercheurs, épaulés par leurs instituts respectifs, afin de déterminer qui possède la propriété industrielle sur les ciseaux moléculaires ([348]).

La note rappelle que des risques techniques restent à maîtriser. Plusieurs effets indésirables portant sur l’édition génomique ont été identifiés, comme les effets hors cible qui consiste en des mutations non désirées : le ciseau moléculaire est « ainsi susceptible de modifier un gène non désiré et important, ou d’insérer le gène souhaité à une mauvaise place où il ne sera pas ou mal exprimé, ou de submerger la machine de réparation de l’ADN ». Des outils sont cependant développés pour éliminer ces risques. La sécurité à long terme de la modification génétique de la cellule est également un motif de préoccupation pour l’Inserm, qui appelle ainsi à une évaluation clinique.

L’essentiel des enjeux éthiques se situe sur le plan des modifications transmissibles de séquences d’ADN, donc de l’action directe sur l’hérédité de certains traits génétiques.

 Le « guidage de gènes » est le premier lieu d’interrogations éthiques. Cette technique permet de « modifier génétiquement (par CRISPR-Cas9) une population d’animaux en forçant un gène modifié à se transmettre » ([349]). Il est envisagé d’y recourir pour lutter contre des espèces végétales envahissantes ou des espèces nuisibles (moustiques) et partant, diminuer la résistance aux herbicides et pesticides tout en améliorant le bien-être des populations humaines. Il a aussi été suggéré de recourir au guidage de gènes pour prévenir la transmission du paludisme. Cette technique, qui vise à modifier des populations végétales ou animales entières, pose plusieurs questions notamment la possibilité d’effets hors cible, l’absence de démonstration d’une transmission de la modification sur plusieurs générations, la possibilité de mesures de réversibilité en cas de perte de contrôle et l’atteinte à la biodiversité. En définitive, si le comité d’éthique de l’Inserm ne ferme pas la voie à une telle technologie, il ne conclut pas moins à une évaluation fine des effets potentiellement indésirables et à l’introduction de mécanismes de réversibilité par le biais d’« équipes pluridisciplinaires combinant des expertises allant de la biologie moléculaire à l’écologie et aux diverses sciences sociales ». Le rapporteur souscrit à ces recommandations bienvenues.

 L’édition génomique portant sur les embryons pose de nombreuses difficultés aujourd’hui irrésolues, comme le rappelle l’Académie de médecine ([350]). Expérimentées chez l’animal au stade zygote, c’est-à-dire sur la première cellule embryonnaire, les mutations génétiques n’ont été retrouvées dans la plupart des cas que « chez une minorité des petits nés » tandis qu’étaient en outre observées des « mosaïques » ([351]). L’Académie mentionne qu’aucune recherche n’aurait encore été menée après le stade zygote et avant l’implantation de l’embryon.

On sait par ailleurs que des équipes ont testé la technique du ciseau moléculaire sur l’embryon humain avec des résultats mitigés. Le comité d’éthique de l’Inserm souligne ainsi qu’« en avril 2015, un groupe chinois a effectivement publié un travail utilisation la technique Crispr-Cas9 pour étudier à titre expérimental la possibilité de corriger le gène dont la mutation est responsable de la Beta-Thalassémie en utilisant des zygotes humains écartés du parcours de la fécondation in vitro en raison de leur anomalie ». Sans faire l’analyse technique de la publication évoquée, le comité a cependant suggéré que le résultat n’était pas très probant, pointant « une faible efficacité de recombinaison et une forte proportion d’effets hors de la cible ».

 Les recherches portant sur des cellules germinales paraissent plus prometteuses. Si l’Académie de médecine n’envisage pas d’applications concrètes avant très longtemps (« indépendamment de toute autre considération d’ordre éthique, il paraît aujourd’hui inconcevable que les techniques de modification du génome soient utilisées sur l’embryon ou les cellules germinales avec comme perspective de faire naitre un enfant dans l’état actuel des technologies disponibles. »), elle ne ferme pas les portes à des recherches portant soit sur l’embryon soit sur des cellules souches, pour autant qu’elles ne conduisent pas à la naissance d’un enfant. Cette proposition est notamment motivée par le « besoin important de recherche fondamentale et préclinique » afin d’évaluer « les technologies modifiant le génome dans les cellules humaines », d’ « apprécier les bénéfices et les risques de leur utilisation clinique potentielle » et pour « comprendre la biologie des cellules germinales et des embryons humains ».

Le rapporteur estime qu’il conviendrait d’autoriser des expérimentations portant sur les cellules germinales pour observer leurs effets, pour autant qu’il n’y ait pas de transfert d’embryon dans l’utérus.

Cela supposerait toutefois de faire évoluer notre cadre juridique national, particulièrement le code civil et le code de la santé publique. Une telle évolution aurait le mérite de conduire à une stricte séparation entre les recherches portant sur l’embryon qui doit faire l’objet d’un transfert in utero et les recherches portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert. L’application à l’homme de la technique CRISPR conduirait aussi à rediscuter de l’interdiction de toute modification du génome germinal humain explicite dans la convention d’Oviedo. Le rapporteur plaide pour un encadrement raisonné de ces recherches – qui resteraient insusceptibles de modifier la descendance – plutôt que d’avoir à subir des expérimentations sauvages et dépourvues de démarche éthique comme cela a été récemment le cas en Chine. Dans son étude publiée en juin 2018, le Conseil d’État présentait une alternative entre interdiction de toute édition du génome et autorisation encadrée. Le rapporteur s’inscrit bien dans le deuxième terme de l’alternative.

Proposition n° 18 Autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert in utero.

Une seconde évolution paraît également devoir être nécessaire. L’interdit portant sur la création d’embryons transgéniques devrait pouvoir être levé compte tenu de l’évolution des techniques. Le droit autorise actuellement la suppression de certains gènes pathologiques mais non leur modification ou leur remplacement. Cette évolution resterait cohérente avec l’autorisation encadrée des recherches sur les cellules germinales que le rapporteur appelle de ses vœux. Pour reprendre les propos formulés par M. Marc Peschanski, « la recherche doit parfois s’aventurer sur des terrains inconnus. C’est précisément la raison d’être des chercheurs que d’explorer des terrains non balisés pour lesquels il ne peut pas exister de loi puisque l’on ignore encore ce que l’on y trouvera », la limite étant de « ne pas imposer à l’espèce humaine, de manière directe ou indirecte, quelque chose qui modifiera son mode de fonctionnement et de vie en société » ([352]).

Proposition n° 19 Lever l’interdit portant sur la création d’embryons transgéniques afin de favoriser la recherche scientifique.

Rappelant les différents usages de l’édition génomique (remédier à une pathologie grave ou davantage protéger l’individu dans une optique d’amélioration transhumaniste), l’Académie de médecine souligne les nombreuses inconnues qui subsistent : absence de structure stable de la génomique de l’individu tout au long de son développement, modulation de l’expression d’un gène par l’expression d’autres gènes ou par des facteurs épigénétiques et/ou environnementaux, etc. Si elle autorisait de telles recherches en édition génomique, la France devrait déployer un effort majeur pour promouvoir un moratoire sur toute modification susceptible d’être transmise à la descendance sans que les effets aient été évalués, pesés et scientifiquement établis. Il n’apparaît donc pas utile, à ce stade, de faire évoluer la législation et les textes internationaux, qui sont suffisamment explicites.

b.   Les embryons chimériques

Dans son étude, le Conseil d’État relève l’inadéquation entre la portée de l’interdit relatif à la création d’embryons chimériques et les récentes évolutions techniques.

L’insertion de cellules iPS humaines dans des embryons animaux permettrait d’élaborer un test de référence complémentaire au gold standard représenté par les cellules souches embryonnaires. Un autre enjeu serait, à terme, la possibilité de réaliser des xénogreffes en permettant aux animaux de se développer avec un organe humain. Cette technique n’est pas sans risque et se caractérise par son caractère hautement transgressif.

Outre l’abolition de la distinction symbolique entre l’homme et l’animal, ces recherches soulèvent des problèmes non négligeables (risques sanitaires, risques de conscience humaine chez l’animal, risque de représentation humaine chez l’animal).

Ces sujets n’ont pas été évoqués au cours des auditions menées par la mission d’information. Pour autant, il apparaît nécessaire au rapporteur de se prémunir contre d’éventuelles dérives. Il plaide ainsi en faveur d’une explicitation des interdits formels tout en appelant de ses vœux une initiative en vue d’une concertation internationale.

4.   Une évolution du cadre juridique qui interroge

Une nouvelle fois, le législateur va bientôt se trouver confronté à cette tension essentielle entre, d’une part, l’intérêt de la recherche et des nouvelles techniques mises au point dans un but d’amélioration de la santé humaine et, d’autre part, les limites qu’il se doit de fixer au nom de la dignité de la personne humaine. Son rôle consiste-t-il à formuler des interdits, qui pourraient conduire à brider la recherche, au nom de principes fondamentaux, ou est-il plutôt d’accompagner les évolutions scientifiques en veillant à ce que leurs applications n’engendrent pas de dérives ?

Le rapporteur se situe dans la seconde partie de l’alternative car l’intérêt de l’humanité vient assurément des progrès de la recherche. Au regard des puissantes évolutions observées depuis les premières lois de bioéthique, l’expérience a montré le caractère hautement improductif de l’interdiction absolue de la recherche sur l’embryon. Il faut lui préférer une logique de liberté assortie de garde-fous.

Le rapporteur souligne cependant qu’aux yeux du président de la mission, l’intérêt de la recherche ne doit pas faire oublier que le législateur a toujours refusé de considérer l’embryon comme un simple matériau.

Le rapporteur de la loi de bioéthique de 2011 rappelait d’ailleurs que « si les techniques de procréation médicalement assistée ont pu conduire à s’habituer à ce que l’embryon humain soit traité comme un objet qui est “congelé”, “stocké” ou “décongelé”, on perçoit bien également que le législateur refuse de le considérer purement et simplement comme une chose, même lorsqu’il n’est plus l’objet d’un projet parental au sein du couple qui est à l’origine de sa création, comme l’illustre la possibilité offerte par l’article L. 2141-6 du code de la santé publique d’un “accueil” et non d’un “don”, de l’embryon surnuméraire par un autre couple » ([353]). En d’autres termes, le fait que le projet parental puisse changer – et conduire à un destin aussi différent que la destruction pure et simple de l’embryon, sa destruction après recherche ou son accueil par un autre couple, donc potentiellement, l’arrivée à la vie – n’implique pas une modification de l’être de l’embryon, conçu autour de cette énigmatique « potentialité d’humanité ».

La recherche portant sur les cellules souches adultes reprogrammées n’est certes pas exempte d’enjeu éthique ; celle sur les cellules souches embryonnaires non plus. Si le caractère complémentaire des recherches portant sur les cellules souches embryonnaires et de celles portant sur les cellules souches adultes ne fait pas de doute, le Pr Alain Privat a estimé lors de la table ronde consacrée aux recherches sur les embryons et les cellules souches qu’une préférence avait naturellement été accordée aux premières : « plusieurs demandes de recherche sur les IPS ont été refusées par l’Agence nationale de la recherche, au motif que l’argent devait être consacré aux programmes sur les cellules embryonnaires humaines » ([354]).

Pour ce qui le concerne, le rapporteur estime que le législateur ne doit pas faire preuve de naïveté. Les applications industrielles et commerciales de la recherche sont des solutions techniques à des problèmes mais aussi à des angoisses. On ne peut nier qu’elles contribuent au bonheur et à l’émancipation de l’espèce humaine. Il ne faut pas non plus occulter le fait que la technique procède aussi de l’application de la loi du marché sur toutes les parties du corps humain. Le législateur doit donc demeurer vigilant et ne pas hésiter à prohiber ou sanctionner des pratiques attentatoires à la dignité humaine qui, sous couvert d’évolution, ne seraient pas constitutives d’un véritable progrès.

Enfin, le corpus des recherches portant sur l’embryon pourrait être davantage consolidé. M. Laurent David a ainsi plaidé pour la mise en place d’une « instance composée d’experts et d’éthiciens » chargée d’examiner la pertinence de chaque projet de recherche et d’assurer son suivi afin de « continuer à avancer, de manière encadrée, pour mieux comprendre la fécondation in vitro et améliorer ses modalités » ([355]). La mise en place d’une telle instance, comparable aux comités de protection des personnes dans le cadre des recherches biomédicales, autoriserait sans doute une double acculturation. D’une part, ouverte aux représentants des patients, elle favoriserait la diffusion de la culture scientifique et, partant, une plus grande visibilité des recherches tout en concourant à une meilleure perception de leur fondement et de leurs espoirs. D’autre part, elle pourrait aussi permettre aux scientifiques de davantage maîtriser les attendus législatifs et réglementaires auxquels doit se conformer tout projet de recherche et, partant, de participer à la réduction des contentieux.

L’Agence de la biomédecine est cependant dubitative sur l’intérêt d’une telle instance. Dans la réponse apportée à un questionnaire du rapporteur, elle indique qu’« il n’apparaît pas utile de constituer une nouvelle instance éthique ad hoc chargée d’examiner les projets de recherche, cette mission étant déjà remplie par le Conseil d’orientation de l’Agence. » Elle souligne également que « l’examen par le Conseil d’orientation de l’Agence des demandes d’autorisation de protocoles de recherche sur l’embryon ne semble pas avoir eu d’influence sur la fréquence des actions contentieuses. En revanche, cela participe des garanties apportées et des éléments attestant du sérieux et de la qualité du travail d’instruction des autorisations de recherche. »


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   Chapitre 4

La prise en charge des patients à l’épreuve de la médecine génomique et des tests génétiques

 

Le séquençage du génome à haut débit et la généralisation de tests destinés au grand public portent un éclairage nouveau sur les différents outils de diagnostic opérant sur le matériel génétique de l’individu. Pour que le législateur se prononce en connaissance de cause, il faut d’abord rappeler les critères justifiant le recours à ces outils avant d’aborder les raisons justifiant une éventuelle évolution de leur cadre juridique.

Les tests et examens génétiques s’inscrivent dans deux dispositifs juridiques : d’une part, l’identification d’une personne « dans le cadre de l’analyse de la filiation ou dans le cadre de la recherche criminalistique » ([356]) et, d’autre part, l’examen des caractéristiques génétiques dans une finalité médicale ou de recherche « dans le cadre de la révélation d’un état physiologique ou pathologique » ([357]).

Les évolutions techniques, qui permettent de séquencer l’intégralité du génome d’un individu, soulèvent un certain nombre de questions liées à la qualité de l’interprétation des résultats, la prise en compte des risques découverts de façon incidente ou encore la portée de l’obligation d’informer la parentèle. Par ailleurs, le séquençage à haut débit conduit à réinterroger la distinction entre le diagnostic, qui répond à une situation individuelle, et le dépistage, qui répond à une finalité de santé publique. La prévalence de certaines pathologies graves a conduit à systématiser la réalisation de tests dans cette optique de santé publique – c’est aujourd’hui le cas pour le diagnostic prénatal ou le dépistage néonatal.

Parallèlement, à travers le plan France Médecine génomique 2025, notre pays s’est engagé dans un investissement majeur dans les plateformes de séquençage à haut débit. Alors que les examens génétiques restent aujourd’hui circonscrits à la génomique constitutionnelle (ou héréditaire, les tests reposant sur l’étude du patrimoine génétique), la médecine génomique ambitionne de révolutionner la prise en charge en s’étendant à la génétique somatique (non héréditaire) pour élaborer des traitements personnalisés, notamment dans le cadre de la lutte contre le cancer.

Rappelons enfin que les tests génétiques révèlent des données déterminantes de l’identité individuelle, particulièrement sensibles. Se pose à cet effet la question de la protection de ces informations identifiantes.

Cette partie du présent rapport se propose de rappeler le cadre juridique existant, applicable principalement aux examens génétiques, et de préciser les enjeux ainsi que les pistes d’évolutions possibles.

I.   Les tests génétiques s’inscrivent dans le cadre d’un accompagnement médical

Le recours aux outils de dépistage ou de diagnostic s’inscrit dans le cadre dessiné par le code civil, qui formule trois interdits généraux : l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne (article 16-10) ; l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques (article 16-11) ; la discrimination de la personne « en raison de […] caractéristiques génétiques » (article 16-13).

Il n’existe pas de liste de tests ou d’examens génétiques à proprement parler. On distingue les tests réalisés sur des personnes hors âge néo-natal de ceux réalisés sur les nouveau-nés, sur les fœtus et sur les embryons. Une finalité médicale, et non pas sociétale, est commune à l’ensemble de ces pratiques. La visée est thérapeutique, mais pas exclusivement et pas toujours directement : chez les embryons et les fœtus, le test peut conduire à une interruption de grossesse pour motif médical (en utilisant le diagnostic prénatal, ou DPN) ou à la sélection d’un embryon indemne de toute maladie génétique (en utilisant le diagnostic préimplantatoire, ou DPI), ou encore à des traitements chez le fœtus in utero.

A.   Les tests génétiques poursuivent des finalités diverses

1.   L’examen des caractéristiques génétiques poursuit une finalité médicale ou de recherche

L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne vise à déterminer la carte génétique. L’article R. 1131-1 du code de la santé publique lui assigne trois objets : permettre le diagnostic d’une maladie à caractère génétique chez une personne ; rechercher les caractéristiques d’un ou plusieurs gènes susceptibles d’être à l’origine du développement d’une maladie chez une personne ou les membres de sa famille ; adapter la prise en charge médicale. Le droit actuel n’envisage pas la réalisation de ces tests sans que ne soit par ailleurs assuré un accompagnement médical, sous la forme de mesures de prévention, de soins ou de conseil en génétique.

Ce type d’études revêt une importance d’autant plus grande que l’on pourrait y avoir recours de façon abusive, en particulier dans le cadre de la médecine dite prédictive. Pour éviter tout recours abusif (notamment par les employeurs ou les organismes d’assurance), le législateur a entendu circonscrire son objet à des finalités médicale ou de recherche scientifique.

La formulation de la finalité médicale ou de recherche scientifique déborde la seule finalité thérapeutique. Néanmoins, la doctrine s’accorde à considérer que ces termes dénient toute possibilité d’étude génétique à des fins industrielles, commerciales ou de convenance.

a.   Les analyses pratiquées

Ces analyses couvrent deux cas de figure : les analyses de cytogénétique, qui permettent de déterminer le caryotype (nombre et configuration des chromosomes) et les analyses de génétique moléculaire, qui visent à déterminer la configuration de tout ou partie de l’ADN ([358]).

Elles trouvent à s’appliquer aux personnes « présentant un symptôme d’une maladie génétique » ou aux personnes asymptomatiques qui présentent « des antécédents familiaux » ([359]). Dans ce dernier cas de figure, un arrêté autorise la possibilité de pratiquer cinq examens biochimiques ([360]).

Les différents types de tests génétiques

 Les tests génétiques diagnostiques

Les tests génétiques diagnostiques visent à diagnostiquer une maladie génétique chez un individu qui en présente des symptômes. Les résultats du test permettent de faire des choix sur la manière de traiter ou de gérer ces problèmes de santé. Ils permettent également de mettre fin à l’errance diagnostique. La personne sait enfin de quoi elle souffre.

 Les tests génétiques prédictifs

Les tests génétiques prédictifs sont effectués sur des individus qui ne présentent aucun symptôme. Ils ont pour but de découvrir des altérations génétiques qui indiqueraient un risque de développer ultérieurement une maladie. Cette probabilité peut être extrêmement variable d’un test à l’autre. Dans de rares cas, le test génétique indiquera une haute probabilité de développement d’une maladie à un stade ultérieur de la vie (par exemple, test pour la maladie de Huntington).

Dans la plupart des cas, le test n’apportera qu’une indication d’un risque d’apparition d’une maladie au cours de la vie, mais ne constituera pas un indicateur toujours précis car, outre les facteurs génétiques, des facteurs environnementaux jouent un rôle important. De tels tests prédictifs sont appelés tests de susceptibilité.

 Les tests de dépistage des porteurs

Les tests de dépistage des porteurs sont utilisés pour identifier des personnes qui « portent » un allèle muté d’un gène associé à une maladie spécifique (par exemple, la mucoviscidose). Les porteurs peuvent ne présenter aucun signe de la maladie. Il existe cependant un risque que, par exemple, 25 % de leurs enfants soient malades.

 Les tests pharmacogénomiques

Les tests pharmacogénomiques visent à déterminer la sensibilité d’un individu à un traitement spécifique. Par exemple, certaines personnes auront besoin d’un dosage plus important alors que d’autres pourront subir des effets indésirables avec certains traitements.

Source : Conseil de l’Europe, 
https://www.coe.int/t/dg3/healthbioethic/Source/fr_geneticTests_hd.pdf

Aucune prescription de l’examen des caractéristiques génétiques ne peut avoir lieu ailleurs que dans le cadre d’une consultation médicale individuelle. Pour les personnes asymptomatiques, en général concernées au titre d’une prise en charge globale de plusieurs personnes inscrites dans une même parentèle, la consultation reste individuelle mais est « effectuée par un médecin œuvrant au sein d’une équipe pluridisciplinaire rassemblant des compétences cliniques et génétiques » ([361]) et à partir d’un « protocole type de prise en charge » ([362]). De même, il est aujourd’hui exclu d’effectuer un test génétique à l’occasion d’une consultation demandée par plusieurs personnes d’une même famille – par exemple, si un couple asymptomatique souhaite savoir s’il peut donner naissance à un enfant porteur d’une maladie génétique dans le cadre d’un test préconceptionnel, le fait déclencheur des deux examens n’est pas la consultation de couple mais chaque consultation individuelle qui s’ensuit.

Il importe cependant de noter que de nombreux Français envoient un échantillon, très simple à collecter, par courrier dans l’un des différents laboratoires de génétique à l’étranger, obtenant ainsi des données assez complètes sur leur génome. Le coût de cet examen a considérablement diminué : M. Stéphane Viville indique que ces tests sont aujourd’hui disponibles en ligne, pour environ 100 dollars « avec des promotions entre 50 et 60 dollars » ([363]). L’engouement que ces tests faciles d’accès génère aboutira inéluctablement à en diffuser l’usage, particulièrement pour l’accès aux origines : pour M. Viville, le « mouvement d’identification des donneurs ira en s’amplifiant dans les années à venir ». Pour M. Jean-Louis Mandel, il importe de libéraliser la pratique de ces tests génétiques « direct to consumer » ([364]) tout en prévoyant un contrôle approprié pour éviter « toute dérive » ([365]).

b.   Un examen dont la réalisation est conditionnée au consentement de la personne

Les premières lois de bioéthique ont posé le principe de l’inviolabilité du corps et du respect de son intégrité. La réalisation de tests génétiques, qui fait écho à ces principes formulés par l’article 16-3 du code civil, nécessite, en l’espèce, le recueil préalable du consentement, sauf nécessité médicale dans l’intérêt du patient.

En application de ce principe, l’article 16-10 du code civil pose différentes conditions relatives au consentement à un examen des caractéristiques génétiques : celui-ci doit être écrit, après que la personne a été informée de la nature et de la finalité du test ; il est bien entendu révocable « sans forme et à tout moment ».

Le code de la santé publique prévoit toutefois deux exceptions.

Le deuxième alinéa de l’article L. 1131-1 prévoit que lorsqu’il est impossible de recueillir le consentement ou de consulter la personne de confiance, la famille ou un proche, l’examen peut être réalisé dans l’intérêt de la personne.

Le deuxième alinéa de l’article L. 1211-2 ouvre une autre exception aux autopsies médicales, pratiquées « hors du cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire », dans le but d’obtenir un diagnostic sur les causes du décès. L’examen ne peut être réalisé qu’« à titre exceptionnel », « en cas de nécessité impérieuse pour la santé publique et en l’absence d’autres procédés permettant d’obtenir une certitude diagnostique sur les causes de la mort ».

c.   La communication des résultats s’inscrit dans un cadre médical

Plusieurs situations sont envisageables : la communication à l’égard de la personne sur laquelle ont été réalisés le test et l’information de sa parentèle. La loi prévoit aussi la situation particulière du patient qui souhaite rester dans l’ignorance du résultat d’un test génétique.

 Par exception au droit de tout patient à être informé par tout professionnel de santé ([366]), seul le médecin prescripteur de l’examen est habilité à communiquer le résultat de celui-ci. Cette information est effectuée dans le cadre d’une consultation médicale individuelle.

 La loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique ([367]) a posé une obligation d’information de la parentèle en cas de diagnostic d’une maladie d’origine génétique grave. En effet, l’information véhiculée par le génome, bien qu’éminemment personnelle, se retrouve pour une grande part dans le génome des personnes appartenant à la même lignée génétique.

Deux critères permettent de caractériser la gravité de l’affection : le risque de décès prématuré et le risque de handicap sévère, en particulier le risque d’impossibilité d’autonomie à l’âge adulte. Pour apprécier le degré de gravité de l’affection, trois critères sont retenus : les manifestations cliniques probables de la maladie, la variabilité d’expression de la maladie, l’état des connaissances ([368]). Le prescripteur peut également s’appuyer sur l’avis des centres de référence « maladies rares » ou d’un généticien.

L’obligation ne s’applique toutefois qu’aux anomalies pour lesquelles une prise en charge peut-être proposée soit au titre de la prévention (incluant le conseil génétique) soit au titre de soins. Elle ressortit à la personne ayant effectué le test qui, au terme de l’article L. 1131-1-2, se voit « tenue d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés ». Ainsi que le souligne le CCNE dans son avis n° 124 ([369]), « cette obligation ne résout pas la question éthique de savoir annoncer un risque de maladie à une parentèle qui n’était pas en demande ». Un équilibre a cependant été recherché entre « l’autonomie de la personne, le respect de cette autonomie et le devoir de solidarité qui s’exprime également dans la mise en garde et la prévention d’un risque ou d’un danger d’origine génétique ».

Information en cas de don de gamètes ou d’embryon

Au terme du dernier alinéa de l’article L. 1131-1-2 du code de la santé publique, si l’examen révèle une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins chez une personne qui a fait un don de gamètes ayant abouti à la conception d’un enfant ou chez l’un des membres d’un couple ayant effectué un don d’embryon, la personne concernée peut autoriser le médecin prescripteur à autoriser le responsable du centre d’AMP à informer les enfants issus du don.

Il ne s’agit toutefois que d’une simple faculté, ce qui ne laisse pas d’étonner le rapporteur. Il conviendrait d’aligner cette disposition sur le droit applicable aux membres de la famille.

● Subsiste enfin la possibilité, pour la personne concernée, de vouloir rester dans l’ignorance du diagnostic. Cette possibilité s’inscrit dans le cadre des principes généraux prévus par le code de la santé publique, particulièrement son article L. 1111-2. Son troisième alinéa prévoit que « La volonté d’une personne d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic doit être respectée ». Le droit de ne pas savoir, ou de ne pas être informé, n’est que la transcription juridique de l’autonomie des personnes. Une seule limite est toutefois formulée. Ce droit ne doit pas faire obstacle à la nécessité de prévenir des tiers lorsqu’ils se voient « exposés à un risque de transmission ».

Dans le cadre de l’examen des caractéristiques génétiques, cette limite est appréhendée de deux manières. Tout d’abord, préalablement à la réalisation du test, le patient doit être informé par le médecin « des risques qu’un silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés si une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins était diagnostiquée » ([370]). Postérieurement au test, le droit à l’ignorance du diagnostic ne fait pas obstacle à l’information de la parentèle. En ce cas, il revient au médecin de porter à leur connaissance « l’existence d’une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner » et de les inviter à se rendre à une consultation de génétique, tout en préservant l’anonymat de la personne ayant fait l’objet de l’examen.

Ce dispositif, issu de la précédente loi de bioéthique, s’est substitué à celui, trop complexe, qu’avait imaginé le législateur en 2004. Sa mise en œuvre relevait en effet de l’Agence de la biomédecine qui désignait elle-même les médecins chargés d’informer les parentèles. Il n’a, de fait, jamais été appliqué.

d.   Les examens génétiques peuvent aussi être pratiqués aux fins de recherche

La recherche s’inscrit à la fois dans le cadre des dispositions du code de la santé publique relatives aux recherches impliquant la personne humaine ou des dispositions plus spécifiques issues de la loi du 5 mars 2012, dite « loi Jardé » ([371]) ainsi que du Règlement général sur la protection des données (RGPD) ([372]) et de la loi Informatique et libertés ([373]).

Deux régimes de recherche paraissent devoir être schématiquement distingués.

 Le régime juridique des recherches impliquant la personne humaine combine les dispositions du code de la santé publique et celles de la loi Informatique et libertés lorsqu’elles font intervenir un traitement. L’examen des caractéristiques génétiques à des fins de recherche est conditionné par un consentement préalable dans les conditions prévues par l’article 16-10 du code civil.

Anciennement dénommées « recherches biomédicales », les recherches impliquant la personne humaine ont vu leur régime défini par la loi Jardé. L’article L. 1121-1 du code de la santé publique distingue ainsi trois types de recherches :

– les recherches « interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle » (catégorie 1). Le rapport de notre collègue M. Isaac-Sibille, relatif aux comités de protection des personnes ([374]), les présente comme des recherches comportant « une intervention sur les personnes non dénuée de risques pour celles-ci » et mentionne « celles portant sur l’essai d’efficacité du médicament ». Les recherches portant sur l’embryon destiné à être transféré à des fins de gestation relèvent de ce cadre juridique depuis la loi de modernisation de notre système de santé ;

– les recherches qui « ne comportent que des risques et des contraintes minimes » (catégorie 2). Le rapport précité évoque la « comparaison de deux techniques chirurgicales qui sont en consensus » et cite l’exemple d’une « recherche pédopsychiatrique consacrée aux enfants exposés à l’attentat de Nice le 14 juillet 2016 » ;

– les recherches dites « non interventionnelles qui ne comportent aucun risque ni contrainte dans lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle » (catégorie 3).

Chacune de ces recherches fait intervenir un comité de protection des personnes dont l’avis conditionne sa mise en œuvre. L’autorisation de l’ANSM n’est requise que pour les recherches de catégorie 1.

Comité de protection des personnes (CPP)

Aux termes de l’article R. 1123-4 du code de la santé publique, le CPP est composé de quatorze membres répartis entre deux collèges paritaires : un collège représentant les professionnels de santé, particulièrement les personnalités qualifiées en matière de recherches impliquant la personne humaine et un collège rassemblant une personne qualifiée en matière d’éthique, un psychologue, un travailleur social, des juristes et des représentants d’usagers du système de santé. La composition doit également inclure un spécialiste en protection des données à caractère personnel.

Le mode de saisine des CPP a été profondément remanié avec la loi Jardé. Au nombre de 39, chacun d’entre eux reçoit, de façon aléatoire, via la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, un certain nombre de dossiers de recherche à examiner. Leur mission consiste essentiellement à s’assurer que les protocoles sont en tout point conformes aux exigences éthiques requises. Le respect du consentement aux recherches, inhérent au respect de la dignité humaine, fait l’objet d’une attention particulière.

En cas d’avis défavorable, le promoteur (la personne physique ou morale responsable de la recherche) peut saisir le secrétariat de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine dans le délai d’un mois en vue d’un nouvel examen par un autre CPP. Celui-ci est saisi et rend son avis dans les mêmes conditions.

Le rapporteur renvoie à la loi n° 2018-892 du 17 octobre 2018 relative à la désignation aléatoire des comités de protection des personnes s’agissant des modifications relatives aux modalités de saisine des CPP.

Enfin, la présentation du régime de ces recherches ne serait pas complète si l’on omettait de préciser que les données génétiques constituent aussi des données protégées.

La loi relative à la protection des données personnelles ([375]) les a élevées au rang de « données sensibles ». L’article 8 de la loi Informatique et libertés pose à cet égard le principe de l’interdiction de tout traitement de données génétiques, au même titre que les données biométriques ou les données de santé. Seul le consentement exprès permet de valablement y déroger compte tenu de la finalité de la recherche.

Par ailleurs, l’examen des caractéristiques génétiques pouvant conduire à entrer dans le cadre du régime applicables aux données de santé, il doit être fait application des dispositions spécifiques prévues par le chapitre IX de la loi Informatique et libertés. À l’instar des évolutions portées par le RGPD, les traitements impliquant des données de santé ne relèvent plus, par principe, d’un régime de police administrative fondé sur l’autorisation. Le droit commun se caractérise par une déclaration de conformité à une méthodologie de référence homologuée et publiée par la CNIL et l’existence d’un contrôle a posteriori assuré par elle. L’autorisation, accordée par la CNIL, demeure l’exception et n’a vocation qu’à concerner les traitements pour lesquels aucune méthodologie de référence n’a été élaborée.

 Le second régime de recherche, issu de la loi Jardé, a vocation à s’appliquer à l’utilisation ultérieure d’éléments et de produits du corps humain à une autre fin que celle pour laquelle ils ont été prélevés. L’article L. 1131-1-1 du code de la santé publique dispense les chercheurs d’obtenir le consentement exprès lorsqu’ils disposent déjà d’un échantillon biologique prélevé avec consentement, même si cet échantillon a été prélevé à d’autres fins. Sous l’empire de loi de 2004, il fallait retrouver les personnes concernées ou leurs proches pour obtenir leur consentement et pouvoir poursuivre le projet de recherche.

Le régime allégé de consentement, inspiré par l’étude du Conseil d’État préalable à la révision de loi de bioéthique de 2004, est fondé sur une absence d’opposition aux nouvelles finalités de recherche moyennant une information préalable de la personne. Seule l’impossibilité de retrouver la personne peut faire obstacle à cette obligation d’information. Dans ce cas, le comité de protection des personnes s’assure que « la personne ne s’était pas opposée à l’examen de ses caractéristiques génétiques et émet un avis sur l’intérêt scientifique de la recherche ».

Ces dispositions ont connu des difficultés d’application. Le rapport de notre collègue Albane Gaillot, rédigé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la protection des données personnelles ([376]), relatait les difficultés d’articulation entre la loi Informatique et libertés et le dispositif issu de la loi Jardé. Mme Gaillot relevait que « faute de mise en cohérence, l’interprétation actuelle tend à faire du consentement exprès un élément opposable y compris aux recherches pouvant présenter un intérêt scientifique. L’INSERM souligne ainsi que les méthodologies de référence de la CNIL sont rédigées de telle sorte qu’elles conduisent à exclure l’utilisation secondaire d’échantillons biologiques de personnes décédées ou perdues de vue à des fins d’analyse génétique faute de pouvoir recueillir leur consentement ». Cette difficulté semble avoir été résolue, en cours de navette, avec une nouvelle rédaction de la loi Informatique et libertés plus conforme à l’esprit de la loi Jardé.

2.   La détermination des empreintes génétiques vise essentiellement à une fin d’identification

À la différence de l’examen des caractéristiques génétiques, qui vise à « contrôler l’existence d’un problème d’origine génétique à des fins essentiellement médicales » ([377]), le recours aux empreintes génétiques permet « d’identifier une personne ou d’établir un lien de filiation » ([378]).

En raison des potentielles atteintes à la vie privée, le législateur a entendu réserver le recours à de telles techniques à trois finalités.

L’identification peut être justifiée par des fins médicales ou de recherche scientifique, auquel cas la recherche du consentement s’opérera dans les mêmes conditions que l’examen des caractéristiques génétiques.

L’identification peut aussi être menée à des fins judiciaires dans le cadre d’une procédure civile ou d’une enquête pénale.

En matière civile, l’identification ne peut être diligentée qu’en exécution d’une décision prise par un juge et doit permettre d’établir ou de contester un lien de filiation, ou d’obtenir ou supprimer des subsides. Cette disposition fait écho à l’article 310-3 du code civil qui permet de prouver ou de contester la filiation par tous moyens : sont incluses les actions fondées sur une expertise génétique.

On notera toutefois deux limites à cette possibilité. En ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, l’article 311-20 du code civil interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet. L’article 16-11 du même code prohibe toute identification génétique post mortem sauf consentement exprès.

L’identification génétique post mortem

L’interdiction de l’identification génétique post mortem sauf consentement exprès avait été introduite par la loi de bioéthique de 2004 à la suite d’une action menée par une jeune femme prétendant être la fille naturelle de feu Yves Montand. Il avait alors été conseillé au législateur d’autoriser l’identification génétique post mortem sous réserve de l’absence d’opposition formulée par le défunt de son vivant. Le législateur a préféré privilégier le principe du consentement exprès, solution plus adaptée au respect du principe d’intégrité du corps humain, fût-il devenu cadavre.

On notera toutefois qu’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que le refus d’autoriser une expertise post mortem est contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il méconnaît l’intérêt du requérant à connaître son ascendance (CEDH 13 juillet 2006, Jäggi c/ Suisse).

Ce point mérite donc que la réflexion soit prolongée plus avant.

Cet examen permet également de déterminer l’identité de personnes décédées.

B.   Le dépistage néo-natal relève d’une démarche de prévention secondaire

Le dépistage néo-natal (DNN) est partie intégrante du programme de santé national « au sens de l’article L. 1411-6 du code de la santé publique ». Il est réalisé depuis plus de 40 ans et, depuis 1972, il a concerné 33 millions de nouveau-nés et abouti à près de 20 000 diagnostics, soit 1 naissance sur 1 900 en 2013 ([379]).

L’article R. 1131-21 du code de la santé publique prévoit que ce dépistage « est effectué auprès de tous les nouveau-nés ou, dans certains cas, auprès de ceux qui présentent un risque particulier de développer l’une de ces maladies » ([380]). Selon un arrêté du 22 février 2018, « ce dépistage a pour objectif la prévention secondaire de maladies à forte morbi-mortalité, dont les manifestations et complications surviennent dès les premiers jours ou les premières semaines de vie et peuvent être prévenues ou minimisées par un traitement adapté si ce dernier est débuté très précocement » ([381]).

En d’autres termes, une liaison obligatoire est établie entre dépistage et traitement, celui-là n’étant justifié que pour autant qu’il bénéficie au malade. La liste des maladies concernées est fixée par un arrêté de 2010 ([382]). Quatre dépistages sont réalisés sur l’ensemble des nouveau-nés : phénylcétonurie, hyperplasie congénitale des surrénale, hypothyroïdie et mucoviscidose ; le dépistage de la drépanocytose n’est réalisé que pour les nouveau-nés présentant un risque particulier de développer la maladie.

Ce nombre de quatre maladies, objets d’un dépistage systématique à la naissance, est très faible par rapport aux autres pays comparables : elles sont neuf au Royaume-Uni, quatorze en Belgique, vingt-deux en Allemagne, et vingt-quatre en Suède. Il est légitime et urgent de l’étendre en incorporant plusieurs maladies supplémentaires : déficits immunitaires sévères, thalassémies et certaines autres erreurs innées du métabolisme ([383]).

L’arrêté précité du 22 février 2018 rappelle qu’« une personne titulaire de l’autorité parentale doit donner son consentement à la réalisation du DNN », ce dernier n’ayant pas besoin d’être écrit. On soulignera cependant que le diagnostic de la drépanocytose ou de la mucoviscidose repose sur des tests génétiques. Leur est donc applicable le cadre législatif et réglementaire relatif aux tests génétiques ce qui inclut le consentement des deux parents et, notamment, l’information de la parentèle. Dans son avis n° 129, le CCNE relève que « cette approche génétique pose des problèmes éthiques tels que l’information des parents non demandeurs pour eux-mêmes et, donc de la parentèle ».

C.   Les examens réalisés sur l’embryon et le fœtus visent à détecter des affections d’une particulière gravité

En situation postnatale, l’examen des caractéristiques génétiques s’adresse aux personnes malades, présentant un symptôme particulier, comme aux personnes asymptomatiques, c’est-à-dire, soit susceptibles d’être affectées par la maladie si celle-ci est portée par un allèle muté dominant, soit « porteurs sains » si la maladie est portée par un allèle récessif.

En situation prénatale, les diagnostics préimplantatoires et prénataux sont des examens des caractéristiques génétiques soumis à un régime juridique différent de celui applicable aux personnes déjà nées.

Celui-ci est précisé au sein d’un titre consacré à la protection maternelle et infantile dans la deuxième partie du code de la santé publique. Ces diagnostics, réalisés sur l’embryon ou le fœtus, relèvent des « actions de prévention ». On s’étonnera de la présence de semblables dispositions dans un chapitre qui traite des mesures de protection de l’enfant ou de l’adolescent, alors que contrairement à ces derniers, l’embryon, pour ne parler que de lui, est dépourvu de personnalité juridique.

Deux explications peuvent être avancées. Dans le cas du diagnostic prénatal, on rappellera qu’il est réalisé in utero et qu’il nécessite une intervention sur la femme enceinte. En d’autres termes, l’emplacement dans cette partie du code se justifie en tant qu’il concerne aussi les droits des femmes. Il est réalisé sur une personne et nécessite, de ce fait, le consentement de la femme enceinte. Susceptible de conditionner la poursuite de la grossesse, il est aussi intimement lié à l’éventualité d’une interruption médicale de grossesse. S’agissant du diagnostic préimplantatoire, réalisé in vitro, c’est plutôt la finalité qui doit ici être considérée : cet examen n’est justifié que parce qu’il concourt à la réalisation d’un projet parental.

1.   Le diagnostic prénatal (DPN) s’inscrit dans une perspective thérapeutique pour l’enfant à naître

La finalité du diagnostic prénatal (DPN) est de détecter une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus. Il n’a donc pas pour objet de diagnostiquer une affection incurable. Il ne conduit pas nécessairement à une interruption de grossesse car il s’inscrit dans une finalité thérapeutique. L’article L. 2131-1 du code de la santé publique précise ainsi que les futurs parents reçoivent « des informations sur les caractéristiques de l’affection suspectée, les moyens de la détecter et les possibilités de prévention, de soin ou de prise en charge adaptée du fœtus ou de l’enfant né ».

Le DPN combine des pratiques de dépistage et de diagnostic. Il est réalisé au moyen de techniques dont la liste est fixée par l’article R. 2131-1 du code de la santé publique. Le recours à ces techniques diffère selon que l’on se situe dans le dépistage ou le diagnostic.

Dans le cadre du dépistage, les techniques sont d’abord mobilisées pour évaluer le risque pour l’embryon ou le fœtus d’être atteint d’une affectation grave : il s’agit d’examens de biochimie portant sur les marqueurs sériques maternels, d’examens de génétique portant sur l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel ([384]) et des échographies obstétricale et fœtale. Quasiment toutes les grossesses sont concernées : en 2015 et 2016, 680 000 femmes ont eu recours au dépistage échographique et 660 000 femmes ont eu des examens de marqueurs sériques ([385]) ; les examens portant sur l’ADN fœtal ont concerné 5 600 femmes en 2015 et 21 100 en 2016) ([386]). On notera enfin que le DPN a pour cibles toutes les affections détectables in utero.

Techniques de DPN

« L’exploration prénatale la plus pratiquée est l’imagerie par échographie. Sur le plan biologique, le DPN se rapporte à des prélèvements soit sur le fœtus ou ses annexes (liquide amniotique, villosité choriale, sang fœtal), soit sur le sang de la mère. Ces prélèvements permettent d’obtenir un diagnostic ou une probabilité d’atteinte de ce fœtus. Les techniques employées sont la cytogénétique pour l’étude du nombre et de la forme des chromosomes fœtaux, la génétique moléculaire pour les études de l’ADN fœtal et toutes les autres disciplines biologiques (hématologie, immunologie, bactériologie, virologie, biochimie fœtale) qui mettent en évidence une pathologie fœtale délétère ».

Source : Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018.

En cas de risque avéré, de nouveaux examens à visée diagnostique peuvent être pratiqués à l’aide d’un panel incluant notamment la cytogénétique, la génétique moléculaire, la biochimie fœtale à visée diagnostique ou encore l’imagerie fœtale.

Lorsqu’une anomalie fœtale est détectée, elle doit être attestée par des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN). Elle peut, le cas échéant, aboutir à une interruption de grossesse pour motif médical ou, parfois, à une intervention sur le fœtus in utero (chirurgie ou greffe de cellules souches par exemple).

Le consentement des femmes enceintes est particulièrement recherché à l’occasion de ces examens. C’est la raison pour laquelle le code de la santé publique prescrit la délivrance d’une information « loyale, claire et adaptée » avant tout dépistage et prévoit également la mise en place d’un accompagnement tout au long des étapes du DPN de manière à assurer un service de qualité homogène sur l’ensemble du territoire. C’est à la suite d’un rapport publié par l’ABM en 2008 ([387]) que ces mesures avaient été introduites opérées par la loi de bioéthique de 2011.

Observations de l’Agence de la biomédecine sur le DPN en 2008

Dans son rapport publié en 2008, l’ABM constatait, au sujet du DPN, que « le manque d’information et/ou de compréhension est à l’origine de beaucoup de confusion et de sentiments d’anxiété : les études révèlent que la plupart des femmes ont du mal à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un diagnostic certain mais de l’identification d’un risque. Ce manque d’information ou une information mal comprise peut empêcher les femmes de prendre une décision libre et éclairée concernant en particulier l’offre de dépistage »

L’ABM souligne également que l’accompagnement du couple, à la suite d’un diagnostic posé, constitue un autre enjeu. Le même rapport souligne ainsi que « l’annonce d’une anomalie fœtale ou d’une suspicion d’anomalie est un traumatisme considérable pour le couple. L’angoisse s’installe très vite mais reste très dépendante du contexte et des modalités d’annonce. Pour les praticiens, ces situations sont d’autant plus difficiles à vivre qu’elles sont rares en population et que le couple y est peu préparé ». L’ABM recommandait à cet effet la nécessité d’une formation des professionnels et d’un accompagnement du couple tout au long du processus de dépistage et de diagnostic.

Source : Agence de la biomédecine, État des lieux du diagnostic prénatal en France, 2008.

2.   Le diagnostic préimplantatoire (DPI) vise à identifier les embryons exempts de mutations génétiques déterminées

Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est un diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur un embryon in vitro – alors que le DPN est toujours réalisé soit sur le fœtus in utero, soit en prélevant le sang de la femme enceinte. Le DPI ne peut donc être pratiqué que dans le cadre d’une fécondation in vitro (FIV) et, partant, d’une assistance médicale à la procréation.

Il présente quelques autres différences notables par rapport au DPN.

Quand le DPN procède d’une visée préventive ou thérapeutique, l’issue du DPI est un tri d’embryons, à savoir la sélection parmi plusieurs d’un embryon dépourvu de l’affection génétique recherchée.

Quand le DPN vise à détecter toutes les affections détectables in utero, le DPI ne peut être effectué qu’en cas de forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Il implique donc d’identifier précisément « chez l’un des parents ou l’un de ses ascendants immédiats dans le cas d’une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital, l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie » (article L. 2131-4 du code de la santé publique).

En d’autres termes, le DPI nécessite d’abord la réalisation d’un diagnostic génétique sur les parents, avant la réalisation de la FIV. On rappellera notamment que le recours à l’AMP est autorisé afin « d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. ». Le diagnostic est réalisé par un médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). Ce médecin délivre à cet effet une attestation au couple, sésame indispensable pour recourir à tout DPI.

S’agissant des conditions formelles, la loi requiert le consentement des deux membres du couple à la réalisation du diagnostic avant toute mise en œuvre de l’AMP.

Enfin, le DPI ne visant à rechercher que des affections « d’une particulière gravité », il n’a pas vocation à s’appliquer à des pathologies sans gravité particulière ni à permettre la détection d’autres pathologies que celles pour lesquelles il a été prescrit. L’article L. 2131-4 du code de la santé publique dispose ainsi que « le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter ».

Le site internet de l’ABM indique que 246 indications de maladies génétiques sont répertoriées en vue de la réalisation d’un DPI.

Dans le futur, la réflexion sur cette question devra tenir compte du fait que la fréquence des gènes de maladies est en perpétuelle augmentation depuis que la médecine permet à ces malades de survivre et d’avoir des enfants.

3.   Le DPI–HLA est une version du DPI complétée pour l’intérêt d’un tiers

La loi de bioéthique de 2011 a sensiblement fait évoluer le cadre juridique du DPI en généralisant alors ce qui n’était qu’une expérimentation : le DPI-HLA (human leukocyte antigen).

Cette technique permet de sélectionner un embryon qui, non seulement est indemne de l’affection recherchée, mais aussi est susceptible de pouvoir soigner un aîné, via une greffe de cellules souches provenant du sang du cordon recueillies lors de sa naissance. À cet effet, des tests permettant de préciser les déterminants HLA de l’embryon comme de celui de l’enfant malade sont réalisés afin de savoir s’il est possible de greffer à l’aîné des cellules souches du sang du cordon ombilical.

Le DPI-HLA est clairement réalisé dans l’intérêt d’un tiers et n’est pas sans soulever des problèmes éthiques, notamment l’instrumentalisation de l’embryon à d’autres fins que sa propre vie. Dans son avis n° 107 ([388]), le CCNE avertissait que « même améliorée, cette technique devrait demeurer une solution par défaut, dont on peut vivement souhaiter qu’elle soit provisoire et à laquelle il convient de chercher activement des alternatives ».

Les conditions de recours au DPI-HLA

L’article L. 2131-4-1 du code de la santé publique formule les conditions suivantes :

– le couple a donné naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique entraînant la mort dès les premières années de la vie et reconnue comme incurable au moment du diagnostic ;

– le pronostic vital de cet enfant peut être amélioré, de façon décisive, par l’application sur celui-ci d’une thérapeutique ne portant pas atteinte à l’intégrité du corps de l’enfant né du transfert de l’embryon in utero, conformément à l’article 16-3 du code civil ;

– le diagnostic [DPI-HLA] a pour seuls objets de rechercher la maladie génétique ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter, d’une part, et de permettre l’application de la thérapeutique mentionnée [précédemment], d’autre part.

Le bilan du DPI-HLA issu du rapport de l’ABM sur l’application de la loi de bioéthique ([389]) indique que le seul hôpital à avoir pratiqué cette technique a cessé en 2014 toute activité en ce sens, celle-ci étant qualifiée de « longue et lourde, tant pour les couples que pour l’équipe médicale ». La probabilité d’identifier un embryon indemne et HLA-compatible est de 1 sur 16, soit très faible. Depuis la mise en œuvre expérimentale jusqu’à la cessation de l’activité, soit entre 2006 et 2014, 38 demandes d’autorisations de DPI-HLA ont été accordées. 25 couples ont finalement entrepris la démarche conduisant à 59 stimulations ovariennes et à l’analyse de 135 embryons. Les naissances « ont permis d’envisager la greffe de 3 enfants ».

L’étude du Conseil d’État apporte, quant à elle, un éclairage particulier sur le faible recours à cette pratique dont la raison tiendrait à l’encadrement juridique prévu par le législateur ([390]).

La réalisation du diagnostic nécessite la délivrance d’une autorisation par l’ABM qui est subordonnée au respect des dispositions prévues au dernier alinéa de l’article L. 2141-3. Cet alinéa dispose qu’il ne peut être recouru à une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de tous les embryons du couple qui ont été congelés, sauf si un problème de qualité affecte ces embryons. En d’autres termes, il n’est pas possible de recourir à une nouvelle stimulation ovarienne tant que tous les embryons sains n’ont pas été transférés et ce, même si ces embryons ne sont pas HLA-compatibles. Cette condition conduit les couples concernés à renoncer à la FIV ou à l’implantation des embryons dans la mesure où la technique ne leur permet pas de donner naissance à un enfant susceptible de soigner leur aîné. L’étude du Conseil d’État met en perspective cette condition en rappelant que « le CCNE, dans son avis n° 72 d’octobre 2002, relevait en ce sens que le fait de rejeter des embryons (sains mais nonHLA compatibles) “indiquerait que l’enfant à venir n’était pas d’abord voulu pour lui-même, mais bien pour un autre”, ce qui lui semblait impensable au regard des valeurs qu’il défendait. » ([391]).

Le Conseil d’État conclut en proposant au législateur l’alternative suivante : supprimer la condition et encourir le risque que l’enfant à naître soit « appréhendé à l’aune de son utilité thérapeutique pour son aîné », ou maintenir le dispositif actuel du DPI-HLA dans l’attente de thérapies à venir. Une dernière solution, non recommandée par la haute juridiction administrative, consisterait à abroger le dispositif.

II.   un cadre juridique percuté par l’avancée des sciences et des techniques

L’avis rendu par le CCNE à l’occasion de la révision de loi de bioéthique formule une série de recommandations de nature à faciliter l’usage des techniques faisant appel à la génétique. Parce que cette évolution est susceptible de modifier l’usage que l’on peut en faire, le même avis conclut ses propos introductifs en avertissant que « le sort de chaque personne est loin d’être scellé dans ses gènes ».

Cet avis doit être placé dans son contexte : celui de la maturation d’une technique et de la réduction drastique des coûts du séquençage du génome. À cet égard, la France s’est engagée dans un plan sans précédent de développement de la médecine génomique à horizon 2025. Parallèlement à cette évolution, soutenue par l’État, la compétition économique s’est traduite par la mise à disposition du public de dispositifs à visée non thérapeutique que l’on pourrait sommairement dénommer tests prédictifs – l’appellation de « tests récréatifs » étant parfois employée. Il est attendu des pouvoirs publics une réponse à la hauteur de ces enjeux.

Conscient de l’importance de la génomique pour la transformation de notre système de santé publique, l’avis du CCNE indique également qu’une telle voie ne saurait être tracée à n’importe quel prix. Tel est le défi lancé au législateur.

1.   Le « plan « France Médecine génomique 2025 » entend faire entrer la médecine génomique dans une phase industrielle

Piloté par l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), le plan « France Médecine génomique 2025 » ambitionne de transformer sur une décennie notre système de santé. Trois défis sont ainsi identifiés justifiant la mise en place de plateformes de séquençage à haut débit.

a.   Un plan porteur de forts enjeux

L’accès à la médecine génomique représente un « enjeu de santé publique » ([392]). Elle devrait permettre une meilleure prise en charge des maladies rares et des cancers mais aussi des maladies communes. Une meilleure connaissance de l’information génétique, des variations génétiques et des réponses des patients aux thérapies proposées n’est possible qu’au travers du séquençage de l’ADN.

Les analyses génétiques sont devenues prégnantes, pour ne pas dire indispensables, dans la prise en charge des patients. En matière de cancérologie, l’annexe 10 du plan précité fait ainsi état de l’intérêt « théranostique » des thérapies ciblées : il s’agit d’apporter une prise en charge adaptée au contexte tumoral du patient en tenant notamment compte des altérations de l’ADN. Le séquençage, qui prend la forme d’un test génétique, permettrait ainsi de prédire la sensibilité ou la résistance à des thérapies ciblées.

Comme le rappelle le CCNE dans son avis n° 124 précité, « les études génétiques se limitent le plus souvent à la recherche dans l’ADN d’un patient d’un petit nombre de marqueurs génétiques distincts (< 10) choisis parce qu’on en suspecte l’implication lors d’une hypothèse médicale diagnostique ». Le séquençage à haut débit de l’ADN, qui suppose des moyens informatiques considérables, « permet d’acquérir simultanément et en un temps court » la séquence de certains gènes. L’annexe 10 précitée ne dit pas autre chose que le CCNE en soulignant l’intérêt des techniques de nouvelle génération dans la réduction des délais de prise en charge.

On distinguera trois types de séquençage :

– le séquençage du génome, à savoir la totalité des gènes composant un individu (environ 23 000). Cette technique semble être accessible à n’importe quel patient à brève échéance. Après avoir atteint des sommets vertigineux, le coût d’un séquençage se révèle aujourd’hui plus qu’abordable au point que le CCNE prédise, dans son avis n° 124, que le « génome de chaque individu représentera un standard de son dossier médical, régulièrement ré-analysé ». Aujourd’hui des sociétés de biotechnologies mettent à disposition des tests salivaires afin de réaliser le séquençage du génome.

– « La fonction de la majorité des trois milliards de bases composant le génome nous [étant] encore largement inconnue » ([393]), les techniques actuelles privilégient le séquençage de l’exome, c’est-à-dire des « gènes codant pour les protéines », autrement appelés exons, qui « ne représentent qu’une petite fraction du génome, soit 1 à 2 % » ([394]). Les gènes sont en effet constitués d’une alternance de portions appelées exons (partie codante) et introns (partie non codante). La fabrication des protéines nécessite le transport du message génétique par le biais d’un messager (acide ribonucléique ou ARN messager). Ce dernier est pré–synthétisé par recopiage des suites d’exons et d’introns avant de subir des coupures et des ligatures pour ne retenir que les parties codantes, soit les exons (ce dernier processus est appelé épissage). Ce séquençage permet d’améliorer le rendement diagnostique au regard du « diagnostic moléculaire classique basé sur l’analyse séquentielle de gènes, longue, fastidieuse et coûteuse ». En effet, le séquençage de l’exome intervient sur la totalité des exons des gènes de l’individu ;

– le séquençage du « transcriptome », c’est-à-dire « de l’ensemble des ARN d’une cellule ou d’un échantillon » ([395]).

Ces séquençages doivent être vus comme une étape supplémentaire dans le diagnostic d’une maladie génique, qui suivrait celle du panel de gènes. En effet, pour certaines maladies, seuls sont testés les gènes connus comme étant facteur de risque ou d’apparition de cette maladie. Si aucune mutation associée à la maladie n’a été identifiée sur ces gènes, il serait recouru au séquençage de l’exome ou du génome.

Parallèlement, le séquençage est aussi l’occasion de déterminer si les causes proviennent de modifications génétiques constitutionnelles ou de modifications somatiques, qui interviennent notamment dans la cancérogenèse. Les modifications constitutionnelles concernent l’œuf originel et sont donc présentes dans toutes les cellules ; elles viennent souvent des ascendants ; elles sont présentes dans les gamètes et peuvent, par conséquent, être transmises à la descendance. Elles concernent donc l’individu tout entier et tout ou partie de sa parentèle. Les modifications somatiques interviennent au cours de la vie ; elles impliquent une modification des tissus et sont insusceptibles d’être transmises à la descendance. Le séquençage permet d’identifier les mutations à l’origine des pathologies et d’élaborer la meilleure stratégie thérapeutique.

Le plan « France médecine génomique 2025 » est aussi l’occasion, pour notre pays, de combler son retard par rapport aux investissements colossaux engagés par les États-Unis, la Chine mais également le Royaume-Uni. Cet « enjeu de compétition internationale » ([396]) est double :

– au-delà de la construction d’une filière industrielle à haute valeur stratégique et médicale, ce plan permettrait à la France d’éviter de se voir imposer des « standards associés aux données produites [par les GAFA] leur procurant un avantage compétitif majeur » ([397]) ;

– l’intégration de la médecine génomique dans les systèmes de santé de nos voisins européens peut aggraver le risque de rupture d’égalité, certains patients fortunés étant susceptibles de se rendre à l’étranger pour y être soignés. Il y a donc un enjeu d’adaptation de notre système de soins et de notre démarche thérapeutique.

En résumé, la logique de plan nous invite à devancer nos concurrents pour ne pas avoir à subir un changement et non pas pour l’intérêt d’une compétition. Cette démarche est ainsi l’occasion de développer nos propres « standards » tout en valorisant notre savoir-faire scientifique et éthique.

La pérennité de notre système de protection sociale est soumise à une tension croissante entre la volonté de développer une médecine de qualité, accessible à tous, et l’obligation d’en maîtriser les coûts. Or le séquençage à haut débit emporte avec lui plusieurs promesses :

– une promesse de réduction des coûts à travers la diminution de l’« errance diagnostique », la mise en place d’une politique de prévention et l’élaboration de traitements réduisant les complications ;

– la promesse de retombées économiques positives provenant de la création d’une nouvelle filière industrielle.

b.   Un plan aiguillon d’évolutions dans le champ éthique

C’est dans ce contexte qu’interviennent deux pistes d’évolution qu’aimerait souligner le rapporteur.

Le quatrième volume du Traité de bioéthique inclut un article très instructif sur le fonctionnement des comités de protection des personnes (CPP) du point de vue des usagers du système de santé ([398]). L’auteure, Mme Catherine Ollivier, conforte certaines des conclusions formulées par M. Isaac-Sibille dans son rapport précité portant sur les modalités de saisine des CPP.

Confrontés à des recherches portant sur des domaines de plus en plus pointus et confidentiels, les CPP doivent relever le défi de la compétence. Pour évaluer finement les protocoles de recherche, ils doivent s’adjoindre des spécialistes reconnus et qualifiés. Pour s’assurer de la réalité du consentement des personnes, siègent également des non-spécialistes, parmi lesquels des représentants d’associations agréées d’usagers du système de santé qui doivent pouvoir, en un temps relativement restreint, s’acculturer aux données de la science et de la technique.

Deux remarques paraissent devoir être soulignées.

L’auteure souligne tout d’abord les améliorations notables portant sur la transparence des travaux et insiste sur la nécessaire mais néanmoins volumineuse documentation transmise aux patients faisant l’objet de la recherche. Celle-ci mentionne ainsi « les risques éventuels à […] participer [à la recherche], la gravité et la fréquence d’effets secondaires connus, nuisant à la qualité de vie, délétères voire mortels ».

Elle s’attarde ensuite sur l’« exigence incontournable » de loyauté, principe pour lequel une marge de progression subsiste encore. Se mettre à la portée du citoyen lambda est un défi important pour le chercheur ainsi que pour les industries de santé. La confiance ne pourra s’établir qu’à partir du moment où les documents produits sont lisibles, accessibles et compréhensibles. Bien évidemment, cela n’empêche pas le représentant des usagers d’engager une démarche d’acculturation afin d’acquérir le socle de connaissances nécessaires à l’évaluation d’un dossier. Cet effort n’exonère pas la partie demanderesse, qui soumet le protocole de recherche, d’effectuer un pas vers le citoyen.

L’auteure décrit ainsi des documents d’information comportant « des terminologies extrêmement complexes et spécifiques aux spécialistes, des sigles et abréviations non traduits, qui rendent le document incompréhensible au plus grand nombre des participants et, parmi eux, les plus fragiles, les plus vulnérables socialement, psychiquement et physiquement ». Ce manque de clarté confine parfois à l’ésotérisme lorsque le document comporte des termes parfaitement inconnus des néophytes que nous sommes parfois : « […] l’analyse de votre ADN total codant pour les protéines par séquençage d’exome entier (WES) […] ». Et elle conclut qu’« il est alors possible d’affirmer qu’aujourd’hui un trop grand nombre de documents d’information des patients participant à une recherche biomédicale ne répond pas aux critères de la “protection des personnes”».

Cette incompréhension peut se muer en défiance sociale à l’égard des projets de recherche, voire confiner au « complotisme ». Elle instille l’idée, au demeurant fausse, que le paraphe du représentant des usagers du système de santé n’est requis que pour servir de caution à un projet. Pour éviter de sombrer dans ce travers, l’acculturation des chercheurs au cadre éthique, défini par le législateur et mis en œuvre dans le cadre des CPP, demeure un enjeu important. Le chercheur, explorateur dans le labyrinthe de l’inconnu, n’en reste pas moins rattaché à son environnement par un fil d’Ariane.

Une seconde proposition, formulée par le Pr. Antoine Magnan lorsqu’il a été auditionné par la commission des lois et celle des affaires sociales ([399]), pourrait également être soutenue. Elle a trait aux modalités du consentement.

Les données de santé sont une source importante de connaissance et partant, conditionnent l’évolution de notre système de santé. La compétition économique qui en résulte aboutit à un véritable pillage des informations personnelles à côté duquel la protection que le droit vise à apporter aux données, pourtant hautement sensibles, demeure bien pâle. Dès lors, la recherche du consentement de l’intéressé à la transmission de ses données demeure le principal enjeu.

De plus en plus, l’exploitation des données de santé nourrira la recherche fondamentale. C’est la raison pour laquelle a été constitué le système national des données de santé (SNDS), gigantesque entrepôt à partir duquel peuvent être puisées des informations importantes. Sa configuration, son alimentation, l’accès à son contenu et le traitement des informations qui en sont extraites sont conditionnés par le respect des exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et fait intervenir plusieurs acteurs. On se reportera, pour plus d’informations, au rapport précité de notre collègue Albane Gaillot sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles ([400]).

Les données seront d’autant mieux exploitées qu’elles s’appuieront sur une large palette de « donneurs ». Ce large éventail conditionne ainsi l’élaboration des algorithmes tout autant que leur prédiction. Or, l’on sait aujourd’hui, que faute de données diversifiées, de nombreux biais affectent la construction d’algorithmes. On se reportera à cet effet à la partie du présent rapport consacrée à l’intelligence artificielle.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’interpellation fort pertinente formulée par le Pr. Antoine Magnan.

Présentant les enjeux d’une médecine prédictive en devenir, il se propose de dessiner le nouveau visage de la recherche clinique. Plutôt que de rester sur le modèle individuel du consentement à l’exploitation des données, la proposition consiste à « faire cohorte ». « Le parcours de soins ou, s’agissant de prévention, [le] parcours de santé » doit être aussi l’occasion de s’inscrire « dans un parcours de recherche ». Les données d’un individu, agrégées à celles des autres patients consentants, permettront de mieux évaluer la prédisposition portée par certains gènes à l’apparition de maladies et, à terme, chacun pourra obtenir des informations plus fiables sur son devenir et bénéficier d’une prise en charge plus adaptée.

Prônant une action « à la fois individuelle – je me soigne – et collective
 je participe à la recherche », la proposition du Pr. Antoine Magnan « change profondément le sens du consentement éclairé ». Elle soulève alors « plusieurs questions pour le législateur. Où vont mes données ? À qui appartiennent-elles ? Qui les utilise ? Combien valent-elles ? Qui les paie ? À qui ? Comment les protéger ? Quelle est la sécurité qui les entoure ? ».

La mission d’information n’a malheureusement pas pu approfondir les pistes ainsi ouvertes. L’examen du projet de loi à venir portant révision de la loi de bioéthique pourrait donner lieu à une évolution législative favorisant l’enrichissement du SNDS en données médicales et permettant de tirer pleinement parti des informations délivrées par les plateformes de séquençage du génome à haut débit.

Proposition n° 20 Favoriser l’émergence d’un consentement à l’exploitation des données de santé produites à l’occasion du parcours de soins ou du parcours de santé afin d’enrichir la recherche en santé.

2.   La banalisation des tests prédictifs ouvre la voie à une demande sociale croissante pour l’extension de leurs indications

Un deuxième phénomène invite à adapter notre cadre bioéthique. Ceci résulte de la banalisation des tests prédictifs, dont certains sont proposés au grand public par des entreprises de biotechnologies. Les enjeux ne sont pas minces au regard de l’éthique, la santé étant un domaine particulièrement prometteur pour le marché. L’avis n° 124 précité du CCNE en a précisé les contours.

De nombreux tests génétiques sont aujourd’hui accessibles directement, même si cela n’est pas conforme à la loi de notre pays. Après avoir été interdits par la Food and Drug Administration, en raison de leur manque de fiabilité, des tests ont été approuvés par cette autorité. Généralement vendus sous la forme de test salivaire, ces dispositifs entendent permettre au public d’obtenir des informations sur son génome et, dans une optique alléguée de prévention des risques, responsabiliser chacun sur sa santé.

Cette évolution « s’inscrit dans le mouvement de pensée prônant la responsabilité individuelle sans intervention du corps médical et sans prise en charge collective » ([401]). Elle met en demeure le corps médical de se positionner et l’oblige à renoncer à un certain paternalisme en tant qu’il n’est plus le seul « sachant ». La maîtrise de la destinée individuelle et familiale pousse également à envisager des examens au-delà de la vie elle-même : avant la vie, pour les parents porteurs de maladies génétiques ; après la mort, pour répondre aux questions exprimées par la parentèle à la suite du décès d’un proche.

Cette évolution correspond aussi à l’évolution du rapport de notre société aux nouvelles technologies. L’accès à ces tests participe de la maîtrise par chaque individu de sa propre destinée : moyennant le partage de ses données personnelles, il se voit promettre une médecine sur mesure correspondant à ses caractéristiques génétiques. On peut donc s’attendre à voir croître la demande d’examen des caractéristiques génétiques.

C’est à l’aune de ces changements substantiels que doivent être analysées les évolutions possibles des dépistages néonataux, des dépistages en population générale ainsi que des tests génétiques impliquant la parentèle.

a.   L’extension des dépistages néonataux

Conscient de faire état d’une position plus avancée que celle du CCNE dans son précédent avis n° 124, le rapporteur estime que l’extension des dépistages néonataux est très légitime pour inclure quelques maladies supplémentaires, dont la prise en charge précoce représente un avantage significatif en termes de survie ou de réduction de la morbidité. Il s’agit de certains déficits immunitaires sévères, pour lesquels la greffe précoce ou la thérapie génique augmente le taux de guérison, ainsi qu’un petit nombre d’autres affections, dont la liste doit être révisée périodiquement, au regard des progrès médicaux et scientifiques.

Proposition n° 21 Étendre les dépistages néonataux aux maladies pour lesquelles une prise en charge précoce offre un avantage significatif en termes de survie ou de réduction de la morbidité.

b.   Le statu quo en matière de dépistage en population générale dans l’attente d’un avis du CCNE

Le dépistage en population générale n’est pas prévu par la loi. S’il était autorisé, il viserait, hors de tout projet parental, à identifier d’éventuelles mutations génétiques susceptibles de conduire à des mesures de prévention. En tout état de cause, l’examen des caractéristiques génétiques n’est autorisé qu’à certaines conditions (cf. I de la présente partie) et par des laboratoires de biologie médicale et des praticiens agréés par l’Agence de la biomédecine ([402]).

À l’heure actuelle, des sociétés privées échappant à la juridiction française sont susceptibles de proposer, via internet, le séquençage du génome sur la base de simples tests salivaires. Prenant acte de ce contournement irrésistible de la loi, le CCNE se propose d’examiner la possibilité d’une ouverture encadrée de ces pratiques, pointant dans l’immédiat « l’absence d’accompagnement médical à la lecture des résultats » et « le risque de perte de confidentialité des données ». Ce dernier risque est avéré : un récent article d’un grand quotidien fait état des possibilités d’identification de nombreux Américains anonymes à partir des bases de données génétiques, sur la base de constats effectués par la revue Science ([403]).

Le dépistage auto-prescrit s’écarte également d’un simple diagnostic et les réserves posées par le CCNE en matière de détection des mutations hétérozygotes dans le cadre du DNN sont un rempart bien dérisoire face à la déferlante des tests actuellement sur le marché. Personne ne peut empêcher un adulte d’y recourir et, si des sanctions pénales punissent l’accession au séquençage proposée par des sociétés privées, leur application apparaît incertaine, voire impossible.

L’étude réalisée par le Conseil d’État admet le caractère ineffectif de cet interdit tout en soulignant son caractère symbolique. Le maintien de l’interdit éviterait aux « individus de se prévaloir des résultats de ces tests pour revendiquer des droits quelconques » ([404]). Ce maintien pourrait être justifié par d’autres raisons.

À la lumière des risques d’identification, se posent un certain nombre de questions liées à l’utilisation qui pourrait être faite de ces informations, particulièrement par les employeurs et les assureurs. La mission d’information renvoie à cet effet à l’étude réalisée par le Conseil d’État, non sans souligner que le régime assurantiel repose sur la solidarité entre bien-portants et malades au titre d’un risque. Une éventuelle prise en compte des caractéristiques génétiques, dont le caractère prédictif relève plus de la probabilité que de la certitude, porterait un coup fatal à l’organisation du risque social.

Elle serait aussi un affront à la dignité humaine en conditionnant l’accès à la protection collective à une caractéristique physique qui touche au cœur de l’identité de chaque individu, immuable au plan biologique et sans lien aucun avec le comportement de la personne.

Un autre effet collatéral découle du caractère massif et généralisé de la gestion des données et des données incidentes qu’elle peut produire – données qui, selon l’avis n° 124 du CCNE, sont des « découvertes réellement fortuites » qui posent d’autant plus de difficultés que leur portée est incertaine ([405]).

Proposition n° 22 Conditionner une éventuelle évolution vers un dépistage en population générale à un avis circonstancié du CCNE.

c.   La question toujours ouverte des examens post mortem impliquant la parentèle

Les examens génétiques impliquant la parentèle sont un autre sujet que doit aborder la loi de bioéthique. Le droit actuel n’autorise pas le prélèvement de l’ADN d’un patient décédé pour un test dont les conclusions permettraient de poser un diagnostic pour sa parentèle et de proposer une prise en charge adaptée. L’information de l’entourage se heurte au principe du consentement préalable posé par l’article 16-10 du code civil. Or certaines pathologies – par exemple des cardiomyopathies ou des arythmies cardiaques – sont cause de mort subite de sujets jeunes et, par ailleurs, susceptibles d’avoir une origine génétique, donc de concerner la fratrie de la personne décédée. L’intérêt d’un examen génétique de cette dernière est donc étayé au plan scientifique et l’Agence de la biomédecine appelle à une évolution de la législation, dans l’intérêt des familles ([406]).

Les deux exceptions légales permettant de déroger à l’obligation de recueil du consentement ne peuvent trouver à s’appliquer. L’article L. 1131-1 du code de la santé publique conditionne la réalisation de l’examen à l’intérêt de la seule personne (ce qui n’est pas le cas en l’occurrence). Les autopsies médicales destinées à obtenir une certitude diagnostique sur les causes de la mort ne peuvent, quant à elles, être réalisées qu’en raison d’une « nécessité impérieuse pour la santé publique » ou en l’absence d’autres procédés.

Une voie médiane, entre respect de la volonté du défunt, respect du secret médical et solidarité familiale, pourrait être d’autoriser des examens dans le cadre d’une autopsie, immédiatement après le décès, ou ultérieurement, à partir d’échantillons prélevés sur le patient et conservés. Le CCNE partage cette proposition en indiquant dans son avis n° 129 que, dans ce dernier cas, « l’examen ne serait réalisé qu’à partir d’éléments préservés du vivant de la personne, sauf autopsie post mortem » ([407]).

Le prélèvement opéré du vivant du patient est respectueux du principe du consentement. Il suppose toutefois la délivrance d’une information loyale permettant d’éclairer le patient en vue d’une prise de décision. En l’absence de prélèvement réalisé du vivant de la personne, la solution préconisée par le CCNE pourrait être de s’inspirer du prélèvement d’organes post mortem, à travers le consentement dit « présumé ». Une proposition de loi, adoptée par le Sénat, propose à cet effet d’autoriser « le prélèvement […] en cas de suspicion d’anomalie génétique au moment du décès » ([408]). L’absence d’opposition formulée par le patient, de son vivant, vaudrait autorisation de prélèvement. Cette solution nécessiterait alors la constitution d’un registre des refus susceptible d’être consulté après le décès.

Proposition n° 23 Autoriser les examens post mortem impliquant la parentèle dans le cadre d’une autopsie, immédiatement après le décès, ou ultérieurement, à partir d’échantillons prélevés sur le patient et conservés.

L’avis n° 129 du CCNE propose aussi d’envisager une adaptation normative afin de prévoir le cas des recherches médicales. Ce point ne fait pas l’objet de développements précis mais pose, à l’évidence, la question du consentement aux prélèvements qui seraient opérés après le décès. Le CCNE préconise d’emblée le consentement présumé après information des familles. Cette proposition est de nature à faciliter la recherche médicale et à participer au développement de la médecine génomique.

Le consentement, à travers l’absence d’opposition formulée du vivant de la personne, pourrait, à l’instar du diagnostic génétique réalisé pour la parentèle, être présumé dans la mesure où elle n’aurait pas d’elle-même consenti au prélèvement de son ADN de son vivant en vue d’un examen réalisé après son décès. Cette dernière hypothèse serait cohérente avec la proposition du professeur Magnan consistant à consentir aux recherches concomitamment aux soins par solidarité collective (cf. p. 179).

Une telle voie pourrait cependant se heurter à la même limite que celle constatée pour le prélèvement d’organes réalisés sur les personnes décédés après arrêt circulatoire suite à la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques. La consultation du registre avant le décès pourrait, dans certaines limites, se révéler nécessaire (cf. chapitre Dons des éléments et produits du corps humain).

d.   L’extension du cadre des diagnostics portant sur l’enfant à naître

Les tests permettent aussi de sécuriser davantage la « programmation » des naissances et d’accompagner les couples. C’est le cas des dépistages « préconceptionnels », de l’extension des indications du DPI ainsi que des dépistages prénataux non invasifs, apparus assez récemment et qui ne sont pas sans conséquences.

i.   Les dépistages « préconceptionnels »

Le dépistage « préconceptionnel » consiste à détecter, chez les deux membres d’un couple, les gènes dont la transmission à des enfants futurs provoquerait des maladies graves. En ce cas, il peut être proposé une FIV avec sélection des embryons non atteints. Ce dépistage est plus largement effectué dans de nombreux pays (États-Unis, Israël, etc.) qu’en France.

Dans notre pays, à l’heure actuelle, le dépistage « préconceptionnel » ne concerne que les familles où il existe un fort risque de transmission d’une maladie génétique monogénique, ce risque étant matérialisé par l’existence d’un cas avéré. Il n’est proposé qu’aux couples ayant recours à une FIV et pour la recherche du seul gène responsable de la maladie concernée. Dans l’hypothèse d’une extension de ce dépistage, celui-ci devrait concerner un nombre défini et relativement limité (au moins au début) de gènes de maladies (à réactualiser périodiquement) et être pris en charge par la Sécurité Sociale.

Lors de la réunion conjointe de la commission des lois et la commission des affaires sociales, le Pr. Arnold Munnich alertait la représentation nationale sur « la demande croissante des couples pour un diagnostic prénuptial ou préconceptionnel » en soulignant que cette demande pouvait aussi s’expliquer par référence à des pratiques admises par d’autres pays. Cette évolution lui semblant inéluctable, le Pr. Arnold Munnich suggérait un encadrement législatif en fondant son usage sur une « base volontariste, non coercitive et à la condition d’avoir bien fait comprendre aux intéressés qu’il ne s’agit pas d’une assurance tout risque ».

L’avis n° 129 du CCNE suggère une évolution du dépistage préconceptionnel dont l’objectif pourrait désormais consister à éviter une pathologie grave chez un enfant à naître, en l’absence de toute indication préalable d’un risque précisément identifié. Il s’agirait de déterminer, antérieurement au recours à une FIV, si les deux membres d’un couple sont hétérozygotes et porteurs d’un gène modifié responsable d’une maladie monogénique, c’est-à-dire d’une maladie associée au dysfonctionnement d’un seul gène. Pris en charge par la sécurité sociale, le dépistage serait limité à un « panel de mutations considérées comme responsables de pathologies monogéniques graves, survenant chez l’enfant ou l’adulte jeune ». Le CCNE n’envisage donc pas le dépistage des « pathologies de survenue très tardive ou associées à certains gènes de prédisposition ».

Le CCNE propose néanmoins d’étendre la recherche aux gènes dit « actionnables » qui, lorsqu’ils sont mutés, entraînent « une pathologie ou une susceptibilité à une pathologie pour laquelle des mesures de prévention peuvent être trouvées ». Ces tests ne seraient proposés qu’aux adultes consentant après une information éclairée. S’agissant d’une démarche faisant également intervenir un accompagnement médical, le CCNE suggère une prise en charge au titre de l’assurance maladie.

Cette proposition ne donne pas d’indications sur les modalités pratiques. L’avis n’évoque qu’une ouverture « aux seules personnes qui en feraient la demande » sans préciser s’il s’agit d’une invitation à ce que chacun des membres du couple pratique effectivement le test. Le Pr. Arnold Munnich soulignait ainsi qu’un dépistage assuré par les deux membres du couple serait de nature à diminuer « l’inquiétude liée au dépistage d’un variant chez l’un des deux ».

Proposition n° 24 Proposer le dépistage préconceptionnel afin d’identifier :
– les mutations génétiques responsables d’une pathologie monogénique grave survenant chez l’enfant ou l’adulte jeune ;             
– les gènes actionnables.

ii.   L’extension des indications du DPI vise à favoriser l’implantation des embryons

Le diagnostic préimplantatoire (DPI), dont l’objectif est d’éviter de transmettre une maladie génétique à un descendant lorsqu’un risque existe pour les parents, présente également un autre enjeu, rappelé par l’ABM, discuté par l’étude du Conseil d’État et souligné en audition par le Pr Nisand.

Le DPI est aujourd’hui justifié par l’existence d’un risque avéré, d’une particulière gravité et susceptible de transmission héréditaire. Lors de son audition, le Pr Nisand a plaidé pour une extension des indications du DPI afin de sélectionner les embryons les mieux à même de s’implanter et de se développer
– le taux de fausse couche après DPI est de 25 %, rappelle le Conseil d’État – ou d’éviter une interruption médicale de grossesse si des anomalies sont constatées au stade du DPN.

L’extension viserait à détecter d’éventuelles aneuploïdies, conduisant à mettre à l’écart les embryons porteurs d’un nombre anormal de chromosomes (trisomies 13, 18, 21, X et Y). Toutes ces anomalies ne sont pas létales
– notamment la trisomie 21 –, mais elles provoquent des difficultés d’implantation et aboutissent souvent à des fausses couches spontanées. En l’état de l’art, les techniques de DPI-A (DPI des aneuploïdies) permettraient, grâce à la sélection des embryons, de réduire considérablement le nombre de telles fausses couches.

Dans son étude, le Conseil d’État met en garde contre la « rupture avec la finalité originelle du DPI » consistant à prévenir la transmission d’une grave maladie héréditaire dans des couples marqués par un passé familial ou confronté à un premier-né souffrant d’un handicap sévère. L’évolution ferait ainsi passer le DPI à une « forme de DPN ultra-précoce […] à rebours de la distinction claire entretenue jusqu’à présent entre ces deux diagnostics ». Le Conseil d’État identifie donc clairement un premier scénario consistant en un statu quo sur le sujet.

Auditionnée par la mission d’information, le Pr. Nelly Achour-Frydman a souhaité apporter un nouvel éclairage. Le DPI-A n’a pas pour objectif principal de sélectionner les embryons mais de permettre une meilleure implantation des embryons dans le cadre d’une FIV. Elle a notamment rappelé les conditions initiales de l’interdiction de la détection des aneuploïdies en soulignant qu’elle était motivée par un rapport bénéfice/risque non favorable. Les essais, alors pratiqués via des biopsies sur des embryons de trois jours, n’avaient pas permis de conclure à une augmentation du taux de naissance, les effets défavorables des conditions de la biopsie, à l’époque, contrebalançant le bénéfice de la disparition des aneuploïdies.

Depuis 2012, des innovations techniques permettent d’envisager cette question sous un autre jour. Ces évolutions sont de deux ordres : d’ordre génétique, avec la possibilité d’analyser l’ensemble des chromosomes sur quelques cellules ([409]), et d’ordre biologique, avec la possibilité de pratiquer des biopsies sur les blastocystes (embryons âgés de 5 à 6 jours) et la vitrification. Parallèlement, le progrès des connaissances a permis de démontrer que les biopsies pratiquées sur les embryons de trois jours provoquaient des effets délétères, alors qu’ils n’apparaissent pas dans les biopsies pratiquées sur des embryons de cinq jours, au stade du blastocyste. Dans les documents transmis à la mission d’information, la fédération nationale des biologistes des laboratoires d’études de la fécondation et de la conservation de l’œuf (BLEFCO) souligne qu’« aucune différence en termes d’implantation n’a été constatée pour les embryons biopsés à J5 », légitimant ici l’absence de risque pour l’embryon.

Le DPI-A étant pratiqué dans d’autres pays et encadré par des recommandations internationales, le CCNE a proposé de recourir à ce diagnostic. Dans les pays dans lesquels ce diagnostic est pratiqué ([410]), le coût varie de 400 à 650 euros, entièrement à la charge du patient.

Aucune autre méthode n’est aujourd’hui suffisamment avancée pour éviter le recours au DPI-A. Le document transmis par la fédération nationale des BLEFCO mentionne ainsi le prélèvement du liquide blastocelique ou l’analyse du milieu de culture de l’embryon. Ces deux méthodes sont jugées prometteuses mais encore prématurées. En d’autres termes, l’extension du DPI à la détection des aneuploïdies ne doit pas empêcher de poursuivre les recherches pour envisager d’autres méthodes moins invasives afin d’améliorer l’implantation des embryons.

Cette extension n’est pas sans susciter des réserves au sein même de la communauté scientifique. Auditionné par la mission d’information, le Pr. Jean-Paul Bonnefont a souhaité attirer l’attention des parlementaires sur les motivations économiques poussant à une telle extension, en soulignant par ailleurs que le transfert d’embryons diagnostiqués comme aneuploïdes pouvait résulter en des grossesses normales, même si d’importantes malformations affectent alors l’enfant. Plusieurs personnes auditionnées ont rapporté des cas dramatiques de familles ne comprenant pas pourquoi on avait prévenu la naissance d’un enfant avec une maladie génétique, mais non d’un enfant trisomique, alors que l’examen était techniquement (mais non légalement) possible.

Une telle évolution, si elle était décidée, correspondrait au deuxième scénario envisagé par le Conseil d’État : la recherche des aneuploïdies dans le seul cadre du DPI. Il semble qu’au vu des auditions, l’extension de ses indications devrait être principalement motivée par la recherche des seules aneuploïdies « qui rendent l’embryon non viable aux fins des échecs d’implantations » ([411]).

Cette perspective n’est cependant pas partagée par toutes les personnes auditionnées. Le Pr. Israël Nisand suggérait d’inclure dans le DPI la détection d’aneuploïdies qui n’empêcheraient pas la grossesse d’aboutir mais qui, compte tenu des trajectoires des patientes et de leur histoire familiale, provoqueraient un drame supplémentaire. Ceci aboutirait à inclure, par exemple, la recherche de la trisomie 21.

Le rapporteur souligne que l’extension des indications permet d’éviter deux effets dommageables. D’une part, la sélection ex ante des embryons avant implantation réduit le risque d’avoir à recourir à l’interruption médicale de grossesse par la suite. D’autre part, l’augmentation du taux d’implantation permet d’espérer un moindre recours préalable à la stimulation ovarienne et partant, à la fabrication d’embryons congelés surnuméraires et susceptibles d’être voués à la destruction faute de projet parental. Il recommande en outre que ce DPI-A soit intégralement pris en charge par la Sécurité Sociale pour éviter des inégalités d’accès à cet examen. Il serait soumis à un accord parental préalable.

Enfin, le Conseil d’État identifie un troisième scénario consistant en la recherche d’aneuploïdies pour l’ensemble des FIV. Cette hypothèse n’a pas été abordée dans le cadre de la mission, les débats ayant exclusivement porté sur le DPI-A.

Proposition n° 25 Étendre les indications du diagnostic préimplantatoire à la recherche des aneuploïdies.

iii.   L’enjeu du diagnostic prénatal non invasif

Le diagnostic prénatal (DPN) vise à détecter une affection d’une particulière gravité chez l’embryon ou le fœtus dans une finalité thérapeutique. Il ne conduit pas nécessairement à une interruption de grossesse, mais aussi, parfois, à des traitements fœtaux in utero. Il n’a donc pas pour objet de permettre à la femme enceinte d’obtenir, pour « convenances personnelles », certaines garanties sur l’enfant à naître. Le médecin doit refuser la prescription de l’examen s’il n’est pas médicalement justifié.

L’émergence du diagnostic prénatal non invasif (DPNI) éclaire d’un jour nouveau cette question.

Ce test consiste en un prélèvement de l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel. Il est ainsi réalisable par simple prise de sang et peut être effectué « à un stade très précoce de la grossesse (vers 8-10 semaines d’aménorrhée), et avec une performance de plus en plus importante » ([412]). Jusqu’en 2011, le test permettait « la détermination du sexe fœtal dans les maladies récessives liées à l’X et le génotypage du Rhésus D fœtal chez les femmes Rhésus D négatives » ([413]) ([414]). Avec le séquençage à haut débit, le test permet aujourd’hui de détecter une trisomie 21 avec une précision jamais égalée jusqu’ici. Les mêmes évolutions techniques permettent aussi la détection d’autres mutations génétiques. L’étude du Conseil d’État mentionne « d’autres aneuploïdies, certaines microdélétions […], les maladies monogéniques ainsi que certaines caractéristiques génétiques (comme des prédispositions à certaines maladies) ». La question qui est aujourd’hui posée est l’éventualité d’une extension des indications du DPNI à d’autres anomalies.

Le DPNI a plusieurs avantages. Il évite notamment d’avoir à recourir à des techniques invasives, telles que l’amniocentèse, susceptible de provoquer des fausses couches. Comme le souligne le Conseil d’État, il « ne fait que rendre plus efficace et moins dangereuse une action de dépistage déjà systématiquement proposée sous une autre forme ».

Ces découvertes sont cependant susceptibles d’influer sur la poursuite de la grossesse car les résultats des tests sont disponibles avant le délai légal d’interruption volontaire de grossesse (IVG) fixé à 12 semaines ([415]). Or, en matière d’interruption de grossesse, le législateur a entendu répondre à deux situations distinctes :

– celle de la femme qui ne souhaite pas avoir d’enfant ou qui ne peut l’accueillir, à qui est ouverte la possibilité de recourir à une IVG avant la fin de la douzième semaine de grossesse. Cette possibilité est prévue par le chapitre II du titre Ier du livre II de la deuxième partie du code de la santé publique ;

– celle où « la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme » ([416]) ou lorsqu’il « existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » ([417]). La femme se voit alors ouvrir la possibilité de recourir à une interruption médicale de grossesse (IMG) sans limitation de terme, possibilité prévue par le chapitre III du même titre du code de la santé publique. Cette hypothèse fait notamment intervenir l’équipe médicale pluridisciplinaire du CPDPN qui procède à une analyse objective de la situation avant de délivrer son accord.

La possibilité de procéder à un DPNI étendu à de nouvelles indications est susceptible de modifier le cadre de la prise de décision. La découverte d’une anomalie pourrait inciter à pratiquer une IVG avant l’expiration du délai légal, sur la base d’une décision purement individuelle qui n’aurait pas pu être éclairée par une consultation auprès d’un CDDPN. En effet, outre les anomalies génétiques, le DPNI pourrait apporter des informations sur des prédispositions à une maladie et conduire des « couples à choisir seuls l’avortement sur la base d’une approche subjective et irrationnelle de la gravité d’une anomalie génétique sans prendre en compte ni sa prévalence ni les conditions de son expression » ([418]).

Ces risques supposent un encadrement des conditions de recours au DPNI dans deux directions.

Une première interrogation porte sur la nature des indications permises pour le DPNI. Dans ce cas, il ne semble y avoir que des avantages à effectuer le diagnostic plus précocement et de façon non invasive. Que l’interruption de grossesse soit désignée IVG ou IMG, elle aurait de toute façon été pratiquée et elle sera moins traumatisante si effectuée plus tôt.

Une seconde interrogation porte sur une éventuelle extension à des dépistages susceptibles d’apporter des informations sur des prédispositions génétiques. Le CCNE ne conclut pas de manière définitive mais suggère plutôt de poursuivre la réflexion sur une « éventuelle extension à l’analyse d’autres gènes de prédisposition, voire à l’ensemble du génome fœtal » ([419]).

Proposition n° 26 Accompagner l’extension des indications du diagnostic prénatal non invasif par un encadrement approprié.

iv.   La portée du DPN doit être reprécisée

Si le CCNE entend éventuellement reconsidérer l’évolution du DPNI, il souhaite toutefois préciser la portée du DPN de manière générale. Son avis n° 129 souligne ainsi que si le DPN peut aboutir à une IMG, son objet est également de pouvoir apporter une réponse médicale consistant « à une prise en charge de l’enfant, soit dans le cours même de la grossesse, soit après sa naissance » ([420]). Ce constat l’amène à formuler une évolution du cadre juridique, aujourd’hui restreint au dépistage et au diagnostic, pour y inclure la possibilité de formuler un pronostic et « si possible, le traitement des pathologies ou malformations » ([421]).

On notera que la rédaction proposée par le CCNE supprime la condition aujourd’hui requise consistant à ne rechercher qu’une « affection d’une particulière gravité », actant sans doute le caractère inéluctable des tests prédictifs actuels et futurs susceptibles d’être proposés par le marché.

Il est possible que ce positionnement soit justifié par la possibilité offerte aux couples de recourir à des tests non invasifs déjà disponibles sur le marché en l’absence de tout avis médical. Cela plaide en faveur d’une information préalable des couples sur l’existence de ces tests et de leurs limites. C’est la raison pour laquelle certaines personnes appellent à étendre les missions des CPDPN, qui, au-delà de leur intervention préalable à une éventuelle IMG, pourraient être mobilisés en vue de conseiller les couples qui les solliciteraient librement pour une information et un conseil. Cette intervention restant limitée à un éclairage sur les interprétations médicales des résultats d’un test, le rôle central du Planning familial dans l’accès à l’IVG ne serait pas remis en question. Cela ne dispense pas non plus de favoriser l’émergence de conseillers en génétique.

III.   Les enjeux soulevés par la médecine génomique

Le développement des techniques de la médecine dite prédictive est à double tranchant. En même temps qu’elles apportent des informations utiles à la prise en charge des patients et permettent de définir une stratégie thérapeutique, voire préventionnelle, elles peuvent alimenter une certaine angoisse parce que les « analyses donnent lieu à des interprétations extrêmement délicates – toxic knowledge, disent les Américains – sur des variants de signification inconnue, et sur lesquelles on n’est pas capable de statuer » ([422]). Les Américains sont cependant enclins à fournir plus largement qu’en France les informations générées aux patients, considérant qu’elles leur « appartiennent ».

Les limites de la médecine prédictive, la tentation du déterminisme génétique et les dérives qu’elle peut entraîner ont été rappelées par plusieurs publications – notamment l’étude du Conseil d’État et l’avis du CCNE – et par certains des intervenants auditionnés par la mission. S’il estime que des risques existent, le rapporteur ne voudrait pas que ceux-ci paralysent le travail accompli par les scientifiques et partant, la prise en charge de nos concitoyens. Il convient, pour ce faire, de délimiter régulièrement le cadre des évolutions, comme l’a d’ailleurs remarquablement bien fait le CCNE dans son avis n° 129.

A.   acter que le « tout génome » a des limites

Dans son avis n° 124 précité, le CCNE rappelait les limites du séquençage à haut débit du génome et de l’exome en soulignant que, s’il permet de déchiffrer le « programme » de chaque individu, il ne permet pas de déduire la mise en œuvre de ce programme.

1.   La notion de « variant de signification inconnue » rappelle le caractère incomplet de la science génomique

Il convient en effet de rester prudent quant aux informations apportées par les tests génétiques. Deux aspects peuvent être soulignés.

Une nomenclature internationale permet aujourd’hui d’identifier les variations génétiques identifiées. Certaines n’ont pas de lien de causalité avec une pathologie. À l’inverse, d’autres mutations sont répertoriées comme « causales » car elles sont identifiées comme responsables d’une pathologie. Pour d’autres variations encore, le lien de causalité avec la pathologie n’est pas établi avec certitude. Ces variations sont dites « de signification inconnue ». Pour celles-ci, il est donc nécessaire d’approfondir l’enquête afin de déterminer si elles peuvent finalement revêtir un lien de causalité. En l’absence d’un conseil médical et d’un avis éclairé, le risque est grand que le patient confronté à l’annonce de telles mutations soit amené à effectuer des choix aléatoires et parfois mal fondés.

Lors de son audition conjointe par la commission des lois et la commission des affaires sociales, le Pr. Arnold Munnich alertait sur les effets regrettables de décisions prises sur la base de variants de « signification inconnue ». Il s’appuyait sur deux exemples. Aux États-Unis, 50 % des femmes pour lesquelles ont été séquencées les protéines BRCA 1 et BRCA ont subi une mastectomie bilatérale au motif d’un antécédent de cancer. Il apparaît que, pour ces femmes, la mastectomie a été réalisée « à leur demande certes, au bénéfice du doute, mais sur la base d’un variant de signification inconnue ». Le second exemple a trait aux variants de signification inconnue mis en évidence à l’occasion de diagnostics prénataux, qui sont susceptibles de conduire à des interruptions de grossesse.

Ces deux exemples montrent que le seul fait d’obtenir des connaissances supplémentaires ne suffit pas à produire des décisions éclairées : les informations doivent être accompagnées par une capacité à comprendre et à déchiffrer leurs significations. Le Pr. Arnold Munnich soulignait ainsi : « Là est le problème : non pas de ce qu’on doit faire quand on peut statuer en toute rigueur, mais ce qu’on doit faire quand on est dans l’incertitude. » ([423])

2.   Le devenir de l’individu ne dépend pas que de son génome, mais aussi de l’épigénétique

Le séquençage du génome ou de l’exome apporte des précisions sur notre carte génétique et notre programme génétique. Toutefois, il ne donne aucune indication sur la mise en œuvre de ce programme, qui peut être déclenché en fonction du temps et des « signaux de l’environnement » comme le souligne l’avis n° 124 du CCNE.

Le génotype apporte des informations sur l’identité d’un individu mais ne détermine pas totalement son phénotype, à savoir ses caractéristiques physiques. Celles-ci dépendent de la façon dont les gènes s’expriment – c’est-à-dire la façon dont l’information contenue dans un gène est lue et donne lieu à la fabrication de molécules qui interviennent dans le développement et la vie de la cellule. L’expression des gènes est un processus dit « régulé », la régulation faisant intervenir de nombreux mécanismes moléculaires et faisant donc place à l’influence du milieu. Le CCNE rappelle à cet égard que « la diversité des phénotypes de nos cellules/tissus et le maintien de leur identité spécifique sont organisés par l’épigénome ».

L’épigénétique étudie ces facteurs de l’expression du génome. À la séquence invariante du génome s’ajoute le caractère dynamique, plastique et potentiellement réversible des modifications génétiques « en fonction de l’environnement et dans le temps ». Ces variations « sont héritables d’une cellule à sa descendance, donc pendant la vie de l’individu », souligne le CCNE. Il ajoute que « des travaux récents suggèrent qu’elles peuvent être transmissibles dans les cellules germinales, donc d’un individu à ses descendants, ce qui ouvre la voie à la possibilité d’une certaine hérédité des caractères acquis sur quelques générations ».

Le CCNE précise que « s’il est exclu aujourd’hui d’analyser l’épigénome de façon globale, hors d’indications précises (cancers, certaines pathologies infantiles) » il est néanmoins « envisageable à l’avenir qu’une telle analyse contribue à définir plus précisément qu’avec la seule séquence génétique –une susceptibilité via, par exemple, des indicateurs d’un risque d’exposition environnementale (nutrition, climat, toxiques, etc.), et donc à identifier avec plus de certitude quels individus sont à risque et pourraient bénéficier d’une prévention ».

Auditionné par la mission d’information, M. Thierry Magnin explique dans son essai ([424]) que « nos modes de vie, nos comportements, notre volonté, bref notre psychisme, ont une influence sur les mécanismes biologiques qui régissent certains éléments clés de notre santé liés notamment à l’expression de nos gènes ». Mettant en lumière les relations réciproques entre psychologie et biologie, l’auteur conclut que « l’individu n’est pas seulement “assujetti” à son patrimoine génétique : il devient acteur, en partie responsable de son expression ».

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’apparition de la nutrigénomique et de la nutrigénétique. Dans le premier cas, il s’agit d’une discipline visant à étudier la façon dont l’expression de nos gènes peut être liée aux nutriments et micronutriments. La vitamine D module ainsi l’expression de plus de 200 gènes. Dans le second cas, il s’agit d’étudier la façon dont la « nature du génome d’un individu peut influencer la manière dont il réagit à une alimentation » ([425]). En résumé, il est possible de compenser partiellement « des prédispositions génétiques à certaines maladies par une nutrition adaptée ». Ici encore, la prévention apparaît comme un élément majeur de la politique de santé publique.

B.   Écarter les craintes liées À l’eugénisme

À plusieurs reprises, certains interlocuteurs de la mission ont souhaité attirer son attention sur l’existence supposée qui d’un eugénisme « libéral », selon la terminologie employée par J. Habermas, qui d’un « eugénisme mou, démocratique et libéral », expression formulée par M. Jacques Testart.

La question de l’eugénisme divise. Par cette affirmation, le rapporteur entend souligner que si l’eugénisme fait débat, ce n’est pas parce qu’il y aurait d’un côté des thuriféraires de cette pratique et, de l’autre, des défenseurs acharnés du caractère sacré de la personne humaine. En réalité, personne ne s’accorde sur les termes d’eugénisme, de dérives ou de risques eugéniques.

1.   L’eugénisme reste prohibé par le code civil

Partons tout d’abord d’un constat partagé. L’article 16‑4 du code civil prohibe sans ambiguïté les pratiques eugéniques. Son deuxième alinéa formule l’interdiction de « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes ». Son quatrième alinéa prohibe la transformation des caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne, à savoir l’action sur les cellules germinales. Ces deux interdictions participent de la protection de l’intégrité de l’espèce humaine proclamée par le premier alinéa de l’article 16-4.

Comme il a eu l’occasion de le faire lors des auditions, le rapporteur entend rappeler que l’eugénisme se définit comme « l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine ». Éviter le développement d’un embryon ou d’un fœtus porteur d’une maladie grave, souvent mortelle avant l’âge de la reproduction, n’est évidemment pas de nature à provoquer une véritable modification du patrimoine génétique de l’espèce. Utiliser le mot « eugénisme » reviendrait à une extension considérable d’acception qui conduirait à affaiblir la signification néfaste de l’eugénisme authentique. Il est parfaitement licite que les convictions de certains les amènent à récuser pour eux-mêmes tout DPN ou DPNI ainsi que tout DPI dont l’objet est l’interruption du développement embryonnaire ou fœtal, mais il ne paraît pas souhaitable d’utiliser un terme relativement impropre pour justifier ce choix.

Considérant, à l’instar du Pr. Israël Nisand, que le mot « eugénisme » est chargé de sens, le rapporteur partage l’idée qu’il ne doit pas être brandi inconsidérément pour dénoncer des pratiques qui ne s’apparentent aucunement à une politique autoritaire et discriminatoire. Il faut absolument distinguer cet eugénisme de masse ou d’État de la pratique d’une prophylaxie individuelle.

Le terme d’eugénisme devrait être réservé aux politiques déployées en connaissance de cause par des États – l’Allemagne nazie, bien sûr, mais aussi de nombreux autres États au XXe siècle, comme la Suède ou les États-Unis. Entre dans cette catégorie l’institutionnalisation de pratiques eugéniques par Alexis Carrel, qui a organisé la mort par affamement de milliers de malades mentaux. Pour le rapporteur, il est judicieux de reprendre les quatre critères formulés par le Pr. Israël Nisand à l’occasion de son audition : coercition, discrimination, sens de la pratique et utilité. Il relevait à cet égard que « la médecine nazie, parangon de l’eugénisme, était hautement coercitive, hautement discriminatoire, […] était tournée vers la volonté d’établir un Reich de mille ans et reposait sur des bases scientifiques totalement erronées qui ont conduit à la mise en place des Lebensborn ». L’application des mêmes critères à l’égard du diagnostic prénatal conduit à conclure « les quatre curseurs sont au minimum ». Il conviendrait donc d’éviter d’« utiliser le même terme pour une horreur de l’humanité et pour quelque chose qui relève de la pratique quotidienne ».

2.   L’évitement de la naissance d’enfants qui seraient atteints de pathologies graves ne relève pas de l’eugénisme

La démarche visant à éviter la naissance d’enfants qui seraient atteints de pathologies graves, souvent mortelles dans l’enfance ou la jeunesse, notamment dans les familles ayant déjà eu des enfants souffrant de ces mêmes maladies, n’entre pas dans la catégorie de l’eugénisme. Cet avis est partagé par nombre d’interlocuteurs auditionnés par la mission.

L’objet du DPI, comme du DPN, est de faire naître des enfants en bonne santé et non d’améliorer l’espèce humaine. Il ne relève en rien du « programme d’action eugénique » décrit par M. Pierre-André Taguieff comme une « vision idéologique du bien ou du progrès de l’humanité (ou d’une portion de celle-ci), vision qui peut se présenter sous la forme d’une politique qualitative de la population, de telle population, ou, de façon plus manifestement utopique, sous celle d’un projet de remodelage de l’espèce humaine toute entière » ([426]).

Rappelons que le DPI ne s’adresse qu’aux couples comptant déjà un enfant atteint d’une maladie létale : il permet d’éviter la naissance d’un autre enfant atteint de la même maladie. Son extension à la trisomie 21 ne modifierait en rien la pratique actuelle qui, au terme d’un parcours éprouvant, aboutit déjà dans la quasi-totalité des cas détectés par DPN à une interruption médicale de grossesse. Pourquoi donc faire souffrir inutilement ces parents qui ne pourront pas assurer l’accompagnement de ces enfants parce qu’ils accompagnent déjà au quotidien un enfant qui partira avant eux ? Il ne s’agit donc en rien d’un projet concerté, planifié et autoritaire visant à établir un surhomme et encore moins d’un projet de convenance personnelle.

Enfin, pour reprendre les mots de M. Pierre-André Taguieff, s’il existe un « imaginaire eugénique » consistant à vouloir un enfant « parfait », « normal » ou « sain », celui-ci ne reste qu’une aspiration et ne se traduit pas par un « droit à un enfant sans défaut ». Il n’y a donc pas de pente fatale vers un eugénisme qui serait encouragé et imposé. Du reste, le DPI n’a pour but que de sélectionner les embryons dont le développement est susceptible d’être mené à terme. Certains, porteurs d’aneuploïdies, ne pourraient de toute façon pas se développer au sein de l’utérus.

Enfin, notons que l’évitement des naissances ne se traduit pas par une amélioration du patrimoine génétique. Ni la mise à l’écart de l’embryon porteur d’une tare génétique ni l’interruption médicale de grossesse n’emportent d’effets sur la descendance et ne visent à améliorer la lignée germinale.

3.   Un débat pourtant persistant

Le rapporteur est conscient que son point de vue n’est pas partagé par tous, y compris au sein de la mission. Chacun convient, certes, que l’arrivée d’un enfant porteur d’un handicap dans une famille déjà marquée par l’arrivée d’un premier-né atteint d’une affection d’une particulière gravité est une épreuve douloureuse. Mais certains considèrent qu’il importe de faire la différence entre des maladies génétiques particulièrement graves et la trisomie 21 qui, bien que constituant un handicap, ne peut y être assimilée.

Sans stigmatiser le choix du couple ou de la femme, éminemment intime, ils voudraient, dans cette perspective, souligner que les techniques de détection principalement centrées sur la trisomie 21 sont « orthogonales » avec l’accueil des personnes handicapées. Le Pr. Israël Nisand reconnaît lui-même que « la trisomie 21 est l’une des maladies génétiques les moins graves » et que « les trisomiques sont des enfants affectueux, heureux, qui ne se suicident pas et qui aiment la musique ». C’est pourquoi il plaide simultanément pour le diagnostic de la trisomie 21, en vue d’éviter une implantation et le recours ultérieur à une interruption de grossesse, et pour la recherche sur cette maladie. Il souligne d’ailleurs que si la Fondation Lejeune est particulièrement connue du monde scientifique pour ses actions judiciaires, entravant la recherche sur les cellules souches et l’embryon, elle gagnerait à être reconnue pour les financements qu’elle apporte à la recherche portant sur la trisomie 21.

Le débat sur la dimension eugénique des tests génétiques s’étend à la contestation de l’argument selon lequel le DPI et le DPN constitueraient des examens analogues évitant une maladie grave. Si le DPN aboutit effectivement à l’interruption médicale d’une grossesse et à éviter « le pire », selon les mots du Pr. Jacques Testart, le DPI serait une marche supplémentaire en ce qu’il « permet de choisir le “meilleur” enfant possible », ou plutôt, dans l’état actuel des pratiques, le moins malade. Dans cette perspective, l’évolution préconisée par le CCNE consistant à ne plus limiter le DPI aux affections à risque ne serait pas de nature à limiter les dérives, alors que c’est précisément le critère d’une affection d’une particulière gravité qui a permis d’encadrer les pratiques. Comme l’a souligné le Pr. Jacques Testart, « si la sélection vient à porter sur de très nombreux embryons issus de nombreuses personnes », et si l’on modifie les critères de sélection en les étendant considérablement, cela pourrait avoir « un effet sensible sur le génome de l’humanité ». Cette évolution emporterait aussi des effets qu’il estime pervers en encourageant l’idée que la technique permettrait de détecter l’ensemble des anomalies. Pour lui, elle ne ferait en fait que conforter la dépendance de la société à une technique, tout en faisant peser sur les épaules des praticiens une lourde responsabilité en cas de maladie génétique avérée à la naissance.

Enfin, l’irruption des DPNI pourrait affecter l’approche de notre société à l’égard de l’enfant à naître, surtout s’il y avait un recours à ces techniques sans encadrement ni discernement. Si la technique ne permet aucunement d’aboutir au droit à l’enfant parfait, au sens de droit opposable, elle serait toutefois susceptible d’encourager le « droit à ne pas faire naître un enfant imparfait », effleurant « l’imaginaire eugénique ». Pour ceux qui ont une peur permanente de la dérive eugénique, une telle voie ne ferait qu’accroître la pression sur les familles ayant fait le choix d’accueillir un enfant considéré comme trop différent et fort éloigné des critères de la norme sociale.

Comment lever les craintes d’un potentiel eugénisme, que le rapporteur juge, en conscience, infondées ? Un consensus pourrait être trouvé sur la recommandation formulée par la Fédération française de génétique humaine (FFGH) – qui n’a pu être auditionnée –, visant à la mise en place d’études sur les conséquences sociales et populationnelles des nouvelles techniques de dépistage généralisé.

Au-delà, la réflexion éthique ne peut manquer de relever que le choix des parents sera d’autant plus libre – et, par conséquent, la tentation eugéniste d’autant moins forte – que notre société saura consentir les efforts nécessaires pour accueillir toute personne, quel que soit son handicap, quelles que soient ses ressources, à tout âge de la vie, dans des conditions dignes, en vue de lui permettre de s’épanouir et de construire son humanité comme nous le voulons pour nous-mêmes. Ce que d’aucuns dénoncent comme un risque de dérive eugénique n’est autre que le détestable reflet d’une société trop peu fraternelle.

C.   MAINTENIR le cadre MéDICAL de l’examen des caractéristiques génétiques

Il est illusoire de penser que l’engouement actuellement constaté aux États-Unis pour les tests génétiques récréatifs ne s’étendra pas à l’Europe, fût-ce dans un cadre de santé publique. Le rapporteur est intimement convaincu que maintenir leur interdiction de principe n’emportera aucun effet. Pour autant, le laissez-faire n’apparaît pas une option plus souhaitable. Il faut encadrer cette évolution inéluctable, notamment par le développement d’un accompagnement médical.

La loi du 4 mars 2002 ([427]) était une première étape vers l’autonomie du patient. Celle du 20 janvier 2016 ([428]), en légitimant la place des associations de représentants d’usagers au sein des organismes sanitaires, a poursuivi cette heureuse démarche. Le paternalisme médical que l’on a connu par le passé n’est plus de mise. Les patients sont maintenant des acteurs de leur propre santé. Pour cette raison, il importe de préserver un certain équilibre dans la relation entre patients et professionnels de santé.

1.   La profession de conseiller en génétique doit être promue

L’irruption des tests génétiques, particulièrement, des tests dits récréatifs pourrait conduire les patients à se passer d’un avis médical et à fonder leur libre–arbitre sur des informations mal comprises.

C’est précisément pour cette raison que le professionnel de santé, au premier-chef le médecin, a encore toute sa place. En raison de sa proximité, le médecin sera confronté à l’angoisse de ses patients et devra trouver les ressources nécessaires pour lever les doutes, apaiser les craintes et œuvrer pour contrecarrer la spirale parfois anxiogène de l’interprétation des résultats. C’est là une dimension essentielle de sa mission. Elle résulte du code de la déontologie médicale et particulièrement de son article 32 : « dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ».

Le rôle du médecin de premier recours ne peut être pleinement conforté que par l’existence de « tiers compétent ». Cette exigence n’est d’ailleurs pas propre au médecin de ville. Elle concerne aussi les équipes pluridisciplinaires des CPDPN chargées d’accompagner les couples dans leur projet parental. Dans ces deux situations, le tiers de référence pourrait être constitué par le conseiller en génétique dont l’importance a été soulignée autant par l’étude du conseil d’État ou l’avis du CCNE que par les personnes auditionnées par la mission.

Un paramètre démographique conforte cet appel à une promotion de la profession de conseiller en génétique : les effectifs de médecins spécialisés en génétique ne suffiront pas à satisfaire les besoins qui vont naître de l’extension du champ de la médecine génomique.

Proposition n° 27 Promouvoir la profession de conseiller en génétique.

2.   L’extension des indications des tests génétiques ne sera pas sans conséquences sur la portée de l’information délivrée aux patients

La nécessité d’un accompagnement médical suppose aussi de s’interroger sur la nature des informations à porter à la connaissance du patient et sur leur temporalité tout en veillant à respecter le principe du « droit de ne pas savoir ». Cet équilibre n’est pas des plus aisés et, à dire vrai, n’est pas un enjeu nouveau. Avec le séquençage du génome, un nouvel équilibre doit être recherché pour tenir compte de l’importance nouvelle des « données secondaires » et des « données incidentes ».

a.   La gestion des données secondaires

Grâce aux techniques récentes, un dépistage génétique est susceptible de révéler des informations correspondant à une prédisposition à des maladies pour lesquelles il existe un traitement ou une prise en charge (c’est la problématique des gènes dits « actionnables »).

Notre édifice juridique ne prévoit pas de cadre pour la recherche de ces données, l’exploitation qui peut en être faite et l’information qu’il conviendrait d’apporter au patient. La FFGH indique que « le bien-fondé de la recherche des données secondaires ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté de généticiens avec des raisons entendables de chaque côté ».

Le Traité de bioéthique précité permet de se faire une idée plus précise à travers l’article consacré aux enjeux scientifiques et éthiques des données secondaires ([429]).

Il s’agit en premier lieu d’un enjeu scientifique.

Des personnes porteuses d’une même variation génétique peuvent avoir des trajectoires de vie différentes : développement de la maladie à un stade précoce, développement à un stade plus tardif ou maintien du caractère asymptomatique pendant toute la vie. La littérature scientifique montre aussi que des variants pathogènes prédisposant à une maladie peuvent, avec l’évolution des connaissances scientifiques, être finalement considérés comme bénins. L’article cite l’exemple des gènes de prédisposition aux cardiomyopathies.

Par ailleurs, un autre paramètre nécessite d’être pris en compte : la discordance de l’interprétation des variants d’un laboratoire à l’autre. S’il est aujourd’hui possible d’interpréter un gène de prédisposition chez un individu déjà malade ou dont l’histoire familiale révèle que plusieurs membres de sa parentèle sont atteints, il reste encore très difficile, en l’absence de référence, de déterminer avec précision la prédisposition à une maladie « hors de tout contexte pathologique individuel ou familial ».

Le Collège américain de génétique médicale propose, dans ce contexte, de n’informer que des données secondaires faisant intervenir un gène dit « actionnable », c’est-à-dire ceux prédisposant à une maladie qu’il est possible de prendre en charge. L’article conclut à l’absence de démonstration scientifique de la pertinence d’une telle approche chez « un individu asymptomatique et sans histoire familiale ».

Un second enjeu, éthique, concernerait la transmission de l’information.

L’accessibilité des techniques peut parfois prendre le pas sur le principe de bienveillance et interroge alors la capacité du patient à être véritablement autonome dans sa prise de décision. L’article précité indique ainsi que « les études montrent que les patients demandent dans la grande majorité des cas à avoir connaissance de ces données secondaires lorsque cela leur est proposé. » Il pointe la difficulté à consentir de manière éclairée en un temps restreint. A contrario, les patients qui bénéficient d’une consultation présymptomatique en raison d’un antécédent familial de maladie génétique à révélation tardive et qui disposent d’un long délai de réflexion « ne vont pas forcément au bout de cette démarche ».

Pour le rapporteur, ces préventions pourraient néanmoins être levées s’il était déjà possible d’assurer un éclairage objectif du patient au moyen d’une consultation assortie d’un délai de réflexion. Il relève que ces réserves, exprimées par certains membres de la communauté scientifique, ne sont pas partagées et retient la proposition de la FFGH : l’extension d’un test à des données secondaires devrait, dans un premier temps, ne pas être systématisée mais simplement proposée en recueillant l’accord explicite du patient. Par ailleurs, la FFGH appuie l’idée selon laquelle « l’absence de transmission d’information ne saurait être reprochée ni au laboratoire ni au médecin ». Cette position de la FFGH, partagée par le rapporteur, nécessitera une écriture assez fine des dispositions législatives et réglementaires.

b.   La gestion des données incidentes

Les données incidentes se distinguent des données secondaires en ce qu’elles ne sont pas recherchées en tant que telles. Elles apparaissent fortuitement à l’occasion d’un test génétique. La question se pose alors de la transmission de l’information au patient ou à sa parentèle.

Même lorsque le patient est en pleine possession de ses moyens, il peut être « incapable de fait, à plus ou moins long terme, de comprendre son état de santé et ce en raison d’un déficit d’informations que le médecin aurait pu ou dû lui transmettre » ([430]). Il importe à cet effet d’accompagner les patients qui, à eux seuls, ne peuvent saisir toutes les implications de la découverte de données incidentes.

Une publication de Mme Anna Pingeon ([431]) relative au séquençage du génome aborde ce sujet en analysant, d’une part, la portée du droit à l’ignorance et, d’autre part l’incertitude quant à l’interprétation des données. Elle rappelle que le droit actuel conclut à laisser au médecin la responsabilité de la conduite à tenir dans le cadre du colloque singulier avec son patient. C’est du reste cette attitude qui a été retenue par l’arrêté définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques ([432]). Pour le rapporteur, il faut, dans l’idéal, œuvrer à une décision partagée entre le médecin et le patient, l’un ayant l’expertise, l’autre étant amené à vivre la conséquence du choix.

Les données incidentes et le droit à l’ignorance

Si la loi consacre un droit de ne pas savoir, on ne saurait en déduire qu’elle interdit de savoir. Depuis la loi du 4 mars 2002, le patient dispose d’un droit à l’information, qui vise à lui permettre de participer aux décisions relatives à sa santé. Ce droit lui donne la possibilité d’accéder aux informations le concernant et seule peut y faire obstacle la manifestation de sa volonté d’être tenu dans l’ignorance.

Par contre, le médecin ne peut de lui-même limiter la portée des informations qu’il est en mesure d’apporter au patient, y compris s’agissant des données incidentes. En l’espèce, seule l’expression de la volonté du patient de ne pas les connaître pourrait y faire obstacle. La publication en référence indique qu’en tout état de cause, ces données incidentes pourraient être versées au dossier médical partagé et rester accessibles au patient s’il en fait la demande. La rédaction du premier alinéa de l’article L. 1111-7 du code de la santé publique est parfaitement limpide à cet égard puisque « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, (…) notamment des résultats d’examen (…)°». L’étude conclut à la nécessaire qualité de l’information à apporter au patient en amont des tests et à l’annonce des résultats.

Il ne faut pas oublier que la gestion des données incidentes est également conditionnée par l’interprétation que les professionnels de santé sont en capacité – ou non – d’en donner. Cette remarque n’est pas anecdotique puisque si le séquençage du génome apporte des réponses sur des mutations génétiques, son résultat recèle un certain nombre d’incertitudes (les variants de signification inconnue). Ceci devrait sans doute conduire à ne pas envisager la communication des données qu’il n’est pas encore possible d’interpréter.

Source : https://journals.openedition.org/cdst/401#ftn49

En matière d’information de la parentèle, la FFGH suggère de restreindre l’obligation de diffusion d’une information à la parentèle aux seuls cas où il est possible d’apporter un traitement ou de mettre en œuvre une action de prévention.

Comme pour les données secondaires, la gestion des données incidentes nécessiterait qu’un accord explicite soit recherché dans le cadre du colloque singulier. Pour les mêmes raisons, il importe aussi de prévoir le cas où l’absence de transmission des données ne pourra être reprochée ni au laboratoire ni au médecin.


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   Chapitre 5

Dons des éléments et produits du corps humain

 

L’article L. 1211-1 du code de la santé publique pose le caractère mixte des règles applicables au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain. S’appliquent en effet simultanément les dispositions du code de la santé publique et celles du code civil. L’article 16-1 de ce dernier affirme successivement le principe du respect du corps humain, son caractère inviolable et son extra-patrimonialité ; l’article 16-3 autorise l’atteinte à l’intégrité du corps humain en cas de nécessité médicale ou dans l’intérêt thérapeutique d’autrui, sous réserve du consentement exprès de l’intéressé. Le code civil opère ainsi la nécessaire synthèse entre le respect dû au corps humain et la possibilité d’y porter atteinte au profit de l’individu ou d’autrui, sans que le corps ne soit réductible à « des gisements de ressources biologique » ([433]). Le code de la santé publique décline ces grands principes aux éléments et produits du corps humain, qui, « une fois détachés du corps, deviennent juridiquement des choses » ([434]) mais n’en restent pas moins soumis à un régime juridique de protection.

Ce régime se caractérise par des règles communes applicables quel que soit le produit ou l’élément du corps humain concerné. Le regroupement des principes de gratuité, d’anonymat ou d’absence de publicité au sein d’un chapitre unique du code de la santé publique traduit la cohérence d’ensemble de la protection accordée au donneur comme au receveur. Ainsi toute évolution, même limitée à un élément ou à un produit identifié du corps humain, affecterait l’édifice dans son ensemble.

Le présent chapitre s’attache à rappeler les principes applicables aux éléments et produits du corps humain, le cas particulier des dons de gamètes étant cependant abordé dans le chapitre « Procréation et société ». Au regard des choix opérés par nos voisins européens ou nos partenaires d’outre-Atlantique, on notera une certaine constance dans ces principes. Si des évolutions sont envisagées, ce n’est que pour mieux organiser l’existant. C’est le cas des dons d’organes mais aussi du plasma destiné à la fabrication de médicaments dérivés du sang.

La thématique générale du don des « éléments et produits du corps humain » recouvre plusieurs domaines bien distincts.

Il s’agit tout d’abord du don du sang, de ses composants (plasma, plaquettes et globules rouges) et des produits sanguins labiles (produits à usage thérapeutique tels que les concentrés de globules rouges, les concentrés de plaquettes et les plasmas frais congelés). Cette forme de don repose sur les principes éthiques de gratuité, de bénévolat et d’absence de profit. Si notre pays est aujourd’hui autosuffisant en matière de transfusion de sang, il ne l’est pas pour le plasma faisant l’objet d’un fractionnement en vue de produire des médicaments dérivés du sang. Les quantités du plasma collecté en France pour cette production sont nettement inférieures aux besoins, ce qui conduit à l’achat de produits à l’étranger (le plasma n’étant alors pas collecté selon les mêmes standards éthiques, en particulier de gratuité, que dans notre pays).

Le don d’organes répond à un autre régime juridique qui s’attache au rein, au foie, au cœur, au poumon, au pancréas ou, plus rarement, à l’intestin. La majorité des prélèvements est réalisée post mortem sur des donneurs en état de mort encéphalique et repose, depuis la loi Caillavet de 1976, sur le principe du consentement présumé. Parallèlement aux donneurs décédés, le périmètre des donneurs vivants a été étendu, d’abord au cercle familial puis à un cercle affectif, en particulier pour les dons de rein. Se posent alors diverses questions : celle d’un don altruiste, ou solidaire ; celle de la mise en place de chaînes de donneurs pour augmenter les possibilités du don et surmonter certaines limitations rencontrées dans la pratique du don croisé autorisée par la dernière loi de bioéthique.

Le don des tissus, des cellules, des produits du corps humain et de leurs dérivés concerne en particulier les os, artères, veines, peau, cornées et valves cardiaques. Selon l’Agence de la biomédecine, ils permettent de « remplacer un tissu défaillant et de soigner les grands brûlés, de traiter des maladies aussi différentes que les sarcomes osseux, les malformations congénitales cardiaques, les infections de prothèse ou les cécités cornéennes » ([435]). Comme pour le don d’organes, les prélèvements peuvent être opérés soit sur des donneurs vivants, soit sur des donneurs décédés – le consentement étant alors présumé si le donneur n’a pas exprimé d’opposition de son vivant. Dans cette famille de dons, la principale interrogation concerne le régime des cellules souches hématopoïétiques (CSH) issues de la moelle osseuse ou du placenta. Les CSH sont prélevées dans la moelle osseuse, par ponction intra-osseuse, ou dans le sang périphérique par cytaphérèse ; le prélèvement peut aussi provenir du sang du cordon ombilical à l’occasion d’une naissance. C’est principalement le régime des CSH qui est appelé à évoluer à travers la question de l’extension du cercle des donneurs intrafamiliaux impliquant les mineurs.

I.   Un cadre juridique protecteur du corps humain, du donneur et du receveur

L’article 16 du code civil « interdit toute atteinte à la dignité » de la personne humaine. Introduit par l’une des deux lois du 29 juillet 1994 ([436]), le principe vise à « prendre en considération le tout indissociable que forment le corps et l’esprit ». Le législateur a ainsi entendu « rappeler que le respect du corps participe de la dignité de la personne » ([437]).

Saisi des deux lois adoptées le 29 juillet 1994, le Conseil constitutionnel a élevé la sauvegarde de la dignité de la personne humaine au rang de principe à valeur constitutionnelle et il a précisé la nature des deux menaces desquelles cette dignité doit être préservée : il s’agit de « toute forme d’asservissement », c’est-à-dire l’utilisation de la personne à une fin qui lui est étrangère, et de « dégradation », c’est-à-dire le fait de la traiter comme un objet.

Placée au frontispice des lois de 1994, la dignité humaine s’attache à la personne comme à son corps. Elle entend protéger la personne contre les risques de réification et se décline, pour ce qui est du corps humain, dans les notions de respect, d’inviolabilité et de non-patrimonialité.

A.   Les règles du code civil visent à protéger le corps humain

Le corps n’est pas un simple bien dont on pourrait librement disposer pour soi-même ou pour autrui. Le pouvoir d’un individu sur son propre corps n’est pas illimité. Il ne saurait s’infliger lui-même des maux ni consentir à en subir. Le corps est un prolongement de la personne et il est protégé par le respect dû à celle-ci. Les travaux parlementaires de 1994 donnaient quelques exemples pour en préciser la portée : stérilisation volontaire et irréversible, opérations chirurgicales destinées à modifier le sexe d’une personne, etc.

1.   Le respect du corps ne cesse pas avec la mort

Le respect du corps humain est le premier principe formulé par l’article 16-1 du code civil. On notera que ce principe ne cesse pas avec la mort, l’article 16-1-1 du même code disposant, d’une part, que « le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort » et, d’autre part, que les « restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence ».

Il en résulte que le respect dû au corps humain empêche toute utilisation commerciale du cadavre mais n’interdit pas son utilisation scientifique.

 

Le respect dû aux restes d’une personne décédée est d’ordre public

L’exposition de cadavres humains « plastinés » ([438]), ouverts ou disséqués, installés montrant le fonctionnement des muscles selon l’effort physique avait donné lieu à un recours en référé porté devant le juge judiciaire sur le fondement d’un trouble manifestement illicite et d’un soupçon de trafic de cadavres de ressortissants chinois prisonniers ou condamnés à mort.

La cour d’appel de Paris avait alors interdit la manifestation au double motif que la société organisatrice ne rapportait pas la preuve de l’origine licite et non frauduleuse des corps concernés et de l’existence de consentements autorisés ([439]).

Ces moyens avaient toutefois été déclarés inopérants par la première chambre civile de la Cour de cassation, qui, affirmant que le respect dû au corps humain après la mort est d’ordre public, concluait qu’une exposition de cadavres à des fins commerciales méconnaissait cette exigence ([440]).

2.   Le corps humain est inviolable

Le principe de l’inviolabilité du corps humain est proclamé par le deuxième alinéa de l’article 16-1 du code civil. Il s’inscrit dans la volonté plus générale de protéger le corps humain et d’éviter toute atteinte à l’intégrité du corps d’autrui telle qu’envisagée par l’article 16-3 du code civil. L’inviolabilité ne peut se comprendre sans référence à l’intégrité du corps.

Cette atteinte ne saurait être justifiée autrement que par une nécessité médicale ou dans l’intérêt d’autrui.

Dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 1994, l’article 16-3 du code civil conditionnait l’atteinte au corps humain à une « nécessité thérapeutique » pour la personne. Ce terme étant jugé trop restrictif, le législateur lui a préféré la notion de « nécessité médicale » afin d’y inclure certaines interventions qui relèvent d’une intervention médicale mais non thérapeutique (comme l’interruption volontaire de grossesse) ([441]).

En 2004, le législateur a admis la possibilité d’attenter à l’intégrité du corps « à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui », cette rédaction incluant les prélèvements effectués au titre d’un tiers comme la transplantation d’organes ou le don du sang.

Le principe d’inviolabilité implique que toute atteinte au corps humain soit précédée du recueil du consentement exprès de la personne. Cette règle posée par l’article 16-3 du code civil trouve écho dans le code de la santé publique, dont l’article L. 1111-4 formule le consentement libre et éclairé de la personne à tout acte médical ou traitement et l’article L. 1211-2 soumet le prélèvement d’éléments du corps humain et la collecte de ses produits au consentement préalable du donneur.

3.   Le corps humain ne fait l’objet d’aucun droit patrimonial

a.   L’affirmation du principe de gratuité

Le principe d’extra-patrimonialité (ou de non-patrimonialité) est le troisième axe de la protection du corps humain. Les travaux parlementaires de 1994 éclairent la portée de cette interdiction faite au corps humain, à ses éléments et ses produits de faire l’objet d’un droit patrimonial. C’est donc l’affirmation du principe de gratuité qui est ici sous-tendue.

L’article 16-6 du code civil dispose ainsi qu’aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci.

On en retrouvera une expression à travers l’interdiction de la gestation pour autrui formulée à l’article 16-5 du code civil mais aussi à travers la prohibition de tout paiement au sens de l’article L. 1211-4 du code de la santé publique. Le bénévolat est l’un des principes éthiques fondamentaux en matière de don du sang.

b.   La conciliation entre le principe de gratuité et le principe de neutralité financière du don pour le donneur

Le principe de gratuité n’est pas incompatible avec le remboursement au donneur des frais exposés par lui à l’occasion du don et l’indemnisation de la perte de revenus.

La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, dite convention d’Oviedo, prévoit que le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profits. Le guide établi par le Conseil de l’Europe ([442]) précise la portée de cette stipulation.

S’agissant du donneur, les dispositions visent à assurer une neutralité financière de l’opération. Dans le cadre du « remboursement », il s’agit de couvrir les frais de voyage ou équivalents qui ont été engagés en raison du don ; l’indemnisation vise à compenser la perte de revenus en lien avec le don. Le même document mentionne d’autres frais en lien avec le don comme les dépenses de garde des personnes à charge. Constatant les difficultés liées au calcul de ces frais, le guide formule un principe directeur consistant en « l’absence, pour le donneur, de pertes ou de gains financiers résultant du don ».

Le code de la santé publique, en même temps que l’interdiction de toute rémunération du don du vivant, mentionne le remboursement à la personne de tous les frais occasionnés par le don ([443]).

 On soulignera que la partie réglementaire du même code formule des règles communes applicables au bénévolat du don d’éléments et produits du corps humain à des fins thérapeutiques, à l’exception notable du don du sang.

S’agissant des prélèvements opérés sur les personnes vivantes, l’article R. 1211-2 met à la charge de l’établissement de santé qui réalise le prélèvement le remboursement des frais de transport et d’hébergement sur production des justificatifs nécessaires. La prise en charge des frais de transport est « effectuée sur la base du tarif le moins onéreux du moyen de transport en commun le mieux adapté au déplacement » ([444]) tandis que les frais d’hébergement hors hospitalisation du donneur sont pris en charge dans la limite d’un montant maximal par journée ([445]).

L’article R. 1211-5 met à la charge de l’établissement de santé qui réalise le prélèvement l’indemnisation de l’éventuelle perte de rémunération subie par le donneur, dans la limite d’un plafond ([446]).

L’article R. 1211-7 précise que ces dispositions s’appliquent aux déplacements afférents aux examens et soins qui précèdent ou suivent le prélèvement ou la collecte, ainsi qu’aux déplacements effectués pour l’expression du consentement du donneur, notamment s’agissant du don d’organes et de gamètes.

 Dans le cas particulier du don du sang, il faut se reporter aux articles D. 1221-1 à D. 1221-4 du code de la santé publique, qui prévoient :

– l’interdiction de toute rémunération, directe ou indirecte. Cette interdiction prohibe le paiement en espèces ainsi que la « remise de bons d’achat, coupons de réduction et autres documents permettant d’obtenir un avantage consenti par un tiers, ainsi que tout don d’objet de valeur, toute prestation ou tout octroi d’avantages » ;

– la possibilité de maintenir « la rémunération versée par l’employeur au donneur, au titre de l’exercice de son activité professionnelle, […] pendant la durée consacrée au don » ;

– le remboursement par l’Établissement français du sang, des frais de transports exposés lors du don, à l’exclusion de tout remboursement forfaitaire.

c.   La compatibilité entre la gratuité et la couverture des frais supportés par les établissements dans le cadre de leur activité de collecte, de prélèvements ou de transplantation

Le rapport explicatif joint au protocole additionnel à la Convention d’Oviedo relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine ([447]) précise que, s’agissant des frais exposés pour la réalisation des actes médicaux et des prestations techniques accomplis dans le cadre de la transplantation, ces actes « peuvent inclure les coûts du prélèvement, du transport, de la préparation, de la préservation et de la conservation […] qui peuvent légitimement donner lieu à une raisonnable rémunération ».

Le guide précité du Conseil de l’Europe donne des exemples d’actes techniques – prélèvements, tests, pasteurisation, fractionnement, culture, transport – et ajoute que :

– « les systèmes de rémunération et de primes au sein d’un hôpital ou d’un établissement ayant des activités de dons pour les services médicaux […] devraient être comparables au montant prévu pour tout autre service fourni par l’équipe médicale au sein de l’hôpital ou de l’établissement concerné ». Le document ajoute qu’il n’est pas « permis d’accorder des primes pour l’obtention d’un consentement ou une autorisation au don auprès des personnes concernées » ;

– les frais afférents à ces prestations techniques ne « devraient pas excéder les frais de fonctionnement et devraient être comparables à ceux des services techniques similaires ».

Dans la pratique quotidienne, en France, les produits dérivés du plasma sont produits de façon quantitativement très insuffisante. Pour répondre aux besoins sanitaires des malades français, ces produits (dont les immunoglobulines) sont en partie importante achetés à des laboratoires internationaux, qui organisent les prélèvements dans des conditions différentes des recommandations nationales : don rétribué ou « compensé », prélèvements par plasmaphérèses plus fréquents (ce qui modifie légèrement la composition), donneurs habitant dans des pays éloignés où les infections courantes ainsi que les vaccins dispensés diffèrent de ceux habituellement rencontrés en France (ce qui fait que les anticorps diffèrent de ceux habituellement présents dans la population française), etc. Il n’est pas possible de corriger rapidement cette pratique sans nuire à l’approvisionnement et à la continuité de traitement des malades, mais il serait sain d’introduire une authentique transparence en précisant clairement les points mentionnés ci-dessus.

B.   Les principes de protection du donneur et du receveur participent de l’éthique de vulnérabilité

1.   La collecte ou le prélèvement poursuit un but thérapeutique ou scientifique

Toute collecte de produits du corps humain ou tout prélèvement d’organes poursuit essentiellement un objectif thérapeutique.

La mission de l’Établissement français du sang consiste à répondre aux besoins des patients. Pour le sang, ceux-ci nécessitent une moyenne de 10 000 dons par jour. 1 million de malades reçoivent des produits sanguins chaque année, la moitié d’entre eux étant directement transfusés (46 % pour une maladie du sang ou un cancer, 34 % dans le cadre d’interventions chirurgicales (dont accidentologie) et 20 % autres (dialyses, obstétrique, etc.), l’autre moitié étant traités par des médicaments dérivés du sang (MDS) ([448]). La plupart des malades bénéficient de plusieurs donneurs.

L’activité de prélèvement d’organes s’inscrit dans le cadre du plan « Greffe 3 » qui fixe un objectif de 7 800 greffes à horizon 2021 soit 115 greffes par million d’habitants (pmh) sur une année, comprenant un sous-objectif de 6 800 greffes d’organes à partir de donneurs décédés et un sous-objectif de 4 950 greffes rénales (tous donneurs confondus) ([449]) dont 1 000 greffes rénales à partir de donneurs vivants.

Si la greffe à partir de donneurs vivants est aujourd’hui possible – il s’agit surtout du rein et, plus accessoirement, de portions de foie ‑ les prélèvements sont majoritairement réalisés post mortem. Les besoins ne sont pas pourvus : ainsi « entre 2014 et 2017, le nombre de malades en attente d’une transplantation a augmenté cinq fois plus vite que le nombre de greffes réalisées » ([450]). En 2017, on dénombrait près de 24 000 malades inscrits sur les listes d’attente de greffe alors que seules 6 105 greffes ont été réalisées ([451]).

La deuxième finalité du prélèvement est scientifique. Il s’agit, en étudiant les produits et éléments du corps humain, de favoriser l’amélioration des connaissances scientifiques et partant d’améliorer la prise en charge des patients. On notera que, s’agissant du don d’organes, la finalité scientifique n’est opposable qu’à l’égard des prélèvements effectués sur des donneurs décédés, le don du vivant n’étant autorisé que dans « l’intérêt thérapeutique du receveur » ([452]).

2.   Le consentement préalable et explicite du donneur vivant est au cœur de l’éthique du don

La lecture combinée des articles 16-3 du code civil et L. 1211-2 du code de la santé publique montre que les principes généraux applicables au don des produits et éléments du corps humain requièrent le consentement préalable du donneur, qui est révocable à tout moment. Seule l’urgence thérapeutique permet de s’en passer, notamment lorsque l’état de l’intéressé ne lui permet pas d’exprimer son consentement.

 Dans son précis portant sur l’éthique médicale et la bioéthique, M. Didier Sicard souligne qu’« il n’y aurait pas d’éthique médicale au sens concret du terme sans le pilier central du “consentement” » ([453]).

Le consentement de l’intéressé permet une juste conciliation entre le respect de l’autonomie de la personne et le principe de bienveillance, l’acte médical étant réalisé à son bénéfice. L’asymétrie entre celui qui pratique l’acte et celui qui le subit, même à son bénéfice, est telle que la condition sine qua non du consentement est la délivrance d’une information loyale. La délivrance de cette information échoit au corps médical.

L’article L. 1221-3 du code de la santé publique dispose que « le prélèvement [du sang] ne peut être fait qu’avec le consentement du donneur par un médecin ou sous sa direction et sa responsabilité ».

Le prélèvement des tissus, cellules, produits du corps humain et leurs dérivés suppose un consentement formulé par écrit après que l’intéressé a dûment été « informé de l’objet du prélèvement ou de la collecte et de leurs conséquences et des risques qui y sont attachés » ([454]). L’article R. 1241-3 du code de la santé publique dispose que cette information est délivrée par une personne de l’équipe de prélèvement qui est nécessairement un professionnel de santé.

S’agissant du don d’organe, le donneur doit être préalablement informé par un comité d’experts, composé notamment de membres du corps médical, des risques qu’il encourt et des conséquences éventuelles du prélèvement ([455]). Le législateur a ainsi voulu faire intervenir des tiers chargés d’évaluer l’absence de contrainte sur le donneur. On notera que le texte libère de toute obligation d’information le médecin qui a posé l’indication de la greffe, même s’il est permis de croire que le colloque singulier aura permis d’apporter au donneur une information de nature à le préparer.

 Dans des situations de particulière vulnérabilité, la recherche du consentement nécessite des protections particulières.

Le don du sang ou le prélèvement de tissus ou de cellules ne peuvent pas avoir lieu sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l’objet d’une mesure de protection légale. Cependant, en matière de don du sang, le prélèvement peut avoir lieu sur une personne mineure à titre exceptionnel et au motif d’une urgence thérapeutique ou lorsqu’il n’a pu être trouvé de donneur majeur immunologiquement compatible, et à la condition que les titulaires de l’autorité parentale y consentent expressément ([456]) ; le refus du mineur fait obstacle au prélèvement.

S’agissant du prélèvement de cellules souches hématopoïétiques (CSH) ou d’un organe, le consentement de l’intéressé est exprimé devant le président du tribunal de grande instance ou le magistrat désigné par lui ([457]). Cette disposition est motivée par le souci d’éviter toute pression intrafamiliale qui serait de nature à altérer la portée du consentement. Un comité d’expert délivre une autorisation lorsque ce don implique un mineur ([458]).

Enfin, le prélèvement d’organes est strictement interdit sur un mineur ou un majeur faisant l’objet d’une mesure de protection légale : il n’existe aucune dérogation à l’interdiction posée par l’article L.1231-2 du code de la santé publique. Le deuxième alinéa de l’article L. 1231-1 évoque la possibilité qu’un fils ou une fille effectue un don à l’un de ses parents mais cette mention se rapporte uniquement au lien de parenté. Le seul tempérament apporté à l’interdiction vient de l’article L. 1235-2, qui permet l’utilisation au profit d’autrui d’organes enlevés à un mineur ou à un majeur sous tutelle à l’occasion d’une intervention chirurgicale réalisée sur lui dans son intérêt ; cette utilisation doit évidemment être consentie : d’une part, elle est subordonnée à l’absence d’opposition des représentants légaux de l’intéressé ; d’autre part, le refus de celui-ci fait obstacle à l’utilisation de ses organes.

3.   Des règles spécifiques existent pour les prélèvements sur des personnes décédées

Des règles spécifiques sont prévues pour le don d’organe ([459]) et le prélèvement de tissus, cellules et autres produits du corps humain ([460]) réalisés sur des personnes décédées.

Depuis la loi « Caillavet » du 22 décembre 1976 ([461]), le consentement est dit présumé, c’est-à-dire qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait expression préalable de ce consentement. Il suffit, en effet, que la personne concernée n’ait pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement. Cette règle ne vaut que pour les personnes majeures capables. Si la personne décédée est un mineur ou un majeur sous tutelle, le prélèvement ne peut avoir lieu qu’à la condition que chacun des titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur y consente par écrit.

Ce principe du consentement présumé, qui prévaut donc depuis plus de quarante ans, a longtemps été méconnu et mal appliqué. Il est ainsi apparu au fil du temps que si l’esprit de la loi était clair, la formulation retenue pouvait laisser entendre – à tort – que les proches devaient être consultés sur le projet de prélèvement. Dans la pratique, en cas de doute sur la volonté réelle du défunt, ce qui survient dans plus de 90 % des cas, les proches s’opposaient le plus souvent au prélèvement, le poids de cette décision apparaissant trop lourd.

La loi de modernisation du système de santé ([462]) a permis de clarifier et de réaffirmer ce principe fondamental de consentement présumé. À l’issue des débats parlementaires, une solution de compromis a été adoptée, prévoyant que l’inscription sur le registre national des refus serait le moyen principal – mais plus exclusif – d’expression d’une opposition au prélèvement. Le rapporteur insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un changement de paradigme, mais bien d’une clarification des termes de la loi.

Suite à une concertation très large des parties prenantes, le décret d’application ([463]) a permis de préciser les moyens d’expression du refus d’un défunt :

– l’inscription sur le registre national automatisé des refus de prélèvement reste le « principal moyen » d’expression de ce refus (l’inscription pouvant être faite par courrier ou sur internet) ;

– une personne peut également exprimer son refus par écrit et confier ce document à un proche ;

– un proche de la personne décédée peut enfin faire valoir le refus que cette personne a manifesté de son vivant (ce proche ou l’équipe de coordination hospitalière de prélèvement doit alors transcrire ce refus dans un écrit, daté et signé, en mentionnant le contexte et les circonstances de son expression) ;

Des bonnes pratiques relatives à l’entretien avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus ont également été définies par l’Agence de la biomédecine, puis homologuées par arrêté ([464]).

L’article R. 1232-4-5 ajoute que le refus peut concerner soit l’ensemble des organes et des tissus susceptibles d’être prélevés soit seulement certains de ces organes ou tissus.

Ces textes d’application prévoient donc que ce n’est pas l’avis des proches que l’on demande, mais bien l’avis du défunt, éventuellement rapporté par ses proches. En décembre 2017, à l’occasion d’une mission flash pour la commission des affaires sociales ([465]), le rapporteur a souhaité réaliser une première évaluation de ces évolutions, réunissant pour ce faire plusieurs équipes de coordination hospitalière, ainsi que des associations de malades et de personnes transplantées. Le rapporteur a ainsi pu souligner qu’« une souplesse créatrice d’ambiguïté [avait] été introduite dans le guide de bonnes pratiques, décrivant parmi les situations possibles celles dans laquelle “en raison du contexte, le prélèvement n’a pas été possible” alors que le défunt n’avait pas manifesté d’opposition au don ». Cette notion de « contexte », qui n’existait ni dans la loi, ni dans le décret d’application, pose effectivement quelques difficultés aux équipes sur le terrain.

Depuis janvier 2016, on observe une nette augmentation des inscriptions sur le registre des refus. Le rapport sur l’application de la loi de bioéthique publié par l’Agence de la biomédecine en janvier 2018 souligne que 90 000 inscriptions avaient été enregistrées dans les 20 ans précédant la loi de modernisation de notre système de santé. Depuis, plus de 200 000 nouvelles oppositions ont été formulées. Le même rapport souligne que ces oppositions « continuent d’être reçues à un rythme soutenu ». En novembre 2017, le nombre total d’inscriptions valides est de 288 665. Ce nombre reste cependant faible par rapport à l’effectif des Français désireux de se soustraire au don d’organes.

Selon la Fondation Greffe de vie, le taux d’opposition au prélèvement est de l’ordre de 30 % de la totalité des donneurs recensés (c’est-à-dire environ 40 % des donneurs médicalement retenus comme acceptables) ([466]). Par comparaison, le taux de non-prélèvement lié à une opposition n’est que de 15 à 20 % en Espagne.

 Qu’il s’agisse de l’inscription sur le registre du refus, dans le cas du don d’organes, ou de la forme écrite du consentement dans le cas de tous les dons, le consentement de la personne ne doit jamais être vu comme une simple formalité administrative, préalable à l’action, mais comme la conclusion d’une démarche raisonnée et informée visant à prendre une décision éclairée.

Donner son consentement ne se réduit donc pas à signer un formulaire qui serait opposable à la personne, comme on pourrait signer une décharge de responsabilité. Pour prendre une telle décision, il faut prendre du temps. Comme l’indiquait à juste titre le Pr Didier Sicard dans son ouvrage précité, « c’est la réflexion qui donne au consentement sa validité » ([467]). Or bien souvent, la rapidité prend le pas sur l’échange et l’obligation médico-légale sur l’« approche respectueuse » ([468]). M. Jean-Claude Ameisen ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « la procédure de consentement dite – une expression un peu paternaliste – “de choix libre et informé”, consiste à être informé pour décider librement, ce qui implique le droit de savoir et de ne pas savoir. Si on le remplace par un document écrit, ce droit de savoir et de ne pas savoir au moyen d’échanges ne s’applique pas. Le formulaire est là pour témoigner du fait qu’un processus a eu lieu, mais de plus en plus, il remplace le processus et témoigne du fait qu’il n’a pas eu lieu » ([469]).

Il en est de même de l’inscription sur le registre du refus. Les associations de donneurs d’organes soulignent que le nombre relativement faible d’inscrits justifie la répétition des campagnes d’information « afin que chacun puisse choisir de s’inscrire (ou non) […] en toute connaissance de cause » ([470]).

4.   Le principe d’anonymat, d’ordre public, est assorti de tempéraments

a.   L’anonymat du don est un principe d’ordre public

Consacré par l’article 16-8 du code civil et par l’article L. 1211-5 du code de la santé publique, l’anonymat du don est une règle d’ordre public, qui plus est particulièrement défendue par les associations de donneurs. Bien sûr, il ne s’applique pas aux donneurs vivants volontaires issus du cercle affectif du receveur, en particulier pour le don de rein ou de lobe hépatique.

Il est interdit de divulguer des informations permettant d’identifier le donneur ou le receveur. Cette règle vaut non seulement à l’égard du donneur et du receveur eux-mêmes, mais aussi à l’égard des tiers détenteurs d’informations relatives à l’un ou l’autre.

D’un point de vue symbolique, le Conseil d’État rappelle que si le principe d’anonymat concourt à « l’expression de la solidarité entre les hommes, et d’une forme de fraternité » ([471]), il concourt aussi à l’objectif de protection du donneur et de sa famille. L’anonymat concourt aussi à la protection du receveur : le don participe d’un principe de solidarité et n’implique pas de réciprocité entre donneur et receveur ; au contraire, la notion même de don empêche que se crée une dette du receveur envers le donneur, qui placerait le premier dans une situation de subordination vis-à-vis du second. L’anonymat préserve la liberté du receveur.

Il évite aussi d’avoir à « orienter le don ». Dans son rapport consacré à la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’État souligne que, s’agissant du don de gamètes, la levée de l’anonymat « ab initio permettrait aux couples bénéficiaires de connaître l’identité du donneur, alimentant inévitablement la tentation de le choisir » ([472]). Le même raisonnement peut être tenu à l’endroit du receveur qui pourrait être choisi par le donneur. Dans ce dernier cas de figure, le principe de l’anonymat participe du principe de non-discrimination formulé par l’article L. 1110-3 aux termes duquel « aucune personne ne peut faire l’objet de discriminations dans l’accès à la prévention ou aux soins ».

Cette règle répond aussi à la volonté d’éviter toute contrainte sur le donneur susceptible d’alimenter les risques de trafic et d’inciter à la marchandisation du corps humain.

b.   La loi prévoit deux tempéraments au principe de l’anonymat

Le code civil précise que « seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci », cette ouverture devant évidemment être lue comme permettant à chacun des médecins d’accéder à des informations concernant la personne qu’il n’a pas lui‑même prise en charge. Cette dérogation participe de la protection générale de la santé des personnes, donneurs comme receveurs. C’est la raison pour laquelle tant l’article 16-8 du code civil que l’article L. 1211-5 du code de la santé publique admettent qu’il peut être dérogé au principe d’anonymat « en cas de nécessité thérapeutique ». Cela permet, par exemple, d’informer le receveur de la découverte d’une maladie génétique, d’une maladie infectieuse ou d’un cancer chez le donneur et des modalités de prise en charge. La formulation retenue par le code civil permet également d’assurer une certaine conciliation entre le principe de protection de la santé de la personne et le respect de son droit à ne pas savoir, en réservant aux seuls médecins du donneur et du receveur l’accès aux informations identifiantes.

Si elle n’est pas formellement écartée, la règle de l’anonymat perd sa substance en matière de prélèvement d’organe sur une personne vivante en vue d’un don. En effet, l’article L. 1231-1 du code de la santé publique prévoit que « le donneur doit avoir la qualité de père ou mère du receveur ». Initialement restreint au cercle familial, le don d’organes a ensuite été étendu aux proches : la loi du 6 août 2004 a étendu le lien biologique en permettant les prélèvements sur les grands-parents, oncles et tantes, cousins et cousines germains ; elle a aussi dépassé ce lien biologique en reconnaissant au conjoint du père ou de la mère la qualité de donneur ; la loi du 7 juillet 2011 a poursuivi cette extension aux personnes « apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ainsi que toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur ». L’anonymat du don ne concerne donc réellement que le prélèvement d’organes sur une personne décédée. Pour les personnes vivantes, l’étude du Conseil d’État rappelle que le choix du lien affectif paraît être la seule possibilité de maintenir au don un caractère désintéressé et de préserver les personnes de tout arrangement illicite.

On notera de même que le don de cellules souches hématopoïétiques ne peut être anonyme lorsqu’il implique un donneur mineur.

5.   La gratuité protège le corps du commerce

 La gratuité du don est d’abord protectrice du donneur en ce qu’elle vise principalement à ne pas considérer le corps comme un gisement de ressources biologiques. L’interdit de la vente protège le donneur de la tentation de « se faire chose » contre de l’argent et, partant, de renoncer à sa dignité et à sa liberté. Le principe de gratuité manifeste l’« absorption » du corps humain par la personne humaine et l’attire dans la protection due à celle-ci ; il permet ainsi de faire échec au « complexe de Fantine » mis en lumière par le sociologue Philippe Amiel ([473]).

Comme il a été dit précédemment, la gratuité du don n’interdit pas d’indemniser le donneur au titre des frais engagés pour le prélèvement, afin d’assurer la « neutralité financière » de son acte (ce qui doit naturellement être scrupuleusement assuré au donneur, sans délai de remboursement).

Le rapport de comparaison internationale élaboré par l’Agence de la biomédecine évoque les tensions importantes touchant la greffe rénale. En raison de l’augmentation des maladies chroniques et de l’insuffisance rénale chronique au niveau mondial, le rapport entre patients en besoin de greffe et offreurs serait de 1 à 10 ([474]). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 3 % à 10 % des reins transplantés dans le monde chaque année seraient achetés. L’Iran paraît être le seul pays à proposer une rémunération du don de rein afin de lutter contre le trafic. L’Agence de la biomédecine relève « que le commerce d’organes et le tourisme de la transplantation existent de fait dans certains pays où la vente d’organes n’est pas interdite légalement » ([475]) à l’instar de la Bolivie, de la Colombie, des Philippines, du Pakistan, ou de l’Inde. Cela étant, il semble que ces pays « adoptent peu à peu des mesures visant à interdire ou limiter ces pratiques » ([476]).

Si l’on s’attache aux règles du don du sang pratiquées dans les pays européens, l’encadrement est assez variable. Un rapport de la Commission européenne relevait ainsi en 2016 que si « la grande majorité des pays […] indiquent que le principe du don volontaire et non rémunéré était obligatoire au niveau national, leur législation fait souvent référence à un “encouragement” ou une “forte recommandation” » ([477]).

Cette incitation peut prendre différentes formes de cadeaux. Le rapport précité mentionne qu’« il est courant d’offrir des rafraîchissements aux donneurs (27 pays), ainsi que de petits souvenirs comme des badges, des stylos, des serviettes, des tee-shirts ou des tasses (24 pays) ». Il relève que « dans près de la moitié des États membres, les frais de déplacement sont remboursés aux donneurs qui peuvent également prendre un congé, dans le secteur public comme dans le secteur privé » et souligne enfin que « dans certains États membres, les donneurs reçoivent un montant fixe qui n’est pas directement lié aux frais réellement engagés ».

Une hétérogénéité demeure donc quant au périmètre des pratiques acceptables : certaines pratiques considérées comme une indemnisation dans un pays peuvent être perçues ailleurs comme incitatives.

Le rapport indique enfin que les valeurs maximales déclarées pour les indemnisations et les incitations s’élèvent à environ 25 ou 30 euros par don, celles des rafraîchissements et petits souvenirs se situant dans une fourchette allant de 1 à 10 euros par don.

La diversité des pratiques n’est pas sans lien avec la pénurie de produits sanguins.

L’enquête réalisée par la Commission européenne montre ainsi que « huit pays ont signalé des pénuries régulières d’un ou plusieurs composants sanguins ». Ces pénuries ont des causes pour partie conjoncturelles et pour partie structurelles. Elles « se produisent souvent pendant l’été/les vacances, alors que le nombre de donneurs est réduit et que le risque épidémiologique est accru, comme pour le virus du Nil occidental » contribuant à « temporairement limiter le nombre de donneurs éligibles ». À ce facteur temporaire, il faut ajouter le facteur aggravant du vieillissement de la population, qui entraînerait à la fois « un accroissement de la demande et une réduction du nombre de donneurs admissibles ».

Les incitations sont également motivées par la nécessité de couvrir les besoins en « médicaments dérivés du sang », c’est-à-dire issus du fractionnement du plasma (albumine, facteurs de coagulation ou immunoglobulines d’origine humaine), dont le régime juridique diffère de celui du sang à proprement parler. Nonobstant les règles relatives à la santé publique, le médicament est, au regard des règles européennes, un « bien » soumis au principe de la libre-circulation des marchandises. L’approvisionnement en « médicaments dérivés du sang » s’inscrit dans des mécanismes de marché, et le plasma destiné au fractionnement n’échappe pas à ce contexte. L’accroissement des besoins nationaux, dans un environnement marqué par l’augmentation de la demande mondiale et l’intensification de la concurrence, conduit à sécuriser les approvisionnements par la diversification des sources, donc l’importation de plasma. Le rapport précité de la Commission européenne souligne que « la demande de dérivés du plasma ne cesse d’augmenter (d’environ 6 % par an), ce qui génère également des flux d’importation en provenance de pays tiers à destination de l’UE » et qui complique la tâche des États membres qui souhaitent importer exclusivement du plasma issu de donneurs volontaires et non rémunérés. 80 % du plasma destiné au fractionnement en Europe est collecté aux États-Unis, pays qui autorise la rémunération du don.

 La gratuité est également protectrice du receveur dont l’état de santé justifie une transplantation ou un don du sang. Le receveur ne « paie » pas ses soins, qui sont remboursés par la Sécurité sociale, y compris les « produits du corps humain » reçus. Elle permet ainsi d’assurer l’effectivité du principe de non-discrimination. Le rapporteur rappelle que l’article L. 1110-1 du code de la santé publique impose « l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé » et que l’article L. 1110-3 du même code interdit toute discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins.

II.   La couverture des besoins médicaux rend nécessaires des adaptations

Plusieurs enjeux spécifiques ont été portés à la connaissance de la mission d’information et ont trait soit à la qualité du donneur (vivant ou décédé), soit à l’efficacité de l’organisation du prélèvement au bénéfice des receveurs.

A.   Les dons du vivant : des ajustements mineurs à un équilibre globalement satisfaisant

Le don du vivant poursuit un objectif thérapeutique – la dimension scientifique étant ici laissée de côté puisque relevant des « recherches sur la personne humaine ». Il vise à répondre à une nécessité médicale impliquant la santé d’autrui : le don est motivé par l’ambition de préserver ou améliorer l’état de santé du receveur ou de sauver sa vie. Le système français montre une certaine efficacité et peut s’enorgueillir de protocoles inspirés par le respect des patients, donneurs comme receveurs. Des auditions réalisées par la mission, il ressort qu’aucune évolution législative d’ampleur n’est aujourd’hui nécessaire. Quelques ajustements pourraient cependant être envisagés.

1.   Installer la neutralité du don comme principe structurant

Promouvoir le don du vivant oblige à garantir sa neutralité. Celle-ci doit être considérée dans une double dimension, financière et médicale.

a.   La neutralité financière comme élément du statut du donneur

Le rapporteur rappelle que l’article L. 1211-4 du code de la santé publique prévoit le remboursement à la personne de tous les frais occasionnés par le don. La neutralité financière, loin d’être une « prime au don », participe de la protection du donneur. Elle lui assure que son geste solidaire – et les contraintes qu’il implique – ne le pénalise pas. Au cours de son audition, Mme Anne Courrèges, directrice générale de l’Agence de la biomédecine ([478]), a ainsi souligné que « le législateur s’est attaché à éviter que l’acte de prélèvement et la générosité se retournent contre lui », tout en rappelant qu’il avait entendu étendre cette neutralité à la conclusion de contrats d’assurance ([479]).

La directrice générale a cependant mentionné la persistance de « difficultés pratiques » liées à la « méconnaissance des règles du principe de neutralité financière » et ayant conduit l’élaboration d’un « guide ([480]) à destination des directions financières des établissements de santé, afin de faire connaître ces règles dans toute leur subtilité, leur nuance ».

Cela étant, l’audition de Mme Courrèges a permis de mettre en évidence l’opportunité de quelques ajustements administratifs et organisationnels : « le remboursement a posteriori peut constituer une difficulté, tout comme les délais de remboursement ». Cette question se pose particulièrement pour les « patients ultramarins qui doivent se rendre en métropole » et dont « les billets d’avion, les frais d’hébergement peuvent représenter des sommes importantes ». La proposition, partagée par le rapporteur, consisterait dans ces cas très particuliers à éviter que les patients soient contraints de faire des avances de frais. L’étude du Conseil d’État ne dit pas autre chose en préconisant une dispense d’avance de frais lorsque « l’intervention et le suivi induisent des coûts de transport importants » ([481]). Elle envisage un « système qui se rapprocherait de la prise en charge des affections de longue durée (ALD) très favorable au patient puisque ne lui imposant pas d’avancer les sommes requises par les soins ou examens » ([482]).

Si le principe neutralité financière s’applique au don du sang, on notera que la compensation de la perte de rémunération n’est pas une obligation, à la différence, par exemple, du don d’organes. Or, on a souvent coutume de réduire le don du sang à une simple formalité ne prenant pas beaucoup de temps. C’est vrai du don du sang total. Ça ne l’est pas du don de plasma ou de plaquettes. À ce jour, sauf à augmenter les moyens de l’Établissement français du sang, la perte de revenus dépend du bon vouloir de l’employeur, qui n’est pas obligé d’accorder une autorisation d’absence. L’instauration d’une telle obligation a récemment été débattue par l’Assemblée nationale, sans aboutir ([483]).

b.   La neutralité du don et l’état de santé du donneur

La neutralité du don ne revêt pas qu’une dimension financière. Elle recouvre également une dimension sanitaire.

 Le renforcement du suivi médical des donneurs est une priorité qu’a bien voulu souligner la directrice générale de l’Agence de la biomédecine au cours de son audition. Un groupe de travail réunissant des représentants des professionnels de santé et d’associations concernées a été constitué pour analyser la question de l’après-don d’organe. Or, la directrice générale de l’Agence de la biomédecine souligne que « la cohorte [des donneurs] progresse » et que « les donneurs, initialement retenus pour leur bonne santé, ne se sentent pas malades et sont parfois eux-mêmes insuffisamment attentifs à leur suivi » ([484]).

Le rapporteur insiste pour que l’effort de suivi soit accru, obligatoire et contrôlé, dans l’intérêt des donneurs mais aussi dans l’intérêt du don lui-même, son succès dépendant d’un suivi médical réussi. À cet égard, il est permis de se demander s’il ne peut être envisagé de prévoir une information médicale préalable complémentaire délivrée par le praticien ou un membre de l’équipe de prélèvement, en sus du comité d’experts à l’instar de ce qui est aujourd’hui pratiqué pour le prélèvement de cellules hématopoïétiques ([485]). Une traçabilité médicale des donneurs vivants volontaires doit pouvoir être établie durablement. Dans l’éventualité exceptionnelle où un donneur de rein devient lui-même insuffisant rénal des années plus tard, il serait juste et raisonnable qu’il puisse bénéficier d’une certaine priorité pour recevoir à son tour un greffon rénal.

S’agissant du don d’organes, l’information « sur les conséquences prévisibles d’ordre physique et psychologique du prélèvement, sur les répercussions éventuelles de ce prélèvement sur la vie personnelle, familiale et professionnelle du donneur » est aujourd’hui délivrée par le comité d’experts prévu par l’article L. 1231-1 du code de la santé publique. Elle ne l’est par le médecin qui a posé l’indication de greffe qu’en cas d’urgence vitale ([486]). En matière de transplantation rénale, la dernière enquête de satisfaction publiée en 2014 montre que les « donneurs gagnent […] en information et en satisfaction autour de l’année post-don » ([487]). Mais la même étude souligne que pour 21 % des donneurs, « le manque d’information en amont sur les douleurs mais aussi le manque de suivi post-don est fortement exprimé ».

Dispositions relatives aux prélèvements des tissus, cellules et produits sur donneur majeur prévues par l’article R. 1241-3 du code de la santé publique

Les personnes majeures concernées par un prélèvement ou un recueil de tissus ou de cellules reçoivent, préalablement au consentement, une information sur les finalités, les modalités et les conséquences de ce prélèvement.

Cette information est délivrée par une personne de l’équipe de prélèvement, formée et apte à la transmettre d’une manière claire et adaptée.

Outre la nature et l’objectif du don à finalité thérapeutique, notamment pour le receveur, cette information porte sur « les risques éventuels encourus par le donneur », sur « les conséquences prévisibles d’ordre physique et psychologique du don ainsi que ses répercussions éventuelles sur la vie personnelle, familiale et professionnelle du donneur ».

S’agissant des cellules hématopoïétiques, le rapport sur l’application de la loi de bioéthique publié en janvier 2018 par l’Agence de la biomédecine souligne qu’aucune mesure législative n’impose de suivre l’état de santé du donneur. Le rapporteur souhaite qu’il soit mis un terme à cette carence.

Proposition n° 28 Instaurer la traçabilité médicale des donneurs vivants volontaires afin d’effectuer un suivi étroit et contrôlé de leur état de santé.

Proposition n° 29 Instaurer une obligation législative de suivi de l’état de santé des donneurs de cellules hématopoïétiques.

 Le développement du don du sang doit aussi être analysé au regard de la question de l’état de santé du donneur. Comme indiqué précédemment, le don du sang a aujourd’hui deux objets : la transfusion sanguine d’une part, la collecte de plasma en grande partie destiné à la fabrication de médicaments dérivés du sang d’autre part.

Dans les deux cas, la collecte s’inscrit dans le cadre d’un monopole confié à l’Établissement français du sang ([488]), qui dispose également du monopole de cession du plasma auprès du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB), société anonyme à capitaux majoritairement publics ([489]).

Le LFB a cependant la possibilité de fabriquer des médicaments dérivés du sang à partir de plasma prélevé dans des conditions différentes de l’article L. 1221-3 notamment « lorsque des médicaments équivalents en termes d’efficacité ou de sécurité thérapeutiques ne sont pas disponibles en quantité suffisante pour satisfaire les besoins sanitaires ou lorsque leur fabrication nécessite l’utilisation de plasma spécifique ne répondant pas aux conditions du même article. » ([490]) Une partie des besoins est ainsi satisfaite par l’achat de médicaments fabriqués à partir de plasma prélevé dans des conditions différentes de celles imposées par le droit français.

Parallèlement, la production de médicaments dérivés du sang, issus du plasma fractionné, est assurée par une filiale du LFB, elle-même à capitaux majoritairement publics, soumise aux règles européennes de concurrence. Cette société est autorisée à commercialiser des médicaments dérivés du sang auprès des établissements de santé, mais ceux-ci ont la possibilité d’acheter des médicaments dérivés du sang auprès d’autres opérateurs, ayant recours à des produits collectés dans des conditions autres que celles imposées par le droit français.

Or, la demande de médicaments dérivés du sang est telle que le plasma collecté en France en vue du fractionnement ne suffit pas à satisfaire les besoins et qu’il faut donc en importer. Au mieux, le plasma importé fait l’objet de pratiques incitatives non autorisées – cas de certains pays européens ‑ ; plus souvent, il s’inscrit dans le cadre d’une rémunération organisée – cas des États-Unis, qui produisent 80 % du plasma pour fractionnement vendu sur le marché mondial.

L’examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi relative au don du sang déposée par notre collègue Damien Abad a été l’occasion d’aborder la question de la qualité de la collecte de sang et de plasma à partir d’une étude réalisée par la revue Vox sanguinis ([491]) publiée en 2010. Cette étude montrerait une corrélation entre fréquence de la collecte de plasma en vue du fractionnement et qualité de la composition du plasma. Elle montrerait donc que « la législation relative au don du sang n’est pas sans conséquence sur la fréquence de collecte et partant, la qualité de sa composition » ([492]). Ses résultats soulignent « que les collectes pour lesquelles le don est rémunéré se caractérisent par une fréquence importante, un volume collecté très significatif mais par une composition plus faible en matière de protéines, d’albumines, d’immunoglobulines de type G ou de type M, d’hémopexines » ([493]). En l’espèce, la fréquence entre chaque don d’aphérèse est de 3 jours aux États–Unis quand elle est de quinze jours en France.

Le rapporteur a soulevé cette question lors des auditions en se demandant s’il n’était pas envisageable de faire évoluer la législation pour le plasma collecté en vue du fractionnement. Les réponses apportées plaident en faveur du maintien du droit actuel, qui organise un modèle à défendre et à promouvoir. Les interlocuteurs de la mission, associations de bénévoles du don du sang comme Établissement français du sang, ont particulièrement insisté sur cet aspect.

L’étude du Conseil d’État s’inscrit dans la même perspective et plaide même en faveur d’une évolution du droit qui permette à l’EFS de céder son plasma à d’autres fractionneurs que le LFB pour promouvoir le modèle éthique. Rappelant que cette proposition pose « la question des capacités de collecte de l’EFS et, en aval, celle du développement du LFB, mais également celle de la prise en charge convenable des malades », le président de l’EFS a indiqué qu’il « faut déduire de [celle-ci] que, dans l’hypothèse où le LFB ne pourrait plus fournir la quantité nécessaire de médicaments, il faudrait que [l’EFS puisse] vendre [le plasma qu’il collecte] à d’autres fractionneurs, à condition que le plasma fractionné serve à des malades français » ([494]).

2.   Élargir le cercle des donneurs vivants

L’intérêt qui s’attache à l’élargissement du cercle des donneurs vivants concerne aussi bien le don d’organes que celui de cellules hématopoïétiques.

a.   Le don d’organes par des patients vivants doit être élargi au « don altruiste » et au don par chaîne de donneurs

Les objectifs ambitieux fixés par les différents plans relatifs à la greffe, particulièrement le plan actuel « Greffe 3 » ont conduit à étendre le cercle des donneurs vivants.

Initialement restreint aux deux parents, le périmètre des donneurs a été progressivement élargi au cercle familial au sens large, puis, à compter de la loi du 7 juillet 2011, aux personnes ayant « un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur ».

La même loi a introduit une nouvelle possibilité de prélèvement en associant deux paires « donneur-receveur », lorsque le don est impossible au sein de chaque paire, dans un cadre appelé « don croisé ». Dans ce cas de figure, tout lien familial ou affectif entre donneur et receveur disparaît mais le code de la santé publique prévoit que les actes de prélèvement et de greffe doivent être « engagés de façon simultanée » sur les quatre personnes, afin de se prémunir contre le risque de rétractation d’un donneur après la greffe de son proche (article L. 1231‑1).

Ces élargissements ont permis d’augmenter sensiblement le don d’organes : l’Agence de la biomédecine a comptabilisé, d’une part, un quasi doublement de cette activité en 5 ans et, d’autre part, le franchissement du cap symbolique des 600 greffes à partir de donneurs vivants en 2017. Ce sont principalement les dons affectifs qui ont permis d’augmenter le nombre de greffes réalisées. Ces derniers représentent 7 % à 8 % des greffes rénales depuis 2014, soit 40 à 50 greffes par an. En outre, selon l’Agence de la biomédecine, très peu de greffes ont pu être réalisées grâce au programme de don croisé (4 greffes en 2014, 2 greffes en 2015 et 4 greffes en 2016). Ce résultat médiocre s’explique notamment par les contraintes de disponibilité des blocs opératoires puisqu’il faut 4 blocs pour réaliser simultanément deux prélèvements et deux greffes.

Le don croisé

 

Cependant, on constate aujourd’hui un certain tassement de l’activité de greffes réalisées à partir de donneurs vivants. Cette insuffisante progression des dons du vivant est doublement regrettable car elle maintient la pénurie de transplants et elle est moins performante : les greffes de rein provenant d’un donneur vivant donnent des résultats significativement meilleurs et plus durables que celles provenant d’un donneur décédé. Il importe donc d’informer le plus tôt possible de ces faits les proches des malades, en leur laissant toute la liberté du choix et en faisant vérifier par le juge que le donneur potentiel n’est soumis à aucune pression. Il faut aussi envisager de nouvelles modalités de don, sous deux formes.

Au cours de son audition, la directrice générale de l’Agence de la biomédecine a évoqué la piste du don solidaire, ou altruiste, également dénommé « le bon samaritain ». Des personnes dont l’anonymat serait préservé donneraient un organe – principalement le rein – à un malade inconnu en attente de greffe. Ce prélèvement, assurément solidaire, pose néanmoins de réels problèmes éthiques. Le prélèvement d’un rein, par exemple, est une intervention assez lourde au regard d’un prélèvement de moelle osseuse. Par ailleurs, si la moelle osseuse se régénère rapidement, cela n’est bien sûr pas le cas du rein. Un parent pourra-t-il se priver volontairement d’un organe qui pourrait éventuellement bénéficier à l’un de ses proches ? L’hypothèse du don altruiste oblige en effet à compléter l’approche classique de la neutralité du don : à l’heure où les besoins s’accroissent, en lien avec l’insuffisance rénale chronique, le don altruiste ne doit pas se traduire par une perte de chance pour le donneur potentiel.

Une autre piste est l’organisation d’un don par chaîne de donneurs. Il s’agit de faire sauter le verrou de la simultanéité des dons croisés en permettant que soit constituée une chaîne, non plus de deux paires, mais de trois, quatre, cinq, six ou sept couples « donneurs-receveurs ». Cela augmenterait les chances de repérer un donneur compatible sans se limiter à une compatibilité réciproque entre deux paires. La chaîne pourrait être fermée, la compatibilité devant alors être recherchée en « recombinant » de façon appropriée les membres de chaque paire. Elle pourrait être aussi ouverte avec une amorce constituée par un don altruiste.

La chaîne de donneurs : exemple d’une chaîne fermée

 

Dans son étude, le Conseil d’État relève « le caractère contraignant de la simultanéité des interventions » ([495]) et avance l’idée d’un assouplissement de la règle de la simultanéité des prélèvements pour « permettre l’initiation d’une chaîne de don ». Il ne préconise cependant pas une amorce par un don altruiste mais plutôt par un prélèvement effectué sur un donneur décédé. Cette chaîne de dons « pourrait être envisagée en veillant à ne pas créer de biais dans l’affectation des greffons en privilégiant les receveurs disposant d’un donneur non compatible dans leur cercle familial et amical ».

Proposition n° 30 Étendre le cercle des donneurs en reconnaissant la possibilité du « don altruiste ».

Proposition n° 31 Reconnaître l’établissement de chaînes de donneurs en supprimant le verrou de la simultanéité des dons croisés.

b.   Le don de cellules hématopoïétiques ne doit plus rester fermé au don ascendant

La finalité du don de cellules hématopoïétiques est strictement thérapeutique et son formalisme fait intervenir le juge judiciaire. Cela vise à éviter toute pression intrafamiliale, particulièrement lorsque le don, alors restreint au cercle familial, implique un mineur. Un comité d’experts délivre également une autorisation.

Que ce soit pour les mineurs ou pour les majeurs sous tutelle, le don intrafamilial ou apparenté n’est effectué qu’au bénéfice d’un frère, d’une sœur, d’un cousin germain ou d’une cousine germaine, d’un oncle ou d’une tante, d’un neveu ou d’une nièce ([496]). L’étude du Conseil d’État comme le rapport de l’Agence de la biomédecine plaident en faveur d’un élargissement aux parents de cette greffe intrafamiliale haplo-identique. L’Agence de la biomédecine fait valoir que des cas de don au bénéfice d’un des parents se présentent désormais, conduisant « dans un souci d’encadrement et de sécurité juridique » à le prévoir dans la loi.

Le rapporteur estime qu’une telle ouverture apporterait de réels bénéfices, tout en devant rester strictement encadrée afin de prévenir les pressions qui pourraient être exercées sur les mineurs et majeurs sous tutelle, personnes particulièrement vulnérables.

Proposition n° 32 Reconnaître et encadrer le don des cellules hématopoïétiques des mineurs au bénéfice de leurs parents.

B.   les dons post mortem : de nouvelles clefs pour un recueil éthique du consentement

Le prélèvement d’organes, de tissus ou de cellules du corps humain n’est possible qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques et prend appui sur l’absence d’opposition au prélèvement formulée par la personne majeure, de son vivant ([497]). Le prélèvement est consenti par écrit lorsque la personne est mineure ou majeure sous tutelle. Le prélèvement post mortem est la principale modalité permettant de couvrir les besoins en greffons ou en tissus ou cellules du corps humain. Il importe ainsi d’envisager cette question sous plusieurs angles.

1.   Sensibiliser davantage nos concitoyens à l’importance du don post mortem

Auditionnés par la mission, Mme Marie-Claire Paulet (France ADOT) et M. Michel Monseiller (Fédération française pour le don du sang bénévole) ont martelé l’idée qu’il faut davantage sensibiliser nos concitoyens à l’importance de ce don, en dédramatisant les conditions dans lesquelles un ou plusieurs prélèvements peuvent être effectués ([498]). L’inscription sur le registre national du refus étant censée être la principale modalité d’expression de l’opposition au prélèvement, il importe de le faire connaître davantage afin d’éviter toute ambiguïté au moment où la mort est constatée. Trop souvent, l’entourage du défunt tente de s’opposer au prélèvement parce qu’il ne parvient pas à s’accorder sur la position de celui-ci et parce que le défunt lui-même n’a pas effectué de démarche d’inscription sur le registre du refus.

Des efforts de communication importants ont été faits et doivent être poursuivis tant les besoins restent encore importants. Le schéma ci-après montre ainsi le hiatus dans l’évolution comparée entre le nombre de greffes réalisées et celui, très important, des malades inscrits sur les listes d’attente.


Évolution comparée des greffes réalisées et des malades inscrits en liste d’attente

Source : Document remis par l’association « Greffe de vie »

Dans le cadre de sa mission flash, le rapporteur a formulé plusieurs préconisations sur ce point, qu’il souhaite rappeler.

Il s’agit d’abord de renforcer la communication ciblée auprès des jeunes, moins sensibilisés à la question du don d’organes et moins concernés par la mort, alors qu’ils sont pourtant susceptibles d’en parler au sein du cercle familial. Aujourd’hui, une « information » est délivrée lors de la Journée de défense et citoyenneté ([499]) : il apparaît nécessaire de renforcer cette information, voire de l’intégrer au sein d’un module spécifique dans le cadre du futur Service national universel en cours de configuration. D’autre part, le rapporteur souhaite que le don d’organes et la greffe soient inscrits dans le programme de sciences et vie de la Terre (SVT) au collège.

Proposition n° 33 Renforcer l’information sur le don d’organes et la greffe auprès des jeunes dans le cadre du futur service national universel.

Proposition n° 34 Inscrire le don d’organes et la greffe au programme d’enseignement du cycle des approfondissements (cycle 4).

Il s’agit ensuite de réaliser un effort plus particulier vers les publics les plus réticents au don d’organes. À ce titre, l’Agence de la biomédecine pourrait mener une étude sur les causes de l’opposition au don et sur les préjugés relatifs à ce don, en collaboration avec toutes les parties prenantes. Cette étude pourrait comprendre par exemple un volet spécifique pour chaque région où le taux d’opposition au prélèvement est supérieur à la moyenne afin d’en approfondir l’analyse et de rechercher des solutions adaptées aux territoires en question. Les résultats de celle-ci pourraient par ailleurs être pris en compte pour imaginer de futures campagnes de sensibilisation, avec des actions ciblées si nécessaire. Les territoires ultra-marins, caractérisés par un très fort taux de refus malgré des besoins importants (forte prévalence de l’insuffisance rénale chronique, contraintes liées à l’acheminement de greffons depuis la métropole), pourraient ainsi être concernés en priorité par ces actions ciblées.

Proposition n° 35 Charger l’Agence de la biomédecine de coordonner une étude portant sur les causes de l’opposition au don d’organes.

2.   Consolider la formation des équipes soignantes

L’article L. 1232-1 du code de la santé publique confie au médecin la responsabilité d’informer les proches du défunt de la nature et de la finalité du prélèvement, conformément à des règles de bonnes pratiques arrêtées par le ministre chargé de la santé sur proposition de l’Agence de la biomédecine ([500]). Cette information prend la forme d’un entretien préparé et conduit par le médecin qui a pris en charge le défunt et l’équipe de coordination hospitalière chargée des prélèvements auxquels soit se joindre, « autant que possible », un membre de l’équipe paramédicale ayant pris en charge le défunt.

Si l’ère des pionniers de la transplantation est révolue, les nouvelles générations de professionnels de santé n’en sont pas moins enthousiastes. Cependant, l’activité peut apparaître plus complexe, fragmentée, soumise à des règles contraignantes. Devenus quotidiens, les prélèvements et transplantations ne peuvent reposer sur le seul dévouement exceptionnel de quelques-uns. L’organisation a été largement complétée mais elle est perfectible. Surtout, l’état important de souffrance de tous les acteurs de l’hôpital fait qu’aujourd’hui les activités non programmées sont en tension, en difficulté. On le ressent dans les services d’urgence, ceux de réanimation, ceux où se réalisent les prélèvements et les transplantations. Personnel non remplacé ou non formé, absence de médecin d’astreinte, absence de bloc opératoire accessible, etc. Combien de prélèvements empêchés ? Les chiffres ne sont pas disponibles. L’évaluation n’est pas réalisée de façon complète.

S’appuyant de nouveau sur les propositions faites dans le cadre de sa mission flash, le rapporteur rappelle qu’il est primordial de mieux former les professionnels de santé concernés par l’activité de prélèvement :

– en créant un diplôme spécifique, destiné aux coordinations, comprenant à la fois une formation théorique et pratique relative au prélèvement, mais également un module relatif à l’activité de transplantation, afin de familiariser les coordinateurs avec l’ensemble de la chaîne de la greffe ;

– en continuant à former tous les coordinateurs par des exercices pratiques de simulation et en prévoyant un stage systématique dans un service de transplantation et de traitement des malades en attente de greffe, afin de favoriser les synergies et de donner davantage de sens à leur activité ;

– en garantissant la formation par l’Agence de la biomédecine de tous les coordinateurs de prélèvement, y compris ceux sans temps dédié (exclusivement d’astreinte) ;

– en augmentant sensiblement le nombre de formations délivrées par l’Agence de la biomédecine en région ;

– en travaillant enfin avec les sociétés savantes d’anesthésie-réanimation, de médecine d’urgence et de pédiatrie, pour mieux informer ces professionnels particulièrement concernés sur le don d’organes.

Au-delà des professionnels directement concernés, une meilleure sensibilisation au don de tous les acteurs de la chaîne du soin semble nécessaire, à commencer par les médecins généralistes, acteurs-clés dans les actions d’information des patients. De même, il paraît essentiel d’intégrer un module obligatoire sur le prélèvement et la transplantation au cours des études de médecine et des études de soins infirmiers.

Proposition n° 36 Instaurer un diplôme sanctionnant une formation théorique et pratique portant sur la coordination en vue d’une transplantation.

Proposition n° 37 Introduire un module obligatoire sur le prélèvement et la transplantation au cours des études de médecine et des études de soins infirmiers.

Proposition n° 38 Développer la formation continue des professionnels de santé membres des équipes de coordination.

Proposition n° 39 Garantir la formation par l’Agence de la biomédecine de tous les coordinateurs de prélèvement, y compris ceux sans temps dédié (exclusivement d’astreinte).

3.   Les prélèvements sur donneurs à cœur arrêté

Les progrès de la médecine ont sensiblement modifié l’approche de la mort et sa définition.

Or le régime du consentement est radicalement différent selon qu’il concerne une personne vivante ou une personne décédée : le don du vivant est conditionné au consentement exprès du donneur ; le don post mortem est possible de droit, sauf opposition formulée du vivant du donneur. Par ailleurs, à l’approche de la mort, le sujet est particulièrement vulnérable et doit être protégé contre des pratiques médicales intempestives qui viseraient à répondre aux besoins en greffons.

a.   La mort est aujourd’hui caractérisée par la destruction irréversible de l’encéphale

La définition de la mort a évolué pour tenir compte de l’arrêt de toute activité cérébrale. C’est aujourd’hui la destruction irréversible de l’encéphale qui définit la mort. On parle de « mort encéphalique », que celle-ci découle d’un arrêt cardiaque ou qu’elle résulte d’une atteinte au cerveau (accident vasculaire cérébral par exemple).

Ainsi, pour une « personne présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant », la constatation de la mort, requiert, selon l’article R. 1232-1 du code de la santé publique, l’application de trois critères cliniques : l’absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée, l’abolition de tous les réflexes du tronc cérébral et l’absence totale de ventilation spontanée.

Pour un sujet dont le décès est constaté cliniquement mais qui reste assisté par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique (maintien de la circulation du sang), l’article R. 1232-2 dispose que l’absence de ventilation spontanée est vérifiée par une épreuve d’hypercapnie (détection de la présence excessive de dioxyde de carbone contenu dans le plasma du sang). Il est ensuite fait application des trois critères précédemment décrits, auxquels s’ajoutent deux examens complémentaires destinés à attester de la destruction encéphalique (deux examens par électroencéphalogramme ou une angiographie).

Les prélèvements sont principalement opérés aujourd’hui sur des patients en état de mort encéphalique. Comme le souligne l’Agence de la biomédecine dans son rapport sur l’application de la loi de bioéthique, « le recensement et le prélèvement des sujets en état de mort encéphalique ont plus que doublé depuis 1994. Entre 2012 et 2016, le taux de prélèvement a augmenté de 9 % » ([501]).

Évolution de l’activité de recensement et de prélèvement des sujets
en état de mort encéphalique

Figure P3. Evolution de l'activité de recensement et de prélèvement des sujets en état de  mort encéphalique

Source : Agence de la biomédecine, https://www.agence-biomedecine.fr/annexes/bilan2016/donnees/organes/01-prelevement/synthese.htm

b.   Les prélèvements peuvent à nouveau être opérés à cœur arrêté

Le rapport de la mission d’information préalable à la précédente révision des lois de bioéthique ([502]) a effectué un bref rappel des conditions de prélèvement d’organes post mortem. Il souligne que « les prélèvements après arrêt cardiaque ont été utilisés fréquemment au cours des années cinquante et soixante » avant de diminuer ensuite pour tenir compte de la circulaire de M. Jean-Marcel Jeanneney du 24 avril 1968 reconnaissant la mort encéphalique, pour être abandonnés après 1970. Il rappelle qu’« entre 1970 et 1995, alors que la France avait renoncé aux prélèvements après arrêt cardiaque, ce type de prélèvement était effectué par quelques équipes aux Pays-Bas et en Suisse ». Au vu de l’amélioration « des taux de survie des greffons comparables à ceux obtenus avec des greffons issus de donneurs en mort encéphalique », de « la diminution du nombre de patients passant dans un état de mort encéphalique et [du] nombre croissant de patients sur une liste d’attente », il a de nouveau été décidé de pratiquer les prélèvements sur donneurs après arrêt cardiaque.

L’article R. 1232-4-1 du code de la santé publique prévoit que le prélèvement ne peut être opéré sur une personne décédée que si elle est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction hémodynamique. Le même article admet cependant la possibilité de prélever certains organes sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant : selon l’arrêté du 2 août 2005 ([503]), les organes concernés sont le rein, le foie, le poumon et le pancréas. Cette dernière possibilité atteste des progrès réalisés dans la sauvegarde des organes mise en œuvre dans les minutes qui suivent le décès. Auparavant, l’arrêt du cœur aboutissait à une destruction rapide des organes rendant de facto toute greffe impossible.

Une classification internationale des donneurs d’organes ‑ ou classification de Maastricht ‑ permet de définir les conditions dans lesquelles le prélèvement d’organes peut être opéré. Quatre catégories sont identifiées : les catégories I, II et IV correspondent aux donneurs décédés après arrêt circulatoire non contrôlé ([504]) ; la catégorie III correspond aux « donneurs décédés après arrêt circulatoire suite à la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques » ([505]).

Classification internationale des donneurs d’organes, dite de Maastricht, réalisée en 1995 et révisée en 2013

Catégorie I

Personnes qui font un arrêt circulatoire en dehors de tout contexte de prise en charge médicalisée, déclarées décédées

Catégorie II

Personnes qui font un arrêt circulatoire avec mise en œuvre d’un massage cardiaque et d’une ventilation mécanique efficaces, mais sans récupération d’une activité circulatoire

Catégorie III

Personnes pour lesquelles une décision de limitation ou d’arrêt programmé des thérapeutiques est prise en raison du pronostic des pathologies ayant amené la prise en charge en réanimation

Catégorie IV

Personnes décédées en mort encéphalique qui font un arrêt circulatoire irréversible au cours de la prise en charge en réanimation

Source : Agence de la biomédecine.

Le prélèvement d’organes sur des donneurs décédés après arrêt cardiaque concerne en France des patients relevant des catégories Maastricht I, Maastricht II (depuis 2005) et Maastricht III (depuis 2014).

Selon l’Agence de la biomédecine, chacune des situations sous-jacentes à ces catégories soulève des questions éthiques. « Les catégories I et II posent en particulier le problème de la recherche d’une éventuelle opposition au don de la part de la personne décédée auprès de la famille […]. Sur le plan du prélèvement, ces catégories sont délicates en termes d’organisation du fait de la brièveté du temps imparti, s’agissant de situations impossibles à anticiper (“non contrôlés ou uncontrolled”) et qui dépendent largement des conditions de prise en charge par les transports d’urgence » ([506]). Dans ces situations, l’assistance circulatoire et la ventilation visent à préserver les organes qui seront prélevés, après vérification de l’absence d’opposition. S’agissant du programme de prélèvements d’organes sur donneurs appartenant à la catégorie Maastricht II, le rapport d’application de l’Agence de la biomédecine rappelle qu’« en raison de la complexité technique et organisationnelle de ces prélèvements, ils ne peuvent s’effectuer que dans des centres volontaires et nécessite une infrastructure et une organisation spécifiques et exigeantes » ([507]).

La catégorie III se rapporte à une situation d’arrêt cardiaque contrôlé et concerne les personnes hospitalisées pour lesquelles un arrêt de traitement est décidé. Les dispositions combinées de la loi Leonetti de 2005 qui autorise l’arrêt des traitements sur les personnes en fin de vie ([508]) et du code de la santé publique permettant de procéder à des prélèvements sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, « sans conditions restrictives » ([509]) ont ouvert la possibilité d’opérer un prélèvement correspondant à la catégorie III de la classification de Maastricht.

Après une phase pilote menée en 2015, le programme a progressivement été étendu. La majorité des donneurs relève aujourd’hui de la catégorie III. Au 30 novembre 2017, l’Agence de la biomédecine recensait 87 donneurs ayant permis la greffe de 157 reins, 43 poumons et 7 foies. À la même date, 34 donneurs relevant de la catégorie II (sur 78 donneurs recensés) avaient permis la greffe de 53 reins ([510]).

En 2009 déjà, la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique avait invité « les sociétés savantes à ouvrir un débat sur la procédure de prélèvements après arrêt cardiaque (catégorie Maastricht III) » ([511]). Par la suite, un protocole a été établi par l’Agence de la biomédecine après qu’a été recueilli l’avis du CCNE et des sociétés savantes.

Le protocole fixe des principes applicables à la limitation ou l’arrêt des traitements (LAT), qui visent notamment à éviter toute décision qui serait prise dans le seul objectif d’un prélèvement d’organes. Ce risque est néanmoins limité.

D’une part, conformément à la recommandation formulée par le CCNE, il a été établi une stricte séparation entre l’équipe qui décide de l’arrêt des traitements et celle qui prélèvera les organes. Dans sa réponse au questionnaire transmise par le rapporteur, l’Agence de la biomédecine souligne que « l’étanchéité des filières est assurée par le fait que la LAT est décidée collégialement et avec la famille en dehors de toute évocation du don d’organes. La coordination hospitalière n’est appelée qu’une fois que la décision de LAT est prise et l’abord des proches en vue de vérifier l’absence d’opposition aux dons d’organes n’est également faite qu’après décision de LAT ». Par ailleurs, un délai est requis « entre l’information sur la décision de LAT et celle du don d’organes » ([512]).

D’autre part, afin de satisfaire à la règle dite « du donneur mort », le protocole épouse l’évolution sémantique de la classification internationale intervenue en 2013 : celle-ci ne fait plus référence à un « arrêt cardiaque » mais à un « arrêt circulatoire ». Cette évolution sémantique témoigne de nouvelles modalités de constatation de la mort, l’arrêt circulatoire signifiant l’arrêt de la circulation sanguine quand l’arrêt cardiaque ne suppose que la fin de l’activité électrique du cœur. Le protocole prévoit à cet effet que « la survenue de l’arrêt circulatoire est surveillée par une mesure sanglante de la pression artérielle ». Le diagnostic de la mort implique la constatation pendant 5 minutes « de l’absence d’hémodynamique spontanée ou d’efficacité cardiaque par la disparition de la pulsatilité artérielle » et la recherche « des signes cliniques de la mort encéphalique ».

Le protocole autorise l’accomplissement, avant la consultation du registre national du refus, des gestes invasifs qui permettront de réaliser ultérieurement le prélèvement d’organes. Dans sa réponse au questionnaire transmis par le rapporteur, l’Agence de la biomédecine précise qu’il s’agit de « la mise en place de cathéter dans les vaisseaux fémoraux pour faciliter et sécuriser la mise en place secondaire de la circulation régionale ». Elle ajoute que ce geste relève des « mesures médicales prises avant le prélèvement pour assurer la conservation des organes d’une personne dont la mort a été dûment constatée » mentionnées par l’article R. 1232-4-3 du code de la santé publique, dont l’objet est de mettre fin auxdites mesures s’il apparaît que le défunt a manifesté de son vivant une opposition au don d’organes. L’Agence de la biomédecine indique que cette disposition apporte « une base réglementaire aux gestes nécessairement mis en œuvre par les équipes sur les personnes décédées, en vue d’un éventuel prélèvement d’organes ; soit sans aucun intérêt direct pour la personne décédée et alors que le registre national des refus n’avait pas encore été consulté ».

La possibilité d’effectuer ces gestes a fait l’objet de nombreux débats., Dans son avis n° 115 ([513]), le CCNE relève les interrogations sur les procédures invasives affectant le corps « après le constat du décès et avant que les proches n’aient pu dire si oui ou non il y a eu une opposition du défunt au prélèvement ». Soulignant que ces procédures ne peuvent être considérées comme nuisibles, le CCNE indique que « l’intervention de cette temporalité de la technique au moment crucial du dernier contact avec la dépouille peut sembler à certains un manquement au respect dû au corps humain après la mort ». Pour lui, l’enjeu est « moins celui du geste invasif avant accord que celui de la conception qui est véhiculée du corps ». Il en déduit qu’à partir du moment où « à aucun moment, le corps n’est appréhendé comme une batterie d’organes, et si, à tout moment en revanche, le don est valorisé comme lien, les conditions techniques de préservation du greffon éventuel n’en feront pas un geste intrusif portant atteinte au corps du défunt ».

L’analyse d’un centre pilote effectuée en 2016 par trois chercheurs du Centre hospitalier Annecy-Genevois soulignait les « débuts encourageants » de ce protocole et relevait que « les familles, lorsqu’elles bénéficient d’une prise en charge bienveillante, soucieuse de leur proche et parfaitement claire dans sa communication et ses intentions, ne semblent pas vivre l’hypothèse du don d’organe après mise en place d’une LAT comme “une transgression morale”, bien au contraire » ([514]).

En revanche, cette publication relevait que les conflits d’intérêts ou l’ambiguïté possible de l’intention des médecins semblaient être des problèmes posés surtout par les soignants. Le rapporteur rappelle à cet égard le principe de l’étanchéité des filières et le fait que la mise en œuvre du protocole fait l’objet d’un suivi dans le cadre d’un comité de pilotage dédié. L’Agence de la biomédecine souligne également que « l’adhésion à l’activité et au protocole de prélèvement [Maastricht III] est et reste une démarche volontaire portée par une équipe et son établissement ». En tout état de cause, la démarche est « précédée d’une longue préparation, de discussions d’informations et d’échanges accompagnées par l’Agence de la biomédecine », étant précisé qu’une « réunion de débriefing est préconisée après chaque procédure de prélèvement [Maastricht III] afin de détecter les difficultés réelles ou ressenties, et d’accompagner la ou les personnes en ayant témoigné ». Grâce à cette préparation, les objections formulées par les familles sont très rares, plus rares que dans les cas de mort encéphalique (où les proches n’ont parfois pas pu anticiper l’évolution vers le décès).

Enfin, les modalités de consultation du registre du refus posent une difficulté aux équipes de prélèvement. Dans une contribution transmise au rapporteur, il est souligné que « pour éviter des hospitalisations en réanimation », il serait souhaitable de consulter le registre afin d’arrêter précocement la procédure pour vérifier si le donneur a manifesté son opposition. Ce souhait a également été exprimé lors d’une audition ([515]) Cette situation concerne particulièrement les donneurs décédés en arrêt circulatoire de type Maastricht III. L’évolution souhaitée est notamment motivée par « la bientraitance des proches […] qui vont devoir exprimer la non-opposition », afin de leur éviter un potentiel questionnement. L’évolution est aussi motivée par l’efficience du processus hospitalier : la « consultation tardive [du registre national du refus] peut avoir un impact important sur les coordinations hospitalières tant sur un plan de l’activité que sur un plan organisationnel ». La contribution souligne que l’objectif consiste à recenser de manière exhaustive les donneurs « sans pour autant augmenter la durée d’hospitalisation et occuper inutilement des places en réanimation rares avec des donneurs potentiels ». L’Agence de la biomédecine confirme que la demande de pouvoir consulter de façon anticipée le registre du refus « vient de certains professionnels confrontés pour leurs patients à des changements de service du type passage d’un service d’urgence vers un service de réanimation pour prélèvement d’organes en raison d’une évolution défavorable ». Ces transferts apparaissent in fine « inutiles pour cause d’inscription du défunt au registre national des refus », l’interrogation de celui-ci ne pouvant se faire qu’à l’appui d’un certificat de décès. Le rapporteur suggère que dans ces cas très rares et avec une motivation précise, la consultation du registre national des refus puisse intervenir avant la déclaration du décès, sans attenter dans tous les autres cas au maintien de la confidentialité absolue nécessaire à la confiance dans le système de santé. L’avis de la CNIL sera sollicité et des propositions devront être faites en ce sens.

Proposition n° 40 Autoriser sous conditions la consultation du registre national des refus avant la déclaration du décès dans le cas de prélèvements d’organes susceptibles d’être opérés sur des donneurs de la catégorie « Maastricht III ».

C.   Une organisation hospitalière à consolider

L’organisation des prélèvements et des transplantations doit être consolidée. Ce point a été doublement souligné en auditions.

Le premier axe à travailler concerne l’accès au bloc opératoire pour les actes de prélèvement. Cette activité, qui était traditionnellement effectuée de nuit, tend « à se déporter vers la journée, pour diverses raisons » telles que « l’âge de plus en plus élevé des donneurs » ou « la complexité des régulations » ([516]). Or, le prélèvement n’est pas nécessairement une priorité dans la planification des accès aux blocs opératoires et pâtit des réorganisations globales de l’hôpital. Les équipes médicales non impliquées dans les activités de transplantation ne sont pas suffisamment sensibilisées à la nécessité de prélever au plus tôt un organe pour maximiser le succès d’une prochaine transplantation, ce qui peut expliquer une partie des difficultés. Par ailleurs, le rapporteur a déjà mentionné les contraintes générées par le don croisé, qui suppose la simultanéité des actes réalisés, donc des réservations de blocs opératoires.

Le second axe qui permettrait de faciliter l’activité de prélèvement est la mise en place d’équipes volantes de coordination : certains établissements en disposent déjà mais cela pourrait être systématisé. De telles équipes pourraient appuyer les équipes locales qui accompagnent les proches des défunts et seraient une ressource appréciée pour la mise en place des protocoles de prélèvement. M. Jacques Durand-Gasselin, médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus du centre hospitalier de Toulon, a souligné à cet effet qu’il « arrive que le prélèvement sur donneur décédé doive être effectué dans un établissement situé à plusieurs centaines de kilomètres de celui où la mort est survenue, et où se trouve la famille endeuillée ». Cet éloignement est de nature à « susciter un refus de prélèvement de la part de cette dernière ». Pour résoudre ce problème, il estime que « c’est aux équipes médicales qu’il revient de se déplacer pour réaliser l’intervention » ([517]). Il importe naturellement que des astreintes en nombre suffisant soient organisées, au moins dans tous les CHU, ce qui n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.

Il paraît enfin nécessaire d’améliorer l’évaluation de ces activités et de permettre de créer de nouvelles dynamiques au sein des hôpitaux. Cette évaluation doit pouvoir être permanente, en temps réel. Elle doit être conçue avec les acteurs de terrain, non pour sanctionner, mais pour identifier des corrections à apporter, dans une logique importante d’amélioration de la qualité et de la pertinence des actes. À ce titre, il conviendrait de donner à l’Agence de la biomédecine la possibilité de conseiller, d’accompagner et d’inciter à des améliorations de pratiques dans les hôpitaux à activité insuffisante, à effectif inadapté, à organisation défaillante, ou à taux de refus excédant la moyenne.

 


– 1 –

   Chapitre 6

L’intelligence artificielle,
un « nouveau territoire » de la bioéthique

 

L’intelligence artificielle – « science qui consiste à faire faire aux machines ce que l’homme ferait moyennant une certaine intelligence » ([518]) – a obtenu droit de cité dans le langage courant. Ses applications concrètes restent largement méconnues et elle semble susciter autant de craintes que d’espérances. M. David Gruson nous rappelle à juste titre qu’« il faut bien avoir à l’esprit que l’hyperexposition actuelle du sujet de l’intelligence artificielle est aussi une projection des fantasmes de notre époque face à la technologie » ([519]).

Comme le souligne l’étude du Conseil d’État, « cette science apparaît davantage appréhendée à l’aune de ses potentialités que de ses réalisations concrètes » ([520]), si bien que la crainte du développement d’une intelligence artificielle équivalente, sinon supérieure, à celle de l’être humain continue d’animer le débat public, à rebours de l’opinion majoritaire des spécialistes. Selon un sondage réalisé par l’Institut français d’opinion publique pour la CNIL en janvier 2017, 83 % des Français ont déjà entendu parler des algorithmes, mais ils sont plus de la moitié (52 %) à ne pas savoir précisément de quoi il s’agit ([521]).

Le concept d’intelligence artificielle a été façonné dans les années 1950, mais nous ne sommes confrontés qu’aujourd’hui à l’accélération de son usage. Une conjonction de facteurs – la démultiplication de la puissance de calcul des ordinateurs, l’accumulation de données et l’avènement des techniques d’apprentissage machine – permet désormais d’accomplir des tâches beaucoup plus complexes qu’il y a quelques années, ce qui explique le regain d’attention pour les technologies d’intelligence artificielle et l’ambition nouvelle de leurs promoteurs. Par ailleurs, l’intérêt suscité par l’intelligence artificielle ne reste plus cantonné au monde scientifique et tend à se propager dans de nouvelles sphères d’activité à la faveur d’un certain engouement médiatique.

L’extension des usages de l’intelligence artificielle au domaine de la santé et les nombreux enjeux éthiques soulevés conduisent à appréhender pour la première fois ce sujet dans le cadre d’une loi de bioéthique.

Lexique de l’intelligence artificielle

Algorithme : description d’une suite finie et non ambiguë d’étapes (ou d’instructions) permettant d’obtenir un résultat à partir d’éléments fournis en entrée ;

Apprentissage automatique (machine learning) : technique permettant de réaliser des tâches hautement plus complexes qu’un algorithme classique. Cette technique implique d’alimenter la machine avec des exemples de la tâche que l’on se propose de lui faire accomplir. L’homme entraîne ainsi le système en lui fournissant des données à partir desquelles celui-ci va apprendre et déterminer lui-même les opérations à effectuer pour accomplir la tâche en question. Le comportement de ces algorithmes va donc évoluer dans le temps, en fonction des données qui lui sont fournies ;

Apprentissage automatique supervisé : lorsque des données d’entrée qualifiées par des humains sont fournies à l’algorithme, qui définit donc des règles à partir d’exemples qui sont autant de cas validés ;

Apprentissage automatique non supervisé : lorsque les données sont fournies brutes à l’algorithme qui élabore sa propre classification et est libre d’évoluer vers n’importe quel état final après qu’un motif ou un élément lui est présenté.

Source : CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017.

Le rapport coordonné par notre collègue Cédric Villani sur l’intelligence artificielle (dit « rapport Villani ») ([522]) identifie la santé comme l’un des secteurs prioritaires de développement de l’intelligence artificielle. Dans une audition conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois ([523]), M. Villani explique que les problèmes que l’on propose à l’intelligence artificielle sont ceux qui nécessitent la prise en compte de nombreux paramètres et qui demandent une solution souple, évolutive et personnalisée. La santé est à cet égard un cas d’école.

Pour répondre aux nombreux enjeux éthiques soulevés par l’intelligence artificielle, il importe de se garder des deux solutions extrêmes : soit l’instauration d’un cadre juridique protecteur, préventif, mais nécessairement contraignant, qui risquerait de couper la France des pays innovants dans le domaine de l’intelligence artificielle tout en privant les citoyens français d’une médecine de pointe ; soit un laissez-faire que le rapporteur qualifie de « progressisme incontrôlé » ([524]), potentiellement dangereux.

La quasi-totalité des experts auditionnés par la mission a plaidé en faveur d’une modération législative. En effet, comme l’a affirmé M. David Gruson, un enjeu éthique majeur de l’intelligence artificielle est d’éviter une sous-exploitation de ses potentialités, ce qui occasionnerait une perte de chance majeure pour les patients français ([525]). Le CCNE n’est pas en reste, ayant lui-même indiqué que « compte tenu des marges de gains de qualité et d’efficience permises par un recours élargi au numérique dans notre système de santé, mettre en œuvre une logique bloquante de réglementation ne serait pas éthique » ([526]). Il semblerait plus qu’opportun de privilégier une voie médiane qui permettrait à la France de s’ouvrir à l’innovation portée par l’intelligence artificielle en santé tout en maîtrisant les risques éthiques majeurs qui lui sont associés.

I.   L’intelligence artificielle se nourrit de l’accumulation des données de santé

La mise en œuvre des techniques d’intelligence artificielle repose sur le traitement de grandes quantités de données, pertinentes et de qualité : comme l’écrit M. David Gruson, « la collecte massive de données – ce que l’on a pris l’habitude d’appeler un peu vite aujourd’hui “big data” – constitue une condition sine qua non au déploiement de l’intelligence artificielle » ([527]). La CNIL souligne ainsi l’interdépendance entre systèmes algorithmiques et données : « L’algorithme sans données est aveugle. Les données sans algorithmes sont muettes » ([528]). Comme l’a rappelé M. Cédric Villani lors de son audition, l’algorithme s’efface devant la qualité de la base de données qu’il utilise et dès lors, « la vraie question est de savoir comment est constituée celle-ci, de s’assurer qu’elle ne comporte pas de biais, est aussi large que possible et recouvre bien le domaine concerné » ([529]).

Les données de santé ont été définies pour la première fois par le règlement européen relatif à la protection des données à caractère personnel (RGPD) comme comprenant « l’ensemble des données à caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d’une personne physique, y compris la prestation de services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de santé de ces personnes » ([530]). Le considérant 35 du règlement, qui n’a pas de valeur normative mais permet d’éclairer le texte, précise que les données de santé peuvent notamment s’entendre de « toute information concernant, par exemple, une maladie, un handicap, un risque de maladie, les antécédents médicaux, un traitement clinique ou l’état physiologique ou biomédical de la personne concernée, indépendamment de sa source, qu’elle provienne par exemple d’un médecin ou d’un autre professionnel de la santé, d’un hôpital, d’un dispositif médical ou d’un test de diagnostic in vitro ».

Cette définition, assez vaste, englobe donc non seulement les données de santé « par nature », telles que les résultats d’examens physiques ou biologiques, les traitements prescrits, les antécédents médicaux, etc., mais aussi les données qui, lorsqu’elles sont croisées avec d’autres, permettent d’obtenir des indications sur l’état de santé d’une personne (nombre de pas, rythme cardiaque, apports caloriques journaliers, etc.), ainsi que les données qui deviennent des « données de santé en raison de leur destination, c’est-à-dire de l’utilisation qui en est faite au plan médical » ([531]) (par exemple les données sur l’origine ethnique d’une personne, pouvant permettre une adaptation du traitement pour certaines pathologies ([532])). Les données de santé relèvent de la catégorie des données dites « sensibles » et bénéficient, à ce titre d’un haut degré de protection.

A contrario, les données à partir desquelles on ne peut tirer aucune information sur l’état de santé d’un individu ne sont pas considérées comme des données de santé, à la condition qu’elles ne soient pas croisées avec d’autres données de même type ([533]). Elles sont qualifiées de données « de bien être », bien qu’il ne s’agisse pas d’une notion juridique très consistante.

A.   Le secteur de la santé est d’ores et déjà concerné par les techniques d’intelligence artificielle

Comme l’indique le conseil national de l’Ordre des médecins, « la médecine du futur est déjà là… mais elle n’est pas encore largement partagée… Les premiers algorithmes informatisés d’aide au diagnostic sont validés, les chirurgiens pilotent des robots, tandis que leurs confrères anesthésistes testent l’impact de la réalité virtuelle sur l’anxiété des patients… » ([534]).

De fait, les cas d’usage de l’intelligence artificielle en santé sont multiples et s’insèrent parfaitement dans la logique de la médecine des « 4 P » (personnalisée, préventive, prédictive et participative) apparue il y a une dizaine d’années.

Certaines applications apportent une aide à la décision médicale et permettent d’améliorer la qualité des soins tout en réduisant les coûts. Les logiciels d’aide à la prescription médicamenteuse ou les logiciels d’aide au diagnostic sont d’ores et déjà fréquemment utilisés dans le milieu médical. Les logiciels d’aide au diagnostic fonctionnent notamment grâce aux techniques d’apprentissage par reconnaissance d’images dans les domaines de la radiologie, de la dermatologie, de l’oncologie ou de l’ophtalmologie.

On peut notamment mentionner l’autorisation par les autorités de santé américaine (FDA) de la commercialisation d’un logiciel permettant de diagnostiquer des rétinopathies diabétiques à partir de photographies de la rétine et pouvant être utilisé par des médecins non spécialisés en ophtalmologie ([535]).

L’élaboration d’un algorithme d’aide à la décision d’orientation des patients en hospitalisation à domicile (HAD) à destination des médecins prescripteurs

En 2013, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la direction de la sécurité sociale (DSS) ont saisi la Haute autorité de santé (HAS) afin qu’elle réalise une « grille d’analyse de la pertinence des demandes de transfert et d’admission en HAD ». Après un report du dossier, en 2015, motivé par l’attente de la publication d’une nouvelle version du guide méthodologique de production des recueils d’information standardisés de l’HAD par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) mettant à disposition des critères précis d’admission pour chacun des modes de prise en charge autorisés en HAD, la saisine a été maintenue, son périmètre précisé et une feuille de route validée au premier semestre 2016.

L’objectif validé dans la feuille de route consistait à élaborer un outil d’aide à la décision d’orientation des patients en HAD à destination de l’ensemble des médecins prescripteurs
– médecins hospitaliers et médecins de ville – permettant de définir a priori pour quels patients une demande de prise en charge en HAD est pertinente dans le parcours de soins. Il s’agissait donc de construire un algorithme décisionnel unique conçu comme une succession de filtres qui permettraient, progressivement, de ne sélectionner que les patients pour lesquels un recours à l’HAD est adapté a priori à leurs besoins de soins.

Le rapport d’évaluation de la HAS précise que « cet outil d’aide à la décision n’a pas vocation à évaluer la possibilité de l’admission effective du patient en HAD, qui relève de l’appréciation de l’équipe de l’HAD : les critères d’admission sont spécifiques à l’évaluation de la situation du patient réalisée par l’équipe de coordination de l’HAD et des disponibilités de la structure (places, disponibilité du personnel médical et paramédical par rapport à la charge en soins, critères sociaux, conditions matérielles, éloignement et spécificités géographiques, contraintes personnelles du patient et de son entourage, etc.). »

Source : HAS, Algorithme d’aide à la décision d’orientation des patients en hospitalisation à domicile (HAD) à destination des médecins prescripteurs. Rapport d’évaluation, novembre 2017,             
https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2017-12/algorithme_daide_a_la_decision_dorientation_des_patients_en_hospitalisation_a_domicile_had_a_destination_des_medecins_prescr.pdf)

Le développement et la mise sur le marché de dispositifs d’aide à l’orientation dans le parcours de soins ou de pré-diagnostic médical contribueraient également à améliorer l’accès aux soins.

L’intelligence artificielle peut avoir des effets très positifs en termes de santé publique en favorisant la détection d’effets indésirables de traitements médicamenteux dans la population générale ou lors d’essais cliniques ainsi que la détection de situations de non-pertinence des soins afin de les résorber grâce à l’analyse rapide, précise et multiparamétrique de grandes masses de données selon une certaine méthodologie algorithmique.

L’exploration et l’analyse automatiques de grandes quantités de publications scientifiques, qu’un cerveau humain ne pourrait appréhender à lui seul, facilitent le travail et la mise à jour des connaissances scientifiques des professionnels de santé et des chercheurs et permettent de développer de nouveaux projets de recherche.

Certains espèrent prédire l’efficacité de traitements médicamenteux grâce à la prise en compte de très nombreux facteurs par les algorithmes et leur mise en corrélation avec les données propres de l’individu, permettant de mettre en place des traitements de plus en plus ciblés.

Le plan France Médecine génomique 2025, par le développement de plateformes génomiques, ouvrira également de nouveaux usages à l’intelligence artificielle, dont l’intervention sera indispensable pour exploiter et analyser les volumes importants de données générées par le séquençage génomique. Les algorithmes pourront ainsi à terme analyser les récurrences dans un ensemble de données cliniques et génétiques pour parvenir à une médecine prédictive personnalisée.

Les chirurgiens utilisent depuis plusieurs années des robots et des outils de téléopération, mais ceux-ci n’ont presqu’aucune autonomie. L’intelligence artificielle a permis d’adjoindre à ces dispositifs des techniques de réalité augmentée qui donnent des informations utiles au chirurgien sur le champ visuel.

Comme l’indique M. Jean-Gabriel Ganascia dans le tome IV du Traité de bioéthique, au moins quatre grandes applications de la robotique en santé peuvent être recensées si l’on entend par robots des dispositifs qui se caractérisent par l’intégration de capteurs et d’actionneurs mécaniques ou numériques : les prothèses bioniques, les organes artificiels, les exosquelettes et les robots de compagnie ([536]).

B.   L’intelligence artificielle nécessite de grandes quantités de données de santé

Les données utilisées par les algorithmes en santé peuvent aussi bien être récoltées au cours du parcours de soins « traditionnel » mais également, et de plus en plus fréquemment, par des capteurs situés dans des objets connectés, ou via des applications sur smartphone.

Le déploiement massif du numérique est un facteur décisif du développement de l’intelligence artificielle en santé.

En effet, les objets connectés, entendus comme des objets qui se connectent sans fil sur le réseau internet au moyen d’ondes hyperfréquences, trouvent un vaste domaine d’application dans la santé grâce à la baisse du prix et à la miniaturisation de leurs composants. Des capteurs et émetteurs sont aisément intégrés dans des objets du quotidien, et les nombreuses données captées peuvent être traitées par les microprocesseurs directement intégrés dans ces objets. Cette omniprésence de capteurs génère une immense quantité de données, mine d’informations encore inexistantes il y a une dizaine d’années.

La performance des algorithmes est en relation directe avec la quantité de données disponibles. Dans le cas des maladies orphelines, qui ne touchent qu’un petit nombre d’individus, les algorithmes perdent en finesse et rigueur d’analyse, faute d’un entraînement suffisant. Les données sont le « nerf de la guerre » de l’intelligence artificielle. La question de leur collecte, de leur stockage et de leur accès est donc cruciale.

Les sources de données en santé

Les données médico-administratives produites par l’Assurance maladie et les hôpitaux ;

Les données figurant dans les dossiers médicaux, à l’hôpital et en ville ;

Les données détenues par des acteurs publics ou privés recueillies auprès de patients (essais cliniques notamment) ou de professionnels de santé ;

Les données générées par les objets connectés, les applications mobiles, les sites web et les moteurs de recherche ;

Les données de contexte, socio-économiques, géographiques, environnementales, etc.

Source : Conseil national de l’Ordre des médecins, Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle. Analyses et recommandations du CNOM, janvier 2018

1.   La collecte des données de santé

La question de la collecte des données de santé met en tension le nécessaire progrès des connaissances scientifiques et médicales avec la protection et le respect de la vie privée des individus. Cette tension est exacerbée dans un contexte de concurrence et de compétition économique internationale.

a.   Un cadre juridique déjà protecteur

Face aux nombreuses craintes exprimées d’un risque de marchandisation et de pillage des données de santé, le rapporteur aimerait rappeler que le cadre juridique actuel est très protecteur des individus. En effet, l’entrée en vigueur du RGPD le 25 mai 2018 et l’adoption de la loi relative à la protection des données personnelles ([537]) ont considérablement renforcé les modalités de protection des données personnelles. Le rapport pour avis de notre collègue Albane Gaillot sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles présente de manière exhaustive ce cadre juridique ([538]) dont quelques éléments doivent être soulignés.

Il convient tout d’abord de préciser que les applications mobiles en santé, régulièrement citées lors des auditions de la mission d’information, relèvent de la réglementation sur la protection des données dès lors que l’application permet d’assurer un suivi à distance des données de l’utilisateur ou si elle comporte une connexion extérieure, par exemple une sauvegarde sur un cloud. En revanche, si les données sont uniquement stockées localement, à des fins exclusivement personnelles et sans possibilité de connexion ou de partage vers l’extérieur, les applications ne sont pas soumises aux règles de protection des données ([539]).

Le régime juridique de protection des données personnelles dépend de leur qualification. Le RGPD encadre les conditions de collecte, de traitement et de conservation des données à caractère personnel, c’est-à-dire les informations relatives à une personne physique identifiée ou identifiable directement ou indirectement, et le degré de protection à appliquer varie en fonction du type de données concernées. Si la qualification de données de santé est retenue, un régime juridique très strict de protection de ces données dites « sensibles », dont les modalités sont explicitées à l’article 9 du RGPD, doit être appliqué pour leur recueil et leur traitement.

Le traitement des données à caractère personnel concernant la santé est interdit par principe, mais des dérogations sont ouvertes par l’article 9 du RGPD et rappelées par la loi Informatique et libertés ([540]). Le traitement de ces données pour une ou plusieurs finalités spécifiques est possible dès lors que la personne concernée a donné son consentement préalable, véritable clé d’accès indispensable à l’accès aux données personnelles de santé. Il est également possible lorsque l’intéressé a rendu publiques ses propres données. La finalité du traitement doit avoir été déterminée de façon suffisamment précise, elle doit être légitime et seules les données strictement nécessaires au regard de cette finalité peuvent être traitées, selon un principe de minimisation.

Le RGPD a renforcé le principe de responsabilisation continue des différents acteurs en leur imposant de prendre en considération les problématiques de protection des données personnelles dès la conception, puis tout au long de la mise en œuvre d’un projet. Les mesures à mettre en œuvre dès la conception consistent à permettre la pseudonymisation ([541]) ou la minimisation des données utilisées (« privacy by design ») et à garantir que seules les données nécessaires au regard de la finalité du traitement soient effectivement traitées (« privacy by default »). On se reportera, pour plus d’informations sur les mesures pouvant être imposées en amont et tout au long de la mise en œuvre d’un projet, au rapport précité de notre collègue Albane Gaillot sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles ([542]).

Surtout, le RGPD a considérablement augmenté les sanctions pouvant être infligées aux acteurs qui ne se conforment pas aux règles de protection des données. Des amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions d’euros ou 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent peuvent être prononcées dans les cas les plus graves ([543]).

Il convient également de rappeler que le champ d’application du RGPD est très large, puisqu’il englobe le traitement des données à caractère personnel non seulement par un acteur européen, mais également par un acteur non-européen dès lors que les données traitées concernent des ressortissants européens dans une perspective d’offre de biens ou de services ou de suivi du comportement de ces ressortissants ([544]). Les données de santé des ressortissants européens bénéficient donc dans la quasi-totalité des cas d’un très haut de niveau de protection garanti par la réglementation européenne.

Dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’État rappelle le caractère très protecteur du cadre juridique actuel et souligne que le législateur lui-même semble avoir estimé que les règles issues du RGPD étaient suffisamment protectrices : « la loi du 20 juin 2018 n’exploite pas la marge de manœuvre laissée aux États membres par le paragraphe 4 de l’article 9 du RGPD, qui ouvre la possibilité d’introduire des conditions supplémentaires encadrant le traitement des données de santé recueillies après consentement explicite des personnes concernées » ([545]).

b.   Les enjeux éthiques de l’accès aux données de santé

Le consentement des individus au recueil, au stockage, à l’accès et à l’exploitation de leurs données de santé permet de fonder leur traitement. Cette exigence n’est pas sans poser quelques questions.

Le nécessaire consentement pourrait en effet restreindre l’accès à certaines données utiles pour la recherche médicale et le développement d’algorithmes, telles que les données de santé d’un individu atteint d’une maladie orpheline, par définition très rare. À l’inverse, la perspective que le consentement d’un individu puisse être biaisé en raison d’éventuelles pressions liées à l’intérêt de la recherche de disposer de ses données suscite des craintes.

D’autres questions se posent quant au caractère éclairé du consentement des individus au traitement de leurs données, particulièrement au regard de leur capacité à maîtriser leur devenir. Il convient à ce titre de veiller à ce que leur utilisation ne puisse se retourner contre eux, notamment du fait des assureurs qui pourraient tirer parti d’une certaine confusion entre données de santé et données dites « de bien être ». Dans cette hypothèse, il faut se prémunir d’une utilisation susceptible de conditionner la prise en charge de certaines prestations à l’observance et à l’hygiène de vie. Un assureur pourrait en effet être tenté de réduire le remboursement de traitements pour une maladie cardiovasculaire à un patient qui n’effectuerait pas une activité physique régulière recommandée par son médecin, ou qui ferait preuve d’une mauvaise observance dans son traitement médicamenteux. L’observance contribue à la maîtrise des dépenses sociales en incitant les patients à bien suivre leurs traitements, mais masque l’effet de paramètres tout aussi importants, tels que l’adhésion à la prise en charge proposée dans le cadre de l’échange avec un professionnel de santé. Elle peut porter une atteinte considérable à certains droits fondamentaux comme le droit au respect de la vie privée.

Si le Conseil d’État a indiqué dans son étude sur la révision de la loi de bioéthique que « le droit actuel ne permet pas de conditionner, de façon générale, la prise en charge par l’assurance maladie à l’observance », il convient de rester vigilant sur ce point. En effet, comme l’explique le Conseil d’État, « une telle évolution vers plus de conditionnalité n’apparaît pas se heurter, dans son principe, à un obstacle constitutionnel », sous réserve qu’elle soit proportionnée à l’objectif poursuivi. Elle est donc selon lui « juridiquement envisageable » ([546]). Dès lors, les rapporteurs de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ont souhaité soulever la question de « l’interdiction aux sociétés d’assurance santé complémentaire de l’accès aux données de santé, patronymisées ou anonymisées, qu’elles ont les moyens de rapprocher des données individuelles en leur possession », souhaitée par le Sénat lors des travaux préparatoires de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles ([547]).

Ces développements ne doivent pas masquer l’intérêt que représentent la collecte et le traitement des données de santé dans l’accès à l’innovation. À trop vouloir protéger, nous nous empêcherions de découvrir des applications très utiles à la santé de nos concitoyens.

2.   La valorisation des bases de données de santé est un enjeu important

a.   Le stockage des données de santé repose aujourd’hui sur le SNDS

L’application du numérique au domaine de la santé s’est accompagné d’un accroissement considérable des moyens de stockage des données. En particulier, la France a créé une base de données médico-administratives unique au monde, couvrant 99 % de la population française ([548]).

Le système national des données de santé (SNDS) a été créé par la loi de modernisation de notre système de santé ([549]) afin de regrouper les principales bases de données existantes. Le SNDS est géré par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) et regroupe principalement les données de l’assurance maladie, dont les feuilles de soins (SNIIRAM) ([550]), les données des hôpitaux (base PMSI ([551])), et celles relatives aux causes médicales de décès (base CépiDC ([552]) de l’Inserm). À terme, le SNDS intègrera également les données relatives au handicap, en provenance des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et gérées par la CNSA ([553]) ainsi qu’un échantillon de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire.

Les modalités d’accès aux données du SNDS

« Ont vocation à être ouverts à tous, les jeux de données extraits de ces bases (les jeux de données agrégées ou d’échantillons dans le cadre d’une homologation par la CNIL) dans la mesure où l’anonymisation est garantie.

Pour les données présentant un risque de ré-identification, le principe d’accès est commandé par l’intérêt public, deux modalités d’accès ayant été définies :

 l’accès direct et permanent pour certaines institutions et organismes chargés d’une mission de service public ;

 une autorisation de la CNIL est nécessaire pour les projets spécifiques présentés par les autres utilisateurs à deux exceptions près. Elle n’est pas requise pour les “catégories les plus usuelles de traitement” : une procédure d’examen simplifié est prévue via le respect de méthodes de référence. La loi a par ailleurs encadré les conditions d’accès en formulant deux finalités interdites, à savoir la promotion commerciale des produits de santé et la modulation des contrats d’assurance.

Deux circuits de prise de décision sont ensuite prévus :

 s’agissant des recherches impliquant la personne humaine, l’autorisation de la CNIL intervient après l’avis d’un comité de protection des personnes (CPP) y compris lorsqu’elles impliquent un appariement avec les données du SNDS.

 s’agissant des études, évaluation ou les recherches n’impliquant pas la personne humaine, l’Institut national des dépenses de santé (INDS) constitue le guichet unique des demandes d’accès au SNDS qu’il transmet au comité d’expertise pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CEREES). L’autorisation de la CNIL intervient après l’avis du CEREES ».

Source : Mme Albane Gaillot, Avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, n° 579, XVe législature, 23 janvier 2018.

Les données contenues dans le SNDS sont pseudonymisées, c’est-à-dire que les informations permettant de facilement identifier un individu, notamment les noms, prénoms, adresses et numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, sont remplacées par un code alphanumérique ([554]).

b.   Le développement souhaité de l’intelligence artificielle est freiné par les limites du SNDS

Si la plupart des experts auditionnés par la mission d’information ont salué la richesse des bases de données de santé en France, ils ont également souligné le faible niveau de valorisation et la sous-exploitation de ces données. Lors de son audition, M. David Gruson a notamment mentionné des « bases de données de très bon calibre, mais qui ne communiquent pas entre elles » ([555]), soulignant ainsi le besoin d’interconnexion de ces bases. Le rapport Villani ([556]) relève que le SNDS, créé à l’origine à des fins administratives, n’est pas adapté au développement de l’intelligence artificielle et en précise les écueils :

– l’obligation de non-réidentification limite les possibilités de traitement des données du SNDS en empêchant de suivre le patient dans son parcours de soins ;

– les conditions d’accès au SNDS sont trop rigides et mal adaptées aux caractéristiques de la recherche en intelligence artificielle, qui « nécessite des capacités d’exploration et d’expérimentation qui ne peuvent pas toujours être décrites complétement par leurs concepteurs en amont ». L’obligation de démontrer ex ante la finalité d’intérêt public est peu compatible avec cette démarche ;

– l’architecture technique du SNDS (matérielle, logicielle et base de données) est elle-même trop rigide pour la recherche en intelligence artificielle car elle n’a pas été conçue pour des « finalités de recherche, d’innovation ou de mise en place de nouvelles applications ».

Le rapport de la mission de préfiguration sur le Health Data hub, constituée à la demande du ministère des Solidarités et de la santé, liste les freins rencontrés par les acteurs de l’innovation en santé. Il identifie notamment « l’éclatement des jeux de données », « des données hétérogènes impliquant des efforts importants pour les numériser, les collecter, les rassembler et les harmoniser », la « faible interopérabilité sémantique des données » ainsi que « la complexité des procédures d’accès aux données avec des gouvernances discrétionnaires, spécifiques à chaque source et organisées en silo » ([557]). Cette complexité dissuade l’élaboration de projets conçus autour de ces bases de données, les délais d’accès étant peu compatibles avec le temps de l’innovation, surtout dans un contexte d’intensité concurrentielle.

Les experts auditionnés par la mission d’information ont insisté, dans leur quasi-totalité, sur la nécessité de créer une nouvelle plateforme nationale. Elle permettrait d’assurer une valorisation des données de santé à partir de canaux variés (professionnels de santé, organismes de recherche publics ou privés, autorités de santé, établissements de santé publics ou privés, etc.). Elle permettrait également un partage large de ces données dans des conditions de sécurité satisfaisantes et selon des modalités d’accès fluidifiées, lisibles et standardisées.

c.   La création annoncée d’un Health Data hub national permettra à l’intelligence artificielle en santé de prendre un réel essor

La création d’une plateforme d’accès et de mutualisation des données de santé faisait partie des mesures recommandées par le rapport Villani. Cette proposition a été immédiatement saisie par le Président de la République qui a annoncé la création d’un « hub » national des données de santé érigé en axe majeur de la stratégie nationale d’intelligence artificielle.

Selon le rapport de la mission de préfiguration, le Health Data hub, serait un « tiers de confiance » permettant le partage des données dans le respect du droit des patients, une « plateforme de stockage et de traitement sécurisée » ainsi qu’un « guichet unique », mais « non exclusif » permettant de faciliter l’accès à toutes les données du catalogue. En outre, ce nouvel outil serait « garant de la qualité » de la donnée partagée ([558]). Cette plateforme aurait donc vocation à constituer un environnement susceptible de favoriser l’innovation. Le rapporteur renvoie pour ce sujet au rapport de la mission de préfiguration.

La plateforme et les processus associés devront bien évidemment respecter les exigences les plus élevées au regard de la protection des données personnelles. Il faudra aussi articuler cette plateforme avec les bases de données existantes, notamment le SNDS récemment créé. Le rapport de la mission de préfiguration souligne d’ailleurs la nécessité d’adopter des règles d’accès proches de celles retenues pour le SNDS ([559]). Il estime que certaines évolutions législatives seront probablement nécessaires, notamment pour permettre l’appariement des données médico-administratives du SNDS avec des données provenant d’autres sources, telles que des données cliniques ou même des données génomiques. En effet, l’appariement pérenne des données du SNDS avec d’autres sources de données est aujourd’hui interdit, sauf de façon ponctuelle pour un projet spécifique, ce qui contraint le champ ouvert à l’analyse des données ([560]).

Lors de son audition, notre collègue Cédric Villani a vu dans l’instauration du Health Data hub un « triple défi » :

– un défi technique, puisqu’il s’agit de « disposer de matériel hardware à niveau, des bons formats, des certifications adéquates et de la cybersécurité, dans un contexte où la sécurité va s’imposer comme un problème de plus en plus important pour toutes les institutions » ;

– un défi légal et éthique, qui suppose un dialogue avec la CNIL et l’Institut national des données de santé (INDS) au sujet des délais de délivrance des autorisations nécessaires pour mener à bien des projets de recherche ;

– un défi de gouvernance, qui consiste à « décider comment les données vont être accessibles, par qui, qui aura la responsabilité, qui pourra décider de donner tel ou tel accord, etc ».

Il a également souligné l’importance de trouver un juste équilibre entre l’exploitation des données stockées et la protection des individus. La pseudonymisation présente des limites et n’empêche pas la réidentification des individus. A contrario, l’utilisation de techniques d’anonymisation « plus brutales, consistant par exemple à mélanger les données de plusieurs individus, avec des moyennes, fait courir le risque de “tuer” des informations importantes ». M. Villani plaide ainsi pour la mise en place d’une doctrine subtile quant au niveau d’anonymisation des données en tenant compte du risque inhérent à chaque donnée, qui impliquerait éventuellement des techniques dites de « confidentialité différentielle », permettant d’afficher des données différentes en fonction de la personne qui fait la demande et « délivrer uniquement l’information nécessaire pour mener une recherche donnée, dans un cadre donné » ([561]).

C.   LA QUALITÉ ET LA PERTINENCE DES DONNÉES conditionnent l’efficacité de l’innovation

La qualité et la pertinence des données fournies aux algorithmes ont une importance déterminante, qui s’accroîtra encore lorsque les algorithmes deviendront plus autonomes. En effet, l’apprentissage à partir de données erronées, insuffisamment précises, ou mal qualifiées peut dégrader de façon significative la qualité des résultats fournis par l’algorithme.

Ce phénomène n’est pas anodin. Il peut affecter la recherche elle-même : certains algorithmes se nourrissent de revues scientifiques dont, parfois, la qualité, voire l’intégrité scientifique n’est pas la vertu première. Le journal Le Monde a récemment dénoncé le fait que « des dizaines de revues scientifiques produisent et éditent des études peu scrupuleuses se retrouvant ensuite dans des banques de données servant de base à des experts. » ([562]) Le contexte de plus en plus concurrentiel dans lequel vit la recherche incite à la « course à la publication » ; les intérêts des chercheurs et de certaines revues peuvent s’y rencontrer, mais la science y risque beaucoup si elle s’en remet aveuglément à un traitement algorithmique de sa propre production.

Dans le domaine de la santé, les erreurs d’appréciation peuvent avoir des conséquences extrêmement dommageables, à l’occasion du diagnostic ou dans la détermination du traitement.

Pourtant, les utilisateurs font parfois montre d’une confiance excessive dans les algorithmes et tendent à les parer d’une présomption d’infaillibilité. Le Conseil d’État invite à ne pas « accorder une confiance démesurée dans le caractère infaillible des algorithmes dont les résultats sont pourtant déterminés par des choix humains et susceptibles (…) de présenter des biais » ([563]). M. Jean-Gabriel Ganascia conteste l’idée selon laquelle la machine parviendrait à une objectivité parfaite grâce à l’apprentissage : d’une part, les données fournies à l’algorithme ne sont pas nécessairement exhaustives et, d’autre part, l’être humain joue un rôle central en sélectionnant les données, en les annotant et en programmant les algorithmes. Selon lui, « même si des techniques d’intelligence artificielle donnent, dans des contextes spécifiques, des diagnostics plus fiables que ceux des spécialistes, cela ne signifie aucunement qu’elles accèdent à une perfection qui nous dépasserait. Elles ne font que résumer nos expériences individuelles » ([564]).

Les données sont recueillies à l’occasion de consultations médicales ou paramédicales, ou encore par des capteurs situés dans des objets connectés ou par des applications de santé, en dehors de toute relation de soin. Les objets connectés permettent aux individus d’apporter des informations sur leur mode de vie ou leurs activités, telles que le nombre de pas journaliers ou de calories ingérées, ou encore le rythme cardiaque. Ces données sont très précieuses pour l’alimentation d’algorithmes mais leur disponibilité à grande échelle suscite des difficultés qui s’ajoutent aux obstacles d’ores et déjà rencontrés dans le cadre de la production de données à l’occasion d’une prise en charge médicale.

1.   La conception des bases de données doit éviter les biais

La façon de concevoir les bases de données peut générer des biais affectant leur qualité et leur intégrité.

Le recueil de données par des objets connectés ou des applications de santé sur smartphones peut engendrer un biais d’échantillonnage. Un défaut de représentativité de certaines catégories de personnes ne peut être exclu : il en est ainsi des personnes âgées, qui recourent aux outils numériques bien moins souvent que d’autres catégories de la population. Ce défaut de représentativité des données sur lesquelles se fonde l’algorithme fait courir le risque que celui-ci ne soit pas habitué à prendre en compte certains paramètres ni à diagnostiquer certaines pathologies rencontrées dans des populations « exclues » de facto du corpus de données.

Les biais peuvent être plus subtils et se manifester en raison de la capacité des algorithmes « apprenants » à déceler des similarités là où l’homme est incapable de rien discerner. M. Cédric Villani a ainsi fait part à la mission d’un exemple qualifié de « caricatural », mais inspiré d’une histoire vraie : « imaginez un algorithme conçu pour distinguer, à partir d’une image médicale, une tumeur bénigne d’une tumeur maligne, et calibré à partir d’une banque de données issue pour partie d’un service dans lequel on traite les tumeurs les plus graves, et pour une autre partie d’images de tumeurs bénignes, collectées un peu partout. Très rapidement, l’algorithme va apprendre non pas à distinguer les tumeurs malignes des tumeurs bénignes, mais à reconnaître la provenance des images qui lui sont soumises, à partir de signes imperceptibles. » ([565])

Lors de son audition, M. Raja Chatila a également mis en avant l’une des limites du traitement statistique des données par les algorithmes, qui résulte de l’ignorance des « signaux faibles », c’est-à-dire les « éléments qui se trouvent dans les données mais que le traitement statistique ne fait pas ressortir » parce qu’ils sont présents en trop faible nombre par rapport à une grande masse de données ([566]).

M. David Gruson a lui aussi souligné ce type de risque en indiquant que le processus d’intelligence artificielle apprenante consiste à écarter les données aberrantes au fil du traitement et du temps. Mais, en médecine, chaque donnée correspond à un cas individuel. La mécanique à l’œuvre peut donc aboutir à « ne plus prendre en compte certaines situations individuelles, dans l’intérêt collectif, pour atteindre les objectifs du programme » ([567]).

2.   L’annotation et la catégorisation des données sont un enjeu majeur

La production de bases de données pertinentes présente d’autres difficultés liées à la qualité de l’annotation et de la catégorisation des données recueillies.

La mise en œuvre d’un apprentissage supervisé suppose que les données utilisées par l’algorithme soient préalablement catégorisées et annotées de la main de l’homme. L’annotation consiste à adjoindre à une donnée diverses mentions (couramment appelées « métadonnées ») afin d’en qualifier le contenu ([568]). La catégorisation vise à organiser les données selon un plan de classement (données cliniques, données génétiques, données environnementales, etc.).

Ce travail est essentiel puisqu’il permet de transformer une donnée brute en une information valorisable par l’algorithme. Par exemple, la qualité d’information est cruciale pour l’utilisation d’algorithmes en imagerie médicale. Afin de pouvoir diagnostiquer la rétinopathie diabétique l’algorithme est entraîné sur la base de très nombreuses photographies de fonds d’œil, préalablement étiquetées par les ophtalmologues. Des erreurs d’annotation auraient des conséquences négatives sur la qualité du diagnostic rendu par l’algorithme.

Une harmonisation de la catégorisation et de l’annotation de ces données est nécessaire au bon fonctionnement des algorithmes. Il conviendrait que les différents acteurs s’accordent sur des ontologies ([569]) et des catégories permettant une exploitation optimale des données de santé.

II.   L’application de l’intelligence artificielle à la santé pose des questions éthiques sensibles

Aide à la décision médicale, l’algorithme tend à s’immiscer dans la relation bilatérale entre le médecin et son patient. Le colloque singulier peut être bousculé par l’introduction d’un troisième acteur, ce qui soulève de nombreux enjeux éthiques.

A.   La relation de soins altérée par la technique ?

1.   Le risque d’exclusion du médecin

L’immixtion de l’intelligence artificielle dans la relation de soins risque en premier lieu de placer la machine dans une situation de concurrence avec le médecin et de relativiser sa compétence médicale – souvent confondue avec son savoir scientifique – voire d’altérer la confiance du patient dans le soignant.

Éblouis par ces techniques et victimes de l’engouement général, les patients pourraient avoir « l’illusion que le recoupement de grandes masses de données permet, à lui seul, d’aboutir à des diagnostics et des propositions de thérapie plus pertinents que les prescriptions d’un médecin » ([570]).

Cette forme de dépossession du savoir médical pourrait les conduire à croire qu’il est possible de se passer du médecin. Or, depuis plusieurs années, le patient devient acteur de sa propre santé. Ce phénomène, qui participe d’une remise en cause bienvenue du paternalisme médical, peut se traduire par une coopération fructueuse ou une autonomie mal assumée : dans cette dernière hypothèse, le patient peut être tenté de poser son propre diagnostic ou de remettre en question les choix thérapeutiques du médecin. L’accès à de nombreuses informations relatives à son état de santé, via les objets de santé connectés, aux pathologies et aux traitements, via des sites internet d’information médicale de qualité variable, peut donner au patient l’illusion d’accéder à un savoir médical automatisé, centralisé, ne nécessitant plus d’intervention humaine. L’office d’une intelligence artificielle lui offrirait un succédané du colloque singulier.

Mais si l’intelligence artificielle permet de formuler des recommandations ou des diagnostics très fiables sur une tâche bien précise, les algorithmes sont dénués de toute capacité de communication et d’empathie et ne savent pas prendre en compte le patient dans son intégralité. Ils ne peuvent être qu’un complément à l’activité du médecin. À défaut de la présence effective d’un médecin, le patient risquerait de se retrouver dépassé par les informations brutes reçues de la machine, qui pourraient s’avérer difficiles à mettre en perspective et à comprendre.

On peut donc se demander, au cas où un algorithme serait mis en œuvre dans une situation clinique particulière, si le patient devrait avoir accès au résultat fourni par celui-ci ou seulement à l’appréciation formulée par le médecin.

2.   Le risque d’exclusion du patient

Parallèlement, M. David Gruson met en avant un risque de « délégation du consentement » du patient ([571]), qui serait privé de la possibilité de participer aux décisions et choix thérapeutiques. Celui-ci risquerait de ne pas vraiment consentir à l’utilisation d’algorithmes dans son parcours de soins, soit parce qu’il n’en aurait pas été préalablement informé par son médecin, soit parce que son consentement ne serait pas réellement éclairé, dans la mesure où l’intelligence artificielle est difficile à appréhender. France Assos Santé a mis en garde contre ce risque dans sa contribution au groupe de travail du CCNE sur l’intelligence artificielle : « dans l’état, nous craignons que les algorithmes utilisés n’intègrent pas, ou mal, la complexité des dimensions liées aux préférences du patient et aux nombreux aspects psychiques engagés, entretenant un nouveau mode d’hypertrophie du pouvoir médical à l’égard du patient » ([572]).

B.   Le médecin : véritable décideur ou simple auxiliaire de l’algorithme ?

S’appuyant sur des performances croissantes et bénéficiant d’une présomption d’infaillibilité, on peut craindre que les algorithmes en santé ne créent ce que M. David Gruson a qualifié de « risques de délégation » ([573]) de la décision médicale. On ne peut complètement exclure l’hypothèse selon laquelle les médecins seraient amenés à entièrement déléguer la décision aux algorithmes sans remettre en question leurs résultats. Il existe déjà des situations de diagnostic où l’algorithme obtient de meilleurs résultats que des spécialistes chevronnés. Les médecins pourraient en venir à abandonner ces pans de leur expertise médicale aux algorithmes, se transformant, selon l’expression employée par M. Gruson, en « presse-bouton de la solution [rendue par l’algorithme] sans prise de recul » ([574]).

La prétendue suprématie de la machine aboutirait progressivement à une perte d’autonomie du médecin, jusqu’à ce que les dispositifs d’aide à la décision ne soient plus utilisés conjointement à son analyse mais de manière autonome. Face aux exigences de productivité, les algorithmes pourraient devenir les décideurs effectifs tandis que les médecins seraient relégués à un simple rôle d’exécutant.

Ce risque de glissement est exacerbé par le fait que le fonctionnement des algorithmes est complexe, à l’image, développée dans le rapport Villani, d’une boîte noire de laquelle il est possible d’observer les données d’entrée et de sortie mais dont le fonctionnement interne est impénétrable. Cette méconnaissance pourrait conduire le médecin à renoncer à valider sur la base d’un jugement critique les décisions rendues par un algorithme et à leur accorder une confiance aveugle. Un tel comportement irait directement à l’encontre des règles édictées par le code de déontologie médicale, qui prévoit que le médecin « ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit » ([575]).

Une telle délégation de compétence est d’autant plus problématique que, comme vu précédemment, les algorithmes ne sont aucunement une garantie d’infaillibilité puisqu’ils sont programmés par l’homme et entraînés sur la base de données, parfois biaisées, que celui-ci fournit.

C.   La responsabilité médicale perturbée par le partage de l’expertise ?

1.   L’intelligence artificielle en santé rend plus complexes les contours de la responsabilité médicale

La généralisation des solutions d’intelligence artificielle en santé va transformer les pratiques médicales et pourrait s’accompagner d’une perte d’autonomie, voire d’une déresponsabilisation scientifique, du médecin vis-à-vis des décisions prises les algorithmes.

Dans cette hypothèse, on peut se demander qui serait considéré comme responsable en cas d’erreur dans le diagnostic médical ou le traitement prescrit : le médecin, qui s’en serait remis sans les valider aux recommandations de l’algorithme ? Le concepteur de l’algorithme ? Le programmeur ? Le gestionnaire de la base de données ayant servi à l’apprentissage ? Le choix d’un médecin de ne pas suivre la recommandation produite par l’algorithme, qui s’avérerait exacte, entraînerait-il automatiquement la qualification de faute ? Son assurance pourrait-elle limiter sa participation à la compensation financière d’un dommage s’il s’avère que le médecin n’a pas suivi la recommandation de l’algorithme ?

Il n’est pas évident d’appréhender le rôle des différents intervenants dans la survenance du dommage en cas d’utilisation d’algorithmes dans le parcours de soins, mais l’enjeu reste de garantir qu’un patient victime de l’erreur d’un algorithme puisse être indemnisé de son préjudice. La création d’un régime de responsabilité spécifique aux dommages susceptibles d’être causés par des algorithmes a été fréquemment soulevée par de nombreux spécialistes.

De plus, le développement des algorithmes dotés de capacités d’auto-apprentissage a conduit à envisager, à l’instar du Parlement européen ([576]), d’attribuer une personnalité juridique aux algorithmes afin de les rendre responsables de potentielles erreurs de jugement.

2.   La modification du régime de la responsabilité médicale ne paraît pas pertinente

Le CCNE, le Conseil d’État et la majorité des experts auditionnés estiment qu’il n’est pas opportun d’évoluer vers un nouveau régime de responsabilité : la question leur semble en fait prématurée. Ils se sont également montrés réservés quant à l’idée d’accorder une personnalité juridique aux dispositifs d’intelligence artificielle. Une modification du droit de la responsabilité médicale serait plus le témoignage d’une impatience à se saisir de sujets « nouveaux » que la réponse nécessaire à un besoin identifié.

Lors de son audition, M. David Gruson a invité le législateur à une certaine modération, en indiquant que « la question mérite d’être posée sur le plan de la théorie, mais il y aurait plus d’inconvénients à déséquilibrer les régimes de la responsabilité (…) que d’avantages à régler des questions qui ne se posent pas encore », dans la mesure où « aujourd’hui, l’essentiel des risques de dommages peuvent être pris en compte dans des cadres juridiques existants » ([577]).

M. Gruson suggère cependant d’enclencher une initiative européenne pour construire, à terme, « un régime de responsabilité sans faute pour les dommages issus de cas de machine learning pur » ([578]), afin d’éviter que la France ne fasse cavalier seul et n’instaure un cadre inapproprié au développement de l’innovation en matière d’intelligence artificielle.

Le Conseil d’État estime quant à lui que « les règles actuelles de la responsabilité médicale sont susceptibles de s’adapter aux évolutions issues du développement des systèmes d’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle relève du droit des biens et les dommages qu’elle est susceptible de causer peuvent être appréhendés par les règles de la responsabilité du fait des choses » ([579]).

Il estime de même qu’il n’est pas nécessaire d’attribuer une personnalité juridique aux dispositifs d’intelligence artificielle en l’état actuel du développement de ces techniques. En effet, l’intelligence artificielle n’est encore qu’une intelligence « faible » et ne dispose que d’une autonomie très relative : elle reste guidée par les paramétrages effectués, au moins à l’origine, par l’humain, qui doit donc demeurer responsable.

M. Raja Chatila a d’ailleurs souligné que la possibilité de rendre l’algorithme juridiquement responsable d’une erreur risquerait de dédouaner de leurs responsabilités les autres acteurs de la chaîne ([580]), c’est-à-dire non seulement le concepteur et le programmeur de l’algorithme, mais également le médecin. Sur ce point, le rapporteur rappelle que le Conseil d’État a réaffirmé « l’exigence d’une responsabilité maintenue du professionnel de santé » ([581]). L’opposition au principe d’une personnalité juridique des algorithmes est également affirmée par notre collègue Cédric Villani.

Le rapporteur considère aussi, à l’instar du Conseil d’État, qu’il faut maintenir le principe « d’une responsabilité du médecin, qui, en l’absence de défaut établi du dispositif médical utilisé, ne peut être engagée qu’en cas de faute de sa part ». Parallèlement, la faute du médecin ne pourra pas être caractérisée s’il décide de ne pas se conformer au résultat établi par l’algorithme. Le Conseil d’État écrit ainsi qu’« afin de préserver le pouvoir décisionnel du médecin et de responsabiliser ce dernier, une telle faute ne saurait être établie au seul motif que le praticien n’a pas suivi les prévisions du système d’intelligence artificielle même dans l’hypothèse où ces dernières se révèleraient exactes » ([582]).

L’irruption de l’intelligence artificielle et le potentiel d’innovations qu’elle recèle ne doivent pas masquer le fait qu’il s’agit avant tout d’un nouvel outil à la disposition du médecin pour l’accompagner dans sa pratique. Si l’intelligence artificielle entraîne une innovation de rupture, son utilisation, et a fortiori les conséquences dommageables de son utilisation, ne la différencient pas des outils existants. M. Villani a rappelé à la mission que cet outil ne soulève pas de problématiques très différentes de celles d’ores et déjà rencontrées dans le cas d’une erreur médicale causée par le mauvais fonctionnement d’un dispositif médical par exemple : « Aujourd’hui, lorsqu’une faute médicale est constatée, on en recherche la raison : un appareil a-t-il été défectueux ? Un médecin a-t-il mal agi ? Les questions des assurances des médecins et des actions en justice se posent déjà. Elles continueront à se poser demain, avec un outil supplémentaire, l’outil algorithmique » ([583]).

Proposition n° 41 Maintenir le principe d’une responsabilité du médecin qui, en l’absence de défaut établi de l’algorithme, ne peut être engagée qu’en cas de faute de sa part.

Proposition n° 42  Préciser qu’une faute ne peut être établie du seul fait que le praticien n’aurait pas suivi les recommandations d’un algorithme, quand bien même celles-ci se révèleraient exactes.

D.   L’accès aux techniques d’intelligence artificielle : le risque d’une nouvelle fracture sociale ?

Le risque d’un accroissement de la fracture sociale dans l’accès aux technologies d’intelligence artificielle dans le domaine de la santé a régulièrement été évoqué devant la mission d’information. Deux dimensions de ce risque ont été mises en évidence.

La première est celle de la concentration du recours aux dispositifs d’intelligence artificielle en certaines parties du territoire Souvent difficiles à appréhender d’un point de vue technique et parfois coûteux, les dispositifs pourraient être essentiellement utilisés dans les grands centres hospitaliers ou les cabinets médicaux urbains. À n’en pas douter, cette concentration ne ferait qu’exacerber l’inégalité d’accès aux soins. Il est probable, du moins dans un premier temps, que ces outils seront plutôt utilisés par de jeunes médecins, davantage sensibilisés aux outils numériques pendant leur formation médicale, et non par des médecins plus âgés qui pourraient éprouver une sorte de défiance vis-à-vis de ces nouvelles technologies. Le CCNE souligne aussi le fait qu’une grande partie de la population française se situe « hors du numérique en général, soit par méconnaissance, soit par impossibilité d’accès » ([584]) : cette vérité trop souvent oubliée doit nous mettre en garde contre le risque de fracture numérique.

La seconde – notamment évoquée par M. David Gruson – est celle d’une « sur réglementation » dans un contexte de concurrence internationale très forte ([585]). Une régulation trop contraignante en France pourrait inciter les professionnels de santé ou les patients français à avoir recours à des innovations de médecine algorithmique conçues hors de France, voire hors de l’Union européenne, selon des standards éthiques peut-être éloignés de l’approche française. M. Cédric Villani a d’ailleurs souligné les fortes pressions qui pourraient être exercées sur les hôpitaux et les médecins français afin de se doter d’outils achetés à l’étranger. Ces pratiques ne manqueraient pas d’aggraver la fracture sociale : tous les offreurs de santé ne disposent pas nécessairement des ressources nécessaires à l’achat de tels outils, renforçant considérablement le risque d’apparition d’une médecine à deux vitesses ([586]).

III.   Vers une régulation de l’intelligence artificielle dans le domaine de la santé

Le rapport Villani qualifie la régulation de l’intelligence artificielle en santé d’« enjeu de souveraineté nationale dans un contexte de course technologique internationale » ([587]). Si la France dispose d’ores et déjà d’instances de réflexion et de régulation dans le domaine de la santé, il peut paraître pertinent de distinguer les spécificités des enjeux liés à l’utilisation croissante du numérique dans notre société actuelle.

A.   Trois principes généraux comme prolégomènes d’une éthique de l’intelligence artificielle en santé

1.   Le principe de garantie humaine du numérique en santé

Afin de prévenir le risque de déshumanisation de la médecine, le CCNE propose d’inscrire dans la loi le principe d’une garantie humaine en santé, qu’il définit comme « la garantie d’une supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, et l’obligation d’instaurer pour toute personne le souhaitant et à tout moment, la possibilité d’un contact humain en mesure de lui transmettre l’ensemble des informations la concernant dans le cadre de son parcours de soins » ([588]). Selon ce principe, tout recours à des algorithmes dans le parcours de soins devrait être subordonné à une supervision humaine. Le CCNE souhaite également que soit reconnue « la nécessité de préserver la maîtrise finale du professionnel de santé, en interaction avec le patient, pour prendre les décisions appropriées en fonction de chaque situation spécifique » ([589]). Favorable à l’introduction d’un tel principe dans la loi, M. David Gruson a indiqué qu’il conviendra par la suite d’encourager « l’émergence de techniques opérationnelles de recommandation de bonnes pratiques pour essayer de mettre concrètement en œuvre cette garantie humaine de l’intelligence artificielle ». Selon lui, ce rôle pourrait revenir à la Haute Autorité de Santé ([590]). Le CCNE mentionne plusieurs modalités selon lesquelles le principe de garantie humaine en santé pourrait se matérialiser :

– la mise en place de « procédés de vérification régulière – ciblée et aléatoire – des options de prise en charge proposées par les algorithmes d’aide à la décision » ([591]).M. David Gruson a précisé cette idée en mentionnant un « collège de garantie humaine » pouvant être mis en place à l’échelle d’un établissement ou d’un territoire plus large. Ce « collège de garantie humaine » pourrait avoir pour mission d’étudier, à échéance régulière de deux ou trois mois environ, plusieurs dizaines de dossiers médicaux où il aurait été recouru à un algorithme d’aide au diagnostic, afin de vérifier la pertinence du diagnostic fourni par l’algorithme ([592]) ;

– la définition d’un nouvel acte de télémédecine, dit « de garantie humaine », notion développée par la Société française de télémédecine ([593]), qui serait considéré comme une forme de télé-expertise permettant d’obtenir un deuxième avis médical humain en cas de doute d’un patient ou d’un médecin face à la solution thérapeutique proposée par un algorithme ([594]).

Le Conseil d’État suggère aussi d’utiliser l’ancrage légal de la répression de l’exercice illégal de la médecine posé par l’article L. 4161-1 du code de la santé publique pour justifier l’interdiction d’un diagnostic établi uniquement par un système d’intelligence artificielle sans intervention conjointe d’un médecin. Il estime que cette interdiction devrait être rappelée de façon plus nette, en s’inspirant de l’article 10 de la loi du 6 janvier 1978, qui prévoit qu’aucune décision produisant des effets juridiques à l’égard d’une personne ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé des données ([595]).

Pour la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologie du numérique d’Allistene (CERNA), il est également essentiel de concevoir des systèmes dont le fonctionnement même est transparent, explicité et traçable, effectuant donc « des tâches spécifiées en respectant des contraintes explicitées dans [un] cahier [des charges] » ([596]). C’est un enjeu particulièrement important, en particulier pour les systèmes d’aide à la décision fondés sur des algorithmes d’apprentissage.

Proposition n° 43 Introduire un principe législatif de garantie humaine du numérique en santé.

Proposition n° 44 Charger la Haute Autorité de Santé de rédiger des recommandations de bonnes pratiques pour la mise en œuvre concrète de ce principe de garantie humaine.

Proposition n° 45 Mettre en place un Collège de garantie humaine à l’échelle d’un établissement ou d’un territoire plus large.

Proposition n° 46 Définir un nouvel acte de télémédecine dit « de garantie humaine » permettant d’obtenir un deuxième avis médical en cas de doute sur les recommandations thérapeutiques de l’algorithme.

2.   L’exigence d’explicabilité de l’algorithme

a.   L’exigence d’explicabilité n’est pas synonyme de transparence

La préservation du rôle du médecin dans le parcours de soins d’un patient et de son autonomie décisionnelle passe par sa capacité à comprendre comment et pourquoi une proposition a été faite par un algorithme. Comprendre globalement le fonctionnement de l’algorithme permettrait au médecin d’exercer son jugement pour déterminer dans quel cas il est opportun de suivre l’algorithme et dans quel cas il faut s’en écarter. La CNIL et le Conseil d’État se sont ainsi prononcés en faveur de l’introduction dans la loi d’une exigence d’explicabilité des algorithmes, qui pourrait porter sur la logique de fonctionnement de l’algorithme et sur les critères retenus pour classer et hiérarchiser les informations analysées dans les données.

Cette exigence est très différente de la notion de transparence de l’algorithme. La transparence ne consiste qu’à rendre public le code source d’un algorithme : elle ne suffit pas pour comprendre les mécanismes sous-jacents et les logiques algorithmiques qui fondent la proposition médicale. Pour M. David Gruson, une obligation de transparence du code de l’algorithme ne serait ni utile pour le patient, ni rationnelle en termes d’investissement et d’innovation ([597]). Comme l’indique la CNIL, « plus que d’avoir accès directement au code source, l’essentiel serait d’être à même de comprendre la logique générale de fonctionnement de l’algorithme » ([598]).

Lors de son audition, M. Cédric Villani a estimé que le médecin devrait pouvoir connaître les facteurs déterminants, qui, parmi la multitude des données prises en compte par l’algorithme, ont fait pencher la balance du diagnostic d’un côté ou de l’autre (par exemple, un antécédent médical spécifique, corrélé à une mesure de tension artérielle et à celle d’un taux de cholestérol). Cela permettrait au médecin de conserver un regard critique sur le diagnostic suggéré et de pouvoir l’expliquer au patient de façon crédible, condition importante pour pouvoir remporter son adhésion au traitement ([599]). Il est à noter que le caractère auto­apprenant, donc évolutif des algorithmes au fil de l’enrichissement de leur base de connaissances n’est pas antinomique avec l’exigence d’explicabilité, dans la mesure où cela n’empêche pas de retrouver a posteriori quels facteurs ont été pris en compte dans la solution proposée.

b.   L’exigence d’explicabilité doit pouvoir être différenciée

M. Raja Chatila a mis en avant le fait que l’exigence d’explicabilité gagnerait à être différenciée en fonction du public visé ([600]) (spécialistes de l’intelligence artificielle, médecins, patients, autorité de certification ou de contrôle etc.), dans la mesure où l’explicabilité est subjective. Dans le domaine de la médecine, il propose que seul le médecin soit destinataire de cette exigence d’explicabilité, à charge pour lui d’expliquer à son tour ces informations au patient. Ces précisions reçoivent le soutien du rapporteur, tant parce qu’elles peuvent apporter des garanties éthiques supplémentaires au regard de la conception et de l’usage des techniques d’intelligence artificielle que parce qu’elles consolident, autour de celles-ci, la relation entre le médecin et son patient.

c.   La formation médicale doit être adaptée en conséquence

Pour que les professionnels de santé puissent se saisir pleinement des informations mises à leur disposition par les concepteurs de l’algorithme ayant permis d’aboutir à la solution proposée par celui-ci, il leur faut recevoir une formation visant à ce qu’ils puissent être à l’aise avec ces outils et en cerner les limites. Le rapport Villani propose ainsi de « former les professionnels de santé aux usages de l’intelligence artificielle, de l’IOT [Internet of Things ou Internet des objets connectés] et du big data en santé, ainsi qu’aux compétences de coordination, d’empathie et du rapport avec les patients » ([601]).

Lors des auditions, le rapporteur s’est interrogé sur la formation des professionnels de santé. Comment la relation au patient, en partie transformée par les apports de l’intelligence artificielle, doit-elle être « efficacement, correctement et rapidement enseignée aux étudiants en médecine d’aujourd’hui qui seront les médecins de demain et qui baigneront dans l’intelligence artificielle » ([602]) ? La formation des professionnels de santé devrait inclure une dimension portant sur l’utilisation des données de santé qu’ils génèrent à l’occasion de leur pratique médicale ou paramédicale. Dans la mesure où les données cliniques constatées et renseignées par les médecins sont des sources d’apprentissage de l’intelligence artificielle, le rapport Villani souhaite que « les professionnels de santé soient sensibilisés et formés pour encoder ces informations de manière à les rendre lisibles et réutilisables par la machine » ([603]). Le rapport de la mission de préfiguration sur le Health data hub propose par ailleurs de mettre en place des politiques incitatives à la structuration et au partage des données et suggère, pour les médecins généralistes, d’agir dans le cadre conventionnel à travers la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) ([604]).

Certains des experts auditionnés par la mission d’information ont souligné les initiatives récentes, telles que l’annonce par la Conférence des doyens des facultés de médecine (CDFM) de la mise en place en 2019 d’un module de sensibilisation des étudiants aux enjeux de la médecine algorithmique dès le premier cycle des études médicales. Pour sa part, la directrice générale de l’Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) a annoncé que l’intelligence artificielle serait une orientation prioritaire de développement professionnel continu (DPC) dès 2019 ([605]).

Proposition n° 47 Introduire dans la loi une exigence d’explicabilité des algorithmes, différenciée selon le public visé, qui porterait sur leur logique de fonctionnement et sur les critères retenus pour apprécier la pertinence des informations finales tirées des données utilisées.

Proposition n° 48 Développer la formation des professionnels de santé sur les apports de l’intelligence artificielle en santé et l’utilisation des données de santé générées au cours du parcours de soins.

3.   L’effectivité du consentement de la personne

a.   Le consentement à la collecte des données de santé pourrait évoluer pour favoriser la recherche tout en restant protecteur de la vie privée

Les développements de la première partie du présent chapitre ont souligné les enjeux éthiques forts relatifs à la collecte des données de santé, qui intervient dans des « lieux » de plus en plus divers : non seulement lors de la relation de l’individu au système de santé publique et de soins mais aussi dans le cadre du déploiement de l’« Internet des objets » et des applications personnelles de santé. Au regard de ces enjeux, il est indispensable de sensibiliser davantage les patients, les professionnels ainsi que les institutions sanitaires à l’importance de la maîtrise des données, par le biais de campagnes d’information à large diffusion et de formations plus spécifiques à destination d’un public professionnel. Parallèlement, ces acteurs doivent être sensibilisés à l’importance que ces données revêtent pour l’amélioration de notre système de soins.

Le CCNE propose de compléter le droit « d’outils pratiques nouveaux ou réactualisés pour garantir l’effectivité du recueil de ce consentement » ([606]). Ces outils pourraient être institués sur la base du droit existant, qui serait complété par des recommandations de bonnes pratiques à établir avec les professionnels de santé et les représentants des patients. Le renforcement des modalités du recueil de consentement, via la personne de confiance, pour les personnes vulnérables, telles que les personnes âgées, a notamment été suggéré à plusieurs reprises lors des auditions.

D’autres pistes d’évolutions suggérées au cours des auditions visent à faciliter l’enrichissement des bases de données actuelles en données de santé. On se reportera à cet effet à la proposition formulée par le Pr Antoine Magnan sur la rénovation du consentement (cf. chapitre Médecine génomique et tests génétiques). Le CCNE promeut pour sa part un « mécanisme de consentement présumé dans le cas d’un intérêt public pour la santé de type de celui existant en matière de prélèvement d’organes » ([607]). Ce mécanisme transformerait donc le consentement explicite en droit d’opposition à la collecte et à l’utilisation des données de santé. Cette proposition paraît difficilement conciliable avec les dispositions du RGPD, qui imposent l’obtention du consentement préalable d’un individu avant toute collecte de ses données de santé.

b.   Le médecin devrait être tenu d’informer le patient du recours à un algorithme

Au cours de son audition, M. David Gruson a estimé qu’un élargissement du devoir d’information du médecin était l’une des deux dispositions aujourd’hui manquantes dans l’environnement législatif et a souhaité que le patient soit informé préalablement du recours à un algorithme d’aide à la décision médicale dans son parcours de soins ([608]). Le CCNE plaide également pour « une déclinaison expresse » du principe d’information préalable du recours à l’algorithme pour le patient ou son représentant légal dans la prochaine loi de bioéthique ([609]). Un tel principe s’inscrirait dans les pas de la décision du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la protection des données à caractère personnel, où il prescrit que le recours à un algorithme pour fonder une décision administrative individuelle doit faire l’objet d’une information préalable ([610]).

Auditionné par la mission d’information, M. Cyrille Dalmont a, quant à lui, proposé d’introduire un pictogramme « sur tous les actes, images ou ordonnances réalisés par une intelligence artificielle, afin d’en avertir sans équivoque soignants et patients ». Il estime que ce pictogramme permettrait aux patients « de se prévaloir d’une intervention humaine en dernier recours, qui devra dorénavant s’imposer comme un droit », faisant ainsi référence à la reconnaissance du principe éthique de garantie humaine ([611]). Cette proposition mérite d’être soutenue, bien qu’elle ne relève pas du domaine de la loi.

c.   Le consentement du patient aux actes et traitements proposés après intervention d’un algorithme pourrait évoluer dans un cadre précisé par des recommandations de bonnes pratiques

Les autorités publiques et les experts auditionnés par la mission estiment que le principe du consentement du patient, posé par le quatrième alinéa de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique ne nécessite pas d’être modifié pour tenir compte de l’émergence de la « médecine algorithmique » Ce principe s’exprime ainsi : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. » Il est plutôt suggéré d’en aménager les modalités pratiques, afin que le recueil d’un consentement libre et éclairé en médecine algorithmique ne soit pas un exercice sans portée.

M. David Gruson, qui a participé à l’élaboration de l’avis n° 129 du CCNE sur la révision de la loi de bioéthique, estime qu’il faut « capitaliser sur la valeur ajoutée de cette technologie [algorithmique] sans remettre en cause le principe du recueil de consentement » ([612]). Cet aménagement peut reposer seulement sur des recommandations de bonnes pratiques, qui seront établies avec les professionnels de santé et les associations représentant les patients.

Il suggère en premier lieu la mise en place de dispositifs de recueil de consentement plus séquentiels, c’est-à-dire intervenant en amont de la prise en charge, y compris sur des options qui ne se réaliseraient pas au fil de la recherche de solutions par l’algorithme. Cela permettrait d’adapter les modalités de recueil de consentement au fonctionnement de l’intelligence artificielle en santé, qu’il explicite comme un « faisceau d’options causales, avec un algorithme qui va imaginer, à partir d’une situation clinique donnée, un certain nombre de prises en charge possibles, dont certaines ne se réaliseront peut-être pas au fil du parcours de prise en charge » ([613]).

En second lieu, il mentionne la mise en place de mécanismes de recueil de consentement plus protecteurs, notamment pour les personnes les plus vulnérables telles les personnes âgées ou les personnes handicapées. Souhaitant s’appuyer sur des mécanismes législatifs existants, il propose de réhabiliter l’outil encore insuffisamment utilisé de la « personne de confiance », en tant que « personne qui va aussi aider le patient à exprimer un avis éclairé par rapport à la proposition thérapeutique formulée par un algorithme ». Il suggère également que des associations de représentants des patients puissent remplir ce rôle dans certains cas, avec la mise en place conjointe de programmes de formation spécifiques ([614]).

Proposition n° 49 Instaurer des outils pratiques nouveaux ou réactualisés pour garantir l’effectivité du recueil du consentement d’un individu à l’utilisation de ses données de santé.

Proposition n° 50 Introduire une exigence d’information préalable du recours à un algorithme par le médecin au patient ou à son représentant légal.

Proposition n° 51 Établir des recommandations de bonnes pratiques pour adapter le recueil de consentement du patient aux actes et traitements proposés après intervention d’un algorithme.

B.   L’organisation du cadre de la réflexion éthique sur l’intelligence artificielle en santé

1.   Instituer à terme un nouvel organe de réflexion éthique sur le numérique en santé

Le développement et la diffusion très rapides des outils numériques dans le domaine de la santé suscitent un grand nombre de questionnements éthiques, qui n’ont pour l’heure trouvé que des réponses incomplètes et dont tous n’ont certainement pas émergé. Dans son avis sur la révision de la loi de bioéthique, le CCNE souligne lui-même que les enjeux soulevés par l’utilisation croissante du numérique en santé « nécessitent de mettre en place une réflexion éthique spécifique » et plaide pour « la création d’un éventuel comité d’éthique du numérique, que l’on appellera “CCNE-numérique” » ([615]).

La mission d’information a entendu les nombreux appels à créer un organe de réflexion éthique spécifique au numérique en santé, sur le modèle du CCNE, qui puisse rassembler en son sein des compétences pluridisciplinaires impliquées dans ce domaine. Une question demeure cependant : celle de la forme que devrait prendre ce nouveau comité d’éthique. Devrait-il être intégré en tant que nouvelle compétence au CCNE actuel ? Ou serait-il préférable de créer un nouvel organe ad hoc, formellement détaché du CCNE ?

Quelle que soit l’option choisie, cette initiative nécessitera une action législative dans le cadre de la prochaine loi de bioéthique, puisque même si cette « compétence numérique » restait au sein du CCNE, son objet et ses compétences devraient être explicitement étendus aux problématiques liées aux innovations et aux usages du numérique en santé.

Le groupe de travail commandé par le CCNE avec le concours de la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique (CERNA) propose « un élargissement de l’objet et des missions du CCNE dans la prochaine loi de bioéthique » ([616]) et son évolution en Comité national d’éthique, dont le collège serait en capacité de travailler sur l’ensemble des enjeux éthiques des sciences de la vie et de la santé ainsi que des sciences, technologies, usages et innovations du numérique.

M. David Gruson a interprété l’avis du CCNE comme « une volonté assez pragmatique de trouver une voie de passage entre ce capital d’expertise spécialisé sur la bioéthique, en tant que telle, et la nécessité d’opérer une transition progressive vers une régulation éthique plus transversale des algorithmes ». Il a cependant mis en garde contre un risque de perte « en finesse de régulation pratique » si la France décide seule de créer immédiatement une « autorité de régulation éthique des algorithmes dans le champ de la santé » ([617]).

Il faut probablement se garder d’investir le CCNE d’une mission de régulation appliquée à l’intelligence artificielle. Une telle transformation modifierait profondément la nature du CCNE et serait en fait un changement de paradigme. La place et le rôle du CCNE sont aujourd’hui reconnus : « en surplomb » et autonome par rapport aux acteurs décisionnels, cette haute instance consultative dans le domaine de l’éthique doit éclairer les pouvoirs publics sur les conséquences des évolutions techniques dans les sciences de la vie et de la santé. Transformer sa mission pour en faire une instance de régulation, donc une institution à vocation interventionnelle, pourrait brouiller son image et les messages qu’il a vocation à délivrer.

M. Cédric Villani a suggéré de créer, à titre transitoire, un comité d’éthique spécialisé dans le numérique en santé au sein du CCNE, ce qui permettrait de ménager un temps de réflexion sur la meilleure façon d’installer une instance autonome. Cette autonomie n’exclurait pas des saisines ou des membres communs aux deux comités dans les champs qui relèveraient à la fois de l’intelligence artificielle et de la bioéthique. En effet, la création d’une instance distincte de l’actuel CCNE résulte de ce que l’éthique des algorithmes ne se résume pas à ses implications en matière de bioéthique : elle doit pouvoir se déployer dans les autres domaines où est appelée à se développer l’intelligence artificielle, qui ne sauraient être arbitrairement bornés. M. Villani suggère donc « d’inscrire, dans la loi de bioéthique à venir, une solution transitoire dans laquelle, au sein du CCNE, serait mis en place un nouveau collège chargé de gérer ces questions d’intelligence artificielle ». Cette solution transitoire présenterait le double avantage de « permettre un transfert de savoir-faire efficace [du CCNE] sur la façon dont doit fonctionner un comité d’éthique indépendant » tout en affichant « clairement, vis-à-vis des citoyens, que l’on a bien perçu l’urgence d’une réponse appropriée » ([618]), en partie spécifique.

Proposition n° 52 Créer à titre transitoire un comité d’éthique spécialisé sur le numérique en santé au sein du CCNE puis, à terme, un nouvel organe de réflexion éthique sur l’intelligence artificielle.

2.   Promouvoir la création d’un observatoire européen de l’intelligence artificielle en action

Lors de son audition, Mme Laurence Devillers a suggéré de créer un observatoire des développements et des usages de l’intelligence artificielle qui aurait vocation à identifier ses potentielles dérives dans le monde entier ([619]). Cet observatoire aurait un recrutement interdisciplinaire, à l’image du projet Bad Nudge, piloté par Mme Devillers à Paris-Saclay dans le cadre de l’Institut DATAIA. Celui-ci, aux côtés d’informaticiens, associe des économistes du comportement et des juristes et vise à évaluer les risques générés par les objets connectés – et spécifiquement les agents conversationnels – qui apportent une nouvelle dimension dans l’interaction – la parole – et pourraient devenir un moyen d’influencer les individus. Il pourrait également comporter un laboratoire ouvert à la société, aux élèves d’âge scolaire et plus largement aux citoyens.

Une telle initiative doit être soutenue : elle offre un instrument de vigilance nouveau, bien adapté à la surveillance des usages de l’intelligence artificielle dite « émotionnelle », particulièrement dynamique aujourd’hui et qui semble être, à l’heure actuelle, moins canalisée que les solutions plus classiques relevant de l’intelligence artificielle dite « rationnelle ».

Interrogé par le rapporteur, M. Raja Chatila s’est déclaré favorable à la création d’une telle structure, tout en soulignant qu’elle aurait davantage de pertinence à une échelle européenne plutôt que nationale ([620]).

Proposition n° 53 Promouvoir la création d’un observatoire européen de l’intelligence artificielle.

C.   La certification des algorithmes dans le domaine de la santé

1.   La certification des algorithmes dans le domaine de la santé est actuellement soumise aux règles de droit commun applicables aux dispositifs médicaux

a.   L’algorithme est considéré comme un dispositif médical

À défaut d’un cadre juridique spécifique à l’intelligence artificielle, c’est celui des dispositifs médicaux qui est actuellement utilisé pour la certification des algorithmes à finalité médicale, notamment les algorithmes d’aide au diagnostic, ou d’aide à la décision thérapeutique et à la prescription médicamenteuse.

Les algorithmes à finalité médicale entrent en effet dans la définition du dispositif médical établie par la directive 93/42/CEE ([621]), telle que modifiée par la directive 2007/47/CE ([622]), dont l’article 1er définit le dispositif médical comme « tout instrument, appareil, équipement, logiciel, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostique et/ou thérapeutique, […], destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins […] de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie ; ».

Cette notion de logiciel est également reprise dans le règlement européen du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux ([623]), qui entrera en vigueur le 26 mai 2020.

Dans un arrêt du 7 décembre 2017 ([624]), la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé la portée de cette définition en indiquant qu’un logiciel dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation des données propres à un patient à des fins médicales constitue un dispositif médical pour ce qui est de cette fonctionnalité, même si un tel logiciel n’agit pas dans ou sur le corps humain. L’arrêt prend notamment pour exemple le recoupement par un logiciel des données d’un patient avec des informations sur les médicaments qu’un médecin envisage de prescrire en vue de fournir une analyse à finalité spécifiquement médicale, telle que la détection de potentielles contre-indications ou d’interactions médicamenteuses. A contrario, un logiciel ayant vocation à être utilisé dans un contexte médical, mais se limitant à archiver, collecter ou transmettre des données sans les exploiter n’est pas considéré comme un dispositif médical.

b.   La certification d’un dispositif médical fait la part belle au fabricant

Le cadre réglementaire actuel impose aux fabricants de dispositifs médicaux de se conformer à certaines exigences en matière de sécurité et d’efficacité, qui dépendent de la destination du dispositif médical et de sa classe de risque. De façon générale, un organisme notifié choisi par le fabricant est chargé d’évaluer la conformité du dispositif médical à ces exigences sur la base d’investigations cliniques réalisées par le fabricant. Si cette conformité a été validée par l’organisme notifié, le fabricant pourra apposer un marquage CE sur le dispositif médical et rédiger une déclaration de conformité UE, conditions indispensables à une mise sur le marché européen.

Une fois la certification obtenue, et postérieurement à la mise sur le marché, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), autorité responsable de la surveillance du marché, pourra effectuer des contrôles de conformité des dispositifs médicaux par des inspections annoncées ou inopinées et prononcer d’éventuelles mesures de police sanitaire ([625]).

2.   Des certifications spécifiques aux algorithmes dans le domaine de la santé sont nécessaires mais ne pourront se déployer que dans un cadre européen

Le rapport Villani souligne que les procédures actuelles ne sont pas appropriées aux caractéristiques de l’intelligence artificielle, dans la mesure où « elles sont fondées sur le principe selon lequel un dispositif, produit ou service conçu à des fins médicales puisse être testé cliniquement à un instant et commercialisé sous cette forme immuable ». Or, poursuit l’auteur « les technologies d’intelligence artificielle sont par nature des processus automatiques apprenants et donc extrêmement évolutifs » ([626]).

Il serait donc souhaitable de faire évoluer les procédés de certification des algorithmes à finalité médicale. En effet, la certification par une autorité publique sur la base de critères pertinents et sous une forme adaptée aux spécificités de l’intelligence artificielle contribuerait à renforcer la confiance des individus et des professionnels de santé dans leur utilisation. De plus, cette certification pourrait permettre d’éviter la diffusion de dispositifs d’intelligence artificielle susceptibles de mener à des erreurs en matière médicale, du fait par exemple d’un code algorithmique peu pertinent ou de bases de données comportant des biais ou des erreurs. Ce risque paraît d’autant plus prégnant que les individus ont tendance à avoir une attitude ambivalente face aux outils numériques, se manifestant soit par une très grande méfiance, voire un rejet complet, soit par une confiance aveugle évitant de questionner la qualité du dispositif et de ses failles potentielles.

Lors de son audition M. Cédric Villani a dépeint les principales caractéristiques de ce que pourrait être une certification efficace et rationnelle de ces algorithmes. Celle-ci pourrait prendre la forme d’un certificat attribué par une agence d’experts en fonction d’un ensemble disparate de méthodes appliqué sur une partie du code seulement : « Pour certains pans vitaux de l’algorithme, on pourra mettre en œuvre des techniques de vérification, en interrogeant sur la manière dont la base de données a été constituée, en effectuant des tests, en introduisant de fausses données dans l’algorithme afin de voir comment il se comporte, etc. ». La certification pourrait également prendre la forme de normes de qualité sur la façon dont un système doit être conçu et dont le code doit être rédigé.

Cependant, la France n’a quasiment aucune marge de manœuvre pour instaurer de nouveaux procédés de certification des algorithmes en matière médicale : les algorithmes « à finalité médicale » doivent uniquement se conformer à la réglementation européenne sur les dispositifs médicaux en matière de mise sur le marché européen, c’est-à-dire l’obtention du marquage CE. Cet aspect a été rappelé par la CJUE dans son arrêt du 7 décembre 2017 précité : saisie par le Conseil d’État d’une question préjudicielle dans le cadre d’une action contentieuse intentée par le Snitem et Philips France, elle a affirmé que la France ne pouvait imposer une obligation de certification supplémentaire à un fabricant de logiciel d’aide à la prescription médicale ayant obtenu le marquage CE : « Une fois ce marquage obtenu, ce produit, pour ce qui est de cette fonctionnalité, peut être mis sur le marché et circuler librement dans l’Union sans devoir faire l’objet d’aucune autre procédure supplémentaire, telle une nouvelle certification » ([627]). Une obligation supplémentaire serait considérée comme une restriction à l’importation d’un produit qui satisfait aux critères pour circuler librement au sein de l’Union européenne.

La voie est donc étroite pour une initiative nationale ambitieuse. Comme le souligne la Haute autorité de santé à la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 2018 rendu à la lumière de la réponse de la CJUE à la question préjudicielle précitée ([628]), la certification des logiciels d’aide à la prescription reste cependant possible sur la base du volontariat. Pour inciter à la mise en œuvre de solutions répondant aux exigences de qualité qui seraient décidées par les autorités françaises, seule une campagne régulière d’information auprès des praticiens et établissements de santé paraît praticable. Elle ne dispense en rien d’engager les efforts nécessaires pour promouvoir une véritable certification auprès des autorités européennes et de nos partenaires.


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   Chapitre final

La loi et la bioéthique : pour un approfondissement démocratique

Face aux défis auxquels l’homme est aujourd’hui confronté, le concept de bioéthique posé par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique n’apparaît plus parfaitement adapté.

Restreint aux tests génétiques, à la greffe d’organes, aux neurosciences, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, le champ de la loi apparaît limité alors que les frontières avec d’autres disciplines sont de plus en plus floues. Ainsi, la réflexion sur certains aspects de la procréation doit désormais tenir compte des dernières innovations technologiques dans le domaine du big data ou du séquençage génomique à haut débit. Il en est de même, par exemple, au regard de la remise en cause par l’intelligence artificielle de notions classiques comme le consentement individuel et la relation entre patient et médecin.

Au-delà de cette interdisciplinarité croissante, la bioéthique touche à des convictions et à des sensibilités de nature culturelle, spirituelle ou religieuse, qui à la fois plongent au cœur de la conscience individuelle et s’alimentent de conceptions diverses aussi bien du collectif que de la nature humaine. Nous devons affronter des situations plus ou moins imminentes concernant l’humanité, comme les inégalités biologiques, la sélection, l’humanité augmentée ou la conformité à des standards. « Aborder ces questions, c’est être capable de résister […] au nom de ce que l’humanisme a fait et de nos conquêtes en matière de liberté et de dignité », a indiqué M. Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale ([629]).

Le cadre bioéthique qui résulte de la loi du 7 juillet 2011 n’est plus suffisamment en mesure de répondre à ces questions. « Un progrès, c’est ce qui permet aux humains de vivre mieux, ce n’est pas le fait de réussir à implanter une nouvelle technologie et de la vendre à beaucoup de monde » a ainsi souligné M. Jacques Testart ([630]), avant d’ajouter : « c’est pourquoi, en effet, il faut complètement revoir le modèle actuel de la bioéthique. Je ne crois pas qu’elle puisse, dans sa forme actuelle, répondre à tout cela : aussi bien courir au-devant des propositions techno-scientifiques que répondre à la demande démocratique des populations ».

La bioéthique se trouve depuis toujours à la confluence des questions humaines et sociétales les plus complexes. L’enjeu est fondamental : il s’agit de choisir la société dans laquelle nous vivrons demain, de dessiner la condition humaine à laquelle nous consentons à nous soumettre et l’humanité que, tout à la fois, nous voulons transformer. À cet égard, le rapporteur est convaincu qu’il ne faut pas céder aux sirènes du transhumanisme mais, au contraire, chercher sans relâche notre ressourcement dans l’hyperhumanisme.

Aussi revient-il au Parlement, à l’occasion du réexamen du dispositif juridique relatif à la bioéthique prévu par l’article 47 de la loi de 2011, non pas simplement d’y apporter quelques ajustements, mais bien davantage de redéfinir la bioéthique. L’enjeu est d’autant plus important que « la France a une responsabilité majeure », comme l’a souligné M. David Gruson, fondateur de l’initiative « Ethik IA » ([631]), alors que va bientôt s’ouvrir la révision de la Convention d’Oviedo. Nous devons faire en sorte que, intervenant en amont, la position de la France sur les sujets de bioéthique soit influente, comme elle l’a été en 1996, et qu’elle incarne une voie susceptible de rayonner dans d’autres pays.

Afin d’affirmer clairement ce qu’est une bioéthique moderne, nous devons mettre en œuvre deux principes : avoir une démarche constructive et affirmer les valeurs constitutives de notre démocratie, de responsabilité vis-à-vis de l’autre et des générations futures.

Il faudra donc répondre à plusieurs questions essentielles : Quels contours donner à la responsabilité ? Comment celle-ci peut-elle encadrer la volonté ? Quels principes intangibles promouvoir dans une société qui remet en cause la légitimité de l’institution et qui repousse les contraintes sociales opposées à l’affirmation des droits de la personne ? Qu’en est-il de ces principes à l’épreuve d’avancées techniques dites disruptives ? Comment guider nos choix lorsqu’il faut arbitrer entre des intérêts différents, voire divergents ? Comment être sensible à l’homme dans ses vulnérabilités ? Comment permettre aux plus vulnérables d’être reconnus et considérés ? Au-delà de l’ouverture de droits nouveaux, comment rendre les droits existants accessibles à tous ? Peut-on inventer une démocratie bioéthique ?

Avant d’aborder ces questions fondamentales lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, la mission d’information souhaite déjà formuler quelques propositions sur la présentation de la loi et l’organisation future des débats de bioéthique.

A.   La bioÉthique, un impératif moral par tous et pour tous

Un fossé s’est creusé entre ceux qui ont confiance dans la possibilité de s’approprier positivement le progrès et ceux qui le redoutent. Il est donc essentiel d’assurer une plus grande participation de tous à la réflexion bioéthique plutôt que de laisser certains sur le côté, au risque de susciter des positions antagonistes.

Cette participation ne doit pas concerner seulement les professionnels de la santé et de la recherche mais, plus largement, l’ensemble de la population.

1.   La bioéthique comme imprégnation des chercheurs et des professionnels de santé

Qu’il s’agisse des chercheurs ou des professionnels de santé, il apparaît urgent de mettre davantage l’accent sur leur formation, initiale et continue, en matière de bioéthique.

Pour ce qui concerne les études médicales, M. Alain Grimfeld, professeur de médecine et ancien président du CCNE, a d’ailleurs souligné qu’« il faut que tout au long du cursus, sur les plans pratiques et théoriques, au sein des services hospitaliers et hospitalo-universitaires, les notions d’autonomie, de bienveillance et de justice, notamment sociale, soient constamment respectées dans l’exercice médical. Il est indécent de réduire ces sujets à des matières optionnelles ne servant qu’à remporter quelques points supplémentaires, surtout à l’heure où l’intelligence artificielle va être introduite dans l’exercice médical » ([632]).

Quant à la formation et à l’encadrement des chercheurs, M. Didier Sicard, professeur de médecine et ancien président du CCNE, a déploré leurs carences en matière de bioéthique : « lorsqu’un protocole de recherche a été entièrement défini, figurent trois lignes consacrées aux questions éthiques. Elles se bornent en général à considérer que la recherche menée apportera un bien-être à l’humain » avant d’ajouter qu’il était frappé de constater que « dans un certain nombre de domaines, ce n’est plus le bien-être des citoyens et des malades qui constitue la principale préoccupation, mais la rentabilité d’une technique qui devient universelle. La question éthique est donc : “Suis-je dépendant dans ma recherche des financiers, car elle coûte toujours plus, ou de l’humanité pour laquelle je travaille ?” Cette question éthique, trop rarement posée, devrait être beaucoup plus présente » ([633]).

Au regard des enjeux liés à la bioéthique, le rapporteur considère que les médecins et les chercheurs doivent être animés d’une réflexion éthique a priori dans chacun de leurs actes ou de leurs projets, afin qu’ils ne se contentent pas de décliner les lois adoptées par le Parlement et les avis et recommandations formulés par les comités chargés de bioéthique.

Cette place essentielle de la réflexion éthique suppose de mettre davantage l’accent sur la dimension bioéthique dans la formation des chercheurs et des personnels de santé.

À cet égard, une mesure récente doit rapidement trouver une traduction concrète dans toutes les universités. Chacune doit en effet désormais développer des formations à l’éthique de la recherche, à l’intégrité scientifique et instituer des comités de soutien aux chercheurs qui doivent intervenir au début de leurs recherches pour identifier enjeux et impacts éthiques.

Chargé de mettre en place un conseil pour l’éthique de la recherche et de l’intégrité scientifique à l’université de Paris-Saclay, M. Emmanuel Hirsch a fait part de l’accueil très positif qui a été réservé à cette innovation, en soulignant que « l’appétence des enseignants chercheurs et des étudiants pour ces questions est impressionnante. C’est la part la plus positive et la plus excitante de ce que j’ai vécu ces derniers mois. Il y a une envie d’éthique – une envie de prendre des responsabilités, de les assumer et de leur donner du sens – qui est indépendante de la course à la publication » ([634]).

Alors que les initiatives se multiplient en matière d’éthique – « dans le domaine de l’intelligence artificielle, il n’y a pas une semaine sans qu’il y ait une initiative intéressante en matière d’éthique » a souligné M. Hirsch –, il importe de faire remonter les bonnes pratiques en la matière en tenant compte de la transversalité de la question éthique, qui se situe au carrefour des sciences dites dures et des sciences humaines et sociales.

Proposition n° 54 Introduire dans la loi des dispositions en matière de formation obligatoire, initiale et continue, des professionnels de santé et des chercheurs à la bioéthique.

2.   La participation citoyenne, une chance pour la bioéthique

Loin de se limiter à l’élaboration des lois, l’évolution de la bioéthique doit d’abord être un processus démocratique reposant sur la réflexion des citoyens.

Or, malgré le succès rencontré par les États généraux de la bioéthique, force est de constater que trop peu de citoyens s’impliquent dans les consultations qui sont organisées et qu’il existe en outre un risque élevé de surreprésentation de certains groupes plus enclins à défendre leurs idées préconçues qu’à participer à un débat ouvert.

a.   Pour une meilleure association des citoyens

Aux termes de l’article 46 de la loi du 7 juillet 2011, tout projet de réforme sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé doit être précédé d’un débat public sous forme d’états généraux. Ceux-ci sont organisés à l’initiative du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, après consultation des commissions parlementaires permanentes compétentes et de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Ces états généraux réunissent des « conférences de citoyens » choisis de manière à représenter la société dans sa diversité. Après avoir reçu une formation préalable, ceux-ci débattent et rédigent un avis ainsi que des recommandations qui sont rendus publics. Les experts participant à la formation des citoyens et aux états généraux sont choisis en fonction de critères d’indépendance, de pluralisme et de pluridisciplinarité.

À la suite du débat public, le CCNE établit un rapport qu’il présente devant l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui procède à son évaluation.

En l’absence de projet de réforme, le CCNE est tenu d’organiser des états généraux de la bioéthique au moins une fois tous les cinq ans.

L’organisation du débat public dans le cadre des États généraux de la bioéthique 2018

Les Espaces de réflexion éthique régionaux ont été à l’initiative de très nombreuses rencontres en région. Les méthodes d’organisation des rencontres et les thèmes abordés ont été définis librement par chaque Espace. 271 événements ont été organisés au total, réunissant environ 21 000 participants.

Un site web participatif a aussi été créé, afin de permettre à un public plus large de s’exprimer. Ont été recensés 183 498 visiteurs uniques et 29 032 participants pour 64 985 contributions.

Le CCNE a procédé directement à 154 auditions d’organisations : 88 associations d’usagers de santé et groupes d’intérêt d’envergure nationale, 36 sociétés savantes scientifiques ou médicales, 9 groupes de courants de pensée philosophique ou religieux, 18 grandes institutions et 3 entreprises privées ou syndicats d’entreprises.

Le CCNE a par ailleurs organisé trois rencontres avec des experts scientifiques et médicaux, ainsi que des membres de comités d’éthique institutionnels, sur trois thèmes : le développement des tests génétiques et de la médecine génomique, la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, ainsi que les neurosciences.

Constitué d’un échantillon de 22 citoyens français âgés de 18 ans et plus, reflétant la diversité de la population française en termes de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de lieu d’habitation, un Comité citoyen a exercé tout au long du processus un rôle de surveillance en portant un regard critique sur celui-ci. À l’issue de la consultation, il a restitué une « Opinion » sur celle-ci et a approfondi deux sujets : la fin de vie et la génomique en pré-conceptionnel.

Preuve de leur utilité et de leur caractère ouvert, les États généraux ont suscité des réactions variées.

M. Didier Sicard considère ainsi que les débats « auxquels nous avons assisté sont extrêmement utiles ; très peu de pays au monde ont des débats d’une telle richesse, avec leur complexité. (…) Cependant, la façon dont ils sont conduits aboutit toujours à une espèce de césure à la surface des choses. On est “pour” ou “contre” – pour ou contre l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples homosexuels ou les femmes seules, pour ou contre l’euthanasie – sans se préoccuper des conséquences que peut avoir telle nouveauté dans l’accès au début ou à la fin de la vie » ([635]).

M. Jean-Claude Ameisen, lui aussi ancien président du CCNE, a défendu le principe de la conférence de citoyens, qui « revêt une importance particulière, non seulement parce qu’elle permet d’exposer les points de vue différents, de croiser les regards en élaborant des approches, des questionnements, des propositions originales (…), mais aussi parce qu’elle a un rôle pédagogique. Quand des citoyens tirés au sort se réunissent, ils sont à même d’élaborer une réflexion de grande qualité, dès lors qu’ils sont informés et peuvent réfléchir librement. Il en résulte une vertu pédagogique, car on montre ainsi au reste de la société qu’en réunissant des personnes de professions, d’âges et de lieux de résidence différents, il est possible d’élaborer une réflexion collective » ([636]).

M. Jean-François Mattéi, président du Comité d’éthique de l’Académie de médecine, s’est montré plus critique en estimant que « l’analyse faite a posteriori [de la conférence des citoyens] a montré que la désignation des vingt personnes n’est pas toujours très satisfaisante, d’une part parce qu’elles ne représentent pas toute la diversité de la population, d’autre part parce que, alors qu’elles ne connaissent rien au sujet, elles sont très vite pénétrées de l’autorité qu’on leur a conférée et donnent des avis qui, parfois, ne reposent pas sur des éléments raisonnables, si bien que l’on ne peut pas vraiment en tenir compte » ([637]).

M. Jacques Testart a, pour sa part, souligné qu’il n’avait jamais constaté « ce qui est arrivé lors des derniers États généraux : une telle offensive organisée des défenseurs d’une science mythifiée, placée au-dessus des valeurs culturelles, le principe cardinal d’indisponibilité des éléments du corps humain étant de plus en plus écarté au profit du désir des personnes », avant de défendre le principe des conventions de citoyens : « Dans cette procédure, les jurés citoyens sont indépendants d’intérêts particuliers puisqu’ils sont issus d’un tirage au sort, suivi d’une vérification d’indépendance, puis de l’aménagement d’une diversité maximale. Ils sont complètement informés puisqu’un comité de pilotage pluriel assure le concours d’experts aux points de vue contradictoires, et que le processus se donne le temps indispensable pour que se développe le débat interne au groupe. Ils sont abrités des diverses pressions lobbyistes, puisqu’ils demeurent anonymes jusqu’au rendu de leur avis, qu’ils rédigent eux-mêmes. Surtout, ils sont portés à définir le bien commun grâce à la manifestation des vertus conjuguées de l’intelligence collective et de l’empathie » ([638]).

Le rapporteur considère que, trop souvent, le débat donne l’impression de se résumer à l’affrontement ou à la juxtaposition de points de vue établis. Il faut au contraire développer, sur le long terme, une culture du débat pour une délibération collective visant à mettre à profit la créativité des citoyens pour faire émerger des points de vue éclairés.

En effet, « les débats trop courts, arc-boutés à des annonces de modifications ont tendance à cristalliser les positions. Un débat dans la durée, sans butoir, autorise une réflexion ouverte, utile au législateur » a souligné M. Jean-Claude Ameisen. M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, est allé dans le même sens, en précisant que « la mobilisation du grand public sur des sujets aussi complexes et clivants montre que les questions qu’ils soulèvent ne peuvent trouver une réponse définitive en quelques mois, ce qui nécessite d’avoir une connaissance plus approfondie et continue. On a constaté, par exemple, que nos concitoyens exprimaient un considérable besoin d’information, et qu’il convenait donc de leur permettre de se renseigner davantage, et de manière continue » ([639]).

Le rapporteur considère qu’il faut mettre l’accent sur la multiplicité des modalités du débat public et sur le temps long qui doit le guider.

Proposition n° 55 Mettre l’accent sur la multiplicité des modalités du débat sur la bioéthique et accroître sa durée.

b.   Pour une meilleure appropriation des questions de bioéthique

Paradoxalement, « l’enthousiasme du public pour toutes les sciences qui n’ont pas d’impact direct sur la santé et la vie de chacun [est manifeste]. La plupart des gens sont passionnés par l’astronomie, la paléoanthropologie, la paléontologie et l’archéologie. Mais lorsque les implications de la recherche touchent à leur vie, à leur santé ou à celle de leurs proches, le regard change », a souligné M. Jean-Claude Ameisen ([640]).

Celui-ci met ainsi l’accent sur les carences d’appropriation, dans la population générale, de la démarche scientifique. L’école ne doit pas seulement proposer une addition de connaissances mais aussi une compréhension de cette démarche, si essentielle à la lutte contre les obscurantismes d’une part et contre le scientisme d’autre part. Il faut apprendre soi-même à comprendre comment on explore, comment on teste, comment on remet en question les certitudes établies, car le progrès n’est pas une donnée figée mais une construction perpétuelle. Il importe que chacun ait une vision claire de la différence fondamentale entre connaissances et croyances.

Outre cette sensibilisation à la démarche scientifique, il faut également favoriser la réflexion des élèves en matière de bioéthique. S’inscrivant dans cette logique, M. Emmanuel Hirsch a fait part à la mission de plusieurs initiatives menées par l’espace de réflexion éthique régional d’Ile-de-France auprès de lycées, qui ont permis aux élèves de prendre conscience, à partir d’un thème donné, que la notion de bioéthique recouvre un ensemble d’éléments pouvant nourrir une réflexion sur la responsabilité, la solidarité et la démocratie.

Il en a été ainsi d’élèves de classes de terminale dans un lycée situé dans une zone défavorisée. Ces élèves, réfléchissant sur la question de la greffe d’organes, ont fourni de multiples remarques très intéressantes du point de vue philosophique, politique et démocratique, en particulier sur la solidarité et le don. Il en a été de même d’élèves de classes relevant de l’académie de Créteil qui, sur les sujets de l’assistance médicale à la procréation et de l’intelligence artificielle, ont animé des débats qui, selon M. Hirsch, étaient plus passionnants que certains de ceux organisés par l’espace régional dans le cadre des États généraux de la bioéthique. Ainsi, « ces productions de savoir et d’intelligence ont pour moi une certaine légitimité. Les enseignants peuvent être les vecteurs de la réflexion, en organisant, par exemple, des études de cas. Il y a vraiment un travail de fond, et l’Éducation nationale est très demandeuse » ([641]).

Proposition n° 56 Encourager les débats sur la bioéthique dans l’enseignement secondaire à partir d’études de cas.

Il faut aussi répondre à la demande d’appropriation de ces sujets qui émane des adultes. Pour cela, il conviendrait de pérenniser et de généraliser les universités populaires de la bioéthique ouvertes à tous, comme celle proposée par l’espace éthique de la région Île-de-France et celles proposées dans quelques autres régions.

Proposition n° 57 Généraliser les universités populaires de la bioéthique.

B.   un cadre lÉgislatif appelÉ À Évoluer

1.   Un champ de la loi qui doit s’ouvrir plus largement

Concentré sur les tests génétiques, le don et le prélèvement d’organes, les neurosciences, l’assistance médicale à la procréation et le diagnostic prénatal, le champ de la loi relative à la bioéthique apparaît restreint, alors que de nouvelles disciplines semblent devoir ne plus rester étrangères à la réflexion éthique en lien avec les sciences de la vie et de la santé.

Les questions éthiques liées aux sciences de la vie touchent en effet désormais à d’autres domaines comme la recherche sur le génome, les sciences de l’information, l’intelligence artificielle, les big data ou encore les relations entre santé humaine et environnement.

En outre, les frontières du domaine dit « biomédical » apparaissent de plus en plus poreuses. Comme l’a souligné M. Emmanuel Hirsch, « on assiste à une démédicalisation et à une socialisation d’enjeux relevant jusqu’ici du biomédical et à une neutralisation de leurs critères de justification. (…) Paradoxalement, parallèlement à cette démédicalisation, on médicalise de nouveaux territoires livrés à la connaissance et à l’intervention humaine comme les neurosciences » ([642]).

Par ailleurs, l’attention portée, à juste titre, aux avancées de la science et de la technique masque, comme par défaut, la déshérence d’une conduite collective qui pose des questions éthiques majeures. Pour bien faire comprendre cette dimension essentielle – et pourtant délaissée – de la bioéthique, M. Jean-Claude Ameisen a relevé que les tests génétiques « sont conçus pour mettre en évidence des maladies chroniques, des maladies graves ou des handicaps, mais une fois ces tests réalisés et le diagnostic donné, nous sommes extrêmement mauvais en matière d’accompagnement des personnes souffrant de maladies chroniques graves ou de handicap », avant d’ajouter que « les neurosciences et l’imagerie cérébrale permettent de diagnostiquer une série de troubles cognitifs, dont la maladie d’Alzheimer. Une fois ce diagnostic établi, que faiton pour accompagner les personnes ? » ([643]).

Le plus important, aux yeux du rapporteur, c’est, après la mise en œuvre d’une nouvelle technologie ou la généralisation d’une avancée scientifique, le suivi des patients et la prise en compte des répercussions de ces technologies ou avancées sur les aspects humains et sociaux. Aussi est-il impératif d’élargir le champ de la loi relative à la bioéthique aux nouveaux domaines qui la concernent, comme l’intelligence artificielle, le numérique en santé, l’environnement et, plus largement, les questions de société comme l’accès au progrès médical ou, encore plus simplement, l’accès à la santé.

Proposition n° 58 Élargir le champ de la loi relative à la bioéthique aux nouveaux domaines qui la concernent, comme l’intelligence artificielle, le numérique en santé, l’environnement et, plus largement, les questions de société.

Afin de marquer ce changement de paradigme, il pourrait être envisagé de modifier l’intitulé de la loi de révision, pour reprendre, par exemple, la formule proposée par M. Jean-François Mattéi de « loi relative à l’éthique des sciences de la vie et de la santé » ou celle de M. Emmanuel Hirsch de loi « bioéthique, innovations et société ».

2.   Un processus de réexamen qui doit conjuguer le continu et les rendez-vous réguliers

Sur le modèle de ce qui avait été fait en 1975 pour la loi sur l’interruption volontaire de grossesse, la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal avait prévu que ses dispositions feraient l’objet d’un nouvel examen par le Parlement dans un délai de cinq ans après son entrée en vigueur. Cependant, la révision n’est intervenue qu’au bout de dix ans. En revanche, aucune révision n’était expressément prévue pour les dispositions de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, qui modifiait principalement les codes civil et pénal ([644]).

La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique avait, elle aussi, prévu un réexamen d’ensemble au bout de cinq ans, auquel il n’a toutefois été procédé qu’avec la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique. Cette même loi a prévu une révision dans un délai maximal de sept ans.

Certains, comme le Comité d’éthique de l’Académie de médecine, considèrent qu’il faut abandonner le principe d’une révision régulière de la loi, au motif qu’on peut programmer une procédure législative mais pas les progrès scientifiques.

D’autres, comme le Conseil d’État, proposent de maintenir le principe d’une révision, mais cette dernière n’interviendrait pas à date fixe. Elle résulterait des « alertes » de l’OPECST et de l’Agence de la biomédecine, et éventuellement des académies les plus directement concernées, qui peuvent être consultées dans le cadre du processus de révision : l’Académie des sciences et l’Académie de médecine.

Le président et le rapporteur sont convaincus de l’intérêt du maintien d’un réexamen à intervalles réguliers de la loi consacrée aux sujets de bioéthique. Le CCNE juge également utile ce rendez-vous périodique sur les sujets de bioéthique. Son président, M. Jean-François Delfraissy, a souligné que « le CCNE souhaite conforter ce modèle selon lequel, tous les cinq à sept ans, les différents acteurs de la bioéthique, qui ne sont pas tous des experts, ni même des médecins – parmi eux, on compte également des politiques et des citoyens – prennent le temps de se rassembler afin de se poser des questions sur l’ensemble des sujets, plutôt que d’évoquer les sujets un par un, en consacrant une loi à chacun d’entre eux – ce qui constituerait un autre modèle » ([645]).

Considérant qu’il faut prendre en compte l’accélération des avancées scientifiques et des technologies biomédicales, dans un contexte de mondialisation des enjeux de santé et de recherche, ainsi que les nouvelles demandes de la société induites par ces innovations, il conviendrait de prévoir une clause de réexamen du futur projet de loi dans un délai de cinq ans, et non plus de sept ans.

Proposition n° 59 Fixer à 5 ans le délai de réexamen de la loi relative à la bioéthique.

Afin de réduire le risque d’emballement médiatique et de crispation sociétale qui pourrait résulter de chaque nouvel examen de la loi relative à la bioéthique, le président et le rapporteur ont très tôt été convaincus de la nécessité de créer une délégation parlementaire permanente chargée des sujets relatifs à la bioéthique.

Il s’agirait de disposer d’une structure de veille permanente, chargée de conduire une réflexion continue donnant lieu chaque année à la présentation d’un rapport. La création de cette délégation permettrait d’éviter l’alternance que nous constatons actuellement entre des périodes extrêmement intenses et des périodes de latence prolongée. Elle rythmerait autrement, plus régulièrement, les débats de bioéthique, sans empêcher que certains sujets fassent l’objet d’une réflexion plus vaste lors d’États généraux en vue du réexamen de la loi relative à la bioéthique.

Elle présenterait en outre le double avantage de favoriser la constitution d’une « mémoire » sur ces sujets sensibles, grâce à l’implication permanente de ses membres, et d’offrir une réactivité utile puisqu’elle serait toujours en capacité d’aborder des problèmes nouveaux.

M. Jean-Claude Ameisen a estimé qu’« une délégation permanente aurait l’intérêt de rester en éveil et de définir les priorités en fonction de l’importance des sujets plutôt que de leur nouveauté ou de leur caractère spectaculaire. Elle désenclaverait petit à petit le champ restreint de la loi relative à la bioéthique pour s’intéresser aux rapports entre les avancées de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine, de la santé et de la santé publique. En plus de la continuité, cela déplacerait les focales et préparerait le législateur à l’ouverture du champ » ([646]).

La mise en place d’une délégation permanente serait également une bonne façon de s’assurer, à intervalles réguliers, que l’on fait le point non seulement sur l’application de la loi, mais aussi sur ses effets. Il conviendrait en particulier que la délégation soit chargée de mesurer les effets des lois adoptées et des politiques menées au regard de la santé publique.

Si un accord était trouvé entre les deux assemblées, il n’y aurait que des avantages à ce que la délégation soit une instance bicamérale, comme l’est l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont chacun s’accorde à reconnaître la pertinence et l’apport considérable qu’il a représenté pour l’appropriation par le Parlement d’une indispensable culture scientifique.

Proposition n° 60 Créer une délégation parlementaire chargée des questions de bioéthique.


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   Liste des propositions

 

A.   Chapitre « Procréation et société »

Proposition n° 1 Mettre en place un plan global de lutte contre l’infertilité et un programme de consultation préventive pour tous.

Proposition n° 2 Ouvrir l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules.

Proposition n° 3 Permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à leurs origines :             
– sur simple demande, dès l’âge de 18 ans ; 
– pour tous les dons effectués après l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique ;             
– sous réserve du consentement du donneur pour les dons effectués avant l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique.

Proposition n° 4 Instituer un organisme chargé d’accompagner les personnes issues d’un don, la personne ou le couple receveur et le tiers donneur dans le cadre de l’accès aux origines personnelles.

Proposition n° 5 Lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon.

Proposition n° 6 Lever l’interdiction du double don de gamètes.

Proposition n° 7 Accompagner les évolutions relatives à l’AMP par des campagnes d’incitation au don de gamètes.

Proposition n° 8 Autoriser l’autoconservation ovocytaire.

Proposition n° 9 Étendre à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation que délivre l’Agence de la biomédecine afin de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes.

Proposition n° 10 Améliorer l’information des concitoyens sur la fertilité et les conditions de son évolution avec l’âge.

Proposition n° 11 Étendre aux couples de femmes et aux femmes seules la prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels.

Proposition n° 12 Dans l’hypothèse où l’accès à l’AMP serait étendu aux couples de femmes, instaurer un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes, que leurs membres soient de même sexe ou de sexe différent, fondé sur une déclaration commune anticipée de filiation (création d’un titre VII bis dans le livre Ier du code civil)

Proposition n° 13 Permettre la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger.

B.   Chapitre « PRISE EN CHARGE MÉDICALE DES PERSONNES PRÉSENTANT DES VARIATIONS DU DÉVELOPPEMENT SEXUEL »

Proposition n° 14 Sauf motif médical impérieux et urgent, conditionner tout traitement ou toute intervention visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne :
 à une consultation préalable dans l’un des centres de référence des maladies rares du développement génital ;
 à l’appréciation, par une équipe pluridisciplinaire, de la capacité de la personne à participer à la prise de décision, lorsqu’elle est mineure ;             
 au recueil de son consentement explicite, libre et éclairé, exprimé personnellement, y compris lorsqu’elle est mineure.

C.   Chapitre « Recherches impliquant l’embryon »

Proposition n° 15 Autoriser un allongement de la durée de culture de l’embryon sur lequel sont effectuées des recherches.

Proposition n° 16 Assouplir le régime juridique de la recherche relative au maintien et à l’utilisation des lignées de cellules souches déjà existantes.

Proposition n° 17 Ne plus soumettre à autorisation de l’Agence de la biomédecine les études, impliquant la manipulation de cellules souches embryonnaires, postérieures au protocole princeps précédemment autorisé par l’ABM et directement rattachables à celui-ci.

Proposition n° 18 Autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert in utero.

Proposition n° 19 Lever l’interdit portant sur la création d’embryons transgéniques afin de favoriser la recherche scientifique.

D.   Chapitre « MÉDECINE GÉNOMIQUE ET TESTS GÉNÉTIQUES »

Proposition n° 20 Favoriser l’émergence d’un consentement à l’exploitation des données de santé produites à l’occasion du parcours de soins ou du parcours de santé afin d’enrichir la recherche en santé.

Proposition n° 21 Étendre les dépistages néonataux aux maladies pour lesquelles une prise en charge précoce offre un avantage significatif en termes de survie ou de réduction de la morbidité.

Proposition n° 22 Conditionner une éventuelle évolution vers un dépistage en population générale à un avis circonstancié du CCNE.

Proposition n° 23 Autoriser les examens post mortem impliquant la parentèle dans le cadre d’une autopsie, immédiatement après le décès, ou ultérieurement, à partir d’échantillons prélevés sur le patient et conservés.

Proposition n° 24 Proposer le dépistage préconceptionnel afin d’identifier :
 les mutations génétiques responsables d’une pathologie monogénique grave survenant chez l’enfant ou l’adulte jeune ;             
 les gènes actionnables.

Proposition n° 25 Étendre les indications du diagnostic préimplantatoire à la recherche des aneuploïdies.

Proposition n° 26 Accompagner l’extension des indications du diagnostic prénatal non invasif par un encadrement approprié.

Proposition n° 27 Promouvoir la profession de conseiller en génétique.

E.   Chapitre « DONS DES ÉLÉMENTS ET PRODUITS DU CORPS HUMAIN »

Proposition n° 28 Instaurer la traçabilité médicale des donneurs vivants volontaires afin d’effectuer un suivi étroit et contrôlé de leur état de santé.

Proposition n° 29 Instaurer une obligation législative de suivi de l’état de santé des donneurs de cellules hématopoïétiques.

Proposition n° 30 Étendre le cercle des donneurs en reconnaissant la possibilité du « don altruiste ».

Proposition n° 31 Reconnaître l’établissement de chaînes de donneurs en supprimant le verrou de la simultanéité des dons croisés.

Proposition n° 32 Reconnaître et encadrer le don des cellules hématopoïétiques des mineurs au bénéfice de leurs parents.

Proposition n° 33 Renforcer l’information sur le don d’organes et la greffe auprès des jeunes dans le cadre du futur service national universel.

Proposition n° 34 Inscrire le don d’organes et la greffe au programme d’enseignement du cycle des approfondissements (cycle 4).

Proposition n° 35 Charger l’Agence de la biomédecine de coordonner une étude portant sur les causes de l’opposition au don d’organes.

Proposition n° 36 Instaurer un diplôme sanctionnant une formation théorique et pratique portant sur la coordination en vue d’une transplantation.

Proposition n° 37 Introduire un module obligatoire sur le prélèvement et la transplantation au cours des études de médecine et des études de soins infirmiers.

Proposition n° 38 Développer la formation continue des professionnels de santé membres des équipes de coordination.

Proposition n° 39 Garantir la formation par l’Agence de la biomédecine de tous les coordinateurs de prélèvement, y compris ceux sans temps dédié (exclusivement d’astreinte).

Proposition n° 40 Autoriser sous conditions la consultation du registre national des refus avant la déclaration du décès dans le cas de prélèvements d’organes susceptibles d’être opérés sur des donneurs de la catégorie « Maastricht III ».

F.   Chapitre « INTELLIGENCE ARTIFICIELLE »

Proposition n° 41 Maintenir le principe d’une responsabilité du médecin qui, en l’absence de défaut établi de l’algorithme, ne peut être engagée qu’en cas de faute de sa part.

Proposition n° 42 Préciser qu’une faute ne peut être établie du seul fait que le praticien n’aurait pas suivi les recommandations d’un algorithme, quand bien même celles-ci se révèleraient exactes.

Proposition n° 43 Introduire un principe législatif de garantie humaine du numérique en santé.

Proposition n° 44 Charger la Haute Autorité de Santé de rédiger des recommandations de bonnes pratiques pour la mise en œuvre concrète de ce principe de garantie humaine.

Proposition n° 45 Mettre en place un Collège de garantie humaine à l’échelle d’un établissement ou d’un territoire plus large.

Proposition n° 46 Définir un nouvel acte de télémédecine dit « de garantie humaine » permettant d’obtenir un deuxième avis médical en cas de doute sur les recommandations thérapeutiques de l’algorithme.

Proposition n° 47 Introduire dans la loi une exigence d’explicabilité des algorithmes, différenciée selon le public visé, qui porterait sur leur logique de fonctionnement et sur les critères retenus pour apprécier la pertinence des informations finales tirées des données utilisées.

Proposition n° 48 Développer la formation des professionnels de santé sur les apports de l’intelligence artificielle en santé et l’utilisation des données de santé générées au cours du parcours de soins.

Proposition n° 49 Instaurer des outils pratiques nouveaux ou réactualisés pour garantir l’effectivité du recueil du consentement d’un individu à l’utilisation de ses données de santé.

Proposition n° 50 Introduire une exigence d’information préalable du recours à un algorithme par le médecin au patient ou à son représentant légal.

Proposition n° 51 Établir des recommandations de bonnes pratiques pour adapter le recueil de consentement du patient aux actes et traitements proposés après intervention d’un algorithme.

Proposition n° 52 Créer à titre transitoire un comité d’éthique spécialisé sur le numérique en santé au sein du CCNE puis, à terme, un nouvel organe de réflexion éthique sur l’intelligence artificielle.

Proposition n° 53 Promouvoir la création d’un observatoire européen de l’intelligence artificielle.

G.   Chapitre « Loi, bioéthique et démocratie »

Proposition n° 54 Introduire dans la loi des dispositions en matière de formation obligatoire, initiale et continue, des professionnels de santé et des chercheurs à la bioéthique.

Proposition n° 55 Mettre l’accent sur la multiplicité des modalités du débat sur la bioéthique et accroître sa durée.

Proposition n° 56 Encourager les débats sur la bioéthique dans l’enseignement secondaire à partir d’études de cas.

Proposition n° 57 Généraliser les universités populaires de la bioéthique.

Proposition n° 58 Élargir le champ de la loi relative à la bioéthique aux nouveaux domaines qui la concernent, comme l’intelligence artificielle, le numérique en santé, l’environnement et, plus largement, les questions de société.

Proposition n° 59 Fixer à 5 ans le délai de réexamen de la loi relative à la bioéthique.

Proposition n° 60 Créer une délégation parlementaire chargée des questions de bioéthique.

 


– 1 –

   Examen du rapport

 

Au cours de sa réunion du mardi 15 janvier 2019, la mission d’information procède à l’examen du rapport.

 

M. le président Xavier Breton. Chers collègues, notre mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique s’achève aujourd’hui par la présentation du rapport, dans cette salle qui a été mise à notre disposition par la présidente de la commission des affaires sociales, ce dont je la remercie.

Après mon avant-propos, le rapporteur présentera son travail et nous passerons ensuite à un échange sur les propositions puis au vote. Notre mission d’information ayant été créée par la Conférence des présidents, le vote porte à la fois sur l’adoption du rapport – et donc des recommandations qu’il contient – et sur l’autorisation de publication.

Le cycle de révision de la loi de bioéthique organise des passages obligés désormais bien rodés, justifiés par l’importance des questions suscitées par l’évolution des connaissances scientifiques et des pratiques sociales au regard des sciences de la vie et de la santé : un rapport de l’Agence de la biomédecine, une étude du Conseil d’État, un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), des États généraux de la bioéthique reposant sur des consultations citoyennes et, pour ce qui concerne le Parlement, un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). C’est dans ce cadre que s’inscrit ce rapport d’information par notre mission ad hoc, préalable au dépôt du projet de loi.

La Conférence des présidents a bien voulu, le 12 juin dernier, répondre favorablement à une demande – venant de tous les bancs – de création d’une mission d’information pour bien préparer le débat et nous former sur ces sujets.

Contrainte par un calendrier a priori resserré, la mission d’information a concentré ses travaux sur les mois de septembre et d’octobre et a entendu réserver, dans la mesure du possible, deux temps distincts.

Une première série d’auditions généralistes a permis d’éclairer les contours et les enjeux de la révision à venir. Dans cette perspective, ont notamment été entendus le président du CCNE, la directrice générale de l’Agence de la biomédecine, les principaux maîtres d’œuvre de l’étude réalisée par le Conseil d’État, des représentants de courants de pensée philosophiques ou religieux. La mission d’information a défini un programme d’auditions visant à l’équilibre et de nature à couvrir l’ensemble des questions, même si, dans les faits, les auditions généralistes ont principalement abordé les sujets – sensibles – liés à la procréation, notamment l’extension de l’assistance médicale à la procréation (AMP) et la gestation pour autrui (GPA). À chacune des révisions de la loi, il y a toujours un sujet qui focalise l’attention. La dernière fois, il s’agissait de la recherche sur l’embryon. Cependant, la qualité et l’exhaustivité des très nombreuses contributions remises à la mission ont permis de l’éclairer sur toutes les questions de bioéthique.

La seconde série d’auditions a visé à aborder de manière approfondie des thèmes plus circonscrits : santé et environnement, diagnostics prénatal et préimplantatoire, tests génétiques, recherches sur l’embryon, accès aux origines personnelles, intelligence artificielle. Rassemblant des chercheurs, des praticiens, des juristes et des représentants d’associations, ces auditions ont été l’occasion de présenter aux parlementaires des éclairages variés sur des sujets qui ne l’étaient pas moins.

Le bilan de ces quelque soixante-cinq auditions est positif. Votre participation a été très active et je vous en remercie, d’autant que la période automnale mobilise l’investissement des parlementaires autour de l’examen des budgets de l’État et de la sécurité sociale, textes particulièrement chronophages. Les échanges ont été denses et approfondis, donc utiles. Chaque parlementaire ou personne auditionnée a eu l’occasion d’exprimer ses points de vue, ses doutes et ses interrogations dans un climat de sérénité et de courtoisie rarement démenti. L’objectif de la mission d’information, consistant à éclairer le législateur, peut être considéré comme rempli.

L’exercice s’achève avec la présentation du rapport qui traite des principaux thèmes abordés lors de la révision de la loi de bioéthique. Il fournit plusieurs clefs de lecture puisque, pour chacun des thèmes, figure, à côté de l’indispensable rappel du cadre législatif et des évolutions opérées au fil des révisions, une synthèse des enjeux et des points de vue qui prend appui sur les auditions ou la lecture de documents.

Le rapporteur a souhaité avancer plusieurs propositions qui, si elles devaient être adoptées, conduiraient à de profondes évolutions pour notre droit de la bioéthique et, plus largement, pour notre société. J’ai considéré que, dans ma fonction de président et malgré mes désaccords connus sur ces propositions, il ne m’appartenait pas d’intervenir sur leur contenu. Chaque membre de la mission, comme d’ailleurs chaque parlementaire, pourra donc en prendre connaissance et en discuter les termes et la portée.

Le dépôt du projet de loi sera l’occasion de débattre des choix du Gouvernement en matière de bioéthique. Les divergences d’approche – normales sur des sujets aussi complexes – seront alors abordées, exprimées, discutées, débattues. Ce rapport pourra constituer la toile de fond des débats parlementaires. Il recèle nombre d’éléments permettant de nourrir les échanges et mérite donc d’être lu avec une particulière attention par les membres de la mission mais aussi par tous les parlementaires et ceux qui s’intéressent à ces questions de bioéthique.

Avant de lui donner la parole, je voudrais remercier notre rapporteur pour la qualité de notre collaboration à l’occasion de cette mission d’information. Malgré nos divergences d’appréciation connues, nous avons conduit nos travaux en bonne intelligence. Je réitère mes remerciements aux membres de la mission pour leur présence et la qualité de leurs interventions. Je remercie aussi les services de l’Assemblée pour leur accompagnement et leurs éclairages très utiles pour l’organisation et le déroulement de nos travaux.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Merci, monsieur le président. Je vais essayer de résumer ce volumineux rapport pour laisser le plus de place possible à nos échanges.

Avant cela, je voudrais adresser des remerciements très chaleureux aux administrateurs dont le travail a été important et exemplaire.

Je voudrais vous remercier vous aussi, mesdames et messieurs les députés, pour avoir été assidus à ces nombreuses réunions et pour avoir enrichi le débat, dans un délai contraint de deux mois et à un moment où d’autres textes importants étaient en débat dans l’hémicycle et dans les différentes commissions. Vous avez su trouver le moyen de maintenir votre participation à nos travaux. Je voudrais remercier toutes les personnes auditionnées, même si elles ne sont pas présentes. Nous leur transmettrons nos chaleureux remerciements en même temps que le rapport parce que c’est grâce à elles que nous avons pu avoir un débat aussi riche et précis.

Enfin, last but not least, j’adresse un immense remerciement à notre président, M. Xavier Breton. Cela a été un privilège et un plaisir de travailler sous sa présidence. En dépit de légitimes différences de point de vue, nous ne nous sommes jamais départis d’une grande courtoisie, d’une grande compréhension et d’une ouverture d’esprit. Sans se dire d’emblée que celui qui a une opinion différente se trompe, il faut d’abord essayer de comprendre le cheminement de sa pensée et ce qui le conduit à défendre son point de vue. L’exercice a été extrêmement fructueux. J’ai l’impression que nous avons tous évolué depuis le début de cette mission. Je remercie le président d’en avoir demandé la création. Mes idées ont évolué, les aspérités se sont gommées, ma compréhension des différents points de vue – y compris de ceux qui sont les plus éloignés des miens – est meilleure. À cet égard, la mission a rempli son office.

L’exercice est difficile parce que nous devons avancer, pressés par la demande de nos concitoyens qui observent les évolutions médicales et scientifiques dans les autres pays. Il faut les entendre mais ne pas tout accorder, car certaines choses mettraient en péril nos valeurs fondamentales. Nous constatons tous que la voie est étroite entre la frilosité excessive et la témérité. Il existe néanmoins plusieurs réponses possibles dans le cadre de cette éthique du juste milieu. Aux débuts de la bioéthique, lors de l’adoption du code de Nuremberg, il fallait trier entre le bien et le mal. À l’époque, les expérimentations sur des humains, contre leur gré, représentaient le mal. Les horreurs perpétrées par les médecins nazis étaient le mal. À présent, pour la majorité des questions que nous nous posons, il s’agit de choisir entre plusieurs représentations du bien. Si nous en sommes convaincus, nous parviendrons à comprendre que chacun d’entre nous, ici, est animé de la même volonté de faire prévaloir une vision du bien.

Prenons l’exemple le plus emblématique : l’extension de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules ou homosexuelles. D’aucuns trouvent injuste que la PMA ne soit accessible qu’aux seuls couples hétérosexuels. Les femmes homosexuelles ont le droit de se marier et d’adopter, c’est-à-dire d’élever des enfants. Pourquoi n’auraient-elles pas le droit de faire des enfants pour les élever ? Pour une question d’égalité, certains estiment donc qu’il faudrait étendre le droit d’accès à la PMA. C’est un point de vue, une vision du bien. Même si c’est aussi mon point de vue, je comprends que d’autres ne le partagent pas et considèrent que cela reviendrait à organiser des naissances d’enfants volontairement dépourvus de père. Est-ce que cela va engendrer des conséquences ? La question est légitime ; c’est une vision du bien. Même si les nombreuses études montrent toutes que les conséquences ne sont pas redoutables, je peux comprendre que chacun ait sa propre idée du bien. Nos débats servent déjà à nous comprendre mutuellement. Il faudra ensuite choisir mais permettez-moi de redire à quel point je suis tout à fait respectueux des autres points de vue. Une fois encore, je remercie le président d’avoir eu cette même attitude de compréhension et de respect.

J’en viens au contenu de ce rapport de 300 pages, qui a été élaboré en guère plus de deux mois, au terme de soixante-quatre réunions représentant quatre-vingt-dix heures d’auditions – plus de 150 personnes ont été reçues – sans compter les nombreuses contributions écrites. Il en résulte soixante propositions. Il reviendra au Gouvernement – et plus particulièrement à la ministre des solidarités et de la santé, à la ministre de la justice et à la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation – de décider du texte qui nous sera soumis dans quelques mois. Ces propositions sont le fruit de notre réflexion mais, comme l’a dit notre président, elles ne reflètent pas les positions de tous les membres de notre mission. C’est ce que j’ai essayé de présenter en tant que rapporteur.

Treize propositions ont trait à la procréation, un sujet dont l’importance a conduit certains médias à réduire tout le projet de révision à ce seul thème. Malgré son importance, ce sujet est loin d’être l’alpha et l’oméga de la bioéthique et il ne donne lieu qu’à treize propositions sur soixante. Le rapport préconise d’ouvrir l’assistance médicale à la procréation (AMP), y compris post mortem, aux couples de femmes et aux femmes seules. Il est donc proposé de lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse d’insémination ou de transfert d’embryon.

L’une des propositions vise à permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes ou d’embryon – c’est-à-dire à chaque fois qu’il y a un tiers donneur – d’accéder à leurs origines. À ces personnes, il faut ajouter celles dont la mère a accouché sous X. Il est proposé de faire évoluer notre droit dans tous ces cas. La ministre de la justice aura à définir les conditions de filiation. Dans nos réflexions, nous avons été animés par l’intérêt prioritaire de l’enfant qui prime sur les autres considérations telles que le maintien du secret ou la préservation de la connaissance sur l’infertilité de l’un ou l’autre des parents.

Tous les enfants nés avec un tiers donneur doivent avoir les mêmes droits, les mêmes conditions de filiation et d’accès au droit. Il ne doit pas y avoir de différences, que les enfants soient nés dans un couple homosexuel ou hétérosexuel. Il est même proposé d’étendre ces mesures aux enfants nés de GPA à l’étranger pour qu’il n’y ait pas de discrimination envers des enfants qui n’ont pas choisi leur mode de procréation. Ces enfants n’ont pas à être pris en otage par ceux qui voudraient pénaliser les parents d’avoir choisi une pratique interdite en France mais autorisée à l’étranger. Dans ces conditions, ils auraient accès à la transposition en France des conditions de filiation reconnues à l’étranger. Les parents d’intention deviendraient directement les parents sans qu’il y ait de risque pour les enfants.

Il est préconisé d’accompagner ces mesures d’un plan de lutte contre l’infertilité, qui progresse chez les femmes et encore plus chez les hommes pour des raisons environnementales et autres. Elle progresse aussi par méconnaissance de l’horloge biologique qui est très sévère avec les femmes. Il y a une injustice biologique. Les femmes ont l’avantage de vivre plus longtemps que les hommes mais l’inconvénient d’avoir une période de fertilité plus courte que la leur. C’est ainsi. Les jeunes femmes doivent en avoir conscience mais les jeunes hommes aussi car, bien souvent, ils sont la cause du retard de la première naissance. Il arrive que les hommes mûrissent moins vite que les femmes. Quoi qu’il en soit, les uns et les autres doivent comprendre que le moment optimal pour créer une famille, c’est tôt. La fertilité de la femme est précoce. Bien sûr, certaines femmes n’ont toujours pas trouvé leur prince charmant à plus de trente ans.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Le prince charmant n’existe pas !

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous êtes pessimiste, vous m’enlevez mes illusions, vous me jugez naïf ! (Sourires.) Disons alors qu’à plus de trente ans, certaines femmes n’ont pas encore trouvé le compagnon de leur vie. Comme elles peuvent utiliser la contraception, elles n’ont pas d’enfants par hasard. Elles attendent, elles attendent. À trente‑cinq ans, elles attendent encore alors que leur fertilité continue à décroître et devient dangereusement basse. Quand c’est légitime et dans des conditions encadrées, elles pourront conserver leurs ovocytes si les propositions du rapport sont suivies. Elles pourront ainsi enfanter avec des ovocytes de trente ans même si elles ont trente-six ans. Leurs chances seront meilleures, même si ce ne sont que des chances et jamais des certitudes. Il faut, bien sûr, un encadrement. Il ne faut pas que ce soit un prétexte pour je ne sais quelle personne qui travaille chez Google ou ailleurs, ou pour telle sportive ou telle actrice de cinéma de retarder de façon indue et pas forcément légitime la date de sa procréation. Les conditions devront être encadrées sur le plan d’un choix médicalement approuvé.

L’une des propositions est relative à la prise en charge médicale des personnes qui présentent des variations du développement sexuel et vise à les faire participer au choix de leur orientation sexuelle.

Cinq propositions concernent l’embryon. Il est ainsi proposé d’autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert in utero, qui sont en quelque sorte surnuméraires, quand les parents l’autorisent. Ces recherches pourraient permettent, par exemple, de réduire les nombreux cas d’échec de la fécondation in vitro (FIV). Ces échecs multiples sont la première cause de l’existence de ces nombreux embryons surnuméraires. Sachant que la FIV ne réussit que dans un cas sur quatre, on produit beaucoup d’embryons pour pouvoir refaire la tentative si nécessaire. Si le taux de succès de la FIV s’améliore, on n’aura pas besoin de produire autant d’embryons surnuméraires, qui sont congelés pendant des années avant d’être détruits.

D’autres propositions portent sur l’utilisation des lignées de cellules souches embryonnaires. Il s’agit de faciliter le travail des chercheurs et des médecins en évitant des tracasseries juridiques ou administratives sans pour autant se passer de l’encadrement et de l’autorisation des experts de l’Agence de la biomédecine.

Huit propositions concernent la médecine génomique et les tests génétiques, un domaine moins mis en avant dans les médias mais qui est pourtant très important pour l’avenir. Nous sommes à un tournant de l’application de la génétique. En France, il n’est permis d’effectuer des tests génétiques que dans des indications médicales étroitement définies. En réalité, chacun peut faire réaliser de tels tests en envoyant un petit échantillon à l’étranger. Pour 50 ou 60 euros, on lui donnera tout son génome, ses prédispositions à telle ou telle maladie, ses conditions de paternité et un tas d’autres choses. Les deux solutions extrêmes sont également dangereuses : il n’est plus tenable d’en rester aux actuels interdits ; il serait dangereux de tout autoriser sans encadrement.

Il est proposé d’avancer en utilisant les moyens de la génétique actuelle et notamment d’étendre le diagnostic néonatal. La France est l’un des pays développés qui ont le moins recours au diagnostic néonatal : quatre maladies seulement contre une vingtaine dans la plupart des pays qui nous entourent, de la Suède à l’Angleterre en passant par la Belgique et l’Allemagne. Il nous faut évoluer vers le diagnostic de ces maladies qui, lorsqu’elles sont prises en charge très précocement à la naissance, ont un pronostic bien meilleur que si l’on attend un diagnostic tardif. Il est important que ces diagnostics soient effectués dès la naissance avec l’aide de la génétique moderne.

En cas de connaissance d’une maladie dans la famille, des diagnostics prénataux permettent de préconiser des interruptions thérapeutiques de grossesse (ITG) mais aussi des traitements. Il est possible de faire des greffes de cellules souches ou d’autres cellules sur des fœtus pour lesquels le diagnostic a été effectué. Il est possible de faire des interventions chirurgicales sur des fœtus qui sont ensuite réimplantés dans l’utérus. Le temps de l’opération, le chirurgien ouvre l’utérus et la cavité amniotique. Mais il faut que le diagnostic soit effectué pour que les enfants bénéficient de ces possibilités.

L’une des propositions est relative au dépistage préconceptionnel pour savoir si deux personnes peuvent transmettre une maladie par leurs gènes. Si la réponse est positive, leurs enfants seront porteurs de la maladie dans un quart des cas. Dans le cadre d’une FIV, il sera alors possible d’écarter le quart des embryons porteurs de la maladie et donc de prévenir un nombre notable d’interruptions de grossesse. À défaut d’être préconceptionnel, le diagnostic est effectué une fois que le fœtus est développé, et l’on est amené à pratiquer des interruptions de grossesse parfois tardives et qui présentent des difficultés.

Une autre proposition vise à étendre les indications du diagnostic préimplantatoire à la recherche des aneuploïdies. Lors de nos auditions, il a été question de ces cas où la recherche a porté sur une maladie génétique connue dans la famille. En l’absence du gène recherché, la grossesse est allée à son terme et l’enfant est né avec une trisomie 21. Si l’on fait une recherche, elle ne doit pas porter sur un seul gène mais elle doit être complète et s’étendre aux anomalies chromosomiques.

Treize propositions sont développées en matière de dons des éléments et produits du corps humain. En lien avec le dossier de l’AMP, il faudra lancer des campagnes en faveur des dons de gamètes. Avec l’extension de la PMA et la demande faite aux donneurs de gamètes d’accepter de donner des informations qui seront transmises à l’enfant à naître, la pénurie actuelle va s’aggraver. En France, très peu d’hommes ont été sollicités pour donner des spermatozoïdes. On est tous sollicités pour donner notre sang. Pourquoi ne pas faire le même type de campagne en faveur du don de gamètes afin de résorber ce déficit considérable ? Le déficit de gamètes masculins devrait pouvoir être résorbé par des campagnes de promotion, de même que le déficit en ovocytes serait en partie résorbé par l’autorisation donnée à l’autoconservation des ovocytes, par vitrification. Tous les ovocytes surnuméraires, non utilisés par la femme pour fonder sa propre famille, seraient donnés à d’autres personnes.

J’en viens aux dons d’organes pour les greffes. Pour la première fois depuis longtemps, le nombre de transplantations a baissé en France en 2018 alors que l’objectif du plan greffe était de le faire croître de manière très significative à l’horizon 2020 ou 2021. Nous n’atteindrons sûrement pas l’objectif si nous continuons sur cette pente décroissante. Il est donc nécessaire d’agir à tous les niveaux pour favoriser les dons d’organes par des donneurs vivants, notamment pour les transplantations rénales, alors que nous constatons une diminution.

En ce qui concerne les donneurs vivants, il est préconisé d’étendre les possibilités dans le cadre de ce que l’on appelle la « chaîne des dons » : cela permet de donner pour une famille, laquelle donne ensuite pour une autre, etc. Chacun peut alors bénéficier d’un don, même en l’absence de compatibilité au sein d’une même famille. S’agissant des transplantations à partir de donneurs décédés, je propose d’approfondir la formation des équipes qui rencontrent les familles. Nous avons en effet un retard par rapport à d’autres pays, y compris l’Espagne et l’Italie, qui ont de bien meilleures campagnes de prélèvement d’organes grâce à une formation approfondie. Il est important que nous fassions de même, y compris par l’instauration d’un diplôme qui reconnaîtrait cette spécialité. Il s’agit d’obtenir une progression satisfaisante des transplantations – de nombreux malades meurent alors qu’ils sont inscrits sur une liste d’attente.

Le rapport contient aussi treize propositions relatives à l’intelligence artificielle. Ce sujet, qui n’a pas été traité jusqu’à présent, sera probablement prioritaire dans les réflexions à venir dans le domaine de la bioéthique. L’intelligence artificielle va bientôt pénétrer toute notre vie, y compris dans le domaine de la santé. Nous ne sommes certainement pas encore assez mûrs pour prendre toutes les décisions nécessaires, mais il est très important de commencer à réfléchir à ce qu’il faudrait faire. On peut disposer dès aujourd’hui de robots affectifs, voire de robots sexuels. Certaines personnes peuvent s’isoler sur le plan social en ne recourant plus qu’à des services de robots, au lieu d’avoir des relations humaines. Il serait dramatique que l’humanité évolue ainsi. Mais il faut aussi se prémunir du risque de perte de confidentialité de nos données de santé, et du risque d’une utilisation inopportune des algorithmes. Il faut savoir ce que l’on doit faire lorsque les algorithmes induisent des effets néfastes ou des erreurs : qui est responsable ? Tout cela doit être codifié. Mais l’avenir de la bioéthique dans ce domaine ne se réduit pas aux treize propositions qui vous sont soumises. Il faudrait aussi créer un comité d’éthique ad hoc, pour l’intelligence artificielle et le numérique, qui serait « cocooné » par le Comité consultatif national d’éthique avant de voler de ses propres ailes. Cela me paraît très important pour l’avenir.

Il y a aussi quelques propositions concernant la fabrique de la loi de bioéthique. En accord avec le président et beaucoup d’autres membres de la mission d’information, j’estime qu’il est nécessaire de franchir une étape supplémentaire en ne se contentant plus d’organiser une révision périodique, même si elle reste importante – nous proposons d’ailleurs qu’elle ait désormais lieu tous les cinq ans, au lieu de sept ans. Il faudrait en fait se doter d’une délégation permanente afin que ces questions fassent l’objet de débats réguliers : chaque année, un rapport serait adopté dans le cadre de l’Assemblée nationale sur les progrès médicaux et scientifiques qui posent des questions sur le plan éthique et sur l’évaluation des dispositions en vigueur – des propositions seraient alors soumises au Gouvernement.

Ce sont des modifications substantielles : comme le président de la mission d’information l’a dit, elles sont probablement plus importantes que celles issues des précédentes révisions de la loi de bioéthique. Ce n’est pas par volonté personnelle, mais parce que nous sommes désormais nourris par l’expérience d’autres pays. Ces questions demandent des arbitrages et il peut y avoir des évolutions. Nous devons nous prononcer sans avoir peur d’avancer et sans perdre de vue les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Pour résumer cette façon de faire évoluer la loi de bioéthique à la française, je rappelle que nous sommes à l’origine moins permissifs que d’autres pays, notamment anglo-saxons, et plus encore asiatiques, car nous avons adopté un encadrement plus fort et davantage d’interdictions. Nous nous sommes ainsi protégés dans des domaines où nous avions peur de nous aventurer. En fonction de l’évolution des connaissances et de l’analyse des possibilités et de leurs conséquences, dans le cadre des sciences dures mais aussi des sciences humaines et sociales, nous pouvons ensuite décider quels sont les interdits qu’il est possible de lever sans danger, pour permettre à des gens de bénéficier de progrès sans prendre de risques. Avec cette prudence qui nous caractérise, nous pouvons aujourd’hui proposer des avancées sans nous départir de la volonté de préserver les fondements de nos valeurs. Je sais que les priorités peuvent varier, en ce qu’elles sont basées sur des philosophies différentes : nous aurons à en débattre en commission et dans l’hémicycle, le moment venu.

Voilà ce que je voulais vous dire, mes chers collègues, au risque de survoler un peu le projet de rapport. Je suis évidemment prêt à répondre à toutes les questions et à participer avec vous à la réflexion.

M. le président Xavier Breton. Je tiens à souligner que nos travaux ont lieu ce matin à huis clos, de manière à assurer la sérénité de nos échanges, mais qu’ils feront l’objet d’un compte rendu. Il sera joint à ceux des différentes auditions et tables rondes que nous avons organisées.

M. Charles de Courson. Le rapporteur a dit que la grande question consiste à savoir où est le bien et au nom de quoi on est pour telle ou telle mesure. Dans la plupart de vos propositions, je pense que vous avez plutôt privilégié l’intérêt de l’enfant, comme vous l’avez indiqué, mais pas systématiquement, me semble-t-il.

En ce qui concerne la première partie, intitulée « Procréation et société », il y a un volet que l’on n’a pas assez approfondi : c’est le statut des donneurs de gamètes, qui est un point important. Si l’on suit vos propositions, y aura-t-il une augmentation ou une baisse des dons avec la levée de l’anonymat ? On m’a expliqué que c’est plutôt une hausse qui se produira, alors que beaucoup de gens pensent le contraire. Je suis favorable à la proposition que vous faites, mais cela pose quand même un problème : celui de savoir comment l’enfant découvre qu’il est issu d’une PMA. Certains parents le disent, d’autres non. C’est aussi un sujet sur lequel il faut travailler, à mon avis.

Je suis personnellement hostile à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules, au nom de l’intérêt de l’enfant, mais l’existence de législations absolument pas coordonnées en Europe et au plan mondial fait que l’on peut adopter les lois qu’on veut en France mais que cela ne change pas les comportements. Il faudrait réfléchir à la limite que connaît le législateur dans ces domaines : les règles que nous établissons ont-elles encore une portée, ou bien essaie-t-on seulement de limiter un peu les choses, en sachant très bien ce qui se passera ? Je crois être le plus vieux dans cette salle, non par l’âge mais sur le plan de la durée des mandats : j’ai connu toutes les lois de bioéthique, et je suis frappé par leur grande évolution. Même si l’on freine en droit français, qui est resté un peu atypique par rapport au droit anglo-saxon, on se dirige en fait vers le même schéma.

Nous n’avons pas non plus approfondi la question des embryons surnuméraires, qui a fait l’objet d’un très grand débat. La situation est très bizarre, car nous avons voulu établir un non-statut en renvoyant la question à plus tard. Or ce que vous nous proposez ne tranche pas vraiment…

La deuxième partie du rapport concerne une question très délicate – j’ai connu des cas. Certains disent qu’il ne faut pas attendre trop longtemps pour réduire les variations du développement sexuel. Mais associer l’enfant est très difficile si des interventions ont lieu assez tôt. Peut-on attendre qu’il ait 14 ou 15 ans, ou faut-il intervenir plus rapidement ?

En ce qui concerne les recherches impliquant l’embryon, je trouve que le rapporteur est trop libéral. On voit la pression qui existe pour « libérer la science ». Des scientifiques nous disent : « Laissez-nous définir nous-mêmes nos critères ; pourquoi le législateur intervient-il ? » J’ai toujours une crainte, ou plutôt une certitude, car j’ai des amis qui travaillent dans ces domaines : la tentation de manipuler des embryons existe. Autant je vous suivrai assez largement en ce qui concerne les cellules souches, autant je trouve que la question du statut juridique se pose à propos de l’embryon, une fois de plus. Vous n’abordez pas trop cette question de fond.

S’agissant de la médecine génomique et des tests génétiques, j’ai dit tout à l’heure à ma voisine que vos propositions ne sont pas très romantiques. (Sourires.) Je m’explique : le risque de dérive serait de n’accepter des relations qu’après avoir pris connaissance de la carte génomique de l’autre, même si je caricature un peu. Est-ce le « meilleur des mondes » ou au contraire un monde cauchemardesque ? Vous avez posé la question de l’endroit où il faut mettre le curseur, entre un libéralisme absolu d’un côté et une interdiction absolue de l’autre.

Quant au don des éléments et des produits du corps humain, je suis assez d’accord avec vos propositions. Faisons simplement attention à respecter la liberté de chaque être, à laquelle j’ai toujours été très attaché : on ne doit pas faire des prélèvements sur des personnes qui ne l’ont pas explicitement accepté préalablement à leur mort, à moins que la famille ne soit d’accord. On peut rétorquer que cela réduit les prélèvements, mais dans ce cas il faut faire évoluer les esprits en expliquant bien que chacun d’entre nous peut donner, à sa mort, une partie de son corps s’il est encore en état.

La partie relative à l’intelligence artificielle est intéressante, mais je pense qu’il faut aller beaucoup plus loin sur le plan de l’autorisation préalable. Tous les systèmes informatiques que l’on présente comme inviolables sont violés. Si l’on ne pose pas le principe que l’on ne doit pas exploiter des données de santé sans une autorisation préalable, on ira vers des catastrophes dans ce domaine, comme dans d’autres, d’ailleurs.

À propos du dernier volet du projet de rapport, je ne sais pas s’il faut que l’on descende à cinq ans en ce qui concerne la révision de la loi de bioéthique. La technique évolue très vite, c’est vrai, mais on a quand même besoin d’un peu de stabilité juridique. Si l’on change certaines règles tous les cinq ans, elles seront à peine comprises qu’elles bougeront déjà. Je serais donc pour une durée de dix ans, ou comprise entre dix et cinq ans. J’ajoute que l’espérance de vie d’un député est d’un mandat et demi.

Pardonnez-moi si j’ai été un peu long.

M. le président Xavier Breton. Pas du tout. Nous avons le temps d’échanger sur les propositions qui nous sont faites.

Mme Élise Fajgeles. Je tiens à vous remercier, monsieur le président et monsieur le rapporteur : comme vous l’avez dit, tout le monde a pu être entendu
– un nombre impressionnant d’auditions ont ainsi été organisées – et le débat a pu avoir lieu. Les questions ont pu être posées, parfois dans le cadre de séances s’éternisant au point de nous empêcher de manger (Sourires) – mais ce n’était pas grave, car cela nous a permis d’aller jusqu’au bout. La parole a été libre, et je crois que nous avons pu réaliser un travail de qualité.

Dans un contexte marqué par une urgence économique et sociale, la bioéthique ne doit absolument pas être laissée de côté : il est bon que ce rapport soit adopté aujourd’hui, car ce sont des sujets qui nous concernent tous – il y va de nos familles, de notre santé et de la société que nous pouvons construire ensemble. C’est pourquoi nous avons passé beaucoup de temps à travailler sur ces sujets, et il faut impérativement continuer à le faire. Une nouvelle loi de bioéthique doit être adoptée dans un délai raisonnable – je crois que c’est prévu avant la coupure de cet été, ce qui est une bonne chose.

Nous nous sommes placés au carrefour du droit, de la philosophie et de la science. Moi qui suis membre de la commission des lois et juriste, j’ai parfois assisté à des auditions auxquelles je ne comprenais pas grand-chose, mais qui ont ouvert de nouveaux horizons. Nous avons eu des auditions très techniques, sur le plan juridique et médical, et nous avons également été confrontés à des situations personnelles réelles.

On a vu les membres de cette mission d’information évoluer – vous l’avez souligné en ce qui vous concerne, monsieur le rapporteur. Le fait d’être confronté à des situations familiales et personnelles réelles conduit, en effet, à s’interroger et parfois à bouger, ce qui est heureux. La bioéthique ne se résume pas à des postures idéologiques sur lesquelles on s’arc-boute : c’est aussi être confronté au réel, au vécu.

Quand on entend des couples de femmes expliquer l’insécurité de leur famille, compte tenu des liens de filiation existants, on comprend la situation d’une mère « sociale » qui élève au quotidien son enfant mais n’a pas de droits à son égard, et on se dit qu’il faut apporter une réponse. Face aux alertes sur des recherches qui pourraient confiner à de l’eugénisme, on voit aussi qu’il y a une différence entre des recherches visant à éviter des pathologies graves pour des enfants à venir et celles de chercheurs fous qui voudraient nous proposer une humanité sans défaut, parfaite. C’est pour ça qu’il était important que des médecins viennent nous parler de cas réels et concrets.

Le débat à venir devra être de la même qualité. Il faudra entendre des techniciens du droit et de la science, et toujours parler d’humain, de cas personnels – d’enfants, de familles, de gens, de vécu… C’est ainsi que nous arriverons à légiférer dans les meilleures conditions.

Comme nous avons beaucoup travaillé, je n’ai pas de questions complémentaires à poser. Je voudrais seulement vous féliciter et vous remercier à nouveau.

Nous l’avons beaucoup entendu, et nous l’avons aussi beaucoup dit : la famille revêt aujourd’hui des aspects protéiformes. Il s’agit de trouver des solutions pour adapter la loi et les capacités médicales à cette réalité. Je me suis principalement intéressée à l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, à l’établissement d’un lien de filiation pour garantir la sécurité de toutes les familles et à l’accès aux origines pour les personnes nées de dons de gamètes : sur ces différents points, les propositions qui nous sont faites me paraissent tout à fait satisfaisantes et je voterai évidemment en faveur du rapport, sans aucune réserve.

Mme Agnès Thill. Je m’associe aux remerciements : cette mission a été menée brillamment et toujours avec beaucoup de respect. Je reste habitée par des questions philosophiques et guidée par l’intérêt de l’enfant à chaque fois que je m’interroge sur ces sujets. En tant qu’éducatrice, j’ai trop souvent vu les enfants trinquer à cause des désirs des adultes.

Ce rapport m’interpelle. Je l’ai reçu vendredi soir, ce qui laissait en réalité deux nuits pour lire les 300 pages qui nous ont été adressées – quand on a 173 communes dans sa circonscription, on assiste à des cérémonies des vœux tout le week-end, et il ne reste donc que la nuit pour lire un tel rapport. J’ai été très admirative de son contenu, mais aussi et surtout très étonnée : j’avoue que je ne m’attendais pas à ça. Pour moi, mais c’est sûrement à tort, un rapport vise à « rapporter ». Je pensais que seraient rapportées là toutes les auditions que nous avons eues, un peu comme le fait un compte rendu, pour informer tous ceux qui n’ont pas pu assister aux différentes auditions.

Lorsque nous avons reçu quatre juristes, par exemple, je me souviens que deux d’entre eux ont dit qu’il fallait avancer dans le domaine de la filiation, que ce n’était rien du tout comme modification de la loi, alors que les deux autres expliquaient qu’il ne fallait surtout pas toucher à ce pan du droit. Voilà le genre de choses que je pensais voir apparaître dans le rapport. L’idée aurait été d’informer sur les prises de position des uns et des autres – c’était généralement « 50-50 », aussi bien chez les biologistes que chez les juristes ou les philosophes. Or ce n’est pas ce que j’ai vu dans le rapport, et son contenu m’étonne donc un peu. En même temps, il est admirable – c’est une thèse. Je ne m’attendais pas du tout à ça, mais bravo !

M. Guillaume Chiche. Je voudrais saluer, à mon tour, la qualité des travaux qui ont été menés : ils ont été extrêmement exigeants, et ils sont assez fidèlement retranscrits dans le rapport, à mon avis.

Sur les soixante propositions qui nous sont faites, treize concernent la PMA – son extension aux couples de femmes et aux femmes célibataires, la prise en charge par la sécurité sociale du recours à cette pratique, l’instauration d’un mode de filiation unique ou encore la reconnaissance des enfants issus d’une GPA à l’étranger. J’ai la conviction que l’ensemble de ces propositions constitueront des avancées majeures pour l’égalité et les droits des femmes, et je tiens à vous en remercier vivement, monsieur le rapporteur.

L’enjeu primordial de cette mission d’information était de s’appuyer sur la connaissance et le savoir. Même si la connaissance a pu être malmenée à la marge, parfois, je tiens à souligner la très bonne manière dont nos travaux ont été conduits et à adresser tous mes remerciements à notre président, Xavier Breton, qui a su nous réunir au-delà des dissensions politiques et de l’impossibilité d’arriver à un consensus sur certains sujets, y compris lorsque les interventions et les débats ont commencé à s’animer. Je voudrais donc saluer non seulement le sérieux mais aussi le tact avec lequel nos travaux ont été dirigés.

J’ai seulement une question – ou plutôt une remarque. Elle concerne le recours à la PMA pour les hommes transgenres. J’aimerais vous entendre sur ce sujet qui n’est pas mentionné dans le rapport.

M. le président Xavier Breton. En ce qui concerne les délais, il est vrai que l’exercice a été compliqué. On peut considérer que le rapport a été envoyé un peu tard, mais nous avons quand même eu quatre nuits (Sourires) pour le lire. C’est davantage que pour certains rapports d’information qui sont déposés sur table le jour même de leur présentation. Comme le rapporteur l’a dit dans son propos introductif, les services ont été mobilisés de manière intensive, en particulier pendant la période de rédaction du rapport : ils ont fait le maximum et, de toute façon, on n’a jamais assez de temps sur de tels sujets. Nous en aurons, en revanche, pour débattre dans les semaines qui viennent. Ce sont des sujets qu’il faut approfondir, et nous aurons l’occasion de le faire. Trois jours de plus auraient sans doute été bienvenus, mais je crois que le délai permettait à chacun de prendre une première connaissance du rapport.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Vous avez été plusieurs à évoquer la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point.

Il y a des sujets sur lesquels nous serons tous parfaitement en phase, dans la mesure où l’intérêt de l’enfant impose de lui accorder certains droits dont il a été en partie privé jusqu’à présent. En ce qui concerne son information, je crois que la grande majorité d’entre nous est d’accord pour dire que les temps passés sont révolus. Nous ne les jugeons pas, puisqu’il y avait alors d’autres impératifs, mais le secret dont on a voulu entourer le don de spermatozoïdes n’est plus adapté au monde moderne : les enfants, une fois arrivés à l’âge adulte, parviendront de toute manière à trouver le donneur, s’ils cherchent bien, et les dispositions actuelles ne correspondent pas au besoin de transparence de notre société moderne. Nous sommes d’accord pour dire que l’intérêt de l’enfant est d’avoir accès à des informations sur ses origines et parfois même de pouvoir rencontrer le donneur, si ce dernier le souhaite aussi.

Il y a aussi des sujets pour lesquels il existe plusieurs visions de l’intérêt de l’enfant, et je respecte tous les points de vue. Je comprends que certains puissent affirmer que l’intérêt de l’enfant est d’avoir un père, une mère, des frères et des sœurs, etc. Cela peut se concevoir. D’autres diront, et des études vont en ce sens – les avis sont donc difficiles à départager – que l’intérêt de l’enfant est d’avoir été désiré, d’être aimé, d’être l’objet d’attentions et d’avoir une éducation lui permettant d’atteindre l’âge adulte – il est théoriquement fixé à 18 ans, mais le rôle des parents se prolonge bien au-delà. C’est un engagement très fort, à vie, d’être un parent. Érasme disait d’ailleurs que c’est une folie pour les femmes de s’embarquer dans une telle aventure – un plaisir furtif avec des conséquences qui le sont moins…

Être parent, c’est aussi merveilleux, formidable, et il est assez désagréable de constater que certaines personnes sont empêchées par la nature de le devenir. Quoi qu’il en soit, l’intérêt de l’enfant doit toujours être préservé. Il ne saurait être soumis à des règles qui soient objectivement à son détriment. Pour le reste, on peut avoir des points de vue différents. Il faut savoir l’accepter, tout comme il faut accepter l’idée que l’autre puisse défendre lui aussi les intérêts des enfants en disant qu’ils doivent avoir tous les atouts que j’ai évoqués.

En ce qui concerne le statut des donneurs de gamètes, vous avez raison : c’est très important. Je précise donc qu’il est recommandé dans le rapport qu’un suivi soit organisé. Il n’y a pas suffisamment de suivi et de traçabilité des donneurs de gamètes, de même, d’ailleurs, que des donneurs de cellules hématopoïétiques ou des donneurs d’organes. La même remarque vaut également pour les receveurs.

Il faut que les enfants nés grâce à un tiers donneur soient suivis jusqu’à l’âge adulte, et même au-delà, pour que nous sachions si se révèlent des problèmes que nous n’avions pas anticipés. Les parents – je veux parler de ceux qui élèvent l’enfant : « Le père, c’est celui qui aime », disait Pagnol – doivent eux aussi être suivis quand ils ont bénéficié d’un don. En effet, des interrogations peuvent surgir dans la famille, et l’enfant lui-même peut mettre ses parents en cause : « Moi, je n’ai rien demandé. Vous m’avez fait naître, mais ce n’est pas moi qui l’ai voulu. » Quand il y a, de surcroît, le concours d’un tiers, cela peut être encore plus compliqué. Selon moi, les familles doivent donc être suivies par des psychologues spécialisés, et il convient de mettre en place les procédures adéquates.

Il va devenir obligatoire de révéler aux enfants leurs origines. Si la proposition du rapport est suivie, l’acte de naissance, accessible à partir de la majorité, indiquera l’intervention d’un tiers donneur. Cela vaudra aussi bien pour les couples hétérosexuels que pour les couples homosexuels ou les femmes célibataires : tous les enfants conçus au moyen de la procréation médicalement assistée sauront, à l’âge de 18 ans, s’il y a eu un donneur extérieur. C’est une très forte incitation à sortir du secret qui prévaut aujourd’hui. Le rapport préconise que la révélation ait lieu avant l’adolescence, car les enfants font preuve d’une résilience, d’une faculté d’adaptation formidables. Une révélation de cet ordre, si elle intervient à l’adolescence ou à l’âge adulte, n’est pas toujours facile à accepter.

Une députée, dont je ne donnerai pas le nom, confrontée aux questions liées à l’AMP, m’a expliqué comment elle avait fait. Elle a constitué, depuis le tout début, un album de photos où elle montre à ses enfants comment les choses se sont passées, quand les parents sont allés ici ou là, ont fait tel ou tel voyage, puis l’apparition des bébés. Toute l’histoire de ces enfants est ainsi résumée dans un album photos. Au moment d’aller en maternelle, ils ont déjà vu ces photos, et peu à peu les mots sont mis sur les images : quand les enfants sont petits, on parle de petite graine, ensuite on peut expliquer d’une façon un peu plus complète. La députée en question m’expliquait qu’il pouvait y avoir des problèmes, mais pas sur ce plan, parce que la chose est complètement dédramatisée si on en parle suffisamment tôt.

Le statut de l’embryon est un vaste sujet, à tel point que je ne suis pas sûr que je vais l’aborder. On pourrait, en effet, en parler très longuement. Depuis la loi sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG), notre société ne sait pas comment définir l’embryon. Pour ma part, je parlerai en tant que médecin et chercheur, en commençant par une évidence : entre le rien et le tout, on avance en général par étapes. Le rien, ce sont les gamètes isolés : un spermatozoïde d’un côté et un ovocyte de l’autre. Le tout, c’est l’enfant venu au monde, qui est naturellement protégé, sacralisé. Entre ces deux réalités, il y a des étapes. Quand les deux gamètes se sont rencontrés, cela donne ce que les Britanniques appellent le « pré-embryon » – pour notre part, nous utilisons aussi, à ce stade, le terme « embryon » –, qui n’est pas encore susceptible de nidation, et dont la probabilité qu’il arrive à terme n’est pas très forte, car beaucoup de ces pré-embryons sont éliminés sans même que la femme s’en rende compte, puisqu’il n’y a même pas de retard de menstruation. Peu à peu, les chances de l’embryon vont en augmentant, une fois qu’il s’est implanté dans la cavité utérine et qu’il se développe, puis quand le fœtus est constitué – c’est-à-dire au bout de deux mois – et plus encore, évidemment, quand il devient viable, soit aux alentours de sept mois. On a là des étapes complètement différentes. C’est si vrai que, sur le plan de la loi, la protection est différente. Les indemnités versées par les assurances ne sont pas non plus les mêmes selon qu’une femme perd un embryon au début de sa grossesse ou un fœtus viable. Ces situations sont considérées comme différentes. En outre, on perçoit intuitivement qu’il n’est pas aussi grave – même pour ceux qui sont contre l’interruption de grossesse – d’avoir un stérilet que de pratiquer un infanticide. Le stérilet, je le rappelle, empêche l’œuf initial de s’installer dans l’utérus.

Ainsi, il est quasiment impossible d’élaborer un statut unique permettant d’englober ces différentes étapes. Il faudrait plusieurs statuts. Qui plus est, vous ajoutez – et vous avez raison – le statut de l’embryon surnuméraire. Celui-là est à part, puisqu’il n’a pas d’avenir : on sait qu’il va être détruit. Dans la mesure où il ne fait pas partie d’un projet parental, il est sorti du congélateur et détruit au bout de cinq ans. Pendant quelques jours, si les parents l’acceptent, des recherches seront effectuées, mais de toute façon il finira par être détruit. J’aimerais mieux, si vous m’accordez un « joker », vous répondre que nous n’allons pas définir aujourd’hui ces différents stades et créer un statut.

Vous me dites que je ne suis pas « romantique ». Tout à l’heure, on m’a dit au contraire que j’étais trop naïf en croyant que les femmes attendaient leur prince charmant. Nous, les hommes, avons pourtant attendu notre princesse charmante : pourquoi pas vous, mesdames ? Je ne serais donc pas romantique au motif que je préconise les tests génétiques ? Ce n’est pas si sûr. Je dirais même que, justement, les tests génétiques permettent le romantisme. Peut-être ne suis-je pas moi-même romantique – vous demanderez à ma femme ce qu’elle en pense : il se peut que, certains jours, elle soit critique (Sourires) –, mais je permets le romantisme. Dans de nombreux pays du pourtour méditerranéen, on dit aux couples concernés : « Vos deux familles sont porteuses du trait thalassémique : interdit de vous marier. » Eh bien, moi, je permets à ces couples non seulement de filer le bel amour mais aussi d’avoir des enfants. Il s’agit simplement d’écarter le quart des enfants à naître, à savoir ceux qui ont la maladie ; les autres, ceux qui n’en sont pas porteurs, pourront venir au monde. Les gens ont ainsi la possibilité de vivre leur amour, de développer leur couple et de fonder une famille. On voit que, quelquefois, les tests génétiques peuvent, sinon venir au secours du romantisme, tout au moins permettre de fonder une famille sans difficulté.

S’agissant de l’intelligence artificielle, il faut une autorisation, bien évidemment – c’est même plus important que jamais –, mais une autorisation informée. Si je puis me permettre une comparaison, c’est un peu comme quand vous voyez un chirurgien qui vous demande l’autorisation de vous opérer, mais en vous disant seulement : « Il faut vous opérer, signez-moi un papier comme quoi vous êtes d’accord. » Il vaut mieux une autorisation informée, c’est-à-dire vous permettant de comprendre tous les tenants et aboutissants : qu’est‑ce que je risque ? Comment serai-je après ? Est-ce que j’aurai des limitations ou des séquelles ? Parfois même, on peut demander un deuxième avis, car il arrive que les avis divergent. On voit bien que l’autorisation est indispensable mais qu’on a énormément à faire pour donner une bonne information. En effet, beaucoup de gens – et même nous qui sommes ici – ne connaissent pas tout sur l’intelligence artificielle. On va nous demander : « Êtes-vous d’accord pour qu’on utilise telle ou telle donnée ? » Mais que va-t-il advenir de ces données ? On ne le sait pas avec certitude. Quels commerciaux vont y avoir accès ? Pourquoi, après, est-on bombardé de propositions commerciales ?

En ce qui concerne la révision tous les cinq ans, il est vrai qu’on peut en discuter, mais les choses avancent très vite. M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, évoquait ainsi l’accélération des avancées et des nouvelles possibilités. Or il ne faut pas toutes les accepter, bien sûr, et si l’on ne statue pas rapidement, des gens essaieront de les mettre en œuvre en catimini, et il sera difficile de revenir en arrière. Il vaut donc mieux anticiper sur les utilisations inopportunes.

Madame Fajgeles, l’évolution que vous avez décrite existe effectivement. Si vous me le permettez, j’évoquerai un souvenir. J’ai eu la chance de participer à la création des comités d’éthique. Or les mandarins de l’époque – c’est le terme que l’on employait, et ils exerçaient effectivement leur pouvoir comme tels –, qui avaient accompli de très grandes avancées médicales, me disaient : « Mon jeune ami, vous voulez mettre de l’éthique dans tout ça ? Vous êtes bien naïf ! S’il y avait eu des comités d’éthique, rien de ce que nous avons fait n’aurait été possible. Nous n’aurions pas pu réaliser les premières greffes, car vous vous imaginez bien qu’ils ne nous auraient pas permis de prélever les reins des personnes guillotinées. Ils ne nous auraient pas non plus autorisés à prendre le rein d’une personne saine pour le greffer à quelqu’un d’autre, et cela d’autant moins que le receveur avait toutes les chances de le rejeter, car au début il y avait des échecs. Vos comités d’éthique vont entraver le progrès. »

Quant à moi, je continuais à défendre l’idée selon laquelle il valait mieux, quand même, un progrès accompagné, un progrès raisonnable, parce qu’au bout du compte il doit servir à la société dans son ensemble : il ne doit pas être accaparé par les experts, chercheurs ou médecins. L’évolution est donc souhaitable ; elle doit être accompagnée, encadrée. Être trop confiant dans le progrès serait dangereux, mais ne pas vouloir avancer du tout le serait tout autant. Il ne faut pas être naïf : des puissances commerciales sont à l’affût, et il convient d’éviter que ce soient elles qui dictent l’évolution. De la même façon, il est vrai que certains chercheurs – mais pas la majorité – n’ont pas de limites. Je pense à ce chercheur chinois dont la presse a récemment rapporté les méfaits – disons plutôt, ce dont il se glorifie mais qui a été jugé critiquable par la plupart des généticiens du monde. Il faut donc encadrer, sans pour autant tomber dans l’immobilisme, par excès de prudence et nostalgie du passé – car la loi de la nature, je le rappelle, c’était une espérance de vie moyenne de trente ans, tandis que la moitié des enfants mouraient avant d’atteindre l’adolescence, par une sélection naturelle impitoyable. On ne reviendra pas en arrière, et il faut même accepter d’aller de l’avant, mais en encadrant.

Madame Thill, j’ai déjà répondu s’agissant de l’intérêt de l’enfant. Pour le reste, vous avez raison : nous abordons des questions philosophiques. Je retire de ce que vous avez dit – et bien dit – que nous devons tous, en permanence, être habités par le doute. Une fois que nous aurons voté, nous défendrons bien sûr ce que nous aurons proposé, mais nous devrons toujours garder à l’esprit la possibilité d’un relatif doute car, dans ces matières-là, il n’y a pas de vérité absolue. J’aime beaucoup cette phrase de Condorcet : « La vérité appartient à ceux qui la cherchent et non point à ceux qui prétendent la détenir. » Aucun d’entre nous ne peut prétendre détenir la vérité sur la plupart des questions dont nous parlons ici. Continuons donc à douter, même s’il nous faut être positifs et concrets et si nous voulons avancer. Nous devons accepter l’idée que nos successeurs seront peut-être amenés à revenir sur ce que nous avons fait parce qu’il s’avérera que ce n’était pas tout à fait aussi positif que nous l’avions espéré.

Je vous prie de nous excuser pour l’envoi tardif du rapport. Vous avez, disiez-vous, consacré des nuits à sa lecture. Je vous en félicite. Quant à nous, nous avons consacré le jour de Noël et le jour de l’An à rédiger et à échanger. Xavier Breton a reçu la première mouture il y a peu de temps, et lui aussi a dû lire l’ensemble, à la fois rapidement et dans le détail, pour voir si le texte était acceptable.

J’avoue que je lui avais fait la proposition d’indiquer, pour chacun des chapitres, nos deux positions. Il m’a fait remarquer que le résultat ne serait pas très cohérent, que cette présentation compliquerait la lecture. En outre, le rapport est construit de manière à aboutir aux propositions, et non à des contre-propositions. C’est la raison pour laquelle il a préféré rédiger un avant-propos, que je trouve très bon. Du reste, quand bien même nous aurions essayé de confectionner un patchwork présentant nos points de vue respectifs, on n’y aurait toujours trouvé que deux visions, alors que vous tous, membres de la mission d’information, avez apporté une richesse encore plus grande. Il y a des propositions que ni Xavier Breton ni moi-même ne ferions. Si nous les intégrions toutes, le rapport ferait bien plus de 300 pages et serait presque illisible.

Tenons compte également du fait qu’il existe d’autres textes sur les différents sujets – soyons humbles. Je pense à l’avis du CCNE, à l’étude du Conseil d’État, au rapport de l’OPECST et à celui de l’Agence de la biomédecine, sans parler des travaux de bien d’autres organismes sur tel ou tel point. Au total, je pense que nous avons une vision assez globale de la diversité qui existe, même si – et nous devons l’accepter – il est impossible d’en rendre compte complètement. Le rapport présente le point de vue de certains, l’avant-propos témoigne d’une autre vision, et vos contributions enrichiront l’ensemble. Surtout, bien entendu, le débat parlementaire aura lieu.

Le rapport surprend ? Peut-être mais, dans le fond, ce n’est pas une mauvaise chose : quand les conclusions d’un rapport correspondent trop à ce que l’on attendait et sont trop conventionnelles, on le lit avec moins d’intérêt. Je suis sûr, madame Thill, que vous vous êtes d’autant plus plongée dedans et que vous avez d’autant plus volontiers consacré des heures nocturnes à sa lecture que vous avez été surprise. Je serai moi aussi surpris des contre-propositions qui seront formulées.

Merci, monsieur Chiche, pour vos remarques. Vous avez rappelé que les connaissances existantes ont nourri ce travail, comme le montrent les citations et les renvois à d’autres documents. Nous avons effectivement essayé de nous nourrir des connaissances, dans les sciences dures comme dans les sciences sociales et les sciences humaines. Je respecte parfaitement les croyances, mais il est moins aisé de débattre de façon rationnelle sur des croyances – au demeurant diverses – que sur des connaissances. Le parti pris adopté a été de fonder ce rapport sur les connaissances, sur l’état de l’art sur les différents sujets. Les données seront périmées dans cinq ou dix ans, bien sûr, mais aujourd’hui, c’est bien l’état de l’art. Nous pouvons débattre sur ces connaissances. Cela ne nous empêche pas d’avoir chacun notre propre philosophie, fondée sur des croyances ou d’autres points de vue, mais c’est là un élément qui vient en sus du corpus des connaissances.

Vous avez également soulevé la question des transgenres. Le rapport évoque ce qu’on appelait avant les « ambiguïtés sexuelles ». Le sujet est très complexe, vous le savez, car il y a une grande diversité.

Certains enfants naissent avec des caractéristiques physiques un peu à la marge, mais fournissant tout de même une indication assez importante sur le sexe. Pour d’autres, c’est beaucoup plus ambigu. Le choix a été, dans ces derniers cas, d’attendre que l’enfant puisse donner son avis – ce qui ne signifie pas forcément l’âge adulte. Il est vrai que, quelquefois, il faut administrer des traitements de façon précoce si l’on veut qu’ils soient efficaces. Tout cela n’est donc pas simple mais, je le répète, il est proposé de tenir compte, autant que possible, du choix de l’enfant, dès qu’il est en âge de décider.

Les transgenres adultes, c’est-à-dire les personnes qui, psychologiquement, ont un autre sexe que celui qui est apparent et veulent modifier leurs organes génitaux, représentent eux aussi une catégorie tout à fait importante. Des réflexions très opportunes ont été menées par des associations, afin de sortir des jugements stigmatisants qui avaient cours dans le passé. Ce sont des gens qui souffrent considérablement parce que le sexe qu’ils considèrent comme étant le leur est différent de celui qu’indiquent leurs organes génitaux. Ces personnes sont très malheureuses. Il est donc important de ne plus avoir sur elles un regard ironique comme c’était le cas dans le passé. Tout au contraire, il faut les aider à surmonter leur souffrance.

Il n’est pas vraiment nécessaire d’avancer sur le plan de la loi, puisqu’il est désormais possible de répondre à leurs demandes. Il faut, en revanche, continuer à progresser, non seulement en termes réglementaires, mais surtout en matière d’organisation des services médicaux – je pense à ce qui concerne l’accompagnement psychologique, toujours long et délicat, des personnes elles-mêmes, mais aussi celui de leurs familles, car certains transgenres décident de changer de sexe alors qu’ils sont déjà parents : outre le père qui veut devenir femme, il convient donc d’accompagner les enfants, voire le reste de la famille. Il faut organiser tout un environnement pour faire en sorte que ces gens puissent mener une vie normale, alors même qu’ils sont pénalisés du fait de l’inadéquation entre leur sexe physique et leur sexe psychologique.

Mme Sereine Mauborgne. Je n’ai pas assisté à la totalité des auditions, car je ne suis membre de la mission d’information que depuis peu, mais j’ai été interpellée par les propos du docteur Sarah Bydlowski – page 44 du rapport –, qui préconise une consultation systématique pour les enfants nés à la suite d’une AMP. Je voudrais appeler votre attention sur la question des moyens humains, car la pédopsychiatrie manque de personnel. Si l’on veut qu’il y ait une adéquation entre les propositions du rapport et la réalité, il faut dès à présent se demander qui pourra, concrètement, assurer ce suivi. Du reste, à mon sens, opter d’emblée pour la pédopsychiatrie est peut-être excessif, car cela revient à psychiatriser la situation, ce qui n’est pas forcément nécessaire. En revanche, il me paraîtrait tout à la fois plus adapté et plus réaliste de préconiser une prise en charge par des personnels formés non seulement à la médecine mais aussi à l’accompagnement particulier que requièrent ces enfants. Quoi qu’il en soit, merci beaucoup pour ce rapport extrêmement précis, concis et intéressant.

Mme Bérengère Poletti. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, les lois de bioéthique ont ceci de particulier que non seulement elles nous engagent en tant que législateur, mais elles entrent également en résonance avec notre vécu personnel et professionnel, parfois aussi religieux. Sur ces sujets, nous n’avons pas seulement une opinion de citoyen : notre rôle est de voter, et de le faire sans avoir de certitude absolue – cela aussi vous l’avez souligné –, puisque le doute nous habite toujours. J’espère, par ailleurs, que le respect, la bienveillance et l’écoute, dont vous avez dit qu’ils avaient guidé votre démarche, prévaudront au sein du Parlement jusqu’au terme du débat.

L’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui est celui de l’examen du rapport de la mission d’information, avec des propositions. Nous ne sommes pas dans une démarche législative, avec la possibilité de déposer des amendements : il nous appartient de dire si nous sommes plutôt pour ou plutôt contre. À titre personnel, je suis plutôt pour : j’ai assez envie de voter en faveur de ce rapport qui comporte beaucoup de propositions qui résonnent positivement en moi et vont, je pense, répondre à des attentes importantes d’un grand nombre de nos concitoyens, tant il est vrai que nous sommes le plus souvent à la remorque de leurs demandes. De la même façon, les progrès scientifiques nous précèdent quasiment toujours.

Certaines propositions me satisfont énormément, notamment la possibilité donnée aux enfants nés de PMA de connaître leurs origines. Les propositions sur l’intelligence artificielle sont vraiment essentielles, car il s’agit là d’un enjeu énorme qui est devant nous, et pour essayer d’être le moins en retard possible, il faut effectivement y réfléchir assez régulièrement.

D’autres propositions, en revanche, m’interrogent, notamment l’AMP pour les femmes seules. En dépit des témoignages que j’ai entendus, je ne peux m’empêcher de penser qu’élever seule un enfant parce que la vie ou le destin en a décidé ainsi est une chose – c’est très difficile –, mais que le faire après l’intervention de la médecine en est une autre. La PMA post-mortem me pose elle aussi question – pour tout dire, elle me met mal à l’aise. La notion d’utérus artificiel est également évoquée dans le rapport, même si elle ne donne pas lieu à des propositions, et il est vrai que cela fait plusieurs années qu’on en parle ; en tant qu’ancienne sage-femme, cela me révulse. Je suis épouvantée à l’idée que l’on puisse, à l’avenir, fabriquer des enfants de manière industrielle.

En dépit de ces réserves, je suis globalement satisfaite que les travaux se soient déroulés dans l’écoute et l’intelligence. Je voterai en faveur du rapport.

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Je me félicite de ce rapport et des propositions qu’il contient, notamment de la proposition n° 12 : « Dans l’hypothèse où l’accès à l’AMP serait étendu aux couples de femmes, instaurer un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes, que leurs membres soient de même sexe ou de sexe différent. » J’ai peur, toutefois, qu’on laisse sur le bord du chemin de l’égalité les couples de femmes qui n’auraient pas eu recours à la procréation médicalement assistée, mais auraient adopté un moyen « artisanal » afin d’accéder aux joies de la parentalité. Je voudrais donc savoir si d’autres choses sont prévues sur le sujet. Par ailleurs, quelles sont les solutions envisagées pour les couples de femmes ayant eu des enfants ensemble avant le mariage pour tous, qui se sont séparés et dont la filiation n’a pas pu être établie ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. En ce qui concerne le suivi post-AMP, je pense que nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il est important que les familles qui le souhaitent puissent avoir accès à des personnes compétentes pour les aider à résoudre tel ou tel problème.

Vous avez raison, madame Mauborgne : le déficit actuel en pédopsychiatres est très problématique. Bien souvent, il faut attendre un an pour avoir un rendez-vous, ce qui ne permet pas de résoudre les problèmes au moment où ils surgissent. Les pédopsychiatres ne sauraient effectivement être les seuls à prendre en charge les personnes concernées, et cela ne peut être assorti d’une obligation.

Il faut également savoir que, quelquefois, les personnes qui ont le plus besoin d’aide ne sont pas forcément celles qui en sollicitent. Les choses peuvent ne pas évoluer dans ce sens dans telle ou telle famille, pour diverses raisons. Certaines familles n’ont pas envie d’exposer leurs difficultés.

Il est sain et souhaitable que des professionnels de santé puissent au moins écouter les gens, leur proposer des éléments de réponse et trier, parmi les interrogations, celles qui justifient vraiment une prise en charge par un pédopsychiatre. Mais je reconnais qu’en disant cela, je gère la pénurie actuelle
– car vous avez raison : la première chose à faire est de trouver le moyen de remédier aux carences de notre pays, s’agissant des pédopsychiatres et des psychiatres en général, mais aussi des médecins généralistes.

Il faut aussi offrir une formation aux médecins afin qu’ils disposent des éléments de réponse aux questions qui leur seront posées à l’avenir. Au cours des études médicales, ainsi que dans la formation continue des médecins, ces questions doivent être abordées. Il ne faudrait pas qu’un pédopsychiatre apporte des éléments, puis que le médecin généraliste donne ensuite à la famille des réponses, si ce n’est opposées, tout au moins divergentes. Il faut donc que l’ensemble du monde soignant – pédopsychiatres, médecins de famille, infirmiers – aille dans le même sens.

Le rapport propose également de créer un plus grand nombre de conseillers en génétique. Certaines propositions formulées dans ce rapport seront adoptées, et le nombre de tests génétiques va inéluctablement augmenter. Si cette augmentation n’est pas accompagnée de recommandations pertinentes, à quoi serviront ces tests ? La situation serait pire, car mal utilisées, ces informations peuvent aboutir à des catastrophes : décisions d’interruption de grossesse, craintes injustifiées, angoisses nées de la prédiction de développer une maladie dans trente ans. C’est pourquoi il faut créer plus de conseillers en génétique ; ils sont bien plus nombreux dans d’autres pays tandis que leur nombre est trop réduit en France.

Madame Poletti, je vous remercie pour votre soutien. Je sais d’expérience que lorsqu’un texte contient une soixantaine de propositions, il est difficile d’être d’accord avec toutes, ou de se priver de toutes. Se prononcer contre revient à se priver de certaines propositions avec lesquelles on est d’accord. La situation la plus difficile est celle dans laquelle l’avis est partagé à parts égales, et qu’il y a autant de choses positives que de choses négatives de son point de vue. Si l’on estime que la majorité des propositions vont dans le bon sens, on est amené à tolérer des choses que l’on aurait souhaité régler différemment. Je comprends vos interrogations.

Vous avez raison, l’accès aux origines est très important, et l’intelligence artificielle va devenir l’une des questions principales en bioéthique dans les années à venir, c’est un champ immense que nous commençons à peine à défricher.

Vous soulevez, comme beaucoup, la question de l’AMP pour les femmes seules : toutes les enquêtes d’opinion montrent que si de plus en plus de personnes se laissent convaincre d’accepter l’AMP pour les couples de femmes homosexuelles, il existe plus de réticences pour les femmes seules. J’ajouterai simplement que, pour l’instant, les femmes seules ont la possibilité d’adopter des enfants. Mais je comprends que cette proposition soit plus difficile à accepter.

S’agissant de l’AMP post mortem, nous souhaitons qu’elle soit très fortement encadrée. Cela relèvera en partie du domaine réglementaire, mais il faut exclure certaines conditions et certains moments.

En premier lieu, lorsque c’est un homme qui décède, il ne faut pas que la famille du mari défunt impose à la belle-fille une procréation. De même, il ne faut pas que l’AMP intervienne immédiatement après le décès, pour compenser un deuil : ce ne serait pas sain. Il ne faut pas non plus le faire vingt ans après le décès, pour rappeler le souvenir d’une personne disparue. Nous pouvons nous inspirer de ce qui existe pour les donneurs d’organes vivants volontaires : pour donner un rein à sa sœur, il faut passer devant un juge qui entend la personne, seule, sans aucun membre de sa famille, pour s’assurer que cette décision n’est imposée par aucune forme de pression. Le juge auditionnera la personne jusqu’à être convaincu que c’est bien une décision personnelle. De même, il faut s’assurer que la femme qui va utiliser un embryon ou des spermatozoïdes congelés le fera sans subir aucune pression, psychologique ou familiale. Cela impose un encadrement particulier.

Vous dites que l’utérus artificiel se fera dans quelques années. J’ai trouvé des textes à ce sujet de près d’un siècle, et les travaux concernant les ovins ont beaucoup progressé. L’utérus artificiel précédera la couveuse, pour les derniers stades de développement du fœtus. Cette technique sera applicable à l’espèce humaine à un horizon très proche. Elle servira à réduire les risques de handicaps chez les grands prématurés, qui naissent aujourd’hui avec 90 % de chances d’être affectés de lourds handicaps.

Mme Bérengère Poletti. Ce sera le cas dans un premier temps…

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Évidemment, cette solution évoluera un jour, mais plusieurs mandats parlementaires nous séparent de ce moment, et les gens se demanderont alors si toute la grossesse peut, et doit, se développer hors du corps maternel. Mais je vous assure que nous avons le temps de longuement y réfléchir, car entre l’embryon dans ces stades de développement initiaux et le grand prématuré, il y a un trou qu’il est difficile de combler, et cela nous demandera du temps.

Madame Vanceunebrock-Mialon, j’ai oublié votre question…

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. Je souhaitais aborder la proposition n° 12. J’ai peur qu’elle ne laisse de côté les couples ayant utilisé un moyen artisanal, tel qu’une soirée en discothèque au cours de laquelle une des compagnes aurait profité des avances faites par un de ces messieurs…

La proposition ne mentionne que les couples ayant eu recours à la procréation médicale assistée. En fait, on sait très bien qu’il existe d’autres cadres, plus sauvages.

En outre, existe-t-il des propositions pour les couples qui se sont séparés avant la loi sur le mariage pour tous, et dont les enfants ne bénéficient pas d’une filiation double ?

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Cette question renvoie aux propos de M. de Courson sur les limites des parlementaires. Nous ne pouvons pas statuer pour tout ce qui est sauvage. Il faut simplement recommander des précautions, en faisant connaître les risques que courent ceux qui se placent dans la marginalité. Les PMA faites en cherchant sur internet un étalon qui viendrait donner ses spermatozoïdes dans la pièce adjacente…

Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon. En l’occurrence il n’est pas question de PMA…

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Je ne parle pas des cas médicalement assistés, mais de ceux où il n’y a pas recours à un médecin. Malheureusement, ces situations aboutissent parfois à la transmission du virus du sida ou d’autres maladies sexuellement transmissibles. Et, juridiquement, l’homme pourra revendiquer la paternité, faire réaliser des tests génétiques pour réclamer des droits sur l’enfant…

Mme Agnès Thill. Et payer une pension alimentaire ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Ce sont des situations extrêmement dangereuses. Qu’il s’agisse du cas que je viens de décrire ou de rencontres en boîte de nuit, tout ce qui se déroule dans la marginalité ne peut pas être encadré par la loi. Il faut expliquer aux jeunes femmes concernées qu’elles ne doivent pas se hasarder à des comportements dont les conséquences ne peuvent pas toujours être prévues. Ce que l’on trouve sur internet n’est pas toujours bon, ni ce que l’on trouve en boîte de nuit. Parfois, oui, mais pas toujours. Il faut éduquer les jeunes, et ce n’est pas facile.

Les cas de séparation sont très importants, et nous allons connaître une phase intermédiaire qui ne sera pas simple. Il faudra définir comment la gérer, mais pas forcément dans la loi, cela se fera au niveau du ministère. De la même façon, tous les donneurs de sperme des générations précédentes peuvent être contactés pour savoir s’ils veulent transmettre des données non identifiantes, car les centres d’études et de conservation du sperme humain (CECOS) ont gardé leurs coordonnées. Mais s’ils ne le veulent pas, ils en ont tout à fait le droit : ils ont signé pour un autre projet, et personne ne leur imposera de changer d’avis.

Oui, les séparations après une PMA créent des situations difficiles. Oui, il serait bon que les deux femmes aient des droits sur l’enfant. Il faut ouvrir cette possibilité, mais on ne pourra pas l’imposer autrement que pour l’avenir, car la loi ne pourra pas être rétroactive. Il faut ensuite discuter, au ministère, les façons d’améliorer les situations héritées du passé en tenant compte de la nouvelle philosophie, qu’il serait ridicule de ne pas reconnaître, mais qui devra être consentie plutôt qu’imposée.

Mme Nicole Dubré-Chirat. Je vous remercie pour la qualité de cette mission, des auditions, des échanges et des travaux, et la fidélité du rapport. Je salue également le fait qu’il soit autant axé sur l’intérêt de l’enfant. Tout ce travail nous a permis d’évoluer : en ce qui me concerne, je n’avais pas au départ la même position qu’aujourd’hui sur l’accès aux origines et le don de gamètes et d’ovocytes . Ce sont des éléments importants qui nous permettent de progresser dans notre réflexion et d’alimenter les débats.

Ce rapport contient énormément d’éléments positifs sur la PMA, le dépistage, ou encore les tests génétiques. Le renforcement de la formation et de l’information des professionnels de santé et des enseignants, abordé à la fin du rapport, me semble important, ainsi que la promotion de la profession de conseiller en génétique. Enfin, s’agissant du suivi parlementaire, je pense aussi que la révision des lois de bioéthique tous les cinq ans doit entrer dans les mœurs, et l’évaluation plus rapprochée par une délégation parlementaire se saisissant de l’actualité et permettant l’évaluation de ce qui a été décidé est cruciale.

Je reste plus interrogative à propos de la procréation post mortem, je partage les interrogations de Mme Poletti à ce sujet.

Mon vote sera néanmoins favorable pour la publication de ce rapport très étayé et bien construit.

M. Patrick Hetzel. Sur la forme, je souhaite remercier le président et le rapporteur pour la manière dont ils ont conduit ces auditions. Le travail réalisé est un véritable travail parlementaire, il faut le souligner. Cette mission d’information a pleinement joué son rôle.

Sur le fond, nous devons être très clairs : le rapport est un état de l’art qui mérite d’être salué, mais il est clair que ses propositions n’ont pas vocation à faire consensus, et elles ne peuvent le faire dans la mesure où sur certains sujets, nous avons indiqué qu’il y aurait des désaccords. Il est important d’être honnête intellectuellement et de le dire.

En ce qui me concerne, certaines propositions relatives à la procréation et à la recherche sur l’embryon franchissent des lignes rouges. Même si, quantitativement, ces propositions sont peu nombreuses, elles m’amènent, en mon âme et conscience, à voter contre ce rapport. Je n’en mets pas du tout en cause la qualité, le rapporteur a effectué un vrai travail que je salue pleinement. Ceci étant, nous allons entrer dans la phase du débat parlementaire, qui donnera l’occasion de montrer que malgré la qualité du travail qui a été réalisé, il demeure des différences de nature politique. C’est notre rôle, et aussi notre honneur, que de revenir sur ces différences lors du débat parlementaire.

Je ne crois pas que ce débat doive être ouvert ce matin, je tiens encore à saluer ce qui a été fait, mais un certain nombre de points justifie mon vote contraire. Vous aurez noté la diversité au sein de notre groupe parlementaire, car sur ces questions, je suis certain que nous voterons chacun en notre âme et conscience sur les évolutions juridiques qui nous semblent possibles.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Madame Dubré-Chirat, l’information et la pédagogie sont d’autant plus importantes que notre pays accuse un retard dans ces domaines. Je ne sais pas à quoi cela est dû, c’est malheureusement une tradition établie, et je crains qu’il ne faille faire beaucoup d’efforts pour changer cette culture. Pendant longtemps, nous avons cru qu’il suffisait de définir de nouvelles règles, de nouvelles lois, de nouvelles possibilités, et nous nous arrêtions là. Nous ne nous sommes pas demandé si les gens avaient accès à ces droits.

Nous nous sommes même donné bonne conscience en allant beaucoup plus loin que les autres en matière d’égalité d’accès sous l’angle pécuniaire. Nous accordons des droits sans que les gens aient à payer pour les exercer, il n’y a pas de sélection basée sur l’argent pour l’accès à des traitements coûteux et innovants, mais il existe de grandes différences culturelles, au niveau de l’information. Nous savons bien que, même pour des gestes médicaux et chirurgicaux tout à fait ordinaires, ceux qui n’ont pas accès à l’information sont un peu pénalisés par rapport aux autres. Nous tous, ici, avons des réseaux nous permettant de rencontrer le spécialiste le plus opportun. Mais M. Dupont, habitant en zone rurale, va cheminer progressivement d’un médecin généraliste à un premier spécialiste qui l’enverra ensuite vers un autre, toujours avec des délais d’attente de quelques mois. Cela entraîne parfois des pertes de chances.

Pour les préoccupations qui nous retiennent aujourd’hui, il est important que nous allions beaucoup plus loin pour l’information de la population. Nous nous sommes rendu compte que les adolescents, garçons et filles confondus, étaient aujourd’hui complètement ignorants de l’horloge biologique pour la procréation. Ils ont des idées complètement fausses sur ces questions. Il faut rectifier cela, et il y a des moments « magiques » pour le faire : au lycée, pendant le service civique… On se rend compte que parfois, si l’on informe ces jeunes, ils pourront eux-mêmes éduquer leur famille, et c’est très bien ainsi. Nous devons trouver le moyen pour que tous les gens, dans tous les milieux, aient accès à des informations égales, ce qui suppose de se doter de moyens que nous n’avons pas pour l’instant.

Il en va de même s’agissant de la prévention. Nous ne sommes pas le meilleur pays du monde en matière de prévention ; nous savons vendre beaucoup de choses aux gens, même des choses dont ils n’ont pas besoin – les commerciaux savent y faire – mais nous ne savons pas leur vendre le bien le plus précieux : leur santé. La France a du retard pour expliquer comment se prémunir des facteurs de risque principaux. Nous devons développer la pédagogie et l’explication, dès la jeunesse.

Il faut ensuite, bien sûr, un suivi parlementaire, c’est indispensable. Je crois qu’il est important de mettre cela en place. D’ailleurs, ce sera peut-être le moyen d’améliorer cette formation, car chacun d’entre nous, dans sa circonscription, pourra relayer ce discours en organisant des réunions, en allant parler dans une école, créant petit à petit un effet « boule de neige ».

L’état de l’art qui est dressé sera différent dans un certain temps, et il n’est pas partagé par la totalité d’entre nous. Il est légitime de considérer qu’aucune proposition ne peut être parfaitement consensuelle, il est donc normal qu’un débat parlementaire s’engage sur ces différentes propositions, et M. Hetzel l’a dit en toute honnêteté : les différences méritent d’être énoncées. Il n’y a pas de raison de cacher nos différences de point de vue, d’autant que certaines propositions ne sont pas fondées exclusivement sur des données scientifiques dûment établies : il y a une part de choix philosophique, qui peut varier. Lors du débat parlementaire, cela va animer les prises de position des uns et des autres, en plus de la somme d’informations que nous avons le devoir d’apporter à nos collègues, même ceux qui ne font pas partie de la mission, pour que tous partagent les données scientifiques rigoureuses, puis décident en leur âme et conscience.

Pour terminer, certains peuvent dénoncer le fait que l’évolution de notre législation se fasse selon le principe du cliquet. Le cliquet permet toujours d’avancer, jamais de revenir en arrière. Il permet d’octroyer des droits supplémentaires, mais les droits précédemment acquis ne sont jamais remis en question. C’est probablement en raison du fait que, plus que d’autres pays, nous tentons de ne pas légiférer pour autoriser des choses qui n’ont pas été évaluées au préalable. Les possibilités que nous proposons d’ouvrir sont celles pour lesquelles nous estimons que le rapport bénéfice-risque est positif. Je peux comprendre que d’autres personnes fassent une évaluation différente, mais nous sommes plus prudents que certains pays qui ont tout de suite ouvert toutes les vannes, pour édicter ensuite des interdits secondaires. Nous avons une propension à faire des lois de bioéthique réservées, puis, grâce à l’expérience acquise, à permettre, conformément au principe du cliquet, quelque chose qu’hier encore nous avions placé sous moratoire.

M. Charles de Courson. Puisqu’il y a soixante propositions, pourquoi ne pas voter séparément sur chacune d’entre elles ? Il y a des propositions avec lesquelles je suis d’accord, d’autres auxquelles je m’oppose. Or, on nous propose un vote bloqué sur ce texte, qui va être utilisé pour préparer le futur projet de loi gouvernemental. Pourquoi ne pas voter proposition par proposition ?

M. Guillaume Chiche. Le vote porte simplement sur la publication des travaux qui ont été menés, nous n’exprimons pas d’avis en faveur ou en défaveur du contenu. Les débats parlementaires postérieurs nous permettront de nous exprimer sur les sujets contenus dans ce rapport. Il nous faut nous prononcer sur l’ensemble des travaux et ne pas faire de ce rapport un sondage selon lequel 80 % des membres de la commission seraient favorable, par exemple, à l’intelligence artificielle tandis que 20 % seraient défavorables au diagnostic préimplantatoire. Ce qui nous intéresse est de publier ce rapport.

M. le président Xavier Breton. Il ne s’agit pas de se prononcer simplement sur la publication, il y a bien adoption des propositions, car il s’agit d’une mission d’information de la conférence des présidents.

M. Jean-Louis Touraine, rapporteur. Lors des missions d’information précédentes, il était de tradition que le vote n’indiquait pas un attachement pieds et poings liés à chacune des propositions. Vous pouvez dénoncer ultérieurement certaines propositions lors des débats. Si vous votez aujourd’hui pour le rapport, c’est parce que vous considérez que, globalement, la mission a été conduite de façon satisfaisante, que les propositions ne vous choquent pas et que leur publication vous paraît opportune.

Sans ce vote, le rapport ne sera pas publié et nous ne pourrons plus avancer : là est le problème. Pour voter chaque proposition de façon distincte, il aurait fallu en décider préalablement, lors du déroulement de la mission, pour que chacun se prépare à réfléchir sur chaque thème. Il n’a pas été possible pour tout le monde d’assister à la totalité de chaque audition, ce qui fait que certains n’ont pas acquis tous les éléments pour se prononcer sur chacune des propositions.

Nous pouvons nous en tenir à la tradition selon laquelle le vote ne revient pas à approuver totalement les propositions, simplement que l’on pense que les choses doivent avancer et que le rapport, en l’état, est considéré correct. Ensuite, chaque proposition pourra être largement débattue.

Mme Élise Fajgeles. Cela va au-delà de la tradition. Il y a des propositions extrêmement précises, tous n’ont pas assisté à la totalité des auditions, je ne pense pas que nous soyons capables de nous prononcer proposition par proposition sans débat. M. le rapporteur nous éclaire par ce rapport, très large, il faut voter pour ou contre ce rapport, ou s’abstenir si l’on n’est pas en accord avec la totalité des propositions.

M. Charles de Courson. C’est le mécanisme du vote bloqué, mais la tradition peut changer. Voter point par point permettra d’éclairer le Gouvernement et nos collègues, qui verront qu’une très grande majorité soutient certaines propositions, tandis que d’autres divisent.

Mme Caroline Janvier. Je ne suis pas favorable à un vote proposition par proposition, car il faudrait, sur chacune, un débat contradictoire et un examen plus détaillé. Est-il possible de dissocier le vote sur le contenu du rapport et celui sur sa publication ?

M. le président Xavier Breton. On ne peut pas dissocier l’adoption des propositions et la publication du rapport. Mais, dans la mesure où nous avions prévu la possibilité pour les groupes de déposer des contributions écrites, nous pouvons ajouter la possibilité de contributions individuelles, qui permettraient à chacun d’exprimer un désaccord sur tel ou tel point.

M. Charles de Courson. C’est une bonne solution, car les groupes – le mien en tout cas – ont laissé à chacun la liberté de s’exprimer à titre individuel.

 

La mission d’information adopte le rapport, autorisant ainsi sa publication conformément aux dispositions de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale.

 


– 1 –

   Contributions des groupes politiques

 

Contribution des députés du groupe Les Républicains membres de
la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

 

Vous trouverez ci-après la contribution des députés membres de la mission appartenant au Groupe les Républicains sur le rapport issu des travaux de la Mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique.

Avant d’exprimer nos désaccords, nous souhaitons formuler deux remarques préalables.

Premièrement, nous nous associons au Président de la Mission d’information, Monsieur Xavier BRETON, qui dans son avant-propos a souligné le travail dense et approfondi ayant permis l’élaboration de ce rapport. Les auditions se sont globalement déroulées dans une ambiance sereine, propice à la réflexion, et chacun, parlementaire ou personne auditionnée, a eu l’occasion de s’exprimer librement.

Deuxièmement, le Groupe les Républicains considère que les sujets relatifs à la bioéthique nécessitent une approche d’écoute et de prudence. Les questions dont nous traitons ici touchent à l’intime, à l’histoire personnelle de chacun d’entre nous, aux valeurs philosophiques et aux convictions (religieuses ou non). Par conséquent, il est normal que dans tous les groupes politiques, il y ait des débats et des points de vue différents.

Les principes fondamentaux du droit de la bioéthique français tels que la primauté de la personne humaine, la protection du corps humain, sa non-marchandisation et la protection de l’espèce humaine se heurtent aujourd’hui à des conceptions différentes de l’éthique. Il existe en effet dorénavant une tension entre l’éthique de l’autonomie (où l’individu décide pour lui-même) et l’éthique de la vulnérabilité (fondée sur la protection des plus fragiles), tension qui trouve sa source tant dans les demandes sociétales que dans les évolutions de la science.

Le groupe les Républicains considère que l’équilibre entre ces conceptions a conféré jusqu’à présent à la France un statut de pionnier sur les questions relatives à la bioéthique et qu’il doit être préservé. C’est la raison pour laquelle un certain nombre de lignes rouges ne doivent pas être franchies.

A l’inverse du rapporteur qui note que sur les sujets relatifs à la bioéthique « au début sont essentiellement formulés des interdits, souvent plus par prudence que pour de véritables raisons de respect de certaines valeurs humaines. » (p. 145), les députés du groupe les Républicains considèrent que ce sont les principes et les valeurs qui doivent conduire le législateur à la plus grande prudence sur ces questions.

C’est à l’aune de ces lignes rouges que nous avons pris connaissance des propositions du rapporteur en considérant deux risques majeurs que l’on peut schématiquement qualifier d’effet « domino » et d’effet « mikado ».

L’effet « domino » signifie que la logique qui a conduit à effectuer une seule modification du droit, peut entraîner de fait un ensemble de modifications conduisant, à terme, au franchissement de limites qui étaient considérées à la base comme infranchissables. L’effet « mikado » signifie lui qu’une seule modification dans un domaine donné de la bioéthique peut avoir des incidences dans un autre domaine n’étant pas, a priori, lié au premier.

Or, les propositions formulées par le rapporteur conduisent de fait ou à terme à dépasser certaines lignes rouges que le Groupe les Républicains s’est fixées, c’est la raison pour laquelle nous avons souhaité apporter une contribution à ce rapport. Cette contribution n’a pas vocation à traiter l’ensemble de ces propositions mais à mettre en exergue les risques que comportent certaines d’entre elles.

Sur le chapitre premier : « Procréation et société » :

Le rapporteur note : « La question de l’accès à l’AMP s’insère dans un contexte où s’entremêlent l’affirmation des libertés individuelles, la revendication d’une égalité des droits, la pluralité des systèmes familiaux et le désir d’enfant. Son intensité actuelle ne tient pas tant aux évolutions scientifiques ou techniques qu’aux avancées sociétales intervenues ces dernières années. En particulier, l’institution du mariage entre couples de personnes de même sexe, couplé au droit à l’adoption pour les couples homosexuels, a permis de lever certaines barrières et incite à ouvrir à de nouvelles formes de famille l’assistance médicale à la procréation. À cet égard, le phénomène majeur qui bouscule les lignes d’équilibre précédemment établies est la résonance nouvelle donnée au projet parental : il semble avoir pris définitivement le pas sur le critère d’infertilité pathologique qui, actuellement, verrouille le champ d’intervention de l’AMP. » (pages 39-40)

Cette logique est confortée par le rapporteur à deux reprises. Premièrement dans son analyse de l’avis du Conseil d’Etat. Le rapporteur note, que selon le Conseil d’Etat, le principe d’égalité ne peut être invoqué pour étendre les conditions d’accès à l’AMP « Pourtant, dans son étude consacrée à la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’État affirme qu’« en droit, rien n’impose au législateur d’ouvrir aux couples de femmes et aux femmes seules la possibilité d’accéder aux techniques d’AMP. » Auditionnées par la mission, Mmes Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d’État, et Laurence Marion, rapporteure générale, ont confirmé qu’« il n’existe pas de principe juridique qui contraindrait le législateur à s’engager dans cette voie » de l’extension de l’accès à l’AMP. ». (p. 48)

Il rappelle par ailleurs la jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel selon laquelle : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (p. 48)

Bien que le rapporteur reconnaisse que « sur un plan juridique, il est difficile de prendre en défaut les conclusions du Conseil d’Etat » (p. 49) c’est pourtant sur le principe d’égalité qu’il fonde sa proposition d’extension des conditions de l’ouverture à l’AMP : « or, pour le rapporteur – comme d’ailleurs pour de nombreuses autres personnes auditionnées –, une partie de la population se voit refuser l’accès à l’AMP comme conséquence de son orientation sexuelle, alors que cet accès est ouvert à d’autres. Cette inégalité de fait… » (p. 49)

Ceci le pousse à conclure de la manière suivante « Ainsi, l’ouverture de l’accès à l’AMP apparaît comme une nouvelle étape sur le long chemin de l’émancipation des femmes par le renforcement de « l’autonomie des choix reproductifs » et sur celui de la reconnaissance de toutes les familles. » (p. 50).

Ainsi, en considérant que l’ouverture de l’AMP est l’aboutissement logique de l’institution du mariage entre couples de personnes de même sexe et qu’elle s’inscrit sur un « long chemin », la crainte d’un nouvel enchaînement pouvant conduire, à terme, à la légalisation de la gestation pour autrui est prégnante. En effet, dans la logique égalitariste à l'œuvre, ce nouveau droit constitue une étape vers les mères porteuses et la marchandisation du corps de la femme. Un engrenage est à l'œuvre : comment refuser demain aux couples d'hommes ce que l'on accorderait aux couples de femmes ?

Or, l’institution de la pratique funeste des mères porteuses est, pour les députés du groupe les Républicains, une ligne rouge qui ne doit pas être franchie. Les mots même du rapporteur nous poussent donc à redoubler de prudence et à considérer comme discutable la proposition qu’il formule par la suite, à savoir : « ouvrir l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules. » (proposition n°2 – p. 50)

Par ailleurs, le rapporteur note que « l’ouverture éventuelle de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules conduit à revisiter certains questionnements éthiques sur lesquels le législateur s’est prononcé il y a quelques années. Il en est ainsi de l’anonymat du don de gamètes et de l’accès aux origines, de la procréation post mortem, du double don et de l’autoconservation des gamètes. À ces questions qui ne sont donc pas totalement nouvelles, s’ajoute une interrogation liée aux effets de la suppression du critère pathologique sur la situation même des couples hétérosexuels et la prise en charge financière par la collectivité au titre du risque social. » (p. 50-51).

Ce paragraphe démontre que le fait qu’une modification peut avoir de nombreuses implications est une réalité à prendre en compte. En effet, la levée du critère pathologique semble, pour le rapporteur, être nécessaire : « le maintien du critère pathologique n’apparaît pas tenable dans la mesure où, déjà aujourd’hui, l’AMP apportée aux couples hétérosexuels ne s’appuie pas toujours sur des critères pathologiques. Il serait alors logique d’égaliser les conditions d’accès et de légitimer une « procréation sans sexe pour tous » (p. 86). Les députés du Groupe les Républicains tiennent à faire part de leur inquiétude quant à la portée de cette dernière phrase.

Sur le fait que l’AMP ne s’appuie pas toujours sur des critères pathologiques, le rapporteur reste flou en expliquant que : « Pour se limiter au domaine de l’AMP, des couples de femmes ou des femmes seules témoignent également des « arrangements » passés avec des gynécologues pour assurer la prise en charge d’une partie des frais liés à la préparation des actes d’AMP, à l’exclusion toutefois du coût de l’intervention. » (p. 72)

Tout d’abord, on ne peut considérer que la transgression de la loi par certains médecins constitue une base solide pour convenir du fait que l’AMP ne s’appuie pas toujours sur des critères pathologiques.

En outre, la levée du critère pathologique peut découler du raisonnement logique suivant : conserver ce critère pour l’ensemble des couples aboutirait à considérer l’homosexualité comme une pathologie ce qui serait intolérable. Le conserver uniquement pour les couples hétérosexuels créerait une discrimination entre les couples en se basant sur leur orientation sexuelle ce que le législateur ne saurait accepter. Cela semble donc valider le raisonnement du rapporteur tendant à préconiser sa levée. Cependant, la levée du critère pathologique pour les couples hétérosexuels entrainerait un changement majeur puisque la médecine traitant les pathologies laisserait ainsi la place à une médecine au service des désirs de chacun, la faisant entrer de fait dans une logique transhumaniste repoussant sans cesse plus loin les frontières de l’éthique : « la technique ne serait plus utilisée à des fins de réparation mais permettrait de dépasser ce qu’il est impossible de réaliser de façon naturelle. Une telle perspective peut aussi se concevoir pour les couples d’hommes et l’ensemble des couples hétérosexuels compte tenu respectivement de l’évolution des techniques d’une part (recours à l’utérus artificiel qui ne présentera plus l’obstacle de l’atteinte aux corps des femmes) et de la levée de la condition d’infertilité. » (p. 86).

Cette dernière phrase rapprochant la grossesse d’une mère porteuse d’un simple « obstacle » étant, de surcroît, choquante.

En outre, le rapporteur note : « étendre l’AMP aux couples de femmes et aux femmes validerait en fait ce qui est aujourd’hui masqué : l’oubli de la part du don qui prévaut dans la procréation naturelle, au profit d’une « anthropotechnie » qui fait du médecin un technicien « faiseur d’enfants » et qui fait du corps du donneur un gisement de ressources. L’argument consistant à lever un obstacle parce qu’une pratique existe déjà à l’étranger peut se comprendre du point de vue des demandeurs. Il suscite des questions sur le rôle du médecin, qui serait circonscrit au rôle de technicien, ou sur le donneur, qui serait réduit à un fournisseur de gamètes au début de la vie, serait exclu à juste titre de toute relation de filiation dans l’intérêt de la construction d’une famille, mais serait sommé quelques années plus tard d’avoir à révéler son existence pour combler des absences. » (p. 86)

Les députés du groupe les Républicains, considèrent que ces observations sont suffisamment alarmantes pour émettre des doutes quant au bien-fondé des propositions du rapporteur en particulier au regard des lignes rouges qu’ils se sont fixées.

La levée du critère pathologique pose aussi la question de la prise en charge par la sécurité sociale d’une AMP étendue. Cette question ne fait pas, actuellement, l’objet d’un consensus. Car, comme le note le rapporteur, « l’éventualité d’un remboursement, par la sécurité sociale, des actes d’AMP et d’autoconservation ovocytaire pour des indications non pathologiques pose une question de principe. » (p. 70)

Le rapporteur voit deux justifications à cette prise en charge : l’une, compréhensible, liée à la garantie de l’égalité des droits, reconnue d’ailleurs par le Conseil d’État « la tradition juridique française d’égalité d’accès aux soins rend en effet difficilement concevable l’ouverture de nouveaux droits sans que soit prévu un remboursement par l’assurance maladie » (p. 72) et l’autre, contestable, liée au contournement actuel de la loi par certains médecins « Pour se limiter au domaine de l’AMP, des couples de femmes ou des femmes seules témoignent également des « arrangements » passés avec des gynécologues pour assurer la prise en charge d’une partie des frais liés à la préparation des actes d’AMP, à l’exclusion toutefois du coût de l’intervention. Somme toute, l’extension du remboursement aux actes d’AMP pour « indication sociale » ne serait que la régularisation d’une situation de fait. » (p. 72).

Les députés du groupe les Républicains s’étonnent en revanche qu’il ne soit pas fait mention de la question de l’adhésion de l’ensemble de la société à cette pratique. Sans parler des convictions de chacun, en faisant reposer sur la solidarité nationale un acte pour « indication sociale », le législateur opérerait un changement majeur dans l’objet même de la sécurité sociale.

D’autres points nous conduisent à nuancer les propositions du rapporteur. En effet, ce dernier note que « le don de gamètes est aujourd’hui tout juste suffisant pour répondre aux besoins de l’AMP dans le cadre actuel ; le risque de pénurie pourrait représenter un obstacle pratique à l’élargissement effectif des indications d’AMP. Si ce risque se concrétisait, la reconnaissance symbolique de l’égalité des droits ne déboucherait pas sur une égalité réelle. » (p. 61)

Ce constat pousse le rapporteur à formuler, entre autres, deux propositions : « autoriser l’autoconservation ovocytaire » et « étendre à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation que délivre l’Agence de biomédecine afin de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes » (p. 70). Ces deux propositions nous interpellent sur le risque réel qui est celui d’ouvrir la porte à des pressions du marché et à la marchandisation du corps humain ou des produits du corps humain. Elles sont d’ailleurs paradoxales à la lecture des critiques qui ressortent du rapport.

« Cette évolution n’est pas sans poser de questions, dont bon nombre ont été évoquées devant la mission et semblent donc conserver une part de pertinence. (…) la revendication d’autonomie et de liberté ne doit pas faire oublier les risques de pression sociale et professionnelle qui pourraient s’exercer sur les femmes. On se souvient qu’Apple et Facebook avaient annoncé leur intention de prendre en charge la congélation des ovocytes de leurs employées, accréditant l’idée que le projet personnel des femmes doit s’adapter au marché du travail et au désir de l’homme (pour lequel la question des ponctions ovariennes ne se pose pas et la question de l’horloge biologique se pose en des termes bien moins contraignants). En fait, la promesse émancipatrice portée par les techniques d’AMP se heurterait alors à la réalité d’une organisation sociale pensée par et pour les hommes. Comment les femmes qui souhaiteraient d’abord se consacrer à la maternité avant d’envisager un projet professionnel pourraient-elles librement évoluer dans le marché du travail quand leurs collègues accepteraient de différer une grossesse ? L’autoconservation, présentée comme un choix individuel, pourrait, dans ces cas non encadrés, se révéler être une contrainte sociale.

En outre, il n’est pas du tout certain que l’autoconservation garantisse la venue d’un enfant. (…) En audition, il a également été rappelé à plusieurs reprises que l’autoconservation ovocytaire ne pouvait être une « assurance tous risques », surtout en cas de grossesse à un âge avancé.

La balance des risques est donc difficile à apprécier, ce dont témoignent les positions différentes prises, à moins de deux ans d’intervalle, par le CCNE. Le choix de « proposer, sans encourager, une autoconservation ovocytaire indépendamment du don », en septembre 2018, fait suite à celui qui conduisait à trouver « difficile à défendre » la même proposition, en juin 2017. » (p. 67-68)

L’ensemble de ces considérations fait craindre une suite logique conduisant, à terme, à franchir des limites considérées à ce jour comme infranchissables.

De même, le fait que le rapporteur reconnaisse que « l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes conduit en revanche à s’interroger sur une éventuelle évolution du droit de la filiation » (p. 77) témoigne, une fois de plus, des conséquences d’une seule modification sur un ensemble de droits.

En effet, le rapporteur considère que « dans l’hypothèse où l’accès à l’AMP serait étendu aux couples de femmes, (il faudrait) instaurer un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de tous les couples bénéficiaires d’un don de gamètes, que leurs membres soient de même sexe ou de sexe différent, fondé sur une déclaration commune anticipée de filiation (création d’un titre VII bis dans le livre Ier du code civil) » (« proposition n° 12 » p. 85)

Pourtant, il reconnait lui-même que : « Cette solution appelle toutefois à une certaine vigilance quant aux couples de personnes de sexes différents ayant eu recours au don, qui pourraient percevoir ce nouveau mécanisme comme un recul, voire comme une discrimination selon la nature de leur pathologie, car :

-          elle supprime la possibilité, pour ces couples, d’établir leur lien de filiation selon les modes traditionnels – en particulier la présomption de paternité –, ce qui peut avoir un impact symbolique d’autant plus important que cela distingue les couples hétérosexuels ayant eu besoin d’un don de gamètes des autres couples hétérosexuels dont la pathologie est surmontable par des techniques d’assistance médicale à la procréation endogènes ;

-          elle fait perdre aux couples hétérosexuels la possibilité de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception, la déclaration commune anticipée de filiation devant, comme tous les modes d’établissement de la filiation, apparaître sur l’acte de naissance de l’enfant ou sur sa copie intégrale. Il conviendrait à cet égard de ne la faire figurer que sur la copie intégrale de l’acte de naissance de l’enfant dont l’accès devrait alors être réservé aux seuls parents et à l’enfant lorsqu’il atteint la majorité, les tiers en étant exclus. Ce serait dès lors une incitation – jugée opportune – à révéler à l’enfant son mode de conception le plus tôt possible dans sa vie, en tout état de cause avant 18 ans. » (p. 85)

Le rapporteur formule donc une préconisation étant, selon ses propres dires, un « recul » pour les couples de sexes différents ayant eu recours au don. Il s’agit là d’une conséquence indirecte qui doit pousser le législateur à la plus grande prudence et nous fait nous interroger sur le bien-fondé de cette proposition, et son effet « Mikado ».

D’une manière générale, la question d’une réécriture du droit de la filiation a fait l’objet de débats au cours des auditions. L’une d’elle a particulièrement interpellé les députés du groupe les Républicains. Il s’agit de l’évolution du droit vers une filiation de la « volonté » en dehors de toute considération biologique ou génétique, soulevée par l’un des intervenants sur « les effets nocifs du projet parental qui serait uniquement fondé sur la volonté parce que la volonté, qu’on le veuille ou non, est versatile : je peux vouloir être parent aujourd’hui et décider de ne plus l’être demain. On peut donner son consentement, soi-disant sans possibilité de revenir en arrière, mais que se passe-t-il si le consentement a été vicié ? La parenté fondée sur le projet parental aboutira à la multiparenté » (p. 77)

La question du don a elle aussi fait l’objet de plusieurs auditions de la mission d’information. L’un des points soulevés est la question de la levée de l’anonymat des donneurs. Comme le note le rapporteur à ce sujet « Il n’y a toutefois pas de consensus parmi les psychiatres et psychanalystes. » (p. 52). Pourtant, et malgré l’absence de consensus, le rapporteur conclut en préconisant de « Permettre aux personnes conçues à partir d’un don de gamètes ou d’embryon d’accéder à leurs origines :

-          sur simple demande, dès l’âge de 18 ans ;

-          pour tous les dons effectués après l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique ;

-          sous réserve du consentement du donneur pour les dons effectués avant l’entrée en vigueur de la prochaine loi de bioéthique. » (p. 55).

L’absence de consensus, notamment sur les effets bénéfiques que pourrait avoir cette mesure sur les enfants, conduit tout de même le rapporteur à proposer la levée de l’anonymat. Ce qui est étonnant puisque cette absence devrait plutôt nous appeler, une fois de plus, à la prudence.

En outre, l’adoption d’une telle mesure pourrait là encore avoir des implications lourdes par la suite. En effet, comme le rappelle le Conseil d’Etat « l’anonymat au moment du don est aussi la garantie de non-sélection, car « la possibilité de connaître l’identité du donneur alimente inévitablement la tentation de le choisir », ce qui « ouvrirait la voie à une conception “sur catalogue” » » (p. 35)

En effet, comme le rappelle le rapport : « Lors de toute procédure d’AMP impliquant un don de gamètes, un appariement est effectué en application de recommandations de bonnes pratiques. En France, il est effectué par le personnel médical, alors que dans d’autres pays tels que les États-Unis, le Danemark ou l’Espagne, les receveurs choisissent eux-mêmes les donneurs à partir de descriptions très précises ou, dans certains cas, de photographies. » (p. 36)

Actuellement le personnel des CECOS (Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains) procède à cet appariement avec l’idée que « lorsque nous accueillons les couples receveurs, nous tenons compte des phénotypes physiques – couleur des yeux, des cheveux, taille, poids, etc. –, de façon à disposer d’un gabarit et d’une représentation du couple. Nous pratiquons de la même façon avec les donneurs. L’idée présidant à l’appariement est que l’enfant soit cohérent avec le couple. Nous respectons donc également les ethnies. » (p. 36). La lecture de ces lignes et la possibilité que des classements ethniques soient réalisés en France en dehors de toute légalité est déjà, à elle seule, d’une gravité notable.

De surcroît, les effets que pourraient entraîner à terme ces pratiques couplées à une levée de l’anonymat doivent nous alerter non pas uniquement sur le « désintéressement du don », ce que pointe le rapporteur, mais aussi sur les risques de marchandisation et les dérives eugénistes potentielles (p. 35-36). C’est ce que pointe le rapport en citant notamment les pratiques qui ont lieu au Danemark ou aux Etats-Unis où « les femmes célibataires choisissent leur donneur parmi des hommes qui sont essentiellement de type européen, de grande taille et aux yeux bleus » (p. 37). Par ailleurs, le conseil national de l’ordre des médecins, cité par le rapport, a soulevé d’autres interrogations « comment le choix se fera lorsque la demande sera celle d’une femme seule. Faudra-t-il apparier avec ses seules caractéristiques personnelles ? ».

Enfin, on ne peut éluder les conséquences de la levée de l’anonymat sur l’offre de sperme « il a été rappelé à maintes reprises en audition, qu’au moins à court terme, la courbe du don pourrait transitoirement s’affaisser si le choix était fait d’ouvrir l’accès aux origines personnelles. Ce phénomène a été constaté dans les pays ayant opté pour cette voie. Cependant, après deux ou trois ans, une hausse des dons a été constatée, associée à une modification du profil de donneurs. Les auditions suggèrent donc que la baisse des dons n’est que passagère et doit être vue comme une transition entre deux logiques de don. Cela étant, il n’a pas été apporté à la mission d’éléments documentés établissant qu’à terme, l’ouverture de l’accès aux origines permettrait d’augmenter de façon significative le nombre de donneurs et d’écarter un risque de pénurie. » (p. 62).

Cette pénurie potentielle a une incidence éthique qui a été soulevée lors des auditions « Le don de gamètes est aujourd’hui tout juste suffisant pour répondre aux besoins de l’AMP dans le cadre actuel ; le risque de pénurie pourrait représenter un obstacle pratique à l’élargissement effectif des indications d’AMP. Si ce risque se concrétisait, la reconnaissance symbolique de l’égalité des droits ne déboucherait pas sur une égalité réelle.

Les équipes médicales d’AMP feraient face à un dilemme inconfortable : prendre les demandes « au fil de l’eau » ou les hiérarchiser, mais alors, selon quels critères ? Dans sa contribution transmise à la mission d’information, la Fédération française des CECOS souligne qu’« aucun consensus n’a pu se dégager concernant la hiérarchisation de la prise en charge en AMP en fonction du motif de la demande (couples infertiles, couples de femmes, femmes seules) ». (p. 61)

Enfin, l’ensemble de ces considérations soulève une question majeure : la question de la place du père. Cette question est abordée dans un premier temps par le rapporteur, s’agissant de l’AMP post-mortem, qui note l’avis du CCNE publié en 2011 :

« La première difficulté éthique était posée par la prise en compte de l’intérêt de l’enfant à naître dont on sait qu’il sera de facto privé de père. Le CCNE rappelait que, par construction, cette privation se distingue des situations où la perte du père intervient à la suite d’un accident de vie (décès, départ ou absence de père) en ce qu’elle est programmée a priori. À côté de cet argument de principe, le CCNE soulevait également les difficultés qui pourraient peser sur l’enfant en lui faisant porter le « rôle, réel ou supposé, de substitut à l’homme décédé ». Le CCNE relevait enfin qu’il convient de ne pas sous-estimer les difficultés que risqueraient de rencontrer ces enfants pour lesquels, au manque entraîné par l’absence de père, s’ajoute le fait d’avoir à expliquer et à faire accepter que le père était déjà mort au moment de leur conception.

Le CCNE s’interrogeait ensuite sur l’intérêt de la mère. La question posée était moins celle de la capacité à élever seule un enfant que celle du consentement libre et éclairé. Le deuil place la femme en situation de vulnérabilité, particulièrement si le décès du conjoint intervient à la suite d’une maladie. Et le CCNE soulignait que « l’état de vulnérabilité à ce moment peut, notamment, la rendre particulièrement sensible aux pressions familiales, amicales, voire sociales ».

Une troisième interrogation portée par le CCNE concernait l’intérêt pour la société de prêter son concours à la conception d’enfants « dans un contexte qui peut lui être défavorable puisqu’il sera privé de père et que la monoparentalité est souvent un facteur de fragilisation, voire de précarisation des familles ». En l’espèce, le CCNE mettait l’accent sur la distinction entre « la situation voulue et se présentant dans un contexte exceptionnel » et la situation subie par l’enfant à raison des accidents de la vie. » (p. 28)

Les députés du groupe les Républicains considèrent que les questions soulevées par le CCNE en 2011, et en particulier celles relatives au bien-être de l’enfant, restent d’actualité et concernent autant l’ouverture de l’AMP aux femmes en couple et aux femmes seules que la levée de l’interdiction de l’AMP post-mortem que le rapporteur considère comme une suite logique (p. 57 et proposition n°5).

Ces questions font d’ailleurs l’objet d’autres développements dans le rapport reprenant les déclarations de plusieurs intervenants : « L’extension de l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules donnerait naissance à des enfants « sans père », dans un processus voulu par son ou ses parents et organisé par la société. Cependant, l’accès aux origines personnelles ou la présence de référents masculins dans le proche entourage suffiraient à l’enfant pour se construire. Ces arguments n’apparaissent pas déterminants aux yeux des défenseurs d’une conception différente de l’intérêt de l’enfant (…) C’est également la volonté de préserver cette vision de l’intérêt de l’enfant qui amène certains membres du corps médical à vouloir éviter de créer des situations qu’ils jugent « à risque », où l’enfant serait en situation de vulnérabilité. » (p. 74)

En outre, il ressort du rapport que ces risques sont aussi à considérer dans le temps long « Dès lors, si rien ne permet d’affirmer que l’enfant ne sera pas résilient, rien ne permet de rejeter les arguments selon lesquels la société devra assumer les conséquences d’une « généalogie […] trouée de blancs ou d’absences » (p. 76)

Pourtant « le rapporteur, s’il estime toutes ces opinions respectables, ne les juge pour autant pas toujours recevables. La pluralité des situations familiales est une réalité depuis de nombreuses années, et l’extension de l’AMP n’entraînera pas de bouleversement fondamental de notre société. La filiation bilinéaire et les représentations symboliques seront maintenues. Quel risque cette mesure ferait-elle courir ? » (p. 76)

Les députés du groupe les Républicains considèrent que cette conclusion est pour le moins surprenante au regard de l’ensemble des mises en garde que le rapporteur a lui-même fait ressortir dans son rapport.

Dans une dernière partie, le rapporteur s’est attaché à traiter de la question de la gestation pour autrui. Il note dans un premier temps « alors qu’une demande sociale plus pressante, émanant aussi bien de couples hétérosexuels infertiles que de couples homosexuels masculins, questionne la prohibition de la gestation pour autrui, le rapporteur estime sage, dans l’état actuel des connaissances, de suivre les avis du Comité consultatif national d’éthique et du Défenseur des droits, c’est-à-dire qu’il n’est pas justifié de lever cet interdit portant sur la réalisation de GPA en France. » (p. 93)

En dehors des considérations juridiques liées à la reconnaissance des enfants nés de GPA à l’étranger, le rapporteur a évoqué le cas d’une gestation pour autrui « éthique ». A ce titre le rapporteur rappelle que pour les opposants à cette pratique « il ne s’agit ni plus ni moins que d’un marché et le glissement du vocabulaire ne peut effacer la réalité d’une transaction qui implique la mise en liberté surveillée d’une femme et la remise d’un enfant. Quelle que soit la vision retenue, la GPA constitue une sérieuse entorse au principe d’indisponibilité du corps humain. Le fait qu’on puisse éventuellement lui conférer un caractère éthique n’enlève rien à cette situation. C’est ce que l’étude du Conseil d’État a voulu signifier en affirmant qu’il n’existe pas de « GPA éthique ». » (p. 110)

Les députés du groupe les Républicains rejoignent d’ailleurs cette vision. Ils prennent aussi acte des arguments soulevés par le rapport allant, à juste titre, à l’encontre de cette pratique : « C’est tout d’abord l’absence de maîtrise de son propre corps qui peut être considérée comme une relative atteinte à la dignité de la femme porteuse, même si elle y consent. On pourra convenir que des raisons de santé publique imposent à une femme en état de grossesse un suivi médical régulier. C’est effectivement le cas à ceci près que dans une situation, le suivi résulte de l’application d’une convention, alors que dans l’autre cas l’état de grossesse s’inscrit dans la complète maîtrise de son corps et de sa destinée. La circonstance d’un consentement ne suffit pas à effacer la réalité de l’opération.

De plus, la « location d’utérus » peut se doubler d’une autre atteinte à la dignité en cas de recours à la stimulation ovarienne si les parents d’intention ne sont pas en mesure d’apporter leurs gamètes. On retombera sur les mêmes errements que ceux précédemment décrits : le caractère éprouvant de la stimulation, les risques avérés, sans compter l’atteinte potentielle au principe de gratuité du don si l’offre d’ovocytes ne peut correspondre à la demande.

Enfin, la GPA peut parfois porter atteinte à l’intérêt de l’enfant. (…) En outre, l’enfant, à sa naissance, passe d’une famille à une autre. Si le désir d’enfant est un point commun entre la procréation naturelle et la GPA, il n’en reste pas moins que, dans ce dernier cas, la transaction dont l’enfant est l’objet le réduit à l’état de chose. On relèvera également l’effet de la GPA sur l’environnement familial de la femme porteuse. » (p. 111).

L’ensemble de ces considérations amène les députés du groupe les Républicains à s’interroger sur la proposition du rapporteur préconisant une reconnaissance de « la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger. » (p. 109). Si l’intérêt de l’enfant est primordial, cette reconnaissance n’est-elle pas, pour l’Etat français, la validation d’une pratique franchissant toutes les limites de l’éthique ? Il est d’ailleurs étonnant que le législateur n’ait pas eu la possibilité de se prononcer sur un sujet de cette importance et que les fondements juridiques de ces procédures n’aient été définis que par la voie réglementaire et la jurisprudence.

Les députés du groupe les Républicains tiennent enfin à exprimer leur profond désaccord sur la conclusion du rapporteur au sujet de la gestation pour autrui qui mérite d’être citée : « Dans cet esprit (la protection de l’enfant et de la mère), l’accès à la GPA ne pourrait idéalement se concevoir que s’il était mis fin à « l’emprisonnement » du corps de la femme porteuse, en recourant à l’utérus artificiel et, pour éviter les contraintes liées à la stimulation ovarienne, s’il était recouru à la production de gamètes à partir des cellules de la peau, comme le laissent espérer aujourd’hui certaines recherches sur les animaux. Cette « quasi science-fiction » anthropotechnique ne manquerait pas de poser des questions sur l’atteinte portée à l’intérêt de l’enfant qui, en certaines situations, serait privé de mère. » (p. 112)

 

En conclusion, l’ensemble des questions soulevées par l’ouverture de l’AMP aux femmes en couple et aux femmes seules doit nous interpeller et nous amener à bien peser les grandes implications que pourraient avoir ces changements sur le modèle éthique français et sur les lignes rouges qui pourraient être franchies. C’est la raison pour laquelle les députés du groupe les Républicains ne peuvent, en l’état, approuver l’ensemble des propositions du rapporteur.

Sur le chapitre 2 : « La prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel »

Le rapporteur formule une proposition unique en conclusion de ce chapitre :

« Sauf motif médical impérieux et urgent, conditionner tout traitement ou toute intervention visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne :

 à une consultation préalable dans l’un des centres de référence des maladies rares du développement génital ;

 à l’appréciation, par une équipe pluridisciplinaire, de la capacité de la personne à participer à la prise de décision, lorsqu’elle est mineure ;

 au recueil de son consentement explicite, libre et éclairé, exprimé personnellement, y compris lorsqu’elle est mineure. » (p. 124 proposition n° 14)

Les députés du Groupe les Républicains approuvent cette proposition en considérant d’une part la position du Conseil national de l’Ordre des médecins « d’un point de vue médical, soit une intervention chirurgicale se justifie d’emblée car, à trop attendre, des complications rénales se produiront, soit il n’y a pas urgence, auquel cas il est plutôt conseillé d’attendre que l’enfant atteigne la majorité, le temps pour lui de se construire sa propre identité plutôt que celle qu’aurait choisi pour lui ses parents » et, d’autre part, la position du Conseil d’Etat « si un « motif médical très sérieux » ne peut être établi, « il convient d’attendre que le mineur soit en état de participer à la décision, et notamment de faire état de la souffrance qu’il associe à sa lésion et de moduler lui-même la balance avantage-risque de l’acte envisagé ». Il conclut en affirmant que « l’acte médical ayant pour seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant ne devrait pas pouvoir être effectué tant que l’intéressé n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté et de participer à la prise de décision » (p. 121)

Sur le chapitre 3 : « Les recherches impliquant l’embryon »

A propos des recherches impliquant l’embryon, le rapporteur rappelle à juste titre l’étude du Conseil d’Etat sur la révision de la loi de bioéthique qui indique que « le statut de l’embryon revêt une portée très incertaine et reste sujet à controverses juridiques » (p. 126). De même, il note que « sans trancher clairement sur un tel point de départ, le législateur français a cependant souhaité définir un statut protecteur de l’embryon » (p. 127) et qu’ainsi « même s’il peut faire l’objet de recherches, celles-ci sont strictement délimitées, comme s’il convenait de ne pas porter atteinte à la dignité d’un être humain potentiel. L’embryon est donc pourvu d’une valeur particulière qui dépasse celle de sa simple « utilité ». C’est la raison pour laquelle le législateur ne l’a, jusque ici, jamais assimilé à un objet. » (p. 128)

Par ailleurs, le rapport cite les travaux préparatoires de la loi de 2011, que le groupe les Républicains rejoint, qui ont notamment « souligné l’importance d’un régime juridique identique entre embryon et cellules souches embryonnaires pour ce qui est de la recherche. M. Jean Leonetti, rapporteur du projet, écrivait ainsi que « la recherche sur les cellules souches embryonnaires pose éthiquement des problèmes de même nature que la recherche sur l’embryon puisque l’embryon dont sont issues les cellules est nécessairement détruit dans tous les cas ». Cette position s’appuyait sur l’éclairage apporté par le Conseil d’État qui avait écarté la piste d’un régime juridique différencié entre l’embryon et les cellules souches embryonnaires, proposé par l’Agence de la biomédecine. L’étude, qui souligne « la destruction initiale d’un embryon tout comme la recherche sur l’embryon lui-même », conclut qu’« au bout du compte, aucun impératif éthique ne permet de justifier une différence de traitement entre ces deux types de recherche » » (p. 129).

L’une des critiques sur l’utilisation d’embryons à des fins de recherches est notée par le rapporteur : « la seconde critique, beaucoup plus essentielle, porte sur le fait même d’autoriser des recherches sur des embryons destinés à être implantés et, si la grossesse va à son terme, à donner naissance à des êtres humains. Sans remettre en question la pertinence de la recherche sur les embryons, M. Jacques Testart analyse cette évolution comme une étape supplémentaire de la « réification de l’embryon humain ». Il a souligné lors de son audition que la recherche est aujourd’hui « freinée par l’impossibilité de connaître la viabilité et la normalité ultérieures des embryons qui ont été soumis à des études ou à des manipulations, ce qui n’est actuellement possible que chez l’animal ». La possibilité de transférer in utero l’embryon humain ayant fait l’objet de recherches biomédicales permettrait de contourner cet obstacle sous couvert d’une « considération compassionnelle », les recherches étant « qualifiées de soins » apportés au bénéfice de l’embryon. Le rapporteur ne partage pas ce point de vue et rappelle l’importance de ces recherches au regard des bénéfices qu’elles peuvent apporter à l’embryon lui-même et à l’humanité. Même lorsqu’elles sont « invasives » – et à plus forte raison lorsqu’elles sont observationnelles –, ces recherches n’aboutissent pas systématiquement à la destruction de l’embryon mais aussi à son transfert à fin de gestation. (…) Elles bénéficient directement à l’embryon puisqu’elles permettent de sécuriser les conditions de son développement in utero ainsi que sa viabilité : qui pourrait sérieusement prétendre que l’on voudrait mener des recherches pour mettre au monde des enfants non viables ? » (p. 134)

Les députés du groupe les Républicains prennent acte de la position du rapporteur mais ne la rejoignent pas. Les inquiétudes soulevées font clairement ressortir que la manipulation à des fins de recherches, y compris dans le cas d’utilisation de techniques invasives, n’entraîne pas systématiquement la destruction de l’embryon humain mais peut aussi conduire à son transfert à des fins de gestation. C’est le cas de la thérapie « embryonnaire » qui vise à « agir sur l’embryon in vitro afin d’augmenter les chances qu’il conduise à la naissance d’un enfant en bonne santé quand il est transféré à fin de gestation ». Il peut s’agir d’intervention sur l’embryon « pour corriger un défaut dont il est porteur » » (p. 135). Cette manipulation du vivant aux conséquences incertaines, qui part d’un sentiment, a priori, louable, contient en elle-même les germes d’un eugénisme et constitue une ligne rouge qui doit nous appeler à la plus grande prudence.

Sur la question de l’allongement de la durée maximale de culture des embryons, le rapporteur indique que cette question a fait l’objet de discussions au cours des auditions. Il fait en outre ressortir la position du Conseil d’Etat qui a appelé le législateur « à fixer une durée maximale de culture des embryons » (p. 143). La limite fixée actuellement à sept jours n’étant pas issue de la loi mais d’une recommandation du CCNE de 2010 justifiée par une considération éthique car il s’agit de la « différence entre le stade pré-implantatoire et le stade où l’embryon sera devenu capable, s’il est transféré, de s’implanter dans le corps de sa mère » (p. 143).

Le rapporteur considère pourtant que cette limite est arbitraire et se prononce en faveur « d’un allongement de la durée de culture de l’embryon sur lequel sont effectuées des recherches » (p. 144). Ainsi, aux inquiétudes du Conseil d’Etat qui appelle le législateur à fixer un délai dans la loi, il est répondu par une proposition ambigüe relative à l’allongement de ce même délai. Le fondement de la préconisation de 2010 du CCNE basée sur une considération éthique semble, en ce sens, plus pertinente.

D’autres recommandations du rapporteur dans ce domaine sont pour le moins surprenantes. Il en va ainsi de deux propositions du rapporteur relatives à l’édition du génome, la proposition 18 « autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert in utero. » (p. 153) et la proposition 19 qui recommande de « lever l’interdit portant sur la création d’embryon » (p. 154).

Ces propositions entrent en contradiction avec la position de l’Académie de médecine rappelée après qui « souligne les nombreuses inconnues qui subsistent : absence de structure stable de la génomique de l’individu tout au long de son développement, modulation de l’expression d’un gène par l’expression d’autres gènes ou par des facteurs épigénétiques et/ou environnementaux, etc. Si elle autorisait de telles recherches en édition génomique, la France devrait déployer un effort majeur pour promouvoir un moratoire sur toute modification susceptible d’être transmise à la descendance sans que les effets aient été évalués, pesés et scientifiquement établis. Il n’apparaît donc pas utile, à ce stade, de faire évoluer la législation et les textes internationaux, qui sont suffisamment explicites. » (p. 154)

Sur la forme, le fait même que ces réticences soient inscrites dans le rapport postérieurement aux propositions doit nous interroger. Sur le fond, ces propositions n’apparaissent pas utiles, ce qui conduit les députés du groupe les Républicains à s’interroger sur leur bien-fondé et à considérer que, là encore, des lignes rouges pourraient être franchies dans la manipulation du vivant.

Sur le chapitre 4 : « La prise en charge des patients à l’épreuve de la médecine génomique et des tests génétiques »

Le rapport fait état d’un « cadre juridique percuté par l’avancée des sciences et des techniques » et rappelle que « conscient de l’importance de la génomique pour la transformation de notre système de santé publique, l’avis du CCNE indique également qu’une telle voie ne saurait être tracée à n’importe quel prix. » (p. 174)

Si les députés du groupe les Républicains comprennent le premier argument mis en avant par le rapporteur, à savoir le fait que « l’accès à la médecine génomique représente un « enjeu de santé publique. Elle devrait permettre une meilleure prise en charge des maladies rares et des cancers mais aussi des maladies communes. » (p. 175), ils sont en revanche plus circonspects quant aux deux autres arguments avancés. Tout d’abord l’enjeu de la compétition internationale qui pousse le rapporteur à conclure que la logique de plan (induite par le plan France Médecine Génomique 2025) « nous invite à devancer nos concurrents pour ne pas avoir à subir un changement et non pas pour l’intérêt d’une compétition. » et l’enjeu économique qui contiendrait en lui-même « une promesse de réduction des coûts à travers la diminution de l’« errance diagnostique », la mise en place d’une politique de prévention et l’élaboration de traitements réduisant les complications ainsi que la promesse de retombées économiques positives provenant de la création d’une nouvelle filière industrielle. » (p. 177).

L’assemblage de ces deux enjeux pourrait en effet avoir des conséquences excessives qui doivent nous appeler à la plus grande retenue.

Concernant les tests prédictifs, le rapporteur base ses préconisations sur le fait que leur banalisation nous invite à adapter notre cadre bioéthique (p. 180). Il considère que « cette évolution correspond aussi à l’évolution du rapport de notre société aux nouvelles technologies. L’accès à ces tests participe de la maîtrise par chaque individu de sa propre destinée : moyennant le partage de ses données personnelles, il se voit promettre une médecine sur mesure correspondant à ses caractéristiques génétiques. » (p. 181). C’est ce qui le pousse d’ailleurs à « faire état d’une position plus avancée que celle du CCNE » (p. 181) en proposant d’étendre les dépistages néonataux aux maladies pour lesquelles une prise en charge précoce offre un avantage significatif en termes de survie ou de réduction de la morbidité.

S’il ressort du rapport que des avancées médicales pourraient en effet découler du développement d’une part de ces tests, ceux-ci ne doivent en aucun cas nous faire oublier que les principes qui fondent le droit français de la bioéthique ne sauraient être abolis au nom d’une promesse hypothétique de « bonheur » et « d’émancipation de l’espèce humaine » contenue dans la technique (p. 156).

De même, s’agissant des dépistages « préconceptionnels » qui consistent à détecter, chez les deux membres d’un couple, les gènes dont la transmission à des enfants futurs provoquerait des maladies graves, le rapporteur semble adhérer à la thèse selon laquelle une évolution de notre droit serait inéluctable puisque d’autres pays les proposent à déjà à l’heure actuelle.

Les députés du groupe les Républicains considèrent que cette logique contient en elle le risque d’une course au « dumping » éthique consistant à s’aligner sur le « moins-disant » pouvant aboutir, dans ce domaine et dans d’autres, à une destruction du modèle éthique français.

En outre, « une évolution du dépistage préconceptionnel dont l’objectif pourrait désormais consister à éviter une pathologie grave chez un enfant à naître, en l’absence de toute indication préalable d’un risque précisément identifié » (p. 185) fait, là encore, ressortir le danger de l’eugénisme.

Sur le diagnostic préimplantatoire (DPI), dont l’objectif est d’éviter de transmettre une maladie génétique à un descendant lorsqu’un risque existe pour les parents, les propositions du rapporteur doivent aussi nous appeler à la plus grande vigilance. En effet, comme le rappelle le rapport, « quand le DPN procède d’une visée préventive ou thérapeutique, l’issue du DPI est un tri d’embryons, à savoir la sélection parmi plusieurs d’un embryon dépourvu de l’affection génétique recherchée. » (p. 171).

Or, le rapporteur préconise « d’étendre les indications du diagnostic préimplantatoire à la recherche des aneuploïdies. » (proposition 25, p. 188). Pourtant cette extension conduirait à « mettre à l’écart les embryons porteurs d’un nombre anormal de chromosomes (trisomies 13, 18, 21, X et Y) » et cela même si « toutes ces anomalies ne sont pas létales ». C’est d’ailleurs ce qui a poussé le Conseil d’Etat à « mettre en garde contre la « rupture avec la finalité originelle du DPI » consistant à prévenir la transmission d’une grave maladie héréditaire dans des couples marqués par un passé familial ou confronté à un premier-né souffrant d’un handicap sévère. L’évolution ferait ainsi passer le DPI à une « forme de DPN ultra-précoce […] à rebours de la distinction claire entretenue jusqu’à présent entre ces deux diagnostics ». (p. 186)

L’argument, mis en avant par le CCNE et cité par le rapporteur, selon lequel cette extension du DPI est pratiquée dans d’autres pays ne saurait constituer un argument valable, notamment au regard du fait que « cette extension n’est pas sans susciter des réserves au sein même de la communauté scientifique » (p. 187)

L’ensemble des réticences exprimées et les risques inhérents à cette pratique amènent les députés du groupe les Républicains à être en désaccord avec la proposition du rapporteur.

A propos de la médecine prédictive, il apparaît que « les limites de la médecine prédictive, la tentation du déterminisme génétique et les dérives qu’elle peut entraîner ont été rappelées par plusieurs publications – notamment l’étude du Conseil d’État et l’avis du CCNE – et par certains des intervenants auditionnés par la mission. S’il estime que des risques existent, le rapporteur ne voudrait pas que ceux-ci paralysent le travail accompli par les scientifiques et partant, la prise en charge de nos concitoyens. Il convient, pour ce faire, de délimiter régulièrement le cadre des évolutions » (p. 192)

Là encore, le risque de paralyser le travail accompli par les scientifiques, quelle que soit leur intention, ne saurait constituer un argument suffisant pour justifier le dépassement de certaines limites éthiques. En ce sens, le fait que le rapport mentionne qu’à plusieurs reprises « certains interlocuteurs de la mission ont souhaité attirer son attention sur l’existence supposée qui d’un eugénisme « libéral », selon la terminologie employée par J. Habermas, qui d’un « eugénisme mou, démocratique et libéral », expression formulée par M. Jacques Testart. » nous appelle à la plus grande prudence.

La question de l’eugénisme fait l’objet d’un développement par le rapport, notamment au sujet des tests génétiques :

« Le débat sur la dimension eugénique des tests génétiques s’étend à la contestation de l’argument selon lequel le DPI et le DPN constitueraient des examens analogues évitant une maladie grave. Si le DPN aboutit effectivement à l’interruption médicale d’une grossesse et à éviter « le pire », selon les mots du Pr. Jacques Testart, le DPI serait une marche supplémentaire en ce qu’il « permet de choisir le “meilleur” enfant possible », ou plutôt, dans l’état actuel des pratiques, le moins malade. Dans cette perspective, l’évolution préconisée par le CCNE consistant à ne plus limiter le DPI aux affections à risque ne serait pas de nature à limiter les dérives, alors que c’est précisément le critère d’une affection d’une particulière gravité qui a permis d’encadrer les pratiques. Comme l’a souligné le Pr. Jacques Testart, « si la sélection vient à porter sur de très nombreux embryons issus de nombreuses personnes », et si l’on modifie les critères de sélection en les étendant considérablement, cela pourrait avoir « un effet sensible sur le génome de l’humanité ». Cette évolution emporterait aussi des effets qu’il estime pervers en encourageant l’idée que la technique permettrait de détecter l’ensemble des anomalies. Pour lui, elle ne ferait en fait que conforter la dépendance de la société à une technique, tout en faisant peser sur les épaules des praticiens une lourde responsabilité en cas de maladie génétique avérée à la naissance.

Enfin, l’irruption des DPNI pourrait affecter l’approche de notre société à l’égard de l’enfant à naître, surtout s’il y avait un recours à ces techniques sans encadrement ni discernement. Si la technique ne permet aucunement d’aboutir au droit à l’enfant parfait, au sens de droit opposable, elle serait toutefois susceptible d’encourager le « droit à ne pas faire naître un enfant imparfait », effleurant « l’imaginaire eugénique ». Pour ceux qui ont une peur permanente de la dérive eugénique, une telle voie ne ferait qu’accroître la pression sur les familles ayant fait le choix d’accueillir un enfant considéré comme trop différent et fort éloigné des critères de la norme sociale.

Comment lever les craintes d’un potentiel eugénisme, que le rapporteur juge, en conscience, infondées ? » (p. 197)

Les députés du groupe les Républicains, jugent, à l’inverse du rapporteur, que ces craintes sont fondées au regard de l’ensemble des arguments qui ont été soulevés au cours des auditions.

Sur le chapitre 5 : « Dons et éléments et produits du corps humain »

Les députés du groupe les Républicains reconnaissent que les préconisations du rapporteur sur ce sujet peuvent éventuellement faire l’objet d’un consensus et que, comme le note le rapporteur, « le présent chapitre s’attache à rappeler les principes applicables aux éléments et produits du corps humain, le cas particulier des dons de gamètes étant cependant abordé dans le chapitre « Procréation et société ». Au regard des choix opérés par nos voisins européens ou nos partenaires d’outre-Atlantique, on notera une certaine constance dans ces principes. » (p. 203).

Néanmoins, on peut noter, une fois de plus, un décalage entre les interrogations ayant été soulevées au cours des auditions et la fermeté des certaines propositions du rapporteur. C’est notamment le cas des propositions n° 30 « étendre le cercle des donneurs en reconnaissant la possibilité du don « altruiste » » et n° 31 « reconnaître l’établissement de chaînes de donneurs en supprimant le verrou de la simultanéité des dons croisés » (p. 227).

En effet, le rapporteur formule des propositions fermes sur ces sujets alors qu’il note lui-même au sujet du don altruiste que « ce prélèvement, assurément solidaire, pose néanmoins de réels problèmes éthiques. » (p. 225) et que le Conseil d’Etat a fait l’objet d’une grande prudence dans sa recommandation au sujet des chaînes de donneurs : « dans son étude, le Conseil d’État relève « le caractère contraignant de la simultanéité des interventions » et avance l’idée d’un assouplissement de la règle de la simultanéité des prélèvements pour « permettre l’initiation d’une chaîne de don ». Il ne préconise cependant pas une amorce par un don altruiste mais plutôt par un prélèvement effectué sur un donneur décédé. Cette chaîne de dons « pourrait être envisagée en veillant à ne pas créer de biais dans l’affectation des greffons en privilégiant les receveurs disposant d’un donneur non compatible dans leur cercle familial et amical ». » (p. 226-227).

En revanche, les députés du groupe les Républicains tiennent à faire part de leur intérêt pour certaines des propositions du rapporteur. C’est le cas du renforcement de l’information sur le don d’organe dans le cadre du futur SNU, de l’inscription du don d’organes et de la greffe au programme d’enseignement du cycle des approfondissements (cycle 4 – collège), ou encore de la possibilité donnée à l’Agence de la biomédecine de coordonner une étude sur les causes de l’opposition au don d’organes. Ils approuvent aussi les préconisations du rapport sur une amélioration de la formation des professionnels de santé (p. 229-231).

Sur le chapitre 6 : « L’intelligence artificielle, un « nouveau territoire » de la bioéthique

Comme le note le rapporteur, « la performance des algorithmes est en relation directe avec la quantité de données disponibles. (…) Les données sont le « nerf de la guerre » de l’intelligence artificielle. La question de leur collecte, de leur stockage et de leur accès est donc cruciale. » (p. 247)

A ce titre, les députés du groupe les Républicains notent que le rapport ne manque pas de souligner les enjeux éthiques de l’accès aux données (tel que la question du consentement) et les mises en garde quant à une foi « inconsidérée » dans l’intelligence artificielle. Plusieurs parties du rapport sont, en ce sens, parlantes.

« Le consentement des individus au recueil, au stockage, à l’accès et à l’exploitation de leurs données de santé permet de fonder leur traitement. Cette exigence n’est pas sans poser quelques questions. Le nécessaire consentement pourrait en effet restreindre l’accès à certaines données utiles pour la recherche médicale et le développement d’algorithmes, telles que les données de santé d’un individu atteint d’une maladie orpheline, par définition très rare. À l’inverse, la perspective que le consentement d’un individu puisse être biaisé en raison d’éventuelles pressions liées à l’intérêt de la recherche de disposer de ses données suscite des craintes. D’autres questions se posent quant au caractère éclairé du consentement des individus au traitement de leurs données, particulièrement au regard de leur capacité à maîtriser leur devenir. » (p. 250)

« Dans le domaine de la santé, les erreurs d’appréciation peuvent avoir des conséquences extrêmement dommageables, à l’occasion du diagnostic ou dans la détermination du traitement. Pourtant, les utilisateurs font parfois montre d’une confiance excessive dans les algorithmes et tendent à les parer d’une présomption d’infaillibilité. Le Conseil d’État invite à ne pas « accorder une confiance démesurée dans le caractère infaillible des algorithmes dont les résultats sont pourtant déterminés par des choix humains et susceptibles (…) de présenter des biais » » (p. 255)

« Le recueil de données par des objets connectés ou des applications de santé sur smartphones peut engendrer un biais d’échantillonnage. Un défaut de représentativité de certaines catégories de personnes ne peut être exclu » (p. 256)

En outre, on peut noter la mesure dont fait preuve le rapporteur sur d’autres aspects éthiques tels que le risque de l’exclusion du médecin « l’immixtion de l’intelligence artificielle dans la relation de soins risque en premier lieu de placer la machine dans une situation de concurrence avec le médecin et de relativiser sa compétence médicale – souvent confondue avec son savoir scientifique – voire d’altérer la confiance du patient dans le soignant. (…) Cette forme de dépossession du savoir médical pourrait les conduire à croire qu’il est possible de se passer du médecin. Or, depuis plusieurs années, le patient devient acteur de sa propre santé. Ce phénomène, qui participe d’une remise en cause bienvenue du paternalisme médical, peut se traduire par une coopération fructueuse ou une autonomie mal assumée » (p. 258) ou celui de l’exclusion du patient « celui-ci risquerait de ne pas vraiment consentir à l’utilisation d’algorithmes dans son parcours de soins, soit parce qu’il n’en aurait pas été préalablement informé par son médecin, soit parce que son consentement ne serait pas réellement éclairé, dans la mesure où l’intelligence artificielle est difficile à appréhender. » (p. 259)

En conclusion, les députés du groupe les Républicains considèrent que ces interrogations de même que celles relatives à la responsabilité juridique et morale des praticiens (p. 259 – 262) ou à l’accroissement d’une fracture sociale dans l’accès aux technologies d’intelligence artificielle (p. 263) font l’objet d’un développement poussé de la part du rapporteur tout en conservant une certaine mesure. Il en va de même s’agissant des préconisations du rapport sur la garantie humaine (p. 264), l’exigence d’explicabilité des algorithmes (p. 265), la formation des professionnels de santé (p. 267) et l’organisation de la réflexion éthique sur l’intelligence artificielle (p. 271). Ils considèrent donc que ces développements sont de nature à éclairer objectivement et à nourrir les débats parlementaires à venir.

Sur le chapitre final : « La loi et la bioéthique : pour un approfondissement démocratique »

Les députés du groupe les Républicains rejoignent les questionnements soulevés par le rapporteur en introduction et qui doivent guider la réflexion sur le modèle français de bioéthique : « Il faudra donc répondre à plusieurs questions essentielles : Quels contours donner à la responsabilité ? Comment celle-ci peut-elle encadrer la volonté ? Quels principes intangibles promouvoir dans une société qui remet en cause la légitimité de l’institution et qui repousse les contraintes sociales opposées à l’affirmation des droits de la personne ? Qu’en est-il de ces principes à l’épreuve d’avancées techniques dites disruptives ? Comment guider nos choix lorsqu’il faut arbitrer entre des intérêts différents, voire divergents ? Comment être sensible à l’homme dans ses vulnérabilités ? Comment permettre aux plus vulnérables d’être reconnus et considérés ? Au-delà de l’ouverture de droits nouveaux, comment rendre les droits existants accessibles à tous ? Peut-on inventer une démocratie bioéthique ? » (p. 278)

S’agissant de la formation des professionnels, les députés du groupe les Républicains, approuvent le constat du rapporteur « qu’il s’agisse des chercheurs ou des professionnels de santé, il apparaît urgent de mettre davantage l’accent sur leur formation, initiale et continue, en matière de bioéthique. » (p. 279) ainsi que sa proposition n° 54 qui en découle (« Introduire dans la loi des dispositions en matière de formation obligatoire, initiale et continue, des professionnels de santé et des chercheurs à la bioéthique. »).

Concernant la participation citoyenne, les députés se félicitent, comme le rapporteur, du succès des Etats généraux de la bioéthique et considèrent que la participation des citoyens dans ce domaine constitue un défi que la France s’honorerait de relever.

Les propositions issues du rapport sur un temps plus long accordé à la réflexion sur la bioéthique, sur une sensibilisation des jeunes sur ces sujets et sur la généralisation des universités populaires de la bioéthique sont, en ce sens, intéressantes.

Par ailleurs, les députés approuvent la proposition du Président et du Rapporteur relative à la création d’une délégation parlementaire bicamérale chargée des questions de bioéthique.

 

Les députés du groupe les Républicains membres de la mission d’information et cosignataires de cette contribution sont : Emmanuelle ANTHOINE, Xavier BRETON, JeanCarles GRELIER, Patrick HETZEL, Bérengère POLETTI et Alain RAMADIER.

 


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Contribution du groupe La France insoumise

 

Des décennies de progrès scientifiques ont offert de nouveaux horizons à l’humanité : de nouveaux terrains d’émancipation et de progrès médical et scientifique nous sont ouverts. Ils accompagnent un changement de la société où l’assignation à son genre et aux normes sociales souvent arbitraires qui l’accompagnent ne sont plus les bornes indépassables des destins individuels et de nos choix collectifs. Ne plus être limité par ce que l’on décrivait à tort comme des données naturelles de l’identité ou des frontières indépassables de la médecine est rendu possible par le progrès scientifique. Une telle évolution implique une grande responsabilité du législateur, afin d’assurer que les nouveaux gestes accomplis le soient dans le respect de l’éthique, de l’intérêt général et qu’il éloigne les appétits destructeurs d’intérêts privés. C’est tout l’enjeu d’une révision des lois bioéthiques, dans le cadre de laquelle s’inscrit cet exhaustif rapport d’information. Les députées de la France Insoumise saluent une grande partie des propositions émises dans ce rapport, et tiennent à souligner l’importance du travail fourni, comme la diversité des personnes physiques et morales entendues pour le mener à bien. Ils soulèvent cependant, par cette contribution, un certain nombre de limites des propositions qu’il contient, et s’interrogent sur plusieurs ambiguïtés.

I – Des mesures d’égalité face à l’AMP et la filiation, désormais consensuelles et populaires, à concrétiser

En 2013, la loi française reconnaissait enfin l’égalité des couples de sexes différents et des couples de même sexe, mettant fin à plusieurs siècles d’invisibilisation et de violences à l’égard de celles et ceux dont la façon de vivre, de se comporter, d’aimer, ne correspond pas à une norme portée durant de longues années par l’Eglise, l’Etat et toutes les classes sociales. Ce fut le résultat de combats menés par des militants acharnés de l’égalité, et engendra un débat passionné entre plusieurs sphères de notre société.

Pourtant, malgré cette avancée phénoménale, d’importantes inégalités subsistent entre les personnes hétérosexuelles et les personnes homosexuelles ou bisexuelles. Il y a bien entendu l’inégalité de fait face à la possibilité de vivre tranquillement et librement, les secondes faisant toujours l’objets d’agressions, de dénigrement, ou de discriminations au travail, mais aussi l’inégalité de droit face à la capacité de fonder une famille.

En France, l’assistance médicale à la procréation se définit dans le Code de la santé publique comme ayant pour objet de « remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. » En outre, « L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. » En outre, un couple de sexe différent souffrant d’infertilité a la possibilité d’obtenir une aide médicale pour accéder à la parenté. Mais les couples de femmes, même celles qui souffrent d’infertilité médicalement diagnostiquée, n’ont pas accès à la procréation médicalement assistée dans notre pays.

Ces dispositions instaurent donc de fait une discrimination envers les femmes célibataires, les couples de femmes et les hommes trans qui pourraient bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. De plus, l’adoption à titre individuel est possible depuis la loi du 11 juillet 1966 et elle est ouverte aux couples de femmes mariées depuis la loi du 17 mai 2013. Si le législateur ou la législatrice souhaite mettre en cohérence la reconnaissance de toutes les familles (monoparentales, homoparentales…) avec le reste du droit, il ou elle doit mettre un terme à cette discrimination.

L’ouverture de l’accès de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, pour commencer, mais aussi la proposition d’un mode de filiation par la déclaration commune anticipée de filiation au moment de la déclaration de naissance de l’enfant.

Des familles déjà existantes, des couples, des hommes trans et des femmes seules en attente de construire un foyer attendent, depuis plusieurs années, que ces propositions obtiennent force de loi. Et si ce rapport est une marche intéressante et enrichissante pour le débat public, il n’est qu’un nouveau jalon sur un chemin interminable et dont l’issue semble compromise par les errements du gouvernement et de la majorité.

Promesse de campagne du président de la République, l’ouverture de l’Assistance Médicale à la Procréation aux couples de femmes et aux femmes seules aurait dû, en toute logique, faire partie des premières mesures discutées à l’Assemblée Nationale. Les personnes concernées ayant déjà dû subir le recul du précédent gouvernement en la matière, il aurait été logique qu’un projet de loi d’extension de l’AMP soit discuté dès l’été 2017. Le président de la République a choisi de confier l’organisation d’états généraux de la bioéthique au Comité National Consultatif d’Ethique, afin que le débat ait lieu avant le dépôt d’un projet de loi.

La fin de ce débat, dont les séances publiques ont été avant tout un lieu d’expression de courants organisés et néanmoins minoritaires comme la Manif pour tous, n’a pourtant pas mené à une accélération du calendrier législatif. Et alors qu’en mars 2018, une enquête du journal La Croix et du Forum européen de bioéthique indiquait que 60% des personnes interrogées étaient favorables à l’extension de l’AMP aux couples de femmes, les prises de position ambiguës du gouvernement et de la majorité sur cette question se sont multipliées. De la ministre de la santé qui, début novembre 2018, parlait de « père biologique » pour qualifier un donneur anonyme, aux sorties régulières de la députée de la majorité Agnès Thill, qui a comparé fin janvier dernier les femmes lesbiennes souhaitant avoir recours à une AMP à des « droguées », gouvernement et majorité ne favorisent pas un climat apaisé et constructif pour avancer sur ces sujets. L’extension de l’Assistance Médicale à la Procréation a donc été repoussée après les élections européennes, alors même qu’il ne s’agit pas du sujet de crispation majeur qui traverse notre pays, bien au contraire.

Puisque ce rapport semble enfin promouvoir des choix clairs en matière d’ouverture de l’AMP, nous souhaitons que des conclusions en soient tirées et que le gouvernement et la majorité s’engagent sur ces mesures. L’ouverture de l’AMP et le remboursement indifférencié, par la sécurité sociale, des AMP de couples hétérosexuels et homosexuels peuvent d’ailleurs selon nous s’inscrire en dehors du cadre législatif de la révision des lois bioéthiques et pourraient faire l’objet d’un projet de loi indépendant et examiné au plus vite par le Parlement.

II – Des mesures à amplifier, pour une amélioration des droits universels

Globalement satisfaisantes, certaines propositions contenues dans ce rapport manquent parfois de clarté et méritent un approfondissement :

La proposition n°14 rompt enfin avec le scandale du fait que dans notre pays sont autorisées les mutilations des enfants intersexe, au nom d’une assignation dans un genre donné, alors que ces variations saines du vivant ne présentent aucun caractère pathologique ou ne menacent aucunement le développement normal des enfants. Nous voulons l’interdiction de tout traitement ou toute intervention que ce soit visant à altérer les caractéristiques sexuelles primaires ou secondaires d’une personne, sans le consentement libre et éclairé de la personne elle-même. L’assignation sociale et médicale à un genre déterminé ne peut permettre de justifier des opérations ou modifications opérées sans le consentement des personnes elles-mêmes. Or, souvent ces décisions sont prises alors que les personnes concernées n’ont que quelques jours, ou quelques mois, donc essentiellement prises par les parents sous l’influence des médecins. Ces diversités individuelles relèvent de l’identité personnelle et privée, et toute décision à ce sujet ne peut être prise que par la personne elle-même.

Concernant l’extension de l’Aide Médicale à la Procréation, le rapport note qu’elle nécessitera une augmentation de l’offre d’ovocytes. Cette condition, importante à évoquer, ne doit cependant selon nous pas conduire à une des propositions (n°9) du rapport, qui consiste en l’extension « à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation d’ovocytes que délivre l’Agence de la biomédecine afin de favoriser l’augmentation de l’offre ». Il nous semble que tout le processus qui encadre les conditions de procréation doit rester intégralement dans la sphère publique, et qu’il ne saurait entrer dans les compétences d’entreprises à visée lucrative. Il en va de la crédibilité de notre modèle de procréation médicalement assistée, à sa viabilité et à son respect des principes éthiques les plus élémentaires.

Enfin, que cela soit pour favoriser l’épanouissement des familles dont la formation est liée à l’AMP, la tranquillité des personnes intersexuées ou plus globalement de toutes les personnes et familles quels que soient leur orientation sexuelle, leur composition et le mode de filiation, il nous semble que les progrès de l’égalité doivent s’accompagner d’une action éducative et de sensibilisation visant à lutter contre les stéréotype de genre, l’homophobie et la biphobie, dans les établissements scolaires. Il s’agit de faire en sorte que le législateur prévoit d’accompagner des évolutions juridiques des conditions sociales et éducatives de sa soutenabilité.

Nous proposons donc en complément de cette proposition d’accorder le droit au libre choix du genre durant sa vie incluant le droit à la non-binarité de l’identité de genre, au « non‑conformisme de genre » dans tous les aspects de sa vie.

III – Des évolutions ambitieuses liées à l’intelligence artificielle, à la génétique et aux dons d’organe qui nécessitent des infrastructures publiques fortes à même de préserver la population des dérives commerciales

Il semble parfois que le progrès scientifique inquiète moins que son dévoiement par des puissances étatiques ou financières. La défiance que nombre de nos concitoyens éprouvent à l’égard des progrès de l’intelligence artificielle, de la médecine et de la génétique tiennent en grande partie à l’usage qui peut en être fait par des intérêts particuliers, et il est du devoir du législateur de prévoir les garanties protégeant l’intérêt général face à ces interventions.

A – Protéger nos données de santé :

Pour commencer, la question de la régulation et de l’usage des données de santé doit être posée plus clairement. Si nous souscrivons pleinement à l’idée d’un haut potentiel médical et scientifique de l’exploitation des données de santé, nous estimons que le législateur doit prévenir toute porosité entre usage scientifique et médical d’une part et exploitation commerciale de l’autre. « Favoriser l’émergence d’un consentement à l’exploitation des données de santé » (proposition n°20) ne sera possible qu’à condition d’assurer les citoyens de la parfaite exclusivité de ces données vis‑à‑vis des banques, des assurances ou de l’intéressement des laboratoires pharmaceutiques.

Rappelons que selon la CNIL, les données de santé sont « les données relatives à la santé physique ou mentale, passée, présente ou future, d’une personne physique (y compris la prestation de services de soins de santé) qui révèlent des informations sur l’état de santé de cette personne » : une ressource qui n’a pas qu’un intérêt scientifique ou médical, loin de là. D’ores et déjà, le marché des données de santé et leur usage à but lucratif s’est développé. En Allemagne ou aux Etats-Unis, les données de santé des individus sont prises en compte dans la fixation des tarifs des assurances. En 2017 en France, le laboratoire Servier a développé un partenariat avec l’entreprise franco-américaine Embleema, nouvellement créée, qui propose aux individus d’héberger en ligne leurs données de santé, et d’eux-mêmes les mettre en vente. Une sorte « d’ubérisation » de la collecte de données, où chacun est son propre vendeur de données. Dès lors que les données de santé peuvent être revendues, la question du consentement libre et éclairé est brouillée.

Si le potentiel scientifique et médical de la France est constitué, car notre pays dispose d’une des plus importantes bases de données de santé du monde, grâce à son système unique d’Assurance-maladie, l’appétit d’intérêts privés sur ce qui constitue une manne encore sous-exploitée, est également établi. Considérant un tel risque, les député.e.s de la France Insoumise proposent le renforcement des moyens de l’Institut National des Données de Santé et la garantie de l’exploitation médicale et publique des données de santé.

Notre groupe parlementaire tient à faire remarquer que ce n’est pas du tout la direction qui est prise par le gouvernement car l’avant-projet de loi de réforme de la santé prévoit à l’inverse une libéralisation de l’usage des données de santé et admet la porosité entre public et privé, médical et commercial, dans leur exploitation. Dans ces conditions, on ne voit pas quel horizon positif et sécurisant le législateur offrira aux citoyens quant au développement des usages de leurs données de santé.

Enfin, l’ambition de l’exploitation scientifique et médicale massive des données de santé soulève la question de leur protection. Leur divulgation accidentelle peut en effet porter d’immenses préjudices à la vie privée des personnes et de l’intégrité de la Nation. Se pose donc nécessairement la question de la cyber sécurité des données. Elles doivent être protégées contre les menaces propres au cyberespace comme l’espionnage, le sabotage par la suppression ou la modification de données ou encore le vol de données qui pourrait être commis par des hackeurs individuels ou institutionnels. Aussi, aux instances que ce rapport propose de créer, nous ajoutons l’établissement d’une Agence de Cyber-Protection des données de santé, rattachée à l’Institut National des Données de Santé.

B – Mettre en cohérence notre modèle du don du sang avec nos principes éthiques

Le rapport évoque de nombreuses pistes pour développer le don d’organes et lever les freins à ce geste altruiste. Mais là encore, sans douter de la nécessité médicale d’un tel objectif, les député.e.s de la France Insoumise estiment nécessaire de profiter de la révision des lois bioéthiques pour clarifier notre modèle de don, en mettant fin à une incohérence qui touche notre modèle du don du sang et qui nourrit la défiance des citoyens.

Si la France parvient à être autosuffisante en matière de transfusion de sang, ce n’est pas le cas pour le plasma dont l’utilisation des produits dérivés sert à produire des médicaments dérivés du sang. Ces produits sont par conséquent très insuffisants pour répondre aux besoins sanitaires des malades français. Pour y faire face, les produits du plasma sont en partie achetés à des laboratoires internationaux ; ils organisent d’eux même les prélèvements, mais dans des conditions différentes des recommandations nationales. Les dons peuvent en effet y être rétribués ou compensés, alors que le principe de gratuité des dons de sang, entre autres, est consacré dans le droit français. Selon les estimations faites par Olivier Véran dans son rapport de juillet 2013, 40 % des médicaments dérivés du sang achetés par les hôpitaux français sont composés de sang provenant de donneurs rémunérés. Une telle entorse à nos principes éthiques est possible à cause de la part de médicaments dérivés du sang importée de l’étranger. Par ailleurs, il convient de préciser que dans le cadre de ces achats de produits du plasma à des laboratoires étrangers, les prélèvements organisés par eux peuvent s’effectuer sur des donneurs domiciliés dans certains pays où les infections courantes ainsi que les vaccins dispensés diffèrent de ceux présents dans la population française. C’est impensable.

L’Etat français, non seulement sur le plan de l’éthique doit être irréprochable, mais il ne doit pas non plus jouer avec la santé publique. Par conséquent, il est nécessaire que celui-ci ne puisse récolter les produits dérivés du plasma que dans des pays ayant des engagements éthiques et sanitaires comparables à ceux de la France. Le groupe La France Insoumise propose d’une part que l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, en collaboration avec l’Etablissement Français du Sang, se réserve le droit de soumettre les médicaments dérivés du sang aux mêmes exigences éthiques de gratuité et de don ayant rendu leur production possible que les médicaments dérivés issus du marché français ; d’autre part qu’en contrepartie de ces exigences éthiques, soit créé un Fonds national pour la récolte de sang et de plasma permettant de soutenir financièrement les campagnes de don afin de pallier aux insuffisances actuelles.

La question de l’autosuffisance en sang et en plasma peut être en partie résolue par l’élargissement du cercle des donneurs vivants. La proposition du groupe la France Insoumise garantit davantage de donneurs, mais répond aussi à une discrimination inadmissible. Il demande à ce que la condition relative à l’absence de relations sexuelles entre hommes dans les douze derniers mois soit abrogée. Le don du sang doit bien évidemment être soumis à la plus grande rigueur et sécurité pour le donneur comme pour le receveur ; pourtant de nombreux pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Russie ou encore l’Argentine et le Chili ont un protocole de don de sang non discriminatoire envers les hommes homosexuels. Il est certes difficile d’évaluer le pourcentage de la population homosexuelle masculine, mais elle serait estimée, selon les études, à 5 à 8% de la population masculine. Pour relever le défi des 10 000 dons nécessaires par jour, on ne peut négliger un groupe aussi significatif.

IV – La question de l’euthanasie et du suicide assisté exclue du périmètre de la mission

Le groupe France Insoumise regrette vivement que la question de l’euthanasie et du suicide assisté n’ait pas été intégrée dans le périmètre de cette mission d’information.

Une grande partie des Français aimerait une évolution de la loi en la matière et une dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté. En février 2018, la députée Caroline Fiat et ses collègues ont défendu une proposition de loi allant dans ce sens, saluée par de nombreuxeuses députées, y compris dans la majorité.

En France des centaines d’euthanasies clandestines sont pratiquées chaque année. Cette situation est à la fois dangereuse pour le patient et pour le médecin. En Belgique la légalisation de l’euthanasie a permis d’encadrer cette pratique de manière à prévenir toutes les dérives possibles (demande d’euthanasie exprimée par le patient de manière volontaire, réfléchie et réitérée, souffrance psychique ou physique insupportable et inapaisable, etc…).

La sédation profonde et continue, possible en France depuis la loi Claeys-Leonetti de 2016, est « une euthanasie qui ne dit pas son nom » pour reprendre les propos du Docteur de Locht, puisque le malade est endormi en sachant qu’il ne se réveillera jamais. Or, certains patients craignent cette fin de vie et préfèreraient une mort plus rapide. Les exemples étrangers montrent que pour beaucoup de personnes souffrantes, le simple fait de savoir qu’en cas de souffrances insupportables, elles pourront demander l’euthanasie, suffit à les soulager sans qu’elles en fassent pour autant la demande. Ces personnes ne demandent qu’une chose : pouvoir mourir dignement.

Autoriser l’euthanasie ou le suicide assisté permettrait aux personnes en fin de vie qui le souhaitent d’anticiper leur mort et de partir entourées des leurs, parfois à leur domicile, sans affronter une agonie lente et solitaire. Refuser de débattre du sujet de l’euthanasie et du suicide assisté, c’est donc faire fi d’une demande sociétale qui n’a jamais été aussi forte et priver ceux et celles qui le souhaitent d’accueillir la mort comme ils et elles l’entendent. C’est aussi fermer les yeux sur une pratique qui a déjà cours en France sans aucun cadre.

Nous dénonçons ce choix qui dénote un certain déni de démocratie et qui remet en question le respect des convictions et le droit à la dignité de chacune.

 

 


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   Contributions des membres de la mission

M. Guillaume Chiche
député des Deux-Sèvres

 

En guise de propos liminaire, je souhaite saluer la qualité des travaux que représente ce rapport, travaux qui se sont révélés exigeants et qui sont fidèlement retranscrits.

Parmi les 60 propositions que contient ce rapport, 13 concernent la procréation et la filiation. Que ce soit l’extension du recours à la Procréation Médicalement Assistée (PMA ou AMP) à toutes les femmes indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur statut matrimonial, la prise en charge par la sécurité sociale du recours à cette pratique, l’autorisation d’autoconservation ovocytaire, le recours à la PMA Post Mortem, le mode de filiation unique ou la reconnaissance à l’état civil des enfants nés de GPA à l’étranger, toutes ces propositions constituent des avancées majeures pour l’égalité et les droits de chacune et chacun. Je tiens à en remercier le Rapporteur.

L’enjeu primordial était d’allier les connaissances et les savoirs et même si les connaissances ont pu être à la marge quelques fois malmenées, je tiens à souligner la très bonne conduite des travaux. A ce titre, je tiens à adresser mes prompts remerciements au Président de la mission qui a su nous réunir au-delà des dissensions politiques et d’un consensus impossible sur certains sujets.

Les propositions formulées en juillet 2018 dans un projet de proposition de loi permettant l’extension de la PMA à toutes les femmes sont en adéquation totale avec celles de ce rapport.

En effet, au-delà de proposer l’extension de la PMA à toutes les femmes, qui revient à supprimer une discrimination intolérable dans l’accès à une pratique médicale fondée sur l’orientation sexuelle et le statut matrimonial, ces propositions abordent les principales thématiques attenantes :

-          En modifiant le droit de la filiation avec la reconnaissance des deux parents avant la naissance et en mettant ainsi fin à une forte insécurité juridique

-          En offrant la possibilité pour l’enfant issu de PMA de demander la levée de l’anonymat et avoir accès à ses origines

-          En proposant la prise en charge de l’extension de la PMA à toutes les femmes par la sécurité sociale

-          En autorisant la PMA post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon.

Des propositions audacieuses enfin, car en reconnaissant la diversité des projets parentaux, elles bravent le système dominant de notre société qu’est le patriarcat qui régit, entre autres, nos modes de procréation et de filiation.

C’est à ce titre que je souhaite porter la présente contribution à ce rapport. Il semble absolument indispensable d’étendre la possibilité de recours à la PMA aux hommes transgenres.

Une personne transgenre est une personne dont l’identité de genre s’écarte de l’identité assignée à la naissance sur la base du sexe biologique. Il appartient à chaque personne concernée de choisir si elle souhaite effectuer une transition / un changement de leur apparence physique et / ou de leur identité sociale. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a permis la reconnaissance par l’état des personnes trans sans condition d’interventions médicales, on peut donc être un homme avec un utérus fonctionnel.

Cette reconnaissance va de pair avec la suppression de toutes discriminations d’accès à la PMA fondées sur l’identité de genre, en plus de celles fondées sur l’orientation sexuelle ou le statut matrimonial. Les hommes transgenres qui sont en capacité de procréer doivent pouvoir recourir à la PMA au même titre et dans les mêmes conditions que l’ensemble des femmes.

Je préconise donc que l’ouverture du recours à la PMA pour toutes les femmes confère un même droit d’accès à la PMA pour les hommes transgenres sans conditions ou restrictions qui se fonderaient sur leur identité de genre ou leur état de transition.

Dans un simple choix de cohérence avec la loi du 18 novembre 2016, l’accouchement ferait donc le parent. Et une filiation indifférente au sexe légal permettra de protéger tous les enfants issus de famille transparentale.

L’enjeu de ce futur projet de loi concernant la procréation et la filiation est de reconnaître de manière indifférenciée tous les modèles de familles.

 


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M. Charles de Courson,
député de la Marne

 

Monsieur le Président,

 

Le rapport de la mission d’information sur la révision de la loi sur la Bioéthique aborde de très nombreux domaines concernant la bioéthique et constitue  une source très importante de réflexion et de propositions même s’il est fort dommage que le rapport ne présente pas les toujours les avantages et les inconvénients de chacune des solutions aux nombreux problèmes posés.

A. « Procréation et société »

Il convient tout d’abord de réaffirmer que les femmes et les hommes n’ont pas un droit à l’enfant mais que les enfants ont des droits et que leurs parents ont des devoirs à leur endroit : devoir de les aimer, de les respecter, de les accompagner, de les faire grandir dans le respect de leur personnalité et de les aider à devenir libres et autonomes.

Il faut rappeler que la procréation humaine doit rester le fruit d’un désir entre deux êtres humains, une femme et un homme, et non d’une volonté d’avoir, un enfant à tout prix.

Les techniques médicales de fécondation et de gestation doivent être mises au service de la lutte contre la stérilité des couples et non au service d’un droit à l’enfant pouvant déboucher sur la marchandisation des êtres humains et de leurs gamètes voire l’utilisation d’êtres humains au service d’une science devenue inhumaine ou d’une société purement technicienne.

Aussi sur les 13 propositions du rapporteur, sept doivent être soutenues ;

- la proposition 1

- la proposition 3 sous-réserve de définition un statut juridique précis des donatrices et donateurs de gamètes.

- la proposition 4

- la proposition 7 sous-réserve de bien préciser le statut des donneurs.

- la proposition 8 sous-réserve de fixer un âge limite raisonnable.

- la proposition 9

- la proposition 10

Par contre ouvrir l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et aux femmes seules revient à sacrifier une partie des droits des enfants conçus par AMP et à mettre les techniques d’AMP au service d’une demande sociétale et non au service de la lutte contre la stérilité.

L’interdiction de la procréation post mortem peut être levée lorsque des embryons ont été créés par un couple et lorsque le décès concerne le père de l’enfant mais pas dans les autres cas.

Il convient de maintenir l’interdiction du double don de gamètes afin de respecter les droits de l’enfant à naître.

La prise en charge par la sécurité sociale des AMP pour des femmes seules ou des couples de femmes reviendrait à utiliser les cotisations sociales de nos organismes de sécurité sociale pour répondre à des demandes sociétales et non de santé.

La reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention constituerait une violation des droits de l’enfant à naître, alors que la possibilité d’une adoption existe en droit français.

Enfin le rapport ne traite pas du statut des embryons et en particulier des embryons surnuméraires alors que les lois de bioéthiques avaient différé la solution à cette délicate question : une protection croissante en fonction de l’âge de l’embryon constituerait une piste à explorer.

B. « Prise en charge médicale des personnes présentant des variations du développement sexuel »

Ce chapitre doit être approfondi sur la délicate question de l’âge optimum d’intervention notamment chirurgicale, pour aider les enfants présentant des variations du développement sexuel

C. « Recherche impliquant l’embryon »

Il convient de définir un statut juridique des embryons humains d’autant plus protecteur que son âge s’accroit. Entre la catégorie des choses et celle des êtres humains, une nouvelle devrait être créée.

La recherche scientifique doit être encadrée par des règles strictes découlant de la protection des futurs êtres humains.

D. « Médecine génomique et tests génétiques »

L’évolution des règles existantes doit respecter :

- le principe du consentement à la collecte et au traitement  des données par chaque personne concernée

- le respect de la liberté des personnes

- le refus d’un eugénisme

E. « Dons des éléments et produits du corps humain »

Globalement les propositions 28 à 40 vont dans la bonne direction sous réserve de la proposition 40 qui présente des risques de dérapages et de la proposition 32 qui nécessite de garantir le droit de l’enfant à une bonne santé.

F. « Intelligence artificielle »

Des propositions intéressantes sont faites par le rapport mais certaines d’entre elles nécessiteraient un approfondissement.

- Proposition 47 : La notion d’explicabilité des algorithmes est quelque peu abstraite.

G. « Loi bioéthique et Démocratie »

Les propositions 56 et 57 paraissent quelque peu irréalistes.

La proposition 59 visant à réduire de 10 à 5 ans le délai de réexamen des lois bioéthiques est excessive car, quand bien même les évolutions techniques permanentes posent de nouvelles questions souvent délicates, une certaine stabilité est indispensable.

 


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Mme Nicole Dubré-Chirat,
députée du Maine-et-Loire

 

Dans le cadre de la mission d’information de la révision des lois bioéthiques, Mme Nicole Dubré-Chirat souhaiterait attirer votre attention sur un point relatif à l’âge limite de l’homme ayant recours à la PMA.

Les diverses auditions menées par la mission d’information ont permis de mettre en lumière que les femmes âgées de 45 ans (modulo + ou – 5 ans) pouvaient ne pas avoir accès à la PMA. Néanmoins, il ne semble pas à Mme la Députée que la question de l’âge de l’homme ait été traitée par la Mission.

À toutes fins utiles, l’âge de 59 ans comme limite d’âge de procréation pour une PMA a été fixé par deux arrêts de la Cour administrative d’appel de Versailles le 5 mars 2018. La CAA fixe à 59 ans l’« âge de procréer » énoncé par l’article L. 2141-2 du Code de la santé publique. Pour ce faire, elle s’appuie sur le raisonnement suivant :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de différentes études médicales menées par des chercheurs de l'Inserm en 2011 et le collège national des gynécologues et obstétriciens de France en 2010 que, si un homme peut parfois être père à un âge très avancé, une telle paternité accroit le risque de mutations génétiques à l'origine de troubles mentaux pour l'enfant, tels que la schizophrénie ou l'autisme ; que la commission nationale de médecine et biologie de la reproduction a préconisé en juillet 2004, pour des raisons associant l'efficacité des techniques d'assistance médicale à la procréation et l'intérêt de l'enfant, de ne pas accéder à une telle demande lorsque l'âge de l'homme est supérieur à 59 ans révolus ; que la fédération française des centres d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains (CECOS) examine régulièrement, depuis 1973 et à la lumière des données les plus récentes issues des travaux scientifiques disponibles, la question de l'âge des donneurs de spermatozoïdes, actuellement fixé à 45 ans au maximum, afin de tenir compte des chances de succès d'une assistance médicale à la procréation, des risques de fausses couches spontanées, du risque malformatif et de la survenue de mutations génétiques liées à un âge avancé de l'homme ; qu'en fonction des connaissances scientifiques ainsi disponibles, un homme peut être regardé comme étant “en âge de procréer”, au sens de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, jusqu'à un âge d'environ 59 ans, au-delà duquel les capacités procréatives de l'homme sont généralement altérées ; »

La Cour d’appel en conclut que « l’âge de procréer » doit être entendu comme étant celui au cours duquel les capacités procréatives de l’homme et de la femme ne sont pas altérées par le vieillissement.

Ainsi, il ne s’agit pas d’une jurisprudence constante puisqu’elle est encore isolée et très récente. Néanmoins, il s’agit d’un point essentiel à prendre en compte dans le rapport selon Mme la Députée. L’article L. 2141-2 du code de la santé publique prévoit « L'homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer (…) », il offre ainsi une latitude assez grande dans la limitation de l’âge.

Afin de permettre une adaptabilité à chaque situation personnelle, mais surtout de tenir compte de l’allongement de la vie, de l’amélioration de la santé, et des recompositions familiales, Madame la Députée souhaite la mise en place d’un mécanisme d’examen médical.

 

Proposition :

Mettre en place d’examens généraliste, spécialiste et biologiques attestant des capacités procréatives pour les hommes âgés de plus de 60 ans (modulo + ou
 5 ans) souhaitant avoir recours à une procréation médicalement assistée.

 


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Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe
députée de l’Eure

 

La richesse du rapport reflète la diversité des sujets qui ont pu être abordés au travers de la soixantaine d’auditions que nous avons menées durant cette période. Il faut souligner la qualité des travaux et la richesse des auditions. C’est un travail qui semble être pratiqué dans peu de pays au monde et qui devrait, à mon sens et à des degrés divers, être porté en amont de tout travail législatif. Il est aussi nécessaire de souligner le climat courtois dans lequel nous avons pu avancer : l’écoute et le respect ont pris le pas sur les postures et c’est le Parlement qui en sort grandi. Mais il semble falloir revenir sur la proposition n° 2, qui n’a pas fait consensus lors des auditions.

A de nombreuses reprises lors des auditions, l’enjeu de la monoparentalité a été évoqué. Comme précisé dans le rapport, « la multiplication des types familiaux se nourrit aussi de l’éclosion et de la reconnaissance progressive de conjugalités nouvelles, en particulier les couples de même sexe ». C’est cette notion de conjugalité qu’il faut interroger. Certes, la famille connaît aujourd’hui des aspects protéiformes. Mais il semble d’abord que le projet parental ne peut se suffire à lui-même et qu’il nécessite d’être adossé à l’amour entre deux adultes, du même sexe ou non. Ensuite, on ne peut nier la précarité des familles monoparentales. Il est paradoxal de vouloir encourager le modèle de famille monoparentale alors même que l’on tente de pallier les difficultés rencontrées par celles-ci. Peu d’études existent sur les mères seules par choix. Mais on connaît les difficultés des femmes sans conjoint pour faire face aux charges matérielles, à l’organisation et au temps. Le CCNE, dans son avis n° 126 du 15 juin 2017 cite les études anglaises sur les « solo mothers », aussi évoquées en auditions. Il est précisé que « certains auteurs signalent une moindre interaction et de chaleur affective avec l’enfant que dans les familles biparentales, en raison de la limitation du temps disponible ».

Enfin, dans les enquêtes d’opinion, si la plupart des personnes approuvent l’ouverture de la PMA pour les couples de femmes, il existe davantage de réticence pour les femmes seules.

J’entends le désir d’enfant des femmes seules, et je souscris moins à l’argument visant à dire que l’accroissement du nombre de familles monoparentales conduira à une paupérisation d’une frange de la société, qu’à celui de l’impérieuse nécessité de disposer de deux figures parentales pour le bon équilibre de l’enfant.

Il me semble que le désir d’enfant ne peut se suffire à lui-même. La conception d’un enfant émane d’un amour entre deux êtres adultes, du même sexe ou pas.

 

Marie Tamarelle-Verhaeghe

 


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Mme Agnès Thill,
députée de l’Oise

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

 

Suite à notre vote ce mardi 15 janvier 2019 :

Le rapport de notre mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique est en lui-même un travail remarquable, digne d’une thèse. Et en cela, mérite félicitations et admiration. Ce que je fais.

Nos nombreuses auditions furent ouvertes et respectueuses. Chacun de vous en porte la responsabilité, je vous en remercie sincèrement.

En revanche, je vous présente quelques objections, concernant :

1)     La forme :

Surprise je fus car j’imaginais, un compte-rendu de nos auditions. Lesquelles auraient éclairé mes collègues députés, avant de voter une loi importante, sur la teneur, les doutes, les divisions, des experts eux-mêmes. Je ne mentirai pas en affirmant que nos experts, juristes, scientifiques, francs-maçons, associations, philosophes, biologistes, médecins, spécialistes, etc., leurs arguments à l’appui, étaient divisés 50/50 sur les sujets qui nous préoccupent. C’est ce retour-là que j’imaginais transmis aux collègues, afin que tous ceux qui n’avaient pas pu assister aux auditions puissent en avoir connaissance. En lieu, nous avons un point de vue, orienté dans un seul sens, étayé de citations tirées de nos auditions, certes intéressant mais ne reflétant pas le contenu de nos auditions.

Ce rapport était pourtant censé éclairer objectivement nos collègues en vue de leurs votes.

Enfin, j’ignorais que la mission, à laquelle j’appartenais pourtant, devait apporter des propositions. Celles-ci n’appartiennent qu’à un seul courant de pensée.

2)     Le fond :

        Le droit de la filiation : je suis d’avis de nos experts juristes qui nous demandaient de ne point y toucher. En effet, Accepter désormais dans la loi le parent d’intention, c’est-à-dire selon son vouloir, c’est accepter qu’un jour, c’est son droit, il puisse ne plus vouloir.

De plus,

Le parent d’intention permet la multiplication des parents, le mot parent n’a alors plus aucun sens.

Il en découle politiquement, que cette absence de sens de genre dans le mot parent, favorise l’éclosion d’écoles coraniques et le départ de nos élèves vers celles-ci, pour l’avoir vécu en tant que directrice d’école en 2014 : en effet, nos amis musulmans, que nous savons opposés à cet éloignement progressif des concepts de père-mère, homme-femme, pour le seul mot parent englobant ces mots, parent 1 parent 2, ne vont point dans la rue, ni dans les urnes, exprimer leur conception, mais ils vivent en créant un monde parallèle dans la République, où les choses sont comme ils veulent, eux, où un homme est un homme, une femme est une femme, un père est un père, une mère est une mère, il n’y a pas, chez nos amis musulmans, de parent 1 et de parent 2. Nous devrons l’entendre, ou bien assumer de faire sans. Mais il va de soi qu’on ne peut pas prendre en compte la façon de vivre de nos amis musulmans, seulement lorsque cela nous convient. Surtout lorsque les conséquences peuvent être déconvenantes, car enfin si on entre dans ces écoles enfants modérés, on en ressort adolescents moins modérés.

        A contrario, je nous trouve trop frileux quant à l’encadrement de l’Intelligence Artificielle jusqu’alors jamais cadrée.

        L’autoconservation ovocytaire : abus possibles par le parcours professionnel

        La procréation post mortem suite à l’ouverture de l’AMP aux femmes seules : il me semble qu’on ne peut naître, et donner la vie, après la mort. Les cas présentés sont ceux d’une femme qui alors, le temps passé, commencerait une histoire avec un autre compagnon. Relation impossible avec l’ancien désormais décédé.

        Les législations différentes selon les pays : elles garantissent nos libertés individuelles. Chaque pays étant un peuple, une Histoire, et une culture différente, il apparait logique que les législations diffèrent.

Oublier que la liberté s’exerce dans les limites, c’est tendre un tapis rouge à ceux qui sauront retrouver notre liberté dans les limites qu’ils auront, eux, défini. À ne pas savoir dire Non, parce que les autres le font, nous sommes responsables du mur qu’élèveront certains pour retrouver notre liberté.

Les femmes vont ailleurs le faire ? Chacun assume ses désirs. Fussent-ils onéreux. Voyages ou voitures de luxe.

Si pour cette raison nous sommes condamnés à singer les autres, alors certains sauront nous refermer des autres pour retrouver notre liberté. Nous sommes responsables du nid que nous leur faisons par là. Nous portons une grave responsabilité politique dans notre incapacité à nous instaurer des limites.

        Le consentement me pose un problème plus général dès lors qu’on fait appel à lui trop souvent et qu’il nous suffit pour légiférer : en effet, notre justice est une justice de lois et d’éthique, c’est sa grandeur. Le consentement ne justifie pas l’acte. Ou bien notre justice devient une justice de contrats, et on voit bien là alors, les dérives possibles.

        À propos du consentement, l’enfant est-il consentant pour ne pas avoir de père ?

La justice française protège les enfants, n’obéit pas à la demande, ni au consentement pour avoir, faire, ou obtenir, la justice française n’est pas une justice de contrats mais une justice de lois et d’éthique, que nous devons défendre, avec un parlement qui pense la dignité de l’homme.

        Flux et stocks des gamètes disponibles : tous les pays qui ont légiféré sur l’extension de la PMA ont eu recours à l’achat de gamètes. Le risque de marchandisation est donc bien présent.

Sachant que nous manquons de gamètes, à qui donnerons-nous la priorité et comment ?

        La prise en charge par la Sécurité Sociale ne me semble pas opportune, dans le sens où il s’agit d’une validation officielle pour un comportement privé.

Il conviendra de redéfinir le sens de la Sécurité Sociale.

Sachant que certains actes, nombreux, pourtant indispensables parfois, tels que soins dentaires, opération myopie au laser (2000€ non remboursés) etc., sont considérés comme du confort.

        Je suis évidemment opposée à la GPA, manipulation du génome, sélection, eugénisme.

        La PMA, l’extension de la PMA aux femmes seules et femmes lesbiennes en couple :

        La PMA : puisqu’il n’y a pas d’évolution scientifique en matière de PMA, on peut se demander quelle est sa place dans la révision de la loi relative à la bioéthique qui prend en compte les évolutions scientifiques. Une loi, à part, eut été plus convenante.

        Une autre question se pose alors : le sens de la médecine, qui n’est plus réparatrice ? Est-ce à la médecine de répondre à un désir sociétal ? Doit-elle augmenter le possible en augmentant ce qui est impossible biologiquement ? Qu’est-ce qu’un progrès ? Quelque chose de nouveau ? De plus ? Ou quelque chose qui améliore ?

        Souffrance des femmes : dois-je résoudre cette souffrance due à une absence d’enfant en donnant naissance à un enfant ? L’enfant n’est pas un médicament.

Au niveau du droit :

        Égalité des droits : L’arrêt du Conseil d’État du 29/09/2018 rappelle que des situations différentes justifient des décisions différentes. Que l’enfant n’est pas « une raison d’intérêt général. » La réponse n’est pas juridique, mais bien politique.

        Le désir transformé en une égalité des droits des adultes conduirait à une inégalité des droits des enfants (à qui il manquera un parent sur les deux auxquels il a droit)

        S’il ne s’agissait que d’un égal accès à une technique, il suffirait de donner accès à cette technique avec gamètes inefficaces, c’est donc bien accès à avoir un enfant qu’il s’agit, et non pas accès à une même technique : Un droit à l’enfant, déguisé, qui n’existe pas, à peine feint.

        On ne retire rien à personne, on donne juste un droit supplémentaire à certains : excusez-moi, on retire un père à un enfant.

        Actuellement, l’absence de père avant la naissance est considéré comme un préjudice dans le droit, évalué financièrement. Nous ferions d’un préjudice un droit, quel paradoxe !

        Nous sommes dans une conquête de droits à l’infini, au nom de la liberté, oubliant que la liberté s’exerce dans les limites ; une société qui en oublie ses devoirs, comme celui de l’intérêt de l’enfant ; une société « zéro frustration », il sera de plus en plus difficile (à l’école !) de refuser à un enfant ce qu’il veut, puisque maman a eu ce qu’elle voulait. Pourquoi ? Parce qu’elle est adulte ? Est-ce faire ce que l’on veut qu’être adulte ?

        Femmes seules :

Paradoxe :

Nous augmentons de 30% de complément mode de garde, nous lançons le plan pauvreté, la prime d’activité, l’augmentation du SMIC, nos ministres reconnaissent que de nombreuses femmes manifestent sur les ronds-points en gilets jaunes, reconnaissant je cite « qu’elles ne s’en sortent pas seules avec enfant », et nous multiplierions les femmes seules en acceptant qu’elles aient accès à la PMA ?

Au-delà du plan financier, je peux assurer, en tant que chef d’établissement scolaire, que nos familles monoparentales présentent des difficultés, ne serait-ce que de simples disponibilités : une femme seule ne peut pas être à plusieurs endroits en même temps, au travail et à la réunion de l’école.

Si une femme seule, ayant choisi de l’être, réussit à s’octroyer quelques temps à elle, qu’en sera-t-il lorsqu’elle sera fatiguée, qu’elle en aura assez, qu’elle aura besoin de repos immédiat, qu’elle sera énervée, qu’elle sera blessée, il n’y aura jamais l’Autre, indispensable, pour suppléer, aider, rassurer.

Devons-nous dire OUI à cela ? à la PMA pour femmes seules ?

Est-ce un progrès de créer des femmes seules avec enfant ?

Ce n’est pas un progrès, c’est une régression.

Sachant que les femmes se sont battues des décennies pour que ces messieurs prennent et assument leur place de père.

        Qu’en sera-t-il des jeunes femmes au RSA, alors qu’aucune limite d’âge, aucune discrimination financière n’est pensable bien sûr.

        Qu’il y ait au moins les mêmes conditions que l’adoption.

        Avec la PMA l’homme est réduit à ses gamètes et la femme est réduite à son orientation sexuelle ou son régime matrimonial :

a)      L’Homme et la Femme sont plus que leurs gamètes.

b)     La réduction de l’individu et l’égalité conduira inévitablement à la GPA.

c)      La sexualité est ainsi exclue de la procréation, ce qui n’est pas anodin. Ce qui réduit la procréation à une technique.

        Il m’apparait que nous devons légiférer pour un corps social, et qu’à force de légiférer pour des groupes, des communautés, nous créons des tensions inutiles mais surtout nous créons l’effondrement de nos démocraties : car c’est alors la loi du plus fort, le plus fort étant celui qui se revendique discriminé. C’est ainsi que l’on entend dans nos campagnes « on en a marre d’être commandés par des minorités » La démocratie étant normalement la loi du plus grand nombre, ce plus grand nombre risque tout simplement de prendre les rennes, par la force, de ne plus les avoir. Nous faisons une fois de plus, ainsi, le lit des extrêmes.

        Les femmes lesbiennes en couples :

Il est sans contexte préférable qu’un enfant vive avec deux femmes qui s’aiment plutôt que dans un couple dit classique sans amour voire violent. À ce détail près que le manque d’amour, la défaillance n’est pas réservée aux hétérosexuels.

Tout couple qui divorce s’est marié en se disant « je t’aime » et a voulu ses enfants. Ainsi, rien ne peut nous garantir l’avenir serein de ce futur enfant.

Ces femmes divorcent autant que les autres : là encore nous multiplions les familles monoparentales alors qu’on les sait en difficultés.

L’argument : « elles l’ont voulu », comprenez « réfléchi, attendu, etc. », c’est ainsi également chez les hétérosexuels, et aucun n’est épargné des séparations et/ou maltraitance.

Par conséquent, on me demande de dire OUI pour faire qu’un enfant puisse venir au monde sans que personne ne puisse me garantir ni son avenir serein ni son intérêt.

S’il en est de même pour les hétérosexuels, eux n’ont pas besoin de mon OUI, je ne suis pas responsable de la venue de cet enfant.

Cet enfant qui pourrait, adulte, se retourner contre nous pour préjudice moral, d’avoir grandi sans père, puisque l’absence de père avant la naissance, actuellement, est un préjudice dans la loi, évalué financièrement.

Je sais par expérience que ce sont toujours les enfants qui trinquent des désirs d’adultes.

        Enfin l’éviction du père pose un problème éthique :

        Si lors de nos auditions nous avons pu entendre qu’un père n’est pas indispensable, je souhaiterais qu’on assume de me dire qu’un père n’est pas nécessaire, qu’un père n’est pas utile.

C’est cette société-là que je ne veux pas, cette société qui dit que l’Autre n’est pas nécessaire, que l’Autre n’est pas utile.

        Dites-moi que de ne pas avoir de père est dans l’intérêt de l’enfant, prouvez-moi, qu’être mère seule à élever un enfant est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. On me demande de satisfaire un désir d’adulte, faire qu’un enfant naisse, sans être capable de me garantir ni son avenir serein ni son intérêt.

        Aucun référent masculin ne remplace un père, le docteur Levy Soussan nous l’expliquait. Je le cite : « Si les gynécologues sont plutôt favorables, les professionnels de l’enfance n’y sont pas. Aucun parrain, oncle, ami, qu’on voit le weekend ou deux fois par semaine, ne remplacera jamais un père » Satisfaire les adultes revient à ce qu’un être humain n’ait jamais la chance de connaitre ce qu’est d’avoir un père. Ce n’est pas protéger l’enfance.

        On ne joue pas avec l’enfance, on ne joue pas avec le manque de père, avec la solitude, avec la précarité. On ne nie pas l’amour qu’un père peut donner, ou c’est nier l’essence et l’évidence même de la vie. C’est ne rien connaître de l’amour d’un père que de ne pas en donner :

On apprend d’un père que l’amour n’est pas cette chose qui se chante mais qui agit et se tait, se regarde et se voit.

On apprend d’un père que la mort ne vient pas avec la vieillesse, mais avec l’oubli, l’abandon.

On apprend d’un père qu’un homme peut aimer toute sa vie, et même en mourant.

On apprend que lorsqu’un nouveau-né attrape pour la première fois le doigt de son père dans son petit poing, il vient de l’attraper pour toujours.

Voilà ce que ces propositions refusent à ces enfants.

On apprend d’un père que lorsqu’il construit un bac à sable pour les jeux de son petit, c’est pour toujours qu’il l’accompagne.

Que lorsque l’enfant saute sur les genoux de son père, c’est pour toujours qu’il l’embrasse.

Et que lorsque le père regarde, même muet, c’est parce qu’il aime.

Voilà ce que ces propositions refusent à ces enfants.

Quand un père prend des cours de remise à niveau pour suivre son enfant à l’école, c’est pour toujours lui tendre la main.

Et la friandise rapportée des courses, c’est pour toujours combler son enfant.

Lorsqu’un père suit les devoirs, son intérêt pour l’enfant est gravé pour toujours.

On apprend tant de choses d’un père, et si peu des hommes.

Quand un père félicite son petit, fleurit sa fille, c’est pour toujours qu’il embaume et les grandit.

Quand il soigne quand il redresse c’est pour toujours qu’il guérit.

Quand il fait le clown c’est pour toujours qu’il fait rire.

Et quand il écrit à son enfant en classe de neige, c’est pour toujours qu’il maintient le lien, qu’il ôte la peur, partage la joie.

Quand il court après le vélo sans roulette, quand il apprend à nager, quand il joue au ballon, c’est encore lui qui plaisante devant l’égratignure bégnine et rend plus fort son petit, c’est toujours lui qui protège de la rue et prend la main.

Tout passe, tout vous abandonnera, sauf les choses aimées qui sont en vous.

Voilà ce que ces propositions refusent à ces enfants.

Quand un père installe le sapin de Noël, y dresse les décorations bricolées par lui-même, et qu’on attend tous ensemble, c’est pour toujours que ça clignote dans les yeux. Ce sont les pères qui prennent l’habit de velours rouge et la fausse barbe blanche.

Et quand découvre-t-on cela ?

Lors du dernier combat.

Même ce dernier combat n’est pas offert à ces enfants.

Celui où on apprend l’infini tendresse des mots dérisoires du quotidien.

Celui où on apprend la teneur du silence et celle du désespoir.

Celui où on apprend la peur, cette peur atroce et sifflante de tout perdre, qui fait hurler « papa » de l’intérieur.

Ils n’auront même pas ce dernier combat où enfin, enfin, on se découvre un père ! Ces propositions font des mutilés pour toujours.

Qui peut oublier les mots d’Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, si atrocement beaux dans « la nuit » où il écrit la honte de perdre sa dignité d’homme quand il ne répondra pas à son père mourant.

Où est la dignité de l’homme quand il est réduit à ses gamètes ?

Où est la dignité de la femme quand elle est réduite à son orientation sexuelle ?

Et qu’en est-il de la dignité de la procréation quand elle est réduite à une technique ?

« On ne remplace pas un père » disait le Docteur Levy Soussan lors de nos auditions.

Bien sûr ces enfants grandissent et évoluent, l’ignorance ne défigure pas. Elle ignore la splendeur.

Ce sont toujours les enfants qui trinquent des désirs d’adultes.

 

Je ne veux pas que mon nom soit associé à l’éviction des pères dans la société.

Ces objections faites, je partage bon nombre de propositions, mais certaines de mes objections correspondent pour moi au franchissement de ligne rouge.

Une bonne politique est au service de la paix, ces propositions divisent la société, et vous le savez.

Je souhaite, et demande par les présentes objections, à pouvoir exprimer mes objections lors des débats en séance publique.

 

Agnès THILL
Députée de l’Oise.

Signé : Agnès THILL

 


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Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon,
députée de l’Allier

Première contribution

 

Mes premières remarques visent la proposition numéro 12 du rapport qui devrait, selon moi, prendre en compte deux catégories de situations supplémentaires.

Cette proposition ne cite que les cas de « procréation médicalement assistée ». Or, il est indispensable de considérer, avec la même bienveillance, les couples de femmes dont l’une a eu recours à des rapports non protégés avec un partenaire d’un soir, entre autre exemple, et non par le biais d’une assistance médicale.

Si on peut raisonnablement penser que l’ouverture de la PMA à toutes les femmes va faire chuter considérablement ces pratiques, il paraît essentiel de prévoir l’établissement de la filiation à l’égard de tous les enfants nés également de ce type de procréation.

Ensuite, je souhaite que la filiation double puisse également être accordée aux enfants nés au sein de familles homoparentales avant la prochaine probable ouverture de la « PMA pour toutes » et dont les parents se sont, par exemple, séparés ou non simplement pas voulu se marier. Dans le cas contraire, la déclaration commune anticipée de filiation ne sera pas applicable à de nombreuses familles. Or, si l’on peut considérer qu’une adaptation sera trouvée pour les reconnaissances tardives de filiation pour les familles qui le souhaitent, la situation des enfants nés de couples qui se sont séparés, depuis la conception de l’enfant, ne doit pas être oubliés. En effet, les « mères d’intention », à l’égard desquelles la filiation des enfants n’a pas été établie, se trouvent mises à l’écart de leurs propres enfants dès lors que seule la mère ayant accouché est reconnue juridiquement comme parent de l’enfant. Ces « co-parentes » peuvent ainsi être totalement exclues de la vie de leurs enfants. La reconnaissance tardive peut parfaitement être envisagée par le biais d’une déclaration de filiation, déclaration qui pourra être encadrée par le texte de loi, mais qui ne serait donc pas « anticipée ».

Enfin, mes dernières remarques emportent sur la proposition numéro 13 du rapport au sujet de la reconnaissance de filiation à l’égard des parents des enfants issus de GPA pratiqués à l’étranger dès lors que celle-ci a été légalement établie à l’étranger.

Le rapport distingue régulièrement les parents d’intention des parents biologiques, mais recommande que « tout jugement étranger, qu’il soit un jugement d’adoption ou un jugement établissant un lien de filiation hors adoption, y compris pour un enfant né dans le cadre de conventions de GPA, soit regardé par le parquet de Nantes et par l’ensemble des juridictions de l’ordre judiciaire comme ayant les mêmes effets qu’un jugement d’adoption plénière ». Les jugements étrangers peuvent ne pas distinguer les deux types de parents, il serait préférable que le texte de loi ne les distingue pas non plus, mais prévoit effectivement que « tout jugement étranger » en la matière produise les mêmes effets qu’un jugement d’adoption plénière.

 


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Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon,
députée de l’Allier

Seconde contribution

 

Pour le droit aux origines des enfants nés sous X

 

En France, 600 enfants naissent encore dans l’anonymat chaque année.

Dans le même temps, 700 demandes d’accès aux origines personnelles sont reçues par le CNAOP (Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles). Les enfants nés sous X ne cherchent pas forcément à rencontrer leurs parents biologiques mais désirent connaître le début de leur histoire.

La France et le Luxembourg sont les seuls pays européens à maintenir ce système archaïque d’accouchement sous X. Ce faisant, la France contrevient à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui souligne « l’intérêt vital des personnes essayant d’établir leur ascendance qui leur sont indispensables pour découvrir la vérité sur un aspect important de leur identité personnelle ».

La France ne respecte pas non plus la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) : « Le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies a réitéré en 2016 ses recommandations à la France pour qu’elle prenne les mesures appropriées pour permettre à l’enfant de connaitre ses parents biologiques. Dans cette optique, il recommande vivement à l’Etat d’adopter des mesures afin que les informations relatives aux parents soient enregistrées. Le comité recommande à l’Etat de considérer la possibilité de supprimer le consentement de la mère pour révéler son identité à l’enfant. » (Extrait du rapport d’activité 2017 CNAOP/DGCS, publié le 23 mai 2018). Ce comité effectuera une nouvelle évaluation en 2021.

Il nous appartient donc à nous, Parlementaires, de faire évoluer la loi permettant de garantir l’accès à leurs origines de tous les enfants y compris des enfants nés sous X.

Or, le présent rapport écrit au nom de la mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique propose que les enfants conçus à partir d’un don de gamètes ou d’embryon, puissent accéder à leurs origines. Oublier les enfants nés dans le secret, serait discriminatoire, aussi nous demandons que l’anonymat entourant leur naissance soit levé au titre de la prochaine loi bioéthique.

Il est essentiel également d’anticiper la déclaration éventuelle de toute maladie génétique héréditaire qui affecterait soit la mère de naissance a posteriori, soit l’enfant au cours de sa vie. Pour cela, le CNAOP doit être en mesure de contacter à intervalles de temps réguliers la génitrice et éventuellement le géniteur.

Pour autant, il faut conserver le droit à la mère biologique de renoncer à élever l’enfant dont elle a accouché.

En conséquence :

        L’accouchement doit être « protégé », non anonyme, le recueil de données identifiantes (nom, numéro de Sécurité Sociale des géniteurs) et non-identifiantes (contexte de la naissance, …) doit être systématique,

        Afin de garantir une traçabilité sans faille, une base informatique recueillant ces données de manière centralisée doit être établie et mise à jour de façon régulière,

        L’enfant pourra avoir accès à son dossier à la majorité s’il en fait la demande au CNAOP qui pourra également procéder à la mise en relation si les deux parties en conviennent, et suivant des modalités à préciser.

De nombreux Députés soutiennent la levée de l’accouchement sous X, nous avons confiance en l’écoute bienveillante de Madame la Ministre des solidarités et de la santé et Madame la Garde des Sceaux pour travailler ensemble à inscrire dans la loi le droit à l’accès aux origines.

 

Laurence Vanceunebrock-Mialon

Sur la base d’une contribution de Natalia Pouzyreff

 


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Mme Annie Vidal,
députée de la Seine-Maritime

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Rapporteur,

 

Le rapport de notre mission d’information sur la révision de la loi relative à la bioéthique a été adopté le 15 janvier 2019. Fruit de plus de 6 mois de travail, il est la traduction des 65 auditions que notre mission a conduites.

Ce rapport est fidèle à nos auditions. On y retrouve l’esprit de nos échanges, tout en posant bien le cadre actuel sur chaque sujet concerné. Il permettra à chacun de se faire une approche des questions qui sont en jeu.

Le lancement du grand débat national en Normandie, mardi 15 janvier, ne m’a pas permis d’assister à la présentation du rapport, mais sachez que j’aurai voté pour sa publication.

Sur le fond, je ne partage pas toutes les propositions faites, mais je tiens à saluer l’excellent travail de rédaction et de report de nos auditions. Ce rapport nous donne une base solide pour alimenter notre réflexion et construire nos arguments pour la discussion de la révision de la loi relative à la bioéthique.

Sur la thématique de la procréation en particulier, je souhaite préciser que ce qui a été au cœur de toutes nos auditions, c’est bien l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect des différentes composantes de notre société.

Je souhaiterais à ce stade formuler quelques commentaires, et pour n’en citer que quelques-uns :

L’infertilité du couple n’est pas « supposée » mais « constatée », même s’il n’a pas été possible d’établir un diagnostic médical précis des causes de l’infertilité.

« Le rapporteur rappelle toutefois que l’éventuel maintien d’un interdit en France de l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et les femmes seules reviendrait à laisser perdurer le fait que les femmes françaises puissent avoir recours à ces banques, dont les modalités d’appariement ne correspondent pas aux critères éthiques définis dans notre pays. »

Nous ne pouvons-nous satisfaire de l’argument selon lequel il faut légiférer sur l’utilisation des gamètes issus d’un don car les critères éthiques des banques de spermes étrangères ne correspondent pas aux nôtres. Outre ce fait, le recours à ces banques de spermes induit une rupture d’égalité entre les couples de femmes, tant pour l’achat des gamètes eux-mêmes que pour le coût du voyage, dans la mesure où seules les personnes disposant de moyens suffisants peuvent avoir recours à ces banques étrangères. Toutefois je tiens à préciser à ce stade que l’exigence de qualité des CECOS devra être préservée.

« Émerge ainsi au côté de la parenté biologique, à laquelle se rattacheraient les familles traditionnelles, une parenté sociale ». Face à cette dualité de parentalité, ne devrions-nous pas, au-delà des questions juridiques, nous interroger sur ce que cela induit en termes d’évolution de la sociologie de la famille et de l’anthropologie qui de fait ne reposerait plus, pour la conception d’un enfant, sur la seule réalité biologique de l’altérité Homme / Femme ?

Je vous indique, en toute transparence et sans remettre en cause ce rapport d’une grande qualité, les propositions pour lesquelles je reste réservée, ou pour lesquelles, il y a encore à mon sens, des réflexions à conduire et des précisions à apporter.

Proposition 2 : “ouvrir l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules”.

Le rapport n’opère pas de distinction entre l’accès à l’AMP pour les couples de femmes et pour les femmes seules. Pourtant, il s’agit de deux situations différentes.

L’ouverture de l’AMP aux couples de femmes répond à l’idée d’un projet parental, permettant à l’enfant d’avoir deux branches généalogiques.

L’AMP pour les femmes seules conduirait à cautionner la constitution de familles monoparentales. Si aujourd'hui, 20 % des enfants vivent dans une famille monoparentale, le plus souvent maternelle, cette situation est plus souvent subie que souhaitée.

Proposition 5 : “lever l’interdiction de la procréation post mortem, qu’il s’agisse de l’insémination ou du transfert d’embryon”. Il sera nécessaire de se poser la question du maintien de cette autorisation dans le cas où la PMA ne serait finalement ouverte qu’aux couples de femme et non aux femmes seules.

Proposition 9 : “Etendre à des centres privés l’habilitation à l’autoconservation que délivre l’Agence de la biomédecine afin de favoriser l’augmentation de l’offre d’ovocytes”. Si tel était le cas les exigences actuelles de qualité des CECOS devront être préservés et l’extension très encadrée pour éviter le risque de « profits ». Il s’agira aussi de respecter les deux modalités de régulation précisées par l’ABM qui figurent dans le rapport.

Proposition 11 : “Etendre aux couples de femmes et aux femmes seules la prise en charge de l’AMP par la sécurité sociale dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels”.

La sécurité sociale a pour mission la prise en charge d’actes médicaux.

Il convient de se poser la question de la vision que nous avons et que nous souhaitons donner de la sécurité sociale. La PMA pour les couples hétérosexuels est aujourd’hui prise en charge par la branche maladie de la sécurité sociale au titre du “traitement de l’infertilité”. Or la PMA pour les couples de femmes répond à une “indication sociale”, tel que défini dans le rapport, et ne répond pas aux critères précités. La question du remboursement ou non dépasse le seul critère financier, puisque les auditions indiquent qu’il ne serait pas élevé (1% de l’ONDAM), mais interroge sur les conséquences de cette ouverture.

Proposition 12 : « Instaurer un mode unique d’établissement de la filiation à l’égard des enfants nés de dons de gamètes ». Cette solution est politiquement dangereuse. Alors que le débat sur l’ouverture de la PMA aux femmes s’annonce houleux, nous ne pouvons-nous permettre de le compliquer encore plus. Elle doit se faire sans retirer de droits aux couples hétérosexuels. Or cette solution supprime deux possibilités aux couples hétérosexuels ayant recours à la PMA : la possibilité d’établir la filiation selon les modes traditionnels et elle fait perdre aux couples le choix de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception. Dès lors, il serait préférable de privilégier les solutions “i. l’extension aux couples de femmes des dispositions aujourd’hui applicables aux couples hétérosexuels bénéficiaires d’un don de gamètes” ou “ii. La création d’un mode d’établissement de la filiation spécifique aux seuls couples de femmes” qui n’auraient pas d’impact sur les couples hétérosexuels ayant recours à la PMA.

Proposition 13 : “Permettre la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger.” S’il est compréhensible que le droit souhaite faciliter la vie des enfants issus d’une GPA, cette proposition ne doit pas créer une brèche en faveur de l’autorisation de la GPA. Le Conseil d’Etat avait quant à lui conclu “le fait de devoir recourir à l’adoption pour le parent dépourvu de lien biologique, certes contraignant, n’est pas inadapté […] Aussi, la solution actuelle semble respecter un équilibre entre l’intérêt de l’enfant et le souci du maintien de l’interdiction de la GPA”. Cela d’autant plus que la garde des Sceaux, Mme Nicole Belloubet, “a invité les parquets à prendre des réquisitions favorables lors des procédures d’adoption simple ou plénière d’un enfant né de gestation pour autrui par le conjoint du parent, dans l’hypothèse où l’adoption apparaîtrait conforme à l’intérêt de l’enfant”. Le maintien de la situation actuelle permet aux juridictions françaises de s’assurer que l’intérêt de l’enfant est respecté au cas par cas. Aussi, en gardant une démarche de reconnaissance de la filiation contraignante, cela permet de diminuer les risques de fraude à la loi et de ne pas encourager, par une facilitation des démarches, une GPA auquel ce rapport s’oppose.

Proposition 15 : “Autoriser un allongement de la durée de culture de l’embryon sur lequel sont effectuées des recherches.” Si des questions éthiques peuvent se poser sur l’allongement de la durée de culture de l’embryon, une première étape serait d’abord d’inscrire dans la loi la durée de mise en culture, tel que préconisé par le Conseil d’État ; la durée de 7 jours permettant de rester dans le même cadre de recherche qu’aujourd’hui.

Proposition 18 : “Autoriser les recherches sur les cellules germinales portant sur les embryons qui ne feront jamais l’objet d’un transfert in utero.” Alors que “l’Académie de médecine n’envisage pas d’applications concrètes avant très longtemps”, la levée de cette interdiction parait prématurée. Cela d’autant plus qu’il faudrait faire “évoluer notre cadre juridique national, particulièrement le code civil et le code de la santé publique”. La loi de bioéthique portera de nombreux sujets majeurs. Le sujet de cette ouverture est éminemment complexe et pourrait entrainer de nombreuses réticences. Si les applications scientifiques ne se feront pas immédiatement, nous pouvons prendre le temps du débat, et notamment de se poser les questions éthiques qui entourent l’autorisation de cette recherche.

Proposition 19 : “Lever l’interdit portant sur la création d’embryons transgéniques afin de favoriser la recherche scientifique”. Puisque cette autorisation serait cohérente avec celle formulée à la proposition ci-avant, à la suite des commentaires formulés ci-dessous, le même souci de prise du temps nécessaire s’applique.

Proposition 30 : « Étendre le cercle des donneurs en reconnaissant la possibilité du « don altruiste ». Si cette idée a été évoquée lors de l’audition de l’Agence de la biomédecine, il apparait très clairement du rapport que les problèmes éthiques liés au « don altruiste » restent nombreux et que la réflexion autour du bénéfice pour le donneur et de la neutralité du don n’est pas mûre à jour. Dès lors, cette proposition ne reflète pas les échanges que nous avons pu avoir en audition et ne doit pas nécessairement trouver sa place dans ce rapport, d’autant plus que la solution numéro 31 sur l’ouverture du don croisé permettrait d’augmenter partiellement le nombre de dons, raison pour laquelle la proposition numéro 30 avait été formulée.

Proposition 41 : « Maintenir le principe d’une responsabilité du médecin qui, en l’absence de défaut établi de l’algorithme, ne peut être engagée qu’en cas de faute de sa part. » La proposition telle qu’écrite pourrait, aux yeux d’un profane, indiquer un souhait d’impliquer nécessairement la responsabilité du médecin en cas d’utilisation d’algorithme dans sa pratique médicale. Or il apparait de l’ensemble des auditions, du rapport ici présent et des autres rapports sur lesquels il s’est appuyé, que les experts préconisent de maintenir la législation actuelle de la responsabilité du fait des choses et « d’éviter que la France ne fasse cavalier seul » mais plutôt qu’elle s’inscrive dans un cadre européen. Dès lors, cette proposition ne devrait pas trouver de traduction législative dans le texte de loi à venir.

Proposition 59 : « Fixer à 5 ans le délai de réexamen de la loi relative à la bioéthique. » La loi prévoit aujourd’hui une révision dans un délai maximal de sept ans. La révision peut donc se faire au bout de cinq ans, comme de trois ou de sept. La proposition telle que formulée propose une durée fixe de réexamen, qui ne répond pas aux problématiques soulevées par les acteurs auditionnés. Il serait plus judicieux, afin d’être réactif face aux avancées technologiques à venir, d’écrire « Fixer le réexamen de la loi relative à la bioéthique dans un délai maximal de cinq ans », permettant ainsi une révision anticipée de cette loi si ce besoin était exprimé.

 

Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, malgré l’excellence de ce rapport, il reste encore, me semble-t-il, de nombreux champs à explorer pour être en mesure de proposer un texte équilibré qui répondra aux attentes du plus grand nombre, alliant ainsi la tradition et la modernité, dans le respect de chacune et chacun d’entre nous.

 


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   Liste des personnes auditionnées

(Par ordre chronologique)

     Mme Valérie Depadt, maître de conférences HDR à l’université Paris XIII

     Agence de la biomédecine – Mme Anne Courrèges, directrice générale, Pr. Yves Pérel, directeur général adjoint chargé de la politique médicale et scientifique, et Pr. Olivier Bastien, directeur de la direction du prélèvement et des greffes d’organes et de tissus

     Conseil d’État – Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études, et Mme Laurence Marion, rapporteure générale

     M. Emmanuel Hirsch, professeur des universités, directeur de l’espace régional de réflexion éthique Ile-de-France, de l’espace national de réflexion éthique sur les maladies neurodégénératives et du département de recherche en éthique, Université Paris-Sud / Paris-Saclay

     M. Pierre Le Coz, professeur de philosophie à la faculté de médecine de Marseille, président du comité de déontologie de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

     Mme Anne-Marie Leroyer, professeure des universités (École de droit de la Sorbonne - Université Paris I)

     M. Jacques Testart, biologiste

     Mme Frédérique Dreifuss-Netter, conseillère à la chambre criminelle de la Cour de cassation

     Ligue des Droits de l’Homme – Mme Françoise Dumont, présidente d’honneur, M. Philippe Laville, membre du Comité central de la Ligue et co-responsable du groupe de travail « Santé-bioéthique, et Mme Tatiana Gründler, membre du groupe de travail « Santé-bioéthique »

     France Assos santéM. Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national, et M. Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies

     Mme Dominique Thouvenin, professeure émérite de droit privé et de sciences criminelles

     Comité Laïcité République – M. Jean-Pierre Sakoun, président

     Conseil national de l’Ordre des médecins – Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section éthique et déontologie, et Dr Anne-Marie Trarieux, conseillère nationale

     Académie nationale de médecine – M. Jean-François Mattei, président du Comité d’éthique de l’Académie de médecine

     Audition commune d’anciens présidents du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) :

       Pr. Didier Sicard, président d’honneur du CCNE, professeur de médecine

       Pr. Alain Grimfeld, président d’honneur du CCNE, médecin, professeur honoraire de l’Université Pierre et Marie Curie – Paris 6

     Pr. Israël Nisand, professeur des universités - praticien hospitalier, gynécologue obstétricien au CHU de Strasbourg, président du Forum européen de bioéthique de Strasbourg

     Table ronde de personnalités qualifiées européennes :

       M. Philippe Mahoux, sénateur honoraire belge, auteur de plusieurs lois relatives aux sujets de bioéthique

       Mme Susan Golombok, professeure et directrice du centre de recherches familiales de l’Université de Cambridge

       M. Antoine Mellado, directeur de la World Youth Alliance Europe, directeur des services juridiques

     Pr. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Mme Marie-Christine Simon, directrice de l’information, de la communication et conseil en stratégie

       Table ronde des obédiences maçonniques :

         Grande Loge de France – M. Pierre-Marie Adam, Grand Maître de la Grande Loge de France, M. Jean-Jacques Zambrowski, délégué du Grand Maître, et M. Jean-Pierre Pauliac, président de la commission obédientielle d’éthique

         Grande Loge Féminine de France – Mme Marie-Claude Kervella-Boux, Grande Maitresse de la Grande Loge Féminine de France, et Mme Corinne Drescher Lenoir, vice-présidente de la commission des Droits des Femmes

         Grand Orient de France – M. Pascal Neveu, président de la Commission nationale de santé publique et de bioéthique, et M. Thierry Lagrange, conseiller

         Association Philosophique Française « Le Droit Humain »  Mme Viviane Villatte, première vice-présidente, et M. Georges Juttner, président de la commission bioéthique de août 2016 à août 2018, pédopsychiatre, ancien expert auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, ancien expert agréé « Cour de cassation »

         Grande Loge Mixte de France  M. Edouard Habrant, Grand Maître, Mme Christiane Vienne, Grand Maître adjoint chargé des affaires extérieures, présidente de l’association  « Bioéthique et Liberté », et Mme Élise Ovart-Baratte, conseiller

       Audition commune :

        Pr. Charles Sultan, endocrinologue, professeur à la faculté de médecine de Montpellier

        Pr. Barbara Demeneix, endocrinologue, directrice de recherche au CNRS et directrice du département régulations/développement et diversité moléculaire du Muséum national d’histoire naturelle de Paris

       Table ronde d’associations familiales :

         Familles de France – M. Charly Hee, président, et Mme Mireille Lachaud, administrateur nationale

         Associations familiales catholiques – M. Bertrand Lionel-Marie, responsable du secteur bioéthique de la confédération nationale des AFC

         Association des Familles Homoparentales (ADFH) – M. Alexandre Urwicz, président, et M. Fabien Joly

         Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (APGL) – Mme Marie-Claude Picardat, co-présidente, Mme Marie Bozzi, trésorière, et M. Doan Trung Luu, membre du bureau national

       Association « Mam’en Solo » – Mmes Laure Narce, Isabelle Laurans, Anne-Sophie Duperray et Marie Dupont ([647])

       Fédération française des centres d’étude et de la conservation du sperme CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain) – Pr Nathalie Rives, présidente de la Fédération, responsable du CECOS de Rouen Normandie, Dr Florence Eustache, présidente de la commission scientifique et technique de la Fédération, responsable du CECOS de Jean Verdier (Bondy), et M. Nicolas Mendes, vice-président de la commission des psychologues de la Fédération, psychologue clinicien au CECOS de Jean Verdier (Bondy) et de Cochin (Paris)

       Mme Laurence Lwoff, chef de l’unité de Bioéthique à la direction des Droits de l’homme du Conseil de l’Europe

       Pr. François Olivennes, gynécologue obstétricien spécialiste de la reproduction

       M. Jacques Toubon, Défenseur des droits, Mme Vanessa Pideri, chargée de mission Promotion de l’égalité et de l’accès au droit, et Mme France de Saint-Martin, attachée parlementaire

       Mme Clotilde Brunetti-Pons, maître de conférences HDR à l’Université de Reims Champagne-Ardennes, responsable du centre sur le couple et l’enfant (CEJESCO)

       Union nationale des associations familiales (UNAF) – Mme Marie-Andrée Blanc, présidente, Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires

       Table ronde sur les cellules souches et sur les embryons :

       M. Marc Peschanski, directeur scientifique de l’Institut des cellules souches pour le traitement et l’étude des malades monogénétiques (IStem)

       Dr Cécile Martinat, présidente de la société française de recherche sur les cellules souches (FSSCR), directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

       Dr Laurent David, responsable scientifique de la plate-forme de production de cellules souches induites (CHU Nantes), maître de conférence et praticien hospitalier

       Pr Alain Privat, ancien directeur de recherche à l’INSERM, ancien titulaire de la chaire de neurobiologie du développement (EPHE), membre de l’Académie nationale de médecine

       Fédération nationale de la mutualité française (FNMF)*  M. Éric Chenut, administrateur, et M. Alexandre Tortel, directeur adjoint des affaires publiques

       Planning familial – Mmes Caroline Rebhi et Véronique Sehier, co-présidentes, Mme Gaëlle Marinthe, membre du Planning Familial d’Ille-et-Vilaine, et Mme Marie Msika Razon, médecin au planning familial

       Audition commune sur l’accès aux origines :

        Mme Sylvie Mennesson, co-présidente de l’association C.L.A.R.A, et Mme Laurence Roques, avocate

        Mme Audrey Kermalvezen et M. Arthur Kermalvezen, fondateurs de l’association Origines

       Fédération des biologistes des laboratoires d'étude de la fécondation et de la conservation de l’œuf (BLEFCO) – Pr Florence Brugnon, présidente de la Fédération, chef du service « Assistance médicale à la procréation » et du centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) du centre hospitalier universitaire (CHU) Estaing, et du Pr Rachel Lévy, vice-présidente de la Fédération, chef du service « Biologie de la reproduction » et du CECOS de l'hôpital Tenon

       Table ronde sur la préservation de la fertilité et l’autoconservation des ovocytes :

       Mme Larissa Meyer, présidente du réseau fertilité France (R2F)

       Mme Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP, et Mme Caroline Delavoux, responsable de l’antenne BAMP Nantes-Angers

       Dr Joelle Belaisch Allart, professeur associé du Collège de médecine des hôpitaux de Paris, responsable du pôle Femme-Enfant du centre hospitalier des 4 villes de Saint-Cloud, membre du bureau du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF)

       Table ronde sur l’accès aux origines :

       M. Vincent Bres, président de l’association PMAnonyme

       M. Stéphane Viville, professeur à la Faculté de médecine de Strasbourg et praticien hospitalier spécialiste de la biologie de la reproduction

       M. Christophe Masle, président de France AMP, doctorant en droit privé à l’Université de Rouen

       Dr Christian Flavigny, pédopsychiatre, psychanalyste à l’hôpital de la Pitié-Salpétrière, Mme Michèle Fontanon-Missenard, psychiatre, et M. Jean-Thomas Lesueur, délégué général de l’Institut Thomas More

       Mme Huguette Mauss, présidente du Conseil national de l’accès aux origines personnelles (CNAOP)

       Table ronde sur la filiation :

       Mme Laurence Brunet, juriste, chercheuse associée à l’Institut des sciences juridiques et philosophiques de la Sorbonne

       Mme Caroline Mecary, avocate aux barreaux de Paris et du Québec, ancien membre du Conseil de l’Ordre

       Pr André Lucas, professeur émérite de droit privé à l’Université de Nantes

       M. Geoffroy de Vries, avocat, secrétaire général de l’Institut Famille et République

       Table ronde sur le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire :

       Pr. Jean-Paul Bonnefont, professeur de génétique à l’Université Paris Descartes – Institut hospitalo-universitaire IMAGINE (unité mixte de recherche 1163), médecin praticien hospitalier, directeur de la Fédération de génétique médicale

       Pr. Nelly AchourFrydman, responsable de l’unité de formation et de recherche « Biologie de la reproduction » à l’hôpital Antoine Béclère de Clamart

       Pr. Samir Hamamah, chef du département « Biologie de la reproduction et DPI » au CHU de Montpellier

       M. David Gruson, membre du comité de direction de la chaire Santé de Sciences Po, professeur associé à la faculté de médecine ParisDescartes, fondateur de l’initiative « Ethik IA », Mmes Judith Mehl et Domitille Bordet, membres d’Ethik IA

       M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Lejeune

     M. Jean-Claude Ameisen, ancien président du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), membre du conseil scientifique de la Chaire coopérative de philosophie à l’Hôpital (APHP/ENS)

       Dr. François Hirsch, directeur de recherche à l’INSERM, membre du comité d’éthique de l’INSERM

       M. Joël Deumier, président de l’association SOS Homophobie, et Mme Delphine Plantive

       Mme Ludovine de La Rochère, présidente de La manif pour Tous, M. Albéric Dumont, vice-président, et M. Bruno Dary, conseiller

       M. Tugdual Derville, délégué général de l’Alliance Vita, Mme Caroline Roux, déléguée générale adjointe, coordinatrice des services d’écoute, et Mme Blanche Streb, directrice de la formation et de la recherche

       Conseil Supérieur du Notariat  Me Florence Pouzenc et Me Gilles Bonet, notaires à Paris

       Mme Sylvaine Telesfort, présidente de l’Association maison intersexualité et hermaphrodisme Europe (AMIHE)

       M. Jean-Pierre Scotti, président de l’association Greffe de Vie

       Mme Laurence Devillers, professeure à l’université Paris IV Panthéon-Sorbonne, chercheuse au Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur du Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

       Audition commune sur le don d’éléments et de produits du corps humain :

        Mme Marie Claire Paulet, présidente de France ADOT (Fédération des associations pour le don d’organes et de tissus humains)

        M. Michel Monsellier, président de la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB)

       Pr. Raja Chatila, professeur à Sorbonne Université, directeur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique

       Audition commune sur la prise en charge des personnes présentant des variations du développement sexuel :

        Une représentante du Collectif “Intersexes et Allié.e.s”

        GISS-Alter Corpus – M. Benjamin Pitcho, avocat, et M. Benjamin Moron-Puech, enseignant-chercheur

       M. Cyrille Dalmont, juriste et chercheur associé en intelligence artificielle à l’Institut Thomas More

       M. Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France, titulaire de la chaire Génétique humaine

       Père Thierry Magnin, professeur, physicien, recteur de l’Université catholique de Lyon

       Établissement français du sang  M. François Toujas, président, Mme Nathalie Moretton, directrice de cabinet, et M. Jonatan Le Corff, responsable du département juridique Santé, recherche, numérique et affaires (direction juridique et conformité)

       Table ronde de représentants de religions :

       M. François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France, et Mme Aude Millet-Lopez, responsable de la communication

       Rabbin Michaël Azoulay, du Grand rabbinat de France

       Mgr Pierre d’Ornellas, responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la Conférence des évêques de France

       M. Anouar Kbibech, vice-président du Conseil français du culte musulman

       Table ronde de personnalités qualifiées européennes :

       Pr. Petra de Sutter, gynécologue obstétricienne, cheffe du service « Médecine reproductive » de l’hôpital universitaire de Gand, sénatrice belge et membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe

       Pr. Dr. Claudia Wiesemann, vice-présidente du Conseil national d’éthique allemand, professeur d’éthique de la médecine à l’Université de Goettingen

       Mme Anne Cambon-Thomsen, immunogénéticienne, directrice de recherches au CNRS et membre du Groupe Européen d’Éthique

       Mme Paula Martinho Da Silva, membre du Comité international de bioéthique (UNESCO)

     Table ronde sur le don et la transplantation d’organe :

       Dr Julien Rogier, président de la Société française de médecine des prélèvements d’organes et de tissus (SFMPOT), médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus au CHU de Bordeaux

       Pr Michèle Kessler, professeur émérite de néphrologie à la Faculté de médecine de Nancy, médecin attaché au CHU de Nancy et présidente du réseau lorrain de prise en charge de l’insuffisance rénale NEPHROLOR

       Dr Jacques Durand-Gasselin, médecin coordonnateur des prélèvements d’organes et de tissus du centre hospitalier de Toulon

       M. Jean-Gabriel Ganascia, professeur à l’Université Pierre et Marie Curie, chercheur en intelligence artificielle, président du comité d’éthique du CNRS

       Dr Pierre Lévy-Soussan, psychiatre psychanalyste, chargé de cours à l’Université Paris-Diderot, et Dr Sarah Bydlowski, pédopsychiatre, psychanalyste et chercheur, chef de service au département de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris, chercheur associé au laboratoire de psychologie clinique, psychopathologie et psychanalyse, de l’Université René Descartes

       RP Bruno Saintôt s.j., directeur du département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres

     M. Cédric Villani, député de l’Essonne, vice-président de l’OPECST, auteur d’un rapport sur l’intelligence artificielle

     Audition commune de Pr. Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève, et de M. Bernard Baertschi, maître d’enseignement et de recherche, Université de Genève

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1])  La composition de cette mission figure au verso de la présente page

([2]) Fritz Jahr, Aufsätze zur Bioethik 1924-1948 : Werkausgabe, Lit Verlag, 2013.

([3]) Projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, n° 3166, 20 juin 2001.

([4]) La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pose plusieurs principes généraux, comme le droit à la vie, l’interdiction des traitements inhumains et dégradants et le droit au respect de la vie privée et familiale, qui peuvent trouver à s’appliquer en matière de bioéthique.

([5]) La Charte des droits fondamentaux dispose que « la dignité humaine est inviolable, elle doit être respectée et protégée », et que «  Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale ; 2° Dans le cadre de la médecine et de la biologie doivent notamment être respectés a) le consentement libre et éclairé de la personne concernée selon des modalités fixées par la loi ; b) l’interdiction des pratiques eugéniques, notamment celles qui ont pour but la sélection des personnes ; c) l’interdiction de faire du corps humain et de ses parties en tant que telles une source de profits ; d) l’interdiction du clonage reproductif des êtres humains ».

([6]) Conseil constitutionnel, décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

([7]) L’article 16 du code civil consacre ainsi explicitement que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celleci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie », ce qui signifie que la personne ne doit jamais être asservie aux intérêts de la science ou de la société. L’article 161 du code civil énonce ensuite trois principes : le respect du corps, qui survit à la mort de personne, du fait même de son humanité, l’inviolabilité de ce corps et enfin le principe d’extrapatrimonialité du corps humain prolongé par les articles 165 et 166, qui déclarent nulle toute convention ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain et interdisent qu’une rémunération soit allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments du corps ou à la collecte de produits de celuici.

([8]) Loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

([9]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([10]) Ce rapport est constitué ensemble du Rapport de synthèse du Comité consultatif national d’éthique et des Opinions du Comité Citoyen.

([11]) Comité consultatif national d’éthique, Contribution du Comité consultatif national d’éthique à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019, avis n° 129

([12]) M. Jean-François Eliaou, député, et Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice, Rapport au nom de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur l’évaluation de l’application de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, n° 1351 – Assemblée nationale, n° 80 – Sénat, 25 octobre 2018.

([13]) Comme le souligne le CCNE dans son rapport de synthèse des États généraux de la bioéthique, 69 % des contributions sur la plateforme participative en ligne se sont concentrées sur les thématiques « Procréation et société » et « Prise en charge de la fin de vie ». De même, il en ressort que la thématique « Procréation et société » a fait l’objet d’un grand nombre de réunions en région (Rapport de synthèse du CCNE, Opinions du comité citoyen, p. 17 et p. 121).

([14]) Une proposition de loi a notamment été déposée en novembre 2018 par Mme Danièle Obono afin de faire de l’AMP un droit universel (http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion1433.asp).

([15]) Conseil d’État, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », juin 2018, p. 43.

([16]) Pierre-André Taguieff, La bioéthique ou le juste milieu, une quête de sens à l’âge du nihilisme technicien, Fayard, 2007, p. 140.

([17]) Comité consultatif national d’éthique (CCNE), États généraux de la bioéthique. Rapport final, 1er juillet 2009, p. 23.

([18]) Irène Théry, Des Humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don, EHESS, coll. « Cas de figure », 2010.

([19]) Arrêté du 30 juin 2017 modifiant l’arrêté du 11 avril 2008 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation, Journal Officiel du 8 juillet 2017.

([20]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 33.

([21]) Sur cette décision, voir le point II.B.2, p. 36.

([22]) CCNE, La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple, avis n° 113, 10 février 2011.

([23]) Arrêté du 30 juin 2017 précité.

([24]) CCNE, La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple, avis n° 113, 10 février 2011.

([25]) Alain Claeys et Jean Leonetti, Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2235, 20 janvier 2010, p. 43.

([26]) Agence de la biomédecine, L’âge de procréer, conseil d’orientation, séance du 8 juin 2017.

([27]) Ibid., p. 6.

([28]) Cour administrative d’appel de Versailles, 5 mars 2018, n° 17VE00824 et 17VE00826.

([29]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 38.

([30]) Sur les 3 200 couples ayant eu recours à l’AMP en 2015, 1 800 consentements ont été recueillis par le juge, soit 56 %.

([31]) Article 87 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([32]) Ministère de la fonction publique, Circulaire du 24 mars 2017 relative aux autorisations d’absence dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (PMA).

([33]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, juin 2018, p. 18.

([34]) Dominique Mehl, Les Lois de l’enfantement. Procréation et politique en France (1982-2011), Presses de Sciences Po, 2011, p. 23.

([35]) Dominique Mehl, Les Lois de l’enfantement. Procréation et politique en France (1982-2011), Presses de Sciences Po, 2011, p. 23.

([36]) Conseil d’État, étude précitée, p. 98.

([37]) Audition du 6 septembre 2018.

([38]) Arrêté du 30 juin 2017 modifiant l’arrêté du 11 avril 2008 modifié relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation.

([39]) Corinne Fortier, “Des gamètes de couleur” : phénotype, race ou ethnie ? », Revue L’autre, 10 janvier 2012, p. 290.

([40]) Audition du 3 octobre 2018.

([41]) Arrêté du 30 juin 2017 précité.

([42]) Audition du 3 octobre 2018

([43]) Commission nationale consultative des droits de l’homme, communiqué de presse, 20 novembre 2018, https://www.cncdh.fr/sites/default/files/181120_cp_avis_amp.pdf

([44]) Conseil National de l’Ordre des Médecins, Révision de la loi bioéthique : l’Ordre s’exprime sur quelques points particuliers – Assistance médicale à la procréation, juin 2018, p. 5.

([45]) Cryos est une banque de sperme en ligne basée au Danemark.

([46]) Corinne Fortier, précité, p. 292.

([47]) Commission nationale consultative des droits de l’homme, communiqué précité.

([48]) La possession d’état consiste dans « une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (article 311-1 du code civil).

([49]) Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et relatif au renforcement de l’organisation des juridictions prévoit de transférer du juge au notaire la compétence en matière d’acte de notoriété constatant la possession d’état aux fins d’établissement de la filiation.

([50]) Audition du 19 juillet 2018.

([51]) Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, rapport du groupe de travail dirigé par Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, 2014.

([52]) Irène Théry et Anne-Marie Leroyer (dir.), Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, 2014.

([53]) Irène Théry et Anne-Marie Leroyer (dir.), Rapport précité.

([54]) Rapport précité.

([55]) Chiffres datés de 2011 in Insee, Couples et familles, édition 2015.

([56]) Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

([57]) Réunion conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les questions de bioéthique « Procréation et société », 20 juin 2018.

([58]) Audition du 3 octobre 2018.

([59]) Table ronde du 20 septembre 2018.

([60]) Martine Gross, Idées reçues sur l’homoparentalité, Le Cavalier Bleu, novembre 2018, p. 179.

([61]) Réunion conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les questions de bioéthique « Procréation et société », 20 juin 2018.

([62]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 35.

([63]) INED, Populations et sociétés, n° 556, juin 2018.

([64]) CCNE, Avis sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), n° 126, 15 juin 2017, annexe 4, p. 65.

([65]) Loup Besmond de Senneville, « L’INED veut mesurer le nombre de PMA de françaises à l’étranger », La Croix, 11 décembre 2018 (https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Ethique/LIned-veut-mesurer-nombre-PMA-Francaises-letranger-2018-12-11-1200988931).

([66]) Audition du 7 novembre 2018.

([67]) Réunion conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les questions de bioéthique « Procréation et société », 20 juin 2018.

([68]) Audition du 17 octobre 2018.

([69]) Audition du 17 octobre 2018.

([70])https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/assistance-medicale-procreation-amp

([71]) http://invs.santepubliquefrance.fr/fr/Dossiers-thematiques/Environnement-et-sante/Reproduction-humaine-et-environnement/Indicateurs-sanitaires-Incidence-et-analyses-epidemiologiques/Qualite-du-sperme.

([72]) Audition du 27 septembre 2018.

([73]) Audition du 17 octobre 2018.

([74]) https://www.liberation.fr/debats/2018/09/24/pma-appel-pour-un-plan-fertilite_1680925.

([75]) Audition du 17 octobre 2018.

([76]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, juin 2018, p. 52.

([77]) Audition du 19 juillet 2018.

([78]) Conseil d’État, 1ère et 4ème chambres réunies, 28 septembre 2018, n° 421899, Inédit au recueil Lebon.

([79]) Conseil constitutionnel, n° 73-51 DC du 27 décembre 1973, Loi de finances pour 1974, décision dite « Taxation d’office ».

([80]) CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, nos 88032, 88148 et Cons. const., n° 79-107 DC du 12 juillet 1979 Pont à péage.

([81]) Conseil d’État, étude précitée, p. 50.

([82]) L’analyse du Conseil d’État fait référence aux couples homosexuels sans mention du sexe commun, mais le rapporteur rappelle que, s’agissant des couples d’hommes, une éventuelle procréation ne pourrait intervenir qu’en mobilisant une « gestation pour autrui ». Celle-ci contrevient au principe d’indisponibilité du corps humain, ce qui conforte, à l’encontre de ces couples, le caractère non opérationnel du principe d’égalité au regard de la revendication d’accès aux techniques de PMA.

([83]) Conseil d’État, étude précitée, p. 49.

([84])  Table ronde d’associations familiales, 2 octobre 2018, compte rendu n° 21.

([85]) Audition du 13 septembre 2018.

([86]) Flora Bolter et Denis Quinqueton, Pour l’égalité des droits à la PMA, Fondation Jean Jaurès, décembre 2018.

([87]) Dominique Mehl, Les Lois de l’enfantement. Procréation et politique en France (1982-2011), Presses de Sciences Po, 2011, p. 30.

([88]) Audition du 17 octobre 2018.

([89]) Audition du 7 novembre 2018.

([90]) Ibid.

([91])  Geneviève Delaisi de Parseval, « Le devenir psychique des enfants conçus par AMP ou les enfants des couples infertiles », Réalités pédiatriques, n° 226, décembre 2018.

([92]) Audition du 16 octobre 2018.

([93]) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/06/13/01016-20180613ARTFIG00332-acces-aux-origines-le-coup-de-pression-de-la-cour-europeenne-des-droits-de-l-homme.php : « cette décision de communication de la cinquième section de la CEDH [a été] effectuée dans le cadre de l’affaire Audrey Kermalvezen ».

([94]) Audition du 17 octobre 2018.

([95]) CEDH, 7 juillet 1989, Gaskin c./ Royaume-Uni et CEDH, 25 septembre 2012, Godelli c./ Italie.

([96]) CEDH, 28 novembre 1994, Rasmussen contre Danemark.

([97]) Nina le Bonniec, « L’anonymat du don de gamètes en France : un possible terrain d’inconventionnalité », Revue de droit sanitaire et social, n° 72, pp. 281-293.

([98]) Audition du 19 juillet 2018.

([99]) Jean Leonetti, Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, 20 janvier 2010.

([100]) CE 31 mai 2016, Mme C. A., n° 396848.

([101]) Audition du 19 juillet 2018.

([102]) Audition du 20 septembre 2018.

([103]) CCNE, La demande d’assistance médicale à la procréation après le décès de l’homme faisant partie du couple, avis n° 113, 10 février 2011.

([104]) https://www.agence-biomedecine.fr/Le-don-de-gametes,65.

([105]) Agence de la biomédecine, Rapport médical et scientifique de l’assistance médicale à la procréation et de la génétique humaines en France, 2017.

([106]) Geneviève Delaisi de Parseval et Pauline Tiberghien, « Don d’embryon : danger », Libération, 23 septembre 2004 (https://www.liberation.fr/tribune/2004/09/23/don-d-embryon-danger_493476).

([107]) Dominique Mehl et Martine Gross, « Infertilité : double don de gamètes ou don d’embryon ? », Dialogue, n° 222, Éditions Erès, janvier 2019.

([108]) Audition du 19 septembre 2018.

([109]) https://www.cecos.org/node/4235.

([110]) Voir, notamment, la table ronde de personnalités européennes organisée le 6 novembre 2018.

([111]) Sylviane Agacinski, Corps en miettes, Flammarion, 2009, p. 48.

([112]) Ibid.

([113]) Ibid.

([114]) CCNE, avis n° 129 précité, p. 117.

([115]) Ibid.

([116]) Académie de médecine, « La conservation des ovocytes », Rapport 17-04, mardi 13 juin 2017.

([117]) CCNE, Avis sur les demandes sociétales de recours à l’assistance médicale à la procréation (AMP), avis n° 126, 15 juin 2017.

([118]) Voir p. 25 et suivantes.

([119]) Agence de la biomédecine, fiche « Fertilité », https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/fiche4-amp.pdf.

([120])  Fiche « Fertilité » précitée.

([121]) Valérie Depadt, « Assistance médicale à la procréation : vers une conquête d’une liberté procréative affirmée ? » in Traité de Bioéthique, Tome IV Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction d’Emmanuel et François Hirsch, Éditions Cérès, pp. 181-192.

([122]) CCNE, avis n° 129 précité, p. 119.

([123]) Ibid.

([124]) Agence de la biomédecine – Conseil d’orientation, Réflexions sur l’âge de procréer en assistance médicale à la procréation, séance du 8 juin 2017, p. 21. https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/2017-co-18_age_de_procre_er_version_finale_14_juin_2017.pdf

([125]) Audition du 17 octobre 2018.

([126]) Op. cit., p. 22.

([127]) Article L. 111-2 du code de la sécurité sociale.

([128]) Loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982 relative à la couverture des frais afférents à l’interruption volontaire de grossesse non thérapeutique et aux modalités de financement de cette mesure.

([129]) Audition du 3 octobre 2018.

([130]) Conseil d’État, étude précitée, p. 15.

([131]) https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-26-septembre-2018.

([132]) Conseil d’État, étude précitée, p. 54.

([133]) Christian Flavigny et Michèle Fontanon-Missenard, « L’extension de la PMA systématise l’exclusion symbolique du père », Le Figaro Vox, publié le 28/09/2018.             
(http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2018/09/28/31003-20180928ARTFIG00206-l-extension-de-la-pma-systematise-l-exclusion-symbolique-du-pere.php)

([134]) Audition du mercredi 7 novembre 2018.

([135]) Audition du 27 septembre 2018.

([136]) Audition du 2 octobre 2018.

([137]) Réunion conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les questions de bioéthique « Procréation et société », 20 juin 2018.

([138]) Ibid.

([139]) Conseil d’État, étude précitée, p. 54.

([140]) Voir p. 17.

([141])  Article 5 de la Charte de l’environnement.

([142]) Conseil d’État, étude précitée, p. 53.

([143]) La possession d’état consiste dans « une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (article 311-1 du code civil). À condition d’être « continue, paisible, publique et non équivoque » (article 311-2 du code civil), elle est susceptible d’établir la filiation lorsqu’elle est constatée soit dans un jugement, soit dans un acte de notoriété.

([144]) Audition du 18 octobre 2018.

([145]) Geneviève Delaisi de Parseval, « L’art d’accommoder les parents. Interview de Geneviève Delaisi de Parseval », Informations sociales, 2008/5 (n° 149), p. 108-113 [https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2008-5.htm-page-108.htm].

([146]) Audition du 18 octobre 2018.

([147]) Ibid.

([148]) Lorsqu’a eu lieu, à l’inverse, un don d’ovocytes, la filiation maternelle conserve son fondement biologique, dont la dimension obstétrique prend le pas sur la dimension génétique.

([149]) Alinéa 1°bis de l’article 345-1 du code civil.

([150]) La Cour de cassation a en effet considéré, dans ses avis nos 15010 et 15011 du 22 septembre 2014, que le recours à l’insémination artificielle avec donneur à l’étranger ne faisait pas obstacle en soi à l’adoption de l’enfant par la conjointe de la mère.

([151]) Audition du 18 octobre 2018.

([152]) Il ne serait pas possible d’ouvrir l’accès à l’AMP aux seuls couples de femmes mariés alors qu’une telle restriction n’existe pas pour les couples hétérosexuels.

([153]) Conseil d’État, étude précitée, p. 59.

([154]) Audition du 18 octobre 2018.

([155]) Cour de cassation, 1ère civile, 7 mars 2018, n° 17-70.039.

([156]) Audition du 18 octobre 2018.

([157]) Ibid.

([158]) Ibid.

([159]) Audition du 13 septembre 2018.

([160]) Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, rapport du groupe de travail présidé par Mmes Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, 2014.

([161]) Audition du 19 juillet 2018.

([162]) Comme c’est le cas de tous les modes d’établissement de la filiation, qu’ils figurent dans le corps de l’acte (mariage des parents qui emporte présomption de filiation, reconnaissance prénatale) ou en marge de l’acte (reconnaissance postnatale, adoption, établissement judiciaire de paternité ou de maternité), la déclaration commune anticipée de filiation devrait apparaître sur l’acte de naissance de l’enfant.

([163]) Audition du 9 octobre 2018.

([164]) Audition du 19 septembre 2018.

([165]) « La GPA, un business très porteur », Le Monde, 29 décembre 2017.

([166]) Laurence Brunet (dir.), A comparative study on the regime of surrogacy in EU Member States, 2013.

([167]) Clotilde Brunetti-Pons(dir.), Le droit à l’enfant et la filiation en France et dans le monde, LexisNexis, 2018.

([168]) Résolution du Parlement européen du 17 décembre 2015 sur le rapport annuel de 2014 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et sur la politique de l’Union européenne en la matière (2015/2229(INI)).

([169]) La problématique de la détermination du sexe et la situation des personnes inter-sexes est évoquée dans un chapitre spécifique du présent rapport.

([170]) Cour de cassation, 1ère chambre civile, 13 décembre 1989, n° 88-15.655.

([171]) Voir notamment, TGI Marseille, 16 décembre 1987 : JurisData n° 1987-600054, où la convention de mère porteuse est considérée comme nulle car contraire au principe de l’indisponibilité du corps humain fondé sur l’article 1128 du code civil, et TGI Paris, 20 janvier 1988 : JurisData n° 1988-041202, où l’association de mères porteuses est considérée comme devant être dissoute compte tenu de son objet illicite portant atteinte à l’indisponibilité du corps humain.

([172]) Cour de cassation, assemblée plénière, 31 mai 1991, n° 90-20.105 : JurisData n° 1991-001378.

([173]) Jean-René Binet, Protection de la personne – Le corps humain, Jurisclasseur, fascicule 12, 11 décembre 2015.

([174]) « Considérant que le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé et proclamé des droits, libertés et principes constitutionnels en soulignant d’emblée que : “Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés” ; qu’il en ressort que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ».

([175]) Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

([176]) Louis Favoreu et alii, Droit des libertés fondamentales, 7e édition, 2004, Dalloz.

([177]) Les alinéas 2 et 3 de l’article 227-12 du code pénal prévoient que « le fait, dans un but lucratif, de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s’entremettre entre une personne ou un couple désireux d’accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double ».

([178]) L’article 227-14 du code pénal prévoit que les personnes morales déclarées responsables pénalement encourent, outre le quintuple de l’amende prévue pour l’infraction, certaines peines prévues par l’article 131-39 du même code (dissolution, interdiction d’exercice, confiscation, etc.).

([179]) L’article 227-13 du code pénal dispose que « la substitution volontaire, la simulation ou dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ».

([180]) L’alinéa 1er de l’article 227-12 prévoit que « le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d’autorité, les parents ou l’un d’entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ».

([181]) Tentatives infructueuses de recueil des ovules, insémination de la mère porteuse, jugement de la Cour suprême de l’État de Californie qui légitime leur qualité de père et de mère des enfants à naître, établissement des actes de naissance et des passeports.

([182]) Audition du 16 octobre 2018.

([183]) Circulaire du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certificats de nationalité française – convention de mère porteuse – État civil étranger, NOR : JUSC1301528C.

([184]) CE, 12 décembre 2014, n° 367324.

([185]) CE, ord., 3 août 2016, MAEDI c/ Mme X, n° 401924.

([186]) Cass. assemblée plénière, 31 mai 1991, n° 90-20.105, et Cass. civ. 1re, 29 juin 1994, n° 92-13.563.

([187]) Cass. civ. 1re, 6 avril 2011, n° 10-19.053.

([188]) Cass. civ. 1re, 6 avril 2011, n° 09-17.130.

([189]) Cass. civ. 1re, 13 septembre 2013, n° 12-30.138.

([190]) Cass. civ. 1re, 13 septembre 2013, n° 12-18.315.

([191]) CEDH, Mennesson c. France, 26 juin 2014, n° 65192/11 et Labassee c. France, 26 juin 2014, n° 65941/11.

([192]) CEDH, Foulon et Bouvet c. France, 21 juillet 2016, n° 9063/14 et 10410/14.

([193]) CEDH, Paradiso et Campanelli c. Italie, 24 janvier 2017, n° 25358/12.

([194]) Cass. ass. plénière, 3 juillet 2015, n° 14-21.323 et 15-50.002.

([195]) Cass. civ. 1re, 5 juillet 2017, n° 16-16.455.

([196]) L’adoption plénière supprime le lien de filiation entre l’adopté et sa famille d’origine en lui substituant un nouveau lien de filiation avec l’adoptant tandis que l’adoption simple laisse coexister ces deux liens de filiation. L’adoption plénière est irrévocable et rompt la possibilité pour l’enfant de faire établir, un jour, tout lien de filiation entre lui et sa mère biologique.

([197]) CA Paris, 30 janvier 2018.

([198]) CA Paris, 18 septembre 2018.

([199]) Cass. civ. 1re, 5 juillet 2017, n° 16-16.901 et Cass., civ. 1re, 29 novembre 2017, n° 16-50.061.

([200]) S’agissant des situations passées ayant donné lieu à un refus de transcription par une décision judiciaire revêtue de l’autorité de la chose jugée, l’article 42 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle a prévu un mécanisme de réexamen des décisions civiles définitives en matière d’état des personnes en cas de condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.

([201]) Cass. réexamen, 16 février 2018, n° 17 RDH 001 et n° 17 RDH 002.

([202]) Cass. ass. plén., 5 octobre 2018, n° 12-30.138.

([203]) Ce protocole prévoit que les plus hautes juridictions d’un État partie à la Convention européenne des droits de l’homme peuvent adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles.

([204]) Cass. ass. plén., 5 octobre 2018, n° 10-19.053.

([205]) Audition du 6 septembre 2018.

([206]) Michelle Giroux et Jérôme Courduriès (sous la responsabilité scientifique), Le recours transnational à la reproduction assistée avec don. Perspective franco-québecoise et comparaison internationale, GIP Mission de recherche Droit et Justice, juillet 2017.

([207]) L’adoption plénière supprime le lien de filiation entre l’adopté et sa famille d’origine en lui substituant un nouveau lien de filiation avec l’adoptant tandis que l’adoption simple laisse coexister ces deux liens de filiation.

([208]) Laurence Brunet, Jérôme Courduriès, Michelle Giroux et Martine Gross, « Bioéthique : faut-il repenser la filiation ? », CNRS / Le Journal, janvier 2018 (https://lejournal.cnrs.fr/billets/bioethique-faut-il-repenser-la-filiation).

([209]) Cass. 1re civ., 29 novembre 2017, n° 16-25.485.

([210]) L’article 317 du code civil prévoit ainsi que chacun des parents ou l’enfant peut demander au juge que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire. La demande ne peut être formée que par l’un des père et mère ou par tous deux conjointement, ou encore par l’enfant, à l’exclusion de toute autre personne.

([211]) L’article 6-1 du code civil prévoit que « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe. »

([212]) Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 17-70.039.

([213]) Voir notamment TGI Nantes, 14 décembre 2017, n° 16/04096.

([214]) Le tribunal a également fait droit, dans le jugement n° 16/04762 prononcé le 8 mars 2018, à la demande de transcription complète de l’acte de naissance délivré aux États-Unis à un couple d’hommes déclarés comme parents sans aucune référence à la femme qui avait porté l’enfant, avec toutefois un raisonnement ne mobilisant pas l’argument de la réalité juridique. Il y a considéré que la circulation des actes de l’état civil repose sur un système d’équivalence qui ne doit être écarté qu’en cas de violation de l’ordre public international français. Ainsi, quels que soient les mécanismes qui justifient la désignation directe des parents d’intention dans les actes de naissance étrangers, si les mentions qui en résultent sont équivalentes à celles qu’autorisent le droit français – serait-ce au terme de procédures différentes –, il n’y aurait aucune raison de ne pas les transcrire et de ne pas les tenir pour valides en droit français.

([215]) Filiation, origines, parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, rapport du groupe de travail présidé par Mme Irène Théry, 2014.

([216]) « Le premier est qu’elle induit une représentation de ce que serait une GPA éthiquement acceptable, ce qui pourrait apparaître contraire au maintien de son interdiction. Le second est qu’elle conduit, à nouveau, à faire porter par l’enfant les conséquences d’une GPA réalisée dans des conditions intolérables, puisqu’il serait, dans cette hypothèse, dépourvu de lien de filiation, ce qui serait contraire au droit au respect de sa vie privée ».

([217]) Arrêt de la Cour suprême allemande (décision XII ZB 463/13) du 10 décembre 2014 (cas d’un jugement californien établissant la filiation d’un enfant, dès la naissance, à l’égard de ses deux pères) : https://www.crin.org/en/library/legal-database/supreme-court-germany-decision-xii-zb-463/13-bundesgerichtshof-beschluss-xii

([218]) Arrêt définitif de la cour d’appel de Bruxelles du 10 août 2018 (répertoire 2018/6249 – rôle 2017/FQ/4), reconnaissant un jugement californien établissant la filiation d’un enfant à l’égard de ses deux pères.

([219])  Audition du 6 septembre 2018.

([220]) Table ronde du 27 septembre 2018.

([221]) Réunion conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, sur les questions de bioéthique « Procréation et société », 20 juin 2018.

([222]) Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, https://www.unfe.org/fr/intersex-awareness

([223]) Audition du 25 octobre 2018.

([224]) Audition du 25 octobre 2018.

([225]) Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, Plan de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT – La République mobilisée contre la haine et les discriminations anti-LGBT, décembre 2016, p. 25.

([226]) Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour respecter les droits fondamentaux, 22 mai 2018, p. 17.

([227]) World Health Organization, Eliminating forced, coercitive and otherwise involuntary sterilization – An interagency statement, mai 2014.

([228]) Parlement européen, Résolution du Parlement européen du 14 février 2017 sur la promotion de l’égalité des genres en matière de santé mentale et de recherche clinique (2016/2096(INI)), §61

([229]) Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Résolution 2191 (2017) – Promouvoir les droits humains et éliminer les discriminations à l’égard des personnes intersexes.

([230]) Guy Cabanel, Rapport n° 230 (1993-1994) fait au nom de la commission des lois, Sénat, 12 janvier 1994 ; https://www.senat.fr/rap/1993-1994/i1993_1994_0230.pdf.

([231]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 133.

([232]) Article R. 4127-41 du code de la santé publique.

([233]) Article L. 1111-4 du code de la santé publique.

([234]) Article L. 1111-2 du code de la santé publique.

([235]) Article 371-1 du code civil.

([236]) Laurence Brunet, « Ordre social contre ordre “naturel” : la mention du sexe sur l’état civil des personnes intersexes », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2016.

([237]) Article L. 1111-2 du code de la santé publique.

([238]) Article L. 1111-4 du code de la santé publique.

([239]) Conseil d’État, étude précitée, p. 138.

([240]) Défenseur des droits, Avis du Défenseur des droits n° 17-04, 20 février 2017, p. 7.

([241]) Amélie Gogos-Gintrand, « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », Revue de droit sanitaire et social, 4 novembre, 2016.

([242]) Conseil d’État, étude précitée, pp. 134-135.

([243]) Conseil d’État, étude précitée, pp. 134-135.

([244]) Audition du 25 octobre 2018.

([245]) Audition du 25 octobre 2018.

([246]) Conseil d’État, étude précitée, p. 134.

([247]) Conseil d’État, étude précitée, p. 134.

([248]) Conseil d’État, étude précitée, p. 135.

([249]) Audition du 25 octobre 2018.

([250]) Conseil d’État, étude précitée, p. 136.

([251]) Audition du 25 octobre 2018.

([252]) GISS, Alter Corpus, Note sur les réformes législatives nécessaires pour le respect des droits fondamentaux des personnes intersexuées en France, 25 janvier 2018             
https://sexandlaw.hypotheses.org/files/2018/04/2018-04-27-Note-sur-les-reformes-le%CC%81gislatives.pdf.

([253]) Conseil d’État, étude précitée, p. 140.

([254]) Article L. 1110-5 du code de la santé publique.

([255]) Conseil d’État, étude précitée, p. 137.

([256]) Conseil d’État, étude précitée,  p. 139.

([257]) Articles L. 1111-2 et L. 1111-4 du code de la santé publique.

([258]) Conseil d’État, étude précitée, p. 141.

([259]) Audition du 25 octobre 2018.

([260]) Audition du 25 octobre 2018.

([261]) Laurence Brunet, « Ordre social contre ordre “naturel” : la mention du sexe sur l’état civil des personnes intersexes », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2016.

([262]) Ibid.

([263]) Communiqué Stop Mutilations Intersexes, Changer son corps ou non, Ce sera son choix – Pour l’arrêt des mutilations sur les enfants intersexes.

([264]) Amélie Gogos-Gintrand, « Intersexualité : binarité des sexes, médecine et droit », Revue de droit sanitaire et social, 4 novembre, 2016.

([265]) Audition du 19 septembre 2018.

([266]) Conseil d’État, étude précitée, p. 140.

([267]) Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine, Attitude à adopter face aux variations du développement sexuel. Questions éthiques sur « l’intersexualité », Prise de position n° 20/2012, novembre 2012, p. 13.

([268]) Laurence Brunet, « Ordre social contre ordre “naturel” : la mention du sexe sur l’état civil des personnes intersexes », in Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2016.

([269]) Haute Autorité de Santé, Protocole National de Diagnostic et de Soins (PNDS). Insensibilités aux androgènes, 21 décembre 2017.

([270]) Audition du 25 octobre 2018.

([271]) Audition du 25 octobre 2018.

([272]) Conseil d’État, étude précitée, p. 139.

([273]) Conseil d’État, étude précitée, p. 141.

([274]) Défenseur des droits, avis précité, p. 16.

([275]) Conseil d’État, étude précitée, p. 142.

([276]) Conseil d’État, étude précitée, p. 141.

([277]) Audition du 25 octobre 2018.

([278]) Mmes Maryvonne Blondin et Corinne Bouchoux, Rapport présenté au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat - Variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions, 23 février 2017.

([279]) Conseil d’État, étude précitée, p. 141.

([280]) Défenseur des droits, avis précité, p. 16.

([281]) Audition du 6 septembre 2018.

([282]) Audition du 18 octobre 2018.

([283]) Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, STE n° 164. La convention a été signée par la France le 4 avril 1997 et ratifiée le 13 décembre 2011. Depuis sa signature, la convention a été ratifiée par 29 États et 6 États l’ont signée mais pas ratifiée.

([284]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([285]) Audition du 18 septembre 2018.

([286]) Ibid.

([287]) Inserm, État de la recherche sur l’embryon humain et propositions (2ème partie), juin 2015 ; https://www.inserm.fr/sites/default/files/media/entity_documents/Inserm_Note_ComiteEthique_GroupeEmbryon_juin2015.pdf

([288]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 175.

([289]) Article L. 2213-1 du code de la santé publique.

([290]) M. Jean Leonetti, rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, n° 3111, XIIIe législature, 26 janvier 2011.

([291]) M. Jean-René Binet, Droit de la bioéthique, LGDJ, 2017, Lextenso éditions, p. 290.

([292]) Article L. 2151-5 du code de la santé publique dans sa version issue de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

([293]) Loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

([294]) M. Jean Leonetti, rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, n° 3111, XIIIe législature, 26 janvier 2011.

([295]) Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, mai 2009, p. 21.

([296]) Loi n° 2013-715 du 6 août 2013 tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

([297]) Mme Dominique Orliac, rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, n° 825, XIVe législature, 20 mars 2013.

([298]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([299]) Loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

([300]) Décret n° 2015-155 du 11 février 2015 relatif à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires et à la recherche biomédicale en assistance médicale à la procréation.

([301]) Il s’agit des recherches « mentionnées aux articles R. 1121-2 et R. 1121-3 » du code de la santé publique, c’est-à-dire, d’une part, des recherches non interventionnelles (définies comme les « recherches pour lesquelles la stratégie médicale destinée à une personne qui se prête à la recherche n’est pas fixée à l’avance par un protocole et relève de la pratique courante ») et, d’autre part, des recherches « dont l’objectif est d’évaluer des actes, combinaisons d’actes ou stratégies médicales de prévention, de diagnostic ou de traitement qui sont de pratique courante, c’est-à-dire faisant l’objet d’un consensus professionnel, dans le respect de leurs indications ».

([302]) Compte rendu intégral des débats, Assemblée nationale, XIVe législature, session ordinaire de 2014-2015, première séance du vendredi 10 avril 2015.

([303]) Rapport n° 653 (2014-2015) de M. Alain Milon, Mmes Catherine Deroche et Élisabeth Doineau, fait au nom de la commission des affaires sociales, 22 juillet 2015.

([304]) Inserm, État de la recherche sur l’embryon humain et propositions (2ème partie), juin 2015 ; https://www.inserm.fr/sites/default/files/media/entity_documents/Inserm_Note_ComiteEthique_GroupeEmbryon_juin2015.pdf. Bien qu’antérieur à la réintroduction d’une base légale par la loi du 21 janvier 2016, ce document décrit un état du droit très similaire, fondé sur le seul décret du 11 février 2015, qui répond à une logique identique, comme cela a été souligné dans les développements précédents.

([305]) Audition du 18 septembre 2018.

([306]) Article L. 1121-10 du code de la santé publique.

([307]) Audition du 6 septembre 2018.

([308]) Décision n° 2015727 DC du 21 janvier 2016.

([309]) Inserm, État de la recherche sur l’embryon humain et propositions (2ème partie), juin 2015 ; https://www.inserm.fr/sites/default/files/media/entity_documents/Inserm_Note_ComiteEthique_GroupeEmbryon_juin2015.pdf.

([310]) Un pronucleus est le noyau d’un gamète, soit du spermatozoïde, soit de l’ovule.

([311]) Une cellule est diploïde lorsque les chromosomes qu’elle contient sont présents par paires.

([312]) Il s’agit d’implanter une cellule d’embryon ou d’adulte et de la fusionner avec un ovule énucléé.

([313]) Le mot « cybride » provient de la contraction des mots « cytoplasme » et « hybride ».

([314]) https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/therapie-genique.

([315]) CCNE, Avis sur la thérapie génique, n° 22, 13 décembre 1990.

([316]) Ibid.

([317]) Ibid.

([318]) Article R. 2151-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue du décret n° 2006-121 du 6 février 2006.

([319]) MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, Rapport sur la recherche sur les cellules souches, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2718, 8 juillet 2010.

([320]) M. Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3111, 26 janvier 2011.

([321]) Dans sa rédaction issue du décret n° 2012-467 du 11 avril 2012.

([322]) MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2235, 20 janvier 2010.

([323]) M. Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3111, 26 janvier 2011.

([324]) Mme Dominique Orliac, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, n° 825, XIVe législature, 20 mars 2013.

([325]) Les recherches ne pouvaient être autorisées qu’« à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques ».

([326]) Mme Dominique Orliac, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, n° 825, XIVe législature, 20 mars 2013.

([327]) Conseil Constitutionnel, décision n° 2013-674 DC du 1er août 2013.

([328]) M. Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3111, 26 janvier 2011.

([329]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([330]) Premier alinéa de l’article L. 5151-2.

([331]) CCNE, Une réflexion éthique sur la recherche sur les cellules d’origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l’embryon humain in vitro, Avis n° 112, octobre 2010.

([332]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([333]) Table ronde du 9 octobre 2018

([334]) Réunions conjointes avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le thème « Recherche génétique et recherche sur l’embryon », en présence de M. Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France, M. Antoine Magnan, professeur de pneumologie, président du Comité national de coordination de la recherche, et de M. Arnold Munnich, professeur de génétique pédiatrique, chef du département de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris, Compte rendu de réunion n° 65, 16 mai 2018, XVe législature.

([335]) Ibid.

([336]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([337]) Réunion du 16 mai 2018.

([338]) Réunion conjointe précitée.

([339]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([340]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([341]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([342]) Inserm, Saisine concernant les questions liées au développement de la technologie CRISPR (clustered regularly interspac short palindromic repeat)-Cas 9, note du comité d’éthique, février 2016.

([343]) François Hirsch, « Crispr : lorsque modifier le génome devient possible », in Traité de la bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction de Emmanuel et François Hirsch, Édition Eres, 2018.

([344]) Ibid.

([345]) Ibid.

([346]) Comité international de bioéthique, Rapport du CIB sur la mise à jour de sa réflexion sur le génome humain et les droits de l’homme, UNESCO, 2 octobre 2015             
http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002332/233258f.pdf.

([347]) Inserm, Saisine concernant les questions liées au développement de la technologie CRISPR (clustered regularly interspac short palindromic repeat)-Cas 9, note du comité d’éthique, février 2016.

([348]) https://www.infogm.org/6501-brevets-crispr-saga-continue#nb19-3.

([349]) https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/edition-genomique.

([350]) http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2016/04/Vesrion-bulletin-11.pdf

([351]) L’intervention a lieu sur la première cellule embryonnaire mais n’est pas susceptible de se répercuter sur toutes les cellules résultant du développement embryonnaires. Il en résulte que les cellules de l’embryon ont des matériels génétiques différents.

([352]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([353]) M. Jean Leonetti, Rapport fait au nom de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 3111, 26 janvier 2011.

([354]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([355]) Table ronde du 9 octobre 2018.

([356]) Réponse de l’Agence de la biomédecine au questionnaire transmis par le rapporteur.

([357]) Idem.

([358]) Article R. 1131-2 du code de la santé publique.

([359]) Article R. 1131-5 du code de la santé publique.

([360]) Arrêté du 11 décembre 2000 fixant la liste des analyses de biologie médicale ayant pour objet de détecter les anomalies génétiques impliquées dans l’apparition éventuelle de la maladie recherchée pour les personnes asymptomatiques. Il s’agit des dosages d’alpha galactosidase, d’hypoxanthine phosphoribosyl transférase (HPRT), d’iduronate sulfatase, de phosphoribosyl pyrophosphate synthétase (PRPS) et de phénotypage de l’apolipoprotéine E4.

([361]) Article R. 1131-5 du code de la santé publique.

([362]) Article R. 1131-5 du code de la santé publique.

([363]) Table ronde du 17 octobre 2018.

([364]) Audition du 30 octobre 2018.

([365]) Audition du 30 octobre 2018.

([366]) Articles L. 1111-2 et L. 1111-7 du code de la santé publique.

([367]) Article L. 1131–1-2 du code de la santé publique, inséré par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.

([368]) Arrêté du 8 décembre 2014 définissant les règles de bonnes pratiques relatives à la mise en œuvre de l’information de la parentèle dans le cadre d’un examen des caractéristiques génétiques à finalité médicale.

([369]) Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Réflexion éthique sur l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit, Avis n° 124, 21 janvier 2016.

([370]) Article L. 1131-1-2 du code de la santé publique.

([371]) Loi n° 2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine.

([372]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

([373]) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

([374]) M. Cyrille Isaac-Sibille, Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative à l’expertise des comités de protection des personnes, n° 908, XVe législature, 9 mai 2018.

([375]) Loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

([376]) Mme Albane GAILLOT, Avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, n° 579, XVe législature, 23 janvier 2018.

([377]) Jean-René Binet, Droit de la bioéthique, LDGJ, coll. « Manuels », 2017, p. 258.

([378]) Ibid., p. 258.

([379]) Roussey M, Delmas D, « Plus de 40 ans de dépistage néonatal en France : des données épidémiologiques majeures pour plusieurs maladies rares », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 2015;(15-16):230-8. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/15-16/2015_15-16_1.html.

([380]) Décret n° 2008-321 du 4 avril 2008 relatif à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales.

([381]) Arrêté du 22 février 2018 relatif à l’organisation du programme national de dépistage néonatal recourant à des examens de biologie médicale.

([382]) Arrêté du 22 janvier 2010 fixant la liste des maladies donnant lieu à un dépistage néonatal.

([383]) Alliance Maladies Rares, conférence « Care’18. Un diagnostic pour tous ! », Paris, 12 novembre 2018.

([384]) Décret n° 2017-808 du 5 mai 2017 relatif à l’introduction dans la liste des examens de diagnostic prénatal des examens de génétique portant sur l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel.

([385]) Rapport de l’Agence de la biomédecine (ABM) sur l’application de la loi de bioéthique pour les données de l’année 2015 et site internet de l’ABM pour les données de l’année 2016.

([386]) Ibid.

([387]) Agence de la biomédecine, État des lieux du diagnostic prénatal en France, 2008.

([388]) CCNE, Avis sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI), n° 107, octobre 2009.

([389]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018.

([390]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 170.

([391]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, pp. 170-171.

([392]) Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé, France Médecine génomique 2025.

([393]) Comité Consultatif National d’Éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Réflexion éthique sur l’évolution des tests génétiques liée au séquençage de l’ADN humain à très haut débit, avis n° 124, 21 janvier 2016.

([394]) CCNE, avis n° 124 précité.

([395]) CCNE, avis n° 124 précité.

([396]) France Médecine génomique 2025, Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé.

([397]) France Médecine génomique 2025, Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé.

([398]) Catherine Olliver, « Recherche biomédicale et génétique : quelques enjeux éthiques », in Traité de bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction de Emmanuel et François Hirsch, Édition Eres, 2018.

([399]) Réunions conjointes avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le thème « Recherche génétique et recherche sur l’embryon », en présence de M. Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France, M. Antoine Magnan, professeur de pneumologie, président du Comité national de coordination de la recherche, et de M. Arnold Munnich, professeur de génétique pédiatrique, chef du département de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris, Compte rendu de réunion n° 65, 16 mai 2018, XVe législature, session ordinaire 2017-2018.

([400]) Mme Albane GAILLOT, Avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, n° 579, XVe législature, 23 janvier 2018.

([401]) CCNE, Avis n° 124 précité.

([402]) Articles L. 1131-3 et L. 1131-2-1 du code de la santé publique.

([403]) https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/15/aux-etats-unis-les-bases-de-donnees-genetiques-permettent-d-identifier-de-nombreux-anonymes_5369677_4408996.html?.

([404]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([405]) Voir, à cet égard, les développements du III-A-1 du présent chapitre.

([406]) Voir, notamment, Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 46.

([407]) CCNE, Contribution du CCNE à la révision de la loi de bioéthique, avis n° 129, septembre 2018.

([408]) Proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’autorisation des examens des caractéristiques génétiques sur les personnes décédées, n° 1030, Assemblée nationale, déposée le mercredi 6 juin 2018 (cf. Rapport Sénat n° 523 (2017-2018) de Mme Catherine DEROCHE, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 30 mai 2018).

([409]) Par ailleurs, l’apparition du « DNA-FISH séquentiel » (technique d’hybridation in situ de l’ADN utilisant des sondes marquées à l’aide d’un marqueur fluorescent) a permis d’augmenter de 5 à 9 le nombre de chromosomes testés, puis d’étendre l’analyse à tous les chromosomes grâce à l’apparition des puces d’hybridation génomique comparative (CGH-array) et de la qPCR (réaction en chaîne par polymérase quantitative en temps réel).

([410]) Le document transmis par la fédération nationale des BLEFCO mentionne ainsi l’Angleterre, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Suisse, les États-Unis, l’Australie, la Russie et l’Ukraine.

([411]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([412]) Grégoire Moutel, « Projet parental et médecine prédictive, De nouveaux enjeux et de nouvelles interrogations autour de la régulation de l’interruption de grossesse », in Traité de bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction de Emmanuel et François Hirsch, Édition Erès, 2018, p. 207.

([413]) L’allo-immunisation fœto-maternelle peut être à l’origine d’anémies fœtales ou néonatales sévères.

([414]) Op. cit.

([415]) Soit 14 semaines d’aménorrhées.

([416]) Article L. 2213-1 du code de la santé publique.

([417]) Article précité.

([418]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([419]) CCNE, Avis n° 129 précité, p. 73.

([420]) Voir p. 71.

([421]) Voir p. 72.

([422]) Réunions conjointes avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le thème « Recherche génétique et recherche sur l’embryon », en présence de M. Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France, M. Antoine Magnan, professeur de pneumologie, président du Comité national de coordination de la recherche, et M. Arnold Munnich, professeur de génétique pédiatrique, chef du département de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris, Compte rendu de réunion n° 65, 16 mai 2018, XVe législature, session ordinaire 2017-2018.

([423]) Réunions conjointes avec la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le thème « Recherche génétique et recherche sur l’embryon », en présence de M. Alain Fischer, professeur d’immunologie pédiatrique, titulaire de la chaire Médecine expérimentale au Collège de France, M. Antoine Magnan, professeur de pneumologie, président du Comité national de coordination de la recherche, et de M. Arnold Munnich, professeur de génétique pédiatrique, chef du département de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades de Paris, Compte rendu de réunion n° 65, 16 mai 2018, XVe législature, session ordinaire 2017-2018.

([424]) Thierry Magnin, Penser l’humain au temps de l’homme augmenté,Albin Michel, 2017.

([425]) Par exemple, les personnes présentant une variation génétique conduisant à une moindre efficacité dans les « prélèvements du folate (ou acide folique – vitamine B9) à partir de l’alimentation et donc à des risques accrus de cancer et de maladies cardiovasculaires » devraient consommer plus de légumes verts riches en vitamine B9.

([426]) Pierre-André Taguieff, La bioéthique ou le juste milieu. Une quête de sens à l’âge du nihilisme technicien, Fayard, 2007, p. 205.

([427]) Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

([428]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([429]) M. Bertrand Isidor, Mmes Mathilde Nizon et Marie Vincent, « Données secondaires : un enjeu scientifique et éthique », in Traité de bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction de Emmanuel et François Hirsch, Édition Eres, 2018, pp. 261-270.

([430]) Positions exprimées par la Fédération française de génétique humaine à l’occasion des États généraux de la bioéthique (http://ffgh.net/index.php/presentation/documents-ffgh).

([431]) Anna Pigeon, « Les enjeux de l’utilisation des technologies de séquençage du génome dans le cadre du soin », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 2015 (5), pp. 75-88.             
(https://journals.openedition.org/cdst/401).

([432]) Arrêté du 27 mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales.

([433]) Jean-René Binet, Droit de la bioéthique, LDGJ, Lextenso Éditions, 2017, p. 211.

([434]) Ibid.

([435]) https://www.agence-biomedecine.fr/don-greffe-organes (consulté le 22 novembre 2018).

([436]) Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain.

([437]) M. Guy Cabanel, Rapport n° 230 (1993-1994) fait au nom de la commission des lois, 12 janvier 1994 ; https://www.senat.fr/rap/1993-1994/i1993_1994_0230.pdf.

([438]) La plastination (aussi appelée imprégnation polymérique) est une technique visant à préserver des tissus biologiques en remplaçant les différents liquides organiques par du silicone.

([439]) Cour d’appel de Paris, arrêt n° 298 du 30 avril 2009, n° 09/09315.

([440]) Cour de cassation, Première chambre civile, arrêt n° 764 du 16 septembre 2010, n° 09-67.456.

([441]) Loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d’une couverture maladie universelle.

([442]) Conseil de l’Europe, Guide pour la mise en œuvre du principe d’interdiction du profit relatif au corps humain et à ses parties provenant de donneurs vivants ou décédés, https://rm.coe.int/guide-financial-gain/16807bfc9b.

([443]) Article L. 1211-4 du code de la santé publique.

([444]) Article R. 1211-3 du code de la santé publique.

([445]) L’article R. 1211-4 du code de la santé publique plafonne ce montant à « dix fois le montant du forfait journalier prévu à l’article L. 174-4 du code de la sécurité sociale ». Au 1er janvier 2018, le forfait journalier s’élève à 20 euros par jour en hôpital ou en clinique.

([446]) Ce plafond est équivalent au quadruple de l’indemnité journalière maximale de l’assurance maladie du régime général prévue à l’article L. 323-4 du code de la sécurité sociale.

([447]) Protocole STE n° 186, ouvert à la signature le 24 janvier 2002 et entré en vigueur le 1er mai 2006.

([448]) Source : Direction générale de la santé.

([449]) Un même donneur peut en effet faire don d’un ou plusieurs de ses organes.

([450]) Document transmis par l’association Greffe de vie.

([451]) Document transmis par l’association Greffe de vie.

([452]) Article L. 1231-1 du code de la santé publique.

([453]) Didier Sicard, L’éthique médicale et la bioéthique, Presse universitaire de France/Humensis, coll. « Que sais-je ? », 2017, 5ème édition, p. 75.

([454]) Article L. 1241-1 du code de la santé publique.

([455]) Article L. 1231-1 du code de la santé publique.

([456]) La proposition de loi relative au don du sang adoptée par l’Assemblée nationale le 11 octobre 2018 tend à autoriser le prélèvement pour les mineurs de 17 à 18 ans. Le dispositif ne déroge pas à la nécessité de recueillir le consentement des parents (T.A. n° 186).

([457]) Article L. 1241-1 du code de la santé publique.

([458]) Article L. 1241-3 du code de la santé publique.

([459]) Articles L. 1232-1 à L. 1232-6 du code de la santé publique.

([460]) Article L. 1241-6 du code de la santé publique.

([461]) Loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes.

([462]) Article 192 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([463]) Décret n° 2016-1118 du 11 août 2016 relatif aux modalités d’expression du refus de prélèvement d’organes après le décès.

([464]) Arrêté du 16 août 2016 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives à l’entretien avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus.

([465]) Communication sur la mission flash relative aux conditions de prélèvement d’organes et du refus de tels prélèvements, 20 décembre 2017 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/cr-soc/17-18/c1718034.asp).

([466]) Audition du 24 octobre 2018.

([467]) Didier Sicard, L’éthique médicale et la bioéthique, Presse universitaire de France/Humensis, coll. « Que sais-je ? », 2017, 5ème édition, p. 77.

([468]) Ibid.

([469]) Audition du 23 octobre 2018.

([470]) Contribution transmise par M. Michel Monsellier, président de la Fédération française pour le don du sang bénévole à l’occasion de son audition.

([471]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([472]) Ibid.

([473]) Fantine, personnage des Misérables, est prête à vendre ses cheveux et ses dents tant sa misère est grande.

([474]) Agence de la biomédecine, Encadrement juridique international dans les différents domaines de la bioéthique, 2018, p. 26.

([475]) Agence de la biomédecine, Encadrement juridique international dans les différents domaines de la bioéthique, 2018, p. 22.

([476]) Ibid.

([477]) Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relatif à la mise en œuvre des directives 2002/98/CE, 2004/33/CE, 2005/61/CE et 2005/62/CE établissant des normes de qualité et de sécurité pour le sang humain et les composants sanguins (COM(2016) 224 final), 21 avril 2016 https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2016/FR/1-2016-224-FR-F1-1.PDF.

([478]) Audition du 19 juillet 2018.

([479]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([480]) https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/tarification_dons_vivant.pdf.

([481]) Ibid.

([482]) Ibid.

([483]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/consolidation_modele_don_sang.

([484]) Audition du jeudi 19 juillet 2018.

([485]) Article R. 1241-3 du code de la santé publique.

([486]) Article R. 1231-1-1 du code de la santé publique.

([487]) Agence de la biomédecine, Qualité de vie des donneurs vivants de rein. Étude QV DVR longitudinale. T2 , 31 décembre 2014, p. 78.             
(https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/rapport_final-qualitedeviedes_donneursvivantsderein.pdf)

([488]) La collecte est également ouverte au Centre de transfusion sanguine des armées (article L. 1221-2 du code de la santé publique).

([489]) Article L. 5214-14 du code de la santé publique.

([490]) Ibid.

([491]) R. Laub, S. Baurin, D. Timmerman, T. Branckaert et P. Strenger, « Specific protein content of pools of plasma for fractionation from different sources : Impact of frequency of donation », Vox Sanguinis (2010) 99, octobre 2010, pp. 220-231.

([492]) M. Damien Abad, rapporteur de la proposition de loi relative à la consolidation du modèle français du don du sang, XVe législature, session ordinaire 2018-2019, troisième séance du jeudi 11 octobre 2018 (http://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2018-2019/20190016.asp).

([493]) Ibid.

([494]) Audition du 30 octobre 2018.

([495]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018.

([496]) Voir, pour les mineurs, l’article L. 1241-3 du code de la santé publique et, pour les majeurs sous tutelle, l’article L. 1241-4 du même code.

([497]) Voir, pour les dons d’organes, l’article L. 1232-1 du code de la santé publique et, pour les dons de tissus, cellules et produits du corps humain, l’article L. 1241-6 du même code, qui renvoie au précédent.

([498]) Audition du 25 octobre 2018.

([499]) Article L. 114-3 du code du service national.

([500]) Arrêté du 16 août 2016 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives à l’entretien avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus.

([501]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 5.

([502]) MM. Alain Claeys et Jean Leonetti, Rapport d’information fait au nom de la mission d’information sur la révision des lois de bioéthique, Assemblée nationale, XIIIe législature, n° 2235, 20 janvier 2010.

([503]) Arrêté du 2 août 2005 fixant la liste des organes pour lesquels le prélèvement sur une personne décédée présentant un arrêt cardiaque et respiratoire persistant est autorisé, modifié par l’arrêté du 13 avril 2018.

([504]) Cette classification a été retenue par le CCNE dans son avis n° 115 relatif aux questions d’éthique relatives au prélèvement et au don d’organes à des fins de transplantation.

([505])  https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/brochure_m3.pdf.

([506]) Agence de la biomédecine, Conditions à respecter pour réaliser des prélèvements d’organes sur des donneurs décédés après arrêt circulatoire de la catégorie III de Maastricht dans un établissement de santé, Protocole : Prélèvement d’organes Maastricht III - DGMS/DPGOT - Version n°6 - mai 2016.

([507]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique , janvier 2018, p. 10.

([508]) Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

([509]) Agence de la biomédecine, Le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt circulatoire suite à la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques, janvier 2015.             
https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/brochure_m3.pdf.

([510]) Agence de la biomédecine, Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, pp. 10 et 11.

([511]) Proposition n° 62 du rapport d’information précité.

([512]) Agence de la biomédecine, Le prélèvement d’organes sur donneurs décédés après arrêt circulatoire suite à la limitation ou l’arrêt des thérapeutiques, janvier 2015.             
https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/brochure_m3.pdf.

([513]) CCNE, Questions d’éthique relatives au prélèvement et au don d’organes à des fins de transplantation, Avis n° 115, 7 avril 2011.

([514]) D. Dorez, C. Vernay, S. Gay, « Donneur décédé en arrêt circulatoire Maastricht 3 : débuts encourageants dans un centre pilote », in Éthique & santé, Volume 13, Issue 3, septembre 2016, pp. 134-142.             
http://dx.doi.org/10.1016/j.etiqe.2016.05.005.

([515]) Table ronde du 6 novembre 2018.

([516]) Table ronde du 6 novembre 2018.

([517]) Table ronde du 6 novembre 2018.

([518]) Définition introduite par Martin Lee Minsky, cofondateur, en 1959, du Groupe d’intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology (MIT), cité dans CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017.

([519]) David Gruson, La Machine, le médecin et moi, Éditions de l’Observatoire, Paris, 2018.

([520]) Conseil d’État, Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ?, 28 juin 2018, p. 192.

([521]) Sondage mené auprès d’un échantillon de 1001 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, sur le niveau de notoriété des algorithmes au sein de la population française ; cité dans CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017.

([522]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018.

([523]) Audition du 6 juin 2018.

([524]) Audition du 23 octobre 2018.

([525]) Audition du 23 octobre 2018.

([526]) Comité consultatif national d’éthique, Contribution du Comité Consultatif National d’Éthique à la révision de la loi de bioéthique, avis n° 129, p. 105.

([527]) David Gruson, La Machine, le médecin et moi, Éditions de l’Observatoire, Paris, 2018.

([528]) CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017.

([529]) Audition du 7 novembre 2018.

([530]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (article 4).

([531]) CNIL, Qu’est-ce qu’une donnée de santé ?, https://www.cnil.fr/fr/quest-ce-ce-quune-donnee-de-sante.

([532]) https://www.desmarais-avocats.fr/donnees-de-sante-definition-trois-criteres/

([533]) Ibid.

([534]) Conseil national de l’Ordre des médecins, Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle. Analyses et recommandations du CNOM, janvier 2018.

([535]) U.S. Food and Drug Administration, « FDA permits marketing of artificial intelligence-based device to detect certain diabetes-related eye problems », FDA News Release, 11 avril 2018.             
https://www.fda.gov/NewsEvents/Newsroom/PressAnnouncements/ucm604357.htm.

([536]) Jean-Gabriel Ganascia, « Éthique, intelligence artificielle et santé », Traité de bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction d’Emmanuel et François Hirsch.

([537]) Loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

([538]) Mme Albane Gaillot, Avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, n° 579, XVe législature, 23 janvier 2018.

([539]) CNIL, Applications mobiles en santé et protection des données personnelles : les questions à se poser, https://www.cnil.fr/fr/applications-mobiles-en-sante-et-protection-des-donnees-personnelles-les-questions-se-poser.

([540]) Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

([541]) Comme le souligne Mme Jeanne Bossi-Malafosse, « même si elles restent des données personnelles, les données pseudonymisées peuvent faciliter la collecte de données dans des cas où le recueil de données directement nominatives eut été plus compliqué » (Jeanne Bossi-Malafosse, « Les données : protection, conditions juridiques d’accès et de traitement », in Bernard Nordlinger et Cédric Villani (dir.), Santé et Intelligence artificielle, CNRS Éditions, 2018.

([542]) Mme Albane Gaillot, Avis présenté au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la protection des données personnelles, n° 579, XVe législature, 23 janvier 2018.

([543]) Règlement (UE) 2016/679 précité (article 83).

([544]) Règlement (UE) 2016/679 précité (article 3).

([545]) Conseil d’État, étude précitée, p. 200.

([546]) Conseil d’État, étude précitée, pp. 202-203.

([547]) Jean-François Eliaou, Annie Delmont-Koropoulis, Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur L’évaluation de l’application de la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, 25 octobre 2018, p. 114.

([548]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 200.

([549]) Article 193 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([550]) Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie.

([551]) Programme de médicalisation des systèmes d’information.

([552]) Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès.

([553]) Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.

([554]) Système national des données de santé, Protection de la donnée 
https://www.snds.gouv.fr/SNDS/Protection-de-la-donnee.

([555]) Audition du 23 octobre 2018.

([556]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 201.

([557]) Rapport de la mission de préfiguration, Health Data hub, octobre 2018, pp. 14-15.

([558]) Rapport de la mission de préfiguration, Health Data hub, octobre 2018, p. 25.

([559]) Rapport de la mission de préfiguration, Health Data hub, octobre 2018, p. 28.

([560]) Rapport de la mission de préfiguration, Health Data hub, octobre 2018, p. 68.

([561]) Audition du 7 novembre 2018.

([562]) David Larousserie et Stéphane Foucart, « Alerte mondiale à la fausse science », Le Monde, 19 juillet 2018
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/07/19/alerte-mondiale-a-la-fausse-science_5333374_1650684.html

([563]) Conseil d’État, étude précitée, p. 205.

([564]) Jean-Gabriel Ganascia, « Éthique, intelligence artificielle et santé » in Traité de bioéthique, IV- Les nouveaux territoires de la bioéthique, sous la direction d’Emmanuel et François Hirsch, septembre 2018, pp. 527-540.

([565]) Audition du 7 novembre 2018.

([566]) Audition du 25 octobre 2018.

([567]) Audition du 23 octobre 2018.

([568]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 27.

([569]) En recherche, l’ontologie permet de définir un vocabulaire commun pour les chercheurs pour faciliter le partage d’information.

([570]) Conseil d’État, étude précitée, p. 205.

([571]) Audition du 23 octobre 2018.

([572]) Rapport du groupe de travail commandé par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) avec le concours de la commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique d’Allistene (CERNA), Numérique & Santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ?, 19 novembre 2018, p. 43.

([573]) Audition du 23 octobre 2018.

([574]) Audition du 23 octobre 2018.

([575]) Article R. 4127-5 du code de la santé publique.

([576]) Résolution du Parlement européen du 16 février 2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL)).

([577]) Audition du 23 octobre 2018.

([578]) Audition du 23 octobre 2018.

([579]) Conseil d’État, étude précitée, p. 207.

([580]) Audition du 25 octobre 2018.

([581]) Conseil d’État, étude précitée, p. 207.

([582]) Conseil d’État, étude précitée, p. 208.

([583]) Audition du 7 novembre 2018.

([584]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 102.

([585]) Audition du 23 octobre 2018.

([586]) Audition du 7 novembre 2018.

([587]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, page 203.

([588]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 105.

([589]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 103.

([590]) Audition du 23 octobre 2018.

([591]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 103.

([592]) Audition du 23 octobre 2018.

([593]) Groupe de travail CCNE/CERNA, Numérique et santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ?, 2018, p. 55 (https://www.allistene.fr/files/2018/11/rapport_numerique_et_sante_19112018.pdf)

([594]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 103.

([595]) Conseil d’État, étude précitée, p. 207.

([596]) CERNA, Éthique de la recherche en apprentissage machine, avis, juin 2017 (https://hal.inria.fr/hal-01643281/document).

([597]) Audition du 23 octobre 2018.

([598]) CNIL, Comment permettre à l’Homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre 2017, p. 51.

([599]) Audition du 7 novembre 2018.

([600]) Audition du 25 octobre 2018.

([601]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 198.

([602]) Audition du 23 octobre 2018.

([603]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 198.

([604]) Rapport de la mission de préfiguration, Health Data hub, octobre 2018, p. 17.

([605]) Audition du 23 octobre 2018.

([606]) Comité Consultatif National d’Éthique, avis n° 129 précité, pp. 101-102.

([607]) Comité Consultatif National d’Éthique, avis n° 129 précité, p. 104.

([608]) Audition du 23 octobre 2018.

([609]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 103.

([610]) Conseil constitutionnel, décision n° 2018-765 DC Loi relative à la protection des données à caractère personnel, 12 juin 2018.

([611]) Audition du 25 octobre 2018.

([612]) Audition du 23 octobre 2018.

([613]) Audition du 23 octobre 2018.

([614]) Audition du 23 octobre 2018.

([615]) Comité consultatif national d’éthique, avis n° 129 précité, p. 104.

([616]) Groupe de travail CCNE/CERNA, Numérique et santé : quels enjeux éthiques pour quelles régulations ?, 2018 (https://www.allistene.fr/files/2018/11/rapport_numerique_et_sante_19112018.pdf)

([617]) Audition du 23 octobre 2018.

([618]) Audition du 7 novembre 2018.

([619]) Audition du 25 octobre 2018.

([620]) Audition du 25 octobre 2018.

([621]) Directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux.

([622]) Directive 2007/47/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 septembre 2007 modifiant la directive 90/385/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux dispositifs médicaux implantables actifs, la directive 93/42/CEE du Conseil relative aux dispositifs médicaux et la directive 98/8/CE concernant la mise sur le marché des produits biocides.

([623]) Règlement (UE) 2017/745 du Parlement Européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la directive 2001/83/CE, le règlement (CE) 178/2002 et le règlement (CE) 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE et 93/42/CEE.

([624]) Cour de Justice de l’Union européenne, 7 décembre 2017, affaire C-329/16.

([625]) Haute Autorité de Santé, Parcours du dispositif médical en France. Guide pratique, novembre 2017.

([626]) Cédric Villani, Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, mars 2018, p. 203.

([627]) Cour de Justice de l’Union européenne, 7 décembre 2017, affaire C-329/16.

([628]) CE n° 387156, 12 juillet 2018.

([629]) Audition du 31 juillet 2018.

([630]) Audition du 6 septembre 2018.

([631]) Audition du 23 octobre 2018.

([632]) Audition du 18 septembre 2018.

([633]) Ibid.

([634]) Audition du 31 juillet 2018.

([635]) Audition du 18 septembre 2018.

([636]) Audition du 23 octobre 2018.

([637]) Audition du 19 septembre 2018.

([638]) Audition du 6 septembre 2018.

([639]) Audition du 25 septembre 2018.

([640]) Audition du 23 octobre 2018.

([641]) Audition du 31 juillet 2018.

([642]) Audition du 31 juillet 2018.

([643]) Audition du 23 octobre 2018.

([644]) Ainsi que, à titre accessoire, la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires et le code de la propriété intellectuelle.

([645]) Audition du 25 septembre 2018.

([646]) Audition du 23 octobre 2018.

([647])  Il s’agit d’un pseudonyme.