N° 3168

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

 

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])

 

sur l’adaptation de la politique familiale française
aux défis de la société du XXIe siècle

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

M. Stéphane VIRY, Président,

 

et

 

Mme Nathalie Élimas, Rapporteure,

 

Députés.

 

——

 

 



Les comptes rendus des auditions sont disponibles sur le site Internet de l’Assemblée nationale, à l’adresse :

http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/politique-familiale-francaise/(block)/ComptesRendusCommission/(instance_leg)/15/(init)/0-15

L’ensemble des informations relatives à la mission sont accessibles sur son portail, à l’adresse :

http://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/politique-familiale-francaise/(block)/60236

 

 

 

La mission d’information sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle est composée de : M. Stéphane Viry, président ; Mme Nathalie Elimas, rapporteure ; Mmes Pascale Boyer, Laurence Vanceunebrock-Mialon, M. Gilles Lurton, Mme Marie-Pierre Rixain, vice-présidents, Mme Jacqueline Dubois, MM. Jean-François Eliaou, Bastien Lachaud, Mme Laure de La Raudière, secrétaires, MM. Thibault Bazin, Jean-Louis Bourlanges, Guillaume Chiche, Charles de Courson, Pierre Dharréville, Mmes Christine Cloarec-Le Nabour, Paula Forteza, M. Denis Masséglia, Mmes Frédérique Meunier, Zivka Park, Marie Tamarelle-Verhaeghe et Mme Michèle Victory, membres

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première Partie : les aides financières aux familles

I. réaffirmer le caractère universel de la politique familiale

A. rétablir une réelle universalité des allocations familiales

1. La remise en cause progressive de l’universalité de la politique familiale

a. Les allocations familiales, principale prestation familiale, sont désormais modulées en fonction des revenus

i. Une prestation historique

ii. La modulation des allocations familiales remet en cause l’universalité de la politique familiale

2. Une évolution préoccupante

a. La méthode employée pour remettre en cause une prestation aussi fondamentale est contestable

b. Une remise en cause de la nature et des objectifs de la politique familiale

c. Le risque d’une moindre acceptabilité sociale et d’un manque de lisibilité de la politique familiale

d. La voie ouverte à de nouvelles remises en cause ?

3. La nécessité de rétablir une réelle universalité des allocations familiales

B. Relever le plafond du quotient familial

1. Le plafond du quotient familial, principal outil fiscal de soutien aux familles, a été abaissé à deux reprises

a. Le quotient familial, principal outil fiscal de soutien aux familles

b. L’abaissement du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial

2. Le plafond du quotient familial doit être relevé

Lutter contre la pauvreté des familles

A. Les familles les plus fragiles ont fait l’objet d’une attention particulière ces dernières années

1. Les aides financières en faveur des familles les plus vulnérables

2. Des progrès encourageants en matière de versement des pensions alimentaires

a. Le problème récurrent des impayés de pensions alimentaires

b. La création récente d’un service public de paiement des pensions alimentaires

B. La crise sociale actuelle nécessite de renforcer les aides destinées à toutes les familles fragiles

1. Une crise économique et sociale qui touche les familles de plein fouet

2. Les mesures mises en place pour aider les familles à faire face à la crise

a. L’aide exceptionnelle de solidarité

b. Les aides alimentaires d’urgence

3. La nécessité de tirer les leçons de la crise pour protéger l’ensemble des familles de la pauvreté

a. Éviter la spirale du surendettement des familles

b. Améliorer la situation des jeunes majeurs

i. Les jeunes sont particulièrement touchés par la pauvreté

ii. Une quasi-exclusion de l’éligibilité au RSA

c. Majorer la retraite des femmes dès le premier enfant

i. Les droits familiaux de retraite, des dispositifs destinés à compenser les inégalités observées au cours de la carrière

ii. Le projet de loi instituant un système universel de retraites prévoit une bonification de pension pour chaque enfant, dès le premier enfant

Avancer le versement de la prime À la naissance avant la naissance

C. LA prime À la naissance doit permettre aux familles de préparer l’arrivée d’un enfant

1. La prime à la naissance, une aide non négligeable pour de nombreuses familles

2. Depuis 2015, la prime est versée après la naissance de l’enfant

D. Anticiper le versement de la prime à la naissance : une mesure de bon sens

1. Le décalage du versement de la prime après la naissance suscite l’incompréhension

2. Avancer le versement de la prime à la naissance au septième mois de grossesse

rendre Le congé parental plus attractif

E. La création de la prestation d’accueil partagée d’éducation de l’enfant n’a pas eu le succès escomptE

1. La création de la prestation d’accueil partagée d’éducation de l’enfant en 2015

2. Des résultats décevants

F. Aller Vers un congé parental plus court et mieux rémunéré

Améliorer la lisibilité des prestations familiales

1. Un foisonnement d’aides qui ne contribue pas à une bonne visibilité de la politique familiale

2. La nécessité d’une meilleure lisibilité des prestations pour améliorer le recours aux droits

a. Améliorer l’accès aux droits grâce à la mise en place de « points conseil Famille »

b. Réfléchir à une simplification des différentes prestations familiales

Deuxième Partie : la Vie familiale

I. La famille, un lieu d’épanouissement personnel et collectif

A. LA famille comme cadre de vie et de bien-être

La famille, premier lieu de vie et première instance de socialisation

Améliorer l’accès des familles aux loisirs et à la culture

B. Le logement, condition d’une vie familiale épanouie

1. Les difficultés de logement et leurs conséquences sur la vie familiale

Caractéristiques du logement des familles

Mobilité des ménages et recomposition familiale

Coût du logement

Problématiques de mal-logement

Salubrité et équipements des logements

Surpeuplement des logements

Habitat indigne, hébergement précaire et sans-abrisme

2. Mal-logement et vie familiale

3. Logement et politique familiale, des enjeux importants

a. La politique d’aide au logement

b. L’aide au logement à destination des familles précaires

Aides personnelles au logement

Place des familles dans le parc social

c. L’aide à l’accession à la propriété

Un idéal d’accession à la propriété

Les aides pour l’accession à la propriété

II. La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle

A. DES INÉGALITÉS DU QUOTIDIEN QUI NUISENT majoritairement à la carrière des femmes

Les inégalités dans la répartition du travail domestique

L’inégale répartition des tâches domestiques et familiales

Le poids de la charge mentale

L’impact de la structure familiale sur ces inégalités

Les conséquences sur les carrières des femmes

B. La récente crise sanitaire, un révélateur de ces difficultés et inégalités au sein des familles

Les enjeux et problèmes familiaux durant la période de confinement

Des inégalités exacerbées

Confinement et violences intrafamiliales

Confinement, vie familiale et logement

Le télétravail : quel levier pour l’égalité et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ?

encourager la conciliation vie privée et vie professionnelle tout au long de la vie

Amorcer un changement profond des mentalités pour faire advenir une société d’égalité entre les femmes et les hommes

Allonger le congé paternité

Aménager le temps de travail et respecter la vie privée

Penser cette conciliation tout au long de la vie, de la naissance du jeune enfant jusqu’à la place de nos aînés

III. La politique d’accueil du jeune enfant, un levier pour l’égalité professionnelle et l’épanouissement de tous dans leur vie famiLIale

Une politique encore insuffisamment performante

Les modes de garde du jeune enfant

Capacités théoriques d’accueil

Recours aux modes de garde par les familles

La convention d’objectifs et de gestion (COG) pour 2018-2022

Les principaux axes de travail de la COG

La création de places en crèche

Des résultats insuffisants de la politique d’accueil du jeune enfant

Des inquiétudes quant à la création de nouvelles places en crèche

Une vision dévalorisée des métiers de l’accueil individuel

La persistance d’inégalités sociales et territoriales

Simplifier, développer et harmoniser les modes de garde

Garantir un mode de garde adapté à chaque famille : une priorité de la politique familiale

Augmenter le nombre de places d’accueil du jeune enfant pour permettre l’accès à un mode de garde adapté sur l’ensemble du territoire

Développer et valoriser le travail des assistants maternels

Augmenter le nombre de places en crèche

Porter une attention particulière à l’accueil des jeunes enfants en situation de handicap

Repenser l’organisation des acteurs en un véritable service public de la petite enfance

Agir sur les coûts des modes de garde

Les dépenses publiques en faveur de l’accueil du jeune enfant

Le soutien aux familles les moins aisées

Repenser un dispositif ambitieux de soutien à la parentalité

une politique publique à clarifier et à renforcer autour de la période clef des 1 000 premiers jours de l’enfant

Les enjeux du soutien à la parentalité

Le développement de la politique publique de soutien à la parentalité

La stratégie nationale de soutien à la parentalité pour la période 2018-2022

La période clef des 1 000 premiers jours de l’enfant

Une période charnière pour le développement de l’enfant

Une période charnière pour l’épanouissement familial

PENSer le soutien à la parentalité de manière plus LARGE, plus Ambitieuse et plus inclusive

Le projet d’action pour le « parcours des 1 000 premiers jours »

Points de vigilance et d’amélioration dans la refonte du soutien à la parentalité

Gagner en lisibilité et en cohérence

Développer le soutien aux familles monoparentales sans stigmatiser cette façon de « faire famille »

Prévenir les violences intrafamiliales

Troisième PARTIe : famille et bioéthique

I. Les modalités actuelles de reconnaissance de la filiation

A. Le droit de la bioéthique reflète les évolutions familiales

Un compromis entre les évolutions sociales et éthiques

La prise en compte des avancées technologiques

Les nouvelles constructions familiales

B. Le droit de la filiation a progressivement évolué pour faciliter la reconnaissance de l’enfant

Présomption de paternité et certitude de la maternité

La filiation par acte de volonté : l’adoption

L’élargissement des modalités de procréation, la permanence des modalités d’établissement de la filiation

Une AMP réservée aux situations d’infertilité des couples hétérosexuels ou de risque de transmission de maladie

La loi « bioéthique » : Un équilibre souhaitable À préserver dans les débats À venir

L’extension de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules

L’extension de la technique d’aide médicale à la procréation

Les modifications subséquentes dans l’établissement de la filiation

C. Rester Inflexible sur la question de la GPA

L’interdiction juridique de la GPA repose sur des fondements clairs et centraux

Une jurisprudence fluctuante qui permet un mode inabouti de reconnaissance des enfants nés à l’étranger de GPA

Un contexte international qui favorise le recours aux GPA

accompagner la procrÉation au XXIe siècle

D. Lutter contre la croissance de l’infertilité en france

E. Une attention particulière À porter aux femmes seules qui ont recours À une AMP

La distinction entre les projets parentaux de couples de femmes et ceux des femmes seules a été reprise dans les débats préalables à la révision de la loi « bioéthique »

Les entretiens préalables à l’engagement d’une AMP doivent permettre d’identifier les éventuelles fragilités

F. Le maintien de la gratuité du don

ANNEXE 1  Synthèse des propositions

annexe 2 Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

annexe 3  Liste des personnes ayant répondu aux questionnaires de la rapporteure

Annexe 4 CONTRIBUTIONS


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Introduction

Que la famille soit une question politique, et plus encore un sujet d’action publique, n’est plus évident aujourd’hui. La diminution constante des ressources affectées, dans le champ de la sécurité sociale, aux familles et, partant, de la compensation de ce qu’il est convenu d’appeler le « risque » famille, peuvent faire douter quant à la volonté des gouvernements successifs de vouloir encore soutenir les femmes et les hommes qui désirent avoir des enfants.

La naissance de la politique familiale au sortir de la Seconde guerre mondiale visait bien sûr à participer de la reconstruction de la France, sortie du conflit meurtrie aussi sur le plan démographique. Mais les « parents » de cette politique se sont penchés sur son berceau avec une visée plus large. L’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale avait pour but premier de « garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent ».

Reprenant à son compte ce principe, le préambule de la Constitution de la IVe République auquel renvoie le préambule de 1958 prévoit que la République « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». La politique familiale est une politique destinée à permettre aux familles d’accéder à une « vie bonne », conciliant prise en charge de l’éducation des enfants, protection contre les risques que cette prise en charge comporte, accès aux loisirs.

C’est à partir de ce socle que la politique familiale se décline traditionnellement par des outils destinés à satisfaire trois objectifs distincts :

– le soutien à la natalité, qui s’inscrit dans la politique nataliste mise en place dans l’après-guerre ;

– la lutte contre la pauvreté, via des aides destinées aux familles modestes ;

– la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, objectif apparu progressivement en lien avec l’augmentation du taux d’activité des femmes.

Le soutien à la natalité en France a d’abord tenu à des initiatives privées, telles que les « sursalaires » versés dans des entreprises de type paternaliste à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, dans un contexte de concurrence démographique poussée entre les nations européennes. L’effort de la Nation en faveur de la natalité a été formalisé en 1932 dans la loi « Landry » qui généralise le principe des sursalaires familiaux pour tous les salariés de l’industrie et du commerce ayant au moins deux enfants, complétée par un décret-loi du 12 novembre 1938 créant des allocations familiales indépendantes des salaires ou des entreprises.

Cette politique nataliste, intensifiée sous le gouvernement de Vichy, s’est traduite par l’intégration de la politique familiale au sein de la Sécurité sociale, dans l’ordonnance du 4 octobre 1945. Il s’agit aujourd’hui d’une politique traditionnellement considérée comme visant une redistribution horizontale, soit des ménages sans enfants vers des familles avec enfants, sans considération de ressources.

Le doute s’est pourtant progressivement instillé dans la tête des gouvernements et des législateurs quant à la meilleure manière de soutenir les familles. Au fur et à mesure que les structures familiales se sont diversifiées, que les modalités de reconnaissance de la filiation se sont élargies, comme il sera vu dans la troisième partie du présent rapport, la politique familiale a semblé s’effilocher. Ce déclin a connu une sensible accélération au mitan des années 2010.

Nul ne saurait contester que les familles françaises n’ont plus le même visage.

L’adaptation de la politique familiale aux défis du XXIe siècle suppose de prendre en compte les évolutions sociologiques des familles françaises, qui diffèrent désormais fortement dans leur forme de celles pour qui les premières mesures ont été prises après-guerre.

En 2016, la France comptait 9,38 millions de familles vivant avec un enfant de moins de 25 ans, soit une hausse, très modérée, de 11 %, par rapport à 1975. Mais les familles françaises ne sont plus les mêmes.

En premier lieu, le nombre d’enfants par famille a diminué, faisant de la famille avec un ou deux enfants au maximum la majorité écrasante de l’ensemble des foyers (81 % en 2016, contre 72 % en 1975). Les familles sont moins nombreuses, malgré les incitations financières actuelles en faveur de naissances supplémentaires.

L’un des changements récents les plus marquants tient bien sûr à l’augmentation du nombre de familles monoparentales, de 9,4 % en 1975 à 13,3 % en 1990. En 2016, on comptait 2,9 millions de familles monoparentales avec au moins un enfant de moins de 25 ans, soit 31 % de l’ensemble des familles. Par ailleurs, alors qu’en 1962, 55 % des parents à la tête d’une famille monoparentale étaient veufs, en 2011, ils n’étaient plus que 6 %. Les ruptures d’union sont désormais la première cause de création d’une famille monoparentale. Les risques de précarité et de pauvreté qui sont associés à ce phénomène, dans un pays où un enfant sur cinq vit encore aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, ne laissent bien sûr pas d’inquiéter.

Par ailleurs, en termes conjugaux, les derniers chiffres de l’INSEE laissent voir une société profondément transformée : en 2015, on comptait 73 % de couples mariés, 4 % de « pacsés » et 23 % d’unions libres, alors que la part des couples mariés était de 96 % en 1975 et de 87 % en 1990.

Enfin, les derniers recensements témoignent de l’évolution du nombre de couples de même sexe et de familles dites « homoparentales » ([2]). Selon une enquête menée par l’INSEE en 2018 ([3]), 266 000 personnes partagent leur logement avec un conjoint du même sexe, formant ainsi 133 000 couples de même sexe. Ce chiffre, qui connaît un doublement statistique depuis 2011 (+ 56 % pour les couples d’hommes ; + 44 % pour les couples de femmes), doit toutefois être pris avec un certain nombre de nuances tenant à la difficulté de mesurer la part des couples de même sexe et, a fortiori, des familles homoparentales, dans la population totale ([4]). Environ 31 000 enfants vivent ainsi avec un couple de même sexe, dont 26 000 mineurs.

La multiplication des schèmes familiaux a conduit le législateur social et les gouvernements à adapter la politique familiale à la multiplicité de ces réalités. Des trois objectifs exposés plus haut, celui consacré à la prise en charge des familles précaires a connu un maintien financier dont n’ont bénéficié véritablement ni la prise en charge du « risque » lié à la venue au monde d’un enfant, ni la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle.

Le visage qui peut être rapidement donné à notre politique familiale, et qui sera décrit plus longuement dans la suite de ce rapport, est donc le suivant.

● Le premier objectif a permis de maintenir une natalité dynamique, ce qui constitue, malgré son effritement récent, une exception française dans un paysage européen en berne. Nous pouvons donc collectivement nous réjouir d’être et de demeurer le pays le plus fécond d’Europe, avec un indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) de 1,87 en 2018.

Selon le « PQE ([5]) » Famille annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, 758 000 enfants sont nés en France en 2018, soit 11 500 de moins qu’en 2017. Cette diminution a certes des origines multifactorielles, dont notamment le recul de l’âge de procréation et la baisse du nombre de femmes en âge de procréer. Alors que le nombre de femmes entre les âges de 20 et de 40 ans était de 9,1 millions en 1998, elles ne sont en 2018 plus que 8,4 millions.

Mais cette évolution n’est pas uniquement statistique, le graphique ci‑dessus le montre amplement. L’inflexion de la politique familiale depuis les années 2014/2015 ne saurait être étrangère à la chute drastique de la natalité de notre pays. D’un solde proche du seuil de renouvellement des générations, estimé à environ 2,1 enfants par femme, la France s’enfonce inexorablement vers un ICF qui s’approche d’1,8.

La politique de soutien à la natalité passe principalement par les allocations familiales. Ces dernières sont servies sous condition de ressources depuis 2015 aux personnes ayant au moins deux enfants de moins de 20 ans à leur charge, sur simple déclaration de naissance auprès de la caisse d’allocations familiales (CAF) ou de la caisse de la mutualité sociale agricole (MSA) compétente. Aujourd’hui, les allocations familiales bénéficient à près de 5 millions de familles, une proportion en légère hausse entre 2009 et 2017.

● S’agissant de la politique d’aide aux familles les plus vulnérables, cette deuxième composante de la politique familiale vise une redistribution verticale en faveur des familles les plus modestes. Elle s’inscrit dans le champ global des politiques sociales de lutte contre la pauvreté et en est difficilement séparable. Les allocations participant de cette politique sont les suivantes :

– l’allocation de rentrée scolaire, pour les familles modestes dont les enfants sont scolarisés dans le primaire ou le secondaire, qui a concerné en 2018 3,11 millions de personnes ;

– les primes de naissance/adoption, qui ont bénéficié à 564 000 familles en 2018 ;

– le complément familial, versé aux familles modestes de trois enfants et plus, dont le montant a augmenté de 50 % entre 2014 et 2018, qui a bénéficié en 2018 à 900 000 personnes.

Cette politique engendre un effet redistributif fort, puisque, pour les couples avec trois enfants ou plus, le rapport entre les niveaux de vie du premier décile et du dernier décile passe de 8,6 avant impôt et prestations familiales, à 4,2 après.

● Le troisième axe de la politique familiale a émergé au cours des années 1990 pour permettre la prise en compte de l’aspiration des parents à articuler leurs responsabilités familiales et professionnelles.

Celui-ci s’appuie notamment sur le développement des offres d’accueil des jeunes enfants ainsi que sur des dispositifs destinés à permettre à l’un des parents de cesser ou de réduire temporairement son activité professionnelle sans obérer ses chances ultérieures de retour à l’activité professionnelle. Concrètement, cela se traduit par :

– une augmentation des dépenses de soutien au fonctionnement des équipements d’accueil du jeune enfant (EAJE) : crèches collectives, « haltes garderies », services d’accueil familial, micro-crèches, jardins d’enfant ;

– une prestation spécifique, la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), créée en 2004 et visant à limiter la charge des modes de garde individuels pour les ménages ;

– la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), créée le 1er janvier 2015, dont 272 000 personnes bénéficiaient à la fin de 2017.

Issue de la loi nᵒ 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, cette dernière prestation devait favoriser le recours des pères au congé parental. La part des pères bénéficiaires du dispositif stagne aujourd’hui à 3 %, signalant l’échec de cette réforme et la nécessité de repenser la politique d’accueil du jeune enfant.

Aujourd’hui, la principale problématique concernant ce troisième pan de la politique familiale, relève de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le taux d’emploi des femmes âgées de 20 à 64 ans en France s’établit à 66,7 % en 2017, en hausse de 0,4 point par rapport à 2016, contre 74,6 % pour les hommes. Par ailleurs, le taux d’emploi des femmes est nettement plus sensible à la configuration familiale du ménage que celui des hommes. Ainsi, lorsque la famille comprend au moins un enfant de moins de 3 ans, le taux d’emploi des femmes décroît dès le deuxième enfant mais surtout avec le troisième enfant. En 2017, alors que le taux d’emploi des mères d’un enfant s’élève à 67,8 %, celui des mères de deux enfants est de 60,3 % et celui des mères de trois enfants ou plus s’établit à 36,9 %.

Pour la rapporteure, l’ensemble de ces dispositifs sont pertinents et même interdépendants. Le soutien financier pour faire face au risque pour la carrière professionnelle que représentent les enfants doit permettre à leurs mères de reprendre une activité professionnelle après la naissance dans les meilleures conditions possibles. De la même manière, les familles précaires doivent pouvoir bénéficier d’une politique ambitieuse à destination de l’ensemble des familles françaises.

Toutefois, pour la rapporteure et le président de cette mission, l’objectif de soutien à l’ensemble des femmes et des hommes qui décident d’avoir des enfants a été perdu de vue ces dernières années. Les réformes en sont connues, qu’il s’agisse de la diminution du plafond du quotient familial ou de la modulation des allocations familiales en fonction des ressources.

Pour tenir compte de la diversité actuelle des familles, la politique familiale française ne peut se contenter de viser les différentes catégories de familles selon leur composition, au risque du saupoudrage budgétaire. Or, les réformes successives de la politique familiale, souvent menées sans véritable réflexion de fond sur les objectifs qui doivent guider cette politique ni sur les façons de « faire famille » aujourd’hui, ont contribué à complexifier les nombreuses prestations, au prix d’une moindre lisibilité d’ensemble.

La politique familiale ne se réduit toutefois pas au seul champ des versements des prestations familiales. C’est ce qui a conduit votre rapporteure à initier son programme d’auditions par des rencontres avec des philosophes, des sociologues, des chercheuses et des chercheurs, afin d’éclairer la mission sur ce que sont les familles françaises au XXIe siècle et les conséquences que pouvait en tirer le législateur. Ces réflexions appellent une série de remarques liminaires.

En premier lieu, d’une manière évidemment inattendue au début de cette mission, l’épidémie de Covid-19 est venue rappeler à tous la valeur de ce qu’était une famille.

La famille est redevenue, au moment de la mise en œuvre des mesures de confinement pour faire face à l’épidémie, un lieu central pour les Français. Qu’il s’agisse des étudiants revenus dans le foyer familial avant d’être contraints de rester dans leur studio en ville, de nos aînés qui ont été, dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), coupés des visites physiques de leurs proches ou encore de la « gestion » quotidienne des enfants privés d’école, les familles ont dû composer avec les mesures destinées à protéger l’ensemble de la population. Cette épreuve a rappelé à tous pourquoi l’idée de « faire famille » était loin d’être obsolète.

Certes, cette période s’est également distinguée par la recrudescence des violences familiales, comme en a témoigné l’augmentation de 85 % des appels à la plateforme dédiée du Gouvernement. Certes, les différences entre les familles, en fonction de leur capital socio-économique, de la nécessité différenciée de retourner au travail ou même de la seule localisation géographique de chacun des foyers interdit d’adopter une approche monolithique de l’impact de l’épidémie sur les familles.

La rapporteure a aussi souhaité donner la parole, aux familles et à leurs représentants pour comprendre quel avait pu être l’impact du confinement et des mesures réglementaires de fermeture des établissements jugés non-essentiels à la vie de la Nation.

Il en ressort plusieurs enseignements :

– la famille est une « valeur refuge » quand notre société est amenée à traverser des épreuves aussi déstabilisantes et que l’isolement est un risque décuplé. Selon une enquête menée par l’IFOP du 18 avril 2020, le ressenti positif du confinement concerne 75 % des personnes en couple, 71 % des personnes vivant dans un foyer de 4 personnes et plus, 68 % de celles vivant dans un foyer de plus de 3 personnes et 67 % de celles vivant seules. Cette enquête, qui a été menée au mitan du confinement, confirme que le bien-être des Français était directement indexé sur la composition de leurs foyers ;

– la crise sanitaire a eu des effets contraires : elle a eu tendance d’une part à renforcer ce qu’il est convenu d’appeler la famille nucléaire où l’interdépendance et les liens de solidarité intrafamiliaux sont accrus par les nécessités du quotidien ; d’autre part, elle a amené les Français à distancier les rapports avec les membres de la famille élargie, avec la recommandation de ne pas tenir de rassemblements familiaux mais aussi la nécessité de protéger les plus vulnérables ;

– l’isolement pour certaines familles, ou certains membres de la famille, a été nécessairement accru. Il en est allé ainsi des mères célibataires qui ont dû cumuler les difficultés, entre la fermeture des écoles, la suppression du repas scolaire, ressource souvent indispensable, la poursuite éventuelle du télétravail et la gestion de l’ensemble des tâches quotidiennes qui demeurent. Ainsi qu’une de ces mères l’a décrit : « on nous a demandé à nous parents d’être nounous, profs, animateurs, psychologues, ou juste simplement, gardiens. De faire des miracles de trésorerie et d’imagination pour nourrir correctement nos enfants » ;

La seconde série de réflexions entre en résonance avec les travaux actuels relatifs à la « bioéthique » que notre Parlement examine au moment de la rédaction du présent rapport. Progressivement amené au statut de sujet de droit ([6]), la définition des familles aujourd’hui se centre autour de l’enfant. Pour reprendre l’expression d’Ulrich Beck, « l’enfant fait la famille » ([7]). La petite société qui entoure l’être qui naît doit s’organiser aujourd’hui dans le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est le sens qui doit également primer aujourd’hui dans les modalités d’élargissement des modes de procréation et d’établissement de la filiation.

Il convient à ce titre d’éviter un écueil des politiques familiales contemporaines : « celui d’une indifférenciation des statuts qui ferait notamment oublier que la reconnaissance des droits de l’enfant ne fait pas seulement de l’enfant un sujet de droits mais aussi, comme le dit la philosophe anglaise Onora O’Neill, un être toujours « objet de sollicitude », à l’égard de qui les parents ont des obligations morales, une responsabilité » ([8]).

Les débats actuels sur l’extension de l’accès à l’assistance médicale à la procréation replacent en effet la question de la filiation et, à travers elle, celle du lignage, au cœur des réflexions contemporaines. Comme l’écrivaient, dans leur récente étude, Irène Théry et Anne-Marie Leroyer, « dans un premier temps, la filiation s’est puissamment unifiée grâce à l’égalisation des filiations légitime et naturelle, qui a fait sombrer dans l’oubli la grande fracture qui organisait autrefois tout l’univers familial, séparant d’un côté l’honneur et de l’autre la honte. Puis est apparu le principe de maintien d’une coparentalité post divorce. Enfin l’antique distinction entre filiation légitime et naturelle a été effacée du droit. Ces changements capitaux ont traduit la montée de la valeur majeure d’égalité entre tous les enfants, quelle que soit la situation de leurs parents (mariés ou non mariés, unis ou séparés). Le principe d’indissolubilité s’est déplacé du mariage vers la filiation. La filiation est désormais l’axe d’un droit commun de la famille » ([9])

Les réflexions qui doivent donc nous animer ne sauraient uniquement être centrées sur la seule famille nucléaire, mais considérer la famille comme une enceinte inscrite dans une généalogie et scandée par des étapes solennelles. « La famille, en effet, n’est jamais un simple réseau de relations interpersonnelles, qu’elles soient faites de liens charnels et/ou de liens affectifs. Elle est toujours aussi, d’abord, une institution inscrite au sein d’un système symbolique de parenté » ([10]).

L’institution du mariage mérite, à ce titre, une attention particulière. Il engage bien sûr les futurs époux à titre principal, mais également la communauté nationale à travers la célébration publique d’une « cérémonie républicaine par l’officier de l’état civil de la commune dans laquelle l’un des époux, ou l’un de leurs parents, aura son domicile ou sa résidence » ([11]) à la date de publication de l’annonce du mariage. Il incombe au maire, en sa qualité d’officier de l’état civil, d’assurer la pleine connaissance, par les époux, de ce que signifie un mariage, en termes juridiques comme en termes symboliques.

De l’accueil du jeune enfant à l’accompagnement de nos aînés, y compris dans des circonstances aussi difficiles que celles que la France vient de traverser, la politique familiale doit accompagner les individus à tout âge. Elle doit redevenir une politique universelle de soutien à toutes les familles.


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Première Partie : les aides financières aux familles

La naissance d’un enfant engendre des coûts pour les familles, qui rendent leur niveau de vie en moyenne plus faible que celui des ménages sans enfant. Ainsi, une étude de la direction du Trésor de 2015 montre que les familles d’un ou deux enfants ont en moyenne un niveau de vie inférieur de 11 % à celui d’un ménage sans enfant. Cet écart atteint 26 % entre les familles sans enfant et celles avec trois enfants et plus ([12]).

Ce constat justifie pleinement l’existence d’aides financières en faveur des familles afin de réduire les inégalités constatées entre ménages avec et sans enfant.

Si les prestations familiales, et en particulier les allocations familiales, restent les aides les plus emblématiques de la politique familiale, le soutien financier aux familles prend des formes variées. La prise en compte des enfants dans le calcul des impôts et des prestations sociales, les différentes aides à la garde d’enfants, ou encore les majorations de retraite permettent d’opérer une redistribution, à la fois des ménages sans enfant vers les familles (redistribution horizontale) et des ménages aisés vers les familles plus modestes (redistribution verticale).

Depuis plusieurs années, la politique familiale a été marquée par des mesures d’économies sans précédent qui ont pesé lourdement sur les familles. Ces mesures de restriction budgétaire se sont traduites lors de la précédente législature par une diminution des prestations monétaires et des avantages fiscaux dont bénéficient les ménages les plus aisés et les classes moyennes, mais également par une série d’ajustements touchant des prestations déjà sous condition de ressources.

La volonté de réduire le déficit de la branche famille a conduit à restreindre substantiellement l’effort collectif en faveur des familles. Or, la récente crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 va entraîner une forte dégradation des comptes de la sécurité sociale en 2020, liée à la fois à un effondrement des recettes sociales et à une augmentation mécanique des dépenses sociales, principalement de l’Objectif national de dépenses de l’assurance maladie (ONDAM) ([13]).

Dans ce contexte inédit, la politique familiale ne saurait une fois encore constituer une variable d’ajustement, alors que les familles sont touchées de plein fouet par la crise économique et sociale que nous traversons.

Au contraire, la France a plus que jamais besoin d’une politique familiale claire et ambitieuse. À cet égard, la rapporteure souhaite rappeler que l’universalité est un principe fondamental de notre modèle de politique familiale, qui doit être réaffirmé. Ce principe, selon lequel chaque famille bénéficie d’une aide lorsqu’elle a des enfants, contribue à la cohésion sociale de notre pays. Il ne fait pas obstacle à l’existence de prestations destinées prioritairement aux familles les plus modestes.

Les aides financières versées aux familles doivent répondre à la fois à l’objectif de redistribution horizontale des ménages sans enfant vers les ménages avec enfant(s), d’une part, et à celui de redistribution verticale des familles les plus aisées vers les familles les plus modestes, d’autre part. Ces deux objectifs constituent en quelque sorte les deux jambes de la politique familiale.

I.   réaffirmer le caractère universel de la politique familiale

Le premier objectif de la politique familiale est la compensation de la charge liée à l’arrivée d’un enfant. Cet objectif appelle des outils dits de redistribution horizontale, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité des familles sans enfant envers les familles avec enfants. Les allocations familiales constituent le principal de ces outils ; le quotient familial, qui permet la prise en compte des charges de famille dans le calcul de l’impôt sur le revenu, participe de la même logique.

Ces deux outils ont connu des évolutions significatives au cours des dernières années, tendant remettre en cause l’universalité de la politique familiale et à concentrer le soutien public sur les familles les plus modestes.

A.   rétablir une réelle universalité des allocations familiales

1.   La remise en cause progressive de l’universalité de la politique familiale

a.   Les allocations familiales, principale prestation familiale, sont désormais modulées en fonction des revenus

i.   Une prestation historique

Les allocations familiales constituent la plus ancienne des prestations familiales. Dans un objectif nataliste, lui-même dicté par un contexte de rivalité démographique avec la Prusse puis l’Allemagne, des employeurs dits « paternalistes » versaient de leur propre chef, dès la fin du XIXe siècle, des « sursalaires » à leurs employés, afin de compenser le coût généré par l’arrivée d’un enfant. Ces sursalaires sont les ancêtres des allocations familiales, créées par la loi en 1932, puis majorées au profit des familles dont la mère reste au foyer en 1938, à l’approche de la seconde guerre mondiale.

Les allocations familiales sont versées aux personnes ayant au moins deux enfants de moins de 20 ans à leur charge, sur simple déclaration de naissance auprès de la caisse d’allocations familiales (CAF) ou de la mutualité sociale agricole (MSA) compétente ([14]).

Depuis leur création et jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 85 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 ([15]), le montant des allocations familiales était identique pour tous les bénéficiaires, quel que soit le niveau de leurs revenus. Au 1er avril 2014, le montant de l’allocation s’élevait ainsi à 129,35 euros pour deux enfants. Ce montant augmente avec le nombre d’enfants (il était ainsi de 295,05 euros pour trois enfants et de 460,77 euros pour quatre enfants en 2014). Une majoration par enfant supplémentaire au-delà de quatre, ainsi que pour chaque enfant atteignant l’âge de 14 ans, est également prévue.

Le nombre de familles bénéficiaires des allocations familiales s’élevait, en décembre 2013, à 4,8 millions. Parmi elles, 1,5 million de familles ne percevaient pas d’autres prestations familiales.

ii.   La modulation des allocations familiales remet en cause l’universalité de la politique familiale

Les allocations familiales sont, depuis le 1er juillet 2015, modulées selon trois niveaux de revenus : elles continuent d’être perçues pour la totalité de leur montant antérieur lorsque les revenus n’excèdent pas un premier plafond, puis ce montant est divisé par deux lorsque les revenus se situent entre le premier et le second plafond, et enfin le montant est divisé par quatre lorsque les revenus dépassent le second plafond. Les plafonds de revenus affichés au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2015 étaient, par souci de lisibilité politique, de respectivement 6 000 et 8 000 euros par mois. Compte tenu du niveau de ressources précisément retenu par voie réglementaire, du fait que le montant des allocations familiales augmente avec le nombre d’enfants, et de l’existence d’une majoration spécifique pour les enfants de plus de 14 ans, la réalité des chiffres est plus complexe, comme l’illustre le tableau ci-dessous, précédé d’un encadré précisant les modalités de calcul des allocations familiales.

Modalité de calcul des allocations familiales

Le montant des AF résulte désormais de l’application d’un barème défini par l’article D. 521-1 du code de la sécurité sociale :

– lorsque le revenu n’excède pas le premier plafond, le montant des AF est égal à une fraction de la base mensuelle de calcul des prestations familiales ([16]) (32 % pour le deuxième enfant, 41 % pour chacun des enfants à compter du troisième) ;

– lorsque le revenu est compris entre le premier et le second plafond, les taux précités sont divisés par deux, et donc ramenés à respectivement 16 % et 20,5 %.

– lorsque le revenu excède le second plafond, les taux sont divisés par quatre (soit 8 % et 10,25 %).

Les deux plafonds de revenus sont définis par référence au revenu net catégoriel ([17]) de l’année N-2 ; ils varient eux aussi en fonction du nombre d’enfants à charge, et sont indexés annuellement sur l’inflation hors tabac. En application de l’article D. 521-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction en vigueur au 1er juillet 2015 :

– le premier plafond est fixé à 55 950 euros, avec une majoration de 5 595 euros par enfant à charge (soit, après prise en compte de l’inflation, un montant de 69 309 euros avec deux enfants en 2020) ;

– le deuxième seuil est fixé à 78 300 euros, avec la même majoration par enfant à charge (soit 92 381 euros avec deux enfants en 2020).

Les AF sont par ailleurs majorées lorsque les enfants ont plus de 14 ans ([18]). Les modalités de calcul de la majoration sont calquées sur celles du montant de base ; en fonction de la tranche de revenu, le montant de la majoration est égal à 16 %, 8 % ou 4 % de la base mensuelle.

Il existe par ailleurs deux dispositifs de « lissage » des AF :

– le mécanisme de l’allocation forfaitaire, d’une part. Il permet aux familles d’au moins trois enfants, dont l’un atteint l’âge de 20 ans mais reste vivre dans le foyer et ne perçoit pas un revenu professionnel supérieur à 943,44 euros, de bénéficier pendant un an, au titre de cet enfant, d’un montant forfaitaire, modulé selon la tranche de revenus ([19]) ;

– le complément dégressif, d’autre part. Il a été instauré au moment de la modulation des AF, pour limiter la perte de ressource des foyers dépassant légèrement le seuil de revenus déclenchant la réduction du montant de base des allocations. Le complément dégressif s’applique aux AF de base, à leur majoration pour âge et à l’allocation forfaitaire ([20]).

Source : Commission des affaires sociales.

Montants des allocations familiales
en fonction de la situation de famille et des ressources

Situation de la famille

Montant de base

Majoration (enfant de plus de 14 ans)

Nombre d'enfants à charge

Ressources

2 enfants

Inférieures ou égales à 69 309 euros

131,95 euros

+ 65,98 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 69 309 € et inférieures ou égales à 92 381 euros

65,98 euros

+ 32,99 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 92 381 euros

32,99 euros

+ 16,50 euros si le second enfant a plus de 14 ans

3 enfants

Inférieures ou égales à 75 084 euros

301 euros

+ 65,98 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 75 084 € et inférieures ou égales à 98 156 euros

150,50 euros

+ 32,99 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 98 156 euros

75,26 euros

+ 16,50 euros si le second enfant a plus de 14 ans

4 enfants

Inférieures ou égales à 80 859 euros

470,07 euros

+ 65,98 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 80 859 euros et inférieures ou égales à 103 931 euros

235,03 euros

+ 32,99 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Supérieures à 103 931 euros

117,52 euros

+ 16,50 euros si le second enfant a plus de 14 ans

Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13213

D’après une étude réalisée par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) en 2016 ([21]), environ 455 000 foyers sont concernés par la modulation, soit un peu plus de 9 % du nombre total d’allocataires (environ 220 000 divisions par deux et 235 000 divisions par quatre). Cette modulation a généré une économie spontanée de 750 millions d’euros par an, dont 290 millions d’euros au titre de la deuxième tranche de revenus (division par deux) et 460 millions au titre de la troisième tranche (division par quatre). Au total, les allocations familiales ont bénéficié à 4,9 millions de familles en 2019, pour un coût de 12,7 milliards d’euros.

Le tableau ci-dessus montre que la modulation des allocations familiales a entraîné une perte de revenus de près de 100 euros par mois pour les familles de deux enfants dont les revenus annuels se situent dans la troisième tranche de revenus, et de 66 euros par mois pour les revenus de la deuxième tranche. Pour les familles de trois enfants, cette perte s’élève respectivement à 226 euros et 150 euros par mois. Les familles de quatre enfants ont quant à elles connu une diminution des allocations familiales de respectivement 352 et 217 euros par mois.

La modulation des allocations familiales a donc entraîné une réduction importante des prestations versées aux familles situées dans le haut de l’échelle des revenus, mais également aux familles de la classe moyenne, qui ont déjà subi l’abaissement du plafond du quotient familial en 2013 et en 2014. Pour certaines familles, le maintien d’une aide relève désormais davantage du symbole que d’une réelle prestation d’entretien.

2.   Une évolution préoccupante

La modulation des allocations familiales en fonction des revenus soulève plusieurs questions.

a.   La méthode employée pour remettre en cause une prestation aussi fondamentale est contestable

La modulation des allocations familiales en 2015 a été mise en œuvre un an après l’abaissement du plafond du quotient familial, intervenue en 2013 et en 2014. Pourtant, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2014, le choix d’abaisser une nouvelle fois ce plafond avait été présenté comme une alternative à la modulation des allocations familiales, que la majorité de l’époque avait écartée conformément à un engagement de campagne du Président de la République d’alors.

Or, cette mesure a finalement été introduite en catimini l’année suivante par un amendement parlementaire au PLFSS pour 2015, déposé à l’Assemblée nationale en séance publique par la rapporteure des crédits de la branche famille, avec l’accord du Gouvernement. Elle n’a donc pas fait l’objet des consultations préalables relatives à la sécurité juridique du dispositif, ni d’aucune concertation avec les associations familiales. Comme l’a indiqué de manière assez révélatrice M. Julien Damon, conseiller scientifique de l’école nationale supérieure de sécurité sociale (En3s), lors de son audition devant les membres de la mission, « sur la politique familiale, j’avais pu écrire qu’il s’agit d’une politique de gribouille. Toutes les personnes qui sont à la manœuvre de la politique familiale le savent, lorsque nous avons décidé de la modulation des allocations familiales, une réforme assez substantielle de ces allocations, le ministère en charge ne savait pas la veille ce qui allait être décidé ».

La méthode ainsi employée pour remettre en cause un principe aussi fondamental est regrettable. Cette volte-face par rapport à un engagement de campagne a trahi la confiance des familles.

Comme l’on pouvait le craindre, la fin de l’uniformité des allocations familiales a ouvert la voie à une remise en cause de leur universalité. En effet, quelques jours avant le dépôt du PLFSS pour 2018, un débat s’est ouvert sur l’opportunité d’un maintien des allocations familiales pour les familles aisées, au motif que les montants qu’elles perçoivent étaient devenus purement symboliques. M. Olivier Véran, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales, a ainsi déclaré au journal Le Figaro « vouloir étudier la fin de l’universalité des allocations familiales » ([22]). M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie a quant à lui indiqué n’être « pas fermé » à la possibilité de « supprimer les allocations familiales pour les revenus les plus élevés », soulignant sur la chaîne CNews que cette suppression « pourrait être une mesure juste parce que quand on a un niveau de revenu élevé on n’a pas forcément besoin des allocations familiales » ([23]).

b.   Une remise en cause de la nature et des objectifs de la politique familiale

Le principe d’universalité constitue la pierre angulaire de la politique familiale française depuis son origine. Il repose sur l’idée que chaque famille bénéficie d’une aide dès lors qu’elle a des enfants.

En effet, selon la conception originelle de la politique familiale, les prestations familiales ont d’abord pour vocation de compenser la charge représentée par l’arrivée d’enfants au sein d’un foyer. L’universalité et l’uniformité des allocations familiales, principale prestation de la branche famille, répondent à une logique de solidarité horizontale, des célibataires et des couples sans enfant vers les familles. Selon cette logique, la compensation ne tient pas compte des ressources du foyer mais seulement du coût supporté au titre de l’enfant, à l’instar du remboursement des frais de santé par l’assurance maladie.

Le principe d’universalité de la politique familiale ne fait bien évidemment pas obstacle à ce qu’un certain nombre de prestations familiales soient aujourd’hui soumises à condition de ressources – c’est le cas notamment de la prime à la naissance, de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, du complément familial, ou encore de l’allocation de rentrée scolaire – ou modulées en fonction des revenus, comme pour le complément au libre choix de mode de garde.

Par ailleurs, la modulation des allocations familiales ne saurait être considérée comme une mesure de justice sociale dans la mesure où les ménages modestes n’ont nullement profité de l’effort demandé aux familles dont les allocations ont été réduites.

c.   Le risque d’une moindre acceptabilité sociale et d’un manque de lisibilité de la politique familiale

Avec la modulation des allocations familiales et la concentration des prestations sur les ménages modestes, l’universalité de la politique familiale devient purement symbolique. En effet, les allocations familiales étaient, jusqu’en 2015, la seule prestation qui bénéficiait de manière identique à toutes les familles de deux enfants ou plus, soit près de 4,9 millions de foyers. En tendant vers la suppression des aides publiques pour les familles des derniers déciles de revenu, le caractère familial de cette politique tend ainsi à disparaître. Pire, la remise en cause de l’universalité tend à opposer d’une part les familles bénéficiant des prestations et celles qui, tout en contribuant largement à son financement, ne reçoivent pratiquement plus d’aides. Cette évolution, qui conditionne les aides aux familles à la notion de besoin, est d’autant plus regrettable qu’elle a été dictée avant tout par des considérations d’ordre budgétaire.

La rapporteure s’interroge sur l’acceptabilité sociale et politique d’une politique familiale qui exclurait les principaux contributeurs de son bénéfice et qui tendrait à traiter de la même manière, à niveau de revenu identique, un ménage sans enfant et une famille.

d.   La voie ouverte à de nouvelles remises en cause ?

La modulation des allocations familiales, couplée avec la limitation de l’avantage fiscal procuré par le quotient familial, pourrait ouvrir la voie à de nouvelles remises en cause de notre modèle social.

En effet, avec ces deux mesures, une partie croissante de la population (non seulement les plus aisés mais également les classes moyennes) assume par l’impôt et les cotisations le financement de prestations dont elle ne bénéficie pas. Une telle fracture entre les bénéficiaires du système de protection sociale et ceux qui le financent est propice à sa remise en cause au profit d’assurances privées qui excluent, par définition, les plus démunis.

Par ailleurs, le principe d’universalité pourrait progressivement être remis en cause dans d’autres branches de la sécurité sociale, à commencer par l’assurance maladie. Ainsi, le principe de modulation des prestations en fonction des revenus pourrait conduire à moduler les remboursements de frais médicaux en fonction de la capacité des assurés à assumer la prise en charge financière des soins. En extrapolant, cette logique pourrait aboutir à conditionner l’accès aux services publics. Par exemple, dans la mesure où certaines familles ont les moyens de recourir à l’enseignement privé, pourquoi ne pas remettre en cause la gratuité de l’enseignement public ?

La rapporteure a bien conscience que de telles évolutions ne sont pas à l’ordre du jour. Il convient néanmoins de garder en mémoire que la remise en cause de l’universalité des allocations familiales s’est faite alors qu’elle constituait encore, quelques années auparavant, un véritable tabou.

3.   La nécessité de rétablir une réelle universalité des allocations familiales

● La modulation des allocations familiales en fonction des revenus a remis en cause la nature et les objectifs de la politique familiale. L’objectif de redistribution horizontale, des familles sans enfant vers les familles avec enfants, a été perdu de vue, remettant ainsi en cause à la fois la lisibilité et la légitimité de la politique familiale, qui tend à être réduite à un « filet de sécurité » social destiné à soutenir les ménages modestes.

Dans ce contexte, la rapporteure propose de mettre fin à la modulation des allocations familiales mise en place en 2015. Elle souhaite que toutes les familles éligibles puissent bénéficier du même montant d’allocations, versé aujourd’hui uniquement aux familles de la première tranche de revenu : 131,95 euros pour les familles de deux enfants, 301 euros pour celles de trois enfants, 470,07 euros pour celles de quatre enfants.

Les associations interrogées par la rapporteure sont favorables au rétablissement d’une réelle universalité des allocations familiales, qui seraient versées de manière identique à toutes les familles, quels que soient leurs revenus. Le coût de cette mesure est estimé à 760 millions d’euros par la CNAF. Ce coût, qui peut paraître certes élevé, ne représente que 1,4 % de la totalité des dépenses de la branche famille, de l’ordre de 50 milliards par an.

Proposition n° 1 : mettre fin à la modulation des allocations familiales en fonction des revenus

● Par ailleurs, les allocations familiales sont versées aux familles uniquement à partir du deuxième enfant, alors qu’elles constituent le principal outil permettant de compenser financièrement les charges de famille. Cette règle connaît toutefois une exception dans les départements d’Outre-mer, où les allocations familiales sont versées dès le premier enfant.

Dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2017 ([24]), la Cour des comptes indique que « le caractère progressif du niveau de soutien avec le rang de l’enfant, à partir uniquement du deuxième enfant, répond à quatre considérations : favoriser la naissance du troisième enfant dans un objectif nataliste implicite, éviter de répartir sur un trop grand nombre de familles des aides qui, à enveloppe inchangée, seraient alors insuffisantes pour avoir un effet notable sur leur niveau de vie, compenser partiellement la baisse du niveau de vie de la famille liée à l’élargissement de sa taille et remédier à une pauvreté potentiellement plus marquée » ([25]).

Sans pour autant aller jusqu’à recommander le versement des allocations familiales dès le premier enfant, la Cour relève que la prévalence de la pauvreté chez les couples avec un enfant est supérieure à celle observée chez les couples sans enfant ou avec deux enfants. Elle note également que « d’autres pays apportant un soutien selon le cas croissant avec le rang de l’enfant, mais débutant dès le premier, uniforme ou encore dégressif avec ce même rang, obtiennent des résultats proches de la France en matière de fécondité (les pays nordiques et le Royaume-Uni) ». Ainsi, en Belgique, en Suède, au Danemark et au Royaume-Uni, les prestations familiales sont versées dès le premier enfant.

Par ailleurs, le Gouvernement italien a adopté, le 12 juin dernier, un « Family act » prévoyant notamment la mise en place d’une allocation mensuelle universelle pour tout enfant à charge jusqu’à ses 18 ans, versée dès le premier enfant. Cette allocation mensuelle sera versée dès le premier enfant et majorée de 20 % à partir du deuxième. Cette aide nouvelle, qui doit être votée dans le cadre du budget de l’année 2021, devrait être versée à partir du 1er janvier 2021 ([26]).

Dans ce contexte, la rapporteure souhaite que soit ouverte une réflexion sur le versement des allocations familiales dès le premier enfant en France. Leur montant pourrait être fixé à 85 euros pour le premier enfant, 160 euros pour le deuxième, 250 euros pour le troisième enfant.

Proposition n° 2 : mener une réflexion sur le versement des allocations familiales dès le premier enfant, dont le montant pourrait être fixé à 85 euros pour le premier enfant, 160 euros pour le deuxième et 250 euros pour le troisième enfant

B.   Relever le plafond du quotient familial

1.   Le plafond du quotient familial, principal outil fiscal de soutien aux familles, a été abaissé à deux reprises

a.   Le quotient familial, principal outil fiscal de soutien aux familles

L’impôt sur le revenu repose en France sur deux principes essentiels :

– la progressivité, qui fait croître le niveau d’impôt avec le niveau de revenu. Le revenu imposable est divisé en tranches, chaque tranche du barème étant soumise à un taux d’imposition croissant ;

– l’imposition commune du foyer fiscal, et non de chaque individu qui le compose de manière séparée. Ce principe de « familialisation » de l’impôt sur le revenu a pour objet de prendre en compte l’ensemble du revenu et des charges de famille dans le calcul de l’impôt, et donc d’estimer au plus près du réel les facultés contributives du foyer ([27]).

Ce principe essentiel, qui se traduit par l’obligation pour la Nation de mettre en œuvre une politique de solidarité à l’égard des familles, trouve son fondement dans les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ([28]). Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu dans une décision rendue en 1997 que le quotient familial, en permettant de prendre en compte les charges de famille dans le calcul de l’impôt, constitue l’un des outils de la politique d’aide aux familles prescrite par le Préambule de la Constitution de 1946 ([29]).

Instauré par la loi de finances pour 1946, le mécanisme du quotient familial est applicable depuis 1948. Chaque foyer fiscal est constitué d’un certain nombre de parts, variable selon sa composition (cf. infra). Le revenu imposable est divisé en autant de parts que compte le foyer ; c’est à ce revenu divisé qu’est appliqué le barème progressif. Le montant d’impôt par part ainsi obtenu est ensuite multiplié par le nombre de parts, produisant le montant d’impôt dû par le foyer. Le quotient familial a donc pour effet de réduire le montant de l’impôt dû, car le revenu est imposé dans des tranches plus basses qu’il le serait en l’absence d’un tel mécanisme.

b.   L’abaissement du plafond de l’avantage procuré par le quotient familial

L’avantage que procure le quotient familial aux familles a été plafonné, pour la première fois par la loi de finances pour 1982. Sous la précédente législature, le plafond du quotient familial a été abaissé à deux reprises : la loi de finances pour 2013 a ramené le plafond par demi-part de 2 336 à 2 000 euros, puis la loi de finances pour 2014 l’a abaissé à 1 500 euros. Ce plafond est aujourd’hui de 1 567 euros.

L’attribution de demi-parts en fonction de la composition du foyer est définie par l’article 194 du code général des impôts, dont il résulte :

– qu’un célibataire représente une part ;

– qu’un couple marié ([30]) représente deux parts, ce qui correspond au « quotient conjugal », ayant pour effet de minorer l’impôt dû par un couple dont les deux membres ont des revenus différents, selon le même mécanisme que celui décrit supra pour le quotient familial ;

– que le premier et le deuxième enfant à charge ([31]) représentent une demi-part chacun ;

– que chaque enfant à compter du troisième représente une part entière ;

– que, dans la généralité des cas, les enfants dont la charge est assumée à parité par deux parents séparés (résidence alternée) représentent un quart de part pour les deux premiers et une demi-part pour chacun des suivants ;

– que les contribuables vivant seuls et assumant la charge d’au moins un enfant bénéficient au titre du premier enfant d’une demi-part supplémentaire, dite « parent isolé ».

Cette dernière demi-part, bien qu’accordée au titre de la composition du foyer, est soumise à un plafonnement spécifique, plus élevé que le plafond de droit commun. Alors que la loi de finances pour 2013 n’avait pas modifié l’état du droit sur ce point, le plafond de cette demi-part spécifique a été abaissé de 4 040 euros à 3 540 euros par la loi de finances pour 2014, du même montant de 500 euros que pour le plafonnement général du quotient familial.

Les mesures de plafonnement du quotient familial prévues au titre des revenus de 2013 par la loi de finances pour 2014 ont concerné plus de 1,3 million de foyers au total, soit 12 % des ménages avec enfant(s) à charge. En moyenne, les impôts des foyers bénéficiaires de la mesure de plafonnement ont augmenté de 791 euros par an, le gain budgétaire réalisé par l’État étant quant à lui de 1,03 milliard d’euros.

La rapporteure regrette cette perte de revenus pour les familles avec enfants et souhaite rappeler que le quotient familial n’est pas un avantage fiscal mais une compensation partielle de charge d’enfants. À revenu égal (avant impôt et transfert), une famille avec deux enfants a un niveau de vie inférieur de 25 % à un couple sans enfant à charge et une famille avec trois enfants a un niveau de vie 50 % inférieur ([32]). Le quotient familial intervient pour réduire partiellement cet écart.

En réduisant le plafond du quotient familial de 2 336 à 2 000 euros en 2013 puis à 1 500 euros en 2014, les familles ont été lourdement mises à contribution pour réduire les déficits publics.

2.   Le plafond du quotient familial doit être relevé

● La précédente majorité a justifié la limitation de l’avantage fiscal issu du quotient familial par la nécessité de réduire le déficit public, tout en soulignant à l’époque que l’abaissement du plafond devait éviter de moduler les allocations familiales en fonction des revenus.

Non seulement cette promesse n’a pas été tenue, la modulation des allocations familiales ayant été mise en place dès l’année suivante, mais les comptes de la branche famille sont depuis devenus excédentaires. En 2019, la branche famille connaît ainsi un solde positif de 1,5 milliard d’euros, en progression d’un milliard par rapport à l’année 2018.

Par ailleurs, certains pays, à l’instar de l’Allemagne, ont récemment renforcé leur politique de soutien fiscal aux familles.

L’amélioration des avantages fiscaux qui bénéficient aux familles :
l’exemple de l’Allemagne

L’Allemagne a relevé les prestations et avantages fiscaux dans des conditions qui bénéficient aux familles des classes moyennes et aux familles aisées, dans la limite d’un plafond. Le « Familienpaket », adopté en juin 2015, relève ainsi de 10 % sur cinq ans l’abattement fiscal de droit commun, qui passe ainsi de 4 368 euros en 2014 à 4 788 euros en 2018. L’abattement fiscal spécifique aux familles monoparentales est quant à lui relevé de 50 % (de 1 308 euros à 1 908 euros), assorti d’une majoration de 240 euros pour les enfants de rang 2 et plus. Le coût de ces mesures est évalué à 5,4 milliards d’euros.

Source : Cour des comptes, rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale de septembre 2017 - https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2017-09/20170920-rapport-securite-sociale-2017-soutiens-fiscaux-sociaux-aux-familles.pdf

Dans ce contexte, il convient de soulager la pression fiscale qui pèse sur les familles. Ces dernières contribuent largement à la solidarité nationale par leurs cotisations, par leur impôt et par le renouvellement des générations qu’elles assurent.

C’est pourquoi la rapporteure propose de relever le plafond du quotient familial pour le porter à 1 800 euros par demi-part, revenant ainsi partiellement sur les mesures décidées en 2013 et 2014. Le coût de cette mesure est estimé à environ 550 millions d’euros.

Proposition n° 3 : relever le plafond du quotient familial pour le porter à 1 800 euros par demi-part

● Par ailleurs, face à la baisse de la natalité qu’a connue la France ces dernières années, il convient de réfléchir aux moyens permettant d’inciter les familles à avoir un deuxième enfant.

Or, tel qu’il est conçu aujourd’hui, le mécanisme du quotient familial comporte une forte incitation en faveur du troisième enfant, puisque les ménages ont droit à une demi-part supplémentaire par enfant pour les deux premiers et à une part supplémentaire par enfant à partir du troisième.

Le bénéfice d’une part supplémentaire dès le deuxième enfant pourrait inciter certaines familles à avoir un deuxième enfant.

Proposition n° 4 : mener une réflexion sur la possibilité d’accorder une part fiscale supplémentaire par enfant à partir du deuxième enfant

Lutter contre la pauvreté des familles

A.   Les familles les plus fragiles ont fait l’objet d’une attention particulière ces dernières années

Le taux de pauvreté des enfants est particulièrement élevé. Si, en 2014, 14 % de la population métropolitaine, soit 8,6 millions de personnes, vit en dessous du seuil de pauvreté, la pauvreté des enfants est sensiblement supérieure à celle de l’ensemble de la population puisqu’elle atteint 19,8 %, comme le note le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans un rapport du 5 juin 2018 consacré à la lutte contre la pauvreté des familles et des enfants ([33]).

Deux types de familles sont particulièrement concernés : les familles monoparentales et les familles nombreuses. Le taux de pauvreté des familles monoparentales atteint ainsi 39 % avec deux enfants et 63 % pour celles de trois enfants ou plus. Il est de 40 % pour les couples ayant au moins quatre enfants.

1.   Les aides financières en faveur des familles les plus vulnérables

Les réformes engagées depuis 2012 ont permis de renforcer le caractère redistributif des prestations familiales, en s’attachant à améliorer les aides en faveur des familles les plus fragiles, en particulier les familles monoparentales.

La mise en œuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté en 2013, a largement contribué à l’augmentation des aides versées aux familles les plus fragiles. Dans le cadre de ce plan :

– le complément familial, versé sous condition de ressources aux familles comportant au moins trois enfants, a vu son montant majoré de 10 % par an pendant cinq ans pour les familles nombreuses les plus vulnérables, dont les revenus se situent sous un plafond de ressources proche du seuil de pauvreté. Au 1er avril 2020, le montant du complément familial est de 171,74 euros et celui du complément familial majoré de 257,63 euros par mois ;

– le montant de l’allocation de soutien familial (ASF) en faveur des familles monoparentales a quant à lui été revalorisé de 25 % entre 2014 et 2018. Cette allocation est versée pour élever un enfant privé de l’aide de l’un ou de ses deux parents ou pour compléter une pension alimentaire dont le montant est faible. Elle peut également être versée à titre d’avance en cas de pension alimentaire impayée par l’autre parent. Son montant s’élève à 115,99 euros par enfant à charge le 1er avril 2020 ;

– le montant de l’allocation de rentrée scolaire (ARS), versée sous condition de ressources, a été revalorisé en 2012 de 25 % par rapport à 2011 ([34]). En 2020, il s’élève à 369,95 euros pour les enfants de 6 à 10 ans, 390,35 euros entre 11 et 14 ans et 403,88 euros entre 15 et 18 ans ;

– le revenu de solidarité active (RSA), qui bénéficie à 15 % des familles avec enfants, a également fait l’objet d’un plan de revalorisation de 10 % entre 2013 et 2017 ;

Par ailleurs, la LFSS pour 2018 a mis en place une majoration de 30 % des montants du complément au libre choix du mode de garde (CMG) pour les familles monoparentales.

2.   Des progrès encourageants en matière de versement des pensions alimentaires

a.   Le problème récurrent des impayés de pensions alimentaires

Le paiement d’une pension alimentaire doit permettre à la fois de répartir équitablement la charge qui incombe au parent qui a la garde de l’enfant, mais aussi d’amoindrir la perte de niveau de vie à la suite d’une séparation, qui est de l’ordre de 22 % en moyenne pour les femmes, selon l’INSEE ([35]).

 Or, le nombre de victimes d’impayés peut être estimé à 35 % des créanciers de pensions alimentaires, soit environ 315 000 personnes, selon une mission menée conjointement par les inspections générales des affaires sociales (IGAS), des finances (IGF) et des services judiciaires (IGSJ) en 2016 ([36]). Surtout, selon les données du ministère de la Justice, la pension alimentaire est versée de façon irrégulière dans 9 % des cas et elle n’a jamais été versée dans 11 % des cas. Or, le versement des pensions alimentaires est d’autant plus crucial que ces pensions représentent en moyenne 18 % des revenus du parent qui a la charge des enfants.

Les parents créanciers qui souffrent d’une situation d’impayé bénéficient d’une allocation spécifique : l’allocation de soutien familial (ASF). Son versement intervient dans près de 95 % des cas lorsque le débiteur est dans l’incapacité de faire face au paiement de sa pension alimentaire. Ce versement peut également intervenir pour compenser un versement partiel ou irrégulier des pensions alimentaires, l’ASF différentielle permettant alors au conjoint créancier de toucher un minimum fixé aujourd’hui à 115,99 euros par mois.

b.   La création récente d’un service public de paiement des pensions alimentaires

Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont agi dans le sens d’un meilleur recouvrement des pensions alimentaires.

Ainsi, la garantie des impayés de pensions alimentaires (GIPA) a été expérimentée en 2014, avant d’être généralisée en 2016 ([37]). Celle-ci facilite fortement la procédure de paiement direct. Plus efficace et moins lourde que la procédure impliquant un huissier de justice, le paiement direct permet au créancier d’effectuer le recouvrement des pensions impayées auprès des débiteurs du parent débiteur. Ceux-ci sont généralement son employeur, son organisme bancaire, mais aussi Pôle emploi.

L’article 44 de la LFSS pour 2016 a assoupli cette procédure, en permettant au créancier de la lancer dès la première occurrence d’un impayé, et a étendu son champ d’application aux vingt-quatre mois précédant sa première mise en œuvre. La procédure de recouvrement par paiement direct concerne 62 % des dossiers mis en recouvrement (20 915 procédures).

Par ailleurs, depuis 2017, une Agence de recouvrement des impayés de pension alimentaire (ARIPA), rattachée à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et en lien avec la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), soulage les parents créanciers. Son action se décline selon les modalités suivantes :

– le recouvrement des impayés de pension alimentaire et l’avance de l’ASF aux parents isolés ;

– l’intermédiation financière sur décision du juge pour les créancières victimes de violences conjugales dès 2017 ;

– la délivrance de titres exécutoires sur la base d’un barème national aux parents concubins et pacsés qui se séparent, depuis juillet 2018.

Toutefois, l’ARIPA n’avait, en septembre 2019, que 40 500 procédures en cours, soit environ 17 % de l’ensemble des familles subissant des incidents. L’importance de ce non-recours s’explique à la fois par une méconnaissance de la procédure et des difficultés d’accès administratives. Les procédures en recouvrement sont par ailleurs souvent tardives, ce qui entraîne un nombre important d’impayés et une plus grande exposition à la pauvreté des parents créanciers, bien souvent des créancières.

Dans ce contexte, la création d’un nouveau service public de versement des pensions alimentaires par l’article 72 de la LFSS pour 2020 marque une véritable avancée en faveur des familles monoparentales, que la rapporteure souhaite saluer.

Cet article instaure ainsi un dispositif d’intermédiation financière auquel les parents peuvent avoir volontairement recours après leur séparation. Le parent débiteur versera à l’organisme débiteur des prestations familiales le montant de la pension alimentaire, reversée ensuite au parent créancier. Tout manquement du parent débiteur à ses obligations pourra faire l’objet de sanctions et entraînera, dès le premier impayé, le recouvrement forcé de la pension. Le cas échéant, l’organisme versera au parent créancier une allocation de soutien familial, à hauteur du montant de la pension alimentaire impayée.

La mise en place de cette intermédiation pourra toujours être décidée d’office par un juge pour des faits de violence ou de menaces, comme c’est déjà le cas, mais aussi par décision du juge à la demande de l’un des deux parents. En particulier, le recouvrement forcé des pensions alimentaires pourra se faire sur un ensemble de prestations sociales et familiales (prime d’activité, allocation aux adultes handicapés, aide personnalisée au logement, prestations familiales).

La mise en œuvre de ce service public, qui devait intervenir le 1er juin 2020, a été repoussée compte tenu de l’épidémie de Covid-19. La rapporteure sera particulièrement attentive au calendrier de sa mise en place.

B.   La crise sociale actuelle nécessite de renforcer les aides destinées à toutes les familles fragiles

1.   Une crise économique et sociale qui touche les familles de plein fouet

La récente crise sanitaire a fait basculer la France dans une crise économique et sociale de grande ampleur. L’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime ainsi que le nombre de chômeurs s’est accru de 620 000 personnes au cours des huit premières semaines de confinement. Le taux de chômage devrait passer de 8,5 % en 2019 à 10,1 % en 2020, avec des pics annoncés à 13 % ou même 16 % au cours de l’année ([38]).

Les dispositifs d’aides (arrêts de travail, chômage partiel, aides aux indépendants), bien que massifs, n’ont pu garantir un maintien à l’identique des revenus, hormis pour certains ménages, notamment les bénéficiaires du chômage partiel qui étaient rémunérés au niveau du SMIC. Deux mois de dispositif d’activité partielle ont ainsi représenté une perte moyenne de 410 euros par ménage selon l’OFCE.

Une étude de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) ([39]) menée en mai 2020 auprès des services d’accompagnement budgétaire des unions départementales des associations familiales (UDAF) montre que les difficultés financières des familles se sont aggravées pendant le confinement.

En effet, 55 % des familles ont subi une hausse de leurs dépenses, alors que seulement 11 % des ménages ont profité d’une baisse de leurs charges courantes. L’augmentation des dépenses, estimée à 200 euros en moyenne pour les familles concernées, est essentiellement due à la hausse du budget alimentaire, qui s’explique à la fois par l’absence de cantine pour les enfants, la fermeture des épiceries sociales et des achats en ligne plus coûteux.

Cette hausse des dépenses s’explique également par la présence de personnes supplémentaires à domicile, en particulier les enfants majeurs revenus à la maison, et par l’achat d’équipements numériques pour la scolarité en ligne. Des ménages retraités sont aussi amenés à aider financièrement leurs enfants en difficulté à cause de la crise sanitaire.

Une large partie des ménages suivis par les services d’accompagnement budgétaire des UDAF, et pas seulement les bénéficiaires de minimas sociaux, ont ainsi rencontré des difficultés accrues pendant le confinement. L’étude de l’UNAF montre que les déséquilibres financiers se traduisent déjà par « des privations, des impayés de loyer et des factures impayées, mais aussi par le report de projets (soins par exemple), l’accumulation de frais d’incidents bancaires, des difficultés à faire face aux échéances de crédit (consommation et/ou immobilier) et des phénomènes de désépargne ».

L’horizon économique laisse à penser qu’en l’absence d’intervention, les difficultés financières de ces familles risquent de se renforcer et que d’autres familles pourraient basculer dans la pauvreté et le surendettement.

L’UNAF note à cet égard que si les difficultés financières peuvent avoir des origines différentes, le dépassement du découvert bancaire autorisé constitue un point de cristallisation et de basculement à partir duquel s’engage un cercle vicieux de l’endettement. Les frais d’incidents bancaires vont ainsi aggraver eux-mêmes le découvert et rendre encore plus probables les rejets de paiement de futures opérations, précipitant les ménages vers une situation que l’UNAF qualifie de « malendettement ».

Or, la présence d’enfants est un facteur essentiel de fragilité. En effet, 13 % des ménages ayant un ou plusieurs enfants à charge ont des arriérés de paiement de factures ou de mensualité, contre seulement 5,7 % des ménages sans enfant. Ils sont 23 % à être susceptibles de connaître des fins de mois difficiles ou très difficiles, contre 14 % des ménages sans enfants. 36 % d’entre eux estiment ne pas pouvoir faire face à une dépense imprévue, contre 26 % des ménages sans enfants. Enfin, la fréquence des découverts bancaires double selon qu’un ménage a ou non des enfants (plus de 40 % dans le premier cas contre 21 % dans le second cas) ([40]).

Certaines familles sont particulièrement exposées aux difficultés financières. Il s’agit des familles monoparentales dont le parent était en contrat court (ce qui représente environ 150 000 familles avec des enfants mineurs), ou plus généralement toute famille dont l’un des parents est en contrat à durée déterminée (environ 340 000 familles avec des enfants mineurs) ([41]), mais également, dans une moindre mesure, les couples avec enfant(s) dont un seul membre est en emploi, ainsi que les familles monoparentales en contrat long.

2.   Les mesures mises en place pour aider les familles à faire face à la crise

a.   L’aide exceptionnelle de solidarité

Afin d’aider les familles à faire face à la crise, les caisses d’allocations familiales (CAF) ([42]) ont versé aux ménages les plus précaires une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire. Cette aide a été versée automatiquement le 15 mai 2020, sans que les bénéficiaires n’aient à effectuer de démarche particulière.

Ont bénéficié de cette aide les allocataires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour un montant de 150 euros par foyer, auquel s’ajoutent 100 euros par enfant à charge, ainsi que les allocataires de l’aide personnelle au logement (APL) avec enfant à charge et non bénéficiaires du RSA, pour un montant de 100 euros par enfant à charge. Ce dispositif est financé par l’État.

D’après les données communiquées par la CNAF à la rapporteure, l’aide versée par les CAF concerne 3,63 millions de foyers bénéficiaires, soit plus de 5 millions d’enfants, pour un montant de 821 millions d’euros. Le montant moyen de l’aide versé est de 226 euros par foyer.

Si le versement de cette aide exceptionnelle était indispensable, la rapporteure souligne néanmoins que les critères d’attribution auraient pu être élargis afin que les familles modestes non bénéficiaires du RSA, de l’ASS ou des APL puissent également en bénéficier. Elle craint en effet que cette aide ne suffise pas à elle seule à soutenir le pouvoir d’achat des familles des classes populaires et moyennes qui sont particulièrement touchées par la crise et qui, sans ressources suffisantes, ne pourront pas soutenir la reprise de l’économie.

b.   Les aides alimentaires d’urgence

La fermeture des établissements scolaires en raison de la crise sanitaire a empêché les enfants d’accéder à la cantine selon des tarifs adaptés à leur situation familiale. Il a pu en résulter sur le budget parfois très contraint des familles un poids supplémentaire souvent difficile à supporter.

● Plusieurs communes ont mis en place des aides destinées à compenser le surcoût entraîné par la fermeture des cantines pour les familles les plus modestes.

La CAF des Bouches-du-Rhône a ainsi permis à la ville de Marseille d’identifier les familles bénéficiant de la gratuité de la cantine et s’est chargée de leur verser une aide équivalente, financée par la ville. Une initiative de même nature a également été mise en place à Paris et à Nice.

Ces aides ont pris des formes variées selon les communes. Ainsi, à Brest, des bons d’aide alimentaires aux familles dont les enfants bénéficient normalement de repas gratuits ou à tarifs réduits dans les cantines ont été distribués à plus de 2 200 enfants au sein de presque 1 500 familles, pour un montant total de plus de 300 000 euros. Pour les foyers bénéficiant de la gratuité totale, cela représente un chèque de 150 euros par enfant scolarisé, et de 120 euros pour celles qui bénéficient du tarif le plus bas. À Toulouse, les familles qui sont exonérées de frais de cantine et celles qui bénéficient de repas à un euro ont reçu des bons d’un montant de 2,50 euros par repas et par enfant scolarisé. Cette aide a bénéficié à près de 10 000 enfants. À Strasbourg, 5 039 familles ont reçu 90 euros de bons alimentaires pour chaque enfant scolarisé.

La rapporteure tient à saluer ces initiatives locales, financées par des fonds municipaux.

● Par ailleurs, la CNAF et la caisse centrale de la MSA ont mis en place une initiative intitulée « paniers solidaires », déclinée localement par les CAF et les caisses de la MSA, en lien avec les collectivités locales. Cette action de solidarité a permis de venir en aide à la fois aux agriculteurs en difficulté en raison du confinement et aux familles aux revenus modestes, repérées par les travailleurs sociaux des caisses, qui ont ainsi bénéficié de produits alimentaires frais. Initiée début avril 2020 par la CAF du Nord et la MSA du Nord Pas-de-Calais, cette distribution de paniers alimentaires d’une valeur de 20 euros a été menée dans une dizaine d’autres CAF et caisses de la MSA. Cette action s’inscrit dans le cadre des aides d’urgence que les caisses mobilisent de manière exceptionnelle en faveur des familles les plus fragilisées.

● Un soutien particulier a enfin été apporté aux familles ultramarines. Ainsi, pendant toute la période de la crise sanitaire et tant que les établissements scolaires sont restés fermés, la prestation d’aide à la restauration scolaire (PARS) versée par les CAF aux établissements pour contribuer aux frais de cantines a été versée directement aux familles ultramarines éligibles à l’ARS, soit sous forme d’une aide financière, soit sous la forme d’une aide alimentaire directe. Cette prestation d’aide à la restauration scolaire concerne 349 000 enfants et jeunes ultramarins scolarisés en école maternelle et primaire, collège et lycée, pour un coût de dix millions d’euros.

3.   La nécessité de tirer les leçons de la crise pour protéger l’ensemble des familles de la pauvreté 

Les familles ont été touchées de plein fouet par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19. L’État, les caisses d’allocations familiales et les collectivités locales ont su adapter la politique familiale pour répondre à l’urgence et soutenir les familles les plus touchées par la crise que nous traversons.

Cette crise est profonde et pourrait s’inscrire dans la durée. Il convient donc d’en tirer toutes les conséquences en matière d’adaptation de notre politique familiale. Les difficultés traversées par les familles et les premières mesures de soutien mises en place rendent nécessaires d’engager une réflexion sur plusieurs points.

a.   Éviter la spirale du surendettement des familles

Comme l’indique l’UNAF dans son étude précitée relative aux impacts du confinement et de la crise sanitaire sur le budget des familles, il est urgent de prendre dès maintenant des mesures permettant de lutter contre le surendettement des familles, afin d’éviter que ne s’enclenche une spirale pouvant mener à des situations de grande pauvreté.

Avant la crise, huit millions de personnes payaient déjà tous les mois de l’année des frais d’incidents bancaires. Aussi, afin de ne pas aggraver la situation financière de millions de familles, le Gouvernement a annoncé le 11 mai dernier un plafonnement des frais bancaires à hauteur de 25 euros par mois dès le mois suivant l’apparition des difficultés financières, et non plus seulement au bout de trois mois. Par ailleurs, les critères choisis par les banques pour faire bénéficier leurs clients en difficultés du plafonnement des frais seront désormais rendus publics, alors qu’ils n’étaient jusqu’à présent pas connus et laissés à l’appréciation de chaque banque.

Il convient de pérenniser ce dispositif après la fin de l’état d’urgence sanitaire et de permettre à l’ensemble des familles rencontrant des difficultés financières d’en bénéficier.

Proposition n° 5 : pérenniser le dispositif de plafonnement des frais bancaires et l’étendre à l’ensemble des familles rencontrant des difficultés financières

Par ailleurs, la crise que nous traversons nécessite d’améliorer l’accompagnement des familles rencontrant des difficultés budgétaires.

Pour cela, le dispositif des Points conseil budget (PCB) doit être renforcé, comme le propose l’UNAF dans sa note précitée.

Ces structures d’accueil sont destinées à accompagner toute personne rencontrant des difficultés budgétaires et ayant besoin d’un accompagnement. Les objectifs des PCB sont de prévenir le surendettement et de favoriser l’éducation budgétaire. Le Gouvernement a annoncé la labellisation de 400 PCB d’ici 2022 avec, pour chaque structure labellisée, un financement de 15 000 euros par an. 150 structures ont été labellisées dès 2019 et 250 doivent être labellisées en 2020.

La rapporteure salue la généralisation des PCB, qui figure parmi les mesures phares de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté. Comme l’UNAF, elle estime que leur déploiement doit être accéléré, afin de répondre aux demandes croissantes des familles en difficulté en raison de la crise.

b.   Améliorer la situation des jeunes majeurs

i.   Les jeunes sont particulièrement touchés par la pauvreté

Les jeunes de 18 à 24 ans sont plus souvent touchés par la pauvreté que l’ensemble de la population et leur situation tend à se dégrader de manière préoccupante depuis le début des années 2000. En 2015, d’après les données calculées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) à partir de l’exploitation de l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS), 16,1 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, contre un taux moyen de 7,2 % pour les 25-64 ans.

Si l’importance de la pauvreté parmi les jeunes n’est pas nouvelle, l’écart avec le reste de la population a donc eu tendance à s’accroître dans les dernières années, en particulier sous l’effet de l’augmentation du chômage qui a touché de plein fouet cette classe d’âge.

Or, comme en 2008, la crise économique et sociale que nous traversons touche d’abord les jeunes. Ils sont en effet nombreux à avoir perdu leur stage ou leur emploi, ce qui a entraîné une diminution importante de leurs ressources. Dans le même temps, certains de leurs postes de dépenses ont fortement augmenté, notamment l’alimentation, du fait de la fermeture des restaurants universitaires, et l’informatique. La crise, qui a frappé les jeunes avec une particulière vigueur, s’annonce pour eux particulièrement longue. Leur insertion sur le marché du travail sera en effet rendue plus difficile du fait de la conjoncture économique dégradée de la sortie de crise.

ii.   Une quasi-exclusion de l’éligibilité au RSA

Alors que le taux de pauvreté des jeunes de 18 à 24 ans est supérieur à la moyenne nationale, ils sont quasiment exclus de l’éligibilité au revenu de solidarité active (RSA).

En effet, l’accès au RSA est soumis à une condition d’âge spécifique : être âgé 25 ans ou plus. Deux situations permettent toutefois de bénéficier du RSA avant l’âge de 25 ans :

– la parentalité : il n’y a pas de condition d’âge pour un jeune ayant un ou plusieurs enfants à charge ou une naissance attendue. Cette situation concerne près de 155 000 jeunes ;

– depuis le 1er septembre 2010, le RSA a été étendu aux personnes de moins de 25 ans sans enfant né ou à naître. Les conditions pour bénéficier de ce RSA « jeunes actifs » sont toutefois particulièrement strictes, puisqu’il faut justifier de deux ans d’activité en équivalent temps plein au cours des trois années qui précèdent la demande, soit 3 214 heures d’activité. Les périodes de chômage sont prises en compte dans la limite de six mois, ce qui peut prolonger l’examen des conditions d’activité sur une période de trois ans et six mois. Pour les activités non salariées, la condition d’activité est appréciée par référence au montant du chiffre d’affaires, qui doit atteindre un minimum, variable selon le secteur d’activité (régime agricole ou autre). Au 31 décembre 2017, 1 000 foyers bénéficient de ce dispositif en France. Après une phase de montée en charge jusqu’en 2012 (3 300 foyers fin 2012), le nombre de foyers bénéficiaires du RSA jeune n’a cessé de diminuer depuis ([43]).

D’autres dispositifs permettent de soutenir le revenu et l’activité des jeunes. On peut citer notamment le fonds d’aide aux jeunes (FAJ), octroyé par les conseils départementaux aux jeunes de 18 à 25 ans en situation de grande difficulté sociale ou professionnelle, la Garantie jeunes, qui s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et qui se trouvent en situation de précarité, les contrats d’autonomie de la politique de la ville, ou encore le revenu contractualisé d’autonomie (RCA).

Ces différents dispositifs se révèlent insuffisants pour faire face au défi de la pauvreté des jeunes. Tout d’abord, les conditions d’accès à ces dispositifs sont extrêmement restrictives. En ce qui concerne le RSA, la condition d’activité de deux ans sur les trois dernières années est quasiment irréaliste. Ensuite, les montants servis sont faibles. Enfin, leur durée est limitée dans le temps : dans le cas de la Garantie Jeunes par exemple, elle est d’un an au plus.

Ainsi, alors que les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise économique actuelle, ils ne peuvent prétendre à une véritable aide financière leur permettant de faire face à cette situation difficile. Si cette question est ancienne, le contexte actuel invite plus que jamais à réfléchir à la mise en place d’une allocation pour les jeunes de 18 à 24 ans qui ne bénéficient pas du RSA.

Proposition n° 6 : réfléchir à la mise en place d’une allocation pour les jeunes de 18 à 24 ans, qui ne bénéficient pas du revenu de solidarité active (RSA)

c.   Majorer la retraite des femmes dès le premier enfant

i.   Les droits familiaux de retraite, des dispositifs destinés à compenser les inégalités observées au cours de la carrière

● Les pensions de retraite des femmes sont en moyenne inférieures de 38 % à celle des hommes ([44]). Cet écart de pension traduit les moindres droits à retraite acquis par les femmes tout au long de leur vie professionnelle, compte tenu notamment d’un taux d’activité ou d’emploi plus faible que les hommes, lié notamment à la maternité et à ses effets sur la carrière des femmes. Comme le soulignait un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de 2016 ([45]), « il est en effet fréquent qu’un parent, très majoritairement la mère, réduise ou interrompe son activité à la suite de la naissance d’un enfant. Cela influence in fine la durée d’activité ou l’évolution du salaire au cours de la carrière, et donc agit sur les droits à retraite ».

Les interruptions d’activité, plus fréquemment observées chez les femmes ayant un ou plusieurs enfants en bas âge, mais également le recours au temps partiel et les différences de rémunération entre les femmes et les hommes (de l’ordre de 23,4 % en 2016), influencent négativement la carrière des femmes et expliquent, par répercussion, que leur niveau moyen de pension de retraite soit plus faible.

Ces facteurs se cumulent, puisque l’INSEE évalue à environ 5 % par enfant la diminution du salaire horaire des femmes en raison de l’arrivée d’un enfant. Cet effet négatif persisterait pendant au moins cinq années après la naissance ([46]). Au contraire, « l’arrivée d’un enfant n’a quasiment aucun impact sur les hommes, hormis sur les mieux rémunérés d’entre eux qui augmentent leur activité ».

● Afin de compenser les aléas de carrière liés à la naissance et à l’éducation des enfants, des dispositifs de droits familiaux ont été mis en place.

Le système actuel de retraite prévoit ainsi :

– une bonification pour les familles nombreuses. Cette bonification est de 10 % pour les personnes ayant élevé trois enfants ou plus et bénéficie de manière identique aux deux parents ;

– des majorations de durée d’assurance (MDA), qui permettent de valider des trimestres supplémentaires au titre de la maternité, de l’adoption ou de l’éducation des enfants. Dans le régime général, quatre trimestres par enfant sont accordés automatiquement à la mère au titre « de l’incidence sur la vie professionnelle de la maternité, notamment de la grossesse et de l’accouchement »  et quatre autres sont librement répartis à la demande des parents « au titre de son éducation pendant les quatre années suivant sa naissance ou son adoption » ([47]).

Il apparaît que les droits familiaux bénéficient surtout aux familles nombreuses. Le montant cumulé de ces droits ne représente ainsi que « 2 % de la pension des femmes n’ayant eu qu’un seul enfant », contre « 17 % de la pension des mères de trois enfants et près de 40 % de celles des mères de cinq enfants ou plus » selon la DREES.

Or, la part des familles nombreuses est faible et tend d’ailleurs à se réduire. De ce fait, la majorité des familles sont exclues du dispositif de bonification de pension pour enfants.

ii.   Le projet de loi instituant un système universel de retraites prévoit une bonification de pension pour chaque enfant, dès le premier enfant

● L’article 44 du projet de loi instituant un système universel de retraites ([48]) prévoit une bonification de pension de 5 % pour chaque enfant, dès le premier enfant. Un supplément de 2 % est prévu pour les couples ayant au moins trois enfants. Cela impliquerait donc une majoration de 5 % pour une famille avec un enfant, 10 % avec deux, 17 % avec trois ou encore 22 % avec quatre.

La répartition de cette bonification est décidée par le couple qui peut choisir de la partager ou de l’attribuer à un seul des deux parents. Sans choix effectué avant les quatre ans de l’enfant, la bonification sera automatiquement attribuée à la mère si les membres du couple sont de sexes différents. Si les deux parents sont de mêmes sexes, les points sont divisés entre eux.

En bonifiant les retraites des parents dès l’arrivée du premier enfant, les dispositions prévues à l’article 44 du projet de loi instaurant un système universel de retraites favorisent les familles d’un ou deux enfants, non incluses dans le système actuel de bonification. Cette réforme devrait notamment contribuer à soutenir davantage les familles monoparentales.

● La rapporteure souhaite toutefois attirer l’attention sur deux points :

– Tout d’abord, elle estime qu’une bonification de 5 % par enfant, avec une majoration uniquement à partir du troisième enfant, ne permet pas de prendre suffisamment en compte la naissance du deuxième enfant.

En effet, la pérennité d’un système de retraite par répartition tient principalement au renouvellement des générations. Or, les derniers chiffres indiquent un recul constant du nombre d’enfants par femme ces dernières années. C’est pourquoi la rapporteure estime que les majorations de points accordées pour la naissance d’enfants doivent être fixées en fonction du nombre d’enfants. Il semble ainsi pertinent que la majoration pour le deuxième enfant soit plus élevée que pour le premier, de la même manière que la majoration pour le troisième enfant doit être plus élevée que pour le deuxième. Ces majorations pourraient, par exemple, être fixées à 5 % pour le premier enfant, 6 % pour le deuxième et 7 % pour le troisième et les suivants.

Dans un contexte de baisse de la natalité, il convient ainsi de promouvoir tous les mécanismes permettant de favoriser l’accueil d’enfants dans les foyers français.

– Par ailleurs, la réforme proposée pourrait désavantager les femmes, dans la mesure où le principe d’une majoration en pourcentage du total de la pension de l’assuré contribue à favoriser, au sein du couple, la personne dont les salaires donneront lieu à une pension plus élevée. Or, la simulation présentée dans l’étude d’impact annexée au projet de loi se fonde sur les choix d’attribution de la MDA, qui est actuellement majoritairement prise par les mères, les pères ayant peu d’intérêt à obtenir des trimestres supplémentaires. Sur cette base, l’étude d’impact considère que la majoration de 5 % par enfant serait prise à 80 % par les mères et partagée dans 20 % des cas entre les deux parents. Toutefois, cette analyse ne prend pas suffisamment en compte le fait qu’il sera plus intéressant d’attribuer une majoration en pourcentage de la pension de retraite au plus haut salaire du couple, le plus souvent le père. Dès lors, les femmes pourraient se retrouver in fine désavantagées. En effet, si le choix d’attribuer la majoration de pension au membre du couple ayant le salaire le plus élevé est un choix rationnel qui ne pose pas de difficultés dans l’absolu, il peut contribuer, en cas de séparation ou de divorce du couple, à diminuer encore le montant de la retraite des femmes, qui est déjà en moyenne bien moins élevé que celui des hommes.

Dès lors, la rapporteure estime qu’une partie de la majoration doit être réservée à la mère, au titre notamment de la grossesse – période qui n’a pas vocation à être partagée entre les deux parents, contrairement à celle de l’éducation. La moitié de la majoration pourrait ainsi être réservée à la mère. Le couple userait de son droit d’option pour distribuer la moitié restante. Ce choix permettrait de sécuriser le niveau de pension des femmes les situations en cas de divorce.

Proposition n° 7 : dans le cadre de la mise en place d’un système universel de retraite par points, garantir un niveau de retraite bonifié dès le premier enfant, avec une majoration des pensions de 5 % pour le premier enfant, 6 % pour le deuxième et 7 % à partir du troisième enfant, et prévoir que la moitié de cette majoration est réservée à la mère

Avancer le versement de la prime À la naissance avant la naissance

C.   LA prime À la naissance doit permettre aux familles de préparer l’arrivée d’un enfant

1.   La prime à la naissance, une aide non négligeable pour de nombreuses familles

La prime à la naissance est attribuée au ménage ou à la personne dont les ressources ne dépassent pas un plafond, pour chaque enfant à naître, « avant la naissance de l’enfant », conformément à l’article L. 531-2 du code de la sécurité sociale.

Les plafonds de ressources ouvrant droit à la prime à la naissance étant relativement élevés, comme en témoigne le tableau ci-dessous, cette prime bénéficie à la fois aux familles les plus modestes et aux familles de la classe moyenne.

Plafonds de ressources ouvrant droit à la prime à la naissance

Plafonds de ressources 2018

en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020

Enfants au foyer
(nés ou à naître)

Couples avec un seul revenu d’activité

Parent isolé ou couple avec deux revenus d’activité

1

32 165 euros

42 509 euros

2

38 598 euros

48 942 euros

3

46 318 euros

56 662 euros

Par enfant supplémentaire

7 720 euros

Source : caf.fr

Le montant de la prime s’élève, au 1er avril 2020, à 947,32 euros par enfant. En cas de naissance multiple, cette somme est multipliée par le nombre d’enfants.

En 2019, en moyenne 45 600 allocataires par mois en ont bénéficié, pour un coût estimé à 537 millions d’euros, selon les données transmises par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF).

2.   Depuis 2015, la prime est versée après la naissance de l’enfant

Jusqu’au 1er janvier 2015, la prime était versée avant la naissance, lors du septième mois de grossesse, afin de permettre aux familles de se préparer et de s’équiper avant l’arrivée de l’enfant.

Le précédent gouvernement socialiste a toutefois décidé de décaler la date de versement de la prime après la naissance de l’enfant, conformément au décret n° 2014-1714 du 30 décembre 2014 relatif à la date de versement de la prime à la naissance. Ainsi, pour les grossesses déclarées à partir du 1er janvier 2015, l’article D. 531-2 du code de la sécurité sociale prévoit désormais que la prime est versée lors du deuxième mois suivant la naissance de l’enfant.

Ce décret est contraire à l’esprit de la loi qui dispose que la prime à la naissance « est attribuée […] pour chaque enfant à naître, avant la naissance de l’enfant » (article L. 531-2 du code de la sécurité sociale).

D.   Anticiper le versement de la prime à la naissance : une mesure de bon sens

1.   Le décalage du versement de la prime après la naissance suscite l’incompréhension

Le décalage du versement de la prime à la naissance après la naissance pose plusieurs questions.

Tout d’abord, de nombreuses dépenses précèdent l’arrivée d’un enfant. C’est en effet dès la sortie de la maternité, et non pas deux mois après, que le nouveau-né a besoin d’un couffin ou d’un lit à barreau, d’une poussette ou d’un porte-bébé, d’un siège-auto, d’une baignoire adaptée, d’une table à langer et de divers articles de puériculture. Parfois, la venue d’un enfant occasionne d’autres frais indirects, comme des frais de déménagement dans un logement plus grand ou l’achat d’un véhicule plus spacieux. Là encore, ces dépenses supplémentaires interviennent le plus souvent avant l’arrivée de l’enfant.

Le versement de la prime à la naissance serait donc bien utile avant la naissance de l’enfant, pour apporter une aide non négligeable aux familles les plus modestes qui s’apprêtent à s’agrandir.

Ensuite, le décalage dans le temps du versement de la prime ne procure pas de réelle économie budgétaire. Ce report a seulement permis en 2015, et uniquement en 2015, un gain de trésorerie pour les organismes de sécurité sociale, évalué par la CNAF à 239 millions d’euros. Il n’a ensuite eu aucun impact financier les années suivantes, alors qu’il continue de pénaliser, chaque année, des centaines de milliers de familles.

Enfin, la possibilité pour certaines familles de bénéficier, avant la naissance de leur enfant, d’un prêt accordé par la caisse d’allocations familiales (CAF) repose sur une démarche volontariste des familles, qui se trouvent alors contraintes de quémander leurs droits, contrairement au versement de la prime à la naissance qui est automatique. D’ailleurs, certaines familles ne sont pas informées de l’existence de ce prêt et, lorsqu’elles le sont, elles n’osent pas toujours demander à en bénéficier. Dans un contexte plus général de renoncement aux droits, la possibilité de bénéficier d’un prêt qui sera ensuite remboursé lors du versement de la prime à la naissance tend à complexifier encore l’accès aux droits.

2.   Avancer le versement de la prime à la naissance au septième mois de grossesse

Afin de permettre aux familles de préparer au mieux l’arrivée d’un enfant au sein de leur foyer, la rapporteure souhaite que la prime à la naissance puisse être versée dès le septième mois de grossesse, comme cela était le cas avant 2015. Elle a d’ailleurs défendu cette proposition depuis de nombreuses années, sous forme d’amendements au PLFSS.

Dans ce contexte, elle se réjouit de l’adoption à l’unanimité de la proposition de loi de M. Gilles Lurton et plusieurs membres du groupe Les Républicains visant à assurer le versement de la prime de naissance avant la naissance de l’enfant ([49]) par l’Assemblée nationale le 25 juin dernier.

La rapporteure souhaite que le Sénat puisse inscrire rapidement ce texte à l’ordre du jour de ses débats, en vue d’une adoption conforme et donc d’une entrée en vigueur de cette disposition de bon sens dans les meilleurs délais.

Le texte de son collègue Gilles Lurton n’étant pas encore définitivement adopté, la rapporteure réaffirme dans le présent rapport son souhait d’une inscription dans la loi du principe du versement de la prime à la naissance au septième mois de grossesse.

Proposition n° 8 : inscrire dans la loi le principe du versement de la prime à la naissance au septième mois de grossesse

Le coût de cette mesure serait d’environ 200 millions d’euros selon la CNAF. Comme il s’agit d’un simple coût de trésorerie et non d’un coût budgétaire, il ne concernerait que l’année où la mesure sera mise en œuvre, pour bénéficier ensuite chaque année à des centaines de milliers de familles, sans que cela se traduise par des dépenses supplémentaires.

rendre Le congé parental plus attractif

E.   La création de la prestation d’accueil partagée d’éducation de l’enfant n’a pas eu le succès escomptE

1.   La création de la prestation d’accueil partagée d’éducation de l’enfant en 2015

● Lors de la création de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), l’allocation parentale d’éducation a été remplacée par le complément de libre choix d’activité (CLCA), alloué au parent qui interrompt ou réduit son activité professionnelle pour s’occuper d’un enfant de moins de trois ans.

Le CLCA, versé au titre des enfants nés ou adoptés avant le 1er janvier 2015, était subordonné à l’exercice d’une activité professionnelle antérieure d’au moins huit trimestres, pendant une période de référence variable selon le nombre d’enfants à charge : au cours des deux années précédant la naissance pour un premier enfant, des quatre années précédentes pour un deuxième enfant, et des cinq années précédentes à partir du troisième enfant.

Non soumis à condition de ressources, le montant du CLCA était toutefois variable selon le niveau de réduction du temps de travail (arrêt total, activité inférieure de plus de 50 % à son niveau antérieur, activité comprise entre 50 et 80 % de ce niveau).

Pour les enfants nés avant le 1er avril 2014, le montant du CLCA était majoré lorsque les revenus de la famille excédaient les plafonds ouvrant droit à l’allocation de base de la PAJE, à hauteur du montant de ladite allocation, de sorte que chaque famille dans la même situation perçoive le même montant, indépendamment de son niveau de revenu. La LFSS pour 2014 a supprimé cette majoration pour les enfants nés à partir du 1er avril.

Un parent d’au moins trois enfants décidant de cesser totalement son activité pouvait opter entre le CLCA et le complément optionnel de libre choix d’activité (COLCA), plus court (un an seulement) mais mieux rémunéré (635 euros environ, contre environ 400 euros pour le CLCA – cf. infra). Ce dispositif a toutefois rencontré peu de succès. Parmi les allocataires ayant trois enfants ou plus, ils sont seulement 2 500 à avoir bénéficié du COLCA en 2014, contre 115 000 bénéficiaires du CLCA.

● La loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ([50]) a remplacé le CLCA par une nouvelle prestation, la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE), pour les enfants nés ou adoptés après le 31 décembre 2014.

Les critères d’attribution de la PréParE sont les mêmes que ceux qui viennent d’être décrits s’agissant du CLCA, dans sa version postérieure à la LFSS pour 2014. Le montant de la PréParE varie ainsi en fonction du niveau d’inactivité : 398,39 euros par mois en cas de cessation totale, 257,54 euros pour une activité réduite de plus de 50 %, 148,57 euros pour un temps partiel de 50 à 80 %.

La loi du 4 août 2014 a en revanche modifié la durée de perception de l’allocation :

– avant l’entrée en vigueur de la PréParE, le CLCA pouvait être perçu :

– désormais, la PréParE peut être perçue, au sein d’un couple :

Les parents isolés peuvent quant à eux percevoir la PréParE pendant un an pour le premier enfant et trois ans à compter du deuxième.

Le COLCA a été remplacé par la PréParE majorée, dont le montant est de 651,19 euros par mois. Si la durée reste de 12 mois pour un parent isolé, elle a été ramenée à huit mois pour un couple dont seul l’un des membres cesse son activité. En revanche, si le second parent prend le relais du premier, la durée totale de versement peut être portée à 16 mois.

2.   Des résultats décevants

L’ensemble des personnes interrogées par la rapporteure s’accordent pour qualifier la réforme de l’indemnisation du congé parental de 2014 de véritable échec.

L’UNAF indique en effet que le « diagnostic très sévère sur la réforme de 2014 de l’indemnisation du congé parental (devenue la PréParE) est largement partagé. […] C’est un constat d’échec total, avec une chute du nombre de bénéficiaires, une baisse du nombre de pères en congé parental, une inscription massive au chômage des mères en fin de PréParE. Le chômage des mères de jeunes enfants a explosé depuis cette réforme (passant de 10 à 14 %) ».

L’inspection générale des affaires sociales (IGAS) a estimé, dans un rapport d’avril 2019 consacré à l’évaluation du congé parental d’éducation et de la prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) ([51]), que le dispositif « continue à pénaliser professionnellement et financièrement les mères, faute de partage par les pères ».

En effet, « malgré l’avantage de disposer d’une durée supplémentaire significative de congé parental que la réforme offre aux couples si le père prend sa part du congé, seules 2,5 % des familles partagent la prestation entre conjoints ; cette proportion est certes plus élevée qu’avant l’incitation au partage (elle n’était ainsi que de 0,8 % pour le CLCA). La part des hommes qui perçoivent la prestation parmi l’ensemble des bénéficiaires a augmenté : elle est passée de 3,9 % à 6,2 % entre 2014 et 2017. Cependant, elle reste encore très minoritaire, et en valeur absolue, le nombre d’hommes engagés dans le dispositif a baissé ( 1 900 bénéficiaires) ».

Dès lors, « le congé parental à taux plein, même raccourci, continue à écarter une partie de ses titulaires du marché de l’emploi ». Ainsi, selon une enquête de la CNAF de mars 2019 ([52]), 64 % des allocataires de la PreParE à taux plein travaillaient avant de percevoir cette prestation, contre seulement 57 % après la fin de la perception.

Enfin, l’IGAS note que « la réforme de 2014, qui n’a pas corrigé les difficultés anciennes du dispositif du congé parental, a, certes, atteint ses objectifs d’économies budgétaires mais n’a pas accompagné les familles confrontées au raccourcissement de la durée de service de la PreParE ».

F.   Aller Vers un congé parental plus court et mieux rémunéré 

Plusieurs rapports convergent pour proposer un congé parental à la fois plus court et mieux rémunéré.

Dès juillet 2009, Mme Marie-Françoise Clergeau, alors rapporteure de la branche famille du PLFSS à l’Assemblée nationale, préconisait une indemnisation du congé parental de durée plus courte (de l’ordre d’un an), d’un montant plus élevé et partagée entre les deux parents ([53]).

Après avoir dressé un bilan sévère de la réforme de 2014, l’IGAS, dans son rapport précité, propose de privilégier un scénario de congé parental raccourci à huit mois. Ce congé serait obligatoirement partagé pour être indemnisé pendant la durée maximale prévue : les deux parents disposeraient chacun d’un droit de deux mois non transférable et de quatre mois transférables. Il serait rémunéré sur le modèle des indemnités journalières maladies, à 50 % du salaire journalier de base, soit environ 60 % du dernier salaire net, et plafonné à 1,8 SMIC.

La directive européenne relative à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants, adoptée le 20 juin 2019 ([54]), va dans le sens des recommandations de l’IGAS, en incitant les États membres à mettre en place un congé parental plus court et mieux rémunéré. Elle pose le principe d’un congé parental de quatre mois minimum pour chaque parent, rémunéré au moins au niveau de l’indemnisation des arrêts maladie. Ces quatre mois ne pourraient être transférés, de sorte que si l’un des parents ne les prend pas, ils seraient perdus.

Comme l’indique la directive, « des études montrent que les États membres qui offrent aux pères une part significative du congé parental et qui versent au travailleur en congé parental une rémunération ou une allocation à un taux de remplacement relativement élevé, constatent que les pères ont plus souvent recours au congé parental, ainsi qu'une tendance positive en ce qui concerne le taux d'emploi des mères ». C’est pourquoi il est précisé que « les États membres devraient établir la rémunération ou l’allocation pour la période minimale non transférable du congé parental garantie par la présente directive à un niveau adéquat. Lorsqu’ils fixent le niveau de la rémunération ou de l’allocation prévue pour la période minimale non transférable du congé parental, les États membres devraient tenir compte du fait que la prise du congé parental entraîne souvent une perte de revenu pour la famille et que le parent qui gagne le revenu principal de la famille n’est en mesure d’exercer son droit au congé parental que si ce dernier est suffisamment bien rémunéré pour permettre un niveau de vie décent ».

Le congé parental en Suède : une indemnisation généreuse et un partage entre les deux parents

L’allocation parentale post-natale (föräldrapenning) est attribuée globalement aux deux parents pendant 480 jours pour un enfant, soit seize mois. Depuis le 1er janvier 2016, le nombre de jours « non transférables » entre les deux parents est passé de 60 à 90 jours. L’objectif de cette réforme était de pousser les pères à prendre plus de jours de congé parental, les femmes prenant la majorité du congé parental attribué. Les jours non-pris sur le quota de 90 sont déduits de l’enveloppe des 480.

Pendant 390 jours, l’allocation parentale est liée au revenu et comporte trois niveaux :

- Premier niveau (sjukpenningnivå) : il concerne les personnes qui ont perçu un revenu annuel égal ou supérieur à 8 610 euros (82 000 couronnes suédoises) et travaillé pendant au moins 240 jours consécutifs avant la date de l’accouchement ; l’allocation est calculée sur la base des indemnités journalières de maladie. Son montant correspond à environ 80 % du revenu dans la limite d’un plafond de 3 920 euros par mois (37 333 couronnes suédoises). 

- Deuxième niveau (grundnivå) : si le parent a travaillé moins de 240 jours consécutifs avant la naissance de l'enfant, ou que ses revenus étaient inférieurs à 8 610 euros, il perçoit une indemnité forfaitaire fixée à 26,25 euros par jour (250 couronnes suédoises), soit 787 euros par mois.

- Troisième niveau de compensation (lägstanivå) : au-delà des 390 jours de congé, les parents perçoivent un montant forfaitaire de 18,90 euros (180 couronnes suédoises) par jour, soit 567 euros par mois.

Pour les 90 jours restant dits « non-transférables », l’allocation est de 18,90 euros par jour (180 couronnes suédoises).

Les indemnités journalières peuvent être versées jusqu’à ce que l’enfant atteigne 12 ans ou jusqu’à la fin de la 5e année de scolarisation de l’enfant. 

La rapporteure estime en effet qu’un congé parental plus court et mieux rémunéré permettrait de remplir un double objectif : il contribuerait à augmenter les ressources financières des allocataires tout en réduisant l’éloignement du marché du travail pour les mères. Cet éloignement, lorsqu’il est prolongé, constitue un véritable frein en termes de carrière professionnelle. 

Proposition n° 9 : réfléchir à la possibilité de mettre en place un congé parental plus court et mieux rémunéré que l’actuelle prestation partagée d’éducation de l’enfant (PréParE)

Toutefois, la réussite d’une telle réforme est fortement liée et conditionnée à l’existence de modes de garde accessibles et en nombre suffisants, permettant d’accueillir les enfants entre la fin du congé parental et leur entrée à l’école maternelle. Aussi, sans une politique ambitieuse visant à développer l’accueil des jeunes enfants, la réduction de la durée du congé parental se heurtera à la pénurie de places disponibles. Cette pénurie pénalisera principalement les femmes, en rendant difficile pour elles d’envisager une reprise de leur activité professionnelle (voir infra).

Améliorer la lisibilité des prestations familiales

1.   Un foisonnement d’aides qui ne contribue pas à une bonne visibilité de la politique familiale

À la question de savoir si les évolutions de la politique familiale se sont faites de manière cohérente, Julien Damon, conseiller scientifique de l’école nationale supérieure de sécurité sociale (En3s), a indiqué lors de son audition par la mission que ces évolutions, selon lui, « se sont surtout faites par ajout. Nous avons ajouté des prestations, mais nous n’avons pas réformé le système lui-même ».

De fait, la branche famille verse de nombreuses prestations familiales, synthétisées dans le tableau ci-dessous.

Prestations familiales financées par la CNAF

Prestations d’entretien en faveur de la famille

Allocations familiales

Complément familial

Allocation de soutien familial

Allocation de rentrée scolaire

Prestations d’accueil du jeune enfant

Primes à la naissance ou à l’adoption

Allocation de base

Allocations versées pendant le congé parental (CLCA, Prepare)

Complément de libre choix du mode de garde

Autres prestations

Allocation d’éducation de l’enfant handicapé

Allocation de présence parentale

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale, rapport sur les comptes de la sécurité sociale, septembre 2019.

À côté des prestations familiales financées par la branche famille, les caisses d’allocations familiales sont également chargées de verser des prestations sociales et de solidarité, en particulier les aides au logement, le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et l’allocation aux adultes handicapés (AAH).

Les conditions d’attribution des différentes prestations familiales, les plafonds de ressources pour en bénéficier, les montants perçus, l’évolution de ces montants en fonction du nombre d’enfants ou encore la durée de versement obéissent souvent à des règles différentes, modifiées au cas par cas au gré des lois de financement de la sécurité sociale, sans véritable cohérence.

2.   La nécessité d’une meilleure lisibilité des prestations pour améliorer le recours aux droits

Les réformes successives des prestations familiales posent la question de leur simplification, afin d’améliorer l’accès aux droits des bénéficiaires.

En effet, si le taux de recours aux allocations familiales est proche de 100 %, dans la mesure où les CAF disposent avec la déclaration de grossesse d’une information très précoce sur la naissance à venir de l’enfant, Mme Mathilde Lignot-Leloup, alors directrice de la sécurité sociale, a estimé lors de son audition que « sur certaines prestations ciblées, il peut y avoir moins d’informations et moins de recours ».

M. Denis Le Bayon, sous-directeur de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail à la direction de la sécurité sociale, a complété les propos de la directrice en indiquant que la direction de la sécurité sociale disposait effectivement d’« assez peu de données sur les prestations familiales » en matière de non-recours. Selon lui, « cette situation s’explique par le fait que l’enjeu est relativement faible sur les prestations familiales et que les travaux sont focalisés sur les prestations à fort enjeu comme le revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et l’aide au logement. Toute la littérature, notamment celle de l’université de Grenoble, est plutôt focalisée sur les minima sociaux ».

Les données disponibles, issues d’expériences dites de « data mining » développés notamment par la CAF de Bordeaux, montrent que « les prestations sujettes au non-recours sont classiquement le RSA, la prime d’activité, les aides au logement, mais aussi l’allocation de soutien familial (ASF), pour laquelle le non-recours est assez important ».

Concernant l’ASF, la mise en œuvre de l’intermédiation financière et la création d’un véritable service public de paiement des pensions alimentaires dans les prochaines semaines devrait permettre d’atténuer ce non-recours. M. Denis Le Bayon note en revanche « un taux de non-recours plus important sur des prestations plus ciblées, liées à la prise en charge du handicap comme l’allocation journalière de présence parentale (AJPP) et l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ».

a.   Améliorer l’accès aux droits grâce à la mise en place de « points conseil Famille »

Plusieurs initiatives récentes ou encore en cours doivent permettre d’améliorer l’accès aux droits des bénéficiaires de prestations versées par les CAF.

● Tout d’abord, les CAF ont instauré depuis 2014 des rendez-vous des droits, dont l’objet est d’étudier l’éligibilité des allocataires à différentes aides ou prestations. Il apparaît, à la suite d’une enquête téléphonique réalisée auprès de 5 000 allocataires, qu’en moyenne 50 % des bénéficiaires de ces rendez-vous se sont vus ouvrir des droits nouveaux. L’ouverture de droits nouveaux concerne principalement les aides au logement, l’ASF et le RSA. Près de six ans après la mise en place des rendez-vous des droits, cette démarche d’entretiens personnalisés et réguliers avec les allocataires permet toujours d’améliorer l’accès aux droits.

La rapporteure salue la mise en place des rendez-vous des droits, qui permettent aux allocataires des CAF de bénéficier des différentes prestations auxquelles ils ont droit, mais dont ils n’avaient parfois tout simplement pas connaissance.

● La création de « maisons France Service » doit également permettre d’améliorer l’accès aux droits, en simplifiant la relation des usagers aux services publics. L’objectif affiché par le gouvernement est de mettre en place une maison France Service dans chaque canton d’ici 2022, les zones rurales et les quartiers prioritaires de la politique de la ville devant être dotés en premier. Dès 2022, chaque Français doit pouvoir accéder à une maison France Service en moins de trente minutes en transport motorisé.

L’État et ses partenaires contribuent au fonctionnement de chaque maison à hauteur de 30 000 euros par an, ce qui correspond à un engagement financier global de 200 millions d’euros d’ici à 2022, dont 30 millions d’euros de contribution exceptionnelle de la part de la Banque des territoires de la Caisses des dépôts.

Pour obtenir le label, les maisons « France Service » devront proposer a minima les démarches relevant des organismes suivants : caisse d’allocations familiales, caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), mutualité sociale agricole, ministères de l’Intérieur, de la Justice, des Finances publiques, Pôle emploi et La Poste.

Afin d’aider les familles, de les informer sur leurs droits et de leur permettre d’effectuer un certain nombre de démarches, les maisons France Service pourraient être dotées de « points conseil Famille ». En effet, la politique familiale mobilise différents intervenants : les CAF à titre principal, mais également les caisses de retraite en ce qui concerne les majorations de pensions au titre de la maternité et de l’éducation des enfants, ou encore les services des impôts pour le quotient familial. Il est donc important que les familles puissent disposer d’un interlocuteur unique à même de les informer de l’ensemble de leurs droits.

Proposition n° 10 : mettre en place des « points conseil Famille » dans les maisons France Service sur l’ensemble du territoire

b.   Réfléchir à une simplification des différentes prestations familiales

Si ces mesures sont évidemment bienvenues, la rapporteure estime que la lutte contre le non-recours aux droits ne peut se limiter à une amélioration de l’information des bénéficiaires potentiels de prestations. L’amélioration de l’accès aux droits suppose également de réfléchir à la mise en œuvre d’une réforme ambitieuse des prestations, allant dans le sens d’une plus grande rationalisation et d’une simplification des aides.

● À cet égard, la rapporteure souhaite mettre en avant les modalités de versement de l’aide exceptionnelle de solidarité, versée le 15 mai dernier pour aider les familles les plus modestes à faire face à la crise.

Cette aide, dont ont bénéficié 3,63 millions de foyers, présente une double caractéristique. Elle a tout d’abord été versée à toutes les familles éligibles, dès le premier enfant et quel que soit le nombre d’enfants. Cette aide a en outre été versée pour chaque enfant, de manière forfaitaire : les familles bénéficiaires ont ainsi reçu 100 euros par enfant à charge, ce montant n’étant pas dégressif avec le nombre d’enfants. L’aide est ainsi attachée à l’enfant et non pas au foyer.

Les modalités de versement de l’aide exceptionnelle de solidarité se distinguent donc à la fois des allocations familiales, versées seulement à partir du deuxième enfant ([55]), et de la quasi-totalité des prestations familiales, dont le montant augmente avec le nombre d’enfants mais pas de manière proportionnelle au nombre d’enfants – à l’exception toutefois de l’allocation de rentrée scolaire, dont un montant identique est versé pour chaque enfant, quel que soit le nombre d’enfants.

L’Allemagne a également fait le choix d’un versement d’une aide d’un montant identique pour chaque enfant, dès le premier enfant. En effet, le plan de relance de 130 milliards d’euros annoncé par la chancelière Angela Merkel le 3 juin dernier comporte une aide versée aux familles à hauteur de 300 euros par enfant. Pour les familles à hauts revenus, cette aide sera déduite des abattements fiscaux pour enfant à charge (Kinderfreibeträge).

La rapporteure tient à saluer ces modalités de versement de l’aide, dès le premier enfant et pour un montant identique pour chaque enfant. Elles pourraient inspirer à l’avenir une réforme du versement des différentes prestations familiales, qui devraient selon elle être davantage attachées à l’enfant.

Proposition n° 11 : mener une réflexion sur le versement d’un montant identique de prestations familiales pour chaque enfant

● Par ailleurs, une réflexion plus générale doit être engagée sur la rationalisation des différentes prestations. Plusieurs travaux sont actuellement en cours.

Tout d’abord, la CNAF a indiqué à la rapporteure que des études visant à mieux évaluer le taux de non-recours aux prestations sont au programme de la direction des études de la Caisse en 2021. Les données relatives au non-recours étant en effet encore incomplètes, cette étude constitue un préalable indispensable à une simplification et une rationalisation des différentes prestations.

Il semble toutefois que certaines simplifications de prestations bien spécifiques peuvent d’ores et déjà être engagées. Ainsi, M. Denis Le Bayon, sous-directeur de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail à la direction de la sécurité sociale, a indiqué aux membres de la mission qu’un rapport du Gouvernement devrait prochainement étudier la simplification des trois congés familiaux spécifiques, à savoir le congé de proche aidant, le congé de présence parentale pour s’occuper d’un enfant en situation de handicap ou très gravement malade et le congé de solidarité familiale, qui permet d’accompagner une personne en fin de vie. Une simplification de ces prestations, pour lesquelles le non-recours est évident, serait effectivement bienvenue.

Enfin, la CNAF participe actuellement aux travaux techniques et à la gouvernance des travaux portant sur le revenu universel d’activité (RUA), pilotés par M. Fabrice Lenglart. D’après les informations transmises à la rapporteure, les travaux actuellement en cours concernent les questions de faisabilité informatique de la mise en œuvre du RUA, sans présager toutefois du scénario qui sera retenu, la concertation n’étant pas encore finalisée. Au stade actuel des négociations, il semblerait toutefois que le RUA pourrait regrouper le RSA, la prime d’activité et les aides au logement, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ayant été exclue du champ de la réforme.

Si cette réforme ambitieuse concerne des prestations sociales, une réflexion similaire d’ensemble pourrait également être engagée dans le champ des prestations familiales.

Proposition n° 12 : mener une réflexion sur la simplification et la rationalisation de l’ensemble des prestations familiales

 


— 1 —

Deuxième Partie : la Vie familiale

I.   La famille, un lieu d’épanouissement personnel et collectif

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a remis la famille au cœur de la vie sociale de chaque individu rappelant qu’elle constitue la cellule de base de la société, ainsi qu’à l’échelle individuelle le lieu de développement et d’épanouissement de chacune et de chacun. Entraide, soutien, coopération, partage, sécurité : ces mots ont repris bien du sens dans le cadre familial dans une période de confinement où le partage d’un même toit a pris une ampleur inédite.

La famille formant le principal cadre de vie des individus, la politique familiale s’inscrit dans ces aspects du quotidien et doit veiller à privilégier le bien-être des parents comme celui des enfants. La rapporteure et le président de la mission considèrent que le logement, condition nécessaire du foyer, est un élément essentiel d’une vie familiale épanouie et qu’il doit être mieux pris en compte dans le cadre des politiques familiales.

A.   LA famille comme cadre de vie et de bien-être

La récente crise sanitaire et la période de confinement qu’elle a entraînée ont conduit à une prise de conscience accrue de l’importance de ce cercle familial, du bien‑être que l’on peut y ressentir, de la solidité des liens interpersonnels et de la solidarité intrafamiliale. Ce rôle d’épanouissement que joue la famille doit aujourd’hui être mieux compris et mieux reconnu, car il s’agit sans doute d’une des clefs de la cohésion sociale de demain.

La famille, premier lieu de vie et première instance de socialisation

En tant qu’instance primaire de socialisation, la famille façonne l’identité et la personnalité de chaque individu. Dès ses premiers jours, l’enfant grandit ainsi dans un environnement culturel et social qui lui permettra d’assimiler progressivement des modèles de valeurs et de normes visant à son intégration dans la société. Si d’autres structures de socialisation, notamment scolaires, assument également cette fonction, la famille conserve un rôle privilégié dans ce domaine. Ce rôle central de la famille dans la construction de l’individu fait d’ailleurs consensus aujourd’hui : « on attend ainsi d’un parent qu’il soigne son enfant, l’aime inconditionnellement, l’éduque, l’amène progressivement à l’autonomie, etc. Il n’existe aucun débat de société sur ces sujets » ([56]). En transmettant des ressources économiques, affectives, culturelles ou encore sociales, la famille constitue un environnement‑repère, un soutien quotidien qui fournit le cadre et les moyens de vie et influence les comportements et les aspirations des individus, par exemple quant aux choix des études et de l’activité professionnelle.

Ce rôle structurant participe de l’épanouissement de chaque individu, mais assure également d’autres fonctions sociologiques, participant notamment de la cohésion sociale et, comme l’énonçait François de Singly lors de son audition, ayant pour fonction « de mettre de l’ordre entre les générations » ([57]). Dans la même logique, Irène Théry soulignait que « la famille est précisément l’institution qui est faite pour nous placer dans le temps, dans le rapport à ceux qui ne sont plus et à ceux qui ne sont pas encore, et non seulement dans l’ici et maintenant d’une relation parents/enfants. En effet, pour les sociologues et les anthropologues de la parenté, la famille n’est pas seulement l’actualité d’un rapport parents/enfants. Il n’existe aucun système de filiation sans au moins trois générations au-dessous et en dessus de moi » ([58]).

Ce double rôle, à la fois sociétal et individuel, a bien sûr évolué en parallèle de la société, des modèles familiaux et de l’affirmation de l’individualité. La redéfinition de certains des rôles de la famille, le statut du parent et celui de l’enfant, ainsi que les relations entre les membres du groupe familial, ont conduit à mieux reconnaître l’autonomie et les droits de l’enfant. « L’enfant est désormais perçu comme une personne douée d’autonomie, certes variable selon son âge, mais toujours plus précocement reconnue, et l’autorité parentale voit ses contours redessinés. Autrement dit, tant du côté de ce qui s’imposait comme contraintes externes à l’enfant, la normativité sociale, que du côté des prérogatives que nous lui reconnaissons, l’enfant semble pouvoir détenir un pouvoir d’émancipation de plus en plus consistant. La question qui peut se poser est de savoir jusqu’où la politique familiale, qui s’est développée autour de l’intérêt de l’enfant, va pouvoir satisfaire cet intérêt de l’enfant si celui-ci se singularise et s’autonomise de plus en plus » ([59]).

La politique familiale doit bien sûr prendre en compte ce double rôle de la famille et garder parmi ses objectifs les droits, la santé et l’éducation des enfants, mais également, de manière plus large, le bien-être de chacun des membres de la famille. Le cercle familial et la vie de famille qui s’y développe sont en effet des facteurs essentiels du développement et de l’épanouissement de chaque individu. Ils sont ainsi des rouages essentiels du bien-être individuel et, par là même, de la possibilité d’un vivre-ensemble harmonieux.

Améliorer l’accès des familles aux loisirs et à la culture

Au-delà des liens interpersonnels, ce rôle d’épanouissement des membres d’une famille passe notamment par l’accès aux loisirs et à la culture. La rapporteure souligne en ce sens que de tels enjeux de bien-être des individus ont toute leur place dans la politique familiale qui vise également à soutenir les fonctions socialisantes et éducatives de la famille. Dans cette perspective, elle suggère de clarifier, uniformiser et renforcer le dispositif prévu par la carte famille nombreuses afin de promouvoir davantage d’activités et d’en faciliter l’accès aux familles.

Attribuée aux familles comprenant au minimum trois enfants de moins de 18 ans, la carte famille nombreuse leur permet aujourd’hui d’obtenir des réductions sur les prix des billets de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), ainsi que chez un certain nombre de partenaires dans les domaines de la puériculture, de l’éducation, des loisirs, des vacances, de la culture, ainsi que dans certains magasins.

Soutenant et facilitant les déplacements et certaines consommations, notamment culturelles, des familles de trois enfants ou plus, cette carte est un outil pertinent qui pourrait aujourd’hui être utilement élargi. La rapporteure propose pour cela de travailler à une massification des partenariats inclus dans ce dispositif, notamment pour accroître les réductions pour les activités sportives et culturelles. Il serait pour cela opportun de développer les partenariats avec les piscines, les gymnases, les associations sportives, les musées, etc. Chaque famille pourrait ainsi savoir de quel pourcentage de réduction elle pourrait bénéficier et ainsi planifier au mieux ses loisirs.

La rapporteure considère également qu’une clarification et une simplification de ce dispositif permettraient aux familles de trois enfants et plus de mieux en connaître le fonctionnement et d’augmenter son utilisation. Il conviendrait pour cela de créer un « pass famille » plus moderne, en format réduit afin que chaque membre de la famille puisse l’avoir en permanence avec soi. Il devrait être délivré automatiquement à la naissance d’un troisième enfant, accompagné de toutes les informations y afférant. La visibilité de ce dispositif devrait également être renforcée pour s’assurer que toutes les familles éligibles y aient bien accès.

Proposition n° 13 : moderniser la carte famille nombreuse en un « pass famille » simplifié permettant l’accès à davantage d’activités, notamment sportives et culturelles

B.   Le logement, condition d’une vie familiale épanouie

En 2018, le parc national compte 36,5 millions de logements, dont 81,8 millions de résidences principales. Il progresse de 386 000 logements par rapport à l’année 2017, soit une augmentation de 1,1 %, une progression annuelle stable depuis 2009. Ce parc est composé de 56 % de logements individuels et de 44 % de logements collectifs. Les résidences principales sont occupées à 58 % par des propriétaires (dont 20 % en situation d’accession à la propriété) et 42 % par des locataires (dont 18 % dans le secteur social) ([60]).

1.   Les difficultés de logement et leurs conséquences sur la vie familiale

Le logement est au cœur de la vie des familles, dont il constitue d’ailleurs souvent le premier poste de dépenses. Sa qualité, ses équipements, sa salubrité, sa localisation, sa taille et bien d’autres facteurs influent directement sur le quotidien des membres de la famille. Le logement est également un refuge pour la famille et constitue de fait son premier lieu de vie et d’échanges ; il façonne ainsi les repères et le savoir-vivre de chacun.

Caractéristiques du logement des familles

Selon l’Insee, en 2013, près de 58 % des ménages métropolitains sont propriétaires de leur résidence principale ([61]). « Les ménages les plus jeunes sont rarement propriétaires : moins de 5 % parmi ceux dont la personne de référence est âgée de moins de 25 ans. La part de ménages propriétaires progresse ensuite rapidement avec l’âge, lorsque leur situation professionnelle se stabilise ou lorsque la famille s’agrandit avec l’arrivée des enfants. Elle passe ainsi de 20,3 % pour les ménages où la personne de référence a entre 25 et 29 ans à 46,2 % pour ceux où elle est âgée de 30 à 39 ans. À partir de 60 ans, cette part dépasse 70 % » ([62]). La part de propriétaires est également plus importante en milieu rural qu’en milieu urbain. 37 % des ménages sont locataires ; à l’inverse des propriétaires, la part des locataires diminue avec l’âge passant de 52 % pour les 25-29 ans à 13 % pour les 60-69 ans. Enfin, 5 % des ménages sont sous-locataires.

RÉPARTITION DES MÉNAGES PAR STATUT D’OCCUPATION ET SELON LA COMPOSITION FAMILIALE AU 1er JANVIER 2015

en %

 

Personne seule

Couple sans enfant

Couple avec enfants

Famille monoparentale

Autre type de ménage

Propriétaire

45,1

74,0

67,3

37,0

38,0

Locataire ou sous-locataire

51,9

24,5

30,7

61,0

58,7

Logé gratuitement

3,0

1,5

2,0

2,0

3,3

Ensemble

100,0

100,0

100,0

100,0

100,0

Source : Insee, France, portrait social, édition 2019.

La surface moyenne des logements atteignait en 2006 environ 90 m2 avec un nombre moyen d’occupants par logement de 2,2 personnes. Les logements comptent en moyenne quatre pièces, avec en moyenne 2 pièces par personne dans une maison et 1,5 pièce par personne dans un appartement. 56,6 % de la population vit en maison individuelle et 43,4 % en immeuble collectif, dont 5 % dans un bâti de grand collectif soit 8 étages ou plus ([63]).

Mobilité des ménages et recomposition familiale

La taille et la composition de la famille, ainsi que l’âge de ses membres, jouent un rôle essentiel quant au choix du logement. Les foyers monoparentaux sont par exemple plus fréquemment locataires (68 %), tandis que les couples avec enfants sont plus fréquemment propriétaires ou accédants à la propriété (65 %) ([64]). « Entre 2009 et 2013, 7,4 millions de ménages ont emménagé dans un nouveau logement. Parmi eux, 2,1 millions étaient de nouveaux ménages constitués dans l’intervalle, 82,5 % vivant auparavant chez leurs parents et 7,3 % vivant en collectivité ou sans domicile personnel. Les autres, dits " ménages permanents ", ont souvent changé de logement à l’occasion d’un événement de leur vie familiale (formation d’un couple, arrivée d’un enfant, séparation, etc.) ou professionnelle. Ils ont alors changé de statut d’occupation dans 42,2 % des cas, passant de la location à la propriété (20,4 %) » ([65]). Les propriétaires changent moins souvent de logement, notamment en raison des frais de mutation qui en résultent, et demeurent donc en moyenne plus longtemps dans leur résidence ; en 2013, les propriétaires y vivent en moyenne depuis 27 ans, contre 10,3 ans pour les locataires.

Le parcours du logement est ainsi intimement lié au parcours familial : logement chez ses parents, vie solitaire, installation en couple, élargissement de la famille avec l’arrivée des enfants. Les mutations de la famille, la multiplication des étapes familiales, l’augmentation du nombre de séparations et donc du nombre de familles monoparentales ou recomposées sont autant de facteurs qui conduisent à modifier le rapport au logement. Au cours de la dernière décennie, 425 000 couples se séparent en moyenne chaque année (divorces, ruptures de PACS ou d’unions libres) ; ces ruptures concernent ainsi annuellement près de 380 000 enfants mineurs ([66]). Ces séparations ont un impact direct sur le logement et, plus généralement, sur le niveau et les conditions de vie des différents membres des familles.

Ces différentes étapes de la vie impliquent bien souvent un changement de résidence, la naissance du premier enfant constituant souvent un moment clef dans les choix de logement ([67]). Selon les circonstances individuelles et en fonction des revenus, l’accession au logement peut être plus ou moins aisée pour les familles entraînant parfois de fortes inégalités quant aux conditions et au milieu de vie. Ce sont par ailleurs des moments qui peuvent s’avérer stressants et difficiles. Selon une enquête sur l’habitat des familles réalisée par le Réseau national des observatoires des familles, 45 % des familles répondantes estimaient avoir rencontré des difficultés pour trouver leur logement. 78 % d’entre elles considéraient que la recherche de logement est source de beaucoup d’inquiétude, mais aussi de stress (pour 73 % d’entre elles), d’efforts (84 %) et d’interrogations (85 %).

Coût du logement

En 2018, les dépenses de logement, qui regroupent les dépenses courantes, notamment charges et loyers, ainsi que les dépenses d’investissement, représentaient près de 509 milliards d’euros, soit 21,6 % du PIB ([68]). Premier poste de dépense des ménages, le logement représente 26,6 % de leur consommation finale, loin devant l’alimentation (17,1 %) ou les transports (14,3 %). Cela équivalait à une dépense moyenne de 9 712 euros par ménage et par an (12 717 euros pour les propriétaires occupants, 9 575 euros pour les locataires du secteur privé et 7 441 euros pour les locataires du secteur social) ([69]).

Si le coût du logement n’est pas forcément problématique pour tous les ménages, il s’agit d’un poste de dépense important qui peut mettre certaines personnes en difficulté. « Plus de 2 millions de ménages ont déclaré lors de l’enquête logement de 2006 "avoir connu des difficultés de paiement pour régler leur loyer, leur remboursement d’emprunt ou leurs charges", dont plus de la moitié sont des ménages avec enfants. [Cette situation est également] plus fréquente parmi les isolés avec enfants (plus de 30 % d’entre eux ont connu des difficultés de paiement) et, dans une moindre mesure, les couples avec quatre enfants et plus » ([70]). Selon la Fondation Abbé Pierre, « 150 000 ménages sont en effet chaque année menacés par une procédure judiciaire d’expulsion pour impayés et plus de 15 547 ont effectivement été mis à la porte avec le concours des forces de l’ordre en 2017 » ([71]). Il convient donc d’être particulièrement vigilant quant aux situations de précarité locative qui peuvent toucher durement certaines familles.

Problématiques de mal-logement

Salubrité et équipements des logements

Si les logements disposent normalement aujourd’hui des équipements sanitaires de base, certaines formes d’inconfort persistent : « en 2017, 4,4 % des logements ne disposent pas d’un chauffage central ou électrique et 20,8 % sont considérés par leurs occupants comme difficiles ou trop coûteux à chauffer. 16,8 % des logements sont jugés trop bruyants, tandis que 10,5 % présentent des fuites dans la toiture, des problèmes d’humidité des murs ou des sols ou bien encore des moisissures dans les cadres de fenêtre ou au sol » ([72]).

Certains défauts, notamment la présence d’humidité ou des problèmes d’isolation, sont très courants et concernent environ 20 % des logements.

Plus des trois‑quarts des logements ne présentent toutefois aucun défaut et les défauts graves ne concernent que peu de logements. Seuls 3 % des ménages vivent dans un logement ne présentant pas certains équipements de base (eau courante, salle de bains, toilettes, cuisine, chauffage, prise de terre) et seuls 3,4 % sont touchés par deux défauts graves portant atteinte à leur salubrité. En 2013, 1,3 % des logements ne respectent pas les critères de salubrité de la loi SRU ([73]) et 0,6 % des ménages vivent dans un logement sous le coup d’un arrêté d’insalubrité ([74]).

Au-delà de ces situations de grave insalubrité, 16 % des ménages habitent dans un logement présentant un défaut lié à une installation dégradée ou insuffisante (plomberie, système électrique ou de chauffage…) et 8 % dans un logement ayant un défaut provenant du bâti (façade dégradée, mauvaise étanchéité, porosité des ouvrants…).

PROPORTION DE LOGEMENTS AFFECTÉS PAR UN DÉFAUT

en %

Source : Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017, chiffres issus de l’enquête Logement de 2013.

Là encore, les situations peuvent être corrélées à la situation familiale et au niveau de revenus. « Plus d’un tiers des familles monoparentales occupent un logement comportant au moins un défaut et plus d’une sur dix un logement avec au moins deux défauts. Les couples sans enfant sont les moins concernés (17,3 % vivent dans un logement avec au moins un défaut). Les autres situations familiales se trouvent autour de la moyenne » ([75]). En outre, un tiers des ménages à bas revenus habitent dans un logement avec au moins un défaut ; ils sont également plus nombreux à cumuler les défauts.

Part des ménages, selon leurs caractéristiques, vivant dans un logement ayant un défaut de qualité en 2013

en %

 

Nombre de défauts

Nature des défauts

 

 

Au moins un défaut

Au moins deux défauts

Au moins trois défauts

Au moins un défaut « structurel »

Au moins un défaut « installation dégradée ou insuffisante »

Au moins un défaut du « bâti »

ensemble

 

23,5

6,0

1,8

2,6

16,3

7,7

Niveau de vie

Ménages à bas revenus

34,4

12,2

4,7

5,1

25,5

10,7

Ménages modestes

24,5

6,1

1,8

3,1

17,1

7,1

Ménages plus aisés

19,5

3,8

0,8

1,6

13,0

6,8

Configuration familiale

Personne seule

23,3

5,3

1,6

3,5

15,6

6,6

Couple sans enfant

17,3

3,7

0,7

2,0

11,7

5,7

Couple avec enfant(s)

25,9

6,9

2,1

1,8

18,9

9,6

Famille monoparentale

35,6

11,5

4,0

3,4

27,7

13,5

Ménage complexe

25,2

9,4

3,5

4,0

19,7

7,6

Source : Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017.

Surpeuplement des logements

La situation de surpeuplement se mesure en nombre de pièces et en nombre de m2 rapportés au nombre d’occupants du logement. Malgré une tendance à la réduction du surpeuplement (qui s’explique par l’accroissement de la taille moyenne des logements dans les dernières décennies), cette situation touche encore souvent les ménages à bas revenus.

En 2013, un ménage sur douze (soit 8,4 %) est logé en situation de surpeuplement : « les ménages […] appartenant au premier quartile de revenu annuel par unité de consommation, sont 6 fois plus touchés par le surpeuplement que ceux du dernier quartile. Pour le surpeuplement accentué, cet écart se creuse : les ménages du premier quartile sont 11 fois plus touchés que les ménages du dernier quartile » ([76]).

Le surpeuplement concerne particulièrement les habitants en structure collective, en particulier dans les grandes zones urbaines, où le coût du logement est souvent plus élevé. Il touche également davantage les locataires que les propriétaires. Là encore la composition familiale a une incidence puisque 20,9 % des familles monoparentales et 15 % des couples avec enfant(s) sont concernés par le surpeuplement du logement en 2013. Lorsque l’on considère uniquement les ménages à revenus modestes, les familles monoparentales sont alors 28,3 % à être concernées par le surpeuplement et les couples avec enfant(s) 38,6 %.

TAUX DE SURPEUPLEMENT SELON LE NIVEAU DE VIE ET LA COMPOSITION FAMILIALE DES MÉNAGES EN 2013

en %

 

Ménages à bas revenus

Ménages modestes

Ménages plus aisés

Personne seule

8,7

3,3

2,4

Couple sans enfant

8,8

3,6

1,7

Couple avec enfant(s)

38,6

21,5

7,8

Famille monoparentale

28,3

16,4

11,9

Ménage complexe

22,9

19,3

9,5

Source : DREES, « Conditions et dépenses de logement selon le niveau de vie des ménages », in Les dossiers de la DREES n° 32, février 2019 – chiffres issus de l’enquête Logement de 2013 réalisé par l’Insee.

En 2013, Le surpeuplement touchait donc environ 2,7 millions de ménages (8,4 % des ménages), soit près de 8,6 millions de personnes. 7,6 millions de personnes vivaient dans un logement en surpeuplement « modéré » et 934 000 dans un logement en surpeuplement « accentué ». Cette forme de mal-logement empêche chaque membre de la famille de bénéficier d’un espace suffisant pour garantir son intimité. L’inconfort, parfois dramatique, de ces situations a d’ailleurs été mis en avant durant le confinement décidé par le Gouvernement en réponse à la récente crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.

Habitat indigne, hébergement précaire et sans-abrisme

La loi de 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement dispose que

« constituent un habitat indigne les locaux ou les installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé.

Sont constitutifs d’un habitat informel les locaux ou les installations à usage d’habitation édifiés majoritairement sans droit ni titre sur le terrain d’assiette, dénués d’alimentation en eau potable ou de réseaux de collecte des eaux usées et des eaux pluviales, ou de voiries ou d’équipements collectifs propres à en assurer la desserte, la salubrité et la sécurité dans des conditions satisfaisantes » ([77]).

Ces situations de mal-logement extrême lié au mauvais état de l’habitat conduisent à des conditions de précarité incompatibles avec le respect de la dignité de la personne humaine et avec une vie familiale épanouie. Les récentes catastrophes de l’effondrement de deux immeubles à Marseille, où huit victimes ont été retrouvées parmi les décombres, sont révélatrices des situations dramatiques auxquelles peut conduire le mal-logement et l’on imagine aisément les conséquences que de telles situations peuvent en effet avoir sur la vie de famille.

Il en va de même pour les situations de mal-logement précaire ou temporaire concernant les personnes sans domicile qui sont hébergées par un proche ou un parent, dans une structure d’accueil temporaire comme un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ou encore dans les hôtels meublés par exemple. En tant que solutions temporaires, ces hébergements sont parfois une nécessité pour les situations les plus précaires, mais ils ne permettent que rarement de maintenir une stabilité propice à l’épanouissement familial. En effet, comme le souligne la Fondation Abbé Pierre, « si l’hôtel peut être une solution tampon pour 15 jours, voire 2 mois, cela ne constitue pas une bonne réponse pour des durées plus longues. Pourtant 44 % des familles qui sont hébergées dans les 550 hôtels meublés de la région parisienne, le sont depuis plus de deux ans. Il en résulte une saturation du dispositif hôtelier qui accueille 45 000 personnes chaque nuit en France dont la moitié sont des enfants. Chaque jour, cinq bébés naissent dans des familles vivant à l’hôtel » ([78]).

Au-delà des difficultés rencontrées au sein d’un habitat indigne ou d’un hébergement temporaire, les personnes sans-abri sont confrontées à une précarité extrême mettant souvent en péril leur santé psychique et physique. Début 2012, en France métropolitaine, 82 000 adultes et 30 000 enfants étaient sans domicile ([79]) (sans abri, en centres d’hébergement, en chambre d’hôtel ou dans des logements financés par des associations) dans les agglomérations de 20 000 habitants ou plus. « Les situations les moins stables (sans abri, hébergement qu’il faut quitter le matin) concernent en très grande majorité des hommes et rarement des actifs occupés. Les autres situations (hébergement de durée plus longue, chambre d’hôtel ou logement payé par une association) offrent davantage de confort et s’adressent plus aux familles ou aux femmes accompagnées d’enfants » ([80]).

PERSONNES SANS DOMICILE

 

Sans abri

Hébergement collectif que l’on doit quitter le matin

Hébergement collectif où l’on peut rester la journée

Hébergement en chambre d’hôtel

Hébergement en logement payé par une association

Nombre de personnes en métropole

8 700

10 300

33 000

22 800

37 500

dont personnes majeures

8 000

9 800

27 100

13 200

24 100

Proportion d’hommes parmi les majeurs

93,2 %

89,1 %

64,0 %

44,5 %

49,7 %

Situation vis-à-vis de l’emploi des majeurs :

 

 

 

 

 

actifs occupés

15,9 %

12,7 %

24,8 %

20,5 %

28,9 %

chômeurs

50,0 %

60,4 %

44,7 %

40,6 %

45,9 %

inactifs

33,2 %

26,9 %

30,5 %

38,9 %

25,2 %

Source : Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017 – chiffres issus de l’enquête Logement de 2013 et du recensement de la population de 2013 pour les chambres d’hôtels.

2.   Mal-logement et vie familiale

Les situations de mal-logement, du surpeuplement au sans-abrisme en passant par différents types de précarité ou d’insalubrité, ont de lourdes conséquences sur la vie des individus qui les subissent. Recouvrant ainsi une grande diversité de réalités, le mal-logement contribue directement à la dégradation de l’état de santé et constitue souvent un frein important à l’accès (ou au retour) à l’emploi.

Si l’absence d’un logement à soi a des conséquences plutôt bien identifiées, les dégâts que peuvent causer un logement inadapté (notamment surpeuplé) ou insalubre semblent moins connus. La Fondation Abbé Pierre dénonce par exemple les conséquences du surpeuplement du logement : « dégradation du logement, augmentation des risques domestiques, impacts sur la santé physique et mentale, difficultés rencontrées dans le développement et la scolarité des enfants, tensions et violences intrafamiliales... » ([81]). Reflétant les inégalités de revenus, notamment dans les zones urbaines et parmi les familles avec enfants, le surpeuplement peut ainsi conduire à dégrader considérablement les conditions de vie et constituer un véritable obstacle à l’épanouissement personnel des membres de la famille. Un logement insalubre peut également avoir de lourdes conséquences sur la santé : allergies, asthmes ou difficultés respiratoires causés par l’humidité et les moisissures, saturnisme lié à la présence de plomb, maladies comme l’arthrose ou des bronchites chroniques en lien avec la précarité énergétique…

La qualité de l’habitat a un impact sur l’état de santé des individus et sur la fréquence des accidents domestiques. Le mal-logement peut ainsi se traduire également par des pathologies mentales, des désordres psychiques et par un stress ou un mal-être plus ou moins profond et durable. Bloquant les projets de vie, freinant la vie professionnelle et personnelle, détruisant une partie de la vie sociale et des liens familiaux ou amicaux, ces problématiques influent sur le quotidien et peuvent avoir des conséquences dramatiques, en particulier sur le développement des enfants. Elles ont sans aucun doute un impact sur l’éducation, l’insertion ou encore la délinquance et sont donc intimement liées à la cohésion de notre société. Le logement salubre et adapté de chaque individu et a fortiori des familles est donc une priorité ; il s’agit d’un investissement nécessaire et durable, tant d’un point de vue économique qu’humain.

Au-delà des conséquences sanitaires, qui ont un coût social évident, le mal‑logement est un obstacle à la vie de famille et à l’épanouissement qu’elle est censée procurer à ses membres. Cette problématique se pose d’ailleurs tout au long de la vie et des étapes familiales, jusqu’au moment du vieillissement où de nombreux logements ne sont pas adaptés aux personnes âgées dépendantes. La politique familiale, en lieu avec les politiques sociales et du logement, doit ainsi intégrer cet enjeu fondamental : sans logement familial adéquat et digne, la famille ne peut se développer ni remplir ses fonctions.

3.   Logement et politique familiale, des enjeux importants

Nécessité d la vie quotidienne et respect même de la dignité de la personne humaine, accéder à un logement, s’y maintenir et en assurer l’entretien quotidien représentent des coûts importants et parfois un certain nombre de difficultés qui augmentent généralement avec la taille de la famille.

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant stipule que « les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. […] C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant. […] Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement » ([82]).

Le logement des enfants, et donc des familles, est ainsi un droit qui doit être protégé et nécessite parfois un soutien de la part de la puissance publique. S’il n’existe pas de politique spécifiquement dédiée à l’habitat des familles, plusieurs aides et dispositifs, au croisement des politiques familiales, de solidarité et de logement, visent à les soutenir dans ce domaine.

a.   La politique d’aide au logement

La politique d’aide au logement ([83]) s’organise autour de plusieurs types d’actions : allocations personnelles au logement, soutien à l’offre de logement, gestion et développement du parc social, protection des locataires et encadrement des rapports locatifs, aide à l’accession à la propriété de la résidence principale…L’État peut ainsi apporter une aide ou un soutien aux locataires aussi bien qu’aux propriétaires ou aux bailleurs. L’objectif est de garantir un meilleur accès au logement et d’adapter l’offre et la demande en tenant compte des éventuelles spécificités territoriales. 

Bien que les aides personnelles au logement ne soient pas strictement familiales, à l’exception de l’allocation de logement familiale (ALF), elles contribuent au soutien des familles, notamment à travers l’aide personnalisée au logement (APL) qui est calculée en fonction du revenu du ménage, de la composition familiale, des caractéristiques du logement et du statut d’occupation ([84]). En 2018, ces prestations sociales liées au logement représentent environ 16 milliards d’euros.

En 2018, l’ensemble des aides au logement (prestations sociales, subventions d’exploitation, subventions d’investissement, avantages fiscaux…) représente 39,5 milliards d’euros, financés à 77,6 % par l’État. Cela signifie que 7,8 % des dépenses de logement sont ainsi prises en charge par la collectivité. Ces différentes aides bénéficient majoritairement au secteur locatif, à hauteur de 37,6 % pour le secteur social et 31,8 % pour le secteur libre. 18,9 % des aides bénéficient aux propriétaires occupants ([85]).

b.   L’aide au logement à destination des familles précaires

Aides personnelles au logement

Les aides personnelles au logement sont principalement l’APL, l’ALF et l’ALS. Ces aides sont attribuées sous conditions de ressources aux locataires ou accédants à la propriété pour leur résidence principale et ne sont pas cumulables. Fin 2017, elles bénéficient à environ 6,6 millions de foyers : 44 % d’entre eux bénéficient de l’APL, 37 % de l’ALS et 19 % de l’ALF. En comptabilisant les enfants ou autres personnes à charge, ce sont 13,7 millions de personnes qui vivent dans un foyer percevant une aide au logement, soit environ 20% de la population ([86]).

Parmi ces bénéficiaires des trois types d’aides au logement, les familles monoparentales sont surreprésentées (21 % des bénéficiaires alors qu’elles ne représentent que 7 % des ménages) ; à l’inverse les couples sans enfant bénéficient peu de ces aides (8 % des bénéficiaires alors qu’ils représentent 29 % des ménages).

CARACTÉRISTIQUES DES MÉNAGES BÉNÉFICIAIRES DES AIDES AU LOGEMENT ET MONTANTS MOYENS PERÇUS EN 2013

 

Part dans l’ensemble des ménages (en %)

Bénéficiaires des aides au logement (en %)

Montants mensuels moyens perçus en aides au logement (en euros)

Personne seule

34,3

41,9

176

Couple sans enfant

29,2

8,1

199

Couple avec enfant(s)

25,8

24,5

245

Famille monoparentale

7,2

21,0

279

Ménage complexe

3,6

4,5

213

Source : Insee, Les conditions de logement en France, édition 2017 – chiffres issus de l’enquête Logement de 2013.

Par ailleurs, « les femmes sont surreprésentées parmi les personnes de référence des ménages bénéficiaires d’aides au logement : en 2015, 41 % sont des femmes, contre 28 % dans l’ensemble des ménages. […] Cet écart s’explique par les différences de configuration familiale. Les ménages bénéficiaires d’aides au logement sont ainsi plus souvent constitués de familles monoparentales (22 % d’entre eux contre 9 % de l’ensemble des ménages), or 84 % des familles monoparentales sont des mères avec enfant(s) » ([87]). Décroissantes en fonction du niveau de revenus et croissantes en fonction du nombre de personnes composant le ménage, ces aides peuvent représenter une part importante du loyer des familles précaires. Elles constituent ainsi un véritable levier de soutien au logement de ces familles et contribuent d’ailleurs à aider les familles confrontées aux problématiques de mal-logement.

PART DES MÉNAGES CONFRONTÉS AUX DIFFICULTÉS DE LA COMPOSANTE LOGEMENT DE L’INDICATEUR DE PAUVRETÉ EN CONDITIONS DE VIE

en %

 

Ménages bénéficiaires d’aides au logement

Ensemble des ménages

Surpeuplement

26,3

8,2

Logement jugé trop petit

20,2

10,1

Pas de salle de bains à l’intérieur du logement

0,3

0,4

Pas de toilettes à l’intérieur du logement

0,7

0,6

Pas d’eau chaude

1,1

0,4

Pas de système de chauffage

1,6

1,2

Logement trop difficile ou trop coûteux à bien chauffer

24,7

16,6

Toit percé, humidité

13,3

6,5

Logement jugé bruyant

21,9

11,1

Part des ménages confrontés à au moins trois de ces difficultés

12,1

4,1

Source : DREES, « Les bénéficiaires d’aides au logement : profils et conditions de vie », in Les dossiers de la DREES n° 42, octobre 2019 – chiffres issus de l’enquête Logement de 2013 de l’Insee.

Place des familles dans le parc social

Selon l’Union sociale pour l’habitat, le secteur HLM héberge plus de 10 millions de locataires. Au 1er janvier 2019, le parc locatif social compte un peu plus de 5 millions de logements, en progression de 1,7 % sur un an avec 86 300 logements supplémentaires. L’objectif du parc social est de fournir un logement aux personnes ou familles ayant des ressources trop faibles pour y accéder dans le parc privé. Cette politique vise également à soutenir la réinsertion des personnes en situation de grande précarité, à réduire les inégalités territoriales et favoriser la mixité sociale.

En 2016, les locataires du parc social sont pour : 38 % des personnes vivant seules, 12 % des couples sans enfant, 23 % des couples avec enfant (parmi lesquelles les familles nombreuses sont surreprésentées) et 19 % des familles monoparentales (soit une forte surreprésentation par rapport à cette catégorie de ménages qui regroupe 7 % de la population). Le parc social bénéficie majoritairement à des personnes âgées de moins de 50 ans et l’on constate que le taux de pauvreté y est plus élevé : 35 % pour les locataires du parc social, contre 23 % pour les locataires du secteur libre et 7 % pour les propriétaires occupants  ([88]).

c.   L’aide à l’accession à la propriété

Un idéal d’accession à la propriété

L’acquisition de son logement demeure un idéal pour la plupart des ménages et des familles. Selon l’UNAF, 94 % des familles estiment que l’accession à la propriété est un patrimoine pour les enfants et/ou un placement pour l’avenir et 42 % souhaitent devenir propriétaire à tout prix ; 22 % des familles répondantes considèrent toutefois que cette accession ne leur est pas possible par manque de ressources  ([89]). Il semble en effet que le logement, au-delà du bien de consommation qu’il représente au même titre que l’habillement ou l’alimentation, a une valeur symbolique et sentimentale importante aux yeux des ménages ce qui explique en partie l’attachement à la propriété. « En 2013, on compte 2 166 000 acquéreurs récents de leur résidence principale, soit un flux annuel d’environ 540 000 acquisitions en moyenne dans les quatre années précédentes » ([90]).

L’accession à la propriété s’est largement développée après la Seconde Guerre mondiale formant un idéal d’habitat pour la famille nucléaire. « Si l’accession à la propriété d’une maison individuelle a pu s’opérer de façon si rapide c’est parce qu’elle correspond à un type de famille bien particulier, la famille nucléaire, qui a connu son apogée après la Seconde Guerre mondiale (Bonvalet, 1998). Le lien étroit entre famille et propriété apparaît comme une constante historique, favorisée par les pouvoirs publics. Du fait de l’urbanisation tardive de la France, l’attachement à la pierre par le biais de la propriété constitue sans aucun doute un héritage de notre société rurale. De plus, le statut de propriétaire donne une plus grande latitude pour aménager son logement et ainsi se l’approprier au plein sens du terme. Ce surinvestissement de la propriété se traduit par une vision hiérarchique des statuts d’occupation, selon laquelle le propriétaire d’une maison individuelle ou d’un appartement en centre-ville se situe au sommet de l’échelle résidentielle, et le locataire de HLM au bas. À cette image correspond l’idée d’un parcours résidentiel "promotionnel" (Lévy, 1998), dont l’aboutissement ne saurait être que la propriété, et la location qu’une étape (Cuturello, 1992). Petit à petit, même s’il existe une réelle diversité dans l’agencement des étapes résidentielles, un parcours type s’est mis en place : location dans le secteur privé en début de cycle de vie, éventuellement dans le secteur social, puis accession à la propriété » ([91]).

Cet idéal de la propriété n’est pas sans lien avec l’arrivée d’un premier enfant qui semble être un moment clef dans la volonté de constituer un patrimoine immobilier. Le logement joue ainsi un rôle dans la vie familiale, dans l’organisation et dans le fonctionnement de la famille. Au-delà du logement principal, lieu de vie quotidien par excellence, il semblerait que les résidences secondaires aient également un rôle familial en ce qu’elles permettent de rassembler différentes générations. « L’importance des petits-enfants apparaît très nettement dans les stratégies d’achat ou de reprise d’une seconde maison. Dans l’enquête "Biographies et Entourage" de l’INED, les couples qui ont des petits-enfants possèdent un peu plus souvent une résidence secondaire que ceux qui n’en ont pas : 38 % contre 33 % » ([92]).

Ces exemples montrent l’importance à la fois symbolique et pratique du logement et la volonté de bon nombre de familles d’en faire l’acquisition. La propriété est ainsi vue comme un moyen « d’être vraiment chez soi » et de « réunir sa famille sous un même toit », mais également comme une sécurité financière et par rapport aux aléas du marché du logement.

Les aides pour l’accession à la propriété

En sus des aides personnelles au logement, évoquées ci-avant, qui bénéficient à une petite partie des propriétaires accédants (c’est-à-dire encore soumis à des charges liées à l’acquisition du bien immobilier), certaines aides ont pour objectif direct de soutenir les ménages dans l’accession à la propriété d’une résidence principale. Visant à augmenter la capacité d’emprunt et le revenu disponible des ménages, ces aides s’appuient notamment sur plusieurs dispositifs de prêt :

‒ le prêt à taux zéro (PTZ), qui a remplacé le prêt d’accession à la propriété depuis 1995, est un prêt aidé par l’État sans intérêts visant à acquérir sa future résidence principale et qui est attribué sous condition de ressources selon un plafond de revenus fixé en fonction de la composition du ménage et du lieu du logement ; l’emprunteur ne doit pas avoir été propriétaire de son logement durant les deux années précédant le PTZ et le logement acquis doit demeurer la résidence principale pendant au moins six années après le PTZ ; son montant ne peut excéder le montant du ou des autres prêts d’une durée supérieure à deux ans concourant au financement de l’acquisition ;

‒ le prêt d’accession sociale, également attribué sous condition de ressources et en fonction de la composition du ménage et du lieu du futur logement, est un prêt conventionné garanti par l’État accordé à un taux minoré avantageux destiné aux ménages achetant leur résidence principale et aux propriétaires faisant des travaux dans leur résidence principale ; ce prêt peut couvrir la totalité du montant de l’acquisition ;

‒ le prêt social de location-accession (PSLA) est un prêt conventionné avec un opérateur (organisme HLM, promoteur privé…) pour financer la construction ou l’acquisition de logements neufs qui feront l’objet d’un contrat de location-accession ; il s’agit ainsi d’un prêt au bailleur qui peut ensuite être transféré au ménage après une phase locative ; ce prêt peut couvrir la totalité de la valeur de l’acquisition ;

‒ le prêt épargne logement s’appuie sur un plan épargne logement (PEL) et est donc accordé après une phase d’épargne ; son taux d’intérêt est réglementé et son montant varie en fonction des intérêts acquis pendant la période d’épargne et en fonction de la durée du prêt, dans la limite d’un plafond ;

‒ le prêt action logement est un prêt à 1 % qui peut être accordé par Action logement, acteur du logement social et intermédiaire en France, en fonction d’accords établis avec certains employeurs afin d’aider à l’achat de sa résidence principale pour un montant équivalent au plus à 30 % du coût total de l’acquisition ;

‒ le prêt conventionné peut être octroyé par une banque ayant signé une convention avec l’État ; il s’agit d’un prêt pour faire des travaux dans sa résidence principale ou pour acquérir sa résidence principale. Accordé sans condition de ressources, ce prêt permet de continuer à bénéficier des aides au logement ; si son taux est plafonné il peut également être supérieur au taux du marché ;

CARACTÉRISTIQUES DES PRÊTS AIDÉS POUR L’ACCESSION À LA PROPRIÉTÉ

 

Prêt à taux zéro (PTZ)

Prêt accession sociale (PAS)

Prêt conventionné

Prêt épargne logement

Prêt Action logement

Conditions d’accès

ressources inférieures à un certain plafond

ressources inférieures à un certain plafond

sans conditions de ressources

être titulaire d’un Plan épargne logement

être salarié d’une entreprise du secteur privé de 10 salariés et plus

Types de dépenses

achat ou construction d’un logement neuf en tant que résidence principale

 

achat et réhabilitation d’un logement ancien (commune située en zone B2 ou C)

achat ou construction d’une résidence principale

 

travaux dans le logement occupé

achat ou construction d’une résidence principale

 

travaux dans le logement occupé

achat ou construction d’une résidence principale

 

travaux dans la résidence principale

achat ou construction d’une résidence principale

 

achat d’un logement ancien sans travaux

 

agrandissement

Durée

20 à 25 ans

5 à 30 ans

5 à 35 ans

2 à 15 ans

jusqu’à 20 ans

Montant minimum

 

4 000 euros

4 000 euros

 

 

Montant maximum

entre 20 et 40 % du coût total de l’opération selon la nature du logement et sa situation géographique

jusqu’à 100 % du coût de l’opération

jusqu’à 100 % du coût de l’opération

92 000 euros

30 % du coût total de l’opération ou 7 000 à 25 000 € selon la zone géographique

Taux d’intérêt

0 %

fixe ou variable

plafonné entre 2,30 et 2,75 % selon la durée du prêt

fixe ou variable

plafonné entre 2,30 et 2,75 % selon la durée du prêt

En fonction de la période de souscription du PEL

1 %

Prêteur

banque ayant signé une convention avec l’État

banque ayant signé une convention avec l’État

banque ayant signé une convention avec l’État

banque

Action logement

Principaux avantages

absence de taux d’intérêt

réduction de certains frais

sans condition de ressources

prime d’État

taux d’intérêt avantageux

Cumulables avec d’autres prêts / aides

oui

non cumulable avec un prêt immobilier classique

non cumulable avec un prêt immobilier classique

oui

 

Source : Agence nationale pour l’information sur le logement (ANIL).

Ces prêts sont complétés par d’autres dispositifs, notamment des prêts spécifiques, accordés par certaines collectivités, par des caisses de retraite complémentaire, des mutuelles ou encore à destination des fonctionnaires par exemple.

Par ailleurs, plusieurs crédits d’impôt ont été mis en place pour réduire les dépenses des ménages en lien avec l’entretien ou l’acquisition de leur résidence principale. Il s’agit notamment du crédit d’impôt « transition énergétique » pour les dépenses supportées pour la transition énergétique de la résidence principale (propriétaire, locataire ou occupant à titre gratuit), du crédit d’impôt au titre des intérêts d’emprunt souscrits pour l’acquisition ou la construction de la résidence principale ou encore du crédit d’impôt pour l’installation ou le remplacement d’équipements pour les personnes âgées ou handicapées.

Compte tenu de l’importance du logement aux yeux des ménages, pour lesquels cela représente bien souvent une sécurité financière et la possibilité d’une stabilité familiale, la rapporteure estime nécessaire d’améliorer les aides à l’acquisition de la résidence principale dont l’efficacité a d’ailleurs régulièrement été questionnée ces dernières années. Soulignant que « depuis la crise économique de 2008, l’enjeu des aides à l’accession est devenu plus sensible, car l’écart grandissant entre les revenus disponibles et les prix de l’immobilier a éloigné de la propriété de nombreux ménages », un rapport de la Cour des comptes de 2016 conclue à un pilotage insuffisant de ces aides qui semblent mal articulées et insuffisamment efficaces  ([93]).

La rapporteure considère donc opportun de conduire une évaluation des aides à l’accession à la propriété pour mesurer leur efficacité et leur impact concret sur la vie des familles. Elle suggère que cette évaluation prenne en compte de manière plus générale les aides au logement et leur articulation, ainsi que les spécificités des familles. En effet, la fondation d’une famille avec l’arrivée du ou des enfants est un facteur important dans le choix du logement et parfois dans le choix d’acquisition d’une résidence principale ; ces facteurs doivent selon elle être mieux pris en considération par la puissance publique.

Proposition n° 14 : conduire une évaluation de l’efficacité, du pilotage et de l’articulation des aides au logement, en privilégiant un double focus sur l’accession à la propriété de la résidence principale et sur la situation des familles

Proposition n° 15 : réfléchir à la mise en place d’un « prêt garanti par l’État (PGE) Immobilier Famille », mécanisme de garantie par l’État d’une partie des prêts bancaires pour les familles modestes qui réalisent une acquisition de résidence principale, à partir de l’arrivée de leur deuxième enfant

Proposition n° 16 : réfléchir aux possibilités de prise en charge par l’État d’une partie des intérêts bancaires générés par un prêt contracté par la famille pour l’acquisition de sa résidence principale, à partir de l’arrivée de son deuxième enfant

II.   La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle

La conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle est le troisième et le plus récent des axes de la politique familiale. Il implique un questionnement en profondeur de l’égalité entre les femmes et les hommes, non seulement dans le cercle familial, à travers la répartition des tâches domestiques et parentales, mais également dans la sphère professionnelle puisque les inégalités entre les carrières féminines et masculines ont souvent des conséquences sur les choix de vie des familles.

Mais cet enjeu de la conciliation concerne les deux parents et émergent d’ailleurs de vraies revendications de la part des pères pour être en mesure de s’impliquer davantage dans leur vie de famille. Cela implique sans doute un changement des mentalités et des habitudes de travail pour permettre un meilleur partage des temps et un meilleur respect de la vie privée.

Se posant avec acuité lorsque la famille accueille de jeunes enfants, en raison notamment des problématiques de modes de garde, la question de la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle doit toutefois être considérée de manière plus large, plus continue, à tous les âges de la vie.

A.   DES INÉGALITÉS DU QUOTIDIEN QUI NUISENT majoritairement à la carrière des femmes

La répartition des tâches domestiques et parentales se fait, aujourd’hui encore, le plus souvent au détriment des femmes. Ces inégalités, qui leur imposent de gérer une grande partie du quotidien familial, ont un impact direct sur leur carrière professionnelle.

Les inégalités dans la répartition du travail domestique

L’inégale répartition des tâches domestiques et familiales

Le temps accordé aux tâches ménagères, familiales et domestiques est trop souvent différent pour les femmes et les hommes. Dans les années 1980, les femmes vivant en couple assumaient 71 % des tâches domestiques et parentales ; en 2010, elles prennent encore en charge 66 % de ces tâches, y consacrant en moyenne 3 heures et 48 minutes par jour contre 2 heures et 36 minutes pour les hommes  ([94]).

Au-delà de cet aspect inégalitaire en termes temporels, la répartition est tâches est également soumise à des biais de genre marqués : « les femmes s’occupent davantage des activités quotidiennes […], tandis que les hommes sont plus nombreux à s’occuper du bricolage, du jardinage et de l’entretien du logement, activités plus ponctuelles »  ([95]). Les femmes s’occupent ainsi de 72 % des tâches considérées comme les plus contraignantes au quotidien : ménage, cuisine, linge, vaisselle… Ces biais ont des implications concrètes dans la mesure où les tâches dans lesquelles s’impliquent davantage les hommes relèvent moins du quotidien.

PARTICIPATION QUOTIDIENNE AUX DIFFÉRENTES TÂCHES DOMESTIQUES

 en % des personnes ayant participé au moins 10 mn dans la journée à la tâche domestique visée

 

Femme

Homme

Cuisine, vaisselle, ménage, linge

92

62

Comptes et démarches administratives

14

11

Courses

35

23

Entretien divers

15

18

Semi-loisir (jardinage, bricolage)

10

28

S’occuper des personnes à charge

49

36

Source : Insee, Couples et familles, édition 2015 – chiffres issus de l’enquête Emploi du temps de 2010-2011.

Le poids de la charge mentale

Ces inégalités ne se résorbent donc que lentement, ces chiffres ne prenant d’ailleurs pas en compte le poids de la « charge mentale » qui correspond au temps passé à gérer la planification et l’organisation de la vie domestique et familiale. Il s’agit ainsi de tout anticiper, de prendre les rendez-vous médicaux, d’organiser les événements familiaux ainsi que la vie sociale de la famille, de prévoir les vacances, de penser aux échéances diverses, de garantir la gestion administrative, de penser aux anniversaires des proches et éventuels cadeaux à faire… Les exemples et les implications sont multiples et se cumulent entre la vie familiale et la vie professionnelle : il s’agit de la traduction concrète de la « double journée des femmes ».

Ce concept de charge mentale permet aussi de montrer que le partage des tâches domestiques implique souvent que l’un des membres du couple, en grande majorité la femme, indique à l’autre, le plus souvent l’homme, ce qu’il doit faire. Il s’agit en réalité d’une organisation permanente, impliquant une attention et une réflexion quant à la gestion du quotidien. Cela peut avoir de lourdes conséquences sur la vie professionnelle, le temps libre ou la santé mentale de la personne qui devra prendre en charge seule cette organisation pour l’ensemble des membres de la famille. Il ne s’agit donc en rien d’un sujet anecdotique, mais c’est sans aucun doute un concept éclairant les progrès à faire en termes d’égalité entre les femmes et les hommes dans la sphère privée.

L’impact de la structure familiale sur ces inégalités

La structure de la famille et notamment le nombre d’enfants influencent directement l’inégalité de répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes. Plus le nombre d’enfants est élevé, plus les femmes supportent une part plus importante de tâches que les hommes.

TEMPS DOMESTIQUE QUOTIDIEN SELON LA SITUATION FAMILIALE

 

Femme

Homme

En couple sans enfant (moins de 65 ans)

3 h 23

2 h 06

Famille monoparentale

4 h 13

n.s.

avec enfant(s) âgé(s) de 6 ans ou plus

4 h 01

n.s.

avec au moins un enfant de moins de 6 ans

4 h 52

n.s.

Famille recomposée

4 h 45

2 h 40

avec enfant(s) âgé(s) de 6 ans ou plus

4 h 16

2 h 19

avec au moins un enfant de moins de 6 ans

5 h 51

3 h 08

Famille traditionnelle

4 h 53

2 h 30

avec enfant(s) âgé(s) de 6 ans ou plus

4 h 30

2 h 17

1 enfant

4 h 10

2 h 08

2 enfants

4 h 36

2 h 23

3 enfants ou plus

5 h 30

2 h 34

avec au moins un enfant de moins de 6 ans

5 h 36

2 h 48

1 enfant

5 h 00

2 h 47

2 enfants

5 h 30

2 h 52

3 enfants ou plus

6 h 43

2 h 45

Source : Insee, Couples et familles, édition 2015 – chiffres issus de l’enquête Emploi du temps de 2010-2011.

Les déséquilibres ont donc tendance à se creuser avec l’arrivée d’un ou de plusieurs enfants  ([96]). Au-delà du nombre d’enfants, la forme de la famille a également une influence sur cette répartition. Ainsi, « le partage des tâches ménagères dans les familles recomposées est plus égalitaire que dans les familles "traditionnelles" : l’écart entre hommes et femmes est d’environ une heure et demie par jour dans les familles recomposées, soit 30 minutes de moins que dans les familles "traditionnelles". Cette différence est à la fois imputable aux hommes, qui y consacrent 20 minutes de plus, mais aussi aux femmes, qui y consacrent 10 minutes de moins » ([97]).

Les conséquences sur les carrières des femmes

Les mutations du marché du travail et des modèles familiaux n’ont eu qu’une influence limitée sur la répartition entre les femmes et les hommes des tâches domestiques et familiales. Insérées sur le marché du travail mais toujours en charge de la majeure partie de ces tâches, les femmes sont ainsi confrontées à des difficultés d’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle particulièrement aiguës.

Cette réalité pèse sur le rapport des femmes au marché du travail et sur les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Ainsi, « à nombre d’enfants mineurs au domicile donné, le taux d’emploi des mères est plus faible lorsque l’un d’entre eux est âgé de moins de 3 ans. Cet écart est davantage marqué à partir de deux enfants pour les couples et pour les familles monoparentales, indépendamment du nombre d’enfants. Ainsi, en 2015, 63 % des mères en couple ayant deux enfants dont un a moins de 3 ans, sont en emploi, contre 83 % si les deux ont plus de 3 ans (et l’un, moins de 18 ans) » ([98]).

Les femmes sont ainsi bien plus nombreuses que les hommes à interrompre plus ou moins longuement leur activité afin de prendre en charge les enfants de la famille. Cela contribue à augmenter les inégalités salariales entre hommes et femmes et peut parfois éloigner ces dernières du marché du travail de manière durable. Ces inégalités salariales se retrouvent ensuite tout au long de la vie, jusqu’à l’âge de la retraite où l’on constate encore 42 % d’écart entre les pensions des femmes et celles des hommes.

RÉDUCTION DE L’ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE PENDANT AU MOINS UN MOIS POUR ÉLEVER SON ENFANT, EN 2010

en %

 

Père

Mère

Ensemble

pour un premier enfant

pour un deuxième enfant

pour un enfant de rang 3 ou plus

ensemble

Total

100

100

100

100

100

100

A interrompu son activité professionnelle :

pendant au moins un mois pour s’occuper de son plus jeune enfant

5

28

40

55

37

21

en prenant un congé parental à temps plein

2

17

33

45

28

15

en utilisant uniquement des jours de congé

2

3

3

2

3

2

par d’autres arrangements

2

9

4

9

6

4

A réduit son temps de travail :

pendant au moins un mois pour s’occuper de son plus jeune enfant

9

23

36

37

31

19

en prenant un congé parental à temps partiel

2

13

26

28

21

11

en passant à temps partiel ou en réduisant ses horaires de travail

2

8

8

6

8

5

en utilisant uniquement des jours de congé

2

1

1

0

1

2

par d’autres arrangements

1

2

1

3

1

1

Total ayant interrompu ou réduit son activité professionnelle

12

42

63

70

55

33

Source : Secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, chiffres clés, édition 2017.

Dans sa contribution transmise à la rapporteure, la CFTC souligne d’ailleurs qu’il s’agit là d’un levier prioritaire pour agir non seulement sur l’égalité professionnelle, mais également sur l’amélioration de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle : « la première solidarité à développer doit être celle qui devrait logiquement exister entre les parents. La présence d’enfants creuse l’inégalité des revenus au sein du couple. Le plus souvent la mère gagne déjà moins. Alors, plutôt que de réduire l’écart de revenus au sein du foyer, il est décidé qu’elle gagnera encore moins, dans l’intérêt économique du foyer. Le problème c’est que plus elle s’implique dans l’intérêt économique de son foyer, plus elle réduit son implication professionnelle et sa contribution financière. Pendant ce temps, c’est exactement l’inverse pour lui : déchargé du travail au foyer, il va progresser dans son travail et devenir le pilier financier du couple. C’est donc une solidarité à sens unique qui se développe dans la plupart des familles ; solidarité au sens que les enfants du couple reproduiront très probablement à leur tour » ([99]).

B.   La récente crise sanitaire, un révélateur de ces difficultés et inégalités au sein des familles

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 et le confinement qui a été décidé par les pouvoirs publics au printemps ont bien souvent renvoyé les gens à leur sphère familiale, avec plus ou moins de plaisirs et de difficultés. Cette période semble, dans tous les cas, avoir été révélatrice de la place et de l’importance de la famille dans le quotidien de chacune et de chacun, mais également d’éventuelles difficultés et inégalités qui peuvent apparaître dans ce cercle privé.

Les enjeux et problèmes familiaux durant la période de confinement

La récente crise sanitaire et le confinement instauré pour y faire face ont mis en lumière « avec une acuité inégalée, la place, les rôles et le traitement des femmes dans notre société. Jamais, un tel laboratoire des rôles sociaux de sexe n’a permis de révéler aussi clairement les différences, voire les inégalités qui régissent les relations entre les femmes et les hommes dans notre pays et dans le monde » ([100]).

Des inégalités exacerbées

Le confinement, parfois accompagné du télétravail à domicile, a conduit de nombreuses familles à devoir prendre en charge tous les aspects de la vie quotidienne ainsi que l’instruction des enfants lors de la fermeture des écoles. Si cette situation aurait pu être l’occasion d’un partage plus égalitaire des tâches familiales et domestiques entre les parents, il s’est avéré que les inégalités demeuraient. Un sondage réalisé à la demande du Secrétariat d’État chargé de l’égalité, montre ainsi que, selon les déclarations des personnes interrogées, les femmes consacrent en moyenne 2 heures et 34 minutes par jour aux tâches ménagères, contre 2 h 10 pour les hommes. 63 % des femmes estiment par exemple que la préparation des repas leur incombe le plus souvent, contre 11 % pour leur conjoint – 25 % considérant que cette répartition est égalitaire ([101]).

La Secrétaire d’État chargée de l’égalité a d’ailleurs souligné l’impact négatif que pouvaient avoir de telles inégalités domestiques exacerbées par le confinement : « quand vous passez d'un repas par jour à trois à la maison, plus les goûters, cela fait autant de menus à penser, de préparations, de vaisselle, de tables à mettre, de courses… Cela prend un temps fou. À cela s'ajoute une charge mentale démultipliée, car ce sont en majorité les femmes qui gèrent les plannings, entretiennent le lien avec les enseignants, règlent les disputes entre les enfants, maintiennent les contacts avec la famille, prennent des nouvelles, passent les coups de fil… La majorité des aidants familiaux sont des aidantes. Au-delà de la question du Covid-19, je crains vraiment un épuisement silencieux de nombreuses femmes à la sortie du confinement, par accumulation de tâches professionnelles et domestiques » ([102]).

Ces inégalités, accentuées par l’absence de solutions de garde pour les enfants, n’ont pas permis aux femmes et aux hommes de vivre le même confinement, ni de télétravailler dans les mêmes conditions. Ces situations ont pu ainsi se révéler particulièrement stressantes et fatigantes pour de nombreuses femmes. Fiona Lazaar, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, et d’autres députés ont d’ailleurs alerté rapidement sur cette situation à travers une tribune « Confinement à la maison : il faut partager les tâches et la charge mentale » ([103]).

Confinement et violences intrafamiliales

Si les forces de l’ordre et la justice, dont le rythme s’est considérablement ralenti durant la crise sanitaire, ont considéré les violences conjugales et intrafamiliales comme une priorité, la situation de confinement a toutefois conduit à mettre en danger les victimes confinées avec leur agresseur. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a d’ailleurs alerté sur cette problématique, rappelant que la violence et le danger vécu pouvaient ainsi être accrus dans des proportions alarmantes et que les « interventions des forces de sécurité intérieure au domicile pour violences conjugales ont augmenté d’au moins 32 % sur l’ensemble du territoire national depuis le début du confinement ».

Si le nombre de féminicides aurait eu tendance à diminuer pendant le confinement, la Secrétaire d’État a toutefois fait état de 36 % de plaintes pour violences conjugales supplémentaires. Le 3919, numéro d’écoute national pour les violences conjugales, aurait reçu cinq fois plus de signalements que d’habitude. Saluant « l’action de l’autorité judiciaire qui permet de mettre en œuvre des procédures pénales d’urgence ou de délivrer en urgence des ordonnances de protection pour neutraliser les violents conjugaux et assurer la sécurité des victimes », le HCE a toutefois rappelé « qu’aucune mise en sécurité des victimes n’est possible sans organiser la décohabitation entre l’agresseur et la victime » ([104]).

Les services de protection de l’enfance ont également fait face à un accroissement des signalements des cas de violences sur enfants. Selon un communiqué du Secrétariat d’État à la protection de l’enfance, « sur la semaine du 13 au 19 avril, le nombre d’appels a atteint le chiffre de 14 531 contre 7 674 sur la même période en avril 2019, soit une augmentation de 89,35 % » ([105]).

Confinement, vie familiale et logement

Révélateur de certaines difficultés, le confinement a aussi été l’occasion de resserrer les liens familiaux et de vivre autrement l’articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Réapprendre à passer du temps ensemble, sous un même toit, a en effet été riche en enseignements et en épanouissements pour nombre de familles.

Le confinement des membres de la famille au sein du domicile a toutefois été plus difficile à organiser et à vivre dans les milieux les plus précaires. D’une part, le confort des domiciles familiaux a largement influé sur le confort du confinement. Ce point a d’ailleurs été souligné par la CFTC qui rappelle « que la promiscuité [est] une réalité sociale et qu’elle [peut] avoir de graves conséquences. En effet, on s’est soudainement rendu compte que le principe du confinement supposait un "chez soi" en pleine sécurité affective et sanitaire. Quand la densité est trop forte, que les logements sont sur-occupés en permanence (d’habitude, dans la journée, chacun vaque à ses occupations et peut s’aérer) et que le confinement se passe dans un espace réduit, cela augmente les risques de contamination mais aussi le sentiment d’inconfort et les tensions » ([106]).

Rappelant également le cercle vicieux entre précarité, chômage, mauvaise alimentation et mauvaise santé, la CFTC a également rappelé que la crise sanitaire a plus durement touché les départements le plus pauvres : entre le 14 et le 20 mars, le nombre de morts a par exemple augmenté de 63 % en Seine Saint Denis contre 34 % dans le reste de l’Île de France.

Le télétravail : quel levier pour l’égalité et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle ?

Mentionné pour la première fois dans un rapport de Thierry Breton remis au Premier ministre en 1993 ([107]), le télétravail est introduit en 2012 dans le code du travail par la loi dite « Warsmann » ([108]). Il est défini par l’article L. 1222-9 du code du travail comme « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la communication ».

Selon un rapport remis au Président de la République en 2017, le télétravail concernait alors 17 % des salariés mais était une aspiration pour 61 % des Français. Il attire particulièrement les jeunes générations et les travailleurs souhaitant mieux concilier vie personnelle et vie professionnelle grâce à un gain de temps et de flexibilité. Le rapport souligne également que le télétravail est une opportunité pour répondre à certaines problématiques d’aménagement du territoire, notamment en zone rurale. Cela ne concerne toutefois pas tous les salariés et une étude de l’Insee et de la DARES souligne que 61 % des télétravailleurs sont des cadres : 11 % d’entre eux pratiquent le télétravail au moins un jour par semaine, contre 3 % de l’ensemble des salariés ([109]).

MÉTIERS OÙ LE TÉLÉTRAVAIL EST LE PLUS DÉVELOPPÉ

en % des salariés

 

Télétravail régulier

Cadres commerciaux et technico-commerciaux

16,2

Ingénieurs de l’informatique

13,9

Attachés commerciaux et représentants

12,7

Enseignants

12,2

Cadres des transports, de la logistique et navigants de l’aviation

9,4

Professionnels de la communication et de l’information

9

Cadres des services administratifs, comptables et financiers

7,9

Techniciens de l’informatique

7,5

Personnels d’études et de recherche

7,3

Cadres du bâtiment et des travaux publics

6,9

Ingénieurs et cadres techniques de l’industrie

6,5

Cadres de la banque et des assurances

6,3

Professionnels des arts et des spectacles

5,7

Employés de la banque et des assurances

4,4

Techniciens et agents de maîtrise du bâtiment et des travaux publics

4,1

Source : Vie-publique.fr / DILA – données Dares-DGT-DGAFP, enquête Sumer 2017.

Le recours au télétravail s’est très largement développé en raison de la crise sanitaire et notamment pendant la période de confinement. Il a pu être imposé aux salariés en vertu de l’article L. 1222‑11 du code du travail qui précise que le risque épidémique peut justifier le recours au télétravail sans l’accord du salarié ([110]). À compter du 17 mars et du début du confinement de la population le télétravail devait être systématiquement privilégié et tout employeur refusant d’y recourir devait donc démontrer que la présence sur le lieu de travail était indispensable au fonctionnement de l’activité. Afin de poursuivre ce déploiement du télétravail lors du déconfinement, le ministère du Travail a mis à disposition des entreprises et des salariés un guide du télétravail sous forme de questions-réponses ([111]).

Il ne faut toutefois pas minimiser les dérives qui peuvent résulter du télétravail, notamment l’isolement social, la confusion entre vie privée et vie professionnelle, ainsi que le dépassement des horaires de travail. « Les cadres pratiquant le télétravail deux jours ou plus par semaine travaillent en moyenne 43,0 heures par semaine, contre 42,4 heures pour les nontélétravailleurs. […] Ces télétravailleurs intensifs déclarent deux fois plus souvent travailler plus de 50 heures par semaine que les nontélétravailleurs. Leurs horaires sont également plus atypiques (travail après 20 heures ou le samedi) et moins prévisibles » ([112]).

QUELS SONT LES EFFETS DU TÉLÉTRAVAIL SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL ?

Le télétravail est souvent présenté comme un facteur de réduction des expositions aux risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail. Réduisant les trajets et la fatigue associée, autorisant des horaires plus souples, le télétravail est envisagé comme favorisant l’articulation des temps professionnels et des temps privés, en particulier chez les cadres [Metzger et Cléach, 2004 ; Guillaume et Pochic, 2009]. Il constituerait également un gage de confiance envers le salarié, puisqu’il suppose une plus grande autonomie et un moindre contrôle direct de la hiérarchie. Il serait également utilisé pour prévenir des risques psychosociaux (RPS), en éloignant des salariés vivant des situations de tensions [Amira, 2016].

Le télétravail peut néanmoins favoriser l’émergence de situations à risques du point de vue psychosocial. En effet, l’organisation de l’activité est modifiée, à la fois celle du salarié en télétravail, mais aussi celle de ses collègues et de sa hiérarchie. Ces reconfigurations peuvent ainsi engendrer de nouveaux risques pour les salariés hors les murs, comme une durée ou une charge de travail excessive, la désynchronisation des horaires de travail, le brouillage des frontières entre les divers temps sociaux et un envahissement de la vie privée [Maruyama et al., 2009 ; Tremblay et al., 2006]. L’éloignement physique des collègues peut aussi nuire au travail collectif et freiner la coordination entre les salariés, leur intégration aux équipes de travail ou encore le partage des connaissances. La distance peut être source d’isolement du fait d’échanges plus formalisés (par e-mail principalement) et de moments de sociabilité réduits.

Source : Insee, Le télétravail permet-il d’améliorer les conditions de travail des cadres ?, novembre 2019.

La CFTC et FO ont tous deux indiqué à la rapporteure que ces nouvelles organisations du temps et des modalités de travail étaient de nature à améliorer la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. « En réglant les problèmes potentiels d’organisation, cela pourrait être un bon fonctionnement pour faciliter la conciliation vie familiale/vie professionnelle, permettant de limiter les transports et de récupérer les enfants plus tôt après l’école ou après le mode de garde choisi et offrir ainsi aux familles un temps plus long pour vivre ensemble les soirs de la semaine de manière moins stressante. Cette nouvelle organisation de la vie de famille permettrait également une économie du coût des gardes périscolaires » ([113]).

La rapporteure alerte toutefois sur les inégalités entre les femmes et les hommes que pourrait causer un recours au télétravail insuffisamment encadré et réfléchi. Comme l’a montré la récente crise sanitaire, les femmes en télétravail ont trop souvent été contraintes d’assumer une charge mentale encore plus lourde qu’à l’accoutumée. Il faut bien garder à l’esprit que le développement du télétravail ne peut se faire sans modes de garde adapté et sans réduction des inégalités quant à la répartition des tâches domestiques et familiales. Il s’agit cependant d’une formidable opportunité pour faire évoluer les habitudes de travail et faciliter la vie des familles ; le recours au télétravail doit donc sans aucun doute être développé.

Proposition n° 17 : favoriser le recours au télétravail et aux horaires de travail flexibles, sur la base du volontariat, pour les familles qui le souhaitent, dans une optique d’épanouissement familial et personnel

encourager la conciliation vie privée et vie professionnelle tout au long de la vie

Concilier et articuler la vie professionnelle et la vie personnelle est une condition nécessaire au bon déroulement de la vie familiale et à l’épanouissement de chacun des membres de la famille. Cela passe, de manière sans doute prioritaire, par la mise en œuvre de modes de garde adapté, comme cela sera abordé ci-après, mais également par une modification des habitudes de travail et de vie, par un profond changement des mentalités quant à l’égalité entre les femmes et les hommes, par un meilleur aménagement des temps de vie et un meilleur respect de la vie privée. La rapporteure estime en outre que cette conciliation entre vie privée et vie professionnelle ne se cantonne pas à la période où les enfants sont jeunes, mais doit en réalité être pensée tout au long de la vie.

Amorcer un changement profond des mentalités pour faire advenir une société d’égalité entre les femmes et les hommes

Améliorer la conciliation entre la vie personnelle et la vie personnelle suppose une évolution importante des mentalités et des comportements. Cela implique notamment d’en finir avec les inégalités entre les femmes et les hommes qui sont pourtant, aujourd’hui encore, présentes partout : dans l’entreprise, au sein des familles, dans la rue, dans la publicité, dans les médias, face à la précarité, dans l’accès aux responsabilités professionnelles ou électorales… Seul un changement volontariste permettra de progresser dans l’ensemble de ces domaines et de faire advenir une société d’égalité qui rendrait possible une répartition équilibrée des tâches familiales et domestiques.

C’est l’objectif poursuivi par plusieurs de politiques publiques et de textes législatifs, comme le passage d’une obligation de moyens à une obligation de résultats en ce qui concerne l’égalité salariale ([114]). Lors de son audition par la Délégation aux droits de femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, à l’occasion de l’examen de ce projet de loi par l’Assemblée nationale, la ministre du Travail précisait d’ailleurs qu’il « s’agit, plus fondamentalement, d’amorcer un changement de culture et de faire évoluer l’opinion. Cela fait quarante-cinq ans en effet que vos prédécesseurs ont voté une loi imposant l’égalité salariale entre les femmes et les hommes à travail égal. Or je ne connais pas d’autres exemples de loi qui soit aussi peu appliquée. Notre responsabilité va donc bien au-delà du travail législatif, elle consiste à mener bataille dans l’opinion. Et il me semble que c’est le bon moment pour cela et que la société est prête à voir changer les comportements » ([115]).

Au-delà de la sphère professionnelle, l’égalité doit progresser au sein des foyers pour permettre aux femmes et aux hommes de s’impliquer équitablement dans leurs vies professionnelle et personnelle respectives. Or, comme cela a été évoqué ci-avant l’inégale répartition des tâches domestiques et familiales n’évolue que lentement et le récent mouvement #Metoo ne s’est pas traduit par un bouleversement dans ce domaine. Si ce mouvement a permis de libérer la parole des femmes, notamment concernant les violences sexistes et sexuelles, ses conséquences n’ont à ce stade malheureusement pas permis de remettre en cause toutes ces inégalités.

Produit historique de la domination masculine, le rattachement de la sphère domestique à la femme doit aujourd’hui être radicalement remis en cause. La CFTC souligne d’ailleurs que « pour encourager efficacement une évolution des mentalités, il faudra lutter contre des préjugés et des automatismes très anciens. Mais ces automatismes déjà en place se sont renforcés avec la crise […]. Il est évident que tant que les inégalités salariales et la non-mixité des métiers existeront, une répartition plus équilibrée des charges parentales et familiales sera impossible » ([116]).

Un tel changement de mentalité ne peut bien sûr s’envisager que de façon globale et sur un temps nécessairement long incluant les générations futures. En ce sens, la rapporteure insiste sur la nécessité de développer dès le plus jeune âge des référentiels d’égalité qui serviront ensuite de fondement aux mentalités, aux comportements et à la société de demain. Considérant que l’égalité est en soi un objectif de société qui doit être pris en compte dans le cadre de la politique familiale, elle reprend pour cela à son compte l’un des recommandations du Livre blanc de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes portant sur la lutte contre les violences conjugales ([117]).

Proposition n° 18 : permettre le changement des mentalités et l’avènement d’une société d’égalité en assurant, conformément à l’article L. 312‑16 du code de l’éducation, le respect effectif de l’obligation d’éducation à la sexualité et à l’égalité dans le cursus scolaire, notamment dès l’école primaire, en réaffirmant les obligations incombant aux directeurs d’établissement et en s’assurant de la formation des personnels et de l’existence de moyens humains et financiers suffisants pour mettre en œuvre les trois séances annuelles

Allonger le congé paternité

Les parents bénéficient d’un congé à raison de la naissance de leur enfant. Pour les salariés, il s’agit principalement d’un congé de 16 semaines pour les mères pour le 1er ou le 2e enfant (26 semaines pour le 3e enfant), soit 6 semaines avant la naissance et 10 semaines après. S’il est possible de renoncer à une partie de son congé maternité, il est obligatoire de cesser de travailler au moins 8 semaines dont 6 après l'accouchement. Pour les pères, ce congé est de 11 jours calendaires consécutifs et il n’est pas obligatoire.

Une telle inégalité entre les congés maternité et paternité n’est pas sans poser de difficultés. Si le congé exclusif de la mère avant la naissance s’explique notamment par des éléments biologiques objectifs liés à l’état de grossesse, l’importante disproportion entre les 10 semaines de la mère et les 11 jours du père pour le congé après la naissance de l’enfant contribue à renforcer une inégale répartition des tâches et responsabilités parentales dès les premiers jours de l’enfant. Cela peut impliquer des difficultés particulièrement lourdes pour les mères, à travers des problématiques comme une forme de solitude, une charge mentale élevée ou alors des discriminations sur le marché du travail. Cela empêche également les pères de s’impliquer autant qu’ils pourraient le souhaiter dans l’arrivée de leur enfant.

Cette inégalité dans le rapport à la parentalité dès l’arrivée d’un enfant au sein d’une famille risque ensuite de se répercuter tout au long de la vie familiale. L’allongement du congé paternité contribuerait à mieux partager les tâches parentales entre les deux parents, inscrivant dès le début de la vie de famille un équilibre propice à l’épanouissement de chacun et facilitant pour les deux parents la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

Proposition n° 19 : mettre à l’étude l’allongement du congé paternité pour permettre un meilleur partage des tâches familiales entre les parents et favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes

Aménager le temps de travail et respecter la vie privée

Faire progresser la conciliation entre vie privée et vie professionnelle implique nécessairement une réflexion quant au rapport de chacun au temps de travail. Il apparaît que les parents éprouvent régulièrement des difficultés à consacrer suffisamment de temps à leur vie familiale et avoir des enfants peut même parfois être considéré comme un « handicap » pour la vie professionnelle. Une telle perception nuit nécessairement au développement d’une vie familiale épanouie.

Certains aménagements du temps de travail, notamment les horaires atypiques augmentent les difficultés des salariés à concilier vie professionnelle et vie personnelle. Les horaires longs peuvent aussi être la cause de tensions familiales et, selon l’enquête de la Dares sur les conditions de travail et risques psychosociaux de 2016 ([118]), 13 % des femmes et 14 % des hommes salariés déclarent se voir reprocher par leur entourage un manque de disponibilité liée aux horaires de travail. D’autres pratiques, comme les réunions de travail tôt le matin ou tard le soir, nuisent également à la gestion du quotidien des familles.

Ces difficultés peuvent même se traduire par un véritable mal-être. « 18 % des personnes évoquant des difficultés de conciliation enregistrent un score de bien-être psychologique faible et présentent un risque de syndrome dépressif, contre 9 % de ceux qui n’évoquent pas de difficultés de conciliation. Cet écart est plus important pour les femmes que pour les hommes » ([119]).

Certaines de ces pratiques et habitudes professionnelles seraient relativement faciles à modifier en s’appuyant sur une démarche volontariste des employeurs. Il s’agit d’ailleurs d’une attente forte de la part des salariés. Le baromètre résultant de l’enquête réalisée pour l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise ([120]) révèle que la conciliation entre vie privée et vie professionnelle est une préoccupation majeure pour 92 % des salariés interrogés (et pour 97 % des salariés qui sont parents d’enfants de moins de 3 ans) et 72 % d’entre eux estiment manquer de temps au quotidien. Ils expriment des attentes claires : pouvoir aménager ponctuellement les horaires de travail (42 %), bénéficier de davantage souplesse dans les modalités et des horaires de travail (40 %), bénéficier de mutuelles avantageuses pour les familles (34 %), avoir des horaires et charges de travail raisonnables (30 %), développer les possibilités de télétravail et travail à distance (27 %). En ce sens, il conviendrait que les entreprises prennent mieux en compte ces éléments et aspirations des salariés.

La rapporteure estime que la puissance publique doit inciter les entreprises et les partenaires sociaux à s’investir davantage dans la prise en compte du temps familial et de l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle. Doivent dans ce cadre sans doute être abordés la limitation des amplitudes horaire, l’organisation des réunions hors des plages horaires trop matinales ou trop tardives, le développement du télétravail ou encore un aménagement plus souple du temps de travail afin de mieux prendre en compte d’éventuelles contraintes de garde d’enfants.

Proposition n° 20 : impliquer davantage les partenaires sociaux dans la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle

Penser cette conciliation tout au long de la vie, de la naissance du jeune enfant jusqu’à la place de nos aînés

Cette conciliation entre vie familiale et vie professionnelle concerne bien sûr les familles avec enfants, notamment lorsque les enfants sont jeunes et que les contraintes de garde sont particulièrement importantes. Elle ne doit toutefois pas se limiter à la garde des jeunes enfants mais concerne l’ensemble des âges de vie et jusqu’à la question de la prise en charge de nos aînés et de leurs rôles au sein des structures familiales.

La problématique de la conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle peut se poser de façon aiguë pour les aidants familiaux par exemple. Selon une étude réalisée par la DREES, en France les proches aidants sont 8,3 millions en 2008 et environ 57 % d’entre eux sont des femmes ([121]) ; en 2017, une nouvelle enquête fait état de 11 millions de proches aidants dont 58 % de femmes ([122]).

« Préserver nos aidants : une responsabilité nationale »

Les aidants familiaux constituent un ensemble hétérogène aux profils et aux besoins différents. Le tome 2 du rapport de Dominique Gillot Préserver nos aidants : une responsabilité nationale souligne le poids des contraintes qui pèsent sur les aidants familiaux et qui peuvent avoir des conséquences dramatiques : perte du lien social, dépression, risque de détérioration de la santé, épuisement physique et moral, sentiment de culpabilité face à un éventuel renoncement…

Ce rapport pointe la difficulté de l’absence de statut juridique unifié et se demande comment garantir l’effectivité des droits existants et mieux concilier vie professionnelle et familiale en évitant la rupture du lien professionnel. Sécurisation du cadre juridique, implication et sensibilisation des employeurs à cette situation de salariés de plus en plus nombreux, valorisation des acquis de l’expérience des proches aidants, attention au retour en emploi sont autant de pistes à développer. Le rapport met en exergue la nécessaire convergence des dispositifs (droits à congés spécifiques, prestations compensatoires, services d’aides pour aidant, majoration des durées d’assurance retraite). Le rapport préconise une actualisation et une harmonisation légistique des différents textes qui régissent ces droits : plus que jamais il est nécessaire d’instituer un cadre unifié du statut de proche aidant ciblé sur les besoins de l’aidant autant que sur le seul statut de l’aidé.

Source : synthèse du tome 2 du rapport de Mme Dominique Gillot sur la conciliation entre le rôle d’aidant et la vie professionnelle, Préserver nos aidants : une responsabilité nationale, juin 2018.

Le Gouvernement a récemment présenté une grande stratégie de mobilisation et de soutien des aidants visant à reconnaître le rôle des proches aidants mais aussi à améliorer leur qualité de vie.

Stratégie de mobilisation et de soutien des aidants

Priorité 1 : rompre l’isolement des proches aidants et les soutenir au quotidien

– mise en place d’un numéro téléphonique national de soutien des proches aidants dès 2020 ;

– création d’un réseau de lieux d’accueil labellisés « Je réponds aux aidants » dès 2020 ;

– création d’une plate-forme numérique « Je réponds aux aidants » d’ici à 2022 ;

– diversification et déploiement des offres d’accompagnement par des professionnels et des pairs dans tous les territoires.

Priorité 2 : ouvrir de nouveaux droits sociaux aux proches aidants et faciliter leurs démarches administratives

– le congé de proche aidant indemnisé pour les salariés, les travailleurs indépendants, les fonctionnaires et les chômeurs indemnisés, mis en place dès octobre 2020 ;

– dès janvier 2020, un congé de proche aidant pourra être pris dès l’arrivée en entreprise, sans attendre 1 an comme auparavant ;

– dès novembre 2019, des périodes de congé proche aidant ne compteront plus dans le calcul des droits au chômage pour éviter une baisse des allocations ;

– dès octobre 2020, le congé de proche aidant indemnisé au titre des droits à la retraite sera pris en compte automatiquement, sans formalités à accomplir.

Priorité 3 : permettre aux aidants de concilier vie personnelle et vie professionnelle

– l’assouplissement du congé de présence parentale et de l’allocation journalière de présence parentale pourront être pris de façon fractionnée, par demi-journées, dès janvier 2020 ;

– le retour à l’emploi des aidants qui ont dû arrêter de travailler pendant longtemps pour accompagner un proche sera facilité ;

– le soutien aux proches aidants sera inscrit en 2020 parmi les thèmes de la négociation obligatoire dans les entreprises et parmi les critères de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

Priorité 4 : accroître et diversifier les solutions de répit

– lancement d’un plan national de renforcement et de diversification des solutions de répit, adossé à un financement supplémentaire de 100 M € sur la période 2020-2022.

Priorité 5 : agir pour la santé des proches aidants, 31 % des aidants délaissant leur propre santé.

– Mieux comprendre les risques qui pèsent sur la santé des proches aidants, à travers une enquête de Santé publique France en 2020 ;

– instauration d’un « réflexe proches aidants » chez les professionnels de santé ou d’accompagnement à compter de 2020 ;

– identification du rôle de proche aidant dans le dossier médical partagé (DMP) en 2020.

Priorité 6 : épauler les jeunes aidants.

– sensibilisation des personnels de l’Éducation nationale ;

– aménagement des rythmes d’études pour les étudiants aidants dès fin 2019.

Source : https://www.gouvernement.fr/aidants-une-nouvelle-strategie-de-soutien

La rapporteure se réjouit de la mise en place de cette stratégie ambitieuse et tient à souligner l’importance de la sixième priorité sur les jeunes aidants. En effet, comme elle a eu l’occasion de le rappeler à plusieurs reprises, les enfants aidants sont peu reconnus et peuvent souffrir d’un manque de suivi médico-social et d’une forme d’isolement. On compterait ainsi 500 000 enfants qui prendraient en charge l’accompagnement et l’aide quotidienne à un membre de leur famille malade, en situation de handicap ou devenu dépendant. Elle alerte sur les risques particuliers que courent ces enfants, notamment en termes de carences, de décrochage scolaire, de déscolarisation ou encore de désinsertion sociale.

A l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, elle avait d’ailleurs présenté un amendement visant à l’expérimentation d’un plan de sensibilisation aux jeunes aidants, à destination des professionnels du milieu scolaire. Avec pour but principal d’informer les équipes éducatives, médico-sociales et pédagogiques pour leur permettre de connaitre les jeunes aidants et leurs spécificités, ce plan permettrait également de les aider à repérer les jeunes aidants, et à les orienter vers des solutions d’accompagnement. En cohérence avec cette proposition, elle salue la prise en compte de la sensibilisation des personnels de l’Éducation nationale et tient à rappeler l’importance cruciale de cet enjeu.

L’exemple des aidants et la récente crise sanitaire qui a mis en exergue l’importance des solidarités familiales et intergénérationnelles montrent à quel point la question de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est fondamentale en ce qu’elle constitue en réalité une condition à l’épanouissement de chacune et de chacun. La rapporteure estime que des efforts doivent être faits dans ce domaine afin de faciliter la vie des proches aidants, de leur permettre de porter assistance aux membres de leur famille sans risque trop élevé pour leur propre quotidien.

Proposition n° 21 : développer le congé de proche aidant en allongeant sa durée et en augmentant le montant de son indemnisation

Proposition n° 22 : améliorer le dispositif de baluchonnage et développer les maisons de répit sur l’ensemble du territoire

III.   La politique d’accueil du jeune enfant, un levier pour l’égalité professionnelle et l’épanouissement de tous dans leur vie famiLIale

Permettre la construction et la gestion d’une famille sans avoir à renoncer à sa vie professionnelle, ou à une partie de celle-ci, aussi bien pour les mères que pour les pères, est un objectif de la politique familiale française qui prévoit pour cela des aides monétaires, d’une part, et le financement d’infrastructures d’accueil, d’autre part.

Aujourd’hui, plus de la moitié des enfants de moins de trois ans sont accueillis à titre secondaire ou principal dans des modes d’accueil formels, individuels ou collectifs. Si nombreux efforts ont été faits dans ce domaine, notamment pour augmenter le nombre de places en crèches, les marges de progrès de la politique d’accueil du jeune enfant sont encore importantes pour garantir à toutes les familles de trouver un mode de garde adapté à leurs contraintes propres.

Une politique encore insuffisamment performante

Selon les dernières données de l’Observatoire national de la petite enfance ([123]), 758 000 bébés sont nés en France en 2018. L’âge moyen de la maternité est de 30,6 ans. Cela représente une baisse de la fécondité, qui se traduit depuis plusieurs années par une baisse du nombre de jeunes enfants. « Au 1er janvier 2019, la France (y compris Mayotte) compte 4,5 millions d’enfants âgés de moins de 6 ans et 2,2 millions d’enfants de moins de 3 ans. La baisse du nombre d’enfants de moins de 6 ans amorcée en 2012 se poursuit. De même, le nombre d’enfants de moins de 3 ans diminue depuis 2011. Entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2019, le nombre d’enfants âgés de moins de 6 ans a baissé de 84 000 (soit -1,8 %) et celui des moins de 3 ans de 40 000 (soit -1,8 %) » ([124]). La grande majorité des enfants vivent avec leurs deux parents.

ENFANTS ET TYPES DE FAMILLE (en %)

 

Répartition des enfants de moins de 3 ans

Répartition des enfants de moins de 6 ans

Famille « traditionnelle »

81,8

79,0

Famille monoparentale

10,1

12,4

Famille recomposée

8,1

8,6

     Ensemble

100,0

100

Vit avec deux parents

89,8

86,2

Vit avec un seul parent

10,2

13,8

     Ensemble

100,0

100,0

Source : Observatoire national de la petite enfance, L’accueil du jeune enfant, rapport annuel, édition 2019. – chiffres issus de l’enquête Famille et logements 2011 de l’Insee.

Comment sont gardés ces jeunes enfants ? Plusieurs dispositifs se complètent : l’accueil individuel, l’accueil collectif et la préscolarisation principalement.

Les modes de garde du jeune enfant

Capacités théoriques d’accueil

Concernant l’accueil individuel, en 2017, la DREES recensait 406 900 assistantes et assistants maternels agréés en France, ce qui correspond environ à 951 700 places de garde disponible, dont une majeure partie est en fait réservée aux enfants âgés de moins de trois ans. Rapporté au nombre d’enfants de moins de 3 ans cela correspond à environ 33,4 places de garde potentielles pour 100 enfants de moins de 3 ans en 2017. En sus des assistants maternels, on estime qu’environ 46 000 places de garde au domicile familial par une personne salariée ayant passé un contrat directement avec les parents, ou via un prestataire, ont été offertes aux enfants de moins de 3 ans en 2017.

Concernant l’accueil collectif, « en 2017, les 12 342 établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE) bénéficiant d’une prestation de service unique (PSU) offrent une capacité d’accueil d’un peu plus de 408 700 places destinées aux enfants âgés de moins de 6 ans. L’offre proposée par les établissements non financés par la Psu, comme certaines crèches de personnel exclusivement, des micro-crèches et des crèches familiales fonctionnant avec le complément de mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) est plus faible puisqu’elle représente 40 100 places environ » ([125]).

Par ailleurs, la préscolarisation permet l’accueil de 93 600 enfants de deux ans à la rentrée 2015, soit 11,5 % des enfants de cet âge et 3,9 % des enfants de moins de trois ans. Enfin, l’enseignement préélémentaire, qui s’adresse aux enfants à partir de 3 ans, accueillait, à la rentrée 2018, 2 492 500 enfants au sein de 34 000 écoles. À 3 ans et demi, 86 % des enfants fréquentent l’école

CAPACITÉ THÉORIQUE D’ACCUEIL PAR LES MODES D’ACCUEIL « FORMELS » POUR 100 ENFANTS DE MOINS DE 3 ANS EN 2017

 

Capacité théorique d’accueil

Capacité pour 100 enfants de moins de 3 ans (en %)

Assistant(e) maternel(le) employé(e) directement par des particuliers

770 800

33,4

Salarié(e) à domicile

46 100

2,0

Accueil en EAJE (collectif, familial et parental, micro-crèche)

448 800

19,5

École maternelle

92 600

4,0

Capacité théorique d’accueil par l’ensemble des modes d’accueil « formels »

1 358 300

58,9

Source : Observatoire national de la petite enfance, L’accueil du jeune enfant, rapport annuel, édition 2019. – chiffres issus de l’enquête Famille et logements 2011 de l’Insee.

Recours aux modes de garde par les familles

Cet effectif d’accueil reste théorique et il apparaît en réalité que « les enfants de moins de 3 ans sont le plus souvent gardés par leurs parents, essentiellement par la mère, à titre principal. En dehors de ce mode de garde, c’est l’accueil chez l’assistant(e) maternel(le) qui est le plus fréquent. Le recours aux différentes solutions d’accueil varie selon le niveau de vie des parents et le territoire » ([126]).

Ainsi, en semaine, 61 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par leurs parents, 19 % par un ou une assistante maternelle agréée, 13 % en EAJE, 3 % à l’école, 3 % par les grands-parents ou d’autres membres de la famille, 1 % par une garde à domicile et 1 % par d’autres modes de garde ([127]). L’accueil par les assistants maternels demeure ainsi le mode de garde, hors milieu familial, le plus développé. En 2018, 787 900 familles ont perçu un complément de libre choix de mode de garde (CMG), pour le recours à un assistant maternel soit une baisse de 2 % par rapport à 2017.

La diversité des modes de garde est une richesse et il convient de rappeler que les enfants sont parfois accueillis dans plusieurs structures. « Au cours de la semaine de référence, 32 % des enfants ne sont gardés que par leurs parents sans aucun autre mode d’accueil, 48 % sont confiés à un intervenant en plus de leurs parents et 19 % sont pris en charge par au moins deux autres intervenants que leurs parents. Pour près de la moitié des enfants de moins de 3 ans, les solutions d’accueil adoptées associent les parents à un(e) assistant(e) maternel(le) ou à un EAJE. Ainsi, respectivement 18 % et 12 % des enfants de moins de 3 ans sont d’abord gardés par un(e) assistant(e) maternel(le) agréée ou un Eaje, et à titre secondaire par leurs parents. L’accueil par un(e) assistant(e) maternel(le) ou un Eaje à titre secondaire, en relais des parents, est également fréquent et concerne respectivement 9 % et 8 % des enfants de moins de 3 ans » ([128]).

Le recours aux différents types de mode de garde est influencé par la zone géographique de résidence, ainsi que par l’activité des parents et par le niveau de revenus des parents. Ainsi, par exemple, dans les familles les moins aisées 6 enfants sur 10 sont gardés exclusivement par leurs parents et 5 % seulement sont accueillis au moins une fois par semaine par un assistant maternel, tandis que, dans les familles les plus aisées, seulement 1 enfant sur 10 est gardé exclusivement par ses parents et plus de 46 % sont accueillis au moins une fois par semaine par un assistant maternel.

La convention d’objectifs et de gestion (COG) pour 2018-2022

Les principaux axes de travail de la COG

La convention d’objectifs et de gestion (COG) conclue entre la CNAF et l’État pour la période 2018-2022 engage la branche « famille » de la Sécurité sociale sur des objectifs quantifiés et soumis à une évaluation en termes de qualité de service et de productivité. Les contrats pluriannuels d’objectifs et de gestion (CPOG), signés entre la CNAF et chacune des CAF, déclinent les objectifs nationaux selon les réalités et les besoins locaux.

La COG 2018-2022 fixe trois axes de travail principaux :

‒ agir pour le développement des services aux allocataires à travers notamment le financement de 30 000 places supplémentaires en établissements d’accueil du jeune enfant et de 1 000 relais assistants maternels supplémentaires, ainsi que de  500 000 places supplémentaires en accueils de loisirs dans le cadre du « plan mercredi » et de 500 lieux d’accueil enfants-parents ;

‒ garantir la qualité et l’accès aux droits en modernisant le modèle de production du service ainsi que la relation de service ;

‒ mobiliser les personnels et moderniser le système d’information à travers une transformation numérique profonde, un renforcement des coopérations, une meilleure évaluation des politiques publiques.

La création de places en crèche

En 2017, 15 914 places en crèches ont fait l’objet d’une décision de financement pour 223,3 millions d’euros. En 2018, 6 259 places ont fait l’objet d’une décision de financement pour 74,5 millions d’euros ; ces projets représentent 4 449 places fonctionnant en PSU et 1 810 fonctionnant avec la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). En 2019, ce sont 7 577 places qui ont fait l’objet d’une décision de financement.

Le financement des EAJE représentait en 2018 3,4 des 5,7 milliards de budget du Fonds national d’action sociale (FNAS). Ce sont 1 964 places d’accueil en EAJE qui ont été créées (plus exactement 4 206 ont été créées, mais 2 242 ont dans le même temps été supprimées). Cela signifie que seules 50,3 % des places nouvelles en EAJE fonctionnant en PSU qui avaient fait l’objet d’une décision de financement en 2017 ont ouvert avant la fin de l’année 2018, alors que cette proportion était de l’ordre de 60 % les années précédentes ([129]).

Les plans crèches

Afin d’accompagner la création de places d’accueil du jeune enfant, la circulaire C2018‑003 définissant les modalités du 9ème plan crèche, dénommé « Plan d’investissement pour l’accueil des jeunes enfants » (Piaje) a été diffusée aux CAF début décembre 2018. Il doit contribuer à la création de 30 000 places PSU nettes sur l’ensemble du territoire durant la période conventionnelle.

Doté de 609,5 millions d’euros sur la durée de la COG, le Piaje s’inscrit dans la continuité du 8ème plan crèche (Ppicc) qu’il remplace. Il porte plusieurs inflexions visant à mieux cibler les aides à l’investissement. Celles-ci seront majorées dès que le taux de couverture en mode d’accueil est inférieur à la moyenne nationale afin d’accentuer l’effort de rééquilibrage territorial. Les projets s’inscrivant dans une démarche environnementale bénéficieront également d’une meilleure solvabilisation.

Au côté des objectifs de développement de l’offre, la branche Famille déploie une stratégie de maintien de l’offre existante. Pour rénover le parc existant, les Caf peuvent mobiliser le fonds de modernisation des EAJE. La circulaire définissant les modalités de ce fonds a été diffusée en décembre 2018.

Source : Branche famille, COG 2018-2022 – synthèse du bilan d’étape 2018.

Par ailleurs, en 2018, ce sont environ 7 500 nouvelles places en micro-crèches fonctionnant en PAJE et accueillant moins de 10 enfants qui ont été créées, contre 6 400 en 2017, passant ainsi en 2018 à un total de 48 900 places offertes.

Les crèches familiales sont quant à elles passées entre 2017 et 2018 de 38 700 à 36 400, soit une réduction de 2 300 places, et les crèches parentales de 4 500 à 4 400, soit une réduction de 100 places offertes. Ont également été développées les places en crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP).

Les crèches AVIP

La difficulté d’accès aux solutions d’accueil des jeunes enfants, en particulier pour les cheffes de famille monoparentale, constitue un frein majeur de retour à l’emploi : selon un rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (Cerc), seuls 3 % des enfants issus des familles bénéficiaires d’un minimum social sont gardés en crèche.

En effet, malgré le quota de 10 % de places réservées aux bénéficiaires des minimas sociaux instauré en 2013 et conforté par le Plan pauvreté 2015-2017, les demandeurs d’emploi peinent à obtenir une place en crèche, rendant difficile l’accès à un entretien d’embauche, à une formation professionnelle ou à une période d’essai.

C’est pour répondre à ces difficultés que le développement de crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) a été initié, originellement par l’Institut d’Éducation et des Pratiques Citoyennes (IEPC).

Les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) ont ainsi une double mission :

– réserver une place en crèche de jeunes enfants (0-3 ans) de parents sans emploi ;

– les accompagner vers l’emploi ou la formation professionnelle.

Le public visé est celui des jeunes parents éloignés de l’emploi, très souvent des cheffes de famille monoparentale, dont l’enfant est âgé entre 0 et 3 ans.

Les ministères chargés des affaires sociales et de l’emploi, ainsi que la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et Pôle emploi ont décidé de s’unir pour promouvoir la diffusion de cette démarche exemplaire, et ainsi toujours mieux accompagner les parents qui ont besoin de temps pour conduire leurs démarches de recherche d’emploi.

Cette priorité a été réaffirmée le 13 septembre 2018, lorsque le Président de la République, à l’occasion de la présentation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, a lancé la mobilisation en vue du déploiement de 300 crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP) d’ici 2020, afin de favoriser l’égalité des chances dès les premiers pas et de rompre la reproduction de la pauvreté.

Source : https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/familles-enfance/accueil-du-jeune-enfant/article/les-creches-a-vocation-d-insertion-professionnelle-avip.

Des résultats insuffisants de la politique d’accueil du jeune enfant

Déjà au cours de la période précédente, en lien avec la COG 2013-2017, les objectifs fixés en matière de développement de l’offre d’accueil des jeunes enfants, qui prévoyaient la création de 275 000 nouvelles solutions, dont 100 000 relevant de l’accueil collectif, n’ont pas été atteints. En effet, entre 2013 et 2017, 62 500 solutions nettes d’accueil collectif supplémentaires ont été créées, soit un taux de réalisation de l’objectif de 62 % de l’objectif fixé par la précédente COG ([130]). Au fil de ses auditions, la rapporteure a pu constater que le même risque de non‑réalisation pesait sur les objectifs de la COG actuelle.

Des inquiétudes quant à la création de nouvelles places en crèche

L’UNAF souligne que les trois modes d’accueil principaux des enfants de moins de 3 ans (EAJE, assistants maternels et congés parentaux) accusent un fort retard dans l’atteinte des objectifs chiffrés du nombre de places offertes.

Ces inquiétudes sont largement partagées par les autres associations et partenaires sociaux. Ainsi, l’Union des employeurs de l'économie sociale et solidaire (UDES) estime que le « bilan à mi-parcours de la COG État/CNAF 2018-2020 est assez mitigé, entre des objectifs qui vont dans le bon sens mais une application qui reste très partielle dans les faits, notamment du fait de l’absence de circulaire d’application pour de nombreux dispositifs et de lenteurs administratives » ([131]). FO affirme également que l’objectif de création de 30 000 places PSU ne pourra pas être tenu, en raison notamment d’un manque de partenariats locaux. La CFTC estime quant à elle qu’à mi-parcours de la COG, le bilan est mitigé, « notamment en termes de création de places d’accueil en crèche dont l’objectif a pu sembler modeste : 30 000 places d’ici 2022. Le résultat quantitatif de 2018 en nombre de places est modeste comme chaque première année de COG mais les résultats 2019 s’annoncent meilleurs, tant en créations de places nettes qu’en décisions de créations » ([132]).

Allant même plus loin et estimant que l’accueil collectif est un souhait prioritaire des parents, l’Union des familles laïques appelle à un « un investissement massif dans le domaine des Établissements d’accueil du jeune enfant, notamment dans les zones sous tensions » et à la création de « 300 000 places d’EAJE pour satisfaire les besoins réels des familles, bien loin des 30 000 places envisagées d’ici 2022 par le Gouvernement » ([133]).

Sans présumer de la conclusion de la COG, il semble effectivement qu’à mi‑parcours l’objectif de création des 30 000 nouvelles places de crèche ne puisse que difficilement être atteint.

Une vision dévalorisée des métiers de l’accueil individuel

Les auditions ont également fait apparaître des inquiétudes quant à la situation des assistantes et assistants maternels. FO dénonce ainsi un « accueil individuel [qui] souffre d’une dévalorisation et d’un manque de professionnalisation du métier et la profession suscite peu d’intérêt. Les formations doivent être revalorisées et développées pour permettre une augmentation de l’accueil individuel. Le développement des RAM est une source de professionnalisation mais les moyens développés, là encore, restent insuffisants » ([134]).

Dans la même logique, la CFTC appelle à une meilleure reconnaissance de la valeur et de la place du métier d’assistant maternel. « Les assistantes maternelles ont le sentiment d’être un peu les mal-aimées des politiques d’accueil du jeune enfant. Elles ont très mal vécu à la fin de l’année dernière les dispositions de la Loi de financement de sécurité sociale leur demandant d’inscrire leurs disponibilités sur le site de la Cnaf Monenfant.fr. Leurs critiques étaient vives. Il va falloir les rassurer et les convaincre. Leur expliquer que la professionnalisation et la reconnaissance de leur métier passe aussi par l’identification, la connaissance, la disponibilité, la description de l’offre de toutes les assistantes maternelles » ([135]).

Par ailleurs, la rapporteure insiste sur la nécessité d’améliorer les conditions de travail des assistantes et assistants maternels, en garantissant leur sécurité et leur accès au droit, comme l’accès à la médecine du travail par exemple.

La persistance d’inégalités sociales et territoriales

Reconnaissant que la capacité théorique d’accueil pour 100 enfants de moins de 3 ans a récemment augmenté, passant de 57,7 places en 2016 à 58,9 places en 2017, la CFTC juge toutefois que celle-ci demeure « insuffisante et très inégale ». « De fortes disparités territoriales sont à noter, avec une capacité d’accueil qui varie de 10 places pour 100 enfants en Guyane à 93 places en Haute-Loire. En Île-de-France, Paris et les Hauts-de-Seine bénéficient des capacités d’accueil les plus élevées, avec près de 74 places, mais seulement 32 places en Seine-Saint-Denis. Par ailleurs, en matière d’accès à la crèche, comme dans beaucoup d’autres domaines, des inégalités sociales au sein de la population persistent et se creusent. Seulement 5 % des enfants issus de milieux défavorisés sont accueillis en crèche, contre 22 % pour ceux issus de milieux favorisés » ([136]).

CAPACITÉ THÉORIQUE D’ACCUEIL DES ENFANTS DE MOINS DE 3 ANS PAR LES MODES DE GARDE « FORMELS » POUR 100 ENFANTS DE MOINS DE 3 ANS (EN %), SELON LE DÉPARTEMENT AU 31 DéCEMBRE 2017