N° 4990

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 février 2022.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la révision des règles budgétaires européennes

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Caroline JANVIER,

Députée

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(1)   La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Mireille CLAPOT, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZAUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. PierreHenri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZBASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Marion LENNE, Nicole Le PEIH, MM. Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, JeanPierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Raphael SCHELLENBERGER, Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Un corpus complexe issu de modifications successives

A. Des règles élaborées dans la perspective de l’Union monétaire…

B. … et complexifiées au fil des réformes successives

1. La réforme de 2005 : mieux prendre en compte la situation économique et budgétaire propre à chaque État membre

2. Six pack (2011) et two pack (2013) : renforcer la surveillance budgétaire

3. TSCG : une règle d’or renforcée et inscrite dans le droit national

4. Des flexibilités confortées en 2015

II. Des Critiques récurrentes et amplifiées par la crise

A. Des insatisfactions exprimées par de nombreux économistes et institutions

1. Un système d’une excessive complexité

2. Des variables clés non mesurables

3. Des règles pro-cycliques

4. Une trop grande indifférence à la qualité des finances publiques

5. Un défaut d’appropriation conduisant à un respect limité des règles

6. Une incapacité à prévenir l’hétérogénéité des trajectoires de finances publiques des États membres

7. Des critères numériques indifférents à l’évolution du contexte macroéconomique

B. Un réexamen des règles initié en 2020, mis en sommeil, puis relancé par la crise

1. Le déclenchement de la clause dérogatoire générale

2. Des divergences entre États accentuées sur fond de dégradation générale des finances publiques

3. Quelles règles à la fin de la clause dérogatoire générale ?

III. Une réforme difficile mais nécessaire

A. Une réflexion enserrée dans des contraintes juridiques et politiques

B. Un débat encore très général au niveau politique

1. Les orientations du Parlement européen

2. Des États membres aux positions différentes, mais moins antagonistes que par le passé

3. Prudente, la Commission n’a pas encore fait de proposition concrète

C. Un débat public animé par de nombreuses propositions d’économistes

1. Un relatif consensus académique sur la simplification de l’architecture

2. Les propositions les plus radicales : la suppression des règles numériques

a. Remplacer les règles par des standards (Olivier Blanchard)

b. Des politiques budgétaires coordonnées mais autonomes (Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak)

3. Adapter le plafond de la dette au nouveau contexte macroéconomique

4. La soutenabilité de la dette comme clé de voute d’un pacte rénové (Conseil d’analyse économique)

5. Une règle d’or pour les investissements verts (Bruegel)

6. Des trajectoires d’ajustement différenciées (Comité budgétaire européen)

7. Une proposition franco-italienne pour allier croissance durable et finances publiques soutenables

D. Poser les enjeux d’une réforme avant de discuter de ses modalités

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

Au cœur du dispositif juridique élaboré pour favoriser la convergence nécessaire à la création de l’union économique et monétaire, les règles budgétaires européennes, symbolisées par les fameux « critères de Maastricht », n’ont cessé de susciter la controverse entre les États membres et la contestation d’une partie des populations de l’Union européenne.

Au fil des années, ces règles sont devenues de plus en plus complexes, les réformes et communications interprétatives successives tentant, avec un succès mitigé, de les adapter à une situation économique changeante et de concilier les intérêts de pays aux traditions politiques différentes et aux économies divergentes.

Malgré ce processus d’adaptation, le décalage entre le cadre budgétaire européen hérité du traité de Maastricht et du pacte de stabilité et de croissance et le contexte macroéconomique n’a cessé de grandir. Les critiques, d’abord cantonnées aux États incapables de respecter les règles et à certaines forces politiques, sont désormais émises par de nombreux économistes et organisations internationales telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Fonds monétaire international (FMI).

Consciente des défauts des règles actuelles, la Commission européenne a initié en février 2020 un réexamen du cadre de gouvernance économique et budgétaire. Ce réexamen a été interrompu par la pandémie de covid-19, qui a nécessité le déclenchement de la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité. Il a été relancé à l’automne, en vue d’un rétablissement des règles pour 2023. Le débat européen n’en est encore qu’au stade des consultations et des discussions préalables ; aucune proposition de modification législative n’a été formulée. À partir des nombreux travaux d’économistes sur le sujet, le présent rapport a pour objet d’alimenter la réflexion en présentant un bilan de l’application des règles budgétaires actuelles et en dressant un panorama des pistes d’évolution envisagées par les experts.

 


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I.   Un corpus complexe issu de modifications successives

La règle budgétaire issue du traité de Maastricht et reformulée dans le pacte de stabilité et de croissance (PSC) a déjà fait l’objet de trois réformes d’ampleur, en 2005, 2011 et 2013, avec deux objectifs partiellement contradictoires et qui ont abouti à une grande complexité : mieux prendre en compte la conjoncture économique et la situation particulière des États membres, et rendre l’application des règles plus effective. Vingt-cinq États membres ([1]) ont en outre signé en 2012 le traité sur stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG).

A.   Des règles élaborées dans la perspective de l’Union monétaire…

Le traité de Maastricht a instauré des « critères de convergence » pour mesurer le respect par les États membres de leurs obligations en vue de la réalisation de l’union économique et monétaire (UEM). Il s’agissait de poser les fondements budgétaires de l’unification monétaire. À partir du constat fait par le Comité Delors, selon lequel « les contraintes imposées par les forces du marché pourraient être trop lentes et trop faibles ou au contraire trop soudaines et trop perturbatrices » ([2]), des contraintes et une surveillance en matière de politique budgétaire ont été instaurées au niveau européen pour minimiser les risques de conséquences indésirables pour les autres pays de la zone, ou la zone dans son ensemble, de finances publiques précaires dans certains États membres.

C’est la justification essentielle du cadre budgétaire, qui vise à éviter les trois types d’externalités négatives qu’une politique budgétaire nationale laxiste pourrait entraîner :

– l’augmentation des taux d’intérêt du pays concerné pourrait, par effet de contagion, entraîner celle des taux des autres pays de la zone ;

– les dérapages budgétaires peuvent porter atteinte à la crédibilité pour les investisseurs de la règle de non-renflouement selon laquelle ni l’Union ni les autres États membres ne répondent des engagements d’un État membre (article 125 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne [TFUE]) et de la règle selon laquelle il est interdit à la BCE d’acquérir directement des instruments de la dette des administrations publiques des États membres (article 123 du TFUE). Pour Philippe Martin, président du Conseil d’analyse économique (CAE), si la dette d’un grand pays comme l’Italie devenait insoutenable, le principe de non-renflouement ne serait pas tenable, c’est ce qui rend des règles budgétaires nécessaires dans la zone euro. L’essentiel n’est pas le déficit, mais la soutenabilité de la dette ;

– la conduite de la politique monétaire pourrait être gênée par les dérapages des politiques budgétaires. Lors de son audition, Olivier Garnier, directeur général de la Banque de France, a ainsi souligné que, du point de vue de la banque centrale, les règles budgétaires communes assuraient que la politique monétaire pouvait être menée en toute indépendance et selon le seul objectif de stabilité des prix, conformément au mandat de la banque centrale. Des règles budgétaires claires peuvent contribuer à renforcer la complémentarité entre politiques monétaire et budgétaire, par la définition des responsabilités de chacune et leur meilleure prévisibilité à travers, pour la politique monétaire, le mandat de la banque centrale, l’objectif d’inflation et la stratégie de politique monétaire et, pour la politique budgétaire, des règles avec un ancrage de la trajectoire à moyen et long termes et des mécanismes de correction.

Le principe sous-jacent aux règles du traité de Maastricht était que les gouvernements nationaux devaient conserver la souveraineté sur la composition de leurs dépenses et recettes, mais que les résultats globaux devaient être soumis à des plafonds pour les déficits budgétaires et à une norme à plus long terme pour la dette publique.

Cinq critères nominaux ont été fixés, avec pour objectif de veiller à la stabilité des prix, des taux d’intérêt de long terme, de la monnaie et des finances publiques. Pour ce qui concerne les finances publiques, l’article 104 C du traité disposait que les États membres devaient éviter les déficits publics excessifs et que la Commission examinait le respect de la discipline budgétaire sur la base de deux critères : le rapport entre le déficit public et le PIB, et le rapport entre la dette publique et le PIB. Le protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs a fixé ces taux à respectivement 3 % et 60 %. Ces règles ont été reprises dans les textes actuellement en vigueur à l’article 126 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et dans le protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs.

Ces ratios, volontiers considérés aujourd’hui comme arbitraires, se rapprochaient alors de la situation moyenne des États membres ; le ratio de 3 % de déficit correspondait en outre au niveau de déficit stabilisant la dette. Ces valeurs de référence avaient pour but de signaler aux gouvernements qu’il pouvait être dangereux de creuser davantage les déficits et la dette, afin qu’ils réagissent à temps. À défaut, les risques de finances publiques insoutenables seraient susceptibles d’augmenter, ce qui déclencherait des sorties de capitaux et limiterait l’accès au financement extérieur.

Étant donné que deux États membres affichaient en 1991 des ratios d’endettement plus de deux fois supérieurs à la norme, une mise en œuvre souple était nécessaire : un « rythme satisfaisant » de rapprochement de la norme d’endettement a alors été considéré comme suffisant pour satisfaire au critère de la dette. L’accent était mis sur une perspective à long terme de viabilité des finances publiques et sur la correction des « erreurs grossières » dans le processus d’ajustement, plutôt que sur des prescriptions détaillées et intrusives concernant les résultats annuels.

La prudence budgétaire a alors été considérée par les États membres aux finances publiques précaires comme une contrepartie acceptable à l’unification monétaire. Cette dernière devait leur permettre de bénéficier d’une inflation plus faible et plus stable, avec des taux d’intérêt plus modérés et plus favorables à la croissance. La convergence des coûts du service de la dette nationale vers ceux des économies les plus fortes a eu des effets expansionnistes qui ont rendu l’assainissement budgétaire compatible avec le maintien de l’expansion économique.

Le pacte de stabilité et de croissance a ensuite été institué pour renforcer le suivi et la coordination des politiques budgétaires et économiques nationales au-delà du passage à l’euro, avec un degré de contrôle supérieur pour les membres de la zone euro. Avec la disparition, pour les États adoptant l’euro, de l’instrument du change et de la politique monétaire nationale, il apparaissait en effet nécessaire d’instaurer des contraintes pour éviter une trop forte dispersion des politiques budgétaires face à la politique monétaire unique.

Le pacte se compose d’une résolution du Conseil européen d’Amsterdam du 17 juin 1997 et de deux règlements qui en précisent les modalités techniques, l’un avec un objectif préventif ([3]), l’autre avec un objectif dissuasif ou correctif ([4]).

Le volet préventif, ou de surveillance multilatérale, repose sur l’instauration et le suivi des programmes de stabilité des États membres, qui doivent contenir un objectif à moyen terme (OMT) d’une position proche de l’équilibre ou excédentaire, ainsi que la trajectoire d’ajustement qui doit conduire à la réalisation de l’objectif et l’évolution prévisible du ratio d’endettement. Toutefois, aucun calendrier précis n’est imposé aux États membres et aucun mécanisme de sanction n’est prévu si la trajectoire s’éloigne de l’OMT.

Le volet dissuasif précise la procédure concernant les déficits excessifs prévue par le traité et le protocole annexé, d’une part s’agissant de la notion de « dépassement exceptionnel et temporaire » des 3 % de déficit public, permis par l’article 126 du TFUE, qui laisse une marge d’appréciation à la Commission et au Conseil pour le déclenchement de la procédure pour déficit public excessif et, d’autre part, s’agissant du calendrier de la procédure et de la définition des sanctions. Un dépassement des 3 % de déficit est exceptionnel et temporaire s’il résulte d’une « circonstance inhabituelle, indépendante de la volonté de l’État membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou s’il est consécutif à une grave récession économique », la récession étant considérée comme grave si le PIB chutait d’au moins 2 % ou si d’autres éléments venaient montrer que la récession était soudaine.

B.   … et complexifiées au fil des réformes successives

L’ambition initiale de se concentrer sur des règles simples et applicables s’est estompée avec le temps. Les évolutions successives du pacte de stabilité peuvent être vues comme résultant d’un trilemme entre l’applicabilité (une règle doit emporter des conséquences pour ceux qui ne la respectent pas), la flexibilité (les règles ne doivent pas prescrire des politiques contre-productives, comme de l’austérité en période de récession) et la simplicité (les règles doivent fournir des orientations claires sur l’évolution future du déficit et de la dette). Force est de constater que les réformes se sont focalisées sur l’arbitrage entre applicabilité et flexibilité – les priorités défendues schématiquement par les pays du nord et ceux du sud – laissant la simplicité de côté. Pour tenir davantage compte des circonstances propres à chaque pays, la mise en œuvre des règles a par ailleurs donné lieu à de plus en plus d’échanges bilatéraux entre les États membres et la Commission, au détriment de la transparence.

Les règles sont ainsi devenues régulièrement plus complexes et opaques sans pour autant assurer une meilleure conformité. Ainsi, au cours de la dernière année pré-pandémique (2019), plus de la moitié des États membres de la zone euro ont été identifiés comme risquant de s’écarter sensiblement des ajustements recommandés. Le Comité budgétaire européen relève que, si les écarts peuvent être modestes au cours d’une année particulière, l’effet cumulé sur la dette publique de la non-conformité pour certains grands États membres a été du même ordre de grandeur que la somme des deux bonds des ratios d’endettement associés aux crises de la dette financière et de la pandémie de covid‑19.

1.   La réforme de 2005 : mieux prendre en compte la situation économique et budgétaire propre à chaque État membre

Les règles du pacte de stabilité ont connu une crise majeure en 2003, avec le lancement d’une procédure pour déficit excessif contre l’Allemagne et la France. Placé devant l’alternative entre appliquer strictement la règle – et donc sanctionner les deux plus grands États membres – ou la remettre en cause, le Conseil a choisi la deuxième solution en rejetant, le 25 novembre 2003, la recommandation de la Commission de mettre en demeure les deux États de réduire leur déficit public et en adoptant, au mépris des textes ([5]), des conclusions tendant à suspendre les procédures de déficit excessif à l’encontre des deux États. Cette crise a mis en lumière le caractère trop procyclique des règles du pacte, l’insuffisante prise en compte de l’hétérogénéité des situations économiques et budgétaires des États membres, ainsi qu’un manque de flexibilité préjudiciable à la croissance de long terme des économies. Elle a abouti, le 27 juin 2005, à la première réforme du pacte de stabilité et de croissance, à travers deux nouveaux règlements amendant ceux de 1997 ([6]).

De façon générale, le pacte est modifié pour permettre de mieux prendre en considération la situation économique et budgétaire propre à chaque État membre et les risques spécifiques pesant sur la viabilité de ses finances publiques. Il met davantage l’accent sur l’effort budgétaire structurel, en vue de tenir compte de l’incidence du cycle économique sur les finances publiques.

Si les valeurs de référence de 3 % et de 60 % sont maintenues, l’objectif de moyen terme n’est plus l’équilibre des finances publiques en termes nominaux, mais un objectif, différencié pour chaque État, de solde public structurel (solde nominal corrigé des variations conjoncturelles et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires). L’objectif de moyen terme peut aller d’un déficit structurel de 1 % à l’équilibre budgétaire.

Un État n’ayant pas atteint son OMT doit procéder à un ajustement de 0,5 % du PIB de son solde structurel. L’effort devra être plus important en période de conjoncture favorable et pourra être plus limité en période de conjoncture défavorable.

La réforme vise par ailleurs à rendre les règles du pacte plus flexibles pour tenir compte des réformes structurelles. Le Conseil, lorsqu’il autorise les États membres à s’écarter temporairement de l’OMT, pour autant qu’une marge de sécurité soit préservée de manière qu’ils n’excèdent pas un déficit nominal de 3 %, doit ainsi tenir compte « de la mise en œuvre de réformes structurelles majeures qui entraînent des économies directes de coûts à long terme – y compris en renforçant la croissance potentielle – et qui ont une incidence vérifiable sur les finances publiques ».

Des souplesses sont par ailleurs introduites dans le volet correctif. La notion de dépassement « exceptionnel et temporaire » des 3 % de déficit est interprétée plus largement. Le dépassement peut être exceptionnel lorsqu’il résulte d’un taux de croissance négatif du PIB (contre une baisse de 2 % auparavant) ou d’une baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance annuelle très faible par rapport au potentiel de croissance. Par ailleurs, outre la position économique et budgétaire à moyen terme, la Commission devra accorder « toute l’attention voulue à tout autre facteur qui, de l’avis de l’État membre concerné, est pertinent » pour évaluer le respect des 3 % de déficit nominal. Enfin, les délais fixés pour corriger le déficit excessif sont allongés pour donner plus de temps à un pays de prendre des mesures suivies d’effets et de nature permanente, plutôt que d’adopter des mesures ponctuelles.

2.   Six pack (2011) et two pack (2013) : renforcer la surveillance budgétaire

La crise financière de 2008, devenue crise des dettes publiques, a fait émerger une prise de conscience collective de l’urgente nécessité de réformer en profondeur les règles de discipline budgétaire. Le six pack ([7]) (2011) et le two pack ([8]) (2013) ont substantiellement renforcé la gouvernance économique et budgétaire de l’Union européenne, avec certains éléments spécifiques pour les États membres de la zone euro.

● Plusieurs mesures viennent renforcer le volet préventif du pacte. L’innovation majeure consiste à introduire un critère de dépenses publiques. Pour les États membres qui n’ont pas atteint leur OMT, le taux de croissance des dépenses publiques doit être inférieur au taux de référence pour la croissance potentielle du PIB à moyen terme, sauf si ce dépassement est compensé par des mesures discrétionnaires en matière de recettes. En outre, ces États membres ne peuvent décider de mesures de réductions discrétionnaires de recettes qu’à condition de les compenser par des réductions de dépenses ou par des augmentations discrétionnaires d’autres recettes.

Afin de corriger au plus tôt les déséquilibres budgétaires potentiels, le six pack prévoit un mécanisme d’alerte précoce. En cas d’« écart important » par rapport à la trajectoire d’ajustement structurel (0,5 % du PIB sur une année ou 0,25 % sur deux années), la Commission peut adresser un avertissement et proposer au Conseil d’adopter des recommandations afin que l’État rectifie sa politique dans un délai de cinq mois (trois pour les cas graves). Faute de mesures prises dans le délai requis, la Commission recommande au Conseil d’adopter une décision constatant qu’il n’y a pas eu d’action suivie d’effets.

S’agissant des sanctions, le six pack apporte deux nouveautés majeures : elles peuvent intervenir dès le volet préventif et sont décidées à la majorité qualifiée inversée (la recommandation de sanction de la Commission est réputée adoptée, sauf si le Conseil la rejette à la majorité qualifiée). Ce durcissement vise à rendre l’application des règles plus automatique et, partant, plus crédible et plus dissuasive.

● Outre le durcissement du mécanisme d’application des sanctions, le renforcement du volet correctif passe par l’importance accrue accordée au critère de la dette, négligé au cours des années précédentes : tout État membre dont le taux d’endettement dépasse 60 % du PIB fera l’objet d’une procédure pour déficit excessif (même si son déficit est inférieur à 3 %) s’il ne réduit pas d’un vingtième par an, sur une moyenne de 3 ans, l’écart entre son taux d’endettement et la valeur de référence de 60 %.

● Pour tenir compte de l’importance spécifique que revêtent les effets de contagion dans la zone euro, le two pack a instauré des règles relatives au suivi et à l’évaluation des plans budgétaires des États membres de la zone euro, des dispositions renforcées spécifiques pour les États membres de la zone euro relevant du volet correctif du pacte et un cadre concernant les États membres de la zone euro qui connaissent ou risquent de connaître des difficultés du point de vue de leur stabilité financière. Ces dispositions renforcées ont été instaurées à un moment où la confiance des marchés et la confiance mutuelle des États membres étaient fragiles et visaient donc essentiellement à réduire les risques dans les différents États membres et à préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble.

● À la surveillance budgétaire des États membres s’ajoute désormais une surveillance des déséquilibres macroéconomiques, notamment des déficits ou excédents extérieurs courants.

Le règlement (UE) n° 1176/2011, qui s’applique à tous les pays de l’UE, présente la procédure permettant de détecter et de corriger les déséquilibres macroéconomiques. Cette procédure est ancrée dans le semestre européen pour la coordination des politiques économiques afin d’assurer la cohérence avec les analyses et les recommandations effectuées dans le cadre des autres instruments de surveillance économique. Le règlement (UE) no 1174/2011 définit un mécanisme d’exécution pour les pays de la zone euro, aboutissant à des sanctions financières pour les pays qui ne respectent pas les recommandations relatives à la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques (PDM) formulées au niveau de l’UE afin de remédier à leurs déséquilibres excessifs.

Chaque année, la Commission européenne rédige le rapport sur le mécanisme d’alerte, qui constitue le point de départ du cycle annuel de la PDM. À partir d’un tableau de bord d’indicateurs et d’autres analyses économiques et financières, elle identifie les pays de l’UE qui peuvent être affectés par un déséquilibre, défini comme toute tendance donnant essor à des développements macroéconomiques ayant un effet préjudiciable ou susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le bon fonctionnement de l’économie d’un État membre, de l’Union économique et monétaire ou de l’Union dans son ensemble.

Pour chacun des pays identifiés dans le rapport sur le mécanisme d’alerte, la Commission réalise un bilan approfondi examinant en particulier l’évolution des déséquilibres externes (notamment leurs comptes extérieurs et des changements dans leurs parts de marché d’exportation et dans le solde net des investissements) et des déséquilibres internes (notamment l’endettement public et privé, les prix de l’immobilier, les flux de crédit et le taux de chômage). Le bilan approfondi aboutit à trois conclusions possibles :

– le pays concerné ne présente pas de déséquilibre ;

– le pays concerné présente un déséquilibre. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, peut émettre une série de recommandations à l’État concerné pour qu’il mette en œuvre des mesures préventives ;

– le pays concerné présente un déséquilibre excessif. Le Conseil, sur recommandation de la Commission, peut émettre une série de recommandations à l’État concerné, mais également prendre des mesures correctives. La mesure corrective prend la forme d’une procédure distincte appelée procédure concernant les déséquilibres excessifs. Le Conseil adopte alors une série de recommandations politiques qui doivent être suivies et indique un délai dans lequel le pays de l’UE concerné doit soumettre un plan de mesures correctives. Si le plan soumis est considéré comme insuffisant, le Conseil adopte une recommandation appelant le pays à présenter un nouveau plan de mesures correctives dans un délai de deux mois.

Les pays de la zone euro peuvent être soumis à des sanctions financières lorsqu’ils soumettent à plusieurs reprises des plans de mesures correctives insuffisants ou en l’absence de mesures correctives. Si les mesures correctives sont insuffisantes, le Conseil peut imposer un dépôt portant intérêt. Si le pays ne parvient toujours pas à mettre en œuvre des mesures correctives, ce dépôt peut se transformer en amende (0,1 % du PIB).

Ces sanctions pénalisent l’absence répétée de mesures et non pas les déséquilibres en eux-mêmes. Elles sont considérées comme approuvées à moins qu’une majorité qualifiée de pays de la zone euro ne s’y opposent.

Si la procédure concernant les déséquilibres excessifs n’est pas respectée, cela peut entraîner la suspension des Fonds structurels et d’investissement européens.

La procédure pour déséquilibres excessifs n’a jamais été mise en œuvre et la PDM n’a pas fait la preuve de sa capacité à permettre la correction des déséquilibres constatés.

3.   TSCG : une règle d’or renforcée et inscrite dans le droit national

Signé en mars 2012 et entré en vigueur le 1er janvier 2013, le TSCG est un accord intergouvernemental, et non un texte communautaire. Sa partie budgétaire, communément appelée « pacte budgétaire » a déclenché des critiques inversement proportionnelles à sa longueur (six articles). D’un point de vue strictement juridique, sa valeur ajoutée est limitée : la plupart de ses dispositions figurent dans des textes européens déjà adoptés (six pack) ou en passe de l’être (two pack). Il avait d’abord la fonction symbolique de marquer un engagement solennel des États membres de mieux gérer leurs finances publiques pour rassurer les marchés au lendemain de la crise des dettes publiques. Il réaffirme le principe d’équilibre budgétaire, la limitation du déficit structurel à 0,5 % du PIB pour les États dont le ratio de dette dépasse 60 % et l’existence d’un déficit excessif en cas de non-respect du critère de la dette ou du rythme de réduction de l’écart aux 60 % d’un vingtième par an.

Les innovations par rapport aux règles figurant déjà dans le droit de l’Union européenne consistent principalement en la mise en place d’un mécanisme de correction automatique en cas d’écart important par rapport à la trajectoire, ainsi qu’en l’obligation d’intégrer dans les droits nationaux des dispositions contraignantes, de préférence constitutionnelles, afin d’assurer le respect des règles du pacte ([9]). Le champ d’application de la majorité qualifiée inversée est en outre étendu à l’ensemble de la procédure pour déficit excessif.

4.   Des flexibilités confortées en 2015

Conformément aux discussions tenues précédemment au sein du Conseil et du Parlement européen, la Commission, a présenté en janvier 2015 ([10]) de nouvelles orientations sur la meilleure façon de mettre à profit la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance, sans les modifier, pour renforcer le lien entre investissements, réformes structurelles et responsabilité budgétaire.

La communication de janvier 2015 a été adoptée à un moment où l’Europe commençait à sortir de la récession économique qui avait débuté en 2008, mais où la reprise était encore limitée et fragile, avec de grandes différences entre les pays. En particulier, le taux de chômage demeurait invariablement fort, l’investissement public et privé était faible et plusieurs États membres étaient confrontés à des niveaux d’endettement élevés, hérités de la crise. L’inflation restait modérée et bien inférieure à l’objectif fixé par la Banque centrale européenne (BCE). Les clarifications apportées par la communication de la Commission ne concernaient que le volet préventif du pacte, qui vise à garantir à tous les États membres une position budgétaire saine à moyen terme. La Commission a admis que les exigences en matière d’ajustement budgétaire dont elle recommande le respect aux États membres pouvaient varier en fonction i) des fluctuations de la conjoncture économique et ii) de la nécessité de promouvoir des réformes structurelles et des investissements publics.

Principaux éléments de la communication de janvier 2015

La communication du 13 janvier 2015 suit deux axes principaux. Elle donne des orientations pour l’application de la flexibilité dans le cadre du volet préventif du pacte de stabilité et de croissance, afin de i) prendre en considération les fluctuations cycliques de l’économie, et ii) laisser aux États membres une marge de manœuvre pour la mise en œuvre des réformes structurelles et des investissements.

Modulation conjoncturelle des ajustements budgétaires requis

L’ampleur de l’ajustement budgétaire annuel requis est déterminée par la « matrice d’exigences » qui présente une ventilation détaillée de l’ajustement annuel requis en fonction du cycle économique, du niveau d’endettement et des impératifs de viabilité de chaque État membre, ainsi que de l’évolution de la situation économique.

Le cycle économique est principalement illustré par l’écart de production, c’est-à-dire la différence entre la production effective et la production potentielle estimée. Plus l’écart de production positif (négatif) est grand, plus l’effort d’ajustement nécessaire est important (faible). Une position budgétaire globalement défavorable requiert un ajustement plus rapide, en particulier lorsque des risques pèsent sur la viabilité des finances publiques ou que le taux d’endettement est supérieur à la valeur de référence de 60 % du PIB prévue par le traité.

Flexibilité pour favoriser les réformes structurelles et les investissements

Le volet préventif du pacte autorise la flexibilité nécessaire dans le respect des règles sans compromettre la responsabilité budgétaire. S’agissant des réformes structurelles et des investissements, cette flexibilité prend la forme d’une tolérance budgétaire (techniquement, un écart temporaire par rapport à l’objectif à moyen terme ou à la trajectoire qui doit permettre de l’atteindre) correspondant à leur impact budgétaire à court terme.

Tant les réformes structurelles que les investissements doivent avoir des incidences budgétaires positives à long terme et accroître la croissance potentielle. Les réformes doivent être de grande ampleur et intégralement mises en œuvre. Les investissements doivent être en grande mesure cofinancés par l’Union, mais seule la partie bénéficiant d’un financement national est prise en compte.

Les clauses concernant les réformes structurelles et les investissements sont toutes deux assorties de garanties destinées à maintenir la prudence budgétaire. Par exemple, elles ne peuvent être appliquées qu’une seule fois par période d’ajustement vers une position budgétaire saine. Le recours à ces clauses ne devrait pas conduire à un dépassement de la valeur de référence de 3 % pour le déficit et une marge de sécurité par rapport à ce seuil devrait être conservée. Seuls les États membres en période de conjoncture économique défavorable peuvent demander l’application de la clause d’investissement. En outre, le total des investissements publics ne devrait pas diminuer.

Source : Commission européenne, Communication relative au réexamen de la flexibilité dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance (COM[2018] 335 final), 23 mai 2018.

Le bilan de la mise en œuvre de ces flexibilités est, de l’avis général, mitigé.

Lors de son audition, Pierre Moscovici, à l’origine de la communication de 2015, a rappelé que, en tant que ministre des finances, il avait eu à négocier des délais avec la Commission pour revenir sous les 3 % de déficit public. En tant que commissaire aux affaires économiques et financières, il n’a eu de cesse d’introduire de la flexibilité et se félicite de n’avoir, en 5 ans, sanctionné aucun État. Alors que les règles apparaissaient comme difficilement lisibles, rigides et de nature à étouffer la croissance, il estimait qu’il fallait laisser aux pays concernés du temps pour mettre en place les réformes nécessaires à la sortie de la procédure pour déficit excessif.

Cela s’est fait au détriment de la clarté et de la transparence des règles et, par conséquent, de leur prévisibilité et de l’adhésion politique. La Commission européenne en convient, soulignant que, « alors que des éléments de flexibilité et d’appréciation ont été intégrés dans le cadre budgétaire actuel au moyen d’un ensemble complexe de dispositions interprétatives, il est nécessaire que l’exercice effectif d’un jugement économique dans un cadre fondé sur des règles soit effectué en toute transparence » ([11]).

Sur le fond, dans sa communication de 2020 sur le réexamen de la gouvernance économique, la Commission relevait que « si la mise en œuvre de la clause d’investissement en 2015 et en 2016 était destinée à axer le PSC davantage sur la croissance en protégeant l’investissement pendant les périodes de ralentissement, elle ne semble pas avoir eu d’incidence positive significative sur l’investissement public. En particulier, la visée qui lui a été donnée de préserver l’investissement dans la situation spécifique d’un ralentissement profond s’est globalement traduite par un faible recours à cette clause. De même, la clause des réformes structurelles n’a été appliquée que cinq fois jusqu’à présent et n’a guère réussi à promouvoir des réformes qui améliorent la qualité des finances publiques et/ou renforcent la croissance potentielle. » ([12])

Le Comité budgétaire européen se montre également sévère. Il note que les éléments de flexibilité ont induit une mise en œuvre des règles de plus en plus bilatérale, affaiblissant la transparence et la pression des pairs.

En 2017 ([13]), la Commission a encore ajouté un élément discrétionnaire à la communication de 2015 en se reconnaissant la possibilité d’exercer « un certain pouvoir d’appréciation lorsqu’elle examine les écarts par rapport aux ajustements budgétaires impliqués par la matrice ». Une évaluation globale d’un ensemble d’indicateurs économiques peut ainsi la conduire à considérer que la procédure pour écart important ne se justifie pas même en cas de dépassement du seuil d’écart important (0,5 % du PIB).

D’une manière générale, selon le Comité budgétaire européen, l’expérience a montré que, dans les limites imposées par les traités, le pouvoir discrétionnaire, pour peu qu’il soit soutenu par la majorité nécessaire au Conseil, l’emportait sur les règles.

 


 

Volet préventif :
Surveillance de la trajectoire d’ajustement

Volet correctif :
Procédure de déficit public excessif

Règle générale

Les États doivent poursuivre un objectif budgétaire à moyen terme (OMT) proche de l’équilibre ou excédentaire et mesuré en données corrigées des variations conjoncturelles (notion de déficit public structurel).

 

L’OMT varie, selon la situation économique des États, entre 1 % du PIB et l’équilibre ou l’excédent budgétaire. Règle d’or fixée par le TSCG : le déficit structurel ne doit pas dépasser 0,5 % du PIB (sauf si la dette de l’État est inférieure à 60 % du PIB).

 

L’État membre qui n’a pas atteint son OMT doit :

- réduire son déficit structurel d’au moins 0,5 point de PIB par an ;

- maintenir le taux de croissance des dépenses publiques en dessous du taux de croissance potentiel à moyen terme.

 

Clause de flexibilité

Les États peuvent s’écarter de leur trajectoire d’ajustement en cas de réformes structurelles majeures ou de circonstances exceptionnelles (circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État ou grave récession économique).

Les États membres doivent éviter les déficits publics excessifs (DPE). Il y a DPE si le déficit public ou la dette publique dépassent des valeurs de référence (3 % du PIB pour le déficit et 60 % du PIB pour la dette).

 

Lorsque le niveau d’endettement dépasse 60 % du PIB, l’État doit réduire l’écart entre son ratio de dette et la référence de 60 % d’un vingtième par an.

 

Clause de flexibilité

 

Pas de DPE si le dépassement des 3 % :

- résulte de circonstances exceptionnelles (circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État ou grave récession économique) ou d’une croissance négative ou très faible par rapport au potentiel de croissance (2005) ;

- est temporaire et proche de la valeur de référence (prise en compte de facteurs pertinents).

Procédure et sanctions

Les États doivent instaurer une institution nationale indépendante pour vérifier le respect de la règle d’or, mettre en place un mécanisme de correction automatique en cas d’écarts importants du déficit structurel par rapport à l’OMT et faire figurer la règle d’or et le mécanisme de correction automatique dans des dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles.

 

Le TSCG prévoit que tout État peut saisir la Cour de justice non pas pour vérifier si les autres États respectent la règle d’or mais pour constater qu’un État ne s’est pas doté d’un mécanisme de correction automatique. Si, à l’issue d’un délai, l’État ne s’est pas conformé à l’arrêt de la Cour, cette dernière peut lui infliger une amende de 0,1 % du PIB.

Sur proposition de la Commission, le Conseil constate à la majorité qualifiée l’existence d’un déficit public excessif. Le TSCG impose aux États de soutenir les propositions de la Commission visant à constater un DPE sauf si une majorité qualifiée des États s’y oppose.

 

Le six pack prévoit que l’État contrevenant de manière grave aux règles ou ayant dû constituer un dépôt portant intérêt dans le cadre du volet préventif, peut se voir imposer par le Conseil, dès le stade du constat du DPE, un dépôt de 0,2 % de son PIB ne portant pas intérêt (sanction adoptée selon la règle de la majorité qualifiée inversée).

Les États membres de la zone euro présentent chaque année un programme de stabilité précisant le calendrier et les mesures devant conduire à la réalisation de l’OMT. Les États non-membres de la zone euro présentent des programmes de convergence.

En cas d’écart important par rapport à la trajectoire d’ajustement, le Conseil adresse un avertissement à l’État membre concerné (alerte rapide).

 

Si l’État ne met pas en œuvre les mesures recommandées par le Conseil, ce dernier, peut lui imposer la constitution d’un dépôt portant intérêt de 0,2 % du PIB (décision prise sur recommandation de la Commission selon la règle de la majorité qualifiée inversée)

Si l’État ne prend aucune mesure pour corriger le déficit excessif, le Conseil peut convertir le dépôt en amende de 0,2 % du PIB (décision prise sur recommandation de la Commission selon la règle de la majorité qualifiée inversée).

 

Si le manquement persiste, cette amende peut être portée à 0,5 % du PIB

(décision du Conseil sur recommandation de la Commission et selon un vote à la majorité qualifiée ordinaire).

 

Clause de flexibilité

Prolongement du délai pour la correction du déficit excessif (pas de mise en demeure et d’imposition d’une amende) en cas de grave récession économique ou d’événements inattendus (prise en compte de facteurs pertinents)

 


— 1 —

II.   Des Critiques récurrentes et amplifiées par la crise

Du président de la Commission européenne Romano Prodi qualifiant, en 2002, le pacte de stabilité de « stupide, comme toutes les décisions qui sont rigides » au président de la République qualifiant la règle des 3 % de « débat d’un autre siècle » dans une interview à The Economist en 2019, les critiques à l’encontre des règles budgétaires ont été nombreuses depuis leur introduction, de la part d’une partie de la société civile et des forces politiques, mais également d’économistes ([14]), d’institutions internationales ([15]), de la Cour des comptes ([16]), de la Cour des comptes européenne ([17]), du Comité budgétaire européen ([18]) et de la Commission européenne elle-même.

Le jugement du Comité budgétaire européen dans son rapport annuel 2021 est sans appel : le pacte de stabilité est désormais un mécanisme opaque composé de dispositions qui se chevauchent, qui ne sont pas toujours cohérentes entre elles et qui sont donc ambiguës, ne donnant que des indications vagues aux décideurs politiques et entraînant des performances et une conformité inégales entre les pays. Au lieu de limiter le pouvoir discrétionnaire dans le seul but d’éviter les erreurs grossières, la mise en œuvre du cadre actuel apparaît comme un outil discutable de microgestion des affaires nationales, qui sape sa légitimité.

A.   Des insatisfactions exprimées par de nombreux économistes et institutions

Si les règles budgétaires européennes sont critiquées de toutes parts, la rapporteure attire l’attention sur le fait que les critiques ne vont pas toutes dans le même sens. Si certaines sont partagées, en particulier sur l’excessive complexité des règles actuelles, certains pays jugent les critères numériques excessivement contraignants alors que d’autres considèrent que le pacte n’est pas appliqué avec suffisamment de rigueur. Quant aux perspectives de réforme du pacte, le même constat selon lequel les règles actuelles ne sont pas appliquées peut conduire à deux conclusions radicalement opposées : les règles sont inappliquées parce qu’elles sont inapplicables, donc il faut les changer ; à l’inverse, le fait que les infractions aux règles n’aient entraîné de sanction pour aucun pays montre que le pacte a prouvé sa flexibilité, l’enjeu serait plutôt d’en assurer une meilleure application.

Les critiques se sont exprimées bien avant la crise de la covid-19 et des propositions de réformes avaient vu le jour, dont plusieurs reposaient sur un ancrage budgétaire unique (le ratio de dette) et une règle opérationnelle unique (limitation de l’augmentation des dépenses publiques) ([19]).

Lors de son audition, Pierre Moscovici a indiqué que, déjà lorsqu’il avait quitté la Commission européenne, en 2019, il lui apparaissait que la notion de flexibilité avait atteint ses limites et que les règles elles-mêmes posaient problème et avaient de nombreux défauts : complexité, manque de lisibilité, rigidité, procyclicité, trop grand nombre de règles opérationnelles, conséquences négatives sur l’orientation budgétaire ou la nature des dépenses.

Selon Philippe Martin, les règles budgétaires actuelles posent trois types de problèmes :

– des problèmes politiques de transparence et de simplicité ;

– des problèmes économiques de court et de moyen termes. À court terme, il faut absolument éviter de refaire les erreurs commises entre 2011 et 2013 avec un ajustement budgétaire trop rapide. À moyen terme, il faut tenir compte de l’hétérogénéité des niveaux de dette et du fait que le plafond de 60 % du PIB est désormais impossible à atteindre pour plusieurs pays, dont la France ;

– des problèmes techniques : une procyclicité liée à une approche excessivement annuelle et le recours à des concepts utiles théoriquement mais difficiles à mettre en œuvre, comme le déficit structurel et l’écart de production, qui ne peuvent être observés et ont fait l’objet d’erreurs de mesure importantes.

1.   Un système d’une excessive complexité

La critique la plus unanimement partagée des règles budgétaires européennes est celle de leur extraordinaire complexité. Comme exposé précédemment, les règles sont nombreuses et complétées de diverses clauses visant à tenir compte de la conjoncture, des efforts de réformes et d’investissements, ou d’événements particuliers. Symptôme de la complexité de ces règles, le Vade Mecum du pacte de stabilité ([20]) publié par la Commission, uniquement en anglais, comprend plus de 100 pages d’explications.

Synthèse des principales règles numériques

Quatre principales règles numériques s’appliquent à l’ensemble des États membres de l’Union européenne, mais avec des modalités différentes selon que le pays se trouve dans le bras « préventif » ou en procédure de déficit excessif :

– le déficit public doit être inférieur à 3 % du PIB ;

– la dette publique brute doit être inférieure à 60 % du PIB. Si le ratio est plus élevé, il doit diminuer chaque année d’au moins un vingtième de l’écart entre le niveau d’endettement et la valeur de référence de 60 % ;

– le solde public structurel doit être supérieur à l’objectif à moyen terme (OMT) défini pour chaque pays, qui ne peut être inférieur à  0,5 % du PIB pour les pays signataires du TSCG (– 1 % si leur ratio de dette est sensiblement inférieur à 60 %). Si le solde structurel est inférieur à l’OMT, il doit en principe augmenter de 0,5 % du PIB par an ;

– pour les États n’ayant pas atteint leur OMT, l’augmentation annuelle des dépenses ne doit pas dépasser le taux de croissance économique potentielle à moyen terme, sauf si ce dépassement est compensé par des mesures discrétionnaires en matière de recettes.

Pour le Conseil d’analyse économique (CAE) français, le système actuel est « devenu quasiment ingérable en raison de sa complexité et de l’ajout constant d’exceptions, de clauses de sauvegarde et d’autres facteurs. Cette complexité rend le cadre budgétaire non transparent et difficile à intégrer pour les décideurs. Le non-respect est devenu la norme, tandis que la politique budgétaire dans les États membres et au niveau de l’Union européenne est devenue de plus en plus procyclique. » ([21])

Cette complexité est à l’origine de nombreuses difficultés dans l’application des règles budgétaires. Il est difficile pour les gouvernements d’appliquer un cadre dont très peu de personnes maîtrisent tous les aspects. L’appropriation des règles par les représentants politiques que nous sommes et, au-delà, par les populations est devenue impossible, tant elles sont incompréhensibles pour le commun des mortels. En outre, l’application de règles incompréhensibles prête le flanc aux soupçons – pas toujours infondés – d’arbitraire et de deux poids deux mesures en fonction de la taille des pays. Enfin, la superposition et la complexité des règles permettent aux États membres de s’écarter du respect du cadre et donnent à la Commission un pouvoir d’interprétation excessif.

2.   Des variables clés non mesurables

Une autre critique récurrente, et liée à la précédente, est le recours à des notions non observables, déterminantes pour la mise en œuvre des règles et faisant parfois l’objet d’erreurs d’estimations importantes, ce dont témoignent les fréquentes révisions a posteriori.

PIB potentiel, écart de production et solde structurel

Dans une perspective de finances publiques, le PIB potentiel correspond à la composante permanente du PIB, dépouillé des effets des fluctuations conjoncturelles. L’écart de production, entre le PIB potentiel et le PIB effectif, constitue un indicateur de la capacité de rebond ou de ralentissement économique. Il permet ainsi d’isoler dans le déficit effectif une part transitoire, liée à la partie purement conjoncturelle du PIB et d’en déduire par solde, après retrait des éléments exceptionnels, une composante « structurelle » (déficit structurel ou excédent structurel), une notion au cœur de l’architecture française et européenne des finances publiques.

La Commission européenne a développé au début des années 2000 une méthodologie communément acceptée par les États membres pour calculer les estimations de la croissance potentielle et de l’écart de production qui sont utilisées dans les processus de surveillance des politiques économiques de l’UE. Cette méthodologie, régulièrement mise à jour, permet d’assurer l’égalité de traitement entre pays et d’obtenir des estimations transparentes et impartiales pour tous les États membres de l’UE. Les estimations de croissance potentielle et d’écart de production restent un élément d’appréciation, parmi d’autres, dans l’examen que réalise la Commission européenne sur la situation des finances publiques de chaque État membre.

Source : Note méthodologique n° 2021-01 du secrétariat permanent du Haut Conseil des finances publiques.

Dans son rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2017 ([22]), notre ancienne collègue Karine Berger avait déjà souligné que les notions de croissance potentielle et de solde structurel étaient contestables et aboutissaient à des estimations de nature très politique.

Une note du CAE de septembre 2018 a également montré que la production potentielle, l’écart de production et le solde structurel étaient mal estimés, ce qui conduit à des erreurs dans la prise de décision en matière de politique budgétaire. Le CAE donne plusieurs exemples. En 2017, la Commission a estimé que le solde structurel allemand avait diminué de 0,25 point entre 2016 et 2017. Un an plus tard, les révisions des estimations révélaient une augmentation de 0,35 point, soit une révision de 0,6 point de PIB potentiel. Il s’agit d’une révision majeure, compte tenu du fait que l’ajustement budgétaire de base requis par les règles budgétaires européennes est de 0,5 point, que l’Allemagne est une économie stable, et qu’il n’y a pas eu de choc important à cette période.

La révision moyenne est en général encore plus élevée pour les autres États membres. Pour les quinze États membres les plus anciens, hors pays périphériques, elle se situe entre 0,5 et 1 % du PIB. Elle est en général plus élevée pour les pays périphériques et ceux qui ont adhéré en 2004.

Révision moyenne de la variation du solde budgétaire structurel de l’année précédente à l’année en cours, un an plus tard

(valeur absolue, en % du PIB)

Note : UE25 : membres de l’UE en 2004 ; Ancienne UE15 noyau : membres de l’UE avant 2004, à l’exclusion de l’Espagne, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal ; Ancienne UE15 périphérie : Espagne, Grèce, Irlande, Italie et Portugal ; Nouvelle UE10 : dix pays ayant adhéré en 2004.

Source : Conseil d’analyse économique, septembre 2018.

Si ces variables peuvent être pertinentes pour des analyses a posteriori, elles ne sont pas assez fiables pour guider la politique économique en temps réel. Lors de son audition, Philippe Martin a relevé l’absurdité d’une situation qui conduit les États à discuter durement avec la Commission pour un écart de 0,1 point sur une estimation dont on sait qu’elle peut receler une erreur de plus de 0,5 point.

Le Comité budgétaire européen ne dit pas autre chose lorsqu’il souligne que la mise en œuvre actuelle des règles donne une impression de précision et de raffinement, qui va bien au-delà de ce qui peut être justifié compte tenu des méthodes d’estimation et des données incertaines sur lesquelles elle repose ([23]).

Déjà incertaines en temps normal, les estimations de croissance potentielle et d’écart de production sont encore plus difficiles dans un contexte de crise. L’hétérogénéité des estimations des organisations internationales après le déclenchement de la crise sanitaire témoigne de ces difficultés, liées aux fluctuations économiques d’ampleur et de nature exceptionnelles, mais aussi à des appréciations différentes des conséquences durables de la crise sur le potentiel productif.

Estimations de croissance potentielle et d’écart de production concernant la France

 

2020

2021

2022

Croissance potentielle

Écart de production

Croissance potentielle

Écart de production

Croissance potentielle

Écart de production

Commission européenne

0,7

– 8,3

1

– 3,9

1,2

– 2,1

FMI

– 3,8

– 4,6

4

– 2,9

1,7

– 0,5

OCDE

1

– 10

0,9

– 5,4

0,8

– 3,1

Gouvernement

– 0,3

– 7,7

0,6

– 3,6

1,35

– 1,1

Source : Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2021-2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2021 à 2027, 13 avril 2021.

3.   Des règles pro-cycliques

Malgré la réforme de 2005, destinée à mieux prendre en compte les effets de la conjoncture sur les finances publiques par le recours à la notion de solde structurel, et le six pack, le cadre actuel, axé sur une vision insuffisamment pluriannuelle, a favorisé des politiques budgétaires pro-cycliques.

Il a conduit à des efforts de redressement budgétaire importants en période de récession, ou immédiatement après, qui ont très probablement joué un rôle majeur dans la récession et le chômage accru de l’Union européenne après la crise financière de 2008. Or une politique restrictive en période de récession ou de reprise balbutiante laisse des traces sur la croissance potentielle et donc échoue à terme à réduire le niveau de la dette publique.

À l’inverse, le pacte de stabilité a permis une politique budgétaire trop expansionniste dans certains pays avant la crise et, d’une manière générale, n’est pas contraignant lorsque la réduction du déficit est due à des recettes de nature seulement conjoncturelle et n’encourage pas à l’accumulation de réserves budgétaires en périodes de croissance.

Ainsi, selon le CAE, en phase d’expansion, les niveaux de déficit et de dette ne sont pas suffisamment réduits, bien que les multiplicateurs budgétaires soient probablement inférieurs et que les politiques de consolidation soient appropriées. En phase de récession, les plans d’assainissement budgétaire ne peuvent atteindre leurs objectifs, compte tenu des multiplicateurs plus élevés et de la dette qui augmente en dépit de l’effort fourni.

Le diagnostic du CAE est partagé par le Comité budgétaire européen. Pour celui-ci, alors que la réforme du six pack contenait des éléments destinés à réduire la pro-cyclicité des politiques budgétaires, notamment en ajustant les exigences budgétaires à la position dans le cycle économique et en prenant en compte les coûts d’événements inhabituels et des mesures favorables à la croissance, il n’y a pas eu de réduction de la pro-cyclicité après l’entrée en vigueur de la réforme. Selon son évaluation des règles budgétaires de 2019 ([24]), entre 1999 et 2018, il n’y a eu qu’un exemple d’expansion budgétaire contra-cyclique, en 2009, en réponse à la crise économique et financière, mais deux épisodes pro-cycliques : une expansion budgétaire après l’adoption de l’euro et une consolidation budgétaire substantielle en 2012-2013 sous la pression des marchés financiers. Il n’y a pas eu d’épisode contra-cyclique durant les périodes de reprise économique. En particulier, les années 2003-2007 et 2017 n’ont pas été mises à profit pour constituer des coussins budgétaires.

S’il est difficile de distinguer la part de responsabilité des règles budgétaires et celle du contexte politique et économique, le fait est que le six pack et la réinterprétation consécutive des règles budgétaires n’ont ni réduit la pro-cyclicité ni encouragé suffisamment la contra-cyclicité. Ainsi, dans la zone euro, la politique budgétaire aurait été pro-cyclique 63 % du temps sur la période 2011-2018 tandis qu’elle l’était 17 % du temps entre 1999 et 2010.

4.   Une trop grande indifférence à la qualité des finances publiques

Focalisées sur des indicateurs quantitatifs annuels, les règles n’ont pas permis de protéger la qualité de la composition des finances publiques, notamment en évitant que l’investissement public soit pénalisé. Les périodes passées de consolidation budgétaire ont montré que les États sommés de réduire leurs déficits avaient eu tendance à sacrifier les dépenses d’investissement, plus faciles à piloter à court terme et moins sensibles politiquement, et à ne pas suffisamment réinvestir lors des retours à meilleure fortune. Or un déficit d’investissement réduit le potentiel de croissance, et donc la soutenabilité de la dette à long terme.

La conception des règles actuelles ne prend pas suffisamment en compte l’importance d’investissements publics dont le coût initial est élevé mais le gain en croissance potentielle substantiel à plus long terme. C’est notamment le cas des investissements dans la transition écologique, dont les bénéfices potentiels sont à des horizons temporels qui se comptent en décennies.

Ainsi, après la crise financière de 2008, l’investissement public brut a diminué dans la plupart des pays européens. L’investissement public moyen dans la zone euro est tombé de 3,2 % du PIB avant la crise à 2,8 % du PIB en 2019. 20 États membres sur 27 ont vu leur taux d’investissement moyen chuter entre la période 2005-2009 et la période 2015-2019, pour certains de 50 %. De plus, le Comité budgétaire européen souligne que l’essentiel de cet investissement public est consacré à des investissements de remplacement ; l’investissement net est négligeable ([25]).

Évolution des investissements publics dans la zone euro de 1971 à 2022

(en % du PIB)

http://bruegel.org/reader/epubs/573/images/Figure_04.png

Source : Bruegel, d’après la base de données AMECO de la Commission européenne. UE13 regroupe les 15 premiers membres de l’Union européenne, à l’exception du Luxembourg et du Royaume-Uni.

Sous l’effet de la baisse du PIB en 2020, puis de la mise en œuvre des plans de relance, la Commission européenne prévoit que le ratio d’investissement public devrait augmenter de 0,5 point de PIB entre 2019 et 2023. Cet effet ne sera toutefois que temporaire, les paiements du plan de relance s’achevant en 2026.

Comme le montre le graphique suivant, pour 70 % des États membres placés sous procédure de déficit excessif entre 2008 et 2014, la part de l’investissement public dans les dépenses primaires courantes a diminué entre la date d’entrée dans la procédure et la date de sortie, dans des proportions extrêmement importantes dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, Chypre ou la République tchèque.

Formation brute de capital fixe
rapportée aux dépenses primaires courantes

(Première et dernière années de la procédure pour déficit excessif)

Source : Comité budgétaire européen, Assessment of EU fiscal rules with a focus on the six and two-pack legislation, août 2019, page 76.

5.   Un défaut d’appropriation conduisant à un respect limité des règles

On pourrait voir une forme de paradoxe entre l’importance des règles budgétaires européennes dans le débat public et politique, la pression qu’elles exercent sur la conduite de la politique budgétaire des États membres, et la conformité toute relative desdites politiques menées au pacte de stabilité.

Pour les pays les plus attachés à la discipline budgétaire, le manque de respect des cibles quantitatives constitue d’ailleurs le principal défaut du pacte de stabilité ; le respect de leurs engagements par les États membres doit constituer selon eux une priorité de réforme.

Pour d’autres, le non-respect des règles n’est qu’une conséquence de leur inadéquation à la réalité. Lors de son audition, Olivier Blanchard a estimé que, si les pays européens avaient « triché » avec les règles budgétaires, c’est parce qu’elles étaient inacceptables ; si l’on arrivait à construire une règle meilleure, les pays la respecteraient davantage. Andrea Eisl, de l’Institut Jacques Delors, a également estimé que certaines des règles actuelles étaient irréalistes et dangereuses, comme l’obligation de réduire d’un vingtième chaque année l’écart entre le ratio de dette et le plafond de 60 %. Elles ne sont par conséquent pas appliquées, ce qui réduit leur crédibilité.

En pratique, dans les pays où il s’est avéré contraignant, le critère de réduction de la dette a le plus souvent été mis de côté par l’invocation de « facteurs pertinents » comme le respect d’autres règles ou la conduite de réformes. La Commission européenne le reconnaît : « Faire respecter le critère de réduction de la dette pendant les périodes de faible croissance réelle et de taux d’inflation très bas s’est avéré politiquement et économiquement difficile. Dans certains pays fortement endettés, respecter le critère de réduction de la dette nécessitait des efforts budgétaires particulièrement importants qui, de fait, auraient pu encore détériorer la dynamique de la dette. Par conséquent, l’évaluation du respect du critère de la dette par la Commission et les avis rendus ensuite par le Comité économique et financier ont dûment pris en compte tous les facteurs pertinents. » ([26])

La mise en œuvre des règles bute sur d’inévitables limites, les États membres demeurant libres de leurs choix budgétaires, tandis que les possibilités de les contraindre sont limitées et que leur utilisation peut être jugée inopportune d’un point de vue politique ([27]). Il n’est que peu ou pas fait recours aux étapes de procédure les plus lourdes du pacte, un compromis étant en général recherché de façon à éviter de les déclencher. Ainsi, les sanctions qui devaient être adoptées en juillet 2016 contre l’Espagne et le Portugal ont finalement été reportées et la France est sortie de la procédure pour déficit excessif en mai 2018 après neuf ans sans sanction.

Pour Olivier Garnier, les menaces de sanctions financières n’ont pas montré leur capacité à assurer le respect du pacte ; elles sont trop difficiles à assumer vis-à-vis des populations. Plutôt que de miser sur un « bâton » peu crédible, il a estimé que l’on pourrait envisager de davantage recourir à des incitations, par exemple en tenant compte des réformes structurelles. Certains pays comme l’Allemagne, y seraient sensibles. En outre, une meilleure intégration des règles européennes dans les cadres nationaux et, plus globalement, dans le processus budgétaire serait de nature à favoriser leur appropriation par les décideurs politiques nationaux et les populations.

Yves Bertoncini, président du Mouvement européen, a pour sa part insisté sur le décalage entre le débat hexagonal, où règne un certain consensus sur l’opportunité d’assouplir les règles budgétaires, et la vision qui pourrait exister chez nos partenaires européens d’une réforme qui viserait à justifier le laxisme français. Le défaut de respect des règles budgétaires témoignerait du fait qu’elles ne constituent pas réellement le carcan dénoncé.

Selon la base de données du Comité budgétaire européen ([28]), les politiques budgétaires des États membres n’ont respecté les règles européennes ([29]), abstraction faite des exceptions et éléments discrétionnaires permis par les textes, que dans un peu plus de la moitié des cas entre 1998 et 2019, avec de fortes disparités entre les pays. La France se distinguerait par le taux de respect des règles le plus faible (25 %) et le Luxembourg le plus fort (95 %).

Respect moyen des critères numériques par les États membres (1998-2019)

Source : Martin Larch et Stefano Santacroce, Numerical compliance with EU fiscal rules : the compliance database of the Secretariat of the European fiscal board, 1er juillet 2020, page 6.

Pour la rapporteure, cet élément de contexte doit être pris en compte dans la discussion avec nos partenaires européens sur l’évolution des règles budgétaires. Quelle que soit la force de ses arguments, la France doit aborder ce débat avec modestie et devra donner des gages sur sa capacité à davantage respecter les règles à l’avenir.

Respect des critères numériques du pacte de stabilité par la France

Années

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Déficit

1

1

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Dette

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Solde structurel

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Dépenses

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0

0

0

0

Note :  1 = règle respectée ; 0 = règle non respectée.

Source : Comité budgétaire européen, EFB Compliance Tracker Dataset.

6.   Une incapacité à prévenir l’hétérogénéité des trajectoires de finances publiques des États membres

Conçues au départ pour favoriser la convergence des États participant à la monnaie unique, les règles budgétaires européennes ne sont pas parvenues à empêcher que les finances publiques des États membres connaissent des trajectoires divergentes.

Comme le montre le graphique ci-dessous, l’écart entre les ratios de dette des pays les plus endettés et ceux des pays les moins endettés n’a cessé de se creuser depuis le début de la décennie 2000 : en vingt ans, il a doublé. Les pays les moins endettés ont davantage réduit leur dette en période de conjoncture favorable, avant la crise de 2008 et entre 2015 et 2019, et ont connu des augmentations moins importantes pendant la crise des dettes souveraines et depuis le déclenchement de la crise sanitaire.

Évolution des ratios de dette par groupes de pays

Source : Comité budgétaire européen.

7.   Des critères numériques indifférents à l’évolution du contexte macroéconomique

Les règles actuelles, en premier lieu les plafonds de déficit et de dette, ont été fixées dans un contexte radicalement différent, tant du point de vue du niveau de départ des dettes publiques, que des taux d’intérêt, de l’inflation ou de la croissance. Les taux d’intérêt réels (taux d’intérêt nominal – inflation) ont sensiblement baissé et sont même négatifs depuis quelques années.

Évolution des taux d’intérêt nominaux et réels dans la zone euro

Source : BCE.

La baisse massive et durable des taux d’intérêt modifie l’évaluation de la soutenabilité de la dette et remet en cause la cohérence des critères de Maastricht. Comme le souligne un document préparé pour la commission « Arthuis » sur l’avenir des finances publiques, les règles budgétaires issues du traité de Maastricht sont fondées sur l’idée que le niveau de dette sur PIB doit être maintenu à un niveau stable pour garantir la soutenabilité de la dette publique. Elles fixent des plafonds pour les niveaux de dette publique et de déficit public dont la cohérence interne repose sur une hypothèse de croissance nominale de l’économie aux alentours de 5 %, proche des niveaux observés pour les pays de la zone euro dans les années 1990. La chute de l’inflation et de la croissance potentielle remet en cause cette cohérence interne. Avec un déficit public permanent de 3 % et une croissance nominale de 5 %, le niveau maximum pour un ratio de dette publique sur PIB stable est de 63 %. Dans le contexte de stagnation séculaire avec une croissance nominale de 2,5 %, ce niveau maximum augmenterait à 123 % du PIB ([30]).

Le coût du service de la dette est désormais historiquement bas. Pour ce qui concerne la France, le taux d’intérêt apparent de la dette est inférieur au taux de croissance depuis 2015 (à l’exception de 2020 compte tenu de la récession brutale liée à la crise sanitaire). Ce qui est important pour assurer la soutenabilité de la dette, ce n’est pas tant son niveau, que la capacité de l’État à faire face à la charge de la dette. Or, dans cette situation où la croissance du PIB augmente plus vite que les taux d’intérêt, la charge de la dette diminue mécaniquement dans le PIB. Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cet écart entre la croissance nominale du PIB (g) et celle des obligations assimilables du Trésor (OAT) à 10 ans (r) représenterait en moyenne près de 2 points sur la période 2015‑2022 alors que sur la période 1980-2014, l’écart était à l’inverse de – 2 points en moyenne, les taux étant supérieurs à la croissance nominale ([31]). Comme le montre le graphique suivant, depuis le début des années 2000, la charge de la dette n’a cessé de diminuer, alors que le ratio de dette augmentait fortement.

Taux, charges d’intérêts et dette publique

Source : Observatoire français des conjonctures économiques.

Lors de son audition, Olivier Blanchard a estimé que les taux d’intérêt devraient rester durablement bas, même s’il pouvait y avoir des soubresauts. À long terme, la dynamique de la dette dépend de la différence r-g entre le taux d’intérêt nominal apparent ([32]) sur les dettes publiques et le taux de croissance nominale de l’économie, qui est négatif.

Plusieurs personnes auditionnées par la rapporteure ont toutefois incité à la prudence quant aux conséquences à tirer de la faiblesse des taux d’intérêt pour l’évolution des règles budgétaires. Olivier Garnier a rappelé que la faiblesse des taux d’intérêt n’empêchait pas la dette de s’envoler. Le coût moyen de la dette est aujourd’hui inférieur à 1,5 % alors qu’il était de plus de 9 % dans les années 1980, mais dans le même temps le ratio de dette publique est passé de 30 à 120 % du PIB. Il a souligné que, même dans un contexte de taux bas sur le long terme, des États pouvaient être subitement confrontés à une hausse brutale de la prime de risque, comme l’Italie en 2018, voire à une fermeture de l’accès aux marchés pour refinancer sa dette, comme la Grèce lors de la crise de la zone euro. Ces risques sont accrus au sein d’une union monétaire comme la zone euro car les possibilités de réallocation des capitaux sont plus fortes ; la vulnérabilité des pays les plus faibles est accrue par la substituabilité entre les dettes publiques nationales émises en euros, qui favorise une « fuite vers la qualité » en cas de crise. Les pays dont la balance des transactions courantes est déficitaire, c’est-à-dire ceux dont l’épargne nationale n’est pas suffisante pour finances leurs dépenses, comme la France, sont aussi plus vulnérables en cas de crise car ils ne peuvent s’autofinancer, sauf à réduire drastiquement leurs dépenses.

En outre, il a estimé qu’il n’était pas certain que le contexte de taux bas dure éternellement, la politique monétaire étant guidée par l’objectif de stabilité des prix et non par celui de soutenabilité des dettes. Selon lui, privilégier le ratio entre la charge d’intérêt et le PIB au niveau de la dette ne serait pas une bonne solution, car ce ne serait pas un bon indicateur de la capacité à refinancer la dette, et donc d’un risque de crise future. Il est rejoint sur ce point par François Ecalle, pour qui pouvoir stabiliser le ratio dette/PIB est une condition nécessaire de sa soutenabilité. Un niveau de dette élevé pourrait provoquer une perte de confiance soudaine des marchés, se traduisant par une prime de risque très forte qui ne se refléterait que progressivement dans le ratio charge d’intérêts/PIB en raison du poids dans la charge de la dette des emprunts contractés avant le choc de taux.

Pierre Moscovici a lui aussi souligné qu’il fallait considérer que la politique monétaire actuelle était liée à la crise et qu’elle ne resterait pas nécessairement la même en sortie de crise, en particulier si l’inflation s’avérait persistante. Compte tenu de l’indépendance de la BCE, il ne serait pas raisonnable de fixer de nouvelles règles budgétaires en fonction de la politique monétaire actuelle. Même si les taux restent bas, ils peuvent être significativement moins bas qu’aujourd’hui, ce qui compliquerait la construction du budget.

Enfin, certains économistes estiment que, à long terme, les taux d’intérêt réels pourraient à nouveau dépasser le taux de croissance. L’équilibre entre épargne et investissement pourrait être modifié par le vieillissement démographique (baisse du taux d’épargne) et la transition énergétique (hausse du taux d’investissement), ce qui pourrait se traduire par une hausse du taux d’intérêt réel, alors que les investissements liés à la transition énergétique auront peu d’effet positif sur la croissance.

Les taux d’intérêt bas et la politique monétaire accommodante n’ont pas seulement pour conséquence de réduire la charge de la dette, mais invitent à réévaluer la complémentarité entre politique monétaire et politique budgétaire et à réhabiliter l’importance de la politique budgétaire compte tenu des limites rencontrée par la politique monétaire au voisinage du plancher effectif des taux d’intérêt. Lors d’une audition devant la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen en juin 2021, Christine Lagarde a insisté sur la modification considérable du contexte macroéconomique depuis le début de l’union économique et monétaire et sur l’importance d’une plus grande anticyclicité des politiques budgétaires pour éviter que la responsabilité de stabiliser l’économie repose entièrement sur la politique monétaire.

Ce point a notamment été mis en avant dans le bulletin économique de la BCE d’août 2021 : « Si, en temps normal, le rôle de stabilisation de la politique budgétaire est cantonné dans une large mesure au jeu des stabilisateurs automatiques, une politique budgétaire discrétionnaire contracyclique est cependant importante en période de crise et particulièrement à proximité du niveau plancher des taux d’intérêt. Premièrement, l’expérience acquise lors de la crise financière mondiale en 2008-2009, de la crise de la dette souveraine en 2011-2012 et de la pandémie mondiale en 2020-2021 suggère qu’une stabilisation macroéconomique efficace nécessite que la politique budgétaire et la politique monétaire se complètent en période de crise. Deuxièmement, de nombreux travaux empiriques suggèrent qu’une politique budgétaire expansionniste est particulièrement efficace lorsque les taux d’intérêt sont proches de leur niveau plancher. De plus, les politiques budgétaires et structurelles peuvent soutenir la croissance de la productivité et de l’offre de main-d’œuvre, contribuant à inverser la tendance du taux d’intérêt réel d’équilibre et créant ainsi de la marge de manœuvre pour la politique monétaire. » ([33])

Pour le Comité budgétaire européen, l’action essentielle de la politique budgétaire pour surmonter la récession dans le cadre de la pandémie aboutit également à une évaluation plus positive de son rôle en temps normal à des fins anti-cycliques. Les effets d’entraînement de la demande transfrontalière, dont l’importance avait été minimisée dans le cadre du traité, sont devenus visibles dans le processus d’assainissement budgétaire dans la plupart des pays européens après la crise financière et pendant la reprise, alors que la politique monétaire était limitée par l’approche de la limite inférieure des taux d’intérêt directeurs. Ces deux éléments – des coûts de la dette plus faibles à long terme et un renforcement de la confiance en la politique budgétaire – ont créé un contexte très différent pour le cadre budgétaire de l’UE par rapport à ce qui existait en 1991 ou lors des occasions ultérieures de révision du cadre.

B.   Un réexamen des règles initié en 2020, mis en sommeil, puis relancé par la crise

La Commission européenne a publié début 2020 une « revue » de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance ([34]) visant à ouvrir un débat sur l’avenir des règles budgétaires européennes et, plus globalement, sur le cadre de gouvernance économique. Comme de nombreux autres observateurs, elle tire un bilan nuancé de la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance. En positif, elle note que la quasi-totalité des États membres sont parvenus au fil des années 2010 à sortir de la procédure de déficit excessif. Les déviations par rapport aux règles auraient en moyenne un peu diminué par rapport à la période précédant la crise financière de 2009. Enfin, prise dans son ensemble, la dette publique de la zone euro avait reculé significativement avant la pandémie. En négatif, la Commission reprend à son compte plusieurs critiques largement partagées et précédemment exposées par la rapporteure.

Les États membres avaient alors montré peu d’appétence pour un débat dont le coût politique pouvait paraître supérieur à l’intérêt économique.

1.   Le déclenchement de la clause dérogatoire générale

Le déclenchement de la pandémie de covid-19 a nécessité une augmentation considérable des dépenses publiques des États membres. C’est pourquoi, en mars 2020, la Commission a proposé d’activer la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance.

Prévue aux articles 5, paragraphe 1, 6, paragraphe 3, 9, paragraphe 1, et 10, paragraphe 3, du règlement (CE) nº 1466/97, et aux articles 3, paragraphe 5, et 5, paragraphe 2, du règlement (CE) nº 1467/97, cette clause a pour objet de faciliter la coordination des politiques budgétaires en période de grave récession économique, en permettant de déroger temporairement à l’application normale des règles budgétaires.

Plus précisément, s’agissant du volet préventif du pacte, il est prévu que, « en période de grave récession économique affectant la zone euro ou l’ensemble de l’Union, les États membres peuvent être autorisés à s’écarter temporairement de la trajectoire d’ajustement en vue de la réalisation de l’objectif budgétaire à moyen terme [...], à condition de ne pas mettre en péril la viabilité budgétaire à moyen terme ». La clause dérogatoire générale ne suspend pas les procédures du pacte, mais permet à la Commission et au Conseil de prendre les mesures nécessaires de coordination des politiques dans le respect du pacte, tout en s’écartant des exigences budgétaires qui s’appliqueraient normalement. De fait, elle a conduit à une mise entre parenthèses du pacte.

La clause dérogatoire générale devrait être maintenue jusqu’à la fin de l’année 2022 ([35]) puis être désactivée, si les conditions macro-économiques sont réunies.

2.   Des divergences entre États accentuées sur fond de dégradation générale des finances publiques

La clause dérogatoire générale a permis aux États européens de s’endetter pour augmenter les dépenses de santé, sauver les économies de l’effondrement, préserver le niveau de vie de populations dont une partie substantielle était privée de la possibilité d’exercer son activité librement, et mettre en œuvre des plans de relance ambitieux.

La réponse budgétaire à la crise a été saluée à juste titre, mais force est de constater qu’elle laisse des séquelles sur les finances publiques de nombreux États membres, avec un effet de ciseaux entre la baisse des recettes causée par la récession de 2020 et la hausse des dépenses.

Selon les prévisions économiques d’automne 2021 de la Commission européenne, le déficit public devrait encore s’élever, malgré la vigueur de la reprise économique, à 6,6 % du PIB en 2021, alors qu’il n’était que de 0,5 % en 2019. Il devrait diminuer de moitié pour atteindre environ 3,6 % du PIB en 2022 et redescendre en 2023 sous le seuil des 3 %, à 2,3 %. Le ratio agrégé de dette publique dans l’Union européenne a pour sa part augmenté de plus de 13 points entre 2019 et 2020, passant de 78 % à 92 % du PIB (100 % dans la zone euro). Plus de la moitié des États membres ont dépassé le ratio de 60 % du PIB. La Commission européenne prévoit que ce ratio devrait commencer à diminuer en 2021 pour environ la moitié des États membres, puis dans presque tous les États membres à partir de 2022. La rapporteure souligne la grande incertitude qui entoure ces prévisions, tant les inconnues demeurent nombreuses quant à l’évolution de la pandémie, de l’inflation, des difficultés d’approvisionnement en matières premières ou encore des ruptures de chaînes d’approvisionnement.

En outre, cette dégradation générale a inégalement touché les États membres, ce qui a approfondi les divergences existant avant la pandémie. Les États membres qui affichaient des niveaux élevés de dette publique, comme l’Italie ou l’Espagne, ont été parmi les plus touchés par les répercussions économiques de la crise, en raison de la gravité de la situation sanitaire, des mesures mises en place pour préserver la santé publique et de la structure de leur économie, où le secteur du tourisme international occupe une place importante. En conséquence, ces États membres ont enregistré certaines des plus fortes hausses de l’endettement ([36]). Selon la Commission européenne, dans environ un tiers des États membres, les ratios de dette devraient se maintenir au-dessus du niveau qu’ils atteignaient avant la pandémie pendant les dix prochaines années.

Comme le montre le graphique suivant, les déficits publics des États membres devraient encore connaître des situations très contrastées en 2023, année envisagée pour la désactivation de la clause dérogatoire générale. Une dizaine de pays, dont la France, auraient encore un déficit supérieur à 3 % en 2023, alors que trois pays connaîtraient des excédents (Luxembourg, Suède et Danemark) et deux (Allemagne et Irlande), seraient proches de l’équilibre.

Prévision de solde budgétaire des pays de l’Union européenne de 2021 à 2023

Source : Commission européenne, prévisions économiques d’automne 2021.

Sans surprise, l’hétérogénéité des situations est encore plus grande en matière de dette publique. Entre 2019 et 2021, le ratio d’endettement de l’Espagne devrait ainsi augmenter de plus de 25 points, et ceux de la Grèce, de l’Italie et du Portugal de plus de 20 points, alors que celui de la Suède n’augmenterait que de 2,4 points.

À la fin de l’année 2023, les ratios d’endettement des États membres de l’Union européenne varieraient, selon les prévisions de la Commission européenne, de 21,4 % du PIB (Estonie) à 192,1 % (Grèce). Six États membre de la zone euro auraient encore un ratio de dette supérieur à 100 % du PIB (Belgique, France, Espagne, Portugal, Italie et Grèce), alors qu’ils n’étaient que trois en 2019. À l’inverse, treize États membres respecteraient le critère de 60 % à la même date, dont deux (Irlande et Suède) avec un ratio de dette significativement inférieur au niveau d’avant la crise.

ÉVOLUTION de la dette publique de 2019 à 2023

Source : Commission européenne, prévisions économiques d’automne.

De ce constat peuvent découler deux conclusions contradictoires. Premièrement, les écarts de dette entre États membres sont tels qu’une application uniforme des règles accroîtrait encore les divergences économiques, les pays les plus endettés étant mis dans l’impossibilité d’investir pour la croissance de demain. Une adaptation des règles est donc impérative. Deuxièmement, dès 2023, environ la moitié des États membres serait en mesure de respecter les critères de Maastricht, dont certains estiment avoir déjà consenti un effort politique important en acceptant le plan de relance européen. Obtenir l’unanimité au Conseil pour une modification des textes supposera un travail délicat pour que tous les États membres soient convaincus que les nouvelles règles proposées sont favorables à l’économie européenne dans son ensemble et ne visent pas à exonérer certains États des efforts auxquels d’autres ont consenti par le passé.

3.   Quelles règles à la fin de la clause dérogatoire générale ?

La perspective du rétablissement de l’application des règles du pacte au 1er janvier 2023 relance la question de leur évolution, alors que ces règles faisaient déjà l’objet de nombreuses critiques avant la crise, et que cette dernière a fortement dégradé les finances publiques de certains États membres. Comme Pierre Moscovici l’a souligné lors de son audition, les règles budgétaires qui seront rétablies en 2023 ne peuvent pas être les mêmes qu’avant la crise : les reproches dont elles étaient l’objet avant la crise sont toujours valables, et même démultipliés, et elles poseraient des difficultés d’application massive pour plusieurs pays.

Au-delà de divergences d’approches et de communication, nul ne semble réellement envisager un retour de l’application stricte des règles actuelles en 2023.

La rapporteure se félicite de la volonté, largement partagée, d’éviter de réitérer les erreurs du passé en imposant un ajustement budgétaire brutal en sortie de crise, a fortiori dans un contexte où les besoins d’investissement public sont extrêmement élevés. Ainsi, lorsqu’elle a relancé, en octobre dernier, le débat sur la réforme de la gouvernance économique, la Commission européenne a souligné « qu’une réduction trop brutale des ratios d’endettement aurait un coût social et économique élevé et serait contre-productive, eu égard aux limites atteintes par la politique monétaire et au risque de séquelles économiques durables » ([37]).

Trois cas de figure paraissent pouvoir être envisagés :

– une réforme du pacte avant 2023. Ce serait la solution la plus satisfaisante, et celle qui est privilégiée par la Commission. L’objectif paraît toutefois extrêmement ambitieux ;

– une période de transition avec un retour graduel à des règles ;

– une application très flexible des règles actuelles.

La nécessité de revoir les règles budgétaires est partagée par les institutions internationales. La directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, a appelé lors de sa visite à Bruxelles en décembre dernier à ne pas rétablir les règles budgétaires européennes trop tôt et à les réformer pour refléter la réalité post-pandémique, soulignant que l’application des règles existantes placerait trop de pression sur les pays ayant un niveau élevé de dette.

Après avoir rappelé les limites du pacte de stabilité identifiées avant la crise, l’OCDE souligne pour sa part que « la crise liée au COVID-19 a entraîné une dégradation marquée des soldes budgétaires dans la zone euro et, au cours des années à venir, le respect de la règle de réduction de la dette exigerait des efforts d’assainissement considérables de la part de nombreux pays de la zone, ce qui risquerait d’avoir des répercussions négatives sur la reprise. Ainsi, un pays affichant un ratio dette/PIB de 130 % serait tenu - dans l’hypothèse où cette règle resterait valable - de faire diminuer ce ratio de 3,5 points de pourcentage par an, en moyenne, au cours des prochaines années. Dans l’hypothèse d’une croissance nominale à 3 %, cela nécessiterait un budget globalement à l’équilibre et par conséquent, un vaste effort d’assainissement qui risquerait de faire replonger le pays dans la récession. Qui plus est, l’Europe va faire face à d’importants besoins d’investissements dans un avenir proche, qui devront être soutenus en partie par des dépenses publiques, ainsi que par une amélioration de la qualité des finances publiques » ([38]). Dans ses dernières perspectives économiques, elle estimait « urgent de réviser les règles budgétaires rigides, complexes et procycliques. L’objectif d’une réforme des cadres existants devrait être de garantir la viabilité de la dette, d’assurer une stabilisation conjoncturelle suffisante et de renforcer l’adhésion nationale à ces règles. Des solutions possibles consistent à remplacer la multiplicité actuelle de règles numériques par une règle de dépense, arrimée à des objectifs nationaux de ratio de dette, ou à donner aux pays davantage de latitude pour réformer leur cadre budgétaire en conformité avec des directives plus qualitatives au niveau de l’UE » ([39]).

Malgré la volonté affichée par la Commission européenne, il ne paraît pas assuré que les règles budgétaires européennes soient réformées d’ici 2023. Un retard de quelques mois, s’il permet d’aboutir à un bon accord, ne paraît pas devoir entraîner de trop lourds inconvénients. En effet, même si plusieurs pays sont réticents à l’idée de formaliser une phase de transition entre la fin de la clause dérogatoire générale et une réforme du pacte de stabilité, le souci d’éviter de réitérer les erreurs du passé paraît suffisamment partagé pour que les règles budgétaires soient appliquées avec intelligence pour ne pas mettre la reprise en danger. De plus, plusieurs économistes ont montré que, à court terme, c’est-à-dire en 2023 et 2024, l’effort demandé aux États les plus endettés devrait être allégé par les conditions macroéconomiques actuelles et les subventions reçues du plan de relance européen. Pour Daniel Gros et Francesco Corti ([40]), si les conditions macroéconomiques sont conformes aux prévisions de la Commission européenne, les pays de l’Union européenne les plus endettés devraient bénéficier sur la période 2021-2024 d’un effet boule de neige ([41]) très favorable. La croissance étant, en période de reprise économique, sensiblement supérieure aux taux d’intérêt, l’effort budgétaire nécessaire pour réduire d’un vingtième l’écart entre le ratio de dette et 60 % serait beaucoup moins fort que sur la période 2015-2019. Pour la France, par exemple, la réduction annuelle du ratio de dette attendue (3 %) serait inférieure à l’effet boule de neige attendu (3,8 %). La pertinence de cette analyse dépend toutefois de la réalisation des prévisions de croissance de la Commission, réalisées avant la nouvelle dégradation de la situation sanitaire. Zsolt Darvas et Guntram Wolff ([42]) montrent pour leur part qu’une interprétation souple des règles actuelles permet d’engager la consolidation budgétaire à un rythme modéré et que les subventions reçues dans le cadre du plan de relance européen atténueront substantiellement les efforts des pays les plus endettés jusqu’en 2024.


III.   Une réforme difficile mais nécessaire

Même si, à court terme, une majorité de pays est en mesure de revenir rapidement au respect des critères de Maastricht, et si des solutions peuvent être trouvées dans le cadre actuel pour les pays plus éloignés de l’objectif, une réforme reste souhaitable à moyen terme pour remédier aux défauts des règles budgétaires identifiés depuis déjà de nombreuses années.

Le sujet a souvent fait l’objet de débats acrimonieux entre les États membres, donnant lieu de part et d’autre à des déclarations excessives. Le débat actuel sur la réforme de la gouvernance économique européenne est encore à un stade préliminaire : aucune proposition formelle de modification n’a été faite par la Commission et les États membres s’en sont tenus jusqu’ici à des prises de position assez générales. La situation devrait se clarifier progressivement au prochain semestre, avec le sommet des 10 et 11 mars (cf. infra) et les orientations de la Commission pour la politique budgétaire en 2023.

Nul doute qu’obtenir un accord à l’unanimité sur une révision des règles actuelles sera compliqué et supposera, comme l’ont souligné plusieurs personnes lors des auditions, des concessions de la part des États les plus demandeurs d’une réforme. À ce stade, il semble toutefois que, compte tenu des circonstances exceptionnelles que l’Union européenne traverse et de la prise de conscience des investissements massifs rendus nécessaires par la transition écologique, le débat puisse s’engager sur des bases plus constructives que par le passé.

Dans ce contexte, la rapporteure estime qu’il serait prématuré de prendre position pour une proposition de réforme précise. Elle a choisi de dresser un état des lieux des pistes de réflexions ébauchées par de nombreux économistes et de mettre en avant les objectifs qui devraient, selon elle, guider la réforme. Les députés de la prochaine législature pourront utilement poursuivre le travail sur la base de propositions législatives précises.

A.   Une réflexion enserrée dans des contraintes juridiques et politiques

La nature juridique des règles applicables est un élément important à prendre en compte dans la réflexion ; il serait vain d’étudier de manière approfondie des propositions qui n’ont aucune chance d’aboutir.

C’est l’article 126 du TFUE qui prévoit que les États membres évitent les déficits excessifs et que la Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire des États membres à travers les ratios de déficit et de dette publics. Le protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs, annexé au TFUE, fixe les valeurs de référence de 3 % et 60 %.

Une modification de l’article 126 du TFUE, même en recourant à la procédure de révision simplifiée, suppose l’unanimité des États membres, puis la ratification par tous les États membres selon leurs règles constitutionnelles. S’engager dans cette voie prendrait beaucoup de temps, avec un risque d’échec non négligeable. La modification des protocoles suit normalement les mêmes règles, mais l’article 126 du TFUE, paragraphe 14, alinéa 2, prévoit une procédure législative spéciale, qui permet d’adopter des dispositions remplaçant le protocole sur la procédure concernant les déficits excessifs par une décision unanime du Conseil, après consultation du Parlement européen et de la BCE. Il serait ainsi possible de modifier les plafonds de 3 % et 60 % sans ratification par les parlements nationaux. On peut noter en outre que l’article 126 du TFUE impose que des valeurs de référence soient fixées pour le déficit et la dette publics, mais pas que ces valeurs soient identiques pour tous les pays, ni insusceptibles de varier dans le temps ([43]). Il existe donc des marges pour des adaptations par le protocole ou la législation secondaire.

La modification des règlements issus du pacte de stabilité et des six pack et two pack ne nécessite pas de ratification nationale. Cependant, si ceux qui sont adoptés sur le fondement de l’article 121 du TFUE (surveillance multilatérale pour la coordination des politiques économiques) obéissent à la procédure législative ordinaire, ceux qui le sont sur le fondement de l’article 126 (procédure concernant les déficits excessifs), c’est-à-dire les plus contraignants, suivent la procédure législative spéciale, avec unanimité au Conseil, le Parlement européen n’ayant qu’un rôle consultatif.

Même si la plupart des propositions de révision des règles budgétaires présentées ci-après s’efforcent d’éviter une modification des traités, l’unanimité des États membres reste indispensable et l’intrication des références juridiques ajoute à la complexité.

La modification de la règle selon laquelle la dette excédant 60 % doit être réduite d’un vingtième par an nécessite ainsi la modification du règlement (CE) n° 1467/97 du 7 juillet 1997 (article 2), soumis à la procédure législative spéciale, et donc l’unanimité au Conseil. La plupart des États membres de l’Union européenne sont également signataires du TSCG, dont l’article 4 reprend cette règle, et dont la modification exigerait non seulement l’unanimité, mais des ratifications nationales. Certains envisagent que les signataires pourraient remédier à cette difficulté par une déclaration interprétative conjointe, ou en convenant d’une suspension temporaire de l’application de certaines dispositions du TSCG, conformément à l’article 57 de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités ([44]).

En toute hypothèse, la première condition à l’élaboration d’une révision des règles budgétaires européennes est donc la recherche d’un consensus. C’est ce qui fait dire à Philippe Martin qu’une réforme des règles aura un coût politique. Les « frugaux » et l’Allemagne n’accepteront pas une réforme sans contrepartie en termes de sérieux budgétaire et d’applicabilité des nouvelles règles.

La rapporteure s’interroge par ailleurs sur les conséquences que la dégradation des relations de la Hongrie et de la Pologne avec les institutions européennes et les autres États membres pourrait avoir sur la négociation d’un nouveau cadre budgétaire. L’unanimité requise leur permet en effet d’utiliser ce dossier pour faire pression pour obtenir des concessions sur d’autres dossiers, comme elles avaient tenté de le faire sans succès à l’automne 2020 en bloquant l’adoption de la décision sur les ressources propres de l’Union européenne pour protester contre le règlement relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union.

B.   Un débat encore très général au niveau politique

Alors que le sujet alimente les réflexions des économistes depuis plusieurs années et fait régulièrement l’objet d’articles dans la presse, il est abordé avec prudence par les autorités politiques, conscientes de la sensibilité politique du sujet, de sa grande complexité technique, mais aussi des incertitudes qui entourent l’évolution du contexte macroéconomique.

1.   Les orientations du Parlement européen

Le Parlement européen, qui n’aura qu’un rôle consultatif sur les aspects les plus sensibles de la réforme, a été la première institution européenne à exposer sa vision d’une réforme des règles budgétaires, dans une résolution plus globale sur la gouvernance macroéconomique ([45]). La rapporteure de la commission des affaires économiques et monétaires, Margarida Marques, avait exposé ses propositions devant la commission des affaires européennes ([46]).

Dans cette résolution, le Parlement européen demande, une fois que la clause dérogatoire générale aura été désactivée et tant qu’un cadre révisé ne sera pas en place, de faire usage de toutes les flexibilités existantes prévues dans le cadre de gouvernance économique actuel, afin d’éviter un assainissement budgétaire prématuré et de limiter les risques d’effets néfastes à long terme.

Sur le fond du réexamen, le Parlement européen approuve l’architecture proposée par le Comité budgétaire européen, avec un ancrage de la dette (objectif de ratio d’endettement et trajectoire d’ajustement), un indicateur unique de performance budgétaire (règle en matière de dépenses) et une clause dérogatoire générale étayée par un avis fondé sur des analyses et des conseils indépendants.

Il insiste sur la nécessité de définir de manière réaliste et transparente la trajectoire d’ajustement de la dette par pays afin de mieux s’adapter aux réalités des pays et de refléter le degré de soutenabilité de la dette des États membres. Une trajectoire appropriée par pays inciterait les États à mieux se plier aux règles.

Il considère qu’une règle en matière de dépenses qui plafonne les dépenses publiques nominales lorsque la dette publique d’un pays dépasse un certain seuil peut accroître la transparence des règles budgétaires au sein de l’Union et rappelle que les indicateurs au cœur du cadre de gouvernance économique doivent être faciles à observer et à contrôler pour les décideurs politiques.

Il demande également que le cadre révisé mette davantage l’accent sur la qualité de la dette publique et permette aux autorités de protéger les investissements publics sans compromettre la soutenabilité de la dette.

2.   Des États membres aux positions différentes, mais moins antagonistes que par le passé

En l’absence de proposition de la Commission et compte tenu des fortes incertitudes liées à l’évolution de la crise sanitaire, la plupart des États membres se sont pour l’heure gardés de prendre une position très précise sur l’évolution des règles budgétaires. Comme le relève le Comité budgétaire européen dans son dernier rapport annuel, alors que de nombreux experts dressent un bilan pour le moins mitigé du pacte de stabilité et de croissance, la réticence à s’engager dans une réforme reste largement répandue parmi les États membres.

Certains considèrent qu’un retour rapide au cadre pré-crise, plus rigoureusement respecté, est souhaitable, d’autres estiment que ce cadre est tellement dépassé qu’une réforme radicale est devenue une condition préalable au retour à une gouvernance fondée sur des règles. Malgré ces divergences, il y a un consensus général pour simplifier le système et éviter le recours à des indicateurs qui se sont avérés impossibles à évaluer comme l’écart de production et le déficit structurel. Aucun État ne refuse par principe de discuter d’une évolution des règles.

La France, qui n’a pas attendu la crise sanitaire pour remettre en cause les règles existantes, est, avec l’Italie, celle qui a pris position le plus clairement pour une évolution des règles.

La convergence de vues entre nos deux exécutifs s’est matérialisée par la tribune signée conjointement par le président de la République et Mario Draghi, président du conseil des ministres d’Italie, le 23 décembre dernier ([47]). Dans cette tribune, les deux dirigeants développent la démarche exposée par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 9 décembre sur les priorités de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne et placent le débat sur l’évolution des règles budgétaires au sein d’une réflexion plus globale sur la stratégie européenne de croissance pour la prochaine décennie, à mettre en œuvre au moyen d’investissements communs, de règles plus adaptées et d’une coordination accrue. Ils proposent une réflexion en deux étapes : établir avec tous les États membres des objectifs macroéconomiques et des principes communs, puis construire un nouveau cadre budgétaire crédible et transparent. Ils rappellent la nécessité de réduire l’endettement, mais par des réformes structurelles intelligentes plutôt que par des hausses d’impôts ou des coupes dans les dépenses sociales, ainsi que la nécessité de pouvoir réaliser les dépenses clés nécessaires à notre avenir et à notre souveraineté.

Les autres pays du sud partagent des points de vue proches. Le secrétaire général du Trésor espagnol a par exemple défini ainsi les trois objectifs d’une réforme : établir une stratégie de réduction de la dette crédible, ne mettant pas en péril la reprise ; combler le déficit d’investissement ; avoir une approche pluriannuelle ([48]).

À l’opposé, les ministres des finances de huit pays (Autriche, Danemark, Lettonie, Slovaquie, République tchèque, Finlande, Pays-Bas et Suède) ont signé le 10 septembre 2021 une lettre conjointe dans laquelle ils réaffirment l’importance de finances publiques saines et estiment que la désactivation de la clause dérogatoire générale et une possible réforme du pacte de stabilité et de croissance ne doivent pas être liées. S’ils se déclarent ouverts au débat sur l’amélioration de la gouvernance économique et budgétaire, ils estiment que la réduction des taux d’endettement excessifs doit rester un objectif commun et qu’il faut s’en tenir à un cadre budgétaire fondé sur des règles. Ils sont prêts à discuter de simplifications et d’adaptations qui favorisent une application cohérente, transparente et meilleure des règles, mais uniquement si les modifications ne mettent pas en péril la viabilité budgétaire des États membres.

Parmi les points qui font débat entre les États membres figure l’équilibre entre automaticité et pouvoir d’appréciation de la Commission. Les « petits » États reprochent à la Commission de ne pas avoir fait une application équitable des règles et plaident pour une plus grande automaticité, mais cela conduirait à rigidifier le cadre et à compliquer son adaptation au contexte macroéconomique.

Au cours des dernières semaines, la situation politique aux Pays-Bas et en Allemagne, deux pays clés dans une telle discussion, a connu des évolutions qui laissent augurer d’un débat, si ce n’est facile, au moins plus serein que par le passé.

Aux Pays-Bas, souvent fer de lance des « frugaux », un accord de coalition a enfin pu être dégagé, neuf mois après les élections. Si le gouvernement reste dirigé par Mark Rutte, le parti centriste pro-européen Democrats 66 (D66) voit son poids renforcé, tant par le contenu de l’accord de coalition que par la nomination comme ministre des finances de Sigrid Kaag, qui succède à Wopke Hoekstra, chantre de l’orthodoxie budgétaires qui s’était distingué par des propos peu amènes à l’égard des pays du sud. Sur le fond, l’accord de coalition du gouvernement Rutte 4 ([49]) marque une évolution par rapport à la politique menée jusqu’ici, avec, sur le plan national, une politique macroéconomique plus expansionniste (tout en continuant à respecter les critères européens) et, sur le plan européen, un ton plus constructif. L’accord affirme en effet que les membres de la coalition abordent la modernisation du pacte de stabilité de manière constructive, pour autant qu’elle vise à renforcer la viabilité de la dette, la convergence économique et une mise en application efficace des règles.

En Allemagne, alors que la nomination de Christian Lindner pouvait laisser craindre une absence d’ouverture sur une modification des règles, compte tenu de ses positions pendant la campagne électorale, l’accord de coalition officialisé le 24 novembre 2021 est suffisamment ambigu pour donner une certaine latitude au gouvernement dans la discussion. Les trois partis SPD, Bündnis 90/Die Grünen et FDP soulignent que le pacte de stabilité et de croissance a « prouvé sa flexibilité » et insistent sur le fait qu’il doit « garantir » la croissance et « veiller » à des investissements durables « tout en maintenant la viabilité de la dette ». Ils appellent à une amélioration de son efficacité pour le rendre « plus simple et plus transparent », afin de « renforcer son application ». Lors de sa visite à Paris le 10 décembre, le chancelier Scholz a fait montre de la même prudence. Il a souligné que les États européens avaient montré qu’il avait été possible, en agissant dans le cadre du pacte de stabilité, de lutter contre la crise avec des moyens de grande ampleur. Il a estimé que maintenir la croissance engendrée par le plan de relance et travailler à la solidité des finances publiques n’était pas contradictoire, et s’est engagé à utiliser les flexibilités du pacte de stabilité pour définir une politique européenne commune. Quant à Christian Lindner, il a précisé que sa démarche n’était pas de se focaliser sur les règles mais de discuter de la bonne politique budgétaire dans un contexte où nous sommes confrontés à une montée de l’inflation et à des besoins d’investissement publics et privés, ce qui rejoint la démarche proposée par le président de la République.

Comme l’a souligné Andreas Eisl lors de son audition, le consensus politique sur une réforme n’est pas acquis. Le mécontentement à l’égard des règles actuelles est partagé, mais pour des raisons opposées. La réforme semble toutefois possible car elle ne sera pas nécessairement plus ou moins contraignante que les règles actuelles. Pour éviter que la négociation aboutisse à une impasse, il suggère de s’attacher à bâtir un projet de réforme allant au-delà de la seule révision des règles budgétaires pour permettre aux États membres d’obtenir d’autres victoires politiques.

François Ecalle a également souligné à quel point la réforme du pacte de stabilité serait difficile, estimant que l’hypothèse la plus probable serait que les règles actuelles ne soient pas modifiées et que l’on fasse semblant de les appliquer. Dans l’hypothèse d’une réforme, il a distingué trois options envisageables, qui soulèvent toutes des difficultés politiques ou techniques. La première serait celle qui est privilégiée par les économistes, dont ceux du CAE, de tenir compte des facteurs spécifiques à chaque pays et à chaque période, en s’appuyant sur des organismes indépendants comme le Haut Conseil des finances publiques. Cette option est la plus pertinente économiquement mais paraît peu réaliste politiquement, en raison de l’attachement de nombreux pays à des critères numériques et de la complexité des méthodologies d’analyse de soutenabilité de la dette, dont les résultats seront toujours contestés. Les règles numériques ont la vertu de fixer des repères, dans une logique « appliquer ou expliquer » (comply or explain). Les autres options consisteraient à changer les définitions du déficit et de la dette, par exemple pour en exclure certaines dépenses ou prendre en compte les actifs non financiers, ou à conserver des règles communes, mais en relevant les seuils, la question du seuil à retenir restant toutefois une difficulté.

Le Comité budgétaire européen relève quant à lui que plusieurs éléments pourraient rendre le consensus plus difficile à dégager qu’en 2004-2005 et en 2010-2011. Premièrement, il n’y a aucune perception d’une crise existentielle imminente dans la zone euro. Deuxièmement, avec la clause dérogatoire générale, le cadre budgétaire s’est avéré remarquablement résistant au choc de la crise de covid-19. Troisièmement, les règles supranationales ne sont plus le seul point d’ancrage de la crédibilité budgétaire, car les États membres ont élaboré des cadres budgétaires nationaux, à la suite du six pack et du TSCG. Enfin, le capital politique disponible pour les réformes structurelles et institutionnelles est limité par une fragmentation et une polarisation politiques croissantes, tant au sein des pays qu’entre eux, ce qui oblige les dirigeants politiques à se concentrer sur un agenda plus serré de mesures considérées comme strictement essentielles.

Toutefois, l’héritage d’une dette publique historiquement élevée, combiné à la persistance de faibles coûts d’emprunt et à des pressions accrues sur les dépenses (sur l’investissement public, les soins de santé et d’autres dépenses sociales), appelle à repenser la configuration imaginée il y a plus de 30 ans et des travaux existent déjà qui pourraient permettre des avancées rapides.

3.   Prudente, la Commission n’a pas encore fait de proposition concrète

Dès sa communication du 5 février 2020, la Commission s’est montrée favorable à une modification du pacte de stabilité. Elle l’a réaffirmé en relançant le réexamen de la gouvernance économique le 19 octobre 2021, ainsi que par plusieurs déclarations de la présidente von der Leyen, du vice-président Valdis Dombrovskis et du commissaire Paolo Gentiloni.

Soucieuse d’y voir plus clair sur les conséquences macroéconomiques de la crise sanitaire, d’attendre la composition du nouveau gouvernement allemand et de construire le consensus le plus large possible (y compris en son sein), elle s’est toutefois contentée jusqu’ici d’établir une revue des règles actuelles et de fixer des objectifs très généraux : renforcer l’efficacité et la transparence du cadre, lutter contre les déséquilibres macroéconomiques et relever les défis budgétaires d’une manière qui soit compatible avec la transition et la croissance, en tenant compte des enseignements tirés de la crise de la covid-19 ; parvenir à une réduction compatible avec la croissance, progressive et continue de la dette pour les pays les plus endettés ; améliorer la composition des finances publiques, notamment par la promotion de l’investissement, la qualité des mesures budgétaires et la garantie de la viabilité des finances publiques à long terme, y compris dans la perspective du changement climatique et des transitions écologique et numérique ([50]).

La Commission privilégie la recherche d’un consensus sur les orientations générales à la présentation rapide d’une proposition de révision car cela permettra d’agir plus efficacement, y compris par voie d’interprétation plutôt que par modification législative.

Alors qu’une proposition avait un temps été évoquée pour la fin de l’année 2021, une fois la nouvelle coalition allemande en place, elle n’est plus envisagée avant l’été 2022.

Au premier trimestre 2022, la Commission donnera des orientations sur la politique budgétaire pour 2023, qui « tiendront compte de la situation économique mondiale, de la situation spécifique de chaque État membre et de la discussion sur le cadre de gouvernance économique ». Ce n’est que plus tard qu’elle fournira des orientations sur les modifications possibles du cadre de gouvernance économique en vue de parvenir à un large consensus sur la voie à suivre en temps utile pour 2023. Le vice-président Dombrovskis a indiqué que la Commission attendait de voir ce qui ressortirait des premiers débats entre les États membres avant de faire des propositions.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne pourrait ainsi œuvrer à la construction d’un consensus politique, mais ne permettra pas de discuter d’éventuelles propositions législatives.

C.   Un débat public animé par de nombreuses propositions d’économistes

Pour préparer les futures décisions politiques, de nombreux économistes se sont emparés du sujet et ont préparé des propositions que l’on peut classer en trois catégories ([51]) :

– un premier groupe de réflexions s’inscrit dans le cadre des traités actuels qui prévoient notamment la limite pour la dette publique de 60 % de PIB. Les pistes d’évolution évoquées dans ce cadre visent souvent à simplifier la coordination budgétaire en retenant une règle opérationnelle unique au lieu de quatre actuellement (solde nominal, solde structurel, règle de dépenses nettes des mesures nouvelles, règle de dette). En général, c’est une règle de dépense, nette de l’effet des mesures nouvelles en recettes, qui est considérée comme la plus probante.

Certains évoquent également la possibilité de laisser des marges de flexibilité accrues, sous certaines conditions, aux dépenses d’investissement public, car les plafonds de déficit peuvent conduire à exclure des investissements utiles et qu’en soutenant la croissance, l’investissement public s’autofinancerait en partie. De plus, il peut paraître légitime de recourir à l’emprunt pour financer des investissements qui profiteront aux générations futures. À l’inverse, un desserrement des contraintes au bénéfice de l’investissement pourrait conduire à accroître considérablement la dette publique sur de longues périodes ou à favoriser indûment l’investissement au détriment d’autres formes de dépenses aussi utiles socialement ou économiquement ;

– un deuxième groupe de propositions d’évolution du cadre budgétaire européen, plus ambitieuses, cherche à s’abstraire des contraintes institutionnelles actuelles. Pour répondre aux critiques portées sur le critère de dette actuel, certains proposent de rehausser le seuil de ratio d’endettement au-delà de 60 % du PIB, tout en le maintenant identique pour tous les pays. D’autres, au contraire, suggèrent de modifier les critères eux-mêmes, par exemple en introduisant un critère de charge de la dette ou des cibles de ratio d’endettement différenciées par pays ;

– enfin, certains, comme Olivier Blanchard, s’éloignent encore davantage du cadre actuel, en faisant reposer la surveillance budgétaire sur des institutions plus que sur des règles. Ces propositions reposent en particulier sur l’analyse qu’un système de règles ne peut que se complexifier avec le temps pour s’adapter à la situation de chacun des pays en rendant son appropriation de plus en plus difficile. Elles proposent de les remplacer par la détermination des objectifs de finances publiques pour chaque pays de la zone euro par des institutions indépendantes sur la base d’une approche commune mais non encadrée par des règles (« standards »).

1.   Un relatif consensus académique sur la simplification de l’architecture

Si les propositions de réforme prennent des formes différentes, le dernier rapport annuel du Comité budgétaire européen montre qu’il existe un relatif consensus des experts favorables à la réforme, tout en relevant que cela ne dit rien du groupe silencieux (peut-être une majorité) qui ne souhaite pas changer les dispositions actuelles.

Selon Philippe Martin, co-président du Conseil d’analyse économique franco-allemand, les économistes italiens, français et américains sont globalement d’accord pour constater que les règles budgétaires actuelles ne fonctionnent pas et qu’il faut réévaluer l’intérêt d’une politique budgétaire expansionniste. Les économistes allemands, suédois ou néerlandais seraient plus divisés, avec une nouvelle génération plus ouverte mais des économistes œuvrant au sein des banques centrales encore conservateurs.

Le Comité montre que les conditions actuelles sont davantage propices que par le passé à un consensus des experts sur les principales propriétés d’un cadre budgétaire remanié.

Premièrement, les économistes s’accordent beaucoup plus largement sur les objectifs de la politique budgétaire. Pratiquement personne ne conteste la fonction essentielle de stabilisation que jouent les budgets publics face à des chocs importants et à une marge de manœuvre limitée de la politique monétaire. La politique budgétaire joue également un rôle clé dans l’atténuation des inégalités de revenus ou dans la transition vers une économie plus verte.

Deuxièmement, un large consensus existe également sur les risques potentiels liés à des dettes publiques très élevées, bien que les conditions financières actuelles compliquent l’estimation des seuils critiques au-delà desquels la dette pourrait être considérée comme hors de contrôle. Le contrôle de la dynamique de la dette est considéré comme essentiel pour garantir des engagements crédibles en matière de viabilité et pour préserver des capacités d’intervention budgétaire lorsque le besoin s’en fait sentir. Il existe également un consensus sur le fait que la viabilité de la dette dépend de nombreux facteurs (y compris les conditions monétaires) qui évoluent dans le temps, ce qui ne plaide pas pour une adhésion rigide à des objectifs numériques spécifiques. Enfin, la faiblesse persistante des taux d’intérêt et, jusqu’à une période très récente, de l’inflation a renforcé l’idée que les politiques déflationnistes telles que l’austérité persistante pourraient en fin de compte être contre-productives et qu’une réduction de la dette par une croissance nominale plus élevée devrait être préférée dans la mesure du possible.

Troisièmement, pour préserver la viabilité des finances publiques, il faut prendre en compte les pressions sur les dépenses, anciennes (le vieillissement) et nouvelles (transition environnementale, mise en place de systèmes de santé plus résilients, comblement des lacunes en matière d’investissement public).

Quatrièmement, la plupart des experts s’accordent sur l’importance de rendre le pacte de stabilité plus transparent et moins ambigu. Il s’agit notamment d’exprimer les règles et les repères en termes d’indicateurs observables (par exemple, la croissance des dépenses) plutôt qu’en termes d’estimations (par exemple, le solde budgétaire structurel). L’émergence d’institutions budgétaires indépendantes offre également des possibilités de favoriser l’applicabilité et la flexibilité sans nécessairement sacrifier la simplicité.

Enfin, il est largement admis que la diversité spectaculaire de l’état actuel des finances publiques nationales après la crise de covid-19 remet en cause les dispositions de type « taille unique » et appelle à une plus grande adaptation aux circonstances nationales.

Ces éléments de convergence se traduisent par des propositions de réforme qui ont en commun une forme de retour aux sources, c’est-à-dire éviter les erreurs grossières de politique budgétaire.

Elles mettent l’accent sur la soutenabilité de la dette, qui exige que le ratio dette/PIB suive une trajectoire non explosive, plutôt que sur des seuils donnés à atteindre dans un délai prédéterminé. Pour fournir des orientations à court et moyen terme en liant les budgets annuels au point d’ancrage de la dette, de nombreux analystes suggèrent de fixer des plafonds de dépenses comme règle opérationnelle de base. C’est l’option qui semble privilégiée par la Commission européenne et par le gouvernement français ; c’est d’ailleurs la voie suivie au niveau national avec la loi organique adoptée récemment, qui prévoit la fixation par la loi de programmation des finances publiques d’un objectif d’évolution des dépenses publiques ([52]).

La rapporteure soutient cette approche. Elle permet de s’appuyer sur un indicateur observable (contrairement à d’autres mesures reposant sur des variables inobservables qui ne peuvent être que mal estimées, comme l’écart de production) et maîtrisé par les autorités, elle offre une flexibilité à court terme en laissant les stabilisateurs automatiques jouer en temps réel et de manière symétrique ([53]) et, enfin, elle rend la règle opérationnelle visible par le biais de la loi budgétaire annuelle.

Une plus grande attention portée à la dette doit inévitablement reconnaître la diversité des situations entre les pays. De nombreuses propositions récentes permettent explicitement d’adapter la mise en œuvre des règles aux circonstances nationales. Certaines soulignent également le rôle potentiel des cadres budgétaires nationaux dans l’obtention de trajectoires de dette souhaitables.

Enfin, de nombreuses propositions envisagent un rôle accru des institutions budgétaires indépendantes dans le suivi et la mise en œuvre des règles budgétaires. Un point de friction, cependant, est que les institutions budgétaires indépendantes nationales restent très hétérogènes en termes d’architecture institutionnelle, de ressources et de fonctionnement. En outre, toutes les institutions budgétaires indépendantes ne bénéficient pas du même degré de soutien politique et de reconnaissance publique, deux éléments essentiels à leur impact sur les performances budgétaires.

Chaque proposition nécessite une réflexion approfondie sur la gouvernance du cadre budgétaire, pour déterminer les rôles respectifs des États membres, des institutions budgétaires nationales indépendantes, de la Commission européenne, du Comité budgétaire européen (ou d’une nouvelle institution budgétaire indépendante au niveau européen) et du Conseil.

2.   Les propositions les plus radicales : la suppression des règles numériques

a.   Remplacer les règles par des standards (Olivier Blanchard)

C’est des États-Unis qu’est venue la proposition de réforme du pacte la plus radicale, avec un document de travail de l’Institut Peterson d’Économie Internationale (PIIE) rédigé par Olivier Blanchard, Álvaro Leandro et Jeromin Zettelmeyer ([54]) et qui a suscité des réactions de nombreux économistes.

Les auteurs proposent de remplacer les règles budgétaires par des « standards » qualitatifs. Les critères numériques qui se sont accumulés dans la législation européenne, à commencer par les critères de 3 % de déficit et de 60 % de dette, seraient abandonnés au profit du seul principe que les États membres « garantissent que leurs dettes publiques demeurent soutenables avec un haut niveau de probabilité ».

Cette règle plus souple ferait l’objet d’une surveillance sévère des institutions budgétaires indépendantes et de la Commission européenne, qui procéderaient à des analyses stochastiques de la soutenabilité de la dette. S’il s’avérait que la dette d’un État membre n’était pas soutenable avec une trop forte probabilité, l’État membre serait invité à corriger sa trajectoire budgétaire, à un rythme d’autant plus rapide que la probabilité de soutenabilité serait faible. En cas de désaccord entre l’État membre et les institutions de surveillance, la Cour de justice de l’Union européenne pourrait être saisie.

Lors de son audition, Olivier Blanchard a rappelé que les règles budgétaires européennes n’étaient pas des règles de bonne politique budgétaire, mais des règles uniquement destinées à éviter qu’un pays prenne des risques qui affectent les autres pays. Elles ne doivent pas déterminer la nature des politiques budgétaires, mais leurs limites.

Or les risques dépendent d’une multitude de facteurs difficiles à mesurer. Il est par conséquent très compliqué d’élaborer une règle identique pour tous les pays qui permette à la fois d’éviter les risques de défaut et de laisser les États déterminer leur politique budgétaire. Si les règles actuelles sont compliquées, c’est parce que la situation l’est. En réalité, soit les pays ne respectent pas la règle, soit ils la respectent et ne peuvent pas prendre les bonnes décisions du point de vue macroéconomique, soit les règles deviennent de plus en plus compliquées au cours du temps. On a vu ces trois phénomènes se produire, avec pour résultat des règles incompréhensibles et mal appliquées.

C’est ce constat qui l’a amené à proposer des standards reposant sur une analyse stochastique de la soutenabilité de la dette, considérant que, même si l’exercice était d’une indéniable complexité, il y avait un consensus entre les économistes sur la méthodologie pour évaluer la soutenabilité de la dette. La rapporteure estime toutefois qu’il serait difficile de se mettre d’accord au niveau européen sur une méthodologie commune et que, dans l’hypothèse où une méthodologie serait arrêtée, elle risquerait d’être inintelligible pour les politiques et les citoyens, et d’entraîner les politiques dans des débats techniques qu’ils ne maîtrisent pas. D’autres économistes auditionnés se sont en outre montrés moins affirmatifs sur le consensus méthodologique entre experts sur les méthodes d’évaluation.

Olivier Garnier a douté de la faisabilité politique et pratique d’une telle proposition, séduisante intellectuellement. Il est compliqué d’introduire une part de subjectivité dans ce qu’il a comparé à un règlement de copropriété entre les États membres de l’Union européenne. Il paraît plus réaliste de conserver des règles numériques identiques pour tout le monde, en introduisant une part d’individualisation dans les trajectoires, comme le propose le Comité budgétaire européen. Enfin, il a estimé qu’il était important pour la conduite de la politique monétaire d’avoir un cadre budgétaire clair, une politique budgétaire prévisible aidant à la conduite de la politique monétaire.

Pierre Moscovici a également jugé politiquement irréaliste de vouloir modifier les critères numériques de 3 % et 60 %. Selon lui, les pays nordiques et les Allemands n’accepteront pas un remplacement des règles numériques par des standards, analyse confirmée par Andreas Eisl. Il a estimé qu’il serait moins difficile de dévitaliser ces critères numériques en modifiant les modalités de mise en œuvre du pacte, qui relèvent de la législation secondaire, pour piloter intelligemment la dépense, quantitativement et qualitativement, de manière assez différenciée selon les pays.

Pour Guntram Wolff, il est nécessaire de maintenir l’effet contraignant des règles budgétaires. Il estime que les propositions de réforme émises par Olivier Blanchard, mais aussi par le CAE reposent sur des hypothèses assez optimistes sur l’évolution de la croissance et des taux d’intérêt, que tous les économistes ne partagent pas. Lui-même estime que la transition écologique ne va pas augmenter le potentiel de croissance, et peut même le réduire. Pour ce qui concerne les taux d’intérêt, la hausse de l’inflation devrait conduire la BCE à resserrer la politique monétaire. De plus, les investissements additionnels pour la transition écologique, publics et privés, sont estimés à environ 2 % du PIB, et seront financés essentiellement par l’emprunt. La forte demande sur les marchés financiers pourrait se traduire par une hausse des taux. Enfin, il estime risqué d’attendre qu’un problème sur la soutenabilité de la dette d’un pays soit avéré pour réagir ; des repères chiffrés permettent de prendre les mesures nécessaires en amont. De plus, si la Commission européenne mettait en évidence un risque sur la soutenabilité de la dette d’un État, cela risquerait d’entraîner une dégradation de sa situation.

La rapporteure est également réservée à l’idée de supprimer les références chiffrées, non seulement parce que cela semble difficilement réalisable politiquement, mais aussi parce qu’il est utile d’avoir des repères clairs et compréhensibles par les citoyens et les responsables politiques.

b.   Des politiques budgétaires coordonnées mais autonomes (Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak)

Pour Catherine Mathieu, membre des Économistes atterrés, même si cela semble peu réaliste politiquement, il faudrait rendre aux États membres la possibilité de conduire la politique budgétaire correspondant à leur situation économique. Elle attire par ailleurs l’attention sur le risque de remplacer des règles qui ne fonctionnent pas par une autre règle qui ne fonctionne pas et sur les inconvénients de la règle en dépenses qui aurait la faveur de la plupart des économistes. Celle-ci reposerait en effet sur l’estimation de la croissance potentielle, qui n’est pas sans soulever de difficultés.

Elle développe, avec Henri Sterdyniak ([55]), une proposition inspirée par la finance fonctionnelle selon laquelle les finances publiques doivent viser des objectifs économiques et sociaux, à la fois la stabilisation macroéconomique et le financement des dépenses et investissements publics. Les pays de la zone euro devraient pouvoir émettre une dette publique garantie par la BCE et les autres États membres, et dont le taux d’intérêt serait contrôlé par la BCE. Les États pourraient avoir un déficit public conforme aux besoins de leurs objectifs macroéconomiques et ne pourraient être incités à changer de politique budgétaire que s’il était effectivement prouvé qu’elle nuit aux autres États membres. La coordination passerait par un processus de négociation entre pays. Le traité maintiendrait un dispositif prévoyant le cas où la négociation n’aboutit pas et où un pays pratique une politique budgétaire insoutenable ; dans ce cas, après décision du Conseil européen sur rapport de la Commission et de la BCE, la nouvelle dette du pays ne serait plus garantie.

On le voit, cette proposition s’éloigne encore plus des traités que celle d’Olivier Blanchard et paraît insusceptible d’emporter l’adhésion de l’ensemble des États membres.

3.   Adapter le plafond de la dette au nouveau contexte macroéconomique

Une autre proposition, bien que moins disruptive que les précédentes, supposerait une modification du protocole n° 12 sur la procédure concernant les déficits excessifs. Elle consisterait à relever le plafond de dette publique aujourd’hui fixé à 60 % pour tenir compte de la baisse des taux d’intérêt par rapport à leur niveau lors de la négociation du traité de Maastricht, qui permet de financer des niveaux de dette plus élevés sans mettre en péril la soutenabilité.

Cette option est défendue en particulier par des économistes du Mécanisme européen de stabilité (MES) ([56]) et par son président, Klaus Regling ([57]), qui soulignent que de nombreuses études montrent que, même si les taux d’intérêt sont voués à augmenter, ils ne retrouveront pas leur niveau d’il y a trente ans. Alors que la pandémie a porté la dette publique à un niveau record, la nouvelle réalité économique nécessite de porter un nouveau regard sur les règles budgétaires européennes. Ces auteurs considèrent que le cadre budgétaire de l’UE a contribué à améliorer l’élaboration et la coordination de la politique budgétaire car la situation budgétaire globale dans la zone euro avant la pandémie était plus solide que dans d’autres juridictions. Il n’a toutefois guère permis d’améliorer les marges de manœuvre en période de croissance. Les réformes successives ont en outre accru sa complexité, sapant ainsi son respect et sa crédibilité.

La proposition des économistes du MES repose sur deux piliers, un plafond de déficit public maintenu à 3 % du PIB et un plafond de dette porté à 100 %, un niveau proche de la moyenne actuelle de la zone euro, de même que le plafond de 60 % correspondait à la moyenne lors de la signature du traité de Maastricht. Des plafonds de dépenses inférieurs ou égaux à la croissance potentielle remplaceraient les objectifs à moyen terme existants exprimés en termes de solde structurel. Ils pourraient être temporairement augmentés pour les pays faisant face à un déficit d’investissement identifié par la Commission et la Banque européenne d’investissement (BEI).

Outre la règle en dépenses, les pays dont la dette excède 100 % du PIB devraient suivre une trajectoire réaliste de réduction de la dette reposant sur une règle de solde primaire permettant de réduire l’excès de dette d’un vingtième par an, avec des possibilités de déviation dans des circonstances exceptionnelles.

Le dépassement de la limite de 3 % du déficit, du plafond de dépenses ou de l’objectif de solde primaire déclencherait une discussion sur l’ouverture d’une procédure pour déficit excessif. Des circonstances exceptionnelles justifiant le dépassement pourraient également permettre d’activation d’un nouvel instrument européen de stabilisation budgétaire.

Le non-respect des limites n’entraînerait pas de sanctions, mais serait enregistré dans un compte d’ajustement. Les écarts cumulés pourraient servir de point de départ à des discussions sur les conditions à attacher au soutien financer, par exemple dans le cadre du futur cadre financier pluriannuel.

4.   La soutenabilité de la dette comme clé de voute d’un pacte rénové (Conseil d’analyse économique)

Dans une note d’avril 2021 ([58]), le Conseil d’analyse économique rappelle que des règles sont nécessaires en union monétaire, car la politique budgétaire des uns affecte les autres à travers deux canaux : d’une part, le risque d’insolvabilité d’un État membre induit un dommage collatéral sur les autres membres par la pression à la monétisation ou au sauvetage pour éviter la contagion ou l’éclatement de la zone euro ; d’autre part, la politique budgétaire des uns affecte la croissance des autres via les externalités de demande. C’est en revenant au fondement de la justification des règles budgétaires que le CAE propose de faire de la soutenabilité de la dette la clé de voute d’un pacte de stabilité rénové.

Comme celle du Comité budgétaire européen (cf. infra), la proposition du CAE s’appuie sur une cible de dette et une norme d’évolution de la dépense, mais l’individualisation de l’application des règles va plus loin, puisque l’application de critères numériques uniformes est écartée, et leur gouvernance accorde une place plus importante à l’échelon national. Le Conseil estime que le seuil de 60 % de dette est trop éloigné de la réalité de la zone euro et trop peu fondé analytiquement pour pouvoir être maintenu. Lors de son audition, Philippe Martin a toutefois estimé qu’il serait possible de conserver le ratio de dette de 60 % du PIB comme objectif de très long terme pour contourner les problèmes juridiques et politiques, mais que l’essentiel était de faire une analyse stochastique de la soutenabilité de la dette, ce que des institutions comme le FMI ou la Commission européenne sont habituées à faire.

En partant d’une évaluation du risque sur la soutenabilité et en prenant en compte les interactions entre politique budgétaire, croissance et taux d’intérêt, chaque gouvernement retiendrait une cible de dette à moyen terme dont la pertinence serait évaluée au niveau national par une institution budgétaire indépendante, puis validée par le Conseil ECOFIN, sur la base d’une méthodologie commune d’analyse de soutenabilité de la dette. Ce plafond de dette servirait d’ancrage à la programmation à moyen terme des finances publiques avec la fixation d’une cible de dette à cinq ans, puis la détermination d’une norme d’évolution de la dépense cohérente avec cette cible. La norme de croissance des dépenses nominales serait calculée nette du paiement des intérêts, des dépenses d’assurance-chômage (sauf modification discrétionnaire des prestations) et de l’impact estimé de nouvelles mesures de recettes. Elle servirait de cadre limitatif pour les lois de finances annuelles.

La réforme s’accompagnerait d’un rôle accru des autorités budgétaires indépendantes et du Comité budgétaire européen. Des prérogatives et des moyens accrus pour les institutions nationales comme le Haut Conseil des finances publiques permettraient d’alimenter le débat public avec des prévisions macroéconomiques et des analyses indépendantes. Pierre Moscovici a estimé que les moyens supplémentaires dont le Haut Conseil des finances publiques aurait besoin ne seraient pas considérables, de l’ordre d’une dizaine d’emplois.

Parallèlement à ce pacte rénové, pour répondre aux situations d’insuffisance de la demande, la Commission devrait pouvoir proposer l’activation, dans des circonstances exceptionnelles, d’un instrument de soutien communautaire et recommander la réorientation de la politique budgétaire (trop restrictive ou trop expansionniste) d’un pays membre qui aggraverait les déséquilibres macroéconomiques de la zone.

Organisation institutionnelle de la surveillance budgétaire
proposée par le Conseil d’analyse économique

Source : Conseil d’analyse économique.

5.   Une règle d’or pour les investissements verts (Bruegel)

Dans une note préparée pour la réunion informelle des ministres des finances des pays de l’Union européenne des 10 et 11 septembre 2021 ([59]), l’institut Bruegel estime que la consolidation budgétaire peut, à l’issue de la crise, être réalisée à un rythme raisonnable dans le cadre actuel, si les règles sont appliquées en faisant preuve de flexibilité. Il souligne en revanche que les précédents épisodes de consolidation budgétaire se sont traduits par des réductions massives d’investissement public, alors que, dans la période actuelle, nous avons des besoins accrus d’investissement pour remplir les objectifs de l’Union en matière de neutralité climatique. Rien que pour les secteurs de l’énergie et des transports, il estime à 100 milliards d’euros par an les investissements publics supplémentaires nécessaires pour atteindre l’objectif d’une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.

C’est pourquoi il propose une « règle d’or verte » consistant à exclure l’investissement vert net des indicateurs budgétaires pris en compte pour évaluer le respect des règles budgétaires. Il s’agit d’éviter que l’investissement public vert diminue lors des périodes de consolidation budgétaire et de réaliser les investissements nécessaires sans en faire peser la contrainte sur les dépenses sociales, ce qui ne pourrait être accepté par les populations.

Pour Guntram Wolff, deux éléments justifient d’accorder un traitement préférentiel à ces investissements. D’une part, le pacte vert européen est la priorité politique centrale de l’Union européenne. D’autre part, à la différence de dépenses courantes, tout aussi nécessaires, les investissements concernés nécessitent une forte mobilisation de capital dans les prochaines années, mais auront une durée de vie de plusieurs décennies, ce qui justifie leur financement par l’emprunt. Les investissements éligibles devraient être précisément définis et faire l’objet d’un contrôle de la Commission.

Comme de nombreux observateurs, Pierre Moscovici s’est montré très réservé sur cette idée. D’une part, cela poserait des problèmes de classification très complexes et, d’autre part, il faut que les dépenses restent soutenables et n’entraînent pas une hausse excessive du déficit. Il a souligné qu’une évaluation constante de la qualité des dépenses publiques pouvait permettre de dégager des marges de manœuvre financières sans perdre en qualité ni en justice des politiques publiques. Beaucoup mettent aussi en garde contre les tentations de « comptabilité créative » si une telle règle était mise en place et contre le risque de privilégier indûment les dépenses d’investissement par rapport à d’autres dépenses d’avenir, comme l’éducation ou la recherche. Pour l’OFCE, « une telle réforme empêcherait, certes, l’investissement public vert de décroître lors de périodes de consolidation fiscale, mais elle peut avoir des effets négatifs sur d’autres investissements. Sans modification de la cible de dette publique, les dépenses hors investissement "vert" devront diminuer et, parmi elles, des dépenses sociales, d’éducation et de santé, rendant alors un peu plus difficile l’acceptabilité des mesures de lutte contre le changement climatique auprès des populations, et cela sans parler à nouveau des effets économiques qu’une contraction budgétaire généralisée et éventuellement entreprise à contretemps pourrait engendrer » ([60]).

La rapporteure ne développera pas davantage ce sujet, sur lequel notre assemblée s’est prononcée défavorablement le 2 décembre dernier en rejetant une proposition de résolution européenne présentée par le groupe de la gauche démocrate et républicaine ([61]).

6.   Des trajectoires d’ajustement différenciées (Comité budgétaire européen)

Dans son rapport annuel 2021, le Comité budgétaire européen réitère et adapte les recommandations pour une réforme du cadre budgétaire européen qu’il a formulées depuis 2018. Il souligne qu’une réforme est de très loin préférable à des ajustements – discrétionnaires et difficiles à prévoir – dans la mise en œuvre des règles existantes. Une réforme servirait les intérêts de deux groupes d’États membres : ceux qui veulent éviter la poursuite de l’érosion du système fondé sur des règles numériques, et ceux qui souhaitent exploiter la flexibilité de manière productive. Selon l’analyse du Comité, une politique budgétaire moins prévisible ne fait qu’accroître la probabilité d’une réévaluation soudaine des risques par les marchés financiers.

La proposition du Comité budgétaire européen s’articule autour de trois éléments que l’on retrouve dans bon nombre d’autres propositions :

– un objectif principal : une dynamique d’endettement viable. Un ancrage budgétaire unique (objectif de ratio d’endettement et trajectoire décroissante vers celui-ci), avec une différenciation du « rythme satisfaisant » de réduction de la dette en fonction de la situation de chaque pays. La différenciation du rythme d’ajustement pourrait prendre en compte notamment le niveau de départ de la dette et sa composition (détention domestique ou étrangère), les perspectives de croissance et d’inflation, les coûts prévus du vieillissement de la population et des défis environnementaux, les déséquilibres internes et externes et le réalisme de l’ajustement budgétaire requis ;

– un instrument politique principal : une norme d’évolution de la dépense (hors charges d’intérêt et dépenses d’indemnisation chômage) cohérente avec l’objectif en matière de dette ;

– et une clause dérogatoire à invoquer sur la base d’une analyse économique indépendante.

Proposition du Comité budgétaire européen pour un cadre budgétaire simplifié avec des stratégies de réduction de la dette différenciées

Source : rapport annuel 2020 du Comité budgétaire européen.

Le plafond de 3 % de déficit serait maintenu comme filet de sécurité pour éviter une dynamique d’endettement insoutenable et comme moyen de mettre en œuvre la procédure pour déficit excessif. Le Comité souligne que le déficit nominal est une notion observable, contrairement au déficit structurel, bien comprise par le grand public et applicable uniformément à tous les États membres.

D’une manière générale, le Comité met en garde contre des changements inutilement radicaux ou dogmatiques qui risqueraient de s’aliéner le soutien de certains pays sans gain significatif, comme le rejet pur et simple des repères numériques de l’UE pour les dettes et les déficits publics. Les chiffres sont des repères tangibles pour le grand public et peuvent servir d’aiguillon pour des politiques saines en raison des coûts de réputation associés à des écarts importants. En pratique, les règles budgétaires sont souvent suffisamment souples pour exclure le risque que les chiffres en eux-mêmes ne provoquent finalement des erreurs grossières que les règles tentent précisément d’éviter.

Cette réforme ne nécessiterait pas de modification des traités (à l’exception du TSCG), mais des révisions de la législation secondaire et des dispositions d’application, notamment pour que le « rythme satisfaisant » de réduction de la dette soit adapté à chaque pays, tout en renforçant les engagements des autorités nationales. Il s’agit également de réduire la dépendance aux écarts de production en temps réel et d’axer la surveillance sur les erreurs politiques flagrantes, moins fréquentes et plus faciles à identifier, plutôt que sur le micro-management des performances annuelles.

Le Comité budgétaire européen appelle également à un encadrement plus strict des possibilités de flexibilité, afin qu’une clause dérogatoire bien conçue se substitue aux négociations bilatérales entre la Commission et les États membres. Un rôle accru pourrait être accordé aux institutions budgétaires indépendantes dans un processus sujet trop souvent à des marchandages politiques contreproductifs. Le rôle de la Commission et du Conseil dans le suivi des performances et la formulation des recommandations doit toutefois rester essentiel.

Le Comité préconise trois éléments supplémentaires pour alléger et améliorer le cadre budgétaire :

– une capacité budgétaire commune de stabilisation. Lorsque la politique monétaire est contrainte, une capacité budgétaire commune apporte un soutien supplémentaire à la politique macroéconomique. Des emprunts européens faciliteraient cette stabilisation. Conditionner l’accès aux financements de cette facilité au respect des règles budgétaires pourrait encourager davantage la responsabilité budgétaire et réduire l’aléa moral ;

– une protection contre la réduction contreproductive de certaines dépenses, comme les investissements. Après avoir envisagé, dans un rapport précédent, que certaines dépenses favorables à la croissance pourraient être admises au-delà de la norme d’évolution des dépenses publiques, le Comité estime dans son rapport 2021 que des efforts pour renforcer les dépenses d’investissement dans le budget régulier de l’UE à partir de 2027, lorsque le plan de relance s’arrêtera, seraient préférables au brouillage des indicateurs budgétaires conventionnels induits par l’exemption de certains investissements prioritaires dans le calcul des déficits nationaux (règle d’or). Le renforcement des dépenses d’investissement de l’Union pourrait être étendu via des enveloppes nationales venant alimenter un fonds pour financer les dépenses favorables à la croissance. Chaque enveloppe nationale serait dépensée dans le pays concerné pour éviter les controverses sur les transferts entre États membres. Ces enveloppes bénéficieraient d’un traitement spécifique au regard des règles budgétaires, soit dans le cadre des flexibilités existantes, soit par une révision du pacte de stabilité pour exclure explicitement ces contributions pour l’examen du respect des critères du pacte. Lors des échanges de la rapporteure avec le Comité budgétaire européen, Mateusz Szczurek a souligné que, alors qu’une règle d’or se contentait de permettre d’investir, un dispositif d’investissement en commun était plus incitatif et permettait de s’assurer que les investissements nécessaires à la transition écologique seraient réellement réalisés ;

– et une attention accrue aux déséquilibres macroéconomiques. La procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques devrait remplir son objectif initial de mieux intégrer les recommandations de politique budgétaire dans le contexte macro-économique plus large.

7.   Une proposition franco-italienne pour allier croissance durable et finances publiques soutenables

Concomitamment à la tribune du président de la République et de Mario Draghi, une proposition de réforme plus détaillée a été publiée par trois économistes italiens, dont le conseiller économique du président du conseil des ministres, et le conseiller « macro-économie et politiques commerciales » du président de la République ([62]). Cette proposition, destinée à alimenter la réflexion, ne constitue toutefois pas une proposition officielle des deux exécutifs.

Elle se fixe pour objectif de contribuer à une stratégie européenne cohérente favorisant une croissance durable et des finances publiques soutenables. Elle comporte deux volets.

Le premier consisterait en un plan de reprise de la dette visant à transférer une partie des dettes nationales accumulées pendant la crise du bilan de la BCE à une agence européenne de gestion de la dette. Pour les auteurs, la pandémie a constitué un choc commun extraordinaire et exogène, il n’y a donc pas d’aléa moral avec le plan proposé, alors qu’on peut en attendre des bénéfices substantiels en termes de réduction des coûts de financement pour les États européens – l’Union européenne bénéficiant de conditions d’emprunt plus avantageuses que la plupart des États membres –, de normalisation de la conduite de la politique monétaire et d’approfondissement du marché de la dette européenne. Enfin, ce plan offrirait aux États les plus endettés un meilleur point de départ pour leur effort de réduction de la dette.

Le deuxième consisterait en une révision des règles budgétaires existantes basée sur un ancrage de dette à moyen terme, avec une vitesse d’ajustement prenant en compte la part des dépenses consacrée aux investissements publics. L’objectif serait mis en œuvre par une règle pluriannuelle sur les dépenses. Partant du constat que la règle de dette actuelle est trop éloignée de la réalité des pays les plus endettés pour être utile, les auteurs proposent de travailler sur le rythme de réduction de la dette pour atteindre un objectif de dette à 10 ans. Le plafond de 60 % de dette ne serait pas remis en cause, mais constituerait un objectif à long terme. Pour faciliter l’appropriation des règles par le grand public, ils estiment nécessaire que les gouvernements communiquent en outre sur leur objectif de dette à 3 ans, considérant que le ratio de dette est facile à calculer, difficile à manipuler, et que le grand public est relativement familier avec cette notion.

Cette combinaison d’un ancrage de la dette et d’une règle en dépense est commune à de nombreuses propositions. L’apport de celle-ci est l’introduction d’une forme de règle d’or pour inciter à certaines dépenses publiques, à savoir les investissements publics bénéfiques pour les perspectives de croissance à long terme du pays et les dépenses qui contribuent aux biens publics européens profitant aux générations futures.

Cette règle d’or assez complexe comporterait deux éléments, l’un dans la règle de dépense, l’autre dans l’objectif de dette. Dans la règle de dépenses, un traitement préférentiel serait accordé aux dépenses d’avenir, en ne les soumettant pas au plafond de dépenses. Cette incitation serait toutefois incomplète, car même si les dépenses ne sont pas limitées par le plafond de dépenses, elles contribuent à augmenter la dette. Un mécanisme d’ajustement supplémentaire est par conséquent proposé, qui prévoit de modifier la vitesse des ajustements futurs de la dette en fonction des investissements réalisés par le passé. De cette manière, investir aujourd’hui contraindrait moins la politique budgétaire future.

D.   Poser les enjeux d’une réforme avant de discuter de ses modalités

Les auditions de la rapporteure et les nombreux documents de réflexion sur le sujet montrent à quel point le sujet est sensible politiquement et compliqué techniquement. Même s’il y a une volonté de rendre le cadre budgétaire moins dépendant de données non observables et difficilement compréhensibles par les citoyens, comme l’écart de production et le solde structurel, toutes les propositions exposées à la rapporteure demeurent d’une grande complexité. Une certaine complexité des règles est sans doute inévitable pour tenir compte de la complexité et de l’évolutivité de la situation économique, ainsi que de la diversité des situations des pays.

Pour éviter que la discussion se perde dans des considérations techniques ou que des crispations politiques la bloquent d’emblée, la rapporteure souligne la nécessité de l’aborder avec méthode et humilité. La France n’ayant pas toujours fait preuve d’exemplarité dans le respect du pacte de stabilité depuis son entrée en vigueur, nous devons prouver à nos partenaires que notre objectif est de trouver une solution de long terme profitable à l’ensemble de l’Union européenne pour favoriser une croissance durable et des finances publiques soutenables, et non de chercher à nous exonérer du respect de la discipline commune. Pour être crédibles dans cette discussion, il est par conséquent indispensable de rappeler, comme le fait régulièrement le ministre de l’économie, des finances et de la relance, que la France doit et va réduire son niveau de dette publique. Pierre Moscovici l’a rappelé lors de son audition : quelle que soit la règle retenue, les pays les plus endettés devront réduire leur dette plus vite que les autres.

Du point de vue de la méthode, la rapporteure souscrit à l’approche en deux temps proposée par le Président de la République, avec la réflexion stratégique proposée aux chefs d’État et de gouvernement à l’occasion du sommet des 10 et 11 mars prochain.

Il faut d’abord dégager une vision commune de la situation, du constat que les pays les plus endettés doivent consolider leurs finances publiques, mais de manière raisonnable, des défis économiques liés aux besoins d’investissements massifs pour la double transition, mais aussi aux changements structurels liés en particulier au vieillissement de la population. Il n’aurait aucun sens de discuter des moyens juridiques avant de se mettre d’accord sur les buts à atteindre.

Une fois un consensus dégagé sur les besoins, sur la stratégie de croissance de l’Union européenne et sur une bonne politique budgétaire globale, il conviendra de s’interroger sur le niveau d’intervention le plus efficace. Le plan de relance européen permet aujourd’hui aux États d’investir sans augmenter leur dette, mais il prendra fin en 2026. La création de nouveaux instruments mutualisés ou l’augmentation pérenne des dépenses du budget européen peuvent être des éléments pris en compte dans la définition d’une stratégie globale : plus les dépenses d’avenir seront mutualisées, moins il sera nécessaire de créer des mécanismes de type règle d’or pour que les règles budgétaires n’empêchent par les États d’investir pour l’avenir. Inversement, si ces investissements ne sont pas réalisés au niveau européen, il sera nécessaire de trouver un moyen pour qu’ils soient favorisés au niveau national. La Commission européenne se montre toutefois sceptique sur la possibilité de créer de nouvelles capacités communes avant qu’un bilan positif ait pu être tiré de la facilité pour la reprise et la résilience. Ce sujet est en outre lié à celui des ressources propres du budget européen, qui constitue une priorité de la Commission et de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, mais continue à diviser les États membres.

Ce n’est qu’une fois que le diagnostic sur les besoins aura été posé qu’il sera utile d’entrer le détail des mécanismes juridiques des règles budgétaires pour construire des trajectoires crédibles de réduction de la dette, remédier aux défauts du pacte identifiés de longue date, recentrer les règles sur l’objectif d’éviter les externalités négatives, et les inscrire dans une réelle perspective de convergence économique. La réflexion sur les règles budgétaires doit par conséquent s’accompagner d’une amélioration de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques ; la convergence des économies européennes ne repose pas uniquement sur les finances publiques.

Comme la rapporteure a tenté de le montrer au cours des développements précédents, un très important travail théorique, technique et juridique a déjà été fourni, qui permettra, lorsqu’un consensus politique aura été dégagé, de construire, si nécessaire, des propositions législatives.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 2 février 2022, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Madame la Présidente Sabine Thillaye. L’ordre du jour appelle l’examen d’un rapport d’information sur la révision des règles budgétaires européennes, qui est un sujet d’une extrême complexité, voire d’une complète illisibilité pour les citoyens européens.

Rapport à la fois complet et passionnant, il rappelle que ces règles étaient à l’origine relativement simples – du moins compréhensibles. Il s’agissait alors de distinguer les règles budgétaires fixées par les traités constitutifs de celles du pacte de stabilité et de croissance. Conclu en 1997, ce dernier durcit les règles de surveillance pour les États membres de la zone euro.

Toutefois, au fil des réformes, le Pacte de stabilité et de croissance est devenu une superposition de règles budgétaires complexes, reposant sur des concepts difficilement compréhensibles. Si la Commission européenne a publié un document de 100 pages, uniquement en anglais, pour expliquer comment fonctionne ce pacte de stabilité et de croissance, il existe une véritable nécessité de le simplifier.

Madame Caroline Janvier, rapporteure. Même s’il fait l’objet de débats depuis longtemps, c’est un sujet actuel qui a été remis en avant avec la pandémie de Covid-19, en ce que celle-ci a fait exploser les déficits publics. Or, les règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance doivent recommencer à s’appliquer en 2023, ce qui laisse peu de temps à la discussion.

Au cœur du dispositif juridique élaboré pour favoriser la convergence nécessaire à la création de l’Union économique et monétaire, ces règles budgétaires européennes, symbolisées par les fameux « critères de Maastricht » de 3 % de déficit et 60 % de dette, n’ont cessé de susciter la controverse entre les États membres et la contestation d’une partie des populations de l’Union. Déjà envisagées par la Commission européenne avant la crise sanitaire, des évolutions du pacte de stabilité et de croissance sont rendues nécessaires par les niveaux de dettes publiques hérités du « quoi qu’il en coûte » mis en œuvre, sous des formes diverses, par tous les pays européens pour faire face à la pandémie.

La Commission européenne a initié, en février 2020, un réexamen de la gouvernance économique européenne, suspendu durant la crise sanitaire avec le déclenchement de la clause dérogatoire générale prévue du pacte de stabilité, qui en suspend l’application jusqu’en 2023. Les restrictions sanitaires en place entraînant des conséquences économiques de moins en moins fortes, la Commission a relancé, à l’automne 2021, le débat sur une adaptation des règles budgétaires européennes. Une consultation publique a été conduite au dernier trimestre 2021 et la Commission est désormais en train d’analyser ces contributions citoyennes.

Aujourd’hui, il n’y a aucune proposition formelle de modification du pacte de stabilité et de croissance et il n’y en aura pas d’ici la fin de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE). À ce stade, la Commission envisage uniquement de présenter une communication au début de l’été, afin de clore la phase de consultation. Cependant, la PFUE sera bien dédiée à une réflexion stratégique sur le modèle de croissance de l’Union ainsi qu’à la construction d’un consensus entre les États membres sur les meilleurs moyens de concilier soutenabilité de la dette et investissements dans les dépenses d’avenir.

De leur côté, les États membres n’ont pas encore de positions tranchées. L’Italie et la France ont toutefois conjointement appelé à une réforme des règles budgétaires européennes, et ce dans le but de privilégier une réduction de l’endettement par des réformes structurelles plutôt que des coupes budgétaires ou hausses d’impôts. Les ministres des finances de huit États membres ont, quant à eux, signé, en septembre 2021, une lettre commune réaffirmant l’importance de finances publiques saines et appelant à ne pas lier la désactivation de la clause dérogatoire générale du pacte à une réforme des règles budgétaires européennes.

Les discussions sur les règles budgétaires européennes ont toujours été difficiles entre, d’un côté, les États du nord attachés à la discipline budgétaire et, de l’autre, les États du sud considérés comme dispendieux. Or, la pandémie de Covid-19 permet un débat plus constructif, en ce qu’elle a permis aux États du nord d’évoluer dans leur réflexion et aux États du sud de reconnaître la nécessité de réduire leurs endettements. Ainsi, deux États jouant un rôle essentiel viennent de changer de gouvernements et affichent désormais des orientations différentes : l’Allemagne, dont le contrat de coalition est remarquablement ambigu sur la question des règles budgétaires européennes, et les Pays-Bas.

Pour autant, si ces États acceptent de discuter d’une évolution du pacte de stabilité et de croissance, ils ne renoncent ni à la discipline budgétaire ni à des règles contraignantes. Autrement dit, même si les règles budgétaires européennes ne satisfont actuellement personne, atteindre un consensus pour une réforme ne sera pas aisé : en effet, certains considèrent que le pacte doit être réformé en ce qu’il fait peser des contraintes excessives, voire contre-productives, sur les politiques budgétaires nationales alors que d’autres, au contraire, constatent que trop d’États ne le respectent pas et qu’une réforme doit s’attacher à renforcer son applicabilité et son automaticité.

En ce qui concerne les défauts des règles budgétaires européennes actuelles, la principale critique porte sur leur extrême complexité. Elles comprennent quatre critères numériques, à savoir le ratio de déficit, le ratio de dette, le déficit structurel et l’augmentation annuelle des dépenses publiques ; ils s’accompagnent d’exceptions, clauses de sauvegarde et flexibilités qui, de fait, rendent ces critères peu transparents.

Ainsi, en apparence très contraignantes, les règles budgétaires européennes en pratique sont peu respectées. Mais tous les États ne tirent pas les mêmes conclusions de ce constat puisque certains soulignent que ces règles ne sont pas respectées car elles ne sont pas adaptées à la situation, alors que d’autres réclament une remise en cause de la marge d’interprétation de la Commission.

La complexité des règles budgétaires européennes découle pour partie du recours à des variables non-observables. Si ces variables inobservables peuvent servir utilement à des analyses a posteriori, elles ne devraient pas être utilisées comme outil de pilotage.

Ayant à l’origine pour but de remédier à un biais du pacte de stabilité et de croissance, qui favorisait des politiques budgétaires procycliques, le recours à ces variables a conduit à des efforts importants de consolidation budgétaire en périodes de récession. Inversement, dans les périodes de croissance, les États sont peu incités à reconstituer des réserves budgétaires. Ainsi, sur le plan économique, le niveau de la dette n’est pas géré de manière pertinente, les courbes d’évolution de la dette publique des États les plus endettés démontrant qu’elle augmente fortement en périodes de crise et reste sur un plateau jusqu’à la crise suivante.

Procycliques, les règles budgétaires sont aussi indifférentes à la qualité des finances publiques. Fondées sur des critères quantitatifs et une perspective essentiellement annuelle, elles ont conduit à sacrifier les dépenses d’investissement dans les périodes de consolidation, sans inciter à les relancer lors des retours à meilleure fortune. On le verra, la question de l’investissement, vert et numérique notamment, est fondamentale. Nous ne pouvons pas construire une économie soutenable sans investir massivement.

Les pays les plus endettés sont aussi ceux qui ont eu le plus de mal à réduire leur dette après la crise financière, si bien que les divergences entre États membres se sont accentuées. Les critères de convergence n’ont pas rempli l’objectif qui leur était assigné. Selon les prévisions économiques d’automne de la Commission, soumises à de fortes incertitudes, en 2023, date de la fin de la clause dérogatoire générale, une dizaine de pays afficheraient encore un déficit supérieur à 3 %, alors que trois connaîtraient des excédents budgétaires et deux seraient proches de l’équilibre. L’écart est encore plus grand pour les ratios de dette : la moitié des États membres respecterait le critère de 60 %, alors que six dépasseraient 100 %, dont la France. Les ratios d’endettement varieraient de 21,4 % pour l’Estonie à 192 % pour la Grèce ! Dans ce contexte, l’application de la règle de dette, qui impose de réduire d’un vingtième par an l’écart entre le ratio de dette et le plafond de 60 % est inapplicable pour certains pays. Il est évident que l’on ne peut pas imposer le même niveau d’effort à tous les pays.

Enfin, conçus au début des années 1990, les critères de Maastricht, qui représentaient à ce moment la moyenne des niveaux de dette et de déficit des États membres, ne se sont pas adaptés au changement de contexte macroéconomique, marqué par une baisse massive des taux d’intérêt, et donc de la charge de la dette, qui modifie la manière d’apprécier la soutenabilité de la dette publique. Même s’ils remontent, les taux d’intérêt devraient rester durablement inférieurs à leur niveau d’il y a trente ans en raison d’un excédent structurel d’épargne, lié notamment au vieillissement de la population et à l’augmentation des inégalités.

Enfin, dernier élément de contexte, les taux étant déjà à leur niveau plancher, l’efficacité de la politique monétaire pour soutenir l’activité atteint ses limites, d’autant que le retour de l’inflation pourrait conduire la BCE à la resserrer. Ce changement de contexte, ainsi que l’efficacité des mesures budgétaires prises pendant la crise, conduisent à réévaluer l’importance et l’efficacité de la politique budgétaire. En France, le plan de relance et la stratégie France 2030 doivent nous permettre de construire l’économie de demain.

Ce bilan des règles actuelles étant dressé, que peut-on faire ? De nombreux économistes se sont penchés sur la question, je vous renvoie à mon rapport écrit pour une présentation des propositions qui m’ont paru les plus significatives. Ces propositions vont, pour la plus audacieuse, jusqu’à la suppression des critères numériques pour les remplacer par des « standards », les États membres garantissant que leurs dettes publiques demeurent soutenables avec un haut niveau de probabilité. Je mentionne cette proposition en raison de la renommée de son auteur, Olivier Blanchard, mais il est peu probable qu’elle prospère et j’estime en outre qu’elle soulèverait de nombreuses difficultés. Les autres propositions, qui émanent notamment du Comité budgétaire européen, du Conseil d’analyse économique, d’économistes œuvrant au sein du Mécanisme européen de stabilité ou de Bruegel apportent des réponses différentes aux défis auxquels le pacte est confronté. Je vais m’efforcer de les synthétiser.

Pour ce qui concerne la simplification de l’architecture générale du pacte, un certain consensus des experts semble se dessiner pour privilégier un objectif principal – la soutenabilité de la dette, qui passe par la définition d’une cible et d’une trajectoire –, une règle opérationnelle prenant la forme d’une norme d’évolution des dépenses publiques, et une clause dérogatoire s’appuyant sur une analyse économique indépendante, comme par exemple le Haut Conseil aux finances publiques en France.

La règle en dépenses présente l’avantage d’être observable, contrairement au déficit structurel et à l’écart de production, maîtrisée par les autorités nationales, visible dans la loi de finances annuelle, compréhensible par le grand public et naturellement contracyclique par l’action des stabilisateurs automatiques. La plupart des propositions excluraient les dépenses de chômage de la norme de dépenses. En outre, les baisses conjoncturelles de recettes ne nécessiteraient pas de réduction compensatrice des dépenses ; à l’inverse, des augmentations conjoncturelles de recettes ne permettraient pas de relâcher l’effort sur les dépenses, ce qui favoriserait la reconstitution de marges budgétaires en période de croissance. La règle en dépenses ne permettrait toutefois pas de s’exonérer complètement des variables non observables, puisque la définition de la norme se ferait en référence à la croissance potentielle.

Le cœur du problème est la définition des cibles et trajectoires en matière de dette pour que les États les plus endettés réduisent leur dette, mais à un rythme raisonnable. La règle actuelle, avec un objectif de 60 % et un rythme de 1/20e par an, n’est pas soutenable, tout le monde en est bien conscient. Il faut garder à l’esprit le fait que toute évolution, qu’elle passe par une révision du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, peu probable, du protocole n° 12 ou de la législation secondaire, nécessite l’unanimité des États membres. La Commission semble également considérer que beaucoup pourrait être fait par voie d’interprétation des règles actuelles, mais cela suppose un minimum de consensus entre États membres. Les trois grandes hypothèses portent sur la fixation de cibles de dette différentes selon la situation des États membres, une augmentation du plafond pour tous les États membres à 80 ou 100 % pour tenir compte à la fois du niveau moyen des dettes dans l’Union et de la baisse de la charge de la dette, ou le maintien de la règle des 60 %, mais avec des trajectoires différenciées et éventuellement comme objectif de très long terme. Compte tenu de la diversité des situations des États membres, il me paraît extrêmement difficile de conserver des règles identiques pour tous. Si le principe d’une individualisation des trajectoires est accepté, le débat portera ensuite sur la manière de définir ces trajectoires et les rôles respectifs des États membres, des institutions européennes – Commission et Conseil – et des institutions budgétaires indépendantes, européennes ou nationales. L’individualisation des trajectoires contribuerait grandement à l’appropriation nationale des règles, qui fait défaut aujourd’hui.

La quadrature du cercle constituera à allier assainissement des finances publiques et investissements, en particulier pour les transitions vertes et numériques. Nous savons que les besoins d’investissements publics seront massifs pendant des décennies. Certains considèrent que c’est finalement à chaque État membre de dégager les moyens nécessaires en respectant la trajectoire de la réduction de la dette qui lui est assignée. D’autres promeuvent des mécanismes plus incitatifs, qui passent par une règle d’or exonérant certaines dépenses du respect des règles, une augmentation des dépenses d’investissement au niveau européen, qui soulagerait d’autant les budgets nationaux, ou une modulation du rythme de réduction de la dette en fonction de la nature de dépenses.

Enfin, le débat entre les États membres portera à n’en pas douter sur l’équilibre entre automaticité des règles, au risque de la rigidité, et marges d’appréciation de la Commission, au risque d’une moindre transparence et d’une moindre applicabilité.

Comme vous le voyez au terme de ce panorama que j’ai voulu très synthétique, les sujets de discussion ne manqueront pas. Il me paraît nécessaire d’aborder le débat avec méthode et humilité, la France n’ayant pas particulièrement brillé par son respect scrupuleux des règles communes jusqu’ici, ce qui l’empêche de faire des propositions trop audacieuses.

La démarche proposée par le président de la République me paraît la bonne : il est nécessaire que les États membres se mettent d’accord sur les défis à relever avant de discuter de la modification des règles. Il serait contre-productif de partir en guerre sabre au clair contre la règle de 60 %, au risque de brusquer nos partenaires et notamment les pays les plus attachés aux règles budgétaires. Engageons-nous d’abord à assainir nos finances publiques grâce à des réformes adaptées, partageons le constat de la grande hétérogénéité des situations des États membres et des défis à relever pour améliorer la croissance dans les prochaines années, et tous les travaux d’économistes menés jusqu’ici pourront servir de base à la construction de règles plus simples et plus efficaces. Si la réforme ne devait pas être adoptée à temps pour 2023, je ne doute pas qu’un consensus pourra être trouvé pour qu’une interprétation souple des règles actuelles permette d’assurer la transition vers un régime plus pérenne.

 

L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. C’est un sujet extrêmement complexe, mais essentiel lorsque l’on s’aperçoit du différentiel de ratio de la dette entre l’État européen les plus vertueux en matière de finances publique et ceux qui ont plus de difficultés. Nous faisons toujours face à un problème de confiance mutuelle en Europe. Ces règles peuvent se transformer en une bombe à fragmentation si l’on ne réussit pas à trouver des accords entre États.

Est-ce que l’on sait qui détient les dettes nationales et est-ce que cela a une incidence particulière ? Dans le cas de l’Italie par exemple, il me semble que la majorité de la dette est détenue par des Italiens. Enfin, comment arriver à intégrer les politiques budgétaires nationales ? Dans une tribune commune, Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt regrettaient de ne pas avoir mis en place en Europe une gouvernance économique commune, dont une politique budgétaire intégrée.

M. Christophe Jerretie. Je voudrais souligner deux éléments concernant les règles budgétaires. Il faut bien différencier l’annualité, c’est-à-dire le déficit, et la pluriannualité, la dette publique. La base de travail du futur pacte de stabilité sera de bien diviser ces deux éléments. Dans le cadre du semestre européen, le programme de stabilité intègre une trajectoire à moyen terme de croissance ainsi que plusieurs réformes à mettre en œuvre. L’Union européenne et les parlements nationaux devront réfléchir à la coordination du programme de stabilité et des règles budgétaires.

Ma première question concerne les règles budgétaires applicables dans un an. Nous savons que l’introduction d’une nouvelle règle est complexe car il faut l’adopter à l’unanimité et puis la ratifier. Est-ce que vous avez abordé, au cours de vos auditions, les portes de sortie envisageables ?

Ma seconde question concerne le souhait de nombreux experts de mettre en place une trajectoire par pays. Quel est votre sentiment par rapport à ce sujet au vu des auditions que vous avez réalisées ?

Enfin, est-ce que le sujet du remboursement d’un pourcentage de la dette par pays, en lien avec la croissance, a été évoqué lors de vos auditions ?

M. André Chassaigne. Je soutiens l’exclusion du calcul de déficit les dépenses d’investissement dans la transition écologique dont les enjeux sont considérables. La majorité a rejeté notre proposition de financement dérogatoire aux règles budgétaires européennes, qui visait également à permettre plus d’investissements sociaux. Selon Bruegel, pour remplir les objectifs climatiques européens les investissements publics devraient être augmentés d’au moins 100 milliards d’euros par an.

Les règles budgétaires européennes datent d’il y a trente ans. Le ratio de 60 % était simplement le ratio de dette moyen dans l’Union. Aujourd’hui, les ratios d’endettement public ont atteint 100 % du PIB à l’échelle de la zone euro, raison pour laquelle la Commission européenne a activé la clause dérogatoire générale durant la crise.

La crise COVID n’a fait qu’exacerber les symptômes d’une Union qui souffre de la maladie chronique du système néolibéral et austère. Ce même système fait que les divergences et les inégalités entre États-membres et citoyens se voient encore aggravées. Ce même système encourage la destruction environnementale de notre planète. Une révision des règles budgétaires européennes est indispensable et doit être menée d’une manière écologique et sociale.

Les politiques d’austérité de la Troïka, après la crise de 2008, ont échoué. Les personnes les plus vulnérables, une génération entière en a payé le prix ; il ne faut pas commettre les mêmes erreurs. L’économie doit être au service des personnes et non pas l’inverse. L’Union et ses États membres ont une responsabilité énorme envers leurs citoyens. Le niveau de la dette publique ne doit pas se transformer en fétichisme politique alors que la soutenabilité de la dette ne dépend pas de son niveau mais de la capacité de l’État à assumer sa charge. La viabilité de la dette dépend de nombreux facteurs, il faut tous les prendre en compte, reconnaître la diversité des situations entre les pays et adapter la mise en œuvre des règles aux circonstances nationales. Les gouvernements nationaux doivent conserver la souveraineté sur la composition de leurs dépenses, or les règles actuelles ne le permettent pas. Faisons de la dette une question éminemment politique et sortons d’une vision technique et réglementaire. La dette est une opportunité car pour relever les défis sociaux et écologiques qui nous attendent, il faut permettre des investissements publics massifs. Faire le contraire renforcerait davantage la fracturation de l’Union. En 1793, le révolutionnaire Pierre Vergniaud prononça les mots suivants : « Citoyens, il est à craindre que la révolution, comme Saturne, ne dévore successivement tous ses enfants ». Aujourd’hui, il est à craindre que par sa politique d’austérité, l’Union ne dévore ses propres citoyens et sa propre Union.

Je souhaite vous poser deux questions. Mon groupe, comme de nombreux économistes progressistes, se fait avocat d’une monétisation ou d’une annulation des dettes. Cela ne pourrait-il pas permettre une refondation écologique et sociale du projet européen ? Il est question de l’annulation des dettes publiques rachetées depuis 2015 par la BCE, soit 2 320 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union, dont 457 milliards d’euros pour la France à la fin de l’année 2020. Il ne s’agit pas d’annuler les titres de dette publique détenus par les banques, les assureurs ou les fonds de pension, ce qui déstabiliserait le système financier et appauvrirait les épargnants. Une banque centrale n’est ni un créancier ordinaire ni un débiteur ordinaire ; si elle annulait une créance qu’elle détient, aucun fardeau ne serait transféré sur quiconque car son passif n’est exigible par personne.

Ensuite, quel moyen la France, en tant que présidente du Conseil, a-t-elle pour convaincre les pays « frugaux » auxquels j’ajouterai l’Allemagne, d’utiliser cette opportunité unique de rendre l’Union plus solidaire et écologique ?

M. Christian Petry, député du Bundestag. Les États ne rembourseront pas leur dette mais la réduiront grâce à la croissance, à l’inflation et à l’amélioration du marché du travail.

L’accord de coalition des partis qui forment le nouveau gouvernement fédéral est proeuropéen, aussi et surtout lorsqu’il s’agit des règles de l’Union concernant la politique budgétaire des États membres. Je cite : « Nous voulons renforcer et approfondir l’Union économique et monétaire. Le pacte de stabilité et de croissance (PSC) a apporté la preuve de sa souplesse. Sur la base de ce pacte, nous voulons assurer la croissance, maintenir la viabilité de la dette et veiller à ce que les investissements soient durables et respectueux du climat. L’évolution des règles budgétaires devrait être guidée par ces objectifs afin de renforcer leur efficacité face aux défis de notre époque. Le PSC devrait être plus simple, plus transparent et plus flexible notamment pour renforcer son application. »

Je ne trahis sans doute aucun secret en disant que c’est notamment le SPD qui a œuvré en faveur de cette ouverture aux réformes. Mais c’est là désormais la base commune de l’action de la coalition « feu tricolore » et cela engage l’ensemble du gouvernement. La présidence française du Conseil mise, à juste titre, sur un rôle constructif actif de l’Allemagne afin que cette présidence puisse se traduire par un progrès pour l’Europe dans son ensemble.

Dans ce contexte, il est également et particulièrement nécessaire de travailler rapidement à des solutions communes sur des sujets difficiles – comme l’évolution du pacte de stabilité et de croissance et l’achèvement de l’union bancaire, mais aussi la mise en œuvre socialement équitable du paquet climat européen. Compte tenu des risques persistants, liés au Covid-19 et à l’inflation, la poursuite du renforcement des investissements et de la cohésion au sein de la zone euro doit être inscrite tout en haut de l’ordre du jour.

Au cours des vingt dernières années, l’euro s’est révélé être une monnaie stable. Il a favorisé la croissance et la prospérité de l’Allemagne et de toute l’Europe. Cependant, face aux défis nouveaux, la capacité d’action politique commune de la zone euro va revêtir une importance entre plus grande dans les mois et les années à venir. Dans ce contexte, l’Allemagne et la France ont une responsabilité particulière. Lors du dernier conseil EcoFin, le ministre fédéral des Finances, M. Christian Lindner, a reconnu la nécessité de nouvelles réformes, tout en soulignant le rôle de médiateur que devra jouer l’Allemagne. Pour ma part, je souhaite que l’Allemagne joue un rôle constructif actif. J’attends avec impatience la poursuite de la coopération et du dialogue à l’échelle européenne concernant la révision des règles budgétaires.

Mme Caroline Janvier, rapporteure. Les députés ont un rôle à jouer concernant les propositions de réforme et nous devons poursuivre ce dialogue pendant les prochains mois.

Concernant la détention de la dette, je n’ai pas la réponse, il me semble qu’il est difficile de déterminer exactement qui détient cette dette et qui sont nos créanciers.

Par rapport à la question de la gouvernance et de la mise en commun des politiques budgétaires, j’estime que la singularité de notre modèle d’union économique et monétaire, qui fait que nous sommes liés les uns aux autres, nous permet d’avoir une monnaie forte et une zone économique qui peut concurrencer les États-Unis et la Chine. Ainsi, je ne soutiens pas ce que proposent certaines formations politiques qui souhaitent se soustraire à nos obligations en matière de remboursement de la dette ou encore de ne pas tenir compte des recommandations de la Commission européenne. De cette union, un certain nombre de contraintes émergent. Par exemple, une situation de dérapage budgétaire d’un État membre affecte tous les autres pays ; l’augmentation du taux d’intérêt dans un pays peut, par contagion, entraîner l’augmentation du taux d’intérêt des autres pays de la zone. D’autres contraintes sont également importantes dont la règle européenne de non-renflouement des pays se trouvant dans des situations désastreuses afin de garantir la crédibilité de l’Union pour les investisseurs ou encore les contraintes liées à la conduite de la politique monétaire en lien avec les politiques budgétaires nationales.

Nous ne sommes pas encore arrivés à une harmonisation parfaite. Nous ne pouvons que constater que les écarts, au lieu de se réduire, se creusent. Il est donc nécessaire de continuer le débat sur la révision des règles budgétaires au niveau national et avec nos homologues européens, car il pourra permettre d’atteindre un niveau d’acculturation plus important.

Le sujet le plus problématique reste celui de la dette, davantage que le déficit. Les personnalités politiques et experts que j’ai auditionnés ne croient pas que le rétablissement des règles budgétaires d’ici début 2023 soit réalisable. L’option la plus plausible est que les règles seront appliquées avec indulgence en 2023.

Concernant, la trajectoire par pays, ce sujet fait de plus en plus consensus bien que les détails concernant la construction de cette trajectoire ne soient pas encore connus. Il serait nécessaire d’accorder un rôle plus important aux autorités indépendantes nationales dont le Haut Conseil des finances publiques en France. Cette proposition oblige également à accroître le dialogue avec les instances européennes et à renforcer le travail d’acculturation des citoyens et de l’opinion publique pour éviter de transformer les discussions en débat d’experts.

La question des investissements écologiques est primordiale et interroge les règles établies par le pacte de stabilité et de croissance. Le plan de relance et la stratégie France 2030 témoignent de la prise de conscience de cet enjeu. Sans investissements massifs, il n’y aura pas de transition écologique, ni de transition numérique. La question principale sera de déterminer quel investissement pourra être considéré comme participant à la transition écologique. Les sources d’énergie à privilégier devront également être déterminées. De nombreux échanges seront nécessaires pour arriver à un compromis.

Sur le sujet de la fétichisation politique de la soutenabilité de la dette et de l’importance d’avoir une souveraineté nationale, je soutiens, au contraire, que la solidarité entre les États et la responsabilisation de chacun des acteurs de l’Union économique et monétaire continuera de faire notre force. De plus, concernant l’annulation de la dette, elle n’est pas permise par les traités et serait donc illégale. Une annulation de la dette aurait de nombreux effets sur le plan monétaire en raison de la diminution de l’actif de la banque centrale qui entraînerait l’augmentation du risque inflationniste et des variations du taux d’intérêt, mais également une perte de crédibilité auprès des investisseurs étrangers. Le mécanisme actuel participe ainsi à l’équilibre du système et à la crédibilité de nos institutions.

Enfin, le dernier point que je souhaite aborder porte sur la façon de convaincre les pays frugaux, dont l’Allemagne peut faire partie, d’accepter les réformes de la zone. Je ne pense pas que ce sujet doit être approché comme un combat politique entre d’un côté des pays dispendieux souhaitant s’exonérer des règles et de l’autre, des pays ayant une maîtrise trop stricte de leurs dépenses. Les règles communes ont un intérêt sur le long terme pour les générations futures, notamment pour conserver la marge de manœuvre des États pour maintenir une charge de la dette soutenable. Ces débats sont donc l’opportunité de trouver un nouvel équilibre.

M. Christophe Jerretie. En France, la dette est possédée à environ 50 % par les résidents et environ 50 % par des non-résidents. Ces chiffres ont évolué ces dernières années. De plus, il serait intéressant de savoir si cette dette est détenue par des banques classiques ou des fonds.

Concernant l’application des règles budgétaires, j’estime que le critère des 3 % est atteignable, même si ce sera un peu moins rapide pour certains pays. Le problème est le ratio d’endettement de 60 %, alors même que ce critère est mis de côté par des pays comme les États-Unis ou le Japon. À titre de comparaison, la dette du Japon atteint 250 % de son PIB. Ainsi, je soutiens que l’Union européenne doit trouver des critères différents concernant la pluriannualité de l’endettement. En matière annuelle, le vrai sujet est le paiement de la charge de la dette.

Est-ce que la possibilité d’intégrer un pourcentage de remboursement du capital de la dette dans chaque budget national a été évoquée dans vos auditions ? L’intégration d’un tel pourcentage pourrait permettre de diminuer annuellement le montant du capital de la dette de plusieurs milliards. Cette diminution permettrait de rassurer les investisseurs et la population.

Concernant les investissements, les gouvernements et l’Union européenne devraient travailler sur une logique d’amortissement de l’investissement, comme cela est mis en œuvre par les entreprises et les collectivités territoriales.

Enfin, le problème du remboursement de la dette commune européenne devra être élucidé. Les prochains critères établis devront probablement intégrer une règle relative à ce remboursement. Pour beaucoup, les recettes supplémentaires et la croissance pourront être suffisantes, mais il me semble nécessaire d’intégrer cet aspect aux règles européennes, car une crise survient en moyenne tous les quinze ans et des périodes de décroissance peuvent survenir dans le futur.

 

La Commission a autorisé le dépôt du présent rapport d'information en vue de sa publication.

 


— 1 —

   Annexe :
Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

● M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, ancien commissaire européen aux affaires économiques et monétaires (2014-2019), ancien ministre de l’économie et des finances (2012-2014)

● Mme Stéphanie Yon-Courtin, vice-présidente de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen

● Mmes Aliénor Marguerit et Roberta Torre, membres du cabinet du commissaire européen Paolo Gentiloni

● M. Lucio Pench, directeur des politiques macroéconomiques à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, et M. Sven Langedijk, conseiller auprès du directeur

● M. Niels Thygesen, président, et MM. Roel Beetsma, Massimo Bordignon et Mateusz Szczurek, membres du Comité budgétaire européen

 Mme Claire Cheremetinski, cheffe du service économique, commercial et financier de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

● Mme Shanti Bobin, sous-directrice des affaires européennes à la Direction générale du Trésor

● Banque de France : M. Olivier Garnier, directeur général, en charge des études et des relations internationales, et Mmes Sandra Debu et Véronique Bensaid-Cohen, conseillère parlementaire

● M. Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique et co-président du Conseil d’analyse économique franco-allemand

 M. Olivier Blanchard, professeur émérite au Massachusetts Institute of Technology, Fred Bergsten Senior Fellow, Peterson Institute for International Economics

● M. Guntram Wolff, économiste, directeur de Bruegel

● Mme Catherine Mathieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), présidente de l’Association d’instituts européens de conjoncture économique

● M. François Ecalle, président de FIPECO, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, ancien membre du Haut Conseil des finances publiques

● M. Andreas Eisl, chercheur à l’Institut Jacques Delors

● Mouvement européen : M. Yves Bertoncini, président, et M. Henri Courtehoux, chargé de plaidoyer sur l’union économique et monétaire


([1]) Tous les États membres actuels de l’Union européenne, à l’exception de la République tchèque et de la Croatie, qui n’est devenue membre de l’UE qu’en 2013.

([2]) Rapport sur l’Union économique et monétaire dans la Communauté européenne, 12 avril 1989.

([3]) Règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques.

([4]) Règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil du 7 juillet 1997 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.

([5]) Arrêt de la Cour (assemblée plénière) du 13 juillet 2004, Commission des Communautés européennes contre Conseil de l’Union européenne, Affaire C-27/04.

([6]) Règlement (CE) n° 1055/2005 du Conseil du 27 juin 2005 modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques et règlement (CE) n° 1056/2005 du Conseil du 27 juin 2005 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs.

([7]) Règlement (UE) n° 1173/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro, règlement (UE) n° 1175/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques, règlement (UE) n° 1177/2011 du Conseil du 8 novembre 2011 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs, directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres, règlement (UE) n° 1174/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro et règlement (UE) n° 1176/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques.

([8]) Règlement (UE) n° 472/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au renforcement de la surveillance économique et budgétaire des États membres de la zone euro connaissant ou risquant de connaître de sérieuses difficultés du point de vue de leur stabilité financière et règlement (UE) n° 473/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 établissant des dispositions communes pour le suivi et l’évaluation des projets de plans budgétaires et pour la correction des déficits excessifs dans les États membres de la zone euro.

([9]) Pour la France, loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

([10]) Communication de la Commission, Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance, COM(2015) 12 final, 13 janvier 2015.

([11]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, L’économie de l’UE après la pandémie de COVID-19 : conséquences pour la gouvernance économique (COM[2021] 662 final), 19 octobre 2021, page 12.

([12]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Réexamen de la gouvernance économique, Rapport sur l’application des règlements (UE) nº 1173/2011, nº 1174/2011, nº 1175/2011, nº 1176/2011, nº 1177/2011, nº 472/2013 et nº 473/2013 et sur l’adéquation de la directive 2011/85/UE du Conseil (COM[2021] 55 final), 5 février 2020, page 11.

([13]) Communication de la Commission, Projets de plans budgétaires 2018 : évaluation globale (COM[2017] 800 final), 22 novembre 2017.

([14]) Voir par exemple les notes du Conseil d’analyse économique n° 47 de septembre 2018 et n° 63 d’avril 2021, ainsi que le rapport de 14 économistes français et allemands de janvier 2018 (https://cepr.org/sites/default/files/policy_insights/PolicyInsight91.pdf).

([15]) L’OCDE et le FMI se sont à plusieurs reprises prononcés pour une évolution des règles budgétaires.

([16]) Voir par exemple le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2020.

([17]) https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/SR18_18/SR_EUROPEAN_SEMESTER_FR.pdf et https://www.eca.europa.eu/fr/Pages/DocItem.aspx?did=52391.

([18]) European fiscal board, Assessment of EU fiscal rules with a focus on the six and two-pack legislation, août 2019.

([19]) Voir notamment Michal Andrle et al., Reforming fiscal governance in the European Union, IMF staff discussion note, mai 2015 ; Gregory Claeys et al., A proposal to revive the european fiscal framework, Bruegel policy contribution 2016/07, mars 2016 et les propositions de 14 économistes français et allemands : Agnès Bénassy-Quéré et al., Reconciling risck sharing with market discipline : a constructive approach to euro area reform, CEPS policy insight n° 91, janvier 2018.

([20]) https://ec.europa.eu/info/sites/default/files/economy-finance/ip101_en.pdf.

([21]) Zsolt Darvas, Philippe Martin et Xavier Ragot, Réformer les règles budgétaires européennes : simplification, stabilisation et soutenabilité, Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 47, septembre 2018.

([22]) Karine Berger, Rapport fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2017, annexe n° 27, Conduite et pilotage des politiques économiques et financières, Assemblée nationale, XIVe législature, n° 4125, 13 octobre 2016.

([23]) European fiscal board, Assessment of EU fiscal rules with a focus on the six and two-pack legislation, août 2019, page 84.

([24]) Comité budgétaire européen, Assessment of EU fiscal rules with a focus on the six and two-pack legislation, août 2019, page 56.

([25]) Comité budgétaire européen, Rapport annuel 2020, 28 septembre 2020, page 92.

([26]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Réexamen de la gouvernance économique, Rapport sur l’application des règlements (UE) nº 1173/2011, nº 1174/2011, nº 1175/2011, nº 1176/2011, nº 1177/2011, nº 472/2013 et nº 473/2013 et sur l’adéquation de la directive 2011/85/UE du Conseil (COM[2021] 55 final), 5 février 2020, page 8.

([27]) Une étude de 2017 a montré que les grands pays avaient tendance à davantage s’écarter de leurs engagements que les petits.

([28]) https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/economic-and-fiscal-policy-coordination/european-fiscal-board-efb/compliance-tracker_en

([29]) La base de données du Comité budgétaire européen prend en compte les quatre règles relatives au déficit, à la dette, au solde structurel et aux dépenses.

([30])  Commission pour l’avenir des finances publiques – documents préparatoire, mars 2021.

([31]) Dette publique : un changement de paradigme, et après ?, OFCE policy brief n° 92, 6 octobre 2021, page 8.

([32]) Le taux apparent de la dette publique en année N est le rapport entre la charge d’intérêts des administrations publiques constatée cette année N et le montant de la dette publique à la fin de l’année N-1.

([33]) Bulletin économique de la Banque centrale européenne numéro 5/2021, page 97.

([34]) Commission européenne, Réexamen de la gouvernance économique (COM[2020]) 55 final, 5 février 2020.

([35]) Communication de la Commission européenne, Coordination des politiques économiques en 2021 : surmonter la COVID-19, soutenir la reprise et moderniser notre économie, COM(2021) 500 final, 2 juin 2021 page 7.

([36]) Philip Muggenthaler, Joachim Schroth et Yiqiao Sun, L’impact économique hétérogène de la pandémie sur les pays de la zone euro, Bulletin économique de la Banque centrale européenne numéro 5/2021, page 47.

([37]) Communication de la Commission du 19 octobre 2021 : L’économie de l’UE après la pandémie de COVID-19 : conséquences pour la gouvernance économique (COM[2021] 662 final)

([38]) OCDE (2021), Études économiques de l’OCDE : Zone euro 2021, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/c44ad06e-fr.

([39]) OCDE (2021), Perspectives économiques de l’OCDE, Volume 2021 Numéro 1 : Version préliminaire, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/631c1b44-fr

([40]) Daniel Gros et Francesco Corti, Fiscal rules in a post-covid brave new world, No need to sprint, CEPS Policy Insights, n° 2021-14, octobre 2021.

([41]) L’effet boule de neige fait référence à l’impact net des taux d’intérêt, de l’inflation et de la croissance du PIB sur l’évolution du ratio de dette.

([42]) Zsolt Darvas et Guntram Wolff, A green fiscal pact : climate investment in times of budget consolidation, Policy contribution 18/2021, Bruegel, septembre 2021.

([43]) Miguel Maduro, Philippe Martin, Jean-Claude Piris, Jean Pisani-Ferry, Lucrezia Reichlin, Armin Steinbach et Beatrice Weder di Mauro, Revisiting the EU framework : Economic necessities and legal options, CEPR Policy insight n° 114, décembre 2021, page 14.

([44]) Olga Francová et al., op. cit., page 23.

([45]) Résolution du Parlement européen du 8 juillet 2021 sur l’examen du cadre législatif macroéconomique pour une incidence renforcée sur l’économie réelle européenne et une plus grande transparence de la prise de décisions et de la responsabilité démocratique.

([46]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/due/l15due20210186_compte-rendu#

([47]) https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/12/23/strategie-macroeconomique-et-budgetaire-union-europeenne

([48]) https://www.ceps.eu/ceps-events/redesigning-eu-fiscal-rules-after-covid-19/

([49]) La coalition rassemble quatre partis, le VVD (libéral de droite), le D66 (libéral progressiste), le CDA (les chrétiens-démocrates) et le ChristenUnie (orthodoxe).

([50]) Commission européenne, Recommandation de recommandation du Conseil concernant la politique économique de la zone euro (COM[2021]742 final), 24 novembre 2021

([51]) Cour des comptes, Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, juin 2021, page 113.

([52]) Article 1er de la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.

([53]) Les augmentations conjoncturelles des recettes n’ont pas d’incidence sur le plafond des dépenses – ce qui entraîne une discipline budgétaire plus rigoureuse que les règles actuelles en période de croissance et permet de reconstituer des marges – et les baisses conjoncturelles de recettes ne nécessitent pas de réduction compensatrice des dépenses.

([54]) Olivier Blanchard, Álvaro Leandro et Jeromin Zettelmeyer, Redesigning, EU Fiscal Rules : From Rules to Standards, Peterson Institute for International Economics, Working paper 21-1¸ février 2021.

([55]) Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, Vers une réforme des règles budgétaires dans la zone euro ?, Sciences Po OFCE working paper n° 26/2021.

([56]) Olga Francová, Ermal Hitaj, John Goossen, Robert Kraemer, Andreja Lenarčič et  Georgios Palaiodimos, EU fiscal rules : reform considerations, discussion paper series/17, octobre 2021.

([57]) Voir l’intervention de Klaus Regling à la conférence sur les marchés financiers du conseil économique de la CDU du 6 mai 2021 : https://www.esm.europa.eu/speeches-and-presentations/stabilising-sovereign-debt-and-deepening-emu-after-pandemic-speech-klaus.

([58]) Philippe Martin, Jean Pisani-Ferry et Xavier Ragot, Pour une refonte du cadre budgétaire européen, Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 63, avril 2021.

([59]) Zsolt Darvas et Guntram Wolff, A green fiscal pact : climate investment in times of budget consolidation, Policy contribution 18/2021, Bruegel, septembre 2021.

([60]) OFCE policy brief n° 92, page 15.

([61]) Voir les rapports d’André Chassaigne au nom de la commission des affaires européennes (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/due/l15b4719_rapport-fond#), d’Hubert Wulfranc au nom de la commission des finances (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_fin/l15b4748_rapport-fond#) et le compte rendu de la séance publique (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2021-2022/troisieme-seance-du-jeudi-02-decembre-2021#2707815).

([62]) Francesco Giavazzi, Veronica Guerrieri, Guido Lorenzoni et Charles-Henri Weymuller, Revising the European fiscal framework, 23 décembre 2021 : http://cpb-us-w2.wpmucdn.com/voices.uchicago.edu/dist/6/2265/files/2019/04/Reform_SGP-final-draft.pdf