N° 5119

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ASSEMBLÉE NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

 

PAR LA MISSION D’INFORMATION
sur la résilience nationale ([1])

 

 

 

président

 

M. Alexandre FRESCHI

 

 

rapporteur

 

M. Thomas GASSILLOUD

 

Députés

 

——

 


 

 

La mission d’information, créée par la conférence des présidents, sur la résilience nationale est composée de : M. Alexandre Freschi, président ; M. Thomas Gassilloud, rapporteur ; Mme Marine Brenier ; Mme Blandine Brocard ; M. Jérôme Lambert ; Mme Sereine Mauborgne, vice-présidents ; M. Philippe Dunoyer ; Mme Valéria Faure-Muntian ; M. Buon Tan ; Mme Élisabeth Toutut-Picard, secrétaires ; M. Christophe Blanchet ; M. Éric Bothorel ; Mme Carole Bureau-Bonnard ; M. Anthony Cellier ; M. Jean-Jacques Ferrara ; Mme Laurence Gayte ; M. Fabien Gouttefarde ; Mme Anissa Khedher ; M. Jean Lassalle ; M. Fabien Matras ; Mme Mathilde Panot ; Mme Nathalie Porte.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-Propos du président

Introduction

Synthèse

I. De la nécessité d’une stratégie de résilience nationale

A. Un environnement caractérisé par des risques et menaces multiples, pouvant produire des effets cumulatifs et systémiques

1. Une conflictualité généralisée à tous les espaces, dans un contexte d’affaiblissement de la gouvernance mondiale

a. Une « brutalisation » des rapports entre nations

b. Une conflictualité qui s’étend à tous les espaces, y compris immatériels

c. Des relations internationales de moins en moins régulées par le droit

d. La permanence d’une menace terroriste devenue largement endogène

2. Une crise climatique grave, à l’origine de chocs de plus en plus violents

a. La crise climatique : un élément d’une conjonction de crises

b. La multiplication des phénomènes extrêmes

c. La démultiplication du risque pandémique

d. Les migrations environnementales

3. L’interdépendance dans un monde fondé sur les flux

a. Les principaux facteurs de l’interdépendance

b. Le degré de dépendance de la France

c. La dépendance à l’électricité et aux technologies de l’information

B. La crise sanitaire précipite la prise de conscience de vulnérabilités

1. L’analyse de la gestion de la crise sanitaire

a. Les missions d’information et commissions d’enquête parlementaires

b. Autres rapports

2. L’analyse des implications de la crise sanitaire

a. Les implications économiques et industrielles

b. Les implications numériques

c. Les implications juridiques

d. La gestion des risques

C. Comment définir la résilience de la nation ?

1. Un concept issu de la psychologie individuelle, de plus en plus utilisé à l’échelle des organisations

a. Un concept multidimensionnel

b. Des critiques dont la portée ne doit pas être négligée

2. Une appropriation progressive du concept dans la sphère publique en France

3. L’enjeu politique et sociétal que représente la résilience de la nation reste néanmoins insuffisamment pris en compte en France

D. les finalités d’un projet de résilience nationale

1. Souveraineté, indépendance, autonomie

2. Maintenir la promesse républicaine dans un contexte où les attentes sociales sont de plus en plus fortes

3. Maintenir la forme démocratique de l’État et l’autonomie de la société vis-à-vis de ce dernier.

4. Un projet de résilience doit reposer sur l’appréciation transparente des risques auxquels la nation est confrontée

II. La France de 2022 a des atouts solides en termes de résilience mais aussi certaines vulnérabilités

A. La France dispose d’atouts spécifiques qui sont autant de facteurs avérés ou potentiels de résilience

1. Une volonté de souveraineté inscrite dans la longue durée, adossée à d’importantes capacités diplomatiques et militaires et à une position géographique privilégiée

a. Le souci de l’indépendance nationale transparaît, sous différentes formes, au cours de l’histoire politique de la France

b. La France est favorisée dans son dessein de souveraineté par une géographie privilégiée

c. Des capacités reconnues d’anticipation et de planification stratégiques

d. Un outil de défense et des initiatives diplomatiques renouvelés, garants de l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe

2. L’appartenance à l’Union européenne et à la zone euro

a. Des mécanismes d’intégration économique et monétaire qui ont fait la preuve de leur résilience

b. L’harmonisation des normes et des modalités de soutien aux opérateurs économiques, gage d’une plus grande résilience du marché unique

3. Des atouts économiques spécifiques

a. L’autonomie alimentaire

b. Des atouts pour conquérir une indépendance énergétique

c. Un bon positionnement dans des secteurs de pointe et une dynamique favorable aux relocalisations industrielles

4. La robustesse et le bon fonctionnement global des services publics, dont témoignent les capacités d’absorption du système social et de santé

5. Des compétences reconnues mondialement en matière de sécurité civile et de secours

6. Le dynamisme de la société civile et du monde associatif

7. D’importantes forces de réserve

Conclusion : les moyens humains de la résilience

B. certains facteurs pourraient cependant fragiliser la France en cas de crise

1. Les facteurs sociaux et culturels

a. Une moindre assimilation du risque au sein de la société

b. La perception d’un État omnipotent, à l’origine d’une moindre responsabilisation de la société et des individus

c. Une société menacée par la fragmentation

d. L’effet multiplicateur des médias et réseaux sociaux et le phénomène de la désinformation

2. Des facteurs politiques et institutionnels

a. Une perte progressive de l’esprit de « défense globale »

b. Le poids excessif du principe de précaution et de la menace judiciaire

c. Des lacunes dans la préparation et la gestion de crise

d. Les aléas de la communication de crise

3. Des facteurs militaires

a. La dissuasion nucléaire ne couvre pas toutes les menaces auxquelles la France est confrontée, y compris de haute intensité

b. Un outil de défense optimisé et « technologisé », au détriment de la masse nécessaire

c. Une armée de projection, qui s’est décentrée de sa mission originelle de défense du territoire

d. Le lien armée-nation au cœur de l’enjeu de résilience nationale

4. Des facteurs économiques et financiers

a. Une dette bien gérée mais d’un niveau considérable

b. Une désindustrialisation qui est allée trop loin

5. Une dépendance importante dans le domaine numérique

a. Comprendre l’enjeu de la souveraineté numérique

b. Des fragilités dues à l’absence d’autonomie de l’internet français

6. Des choix énergétiques lourds

a. Les axes de la loi énergie-climat

b. Une accélération du défi climatique à concilier avec la sécurité des approvisionnements

c. Les tensions potentielles sur le marché de l’électricité

d. Quel système électrique mettre en place pour sortir des énergies fossiles ?

III. Les voies et moyens d’un renforcement de notre résilience nationale

A. La résilience de la nation est d’abord celle de ses citoyens unis autour d’un projet collectif

1. Admettre que l’État ne peut pas apporter immédiatement des solutions en toutes circonstances

a. L’intérêt général, notion centrale de la politique française

b. L’État n’a pas une prise immédiate sur tous les événements

c. L’individu, élément clé de la résilience de la société

2. Développer la culture du risque pour développer la citoyenneté

a. Une législation dense sur les risques naturels et technologiques

b. Mieux associer les citoyens

3. L’expérience de pays nordiques

a. La Finlande, une organisation sociale fondée sur la résilience

b. Le concept suédois de défense totale

B. faciliter et Renforcer l’engagement citoyen

1. Un rôle des associations qui n’est plus à démontrer

2. Améliorer la lisibilité et l’efficacité des dispositifs de réserve et de l'engagement citoyen

a. Évaluer la quantité réelle de réservistes

b. Des dispositifs de réserve et d’engagement citoyen qui doivent être plus lisibles, accessibles et rendus plus efficaces.

c. Renforcer la transversalité de l’engagement citoyen et la possibilité de mobilisation des réserves civiques par les municipalités

3. Le service national universel, un vecteur unique pour sensibiliser l’ensemble d’une génération aux enjeux de la résilience nationale

a. Renforcer le lien d’appartenance à la communauté nationale au moyen du service national universel

b. Le service national universel doit suivre une approche pleinement opérationnelle orientée vers la résilience

4. Valoriser davantage les symboles d’appartenance à la collectivité nationale

a. Permettre aux maires d’expérimenter, dans le cadre d’un projet concerté, le port obligatoire de la tenue scolaire unique dans les écoles publiques

b. Créer une journée nationale de la résilience

C. Placer la subsidiarité au centre des actions de prévention et de gestion des crises : le rôle des collectivités territoriales

1. Le rôle des collectivités territoriales résulte de la loi

2. Laisser une liberté d’action aux élus et renforcer leurs moyens d’alerte et de mobilisation

3. Faire de la commune l’échelon privilégié de diffusion de la culture du risque

4. Les questions sensibles des compétences des citoyens et du matériel à disposition des communes

D. Assurer la résilience de l’économie et la continuité des activités essentielles à la nation

1. Conduire une revue stratégique globale

a. Retour d’expérience de la crise sanitaire : des vulnérabilités multiples, parfois insoupçonnées

b. Entrer dans une démarche de revue stratégique pour l’ensemble des secteurs vitaux

c. Généraliser les stress tests pour éprouver les organisations

d. Éprouver la capacité des armées à tenir leurs contrats opérationnels

2. Définir le bon niveau d’investissement en faveur du « mode dégradé »

a. La résilience a un coût : définir le bon niveau d’assurance

b. Préserver des moyens de communication rustiques et robustes

3. Inciter les principaux acteurs à développer le retour d’expérience et l’anticipation stratégique pour mieux se préparer

a. La généralisation des retours d’expérience, un point positif…

b. …mais non suffisant : développer l’anticipation stratégique

4. Développer l’autonomie de la France et de l’Union européenne dans certains secteurs clés

a. Améliorer le pilotage des stockages en leur donnant éventuellement une dimension européenne

b. Bâtir la souveraineté numérique de la France et de l’Europe

c. Sécuriser l’accès aux terres rares

5. Organiser une « défense totale » impliquant l’ensemble des acteurs clé en situation de crise grave

a. Élaborer un plan de « défense totale » et en assurer le suivi

b. Étendre le périmètre des opérateurs jugés essentiels au fonctionnement de la nation

6. Alléger certaines contraintes juridiques en situation de crise

E. Donner une impulsion politique pour une « gouvernance de la résilience »

1. Renforcer le pilotage national de la préparation et de la gestion des crises

2. Rénover certains dispositifs institutionnels applicables en situation de crise

a. Des régimes de mobilisation inutilisés en raison de l’évolution du contexte sécuritaire

b. Évaluer la pertinence des différents régimes dérogatoires au droit commun et renforcer le contrôle parlementaire de ces derniers

3. Évaluer les politiques publiques à l’aune de la résilience au même titre que de l’efficience et de l’efficacité

Conclusion

Examen en commission

Recommandations

1. L’implication des citoyens et de la société civile

2. Les réserves, le service civique et le service national universel

3. L’échelon communal

4. L’échelon national

5. La gouvernance

Contributions des députés

1. Contribution de M. Buon Tan, député de Paris (LaRem)

2. Contribution de Sereine Mauborgne, députée du Var (LaRem)

ANNEXES

Annexe 1 – LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES – entretiens – deplacements

I. Liste des personnes auditionnées

II. Entretien

III. Déplacements

Annexe 2  « En cas de crise ou de guerre » – livret distribué par le gouvernement suédois aux habitants de la Suède

Annexe 3 – Bibliographie indicative

 


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   Avant-Propos du président

Sous le double effet du réchauffement climatique et de la pandémie, la question de la résilience des sociétés et des États a pris une importance cruciale. Face aux risques et aux menaces, la résilience présente le double visage de la connaissance et de l’action : prévoir et évaluer les événements qui pourraient provoquer des dommages graves à nos existences, mais aussi construire les politiques qui nous permettront de nous y affronter, individuellement aussi bien que collectivement, avec le plus d’intelligence et de force.

Créée en juin 2021 à l’initiative de nos collègues du groupe Agir ensemble, qui exerçaient ainsi leur « droit de tirage » de la dernière session de cette législature, la mission d’information sur la résilience nationale s’est donné, dès sa réunion constitutive, un programme ambitieux. Il ne s’agissait pas, bien entendu, de refaire le travail d’analyse qui a été réalisé ces deux dernières années, tant au Parlement que dans des instances étatiques ou indépendantes, autour de la gestion de la crise sanitaire. Nous souhaitions nous porter au-delà de l’actualité immédiate pour envisager les chocs de toute nature auxquels le pays doit se préparer.

La mission d’information a entendu plus de 120 personnes au cours des 63 auditions qu’elle a menées de juillet 2021 à janvier 2022, à commencer par les représentants de tous les services, directions et opérateurs de l’État et des armées participant à la prévision, à la prévention et à la gestion des crises.

Elle a également procédé par secteurs : alimentation, eau, énergie, transports, en portant une attention particulière au numérique sous tous ses aspects : câbles optiques sous-marins, satellites, systèmes d’information de l’État, des collectivités et des entreprises. Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de l’industrie, a procédé à une synthèse particulièrement éclairante de la stratégie que le Gouvernement élabore, notamment avec le plan de relance, pour reconquérir des secteurs de production vitaux pour la France et pour l’Union européenne.

Une séquence importante a été consacrée au rôle des élus et des collectivités territoriales, au monde associatif, à l’engagement citoyen, aux réserves, toutes ces forces vives sans lesquelles la société serait incapable de réagir face à une crise majeure et que le rapporteur considère, à juste titre, comme le pilier de la résilience nationale.

La mission d’information a enfin bénéficié de l’apport d’historiens, de juristes, de spécialistes de sciences politiques et de sciences de l’information, de psychiatres.

Deux déplacements lui ont permis de constater les enjeux de la résilience sur le terrain.

Lors du premier, à Nice et dans la vallée de la Vésubie, elle a étudié une organisation territoriale originale, l’Agence de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques nouvellement créée au sein de la métropole de Nice, et elle a entendu les maires des communes des vallées dévastées par la tempête Alex relater le déroulement du drame et exposer les réussites et les difficultés de la phase de reconstruction.

Lors du second, en Finlande, elle a pu échanger avec les responsables civils et militaires sur le concept de « défense totale » développé par les pays nordiques, et se faire présenter l’activité du nouveau Centre européen d’excellence pour la lutte contre les menaces hybrides, commun à l’Union européenne et à l’OTAN et installé à Helsinki.

Je veux saluer la grande implication du rapporteur Thomas Gassilloud. Le travail de fond qu’il propose ici est assurément tributaire d’une réflexion engagée bien avant qu’il ne devienne député et qui se fonde sur son expérience passée de militaire, de chef d’entreprise, de maire. Nul doute également que son activité en tant que membre de la commission de la défense nationale et des forces armées et de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) lui aura permis une observation fine des forces et des faiblesses de la nation face aux plus grands risques des prochaines décennies.

Alors que la législature s’achève et que le pays entre peu à peu dans une phase électorale, le présent rapport offre aux candidats un panorama sans concession mais sans pessimisme des enjeux vitaux pour notre pays. Il formule une série de propositions pour nous renforcer face aux épreuves que l’avenir peut nous réserver. Il s’agit d’un travail pleinement politique au sens où nous concevons la politique. Nous espérons sincèrement qu’il nourrira les débats des prochains mois.


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   Introduction

« La force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans               le caractère de ses citoyens. »

Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse

« Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la               nécessité que dans la crise. »

Jean Monnet, Mémoires

Il y a plus de deux ans, en janvier 2020, étaient observés les premiers cas d’infection au coronavirus en France. La séquence qui suivit est totalement inédite dans l’histoire de notre pays : un pays immobilisé et silencieux pendant des semaines entières, les frontières avec les pays voisins fermées quasi hermétiquement, un couvre-feu national à 18 heures, de longues files devant les magasins d’alimentation, les supermarchés, les points d’aide alimentaire, des déplacements individuels minutés et limités par toutes sortes de règles, des millions de personnes âgées privées de la visite de leurs proches pendant des mois, des familles en deuil ne pouvant se recueillir devant les défunts, des centaines de cercueils entreposés dans un hangar des halles de Rungis… Incontestablement, comme beaucoup d’autres pays, la France a vécu des moments d’incertitude totale, de confusion et même de sidération.

La population française a su affronter et affronte toujours la pandémie, en dépit des drames que beaucoup ont connus et de la lassitude de tous. L’objet du présent rapport est d’explorer, au-delà de la crise sanitaire, la nature et les ressorts de cette résilience nationale ([2]).

Le bilan humain, deux ans après, est lourd : 130 000 décès. Pour autant, que se serait-il passé si le virus avait été beaucoup plus létal, et que se passerait-il si un variant plus dangereux encore faisait aujourd’hui son apparition ? Que se serait-il passé si à la pandémie s’étaient ajoutés des ruptures graves en approvisionnement alimentaire ou énergétique, en matière de communications numériques, en matière économique et financière, ou encore des troubles insurrectionnels ([3]), des agressions intérieures ou extérieures, voire des combats de haute intensité impliquant nos armées sur le sol européen ? Le risque actuel d’une guerre menée par la Russie en Ukraine, avec les réactions en chaîne que cela pourrait déclencher, montre à lui seul combien ces questions sont en prise directe avec la réalité que nous vivons.

Une des hypothèses de travail de la mission d’information est de considérer la crise sanitaire, malgré sa gravité, comme une sorte d’avertissement, de prévisualisation de crises de bien plus grande ampleur, susceptibles d’ébranler plus fortement encore la nation, au risque de la plonger dans le chaos.

En effet, le triple contexte de crise climatique et écologique, de raréfaction des ressources et de montée des antagonismes entre puissances – s’exprimant aussi par des menaces hybrides non couvertes par la dissuasion nucléaire –, sur fond de recul de la démocratie et du droit international, laisse peu de doute quant à l’intensité croissante des crises que nous connaîtrons dans les prochaines décennies et quant à leur intrication. Une démarche de résilience consiste, avant toute chose, à considérer avec lucidité ces éléments afin de laisser aussi peu de place que possible à la surprise stratégique.

Le propos de la première partie du présent rapport – « De la nécessité d’une stratégie de résilience nationale » – visera donc à prendre la mesure des risques et des menaces auxquelles la France est exposée et à examiner la possibilité de leur évaluation, afin d’apporter une définition de la résilience nationale et de tracer les finalités d’un projet de résilience. La résilience est une démarche qui demande des efforts. Pour bien les dimensionner, notre pays doit trouver le bon niveau d’assurance, qui est aussi le bon niveau de résilience. L’allocation des moyens de la résilience doit être optimale. De ce point de vue, certaines réponses ne peuvent avoir une véritable efficacité que si elles s’inscrivent dans le cadre de l’Union européenne.

Une autre hypothèse de travail était de considérer que la résilience de notre pays a été fragilisée, en particulier depuis une trentaine d’années. Il est indéniable que notre dépendance aux flux de production et aux flux numériques mondiaux, de même que la déshérence de différentes compétences et savoir-faire, dans un contexte de désindustrialisation, a considérablement réduit notre autonomie individuelle et collective en cas de crise brutale. À cela s’ajoute la tradition française d’un État fort, à laquelle correspond, dans l’imaginaire collectif, l’idée d’un État qui peut tout, qui rend presque inconcevables les situations où l’État ne serait tout simplement pas en mesure d’assurer un minimum de services – sécurité, alimentation, télécommunications, santé, etc. Or il est indispensable que les pouvoirs publics prennent également en compte les situations où leurs capacités propres seraient dépassées.

À la veille de l’effondrement du bloc communiste, les forces armées françaises comptaient, hors gendarmerie, 470 000 hommes ([4]), contre 206 000 en 2021 ([5]). L’armée de terre, à elle seule, est passée de 290 000 à 115 000 hommes et la totalité de la force opérationnelle terrestre, 77 000 hommes, tiendrait aujourd’hui dans le Stade de France ! Ce qui était une armée de conscription, pouvant s’appuyer sur 3,5 à 4 millions de réservistes ([6]) et ayant pour principal objectif la défense du territoire national, s’est transformé, en une génération, en une armée de projection qui ne dispose plus ni du format ni des moyens pour un déploiement massif sur le territoire en cas de crise majeure ([7]).

Le recours aux forces armées demeure bien entendu l’ultima ratio regum, l’ultime réponse souveraine, face à une agression extérieure et il constitue un apport essentiel en cas de catastrophe nécessitant des moyens exceptionnels de secours aux populations. L’outil de défense est nécessaire, et même indispensable, à la résilience et à la défense nationales mais il ne doit certainement pas être considéré comme suffisant. Alors que certains responsables politiques nourrissent encore la croyance que les armées peuvent tout faire, le présent rapport vise à sincériser ce que celles-ci peuvent faire réellement, car il n’y a pire danger que de se croire protégé par un outil qui, le jour où le besoin surviendra, montrera ses limites, en dépit de l’engagement exceptionnel de nos soldats. La résilience nationale est l’affaire de l’ensemble des forces vives du pays, lequel présente des atouts, mais aussi des vulnérabilités que la crise sanitaire a parfois révélées de façon très crue.

Il sera donc proposé, dans une deuxième partie, de passer en revue les forces et les faiblesses qu’il faudra prendre en compte, en cas de crise grave, à chaque échelon – local, régional, national, européen – et dans différents domaines – associatif, économique, politique et administratif, militaire – de la vie du pays.

Une troisième partie consacrée aux « Voies et moyens d’un renforcement de notre résilience nationale » évoquera différentes pistes pour affermir les capacités du pays face aux grands chocs qui pourraient l’atteindre. Elle mettra en exergue le sujet de la force morale des citoyens.

Trop souvent, les politiques publiques considèrent le citoyen au mieux comme une cible sur laquelle produire des effets, au pire comme un obstacle potentiel à la résolution des crises. Votre rapporteur estime au contraire que la résilience de la nation sera d’autant plus forte que le citoyen sera considéré comme un élément de la réponse. Des actions simples et concrètes peuvent être menées pour diffuser une culture du risque, pour favoriser l’engagement citoyen et pour permettre à tous de s’organiser en cas de crise.

De même, au niveau des entreprises et de l’administration des collectivités et de l’État, la résilience doit devenir une exigence au même titre que l’efficacité et l’efficience, avec toutes les procédures préventives que cela implique : hiérarchisation des activités en fonction de leur caractère vital, revue stratégique des risques et menaces, des vulnérabilités et des dépendances, systématisation des retours d’expérience, plans de continuité d’activité, établissement de modes de fonctionnement dégradé et de redondances.

Dans les épreuves récentes, alors que la nation tout entière se trouvait déstabilisée, la société française a montré sa capacité à réagir. Après les attentats du 13 novembre 2015 comme pendant la crise sanitaire, des dynamiques collectives d’engagement se sont fait jour.

D’une certaine manière, le présent rapport, rédigé par un modeste représentant de la nation, invite les pouvoirs publics à une démarche d’humilité pour mieux responsabiliser chaque citoyen. En rappelant que chacun est nécessaire pour tous, une démarche de résilience pourrait avoir une externalité positive de première importance : celle d’être un puissant facteur de cohésion sociale.

*

*     *

Les travaux de la mission d’information sur la résilience nationale s’inscrivent dans un mouvement global de prise de conscience autour de la question de la résilience ([8]).

À cet égard, votre rapporteur se réjouit que les travaux de la mission aient été menés en parallèle de ceux du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de ceux des armées sur le même thème, voire qu’ils en aient été un facteur déclenchant. En effet, dans une note datée du 16 juin 2021 – soit le lendemain de la prise d’acte de la création de la mission d’information sur la résilience nationale par la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale, et plusieurs mois après que le projet avait été évoqué – le Premier ministre demandait au SGDSN la préparation d’un rapport sur l’élaboration d’une stratégie de résilience nationale.

Le SGDSN a été entendu par la mission d’information à deux reprises, en juillet et en décembre 2021 ([9]). Il lui a fait part des grands axes de sa réflexion ([10]) et de l’important travail interministériel qu’il a engagé. Si les travaux de la mission d’information confirment que l’organisation publique française en matière de gestion de crise est solide et qu’elle est souvent prise comme référence à l’étranger, cela ne nous exonère pas d’une réflexion plus globale sur le rôle de chacun, compte tenu du niveau potentiel des crises à venir.

La publication du présent rapport devrait précéder la remise de celui du SGDSN, laquelle doit être le point de départ d’un travail approfondi avec les collectivités territoriales, les opérateurs et les administrations ainsi que nos partenaires internationaux. Votre rapporteur formule le vœu que la réflexion parlementaire puisse alimenter ce processus et que le Parlement lui-même, dans son rôle de législateur comme dans son rôle de contrôle et d’évaluation, devienne un acteur majeur de la résilience nationale.

 


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   Synthèse

 

Le rapport de la mission d’information sur la résilience nationale se compose de trois parties :

-         Le I liste les risques de tous types auxquels la nation sera confrontée dans le futur et définit ce qui devra être la résilience nationale dans ce contexte ;

-         Le II inventorie les atouts et vulnérabilités de la France au regard de cette exigence de résilience ;

-         Le III propose différents axes pour construire une stratégie de résilience nationale appuyées sur les citoyens, et formule plusieurs recommandations.

I. DE LA NÉCESSITÉ D’UNE STRATÉGIE DE RÉSILIENCE NATIONALE

La France évolue dans un environnement marqué par l’instabilité, avec la résurgence de la compétition stratégique, l’aggravation des menaces hybrides et la fragilisation de la gouvernance internationale.

Ces menaces se conjuguent à des risques de nature systémique, dont la crise sanitaire est venue nous rappeler la gravité potentielle. Ces risques sont décuplés par les interdépendances liées à la structuration du système-monde : pandémies, catastrophes naturelles, risques industriels, crises économiques et sociales, risques cyber, etc.

À la lumière de l’expérience de la crise sanitaire, le rapporteur estime qu’il est impératif de construire une stratégie de résilience nationale visant à capitaliser sur nos atouts et à réduire nos vulnérabilités face à des chocs futurs potentiels, dont le rapporteur estime qu’ils seront potentiellement plus durs et plus graves encore que celui que nous avons connu avec la crise sanitaire.

Le rapporteur définit la résilience nationale comme la volonté et capacité de la nation dans toutes ses composantes à se prémunir des principaux risques et menaces auxquels elle est exposée, et, si une catastrophe ou une agression majeures surviennent, à résister à leurs conséquences et à recouvrer rapidement un équilibre qui conforte sa cohésion et ses valeurs fondamentales.

Ainsi définie, la résilience nationale ne se substitue pas aux mesures de prévention que nous sommes amenés à prévoir pour réduire le risque de survenue d’évènements catastrophiques. Elle prévoit, en complément, des actions visant à nous prémunir contre les effets des catastrophes que nous n’aurions pas pu éviter.

II. la France de 2022 a des atouts solides en termes de résilience, mais aussi certaines vulnérabilités

La deuxième partie du rapport fait d’abord l’inventaire des atouts qui caractérisent la France, au regard du contexte décrit en première partie et de l’exigence de résilience.

La crise sanitaire a montré l’aptitude remarquable de notre pays à résister aux conséquences de la catastrophe, par la mobilisation des citoyens, des services publics, du tissu associatif et des acteurs économiques et sociaux.

Cette résilience de la France et des Français dans la crise a pu s’appuyer sur plusieurs atouts solides, qui distinguent notre pays :

-         Le dynamisme de la société civile ;

-         Une tradition nationale d’indépendance et de souveraineté ;

-         Des services publics développés et performants, complétés par des mécanismes de solidarité étoffés ;

-         Une indépendance énergétique et agricole ;

-         Des capacités diplomatiques et militaires de premier plan.

La crise a néanmoins mis en lumière certaines de nos vulnérabilités. Celles-ci constituent un sujet de préoccupation dans la perspective de crises futures, potentiellement plus graves, notamment si plusieurs risques et menaces venaient à se conjuguer, car nos compétiteurs stratégiques n’hésiteront pas à utiliser chacune de nos failles. Ces facteurs peuvent être d’ordre :

-         Social et sociétal : moindre acculturation au risque de la société en raison d’un effet de génération, phénomène de fragmentation sociale, émergence de « bulles informationnelles » compliquant parfois la conscience d’une réalité partagée…

-         Politique et institutionnel : affaiblissement de l’esprit de défense globale de l’ordonnance de 1959, judiciarisation excessive de l’action publique, fonctionnement en silos et excès de centralisation…

-         Militaire : perte de masse d’une armée au fonctionnement optimisé et « technologisé », plus calibré pour la projection sur des théâtres extérieurs que pour la défense opérationnelle du territoire ; recours à la sous-traitance ; distension du lien armée-nation avec la fin de la conscription...

-         Économique et financier : désindustrialisation, poids de la dette publique, dépendance dans le domaine numérique…

III. Les voies et moyens d’un renforcement de notre résilience nationale

La troisième partie propose de renforcer la résilience de la nation à partir d’un renversement de perspective. Le rapporteur estime que la résilience a été trop conçue jusqu’ici comme une stratégie descendante, devant produire des effets sur les citoyens.

Il convient d’y substituer une stratégie de résilience qui, au contraire, ferait du citoyen un acteur clé de la force de la nation. Le rapport s’appuie sur l’exemple des pays nordiques pour préconiser une approche de « défense inclusive » impliquant l’ensemble des composantes de la nation.

Le rapport formule ainsi des recommandations pour une stratégie de résilience qui partirait du citoyen, en impliquant graduellement la société civile, les collectivités locales, les acteurs économiques et l’État, voire l’Union européenne.

-         L’élaboration d’un livret, distribué à l’ensemble de la population, présentant le comportement que chacun devrait adopter face à certains types de crise – catastrophe naturelle, agression extérieure… – pour s’en protéger et pour contribuer à l’effort collectif de lutte contre leurs effets. Ce document indiquerait notamment les réserves de nourriture et d’eau à avoir chez soi, la signification des alertes en appelant à la vigilance quant aux sources d’information…

-         La création, en lieu et place de la journée du réserviste, d’une journée nationale de la résilience, où auraient lieu des exercices de crise en grandeur réelle, tenant compte des risques spécifiques auxquels sont exposées certaines parties de la population ;

-         La finalisation du service national universel (SNU) et son recentrage sur la résilience de la nation – par la sensibilisation aux risques, le développement de l’esprit de cohésion, l’apprentissage des gestes de premier secours…

-         D’améliorer la capacité des maires à connaître et mobiliser les compétences disponibles sur leur ressort territorial.

-         La conduite d’une Revue stratégique de l’ensemble des secteurs vitaux, sur le modèle de celle conduite par le ministère des armées mais élargie à d’autres acteurs. Cette revue doit conduire à mettre au point une liste des intrants stratégiques dont il conviendra d’assurer le suivi. Elle déterminera des stratégies de relocalisation, de développement de certaines activités et compétences, de stockages stratégiques, etc., coordonnées le cas échéant à l’échelle de l’Union européenne ;

-         La définition, secteur par secteur, d’un niveau d’assurance correspondant au coût estimé de la résilience de chaque secteur vital, et ainsi aux investissements non rentables à court terme que nous sommes prêts à consentir pour renforcer leur résilience ;

-         La généralisation des retours d’expérience et des stress tests, ainsi que le développement de l’anticipation stratégique, dans le but d’éprouver les organisations ;

-         Le développement de la souveraineté numérique de la France et de l’Union européenne, via la promotion d’un cloud souverain et d’une messagerie souveraine.

-         De réformer les régimes d’exception pour les adapter aux menaces actuelles ;

-         De définir un objectif de résilience, à côté de l’efficience, dans la définition et dans l’évaluation des politiques publiques.

Plusieurs de ces recommandations, de nature législative, pourraient faire l’objet, au début de la prochaine législature, d’un projet de loi Engagement et résilience de la nation.

Le rapport souligne aussi que la stratégie de résilience ainsi décrite pourrait être à l’origine de nombreuses externalités positives. Elle permet de renforcer la cohésion sociale, par le développement de la conscience commune des risques, par la valorisation de l’engagement citoyen et des solidarités collectives, par la redéfinition d’objectifs partagés. Elle joue également un rôle dissuasif à l’égard de compétiteurs stratégiques, qui seraient moins enclins à orienter contre nous leurs stratégies de déstabilisation, sachant la société préparée pour y faire face.

Le rapport propose donc des axes d’effort pour une France libre, unie et prospère dans un monde incertain.


–  1  –

   I. De la nécessité d’une stratégie de résilience nationale

Le caractère indispensable d’une stratégie de résilience nationale résulte de l’environnement de crises multiformes auquel notre pays est confronté, avec une tendance à l’accélération et à l’aggravation qui devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies.

C’est ce que soulignait le Président de la République, M. Emmanuel Macron, lorsqu’il s’est adressé aux Français au moment du premier confinement dû à la crise du covid, le 12 avril 2020 : « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience, qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir ».

Cette stratégie de résilience ne peut cependant découler que d’une analyse particulièrement lucide – voire déstabilisante – des risques et des menaces auxquels la France pourrait être exposée dans un futur plus ou moins proche. Cet exercice d’anticipation n’a rien d’évident, tant il est vrai qu’aussi longtemps que la catastrophe n’a pas eu lieu, nous éprouvons les plus grandes difficultés pour l’envisager, probablement par un réflexe de défense psychologique qui conduit à refuser de « penser l’impensable ». L’historien Michel Goya indiquait lors de son audition que « la guerre est une expérience dont l’expérience ne peut se faire, comme le disait Poincaré ; ce constat est valable pour la prévention de tous les phénomènes catastrophiques ([11]) ».

Bien que l’évaluation et l’anticipation des risques et menaces constitue un chantier particulièrement ardu, il est indispensable de s’y livrer avec tous les outils dont nous disposons – des sciences dures à la fiction, en passant par l’analyse économique, sociale, géostratégique – dans le but de limiter la probabilité d’une surprise stratégique et du phénomène de sidération qui en résulterait.

C’est pourquoi votre rapporteur tentera, en préambule, de dresser un état des lieux global des différents risques et menaces (A), sans prétendre à l’exhaustivité mais pour attirer l’attention sur la diversité et la gravité potentielle de certains de ces risques, qu’il cherchera à caractériser, sur leur évolution tendancielle et sur leur caractère cumulatif et systémique.

Ce tour d’horizon sera complété par un aperçu des analyses et réactions auxquelles a donné lieu, ces deux dernières années, le choc systémique engendré par la pandémie de covid-19, que l’on peut considérer comme un événement de relativement basse intensité (B). Si nous devons tirer les enseignements de cette crise, nous devons donc avoir à l’esprit que les crises du futur pourraient être plus violentes et plus complexes encore.

De cet examen découlera une première analyse du concept de résilience appliqué à l’échelle d’une nation, ainsi que des attendus et implications d’une stratégie de résilience nationale (C).

A.   Un environnement caractérisé par des risques et menaces multiples, pouvant produire des effets cumulatifs et systémiques

Dans un dossier publié en 2021, la Croix-Rouge française estime que la crise sanitaire « a un rôle d’avertisseur sur les crises systémiques à venir, dont on considère qu’elles deviendront plus fréquentes, notamment sous l’effet conjugué des dégradations environnementales et de la forte imbrication des économies et sociétés ([12]) ».

Nous devons en effet considérer la crise du covid-19 comme un avertissement, alors que la France est exposée à un nombre croissant de risques et de menaces qui pourraient être à l’origine de crises plus graves encore. Les coûts humains, sociaux et économiques de la crise sanitaire sont considérables, et pourtant, cette crise aurait pu être bien pire, si le virus avait été plus létal, si un compétiteur stratégique en avait profité pour nous nuire – attaque cyber, tentative de déstabilisation par la désinformation, voire agression directe –, ou si une autre crise, quelle qu’en soit la nature, s’était surajoutée.

Auditionné par la mission d’information, le directeur de la protection et de la sécurité de l’État du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), M. Nicolas de Maistre, souligne ainsi que « la succession des crises depuis trente ans et surtout leur accélération depuis 2015 nous rappellent que nos sociétés évoluent dans un contexte d’incertitudes, de risques et de menaces ([13]) ».

Les menaces intentionnelles, qui se déploient désormais dans tous les espaces (1), y compris immatériels, se cumulent à des risques non intentionnels (2, 3) liés à l’environnement et à la structuration du système international, avec des effets systémiques potentiels particulièrement graves.

1.   Une conflictualité généralisée à tous les espaces, dans un contexte d’affaiblissement de la gouvernance mondiale

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 ([14]) avait, le premier, posé le constat d’une mutation des menaces auxquelles notre pays et notre société étaient exposés, justifiant l’établissement d’un continuum entre défense et sécurité nationale, et consacrant l’adage selon lequel s’« il n’y a plus de menaces aux frontières, il n’y a plus de frontières aux menaces ».

Depuis lors, le Livre blanc de 2013 ([15]), la Revue stratégique de 2017 ([16]) et l’Actualisation stratégique de 2021 ([17]) ont anticipé une dégradation nette et rapide du contexte international, avec l’exacerbation de la compétition stratégique entre puissances (a), une évolution encore accélérée par la crise sanitaire, qui a suscité de nouvelles tensions sur les ressources. Ces rivalités s’expriment désormais dans l’ensemble des espaces, y compris, de manière croissante, dans le champ immatériel, avec la généralisation du recours à des stratégies hybrides (b). Dans un contexte d’affaiblissement considérable de la gouvernance internationale, ces rivalités croissantes ravivent l’hypothèse d’un conflit de haute intensité (c). Par ailleurs, la menace terroriste persiste, y compris de manière endogène (d).

a.   Une « brutalisation » des rapports entre nations

Pour reprendre les termes du ministre des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, nous assistons depuis plusieurs années à une « brutalisation » des rapports entre nations, qui concerne à la fois les puissances de premier plan, à commencer par les États-Unis et la Chine, et les puissances secondaires, en particulier au Proche et Moyen-Orient. L’ancien ministre allemand des affaires étrangères, M. Sigmar Gabriel, usait en 2019 d’une métaphore évocatrice lorsqu’il affirmait que « dans un monde où règnent les carnivores géopolitiques, nous, les Européens, sommes les derniers des végétariens ».

L’Actualisation stratégique de 2021 souligne que « le retour de la compétition stratégique et militaire est désormais assumé », principalement entre les deux premières puissances mondiales, États-Unis et Chine, mais aussi avec la Russie, qui semble chercher la reconstitution au moins partielle du glacis de l’époque soviétique en renforçant sa mainmise sur son « étranger proche ».

La compétition stratégique entre la Chine et les États-Unis est aujourd’hui une donnée structurante de l’ordre international. Auditionné par la mission d’information, M. Bertrand Le Meur, directeur au sein de la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées, indique qu’« il y a cinq ans, on pouvait encore nourrir des espoirs quant au dialogue entre la Chine et les États-Unis, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. On a pu espérer que l’élection du président Biden apaiserait les tensions créées par le président Trump mais, si elle est enveloppée dans un gant de velours, la main reste de fer ([18]). »

Cette compétition se traduit notamment par l’augmentation très rapide du budget de la défense chinoise, qui a doublé depuis 2012, le développement de son arsenal nucléaire – création d’une capacité nucléaire aéronavale – et la mise au point de nouveaux systèmes d’armement. À titre d’exemple, la Chine construit tous les quatre ans l’équivalent du tonnage de la Marine nationale française. La montée en puissance de la Chine se manifeste également par une volonté de projection croissante, illustrée par l’initiative des « nouvelles routes de soie » – Belt and Road Initiative.

Cette concurrence provoque par ailleurs un mouvement de repli des États-Unis des théâtres perçus comme secondaires et une focalisation accrue sur la compétition stratégique avec la Chine. Il en résulte une fragmentation croissante de l’ordre international, et une mise à l’écart des institutions et conventions internationales (cf. c) dès lors qu’elles font obstacle à l’agenda stratégique des principales puissances.

Par ailleurs, on assiste à une résurgence de la puissance militaire russe, qui s’appuie sur la priorité politique donnée au déploiement de capacités militaires sophistiquées, y compris nucléaires, dans le cadre d’une posture d’« intimidation stratégique » visant tout à la fois à sanctuariser son voisinage (Arctique, Caucase, Balkans, Méditerranée) et à s’affirmer comme une puissance incontournable dans le règlement des crises régionales.

Le durcissement des rapports entre nations s’exprime également à travers ce que l’Actualisation stratégique désigne comme l’« enhardissement » de puissances régionales, à l’image de l’Iran et de la Turquie, qui profitent du désengagement des États-Unis et de l’affaiblissement de la gouvernance internationale pour faire avancer leur propre agenda stratégique.

À la faveur de son engagement dans les conflits syriens et irakiens, l’Iran a ainsi pu renforcer son corridor stratégique vers le Liban, ses intérêts économiques et son influence sur l’Irak. La Turquie a quant à elle renforcé son empreinte en Méditerranée, en Libye et dans le Caucase – appui aux opérations de guerre de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh en 2020 –, parfois au mépris de son appartenance à l’Alliance atlantique. Cette reconfiguration suscite des évolutions de posture chez les autres acteurs régionaux, Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Israël et Égypte, et induisent une déstabilisation accrue du Proche et Moyen-Orient.

Ces évolutions se font au détriment de l’Union européenne, premièrement parce qu’elles tendent à marginaliser voire à bafouer les institutions et le droit international, deuxièmement parce qu’elles polarisent les relations internationales autour des deux « grands » que sont la Chine et les États-Unis, troisièmement parce qu’elles tendent à déstabiliser les pourtours de l’Europe, singulièrement ses flancs sud et est.

b.   Une conflictualité qui s’étend à tous les espaces, y compris immatériels

Si les champs traditionnels des rivalités entre États – la terre, la mer, l’espace aérien – sont pleinement occupés par les compétiteurs stratégiques, de nouveaux espaces sont désormais investis. C’est le cas du domaine spatial, mais également, de plus en plus, et de manière préoccupante, de champs immatériels : le domaine cyber, le champ informationnel ou encore le champ des normes juridiques – le « lawfare ». Les stratégies des puissances sont ainsi désormais largement hybrides, laissant une part plus ou moins large à des actions de natures diverses, « sous le seuil » d’un affrontement militaire.

Les trois domaines traditionnels de l’affrontement militaire que sont les espaces terrestres, maritimes et aériens sont, à l’heure actuelle, le théâtre de rivalités qui s’expriment quotidiennement.

Sur terre, en témoigne par exemple la démonstration de force opérée par la Russie à la frontière ukrainienne : depuis 2021, plus de 100 000 soldats russes et des moyens terrestres considérables sont massés aux frontières ukrainiennes en vue d’une potentielle invasion de l’Ukraine, tandis que le Président Poutine exerce une pression diplomatique intense pour obtenir de l’OTAN qu’elle s’engage à ne plus accueillir de nouveaux adhérents et à revenir à sa configuration de 1997. Si des pourparlers ont été engagés à Genève, puis à Bruxelles, en vue de permettre un règlement diplomatique de cette crise, le secrétaire général de l’OTAN, M. Jens Stoltenberg, a souligné que « le risque d’un nouveau conflit [est] réel ».

Le domaine maritime est de plus en plus largement investi par la Chine pour déployer sa politique de puissance. La quasi-privatisation par la Chine de la mer de Chine du Sud, normalement libre à la navigation internationale, via la poldérisation d’îles et d’îlots et le déploiement d’une présence militaire imposante, tend à remettre en cause la liberté de navigation dans les espaces maritimes internationaux. Le pacte AUKUS – Australia, United Kingdom, United States  dévoilé le 15 septembre 2021 a apporté la confirmation de la focalisation stratégique américaine sur la zone indopacifique et pacifique – aux dépens, en l’occurrence, de la France et de l’Union européenne.

Par ailleurs, les fonds marins deviennent, de plus en plus, un terrain où s’expriment des rapports de force, pour l’accès aux ressources du sous-sol mais aussi en raison de l’enjeu clé des câbles sous-marins, indispensables au fonctionnement de l’internet ([19]).

Le domaine aérien est également le lieu de démonstrations de force et de provocations, de la part de la Russie notamment, qui a multiplié, au cours des dernières années, les incursions à la limite des espaces aériens des pays de l’OTAN, le plus souvent transpondeur éteint, suscitant des décollages d’alerte des avions de combat de l’OTAN en vue d’intercepter les appareils russes – 350 en 2020. Si cette tendance semble s’être réduite en 2021, cela n’a pas été le cas des incursions chinoises dans la zone de défense aérienne taïwanaise, qui se sont multipliées au cours des derniers mois.

Le domaine spatial est, depuis les débuts l’exploration extra-atmosphérique, un lieu de la compétition stratégique entre puissances – États-Unis et URSS initialement. Cependant, le rôle joué par le domaine spatial dans cette compétition stratégique a changé de nature en raison de l’importance croissante des services spatiaux et de la multiplication des acteurs.

Une part croissante des flux numériques – notamment les flux les plus stratégiques – est appelée à transiter par les satellites. D’après les données de la Commission européenne, plus de 10 % du PIB de l’Union européenne dépendrait d’ores et déjà des services spatiaux. Comme l’a souligné le général Michel Friedling, commandant de l’espace, « le spatial est devenu un élément clé de notre souveraineté, dans le domaine militaire comme dans le domaine civil ([20]) ». Il joue, en effet, un rôle central dans les domaines du renseignement, des télécommunications et de la navigation. Le général Friedling indique également que « le nombre de pays ayant immatriculé un satellite ou opérant un satellite actif a été multiplié par deux en moins de quinze ans, tandis que le nombre de satellites opérationnels a été multiplié par deux en moins de deux ans – 1 800 en fin d’année 2018, près de 4 000 en fin d’année 2020 ».

Un des principaux enjeux technologiques et commerciaux de la présente décennie est sans doute le déploiement de constellations de milliers, voire de dizaines de milliers de mini-satellites en orbite basse, destinés à couvrir l’ensemble de la planète par des connexions à haut débit et à très faible latence, indispensables au déploiement de la 5G. Les acteurs actuels sont américains – Starlink et Kuiper, canado-américain – Telesat – et indo-britannique – OneWeb. L’Union européenne s’emploie à rattraper son retard dans ce domaine avec le lancement du projet New Symphonie, annoncé en décembre 2021.

L’augmentation exponentielle du nombre de satellites en orbite s’est accompagnée de nouveaux risques, notamment des risques de collision du fait de la multiplication des débris spatiaux en orbite. En 2021, à sept reprises, des manœuvres ont dû être opérées sur des satellites français, incluant des modifications provisoires d’orbite, pour éviter une collision avec des débris spatiaux. Une saturation des orbites basses pourrait provoquer, à terme, le « syndrome de Kessler », réaction en chaîne de destruction d’un nombre exponentiel de satellites par la multiplication des débris présents dans l’espace.

L’importance accrue de l’espace exo-atmosphérique a également fait émerger de nouvelles menaces. Des stratégies agressives ont vu le jour : tentatives de brouillage des satellites depuis le sol ou depuis un autre satellite, espionnage, voire attaque frontale via un autre satellite. De manière préoccupante, la Chine et, très récemment, la Russie, ont apporté la preuve de leur capacité de frappe anti-satellite, en détruisant un satellite par un tir de missile, et ce, en dépit du caractère irresponsable de ces démonstrations qui provoquent une prolifération des débris spatiaux en orbite.

Ces stratégies agressives dans l’espace posent des défis particulièrement importants, dans la mesure où persiste une difficulté à surveiller l’espace et donc à attribuer les actes malveillants. Par ailleurs, les évolutions technologiques en cours, avec l’émergence de satellites flexibles, vont ouvrir des possibilités nouvelles de détournement de flux d’information, voire de satellites, avec des conséquences potentiellement très graves.

Les stratégies agressives des compétiteurs – grandes puissances et puissances secondaires – ne prennent plus seulement aujourd’hui les formes traditionnelles de la lutte armée, avec les codes qui s’y rapportent. De manière croissante, ces compétiteurs développent des stratégies hybrides, combinant différents modes opératoires, « militaires et non militaires, directs et indirects, légaux et parfois illégaux, mais toujours ambigus et conçus pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert », pour reprendre les termes de M. Bertrand Le Meur, de la DGRIS ([21]).

Ces stratégies auraient connu un essor particulier à la faveur de la crise sanitaire qui, par ses effets déstabilisateurs, a ouvert autant d’« opportunités » pour conquérir de nouveaux territoires physiques ou immatériels.

L’actualisation stratégique du ministère des armées souligne que les stratégies hybrides sont principalement déployées par la Chine et la Russie, ainsi que par des puissances régionales qui « profitent de l’accessibilité inédite du spatial comme du faible coût de certains modes d’action ». Ces modes d’action incluent le recours à des groupes armés non étatiques, rendant possibles des agressions armées non attribuées, les attaques cyber, la manipulation de l’information à des fins de subversion, l’utilisation de l’extraterritorialité du droit pour atteindre des objectifs stratégiques ou économiques, ou encore des ingérences et des attaques de nature économique, voire des pressions migratoires comme cela est le cas avec la Turquie et, plus récemment, avec la Biélorussie.

M. Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, a souligné devant la mission d’information l’importance de la menace constituée par les ingérences étrangères sur notre territoire : « Nous sommes confrontés à l’ingérence étrangère dans ses formes classiques que sont l’espionnage ou la captation de savoir-faire (…). Ce qui est nouveau, c’est la manipulation informationnelle. Des États cherchent à créer des divisions et des troubles sur le territoire national ou contre des intérêts français à l’étranger en instrumentalisant, dans le meilleur cas, l’information sur les contestations sociales ou contre les institutions politiques, et, dans le pire des cas, en faisant circuler à grande échelle des informations fausses ou tronquées (…). Alors que nous entrons dans une période électorale, nous nous attendons à ce que des actions de ce type se multiplient ([22])

Le général Hubert Bonneau, directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a souligné, lors de son audition ([23]), l’impact très important de cette menace sur les territoires, avec l’essor des phénomènes contestataires (cf. II.A.1) nourris par l’activisme sur les réseaux sociaux.

Ces préoccupations ont conduit à la création, au sein du SGDSN, de Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères. Elles ont aussi donné naissance à la commission Bronner, chargée par le Président de la République de faire des propositions dans les champs de l'éducation, de la régulation, de la lutte contre les « diffuseurs de haine » et de la désinformation. Le rapport de cette commission ([24]), rendu le 11 janvier 2022, propose des pistes pour renforcer la réponse française à ce défi.

De manière générale, les stratégies hybrides soulèvent le défi particulier de l’attribution des actes malveillants, qui est une étape essentielle pour pouvoir organiser et éventuellement militariser la réponse. Comme le souligne M. Bertrand Le Meur, « face à n’importe quel adversaire qui voudrait déstabiliser la France, non seulement nous devrions montrer que nous sommes résilients, c’est-à-dire que la société peut continuer à fonctionner, mais nous devrions aussi être capables de procéder à une attribution, éventuellement publique, c’est-à-dire prévenir l’adversaire que nous pourrions passer à un stade supérieur et déclencher une procédure d’une autre nature ».

Parmi l’ensemble des modes d’action hybrides, ceux touchant au domaine numérique constituent aujourd’hui un défi particulier, en raison de l’explosion des attaques et menaces et de leur impact potentiellement très grave sur l’économie et les intérêts souverains d’États toujours plus dépendants aux technologies, mais aussi sur le fonctionnement des sociétés démocratiques, par nature plus exposées.

Lors de son audition par la mission d’information, M. Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique a analysé l’augmentation « massive et diversifiée » de la menace cyber, à la fois sur le bas du spectre, avec un impact généralisé sur les acteurs privés, et sur le haut du spectre, avec un « accroissement de la cyberconflictualité au niveau politique et géopolitique […] Cette cyberconflictualité, qui permet de rester sous le seuil de létalité, fait rage et nous sommes plus que jamais en conflit avec tout le monde (…). Nos amis sont peu nombreux, puisque tout le monde avance masqué ([25]). » Selon M. Julien Nocetti, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI), il s’agit d’un des « principaux risques systémiques identifiés par les grandes institutions internationales et européennes ([26]) ».

S’il faut distinguer la cybercriminalité, destinée à extorquer de l’argent, de la cyberconflictualité, qui vise des objectifs politiques, il existe une zone grise importante entre les deux, dans la mesure où, comme le souligne M. Nocetti, « l’économie politique de la cybercriminalité est largement hébergée en Russie et, plus largement, dans l’espace post-soviétique, ce qui induit des implications diplomatiques évidentes ».

Les chercheurs soulignent que l’Europe est particulièrement exposée au risque cyber sur le plan géopolitique, dans la mesure où elle n’a aucun contrôle sur les trois couches du cyberespace que sont le réseau physique, la couche logique – protocoles et applications – et les données. M. Nocetti indique à cet égard que la France compte parmi le « top dix » des États les plus ciblés par des cyberattaques.

Ce constat rejoint celui posé par M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure : « La menace cyber s’aggrave de manière frappante. Dans mon seul champ de compétence, cette arme est utilisée par des États pour capter l’information, procéder à des déstabilisations de tout type voire pour des manœuvres beaucoup plus pernicieuses encore, et aussi pour déstabiliser notre tissu économique (…). Nous sommes convaincus que dans quelques années, l’arme cyber sera utilisée à des fins activistes – je ne dis pas « terroristes », mais je le pense très fort ([27]). »

c.   Des relations internationales de moins en moins régulées par le droit

La généralisation de la compétition stratégique et de la conflictualité dans tous les espaces, notamment immatériels, s’accompagne d’une marginalisation croissante de la gouvernance et du droit international, en raison d’une moindre implication des puissances traditionnelles dans le cadre de cette gouvernance et de l’affirmation de puissances contestataires de ce modèle, jugé comme façonné pour servir les intérêts du « monde occidental ».

Le signe le plus emblématique de cet affaiblissement de la gouvernance internationale est l’impuissance croissante du Conseil de sécurité de l’ONU. Contesté par les pays et régions qui ne sont pas représentées parmi les membres permanents, cette institution n’a, pour l’heure, pas réussi à se réformer pour permettre une meilleure représentativité.

Par ailleurs, comme le souligne M. Bertrand Le Meur, il « devient le lieu de cristallisation des antagonismes […]. Non seulement ce conseil ne produit plus grand-chose, mais nombre d’organisations internationales qui avaient des objectifs diplomatiques sont moins présentes ([28]). »

Ainsi, selon M. Gurvan Le Bras, directeur adjoint du centre d'analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, on assiste à un « effet de ciseau » très néfaste : alors que les problèmes à résoudre sont de plus en plus nombreux, la coopération internationale pour limiter les effets des menaces est de moins en moins forte.

Le recul du droit international a été illustré, de manière marquante, au cours des dernières années, par la mise à l’écart ou le contournement de plusieurs conventions structurantes pour la régulation des conflits à l’échelle internationale.

La Russie en particulier a ouvertement violé la Charte des Nations unies en annexant la Crimée en 2014. Elle a également violé la convention internationale sur les armes chimiques ([29]), comme l’a illustré l’empoisonnement de l’opposant russe Alexeï Navalny. Enfin, dénonçant la violation de ce traité par la Russie, les États-Unis se sont retirés en 2019 du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI) conclu pendant la Guerre froide, rapidement suivis par la Russie. Ce traité était pourtant un pilier essentiel de l’architecture de sécurité en Europe et de la lutte contre la prolifération nucléaire.

Le sort réservé à l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien du 14 juillet 2015 est aussi emblématique du recul du droit international et du multilatéralisme. Cet accord, conclu entre l’Iran, les membres du Conseil de sécurité, l’Allemagne et l’Union européenne, et qui visait à limiter le programme nucléaire iranien afin d’empêcher qu’il ne permette à l’accès à l’arme nucléaire, en contrepartie d’une levée des sanctions économiques, a été considérablement affaibli par le retrait des États-Unis en 2018, sous l’impulsion du président Donald Trump. Confronté au rétablissement des sanctions américaines, l’Iran s’est, à partir de 2019, affranchi de ses engagements au titre de cet accord en recommençant à enrichir de l’uranium au-delà des taux autorisés.

Dans le domaine maritime, les violations répétées de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, entrée en vigueur en 1994, mettent en lumière une déréglementation croissante de cet espace, soumis aux rapports de force entre marines de guerre. Cette convention définit les limites et modalités de la souveraineté des États côtiers sur leurs approches maritimes et pose le principe de la liberté de navigation dans les eaux internationales, incluant les zones économiques exclusives des États. Ce texte, qui n’a pas été ratifié par les États-Unis – ni par la Turquie –, est aujourd’hui ouvertement violé par la Chine qui a posé, unilatéralement et sans base juridique, le principe de sa souveraineté sur la plus grande partie de la mer de Chine du Sud, au détriment des autres États riverains et de la liberté de navigation dans cet espace.

Globalement, ces remises en cause du droit international tendent à affaiblir l’Europe, acteur par excellence du multilatéralisme et promoteur du droit international, au profit de rapports de force bilatéraux. La contestation de la prééminence des traités européens sur le droit national par certains États membres de l’Union européenne participe, du reste, à ce mouvement général d’affaiblissement des normes internationales.

L’Actualisation stratégique de 2021 souligne que « la nouvelle hiérarchie des puissances se traduit (…) par une compétition stratégique désinhibée, faite d’intimidation voire de coercition, et qui implique des risques sérieux d’escalade non maîtrisée ».

Votre rapporteur estime en effet qu’il serait illusoire de tenir pour révolus les conflits interétatiques de haute intensité. Le risque avait semblé s’éloigner progressivement dans la deuxième moitié du XXe siècle, d’abord avec l’« équilibre de la terreur » puis avec ce qui fut considéré comme la fin de la Guerre froide. Aujourd’hui, la compétition stratégique entre puissances grandes et moyennes se trouve exacerbée par l’affaiblissement des mécanismes de régulation internationaux.

Les risques d’escalade incontrôlée associés à certains modes d’action hybrides sont accrus par le retour à une dynamique de prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, illustrée par les crises nord-coréenne et iranienne, ainsi que par l’utilisation des armes chimiques sur le théâtre syrien. De plus en plus d’États dotés de l’arme nucléaire adoptent une posture opaque, voire tournée vers l’emploi, en rupture avec les codes de la dissuasion. En outre, l’utilisation d’armes biologiques – bactériologiques ou virologiques – par des États, des organisations ou même des individus, n’est pas exclue.

d.   La permanence d’une menace terroriste devenue largement endogène

Dans cet environnement stratégique dégradé persiste la menace terroriste associée à la fois au phénomène djihadiste et à la radicalisation de différents mouvements ou individus situés aux marges. Prospérant au sein d’États faibles ou en crise – Yémen, Irak, Syrie –, pour être projetée dans les pays occidentaux, cibles du ressentiment de la sphère djihadiste, cette menace trouve également, en France, des racines largement endogènes, poussées par un discours de haine se propageant sur internet.

Aux yeux du directeur général de la sécurité intérieure, M. Nicolas Lerner, « la menace principale reste la menace terroriste » et au cours des prochaines années, « la France restera soumise à un risque terroriste extrêmement élevé ([30]) ».

Cependant, sous l’effet de plusieurs facteurs, cette menace a connu une mutation importante depuis les attentats perpétrés à Paris en 2015. D’une menace projetée, qui trouve son origine sur un théâtre étranger, avec des attaques commanditées de l’extérieur, dans le cadre d’un réseau structuré, nous sommes passés à une menace endogène, qui émane de plus en plus d’individus isolés, avec des profils relevant souvent de la psychiatrie.

Cette évolution s’explique d’une part par la défaite militaire de l’organisation Daech, qui a vu ses moyens très fortement diminués et ne semble plus avoir la capacité à lancer des attaques sophistiquées depuis l’étranger. Elle résulte par ailleurs du travail important de démantèlement des réseaux auquel se sont livrés les services de renseignement, à commencer par la DGSI. Elle s’explique enfin par l’abondance et la difficulté du contrôle des contenus haineux disponibles sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux, qui offrent un exutoire à des individus instables, en marge de la société. De ce point de vue, on observe que cette menace tient aussi aux fractures de la société française, dont le phénomène de radicalisation est une conséquence, bien que cette explication ne soit pas univoque (cf. II.A.1).

Cette menace endogène implique ainsi plus souvent des individus agissant seuls, avec des moyens rudimentaires, à l’image de l’assassin de Samuel Paty. Si ces attaques sont moins sophistiquées, elles n’en constituent pas moins un défi pour les services de renseignement et de sécurité, dans la mesure où les individus concernés, n’étant souvent pas connus des services, ne sont pas surveillés, et peuvent se radicaliser et passer à l’action très rapidement. Comme le souligne M. Lerner, « la menace, devenue plus autonome, peut surgir de partout, étant le fait de n’importe quel individu, y compris inconnu de la DGSI ([31]) ». Par ailleurs, l’attentat de Nice, en 2016, a montré qu’il était possible de causer un nombre important de victimes avec des moyens rudimentaires.

M. Laurent Nuñez, coordonnateur du renseignement, souligne par ailleurs que « les sortants de prison, condamnés pour des faits de terrorisme, quelques dizaines par an actuellement, sont un élément très préoccupant ». Il pointe également la possibilité de résurgence d’une menace exogène, même si elle paraît moins importante actuellement : « nous savons que des individus qui ont combattu en Syrie ou en Irak ont pu retourner dans leur pays d’origine – dans les Balkans ou au Maghreb notamment – sans avoir été judiciarisés » et que « les velléités de projection existent toujours ([32]) ».

Une attaque terroriste met à l’épreuve la résilience d’une nation non seulement par sa létalité ou par les dégâts physiques occasionnés – certaines attaques, comme celles de Paris en 2015 et celles du 11 septembre 2001 aux États-Unis, ont causé un nombre considérable de victimes ([33]) –, mais aussi et peut-être surtout par le choc psychologique et social qu’elle occasionne.

M. Lerner estime que la menace terroriste présente « plutôt un risque pour la cohésion de la nation ». M. Nuñez souligne que « le choc psychologique sur l’opinion publique produit par une attaque terroriste, quelle qu’en soit la nature, produit un traumatisme énorme. Tel est précisément l’objectif des terroristes, qui cherchent à nous diviser. […] J’estime que le terrorisme peut porter atteinte à la résilience nationale, c’est en tout cas son but. »

Entre les menaces issues de l’environnement international et les fragilités propres à la France, qui seront abordées en deuxième partie, la menace terroriste persiste et doit continuer à être prise en compte à son juste niveau. L’environnement international peut d’ailleurs accroître très sensiblement la menace endogène, par le canal des réseaux sociaux et des ingérences étrangères. La DGSI révèle ainsi qu’elle a eu à faire face à une menace sensiblement augmentée sur le sol national en raison de l’instrumentalisation par des pays étrangers des propos du Président de la République sur les caricatures de Mahomet, à l’occasion de l’hommage rendu à Samuel Paty en octobre 2020. Il convient par ailleurs de garder à l’esprit que tout le spectre des moyens d’action terroriste n’a peut-être pas encore été mis en œuvre : certaines actions avec un impact beaucoup plus important ne sont ainsi pas exclues, et d’autres surprises, comme celle du 11 septembre 2001, restent possibles.

*

La France fait face à un environnement dont la conflictualité est croissante et envahit tous les champs, suscitant de nombreuses menaces parfois difficiles à caractériser et à attribuer. Ces menaces interagissent avec et peuvent tirer parti de la matérialisation de risques non intentionnels qui viennent affaiblir les États. En raison de la crise environnementale et des interdépendances du système international, ces risques peuvent rapidement avoir des conséquences systémiques, comme l’illustre la crise sanitaire dans laquelle nous sommes encore plongés. L’accroissement de la probabilité d’une surprise stratégique majeure est une réalité.

2.   Une crise climatique grave, à l’origine de chocs de plus en plus violents

Alors que dans l’histoire du climat, la variation des températures a mis des décennies, voire des siècles pour augmenter ou diminuer d’un degré, le réchauffement planétaire se résume ainsi depuis 2015 :

écart de la température moyenne mondiale (2016-2019) PAR RAPPORT À LA PÉRIODE PRÉINDUSTRIELLE (1850-1900)

2015

2016

2017

2018

2019

+ 1,0 °C

+ 1,26 °C

+ 1,1 °C

+ 1,0 °C

+ 1,1 °C

Source : Organisation météorologique mondiale, 2017, 2018, 2019, 2020.

La crise climatique que nous connaissons et dont le traitement conditionne désormais l’ensemble des politiques publiques n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’humanité. Elle remet en cause de multiples activités humaines, est génératrice de migrations environnementales et potentiellement de conflits géopolitiques. Comme l’affirmait M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, le 14 octobre 2015, quelques jours avant la COP21, « [s’il n’est] pas établi que les changements climatiques sont directement et à eux seuls responsables du déclenchement d’un conflit, il est clair qu’ils contribuent à aggraver la situation économique, sociale et politique dans certains pays ».

a.   La crise climatique : un élément d’une conjonction de crises

Ainsi que l’a souvent affirmé Mme Bettina Laville, fondatrice du Comité 21, « le XXIe siècle sera celui des crises concomitantes : crise écologique, financière, sanitaire. Ce sera notre lot de les vivre quotidiennement, de les décliner simultanément ou successivement. Il nous faut donc des instruments pour les combattre. » Ces crises simultanées sont climatiques, biologiques, démographiques, et débouchent sur des crises économiques et sociales.

Crise dite silencieuse parce qu’elle n’est pas quotidiennement perçue par une population largement urbanisée, la chute de la biodiversité doit autant au changement climatique qu’aux activités humaines. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) la résume, à titre pédagogique, en quatre chiffres : 68 % des animaux vertébrés sauvages ont disparu entre 1970 et 2016, soit 20 000 populations de mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons ; 30 % de la population d’oiseaux a disparu en France ; une trentaine d’espèces animales et végétales ont disparu lors de la seule année 2020 ; la population de thons rouges a décliné de 90 % entre 1993 et 2016 en Méditerranée et ne doit son salut, observé en 2021, qu’à de strictes mesures de protection.

Un exemple concret montre le coût économique de cet effondrement. Il est rappelé que la nature rend à l’homme des services gratuits. Ainsi, 5 à 8 % de la production végétale mondiale, soit une valeur marchande estimée entre 235 à 577 milliards de dollars, dépend des insectes pollinisateurs. En France, la valeur monétaire de la pollinisation varie selon les départements, s’élevant à 222 millions d’euros dans le Lot-et-Garonne et à 100 000 euros dans le Cantal. Dans les Hautes-Alpes, 54 % de la valeur de la production agricole dépend de l’action des abeilles. Si leur population s’affaiblissait, il faudrait dépenser près de 3 milliards d’euros en France et 150 milliards d’euros à l’échelle mondiale pour procéder à la pollinisation artificielle.

La crise climatique est un élément parmi ces crises concomitantes, qui ont toutes un point commun : la démographie humaine, qui pèse sur la dévolution de l’espace et l’exploitation des ressources. La théorie économique a longtemps plaidé pour l’infinité des ressources – Grotius affirmait à son époque que la mer était trop abondante pour en épuiser les richesses –, avant de comprendre la limite de ce raisonnement.

L’histoire climatique de la terre a été marquée par des phénomènes de glaciation ou de réchauffement, mais qui se déroulaient sur des siècles ou des millénaires ([34]). Les variations climatiques avaient des causes naturelles : activité solaire, courants marins. La crise actuelle a ceci de particulier qu’elle amplifie les manifestations du climat – vent, pluie, température –, en raison de l’augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre, principalement de CO2, et d’autres phénomènes qui contribuent à l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère : déforestation, dégradation des sols, acidification des océans.

La crise climatique actuelle est singulière par sa rapidité, son intensité et ses conséquences. En effet, les bouleversements climatiques ont des effets violents et des conséquences néfastes à la fois sur les écosystèmes naturels et sur les sociétés humaines, avec une multiplication de phénomènes qualifiés d’extrêmes.

b.   La multiplication des phénomènes extrêmes

Les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dressent un constat très alarmant. Le réchauffement de la température moyenne de l’air et de l’eau est net : les cinq dernières années sont les plus chaudes observées depuis 1850 ([35]) ; la décennie 2011-2020 a été la plus chaude jamais observée par l’Organisation météorologique mondiale ([36]).

De nouvelles projections climatiques pour le XXIe siècle ont été réalisées par Météo France et publiées le 1er février 2021 ([37]). Trois scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sont analysés : une diminution très rapide pour atteindre la neutralité carbone en 2070 ; une augmentation puis une diminution vers la moitié du siècle et une augmentation ininterrompue. Dans cette dernière hypothèse, la température augmenterait de l’ordre de 3,9 °C par rapport à la période de référence 1976-2005. Si le nombre de jours de vagues de chaleur augmente, l’écart varie grandement selon les scénarios : il serait doublé pour le scénario le plus optimiste, multiplié par trois à quatre pour l’intermédiaire et jusqu’à dix dans le plus pessimiste. À l’inverse, le nombre de jours de vagues de froid ou gelée est en baisse, avec une ampleur variable selon les scénarios. Les pluies extrêmes sont amenées à augmenter quel que soit le scénario.

En 2018, les activités humaines ont provoqué l’émission de l’équivalent ([38]) de 55,3 milliards de tonnes de CO2 ([39]). La Chine, les États-Unis et l’Union européenne représentent respectivement 30 %, 14 % et 8 % de ces émissions. Les trois premiers secteurs émetteurs à l’échelle mondiale sont la production d’électricité (41 %), les transports (25 %) et l’industrie incluant la construction (18 %) ([40]). Le secteur du numérique a un impact croissant, représentant 4 % des émissions mondiales, soit deux fois plus que le trafic aérien.

L’Union européenne, à vingt-sept pays membres, a émis 3,8 milliards de tonnes d’équivalent de CO2 en 2018, en diminution de 23 % par rapport à 1990 ([41]). L’industrie de l’énergie est le premier émetteur à l’échelle européenne (28,9 %), devant les transports (22 %).

Les émissions nettes d’équivalent de CO2 en France s’élevaient en 2018 – déduction faite de l’absorption – à 419 millions de tonnes. Il convient de rappeler que le choix de notre pays en faveur de l’énergie nucléaire contribue à un mix énergétique moins carboné. Les principales émissions sectorielles sont retracées dans le tableau ci-après.

répartition par secteurs des Émissions de gaz à effet de serre
en France EN 2018

Secteurs et sous-secteurs

Part des émissions nationales

(%)

Transports

Dont :

  Véhicules particuliers diesel

  Poids lourds diesel

  Véhicules utilitaires légers diesel

30

 

11,7

6,4

5,4

Agriculture

Dont :

  Élevage bovin

19

 

7,7

Résidentiel-tertiaire

Dont :

  Chauffage résidentiel

  Chauffage et réfrigération tertiaire

19

 

10,9

7,8

Industrie manufacturière et construction

18

Industrie de l’énergie

10

Déchets

3

Autres secteurs

1

  Source : Commissariat général au développement durable.

Les émissions produites sur le sol français sont inférieures de 20 % à celles enregistrées en 1990. Les diminutions proviennent principalement des secteurs de l’énergie (– 29 % pour la production d’électricité́), du résidentiel-tertiaire (– 9 %), de l’agriculture (– 2 %) et des déchets (– 5 %).

Toutefois, ces éléments ne tiennent pas compte de la totalité de l’empreinte carbone française, qui intègre les émissions générées par la production à l’étranger de produits consommés en France. Or plus de 50 % de l’empreinte carbone nationale provient de l’importation de biens et services (56 % d’émissions supplémentaires dans l’empreinte carbone dans l’inventaire national en 2016). Ce facteur est à prendre en compte : entre 1995 et 2019, si les émissions intérieures ont diminué (– 25 %), les émissions dites importées ont considérablement augmenté. (+ 72 %) ([42]).

Les effets « classiques » du réchauffement climatique sont à la fois l’aggravation de la désertification – Californie, lac Tchad, sud de Madagascar où sévit une famine – et la montée des eaux en raison de la fonte des glaces et de l’augmentation de la température de la mer. Alors que la hausse est estimée à 15 centimètres au cours du XXe siècle, le GIEC considère qu’elle s’établit à 3,6 centimètres pour la seule période 2006-2015. Même si les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre étaient atteints, le niveau de la mer augmenterait d’environ 30 à 60 centimètres d’ici à 2100 par rapport à 2019. Si l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre se poursuit et à un rythme élevé, le niveau de la mer augmentera d’environ 60 à 110 centimètres.

Or 28 % de la population mondiale vit sur des zones côtières, dont 11 % à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Ces populations devront s’en remettre aux infrastructures protégeant les côtes mais se heurteront aux limites des politiques dites d’adaptation. Certains territoires, comme Kiribati, les Maldives, les Seychelles ou des îles de l’océan Pacifique sont déjà menacés de disparaître ; beaucoup souffrent déjà de la salinisation des sols qui menace leur sécurité alimentaire.

À côté des statistiques, les catastrophes ont un coût tangible en termes de vies humaines et de coût financier. On peut citer, pour la seule année 2021 : gel tardif en avril en France, ayant ravagé la viticulture et l’arboriculture fruitière, dôme de chaleur (49 °C) au-dessus de la ville de Lytton en Colombie-Britannique, suivie de violents incendies, inondations en Belgique et en Allemagne, incendies dans l’Ouest américain, au Portugal, en Grèce, en Sibérie, ouragans en Louisiane et dans le Mississipi remontant ensuite la côte est pour noyer le métro de New York, provoquant des dégâts évalués à 163 milliards de dollars, soit plus que l’ouragan Katrina.

Entre 1979 et 2010, le nombre de catastrophes climatiques a été multiplié par cinq, s’établissant à 11 000, causant plus de 2 millions de morts et 3 640 milliards de dollars de dégâts matériels. 91 % des décès ont été constatés dans les pays en développement, à raison de 650 000 morts par les sécheresses, 572 000 par les tempêtes et 58 700 par les inondations, d’après l’Organisation météorologique mondiale. Leur gravité s’accroît ces dernières années, sept des dix catastrophes les plus coûteuses étant survenues depuis 2008.

c.   La démultiplication du risque pandémique

Selon la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), les actions humaines à l’origine de la dégradation de la biodiversité et du changement climatique constituent un facteur d’accélération des épidémies. La grande majorité des nouvelles maladies – sida, Zika, Ebola, Marburg – sont des zoonoses, à savoir des virus pathogènes d’origine animale.

Les différents symptômes respiratoires aigus sévères (SRAS) dont le covid-19 fait partie, entrent dans cette catégorie de maladies. Il a été prouvé que la chauve-souris constituait le réservoir du virus, comme pour l’épidémie des années 2000. Un hôte intermédiaire, lui-même infecté par ces chauves-souris, est ensuite nécessaire à la transmission de ces virus chez l’humain. Cela a été le cas, pour le SRAS-CoV, de la civette palmiste à masque, vendue sur les marchés et consommée en Chine, et du dromadaire pour le MERS-CoV. Dans le cas de la pandémie de covid-19, clairement identifié comme une zoonose, le réservoir viral n’a pas encore été clairement établi.

L’INSERM, s’appuyant sur le Global Virome Project, initiative portée par plusieurs équipes de scientifiques sur dix ans, estime « que près de 1,7 million de virus encore inconnus existent chez les mammifères et les oiseaux, dont plus de 500 000 seraient en capacité d’infecter l’espèce humaine. Or, depuis plusieurs décennies, les épidémies de maladies infectieuses émergentes touchant l’humain s’accélèrent. Une étude de référence sur le sujet, publiée dans le journal Nature en 2008, montrait déjà la fréquence accrue de l’émergence de ces pathologies et leur potentiel épidémique depuis la deuxième moitié du XXe siècle, identifiant 335 nouvelles maladies infectieuses survenues entre 1940 et 2004. Parmi elles, plus de 60 % étaient des zoonoses. Une tendance qui n’a cessé de se renforcer ces vingt dernières années avec des épidémies plus nombreuses et plus fréquentes ([43])

Cette accélération de la fréquence des épidémies pourrait être en partie due aux activités humaines qui modifient l’environnement et augmentent la probabilité d’une rencontre entre êtres humains et virus pathogènes. Le rapport d’octobre 2020 de l’IPBES considère que 30 % des maladies émergentes identifiées depuis 1960 sont dues à des modifications dans l’aménagement du territoire au détriment de zones sauvages et par l’exploitation des terres à des fins agricoles. Des études publiées dans la revue Biological Conservation en août 2020 renforcent cette analyse : l’augmentation de la quantité de bétail sur la planète est corrélée à un nombre accru d’espèces en voie de disparition ainsi qu’à une augmentation du nombre d’épidémies humaines au cours des dernières décennies.

Élément moins connu de ce débat, il apparaît que les deux tiers des agents pathogènes infectieux réagissent au climat, notamment aux précipitations et températures. D’après une synthèse de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité ([44]), il est établi que les agents pathogènes zoonotiques sont plus sensibles au climat que les agents pathogènes strictement humains ou animaux. Les changements climatiques ou météorologiques agissent sur les habitats et les ressources en nourriture et en eau, mais également sur les migrations d’animaux. Ces phénomènes augmentent les contacts entre des animaux sauvages infectés et les humains. Ces processus, au départ très localisés – forêt congolaise pour Ebola – ont ensuite eu des conséquences globales, comme en témoignent les épidémies de grippe aviaire, désormais récurrentes dans l’ensemble du monde. L’urbanisation croissante de l’humanité – plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans des grandes villes – facilite ensuite la dissémination des virus.

d.   Les migrations environnementales

Les effets de la crise climatique sur la démographie ne sont pas nouveaux. Ils ont été pressentis dès le milieu des années 1980 et le terme de « migrations environnementales » est apparu pour la première fois sous la plume de l’universitaire égyptien Essam El Hinnawi dans un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) de 1985. De nombreux travaux ont suivi cette publication, notamment ceux de l’Organisation internationale des migrations et de la Banque mondiale, qui a livré dans une étude de 2018 ses estimations pour l’Asie du Sud, l’Amérique latine et l’Afrique subsaharienne.

Les migrations environnementales ([45]) sont définies comme des déplacements de population dus aux sécheresses, inondations, tempêtes, érosion des sols, éruptions volcaniques et séismes. Les origines de ces migrations sont donc des phénomènes de nature soudaine, mais également des modifications environnementales sur le temps long, dues aux conséquences du changement climatique, avec notamment la modification du régime des eaux dans toutes les parties du monde. Il ne s’agit pas de migrations volontaires mais de déplacements forcés, les lieux où vivent les personnes déplacées devenant inhabitables.

De 2008 à 2018, 265 millions de personnes se sont déplacées, soit en moyenne 25 millions par an – trois fois plus que des personnes forcées de quitter leur région en raison d’un conflit. Les catastrophes climatiques sont à l’origine 85 % de ces déplacements

Personnes déplacées par type de cause

Cause

Pourcentage de personnes déplacées

Inondations

50,62 %

Tempêtes et cyclones

34,54 %

Tremblements de terre

12,23 %

Sécheresse

0,77 %

Incendies

0,71 %

Éruptions volcaniques

0,46 %

Températures extrêmes

0,40 %

Glissements de terrain

0,27 %

Source : International displacement monitoring center.

Pour la seule année 2019, les déplacements climatiques ont concerné 33 millions de personnes dans 145 pays. La majorité des déplacements – près de 25 millions – a été provoquée par 1 900 catastrophes naturelles.

Le Pacte mondial pour les réfugiés, adopté par l'assemblée générale des Nations unies en décembre 2018, entend répondre directement à cette préoccupation croissante. Il reconnaît que « le climat, la dégradation de l’environnement et les catastrophes naturelles interagissent de plus en plus avec les facteurs des déplacements de réfugiés ». La plupart des déplacements de population dus aux risques naturels ou aux changements climatiques se font au sein d'un même pays.

L’Asie de l’Est et du Sud est la région la plus touchée par les migrations environnementales (79,35 %), suivie de l’Amérique (y compris du Nord, 11,59 %), de l’Afrique subsaharienne (8,25 %), de l’Europe et de l’Asie centrale (0,45 %) et de l’ensemble Moyen-Orient et Afrique du Nord (0,35 %). Si l’Europe apparaît relativement épargnée, plusieurs pays européens sont concernés désormais par la montée des eaux – Pays-Bas, régions riveraines de grands fleuves comme le Rhin et le Danube. Lors de l’examen du projet de loi Climat et résilience au printemps de 2021, le recul du trait de côte a donné lieu à de longs débats. Des milliers de citoyens français, notamment ceux vivant en Charente-Maritime, en Gironde ou dans les Landes, seront à terme affectés par la montée des eaux.

La difficulté est d’évaluer le nombre de migrants climatiques pour l’avenir. Les facteurs de migration sont en effet nombreux et, en l’absence de méthodologie commune, les prévisions sur l’évolution du nombre de migrants climatiques à l’horizon 2050 varient de 145 millions de personnes pour la Banque mondiale à 1 milliard pour l’ONU.

Il est néanmoins clair que les menaces les plus immédiates pèsent sur les populations littorales, sachant qu’environ 100 millions de personnes vivent aujourd’hui dans des zones situées sous le niveau de la mer – Pays-Bas, Bangladesh. Si le réchauffement climatique ne dépasse pas la barre de 2 degrés, ce qui est l’objectif de l’accord de Paris, la hausse des océans devrait atteindre environ 50 centimètres à 1 mètre d’ici à 2100. Toutefois, si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à leur rythme actuel, l’élévation pourrait être presque deux fois plus importante. 300 millions de personnes pourraient être menacées d’ici à 2050, principalement en Asie où la montée des eaux devrait entraîner la perte de millions de km2 de terres fertiles nécessaires à l’agriculture et à l’alimentation, en raison de leur salinisation. La France est concernée par ce phénomène. Outre le recul du trait de côte en métropole, les habitants des atolls de Polynésie française – 15 000 habitants dans l’archipel des Tuamotu – sont menacés, et des épisodes de montée des eaux sont désormais observés en Guadeloupe. En métropole et dans les outre-mer, 2,8 millions d’habitants sont concernés.

La plupart des migrants environnementaux restent dans leur pays, ce qui écarte pour l’heure l’idée de déplacements massifs vers l’Europe, continent relativement épargné par le changement climatique. Avec 5 millions de déplacés internes, l’Inde est le pays le plus touché, suivi par les Philippines, le Bangladesh et la Chine, qui enregistrent tous les trois plus de 4 millions de personnes déplacées.

Pour l’heure, les migrations environnementales n’ont pas engendré de conflits ouverts, tant à l’intérieur des pays les plus touchés qu’entre pays. Un tiers de la population de Tuvalu – 3 000 personnes – a pacifiquement émigré en Nouvelle-Zélande ; l’archipel des Kiribati comme la République des Maldives ont acquis des terres dans d’autres pays pour abriter dans le futur leur population ; plusieurs maires de communes des îles Marquises ont annoncé leur intention d’accueillir leurs concitoyens des Tuamotus. La situation est plus préoccupante dans d’autres régions, comme autour du lac Tchad, dont le niveau baisse dramatiquement, ce qui conduit les éleveurs peuls à se déplacer vers des zones où vivent des populations sédentaires, comme en République centrafricaine.

*

La France s’est penchée sur le problème des conséquences stratégiques du dérèglement climatique en 2013, avec la commande par ministère de la défense d’une étude à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Si la question est essentiellement environnementale et économique, elle peut à terme présenter des enjeux de défense, d’où la création en 2016 de l’Observatoire Défense et Climat, rattaché à la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées.

La France et l’Europe occidentale ne seront pas les régions les plus touchées à court terme par les crises climatiques, mais l’agriculture et l’habitat peuvent souffrir de sérieux dommages. Notre pays, en métropole comme en outre-mer, aura à faire face à des tendances de long terme, avec notamment le fractionnement des saisons en sous-saisons, des variations de pluviométrie et un réchauffement global, ponctués d’épisodes plus violents comme ceux survenus dans les Alpes-Maritimes en octobre 2020.

3.   L’interdépendance dans un monde fondé sur les flux

La dépendance d’un pays à l’égard du reste du monde est parmi les premiers thèmes abordés par les économistes quand ils ont cherché à transformer leur discipline en science. L’idée que s’établissaient, entre les nations en voie d’industrialisation et les nations industrialisées, des rapports de domination économique et politique est en effet présente dès le début du XIXe siècle en Europe. La dimension économique des conflits diplomatiques et militaires a bien été perçue par les observateurs de l’époque, qui pouvaient la vérifier dans les rapports entre puissances européennes comme dans l’expansion coloniale.

L’on doit à l’économiste allemand Frédéric List les travaux les plus incisifs sur ce sujet. Dans ses essais, notamment ceux de 1827 et 1839, il combat le libre-échange tel qu’il est alors théorisé par les libéraux britanniques et français et indique que les intérêts des nations les plus industrialisées ne peuvent que pencher vers le libre commerce, puisque celui-ci leur permet d’assujettir des économies moins puissantes qu’elles. Il promeut le protectionnisme temporaire, pour permettre aux nations moins avancées de se développer sans craindre la concurrence.

Les travaux de List ont conservé une résonance certaine, d’une part parce que des pays comme la Corée du Sud ont à un moment de leur histoire retenu ses préceptes pour se développer, d’autre part parce que le sujet demeure d’actualité, en raison de la mondialisation, qui a conduit à l’apparition de multiples chaînes de valeur entre pays. Mais l’on relèvera que ces chaînes de valeur n’ont que rarement été mises en place par les États. Ce sont les entreprises qui ont arbitré entre les coûts de production offerts par chaque pays, pour demeurer concurrentielles. Si l’on prend l’exemple des dix voitures françaises les plus vendues en France en 2019, leurs sites d’assemblage final étaient les suivants :

 

Peugeot 208 : Trnava (Slovaquie) et Poissy (France)

Renault Clio IV : Bursa (Turquie) et Flins (France)

Citroën C 3 : Trnava (Slovaquie)

Peugeot 3008 : Sochaux (France)

Dacia Sandero : Pitesti (Roumanie) et Tanger (Maroc)

Renault Captur : Valladolid (Espagne)

Peugeot 2008 : Mulhouse (France)

Peugeot 308 : Sochaux (France)

Renault Twingo : Novo Mesto (Slovénie)

Dacia Duster : Pitesti (Roumanie)

L’assemblage d’une automobile est l’achèvement d’un processus par lequel de très nombreux sous-traitants provenant de divers pays livrent en flux tendu les pièces nécessaires à la production – pneus, système de climatisation, électronique embarquée, plasturgie, carrosserie, etc. Le nombre de sites impliqués dans la fabrication d’un véhicule est donc plus large que le nombre de sites d’assemblage et induit la mise en place de chaînes logistiques complexes. Cette dépendance à des composants issus de pays divers se ressent fortement actuellement, alors que la pénurie de puces empêche les constructeurs d’honorer leurs commandes et a fait chuter les ventes de voitures neuves en France en 2021.

La libéralisation du commerce international sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a multiplié le nombre de chaînes et accru le poids des très grandes entreprises dans l’économie internationale. En France, les firmes multinationales représentaient 1 % du nombre d’entreprises en 2017 – 90 % étant des TPE – mais assuraient 49 % des emplois salariés et généraient 57 % de la valeur ajoutée brute produite sur le territoire français.

a.   Les principaux facteurs de l’interdépendance

Il est difficile, voire impossible, de déterminer l’ensemble des facteurs de l’interdépendance entre États. L’attention portée au lithium montre qu’en certains cas le sujet mêle microéconomie et géopolitique. Plusieurs produits, qu’il s’agisse de matières premières agricoles ou minières aux produits manufacturés, tels les semi-conducteurs, ne sont extraits ou fabriqués que dans un nombre limité de pays par seulement quelques entreprises. L’analyse des interdépendances s’effectue donc souvent à l’échelle d’un secteur économique précis.

Cinq domaines peuvent néanmoins servir de cadre de référence pour analyser la dépendance d’un pays par rapport au reste du monde :

– le commerce : la dépendance traduit une situation dans laquelle le bouclage macroéconomique est réalisé via un fort déséquilibre extérieur, dont le caractère répété ou permanent traduit l’incapacité à répondre à la demande nationale et internationale par une offre compétitive de l’industrie ; tel est le cas de la production industrielle française ;

– la finance internationale : la dépendance se caractérise par un recours répété du système financier national à un financement en devises étrangères, ce qui induit des charges et des risques croissants sur les comptes privés et publics des acteurs nationaux ; tel est le cas des pays en développement ;

– la stratégie industrielle : elle rend compte de la prise de contrôle d’entités productives du pays par un petit groupe de firmes étrangères, de sorte que les décisions d’investissement, de production, d’innovation et d’emploi dépendent de maisons mères localisées à l’étranger ; une partie de l’industrie française est dans ce cas, qui concerne surtout, au sein de l’Union européenne, les États d’Europe centrale et orientale ;

– la technologie : la dépendance signale le défaut de constitution d’une base éducative, scientifique et technique de nature à participer à l’évolution du système technique mondial et à générer une augmentation de la productivité et des rémunérations dans le pays ; là encore, la France entre en partie dans ce cas puisque, à côté de fleurons technologiques comme la maîtrise de l’ensemble de la filière nucléaire ou l’aéronautique, des pertes de compétence ou des retards sont constatés dans de nombreux domaines, comme l’électronique, l’industrie pharmaceutique ou différents secteurs du numérique ;

– la politique : la dépendance indique le fait que les conditions d’exercice de la régulation politique dans un pays sont fortement influencées par une ou plusieurs puissances extérieures – institutions supranationales comme le Fonds monétaire international, États –, qui ont ainsi la capacité d’agir sur la politique d’un pays ; de nombreux pays en développement ou aux incapables d’assurer le service de leur dette se trouvent dans cette situation.

La pandémie de covid-19 a montré à quel point les pays étaient interdépendants, en raison d’une part des déplacements de personnes par lesquels le virus s’est propagé, et d’autre part de la circulation de biens et de services. En perturbant profondément cette circulation, la crise sanitaire a relancé le débat sur les vulnérabilités issues de la division internationale du travail, la fourniture de masques faciaux étant en France l’exemple le plus emblématique.

L’attention s’est portée sur les chaînes de valeur mondiales, qui rendent les économies plus étroitement dépendantes les unes des autres. Pour limiter la circulation du virus, les États ont pris des mesures de confinement, qui ont toutes affecté les chaînes de valeur. L’offre a été réduite, avec les restrictions frappant la main-d’œuvre – impossibilité de se rendre à son lieu de travail – ; il en a été de même pour la demande, avec la réduction de la consommation des ménages et de la demande des entreprises en produits intermédiaires. Les confinements successifs ont perturbé les échanges internationaux de produits, notamment ceux de produits intermédiaires, qui représentent presque 50 % du commerce mondial de marchandises et sont au cœur des chaînes de valeur mondiales. Cette perturbation demeure d’actualité et se traduit par un regain d’inflation.

Dans ce contexte, il est utile d’analyser le degré d’interdépendance de la France par rapport aux pays étrangers. La France est membre de l’Union européenne, soit la plus vaste de zone de libre-échange et de politiques intégrées du monde. Elle est largement ouverte aux produits de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et a adhéré à l’OMC. Son économie est donc profondément liée aux échanges internationaux.

b.   Le degré de dépendance de la France

La direction du Trésor et le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) ([46]) publient régulièrement des analyses sur le degré de dépendance de la France. Ils sont à la source des éléments qui suivent.

En 1995, les chaînes de valeur induisaient pour la France une dépendance vis-à-vis de l’étranger sensiblement égale du côté de l’offre et de la demande ; depuis, la dépendance à l’égard l’offre étrangère a un peu plus augmenté que celle par la demande. En 2014, les importations de produits intermédiaires représentaient 13,6 % du PIB contre 10 % en 1995. C’est moins qu’en Allemagne, où cette dépendance s’est fortement accrue, pour atteindre 15,7 % en 2014 contre 9,1 % en 1995, mais plus qu’aux États-Unis, pays le moins dépendant de l’offre étrangère de produits intermédiaires, et légèrement au-dessus de la Chine.

Du côté de l’offre, les différences proviennent de la taille des économies, mesurée notamment par leur PIB. Les grandes économies sont généralement moins ouvertes car elles se suffisent plus facilement à elles-mêmes. Les États-Unis en sont une illustration et la Chine emprunte ce chemin, qui suit désormais une politique économique plus centrée sur son marché intérieur. La priorité est désormais accordée à la stabilité du système financier plutôt qu’à la croissance du PIB ; le discours sur la sécurité nationale encourage l'évolution vers une autosuffisance toujours plus grande, même si les exportations demeurent nécessaires pour maintenir l’appareil productif du pays.

L’Allemagne fait en revanche exception en comparaison de ses voisins. Le plus grand pays de la zone euro est aussi l’un des plus ouverts et donc l’un des plus dépendants de l’étranger. Cela provient du poids élevé de l’industrie dans l’économie allemande, secteur plus dépendant de l’offre étrangère de produits intermédiaires que ne le sont les services. L’Allemagne a en effet choisi de sous-traiter des pièces industrielles à l’étranger mais de conserver l’assemblage final sur son territoire.

Dépendance par les chaînes de valeur à l’offre et à la demande étrangères

(en pourcentage du PIB)

 

Dépendance à l’offre

Dépendance à l’offre

Dépendance à la demande

Dépendance à la demande

 

1995

2014

1995

2014

France

10,0

13,5

10,5

12,0

États-Unis

4,9

7,1

5,5

6,4

Chine

10,9

11,3

8,0

10,1

Allemagne

9,1

15,7

10,7

19,5

Source : World Input-Output Database.

Du côté de la demande, la France se situe dans une position intermédiaire par rapport aux trois économies précitées. En 2014, 12 % du PIB français provenait de la production d’intrants intermédiaires incorporés ensuite dans une production finalisée à l’étranger. Cette proportion dépassait 19,5 % en Allemagne à la même date, alors que les niveaux initiaux en 1995 étaient à peu près les mêmes. L’Allemagne a ainsi doublé sa dépendance à la demande étrangère par les chaînes d’approvisionnement, en raison de ses choix en matière d’exportation et de politiques régionales très actives pour favoriser l’ouverture internationale des entreprises de taille intermédiaire et de petites et moyennes entreprises, afin qu’elles vendent à l’étranger leurs produits, dont certains sont des produits intermédiaires. Quant aux États-Unis, leur faible dépendance aux chaînes de valeurs mondiales se confirme en ce qui concerne la demande. La Chine, enfin, a vu sa dépendance à la demande étrangère pour ses intrants intermédiaires s’accroître, mais elle reste inférieure à celle de la France.

Les statistiques de dépendance doivent être analysées au regard des choix de politique économique. Des pays dont les entreprises investissent beaucoup à l’étranger – ce qui est le cas des grandes entreprises françaises – ou sous-traitent une large part de leur production – cas de l’Allemagne – se retrouvent avec un degré de dépendance élevé, mais dépendance ne signifie pas en l’espèce fragilité. Il s’agit plutôt du corollaire d’une économie ouverte.

La crise sanitaire a mis en évidence la dépendance de la France vis-à-vis de l’étranger par les chaînes de valeur. La production française dépend principalement de l’Union européenne : en 2014, la part de l’Union européenne comptait pour 50 % de la dépendance de la production française à l’offre étrangère, et pour 47 % de la dépendance à la demande. Mais son importance relative a diminué : en 1995, la part de l’Union européenne était en effet respectivement de 58 % et 52 %. Sur cette période, la dépendance à l’égard des États-Unis est restée stable, s’établissant à 10 % tant pour l’offre que pour la demande. C’est vis-à-vis de la Chine que la dépendance à l’offre et à la demande a évolué le plus fortement, passant entre 1995 et 2014 de 1 % à 6 %. Le reste du monde représente un tiers de la dépendance de la production française vis-à-vis de l’offre d’intrants étrangers en 2014 contre 28 % en 1995 et près de 38 % de la dépendance vis-à-vis de la demande étrangère pour l’offre d’intrants français contre 34 % en 1995.

En résumé, les interdépendances liées à l’insertion de la France dans les chaînes de valeur mondiales sont avant tout européennes, mais elles augmentent plus rapidement vis-à-vis de l’extérieur de l’Union. Les chiffres peuvent néanmoins sembler peu élevés au regard de l’importance politique accordée à cette question. L’explication tient au fait que cette dépendance est principalement liée à l’industrie, dont la part dans le PIB est relativement faible – de 14,4 % en 2014 et de 12,5 % en 2018.

Si l’on élargit l’analyse à l’ensemble des secteurs de l’économie, la dépendance de la France à l’égard de l’offre et de la demande étrangère s’établit ainsi :

Dépendance de la France à l’égard de l’offre et de la demande étrangère, par secteur

(en pourcentage)

 

Dépendance à l’offre

Dépendance à l’offre

Part du secteur dans le PIB

Part du secteur dans le PIB

Dépendance à la demande

Dépendance à la demande

 

1995

2014

1995

2014

1995

2014

Agriculture

12,1

21,7

3,2

1,7

14,4

18,9

Industrie

20,2

31,5

20,0

14,4

23 ,1

29,3

Construction

12,4

20,5

5,8

5,6

1,5

1,2

Services

5,4

8,2

71,0

78,3

7,5

9,5

Total

10,0

13,6

100,0

100,0

10,2

12,0

Source : World Input-Output Database, 2016.

Le tableau ci-dessus permet de constater la nette différence entre industrie et services dans l’économie française, mais doit être nuancé par des différences sectorielles. Plusieurs secteurs industriels importants, comme les équipements électriques et optiques, la chimie et les machines, sont plus fortement dépendants de la demande que de l’offre, parce qu’ils sont d’importants exportateurs de pièces, composants et produits semi-finis. L’automobile, le textile-habillement et l’agroalimentaire sont, en revanche, plus dépendants de l’offre, dans la mesure où ils utilisent une grande quantité d’intrants importés, ce qui est également le cas dans les services et la construction.

Ces différences traduisent des positionnements différents dans les chaînes de valeur mondiales : les secteurs plus dépendants de l’offre de produits intermédiaires étrangers sont en aval de leur filière, et de ce fait directement en contact avec le consommateur final ; les secteurs dépendants de la demande de leurs produits intermédiaires par des clients étrangers se situent plus en amont, ils sont souvent très capitalistiques et utilisent des technologies sophistiquées, les enjeux les plus forts étant alors plus directement liés à la qualité, la maîtrise technologique et la capacité d’investissement.

c.   La dépendance à l’électricité et aux technologies de l’information

Une des caractéristiques principales du monde contemporain est que tous ses acteurs – personnes physiques comme morales – sont connectés, du moins dans les pays où l’électricité permet d’assurer la fourniture en énergie et de faire fonctionner les réseaux informatiques. Il s’agit d’une dépendance dont on ne mesure la portée que lorsque survient un événement de grande ampleur, comme la panne de 2003 qui a privé d’électricité 50 millions d’Américains et de Canadiens. Le monde est totalement dépendant de flux d’énergie et d’information, ces derniers ne pouvant être assurés sans le fonctionnement des réseaux électriques.

Par une ironie dont l’Histoire est friande, le « bug de l’an 2000 » si largement prophétisé n’eut pas lieu ([47]) ; en revanche, les 26, 27 et 28 décembre 1999, une grande partie de l’Europe fut traversée par les tempêtes Lothar et Martin, qui firent 140 morts et des milliers de blessés et provoquèrent des dizaines de milliards d’euros de dégâts, tout en privant d’électricité, et donc de connexion, quelque 10 millions de Français. Si la probabilité d’incidence d’une panne numérique mondiale endogène – causée par des facteurs purement numériques – a sans nul doute augmenté depuis l’an 2000, l’enchaînement de causes exogènes – du météorologique à l’électrique et de l’électrique au numérique – reste un puissant facteur de risque.

En 2017, le monde consommait 22 000 TWh, dont 530 TWh en France. Cette dépendance n’est pas le fruit du hasard mais le résultat d’un processus économique. Lorsque Thomas Edison a mis en place en 1882 le premier réseau électrique, à New York, il fallait le rentabiliser en convertissant un maximum d’abonnés à l’éclairage à une multiplicité d’autres usages. C’est ainsi qu’une série de technologies ont été développées à usage domestique – téléphone, électroménager, ascenseurs –, tertiaire ou collectif, comme le tramway souterrain, qui a pris le nom de métropolitain.

Les coupures du 28 septembre 2003 en Italie ([48]), du 14 août 2003 aux États-Unis et au Canada et du 13 juillet 1977 à New York et sa région sont dues à des défauts et incidents de générateurs ou de lignes à haute tension, avec des effets dominos. En Italie, 56 millions de personnes se sont trouvées privées de lumière en pleine nuit ; les transports en commun ont été interrompus, il a fallu jeter la nourriture et les produits médicaux stockés dans les chambres froides. Le rétablissement du courant a pris 48 heures. La panne de 2003 en Amérique du Nord s’est produite en fin d’après-midi : des personnes ont été coincées dans les ascenseurs et dans les transports en commun tandis que les feux de signalisation ne fonctionnaient plus pour les automobilistes. Celles qui habitaient dans de lointaines banlieues ont dormi dans la gare de Grand Central, transformée en dortoir. L’impact économique a été fort, avec l’interruption de lignes de production dans l’industrie automobile. Enfin, la panne de 1977 à New York a été la plus spectaculaire dans ses effets. Elle fut provoquée par des impacts de foudre sur les infrastructures de production et d’acheminement. La ville, privée d’électricité pendant plus de 24 heures, s’est trouvée livrée au pillage : 150 millions de dollars de dégâts, 1 037 incendies, 1 616 boutiques pillées, 4 000 arrestations et 550 policiers blessés.

Ces exemples montrent comment un incident ponctuel affecte l’ensemble d’un réseau, ainsi que les conséquences dramatiques qui peuvent s’ensuivre. Ils ont donné lieu à l’élaboration de plans pour renforcer les robustesses des réseaux. Dans l’Union européenne, la réflexion porte sur les smart grids, qui gèrent à la fois les moyens de production et les besoins en électricité des consommateurs, grâce à des compteurs électriques intelligents.

Ils démontrent surtout la vulnérabilité entière de nos sociétés à l’approvisionnement en courant électrique. Toute interruption ou diminution de la distribution de courant entraîne des effets systémiques et implique que l’on soit capable de faire fonctionner les activités essentielles – à commencer par celles des hôpitaux et des forces de secours et de sécurité – en mode dégradé, le temps de rétablir le réseau. La crise climatique pourrait avoir un impact sur la production d’électricité, quel que soit le mode de production. M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, a assuré lors de son audition par la mission d’information qu’EDF s’adaptait « en continu pour garantir la sûreté des installations et permettre la continuité d’approvisionnement lors de ces événements climatiques extrêmes ([49]) ». L’entreprise a notamment mis en place des plans « Grand chaud », « Grand froid » et « Grand vent ». Depuis plus de vingt ans, ces plans ont correctement fonctionné.

En 2018, les 3,8 milliards d’utilisateurs réguliers ou occasionnels d’internet ont généré un volume d’information de 915 milliards de gigaoctets, soit 29 000 gigaoctets par seconde. D’après Data Never Sleeps, chaque minute, 103,45 millions de spams et 15,2 millions de SMS étaient envoyés ; 3,6 millions de recherches étaient effectuées sur Google, 1,15 million de vidéos étaient regardées sur Youtube ; 456 000 messages étaient rédigés sur Twitter et Amazon enregistrait un chiffre d’affaires de 258 751 dollars.

En juin 2021, des dizaines de sites internet ont été brièvement inaccessibles dans le monde, comme ceux du Gouvernement britannique, de CNN, du New York Times, d’Amazon, de Reddit, de Twitch et du Guardian. Il ne s’agissait pas d’une cyberattaque mais d’un problème technique provenant de la société Fastly, réseau de diffusion de contenu qui fournit des serveurs de périphérie à de nombreux sites internet. Ces serveurs stockent ou mettent en cache du contenu tel que des images et des vidéos dans des endroits du monde entier afin que les utilisateurs puissent y accéder plus rapidement et plus facilement. En 2018, l’aéroport d’Atlanta, aux États-Unis – le premier du monde par le trafic – a été victime d’une panne qui a affecté des centaines de vols et des milliers de passagers. En octobre 2021, une erreur de maintenance sur les serveurs de Facebook a conduit à déconnecter du web, pendant plusieurs heures, l’ensemble des messageries et services du groupe, avec des conséquences parfois très importantes puisque de nombreuses entreprises dépendent de ces services.

La France n’a pas été épargnée par ces phénomènes. Des pannes ont ainsi paralysé le trafic de la gare Montparnasse au début du mois de décembre 2017 ; la ville de Toulouse et la principauté de Monaco ont connu des pannes géantes durant le printemps et l’été 2018. Le 13 octobre 2021, des difficultés de réseau au sein du groupe OVHcloud, leader français et européen de services dématérialisés d’informatique, ont rendu indisponibles pendant une heure et demie des milliers de sites internet. Il faut enfin évoquer la panne ayant affecté l’opérateur Orange, qui a rendu en grande partie inopérants les numéros d’urgence du SAMU, de la police et des pompiers pendant plus de six heures dans la soirée du 2 juin 2021.

De brèves pannes de service internet sont courantes et ne sont que rarement le résultat d’un piratage ou d’autres méfaits. Mais les conséquences sont loin d’être anecdotiques : perte de confiance des clients et des employés, atteinte à l'intégrité de la marque, baisse du cours des actions, poursuites judiciaires…

D’après l’entreprise de protection des données Veeam, une panne informatique dure en moyenne 72 minutes en France. Le coût moyen d’une heure d’arrêt pour une application hautement prioritaire serait de 68 000 euros et de 62 000 euros pour une application « normale ».

Dans ce cadre, le temps de restauration des données et des applications est crucial, surtout après une cyberattaque. Or 81 % des entreprises françaises estiment souffrir d’un écart de disponibilité entre la vitesse à laquelle elles peuvent restaurer leurs applications et celle à laquelle elles devraient le faire.

Si les incidents sont monnaie courante dans l’espace virtuel, les attaques, guidées par des intentions malveillantes sont devenues fréquentes et ont un coût économique important. D’après M. Gérôme Billois, consultant et membre du bureau de la commission cybersécurité de Numeum, auditionné par la mission d’information, « le premier facteur expliquant la difficulté de résilience en cas d’attaque est l’uniformisation des technologies très largement utilisées dans le numérique. C’est le principal vecteur favorisant les attaques à la limite de l’ordre systémique que l’on a déjà pu observer. L’attaque NotPetya venait d’Ukraine et visait l’État ukrainien, mais l’interconnexion des différents systèmes numériques l’a amenée à toucher simultanément et très rapidement des entreprises du monde entier. Une entreprise que nous avons accompagnée a vu 50 000 de ses ordinateurs détruits en quarante-cinq minutes. La Maison-Blanche a estimé le coût de cette attaque à environ 10 milliards de dollars à l’échelle internationale. Certains grands groupes internationaux ont fait part de pertes de 600 à 700 millions de dollars, et le groupe Saint-Gobain, touché par l’attaque, a indiqué un impact de 220 millions d’euros ([50]). »

Le retard pris par les administrations et les entreprises dans la sécurisation de leurs systèmes d’information est préoccupant, malgré une réelle prise de conscience. Le problème est aggravé par le fait que les cybercriminels ont un sentiment d’impunité en raison des faibles moyens d’investigation policiers et judiciaires.

« Internet est l’une des rares créations de l’homme qu’il ne comprend pas tout à fait […]. C’est la plus grande expérience d’anarchie de l’histoire […], à la fois source de bienfaits considérables et de maux potentiellement terrifiants, dont nous ne commençons qu’à peine à mesurer les effets sur le théâtre mondial ([51]). » Le problème central posé par cette technologie est qu’elle conditionne désormais la plus grande part des activités humaines. Nos sociétés deviennent dépendantes de la technologie et des entreprises qui les contrôlent – réseaux et plateformes, télécommunications, information, santé, commerce, justice, sécurité, armée… –, cette tendance s’accentuant avec le développement des algorithmes, des objets connectés, de la robotique, de l’intelligence artificielle. Or ces technologies sont régies par le code informatique. La régulation des activités et comportements dans l’espace numérique dépend davantage des standards et normes techniques déterminés par les ingénieurs informatiques que des normes juridiques édictées par les États. De ce fait, la notion de souveraineté, consubstantielle à la notion d’État, est battue en brèche.

De facto, les ressources logiques et physiques nécessaires au fonctionnement de l’internet sont contrôlées dans leur immense majorité par des institutions ou des entreprises américaines, et c’est la législation des États-Unis qui prévaut très largement en cas de litige. La supervision des noms de domaines, racine stratégique d’internet, est assurée par une entreprise de droit californien, l’Internet corporation for assigned names and numbers (ICANN). À la suite des révélations d’Edard Snowden, en 2013, sur un espionnage généralisé au profit des intérêts des États-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Union européenne ont lancé des programmes visant à recouvrer leur souveraineté numérique.

Encore faut-il s’entendre sur la signification du terme. Entre « la maîtrise des technologies, tant d’un point de vue économique que social et politique ([52]) », et la capacité de l’État à agir dans le cyberespace, ce qui est une « condition nécessaire à la préservation de nos valeurs » impliquant, d’une part, « une capacité autonome d’appréciation, de décision et d’action dans le cyberespace », et, d’autre part, la maîtrise de « nos réseaux, nos communications électroniques et nos données ([53]) », les approches peuvent varier. D’autres chercheurs, écartant le lien traditionnel entre État et souveraineté, mettent en exergue la capacité de certains acteurs privés à imposer leurs règles ([54]).

Les enjeux de la souveraineté numérique sont considérables : les États dépendent des outils technologiques pour agir mais ils ne les maîtrisent pas complètement. Ils peinent à faire respecter leurs lois sur les réseaux – divulgation de données sensibles, adaptation des lois sur la publication des sondages électoraux ou sur les jeux en lignes, abus de la liberté d’expression, lutte contre la haine sur internet. Ils doivent aussi s’adapter à de nouvelles menaces : cybercriminalité, piratage informatique et rançongiciels, espionnage, propagande terroriste...

Face aux géants de la Silicon Valley, le rapport des forces leur est nettement défavorable. Les États ne créent ni ne maîtrisent les technologies, se heurtent à des situations de quasi-monopole : moteurs de recherche, géolocalisation, lieux de stockage des données, tribunaux compétents, extraterritorialité, etc. Il leur est donc difficile de mettre en avant les ressorts de l’action face à des entreprises dont l’objectif classique est de réaliser des profits en collectant et exploitant des données.

La situation actuelle est un facteur de fragilité pour la plupart des États du monde, dont l’objectif en la matière est double : s’assurer de technologies qui défendent leur souveraineté et doter leurs pays d’une économie numérique. L’exploitation de la masse de données collectées, agrégées et traitées par des algorithmes, est censée permettre d’orienter le comportement des consommateurs et des clients, ce qui ouvre des perspectives considérables : adaptation en temps réel de l’offre commerciale, révolution des démarches publicitaires et marketing, comparaison des prix, gestion des stocks, etc. Les entreprises américaines dominent largement ces marchés, malgré l’émergence ces dernières années d’entreprises européennes et françaises : Vinted, Deliveroo, Bolt, Zalando, Skype, Spotify, LeBonCoin, Blablacar, Deezer, Doctolib ou OVHcloud.

On notera que la prise de conscience de la Chine est plus aiguë que celle de l’Union européenne, pour des raisons liées au caractère autoritaire du régime. Le Premier secrétaire du Parti communiste, Xi Jinping a prévenu l’ensemble des acteurs chinois et étrangers de ses intentions dans une déclaration en mars 2021 : « Pour se doter de forces nationales compétitives, la Chine instaurera et améliorera le système de gouvernance de l’économie de plate-forme en accordant une importance égale au développement et à la régulation dans le cadre des efforts menés pour promouvoir une concurrence loyale, lutter contre les monopoles et empêcher l’expansion désordonnée du capital. » La loi chinoise, présentée en août, considère que les données constituent un atout stratégique de la nation et qu’elles ne doivent pas appartenir à des entreprises privées, surtout si celles-ci sont dans une situation monopolistique. Jusqu’à présent, la Chine réagissait par rapport à certains abus ; elle définit désormais le cadre a priori pour disposer d’un système ne dépendant plus des technologies étrangères ([55]), à la fois par des outils juridiques de plus en plus contraignant, par la mise en place de dispositifs d’isolement et de surveillance de l’internet chinois – le projet « bouclier doré », ou « Grande Muraille numérique », et par des efforts technologiques considérables sur les matériels et logiciels considérés comme critiques.

*

Ce tour d’horizon des risques et menaces auxquels la France se trouve confrontée met en évidence la nécessité d’une action résolue et lucide pour s’y préparer, dans la mesure où il apparaît probable que les actions de prévention – au demeurant indispensables – ne pourront pas nous en prémunir intégralement. Dans cet environnement où risques et menaces se conjuguent, dans un contexte de compétition internationale accrue, les sociétés démocratiques occidentales sont vulnérables. Toute fragilité, quelle qu’en soit l’origine, est susceptible d’être exploitée à leurs dépens.

B.   La crise sanitaire précipite la prise de conscience de vulnérabilités 

Dès le début de la crise de la covid-19 en France, différents organismes se sont prêtés à l’analyse de la gestion de la crise sanitaire ainsi que des retours d’expériences qui peuvent en découler. L’abondance de la production de travaux en la matière témoigne de la réelle prise de conscience des problématiques systémiques soulevées par la pandémie.

Il faut ici souligner l’apport du Parlement qui, grâce à des dispositions prises en urgence pour maintenir la continuité de son activité, a contribué à un fonctionnement fluide des institutions sans qu’il soit nécessaire de recourir à un cadre exceptionnel. Non seulement les élus de la nation ont participé largement à la recherche de solutions opérationnelles et à la réflexion de plus long terme, mais aussi, grâce aux travaux ([56]) de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), ils ont apporté leur pierre à l’information scientifique du pays.

La mission d’information sur la résilience nationale est bien entendu redevable de tous ces travaux, dont elle s’est inspirée pour mener sa propre réflexion et dont elle reprend certaines propositions. Elle a cependant considéré qu’il aurait été inutile et redondant de produire une énième évaluation de la gestion de la crise sanitaire, préférant s’inscrire dans une démarche plus globale et prospective.

On trouvera ci-après une liste indicative des principaux travaux sur lesquels la mission d’information s’est appuyée. Certains concernent directement la gestion de la crise sanitaire, d’autres des implications de la crise à court, moyen ou long terme dans différents domaines. Dans tous les cas, votre rapporteur constate une convergence des analyses et des recommandations vers la notion de résilience, qui apparaît comme la clé, tout à la fois, de l’interprétation de la crise sanitaire et des enseignements qu’il convient d’en tirer.

1.   L’analyse de la gestion de la crise sanitaire

On a assisté dès les premiers mois de la pandémie à une volonté d’analyser ce qui se passait et d’évaluer les réponses des pouvoirs publics et du système de santé. Certains travaux ont été menés dans le cadre de la confrontation politique propre au fonctionnement du Parlement, ce qui leur donne un tour parfois polémique et, rétrospectivement, excessivement critique au regard des réponses le plus souvent pertinentes qui ont été apportées à cette crise inédite.

On retiendra surtout deux aspects : d’une part, la volonté de s’appuyer en continu sur les retours d’expérience et les comparaisons internationales en continu, ce qui aura été très profitable à la gestion de crise dans son ensemble ; d’autre part, l’ouverture de champs nouveaux de prospective.

a.   Les missions d’information et commissions d’enquête parlementaires

● Rapport de la mission d’information, dotée de pouvoirs d’enquête, de l’Assemblée nationale sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid-19 (décembre 2020)

Créée par la Conférence des présidents le 17 mars 2020, la mission d’information, présidée par M. Richard Ferrand – qui en est également le rapporteur général –, comprend l’ensemble des présidents des commissions permanentes et des présidents de groupe. Elle remet un premier rapport ([57]) en juin 2020 qui procède à une description complète des premiers dispositifs mis en place par les pouvoirs publics en réponse à la pandémie.

Après s’être dotée de pouvoirs d’enquête, elle publie un second rapport en décembre 2020, lors de la seconde vague. Le nouveau rapporteur, M. Éric Ciotti (LR), s’y livre à une analyse critique de la réponse des pouvoirs publics, pointant l’impréparation de l’État. La pandémie aurait révélé le désarmement des pouvoirs publics face à l’émergence d’une crise sanitaire de telle ampleur ainsi que les fragilités structurelles du système de soins. Le rapport délivre une série de recommandations en matière d’anticipation, de stocks stratégiques et logistiques, de gestion territoriale des crises et de santé – dépistage, système de soins, EHPAD.

● Rapport de la commission d'enquête du Sénat pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion (décembre 2020)

Créée le 30 juin 2020, la commission d’enquête sénatoriale a mené ses travaux parallèlement à la mission d’information de l’Assemblée nationale et ses conclusions rejoignent dans leurs grandes lignes celles du rapport de M. Ciotti. Elle déplore un triple défaut : de préparation, de constance dans la stratégie, de communication.

● Rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur les dimensions européenne et internationale de la crise liée à la pandémie de covid-19 (décembre 2020)

Le rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée procède à une analyse comparative de la gestion de crise, tout en évaluant les forces et les faiblesses des politiques menées à l’échelle européenne et de la solidarité internationale.

b.   Autres rapports

● Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire (juin 2020)

Ce rapport, commandé par le Premier ministre au général Richard Lizurey, comprend une série de recommandations pratiques et organisationnelles pour améliorer le pilotage opérationnel de la crise.

● Rapports de synthèse ([58]) du Haut Comité français pour la résilience nationale sur le SARS-CoV-2 (juillet 2020 et juillet 2021)

Les rapports du Haut Comité français pour la résilience nationale retracent la chronologie de la crise du covid-19 sous tous ses aspects, en France, en Europe et dans le monde, afin de poser les bases d’un retour d’expérience au bénéfice des politiques futures ([59]).

● Rapport de la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l’anticipation des risques pandémiques (mars 2021)

Créée à la demande du Président de la République, la mission indépendante dite « Pittet » remet ses travaux dans le contexte du lancement de la campagne nationale vaccinale. Conformément à sa lettre de mission, elle procède à « une évaluation, en comparaison internationale, de l’impact sanitaire, économique et social de la crise », à « une appréciation de la pertinence, de la rapidité et de la proportionnalité de la réponse apportée à la crise au regard des autres réponses nationales » et à « la formulation de recommandations pour rendre le pays plus réactif et résilient face aux crises sanitaires ».

2.   L’analyse des implications de la crise sanitaire

a.   Les implications économiques et industrielles

La crise sanitaire a donné une nouvelle actualité au thème de la désindustrialisation de la France et à la nécessité de garder la maîtrise de certaines productions stratégiques au niveau national ou au niveau européen. C’est bien entendu dans le domaine sanitaire, pharmaceutique et médical que les carences ont été les plus criantes : équipements de protection sanitaire, moyens de production de médicaments et de vaccins ou encore de respirateurs.

Au-delà des études consacrées ces questions ([60]), on peut considérer que la séquence de réponse aux effets économiques de la crise sanitaire, qui va du plan d’urgence au plan de relance et au plan France 2030 s’inscrit dans une dynamique de résilience : résilience face au réchauffement climatique et résilience face à de futures crises de toutes natures qui exigent un renforcement significatif de notre autonomie en matière de production industrielle et d’approvisionnements.

Le plan France Relance ([61]) de septembre 2020, doté de 100 milliards d’euros, apparaît comme un tournant économique vers la résilience. La résilience est du reste encore plus présente dans sa déclinaison européenne – puisque l’Union européenne finance ce programme à hauteur de 40 milliards d’euros –, le Plan national de relance et de résilience ([62]). Les conditionnalités communautaires apportent une plus-value non seulement en matière de résilience environnementale et sociétale, mais aussi en matière d’investissement pour garantir notre autonomie stratégique, conformément à la mise à jour de la stratégie industrielle européenne de mai 2021 ([63]).

b.   Les implications numériques

● Rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective : Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés (juin 2021)

Le rapport sénatorial met en perspective la stratégie d’endiguement de certains pays asiatiques, reposant sur des outils numériques efficaces mais souvent intrusifs. Il analyse les carences et les hésitations de l’administration française dans la mise en place de dispositifs numériques pour combattre la pandémie, et plaide pour une intégration et une acceptation des usages numériques dans le domaine sanitaire en en veillant à leur proportionnalité et à la protection des libertés individuelles.

● Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » (juin 2021)

La mission d’information de l’Assemblée nationale analyse « la formidable dépendance de la France et de l’Europe vis-à-vis des solutions et matériels numériques non européens » mise en évidence par la crise sanitaire à la fois dans le quotidien des citoyens – équipements, communications, télétravail – et dans le cyberespace comme champ émergent de compétition stratégique.

● Rapport de la commission « Les Lumières à l’ère numérique » (janvier 2022)

La commission mise en place par le Président de la République et présidée par M. Gérald Bronner formule une série de propositions d’ordre technique, juridique, organisationnel et éducatif pour lutter contre la désinformation dans le cyberespace et les ingérences numériques étrangères.

c.   Les implications juridiques

● Étude annuelle 2021 du Conseil d’État – Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes (juillet 2021)

Les travaux parlementaires sur les différents projets de loi d’urgence pour faire face à la crise sanitaire constituent à eux seuls un corpus important. L’étude annuelle 2021 du Conseil d’État procède à une vaste synthèse juridique et à une mise en perspective historique des états d’exception. Elle formule plusieurs propositions pour réformer le cadre constitutionnel, législatif et réglementaire des états d’exception et pour mieux structurer le pilotage de la gestion de crise.

d.   La gestion des risques

● Rapport de la mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels (juin 2021)

La mission mise en place par la ministre de la transition écologique et présidée par le journaliste scientifique Fred Courant propose une série de mesures concrètes pour engager « une modernisation profonde des dispositifs d’acculturation aux risques ».

● Croix-Rouge française et cabinet Futuribles : Anticiper 2030 – crises, transformations et résilience (octobre 2021)

La Croix-Rouge française dresse, à la lumière l’« ébranlement généralisé » provoqué par la crise du covid, un panorama très large des enjeux de la décennie – environnementaux, sanitaires, informationnels, sociaux – et met en exergue trois « piliers de la résilience » : préparer et éduquer face aux crises ; protéger au cœur des crises et des ruptures de vie ; relever par le rétablissement des liens sociaux.

C.   Comment définir la résilience de la nation ?

L’analyse du contexte international, caractérisé par une instabilité croissante, des risques systémiques et une compétition tous azimuts, ainsi que le retour d’expérience de la crise du covid-19, conduisent réfléchir à la définition de ce que doit être la résilience de la nation aujourd’hui.

1.   Un concept issu de la psychologie individuelle, de plus en plus utilisé à l’échelle des organisations

a.   Un concept multidimensionnel

Si la notion de résilience a revêtu de nouveaux usages dans le champ des politiques publiques au cours des dernières années, ces utilisations n’ont pu intervenir qu’au terme d’une série de déplacements à partir du sens premier du terme. Son acception originelle s’inscrit en effet dans le lexique des sciences expérimentales, et qualifie la résistance d’un matériau aux chocs ([64]). La capacité d’un matériau à retrouver son état antérieur à l’exercice d’une pression extérieure est ainsi mesurée à l’aide d’un coefficient de résilience ([65]). La notion de retour à une situation primitive est bien présente dans l’étymon latin du terme : le verbe resilire comporte en effet l’idée d’un mouvement de retrait, et au sens figuré, celle d’un repli sur soi.

Par un glissement de sens, le terme s’est vu transféré du domaine physique à la sphère morale. Aussi le Trésor de la langue française, tout en rappelant l’origine anglaise du terme et son acception en physique des matériaux, le définit-il, au sens figuré, comme un synonyme de « force morale », désignant « la qualité de quelqu'un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre » ([66]). Dans un texte de 1936, dont le titre – L’Élasticité américaine – joue du double sens physique et moral du terme, Paul Claudel relève, dans le contexte de la Grande Dépression, l’aptitude de la société américaine à faire face aux crises : « il y a dans le tempérament américain une qualité que l’on traduit là-bas par le mot resiliency, pour lequel je ne trouve pas en français de correspondant exact, car il unit les idées d’élasticité, de ressort, de ressource et de bonne humeur » ([67]).

Ces usages métaphoriques d’une notion issue des sciences naturelles ont acquis, dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, une signification technique dans le champ des sciences humaines, et plus spécifiquement de la psychologie. En particulier, les travaux de la psychologue américaine Emmy E. Werner concernant l’aptitude d’enfants et d’adolescents à atteindre un haut degré d’épanouissement au sortir de conditions de vie difficiles, ont inspiré les recherches ultérieures sur les applications du concept de résilience en psychologie clinique ([68]). La reconstruction morale d’individus au terme d’expériences traumatiques est ainsi au cœur des ouvrages de Boris Cyrulnik, dont les travaux en psychiatrie et en neuropsychologie ont amplement contribué à la diffusion du terme de résilience auprès d’un large public francophone.

Par rapport aux autres usages de cette notion, la résilience nationale présente des caractéristiques originales. À la différence de la résilience psychique d’un individu, la capacité d’une nation à recouvrer son équilibre à la suite d’une grave perturbation de son existence normale se déploie par définition au niveau collectif, à l’échelle d’une vaste communauté. À l’intérieur de celle-ci, les aptitudes individuelles et l’engagement d’entités particulières et circonscrites – telles que les associations, les entreprises ou les collectivités territoriales – n’en sont pas moins déterminants pour le succès d’une stratégie de sortie de crise. C’est donc au point d’articulation entre des dispositions et comportements individuels et plusieurs niveaux d’organisations collectives que s’élabore la résilience d’une nation.

Ensuite, parce qu’elle se rapporte à une société particulière, inscrite dans une histoire, une culture, une organisation politique, des institutions et un territoire déterminés – autant d’attributs d’une nation au sens plein du terme –, cette déclinaison du concept de résilience ne saurait donner lieu à une évaluation quantitative, générale et abstraite dans sa forme, à l’image du « coefficient de résilience » d’un matériau. La résilience d’une nation doit nécessairement s’apprécier au regard des valeurs, des idéaux et des normes qui la caractérisent. En d’autres termes, s’il existe bien des déterminants matériels capables d’influencer la résilience d’un pays – tels que le niveau de ses stocks ou de ses forces – cette aptitude collective est indissociable d’un projet, d’une vision politique du monde et de la volonté de la réaliser.

Le rôle central de la volonté politique qui sous-tend une nation à un moment donné apparaît déterminant pour l’appréciation de la résilience d’une société démocratique. En effet, si la résilience d’un être vivant ou d’un système de solidarités entre des individus et leur milieu ne saurait s’apprécier en termes mécaniques, sous le prisme exclusif du retour du même, la part d’innovation qu’implique la résilience de communautés vivantes est exacerbée dans le cas des nations démocratiques, qui se définissent par leur capacité à mettre en forme la volonté libre de leurs membres. La place de l’innovation collective, de la réinvention du fonctionnement d’un collectif, doit donc être soulignée, compte tenu notamment des critiques portant sur le conservatisme tacite qui sous-tendrait toute doctrine de résilience.

D’autre part, les risques susceptibles d’éprouver la résilience d’une nation sont plus diversifiés que ceux auxquels s’exposent un écosystème ou un individu. Du fait de la complexité des sociétés contemporaines, due à la diversité et à l’intensité des activités et des échanges au sein de chacune d’entre elles autant qu’aux rapports d’interdépendance qui les lient les unes aux autres, les sources de vulnérabilité sont nombreuses et se recoupent en partie : les risques géopolitiques, pouvant revêtir la forme de conflits de haute intensité entre États, se superposent à des fragilités économiques, que celles-ci soient l’effet d’une conjoncture particulière ou de la longue durée ; l’impact de phénomènes tels que le dérèglement climatique comme de risques environnementaux plus circonscrits dans l’espace et dans le temps, s’analyse aussi bien en termes écologiques que politiques, sociaux ou économiques ; la fragmentation du corps politique, la défiance dont font l’objet les institutions et la difficulté à définir un ensemble de principes constituant une vision du monde capable de réunir les membres d’une nation par-delà leurs différences, sont autant de vulnérabilités propres aux sociétés démocratiques.

Aussi, de manière synthétique, la résilience de la nation peut-elle être définie comme la volonté et la capacité de la nation dans toutes ses composantes à se prémunir des principaux risques et menaces auxquels elle est exposée, et, si une catastrophe ou une agression majeure surviennent, à résister à leurs conséquences et à recouvrer rapidement un équilibre qui conforte sa cohésion et ses valeurs fondamentales.

b.   Des critiques dont la portée ne doit pas être négligée

À mesure qu’elle s’est installée dans le discours public, la notion de résilience a fait l’objet de critiques dont l’écho et la pertinence doivent être pris en considération. En particulier, un ouvrage de Thierry Ribault ([69]), précisément intitulé Contre la résilience : à Fukushima et ailleurs, présente cette notion comme l’un des avatars d’une injonction générale à l’adaptation ([70]): l’introduction de la résilience dans le champ politique substituerait, aux projets de transformation du monde par l’activité créatrice des sociétés humaines, une idéalisation de la résistance aux chocs, doublée d’une insistance sur les responsabilités individuelles au détriment de la critique des orientations générales de nos sociétés. Cette innovation sémantique résulterait de l’intégration des catastrophes dans les techniques de gouvernement : la catastrophe perdrait ainsi son sens de rupture dévastatrice du cours du monde, pour ne plus constituer qu’un moment de l’histoire d’une société appelée à se recomposer sur les mêmes bases.

Ces critiques ne semblent toutefois pas faire obstacle à un usage fécond de la notion de résilience. D’abord, une stratégie de résilience nationale ne saurait aboutir à admettre de façon indiscriminée l’ensemble des facteurs de risque comme autant de circonstances extérieures sur lesquelles l’État et la société n’auraient par définition aucune prise. La première exigence d’une telle stratégie est au contraire de prévenir la matérialisation des menaces de tous ordres. À titre d’exemple, une stratégie de résilience face au changement climatique ne peut faire l’économie d’une lutte contre ce processus. Une telle stratégie ne doit donc pas être conçue comme le palliatif de modifications de notre environnement dont on admettrait par avance la fatalité, mais comme la combinaison d’une action résolue contre ce phénomène et d’une anticipation de ses effets probables.

Il ne s’agit pas davantage d’organiser le désarmement de l’État en préalable à la responsabilisation intégrale des individus, appelés à faire face aux conséquences de crises dont les ressorts sont en réalité de nature collective. Seulement, le maintien, voire le développement des capacités des pouvoirs publics n’implique pas que l’on renonce aux dispositions personnelles ni aux compétences précieuses d’individus et d’organisations, qu’il s’agisse d’associations ou d’entreprises, par exemple. Ainsi, l’entretien de services publics de secours pour parer aux urgences médicales ne fait pas obstacle à la formation d’un large public aux gestes qui sauvent. Dans ce cas précis, les compétences des personnes privées sont un complément, bien davantage qu’un substitut, à l’action des pouvoirs publics.

L’invocation de la résilience dans le discours public n’a donc pas pour objet d’instiller la croyance à la responsabilité individuelle de chacun dans l’origine des catastrophes, au détriment de l’examen de responsabilités collectives, tenant à l’organisation de nos sociétés ou à leur rapport à la technologie. Une stratégie de résilience vise au contraire à rétablir les conditions normales de fonctionnement d’institutions délibératives capables de définir l’organisation de la vie nationale, notamment pour permettre l’examen critique des décisions passées.

2.   Une appropriation progressive du concept dans la sphère publique en France

L’emploi de la notion de résilience dans la sphère publique française a acquis une ampleur significative à partir de 2008, après la publication du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale. Ce dernier a vu la résilience érigée en objectif de sécurité nationale, aux côtés de l’anticipation-réactivité et de la capacité de montée en puissance.

La définition du terme contenue dans le Livre blanc marque une inflexion dans le sens d’une conception globale de la résilience, comme caractérisant l’ensemble des secteurs et des parties prenantes de la vie de la nation :

La résilience se définit comme la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeures, puis à rétablir rapidement leur capacité de fonctionner normalement, ou à tout le moins dans un mode socialement acceptable. Elle concerne non seulement les pouvoirs publics, mais encore les acteurs économiques et la société civile tout entière ([71]).

Ainsi caractérisée, la résilience se situe à la jonction de réalités distinctes. En tant que disposition du corps social et des institutions, elle revêt à la fois une composante objective, que recouvre la notion de « capacité », et une dimension subjective, qu’exprime le mot de « volonté ». Ces deux déterminants de la résilience peuvent être mis à l’épreuve par des événements de nature différente, qui s’étendent du registre de la « catastrophe », terme qui comporte une notion de fatalité, à celui de « l’agression », laquelle se rapporte au contraire à la volonté d’un agent, qu’il s’agisse d’un État ou d’une organisation hostile. La définition fournie par le Livre blanc insiste également sur le caractère collectif de la résilience : à la différence d’une doctrine de défense dont le champ d’application se limiterait à la protection du territoire national en cas d’agression, et concernerait plus particulièrement l’action des forces armées, une stratégie de résilience doit impliquer la sphère civile, qu’il s’agisse des pouvoirs publics, des différents échelons de gouvernance territoriale, des acteurs économiques, ou de la population générale.

Alors que ces utilisations du concept de résilience, intervenant dans la formulation d’une doctrine de défense, s’adressaient avant tout à un public spécialisé, la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a considérablement accru la visibilité de cette notion. Ainsi, le 25 mars 2020, le Président de la République a annoncé le lancement de l’opération Résilience, mobilisant les moyens des armées, consacrée « à l'aide et au soutien aux populations ainsi qu'à l'appui aux services publics pour faire face à l'épidémie de covid-19 en métropole et en outre-mer, en particulier dans les domaines sanitaire, logistique et de la protection » ([72]). Cette annonce, effectuée au cours d’une adresse à la nation, peut apparaître comme une étape importante en vue de l’installation pérenne de la notion de résilience dans le discours et le débat public. Le 13 avril suivant, à l’occasion d’une autre adresse aux Français, le Président de la République usait à nouveau du terme, en évoquant non plus la réaction immédiate à la crise, mais la préparation du pays aux enjeux de la longue durée ([73]).

La résilience se rapporte bien ici à la capacité de la nation à affronter les crises. Il y est à la fois question de mesures déterminées, justifiées par l’urgence, et de la capacité de la société tout entière à se prémunir des conséquences des crises. L’intérêt de la notion apparaît ainsi à travers cette juxtaposition de significations complémentaires, et tient à la synthèse qu’elle effectue entre le développement de dispositions collectives patiemment constituées, et leur mobilisation rapide en réponse à un événement perturbateur. Construire la résilience de la nation, c’est donc tirer de l’analyse des besoins du pays dans ses enjeux de long terme des mesures concrètes, mises en œuvre par les pouvoirs publics et par la société dans son ensemble, et être capable de les mobiliser rapidement en réponse à un événement perturbateur.

Dans le contexte de la crise sanitaire, la notion de résilience a également été utilisée à l’échelle européenne. Ainsi, le principal instrument financier de la mise en œuvre du plan de relance européen (« NextGenerationEU ») a reçu le nom de facilité pour la reprise et la résilience. Aux termes du règlement 2021/241 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021, le versement des crédits de ce fonds aux États membres est conditionné à la transmission, par ces derniers, de plans nationaux pour la relance et la résilience. Soumis à l’examen de la Commission, ces programmes comportent une répartition prévisionnelle des dépenses au regard de plusieurs objectifs, au premier rang desquels la « double transition écologique et numérique » ([74]). Il s’agit donc avant tout de mesures d’investissement, destinées à élever le niveau de croissance à long terme au sein de l’Union européenne en adaptant les économies nationales aux enjeux de la longue durée, plutôt que d’un plan de stabilisation du cycle économique. Cet emploi de la notion de résilience en conforte le statut. La résilience est ainsi un objectif transversal des politiques publiques, permettant de lier le temps court de la réaction aux crises au temps long de la reconstruction et de la prévention des risques à venir.

3.   L’enjeu politique et sociétal que représente la résilience de la nation reste néanmoins insuffisamment pris en compte en France

Si la résilience a acquis à partir de 2008 une signification et une valeur opératoire auprès d’une partie des pouvoirs publics, notamment dans le secteur de la défense, cette notion n’a longtemps connu, en France, que des usages circonscrits voire confidentiels.

La France ne présente, en effet, pas le même niveau de maturité dans la mise en œuvre d’actions tendant à accroître la résilience des pouvoirs publics et de la société. En particulier, le développement de la capacité de vastes pans de la société à faire face aux conséquences des crises paraît limité, alors même que la protection du pays a longtemps reposé, à tout le moins dans ses aspects militaires avant le développement de la dissuasion, sur la mobilisation de la population tout entière. En témoignent aussi bien le principe révolutionnaire de la levée en masse que la refondation de la doctrine de défense opérationnelle du territoire par l’ordonnance du 7 janvier 1959, réaffirmant la centralité de la mobilisation générale.

À l’inverse, comme on le verra plus en détail dans la troisième partie du présent rapport, d’autres États ont mis en œuvre de véritables stratégies de résilience, sous des intitulés parfois différents. Ainsi, plusieurs États nordiques – la Finlande, la Norvège et la Suède – ont su développer leurs capacités de résistance aux agressions extérieures en liant la défense du territoire par les forces armées et l’implication de la société civile auprès de ces dernières. Cette articulation se fonde sur la notion de défense totale, également employée en Allemagne. Il paraît significatif, pour la bonne compréhension de l’objectif poursuivi à travers cette coopération entre la population et les forces armées, que les nations qui fondent leur doctrine de défense sur cette imbrication des domaines civil et militaire se signalent par leur réticence marquée envers le recours à la force. La défense totale, comme élément constitutif d’une stratégie de résilience, est liée à la garantie de l’intégrité territoriale et de l’identité de ces pays en tant que nations démocratiques et indépendantes.

D.   les finalités d’un projet de résilience nationale

Définir les finalités d’un projet de résilience nationale revient à énoncer les principes fondamentaux que la nation se reconnaît, et qu’une telle stratégie vise à préserver dans un contexte de crise. Réciproquement, l’efficacité de la réaction aux crises peut tirer parti de la volonté et de la capacité du pays de se prémunir de leur incidence sur son organisation et sur ses valeurs. Ainsi, l’engagement des citoyens au service de causes d’intérêt général, dont témoigne l’existence d’un important tissu associatif, est-il aussi bien un trait définissant une société démocratique animée par le souci du bien commun, qu’une ressource mobilisable pour sa préservation.

Désigner certains principes ou valeurs comme étant fondamentaux pour la nation peut être perçu comme une démarche arbitraire. Et cela d’autant plus dans un contexte de polarisation des opinions, voire de fragmentation du corps social, qui revêt une gravité et des proportions telles qu’il est difficile d’identifier des principes communs à l’ensemble de notre société ([75]). Il est cependant possible d’énoncer les conditions générales de formation et de mise en œuvre d’une volonté politique librement déterminée, ainsi que les caractères principaux de l’histoire politique républicaine pouvant constituer le fondement d’un projet national.

1.   Souveraineté, indépendance, autonomie

Dès lors que la résilience désigne la capacité d’une société à préserver sa cohésion et ses moyens d’action dans des circonstances entravant le cours de la vie nationale, elle apparaît comme une condition d’exercice de la souveraineté, sous ses deux composantes que sont, dans les relations extérieures, l’indépendance à l’égard des autres États, et, au plan intérieur, le principe d’autonomie, en vertu duquel les normes procèdent de la nation à laquelle elles s’appliquent. Une fois ces objectifs définis, il est possible d’élaborer une stratégie de résilience visant à préserver la souveraineté de la nation sous ses différentes formes.

En premier lieu, il importe de maintenir l’indépendance nationale, à la fois en tant que principe juridique et dans ses conditions concrètes de réalisation. Sans méconnaître la portée des engagements internationaux de la France, ni l’étendue des interdépendances qui la relient aux autres nations, les pouvoirs publics et la société doivent se prémunir des conséquences d’une brusque déstabilisation du contexte géopolitique ou des échanges internationaux, mettant à l’épreuve le réseau des solidarités existantes.

Ainsi, l’hypothèse d’une rupture imprévue et brutale des relations entre la France et certains de ses partenaires étrangers, notamment à la suite de changements rapides dans la gouvernance de ces États, devrait être anticipée afin de se prémunir de ses conséquences politiques, sociales ou économiques. Par exemple, sans aucunement remettre en cause la participation de la France à une organisation internationale telle que l’OTAN, ni son engagement en faveur de la construction d’une défense européenne, il paraît souhaitable que les armées et l’ensemble des parties prenantes de la défense nationale disposent de contrats opérationnels alternatifs applicables en cas de dislocation brutale de l’alliance.

2.   Maintenir la promesse républicaine dans un contexte où les attentes sociales sont de plus en plus fortes

Si l’on compare la résilience de la société française aujourd’hui à ce qu’elle pouvait être au moment du déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’un des possibles facteurs de sa diminution tient à l’évolution des rapports entre les pouvoirs publics et les citoyens découlant de l’attribution de nouveaux droits à ces derniers. L’histoire contemporaine a en effet donné lieu à un accroissement continu des attentes de la population, auxquelles l’État et les autres institutions publiques – en particulier les organismes de protection sociale – ont pu répondre à la faveur d’un contexte politique, économique et social très favorable, marqué par l’absence de conflits majeurs sur le sol européen depuis 1945 et par le dynamisme des économies occidentales durant les « trente glorieuses ». Ainsi, la reconnaissance de droits dits de deuxième génération, également appelés des « droits-créances », qui figurent notamment dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, a donné un fondement juridique et une justification politique aux attentes sociales en matière de protection, tout particulièrement dans la sphère socio-économique.

Par ailleurs, la disparition des violences politiques, qui avaient accompagné la guerre d’Algérie, et des menaces sur la sécurité intérieure liées au contexte de Guerre froide, a procuré à la population un sentiment de protection, diminuant sa tolérance à l’égard de la mise en danger des personnes en cas de conflit extérieur ou d’attentats sur le territoire national. Si la population française a plusieurs fois affiché sa cohésion durant la vague d’attentats islamistes commencée en 2012 lors des tueries de Toulouse et de Montauban, et dont l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 a rappelé la persistance, la réprobation qu’inspire à certains de nos concitoyens la mise en danger de la vie de militaires engagés dans des opérations extérieures témoigne d’une sensibilité accrue à la protection des vies humaines.

Or, l’exigence de protection que manifestent les Français se heurte aux limites du renforcement des moyens que les pouvoirs publics consacrent aux enjeux de sécurité. Il serait en effet impossible d’accroître indéfiniment les instruments juridiques et les ressources à la disposition des services de sécurité, sans risquer de remettre en cause les libertés publiques et l’atteinte des objectifs poursuivis par d’autres politiques sollicitant les moyens de l’État.

L’affirmation de nouvelles attentes collectives, en particulier en matière environnementale, contribue aussi à rendre plus difficile la conciliation opérée par les pouvoirs publics entre des demandes sociales distinctes. Ainsi, l’exigence de lutte contre le réchauffement climatique peut impliquer le recours à des sources d’énergie qui, à l’image du nucléaire, comportent inévitablement des risques industriels, sanitaires et environnementaux.

Sous l’effet de ces différentes évolutions, les institutions publiques se trouvent ainsi confrontées à des attentes sociales concurrentes voire contradictoires, face auxquelles il leur est difficile de maintenir la promesse républicaine d’émancipation des individus et de la société.

3.   Maintenir la forme démocratique de l’État et l’autonomie de la société vis-à-vis de ce dernier.

Si la France se caractérise par une tradition centralisatrice et par le rôle structurant des institutions publiques, cette donnée de l’histoire politique s’accompagne du souci constant du contrôle de l’action des pouvoirs publics par les citoyens.

Parmi les expériences historiques qu’une stratégie de résilience doit prendre en compte, la défaite de 1940 occupe une place particulière. Ses conséquences immédiates, à savoir l’occupation de la plus grande partie du territoire national et le remplacement des institutions républicaines par le régime de Vichy, constituent deux illustrations particulièrement dramatiques des effets éventuels d’un conflit de haute intensité sur l’intégrité territoriale et politique du pays. Aussi, le maintien de la forme démocratique de l’État constitue l’une des justifications d’une doctrine de défense et d’une stratégie de résilience visant à se prémunir de tout type d’agression qui puisse affecter le fonctionnement des institutions représentatives.

Des instruments existent en ce sens. Ainsi, sur le plan juridique, notre Constitution dispose que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision, et qu’aucune révision ne peut intervenir alors qu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire national ([76]). Ces dispositions constitutionnelles ont été élaborées dans le contexte de l’après-guerre, marqué par le souvenir de la débâcle et de l’Occupation.

L’évolution des menaces implique cependant que la France se dote de nouveaux instruments. Si l’on ne saurait écarter la perspective de nouveaux conflits de haute intensité, pouvant menacer l’indépendance nationale, il existe désormais des formes de conflictualité plus insidieuses qui, à l’image des menaces hybrides ou des actions dans l’espace cyber, appellent des réponses différentes. Ainsi, une stratégie de résilience devrait notamment tenir compte des risques de déstabilisation de processus électoraux, qui ont revêtu une importance centrale au cours de scrutins étrangers depuis 2016.

4.   Un projet de résilience doit reposer sur l’appréciation transparente des risques auxquels la nation est confrontée

Parce qu’elle implique la société tout entière, une stratégie de résilience nationale doit nécessairement correspondre à une vision politique. Elle n’est en effet pas séparable de préférences collectives définies par l’arbitrage entre des demandes sociales concurrentes, voire contradictoires. Ainsi, la demande de sécurité à l’égard d’agressions extérieures ou de catastrophes naturelles peut mobiliser des ressources, qui par conséquent ne serviront pas à répondre à d’autres attentes sociales.

Dès lors, il faut s’interroger de façon régulière sur les moyens que la société entend consacrer au développement de sa résilience. Compte tenu de la charge économique, morale, voire psychologique que comportent certaines mesures participant de cet objectif, la décision de les mettre en œuvre doit reposer sur une évaluation continue des risques auxquels le pays est exposé, afin de veiller à ce que les moyens que celui-ci destine à sa résilience soient dimensionnés en conséquence.

Ainsi, toute constitution de réserves supplémentaires de matières premières par les entreprises ou par les pouvoirs publics permet certes de pallier d’éventuelles difficultés d’approvisionnement, mais s’accompagne de coûts de stockage élevés que la société n’est pas nécessairement prête à assumer. De manière analogue, la relocalisation d’industries pharmaceutiques est assortie de risques environnementaux et sanitaires, mis en lumière par le classement Seveso d’une grande partie de ces installations industrielles.

En d’autres termes, le renforcement de la résilience de la nation, par la réduction de son exposition aux menaces de déstabilisation des échanges internationaux, induit un besoin de résilience supplémentaire à l’égard des dangers environnementaux liés à certaines activités industrielles.

De façon comparable, la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses manifestations, à quoi concourt le développement de la production d’électricité nucléaire, s’accompagne d’exigences supplémentaires de prévention des accidents et de résilience en cas de survenue de ces derniers. Aussi l’élaboration d’une stratégie de résilience nationale présuppose-t-elle la transparence et la lucidité des pouvoirs publics et de la société à l’égard des risques de toutes natures.

L’exposition du pays à ces derniers est notamment fonction d’atouts et de vulnérabilités spécifiques, qu’il importe maintenant d’identifier.

 


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   II. La France de 2022 a des atouts solides en termes de résilience mais aussi certaines vulnérabilités

L’analyse lucide et sans cesse renouvelée des forces et des vulnérabilités de la nation est une composante essentielle de la démarche de résilience. Il n’est rien de pire que de se croire protégé sans l’être vraiment. La construction de capacités prend du temps, ce n’est pas au moment où la catastrophe survient qu’elle peut être envisagée.

Il sera donc proposé, dans un premier temps, de dresser un tableau des atouts de la France en matière de résilience – ceux qui lui sont propres et ceux que lui confère son appartenance à l’Union européenne et à de nombreuses instances internationales. Cette partie sera complétée par une évaluation des effectifs directement mobilisables pour contribuer à la résilience nationale, c’est-à-dire des hommes et des femmes susceptibles d’intervenir en première ligne en cas de crise grave.

Dans un second temps seront examinés les facteurs de vulnérabilité de notre pays en matière sociale, politique, militaire, économique, numérique et énergétique.

A.   La France dispose d’atouts spécifiques qui sont autant de facteurs avérés ou potentiels de résilience

Le recensement des facteurs de tous ordres – le premier d’entre eux étant l’histoire même de la nation française – met en lumière des atouts importants qu’une stratégie de résilience nationale pourrait mobiliser.

1.   Une volonté de souveraineté inscrite dans la longue durée, adossée à d’importantes capacités diplomatiques et militaires et à une position géographique privilégiée

Plusieurs traits caractéristiques de l’État et de la société française, qui relèvent tout à la fois de son histoire, de sa géographie et de sa culture politique, sont des facteurs de résilience, en particulier face à l’hostilité de puissances et d’acteurs étrangers.

a.   Le souci de l’indépendance nationale transparaît, sous différentes formes, au cours de l’histoire politique de la France

La volonté d’occuper une place éminente dans les relations internationales tout en protégeant son indépendance constitue un caractère récurrent de l’histoire de France dans la longue durée.

Avant même la fondation des institutions républicaines et démocratiques, la France s’est constituée en tant que nation en assurant son intégrité territoriale. Dès l’Ancien Régime, l’inaliénabilité du domaine royal, apparue dans la pensée juridique au XIVe siècle et érigée en loi fondamentale du royaume en 1566 par l’ordonnance de Moulins, introduit une dissociation du territoire et de la propriété personnelle du monarque. Le rapport du roi au domaine cesse d’être appréhendé sur le mode de la possession, et appartient dorénavant au registre de la souveraineté.

La protection de l’intégrité du domaine royal contre toute cession ou tentative extérieure d’appropriation revêt, à compter de la Révolution française, une dimension nouvelle. En effet, la souveraineté nouvellement proclamée de la nation implique l’impossibilité pour l’État d’aliéner une partie du territoire national et de ses habitants au profit d’une puissance extérieure. Deux conséquences résulteraient de tels transferts territoriaux : d’une part, la nation comme entité politique consciente d’elle-même, car unie par une commune citoyenneté, est solidaire de l’ensemble de ses membres, de sorte que l’abandon d’un territoire à une influence étrangère serait une atteinte portée à l’ensemble du corps politique. D’autre part, dans le contexte des guerres révolutionnaires en particulier, toute perte territoriale apparaîtrait comme une concession au despotisme, représenté par les monarchies européennes dont les armées menacent le pays. C’est pourquoi l’enracinement de la république en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle est notamment tributaire du souvenir de la perte de l’Alsace-Moselle au profit de l’Empire allemand, aliénation à la fois territoriale, culturelle et politique. Aussi l’historiographie a-t-elle mis en lumière le rôle, parmi les motivations des combattants français de la Première Guerre mondiale, de la volonté partagée de défendre le territoire national face à une puissance perçue comme agressive et étrangère à la culture politique républicaine ([77]).

Si la défaite de 1940 et l’Occupation peuvent difficilement apparaître comme des modèles historiques de résilience nationale, la manière dont une puissance anéantie et divisée a développé une organisation interne au sein de la Résistance, formé un projet national commun, puis recouvré un statut dans les relations internationales plus conformes à ses aspirations, constitue une expérience inédite de reconstruction politique, morale, économique et sociale. En particulier, l’œuvre du Conseil national de la résistance, rassemblant les aspirations distinctes voire concurrentes des forces politiques et sociales réunies dans le combat commun, fait figure d’expérience historique exceptionnelle à laquelle toute entreprise future de reconstruction nationale au terme de graves épreuves ne peut manquer d’être comparée.

L’affirmation de nouvelles puissances à la faveur de la Seconde Guerre mondiale, puis de la décolonisation et de la Guerre froide, ont plus tard conduit la France à concilier la protection de son indépendance, corollaire indispensable de la souveraineté nationale, et l’instauration d’une nouvelle sécurité collective reposant sur la coopération multilatérale. Durant la Guerre froide, la préservation de la souveraineté nationale a d’abord revêtu la forme du projet gaullien de troisième voie, s’autorisant de nouveaux vecteurs d’influence – possession de l’arme nucléaire, statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies… – qui ont contribué au renouvellement des prétentions de la France au statut de puissance mondiale, compromises par la débâcle et par l’Occupation, puis par la perte de son vaste empire colonial.

Il paraît d’ailleurs significatif que l’objectif d’indépendance nationale ait eu pour ultime garantie un moyen – l’arme nucléaire – conçu pour être résilient : ainsi les stocks d’armement sont-ils constitués selon le principe de redondance, qui implique l’entretien de capacités supérieures à celles requises pour l’atteinte d’un objectif à un moment déterminé, afin de tenir compte de l’hypothèse dans laquelle une première frappe ennemie atténuerait notre capacité de riposte ([78]).

La souveraineté de la France, définie par l’indépendance à l’égard de l’étranger et par l’application des principes démocratiques et républicains, a également reposé sur un engagement résolu en faveur de la coopération en matière de défense dans le cadre de l’alliance atlantique, et plus encore du projet d’intégration économique, puis politique, des nations européennes. Cette articulation entre la défense de l’indépendance nationale, condition de réalisation de la promesse républicaine dans le cadre de notre État-nation, et la promotion du multilatéralisme et de la construction européenne, est également au cœur de la notion d’autonomie stratégique comme de celle de « souveraineté européenne », employée dès 2017 par le Président de la République Emmanuel Macron dans le discours de la Sorbonne. En particulier, la doctrine de dissuasion nucléaire française précise désormais que les « intérêts vitaux » du pays, dont la mise en cause peut justifier le recours à l’arme atomique, revêtent une « dimension européenne ([79]) ».

b.   La France est favorisée dans son dessein de souveraineté par une géographie privilégiée

La volonté des régimes successifs de garantir l’indépendance et la souveraineté de la France a pu s’appuyer sur les données de la géographie.

Le territoire national possède d’abord un trait de côte étendu, qui lui garantit l’accès à plusieurs mers –mer du Nord, Manche, océan Atlantique, Méditerranée – tout en formant une protection naturelle. L’adjonction de territoires d’outre-mer nombreux et épars à une métropole dotée de plusieurs façades maritimes a plus tard conféré à la France la deuxième plus grande zone économique exclusive (ZEE) au monde.

De manière analogue, les massifs montagneux – Alpes, Vosges, Pyrénées – et les fleuves – le Rhin – séparant le territoire français des pays limitrophes ont paru donner une justification géographique naturelle à la volonté d’indépendance du pays. Ces espaces liminaires, que la Révolution française a qualifiés de « frontières naturelles », ont été interprétés comme la manifestation d’une différence politique, entre la nation française devenue consciente d’elle-même et l’étranger.

Loin d’enclore le territoire national sur lui-même, ces frontières constituent avant tout des interfaces plaçant la France au cœur des réseaux de communication en Europe. Ainsi, le pourtour méditerranéen et la vallée du Rhône ont, dès l’Antiquité, constitué des points de contact avec, respectivement, le reste du bassin méditerranéen et l’Europe du nord. La ville de Lyon a tôt fait de devenir le carrefour commercial qu’elle est encore aujourd’hui, formant, avec le Piémont limitrophe, la racine méridionale de la mégalopole européenne, qui court de l’Italie du nord à l’Angleterre, et comprend les vallées de la Meuse et du Rhin. À l’extrémité septentrionale du pays, la Manche et la mer du Nord constituent l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde, les zones industrialo-portuaires du Havre et de Dunkerque captant en partie ces flux. À l’ouest, la façade atlantique a permis à la France de participer au basculement du centre de gravité des échanges mondiaux de la Méditerranée vers le Nouveau Monde amorcé au XVIe siècle ([80]). La présence de territoires français dans l’indopacifique comporte aujourd’hui des possibilités comparables de développement.

Certains caractères du territoire national méritent d’être signalés comme dans le contexte de l’élaboration d’une stratégie de résilience, pour laquelle ils représentent autant d’atouts. Tel est le cas, notamment, de la surface de terres arables et de la variété du climat, favorisant l’abondance et la diversité des cultures. L’autonomie alimentaire de la France et la position avantageuse dont jouissent certaines filières de son agriculture découlent de cette situation favorable. L’abondance des terres fertiles a aussi eu un rôle dans l’histoire politique et sociale du pays : la répartition plus équilibrée de ces ressources entre les différentes couches sociales que dans d’autres pays européens a pu soutenir les aspirations à l’égalité et l’attachement d’un vaste peuple de propriétaires à la défense de ses biens ([81]).

c.   Des capacités reconnues d’anticipation et de planification stratégiques

Au-delà de la détention d’instruments diplomatiques et militaires qui permettent à la France de conserver son statut de puissance, les pouvoirs publics disposent d’importantes capacités d’anticipation et de planification à long terme dans différents domaines.

Ce constat a notamment pris forme en 2008 dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui présentait l’anticipation comme une fonction stratégique à part entière. En 2013, le nouveau Livre blanc constatait cependant que « l’État s’est insuffisamment mobilisé pour conférer à cette fonction la place qui correspond à son importance ([82]) ». Or, la résilience face aux différentes crises nécessite d’être en mesure de prévoir leurs conséquences, et de façon plus générale, d’anticiper les évolutions géopolitiques, économiques et technologiques porteuses de ruptures susceptibles de remettre en cause l’adaptation de nos outils de défense.

Cette exigence se décline à plusieurs étapes du déroulement de chaque crise, allant de l’analyse stratégique inscrite dans la longue durée à l’adaptation permanente requise dans la conduite opérationnelle de la gestion de crise. Elle s’impose tout particulièrement aux armées, qui doivent prendre en considération le point de vue d’un adversaire cherchant à provoquer la surprise, voire la sidération. C’est pourquoi toute stratégie de résilience doit impliquer le développement de capacités d’anticipation : d’une part, la définition des besoins nécessaires au renforcement de la résilience de la nation suppose l’identification préalable des menaces qui déterminent ces besoins ; d’autre part, la résilience comme faculté de résistance à l’aléa par l’absorption de chocs imprévus vise à pallier les limites de l’anticipation.

C’est ce qu’affirme notamment M. Bertrand Le Meur, directeur pour la stratégie de défense, la prospective et la contre-prolifération à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) : « Si la philosophie du ministère des armées est plutôt fondée sur la résistance, il faut aussi savoir absorber une partie du choc et se préparer à répondre à des aléas dont sait qu’ils adviendront mais que l’on ne connaît pas ([83]). »

De ce point de vue, la France dispose d’atouts importants, comme en témoigne la multiplicité d’organismes et de centres de recherche civils et militaires dont les travaux traitent, au moins pour partie, des évolutions concomitantes du contexte stratégique, militaire et technologique. Certains d’entre eux apparaissent particulièrement novateurs. C’est notamment le cas de la Red Team Défense, mise en œuvre dans le cadre de l’Agence de l’innovation de défense (AID). Composée d’auteurs de science-fiction qui mettent au point des scénarios à partir d’axes de travail fournis par le ministère des armées, la Red Team a pour mission de tracer des scénarios de rupture auxquels la France pourrait être confrontée à un horizon de soixante ans.

À l’inverse, la résurgence de structures anciennes, à l’image du Haut-Commissariat au plan, sous une forme adaptée à la réalité d’une économie moins directement imbriquée avec la sphère publique, vise à répondre aux besoins d’anticipation des mutations économiques et technologiques dans la longue durée.

Si votre rapporteur considère que les moyens d’analyse stratégique et d’anticipation dont disposent les pouvoirs publics pourraient faire l’objet d’une coordination plus rigoureuse, ceux-ci n’en constituent pas moins un « écosystème » précieux qui doit guider toute stratégie de résilience nationale, et dont certaines initiatives pourraient être généralisées au sein de la sphère publique et parmi les opérateurs privés.

d.   Un outil de défense et des initiatives diplomatiques renouvelés, garants de l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe

Au regard de la dégradation du contexte stratégique et de l’engagement des armées sur plusieurs théâtres d’opération, tant au sein du territoire national qu’à l’étranger, la France s’est attachée, en particulier depuis 2017, à renforcer les instruments de sa défense nationale. Cette volonté trouve sa justification dans la Revue stratégique de 2017, complétée par l’Actualisation stratégique de 2021, et se concrétise notamment par l’application de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 (LPM 2019-2025). Celle-ci prévoit notamment l’abondement de la mission « Défense » du budget de l’État par 197,8 milliards d’euros de crédits de paiement entre 2019 et 2023. Fait nouveau, cette LPM a été parfaitement respectée dans les différents exercices budgétaires du quinquennat. Ces efforts permettront notamment à nos capacités de défense de regagner en « masse » ([84]).

L’armée française constitue donc un atout spécifique pour la résilience nationale, particulièrement distinctif au sein de l’Europe. Nos forces armées sont ainsi aptes à intervenir en ultima ratio dans une situation de crise, conformément à la règle des « 4 i » selon laquelle « les armées sont engagées sur le territoire national en complément des forces de sécurité et des moyens des autres ministères, dans des missions de sécurité intérieure et de sécurité civile, dès lors que les moyens civils, y compris les moyens de la gendarmerie nationale, s'avèrent inexistants, insuffisants, inadaptés ou indisponibles » ([85]). Elles peuvent s’appuyer, pour cela, sur des militaires polyvalents et sur des ressources variées, logistiques, médicales, pour l’intervention en site pollué ou pour le transport stratégique par exemple.

Loin de remettre en cause l’attachement de la France au multilatéralisme et au règlement pacifique des différends, cet effort de reconstitution d’un outil de défense plus adapté à la diversité des menaces actuelles répond à la résurgence et aux mutations de ces dernières dans un monde multipolaire et incertain (cf. I).

L’augmentation des ressources dévolues à la défense nationale s’accompagne d’un effort de redéfinition de la place de la France dans le monde, qui conforte sa crédibilité vis-à-vis de ses partenaires ainsi que sa résilience face à d’éventuels bouleversements géopolitiques.

Ainsi, sans remettre en cause la nécessaire fermeté à l’égard des violations du droit international liées à l’annexion de la Crimée par la Russie et à l’implication de cette dernière dans le conflit ukrainien, la France a pris soin d’entretenir le dialogue avec cette puissance aux ambitions mondiales. En témoignent notamment la mise en œuvre du « format Normandie » à compter de 2014, comme l’instauration plus récente du dialogue de Trianon, s’inscrivant dans une démarche généralisée de renforcement des liens entre les sociétés civiles par la diplomatie publique.

De manière analogue, les tentatives pour établir de nouvelles relations avec les États africains, impliquant davantage les acteurs de la société civile et dépassant les limites géographiques héritées de l’époque coloniale, sont un autre exemple du renouvellement de la place de la France dans le monde. L’attention portée au basculement du centre de gravité des échanges et des rivalités stratégiques à l’échelle mondiale de l’Atlantique vers l’espace indopacifique a également conduit la France à développer, de façon complémentaire à l’Union européenne ([86]), une position autonome concernant cette zone ([87]).

Ainsi, votre rapporteur estime que le renforcement des capacités militaires et des initiatives diplomatiques et stratégiques portées par la France au cours des dernières années a eu pour effet un accroissement de sa résilience par la dynamisation et la diversification de ses rapports avec le reste du monde.

Les effets bénéfiques d’une coopération internationale étroite sur la résilience du pays, du fait de la mutualisation des ressources et du partage des responsabilités entre États, sont notamment illustrés par les conséquences de l’appartenance de la France à l’Union européenne et à la zone euro.

2.   L’appartenance à l’Union européenne et à la zone euro

Alors même que l’engagement de la France en faveur de la construction européenne, et plus particulièrement de l’union économique et monétaire (UEM), a suscité des interrogations lors de la crise des dettes souveraines qui a frappé la zone euro par suite de la dépression économique commencée en 2008, le statut d’État membre de l’Union européenne et de la zone euro apparaît aujourd’hui comme l’un des facteurs économiques et politiques qui confortent la résilience du pays.

a.   Des mécanismes d’intégration économique et monétaire qui ont fait la preuve de leur résilience

Si la crise des dettes souveraines de 2011-2012, de même que les déséquilibres persistants des échanges au sein de la zone euro, avaient pu passer pour des signes annonciateurs d’une dislocation de l’union économique et monétaire, force est de constater que l’intégration des économies européennes s’est montrée résiliente face à ces facteurs de vulnérabilité.

En premier lieu, l’évolution des taux d’intérêt applicables aux obligations souveraines, tel que retracé dans le tableau ci-après, démontre la capacité des administrations publiques françaises à garantir la stabilité de leur financement, malgré l’accroissement continu de l’encours de leur dette.

taux d’intérêt applicables aux obligations souveraines françaises
à dix ans (1992-2022)

(en %)

Source : OCDE (https://data.oecd.org/fr/)

Plusieurs explications peuvent rendre compte de cette évolution de long terme. Premièrement, l’hypothèse d’une solidarité entre États pour assurer la continuité du financement de leurs dépenses publiques paraît d’autant plus crédible que le partage d’une même monnaie induit des externalités négatives en cas de défaut de l’une des parties. Dès lors, les investisseurs se portant acquéreurs d’obligations souveraines auprès de l’Agence France Trésor (AFT) ou sur le marché secondaire font bénéficier les administrations publiques françaises de conditions de financement éventuellement plus avantageuses que le niveau d’endettement de celles-ci ne le laisserait prévoir. C’est pourquoi l’appartenance à une même zone monétaire, en raison du partage des risques qu’elle détermine tacitement, constitue bien un facteur de résilience de l’État et de l’économie française, dont le financement se trouve facilité. La libre circulation des capitaux et des marchandises peut également y concourir, en renforçant le potentiel de diversification de ses sources de financement et de ses fournisseurs d’intrants et de biens de consommation.

À ces solidarités inhérentes aux principes du marché unique se sont ajoutés, à l’occasion des crises de 2008 et de 2020, de nouveaux mécanismes qui ont accru la résilience du financement des dettes publiques ainsi que de l’économie européenne dans son ensemble.

L’action des pouvoirs publics en Europe s’est notamment traduite, s’agissant de la politique monétaire, par la mise en œuvre de mesures accommodantes, visant à réduire l’écart entre les taux d’intérêt applicables aux obligations souveraines des différents États membres. Le maintien de taux d’intérêt directeurs à des niveaux proches de zéro, voire négatifs, tend aussi à soutenir l’investissement en instaurant des conditions de crédit avantageuses, tout en favorisant la consommation par l’incitation à la désépargne.

De façon complémentaire à ces mesures de liquidité bénéficiant à l’ensemble des agents économiques, la Banque centrale européenne (BCE) a mis en œuvre des programmes de rachat d’actifs publics sur le marché secondaire. Commencé en 2014, le programme d’achats d’actifs – « asset purchase programm », ou APP – de la BCE a ainsi apporté la preuve des facultés d’innovation de cette dernière, utilisant toute la latitude permise par son mandat en intervenant sur les marchés pour comprimer les primes de risque exigées par les acquéreurs d’obligations souveraines. Lancé en mars 2020, le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (« pandemic emergency purchase programme », PEPP) a permis d’élever la valeur des actifs, et donc de limiter le niveau des taux d’intérêt pratiqués par les investisseurs. Les institutions monétaires européennes ont ainsi fait preuve de résilience, démontrant des capacités d’adaptation rapide dans un contexte incertain. Corrélativement, leur action a conforté la résilience des États membres face à la perspective d’une dégradation de leurs conditions de financement auprès des marchés.

Le développement d’instruments budgétaires a par ailleurs introduit une capacité d’intervention rapide en cas de crise, complétant les règles préventives et les mécanismes correctifs institués par le pacte de stabilité et de croissance (PSC) et les dispositions complémentaires prises pour son application (« six-pack » de 2011, « two-pack » de 2013). Si ces derniers visent à empêcher la formation de déséquilibres budgétaires excessifs qui affecteraient les conditions de financement des États membres, et permettent d’autre part d’organiser la trajectoire de rétablissement des finances publiques d’un pays au sortir d’une crise grave, ils ne sont pas conçus pour répondre à des besoins urgents de fonds pour faire face à une échéance de crédit. C’est pourquoi la création du fonds puis du mécanisme européen de stabilité financière (FESF-MESF) a conforté la résilience des États membres par la mutualisation partielle de leurs capacités de financement.

Plus récemment, dans le cadre de la crise due à la pandémie de covid-19, les États membres ont doté la Commission européenne d’une capacité d’emprunt sur les marchés, afin d’abonder la facilité pour la reprise et la résilience (FRR), principal instrument financier pour la mise en œuvre du plan de relance et d’investissement de l’Union européenne (« NextGenerationEU »). Ainsi, la mutualisation de ressources budgétaires se développe aussi bien pour permettre l’action dans le temps court de la crise que pour favoriser l’investissement en recherchant des bénéfices de long terme.

b.   L’harmonisation des normes et des modalités de soutien aux opérateurs économiques, gage d’une plus grande résilience du marché unique

Au-delà du renforcement de la résilience des acteurs publics par le développement de politiques budgétaires et monétaires intégrées, les opérateurs privés font l’objet d’une régulation et, le cas échéant, de dispositifs de soutiens partagés qui tendent à limiter l’impact des crises sur l’économie.

En particulier, plusieurs instruments de coopération à l’échelle communautaire concourent à la résilience des secteurs bancaire et financier. Ainsi, la mise en œuvre des normes prudentielles, visant à garantir la solvabilité des acteurs financiers, s’effectue en grande partie au niveau européen, comme le montre l’exemple de la directive « Solvabilité II » pour le secteur des assurances (2016), ou encore le projet de directive qui mettra en œuvre la version finalisée des accords de Bâle III (décembre 2017), s’adressant aux établissements bancaires. L’intégration des marchés de capitaux a eu notamment pour corollaire l’application du mécanisme de supervision unique (MSU) et du mécanisme de résolution unique (MRU), dans le cadre de l’union bancaire. Ceux-ci permettent respectivement le contrôle du respect de la réglementation applicable aux établissements de crédit et la garantie des dépôts ainsi que la prévention du risque de liquidité en cas de défaut.

Dans le contexte général de transformation numérique de l’économie et de décentralisation du stockage de données accentuée par le recours généralisé au télétravail, la prévention des risques cybernétiques fait maintenant l’objet d’une attention particulière, aux niveaux national et européen.

Ainsi, la mise en œuvre de moyens alternatifs visant à assurer le déroulement des transactions et opérations financières sous un mode dégradé tend à se développer. En France, le groupe de place robustesse (GPR) créé en 2005 et présidé par la Banque de France, rassemble les principaux groupes bancaires et infrastructures de marché de la place parisienne, ainsi que des autorités financières (autorités de supervision et de régulation) et des services de l’État (direction générale du Trésor). Ses travaux comprennent aussi bien l’identification des risques systémiques de toutes natures, allant de catastrophes naturelles telles que la crue centennale de la Seine à des crises endogènes au secteur financier, qu’à la mise en œuvre de mesures de contournement visant à pallier la défaillance des canaux habituels. Par exemple, en 2019, les coupures d’alimentation électriques dues à l’ouragan Irma ont nécessité l’acheminement de fonds en espèces afin d’assurer les règlements jugés essentiels. Plusieurs hypothèses d’attaques cyber ont aussi fait l’objet de simulations en 2019, puis en 2021 ([88]).

Des dispositifs analogues existent à l’échelle européenne. Ainsi, l’eurosystème, regroupant la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États membres de la zone euro, assure la supervision des plateformes de paiement permettant les transactions en temps réel entre établissements (notamment « Target 2 »), ou encore l’infrastructure de règlement-livraison de titres en monnaie de banque centrale (« Target 2-Securities »). Tenant compte de l’augmentation des risques en matière de cybersécurité, les institutions européennes s’attachent aussi à définir un cadre normatif harmonisé pour le traitement de ces menaces, sous la forme du projet de règlement Digital Operational Resilience Act (DORA). Ce dernier devrait imposer la tenue régulière de nouveaux tests de sécurité aux opérateurs, tout en instaurant une plateforme européenne des régulateurs permettant la surveillance, par les autorités financières, des prestataires informatiques les plus critiques, à l’image des fournisseurs de services de cloud.

Au-delà de la sphère économique et financière, l’Union européenne constitue une matrice d’harmonisation et d’interopérabilité dans de nombreux domaines. C’est notamment le cas des déclinaisons sectorielles du marché unique, telles que le marché commun de l’énergie ou que l’Europe des transports. Ainsi, une baisse de la production électrique d’un État membre est-elle susceptible d’être compensée par un approvisionnement européen.

L’harmonisation des normes au sein du marché unique a pour corollaire la négociation conjointe d’accords commerciaux avec les pays tiers. De ce point de vue, l’appartenance à l’Union européenne confère aux États membres un pouvoir de négociation supérieur à celui dont ils disposent individuellement. Il en résulte une plus grande capacité à faire prévaloir les intérêts européens et les engagements qu’ils comportent, notamment en matière environnementale.

3.   Des atouts économiques spécifiques

Si l’économie française connaît des difficultés persistantes, dont témoignent tout particulièrement les indicateurs du commerce extérieur (cf. B), elle n’en présente pas moins des atouts pour atteindre les objectifs d’une stratégie de résilience. Dans la mesure où la résilience d’une nation repose notamment sur sa capacité à fonctionner de manière autonome pendant une durée indéterminée, l’autonomie alimentaire de la France, son indépendance énergétique ou encore son positionnement favorable dans des secteurs industriels de pointe sont autant d’éléments à l’appui de ce constat.

a.   L’autonomie alimentaire

La possibilité de satisfaire aux besoins élémentaires de la population constitue la première condition de la résilience du pays, dont dépendent tous les autres facteurs qui favorisent cette dernière.

Cette autonomie est d’abord illustrée par les indicateurs du commerce extérieur dans le secteur agricole. En effet, alors même que l’économie française présente des déficits commerciaux persistants, aggravés durant la récente crise sanitaire, son excédent agricole s’est maintenu au cours des vingt-cinq dernières années, en dépit des fluctuations conjoncturelles et de l’affirmation d’autres pays exportateurs tels que, en Europe, l’Allemagne et les Pays-Bas ou, parmi les puissances émergentes, le Brésil.

Le graphique ci-après en apporte l’illustration.

Solde de la balance commerciale agricole (1997-2018)

(en millions d’euros)

Source : ministère de la transition écologique, suivi des indicateurs de la stratégie nationale bas-carbone.

Représentant 72,6 milliards d’euros en 2018 et 17 % de la production agricole européenne, le secteur agroalimentaire français est le plus important du marché unique.

La combinaison des atouts de la France tout au long de la chaîne de valeur a notamment expliqué la résilience du secteur face à la pandémie de covid-19. L’industrie agroalimentaire a ainsi connu une diminution de sa production de 3 %, soit trois à quatre fois moindre que la moyenne des secteurs économiques ([89]). Par ailleurs, aucune pénurie de longue durée n’a été enregistrée, témoignant de la continuité des approvisionnements et de la sécurité alimentaire dont la France a bénéficié durant la crise.

Il convient néanmoins de veiller à préserver cette autonomie alimentaire au niveau territorial, dans un contexte où les territoires agricoles et d’élevage sont en réalité, et de plus en plus, très spécialisés : blé en Beauce, porcs en Bretagne, etc. La problématique de la dépendance à certains intrants importés, comme les protéines animales, sera par ailleurs abordée en troisième partie. Ces quelques nuances n’oblitèrent pas le constat global d’une filière agroalimentaire qui reste puissante en France, ce qui constitue un atout solide pour la résilience nationale.

b.   Des atouts pour conquérir une indépendance énergétique

Si le choix stratégique de recourir à l’énergie nucléaire comporte des risques industriels et des enjeux de sécurité inhérents à ces installations sensibles, il n’en est pas moins un facteur avéré de résilience dans un contexte marqué par l’exigence de décarbonation de la production énergétique et par les tensions de nature géopolitique qui menacent les approvisionnements en sources d’énergies fossiles. Il est d’ailleurs significatif que la décision de doter la France d’un parc de centrales électronucléaires ait été prise dans le contexte du choc pétrolier de 1973, événement aux causes et aux manifestations multiples, d’ordre géopolitique, économique et social. De manière analogue, il importe de relever que la décision récente de construire de nouveaux réacteurs de quatrième génération (« EPR2 ») intervient au cours d’une crise géopolitique menaçant les approvisionnements européens en gaz russe, et s’inscrit dans la perspective générale de la transition écologique.

Avec 56 réacteurs répartis sur 19 sites, la France possède le plus grand parc nucléaire en Europe et le deuxième du monde, derrière les États-Unis. Le nucléaire représente la première source d’électricité en France, soit 70,6 % du mix électrique en 2019 (379,5 TWh), principalement concentrée dans 4 régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est, Centre Val-de-Loire et Normandie). La plupart des réacteurs nucléaires (32) en France ont une capacité mensuelle de 900 MW, soit une capacité d'approvisionnement de près de 400 000 personnes. 20 réacteurs ont une capacité de 1 300 MW et 4 de 1 450 MW. Le reste de la production d’électricité française est assuré respectivement par l'hydraulique (11,2 %), le thermique à flamme (7,9 %), l’éolien (6.3 %), le solaire (2.2 %) et les bioénergies (1.8 %), témoignant d’une diversification croissante favorisée par la topographie et les conditions climatiques favorables que présente le territoire français.

Au-delà de ses capacités de production, la filière électronucléaire française se distingue par ses compétences sur la totalité du cycle et notamment en matière de traitement des déchets radioactifs. Il en résulte une maîtrise de l’ensemble du processus de production, allant de la construction de centrales au recyclage du combustible.

Enfin le dispositif français de d’étude et de contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, avec l’Institut la radioprotection et de la sûreté nucléaire (IRSN) d’une part et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) d’autre part, bénéficie de garanties d’indépendance telles que sa compétence, son impartialité et son efficacité ne sont pour ainsi dire jamais contestées.

Compte tenu des rattrapages techniques en cours et des investissements massifs dans les énergies renouvelables à l’échelle européenne, on assiste bel et bien à l’amorce de la construction, sur le long terme, d’une indépendance énergétique inédite.

L’annonce par le Président de la République à Belfort, le 11 février 2022 ([90]), d’une impulsion forte pour la production d’électricité en France dans les trois prochaines décennies, dissipe largement le flou qui pouvait encore entourer certaines orientations nationales :

– multiplication par près de 10 la puissance installée en matière de solaire pour dépasser 100 gigawatts à l’horizon 2050 ;

– développement de l'éolien en mer pour viser de l'ordre de 40 gigawatts en service en 2050, soit une cinquantaine de parcs éoliens en mer ;

– construction de six EPR2 et lancement des études sur la construction de huit EPR2 additionnels, avec la mise en service du premier réacteur en 2035 et une cible de mise en service de 25 gigawatts de nouvelles capacités nucléaires d’ici à 2050.

En outre, des pistes prometteuses se dégagent pour le futur avec, dans un premier temps, les réacteurs de quatrième génération, qui permettront, en optimisant la fission de l’uranium, un multi-recyclage du combustible, avec l’utilisation du combustible usé stocké et une autonomisation complète de la filière française. Dans un futur plus lointain se dessine la perspective de centrales fonctionnant à partir de la réaction de fusion nucléaire, avec, à la clé, une énergie abondante et quasi inépuisable, produisant très peu de déchets.

c.   Un bon positionnement dans des secteurs de pointe et une dynamique favorable aux relocalisations industrielles

En dépit du processus de désindustrialisation, qui s’est manifesté dès les « trente glorieuses » par le recul continu de la part des emplois de l’industrie manufacturière au sein de la population active (cf. B), la France conserve des positions fortes dans des secteurs clés – aéronautique, espace, énergie, automobile.

À titre d’exemple, la France continue d’abriter des capacités de production complètes, allant de la conception à l’assemblage, dans le secteur aéronautique aussi bien civil – à l’image d’Airbus – que militaire – comme le montre l’exemple de Dassault. La base industrielle et technologique de défense (BITD) française est également l’une des plus complètes au monde, garantissant la souveraineté du pays dans ses approvisionnements tant navals qu’aéronautiques ou terrestres. Dans le secteur énergétique, la France a également conservé sa capacité à développer et à construire des centrales nucléaires de façon autonome. Son indépendance en la matière s’est encore accrue dernièrement lors du rachat, par EDF, de la production de turbines à vapeur Arabelle, auparavant cédée à General Electric par Alstom.

La résilience du secteur industriel français durant la crise sanitaire a notamment été soulignée par Mme Agnès Pannier-Runacher. La ministre déléguée chargée de l’industrie a ainsi rappelé que ce secteur « est l’un des seuls à avoir fonctionné quasiment à plein régime pendant la crise sanitaire, y compris pendant la période de confinement. Les industriels ont été capables de poursuivre leurs tâches en s’adaptant aux protocoles sanitaires pour assurer la protection de leurs salariés, tout en se mobilisant pour produire en quelques jours du gel hydroalcoolique et, en quelques semaines, des masques ainsi que les écouvillons nécessaires aux tests PCR. La base industrielle française est capable de faire preuve d’agilité en situation de crise et de fabriquer des produits qu’elle ne réalise pas habituellement ([91]). »

4.   La robustesse et le bon fonctionnement global des services publics, dont témoignent les capacités d’absorption du système social et de santé

La crise sanitaire déclenchée par la pandémie de covid-19 a mis à l’épreuve l’ensemble des services publics, dont le fonctionnement s’est poursuivi dans des conditions dégradées. Ce constat vaut tout particulièrement pour le système de santé, notamment hospitalier, ainsi que pour les mécanismes de protection sociale qui ont rempli leurs fonctions dans un contexte où leurs capacités risquaient la saturation. De manière analogue, les établissements scolaires français ont connu des périodes de fermeture plus brèves que dans les autres pays. En février 2022, ces établissements avaient connu 12 semaines de fermeture contre notamment 27 et 38 semaines respectivement au Royaume-Uni et en Allemagne ([92]).

Si une moindre implantation territoriale des services publics a pu être déplorée au cours des différentes protestations sociales et singulièrement du mouvement des Gilets jaunes, la France consacre cependant des moyens significatifs et croissants à la réduction des disparités dans la répartition de ces services. Ainsi, la Cour des comptes relève que le niveau de dépense publique par habitant est plus élevé en moyenne dans les zones rurales que dans les métropoles ([93]).

Des initiatives récentes visent à conforter la présence des services publics sur le territoire national, à l’instar des Maisons France Services. L’attention portée au bon fonctionnement des services s’est progressivement adaptée pour dépasser une approche strictement budgétaire, fondée sur la recherche de l’efficacité de la dépense publique, en intégrant une évaluation qualitative de la perception des administrés. En témoigne, par exemple, le programme « Service Public + » mis en œuvre sous la direction de la délégation interministérielle à la transformation publique (DITP).

5.   Des compétences reconnues mondialement en matière de sécurité civile et de secours

La résilience du pays face aux crises mettant en danger la sécurité de la population dépend en particulier de l’efficience des dispositifs de secours.

Le territoire national, aussi bien en métropole que dans l’outre-mer, est exposé à des risques environnementaux nombreux et variés, allant des inondations aux feux de forêts et aux ouragans, qui mettent régulièrement à contribution les services de sécurité civile et de secours. Le modèle français de prévention et de gestion de ces crises comporte aussi bien des services spécialisés, tels que la force d’action rapide nucléaire (FARN), que des structures généralistes reposant sur l’association de professionnels et de volontaires formés, à l’instar des sapeurs-pompiers. Ainsi, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), créée en 1882, compte 285 000 adhérents, parmi lesquels 200 000 volontaires et professionnels, 35 000 jeunes sapeurs-pompiers (JSP) et 50 000 anciens sapeurs-pompiers (ASP) ([94]) . La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, portée par M. Fabien Matras, a récemment conforté et clarifié l’organisation des services de secours tout en renforçant les mécanismes de solidarité nationale dont bénéficient les sapeurs-pompiers.

Certaines initiatives locales en matière de gestion des crises et de coordination des dispositifs de sécurité civile constituent par ailleurs des exemples qui participent de la réflexion sur le pilotage et l’organisation des services de secours. C’est notamment le cas de l’Agence de sécurité sanitaire environnementale et de gestion des risques de la Métropole Nice Côte d'Azur, assurant des fonctions de conseil et de coordination des ressources au profit de cette dernière en cas de crise environnementale ou sanitaire, ainsi qu’en cas de menaces sur la sécurité publique.

6.   Le dynamisme de la société civile et du monde associatif

L’importance des mécanismes de solidarité nationale n’a pas empêché le développement d’un important réseau associatif, dont le dynamisme a été mis en évidence par la récente crise sanitaire. L’engagement de la société civile et l’importance du tissu associatif sont des facteurs de résilience. D’une part, le réseau associatif constitue un complément bienvenu à l’action des pouvoirs publics en apportant une aide d’urgence à des publics fragiles, parfois éloignés des dispositifs de solidarité nationale. D’autre part, la volonté manifestée par les citoyens de porter assistance aux membres de la communauté nationale les plus exposés aux calamités publiques constitue une ressource morale propre à favoriser la cohésion et la résilience du pays.

Ainsi, durant la pandémie de covid-19, la forte mobilisation de la société civile s’est traduite par des coopérations entre différents acteurs – associations, supermarchés, entreprises, centres communaux d’action sociale (CCAS), marché d’intérêt national... – en réponse à l’augmentation des besoins ([95]). La Fédération française des banques alimentaires a par exemple accueilli 400 nouveaux partenaires associatifs et CCAS pendant la crise, ainsi que plus de 1 500 volontaires. L’association « les Restos du Cœur » a, pendant cette période, distribué près de 142 millions de repas, soit 6 millions de plus qu’en 2019. De nouveaux partenariats ont été noués entre des associations afin d’atteindre des publics spécifiques, tels que les étudiants, les migrants et les personnes sans domicile.

Ces dispositions collectives à la solidarité s’expriment notamment dans la participation aux réserves civiles et militaires.

7.   D’importantes forces de réserve

La fin de la conscription liée à la suspension du service militaire obligatoire en 1995 a donné lieu à un besoin de renouvellement de l’esprit de défense et du lien entre la nation et son armée. De ce point de vue, les réserves de la police nationale et des forces armées constituent d’importants vecteurs de l’engagement des citoyens en faveur de la protection de la population et du territoire national.

On a pu constater que les mutations des menaces pesant sur la sécurité publique, du fait notamment de la résurgence du risque terroriste au cours des années 2010, ont donné lieu à un engagement accru de nos concitoyens. La constitution de la garde nationale, rassemblant l’ensemble des réserves opérationnelles des ministères de l’intérieur et des armées, a constitué une première étape vers la restructuration de ces importants viviers de compétences et d’engagements. En raison notamment de l’afflux de volontaires constaté après les attentats de 2015 et de 2016, les objectifs fixés en termes d’effectifs ont été atteints plus rapidement que prévu, voire dépassés, pour la plus grande partie des réserves, comme l’indique le général Véronique Batut, secrétaire générale de la garde nationale : « L’objectif initial fixé lors de la création de la garde nationale tendait à réunir 85 000 réservistes répartis comme suit : 40 000 pour le ministère des armées, 40 000 pour la gendarmerie et 5 000 pour la police nationale. Sur ce contingent, nous souhaitions disposer de 9 250 réservistes employés quotidiennement, quel que soit le rythme des opérations : 4 000 pour le ministère des armées, 4 000 pour la gendarmerie nationale et 1 250 pour la police nationale. Un chiffre objectif de trente-six jours d’emploi par réserviste et par an a également été fixé. Pour le ministère des armées, les objectifs de 2016 ont été atteints depuis 2019. Du côté du ministère de l’intérieur, l’objectif n’est pas encore atteint concernant la gendarmerie nationale mais dépassé s’agissant de la police nationale ([96]). »

La création de la réserve civique en 2017, et celle de la réserve sanitaire, témoignent de la volonté de nombreux citoyens de mettre à la disposition du pays des compétences généralistes – réserve civique – ou spécialisées dans un domaine particulier – la communauté des professionnels de santé dans le cas de la réserve sanitaire. La mise en œuvre progressive du service national universel (SNU), ainsi que des services militaires volontaire (SMV) et adapté (SMA) correspond aussi à un besoin d’orientation et de structuration accru de l’engagement des plus jeunes de nos concitoyens, au point d’articulation entre les domaines civil et militaire.

Le constat général fait ainsi état d’un dynamisme de l’engagement citoyen, sous des formes tant militaires que civiles. Votre rapporteur estime que ces ressources précieuses, témoignant de compétences et de dispositions morales très appréciables, pourraient cependant faire l’objet d’une organisation générale, ou à tout le moins d’un pilotage simplifié (cf. III), en s’appuyant notamment sur le diagnostic et les préconisations des différents rapports parlementaires élaborés sur cette question, sur les réserves militaires ([97]) ou, de manière plus transversale, sur l’ensemble des forces de réserve ([98]).

 


Conclusion : les moyens humains de la résilience

La présente section vise à estimer les effectifs susceptibles d’intervenir en premier rang en cas de crise majeure affectant notre pays.

Les chiffres figurant ci-après sont destinés à donner un ordre de grandeur, car la méthodologie se heurte à plusieurs limites pouvant engendrer des biais :

– la détermination du périmètre des intervenants de premier rang est malaisée et ce périmètre peut varier selon le type de crise ;

– des recoupements existent forcément entre les différentes cohortes : on peut être réserviste et membre d’une association de secours, membre de plusieurs associations à la fois, etc. ;

– la disponibilité effective de certains viviers est mal connue, notamment s’agissant de la réserve opérationnelle de rang 2 (RO2) constituée d’anciens militaires ou d’anciens policiers ;

– certaines données sont disponibles en équivalents temps plein travaillé (ETPT), d’autres en effectifs physiques.

En tenant compte de ces limites, on peut donner les ordres de grandeur suivants :

Forces armées et forces de sécurité : 664 000

Secours, soins et sécurité civile : 1 436 000

Total : 2 100 000 ([99])

Ce chiffre approximatif représente 3,1 % de la population de la France, soit environ une personne sur trente, 5 % de la population comprise entre 15 et 64 ans ([100]), ou encore 7,2 % de la population active ([101]).

Les tableaux et graphiques ci-après détaillent les effectifs des populations prises en compte.

 

 

 

forces armées et forces de sécurité

Effectif physique en 2020 sauf mention contraire

Corps/organisations

Effectif estimé

Forces armées (hors personnel civil)

205 853 (ETPT)

Réserves des armées

105 464

Dont réserve opérationnelle – garde nationale

41 162

Dont réserve de disponibilité

60 288

Dont réserve citoyenne de défense et de sécurité

4 014

Gendarmerie

101 449 (ETPT)([102])

Réserves de Gendarmerie

60 366

Dont réserve opérationnelle – garde nationale

28 716

Dont réserve de disponibilité

30 008

Dont réserve citoyenne de défense et de sécurité

1 642

Police nationale

148 571 (ETPT)([103])

Réserve civile de la police nationale

18 133

Dont réserve civile contractuelle – garde nationale

6 785

Dont réserve civile statutaire

11 348

Polices municipales

24 221

Total effectifs (hors réserves et polices municipales)

455 873 (ETPT)

Total effectifs des réserves

183 963


secours, soins et sécurité civile

Effectif physique en 2020 sauf mention contraire

Corps/organisations

Effectif estimé

Sapeurs-pompiers

251 900

Dont sapeurs-pompiers professionnels

41 800

Dont sapeurs-pompiers volontaires

197 100

Dont sapeurs-pompiers militaires

13 000

Jeunes sapeurs-pompiers et cadets

29 200

Réserves communales de sécurité civile

14 000

Personnels de santé ([104])

1 031 827

Réserve sanitaire

3 800

Associations agréées de sécurité civile au niveau national ([105])

+ 105 400

Total effectifs

+ 1 436 127

 

Aide sociale et alimentaire

Corps/organisations

Effectif estimé*

Associations d’aide sociale et alimentaire ([106])

+ 390 600

 

 


 Les associations agréées de sécurité civile

 

Conformément à l’article L. 275-3 du code de la sécurité intérieure, les autorités peuvent agréer, par arrêté, des associations en matière de sécurité civile, qui sont ainsi engagées dans la participation à des opérations de secours et à l’encadrement des bénévoles dans le cadre d’actions de soutien aux populations.

Au 2 novembre 2021, il existe treize associations agréées de sécurité civile au niveau national :

– Association nationale des premiers secours (ANPS) ;

– Centre français de secourisme ;(CFS)

– Centre de documentation, de recherche et d’expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (CEDRE) ;

– Croix-Rouge Française (CRF)

– Spéléo secours français (SSF)

– Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS)

– Fédération nationale de protection civile (FNPC)

– Fédération nationale de radioamateurs au service de la sécurité civile (FNRASEC)

– Fédération des secouristes français – Croix Blanche (FSFCB)

– Œuvres hospitalières françaises de l’ordre de Malte (OHFOM)

– Secours catholique (équipe nationale urgences – France)

– Société nationale de sauvetage en mer (SNSM)

– Union nationale des associations des secouristes et sauveteurs des groupes de La Poste et Orange (UNASS).

 

 Les associations d’aide sociale et alimentaire

 

La délimitation des moyens humains l’aide sociale et alimentaire est difficile à établir. Il existe d’importants réseaux associatifs comptant des effectifs significatifs de bénévoles mobilisables dans l’aide alimentaire et sociale en cas de crise. Ces réseaux regroupent un très grand nombre d’associations – le réseau des banques alimentaires, à lui seul, est constitué de plus de 6 000 associations partenaires. De plus, de nombreuses associations agréées de sécurité civile, comme la Croix-Rouge, l’Ordre de Malte, ou encore la Protection civile, remplissent aussi ce type de mission. Leurs effectifs peuvent donc tout aussi bien être mobilisables en cas de crise. L’ensemble du réseau humain d’aide alimentaire et sociale est ainsi pléthorique, hétéroclite et peut difficilement faire l’objet d’une comptabilité fiable et exhaustive. L’estimation mentionnée dans cette note correspond aux effectifs de bénévole des associations et réseaux associatifs les plus importants en France en matière d’aide sociale et alimentaire (Secours populaire, Restos du cœur, Croix-Rouge française, Secours catholique, Protection civile, Emmaüs, Société de Saint-Vincent-de-Paul, Petits-Frères des pauvres, Ordre de Malte, Banques alimentaires, Armée du Salut).

 

 Sources des estimations

 

– Bilan social 2020 du ministère des armées ;

– Rapport d’information sur les réserves, Assemblée nationale, mai 2021 ;

– Loi de finances pour 2021 ;

– Statistiques des services d’incendie et de secours 2021 – ministère de l’intérieur ;

– Rapport d’activité 2020 – Fédération nationale de la protection civile ;

– Site internet de l’ANPS ;

– Site internet du CEDRE ;

– Site internet de Spéléo Secours Français ;

– Site internet de la FFSS ;

– Site internet de la FSFCB ;

– Site internet de la FNRASEC ;

– Site internet de la SNSM ;

– Site internet de l’UNASS ;

– Chiffres clés 2021 – Croix-Rouge française ;

– Rapport d’activité 2020 – Ordre de Malte ;

– Rapport d’activité 2020 – Banques alimentaires ;

– Rapport d’activité 2020 – Armée du Salut ;

– Rapport d’activité 2020 – Secours catholique ;

– Site internet des Petits Frères des Pauvres ;

– Site internet de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ;

– Rapport d’activité 2020 – Emmaüs ;

– Chiffres clés 2021 – Restos du Cœur ;

– Rapport d’activité 2019 – Secours populaire français ;

– INSEE – « Personnels et équipements de santé », chiffres 2020.

B.   certains facteurs pourraient cependant fragiliser la France en cas de crise

Si la France bénéficie d’atouts solides dans une optique de résilience, certains facteurs de vulnérabilité persistent cependant.

Ces vulnérabilités tiennent tout à la fois aux caractéristiques de la société (1), à nos institutions et à notre culture politique (2), à l’évolution de notre défense (3) et à nos dépendances économiques et financières (4), numériques (5) et énergétiques (6). Leur identification est une première étape, qui doit permettre, au cours des années à venir, de consolider la résilience nationale, dans un environnement de mutations extrêmement rapides.

1.   Les facteurs sociaux et culturels

a.   Une moindre assimilation du risque au sein de la société

En premier lieu, la résilience de notre société a été réduite par un effet de génération. Les générations ayant connu des événements critiques pour la sécurité de la nation et des crises mettant en jeu les besoins vitaux des populations se sont logiquement réduites en proportion au fil du temps.

Selon les chiffres de l’INSEE, en 1991, deux ans après la fin de la Guerre froide, 33 % de la population était née avant 1945 et 27 % avant 1939. En 2010, 17 % de la population est née avant 1945, 12 % avant 1939 et 25 % après la fin de la Guerre froide. En 2021, les populations nées avant 1945 ne représentent plus que 11 % de la population française, et celles nées avant 1939 seulement 4 %, alors que 36 % de la population est née après la fin de la Guerre froide.

Ainsi, la part de la population ayant vécu des épisodes de conflit ou de tension de haute intensité, ayant fait l’expérience de pénuries, se trouve de plus en plus réduite. Les générations qui ont grandi à partir de la fin de la Guerre froide ont tendance à prendre la paix sur le continent européen pour un acquis. Dans l’imaginaire collectif, les conflits et les guerres sont devenus des phénomènes lointains, réservés à d’autres régions du monde. Chez de nombreux jeunes et moins jeunes, l’abondance inhérente à la société de consommation a fait oublier la possibilité du manque matériel, l’habitude du confort a fait perdre l’aptitude à la rusticité.

Par ailleurs, la part de la population ayant effectué un service national militaire actif s’amenuise également, alors que plus de vingt ans nous séparent désormais de l’interruption définitive de la conscription par décret ministériel du 27 juin 2001 ([107]). Dans les années 1970 et 1980, le taux de jeunes hommes accomplissant leur service national actif est resté stable, à environ 70 % d’une classe d’âge ([108]). D’après les données de l’INSEE, la part de la population masculine qui, en 1997, avait accompli son service militaire, était supérieure à 70 %, alors qu’elle avoisinerait aujourd’hui les 48 %. Les Français sont donc moins sensibilisés aux enjeux de la défense nationale qu’ils ne l’étaient auparavant.

M. Nicolas Roussellier, chercheur au centre d’histoire de Sciences Po Paris, a souligné, lors de son audition ([109]), qu’en 1914, la société française, alors très rurale, voire archaïque, surtout en comparaison avec les sociétés allemandes ou britanniques, était néanmoins particulièrement résiliente. Cela a permis, lorsque la guerre s’est déclarée, une mobilisation large de l’ensemble des composantes de la société, qui ont été à même d’assurer la continuité de la vie nationale, alors même que les services publics étaient alors peu développés.

Aujourd’hui, en raison de l’effet de génération évoqué, la conscience générale des risques et menaces qui peuvent survenir dans notre pays est de plus en plus faible et de moins en moins prégnante, à mesure que les périodes difficiles s’effacent de notre mémoire collective. Dans l’esprit des générations actuelles, les deux grandes guerres, les importantes pénuries appartiennent à un passé révolu qui ne pourrait pas se reproduire. Il en allait de même, jusqu’à récemment, pour les épidémies mettant en jeu la santé de la population dans son ensemble, considérées comme appartenant à un passé où la médecine était trop archaïque pour juguler les maladies contagieuses.

Ce constat est sans doute à nuancer au regard des préoccupations croissantes exprimées par la jeunesse face à certains enjeux mondiaux, en particulier liés à l’environnement. Une étude réalisée par le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) en décembre 2019 ([110]) fait ressortir que l’environnement arrive en tête des préoccupations de 18-30 ans. C’est le cas de 32 % d’entre eux, tandis que 12 % ont déjà participé à des activités au sein d’une association de défense de l’environnement. Cependant, l’étude montre aussi que cette sensibilisation accrue ne se traduit pas par une modification des comportements individuels : les jeunes seraient moins nombreux que leurs aînés à trier leurs déchets, à acheter des légumes locaux et de saison ou encore à réduire leur consommation d’électricité. Il existe une certaine prise de conscience, mais elle est partielle et diffuse, encore peu ancrée dans la réalité quotidienne.

Cette conscience floue des risques fait que les événements tragiques, qui concernent souvent une minorité de la population ou une faible portion du territoire, suscitent des réactions marquées par une forte intensité émotionnelle, alors même que les événements de vie sont probablement, en moyenne, moins violents aujourd’hui qu’autrefois.

Par ailleurs, on constate une augmentation de l’anxiété, particulièrement chez les jeunes. C’est ce que suggèrent les études Remember et Remember-Pandémie, conduites par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) afin d’apprécier l’importance du stress post-traumatique associé aux attentats du 13 novembre 2015 et à la crise du covid-19. Le professeur Francis Eustache, neuropsychologue et chercheur à l’INSERM, a noté lors de son audition que l’« on peut constater une montée de l’anxiété, notamment chez les jeunes, voire les très jeunes, que l’on appelle parfois « la génération Z », une génération très importante puisqu’elle représente les forces vives de demain. […] Il faudrait éviter que s’immisce au sein de cette population une peur du futur. […] Si ce futur est perçu comme hostile, comme menaçant, cela devient très problématique. Les données recueillies me semblent préoccupantes ([111]). »

Ainsi, une mauvaise assimilation du risque au sein de la société tend à induire, face à un choc, un traumatisme qui constitue une hypothèque sur le futur.

En outre, l’acceptabilité sociale des crises et difficultés est devenue plus faible. Auparavant, alors que l’effort de guerre et ses répercussions sur la population française étaient considérables, ils étaient acceptés par la société. À l’inverse, les crises font aujourd’hui l’objet d’une tolérance plus réduite. M. Arthur Keller, enseignant et consultant spécialisé dans les risques systémiques, a ainsi souligné lors de son audition que « nous avons développé une intolérance aux frustrations, tandis que la conscience des risques s’efface de notre mémoire collective ([112]) ».

Au total, votre rapporteur estime que cette propension à l’anxiété et à la frustration des générations actuelles est une tendance préoccupante, qui tend à réduire notre capacité de résilience collective dans une situation de crise grave, ainsi que le suggèrent les réactions fortement émotionnelles observées dans certaines situations difficiles. Comme le soulignait l’ancien chef d’état-major des armées, le général Lecointre, lors d’une audition devant le Sénat, « nous avons tous le devoir de faire prendre conscience à nos concitoyens que le monde qui les entoure est un monde violent et qu’ils vont être rattrapés par cette violence très rapidement, quoi qu’il arrive ([113]). »

b.   La perception d’un État omnipotent, à l’origine d’une moindre responsabilisation de la société et des individus

Votre rapporteur est convaincu que notre résilience nationale est aussi fragilisée par la perception que nous avons, en France, de la puissance étatique : un État fort et omnipotent. D’après M. Nicolas Rousselier, ce sentiment résulte d’une forte centralisation du pouvoir à compter de la Révolution française, considérablement accrue au XXe siècle. Le développement de l’État providence, l’avènement d’une démocratie de plus en plus exécutive ainsi que la multiplication des interventions régaliennes dans un nombre toujours plus important de domaines de la vie quotidienne des populations a participé à l’enracinement de l’idée d’un État qui peut tout.

Cette image est si solidement ancrée, dans la population et au sein de nos institutions, qu’elle a des conséquences très concrètes en situation de crise. Les citoyens adoptent parfois une attitude passive vis-à-vis des événements et une position d’attente à l’égard de l’État. Les populations ne sont pas incitées à penser qu’elles peuvent jouer un rôle par elles-mêmes et accompagner, voire suppléer, l’action des autorités publiques. On observe, en outre, une tendance à systématiquement mettre en cause l’action des pouvoirs publics lors des crises.

Pourtant, comme le souligne le général Yves Métayer, chef de la division « Emploi des forces – protection » de l’état-major des armées, « l’État ne peut pas tout faire ». Il estime ainsi qu’il conviendrait « de sensibiliser la population tant on constate, lorsqu’une crise survient, qu’elle est plutôt encline à mettre en cause les services publics et l’État. » Il juge par ailleurs que « les Français sont un peu schizophrènes, tantôt dénonçant l’omnipotence de l’État ou un État trop policier, tantôt réclamant une plus grande sécurité et des interventions plus rapides de l’État dès qu’un problème se pose. La résilience de la nation passe par la modification de cet état d’esprit ([114]). »

La déresponsabilisation des citoyens est d’autant plus accentuée que l’État lui-même peut avoir tendance à être convaincu de sa force et sous-estimer l’importance et la nécessité d’impliquer les populations dans la prévention et la gestion des risques et des crises. En effet, comme l’a exprimé M. Jean-Marie Le Guen, président de Résilience France, lors de son audition, « notre État peut avoir tendance à conserver les problématiques en son sein tandis qu’il se place au-dessus de la société en se pensant le seul défenseur. Lors de la campagne de 2009 contre la grippe, l’État avait pris la main sur des dispositifs préalablement gérés par la société ([115]). »

Les populations et les autorités publiques entretiennent ainsi une résilience centrée autour de l’État, au détriment de la construction d’une résilience individuelle et sociétale. Pour les responsables politiques, il est difficile de faire évoluer cet état d’esprit dans la mesure où admettre l’insuffisance de l’action de l’État pourrait être considéré comme un aveu d’échec ou comme un signal d’abandon par les populations.

À l’inverse, le général Métayer a souligné l’attitude jugée particulièrement résiliente de la population japonaise lors de l’accident nucléaire de Fukushima : « Alors qu’ils vivaient un cataclysme et se trouvaient dans un état de sidération, les gens sont restés très calmes, patients et disciplinés, notamment dans les centres de distribution d’aide. On imagine mal une attitude semblable dans nos sociétés européennes. Les Japonais n’étaient ni dans la polémique, ni dans la mise en cause de l’État, mais réagissaient à la crise par la solidarité. »

Par ailleurs, l’historien Michel Goya a relevé, lors de son audition, « la différence entre les consignes données aux citoyens en cas d’attaque terroriste en France et aux États-Unis. Il est recommandé aux citoyens américains de quitter les lieux de l’attaque, d’alerter, et, s’ils étaient dans l’impossibilité de s’en aller, de se défendre. En France, cette dernière partie est supprimée. Il existe peut-être une sous-estimation, voire une condescendance, en France, vis-à-vis des capacités de nos citoyens à agir ([116]). »

Votre rapporteur estime qu’il est indispensable qu’en France, les populations soient davantage conscientes des risques mais aussi plus systématiquement impliquées dans la stratégie de prévention, qu’elles soient mises dans la position d’acteurs plutôt que de consommateurs, comme lorsque nous avons été incités à fabriquer nous-mêmes des masques sanitaires, dans l’attente de l’arrivée des livraisons attendues. Cette implication pourra, en retour, réduire le sentiment d’anxiété voire d’angoisse éprouvé, lequel est entretenu par une conscience diffuse des risques et une impression d’impuissance. À l’appui de cette idée, votre rapporteur observe qu’en Finlande, où la population est étroitement associée aux mesures de défense et de sécurité, les habitants manifestent un sentiment de bien-être parmi les plus élevés au monde.

c.   Une société menacée par la fragmentation

La force morale des populations et la cohésion de la société sont les clés de la résilience nationale. Or, comme l’a souligné M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l’État au sein du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), lors de son audition, « l’entreprise semble immense tant la société apparaît désunie et « archipélisée ». Si nous n’arrivons pas à renforcer les liens qui unissent tous les membres de la communauté nationale, nous allons au-devant de difficultés majeures. Aussi la réaffirmation d’un destin commun est-elle probablement l’œuvre la plus nécessaire. Notre société ne sera résiliente que si l’ensemble de la population adhère à notre modèle et exprime la volonté de le défendre ([117]). »

Incontestablement, la société française connaît un phénomène de fragmentation sociale, territoriale et idéologique, alors que la résilience nécessite la conscience et le sentiment d’appartenance à un collectif, qui incite à se protéger les uns les autres et à sauvegarder la société dans son ensemble.

La France a une politique redistributive parmi les plus généreuses au monde, ce qui limite les écarts de richesses entre les plus pauvres et les plus riches. Pour autant, ces écarts persistent, et ont même eu tendance à s’accroître sous l’effet des crises économiques successives qui ont affecté l’Europe. Les inégalités sociales et économiques demeurent ainsi une réalité dans notre pays.

Selon l’INSEE, en 2019, une personne sur cinq était en situation de pauvreté monétaire ou de privation matérielle et sociale et le taux de chômage atteignait 8 % de la population active au troisième trimestre 2021. Le rapport 2021 de l’Observatoire des inégalités indique par ailleurs que les 10 % des habitants les plus aisés touchent en moyenne 7,1 fois ce que touchent les 10 % les plus pauvres ; que les 20 % les plus aisés épargnent en moyenne 28 % de leurs revenus, contre 3 % pour les 20 % les plus modestes ; et qu’à eux seuls, les 10 % les plus fortunés possèdent 46,4 % de l’ensemble du patrimoine des ménages. Si l’écart entre le niveau de vie moyen des 10 % les plus riches et des 10 % les plus pauvres est en stagnation, le taux de pauvreté, particulièrement celui des 18-29 ans, est en hausse par rapport à 2002 et à 2009. Il était de 12,5 % en 2018 contre 8,2 % en 2009.

Ces inégalités se sont trouvées particulièrement exposées lors de la crise sanitaire. Lors de son audition, M. Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française, a ainsi indiqué que « la crise a confirmé ou provoqué l’émergence de certaines inégalités ou ruptures au sein de notre société, notamment les inégalités en matière de santé ([118]) ». Le début de la crise sanitaire a vu l’épargne des plus aisés s’accroître considérablement, alors que les plus pauvres avaient tendance à s’appauvrir encore. Le Conseil d’analyse économique signalait, dans une note du 12 octobre 2020, que 70 % du surplus d’épargne accumulé pendant le premier confinement était le fait des 20 % des ménages les plus aisés.

La société française est également fragmentée sur le plan territorial. Le rapport 2021 de l’INSEE « La France et ses territoires » montre que le niveau de vie de la population française varie fortement d’un département à un autre. Des départements très pauvres – par exemple la Seine-Saint-Denis, les départements d’outre-mer (DOM), une partie du nord et du littoral méditerranéen – avec des niveaux de vie médians compris entre 18 000 et 19 000 euros, jouxtent parfois des départements beaucoup plus aisés – par exemple Paris, les Hauts-de-Seine, les Yvelines et la Haute-Savoie –, avec des niveaux de vie médians supérieurs à 25 000 euros.

Niveau de vie médian par département en 2017

Le taux de pauvreté est également un indicateur qui varie significativement selon les territoires. Ainsi, tandis que certains départements, comme la Haute-Savoie et la Vendée, présentent un taux de pauvreté inférieur à 10 %, celui-ci avoisine les 20 % dans les départements du nord et du littoral méditerranéen, et atteint un niveau supérieur à 28 % en Seine-Saint-Denis et dans les DOM. Ces disparités recoupent largement celles du taux de chômage, comme le montrent les cartes ci-dessous.

 

Taux de pauvreté en 2017

Taux de chômage par zone d’emploi
en 2019

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, ces inégalités se manifestent aussi par les disparités d’accès aux services publics entre les territoires. Une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) ([119]) montre ainsi qu’en 2018, 5,7 % de la population française vivait dans une zone sous-dotée en médecins avec, là encore, de fortes disparités entre départements.

En dehors de ces inégalités sociales et territoriales, la fragmentation de la société a aussi des racines idéologiques. Le séparatisme islamiste illustre cette dynamique problématique. Au-delà, est ici en cause la radicalisation idéologique et politique de franges importantes de la société française.

Dans un entretien publié dans la revue Politique internationale, M. Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement, estime que le mouvement des gilets jaunes est une illustration de la fragmentation de la société due à la désespérance sociale mais également à la radicalisation idéologique ([120]). Il souligne que l’on observe « l’apparition de profils qui adhèrent à des idées de plus en plus radicales », ceux que le renseignement a appelés les « ultra-jaunes », « des individus qui adoptent des comportements violents sans appartenir historiquement à l’ultra-gauche ou à l’ultra-droite ».

Cette fragmentation idéologique de la société française est intrinsèquement liée à la problématique des réseaux sociaux et de la désinformation. En effet, les phénomènes de radicalisation observés s’appuient largement sur les réseaux sociaux, qui « fonctionnent comme des vecteurs très rapides d’échange d’informations qui sont parfois erronées, exagérées ou tout simplement fausses », selon les termes de M. Nuñez.

d.   L’effet multiplicateur des médias et réseaux sociaux et le phénomène de la désinformation

L’omniprésence du numérique et des réseaux sociaux joue un rôle multiplicateur dans le phénomène de fragmentation idéologique de la société française.

Le numérique entraîne une modification du rapport à l’information, qui se traduit par la prédominance de l’immédiateté, l’absence d’analyse critique et la forte charge émotionnelle. Ce phénomène atteint son paroxysme avec les chaînes d’information en continu et les réseaux sociaux. La population est amenée à réagir et à se positionner face à une information souvent brute et encore incomplète, voire erronée. Par ailleurs, les informations sont souvent focalisées sur des cas particuliers, présentés de manière répétitive, conduisant à des généralisations abusives et à des distorsions de la réalité, et pouvant engendrer un sentiment de peur. Il devient dès lors très difficile d’objectiver les risques et les menaces.

D’autant que la « mésinformation » peut se muer en désinformation. Comme le formule M. Thierry Libaert, professeur de sciences de l’information et de la communication, à l’heure actuelle, « plus de 50 % de la publicité de la désinformation se réalise sur la sphère digitale. […] Or, les fausses informations circulent en moyenne six fois plus facilement que les informations sérieuses et représentent par conséquent, pour les plateformes numériques, un excellent moyen de s’enrichir. En Europe, 400 millions d’euros sont dépensés par des flux publicitaires pour alimenter la désinformation ([121]). »

Les populations se montrent de plus en plus méfiantes envers les institutions, comme le montre une étude du centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), qui met en lumière une érosion de la confiance politique depuis 2009 ([122]). Cette perte de la confiance touche également les médias qui connaissaient, en 2019, un taux de confiance de seulement 25 %, au plus bas depuis dix ans.

Dans ce contexte, les informations véhiculées par les médias traditionnels et les discours officiels, relatifs à la science particulièrement, sont de plus en plus, remis en cause. Votre rapporteur reviendra sur la problématique spécifique de la communication de crise mais peut d’ores et déjà souligner qu’elle est considérablement compliquée par la perte de crédibilité de la parole publique et, plus généralement, des autorités établies, y compris dans le domaine scientifique.

La confiance dégradée dans les sources d’information traditionnelles et les institutions a pour corollaire l’essor des théories du complot, lesquelles proposent un contre-discours animé par l’idée que les acteurs « officiels » ont quelque chose à cacher. Ces théories ont particulièrement prospéré à la faveur de la crise sanitaire, en raison des incertitudes scientifiques et de la communication erratique qui ont marqué le début de la période. M. Laurent Nuñez souligne ainsi que « la crise a eu un impact sur la montée du complotisme et des théories d’ultra-droite, ainsi que sur la remise en cause des institutions démocratiques représentatives – cela va souvent de pair. En réveillant des peurs, elle a pu pousser certains de nos compatriotes à adhérer sur les réseaux sociaux à ce type de théories, voire à s’engager dans des groupuscules d’action violente. Certains membres des groupes que nous avons démantelés, y compris celui qui avait enlevé la petite Mia, se sont connus lors de manifestations complotistes, antivax, antipass, etc. ([123]) »

L’utilisation d’internet et des réseaux n’est pas étrangère à ce phénomène. Au gré des algorithmes, les groupes sociaux s’enferment dans ce que le militant d’internet Eli Pariser a appelé les « bulles informationnelles », un ensemble de contenus proposés par les algorithmes, conformément aux préférences de l’individu et à sa consommation, qui peuvent alimenter une consommation de désinformation([124]). Cette thématique est reprise dans un des scénarios imaginés par la Red Team de l’Agence de l’innovation de défense du ministère des armées, qui « imagine un futur dans lequel chaque individu dispose d’une bulle de services de réalité augmentée configurée selon ses propres intérêts, appelée safe sphere. La réalité n’est plus partagée puisque chacun la perçoit par le prisme de ses centres d’intérêt. » M. Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’innovation de défense, a ainsi souligné lors de son audition que « la lutte contre la manipulation de l’information doit être une priorité car elle représente un risque pour notre résilience ([125]) ».

Les réseaux sociaux sont donc, dans leur fonctionnement, et dans la manière dont nous les utilisons, des défouloirs mais également des caisses de résonance pour des contenus dégradant la cohésion sociale et la capacité des populations à réagir de façon rationnelle en cas de crise. C’est également ce qu’exprime M. Gérald Bronner, sociologue spécialiste de sociologie cognitive, dans son ouvrage Apocalypse cognitive ([126]), en notant qu’avec la révolution numérique, les informations qui attirent notre attention sont celles qui entretiennent les peurs et qui confondent causalité et corrélation.

Votre rapporteur estime que la lutte contre ces bulles informationnelles est une priorité, dans la mesure où il est impossible de construire une cohésion sociale, et donc une résilience nationale, lorsque les populations ne s’entendent plus sur ce qui est vrai ou faux et sur les sources d’information auxquelles accorder leur confiance. À cet égard, il estime que les pistes proposées par le rapport de la commission Bronner ([127]), publié le 11 janvier dernier, devront être explorées avec attention.

2.   Des facteurs politiques et institutionnels

Au-delà des aspects sociaux et culturels, il convient de s’interroger sur l’impact de l’organisation et du fonctionnement des pouvoirs publics sur la résilience de la Nation face à une crise majeure.

Si ces derniers sont apparus globalement résilients à l’épreuve du covid-19, certains défauts et lacunes transparaissent de manière récurrente en situation de crise. Votre rapporteur estime ainsi qu’à une perte de l’esprit de « défense globale » qui devait irriguer l’ensemble des ministères (a) et à l’omniprésence du principe de précaution et des normes juridiques (b) s’ajoutent des défauts dans l’organisation et le déploiement de l’action publique sur le terrain (c) et une problématique générale de communication publique (d).

a.   Une perte progressive de l’esprit de « défense globale »

L’article 1er de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense ([128]) – ordonnance dont l’essentiel des dispositions sont désormais intégrées au code de la défense adopté en 2005 – dispose que la défense a pour objet « d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ».

Dans l’esprit des rédacteurs, la défense était conçue comme une attitude générale des pouvoirs publics, devant irriguer l’ensemble des champs de l’action de l’État. Aussi l’ordonnance prévoit-elle explicitement que chaque ministre est « responsable de la préparation et de l'exécution des mesures de la défense incombant au département » dont il a la charge et est, à cette fin, « assisté, en ce qui concerne les départements autres que celui des armées, par un haut fonctionnaire désigné à cet effet ».

Sont ensuite déclinées les dimensions inhérentes à une défense nationale portée globalement par l’ensemble du Gouvernement, sous la responsabilité du Premier ministre, responsable de la défense nationale, qui assure « la coordination de l'activité en matière de défense de l'ensemble des départements ministériels ».

La défense « armée » est ainsi dévolue au ministère chargé des armées, chargé de « l’exécution de la politique militaire, en particulier de l'organisation, de la gestion, de la mise en condition d'emploi et de la mobilisation de l'ensemble des forces ».

Le ministère de l’intérieur est désigné comme responsable de la « défense civile », qui consiste en particulier à garantir « l'ordre public, de la protection matérielle et morale des personnes » et « la sauvegarde des installations et ressources d'intérêt général ».

Le ministère chargé de l’économie doit quant à lui orienter « aux fins de la défense l'action des ministres responsables de la production, de la réunion et de l'utilisation des diverses catégories de ressources ainsi que de l'aménagement industriel du territoire ». Il s’agit là d’assurer, dès le temps de paix, la réduction des vulnérabilités du pays, par exemple par le contrôle des transferts de technologies sensibles, et, en temps de crise, la bonne allocation des ressources.

Comme le formule une note de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) ([129]), « le constat ayant guidé la formulation du concept de défense nationale à la fin des années 1950 était donc que la sécurité et la stabilité d’un État ne dépendent pas seulement de ses forces armées, mais également de sa police, de sa structuration sociale, de son système éducatif et de son mode de fonctionnement politique et social. Avec l’Ordonnance de 1959, la défense est devenue permanente (elle n’est plus seulement une organisation du temps de guerre) et « globale », prenant en compte les aspects militaires comme non-militaires de la protection de la Nation contre les agressions. »

Pour décliner cette défense globale, une organisation institutionnelle ad hoc a été mise en place, qui perdure aujourd’hui.

Des hauts fonctionnaires de défense, devenus hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS), ont été nommés dans chaque ministère, avec la mission de préparer, dès le temps de paix, les mesures propres à assurer la continuité de l’administration et une sécurité optimale en situation de conflit. Ils ont pour cela autorité sur l’ensemble des services du ministère.

Ensuite, pour coordonner les différentes dimensions d’une défense globale, des structures interministérielles ont été mises en place : le Conseil de défense, sous l’égide du chef de l’État et Secrétariat général pour la défense nationale, devenu secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), initialement conçu comme un organe permanent de conseil et d’exécution devant permettre au Premier ministre d’exercer ses responsabilités en matière de direction générale de la défense.

Votre rapporteur estime que nos institutions et notre culture politique se sont progressivement affranchies de l’esprit de l’ordonnance de 1959. La note précitée de la FRS souligne ainsi que « l’application du concept de défense globale devait normalement être partagée par l’ensemble des ministères », mais que « dans la pratique, elle ne le fut jamais. Ainsi, la défense militaire fut l’unique dimension de la défense globale à faire l’objet d’orientations formellement exposées. ».

Cette absence d’enracinement du concept de défense globale dans nos institutions résulte en premier lieu de la concentration des prérogatives en matière de défense nationale entre les mains du président de la République, ce qui n’était pas forcément dans l’esprit de la Constitution de la Ve République, dont l’article 21 dispose que le Premier ministre est « responsable de la défense nationale ». Le rôle croissant du Président de la République, notamment du fait de la multiplication des opérations extérieures, a conduit à amoindrir d’autant le rôle joué par le Premier ministre – et donc, par le Gouvernement dans son ensemble – dans ce domaine.

Dans ce contexte, les enjeux de défense ont, d’autant plus facilement, pu se trouver occultés par d’autres enjeux en apparence plus pressants dans de nombreux ministères. La note précitée de la FRS souligne que cela a longtemps été le cas, notamment, pour le ministère chargé des affaires économiques. C’est finalement la circulaire du 14 février 2002 ([130]) qui est venue esquisser, avec plus de quarante ans de retard, les contours d’une « défense économique ».

On a ainsi constaté, lors de la crise sanitaire, que les problématiques de sécurité, qui imposaient de maintenir des stocks de masques certes coûteux mais qui constituaient une assurance raisonnable en situation de pandémie, avaient été reléguées au second plan.

Le rôle et le positionnement des hauts fonctionnaires de sécurité et de défense au sein des différents ministères sont révélateurs du caractère secondaire et excessivement sectorisé des enjeux de défense et de sécurité dans l’action publique. Si ce rôle a été redéfini et élargi à la sécurité en 2007 ([131]), force est de constater que leur action irrigue insuffisamment les orientations prises dans les différents ministères. À l’heure actuelle, les services des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité sont rattachés aux secrétaires généraux des ministères, lesquels sont les hauts fonctionnaires en titre. Ils ne sont donc pas directement à la main des ministres.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l’industrie, a ainsi souligné, lors de son audition, que le haut fonctionnaire de son ministère n’avait pas été appelé à jouer un rôle premier dans le cadre de la crise sanitaire : « Dans les dossiers que j’ai eus à gérer, qu’il s’agisse de la fabrication des masques et des vaccins, du sourcing des vaccins et des écouvillons ou encore de la fourniture en gel hydroalcoolique, à aucun moment le haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’économie et des finances n’a été associé. En revanche, nous avons travaillé en grande proximité avec le SGDSN. La culture du risque ne s’est pas encore totalement diffusée au sein des administrations centrales ([132]). »

Au total, la perte de l’esprit de l’ordonnance de 1959 a induit une spécialisation excessive des problématiques de défense et de sécurité nationale au sein des ministères des armées et de l’intérieur. Le ministère des armées est d’ailleurs souvent sollicité pour suppléer les autres ministères lorsque ceux-ci se trouvent en difficultés pour gérer des crises de leur ressort ; les armées s’attachent à répondre, mais avec des moyens nécessairement limités. Par exemple, au début de la crise sanitaire, la mobilisation du service de santé des armées (SSA) avait pu apparaître comme une solution pour répondre à l’engorgement des hôpitaux, mais les effectifs du SSA ne représentent qu’1 % de la ressource sanitaire du pays.

Il semble indispensable de réaffirmer l’intérêt de la défense globale en responsabilisant chaque ministère, à l’heure où les risques et menaces auxquels sont nous sommes exposés concernent l’ensemble des champs de la vie de la nation, et comportent des dimensions systémiques.

b.   Le poids excessif du principe de précaution et de la menace judiciaire

Introduit dans le droit français par la loi Barnier du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement, le principe de précaution a été consacré par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement. L’article 5 de cette Charte le définit ainsi :

« Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

Bien que ce principe ne soit pas a priori un principe d’abstention, l’application qui en a été faite dans le cadre de l’action publique a pu, dans certaines situations, induire un manque d’adaptabilité aux risques, dans un contexte où ceux-ci sont pourtant de plus en plus nombreux. Une synthèse produite par l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en 2009 ([133]) dénonce ainsi « une utilisation abusive du principe de précaution », laquelle « aboutit à une déconnexion du jugement politique par rapport au jugement scientifique », le principe de précaution étant utilisé comme « un outil de gestion de l’opinion publique », pour assurer « la tranquillité des citoyens ». Ce document souligne que cet usage du principe de précaution conduit parfois à « donner le primat à l’émotion et à l’irrationalité », en entretenant la confusion « entre risque potentiel et risque avéré ».

Cette critique a été réitérée par M. Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, lors d’une émission télévisée sur la chaîne Public Sénat en 2021. Il soulignait que le principe de précaution avait été « dévoyé » en France, au point qu’il avait constitué un frein au développement d’un vaccin contre le covid-19, en raison d’une peur des accidents et de sur-contrôles sur le processus de développement des biotechnologiques.

Auditionnée par la mission, Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, a également estimé que le principe de précaution n’était pas « la meilleure façon de construire la résilience », l’inaction pouvant « créer incidemment une dépendance ». Elle a souligné les apories auxquelles peut conduire ce principe dans un environnement marqué par de nombreux risques : « alors qu’un site de fabrication de produits de santé est souvent classé Seveso, on est confronté à un risque d’injonctions paradoxales : d’un côté, on veut plus d’usines de produits pharmaceutiques et, de l’autre, moins de sites Seveso ([134]) ». La ministre appelle ainsi à faire évoluer collectivement notre rapport au risque, en passant d’un principe de précaution à un « principe de résilience », qui reposerait sur une « approche bénéfice-risque » perçue comme plus souple et plus dynamique.

Votre rapporteur souscrit à cette approche. Il estime qu’il importe de modifier le rapport au risque dans la sphère publique et de réintroduire davantage de souplesse et d’adaptabilité dans les décisions publiques, dans un environnement évolutif. Cela soulève, de manière plus générale, le problème de la « juridicisation » croissante de la vie publique, qui entrave la capacité des décideurs à prendre des risques qui sont pourtant parfois nécessaires.

La ministre de l’industrie, Mme Agnès Pannier-Runacher, a ainsi souligné que, lors de la crise sanitaire, « notre grande rigueur juridique a pu, à certains égards, être un obstacle à l’agilité et à la prise de risque ». Elle indique d’ailleurs avoir, pour sa part, « pris la responsabilité de considérer qu’il était plus important d’assurer [sa] mission de protection que de surpondérer le risque juridique », notamment en acceptant de passer dans l’urgence des marchés publics « dont on peut imaginer qu’ils n’ont pas été parfaitement établis dans les règles de l’art ». La ministre souligne néanmoins qu’il n’est pas possible de demander aux agents de son ministère de porter cette responsabilité : « vous ne pouvez pas demander à des fonctionnaires, qui appliquent le droit avec rigueur, de changer de pied du jour au lendemain […], surtout si un corps de contrôle le leur reproche par la suite et qu’ils en subissent les conséquences sur leur carrière ». Votre rapporteur estime qu’il importera donc d’étudier les moyens d’atténuer ce risque judiciaire pour les décideurs publics.

c.   Des lacunes dans la préparation et la gestion de crise

Si de nombreux acteurs auditionnés par la mission se sont accordés pour reconnaître le caractère très bénéfique du rôle de « chef d’orchestre » joué par l’État dans la gestion de la crise sanitaire, les premiers mois de cette crise ont fait ressortir des défauts récurrents dans la prévention et la gestion de crise.

La ministre Agnès Pannier-Runacher a ainsi jugé que, « s’agissant de l’articulation entre administrations centrales, services déconcentrés et collectivités locales, on a parfois constaté une très grande agilité mais aussi, à l’inverse, des dysfonctionnements qui ont fait perdre du temps et rendu les situations plus difficiles ».

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 avait préconisé de mettre en place une organisation intégrée de gestion de crise, qui permette de renforcer la capacité de conduite de crise du Gouvernement via une meilleure coordination de l’action des différents ministères. Force est de constater qu’en dépit des progrès accomplis, cet objectif n’est pas pleinement atteint.

Les interlocuteurs de la mission sont en effet nombreux à avoir souligné le manque de connaissance mutuelle et de communication entre les différents services et ministères, à l’origine de dysfonctionnements, de pertes de temps et d’une moindre efficacité sur le terrain. Tous indiquent en effet qu’il est difficile de s’affranchir de ce fonctionnement « en silos » de l’action publique en situation de crise, alors qu’une action interministérielle devient indispensable.

En effet, si les acteurs n’ont pas l’habitude de se parler et de travailler ensemble, s’ils ne disposent pas d’un socle culturel commun, l’organisation de crise, fût-elle organisée dans le cadre de dispositifs interministériels, à l’image de la cellule interministérielle de crise (CIC) activée dans le cadre de la pandémie, peine à se mettre en œuvre.

Le manque de transversalité de l’action de l’État se traduit aussi dans la planification face aux risques. En général, chaque risque a son propre plan, mais la catastrophe systémique, qui verrait ces différents risques se conjuguer avec des effets démultipliés, n’est généralement pas envisagée. Il n’existe donc pas de préparation spécifique face à ces risques majeurs.

La crise sanitaire a, en particulier dans ses premiers mois, constitué un bon exemple de ce manque de transversalité de l’action publique, comme le soulignent les différents rapports effectués sur la gestion de la crise sanitaire (cf. I.B). En particulier, les premières semaines de la crise ont vu s’installer une forme de rivalité entre le centre de crise sanitaire, activé au sein du ministère de la santé, et la cellule interministérielle de crise, hébergée par le ministère de l’intérieur. Cette dualité de pilotage s’est avérée préjudiciable au début de la crise, avant d’être surmontée par la fusion de ces deux instances au sein d’une CIC élargie.

Sur le terrain, la même dichotomie a été observée entre le pilotage effectué, à l’échelle régionale, par les agences régionales de santé, et à l’échelle départementale, par les préfets, avec la difficulté supplémentaire qu’induisait cette discordance d’échelle : instructions contradictoires, manque de communication réciproque, double remontée d’informations… Si ces problèmes ont été plus ou moins importants selon les territoires, ils appellent une réponse structurelle visant à mieux coordonner l’action publique dans toutes ses dimensions, sans attendre la crise.

La cellule interministérielle de crise (CIC)

La circulaire du 2 janvier 2012 relative à l’organisation intergouvermentale pour la gestion des crises majeures prévoit que la cellule interministérielle de crise (CIC) est « l’outil sur lequel le Premier ministre s’appuie pour exercer, en liaison avec le Président de la République, le pilotage politique et stratégique de l’action gouvernementale en matière de gestion des crises majeures ».

Ces crises nécessitent en effet la mise en place d’une réponse globale de l’État, en raison de leur intensité et parce qu’elles affectent plusieurs secteurs ministériels. Afin d’améliorer la coordination de l’action des ministères, le Premier ministre peut ainsi décider d’activer la CIC.

Dans ce cas, la circulaire prévoit qu’il en confie la conduite opérationnelle à un ministre qu’il désigne en fonction de la nature des événements – ministre « menant » –. Le plus souvent, il s’agit du ministre de l’intérieur lorsque la crise à lieu sur le territoire national et du ministre chargé des affaires étrangères et européennes pour les crises extérieures.

La CIC est aussi composée des représentants des autres ministères concernés – ministres « concourants » – ainsi que d’experts ou d’opérateurs. Elle est constituée de quatre cellules :

– une cellule « situation » qui dresse un état des lieux de la crise en s’intéressant notamment à des origines, à son impact matériel et humain ainsi qu’à des conséquences potentielles ;

– une cellule « anticipation » qui identifie tout événement pouvant compliquer la gestion de crise et propose des actions pouvant être mise en œuvre en conséquence ;

Une cellule « décision » qui examine, une fois le diagnostic réalisé, les propositions d’action produites par les cellules « situation » et « anticipation » et prend des décisions pour la conduite de la crise ; elle donne également les directives nécessaires à la mise en œuvre des décisions prises et s’assure de leur exécution ;

– une cellule « communication » qui élabore un plan de communication adapté et pilote l’ensemble des actions du dispositif de communication ; le plan de communication permet notamment d’informer la population sur l’événement et les mesures prises. Par ailleurs, il favorise la diffusion des recommandations nécessaires.

 

Source : circulaire du 2 janvier 2012 relative à l’organisation gouvernementale pour la gestion des crises majeures.

Le manque de transversalité de l’action publique se double d’un excès de verticalité, qui se traduit par une centralisation excessive des décisions en situation de crise, alors même que les conséquences peuvent en être très variables d’un territoire à l’autre.

Ce phénomène a, là encore, été éprouvé avec force dans les mois de la crise sanitaire. Le rapport au Président de la République de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire ([135]) a ainsi souligné que « la forte centralisation des décisions a laissé une plus faible place aux initiatives locales, dans un contexte où l’épidémie connaissait pourtant une forte hétérogénéité territoriale. Elle a pu également allonger les circuits de circulation de l’information. »

Sur les territoires, les personnes auditionnées par la mission se sont accordées sur le fait que les préfets ont un rôle majeur à jouer en termes de pilotage de la gestion de crise. Pourtant, M. Christian Sommade, délégué général de l’association Résilience France, auditionnée par votre rapporteur, souligne que la France est pénalisée par « une culture de l’homme providentiel plus que des équipes, souvent incarnée par le préfet », qui devrait être « l’alpha et l’oméga de la gestion de crise », alors qu’il « reçoit des ordres nombreux et contradictoires » sans être « soutenu par des équipes qui peuvent répondre à ces questions de manière transversale ([136]) ».

Résilience France dénonce notamment l’insuffisante association des collectivités territoriales dans le dispositif de gestion de crise, « qui engendre une méfiance de la population sur ces sujets ».

Pourtant, les collectivités locales, et en particulier, les maires, ont vocation à être des acteurs centraux dans la prévention et la gestion des risques majeurs. Ce rôle est prévu par l’article L. 2212-2 du code de l’environnement, qui précise que leurs missions en matière de police municipale incluent notamment « le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature (…), de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure ».

Ils sont également, au titre de l’article L.125-2 du même code, tenus à l’information des citoyens « sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent ».

Concrètement, ces obligations se traduisent par la rédaction obligatoire de plans communaux de sauvegarde (PCS), qui regroupent l’ensemble des documents prévoyant les mesures de prévention et de protection de la population face aux risques recensés.

Les plans communaux de sauvegarde (PCS)

Mis en place par l’article 13 de la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile, le plan communal de sauvegarde « définit, sous l'autorité du maire, l'organisation prévue par la commune pour assurer l'alerte, l'information, la protection et le soutien de la population au regard des risques connus » (article R. 731-1 du code de la sécurité intérieure). L’adoption d’un PCS relève de la responsabilité du maire et est obligatoire dans toutes les communes dotées d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPR) approuvé ou comprises dans le champ d'application d'un plan particulier d'intervention (PPI).

Le PCS contient au minimum :

– le document d'information communal sur les risques majeurs (DICRIM). Ce document, prévu par l’article L.125-11 du code de l’environnement, est rédigé par le maire et consultable par tous les citoyens. Il a pour but de les informer sur les différents risques naturels et technologiques auxquels ils peuvent être exposés ainsi que leurs conséquences potentielles, et sur les mesures de prévention, de protection, de sauvergarde et d’alerte prévues ;

– le diagnostic des risques et des vulnérabilités locales ;

– l'organisation assurant la protection et le soutien de la population « qui précise les dispositions internes prises par la commune afin d'être en mesure à tout moment d'alerter et d'informer la population et de recevoir une alerte émanant des autorités. Ces dispositions comprennent notamment un annuaire opérationnel et un règlement d'emploi des différents moyens d'alerte susceptibles d'être mis en œuvre » (article R. 731-3) ;

– les modalités de mise en œuvre de la réserve communale de sécurité civile.

Or ces PCS font l’objet de critiques tenant à leur insuffisante généralisation, leur contenu et leur mise en œuvre. Le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises au ministère de l’intérieur, a ainsi observé ([137]) que certains PCS n’avaient pas le caractère opérationnel attendu : schéma d’organisation inadapté à la commune, annuaire peu exploitable, absence de fiches synthétiques, schéma d’alerte inopérant. Il apparaît également que certains PCS ne font pas l’objet d’exercices ou de tests réguliers.

En outre, ces plans reposent seulement sur l’identification de risques connus, ce qui limite leur spectre. Face à la crise sanitaire, les maires n’avaient pas de raison particulière d’envisager un risque épidémique sur leur territoire – par exemple constituer des stocks de masques et de gel hydroalcoolique –, d’autant que si le risque est généralisé, sa prévention n’est plus du ressort local.

Enfin, le PCS ne bénéficie pas toujours du portage politique pourtant indispensable au sein de la commune, ce qui nuit à son appropriation par les acteurs communaux. L’association Résilience France souligne ainsi qu’indépendamment des mesures prévues par le plan communal de sauvegarde, « les maires considèrent que le préfet sera amené à prendre la relève en cas de crise d’ampleur ».

Au total, votre rapporteur juge indispensable de trouver le moyen « d’entraîner et de former le collectif public pour faire face » à des crises de grande ampleur, pour reprendre les termes de la ministre Agnès Pannier-Runacher, dans une approche qui soit résolument locale et décloisonnée.

M. Christian Sommade, délégué général de Résilience France, souligne que « si nous disposons d’une culture de prévention technique, nous effectuons peu de préparation aux situations d’exception par la planification et les exercices ».

Lorsque des exercices sont effectués, ils n’ont souvent pas l’ampleur requise pour bien préparer aux conséquences potentielles d’une crise systémique. Votre rapporteur s’est rendu sur le site de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly, qui accueille une base de la Force d’action rapide du nucléaire (FARN), force mise en place après l’accident nucléaire de Fukushima pour intervenir en urgence en cas d’incident de sûreté sur les sites nucléaires. S’il a été très favorablement impressionné par la qualité de la configuration et de l’entraînement de cette force, il note néanmoins que ses exercices n’associent que très rarement les populations alentour, ses missions étant strictement cantonnées au périmètre du site nucléaire.

Dans le même sens, l’association Résilience France déplore la très faible implication des populations dans le cadre des plans particuliers d’intervention (PPI) nucléaires, qui ont vocation à couvrir les zones situées à un rayon inférieur à 20 kilomètres autour d’une centrale nucléaire. Elle souligne même que « la préparation des populations autour des sites nucléaires demeure catastrophique ». Votre rapporteur estime que cet exemple, choisi parmi d’autres, doit nous alerter sur la nécessité de rendre nos plans plus opérationnels au moyen d’exercices en grandeur nature.

d.   Les aléas de la communication de crise

Les crises majeures récentes, notamment l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019 à Rouen et la pandémie de covid-19, ont démontré que la communication gouvernementale était un enjeu majeur de bonne gestion d’une crise. M. Michaël Nathan, directeur du service d’information du gouvernement, a d’ailleurs estimé que « la communication de crise [cohabitait] désormais avec la crise de la communication », entendue comme « l’émergence d’une crise en lien avec l’information qui circule autour d’un événement ([138]) ».

Parvenir à diffuser à la population une information juste et claire, selon une temporalité adaptée, est un enjeu est d’autant plus crucial qu’il s’insère dans un contexte où les menaces hybrides envahissent le champ informationnel (cf. I.A) et où les citoyens sont, de plus en plus, confrontés au risque de bulles informationnelles (cf. 1) les rendant peu réceptifs à la communication officielle.

Les différents rapports institutionnels analysant la gestion de la pandémie (cf. I.B) ont révélé plusieurs défaillances de la communication de crise : absence de concentration de la fonction de communication sur des porte-paroles crédibles et bien identifiés, distingués des décideurs, au début de la crise ; discordances entre les interventions du Président de la République et du Gouvernement ; statut flou du discours médical et scientifique dans un contexte de multiplication des prises de parole…

Par ailleurs, lors de la crise sanitaire comme au moment de l’incendie de l’usine Lubrizol, l’État a pu donner le sentiment de ne pas toujours dire la vérité, ouvrant ainsi la brèche aux théories du complot. Lors de la catastrophe de Lubrizol, il a pu donner l’impression de chercher à minimiser les conséquences de l’incendie. Au début de la crise sanitaire, l’État a laissé entendre que les masques de protection ne seraient pas utiles, avant de revenir sur cette affirmation et de les rendre obligatoires.

Comme l’a exposé M. Thierry Libaert, professeur de sciences de l’information et de la communication, lors de son audition ([139]), « la communication de crise souffre de son extraordinaire passif » car, « depuis la peste au Moyen-Âge jusqu’aux crises actuelles, les pouvoirs publics et organisations ont cherché à minimiser la gravité des crises », ce qui fait que « le discours n’apparaît plus crédible ».

De ce fait, M. Michaël Nathan souligne que « nous constatons qu’une communication gouvernementale institutionnelle est désormais plus susceptible de ne pas toucher l’audience ciblée que de la toucher ». Ce constat préoccupant doit inciter à travailler les modalités de la communication de crise, s’agissant à la fois du contenu et de la méthode. Votre rapporteur pense notamment qu’il est préférable de chercher à établir des canaux de communication fonctionnels avec les citoyens hors période de crise, qui pourront être utilisés avec plus d’efficacité lorsque la crise surviendra, plutôt que de développer des outils de crise spécifiques à l’instar du système d’alerte et d’information aux populations (SAIP).

3.   Des facteurs militaires

En cohérence avec sa volonté d’autonomie stratégique, la France s’est dotée, sur une période de plus d’un demi-siècle, d’une armée extrêmement performante, maîtrisant l’intégralité des savoir-faire, à la fois technologique et rustique. Plusieurs évolutions tendent néanmoins à diminuer la résilience de notre armée et, par ricochet, celle de l’ensemble de la nation, l’armée étant appelée à jouer un rôle de premier plan en situation de crise majeure.

Face à l’hypothèse à nouveau crédible d’un conflit de haute intensité (a), notre armée ne dispose pas de toute la masse nécessaire (b) et elle n’est plus configurée pour assurer la défense opérationnelle de notre territoire (c). Mais au-delà de la résilience propre à l’armée, votre rapporteur pense que c’est la place qui lui est accordée au sein de la nation qui doit être examinée ; à cet égard, certains sujets de préoccupation émergent également (d).

a.   La dissuasion nucléaire ne couvre pas toutes les menaces auxquelles la France est confrontée, y compris de haute intensité

Alors qu’elle n’était plus qu’un scénario d’étude depuis la fin de la Guerre froide, le risque d’un conflit de haute intensité a retrouvé une actualité stratégique. La France ne peut considérer qu’elle en serait à l’abri.

Cette analyse renvoie à l’environnement stratégique dégradé décrit en première partie : le retour à la compétition stratégique, l’affaiblissement du multilatéralisme et du droit international, la généralisation de stratégies hybrides ne répondant pas aux codes habituels des relations entre États ni à la délimitation traditionnelle entre temps de paix et temps de guerre. Ces développements induisent un risque important d’escalade incontrôlée de la violence.

Par ailleurs, ils brouillent les cartes de la doctrine de dissuasion nucléaire de la France, à laquelle est adossée notre défense depuis les années 1960. L’essence de cette doctrine a été rappelée par le Président de la République dans un discours prononcé à l’École militaire le 7 février 2020 :

« Si d’aventure un dirigeant d’État venait à mésestimer l’attachement viscéral de la France à sa liberté et envisageait de s’en prendre à nos intérêts vitaux, quels qu’ils soient, il doit savoir que nos forces nucléaires sont capables d’infliger des dommages absolument inacceptables sur ses centres de pouvoir, c’est-à-dire sur ses centres névralgiques, politiques, économiques, militaires. »

La dissuasion nucléaire vise à dissuader tout acte hostile qui serait conduit par un autre État contre les intérêts vitaux de la France. Cependant, l’essor des stratégies hybrides complique l’application de cette doctrine, en raison de la difficulté d’attribution des actes hostiles mais aussi parce que les atteintes aux intérêts vitaux peuvent être bien réelles mais multiformes, par petites touches, selon une combinaison de procédés qui restent toujours en dessous du seuil d’engagement militaire.

Quelles sont les implications d’un conflit de haute intensité ? Dans le cadre d’un dossier du cercle de réflexion du G2S consacré à cette question ([140]), le général Éric Margail définit la haute intensité d’un engagement par les caractéristiques suivantes :

– son ampleur par la quantité de forces déployées ;

– sa violence, impliquant des pertes à un niveau inconnu pour notre pays, du fait d’un adversaire lourdement équipé, fortement motivé et pouvant agir selon des références culturelles ne correspondant pas à notre éthique ni au droit de la guerre ;

– son caractère multinational, avec les atouts mais aussi les contraintes et les fragilités qu’entraîne cette configuration ;

– ses effets très importants sur le territoire national, tant en termes de sécurité, que par la mise en place d’une forme « d’économie de guerre » partielle, touchant les secteurs nécessaires au soutien de l’engagement – armement, transport, santé, information…

La résilience de l’armée française, dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité qui est désormais sérieusement envisagée par les militaires, doit être appréciée au regard de ces différents critères.

b.   Un outil de défense optimisé et « technologisé », au détriment de la masse nécessaire

Face à l’hypothèse du retour des conflits de haute intensité, l’outil militaire français, bien que réputé pour l’étendue de ses capacités et pour l’excellence de ses savoir-faire, pâtit de lacunes certaines.

Ces lacunes tiennent au fait que le choix de la France de conserver un modèle d’armée complet et en pointe ne s’est pas toujours accompagné des investissements budgétaires nécessaires. Dans les années 1990, les « dividendes de la paix » qui ont suivi la fin de la Guerre froide ont entraîné une diminution généralisée des budgets de défense dans les pays européens, phénomène accentué par les restrictions budgétaires imposées aux forces armées à la suite de la crise économique de 2008. Ainsi, le maintien de notre armée au plus haut niveau a été obtenu au prix d’une réduction progressive et substantielle de sa masse, au point que ses capacités ont pu être qualifiées d’« échantillonnaires », tant elles sont parfois limitées en nombre.

Comme le relève une note de l’Institut français des relations internationales (IFRI) ([141]), entre 1999 et 2014, les pays européens ont réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface. À l’inverse, les moyens de projection comme le ravitaillement en vol (+ 6 %) et de mobilité tactique comme les hélicoptères (+ 27 %) se sont développés. Les auteurs notent que ces dynamiques attestent de la transition d’un modèle de haute intensité vers un modèle expéditionnaire à « empreinte légère ».

Bien que la France ait, davantage que certains de ses voisins, cherché à maintenir son effort de défense sur cette période, elle n’échappe pas à cette tendance de fond, comme l’illustre le tableau ci-après.

Évolution des principaux moyens des armées françaises

 

1991

2001

2021

2030

Chars de bataille

1 349

809

222

200

Avions de combat (Air + Marine)

686

374

254

225

Grands bâtiments de surface

41

35

19

19

Effectif militaire (et réservistes)

453 000

(420 000)

273 000

(420 000)

203 000

(41 000)

-

Source : « La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité », Focus stratégique n° 105, IFRI, juin 2021.

Outre les mutations liées aux « dividendes de la paix », la politique de ressources humaines des armées n’a pas échappé à la révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée à partir de 2009. Ce sont ainsi 36 000 emplois de la défense qui ont été identifiés comme susceptibles d’être supprimés à un horizon de huit ans. Par ailleurs, les réorganisations induites par le Livre blanc de 2008 devaient se traduire par la suppression de 18 000 postes, ce qui portait à 54 923 le total des emplois à supprimer entre 2008 et 2015, hors externalisations – soit 17 % du plafond d’emploi du ministère.

Cette perte de masse significative n’est que partiellement compensée par les gains qualitatifs liés à l’utilisation d’équipements de pointe. Comme le formule le capitaine de frégate Jean-Baptiste Florant, chercheur au Centre des études de sécurité (CES) de l’IFRI, « disposer de plateformes et de vecteurs hypersophistiqués ne suffit pas à rendre une force armée puissante » ([142]). Il faut, par exemple, disposer d’une ressource humaine suffisamment nombreuse et formée pour utiliser cette technologie de plus en plus complexe.

Les capacités trop « échantillonnaires » et la perte de masse de l’armée française, associée à une politique d’externalisation, sont des éléments qui viennent dégrader sa capacité à durer et donc sa résilience dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité, dont l’un des attendus est qu’il mobilise des effectifs et équipements considérables, tout en causant des pertes humaines et matérielles potentiellement très importantes.

Cette excellence, mais aussi cette vulnérabilité de l’armée française sont soulignées dans un rapport remis en juin 2021 au Pentagone par un think tank américain transpartisan, la Rand Corporation, intitulé « La France, un allié solide aux capacités limitées ». Étudiant l’apport des forces armées françaises dans l’hypothèse d’un conflit majeur à l’est de l’Europe, ce rapport conclut à un « manque de profondeur » de l’armée française, c’est-à-dire à l’incapacité des militaires français à poursuivre un effort soutenu sur le long terme, malgré leur vaste éventail de compétences qui leur permet d’accomplir presque toutes les missions. En cause, notamment, des déficits dans le transport aérien de troupes, un stock de munitions insuffisant et l’indisponibilité récurrente des hélicoptères de combat comme de la flotte de surface, ou encore une artillerie peu adaptée aux frappes à longues distances.

Le ministère des armées a désormais pleinement conscience de l’urgence de redonner de la chair à notre modèle d’armée pour regagner en profondeur. Si la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2019 à 2025 établit une trajectoire de remontée en puissance des moyens et des effectifs des armées, en prévoyant un accroissement du budget de la défense de 35,9 milliards d’euros en 2019 à 50 milliards d’euros en 2025, la remontée en puissance programmée des effectifs, en partie fléchée vers de nouvelles missions prioritaires (renseignement, cyberdéfense, commandement de l’espace), ne pourra pas compenser les suppressions de postes opérées depuis vingt ans, comme le montre le graphique ci-après.

Source : rapport n° 765 fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur le projet de loi (n° 659) relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

En outre, l’accroissement parallèle des missions des armées et le coût croissant des programmes d’armement sont tels que le modèle cible porté par la LPM 2019-2025 est probablement encore en deçà des enjeux de haute intensité. Il se fonde sur une « hypothèse d’engagement majeur » qui impliquerait d’abandonner toutes les autres opérations et ne pourrait être déployée qu’avec six mois de préavis et pour une durée de six mois. Les moyens mobilisables dans cette hypothèse figurent dans le tableau ci-après. Outre les problèmes inhérents à ces délais de déploiement et de durée, qui peuvent ne pas s’accorder avec la réalité d’un conflit, cette hypothèse d’engagement majeur reste relativement limitée en masse et risquerait de rencontrer des problèmes très concrets détaillés par l’étude de l’IFRI susmentionnée, qui souligne qu’« elle ne prend (…) qu’imparfaitement en compte la probable inscription dans la durée d’un tel conflit, ni l’attrition (tués, blessés, matériels détruits) et les niveaux de consommation (munitions, énergie, etc.) qu’il ne manquerait pas de provoquer ([143]) ».

L’hypothèse d’engagement majeur de l’armée française

Principaux moyens prévus (6 mois non renouvelables)

Forces terrestres

2 brigades interarmes (15 000 hommes)

1 000 véhicules blindés (dont 140 chars Leclerc)

64 hélicoptères de combat

48 canons 155 mm (Caesar)

Forces aériennes

45 avions de combat

9 avions de transport stratégique et de ravitaillement

16 avions de transport tactique

4 systèmes de drones armés (12 appareils)

Forces navales

1 groupe aéronaval avec son porte-avions et son groupe aérien embarqué

2 bâtiments de projection et de combat

8 frégates de 1er rang

2 sous-marins nucléaires d’attaque

Moyens interarmées

États-majors de niveau stratégique et opératifs, moyens de renseignement, forces spéciales, etc.

Source : « La masse dans les armées françaises, un défi pour la haute intensité », Focus stratégique n° 105, IFRI, juin 2021.

c.   Une armée de projection, qui s’est décentrée de sa mission originelle de défense du territoire

Pour le général Vincent Desportes ([144]), notre « système de forces est organisé sur un modèle dépassé, dont l’économie générale n’a pas varié depuis un quart de siècle (…). Les armées actuelles ont été construites à partir de 1996 sur la présupposition qu’il n’y avait ― et qu’il n’y aurait pas ― de menaces internes, et qu’elles n’auraient donc pas à s’engager sur le territoire national. Sauf à la marge. »

De ce fait, notre modèle d’armée actuel est structuré autour de la dissuasion nucléaire, sur laquelle repose l’essentiel de la protection du territoire, et d’« un corps expéditionnaire à trois composantes (terre, air, mer) apte à mener à bien des engagements interarmées mineurs mais incapable de conduire des opérations d’ampleur et même de protéger l’intégralité de l’espace national, qu’il soit terrestre ou maritime. »

Le général Thierry Burkhard, alors chef d’état-major de l’armée de terre, indiquait pour sa part devant la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale que « nous arrivons peut-être à la fin d’un cycle de la conflictualité qui a duré vingt ans où l’effort de nos armées s’est concentré sur le combat contre le terrorisme militarisé. Dans nos opérations actuelles, nous sommes dans une sorte de confort opérationnel : pas de menace aérienne, pas de menace de missiles longue portée, pas de brouillage… Mais n’allons pas dire à nos soldats que leurs engagements ne sont pas difficiles, ils restent très durs. Nous apprenons beaucoup dans ces conflits mais il faut constater que notre modèle d’armée s’est essentiellement organisé autour d’un type très particulier d’opérations. Il nous faut réapprendre la grammaire de la guerre de haute intensité ([145]). »

En moyenne, depuis trente ans, la France a maintenu un niveau d’engagement substantiel sur les théâtres extérieurs, avec environ 8 000 militaires projetés en permanence. Ce niveau d’engagement a pu nuire aux capacités mobilisables en faveur de la défense du territoire. En effet, les engagements extérieurs provoquent une usure accélérée des équipements militaires, dans un contexte où la capacité de régénération des armées n’est pas à la hauteur du besoin.

Ces difficultés sont accrues par le fait que les armées ne disposent plus que de stocks très réduits. Comme le souligne M. Bertrand Le Meur, de la DGRIS, « dans une logique d’optimisation et pour respecter les contrats opérationnels qui figurent dans le Livre blanc, le fonctionnement du ministère des armées s’appuie sur une logique de flux. Le ministère considère qu’il est résilient pour ce qui concerne les contrats opérationnels établis dans le cadre de la loi de programmation militaire. En l’absence de référence à un contrat, le ministère est moins résilient qu’à l’époque de la Guerre froide, où il disposait de stocks importants – masques, tenues NRBC, etc. ([146]) ».

 Cette logique de flux a été organisée dans le cadre de la politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP), mise en œuvre à partir de 2006. La PEGP repose sur l’idée qu’il faut disposer de moins de matériels mais les utiliser jusqu’au bout et plus intensivement, dans le but de dégager des économies.

Concrètement, la PEGP conduit à ne plus distribuer les matériels affectés à l’armée de terre directement aux formations de combat, mais à en assurer une gestion mutualisée dans le cadre de parcs spécialisés alimentant les unités en fonction des besoins. Ainsi, comme l’explique le colonel Bruno Bert, dans un article de la Revue de Défense nationale ([147]), « l’organisation des armées, autrefois fondée sur l’autonomie des unités, a été optimisée de telle façon qu’un chef ne dispose plus au quotidien de la totalité de son soutien propre. Il ne dispose plus que d’une autonomie initiale limitée, le système étant fondé sur une logique de corps expéditionnaire que l’on fait monter en puissance lorsqu’il est désigné pour une opération extérieure. […] Dans le cadre de la résilience sur le territoire national, cela pose question, car la réactivité, nécessaire et peu compatible avec de longs délais de réorganisation, devient fragile, les forces mobilisées dans le temps ne disposant pas instantanément de tous les moyens nécessaires. »

Votre rapporteur partage l’idée que l’esprit de la PEGP doit être remis en question dans une optique de résilience. Par exemple, plutôt que d’acheter un seul camion tous les cinq ans et d’en faire une utilisation intensive, il paraîtrait plus efficace, pour un même investissement, d’en acheter deux tous les dix ans, qu’on utiliserait moins, ce qui permettrait de doubler la capacité opérationnelle en cas de nécessité.

L’idée de défense opérationnelle du territoire, qui était structurante à l’époque de la Guerre froide, a été progressivement abandonnée dans le modèle français de défense : « prenant l’Histoire à contre-pied, elle est devenue aujourd’hui un concept creux, sans substance, puisque dépouillé de moyens d’action sérieux », selon les termes du général Desportes, alors que cette défense opérationnelle supposerait des moyens importants pour structurer une base arrière solide qui seule permettrait de tenir dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité.

Une des conséquences des attentats terroristes de 2015 a été l’amorce d’un retour de l’armée de terre sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle. En février 2015, plus de 10 000 militaires ont ainsi été déployés sur le territoire métropolitain, puis une force de 7 000 militaires a été pérennisée, avant que les attentats du 13 novembre ne portent à nouveau l’effectif de Sentinelle à 10 000 militaires. Aujourd’hui, la mobilisation et la répartition de ces déploiements nationaux s’adaptent aux périodes « à risque » au cours de l’année.

En dehors de ces déploiements dans les périodes à risques, qui correspondent à l’hypothèse d’engagement en urgence de l’armée dans le domaine de la protection, les militaires arment en permanence un « échelon national d’urgence » de 5 000 hommes qui, selon les termes du rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025, « constitue la réserve d'intervention immédiate » des armées, susceptible « de mettre sur pied une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes […] projetable à 3 000 km du territoire national ou depuis une implantation à l'étranger, dans un délai de 7 jours. Avant ce délai, la France restera capable de mener de façon immédiate (moins de 48 heures) et autonome des frappes dans la profondeur par des moyens aériens et navals. »

Avec l’opération Sentinelle, l’armée est redevenue visible pour les Français, et cette évolution était sans doute souhaitable. Cependant, le simple déploiement de militaires sur le territoire national ne suffit pas à établir un concept cohérent de défense opérationnelle du territoire, appuyé sur des moyens adéquats. Votre rapporteur estime ainsi que ce recentrage sur le territoire national doit être conduit jusqu’au bout de sa logique, ce qui suppose un réinvestissement spécifique.

Le général Desportes estime que le réinvestissement nécessaire pour « être en mesure de déployer sur très court préavis des troupes suffisantes, organisées, sur un terrain reconnu afin de pouvoir quadriller, circonscrire, contrôler, éventuellement réduire ou bien tenir jusqu’à l’arrivée de forces plus puissantes » est mesuré : « il faut des forces territoriales, connaissant parfaitement leur terrain (campagne et agglomérations), rustiques et robustes, autonomes, équipées d’un matériel performant, mais sans sophistication inutile », ce qui pourrait représenter, « après un faible investissement initial, probablement entre 0,6 à 0,8 milliard d’euros par an, un coût modéré comparé au risque mortel de l’impasse sur cette assurance défense dans la profondeur ».

d.   Le lien armée-nation au cœur de l’enjeu de résilience nationale

Le lien armée-nation a subi une évolution déterminante avec la fin de la conscription, en 1996. Cette réforme, qui n’a entraîné à l’époque que peu d’oppositions, a mis fin à un rite de passage qui avait marqué des générations de Français depuis l’instauration du service militaire égal et obligatoire en 1905 et qui entretenait de façon très concrète le lien entre la nation et son armée. De fait, le service national touchait en masse la jeunesse française – il était aussi ouvert aux femmes, sur la base du volontariat, depuis 1970 – et permettait, à tout le moins, une bonne connaissance des valeurs et des missions de l’armée par la population.

Vingt-cinq ans après la suppression du service militaire obligatoire, que reste-t-il du lien entre l’armée et la nation ? Dès 1999, le député Bernard Grasset évoquait dans un rapport ([148]) le « risque de repli sur soi de l’institution militaire » et la crainte que la fin de la conscription n’entraîne « une démobilisation, ou à tout moins une mobilisation moindre, de la vigilance du citoyen pour ce qui touche aux questions liées à la Défense » et, plus généralement, un « affaiblissement de la conscience citoyenne face à l’évolution du concept de défense nationale ».

Pourtant, la sociologue et politologue Anne Muxel, directrice de recherche au Cevipof, souligne l’évolution positive de l’image de l’armée dans la population depuis la fin de la conscription. Les armées échappent ainsi au déficit de confiance des Français envers les institutions puisque, « selon le baromètre de confiance du Cevipof, ce sont environ huit Français sur dix qui font confiance aux armées. Par ailleurs, chez les jeunes générations […], on constate moins d’antimilitarisme que dans les générations précédentes ([149]). »

En effet, comme le signale le rapport de M. Grasset, la manière dont le service militaire se déroulait dans les années 1980-1990 « ne répondait [en fait] plus aux principes d’égalité et d’universalité qui auraient dû présider à l’accomplissement du service national », ce qui lui avait fait largement perdre son double rôle de lien entre la nation et son armée et de brassage social. M. Claude Weber, maître de conférences en sociologie à l’Académie militaire de Saint-Cyr, souligne que, « pour beaucoup de Français, le service militaire n’est pas un bon souvenir. Il était [en fait] vécu comme une perte de temps et une déresponsabilisation ([150]). »

Aujourd’hui, la population a moins conscience des missions qui font le quotidien des contingents militaires mais elle approuve globalement leur action. La visibilité nouvelle des risques sécuritaires sur le territoire national, depuis les attentats islamistes de grande ampleur de l’année 2015, ne sont pas pour rien dans cette évolution. À la suite des attentats du 13 novembre 2015, les centres d’information et de recrutement des forces armées (CIRFA) ont fait face à un afflux de prises de contact ; même si la plupart ont été sans lendemain, cela met en lumière un lien avec la perception des enjeux de sécurité.

Cette appréciation positive de l’armée en France n’est cependant pas un gage suffisant pour garantir un lien armée-nation de nature à accroître la résilience nationale. En effet, pour que ce lien s’avère suffisamment solide pour permettre une réponse adaptée à une crise grave, il importe qu’il soit nourri de valeurs et d’objectifs communs, et par une bonne connaissance mutuelle. En réalité, la population n’a qu’une connaissance très partielle du fonctionnement et des missions de son armée, ce qui rend la confiance qu’elle lui porte assez théorique.

L’instauration du service national universel (SNU), en 2019, vise précisément à proposer « un moment de cohésion » à la jeunesse française, à « promouvoir la notion d’engagement et [à] favoriser un sentiment d’unité nationale autour de valeurs communes ». Votre rapporteur reviendra en troisième partie sur les évolutions qui lui paraissent souhaitables pour permettre au SNU de mieux atteindre ces objectifs. En tout état de cause, une meilleure connaissance, par la société – à commencer par la jeunesse –, des enjeux de la défense nationale, demeure indispensable pour consolider le lien entre l’armée et la nation, dans une optique de résilience nationale.

4.   Des facteurs économiques et financiers

Plusieurs facteurs économiques et financiers fragilisent l’indépendance réelle de la nation française. Ils sont connus et identifiés depuis longtemps et tiennent principalement à un endettement public qui ne diminue pas et une base industrielle qui s’est réduite – nos concitoyens ont pu constater au moins un de ses effets lors de la pandémie, à savoir l’incapacité de notre industrie pharmaceutique à élaborer rapidement un vaccin.

a.   Une dette bien gérée mais d’un niveau considérable

L’encours de la dette d’État négociable depuis 2018 est retracé dans le tableau suivant.

encours de la dette d’État négociable depuis 2018

(en milliards d’euros)

 

Fin 2018

Fin 2019

Fin 2020

Fin sept. 2021

Fin oct. 2021

Encours de la dette négociable

1 756

1 823

2 001

2 148

2 131

dont titres indexés

220

226

220

229

232

Moyen et long terme

1 644

1 716

1 839

1 983

1 966

Court terme

113

107

162

164

15

Durée de vie moyenne de la dette négociable à moyen et long terme

7 ans

8 ans

8 ans

8 ans

8 ans

Source : Agence France Trésor

Au deuxième trimestre de 2021, les titres de la dette négociable se répartissaient ainsi entre détenteurs :

– Compagnies d’assurances françaises : 16 %

– Établissements de crédits français : 6,50 %

– OPCVM français : 1,50 %

– Non-résidents : 49,50 %

– Autres détenteurs français : 26,50 %

La charge budgétaire nette de la dette s’est élevée à 41,70 milliards d’euros en 2018, 40,26 milliards en 2019 et 35,80 milliards en 2020, soit un niveau très modéré au regard de son encours en raison des taux d’intérêt très bas, parfois négatifs : – 0,007 % sur les bons du Trésor en juillet 2021. Sur une longue période, de 2010 à 2020, la charge d’intérêt de la dette a baissé de 20 milliards d’euros alors que la dette a augmenté de 770 milliards entre 2009 et 2019.

Au sens du traité de Maastricht, la dette publique s’établissait à 116,3 % du PIB, d’après les données de l’INSEE publiées le 17 décembre dernier. Ce taux était de 114,8 % du PIB à la fin du deuxième trimestre, la moyenne de la zone euro étant de 98 %, dans un contexte où la dette mondiale a bondi de 14 %, notamment en 2020, sous l’effet de la pandémie, pour atteindre 226 000 milliards de dollars.

Abstraction faite du Japon, dont la dette – 234 % du PIB – est détenue à 90 % par des agents économiques japonais, et des États-Unis, dont le rôle de gestionnaire de la principale monnaie de réserve mondiale vaut affranchissement de nombreuses règles d’orthodoxie budgétaire, notre pays est l’un de ceux qui recourent le plus à l’émission de titres pour financer le fonctionnement et les investissements de l’État.

Faut-il s’en inquiéter ? Bien que le Pacte de stabilité soit suspendu jusqu’à la fin de 2022, les ministres des finances des pays membres de l’Union, qui doivent dessiner la trajectoire économique de celle-ci pour la décennie à venir, sont schématiquement divisés en deux camps : ceux qui, comme la France, plaident pour un assouplissement des règles budgétaires afin de financer les investissements d’avenir, notamment climatiques, et ceux attachés à la viabilité budgétaire des États membres de la zone euro, comme le Danemark, les Pays-Bas et l’Autriche. Pour autant, il convient de rappeler que la dette d’un État n’est pas comparable à celle d’un ménage ; qu’elle comporte un aspect politique et qu’elle s’assimile à un roulement perpétuel. L’essentiel est que les remboursements soient effectués aux échéances prévues, gage de la crédibilité de l’État, ce à quoi le Trésor n’a jamais manqué.

L’une des interrogations porte sur les effets de la détention de la dette publique par des agents économiques non-résidents. Est-ce une fragilité ou une manifestation de confiance ? Des États peuvent avoir une préférence pour une détention de leur dette par des investisseurs résidents, car ces derniers sont moins susceptibles de retirer leurs fonds en cas de crise ou d’incertitudes économiques. De plus, lorsque la dette publique est détenue par des résidents, l’État dispose d’un certain pouvoir coercitif, qu’il peut exercer par exemple en jouant sur la pression fiscale ou la réglementation financière. La détention de la dette publique par des investisseurs résidents permet donc une plus grande stabilité du financement public. D’un autre côté, la présence de non-résidents dans la structure de détention de la dette publique indique également qu’il existe une demande à l’étranger pour les obligations émises par l’État concerné. Cette attractivité de la dette publique facilite son financement et lui permet notamment d’accéder à des taux d’intérêt plus faibles, toutes choses égales par ailleurs.

La réelle fragilité pesant sur la dette française concerne les taux d’intérêt auxquels elle est acquittée. Si l’État a recouru aussi largement à l’endettement, c’est en raison de la politique des banques centrales qui maintiennent des taux historiquement bas. Mais les taux ont augmenté, certes très modérément, à la fin du printemps et à l’été 2021, de – 0,3 % à un peu plus de 0 %. D’après l’agence France Trésor, une augmentation d’un point de taux d’intérêt conduirait à une hausse de 2,5 milliards d’euros la première année de la charge de la dette et de 28,9 milliards à un horizon de dix ans.

b.   Une désindustrialisation qui est allée trop loin

La question du recul de l’industrie française est depuis longtemps présente dans le débat politique. Elle a cependant pris une acuité singulière au cours de la crise sanitaire. La perturbation, voire l’arrêt, de différents flux industriels et commerciaux a mis en relief les vulnérabilités de notre tissu industriel. Des dépendances sont apparues dont notre pays n’avait pas forcément conscience. Entre 2005 et 2015, la part de marché mondial de la France dans la fabrication des produits de santé a été divisée par deux.

La résilience de notre économie et de notre production est donc devenue un enjeu central, aussi bien dans la réponse à la crise que dans la définition des politiques économiques. Le déficit commercial de 2021 – 84,7 milliards d’euros, soit 20 milliards de plus qu’en 2020 – traduit les faiblesses de l’appareil industriel français. Outre la facture énergétique, la France continue de perdre des parts de marché dans la zone euro.

Comme l’a rappelé Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, auditionnée par la mission d’information, « la crise récente a mis en lumière la profondeur des dégâts causés par trente années de capitulation industrielle et le déclassement de notre outil productif. Je pense aux principes actifs des médicaments, qui sont produits à plus de 80 % hors d’Europe et, pour l’essentiel, en Chine et en Inde. La soudaineté de la crise, accentuée par la fermeture des frontières nationales, a mis en évidence la dépendance de l’industrie française à cet égard. Il en va de même des protéines que nous importons, à plus de 50 %, pour nourrir les élevages français ([151]). »

Parmi les grands pays industrialisés, la France est avec le Royaume-Uni celui qui a subi la plus forte désindustrialisation durant les dernières décennies. À la fin des « trente glorieuses », en 1975, le secteur industriel de la France employait 6,5 millions de personnes et représentait 28 % du PIB. Depuis 1980, les branches industrielles ont perdu près de la moitié de leurs effectifs – 2,2 millions d’emplois – et l’industrie manufacturière représentait en 2019 11,04 % du PIB et 10,3 % du total des emplois. Rappelons que l’industrie assurait encore 22 % du PIB en 1998 et 16 % en 2014.

Per capita, le déclin de l’industrie française apparaît plus marqué. Le coefficient de corrélation (0,93) est en effet extrêmement élevé entre la production industrielle de chaque pays et les PIB per capita de chaque pays. La production industrielle française par habitant s’établit actuellement à 41 460 dollars, à comparer au leader mondial, la Suisse, où la valeur per capita s’élève à près de 80 000 dollars.

Dans les grandes lignes, il manque au secteur industriel français environ 1,8 million de travailleurs ; si ces emplois existaient, ils induiraient dans le secteur tertiaire au moins 3,6 millions d’emplois.

D’après l’économiste Claude Sicard, le PIB de la France souffre d’une perte de 350 milliards d’euros en raison de la désindustrialisation. Cette perte de richesse a rendu plus étroite la base fiscale du pays et a conduit les gouvernements successifs à alourdir la fiscalité sur les entreprises, avant les mesures récentes de réduction des impôts de production, et à accroître l’endettement de la France.

Qu’est-ce qu’un pays sans industrie ? Des personnalités aussi diverses que Patrick Artus, économiste, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT ou Bernard Bigot, président de Iter Organization, rappellent qu’un pays sans usines perd toute capacité à façonner son avenir. Quand des usines sont dans un pays étranger, c'est ce pays qui impose les modes de production, les normes et impose une forme de dépendance. Lorsque les usines de production sont transférées à l’étranger, il est constaté que les laboratoires de recherche et de conception finissent, quelques années après, par s’implanter sur les lieux de production. L’idée d’une France sans usine est un concept dangereux pour quiconque souhaite préserver l’indépendance de notre pays.

Plusieurs éléments, certains propres à la France, d’autres dépassant le cadre de notre pays, expliquent pour une large part ce phénomène de désindustrialisation. En premier lieu, se trouve la montée de pays émergents tels que la Chine, dont les faibles coûts de production et la large gamme de produits, ont dégradé la place de la France sur les marchés internationaux. Les industriels français ont également procédé à des délocalisations de compétitivité, pour d’une part se rapprocher d’importants marchés de consommateurs – Asie du Sud, Asie du Sud-Est, Moyen-Orient –, d’autre part bénéficier de coûts salariaux inférieurs à la France – Europe centrale, Maroc, Turquie – et de normes sociales et environnementales moins strictes. En 2020, le stock d’investissements directs français dans les secteurs industriels à l’étranger est estimé par la Banque de France à 565 milliards d’euros. Les filiales industrielles à l’étranger emploient 62 % des postes industriels de l’industrie française. Ce taux est de 52 % pour le Royaume-Uni, 38 % pour l’Allemagne, 26 % pour l’Italie et 10 % pour l’Espagne.

D’autres éléments sont connus de longue date : une vision longtemps négative de l’industrie ; la faible collaboration entre universités et entreprises ; un système éducatif qui, avant la réforme de l’apprentissage par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, laissait chaque année sans qualification 150 000 jeunes ; la financiarisation excessive de l’économie et des entreprises, qui développe une culture de la rentabilité financière à court terme alors que l’industrie exige le temps long et se juge à ses performances économiques, technologiques, sociales et environnementales ; une fiscalité dissuasive sur la transmission d’entreprise, qui, à la différence de l’Allemagne, entrave la transformation des PME françaises en ETI ; enfin, une difficulté à construire une politique industrielle de long terme, mais il est vrai que l’Union européenne a longtemps privilégié les droits du consommateur et la libre concurrence par rapport à l’émergence de leaders mondiaux.

5.   Une dépendance importante dans le domaine numérique

La diffusion de l’expression « souveraineté numérique » renvoie à la conscience croissante, en Europe, d’un risque de vassalisation technologique par des sociétés américaines ou chinoises. Le terme renvoie aussi aux débats relatifs au contrôle des informations partagées sur les réseaux sociaux ou détenues par des entreprises numériques – les données ou data –, alors que la maîtrise de ces données semble être détenue par seulement quelques entreprises, le plus souvent américaines.

Il s’agit bien d’un enjeu de souveraineté tant politique qu’économique. Dès lors que l’on considère que la souveraineté est un attribut de l’État et que son exercice est une condition de l’indépendance d’un pays, la captation et la capacité d’utiliser à bon escient les données sur les individus, les entreprises ou les institutions s’avère essentiel pour le fonctionnement d’une société moderne.

La souveraineté numérique exige donc de disposer d’une économie numérique, c’est-à-dire la capacité de produire et d’exploiter des données, de les stocker. Mais aucune de ces activités n’est possible sans la maîtrise des technologies numériques, à savoir les supercalculateurs, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, le travail sur les algorithmes pour gérer automatiquement une série d’activités, allant de la valeur des actions sur les marchés financiers à la gestion du trafic aérien à l’approche des aéroports.

a.   Comprendre l’enjeu de la souveraineté numérique

L’importance du débat sur la souveraineté numérique provient du fait que de simple outil de communication à ses débuts, internet est devenu un vecteur d’influence et de domination.

Né aux États-Unis, internet a failli être conçu en France grâce aux travaux de l’ingénieur Louis Pouzin, mais a été victime de l’aveuglement des pouvoirs publics… Son ancêtre, Arpanet, inventé à la fin des années 1960 par des chercheurs pour mettre en réseau l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), l’institut de recherche de Stanford, les universités de Santa Barbara et de l’Utah, avait néanmoins suscité l’intérêt de la défense nationale américaine qui y voyait le moyen de permettre aux réseaux de communication militaire de fonctionner malgré une attaque nucléaire soviétique.

L’uniformisation technique des réseaux date de 1974, avec le transmission control protocol (TCP) et l’internet protocol (IP), toujours en vigueur de nos jours. Le progrès décisif fut accompli au début des années 1990, quand des équipes du CERN – Centre européen pour la recherche nucléaire – créèrent un protocole de mise en ligne de pages reliées entre elles par des hyperliens. Les conditions techniques étaient alors réunies pour que le réseau internet connecte les sites du monde entier.

C’est une entreprise privée de droit californien, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), qui définit les principales normes applicables à internet, et principalement le système de nom de domaine (DNS), qui permet à la fois la navigation des usagers et le fonctionnement du courriel.

L’ICANN, comme toute entreprise américaine, se trouve placée sous la tutelle du Département du Commerce. Techniquement, elle est en situation de monopole, ce qui pose un véritable problème de souveraineté. Les États n’ont qu’un rôle consultatif au sein d’une structure de droit américain. L’enjeu de maîtrise technologique se double donc d’un enjeu juridique considérable, le droit des États-Unis étant potentiellement applicable à tout litige ou à toute « infraction » concernant la structuration et le fonctionnement d’internet. Certaines plaques géographiques, autour de la Chine et de la Russie, cherchent néanmoins à se détacher de ce système américain en s’isolant du reste du monde.

b.   Des fragilités dues à l’absence d’autonomie de l’internet français

La dépendance de la France à un réseau global n’est pas une caractéristique propre à notre pays, mais elle crée à l’évidence des fragilités potentielles pour la puissance publique comme pour les entreprises. Elles sont au minimum au nombre de cinq.

En premier lieu, se trouve l’absence d’autonomie sur les DNS et les adresses IP précitées. Comme le souligne M. Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), les DNS sont souvent impliqués dans les pannes récentes. La criticité de ce genre d’équipement apparaît donc clairement, et le fait de disposer localement de capacités de répliques de ces équipements est techniquement envisageable. Pourtant notre pays ne travaille que depuis très récemment sur la création de DNS pour l’administration. Il ne s’agirait pas d’une marque d’hostilité envers les États-Unis mais de mieux maîtriser des technologies qui, pour des raisons historiques, sont centralisées aux États-Unis.

La seconde fragilité porte sur le stockage des données. Il s’agit de savoir si la France doit être en permanence dépendante des clouds américains ou si elle est en mesure de développer ses propres solutions de stockage. M. Guillaume Poupard souligne que cette question est sans doute plus facile à traiter qu’internet qui, en tant que système de communication, se doit d’être partagé. Les clouds français consomment massivement des offres standard américaines, très fiables sur le plan technique, mais juridiquement catastrophiques, car elles sont soumises à la réglementation américaine, donnant ainsi accès aux données aux membres de cette administration : juges, agents du fisc, services de sécurité. L’enjeu est donc d’éviter que nos données soient en situation de risque au regard du droit américain, soit en développant une technologie française ou européenne, soit en sécurisant mieux les contrats avec les entreprises américaines.

En troisième lieu, internet ainsi qu’une large partie des télécommunications mondiales dépendent du bon fonctionnement des câbles sous-marins ([152]). 400 à 500 câbles seraient en service actuellement. Les principaux propriétaires sont Google et Facebook, mais d’autres opérateurs sont présents sur le marché, comme Orange et Vodafone, par exemple sur le projet 2Africa, d’une longueur de 52 000 kilomètres, qui passe par le canal de Suez et la Méditerranée et revient en Europe.

La rupture volontaire ou involontaire d’un câble entraîne l’indisponibilité des réseaux qui en sont dépendants. Il est clair que la plupart des marines militaires s’efforcent de cartographier ces câbles pour le cas échéant les rompre en cas de conflit armé. Les délais de réparation oscillent entre deux et huit jours, sous réserve que la zone soit accessible, en fonction du temps nécessaire pour acheminer un navire sur la zone de réparation et le temps nécessaire aux travaux.

En quatrième lieu vient la cyberrésilience, c’est-à-dire la capacité de résister à une attaque étatique ou provenant de groupes criminels. Les fragilités intrinsèques de la France et de l’ensemble des États dans ce domaine ont été démontrées. Le premier facteur expliquant la difficulté de résilience en cas d’attaque tient à l’uniformisation des technologies très largement utilisées dans le numérique. C’est le principal vecteur favorisant les attaques à la limite de l’ordre systémique que l’on a déjà pu observer. L’attaque NotPetya venait d’Ukraine et visait l’État ukrainien, mais l’interconnexion des différents systèmes numériques l’a amenée à toucher simultanément et très rapidement des entreprises du monde entier. Une entreprise a ainsi vu 50 000 de ses ordinateurs détruits en quarante-cinq minutes. Certains grands groupes internationaux ont fait part de pertes de 600 à 700 millions de dollars, et le groupe Saint-Gobain, touché par l’attaque, a indiqué un impact de 220 millions d’euros ([153]).

Le deuxième facteur de fragilité est lié au retard dans l’investissement des entreprises, des pouvoirs publics et de l’ensemble de la sphère numérique dans la sécurisation des systèmes. Le retard accumulé dans les investissements est de l’ordre de dix à quinze ans, malgré une prise de conscience croissante. Les États-Unis, souvent cités comme leaders dans le domaine du numérique, ont fait l’objet d’attaques touchant tous les secteurs de leur économie comme l’essence, la distribution de viande ou les hôpitaux.

La police et la gendarmerie ont fourni en France des efforts importants. CyberGEND centralise les forces cyber au sein de la gendarmerie, mais la justice reste le point faible de cette politique : le parquet national cyber ne dispose que de trois magistrats qui doivent traiter 400 à 600 affaires par an. Les efforts doivent être menés à l’échelle française et diplomatique : la coopération internationale est nécessaire, car les cybercriminels n’attaquent que rarement leur propre pays et savent masquer leurs traces. Quelques arrestations notables ont pu avoir lieu au début de 2021, grâce à des coopérations avec l’Ukraine où certains groupes criminels sont localisés.

Enfin, malgré une politique désormais suivie dans ce domaine, la France manque encore de personnels et de compétences dans la cybersécurité. L’institut Montaigne a travaillé sur un scénario d’ouragan cyber qui se déplacerait en France en emportant dans une attaque simultanée des milliers de PME, un certain nombre de grands groupes et quelques ministères. Pour gérer un tel incident et reconstruire ses systèmes, notre pays ne disposerait pas en nombre des ressources humaines nécessaires, même en mobilisant les secteurs public et privé. Il est toutefois sans doute techniquement possible, à court terme, d’avoir une copie des services numériques essentiels en France pour que les sites en « .fr » et leur routage fonctionnent, pour des services hébergés en France et qui s’appuient sur des ressources localisées en France car certains sites en « .fr » font en réalité appel à d’autres services.

En cinquième et dernier lieu, la résilience du réseau internet de l’État (RIE) ne suscite pas d’inquiétude excessive mais nécessite d’être vigilant ([154]). Il convient d’emblée de noter que ce réseau a été considérablement étendu avec la crise sanitaire et qu’en juillet 2021, plus de 350 000 agents publics étaient entièrement équipés pour travailler à distance. Les nouvelles formes de travail hybrides combinant présentiel et télétravail ont été rendues possibles par un effort de rattrapage conséquent, par la hausse du nombre d’ordinateurs en stock et par le développement de nouvelles pratiques professionnelles.

Le RIE couvre actuellement 14 000 sites administratifs en métropole et dans les territoires ultramarins, qui ont ainsi la possibilité d’accéder à différentes ressources – bases de données, sites d’information, logiciels – dans le cadre d’un système sécurisé et supervisé en permanence. Ce réseau ne fonctionne naturellement pas en autarcie et a vocation à interagir avec le monde extérieur – entreprises, citoyens, partenaires tiers. À l’ancienne conception de la défense périmétrique s’est donc substitué un système reposant sur de nombreux échanges avec le monde de l’internet, qui se sont évidemment intensifiés avec la généralisation du télétravail. Il s’agit d’un univers beaucoup plus composite que par le passé, ce qui permet de renforcer le niveau de résilience de l’État. En effet, en concentrant et en maîtrisant les points de sortie et les points d’échange, en y consacrant de l’expertise et des moyens techniques, les pouvoirs publics améliorent le niveau de sécurité d’ensemble.

Pour répartir les risques, le RIE s’appuie sur des opérateurs multiples, tandis que l’État a réinternalisé certaines fonctions critiques – architecture, reconfiguration du réseau en cas de crise, etc. Il s’efforce d’assurer une granularité suffisante pour garantir une diversification des technologies, des opérateurs et des matériels pour les sites les plus sensibles qui, en cas de crise marquée, doivent communiquer en toutes circonstances. Pour relever ce défi, il lui faut s’appuyer sur des industriels qui investissent en hommes, moyens, machines et ressources pour garantir un niveau élevé de service ; et en complément, sur différentes stratégies pour apporter la protection, la résilience en situation de crise et la continuité d’activité en mode dégradé : protection, chiffrement, interception des menaces et des attaques ; diversification des opérateurs et gestion automatisée de la bascule.

Les services de l’État ont bien entendu intégré l’idée d’une panne majeure d’internet, avec les limites propres à ce type d’anticipation. Ils estiment que le RIE, qui interagit avec internet tout en s’appuyant sur des ressources spécifiques gérées par des opérateurs, constituerait une force si cet événement devait se produire. En sens inverse, des fragilités se font jour puisque de plus en plus d’applications informatiques reposant sur le cloud sont désormais utilisées pour faire fonctionner les services de l’État et pour permettre aux citoyens d’effectuer leurs démarches.

L’État ne peut toutefois garantir qu’il pourra répondre à toutes les situations de crise envisageables. Mécaniquement, la section de câbles de fibre optique ou la rupture des antennes 4G-5G entraînerait une rupture des possibilités de communication, hors les communications satellitaires, dont les débits sont limités et dont les déploiements ne sont pas à la portée du grand public. L’État a la possibilité de déployer des bulles tactiques pour que les autorités et les forces d’intervention se coordonnent, mais elles n’assureront pas la continuité de communication pour tous les citoyens. Les réponses en situation de crise ne sauraient donc être que partielles pour garantir les communications les plus critiques.

Cette question rejoint celle du squelette des réseaux de communication. Ce cas de figure ne résulte pas obligatoirement d’actes de malveillance ; des travaux publics sur la voirie peuvent couper parfois des artères numériques. La mission la plus importante dans ce cas est de reconfigurer les réseaux très rapidement, grâce à des agents présents en permanence. Jusqu’à présent, l’État a échappé à des coupures complètes sur des artères principales, mais non à des pannes localisées. En tout état de cause, les sites critiques de l’État sont pourvus d’une redondance d’électricité, de câbles et d’opérateurs pour atteindre une résilience maximale.

Lors de son audition ([155]), le directeur interministériel du numérique (DINUM), M. Nadi Bou Hana, a indiqué que l’État considère par ailleurs que le RIE peut fonctionner indépendamment d’internet. Il s’efforce de pouvoir le faire ainsi fonctionner, entre autres, par des outils collaboratifs de partage de documents entre agents publics – une plateforme est désormais utilisée par 170 000 d’entre eux. Il estime que les moyens qu’il met en œuvre sont étanches non seulement aux technologies et aux opérateurs d’internet mais également aux grands fournisseurs de logiciels et aux opérateurs du cloud. Il admet toutefois que le risque de panne d’internet chez les opérateurs sur lesquels il s’appuie est identifié, sans être en mesure de l’objectiver. Il s’efforce de prendre ses dispositions pour être capables de reconfigurer ses réseaux au cas où les opérateurs deviendraient défaillants. Dans le schéma stratégique du RIE, est prévue la reprise en main de la capacité de reconfiguration des nœuds critiques que sont les routeurs, ce qui réduit la dépendance aux opérateurs si ceux-ci devenaient défaillants.

Il existe enfin un point critique qui porte sur les ressources humaines et la disponibilité des talents. Derrière les enjeux de résilience, de souveraineté numérique ou d’innovation, se trouve l’enjeu majeur de la capacité à disposer de profils dotés d’expertises solides qu’ils peuvent actualiser au fil du temps. À défaut, l’État n’aura d’autres choix que de s’appuyer sur des ressources extérieures, le plus souvent non européennes. Comment faire en sorte que les ingénieurs experts sortant d’écoles ou d’universités aient envie de participer à ce service d’intérêt général qu’est la résilience numérique nationale ? Il est crucial d’inciter les étudiants à développer leur expertise numérique afin de disposer d’un vivier suffisamment important – en qualité et en nombre – pour aider les administrations, les entreprises, les opérateurs d’importance vitale à se confronter aux menaces et à saisir les opportunités propres à ce domaine. Or le réseau éducatif français est malheureusement limité dans sa capacité à produire des talents en nombre suffisant. Répondre à cet enjeu s’avère essentiel pour améliorer la résilience de notre pays.

6.   Des choix énergétiques lourds

L’énergie est l’un des premiers facteurs d’indépendance nationale. Pour un pays comme la France qui dispose de peu de ressources fossiles, cette indépendance passe par l’exploitation d’un parc nucléaire et par la diversification de ses fournisseurs de pétrole et de gaz naturel, ainsi que par un engagement croissant à recourir aux énergies renouvelables.

La politique énergétique de la France n’est que partiellement autonome. Elle a été construite avec nos partenaires européens afin de respecter les engagements de l’Accord de Paris du 12 décembre 2015. La France a pour objectif d’être neutre en carbone en 2050. Cet objectif qui l’engage auprès des Nations unies et de l’Union européenne figure dans la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

a.   Les axes de la loi énergie-climat

La loi énergie-climat porte sur quatre axes principaux :

– la sortie progressive des énergies fossiles et le développement des énergies renouvelables ;

– la lutte contre les passoires thermiques ;

– l’instauration d’outils de pilotage, de gouvernance et d’évaluation de la politique climatique ;

– enfin, la régulation du secteur de l’électricité et du gaz.

La réduction de la dépendance aux énergies fossiles comprend entre autres mesures la diminution de 40 % de leur consommation en 2030 par rapport à une année de référence (2012) ; l’arrêt de la production d’électricité à partir du charbon ; l’installation obligatoire de panneaux solaires sur les nouveaux entrepôts et bâtiments commerciaux d’au moins 1 000 m2 d’emprise au sol ; le soutien à la filière hydrogène, accentué récemment dans le plan France Relance.

S’agissant des outils de pilotage et à l’image du Committee on Climate Change britannique, la loi énergie-climat précitée a institué le Haut Conseil pour le climat, organisme consultatif indépendant qui évalue la stratégie climatique de la France et l’efficacité des politiques mises en œuvre pour atteindre ses ambitions. La Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) a été pour sa part confirmée comme étant l’outil de pilotage de la politique énergétique française. Elle sera révisée tous les cinq ans et pourra être ajustée et affûtée en fonction de l’évolution de nos émissions.

Enfin, la régulation du secteur de l’électricité et du gaz doit permettre de mieux maîtriser le prix de l’énergie et de réduire relativement la dépendance de la France à l’énergie nucléaire.

b.   Une accélération du défi climatique à concilier avec la sécurité des approvisionnements

Le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu publiques le 9 août 2021 la réévaluation de ses prévisions, pour dresser un constat sévère de l’action de la communauté internationale. Loin de limiter la trajectoire à 1,5 degré supplémentaire à la fin du siècle, la trajectoire actuelle dépasse 3 degrés. Quant au Haut conseil pour le climat, il a jugé dans son rapport du 30 juin 2021 les efforts de la France insuffisants pour garantir les objectifs de 2030, même si, de son côté, le Boston Consulting Group, mandaté par le Gouvernement, considère que la mise en œuvre exhaustive de l’ensemble des mesures législatives permettrait presque d’atteindre les objectifs fixés pour 2030, soit – 40 % d’émissions de GES, avec une estimation de – 38 %.

Compte tenu de l’accélération du défi climatique, l’Union européenne a adopté un objectif de réduction de 55 % des émissions entre 1990 et 2030. La Commission européenne a déposé le 14 juillet 2021 des propositions législatives qui seront discutées dans les prochains mois pour fournir des outils et objectifs sectoriels et thématiques. Le passage à – 55 % d’émissions en 2030 induit des objectifs plus importants à relever.

La sécurité des approvisionnements énergétiques en France repose de longue date sur des principes confortés par l’enjeu climatique : la maîtrise des consommations d’énergie, la résilience autour de la diversification des sources d’approvisionnement extranationales, la mise en œuvre de réseaux maillés, de politiques et plans de préparation à la gestion de crise. L’enjeu climatique implique que la sécurité de l’approvisionnement soit prise en compte dans les décisions de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et dans les schémas de développement des infrastructures – électriques, gaz, et hydrogène à plus long terme. Le développement de productions renouvelables nationales est également un facteur de résilience, dans la mesure où il diminue l’exposition de notre pays aux éventuelles crises internationales d’approvisionnement et augmente notre indépendance. Les réseaux sont l’un des enjeux clés.

Le bon approvisionnement des différentes composantes du mix énergétique français repose sur des logiques différentes. Les importations en pétrole doivent être analysées séparément, alors que le gaz et l’électricité sont connectés.

Depuis des décennies, la stratégie française repose sur la diversification des sources d’approvisionnement en pétrole ([156]), encouragée auprès des opérateurs puisque l’État n’est pas un acheteur. Il est très rare qu’un seul pays représente plus de 20 % de l’approvisionnement annuel. Il est très souvent fait appel à quatre ou cinq pays – Russie, Norvège, Arabie Saoudite, Kazakhstan – qui représentent chacun 10 à 20 % des approvisionnements, suivis par plusieurs autres pays. Alors que, dans les années 1970, 75 à 80 % des approvisionnements provenaient du Moyen-Orient, ceux-ci représentent désormais moins de 30 %. Cette diversification évite de dépendre politiquement d’un seul fournisseur mais elle n’empêche pas notre pays d’être exposé aux variations des cours mondiaux du brut, qui dépendent eux-mêmes de dynamiques géopolitiques et de l’état de l’économie mondiale.

La politique adoptée par certains pays sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) suppose la disponibilité minimale d’un stock stratégique de pétrole – brut et produits raffinés – au moins équivalent à quatre-vingt-dix jours d’importations nettes de l’année précédente. En moyenne, ce stock stratégique approche en France plutôt cent vingt jours, auxquels s’ajoutent quinze jours de stock commercial. L’objectif est stratégique, en cas de grande rupture internationale : les stocks de pétrole brut permettent un raffinage si l’importation est arrêtée et les stocks de produits raffinés permettent de faire face aux problèmes d’importation ou d’arrêt fortuit d’une raffinerie. Ces éléments permettent une résilience considérable.

Le ministère de la transition écologique a réalisé, lors de la crise du covid, des calculs sur d’éventuelles difficultés dans les champs de production ou sur un arrêt des importations par voie maritime. La France disposerait de six à neuf mois de « tranquillité », pour reprendre les termes de M. Laurent Michel, directeur de l’énergie et du climat, le temps que les champs pétroliers fonctionnent à nouveau ([157]).

La résilience pétrolière apparaît donc relativement satisfaisante grâce à la diversité des points d’entrée sur le territoire – ports et réseau d’oléoducs – et à des stocks stratégiques.

Pour le gaz, la situation est relativement semblable, mais avec des leviers techniques et réglementaires légèrement différents. Si Gaz de France a longtemps été le seul acteur, plusieurs autres entreprises sont désormais fournisseurs. La France dispose de plusieurs points d’entrée par gazoducs et par quatre terminaux d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL), complémentaires, qui acheminent l’énergie depuis l’Algérie, l’est de l’Europe, la Norvège ou les Pays-Bas alors que les terminaux d’importation accueillent des navires en provenance d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, d’Amérique et depuis quelques années et du Moyen-Orient. Ce réseau d’infrastructures garantit donc la diversité des sources d’approvisionnement.

En 2020, 529 térawatts-heure de gaz ont été importés, soit 99 % de la consommation. Cependant, les sources d’importation de gaz par gazoducs ou navires méthaniers sont variées. Le portefeuille des pays fournisseurs s’est largement diversifié en vingt ans, gage de résilience. L’Europe fournit 50 % des importations brutes françaises avec, en premier lieu, du gaz norvégien. La part de la Norvège a significativement augmenté depuis une quinzaine d’années en compensation de la baisse des importations provenant de Russie et d’Algérie.

Par ailleurs, la réussite de la réforme du stockage, en 2018, se traduit par un taux de remplissage de 85 % des stockages souterrains, garantissant la sécurité de l’approvisionnement en début d’hiver. Cependant, il convient de noter qu’à la différence du pétrole, les stockages de gaz n’ont pas uniquement un rôle d’assurance face à des ruptures potentielles d’approvisionnement : ils servent aussi à lisser les différences de consommation selon les saisons. Ainsi, à la fin de l’hiver, les stockages sont à un niveau bas, et la résilience serait moindre face à un choc d’approvisionnement.

c.   Les tensions potentielles sur le marché de l’électricité

La résilience du système énergétique français ne se limite pas à la sécurisation de ses approvisionnements. Elle vise également la préservation « de la souveraineté électrique de la France dans un cadre européen », ainsi que l’a rappelé M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), auditionné par la mission d’information ([158]). Il s’agit d’assurer le fonctionnement permanent du marché de l’électricité et de celui du gaz. Grâce à son parc nucléaire et hydraulique, la France dispose d’un mix électrique structurellement exportateur, connecté au système européen d’électricité. Elle est le premier pays exportateur d’électricité en Europe, avec un solde positif de 43,2 TWh en 2020.

La CRE estime que « l’interdépendance européenne a des inconvénients, mais assure fondamentalement la sécurité d’approvisionnement ». L’intégration électrique européenne fait primer la solidarité sur la souveraineté nationale. Les trois dernières années ont ainsi été marquées par une progression des échanges d’électricité avec les pays voisins à l’export comme à l’import, ce qui confirme le rôle central de la France dans le système électrique européen. L’interconnexion croissante des pays européens a permis d’aller beaucoup plus loin dans l’intégration des énergies renouvelables. Outre leur intégration, la France a besoin des interconnexions pour passer les pointes de consommation.

Il est à noter que les échanges français dépendent directement des écarts de prix entre la France et ses voisins. Il est parfois économiquement plus favorable d’importer de l’énergie plutôt que d’activer des moyens de production nationaux plus coûteux. La France peut ainsi se trouver en situation d’importer sans pour autant manquer de capacités de production.

Les fragilités qui pèsent sur le réseau électrique français apparaissent au nombre de quatre.

La première fragilité, d’ordre conjoncturel, est liée à la crise sanitaire. Le premier impact a été la chute de la consommation lors du confinement du printemps 2020, avec une diminution de 15 % en quelques jours. Le système électrique a également été fragilisé en profondeur par les conséquences du premier confinement sur les plannings de maintenance des réacteurs du parc nucléaire et par la baisse du volume des moyens pilotables, en raison de la fermeture de la centrale de Fessenheim.

La deuxième menace tient aux capacités du réseau. Malgré les déclarations des représentants de RTE et de la CRE devant la mission d’information, les risques constatés en janvier 2022 sur l’approvisionnement en électricité ont conduit le ministère de la transition écologique à préparer un projet de décret tendant à augmenter temporairement la production d’électricité des centrales à charbon encore en exploitation sur le sol national, en les faisant fonctionner 1 000 heures au lieu de 700. Celles-ci ne produisent que 0,3 % de l’électricité mais en raison d’une moindre disponibilité du parc nucléaire, d’un manque de vent, sans leur production, des délestages ciblés seraient nécessaires.

La troisième menace potentielle est celle de l’interruption du service d’électricité (blackout). Le 8 janvier 2021, une variation de la fréquence électrique sur le réseau européen provoquée par une défaillance en Croatie a nécessité l’activation de l’interruptibilité de seize clients industriels français sous contrat avec RTE. En quelques secondes, la consommation électrique de la France a été diminuée d’environ 1 300 mégawatts. Toutefois, une situation de crise telle que celle de février 2021 au Texas est très peu probable en France, notamment grâce aux interconnexions européennes.

La quatrième menace tient à la cybercriminalité, qui fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière. À la fin de 2020, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), la CRE et les acteurs de l’électricité et du gaz ont constitué un groupe de travail en vue de créer une communauté de la cybersécurité dans l’énergie. Un rapport a été remis au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale sur les enjeux de résilience et de crise.

d.   Quel système électrique mettre en place pour sortir des énergies fossiles ?

L’une des questions qui se pose à la nation est de déterminer quel système électrique peut être mis en place pour être neutre en carbone en 2050 – faire en sorte que les quantités de gaz à effet de serre (GES) émises ne dépassent pas les quantités de gaz absorbées par les écosystèmes – en respectant au passage les objectifs de la décennie 2020-2030, qui doivent réduire les émissions de GES de 40 % par rapport à leur niveau de 1990. Cet engagement intermédiaire est lui-même en cours de révision par l’Union européenne, avec un nouvel objectif de 55 % de réduction des émissions nettes de GES d’ici à 2030.

Rappelons que le défi est ambitieux puisque 60 % de l’énergie utilisée en France est d’origine fossile, avec respectivement 40 % pour le pétrole, 20 % pour le gaz naturel et moins de 1 % pour le charbon. Les combustibles fossiles assurent aujourd’hui une consommation finale de 930 TWh par an, à comparer à 430 TWh par l’électricité.

Or la neutralité carbone devrait constituer l’opportunité de renforcer la résilience énergétique à l’échelle européenne. Le rapport de prospective stratégique présenté en septembre 2021 par le vice-président de la Commission européenne conclut à une possible réduction de la dépendance énergétique européenne de 60 à 15 % grâce à la neutralité climatique en 2050. La valeur économique captée par les pays exportateurs d’hydrocarbures serait progressivement relocalisée en Europe et en France.

À la différence de la plupart des pays européens, le système électrique français repose sur un parc de cinquante-six réacteurs nucléaires, construits et mis en service de manière très rapprochée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990, qui s’est ajoutée à une production hydraulique de 60 TWh.

Au total, si l’énergie nucléaire représente près de 80 % de l’électricité produite en France, elle assure moins de 20 % de l’énergie finale utilisée par les entreprises, les institutions et les ménages. La prépondérance du nucléaire ne peut donc occulter la dépendance de la France aux énergies fossiles importées. Dès lors, le respect de l’objectif de neutralité carbone oblige notre pays à renoncer en quasi-totalité à ces énergies fossiles.

Réévaluée tous les cinq ans – la dernière version date de 2020 –, la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) vise à une production d’énergie bas-carbone et souveraine, fondée sur l’efficacité énergétique, l’électricité elle-même bas-carbone et sur le développement des usages de la biomasse. L’autonomie du pays est clairement un objectif, l’efficacité énergétique consistant à diminuer de 40 % la consommation finale d’énergie française en trente ans. Il s’agit de rompre une élasticité observée par les économistes, qui fait correspondre jusqu’à présent 6 à 7 % de croissance économique à une augmentation de 10 % de la consommation d’énergie primaire. Le niveau de consommation d’énergie de la France serait celui de la fin des années 1960, alors que sa population était de 51,5 millions d’habitants. Du côté de l’offre, la SNBC affiche l’ambition d’une biomasse produite sur le territoire, excluant en conséquence les importations de gaz verts ou de biomasse non durable. La France fait donc le choix depuis 2020 d’un système neutre en carbone et surtout souverain. L’idée d’une résilience nationale dans le domaine énergétique apparaît donc clairement dans la SNBC.

Au total, la consommation d’énergie finale, actuellement de 1 600 TWh à raison de 60 % par des énergies fossiles, passerait en 2050 à 930 TWh, dont 55 % par de l’électricité.

Il reste à savoir si les prévisions se révéleront exactes. La diminution de la consommation d’énergie finale grâce aux économies d’énergie est ambitieuse, alors que cette consommation comprendra un recours croissant à l’électricité pour assurer le fonctionnement des outils digitalisés, des transports individuels et collectifs décarbonés et de la production d’hydrogène, pour ne citer que ces trois exemples. Or il y aurait un danger à sous-estimer la consommation électrique future de la France, car la construction de moyens pilotables de production prend du temps, et nécessite une planification sur le long terme.

La place de l’électricité décarbonée étant donc appelée à croître dans le mix énergétique de notre pays, cette évolution exige de résoudre la question du remplacement du parc nucléaire de seconde génération. L’âge moyen de ce parc est de trente-six ans et les réacteurs mis en service dans les années 1980 atteindront dans la présente décennie l’âge de quarante ans. À moins de nouvelles prescriptions par l’Autorité de sûreté nucléaire – un programme de grand carénage permet d’étendre la vie de certaines centrales à cinquante ou soixante ans, pour un coût évalué à 50 milliards d’euros –, leur fonctionnement ne pourra être indéfiniment prolongé. Or les arrêts des centrales risquent d’être rapprochés en raison de la rapidité avec laquelle la France a bâti et mis en service son parc dans les années 1980.

La clarification des choix sur l’énergie nucléaire est indispensable car la filière nucléaire est une industrie du temps long. Elle exige une planification des travaux car elle ne se compose pas uniquement de grands groupes. Elle comprend également plus de 2 500 entreprises, dont 80 % sont des PME et des TPE. Si ces entreprises, qui produisent des tuyaux, du béton, des cartes électroniques, des lingots à forger, des robinets et des valves, n’ont plus de plan de charge, elles risquent d’embrasser d’autres activités et priver notre pays de compétences et de savoir-faire industriel. L’image de l’industrie nucléaire française a ainsi été écornée par les problèmes rencontrés sur les chantiers des réacteurs de troisième génération d’Olkiluoto en Finlande et de Flamanville.

En résumé, la France doit répondre à l’augmentation de sa production d’électricité décarbonée tout en devant remplacer la base industrielle qui assure actuellement ce besoin. Comme le rappelle RTE dans une étude d’octobre 2021, « ces choix apparaissent d’une ampleur similaire à ceux réalisés lors des chocs pétroliers dans les années 1970 ». Les récentes annonces du Président de la République à Belfort le 11 février représentent, de ce point de vue, une orientation décisive (voir A.3.b).

 

 


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   III. Les voies et moyens d’un renforcement de notre résilience nationale

Dans les périodes les plus dures de son histoire, notre nation fait preuve d’une grande résilience. Elle a pu capitaliser sur de nombreux atouts qui continuent, aujourd’hui, à distinguer notre pays. Pour autant, face aux enjeux actuels et futurs, il nous appartient de renforcer encore cette résilience. Votre rapporteur est convaincu que c’est en partant des citoyens et de la société civile que nous y parviendrons : la résilience d’une nation est d’abord celle de ses citoyens.

A.   La résilience de la nation est d’abord celle de ses citoyens unis autour d’un projet collectif

La force morale d’une nation est étroitement liée à la représentation que la nation elle-même s’en donne. Sa définition n’a donc rien d’une science exacte ; elle découle de l’Histoire nationale et des écrits des penseurs qui se sont penchés sur la question, comme ceux d’Ernest Renan – conférence en Sorbonne du 11 mars 1882 – ou d’Émile Baudin – cours de philosophie morale, 1936. Schématiquement, la tradition française repose sur l’idée que toute société humaine, qu’elle soit de taille réduite – tribu, clan – ou comprenant des millions de personnes organisées en État, fonctionne par des liens de solidarité. Dans la conception française, une nation est composée de personnes ayant la volonté de vivre ensemble leurs existences matérielle et spirituelle et d’avoir un sort collectif commun, ce qui lui confère un sens social.

Il faut ici citer Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre est dans le présent. L’une est la possession d’un riche legs de souvenirs, l’autre est la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. Dans le passé, un héritage de gloire et de regrets à partager ; dans l’avenir un même programme à réaliser. Avoir souffert, joui, espéré ensemble, voilà qui vaut mieux que des douanes communes, voilà ce que l’on comprend malgré la diversité des races et des langues. Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire ([159]). » La vie de la nation n’est pas celle des individus qui, chaque jour, y agissent : consciemment ou inconsciemment, elle les transcende. Comment expliquer autrement les périodes de souffrances extrêmes endurées par des individus, au cours desquelles ils ont été confrontés à des épreuves inimaginables au nom de la défense de leur nation ?

Une nation abrite des forces morales, et c’est principalement l’étude de l’histoire qui permet de donner une réalité à ce concept, que Clausewitz avait théorisé dans son ouvrage De la guerre (1832), écrivant que « plus sont limitées les forces d’une nation entraînée fatalement dans une lutte inégale, et plus il convient que multipliées par l’imminence et la grandeur du danger, l’énergie et la force morale de cette nation soient inébranlables ». Si Staline, chef d’un État totalitaire athée et anticlérical, s’est par exemple rapproché en 1941 et 1943 de l’église orthodoxe, c’est qu’il considérait qu’il ne pouvait gagner la guerre sans invoquer la foi séculaire des Russes, malgré les ressources démographiques et mécaniques dont il disposait. Il lui fallait une arme morale supplémentaire qu’il a puisée dans l’histoire pour unir le patriotisme russe au messianisme soviétique. Il termina ainsi son discours du 7 novembre 1941 sur la place Rouge en faisant référence à la Sainte Russie – ce qui était théoriquement inconcevable de la bouche d’un dirigeant communiste – et en invoquant les héros russes : Nevski, Donskoï, Mininc, Pojarski, Souvorov, Koutouzov.

Des centaines d’exemples d’héroïsme civil et militaire montrent la résistance collective des peuples face aux épreuves – famines, invasions, exils – qu’ils traversent, illustrant que les membres d’une société humaine peuvent être habités par un sentiment ou des idéaux qui leur paraissent plus élevés que leur propre vie. René Rémond a évoqué à raison « le merveilleux pouvoir des idées sur l’homme ».

La force morale d’une nation ne se décrète pas. Les individus qui en ont été porteurs n’ont d’ailleurs sans doute jamais pensé qu’ils feraient preuve de courage et de ténacité. Les paysans français mobilisés de 1914 à 1918 n’ont pas témoigné d’un enthousiasme particulier pour faire la guerre, contrairement aux images de la propagande militaire ; ils ont rejoint avec résignation leurs régiments d’après les rapports des préfectures, mais ont fait preuve d’une résistance inimaginable une fois au combat.

Si elle ne se décrète pas, l’instillation de cette force morale dans la société peut néanmoins se développer et s’entretenir par des actions précises. L’objectif est qu’en cas de crise, le citoyen ne soit pas sidéré ni simple spectateur attendant toutes les solutions des pouvoirs publics, mais qu’il participe lui-même à la mise en œuvre de solutions, par son autonomie et ses capacités de résistance et d’initiative.

1.   Admettre que l’État ne peut pas apporter immédiatement des solutions en toutes circonstances

Affirmer que la résilience est également l’affaire des individus et non exclusivement celle des pouvoirs publics, c’est admettre que l’action collective ne peut reposer entièrement sur l’État et les collectivités territoriales. Or la France a une histoire particulière quant aux rôles respectifs de la puissance publique et des individus.

Le débat sur cette question est en France antérieur à la révolution de 1789. C’est au XVIIIe siècle que l'idée d'intérêt général a progressivement supplanté la notion de bien commun, aux fortes connotations morales et religieuses, qui dominait la vie sociale. Depuis lors, deux conceptions de l'intérêt général s'affrontent. L'une, d'inspiration utilitariste, ne voit dans l'intérêt commun que la somme des intérêts particuliers. Cette approche laisse peu de place à la puissance publique et traduit une méfiance de principe envers l'État. L'autre conception, d'essence volontariste, ne se satisfait pas d'une conjonction d'intérêts particuliers, notamment économiques, incapable à ses yeux de fonder durablement une société. L'intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d'abord, dans cette perspective, l'expression de la volonté générale, ce qui confère à l'État la mission de poursuivre des objectifs qui s'imposent à l'ensemble des individus.

a.   L’intérêt général, notion centrale de la politique française

Ce débat traverse toute la pensée politique de notre pays depuis plus de deux siècles, faisant apparaître très tôt la notion d’État-providence contre laquelle Tocqueville souhaitait mettre en garde ses contemporains : « Au-dessus des hommes semblables et égaux, s'élève un pouvoir immense et tutélaire qui se charge seul d'assurer leurs jouissances et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent pourvu qu'ils ne songent qu'à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs facilités et leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leur héritage ([160]) ».

La vitalité de ce débat n’a pas diminué avec le temps. La question de la place de la puissance publique est centrale dans le clivage qui sépare libéraux et socialistes, avec toutes les nuances dont il convient de tenir compte au sein de ces familles politiques, et on la retrouve, à notre époque, dans des questions aussi diverses que la protection sociale et sanitaire, l’éducation ou les composantes des politiques de sécurité.

La relation entre individu et État ne se résume toutefois pas à un conflit. Les citoyens acceptent en règle générale sans problème et sans questionnement particulier le fait de vivre sous l’empire de milliers de règles édictées par la puissance publique, dès lors qu’ils estiment que l’avantage qu’ils en retirent est supérieur au fait de vivre sans État. Or ce dernier assure leur sécurité physique ainsi que les actes régaliens fondamentaux que sont la justice et la défense du territoire, ainsi que de nombreux volets de la vie sociale. Comme le rappelle Christian Ruby, « il n'est pas impossible de penser que l'individu résulte de la formation de l'État moderne et qu'il est disposé à vouloir cet État-là. Réciproquement, l'État moderne appelle un approfondissement de l'individuation dont il fait la source de son expansion. Dès lors, la totalité n'est pas nécessairement totalitaire, la différence n'est pas pure, l'individu n'est pas l'anti-loi, l'individualisme n'est pas un destin ([161]) ».

b.   L’État n’a pas une prise immédiate sur tous les événements

Attendre de l’État qu’il intervienne dans tous les domaines de la vie sociale suppose que celui-ci peut exercer une action sur tous les événements qui surviennent ou, à tout le moins, sur leurs conséquences. Or non seulement l’État, en démocratie, ne régit pas tous les aspects de la vie collective et son action s’arrête en théorie aux portes de la vie privée, mais en outre, la plupart des grands défis politiques de notre temps sont transnationaux : question climatique et enjeux environnementaux, immigration, déplacés ou réfugiés climatiques, régulation de la sphère financière et des multinationales numériques, fonctionnement des réseaux sociaux, etc. La crise sanitaire due au covid, première pandémie à avoir paralysé le monde entier, en est l’illustration la plus récente. Ajoutons que l’État ne peut pas résoudre tous les problèmes internes, qu’il s’agisse de la dette publique ou de l’équilibre des finances publiques, alors qu’il s’assigne notamment de prendre en charge les fonctions de solidarité.

Il convient donc d’admettre que l’État n’est ni omnipotent, ni omniscient malgré la masse des informations et des moyens dont il dispose. Ou peut-être est-ce en raison de cette masse considérable de données qu’il lui est difficile de dégager les lignes de force des mouvements qui agitent notre monde. Celui-ci est complexe, en évolution permanente. Les événements imprévisibles, dus à des catastrophes environnementales, technologiques ou à des attentats, peuvent survenir à tout moment et dérégler le fonctionnement de nos sociétés.

Si sa faculté de réaction de l’État demeure importante, ses capacités d’anticipation apparaissent plus réduites dans un monde complexe, malgré l’existence de nombreux organismes ou documents dont c’est le rôle. France Stratégie, le Conseil d’analyse économique, le Haut-Commissariat au plan, les revues stratégiques et Livres Blancs de la défense nationale, visent tous à décrypter le futur pour asseoir la politique du pays. Mais la crise du covid et ses conséquences prouvent la difficulté de l’exercice, même si les épidémiologistes avaient émis depuis longtemps l’hypothèse d’une intensification des zoonoses. De fait, il a fallu du temps à la puissance publique pour comprendre cette maladie et tenter d’apporter des solutions aux multiples problèmes qu’elle pose encore. Et cela n’a été possible qu’avec une participation des citoyens – gestes barrières, masques, vaccination, etc.

c.   L’individu, élément clé de la résilience de la société

La crise du covid a prouvé que des milliers de citoyens étaient prêts à s’engager, y compris en prenant des risques. Rappelons que ceux qui ont été bénévoles dans les hôpitaux par altruisme savaient qu’ils pouvaient être contaminés par cette maladie alors que les connaissances sur celle-ci étaient rudimentaires.

Cet engagement ne constitue pas une surprise. Il existe en France 22 millions de bénévoles membres de 1,5 million d’associations, représentant un budget cumulé de 113,3 milliards d’euros, ce qui, pour donner un ordre de grandeur, équivaut à plus du double de l’effort de défense. De nombreuses associations jouent un véritable rôle de service public dans la sphère sociale : lutte contre la pauvreté, contre la précarité, relogement, éducation, santé. L’enseignement du secourisme est largement délivré par des associations. L’ensemble du sport amateur français, qui rassemble 17 millions de licenciés, repose sur des fédérations dont la cellule de base est le club animé par des moniteurs bénévoles – sauf lorsqu’ils sont titulaires d’un brevet d’État. La liberté d’association prévue par la loi de 1901 joue un rôle qui va bien au-delà de la vitalité de la démocratie française. Elle participe du fonctionnement de la société dans tous les domaines. Les pouvoirs publics ne l’ignorent pas, qui rendent régulièrement hommage au monde associatif.

Ce constat pourrait servir de point d’appui à une politique de résilience encore embryonnaire dans notre pays, en la fondant sur l’engagement de chaque citoyen. Plutôt que de limiter sa politique à protéger chaque individu, l’État pourrait se souvenir que des citoyens plus autonomes sont plus facilement en mesure d’agir ; en quelque sorte, inciter à mettre en pratique la célèbre formule de John Fitzgerald Kennedy lors de son discours d’investiture : « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. »

La somme des citoyens résilients ne crée pas une société résiliente – ce qu’un individu et une société sont capables de supporter est différent et leur reconstruction n’est pas identique – mais des citoyens conscients, informés, entraînés peuvent aider la société à faire face à des crises ou des catastrophes, grâce à leur capacité à prendre des décisions. Cette faculté est particulièrement intéressante en des lieux où les communications sont coupées, même pendant une brève période.

La diversité des menaces et leur inscription sur le long terme obligent également l’État à accepter de ne pouvoir tout assumer. Le citoyen doit s’impliquer pour sa propre sécurité et celle de son voisinage.

Il a souvent été considéré, à la suite des attentats de novembre 2015, que le peuple français avait fait preuve de résilience parce qu’il n’avait pas cédé ni à la panique ni à la haine, contrairement aux espérances des commanditaires des attentats. Il s’agissait plutôt d’une attitude de sagesse, d’une capacité à éviter un amalgame entre terroristes et l’ensemble du monde musulman, peut-être également de passivité puisque la lutte de fond contre le terrorisme exige des actions de fond… La résilience procède d’une démarche différente. Elle suppose une action, sur la base du volontariat.

La résilience n’est pas innée. Elle est le fruit d’une construction sociale et personnelle s’inscrivant dans le temps long. Elle suppose qu’une politique soit bâtie par l’État, qui en organise les grandes lignes, en concertation avec les acteurs publics et privés de la société, mais sa diffusion parmi les citoyens exige en retour des rapports de confiance entre ces derniers et les élus.

2.   Développer la culture du risque pour développer la citoyenneté

Sur le portail « Géorisques » du ministère de la transition écologique, la culture du risque est définie « par la connaissance par tous les acteurs (élus, techniciens, citoyens, etc.) des phénomènes naturels et technologiques et par l’appréhension de leur vulnérabilité. L’information des populations, et ceci dès le plus jeune âge, est le moteur essentiel pour faire progresser la culture du risque. Celle-ci doit permettre d’acquérir des règles de conduite et des réflexes, mais aussi de débattre collectivement des pratiques, des positionnements et des enjeux. Développer la culture du risque, c’est améliorer l’efficacité de la prévention et de la protection. En faisant émerger toute une série de comportements adaptés lorsqu’un événement majeur survient, la culture du risque permet une meilleure gestion du risque. »

S’il ne fallait retenir que deux aspects positifs de la crise du covid, le premier est que cette crise a provoqué une prise de conscience générale sur le fait que nos conditions de vie peuvent à tout instant changer de manière radicale et brutale, et que la capacité de la France à s’adapter et à se montrer résiliente est essentielle dans l’intérêt de tous. Le second a révélé la capacité de réaction de notre société et les ressorts de la solidarité entre les individus.

Parallèlement à la réponse sanitaire des pouvoirs publics et à leur soutien à l’économie, les acteurs économiques et sociaux ont en effet réagi pour maintenir autant que possible leur fonctionnement. Le développement des technologies de la communication a permis une grande partie des professionnels du secteur tertiaire de continuer à exercer leur métier ; des personnes ont bénévolement porté assistance aux services de santé ; des millions de personnes ont été vaccinées en quelques mois, en mobilisant tant les services publics que les structures privées. L’industrie française a également été capable de transformer ses processus de production pour fabriquer des masques ou du gel hydroalcoolique.

En règle générale, les sociétés libres disposent de capacités d’auto-organisation, indépendamment de l’État. Pour autant, l’exemple de pays confrontés pour des raisons diverses à des dangers permanents – Israël, Corée du Sud – ou ayant des traditions anciennes d’acculturation de leur population au risque – Finlande, Suède, Suisse – démontre que des plans d’action de la puissance publique présentent une grande utilité, ne serait-ce que par le diagnostic qu’ils exigent comme première étape de leur élaboration et par le fait d’associer autour d’un même enjeu les élus et les populations. En France, la prise de conscience de la nécessité d’inculquer à la population la culture du risque est récente.

a.   Une législation dense sur les risques naturels et technologiques

L’information des citoyens sur les risques naturels et technologiques majeurs auxquels ils peuvent être confrontés dans certaines zones en métropole et en outre-mer, y compris sur les mesures de sauvegarde qui les concernent, est un droit inscrit dans le code de l’environnement aux articles L. 125-2, L. 125-5 et L. 563-3 et R. 125-9 à R. 125-27.2.

La législation est ancienne : dès 1987, la loi relative à l’organisation de la sécurité civile disposait que toute la population devait pouvoir accéder à l’information préventive sur les risques majeurs. La loi n° 2004- 811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile a ensuite prévu que la sensibilisation devenait l’affaire de tous.

Le fondement juridique de la prévention des risques repose principalement sur trois lois : n° 95-101 du 2 février 1995, dite loi Barnier ; n° 2003-699 du 30 juillet 200, dite loi « risques », et n° 2004-811 précitée, qui a abrogé une loi d’organisation générale de la sécurité civile du 22 juillet 1987.

Une série de documents réglementaires ou d’obligations vise ensuite à mettre en œuvre les actions de prévention ou de réaction à une crise : dossier départemental sur les risques majeurs, plan de prévention des risques naturels prévisibles, plan de prévention des risques d’inondation, plan de prévention des risques miniers, plan de prévention des risques technologiques, programme d’actions de prévention des inondations, plan communal de sauvegarde, repères de crues ou encore information des acquéreurs et des locataires de biens en zones à risque.

S’agissant de l’information des populations, le document d’information communal sur les risques majeurs (DICRIM), issu du décret du 11 octobre 1990 et inscrit aux articles R. 125-11, R. 125-12 et R. 125-14 du code de l’environnement, vise, outre l’information sur les risques qu’encourt la population d’une commune, à communiquer sur les bons gestes et consignes de sécurité. Le DICRIM doit être obligatoirement réalisé lorsque la commune entre dans le champ d’un plan de prévention des risques (PPR) et peut l’être volontairement sans PPR. En juin 2021, un peu plus de 9 000 communes sur les 28 000 concernées par un PPR avaient établi ce document.

b.   Mieux associer les citoyens

L’existence d’une législation dense ne signifie pas pour autant que nos concitoyens sachent réagir en cas de crise. Le DICRIM est certes communiqué par le maire par un avis affiché pendant au moins deux mois à la mairie mais il reste à savoir combien de citoyens consultent les avis publiés en mairie… Un récent rapport commandé par le ministère de la transition écologique le qualifie « d’indigeste et de confidentiel ([162])». Il s’agit d’un problème classique du droit. Tout texte est opposable aux citoyens sans que ceux-ci en aient obligatoirement connaissance ou puissent le comprendre.

Si notre pays a développé de longue date une des organisations de sécurité civile les plus performantes du monde, il n’en est pas de même pour l’acculturation de sa population à cette question. Le rapport cité plus haut établit un bilan de cette prise de conscience en France et proposé plusieurs pistes d’action.

Il rappelle que la notion est par elle-même peu consensuelle, puisqu’elle est perçue selon les acteurs comme une culture de crise, de sécurité, de précaution ou de prévention. Le caractère anxiogène qu’elle présente ne favorise pas son appropriation par la population. Le champ d’action ne pose en revanche que peu de problèmes car les risques, certes multiples, sont bien identifiés : naturels, technologiques, terroristes, sanitaires, cybernétiques.

Le rapport distingue les difficultés suivantes :

– l’équation difficile entre connaissance, conscience et comportements ;

– une défiance entre l’État, les experts et les citoyens ;

– une place majeure des maires qui est à préciser ;

– un manque de culture scientifique et environnementale ;

– une méconnaissance par les citoyens du lieu dans lequel ils vivent et des risques potentiellement présents ;

– une absence de partage et de mutualisation des expériences et initiatives.

Il y a donc une divergence nette entre la sophistication des outils publics de gestion de crise et l’association de la population. L’objectif de résilience que portait la loi n° 2004- 811 du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile en son article 3 – « toute personne concourt par son comportement à la sécurité civile » – n’est clairement pas atteint.

Or le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) rappelle que deux communes sur trois sont concernées en France par un risque naturel et ce problème ne peut aller qu’en s’amplifiant avec le réchauffement climatique. Si l’on ajoute, par exemple, le risque technologique, industriel ou cyber, ou encore la possibilité d’attentats partout sur le territoire et de menaces hybrides de la part d’États, tout citoyen français peut être confronté un jour à une crise. Il devient donc impératif de développer la résilience de chaque citoyen pour qu’il devienne lui-même un acteur de la réponse à une crise, sans attendre les premiers secours qu’apportent les collectivités publiques.

Auditionné par la mission d’information ([163]), le CEREMA a indiqué travailler sur quatre approches – approche intégrée pour bâtir une stratégie territoriale de résilience, gestion des risques et des aléas, analyse des composantes (notamment les infrastructures) d’un territoire, enfin solutions et leviers de résilience – en concertation avec les élus. Sa Boussole de la résilience met depuis 2020 au service des collectivités locales, mais également des entreprises, une méthodologie en six points pour accompagner leur travail de résilience : anticipation et veille ; adaptation, apprentissage et innovation ; sobriété et besoins ; robustesse et continuité ; stratégies et gouvernance ; enfin, cohésion et solidarité. Il s’agit d’une démarche transversale, utilisée le plus souvent dans le cadre de projets de territoires de toutes tailles. On peut également citer l’appel à projets pour des solutions fondées sur la nature pour des territoires littoraux résilients ; l’appel à partenaires lancé conjointement avec l’ANEL sur des projets de gestion intégrée du littoral et le projet de recherche RELEV sur l’anticipation de la reconstruction des territoires à la suite d’une catastrophe.

Ces approches obligent l’ensemble des parties prenantes d’un territoire à réfléchir, puis à agir sur leurs faiblesses et leurs forces sans limiter leur politique au court terme. C’est un premier élément pour bâtir une culture du risque, mais celle-ci n’a de sens que si elle est partagée avec l’ensemble de la population, pour la mettre en mesure de réagir. Il existe une importante marge de progression en matière de communication et d’appropriation des informations par les citoyens. La France ne dispose pas d’outil équivalent d’Alertswiss, mis au point par l’Office fédéral suisse de protection des populations, qui, outre la délivrance d’informations sur les risques, permet à chaque citoyen de bâtir son plan d’urgence personnel, ni d’un guide en ligne pour se préparer et préparer l’ensemble de sa famille aux situations d’urgence en trente minutes, en ligne, comme au Canada.

L’appropriation de la culture du risque nécessite donc de passer de la diffusion descendante de l’information à une démarche d’animation locale. Tous les leviers peuvent être utilisés, en ciblant des populations précises, comme les personnes âgées – avec la question de la perte de mobilité –, les enfants, sensibles à des outils pédagogiques ludiques ou encore les adultes sur leur lieu de travail.

L’expérience de la diffusion de la culture du risque aux Antilles est à cet égard révélatrice. Celle-ci est conduite depuis les années 1990. Les ouragans Hugo (1989) et Irma (2017) ont lourdement frappé respectivement la Martinique et Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Les autorités avaient également dû gérer en 1976 l’évacuation du sud de Basse-Terre, « dans un contexte de vives polémiques scientifiques, qui furent un modèle de désastre en termes de communication sur la gestion de crise ([164]) ». Le risque naturel déjà important y est accru par la rareté de l’offre foncière, qui conduit souvent à construire dans des zones inondables ou sismiques. Enfin, les îles sont désormais confrontées à la montée des eaux due au réchauffement climatique.

C’est la volonté politique des conseils départementaux qui est à l’origine de la diffusion de la culture du risque aux Antilles. Une série d’actions ont été menées tant en milieu scolaire qu’auprès des adultes, mais, malgré les nombreuses initiatives publiques et privées, les rapports des personnes aux risques – savoirs, représentations, comportements face aux dangers, comportements préventifs… – restent d’une extrême complexité. « Ils relèvent notamment de la psychologie et de la sociologie, et ne peuvent être analysés que par des approches multifactorielles. Face aux contraintes multiples des risques, les comportements individuels et collectifs s’avèrent parfois déconcertants. La fatalité, l’acceptation, voire le déni peuvent être considérés comme des entraves à la mitigation ou réduction des risques ([165]) ».

L’expérience antillaise montre que la mise en œuvre d’une culture du risque relève d’une politique de longue haleine. Lorsqu’une population comme la population française vit dans une époque de paix, qu’elle ne subit pas de menace géopolitique à ses frontières, que les catastrophes naturelles sont espacées, que le terrorisme existe certes mais que ses manifestations sont irrégulières, il lui est difficile de se sentir concernée par la menace, voire mobilisable pour y répondre.

Le travail à mener pour acculturer nos concitoyens s’avère donc considérable. Si l’on se réfère à des exemples pris dans des pays étrangers, il conviendrait de centrer les actions sur la dédramatisation de cette politique pour délivrer une information factuelle, former les citoyens et rénover les moyens de diffuser les informations.

Votre rapporteur souscrit aux recommandations présentées en juin 2021 au ministère de la transition écologique, rappelées ci-après.

 

Douze recommandations pour développer en France la culture du risque

1. Instaurer un événement national annuel, fédérateur et mobilisateur.

2. Élaborer un kit pédagogique national et téléchargeable.

3. Développer et adapter la plateforme « Géorisques » pour en faire le site de référence de la culture du risque.

4. Créer des unités mobiles pour aller à la rencontre des habitants et leur permettre une expérience physique et sensorielle des risques.

5. Encourager la valorisation des résultats des projets de recherche sur les risques via des supports pédagogiques et grand public.

6. Sensibiliser les élus, développer leur sens de l’anticipation de crise et mettre en œuvre une formation approfondie adaptée à chaque territoire.

7. Inciter les maires à désigner un référent unique « risques ».

8. Créer un concours environnemental national et annuel à destination des communes.

9. Mieux utiliser la complémentarité des médias historiques et des médias sociaux afin de s’assurer que les messages sont diffusés par tous les canaux et reçus par l’ensemble de la population et saisir l’opportunité offerte par les médias sociaux d’interagir avec les citoyens.

10. Sensibiliser et former les métiers du bâtiment aux solutions intégrant des mesures préventives. Développer une offre permettant de s’affranchir du principe de reconstruction à l’identique post sinistre.

11. Dupliquer la mission interrégionale inondations de l’arc méditerranéen dans tous les états-majors de zone de défense dans un format « multirisques ». Envisager une structure nationale interministérielle « multirisques » destinée à coordonner les actions de prévention des risques.

12. Mettre en place un dispositif d’alerte aux populations, connu et reconnu de tous, délivrant des informations de contexte et de prudence au plus proche des événements.

Source : Rapport de la mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels (juin 2021)

Ces recommandations ne peuvent néanmoins être efficaces que si le caractère anxiogène de la culture du risque est effacé au profit d’une information simple et compréhensible répondant à une question de base : là où vous vivez, que risquez-vous ? Elles doivent s’accompagner d’exercices pratiques, à intervalles réguliers, permettant à nos concitoyens d’être mis en situation, et au-delà de l’objectif de capacité de réaction à un risque, de ressentir qu’ils appartiennent à une communauté concernée par le même problème. Ainsi pourraient être développées des facultés d’entraide.

En résumé, la culture du risque relève d’un ensemble de savoirs, de savoir-être et de savoir-faire en fonction de la place de chacun dans la société. Au-delà des exercices réalisés pour être prêt en cas d’événement grave, son appropriation constituerait un véritable moment de citoyenneté, par le dialogue entre toutes les personnes qui vivent sur un territoire. C’est pour cette raison qu’il convient de la développer, en recourant, comme pour le secourisme, autant que possible au bénévolat, largement répandu dans la société française.

 

Recommandation n° 1 : Développer la culture du risque auprès de la population française par des politiques de sensibilisation et d’exercices pratiques à intervalles réguliers.

3.   L’expérience de pays nordiques

Les pays nordiques sont souvent cités en exemple pour leurs capacités particulières de résilience. Deux d’entre eux, la Finlande et la Suède, en font même un axe de leur politique intérieure et de leur politique de défense. Il est vrai qu’ils partagent quelques caractéristiques communes avec leurs voisins danois et norvégiens, à savoir une faible population – seule la Suède est proche des 10 millions d’habitants – disséminée sur un vaste territoire – à l’exception du Danemark, qui ne s’étend que sur 42 933 km2 – étiré en longueur, d’où de longues distances à parcourir, des hivers longs et rudes, des habitats isolés hors des grandes villes et la difficulté de cultiver la terre. Il en est résulté une organisation sociale fondée sur l’entraide, la recherche du consensus et l’utilisation de toutes les ressources naturelles et intellectuelles disponibles.

Ces traditions remontent au Haut Moyen-Âge et n’ont que peu varié. Depuis la révolution industrielle, les pays nordiques se caractérisent par des taux de syndicalisation dépassant 70 %, ce qui oblige les organisations d’employeurs et l’État à jouer le jeu d’une concertation permanente et évite la plupart des conflits sociaux. Grâce en partie à ce dialogue social, les économies des pays précités sont performantes, avec des entreprises internationales – Ericsson, Nokia, Ikea, Maersk – tout en assurant aux populations un PIB par habitant supérieur de 35 % à la moyenne européenne.

Un mot en langue finnoise, Sisu, résume l’esprit de résilience des pays nordiques, notamment de la Finlande. Il est intraduisible en français et renvoie au courage, à la ténacité, à la persévérance. Il a largement été utilisé par la propagande du Gouvernement finlandais lors de la guerre d’hiver contre l’URSS à partir de novembre 1939. Si la Finlande a dû se résoudre à déposer les armes en mars 1940, elle a résisté à l’invasion d’un pays quarante-sept fois plus peuplé et infligé de lourdes pertes à l’armée soviétique.

La résilience des pays nordiques ne résulte pas uniquement de la rudesse du climat, mais de la géopolitique. Pendant la Guerre froide, puis après la dislocation de l’URSS, la mer Baltique a été et demeure la région la plus exposée à l’activité militaire russe. Depuis les événements de Crimée en 2014, une situation de crise dans le voisinage de la Suède ou de la Finlande est considérée comme possible, étant donné les ressources militaires limitées de ces deux pays et le temps que mettraient les pays occidentaux à y dépêcher des troupes, le cas échéant.

a.   La Finlande, une organisation sociale fondée sur la résilience

Une délégation de la mission d’information s’est rendue à Helsinki du 17 au 19 janvier 2022. Composée de votre rapporteur, de Mme Carole Bureau-Bonnard et de M. Fabien Gouttefarde, elle a rencontré, avec le concours de l’ambassade de France en Finlande, des représentants des autorités civiles et militaires et de fédérations d’entreprises.

La délégation souhaitait comprendre comment la Finlande, pays de 5,5 millions d’habitants seulement, s’organise pour subvenir à ses besoins, malgré un environnement physique peu favorable – hivers longs, peu de terres fertiles – et pour garantir son indépendance face à un voisin de 144 millions d’habitants, dont les forces conventionnelles lui sont bien supérieures et avec lequel elle partage, outre une longue histoire, une frontière commune de 1 340 km. La délégation a principalement axé ses entretiens sur la manière dont ce pays planifie les situations de crise et les moyens qu’il met en œuvre pour assurer sa résilience.

La politique finlandaise de résilience tire ses racines de la volonté d’indépendance des Finnois. Du Moyen-Âge au XIXe siècle, la Finlande a appartenu au royaume de Suède, avant de passer sous souveraineté russe de 1809 à 1917. Devenue indépendante pendant la révolution russe, elle a dû composer avec le voisinage difficile que représentait l’URSS, notamment pendant la guerre d’hiver précitée. Puis sa situation a été très particulière à l’orée de la Guerre froide. « La Finlande émergea de la Seconde Guerre mondiale en tant que nation mutilée. Cependant, bien que défaite, elle n’avait pas été conquise. En dehors de la Grande-Bretagne et de l’URSS, la Finlande était le seul de tous les pays européens impliqués dans la guerre à n’avoir pas été occupée ; le seul à avoir maintenu la continuité de sa Constitution et de ses institutions politiques ; le seul à être passé de la guerre à la paix sans rupture interne ([166]). »

La neutralité finlandaise ne résulte pas du droit international. Elle est une ambition politique nationale – donc un libre choix de la Finlande – décrivant la manière dont le pays entend mener sa politique étrangère, initialement à l’époque de la Guerre froide : demeurer en dehors des blocs et décider souverainement de l’attitude à adopter en cas de changement de la situation internationale. Ce choix exige en retour qu’elle soit le plus possible autonome dans tous les domaines et qu’en cas de changement de l’environnement international, elle soit capable de faire face, seule, à un conflit.

Malgré son faible poids démographique et sa population active assez réduite – 2,6 millions de personnes –, la Finlande dispose d’une économie robuste, avec des entreprises présentes sur les marchés internationaux comme Nokia, Neste, Kesko, Kone ou Metsälitto. L’industrie forme 20 % du PIB et avant la rétraction de l’économie mondiale en raison du covid, la balance commerciale était excédentaire.

L’autonomie alimentaire est un trait quelque peu inattendu de ce pays. Un tiers de son territoire est en effet au-delà du cercle polaire et il est couvert de forêts. Pratiquer l’agriculture y est théoriquement difficile alors que l’hiver dure sept mois, que les sols ne sont guère favorables et qu’il y a peu de lumière en journée. Or le degré d’auto-approvisionnement était de 114 % dès 1970, avant l’adhésion de la Finlande à l’Union européenne. Il a diminué depuis, s’établissant à 80 % en 2020. Le pays est actuellement légèrement excédentaire pour les céréales permettant de fabriquer du pain, excédentaire également sur le porc, les œufs et les produits laitiers et importateur dans des proportions variables pour la viande de bœuf, les fruits et les légumes. Comme les terres cultivables ne représentent que 7 % du pays, tout a été mis en œuvre pour développer une agriculture familiale performante, bénéficiant d’une recherche agricole très avancée. La Finlande est donc en mesure de constituer des réserves stratégiques alimentaires, dont l’Autorité finlandaise pour l’alimentation a la responsabilité, sans dépendre excessivement d’importations.

Cette recherche d’autosuffisance se retrouve pour la production d’électricité. En 2020, la Finlande produisait 66 TWh et en consommait 81. L’électricité provient à 34 % de l’énergie nucléaire, avec des partenariats aussi bien du côté européen que du côté russe, à 23,7 % de l’hydroélectricité, à 15,3 % de la biomasse, à presque 12 % de l’éolien – en croissance rapide, de 1 000 mégawatts supplémentaires chaque année –, le solde étant importé de Suède et de Russie.

La Finlande est fortement consommatrice d’énergie pour alimenter son industrie lourde, assurer le chauffage des bâtiments et les besoins en transport et logistique sur un territoire très étiré en longueur. Cette autonomie pourrait être approchée avec la mise en service depuis décembre 2021 de sa cinquième centrale nucléaire – EPR d’Olkiluoto –, qui doit fournir 15 % de l’électricité du pays lorsqu’elle fonctionnera à pleine capacité, et le recours croissant aux énergies renouvelables, notamment la biomasse et l’énergie éolienne précitées.

Comme tout État membre de l’Union européenne, la Finlande doit atteindre la neutralité carbone, objectif que le gouvernement escompte atteindre en 2035. Or, alors que la plupart des pays utilisent la fiscalité comme instrument de leur stratégie pour le climat, les autorités finlandaises souhaitent continuer à privilégier les lois du marché pour la formation des prix. Ce principe a été affirmé dès le début de l’entretien que la délégation a eu avec un représentant du ministère de l’économie, qui a indiqué que « les marchés de l’énergie doivent fonctionner, même en cas de circonstances exceptionnelles ». Il induit que les consommateurs finlandais paient des tarifs différents selon les régions.

Les énergies fossiles sont importées dans leur totalité, le pétrole et le gaz provenant respectivement à 80 % et 100 % de Russie. L’augmentation du recours aux énergies renouvelables et au nucléaire devrait progressivement atténuer cette dépendance. La quantité de stock stratégique de pétrole équivaut à cinq mois de consommation, alors que l’Agence internationale de l’énergie préconise trois mois.

La politique industrielle est fondée sur le maintien des échanges internationaux. La Finlande ne peut être présente sur toutes les productions en raison de sa faible dimension démographique et son industrie repose quelques piliers : métallurgie, biens d’équipement, mines, bois, papier, industrie maritime, équipements et logiciels de télécommunications, de connectivité et d’intelligence artificielle. Il lui faut absolument maintenir ses capacités exportatrices pour importer les biens qu’elle ne fabrique pas, comme l’automobile, des biens de consommation courante, une large partie de son armement. Le libre accès aux marchés, même en période de crise, est un objectif central de la politique finlandaise et le pays rappelle fréquemment cette conception à ses partenaires de l’Union européenne.

Bien qu’adoptant une position libérale, le gouvernement intervient dans l’économie s’il estime que c’est dans l’intérêt du pays. Il s’efforce ainsi de favoriser le partage de compétences communes à plusieurs secteurs, par exemple la numérisation de l’économie. L’agence des participations de l’État, Solidium, détient des parts dans treize des plus grands groupes du pays. Pendant la crise sanitaire, le Gouvernement a également apporté son aide aux entreprises de fret maritime, qui assurent 80 % du transport de marchandises. Enfin, les autorités finlandaises veillent à encourager l’émergence d’écosystèmes dans les domaines technologiques d’avenir : batteries, hydrogène, intelligence artificielle et ordinateurs quantiques notamment.

L’une des caractéristiques des sociétés nordiques est d’attacher une grande importance à la concertation, à la recherche d’un consensus minimal et à la mutualisation des compétences. Cette caractéristique est très ancienne et tire sans doute son origine de la rudesse du climat, qui a exigé une organisation sociale acceptée par tous les membres d’une société. Elle a ensuite été renforcée par le protestantisme, qui privilégie la responsabilité et l’autonomie de chaque personne.

Pour autant, ces sociétés ne valorisent pas spécifiquement l’individualisme à outrance. Elles fonctionnent plutôt sur la combinaison de deux très anciens principes. Le premier est la notion de bien commun. Il n’interdit pas la propriété privée mais il demande qu’il en soit fait un usage raisonnable ; la possession de la terre exige par exemple de ne pas épuiser les ressources de la nature. Le second est le droit de chacun. Tout homme peut agir comme il veut, y compris dans une propriété qui n’est pas la sienne, à condition de s’y comporter là encore de manière raisonnable. Une large partie de la vie sociale des pays nordiques repose sur la recherche de cet équilibre entre biens privés et biens collectifs, générant une forme d’autodiscipline qui donne in fine plus de valeur au groupe qu’à l’individu.

Cette recherche de l’autonomie est inculquée aux enfants par le système éducatif dès leur plus jeune âge, partant de l’idée que des personnes autonomes, dotées de facultés d’analyse, s’inséreront plus facilement dans un collectif. L’engagement social est valorisé, les élèves étant encouragés à se mettre au service d’associations de quartiers ou d’ONG nationales, comme la Croix-Rouge afin de renforcer leur sentiment d’appartenance à la société. L’esprit critique est enseigné progressivement, au fur et à mesure du déroulement du cursus scolaire, et il est actuellement perçu comme un élément de lutte contre la désinformation.

Ce pari sur l’autonomie a conduit le gouvernement finlandais à faire de chaque citoyen la cellule de base de sa politique de conduite d’un conflit ou d’une catastrophe dans les premières 72 heures. Ces heures étant considérées comme cruciales, tout citoyen doit disposer chez lui des moyens d’assurer sa survie – nourriture, eau et médicaments notamment – pendant cette durée. La Finlande a clairement atteint l’objectif d’une réactivité d’une large partie de la population, qui n’est qu’en projet en France, malgré les ambitions de la loi du 13 août 2004 précitée, votée il y a déjà dix-huit ans.

Lors de ses entretiens, la délégation a également constaté qu’en de nombreux domaines, tant la défense que l’économie, ses interlocuteurs présentaient souvent des plans d’action fondés sur la mutualisation des compétences. Cet état de fait provient de ce que la Finlande dispose de peu de ressources humaines et si l’État veut assurer ses fonctions régaliennes et promouvoir un environnement favorable à l’activité économique, il lui faut organiser la coopération de toutes les composantes de la société.

Le cas de la défense nationale est révélateur. Si son organisation ressort de la compétence du gouvernement, qui se fonde sur la Stratégie de sécurité de la société, adoptée en 2003 et révisée en 2017, l’ensemble de la société est placé devant la responsabilité d’assurer la sauvegarde de ses fonctions vitales : État, collectivités locales, associations, entreprises, citoyens. Chacun est invité à contribuer à son niveau de responsabilité à l’effort de défense.

Les sept fonctions vitales de la société finlandaise dégagées par le ministère de la défense sont : leadership, activités européennes et internationales, capacités de défense, sécurité intérieure, l’ensemble économie-infrastructures-sécurité des approvisionnements, effectivité des services à la population et enfin, résilience psychologique. Le plus important est moins de déterminer ces fonctions que de s’efforcer d’en relier les différents acteurs et de les mettre au service les uns des autres. La résilience psychologique dépend par exemple étroitement des capacités de défense et de la sécurité intérieure, mais elle en constitue également une composante.

Ces fonctions vitales déterminent ensuite les secteurs de la société qui doivent collaborer pour assurer une défense nationale robuste. Outre les forces armées, le Parlement et les partis politiques, l’administration d’État, les entreprises de l’industrie et du commerce, les syndicats d’employeurs et de salariés ainsi que les organisations non gouvernementales (ONG), les personnes travaillant dans les universités, la science et la culture sont les parties prenantes de cette politique, et les pouvoirs publics s’efforcent de les faire collaborer. Il faut ensuite désigner au sein de chacune de ces entités les personnes assumeront des tâches de défense, en temps de paix comme de guerre.

Les entreprises jouent un rôle particulier dans ce dispositif. À la différence de la France, une grande partie des capacités opérationnelles des armées est mise en œuvre en Finlande par les entreprises privées. Les ressources démographiques du pays sont en effet trop réduites pour que les forces armées conduisent la totalité des opérations et les compétences se trouvent dans bien des domaines au sein des entreprises, notamment si ces dernières opèrent dans des industries duales – aéronautique, composants, communication. Le rôle des pouvoirs publics est donc de déterminer au mieux la contribution de ces entreprises à l’effort de défense.

Cette association étroite à la politique de défense leur permet d’être plus performantes mais exige qu’elles développent un savoir-faire opérationnel, en formant notamment des techniciens. Les entreprises partenaires du pool militaire de la défense finlandaise doivent avoir des capacités en production de matériels ou de services, en maintenance, en réparation… Elles désignent en interne un ou plusieurs référents de défense.

Ce système repose sur un partage d’informations et une coopération largement répandus dans la société finlandaise. Le ministère de la défense y voit un facteur de renforcement de la résilience des entreprises, celles-ci étant sensibilisées à l’ensemble des risques qu’elles pourraient encourir en temps de crise ou de guerre. Elles sont ainsi plus fiables. Elles doivent néanmoins être capables d’évoluer en permanence, en fonction des changements de la doctrine et des technologies militaires. Mais là encore, cette souplesse est considérée comme un atout dans la compétition économique internationale.

Société démocratique et membre d’organisations internationales fondées sur le respect de la démocratie – Union européenne, Conseil de l’Europe, Conseil nordique –, la Finlande est géographiquement au contact direct de la Russie. Une longue histoire commune, où alternent phases de guerres et de paix, l’a rendue très sensible aux affrontements idéologiques. Pour les représentants du Centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides, structure conjointe à l’Union européenne et à l’OTAN et implantée à Helsinki, la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord se livrent à une guerre de l’information en voulant démontrer que leur système politique autoritaire est une meilleure solution que la démocratie pour résoudre les problèmes de notre temps.

La réponse finlandaise consiste à valoriser les atouts d’une société libre et ouverte et, d’une certaine manière, à assurer une forme de publicité à ce combat. Elle y voit le moyen d’y sensibiliser sa population à la propagande mensongère et aux menaces hybrides, qui constituent une forme de guerre permanente. Sous ce prisme, votre rapporteur voit des similitudes avec la situation de Taïwan dans sa relation avec la Chine. Si la Finlande entretient, par nécessité comme par commodité, des relations étroites avec la Russie, l’annexion de la Crimée en 2014 l’a persuadée qu’il fallait réagir à une stratégie mélangeant désinformation, cyberattaques, ingérence dans les débats politiques intérieurs par des techniques d’influence. Le gouvernement finlandais répond ainsi publiquement à chaque information erronée émanant de la Russie et informe souvent la population de la survenance de cyberattaques. L’objectif est de ne pas dissimuler la réalité de la menace hybride, pour que les Finlandais aient conscience que la paix dans laquelle ils vivent pourrait être remise en cause.

La Finlande souhaiterait que ses partenaires européens adoptent la même attitude qu’elle sur ce sujet. L’Union européenne est pour elle vitale car elle lui a permis d’accéder à une entité dont le projet politique lui évite l’isolement et le face-à-face avec la Russie, et qui lui assure ses échanges économiques. Elle comprend que certains États européens ne souhaitent pas dégrader outre mesure leur relation avec la Russie, mais elle considère que certaines forces politiques à l’œuvre dans plusieurs pays européens veulent désintégrer l’Union. Aussi souhaiterait-elle construire avec la Commission européenne une stratégie de résilience commune.

Ce langage de vérité du gouvernement finlandais n’est pas ressenti comme anxiogène par la population. Il semble même renforcer la confiance des citoyens dans leurs institutions. 75 % des Finlandais considèrent que leur pays est bien préparé en cas d’attaque et 80 % des personnes interrogées se disent prêtes à défendre leur pays, soit sans doute le taux le plus élevé du monde. Ce facteur moral est d’une importance considérable pour le succès d’une politique de résilience.

La politique finlandaise de résilience s’explique par son voisinage avec la Russie, constante géopolitique dont elle est obligée de tenir compte, et par son histoire. L’URSS a cherché à deux reprises à l’annexer, en 1939 puis en 1944 ; à chaque fois, la Finlande, seule, dépourvue d’alliés, a résisté aux offensives soviétiques.

     Se servir de la coopération comme un élément de dissuasion

Ayant la certitude qu’elle serait toujours le premier pays envahi en cas de conflit généralisé avec la Russie, même si elle devenait membre d’une alliance, la Finlande a dégagé deux principes de politique étrangère et de défense, toujours en vigueur : d’une part, choisir elle-même la neutralité, afin de rassurer la Russie et lui montrer qu’elle ne représentait pas une menace sur le flanc nord de son territoire ; d’autre part, forte des expériences de 1939 et de 1944, rappeler à la Russie qu’elle avait une capacité de résistance largement supérieure à son poids démographique et militaire. Le traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle du 6 avril 1948 entre les deux pays prévoyait ainsi que la Finlande n’autoriserait pas la traversée de son territoire par une puissance étrangère voulant envahir l’URSS et il organisait les échanges commerciaux entre les deux pays, échanges qui ont toujours été denses, notamment pour la fourniture à Helsinki de pétrole et de gaz et l’exportation de biens manufacturés.

Ce choix de la neutralité n’empêche nullement la Finlande de choisir librement ses alliances ou ses cadres de coopération. Mais elle a toujours tenu à en déterminer le rythme en fonction de ses intérêts nationaux. Sous la Guerre froide, elle s’est abstenue de toute critique à l’encontre de Moscou après les répressions de Berlin (1953), de Budapest (1956) ou l’invasion de l’Afghanistan (1979). Mais cette attitude, qui consistait à ne jamais mécontenter la Russie ou lui donner l’impression, même la plus minime, que la Finlande renoncerait à la neutralité, a évolué avec la politique de Vladimir Poutine. La guerre en Géorgie et la création de deux États – Ossétie et Abkhazie – non reconnus par la communauté internationale, puis l’annexion de la Crimée à la suite d’une guerre hybride, les violations répétées de l’espace aérien des États baltes et de la Suède, ont convaincu Helsinki que l’environnement géopolitique s’était modifié et que l’Europe du Nord pouvait être le théâtre d’un conflit plus large, dans lequel elle serait en première ligne.

La Finlande a sensiblement infléchi sa politique étrangère mais rassurer la Russie demeure un des axes de son action. Ses rapprochements bilatéraux avec les États-Unis ([167]) et la Suède sont néanmoins sensibles. Elle a modifié sa législation pour permettre la mise en œuvre des articles 42.7 – clause de défense mutuelle – et 222 – clause de solidarité – du Traité de l’Union européenne et participe à la Coopération structurée permanente de l’Union européenne, notamment en matière de communications et de cybersécurité. Le cadre de la défense finlandaise est devenu celui de l’Union européenne. Rappelons toutefois que la portée des articles 42.7 et 222 précités n’est pas la même que l’article 5 du traité instaurant l’Alliance atlantique. Or, après avoir considéré que l’adhésion à l’OTAN comportait plus de désavantages que d’avantages, une petite majorité des partis politiques et de l’opinion publique pencherait désormais en sa faveur, en raison de la politique russe.

L’annexion de la Crimée en 2014, en violation du traité du 5 décembre 1994 ([168]) a en effet achevé de convaincre la Finlande que la Russie n’attachait guère d’importance à sa signature quand elle visait des objectifs stratégiques majeurs. Le partenariat avec l’OTAN – participation au processus de planification et d’examen du Partenariat pour la paix, programme Nouvelles opportunités, participation à la plateforme d’interopérabilité entre alliés – s’est en conséquence renforcé.

La dissuasion par la coopération ([169]) devient-elle une arme politique d’Helsinki vis-à-vis de Moscou ? La Finlande a certes attendu la dislocation de l’URSS (1991) pour adhérer à l’Union européenne (1995), mais elle a depuis clairement indiqué son attachement au camp occidental, à ses valeurs et aux instruments des différentes politiques européennes, parmi lesquelles la politique extérieure et de sécurité commune (PESC). Si elle envisageait une adhésion à l’OTAN, la substance même du traité de 1948 serait altérée puisque l’Alliance atlantique se retrouverait sur 1 300 km au contact de la Russie, ce que Moscou ne veut à aucun prix. Le jeu est donc à double tranchant pour la Finlande, qui encourrait des représailles russes mais de son côté, la Russie a un intérêt direct à respecter la souveraineté finlandaise si elle ne veut pas d’avancée de l’OTAN à ses frontières.

     Fixer un prix élevé à une éventuelle invasion

À la différence de la France dont la posture stratégique comprend la défense du territoire métropolitain et ultramarin, la doctrine de l’emploi des forces nucléaires et les opérations extérieures, la Finlande n’a qu’un adversaire potentiel trente fois plus peuplé qu’elle sur un unique théâtre d’opération, qui est son propre territoire. L’histoire et son positionnement géographique lui enseignent qu’elle doit se préparer à affronter seule cet adversaire. En outre, les opérations militaires qu’elle peut mener sont exclusivement défensives, n’ayant aucunement la capacité de déclencher une offensive sur le territoire russe.

Sa stratégie consiste donc à faire savoir que toute invasion serait payée à un prix si élevé en hommes et en matériels qu’il est inutile de l’envisager.

La résilience du pays joue un rôle important dans cette stratégie qui commence par la mobilisation de la population. La Finlande a maintenu un service militaire obligatoire de six mois, soit 21 000 hommes chaque année, âgés de dix-huit à trente ans, qui s’ajoute aux forces professionnelles. Dès le lycée, les jeunes sont sensibilisés à l’importance du service militaire. Le pays a organisé des unités de réservistes, qui s’entraînent à intervalles réguliers. L’armée professionnelle, forte de 12 000 personnes, peut ainsi être renforcée par 280 000 réservistes. Une prochaine réforme devrait développer des forces régionales. Preuve de l’importance qu’elles accordent au facteur humain, les autorités interrogent régulièrement les appelés sur ce qu’ils ressentent en accomplissant leur service car elles estiment qu’il est primordial qu’il s’agisse pour eux d’une expérience positive.

La Finlande fait de la conscription un axe majeur de sa politique de défense, montrant à tout adversaire qu’il se heurtera non seulement à une armée bien équipée, mais que celle-ci dispose en outre du soutien de la population, d’un moral affûté et d’un sens clair de son combat. Le rapport de 2021 du gouvernement sur la défense affirme que « la conscription générale, des forces de réserve entraînées, défendant l’ensemble du pays, ainsi qu’une volonté élevée de défendre le pays continueront d’être les fondations de la défense de la Finlande. La Finlande défendra son territoire, ses citoyens et sa société avec toutes les ressources disponibles ». Plus loin, le rapport ajoute que « la défense fondée sur la conscription est bâtie sur la volonté forte de défendre le pays … L’unité nationale et la certitude que la Finlande et le mode de vie finlandais valent tous les efforts pour être défendus sont au cœur de cette volonté. » La volonté de défense est clairement affichée, avec comme objectif le souhait qu’elle constitue un élément dissuasif pour les états-majors étrangers qui liront le rapport.

     Être un pays résilient dans tous les domaines

De manière générale, la Finlande ne dissimule aucun des aspects de sa politique de résilience. Elle les rend publics afin que tout adversaire sache que la volonté de défense s’accompagne d’un dispositif organisationnel et matériel fondé sur plusieurs éléments.

Premièrement, hors des situations de guerre ouverte, la Finlande s’efforce d’être capable de faire face aux crises et tensions en toutes circonstances. Elle a ainsi augmenté sa production de produits et d’équipements de santé depuis le début de la pandémie de covid.

Ensuite, elle s’efforce de bien identifier les menaces hybrides. Elle essaie d’identifier ses vulnérabilités, comme son réseau de distribution d’électricité, de responsabiliser ses entreprises dans la prévention des cyberattaques en les accompagnant.

Ces politiques rencontrent toutes la même limite, qui réside dans le manque de ressources humaines du pays. L’autonomie stratégique exige des compétences que la faible démographie du pays ne lui permet pas d’assurer, ce qui rend vitales les politiques de coopération bilatérales ou avec l’Union européenne et l’OTAN et les politiques de mutualisation des compétences recensées au sein des secteurs public et privé.

b.   Le concept suédois de défense totale

Considérant que les conditions de sécurité en Europe du Nord s’étaient dégradées depuis l’annexion de la Crimée par la Russie, la Suède a entrepris de renforcer ses capacités de combat. N’étant pas membre de l’OTAN, elle ne peut compter sur un soutien automatique des pays de l’Alliance atlantique en cas d’invasion. Face à un adversaire potentiel disposant d’une écrasante supériorité conventionnelle, le concept de défense totale vise à ce que la défense nationale, par son organisation, constitue une forme de dissuasion. Les pertes qu’infligerait l’armée suédoise à son adversaire seraient telles que toute invasion serait coûteuse en hommes et en matériels.

Le rapport « Résilience – Le concept de défense totale et le renforcement de la protection civile pour la période 2021 – 2025 », remis en décembre 2017 au ministre de la défense, vise à préparer l’ensemble de la société à l’hypothèse géopolitique la plus pessimiste, à savoir la guerre. Il rappelle qu’à l’instar de ses voisins, l’économie suédoise fonctionne sur des échanges en flux tendus, d’où une grande vulnérabilité en cas de rupture de ces flux, et que les systèmes électroniques de communication, créés pour des activités civiles, certaines sensibles – santé, géolocalisation, gestion de l’électricité – sont sujets aux cyberattaques.

Ne pouvant compter sur le soutien immédiat de ses alliés occidentaux, le concept a pour objectif d’organiser pendant trois mois la résistance de la Suède, malgré les dysfonctionnements prévisibles de la société, le temps que le pays bénéficie d’un appui militaire extérieur. Il doit être en mesure d’affronter seul, comme la Finlande, son adversaire, et donc de préparer les institutions, les entreprises et chaque citoyen à se constituer en outil de défense.

L’efficacité de ce concept repose sur la volonté de la population de contribuer à la défense du pays. Aussi les pouvoirs publics la sensibilisent à l’éventualité d’une guerre et aux épreuves qu’elle peut lui imposer et parallèlement assurer sa survie par l’allocation de ressources à la protection civile, la construction d’abris, la planification des méthodes d’évacuation.

À l’instar de ce qui se fait en Finlande, il est d’une part demandé à toute personne occupant un poste à responsabilité de s’associer à la planification des opérations de défense, tant dans le secteur public – municipalités, régions – que dans les entreprises ; d’autre part que des stocks d’eau, de nourriture, de ressources énergétiques et de médicaments soient constitués. Un livret détaillant de façon claire, précise et complète les mesures de précaution et la conduite à tenir en cas de crise ou de guerre est distribué à l’ensemble des habitants. La version française de ce livret est reproduite en annexe du présent rapport.

Le système de santé fait également l’objet d’une attention particulière. La Suède opère le constat que son système de santé est conçu pour un temps de paix – le pays n’a pas connu de guerre depuis 1815– et que la prise en charge d’un grand nombre de victimes en temps de guerre doit faire l’objet d’exercices. La planification sanitaire a pour objet de définir les soins à appliquer en temps de crise et en temps de guerre afin d’assurer le taux de survie de la population.

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L’expérience des pays nordiques contient plusieurs éléments intéressants qui, s’ils ne peuvent être transposés tels quels à la France, mériteraient d’être étudiés et le cas échéant repris.

Votre rapporteur note par ailleurs que les populations des pays nordiques sont parmi celles qui se considèrent comme les plus heureuses au monde, ce qui suggère que le partage objectif du risque et la responsabilisation en confiance sont des approches positives pour la population.

 

Recommandation  2 : Développer, dans l’ensemble des administrations, des agences publiques et des entreprises, une culture de partage objectif sur les risques auxquels les populations sont exposées, à l’échelle nationale et à l’échelle locale. Favoriser une responsabilisation des populations dans les mesures de prévention et de gestion de ces risques.

 

Recommandation  3 :

 valoriser l’engagement social auprès des élèves de l’enseignement secondaire général et technique ;

 sensibiliser les élèves de l’enseignement secondaire général et technique à l’importance d’un service national ;

 faire du secourisme (niveau PSC1) une matière obligatoire dans l’enseignement secondaire général et technique.

 

Recommandation  4 : Diffuser par toute voie possible de communication un livret à la population expliquant les différents types de crise et contenant les conseils à suivre pour se préparer et réagir dans de telles situations.

B.   faciliter et Renforcer l’engagement citoyen

La résilience de la nation passe par la prise de conscience par les citoyens de l’importance de cette notion. Celle-ci est variable car s’il est évident que la grande majorité de la population n’est pas sensibilisée à la culture du risque, de nombreux citoyens sont engagés dans des associations qui concourent au fonctionnement de la nation et seize associations et fédérations d’associations agréées concourent directement à la sécurité civile.

La question de l’engagement social de nos concitoyens ne se pose pas. D’après une étude de 2019 de France Bénévolat réalisée en partenariat avec le Crédit mutuel, un peu plus de 20 millions d’entre eux, soit 38 % des personnes de 15 ans et plus, consacrent une partie de leur temps à une cause, dont 13 millions sont adhérents d’une association. Le bénévolat de proximité, hors famille et structure associative, rassemble pour sa part 5 millions de personnes.

Les pouvoirs publics pourraient valoriser cet atout pour renforcer la résilience de la nation. Le bénévolat concerne surtout les activités sportives, culturelles et sociales, mais est moins présent dans les secteurs qui concernent la survie de la nation. L’engagement civique et militaire pourrait plus particulièrement être renforcé, afin d’être mieux connu et reconnu par nos concitoyens.

1.   Un rôle des associations qui n’est plus à démontrer

Le tissu associatif français est très dense, avec près de 1,5 million d’associations, dont 12 % emploient des salariés, au nombre de 1 835 000 ([170]). Elles exercent leurs activités dans les domaines du sport (24 %), de la culture, des spectacles et des activités artistiques (23 %). Les associations relevant de l’action sociale, humanitaire et caritative, hébergement social, médico-social, santé, ou encore de défense de causes et de droits représentent respectivement 14 % et 12 % des associations ([171]).

Les associations peuvent être délégataires de missions de service public, ce qui est souvent le cas dans le secteur social. La délégation est également le fondement de l’organisation du sport – art. L. 131-14 du code du sport.

Compte tenu de leur rôle dans la société, l’État et les collectivités territoriales ont toujours veillé à la question sensible de leur financement ; ainsi en a-t-il été récemment avec l’adoption de la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations.

Les associations peuvent être agréées pour accomplir des missions précises. Dans le domaine de la sécurité civile, qui a fait l’objet de plusieurs auditions de la mission d’information, les associations agréées de sécurité civile – art. L. 725-3 du code de la sécurité intérieure –, sont engagées, à la demande de l’autorité de police ou lors du déclenchement du plan ORSEC pour participer aux opérations de secours. L’agrément est délivré pour les autoriser à exercer des missions se répartissant en quatre catégories : opérations de secours ; soutien aux populations sinistrées ; encadrement des bénévoles lors du soutien aux populations sinistrées ; dispositifs prévisionnels de secours.

La pandémie de covid-19 a mis en exergue les capacités de mobilisation considérables des structures associatives qui ont agi comme un filet de sécurité pour de nombreuses catégories de la population dans le domaine social, malgré une baisse de leurs effectifs salariés et des possibilités d’intervention de leurs bénévoles. Ainsi, au sein des banques alimentaires, ceux âgés de plus de 65 ans ont un temps mis en suspens leurs activités afin de protéger leur santé. Mais le relais a été pris par des personnes plus jeunes puisque, comme l’a souligné dans son audition du 17 septembre 2021 Mme Laurence Champier, directrice générale de la fédération française des banques alimentaires a affirmé : « aucune banque alimentaire n’a fermé ses portes pendant les confinements et nous avons même été en capacité d’accueillir plus de 1 500 nouveaux volontaires, en situation de chômage partiel pour les salariés ou sans cours à suivre pour les étudiants. Ces nouveaux bénévoles nous ont permis de faire face à cette crise ([172]). »

Les associations ont contribué, durant cette période, à limiter la vulnérabilité de la partie de la population la plus fragile, en apportant une aide matérielle et en répondant à des besoins essentiels, comme l’aide alimentaire. Elles ont également soutenu de nombreux individus sur le plan socio-psychologique.

Les associations jouent un rôle essentiel dans l’implication des citoyens pour répondre à des besoins d’utilité sociale, améliorer la qualité de la vie, prendre en charge certaines missions vitales comme le secourisme. Leur rôle est mesuré à sa juste valeur par l’État. Chaque année, l’annexe budgétaire « Effort financier de l’État en faveur des associations » témoigne de l’importance qui leur est accordée et permet de pérenniser des emplois et des actions. Les collectivités territoriales agissent de même.

Dès lors que l’engagement citoyen dans les associations est reconnu et qu’il est considéré comme un atout pour une politique de résilience, la question qui se pose pour les pouvoirs publics nationaux et locaux est de savoir s’ils sont en mesure d’utiliser efficacement les capacités qu’elles offrent. C’est déjà le cas en matière de secourisme, mais un effort de recensement s’impose vraisemblablement dans d’autres domaines, notamment celui de la défense civile et militaire.

Au moins deux actions pourraient être engagées à court terme : vérifier que les associations pertinentes sont utilement intégrées dans les plans d’urgence et sensibiliser encore davantage les jeunes à l’engagement associatif.

Considérées comme essentielles à la vie de la nation, certaines associations reçoivent des aides financières, soit sous forme régulière de subventions, soit, plus rarement, grâce à des plans d’urgence financiers. Cela a été le cas en 2020 avec le déblocage d’aides à destination des municipalités et des associations spécialisées afin d’aider les populations fragilisées par les conséquences économiques de la pandémie. En outre, depuis 2018, le fonds pour le développement de la vie associative (FVDA) permet de subventionner le fonctionnement et les projets innovants d’associations, dans le but notamment de compenser la suppression de la réserve parlementaire, laquelle contribuait largement à soutenir le dynamisme associatif.

Il ne semble toutefois pas, d’après les auditions conduites par la mission d’information, que les associations soient intégrées dans une stratégie plus vaste, alors qu’elles agissent souvent au plus près de la population. En matière d’aide alimentaire, l’aide d’urgence a été utile ([173]) mais il n’apparaît pas que les pouvoirs publics cherchent à les associer plus étroitement à une stratégie d’action d’urgence ou de résilience. À l‘instar des seize associations ou fédérations qui sont parties prenantes des dispositifs de secourisme, il pourrait être vérifié les secteurs dans lesquels les associations pourraient être utiles à une telle stratégie. Cette démarche serait complexe, compte tenu du nombre important d’associations, d’où la nécessité d’échanger au niveau national avec les grandes fédérations. Pour être le plus efficace possible, elle pourrait être conduite à l’échelle locale – communes ou intercommunalités – car les secteurs qui contribuent à la résilience d’un territoire peuvent y être plus clairement définis.

Recommandation  5 : Intégrer, si elles le souhaitent, les associations pertinentes dans les plans d’urgence, aussi bien au niveau national qu’au niveau local.

Une étude menée par France Bénévolat et l’IFOP en mars 2019, sur l’évolution de l’engagement bénévole en France, de 2010 à 2019, a révélé un taux d’engagement global ([174]) de 24 %. Il est plus élevé pour les personnes de 65 ans et plus (35 %), en comparaison avec les populations de 15 à 34 ans (22 %) et de 35 à 49 ans (22 %). Pour autant, ces dernières années ont été marquées par une hausse du bénévolat chez les jeunes et inversement une baisse chez les plus âgées. Par ailleurs, d’après le rapport précité sur l’état du bénévolat en France (2017), les plus grands contributeurs, en termes de temps, sont les populations les plus âgées – plus de 55 ans ([175]).

La question de l’engagement demeure toutefois permanente. Le déroulement d’une vie – étude, apprentissage, début de la carrière professionnelle et prise de responsabilité croissante, fondation d’une famille, soins à apporter à des parents âgés, etc. – rend difficile un engagement citoyen tout au long d’une vie. Les statistiques montrent que, si le niveau du bénévolat est globalement satisfaisant, il pourrait être renforcé, notamment en développant la culture de l’engagement citoyen au collège, dans le cadre de l’enseignement civique et moral. La sensibilisation à la solidarité entre les personnes composant une société ou encore l’enseignement du secourisme pourraient faire partie de cet enseignement. Ceci permettrait de renforcer la capacité de prévention, d’adaptation et de mobilisation de notre société. De telles initiatives existent, par exemple, en Finlande, où l’engagement dans des actions collectives est mis en valeur dans l’enseignement secondaire. L’objectif de telles actions est de disposer en permanence d’un abondant vivier de bénévoles.

Recommandation  6 : Sensibiliser au collège les jeunes à l’engagement associatif dans le cadre de l’enseignement civique et moral.

2.   Améliorer la lisibilité et l’efficacité des dispositifs de réserve et de l'engagement citoyen

a.   Évaluer la quantité réelle de réservistes

Les réserves des armées et de la gendarmerie nationale représentent actuellement plus de 160 000 réservistes, dont près de 70 000 au titre de la réserve opérationnelle de niveau 1 (RO1) et 93 000 au titre de la réserve opérationnelle de niveau 2 (RO2) aussi appelée réserve de disponibilité ([176]).

Si les chiffres semblent précis et le ministère des armées en donne d’ailleurs un panorama très détaillé ([177]), ils ne semblent pourtant pas correspondre au nombre réel des réservistes disponibles. À titre d’exemple, les réserves de niveau 2 des armées et de la gendarmerie nationale, constituées des anciens militaires soumis à une obligation de disponibilité durant cinq ans à compter de la fin de leur service, connaissent, en pratique, une mobilisation difficile en raison de changements d’adresse, de perte de contact ou d’inaptitudes médicales. En conséquence, les forces armées n’appellent les réservistes que jusqu’à deux ans après la fin de leur service, loin des cinq ans théoriques. Ainsi, les moyens humains réellement mobilisables dans le cadre de cette réserve ne dépassent pas 40 % ([178]). La stratégie de gestion de crise et de résilience risque donc de s’appuyer sur des estimations qui ne correspondent pas à la réalité. Il est dès lors nécessaire de sincériser les effectifs de réserve mobilisables afin d’établir des stratégies de résilience appuyées sur la réalité.

Recommandation  7 : Accélérer les efforts pour améliorer l’efficacité de la réserve opérationnelle de niveau 2, en veillant notamment à maintenir le lien avec le réserviste, y compris par voie numérique. Effectuer un décompte précis des effectifs des réserves réellement mobilisables.

Les dispositifs de réserve offrent aujourd’hui des moyens indispensables pour les missions réalisées par les forces de sécurité civile et militaire. S’agissant des forces armées et de gendarmerie, le général Véronique Batut, secrétaire générale de la Garde nationale, affirme que « la réserve opérationnelle de niveau 1 (RO1) est une réponse efficace et indispensable au fonctionnement des forces armées, les chefs d’état-major et les directeurs généraux s’accordent sur ce fait. Désormais, les armées, la gendarmerie nationale ou la police nationale ne peuvent plus réaliser leur mission sans leurs réservistes ([179]). » La révision générale des politiques publiques (RGPP) et la diminution du format des armées ont rendu la réserve d’autant plus importante, car, « de par sa qualité de souplesse d’emploi, elle est une réponse efficace aux besoins de fonctionnement des forces armées et des forces de sécurité intérieure ». Le médecin général des armées Philippe Rouanet de Berchoux, a également affirmé, concernant le service de santé des armées (SSA) que « notre réserve est vitale, je l’affirme avec force. Le SSA ne pourrait pas fonctionner sans elle ([180]). »

En outre, au-delà de leur service, les réservistes sont des liens essentiels entre l’armée et la nation. Ils participent pleinement au développement de l’esprit de défense, en ayant la connaissance de l’univers, des valeurs et des enjeux propres aux armées, qu’ils peuvent mettre à profit et partager dans le cadre de leurs autres activités.

Si les effectifs de réserves sont indispensables aux forces militaires en temps de paix, ils le sont d’autant plus en période de crise, lorsqu’il est nécessaire de disposer de davantage de moyens humains et de souplesse d’emploi. Or, les effectifs actuels risquent d’être insuffisants en cas d’augmentation importante des besoins en moyens humains. En effet, la réserve est moins bien dotée que par le passé en raison d’une baisse très importante de ses effectifs par rapport aux années 1990, où la réserve de masse était constituée de plus de 3 millions de réservistes, regroupant les anciens appelés du contingent âgés de moins de trente-cinq ans ([181]). Il convient par ailleurs de noter que le volume de réservistes mobilisables en France est nettement inférieur en volume à ce qui est prévu en Finlande, par exemple.

Ainsi, les réservistes, qui sont déjà pleinement mobilisés en temps normal, ne peuvent pas, en l’état, constituer un renfort en période de crise.

Il est nécessaire d’engager une politique d’accroissement significatif des effectifs des réserves et de disposer d’une masse plus importante de réservistes qui pourraient faire face à des missions pendant un temps long, quitte à réduire très légèrement les effectifs en service actif pour que l’impact sur le budget soit neutre. En la matière, il serait intéressant de suivre l’exemple des opérations militaires américaines dans lesquelles, face à un phénomène de grande ampleur, 30 à 40 % des effectifs engagés sont des réservistes formés et mobilisables ([182]).

Recommandation  8 : Accroître significativement les effectifs de la réserve opérationnelle de niveau 1 afin de disposer d’une force mobilisable, opérationnelle et suffisante en cas de crise. Établir une nouvelle doctrine d’emploi de ces réserves, avec une priorité d’emploi sur le territoire national et le développement de la projection en opérations extérieures.

b.   Des dispositifs de réserve et d’engagement citoyen qui doivent être plus lisibles, accessibles et rendus plus efficaces.

Les dispositifs de réserve souffrent aujourd’hui d’un manque de visibilité. En effet, il existe une profusion d’initiatives qui prennent la forme de nombreux types de réserves – la réserve civique, la réserve sanitaire, la réserve militaire, la réserve citoyenne – et d’engagements citoyens comme le service civique, qui sont difficilement identifiables et différenciables pour les populations ([183]).

Afin d’apporter davantage de clarté à cet ensemble et faciliter l’engagement des citoyens, une plate-forme pourrait être mise en place. Un tel dispositif permettrait de différencier les nombreuses possibilités d’engagement et d’animer la communauté des volontaires en flux et en stock. Il serait complémentaire de la plateforme « jeveuxaider.gouv.fr », qui vise quant à elle à ajuster au mieux la « demande » et l’« offre » de bénévolat.

Recommandation  9 : Mettre en place une plateforme permettant de référencer et différencier les possibilités d’engagement citoyen et les dispositifs de réserve afin d’améliorer leur lisibilité et de faciliter l’engagement des citoyens.

Par ailleurs, certains dispositifs pourraient gagner en efficacité en s’adaptant mieux aux besoins. Il s’agit notamment des réserves communales de sécurité civile, dont la création suppose un effort de formation, d’entraînement et d’équipement ([184]). Certaines communes ne sont pas en mesure d’engager cette politique. Il serait nécessaire de les soutenir pour la prise en charge de formations et d’équipements adaptés, permettant aux citoyens d’être en capacité de s’engager et de porter assistance aux équipes de sécurité civile en cas de crise.

Recommandation  10 : Encourager la création de réserves communales de sécurité civile en soutenant les communes dans la mise en place de formations et d’équipements adaptés à la gestion des risques locaux, afin de permettre aux citoyens engagés d’intervenir en situation d’urgence aux côtés des équipes de sécurité civile.

L’efficacité des réserves dépend aussi de leurs modalités de mobilisation. En temps normal, les réservistes salariés qui souhaitent accomplir leur activité de réserve pendant leur temps de travail doivent simplement prévenir leur employeur au moins un mois à l’avance. Lorsque la durée d’activité dépasse cinq jours par an, le réserviste doit également obtenir l’accord de son employeur, avec un préavis d’un mois, sous réserves de dispositions prévues dans les conventions entre l’employeur et le ministère ([185]).

En revanche, lorsque « les ressources militaires sont insuffisantes pour répondre aux circonstances ou à des nécessités ponctuelles, imprévues et urgentes » ([186]) et en cas de crise menaçant la sécurité nationale, les réservistes salariés sont inégalement mobilisables, alors que les besoins en moyens humains deviennent plus importants ([187]). Par un arrêté du ministre des armées ou du ministre de l’intérieur, selon les réserves concernées, le préavis peut être réduit à cinq jours et le nombre de jours d’activité opposables à l’employeur est de dix jours, mais cela n’est applicable qu’aux réservistes ayant souscrit à une clause de réactivité dans leur contrat d’engagement à servir dans la réserve ([188]). Or, la présence de cette clause de réactivité dans le contrat étant soumise à l’accord de l’employeur ([189]), elle devient caduque lorsque celui-ci change ([190]). En conséquence, certains réservistes pourront être moins facilement que d’autres.

Une mobilisation complète et égale n’existe que dans les cas les plus extrêmes. Un recours imposé peut être prévu, par décret du Premier ministre, en cas de crise majeure mettant en péril la continuité de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la nation et opposer un préavis à l’employeur d’un jour franc et une durée d’activité opposable de trente jours renouvelables une fois. On peut également citer les cas extrêmes de la mobilisation générale ou de la mise en garde, prévus par le code de la défense ([191]).

Il est pourtant essentiel de garantir cette mobilisation des réservistes dans toutes les crises qui dépasseraient les moyens des forces militaires et donc d’homogénéiser les conditions d’emploi des réservistes au profit d’une activité exceptionnelle qui ne serait plus soumise à l’accord de l’employeur.

 

Recommandation  11 : Homogénéiser les conditions d’emploi des réservistes opérationnels afin d’assurer une pleine mobilisation des réserves en cas de crise.

Les recommandations figurant ci-dessus ne prétendent pas à l’exhaustivité sur le sujet des réserves ; elles visent simplement à dessiner quelques perspectives, qui mériteraient d’être approfondies en se fondant sur les travaux réalisés par la commission de la défense nationale et des forces armées ([192]).

c.   Renforcer la transversalité de l’engagement citoyen et la possibilité de mobilisation des réserves civiques par les municipalités

Durant la crise sanitaire, le code du service national ne permettait pas de basculer des missions de service public vers des missions d’urgence ([193]). Une telle procédure suppose, en effet, une clause par laquelle le jeune en service civique donne son accord pour être transféré, si nécessaire, vers des missions de type humanitaire, et donc une modification substantielle du contrat de service civique.

Une telle modification s’avère pourtant nécessaire dans un contexte de crise afin de renforcer la transversalité de l’engagement et d’assurer plus de moyens humains disponibles au service de la résilience.

Recommandation  12 : Inscrire dans le contrat de service civique une clause qui formalise l’accord a priori du jeune pour être transféré vers des missions de type humanitaire et d’urgence en cas de crise et de besoins en moyens humains plus importants.

Les jeunes ayant effectué un service civique, les participants du service national universel (SNU) ainsi que les citoyens engagés dans les réserves civiques diverses constituent un vivier d’engagement considérable qui pourrait être mobilisable en cas de risque. Depuis 2010, plus de 544 000 jeunes ont effectué un service civique ([194]).

Il serait donc opportun de développer un réseau composé de ces citoyens, à la manière des « alumni » existant dans le milieu universitaire, et dont la mobilisation serait comparable aux RO2 militaires. L’engagement dans cette réserve de disponibilité citoyenne pourrait être mis en place sur la base du volontariat, avec un système d’engagement par défaut, duquel les jeunes pourraient se retirer par simple demande. Les maires devraient ainsi disposer d’une telle base de données retraçant ce vivier de citoyens mobilisables, avec les compétences de chacun, afin de pouvoir y recourir en cas de crise, au niveau local.

Recommandation  13 : Développer un réseau d'engagement, composé de citoyens ayant été engagés auparavant dans des missions de service public, de service civique ou au sein du service national universel et les recenser dans une base de données à la disposition des maires afin de pouvoir y recourir en cas de besoin et selon leurs compétences.

3.   Le service national universel, un vecteur unique pour sensibiliser l’ensemble d’une génération aux enjeux de la résilience nationale

a.   Renforcer le lien d’appartenance à la communauté nationale au moyen du service national universel

Comme l’affirmait devant la mission d’information M. Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises, ressouder les liens qui unissent les citoyens au sein de la nation est « une entreprise immense, tant la société apparaît désunie et archipélisée ([195]). »

Cette fragmentation s’observe dès l’enfance, alors que les jeunes peuvent se trouver rapidement engagés dans des systèmes qui communiquent peu, voire pas : enseignements public, privé sous contrat, privé hors contrat, enseignement en famille, etc. Cette diversité n’est pas un problème en soi, mais pose la question d’un dénominateur commun à cette jeunesse.

De ce point de vue, le service national universel peut constituer un puissant vecteur de cohésion sociale et de résilience auprès des nouvelles générations, si l’on décide de lui donner cette finalité opérationnelle. Pour autant, le dispositif fonctionne actuellement sur la base du volontariat, de façon expérimentale. Ainsi que cela a été analysé dès la préfiguration du SNU ([196]) et confirmé à la mission d’information par Mme Emmanuelle Pérès, déléguée interministérielle à la jeunesse ([197]), de nouvelles étapes législatives sont nécessaires pour étendre le dispositif à toute une classe d’âge. Votre rapporteur considère que ce projet devra constituer une priorité de la prochaine législature, dans le cadre plus large d’une démarche législative plus large visant à promouvoir la résilience (voir infra).

Recommandation  14 : Poursuivre le processus de généralisation du SNU à tous les jeunes d’une même génération.

b.   Le service national universel doit suivre une approche pleinement opérationnelle orientée vers la résilience

Aujourd’hui, la résilience souffre d’un manque de culture du risque et d’un manque de connaissances sur les réflexes à avoir et les comportements à suivre en cas de crise. Or, comme l’indiquait le préfet Alain Thirion, « il existe une demande d’explication des risques de la part de la population, qui souhaite les comprendre et acquérir les bons réflexes par des exercices ». Le SNU pourrait jouer un rôle en matière de transmission de cette culture du risque, essentielle pour une société résiliente.

Le SNU intègre, dans le parcours pédagogique du séjour de cohésion, la thématique de la résilience nationale. Cependant, elle n’est qu’une thématique parmi les sept abordées lors de ce séjour. Le SNU devrait être davantage centré sur la résilience afin de préparer les nouvelles générations à l’ensemble des situations de crise possibles. De plus, la formation des jeunes participants en matière de résilience, doit être orientée vers des actions pleinement opérationnelles : outre l’apprentissage des premiers secours et des gestes qui sauvent, elle devrait comporter des exercices et entraînements sur des situations de crises diverses – attentat terroriste, inondation, catastrophe naturelle ou technologique… –, notamment en fonction des risques locaux.

Pour conclure, votre rapporteur considère que la cohésion sociale ne peut être une finalité opérationnelle du SNU, mais simplement une externalité positive de la recherche d’une résilience collective, où la place de chaque citoyen est reconnue à sa juste valeur.

Recommandation  15 : Définir la résilience nationale comme finalité opérationnelle du SNU.

4.   Valoriser davantage les symboles d’appartenance à la collectivité nationale

a.   Permettre aux maires d’expérimenter, dans le cadre d’un projet concerté, le port obligatoire de la tenue scolaire unique dans les écoles publiques

Les auditions conduites par la mission d’information, notamment celles de Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative et déléguée interministérielle à la jeunesse ([198]), et de M. Brice De Gliame, président de l’association Résilience citoyenne ([199]), et ont souligné le lien entre sentiment d’appartenance, adhésion au projet collectif et résilience de la nation.

Plusieurs initiatives, de plus ou moins grande portée, sont prises à l’échelle nationale ou locale, parmi lesquelles figure l’expérimentation du port de l’uniforme à l’école. Les partisans de cette idée y voient un moyen de gommer les inégalités sociales et de créer du lien entre élèves issus de milieux sociaux différents. Votre rapporteur y voit surtout le symbole du rapport de chaque individu au projet collectif et a eu l’occasion d’en vérifier les avantages au cours de différentes expériences. Sa mise en œuvre n’est toutefois pas aisée et exige un fort consensus, comme en témoigne l’expérience conduite à Provins à partir de 2018.

 

Le port volontaire de la tenue scolaire unique

dans les écoles primaires de Provins : retour d’expérience

 

Organisée par la mairie de Provins en novembre 2018, une consultation des parents d’élèves s’est tenue sur l’adoption du port volontaire d’une tenue scolaire unique. La consultation, achevée le 2 juin 2018, a été approuvée par plus de 62 % des parents – soit 376 votants sur 609 familles. Au total, 759 élèves du CP au CM2 sont concernés par le port, non obligatoire, de l’uniforme. La mesure a ensuite été approuvée par les conseils des écoles publiques de la ville.

 

L’uniforme se composait de quatre polos, pull, sweat-shirt, veste, pantalon, bermuda pour les garçons et pour les filles pantalon et jupe. Celui-ci est à dominante bleue, avec un écusson qui reprend les armoiries de la ville de Provins mais également la devise de la République. Le trousseau coûte 137 euros. Dès le deuxième enfant, la ville de Provins prenait en charge 50 % du coût du trousseau. Pour toutes les familles qui en avaient besoin, le centre communal d'action sociale (CCAS) intervenait au cas par cas pour les aider à faire face à cette dépense. La ville a par ailleurs proposé un paiement fractionné jusqu'à 10 fois.

 

L’expérience est en passe d’être abandonnée. Malgré l’aide de la mairie, des parents ont trouvé que les vêtements étaient chers et les enfants avaient envie de s’habiller différemment chaque jour. D’après le maire de la ville, M. Olivier Lavenka, le ministère de l’éducation nationale n’a pas non plus contribué au succès de l’expérience en refusant de modifier le règlement intérieur des établissements scolaires.

 

Si l’expérience de Provins a montré la difficulté de mettre en œuvre une telle idée, le port de l’uniforme est susceptible de favoriser le « vivre ensemble » chez les élèves et d’engendrer un sentiment d’appartenance à l’établissement et plus largement à la communauté nationale. Plusieurs historiens et sociologues du vêtement s’accordent sur le fait qu’un même habit peut raffermir ce sentiment à une même communauté ([200]) et permettre une meilleure intégration des élèves ([201]).

S’agissant du SNU, Mme Emmanuelle Pérès a indiqué à la mission d’information que « pendant le séjour de cohésion des volontaires au SNU, une tenue, par ailleurs très appréciée, leur est remise, ce qui renforce le sentiment d’appartenance ». Elle a insisté sur le fait que l’uniforme, au même titre que des événements symboliques tels que les commémorations, participe au développement des compétences sociales et civiques chez les volontaires et renforce leur solidarité vis-à-vis de leurs pairs. Il contribue donc à rétablir un équilibre en faveur des valeurs collectives et de la conscience nationale. Enfin, un sondage récent indique que 63 % des Français seraient favorables au retour du port de l’uniforme dans les établissements scolaires ([202]).

Votre rapporteur n’a pas un avis définitivement arrêté sur cette question. Il pense que des expérimentations doivent pouvoir être menées afin qu’un débat public puisse se tenir en fonction d’éléments objectifs. Par ailleurs, il fait confiance à l’échelon local pour mettre en place ces expérimentations et fournir les retours d’expériences nécessaires, conduisant soit à un abandon de la mesure, soit à sa généralisation, soit à l’autorisation permanente donnée aux maires d’engager une telle démarche.

Recommandation  16 : Expérimenter avec les élus locaux et les établissements volontaires le port obligatoire d’une tenue scolaire unique, à compter de la première année d’école élémentaire et jusqu’à la dernière année de collège.

b.   Créer une journée nationale de la résilience

Depuis le dévastateur et meurtrier tremblement de terre du Kanto, le 1er septembre 1923, une journée de prévention des désastres est organisée annuellement au Japon. Cette journée est consacrée à la sensibilisation et à l’entraînement aux risques. Les citoyens, administrations, services de secours, collectivités et entreprises sont appelés à participer pour s’approprier les gestes qui sauvent, collectivement et individuellement.

Dans le cadre de cette journée, des connaissances et techniques sont transmises aux élèves, dès l’école maternelle, à travers des cours, des conférences et des exercices d’évacuation. Il existe aussi des organisations volontaires de prévention des catastrophes au sein de communautés de quartier, auxquelles peuvent participer tous les habitants concernés, l’objectif étant de discuter de la manière de réduire localement les dégâts. Des habitants, qualifiés en matière de prévention des catastrophes après avoir suivi une formation ont, par ailleurs, un rôle de « leaders » dans les conférences et les exercices. Enfin, plusieurs centres de sensibilisation, où la population peut faire l’expérience de catastrophes, complètent cet aspect éducatif.

Un autre grand thème propre à cette journée porte sur la prévention et la transmission de la mémoire, considérant que le souvenir des catastrophes s’estompe avec le temps, y compris dans les zones sinistrées. Cela passe par une large diffusion d’informations sur les monuments commémoratifs, musées et centres de documentation relatifs aux vestiges des catastrophes passées ainsi que par l’organisation de commémorations.

S’inspirant de cette expérience, la mission d’information propose d’élargir le cadre actuel de la journée nationale du réserviste et de modifier son appellation en journée nationale de la résilience, consacrée à la défense citoyenne et à la protection civile. L’idée a été suggérée par la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France ([203]) (FNSPF). Celle-ci préconise d’inviter les représentants des communes et des intercommunalités à expliquer et décrire leur rôle dans l'éducation des citoyens – PCS, réserves, DICRIM, DSA etc.

Le général Jean-Marie Gontier, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, auditionné par la mission d’information, propose également que les sapeurs-pompiers se mobilisent le temps de cette journée pour enseigner aux volontaires des comportements qui sauvent (CQS), avec plusieurs heures consacrées aux risques courants et aux risques majeurs ([204]).

Le rapporteur suggère par ailleurs qu’à l’image de ce qui se pratique au Canada, les civils engagés dans des corps en uniforme – réservistes, sapeurs-pompiers volontaires, etc. – soient autorités à porter leur tenue lors de cette journée, y compris en dehors de leur exercice.

Cette journée pourrait par ailleurs être l’occasion d’organiser des exercices majeurs associant largement pouvoirs publics, entreprises et populations, en fonction de priorités définies localement.

Recommandation  17 : Élargir le cadre actuel de la journée nationale du réserviste pour créer une journée nationale de la résilience.

C.   Placer la subsidiarité au centre des actions de prévention et de gestion des crises : le rôle des collectivités territoriales

Lors de son déplacement dans la vallée de la Vésubie le 14 février 2021, la délégation de la mission d’information, composée de Mmes Marine Brenier, Sereine Mauborgne, Carole Bureau-Bonnard et de votre rapporteur, a longuement échangé avec les maires des communes sinistrées par la tempête Alex.

Le 2 octobre 2020, en fin d’après-midi, la plupart des villages des vallées de la Vésubie et de la Roya se trouvent coupés du monde : routes emportées, électricité coupée, télécommunications interrompues, réseaux d’eau et d’assainissement hors d’usage. Le bâtiment de la gendarmerie nationale de Saint-Martin-Vésubie est emporté par les eaux juste après que les gendarmes ont évacué leurs familles et les armements

Le premier mouvement des habitants, frappés de stupeur, est de se tourner vers les maires, ces maires qui, depuis le déclenchement de l’alerte rouge tôt dans la matinée, s’étaient employés à assurer l’évacuation des bâtiments menacés et à convaincre certains administrés rétifs de ne pas s’exposer à un risque mortel – la sirène de Saint-Martin-Vésubie avait été démantelée des années auparavant…

Dans la nuit et dans les jours qui suivirent, ce sont les maires qui ont assuré l’organisation des populations rescapées : accueil dans les bâtiments collectifs, recherche des personnes dont on n’avait plus de nouvelles, logement en urgence, distribution de vivres et d’eau potable, acheminement de médicaments aux personnes devant suivre des traitements. Ce sont eux qui ont soutenu le moral d’habitants saisis par la panique, s’interdisant de montrer le moindre signe de fébrilité malgré une forme de sidération. Ce sont eux et leurs services qui, ensuite, ont orienté les équipes de secours et de réparation d’urgence. Ce sont toujours eux qui sont en première ligne pour mener la reconstruction plus résiliente de leurs vallées, aux côtés de l’État et des collectivités partenaires.

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Lorsque survient une crise ou une catastrophe, nos concitoyens se tournent immédiatement vers les maires, leur premier contact de proximité. Qu’elle soit liée à un acte de terrorisme, qu’elle soit écologique, sociale, technologique, les maires se retrouvent rapidement dans l’obligation d’agir. Il leur faut à la fois informer, protéger et rassurer autant que possible leurs administrés et gérer la crise avec les autres représentants de l’État et les collectivités partenaires s’il est nécessaire d’engager des moyens plus importants que ceux dont la commune dispose.

1.   Le rôle des collectivités territoriales résulte de la loi

L’intervention des collectivités territoriales, notamment des communes et des EPCI, résulte avant tout de la loi, dans une approche de décentralisation, qui leur assigne notamment des obligations de prévention. Votre rapporteur a mentionné supra, dans les lignes qu’il a consacrées au développement de la culture du risque, les documents que les mairies doivent élaborer, principalement en cas de risques naturels ou technologiques. Ainsi, en matière d’inondations, une série d’articles du code de l’urbanisme (L. 121-1, R. 111-2, L. 480-1, L. 480-2, L. 480-9, L. 480-14), du code de l’environnement (L. 125-2, L. 211-5, L. 211-7, L. 215-14, L. 215-15, L. 215-15-1, L. 562-5), du code général de la propriété des personnes publiques (L. 3113-1 à L. 3113-4) et du code général des collectivités territoriales (5° de l’article L. 2212-2) doivent être appliquées par les communes.

Les maires peuvent également constituer une réserve communale de sécurité civile, en application de l’article L. 724-1 du code de la sécurité intérieure, afin d’appuyer les services concourant à la sécurité civile.

La compétence des maires ne s’arrête pas aux risques naturels : l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales leur confère une mission générale de protection de la santé publique et de la protection des risques sanitaires, qu’ils ont eu pleinement à mettre en œuvre lors de l’apparition du covid 19. La première séance plénière – 16 novembre 2021 – du 103e congrès des maires de France a d’ailleurs été consacrée à la manière dont les élus ont vécu la crise sanitaire, les mesures qu’ils ont dû mettre en place, parfois en les inventant, les relations avec l’État, leur retour d’expérience et l’apparition de nouvelles manières de travailler, qu’ils souhaitent perpétuer.

Si la loi fixe le cadre général d’intervention des communes, l’élément majeur à prendre en compte pour son application est la grande diversité de leurs situations, les moyens humains, matériels et financiers dont elles disposent et les configurations géographiques particulières de leur territoire. Lutter contre un feu de forêt en terrain plat et en zone de montagne exige des moyens différents. Comme l’a indiqué à la mission d’information M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l’Association des maires de France (AMF), « les communes disposent soit de beaucoup de moyens pour intervenir, soit d’aucun moyen. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont à la fois une bonne et une mauvaise chose. Certaines communes n’ont pas les moyens de lutter et les EPCI constituent alors un moyen efficace pour apporter des moyens d’action. Cependant, ils ont pour effet néfaste d’éloigner la prise de décision du terrain. Or la cellule de gestion territoriale par excellence demeure la commune. Dès que l’on passe au niveau supérieur, la déconnexion avec les citoyens et les délais d’action deviennent néfastes ou problématiques ([205]). »

Les communes et les EPCI ont donc besoin de moyens d’action ainsi que de l’optimisation de leurs usages, mais ils souhaitent surtout que leurs interlocuteurs principaux, les représentants de l’État, disposent de leur côté de marges de manœuvre pour que soit élaboré dans chaque ville un plan de prévention et d’action au plus près des réalités.

2.   Laisser une liberté d’action aux élus et renforcer leurs moyens d’alerte et de mobilisation

La clé de la prévention et de la réaction à une situation de crise se trouve dans des actions de communication efficaces. Les communes disposent actuellement de nombreux outils, tels que le DICRIM précité ou le plan communal de sauvegarde, mais comme l’a indiqué le ministère de la transition écologique, au-delà du fait que toutes les communes ne se sont pas encore dotées de ces instruments, leur contenu ne permet pas toujours de réagir à une crise et nos concitoyens ne les connaissent pas. Il y a donc un réel problème d’appropriation par le citoyen d’une politique du risque.

Le représentant de l’Association des maires de France considère que, compte tenu de la diversité des villes, les procédures uniques déterminées par l’État trouveraient vite leurs limites. Il préférerait que les mesures de prévention et de réaction soient déterminées par un trio composé du maire, du préfet et de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM). Celui-ci aurait la charge de définir les moyens de l’action, de la prévention, de la conception de la résilience et de sa mise en œuvre sur un territoire, ainsi que de la communication vers le citoyen. Ce dernier point est l’un des plus délicats à gérer car les modes de communication diffèrent selon le moment. La diffusion de documents est un élément de la prévention alors que l’alerte correspond à la communication du temps court, de l’immédiateté, afin de préserver des vies humaines, et est mise en œuvre par des moyens variés, comme les sirènes ou, à l’avenir, l’envoi de SMS aux personnes présentes sur une zone.

En tout état de cause, il convient à la fois de préserver les moyens communaux d’alerte existants – ou, le cas échéant, de rétablir ceux qui ont été démantelés – tout en mettant à la disposition des maires les outils numériques de dernière génération, comme la diffusion cellulaire – Cell Broadcast.

 

Recommandation  18 : Assurer le fonctionnement et la maintenance des moyens d’alerte traditionnels (sirènes) et informer les citoyens de la conduite à tenir en cas de déclenchement.

 

Recommandation  19 : Finaliser rapidement la mise en place de moyens d’alerte par SMS de type diffusion cellulaire – Cell Broadcast , qui permettent de diffuser un message à tous les utilisateurs se trouvant dans une zone donnée.

Une étroite association entre maires et préfets se justifie d’autant plus que tous deux sont directeurs des opérations de secours (DOS). En application de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, le maire est le DOS sur le territoire de sa commune, doté d’un pouvoir de police en application de l’article L. 742-1 du code de la sécurité intérieure, pour des événements simples comme des accidents de la route avec peu de victimes. Mais le préfet devient DOS quand un événement dépasse les capacités opérationnelles de la commune, lorsqu’il concerne plusieurs communes du département, lorsque le plan ORSEC est mis en œuvre. Dans la pratique, maires et préfets collaborent donc quotidiennement à la prévention et à la réaction aux risques.

La gestion de la crise sanitaire a confirmé la pertinence du lien entre les maires, les préfets et les sous-préfets, et a donné l’occasion d’établir de nouvelles façons de travailler. Dans le département du Rhône, une instance ad hoc a ainsi permis un dialogue régulier entre élus, préfecture, en y associant l’agence régionale de santé, des acteurs de l’éducation et des pharmaciens. À Douai (Nord), la mairie et la sous-préfecture ont travaillé de concert pour coordonner les actions des professionnels de santé. Les exemples sont légion partout en France de réaction à l’urgence, qui ont permis aux élus comme aux représentants de l’État d’agir de manière plus agile, en s’affranchissant de certaines procédures.

Ces actions sont toutefois freinées quand les communes n’ont pas une connaissance exhaustive du nombre et des coordonnées de leurs habitants, aussi curieux que cela paraisse dans un pays aussi administré que la France. De plus, l’envoi de SMS à partir d’un fichier général de numéros personnels se heurterait par exemple aux règles régissant la protection des données privées. M. Sébastien Leroy a ainsi indiqué à la mission d’information que, durant la crise sanitaire, la ville de Mandelieu avait distribué des masques et qu’il avait découvert à cette occasion plusieurs milliers d’habitants dont il n’avait pas connaissance. « Il est anormal de devoir croiser des fichiers tels que la liste électorale ou l’inscription aux cantines scolaires pour tenter de rassembler des coordonnées qui restent très incomplètes. C’est un énorme manque dans les territoires soumis à risque. Il faut permettre aux communes de disposer d’un fichier complet sans entraves de la CNIL. La ville doit avoir connaissance du nombre de ses habitants et de leurs coordonnées ([206]). »

Votre rapporteur considère qu’il s’agit en effet d’une priorité. Lorsque le maire et les services de secours n’ont pas une bonne connaissance du nombre et de la répartition des habitants sur le territoire de la commune, le danger encouru par les populations en cas de crise grave est beaucoup plus grand. Le développement d’un logiciel en ligne pour constituer des listes fiables des habitants de chaque commune pourrait être géré par l’État, afin d’assurer l’homogénéité et la sécurité du service et une bonne articulation avec d’autres services.

 

Recommandation  20 : Donner au maire les moyens de constituer la liste de l’ensemble des personnes résidant dans la commune et en autoriser le croisement avec d’autres fichiers sur la base d’un identifiant unique.

3.   Faire de la commune l’échelon privilégié de diffusion de la culture du risque 

Si nos concitoyens sont considérés comme des éléments de résolution d’une crise et non uniquement comme des personnes à protéger, la diffusion de la culture du risque devient essentielle. La question est de savoir qui en effectue la diffusion. L’État peut certes créer des documents d’information pour réagir à des crises dans de multiples cas – protection de la santé, risque terroriste, réaction à des catastrophes naturelles ou technologiques, protection en temps de guerre – mais il ne suffit pas de les distribuer sous forme de brochure ou de les publier en ligne. La confiance est un élément de l’appropriation d’une norme ou d’un comportement et à ce titre, les maires, qui sont les élus les plus appréciés en France, sont vraisemblablement les plus à même de jouer un rôle pédagogique.

Les maires ont été nombreux à mobiliser une partie de leur population pour réagir à la pandémie de covid. Ils ont également géré des volontaires qui se proposaient de contribuer à des tâches collectives. Ainsi, à Morancé (Rhône), une cellule civile communale composée de bénévoles a constitué un relais d’information et a assuré le portage de repas et de médicaments. À San Giulianu (Haute-Corse), le portage des médicaments et des aliments a été prise en charge également par des bénévoles, qui ont en outre rendu visite à des personnes âgées, l’habitat de la commune étant disséminé. La ville de Douai (Nord) s’est préoccupée du maintien des activités des associations caritatives. La maire de Morancé, Mme Claire Peigné, a résumé en quelques mots l’essence de leur action : « il ne fallait surtout pas que le téléphone sonne dans le vide. »

Les catastrophes naturelles constituent paradoxalement le moyen de renforcer la résilience des populations en raison de l’engagement qu’elles suscitent. « La place du citoyen est essentielle et elle se forge dans l’épreuve » a ainsi affirmé M. Sébastien Leroy, faisant référence à la mobilisation exceptionnelle de la population lors des trois crues majeures subies par Mandelieu.

Au regard de ces quelques exemples, le lien entre les maires et leurs concitoyens est sans doute le mieux adapté pour diffuser la culture du risque. Cet échelon se justifie d’autant plus que toute catastrophe, quelle que soit son ampleur, se prépare et se vit localement. Le DICRIM précité, quelles que soient les critiques à son encontre, présente au moins l’avantage d’obliger les maires à réfléchir aux risques qu’encourt leur commune ; une fois ceux-ci identifiés, à réfléchir à la meilleure manière d’y sensibiliser la population.

Dans cette perspective, votre rapporteur suggère que les maires aient la possibilité de faire appel à leurs administrés un jour par an – soit un jour férié, soit un jour ouvré, moyennant le cas échéant une compensation à la personne ou à l’employeur – pour mener à bien des projets de résilience locale.

 

Recommandation  21 : Expérimenter un système incitatif permettant aux maires de faire appel à leurs administrés un jour par an pour mener à bien des projets de résilience locale.

4.   Les questions sensibles des compétences des citoyens et du matériel à disposition des communes

Considérer le citoyen comme un élément de la résilience exige que les municipalités connaissent les compétences qu’elles pourraient mobiliser, ce qui n’est pas aisé. Plus la population d’une commune est importante, sujette à des évolutions permanentes, plus il est difficile de disposer d’un fichier à jour des personnes disposant des compétences souhaitées en cas de crise.

La constitution d’une réserve communale de sécurité civile est un moyen de centraliser les capacités venant en appui aux forces de sécurité civile. La condition est toutefois de bien l’encadrer car il existe toujours le risque qu’elle se saisisse elle-même d’actions qu’elle souhaite conduire, sans se coordonner avec les autorités en charge d’une opération. Mais il faut surtout que les volontaires soient régulièrement entraînés, ce qui présente un coût que toutes les communes ne peuvent assumer.

La plupart des réactions aux crises exigent des moyens matériels, différenciées selon chaque type de crise : capacités de pompage et véhicules tous terrains équipés pour la submersion en cas d’inondation, moyens aériens et terrestres en cas d’incendies de forêts, équipements de protection NRBC en cas d’accident industriel, d’attaque terroriste ou de guerre, équipements médicaux en cas de pandémie. Leur coût est évidemment variable, de quelques centimes pour des masques à une fourchette de 3 000 à 250 000 euros pour les véhicules de lutte contre les incendies. Ce matériel s’use, doit être régulièrement renouvelé et n’est accessible qu’aux communes disposant de budgets importants. La question de la mutualisation des matériels avec ceux dont disposent les services de l’État est permanente, principalement pour les petites communes.

L’Agence de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques de la métropole Nice-Côte d’Azur, récemment créée, dont la mission d’information a observé sur place l’organisation et le fonctionnement, est un exemple en matière de mutualisation des moyens, de coordination de l’action à l’échelle d’un territoire et d’aide mutuelle entre communes urbaines, péri-urbaines et rurales.

L’agence de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques de la métropole Nice-Côte d’Azur

 

● Créée en avril 2020 par la ville de Nice et étendue à la métropole en juillet 2020, l’Agence a deux missions essentielles :

– coordonner les réponses aux crises majeures ;

– travailler en amont dans une démarche d’anticipation et de prospective.

● Son rôle étant transversal, elle emploie un effectif léger (moins de dix personnes).

● Elle a notamment coordonné l’aide aux personnes évacuées et aux personnes sinistrées lors de la tempête Alex.

● Elle organise le retour d’expérience de cette catastrophe, pour améliorer notamment les systèmes de surveillance des cours d’eau, d’alerte des populations, de pilotage des crises.

● Elle coordonne également l’action locale en matière de lutte contre le covid :

– surveillance épidémiologique ;

– dépistage, détection du virus dans le réseau sanitaire ;

– campagne vaccinale ;

– distribution de masques et d’équipements de protection, plateformes téléphoniques, de livraison de courses, de téléconsultation.

 

Recommandation  22 : Évaluer la pertinence de créer, à l’échelle des territoires, des structures spécialisées dans l’anticipation et la gestion des crises fédérant les dispositifs existants.

D.   Assurer la résilience de l’économie et la continuité des activités essentielles à la nation

Face à l’hypothèse de crises majeures, la France doit encore affermir sa capacité à continuer à fonctionner, c’est-à-dire à assurer la continuité des activités essentielles à la nation. À la lumière des enseignements de la crise sanitaire, il est ainsi possible de formuler des recommandations visant à développer une vision claire de nos vulnérabilités, avec une dimension prospective ; ce diagnostic doit permettre de bâtir une stratégie pour atténuer ou remédier à ces vulnérabilités, en fonction du niveau d’assurance souhaité, lequel doit encore être défini.

1.   Conduire une revue stratégique globale

Les exercices actuels de Livre blanc ou de revue stratégique, bien qu’ils constituent des réflexions stratégiques denses, se heurtent parfois à une forme de confusion entre la définition des besoins et la recherche des moyens. L’expression des besoins se trouve parfois biaisée par la recherche d’un équilibre avec les demandes de moyens, ce qui risque de faire passer au second plan l’analyse des menaces sous toutes leurs formes et l’appréciation objective des besoins engendrés par l’évolution des technologies et les objectifs de notre politique extérieure.

Pour les prochains exercices, il serait souhaitable d’élargir les parties prenantes à la rédaction du document ([207]) afin de couvrir l’ensemble des risques et menaces majeurs pour la nation. Au regard des enjeux, la France doit se doter d’une stratégie globale couvrant tous les champs de la menace et de la puissance, afin de n’omettre aucun aspect dans son approche, de définir clairement les objectifs et d’impliquer davantage d’acteurs dans leur réalisation.

 

Recommandation  23 : Construire le prochain Livre blanc global dans un cadre rénové.

En tout état de cause, il convient d’avoir une vision aussi exhaustive et lucide que possible de ces vulnérabilités afin d’être en mesure d’y apporter une réponse (a). Il apparaît d’ores et déjà que La France devra impérativement renforcer son autonomie dans une série de domaines (b), cette autonomie devant parfois être recherchée à l’échelle européenne.

a.   Retour d’expérience de la crise sanitaire : des vulnérabilités multiples, parfois insoupçonnées

De très nombreux interlocuteurs auditionnés par la mission ont souligné que la crise sanitaire avait fait apparaître la dépendance de l’économie française à tel ou tel intrant, avec des répercussions potentiellement très importantes en situation de crise.

Il en va ainsi, par exemple, pour les réactifs indispensables pour le traitement de l’eau potable, à commencer par le chlore, ou encore les charbons actifs, majoritairement importés de Chine, d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Le fonctionnement en flux tendu sur ces produits pose des difficultés considérables en cas de rupture sur la chaîne de transport. Or, comme l’ont souligné les acteurs du domaine de l’eau, l’enjeu principal en situation de crise porterait sur la continuité u cycle de l’eau, afin de pouvoir assurer l’approvisionnement en eau potable et maintenir l’évacuation des eaux usées. De même, la France n’est pas passée loin de la rupture d’approvisionnement en équipements et pièces de rechange pour la maintenance des réseaux d’eau.

Cet exemple est généralisable à de nombreux domaines, et la ministre Agnès Pannier-Runacher a souligné, lors de son audition, que les carences apparues sur les principes actifs des médicaments, produits à 80 % hors d’Europe, sur les protéines destinées à nourrir les élevages, importées à plus de 50 %, ou encore sur la fourniture en semi-conducteurs, ne sont que « l’arbre qui cache l’immense forêt des tensions d’approvisionnement sur des productions à faible valeur ajoutée par rapport aux produits finaux que nous assemblons, mais indispensables à des productions aval ([208]) ».

b.   Entrer dans une démarche de revue stratégique pour l’ensemble des secteurs vitaux

Le Gouvernement s’est d’ores et déjà mobilisé en faveur d’une « reconquête industrielle » appelée de ses vœux par le Président de la République, et qui doit permettre, à travers le plan France Relance, de relocaliser certaines industries stratégiques sur le territoire, en particulier dans cinq secteurs identifiés comme critiques : l’électronique, la santé, la 5G, l’agroalimentaire et les intrants critiques.

Votre rapporteur estime que cette démarche est indispensable et qu’elle doit s’inscrire dans une démarche plus globale de « revue stratégique » de l’économie française et du cadre européen dans lequel elle s’inscrit. En effet, il est impératif d’avoir une vision claire et exhaustive de ces vulnérabilités et dépendances pour mieux y remédier.

Cette revue stratégique devra prendre en compte la question des matières premières et des intrants stratégiques, mais aussi celle des services essentiels pour assurer la continuité des activités, ainsi que celle des ressources humaines indispensables.

Par exemple, pour garantir l’approvisionnement alimentaire de la nation, il faut pouvoir disposer d’alimentation en quantité suffisante, mais il faut aussi pouvoir l’acheminer aux différents endroits du territoire : la question de la logistique et, en particulier, du transport s’avère ainsi critique, dans un contexte où le fret routier est largement prédominant, et où le pavillon français a perdu 90 % de sa part de marché internationale depuis vingt-cinq ans.

La revue stratégique de l’économie française devra également identifier les besoins en ressources humaines spécialisées indispensables au fonctionnement de l’économie. Par exemple, de nombreux acteurs ont souligné le caractère d’ores et déjà critique du recrutement de profils numériques, notamment dans le domaine de la sécurité numérique et de la cyberdéfense. Plus largement, il importe d’objectiver les besoins en termes de formation et de fidélisation de ces profils spécialisés.

La démarche est très largement prospective. Il faut s’interroger sur les vulnérabilités actuelles de l’économie française mais également sur ses vulnérabilités futures, dans la perspective du développement de nouvelles filières. En effet, comme le souligne la ministre Agnès Pannier-Runacher, « nous avons une idée de ce qui pourrait nous manquer pour consolider l’existant ; en revanche, s’agissant de l’avenir, nous n’avons pas encore fait le tour de ce dont nous aurons besoin pour bâtir les nouvelles filières. Je ne peux pas vous dire que j’ai pris en compte tous les intrants critiques nécessaires pour bâtir la filière de l’hydrogène décarboné ([209]). » Il importera ainsi de chercher à identifier ces besoins futurs, et de les réinterroger à intervalles réguliers, dans une approche dynamique.

Cette revue stratégique, qui constituerait un des préalables au Livre blanc global que votre rapporteur appelle de ses vœux, devra être conduite secteur par secteur, en associant systématiquement les différents acteurs privés à la réflexion. Mais elle devra également être transversale au niveau interministériel, afin que les besoins exprimés soient bien pris en compte dans les politiques de l’ensemble des ministères.

 

Recommandation  24 : Procéder à une revue stratégique, coordonnée au niveau interministériel, de l’ensemble des secteurs vitaux de l’économie, afin d’en identifier précisément les vulnérabilités et les dépendances actuelles et à venir.

Cette revue devra permettre d’établir une liste des intrants stratégiques dont la France doit impérativement sécuriser l’approvisionnement, soit en relocalisant la production en France, soit en constituant des stocks, soit, le cas échéant, en sécurisant cet approvisionnement à l’échelle européenne, en fonction du niveau de « criticité » des intrants en question.

 

Recommandation  25 : Identifier les intrants stratégiques et en actualiser régulièrement la liste. Pour chaque intrant, définir les objectifs et une stratégie adaptée.

Elle pourra s’inspirer du travail conduit par le ministère des armées, qui est précurseur en la matière. En effet, la direction générale de l’armement (DGA) du ministère veille, de manière exhaustive, à la disponibilité de tous les composants nécessaires à la fabrication des équipements critiques. Partant de l’examen du niveau de criticité des équipements, les armées ont ainsi déterminé une stratégie visant soit à maintenir ou à développer une capacité entièrement souveraine, soit à accepter certaines dépendances plus ou moins importantes. Le tableau ci-dessous, issu de la Revue stratégique de 2017, synthétise cette démarche qui pourrait utilement être élargie à l’ensemble des secteurs d’activité.

Source : Revue stratégique de sécurité et de défense, ministère des armées, 2017.

c.   Généraliser les stress tests pour éprouver les organisations

Dans cette démarche de revue stratégique, il importe d’être lucide sur les vulnérabilités recensées. Or, il est apparu lors des auditions que les acteurs ne mesurent pas toujours les conséquences indirectes de tel ou tel élément d’une crise sur leur aptitude à fonctionner. Cela semble être particulièrement vrai s’agissant des réseaux de communication, en particulier d’internet. M. Guillaume Poupard, directeur général de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI), prenait ainsi, lors de son audition ([210]), l’exemple d’une expérience réalisée il y a quelques années au sein d’un hôpital, qui avait été privé de l’accès à internet ; alors que les projections conduisaient à une absence de conséquences sur le fonctionnement de l’hôpital, celui-ci s’était retrouvé en incapacité de fonctionner au bout de deux jours, l’ensemble de la chaîne de nettoyage et de décontamination des équipements chirurgicaux étant devenu dépendant d’internet. Il souligne ainsi que ces effets indirects sont « très difficiles à anticiper ».

Face à cette difficulté, votre rapporteur estime indispensable de généraliser les « stress tests », par exemple en demandant à tous les opérateurs d’importance vitale de tester leur fonctionnement une fois par an sans internet, afin d’en observer les conséquences. Les modalités de ces stress tests seraient à apprécier sur les opérateurs.

 

Recommandation  26 : Généraliser les stress tests afin d’apprécier la capacité des opérateurs essentiels à fonctionner en environnement dégradé, en particulier sans internet.

d.   Éprouver la capacité des armées à tenir leurs contrats opérationnels

Enfin, le travail sur le mode dégradé doit en premier lieu concerner les armées, même si ces dernières sont naturellement configurées pour intervenir dans des environnements de crise. En effet, dans une situation de conflit, qui constitue l’environnement dégradé par excellence, il est impératif que les armées puissent continuer à assurer leurs contrats opérationnels.

Or la LPM n’a pas encore pleinement réparé les effets des coupes budgétaires des trente dernières années. Les armées ont développé le recours à la sous-traitance et parfois rationalisé à l’excès leurs matériels – avec par exemple, s’agissant des matériels roulants, la politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP) –, diminuant ainsi la masse de moyens disponibles. De telles rationalisations ne sont

Comme on l’a souligné tout au long de ce rapport, le pire ne doit pas être exclu. Il importe donc que les hypothèses d’engagement des armées décrites dans les contrats opérationnels soient assurées, y compris en conditions dégradées. Votre rapporteur appelle ainsi à vérifier concrètement, armée par armée, la capacité à assumer l’hypothèse d’engagement majeur (HEM) des armées prévue dans leurs contrats opérationnels.

 

Recommandation  27 : Évaluer la capacité des armées à soutenir l’hypothèse d’engagement majeur en situation très dégradée – désorganisation des flux, rupture majeure du réseau électrique, etc.

2.   Définir le bon niveau d’investissement en faveur du « mode dégradé »

La capacité de la France à maintenir les activités indispensables à la vie de la Nation en situation de crise majeure dépend de l’aptitude des différents acteurs à fonctionner « en mode dégradé ».

Le mode dégradé est défini par l’encyclopédie Wikipédia comme « les situations où tout ou une partie d'une entité organisée (armée, entreprise, système, gouvernement, groupe humain, hôpital, voire exceptionnellement tout un continent ou la planète...) doivent fonctionner sans leurs ressources habituelles, humaines et matérielles », en raison d’un contexte de crise majeure.

Votre rapporteur estime que l’aptitude à ce fonctionnement dégradé ne va pas de soi : elle nécessite une préparation et un investissement spécifiques en amont des crises.

a.   La résilience a un coût : définir le bon niveau d’assurance

La démarche de revue stratégique doit permettre d’identifier les vulnérabilités du système français, afin d’être en capacité de proposer des options pour y remédier. Néanmoins, ces options, qui impliquent par exemple la création d’une capacité de production ou de nouveaux stockages, sont coûteuses.

En effet, la résilience est un investissement dont chacun espère ne pas avoir à se servir. Elle suppose des investissements souvent non rentables, au moins à court terme. Les acteurs économiques ne sont donc pas naturellement enclins à réaliser ces investissements. C’est à la puissance publique qu’il revient de trouver des incitations – réglementations, labellisations, incitations fiscales ou financières – pour faire que ces coûts soient internalisés dans le système économique de notre pays, et ne soient pas à l’origine de distorsions. À travers les options choisies par la revue stratégique, il conviendra donc de définir le niveau d’assurance que nous souhaitons pour renforcer la résilience de la France face aux crises de demain.

La question se pose, par exemple, pour les stockages stratégiques. Les stockages de gaz et de pétrole, par exemple, ne sont pas rentables économiquement, mais représentent une assurance face au risque de rupture d’approvisionnement. Les stockages de gaz sont indexés sur le niveau de la consommation en France ; à l’avenir, cette consommation est appelée à se réduire, avec le développement des énergies renouvelables, et la question se posera de ce qu’il convient de faire des capacités de stockage excédentaires. M. Édouard Sauvage, directeur adjoint d’Engie, souligne ainsi qu’il revient à la collectivité « de définir un seuil pour faire face à des crises, même celles qui ne surviennent que tous les cinquante ans, et de faire payer tous les ans cette assurance pour demander à des acteurs d’avoir une capacité de secours qui normalement, ne sera jamais appelée, ou fort rarement ([211]) ».

La question se pose donc du juste niveau de la valeur de l’assurance que nous sommes prêts à souscrire pour renforcer la résilience de la France, ainsi que le souligne la ministre Agnès Pannier-Runacher, dans le domaine industriel : « il faut d’abord se demander combien on est prêt à investir pour se prémunir contre le risque de rupture d’approvisionnement ». La ministre estime que cela implique d’internaliser, dans le coût de production, le risque de la rupture d’approvisionnement : « il est plus facile de maintenir une production française si on paie le prix du risque de la rupture d’approvisionnement », à condition toutefois que les autres pays « jouent avec les mêmes règles du jeu ([212]) ».

Votre rapporteur juge ainsi que la question du niveau d’assurance que nous souhaitons pour notre pays doit être explicitement posée, secteur par secteur, en particulier dans le cadre du vote du budget des collectivités publiques. Le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises au ministère de l’intérieur, souligne ainsi des difficultés récurrentes dans le cadre des discussions avec le ministère du budget sur le dimensionnement des moyens de la sécurité civile : « dans mes discussions avec le ministère du budget, j’explique que le nombre d’hectares brûlés ne constitue pas un bon critère car il traduit les conséquences d’un mauvais travail. Le nombre de départs de feux et le nombre d’hectares sauvés devraient être pris en compte ([213]). »

De la même manière, M. Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique, a indiqué lors de son audition que « nous considérons généralement qu’un élu placé à la direction d’un syndicat ou d’une commune a réussi sa mission dans le domaine de l’eau dans la mesure où il est parvenu à réduire le prix de l’eau », alors qu’en réalité, « cela traduit le fait que le patrimoine n’est pas entretenu et que la gestion de l’eau repose sur une ressource exclusive ([214]) ».

Votre rapporteur estime ainsi qu’il importera de poser explicitement la question du juste prix de la résilience dans l’ensemble des secteurs stratégiques.

 

Recommandation  28 : Définir, dans tous les secteurs stratégiques, un « niveau d’assurance » face à l’hypothèse de crises graves, permettant de définir un niveau d’investissement en faveur de solutions dégradées non rentables à court terme.

b.   Préserver des moyens de communication rustiques et robustes

Votre rapporteur alerte en particulier sur la nécessité de préserver des moyens de communication rustiques et robustes, aptes à fonctionner dans des environnements potentiellement très dégradés.

 

Recommandation  29 : En parallèle de leur ouverture aux moyens de communication les plus performants, veiller à ce que les acteurs stratégiques continuent à entretenir des canaux de communication rustiques susceptibles d’être utilisés en situation de crise.

Cette préoccupation va de pair avec le déploiement du réseau Radio du futur (RRF), vers lequel doivent basculer, à partir de 2023, l’ensemble des services de sécurité et de secours. Le RRF s’appuiera sur les infrastructures des opérateurs privés de téléphonie mobile, avec un dispositif de priorité/préemption pour éviter toute saturation en cas de congestion du trafic, ainsi que des dispositifs projetables d’extension de couverture radio 4G. Ce système très performant présentera néanmoins la caractéristique de s’appuyer sur les opérateurs privés, ce qui pourrait représenter un aléa important dans une situation de crise majeure, où les réseaux de ces opérateurs seraient impactés. En effet, ces opérateurs privés ne couvrent pas la totalité des zones d’intervention et ne peuvent garantir la disponibilité de leurs équipes de maintenance par toute condition. Votre rapporteur estime donc qu’il conviendra – sauf en cas d’accord explicite du Parlement sur un nouveau dispositif – de continuer à entretenir une infrastructure hertzienne, comme solution de repli en situation de crise majeure.

 

Recommandation  30 : Préserver et entretenir l’accès des forces de l’ordre et des services de secours à un réseau autonome de communication hertzien.

3.   Inciter les principaux acteurs à développer le retour d’expérience et l’anticipation stratégique pour mieux se préparer

La problématique de l’anticipation stratégique nécessite un investissement particulier de la part des acteurs essentiels, dans les différents de la vie de la nation.

a.   La généralisation des retours d’expérience, un point positif…

Comme l’a indiqué M. Régis Taine, de la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), « nous devons dépasser le stade d’une vague conscience des problèmes actuels que chacun s’attache à oublier au plus vite pour passer au stade de l’action et des solutions à apporter ([215]) ». Pour agir, il faut ainsi améliorer la conscience que nous avons des crises et de leurs ressorts.

À l’heure actuelle, la crise sanitaire est à l’origine d’un mouvement général de questionnement des organisations et des procédures, à la lumière de l’expérience vécue. Ces retours d’expérience sont indispensables et riches d’enseignements, et il conviendra de les amplifier et de les systématiser, afin de déterminer précisément, secteur par secteur, ce qui a fonctionné ou non.

b.   …mais non suffisant : développer l’anticipation stratégique

Mais votre rapporteur estime qu’on ne peut pas uniquement se fonder sur la lecture des crises passées pour anticiper des chocs qui, presque par définition, relèveront largement de la surprise stratégique. Il importe ainsi que ces retours d’expérience soient assortis d’un effort d’anticipation stratégique associant à la prospective les ressources de l’imagination et de la fiction.

Aussi votre rapporteur estime-t-il que la plupart des départements ministériels – économie et finances, écologie, santé, agriculture, intérieur, éducation nationale et enseignement supérieur – devraient s’inspirer de l’expérience conduite, au sein du ministère des armées, par la Red Team, déjà mentionnée et créer des structures légères d’anticipation sur le long et le très long terme. Il est bien entendu que de telles cellules d’anticipation devraient fonctionner en réseau afin de confronter en permanence leurs scénarios. En permettant aux décideurs d’envisager ce que pourraient être les crises de demain, ce dispositif doit permettre de mieux ajuster les décisions prises aujourd’hui, notamment sur le plan capacitaire.

 

Recommandation  31 : Inciter l’ensemble des départements ministériels, en lien avec les principaux opérateurs, à développer une réflexion d’anticipation stratégique sur le long et le très long terme, sur le modèle des travaux de la Red Team.

4.   Développer l’autonomie de la France et de l’Union européenne dans certains secteurs clés

La revue stratégique décrite dans la partie précédente doit permettre de préciser les vulnérabilités de l’économie française et d’élaborer une stratégie graduelle visant à assumer, atténuer ou remédier à ces vulnérabilités. Votre rapporteur estime donc qu’il importe de ne pas préjuger de l’issue de cette revue qui viendra utilement prolonger et compléter le travail accompli dans le cadre de France Relance.

Cependant, il apparaît d’ores et déjà manifeste que la France devra se renforcer dans plusieurs domaines stratégiques, où ses vulnérabilités apparaissent disproportionnées au regard des enjeux. Ces domaines impliquent parfois, de par l’ampleur des investissements nécessaires, une action résolument européenne, souvent déjà engagée mais qu’il importerait de voir aboutir. À cet égard, l’actuelle présidence française de l’Union européenne est l’occasion de faire avancer certains de ces chantiers prioritaires.

a.   Améliorer le pilotage des stockages en leur donnant éventuellement une dimension européenne

Lors du déplacement de la mission en Finlande, le rapporteur a été vivement intéressé par le fonctionnement de l’agence nationale d’approvisionnement d’urgence finlandaise, la NESA (National Emergency Supply Agency). Cette agence joue un rôle de pilotage important pour gérer les stockages et l’approvisionnement en situation de crise, mais aussi en amont des crises, afin de mieux identifier les vulnérabilités, et établir des stratégies pour y faire face. Elle représente ainsi un soutien important pour les acteurs publics et privés, avec une vision transversale. Une analyse de ce modèle devrait établir s’il est pertinent de le transposer à la France.

 

Recommandation  32 : Étudier la mise en place d’une agence nationale d’approvisionnement d’urgence sur le modèle de la NESA finlandaise, dont le rôle serait de planifier, développer et maintenir la sécurité des approvisionnements, et de soutenir les opérateurs publics et privés pour l’identification de vulnérabilités.

Votre rapporteur estime par ailleurs qu’il conviendrait d’étudier l’opportunité d’organiser certains stockages stratégiques à l’échelle de l’Europe, lorsqu’il n’existe pas de capacité de production sur le sol européen, ce qui permettrait de mutualiser les coûts en concourant à l’autonomie stratégique de l’Europe.

 

Recommandation  33 : Étudier la possibilité d’organiser certains stockages stratégiques à l’échelle de l’Union européenne, afin de mutualiser les coûts et de sécuriser l’accès à des matières premières ou équipements ne pouvant être produits sur le sol européen.

b.   Bâtir la souveraineté numérique de la France et de l’Europe

Votre rapporteur pense en particulier à la question de la résilience numérique de l’Europe. Comme cela a été exposé en deuxième partie, la dépendance de la France dans le domaine numérique est considérable et concerne presque toutes les couches du numérique. S’il semble complexe de concevoir un internet souverain, sur le modèle de l’internet chinois, votre rapporteur estime que la France gagnerait à développer certaines technologies critiques qui permettraient de mieux défendre et protéger nos intérêts dans ce domaine. M. Guillaume Poupard, directeur général de l’ANSSI, juge ainsi que la France devrait mettre en place ses propres DNS, « sortes d’annuaire qui effectuent la transcription entre les adresses IP et les noms de domaines […], souvent impliqués dans les pannes récentes ».

En outre, le problème du stockage des données numériques nécessite également une réponse à la hauteur des enjeux. Actuellement, les données de l’ensemble de nos opérateurs essentiels dépendent du cloud d’opérateurs américains, ce qui pose des problèmes très importants en termes de sécurité juridique. Dans un avenir proche, le cloud d’opérateurs chinois en hébergera probablement une proportion croissante. Dans ce contexte, il n’existe pas véritablement de solutions françaises ou même européennes, celles-ci pâtissant d’un défaut d’image par rapport aux offres américaines ou chinoises.

Votre rapporteur estime que cet enjeu de l’hébergement des données doit être pris à bras-le-corps au sein de l’Europe, et que la puissance publique doit, dans le but de sécuriser les données européennes, contribuer à « dérisquer » le choix d’une option française ou européenne par les acteurs privés et consacrer des montants suffisants en recherche et développement, en vue de la mise au point de solutions performantes.

La stratégie nationale pour le cloud, présentée en 2021, représente un premier pas dans cette approche, qui doit être résolument poursuivie, à l’échelle nationale et à celle de l’Union européenne.

 

Recommandation  34 : Développer, dans le cadre de l’Union européenne, un cloud souverain, ou à défaut prévoir l’environnement réglementaire permettant d’assurer un hébergement sur le territoire européen et la non-exposition des données à des législations extraterritoriales.

Toujours dans le domaine numérique, votre rapporteur estime que la France, à défaut de viser une autonomie totale dans le cloud, doit au moins conserver la maîtrise de certains segments. Elle doit par exempte devrait avoir l’ambition de développer sa propre messagerie instantanée, indépendante des messageries cryptées étrangères – WhatsApp, Telegram, etc.. En effet, l’utilisation à vaste échelle, y compris parfois par des services critiques de l’État, de solutions étrangères n’est pas anodine sur le plan de la souveraineté nationale, ne serait-ce que par l’utilisation qui est faite des données circulant sur ces réseaux, et par l’impact massif que peut avoir, en France, une panne ou un dysfonctionnement affectant ces acteurs.

D’ores et déjà, la France a développé, dans le cadre de l’administration étatique, la messagerie instantanée souveraine Tchap. Des entreprises françaises développent des solutions encore plus performantes. Votre rapporteur estime qu’une réflexion est nécessaire pour déterminer un modèle pertinent de messagerie souveraine ouverte à tous les utilisateurs, avec un niveau de service suffisant pour permettre une appropriation rapide par le plus grand nombre.

 

Recommandation  35 : Développer une messagerie instantanée souveraine en trouvant un modèle public-privé adapté.

Il semble enfin nécessaire, s’agissant notamment des opérateurs d’importance vitale (OIV), de renforcer le rôle de l’Agence nationale de sécurité des systèmes informatiques (ANSSI) en donnant à celle-ci un pouvoir d’injonction, à l’instar de celui dont l’Agence de sûreté nucléaire est investie vis-à-vis des opérateurs du nucléaire.

 

Recommandation  36 : Donner un pouvoir d’injonction à l’ANSSI.

c.   Sécuriser l’accès aux terres rares

Au-delà du chantier du numérique, qui lui semble prioritaire et urgent, et sans prétendre à l’exhaustivité, votre rapporteur souhaite également souligner l’enjeu de la sécurisation de l’accès aux terres rares à des fins de résilience.

Les terres rares sont des métaux aux propriétés voisines, peu exploités jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, mais devenus indispensables dans la fabrication des nouvelles technologies. La Chine en est actuellement, de très loin, le premier producteur au monde, au prix d’un désastre environnemental, puisque cette exploitation implique la perte de millions d’hectares de terres et des ressources colossales en énergie et en eau.

Le développement d’une capacité souveraine d’extraction des terres rares permettrait d’envisager une production minimale pour répondre à la fois aux enjeux stratégiques. Votre rapporteur recommande ainsi d’étudier les modalités d’une extraction européenne des terres rares outre-mer, tout en développant des capacités de recyclage qui permettraient de réduire les besoins d’exploitation.

 

Recommandation  37 : Étudier les modalités d’une exploitation maîtrisée des terres rares européennes, dans le but de garantir une sécurité d’ approvisionnement minimale.

 

Recommandation  38 : Investir dans le recyclage des terres rares, de façon à réduire les besoins d’exploitation.

5.   Organiser une « défense totale » impliquant l’ensemble des acteurs clé en situation de crise grave

a.   Élaborer un plan de « défense totale » et en assurer le suivi

Votre rapporteur a insisté sur la nécessité de fonder la résilience sur les citoyens et la société civile, dans une approche inclusive. Il estime en effet que, face à une crise majeure, d’une gravité inédite, seule la mobilisation de l’ensemble des composantes de la nation permettrait à la France d’être résiliente.

Cette démarche englobe également l’ensemble des organisations, publiques et privées, dans une approche de défense totale similaire à celle qui est développée dans les pays nordiques (cf. A). Selon cette approche, le Parlement, le Gouvernement, les autorités nationales, les collectivités territoriales, les entreprises privées, les associations et les citoyens ont tous vocation à être associés à l’effort de défense, et cette mobilisation est prévue très concrètement, à travers la planification mise en œuvre.

Votre rapporteur plaide pour la mise en œuvre, sur le même modèle, d’un plan de défense totale en France, qui permettrait de prévoir la mobilisation et l’interaction de l’ensemble des composantes de la nation, à des fins de résilience, dans une situation de crise majeure.

 

Recommandation  39 : Prévoir un plan de défense totale impliquant l’ensemble des forces de sécurité, de secours et de santé, les opérateurs d’importance vitale, les opérateurs logistiques et la population en cas de crise grave sur le territoire national.

b.   Étendre le périmètre des opérateurs jugés essentiels au fonctionnement de la nation

Votre rapporteur pense que la rédaction de ce plan de défense totale, combinée à la revue stratégique de l’ensemble des secteurs économiques, devrait conduire naturellement à étendre le périmètre des opérateurs privés jugés essentiels au fonctionnement de la Nation.

En effet, lors des auditions de la mission, il est fréquemment apparu que le périmètre des opérateurs d’importance vitale (OIV), soumis à l’obligation de plans de continuité d’activité et bénéficiant d’un traitement prioritaire de la part des autorités publiques en situation de crise, était trop restreint pour englober l’ensemble des activités essentielles au fonctionnement de la nation.

Par exemple, dans le secteur de l’eau, les usines de production de canalisations et de matériels n’ont pas été considérées comme prioritaires lors de la crise, alors même que des problèmes sur la maintenance du réseau peuvent menacer l’acheminement en eau ([216]).

De même, le secteur de la distribution alimentaire n’est, contrairement à l’agriculture, pas considéré comme d’importance vitale, alors que son intervention est cruciale pour que les biens alimentaires puissent être distribués à la population ([217]).

Enfin, le transport routier, qui représente 90 % en part modale du transport de marchandises en France, ne bénéficie pas non plus d’un plan de continuité d’activité, ce qui a posé des difficultés importantes avec la crise sanitaire, par exemple pour la restauration et le repos des chauffeurs, avec la fermeture des hôtels, restaurants et aires d’autoroute ([218]).

Sans anticiper sur les travaux conduits par le secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale (SGDSN), qui travaille concrètement sur l’élargissement du périmètre des opérateurs essentiels, il convient néanmoins de souligner la nécessité d’une implication large des acteurs privés, le cas échéant via la création d’une nouvelle catégorie d’opérateurs prioritaires, assortie de règles spécifiques.

 

Recommandation  40 : Au-delà des activités d’importance vitale, définir un champ d’activités essentielles au bon fonctionnement de la nation et associer pleinement les acteurs de ces domaines à la démarche de prévention et de gestion des crises.

Afin de se prémunir contre la « faculté d’oubli » collective à mesure que la mémoire d’une crise s’efface, un tel plan impliquant l’ensemble des acteurs publics et privés devra faire l’objet d’actualisations régulières.

6.   Alléger certaines contraintes juridiques en situation de crise

Il a été montré que la « juridicisation » croissante de la société et de l’action publique, assortie à un usage abusif du principe de précaution, pouvait être un obstacle à la résilience de la France.

Cet obstacle, évoqué par de nombreux interlocuteurs de la mission d’information, a souvent pu être surmonté grâce à une communication et une coopération efficaces entre les acteurs privés et les services de l’État. L’obstacle juridique a néanmoins compliqué l’action et fait perdre du temps. Face à une crise plus grave, impliquant une réponse plus urgente encore, nous pourrions ne pas disposer de ce temps supplémentaire.

Parfois, l’obstacle juridique a perduré. Le secteur de la grande distribution a, par exemple, mentionné la question des prêts de main-d’œuvre. Dans les entrepôts alimentaires qui manquaient de personnels, la grande distribution aurait voulu employer des personnels issus d’autres entrepôts alors au chômage partiel, et qui étaient volontaires, moyennant un complément de revenus. L’obstacle juridique n’a pas pu être levé dans cette situation ([219]).

L’obstacle juridique constitue un frein particulièrement important pour les responsables publics en situation de crise. Ceux-ci doivent avoir la latitude nécessaire pour prendre des décisions adaptées dans un temps court, ainsi que l’a formulé, lors de son audition, le préfet Alain Thirion : « face aux contraintes, nous devenons plus ingénieux : la nécessité fait loi. Cela requiert une certaine souplesse et la possibilité d’offrir aux acteurs locaux les conditions de cette souplesse ([220]) ».

Votre rapporteur estime ainsi qu’un travail doit être accompli pour déterminer les modalités d’une adaptation des normes juridiques applicables en situation de crise, s’agissant en particulier de la commande publique et de la responsabilité financière des gestionnaires publics. Il conviendra également de préciser le régime juridique de la responsabilité pénale des décideurs politiques en situation de crise, afin de prévenir tout risque de paralysie de l’action gouvernementale.

 

Recommandation  41 : Prévoir dans le code des marchés publics la possibilité d’un allègement temporaire des contraintes juridiques dans certains secteurs stratégiques – cloud, équipements de protection, distribution alimentaire, etc. –, dans le but d’en renforcer l’autonomie en temps de crise et de préserver leur capacité à fonctionner en situation dégradée.

 

Recommandation  42 : Favoriser le recours à des clauses dérogatoires au droit de la commande publique ainsi qu’aux régimes de responsabilité financière des gestionnaires publics, afin de limiter le risque contentieux lié à des décisions justifiées par l’urgence en situation de crise.

 

Recommandation  43 : Préciser le régime de responsabilité pénale des décideurs publics en cas de crise pour prévenir le risque de limitation de l’action gouvernementale.

E.   Donner une impulsion politique pour une « gouvernance de la résilience »

Si le renforcement de la résilience de la nation impose de dépasser le champ des politiques et des pouvoirs publics pour s’intéresser aux ressources et aux dispositions de la société civile, les institutions publiques n’en possèdent pas moins des compétences propres qu’il leur est impossible de déléguer. Celles-ci ont trait notamment à l’anticipation des risques menaçant la sécurité nationale, à la conduite opérationnelle de la gestion de crise selon un cadre juridique déterminé, ou encore à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques publiques.

1.   Renforcer le pilotage national de la préparation et de la gestion des crises

L’organisation des fonctions stratégiques d’anticipation et de la conduite opérationnelle de la gestion de crise suppose un effort de coordination entre des services distincts, ainsi que des moyens d’analyse des risques. De telles fonctions impliquent, sinon la constitution d’un département ministériel dédié qui s’ajouterait aux structures existantes, du moins l’identification d’un organe déterminé, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, qui doit voir son rôle conforté.

La déclinaison, dans le champ de compétence de chaque ministère, de mesures élaborées dans un cadre interministériel, suppose l’identification d’interlocuteurs capables d’assurer la transmission des directives à chaque service. Réciproquement, dans la logique d’un retour d’expérience et de l’adaptation continue des mesures à la réalité sur laquelle elles agissent, il importe qu’un nombre limité d’acteurs dans chaque département ministériel se fasse l’interprète et le relais de préoccupations surgies de la pratique.

Lors de son audition ([221]), le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, M. Stéphane Bouillon, a indiqué que son service s’est appuyé, durant la crise sanitaire, principalement sur deux catégories d’interlocuteurs parmi les membres des administrations centrales des ministères : d’une part, les hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS), décrits comme les interlocuteurs habituels du SGDSN ; d’autre part, certains membres de cabinets ministériels.

Il a également décrit les travaux du SGDSN visant à développer les compétences des hauts fonctionnaires et des membres de cabinets ministériels en matière de gestion de crise. Le rapporteur salue les actions entreprises, notamment dans le cadre de la formation des administrateurs de l’État au sein du nouvel Institut national du service public (INSP).

Afin de s’assurer que les personnes susceptibles d’être chargées à court ou moyen terme de mettre en œuvre des dispositifs de gestion de crise, il serait opportun que chaque cabinet ministériel dispose d’un membre formé à ces fonctions. Celui-ci pourrait notamment recevoir la qualité de directeur adjoint, responsable de la gestion de crise, et bénéficierait dès sa prise de poste d’actions de formation. À mesure que les membres des corps parmi lesquels sont majoritairement recrutés les cadres supérieurs de la fonction publique auront fait l’objet, au stade de la formation initiale, de telles actions, des formations de niveaux différenciés pourraient leur être proposées, en tenant compte de leurs expériences antérieures.

Le responsable de la gestion de crise dans chaque cabinet ministériel ferait aussi fonction d’interlocuteur des structures interministérielles de crise – notamment le SGDSN – aux côtés du haut fonctionnaire de défense et de sécurité.

 

Recommandation  44 :

 identifier, au sein de chaque cabinet ministériel, un responsable chargé plus particulièrement de la gestion de crise, notamment pour la coordination interministérielle en situation d’urgence ;

 s’assurer que, dès sa prise de poste, ce responsable bénéficie d’une formation à la gestion de crise.

Les fonctions des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) sont définies dans la partie réglementaire du code de la défense. L’article R. 1143-2 dudit code dispose que ces fonctionnaires relèvent directement du ministre et qu’ils ont autorité, pour l’exercice de leur mission, sur l’ensemble des directions et des services du département ministériel concerné. Les HFDS constituent à cet égard une illustration des principes de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation de la défense nationale, dans la mesure où celle-ci ne limite pas l’exercice des missions de défense aux armées, et s’attache à définir les compétences respectives des acteurs civils et militaires pour la mise en œuvre d’une défense intégrée, impliquant toutes les composantes des pouvoirs publics et de la nation.

Du fait de leur champ de compétence transversal, qui comprend aussi bien la diffusion des directives gouvernementales en matière de défense que la sécurité des systèmes d’information du ministère, et par l’autorité qu’ils sont susceptibles d’exercer sur les différents services, les HFDS peuvent constituer des interlocuteurs stratégiques en vue de la préparation et de la conduite opérationnelle de la gestion de crise. Aussi, le rôle des HFDS pourrait être redéfini afin d’introduire parmi leurs missions la conduite, dans chaque département ministériel, des revues stratégiques visant à apprécier la vulnérabilité aux crises de toutes natures et à élaborer des actions tendant à réduire l’exposition aux risques identifiés.

 

Recommandation  45 : Redéfinir le rôle des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) en y intégrant l’évaluation régulière de l’état de préparation de chaque ministère aux différentes crises, notamment sous la forme de revues stratégiques visant à mettre au jour les sources de vulnérabilité.

2.   Rénover certains dispositifs institutionnels applicables en situation de crise

L’ordonnancement juridique français comprend plusieurs dispositifs de mobilisation, permettant de placer à la disposition des pouvoirs publics les ressources du pays pour faire face à une crise majeure, ainsi que des états d’exception dont l’adaptation aux risques actuels paraît discutable. Or, l’adéquation des instruments juridiques aux nécessités de l’action en temps de crise, dès lors qu’elle permet à la nation de recouvrer plus rapidement son équilibre, constitue un facteur de résilience.

a.   Des régimes de mobilisation inutilisés en raison de l’évolution du contexte sécuritaire

Parmi ceux-ci, la mobilisation générale et la mise en garde constituent deux exemples de dispositifs visant à assurer la contribution de l’ensemble des forces vives du pays à l’effort de défense. L’horizon stratégique dont participent ces mesures est celui d’un conflit de haute intensité, imposant la participation de toute la société aux multiples composantes de l’effort de guerre, tant civiles – notamment par le soutien à une économie s’attachant à répondre aux besoins des armées – que militaires, par la mobilisation des appelés du contingent.

La mobilisation générale se définit ainsi comme la mise en œuvre de « l’ensemble des mesures de défense déjà préparées » (premier alinéa de l’art. L. 2141-1 du code de la défense). Son déclenchement a donc pour effet la conduite d’actions déterminées à l’avance, en même temps que l’attribution de prérogatives dérogatoires à la puissance publique lui permettant de prendre les mesures complémentaires qu’imposent les circonstances. Elle relève d’une décision du pouvoir réglementaire qui, aux termes de l’article L. 2141-2 du code de la défense, revêt la forme d’un décret pris en conseil des ministres. La mobilisation peut aussi n’être que partielle (art. L. 2141-4). Sa notification aux autorités civiles et militaires concernées incombe au ministre chargé de la défense. La mobilisation confère notamment à l’autorité administrative un double pouvoir de réquisition des personnes, des biens et des services ainsi que de répartition des ressources disponibles.

La mise en garde est décidée dans les mêmes conditions, sous réserve des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 1311-1 du même code ([222]). Elle diffère de la mobilisation générale par sa portée : tandis que cette dernière entraîne le déclenchement de l’ensemble des mesures de défense définies préalablement, la mise en garde consiste en « certaines mesures propres à assurer la liberté d'action du Gouvernement, à diminuer la vulnérabilité des populations ou des équipements principaux et à garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou de mise en œuvre des forces armées et formations rattachées » (art. L. 2141-1, al. 2).

De même que la mobilisation et que la mise en garde, « l'appel ou le maintien en activité de tout ou partie des réservistes soumis à l'obligation de disponibilité peut être décidé par décret en conseil des ministres », aux termes de l’article L. 4231-4 du code de la défense.

Si l’on ne saurait exclure que de telles dispositions puissent être un jour appliquées, en particulier dans le cas où il serait porté atteinte à l’intégrité du territoire national, force est de constater que l’hypothèse d’une mobilisation de la population générale au sein d’unités combattantes paraît sans objet depuis que la suspension du service militaire a été décidée. Toutefois, au vu des incertitudes qui caractérisent le contexte stratégique actuel, marqué par de nouvelles rivalités entre puissances, il serait opportun de procéder à l’évaluation systématique de l’adaptation des régimes de mobilisation – mobilisation générale et mise en garde – actuellement prévus par le code de la défense aux besoins de la défense nationale dans un environnement renouvelé. Il paraît de surcroît conforme au projet d’une défense globale, semblable dans son inspiration au principe de la mobilisation du pays tout entier réaffirmé par l’ordonnance de 1959, qu’un dispositif juridique permette d’impliquer de vastes pans de la population et des forces vives pour les besoins de la défense nationale.

À plus forte raison, l’état de siège, consacré à l’article 36 de la Constitution, constitue un exemple de dispositif dérogatoire tombé en désuétude. Comme l’a indiqué M. François Saint-Bonnet durant son audition ([223]), cet état d’exception vise à faciliter le rétablissement de l’ordre dans une zone déterminée, dans l’hypothèse où une enclave ou un foyer insurrectionnel se formerait en un point du territoire national. Aussi une évaluation approfondie de la pertinence de ce régime d’exception serait-elle appréciable, pour aboutir le cas échéant à sa réforme.

 

Recommandation  46 : Réformer les régimes d’exception et de mobilisation hérités de l’histoire constitutionnelle et politique et tombés en désuétude – état de siège, mise en garde... – en mettant en regard leurs dispositions avec les menaces actuelles.

b.   Évaluer la pertinence des différents régimes dérogatoires au droit commun et renforcer le contrôle parlementaire de ces derniers

Si l’application de régimes dérogatoires au droit commun constitue une ressource utile afin de faciliter l’action des pouvoirs publics dans des circonstances exceptionnelles, certains d’entre eux pourraient faire l’objet de contrôles supplémentaires visant à s’assurer que leur application concourt effectivement à l’intérêt supérieur de la nation et à sa résilience.

Tel est notamment le cas de l’article 16 de la Constitution. Si ce dernier constitue un instrument d’ultime secours face à des situations d’une gravité telle que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics serait impossible, il importe de s’assurer que son utilisation soit strictement justifiée, sauf à susciter la défiance de l’opinion publique et à menacer gravement la cohésion nationale.

Le contrôle de son application a ainsi été conforté par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui a consacré le rôle du Conseil constitutionnel. Afin de pérenniser cette disposition adaptée aux crises les plus graves, il pourrait être opportun de modifier l’article 16 de la Constitution afin d’y introduire les modalités d’un contrôle parlementaire, auquel serait subordonnée la poursuite de son application.

 

Recommandation  47 : Renforcer le contrôle parlementaire de l’application de l’article 16 de la Constitution en conditionnant sa prolongation, au-delà d’une durée déterminée, à l’approbation du Parlement.

3.   Évaluer les politiques publiques à l’aune de la résilience au même titre que de l’efficience et de l’efficacité

Au cours des dernières décennies, les objectifs de gestion des institutions publiques et privées ont convergé vers la recherche d’une plus grande efficience et efficacité. Ces deux objectifs complémentaires désignent respectivement la capacité d’une politique à remplir une fonction déterminée et la minimisation du coût des actions qui permettent d’atteindre ce résultat. L’utilisation conjointe de ces deux notions et des indicateurs associés conduit à rechercher le résultat le plus avantageux pour une quantité définie de moyens.

Parmi les institutions qui pratiquent l’évaluation des politiques publiques, la Cour des comptes, que la Constitution a chargée de cette mission aux côtés du Parlement, indique que les attributs d’une politique soumis à son appréciation sont respectivement sa cohérence, son efficacité, son efficience, sa pertinence et son utilité. Si rien ne paraît s’opposer à ce que la contribution d’une politique publique à la résilience du pays soit évaluée sur le fondement de cette liste – par exemple au titre de la « pertinence » ou de « l’utilité », voire de « l’efficience » – il serait opportun que la notion y figure explicitement. En effet, les objectifs d’efficacité et d’efficience, tels qu’ils sont communément interprétés, peuvent être concurrents, davantage que complémentaires aux visées d’une stratégie de résilience. Ainsi, alors que l’anticipation de besoins imprévus concernant un produit déterminé, éventuellement associés à une rupture des approvisionnements, est un argument à l’appui de la constitution de stocks, les coûts liés à l’entretien de réserves peuvent apparaître comme contraires à l’objectif d’efficacité de l’utilisation des ressources. La destruction des stocks de masques constitués à l’occasion de la pandémie de grippe H1N1 entre 2009 et 2010 est une illustration récente de ces possibles tensions entre des buts distincts. Le rapporteur estime ainsi que l’application du principe de redondance, consistant à se doter de moyens supérieurs à ceux requis pour accomplir une action particulière à un moment déterminé, devrait être plus systématiquement prise en considération.

À l’avenir, il serait particulièrement opportun d’évaluer la résilience des politiques publiques territoriales qui pourraient être soumises au contrôle de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) ([224]) . En effet, au regard de la nature localisée de certaines crises, et notamment de celles d’ordre environnemental ou climatique, mettant en cause la résilience de l’environnement et de la population, la prise en compte de l’impact de politiques élaborées ou conduites dans une zone circonscrite constitue un axe de développement des enquêtes évaluatives.

L’inclusion de la résilience parmi les critères mobilisés dans le cadre des évaluations de politique publique et des missions de contrôle pourrait ainsi être décidée par l’ensemble des organes administratifs ou juridictionnels qui concourent à ces démarches. Les organismes de recherche publics et privés qui pratiquent l’évaluation de politique publique pourraient se voir inviter à faire de même.

 

Recommandation  48 : Intégrer la résilience à la liste des critères sur lesquels se fondent les évaluations de politiques publiques conduites par les différentes institutions qui assument ces fonctions de contrôle – Cour des comptes, inspections générales…

La contribution des politiques publiques, et plus généralement de l’action gouvernementale, à la résilience du pays est également une donnée dont le Parlement pourrait être invité à tenir compte dans la conduite de ses missions constitutionnelles. Par exemple, la contribution d’une mission budgétaire à la résilience nationale pourrait faire l’objet de discussions durant l’examen du projet de loi de finances, le cas échéant à travers la construction d’indicateurs de performance.

 

Recommandation  49 : Inviter le Parlement à prendre en considération les enjeux liés à la résilience nationale dans ses missions constitutionnelles de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

Si les interdépendances caractérisent les rapports entre l’ensemble des États et des sociétés à l’échelle mondiale sous l’effet de la globalisation, ces solidarités de fait sont particulièrement prononcées au sein de l’Union européenne, qui fournit un cadre juridique et politique favorable à leur approfondissement. Ainsi, tant la liberté de circulation que la coordination des politiques publiques entre États membres ou que l’harmonisation des normes au sein de l’Union, contribuent à ce que la résilience de la France soit influencée par celle des autres États membres et, réciproquement, à ce que la capacité de la nation française à résister aux conséquences de certaines crises – telles qu’une rupture de l’approvisionnement en énergie – contribue à l’indépendance de ses partenaires européens.

Certaines dispositions ou projets de normes de droit européen tendent à prendre en considération la résilience des politiques publiques. Tel est le cas notamment du règlement (UE) 2021/241 du Parlement européen et du Conseil du 12 février 2021 établissant la facilité pour la reprise et la résilience, dont l’article 17 prévoit, pour la définition des mesures éligibles aux financements du plan de relance européen, la préservation de la résilience des écosystèmes. Le projet de directive sur la résilience des entités critiques, qui repose sur une acception de ce terme plus proche de celle adoptée par le présent rapport, constitue une autre ressource à l’appui d’une approche harmonisée de la résilience des États membres.

 

Recommandation  50 : Prendre appui sur le cadre communautaire d’évaluation de la résilience des politiques publiques préfiguré par les plans nationaux pour la relance et la résilience (PNRR) mis en œuvre, sous le contrôle de la Commission, en tant que déclinaisons du plan de relance européen (« Next Generation EU »), pour élaborer un référentiel commun permettant d’apprécier la contribution de chaque politique publique à la résilience de l’Union européenne.

Plusieurs des recommandations qui figurent dans le présent rapport sont de nature législative, voire constitutionnelle. Aussi, pour assurer la traduction de l’approche inclusive de la résilience nationale, il serait justifié de rassembler les recommandations qui appartiennent par leur objet au domaine de la loi, dans un même texte législatif.

Un tel projet de loi viserait d’abord à donner corps à des recommandations qui, à l’image de la finalisation du service national universel, s’inscrivent dans la continuité d’actions entreprises qu’elles tendent à parachever. Il permettrait aussi de procéder à la réforme des dispositifs de mobilisation et des régimes de crise pour lesquels certaines adaptations seraient proposées.

 

Recommandation  51 : Formaliser les propositions de nature législative formulées dans le présent rapport dans un projet de loi Engagement et résilience au début de la législature 2022-2027.

 

 


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   Conclusion

 

Dans un monde incertain, marqué par la résurgence de rivalités stratégiques et par le développement de nouveaux risques affectant une société fragilisée et de plus en plus dépendante des technologies, le renforcement de la résilience de la nation est un impératif stratégique aussi bien que politique.

Le présent rapport a permis de mettre en exergue les nombreux atouts dont dispose la France pour faire face aux crises majeures et, le cas échéant, pour limiter leurs conséquences. La mission d’information en a eu en quelque sorte la preuve par l’exemple au fil de ses travaux, qui se sont déroulés au cours de la deuxième année de la pandémie de covid-19 : globalement, le pays a trouvé les ressources morales pour affronter l’épreuve et le Gouvernement a su mobiliser avec pertinence l’appareil de l’État et les forces vives de la nation pour trouver les meilleures solutions.

Cependant, la crise a également mis en lumière des vulnérabilités parfois anciennes. Chacune d’entre elles pourrait aujourd’hui être exploitée par nos compétiteurs stratégiques, dans le cadre d’une stratégie hybride, ou limiter notre capacité de réponse à un risque majeur. L’anticipation des « scénarios du pire » est donc nécessaire pour que la communauté nationale garde la maîtrise de son destin collectif en toutes circonstances.

Cette analyse doit nous amener à nous demander en permanence quel est le bon niveau d’assurance pour le pays, afin de déterminer ensuite quel est le bon niveau de réponse, en fonction du niveau de couverture souhaité – étant entendu que la garantie collective ultime reste celle que nous offrent nos armées, dont la remontée en puissance doit être résolument poursuivie.

Cela implique une action publique déterminée, qui doit notamment permettre de retrouver l’esprit de la défense globale à l’échelle interministérielle et même de l’étendre à l’ensemble des citoyens.

En effet, un des enseignements des travaux de la mission d’information est qu’à l’heure des menaces hybrides, le ressort de la résilience nationale est avant tout le citoyen lui-même, qui ne doit plus uniquement être considéré comme une victime ou la cible d’effets à produire, mais comme un élément de résolution de la crise.

Dès lors, le succès d’une stratégie de résilience nationale repose sur son caractère inclusif : le citoyen en est l’acteur et non l’objet. C’est son engagement au service de la société et du pays qui rend la nation plus forte.

Votre rapporteur s’est employé à analyser les multiples facteurs – psychologiques, culturels, sociaux, politiques – qui entrent en jeu dans cette implication de tous. Il en est arrivé à la conclusion que faire du renforcement de la résilience de la nation un véritable projet politique suppose un renversement de perspective sans doute plus spectaculaire en France que dans des pays où la culture étatique et centralisatrice possède des racines moins profondes.

Il s’agit en effet, pour le pouvoir politique comme pour les citoyens, d’admettre qu’il est des circonstances exceptionnelles où l’État ne peut pas tout et doit se concentrer sur sa propre continuité, sans pouvoir assurer immédiatement un minimum de services à chaque citoyen. Cela exige, de la part des dirigeants de la nation, une démarche d’humilité et, de la part des citoyens, une démarche d’engagement, d’initiative et de responsabilité individuelle et collective.

Aussi, bien que pensée dans l’horizon de graves événements perturbateurs dont elle vise à limiter les conséquences sur le fonctionnement du pays, la résilience est porteuse d’effets bénéfiques pour l’organisation habituelle de la vie de la cité, notamment parce que les motivations d’un tel projet ne sont pas offensives vis-à-vis d’autres pays, mais purement défensives. On peut sans exagération trouver dans la préparation d’une stratégie de résilience le ferment d’un pacte social renouvelé.

Un projet de résilience nationale suppose l’identification de principes communs auxquels l’ensemble de la population est attaché. Dans une société de plus en plus individualiste, il tend à montrer que chacun est nécessaire pour tous. Définir collectivement une stratégie de résilience est donc en soi un facteur de cohésion sociale.

Ensuite, l’anticipation de certains risques permet d’entreprendre des actions porteuses d’externalités positives pour la société. Par exemple, les relocalisations ciblées de capacités de production industrielles, qui visent notamment à se prémunir des conséquences d’éventuelles perturbations du commerce international, devraient concourir à la revitalisation de bassins d’emploi français et européens. Compte tenu de la contribution de ce secteur productif au progrès technique, l’amorce de redéploiement industriel que connaît le territoire national est également favorable à l’innovation, et peut indirectement contribuer à la découverte de méthodes de production plus économes en ressources. Il en va de même pour l’agriculture, avec le rapprochement entre bassins de consommation et de production.

Une stratégie de résilience nationale tend ainsi à conforter certains déterminants de la cohésion sociale. Elle a également pour effet, comme le montre l’exemple des pays nordiques, d’accroître le bien-être de la population, pleinement consciente des risques mais aussi pleinement associée pour s’en prémunir.

Réciproquement, une plus grande cohésion de la société française serait favorable au renforcement de la résilience du pays. Une nation dotée d’un sens aigu de ses valeurs et de la volonté de les défendre est d’autant plus à même d’imprimer au cours de l’Histoire une orientation qui lui soit favorable.

Dans la perspective d’une défense inclusive, mobilisant l’ensemble d’une société dans toutes ses dimensions, la résilience peut également constituer un moyen de dissuasion à l’égard de compétiteurs stratégiques, complémentaire de la dissuasion stratégique. En effet, cette dernière ne couvre pas forcément tous les scénarios stratégiques – fait accompli, menaces hybrides, difficulté d’attribution, etc. L’ultime dissuasion, c’est l’impossibilité, pour un adversaire potentiel, d’exercer un contrôle prolongé sur une population hostile et dotée des ressources morales, culturelles et intellectuelles nécessaires à la poursuite de la lutte.

Après la défense militaire pratiquée jusqu’au début du XXe siècle, après la défense globale voulue par l’ordonnance de 1959 afin de faire contribuer l’ensemble des moyens de l’État, l’heure est venue d’associer plus largement toutes les forces vives de la nation dans une défense inclusive.

Une stratégie visant à asseoir de telles dispositions et aptitudes au sein de la population serait ainsi conforme au mot de Thucydide qui tient lieu d’épigraphe au présent rapport : « La force de la cité ne réside ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux, mais dans le caractère de ses citoyens. »

 


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   Examen en commission

 

M. le président Alexandre Freschi. Cette dernière réunion de la mission d’information sur la résilience nationale a pour objet l’examen du projet de rapport rendant compte de nos travaux, puis le vote sur l’adoption de ce rapport.

Le projet vous a été adressé il y a plusieurs jours par voie électronique et une version papier est à votre disposition dans la salle.

Il est rare qu’une instance de l’Assemblée nationale se donne un objet d’étude aussi vaste que celui qui a été choisi par nos collègues du groupe Agir ensemble.

Entre juillet 2021 et janvier 2022, la mission d’information a entendu plus de 120 personnes au cours de 63 auditions. Elle a également effectué deux déplacements importants, l’un à Nice et dans la vallée de la Vésubie sinistrée par la tempête Alex, l’autre en Finlande.

Durant les sept mois qu’ont duré nos travaux, nous nous serons intéressés aussi bien aux constellations de satellites qu’aux câbles qui parcourent le fond des mers, au contre-terrorisme qu’aux banques alimentaires.

Nous avons porté notre attention sur les approvisionnements en énergie, en eau, en produits alimentaires, sur les enjeux de réindustrialisation du pays, mais aussi sur le rôle et les difficultés des transporteurs routiers ou des entreprises de pompes funèbres en temps de crise.

Nous avons réfléchi à la question des réserves, du service civique et du service national universel (SNU).

Nous avons aussi entendu tous les services, directions et opérateurs de l’État et des armées participant à la prévision, à la prévention et à la gestion des crises.

Des historiens, des juristes, des statisticiens, des économistes, des experts militaires, des politologues, des spécialistes des sciences de l’information ou des relations internationales, des psychiatres, nous ont apporté leurs éclairages.

Bref, peu de parlementaires auront eu la chance de procéder à un tel tour d’horizon dans un temps si réduit.

Je veux donc saluer et remercier notre rapporteur, Thomas Gassilloud, qui a été, en quelque sorte, l’homme-orchestre de cette séquence et dont l’énergie et l’enthousiasme n’ont jamais faibli.

Son rapport synthétise l’information très riche qui nous a été livrée tout en retraçant le cheminement de sa réflexion au fil des auditions.

Au total, nous avons, grâce à ce rapport, une idée beaucoup plus claire de ce qu’est la résilience pour notre pays dans le contexte actuel et des enjeux que cela emporte.

Au-delà des nombreuses mesures très concrètes qu’il propose, le rapporteur procède en réalité à un renversement de perspective considérable qui consiste à placer le citoyen au centre de l’action, ce qui doit nous permettre de rester maîtres de notre destin collectif.

Alors que la législature s’achève et que le pays entre peu à peu dans une phase électorale, ce rapport est un travail pleinement politique, au sens le plus noble du terme.

J’espère donc sincèrement qu’il nourrira les débats des prochains mois.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Le rapport complète de nombreux travaux menés au sein de notre assemblée, par exemple par la commission de la défense : ce matin même, Mme Carole Bureau-Bonnard y présentait un rapport d’information sur les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC).

Il m’a semblé intéressant que nous prenions le temps d’étudier le concept de résilience nationale ainsi que les voies et moyens visant à la renforcer.

Nous avons beaucoup appris à l’occasion notamment du déplacement que nous avons effectué à l’initiative de Marine Brenier dans la vallée de la Vésubie, qui nous a permis de mesurer avec quelle fulgurance nous pouvions y être confrontés dans notre vie quotidienne.

Lorsque nous nous sommes réunis en juin dernier, nous nous étions fixé une feuille de route qui consistait d’abord à définir la notion de résilience nationale en partant du constat que nous sommes confrontés à un environnement de plus en plus incertain ainsi qu’à une conjonction inédite de risques et de menaces, alors que notre résilience collective est plus faible notamment en raison de notre dépendance accrue à la technologie.

Nous avions l’ambition de faire un tour d’horizon des différents secteurs vitaux pour la continuité de la nation afin d’en apprécier les vulnérabilités et les atouts.

Enfin, nous voulions entendre l’ensemble des acteurs de la résilience, du citoyen à l’échelon étatique, en passant par les armées, les collectivités locales et les acteurs clés de la société civile.

Nous avions l’intuition que nous pourrions nous inspirer de l’exemple d’autres pays démocratiques qui ont, de manière volontariste, développé une stratégie de résilience. C’est dans cet esprit que nous nous sommes rendus en Finlande le mois dernier.

Si notre domaine d’étude était extrêmement vaste, nous nous étions fixé deux limites, et d’abord celle de ne pas refaire le match de l’analyse de la crise sanitaire dans ses moindres détails puisqu’une autre mission d’information avait déjà largement contribué à faire la lumière sur celle-ci.

Notre seconde limite était de bien nous positionner sur les questions de résilience au niveau systémique sans nous attarder à une analyse secteur par secteur.

Notre but était bien de déterminer les axes structurants, systémiques et transversaux, permettant de renforcer la résilience de la nation dans son ensemble. Je dis renforcer parce que, dans ce domaine, notre pays dispose d’atouts exceptionnels et nombreux.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, il a une véritable ambition d’autonomie stratégique que l’on retrouve aussi bien dans l’esprit de la défense globale que dans le dimensionnement des armées, avec notre modèle d’armée complet, ou dans des secteurs très particuliers comme l’énergie, ce qui nous différencie bien de l’Allemagne notamment en matière d’autonomie énergétique.

Ces atouts s’appuient sur les forces vives, sur une certaine cohésion sociale et sur la capacité d’engagement de nos concitoyens.

Notre pays recèle également de grandes vulnérabilités, qu’elles soient d’ordre social, politique ou économique, qui ont été mises en lumière lors de la crise sanitaire.

Or chacune peut être exploitée par l’un de nos adversaires stratégiques – États aussi bien que groupes terroristes – au niveau mondial dans le cadre de menaces hybrides se situant en deçà du seuil de la guerre ouverte.

Il nous appartient donc d’analyser avec lucidité ces fragilités afin d’y remédier.

Si un axe structurant ressort, c’est la nécessité de fonder une stratégie de résilience en partant du citoyen.

Notre État centralisé et fort donne parfois l’impression de pouvoir tout faire et nous fait parfois considérer le citoyen comme un sujet sur lequel on produit des effets au lieu de le considérer comme un élément de résolution des crises.

Ainsi le Président de la République a-t-il, dans son discours sur le Sahel, dit pour la première fois qu’il fallait considérer ses habitants non pas uniquement comme des victimes du terrorisme, mais également comme des remparts contre celui-ci.

Dans les conclusions du rapport, nous appelons donc à un renversement complet de perspective en fondant une stratégie de résilience sur l’implication et sur la responsabilisation de tous les citoyens.

Cela implique une démarche d’humilité des pouvoirs publics qui doivent reconnaître leurs limites, notamment dans des conditions extrêmes, comme nous l’avons vu dans la vallée de la Vésubie où, dans un premier temps, citoyens et élus locaux ont dû se prendre en main et s’organiser.

Cela rejoint les stratégies de défense des pays nordiques.

Comment une telle intégration du citoyen peut-elle se faire concrètement ?

Premièrement, en développant la culture du risque au travers d’un discours clair et franc sur les risques objectifs auxquels nous sommes confrontés, pour que nous apprenions à vivre avec eux, à envisager leur survenue et à savoir collectivement réagir.

Le rapport propose ainsi de distribuer à tous les foyers de France un livret unique – certains, vivant, à proximité d’une centrale nucléaire doivent déjà en théorie en posséder un plus spécifique – sur la conduite à tenir en cas de crise, à l’instar du livret suédois qui est annexé.

Un tel livret inciterait chaque citoyen à disposer chez lui d’un minimum de réserve d’eau et de nourriture, ce qui n’a rien de honteux.

Le rapport propose aussi de créer une journée nationale de la résilience, qui pourrait se tenir en même temps que la journée du réserviste et au cours de laquelle nous pourrions sensibiliser sur les risques au niveau local, conduire des exercices de grande ampleur et mettre en avant ceux qui s’engagent, notamment les réservistes.

Le rapport insiste également sur les mesures qui permettent de développer l’engagement citoyen et le rôle central du maire pour mobiliser les citoyens autour des enjeux de résilience locaux.

Il s’agit également de dynamiser la force morale des individus, notion qui a été citée à plusieurs reprises lors de la récente présentation en commission de la défense du rapport d’information sur la préparation à la haute intensité.

Bien entendu, l’État a également son rôle à jouer dans cette nouvelle stratégie de résilience.

Il doit d’abord impulser une revue stratégique de l’ensemble des secteurs vitaux pour la nation, puisque la crise sanitaire nous a fait découvrir que de petits détails pouvaient être très dommageables pour notre résilience, y compris pour la fourniture d’eau potable.

Plutôt que de subir une prochaine crise, l’idée serait ainsi de disposer, secteur par secteur, de pistes en matière de capacités de production ou d’évolution de nos stocks stratégiques, le cas échéant en lien avec l’Union européenne.

La remontée en puissance de nos armées est également un facteur de résilience incontournable. On ne peut à cet égard que se féliciter des efforts faits depuis 2017. Le rapport formule plusieurs propositions visant notamment à accroître leur masse, c’est-à-dire leur capacité à réagir de manière simultanée à un défi important.

Si nos armées se sont depuis une vingtaine d’années organisées pour faire face à une moyenne d’engagement, elles ne disposent plus forcément de la capacité à mobiliser des moyens importants de façon simultanée, du fait par exemple de la rationalisation des parcs automobiles.

Il faut donc être sincère quant aux moyens que nous sommes en mesure de projeter pour faire face à un péril majeur.

S’agissant de l’État, il faut donner au SNU une nouvelle impulsion clairement orientée vers la résilience, la cohésion sociale n’étant pas une finalité opérationnelle en soi mais une externalité positive.

Dire à un jeune, où qu’il habite, qu’il est nécessaire à la nation constitue un fort ferment de cohésion nationale.

L’État doit également faire de la résilience une norme d’évaluation pour les acteurs privés et publics, au même titre que la performance ou que l’efficacité des politiques publiques.

Il doit aussi retrouver l’esprit de l’ordonnance de 1959 du général de Gaulle qui nous a fait passer d’une défense purement militaire à une défense globale associant l’ensemble des ministères.

Depuis la fin de la guerre froide, l’esprit de cette défense globale s’est un peu perdu et les ministères non militaires comptent souvent sur l’armée pour faire face en cas de crise majeure.

Or celle-ci ne dispose pas toujours, la crise sanitaire l’a montré, des moyens nécessaires. Le service de santé des armées, par exemple, représente moins de 1 % des moyens sanitaires du pays. Le ministère de la santé et celui de l’industrie doivent donc mener une réflexion sur leur fonctionnement dans une telle situation.

Enfin, l’objectif de résilience peut également être intégré par le Parlement dans les évaluations qu’il mène, et les budgets qu’il vote. Plusieurs recommandations du rapport nécessiteront en outre des mesures législatives pour être applicables.

Voici donc de belles perspectives pour le Président et l’Assemblée nationale qui seront élus au cours des prochains mois.

J’espère que nos travaux pourront utilement contribuer aux programmes des différents candidats, sachant que l’on peut tirer de cette stratégie de résilience nationale beaucoup d’externalités positives.

Plus globalement, associer les citoyens à une stratégie de résilience ne revient pas à les inquiéter en fermant les yeux mais au contraire à les rassurer sur notre capacité à faire face ensemble.

L’exemple des pays nordiques montre qu’une stratégie de défense inclusive, où la population est pleinement consciente des risques et responsabilisée, n’a pas du tout le côté anxiogène qu’on pourrait lui prêter. Ainsi la population finlandaise, très associée aux risques, se déclare parmi les plus heureuses du monde.

C’est un bon exemple d’externalité positive d’une stratégie de résilience : il faut associer tout le monde dans une politique publique ambitieuse pour que chacun soit plus serein et, finalement, peut-être, un peu plus heureux.

Mme Sereine Mauborgne. J’ai adressé une contribution personnelle dans laquelle, en tant que professionnelle de santé, je m’intéresse particulièrement à la résilience en matière de soins.

En premier lieu, il faut procéder à une réforme pragmatique de la réserve sanitaire. Lors du premier confinement, nous avons en effet pu constater combien cet outil était sous-dimensionné et incapable de faire face à l’inscription de 14 000 soignants.

Il convient donc de réfléchir à un triptyque, tout d’abord, ordinal, puisque ce sont les ordres de santé qui sont les plus proches des professionnels et les mieux à même de recenser les compétences – langues parlées, etc. – permettant de concourir à la résilience ; opérationnel, ensuite, avec les préfets, puisqu’ils assurent les réquisitions ; régional, enfin, avec les ARS, les agences régionales de santé, mais aussi central lorsqu’une région doit en aider une autre, ce qui fut le cas lors de la crise du covid.

Il convient également de réfléchir à la fidélisation et à l’optimisation des ressources humaines – à l’instar de ce que font les armées – en particulier dans le domaine de la réanimation, par exemple en permettant aux soignants qui ont été confrontés à la mort de nombreux patients de profiter de « sas de vie ». Il faut également reconsidérer la formation continue des soignants afin qu’ils puissent actualiser leurs potentiels et tenir sur le long terme.

En second lieu, j’insiste sur la question de la logistique alimentaire, sur laquelle le rapport me paraît un peu léger.

En dernier lieu, je me suis intéressée à la question de la gestion des décès massifs, que j’ai étudiée de près en tant que réserviste à l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur. Mes préconisations, très concrètes, concernent la rapidité d’élaboration des certificats de décès grâce à la dématérialisation des procédures, la réintégration des opérateurs du secteur funéraire à la chaîne du soin et la stabilisation des procédures concernant la prise en charge des corps, essentielle du point de vue de la salubrité publique.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Sur ce dernier point, votre contribution sera utile, les auditions ayant montré que les procédures en vigueur pouvaient être facilement débordées. Le rapport recommande d’ailleurs de refaire un point sur ce qui est ou non stratégique, certains secteurs ayant été considérés comme non essentiels – y compris la logistique – alors qu’ils sont décisifs au quotidien.

S’agissant de la logistique alimentaire, je prends note de votre remarque mais je rappelle que, tel que nous l’avons conçu, le rapport ne devait pas trop s’attarder sur les préconisations sectorielles. La continuité énergétique, par exemple, nécessiterait à elle seule bien des développements… Les seules recommandations sectorielles, en l’occurrence, viseront les domaines qui ont des répercussions systémiques. Par exemple, je me suis permis de recommander le développement d’une messagerie instantanée souveraine afin de ne pas dépendre de Telegram ou de WhatsApp.

S’agissant enfin de la réserve sanitaire, il me paraît important de revenir sur les crises de ces dix dernières années. Après l’épidémie liée au virus H1N1, les travaux des services de l’État et de notre assemblée ont débouché sur des recommandations concernant l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), la réserve sanitaire, les stocks de masques. Les responsables politiques se sont presque vu reprocher d’en avoir trop fait, or lorsque la crise du covid-19 est survenue, nous n’étions pourtant pas totalement préparés. D’où la citation de Jean Monnet en épigraphe du rapport : « Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. » En tant qu’autorité publique, nous nous devons donc d’anticiper les crises et de garantir aux citoyens que le niveau d’assurance accepté et souscrit est suffisant pour faire face. Quelques années seulement ont suffi pour oublier ce qui s’est passé avec le virus H1N1… et ne pas avoir suffisamment de masques à distribuer. L’un des défis de la prochaine législature consistera donc à disposer des investissements nécessaires pour être prêts à affronter une nouvelle crise.

M. Christophe Blanchet. Ce rapport n’est-il pas aussi éclairant face à l’actuelle crise ukrainienne ? Tous les Ukrainiens se mobilisent, s’entraînent, sont solidaires – malgré un rapport de force d’un à cinq avec la Russie –, bref, font preuve d’une véritable résilience. Dans un contexte comparable, qu’en serait-il chez nous ? Ne pourrait-on pas faire allusion à cette crise dans le rapport ?

Dans notre rapport d’information sur les réserves, Jean-François Parigi et moi-même avions rappelé que les réservistes canadiens peuvent arborer leur uniforme sur leur lieu de travail afin de valoriser leur engagement civique. Le travail est certes de longue haleine mais ne pourrait-on pas aller encore plus loin en insistant sur le patriotisme qui est au cœur de la résilience ?

En effet, les cérémonies commémoratives sont d’abord patriotiques. Ne pourrait-on donc pas supprimer le caractère férié du 8 mai, date de la célébration de la victoire sur l’Allemagne nazie, pour rappeler aux Français qu’il s’agit d’une journée patriotique ? Les enseignants rappelleraient aux élèves ce que sont les valeurs républicaines, le devoir d’engagement et de mémoire avant de les emmener aux cérémonies et d’accueillir les associations d’anciens combattants ainsi que des réservistes. Ces derniers, quant à eux, ne travailleraient pas mais leur journée serait payée et ils pourraient se rendre dans les entreprises, comme au Canada, pour valoriser leur engagement.

Enfin, le rapport devrait indiquer qu’à telle date, le SNU doit être effectif pour une classe d’âge. Nous devons instaurer une obligation de résultat, à mon sens à partir de 2025, afin de pouvoir mesurer cinq ans après ce qu’il en est vraiment. C’est ainsi que nous contribuerons à donner un nouvel élan au SNU.

En l’occurrence, nous sommes confrontés à des problèmes de locaux. Le service militaire volontaire (SMV) dispose de sept centres. L’État ne pourrait-il pas organiser des « SMV-SNU » pérennes dans chaque région ? Nous aurions ainsi treize centres SNU en métropole et nous bénéficierions d’une vraie dynamique entre État et régions au bénéfice de nos jeunes.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Ce rapport bénéficie de tous les travaux qui ont été menés depuis le début de la législature et il remet en effet en valeur le SNU tout en proposant de le renforcer.

Je n’ai jamais caché mes doutes à propos de sa conception originelle, en 2017. Le SNU ne sera largement accepté que s’il a une finalité opérationnelle : la résilience. Le rapport préconise ainsi la discussion d’un projet de loi Engagement et résilience, qui pourrait inclure des dispositions sur le SNU et les réserves – l’acceptation de telles mesures par la nation passant par un débat contradictoire au Parlement.

Il est vrai que l’organisation du SNU souffre d’une certaine inertie alors que les menaces peuvent être fulgurantes. Sans doute ne faut-il donc pas trop tarder à prendre de telles mesures, qui produisent leurs effets dans la durée.

L’OTAN considère depuis longtemps que la résilience est un moyen de dissuasion – une réunion a d’ailleurs eu lieu la semaine dernière afin de réfléchir à la manière d’accroître la résilience ukrainienne. Une défense totale, y compris civile, montre à d’éventuels ennemis ce que serait le prix à payer en cas d’agression.

L’esprit patriotique est en effet décisif, d’où la nécessité de réfléchir aux symboles, au drapeau, aux cérémonies. Ainsi, je serais favorable au port obligatoire d’une tenue scolaire unique, alors que l’éducation nationale s’est toujours opposée aux maires qui ont souhaité l’expérimenter dans leurs écoles. Cependant, en cette période électorale, dans un rapport forcément très politique, j’assume avoir fait preuve de modération. Nous proposons donc que les maires, après concertation locale, puissent expérimenter le port obligatoire de la tenue. Faisons ensuite le point, dans quelques années, pour savoir ce qu’il importe de retenir. Nous connaissons tous le caractère « fédérateur » de la tenue pour accroître le sentiment d’appartenance à un collectif, comme nous le constatons d’ailleurs avec les jeunes du SNU.

J’ai également fait preuve de modération à propos du jour férié. Je suis favorable à la suppression de l’un d’entre eux pour que chaque salarié puisse prendre une journée afin de se mettre à la disposition d’un service lié à la résilience et piloté par le maire. Il s’agirait de transformer un jour férié en un jour « résilience » dont la date aurait été fixée par le maire, et lors duquel ferait appel à ses administrés. Compte tenu de la période électorale, nous avons amoindri nos exigences et proposons, dans la recommandation n° 21, d’« expérimenter un système incitatif permettant aux maires de faire appel à leurs administrés un jour par an pour mener à bien des projets de résilience locale ». Il est très important que les citoyens contribuent à la vie en société en s’engageant, pas seulement en payant leurs impôts. Tout un chacun, quelle que soit sa condition sociale, doit participer à une œuvre commune.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Je tiens à vous féliciter, ainsi que les administrateurs, pour ce travail très précis et complet. Un livret distribué à la population serait très important, comme nous l’avons vu à Nice, est très important. Lorsque les risques, notamment NRBC, sont connus, il faut que la population sache comment réagir. Je pense aussi au terrorisme et à d’autres menaces aux conséquences potentiellement traumatisantes. On a tendance à ne pas vouloir expliquer précisément quelle est leur nature. L’actualité les met parfois sur le devant de la scène, mais une fois la crise passée, on n’en parle plus. La population doit aussi savoir qui est chargé du matériel, et ce à tous les niveaux administratifs. Il est important que les citoyens n’aient pas le sentiment d’être face à une absence de réaction et qu’ils soient bien préparés en amont.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. S’agissant du matériel, j’ai été assez épaté par les Finlandais. Il ne faut pas oublier que leur pays partage 1 200 kilomètres de frontière avec la Russie : ils n’ont donc jamais baissé la garde, d’autant qu’ils n’ont pas d’armes de dissuasion et qu’ils ne sont pas membres de l’OTAN. Ils ont à chaque fois montré leur capacité à réagir. Il faut dire qu’en matière d’organisation, la chose est plus simple car la Finlande compte autant d’habitants qu’une région française et que son histoire est un peu différente de la nôtre.

J’appelle votre attention sur la recommandation n° 32 qui vise à « étudier la mise en place d’une agence nationale d’approvisionnement d’urgence sur le modèle de la NESA finlandaise, dont le rôle serait de planifier, développer et maintenir la sécurité des approvisionnements, et de soutenir les opérateurs publics et privés pour l’identification de vulnérabilités ». Nous serions ainsi certains de disposer des matériels de base, dont la plupart sont par ailleurs très peu onéreux.

Vous constaterez que le livret suédois, présenté en fin de rapport, renferme beaucoup de dispositions. Il y est écrit que, si la Suède est attaquée, il faut une force de résistance ; un encart sur fond rouge précise que : « Si la Suède est attaquée par un autre pays, nous ne nous rendrons jamais. Toutes les informations ordonnant de cesser la résistance sont fausses. » Cela montre un certain état d’esprit et constitue, du reste, une forme de dissuasion. Un pays qui aurait des velléités d’attaque devra y réfléchir à deux fois : s’il arrive à bout de l’armée suédoise, il aura bien de la peine à maîtriser le pays !

La communication de crise et la confiance dans les autorités publiques apparaissent en filigrane dans le rapport. La crise sanitaire a montré que ces points méritaient d’être réinterrogés. De manière générale, et au-delà des questions de résilience, il est important de rétablir la confiance, à commencer par celle des élus locaux, qui doivent avoir plus de marges de manœuvre. On s’aperçoit bien souvent que, lorsqu’on les laisse faire, ils font tout aussi bien, voire mieux, car leur action est plus adaptée à la situation locale et qu’ils y mettent plus de sens.

Mme Marine Brenier. Je remercie les administrateurs et tous ceux qui nous ont accompagnés durant cette mission. D’autres engagements – je travaille actuellement sur la situation dans les EHPAD – ont fait que j’ai été moins impliquée ces derniers temps, je vous prie de m’en excuser. La synthèse et les quelques éléments du rapport dont j’ai pris connaissance montrent à quel point notre démarche a évolué. Au début des auditions, nous avions, sur ces questions de défense, la vision d’un État très centralisé. Progressivement, et notamment après la visite dans la vallée de la Vésubie, nous avons pris conscience de l’importance de mieux associer les collectivités territoriales. Je remettrai évidemment ce rapport au président de la métropole Nice-Côte d’Azur.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Vous faisiez partie des députés les plus impliqués de cette mission… Il est vrai que nous avons abordé cette question de la résilience avec un certain biais, celui des sujets sur lesquels nous avions déjà travaillé : pour ma part, je m’étais penché durant la législature sur les moyens nationaux, notamment militaires. J’avais donc à cœur de travailler sur ce qui pouvait les compléter, d’autant que j’avais conscience que ces moyens militaires étaient limités – la force opérationnelle terrestre française peut tenir tout entière dans le Stade de France et les véhicules opérationnels sont en nombre tout aussi minime. Il serait insincère de faire croire qu’on peut compter sur les moyens nationaux face à certaines crises. Si l’État a su apporter une réponse après les événements survenus dans les vallées de la Vésubie et de la Roya, c’est parce que quelques dizaines de milliers d’habitants seulement étaient concernés et que les moyens y ont été fortement concentrés.

Ce rapport est très politique, dans le sens positif du terme. Nos préconisations, mais aussi le fait de parler de décentralisation, de responsabilisation des citoyens, ou encore d’objectifs de prospérité relèvent d’une philosophie assumée. Ce travail nous permet d’affirmer un certain nombre de convictions et nous espérons que nos réflexions serviront de base aux futurs choix en la matière.

Ma vision, très personnelle, est que nous arrivons au bout d’une démarche, celle qui consiste à impliquer à chaque fois les pouvoirs publics alors que 50 % du PIB sont déjà consacrés à la dépense collective. Au lieu de leur promettre qu’on fera mieux à leur place, il faut davantage impliquer les citoyens dans la réalisation d’objectifs communs.

La mission d’information adopte le rapport d’information à l’unanimité.

M. le président Alexandre Freschi. Je tiens à remercier l’ensemble des administrateurs qui ont assisté cette mission d’information.

M. Thomas Gassilloud, rapporteur. Je m’associe à ces remerciements. Les administrateurs n’ont pas seulement travaillé d’arrache-pied, leurs expériences et leur approche personnelle ont parfois enrichi notre réflexion. Je remercie également toutes les personnes qui ont accueilli notre mission lors de ses déplacements.

 

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Christophe Blanchet, Mme Marine Brenier, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Alexandre Freschi, M. Thomas Gassilloud, Mme Sereine Mauborgne

 

 


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   Recommandations

1.   L’implication des citoyens et de la société civile

 

Recommandation n° 1 : Développer la culture du risque auprès de la population française par des politiques de sensibilisation et d’exercices pratiques à intervalles réguliers.

 

Recommandation  2 : Développer, dans l’ensemble des administrations, des agences publiques et des entreprises, une culture de partage objectif sur les risques auxquels les populations sont exposées, à l’échelle nationale et à l’échelle locale. Favoriser une responsabilisation des populations dans les mesures de prévention et de gestion de ces risques.

 

Recommandation  3 :

 valoriser l’engagement social auprès des élèves de l’enseignement secondaire général et technique ;

 sensibiliser les élèves de l’enseignement secondaire général et technique à l’importance d’un service national ;

 faire du secourisme (niveau PSC1) une matière obligatoire dans l’enseignement secondaire général et technique.

 

Recommandation  4 : Diffuser par toute voie possible de communication un livret à la population expliquant les différents types de crise et contenant les conseils à suivre pour se préparer et réagir dans de telles situations.

 

Recommandation  5 : Intégrer, si elles le souhaitent, les associations pertinentes dans les plans d’urgence, aussi bien au niveau national qu’au niveau local.

 

Recommandation  6 : Sensibiliser au collège les jeunes à l’engagement associatif dans le cadre de l’enseignement civique et moral.

 

2.   Les réserves, le service civique et le service national universel

 

Recommandation  7 : Accélérer les efforts pour améliorer l’efficacité de la réserve opérationnelle de niveau 2, en veillant notamment à maintenir le lien avec le réserviste, y compris par voie numérique. Effectuer un décompte précis des effectifs des réserves réellement mobilisables.

 

Recommandation  8 : Accroître significativement les effectifs de la réserve opérationnelle de niveau 1 afin de disposer d’une force mobilisable, opérationnelle et suffisante en cas de crise. Établir une nouvelle doctrine d’emploi de ces réserves, avec une priorité d’emploi sur le territoire national et le développement de la projection en opérations extérieures.

 

Recommandation  9 : Mettre en place une plateforme permettant de référencer et différencier les possibilités d’engagement citoyen et les dispositifs de réserve afin d’améliorer leur lisibilité et de faciliter l’engagement des citoyens.

 

Recommandation  10 : Encourager la création de réserves communales de sécurité civile en soutenant les communes dans la mise en place de formations et d’équipements adaptés à la gestion des risques locaux, afin de permettre aux citoyens engagés d’intervenir en situation d’urgence aux côtés des équipes de sécurité civile.

 

Recommandation  11 : Homogénéiser les conditions d’emploi des réservistes opérationnels afin d’assurer une pleine mobilisation des réserves en cas de crise.

 

Recommandation  12 : Inscrire dans le contrat de service civique une clause qui formalise l’accord a priori du jeune pour être transféré vers des missions de type humanitaire et d’urgence en cas de crise et de besoins en moyens humains plus importants.

 

Recommandation  13 : Développer un réseau d'engagement, composé de citoyens ayant été engagés auparavant dans des missions de service public, de service civique ou au sein du service national universel et les recenser dans une base de données à la disposition des maires afin de pouvoir y recourir en cas de besoin et selon leurs compétences.

 

Recommandation  14 : Poursuivre le processus de généralisation du SNU à tous les jeunes d’une même génération.

 

Recommandation  15 : Définir la résilience nationale comme finalité opérationnelle du SNU.

 

Recommandation  16 : Expérimenter avec les élus locaux et les établissements volontaires le port obligatoire d’une tenue scolaire unique, à compter de la première année d’école élémentaire et jusqu’à la dernière année de collège.

 

Recommandation  17 : Élargir le cadre actuel de la journée nationale du réserviste pour créer une journée nationale de la résilience.

3.   L’échelon communal

 

Recommandation  18 : Assurer le fonctionnement et la maintenance des moyens d’alerte traditionnels (sirènes) et informer les citoyens de la conduite à tenir en cas de déclenchement.

 

Recommandation  19 : Finaliser rapidement la mise en place de moyens d’alerte par SMS de type diffusion cellulaire – Cell Broadcast , qui permettent de diffuser un message à tous les utilisateurs se trouvant dans une zone donnée.

 

Recommandation  20 : Donner au maire les moyens de constituer la liste de l’ensemble des personnes résidant dans la commune et en autoriser le croisement avec d’autres fichiers sur la base d’un identifiant unique.

 

Recommandation  21 : Expérimenter un système incitatif permettant aux maires de faire appel à leurs administrés un jour par an pour mener à bien des projets de résilience locale.

 

Recommandation  22 : Évaluer la pertinence de créer, à l’échelle des territoires, des structures spécialisées dans l’anticipation et la gestion des crises fédérant les dispositifs existants.

 

4.   L’échelon national

 

Recommandation  23 : Construire le prochain Livre blanc global dans un cadre rénové.

 

Recommandation  24 : Procéder à une revue stratégique, coordonnée au niveau interministériel, de l’ensemble des secteurs vitaux de l’économie, afin d’en identifier précisément les vulnérabilités et les dépendances actuelles et à venir.

 

Recommandation  25 : Identifier les intrants stratégiques et en actualiser régulièrement la liste. Pour chaque intrant, définir les objectifs et une stratégie adaptée.

 

Recommandation  26 : Généraliser les stress tests afin d’apprécier la capacité des opérateurs essentiels à fonctionner en environnement dégradé, en particulier sans internet.

 

Recommandation  27 : Évaluer la capacité des armées à soutenir l’hypothèse d’engagement majeur en situation très dégradée – désorganisation des flux, rupture majeure du réseau électrique, etc.

 

Recommandation  28 : Définir, dans tous les secteurs stratégiques, un « niveau d’assurance » face à l’hypothèse de crises graves, permettant de définir un niveau d’investissement en faveur de solutions dégradées non rentables à court terme.

 

Recommandation  29 : En parallèle de leur ouverture aux moyens de communication les plus performants, veiller à ce que les acteurs stratégiques continuent à entretenir des canaux de communication rustiques susceptibles d’être utilisés en situation de crise.

 

Recommandation  30 : Préserver et entretenir l’accès des forces de l’ordre et des services de secours à un réseau autonome de communication hertzien.

 

Recommandation  31 : Inciter l’ensemble des départements ministériels, en lien avec les principaux opérateurs, à développer une réflexion d’anticipation stratégique sur le long et le très long terme, sur le modèle des travaux de la Red Team.

 

Recommandation  32 : Étudier la mise en place d’une agence nationale d’approvisionnement d’urgence sur le modèle de la NESA finlandaise, dont le rôle serait de planifier, développer et maintenir la sécurité des approvisionnements, et de soutenir les opérateurs publics et privés pour l’identification de vulnérabilités.

 

Recommandation  33 : Étudier la possibilité d’organiser certains stockages stratégiques à l’échelle de l’Union européenne, afin de mutualiser les coûts et de sécuriser l’accès à des matières premières ou équipements ne pouvant être produits sur le sol européen.

 

Recommandation  34 : Développer, dans le cadre de l’Union européenne, un cloud souverain, ou à défaut prévoir l’environnement réglementaire permettant d’assurer un hébergement sur le territoire européen et la non-exposition des données à des législations extraterritoriales.

 

Recommandation  35 : Développer une messagerie instantanée souveraine en trouvant un modèle public-privé adapté.

 

Recommandation  36 : Donner un pouvoir d’injonction à l’ANSSI.

 

Recommandation  37 : Étudier les modalités d’une exploitation maîtrisée des terres rares européennes, dans le but de garantir une sécurité d’approvisionnement minimale.

 

Recommandation  38 : Investir dans le recyclage des terres rares, de façon à réduire les besoins d’exploitation.

 

Recommandation  39 : Prévoir un plan de défense totale impliquant l’ensemble des forces de sécurité, de secours et de santé, les opérateurs d’importance vitale, les opérateurs logistiques et la population en cas de crise grave sur le territoire national.

 

Recommandation  40 : Au-delà des activités d’importance vitale, définir un champ d’activités essentielles au bon fonctionnement de la nation et associer pleinement les acteurs de ces domaines à la démarche de prévention et de gestion des crises.

 

Recommandation  41 : Prévoir dans le code des marchés publics la possibilité d’un allègement temporaire des contraintes juridiques dans certains secteurs stratégiques – cloud, équipements de protection, distribution alimentaire, etc. –, dans le but d’en renforcer l’autonomie en temps de crise et de préserver leur capacité à fonctionner en situation dégradée.

 

Recommandation  42 : Favoriser le recours à des clauses dérogatoires au droit de la commande publique ainsi qu’aux régimes de responsabilité financière des gestionnaires publics, afin de limiter le risque contentieux lié à des décisions justifiées par l’urgence en situation de crise.

 

Recommandation  43 : Préciser le régime de responsabilité pénale des décideurs publics en cas de crise pour prévenir le risque de limitation de l’action gouvernementale.

5.   La gouvernance

 

Recommandation  44 :

 identifier, au sein de chaque cabinet ministériel, un responsable chargé plus particulièrement de la gestion de crise, notamment pour la coordination interministérielle en situation d’urgence ;

 s’assurer que, dès sa prise de poste, ce responsable bénéficie d’une formation à la gestion de crise.

 

Recommandation  45 : Redéfinir le rôle des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité (HFDS) en y intégrant l’évaluation régulière de l’état de préparation de chaque ministère aux différentes crises, notamment sous la forme de revues stratégiques visant à mettre au jour les sources de vulnérabilité.

 

Recommandation  46 : Réformer les régimes d’exception et de mobilisation hérités de l’histoire constitutionnelle et politique et tombés en désuétude – état de siège, mise en garde... – en mettant en regard leurs dispositions avec les menaces actuelles.

 

Recommandation  47 : Renforcer le contrôle parlementaire de l’application de l’article 16 de la Constitution en conditionnant sa prolongation, au-delà d’une durée déterminée, à l’approbation du Parlement.

 

Recommandation  48 : Intégrer la résilience à la liste des critères sur lesquels se fondent les évaluations de politiques publiques conduites par les différentes institutions qui assument ces fonctions de contrôle – Cour des comptes, inspections générales…

 

Recommandation  49 : Inviter le Parlement à prendre en considération les enjeux liés à la résilience nationale dans ses missions constitutionnelles de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques.

 

Recommandation  50 : Prendre appui sur le cadre communautaire d’évaluation de la résilience des politiques publiques préfiguré par les plans nationaux pour la relance et la résilience (PNRR) mis en œuvre, sous le contrôle de la Commission, en tant que déclinaisons du plan de relance européen (« Next Generation EU »), pour élaborer un référentiel commun permettant d’apprécier la contribution de chaque politique publique à la résilience de l’Union européenne.

 

Recommandation  51 : Formaliser les propositions de nature législative formulées dans le présent rapport dans un projet de loi Engagement et résilience au début de la législature 2022-2027.

 


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   Contributions des députés

 

1.   Contribution de M. Buon Tan, député de Paris (LaRem)

Si la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 a révélé l’impérieuse nécessité de renforcer nos capacités de résilience, elle a aussi apporté la preuve que l’union des pays européens et la mutualisation de leurs forces étaient une réponse pertinente et puissante aux problématiques ainsi soulevées. En choisissant de commander de façon groupée les vaccins puis de les répartir de manière équitable, l’Union européenne a en effet opéré un choix politique fort et inédit, conforme à ses valeurs, à même d’assurer un haut niveau de protection à la population européenne.

Deux ans après le début de cette crise sanitaire, le monde contemporain a rarement semblé aussi instable et imprévisible. Au moment de l’adoption de ce rapport et après plusieurs mois de montée des tensions, des troupes russes ont commencé à pénétrer sur le sol ukrainien, rappelant à l’Europe que le risque d'un conflit armé sur son territoire n’a pas disparu. Les tensions sino-américaines atteignent elles aussi un niveau inégalé qui font craindre pour la stabilité et la sécurité mondiales, en particulier dans certaines zones telles que l’indopacifique. Sur le terrain de l’économie et du commerce, les tensions sur les chaînes d’approvisionnement font craindre des pénuries à moyen voire long termes dans certains secteurs stratégiques, tout en faisant ressurgir le spectre de l’inflation. Nos flux de marchandises ainsi que notre balance commerciale en subissent les conséquences depuis plusieurs mois déjà, les Douanes relevant par exemple que sur l’année 2021 nos importations, bien que n’ayant augmenté que de 2,6 % en volume, se sont accrues de 20,1 % en valeur. Le risque terroriste, enfin, persiste et devient une menace structurant notre vie sociale, nos choix politiques et nos comportements collectifs.

Face à une telle multiplication des risques et des menaces, face à leur diversité et leur gravité, l’approfondissement de l’unité européenne apparaît plus que jamais comme une nécessité pour renforcer notre résilience. Le présent rapport, axé sur la notion de résilience nationale, n’en fait logiquement pas le centre de son développement, mais l’aborde tout de même à plusieurs reprises. Il insiste notamment sur la pertinence de l’échelon européen pour traiter certaines problématiques telles que la répartition des stocks stratégiques, la création d’un cloud souverain ou encore la sécurisation des approvisionnements en terres rares.

D’autres recommandations mériteraient d’être extrapolées à l’échelle européenne. La réalisation d’une revue stratégique de nos vulnérabilités et de nos dépendances actuelles et futures n’aura ainsi que plus de pertinence si elle s’inscrit dans une démarche européenne coordonnée, préalable à un plan d’action commun pour y remédier. Il en va de même à propos de l’évaluation des capacités de résistance de nos forces armées à un engagement majeur, ou de l’élaboration d’un plan de défense totale envisageant la survenance d’une crise sécuritaire d'importance. La réponse européenne sera d’autant plus pertinente que comme le développe le rapporteur Thomas Gassilloud, les menaces contemporaines s’affranchissent de plus en plus des frontières et ne se limitent pas aux acteurs traditionnels des relations internationales.

Au-delà de ces quelques exemples, il importe que ce « réflexe européen » se généralise autant que possible, bien qu’il doive également s’accorder avec le non moins essentiel principe de subsidiarité. Dans un grand nombre de domaines, en politique intérieure comme dans nos relations internationales, les Européens gagneront à s’entendre et à agir ensemble. Résilience nationale et résilience européenne ne peuvent être dissociées.

Cela est d’abord vrai dans le domaine économique et commercial. Comme évoqué précédemment, les événements des dernières années ont révélé notre extrême dépendance pour notre approvisionnement en certains biens et services, y compris stratégiques : terres rares, semi-conducteurs, principes pharmaceutiques actifs, matériaux de construction ou encore batteries. Le marché unique constitue pourtant un instrument puissant à disposition des pays européens, qui doit être mis au service de nos ambitions stratégiques et de notre résilience. La réciprocité dans l’accès aux différents marchés, la prise en compte des externalités environnementales, la protection des secteurs stratégiques ou encore la lutte contre les subventions déloyales sont autant de mesures qui doivent être mobilisées en ce sens. Si une stratégie industrielle pour l’Europe, notamment basée sur la diversification de nos partenariats internationaux, la mutualisation des investissements et la multiplication des projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC), a d’ores et déjà vu le jour, cette logique doit être systématisée dès lors que l’échelle européenne apparaît la plus à même de renforcer notre résilience économique.

Ce constat vaut également pour notre monnaie commune, l’euro. Alors que la capacité du multilatéralisme à résoudre les différends internationaux s’amenuise, que l’organe d’appel de l’organe de règlement des différends de l’OMC est paralysé depuis deux ans et que les mesures de rétorsion commerciale se développent sans cadre commun, l’euro ne peut se contenter de jouer le rôle passif de simple monnaie. Il doit au contraire devenir un instrument au service de notre résilience, garant de notre souveraineté monétaire comme de notre capacité de projection à l’international.

Il est notamment primordial d’accroître le recours à l’euro dans les transactions internationales, afin de contrebalancer l’hégémonie du dollar et de contrer la menace que représente l’extraterritorialité de certaines législations étrangères. Notons à ce titre la capacité des autorités américaines à imposer des sanctions économiques à tout acteur, américain ou étranger, du moment qu’il recourt au dollar dans une transaction. Si ces sanctions prennent le plus souvent la forme d’amendes, leur montant ainsi que leur caractère systématique peuvent in fine conduire à restreindre drastiquement à nos entreprises l’accès à certains marchés et à fausser la concurrence mondiale, à notre désavantage. Il est donc indispensable de renforcer la place de l’euro dans le système économique international, afin de préserver tant l’autonomie dont nous disposons sur notre territoire que notre liberté d’action au sein du commerce international.

Sujet particulièrement sensible au sein de l’Union européenne, tant au regard de l’histoire récente de notre continent que des alliances actuellement en vigueur, la construction d’une Europe de la Défense n’en demeure pas moins une composante clé de notre souveraineté et de notre résilience pour l’avenir. La crise des sous-marins liée au partenariat AUKUS, ou encore les tensions en cours en Ukraine et l’incapacité des pays européens à s’immiscer dans le dialogue russo-américain, l’illustrent cruellement. Des initiatives ont été prises en la matière, notamment en ce qui concerne nos industries de défense, mais l’horizon d’une véritable autonomie stratégique et militaire apparaît encore lointain. Principale puissance militaire européenne et moteur de cette démarche, la France doit poursuivre ce travail de conviction de ses partenaires, en mettant notamment à profit la Présidence Française de l’Union européenne pour y parvenir. Long et semé d’embûches, ce travail apparaît pourtant crucial à l’heure où des nombreux États accroissent leurs capacités militaires et que le multilatéralisme n’a jamais semblé aussi affaibli depuis l’après-guerre.

Ce dernier constat implique enfin un nécessaire renforcement des capacités diplomatiques de l’Union européenne. Pour les mêmes raisons qu’évoquées précédemment, il apparaît de plus en plus évident que des pays de taille moyenne comme le sont les États européens voient leur poids diplomatique s’amenuiser à mesure que les pays émergents poursuivent leur développement économique et réclament sur la scène internationale une voix à la mesure de leur nouvelle puissance. La nouveauté, cependant, réside dans le fait que ces pays ne souhaitent pas uniquement s’insérer dans ce système multilatéral, mais également le remodeler afin de le rendre plus en phase avec leurs intérêts, leurs modes de pensée et leurs valeurs. Ainsi la Commission européenne a-t-elle défini la Chine, dans son désormais célèbre triptyque gouvernant nos relations avec ce pays, non seulement comme un partenaire et un concurrent économique, mais également comme un rival systémique. Dès lors, la résilience des sociétés européennes, de notre mode de gouvernance ainsi que de nos intérêts et valeurs, passera par cette capacité à peser dans les instances diplomatiques internationales et à influencer l’architecture du multilatéralisme de demain comme les normes qui en résulteront.

Ce n’est qu’au prix de cette unité de vue, ardue mais indispensable, que la France et l’Europe parviendront à assurer de manière durable la résilience et la vitalité de leurs structures politiques, économiques et sociales. Au moment où l’actualité nous fait prendre conscience, parfois cruellement, de la pertinence du concept de résilience nationale, il nous faut également avoir à l’esprit que celle-ci ne se réalisera pleinement que dans le cadre d’une ambition européenne partagée.

 


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2.   Contribution de Sereine Mauborgne, députée du Var (LaRem)

La mission d’information sur la résilience nationale s’est attachée à analyser les principaux risques et menaces qui pèsent sur le pays : ruptures dans les approvisionnements en énergie, en eau, en denrées alimentaires, risque cyber, risque biologique et sanitaire, risques naturels et technologiques, terrorisme, conflits armés etc., et à évaluer la capacité des institutions, de la société, de l’économie et des citoyens à faire face aux crises graves et aux dangers vitaux qui peuvent en résulter.

Au-delà des propositions du rapport auxquelles je souscris, en tant que vice-présidente de la mission d’information résilience nationale à 100 %, je souhaite, afin de tirer toutes les conséquences de la crise sanitaire qui a mis à rude épreuve l’ensemble du pays, les systèmes de santé, l’organisation de l’offre de soins mais aussi ses professionnels de santé, en ma qualité de députée et d’infirmière de profession, proposer quelques pistes supplémentaires de réflexion.

 

 S’orienter vers une réforme pragmatique de la réserve sanitaire sur le plan opérationnel

L’organisation actuelle de la réserve sanitaire est trop restreinte pour englober l’ensemble des paramètres essentiels à son bon fonctionnement à sa bonne répartition géographique.

À l’avenir, il serait particulièrement opportun de s’orienter vers une réforme pragmatique de la réserve sanitaire sur le plan opérationnel.

On pourrait envisager une articulation globale avec une expression des besoins à l’échelle nationale avec un pilotage national qui s’organiserait avec une coordination régionale et une mise à disposition départementale. Les Préfectures pourraient bénéficier de l’appui des Ordres professionnels ; le tout piloté par les ARS.

Cette réorganisation pragmatique permettrait de mieux identifier les compétences et les spécialités : de réanimation, expérience en médecine de catastrophe ou d’urgence ; langues étrangères parlées, etc. et serait plus souple dans le choix des professionnels.

 

 Fidéliser et optimiser les potentiels des professionnels de santé

Les professionnels de santé ont accumulé une charge physique et mentale inégalée lors de la pandémie et nombre d’entre eux se trouvent confrontés à un trouble de stress post-traumatique, suite à leur expérience particulièrement éprouvante dans un environnement de surmortalité. Par son ampleur exceptionnelle inégalée, la crise sanitaire a créé chez eux un choc qui ne leur permettra pas de poursuivre leur mission comme avant, comme si rien ne s’était passé.

Le modèle du sas de fin de mission, mis en place par les armées pour les militaires mobilisés en OPEX, pourrait alors être adapté au bénéfice des soignants, afin de leur offrir un temps de décompression de nature prévenir tout risque de dépression.

L’action des personnels en réanimation est précieuse, et ce trésor de compétence doit être préservé afin d’en assurer la pérennité.

En raison de la particularité de leur formation, il est essentiel de prévenir toute vague de démission à l’issue d’une crise sanitaire, de nature à ébranler encore davantage le fonctionnement de nos établissements de santé.

Plus globalement, il est nécessaire de repenser la formation continue autour des techniques d’optimisation du potentiel.

 

● Un maintien opérationnel de la chaine logistique alimentaire

Un défi majeur a été de maintenir opérationnelle la chaine logistique alimentaire car les flux sont passés de la restauration à la grande distribution dans des proportions énormes auxquelles il a fallu s’adapter du jour au lendemain.

Cette chaine implique des ressources humaines flexibles et l’énergie nécessaire à la production du froid et/ou au fonctionnement des camions. Tout cela n’aurait pas été possible :

– sans la disponibilité des ressources humaines, les métiers de la supply chain requièrent beaucoup de flexibilité/adaptabilité/réactivité dans la gestion des ressources pour s’adapter en permanence aux fluctuations d’activités, déjà nombreuses en temps normal ;

– sans l’accès aux énergies nécessaires à la production du froid et/ou au fonctionnement des camions (électricité et fluides frigorigènes pour la production de froid sur les entrepôts et plates-formes transport / gasoil, gaz et de plus en plus électricité pour les moyens roulants).

Nous devons avoir l’ambition de développer un modèle de chaîne logistique alimentaire d’ensemble, et un environnement réglementaire le permettant, afin d’être à même à toutes les étapes de la chaîne – de la production, au stockage et à la distribution – d’intégrer les fournisseurs d’énergies (gasoil, gaz, électricité, fluides) dans le souci de la bonne conservation des produits et pour que les camions puissent rouler afin de les acheminer vers les consommateurs.

 

● Gestion des décès massifs : des enseignements à étudier

Inédite par son ampleur, la pandémie avec la prise en charge d’un nombre massif de corps, a mis en lumière des éléments et des initiatives qui méritent d’être étudiés :

– La rapidité de l’élaboration des certificats de décès. Élargir la possibilité de rédiger des constats de décès par les infirmières et les infirmiers afin de pouvoir procéder à la levée de corps rapidement.

– La vigilance sur le stock central de certificats de décès est essentielle (environ 10 en stock en moyenne pour une Mairie de 15 000 habitants).

– Inciter les professionnels de santé à la télédéclaration pour enregistrer les certificats de décès ; trop faiblement utilisée aujourd’hui.

– Intégrer les opérateurs du funéraire dans la chaine du soin afin qu’ils soient prioritaires (logement d’urgence, garde d’enfants, etc.) au même titre que les professionnels de santé.

– Stabiliser les procédures de prise en charge des corps quand les actions habituelles de conservation sont impossibles à maintenir.

 

 


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   ANNEXES

   Annexe 1 – LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES – entretiens – deplacements

I.   Liste des personnes auditionnées

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www2.assemblee-nationale.fr/15/missions-d-information/missions-d-information-de-la-conference-des-presidents/resilience-nationale/(block)/ComptesRendusCommission

(par ordre chronologique)

21 juillet 2021

– M. Bertrand Le Meur, directeur pour la stratégie de défense, la prospective et la contre-prolifération à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées

22 juillet 2021

– M. Nicolas de Maistre, directeur de la protection et de la sécurité de l'État au sein du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)

– Table ronde réunissant : MM. Arthur Keller, enseignant et consultant, Thierry Ribault, chercheur au CNRS, et Freddy Vinet, professeur à l’université de Montpellier III

14 septembre 2021

– M. Gurvan Le Bras, directeur adjoint du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS, ministère de l’Europe et des affaires étrangères)

– M. Laurent Michel, directeur général de l’énergie et du climat (DGEC, au ministère de la transition écologique)

– M. Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l’énergie (CRE)

– M. Pierre-Franck Chevet, président de l’IFP-Énergies nouvelles, ancien président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) *

15 septembre 2021

– Table ronde sur la résilience des approvisionnements en produits pétroliers et en gaz, réunissant :

M. Edouard Sauvage, directeur général adjoint chargé des activités infrastructures d’ENGIE, *

M. Guillaume Larroque, président de TotalEnergies Marketing France, *

M. Fabien Poure, directeur général de la Société du pipeline sud-européen (SPSE)

– Table ronde sur la résilience des approvisionnements en électricité réunissant :

M. Xavier Piechaczyk, président de Réseau de transport d’électricité (RTE), *

M. Hervé Laffaye, président du Réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité (ENTSO-E)

– Table ronde sur le thème : innovation et résilience énergétique réunissant :

M. Laurent Tardif, président de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC),

M. Sébastien Jumel, membre du comité exécutif d’Enedis, directeur développement, innovation et numérique, *

M. Arnaud Leroy, président de l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

– M. Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation au ministère de l’agriculture

– Table ronde sur les risques pesant sur l’approvisionnement en eau réunissant :

M. Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la transition écologique,

Mme Michèle Rousseau, présidente du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM),

M. Régis Taisne, chef du département « Cycle de l’eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR),

M. Jean-Luc Ventura, président de l’Union des industries et entreprises de l’eau (UIE)

– Table ronde sur la résilience de la production agroalimentaire réunissant :

Mme Victoire Perrin, responsable affaires publiques, et M. Stéphane Dahmani, directeur économie de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA), *

M. Henri Biès-Péré, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), *

M. Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne *

– Table ronde sur la résilience des circuits de distribution des biens alimentaires réunissant :

M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), *

Mme Virginie Grimault, secrétaire générale de la Fédération de l'épicerie et du commerce de proximité (FECP)

M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (marché international de Rungis) *

17 septembre 2021

– Table ronde sur la résilience de l’acheminement des biens alimentaires et du transport de marchandises réunissant :

Pour l’Alliance 4F (Fret ferroviaire français du futur) : M. Alexandre Gallo, président-directeur général de Euro Cargo Rail et M. Aurélien Barbé, délégué général du groupement national des transports combinés (GNTC), *

Mme Florence Berthelot, déléguée générale de la fédération nationale des transports routiers * et M. Patrick Lahaye, président-directeur général des Transports Lahaye et vice-président de la FNTR,

M. Alexis Degouy, délégué général de l’union des entreprises transports et logistique de France (UTLF) et Mme France Beury, directrice des affaires publiques et européennes,

M. Jean-Marc Rivera, secrétaire général de l’organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), *

M. Bertrand Bompas, vice-président de l'association La Chaîne logistique du froid, et Mme Valérie Lasserre, directrice générale *

– Table ronde sur la précarité alimentaire et sur l’organisation de l’aide alimentaire en période de crise réunissant :

Mme Laurence Champier, directrice fédérale de la Fédération française des banques alimentaires * et Mme Barbara Mauvilain, responsable du service des relations institutionnelles

M. Patrice Douret, président du conseil d’administration des Restos du cœur, *

M. Julien Meimon, président de l’association Linkee

– M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF *

22 septembre 2021

– M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique (DINUM) et M. Umar Dahoo, chargé de mission

– M. Olivier Kempf, chercheur associé, Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et M. Julien Nocetti, chercheur associé, Institut français des relations internationales (IFRI)

– Table ronde sur les risques pesant sur les satellites de télécommunications réunissant :

Général Michel Friedling, commandant de l’espace

M. Riadh Cammoun, vice-président en charge des affaires institutionnelles de Thales Alenia Space *

M. Jean-Marc Nasr, directeur de Airbus Space Systems *

M. Rodolphe Belmer, directeur général d’Eutelsat *

29 septembre 2021

– M. Patrick Soulé, adjoint du directeur général de la prévention des risques

– M. Gérôme Billois, membre du bureau de la commission Cybersécurité de Numeum *

– Table ronde sur les risques liés aux câbles sous-marins, à huis clos, réunissant :

M. Didier Dillard, président d’Orange Marine *

M. Alain Biston, président d’Alcatel Submarine Networks

1er octobre 2021

– M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) *

– M. Raymond Cointe, directeur de l’Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS)

6 octobre 2021

– Table ronde sur la modélisation du risque réunissant :

M. Bernard Labilloy, directeur général de la Caisse centrale de réassurance (CCR), et M. Laurent Montador, directeur général adjoint

M. Philippe Talleux, président de l’institut des actuaires, et M. Olivier Lopez, professeur de mathématiques appliquées à Sorbonne Université, directeur de l’institut de statistique de l’Université de Paris (ISUP)

– M. Emmanuel Chiva, directeur de l’Agence de l’innovation de défense (ministère des armées), sur les travaux de la Red Team

13 octobre 2021

– M. Thierry Libaert, professeur de sciences de l’information et de la communication

– M. Michaël Nathan, directeur du service d’information du gouvernement (SIG)

– Mme Virginie Schwarz, présidente-directrice générale de Météo France, et M. Samuel Morin, directeur du centre national de recherches météorologiques (CNRM)

15 octobre 2021

– M. Guillaume Poupard, directeur général de l’agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

– Table ronde sur les conséquences psychiques des crises de grande ampleur, réunissant le Dr Patrice Louville, psychiatre des hôpitaux, le Pr Francis Eustache, neuropsychologue, et M. Thierry Liscia, psychologue clinicien.

20 octobre 2021

– M. le préfet Alain Thirion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (ministère de l’intérieur)

– Général Patrick Poitou, commandant Terre pour le territoire national et délégué aux réserves de l’armée de terre

26 octobre 2021

– M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI), ministère de l’intérieur

27 octobre 2021

– M. Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France, et M. Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l’économie à la direction générale du Trésor (ministère de l’économie, des finances et de la relance)

– Dr François Braun, président de Samu-Urgences de France et Pr Pierre Carli, président du Conseil national de l'urgence hospitalière, vice-président de Samu-Urgences de France

– M. Philippe Rouanet de Berchoux, directeur central du service de santé des armées

– M. Jérôme Léonnet, directeur général adjoint de la police nationale (DGPN)

29 octobre 2021

– Mme Florence Fresse, déléguée générale de la Fédération française des pompes funèbres, et MM. Olivier Vérité et Guillaume Fontaine, secrétaire général et co-président de la Confédération des professionnels du funéraire et de la marbrerie

– M. Jean-Christophe Combe, directeur général de la Croix-Rouge française *

– M. Pascal Berteaud, directeur général du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA)

– Général Hubert Bonneau, directeur des opérations et de l’emploi à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)

3 novembre 2021

– Mme Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du service civique

– Général Benoît Brulon, commandant du service national volontaire

– M. Jean-Marie Le Guen, président de Résilience France et M. Christian Sommade, délégué général

5 novembre 2021

– Table ronde réunissant :

M. Christian de Tinguy, président de l’Union nationale des industries de la manutention dans les ports français (UNIM) *

M. Jean Emmanuel Sauvée, président d’Armateurs de France *

M. Jean-Pierre Chalus, président de Ports de France *

– Mme Emmanuelle Pérès, directrice de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports), déléguée interministérielle à la jeunesse

– M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l’Association des maires de France

17 novembre 2021

– Général Véronique Batut, secrétaire générale de la garde nationale

18 novembre 2021

– Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l’industrie

19 novembre 2021

– Contrôleur général Hugues Deregnaucourt, fédération nationale des sapeurs-pompiers de France *

30 novembre 2021

– M. Brice De Gliame, président de l'association Résilience citoyenne

8 décembre 2021

– M. Laurent Nuñez, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

– M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale

15 décembre 2021

– M. Nicolas Roussellier, chercheur au centre d'histoire de Sciences Po Paris

– Général Yves Métayer, chef de la division « Emploi » de l'état-major des armées

17 décembre 2021

– M. Michel Goya, historien

5 janvier 2022

– Commissaire Simon Riondet, chef de la brigade de recherche et d'intervention de Paris

– Colonel Stanislas Rouquayrol, commandant des formations militaires de la sécurité civile

– Général Jean-Marie Gontier, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

12 janvier 2022

– M. François Saint-Bonnet, professeur d'histoire du droit à l'université Paris II Panthéon-Assas

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

II.   Entretien

7 décembre 2021

Entretien du rapporteur avec M. Benjamin Eichel, fonctionnaire de liaison du ministère allemand de l’intérieur auprès du ministère français de l’intérieur.

 

III.   Déplacements

1er décembre 2021

Déplacement du rapporteur à la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly pour un exercice de la Force d’action rapide du nucléaire (FARN)

– M. Pierre Eymond, directeur de la FARN ;

– M. Lloyd Alvado-Brette, chef de service, FARN Dampierre ;

– M. Laurent Berthier, directeur du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Dampierre-en-Burly ;

– Mme Esther Volozan, chef de mission Information et communication CNPE Dampierre ;

– M. Emmanuel Parfait, guide de visite Exirys ;

– M. Bertrand Le Thiec, directeur des affaires publiques, EDF ;

– Coordinateur de l’exercice : M. Adrien Maron, chef de service délégué ;

 Chef de colonne : M. Loïc Bonte, manager première ligne ;

– Équipier RP (NRBC) : M. Vincent Torre, cadre sécurité ;

– Pilote barge : M. Olivier Perlicius, cadre technique ;

– Pilote grue : M. Christophe Portrat, équipier intervention ;

– Équipier PC : Mme Camille Guernier, formatrice process ;

– Équipiers de la colonne : MM. Alain Desmet, Gauthier Delage, Fabien Bugnicourt, Alain Posez.

 

13 et 14 décembre 2021

Déplacement à Nice et dans la vallée de la Vésubie

– Mme Marine Brenier, vice-présidente de la mission d’information ;

– Mme Sereine Mauborgne, vice-présidente ;

– M. Thomas Gassilloud, rapporteur ;

– Mme Carole Bureau-Bonnard, députée.

 

Échange avec M. Xavier Pelletier, préfet délégué à la reconstruction des vallées sinistrées.

Entretien avec M. Christian Estrosi, maire de Nice et président de la métropole Nice-Côte-d’Azur.

Table ronde avec Mme Véronique Borré, directrice générale adjointe de la métropole Nice-Côte-d’Azur en charge de la proximité et des sécurités, directrice de l’Agence de sécurité sanitaire, environnementale et de gestion des risques, et M. Romain Gitenet, directeur opérationnel l’Agence.

Échange avec le colonel Sébastien Thomas, commandant du groupement de gendarmerie des Alpes-Maritimes.

Visite de la vallée de la Vésubie avec M. Elio Foca, ingénieur en charge des travaux de la métropole Nice-Côte d'Azur, chef de la subdivision Vésubie.

Table ronde avec :

– M. Ivan Mottet, maire de Saint-Martin-Vésubie ;

– M. Roger Maria, maire de Clans ;

– Mme Carole Cervel, maire de Valdeblore ;

– M. Yves Gili, maire d'Utelle ;

– M. Jean Thaon, maire de Lantosque ;

– MM. Lionel Panizzi et Christophe Cassi, représentant le maire de Belvédère ;

– Adjudant Christophe Richard, chef de la brigade de gendarmerie de Lantosque ;

– M. Elio Foca, ingénieur en charge des travaux de la métropole Nice-Côte d'Azur, chef de la subdivision Vésubie.

 

17 au 19 janvier 2022

Déplacement en Finlande

– M. Thomas Gassilloud, rapporteur ;

– Mme Carole Bureau-Bonnard, députée ;

– M. Fabien Gouttefarde, député.

 

Échanges sur l’économie et la politique de défense de la Finlande avec Mme Agnès Cukierman, ambassadrice de France ; Mme Sophie Hubert, première conseillère ; M. Christophe Manesse, premier secrétaire ; Mme Patricia Pouliquen, conseillère économique ; M. Frank Piffer, attaché de défense.

Centre d’excellence de lutte contre les menaces hybrides : Mme Teija Tiilikainen, directrice du centre.

Ministère de l’économie, sur l’approvisionnement énergétique : M. Taku Pahkala.

Ministère de l’intérieur, direction de la sécurité civile : général Kimmo Kohvakka.

Ministère de la défense : général Sami Nurmi, directeur du service de la défense nationale et du Comité de sécurité ; M. Petri Toivonen, secrétaire général du Comité de sécurité ; Mme Carolina Honkanen, en charge de la stratégie au service de la défense nationale ; M. Samuli Puhakka, en charge de la coopération bilatérale au ministère de la défense.

Échanges sur le système éducatif de la Finlande avec Mme Agnès Cukierman, ambassadrice de France ; M. Joël Ferrand, attaché de presse ; M. Stéphane Schorderet, conseiller culturel ; M. Matthias Quéméner, proviseur adjoint du lycée franco-finlandais.

Agence de sécurité des approvisionnements d’urgence (NESA) : M. Axel Hagelstam, directeur de la planification et de l’analyse.

Association finlandaise des industries d’armement et aérospatiale (AFDA) : M. Antti Nyqvist, analyste ; Mme Tuija Karanko, secrétaire générale.

Centre national de cybersécurité : M. Sauli Pahlman, directeur du centre.

 

24 janvier 2022

Déplacement du rapporteur au centre de crise de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine).

 


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   Annexe 2 – « En cas de crise ou de guerre » – livret distribué par le gouvernement suédois aux habitants de la Suède

 


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   Annexe 3 – Bibliographie indicative

Rapports

 

Sur la crise sanitaire

Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire (juin 2020)

Rapports de synthèse du Haut Comité français pour la résilience nationale sur le SARS-CoV-2 (juillet 2020 et juillet 2021)

Rapport de la mission d’information, dotée de pouvoirs d’enquête, de l’Assemblée nationale sur l'impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l'épidémie de Coronavirus-Covid-19 (décembre 2020)

Rapport de la commission d'enquête du Sénat pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion (décembre 2020)

Rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur les dimensions européenne et internationale de la crise liée à la pandémie de covid-19 (décembre 2020)

Rapport de la mission indépendante nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise Covid-19 et sur l’anticipation des risques pandémiques (mars 2021)

Rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective : Crises sanitaires et outils numériques : répondre avec efficacité pour retrouver nos libertés (juin 2021)

 

Autres rapports

Rapport d’information de la commission des finances du Sénat sur le système d'alerte et d'information des populations (juin 2017)

La cyber résilience, Conseil général de l’économie (janvier 2018)

Rapport du groupe de travail SNU relatif à la création d’un service national universel (février 2018)

Rapport d’information de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale sur le service national universel (février 2018)

Rapport de la commission d'enquête de l’Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires (juin 2018)

Institut Montaigne : Cybermenace, avis de tempête (novembre 2018)

Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l'incendie d’un site industriel à Rouen (février 2020)

Rapport de la commission d’enquête du Sénat chargée d’évaluer l’intervention des services de l’État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen, de recueillir des éléments d’information sur les conditions dans lesquelles les services de l’État contrôlent l’application des règles applicables aux installations classées et prennent en charge les accidents qui y surviennent ainsi que leurs conséquences et de tirer les enseignements sur la prévention des risques technologiques (juin 2020)

Rapport d’information de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale sur les réserves (mai 2021)

Rapport d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur les médicaments (juin 2021)

Rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » (juin 2021)

Rapport de la mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels (juin 2021)

Étude annuelle 2021 du Conseil d’État : Les états d’urgence : la démocratie sous contraintes (juillet 2021)

Croix-Rouge française et cabinet Futuribles : Anticiper 2030 – crises, transformations et résilience (octobre 2021)

Rapport de la commission « Les Lumières à l’ère numérique » (janvier 2022)

Rapport d’information de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale sur la préparation à la haute intensité (février 2022)

 

Articles

Alexander D. E,. « Resilience and distaster risk reduction : an etymological journey », Natural Hazard and Earth System Sciences, 2013

Bajolet Bernard, « Pour un Livre blanc global », Revue Défense nationale n° 845, décembre 2021

Bert Bruno, « Quelle contribution des armées à la résilience de la nation en cas de crise majeure ? » Les cahiers de la Revue Défense Nationale, octobre 2020

Bellier Bruno et Boëri Jean-Christophe, « Imaginer au-delà : Red Teaming et science-fiction pour penser l’avenir »              autrement, Les cahiers de la Revue Défense Nationale, octobre 2020

Briant Raphaël, Florant Jean-Baptiste et Pesqueur Michel, « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Focus stratégique n° 105, IFRI, juin 2021

Jaravel Xavier et Méjean Isabelle, « Quelle stratégie de résilience dans la mondialisation ? » Conseil d’analyse économique, avril 2021

Specht Maryline, « La pensée résiliente », Cahiers internationaux de psychologie sociale, 2008

Tuset-Anrès Frédéric, « La résilience de la Nation, une leçon chèrement payée », Les cahiers de la Revue Défense Nationale, juillet 2020

 

Essais, témoignages

Alary Éric, La Grande Guerre des civils, Perrin, 2013

Alexievitch Svetlana, Les Cercueils de zinc (1989), trad. fr., Christian Bourgois, 1990 ; La Supplication : Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse (1997), trad.fr., Jean-Claude Lattès, 1998

Audouin-Rouzeau Stéphane et Becker Annette, 14-18, retrouver la Guerre, Gallimard, 2000

Beck Ulrich, La Société du risque : sur la voie d'une autre modernité (1986), trad. fr., Aubier, 2001

Bédarida François, La bataille d’Angleterre, éditions Complexes, 1985 / Archipoche, 2021

Bronner Gérald, Apocalypse cognitive, PUF, 2021

Castel Pierre-Henri, Le Mal qui vient – Essai hâtif sur la fin des temps, Cerf, 2018

Crépin Annie, Histoire de la conscription, Gallimard, 2009

Cyrulnik Boris, Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999 ; (avec Marie Anaut) La résilience – De la recherche à la pratique, Odile Jacob, 2014

Dupuy Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé : quand l'impossible est certain, Seuil, 2002

Genevoix Maurice, Ceux de 14 (1916-1923), Librio, 2014

Goya Michel, S'adapter pour vaincre : comment les armées évoluent, Perrin, 2019

Heisbourg François, Retour de la guerre, Odile Jacob, 2021

Ribault Thierry, Contre la résilience – À Fukushima et ailleurs, L’Échappée, 2021

Roussellier Nicolas, La Force de gouverner : le pouvoir exécutif en France (XIXe – XXIe siècles), Gallimard, 2015

Saint-Bonnet François, L’état d’exception, PUF, 2001 ; À l’épreuve du terrorisme, les pouvoirs de l’État, Gallimard, 2017.

Vinet Freddy, La Grande Grippe – 1918. La pire épidémie du siècle, Vendémiaire, 2018

 

Fiction

Barjavel René, Ravage, Denoël, 1943

Bory Jean-Louis, Mon village à l’heure allemande, Flammarion, 1945

Čapek Karel, R. U. R. (1920), trad. fr., éditions de l'Aube, 1997 ; La Guerre des salamandres (1936), trad. fr., Cambourakis, 2012

Lob Jacques et Rochette Jean-Marc, Le Transperceneige, Casterman, 1984

Singer Isaac Bashevis, Ombres sur l’Hudson (1957), trad. fr., Mercure de France, 2000

Wells H. G., La Guerre des mondes (1898), trad. fr., Mercure de France, 1900

 

Filmographie succincte

Bergman Ingmar, La Honte, 1968

Burton Tim, Mars Attacks ! 1996

Fleischer Richard, Soleil vert, 1973

Imamura Shōhei, Pluie noire, 1989

Kiarostami Abbas, Et la vie continue, 1991 ; ABC Africa, 2001

Miller George, Mad Max, 1979

Spielberg Steven, Rencontres du troisième type, 1977 ; 1941, 1979 ; Ready Player One, 2018

Tarkovski Andreï, Le Sacrifice, 1986


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Sans mésestimer les solidarités et les mécanismes de coopération qui se mirent en place plus tard au niveau européen et au niveau mondial, force est de constater que, partout sur la planète, le combat contre la pandémie a été engagé et mené dans des cadres essentiellement nationaux.

([3])  À l’image de l’émeute du Capitole le 6 janvier 2021 aux États-Unis.

([4])  Décret n° 88-223 du 9 mars 1988 portant répartition des effectifs budgétaires du personnel militaire des armées pour 1988 ?

([5])  Les chiffres clés de la défense 2021, ministère des armées.

([6]) En 2021, la réserve opérationnelle du ministère des armées comptait 41 000 hommes.

([7])  Le trait d’union étant, bien entendu, la continuité de la politique de dissuasion, dont on a pu considérer de façon illusoire qu’elle constituait une assurance absolue contre les atteintes aux intérêts vitaux de la nation.

([8])  On peut en prendre pour exemples la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi « climat et résilience », du 22 août 2021, et le plan national de relance et de résilience présenté par la France à l’Union européenne et validé par celle-ci en juillet 2021.

([9]) Auditions du 22 juillet 2021, compte rendu n° 3, et du 8 décembre 2021, compte rendu n° 56.

([10])  Diffusion d’une culture de l’anticipation, diffusion de la culture du risque, refonte de la planification, renforcement des liens unissant les citoyens, coordination avec l’Union européenne et nos alliés.

 

([11]) Audition du 17 décembre 2021, compte rendu n° 59.

([12]) Anticiper 2030 – Crises, transformations et résilience, Croix-Rouge française et cabinet Futurible, 2021

([13]) Audition du 22 juillet 2021, compte-rendu n° 3.

([14]Défense et sécurité nationale – Le Livre blanc,2008.

([15]) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2013

([16])  Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017

([17])  Actualisation stratégique, ministère des armées

([18])  Audition du 21 juillet 2021, compte rendu n° 2.

([19])  V. la table ronde sur les risques liés aux câbles sous-marins, compte rendu n° 24.

([20])  Table ronde sur les risques pesant sur les satellites de communication, compte rendu n° 21.

([21])  Audition du 21 juillet 2021, compte rendu n° 2.

([22])  Audition du 8 décembre 2021, compte rendu n° 55.

([23]) Audition du 29 octobre 2021, compte-rendu n° 44.

([24]) Les lumières à l’ère numérique, rapport au Président de la République, janvier 2022.

([25]) Audition du 22 septembre 2021, compte rendu n° 20.

([26]) Ibid.

([27])  Audition du 26 octobre 2021, compte rendu n° 36.

([28])  Audition du 21 juillet 2021, compte rendu n° 2.

([29]) Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction, signée à Paris en 1993 et entrée en vigueur en 1997.

([30]) Audition du 26 octobre 2021, compte rendu n° 36.

([31]) Ibid.

([32]) Audition du 8 décembre 2021, compte rendu n° 55.

([33])  Le risque d’attaque terroriste de type NRBC, bien qu’il soit considéré aujourd’hui comme contenu par les autorités que la mission d’information a entendues, ne peut cependant être écarté. Il entre dans la catégorie des événements à probabilité faible mais à conséquences majeures sur la vie de la nation.

([34]) V. Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion, 1967.

([35])  Ministère de la transition écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et monde », édition 2021, p. 10.

([36]) Ibid., p. 11.

([37])  Météo France, « Les nouvelles projections climatiques DRIAS 2020 pour la métropole ».

([38])  La comptabilisation en tonnes d’équivalent-CO2 permet de chiffrer de manière globale les émissions de gaz à effet de serre malgré les différences entre les substances émises.

([39])  Commissariat général au développement durable, « Chiffres clés du climat. France, Europe et Monde. » édition 2021, p. 25.

([40])  Ibid., p. 38.

([41])  Ibid., p. 40.

([42])  Ibid., p. 44.

([43])  https://presse.inserm.fr/les-crises-ecologiques-responsables-de-lemergence-de-nouvelles-epidemies-vraiment/41444

([44])  https://www.fondationbiodiversite.fr/modification-des-ecosystemes-et-zoonoses-dans-lanthropocene

([45]) On parle de migrants et non de réfugiés climatiques. Un réfugié désigne une personne bénéficiant d’un statut prévu par la convention de Genève de 1951 en raison des persécutions qu’elle subit dans son pays.

([46])  Le CEPII est un service du Premier ministre.

([47])  En grande partie grâce aux informaticiens du monde entier, qui se mobilisèrent pour apporter des correctifs aux systèmes susceptibles d’être affectés..

([48])  V. la table ronde du 15 septembre 2021 sur la résilience des approvisionnements en électricité, compte rendu n° 10.

([49])  Audition du 17 septembre 2021, compte rendu n° 18.

([50]) Audition du 29 septembre 2021, compte rendu n° 23.

([51]) Eric Schmidt et Jared Cohen, Le nouvel âge digital, 2013

([52]) Bernard Benhamou, expert français de l’internet et secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique

([53])  Commission d’enquête du Sénat sur la souveraineté numérique, rapport de M. Gérard Longuet.

([54]) Approche de Pierre Trudel, de l’université de Montréal ou d’Anne Blandin-Obernesser, se fondant sur l’appropriation d’attributs de souveraineté par des entreprises en raison de leur position dominante sur le marché.

([55])  Pour sa part, la Russie a indiqué qu’elle a procédé à des tests de déconnexion à l’internet mondial, une première fois en 2019 puis du 15 juin au 15 juillet 2021, afin de prouver la capacité de son réseau interne, « Runet », à fonctionner en autonomie.

([56])  Rapport sur l’hésitation vaccinale (février 2020) ; rapport sur la stratégie vaccinale contre la covid-19 (décembre 2020) ; rapport sur les aspects scientifiques et techniques de la lutte contre la pandémie de la covid-19 (juillet 2021) ; rapport : Qualité de l’air et covid-19 : quelles interactions ? (décembre 2021).

([57]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/covid19/l15b3053_rapport-information

([58])  Tome 1

([59])  V. l’audition du 13 novembre 2021, compte rendu n° 47.

([60]) Voir par exemple le rapport de la mission d’information de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur les médicaments (juin 2021), le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » (juin 2021) et la note du Haut-commissariat au plan sur le thème « Produits vitaux et secteurs stratégiques : comment garantir notre indépendance ? » (décembre 2020).

([61])  https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/annexe-fiche-mesures.pdf

([62])  https://minefi.hosting.augure.com/Augure_Minefi/r/ContenuEnLigne/Download?id=76326F03-443F-4B0E-9C33-BB5CA147E1F7&filename=PNRR%20-%20Synth%C3%A8se%20%28FR%29.pdf

([63])  Cette mise à jour s’articule autour de trois axes : renforcer la résilience du marché unique ; gérer les dépendances stratégiques de l’Union ; accélérer la double transition écologique et numérique.

([64]) La première occurrence connue du terme se trouve dans un ouvrage posthume de Francis Bacon, Sylva sylvarum, recueil d’expériences et traité d’histoire naturelle publié à Londres en 1626. Ce néologisme apparaît dans un développement consacré à l’écho, phénomène acoustique que l’auteur rapproche des capacités de rebond du son déterminées par l’angle d’incidence et la nature du matériau qui le réfléchit (voir p. 121 de l’édition originale).

([65]) L’emploi du terme en physique des matériaux remonte au début du XIXe siècle, en Angleterre.

([66]) Centre national de ressources textuelles et lexicales, Trésor de la langue française informatisé, entrée « résilience »

([67]) Paul Claudel, « L’Élasticité américaine » in Œuvres en prose, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 1208.

([68]) Voir Emmy E. Werner et Ruth S. Smith, Overcoming the Odds : High Risk Children from Birth to Adulthood, 1992.

([69]) Voir l’audition de M. Thierry Ribault, durant la table-ronde du 22 juillet 2021, compte rendu n° 4, ainsi que son ouvrage Contre la résilience : à Fukushima et ailleurs, Montreuil, L’Échappée, 2021.

([70]) Voir Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter ». Sur un nouvel impératif politique, Paris, Gallimard, « NRF Essais », 2019.

([71]) Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, 2008, p. 64.

([72]) Allocution du Président de la République, 25 mars 2020

([73])  « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seules peuvent permettre de faire face aux crises à venir. » Allocution du Président de la République, 13 avril 2020 : Adresse aux Français, 13 avril 2020 | Élysée (elysee.fr)

([74]) Présentation de la facilité pour la relance et la résilience sur le site de la Commission européenne : Facilité pour la reprise et la résilience | Commission européenne (europa.eu)

([75]) Voir Jérôme Fourquet, L’Archipel français : une nation multiple et divisée, Paris, Seuil, 2019 ; Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet, La France sous nos yeux : économie, paysages, nouveaux modes de vie, Paris, Seuil, 2021.

([76]) Quatrième et cinquième alinéas de l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958.

([77]) Voir notamment Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, 2000.

([78]) V. l’audition de M. Michel Goya, historien, 17 décembre 2021, compte rendu n° 59.

([79]) Discours du Président de la République Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion, 7 février 2020.

([80]) F. Braudel, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, 1949.

([81]) J. Michelet, Le Peuple, 1846.

([82]) Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2013, p. 74.

([83]) Audition du 21 juillet 2021, compte rendu n °2.

([84]) Voir ci-après les développements relatifs aux facteurs de vulnérabilité de nature militaire auxquelles la France est exposée.

([85])  V. l’instruction interministérielle n° 10100/SGDSN/PSE/PSN/NP du 14 novembre 2017 relative à l’engagement des armées sur le territoire national lorsqu’elles interviennent sur réquisition de l’autorité civile

([86]) Conseil de l’Union européenne, « Stratégie de l’Union européenne pour la coopération dans l’Indopacifique », 16 avril 2021.

([87]) Ministère des armées, « La stratégie de défense française en Indo-pacifique », 2019 et ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « La stratégie de la France dans l’Indopacifique », 2019.

([88]) Audition conjointe de M. Denis Beau, sous-gouverneur de la Banque de France, et de M. Sébastien Raspiller, chef du service du financement de l’économie à la direction générale du Trésor, le 27 octobre 2021, compte rendu n° 37.

([89]) V. la table ronde du 15 septembre 2021 sur la résilience de la production agroalimentaire, compte rendu n° 15.

([90])  https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/02/10/reprendre-en-main-notre-destin-energetique

([91]) Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([92]) UNESCO, « Global monitoring of school closures », février 2022.

([93]) Cour des comptes, « L'accès aux services publics dans les territoires ruraux - Enquête demandée par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale », mars 2019.

([94]) Audition du contrôleur général Hugues Deregnaucourt, Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), 19 novembre 2021, compte rendu n° 53.

([95])  V. la table ronde du 17 septembre 2021 sur la précarité alimentaire et sur l’organisation de l’aide alimentaire en temps de crise, compte rendu n° 17.

([96]) Audition du 17 novembre 2021, compte rendu n° 51.

([97]) V. Thomas Gassilloud, Avis fait au nom de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur les crédits relatifs à la préparation et à l’emploi des forces terrestres dans le projet de loi de finances pour 2020, Assemblée nationale, XVe législature, n° 2305, 10 octobre 2019.

([98]) V. le rapport d’information de la commission de la défense nationale et des forces sur les réserves, MM. Christophe Blanchet et Jean-François Parigi, mai 2021.

 

([99])  En ajoutant les effectifs des associations d’aide alimentaire et sociale, on arrive à un total d’environ 2 500 000 personnes.

([100])  Environ 42 millions de personnes.

([101]) Environ 29 millions de personnes.

([102]) Plafond d’emploi pour le programme 152 « Gendarmerie nationale ».

([103]) Plafond d’emploi pour le programme 176 « Police nationale ».

([104])  Effectifs des médecins, infirmiers et manipulateurs d’électroradiologie médicale.

([105]) Voir infra.

([106]) Voir infra.

([107]) Décret n° 2001-550 du 27 juin 2001 relatif à la libération anticipée des appelés du service militaire.

([108]) V. Annie Crépin, Histoire de la conscription, Gallimard, 2009.

([109])  Audition du 15 décembre 2021, compte rendu n° 57.

([110])  Alina Koschmieder, Lucie Brice-Mansencal et Sandra Hoibian, « Consommation et modes de vie », Crédoc, n° 308, décembre 2019.

([111])  Table ronde du 15 octobre 2021, compte rendu n° 33.

([112]) Table ronde du 22 juillet 2021, compte rendu n° 4.

([113]) Actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 – Compte rendu de l’audition du général d'armée François Lecointre, chef d'état-major des armées, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Sénat, 8 juin 2021.

([114])  Audition du 15 décembre 2021, compte rendu n° 58.

([115])  Audition du 3 novembre 2021, compte rendu n° 47.

([116])  Audition du 17 décembre 2021, compte rendu n° 59.

([117])  Audition du 22 juillet 2021, compte rendu n° 3.

([118])  Audition du 29 octobre 2021, compte rendu n° 42.

([119]) Études et résultats de la DREES, n° 1144, février 2020.

([120]) « Quelles menaces sur la France ? », Entretien avec Laurent Nuñez, Politique internationale, n° 172, Été 2021

([121])  Audition du 13 octobre 2021, compte rendu n° 29.

([122]) Madani Cheurfa et Flora Chanvril, Baromètre de la confiance politique – 2009-2019 : la crise de la confiance politique, CEVIPOF, janvier 2019

([123])  Audition du 8 décembre 2021, compte rendu n° 55.

([124]) Eli Pariser, The Filter Bubble : What The Internet is Hiding from You, Penguin Press, 2011

([125]) Audition du 6 octobre 2021, compte rendu n° 28.

([126]) Gérald Bronner, Apocalypse cognitive, PUF, janvier 2021.

([127]) « Les lumières à l’ère numérique », rapport de la commission Bronner, janvier 2022.

([128]) Ordonnance n° 59-147 du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense, abrogée le 24 avril 2007.

([129]) Frédéric Coste, « L’adoption du concept de sécurité nationale : une révolution conceptuelle qui peine à s’exprimer », Fondation pour la recherche stratégique, 2011.

([130]) Circulaire du 14 février 2002 relative à la défense économique.

([131]) Décret n° 2007-584 du 23 avril 2007 relatif à certaines dispositions réglementaires de la première partie du code de la défense.

([132])  Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([133]) « Le principe de précaution : bilan 4 ans après sa constitutionnalisation », audition publique du 1er octobre 2009.

([134])  Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([135])  Rapport de la mission relative au contrôle qualité de la gestion de crise sanitaire établi par le général Richard Lizurey, juin 2020.

([136])  Audition du 3 novembre 2021, compte rendu n° 47.

([137])  Audition du 20 octobre 2021, compte rendu n° 34.

([138])  Audition du 13 octobre 2021, compte rendu n° 30.

([139])  Audition du 13 octobre 2021, compte rendu n° 29.

([140]) « Vers un retour au combat de haute intensité », dossier n° 26 du G2S, 2020.

([141]) « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant et Michel Pesqueur, Focus stratégique, n° 105, IFRI, juin 2021

([142]) Ibid.

([143])  « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », Raphaël Briant, Jean-Baptiste Florant et Michel Pesqueur, Focus stratégique, n° 105, Ifri, juin 2021

([144]) « Dissuader aujourd’hui ou comment prouver sa détermination », dossier 27 du G2S, 2021.

([145]) Audition du général Thierry Burkhard, chef d’état-major de l’armée de terre, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 17 juin 2020.

([146])  Audition du 21 juillet 2021, compte rendu n° 2.

([147])  « Quelle contribution des armées à la résilience de la nation en cas de crise majeure ? », Bruno Bert, Les Cahiers de la Revue de Défense Nationale, 13 octobre 2020

([148]) Rapport n° 1384 sur les relations entre la Nation et son armée, Assemblée Nationale, 10 février 1999.

([149]) Enquête – L’armée à la conquête de la société, Émile Magazine, n° 22, été 2021.

([150])  Ibid.

([151]) Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([152])  V. la table ronde du 29 septembre 2021 sur les risques liés aux câbles sous-marins, compte rendu n° 24.

([153])  V. l’audition de M. Gérôme Billois, compte rendu n° 23.

([154])  V. l’audition de M. Nadi Bou Hana, directeur interministériel du numérique (DINUM), compte rendu n° 19.

([155])  Ibid.

([156])  Table ronde du 15 septembre 2021 sur la résilience des approvisionnements en produits pétroliers et en gaz, compte rendu n° 9.

([157])  Audition du 14 septembre 2021, compte rendu n° 6.

([158])  Audition du 14 septembre 2021, compte rendu n° 7.

([159])  Conférence en Sorbonne du 11 mars 1882.

([160])  Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835.

([161])  Christian Ruby, L’individu saisi par l’État, lien social et volonté chez Hegel, éd. Le Félin, 1991.

([162])  Mission sur la transparence, l’information et la participation de tous à la gestion des risques majeurs, technologiques ou naturels, ministère de la transition écologique, juin 2021.

([163])  Audition du 29 octobre 2021, compte rendu n° 43.

([164])  Françoise Pagney Benito-Espinal, « Construire une culture du risque efficiente ? Le cas de la Guadeloupe et de la Martinique », Géoconfluences-ENS Lyon, 2019.

([165]) Ibid.

([166])  Mark Jakobson, « La neutralité finlandaise, apparences et réalités », Politique étrangère, 1980.

([167]) … illustré par l’annonce de l’acquisition de soixante-quatre appareils F 35 en décembre 2021.

([168])  En échange du renoncement à l’arme nucléaire par l’Ukraine, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni se portaient par ce traité garants de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

([169])  L’expression est d’Anaïs Marin, in La dissuasion par la coopération. La Finlande, modèle de résilience face aux défis du « sharp power » russe, Cairn info, 2020.

([170])  « La France associative en mouvement », édition 2020 France générosités, 10.11.2020

([171])  Ibid.

([172]) Table ronde du 17 septembre 2021 sur la précarité alimentaire et l’organisation de l’aide alimentaire, compte rendu n° 17.

([173])  Ibid.

([174]) Total de la population de quinze ans et plus.

([175]) Lionel Prouteau, rapport de recherche : Bénévolat et bénévoles en France en 2017, état des lieux et tendances, octobre 2018.

([176]) Audition du 17 novembre 2021, compte rendu n° 51.

([177]) Bilan social 2020 du ministère des armées.

([178])  Audition du 17 novembre 2021, compte rendu n° 51.

([179]) Ibid.

([180])  Audition du 27 octobre 2021, compte rendu n° 39.

([181]) Ibid.

([182]) Audition de M. Michel Goya, historien, du 17 décembre 2021, compte rendu n° 59.

([183]) Audition de Mme Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du service civique, du 3 novembre 2021, compte rendu n° 45.

([184]) Audition de M. Sébastien Leroy, maire de Mandelieu-la-Napoule, représentant l’Association des maires de France, 5 novembre 2021, compte rendu n° 50.

([185]) Article L. 3142-90, al. 1 et 2, du code du travail. ; article L. 4221-4, al. 1 et 2, du code de la défense.

([186]) Article L. 4221-4, al. 3, du code de la défense.

([187]) Audition du général Véronique Batut, secrétaire générale de la Garde nationale, du 17 novembre 2021, compte rendu n° 51.

([188]) Article L. 4221-4, du code de la défense.

([189]) Article R. 4221-12, du code de la défense.

([190]) Article R. 4221-12, du code de la défense.

([191]) Audition du général Véronique Batut, secrétaire générale de la Garde nationale, 17 novembre 2021, compte rendu n° 51.

([192]) Avis n°2272 de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur le projet de loi de finances pour 2020, Thomas Gassilloud, et rapport n° 4161 de la commission de la Défense nationale et des forces armées sur les réserves, Christophe Blanchet et Jean-François Parigi.

([193]) Audition de Mme Béatrice Angrand, présidente de l’Agence du service civique, 3 novembre 2021, compte rendu n° 45.

([194]) Ibid.

([195]) Audition du 20 octobre 2021, compte rendu n° 34.

([196])  V. le rapport d’information de la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale sur le service national universel, février 2018.

([197])  Audition du 5 novembre 2021, compte rendu n° 49.

([198]) Audition du 5 novembre 2021, compte rendu n° 49.

([199]) Audition 30 novembre 2021, compte rendu n° 54.

([200]) Roland Barthes, « Histoire et sociologie du vêtement », Annales,  3 1957.

([201]) Olivier Dickhäuser : « Correlates of student uniforms : An empirical analysis » Psychologie in Erziehung und Unterricht. (2004).

([202]) Petillault, V. « Éducation : 63 % des Français sont favorables à l’uniforme à l’école » RTL, 25 septembre 2020.

([203]) Note fournie par le cabinet de la FNSPF à la mission d’information.

([204]) Audition du général Jean-Marie Gontier, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, du 5 janvier 2022, compte rendu n° 62.

([205])  Audition du 5 novembre 2021, compte rendu n° 50.

([206])  Ibid.

([207])  Y compris, en tant que de besoin, à des représentants de l’Union européenne.

([208])  Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([209])  Ibid.

([210])  Audition du 15 octobre 2021, compte rendu n° 32.

([211])  Table ronde du 15 septembre 2021, compte rendu n° 9.

([212])  Audition du 18 novembre 2021, compte rendu n° 52.

([213])  Audition du 20 octobre 2021, compte rendu n° 34.

([214]) Table ronde du 15 septembre 2021, compte rendu n° 13.

([215]) Ibid.

([216]) V. table ronde du 15 septembre 2021, compte rendu n° 13.

([217]) V. table ronde du 15 septembre 2021,compte rendu n° 15.

([218])  V. table ronde du 17 septembre 2021, compte rendu n° 16.

([219])  V. table ronde du 15 septembre 2021, compte rendu n° 15.

([220]) Audition du 20 octobre 2021, compte rendu n° 34.

([221])  Audition du 8 décembre 2021, compte rendu n° 56.

([222]) La réserve énoncée concerne les prérogatives du haut fonctionnaire civil qui, dans chaque zone de défense et de sécurité, « détient les pouvoirs nécessaires au contrôle des efforts non militaires prescrits en vue de la défense » (art. L. 1311-1). Celui-ci est habilité, en cas de rupture des communications avec le Gouvernement du fait d’une agression, à décider la mise en garde.

([223])  Audition du 12 janvier 2022, compte rendu n° 63.

([224]) Si seule la Cour des comptes tire de la constitution ses prérogatives en matière d’évaluation des politiques publiques, la mise en œuvre par les CRTC de démarches comparables portant sur des politiques inscrites dans un ressort territorial circonscrit constitue l’un des objectifs du projet « JF2025 » de réforme des juridictions financières actuellement porté par la Cour des comptes (voir proposition n° 25 du Rapport JF 2025).