Note n°

34

 

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Les espèces exotiques envahissantes

 

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Décembre
2022

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Résumé

    La mondialisation des échanges entraîne une augmentation exponentielle des espèces exotiques invasives, qui menacent la biodiversité, la santé et le fonctionnement des écosystèmes.

    En France, les dégâts économiques sont estimés entre 1,2 et 10,6 milliards d’euros en 25 ans, au troisième rang des pays européens.

    La stratégie nationale de lutte contre la prolifération des espèces invasives doit s’appuyer sur des méthodes de détection précoce, l’amélioration des contrôles et la sensibilisation des citoyens. Elle doit s’accompagner d’une relocalisation de l’économie.

M. Hendrik Davi, député

 

 


 

 

Les Notes scientifiques de l’Office – n° 34 – Les espèces exotiques envahissantes – Décembre 2022              page 1

L’introduction d’espèces non natives par l’homme dans un nouvel habitat existe depuis des millénaires. Mais les introductions augmentent de façon exponentielle avec la mondialisation des échanges, accentuant ainsi les dommages sur la biodiversité, la santé humaine ou l’agriculture. Toutes les espèces exotiques ne sont pas envahissantes, mais leur explosion actuelle augmente la probabilité que certaines d’entre elles causent des dégâts sur les écosystèmes vernaculaires.

     Le concept d’espèce exotique envahissante

L’introduction d’espèces dans l’environnement

L’homme a toujours introduit des espèces dans les milieux où il vit[i]. De nos jours, les introductions sont liées à l’horticulture, l’aquariophilie ou l’agriculture, ou sont non intentionnelles, comme c’est le cas d’insectes transportés en même temps qu’une plante ou un objet manufacturé et d’algues accrochées à une coque de navire.

Les facteurs de la présence d’espèces exotiques en France

En France métropolitaine, environ 2 400 espèces exotiques sont recensées. Notre pays est ouvert sur le monde avec ses ports maritimes et ses aéroports. La France est également la première destination touristique mondiale. De surcroît, la métropole a des échanges privilégiés avec nos territoires d’outre-mer présentant une grande diversité de climats. Tout ceci augmente le risque d’introduction d’exotiques. Enfin, la France est en retard par rapport à d’autres pays, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes n’a été inscrite dans la loi qu’en 2016.

Le rôle de la mondialisation des échanges

Le transport de marchandises et de personnes est le principal moteur d’introduction d’espèces. La mondialisation s’est accompagnée d’une explosion de ces échanges et donc des introductions.

Elle a ouvert de nouvelles routes entre des régions biogéographiques différentes et la réduction du temps de transport a permis à des organismes à courte durée de vie de survivre au trajet.

La hausse des introductions, démarrée à la fin du Moyen-Âge[ii] avec les grandes explorations, s’est accentuée depuis 1950. La dynamique globale présente un caractère exponentiel[iii] préoccupant, mais elle est variable selon les groupes : en cours de stabilisation ou de décroissance pour les mammifères et poissons, toujours exponentielle pour les crustacés, algues, ou invertébrés[iv]. En France, depuis les années 1980, chaque département compte en moyenne 12 nouvelles espèces tous les 10 ans[v].

Le caractère exotique d’une espèce n’est pas nécessairement un problème. Une espèce est considérée comme envahissante lorsque son introduction, son implantation ou sa propagation ont des conséquences négatives sur l’environnement, la biodiversité, la santé humaine, l’agriculture ou d’autres \\dfs\fichiers\Partages\POLES\AFFAIRES_ECONOMIQUES\OFFICE_CHOIX\NOTES SCIENTIFIQUES\34. Espèces invasives\Documentation\Illustrations\Invasion-threat-Early2016-2.jpgsecteurs économiques[vi].

Risque d’invasion d’espèces exotiques au XXIe s[vii].
VL : très bas, L : bas, M : moyen, H : grand, VH : très grand

Les facteurs du succès invasif intrinsèques aux espèces

Certaines espèces présentent des traits biologiques qui leur permettent de s’implanter et se reproduire dans de nouveaux milieux. Ainsi, la résistance à la dessiccation des œufs du moustique tigre lui confère une grande capacité de dispersion, par exemple dans les pneus qui font l’objet d’échanges internationaux actifs.

Il n’existe cependant pas de profil type de l’exotique envahissant. Le succès d’une invasion dépend d’une combinaison entre les traits de l’espèce envahissante, les communautés d’espèces présentes dans le milieu envahi et ses conditions environnementales.

Les facteurs extrinsèques

La composition des communautés et les conditions environnementales des écosystèmes dans lesquels les espèces invasives sont introduites déterminent leur naturalisation et dissémination. L’absence de prédateurs ou de parasites régulant les populations d’espèces exotiques leur procure un avantage.

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Les pressions anthropiques exercées sur les milieux, telles que le changement d’usage des sols et les pollutions, peuvent dégrader le fonctionnement des écosystèmes, les rendant plus sensibles aux invasions. Si le changement climatique joue un rôle mineur dans le risque d’introduction, il crée des conditions climatiques plus propices au développement de nouvelles espèces[viii] et peut amplifier le caractère nuisible d’une espèce exotique. Dans le cas du moustique tigre, le réchauffement allonge sa saison d’activité et ainsi sa période de nuisance.

Espèce exotique et espèce envahissante, des notions en partie subjectives

Le caractère envahissant d’une espèce est subjectif. L’écologie de la conservation considérait au départ que tout espèce exotique naturalisée était une espèce envahissante[ix]. La définition s’est ensuite restreinte aux espèces exotiques naturalisées qui ont un impact économique, sanitaire ou environnemental négatif[x].

Le caractère exotique d’une espèce présente lui aussi une part de subjectivité. L’indigénisation prend moins d’un siècle quand l’espèce introduite entre au patrimoine culturel, comme le flamboyant à La Réunion[xi]. En Australie ou en Nouvelle-Zélande, où les conséquences néfastes des invasions biologiques sont constatées depuis longtemps, les populations sensibilisées au risque continuent de percevoir ces espèces comme exotiques.

     Les dommages causés par les invasions biologiques

L’altération de la biodiversité

La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) classe les espèces exotiques envahissantes comme 5e menace pour la biodiversité. Elles ont contribué à l'extinction de 25 % des plantes et de 33 % des animaux (et même 42 % des reptiles et 47 % des mammifères) depuis la fin du Moyen-Âge[xii] et ces pourcentages pourraient s’accroître du fait de l’accélération récente des introductions et du délai séparant l’introduction de l’extinction.

Les îles sont plus sensibles à ces invasions, car elles n’offrent pas de « solution de repli » aux espèces autochtones.

La perturbation des activités humaines

Les dommages environnementaux causés par les espèces exotiques envahissantes peuvent avoir des conséquences économiques importantes. Il en est ainsi de l’envahissement de cours d’eau par la jussie, qui empêche la navigation. La dissémination du frelon asiatique sur le territoire menace l’apiculture car il se nourrit d’abeilles et s’attaque aux ruches.

Globalement, les espèces exotiques envahissantes sont associées à la perte de 5 % de la production agricole mondiale.

Les conséquences sanitaires

Le pollen de l’ambroisie est hautement allergène[xiii] et a un effet sur la santé de plusieurs millions de Français.

Le moustique tigre a colonisé la France métropolitaine en une vingtaine d’années. Il est vecteur de plusieurs maladies infectieuses : le Zika, le chikungunya et la dengue. Cette dernière deviendra certainement endémique en France métropolitaine dans les prochaines années[xiv].

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Aire de répartition du moustique tigre en France métropolitaine, entre 2004 et 2021[xv]

Le coût économique de ces dommages

Le coût économique associé aux espèces exotiques envahissantes en France se situe entre 1,2 et 10,6 milliards d’euros sur la période 1993-2018[xvi]. C’est, en Europe, le 3e pays le plus impacté financièrement[xvii]. Les secteurs d’activité les plus affectés sont la santé (288 M€) et l’agriculture (229 M€).

Les plantes responsables des coûts cumulés les plus élevés sont l’ambroisie (553 M€), la jussie (31 M€) et la renouée (1,8 M€) ; chez les invertébrés, ce sont le moustique tigre (410 M€), puis le frelon asiatique (2,3 M€). Les vertébrés – le cerf Rusa, le rat, la grenouille taureau et le chat domestique – induisent des coûts moindres.

De nombreux coûts sont difficiles à évaluer : ces estimations ne représentent donc qu’une partie du fardeau économique réel des invasions biologiques[xviii].

     Pour un meilleur contrôle des invasions biologiques

Prévenir et sensibiliser

Éradiquer une espèce exotique envahissante établie est toujours coûteux et souvent impossible. Il est donc préférable d’empêcher son introduction ou d’agir précocement[xix].

Les introductions étant liées à la mondialisation, il est nécessaire de diminuer globalement nos échanges, dont l’empreinte écologique globale est forte. Une information des acteurs économiques impliqués et du grand public au niveau des zones d’échanges, comme les ports ou les aéroports, est aussi essentielle.

La sensibilisation de la population est un autre moyen pour limiter les introductions[xx]. Nous devons promouvoir un usage responsable des espèces exotiques disponibles en jardinerie ou en animalerie, par exemple grâce à un étiquetage spécifique, ce qui nécessite l’implication des professionnels[xxi].

Le contrôle des voies d’introduction

Les importations d’espèces exotiques envahissantes sont contrôlées par les services d’inspection vétérinaire et phytosanitaire qui vérifient, dans les importations d’animaux et de plantes, l’absence d’espèces dont le commerce et le transport sont interdits, ou le respect des demandes d’autorisation[xxii].

Ces contrôles présentent des limites. En particulier, ils ne sont pas effectués sur les achats réalisés sur internet et la liste des espèces interdites ne comporte que 88 espèces sur 4 000 espèces exotiques envahissantes estimées en Europe. De nombreuses espèces pourtant considérées comme telles par la communauté scientifique continuent donc d’être commercialisées et transportées légalement. Il nous faut probablement réfléchir aux listes d’espèces interdites[xxiii] et mieux contrôler les jardineries et les animaleries.

S’agissant des voies non intentionnelles d’introduction, le contrôle est quai-inexistant. Les pays qui se prémunissent activement des invasions optent pour des méthodes de contrôle aux frontières avec mise en œuvre de quarantaines et d’agents biocides.

La détection précoce de nouvelles espèces exotiques

Pour agir précocement, une surveillance de l’introduction et de la dispersion des espèces exotiques naturalisées est nécessaire. Elle peut reposer sur des techniques innovantes, comme le meta-barcoding[xxiv], ou plus prosaïques, comme les pièges à insectes qui, disposés autour de zones d’échanges permettront de détecter précocement une invasion[xxv]. Une autre initiative portée par la recherche consiste à planter des « forêts sentinelles » sur d’autres continents[xxvi].

Ces initiatives ne sont cependant pas suffisamment coordonnées au sein d’un système de surveillance national, pourtant requis par la réglementation européenne[xxvii]. Si le Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes[xxviii] conseille les gestionnaires sur les bonnes pratiques, la gestion des alertes est insuffisante. Une cellule interministérielle pourrait être mise en place, afin de coordonner la détection précoce dans un objectif de biosécurité élargie.

Sur le terrain, la détection d’espèces exotiques envahissantes n’est pas une priorité faute de moyens humains et financiers. L’Office français de la biodiversité[xxix], qui contrôle l’absence d’espèces interdites au sein de celles qui sont commercialisées, ne dispose pas d’effectifs suffisants. Les services déconcentrés de l’État comme les DREAL devraient assurer la bonne application des objectifs de contrôle et être dotés de réelles capacités d’intervention.

La gestion des espèces exotiques envahissantes

Une fois les espèces envahissantes installées, on doit viser leur éradication[xxx] ou le contrôle de leur population.

Le biocontrôle recourt à des agents biologiques introduits en tant que prédateurs ou parasites de l’espèce à réguler ou éradiquer. En Italie, des coléoptères spécifiques de l’ambroisie ont été introduits pour lutter contre la plante[xxxi]. Les biocides chimiques sont souvent utilisés dans la lutte contre les moustiques vecteurs de maladies infectieuses, comme le moustique tigre[xxxii].

Pour cette lutte anti-vectorielle, des technologies innovantes ont été développées, mais un vide réglementaire[xxxiii] rend difficile leur expérimentation à grande échelle[xxxiv] :

- la technique de l’insecte stérile, qui consiste à libérer des mâles stérilisés par rayons X[xxxv] ;

- la technique de l’insecte incompatible qui atteint le même objectif en libérant dans le milieu naturel des moustiques infectés par une bactérie, Wolbachia[xxxvi] ;

- le forçage génétique[xxxvii] qui consiste à transmettre à la population sauvage une modification génétique introduite chez les moustiques de laboratoire.

Outre la lutte directe, la préservation des écosystèmes permet d’augmenter leur résilience vis-à-vis des invasions. Les forêts mélangées abritent plus d’ennemis naturels généralistes des ravageurs exotiques[xxxviii] et les aires protégées constituent des refuges pour les espèces menacées par des espèces exotiques envahissantes.

     Conclusions et recommandations

     Pour limiter l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, il faut réfléchir aux moyens de limiter les échanges en relocalisant notre économie.

     Il est essentiel de développer une stratégie de surveillance nationale efficace, en coordination avec les scientifiques, et de doter les services déconcentrés de l’État des moyens adéquats. Cette stratégie a nécessairement un caractère interministériel.

     La lutte contre les espèces exotiques envahissantes doit faire l’objet d’une coordination internationale.

     Une fois que le rapport IPBES dédié aux espèces exotiques envahissantes sera publié et selon les engagements pris lors de la COP15 biodiversité, une réévaluation de la stratégie nationale espèces exotiques envahissantes de 2017[xxxix] sera nécessaire.

Site Internet de l’OPECST :

http://www.assemblee-nationale.fr/commissions/opecst-index.asp

http://www.senat.fr/opecst


 

     Personnes consultées

-   M. Franck Courchamp, directeur de recherche CNRS, directeur de l’équipe Dynamique de la biodiversité et macro-écologie au laboratoire Ecologie systématique évolution de l’Université Paris Saclay, responsable du projet de recherche Invacost ;

-   Mme Céline Bellard, chargée de recherche CNRS dans l’équipe Dynamique de la biodiversité et macro-écologie au laboratoire Ecologie systématique évolution de l’Université Paris Saclay ;

-   M. Gilles Escarguel, enseignant-chercheur au laboratoire d'Ecologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés de l’Université Claude Bernard – Lyon 1 ;

-   M. Fabrice Chandre, directeur de recherche IRD dans l’équipe Stratégies de lutte contre les vecteurs au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle ;

-   M. Frédéric Simard, directeur de recherche IRD et directeur du laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs : Ecologie, Génétique, Evolution et Contrôle ;

-   M. Cyril Cottaz, référent espèces exotiques envahissantes au Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles et coordinateur du programme décennal de restauration écologique de la réserve intégrale de Bagaud (Port-Cros) ;

-   Mme Sylvie Varray, référente espèces exotiques envahissantes à la Fédération des conservatoires d’espaces naturels, Mme Clara Erard, référente espèces exotiques envahissantes pour le bassin versant de la Loire et M. Alan Meheust, référent pour le bassin versant du Rhône ;

-   Mme Anne Atlan, directrice de recherche CNRS dans l’unité Espaces et sociétés de l’Université de Rennes 2 ;

-   M. Yohann Soubeyran, référent espèces exotiques envahissantes au Comité français de l’UICN ;

-   M. Hervé Jactel, directeur de recherche Inrae au sein de l’équipe Diversité des interactions biotiques et fonctionnement des écosystèmes forestiers, du laboratoire Biodiversité Gènes & Communautés de l’Université de Bordeaux, membre correspondant de l’Académie d’agriculture ;

-   M. Alain Roques, directeur de recherche émérite Inrae dans l’Unité de zoologie forestière du centre Inrae d’Orléans.

-   M. David Renault, professeur dans l’unité Ecosystèmes, biodiversité, évolution de l’Université de Rennes 1, coordinateur du Groupement de recherche InvaBio ;

-   M. Olivier Chabrerie, enseignant-chercheur au laboratoire Écologie et dynamique des systèmes anthropisés de l’Université de Picardie, coordinateur du Groupement de recherche InvaBio ;

-   M. Denis Couvet, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, membre de l’Académie d’agriculture et président de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité ;

-   Mme Hélène Soubelet, directrice générale de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité ;

-   M. Eric Marois, directeur de recherche CNRS dans l’équipe Réponses immunitaires chez le vecteur du paludisme Anopheles gambiae à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire de Strasbourg ;

-   M. Jean-Luc Imler, professeur de biologie cellulaire à l’Université de Strasbourg, membre du Conseil scientifique de l’OPECST ;

-   Mme Virginie Courtier-Orgogozo, directrice de recherche au CNRS et responsable de l’équipe Génétique et évolution à l’Institut Jacques Monod, membre du Conseil scientifique de l’OPECST.

Contribution écrite de l’Office français de la biodiversité.

 


[i] Notamment à des fins alimentaires : blé, pomme de terre, maïs, etc.

[ii] Les écologues considèrent généralement les années 1500 comme un tournant : celui du développement des échanges intercontinentaux, pourvoyeurs d’introductions d’espèces. L’évènement marquant étant les premiers voyages des grands explorateurs, dont le premier, vers le continent américain, de Christophe Colomb en 1492. La paléontologie et l’archéologie ne permettent pas une documentation des dynamiques d’introduction d’exotiques avant la période historique actuelle. Les techniques qu’elles mettent en œuvre n’offrent pas une résolution temporelle assez fine : la distinction entre invasion et expansion géographique – qui est de l’ordre du kilomètre par an pour les mammifères, en moyenne – est difficile. Dans les îles, qui sont des écosystèmes incomplets, ces techniques, couplées à des techniques d’analyse biologique modernes permettent parfois de distinguer ces phénomènes. La plus ancienne trace d’introduction liée à l’homme décrite est celle du couscous, un marsupial, dans une île de Papouasie-Nouvelle-Guinée, il y a 20 000 ans ; Hofman, Courtney A., et Torben C. Rick. « Ancient Biological Invasions and Island Ecosystems: Tracking Translocations of Wild Plants and Animals ». Journal of Archaeological Research 26, nᵒ 1 (1 mars 2018): 65‑115. https://doi.org/10.1007/s10814-017-9105-3.

[iii] Ce qui paraît globalement comme une exponentielle présente des à-coups : hausse de la dynamique avec l’impérialisme expansionniste au XVIe s., la révolution industrielle et le début de la mondialisation. Cette nouvelle ère, souvent rattachée à l’ère géologique de l’anthropocène, a commencé à la sortie de la Seconde guerre mondiale avec le déploiement du Plan Marshall. Le premier choc pétrolier a pu avoir un retentissement sur cette hausse, dynamisée ensuite par l’entrée de la Chine dans la mondialisation. Hulme, Philip E. « Trade, Transport and Trouble: Managing Invasive Species Pathways in an Era of Globalization ». Journal of Applied Ecology 46, nᵒ 1 (2009): 10‑18. https://doi.org/10.1111/j.1365-2664.2008.01600.x.

[iv] Seebens, Hanno, Tim M. Blackburn, Ellie E. Dyer, Piero Genovesi, Philip E. Hulme, Jonathan M. Jeschke, Shyama Pagad, et al. « No Saturation in the Accumulation of Alien Species Worldwide ». Nature Communications 8, nᵒ 1 (avril 2017): 14435. https://doi.org/10.1038/ncomms14435.

[v] Touroult, J., Witté, I. & Thévenot, J. 2016. Construction d’un indicateur d’évolution de la distribution des espèces exotiques envahissantes en France métropolitaine. Rapport SPN 2016-90, Paris. https://inpn.mnhn.fr/docs/EspecesExotiqueEnvahissanteEEE/SPN-2016-90-Rapport_Indicateur_EEE-ONB.pdf. Données actualisées : https://naturefrance.fr/indicateurs/evolution-du-nombre-moyen-despeces-exotiques-envahissantes-par-departement.

[vi] En moyenne, 10 % des espèces exotiques introduites sont naturalisées, et 10 % de celles-ci, soit 1 % de l’ensemble des espèces introduites, deviennent envahissantes.

[vii] Early, Regan, Bethany A. Bradley, Jeffrey S. Dukes, Joshua J. Lawler, Julian D. Olden, Dana M. Blumenthal, Patrick Gonzalez, et al. « Global Threats from Invasive Alien Species in the Twenty-First Century and National Response Capacities ». Nature Communications 7, nᵒ 1 (23 août 2016): 12485. https://doi.org/10.1038/ncomms12485.

[viii] Pörtner, Hans-Otto, Debra Cynthia Roberts, Melinda M. B. Tignor, Elvira S. Poloczanska, Katja Mintenbeck, Andrès Alegría, Marlies Craig, et al., éd. Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change., 2022. https://report.ipcc.ch/ar6/wg2/IPCC_AR6_WGII_FullReport.pdf.

[ix] Pour définir une invasion biologique, certains écologues préfèrent même se focaliser davantage sur le comportement d’une espèce envahissante au sein d’un écosystème que sur sa provenance ou ses répercussions sur les activités humaines. Valéry, Loïc, Hervé Fritz, Jean-Claude Lefeuvre, et Daniel Simberloff. « In Search of a Real Definition of the Biological Invasion Phenomenon Itself ». Biological Invasions 10, nᵒ 8 (1 décembre 2008): 1345‑51. https://doi.org/10.1007/s10530-007-9209-7.

[x] L’IPBES stipule plus précisément qu’une espèce est envahissante si elle porte atteinte aux fonctions et services écosystémiques, ce qui peut englober l’impossibilité pour l’homme de jouir d’une utilisation récréative des écosystèmes impactés ; IPBES (2019): Summary for policymakers of the global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Díaz, S. et al. IPBES secretariat, Bonn, Germany. 56 pages. https://doi.org/10.5281/zenodo.3553579.

[xi] Humair, Franziska, Christoph Kueffer, et Michael Siegrist. « Are Non-Native Plants Perceived to Be More Risky? Factors Influencing Horticulturists’ Risk Perceptions of Ornamental Plant Species ». PloS One 9, nᵒ 7 (2014): e102121. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0102121.

[xii] Bellard, Céline, Phillip Cassey, et Tim M. Blackburn. « Alien species as a driver of recent extinctions ». Biology Letters 12, nᵒ 2 (29 février 2016): 20150623. https://doi.org/10.1098/rsbl.2015.0623.

[xiii] ANSES. « Impacts sanitaires et coûts associés à l’ambroisie à feuilles d’armoise en France - Rapport d’expertise collective », octobre 2020. https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2018SA0088Ra.pdf.

[xiv] La dengue, qui provoque d’importantes épidémies en Outre-mer, n’est habituellement présente en France métropolitaine que par le biais de cas importés. Cependant, en 2022, en lien avec l’implantation des moustiques qui en sont vecteurs, 65 cas de dengue autochtone ont été recensés sur le territoire. L’environnement étant devenu favorable à la transmission de la maladie en France métropolitaine, elle devrait probablement connaître un processus d’endémisation dans les prochaines années ; « Chikungunya, dengue et zika - Chikungunya, dengue et zika - Données de la surveillance renforcée en France métropolitaine en 2022 ». Consulté le 18 novembre 2022. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-vectorielle/chikungunya/articles/donnees-en-france-metropolitaine/chikungunya-dengue-et-zika-donnees-de-la-surveillance-renforcee-en-france-metropolitaine-en-2022.

[xv] Carte réalisée à partir des données de la Direction générale de la santé ; https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/extension_moustique_departements_annee_2004_a_2021.pdf.

[xvi] Estimation réalisée sur la base des données les plus fiables portant sur 98 espèces (27 vertébrés, 14 invertébrés et 55 plantes). Seuls les coûts reportés sont analysés. Ils concernent 27 espèces de vertébrés sur les 140 espèces exotiques recensées dans les bases de données GISD et GRIIS, 14 espèces d’invertébrés sur 1002 et 55 espèces de plantes sur 1552 ; Manfrini Eléna, Leroy Boris, Diagne Christophe, Soubeyran Yohann, Sarat Emmanuelle, Courchamp Franck. 2021. Les coûts économiques des invasions biologiques en France. Synthèse à l’intention des décideurs. Paris, France ; https://invacost.fr/wp-content/uploads/2021/08/RapportCoutsFrance.pdf.

[xvii] Près de 80 % des coûts générés sont liés aux dommages et pertes occasionnés alors qu’en Espagne, 80 % des coûts sont liés aux efforts de gestion.

[xviii] En outre, le délai entre l'observation des dommages et l’introduction qui les cause étant long, les coûts estimés vont augmenter, puisque le rythme des introductions n’a pas faibli. Le coût de gestion d’une espèce lors de son introduction étant marginal par rapport à celui de sa gestion une fois l’espèce bien établie, le coût de l’inaction doit être pris en compte dans les arbitrages financiers. La quantification des dommages causés par les espèces exotiques envahissantes sur les services écosystémiques au moyen d’une grandeur financière est réductrice dans la mesure où tous ces dommages ne se traduisent pas forcément en coûts mesurables, mais c’est une métrique qui permet de faire des comparaisons et de conceptualiser l’ampleur des dommages.

[xix] Voir la deuxième figure en annexe.

[xx] Elle peut également être un moyen de contrôle. Dans le cas du moustique tigre, l’action des riverains pour limiter les points d’eau permet de maîtriser les populations et de limiter les nuisances ; Rapport de la Commission d’enquête chargée d’évaluer les recherches, la prévention et les politiques publiques à mener contre la propagation des moustiques Aedes et des maladies vectorielles, présenté par Mme Ramlati Ali, députée, juillet 2020 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceaedes/l15b3280-ti_rapport-enquete.

[xxi] Une telle tentative d’étiquetage, portée par le ministère de la transition écologique, n’a pas abouti. L’initiative mériterait d’être portée à nouveau.

[xxii] Rapport d’information de la mission d’information sur la prolifération des plantes invasives et les moyens pour endiguer cette situation au nom de la Commission du développement et de l’aménagement du territoire, par Mme Nadia Essayan et M. Patrice Perrot, députés, juillet 2021 ; https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-dvp/l15b4391_rapport-information.

[xxiii] Certains territoires, et notamment les Outre-mer dans le cadre du premier niveau de régulation, utilisent des « listes blanches » (« tout est interdit, sauf les espèces indigènes »). Cette solution paraît difficilement applicable en métropole étant donné le volume des échanges et la sous-dimension conséquente des services de contrôle. Il est cependant possible d’établir une liste nationale d’espèces complémentaire à la liste européenne, comme le Règlement européen le permet, une liste nationale exhaustive d’espèces exotiques envahissantes à des fins scientifiques, ou encore des listes d’espèces prioritaires à des fins de gestion.

[xxiv] Le « metabarcoding », surtout pratiqué en milieu aquatique, permet d’identifier les espèces présentes dans un milieu : les séquences génétiques se trouvant dans un échantillon prélevé dans l’environnement sont séquencées afin d’identifier les espèces en utilisant des banques de données génomiques.

[xxv] De telles expérimentations sont conduites par des chercheurs, en collaboration avec des opérateurs, des services déconcentrés de l’État et la Direction générale de l’alimentation ; https://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Pour_diffusion_Denux_etal_2017_INRA_resultats_Portrap_et_ports_Aquitaine_cle0dfc13.pdf

[xxvi] Ces plantations permettent d’identifier les espèces exotiques qui pourraient devenir envahissantes dans des écosystèmes proches des nôtres, ces plantations étant composées d’essences présentes en France métropolitaine ; Roques, Alain, Jian-Ting Fan, Béatrice Courtial, Yan-Zhuo Zhang, Annie Yart, Marie-Anne Auger-Rozenberg, Olivier Denux, Marc Kenis, Richard Baker, et Jiang-Hua Sun. « Planting Sentinel European Trees in Eastern Asia as a Novel Method to Identify Potential Insect Pest Invaders ». PloS One 10, nᵒ 5 (2015): e0120864. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0120864.

[xxvii] Article 14 du règlement n° 1143/2014 : Dans un délai de dix-huit mois à compter de l'adoption de la liste de l'Union, les États membres mettent en place un système de surveillance des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l'Union, ou intègrent cette surveillance dans leur système existant, afin de collecter et d'enregistrer les données relatives à l'apparition dans l'environnement d'espèces exotiques envahissantes, au moyen d'études, de dispositifs de suivi ou d'autres procédures, en vue de prévenir la propagation d'espèces exotiques envahissantes dans l'Union ou en son sein.

[xxviii] Le Centre de ressources espèces exotiques envahissantes a été déployé par l’Office français de la biodiversité et le Comité français de l’UICN pour accompagner les acteurs confrontés aux problèmes des espèces exotiques envahissantes. Le Centre fournit un soutien technique basé sur les retours d’expérience accumulés. Il fédère les acteurs impliqués dans la gestion et le contrôle des espèces exotiques envahissantes. Le réseau est soutenu par un réseau d’expertise scientifique et technique ;  http://especes-exotiques-envahissantes.fr/centre-de-ressources-especes-exotiques-envahissantes/.

[xxix] La police de l’environnement est dotée de 1 700 agents qui réalisent des contrôles, font de la sensibilisation et constatent les infractions. Leur action en faveur de la prévention de l’introduction d’espèces exotiques envahissantes les conduit notamment à contrôler les animaleries et jardineries ; https://www.ofb.gouv.fr/police-de-lenvironnement.

[xxx] L’éradication est rarement totale. Il suffit de supprimer suffisamment d’individus, au-delà du seuil de renouvellement naturel de l’espèce, pour que celle-ci décline.

[xxxi] Avis révisé et Rapport de l’Anses relatif à l’efficacité du coléoptère Ophraella communa utilisé comme agent de lutte biologique contre les ambroisies et évaluation des éventuels risques associés, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, juin 2019 ; https://www.anses.fr/fr/system/files/SANTVEG2015SA0078Ra.pdf.

[xxxii] Un insecticide ciblant les larves (la toxine de Bacillus thurigensis israelensis (Bt)) est utilisé en période inter-épidémique de dengue quand, en période épidémique, c’est un insecticide ciblant les adultes qui l’est. C’est notamment le cas, en métropole, autour des cas de dengue détectés, qu’ils soient importés ou autochtones, pour empêcher les adultes porteurs du virus de l’inculquer à d’autres personnes.

[xxxiii] Par exemple, il subsiste une interrogation sur le statut des moustiques modifiés pour être porteurs de certaines souches de Wolbachia : si la souche de bactérie est considérée comme un biocide, le moustique modifiée porteur de la souche ne l’est pas.

[xxxiv] L’expérimentation est pourtant nécessaire pour mieux évaluer ces techniques, qui soulèvent des problèmes éthiques.  Des essais ont néanmoins lieu à La Réunion, en Nouvelle Calédonie et en Polynésie française.

[xxxv] Des moustiques mâles sont élevés en laboratoire, stérilisés par rayons X et relâchés dans le milieu pour entrer en compétition avec les mâles fertiles et diminuer les capacités reproductives de l’espèce. Ce n’est pas une technique viable en France métropolitaine dans la mesure où elle nécessite des quantités importantes de moustiques d’élevage et donc des ressources humaines trop importantes. De plus, la technique fonctionne en milieu restreint mais son succès en milieu ouvert est incertain.

[xxxvi] Wolbachia est une bactérie qui colonise de nombreux insectes – l’infection n’étant pas létale. La technique de l’insecte incompatible consiste à introduire des mâles porteurs d’une souche de Wolbachia dans une population non infectée, ou infectée par une autre souche. Par un mécanisme d’incompatibilité cytoplasmique, les embryons issus de la rencontre de ces individus ne se développent pas. L’infection par certaines souches de Wolbachia peut également conduire à une moins bonne transmission d’un virus, elle peut ainsi être utilisée en lutte anti-vectorielle pour remplacer une population de moustiques vecteurs par une autre, aux capacités de transmission moindres.

[xxxvii] Le forçage génétique est une technique d’ingénierie génétique qui permet de propager une modification génétique dans une population cible, au fil des générations. La modification génétique peut avoir comme objectif d’éradiquer la population ou de l’empêcher de transmettre un virus. L’ingénierie génétique permet de forcer les lois de la génétique pour assurer une propagation de la modification à la population cible. Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les enjeux économiques, environnementaux, sanitaires et éthiques des biotechnologies à la lumière des nouvelles pistes de recherche, présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député et Mme Catherine Procaccia, sénateur, avril 2017 ; https://www2.assemblee-nationale.fr/documents/notice/14/rap-off/i4618-tI/(index)/rapports.

[xxxviii] Jactel, Hervé, Xoaquín Moreira, et Bastien Castagneyrol. « Tree Diversity and Forest Resistance to Insect Pests: Patterns, Mechanisms, and Prospects ». Annual Review of Entomology 66, nᵒ 1 (2021): 277‑96. https://doi.org/10.1146/annurev-ento-041720-075234.

[xxxix] Stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes, 2017 ; https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/17039_Strategie-nationale-especes-exotiques-invahissantes.pdf

 

 

 

Annexe : figures issues de Manfrini, et al. 2021. Les coûts économiques des invasions biologiques en France. Synthèse à l’intention des décideurs. Paris, France ; https://invacost.fr/wp-content/uploads/2021/08/RapportCoutsFrance.pdf.

\\dfs\fichiers\Partages\POLES\AFFAIRES_ECONOMIQUES\OFFICE_CHOIX\NOTES SCIENTIFIQUES\34. Espèces invasives\Documentation\Illustrations\couts-selon-voie-FC.pngProportion des coûts cumulés selon les principales voies d’introduction en France entre 1998 et 2018. Le cercle interne représente la proportion des coûts cumulés des 7 voies d’introduction principales tandis que le cercle externe représente les 44 sous catégories de ces 7 voies principales. Les sous catégories qui représentent moins de 1% de la proportion ne présentent pas de pourcentage.


Courbe d’invasion illustrant que l’aire envahie par les espèces exotiques envahissantes, mais aussi leurs impacts, suivent une progression logistique : lente au début, puis s’accélérant exponentiellement jusqu’à un plateau. La phase initiale, associée à l’introduction, a des impacts négligeables, sur une surface négligeable, et est propice aux actions de gestion préventive. La phase suivante, d’établissement et de dissémination, nécessite des efforts de gestion réactive croissants. Finalement, une fois l’invasion installée, les seules actions possibles de gestion sont coûteuses et peu efficaces, et les impacts sont maximums. En conséquence, les coûts économiques à la fois de gestion et d’impacts suivent cette même progression, démontrant la nécessité de réagir le plus rapidement possible après une invasion.