N° 1004

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mars 2023

 

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
ET À LA DÉCENTRALISATION
 

 

 

SUR L’ACCÉLÉRATION DE L’INVESTISSEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE,

 

À LA SUITE DES RENCONTRES ORGANISÉES LE 2 FÉVRIER 2023 PAR LA DÉLÉGATION

 

 

 

 

PAR

M. Thomas CAZENAVE,

Député


 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du président de la délégation

ACTE DES RENCONTRES

OUVERTURE PAR M. THOMAS CAZENAVE, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET À LA DÉCENTRALISATION

ALLOCUTION DE M. JEAN-MARC ZULESI, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

ALLOCUTION DE M. CHRISTOPHE BÉCHU, MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES

TABLE-RONDE n° 1 : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DE L’INVESTISSEMENT PUBLIC LOCAL

M. THOMAS ROUGIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’OBSERVATOIRE DES FINANCES ET DE LA GESTION publique LOCALES (OFGL)

M. FRANCK VALLETOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE STRATÉGIES LOCALES

M. LUDOVIC HALBERT, ENSEIGNANT CHERCHEUR AU LATTS

Interventions des Élus locaux

Interventions des parlementaires

Table-ronde n° 2 : quels sont les diffÉrents enjeux de l’investissement public local au regard des exigences de la transition Écologique ?

M. Alexandre Holroyd, prÉsident de la commission de surveillance de la Caisse des dÉpÔts et consignations

Mme Morgane Nicol, directrice du programme territoires À l’institut de l’Économie pour le climat (I4CE)

M. Daniel Florentin, maîtreassistant à l’École des mines de pARIS

Interventions des Élus locaux

Interventions des parlementaires

Table-ronde n° 3 : comment lever concrÈtement les freins À l’investissement public dans la transition Écologique ?

Mme AgnÈs Reiner, directrice gÉnÉrale dÉlÉguÉe à l’Agence nationale de cohÉsion des territoires (ANCT)

M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la banque des territoires

M. Michel Klopfer, consultant en finances locales

Interventions des Élus locaux

Interventions des parlementaires

SynthÈse des travaux du colloque : les collectivitÉs territoriales au cœur de l’ambition Écologique

I. les collectivitÉs territoriales au pied du « mur » de la transition Écologique

A. Les collectivitÉs, acteurs incontournables des politiques de verdissement de l’Économie française

B. l’impÉratif d’une nouvelle dynamique d’investissement après l’essoufflement constatÉ dans les annÉes 2010

II. les conditions d’une levÉe des freins À l’investissement « vert » des collectivitÉs : un accÈs facilitÉ À l’ingÉnierie et À l’emprunt de long terme

A. la rÉhabilitation de l’endettement de long terme des collectivitÉs

B. RECONNAÎTRE LA « dette verte » DANS LES COMPTES DEs collectivitÉs

C. L’ingÉnierie territoriale, condition essentielle de mise en œuvre des investissements « verts »

EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

LISTE DES INTERVENANTS

 


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   Avant-propos du président de la délégation

Le 11 décembre 2019, lors de l’adoption par l’Union européenne du « Pacte vert pour l’Europe », la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, s’est félicitée de l’instauration d’une véritable « feuille de route » de la transition écologique, estimant que le saut qualitatif et quantitatif à accomplir était comparable à celui du « premier homme sur la Lune ».

Assurément, le défi climatique, sur lequel il existe désormais un consensus général, est considérable : il s’agit de modifier nos moyens de produire, de nous déplacer, de nous alimenter et de nous chauffer, c’est-à-dire de repenser intégralement nos modes d’organisation collective. Les objectifs peuvent apparaître d’autant plus comme un « mur » infranchissable que les premiers jalons posés par l’Union européenne en la matière, à savoir une réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, sont extrêmement proches.

Pour autant, notre pays peut franchir cette marche avec succès et engager dans les délais impartis le mouvement de transformation de ses infrastructures. L’État y a, naturellement, pris sa part de l’effort au travers, notamment, du plan « France 2030 » annoncé le 12 octobre 2021. Mais j’ai la conviction que rien ne pourra se faire sans la mobilisation collective de l’ensemble de nos territoires : pour reprendre un adage bien connu, « on peut gouverner de loin, on n’administre bien que de près. »

Les premières analyses effectuées par des instituts spécialisés, tels que l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), semblent indiquer une certaine frilosité des collectivités territoriales en matière d’investissement et, de façon plus criante encore, dans le domaine de la transition écologique. Certes, un mécanisme d’encouragement à destination des décideurs locaux a été mis en place dans le cadre de la loi de finances pour 2023 sous la forme d’un fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires, ou « fonds vert », doté de 2 milliards d’euros.

Pour autant, l’État ne peut, à lui-seul, se substituer aux collectivités. Une réflexion d’ensemble portant à la fois sur l’identification des freins à l’investissement des territoires et des solutions pour y remédier est nécessaire. Tout naturellement, il revient au Parlement d’exercer sa fonction d’évaluation et d’être une force de proposition. C’est la raison pour laquelle la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale a décidé de faire des investissements dans la transition écologique le thème central des premières « Rencontres » de cette législature.

Ces Rencontres ont permis de confirmer, chiffres à l’appui, que les collectivités étaient appelées à participer à hauteur de 12 milliards d’euros par an à l’effort national d’atténuation du changement climatique, lui-même évalué à environ 70 milliards d’euros par an. La trajectoire requise a été, sur ce point, identifiée par l’I4CE : triplement des dépenses d’aménagement de pistes cyclables, doublement de celles portant sur la rénovation énergétique des bâtiments publics et accroissement de 50 % des investissements dans les transports publics, ferroviaire compris. Le montant des dépenses actuelles du bloc local aux fins d’atténuation du changement climatique, soit 5,5 milliards d’euros par an, montre que les collectivités sont encore très éloignées de la cible. Il manquerait donc plus de 6,5 milliards d’euros par an d’investissement réalisé par les collectivités pour que notre pays puisse espérer remplir ses objectifs.

Cette réticence à investir s’explique, en partie, par la prudence des gestionnaires des collectivités qui, après une décennie marquée par la dette, se sont engagées avec succès au cours des années 2010 dans un mouvement de consolidation budgétaire et de reconstitution de leurs disponibilités. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le blocage ne réside pas dans les sources de financement, qui sont nombreuses, mais dans leurs modalités d’accès. Il nous faut changer d’approche sur la question de l’examen de la dette en faveur de la transition écologique par une collectivité territoriale.

1° Il convient, en tout premier lieu, de mettre en regard la durée de l’endettement avec la nature des investissements correspondants, notamment si ceux-ci sont utiles à l’atténuation du changement climatique (mobilité, transports, énergie). Une telle vision doit faciliter l’accès des collectivités à l’emprunt de long terme ;

2° À cette fin, il est essentiel de pouvoir distinguer les investissements indispensables à la transition écologique des autres investissements et, ainsi, identifier la part de la dette globale des collectivités consacrée à la couverture de ces dépenses. Cela suppose une évolution des documents budgétaires, la mise en place de « budgets verts » adaptés aux spécificités des collectivités et une identification plus précise de la dette contractée pour atteindre leurs objectifs climatiques ;

3° Pour inciter les élus à investir massivement dans la transition écologique, il me parait également souhaitable que ces derniers, ainsi que leurs concitoyens, disposent d’une vision claire et transparente du « passif » écologique de la collectivité, c’est-à-dire du coût de l’inaction en matière de rénovation des bâtiments, de maintenance des réseaux d’eau, de décarbonation des mobilités, etc. ;

4° Enfin, de tels investissements ne peuvent s’envisager que sur le long terme, ce qui implique que les collectivités puissent avoir une vision pluriannuelle de l’évolution de leurs dépenses et de leurs ressources. En ce sens, je ne peux qu’appeler de mes vœux l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour le financement des collectivités locales.

Autant de sujets sur lesquels la délégation continuera à travailler et à proposer des évolutions, tant réglementaires que législatives.

* * *

Le format des Rencontres de la délégation

En lieu et place d’un programme d’auditions s’étalant sur plusieurs jours, voire sur plusieurs semaines, il a été décidé de privilégier une série de trois tables rondes d’une heure chacune, où les experts pouvaient s’exprimer à tour de rôle avant d’être interpellés par les représentants des élus locaux ainsi que par les députés et les sénateurs présents.

Trois thèmes ont été retenus : dans un premier temps, les discussions ont porté sur l’identification des déterminants de l’investissement public local et, d’un point de vue plus dynamique, sur les motifs du tassement constaté au cours des dernières années. Dans un deuxième temps, il s’est agi d’évaluer concrètement les besoins d’investissement des collectivités en matière de transition écologique et d’analyser chacune des sources de financement disponibles. La troisième et dernière table ronde fut, enfin, l’occasion d’analyser les obstacles rencontrés par les porteurs de projets locaux pour accéder aux sources de financement et de décrire l’éventail des solutions envisageables pour lever ces freins.

À chacune des tables rondes, il a été décidé d’associer un large panel d’experts, issus d’institutions publiques (Caisse des dépôts et consignations, Observatoire des finances et de la gestion publique locales, Agence nationale de la cohésion des territoires), d’organismes de prêts (Banque des territoires ([1])), de cabinets de consultants (Stratégies Locales, M. Michel Klopfer) et du monde universitaire (École des Mines de Paris, laboratoire Techniques, territoires et sociétés), sans oublier l’I4CE qui a fourni certaines des données chiffrées qui ont alimenté les débats.

La diversité des points de vue a contribué à faire émerger un certain nombre de préoccupations et de suggestions. Dès lors, je souhaite que notre délégation ait, dans un avenir plus ou moins proche, l’occasion de reconduire cet exercice fructueux à l’occasion de l’examen d’une autre grande thématique d’actualité.

 


  1  

   ACTE DES RENCONTRES

OUVERTURE PAR M. THOMAS CAZENAVE, PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET À LA DÉCENTRALISATION

Je suis heureux de vous accueillir ce matin à l’Assemblée nationale pour ces premières Rencontres de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que nous avons souhaité placer sous le thème de l’accélération de l’investissement des collectivités territoriales dans la transition écologique. Notre objectif est de faire dialoguer l’ensemble des acteurs – le Gouvernement, les parlementaires, les élus locaux, les experts et les chercheurs – sur cette question décisive et urgente qui nécessite la mobilisation de tous.

À ce titre, je tiens à remercier chaleureusement le ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires, M. Christophe Béchu, de s’être rendu disponible pour introduire ces premières rencontres et venir partager avec nous ses convictions et sa feuille de route sur ce sujet, ainsi que M. Jean-Marc Zulesi, président de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire, qui évoquera les enjeux de la transition écologique dans les territoires et la place qu’occupe celle-ci dans les débats et les travaux de l’Assemblée nationale, en particulier au sein de la commission qu’il préside.

Je remercie également les représentants des associations d’élus locaux que nous accueillons ce matin : MM. Jacques Oberti, maire d’Ayguesvives et président de la communauté d’agglomération du Sicoval, et Étienne Lengereau, maire de Montrouge et vice-président de l’établissement public territorial de Vallée-sud Grand Paris et conseiller délégué à la métropole du Grand Paris, qui représentent l’Association de maires et présidents d’intercommunalité de France (AMF), M. Sébastien Miossec, maire de Riec-sur-Bélon et président de Quimperlé communauté, représentant d’Intercommunalités de France, M. Nicolas Méary, maire de Brétigny-sur-Orge et vice-président en charge de la biodiversité et de la transition écologique au conseil départemental de l’Essonne, représentant l’Assemblée des départements de France (ADF), Mme Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris, pour l’association des maires Villes et banlieues de France, ainsi que tous les élus locaux venus participer à ces Rencontres.

Venus d’horizons différents, les experts que nous accueillons aujourd’hui sont des acteurs engagés sur les questions de transition écologique et d’investissement public local.

Je veux saluer M. Thomas Rougier, secrétaire général de l’Observatoire des finances et de la gestion publiques locale (OFGL), M. Franck Valletoux, directeur général de Stratégies locales, MM. Ludovic Halbert, chargé de recherche en géographie économique et urbaine, et Daniel Florentin, chercheur associé en aménagement du territoire au laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés (LATTS), Mme Morgane Nicol, directrice du programme Territoires à l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires, Mme Agnès Reiner, directrice générale déléguée de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT) et M. Michel Klopfer, directeur du cabinet de consultant en finances locales CMK.

Vous l’aurez compris, l’ambition de cette matinée est de réunir, dans un format très large, des acteurs engagés pour débattre, poser un diagnostic et tracer des perspectives sur un sujet ô combien capital pour notre avenir.

Pourquoi choisir de traiter aujourd’hui du thème de l’investissement des collectivités territoriales dans la transition écologique ?

Nous avons des objectifs très ambitieux en matière de transition écologique et de décarbonation de notre économie, en particulier s’agissant de la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES), avec comme première étape une diminution de 55 % de nos émissions en 2030 par rapport à 1990.

Si nous avons baissé deux fois plus vite notre empreinte carbone sur les cinq dernières années qu’au cours des cinq années précédentes, en passant de 463 millions de tonnes équivalent CO2 à environ 410 millions de tonnes en 2022, nous sommes encore très loin de l’objectif d’atteindre des émissions réduites à 270 millions de tonnes en 2030 et la neutralité carbone à l’horizon 2050. Pour cela, tous les acteurs – l’État, les collectivités territoriales mais également la société civile – doivent s’impliquer totalement en doublant une nouvelle fois la cadence au cours des cinq prochaines années.

Dans cette planification écologique, les collectivités territoriales jouent un rôle décisif. D’abord parce qu’elles portent des politiques publiques essentielles pour l’accélération de la transition énergétique, comme la mobilité et les transports collectifs, la gestion des réseaux d’eau et de chaleur, la collecte et le traitement des déchets, la rénovation énergétique des bâtiments publics. Autant de responsabilités qui sont au cœur des enjeux de lutte contre le réchauffement climatique et de décarbonation de nos activités. En second lieu, et précisément parce qu’elles assument ces responsabilités, les collectivités territoriales représentent près de 70 % de l’investissement public civil, avec des dépenses d’investissement qui s’élevaient à plus de 65 milliards d’euros en 2021, soit environ 2,7 % du PIB.

Si ces investissements sont déjà considérables, le constat est là : pour accélérer et réussir la transition écologique, nous devons collectivement investir bien davantage.

Nous aurons l’occasion d’y revenir dans nos échanges. Je prends ici un seul exemple : la seule rénovation énergétique de toutes les écoles du pays représente un investissement de 40 milliards d’euros. Pour mener à bien cette rénovation, l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) présent avec nous ce matin, estime qu’il faudrait que les collectivités territoriales multiplient par deux le montant annuel de leurs investissements.

La hausse des prix, notamment de l’énergie, et la remontée des taux d’intérêts sont génératrices d’incertitudes sur l’évolution de l’investissement public local à court et moyen termes. Les aléas liés au contexte actuel sont susceptibles d’engendrer une forme de prudence des élus locaux dans leurs choix budgétaires pour les années à venir, avec le risque d’assister, dès 2023, à des décisions de report d’investissements.

Il faut cependant relever que la situation financière des collectivités locales, prises dans leur ensemble, est plutôt satisfaisante, avec une épargne brute à fin décembre 2022 supérieure à celle de 2019, une trésorerie qui continue de progresser à 57 milliards d’euros et un endettement globalement stable sur la dernière décennie. Ce bref état des lieux recouvre, bien entendu, des réalités individuelles hétérogènes mais rend compte d’un environnement financier encore favorable.

Dans ce contexte, comment organiser le sursaut d’effort qui doit être le nôtre ? Comment dépasser les obstacles et franchir ce mur d’investissement ?

Y répondre nécessite de s’interroger sur :

– la réorientation des investissements publics vers des projets concourant utilement à la décarbonation, et les montants financiers qu’il faut leur consacrer ;

– la place de la dette, notamment celle qui sert à financer les investissements indispensables pour les décennies à venir – dette verte contre dette climatique – sa durée, son financement et son acceptabilité ;

– l’innovation et la mobilisation d’autres financements – je pense à la proposition de loi sur le tiers financement que nous avons adoptée à l’Assemblée à l’unanimité pour permettre d’accélérer la rénovation énergétique des bâtiments publics. Il nous faudra aller chercher d’autres sources de financement pour répondre à cette urgence ;

– la mesure et la valorisation des efforts et des progrès qui sont réalisés au niveau des territoires en faveur de la transition écologique, qui sont parfois imparfaitement appréhendés par nos concitoyens.

Autant de questions dont nous débattrons ce matin et dont la représentation nationale devra se saisir pour accompagner les collectivités territoriales sur ce chemin.


ALLOCUTION DE M. JEAN-MARC ZULESI, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

La transition écologique est une évidence, et face à cette évidence, nous avons une opportunité de développer un nouveau modèle de société basé sur le développement durable, sur une croissance durable, sur l’aménagement durable des territoires. Cette transition écologique doit « embarquer » tout le monde. Elle ne peut plus être décidée depuis Paris, elle doit être comprise par l’ensemble de nos concitoyens.

Parce que si nous voulons protéger la biodiversité, si nous voulons rénover nos maisons, nos bâtiments publics, développer nos transports partagés et décarbonés, si nous voulons protéger la ressource en eau, transformer nos déchets en véritables ressources, cela passera par nos territoires, par une prise en compte de la volonté de nos concitoyens. De la sorte, les élus locaux, les collectivités locales doivent être placés au cœur de la décision. Cela vous semblera anecdotique, mais la présence d’un maire à la tête du ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires est le symbole de cette volonté d’avancer avec les collectivités territoriales.

Notre volonté commune, celle que nous avons à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire (CDDAT), est de travailler pour un cadre législatif clair et, à ce titre, je salue le travail réalisé par la commission des affaires économiques, par les sénateurs, mais aussi l’écoute du ministre sur l’application du « zéro artificialisation nette » (ZAN). Nous croyons dans la nécessité de maîtriser notre urbanisme, encore faut-il l’appliquer avec pragmatisme et en prenant en compte les réalités de terrain. Pour tendre vers cet objectif, en associant mieux les collectivités territoriales, il faut multiplier les soutiens financiers ciblés.

Je vois d’un bon œil l’arrivée du « fonds vert », le déploiement du « plan vélo » pour accompagner les collectivités qui souhaitent s’engager vers cette transition des mobilités mais il faut aussi les accompagner dans l’ingénierie, car ce n’est pas simple de développer une piste cyclable, de s’engager dans le ZAN. Je vois d’un bon œil l’émergence de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), le travail fait par l’Office français pour la biodiversité (OFB) dans les territoires, la volonté du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) d’accompagner les collectivités territoriales.

Nous avons aussi voulu donner un tempo autour du « budget vert ». Nous avons un budget vert au niveau national qui est insuffisamment utilisé par la représentation nationale, mais c’est une opportunité pour nos communes de pouvoir mettre en avant le travail qui est mené au niveau de leur budget pour investir.

C’est aussi l’occasion d’aller plus loin.

Si nous réussissons à avoir un cadre législatif clair et des soutiens financiers ciblés, si l’ingénierie territoriale accompagne cette volonté de transition écologique dans les territoires, si nous arrivons à mettre à disposition des collectivités des outils simples, je suis convaincu que l’investissement dans les territoires arrivera.

Ce n’est pas simple pour un maire d’expliquer à ses concitoyens que la commune va s’endetter. Il y a pourtant de la dette vertueuse, celle qui construit l’avenir, celle qui finance la décarbonation des infrastructures dans les territoires.

L’enjeu pour les élus nationaux est d’accompagner les collectivités dans cette dynamique, de terrain, dans l’avenir.


ALLOCUTION DE M. CHRISTOPHE BÉCHU, MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES

Être ainsi encadré par le président Cazenave d’un côté et par le président Zulesi de l’autre pour parler ce matin d’un sujet aussi simple que l’accélération de l’investissement des collectivités territoriales en matière de transition écologique met à l’évidence une forme de pression sur les quelques mots que je vais vous adresser.

« Comment accélérer l’investissement des collectivités locales ? ». La question ainsi raccourcie pourrait être, à elle seule, matière à un temps de réflexion. On pourrait également avoir un colloque spécifique sur le financement de la transition écologique qui est en soi un vaste sujet. Le débat de ce matin, qui s’inscrit dans le cadre des travaux de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, est le point de rencontre entre la transition écologique et les territoires.

Compte tenu de l’intitulé de mes responsabilités, il m’a paru impensable de ne pas être là, d’autant que ma conviction absolue et ancienne est que l’accélération de la transition écologique passe par le terrain. Certes, elle passe par les citoyens, par les gestes que nous faisons les uns et les autres au quotidien, parce que vous aurez beau décréter tous les plans depuis Paris, à un moment donné, ce sont bien les choix individuels que nous faisons lorsque nous achetons et consommons qui ont un impact plus ou moins fort sur notre empreinte carbone. Mais si l’on remonte jusqu’aux collectivités, on se rend compte que celles-ci ont des leviers majeurs sur tous les chantiers de décarbonation et de préservation de la biodiversité. Elles sont l’échelon pertinent de mise en œuvre des politiques publiques, d’accompagnement de nos concitoyens, de mise en cohérence des ambitions climatiques et des décisions qui sont prises à ce sujet. On pourra faire tous les amendements que l’on veut au ZAN, à la fin, celui qui délivre le permis de construire, qui détermine une densité, qui s’inscrit dans un schéma territorial, qui définit un urbanisme favorable aux alternatives à la voiture thermique, que ce soit en organisant des mobilités douces ou en permettant l’implantation de bornes de recharge, c’est l’élu local. On peut prendre toutes les décisions que l’on veut sur le transport en commun, c’est in fine à l’autorité organisatrice de mobilité (AOM) qu’il revient de trouver le bon équilibre entre la part du financement assuré par les usagers et les autres financements, de définir le niveau de service souhaitable, etc.

Cette réalité ne doit pas masquer notre ambition.

Au niveau européen, aucun pays n’a atteint le rythme qui permettrait d’atteindre l’objectif de diminution de 55 % des émissions de GES à l’horizon 2030. Notre continent est engagé sur des trajectoires qui varient entre - 20 et - 30 % pour les émissions de CO2. S’agissant de la France, nous devons doubler notre effort de baisse des émissions de GES jusqu’en 2030.

Dans la mesure où nous avons doublé cet effort au cours des cinq dernières années par rapport aux cinq années précédentes, cela peut paraître simple en apparence, mais en réalité, ce n’est pas le cas. La réduction des émissions de GES nécessite désormais non seulement de la constance et de la cohérence mais aussi une convergence plus forte des échelons locaux et nationaux pour que les bonnes décisions soient prises.

70 % de l’investissement public est local et, quand bien même il y a des disparités entre les différentes strates de collectivités, sur la base des comptes 2021, 80 % de l’investissement public local est porté par l’autofinancement. Sans rentrer dans un grand débat sur les finances publiques, chacun conviendra qu’il est plutôt souhaitable de ne pas payer des dépenses de fonctionnement par d’autres recettes que celles de fonctionnement, sous peine de risquer rapidement la banqueroute. En revanche, la légitimité de faire appel à l’emprunt pour financer des investissements d’avenir apparaît forte et devient même évidente dès lors que cet emprunt permet de diminuer les charges ou les dépenses de fonctionnement qu’il faudrait engager plus tard.

Ainsi, la manière d’accélérer la transition écologique dans les territoires consiste à jouer sur plusieurs critères : le premier est celui de la relation entre l’État et les collectivités territoriales, le second, c’est celui des stratégies d’endettement.

Je veux maintenant attirer votre attention sur deux points qui concernent la situation financière actuelle des collectivités.

Le premier concerne l’hétérogénéité considérable des situations des collectivités locales, après une année 2020 marquée par l’inflation et la hausse des prix de l’énergie. Cette hétérogénéité est particulièrement marquée pour les communes : d’un côté, nous avons les grandes communes et, d’une manière plus générale, celles qui ont des charges de centralité, car elles se retrouvent fragilisées par l’augmentation des prix de l’énergie qui représentent une part des dépenses supérieure à la moyenne, à l’autre extrémité du spectre, nous retrouvons les plus petites communes qui sont complètement couvertes par le « bouclier tarifaire » et se retrouvent avec une trésorerie en progression. Nous ne disposons pas encore des chiffres issus des comptes administratifs pour 2022 mais ceux des dépôts au Trésor public à fin 2022 sont en augmentation par rapport à la même période de l’année précédente, tous blocs de collectivités confondus. Cela peut paraître contre-intuitif au vu de l’année que nous avons vécue, mais c’est la réalité.

Le second, qui constitue un élément de vigilance pour les parlementaires, est le faible nombre de communes et de leurs groupements qui ont demandé à bénéficier du « filet de sécurité » établi par la loi de finances rectificative pour 2022 adoptée l’été dernier : seulement 4 100 communes et établissements publics ont demandé un acompte sur cette dotation pour un montant de 100 millions d’euros, alors que l’estimation du coût du dispositif était de 500 millions d’euros.

La progression des dépôts auprès du Trésor me laisse penser que, malgré l’assouplissement du « filet de sécurité » décidé pour l’année 2023 qui permettra d’accompagner les collectivités qui aurait une forte augmentation de leurs dépenses d’énergie, il restera sans doute des crédits non consommés qu’il sera pertinent de réaffecter afin d’éviter qu’ils soient perdus pour l’investissement des collectivités locales.

J’en viens à l’investissement des collectivités. Ma conviction est qu’il faut les aider à investir. L’État prendra sa part en 2023 puisque le montant des dotations d’investissement sera doublé par rapport à 2022 : aux 2 milliards de la DSIL et de la DETR s’ajouteront les 2 milliards du « fonds vert ». Le 27 janvier, nous avons ouvert le site internet permettant le dépôt des demandes de crédits du « fonds vert ». En cinq jours à peine, nous avons eu 1 800 ouvertures de dossiers : ces demandes de subventions portent sur la rénovation thermique des bâtiments (800 demandes), sur la rénovation de l’éclairage public (350 demandes), sur la gestion de l’érosion du trait de côte, sur la préservation de la biodiversité. Il y a donc un intérêt réel pour le « fonds vert ». À mon sens, le succès de ce fonds est dû au fait qu’il ne repose ni sur des appels à projets ni sur des appels à manifestation d’intérêt. Les enveloppes départementales ont été communiquées aux préfets fin décembre, ce qui a ménagé suffisamment de temps pour expliquer les modalités de fonctionnement du fonds aux élus locaux avant le 27 janvier.

Les « budgets verts » constituent un autre sujet : il s’agit d’avoir un dialogue dans lequel les dépenses qui servent la transition écologique sont clairement définies. Il me semble souhaitable, en termes de confiance et de méthode, de laisser les associations d’élus locaux conduire la réflexion sur ce sujet et non pas d’imposer une norme nationale. Celles qui ont déjà initié ce processus pourront partager leurs bonnes pratiques ce qui nous permettra de travailler ensemble.

Ce « budget vert » peut être le point de départ d’une nouvelle stratégie de ciblage des subventions. Les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) sur lesquels seraient fléchées les subventions publiques pourraient en être la « matrice ». Actuellement, on a des CRTE qui ont été concertés mais qui ne sont pas financés, alors que les dotations d’investissement ne sont pas directement fléchées vers ces contrats. Il faut donc rapprocher les unes et les autres.

Cependant, il faut être conscient que, face au mur de l’investissement dans la transition écologique, l’argent public ne pourra pas tout. Face à l’urgence climatique, il nous faut trouver les moyens de débrider toutes les capacités d’investissement dès maintenant. Le climat est un usurier : tout ce que nous ne faisons pas aujourd’hui nous coûtera plus cher demain. Il est dans l’intérêt des finances publiques de faire des dépenses de rénovation sans attendre. Si l’on considère les 100 millions de mètres-carrés qui appartiennent à l’État, avec un coût moyen de rénovation de 1 000 euros le mètre-carré, cela représente un coût global de 100 milliards d’euros. Le bâti scolaire communes-départements-régions représente 380 millions de mètres-carrés. Faire des travaux maintenant, c’est bon pour le climat mais aussi pour la sobriété énergétique et donc pour les dépenses de fonctionnement.

Les conditions de travail des élèves et des enseignants s’en trouveront également améliorées, en particulier pendant les épisodes de fortes chaleurs ou de froid intense.

L’idée du tiers financement est précisément d’accélérer la capacité des collectivités à investir dès maintenant. Les travaux sont réalisés immédiatement, ils seront remboursés pendant la durée d’amortissement par les économies de fonctionnement générées par ces travaux. Je me réjouis du vote à l’Assemblée nationale en faveur de cette proposition de loi et j’ai bon espoir que le Sénat l’adoptera dans quelques jours.

Je veux souligner qu’à partir du moment où une collectivité réalise un investissement qui n’est pas gagé par une recette mais par une économie, il faut que les indicateurs financiers, notamment les ratios d’endettement, en tiennent compte. Le ratio d’endettement par habitant fait souvent partie du débat politique local, ce qui peut constituer un frein à l’investissement. Réhabiliter une dette qui permet d’éviter des dépenses futures et conduit à des gains climatiques immédiats, c’est l’idée de la « dette verte », qui pourrait constituer un axe de nos travaux.

Je relève que le délai de désendettement du bloc communal est inférieur à cinq ans, celui des départements est inférieur à trois ans et celui des régions est inférieur à six ans et demi. Les réserves d’investissement pour faire face au défi de la transition écologique sont par conséquent énormes. Il y a certainement un travail à réaliser pour développer des véhicules financiers innovants mais aussi pour mesurer les gains que nous procureront ces investissements. Un exemple : 40 % des dépenses énergétiques des communes sont dues à l’éclairage public et seuls 15 % des 30 millions de lampadaires sont équipés de LED. Il y a là un gisement d’économies d’énergie facilement quantifiable, d’autant que les prix de l’énergie réduisent le retour sur investissement.

J’ai la conviction que nous sommes en présence de deux intérêts qui se rencontrent : les élus locaux qui portent les aspirations de nos concitoyens à davantage de transition écologique, et en même temps, une capacité des collectivités à investir de manière immédiate, qu’il faut libérer, soutenir et accompagner.

Je vous remercie pour l’organisation de ce débat précieux, utile et plus que jamais nécessaire.

 


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TABLE-RONDE n° 1 : ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES DE L’INVESTISSEMENT PUBLIC LOCAL

Cette première table-ronde a pour objectif de dresser une « photographie » de l’état des finances locales en 2022 et 2023 et de mettre en perspective les capacités des collectivités territoriales à investir dans un contexte économique incertain.

M. THOMAS ROUGIER, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L’OBSERVATOIRE DES FINANCES ET DE LA GESTION publique LOCALES (OFGL)

L’OFGL a pour mission de collecter, d’analyser et de partager l’information sur les finances publiques locales. Mon propos s’articulera autour de deux axes : le cycle en cours puis l’étude de l’OFGL sur les déterminants de l’investissement des communes et des groupements à fiscalité propre.

Sur 2022, toutes collectivités confondues, y compris les budgets annexes, les dépenses d’équipement directes représentent entre 56 et 57 milliards d’euros. Cette évolution fait suite à une baisse de l’investissement assez forte en 2020, en raison du cycle électoral renforcé par la crise sanitaire, et à deux années de hausse assez nette (+ 8 à 9 % chaque année).

Ces deux dernières années sont toutefois marquées par un phénomène nouveau, la hausse des prix. Un tiers du rebond de 2021 est lié à l’effet-prix ; pour 2022, l’effet-prix explique 60 à 70 % de l’évolution. En effet, les coûts dans le bâtiment et les travaux publics ont fortement augmenté dès 2021 pour atteindre, en 2022, + 7 % dans le bâtiment et + 9 % dans les travaux publics sur douze mois. Ces deux dernières années ont également bénéficié d’un effet « rattrapage » par rapport à 2020, porté par les volontés locales d’organiser la relance économique et par les mesures de soutien de l’État via les dotations d’investissement.

Le niveau d’investissement actuel des collectivités locales est de 16 % plus élevé qu’il ne l’était en 2016, c’est-à-dire deux ans après le début du cycle électoral précédent. À population et à prix comparables, on est sur un début de mandat relativement élevé, quoiqu’inférieur à celui des années 2003-2013 si l’on prend en compte l’effet-prix et l’augmentation de la population.

L’OFGL a réalisé une étude sur les déterminants de l’investissement du bloc communal sur la période 2014-2019, en s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles une commune A n’investit pas autant qu’une commune B malgré des caractéristiques très proches.

Trois facteurs expliquent la majeure partie des écarts :

1° L’importance des subventions reçues :

Les subventions ont un effet multiplicateur, peu importe le financeur. 10 euros de plus par habitant représentent 15 à 17 euros d’investissement supplémentaire par habitant et par an. L’effet de levier est certain, mais on ne sait pas mesurer avec certitude si c’est l’intérêt du projet qui déclenche la mobilisation de subventions ou si c’est l’offre de subventions qui provoque la décision d’investir. Nos échanges avec les élus locaux montrent que les deux cas se produisent.

2° La situation financière initiale :

Une collectivité se construit une situation financière favorable ou défavorable. Cette situation va déterminer son cycle d’investissement. Sur la période quinquennale 2014-2019, on constate que les collectivités qui ont fortement sous-investi ont majoritairement amélioré leur situation financière. Ce sous‑investissement a donc un objectif : reconstituer des marges de manœuvre financières. C’est le cas des trois-quarts des communes qui ont sous-investi, étant précisé que 44 % d’entre elles se trouvaient dans une situation financière dégradée en début de période.

3° Le stock d’immobilisations :

On constate une dynamique de l’investissement plus forte là où il y a une « culture » de l’investissement, c’est-à-dire dans les collectivités qui disposent d’un stock important d’équipements hérité d’investissements passés. Ce lien avec le stock d’équipements existants est très fort au début du cycle électoral et s’atténue, voire s’inverse, en fin de mandat. En début de mandat, on est plutôt sur un cycle d’entretien et de rénovation puis l’on bascule sur des projets nouveaux.

D’autres variables jouent sur le niveau d’investissement des communes, notamment le potentiel fiscal, le poids des budgets annexes ainsi que l’effort d’investissement des groupements qui, par jeu de balancier, réduit celui des communes.

La situation financière actuelle des collectivités préserve leur capacité à investir, mais la hausse des prix va créer une contrainte forte qui sera pénalisante, tant par le renchérissement des coûts de la construction et de la rénovation que par la réduction de la capacité à générer de l’autofinancement. L’évolution des prix de l’énergie sera un facteur-clé pour la mobilisation de l’autofinancement en faveur de l’investissement.

Sécuriser la capacité des collectivités à générer de l’autofinancement est indispensable si l’on veut que les collectivités s’endettent pour financer la transition écologique. De leur côté, les financeurs (l’État, les départements, les régions mais aussi les prêteurs extérieurs) doivent s’interroger sur les types de projets à financer dans les années à venir puisque l’on a vu que les cofinancements avaient un effet de levier important.

Par rapport au cycle précédent, il n’y a plus le levier de la taxe d’habitation. Sans rentrer sur le débat de sa suppression, il faut souligner que les cycles précédents se construisaient en intégrant la possibilité d’utiliser ce levier. Sursolliciter le foncier bâti n’est pas possible, en raison des taux déjà atteints dans certains territoires et de la concentration de l’effort sur une catégorie de contribuables.

Pour conclure, il ne faut pas non plus stigmatiser les dépenses de fonctionnement. Elles financent les services publics. De plus, à travers la commande publique, elles jouent un rôle dans la transition écologique.


M. FRANCK VALLETOUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE STRATÉGIES LOCALES

À titre de préambule, je veux rappeler, comme cela a déjà été fait, que les situations financières dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales sont très variées et que, s’il y a des excédents de trésorerie qui « dorment », ils ne « dorment » pas tous aux mêmes endroits. Pour autant, la capacité des collectivités à investir n’a jamais été aussi importante qu’aujourd’hui.

Je vais commenter trois indicateurs qui ont déjà été évoqués pour certains :

1° L’autofinancement :

Il s’est largement reconstitué au lendemain de la crise sanitaire et se situe désormais à un niveau très élevé. Il représente une part importante des budgets mais aussi du financement des investissements, à hauteur de 80 % comme l’a indiqué le ministre M. Christophe Béchu. Pour 2021, on a même un surfinancement de l’investissement puisque les budgets locaux sont en excédent de 3 milliards d’euros.

2° L’endettement :

Il reste relativement stable en valeur et sa part dans les budgets a diminué. Le délai de désendettement ([2]) est inférieur à cinq ans pour les communes et leurs groupements, à moins de trois ans pour les départements et à moins de six ans pour les régions. La dette des collectivités locales totalise 157 milliards d’euros à fin 2021. Si l’on augmentait cette dette de 50 milliards, on passerait à une durée de désendettement de seulement six années. Il y a donc un levier de dette qui n’est pas pleinement mobilisé. On peut le regretter eu égard aux taux d’intérêt très favorables pratiqués ces dernières années par rapport à ceux qui sont aujourd’hui annoncés en hausse. En résumé, nous avons un autofinancement robuste et un niveau d’endettement qui ouvrent des possibilités de dynamiser l’investissement.

3° La trésorerie des collectivités :

Elle est également à un niveau historiquement élevée. Cette trajectoire n’est pas nouvelle et provient de budgets locaux structurellement excédentaires depuis plus de dix ans.

Cet excédent de trésorerie s’élève à environ 65 milliards d’euros et, si l’on ajoute celui des groupements sans fiscalité propre, on atteint 75 milliards d’euros, montant qu’il faut rapprocher des dépenses d’investissement des collectivités de 40 milliards d’euros. Cet excédent n’a cessé de croître ces dernières années : on est passé de 24 milliards d’euros en 2009 à un montant trois fois plus élevé aujourd’hui.

Dans le même temps, nous avons « changé de monde » : le temps se remet à coûter de l’argent. Le retour de l’inflation et la remontée des taux d’intérêt se conjuguent pour donner au temps un prix plus élevé. Si l’on considère un taux d’inflation de 5 à 7 % et un taux d’intérêt de 3 %, une trésorerie non rémunérée perd annuellement 8 à 10 % de sa valeur.

Évidemment, cette perte de valeur n’est pas constatée dans les budgets, qui n’enregistrent que des données comptables. Pourtant, elle représente pour les collectivités une perte en valeur financière de 5 milliards d’euros en 2022. Je rappelle que cette trésorerie est dormante et n’est pas placée. Si l’on prend en compte les groupements sans fiscalité propre, ce sont 6 milliards d’euros qui se sont évaporés.

Ces trois indicateurs – la robustesse de l’autofinancement, les marges de manœuvre en matière d’endettement, le stock disponible de trésorerie qui pourrait être mis en dynamique rapidement pour limiter les pertes financières – laissent penser qu’il est possible, au moins sur une période assez courte de quelques années, d’envisager un doublement de l’investissement des collectivités locales, c’est-à-dire de réaliser 40 milliards d’euros d’investissement supplémentaires.

Au-delà de l’aspect financier se pose la question de la faisabilité technique des projets et de la capacité des collectivités à les mettre en œuvre rapidement.

Un dernier point avant de conclure : comme l’a indiqué la Cour des comptes ([3]), la baisse de l’investissement public local en 2020 a surtout impacté les dépenses d’entretien du patrimoine. Cependant, l’entretien du patrimoine n’est pas une option ; l’option, c’est de garder ou non un élément du patrimoine, mais le conserver en bon état n’est pas une option. Il y a donc un « arriéré » de dépenses d’entretien sur lequel il faudra revenir. Plus ce rattrapage sera long à se mettre en place, plus il sera coûteux. C’est une dette latente que la Cour des comptes appelle une « dette grise ». Elle n’est pas budgétaire, on peut donc faire semblant de ne pas la voir, mais elle existe. Comme nous l’avons vu, les moyens à mettre en face existent.

Lorsqu’on investit pour améliorer son patrimoine et réduire la consommation d’énergie, cela produit des économies. Avec le soutien des dotations de l’État, le reste à charge pour les collectivités est de 50 % environ, voire moins pour les petites communes. Ces opérations de rénovation sont rentables pour les collectivités, d’autant qu’elles n’ont pas à partager les économies générées avec d’autres opérateurs comme c’est le cas dans le privé.


M. LUDOVIC HALBERT, ENSEIGNANT CHERCHEUR AU LATTS

Après plusieurs décennies de hausse régulière de l’investissement lié à la décentralisation de 1982 ont succédé une quinzaine d’années de stagnation. Le niveau record de 2021 peine à égaler celui des années 2000.

Nos recherches, qui associent une dizaine d’universitaires, ont mis en lumière le rôle adverse sur l’investissement public local des politiques de modération budgétaire qui, depuis une quinzaine d’années, visent à limiter l’endettement et les dépenses publiques locales ainsi que les prélèvements obligatoires, y compris au niveau national. Ces politiques publiques ont affecté les finances locales de deux manières :

1° Les marchés financiers et les traités européens exercent une pression sur l’État pour qu’il entreprenne des politiques de consolidation budgétaire qui se répercutent en cascade sur les autres administrations et les collectivités locales ;

2° Que ce soit pour des raisons idéologiques, politiques ou professionnelles, les exécutifs locaux mettent effectivement en œuvre la consolidation budgétaire. Avec des intensités plus ou moins fortes et de manière plus ou moins différenciée, ces exécutifs locaux opèrent de nombreux ajustements fiscaux et financiers qui se font au détriment de l’investissement public local.

Dans les discours, l’investissement est sanctuarisé ; dans les faits, il reste l’une, sinon la principale, variable d’ajustement en raison de son caractère discrétionnaire.

Les années 2010-2018 ont correspondu à une phase caractérisée de resserrement budgétaire, avec une baisse des dotations aux collectivités. Sur cette période, notre étude montre une diminution particulièrement marquée de l’investissement du bloc communal. Les ajustements budgétaires ont des effets directs et immédiats sur les recettes allouées à l’investissement. Par exemple, la maîtrise des dépenses de fonctionnement améliore l’épargne brute mais pénalise la mise en œuvre des investissements par manque d’ingénierie et de personnels.

Nous observons une redéfinition du régime de l’investissement public local ces dernières années :

Les profils d’investissement des collectivités se déspécialisent : celles qui investissent le plus semblent vouloir « jeter l’éponge » ;

Les modes de financement s’uniformisent : malgré des taux d’intérêt jusqu’à présent attractifs, les collectivités qui empruntaient le plus ont « levé le pied » sur l’endettement au profit de l’autofinancement ;

3° D’une manière générale, les collectivités voient leur capacité d’action budgétaire diminuer, ce qui contraste avec les discours volontaristes de mobilisation publique pour répondre aux grands défis de ce temps, dont la transition écologique.

Cette analyse porte un premier enseignement : le décalage entre, d’une part, les difficultés des administrations publiques locales à conduire des politiques, notamment de transition écologique, faute de capacités budgétaires et, d’autre part, la bonne santé des finances locales perçue à travers d’indicateurs comme la durée de désendettement ou le niveau d’épargne brute. Ce décalage s’explique par le fait que les budgets locaux sont désormais pilotés par rapport à ces indicateurs financiers et non plus par rapport à leurs finalités, notamment le soutien à l’investissement. Le moyen devient, pour ainsi dire, la fin, avec pour conséquence un cantonnement de l’investissement public local en aval de la construction budgétaire.

Un second enseignement, qui apparaît lorsque l’on compare les trajectoires des différentes collectivités, est que, si le renforcement de la contrainte budgétaire n’a pas accru les inégalités financières, il ne les a pas non plus réduites en dépit de l’intensification de la péréquation. Les collectivités des territoires ruraux, démographiquement et économiquement peu dynamiques, et celles des espaces paupérisés des grandes agglomérations, ont amélioré leurs capacités d’action budgétaire. Ce rattrapage relatif est à rapprocher des besoins importants des populations concernées qui sont très dépendantes des services publics. Pour les autres collectivités, la stabilité des capacités d’action budgétaire met en difficulté leur modèle de développement local. Trois exemples : l’effort d’investissement des petites communes touristiques baisse ; l’investissement des métropoles ne suit pas la croissance démographique ; entre les deux, nombre de communes sont trop riches pour bénéficier de la péréquation mais pas assez pour disposer de marges de manœuvre budgétaires suffisantes. Ces communes doivent procéder à des ajustements fiscaux et financiers qui déstabilisent leurs économies locales.

Pour conclure, en 2023, ce n’est pas seulement l’environnement macroéconomique – l’inflation et les taux d’intérêt – qui va peser sur l’investissement public local, mais également les politiques de consolidation budgétaire.

Il semblerait que le scénario observé à la suite de la crise de 2008 se réécrive sous nos yeux, au moins en partie : après la phase de relance post-pandémie, la priorité donnée à l’assainissement des comptes publics ne risque-t-elle pas, comme dans les années 2010, de freiner l’investissement public local et donc le financement de la transition environnementale ?

* * *

Le président Thomas Cazenave. Je remercie nos intervenants pour ces éclairages complémentaires sur la situation de l’investissement public local et ses ressorts. Je propose d’ouvrir un temps d’échange avec les représentants d’associations d’élus locaux et les parlementaires.

Interventions des Élus locaux

M. Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération du Sicoval. Je veux tout d’abord resituer cette année 2023 par rapport aux mandats des communes et des intercommunalités. Nous sommes aujourd’hui à mi-mandat. À ce moment du cycle électoral, les collectivités ont reconstitué leurs marges de manœuvre et préparent le lancement de nouveaux projets. Ces investissements visent en priorité à améliorer le cadre de vie des habitants ou les services publics. La transition écologique, qu’elle soit motivée par des économies futures ou par une conviction fondamentale, arrive plutôt dans un second temps. Le débat qui a lieu dans nos collectivités porte sur l’arbitrage entre, d’une part, la tenue des engagements sur les améliorations du cadre de vie et des services publics et, d’autre part, la conservation de marges de manœuvre suffisantes pour financer l’avenir sans pour autant détériorer nos finances.

Certaines mesures prises pour 2023 peuvent inquiéter les élus : par exemple, la réforme du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) qui supprime de l’assiette certaines dépenses éligibles, la non-indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) qui fait reposer sur les communes de nouvelles charges de fonctionnement, l’affaiblissement du levier fiscal qui limite les marges de manœuvre. Ces mesures poussent les élus à constituer des réserves de précaution, dans un contexte ou l’épargne nette diminue, du fait de l’inflation des coûts de l’énergie et des denrées alimentaires, ce qui réduit l’investissement local. Il y a une réflexion à mener pour atténuer les effets de ce contexte, par exemple en rebudgétisant certaines lignes de trésorerie qui ont été mises de côté par sécurité.

Je souhaite que l’on puisse mobiliser les élus locaux sur l’enjeu de l’investissement local mais cette mobilisation ne doit pas obérer leur capacité à tenir les engagements qu’ils ont pris devant leurs concitoyens pendant la campagne électorale. Il faut redonner confiance aux élus locaux en tempérant les effets de certaines mesures qui ont été prises.

M. Sébastien Miossec, président de Quimperlé Communauté. Il a été rappelé à juste titre la grande diversité des collectivités, surtout s’agissant du bloc communal.

Intercommunalités de France réalise, avec la Banque des Territoires, un « baromètre de la commande publique » qui est plus large que l’investissement public. Il confirme le diagnostic de l’OFGL mais montre que les services progressent plus vite dans la commande publique que l’investissement, ce qui traduit un changement dans la nature des dépenses des collectivités et reflète sans doute un transfert de l’investissement vers les services, par exemple de services publics en régie vers d’autres formes.

Au niveau de l’investissement du bloc communal, il y a eu une dynamique de rattrapage en 2022 par rapport à 2020 et 2021, liée à la fois à l’effet Covid et au cycle électoral. Cependant, il me semble que les effets des cycles électoraux sur l’investissement tendent à s’atténuer du fait que les collectivités, notamment les plus grosses et les intercommunalités, bénéficient de la dynamique impulsée par les élus locaux et des moyens des services en matière d’ingénierie. On construit des plans pluriannuels d’investissement (PPI) et des plans à moyen ou long terme qui sont relativement décorrélés du cycle électoral.

S’agissant des perspectives, l’autofinancement détermine largement la capacité à investir. L’explosion des coûts de l’énergie est une vraie préoccupation pour 2023. Dans ma commune et ma communauté d’agglomération, nous préparons le débat d’orientation budgétaire (DOB) et le PPI. Que peut-on mettre aujourd’hui dans le PPI en matière de transition écologique quand on a autant d’incertitudes autour du coût de l’énergie à moyen et long terme ?

Cela a été dit, les subventions sont un autre déterminant de l’investissement local. Les fonds mis en jeu par l’État sont certes importants, avec notamment les 2 milliards d’euros du « fonds vert » en 2023, mais l’étude de l’OFGL montre que les trois-quarts du montant des subventions d’équipement proviennent d’autres collectivités. Majoritairement, les collectivités se subventionnent entre elles. Cela implique que les régions, les départements, les intercommunalités dégagent suffisamment d’autofinancement pour subventionner les projets des communes.

Les collectivités ont besoin d’être rassurées. À Intercommunalités de France, nous pensons que la contractualisation est un moyen de créer les conditions propices à l’engagement des collectivités dans l’investissement, mais cette contractualisation doit être pluriannuelle. Certes, l’État nous dit qu’il va nous accompagner sur la durée mais les préfets nous précisent toujours que les subventions, lorsqu’elles sont attribuées, ne le sont que pour l’année en cours. Si l’on veut rénover une école aujourd’hui, les travaux se feront dans deux ou trois ans. On a besoin de savoir ce que l’on aura en DSIL, en DETR, en « fonds vert », en subventions de la région, du département, en 2023 mais aussi en 2024 et en 2025. La contractualisation doit permettre de nous donner de la visibilité sur les moyens de financement. C’est notamment le cas des CRTE : sans financement, ils ne produiront pas d’effets.

 

M. Étienne Lengereau, maire de Montrouge. Nous sommes face à un « mur » d’investissement, les besoins sont immenses ; mais sur le terrain, nous constatons que nos marges de manœuvres se réduisent parce que nos besoins en fonctionnement augmentent. Comme l’a dit M. Thomas Rougier, il ne faut pas stigmatiser la dépense de fonctionnement. Elle est nécessaire pour améliorer les services publics du quotidien – je pense par exemple à la loi EGalim ([4]) en matière de restauration scolaire, aux demandes en matière de sécurité ou de solidarité. Ces dépenses vont continuer d’augmenter et de peser sur l’autofinancement.

Parallèlement, nous avons perdu le levier fiscal de la taxe d’habitation ; au niveau communal, il ne reste plus que l’impôt foncier avec des taux déjà élevés.

La conjoncture économique n’est pas idéale. On nous dit d’investir et nous sommes tout à fait d’accord car l’enjeu de la transition écologique est bien réel : nous devons rénover nos écoles, construire des pistes cyclables, végétaliser nos villes. Mais nos marges diminuent. Comment faire ?

Dans ma commune, qui est pourtant peu endettée avec une fiscalité relativement faible, l’investissement n’est plus autofinancé à 80 %. En début de mandat, nous avons dû augmenter la fiscalité et les tarifs domaniaux et, maintenant, nous devons nous tourner vers l’endettement, alors que les taux d’intérêt augmentent fortement, et rechercher des partenaires : région, intercommunalité, État, etc. On se transforme en « chasseurs de primes » mais toutes les communes ne sont pas sur un pied d’égalité dans cette démarche. Celles qui ont des capacités d’ingénierie peuvent répondre aux appels à projets, les autres ont plus de difficultés. Il faut renforcer l’aptitude des collectivités à porter des projets. Il faut également cesser de leur retirer l’autonomie fiscale dont elles ont besoin. Enfin, il ne faut pas que l’investissement pèse sur le niveau de la dette et, à ce sujet, le tiers financeur me paraît une piste intéressante.

Pour conclure, j’entends le discours porté par le ministre mais je constate qu’une grande partie de nos marges de manœuvre ont été consommées et que de nouvelles charges de fonctionnement imprévues sont apparues. Dans ce contexte, il y a un manque de visibilité par rapport à l’investissement.

Mme Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris. Ville & Banlieue représente des territoires en politique de la ville où habitent des personnes en grande fragilité, des territoires particulièrement vulnérables à la transition écologique et des personnes exposées à la précarité énergétique, aux différentes pollutions, aux îlots de chaleur puisqu’elles résident souvent dans de grands ensembles immobiliers. Pour ces populations, il y a une forme de double peine puisque ce sont celles qui polluent le moins.

Il y a une nécessité de conduire dans ces quartiers la transition écologique, donc d’investir ; mais il y a aussi un enjeu social : ces quartiers rassemblent une population jeune, avec beaucoup de services et d’équipements publics, notamment des écoles, qu’il faut entretenir.

Il faut que nous puissions investir dans la rénovation des bâtiments publics en priorisant les travaux à réaliser. Par exemple, en cas de canicule, on ne peut pas renvoyer les enfants chez eux dans des logements mal isolés parce que l’école est elle-même mal isolée. C’est pourquoi Ville & Banlieue demande que 20 % du « fonds vert » soit fléché vers les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Ces territoires ont également besoin d’un accompagnement car, cela a été mentionné, on constate souvent un manque d’ingénierie pour porter les projets dans ces quartiers. Si les enveloppes départementales du « fonds vert » ont été constituées, il y a une interrogation sur le fléchage vers les QPV.

La confiance est importante pour les élus. Elle ne concerne pas seulement l’investissement mais aussi notre capacité à boucler les budgets de fonctionnement. La moindre progression de la dotation de solidarité urbaine (DSU) par rapport à la dotation de solidarité rurale (DSR) au sein de la DGF ne facilite pas le bouclage de nos budgets. La compensation de l’abattement sur la taxe foncière sur la résidence principale (TFPB) dans les QPV ([5]) n’est pas intégrale. On a besoin de cette compensation qui permet aux bailleurs sociaux d’améliorer le cadre de vie des habitants.

S’agissant de l’urbanisme, on a dans les territoires de la politique de la ville de nombreux projets de renouvellement urbain qui rencontrent des difficultés de financement en raison de l’augmentation du coût des matières premières et de la construction que nous observons dans les appels d’offres. Ces surcoûts fragilisent également les opérations en cours.

Il serait souhaitable de pérenniser les programmes de renouvellement urbain de façon pluriannuelle plutôt que de les lancer par vagues successives, car on s’aperçoit que certains programmes lancés il y a une dizaine d’années ne sont plus en phase avec les enjeux de société, notamment avec les besoins de la transition écologique. Ainsi, lorsqu’on a terminé une opération, il suffit de regarder les quartiers voisins pour s’apercevoir qu’ils se sont déjà dégradés bien qu’ils aient fait l’objet de requalifications.

M. Olivier Landel, délégué général de France Urbaine. Je voudrais insister sur trois sujets :

 L’autofinancement comme source de la capacité à débloquer les emprunts et à investir.

Lorsque l’on regarde la situation individuelle et par strate des collectivités, on s’aperçoit que c’est dans les collectivités qui ont l’autofinancement le plus faible que les investissements à réaliser, en particulier dans la transition écologique, sont les plus élevés, ce que confirme le baromètre de l’Agence France Locale (AFL).

 L’incertitude autour de l’exécution des budgets.

Comme Sébastien Miossec, je pense qu’il faut contractualiser, sur le moyen et le long terme, la certitude du financement. Je ne parle pas du financement par les subventions d’investissement mais de l’autofinancement. Il faut donc disposer de garanties de capacité d’autofinancement dans la durée. La loi de programmation, qui porte une vision de modération des dépenses de fonctionnement sans augmentation des recettes de fonctionnement, est une épée de Damoclès qui pèse sur l’autofinancement des collectivités.

3° La trésorerie de 75 milliards d’euros.

Il convient de relativiser ce montant qui, par rapport aux 270 milliards d’euros de dépenses annuelles des collectivités, représente quatre mois de trésorerie. Je fais observer que cette trésorerie, déposée sur le compte du Trésor, permet à l’Agence France Trésor (AFT) de ne pas avoir besoin de l’emprunter sur les marchés.

Pour conclure, et s’agissant de la dette des collectivités, je relève qu’il faut non seulement avoir la capacité d’emprunter plus, mais aussi d’emprunter mieux.

Interventions des parlementaires

M. Lionel Royer-Perreaut, député des Bouches-du-Rhône (RE). Le ministre a indiqué tout à l’heure qu’une commune ou groupement de communes seulement sur cinq éligibles a sollicité le « filet de sécurité ». Cela interpelle. Comment analysez-vous ce faible nombre ? Le ministre a également laissé entendre que les crédits du « filet de sécurité » qui n’auront pas été utilisés pourraient être réorientés utilement. Avez-vous des suggestions concernant le réemploi éventuel de ces fonds ?

Mme Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme (SOC-NUPES). Nous avons évoqué les indicateurs financiers, mais il y a un indicateur, qui certes n’existe pas formellement, dont nous n’avons pas parlé : il s’agit de la confiance des collectivités. Il existe des indicateurs de confiance des affaires, des ménages, des consommateurs, ne serait-il pas temps de construire un indicateur de la confiance des collectivités ?

Beaucoup de moyens ont été alloués par l’État pour l’ingénierie ces dernières années, notamment avec l’ANCT. Cette ingénierie a permis de constituer de nombreux dossiers d’investissement, mais le financement de ces dossiers, qui sont prêts, ne suit pas.

Par ailleurs, et cela rejoint les propos de Sébastien Miossec, constatez-vous une évolution des financements croisés, par exemple un repli des financements des départements vis-à-vis des communes, des régions vis-à-vis des intercommunalités, etc. ?

Enfin, est-il envisageable de construire un indicateur d’endettement qui ne prendrait pas en compte la « dette verte » liée à l’investissement « vert » ?

M. Benjamin Saint-Huile, député du Nord (LIOT). D’un côté, les indicateurs nous disent qu’il y a des capacités financières disponibles pour investir, de l’autre, les élus demandent à être rassurés et sécurisés sur leurs marges de manœuvre financière. Le « big bang » permanent sur les finances locales depuis une quinzaine d’années, avec la disparition de la taxe professionnelle sous Nicolas Sarkozy, l’instauration de la contribution au redressement des finances publiques sous François Hollande, puis aujourd’hui la disparition de la taxe d’habitation et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), créée une situation d’incertitude globale qui stresse les élus locaux. À cela s’ajoute un contexte anxiogène lié à l’augmentation des dépenses de fonctionnement. Le Gouvernement a mis en place le « filet de sécurité » et a accepté d’augmenter la DGF, mais la situation n’en demeure pas moins complexe pour les collectivités.

Par ailleurs, j’observe que les élus locaux appréhendent la dette de façon négative. La dette est « sale ». Dans les assemblées locales, l’exécutif se trouve en difficulté lorsqu’il contracte un emprunt parce qu’on considère qu’il fait peser sur les épaules des générations futures le poids d’une nouvelle dette. Il y a toujours un ratio sur lequel s’appuyer pour conforter cette opinion. Il faut que l’on travaille sur la notion d’endettement et faire preuve de pédagogie pour expliquer qu’il peut y avoir intérêt à contracter un emprunt.

Sur les CRTE, je considère que cela va dans le bon sens, mais comme l’a dit Sébastien Miossec, on ne peut se contenter d’une visibilité financière à l’année.

Pour terminer, je veux souligner que très peu de maires ont pris des engagements en matière de transition écologique lors de la campagne électorale de 2020. La conscientisation de la nécessité d’accélérer la transition écologique est récente. Les maires veulent en priorité respecter les engagements pris en 2020. Il y a donc un travail important à faire pour convaincre les maires de s’engager résolument dans la transition écologique.

Mme Stella Dupont, députée du Maine-et-Loire (RE). Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, nous avons mis en place des dispositifs de soutien aux collectivités – « filet de sécurité », augmentation de la DGF, revalorisation des bases locatives à hauteur de 7 % alors qu’il y avait des amendements pour plafonner celle-ci à 3,5 %. Malgré cela, on ressent sur le terrain de la frilosité et des inquiétudes. Installer de la confiance est un levier important pour favoriser l’investissement.

La confiance implique de donner davantage de visibilité aux collectivités, ce à quoi la pluriannualité des dotations peut contribuer.

Sur la question de la transition énergétique, nous avons été quelques maires à nous engager, il y a une quinzaine d’années, dans la rénovation énergétique de nos bâtiments en faisant appel à la géothermie plutôt qu’au gaz qu’on nous présentait alors comme plus économique. Nous voyons aujourd’hui qu’il faut appréhender l’investissement sur le long terme et mesurer les gains escomptés dans la durée. Dans un contexte de tension sur les prix de l’énergie, il faut plus que jamais intégrer de nouveaux indicateurs de façon à ce que la « dette verte » soit totalement revisitée et change l’état d’esprit des élus locaux comme des citoyens.

Le président Thomas Cazenave. La délégation réalisera une évaluation du « filet de sécurité » lorsque les données pertinentes seront disponibles. Je propose de réserver cette question et d’aborder celle des financements croisés.

M. Thomas Rougier, secrétaire général de l’OFGL. On observe effectivement une baisse des financements provenant des départements depuis 2010 ([6]), lorsqu’on a eu les grands débats sur la situation financière des départements. Ce n’est pas anodin car les subventions des départements et des régions ont, comme celles de l’État, un effet de levier sur l’investissement du bloc communal. Les départements et les régions ne sont pas dans la même situation : les départements doivent composer avec les dépenses sociales.

 

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Table-ronde n° 2 : quels sont les diffÉrents enjeux de l’investissement public local au regard des exigences de la transition Écologique ?

M. le président Thomas Cazenave. Je vous propose d’aborder le deuxième temps de notre échange, consacré à la nature et à l’ampleur des investissements publics locaux à mettre en œuvre afin de satisfaire aux exigences de la transition écologique. Il s’agit tout autant d’identifier les secteurs d’activité les plus impactés que d’évaluer les masses financières qui devront être mobilisées. À cette fin, j’invite M. Alexandre Holroyd, député représentant les Français établis hors de France et président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations à s’exprimer sur le sujet. J’indique, à cette occasion, que M. Holroyd a été l’auteur, en juillet 2020, d’un rapport au Gouvernement sur la « finance verte ».

M. Alexandre Holroyd, prÉsident de la commission de surveillance de la Caisse des dÉpÔts et consignations

À titre liminaire, je souhaiterais rappeler que l’engagement dans la transition écologique consiste à procéder en trente ans au renouvellement quasi‑intégral des infrastructures et des modes de consommation issus des cent‑trente dernières années. Les réticences qu’éprouvent les acteurs publics, qu’il s’agisse de l’État ou des collectivités territoriales, à entamer un tel changement sont, au fond, de même nature que celles ressenties par les particuliers et relèvent de la « tragédie des horizons » mise en évidence par Mark Carney ([7]) en 2015 : les conséquences catastrophiques du changement climatique seront ressenties au‑delà des cycles d’affaires ou des mandats politiques, ce qui réduit d’autant l’incitation à les prévenir. Le coût d’entrée dans la transition écologique apparaît, dès lors, prohibitif pour les décideurs.

S’agissant, plus précisément, du « mur » à franchir, celui-ci a été évalué en 2022 par l’économiste Jean Pisani-Ferry ([8]) à 2,5 % du PIB chaque année jusqu’en 2030, ce qui correspond à un montant situé entre 70 et 100 milliards d’euros. Compte tenu de l’ampleur des masses financières en jeu, il paraît difficile d’imaginer qu’un tel coût puisse être assumé par un seul acteur, en l’occurrence l’État. Un pilotage centralisé de la transition écologique par l’État serait, à mon sens, prodigieusement inefficace : seule l’implication de tous les échelons, publics et privés, est à même d’assurer l’efficacité d’une telle politique.

Dans cet ensemble, les collectivités territoriales sont invitées à accroître leur effort d’investissement de 5,5 milliards d’euros à 12 milliards d’euros par an, ce qui représente près de 20 % de leur budget d’investissement. Ce chiffrage, articulé autour de trois grands pôles de dépenses (mobilité, rénovation thermique, réseaux de chaleur), ne prend pas en compte le coût de l’adaptation au changement climatique, estimé à 10 % du total des investissements locaux.

J’estime qu’un tel effort ne saurait être réalisé sans la mobilisation des capacités d’emprunt des collectivités et qu’il est indispensable de « renouer avec la dette longue ». À cette fin, les différents blocages à l’accroissement de l’emprunt, qu’ils soient financiers, politiques ou juridiques, doivent être identifiés au préalable. Ainsi, s’agissant des aspects réglementaires, peut-être les normes de comptabilité publique devraient-elles être ajustées afin de donner aux collectivités territoriales plus de marge de manœuvre. On peut également se poser la question évoquée tout à l’heure par Mme Christine Pires Beaune : il y aurait sans doute un intérêt à identifier au sein de l’endettement local une partie « verte » qui serait de nature à rassurer les électeurs sur l’intérêt des emprunts contractés. D’un point de vue général, les maturités des prêts doivent être incontestablement alignées sur les durées d’amortissement réelles des actifs concernés (réseaux d’eau, bâtiments scolaires, etc.).

Le régime des dotations de l’État aux collectivités me semble devoir être également revu dans le sens d’une meilleure prévisibilité et lisibilité des dispositifs concernés. Il doit surtout comporter des mécanismes d’incitation aux investissements en matière de transition écologique selon des modalités qui restent encore à déterminer (bonus‑malus, etc.). En outre, le recours aux « budgets verts » par les collectivités devrait être systématisé, ce qui facilitera la constitution d’une « dette verte », étant précisé que les contours de cet endettement spécifique sont encore loin d’être stabilisés. Une méthodologie de calcul consensuelle doit, dès lors, être trouvée. Enfin, dans un contexte de raréfaction des marges de manœuvre budgétaires des collectivités publiques, l’octroi de subventions devra de plus en plus se concentrer sur les projets à forte dominante écologique afin d’aboutir à une optimisation de leur « effet-levier ».

Le dernier enjeu de la transition écologique réside, selon moi, dans la capacité de notre pays à concilier les impératifs de la différenciation territoriale avec la nécessaire diffusion des compétences et des bonnes pratiques vers des collectivités qui ne sont pas nécessaires proches les unes des autres. L’État et les organismes financeurs, en particulier la Banque des territoires, doivent avoir une vision d’ensemble des projets qui favorise cette appropriation sans pour autant négliger les écarts qui existent entre collectivités selon, d’une part, le niveau de dette écologique de départ et, d’autre part, l’objectif à atteindre. De toute évidence, les enjeux de transition ne sont pas les mêmes entre une commune de montagne, une zone urbaine et une commune littorale.

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Le président Thomas Cazenave. Parmi les données chiffrées que vous avez communiquées figure une évaluation du besoin d’investissement des collectivités produite par l’I4CE ([9]). Je laisse, à cette occasion, la parole à Mme Morgane Nicol, qui représente cet organisme.

Mme Morgane Nicol, directrice du programme territoires À l’institut de l’Économie pour le climat (I4CE)

L’I4CE a, effectivement, produit l’an dernier une évaluation chiffrée sur le besoin d’investissement des collectivités territoriales en matière de transition écologique ([10]), au sujet de laquelle certaines précisions d’ordre méthodologique doivent être apportées. Tout d’abord, seules les compétences obligatoires des collectivités ont été prises en compte puis analysées au regard des objectifs « d’atténuation » du changement climatique figurant dans la stratégie nationale bas‑carbone. Ensuite, nous avons considéré les dépenses d’investissement actuellement réalisées par les collectivités dans les domaines du transport, du bâtiment et de l’énergie, qu’il a évaluées à 5,5 milliards d’euros par an.

Compte tenu du périmètre ainsi défini, le niveau d’investissement nécessaire pour parvenir aux objectifs précités a donc été estimé à 12 milliards d’euros par an, soit un complément de 6,5 milliards d’euros. Très concrètement, il s’agit d’actions portant sur la rénovation énergétique des bâtiments, l’éclairage public, le développement de pistes cyclables, les infrastructures ferroviaires, les transports collectifs urbains, etc. On peut souligner que, parmi l’ensemble des acteurs ayant fait l’objet d’une évaluation de leur effort d’investissement en matière de neutralité carbone, ce sont les collectivités territoriales qui apparaissent le plus en retard : pour elles, le « mur » à franchir est plus élevé que les autres.

Par ailleurs, il faut avoir conscience que cette évaluation chiffrée ne s’inscrit que dans un objectif d’atténuation des émissions, à l’exclusion des dépenses qui seront rendues également nécessaires par l’adaptation proprement dite au changement climatique. En termes d’efficacité de la dépense publique, il importe que cette double dimension soit prise en compte dans les cahiers des charges des projets : par exemple, la construction d’un bâtiment doit être envisagée dans l’optique d’une réduction de la consommation d’énergie (BBC) sans négliger la mise en place d’infrastructures permettant aux occupants de faire face aux épisodes de fortes chaleurs (volets, etc.).

La difficulté des gestionnaires à prendre en compte les enjeux de l’adaptation au changement climatique peut s’expliquer par l’absence de trajectoire dans ce domaine : aucun débat n’a été mené, à ce jour, afin de déterminer les risques climatiques que la société est prête à accepter et, par conséquent, ceux contre lesquels elle souhaite se prémunir. L’enchevêtrement des responsabilités sur ce point entre l’État et les collectivités territoriales rend d’autant plus difficile un éclaircissement sur ce point.

Dès lors, l’effort d’investissement aux fins d’adaptation au changement climatique ne peut, à ce stade, être évalué de manière précise, bien que l’on puisse raisonnablement supposer qu’il sera supporté en grande partie par les collectivités. Nous avons récemment publié une note sur ce sujet ([11]).

Au titre des enjeux de financement, les collectivités seront rapidement confrontées aux impératifs de la réorientation des dépenses de fonctionnement et d’investissement dans une optique de transition écologique. Si ce basculement devrait partiellement s’opérer de manière naturelle, il relèvera pour une large part de choix politiques. Il importe donc aux collectivités d’évaluer l’impact budgétaire de ces choix au travers d’une trajectoire de financement qu’elles ont vocation à élaborer elles-mêmes.

S’agissant de l’effort complémentaire à fournir, la trajectoire d’évolution récente du niveau d’investissement des collectivités laisse planer des doutes quant à leur capacité à le doubler et à le maintenir sur le long terme. Il existe une imbrication entre les sections de fonctionnement et d’investissement, non seulement au titre de la capacité d’autofinancement, mais aussi pour ce qui a trait aux moyens humains nécessaires à la mise en œuvre des projets : certaines collectivités peuvent éprouver des difficultés à diversifier leurs investissements faute d’équipes pour les porter.

D’un point de vue plus général, nous appelons les pouvoirs publics à mettre en place un mécanisme de programmation pluriannuelle du financement public de la transition écologique.

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Le président Thomas Cazenave. Je vous remercie et, pour terminer cette deuxième table ronde, laisse la parole à M. Daniel Florentin, maître‑assistant à l’École des Mines de Paris et chercheur au laboratoire Techniques, territoires et sociétés (LATTS).

M. Daniel Florentin, maître‑assistant à l’École des mines de pARIS

À titre liminaire, je voudrais insister sur l’importance des diagnostics à mettre en œuvre préalablement à l’engagement de tout projet d’investissement. Il s’agit de connaître précisément l’état des infrastructures que l’on souhaite rénover ou remplacer. Or, il ressort d’un projet de recherche que nous avons mené, avec un collègue de l’École des Mines, en coopération avec la Caisse des dépôts et consignations sur le thème de la gestion patrimoniale que cette connaissance est souvent lacunaire.

Par ailleurs, la mise en œuvre des diagnostics nécessaires à la consolidation de ce savoir prend du temps et mobilise des ressources non négligeables : ainsi, pour avoir une vision exhaustive de son réseau d’eau, l’agglomération de Lorient a dû recourir à deux emplois équivalents temps plein (ETPT) pendant cinq ans. Quelle que soit la collectivité concernée, toute entreprise de rénovation doit s’appuyer sur une analyse multisectorielle qui soit en mesure de donner du sens au projet.

En outre, les investissements en matière de transition écologique ne peuvent être envisagés de la même façon que pour les actifs traditionnels : il ne s’agit pas de procéder au remplacement d’un équipement entièrement amorti, mais de prendre en compte l’ensemble des coûts liés à l’installation et à l’exploitation de l’installation concernée. Selon des travaux réalisés par l’association Apogée ([12]), le coût d’un bâtiment sur la totalité de son cycle de vie se décompose de la façon suivante : 5 % au titre des études et de l’assistance à maîtrise d’ouvrage, 20 % au titre de la construction proprement dite, 75 % au titre de son exploitation et de sa maintenance.

Tout investissement « vert » doit donc être analysé à l’aune du coût complet de l’installation concernée et non uniquement de son amortissement comptable. Une telle démarche permet de comprendre qu’un équipement neuf n’est pas toujours rentable sur un plan économique, notamment s’il contient des matières à forte empreinte carbone ou simplement si son exploitation requiert une forte consommation d’énergie.

Au contraire, une rénovation effectuée dans une optique de coût complet avec un objectif de sobriété énergétique facilitera l’effacement du coût initial des investissements et peut même donner naissance, le cas échéant, à de véritables rentes économiques. C’est ce qui a été constaté au niveau de la commune de Malaunay (76), qui s’est engagée il y a quelques années dans la rénovation de son parc immobilier public en ciblant, dans un premier temps, la réduction de la consommation d’énergie puis, dans un second temps, la mise en place de systèmes de production d’énergies renouvelables à des fins d’autoconsommation collective. Ces investissements permettent à cette collectivité d’envisager aujourd’hui un abondement du réseau d’énergie à partir des surplus éventuels, ce qui témoigne de l’émergence d’une recette à partir de la dépense initiale.

Les besoins d’ingénierie dans le domaine des investissements « verts » doivent, par ailleurs, être couverts en interne selon une approche systémique en lieu et place des ingénieries thématiques traditionnelles. On peut estimer que cette approche nouvelle est à même de faciliter la diffusion des compétences qu’évoquait Alexandre Holroyd.

Enfin, la question des moyens humains qui doivent être mobilisés sur les différents projets invite à ne plus séparer strictement les sections de fonctionnement et d’investissement et, au-delà, à reconsidérer les mécanismes de régulation des dépenses de fonctionnement mis en place au travers des lois de programmation des finances publiques. Au sein de l’I4CE, Morgane Nicol a évalué à plus de 25 000 le nombre d’emplois équivalents temps plein (ETP) qui devront être comblés d’ici à 2025 dans les collectivités pour lancer et animer les investissements destinés à atteindre la neutralité carbone ([13]). Des investissements significatifs dans les ressources humaines seront donc nécessaires à plus ou moins court terme. On peut citer, sur ce point, une étude conjointe de l’Agence France locale (AFL) et de l’Institut national des études territoriales (INET), selon laquelle « une accélération des investissements semble logiquement aller de pair et même et être précédée par une augmentation des dépenses de fonctionnement sur la fonction environnement ([14]). »

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Le président Thomas Cazenave. Je vous remercie pour votre éclairage très instructif sur les questions d’ingénierie et, au-delà, sur la « connaissance » des installations à rénover ou remplacer. J’invite les représentants des associations d’élus locaux à réagir à ces différentes observations et suggestions.

Interventions des Élus locaux

M. Nicolas Méary, vice-président du département de l’Essonne. Je souhaiterais revenir sur les difficultés des collectivités à accroître leur effort d’investissement, que vous avez évoquées, Mme Nicol, au travers du rapport que vous avez produit pour l’I4CE. Le contexte économique général, en particulier la hausse des prix, pourrait affecter le niveau des investissements des départements français à hauteur de 2,5 milliards d’euros par an, soit près du quart du total. J’ai l’intuition que, face à cette contrainte, les collectivités pourraient être tentées de renoncer aux investissements dont les gains à court terme sont les plus faibles ou qui sont les plus difficiles à justifier auprès des électeurs, c’est-à-dire à ceux qui contribuent précisément à la transition écologique.

S’agissant de « l’atténuation » de l’empreinte carbone, la capacité des collectivités à procéder aux investissements nécessaires dans les échéances imparties peut parfois poser question. Ainsi, par exemple, le département de l’Essonne a évalué à 4 milliards d’euros, tous acteurs confondus, le montant des investissements nécessaires pour atteindre un niveau de 20 % d’énergie produite à partir de sources renouvelables en 2030, ce qui reste en-deçà de l’objectif national de 33 % ([15]).

Dans la mise en œuvre des projets, tous les niveaux de collectivités doivent être mobilisés. L’exclusion des départements de l’effort d’investissement au prétexte qu’ils ne disposeraient pas de compétences en matière de transition écologique serait, selon moi, une erreur : j’observe, d’ailleurs, que les territoires qui ont progressé le plus vite sont ceux où les départements ont été associés, notamment sous la forme de sociétés d’économie mixte (SEM) favorisant le partage des connaissances et l’accompagnement à la conception des projets (Vendée, Maine‑et‑Loire, etc.). Le département est un échelon qui facilite le pilotage des investissements et peut accompagner le bloc communal dans leur déploiement tout en conservant une forte proximité avec les territoires concernés.

Par ailleurs, face au « mur » que représente l’investissement dans la transition écologique, la logique de différenciation qu’évoquait le président Holroyd est un facteur de dynamisme essentiel dans un pays comme le nôtre, habitué aux grands projets nationaux et aux constructions cartésiennes. J’ai la conviction qu’il est préférable de laisser les collectivités développer leurs initiatives même si certaines sont redondantes. En ce sens, la logique de clarification des compétences entre niveaux de collectivités portée par la loi NOTRe ([16]) est clairement inadaptée aux enjeux de la transition écologique.

S’agissant de l’adaptation au changement climatique, je partage le constat effectué par l’I4CE : qu’il s’agisse, par exemple, de remédier à l’artificialisation des sols ou de procéder à la désimperméabilisation des cours d’école, les coûts correspondants sont significatifs et on peut rarement identifier pour ces investissements un gain à un horizon raisonnable.

Par ailleurs, comme le soulignait Daniel Florentin, il est essentiel pour les collectivités de disposer des connaissances nécessaires à l’élaboration de leurs projets d’investissement et d’être en mesure d’influer directement sur leur contenu.

À cette occasion, je voudrais, si vous le permettez, terminer par une anecdote. En tant que maire de la commune de Brétigny, j’ai lancé il y a quelques temps le projet de construction d’une école. La construction du bâtiment, censé protéger les élèves et les enseignants des épisodes de forte chaleur, était initialement fondée sur des objectifs qui, de manière surprenante, excluaient les phases caniculaires et prenaient en compte des données de températures limitées à la période 2002-2008 sans intégrer les prévisions de réchauffement pour les années à venir. Cet épisode illustre l’impératif pour les élus locaux de disposer de l’expertise technique leur permettant de calibrer leurs investissements au plus près des besoins de leur territoire.

M. Sébastien Miossec, président de Quimperlé Communauté. En tant que représentant d’Intercommunalités de France, je n’étonnerai personne en rappelant toute la pertinence de l’échelon intercommunal dans la mise en œuvre des investissements. Les établissements publics de coopération intercommunal (EPCI) interviennent à des degrés divers dans de nombreuses politiques publiques liées à la transition écologique, qu’il s’agisse de la mobilité, de la production d’énergie, de la rénovation de l’habitat ou de l’eau et de l’assainissement. Sur tous ces sujets, la question de l’ingénierie territoriale se pose et les intercommunalités interviennent dans des domaines où les directions départementales de l’équipement (DDE) apportaient autrefois un soutien précieux.

S’agissant précisément de la gestion des réseaux d’eau et d’assainissement, nous appelons le législateur à garantir aux EPCI une stabilité du dispositif de transfert de compétences décidé par la loi NOTRe et reporté au 1er janvier 2026 en 2018 ([17]). La conception et la mise en œuvre des investissements correspondants ne pourra s’effectuer correctement si les EPCI ne sont pas certains de récupérer cette compétence à l’échéance prévue.

Enfin, je trouve intéressante la suggestion de l’I4CE quant à la mise en place d’un mécanisme de programmation pluriannuelle du financement public de la transition écologique : un tel outil donnerait aux acteurs locaux la lisibilité dont ils ont précisément besoin.

Mme Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris. On peut regretter, tout d’abord, que les critères des dispositifs nationaux de soutien à l’investissement dans la transition écologique, en particulier ceux du fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires (« fonds vert »), ne soient pas toujours adaptés aux besoins des territoires. Nous appelons, par ailleurs, à une meilleure prise en compte des politiques alimentaires dans les politiques de transition écologique : les collectivités sont, en effet, confrontées au double enjeu de l’amélioration de la qualité de l’alimentation et de l’accès des populations les plus défavorisées à de la nourriture.

M. Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération du Sicoval. Je souhaiterais, tout d’abord, rappeler toute l’importance de l’ingénierie financière, qui doit permettre aux élus locaux d’avoir une vision du retour sur investissement de leurs propres décisions. En outre, il me paraît essentiel qu’il y ait une impulsion au niveau national, par exemple sous la forme de grands projets ferroviaires ou d’un plan en faveur de la mobilité douce, de façon à faciliter la mobilisation de toutes les collectivités concernées quel que soit leur niveau.

Enfin, le recul du trait de côte fait précisément partie des sujets qui, selon moi, mériteraient une intervention plus forte de l’État sous la forme d’une clarification des objectifs à atteindre et des moyens à mettre en œuvre.

Le président Thomas Cazenave. Je partage le sentiment exprimé autour de la table concernant le besoin d’un cadrage des investissements au plan national : c’est précisément le sens de la planification écologique. Pour répondre à Sébastien Miossec, je déplore, naturellement, que nous n’ayons pas pu doter les collectivités d’une loi de programmation des finances publiques l’an dernier.

Interventions des parlementaires

M. Guy Bennaroche, sénateur des Bouches-du-Rhône (Écologiste). Je me réjouis des interventions des différents experts, qui permettent, selon moi, d’illustrer toute la difficulté qui s’attache à l’articulation entre un discours politique national et les réalités rencontrées sur le terrain.

Par ailleurs, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation va lancer dans les prochains jours une mission d’information, dont je serai le co-rapporteur, sur le thème de la « transition environnementale dans les collectivités territoriales ». Les travaux de la mission viseront à identifier les bonnes pratiques mises en œuvre dans certaines collectivités depuis de nombreuses années, qui permettent à ces territoires d’être aujourd’hui plus en mesure d’être plus résilientes face au changement climatique. La période actuelle voit émerger de nouveaux enjeux de transition écologique, vis-à-vis desquels l’impulsion ne peut se faire qu’au niveau local. En ce sens, l’État doit être un facilitateur des initiatives des collectivités, et non un obstacle.

Par ailleurs, je fais également partie d’une autre mission d’information récemment mise en place sur le thème de l’autonomie financière, et notamment fiscale, des collectivités territoriales. Il s’agit d’une question essentielle lorsqu’il s’agit d’envisager la hausse de l’effort d’investissement des collectivités.

M. Mickaël Cosson, député des Côtes-d’Armor (DEM). Je rappelle que, par le passé, l’électrification des communes a souvent nécessité le recours à des emprunts sur le « temps long » et qu’une telle solution de financement pourrait aider de nouveau les collectivités à mener leurs investissements en matière de transition écologique.

Pour autant, la dette est un outil à double tranchant : sur un plan politique, le niveau d’endettement donne l’occasion à l’opposition locale de critiquer la gestion financière de la collectivité. Sur un plan institutionnel, il légitime l’intervention des autorités de contrôle de l’État, notamment de la direction générale des finances publiques, qui ne prennent pas en compte les éventuelles économies réalisées par la collectivité, par exemple en matière de consommation d’énergie.

Je reviens également sur les difficultés rencontrées par les collectivités à disposer des ressources humaines adaptées aux besoins d’ingénierie. La multiplicité des statuts et la concurrence que se livrent les collectivités sur ce marché favorisent la rotation des effectifs et limite les capacités des structures compétentes, notamment celles des agences locales de l’énergie et du climat, à répondre aux nombreux besoins exprimés dans les collectivités. Cellesci doivent aujourd’hui être capables de proposer un niveau de rémunération qui soit à même de préserver les compétences.

M. Stéphane Delautrette, député de Haute-Vienne (SOC). J’abonde dans le sens des interventions de Daniel Florentin et Sébastien Miossec : l’investissement dans « l’humain », c’est-à-dire une dépense relevant de la section de fonctionnement, permet de construire les capacités d’ingénierie interne des collectivités et, par ailleurs, favorise la diffusion des bonnes pratiques auprès des parties prenantes, secteur privé compris, sur le territoire considéré. Je déplore, par ailleurs, la tendance des circuits de financement à privilégier l’application d’un cadre préconçu à des projets locaux qui relèvent souvent d’une logique différente.

D’un point de vue global, on peut regretter que les dispositifs mis en place par l’État, notamment le « fonds vert » précité, soient soumis à des contingences politiques annuelles alors que, paradoxalement, il a été demandé aux collectivités d’inscrire leurs actions dans le cadre de CRTE et de PPI. Enfin, il ne faut pas négliger la question de l’autonomie fiscale, dont la faiblesse actuelle obère, selon moi, la capacité des grandes collectivités à contribuer efficacement à la péréquation des moyens entre territoires.


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Table-ronde n° 3 : comment lever concrÈtement les freins À l’investissement public dans la transition Écologique ?

Le président Thomas Cazenave. Je rappelle la place centrale qu’occupe l’ingénierie dans la mise en œuvre des projets : c’est à ce niveau que peuvent émerger des freins à l’investissement dans la transition écologique lorsque les acteurs locaux ne disposent pas des ressources nécessaires. J’invite Mme Agnès Reiner, directrice générale déléguée à l’ANCT, à effectuer un état des lieux sur ce sujet.

Mme AgnÈs Reiner, directrice gÉnÉrale dÉlÉguÉe à l’Agence nationale de cohÉsion des territoires (ANCT)

Dans la question posée par l’intitulé même de la table ronde, l’adverbe « concrètement » est essentiel. Véritable « nerf de la guerre », l’ingénierie locale mobilise les compétences nécessaires à la conception, au pilotage et à la mise en œuvre des projets de transition écologique. La création de l’ANCT en 2019 ([18]) visait précisément à faciliter l’accès des porteurs de projets locaux qui en ont besoin aux différentes formes d’ingénierie disponibles, tant en interne que sur le marché. Cet « accompagnement sur mesure » apparaît comme la mission la plus emblématique de l’Agence.

On peut rappeler, par ailleurs, que l’ANCT est un établissement public national dont les délégués territoriaux sont les préfets de département. L’accompagnement qu’elle offre aux collectivités est fondé sur le principe de subsidiarité, son intervention se légitimant lorsqu’elle constate des carences dans l’accès aux dispositifs d’ingénierie locale tels que les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) et les agences techniques départementales (ATD). Nous avons constaté que les acteurs n’avaient pas toujours conscience de l’étendue des ressources disponibles en ingénierie locale. Dès lors, l’intervention de l’ANCT a consisté à orienter, au travers des comités locaux de cohésion territoriale, les collectivités concernées vers les dispositifs existants.

Lorsque les capacités locales s’avèrent insuffisantes, l’Agence peut mobiliser ses propres ressources au travers du budget d’aide à l’ingénierie dont elle dispose (20 millions d’euros en 2022 et en 2023). Elle dispose à cette fin d’un accord-cadre à bons de commande couvrant des prestations très larges, depuis la réalisation de diagnostics territoriaux jusqu’à l’accompagnement au pilotage des projets ou encore à la mise en œuvre des démarches de concertation.

À ce jour, cet accord-cadre a été sollicité principalement pour des prestations d’aide à la conception de projets (« ingénierie en amont »).

S’agissant plus précisément du « fonds vert », doté de 2 milliards d’euros, le préfet de département, qui est à la fois le délégué territorial de l’ANCT et l’unité opérationnelle du programme budgétaire ([19]), joue un rôle essentiel. Le dispositif permet ainsi de doter les CRTE d’une véritable assise budgétaire, comme le disait tout à l’heure le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Au-delà de ces dispositifs nationaux, il peut parfois être opportun pour les collectivités de mettre en place à leur niveau des mécanismes de coopération susceptibles de donner lieu à des formes d’ingénierie locale souples et innovantes.

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Le président Thomas Cazenave. Je vous remercie pour votre intervention qui, au-delà des questions de compétences, aborde la question cruciale des financements alloués aux projets. Sur ce point, il convient d’évaluer l’éventail des solutions offertes aux collectivités par la Caisse des dépôts et consignations au travers de la Banque des territoires. Je laisse la parole à son représentant, M. Kosta Kastrinidis.

M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la banque des territoires

Je souhaiterais indiquer, tout d’abord, que les financements apportés aux collectivités par la Banque des territoires représentaient un total annuel de 14 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros d’abondements en fonds propres et 12 milliards d’euros de prêts. L’institution porte, par ailleurs, une attention particulière au soutien, tant financier que technique, des acteurs locaux dans la conception et la définition de leurs investissements en matière de transition écologique. De notre point de vue, il existe des besoins à satisfaire, mais il n’y a pas de « frein » sur le plan financier.

Ainsi, dans une logique analogue à celle de l’ANCT, nous appuyons les porteurs de projets dans la réalisation d’études préalables, qui relèvent de « l’ingénierie en amont ». Nous veillons également à ce que les collectivités puissent bénéficier d’une expertise au titre des diagnostics techniques nécessaires à la mise en place des infrastructures relevant de la transition écologique.

À titre d’exemple, la Banque des territoires a récemment développé un service numérique d’intelligence artificielle et de compilation des données de consommation d’énergie des bâtiments publics (Prioréno) en coopération avec ENEDIS et GRDF au profit des collectivités qui peuvent, ainsi, disposer gratuitement d’une analyse précise de la consommation énergétique de leur parc immobilier et, consécutivement, évaluer le potentiel d’amélioration ou de rénovation. En 2023, ce service devrait recenser environ 10 000 collectivités utilisatrices. Je signale, à cette occasion, qu’un outil similaire est en cours d’élaboration en matière de cartographie des réseaux d’eau.

S’agissant de l’ingénierie financière, on peut rappeler que la Banque des territoires met à disposition des décideurs locaux une large gamme de solutions adaptées à leurs besoins. Dans cette « boîte à outils », le recours à l’emprunt de long terme s’avère encore peu utilisé. Le délai de désendettement, indicateur traditionnel d’analyse de la situation financière d’une collectivité publique, est évalué à moins de cinq ans pour l’ensemble du bloc local, ce qui est largement en‑deçà des seuils d’alerte officiels (douze ans).

Le complément de 6,5 milliards d’euros d’investissements évoqué tout à l’heure par l’I4CE pour permettre aux collectivités d’atteindre leurs objectifs de transition écologique pourrait être obtenu au prix d’un allongement, significatif mais non insurmontable, du délai de désendettement.

Cela suppose de faire évoluer les normes autour desquelles se construisent les analyses de la situation financière du secteur local, que celles-ci proviennent des corps de contrôle, des ministères, des institutions financières ou même des agences de notation. La notion d’un « budget vert » intégrant les externalités positives des investissements et, a contrario, la dette écologique issue d’une inaction des acteurs locaux pourrait contribuer à l’évolution du regard porté sur l’endettement public local. L’exemple de la rénovation thermique des bâtiments illustre parfaitement l’intérêt qui s’attache à ce que soit facilitée la comparaison entre, d’une part, le montant des investissements réalisés, y compris avec l’appui d’un emprunt, et, d’autre part, les économies d’énergie générées par ces investissements.

Au-delà du levier de l’endettement, nous sommes convaincus que les collectivités peuvent obtenir des marges de manœuvre supplémentaires, y compris en matière d’accès aux financements, au travers de diverses formes de mutualisation, telles que les syndicats d’énergie ([20]) et les sociétés publiques locales (SPL) ([21]).

Enfin, le recours au secteur privé, sous la forme de partenariats ou de mécanismes de tiers financement, constitue, selon nous, une autre opportunité pour les collectivités territoriales désireuses d’accélérer leurs investissements dans la transition écologique.

À cet égard, la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale et actuellement examinée au Sénat, visant à expérimenter la mise en œuvre de paiements différés pour les marchés globaux de performance passés pour des travaux de rénovation énergétique ([22]) est de nature à favoriser l’accès des collectivités au tiers financement pour ce type d’investissement. L’introduction de clauses permettant de compenser les dépenses d’investissement par celles liées à la maintenance ou à l’exploitation des ouvrages devrait permettre de lisser la charge pour les collectivités acheteuses et, ainsi, de rendre les investissements plus supportables en termes de trésorerie.

En guise de conclusion, nous voyons également un grand intérêt à ce qu’il y ait des programmes thématiques définis au plan national. De tels dispositifs mobilisent les acteurs locaux autour d’enjeux très précis (accès à l’eau, mobilités douces, rénovation des écoles, etc.) propices à la mise en place d’outils d’ingénierie innovants et à la diffusion des divers modes de financement accessibles dans la « boîte à outils ».

* * *

Le président Thomas Cazenave. Je vous remercie pour les précisions apportées et laisse la parole à M. Michel Klopfer, consultant en finances locales, qu’il n’est plus, je crois, nécessaire de présenter.

M. Michel Klopfer, consultant en finances locales

Je rappelle, tout d’abord, que, depuis la création de mon cabinet de conseil il y a plus de trente ans, j’ai été moi-même à l’origine de certains des indicateurs de solvabilité couramment utilisés aujourd’hui ([23]). Si la situation financière globale des collectivités territoriales s’est sensiblement améliorée depuis les années 1990, certaines communes restent surendettées et les banques auront toujours tendance à privilégier, dans leurs offres, les acteurs les plus solvables.

Ce type de comportement est d’autant moins susceptible d’évoluer que la situation des finances locales dans leur ensemble ne saurait être envisagée de manière indépendante du contexte budgétaire global.

Les collectivités territoriales, qui sont des entités « sub-souveraines », disposent d’une marge de manœuvre limitée et doivent composer avec les tensions qui affectent les finances publiques nationales. En ce sens, elles emprunteront toujours à des conditions moins avantageuses que l’État.

Pour autant, il demeure possible de pondérer l’analyse de la solvabilité financière par des indicateurs, de nature juridique ou budgétaire, qui seraient de nature à desserrer l’étau sur les finances des collectivités et, ainsi, favoriser leurs investissements dans le domaine de la transition écologique. On notera, à cet égard, que les deux dernières lois de programmation des finances publiques ([24]) encadraient prioritairement l’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités ([25]), ce qui traduisait la prise de conscience qu’une contrainte pesant également sur les dépenses d’investissement pouvait être contreproductive.

S’agissant de la capacité de désendettement, je rappelle que les lois de programmation des finances publiques précitées ont fixé à douze ans, dix ans et neuf ans le seuil applicable respectivement au bloc communal, aux départements et aux régions. Ces durées, très basses, ne tiennent pas compte des délais réels de désendettement constatés sur certaines opérations d’investissement. En effet, on peut estimer qu’une infrastructure de transport, par exemple une ligne de tramway, ne mobilisera plus la section d’investissement du syndicat intercommunal concerné sur une période de vingt ans après sa mise en service. En matière de logement social, les ratios constatés pour les offices publics de l’habitat sont supérieurs et se situent, en moyenne, entre vingt‑quatre et vingt‑cinq ans. Enfin, s’agissant des réseaux d’eau et d’assainissement, les ratios sont encore supérieurs compte tenu des durées d’amortissement qui se situent entre quarante et cinquante ans.

Selon moi, des investissements « verts » pourraient être envisagés par les collectivités dans le cadre de groupements disposant de la personnalité juridique, tels que les syndicats mixtes ([26]) et les groupements d’intérêt publics (GIP), afin de pouvoir disposer d’une meilleure capacité d’endettement au travers de taux de rentabilité interne ([27]) (TRI) plus élevés.

Les modalités de calcul des amortissements techniques des actifs immobiliers pourraient également être réformées afin de mieux valoriser les investissements des collectivités territoriales.

Si l’application d’un amortissement dégressif peut correspondre aux entreprises privées, qui sont soumises à l’impôt sur les sociétés, la logique de la dégressivité paraît moins évidente s’agissant d’une personne publique, a fortiori d’une collectivité territoriale. L’allongement des durées d’amortissement au travers d’une dégressivité faible devrait être envisagé.

À cette occasion, je prends pour exemple une mission que j’avais effectuée en 2007 pour le département du Doubs lors des travaux de construction de la ligne de train à grande vitesse Rhin-Rhône. J’avais alors souligné le paradoxe que constituait, selon moi, la fixation d’une durée de quinze ans pour les fonds de concours versés par le département à Réseau ferré de France (RFF) alors que, dans le même temps, la société Eiffage était autorisée à amortir sur soixante-quinze ans pour la construction du viaduc de Millau.

L’incitation aux investissements « verts » pourrait également passer par la voie d’une meilleure articulation des relations financières entre les sections d’investissement et de fonctionnement. À cet égard, on peut regretter que les conditions du reversement en fonctionnement des excédents de la section d’investissement, actuellement fixées à l’article D. 2311-14 du code général des collectivités territoriales ([28]), soient très strictes. Idéalement, des recettes provenant de la section d’investissement pour des projets de transition écologique pourraient venir abonder le résultat de la section de fonctionnement via le compte 1068 afin de couvrir les frais financiers liés à l’exploitation des installations concernées.

On pourrait également envisager de redévelopper l’emprunt renouvelable, dit « revolving » ([29]), qui ne fait plus partie de l’éventail des offres du secteur bancaire aux collectivités territoriales depuis la crise financière de 2008‑2009. Je rappelle, à cette occasion, que les dépôts effectués par les collectivités au Trésor public ([30]) représentent un montant de 65 milliards d’euros, voire 75 milliards d’euros si l’on tient compte de l’ensemble du secteur public local, et que l’on peut, dès lors, estimer à un montant situé entre vingt et trente milliards d’euros le manque à réaliser en matière d’investissements.

Parmi les autres mécanismes incitatifs susceptibles d’être mis en œuvre, on peut évoquer la piste du FCTVA, dont les conditions d’accès pourraient être élargies aux frais financiers facturés aux collectivités dans le cadre de marchés de partenariat pour des investissements en matière de transition écologique. Je rappelle, à cet égard, que la TVA acquittée par les collectivités pour leurs dépenses d’entretien des bâtiments publics et de la voirie est éligible au FCTVA depuis 2021 ([31]).

La péréquation entre collectivités, que celle-ci soit « horizontale » ou « verticale », pourrait, en outre, être un vecteur d’accélération des investissements dans la transition écologique par l’introduction de critères « verts » dans les mécanismes de redistribution.

Enfin, au-delà de la seule question des investissements des collectivités territoriales, je déplore en tant que citoyen que les règles fixées par le code général des impôts pour les assujettis à la TVA permettent à ces derniers de déduire la taxe acquittée sur les frais de carburants et de péage ([32]) alors que la TVA acquittée sur un mode de transport plus écologique, tel que le train, n’est pas déductible. Les collectivités sont d’autant plus concernées qu’elles ont vocation à percevoir 52,7 milliards d’euros en 2023 au titre de la part de TVA reversée par l’État, ce qui représente près du quart du produit de la taxe.

* * *

Le président Thomas Cazenave. Votre propos était passionnant et les suggestions très concrètes. Avant de clôturer le colloque, je donne à celles et à ceux qui le souhaitent une dernière occasion de s’exprimer.

Interventions des Élus locaux

M. Étienne Lengereau, maire de Montrouge. Au-delà des trois ressources traditionnelles (autofinancement, subventions, emprunt), un quatrième mode de financement des investissements peut être trouvé au travers de la création de richesses et, plus précisément, de la valorisation du patrimoine foncier des collectivités. Sur ce point, il pourrait être opportun d’accroître la marge de manœuvre des collectivités en la matière et de faciliter l’accès au foncier public.

Enfin, comme l’évoquait Michel Klopfer, les mécanismes de péréquation pourraient être modulés de façon à favoriser les opérations d’aménagement comportant des objectifs de transition écologique.

M. Nicolas Méary, vice-président du département de l’Essonne. Comme le soulignait tout à l’heure Agnès Reiner, il est essentiel de recourir à des capacités d’expertise mutualisées, notamment à l’échelon départemental, de façon à promouvoir une émulation et un partage des compétences entre les collectivités concernées. S’agissant de l’endettement, je me félicite des perspectives offertes par la proposition de loi précitée sur le tiers financement et insiste, d’un point de vue plus général, sur la nécessité de traiter de manière différenciée l’endettement local à des fins de transition écologique. Par ailleurs, je suis sceptique quant à la pertinence d’une « segmentation » de l’investissement local en la matière, seuls les projets d’envergure globale ayant vocation, selon lui, à avoir une véritable portée.

Enfin, j’évoque à titre exploratoire les avantages que pourrait comporter un éventuel élargissement du champ d’application de la taxe d’aménagement perçue par les départements au titre de la protection des espaces naturels sensibles (ENS) ([33]).

M. Sébastien Miossec, président de Quimperlé Communauté. Je salue les propositions formulées au cours de la présente table ronde, et en particulier sur celles de Michel Klopfer, qui constituent une opportunité à saisir par les autorités politiques. La réhabilitation de l’endettement local à des fins de transition écologique est incontestablement un enjeu essentiel.

Par ailleurs, au-delà des marchés de partenariat, parfois controversés, on peut citer le modèle de la société publique locale comme une forme d’organisation propice à la mise en œuvre de projets d’investissement communs : c’est ce levier qui a été choisi récemment par Lorient Agglomération pour le remplacement d’une chaudière au fioul dans un groupe scolaire.

S’agissant de l’ingénierie, les capacités des collectivités en la matière doivent être renforcées afin de permettre à ces dernières d’avoir une connaissance plus fine et plus fiable de leurs actifs et de réduire leur dépendance vis-à-vis, notamment, de cabinets de conseil. Selon moi, les limites au déploiement d’une véritable ingénierie publique locale résident dans l’instabilité des dispositifs de soutien financier mis en œuvre au niveau national ([34]) ainsi que dans les difficultés des collectivités à mobiliser des équipes pérennes sur des projets de long terme, en particulier lorsque ces collectivités sont confrontées à des contraintes de redéploiement d’effectifs.

Enfin, dans la mise en œuvre des mesures de soutien aux investissements dans le domaine de la transition écologique, j’estime qu’il est indispensable de laisser chacune des collectivités concernées agir en toute liberté dans le cadre du mandat que leur a confié leurs électeurs.

M. Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération du Sicoval. On peut se féliciter des suggestions de Michel Klopfer pour faciliter l’accès à l’emprunt et favoriser une meilleure articulation entre les sections d’investissement et de fonctionnement. S’agissant du projet de « boucle d’eau » tempérée à énergie géothermique mis en œuvre par mon territoire au travers d’une société d’économie mixte (SEM) et d’une société par actions simplifiée (SAS), je regrette que nous ne puissions pas disposer de la maîtrise simultanée de la production et de l’exploitation de l’installation.

Interventions des parlementaires

M. Jean-Claude Raux, député de Loire-Atlantique (Écologiste - NUPES). Je me félicite des intentions exprimées au cours du colloque. Il importe désormais d’assurer la lisibilité et la durabilité des mécanismes mis en œuvre pour mener à bien les projets de transition écologique. À cet égard, le « mille-feuille » des compétences peut constituer un frein à la mise en place d’actions concertées entre collectivités. S’agissant de l’ingénierie des projets, j’estime que les capacités des collectivités en matière de diagnostic et de cadrage ne sauraient être assurées sans des moyens humains adaptés.

S’agissant de la question de la qualité de l’eau, des objectifs précis ont été fixés aux collectivités, que des moyens financiers significatifs ont été prévus et qu’il importe désormais aux décideurs publics de les mobiliser de la meilleure façon possible. Sans préjuger de la meilleure façon de procéder, j’estime qu’une impulsion claire doit être donnée en la matière.

* * *

Le président Thomas Cazenave. Je remercie l’ensemble des intervenants pour la qualité des discussions et le contenu des propositions formulées. On peut souligner les points de convergence d’une table ronde à une autre, à savoir que le constat de l’urgence de la transition écologique est unanimement partagé et que les collectivités territoriales jouent un rôle essentiel dans la réalisation des investissements correspondants.

Pour autant, le rythme d’investissement ne saurait s’accroître sans un changement d’approche. Le soutien financier apporté par l’État au travers du « fonds vert » précité n’a pas vocation à assurer à lui seul la totalité des investissements locaux. D’autres modes de financement devront être trouvés, parmi lesquels la dette occupe une place importante.

Afin de stimuler le recours à l’emprunt, il me paraît nécessaire de mettre à la disposition des collectivités les moyens d’étaler autant que possible la charge de la dette. Pour autant, il ne serait pas souhaitable de « l’isoler », les collectivités devant, selon moi, assumer l’existence de cet endettement en tant que tel. Le recours au tiers financement et la mobilisation de l’épargne des Français paraissent également des options à envisager.

Par ailleurs, je réaffirme ma préférence pour la mise en place d’un cadre pluriannuel qui soit de nature à garantir la confiance des acteurs publics concernés, État et collectivités, les uns envers les autres. Enfin, les discussions ont permis de mettre en lumière le besoin d’un ajustement du cadre juridique, financier et comptable applicable aux collectivités.


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   SynthÈse des travaux du colloque : les collectivitÉs territoriales au cœur de l’ambition Écologique

Bien qu’elles soient des acteurs incontournables de la transition écologique, les collectivités territoriales n’ont, pour le moment, pas véritablement initié la dynamique d’investissement nécessaire à la lutte contre le changement climatique. L’endettement de long terme doit, désormais, être clairement stimulé au travers d’un changement de paradigme budgétaire et comptable. Les collectivités sont, par ailleurs, invitées à mobiliser tous les outils à leurs dispositions pour accéder à une ingénierie adaptée aux enjeux.

I.   les collectivitÉs territoriales au pied du « mur » de la transition Écologique

Les ambitions de lutte contre le changement climatique insufflées au niveau de l’Union européenne obligent les collectivités à tourner le dos à la frilosité budgétaire qui avait marqué la décennie 2010 et à changer de dimension dans leur politique d’investissement.

A.   Les collectivitÉs, acteurs incontournables des politiques de verdissement de l’Économie française

Avec l’entrée en vigueur, en décembre 2019, du Pacte vert pour l’Europe ([35]), lui-même renforcé par l’adoption en juillet 2021 d’une série de directives et de règlements relevant du « paquet climat », l’Union européenne et, en son sein, la France se sont engagées dans une accélération marquée du rythme des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. Outre l’engagement d’une neutralité carbone en 2050, les États membres devront avoir réduit en 2030 leurs émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à leur niveau de 1990 ([36]).

L’effort d’accélération est considérable au regard du rythme de décarbonation constaté au cours de la période 1990-2019.

Source : Note de France Stratégie n° 2014 (novembre 2022)

Concrètement, la transition vers la neutralité carbone exige à la fois de remplacer les énergies fossiles par des énergies décarbonées, principalement par l’électrification des usages, et de réduire la consommation finale d’énergie, ce qui peut être obtenu en améliorant l’efficacité énergétique des constructions et des équipements. Dans cette optique, définie par l’I4CE ([37]) comme une « atténuation » du changement climatique, les investissements nécessaires à l’échelle de l’économie française sont difficiles à évaluer mais, selon le recensement de divers travaux effectué par France Stratégie en novembre 2022 ([38]), ils pourraient s’élever à 100 milliards d’euros par an d’ici 2030 et devraient, au minimum, atteindre un montant annuel de 70 milliards d’euros.

Compte tenu des masses financières en jeu, il importe que cet effort soit réparti de manière équitable entre le secteur public, les ménages et les entreprises. Au sein des administrations publiques, les collectivités territoriales, qui assurent à elles‑seules près de 60 % de l’investissement public ([39]), devront jouer un rôle essentiel. À cet égard, on peut rappeler :

– qu’elles ont la responsabilité d’un patrimoine immobilier estimé à près de 1 400 milliards d’euros, soit 20 % du parc immobilier public ;

– que les compétences qui leur sont dévolues sont au cœur des enjeux de lutte contre le réchauffement climatique, qu’il s’agisse de l’électrification des usages (organisation des transports publics) ou de l’efficacité énergétique (gestion des réseaux de distribution d’énergie).

Si l’on élargit le spectre de la transition écologique au-delà de la seule lutte contre le réchauffement climatique pour envisager l’ensemble de la taxonomie verte européenne ([40]), les collectivités territoriales restent au cœur du processus de « verdissement » de l’économie.

Axe de la taxonomie européenne

(art. 9 du règlement UE 2020/852)

Domaines d’intervention des collectivités territoriales

(exemples)

Atténuation du changement climatique

Adaptation au changement climatique

Protection des ressources en eau

Économie circulaire

Réduction et prévention de la pollution

Protection de la biodiversité

Électrification des transports publics

Rénovation thermique des bâtiments scolaires

Gestion des réseaux de distribution d’eau et d’énergie

Traitement des déchets ménagers et industriels

Mise en œuvre de plans de protection de l’atmosphère

Gestion des parcs naturels régionaux

Selon l’analyse effectuée par l’Institut I4CE ([41]), si l’on s’en tient à la seule composante d’atténuation du réchauffement climatique, le besoin d’intervention des collectivités territoriales peut être évalué à 12 milliards d’euros par an, ce qui représente environ un cinquième de leur budget d’investissement global.

Dans cet ensemble, les trois principaux postes de dépenses identifiées par l’Institut sont la mise en place d’aménagements cyclables (3,3 milliards d’euros), les transports en commun et la mobilité ferroviaire (3 milliards d’euros) ainsi que la rénovation énergétique des bâtiments publics (2,7 milliards d’euros).

B.   l’impÉratif d’une nouvelle dynamique d’investissement après l’essoufflement constatÉ dans les annÉes 2010

Dans un rapport publié en octobre 2022 ([42]), la Cour des comptes se félicitait de l’amélioration durable des finances locales depuis 2014 et constatait à quel point la situation financière des collectivités territoriales était « saine » et « équilibrée ». Après un léger repli en 2020 (- 1,1 milliard d’euros) lié, pour l’essentiel, à la crise née de la pandémie de Covid-19, la capacité de financement ([43]) de l’ensemble du secteur local est redevenue positive en 2021 (+ 3 milliards d’euros). Ce rebond s’inscrit dans la droite ligne des excédents de gestion constatés de manière quasi-ininterrompue depuis 2015.

Source : Rapport 2022 de l’OGFL (page 21).

Selon les éléments fournis lors du colloque par M. Franck Valletoux ([44]), le total des dépôts au Trésor public de l’ensemble du secteur public local dépassait les 75 milliards d’euros en 2022 ([45]). Les disponibilités des collectivités ont ainsi plus que doublé par rapport à 2010, où elles s’élevaient à 37,4 milliards d’euros ([46]).

La progression de l’encours de la dette constatée en 2020 (229,7 milliards d’euros, soit 10 % du produit intérieur brut, contre 210,5 milliards d’euros fin 2019) est essentiellement due aux effets de la crise et vient interrompre temporairement une dynamique de consolidation engagée entre 2016 (9 %) et 2019 (8,6 %) ([47]). Selon les données publiées par l’OGFL ([48]) et confirmées lors du colloque, le délai de désendettement ([49]) de l’ensemble des collectivités a été ramené à quatre ans et demi en 2021 (moins de six ans pour les régions, moins de cinq ans pour le bloc communal, moins de trois ans pour les départements), alors qu’il était près de cinq ans et demi en 2015.

Une telle durée est largement inférieure aux seuils d’alerte fixés dans les lois de programmation des finances publiques ([50]) : douze ans pour les communes, dix ans pour les départements, neuf ans pour les régions.

Pour vertueux qu’il soit, ce redressement des finances locales semble s’être effectué au détriment de l’investissement public, celui-ci ayant parfois servi de « variable d’ajustement » selon les termes employés par M. Ludovic Halbert ([51]) lors du colloque. Les dépenses de FBCF des administrations publiques locales ([52]) représentaient 1,8 % du PIB en 2016, soit 0,6 point de moins qu’en 2013 (2,4 %).

Malgré un rebond constaté en 2019 et, surtout, à l’issue de la crise de 2020, le niveau constaté en 2021 (2,1 % du PIB) reste encore inférieur à ce qu’il était au début des années 2010. Par ailleurs, selon M. Thomas Rougier ([53]), il convient d’être prudent quant à l’analyse des évolutions brutes des montants de FBCF à compter de 2021, celles-ci comportant un effet-prix non négligeable, évalué à un tiers de la progression de 4,2 milliards d’euros constatée entre 2020 (48,5 milliards d’euros) et 2021 (52,7 milliards d’euros).

La relative stabilité de l’effort d’investissement global s’est logiquement traduite par un retard dans les domaines les plus utiles à la transition écologique : comme l’indiquait M. Nicolas Méary ([54]), les décideurs locaux ont été parfois tentés de privilégier les dépenses dont les profits s’apprécient sur le court terme. L’étude de l’I4CE précitée a ainsi évalué à 5,5 milliards d’euros par an le montant actuel des investissements des collectivités répondant à la logique d’atténuation du changement climatique. Il manquerait donc plus de 6,5 milliards d’euros par an au niveau local pour espérer parvenir à « franchir le mur » de la transition écologique : dans le détail, l’I4CE estime, ainsi, que les collectivités devraient tripler leurs investissements dans le domaine des aménagements cyclables, doubler ceux portant sur la rénovation énergétique des bâtiments publics et accroître de 50 % les dépenses relatives aux transports publics.

II.   les conditions d’une levÉe des freins À l’investissement « vert » des collectivitÉs : un accÈs facilitÉ À l’ingÉnierie et À l’emprunt de long terme

Le fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires mis en place par la loi de finances pour 2023 (« fonds vert ») constitue, naturellement, le premier outil de politique publique destiné à encourager les collectivités territoriales à investir dans la transition écologique.

Les potentialités offertes par le fonds vert en matière d’investissement « vert »

Doté de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) dans la loi de finances initiale pour 2023 ([55]), le programme 380 « Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires » favorise une « approche globale » de la transition écologique selon les termes employés par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires dans une circulaire du 14 décembre 2022. Dans cette optique, les objectifs visés couvrent un champ très large :

1/ Renforcer la performance environnementale : rénovation énergétique des bâtiments publics, modernisation de l’éclairage public, etc.

2/ Adaptation au changement climatique : prévention des inondations et des risques d’incendie en forêt, adaptation au recul du trait de côte, etc.

3/ Amélioration du cadre de vie : développement du covoiturage, recyclage des friches, etc.

Comme l’a rappelé Mme Agnès Reiner ([56]), la gestion du fonds vert est largement déconcentrée : les préfets, unités opérationnelles (UO) du programme, disposeront d’une autonomie pour fixer les priorités de financement dans le cadre général fixé au plan national. Une fois que le projet d’une collectivité est validé, le soutien financier de l’État est loin d’être négligeable, le taux de couverture des dépenses d’investissement pouvant aller jusqu’à 80 % du total.

En dépit des perspectives offertes au plan national, l’État n’a pas pour autant vocation à se substituer aux collectivités qui restent les mieux à même de déterminer les besoins de leur territoire. Compte tenu des montants d’investissement en jeu, le levier de l’endettement reste celui qui paraît le plus pertinent à mobiliser au niveau local.

A.   la rÉhabilitation de l’endettement de long terme des collectivitÉs

En principe, les collectivités territoriales devraient pouvoir se prévaloir de la solidité de leur situation financière afin d’obtenir un accroissement de leur niveau d’endettement.

Selon M. Franck Valletoux ([57]), une hausse de 50 milliards d’euros du montant de l’encours, toutes collectivités confondues, n’aurait pour effet que de porter le délai de désendettement à six ans. M. Alexandre Holroyd ([58]), pour sa part, appelle les collectivités à emprunter sur des maturités plus longues de façon à accroître leur capacité d’investissement et à « lisser » la charge financière dans le temps.

Au-delà de la frilosité des décideurs locaux, soucieux de ne pas rompre la dynamique de consolidation initiée dans les années 2010, les établissements bancaires paraissent parfois réticents à prêter des montants importants sur une très longue durée. Ainsi, si plus de 80 % des emprunts contractés par les collectivités territoriales en 2021 avaient une maturité comprise entre 20 et 25 ans, seuls 2,1 % étaient conclus pour une durée supérieure ([59]). De telles maturités sont clairement en décalage par rapport aux durées d’amortissement des installations nécessaires à la transition écologique : on peut rappeler, à cet égard, que la réglementation nationale fixe à 30-40 ans la durée d’amortissement des « ouvrages de génie civil pour le captage, le transport et le traitement de l’eau potable » et à 50-60 ans celle des réseaux d’assainissement ([60]).

Comme l’a indiqué M. Michel Klopfer ([61]), la nature « sub-souveraine » des collectivités, conjuguée au contexte général de fragilité des finances publiques nationales, ne peut que contribuer à un certain durcissement des conditions d’emprunt. Pour autant, le cadre national d’évaluation des finances publiques locales a, semble-t-il, joué un rôle non négligeable dans la sévérité du regard porté sur l’endettement des collectivités.

Les normes de capacité de désendettement dans les lois de programmation des finances publiques

La loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a fixé un délai de désendettement de référence en son article 29, dont le non-respect par les collectivités concernées pouvait donner lieu à l’établissement d’une « trajectoire de rétablissement » dans les contrats signés avec l’État. Les durées inscrites dans la loi étaient de neuf ans pour les régions, dix ans pour les départements, douze ans pour les régions.

Le projet de loi de programmation pour les années 2023 à 2027, rejeté fin 2022, comportait en son article 23 un dispositif de « trajectoire » similaire appuyé sur des durées de référence identiques.

De toute évidence, le relèvement des durées de référence à l’occasion d’une nouvelle loi de programmation des finances publiques serait de nature à modifier la « doxa » autour de laquelle se construit la notion de surendettement et, par conséquent, à faire apparaître encore plus clairement l’étendue de l’écart qui sépare l’actuelle capacité de désendettement des collectivités du seuil d’alerte à ne pas dépasser.

Selon M. Michel Klopfer, une réflexion devrait également être engagée sur la manière dont les collectivités comptabilisent les amortissements sur leurs actifs immobilisés et, ainsi, construisent leur situation financière.

L’amortissement des immobilisations dans les comptes des collectivités

L’amortissement est la constatation comptable d’un amoindrissement de la valeur d’un élément d’actif résultant de l’usage, du temps, du changement de technique ou de toute autre cause.

Les communes (et leurs groupements) de plus de 3 500 habitants, les départements et les régions (ainsi que les collectivités assimilées) sont soumis à une obligation générale d’amortissement inscrite dans le code général des collectivités territoriales : art. L. 2321-2 (27°) pour les communes, art. L. 3321-1 (19°) pour les départements et art. D. 4321-1 pour les régions. Les modalités de calcul de cet « amondrissement » sont fixées par l’assemblée délibérante dans le cadre fixé par les instructions comptables M14 (communes), M52 (départements) et M71 (régions). Ces instructions proscrivent le recours à l’amortissement progressif.

À la différence d’une entreprise, sujette à des considérations fiscales de court terme, les collectivités sont des entités publiques dont le patrimoine s’organise autour de grandes infrastructures gérées sur le long terme : voirie, réseaux de transport public, systèmes d’alimentation en fluides, etc. Ces infrastructures jouent un rôle essentiel dans la transition écologique : il ne serait donc pas absurde d’imaginer que leur valeur s’amoindrisse lentement de façon à améliorer le regard d’un éventuel prêteur sur la collectivité concernée.

L’étalement de l’amortissement sur une longue durée pour certains actifs utiles à la lutte contre le réchauffement climatique pourrait, dès lors, contribuer à réévaluer les comptes des collectivités les plus vertueuses.

Par ailleurs, on ne peut que souhaiter l’aboutissement rapide de la discussion parlementaire sur la proposition de loi n° 574 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique. Le texte a été discuté en commission mixte paritaire (CMP) le 9 mars dernier. La CMP a été conclusive ([62]).

B.   RECONNAÎTRE LA « dette verte » DANS LES COMPTES DEs collectivitÉs

Au-delà du seul amortissement, la façon dont la dette des collectivités doit être appréhendée face aux enjeux de la transition écologique semble devoir être repensée, certains n’hésitant pas à préconiser la « sortie » des investissements correspondants des indicateurs financiers traditionnels ([63]).

Pour M. Alexandre Holroyd, la mise en place d’une nomenclature harmonisée permettant de distinguer ce qui, au sein des dépenses d’investissement des collectivités, relève de l’atténuation du changement climatique ou de l’adaptation à ses effets contribuerait à mieux identifier la partie « verte » de l’endettement correspondant. Cette dette « verte » serait de nature à être envisagée sous un jour plus favorable par les prêteurs et, sur un plan plus politique, mieux acceptée par les électeurs de la collectivité concernée.

Comme l’indiquait Mme Morgane Nicol ([64]), ces éléments pourraient même être pris en compte dans une démarche générale de programmation pluriannuelle du financement de la transition écologique.

Indépendamment des difficultés méthodologiques qui s’attachent à la mise en place d’une comptabilité parallèle, la définition de ce qui relève, ou non, d’une dépense « verte » est loin d’être stabilisée. Ainsi, si l’État s’efforce aujourd’hui d’organiser ses propres analyses autour d’agrégats issus de la taxonomie européenne, l’I4CE recourt à sa propre méthode, articulée autour des notions « d’atténuation » et « d’adaptation ». Par ailleurs, on notera que, lorsque la Banque des territoires a décidé, en 2022, de proposer aux collectivités un prêt de transition écologique ([65]), elle a fixé des critères d’éligibilité des dépenses spécifiques au dispositif.

Trois manières d’envisager un investissement « vert » : État, I4CE, Banque des territoires

La loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 prévoit en son article 179 que le Gouvernement remet au Parlement, en annexe au projet de loi de finances (PLF), un rapport sur « l’impact environnemental du budget ». Les grandes catégories du budget « vert » de l’État correspondent à celles de la taxonomie européenne : lutte contre le changement climatique (1), adaptation au changement climatique (2), gestion de la ressource en eau (3), économie circulaire, déchets et prévention des risques technologiques (4), lutte contre la pollution (5), protection de la biodiversité et des espaces naturels (6).

L’I4CE classe les dépenses selon leur impact en termes d’atténuation du changement climatique ou d’adaptation à ses effets (favorable, neutre, défavorable, indéfini).

Le prêt « relance verte » de la Banque des territoires, pour sa part, cible les dépenses de production, de stockage et de distribution d’énergies renouvelables (1), la valorisation des déchets (2), la préservation de la biodiversité (3), la construction de bâtiments performants (4), l’éclairage urbain (5) et « l’adaptation » au changement climatique (6).

Dans une optique plus générale, la « dette verte » amène à s’interroger sur la pertinence des normes comptables utilisées aujourd’hui pour décrire la situation patrimoniale d’une collectivité.

Ainsi, M. Kosta Kastrinidis ([66]) envisage la prise en compte des « externalités » liées au réchauffement climatique : l’inaction aurait un « coût », qui serait reporté dans les comptes des collectivités et pourrait, au contraire, être effacé si celle-ci investit.

Lorsqu’il évoque la démarche de comptabilisation « en coût complet » engagée par la commune de Malaunay (Seine-Maritime), M. Daniel Florentin ([67]) aborde la même problématique. L’investissement dans des toitures solaires n’a pas uniquement permis à la collectivité de reconstituer son patrimoine : la dépense a permis de générer des recettes économiques sur le long terme qui améliorent aujourd’hui son résultat comptable.

C.   L’ingÉnierie territoriale, condition essentielle de mise en œuvre des investissements « verts »

Quel que soit le projet à mettre en œuvre, tous reconnaissent l’importance qui s’attache à ce que les collectivités concernées disposent des ressources pour définir les besoins à satisfaire, concevoir les actions à engager et évaluer les résultats obtenus. Il s’agit précisément de la définition de l’ingénierie territoriale, telle que l’État avait essayé de la formaliser il y a une vingtaine d’années au travers d’instances telles que le comité des directeurs pour le développement urbain (CODIRDU ([68])) et la délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR ([69])).

Les facettes multiples de l’ingénierie territoriale

Bien que l’ingénierie territoriale ne fasse l’objet d’aucune définition législative, le concept a été forgé dans les années 2000 par le CODIRDU et la DATAR comme étant « l’ensemble des savoir-faire professionnels dont ont besoin les collectivités publiques et les acteurs locaux pour conduire le développement territorial ou l’aménagement durable des territoires » et complétés par « l’ensemble des concepts, outils et dispositifs mis à la disposition des acteurs du territoire pour accompagner la conception, la réalisation et l’évaluation de leurs projets de territoire ».

Les formes d’ingénierie sont diverses, depuis l’identification des besoins en compétences (ingénierie de projet) jusqu’à la maîtrise d’ouvrage des travaux en passant par la structuration des financements (ingénierie financière) et l’optimisation des procédures (ingénierie juridique).

L’ingénierie est une condition essentielle de concrétisation d’un investissement, y compris pour effectuer un état des lieux de l’existant.

L’exemple, donné par M. Daniel Florentin, de l’agglomération de Lorient, qui a dû mobiliser deux emplois équivalents temps plein (ETPT) pendant cinq ans pour avoir une connaissance fine de son réseau de distribution d’eau est particulièrement éclairant : les moyens mobilisés ici se situaient au niveau de la section de fonctionnement préalablement à toute démarche d’investissement.

Il n’est donc pas étonnant que les capacités d’ingénierie soient très différentes d’une collectivité à une autre : selon la SCET, filiale de la Caisse des dépôts et des consignations spécialisée dans le conseil, 26 départements seraient dépourvus des compétences et de l’expertise nécessaires à la conduite de projets complexes. C’est pour cette raison que le « fonds vert » comporte un volet consacré à l’appui en ingénierie des collectivités porteuses de projets ([70]).

De toute évidence, il paraît difficile d’imaginer que toutes les collectivités puissent se doter à elles-seules des compétences nécessaires : selon l’estimation effectuée par l’I4CE dans sa note du 14 octobre précitée ([71]), il faudrait mobiliser à l’échelle de l’ensemble des territoires de 25 000 ETP pour engager les 12 milliards d’euros d’investissements destinés à « atténuer » le réchauffement climatique. Pour autant, comme l’a souligné Mme Agnès Reiner, des solutions existent :

1° En premier lieu, les collectivités peuvent mutualiser leurs moyens sous la forme de regroupements ad hoc (sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales, etc.) et solliciter les ressources d’ingénierie départementale, en particulier les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) ([72]) et les agences techniques départementales ([73]) ;

2° Lorsque les capacités disponibles s’avèrent insuffisantes, elles peuvent bénéficier en dernier ressort de l’appui de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).

Le rôle de l’ANCT dans l’appui à l’ingénierie territoriale

Créée par la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019, l’ANCT a précisément pour mission de  « conseiller et de soutenir les collectivités territoriales […] dans la conception, la définition et la mise en œuvre de leurs projets […]. À ce titre, elle facilite l’accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d’ingénierie juridique, financière et technique, qu’elle recense. […] Elle favorise la coopération entre les territoires et la mise à disposition de compétences de collectivités territoriales et de leurs groupements au bénéfice d’autres collectivités territoriales […]. » (art. L. 1231-2-1 du code général des collectivités territoriales).

L’Agence dispose ainsi d’une « boîte à outils » sous la forme d’un accord-cadre à bons de commande, doté d’un budget de 20 millions d’euros par an, qu’elle peut mobiliser au profit des territoires souffrant d’une véritable carence en ingénierie

Les collectivités sont d’autant plus appelées à solliciter l’ANCT que celle‑ci s’appuie pour ses interventions sur les préfets de département, qui sont également les responsables opérationnels du « fonds vert » précité. Les initiatives engagées par la Banque des territoires en vue de doter les collectivités d’outils gratuits d’aide au diagnostic fondés sur l’intelligence artificielle ([74]) doivent également être saluées.

 


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   EXAMEN PAR LA DÉLÉGATION

Lors de sa réunion du mardi 21 mars 2023 à 17 heures 30, la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a examiné le présent rapport et en a autorisé la publication.

Le compte rendu de cette réunion peut être consulté en ligne, sur le site de l’Assemblée nationale :

https://assnat.fr/cxwhxL

 

 

 

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   LISTE DES INTERVENANTS

Ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires

– M. Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires

Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

– M. Jean-Marc Zulesi, député des Bouches-du-Rhône, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Table ronde n° 1 :

– M. Thomas Rougier, secrétaire général de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL)

– M. Ludovic Halbert, enseignant-chercheur en géographie économique et urbaine CNRS-LATTS

– M. Franck Valletoux, directeur général de Stratégies Locales

Table ronde n° 2 :

– M. Alexandre Holroyd, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations

– Mme Morgane Nicol, directrice du programme Territoires à l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE)

– M. Daniel Florentin, maître-assistant à l’École des Mines de Paris

Table ronde n° 3 :

– M. Michel Klopfer, consultant en finances locales

– Mme Agnès Reiner, directrice générale déléguée à l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT)

– M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts à la Banque des territoires

 

 

Association des maires et présidents d’intercommunalité de France (AMF)

– M. Jacques Oberti, président de la communauté d’agglomération du Sicoval

– M. Étienne Lengereau, maire de Montrouge

France Urbaine

– M. Olivier Landel, délégué général

Association des maires Ville & Banlieue de France

– Mme Anne-Claire Boux, adjointe à la maire de Paris

Intercommunalités de France

– M. Sébastien Miossec, président de Quimperlé Communauté

Assemblée des départements de France (ADF)

– M. Nicolas Méary, vice-président du département de l’Essonne

 

 


([1]) Direction de la Caisse des dépôts et consignations érigée en guichet unique pour les territoires en mai 2018.

([2]) Ratio entre le total de l’encours de la dette et l’épargne brute de la collectivité, souvent exprimée en nombre d’années (aussi qualifié de « capacité de désendettement »).

([3]) Cour des comptes, Les finances publiques locales 2021, fascicule 2, rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, novembre 2021, pp. 141 et suivantes.

([4]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

([5]) L’article 1388 bis du code général des impôts prévoit que les logements locatifs sociaux des organismes HLM bénéficient d’un abattement de TFPB de 30 % s’ils sont situés dans un QPV pour compenser les surcoûts de gestion liés aux besoins du QPV.

([6]) La loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales (dite loi RCT) supprime notamment la clause de compétence générale des départements.

([7]) Ancien Gouverneur de la Banque d’Angleterre entre 2013 et 2020.

([8]) Note de France stratégie n° 114 (novembre 2022).

([9]) L’I4CE est une association à but non lucratif fondée par la Caisse des dépôts et consignations et l’Agence française de développement (AFD) en 2015 afin de produire des analyses sur les politiques publiques d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

([10]) Note de l’I4CE du 14 octobre 2022 « Collectivités : les besoins d’investissements et d’ingénierie pour la neutralité carbone ».

([11]) Note I4CE du 27 janvier 2023 « Adaptation : ce que peuvent (et doivent) faire les collectivités ».

([12]) Association regroupant des maîtres d’ouvrage, des propriétaires et des gestionnaires de patrimoine immobilier.

([13]) Note précitée de l’I4CE du 14 octobre 2022.

([14]) AFL/INET (juin 2021) : « Comment financer la transition écologique dans les collectivités locales ? ».

([15]) Objectif figurant au 4° du I de l’art. L. 100-4 du code de l’énergie.

([16]) Loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

([17]) Loi n° 2018-702 du 3 août 2018.

([18]) Loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019.

([19]) Programme 380 « Fonds d’accélération de la transition écologique dans les territoires » de la mission Écologie, développement et mobilité durables.

([20]) Constitués sous la forme de syndicats mixtes, les syndicats d’énergie exercent au nom des collectivités qui les composent les compétences d’autorités organisatrices du service public de l’énergie.

([21]) Sociétés à capitaux publics détenues intégralement par les collectivités et dont l’objet consiste à « réaliser des opérations d’aménagement, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel et commercial » (art. L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales).

([22]) Proposition de loi n° 574 visant à ouvrir le tiers financement à l’État, à ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique.

([23]) Notamment la capacité de désendettement évoquée supra.

([24]) Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (rejeté par le Parlement à l’automne 2022).

([25]) L’article 23 du projet de loi de programmation pour les années 2023 à 2027 prévoyait un rythme d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités inférieur de 0,5 point au taux d’inflation.

([26]) Établissement public regroupant des collectivités, des EPCI et d’autres établissements publics en vue d’œuvres ou de services présentant une utilité pour chacune de ces personnes morales (article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales).

([27]) Indicateur financier permettant de mesurer la rentabilité annualisée moyenne d’un investissement.

([28]) En application d’un principe figurant à l’article L. 2311-6 du même code.

([29]) Un crédit « revolving » est un crédit qui peut être reconstitué au fur et à mesure de ses remboursements intermédiaires.

([30]) En application de l’obligation posée par la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances en son article 26 (LOLF).

([31]) Art. 251 de la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.

([32]) À hauteur de 80 % pour les frais de carburants et même de 100 % pour les péages autoroutiers.

([33]) Taxe d’aménagement prévue aux articles L. 1635 quater A à L. 1635 quater T du code général des impôts.

([34]) Par les différentes agences de financement : ADEME, ANAH, etc.

([35]) En anglais « Green deal ».

([36]) Avant 2021, l’objectif de réduction n’était que de 40 %. Le paquet climat de 2021 (« Parés pour 55 ») porte cette cible à 55 %.

([37]) Institut de l’économie pour le climat (cf. supra).

([38]) Note n° 114 évoquée par M. Alexandre Holroyd lors de la table ronde n° 2.

([39]) Selon la direction générale des collectivités locales, les dépenses de formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques locales (APUL) se sont élevées à 52,7 milliards d’euros en 2021, soit 58,7 % de la FBCF de l’ensemble des administrations publiques françaises.

([40]) Classification des activités économiques au regard de six critères de durabilité définis par le règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

([41]) Note du 14 octobre 2022 « Collectivités : les besoins d’investissements et d’ingénierie pour la neutralité carbone » évoquée par Mme Morgane Nicol (cf. table ronde n° 2).

([42]) « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d’évolution » (page 21).

([43]) Différence entre dépenses et recettes, avant recours à l’endettement.

([44]Cf. table ronde n° 1.

([45]) 77,9 milliards d’euros fin décembre 2022.

([46]) Situation mensuelle de l’État (direction générale des finances publiques) : données au 1er janvier 2010.

([47]) Source : INSEE : comptes des administrations publiques 2021.

([48]) Rapport 2022 précité (page 21).

([49]) Ratio entre le total de l’encours de la dette et l’épargne brute de la collectivité, souvent exprimée en nombre d’années.

([50]) Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 (2018-2022) et projet de LPFP 2023-2027 précités.

([51]) Cf. table ronde n° 1.

([52]) Les dépenses d’investissement totales intègrent également les dotations d’investissement reçues et versées.

([53]) Cf. table ronde n° 1.

([54]) Cf. table ronde n° 2.

([55]) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046845631/

([56]) Cf. table ronde n° 3.

([57]) Cf. table ronde n° 1.

([58]) Cf. table ronde n° 2.

([59]) Étude du cabinet ORFEOR « Observatoire du financement du secteur public local en 2021 » (avril 2022).

([60]) Arrêté du 12 août 1991 relatif à l’approbation de plans comptables au secteur public local (annexe).

([61]) Cf. table ronde n° 3.

([62])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0942_texte-adopte-commission

([63]) Mme Christine Pires Beaune, députée et membre de la délégation (cf. table ronde n° 1).

([64]) Cf. table ronde n° 2.

([65]) Prêt « relance verte » : https://www.banquedesterritoires.fr/pret-relance-verte

([66]) Cf. table ronde n° 3.

([67]) Cf. table ronde n° 2.

([68]) Instance réunissant les directeurs en charge des différentes politiques gouvernementales traitant de la question urbaine (1999-2006).

([69]) Délégation interministérielle chargée de réparer les orientations et de mettre en œuvre la politique nationale d’aménagement et de développement du territoire (1963-2014).

([70]) Circulaire précitée du 14 décembre 2022.

([71]) Op. cit. page 35.

([72]) Organisme créé sous forme d’association dans chaque département et pouvant être consulté gratuitement par les collectivités sur tout projet de paysage, d’urbanisme, d’architecture ou d’environnement (loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture).

([73]) Établissement public chargé de l’assistance technique, juridique ou financière des collectivités au sein d’un département (art. L. 5511-1 du code général des collectivités territoriales).

([74]) Exemple de Prioréno, outil de compilation des données de consommation d’énergie des bâtiments publics.