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N° 1864

 

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2023

 

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

 

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

 

en conclusion des travaux d’une mission d’information ([1])

 

 

sur l’activisme violent
 

et présenté par

MM. Jérémie IORDANOFF et Éric POULLIAT,

Députés

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La mission d’information sur l’activisme violent est composée de MM. Jérémie Iordanoff et Éric Poulliat, rapporteurs.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première partie : état des lieux : un activisme pluriel nourri par un désenchantement social

I. Le contexte de l’activisme violent

A. Une violence moins marquée qu’avant, mais beaucoup plus visible

1. Une violence globalement moindre que par le passé

2. Une violence globalement moindre qu’ailleurs

3. Une violence survisible : chaînes d’information en continu et réseaux sociaux

4. Les ressorts de la violence : négociation, affirmation ou stratégie de terreur ?

B. La défiance à l’égard des institutions et l’absence de projet commun

1. L’intensité inquiétante des violences contre les élus

2. « Voter ne sert à rien » : l’inutilité perçue des institutions alimente le recours à la violence comme moyen d’action politique

a. Le déclin de la participation électorale et l’essor de l’abstention systématique

b. Le sentiment de l’inutilité du vote et la contestation de la légitimité de l’élection

i. La perception d’une impuissance des institutions et de l’absence de cadre d’expression nourrit l’abstention

ii. La contestation de la convention électorale

3. La fragmentation de l’espace commun

a. Le sentiment d’une société bloquée et fracturée

b. L’archipélisation des légitimités

C. Des impacts trop souvent minimisés

1. Quand l’activisme violent porte atteinte aux droits et libertés

2. La question des atteintes aux biens

II. Les acteurs : l’appréhension d’un phénomène protéiforme et évolutif

A. Les cinq familles d’activismes violents

1. Les séparatistes

a. L’action des séparatistes

b. Les violences séparatistes : un déclin à relativiser ?

2. Les religieux : l’activisme violent confessionnel

a. Les ressorts de l’activisme religieux

b. Une violence cyclique en réaction à certains événements

3. Les professionnels : les conflits dans le cadre du travail

a. L’activisme violent des professionnels

b. La pacification globale des violences professionnelles

4. Les idéologistes : ultra-droite et ultra-gauche

a. L’ultra-droite contre les personnes, l’ultra-gauche contre les biens

b. Des mouvances éclatées et plurielles

c. Une internationalisation à portée variable

5. Les sociétaux : nouveaux mouvements sociaux, environnementalistes violents et animalistes

B. les principales menaces aujourd’hui : les « ultra » et les sociétaux

1. L’accroissement du risque lié à l’ultra-droite

a. Les facteurs de risque

b. Une nébuleuse mouvante de groupuscules mais de récents mouvements tendant à l’union

c. L’altérophobie, marqueur persistant de l’ultra-droite actuelle

d. Quand la mise en valeur du collectif et la « pop culture » remplacent l’idéologie

e. Le risque terroriste de l’ultra-droite et la crainte du « loup solitaire »

f. Les nouvelles menaces de l’ultra-droite : accélérationnistes, complotistes et incels

i. Les accélérationnistes : la promotion d’une guerre de civilisation

ii. Le regain des conspirationnistes et complotistes

iii. Les incels : de la misogynie aux tueries de masse

2. L’ultra-gauche et les sociétaux : une porosité subie ?

a. Une atteinte aux biens décomplexée

b. Les Gilets jaunes : la persistance de l’action et du spectre de la violence

c. L’instrumentalisation des mouvements sociaux par l’ultra-gauche et les sociétaux : la confiscation violente de revendications légitimes

d. Des revendications séduisantes mais des modes d’action dangereux

e. Les risques émergents : animalistes et antispécistes

Seconde partie : les moyens de lutte contre l’activisme violent : affiner un arsenal juridique déjà Étoffé, et mobiliser l’ensemble de la société

I. L’arsenal juridique pour répondre à l’activisme violent : entre prévention et répression, des outils nombreux mais perfectibles

A. Les outils pénaux et administratifs contre les activismes violents

1. Les infractions directement liées à la tenue d’une manifestation

a. Les outils encadrant l’organisation et la participation à une manifestation

i. L’obligation déclarative, nécessaire encadrement des manifestations

ii. Les manquements à l’obligation déclarative visant les organisateurs

iii. Les dispositifs concernant les participants aux manifestations

b. Les instruments ciblant les manifestations et rassemblements violents

i. Les « infractions obstacles » propres aux rassemblements sur la voie publique

ii. Les outils généraux susceptibles d’être mobilisés contre des rassemblements violents

c. Les peines complémentaires obligatoires et facultatives encourues

d. Le bilan judiciaire des dispositifs contre les violences collectives

2. Les autres qualifications pénales générales mobilisables contre les activismes violents

a. Les violences contre les personnes

i. Les sanctions encourues en cas de violences contre les personnes

ii. Le cas particulier des violences contre les dépositaires de l’autorité publique ou les personnes chargées d’une mission de service public

iii. Le traitement pénal des violences contre les élus

b. Les atteintes aux biens : du tag à la destruction volontaire par incendie ou explosif

i. Les atteintes ne présentant pas de danger pour les personnes

ii. Les atteintes dangereuses pour les personnes

iii. Le cas des atteintes aux biens d’élus

c. Les entraves et intrusions

i. Les entraves à l’exercice de libertés et au fonctionnement d’assemblées élues

ii. Les entraves à la circulation

iii. Les intrusions et blocages

iv. Le cas particulier des intrusions dans les établissements d’enseignement

d. Les discours et propos haineux

3. Le cadre spécifique aux groupes violents : la dissolution administrative

a. Les motifs de dissolution : préserver l’ordre public

i. Les hypothèses actuelles de dissolution

ii. Les récentes évolutions issues de la loi confortant le respect des principes de la République

b. Le bilan des dissolutions intervenues depuis 2012

c. Les suites pénales d’une dissolution : le délit de reconstitution de ligue dissoute

i. La sanction du maintien ou de la reconstitution d’une structure dissoute

ii. L’opportunité de sanctionner plus sévèrement l’organisation du maintien ou de la reconstitution

B. Les limites de ces mesures : des instruments à manier avec clairvoyance

1. Bénéfices et limites de la dissolution administrative

a. À court-terme, une source de désorganisation certaine pour les associations ciblées

b. De possibles effets contre-productifs

c. Deux mesures de nature à améliorer l’efficacité de la dissolution administrative

i. La suspension d’activités

ii. Un meilleur encadrement de la dévolution des biens d’un groupement dissous

2. Les potentiels écueils du régime déclaratif des manifestations

a. Un régime déclaratif au service du dialogue entre autorités publiques et manifestants

b. Absence de déclaration et interdictions non respectées : des pratiques porteuses de risques mais difficiles à réprimer

i. L’absence de déclaration des manifestations

ii. La mise en œuvre difficile de l’interdiction d’une manifestation

3. Le difficile contrôle des personnes pouvant manifester

a. Des interdictions judiciaires de manifester peu prononcées

b. La censure de l’interdiction administrative de manifester

II. Une réponse qui ne peut être uniquement législative

A. Renforcer la lutte contre les actions violentes avant, pendant et après leur survenance

1. Le renseignement au service de la prévention de l’activisme violent

a. Le renseignement au service de l’autorité administrative

b. Renforcer la judiciarisation du renseignement

2. Les difficultés du maintien de l’ordre, entre interpellation des auteurs d’infraction et stratégies de mise à distance

a. Le maintien de l’ordre à la française : constat d’une évolution depuis les années 2000

b. Séduisants, la nouvelle psychologie des foules et le modèle KFCD qui en découle n’en présentent pas moins des limites

3. Pour une judiciarisation effective et rapide des violences activistes

a. Des évolutions récentes de nature à favoriser une réponse pénale efficace

i. Les outils juridiques tendant à réprimer le refus d’identification

ii. Une volonté politique manifestée dans les instructions données aux parquets

b. L’identification des auteurs, condition sine qua non de la réponse pénale

i. « Camille » et habits neutres : de la difficulté d’identifier les activistes

ii. L’usage des drones à des fins judiciaires

iii. La question de l’opportunité de développer l’usage des produits de marquage codés (PMC)

B. Plus que le droit, c’est à la société dans son ensemble d’apporter les réponses

1. Répondre par la connaissance : le nécessaire investissement dans la recherche

a. Garantir le financement pérenne des travaux de recherche sur les violences politiques

b. Promouvoir la recherche sur les risques systémiques des plateformes ouverte par le Digital Services Act

c. Renforcer la recherche dans l’intelligence artificielle et contre la désinformation et les ingérences étrangères

2. Nul n’est au-dessus des lois : éduquer et sensibiliser

a. L’éducation civique : clef de voûte de l’édifice social

b. L’éducation médiatique et numérique : prévenir la radicalisation et la diffusion des violences

3. Redonner confiance dans les institutions et le débat démocratique

a. Améliorer le rapport aux institutions de la Ve République

i. Développer la participation

ii. Accroître la représentation

b. Faire évoluer la Constitution de la Ve République

c. Assurer le pluralisme des médias et leur indépendance

i. Se prémunir de la concentration des médias

ii. Renforcer le soutien aux médias associatifs et à leur numérisation

d. Veiller à l’exécution des décisions de justice

Liste des propositions des rapporteurs

Examen en commission

Liste des personnes entendues

 

 


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

Dans une société démocratique, où le pacte social et républicain repose sur le respect de la loi et la primauté du droit, le recours à la violence comme moyen d’expression politique ne peut être toléré. Par essence attentatoire aux droits et libertés, ce recours à la violence sape le fonctionnement de nos institutions et notre vie en commun.

Le fait, pour faire valoir ses idées, de recourir à la violence et à la force, plutôt qu’au droit, traduit une régression sociale. « Ces actes [violents] pouvaient se justifier dans les sociétés antiques où régnaient l’esclavage et le dogme de la fatalité. On les retrouve dans le Moyen-Âge et même dans les temps modernes ; mais au fur et à mesure que les mœurs se sont adoucies, que les lumières se sont propagées chez les divers peuples de l’Europe ; à mesure, surtout, que les principes de la science politique ont été mieux connus, le droit s’est trouvé substitué à la force dans les principes comme dans les faits » ; ainsi Maurice Joly faisait-il parler Montesquieu ([2]).

Pourtant, le recours à la violence au nom de ses convictions et pour faire avancer ses revendications est une réalité tangible, en France comme dans d’autres États.

Attaquer des forces de l’ordre pour mettre à bas un projet d’infrastructure légal, voire démocratiquement décidé, agresser, voire tuer, des personnes en raison de leur identité au nom de la protection d’une prétendue race, détruire des biens symbolisant ce que l’on conteste, autant d’actions qui privilégient la violence au débat et à l’espace d’expression politique démocratique, autant d’actions que l’on peut, hélas, constater trop fréquemment.

Dans ce contexte, la commission des Lois de l’Assemblée a jugé pertinent de créer la présente mission d’information, afin de se pencher sur l’activisme violent.

La notion d’activisme violent a été retenue pour circonscrire l’objet de la mission d’information à un phénomène précis, sans le confondre avec d’autres notions voisines.

Ainsi, la notion d’activisme est ici entendue comme un mode d’expression politique et social radical privilégiant l’action directe et revêtant une forme de dogmatisme ; elle s’écarte du militantisme, qui vise l’engagement collectif général. L’activisme violent n’est toutefois pas synonyme d’activisme radical. La radicalité politique ne suppose en effet nullement de recourir à la violence : ce qui est radical présente « un caractère absolu, total ou définitif » et désigne « un genre d’action ou de moyen très énergique, très efficace », selon la définition du Larousse. Des activistes radicaux peuvent ainsi promouvoir un changement intégral et irréversible de société sans pour autant présenter ou promouvoir la moindre violence.

Le rapporteur Iordanoff estime, en ce sens, qu’il convient de distinguer de manière nette l’activisme violent de la désobéissance civile ([3]). Plus largement, si elles ne doivent pas être minimisées, les atteintes aux biens et à la propriété privée ne relèvent pas à proprement parler du champ de la violence, laquelle s’exerce exclusivement contre des personnes en portant atteinte à leur intégrité morale ou physique. En tout état de cause, elles ne constituent pas une menace de nature équivalente aux violences contre les personnes. Elles appartiennent au registre du désordre et non à celui du danger. On ne peut donc leur réserver un traitement intellectuel et juridique identique.

L’activisme violent désigne le fait d’utiliser la violence comme registre d’action et moyen d’expression en vue d’établir politiquement la prééminence de son point de vue ou pour faire valoir ses revendications, en dehors du cadre légal et républicain, et donc en dehors des institutions existantes. Exercé contre les personnes mais aussi les biens, l’activisme violent revêt ainsi une forme de marginalité non seulement politique mais aussi sociale, car la majorité de la population condamne le recours à la violence pour défendre des intérêts. Cette forme de marginalité s’étend aussi au domaine numérique : l’écrasante majorité des personnes qui participent au débat politique et social n’ont heureusement pas recours à la violence.

*

*     *

L’activisme violent présente un double facteur de risque pour notre société démocratique et pour le pacte républicain qui la structure, indépendamment de l’idéologie qui le soutient et du projet politique et social auquel il peut aspirer.

Le recours à la violence est, en soi, un danger pour la société, car il remet en cause la paix sociale et l’ordre public permettant à chacun de vivre en société. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle les actes violents sont pénalement réprimés. La violence peut, au demeurant, présenter un danger pour la cause qu’elle est censée soutenir, en sapant l’éventuel soutien populaire aux revendications portées, associées aux violences commises.

Pour votre rapporteur Éric Poulliat, le fait de recourir à la violence pour faire prévaloir ses idées, sa doctrine, traduit la primauté conférée à celles-ci sur les normes qui organisent, sous l’égide de la loi, la vie en société. L’activisme violent justifie ainsi son action par la supériorité de la légitimité de la cause que l’on entend défendre sur celle de la loi, sur celle du droit et des institutions démocratiques. Il est d’autant plus délétère que les normes ainsi méconnues sont rarement celles dénoncées par les activistes violents, mais des normes générales permettant l’existence en société, et qui sont ignorées dans le cadre d’actions sans rapport avec leur objet. L’activisme violent s’écarte ainsi ici, dans la concurrence entre les légitimités qu’il induit, des formes pacifiques de désobéissance civile telles qu’elles ont pu exister, par exemple, dans la société américaine ségrégationniste régie par les Jim Crow Laws, ou encore en France dans le cadre du mouvement de soutien à l’interruption volontaire de grossesse – dans le cadre de ces mouvements, au demeurant non violents, la norme violée était précisément celle ciblée par la contestation.

Ce n’est donc pas tant le rejet d’une norme donnée, jugée injuste qui motive l’activisme violent, mais la primauté revendiquée des idées sur ce qui organise la société. À cet égard, l’activisme violent est une forme de séparatisme, par le rejet de la loi de la République et la conviction que la position défendue est juste et, de ce seul fait, justifierait tout ; c’est une forme de séparatisme par le refus d’agir dans le cadre d’expression offert par les institutions existantes, au mieux ignorées, souvent rejetées à travers une défiance qui, malheureusement, semble aller en grandissant. Or, comme le soulignait Jean‑Jacques Rousseau, « Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un État libre. […] Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est audessus des lois. » ([4])

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*     *

Le recours à la violence et le refus de la primauté des normes sociales sont ainsi les traits caractéristiques de l’activisme violent, et sont communs à ses différentes branches. Car il n’existe pas « un » activisme violent, mais plusieurs, marqués par une hétérogénéité dans les idées défendues, les revendications portées et les actions conduites.

Dans le cadre des travaux de la mission d’information, vos rapporteurs ont regroupé les activistes violents en cinq grandes « familles », reprenant en cela la classification retenue dans l’ouvrage séminal Violences politiques en France ([5]) : l’activisme confessionnel, l’activisme lié au monde professionnel, l’activisme séparatiste – ou indépendantiste –, l’activisme sociétal et l’activisme idéologique.

Précision liminaire, vos rapporteurs n’ont pas inclus dans le champ de la mission le terrorisme islamiste, bien qu’il aurait pu être considéré comme relevant de l’activisme confessionnel. Plusieurs éléments ont justifié cette exclusion. D’une part, et comme l’a souligné Mme Isabelle Sommier lors de son audition, le djihadisme ne relève pas de l’activisme car il ne cherche pas à convaincre, mais plutôt à détruire, à anéantir – comme le manifeste l’assassinat de Dominique Bernard le 13 octobre 2023, attentat terroriste islamiste qui a sidéré notre pays et nos concitoyens. Le djihadisme se différencie ainsi des autres familles d’activistes violents. D’autre part, il existe une spécificité du terrorisme islamiste qui suppose une réponse adaptée, ce qu’illustre d’ailleurs la législation dédiée à lutter contre ce phénomène.

Les cinq familles d’activistes violents sur lesquelles vos rapporteurs se sont penchés ne sont pas équivalentes entre elles, dans le danger réel qu’elles peuvent représenter : certaines sont aujourd’hui moins actives que d’autres et moins actives qu’avant, d’autres voient de nouvelles mouvances émerger. Au-delà d’un simple travail descriptif, ce constat commande de les étudier à l’aune des enjeux contemporains et de l’état actuel de la menace.

Telle était d’ailleurs l’ambition de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, conduite en 2019 par nos anciens collègues Muriel Ressigiuer, en qualité de présidente, et Adrien Morenas, comme rapporteur. Ses importants travaux ont permis de mettre en évidence la menace tangible représentée par l’ultra-droite, qui relève de la famille de l’activisme idéologique, et ont abouti à plusieurs recommandations dont certaines ont ultérieurement connu une traduction législative.

Pour vos rapporteurs, il a semblé utile de poursuivre ce travail, tout en en élargissant le champ afin d’embrasser l’ensemble des mouvances activistes violentes, en particulier les nouveaux mouvements qui, aujourd’hui ou demain, présentent le plus grand facteur de danger.

L’ultra-droite représente toujours une réelle menace, en particulier à l’aune de tendances émergentes telles que les accélérationnistes ou les incels. Les mouvances d’ultra‑gauche, de plus en plus liées aux activistes sociétaux tels que les environnementalistes violents, présentent, elles aussi, un danger tangible, quoique différent, tandis qu’apparaissent en leur sein des mouvances qui, comme les antispécistes, témoignent d’un potentiel violent réel – même si celui-ci est moins saillant en France que dans d’autres pays. Enfin, les autres familles d’activistes violents, confessionnels et professionnels, demeurent toujours présentes et ne pouvaient donc être ignorées.

*

*     *

Afin de pleinement appréhender l’activisme violent pour ensuite se pencher sur les moyens de le tenir en échec et les évolutions jugées utiles, vos rapporteurs ont organisé leurs travaux en deux temps. Le premier temps, à travers l’audition de sociologues, de politologues, d’historiens et de scientifiques, a permis de comprendre et d’analyser le phénomène pour en déterminer les principaux facteurs et les ressorts dans le cadre d’une mise en perspective historique. Le second temps a associé les acteurs concernés par l’activisme violent, en particulier les acteurs institutionnels – administrations, services de renseignements ou encore magistrats, pour étudier les réponses aujourd’hui apportées et, le cas échéant, identifier des améliorations. Enfin, deux déplacements ont été effectués en septembre 2023, l’un à Lyon, l’autre à Nantes. Ainsi, 39 auditions ont été conduites et ont permis à vos rapporteurs d’entendre 71 personnes. Chacune de ces personnes a fourni un éclairage précieux sur l’objet de la mission d’information et sur les évolutions envisageables ; chacune d’entre elles a nourri la réflexion des rapporteurs, qui tiennent ici à les en remercier vivement.

Toutes ces auditions ont permis de dresser un état des lieux complet de l’activisme violent aujourd’hui, à l’aune duquel les outils permettant de lutter contre ce phénomène ont été étudiés. Ces outils sont nombreux, l’arsenal juridique étant loin d’être vide et sans moyen. Est-ce à dire que rien ne doit être fait ? La réponse à une telle question est naturellement négative, et vos rapporteurs se sont employés à identifier les leviers d’amélioration des outils de lutte contre l’activisme violent, sans se limiter aux seuls aspects pénaux mais, au contraire, en ouvrant la réflexion à d’autres champs à travers une mobilisation de toute la société.

À l’issue de leurs travaux, vos rapporteurs formulent 28 recommandations. Certaines d’entre elles, toutefois, n’émanent que de l’un d’entre eux, mais ces divergences ponctuelles sur les moyens ne doivent pas dissimuler la convergence d’ensemble de vos rapporteurs sur l’essentiel : la nécessité de lutter contre l’activisme violent, pour que la primauté du droit, la légitimité démocratique et la pérennité du pacte social républicain soient mieux garantis.

 


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   Première partie : état des lieux : un activisme pluriel nourri par un désenchantement social

Poursuivant la logique ayant présidé à l’organisation de leurs travaux, vos rapporteurs ont souhaité présenter d’abord l’état des lieux de l’activisme violent, avant d’aborder la question des moyens et de formuler des recommandations.

La présente partie entend ainsi dresser le panorama de l’activisme violent, d’une grande hétérogénéité, après l’avoir contextualisé pour pleinement le comprendre.

I.   Le contexte de l’activisme violent

L’activisme violent ne peut être étudié sans connaître le contexte dans lequel il s’inscrit. Sans cela, en effet, ses ressorts, ses évolutions dans le temps, ne pourraient être connus – or, ils peuvent susciter des pistes d’action pour répondre au phénomène.

A.   Une violence moins marquée qu’avant, mais beaucoup plus visible

Si l’on peut avoir le sentiment que la société actuelle est violente ([6]), force est de constater qu’en prenant un nécessaire recul historique, elle l’est globalement moins qu’avant – tout en étant plus visible.

1.   Une violence globalement moindre que par le passé

● Les violences politiques au sens large étaient en effet plus radicales dans leur expression par le passé, trois époques en particulier pouvant être prises en compte – en se limitant au XXe siècle.

Ainsi, l’entre-deux-guerres voit apparaître une véritable militarisation de la rue, entre les Croix de feu du colonel de la Rocque, les Camelots du Roi ou encore l’Association républicaine des anciens combattants (Arac) proche des communistes. Les événements du 6 février 1934, où des ligues d’extrême-droite ont marché sur la Chambre des députés, aboutissant à plusieurs dizaines de morts et constituant une réelle menace pour le régime parlementaire et les institutions républicaines, sont naturellement sans commune mesure avec la situation d’aujourd’hui.

Dans le même ordre d’idées, en matière de mouvements sociaux, les récentes mobilisations ne sauraient être comparées aux grandes grèves de 1947 et 1948, qui ont fait plusieurs morts, ont conduit à des milliers d’arrestations et durant lesquelles des grévistes, souvent armés, se sont livrés à des attaques en règle de sites et à des sabotages et déraillements de trains, tandis que le maintien de l’ordre a causé plusieurs morts.

La situation n’est pas non plus assimilable au tournant des années 1970, dans le contexte post-1968, avec la forte tentation, chez les radicaux d’extrême gauche, du passage à la lutte armée s’inspirant des cas italiens et allemands.

Le travail rétrospectif historique prémunit ainsi d’erreurs d’analyse ou de comparaisons excessives – à cet égard, les analogies qui peuvent être faites entre la France de 2023 et celle de la convocation des États généraux en août 1788, ne sauraient emporter la conviction, et ne semblent avoir d’autre dessein que de susciter une forme de romantisme révolutionnaire.

2.   Une violence globalement moindre qu’ailleurs

● Par ailleurs, en comparant la France à d’autres pays, le niveau de violence n’apparaît pas forcément très significatif.

Les événements du 6 janvier 2021 au Capitole, à Washington, ou l’invasion de la place des Trois pouvoirs à Brasilia le 8 janvier 2023, pour se limiter à ces deux occurrences, traduisent un degré de violence sociétale et insurrectionnelle autrement plus élevé qu’en France.

D’une manière plus générale, la France, à la différence de certains de ses voisins, n’a pas connu le degré de violences dues à l’Irish Republican Army (IRA) au Royaume-Uni, aux Brigades rouges en Italie ou à ETA en Espagne ([7]).

Les nombreux attentats commis en France depuis 2015 par les terroristes islamistes ont donc frappé un pays qui était moins accoutumé à la violence que d’autres, causant un choc d’autant plus grand, et expliquant la très forte sensibilité française à la violence – circonstance qui peut aussi expliquer l’impression d’une violence plus grande qu’elle ne l’est réellement.

3.   Une violence survisible : chaînes d’information en continu et réseaux sociaux

L’analyse du phénomène de l’activisme violent aujourd’hui ne peut s’affranchir de quelques considérations sur le rôle des médias et des réseaux sociaux.

Il semble que l’accusation traditionnelle qui leur est faite d’enfermer les utilisateurs dans une « bulle informationnelle » ou une « bulle de filtre » ([8])  doive être, au mieux, nuancée. Le rapport de la commission d’experts présidée par M. Gérald Bronner et portant sur Les lumières à l’heure du numérique souligne que « La prudence s’impose donc lorsque l’on aborde le lien entre les algorithmes et la configuration des plateformes avec les phénomènes sociaux négatifs qu’ils sont accusés de produire. » ([9]). Une telle réserve semblait partagée par Benjamin Tainturier, auditionné par vos rapporteurs, qui rappelait notamment la complexité à analyser ces algorithmes.

Pour autant, les réseaux sociaux ne sont pas sans effet sur l’activisme violent et interviennent dans son développement et son expression de plusieurs façons.

– En amont de l’activisme violent, ils permettent la mise en réseau de tout un chacun avec des milliers, voire des millions de personnes. Ils favorisent ainsi, d’un point de vue logistique, le recrutement de nouveaux militants et l’apprentissage des techniques de l’activisme.

Le canal Telegram de discussions « FR DETER » illustre bien le rôle des réseaux sociaux dans l’agrégation d’individus partageant la même vision du monde, facilitant leur communication et permettant, le cas échéant, la préparation de passages à l’acte. Décliné en sous-groupes départementaux, il était composé de milliers d’individus appartenant à des mouvances décrites comme « identitaires » « nationalistes » ou encore d’extrême-droite selon les sources. La discussion a été le cadre de menaces contre la communauté musulmane, des avocats, des élus ou encore des journalistes. Divers passages à l’acte étaient évoqués, sans s’être visiblement concrétisés.

– Les réseaux sociaux sont aussi propices à la création de « chocs moraux » théorisés par le sociologue James Jasper, via des images, des vidéos ou des témoignages, susceptibles de susciter l’engagement dans une cause. Les vidéos de L214 dénonçant la « maltraitance animale » dans les abattoirs, ou celles de simples citoyens illustrant des « violences policières » en sont un exemple.

Le choc moral comme vecteur d’engagement

Le concept de « choc moral » comme vecteur d’engagement a été développé par le sociologue américain James M. Jasper dans les années 1990 (notamment The Art of Moral Protest : Culture, Biography, and Creativity in Social Movements, 1997).  Il met en évidence le rôle de ces chocs moraux dans les mobilisations collectives, rôle jusqu’alors souvent minimisé au profit d’explications plus rationnelles ou utilitaristes (comme les rétributions symboliques).

Ces chocs moraux peuvent être spontanés (liés à un événement public inattendu et hautement médiatisé, comme l’accident nucléaire de Three Mile Island en 1979), ou provoqués par une stratégie délibérée de communication de la part de militants.

Dans un article co-écrit avec Jane D. Poulsen en 1995 ([10]), et à partir de l’analyse de la situation américaine dans les années 1980, Jasper soulignait ainsi que les défenseurs des droits des animaux avaient eu tendance à être « recrutés » à la suite de chocs moraux prenant la forme d’une rhétorique visuelle et verbale, plutôt que via leur réseau proche comme les amis ou la famille.

Internet constitue également une opportunité pour ceux qui prétendent faire de la « réinformation », via des blogs, des forums ou des comptes. À cet égard, auditionné par vos rapporteurs, le préfet Christian Gravel observait que le partage de thèses conspirationnistes, complotistes, ou de fausses informations peut être chez certains individus une première étape vers l’action violente.

– Le modus operandi des manifestations et actions violentes est également profondément impacté par les réseaux sociaux, dans la mesure où ces derniers permettent aux manifestants d’échanger massivement et en temps réel sur les positions des forces de l’ordre et la façon dont une manifestation se déroule. Ils peuvent ainsi adapter leur situation et leur façon d’agir. Les manifestations deviennent ainsi moins lourdes, plus mobiles. ([11])

– Les réseaux sociaux contribuent à rendre la violence plus visible et sont le canal privilégié de sa revendication par les groupes qui y ont recours. Toute personne peut désormais, via son téléphone et un réseau social, produire des images diffusées à large échelle et leur donner un sens et des justifications. M. Xavier Crettiez, politologue et chercheur, auditionné par vos rapporteurs, parlait ainsi de « manifestations de papier » se jouant dans les médias pour compenser le déficit du nombre. Il soulignait aussi les possibles effets concurrentiels entre groupes activistes, avec pour enjeu la production d’images toujours plus spectaculaires.

En d’autres termes, par la visibilité qu’ils apportent à la violence, les réseaux sociaux peuvent contribuer à l’encourager.

– Enfin, ils favorisent les influences étrangères et le caractère international de certains mouvements, dans leur organisation comme dans leur idéologie.

De façon plus conjoncturelle, il convient de relever l’effet de la pandémie de Covid-19 : les confinements successifs ont renforcé l’exposition des individus à des contenus susceptibles de créer une radicalisation ([12]) .

Il ne s’agit pas de faire le procès des réseaux sociaux : ils ne sont que des vecteurs de diffusion d’un contenu qui trouve ses origines dans le réel, et ne suppriment pas le rôle des sociabilités militantes traditionnelles. Ces constats sont même quelque peu paradoxaux, compte tenu des études montrant que toutes catégories confondues, les gens considèrent que les réseaux sociaux favorisent la diffusion de fausses informations ([13]). Néanmoins, un écart important apparaît entre la confiance accordée à un réseau par ses utilisateurs réguliers et la confiance en ce réseau par l’ensemble des répondants : tout en considérant que « les réseaux sociaux » ne sont pas fiables, les individus ont confiance dans ceux qu’ils utilisent.

Les médias classiques n’échappent quant à eux pas toujours à la fascination pour l’image spectaculaire au détriment de l’analyse de fond. Mme Isabelle Sommier, sociologue et chercheure, considère ainsi que l’information en continu encouragerait la violence : d’une part, les médias produisant de l’information en continu doivent sans cesse trouver de nouvelles images et ont intérêt à filmer la violence pour capter l’attention du public ; d’autre part, face au risque de banalisation des images, les groupes violents ont intérêt à une forme de surenchère pour continuer à attirer l’attention.

Pour sa part, le politologue et chercheur M. Dominique Reynié va jusqu’à observer une certaine complaisance des médias traditionnels envers la violence. Dans une étude réalisée pour la Fondapol en 2017 ([14]), il livre par exemple une analyse très critique du traitement médiatique de Notre-Dame-des-Landes :

Peu de médias s’intéressent au fond du dossier, car c’est effectivement moins spectaculaire qu’un « planter de bâtons » de 10 000 personnes ou des députés allant rouvrir des maisons expropriées, en faisant fi des décisions de justice.

Les questions de fond, celles qui expliquent les raisons du transfert […] sont trop souvent éludées au profit d’un buzz de court terme entretenu par un point de vue très parisien qui croit savoir ce qui est bon pour les territoires. L’avènement des chaînes d’information en continu ou le développement des réseaux sociaux en est une des raisons principales. Il faut réagir dans l’instant, il faut des images, du son etc., […]. » 

Cette analyse rejoint les constats de Mme Isabelle Sommier : les logiques du champ médiatique, qui plus est dans un contexte de concurrence entre un grand nombre d’acteurs de l’information, ne sont pas de nature à favoriser le traitement sobre et dépassionné de l’information. A contrario, la violence produit du spectaculaire qui semble plus à même de susciter l’intérêt du public.

4.   Les ressorts de la violence : négociation, affirmation ou stratégie de terreur ? 

Si visible soit-elle, la violence activiste ne répond pas à une stratégie unique. En fonction des groupes étudiés et des modes d’action, plusieurs usages de la violence peuvent être distingués, qui ne sont d’ailleurs pas exclusifs les uns des autres ([15]).

La violence comme mode de négociation semble le plus adapté à la description de l’activisme violent actuel. La violence sert ici à instaurer un rapport de force avec l’État. Les activistes cherchent à inscrire sur l’agenda politique des revendications peu visibles ou encore à peser sur une décision politique, comme c’est le cas pour les violences ayant eu pour catalyseur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Leur stratégie d’influence s’adresse aux décideurs politiques mais aussi au grand public : on retrouve ici la notion de « choc moral », évoquée précédemment, comme catalyseur d’engagement collectif. Dans le cas des indépendantistes, il peut aussi s’agir de s’affirmer comme un acteur légitime par les acteurs établis.

Le deuxième aspect de la violence activiste est sa mise au service de la construction identitaire. Selon cette approche, la violence sert à unifier le groupe qui la pratique vis-à-vis de l’extérieur, voir à le définir en tant que tel, comme c’est le cas pour les Black blocs à la définition desquels elle est consubstantielle. Elle permet, enfin, une « construction victimaire du soi », face à la réponse des forces de l’ordre. Elle peut aussi servir de faits d’armes à but concurrentiel entre groupuscules comme c’est le cas à Lyon dans les milieux d’ultra-droite.

Enfin, la violence peut répondre à une stratégie de « terrorisation » de la société, en visant prioritairement des cibles civiles afin de faire plier l’État ou de manifester son rejet absolu de la société visée. Ce ressort ne concerne, de fait, actuellement que les djihadistes. Même la pratique des mouvements séparatistes, si elle a pu aussi être qualifiée de terroriste, ne s’inscrit pas, du moins en France, dans cette stratégie, puisque leur violence est généralement orientée vers des biens matériels ou des représentants de l’État (forces de l’ordre, magistrats). 

B.   La défiance à l’égard des institutions et l’absence de projet commun

Si le degré de défiance vis-à-vis des institutions et de la classe politique n’est pas aussi élevé en France que dans d’autres pays – comme les États‑Unis, où un président battu conteste les résultats électoraux, appelle ses partisans à marcher sur le siège du Congrès américain et nie la légitimité de la justice –, il n’en demeure pas moins certain que cette défiance existe bien dans notre pays et alimente l’activisme violent, sous plusieurs formes.

1.   L’intensité inquiétante des violences contre les élus

Les violences contre les élus connaissent un niveau très élevé. D’après l’historien Jean Garrigues, entendu par vos rapporteurs, il n’y a pas de période aussi caractérisée par la violence contre les élus que celle dans laquelle nous vivons, à l’exception de la Révolution française et de la tension entre la Commune de Paris et les parlementaires, à l’origine de plusieurs morts violentes, voire de lynchages. Même les années 1930, pourtant théâtres d’une violence exacerbée, ainsi qu’il a été vu, consistaient moins en des agressions d’élus qu’en des combats entre factions extrémistes, dans la rue.

Les attaques contre les élus prennent plusieurs formes : dégradations de permanences parlementaires, menaces de l’élu ou des membres de sa famille – sur les réseaux sociaux, par courrier ou directement –, voire agressions physiques ou attaques contre le domicile.

Si, en France, les violences contre les élus n’ont pas entraîné de décès, tel n’est hélas pas le cas à l’étranger, comme en témoignent le meurtre de la députée britannique Jo Cox en 2016 avant le référendum sur le Brexit, ou celui du président du district de Cassel Walter Lübcke en 2019, tué par un militant d’ultra-droite.

● Entre 2021 et 2022, le nombre d’agressions d’élus s’est accru de près d’un tiers, passant de 1 770 à 2 265. En 2023, sur la période allant de janvier à septembre, 1 387 faits de violences ont été recensés contre des élus locaux, dont 12 % relevant de violences physiques ([16]).

Pour ne prendre que quelques exemples récents, peuvent être mentionnés :

– les 164 atteintes répertoriées contre des permanences parlementaires entre le 16 mars et le 3 mai 2023, en marge du mouvement de contestation de la réforme des retraites ([17]) ;

– les menaces ou outrages à l’encontre d’élus et de membres du Gouvernement en marge du même mouvement, ayant conduit à l’enregistrement de 33 plaintes ([18]) ;

– les attaques dont plusieurs maires ont été victimes à l’occasion des émeutes ayant suivi le décès du jeune Nahel, telles que celle à la voiture-bélier du domicile de Vincent Jeanbrun, maire de L’Haÿ-les-Roses, les agressions contre Stéphanie Von Euw, maire de Pontoise, ou Bernard Jamet, maire de Sannois, ou encore l’incendie du véhicule du maire de Saint-Pierre-des-Corps, Emmanuel François ([19]) ;

– l’incendie du domicile de Yannick Morez, maire de Saint-Brévin-Les-Pins, le 22 mars 2023, faisant suite à des menaces émanant de militants de l’ultra-droite qui contestaient une décision relative à l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile ;

– et, plus récemment, l’agression de René Revol, maire de Grabels, le 23 septembre 2023, là aussi après l’envoi de menaces contre l’élu.

Si les élus, les maires en particulier, sont parfois pris pour cibles en raison de l’autorité publique qu’ils incarnent, certains événements relèvent d’une contestation politique des décisions prises par les élus : la contestation sort du cadre démocratique traditionnel et des joutes politiques, pour embrasser la violence.

Selon Jean‑Yves Camus, auditionné par vos rapporteurs, les élus ne sont plus nécessairement vus comme des représentants de la population qui seraient oints du suffrage universel, mais sont parfois perçus comme des prestataires de services devant fournir aux citoyens ce qu’ils demandent, sous peine d’actions violentes.

● D’une manière générale, la confiance à l’égard des élus et des formations politiques est en baisse, d’après les résultats de l’étude « Fractures françaises » parue en 2023 ([20]) :

– si 69 % des Français disent faire confiance aux maires, ils étaient 72 % en 2022 ;

– seulement 29 % des Français font confiance aux députés, contre 36 % l’année précédente ;

– les partis politiques ne recueillent la confiance que de 17 % des Français, ce taux étant en baisse d’un point par rapport à 2022.

2.   « Voter ne sert à rien » : l’inutilité perçue des institutions alimente le recours à la violence comme moyen d’action politique

Parallèlement à la violence contre les élus, est constatée une défiance accrue contre les institutions – la seconde pouvant nourrir la première – et une moindre participation électorale.

a.   Le déclin de la participation électorale et l’essor de l’abstention systématique

Depuis 2007, les chiffres de la participation aux élections présidentielles et législatives sont en baisse, comme en témoignent les chiffres figurant dans les deux tableaux suivants.

taux de participation aux élections présidentielles et législatives
(2007-2022)

(en %)

Élection

2007

2012

2017

2022

Présidentielle 1er tour

86,2

82,2

81,2

77,9

Présidentielle 2nd tour

86,2

83,6

78,0

75,5

Législatives 1er tour

61,6

60,2

52,2

50,6

Législatives 2nd tour

60,9

58,6

45,4

48,5

Source : Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

 

Évolution des comportements électoraux
aux élections présidentielles et législatives entre 2007 et 2022

(en %)

Comportement

2007

2012

2017

2022

Vote systématique

50,9

47,8

35,9

37,0

Abstention systématique

8,6

10,9

13,4

14,8

Source : Insee.

La tendance générale est une baisse de la participation :

– de plus de huit points pour le premier tour de l’élection présidentielle, et de plus de dix points pour le second tour ;

– de onze et plus de douze points pour les premier et second tours des élections législatives ;

– la part du vote systématique, c’est-à-dire des personnes qui votent à chaque scrutin, connaît un effondrement inquiétant, perdant près de quatorze points ;

– inversement, l’abstention systématique, c’est-à-dire ceux qui ne votent jamais, a presque doublé sur la période considérée, la tranche d’âge la plus concernée par ce phénomène étant les 18‑29 ans.

Si une légère hausse de la participation est constatée au second tour des élections législatives de 2022, elle ne contredit pas la tendance baissière globale ; notons d’ailleurs que, malgré ce rebond, la participation au second tour des élections législatives est désormais inférieure à 50 %.

Le même phénomène peut être constaté pour d’autres scrutins :

– la participation au second tour des élections régionales s’est effondrée entre 2015 et 2021, passant de 58,4 % à 34,7 % ;

– il en est de même pour le second tour des élections départementales, la participation passant de près de 50 % à moins de 35 %.

b.   Le sentiment de l’inutilité du vote et la contestation de la légitimité de l’élection

Si les ressorts de l’abstention sont nombreux et ont fait l’objet d’études fouillées, la tendance récente semble établir un accroissement du sentiment de l’inutilité du vote, mais aussi une remise en cause des résultats électoraux.

i.   La perception d’une impuissance des institutions et de l’absence de cadre d’expression nourrit l’abstention

Certains perçoivent une forme d’impuissance des institutions pour traiter les sujets importants pour la société, ou pour répondre à leurs revendications – ce qui, au demeurant, est inévitable lorsque les revendications formulées peuvent être totalement opposées.

En tout état de cause, l’idée que la classe politique et les pouvoirs publics ne feront rien, ou ne pourront rien faire, alimente un désenchantement à l’égard des institutions.

Un autre facteur à prendre en compte réside dans la perception d’une absence de cadre d’expression satisfaisant : les personnes ont le sentiment qu’elles ne peuvent faire valoir leur point de vue, qu’elles ne seront pas bien représentées dans les assemblées délibérantes ou au Parlement. Dès lors, le vote ne leur apparaît plus décisif.

Une telle lecture nourrit l’abstention ou les votes protestataires, et fait à terme le jeu des formations populistes et extrêmes. Par ailleurs, ne pas voter empêche par définition d’avoir des résultats susceptibles de satisfaire les abstentionnistes, alimentant d’autant plus leur défiance à l’égard des institutions et la perception que leur position est bien fondée.

ii.   La contestation de la convention électorale

L’ensemble de ces éléments forment le terreau d’une contestation accrue de la légitimité des résultats électoraux.

● L’exemple américain de la dernière élection présidentielle en fournit l’illustration extrême, Donald Trump ayant refusé d’admettre sa défaite, contesté les résultats dans plusieurs États, qualifié le scrutin de « volé », tout cela conduisant in fine aux événements du Capitole le 6 janvier 2021.

La situation est différente en France, les candidats battus reconnaissant leur défaite et la transition du pouvoir se faisant pacifiquement. Cela étant, sans aller jusqu’à dire qu’une situation telle que celle du Capitole pourrait survenir prochainement dans notre pays, il convient de noter, dans les expressions politiques, une forme diffuse de contestation de la légitimité des élus, en particulier à la suite des scrutins de 2022.

L’idée selon laquelle ceux qui votent n’ont pas la compétence ni la légitimité pour ce faire nourrit également la contestation électorale. L’élection présidentielle de 2022 fournit une illustration de cette position, certains électeurs ayant alors proposé de fixer un âge limite pour voter, afin que les personnes âgées ne puissent « voler » l’élection – un point de vue qui avait déjà été exprimé lors du Brexit, en 2016.

● D’une manière générale, comme l’a indiqué Dominique Reynié à vos rapporteurs lors de son audition, plus le doute sur la validité de la convention électorale grandit, plus le recours aux formes violentes de l’action collective s’accroît.

Cette analyse reprend celle, déjà ancienne, de Victor Hugo. Ce dernier, le 21 mai 1850, devant l’Assemblée nationale législative, soulignait en effet que le suffrage universel, et donc le vote, la participation aux élections, « c’est la fin de la violence, c’est la fin de la force brutale, c’est la fin de l’émeute […], c’est […] le droit d’insurrection aboli par le droit de suffrage », ajoutant que « Quand le vote a parlé, la souveraineté a prononcé. Il n’appartient pas à une fraction de défaire ni de refaire l’œuvre collective » ([21]).

Comme le relevait le grand homme, « deux modes d’action sont à votre disposition : le droit du souverain et le rôle du rebelle ; vous choisiriez le rôle du rebelle ! ce serait une sottise et ce serait un crime. » ([22])

Or, aujourd’hui, force est de constater que le rôle du rebelle peut sembler à certains plus séduisant que celui du souverain.

3.   La fragmentation de l’espace commun

L’une des causes possibles à la multiplication de la violence politique peut se trouver dans l’absence de projet commun, d’objectif collectif qui irrigue l’ensemble du corps social.

a.   Le sentiment d’une société bloquée et fracturée

Comme l’a relevé Jean Garrigues devant vos rapporteurs, ce qui, par le passé, pouvait faire barrage à la perception de la violence et au recours à la violence politique était la cohésion des sociétés de l’époque et le sentiment de vivre dans une société cohérente, animée d’un projet.

Ainsi, la France de la IIIe République s’inscrivait dans la continuité des Lumières et des idéaux de la Révolution française, et était nourrie du positivisme et de la foi dans le progrès. La France au sortir de la Seconde guerre mondiale, quant à elle, pouvait se retrouver autour de l’État providence et était mue par l’idée d’une nouvelle société à bâtir, d’un projet commun de reconstruction et de croissance.

En revanche, aujourd’hui, la perception générale est plutôt celle d’une société bloquée, et d’un pessimisme global sur l’avenir commun : l’étude « Fractures françaises » met en évidence une nostalgie à l’égard du passé (73 % des Français jugent que « c’était mieux avant », contre 69 % en 2022) et l’absence de perspectives heureuses : 44 % seulement jugent que l’avenir « est plein d’opportunités et de nouvelles possibilités », proportion par ailleurs en baisse ([23]).

Cette apparente absence de communauté de destin est aussi nourrie par la montée d’un sur-individualisme qui dénoue les solidarités et les structures communes, et qui peut aboutir à ce que la volonté, les idées et les convictions de l’individu priment l’intérêt général et les normes sociales collectives, au premier rang desquelles la loi.

Dès lors, il n’est guère surprenant de voir des personnes s’affranchir des lois pour faire valoir leurs idéaux. Relevons d’ailleurs que si le recours à la violence pour défendre ses intérêts est largement condamné par la population (77 % des Français) et si les violences liées à la situation politique sont majoritairement condamnées, une part relativement importante de la population les juge certes injustifiées, mais compréhensibles ([24]).

L’étude 2023 « Fractures françaises » : illustration d’une société contrariée

● D’après l’édition 2023 de l’enquête « Fractures françaises » réalisée par Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne (1) :

– 82 % des Français estiment que la France est en déclin, et un tiers considèrent que ce déclin est irréversible ;

– seulement 4 % des Français trouvent la France satisfaite et apaisée, tandis que 45 % jugent que la France est en colère et contestataire (contre 31 % en 2021) ;

– 74 % des Français jugent qu’« on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres » ;

– le niveau de confiance dans les syndicats, les médias et les partis politiques est inférieur à 50 %, s’établissant respectivement à 40 %, à 33 % et à 17 % ;

– 73 % des Français estiment que la situation était meilleure avant, et moins de la moitié ont confiance en l’avenir (44 %).

● Sur le sujet plus spécifique de la violence, 91 % des Français jugent la société violente – ils étaient 89 % en 2022 –, et 31 % la considèrent très violente, soit sept points de plus qu’en 2022. Ils sont par ailleurs 88 % à estimer que la violence augmente, dont 60 % qu’elle augmente beaucoup.

En revanche, 77 % des Français condamnent le recours à la violence pour la défense de ses intérêts, alors qu’ils étaient 74 % en 2022.

Ils sont également majoritaires à juger inacceptables les violences liées à la situation politique, mais une partie assez importante considère que ces violences sont compréhensibles, tandis qu’une minorité les estime justifiées, dans une part variable en fonction du type de violence. Ainsi :

– 28 % des Français jugent compréhensibles les violences de manifestants pendant des manifestations et 7 % les trouvent justifiées ;

– des proportions semblables sont constatées à l’égard des « violences de certains militants écologistes lors de manifestations ou d’actions militantes » (respectivement 26 % et 8 %) ;

– 20 % considèrent compréhensibles les violences envers la police, et 6 % les trouvent justifiées ;

– 22 % des Français ne considèrent pas inacceptables les intrusions dans les domiciles d’élus (16 % les estiment compréhensibles, 6 % justifiées).

(1) Fractures françaises : vague 11, Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne, 2023.

b.   L’archipélisation des légitimités

L’activisme violent est favorisé par un phénomène que l’on pourrait appeler « l’archipélisation des légitimités ». En effet, face à l’autorité et au socle commun que constituent normalement le droit, l’État et les institutions, des activistes violents se revendiquent de valeurs ou de « causes » présentées comme supérieures. Ils invoquent, selon les situations, soit la légitimité que leur conférerait le droit lui-même, soit la légitimité de leur cause face à un droit perçu comme illégitime.

Les outils juridiques dont dispose l’État pour lutter contre l’activisme violent – dissolution d’une association, interdiction d’une manifestation, retrait de subventions – sont souvent perçus, lorsqu’ils sont utilisés, comme des signes d’oppression, face auxquelles les activistes invoquent leur propre liberté d’expression, de réunion et de manifestation.

Ainsi, en réponse au projet de dissolution de leur association de fait, les Soulèvements de la Terre dénoncent dans leur tribune le choix de « couper sournoisement les vivres » aux associations, des « mystérieuses listes noires qui circulent de service en service » et de « vieilles ficelles » ([25]). En mai 2023, à la suite de la suspension de l’arrêté d’interdiction de sa manifestation en hommage à Jeanne d’Arc, l’Action française se félicitait quant à elle que le juge ait rejeté les « arguments fallacieux » du préfet et « que les libertés de se réunir et de s’exprimer soient encore un droit. » ([26]) 

L’invocation de l’« état de nécessité » pour justifier – devant les médias ou devant les tribunaux – des actions relevant de l’activisme violent est une autre manifestation de l’archipélisation des légitimités.

L’état de nécessité est issu de l’article 122-7 du code pénal, qui dispose que « N’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace. »

S’il a donc bien une réalité juridique, l’état de nécessité n’est reconnu que dans des conditions précises. Il ressort en effet de la jurisprudence que le « danger » doit être immédiat et certain, non hypothétique ou futur. L’intérêt supérieur à sauvegarder doit être perçu comme tel par tous, ce qui exclut que des considérations morales ou religieuses particulières permettent à tout un chacun d’invoquer l’état de nécessité à l’appui de ses actes. Il faut également que seule l’infraction commise permette d’éviter la réalisation de l’événement, à l’exclusion de tout autre moyen moins périlleux pour les tiers.

De fait, l’état de nécessité a été refusé par les juges pour des faits d’introduction dans une centrale nucléaire : cette infraction n’est pas, par elle-même, de nature à remédier au danger tenant au manque de fiabilité de la protection du site. ([27]) De même, à plusieurs reprises, les juges ont considéré qu’aucune des conditions de l’état de nécessité n’est remplie dans des cas de faucheurs d’organismes génétiquement modifiés (OGM) ([28]). 

Alternativement, l’activisme violent peut aussi s’affranchir du droit de façon assumée, au nom de la légitimité d’une cause perçue comme supérieure.  Selon les groupes en cause, l’idée que nécessité fait loi pourra être nourrie par l’urgence climatique, la « submersion » migratoire, ou encore par l’attrait d’un modèle alternatif.

Par exemple, sur des captures d’écran de discussions de la boucle Telegram d’ultra-droite FR DETER, déjà évoquée ([29]), on pouvait ainsi lire, à la suite d’une liste de personnes à cibler : « disons que tout est légale [sic] pour faire mal à l’ennemi ».

Le droit de propriété constitue un autre exemple de droit considéré comme illégitime par certains activistes violents. Au sujet des zadistes de Notre-Dame-des-landes refusant de quitter des terres appartenant à l’État même après l’abandon du projet, le journal en ligne Reporterre écrivait ainsi ([30]) : « Car, c’est bien l’État qui est propriétaire des terres occupées, et n’est-il pas logique qu’il cherche à remettre la main sur l’usage qui en est fait ? Juridiquement, il est difficile de soutenir le contraire. Mais pas du point de vue de la légitimité : les zadistes ont contribué à défendre et à sauver ces lieux du bétonnage, ils devraient pouvoir continuer à y vivre et travailler. »

L’autorité conférée par une situation juridique – la propriété – est ici rejetée, au profit d’une autre source de légitimité : les zadistes, ayant « protégé » cette terre, auraient acquis des droits sur elle, qui seraient opposables à son propriétaire légal. La photo d’illustration de l’article montre un panneau proclamant : « La ZAD appartient à ceux qui en prennent soin ».

En ce qui concerne les activistes environnementaux, un autre facteur tend à faciliter la transgression du droit : la reconnaissance, à plusieurs reprises depuis 2021, de la culpabilité de l’État pour inaction climatique. La condamnation de l’État pour non-respect d’engagements qu’il a lui-même acceptés peut ainsi accréditer la désacralisation de la norme, puisque l’État lui-même ne la respecte plus.

Au-delà du champ de l’écologie, l’idée que l’État n’a pas toujours raison contribue à l’affaiblissement de l’autorité morale de ce dernier, perçu comme incohérent et incapable lui-même de se conformer au droit qu’il a lui-même édicté.

L’État face aux tribunaux français pour inaction climatique

L’Affaire du siècle

En mars 2019, quatre ONG à caractère social ou environnemental (Notre affaire à tous, Greenpeace France, Oxfam France et la Fondation Nicolas Hulot), engagent une action en justice contre l’État pour dénoncer son « inaction climatique ».

Le 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris leur donne raison en reconnaissant les « carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés » ([31]) . Après un supplément d’instruction, le 14 octobre 2021, le tribunal enjoint à l’État de « prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages » ([32]) .

En juin 2023, face à l’insuffisance des mesures prises par l’État pour réparer le préjudice écologique causé, trois des quatre organisations demandent au tribunal administratif de Paris d’exiger de l’État qu’il prenne des mesures supplémentaires et de prononcer une astreinte financière de 1,1 milliard d’euros pour les neuf premiers semestres de retard déjà cumulés.

L’affaire Grande-Synthe

Parallèlement, le 1er juillet 2021 dans l’affaire Grande-Synthe ([33]) , l’État est condamné par le Conseil d’État à prendre des mesures supplémentaires pour atteindre d’ici à 2030 l’objectif, issu de l’Accord de Paris, de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport à 1990.

Dans une nouvelle décision, le 10 mai 2023 ([34]), le Conseil d’État estime que, si des mesures supplémentaires ont bien été prises, il n’est toujours pas garanti de façon suffisamment crédible que la trajectoire de réduction des émissions de GES puisse être effectivement respectée. Il enjoint à la Première Ministre de prendre toutes les mesures supplémentaires utiles pour rendre compatible le rythme de diminution réelle des émissions de GES avec la trajectoire de réduction de ces émissions fixée par les budgets carbone en vue d’atteindre les objectifs de réduction fixés pour 2030.

Enfin, l’inscription de l’activisme violent sous la bannière de la « désobéissance civile » est la manifestation la plus évidente du rejet de la légitimité du droit. 

La désobéissance civile

Cette dernière, issue d’une longue tradition philosophique et politique (Thoreau, Gandhi, Martin Luther King…), se définit par ses modalités comme par ses finalités :

-          il s’agit d’une infraction délibérée, c’est-à-dire reflétant une volonté de ne pas se conformer à une loi ou une norme juridique ;

-          elle est non violente ;

-          elle est assumée par ses auteurs jusque dans ses conséquences éventuelles (poursuites judiciaires) ;

-          elle doit avoir une finalité morale ou politique, ce qui la distingue de la transgression opérée à des fins purement personnelles.

Force est de reconnaître que pour les activistes comme pour le grand public, la frontière peut apparaître floue entre la désobéissance civile et l’activisme violent. Aux côtés des termes d’éco-terroristes ou de « casseurs », l’usage du qualificatif d’activisme violent pour désigner des actions portant atteinte aux biens ou aux infrastructures peut être perçu par certains comme une simple stratégie politique et opportuniste de délégitimation de leurs auteurs par les pouvoirs publics.  

***

Ainsi, se targuant parfois d’avoir le droit de leur côté, et quand ils ne l’ont pas, d’être plus légitimes que celui-ci, les activistes violents, in fine, ont toujours raison.

Pour autant, vos rapporteurs rappellent les limites d’une telle approche. D’une part, les frontières du légitime et de l’illégitime sont subjectives. Il n’est pas acceptable que chacun construise, en marge du droit et du contrat social, son corpus sur-mesure de règles au nom d’une conception personnelle de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. D’autre part, l’exercice par des activistes violents de ce qu’ils considèrent comme leurs droits légitimes, notamment de leur liberté d’expression et de manifestation, est fréquemment, en réalité, de nature à empiéter sur les droits et libertés de l’ensemble des citoyens.


C.   Des impacts trop souvent minimisés

1.   Quand l’activisme violent porte atteinte aux droits et libertés

L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) rappelle que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».

Or, si les activistes violents revendiquent de faire simplement usage des droits et libertés que sont la liberté de manifestation ou la liberté d’expression, leurs agissements peuvent être à l’origine d’une remise en cause des droits et libertés constitutionnels des personnes visées ou même de l’ensemble des citoyens.

Les atteintes aux biens et les actions de type entraves et blocages remettent plus spécifiquement en cause d’autres droits garantis au niveau constitutionnel et conventionnel :

– le droit de propriété, garanti par l’article 17 de la DDHC, mais contesté dans son principe même par certains activistes, en particulier dans le contexte des zones à défendre (ZAD) ;

– l’inviolabilité du domicile, composante du droit au respect de la vie privée dont la valeur constitutionnelle a été progressivement reconnue par le Conseil constitutionnel et qui est notamment garanti par l’article 2 de la DDHC ([35]) ;

– la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la DDHC ;

– la continuité du service public, principe à valeur constitutionnelle ([36]).

De façon moins intuitive, l’activisme violent porte aussi atteinte à d’autres principes, au détriment du corps citoyen dans son ensemble.

L’article 3 de la Constitution prévoit en effet que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. » Il rappelle le principe de l’égalité du suffrage. L’article 6 de la DDHC proclame que la loi est « l’expression de la volonté générale » et qu’elle « doit être la même pour tous ». Ces principes sont mis à mal par le recours à la violence d’activistes faisant prévaloir la volonté d’un groupe particulier sur la loi commune.

Qu’il prétende explicitement faire fi de la volonté générale telle qu’exprimée dans les urnes, ou qu’il considère incarner cette volonté générale plus que les normes élaborées par les élus désignés par l’ensemble des citoyens, l’activisme violent met à mal l’ensemble de ces principes lorsque qu’il cherche à faire plier les dirigeants politiques.

2.   La question des atteintes aux biens

Les travaux de vos rapporteurs ont mis en évidence une appréciation différente, selon les intervenants, des atteintes aux biens, des actions de blocage et plus généralement des dommages matériels. Il n’existe en effet pas d’unanimité quant au caractère « violent » de ces phénomènes, qui sont, selon les interlocuteurs et les sensibilités, perçus comme des avatars de l’activisme violent ou comme des actes légitimes de désobéissance civile.

Une certaine approche tolère les atteintes aux biens et les blocages comme relevant de la désobéissance civile. Ainsi, Mme Kim Reuflet, du Syndicat national de la magistrature, rappelle que les violences aux personnes et les violences aux biens « ne doivent pas être amalgamées » et réfute l’idée d’un « continuum » entre ces deux types de violences. De fait, en droit pénal français, les atteintes aux biens ne sont pas considérées comme des « violences ».

L’atteinte aux biens permet aux associations de désobéissance non violente de mener certaines de leurs activités et peut parfois être considérée comme le prix à payer pour que la liberté d’expression soit garantie. Telle est l’analyse qui semble, sous certaines réserves, prévaloir parmi les juges, français comme européens. 

La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle ainsi la liberté de choisir de s’exprimer « en utilisant des moyens d’expression non verbaux et symboliques », quand bien même cela impliquerait une dégradation des biens ([37]) .

En admettant à plusieurs reprises que « l’incrimination d’un comportement constitutif d’une infraction pénale peut, dans certaines circonstances, constituer une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause » ([38]), la Cour de cassation a quant à elle estimé que la liberté d’expression devait être entendue de façon large : elle ne concerne pas seulement les discours ou les publications, mais également d’autres modes d’expression.

Saisi en référé-liberté par plusieurs associations contre le décret du 21 juin 2023 portant dissolution des Soulèvements de la Terre, le Conseil d’État n’a pas été insensible à ce type d’arguments ([39]). Il rappelle que « les actions promues par les Soulèvements de la Terre ayant conduit à des atteintes à des biens se sont inscrites dans les prises de position de ce collectif en faveur d’initiatives de désobéissance civile et de " désarmement " de dispositifs portant atteinte à l’environnement, dont il revendique le caractère symbolique, et ont été en nombre limité » avant de faire droit au moyen tiré de ce que les actions reprochées au collectif ne peuvent pas être qualifiées de provocation à des agissements troublant gravement l’ordre public « eu égard au caractère circonscrit, à la nature et à l’importance des dommages résultant de ces atteintes ».

La révolte des procureurs britanniques

La récente prise de position d’une partie des procureurs britanniques s’inscrit dans la même approche.

En mars 2023, dans une « Déclaration de conscience », plus de 120 procureurs britanniques se sont ainsi engagés à « refuser leurs services », c’est-à-dire ne pas exercer de poursuites, dans le cas des « activistes du climat exerçant leur droit démocratique de protestation non violente » ([40]).

Enfin, les observations du comité des Droits de l’Homme de l’ONU sur le droit de réunion pacifique prévu à l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, telles que rappelées par le rapporteur spécial sur la situation des défenseurs de l’environnement Michel Forst, vont également dans le sens d’une minimisation de la gravité des atteintes aux biens. En effet, « les seuls faits de pousser et bousculer ou de perturber la circulation des véhicules ou des piétons ou les activités quotidiennes ne constituent pas de la « violence » au sens de cet article, seuls pouvant être qualifiées de tels « l’utilisation contre autrui par les participants d’une force physique susceptible d’entraîner des blessures ou la mort, ou de causer des dommages graves aux biens ».

Il convient de souligner que cette interprétation, comme les éléments de jurisprudence précédemment cités, n’exonèrent pas totalement les atteintes aux biens, le critère étant celui de la « gravité » ou de « l’importance » des dommages.

Contre l’idée que l’activisme qui s’en prend aux biens n’est qu’une nouvelle forme de désobéissance civile, plusieurs points de divergence entre ces deux formes d’action peuvent être soulignés.

Il convient avant tout de relever l’évolution du profil des activistes ([41]). Le caractère assumé des infractions, y compris devant les tribunaux, est une composante essentielle de la désobéissance civile, qui y voit un moyen d’attirer l’attention du public sur la cause défendue. Pourtant, aujourd’hui, une partie des activistes fait du refus d’identification une partie intégrante de sa stratégie. Plusieurs personnes auditionnées ont ainsi évoqué la difficulté à interpeller ou à identifier les auteurs d’infractions : cachés derrière des masques, des vêtements noirs, ou encore fondus dans la foule, les activistes sont parfois peu disposés à être interpellés ([42]). Une fois la phase judiciaire entamée, ils ont tendance à contester devant les tribunaux la matérialité des faits qui lui est reprochée, pratique opposée à celle des anciens faucheurs d’OGM par exemple.

Cette évolution pourrait être due au rôle des médias et des réseaux sociaux, qui offrent une visibilité et une résonance suffisante aux causes défendues.

L’infiltration de causes environnementales par des activistes violents, voir l’utilisation de ces causes comme prétexte à des actions de violences et de destructions comme ce fut le cas à Sainte-Soline ([43]), rend difficile la distinction entre acteurs sincères de la désobéissance civile et activistes violents déterminés.

Par ailleurs, les atteintes aux biens sont toujours susceptibles d’entraîner des atteintes aux personnes. Au cours de son audition, M. Alexandre Touzet, représentant l’Association des maires de France ([44]) évoquait ainsi le « risque d’un continuum » :

– les blocages de routes peuvent créer des dommages collatéraux (personnes en situation d’urgence médicale retardées dans leur trajet vers les urgences) ;

– les dégradations de biens ou de bâtiments peuvent causer des affrontements physiques entre le propriétaire et les auteurs de l’infraction ;

– une action tournée contre des biens peut avoir des conséquences non maîtrisées : à titre d’exemple, le 22 mars 2023, le domicile du maire de Saint-Brévin-les-Pins a été visé par un incendie, alors que l’élu dormait chez lui avec son épouse ; en juillet, le domicile du maire de l’Hay-les-Roses a été visé par une voiture bélier, qui a déclenché un incendie.

Enfin, au cours de leurs échanges avec vos rapporteurs, les représentants des artisans et commerçants nantais ont fait part de leur « désarroi » face aux destructions de commerces intervenues fréquemment en marge des activités de Notre-Dame-des-Landes, des manifestations des Gilets jaunes ou encore des manifestations contre les retraites. Ils ont insisté sur les conséquences économiques, mais aussi personnelles de ces agissements.

Parmi les premières, ont été évoquées la baisse significative de chiffre d’affaires des commerces et lieux de restauration du centre-ville les jours de manifestations ([45]), la perte d’attractivité de ces commerces pour les salariés et plus généralement de la ville pour les touristes, la hausse des primes d’assurances sur le modèle des malus automobiles infligés aux conducteurs, voir les refus d’assurance dans le cas de dommages répétés. Parmi les conséquences personnelles, ne doit pas être occulté le fait qu’un commerce (ou une exploitation agricole) détruits représente parfois des années de travail, d’investissement… et d’endettement.

***

Vos rapporteurs rappellent que les actions dirigées vers les seuls biens et celles dirigées directement contre les personnes ne sauraient, naturellement, être assimilées.

Toutefois, pour les raisons exposées ci-dessus, votre rapporteur Éric Poulliat appelle à ne pas sous-estimer la gravité des atteintes aux biens, qui ne sauraient être considérées comme de simples dommages matériels et constituent bel et bien une forme de violence.

Votre rapporteur Jérémie Iordanoff juge nécessaire de rappeler au contraire que les atteintes légères aux biens, les blocages et les intrusions ne relèvent pas de l’activisme violent au sens du droit international dont le respect s’impose à la France. Une distinction nette doit donc être opérée entre la violence contre les personnes et les dégradations. À ce titre, il estime que leur traitement identique en droit français est inconventionnel et constitue une criminalisation inacceptable de l’activisme non-violent, marque d’une société répressive.


II.   Les acteurs : l’appréhension d’un phénomène protéiforme et évolutif

L’activisme violent recouvre une pluralité de comportements, d’actions, de revendications et, in fine, de réalités. Vos rapporteurs préfèrent donc parler d’activismes violents, au pluriel, afin d’insister sur la nature par essence protéiforme de ce phénomène. Le singulier paraît en effet trop réducteur, et risque d’uniformiser l’appréhension, par la société et les pouvoirs publics, d’acteurs différents.

La typologie des activismes violents, à laquelle les développements qui suivent essaieront de se livrer, s’appuie à titre principal sur les travaux incontournables conduits sous l’égide de Mme Isabelle Sommier et sur le programme de recherche « Vioramil » (Violences et radicalités militantes en France des années 1980 à nos jours) ([46]).

Ces travaux de recherche d’une ampleur colossale ont permis de dresser un panorama évolutif des activismes violents depuis 1986 ([47]), recensant les actes violents, leurs modes opératoires et, surtout, leurs auteurs, classés dans cinq « familles » selon une typologie reprise par vos rapporteurs :

– les séparatistes ;

– les religieux ;

– les professionnels ;

– les idéologistes ;

– les sociétaux.

A.   Les cinq familles d’activismes violents

Les activistes violents peuvent être regroupés en cinq familles, dont les principales caractéristiques sont ici présentées.

1.   Les séparatistes

Les activistes violents relevant de la famille séparatiste recouvrent essentiellement les mouvements séparatistes corses, basques et bretons.

a.   L’action des séparatistes

● Les séparatistes sont les activistes les plus violents sur la période 1985-2017, représentant 2 845 épisodes violents sur un total de 5 529, selon la répartition figurant dans le tableau ci-dessous.

Nombre d’épisodes de violences séparatistes

(étude Vioramil)

Corses

Bretons

Basques

Total

2 621

160

64

2 845

Source : Violences politiques en France, op. cit.

● Il s’agit par ailleurs, terrorisme islamiste exclu, de la famille d’activistes la plus meurtrière : depuis 1975, 92 morts violentes et assassinats leur ont été imputés :

– 2 concernent les Bretons ;

– 10 concernent les Basques ;

– l’écrasante majorité, soit 80 décès, sont rattachés aux Corses ([48]).

Notons cependant que la nature des victimes de ces morts violentes varie en fonction des séparatistes considérés, montrant une différence de logique et d’approche entre les groupes ([49]) :

– les victimes des actions des séparatistes basques sont, majoritairement, des membres des forces de l’ordre (60 %) ;

– en revanche, les forces de l’ordre ne représentent « que » 13 % des 80 décès imputables aux séparatistes corses, la plus grande part des victimes étant constituée par d’autres nationalistes corses (44 %), et cette part s’est accrue depuis les années 1990 (de l’ordre de 75 %), témoignant de décès principalement dus à des règlements de compte entre mouvements séparatistes.

Par ailleurs, le nombre de morts violentes rapporté au total des épisodes violents corrobore le constat selon lequel la violence séparatiste est, somme toute, peu mortifère, consistant essentiellement – à 90 % – en des actes contre les biens, tels que des attentats à l’explosif, des incendies volontaires ou des dégradations. En Corse, parmi les cibles matérielles de ces actions, la majorité est constituée de villas et de résidences (près de 40 %) et de commerces et hôtels (près d’un quart). Les forces de l’ordre, pourtant symboles de l’« État colonial » dénoncé par ces mouvements, ne représentent que 9 % des cibles matérielles visées par les séparatistes corses.

Cette violence contre les biens, en particulier pour les séparatistes corses, est spectacularisée : les actions ont généralement lieu la nuit, après avoir prévenu les occupants et voisins pour limiter au maximum les dégâts collatéraux et les risques d’atteintes aux personnes. Les revendications obéissent également à une forme de décorum, à travers des vidéos filmées la nuit d’individus cagoulés devant le drapeau corse.

b.   Les violences séparatistes : un déclin à relativiser ?

● Aujourd’hui, les activismes violents séparatistes sont moins actifs qu’auparavant :

– s’agissant des Basques, les épisodes violents constatés pendant la période 1986-2017 se concentrent essentiellement à la fin des années 1980 et au début des années 1990, avec une légère résurgence en 2000 et 2001 ;

– les séparatistes corses ont, quant à eux, commis des épisodes violents principalement entre 1989 et la fin des années 1990 – avec notamment l’assassinat du préfet Claude Érignac le 6 février 1998 – et durant la décennie 2000, avec un pic en 2004.

Cette relative accalmie s’explique par différents facteurs, parmi lesquels l’amélioration des techniques d’enquête des forces de l’ordre et une perte de soutien populaire dans l’opinion. S’ajoute à ces éléments, pour les séparatistes corses, l’arrivée au pouvoir dans les institutions régionales de l’île de formations politiques nationalistes en 2015 ([50]).

● Accalmie ne signifie pas pour autant absence de recours à la violence. Ainsi, le Front de libération nationale corse (FLNC) a revendiqué plusieurs attentats durant l’été 2023, et une « nuit bleue » dans la nuit du 8 au 9 octobre 2023 en ciblant une vingtaine d’habitations.

Le Front de libération de la Bretagne (FLB), quant à lui, a revendiqué plusieurs incendies et sabotages à la même période. Il n’est cependant pas évident de savoir si ces actions, en particulier celles du FLB, sont le fruit d’une organisation structurée ou d’individus isolés.

2.   Les religieux : l’activisme violent confessionnel

Rappelons, ainsi qu’il a été vu, que les travaux de la mission d’information ne portent pas sur le terrorisme islamiste. La famille des religieux, dans la typologie proposée par Mme Sommier et ses collègues, inclut les actions terroristes islamistes, mais celles-ci ne seront pas étudiées ici.

a.   Les ressorts de l’activisme religieux

Si les violences djihadistes obéissent à une logique de « terrorisation », celles commises par les activistes extrémistes juifs et chrétiens sont commises en réaction, « répondant ou s’opposant à des faits dont elles voudraient annuler les effets » ([51]). Les catholiques intégristes et les juifs extrémistes sont, respectivement, à l’origine de 186 et de 50 épisodes de violences depuis 1986. Les islamistes et djihadistes, quant à eux, sont responsables de 131 épisodes de violences sur la période considérée.

S’agissant des catholiques intégristes, le mode d’action privilégié est celui de l’obstruction et, dans une moindre mesure, de dégradations – il est ici permis de songer en particulier aux actions ciblant l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et les centres de planning familial. Ces modes d’action sont cohérents avec la finalité poursuivie, qui est de réagir à des évolutions sociétales remettant en cause des normes soutenues par les catholiques, autour de trois axes principaux : le blasphème, l’IVG et le mariage entre personnes de même sexe.

Ces violences de réaction, situées sur le terrain socio-culturel, se distinguent de celles commises par les extrémistes juifs, qui revêtent une dimension plus politique et sont étroitement liées au contexte international du moment – au regard de la situation entre Israël et les mouvements palestiniens –, mais aussi au contexte politique national, avec des actions contre l’extrême droite dans les années 1980 et 1990 (plus particulièrement contre le Front national et le GUD ([52])), à l’initiative de l’Organisation juive de combat et du Betar.

b.   Une violence cyclique en réaction à certains événements

L’étude n’incluant pas les violences djihadistes et ne portant que sur les extrémistes catholiques et juifs, ces développements ne concernent naturellement pas les violences extrêmes commises lors des récents attentats islamistes que la France a connus depuis 2015, et qui ont récemment à nouveau endeuillé notre pays le 13 octobre 2023 avec l’assassinat de Dominique Bernard à Arras.

La temporalité des violences de ces activismes est semblable : une fréquence élevée à la fin des années 1980 et/ou dans les années 1990, une phase d’atonie durant les années 2000, avant un regain dans les années 2010, sans commune mesure toutefois avec le pic des années 1980-1990.

● Les extrémistes juifs, ainsi qu’il a été vu, ont tendance à répercuter « en France l’actualité du conflit israélo-palestinien » ([53]), expliquant la chronologie des violences : première Intifada entre 1987 et 1993, seconde intifada entre 2000 et 2005 et guerres de Gaza en 2008-2009, 2012 et 2014. Depuis le début des années 2000, l’organisation la plus active est la Ligue de défense juive.

Les tragiques développements récents, à la suite des attaques terroristes perpétrées en Israël par le Hamas à partir du 7 octobre 2023, pourraient conduire à un nouveau cycle de violences activistes ; vos rapporteurs ne se livreront toutefois pas à d’hasardeuses conjectures.

● Pour les activistes violents catholiques, la première phase, marquée par un nombre élevé d’événements violents, résulte de réactions à la diffusion d’œuvres jugées blasphématoires – aboutissant à l’incendie de cinémas – et de mobilisations anti-IVG. La résurgence des faits de violences à partir des années 2010 est le fruit, là aussi, de réactions contre des œuvres perçues comme des blasphèmes, et contre le mariage entre personnes de même sexe.

Les actes contre l’IVG et les centres de planning familial ont par le passé été le fait de « commandos anti-IVG », notamment de l’association SOS Tout-Petits de Xavier Dor dans les années 1990. Mais ces actes d’opposition à l’IVG demeurent une réalité, comme en témoignent les actions du collectif « Les survivants », qui a vandalisé des vélos en libre-service à Paris et Lyon au printemps 2023, ou encore les attaques commises contre des centres de planning familial, comme celles visant celui de Gironde en février 2023. Le contexte international de remise en cause, dans plusieurs pays occidentaux, du droit des femmes à l’avortement, est de nature à encourager les activistes extrémistes et à alimenter les actions violentes en France.

Notons enfin, s’agissant des activistes violents catholiques, une proximité avec la nébuleuse d’extrême-droite et d’ultra-droite, comme en témoigne l’association Civitas, qui appelait à entrer en « guerre » contre la République afin de rétablir une monarchie et a fait l’objet d’une dissolution le 4 octobre 2023 ([54]).

Un constat similaire peut être dressé chez nos voisins belges avec l’opposition au projet Evras (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), guide destiné aux professionnels intervenant dans les écoles pour aider les enfants à devenir des adultes épanouis à travers des informations adaptées à leur âge. Ce projet a nourri une forte opposition, appuyée sur une campagne de désinformation, à l’origine de laquelle se trouvent des activistes religieux, musulmans comme catholiques radicaux, mais aussi des réactionnaires, notamment transphobes. Cette convergence des mouvances activistes a également atteint la France, puisqu’une pétition en ligne pour empêcher le projet et signée par 17 000 personnes a été adressée à Gabriel Attal, ministre de l’éducation nationale – elle a depuis été corrigée pour s’adresser à son homologue belge.

La frontière peut donc être ténue entre les différentes grandes familles d’activismes violents, l’ultra-droite pouvant réunir des activistes religieux, mais aussi des mouvances qui pourraient relever des « sociétaux », dont l’essor récent est évident, ces différentes mouvances pouvant aussi, sans se confondre, s’associer dans certaines actions (cf. infra).

3.   Les professionnels : les conflits dans le cadre du travail

a.   L’activisme violent des professionnels

Les actions violentes constatées dans le cadre professionnel représentent environ un dixième du total des événements constatés (10,7 %) ; elles semblent plus relever du dérapage que d’une stratégie délibérée de la part des syndicats.

Plus généralement, ces violences peuvent être qualifiées de « faible intensité », concernant essentiellement des atteintes aux biens (destructions et dégradations) et des obstructions.

Doivent également être mentionnées les séquestrations, en particulier de cadres dirigeants, qui revêtent une dimension symbolique forte sans traduire pour autant une radicalisation des luttes. Les organisations militantes agricoles et viticoles s’écartent de cette apparente maîtrise de la tension et de la violence, notamment à travers les actions du Comité régional d’action viticole du Languedoc (CRAV), qui a eu un recours plus assumé à la violence, tout en privilégiant là aussi les atteintes aux biens plutôt qu’aux personnes.

b.   La pacification globale des violences professionnelles

Les violences dans le cadre des conflits professionnels sont globalement en déclin, même si elles peuvent ressurgir en fonction du contexte politique et social, à l’occasion de grands mouvements de grèves et de mobilisations – telles que celles de 2016 et, plus récentes, contre les réformes des retraites en 2019-2020 et en 2023. Comme le relèvent les travaux dirigés par Isabelle Sommier, « la diminution des violences n’est pas contestable » ([55]) : « la pacification des formes d’expression de la conflictualité au travail constitue une tendance lourde en France » ([56]).

Cette pacification peut d’ailleurs expliquer l’émotion et la très forte médiatisation des violences résurgentes, ce mode d’action se faisant plus rare.

Notons toutefois que les récents mouvements sociaux constatés à l’occasion de la réforme des retraites, en 2023, ont conduit certaines structures syndicales à des actions radicales susceptibles d’être qualifiées de violentes – notamment des coupures de courant relativement massives, touchant des milliers de personnes et des structures publiques, tels que des hôpitaux – sans que ces derniers ne soient, toutefois, la cible initialement visée. Pour vos rapporteurs, ce mode d’action n’est pas plus acceptable que les violences directes contre les personnes et les biens, car il est de nature à mettre en danger la sécurité des citoyens.

Enfin, vos rapporteurs ont été informés d’actions violentes de la part de membres de syndicats agricoles et dirigées contre des militants environnementaux, en particulier France Nature Environnement (FNE) : le domicile du directeur départemental de FNE 17, en Charente-Maritime, a ainsi été attaqué, tandis que plusieurs militants ont constaté que les écrous des roues de leurs véhicules avaient été dévissés, action de nature à mettre en danger la vie des personnes dans ces véhicules.

4.   Les idéologistes : ultra-droite et ultra-gauche

La famille des idéologistes représente l’une des plus importantes catégories d’activistes violents, et se scinde essentiellement entre ultra-droite et ultra-gauche.

a.   L’ultra-droite contre les personnes, l’ultra-gauche contre les biens

● La notion d’ultra-droite apparaît au milieu des années 1990, quand la réforme des renseignements généraux leur interdit d’enquêter sur les partis politiques : cette notion, en séparant les activistes et les potentiels terroristes de l’extrême droite légaliste et électoraliste, a permis aux services de renseignement de poursuivre leur activité de surveillance. La même logique a conduit à l’adoption du terme d’ultra-gauche : comme l’indique la DGSI sur son site internet, ce service « ne s’intéresse pas à l’extrême droite et l’extrême gauche, qui sont des courants politiques sur le suivi desquels les services de renseignement n’ont aucune compétence. » ([57])

Ces deux notions « ultra » permettent donc de distinguer les organisations politiques électoralistes des groupes activistes présentant une menace pour l’ordre public et se livrant à des actions violentes, contre les personnes ou les biens.

● Pris dans leur ensemble, les activistes violents de cette famille sont à l’origine d’un quart des événements violents, mais occupent une place importante dans certaines typologies de ces événements, en particulier les atteintes aux personnes. Leur sont en effet imputables :

– deux tiers des agressions (67,2 %) ;

– près des deux tiers des affrontements (60,3 %) ([58]).

D’un point de vue général, les activistes d’ultra-gauche et d’ultra-droite, en plus, naturellement, de ne pas se confondre dans leurs objectifs, se distinguent également dans leurs modes d’action.

À grands traits, l’ultra-droite se situe dans le registre de l’agression contre les personnes, tandis que l’ultra-gauche est dans celui de l’affrontement et des attaques contre les biens. La première pose ainsi un problème de sécurité individuelle, la seconde de désordre collectif ([59]).

b.   Des mouvances éclatées et plurielles

Il serait en revanche erroné de voir dans chacune de ces deux mouvances que sont l’ultra-droite et l’ultra-gauche un ensemble idéologique unique et cohérent : elles se décomposent en une série de sous-familles

● Historiquement, l’ultra-droite (et, avant elle, l’extrême droite avant ses aspirations électorales) se caractérise en France par sa fragmentation : le régime de Vichy, autoritaire et d’extrême droite, comptait 88 partis, illustrant l’absence de référentiel commun à l’extrême droite ([60]).

Au sein de l’ultra-droite, peuvent être comptés les skinheads et néo-nazis, les altérophobes, les réactionnaires, les néo-fascistes, ou encore les groupes armés – et, plus récemment, les accélérationnistes (cf. infra, B, 1, f). La typologie utilisée par les services de renseignement identifie quant à elle les identitaires, les néo-fascistes, les royalistes et les accélérationnistes.

Si, à l’origine, les motivations fascistes et anticommunistes étaient prépondérantes, depuis 1981 et l’arrivée au pouvoir d’un président et d’une majorité parlementaire de gauche, les altérophobes ont pris le dessus.

● Du côté de l’ultra-gauche, l’éclatement idéologique est également constaté : on y trouve les anarchistes, les antifascistes – dont les actions sont essentiellement dirigées contre l’extrême droite et l’ultra-droite – ou encore les autonomes ([61]).

Sur le temps long toutefois, l’ultra-gauche n’a parfois pas hésité à recourir aux attaques contre les personnes, comme en témoignent les assassinats commis par le groupe Action directe dans les années 1980. Cependant, la majorité des actions conduites, plus encore ces dernières années, portent sur les biens ou, s’agissant des personnes, des affrontements contre les forces de l’ordre – ou contre des activistes de l’ultra-droite.

● Eu égard à la prévalence de ces familles dans les activismes violents constatés aujourd’hui, les éléments relatifs à leur évolution et leurs principales caractéristiques actuelles sont présentées dans les développements suivants (cf. infra, B).

c.   Une internationalisation à portée variable

Si les deux sous-familles des idéologistes connaissent une forme d’internationalisation de leur action, celle-ci est différente selon la mouvance étudiée.

● Pour l’ultra-droite, cette internationalisation relève surtout des échanges de doctrines et d’idées entre les groupes d’ultra-droite de différents pays, par les efforts de traduction des publications qui permettent un essaimage en France de positions venues de l’étranger, et notamment des États-Unis ou d’Allemagne.

Néanmoins, ces liens internationaux des idées ne se traduisent pas, concrètement, par des liens opérationnels entre les différents groupes de plusieurs pays – à la différence de ce que l’on peut constater pour l’ultra-gauche.

La connaissance des actions d’un groupe donné dans un pays peut, à travers une forme de surenchère, aboutir à ce que d’autres violences et attentats soient commis dans d’autres pays, mais les mobilisations demeurent essentiellement nationales. Les activistes violents étrangers de l’ultra-droite peuvent donc servir de source d’inspiration, d’émulation, mais ne seront pas – ou rarement – des complices matériels ou des coauteurs.

● En revanche, les membres de l’ultra-gauche sont non seulement en contact avec leurs homologues étrangers pour échanger et diffuser les idées, mais les rencontrent, organisant des événements communs et participant à des violences ensemble.

À cet égard, ce qui s’est produit à Sainte-Soline en mars 2023 offre une bonne illustration de cette « internationale de l’ultra-gauche » (cf. infra, 2, c).

5.   Les sociétaux : nouveaux mouvements sociaux, environnementalistes violents et animalistes

● D’émergence plus récente que les autres familles, les « sociétaux » s’illustrent par leur variété et leur dynamisme ; une grande part leur sera accordée dans les développements dédiés à la situation actuelle des activismes violents (cf. infra, B, 2), les passages qui suivent n’ayant vocation qu’à les présenter à grands traits.

Les activismes sociétaux sont apparus après 1968, dans le cadre de l’émergence des « nouveaux mouvements sociaux » (NMS) ([62]) dont les revendications étaient centrées sur l’identité des personnes et la réalisation de soi, ainsi que sur la défense d’un cadre de vie spécifique. Relèvent ainsi de cette famille les mouvements féministes et LGBTQI+, mais aussi les environnementalistes violents et, plus récemment, les animalistes.

Ces mouvements ont des membres qui, généralement, sont issus de la classe moyenne supérieure, et comptent beaucoup de jeunes et de femmes ; ils constituent des « minorités actives » ([63]), à même de conduire à des changements sociétaux tangibles, et revêtent une dimension transnationale, nouant en particulier des liens avec les activistes anglo-saxons.

Le principal ressort d’action de ces mouvements, en termes de violences, réside dans l’atteinte aux biens, environ 80 % des épisodes qui leur sont imputables consistant en des dégradations ou des destructions.

● L’étude faite sur le fondement des données Vioramil identifie quatre mouvances principales se livrant à des violences dans la famille des sociétaux :

– les écologistes – terme auxquels vos rapporteurs préfèrent celui d’environnementalistes violents ;

– les animalistes ;

– les antinucléaires ;

– les anti-OGM ([64]).

Si les deux dernières mouvances peuvent être rattachées à la première, elles s’en distinguent par leurs modes d’actions : les anti-OGM et, dans une moindre mesure, les antinucléaires, se livrent plus que les autres à des destructions, tandis que les environnementalistes violents stricto sensu, quant à eux, c’est-à-dire entendus comme sous-famille des sociétaux, outre les atteintes aux biens, se caractérisent par une recherche plus fréquente de l’affrontement – fait qui peut trouver une explication dans la porosité entre cette mouvance et l’ultra-gauche (cf. infra, B, 2).

Rappelons s’il en était besoin que les environnementalistes violents ne sauraient, à l’évidence, représenter l’ensemble du mouvement écologiste : l’écrasante majorité de ce dernier est constituée de militants pacifiques qui ne recourent pas à la violence comme mode d’action et, souvent, la condamnent.

Le tableau suivant dresse la synthèse des modes d’action des sociétaux.

Modes d’action des sociétaux : la prééminence des atteintes aux biens

Action

Environnementalistes violents

Anti-OGM

Antinucléaires

Animalistes

 

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Dégradation

42

40,7 %

15

19,5 %

13

40,6 %

88

69,8 %

Destruction

20

19,4 %

60

77,9 %

9

28,1 %

29

23,0 %

Obstruction

8

7,7 %

0

0,0 %

2

6,2 %

3

2,4 %

Affrontement

28

27,2 %

2

2,6 %

6

18,75 %

3

2,4 %

Agression

1

0,0 %

0

0,0 %

0

0,0 %

1

0,8 %

Attentat

3

1,0 %

0

0,0 %

2

6,2 %

1

1,0 %

Total des faits

103

100,0 %

77

100,0 %

32

100,0 %

126

100,0 %

Source : Violences politiques en France, op. cit., page 140.

● Parallèlement à des actions « ponctuelles », effectuées dans le cadre d’un rassemblement ou d’événements dont la dimension médiatique est assumée, le mode opératoire des activistes sociétaux s’appuie aussi sur des actions à plus long terme. Les « zones à défendre » (ZAD) illustrent ce phénomène.

Les ZAD consistent en une occupation illégale d’un terrain ou d’une zone afin de s’opposer à une politique publique donnée, généralement un projet d’infrastructure. Si, comme toute action militante, elle n’est pas nécessairement violente et réunit de nombreuses personnes pacifiques, l’illégalité de l’action, et l’atteinte aux droits et libertés susceptible d’en résulter, peuvent être vues comme une forme de violence, selon le rapporteur Poulliat, le rapporteur Iordanoff ne partageant pas cette analyse.

Par ailleurs, les zadistes ne répondent pas tous au profil du militant pacifique : les éléments les plus radicaux ont recours à la violence, qui est aussi le fait de personnes extérieures, comme en témoigne l’étude du politologue Eddy Fougier réalisée en 2016 ([65]). Enfin, la violence est aussi utilisée à l’encontre des forces de l’ordre envoyées pour disperser et évacuer les ZAD.

B.   les principales menaces aujourd’hui : les « ultra » et les sociétaux

Si, ainsi qu’il a été vu, chacune des familles d’activistes recourt à la violence, certaines sont moins actives et prégnantes que d’autres, et ne semblent pas, à l’heure actuelle et à l’aune des informations fournies à vos rapporteurs, constituer la principale source de menace et de risque pour la société.

Les développements suivants s’attacheront donc à aborder les principaux éléments dangereux constatés aujourd’hui, à savoir l’ultra-droite, d’une part, l’ultra‑gauche et les sociétaux, de l’autre, qui apparaissent aujourd’hui comme les mouvements d’activistes violents les plus dynamiques et problématiques.

1.   L’accroissement du risque lié à l’ultra-droite

À l’heure actuelle, les services de renseignements estiment le nombre de personnes relevant de l’ultra-droite à 3 300 environ, parmi lesquels 1 300 violents  « fichés S »  et 2 000 personnes faisant office de « caisse de résonance ». Si ce nombre est bien inférieur à celui connu lors de la guerre d’Algérie, avec environ 7 000 membres, il demeure élevé – et supérieur à celui constaté par le passé, autour de 2 500 jusqu’aux années 2000 ([66]) .

a.   Les facteurs de risque

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer le risque accru que l’ultra-droite représente depuis déjà plusieurs années, et sa prise en compte renforcée par les services de renseignements.

● En premier lieu, le contexte international et terroriste depuis la période 2014-2015, à travers la vague d’attentats djihadistes et la crise migratoire connue par l’Europe, a alimenté l’idée selon laquelle les pouvoirs publics, l’État, n’étaient pas à la hauteur des défis – et de la menace, perçue comme telle par ces activistes.

Cette menace s’inscrit d’ailleurs dans une forme d’« internationalisation de la lutte » par une diffusion massive d’idées et de doctrines issues principalement du monde anglo-saxon, en particulier des États-Unis, permises par les réseaux sociaux et les médias idéologiques en ligne.

● La période de pandémie et les confinements qu’elle a entraînés ont poussé certaines personnes à se rapprocher de thèses conspirationnistes et d’idéologies à même d’apporter des réponses aux craintes et inquiétudes qu’elles nourrissaient – ces thèses ayant souvent une coloration antisémite plus ou moins prononcée.

● Plus récemment, les mouvements sociaux liés à la réforme des retraites et les débordements qu’ils ont pu connaître ont soudé l’ultra-gauche, conduisant à une réaction de la part de l’ultra-droite – selon une logique déjà ancienne et bien connue que les deux mouvances peuvent se nourrir mutuellement par un mécanisme d’action-réaction.

● Enfin, il ne faut pas négliger l’impact des campagnes électorales auxquelles participent des candidats d’extrême droite sur les violences de l’ultra‑droite. Ainsi, lors de la dernière campagne présidentielle, un regain de violences a été observé, comme l’a signalé à vos rapporteurs M. Erwan Lecoeur.

L’explication de cet essor réside dans la perspective d’une possible victoire des idées portées ou soutenues par les activistes d’ultra-droite. Cette perspective les conduit à penser qu’ils ne seront pas inquiétés pour leurs actions, une fois l’extrême droite au pouvoir, et alimente la violence afin de peser sur la future ligne politique. La relative complaisance de formations politiques d’extrême droite à l’égard de groupes violents et l’effet de celle-ci sur le comportement de ces groupes ont d’ailleurs été signalés à vos rapporteurs par le professeur Marc Lazar lors de son audition.

Une telle situation illustre au demeurant que, si les liens organiques entre les formations politiques d’extrême droite et les groupuscules d’ultra-droite sont ténus, voire ont désormais disparu ([67]), la proximité idéologique, elle, demeure.

b.   Une nébuleuse mouvante de groupuscules mais de récents mouvements tendant à l’union

● Le renouvellement générationnel parmi les militants de l’ultra-droite, et les effets que les mesures de lutte contre les groupuscules d’extrême-droite ont pu avoir sur l’activisme, expliquent le paysage actuellement très éclaté et mouvant de l’ultra‑droite.

Ainsi, le GUD, successeur du groupe Occident après la dissolution de ce dernier, a lui-même connu une mise en sommeil et laissé place, dans les années 2010, à d’autres groupes, tels que les Zouaves Paris et le Bastion social à Lyon, structures par la suite dissoutes par les pouvoirs publics (respectivement en 2022 et en 2019) et auxquelles ont succédé plusieurs groupuscules – tels qu’Audace et Lyon populaire.

De la même manière, la dissolution en 2021 de Génération Identitaire a abouti à la création des Remparts, à Lyon, et à celle de l’association Argos.

Cet éclatement en différents groupes, de taille relativement modeste, est l’une des spécificités de l’ultra-droite française, réseau de groupuscules interconnectés. Ces groupes sont généralement bien structurés, ce que tend à favoriser la porosité de l’ultra-droite avec les aspects militaires et régaliens – du moins davantage que l’ultra-gauche.

● L’éclatement de l’ultra-droite ne doit toutefois pas laisser penser que cette famille est vouée à la division et ne peut se retrouver.

En 2012-2013, les manifestations organisées en opposition au projet de loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe ([68]) ont été un vecteur de mobilisations de différentes familles d’ultra-droite, des catholiques traditionalistes aux nationalistes et aux royalistes.

Plus récemment, les services de renseignements ont identifié des événements réunissant des activistes relevant de différentes mouvances de l’ultra‑droite, tels que le « Forum de l’implantation locale » organisé à Lyon le 11 mars 2023 associant identitaires, nationalistes, nationalistes catholiques, etc., ou encore le colloque d’hommage à Frédéric Mistral organisé par Tenesoun – héritier provençal du Bastion social après la dissolution de ce dernier en 2019.

De tels événements démontrent une densification des liens entre membres des mouvances de l’ultra-droite.

c.   L’altérophobie, marqueur persistant de l’ultra-droite actuelle

Si les actions violences des activistes d’ultra-droite, historiquement, reposaient sur l’antisémitisme et l’anti-communisme et étaient dirigées contre les Juifs et les militants de gauche, ses cibles se sont diversifiées sur la base d’un substrat identitaire et xénophobe – au demeurant relativement ancien, comme en témoignent les actions racistes dans les années 1970-1980 de groupes aux noms évocateurs tels que la Ligue anti-ratons ou les Templiers pour la dératisation ([69]).

● Ainsi, les violences sont désormais davantage dirigées contre les personnes d’origine immigrée, en particulier maghrébine, et plus généralement contre les musulmans.

L’immigration constitue le point focal des violences d’ultra-droite, conduisant à des dégradations et profanations de mosquées, à des attaques contre des infrastructures d’accueil de demandeurs d’asile – les événements de Saint-Brévin-les-Pins en témoignent – et à des agressions et attentats contre les personnes – peut ici être cité le groupe Action des forces opérationnelles (AFO), dont des membres ont projeté en 2018 de tuer des musulmans en injectant dans des produits halal du bromadiolone, produit pesticide et raticide.

● Est-ce à dire que l’ultra-droite violente n’est plus antisémite ? Si certaines références à l’antisémitisme ont pu disparaître, cela relève plus d’une manœuvre de communication que d’une évolution réelle de la pensée des activistes. Comme l’a indiqué Nicolas Lebourg lors de son audition, le « produit islamophobe » est plus « grand public » et susceptible d’attirer plus de personnes socialement intégrées, alors que l’antisémitisme n’attire qu’à la marge.

Ainsi, d’après M. Lebourg, AFO disposait de deux sites internet, l’un antisémite, et l’autre plus « grand public » centré sur le « Grand remplacement » et présenté comme pro-Israël.

L’antisémitisme n’a donc pas disparu à l’ultra-droite. Au contraire, la mouvance accélérationniste se caractérise par un fort courant négationniste, niant l’existence de la Shoah et considérant que les Juifs n’ont de cesse de vouloir éradiquer la prétendue race blanche. Il en va de même chez les complotistes et les conspirationnistes, au sein desquels les références au nazisme ne sont pas rares, tandis que le Protocole des sages de Sion continue de constituer une source de référence ([70]) – et que l’idée d’un complot juif pour dominer le monde demeure vivace (cf. infra, f).

● De même, l’ultra-droite n’a pas abandonné son combat historique contre la gauche, comme l’illustrent les exemples suivants :

– la mort du militant antifasciste Clément Méric, le 5 juin 2013, à la suite d’une rixe avec un groupe d’activistes d’ultra-droite – qui a conduit à la dissolution du groupuscule Troisième Voie, dont étaient issus les activistes impliqués, en juillet de la même année ;

– les affrontements entre groupes d’ultra-droite et d’ultra-gauche ne sont pas rares, notamment à Lyon où les deux mouvances sont vivaces ;

– les conversations rendues publiques tenues sur le groupe de discussion Telegram « FR Deter », si elles montrent une hostilité évidente contre la population d’origine immigrée et les musulmans, affichent une volonté assumée de s’en prendre à l’extrême gauche, et en particulier à des élus et responsables de La France Insoumise (LFI).

● Enfin, l’altérophobie de l’ultra-droite se traduit aussi contre les groupes LGBTQI+, comme l’illustrent les régulières agressions contre des personnes à raison de leur orientation sexuelle – notamment fréquentes pendant les Marches des fiertés.

L’ultra-droite à Lyon

En matière d’activisme violent, la ville de Lyon se singularise par une forte présence à la fois de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche, mais c’est la très forte implantation de la première qui caractérise principalement la capitale des Gaules.

● Plusieurs importants groupes d’ultra-droite ont en effet, ou ont eu, leurs sièges à Lyon, ou y sont fortement implantés. Peuvent ainsi être mentionnés :

– le Bastion social, issu du GUD, jusqu’à sa dissolution en 2019 ;

– Génération Identitaire, avant sa dissolution en 2021 ;

– Les remparts de Lyon, qui a succédé à Génération identitaire et qui a maintenu ouverts des lieux de rassemblements, tels que le bar La Traboule ou la salle de boxe Agogé (en référence à l’éducation des jeunes garçons dans la Sparte antique, illustrant des références à une Antiquité parfois fantasmée – cf. infrad) ; les membres de ce groupuscule se sont récemment illustrés par de nouvelles violences le 11 novembre 2023 ;

– le réseau Blood and Honour, de la mouvance néonazie, dissout en 2019.

Ces groupes sont essentiellement présents dans le Vieux Lyon, quartier qui, pour eux, symbolise l’histoire de la ville, et où se situent leurs lieux de rencontre, tels ceux déjà mentionnés.

Cette présence a été contestée par les habitants, qui se sont battus pour se réapproprier leur quartier et éviter qu’il soit assimilé à une terre d’ultra-droite, et qui ont permis de réduire le nombre de locaux de l’ultra-droite dans le Vieux Lyon. Cela ne s’est toutefois pas fait sans heurts, comme l’illustre l’attaque en 2017 contre la boutique de Philippe Carry, « l’horloger de Saint Paul » et militant actif contre l’ultra-droite lyonnaise que vos rapporteurs ont pu rencontrer lors de leur déplacement dans cette ville.

S’ajoute enfin, phénomène plus récent, la présence de complotistes prenant pour cibles les antennes 5G, mouvance qui est vue par les autorités de la région comme pouvant constituer une porte d’entrée vers les mouvances « ultra ».

● L’ultra-gauche, quant à elle, est plutôt présente dans le quartier de La Croix‑Rousse, avec la Jeune Garde, et dans les troisième et septième arrondissements, avec le Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE), d’après les informations fournies à vos rapporteurs.

La présence importante de l’ultra-droite et de l’ultra-gauche à Lyon aboutit à ce que les deux mouvances se nourrissent mutuellement dans la violence, la montée de l’ultra-gauche ayant fait réagir l’ultra-droite dans une forme de lutte pour savoir « qui tient la rue à Lyon », selon les mots recueillis par vos rapporteurs lors des entretiens qu’ils ont conduits.

d.   Quand la mise en valeur du collectif et la « pop culture » remplacent l’idéologie

Si les idéologies conspirationnistes ont pu apporter des réponses rassurant certaines personnes, notons que, de façon générale, l’ultra-droite se présente souvent, si ce n’est de plus en plus, comme pouvant accompagner les personnes en quête de réponses ou de sens, à travers une rhétorique et une présentation destinée à toucher le plus grand nombre, voire à attirer dans leurs filets des personnes qui, initialement, n’auraient pas spontanément rejoint cette mouvance.

● Ainsi, la mise en valeur du collectif est un élément de langage important, voire incontournable, pour des groupuscules qui se présentent comme faisant la promotion de la communauté, du sport et de la culture.

Tel est ainsi le cas de l’association Argos, déjà mentionnée, qui ambitionne de promouvoir une « jeunesse alternative » pour, selon son site, faire face à la crise de civilisation, à la submersion démographique et au raz-de-marée progressiste qui menaceraient l’identité européenne. « Courage, excellence, loyauté, identité », tel est le crédo de cette association qui encourage le dépassement de soi et promet l’aventure à ses membres – sans omettre la vente de produits dérivés, en particulier des vêtements, floqués au nom et au logo de l’association, autant d’éléments propres à renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté soudée.

Cette mise en valeur du collectif se retrouve aussi dans l’organisation de « camps d’été », dans lesquels s’entraînent les activistes – tel est par exemple le cas pour la Ligue du midi, groupe identitaire implanté en Occitanie.

L’ultra-droite, en particulier au sein des groupes récents, fait également un usage important d’éléments issus de la « pop culture ».

Elle mobilise ainsi des symboles tels que le masque à tête de mort issu du jeu vidéo Call of Duty, ou invoque la dichotomie « pilule rouge / pilule bleue » de la saga Matrix, laissant penser que ces personnes sont éveillées, ont conscience de la réalité du monde, et que le reste de la société vivrait dans un état de léthargie et d’ignorance dont il faut l’extraire. Les références à Sparte sont aussi nombreuses, à travers une inspiration tirée du roman graphique et du film 300 ([71]).

● Ces références à la « pop culture » sont parallèles à un écroulement du niveau doctrinal des activistes, ainsi que les auditions conduites par vos rapporteurs ont pu le mettre en évidence. Les thèses défendues deviennent simples, voire simplistes, sans sous-jacents idéologiques clairs, ce qui est susceptible d’attiser les violences.

e.   Le risque terroriste de l’ultra-droite et la crainte du « loup solitaire »

Le risque terroriste issu de l’ultra-droite est une réalité que les données fournies par les services de renseignements mettent en évidence, même si, de l’avis général exprimé lors des auditions, l’ultra-droite ne paraît pas, à l’heure actuelle, avoir les moyens de déstabiliser les institutions de la République et la société, ou encore de menacer l’État de droit ([72]).

D’après les informations recueillies par vos rapporteurs, à l’été 2023, le parquet national antiterroriste suivait dix procédures, dont neuf concernaient l’ultra-droite et impliquaient une soixantaine de personnes ([73]).

Le risque d’attentat réside dans la nature même de certaines mouvances d’ultra-droite.

Si l’hypothèse d’un coup d’État, d’un putsch militaire ne semble pas crédible en l’état, les velléités en la matière se limitant à des initiatives sans suite telles que la « tribune des militaires » en 2021, tel n’est en revanche pas le cas d’attaques venant des tenants de la mouvance accélérationniste, dont le principe idéologique est précisément de lancer des attentats pour forcer la main à une guerre de civilisation qui serait larvée (cf. infra, f).

● L’une des situations les plus à risque, car l’une des plus difficiles à prévenir efficacement, est celle du « loup solitaire », à l’image d’Anders Breivik en Norvège en 2011 ou Brenton Tarrant en Nouvelle‑Zélande en 2019.

Loin d’être une hypothèse théorique, de telles actions sont malheureusement réelles.

Peut ainsi être mentionnée l’attaque de la mosquée de Bayonne le 28 octobre 2019. Bien que celle-ci n’ait pas été qualifiée d’attentat terroriste, la motivation idéologique n’ayant pas été retenue en raison de l’altération du discernement de l’auteur, cette attaque met en évidence la réalité du danger que représente le passage à l’acte d’un loup solitaire.

Peut également être cité le suivi et la perquisition réalisée au domicile d’une personne qui avait été signalée par une plateforme d’achats en ligne en raison d’achats suspects (produits susceptibles d’être utilisés pour confectionner des explosifs et de la poudre), la perquisition ayant mis en évidence l’attrait de la personne pour le IIIe Reich et sa haine de l’Islam.

● Il convient néanmoins de relativiser la nature réellement solitaire des activistes d’ultra-droite prêts à passer à l’acte terroriste : le « loup solitaire » n’en est pas réellement un, mais s’inscrit dans un réseau restreint ou entretient des contacts, en ligne et physiques, avec d’autres personnes. Tel était le cas d’Anders Breivik, mais aussi, en France, de l’arrestation en 2018 de dix membres d’AFO ou celle, en 2017, de Logan N. et plusieurs autres personnes appartenant à une cellule nommée OAS, les deux groupes envisageant des attaques pour lutter contre l’immigration et l’Islam ([74]).

Comme le relève Jean‑Yves Camus, « la théorie du “loup solitaire” […] invite au passage à l’action par petits groupes […]. Il s’agit en fait d’une variante de la théorie de la “résistance sans chef” » ([75]). Ce mode opératoire suppose ainsi la préexistence d’une communauté partageant le même objectif, le fait que les cellules soient de petites tailles et indépendantes visant à prévenir les infiltrations par l’État et l’identification des activistes.

f.   Les nouvelles menaces de l’ultra-droite : accélérationnistes, complotistes et incels

Certaines mouvances récentes, proches de l’ultra-droite ou en relevant totalement, représentent une menace particulière et font l’objet d’une attention spécifique de la part des pouvoirs publics et des services de renseignements de nombreux pays ; toutes ces mouvances n’évoluent pas encore en France ou n’y sont que peu implantées, mais leur présence à terme est un risque évident qu’il convient de prévenir.

i.   Les accélérationnistes : la promotion d’une guerre de civilisation

Parmi les nouvelles menaces, les accélérationistes occupent une place éminente de par la dangerosité intrinsèque de leur discours, celui d’une guerre de civilisation, d’un « Djihad blanc », pour préserver la prétendue race blanche – n’hésitant pas, pour ce faire, à promouvoir et à commettre des attentats meurtriers (cf. encadré ci-après).

Si, d’après les services de renseignements, leur nombre est relativement limité – chiffré à quelques centaines –, la violence radicale de leur doctrine rend cette mouvance extrêmement dangereuse.

L’accélérationnisme d’ultra-droite

Historiquement, l’accélérationnisme est une tendance qui postule que, pour abattre le capitalisme, il ne faut pas tant le renverser que d’en accélérer les tendances autodestructrices : comme le relevait Karl Marx, « le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. » (1)

C’est pourtant une tout autre idéologie que désigne, aujourd’hui, la notion d’accélérationnisme dans le contexte de l’activisme : elle vise une mouvance d’ultradroite radicale dont l’objectif est d’assurer la suprématie d’une prétendue race blanche  et la mise en place d’une société fasciste.

Partant du principe que les « Blancs » vont perdre la guerre raciale que ces activistes perçoivent ou croient inévitables, il faut forcer chacun à choisir son camp, et empêcher les « Blancs » d’accepter la société multiculturelle. Pour ce faire, des attentats et des massacres doivent être commis, pour susciter en retour des ripostes de la part des cibles des accélérationnistes, et forcer la décision – puisant en cela une inspiration dans les modes d’action de Daesh.

Les adeptes de la mouvance accélérationniste nourrissent une forme de « culte des saints », qui sont les auteurs de massacres et de tueries – tels qu’Anders Breivik, le tueur d’Oslo et Utoya en Norvège, ou Brenton Tarrant, auteur du massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande.

Parmi les groupes accélérationnistes, peut être mentionnée Atomwaffen Division, organisation néonazie classée comme terroriste par plusieurs pays et responsable de meurtres et de projets d’attentats contre des minorités et des structures publiques et gouvernementales essentiellement aux États-Unis – dont elle veut renverser les institutions pour mettre en place un État ethnique blanc d’obédience nazie, dans la logique d’une vision organiciste de la société.

Sans aller jusqu’à assimiler les tenants de la « théorie du Grand remplacement » à la mouvance accélérationniste, il convient toutefois de noter la proximité idéologique sous-jacente, celle d’une submersion des « Blancs », exigeant une réaction pour l’éviter. Notons d’ailleurs que, lors des élections européennes de 2019 en France, deux listes se sont présentées contre le « Grand remplacement » : Souveraineté, identité et liberté (SIEL), identitaire, et Dissidence française, groupuscule néofasciste devenu le Mouvement national-démocrate. Ces deux listes ont réuni plus de 6 000 suffrages, dont plus de 4 500 pour Dissidence française, soit près du double du nombre de membres estimés de l’ultra‑droite.

(1) Karl Marx, Discours sur la question du libre-échange, prononcé le 7 janvier 1848 devant l’Association démocratique de Bruxelles.

 

ii.   Le regain des conspirationnistes et complotistes

● Les conspirationnistes et complotistes proches de l’ultra-droite forment aussi un contingent d’activistes violents marqués par un enfermement idéologique totalement hermétique aux explications rationnelles. Si le complotisme n’est pas un fait nouveau, la visibilité offerte par les réseaux sociaux et les échanges permis par les forums de discussion ont conduit à l’explosion de la popularité des théories conspirationnistes et complotistes.

Certaines « théories » anciennes, telles que les « complots » juifs ou maçonniques pour dominer le monde, connaissent un regain de popularité sous de nouvelles formes.

Ainsi, la « mafia khazar » appuie l’idée d’une conspiration juive mondiale – les Khazars, peuple turcophone installé entre la Mer Noire et la Mer Caspienne, étant vus comme l’ancêtre des Juifs européens. Les Khazars auraient également mis à profit la pandémie de Covid-19 pour asseoir leur domination, et l’invasion russe de l’Ukraine serait notamment justifiée par la nécessité de lutter contre eux ([76]).

Le « complot juif : de l’ultra-droite au Hamas

Les thèses selon lesquelles existerait un « complot juif » en vue d’asseoir une domination mondiale font florès à l’ultra-droite, ayant connu dans les années 1930 un regain de popularité après la parution de Mein Kampf et qui perdure aujourd’hui, notamment dans le cadre de la « théorie » du gouvernement d’occupation sioniste, le ZOG (pour « Zionist Occupation Government »), en vertu de laquelle les gouvernements de plusieurs pays sont contrôlés par les Juifs.

Cependant, il serait réducteur de cantonner à cette mouvance l’invocation de ces thèses, au demeurant anciennes.

Le monde russe a ainsi été un terreau fertile aux « théories » du « complot juif » : la publication de l’ouvrage Les Protocoles des Sages de Sion dans les derniers feux de la Russie tsariste, à l’initiative de l’Okhrana, en témoigne, de même que, plusieurs décennies plus tard, la notion de « cosmopolitisme sans racine » employée par Josef Staline pour cibler les Juifs, action qui culminera avec le prétendu « complot des blouses blanches ». Le régime soviétique a donc lui aussi été marqué par les « théories » du « complot juif ».

Plus récemment, et sous d’autres horizons, l’idée selon laquelle les Juifs comploteraient pour diriger le monde se retrouve chez les islamistes, dans le cadre d’une « alliance judéo-croisée » antisioniste dirigée contre Israël et les États‑Unis et, plus largement, les Juifs.

Ainsi en va-t-il du Hamas, organisation reconnue comme terroriste notamment par l’Union européenne, le Royaume-Uni, les États‑Unis ou encore le Japon, et notamment à l’origine des atroces attentats meurtriers contre des Israéliens le 7 octobre 2023, et dont la charte (1),  est éloquente à cet égard.

L’article 22 de cette charte (2) mentionne que les « ennemis », c’est-à-dire les Juifs, grâce aux « fortunes matérielles considérables » qu’ils auraient amassées, « règnent sur les médias mondiaux, les agences d’informations, la presse, les maisons d’édition », « font éclater des révolutions dans différentes régions du monde pour réaliser leurs intérêts et les faire fructifier » et « ont créé des organisations secrètes […] pour détruire les sociétés et réaliser les intérêts du sionisme ». Le même article 22 de la charte du Hamas poursuit en indiquant que ce sont les Juifs qui sont à l’origine des conflits : « Qu’une guerre éclate de-ci de-là et c’est leur main qui se trouve derrière », le Hamas leur attribuant notamment la responsabilité de la Première Guerre mondiale.

L’article 32 de la charte du Hamas (3) est encore plus explicite dans sa dimension complotiste, puisqu’il fait expressément référence aux Protocoles des Sages de Sion : « Lorsqu’ils auront parachevé l’assimilation des régions jusqu’auxquelles ils seront parvenus, ils ambitionneront de s’étendre plus loin encore, et ainsi de suite. Leur plan se trouve dans “les Protocoles des Sages de Sion” et leur conduite présente est une bonne preuve de ce qu’ils avancent. »

(1) La Charte du mouvement de la résistance islamique palestinienne (Hamas), 18 août 1988, publiée en annexe au rapport d’information sénatorial « Le MoyenOrient à l’heure nucléaire » (M. JeanFrançois Poncet et Mme Monique Cerisierben Guiga, rapport d’information à la suite d’une mission effectuée du 22 septembre 2008 au 7 juillet 2009 sur la situation au MoyenOrient, Sénat, seconde session extraordinaire de 2008-2009,  630, 25 septembre 2009, pages 207 à 228.

(2) Ibid., pages 219-220.

(3) Ibid., pages 225226.

Dans le même ordre de « domination mondiale », le projet MK-Ultra de la CIA ([77]) serait exploité par les industries médiatiques et culturelles à des fins de manipulation mentale de la population.

Le révisionnisme historique est également mobilisé pour cibler la communauté LGBTQI+. À titre d’exemple, une « théorie » explique que le déclin de chaque grande civilisation a été amorcé lorsque la binarité sexuelle s’est effacée au profit d’une confusion des genres, remontant parfois à Rome – naturellement sans le moindre argument historique valide.

Nombre de ces « théories » sont promues par la mouvance QAnon issue des États‑Unis, et qui combat un prétendu complot pédo-sataniste mondial à la tête duquel se trouveraient des élus démocrates américains ainsi que diverses célébrités. Les QAnon ont également affirmé que des personnalités mondiales utiliseraient l’adrénochrome afin de bénéficier de ses prétendues propriétés rajeunissantes, en l’extrayant depuis le sang d’enfants.

Relevons que ces « théories » de la mouvance QAnon trouvent des relais importants auprès du public. Ainsi, Marjorie Taylor Greene, membre de la Chambre des représentants américaine, évoque régulièrement des thèses conspirationnistes de cette mouvance – et d’autres. En France, en mars 2023, dans l’émission Touche pas à mon poste de l’animateur Cyril Hanouna, un invité a affirmé que des célébrités utilisaient de l’adrénochrome prélevé du sang d’enfants sacrifiés – l’ARCOM a sanctionné la chaîne C8 d’une amende de 500 000 euros pour cette séquence ([78]) .

● Cette forme de banalisation des « théories » complotistes et l’écho que les nouvelles technologies leur donnent sont aussi un facteur de minimisation de la dangerosité de ces idées. Or, le risque pour la société qu’elles induisent est bien réel, il suffit pour s’en convaincre de se pencher sur les motifs ayant conduit à la dissolution de l’association Les Alerteurs en 2023.

Ainsi qu’il ressort du décret de dissolution des Alerteurs ([79]), cette association, qui se présentait comme un centre de réflexion et luttant contre les lobbies, les trusts et les sociétés occultes soutenant des régimes autoritaires ou des politiques liberticides, diffusait des messages antirépublicains et promouvait une idéologie antisémite et homophobe, tout en propageant des thèses complotistes :

– elle laissait entendre que le coup d’État était un moyen d’action à privilégier, regrettant que les Gilets jaunes n’aient pu aboutir à une insurrection violente et appelant à « dégager tous ces gens » [les décideurs publics] par la force ;

– elle tenait des propos antisémites et négationnistes et publiait des propos encourageant à la haine des Juifs, des francs-maçons, des « élites », des athées et des homosexuels, s’appuyant notamment sur la « théorie » de la mafia khazar ;

– elle diffusait nombre de thèses complotistes, telles que celle sur la mafia khazar précédemment mentionnée, le fait que la protéine Spike des vaccins à ARN messager causait un génocide, ou encore que les attentats commis à Charlie Hebdo seraient le fait des services français de renseignement ;

– elle minimisait des attentats terroristes commis en France ou les justifiait au nom du blasphème dont auraient été auteurs Charlie Hebdo ou Samuel Paty, dont l’assassinat était qualifié de « fait divers ».

Cette liste, au demeurant non exhaustive, atteste sans ambiguïté du danger que représente la mouvance complotiste, dont les adeptes sont souvent à la frontière d’autres mouvances, notamment de l’ultra-droite.

iii.   Les incels : de la misogynie aux tueries de masse

Enfin, doivent être mentionnés les incels, « involontary celibates » (célibataires involontaires), communauté misogyne promouvant le suprémacisme masculin et la violence à l’égard des femmes, qui sont systématiquement dénigrées ([80]).

Elliot Rodger, incel qui fustigeait les femmes pour sa solitude et sa virginité persistante, est devenu le « saint patron » de cette communauté après avoir tué six personnes et blessé quatorze autres en Californie le 23 mars 2014.

Depuis ce massacre, d’autres tueries inspirées par la communauté incel ou perpétrées par ses membres ont eu lieu, essentiellement en Amérique du Nord, mais aussi en Europe :

– le 19 février 2020, à Hanau (Land de Hesse, Allemagne), Tobias Rathjen a tué dix personnes et en a blessé cinq autres ([81]) ;

– plus récemment, le 13 août 2021, Jake Davidson a tué cinq personnes à Plymouth (Royaume-Uni) et en a blessé deux autres ([82]).

Si la communauté incel est surtout active aux États‑Unis, les deux tueries précédemment évoquées et la facilité de communication qu’offre internet, les forums et les réseaux sociaux, font des incels une menace réelle – et ce, d’autant plus que, souvent, ses membres relèvent d’autres mouvances d’ultra-droite, telles que le suprémacisme blanc, expliquant notamment le choix de vos rapporteurs de les classer parmi l’ultra-droite plutôt qu’au sein de la famille des sociétaux, dont ils pourraient également relever.

2.   L’ultra-gauche et les sociétaux : une porosité subie ?

Si l’ultra-droite représente un danger actuel réel, l’ultra-gauche et les activistes violents relevant de la catégorie des « sociétaux » constituent une menace qui ne saurait être ignorée ou minimisée.

D’après les informations obtenues par vos rapporteurs au cours des auditions conduites, notamment de la part des services de renseignements, l’ultragauche regroupe entre 2 000 et 3 000 personnes  la réalité paraissant plus proche du haut de la fourchette.

Lors de son audition du 5 octobre 2023 ([83]), le ministre de l’intérieur et des outre-mer, M. Gérald Darmanin, a fourni des chiffres qui semblent sensiblement différents, indiquant que 3 000 personnes fichées S relevaient de l’ultra-gauche – sur un total de 8 000 personnes suivies par les services de renseignement, dont 1 300 fichés S de l’ultra-droite – le reste des personnes relevant de l’islamisme radical.

Il est possible que la différence de ces nombres soit due à l’inclusion, parmi les membres de l’ultra-gauche, d’activistes relevant en réalité plutôt de la famille des sociétaux, tels que des environnementalistes violents.

a.   Une atteinte aux biens décomplexée

● L’action violente dirigée contre les biens est un mode opératoire classique à l’ultra-gauche, ainsi qu’il a été vu.

Elle est mue par l’idéologie : sont attaqués les symboles du capitalisme et de la mondialisation, les bâtiments et les biens des appareils administratifs, ceux des forces de l’ordre, ou encore les locaux de partis d’extrême-droite ou de groupuscules d’ultra-droite. L’atteinte aux biens devient une forme de signature politique.

● Comme l’a indiqué M. Xavier Crettiez lors de son audition, s’appuyant sur les données de la base Vioramil, les sociétaux ne sont responsables que de 8 % des actes de violences commis depuis 1986, mais cette proportion atteint 90 % si le recul s’arrête à 2000.

Les atteintes aux biens d’environnementalistes violents ne sont pas nouvelles, comme en témoignent les faucheurs volontaires anti-OGM. En revanche, ce qui peut revêtir un caractère inédit, au moins dans son ampleur, est :

– l’organisation d’actions concertées et répétées portant atteinte aux biens, pour saturer l’espace médiatique – tels que des entraves à la circulation, des jets de peinture contre des bâtiments ou encore des tableaux dans les musées ;

– l’accroissement d’actions dites de « désarmement », qui relèvent d’une forme de sabotage.

Ainsi, des organisations plus récentes, promouvant la lutte contre le réchauffement climatique et la préservation du climat telles que Dernière Rénovation ou Just Stop Oil, assument des actions considérées comme relevant de la « résistance civile » mais qui constituent des infractions pénales, tout comme Les Soulèvements de la Terre, qui ont érigé les atteintes aux biens comme moyen d’action normal.

La question du désarmement est plus inquiétante, car plus extrême et d’un degré de violence accrue, ou à tout le moins porteur d’un tel degré, et traduit une logique de renversement des responsabilités : ce ne sont pas les auteurs de sabotage ou d’actions de désarmement « qui sont hors la loi, mais l’État, les industriels ou les tenants de l’agriculture intensive qu’il faut empêcher de détruire le vivant » ([84]).

Plusieurs organisations proposent des didacticiels pour réaliser leurs actions, incluant généralement des conseils juridiques et suggérant à leurs membres de prendre en photo ou de filmer leurs actions en vue de leur diffusion, pour une résonance médiatique renforcée. Néanmoins, bien que ces actions soient présentées comme non-violentes, elles consistent souvent en des dégradations de biens, notamment du mobilier urbain. À titre d’exemple, la campagne « Balance ta pub » organisée par Extinction Rebellion France entre le 23 mars et le 4 avril 2023, a abouti à la dégradation ou à la destruction de 850 panneaux publicitaires.

Ce mode d’action, qui paraît monter en puissance et gagner en popularité, s’écarte des méthodes plus classiques, mais efficaces, de mouvements et associations environnementalistes non violents, comme France Nature Environnement, qui refuse toute forme d’action violente et privilégie le terrain légal et contentieux – avec un certain succès, si ce n’est un succès certain.

● Un autre phénomène paraît particulièrement préoccupant : le risque que des activistes environnementalistes basculent dans une violence accrue, y compris contre des personnes, sous l’influence d’activistes d’ultra-gauche et en adoptant les modes opératoires offensifs de ces derniers.

Loin d’être un cas d’école, cette configuration a été constatée lors des événements de Sainte-Soline en mars 2023 (cf. infra, encadré). Les auditions conduites par vos rapporteurs ont ainsi mis en évidence la jonction entre ultragauche et environnementalistes violents permise par des mouvements tels que Les Soulèvements de la Terre, agissant selon une doctrine claire : minimum de risque, minimum de temps, maximum de dommages.

Les technophobes : entre ultra-gauche et environnementalistes radicaux

La mouvance technophobe témoigne de la porosité croissante entre l’ultra‑gauche et les environnementalistes violents.

La dimension anti-industrielle, une forme de luddisme moderne, et l’idée selon laquelle les technologies servent ou serviront à une surveillance généralisée de l’ensemble de la population, s’associent en effet à une démarche plus environnementaliste, considérant que, depuis la révolution industrielle et l’essor technologique qu’elle a induit, la société et ses techniques détruisent la nature.

Le progrès technique serait ainsi nuisible à l’environnement, dangereux d’un point de vue sanitaire (par exemple avec les OGM) et à l’origine de catastrophes (telles que celles de Tchernobyl et Fukushima), tout en sapant les sociétés humaines démocratiques à travers des innovations susceptibles de favoriser le totalitarisme.

Les activistes violents technophobes, parfois qualifiés de « neo‑luddites » (1), peuvent ainsi attaquer des laboratoires, des centres d’études, ou encore des infrastructures de communication, telles que des antennes 5G. À l’extrême, ils peuvent s’attaquer aux personnes, comme le fit Theodore Kaczynski, plus connu sous le nom d’Unabomber, et qui a envoyé entre 1978 et 1995 des colis piégés à des dirigeants d’entreprises, des universitaires, des scientifiques, etc., tuant trois personnes et en blessant 23 autres.

Notons toutefois, comme l’a d’ailleurs indiqué Nicolas Lebourg lors de son audition, que l’hostilité à la 5G n’est pas un monopole de l’ultra-gauche ou des environnementalistes : elle se retrouve chez les complotistes d’ultra-droite, tels que Rémy Daillet‑Wiedemann qui, outre son implication dans des affaires d’enlèvement d’enfants et ses projets d’attentats, s’opposait au réseau 5G et exigeait l’arrêt de son développement.

(1) Ainsi, Pièces et Mains d’œuvre (PMO), actif dans la région de Grenoble, revendique « l’héritage des ouvriers luddites » (Philippe Rivière, Ennemis de la technologie, in Le Monde Diplomatique, mai 2010).

 

b.   Les Gilets jaunes : la persistance de l’action et du spectre de la violence

Cette partie du rapport n’a pas pour ambition de dresser l’historique du mouvement des Gilets jaunes, ni d’en dresser une analyse sociologique et politique – ce travail ayant déjà été fait de façon abondante par d’autres.

« Révolte des budgets contraints », pour reprendre les termes employés lors de son audition par Isabelle Sommier ([85]), le mouvement des Gilets jaunes, né dans le cadre d’un projet de réforme fiscale, s’est élargi dans ses doléances et ses actions et a abouti à des mobilisations de personnes ayant le sentiment de ne plus vivre en démocratie, de ne plus avoir de libertés – en témoigne la forte mobilisation des Gilets jaunes dans la contestation de la politique sanitaire et vaccinale pendant la crise de la Covid‑19, et la proximité entre les Gilets jaunes et les « anti-vax ».

Certains Gilets jaunes se sont par ailleurs radicalisés, en se rapprochant des Black Blocs ([86]) ou en s’inspirant de leurs méthodes, formant ce qui est appelé les « ultra-jaunes ».

S’il est ici question de ce mouvement, c’est que ce dernier estime que, par la violence dont il a fait preuve – qui, rappelons-le, a été à l’origine de plusieurs morts ([87]) et a causé un très grand nombre de dégradations de biens, dont l’Arc de Triomphe –, il a obtenu gain de cause, au moins en partie : l’abandon de la réforme fiscale à l’origine du mouvement, et des aides financières conséquentes ([88]).

Dès lors, ce succès, même partiel à l’aune de l’ensemble des revendications du mouvement, est vu comme un précédent susceptible d’inspirer de nouvelles actions violentes pour obtenir plus, pouvant expliquer le fait que des Gilets jaunes ont participé à la contestation de la réforme des retraites au printemps 2023, quatre ans après le début du mouvement. Ce succès peut aussi, de façon plus pernicieuse, être la démonstration, pour d’autres mouvances activistes, que la violence paie et qu’y recourir est un mode d’action utile.

c.   L’instrumentalisation des mouvements sociaux par l’ultra-gauche et les sociétaux : la confiscation violente de revendications légitimes

La période récente montre que chaque manifestation, ou presque, est le théâtre d’actions violentes commises, non par les manifestants qui, dans le cadre de leur droit le plus strict, font valoir leurs revendications et leurs positions, mais par des activistes extrémistes cherchant à s’en prendre aux symboles de l’État – à travers les forces de l’ordre – ou du capitalisme – en dégradant des agences bancaires ou des franchises de restauration rapide, par exemple.

De telles actions, qui relèvent de qualifications pénales multiples, sont également condamnables sur le plan des principes, en ce qu’elles phagocytent les revendications légitimes des manifestants et conduisent, par le traitement médiatique qui en est fait, à éclipser ces dernières.

Si nombre de ces actions sont le fait des Black Blocs, certaines émanent d’activistes ne relevant pas de cette mouvance. Il est ici permis de penser à l’attaque d’un sapeur-pompier à Paris, lors de la manifestation du 1er mai 2022, par une activiste proche de l’ultra-gauche et de la mouvance « anti-vax ».

Les Black Blocs : activisme violent ou simple vandalisme ?

Trouvant leurs origines dans les mouvements autonomes berlinois des années 1980 sous l’appellation Schwarzer Block, les Black Blocs – traduction anglaise du terme allemand – désignent des « individus masqués, habillés en noir, qui se livrent à des destructions de biens et harcèlent la police, autrefois appelés “casseurs” » (1),

Ainsi que l’indique l’ouvrage Violences politiques en France, il est difficile de saisir la spécificité des Black Blocs, selon que l’on ait ou non une lecture politique du phénomène, que l’on y voit de « simples vandales » ou des activistes.

Le profil sociologique des Black Blocs, du moins en France, est voisin de leurs ancêtres allemands, à savoir des membres de la classe moyenne supérieure, des profils instruits et insérés, plutôt que des personnes marginales ou issues des classes populaires – bien que ce profil se soit diversifié, associant des membres du Kops d’Auteuil et de l’ultra-gauche, comme le relève le professeur Olivier Cahn (2).

Par ailleurs, toutes les personnes se livrant à des actes de violence à l’occasion de manifestations ou rassemblements ne sont pas stricto sensu des Black Blocs : il existe une forme d’opportunisme dans le recours à la violence, ce dont témoigne d’ailleurs l’absence d’équipement ou de matériel particulier chez certains auteurs de violence.

Le point commun entre les Black Blocs résiderait en fait dans leur mode d’action, comme l’indique la définition ouvrant cet encadré ; d’un point de vue du positionnement idéologique, on retrouve en leur sein différentes mouvances, telles que les antifascistes et les autonomes.

Ce phénomène paraît ainsi bien relever de l’activisme violent, et plus particulièrement de l’ultra-gauche, notamment à l’aune des cibles de leurs actions : forces de l’ordre et symboles supposés du capitalisme et de la mondialisation,

(1) Violences politiques en France, op. cit., page 392.

(2) Le profil social des interpellés du « Black Bloc » n’a rien de nouveau, in Marianne, 4 mai 2018.

Les événements de Sainte-Soline, survenus en mars 2023, illustrent une autre forme d’instrumentalisation des manifestations, mais selon une logique inverse de celle qui vient d’être décrite. Les activistes d’ultra-gauche et sociétaux, plutôt que d’infiltrer et confisquer une manifestation donnée, ont organisé le rassemblement tout en attirant des militants et manifestants traditionnels afin de donner de la légitimité à l’événement, et pour se noyer dans cette masse humaine afin de commettre leurs actes violents.

Sainte-Soline : un déchaînement d’activisme violent prémédité,
instrumentalisant les manifestants pacifiques

Entre les 24 et 26 mars 2023, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), s’est tenu un rassemblement réunissant entre 6 000 et 8 000 personnes, à l’appel notamment des Soulèvements de la Terre, de la Confédération paysanne et du collectif Bassines Non Merci, contre le projet de « méga-bassine » dans cette zone.

La manifestation a été interdite par la préfecture des Deux-Sèvres le 17 mars 2023, après que l’intention d’interdiction avait été communiquée dès le 10 mars. Par ailleurs, entre le 17 et le 22 mars 2023, huit arrêtés ont été pris visant à limiter les risques pour les personnes et les biens, interdisant notamment le transport d’armes, le survol de la zone ou encore la circulation d’engins agricoles.

Le 25 mars 2023, principal jour du rassemblement, plusieurs cortèges se sont élancés avant que certains de leurs membres – environ un millier de personnes – ne se livrent à un déchaînement de violences contre les forces de l’ordre – au détriment des manifestants venus là pacifiquement, et de la cause qu’ils entendaient défendre.

D’après les informations recueillies par vos rapporteurs, ces événements dénotent un degré de préparation et de préméditation évident : des armes, y compris par destination, étaient nombreuses à être utilisées et certaines se trouvaient déjà là avant le rassemblement – vraisemblablement dissimulées dans la perspective du 25 mars –, malgré les importants contrôles réalisés la semaine précédente – 24 000 contrôles effectués, 18 placements en garde à vue et la saisie de nombreuses armes réelles ou par destination.

Les méthodes des activistes violents témoignent d’une organisation et d’une formation de type militaire : formation en tortue romaine pour attaquer les gendarmes, six tonnes de pierres ramassées à l’issue de la journée, en plus d’autres armes, équipements pour se protéger contre les lacrymogènes et les grenades destinées à la dispersion, vocabulaire militaire, etc.

Le rassemblement de Sainte-Soline, ainsi qu’il a été dit à votre rapporteur Éric Poulliat par des personnes entendues dans le cadre d’une audition consacrée à cet événement, avait comme but premier la violence ; la dimension pacifique et familiale du rassemblement n’est venue qu’après, avec une communication ad hoc, pour attirer des personnes servant de couverture aux activistes.

 

d.   Des revendications séduisantes mais des modes d’action dangereux

L’un des aspects du risque que les activistes violents sociétaux induisent réside dans la séduction que leurs revendications peuvent présenter auprès d’un très grand nombre de personnes – du moins est-il permis de penser qu’elles sont plus séduisantes que les revendications haineuses de l’ultra-droite.

La défense de la planète et de ses ressources, le fait de vouloir assurer à l’Humanité un futur viable, la préservation des espèces et de la biodiversité sont autant d’enjeux autour desquels chacun peut se retrouver, et qui d’ailleurs connaissent une traduction évidente au sein des formations politiques se présentant aux élections.

Cependant, la légitimité d’une cause, aussi noble soit-elle, ne permet pas tout, et certainement pas de méconnaître la loi et les normes permettant de vivre en société, en recourant à la violence. L’affranchissement de ces normes au nom d’idéaux qui leur seraient supérieurs est, en soi, un danger majeur pour la société et nos démocraties.

En outre, comme l’a souligné à vos rapporteurs M. Jean‑Yves Camus, certaines revendications sont impossibles à satisfaire pour les pouvoirs publics, qui ne peuvent résoudre immédiatement le défi immense qu’est la question climatique : sa résolution suppose, certes une ambition politique forte, mais aussi une action concertée, des mesures d’accompagnement, et ne peut ainsi aboutir à l’horizon temporel exigé par les activistes. De telles exigences ne pouvant être satisfaites, elles nourrissent le sentiment, chez leurs auteurs, d’une inaction coupable de l’État, elles alimentent la défiance à l’égard des institutions politiques traditionnelles, qui seraient incapables d’agir utilement, et elles nourrissent la violence, vue comme le seul moyen d’action efficace.

Il y a donc là un danger réel pour nos démocraties, plus diffus, moins frontal que ceux portés par des groupuscules d’ultra-droite, mais qui ne peut être ignoré.

Le relativisme de la violence et l’inversion des responsabilités : l’invitation de Jean‑Marc Rouillan par des militants d’extrême gauche à Bordeaux

La dimension potentiellement séduisante des revendications de l’ultra‑gauche et des sociétaux se traduit aussi par une forme d’acceptation sociale, du moins chez certains, d’actions violentes, ou encore par une banalisation ou une relativisation des violences commises.

Un fait récent illustre ce constat : l’invitation, le 28 mars 2023 à l’université de Bordeaux, par des étudiants d’extrême gauche opposés à la réforme des retraites et ayant occupé l’établissement, de Jean‑Marc Rouillan, ancien membre du groupe terroriste Action directe, qui avait été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité d’assassinat de l’ingénieur général de l’armement René Audran en 1985 et du président-directeur général de Renault, Georges Besse, en 1986. M. Rouillan a par ailleurs été condamné pour apologie du terrorisme après avoir jugé que les terroristes auteurs des attentats du 13 novembre 2015 avaient fait preuve de courage (1).

Si une condamnation pénale n’entraîne pas une mort sociale définitive et si la réinsertion doit être un objectif essentiel de la politique pénale et pénitentiaire, il n’en demeure pas moins que cette conférence a offert une tribune à un ancien terroriste, durant laquelle il a dit ne pas regretter ses actes et à l’issue de laquelle il a été ovationné. L’un des étudiants présents a ainsi indiqué que « Rouillan est le symbole de la répression de l’État », tandis qu’un militant du Nouveau parti anticapitaliste a commenté « Rouillan a eu des positions contestables, mais aujourd’hui ce n’est pas lui qui incite à la violence. C’est le Gouvernement et son ministre de l’intérieur. » (2)

(1) Cette condamnation a été annulée par la Cour de révision le 9 mars 2023, à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le 23 juin 2022, qui a estimé que si les motifs de la condamnation étaient pertinents, la peine était disproportionnée et méconnaissait la liberté d’expression.

(2) Bordeaux : quand les bloqueurs de la fac invitent le cofondateur d’Action directe, article paru le 4 avril 2023 dans Le Point.

 

e.   Les risques émergents : animalistes et antispécistes

La violence à laquelle recourent l’ultra-gauche et les sociétaux, en particulier les environnementalistes violents, est manifeste et dangereuse. Cependant, au sein de la famille des activistes violents dit « sociétaux », ce sont les animalistes et les antispécistes qui sont considérés comme présentant le risque futur le plus élevé – risque considéré comme actuel dans certains pays anglo-saxons.

Les défenseurs violents de la cause animale sont relativement peu nombreux en France et leur violence ne se manifeste pas contre les personnes – du moins pour l’heure, à la différence des États‑Unis.

La principale organisation animaliste, qui revêt une dimension internationale, est l’Animal Liberation Front (ALF). L’ALF, avec le Earth Liberation Front (ELF), a fait l’objet aux États‑Unis d’une vaste opération d’investigation conduite par le FBI, l’opération Backfire, à l’issue de laquelle plusieurs activistes ont été condamnés pour ce que le FBI a qualifié d’éco-terrorisme. L’ALF est présent en France, bien que beaucoup moins actif qu’outre-Atlantique, notamment par le truchement de Justice Department France à l’origine de l’explosion du marché aux bestiaux de Lezay, le 18 janvier 2014.

D’autres structures antispécistes commettent des violences, en particulier contre les abattoirs et boucheries – notamment le collectif Boucherie Abolition et l’association 269 Libération animale, dont le but est de causer un maximum de dégâts économiques et de libérer les animaux ou, à tout le moins, de leur donner un temps de vie supplémentaire.

Ce type d’actions, tout comme les intrusions au sein d’exploitations agricoles, a conduit les pouvoirs publics à créer, en octobre 2019, la Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole – cellule DEMETER –, chargée d’accompagner les professionnels agricoles, de prévenir les actes violents, d’analyser ces derniers et de participer, par un partage d’informations, au traitement judiciaires de ces actes. L’action de cette cellule est cependant contestée : ainsi, l’association L214 a saisi la justice administrative aux fins d’annulation du refus du ministre de l’Intérieur de mettre fin aux activités de cette cellule se rattachant à l’objectif de prévention et de suivi d’actions de nature idéologiques. Si l’association a obtenu gain de cause en premier ressort, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement en tant qu’il porte sur le refus de mettre fin au suivi des actions de nature idéologique, et a transmis les conclusions sur cet aspect au Conseil d’État, jugé compétent en la matière ([89]).

La rhétorique des animalistes et antispécistes

La rhétorique des animalistes et des antispécistes, est particulièrement extrême. Ainsi, dans son « Manifeste pour l’abolition de la boucherie » (1), Boucherie Abolition qualifie le traitement des animaux d’« holocauste » ou de « zoolocauste » qui serait le fait de « kapos éleveurs, sales mains tortionnaires et assassines », utilise le terme de « cannibalisme » en parlant des personnes carnivores, de « prizooniers politiques » pour évoquer les animaux, et appelle à « renverser l’hégémonie humanimâle ».

Ce manifeste poursuit en hiérarchisant les « niveaux de responsabilités criminelles », au premier rang desquels la « structure androcrate » et la domination masculine, mais où figurent également en éminente position :

– le Parlement européen, dont les membres votent des « législations esclavagistes » ;

– l’État, ainsi que les « députés actant les lois spécistes » ;

– le « système juridico-judiciaro-policier androcrate aux lois myzoogynes » ;

– les « vendeurs de haine », tels que les bouchers, les poissonniers mais aussi les fromagers ;

– ou encore, en dernière position, les « passifs zoopressifs » parmi lesquels figurent les vegans, le veganisme étant considéré comme un spécisme libéral n’aidant pas les animaux et dépolitisant la lutte.

Au-delà de la créativité de certains termes, qui parfois minimisent des faits historiques tragiques ou comparent le traitement des animaux à la Shoah, leur violence est susceptible de conduire des activistes au passage à l’acte violent réel, contre les biens mais aussi contre les personnes, puisque certaines catégories sociales ou professionnelles sont nommément visées dans une liste ciblant des « responsabilités criminelles ».

(1) Boucherie Abolition, Manifeste pour l’abolition de la boucherie.

 

 

 


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   Seconde partie : les moyens de lutte contre l’activisme violent : affiner un arsenal juridique déjà Étoffé, et mobiliser l’ensemble de la société

Les outils dont disposent les pouvoirs publics pour faire face aux défis posés par les phénomènes d’activisme violent sont nombreux, s’inscrivant dans le cadre d’un arsenal bien étoffé qui, de l’avis de nombreuses personnes entendues, est globalement robuste et suffisant.

Toutefois, cette apparente satisfaction n’exclut pas qu’il soit souhaitable d’enrichir ponctuellement cet arsenal, afin d’améliorer la réponse aux violences.

D’une manière plus générale, cette réponse ne saurait se limiter aux seules considérations juridiques et à l’action du législateur, mais doit au contraire revêtir une dimension plurielle et impliquer la société dans son ensemble.

I.   L’arsenal juridique pour répondre à l’activisme violent : entre prévention et répression, des outils nombreux mais perfectibles

● Depuis 2019, l’arsenal juridique pour répondre aux actions violentes que peuvent conduire des groupes activistes s’est substantiellement étoffé, en particulier s’agissant d’actes commis au cours de manifestations, rassemblements et actions violentes d’activistes, à la suite notamment :

– de la loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations ([90]) ;

– de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ([91]) ;

– de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ([92]).

Enfin, la lutte contre les groupuscules extrémistes, et son renforcement, a été expressément consacrée comme l’une des priorités gouvernementales dans le rapport annexé à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) – visant spécifiquement les groupuscules d’ultra-droite et d’ultra‑gauche ([93]).

L’objet des développements qui suivent n’est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les mesures contenues dans ces textes, mais de présenter le panorama des principaux outils à la disposition de la justice et de la police face aux violences commises par les activistes.

A.   Les outils pénaux et administratifs contre les activismes violents

Les outils permettant de lutter contre les activismes violents, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, peuvent être répartis en trois catégories :

– les infractions directement liées aux manifestations et rassemblements ;

– les infractions pénales générales qui peuvent être constatées dans le cadre particulier des activismes violents ;

– au-delà des qualifications pénales, la dissolution des groupes d’activistes violents.

1.   Les infractions directement liées à la tenue d’une manifestation

Dans la mesure où les activistes violents agissent souvent à l’occasion de manifestations ou au cours de rassemblements, le cadre juridique intéressant directement ces situations revêt une importance toute particulière.

a.   Les outils encadrant l’organisation et la participation à une manifestation

i.   L’obligation déclarative, nécessaire encadrement des manifestations

En ce qu’elles participent indéniablement de la liberté d’expression et de la vitalité démocratique de la société, mais qu’elles peuvent porter atteinte à d’autres libertés – dont celle d’aller et venir – et, dans certains cas, à l’ordre public, les manifestations, cortèges et rassemblements sur la voie publique sont soumis à une obligation de déclaration préalable, en application de l’article L. 211‑1 du code de la sécurité intérieure (CSI).

Cette déclaration, qui mentionne l’identité des organisateurs de la manifestation, son but, sa date et son heure ainsi que son parcours, permet à l’autorité administrative :

– de s’assurer de la licéité de l’objet de la manifestation et, plus généralement, de l’absence de risque de troubles à l’ordre public qu’elle pourrait induire ;

– d’organiser la sécurisation de la manifestation, de ses participants et des riverains du parcours, en mettant en place, le cas échéant, un système de sécurité mobilisant les forces de l’ordre, et en garantissant des échanges entre organisateurs et autorité administrative.

L’autorité administrative peut interdire la manifestation si elle estime qu’elle est de nature à troubler l’ordre public, sur le fondement de l’article L. 211‑4 du CSI.

ii.   Les manquements à l’obligation déclarative visant les organisateurs

Tout manquement à cette obligation déclarative constitue un délit prévu à l’article 431‑9 du code pénal et passible, pour les organisateurs de la manifestation, de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, que ce manquement consiste :

– en l’absence totale de déclaration ;

– en l’organisation de la manifestation malgré l’interdiction de cette dernière ;

– ou en une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet ou les conditions de la manifestation.

iii.   Les dispositifs concernant les participants aux manifestations

Ainsi qu’il vient d’être vu, les organisateurs qui méconnaissent leurs obligations déclaratives se mettent, de ce fait, en infraction avec la loi pénale. La situation des participants à la manifestation, elle, est en revanche différente.

● Si la manifestation est illicite, c’est-à-dire si elle a fait l’objet d’un arrêté d’interdiction pris en application de l’article L. 211‑4 du CSI mais qu’elle est malgré tout organisée, y participer constitue une infraction, punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe aux termes de l’article R. 6444 du code pénal, soit 750 euros en application de l’article 131‑13 du même code.

Toutefois, la procédure de l’amende forfaitaire contraventionnelle est applicable à cette infraction, en application du 13° du I de l’article R. 48‑1 du code de procédure pénale (CPP) : l’amende forfaitaire susceptible d’être prononcée est alors de 135 euros (article R. 49 du CPP).

● En revanche, si la manifestation n’a pas été interdite, la participation n’est pas pénalement punissable, aucune disposition législative ou réglementaire n’érigeant une telle participation en infraction pénale, ce qu’a d’ailleurs récemment rappelé la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 14 juin 2022 ([94]).

En conséquence, participer à une manifestation non déclarée ne tombe pas sous le coup de la loi pour ce seul motif – sans préjuger de l’éventuelle commission d’infractions pendant la manifestation.

Au-delà de la question tenant au principe même de la participation, les modalités selon lesquelles une personne participe à une manifestation, indépendamment de la commission d’éventuelles violences, peuvent être sanctionnées en raison de leur dangerosité intrinsèque ou du risque de trouble à l’ordre public dont elles sont porteuses.

● Ainsi en va-t-il de la participation à une manifestation en étant porteur d’une arme, indépendamment du caractère licite ou non de la manifestation. Il s’agit d’un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ainsi que le prévoit l’article 431‑10 du code pénal.

Est également sanctionnée la dissimulation volontaire du visage sans motif légitime au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent de l’être. Cette infraction est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 431‑9‑1 du même code).

b.   Les instruments ciblant les manifestations et rassemblements violents

Parallèlement aux mesures générales précédemment présentées, qui concernent toutes les manifestations et directement liées à celles-ci, l’arsenal juridique français contient des instruments spécifiques visant à lutter contre les rassemblements violents.

i.   Les « infractions obstacles » propres aux rassemblements sur la voie publique

Plusieurs « infractions obstacles » spécifiques aux manifestations et rassemblements sur la voie publique sont prévues par le droit, afin d’empêcher la survenance de dommages – outre les mesures directement liées à l’existence d’une déclaration préalable vues précédemment.

La notion d’« infraction obstacle » en droit pénal français

Une « infraction obstacle » est une infraction qui sanctionne un comportement susceptible de produire un résultat dommageable, indépendamment de la réalisation effective dudit résultat : c’est le comportement en tant que tel qui est réprimé.

L’« infraction obstacle » se distingue de l’infraction formelle – elle aussi constituée que le résultat ait été atteint ou non, comme l’empoisonnement – sur deux principaux aspects.

D’une part, le comportement sanctionné se situe plus en amont, dans le cheminement criminel, que celui visé par une infraction formelle. Schématiquement, en dressant un parallèle avec la tentative, l’infraction formelle se situerait au stade du commencement d’exécution, là où l’« infraction obstacle » s’apparenterait à un acte préparatoire.

D’autre part, dans le cas des « infractions obstacles », la survenance du résultat dommageable caractérise une nouvelle infraction distincte, qui pourra être cumulée avec la première « infraction obstacle ».

Défini à l’article 431‑3 du code pénal, l’attroupement est un « rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ». Il se distingue ainsi de notions en apparence voisines telles que la manifestation ou le rassemblement, par le risque de trouble qu’il porte intrinsèquement. La force publique peut, en application du même article, disperser un attroupement après deux sommations ([95]).

Toute personne qui, malgré les sommations, continue volontairement de participer à un attroupement commet un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, en application de l’article 431‑4 du code pénal.

Des circonstances aggravantes sont par ailleurs prévues :

– si la personne dissimule volontairement son visage, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende (second alinéa du même article 431‑4) ;

– si elle est porteuse d’une arme, les peines sont de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 431‑5, alinéa 2) ([96]) ;

– les mêmes peines sont encourues si la personne est armée et dissimule son visage (troisième alinéa du même article).

Les peines prévues en cas de port d’arme ou de dissimulation volontaire du visage au cours d’un attroupement sont ainsi plus lourdes que celles applicables aux participants d’une manifestation – ce qui est logique eu égard au fait que l’attroupement, par définition, est susceptible de troubler l’ordre public et a vocation à être dispersé.

Par ailleurs, la provocation directe à un attroupement armé est sanctionnée par l’article 431‑6 du code pénal d’un an d’emprisonnement est de 15 000 euros d’amende.

Si la provocation a été suivie d’effet, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

ii.   Les outils généraux susceptibles d’être mobilisés contre des rassemblements violents

Outre les instruments propres aux attroupements et aux manifestations, la législation pénale permet de lutter contre les regroupements violents, principalement à travers trois outils généraux : deux infractions et une circonstance aggravante.

Prévu à l’article 450‑1 du code pénal, le délit d’association de malfaiteurs cible « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement. »

Les peines encourues sont fonction de la gravité de l’infraction préparée :

– dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende s’il s’agit de crimes ou de délit passibles de dix ans d’emprisonnement ;

– cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende s’il s’agit de délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

Si ce délit prévoit un seuil de peine s’agissant des infractions préparées, il n’en constitue pas moins un support utile pour engager des poursuites contre des personnes qui, au nom d’une idéologie ou d’une cause, ont envisagé la commission d’actes violents entrant dans le champ de ces dispositions.

Peuvent être mentionnés, à titre d’exemples :

– un grand nombre de violences contre les personnes, allant des extrêmes que constitue le fait de donner la mort à autrui avec violences, aux violences volontaires, passibles, en fonction des circonstances aggravantes éventuellement constatées, de peines entrant dans le champ du délit d’association de malfaiteurs ;

– les dégradations et destructions de biens commises avec circonstances aggravantes, en fonction des modalités envisagées ou du bien pris pour cible – la destruction commise par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice entrant dans le champ d’application du dispositif ([97]).

● Le fait de participer à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes, ou d’atteintes aux biens consistant en des destructions ou des dégradations, y compris si le groupement est temporaire, constitue un délit prévu à l’article 222‑14‑2 du code pénal ; ce délit est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Tout comme le délit d’association de malfaiteurs, il s’agit d’une « infraction obstacle » indépendante de la réalisation effective du résultat.

En revanche, ce délit ne suppose pas, pour être caractérisé, un seuil minimal d’emprisonnement punissant l’infraction dont la commission est prévue. Il est ainsi applicable, notamment, aux violences, destructions ou dégradations passibles d’une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement, telles que :

– les violences volontaires entraînant une incapacité totale de travail (ITT) inférieure ou égale à huit jours, qui sont contraventionnelles ou, en cas de circonstances aggravantes, passibles de trois ans d’emprisonnement (article 222‑13 du code pénal) ;

– les violences volontaires entraînant une ITT supérieure à huit jours sans circonstance aggravante, punie de trois ans d’emprisonnement (article 222‑11) ;

– la destruction ou la dégradation volontaire d’un bien appartenant à autrui, punie de deux ans d’emprisonnement hors circonstances aggravantes en application de l’article 322‑1 du code pénal.

● Le rapporteur Poulliat estime qu’eu égard à la nature et à la gravité intrinsèque du comportement sanctionné par cette qualification pénale, la peine d’un an d’emprisonnement actuellement encourue peut sembler trop faible, et insuffisamment dissuasive.

En outre, son quantum ne permet pas au parquet ou au juge d’instruction, selon le cadre d’investigation, de solliciter la réquisition de données de connexion aux fins d’identification et de localisation des personnes impliquées dans l’infraction.

En effet, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel rendue le 3 décembre 2021 ([98]), le législateur a dû renforcer l’encadrement des réquisitions de données de connexion, afin de concilier la protection du droit à la vie privée et la recherche des auteurs d’infractions. Cet encadrement renforcé a été introduit en 2022 ([99]) à l’article 60‑1‑2 du code de procédure pénale (CPP), qui prévoit quatre hypothèses limitativement énumérées pour justifier le recours à de telles réquisitions, et notamment que la procédure porte sur une infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement ([100]).

Le fait que le délit de participation à un groupement en vue de la préparation des violences ne soit puni que d’un an d’emprisonnement fait ainsi obstacle à l’usage d’une technique d’investigation pourtant utile et précieuse. Il semble donc opportun de relever le quantum encouru à trois ans, afin de respecter l’exigence constitutionnelle prévue à l’article 60‑1‑2 du CPP. Cette augmentation de peine est donc principalement motivée par le souci d’assurer aux enquêteurs qu’ils disposent de tous les moyens utiles à la manifestation de la vérité.

Au demeurant, un tel quantum ne paraît pas disproportionné à l’aune de l’infraction considérée et de sa gravité pour la vie commune et le respect du pacte social.

Proposition n° 1 de M. Poulliat : porter à trois ans d’emprisonnement la peine prévue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, afin de rendre possible la réquisition de données de connexion.

 

● La notion de bande organisée est définie à l’article 132‑71 du code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions. »

Là non plus, à la différence de l’association de malfaiteurs, aucun seuil de peine n’est prévu pour rendre applicable ce dispositif.

En revanche, la bande organisée suppose de réunir des éléments qui ne sont pas exigés dans le délit d’association de malfaiteurs, en particulier une « organisation structurée » entre ses membres ([101]), appréciée notamment au regard de l’ancienneté de l’existence de la bande ([102]) et de la permanence des membres ([103]).

Par ailleurs, la bande organisée n’est pas une infraction en tant que telle, mais une circonstance aggravante : elle ne suffit pas à elle seule à incriminer un comportement, mais permet d’alourdir le quantum des peines encourues lorsqu’elle est constituée. Pour ne prendre qu’un seul exemple – ils seraient sinon trop nombreux –, la destruction par explosif ou incendie d’un bien appartenant à autrui est punie de dix ans d’emprisonnement, mais la peine est portée à vingt ans de réclusion criminelle si l’infraction est commise en bande organisée ([104]).

● D’un point de vue procédural, et en particulier s’agissant des moyens d’investigation, la circonstance aggravante de bande organisée permet aux enquêteurs, sous le contrôle de magistrats, de mettre en œuvre les techniques spéciales d’enquête dans les conditions prévues par le titre XXV du livre IV du code de procédure pénale, parmi lesquelles :

– la surveillance ;

– l’infiltration ;

– des mesures dérogatoires en matière de garde à vue, de perquisitions (possibles en dehors des heures de droit commun) et d’interception de communications électroniques ;

– la sonorisation et la captation d’images ;

– la captation de données informatiques ;

– ou encore l’activation à distance d’un appareil électronique aux fins de géolocalisation ([105]).

c.   Les peines complémentaires obligatoires et facultatives encourues

Outre les peines principales d’emprisonnement et d’amende prévues pour ces infractions, le juge peut prononcer différentes peines complémentaires qui revêtent une forte dimension préventive, notamment du point de vue de la réitération et de la récidive, en privant la personne des moyens de commettre à nouveau des violences.

● Ainsi, en cas de condamnation pour participation à un attroupement en étant armé ou pour participation délictueuse à une manifestation sur la voie publique, sont prévues les peines complémentaires d’interdiction de détenir et porter des armes pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans, et de confiscation des armes.

Ces peines complémentaires sont obligatoires : le juge doit prononcer ces peines complémentaires, sauf s’il estime que les circonstances et la personnalité de l’auteur ne le justifient pas (articles 431‑7 et 431‑11 du code pénal).

● Outre ces peines complémentaires obligatoires, le juge peut prononcer une interdiction de séjour prévue à l’article 131‑31 du code pénal, c’est-à-dire :

– une interdiction de paraître dans certains lieux ([106])  ;

– assortie de mesures de surveillance et d’assistance.

● Enfin, s’agissant plus particulièrement des condamnations pour organisation d’une manifestation illicite ou participation délictueuse à une manifestation, la juridiction de jugement peut également prononcer la peine complémentaire d’interdiction de participer à des manifestations.

Cette peine complémentaire, prévue à l’article 131‑32‑1 du code pénal, empêche la personne condamnée de manifester dans les lieux que détermine la juridiction, et ce pour une durée maximale de trois ans.

La méconnaissance de cette interdiction constitue un délit, prévu à l’article 434‑38‑1 du code pénal, qui est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

d.   Le bilan judiciaire des dispositifs contre les violences collectives

Les tableaux suivants dressent la synthèse du bilan judiciaire des principales infractions concernant les violences collectives, commises pendant des manifestations ou des attroupements.

Nombre de condamnaTions prononcées
par les juridictions pénales de première instance

Année

Participation à un groupement pour préparer des violences ou dégradations

Délit d’attroupement

Participation délictueuse à une manifestation

Organisation d’une manifestation illicite

2015

83

92

6

3

2016

104

223

4

3

2017

98

231

4

8

2018

142

195

13

4

2019

402

465

63

23

2020

163

176

36

7

2021

318

238

24

9

2022

207

143

6

9

Source : ministère de la Justice – DACG.

 

synthèse des peines prononcées (2021-2022)

 

Participation à un groupement pour préparer des violences ou dégradations

Délit d’attroupement

Participation délictueuse à une manifestation

Organisation d’une manifestation illicite

 

2021

2022

2021

2022

2021

2022

2021

2022

Condamnations

318

207

238

143

24

6

9

9

Emprisonnement

110

81

60

46

6

1

0

0

Taux d’emprisonnement

34,6 %

39,7 %

25,2 %

34,3 %

25,0 %

16,7 %

Emprisonnement ferme

20

17

22

17

0

1

Quantum moyen emprisonnement ferme

4,3 mois

6,2 mois

7,2 mois

7,8 mois

6,0 mois

Amendes

16

9

39

14

9

1

4

6

Amendes fermes

11

9

35

11

7

0

1

4

Montant moyen des amendes fermes

436 €

844 €

367 €

414 €

379 €

250 €

509 €

Source : ministère de la Justice – DACG.

● Il ressort de ces données que la réponse pénale, d’une manière générale, est plus ferme et sévère en 2022 qu’en 2021 – à rebours de l’idée reçue et véhiculée par certains d’une justice qui serait laxiste, et qui le serait de plus en plus.

En effet, à l’exception de la participation délictueuse à une manifestation, les délits considérés, en 2022 par rapport à l’année précédente :

– font plus fréquemment l’objet d’une condamnation à de l’emprisonnement ferme ;

– connaissent des peines d’emprisonnement ferme plus lourdes ;

– et voient des amendes prononcées plus élevées.

● S’agissant des peines complémentaires, le tableau suivant compare celles prononcées en 2021 et 2022 afin de sanctionner la participation à un groupement pour préparer des violences ou des dégradations, ainsi que le délit d’attroupement.

Principales peines complémentaires prononcées (2021-2022)

Principales peines complémentaires prononcées

Participation à un groupement pour préparer des violences ou dégradations

Délit d’attroupement

2021

2022

2021

2022

Interdiction de détenir ou porter une arme

45

17

33

28

Confiscation

29

24

18

20

Interdiction de paraître

15

2

1

Interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique

1

Source : ministère de la Justice – DACG.

S’il est relativement logique que le prononcé des peines complémentaires soit loin d’être systématique, ces mesures étant la plupart du temps facultatives ([107]), leur occurrence demeure néanmoins faible – étant précisé en outre que plusieurs peines complémentaires peuvent être prononcées pour la même infraction principale.

Vos rapporteurs considèrent que l’opportunité de prononcer une ou plusieurs peines complémentaires appartient au juge, seul compétent en la matière, en fonction des circonstances de chaque espèce. Néanmoins, selon le rapporteur Éric Poulliat, un recours plus fréquent à ces peines, en particulier s’agissant des interdictions de paraître ou de participer à une manifestation, paraît envisageable. Le rapporteur Jérémie Iordanoff juge que les données dont il dispose ne suffisent pas à établir cette conclusion. Une étude sur la récidive des personnes condamnées éclairerait l’opportunité de favoriser le recours aux peines complémentaires.

Il s’agit ici davantage d’une observation que d’une recommandation, les juges du fond étant souverains.

Activisme violent et terrorisme : une qualification délicate

Certaines auditions conduites par vos rapporteurs ont souligné que certaines actions entreprises par des groupes activistes violents, sans relever strictement de la qualification de terrorisme, semblent pourtant s’écarter des infractions de droit commun.

Rappelons que, d’un point de vue pénal, la qualification de terrorisme suppose la commission d’une infraction « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur », ainsi que le prévoit l’article 421‑1 du code pénal.

Dès lors, si ces dispositions n’exigent pas de finalité terroriste et ne prévoient pas de seuil de gravité des infractions commises, elles doivent toutefois avoir pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, position rappelée en 2017 par la Cour de cassation dans le cadre d’une affaire portant sur des sabotages de lignes ferroviaires à grande vitesse – la qualification terroriste ayant été écartée (1).

Le phénomène d’activisme violent relève donc, dans la grande majorité des cas, d’infractions de droit commun – pouvant cibler spécifiquement des comportements d’activistes violents, comme la participation à un groupement pour commettre des violences – et, le cas échéant, être assorties de la circonstance aggravante de la bande organisée.

La qualification terroriste n’est retenue que de manière résiduelle, à la suite d’une analyse fine et in concreto reposant sur plusieurs facteurs.

Notons toutefois que même l’absence de qualification terroriste ne prive pas les enquêteurs de moyens : les infractions commises en bande organisée permettent la mise en œuvre d’importantes techniques spéciales d’enquête – parmi lesquelles les perquisitions nocturnes, la géolocalisation, l’interception de communications, l’infiltration, etc.

(1) Cass., crim., 10 janvier 2017,  1684.596, au Bulletin.

 

2.   Les autres qualifications pénales générales mobilisables contre les activismes violents

Si, ainsi qu’il vient d’être vu, les violences commises par les activistes, en particulier au cours de manifestations et rassemblements, font l’objet de qualifications pénales spécifiques, les actes commis relèvent également de qualifications de droit commun – le cas échéant assorties de circonstances aggravantes.

Les développements suivants n’abordent pas les qualifications « extrêmes » relevant du terrorisme, prévues par le titre II du livre IV du code pénal, ou des atteintes aux institutions de la République et à l’intégrité du territoire national que sont, au sens du code pénal, l’attentat, le complot, le mouvement insurrectionnel ou encore la provocation à s’armer contre l’État, prévues aux articles 412‑1 à 412‑8 du même code, ces infractions s’écartant en principe du champ de l’activisme violent.

La présentation qui suit des qualifications de droit commun susceptibles d’être retenues dans le cadre de l’activisme violent, si elle peut sembler fastidieuse, permet de rappeler à chacun l’état du droit et les risques pénaux encourus par les personnes qui, au nom de leurs idées, se mettent en infraction à la loi – parfois sans en avoir conscience.

Les circonstances aggravantes générales
liées à la nature haineuse des infractions commises

Le code pénal prévoit, d’une manière générale, une aggravation des peines encourues lorsqu’un crime ou un délit revêt une dimension haineuse, caractérisée par des actes, propos, écrits, images ou objets ayant un tel caractère et précédant, accompagnant ou suivant la commission de l’infraction.

En application des articles 132‑76 et 132‑77, dans une telle hypothèse, les peines privatives de liberté sont accrues : elles sont portées au degré supérieur dans l’échelle des peines criminelles et délictuelles – et doublées si la peine n’encourt pas plus de trois ans d’emprisonnement.

Ainsi, à titre d’exemple, si un crime encourt trente ans de réclusion criminelle, la circonstance aggravante haineuse aboutit à ce qu’il soit passible de la réclusion criminelle à perpétuité.

L’article 132‑76 cible les motifs haineux reposant sur l’appartenance ou la non‑appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion.

L’article 132‑77, quant à lui, cible les actes commis à raison de l’identité sexuelle de la personne, vraie ou supposée (sexe, orientation sexuelle ou identité de genre).

a.   Les violences contre les personnes

Allant des menaces et injures à l’assassinat et aux crimes sériels, les violences contre les personnes revêtent des qualifications pénales variées. Une attention particulière est portée à l’égard des violences ciblant notamment les élus.

i.   Les sanctions encourues en cas de violences contre les personnes

● Prévus par le livre II du code pénal, les crimes et délits contre les personnes recouvrent une variété de qualifications pénales. Si, théoriquement, les activismes violents peuvent relever de toutes ces qualifications, la majorité des atteintes aux personnes relèvent des crimes et délits suivants :

– le meurtre, prévu à l’article 221‑1 du code pénal et puni de trente ans de réclusion criminelle – peine portée à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d’assassinat (article 221‑3) ou encore de circonstances aggravantes telles que le meurtre d’un dépositaire de l’autorité publique (article 221‑4) ;

– les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, passible de quinze ans de réclusion criminelle (article 222‑7 du code pénal) ou, en cas de circonstances aggravantes, de vingt ans de réclusion criminelle (article 222‑8) ;

– les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, punies de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende, et de quinze ans de réclusion criminelle en cas de circonstances aggravantes (articles 222‑9 et 222‑10 du code pénal) ;

– les autres violences volontaires, passibles de peines d’emprisonnement allant de trois à cinq ans selon les circonstances et leurs conséquences, voire jusqu’à dix ans en cas de cumul de certaines circonstances aggravantes (articles 222‑11 à 222‑13 du code pénal) ([108]) ;

– les menaces de commettre un crime ou un délit contre les personnes, prévues aux articles 222‑17 à 222‑18‑3 du code pénal, passibles de peines d’emprisonnement allant de six mois à sept ans en fonction des circonstances.

● Précisons, à toutes fins utiles, que ces violences peuvent être physiques, mais aussi psychologiques : les atteintes à l’intégrité psychique caractérisées par un choc émotif ou une perturbation psychologique entrent dans le champ de ces dispositions, ainsi que la Cour de cassation l’a jugé à plusieurs reprises ([109]).

Cette position a finalement été consacrée par le législateur à l’article 222‑14‑3 du code pénal, aux termes duquel les violences sont réprimées « quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques ».

ii.   Le cas particulier des violences contre les dépositaires de l’autorité publique ou les personnes chargées d’une mission de service public

● Le fait de commettre des violences contre les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public, lorsque cette qualité est connue ou apparente, constitue une circonstance aggravante de l’infraction, qui est alors plus sévèrement punie :

– s’agissant des violences volontaires, les peines sont celles précédemment exposées dans le cadre des circonstances aggravantes ;

– ces peines sont encore accrues ([110]) lorsque la victime des violences est un membre des forces de sécurité, un agent des douanes, un sapeur-pompier ou un agent de l’administration pénitentiaire, ainsi que le prévoit l’article 222‑14‑5 du code pénal, introduit par la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure ([111]) ;

– concernant le délit de menace, si celle-ci est dirigée contre un élu, une personne dépositaire de l’autorité publique ou une personne chargée de mission de service public, les peines sont prévues aux articles 433‑3 et 433‑3‑1 du code pénal et vont de trois ans à dix ans d’emprisonnement, en fonction des circonstances.

● Il existe par ailleurs plusieurs infractions spécifiques destinées à protéger ces personnes et leurs proches :

 les violences commises en bande organisée ou avec guet-apens commises contre des membres des forces de l’ordre et dépositaires de l’autorité publique – ou leurs proches –, passibles de dix ans d’emprisonnement à trente ans de réclusion criminelle en fonction de la gravité des conséquences (article 222‑14‑1 du code pénal) ;

– le délit d’embuscade, prévu à l’article 222‑15‑1 du code pénal, passible de cinq ans d’emprisonnement – sept ans si l’infraction est commise en réunion ;

– l’outrage conte les personnes, prévu à l’article 433‑5 du code pénal, dont les peines vont d’une amende de 7 500 euros à deux ans d’emprisonnement selon les circonstances de l’infraction ;

– le délit de rébellion, définit par l’article 433‑6 du code pénal comme l’opposition d’une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public agissant pour l’exécution de ses fonctions, et punie de peines allant de deux à dix ans d’emprisonnement, selon qu’elle est commise armée ou non, et en réunion ou non (articles 433‑6 et 433‑7 du même code).

iii.   Le traitement pénal des violences contre les élus

Les violences commises contre les élus entrent dans le champ des circonstances aggravantes des infractions précédemment mentionnées.

S’agissant des menaces, la qualification pénale vise expressément les élus, dans la mesure où l’article 433‑3 du code pénal mentionne, notamment, les personnes investies d’un mandat électif public.

S’agissant des violences volontaires, la circonstance aggravante réside dans la qualité de dépositaire de l’autorité publique ou de personne chargée d’une mission de service public : comme le rappelle une circulaire du garde des Sceaux du 6 novembre 2019, « les responsables des exécutifs locaux (maires, présidents d’intercommunalités, des conseils départementaux et régionaux) mais aussi les adjoints aux maires et conseillers municipaux délégués, ont la qualité de personne dépositaire de l’autorité publique. Les autres élus, lorsqu’ils ne se voient confier par délégation aucune prérogative de puissance publique, comme les parlementaires, ont quant à eux la qualité de personnes chargées d’une mission de service public. » ([112])

Les auteurs de violences contre les élus sont donc passibles, en l’état du droit :

– de trois ans d’emprisonnement si l’ITT est d’une durée inférieure ou égale à huit jours (contre une amende contraventionnelle dans le droit commun) ;

– de cinq ans d’emprisonnement si l’ITT est supérieure à huit jours (contre trois ans dans le droit commun).

Les peines prévues sont donc plus lourdes que celles encourues hors circonstances aggravantes, mais elles demeurent inférieures à celles prévues lorsque la victime est un membre des forces de sécurité, un pompier ou un douanier, l’article 222‑14‑5 précédemment mentionné ne visant pas les élus.

Or, eu égard aux graves atteintes dont les élus locaux font l’objet et à la recrudescence des faits de violence à leur endroit, il apparaît légitime d’aligner le régime de sanction entre ces deux catégories de personnes, comme c’est d’ailleurs déjà le cas en matière de menaces.

Notons que cette proposition devrait être relativement consensuelle : le Parlement l’a déjà adoptée dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur ; il s’agissait du I de l’article 15 du texte issu du Parlement, mais cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel, qui a jugé qu’il s’agissait d’un cavalier législatif ([113]).

Le Sénat a par ailleurs repris ce dispositif dans la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, qu’il a adoptée le 10 octobre 2023 ([114])

Proposition n° 2 : relever les peines prévues pour les violences volontaires commises contre les élus, en les alignant sur celles applicables aux violences commises contre les membres des forces de sécurité.

 

b.   Les atteintes aux biens : du tag à la destruction volontaire par incendie ou explosif

Les atteintes aux biens sont prévues aux articles 322‑1 à 322‑18 du code pénal, qui distingue selon qu’elles sont de nature à présenter ou non un danger pour les personnes.

Relevons à titre liminaire que ces atteintes, selon un cadre juridique strict, peuvent relever de la qualification pénale de sabotage, délit sanctionné de quinze ans de réclusion criminelle et de 225 000 euros d’amende. Aux termes de l’article 411‑9 du code pénal, l’atteinte doit dans ce cas être de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

i.   Les atteintes ne présentant pas de danger pour les personnes

Les atteintes ne présentant pas de danger pour les personnes constituent des délits, dont la sanction varie en fonction de la nature de l’atteinte et du bien concerné.

Ainsi, aux termes de l’article 322‑1 du code pénal :

– les tags sont punis d’une amende de 3 750 euros, et peuvent faire l’objet de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle ([115]) ;

– la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien, sauf si le dommage n’est que léger, est passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Des circonstances aggravantes sont prévues :

– si le bien détruit est un registre, une minute ou un acte original de l’autorité publique (article 322‑2) ;

– selon la qualité de la personne au préjudice de laquelle l’atteinte est commise, selon les modalités de commission de l’atteinte ou en fonction de la nature du bien ciblé (articles 322‑3 et 322‑3‑1).

Les peines peuvent alors aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, par exemple pour une atteinte à un édifice affecté au culte ; elles sont portées jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas de pluralité d’auteurs et de complices.

ii.   Les atteintes dangereuses pour les personnes

Les atteintes aux biens susceptibles de présenter un danger pour les personnes concernent les destructions, dégradations et détériorations par l’effet d’une explosion ou d’un incendie, et sont prévues aux articles 322‑5 à 322‑11‑1 du code pénal. La gradation des peines est fonction de la nature volontaire ou non de l’atteinte, du type de bien concerné et des conséquences éventuelles pour les personnes.

● L’atteinte involontaire due à une explosion ou un incendie provoqués par un manquement à une obligation de prudence ou de sécurité est en principe punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende – les peines sont doublées si l’atteinte consiste en un incendie de bois, forêts, landes, maquis, plantations ou reboisements.

Des peines plus lourdes sont prévues si l’obligation de prudence et de sécurité a été manifestement violée et, pour les incendies, en fonction de leurs conséquences sur les personnes et l’environnement – la peine maximale étant de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si l’incendie a entraîné la mort d’une ou plusieurs personnes.

● L’atteinte volontaire aux biens par explosif ou incendie, prévue aux articles 322‑6 à 322‑11 du code pénal, est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende – peines portées à quinze ans de réclusion criminelle et 150 000 euros d’amende si l’incendie concerne des forêts, bois, landes, maquis, plantation ou reboisement.

Des peines plus lourdes sont prévues en fonction de la gravité des conséquences pour les personnes – allant jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité si l’infraction a entraîné la mort d’autrui ou, s’il s’agit d’un incendie de forêt, si ce dernier a entraîné pour autrui une mutilation ou une infirmité permanente. D’autres circonstances aggravantes sont également prévues en fonction des conditions de la commission de l’infraction ou de la qualité du propriétaire ou de l’utilisateur du bien ciblé.

● Enfin, la menace de commettre des atteintes aux biens est aussi sanctionnée, les peines allant de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende selon la nature et les modalités de la menace (articles 322‑12 et 322‑13 du code pénal).

Il en va de même des fausses alertes, punies de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (article 322‑14 du même code).

iii.   Le cas des atteintes aux biens d’élus

● Lorsque l’atteinte à un bien est faite au préjudice d’un élu, les peines encourues sont alourdies.

S’agissant des atteintes ne présentant pas de danger pour les personnes, l’article 322‑3 prévoit ainsi, lorsque l’atteinte concerne une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public et qu’elle est commise en vue d’influencer le comportement de cette personne dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission :

– cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de destruction, détérioration ou dégradation – contre des peines de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende dans le droit commun ;

– 15 000 euros d’amende en cas de tags – contre une amende de 3 750 euros hors circonstances aggravantes.

De manière similaire, s’agissant des atteintes dangereuses pour les personnes, l’article 322‑8 prévoit des peines doublées lorsque l’atteinte est faite en raison de la qualité de dépositaire de l’autorité publique de la personne propriétaire ou utilisatrice du bien : la peine de dix ans d’emprisonnement est portée à vingt ans de réclusion criminelle, et la peine de quinze ans de réclusion criminelle si l’atteinte consiste en l’incendie de forêts ou bois, est portée à trente ans de réclusion criminelle.

● Il convient toutefois de relever que la circonstance aggravante prévue pour les atteintes dangereuses a, s’agissant des élus, un champ d’application plus réduit que celle prévue pour les atteintes non dangereuses :

– pour ces dernières, tous les élus sont visés à travers la mention de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ;

– pour les atteintes dangereuses en revanche, ne sont visées que les personnes dépositaires de l’autorité publique.

Ainsi, les élus locaux qui ne font pas partie de l’exécutif local, mais aussi les parlementaires, qui relèvent de la catégorie de personnes chargées d’une mission de service public, ne sont pas couverts par la circonstance aggravante.

Or, un même traitement pour tous les élus paraît logique et légitime, d’autant plus dans le contexte de recrudescence des violences visant les élus et leurs biens – véhicules, domiciles, permanences parlementaires, etc.

Il est donc proposé de rendre cette circonstance aggravante applicable aux atteintes aux biens dangereuses commises au préjudice de tous les élus, en y incluant les personnes chargées d’une mission de service public.

Proposition n° 3 : rendre applicable à l’ensemble des élus la circonstance aggravante prévue pour les atteintes aux biens présentant un danger pour les personnes.

 

c.   Les entraves et intrusions

Au-delà des violences directes contre les personnes et les biens, d’autres infractions de droit commun peuvent être mobilisées face aux actions de certains activistes qui, sans être nécessairement violentes en elles-mêmes, empêchent l’exercice de libertés et sont ainsi porteuses d’une forme de violence symbolique – en plus de pouvoir avoir des conséquences tangibles sur la vie des personnes ainsi empêchées.

Votre rapporteur Jérémie Iordanoff estime que la question des entraves et des intrusions, et les développements qui s’y rapportent, ne relèvent pas du champ de la mission et tendent à dissoudre la distinction entre l’activisme violent et la désobéissance civile.

i.   Les entraves à l’exercice de libertés et au fonctionnement d’assemblées élues

● Afin de protéger le plein exercice de libertés, l’article 431‑1 du code pénal érige le fait d’entraver l’exercice de certaines libertés ou le fonctionnement d’assemblées élues en délit, sanctionné d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Sont concernées :

– l’entrave à l’exercice de la liberté d’expression, du travail, d’association, de réunion, de manifestation, de création artistique et de liberté artistique, si cette entrave est réalisée de manière concertée et à l’aide de menaces ;

– l’entrave à l’exercice de la fonction d’enseignant, là aussi si elle est concertée et à l’aide de menaces ([116]) ;

– l’entrave au déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’une assemblée délibérante d’une collectivité territoriale – sans que ne soit exigée ici une action concertée à l’aide de menaces, le délit pouvant être constitué du fait des actes d’une seule personne.

Dans l’hypothèse où l’entrave, réalisée de manière concertée, est faite à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

● Ainsi qu’il ressort de cet article 431‑1, à l’exception de l’entrave au fonctionnement d’assemblées élues, la qualification délictuelle suppose la commission concertée et à l’aide de menaces ou, s’agissant des circonstances aggravantes, de violences contre les personnes ou les biens.

Toutefois, comme le relevait le rapport de la mission d’information commune de notre assemblée sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales publié le 27 janvier 2021 ([117]), cette double exigence  action concertée, d’une part, menaces ou violences, d’autre part  est de nature à restreindre considérablement le champ du délit, comme les exemples suivants, non exhaustifs, l’illustrent :

– l’action, pourtant violente, d’une personne isolée ne relève pas de la qualification prévue à l’article 431‑1, n’étant pas concertée ;

– des actes a priori non violents, mais pourtant susceptibles d’entraver l’exercice de libertés, échappent également à cette qualification, tels que des intrusions ou des obstructions.

Au-delà de son aspect intellectuellement insatisfaisant, dans la mesure où les deux exemples mentionnés, en ce qu’ils empêchent d’exercer des libertés, devraient appeler des sanctions, un tel constat est aussi propice à des contournements – agir seul plutôt qu’en groupe, ou bloquer plutôt que d’user de violences.

Faire évoluer l’article 431‑1 du code pénal afin de combler ses apparentes lacunes semble ainsi une piste non seulement intéressante, mais légitime, ce qu’avait d’ailleurs recommandé la mission d’information commune précitée ([118]).

Proposition n° 4 de M. Poulliat : étendre le champ d’application du délit d’entrave à l’exercice de libertés, en supprimant la condition de concertation et en incluant aux côtés des menaces, parmi les moyens d’entrave utilisés, l’intrusion et l’obstruction.

 

ii.   Les entraves à la circulation

● Le délit d’entrave à la circulation est prévu à l’article L. 412‑1 du code de la route, et est puni de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende.

L’infraction est constituée par le fait, en vue d’entraver ou de gêner la circulation sur une voie ouverte à la circulation publique :

– de placer ou tenter de placer un objet empêchant le passage des véhicules ;

– ou d’employer ou tenter d’employer un moyen quelconque pour faire obstacle au passage des véhicules.

La procédure de l’AFD, depuis la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur précitée, est applicable à cette infraction : le montant de l’amende ainsi due est de 800 euros, minoré à 640 euros et majoré à 1 600 euros.

● Les entraves à la circulation ferroviaire, quant à elles, sont prévues à l’article L. 2242‑4 du code des transports et punies de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Elles recouvrent plusieurs types d’actes, tels que :

– la modification sans autorisation ou la dégradation des voies ferrées ;

– jeter ou déposer sur les lignes de transport un matériau ou un objet ;

– empêcher le fonctionnement des signaux de circulation ;

– pénétrer sur les voies ;

– ou encore troubler la circulation des trains.

La procédure de l’AFD, introduite par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur précitée, est là aussi applicable ([119]).

● Ces dispositions peuvent ainsi s’appliquer aux actions consistant à dresser des barricades sur une voie publique ou ferrée, mais aussi à celles durant lesquelles des activistes empêchent la circulation en formant des chaînes humaines ou en collant leurs membres sur la chaussée ou les rails. Certes, aucune violence directe contre les utilisateurs de la voie n’est commise, mais de telles actions :

– portent atteinte à la liberté d’aller et venir ;

– peuvent avoir de graves conséquences pour les utilisateurs de la voie, économiques comme humaines – songeons ici à la situation d’une femme enceinte ainsi bloquée dans un embouteillage dû à l’entrave, ou à une personne malade ou blessée et nécessitant une assistance médicale.

Les entraves à la circulation, si elles peuvent parfois prendre la forme d’actions ludiques ou festives et ne peuvent, naturellement, être mises sur le même plan que les violences directes, n’en ont pas moins pour autant des conséquences potentiellement lourdes et sont tout sauf anodines. La recrudescence de telles entraves, en particulier par les activistes sociétaux, ne peut donc qu’inquiéter, et ces actes ne doivent pas être banalisés ou traités à la légère.

À cet égard, votre rapporteur Éric Poulliat appelle à la pleine application de la loi face aux entraves à la circulation, en sanctionnant leurs auteurs, le cas échéant au moyen des AFD, afin de limiter ces actions.

iii.   Les intrusions et blocages

Outre les entraves à la circulation, la législation pénale sanctionne d’autres comportements de droit commun susceptibles d’être employés par des activistes violents.

● Ainsi en va-t-il des intrusions dans des enceintes sportives, notamment en pénétrant sur l’aire de compétition pour perturber le déroulement d’une compétition, délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende en application de l’article L. 332‑10 du code du sport – ce code prévoit d’autres infractions, notamment pour sanctionner le fait de faire pénétrer dans l’enceinte des armes ou des projectiles.

Ces dispositions peuvent, en matière d’activisme, s’appliquer à des personnes qui souhaitent bénéficier de l’écho médiatique qu’une intrusion sur une aire de compétition sportive, voire son interruption, peut avoir.

● Le fait de pénétrer ou de se maintenir, à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte, dans un local à usage commercial, professionnel ou agricole, est passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, ainsi que le prévoit l’article 315‑1 du code pénal – ces dispositions, introduites par la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, s’appliquent aussi aux locaux à usage d’habitation ([120]).

Une telle infraction, s’agissant d’activistes, peut trouver à s’appliquer à des personnes pénétrant illégalement sur un site industriel ou dans les locaux d’une entreprise, afin de le bloquer ou de le dégrader – dans cette seconde hypothèse, les qualifications pénales d’atteintes aux biens peuvent également être retenues.

● L’intrusion non autorisée au sein de zones protégées intéressant la défense nationale est également punie – de six mois ou d’un an d’emprisonnement, selon la nature du site concerné (articles 413‑5 et 413‑7 du code pénal).

iv.   Le cas particulier des intrusions dans les établissements d’enseignement

● Les intrusions dans les établissements d’enseignement scolaire sont elles aussi sanctionnées : le fait de pénétrer ou de se maintenir sans autorisation dans un tel établissement, dans le but d’en troubler la tranquillité ou le bon ordre, est passible d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, aux termes de l’article L. 431‑22 du code pénal – des peines alourdies sont prévues si l’intrusion est faite en réunion ou en portant une arme.

La procédure de l’AFD est applicable pour le délit commis hors circonstances aggravantes.

● Précisons que les établissements concernés sont les écoles, les collèges et les lycées, et non les universités : l’article L. 431‑22 du code pénal n’est pas applicables aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, dont relèvent les universités ou encore les écoles normales supérieures, comme l’a expressément jugé la chambre criminelle de la Cour de cassation ([121]).

Dès lors, et comme cela avait d’ailleurs été expressément indiqué par le Gouvernement et le rapporteur du texte lors de l’examen à l’Assemblée du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, ces dispositions ne sauraient être utilisées face à l’intrusion et au blocage d’universités.

● Votre rapporteur Jérémie Iordanoff n’estime pas opportun d’étendre aux établissements d’enseignement supérieur le dispositif existant pour les établissements scolaires :

– les établissements d’enseignement supérieur ne sont pas dans la même situation que les écoles, collèges et lycées, eu égard à l’autonomie dont ils jouissent mais aussi à la population qui y étudie ;

– le droit actuel prévoit déjà plusieurs moyens pour lutter contre des intrusions au sein d’universités, y compris l’expulsion ordonnée par la justice.

En revanche, votre rapporteur Éric Poulliat juge utile de faire évoluer la législation sur ce point, afin de pouvoir sanctionner les intrusions non autorisées dans des universités et d’autres établissements d’enseignement supérieur : le trouble à l’ordre public et au bon déroulement des enseignements est consommé, et les universités ne sauraient pouvoir être empêchées de fonctionner normalement.

Rappelons d’ailleurs que le Parlement a déjà adopté en 2020 un tel dispositif, qui avait ensuite été censuré par le Conseil constitutionnel pour des motifs procéduraux ([122]).

Les mêmes sanctions, et les mêmes circonstances aggravantes, pourraient ainsi être retenues, de même que la possibilité d’appliquer la procédure de l’AFD hors circonstances aggravantes.

Proposition n° 5 de M. Poulliat : sanctionner les intrusions non autorisées dans les établissements d’enseignement supérieur, sur le modèle du dispositif existant pour les établissements scolaires.

 

d.   Les discours et propos haineux

● Si, ainsi qu’il a été vu, la nature haineuse d’un crime ou d’un délit constitue une circonstance aggravante générale prévue aux articles 132‑76 et 32‑77 du code pénal, la loi pénale sanctionne directement les discours et propos haineux, qui reposent sur l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, d’une personne ou d’un groupe de personne à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion, ou sur l’identité sexuelle, vraie ou supposée, de la ou des personnes visées :

– l’injure et la diffamation haineuses, si elles sont publiques, sont punies d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([123]) ;

– si elles ne sont pas publiques, elles sont passibles de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, soit 1 500 euros ([124]) ;

– la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, sur un fondement haineux est passible des mêmes peines ([125]) ;

– l’apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes de réduction en esclavage ou des infractions de collaboration, est passible de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([126]) ;

– la négation de crimes contre l’humanité, de génocide, de crimes de guerre ou de crimes de réduction en esclavage, quant à elle, est passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([127]).

● Ces infractions permettent de lutter contre la haine proférée par certaines mouvances d’activisme violent, telles que l’ultra-droite dans ses expressions altérophobes, par exemple dirigées contre les juifs, les musulmans, les étrangers ou encore les homosexuels ou les transsexuels.

3.   Le cadre spécifique aux groupes violents : la dissolution administrative

Si, ainsi qu’il vient d’être vu, la législation pénale est bien pourvue en outils permettant de dissuader ou, en cas de passage à l’acte, de sanctionner les comportements violents que des activistes peuvent embrasser, les pouvoirs publics disposent d’un autre instrument, peut-être le plus emblématique, pour lutter contre les groupements troublant l’ordre public : la dissolution administrative, et ses conséquences pénales, qui cible non pas un ou plusieurs individus pris en tant que personnes physiques, mais bien une entité en tant que telle.

Les développements qui suivent s’attacheront à ne présenter que la mesure de dissolution administrative dans son principe et ses modalités, et à dresser une synthèse de sa mise en œuvre. Les écueils auxquels la dissolution peut faire face et les pistes susceptibles de les résoudre sont traités dans une partie dédiée du rapport (cf. infra, B, 1).

a.   Les motifs de dissolution : préserver l’ordre public

i.   Les hypothèses actuelles de dissolution

● La dissolution des associations et groupements est prévue à l’article L. 2121 du code de la sécurité intérieure (CSI), qui a remplacé en 2012 les dispositions de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées. Résultant d’un décret en Conseil des ministres, elle concerne les associations ou les groupements de fait répondant à au moins l’une des sept hypothèses de dissolution mentionnées à cet article, à savoir :

– la provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents contre les personnes et les biens (1° de l’article L. 212‑1 du CSI) ;

– le fait de présenter le caractère de groupes de combat ou de milices privées – un groupe de combat, aux termes de l’article 431‑13 du code pénal, est un groupement de personnes, hors des cas prévus par la loi, détenant ou ayant accès à des armes, doté d’une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l’ordre public (2°) ;

– avoir un objet ou une action tendant à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement (3°) ;

– exercer une activité tendant à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine – hypothèse qui s’inscrit dans le cadre de la Seconde guerre mondiale (4°) ;

– rassembler des individus condamnés pour collaboration avec l’ennemi – là aussi, cette hypothèse s’inscrit dans le cadre des suites de la Seconde guerre mondiale – ou exalter cette collaboration (5°) ;

– la provocation ou la contribution à des agissements discriminatoires, haineux ou violents envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur identité, réelle ou supposée ([128]), ainsi que la propagation d’idées ou de théories qui tendent à justifier ou encourager cette discrimination, haine ou violence (6°) ;

– le fait de se livrer, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme, en France ou à l’étranger (7°).

La pénalisation des groupes de combat

Définis à l’article 431‑13, les groupes de combat désignent tout groupement de personnes détenant ou ayant accès à des armes, doté d’une organisation hiérarchisée et susceptible de troubler l’ordre public.

L’existence même d’une telle structure est pénalement réprimée, indépendamment des actes commis :

– l’organisation d’un groupe de combat est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (article 431‑16 du code pénal) ;

– le fait de participer à un tel groupe est quant à lui puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 413‑14 du même code).

(1) Cf. supra, Première partie, II.

● La dissolution d’une association ou d’un groupement peut également intervenir indépendamment des actions ou de l’objet de la structure proprement dite, mais du fait des agissements de ses membres.

Ce dispositif, figurant à l’article L. 212‑1‑1 du CSI, prévoit en effet d’imputer à l’association ou au groupement les actes entrant dans le champ de l’article L. 212‑1 qui sont commis par un ou plusieurs membres qui agissent en cette qualité ou qui sont directement liés à l’activité de la structure, lorsque les dirigeants de celle-ci, alors qu’ils avaient connaissance de ces actes, n’ont pas pris les mesures pour les faire cesser.

Plusieurs conditions sont ainsi prévues :

– les actes des membres doivent correspondre à des agissements mentionnés dans les motifs de dissolution prévus à l’article L. 212‑1 du CSI ;

– un lien entre les agissements des membres et l’association ou le groupement doit être constaté ;

– les dirigeants de l’association ou du groupement ont connaissance de ces agissements ;

– une carence des dirigeants doit être constatée (carence consistant à n’avoir pas pris les mesures pour faire cesser les agissements).

Ce dispositif permet d’éviter les stratégies de contournement auxquelles se livraient certains groupements ou associations, qui jouaient sur la difficulté de leur rattacher les actions de leurs membres.

● Enfin, le code du sport prévoit, à son article L. 332‑18, la possibilité de dissoudre une association ou un groupement de supporters dont les membres ont commis, à l’occasion d’une manifestation sportive ou en relation avec celle-ci, des actes répétés ou un acte particulièrement grave de violence contre les personnes ou les biens ou d’incitation à la haine ou à la discrimination contre des personnes à raison de leur identité.

Cet article permet aussi de suspendre temporairement l’activité de l’association ou du groupement (cf. infra, B, 1).

ii.   Les récentes évolutions issues de la loi confortant le respect des principes de la République

La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a utilement fait évoluer le cadre juridique de la dissolution d’associations ou groupements, mettant notamment en œuvre des recommandations de la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France précédemment mentionnée.

● D’une part, elle a modifié trois des motifs de dissolution, afin de les actualiser, de les enrichir et de les rendre plus opérationnels.

Ainsi, la notion de provocation « à des manifestations armées dans la rue » prévue au 1° de l’article L. 212‑1 du CSI, si elle s’inscrivait dans le contexte de 1934 en reprenant les dispositions de la loi du 10 janvier 1936, ne trouvait pas à s’appliquer aux nouveaux phénomènes de violences constatées, notamment par les mouvances de type Black Blocs.

Ce motif de dissolution a donc été revu, afin de cibler la provocation à des manifestations armées « ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

De la même manière, le motif prévu au 3° de cet article L. 212‑1 était trop réducteur : en visant les structures qui « ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement », il excluait les groupements et associations qui, sous couvert d’un autre objet, poursuivaient des activités à cette fin.

Pour éviter une telle lacune, potentiellement dommageable, la loi du 24 août 2021 a précisé ce motif de dissolution, qui vise désormais les structures « dont l’objet ou l’action tend à porter atteinte » aux éléments précités.

La troisième série de modifications a porté sur le motif de dissolution prévu au 6° de l’article L. 212‑1, relatif à la discrimination, la violence et la haine contre les personnes à raison de leur identité :

– outre la seule provocation à de tels actes, ont été incluses les personnes qui contribuent, par leurs agissements, à ces actes ;

– le champ du motif a été étendu aux actes reposant sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, permettant de cibler les agissements visant spécifiquement les femmes et les actes homophobes ou transphobes ;

– enfin, l’appartenance à une ethnie, une religion ou une prétendue race est désormais « vraie ou supposée », permettant de cibler les actes en fonction de l’intention de leurs auteurs, et non de la réalité de l’appartenance de la personne visée.

● D’autre part, c’est cette loi qui a introduit dans le CSI l’article L. 212‑1‑1 créant un régime d’imputabilité au groupement ou à l’association des agissements individuels, dans les conditions précédemment décrites.

● Enfin, notons que cette loi, dans sa version issue du Parlement, prévoyait dans un nouvel article L. 212‑1‑2 du CSI la possibilité pour l’administration, en cas d’urgence, de suspendre temporairement (jusqu’à six mois) l’activité d’une association ou d’un groupement faisant l’objet d’une procédure de dissolution – et donc avant l’éventuelle dissolution –, la violation de cette suspension étant passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Cette mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel au motif qu’elle portait une atteinte excessive à la liberté d’association. Le Conseil constitutionnel avait ainsi relevé qu’au stade de la suspension, il n’était pas encore établi que les activités de l’association troublaient gravement l’ordre public, et avait souligné que les travaux préparatoires du projet de loi montraient que la suspension permettait de disposer du temps nécessaire pour instruire le dossier de dissolution ([129]).

● À l’occasion de plusieurs décisions récentes ([130]), le Conseil d’État a apporté des précisions sur la nature des agissements susceptibles de donner lieu à dissolution, en particulier en ce qui concerne la provocation à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens. Cette provocation peut être par propos ou par actes, et être explicite ou implicite. Par ailleurs, le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu’en soient les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions.

Votre rapporteur Éric Poulliat souhaite donc que le 1° de l’article L. 212-1 du CSI soit complété afin de préciser que les provocations pourront être directes ou indirectes. Cette précision est plus adaptée à la réalité de l’action des groupuscules violents, dont la provocation peut prendre de multiples formes ; elle ferait au demeurant écho à la position retenue par le juge administratif.

Proposition n° 6 de M. Poulliat : au 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, préciser que les provocations à des manifestations armées ou à des agissements violents pouvant justifier une dissolution administrative peuvent être faites « directement ou indirectement ».

 

b.   Le bilan des dissolutions intervenues depuis 2012

● Depuis 2012, 46 associations ou groupements de fait ont fait l’objet d’une dissolution prise sur le fondement :

– de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées (une dissolution intervenue en 2012, avant l’abrogation de cette loi et l’introduction de l’article L. 212‑1 du CSI) ;

– de l’article L. 212‑1 du CSI (44 dissolutions) ;

– de l’article L. 332‑18 du code du sport (une dissolution, intervenue en 2022).

Mesures de dissolution prises depuis 2012

Année

Association

Groupement de fait

Total

2012

0

1

1

2013

3

2

5

2016

4

0

4

2017

1

0

1

2018

1

0

1

2019

11

1

12

2020

3

2

5

2021

3

2

5

2022

4

4

8

2023

2

2

4

Total

32

14

46

NB : le tableau inclut les mesures de dissolution ayant par la suite été suspendues ou annulées par la justice.

Source : ministère de l’Intérieur et des outre-mer, direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).

Parmi ces 46 mesures de dissolution, 23 ont fait l’objet d’un contentieux :

– par dix-neuf fois, le Conseil d’État a confirmé la dissolution ;

– deux annulations ont été prononcées, l’une en 2014 concernant une mesure de dissolution prise en 2013, relative à l’ultra-droite, l’autre en 2023, concernant les environnementalistes violents ;

– deux suspensions ont été décidées, concernant la mouvance antisémite en 2022, avant que le juge administratif ne se prononce au fond – la décision est en attente à la date de rédaction du présent rapport.

● La mouvance la plus concernée par les mesures de dissolution est la mouvance islamiste – 19 dissolutions.

En dehors des islamistes, l’ultra-droite est la mouvance la plus ciblée par les dissolutions : 18 associations et groupements de fait relevant de l’ultradroite ont été dissous depuis 2012, la plus récente mesure concernant l’association Civitas, dissoute par décret du 4 octobre 2023 ([131]). L’une de ces mesures a été annulée par le Conseil d’État en 2014. Récemment, le Conseil d’État a confirmé la dissolution du groupement de fait Alvarium ([132]).

Les autres mouvances dont des structures ont fait l’objet de mesures de dissolution se répartissent ainsi :

– deux dissolutions concernant la mouvance d’ultra-gauche (en 2022), dont l’une suspendue par le juge des référés du Conseil d’État, mais finalement confirmée par la Section du contentieux de cette juridiction ([133]) ;

– deux dissolutions concernant la mouvance antisémite (en 2022), qui ont été suspendues par le juge des référés du Conseil d’État) ;

– une dissolution concernant la mouvance complotiste (en 2023) ;

– une dissolution concernant la mouvance environnementaliste violente – celle des Soulèvements de la Terre par décret du 21 juin 2023 ([134]), suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d’État du 11 août 2023 ([135]) et finalement annulée au fond par la Section du contentieux du Conseil ([136]).

– une dissolution concernant des violences sportives sur le fondement de l’article L. 332‑18 du code du sport (en 2022) ;

– une dissolution concernant la mouvance indigéniste et raciste (en 2021) ;

– une dissolution concernant la mouvance ultra-nationaliste turque (en 2020).

Le tableau suivant récapitule, par familles d’activistes ou thématiques, les mesures de dissolution prises par décret depuis 2012. Précision méthodologique, vos rapporteurs ont retenu la classification du ministère de l’Intérieur et des outre‑mer dans le rattachement des structures à une mouvance ou thématique, expliquant la présence de mouvances ne relevant pas des cinq grandes familles présentées dans ce rapport (cf. supra, Première partie, II). En revanche, vos rapporteurs ont rattaché Les Soulèvements de la Terre à la mouvance des environnementalistes violents, alors que le ministère avait qualifié ce groupement de fait d’ultra-gauche. Par ailleurs, les suspensions mentionnées ne sont que celles qui n’ont pas été infirmées au fond – et donc pour lesquelles le recours est encore pendant.

Répartition des mesures de dissolution prises depuis 2012 par thématique

Mouvance / Thématique

Nombre de dissolutions décrétées

Annulations ou suspensions

Islamistes

19

0

Ultra-droite

18

1

Ultra-gauche

2

0

Antisémitisme

2

2

Environnementalistes violents

1

1

Complotistes

1

0

Nationalistes turcs

1

0

Indigéniste / raciste

1

0

Violences sportives

1

0

Total

46

4

Source : ministère de l’Intérieur et des outre-mer, DLPAJ.

● Enfin, s’agissant des motifs des dissolutions – étant précisé qu’une dissolution peut reposer sur plusieurs motifs –, en dehors de la mouvance islamiste ([137]), l’administration a fondé ses décisions :

– seize fois pour provocation à des manifestations armées ou des agissements violents contre les personnes ou les biens (dix fois concernant l’ultra‑droite, deux fois concernant l’ultra-gauche et une fois pour chacune des autres mouvances mentionnées, hors antisémitisme et violences sportives – et hors islamistes, qui sont hors du champ de l’étude) ;

– quatre fois au titre des groupes de combat, chaque fois pour la mouvance d’ultra-droite ;

– une fois au titre d’actions tendant à attenter à la forme républicaine du Gouvernement, concernant l’ultra-droite ;

– quatre fois pour exaltation de la collaboration, là aussi chaque fois pour la mouvance d’ultra-droite ;

– vingt-quatre fois pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (dix-huit fois concernant l’ultra-droite, deux fois pour la mouvance antisémite, une fois pour la mouvance ultra-nationaliste turque, une fois pour la mouvance indigéniste raciste, une fois pour la mouvance complotiste et une fois au titre de violences sportives) ;

– enfin, quatre fois pour provocation à des actes de terrorisme (deux fois pour la mouvance antisémite, une fois pour la mouvance indigéniste raciste et une fois pour la mouvance complotiste).

La répartition des motifs de dissolution entre les différentes mouvances est présentée dans le tableau ci-après.

motifs des mesures de dissolution prises depuis 2012
(hors mouvance islamiste)

Motifs

Ultra-droite

Ultra-gauche

Antisémites

Environ. violents

Indigénistes

Nation. turcs

Violences sportives

Complotistes

1° (violences)

10

2

1

1

1

1

2° (groupes de combat)

4

3° (atteinte à la forme républicaine du Gouvernement)

1

5° (collaboration)

4

6° (provocation à la haine, discrimination ou violence)

18

2

1

1

1

1

7° (provocation au terrorisme)

2

1

0

0

1

Source : ministère de l’Intérieur et des outre-mer, DLPAJ.

 

*

*     *

Le tableau suivant dresse le détail de l’ensemble des mesures de dissolution intervenues depuis 2012, hors mouvance islamiste, en précisant, outre le nom de la structure ciblée, sa nature, la mouvance ou la thématique dont elle relève, les fondements de la mesure, et enfin, le cas échéant, l’état contentieux.

synthèse détaillée des dissolutions intervenues depuis 2012

Nom

Nature (1)

Mouvance

Date du décret

Fondements
(article L. 2121 du CSI)

Contentieux

Jeunesses nationalistes révolutionnaires

GF

Ultra-droite

12/07/2013

2° et 6°

Dissolution confirmée

Troisième voie

GF

Ultra-droite

12/07/2013

2° et 6°

Dissolution confirmée

Envie de rêver

A

Ultra-droite

12/07/2013

2° et 6°

Annulation

Œuvre française

A

Ultra-droite

25/07/2013

5° et 6°

Dissolution confirmée

Jeunesses nationalistes

A

Ultra-droite

25/07/2013

5° et 6°

Dissolution confirmée

Les petits reblochons

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Lugdunum

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Cercle Frédéric Mistral

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Bastion social

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Cercle Honoré d’Estienne d’Orves

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Solidarité Argentoratum

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Arvernis

A

Ultra-droite

24/04/2019

1° et 6°

Blood and Honour Hexagone

GF

Ultra-droite

24/07/2019

2° et 6°

Loups gris

GF

Milice étrangère (nationalistes turcs)

04/11/2020

1° et 6°

Génération identitaire

A

Ultra-droite

03/03/2021

Dissolution confirmée

Ligue de défense noire africaine

GF

Indigéniste / raciste

29/09/2021

1°, 6° et 7°

Alvarium

GF

Ultra-droite

17/11/2021

1° et 6°

Dissolution confirmée

Zouaves Paris

GF

Ultra-droite

05/01/2022

1° et 6°

Comité Action Palestine

A

Antisémitisme

09/03/2022

6° et 7°

Suspension

Collectif Palestine vaincra

GF

Antisémitisme

09/03/2022

6° et 7°

Suspension

Groupe antifasciste Lyon et environs (GALE)

GF

Ultra-gauche

30/03/2022

Dissolution confirmée

Bloc Lorrain

A

Ultra-gauche

23/11/2022

Dissolution confirmée

Ferveur parisienne

GF

Violences sportives

08/12/2022

6° (art. L. 332‑18 c. sport)

Dissolution confirmée

Les Alerteurs

A

Complotiste

01/02/2023

1°, 6° et 7°

Bordeaux nationaliste

GF

Ultra-droite

01/02/2023

1°, 5° et 6°

Les Soulèvements de la Terre

GF

Environnementalistes violents

21/06/2023

Annulation

Civitas

A

Ultra-droite

04/10/2023

3°, 5° et 6°

(1) GF : groupement de fait ; A : association.

Source : ministère de l’Intérieur, DLPAJ.

 

c.   Les suites pénales d’une dissolution : le délit de reconstitution de ligue dissoute

La dissolution d’un groupement ou d’une association entraîne la disparition juridique de la structure, et fait obstacle à ce que ses anciens membres puissent se réunir, communiquer ou agir sous leur ancienne bannière. Elle a ainsi pour effet de désorganiser les mouvances ciblées, ainsi que de faire diminuer les violences commises et la diffusion de propagande haineuse ou appelant à la violence – même si les mesures de dissolution doivent être maniées avec prudence en raison d’effets pervers potentiels (cf. infra, B, 1).

i.   La sanction du maintien ou de la reconstitution d’une structure dissoute

Surtout, pour éviter de priver d’effets concrets une mesure de dissolution, la loi punit le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d’une structure dissoute en application de l’article L. 212‑1 du CSI.

Ce délit de reconstitution de ligue dissoute, pour reprendre l’ancien vocable, est prévu à l’article 431‑15 du code pénal. Il est passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, peines portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende si la structure maintenue ou reconstituée est un groupe de combat.

Peuvent également être prononcées des peines complémentaires, telles que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, l’interdiction de diriger une association, l’interdiction de séjour, ainsi que l’interdiction du territoire français, temporaire ou définitive, si la personne est étrangère (articles 431‑18 et 431‑19 du code pénal). En outre, les biens appartenant à la structure maintenue ou reconstituée, de même que les matériels utilisés par elles, peuvent être confisqués en application de l’article 431‑21 du code pénal.

ii.   L’opportunité de sanctionner plus sévèrement l’organisation du maintien ou de la reconstitution

Il convient de noter une forme de hiatus dans l’appréhension pénale de la reconstitution de structures dissoutes, selon qu’il s’agit ou non de groupes de combat.

S’il s’agit d’un groupe de combat, sont punies non seulement la participation au maintien ou à la reconstitution du groupe (article 431‑15), mais aussi l’organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, en application de l’article 431‑17, celle-ci étant passible de peines plus lourdes (sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende).

Cela paraît logique : l’organisation du maintien ou de la reconstitution d’un groupe est plus grave, traduit un manquement plus sévère, que la « simple » participation à ce maintien ou à cette reconstitution, puisqu’elle implique une forme de direction.

Cette logique se retrouve d’ailleurs en matière de manifestations, ainsi qu’il a été vu :

– la participation à une manifestation non déclarée n’est pas sanctionnée, mais l’organisation d’une telle manifestation est un délit ;

– la participation à une manifestation interdite est sanctionnée d’une amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, tandis que l’organisation d’une telle manifestation interdite est punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Or, s’agissant des structures dissoutes qui ne constituent pas des groupes de combat, seule la participation au maintien ou à la reconstitution est prévue par l’article 431‑15.

Aux yeux de vos rapporteurs, il serait non seulement cohérent, mais opportun, de cibler expressément l’organisation d’un tel maintien ou d’une telle reconstitution, assortie de peines plus sévères que celles prévues pour la participation.

Eu égard à l’échelle actuelle des peines, la sanction d’une telle organisation pourrait être passible de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

Proposition n° 7 : sanctionner de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende l’organisation du maintien ou de la reconstitution d’un groupement ou d’une association dissout ne constituant pas un groupe de combat.

 

  1.   Les limites de ces mesures : des instruments à manier avec clairvoyance

À titre liminaire, et avant d’aborder les difficultés et limites opérationnelles de plusieurs outils juridiques, vos rapporteurs tiennent à rappeler que les réponses à l’activisme violemment ne peuvent s’affranchir du souci du juste équilibre entre liberté et sécurité.

Il en va de la validation des décisions par le juge constitutionnel ou administratif, mais aussi de leur acceptabilité par l’ensemble des citoyens.

1.   Bénéfices et limites de la dissolution administrative

Séduisante en théorie, la dissolution administrative s’avère être une solution à manier avec précaution, en raison des effets contre-productifs qu’elle peut parfois engendrer.

 

  1.   À court-terme, une source de désorganisation certaine pour les associations ciblées

En premier lieu, il est indéniable que la dissolution administrative exerce un effet déstabilisateur pour les structures visées ([138]). Elle les prive en effet des moyens de se réunir, de communiquer ou d’agir sous leur ancienne bannière. Ainsi, les associations Barakacity ([139]) ou encore la maison d’édition islamiste Nawa Centre d’études orientales et de traduction ([140]) ont cessé leurs activités en France à la suite de leur dissolution. Les dissolutions de l’association d’ultra-droite Génération identitaire ([141]) et de l’association d’ultra-gauche Bloc Lorrain ([142]) ont permis, selon la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, « de mettre fin aux violences commises, à la diffusion de propos incitant à la haine et à la discrimination ». 

En second lieu, il semble également qu’une association visée par une procédure de dissolution, sans être encore dissoute, ait tendance à faire profil bas et à diminuer la violence de sa propagande ou de ses actions.

b.   De possibles effets contre-productifs

Néanmoins, au cours des auditions, l’attention de vos rapporteurs a été attirée sur plusieurs limites de la dissolution administrative.

– La dissolution alimente le discours victimaire de l’association visée, qui peut en profiter pour accroître son aura médiatique et citoyenne. Ainsi, Les Soulèvements de la Terre ont réagi à l’annonce de la procédure de dissolution les visant en publiant une tribune en ligne. Ils y dénoncent « une nouvelle manœuvre du ministre de l’intérieur pour tenter de faire oublier la brutale répression qu’il a orchestrée » ([143]) et revendiquent une « révolte de fond », une « grande coalition de forces ». Ils appellent tout un chacun à signer leur tribune pour manifester son appartenance aux Soulèvements de la Terre, avec pour mot d’ordre « On ne dissout pas un mouvement, on ne dissout pas une révolte ». La tribune comptait, en septembre 2023, plus de 150 000 signataires. 

– En précipitant dans la clandestinité une partie des membres de la structure dissoute, la dissolution peut rendre plus difficile le suivi et la prévention de leurs agissements. Elle peut ainsi entraîner une perte de contrôle de l’administration sur le mouvement et ses membres. Elle permet aussi aux cadres du mouvement de prendre connaissance des renseignements dont disposent les services de l’État à leur encontre, ce qui peut être le fondement d’une réorganisation plus discrète et efficace.

– L’infraction de reconstitution de ligue dissoute (article 431-15 du code pénal) reste longue et difficile à caractériser. Enfin, la DLPAJ a soulevé, à juste titre, la question du devenir des avoirs de l’association, pour lesquels aucune procédure de saisie n’est prévue. Ils peuvent être librement réutilisés au profit d’associations poursuivant un but similaire, ou d’associations de fait, la dissolution équivalant alors à un simple « changement de nom ».

c.   Deux mesures de nature à améliorer l’efficacité de la dissolution administrative

i.   La suspension d’activités

Il pourrait, dans certains cas, être intéressant de s’inspirer d’un instrument qui existe en matière de lutte contre les groupes de supporters violents : la suspension d’activités.

Outre la dissolution administrative, le code du sport prévoit en effet, à son article L. 332‑18, la possibilité de suspendre temporairement l’activité d’associations ou groupements de fait dont l’objet est de soutenir une association sportive et dont des membres ont commis en réunion, lors d’une manifestation sportive, des actes violents – dégradations de biens, violences sur les personnes ou incitation à la haine ou à la discrimination.

Le régime juridique de la suspension des groupes de supporters

Cette suspension d’activité, décidée par décret, peut aller jusqu’à douze mois.

L’organisation ou la participation à des activités de l’association ou du groupement suspendu est pénalement sanctionnée en application de l’article L. 332‑19 du même code :

– un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende pour la participation aux activités interdites ;

– deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour l’organisation des activités que la mesure de suspension a interdites.

Des aggravations de peines sont prévues si les infractions à l’origine de la suspension ont été commises à raison de l’identité, réelle ou supposée, de la victime. En outre, peut être prononcée la confiscation des biens de l’association ou du groupement maintenu (article L. 332‑21 du code du sport).

Ajouter la suspension temporaire d’activité à l’arsenal dont l’administration dispose à l’égard d’associations ou de groupements activistes violents présenterait plusieurs avantages.

D’une part, une telle mesure constituerait une forme d’avertissement suffisamment dissuasif à l’égard de l’organisme visé, de première étape en vue d’une éventuelle dissolution : sans aller jusqu’à cette dernière, la suspension temporaire serait de nature à prévenir la commission future d’actions violentes.

D’autre part, le caractère absolu d’une dissolution administrative peut être de nature à constituer un frein à son usage : les conséquences étant radicales, emportant disparition de l’entité, son activation n’intervient qu’en dernier recours. Permettre une mesure intermédiaire, à savoir la suspension temporaire, offrirait plus de souplesse à l’administration et lui permettrait d’agir contre un organisme violent plus facilement, afin de faire cesser les activités de celui-ci.

Enfin, le caractère intermédiaire de la suspension, entre inaction et dissolution, pourrait conduire à renforcer la position de l’administration dans le cadre d’un contentieux. La nature radicale de la dissolution peut expliquer des suspensions ou des annulations de telles mesures, jugées disproportionnées quant à leurs effets au regard des faits reprochés. En revanche, une suspension temporaire présenterait plus de chances d’être validée par le juge, la proportionnalité des atteintes aux droits et libertés étant plus facilement acquise pour une mesure par nature réversible.

 

Proposition n° 8 : introduire une procédure de suspension temporaire des activités d’une association ou d’un groupement violent, à l’instar de ce qui existe en matière de lutte contre les groupes de supporters violents.

 

ii.   Un meilleur encadrement de la dévolution des biens d’un groupement dissous

Bien que la dissolution d’une association mette fin à son existence juridique, elle ne fait pas immédiatement disparaître la personnalité juridique de l’association dissoute : celle-ci subsiste pour les besoins de la liquidation, dans le cadre de laquelle l’association est représentée par un liquidateur ou, à défaut, un curateur désigné par le tribunal judiciaire. De la même manière, la dissolution « n’entraîne pas de plein droit la résiliation du bail » consenti à l’association ([144]).

Le sort des biens de l’association dissoute peut ainsi dépendre des statuts, ou d’une décision d’assemblée générale, et donc in fine être laissée à la main de l’association. Une telle situation peut conduire, dans certaines hypothèses, à des pratiques de contournement des effets de la dissolution. À titre d’exemple, l’association Barakacity, dissoute à la fin de l’année 2020, avait anticipé une telle mesure et modifié ses statuts pour prévoir qu’en cas de dissolution, ses biens seraient transférés à une société située à Londres, lui permettant, malgré la dissolution, de poursuivre ses activités ([145]). Dans le même ordre d’idée, les associations qui géraient la « mosquée d’Allonnes », dans la Sarthe, ont modifié leurs statuts après avoir reçu notification de la procédure de dissolution engagée contre elles, pour que le liquidateur soit leur président ([146]).

Il apparaît donc non seulement utile, mais aussi nécessaire pour donner à une mesure de dissolution ses pleins effets, que la loi soit modifiée afin que la dévolution des biens d’une association dissoute n’échoie pas à une personne à même de poursuivre l’activité de l’association.

À cet égard, la mesure qui figurait dans la première version du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur du 16 mars 2022 paraît judicieuse ; elle prévoyait :

– la possibilité pour l’administration, dès l’engagement de la procédure de dissolution, de saisir le juge aux fins de désignation d’un curateur ;

– la provocation par le curateur d’une réunion d’une assemblée générale chargée de statuer sur la dévolution des biens de l’association, et dont la délibération se substitue à toute clause statutaire ou délibération préexistante ;

– la possibilité pour l’administration de saisir le tribunal judiciaire, si l’assemblée générale n’a pas délibéré ou si la délibération est susceptible d’aboutir à ce que les biens soient transmis à une personne dont les agissements sont de la même nature que ceux ayant motivé la dissolution, afin que soit organisée une dévolution judiciaire au bénéfice d’une association ou d’une fondation reconnue d’utilité publique, ou d’une personne morale de droit public.

Proposition n° 9 : prévoir une procédure spécifique de dévolution des biens des associations dissoutes sur le fondement de l’article L. 212‑1 du CSI afin de prévenir la dévolution des biens à une personne susceptible de poursuivre l’activité de l’association dissoute.

 

2.   Les potentiels écueils du régime déclaratif des manifestations

a.   Un régime déclaratif au service du dialogue entre autorités publiques et manifestants

L’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) met un œuvre un régime déclaratif : il soumet à l’obligation d’une déclaration préalable « tous cortèges, défilés et rassemblements de personnes, et, d’une façon générale, toutes manifestations sur la voie publique ».

Cette exigence doit permettre, le cas échéant, le dialogue et la concertation entre les autorités et les manifestants. La déclaration, qui doit intervenir entre trois et quinze jours avant la manifestation, précise en effet « le but de la manifestation, le lieu, la date et l’heure du rassemblement des groupements invités à y prendre part et, s’il y a lieu, l’itinéraire projeté. » Elle fait également connaître l’identité des organisateurs – nom, prénom, domicile (article L. 211-2).

Le régime de déclaration préalable permet d’informer les pouvoirs publics et, traditionnellement, de donner lieu à un dialogue avec les organisateurs. Le souci de prévenir les troubles à l’ordre public peut donner lieu à des négociations, portant par exemple sur l’itinéraire ou sur les dispositifs d’encadrement.

Enfin, si l’autorité investie des pouvoirs de police estime que la manifestation projetée est de nature à troubler l’ordre public, elle l’interdit par un arrêté, immédiatement notifié aux organisateurs (article L. 211-4).

Or, ce dispositif ne permet qu’un encadrement imparfait des manifestations.

b.   Absence de déclaration et interdictions non respectées : des pratiques porteuses de risques mais difficiles à réprimer

i.   L’absence de déclaration des manifestations

L’absence de déclaration est une pratique courante, souvent source de troubles à l’ordre public en l’absence de dialogue préalable avec les autorités et d’organisateur identifiable et responsable.

Cette situation résulte parfois d’un choix volontaire des organisateurs. Ainsi, au cours de leur déplacement à Nantes, vos rapporteurs ont appris que les manifestations n’y étaient pas déclarées par tradition depuis 1953. Cette pratique n’a pris fin que très récemment. Par ailleurs, les réseaux sociaux bouleversent le cadre juridique traditionnel de la manifestation puisqu’ils facilitent le lancement de manifestations plus ou moins spontanées, pour lesquels il est difficile d’identifier un organisateur.

La manifestation s’étant déroulée à Sainte-Soline les 25 et 26 mars 2023 illustre ces difficultés.

Si le principe d’une manifestation paraissait acquis, le lieu précis de celle-ci est demeuré incertain jusqu’au 24 mars, parmi divers lieux en Poitou. C’est donc sur le fondement des informations recueillies via les tracts, réseaux sociaux et affichage sauvage (« sources ouvertes »), et non en réponse à une déclaration en bonne et due forme qui n’a jamais été faite, que la préfète des Deux-Sèvres a pris le 17 mars 2023 un arrêté d’interdiction ([147]) des manifestations prévues concernant un certain nombre de communes. L’arrêté précise notamment, à l’appui de l’interdiction, que « les lieux de manifestation pour l’opération […] sont définis sans plus de précision […] de sorte qu’il existe ainsi une pluralité de cibles potentielles » et « que les manifestations généreront ainsi une participation attendue de plusieurs milliers de manifestants sur une pluralité de sites rendant insuffisants les moyens en forces de sécurité pour prévenir les troubles à l’ordre public qui sont annoncés par les organisateurs ». De l’aveu même de la préfète, l’absence d’échanges avec les organisateurs a complexifié la réponse des autorités publiques ainsi que l’organisation des secours ([148]) .

ii.   La mise en œuvre difficile de l’interdiction d’une manifestation

● Enfin, même déclarée, une manifestation peut faire l’objet d’une interdiction administrative qui n’est pas forcément respectée.

Interdire une manifestation fait aussi peser le risque que cette interdiction soit annulée par la justice administrative, ce qui ne manque pas de donner aux organisateurs une visibilité médiatique.

En ce qui concerne les individus, autres que les organisateurs, la participation à une manifestation interdite constitue une contravention de 4e classe, punie de 750 euros d’amende (article R.  644-4 du code pénal), ou d’une amende forfaitaire de 135 euros (cf. supra, A, 1, a). Déjà peu dissuasive par son montant, cette sanction l’est a fortiori encore moins si l’on tient compte des difficultés à identifier les individus auteurs de cette infraction.  Le recours des participants à des masques ou à des cagoules, ainsi que les logiques de blocs et de dispersion y contribuent.

● En conséquence, afin d’accroître la dissuasion attachée à l’interdiction de manifester, le rapporteur Poulliat propose de relever le montant de l’amende prévue dans une telle hypothèse, en transformation l’infraction en contravention de la 5e classe, passible de 1 500 euros ([149]).

Un tel relèvement suppose une évolution réglementaire, qui devrait, pour vos rapporteurs, être accompagnée d’autres modifications de même niveau normatif :

– prévoir, par décret, que la récidive est passible d’une amende de 3 000 euros, comme le prévoit le 5° de l’article 131‑13 du code pénal ;

– modifier l’article R. 48‑1 du code de procédure pénale afin de permettre l’application de la procédure de l’amende forfaitaire contraventionnelle à l’infraction, désormais punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe ([150]). L’amende forfaitaire serait alors de 200 euros ([151]).

Proposition n° 10 de M. Poulliat : relever la sanction prévue en cas de participation à une manifestation interdite en transformant cette infraction en contravention de la 5e classe, passible d’une amende de 1 500 euros, et d’une amende forfaitaire de 200 euros.

 

3.   Le difficile contrôle des personnes pouvant manifester

Sans qu’une manifestation dans son ensemble soit interdite, il peut apparaître souhaitable d’en interdire l’accès à certains individus au regard des risques de troubles à l’ordre public qu’ils sont susceptibles de causer. Or, cette interdiction est difficile à mettre en œuvre et encore plus à faire respecter.

a.   Des interdictions judiciaires de manifester peu prononcées

La peine complémentaire d’interdiction de manifester, prévue par l’article L. 131-32-1 du code pénal, est très peu prononcée : trente-deux fois entre 1995 et 2017, dont quinze interdictions prononcées en 2016 par le tribunal de grande instance de Nantes, dans le contexte local spécifique des manifestations d’opposition à la loi dite « El Khomri ». Les informations transmises par la DACG à vos rapporteurs pour les années 2021 et 2022 corroborent ce constat. Elle peut aussi être mise en place au titre du contrôle judiciaire.

Dans un cas comme dans l’autre, elle peut donner lieu à l’inscription de la personne au fichier des personnes recherchées, condition de son effectivité. Toutefois, si les personnes interdites de stade peuvent faire l’objet d’une obligation de pointage, cette solution n’est pas réellement transposable au cas des manifestations : la durée d’une manifestation étant généralement supérieure à celle d’un événement sportif, il serait possible pour la personne condamnée de satisfaire à son obligation de pointage avant de se rendre sur les lieux de la manifestation.

Le dispositif du pointage, qui figurait dans le texte initial de la proposition de loi du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, a été supprimé pour ce motif par l’Assemblée nationale ([152]).

b.   La censure de l’interdiction administrative de manifester

Pour mémoire, en dehors de l’interdiction judiciaire de participer à une manifestation, prononcée par le juge pénal à titre de peine complémentaire, le droit commun ne permet pas d’empêcher préventivement une personne de manifester. Les préfets disposent cependant de prérogatives étendues dans le cadre de l’état d’urgence : la loi du 5 avril 1955 relative à l’état d’urgence ([153]), à son article 5, leur permet d’interdire une personne de séjour dans tout ou partie du département, si elle est susceptible de présenter une menace pour la sécurité et l’ordre public.

Le législateur, en 2019, avait prévu l’instauration d’une interdiction administrative de manifester, permettant aux préfets d’interdire à toute personne susceptible de représenter une menace d’une particulière gravité de manifester sur la voie publique. Le dispositif adopté par le Parlement en 2019 figurait à l’article 3 de la proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations ([154]).

Par ailleurs, l’article 3 de la même loi du 10 avril 2019 permettait à l’autorité administrative de prononcer une interdiction de manifester.

● Ce dispositif consistait à permettre aux préfets d’interdire à une personne de participer à une manifestation si cette personne constituait une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, cette menace étant appréciée à l’aune :

– des agissements que la personne avait eus lors de manifestations passées au cours desquelles avaient eu lieu des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens ;

– ou de la commission par la personne, pendant lesdites manifestations, d’un acte violent.

L’étendue géographique de l’interdiction de manifester ne pouvait excéder les lieux de la manifestation et leurs abords immédiats. L’interdiction pouvait toutefois concerner les manifestations sur l’ensemble du territoire national.

L’arrêté d’interdiction devait être notifié au plus tard 48 heures avant son entrée en vigueur. Cependant, si la manifestation n’avait pas été déclarée ou l’avait été tardivement, l’arrêté était immédiatement exécutoire et notifié par tous moyens, y compris lors de la manifestation.

La violation de l’interdiction était sanctionnée de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

● Sans condamner dans son principe la mise en place d’une interdiction administrative de manifester, le Conseil constitutionnel a considéré que « le législateur a porté au droit d’expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée » et a censuré l’article 3 ([155]) .

S’agissant des critères, d’une part, aucun lien n’était établi entre les actes ou agissements de la personne pendant les manifestations antérieures, d’une part, et les atteintes graves aux personnes ou aux biens qui avaient eu lieu à l’occasion de ces manifestations. Il n’y avait également aucune exigence d’un lien entre les « agissements » de la personne et la commission de violences.

D’autre part, aucune borne temporelle n’étant fixée s’agissant des manifestations antérieures, tout comportement, quelle qu’ait été son ancienneté, pouvait justifier l’interdiction administrative de manifester.

Enfin, aucun élément d’appréciation du risque ne concernait la manifestation prévue : l’interdiction n’était pas conditionnée à ce que celle-ci puisse donner lieu à des troubles à l’ordre public.

Outre cette latitude excessive laissée à l’administration, le Conseil constitutionnel a relevé que :

– le dispositif pouvait interdire à une personne de manifester sur tout le territoire national ;

– lorsqu’une manifestation sur la voie publique n’avait pas fait l’objet d’une déclaration ou que cette déclaration était tardive, l’arrêté d’interdiction de manifester était exécutoire d’office et pouvait être notifié à tout moment à la personne soumise à cette interdiction, y compris au cours de la manifestation – empêchant par définition la personne de le contester utilement devant le juge.

***

Votre rapporteur Jérémie Iordanoff rappelle qu’il est opposé par principe à l’introduction en droit français de l’interdiction administrative de manifester, mesure préventive qui porte une atteinte grave et injustifiée à la liberté de manifester. Il estime qu’en l’état actuel du droit, les individus dangereux peuvent d’ores et déjà faire l’objet de mesures d’interdiction de manifester prononcées par le juge judiciaire en présence d’éléments de preuve et dans le respect du principe des droits de la défense. Il n’est pas nécessaire de faire évoluer notre droit sur ce terrain.

Les développements qui vont suivre reflètent donc le point de vue du seul rapporteur Éric Poulliat.

Même si une interdiction administrative de manifester était mise en place, il convient de garder à l’esprit que les remarques précédentes concernant la difficulté à identifier des personnes au cours d’une manifestation resteraient pertinentes. En effet, l’intention ne constitue pas l’infraction, et le fait d’être contrôlé tout en cherchant à accéder à la manifestation n’est pas constitutif d’une infraction. En outre, une fois l’individu dans la manifestation, les stratégies de dissimulation, de « silhouettage » et de constitution de blocs limitent la possibilité pour les forces de l’ordre d’identifier ou de contrôler des individus.

● Si le dispositif censuré était manifestement trop peu encadré, et octroyait des prérogatives excessivement discrétionnaires aux préfets, le principe de pouvoir empêcher de manifester une personne dont on sait qu’elle est violente et qu’elle commettra certainement des violences, présente toutefois un certain intérêt :

– c’est faire œuvre de prévention utile afin d’éviter des troubles excessifs à l’ordre public ;

– cela permet de garantir le bon déroulement de la manifestation projetée, qui se trouverait ainsi libérée d’éléments violents ;

– une telle mesure pourrait même faciliter l’acceptation par l’autorité préfectorale de la tenue de la manifestation, car à l’inverse, si le préfet sait que des personnes violentes et identifiées seront présentes, il peut être tenté d’interdire la manifestation pour éviter les troubles.

En tout état de cause, l’instauration d’une interdiction administrative de manifester devrait être étudiée avec discernement pour être bien ciblée, motivée, opérationnelle et entourée de garanties juridiques suffisantes. Elle supposerait d’importants ajustements du dispositif adopté par le Parlement en 2019, et censuré par le Conseil constitutionnel :

– en établissant un lien direct entre le comportement de la personne lors de manifestations passées au cours desquelles ont eu lieu des violences et lesdites violences, à travers l’exigence que la personne ait personnellement commis des atteintes graves aux personnes ou aux biens durant ces manifestations ;

– en prévoyant une borne temporelle s’agissant des manifestations passées susceptibles d’être prises en considération – qui pourrait être d’une année ;

– en précisant que la manifestation projetée est susceptible de donner lieu à des troubles à l’ordre public ;

– en limitant l’interdiction à la seule manifestation projetée, sans qu’elle puisse être étendue à l’ensemble du territoire national ;

– en prévoyant, pour les manifestations non déclarées ou tardivement déclarées, un délai minimal entre la notification de l’arrêté et son entrée en vigueur, qui pourrait être de vingt-quatre heures, afin d’éviter que l’arrêté soit immédiatement exécutoire et notifié pendant la manifestation.

Enfin, si de telles mesures pourraient rendre l’atteinte aux droits et libertés adaptée et proportionnée, cette atteinte demeure certaine. Aussi, afin d’assurer le mieux possible la conciliation entre le droit d’expression collective des idées et opinions, d’une part, et l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, d’autre part, l’interdiction administrative de manifester, si elle devait être mise en œuvre, pourrait être réalisée à titre expérimental pour une durée qui pourrait être limitée à deux ans.

Proposition n° 11 de M. Poulliat : instaurer un régime d’interdiction administrative de manifester à titre expérimental, pour une durée de deux ans, permettant aux préfets d’interdire la participation à une manifestation susceptible de donner lieu à des troubles à l’ordre publics d’une personne qui constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et qui, au cours de l’année précédente, a personnellement commis des atteintes graves aux personnes ou aux biens à l’occasion de manifestations.

 


  1.   Une réponse qui ne peut être uniquement législative 

Face à l’activisme violent, plusieurs outils au service de la prévention et de la répression pénale peuvent être améliorés et mobilisés. Néanmoins, l’analyse effectuée ci-dessus des causes et des ressorts de ce phénomène met en évidence la nécessité d’apporter une réponse plus large, avec des voies qui mobilisent l’ensemble de la société.

  1.   Renforcer la lutte contre les actions violentes avant, pendant et après leur survenance

L’activisme violent appelle une réponse protéiforme. En amont du passage à l’acte, elle passe par la surveillance et la connaissance des mouvements activistes susceptibles de s’exprimer par la violence ; pendant les manifestations et autres événements donnant lieu à des violences de la part d’activistes, la question du maintien de l’ordre est au cœur de la réponse des autorités publiques face à ce phénomène. Enfin, eu égard aux limites de ce dernier dans des contextes parfois difficiles, une stratégie forte permettant l’identification et la judiciarisation des activistes les plus violents est indispensable.

  1.   Le renseignement au service de la prévention de l’activisme violent

L’activité des services de renseignement peut bénéficier aux autorités administratives, dans leurs missions de maintien de l’ordre, comme aux autorités judiciaires.

a.   Le renseignement au service de l’autorité administrative

En soutien à l’autorité administrative, l’activité des services de renseignement permet d’anticiper et de proposer des réponses adaptées aux risques de troubles à l’ordre public.

Le Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) de décembre 2021 ([156]) reconnaît pleinement cette complémentarité. Les services de renseignement jouent « un rôle primordial dans le dispositif global de gestion de l’ordre public », permettant d’anticiper les risques en amont d’un événement. Ainsi, dans le cas des manifestations de Sainte-Soline en mars 2023, l’action des services de renseignement a permis d’anticiper au mieux les caractéristiques de la manifestation en l’absence de déclaration officielle. Ils sont aussi « chargés d’assurer un suivi dans la durée des mouvements contestataires les plus radicaux », ce qui « doit permettre de déjouer des projets d’action violente ou d’envisager la dissolution de certains groupes constitués lorsque les conditions de droit commun sont réunies. »

Vos rapporteurs saluent l’action des services de renseignement et réaffirment l’importance de leur accorder les moyens nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, dans l’intérêt de tous.

b.   Renforcer la judiciarisation du renseignement

L’action des services de renseignement n’a pas uniquement vocation à renseigner les autorités administratives. Se pose aussi, en effet, la question de la transmission à l’autorité judiciaire d’éléments recueillis dans le cadre des procédures de renseignement, et de leur usage. Ce processus de judiciarisation du renseignement nécessite une bonne coopération entre les services en charge du renseignement et les autorités judiciaires.

D’un point de vue théorique, il n’a cependant rien d’évident, les deux activités obéissant à des logiques opposées : publicité, transparence et contradictoire pour le procès pénal, discrétion et opacité pour le renseignement. Comme le souligne Pascal Fourre, avocat général à la Cour d’appel de Paris, « on imagine donc mal que les renseignements recueillis par les services puissent « nourrir » directement, sans « aucun filtre », des investigations judiciaires au risque de mettre très rapidement en péril la sécurité des sources et modes opératoires et, par là même, l’efficacité et, à terme, la pérennité des missions de renseignement. » ([157])

De fait, les informations ainsi transmises ne peuvent constituer une preuve à elles seules ; elles doivent être corroborées, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation en 2016 dans une affaire relative au terrorisme ([158]) .

La judiciarisation peut, dans certains cas, s’avérer contre-productive, par exemple lorsqu’il s’agit de démanteler des réseaux importants, tout particulièrement en matière terroriste. Dans le cas de l’activisme violent, vos rapporteurs soulignent l’intérêt qui s’attache à une neutralisation en amont des individus susceptibles de causer des troubles à l’ordre public. En effet, une partie des individus qui se laissent entraîner par les actions violentes en présence de meneurs ne les perpétreront pas spontanément en l’absence de ces meneurs. Le caractère mimétique de la violence incite donc à écarter les meneurs pour prévenir leur propre violence, mais aussi celle d’autres individus.

Cadre naturel de coopération entre les principaux acteurs concernés, les groupements locaux de prévention de la délinquance peuvent être une structure au service de la coopération entre les services de renseignement et les parquets. Aussi vos rapporteurs estiment-ils souhaitable d’y associer de façon plus systématique les services de renseignement locaux ([159]).

Proposition n° 12 : renforcer la judiciarisation du renseignement :

 en favorisant la judiciarisation et les échanges entre services ;

 et en invitant les parquets à associer plus systématiquement les services de renseignement aux groupements locaux de prévention de la délinquance.

  1.   Les difficultés du maintien de l’ordre, entre interpellation des auteurs d’infraction et stratégies de mise à distance

Votre rapporteur Jérémie Iordanoff considère que certaines auditions ont permis de dresser le constat d’un recours excessif aux interpellations de masse dans une logique de maintien de l’ordre public au détriment de l’interpellation ciblée des meneurs de l’activisme violent.

Il estime nécessaire de privilégier un traitement judiciaire de cette question, qui nécessite du temps et des moyens, et qui implique d’écarter autant que faire se peut, le recours aux infractions-obstacle qui se révèle souvent contre-productif. 

  1.   Le maintien de l’ordre à la française : constat d’une évolution depuis les années 2000

Longtemps considérée comme à l’avant-garde en maintien de l’ordre, la France est régulièrement condamnée ou du moins interpellée sur ce point par des instances internationales ([160]) . Plusieurs observateurs notent, depuis les années 2000, des évolutions qui vont à l’encontre des principes classiques de maintien à distance et de proportionnalité de la riposte, avec pour corollaire la tolérance pour un certain niveau de désordre.

Deux tendances peuvent ainsi être observées : la judiciarisation du maintien de l’ordre et sa militarisation ([161]).

Cette dernière se manifeste par le recours à diverses armes comme les grenades de désencerclement, les grenades lacrymogènes ou encore les lanceurs de balles de défense, reflet d’une influence croissante des représentations issues de la police anti-émeutes sur le maintien de l’ordre. Sources de blessures chez les manifestants, certaines de ces armes contribuent à véhiculer, via les médias, une image dégradée des forces de l’ordre ([162]).

La judiciarisation a pour corollaire le souci de procéder à des interpellations, au prix de davantage de contacts entre les forces de l’ordre et les manifestants. Le recours, à cet effet, à des unités non spécialisées dans le maintien de l’ordre, comme la Brigade anti-criminalité (BAC), entraînerait une « déspécialisation » préjudiciable des forces de l’ordre.

En outre, les interpellations massives, qui ne sont pas forcément suivies de poursuites, posent problème à plus d’un titre.

D’une part, elles risquent de ne concerner que les individus les moins aguerris ou impliqués, les « meneurs » étant assez adroits pour y échapper.

Par ailleurs, elles accréditent l’idée d’une négligence des forces de l’ordre, voire d’une stratégie délibérée de la part de l’État pour diminuer ainsi le nombre de manifestants en ayant recours de façon massive à la garde à vue ([163]). Le fait que des individus soient remis en liberté sans suites pénales après une garde à vue est souvent présenté, et considéré, comme un signe du caractère infondé et arbitraire des arrestations ([164]) . En février 2021, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) ([165]) s’est ainsi inquiétée « du recours excessif à des procédures de police judiciaire détournées de leur finalité dans un objectif de maintien de l’ordre, en ce qui concerne (…) les gardes à vue pratiquées massivement en amont de certaines manifestations » et déplorait que « la plupart de ces gardes à vue n’ont donné lieu à aucune poursuite » ([166]).

Cette approche centrée sur la judiciarisation et la militarisation peut sembler par ailleurs en porte à faux avec les dernières évolutions stratégiques du maintien de l’ordre au niveau européen.

  1.   Séduisants, la nouvelle psychologie des foules et le modèle KFCD qui en découle n’en présentent pas moins des limites

En effet, sous l’influence de la nouvelle psychologie des foules, une réflexion commune au niveau européen sur les pratiques de maintien de l’ordre a permis l’émergence d’une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre dite « KFCD » ([167]) depuis quelques années.

 

La nouvelle psychologie des foules

La nouvelle psychologie des foules, inspirée notamment par les travaux de Stephen Reicher, considère que les personnes agissent en tant que membres d’un groupe lorsque le contexte est marqué par la présence réelle ou symbolique d’un autre groupe. Dans ce cadre, elles expriment leur appartenance en affichant les traits et les normes les plus distinctifs de leur groupe face aux membres de l’autre groupe.

Lorsque cette présence s’estompe, leurs relations s’inscrivent davantage dans un contexte interindividuel, où elles peuvent affirmer des caractéristiques qui les différencient des membres de leur(s) groupe(s).

Appliquée aux manifestations, la nouvelle psychologie des foules suggère donc de minimiser la perception des forces de l’ordre comme un « autre groupe » face auquel des manifestants pacifistes et violents se solidariseraient. Un tel mécanisme a été mis en lumière, par exemple, pour la gestion du maintien de l’ordre dans le cadre du mouvement contre la Loi Travail en 2016, qui aurait conduit les forces de l’ordre à être un facteur d’agrégation entre des manifestants syndicalistes et des blacks blocs ([168]) .

Ce modèle désigne quatre principes devant guider l’action des forces de l’ordre : la connaissance (knowledge), la facilitation, la communication, et la différenciation.

 Le premier élément du modèle est la connaissance, qui fait référence au renseignement. Il s’agit pour les forces de l’ordre – y compris les hommes du rang – de s’affranchir de visions stéréotypées sur les groupes violents pour comprendre leurs « valeurs, buts et objectifs, leur sens de ce qui est juste et bon, leurs stéréotypes et attentes à propos des autres groupes, l’historique des interactions avec ces groupes, et tout (dates, lieux, objets, formes d’action) ce qui a une signification symbolique particulière [pour eux] ». ([169])

 Au titre de la facilitation, les forces de l’ordre doivent chercher à favoriser l’expression de leurs opinions par les manifestants pacifiques, afin que ces derniers considèrent la présence de la police de façon positive et non comme un défi ou une menace.

 La communication vise à assurer la transparence de l’action des forces de l’ordre. Elle doit être mise en œuvre avant et pendant la manifestation., en particulier grâce à des haut-parleurs, des écrans géants, ou tout moyen permettant d’informer la foule sur les intentions et les instructions de la police. L’intervention de médiateurs pour prévenir la violence s’inscrit aussi dans cette stratégie.

 Enfin, la différenciation appelle à traiter de façon individuelle et distincte les personnes posant problème, afin que les participants pacifiques ne soient pas affectés. En d’autres termes, « la police doit se comporter de telle manière que la masse des manifestants se désolidarise des casseurs et éventuels fauteurs de trouble. » ([170])

L’approche découlant du modèle KFCD trouve peut-être parfois ses limites dans la logique même des activistes. Elle présuppose en effet que ces derniers ont un intérêt à ce que la manifestation se déroule sans violence ; c’est oublier que la violence est parfois utilisée comme une stratégie à part entière, comme on l’a vu en première partie du présent rapport. Dans ce cas, elle n’est plus une évolution malheureuse de l’événement, elle est l’objectif même de ce dernier. Comme le résument MM. Olivier Fillieule, Pascal Viot et Gilles Descloux, « le désordre est au cœur de l’action collective et, de ce fait, la police des citoyens, en mettant en place un régime de négociation et de compromis introduit une forme de self policing et de coercition passive qui n’est pas compatible avec les objectifs poursuivis par une partie des groupes protestataires » ([171]). Dès lors, la possibilité d’un dialogue en bonne intelligence entre les manifestants et les forces de l’ordre se trouve compromise.

Ces difficultés ont été confirmées par de nombreux acteurs auditionnés par vos rapporteurs. Le préfet de police de Paris Laurent Nuñez rappelait ainsi la difficulté à séparer les blacks blocs de l’ensemble des cortèges et à mettre en œuvre la dispersion du cortège. Ces facteurs compromettent toute stratégie de différenciation entre les manifestants et les éléments perturbateurs. Mme Béatrice Brugère (Unité magistrats-FO) allait dans le même sens en s’interrogeant : peut-on encore parler de « maintien de l’ordre » face à une quasi guérilla ?

***

Vos rapporteurs rappellent leur attachement de principe à la communication ainsi qu’à la recherche de la différenciation en réponse aux activistes violents. Ils reconnaissent toutefois les limites de ces stratégies dans certaines configurations.

Au regard de ces considérations, la stratégie consistant à interpeller de préférence après les manifestations, plutôt que pendant leur déroulement, apparaît intéressante. Elle est en effet moins porteuse de risques pour les forces de l’ordre et prévient le risque d’escalade. Elle permet aussi d’éviter l’écueil, déjà évoqué, d’arrêter avant tout les individus les moins dangereux, auteurs de violences mimétiques et circonstancielles plutôt que les individus les plus dangereux et aguerris.

Néanmoins, la participation à des actions violentes, pendant des manifestations, de la part d’individus cagoulés ou dont le visage est dissimulé, représente une difficulté évidente pour les enquêtes judiciaires susceptibles d’être conduites à l’encontre de ces personnes – leur identité étant difficile, voire impossible à établir a posteriori en l’absence d’interpellation immédiate, et les preuves étant délicates à collecter.

Aussi l’identification des auteurs d’infractions violentes est-il un enjeu majeur de la réponse des pouvoirs publics à la problématique de l’activisme violent.

  1.   Pour une judiciarisation effective et rapide des violences activistes
    1.   Des évolutions récentes de nature à favoriser une réponse pénale efficace

i.   Les outils juridiques tendant à réprimer le refus d’identification

 Pour mémoire, était déjà sanctionné le fait de refuser la prise d’empreintes digitales ou de photographies :

– par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, dans le cadre d’une enquête de flagrance. Il s’agit d’un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende (article 55-1 du code de procédure pénale) ;

– par toute personne qui, visée par un contrôle d’identité, refuse ou ne peut justifier de son identité et fait ainsi l’objet d’opérations de vérification. La peine encourue est de 3 mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende (article 78-5 du code de procédure pénale).

● La loi du 10 avril 2019 a complété cet arsenal juridique en créant un délit de dissimulation du visage dans une manifestation. Elle ajoute dans le code pénal un article 431-9-1, aux termes duquel : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime ». Il s’agissait auparavant d’une simple contravention, créé par le décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 et punie d’une amende de 1500 euros.

Toutefois, à l’image de certains délits, la poursuite – et la sanction – de cette infraction est loin d’être systématique, le parquet et les services enquêteurs pouvant considérer que la procédure classique se révèle trop lourde et avec des chances de succès limitées, eu égard aux conditions de commission de l’infraction ou de la charge d’activité pesant sur eux par ailleurs.

En revanche, assortir le délit de dissimulation volontaire du visage pendant une manifestation violente d’une amende forfaitaire délictuelle (AFD) constitue une piste intéressante aux yeux de votre rapporteur Éric Poulliat, constat corroboré par certaines auditions.

L’amende forfaitaire délictuelle (AFD)

Forme de transaction pénale, la procédure de l’AFD permet à l’auteur d’un délit, s’il n’est pas mineur, d’éteindre l’action publique par le paiement d’une amende – un paiement rapide conduit à une amende minorée et un paiement tardif, au contraire, à une amende majorée. Sa mise en œuvre suppose que le contrevenant reconnaisse le délit, et que les éléments constitutifs de l’infraction puissent être aisément constatés.

La personne à qui une AFD a été infligée peut la contester, par la voie d’une requête en exonération ou, en cas d’AFD majorée, d’une réclamation, dont la recevabilité est examinée par le procureur de la République. En cas de décision d’irrecevabilité, la contestation est possible devant le juge.

Le recours à l’AFD n’est qu’une faculté, le procureur de la République conservant en tout état de cause la possibilité d’engager des poursuites selon la procédure classique.

Introduite en 2016, cette procédure a vu son champ d’application s’étendre progressivement (1). La récente loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (LOPMI) l’a rendu applicable à une vingtaine de nouvelles catégories d’infractions (2).

Le Conseil constitutionnel a confirmé la conformité à la Constitution de la procédure de l’AFD – jugeant notamment qu’elle ne méconnaissait pas le principe d’individualisation des peines –, tout en limitant son application à des délits punis d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans (3).

Pour une présentation complète de cette procédure, il est renvoyé au rapport sur le projet de LOPMI (4).

(1) Le sujet a notamment été abordé, en ce qui concerne l’usage de stupéfiants, par MM. Éric Poulliat et Robin Reda dans leur rapport d’information n° 595, « Usage de stupéfiants : de la dépénalisation à l’amende forfaitaire », (Rapport de la mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire délictuelle au délit d’usage illicite de stupéfiants, Assemblée nationale, XVe législature,  595, 25 janvier 2018).

(2) Loi n° 202322 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, article 25.

(3) Conseil constitutionnel, décision  2019778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, § 249 à 265 ; Conseil constitutionnel, décision  2022846 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, § 139 à 148.

(4) M. Florent Boudié, Rapport sur le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, Assemblée nationale, XVIe Législature,  436, 4 novembre 2022, pages 171 à 202.

En plus d’enrichir les outils à la disposition du parquet et des forces de l’ordre, une telle AFD serait sans doute plus facilement mise en œuvre que la procédure traditionnelle, eu égard à la simplicité de la procédure de l’AFD.

L’infraction considérée paraît en outre bien se prêter à cette procédure et s’inscrit dans le cadre constitutionnel en la matière ([172]) :

– les faits paraissent simples et évidents, ne supposant pas un travail d’investigation particulièrement poussé ;

– la peine d’emprisonnement encourue – un an – est inférieure au plafond constitutionnel permettant de recourir à l’AFD, fixé à trois ans.

Ainsi, sur instruction du procureur de la République, les policiers et les gendarmes présents lors des manifestations seraient à même, en interpellant une personne au visage dissimulé, de lui infliger une AFD qui mettrait fin à l’action publique.

Le montant de cette AFD, eu égard au quantum encouru d’un an d’emprisonnement et à l’aune des AFD existantes, pourrait être de 500 euros, minoré à 400 euros et majoré à 1 000 euros.

● Une telle mesure, en plus de permettre une répression plus efficace de comportements délictueux, serait de nature à revêtir une forte dimension dissuasive, l’AFD permettant de sanctionner des infractions qui, autrement, sont rarement poursuivies dans les faits. Le fait, pour une personne qui, jusque-là, n’avait que peu de risque de faire face à la justice, de devoir payer une amende de 500 euros, pourrait en effet limiter de tels comportements.

Proposition n° 13 de M. Poulliat : appliquer au délit de dissimulation volontaire du visage pendant des manifestations violentes, prévu à l’article 431‑9 du code pénal, la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle, avec une amende de 500 euros.

 

ii.   Une volonté politique manifestée dans les instructions données aux parquets

Plusieurs circulaires et dépêches ont été diffusées au cours des dernières années afin d’orienter les parquets dans leur réponse aux violences graves commises à l’occasion ou en marge de manifestations ou de faits relevant de l’activisme violent. On peut notamment citer :

– la circulaire du 9 avril 2018 relative au traitement judiciaire des infractions commises en lien avec l’opération d’évacuation de la ZAD de Notre Dame des Landes ;

– la circulaire du 22 novembre 2018 relative au mouvement de contestation dit des « gilets jaunes » ;

– la circulaire du 22 avril 2021 relative au traitement des infractions commises en lien avec des groupements violents lors des manifestations ;

– la circulaire du 9 novembre 2022 relative au traitement judiciaire des infractions commises dans le cadre de contestations de projets d’aménagement du territoire ;

– la dépêche du 18 mars 2023 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’occasion des manifestations ou regroupements en lien avec les contestations contre la réforme des retraites.

Ces circulaires rappellent aux procureurs et procureurs généraux la nécessaire adaptation du dispositif judiciaire face à l’augmentation prévisible des activités, les qualifications pénales pouvant être retenues et les orientations devant être privilégiées.

Qu’ils y voient, comme Unité magistrats-FO, la manifestation d’une « volonté répressive affichée » ([173]) ou qu’ils se contentent de prendre acte des orientations qu’elles expriment, les acteurs de la réponse pénale auditionnés par vos rapporteurs s’accordent sur la fermeté qui se dégage de ces nombreuses circulaires, qui insistent sur la nécessité d’une réponse pénale « systématique », « immédiate » et « adaptée ».

  1.   L’identification des auteurs, condition sine qua non de la réponse pénale

i.   « Camille » et habits neutres : de la difficulté d’identifier les activistes

L’identification des auteurs d’infraction est le préalable indispensable à la mise en œuvre d’une réponse pénale efficace de l’État. Dès lors, il n’est guère surprenant que les méthodes rendant cette identification difficile soient parfois utilisées comme stratégies en tant que telles par les activistes : dissimulation du visage, utilisation d’habits similaires de couleur sombre, refus de donner son identité. 

À Notre-Dame des Landes, les zadistes s’identifiaient ainsi volontiers auprès des forces de l’ordre ou des journalistes comme « Camille », l’usage d’un prénom unique, neutre de surcroît, permettant de conserver l’anonymat tout en illustrant un refus des frontières de genre. La pratique a été confirmée par M. Nicolas Jolibois, directeur départemental de la sécurité publique de Loire-Atlantique ([174]). Ouest France observait aussi que  « Partout en France, là où il y a des « zadistes », il y a des Camille » ([175]) .

La direction des affaires criminelles et des grâces souligne ainsi que le refus systématique des personnes interpellées de se soumettre aux opérations de prélèvement est une source de difficultés dans le cadre du traitement judiciaire des activistes auteurs de violences.

Par ailleurs, les interpellations en cours des manifestations et événements similaires sont difficiles lorsque les auteurs d’infraction utilisent la masse des participants comme une protection contre les forces de l’ordre. Elles nécessitent par ailleurs la mobilisation de forces qui, ce faisant, ne sont plus affectées directement sur le terrain. 

Au-delà des bénéfices évidents pour la judiciarisation des auteurs d’infractions, le développement des moyens d’identification présente des avantages. Il permet de lutter contre le sentiment d’impunité, voire de toute puissance, mais aussi contre le sentiment d’arbitraire qui peut naître de certaines situations : en particulier, un taux de poursuites judiciaires faibles après des gardes à vues est de nature à accréditer l’idée d’une répression aveugle, voire politique, des activistes violents. 

Dans ce contexte, deux outils récents ouvrent de nouvelles pistes en matière d’identification, mais le cadre de leur utilisation est encore loin de faire l’objet d’un consensus.

ii.   L’usage des drones à des fins judiciaires

Dans la réponse des pouvoirs publics face à l’activisme violent, les drones présentent un intérêt double.

Du point de vue de l’ordre public, ils facilitent la connaissance de la taille de la foule, de sa localisation et de ses déplacements.

Du point de vue de la réponse pénale, ils peuvent faciliter l’identification des auteurs d’infractions et l’efficacité de la réponse a posteriori.

Le schéma national du maintien de l’ordre prend pleinement en compte le recours possible aux drones. Il évoque « l’engagement de moyens aériens », « utiles tant dans la conduite des opérations que dans la capacité d’identification des fauteurs de troubles » ([176]).

Toutefois, en l’absence de cadre légal ou réglementaire approprié, le recours aux caméras aéroportées s’est d’abord heurté à la jurisprudence du Conseil d’État et à la position de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Dans une délibération du 12 janvier 2021, concernant l’usage de drones au cours de la crise sanitaire liée au Covid-19, la CNIL rappelle en effet que la captation d’images au moyen de caméras aéroportées constitue un traitement de données à caractère personnel au sens de la loi « Informatique et libertés » et de l’article 4 du Règlement général sur la protection des données ([177]). Cette approche a été consacrée depuis plusieurs années par la jurisprudence européenne ([178]), le comité européen de la protection des données et le Conseil d’État ([179]).

Dès lors, sont applicables les dispositions de la loi informatique et libertés, dont l’article 87 de la loi Informatique et libertés vise en effet les traitements « à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales ». En particulier, le traitement de données à caractère personnel doit être prévu par une disposition législative ou réglementaire.

La première tentative d’encadrement législatif des caméras aéroportées au sein de la loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés ([180]) a fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel. Tirant les conséquences de cette censure, la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (RPSI) a établi un cadre strict autorisant, d’une part, le recours aux caméras aéroportées en matière de police administrative et de sécurité civile et, d’autre part, à des fins de police judiciaire.

 S’agissant des drones utilisés dans le cadre des missions de police administrative, les articles L. 242-1 à L. 242-8 du code de la sécurité intérieure (CSI) précisent les règles applicables à leur usage par les agents de police nationale et les gendarmes ([181]) .

Leur usage est restreint à six finalités, limitativement énumérées par l’article L. 242-5 du CSI ([182]) et qui sont de nature à s’appliquer aux troubles à l’ordre public résultant de certaines formes d’activisme violent. Les conditions d’autorisation, d’accès aux données, de conservation et de suppression de ces données et d’information du public sur l’emploi des caméras aéroportées, sont précisées par d’autres dispositions législatives et par le décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative ([183]).

Le recours aux caméras aéroportées doit être strictement nécessaire, adapté aux circonstances et temporaire. La captation du son, le traitement automatisé de reconnaissance faciale et le rapprochement automatisé avec d’autres traitements de données à caractère personnel sont expressément exclus.

L’usage des drones dans le cadre administratif est désormais effectif.

 Dans le cadre de missions de police judiciaire, l’usage des caméras aéroportées est encadré par les articles 230-47 à 230-53 du code de procédure pénale, résultant de l’article 16 de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022. Il est rendu possible dans trois cas de figure :

– enquête ou une instruction portant sur un crime ou sur un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement ;

– procédure d’enquête ou d’instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition d’un individu ;

– procédure de recherche d’une personne en fuite.

Néanmoins, le décret venant préciser et rendre pleinement opérationnelles ces dispositions législatives se fait toujours attendre. D’après les informations obtenues par vos rapporteurs, il serait en cours de préparation et prochainement soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Vos rapporteurs se montrent favorables à ce que les possibilités offertes par les drones, dans le respect du cadre juridique et notamment réglementaire une fois celui-ci adopté, soient pleinement utilisées au service de la poursuite des activistes violents auteurs d’infractions.

iii.   La question de l’opportunité de développer l’usage des produits de marquage codés (PMC)

Les produits de marquage codés, sont des dispositifs indétectables à l’œil nu, inodores et incolores (non toxiques) permettant le marquage des biens, des personnes et des lieux. Ils sont révélés par une lampe à ultra-violets. Leur usage confère à tout support marqué une identification par un code unique.

La vaporisation n’est pas soumise à une autorisation préalable de l’autorité judiciaire. Conformément au cadre juridique exposé par la dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces du 24 juin 2014, la recherche de ces produits sur un individu est une technique d’enquête qui peut être utilisée dans trois cas :

– dans le cadre d’une enquête de flagrance, en application de l’article 55-1 du code de procédure pénale : les officiers de police judiciaire peuvent retenir les personnes présentes pour vérifier leur éventuelle aspersion ;

– dans le cadre d’une enquête préliminaire, par un officier ou agent de police judiciaire sur autorisation du procureur de la République en application de l’article 76-2 du code de procédure pénale ;

– dans le cadre d’une information judiciaire en application de l’article 154-1 du code de procédure pénale.

Elle ne peut intervenir dans le cadre des contrôles d’identités des personnes ou des visites de véhicules encadrés par les articles 78-1 à 78-2-4 du code de procédure pénale.

Leur intérêt était expliqué en ces termes par Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale du syndicat Unité magistrats FO : « l’idée est de marquer à distance des individus auteurs d’infractions lorsqu’ils ne peuvent faire l’objet d’une interpellation immédiate, puisqu’ils sont souvent rompus à l’exercice et ont la capacité de s’échapper. » ([184]) Dans la mesure où ce marquage peut traverser la couche de vêtements et reste détectable sur la peau quelques jours voire quelques semaines après le tir, les techniques de camouflage ou de changements d’habits utilisées par les activistes sont inopérantes face à ces produits La direction des affaires criminelles et des grâces précise aussi qu’ils présentent une forte résistance aux conditions extérieures.

Plusieurs intervenants soulignent toutefois leur caractère peu fiable, en raison du temps de séchage (environ 5 minutes) qui ne permet pas d’exclure que les traces présentes sur la personne initialement visée par le marquage se transmettent à une autre personne au cours de ce délai. Les représentants du Conseil national des barreaux auditionnés par vos rapporteurs les jugeaient ainsi « peu éthiques », « humiliantes » pour les personnes concernées et peu fiables dans la mesure où la présence d’un individu quelque part n’implique nullement qu’il ait participé aux violences commises au même endroit. En avril 2023, un journaliste racontait ainsi dans Mediapart avoir été placé en garde à vue à la suite de traces de PMC retrouvées sur sa main, tout en niant une implication dans les violences ([185]) .

Tout en étant conscients de cette limite, plusieurs acteurs institutionnels auditionnés par vos rapporteurs portent néanmoins un regard plutôt favorable au développement de l’usage des PMC. La DLPAJ considère que leur usage « interrogerait la fiabilité de la preuve et l’utilisation de ces éléments comme élément permettant d’engager des poursuites pénales. » La Conférence nationale des procureurs de la République envisage la présence de marquage comme « un élément à charge supplémentaire qui doit être appréciée [par le tribunal] en fonction de l’ensemble des éléments recueillis. » Unité magistrats-FO considère que « parvenir à identifier les individus violents au sein des manifestations est dans l’intérêt de tous et surtout des manifestants pacifiques, d’autant que les actes de violence et autres dégradations peuvent avoir pour effet de délégitimer un mouvement de contestation. »

En tout état de cause, une généralisation de leur usage ne saurait être effectuée sans une réflexion et la fixation d’un cadre tenant compte des limites évoquées ci-dessus.

Proposition n° 14 : encadrer juridiquement l’usage des produits de marquage codés dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre afin de rendre opérationnelle l’utilisation de cet outil d’identification.

 

B.   Plus que le droit, c’est à la société dans son ensemble d’apporter les réponses

Si le droit est un nécessaire pourvoyeur d’outils pour faire face aux activismes violents, il ne peut pas, seul, apporter l’ensemble des réponses requises. Celles-ci supposent une mobilisation de l’ensemble de la société, à travers plusieurs voies complémentaires sur lesquelles vos rapporteurs souhaitent attirer l’attention.

1.   Répondre par la connaissance : le nécessaire investissement dans la recherche

a.   Garantir le financement pérenne des travaux de recherche sur les violences politiques

La recherche sur les violences politiques est absolument nécessaire, et le présent rapport en fournit la démonstration la plus éloquente : la plupart des données chiffrées, et de nombreuses analyses, émanent directement des travaux des chercheurs auditionnés par vos rapporteurs, avec une place éminente aux données issues des travaux Vioramil conduits sous la direction d’Isabelle Sommier, Xavier Crettiez et François Audigier.

Sans de tels travaux, il n’aurait pas été possible de dresser un état des lieux complet des activismes violents, nous privant ainsi de la nécessaire connaissance de ce phénomène.

Sans de tels travaux, il serait difficile, sinon impossible, d’identifier les menaces latentes, les risques futurs, leur origine et les modalités de leur manifestation.

Or, compte tenu de l’évolution constante des activismes violents et des modes d’action auxquels les activistes ont recours, eu égard à l’émergence régulière de nouvelles menaces, de nouvelles revendications, la poursuite de ces travaux est une impérieuse nécessité.

Garantir un financement pérenne de la recherche scientifique sur le sujet est donc incontournable pour mieux connaître, mieux comprendre et mieux endiguer les activismes violents de tous bords.

Proposition n° 15 : garantir le financement pérenne des travaux de recherche sur les violences politiques et les activismes violents, en particulier pour assurer la poursuite du programme de recherche Vioramil.

 

b.   Promouvoir la recherche sur les risques systémiques des plateformes ouverte par le Digital Services Act

L’investissement dans la recherche est d’autant plus important que la législation européenne fournit désormais aux chercheurs de nouveaux outils pour comprendre l’évolution des risques en ligne. Or, ainsi qu’il a été vu, les réseaux sociaux et, plus généralement, les plateformes numériques, sont un élément important dans le développement des activismes violents, qu’il s’agisse de la diffusion des idées, de la coordination des actions ou de la publicité qui en est faite.

L’article 40 du Digital Services Act ([186]), à son 4, prévoit en effet la fourniture aux chercheurs agréés des données qui leur sont nécessaires pour effectuer des recherches contribuant à la détection, au recensement et à la compréhension des risques systémiques induits par ces plateformes.

Or, pour qu’il y ait de tels travaux de recherche, il faut des financements, dont la source doit d’ailleurs être indiquée dans la demande faite par les chercheurs.

Dès lors, un effort financier public pour promouvoir la recherche sur les risques systémiques des plateformes semble non seulement opportun, mais indispensable – et un tel effort de recherche transcenderait la seule question de l’activisme violent, dans la mesure où son champ serait plus vaste, incluant notamment les questions de harcèlement en ligne ou de diffusion de fausses informations et d’ingérences étrangères dans les processus électoraux.

Proposition n° 16 : déployer un effort financier public pour promouvoir la recherche sur les risques systémiques des plateformes en ligne dans le cadre de l’accès aux données prévu par le Digital Services Act.

 

c.   Renforcer la recherche dans l’intelligence artificielle et contre la désinformation et les ingérences étrangères

Parallèlement aux violences politiques et aux risques systémiques des plateformes en ligne, d’autres champs paraissent devoir faire l’objet d’une attention accrue et, partant, d’un effort, notamment financier, en matière de recherche scientifique.

● L’intelligence artificielle est l’un de ces champs. Au-delà des opportunités qu’elle offre dans certains secteurs économiques ou sociaux, et qui à elles seules justifient des investissements importants, l’intelligence artificielle peut être utilisée par des activistes. Les auditions conduites par vos rapporteurs ont mis en évidence ce constat, et la capacité de déploiement que certains groupes, en particulier des mouvances « ultra », peuvent avoir à travers les outils d’intelligence artificielle.

L’un des usages les plus évidents de ces outils par des activistes est la manipulation d’informations à travers la création d’images présentées comme vraies, afin de faire valoir une position ou une thèse, notamment grâce à Midjourney – un tel emploi de l’intelligence artificielle n’étant au demeurant pas réservé aux groupes d’activistes.

Des robots conversationnels peuvent aussi être employés, de même que des outils élaborant des textes, afin d’accroître la présence en ligne de ces groupes et de toucher un public plus large – par exemple en ayant recours à ChatGPT.

Investir dans la recherche sur l’intelligence artificielle permettrait donc de prévenir l’expansion de groupes violents, mais aussi de lutter contre la manipulation de l’information et le développement de « théories » complotistes – par exemple, en développant des outils de détection d’une image créée par l’intelligence artificielle.

Un tel investissement semble aussi nécessaire pour que les services de renseignements puissent s’appuyer sur les outils d’intelligence artificielle, notamment s’agissant de la collecte et du traitement de données.

Outre l’intérêt évident d’un tel développement, vos rapporteurs soulignent qu’il s’agit d’un enjeu de sécurité et de souveraineté nationales, afin que les services français ne dépendent pas d’un outil étranger, y compris d’un État allié, eu égard notamment au risque de récupération des données. Une telle situation est pourtant loin d’être hypothétique : la DGSI a ainsi fait appel aux services de la société américaine Palantir pendant plusieurs années, faute d’une solution française satisfaisante ([187]).

Proposition n° 17 : accroître les investissements en matière de recherche sur l’intelligence artificielle, afin de lutter contre l’exploitation de cette technologie par des groupes activistes violents et pour garantir le développement de solutions françaises en matière de renseignement, sans dépendre d’outils étrangers.

● S’agissant de la désinformation, le législateur français s’est emparé du sujet et a, avec la loi du 22 décembre 2018, apporté des premières réponses, en particulier s’agissant des fausses informations en période électorale ([188]). Plus généralement, la loi française et les normes européennes prévoient des obligations pesant sur les grandes plateformes en ligne, notamment à travers l’évaluation des risques systémiques et leur atténuation ([189]).

D’une manière similaire, les pouvoirs publics ont multiplié les initiatives pour lutter contre les ingérences étrangères qui ciblent la France – il est ici permis de songer aux « Macronleaks » lors de la campagne présidentielle de 2017, ou encore à l’action organisée de dénigrement de la France et de son action en Afrique ces dernières années, parfois afin de promouvoir parallèlement d’autres pays ou organisations telles que la société de mercenariat Wagner.

Afin d’améliorer la lutte contre la désinformation en ligne et les ingérences qui peuvent toucher notre pays, au-delà des outils normatifs, il semble capital d’investir dans la recherche en ces matières pour :

– recueillir toutes les données disponibles, y compris concernant d’autres pays ;

– analyser ces données afin de comprendre les modes d’action utilisés par les promoteurs de fausses informations et les auteurs d’ingérences ;

– anticiper, à l’aune de ces analyses, les menaces futures.

Il s’agit, en somme, de l’extension aux sphères de la désinformation et des ingérences de la recommandation relative à la recherche sur les violences politiques : mieux comprendre, pour mieux agir.

Proposition n° 18 : renforcer la recherche scientifique sur les phénomènes de désinformation et d’ingérences étrangères, afin de mieux les comprendre et de les combattre plus efficacement.

De façon plus générale, les ingérences étrangères constituent une menace pour la sécurité nationale, sur laquelle l’information et la sensibilisation des acteurs publics sont indispensables. Reprenant ainsi une proposition formulée par la Délégation parlementaire au renseignement dans son rapport public d’activité 2022‑2023 ([190]), vos rapporteurs souhaitent que soit renforcée l’information du Parlement sur les menaces pesant sur la sécurité nationale.

Proposition n° 19 : présenter chaque année au Parlement, dans le cadre d’un débat sans vote, un rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale.

 

2.   Nul n’est au-dessus des lois : éduquer et sensibiliser

« Hussards noirs de la République » : jamais, peut-être, depuis les débuts de la IIIe République, les enseignants n’auront autant mérité ce surnom. Non pour sa dimension martiale et militante, mais pour la défense des valeurs de la République, la défense des principes assurant une vie commune en société, que cette expression induit aujourd’hui. Les enseignants et l’ensemble de la communauté éducative sont en première ligne pour transmettre les principes qui fondent notre République et notre société, et toutes les valeurs qu’elles portent et promeuvent. L’assassinat terroriste de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023 à Arras, trois ans après celui de Samuel Paty, rappelle ce constat à chacun de la plus cruelle des manières.

En ce qui concerne plus particulièrement la question des activismes violents, eu égard aux ressorts de ce phénomène, deux aspects paraissent essentiels : l’éducation civique, c’est-à-dire comprendre les grands principes régissant la société dans laquelle on évolue, et l’éducation aux médias, pour savoir manier les nouveaux outils de communication et d’information.

a.   L’éducation civique : clef de voûte de l’édifice social

Au risque d’énoncer des évidences, vos rapporteurs considèrent que l’éducation civique constitue l’un des leviers les plus utiles pour prévenir l’activisme violent et garantir une expression pacifiée dans la société.

Aux idées et propos selon lesquels la France ne serait pas, ou plus, une démocratie, que les libertés ne seraient pas garanties ou seraient inexistantes, que l’expression pluraliste des courants d’opinion serait un mirage – sans que leurs auteurs ne relèvent le paradoxe à pouvoir dire cela sans être inquiétés –, l’éducation civique, dès le début de la scolarité, permet d’apporter des réponses.

L’éducation civique, désormais appelée « éducation morale et civique » et qui a succédé à l’instruction civique issue de la IIIe République, fait l’objet d’une attention réelle de la part des pouvoirs publics et, en particulier, du ministère chargé de l’éducation nationale, notamment depuis la loi du 8 juillet d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ([191]).

Au-delà des débats et discussions qui ont lieu dans cet enseignement, et qui sont naturellement bienvenus, il convient de veiller à ce que des aspects fondamentaux soient présentés aux élèves, incluant l’importance du droit – et de son respect – pour la vie commune en société, et le fonctionnement des institutions. Des cours de philosophie et de droit constitutionnel permettraient également aux élèves de mieux comprendre la société dans laquelle ils vivent, et participeraient au développement indispensable de leur esprit critique.

L’éducation morale et civique constitue ainsi une matière à part entière, avec un contenu de programme spécifique présentant une technicité évidente, et revêtant une importance capitale pour une bonne appréhension de la citoyenneté.

Vos rapporteurs se réjouissent ainsi des avancées récentes consistant à doubler le temps consacré à ce programme dans les collèges à la rentrée 2024.

Accroître la durée des cours d’éducation morale et civique, actualiser et moderniser leur contenu pour mieux sensibiliser les élèves et tenir compte de l’évolution de la société, sont autant d’aspects qu’il convient de promouvoir.

Une autre piste serait de faire dispenser cet enseignement par des professeurs dédiés, plutôt que par des enseignants ayant à titre principal une autre matière – généralement l’histoire-géographie. Indépendamment de l’investissement certain de ces enseignants et sans remettre un instant en cause leurs qualités et leurs compétences, indéniables, le fait de disposer de professeurs dédiés garantirait un enseignement en éducation morale et civique par des spécialistes pouvant pleinement s’y consacrer.

Proposition n° 20 : renforcer la place de l’enseignement de l’éducation civique et morale dans les cycles primaire et secondaire et, au collège et au lycée, assurer cet enseignement par un professeur dédié à cette matière.

 

b.   L’éducation médiatique et numérique : prévenir la radicalisation et la diffusion des violences

Les « nouveaux médias » que constituent les réseaux sociaux et les forums sont, aujourd’hui, la première porte d’accès à la culture politique et civique et à l’information, en particulier chez les jeunes. Ces plateformes présentent en termes d’information un double défi dans un contexte de défiance vis-à-vis des journalistes :

– ils sont propices à la circulation de fausses nouvelles, de propos complotistes, mais aussi de contenus illicites, notamment haineux, qui nourrissent la radicalisation violente ;

– ils diluent l’information sourcée et traitée émanant de vrais journalistes dans un océan d’informations à la fiabilité toute relative.

Vos rapporteurs font leur le constat de Mme Nathalie Sonnac ([192]) de la nécessité de sanctuariser et renforcer le lien entre médias et écoles et de promouvoir l’acquisition d’une triple culture, médiatique, informationnelle et sociale et civique. Cette triple culture permettra à terme aux jeunes citoyens de distinguer entre vraie information et fausse information, contre-information idéologique – « réinformation », comme l’appelle l’ultra-droite. Ces éléments s’inscrivent aussi dans les projets du Gouvernement pour la jeunesse : dans le cadre du Conseil national de la refondation déjà évoqué, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé une refonte des cours d’éducation morale et civique pour accroître la part de l’éducation aux médias.

Le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information (CLEMI), qui fait partie du réseau de création et d’accompagnement pédagogique Canopée, occupe à cet égard une place éminente et stratégique depuis 1983, entre l’univers des médias et le monde éducatif. Le CLEMI, entre autres missions, produit des ressources de référence pour l’éducation aux médias (notamment des fiches pédagogiques), dispense des formations en éducation aux médias et à l’information au bénéfice des enseignants et formateurs, et accompagne les productions médiatiques d’élèves – incluant des web radios. Ce dernier aspect est particulièrement intéressant, en ce qu’il transforme les élèves en acteurs directs de l’information et les confrontent à l’exigence déontologique qui y est associée.

Pour accroître l’effort en matière d’éducation aux médias et à l’information, plusieurs leviers peuvent être actionnés.

En premier lieu, il semble indispensable, aux yeux de vos rapporteurs, de renforcer les moyens alloués à la formation des enseignants.

D’une part, il apparaît nécessaire d’augmenter les moyens humains du CLEMI pour accroître le nombre d’agents chargés de la formation – afin de pouvoir répondre efficacement aux défis actuels, alimentés par la défiance à l’égard des journalistes, des institutions et du processus électoral.

D’autre part, toujours s’agissant de la formation des enseignants, doit être réalisé un effort concernant le réseau de référents et coordonnateurs académiques à l’éducation aux médias et à l’information, ainsi que le préconisait le rapport de la « commission Bronner », Les Lumières à l’ère numérique » ([193]). Cette suggestion est intrinsèquement liée à la précédente, les coordinateurs rattachés aux académies relevant du CLEMI – ils sont trente-trois ([194]).

En deuxième lieu, une valorisation des professeurs documentalistes serait bienvenue, eu égard au rôle éminent que jouent ces personnels dans la mise à la disposition des élèves des ressources d’information, ainsi que dans l’acquisition d’une culture de l’information.

En troisième lieu, en lien avec les deux précédents aspects, une formation à l’éducation aux médias et à l’information de qualité suppose de garantir la continuité des enseignements en ce domaine tout au long de la scolarité, dès le plus jeune âge, et en recourant à un pilotage d’ensemble à même d’assurer l’effectivité et l’harmonisation de ces enseignements – à cet égard, vos rapporteurs saluent l’initiative du Gouvernement d’inscrire l’éducation aux médias et à l’information au cœur du projet éducatif de l’école, ainsi qu’en témoigne, outre les récentes déclarations de la Première ministre, la circulaire du 24 janvier 2022 ([195]).

Proposition n° 21 : renforcer la formation des élèves à l’éducation aux médias et à l’information, en augmentant les moyens, notamment humains, du CLEMI, en valorisant les professeurs documentalistes et, à travers un pilotage systémique, en garantissant la continuité des enseignements tout au long de la scolarité.

 

3.   Redonner confiance dans les institutions et le débat démocratique

Ainsi qu’il a été vu, le relatif désenchantement constaté dans notre société s’appuie notamment sur une défiance à l’égard des institutions et des médias traditionnels. Plusieurs pistes peuvent être empruntées pour répondre à ce sentiment et favoriser le débat démocratique. Vos deux rapporteurs suggèrent ainsi d’agir pour garantir aux médias leur pluralisme et leur indépendance ; en revanche, s’agissant des institutions, si le constat de la défiance est partagé, les solutions envisageables ne le sont pas.

a.   Améliorer le rapport aux institutions de la Ve République

Pour votre rapporteur Jérémie Iordanoff, les institutions de la Ve République ne permettent plus de répondre aux aspirations de la société et n’offrent pas suffisamment de cadre satisfaisant pour résoudre les conflits politiques, assurer une délibération large et garantir l’équilibre des pouvoirs.

À titre liminaire, s’agissant des enjeux institutionnels, vos rapporteurs tiennent à rappeler que mieux évaluer, c’est mieux légiférer. L’évaluation des politiques publiques par le Parlement est en effet un enjeu à la fois démocratique, administratif et parlementaire, comme l’avaient mis en évidence les travaux de la mission d’information du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée sur l’évaluation des dispositifs d’évaluation des politiques publiques ([196]).

En conséquence, afin de renforcer les moyens du Parlement dans ce domaine, de perfectionner l’évaluation et, in fine, d’améliorer la qualité de la loi et la façon de légiférer, il est proposé de créer un pôle parlementaire d’évaluation, qui serait commun aux deux assemblées – à l’instar de la Délégation parlementaire au renseignement ou encore de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Cette proposition s’inscrit ainsi dans la continuité des travaux de la mission d’information précédemment citée – il s’agissait de sa recommandation n° 7 –, et fait écho à une proposition faite par la présidente Yaël Braun‑Pivet, alors présidente de la commission des Lois de l’Assemblée, dans le cadre d’un rapport pour la Fondation Jean Jaurès ([197]).

Proposition n° 22 : afin de renforcer l’évaluation des politiques publiques et d’améliorer la qualité de la loi, créer un pôle parlementaire d’évaluation commun aux deux assemblées.

 

i.   Développer la participation

Le développement de la participation des citoyens, et son intérêt pour assurer à chacun que sa voix sera entendue, fait consensus chez vos rapporteurs. Les différents débats, conventions et espaces de discussion institués depuis le mouvement des Gilets jaunes témoignent d’ailleurs de la prise en compte par les pouvoirs publics de cette aspiration à une participation accrue des citoyens.

Pour mieux informer les citoyens sur les politiques publiques envisagées et recueillir leurs observations, des espaces de débat doivent être systématisés, de même que la consultation des citoyens.

À cet égard, la pratique des consultations en ligne développée par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais aussi par le Gouvernement ([198]), permettant à chacun de faire valoir son point de vue sur un projet de réforme ou un sujet donné, doit être développée pour que son usage soit plus fréquent.

Un tel outil ne saurait cependant constituer la panacée, et pourrait aboutir à des résultats contre-productifs : il est probable, sinon certain, que tous les points de vue émis ne pourront être satisfaits, circonstance de nature à nourrir une forme de frustration et de sentiment d’inutilité de la consultation, confortant certains dans leur conviction que les institutions ne servent à rien, et pouvant pousser d’autres vers cette conclusion.

Il convient donc d’être prudent, et de prendre la précaution, dans chaque consultation, d’indiquer qu’il s’agit de recueillir l’appréciation de chaque participant sur un sujet, mais que cela s’inscrit dans un cadre démocratique, où la règle de la majorité prévaut.

ii.   Accroître la représentation

● Si la XVIe Législature, par rapport à celles qui l’ont précédée, offre une représentation parlementaire plus proche de la réalité du vote des Français, il est probable qu’elle ne constitue qu’une exception dans le fonctionnement des institutions d’une Ve République qui assure en principe l’existence fonctionnelle d’une majorité absolue, surtout depuis l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral plaçant l’élection présidentielle juste avant les élections législatives.

Votre rapporteur Jérémie Iordanoff recommande de procéder à une déconnexion des élections législatives et présidentielles, favorisant une représentation plurielle plus forte en évitant que les résultats de l’élection présidentielle n’aient une influence excessive sur les élections législatives.

Une telle proposition suppose une évolution du code électoral de niveau organique – article L.O. 121.

● La question de la représentation de l’ensemble des courants d’expression ne se pose pas qu’à l’Assemblée nationale : un autre espace au sein duquel la représentation paraît perfectible est celui des chambres d’agriculture.

Rappelons qu’aux termes de l’article L. 511‑7 du code rural et de la pêche maritime (CRPM), les membres des chambres départementales et régionales d’agriculture sont élus pour six ans au scrutin de liste au sein de plusieurs collèges, avec des modes de scrutin différents en fonction des collèges, définis à l’article R. 511‑43 du CRPM :

– pour les collèges des chefs d’exploitation, une prime majoritaire de 50 % des sièges bénéficie à la liste arrivée en tête, le reste des sièges étant réparti à proportion des voix obtenues par les listes ;

– pour les autres collèges (notamment ceux des groupements professionnels agricoles), les sièges à pourvoir sont attribués à la liste qui a recueilli la majorité des suffrages.

Cette combinaison de prime majoritaire élevée, d’une part, et d’attribution intégrale à la liste arrivée en tête, d’autre part, est de nature à limiter considérablement la représentativité des chambres d’agriculture, et à priver des organisations agricoles – et donc des agriculteurs – d’une représentation en leur sein, pouvant alimenter une défiance à l’égard des chambres.

Ceci est d’autant plus regrettable au regard du rôle important des chambres d’agriculture en matière de performance des entreprises agricoles, de développement des filières, d’aménagement du territoire et de développement durable – rappelons, à cet égard, que les chambres sont représentées et participent aux travaux des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer).

Il apparaît donc nécessaire, aux yeux de votre rapporteur Jérémie Iordanoff, de réformer les modes de scrutin des chambres d’agriculture pour corriger les imperfections de représentation qu’il induit.

Une solution pourrait consister :

– à réduire la prime majoritaire à 25 % des sièges à pourvoir ;

– à augmenter le nombre d’élus issus des collèges des salariés (deux collèges de trois élus chacun aujourd’hui) ;

– à prévoir une répartition proportionnelle des sièges pour les autres collèges comptant plus d’un élu.

b.   Faire évoluer la Constitution de la Ve République

Si le développement de la participation est possible à travers les outils précédemment mentionnés, une autre voie réside dans une évolution de la Constitution s’agissant, au moins, du référendum – évolution qui pourrait concerner d’autres questions institutionnelles à titre complémentaire.

● En ce qui concerne le référendum, plusieurs pistes peuvent être empruntées.

D’une part, s’agissant du référendum d’initiative partagée (RIP), abaisser le seuil requis de soutien des électeurs permettrait de faciliter le recours à cet outil, qui n’a jamais été complètement mis en œuvre jusqu’à présent.

En l’état de l’article 11 de la Constitution ([199]), il est exigé qu’un dixième des électeurs inscrits sur les listes apportent leur soutien à la proposition de loi dans un délai de neuf mois pour que celle-ci puisse être soumise à référendum, soit environ 4,8 millions d’électeurs.

Une seule proposition de loi est parvenue à franchir les deux écueils d’une présentation par un cinquième des parlementaires, et d’une conformité à la Constitution décidée par le Conseil constitutionnel : il s’agit de la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris. Néanmoins, cette proposition n’a pu recueillir dans le délai imparti le nombre de soutien d’électeurs requis – elle en avait obtenu près d’1,1 million ([200]).

Abaisser le seuil de soutiens des électeurs serait de nature à faciliter la mise en œuvre du RIP, tout en assurant un niveau minimum de soutien prémunissant le dispositif contre des initiatives abusives.

Une telle proposition suppose de modifier la Constitution.

D’autre part, recourir plus souvent à l’outil de consultation et de décision qu’est le référendum pourrait contribuer à aplanir la défiance à l’égard des institutions, cela pouvant également impliquer un élargissement du champ du référendum – en y incluant les questions de société notamment.

Notons toutefois que le recours au référendum peut présenter plusieurs écueils, à commencer par une réponse portant non sur la question posée, mais sur son auteur – c’est-à-dire le Président de la République (sur proposition du Gouvernement ou des deux assemblées).

Proposition n° 23 de M. Poulliat :  élargir le champ d’application du référendum prévu par l’article 11 de la Constitution, afin d’y inclure les questions de société.

 

Proposition n° 24 de M. Iordanoff :  favoriser le débat démocratique en refondant toutes les institutions de la Ve République (mode de scrutin proportionnel aux élections législatives, déconnexion des législatives des présidentielles, engagement obligatoire de la responsabilité du gouvernement au stade de sa formation, abaissement du seuil du référendum d’initiative partagé, etc.)

● Une autre piste d’évolution de la Constitution de la Ve République concerne le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, dispositif plus connu sous l’appellation « 49.3 ».

Cet outil, rappelons-le, permet au Gouvernement de faire passer un texte de loi sans vote, en engageant sa responsabilité devant l’Assemblée nationale ; son utilisation est de plus en plus perçue au sein de la population comme une forme de brutalité politique, d’éviction du Parlement, voire de déni de démocratie. La récente mobilisation contre la réforme des retraites en témoigne : c’est à compter du 16 mars 2023, date d’utilisation de cet outil par la Première ministre, que des manifestations spontanées et d’importantes violences sont survenues.

Pour votre rapporteur Éric Poulliat, cet instrument reste un simple outil constitutionnel, prévu par la norme suprême et s’inscrivant parmi les autres dispositions qu’elle contient. S’il n’est guère plaisant de ne pas pouvoir voter sur un texte, cet outil n’en demeure pas moins précieux pour éviter des blocages institutionnels en l’absence de majorité claire. En outre, depuis 2008 et en dehors des textes budgétaires et constitutionnels, son recours est limité à un texte par session. Par ailleurs, le « 49.3 » a été utilisé à de très nombreuses reprises par le passé sans que cela n’ait suscité dans la population un émoi particulier, notamment par le gouvernement de Michel Rocard ; la perception qu’en ont les citoyens aujourd’hui relèverait ainsi plus d’une forme d’instrumentalisation politique qu’autre chose – ce, d’autant plus que le « 49.3 » ne saurait être vu comme anti-démocratique : une motion de censure peut être adoptée, renversant le Gouvernement, et un vote a en tout état de cause lieu si une telle motion est déposée, ce qui est fréquent.

Si votre rapporteur Jérémie Iordanoff reconnaît que le « 49.3 » est un instrument constitutionnel et, qu’à ce titre, il a une légitimité juridique, son rejet par une grande partie de la population et l’impression qu’il donne du fonctionnement des institutions et du rôle du Parlement sont autant d’éléments qui alimentent le rejet du cadre d’expression démocratique prévu par les institutions, et la défiance à l’égard de ces dernières.

En conséquence, il propose, à titre individuel, l’abrogation de cette disposition – et donc de modifier la Constitution à cet effet.

Proposition n° 25 de M. Iordanoff : abroger le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.

 

c.   Assurer le pluralisme des médias et leur indépendance

Les nouveaux acteurs de l’information que sont les grandes plateformes et les moteurs de recherche concurrencent directement les médias traditionnels, avec des moyens financiers colossaux – la valorisation boursière de certaines de ces entreprises est d’un niveau équivalent, voire supérieur, à celui du PIB de grandes économies européennes.

Cette concurrence peut conduire les médias traditionnels à produire de l’information issue de ces plateformes et, pour ne pas être pris de vitesse, à ne pas la vérifier ou à porter sur les contenus diffusés un point de vue subjectif.

Pour assurer une information de qualité et plurielle, plusieurs actions apparaissent nécessaires.

D’une part, il faut soutenir les médias traditionnels, pour que la concurrence à laquelle ils font face n’ait pas d’effet délétère sur leur propre information, et pour que cette information soit plus diffusée et accessible par le plus grand nombre. Tous les médias traditionnels doivent faire l’objet de ce soutien, qu’ils soient publics ou privés ayant conclu une convention avec les pouvoirs publics. Une attention particulière semble toutefois devoir être portée sur les médias associatifs, notamment pour leur diffusion en ligne.

D’autre part, il est nécessaire de prendre les mesures pour garantir le pluralisme des médias, et éviter ainsi une concentration excessive qui lui nuirait.

i.   Se prémunir de la concentration des médias

Précisons, à titre liminaire, que le pluralisme des médias ne signifie pas que chacun peut et doit produire de l’information. De plus en plus de particuliers, équipés de leur téléphone, s’autoproclament journalistes et diffusent en ligne les contenus vidéos qu’ils ont filmés. Si de telles pratiques peuvent participer à la fabrication de l’information et porter à la connaissance du public certains faits, il ne s’agit pas pour autant de journalisme : rarement contextualisées et sourcées, parfois tronquées à dessein, ces publications ne s’inscrivent pas dans le cadre déontologique rigoureux et exigeant qui est celui de la profession du journalisme. À cet égard, les récentes prises de position d’Elon Musk sur la plateforme X (anciennement Twitter), promouvant ce qu’il appelle le « journalisme citoyen », ne sont guère rassurantes.

Lutter contre la concentration des médias suppose vraisemblablement une évolution de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ([201]), mais les modalités de cette évolution ne font pas consensus, comme l’ont montré les travaux de la commission d’enquête du Sénat sur le sujet ([202]).

À cet égard, vos rapporteurs espèrent que les États généraux de l’information lancés à l’initiative du Président de la République en juillet 2023, qui se dérouleront entre octobre 2023 et mai 2024, permettront de faire émerger des propositions opérationnelles pour mieux prévenir ce phénomène et assurer le pluralisme des médias.

● En attendant la conclusion de ces travaux, vos rapporteurs proposent néanmoins de modifier la loi de 1986 précitée sur un aspect précis, mais qui paraît important : la question de la prise en compte des types de médias dans le calcul des seuils utilisés pour juger de la validité des concentrations plurimédias.

Les articles 41‑1 à 41‑2‑1 de la loi du 30 septembre 1986 précitée prévoient en effet, pour prévenir les atteintes au pluralisme, l’absence de délivrance d’autorisation à une personne qui, avec une telle autorisation, se trouverait titulaire de plusieurs autorisations concernant des services de télévision, de radio ou de presse quotidienne d’information politique et générale.

En restreignant l’appréciation à la seule détention de médias relevant de la presse quotidienne d’information politique et générale, la loi limite substantiellement l’effet utile des mesures anti-concentration, puisqu’elle ne tient pas compte de nombreuses publications, par exemple hebdomadaires, dont l’influence et la diffusion peuvent pourtant être équivalentes, voire supérieures à des quotidiens nationaux – il est permis de penser ici au Journal du Dimanche, dont le récent changement de direction de rédaction a suscité un certain émoi, mais aussi à d’autres publications, telles que Paris Match, Le Nouvel Observateur ou encore Le Point.

Notons que la prise en compte de l’ensemble de la presse écrite avait déjà été préconisée par la commission d’enquête sénatoriale précitée ([203]).

Proposition n° 26 : en attendant la conclusion des États généraux de l’information et l’émergence d’une évolution d’ampleur des dispositions garantissant le pluralisme des médias et la qualité de l’information, faire évoluer la « Loi Léotard » du 30 septembre 1986 en prenant en compte l’ensemble de la presse écrite, et non uniquement la presse quotidienne d’information générale, dans l’appréciation de la validité des concentrations plurimédias.

 

ii.   Renforcer le soutien aux médias associatifs et à leur numérisation

Depuis la légalisation des « radios libres » dans les années 1980, les radios associatives locales bénéficient de subventions de la part du fonds de soutien à l’expression radiophonique (FSER), créé en 1982. Ce fonds, à travers ses aides, a pour ambition de permettre à ces radios d’assurer leur mission de communication sociale de proximité auprès des territoires. En 2021, 720 radios locales ont ainsi été soutenues, les aides versées représentant en moyenne 40 % de leurs ressources ([204]).

La pluralité d’expression médiatique suppose que chaque acteur, indépendamment de sa taille, puisse accéder aux outils lui offrant une diffusion large, en particulier les outils numériques. À cet égard, de nombreux médias associatifs semblent se heurter à une « barrière numérique », ne disposant pas des moyens financiers ou techniques pour porter efficacement leur message en ligne, situation qui a notamment été signalée à vos rapporteurs par l’ARCOM.

Il serait souhaitable d’aider ces médias à accéder au numérique, pour assurer une information plurielle et de proximité, en prévoyant des critères d’éligibilité pour éviter que ne soient soutenus, par exemple, des médias diffusant de fausses informations ou jouant le rôle d’organes de propagande de puissances étrangères.

Plus généralement, au-delà de la seule question de l’accès au numérique, soutenir les médias associatifs permettrait à ces derniers d’atteindre plus facilement les élèves, leurs parents, mais aussi les élus locaux et, de façon globale, la société civile dans son ensemble.

Ce soutien pourrait être réalisé à travers la création d’un nouveau fonds, inspiré du FSER, permettant le développement de la citoyenneté numérique selon les axes précédemment décrits.

Proposition n° 27 : soutenir financièrement les médias associatifs auprès d’un public local et dans leur accès au numérique, à travers la création d’un fonds national de développement de la citoyenneté numérique, sur le modèle des subventions octroyées aux radios associatives par le FSER.

 

d.   Veiller à l’exécution des décisions de justice

● Veiller à ce que les décisions de justice soient bien exécutées, c’est-à-dire qu’elles soient effectivement mises en œuvre dans des délais raisonnables, est une exigence nécessaire dans un État de droit. C’est aussi un point essentiel pour éviter que des mouvements légalistes, qui privilégient la contestation contentieuse à l’affrontement physique, ne risquent de basculer dans une radicalisation violente s’ils perçoivent que leurs recours sont inutiles.

Or, il est ressorti des auditions conduites par vos rapporteurs que, dans certains cas, les décisions rendues par les juridictions ne sont pas exécutées par les pouvoirs publics, en particulier en matière environnementale.

En l’état du droit, si l’administration n’exécute pas une décision du juge administratif ou ne l’exécute que partiellement, le requérant dispose de deux possibilités :

– une demande de contrainte au paiement, si l’administration n’a été condamnée qu’au paiement d’une somme d’argent, en application de l’article L. 911‑9 du code de justice administrative (CJA), qui renvoi à cet effet à la loi du 16 juillet 1980 ([205]) ;

– une demande d’exécution, en application des articles L. 911‑4 et L. 911‑5 du CJA.

Ajoutons que le requérant peut aussi, dans sa requête, présenter des conclusions à fin d’injonction à l’égard de l’administration en application des articles L. 911‑1 et L. 911‑2 du CJA, l’injonction pouvant en outre être assortie d’astreintes.

Néanmoins, ces procédures, pour nécessaires qu’elles soient, prennent inévitablement du temps, ce qui peut ne pas être satisfaisant pour les requérants.

Vos rapporteurs appellent donc à ce que l’administration, et en particulier l’État et les collectivités territoriales, assurent dans les meilleurs délais l’exécution des décisions de justice qui lui sont défavorables – sans en faire une recommandation de la mission d’information dans la mesure où cela relève déjà du droit en vigueur et des principes fondamentaux de l’État de droit.

Vos rapporteurs encouragent parallèlement les associations engagées dans la défense d’une cause et qui envisagent de faire un recours pour contester une décision de l’administration, de présenter un référé-suspension (ou un référé-liberté, selon la situation). Les délais de jugement par les tribunaux administratifs, s’ils ont été réduits depuis plusieurs années, demeurent relativement longs. Or, la saisine du juge administratif n’ayant pas d’effet suspensif, il peut arriver que l’exécution du projet que l’on a contesté et dont la décision a été annulée ait quand même eu lieu entretemps. Le recours en référé permet d’éviter de se retrouver dans une telle situation, tout en prévenant tout risque de paralysie abusive de l’action publique eu égard aux conditions prévues par le CJA pour que la suspension soit accordée.

● Dans la mesure où l’attention de vos rapporteurs sur cette question a été attirée dans le domaine environnemental, pour des projets d’infrastructures, et qu’est en jeu le respect par l’administration des décisions de justice, votre rapporteur Jérémie Iordanoff préconise d’instituer un Défenseur de l’environnement, sur le modèle du Défenseur des droits prévu à l’article 71‑1 de la Constitution. Confier à une autorité administrative indépendante la défense des intérêts environnementaux devrait en effet assurer au droit de l’environnement une meilleure effectivité.

Pour mémoire, la création d’un Défenseur de l’environnement n’est pas une suggestion inédite :

– la Convention citoyenne pour le climat l’avait proposée ([206]) ;

– notre ancienne collègue Céline Muschotti, à qui le Gouvernement avait confié la mission d’étudier l’opportunité et la faisabilité de la création d’un Défenseur de l’environnement, recommandait dans son rapport la création d’un « Défenseur de l’environnement et des générations futures », jugeant qu’une telle autorité indépendante répondrait « à une volonté citoyenne autant qu’à une obligation morale, éthique » et qu’elle pourrait « être un pilier de notre construction politique à venir, concrétisant la défense de l’environnement comme un droit fondamental. » ([207]).

Notre collègue socialiste Gérard Leseul avait concrétisé ces aspirations en présentant une proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement, qui n’a cependant pas pu être adoptée ([208]).

Notons que Mme Muschotti, dans son rapport, soulignait que le Défenseur de l’environnement devrait disposer « d’un droit de suite lui permettant de s’assurer de la concrétisation des arbitrages comme des décisions de justice » ([209]) et qu’il « devrait par ailleurs veiller à ce que les décisions de justice soient appliquées » ([210]). Cela fait directement écho aux vœux de votre rapporteur Jérémie Iordanoff.

Proposition n° 28 de M. Iordanoff : sur le modèle du Défenseur des droits, créer un Défenseur de l’environnement pour veiller à la préservation de l’environnement, disposant de prérogatives étendues et chargé, notamment celle de veiller à l’exécution des décisions de justice.

 

 

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   Liste des propositions des rapporteurs

La liste des propositions faites par vos rapporteurs figure ci-après. Certaines des propositions ne sont présentées que par l’un des rapporteurs, et mentionnent son nom. En l’absence d’une telle mention, la proposition est faite conjointement par les deux rapporteurs.

Proposition n° 1 de M. Poulliat : porter à trois ans d’emprisonnement la peine prévue pour la participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations, afin de rendre possible la réquisition de données de connexion.

Proposition n° 2 : relever les peines prévues pour les violences volontaires commises contre les élus, en les alignant sur celles applicables aux violences commises contre les membres des forces de sécurité.

Proposition n° 3 : rendre applicable à l’ensemble des élus la circonstance aggravante prévue pour les atteintes aux biens présentant un danger pour les personnes.

Proposition n° 4 de M. Poulliat : étendre le champ d’application du délit d’entrave à l’exercice de libertés, en supprimant la condition de concertation et en incluant aux côtés des menaces, parmi les moyens d’entrave utilisés, l’intrusion et l’obstruction.

Proposition n° 5 de M. Poulliat : sanctionner les intrusions non autorisées dans les établissements d’enseignement supérieur, sur le modèle du dispositif existant pour les établissements scolaires.

Proposition n° 6 de M. Poulliat : au 1° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, préciser que les provocations à des manifestations armées ou à des agissements violents pouvant justifier une dissolution administrative peuvent être faites « directement ou indirectement ».

Proposition n° 7 : sanctionner de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende l’organisation du maintien ou de la reconstitution d’un groupement ou d’une association dissout ne constituant pas un groupe de combat.

Proposition n° 8 : introduire une procédure de suspension temporaire des activités d’une association ou d’un groupement violent, à l’instar de ce qui existe en matière de lutte contre les groupes de supporters violents.

Proposition n° 9 : prévoir une procédure spécifique de dévolution des biens des associations dissoutes sur le fondement de l’article L. 212‑1 du CSI afin de prévenir la dévolution des biens à une personne susceptible de poursuivre l’activité de l’association dissoute.

Proposition n° 10 de M. Poulliat : relever la sanction prévue en cas de participation à une manifestation interdite en transformant cette infraction en contravention de la 5e classe, passible d’une amende de 1 500 euros, et d’une amende forfaitaire de 200 euros.

Proposition n° 11 de M. Poulliat : instaurer un régime d’interdiction administrative de manifester à titre expérimental, pour une durée de deux ans, permettant aux préfets d’interdire la participation à une manifestation susceptible de donner lieu à des troubles à l’ordre publics d’une personne qui constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et qui, au cours de l’année précédente, a personnellement commis des atteintes graves aux personnes ou aux biens à l’occasion de manifestations.

Proposition n° 12 : renforcer la judiciarisation du renseignement :

 en favorisant la judiciarisation et les échanges entre services ;

 et en invitant les parquets à associer plus systématiquement les services de renseignement aux groupements locaux de prévention de la délinquance.

Proposition n° 13 de M. Poulliat : appliquer au délit de dissimulation volontaire du visage pendant des manifestations violentes, prévu à l’article 431‑9 du code pénal, la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle, avec une amende de 500 euros.

Proposition n° 14 : encadrer juridiquement l’usage des produits de marquage codés dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre afin de rendre opérationnelle l’utilisation de cet outil d’identification.

Proposition n° 15 : garantir le financement pérenne des travaux de recherche sur les violences politiques et les activismes violents, en particulier pour assurer la poursuite du programme de recherche Vioramil.

Proposition n° 16 : déployer un effort financier public pour promouvoir la recherche sur les risques systémiques des plateformes en ligne dans le cadre de l’accès aux données prévu par le Digital Services Act.

Proposition n° 17 : accroître les investissements en matière de recherche sur l’intelligence artificielle, afin de lutter contre l’exploitation de cette technologie par des groupes activistes violents et pour garantir le développement de solutions françaises en matière de renseignement, sans dépendre d’outils étrangers.

Proposition n° 18 : renforcer la recherche scientifique sur les phénomènes de désinformation et d’ingérences étrangères, afin de mieux les comprendre et de les combattre plus efficacement.

Proposition n° 19 : présenter chaque année au Parlement, dans le cadre d’un débat sans vote, un rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale.

Proposition n° 20 : renforcer la place de l’enseignement de l’éducation civique et morale dans les cycles primaire et secondaire et, au collège et au lycée, assurer cet enseignement par un professeur dédié à cette matière.

Proposition n° 21 : renforcer la formation des élèves à l’éducation aux médias et à l’information, en augmentant les moyens, notamment humains, du CLEMI, en valorisant les professeurs documentalistes et, à travers un pilotage systémique, en garantissant la continuité des enseignements tout au long de la scolarité.

Proposition n° 22 : afin de renforcer l’évaluation des politiques publiques et d’améliorer la qualité de la loi, créer un pôle parlementaire d’évaluation commun aux deux assemblées.

Proposition n° 23 de M. Poulliat :  élargir le champ d’application du référendum prévu par l’article 11 de la Constitution, afin d’y inclure les questions de société.

Proposition n° 24 de M. Iordanoff :  favoriser le débat démocratique en refondant toutes les institutions de la Ve République (mode de scrutin proportionnel aux élections législatives, déconnexion des législatives des présidentielles, engagement obligatoire de la responsabilité du gouvernement au stade de sa formation, abaissement du seuil du référendum d’initiative partagé, etc.)

Proposition n° 25 de M. Iordanoff : abroger le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.

Proposition n° 26 : en attendant la conclusion des États généraux de l’information et l’émergence d’une évolution d’ampleur des dispositions garantissant le pluralisme des médias et la qualité de l’information, faire évoluer la « Loi Léotard » du 30 septembre 1986 en prenant en compte l’ensemble de la presse écrite, et non uniquement la presse quotidienne d’information générale, dans l’appréciation de la validité des concentrations plurimédias.

Proposition n° 27 : soutenir financièrement les médias associatifs auprès d’un public local et dans leur accès au numérique, à travers la création d’un fonds national de développement de la citoyenneté numérique, sur le modèle des subventions octroyées aux radios associatives par le FSER.

Proposition n° 28 de M. Iordanoff : sur le modèle du Défenseur des droits, créer un Défenseur de l’environnement pour veiller à la préservation de l’environnement, disposant de prérogatives étendues et chargé, notamment celle de veiller à l’exécution des décisions de justice.

 


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   Examen en commission

 

Lors de sa réunion du mercredi 15 novembre 2023, la commission des Lois a examiné ce rapport et en a autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

https://assnat.fr/dyGXIh

 

 

 

 


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   Liste des personnes entendues

Mercredi 15 mars 2023

   M. Xavier Crettiez, professeur de science politique et chercheur au centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP)

Mercredi 22 mars 2023

   Mme Isabelle Sommier, professeure de sociologie à l’université Paris 1-Panthéon Sorbonne et chercheure au centre européen de sociologie et de science politique (CESSP)

Mardi 4 avril 2023

   M. Jean Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean Jaurès

   M. Roman Bornstein, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès

   M. Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)

Mercredi 5 avril 2023

   M. Jean Garrigues, historien

Jeudi 13 avril 2023

   M. Nicolas Lebourg, historien, membre de l’Observatoire des radicalités politiques

   M. Christian Gravel, préfet, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)

   M. Albert Ogien, sociologue, directeur de recherche au CNRS

Mercredi 3 mai 2023

   Mme Danielle Tartakowsky, historienne, ancienne présidente de l’Université Paris VIII

   M. Erwan Lecoeur, sociologue

   M. Séraphin Alava, professeur de sciences de l’éducation

   M. Benjamin Tainturier, sociologue, démographe et économiste des médias

Mercredi 10 mai 2023

   Mme Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS

Unité magistrats SNM-FO

   Mme Béatrice Brugère, secrétaire générale

   Mme Delphine Blot, déléguée régionale et membre du conseil national

Union syndicale des magistrats

   M. Ludovic Friat, président

   Mme Alexandra Vaillant, secrétaire générale

   M. Aurélien Martini, secrétaire général adjoint

Mardi 23 mai 2023

   Mme Françoise Bilancini, directrice

Mercredi 7 juin 2023

   Mme Pascale Léglise, directrice

   M. Basile Pierre, chef du bureau de l’instruction et de l’action administrative

   M. Thierry Le Peuvedi, adjoint au chef du bureau de l’instruction et de l’action administrative

   Mme Sophie Macquart-Moulin, adjointe au directeur

   Mme Marie Defos du Rau, adjointe à la cheffe de bureau de la politique pénale générale

   M. Bertrand Chamoulaud, inspecteur général, chef du SCRT

   M. Benjamin Baudis, chargé des affaires réservées du SCRT

   M. Laurent Nuñez, préfet de police

   Mme Juliette de Clermont-Tonnerre, conseillère technique, chargée de la stratégie et des relations publiques

Mardi 13 juin 2023

   Mme Kim Reuflet, présidente

   Mme Samra Lambert, secrétaire permanente

   M. Nicolas Lerner, directeur général

Mardi 18 juillet 2023

   M. Raphaël Balland, président

   M. Rodolphe Jarry, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pau

   Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres

   Général Samuel Dubuis, général de division, commandant de la région de gendarmerie Nouvelle-Aquitaine

Mercredi 19 juillet 2023

   Mme Nathalie Sonnac, professeure à l’Université Paris II-Panthéon-Assas, présidente du Comité d’éthique des données d’éducation et du Conseil d’orientation et de perfectionnement du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI)

   M. Alexandre Touzet, maire de St-Yon, vice-président de la communauté de communes de Juine et Renarde et vice-président du Conseil départemental de l’Essonne,

   M. Lionel Ledemay, chargé de mission Sécurité et prévention de la délinquance

   M. Denis Mottier, chargé de sécurité et prévention de la délinquance

   Mme Charlotte de Fontaines, chargée des relations avec le Parlement

   M. Marc Lazar, historien et sociologue du politique à Sciences Po

   Mme Pauline Schnapper, professeure de civilisation britannique contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle

Jeudi 20 juillet 2023

   M. Benoît Loutrel, membre du collège et président du groupe de travail relatif à la supervision des plateformes en ligne

   M. Albin Soares-Couto, directeur des publics, du pluralisme et de la cohésion sociale

   M. Théo Anfossi, chargé de mission à la direction des plateformes en ligne

   Mme Laurence Roques, présidente de la commission Libertés et droits de l’homme

   M. Gérard Tcholakian, membre de la commission Libertés et droits de l’homme

   Mme Emilie Guillet, chargée d’affaires publiques

Lundi 25 septembre 2023

   Mme Juliette Bossart-Trignat, préfète déléguée pour la défense et la sécurité auprès de la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, préfète de la zone de défense et de la sécurité sud-est, préfète du Rhône

   M. Nelson Bouard, directeur départemental de la sécurité publique, directeur interdépartemental de la police nationale

   Général Christophe Marietti, commandant de la région de gendarmerie Auvergne-Rhône-Alpes

   Colonelle Sylvia Saint-Cierge, commandant du groupement de gendarmerie du Rhône

   M. Nicolas Jacquet, procureur de la République de Lyon

   M. Laurent Burlet, directeur de Rue89Lyon

   M. Philippe Carry, artisan horloger

Mercredi 27 septembre 2023

   M. Fabrice Rigoulet-Roze, préfet de la région Pays de la Loire, préfet de la Loire-Atlantique

   Mme Marie Argouarc’h, directrice de cabinet du préfet

   Général Laurent Le Gentil, commandant de la région de gendarmerie des Pays de la Loire

   M. Nicolas Jolibois, directeur départemental de la sécurité publique

   M. Florent Boué, chef du service régional de renseignement territorial de Loire-Atlantique

   M. Olivier Darde, président général de l’UMIH 44 (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie)

   Mme Catherine Querard, vice-présidente du Groupement des hôtelleries et restaurations de France

   M. Teddy Leboucher, président du Club hôtelier Nantes Métropole

   M. Teddy Robert, président de l’association « Plein centre »

   M. Régis Chevallier, Fédération des maraîchers nantais

   M. Mickaël Trichet, président de la FNSEA 44 (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles)

   M. Jean-François Guitton, secrétaire général de la Confédération paysanne de la Loire-Atlantique

   Mme Marie Savoy, membre du comité départemental de la Confédération paysanne de la Loire-Atlantique

Jeudi 12 octobre 2023

   M. Michel Forst, rapporteur spécial sur la protection des défenseurs de l’environnement dans le cadre de la Convention d’Aarhus

    Mme Bénédicte Hermelin, directrice générale de France Nature Environnement

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Maurice Joly, Dialogues aux enfers entre Machiavel et Montesquieu, ou La politique au XIXe siècle, par un contemporain, édition de 1864, page 21 (Gallica – Bibliothèque nationale de France). Il n’a pas échappé à vos rapporteurs que cet ouvrage a été plagié par l’Okhrana tsariste pour publier l’œuvre complotiste Les protocoles des sages de Sion, encore utilisée de nos jours par certains tenants de la mouvance d’ultra-droite.

([3]) La désobéissance civile peut-être définie comme une infraction délibérée, non violente, ayant une finalité morale ou politique et assumée par ses auteurs jusque dans ses éventuelles conséquences judiciaires.

([4]) Jean‑Jacques Rousseau, Lettre écrites de la montagne, édition en ligne www.rousseauonline.ch, pages 99‑100.

([5]) Il est renvoyé principalement à l’ouvrage Violences politiques en France, sous la direction d’Isabelle sommier avec la collaboration de Xavier Crettiez et François Audigier, Paris, Presses de Sciences Po, 2021.

([6]) Ainsi, l’enquête Fractures françaises 2023 montre que 91 % des Français trouvent la France violente (Fractures françaises : vague 11, Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean Jeaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne, 2023, page 22).

([7]) Si les séparatistes basques sont présents en France, les principales actions violentes ont été commises en Espagne.

([8]) La CNIL définit la bulle de filtre comme un « phénomène principalement observé sur les réseaux sociaux où les algorithmes de recommandation – qui alimentent par exemple les fils d’actualité des publications susceptibles d’intéresser les utilisateurs – peuvent parfois ne proposer que des contenus similaires entre eux. Ce phénomène intervient lorsqu’un algorithme est paramétré pour ne proposer que des résultats correspondant aux goûts connus d’un utilisateur, il ne sortira alors jamais des catégories connues. »

([9]) Rapport de la commission d’experts présidée par Gérald Bronner, « Les lumières à l’ère numérique », 11 janvier 2022, p. 43 (lien).

([10]) Jasper et Poulsen, « Recruiting Strangers and Friends : Moral Shocks And Social Networks in Animal Rights and Anti-Nuclear Protests », Social Problems 42(4):493-512, Novembre 1995.

([11]) Constats effectués par Jean-Yves Camus lors de son audition par vos rapporteurs.

([12]) Constat effectué par la préfet Gravel lors de son audition par vos rapporteurs.

([13]) Selon une étude réalisée par la Fondapol en mars 2023, « Élections, médias et réseaux sociaux : un espace public en décomposition ? » (lien), plus de la moitié des utilisateurs quotidiens de Twitch, Telegram, Twitter et Youtube ont « plutôt confiance » dans ce réseau, et près de la moitié des utilisateurs quotidiens de d’Instagram et TikTok. Dans le même temps, aucune de ces plateformes ne dépasse 20 % de confiance parmi l’ensemble des répondants, à l’exception de Youtube.

([14]) Dominique Reynié, « Notre-Dame-Des-Landes : L’État, Le Droit, La Démocratie empêchés », mai 2017 (lien).

 

([15]) On reprendra ici la typologie établie par MM. François Audigier et Xavier Crettiez dans Violences politiques en France, pp. 253-262.  Pourrait enfin être ajoutée à cette liste la violence comme expression d’une colère. Il n’est toutefois pas certain que cette dernière puisse réellement relever de l’activisme violent ou se déployer sans que l’un des trois autres ressorts cités soit à l’œuvre.

 

([16]) Mme Catherine Di Folco, Rapport sur la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, Sénat, session ordinaire de 2023-2024,  7, 5 octobre 2023, page 6.

([17]) D’après les chiffres fournis par le ministère de l’Intérieur et des outre-mer.

([18]) Id.

([19]) D’après les informations de France 24.

([20]) Étude précitée Fractures françaises : vague 11, page 14.

([21]) Victor Hugo, Le suffrage universel, discours devant l’Assemblée nationale législative, 21 mai 1850.

([22]) Id.

([23]) Étude précitée Fractures française : vague 11, page 34.

([24]) Ibid., pages 24 et 27.

([25]) « Nous sommes les Soulèvements de la Terre », tribune du 30 mars 2023 (lien).

([26])  Action française, « Le juge décide que célébrer une fête nationale légale est en effet légal », 13 mai 2023 (lien).

([27]) Crim. 15 juin 2021, n°20-83.749.

([28]) Crim 19 novembre 2002, Crim. 18 février 2003.  

([29]) Réunissant des milliers de personnes, cette boucle nationaliste sur la messagerie Telegram a été supprimée par ses fondateurs.

([30])  Reporterre, « Autour de la Zad, la bataille politique de la propriété privée »,  17 avril 2018 (lien).

([31]) Tribunal administratif de Paris, jugement n°1904967-1904968-1904972-1904976 du 3 février 2021, point 40 (lien).

([32]) Tribunal administratif de Paris, jugement n°1904967-1904968-1904972-1904976 du 14 octobre 2021, article 2 (lien).

([33]) Conseil d’État, 1er juillet 2021, n° 427301 (Lien).

([34]) Conseil d’État, 10 mai 2023, n°467982  (Lien).

([35]) Voir sur ce point Vincent Mazeau, « La constitutionnalisation du droit au respect de la vie privée », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 48 - juin 2015 (lien). L’article 17 du Pacte relatif aux droits civils et politiques rappelle que « Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance… Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

([36]) Décision 79-105 DC du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979.

([37]) Voir par exemple Ibrahimov et Mammadov c. Azerbaïdjan, 13 février 2020 : cas de deux activistes ayant apposé un graffiti sur une statue. La Cour juge que « les actes des requérants s’analysent en une forme d’expression politique couverte par la Convention ».

([38])  Dans l’affaire des « décrocheurs » de portraits du Président de la République : Crim. 22 septembre 2021, n°20-85.434 (lien).

([39]) Conseil d’État, n° 476385 du 11 août 2023 (lien).

([40]) « We declare, in accordance with our consciences, that we will withhold our services in respect of (i) supporting new fossil fuel projects; and (ii) action against climate protesters exercising their democratic right of peaceful protest » (lien).

([41])  Ce constat a notamment été fait par M. Raphaël Balland, président de la Conférence nationale des procureurs de la République, au cours de son audition par vos rapporteurs.

([42]) Voir sur ce point la troisième partie.

([43])  Audition de Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres, et du Général Samuel Dubuis, général de division, commandant de la région de gendarmerie Nouvelle-Aquitaine.

([44])  M. Touzet est par ailleurs maire de St-Yon, vice-président de la communauté de communes de Juine et Renarde et vice-président du Conseil départemental de l’Essonne.

([45])  Pendant les manifestations des Gilets Jaunes, le samedi serait devenu la plus petite journée de la semaine en termes de chiffre d’affaires.

([46]) Il est renvoyé principalement à l’ouvrage Violences politiques en France, sous la direction d’Isabelle Sommier avec la collaboration de Xavier Crettiez et François Audigier, Paris, Presses de Sciences Po, 2021.

([47]) Retenue comme point de départ, car correspondant à l’apogée des actions violentes d’Action Directe, et au début du terrorisme islamiste en France.

([48]) Violences politiques en France, op. cit., page 63.

([49]) Id.

([50]) La coalition Pè a Corsica réunit les partis autonomistes Femu a Corsica et Partitu di a Nazione Corsa et le parti indépendantiste Corsica libera.

([51]) Violences politiques en France, op. cit., page 87.

([52]) Groupe Union Défense.

([53]) Violences politiques en France, op. cit., page 91.

([54]) Décret du 4 octobre 2023 portant dissolution d’une association, paru au Journal officiel le 5 octobre 2023, qui souligne notamment que cette association, tenant un discours « ouvertement antisémite » et « ouvertement homophobe », « organise des rassemblements en hommage ou en soutien à des personnalités emblématiques de la collaboration » et qu’elle « présent[e] les étrangers, réels ou supposés, comme des terroristes ou des assassins et appelle à des actes de violences à leur égard ».

([55]) Violences politiques en France, op. cit., page 125.

([56]) Libération, 6 octobre 2015, in Violences politiques en France, id.

([57]) Site internet de la DGSI, L’émergence de groupuscules d’activistes violents.

([58]) Violences politiques en France, op. cit., page 29.

([59]) Voir notamment Violences politiques en France, op. cit., page 30. Ces éléments ressortent également des auditions conduites notamment avec Mme Isabelle Sommier et M. Xavier Crettiez.

([60]) Comme en témoignent les mots de Maurice Bardèche, universitaire engagé à l’extrême droite et négationniste, sur la devise vichyste : « Travail, famille, patrie, on ne m’enlèvera pas l’idée que c’est une devise pour la Suisse [, c’est] l’habituel dessein d’émasculation du monde moderne ». Cf. audition de Nicolas Lebourg.

([61]) En référence à l’autonomie que cette action doit revêtir à l’égard des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier.

([62]) Le qualificatif « nouveau » ne fait pas l’unanimité, certaines des revendications portées par les NMS s’ancrant dans l’histoire – ainsi, les mouvements féministes n’ont pas attendu l’après 1968 pour exister.

([63]) Selon les termes du psychologue social Serge Moscovici.

([64]) Violences politiques en France, op cit., pages 140 sqq.

([65]) Eddy Fougier, Les zadistes (2) : la tentation de la violence, étude parue en avril 2016, Fondapol.

([66]) Selon les chiffres fournis à vos rapporteurs par les services de renseignements et par M. Nicolas Lebourg lors de son audition.

([67]) Alors que, par le passé, plusieurs groupes d’ultra-droite, tels que le GUD, affichaient des liens étroits avec le Front national.

([68]) Devenue la loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

([69]) Violences politiques en France, op. cit., pages 35-36.

([70]) Plagiant le Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu de l’auteur français Maurice Joly, Le protocole des sages de Sion est un texte créé par l’Okhrana, la police politique tsariste, et se présentant comme le plan par lequel les Juifs compteraient s’emparer du monde.

([71])  Notons à cet égard la méconnaissance historique, due à une inculture ou à une instrumentalisation assumée de l’Histoire : si 300 est vu comme l’illustration de la défense héroïque de l’Europe face aux envahisseurs étrangers, en l’occurrence perses, c’est en ignorant que l’empire achéménide comptait en son sein des cités grecques, et que de nombreuses cités grecques indépendantes lui étaient alliées lors des guerres médiques. Rappelons au demeurant que Sparte s’est elle-même alliée aux Perses contre Athènes lors de la guerre du Péloponnèse, à peine moins d’un siècle après les Thermopyles.

([72]) Point de vue également exprimé par Jean Yves Camus dans La violence politique d’extrême droite en France : une capacité terroriste ?, in Les États européens face au militantisme violent  Dynamiques d’escalade et de désescalade, sous la direction de Romain Sèze, éditions Riveneuve, 2019, page 149.

([73]) La dixième procédure, liée à l’ultra-gauche, impliquait sept personnes.

([74]) Jean Yves Camus, ouvrage précité, pages 128-129.

([75]) Ibid., page 132.

([76]) Un sondage publié sur le site Mes opinions et libellé « Savez-vous que la mafia khazar est le mal que nous devons combattre », avec en sous-titre « La subversion de l’humanité par cette minuscule secte et ses alliés », a réuni 33 participants, dont 70 % ont répondu affirmativement. Ces complotistes sont peu nombreux, mais convaincus d’avoir raison.

([77]) MK-Ultra fut un programme illégal d’expérimentations humaines conduit par la CIA entre 1953 et 1973, destiné à développer des produits psychotropes utilisés durant des interrogatoires. Parmi les méthodes utilisées figurent l’administration sans consentement de drogues, d’électrochocs, de privation sensorielle et d’autres formes de torture.

([78]) ARCOM, décision  2023677 du 26 juillet 2023 portant sanction pécuniaire à l’encontre de la société C8.

([79]) Décret du 1er février 2023 portant dissolution d’une association.

([80]) Comme le relève le Southern Poverty Law Center, dans une publication du 24 avril 2018.

([81]) Vice, Not a classical neo-nazi : what we know about the German Hookah bar terrorist, article du 20 février 2020.

([82]) The Guardian, Plymouth gunman : a hate-filled misogynist and « incel », article du 13 août 2021.

([83]) Dans le cadre des travaux de la commission d’enquête  sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements.

([84]) Manuel Cervera-Marzal, chercheur à l’université de Liège, cité dans l’article du Monde intitulé Chez les militants écologistes, la tentation du sabotage, paru le 4 mai 2023.

([85]) L’expression est issue d’un ouvrage de Pierre Blavier, Gilets jaunes : La révolte des budgets contraints, 2021.

([86]) Cf. infra, c, encadré sur les Black Blocs.

([87]) Dont l’immense majorité ont résulté d’accidents de la route ou de malaises ou d’arrêts cardiaques (ainsi qu’il ressort notamment d’un article de la cellule de vérification de Libération (Libération, CheckNews  Qui sont les 11 morts du mouvement des gilets jaunes mentionnés par Emmanuel Macron, 30 janvier 2019).

([88]) Notamment à travers la loi n° 2018‑1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales.

([89]) CAA Paris, 29 septembre 2023, Ministère de l’Intérieur et des outre-mer c. L214, 22PA01415.

([90]) Loi n° 2019‑290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations.

([91]) Loi n° 2021‑646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.

([92]) Loi n° 2021‑1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

([93]) Loi n° 2023‑22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, rapport annexé, § 3.3.4.

([94]) Cass., crim., 14 juin 2022,  2181.072.

([95]) Dans les conditions prévues à l’article L. 211‑9 du CSI, qui précise notamment les auteurs des sommations et les modalités de celles-ci, ainsi que les cas dans lesquelles la dispersion est possible sans sommation.

([96]) Étant précisé que le seul fait de participer à un attroupement en portant une arme constitue un délit propre, passible de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende (article 431‑5, al. 1er).

([97]) Cette infraction est en effet punie de cinq ans d’emprisonnement, en application du 1° de l’article 322‑3 du code pénal – sans préjuger d’éventuelles circonstances aggravantes de nature à alourdir la peine encourue.

([98])  Conseil constitutionnel, décision  2021952 QPC du 3 décembre 2021, M. Omar Y. [Réquisition de données informatiques par le procureur de la République dans le cadre d’une enquête préliminaire].

([99]) Loi n° 2022‑299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire, article 12.

([100]) Les autres hypothèses sont : l’identification de l’auteur d’une infraction punie d’au moins un an d’emprisonnement et commise au moyen d’un réseau de communications électroniques ; une procédure relative aux équipements terminaux de la victime et à la demande de celle-ci, pour un délit passible d’emprisonnement ; une procédure pour retrouver une personne disparue.

([101]) Conseil constitutionnel, décision  2004492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, § 13.

([102]) « existant depuis un certain temps », pour reprendre les termes de l’article 2, b, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, citée par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée (§ 13).

([103]) Cass., crim., 8 juillet 2015,  1488.329, au Bulletin.

([104]) Articles 332‑6 et 332‑8 du code pénal.

([105]) Technique introduite par le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

([106]) Pour une durée maximale de cinq ans en cas de condamnation pour un délit, et de dix ans en cas de condamnation pour un crime.

([107]) Pour le délit d’attroupement, les peines complémentaires obligatoires ne concernent que la participation en étant armé et la provocation directe à un attroupement armé.

([108]) Lorsqu’elles entraînent une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours, sans circonstances aggravantes, la sanction est l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, ainsi que le prévoit l’article R. 625‑1 du code pénal.

([109]) Voir notamment Cass., crim., 2 septembre 2005,  0487.046, au Bulletin.

([110]) Les peines de trois et cinq ans d’emprisonnement sont respectivement portées à cinq et sept ans d’emprisonnement.

([111]) Loi n° 2022‑52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, article 10.

([112]) Circulaire CRIM n° 2019/1590/A22 du 6 novembre 2019 relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des personnes investies d’un mandat électif et au renforcement des échanges d’information entre les élus locaux et les procureurs de la République, page 3.

([113]) Conseil constitutionnel, décision  2022845 DC du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, § 63 à 67.

([114]) Proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux et la protection des maires, Sénat, session ordinaire de 2023‑2024, n° 2, 10 octobre 2023.

([115]) L’amende est alors de 200 euros, minorée à 150 euros et majorée à 450 euros.

([116]) Disposition introduite par l’article 10 de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République précitée.

([117]) Mme Martine Leguille‑Baloy et M. Alain Perea, Rapport d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales, Assemblée nationale, XVe législature,  3810, 27 janvier 2021, pages 56‑58.

([118]) Il s’agissait de la recommandation n° 4 de la mission d’information commune précitée.

([119]) L’amende est de 300 euros ; son montant minoré est de 250 euros et son montant majoré de 600 euros.

([120]) Loi n° 2023‑668 du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, article 1er.

([121]) Cass., crim., 11 décembre 2012,  1184.304, au Bulletin – l’affaire concernait une intrusion au sein de l’école normale supérieure de Lyon.

([122]) Il s’agissait de l’article 38 de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, censuré car constituant un cavalier législatif (Conseil constitutionnel, décision  2020810 DC du 21 décembre 2020, Loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, § 31 à 37).

([123]) Articles 29, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

([124]) Articles 625‑8 et 625‑8‑1 du code pénal.

([125]) Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 précitée si la provocation est publique, article 625‑7 du code pénal si elle n’est pas publique.

([126]) Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 précitée.

([127]) Article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 précitée.

([128]) Identité entendue ici au sens large, puisque sont visés : l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race, une religion déterminée.

([129]) Conseil constitutionnel, décision  2021823 DC du 13 août 2021, Loi confortant le respect des principes de la République, § 43 à 47.

([130]) Voir ainsi Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, Les Soulèvements de la Terre, Europe écologie Les Verts et autres,  476384 et suivants, au Recueil, § 5 ; Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, M. D. et autres (Groupe Antifasciste Lyon et environs - GALE),  464412, au Recueil, considérant 3 ; Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, M. A. (Alvarium),  460457, au Recueil, considérant 7 ; Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, Association Coordination contre le racisme et l’islamophobie, s 459704, 459737, au Recueil, considérant 5.

([131]) Les motifs de la dissolution de Civitas étaient l’atteinte à la forme républicaine du Gouvernement, l’exaltation de la collaboration avec l’ennemi et la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (3°, 5° et 6° de l’article L. 212‑1 du CSI).

([132]) Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, M. A. (Alvarium),  460457, au Recueil.

([133]) Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, M. D. et autres (Groupe Antifasciste Lyon et environs - GALE),  464412, au Recueil.

([134]) Le motif retenu pour la dissolution des Soulèvements de la Terre était la provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens (1° de l’article L. 212‑1 du CSI).

([135]) Conseil d’État, juge des référés, 11 août 2023, Les Soulèvements de la Terre et autres,  476385.

([136]) Conseil d’État, Section, 9 novembre 2023, Les Soulèvements de la Terre, Europe écologie Les Verts et autres,  476384 et suivants, au Recueil.

([137]) Dont les structures ont été très majoritairement dissoutes pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence et pour provocation à des actes de terrorisme.

([138]) Ainsi que l’a rappelée la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).

([139]) L’ONG Baraka City a été dissoute par décret du 28 octobre 2020 (lien).

([140]) La maison d’édition islamiste Nawa a été dissoute par décret le 29 septembre 2021 (lien).

([141]) Décret du 3 mars 2021 (lien).

([142]) Décret du 23 novembre 2022 (lien).

([143]) Était notamment en cause, pour Les Soulèvements de la Terre, la manifestation des 25 et 26  mars 2023 à Sainte-Soline.

([144]) Voir ainsi Cass., civ. 1ère, 4 avril 1991,  8915.856, au Bulletin.

([145]) Voir l’étude d’impact du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, 16 mars 2022, page 264.

([146]) Ibid.

([147]) Arrêté du 17 mars 2023 portant interdiction de manifestation et d’attroupement [sur diverses communes] du 24 mars 2023 (20 h) au 26 mars 2023 (20 h) (lien).

([148]) Audition par les rapporteurs de Mme Emmanuelle Dubée, préfète des Deux-Sèvres, et du Général Samuel Dubuis, commandant de la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine.

([149]) En application du 5° de l’article 131‑13 du code pénal.

([150]) Le I de l’article R. 48‑1 concerne le champ de l’amende forfaitaire pour les quatre premières classes, où figure notamment l’article R. 644‑4 du code pénal ; le II de cet article R. 48‑1 concerne quant à lui les contraventions de la 5e classe.

([151]) En application du 6° de l’article R. 49 du code de procédure pénale.

([152]) Loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations (lien). Était aussi en cause l’inutilité de cette obligation de pointage au regard du caractère supposément dissuasif de la sanction prévue en cas de violation de l’interdiction de manifester (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende).

([153]) Loi n° 55‑385 du 5 avril 1955 relative à l’état d’urgence.

([154]) Proposition de loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations, Sénat, session ordinaire de 2018-2019,  77, 12 mars 2019, article 3.

([155])  Décision n° 2019-780 DC du 4 avril 2019, Loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations (lien).

([156]) Cette version de décembre 2021 fait suite à la décision du Conseil d’État du 10 juin 2021 (lien).

([157]) Pascal Fourre, « La judiciarisation du renseignement », intervention au cours du forum de recherches de l’Association française de droit de la sécurité et de la défense (AFDSD) le 25 juin 2020 (lien).

([158]) Cour de cassation, Chambre criminelle, 29 novembre 2016, n° 16-83.513 : « … la note d’information émanant de la DGSI du 23 juin 2015, qui contient des renseignements recueillis par la voie administrative, n’a pour objet que de porter à la connaissance de l’autorité judiciaire des informations propres à orienter les investigations relatives à un supposé réseau terroriste affilié à « l’État islamique », en sorte qu’elle ne saurait être regardée en elle-même comme susceptible de commander la qualification des faits que M. X... était soupçonné, lors de son placement en garde à vue, d’avoir commis ou tenté de commettre… » (lien).

([159])L’initiative du GLPD appartient au procureur de la République, qui en est le président et peut par ailleurs inviter toute personne dont la participation lui parait utile.

([160]) Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU dans le contexte de la crise des Gilets jaunes (lien), Conseil de l’Europe dans le contexte des manifestations contre la réforme des retraites (lien).

([161]) Isabelle Sommier, Thierry Daunois et Antoine Thiberge, « 2016 et après ? », dans Isabelle Sommier (dir.), Violences politiques en France, Presses de Sciences-Po, 2021.  

([162]) Pour un exemple à partir d’une étude réalisée par une revue étrangère, The Lancet :France Inter, « Gilets jaunes blessés par LBD : "Devant l’évidence scientifique, le gouvernement devrait dire ‘on arrête’" », 2 novembre 2019  (lien).

([163]) Au cours de son audition, Kim Reuflet (Syndicat national de la magistrature) prenait ainsi l’exemple des manifestations de Gilets jaunes et des manifestations contre la réforme des retraites.  

([164]) Telle était par exemple la position des représentants du Syndicat national de la magistrature, auditionnés par vos rapporteurs.

([165]) CNCDH, Avis sur les rapports entre police et population : rétablir la confiance entre la police et la population, point 50, 11 février 2021 (lien).

([166])  On notera que cette situation peut aussi refléter la difficulté à prouver la commission d’une infraction et à l’attribuer à un individu.

([167]) Knowledge, Facilitation, Communication, Differentiation.  

([168]) Voir les travaux d’Antoine Thiberge, « De la manifestation à l’émeute : groupes manifestants et pratique de la violence. Les conditions de la violence politique à travers le cas de la mobilisation contre la loi « El Khomri », mémoire de master 2, Paris, Université Paris-2 Assas, 2019.  

([169]) Stefen Reicher, Clifford Stott, Patrick Cronin, Otto Adang, « An Integrated Approach to Crowd Psychology and Public Order Policing », Policing. An International Journal of Police Strategies & Management, 27 (4), 2004, p. 558-572.

([170]) Fillieule, Olivier, Pascal Viot, et Gilles Descloux. « Vers un modèle européen de gestion policière des foules protestataires ? », Revue française de science politique, vol. 66, no. 2, 2016, pp. 295-310 (lien).

([171]) Fillieule, Olivier, Pascal Viot, et Gilles Descloux. « Vers un modèle européen de gestion policière des foules protestataires ? », Revue française de science politique, vol. 66, no. 2, 2016, pp. 295-310, faisant référence à Danielle Tartakowsky, La manifestation.

([172]) Voir l’encadré sur l’AFD pour les références de la jurisprudence constitutionnelle en ce domaine.

([173]) Audition des représentants d’Unité magistrats – FO par vos rapporteurs.

([174]) Rencontré par vos rapporteurs au cours de leur déplacement à Nantes le 27 septembre 2023.

([175]) Ouest France, 18 janvier 2018 (lien)

([176]) SNMO, p. 28.

([177]) Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (lien).

([178])  Affaire František Ryneš c/ Úřad pro ochranu osobních údajů (CJUE, 11 décembre 2014, C-212/13) (lien).

([179]) Ordonnance n° 440442 du 18 mai 2020 (lien) et avis n° 401214 du 20 septembre 2020, section de l’Intérieur (lien).

([180]) Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés (lien) et décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 (lien).

([181]) Un usage en matière de sécurité civile est également prévu.

([182]) Les six critères sont en effet : la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu’ils sont particulièrement exposés à des risques d’intrusion ou de dégradation ; la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l’appui des personnels au sol ; la prévention d’actes de terrorisme ; la régulation des flux de transport ; la surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier ; le secours aux personnes.

([183]) Lien. Cet usage est contesté par certaines associations qui se veulent protectrices des libertés publiques. L’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et le Syndicat des avocats de France (SAF), auxquels se sont adjoints la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et le Syndicat de la magistrature (SM), ont ainsi fait un recours devant le tribunal administratif contre l’arrêté pris par la Préfecture de police de Paris autorisant l’usage de drones par la police pour les manifestations du 1er mai. Le tribunal administratif a toutefois validé cet arrêté préfectoral.

 

([184]) Citée dans le rapport d’enquête n°3786 sur l