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N° 2295

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mars 2024.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145-7 alinéa 3 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION

 

 

sur l’évaluation de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016

visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias

 

 

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

M. Inaki ECHANIZ et Mme Isabelle RAUCH,

 

Députés.

 

——

 

 

 

 


SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

I. La position de la rapporteure

II. La position du rapporteur

Première partie : les mesures en faveur de l’indépendance des journalistes

I. un contexte marqué par une détérioration de la confiance dans les médias et l’émergence de nouveaux acteurs

II. Le renforcement de la déontologie

A. le droit d’opposition

1. Un droit d’opposition individuel peu mis en œuvre

a. Les dispositions de la loi

b. L’absence d’utilisation du droit d’opposition : la preuve de son efficacité ?

c. De possibles mécanismes d’autocensure

2. Des dispositions dont l’absence d’application appelle une réflexion sur un droit d’opposition collectif

B. la rÉdaction de chartes dÉontologiques

1. Des chartes pour fonder l’intime conviction professionnelle

2. Une mise en œuvre qui continue de poser problème

C. des dÉfis persistants pour le contrôle du respect de la dÉontologie

1. Les insuffisances du contrôle déontologique interne créé par la loi Bloche

a. Le débat sur le statut juridique des rédactions

b. Le développement des sociétés de journalistes

2. La question du contrôle déontologique externe

a. La question de la labellisation/certification

b. La constitution d’un organe tiers

III. la protection des sources et des lanceurs d’alerte

A. la protection des sources : un équilibre difficile à trouver

1. La difficulté du projet de loi de 2013 à préciser le cadre instauré en 2010

2. Les dispositions de l’article 4 de la loi Bloche

3. La censure du Conseil constitutionnel de l’article 4 de la loi Bloche et l’état du droit actuel

B. une ÉphÉmÈre reconnaissance des journalistes dans l’action des lanceurs d’alerte

C. la multiplication des procédures-bÂillons

IV. la transparence de l’actionnariat

Deuxième partie : la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias audiovisuels

I. L’Arcom, garant de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information

A. La loi Bloche a entendu protéger l’indépendance et l’honnêteté de l’information au même titre que le pluralisme

1. Jusqu’en 2016, le régulateur ne disposait pas de base légale pour faire respecter les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information

2. La loi Bloche a chargé le régulateur de garantir l’indépendance et l’honnêteté de l’information au même titre que le pluralisme

B. La mise en œuvre prudente par l’Arcom des nouvelles prérogatives résultant de la loi Bloche

1. L’adoption de la délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent

2. La loi confère à l’Arcom un pouvoir de sanction pour faire respecter les obligations fixées aux éditeurs

a. Le cadre juridique

b. Seulement deux sanctions ont été prononcées par l’Arcom sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018

C. Donner à l’Arcom les moyens de mieux garantir les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information

1. La problématique des chaînes d’opinion

2. La lourdeur de la procédure de sanction

II. La création des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes: un bilan mitigé

A. L’ambition du législateur : diffuser au sein des services audiovisuels une culture de la déontologie

B. Des modalités de nomination insatisfaisantes

C. Un important déficit de visibilité

1. La composition des Chipip doit être systématiquement publiée

2. Une notoriété insuffisante auprès du public et des groupes audiovisuels

D. Des missions insuffisamment définies, un positionnement difficile à trouver

1. Une activité assez faible

2. L’articulation des missions des Chipip avec celles de l’Arcom

III. Le contrôle des concentrations dans les médias audiovisuels : un dispositif à rénover

A. La limitation de la participation des personnes de nationalité extra-européenne au capital des services audiovisuels

B. L’incidence de la concentration dans les services de médias audiovisuels sur le pluralisme

1. Radio et télévision : des niveaux de concentration hétérogènes

2. Pluralisme et concentration : une relation équivoque

C. Un dispositif sectoriel de contrôle des concentrations à recentrer sur la préservation du pluralisme

Troisième partie : l’information à l’ère numérique, de nouveaux enjeux qui bouleversent le modèle économique des médias

I. Le développement de l’intelligence artificielle

A. Une définition complexe et des rÉpercussions incertaines sur les médias

1. Une définition qui peine à recouvrir toutes les potentialités de l’intelligence artificielle

2. Des effets encore largement indéterminés sur la sphère médiatique

B. De premières régulations visant à permettre la recherche tout en limitant les externalités négatives de l’IA

1. L’Artificial Intelligence Act (AI Act)

2. Les règlementations états-unienne et britannique

a. Les États-Unis : un décret présidentiel pour poser les bases de la régulation d’une industrie de pointe

b. Le Royaume-Uni : la promotion d’une réglementation souple de l’IA

II. la directive de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : un bilan contrasté

A. la crise du modèle économique de la presse est ancienne

1. Le déclin de la presse écrite

2. Les plateformes numériques entretiennent des relations commerciales déséquilibrées avec les éditeurs de presse et les concurrencent sur le marché de la publicité

a. Des recettes publicitaires en berne

b. L’essor des plateformes numériques

c. La concurrence des plateformes entraîne une diminution des ressources publicitaires des éditeurs de presse

B. la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins

1. La protection des droits voisins des entreprises de presse

2. La transposition et l’application de la directive

Liste des propositions

Travaux de la commission

ANNEXE N° 1 : CHARTE D’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES

ANNEXE N° 2 : DÉCLARATION DES DEVOIRS ET DES DROITS DES JOURNALISTES (MUNICH, 1971)

Annexe n° 3 : Charte mondiale d’éthique des journalistes

Annexe n° 4 : Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent

ANNEXE n° 5 : Liste des personnes entendues par lEs rapporteurs

 


   Introduction

En février 2023, le bureau de la commission des affaires culturelles et de l’éducation a créé une mission d’évaluation de l’impact de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, en application du troisième alinéa de l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale. M. Iñaki Echaniz et Mme Isabelle Rauch, présidente de la commission, ont été désignés rapporteurs de cette mission.

Entre le 11 avril 2023 et le 31 janvier 2024, les rapporteurs ont conduit 22 auditions et tables rondes, au cours desquelles 84 personnes ont été entendues.

I.   La position de la rapporteure

Adoptée en 2016, la loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », visait à renforcer la grande loi de 1986 relative à la liberté de communication. Elle s’articulait autour de trois piliers principaux : améliorer la protection des journalistes dans l’exercice de leurs fonctions, assurer la transparence sur la propriété des médias, renforcer le pouvoir de sanction du CSA, désormais l’Arcom, le tout dans le but de retisser le lien de confiance entre les médias et le public.

Ce dernier aspect a guidé la rapporteure tout au long de la mission d’évaluation, car il ne saurait y avoir de démocratie sans confiance dans les médias. C’est en effet sur la presse et les médias que repose l’information de nos concitoyens, de sorte qu’ils demeurent encore aujourd’hui l’intermédiaire fondamental entre les pouvoirs publics et les Français. Véritable porte d’entrée vers les autres pouvoirs, la presse et les médias sous toutes leurs formes jouent un rôle essentiel pour assurer la pérennité des démocraties. Cependant, les baromètres de confiance dans les médias affichent des scores toujours faibles et préoccupants, qu’il faut corréler à la méfiance toujours croissante envers la démocratie et les élus. Il lui apparaît donc urgent de recréer un vrai pacte de confiance, qui garantisse le droit de tous à une information plurielle, documentée et honnête, condition indispensable pour restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants.

La mise en œuvre de la loi Bloche s’est inscrite dans un contexte extrêmement changeant. Le paysage médiatique a été profondément bouleversé depuis son adoption. Aux enjeux déjà existants comme la fragilisation de l’économie des médias et la concentration sont venus s’ajouter les nouveaux usages numériques et technologiques, ainsi que l’émergence de l’intelligence artificielle. Cette accélération semble avoir eu un impact important sur les objectifs visés par cette loi. Il était donc urgent de procéder à son évaluation pour répondre au mieux à ces nouveaux enjeux, et repenser notre rapport à l’information et au journalisme.

Suivant l’esprit de la loi Bloche et la manière dont elle avait été organisée, il est apparu aux rapporteurs pertinent de traiter de façon séparée les questions relatives à l’indépendance des journalistes et celles relatives au pluralisme des médias.

Afin de protéger les journalistes et de leur permettre d’exercer en toute indépendance d’esprit, la loi Bloche avait fait émerger le principe de chartes déontologiques, propres à chaque rédaction et signées par les journalistes. Pertinentes sur le principe, ces chartes déontologiques sont aujourd’hui inégalement mises en place : trop nombreuses, elles ne font pas l’objet d’un suivi efficace et transparent. Ainsi, il serait utile d’unifier l’ensemble des textes existants pour parvenir à une charte unique, qui soit clairement adossée à des textes et principes déontologiques existants. Cela permettrait de faire appliquer les mêmes principes éthiques à l’ensemble des journalistes, et de les faire bénéficier de conditions de travail homogènes.

Alors que la production de l’information dépasse désormais très largement les médias « traditionnels » que sont la presse écrite, la radio et la télévision, il est nécessaire d’interroger la manière dont une information est produite et diffusée. Ainsi, il faut que l’esprit critique, les bonnes pratiques d’authentification des informations, se diffusent dans toute la société : c’est au prix d’une prise de conscience collective que nous pourrons lutter contre la diffusion des fake news et l’enfermement dans des bulles informationnelles. Alors que le développement du numérique a transformé l’édition d’informations dans des proportions qui n’étaient pas imaginables quand la loi Bloche a été votée, la rapporteure pense qu’il est essentiel d’établir des critères permettant de certifier les informations fiables, vérifiées et de qualité, notamment sur les plateformes numériques dont l’audience a explosé.

La loi Bloche avait l’ambition de mieux protéger les lanceurs d’alerte et le secret des sources, mais les dispositions les plus vigoureuses de la loi ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Aussi, il paraît essentiel à la rapporteure de travailler à l’élaboration d’un dispositif qui permette une protection plus robuste des lanceurs d’alerte, et néanmoins respectueux des principes constitutionnels. Cela est d’autant plus nécessaire qu’une nouvelle forme de censure a fait son apparition après la loi Bloche : les « procédures-bâillons ». En raison de leur travail, de plus en plus de journalistes subissent aujourd’hui des pressions, des menaces ; mais ils sont parfois également la cible de procédures judiciaires certes légales mais manifestement détournées de leur vocation initiale, aux coûts dissuasifs pour eux. Les procédures-bâillons sont une des principales raisons de l’autocensure, et de la dégradation des conditions de travail des journalistes : il convient de s’y attaquer vigoureusement.

Si les avis des deux rapporteurs convergent sur quasiment toutes les recommandations, leur seul désaccord porte sur le droit d’opposition collectif attribué aux rédactions sur les nominations ayant une influence sur la ligne éditoriale du journal. Les nombreuses auditions qu’ils ont conduites ont en effet convaincu la rapporteure que cet outil n’est pas adéquat pour remplir les objectifs que s’est fixée la loi Bloche et qui les animent. Il n’est pas demandé par la profession et paraît contraire aux rôles et missions d’un directeur de la rédaction. En effet, un droit d’agrément de la rédaction conduirait inévitablement à transformer sa fonction et à créer une forme de conservatisme dans la direction, à rebours de la dynamique et de l’élan qu’un directeur de la rédaction apporte souvent. Il existe d’autres moyens, plus efficaces, de garantir la sérénité du travail des journalistes et le pluralisme des médias.

Le second objectif de la loi Bloche était justement de renforcer le pluralisme de l’information dans les médias, et à plus forte raison dans les médias audiovisuels disposant d’autorisations de diffusion par voie hertzienne. Force est de constater qu’à ce sujet, la loi Bloche n’a pas permis d’atteindre les buts qu’elle s’était fixés. Malgré une attention croissante du public à ces sujets, certaines chaînes détentrices de fréquences sur la TNT continuent de se distinguer par leur non-respect de leurs obligations telles que définies dans le cahier des charges. On commence ainsi à parler de « chaînes d’opinion » (en opposition aux « chaînes d’information ») car l’information y est souvent brouillée à dessein avec du divertissement ou des séquences de débats, elles-mêmes trop peu contradictoires. Il semble essentiel à la rapporteure que les canaux de diffusion soient réservés à des chaînes qui respectent l’ensemble des obligations en matière d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme.

Ainsi, alors que le Conseil d’État vient de rendre une décision qui précise la façon dont doit s’apprécier le pluralisme dans l’audiovisuel, la rapporteure souhaite que l’Arcom puisse se saisir de l’ensemble de ses prérogatives pour préserver l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information. Il faut également que la procédure de sanction suivie par l’Arcom soit plus fluide et plus simple, et la rapporteure a toute confiance en la capacité de l’Autorité à réguler avec discernement ce qui doit l’être pour que l’information soit la plus lisible et la plus fiable possible pour nos concitoyens. Le renouvellement prochain de quinze fréquences sur la TNT dira beaucoup de notre capacité collective à exiger une information de qualité, condition préalable à toute vie démocratique.

Si la concentration horizontale (nombre de titres détenus) est abondamment commentée dans l’espace public, la rapporteure veut aussi mentionner les dangers sans doute plus importants de la concentration verticale, c’est-à-dire le fait de posséder l’ensemble de la chaîne de création, de production, de diffusion et de promotion de l’information. Bien sûr, la qualité de l’information ne dépend pas uniquement de la concentration, comme ce rapport l’explique. Il paraissait néanmoins important d’évoquer dès ce propos introductif ce qui constitue un des enjeux les plus visibles de la liberté de la presse. 

Enfin, les rapporteurs ont souhaité porter dans ce rapport un regard prospectif sur les enjeux qui attendent demain le monde des médias. La principale limite de la loi Bloche a été de n’avoir pas pu anticiper les bouleversements que nous vivons aujourd’hui ; les rapporteurs veulent ici éviter cet écueil en insistant sur les deux mutations majeures de la décennie à venir : le rapport aux plateformes et l’irruption de l’intelligence artificielle (IA). Il est encore malaisé de mesurer l’impact que cette dernière va avoir dans la production et la réception de l’information : d’ores et déjà utilisée par certains médias pour traduire des articles ou réaliser de courtes brèves, elle constitue néanmoins une rupture épistémologique avec les métiers de journaliste, de reporter ou de traducteur. Tout au long des travaux de la mission, les personnes auditionnées ont alerté les rapporteurs sur les risques potentiels d’une IA incontrôlée, auxquels l’AI Act voté le mois dernier au Parlement européen apporte des premières réponses. Et si elle inquiète aujourd’hui, l’IA n’est pas nécessairement la menace que redoute la presse. Il paraît urgent qu’une vraie réflexion sur le partage de la valeur voie le jour. Certains médias commencent d’ores et déjà à vendre leurs archives à des bases de données, et ainsi à obtenir une juste rémunération en contrepartie de leur travail. La transparence et la confiance sont bien sûr des prérequis essentiels pour que de telles transactions puissent se généraliser, mais la rapporteure souhaite pouvoir avancer dans cette direction pour dépasser le rapport de méfiance actuel.

De façon encore plus immédiate, c’est tout le modèle économique de la presse qui se trouve heurté de plein fouet par les plateformes numériques. Ces dernières, en diffusant l’information en ligne, organisent selon leur logique la visibilité des médias, et abusent de leur position pour fragiliser un modèle économique déjà tendu par la captation des ressources publicitaires. Le Parlement européen a posé un premier jalon dans la protection de nos acteurs de l’information en créant en 2019 la notion de droits voisins pour protéger les éditeurs de presse, mais il faut aller beaucoup plus loin car ces dispositions sont encore trop peu appliqués cinq ans après.

Les enjeux auxquels doit répondre la presse sont immenses : ils disent les vertiges qui dessinent notre XXIèe siècle. La société est confrontée à une révolution technologique et doit veiller à ce que le modèle d’information libre, plurielle et honnête soit préservé. À cette condition, elle pourra tirer le meilleur parti de ce siècle, en société résiliente, éclairée et émancipée.

II.   La position du rapporteur

La loi Bloche a été examinée par le Parlement dans un contexte particulier, marqué par une grève inédite au sein de la chaîne d’information en continu iTélé ([1]). Les journalistes de la chaîne réclamaient notamment la signature d’une charte éthique, dont l’adoption n’était alors pas obligatoire, et la nomination d’un directeur de la rédaction distinct, ce poste étant alors occupé par M. Serge Nedjar, également directeur général de la chaîne.

Cette loi entendait renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, via la création de plusieurs outils : chartes déontologiques, comités d’éthique, extension du droit d’opposition à l’ensemble des journalistes, renforcement du rôle du régulateur, etc. Huit ans plus tard, le rapporteur constate, conforté par l’actualité la plus récente, que ces problématiques sont toujours aussi prégnantes. Les mesures de la loi Bloche, utiles, ont été confrontées à une évolution rapide du monde de l’information, à un appétit vorace de certains financiers et à une frilosité des acteurs politiques et institutionnels à appliquer strictement la loi et à la faire évoluer. Sept ans après la grave crise au sein de la rédaction d’iTélé, une crise de nature similaire a traversé la rédaction du Journal du dimanche. Le 1er août 2023, les journalistes de ce titre de presse, appartenant au même actionnaire que la chaîne d’information CNews, ont mis fin à un mouvement de grève inédit, qui aura duré près de six semaines. Ce mouvement avait été déclenché suite à la nomination de M. Geoffroy Lejeune au poste de directeur de la rédaction du journal. Comme en 2016, ces journalistes en lutte pour leur indépendance ont échoué du fait d’une législation insuffisamment protectrice de leurs droits. Il revient au législateur de concilier la liberté d’entreprendre et la liberté des médias, toutes deux garanties par la Constitution ; force est de constater que, dans ces deux cas d’espèce, la première l’a emporté sur la seconde. Selon le rapporteur, il convient de doter les rédactions de droits nouveaux, dans une logique de rééquilibrage avec les pouvoirs de l’actionnaire. Pour ce faire, les rédactions pourraient utilement se voir attribuer la personnalité juridique, d’une part, et avoir le droit de s’opposer, par un vote majoritaire, à la nomination d’un directeur de la rédaction, d’autre part. Dans un contexte caractérisé par un interventionnisme croissant de certains actionnaires, ce droit d’agrément, proposé par les organisations et associations ayant participé aux états généraux de la presse indépendante (cf. infra), et qui bénéficierait aux rédactions du secteur de la presse écrite comme du secteur audiovisuel, aurait permis aux journalistes du Journal du dimanche de sauvegarder leur indépendance.

S’agissant du secteur audiovisuel, le rapporteur regrette que l’Arcom ait fait preuve d’une excessive prudence, voire d’une certaine pusillanimité, dans la défense des principes consacrés par la loi Bloche, en dépit de l’esprit et de la lettre de cette dernière. L’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 est clair : l’Arcom « assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». Tous les programmes sont visés, et le législateur n’a pas circonscrit l’exigence de pluralisme de l’information aux seules personnalités politiques, contrairement à l’interprétation mise en œuvre par le régulateur depuis l’adoption en 2017 d’une délibération relative au pluralisme politique ([2]). De fait, le Conseil d’État a récemment enjoint à l’Arcom de réviser son interprétation des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 (cf. infra) ; le rapporteur s’en réjouit et invite le régulateur à définir rapidement de nouvelles modalités exigeantes de respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion, qui devra nécessairement être conciliée avec la liberté d’expression. Contrairement aux assertions répétées à l’envi sur de trop nombreux plateaux de télévision, il ne s’agira en aucun cas de « ficher » les intervenants non affiliés à un parti politique, mais de garantir l’expression d’opinions contraires sur un sujet donné, afin de permettre au téléspectateur ou à l’auditeur de se forger un avis éclairé par la présentation de positions diverses.

En définitive, cette loi a constitué un premier pas. Au vu des attaques toujours plus importantes contre l’indépendance et la liberté de la presse, il apparaît aujourd’hui nécessaire d’aller plus loin. Le législateur doit désormais être davantage à l’écoute des professionnels du secteur de la presse, qui luttent au quotidien pour garantir aux citoyens une information de qualité, fiable et indépendante. Alors que les fausses informations pullulent sur les réseaux sociaux, le rôle de la presse dans la formation de l’opinion publique est plus que jamais indispensable. Les recommandations du présent rapport d’information, issues d’un travail de longue haleine, au cours duquel les rapporteurs ont rencontré 84 personnes, visent à rendre plus effectifs les principes de liberté, d’indépendance et de pluralisme de l’information. Le rapporteur forme le vœu qu’elles soient partagées par le plus grand nombre, en vue de leur intégration dans la loi. En outre, les états généraux de l’information, lancés en octobre 2023 et qui remettront leurs conclusions à l’été 2024, auront naturellement vocation à contribuer au débat sur ces problématiques. Enfin, la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre sera également amenée à faire des propositions.

 


   Première partie : les mesures en faveur de l’indépendance des journalistes

La loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias (ci-après dite « loi Bloche »), résultant d’une initiative de M. Patrick Bloche, député, alors président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, comportait plusieurs grands objectifs : renforcer les protections dont bénéficient les journalistes pour exercer leur métier en toute indépendance ; restaurer, grâce à des garanties et un contrôle renforcés sur la production déontologique de l’information, le lien de confiance du public avec les journalistes ; parachever la transparence sur la propriété des médias et limiter certains phénomènes de concentration et, enfin, donner les moyens et les pouvoirs nécessaires à l’exercice de missions élargies au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), depuis intégré dans l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ([3]).

Avant d’examiner les différents dispositifs visant à renforcer l’indépendance des journalistes et la transparence des médias, et d’évaluer leur application, les rapporteurs procéderont à un bref rappel des différents éléments de contexte ayant mené à leur introduction dans la loi. Ce rappel permettra également d’observer les évolutions intervenues depuis huit ans dans la production de l’information.

I.   un contexte marqué par une détérioration de la confiance dans les médias et l’émergence de nouveaux acteurs

Lorsque débute son examen au sein de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale en mars 2016, la proposition de loi du président Patrick Bloche visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias s’inscrit dans le sillage des attentats de l’année 2015. L’attentat perpétré le 7 janvier contre le journal Charlie Hebdo a alors illustré de la plus violente des manières les attaques qui pouvaient viser la libre communication des pensées et des opinions, pourtant consacrée comme l’un des « droits les plus précieux de l’homme » aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

La loi Bloche intervient également dans un contexte de méfiance à l’égard des journalistes et de précarisation de leur métier. Celle-ci, couplée aux acquisitions nombreuses d’organes de médias par des capitaines d’industrie dont le premier métier n’est pas l’information, semblait dès 2016 de nature à mettre en cause l’indépendance des journalistes face aux diverses pressions dont ils pourraient faire l’objet dans l’exercice de leur profession.

Huit ans plus tard, le contexte de production de l’information et le paysage médiatique semblent se caractériser par la persistance, voire l’importance croissante, de certains des phénomènes contre lesquels la loi voulait lutter. Dès 2016, le rapport de M. Patrick Bloche, en première lecture, sur la proposition de loi, insistait sur une perte de confiance inquiétante à l’égard des médias avec un taux de confiance de « 39 %, de dix points inférieur à la moyenne relevée dans vingt-sept pays industrialisés par le baromètre de confiance Edelman en janvier 2016 » ([4]). La confiance, qui constitue le socle sur lequel bâtir une opinion informée, ne paraît pas s’être renforcée depuis 2016, puisque le dernier baromètre Edelman ([5]) indique exactement le même taux de 39 % pour l’année 2022 ([6]). Si le niveau de confiance des Français dans les médias ne s’est pas dégradé depuis l’adoption de la loi Bloche, une large majorité des Français continue donc d’exprimer de la défiance à leur égard.

Le baromètre sur la confiance accordée aux médias ([7]) réalisé annuellement depuis 1987 par l’institut Kantar pour le journal La Croix témoigne par ailleurs d’une évolution faible, mais plutôt négative, de la perception de l’indépendance des journalistes. Pour l’édition 2016, 27 % des personnes interrogées répondaient que les journalistes sont indépendants face aux pressions politiques alors qu’ils n’étaient plus que 24 % à le penser en 2022. Par ailleurs, alors que 28 % des Français interrogés déclaraient en 2016 que les journalistes étaient indépendants vis-à-vis des « pressions de l’argent », ils étaient 26 % à le penser en 2022.

Cette tendance s’inscrit dans un contexte de fatigue informationnelle marqué, puisque 51 % des Français disent ressentir une forme de lassitude face au flux ininterrompu de l’information. Lors de son audition en commission des affaires culturelles et de l’éducation le 24 janvier 2023, Mme Laure Salvaing, directrice générale des études de l’institut de sondage Verian ([8]), expliquait cette fatigue informationnelle par deux facteurs principaux. Comme le fait apparaître l’édition 2023 du baromètre annuel Sofres/Kantar sur la confiance des Français dans les médias, le premier facteur est la redondance des sujets traités (pour 2023, les Français citent ainsi le décès de Nahel Merzouk lors d’une interpellation, et la guerre en Ukraine), qui crée un effet de répétition, alors qu’à l’inverse d’autres sujets sont jugés délaissés (comme les violences envers les femmes, les difficultés d’accès aux services publics ou la fin de vie). Le second facteur d’explication serait un traitement trop anxiogène de l’information, qui ferait naître chez les Français un sentiment d’impuissance les poussant à se détourner périodiquement de l’information.

Les études d’opinion montrent également une évolution de la perception de l’information sur internet. La crédibilité des nouvelles diffusées sur internet reste relativement faible : seulement 31 % et 33 % des personnes respectivement interrogées en 2016 et en 2022 pensent que les choses se sont « vraiment ou à peu près passées » comme internet les relate (contre 55 et 54 % pour la radio, 51 et 52 % pour les journaux, ou 50 et 49 % pour la télévision).

L’évolution progressive du positionnement face à internet comme canal d’information est très marquée par une différence entre les générations dans leur rapport aux réseaux sociaux et leur perception de l’impact de ces réseaux sur le paysage informationnel. Il est incontestable que cet enjeu n’apparaissait pas aussi clairement au moment de l’adoption de la loi Bloche, ce qui a pu conduire celle-ci à faire l’impasse sur certains phénomènes aujourd’hui majeurs.

Le baromètre sur la confiance des Français dans les médias de 2023 met en lumière plusieurs éléments intéressants : le développement du partage d’information via les réseaux sociaux est ainsi jugé comme un phénomène positif par 51 % des moins de 35 ans (qui sont pourtant parallèlement 64 % à admettre que cela participe à la diffusion de fausses informations et de théories du complot), contre seulement 27 % des plus de 35 ans. Parmi les 18-24 ans, les réseaux sociaux sont la seconde source d’information quotidienne citée, après les journaux télévisés (seule la tranche des 35-49 ans cite également les réseaux sociaux comme source quotidienne d’information, en troisième position). La position à adopter face au développement de ces usages pour mieux les encadrer, et notamment prévenir les fausses informations, fait aussi l’objet d’une nette différence selon l’âge des personnes interrogées : chez les 18-24 ans, 11 % sont favorables à plus de régulation, et 77 % à plus de liberté d’expression. En revanche, les plus de 65 ans sont 58 % à se prononcer en faveur de plus de régulation, contre 33 % pour plus de liberté d’expression. Les jeunes générations paraissent avoir intégré la fréquentation des réseaux sociaux comme une voie d’accès quotidienne à l’information et, tout en leur reconnaissant certains effets pervers, ne se montrent pas favorables à des mesures qui pourraient venir restreindre ce qui apparaît comme un espace essentiel de liberté.

Les usages numériques se sont nettement développés depuis 2016, mais il convient d’être prudent quant au degré d’adhésion des utilisateurs à ces outils : en effet, seulement 36 % des utilisateurs des réseaux sociaux disent leur faire confiance. Selon l’Institut Kantar, bien que les Français soient majoritairement critiques vis-à-vis du rôle des réseaux sociaux dans la production de l’information – 53 % considérant comme « une mauvaise chose » le fait qu’avec les réseaux sociaux de plus en plus d’informations soient diffusées par des personnes qui ne sont pas des médias ou des journalistes, contre 33 % qui perçoivent cette évolution comme « une bonne chose » –, un fossé générationnel est observable. 51 % des moins de 35 ans voient cette évolution comme « une bonne chose », alors que les plus de 35 ans la considèrent majoritairement comme « une mauvaise chose » : 59 % des 35-65 ans et 71 % des plus de 65 ans.

Enfin, la dégradation du rapport de force entre, d’une part, les journalistes et, d’autre part, les éditeurs et actionnaires, citée dans le rapport de la loi Bloche comme l’une des sources possibles de remise en cause de l’indépendance des premiers, ne semble pas s’être inversée depuis 2016. Les Français interrogés pour le baromètre de la confiance dans les médias de 2022 sont d’ailleurs 45 % à penser que la détention d’organes de médias par de grands groupes industriels est une mauvaise chose, contre 15 % qui estiment que c’est une bonne chose.

Alors qu’apparaissent des propriétaires de médias parfois beaucoup plus puissants et en quête d’influence, la précarisation des journalistes ne paraît pas s’être enrayée. En effet, selon l’Observatoire des métiers de la presse ([9]), parmi les détenteurs de la carte de presse, « contrairement à la période 2018-2020, qui présente des chiffres assez semblables (légère baisse des journalistes en CDI, légère hausse des journalistes pigistes), l’année 2021 montre une baisse importante des contrats en CDI et une quasi-disparition des CDD, au profit des pigistes. En 2022, la part de CDD retrouve des valeurs semblables à 2020, mais ces données confirment l’impact fort de la crise sanitaire, sur le secteur de la presse et des agences de presse. »

La précarité des journalistes semble donc se confirmer, d’autant plus que les personnes formulant leur première demande de carte de presse présentent des situations très différentes que celles connues par le passé. Toujours selon l’Observatoire, « en 2000, les CDI étaient largement majoritaires (65,8 % du total des cartes). Aujourd’hui, c’est désormais un paysage de contrats beaucoup plus éclaté qui apparaît avec, largement en tête, les pigistes qui représentent 67,2 % des cartes devant les CDI à 25,2 % et les CDD à 7,6 %. »

Répartition des journalistes encartés par type de contrat en 2022

Source : Observatoire des métiers de la presse.

Comme le montrent les chiffres de l’Observatoire des métiers de la presse de 2008, année des derniers « États généraux de la presse » organisés par les pouvoirs publics, la situation des journalistes n’a fait que tendre vers une plus grande instabilité des contrats, phénomène que l’on peut mettre en lien avec le renouvellement générationnel des journalistes présents dans les rédactions.

Répartition des journalistes encartés par type de contrat en 2008

Source : Observatoire des métiers de la presse.

Ce constat devra toutefois être légèrement nuancé : lors de leur audition, les représentants de plusieurs grandes écoles de formation des journalistes ont en effet fait observer aux rapporteurs que les jeunes journalistes ne désiraient plus nécessairement voir leur carrière démarrer sous la forme d’un CDI. Au-delà d’une possible intériorisation des difficultés d’une intégration pérenne dans une rédaction, certains jeunes professionnels se tourneraient en effet vers des contrats plus flexibles afin de pouvoir mieux maîtriser les conditions d’exercice de leur métier (avoir notamment plus de contrôle sur le volume horaire travaillé et pouvoir fixer eux-mêmes la ligne de partage entre vie professionnelle et vie privée). De plus, la collaboration avec plusieurs titres leur permettrait in fine de garder une certaine forme d’indépendance économique, et donc éditoriale, dans le traitement des sujets qu’ils souhaitent aborder (en proposant ces sujets aux titres de presse selon l’orientation de ceux-ci).

Il n’en reste pas moins que depuis 2016, la rémunération des journalistes n’a pas évolué en leur faveur : les données de l’Observatoire des métiers de la presse témoignent ainsi d’un net recul des revenus mensuels bruts médians des journalistes, passés de 3 968 euros en 2016 à 3 580 euros en 2022 pour les journalistes en CDI (soit une baisse de 9,8 %), et de 2 202 euros en 2016 à 1 954 euros pour les journalistes pigistes (soit une baisse de 11,3 %). Seuls les journalistes en CDD ont vu leur rémunération augmenter, de 33,8 %, de 2 120 euros en 2016 à 2 837 euros en 2022 : il faut cependant noter que leur nombre s’est dans le même temps sensiblement réduit, passant de 1 145 à 808 ([10]).

Enfin, il convient d’évoquer une catégorie de travailleurs de l’information souvent ignorée, les correspondants locaux de presse, pourtant soumis à de très fortes contraintes, tant salariales que de productivité. Alors qu’ils ne sont pas salariés et ne possèdent généralement pas de carte de presse, ils peuvent pourtant représenter une part importante des acteurs de terrain pour l’information locale. Le nombre mal connu d’acteurs de cette profession très éclatée pourrait s’élever à 30 000, soit presque autant que le nombre de journalistes disposant d’une carte de presse. Moins bien rémunérés, les correspondants locaux de presse sont payés à la tâche et ne sont pas représentés par les syndicats de journalistes, n’étant pas considérés comme tels. Par conséquent, les droits reconnus aux journalistes, comme le droit d’opposition individuel, ne leur sont pas non plus accordés. Selon les rapporteurs, ce tableau relativement sombre des conditions professionnelles de la production de l’information appelle un réel diagnostic sur les métiers qui y participent, et sur une clarification des statuts des personnels concernés.

Proposition n° 1 : Clarifier le statut de journaliste et réaliser une cartographie de la diversité des métiers participant à la production de l’information afin de mieux identifier les différents acteurs et leurs vulnérabilités spécifiques face aux diverses pressions et difficultés. Sur les chaînes de télévision, distinguer les chroniqueurs et les intervenants des journalistes par l’affichage obligatoire d’un bandeau indiquant la qualité des personnes.

 

Proposition n° 2 : Lutter contre la précarisation de la profession de journaliste en pérennisant des mesures d’aide aux jeunes pigistes.

La détérioration des conditions d’exercice de la profession de journaliste constatée lors de l’adoption de la loi Bloche en 2016, et qui lui préexistait d’ailleurs largement, n’a donc visiblement pas été stoppée depuis. Ce constat a été confirmé lors des auditions par la majorité des représentants des syndicats de journalistes. Alors que cette dégradation était identifiée comme l’une des menaces pesant sur l’indépendance des journalistes, les outils mis en place par la loi de 2016 ont-ils permis de la contrer en garantissant aux journalistes un exercice plus serein de leur métier ?

Cette dégradation continue s’est en outre accompagnée de nouvelles mutations du paysage informationnel, dont les conséquences étaient encore difficiles à anticiper il y a presque une décennie, au moment de l’adoption de la loi. Ces mutations ne sont pas non plus sans effet sur la qualité de l’information et le niveau de confiance envers les médias.

II.   Le renforcement de la déontologie

La loi Bloche avait pour objectif de renforcer les garanties d’indépendance entourant l’exercice du métier de journaliste au quotidien, afin de permettre la production d’une information fiable, vérifiée et protégée de toute interférence de la structure capitalistique dans laquelle s’inscriraient les journalistes – que ces interférences viennent de l’actionnaire ou de l’éditeur. Pour cela, elle a instauré plusieurs mécanismes juridiquement contraignants visant à renforcer la déontologie du milieu de l’information.

A.   le droit d’opposition

À la lecture des travaux préparatoires de la loi, le droit d’opposition individuel des journalistes apparaît comme la première et la plus importante des mesures susceptibles de garantir leur indépendance. Ce droit d’opposition n’était, jusqu’à l’adoption de celle-ci, consacré dans les textes législatifs que pour les journalistes exerçant dans le secteur de l’audiovisuel public : la loi Bloche l’a donc étendu à toute la profession et les rapporteurs se sont attachés à évaluer les effets de cette mesure.

1.   Un droit d’opposition individuel peu mis en œuvre

a.   Les dispositions de la loi

La loi Bloche est venue compléter la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en y insérant un article 2 bis ainsi rédigé : « Tout journaliste, au sens du 1° du I de l’article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice. »

La sanctuarisation de ce droit très large reposait sur le constat de pressions croissantes pouvant être exercées à l’encontre des journalistes : la précarisation déjà évoquée du métier, la contrainte nouvelle posée par une accélération du traitement de l’information – impératifs croissants de productivité pour pouvoir s’aligner sur les rythmes de diffusion de l’information propres aux chaînes d’information en continu ou aux réseaux numériques – auraient rendu plus complexe le respect des précautions déontologiques pour les journalistes et auraient érodé leur capacité à résister aux pressions économiques, qu’il s’agisse de la menace de plans sociaux ou des intrusions des intérêts défendus par les actionnaires.

Le statut des journalistes dans le droit français

Le statut des journalistes est régi dans le droit français par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, tel que modifié par la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, et par plusieurs articles du code du travail (art. L. 7111-3 à L. 7111-5). Ces deux sources ne se recoupent que partiellement pour définir la qualité de journaliste, ce qui a conduit la jurisprudence à venir la préciser à de nombreuses reprises.

● Ainsi, selon l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881, « est considérée comme journaliste […] toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ».

● Dans le code du travail, la définition de la profession fait l’objet de différents articles.

L’article L. 7111-3 du code du travail dispose ainsi : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».

D’autres professionnels peuvent également se voir reconnaître un tel statut. Aux termes du deuxième alinéa du même article, « le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa ».

En application de l’article L. 7111-4 du même code, « sont assimilés aux journalistes professionnels les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle ».

Par ailleurs et comme le précise l’article L. 7111-5 du même code, l’exercice de la profession de journaliste dans le secteur de la presse en ligne ne prive pas les intéressés de cette qualité : « Les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique [ce qui englobe la radio, la télévision et les services de communication au public en ligne] ont la qualité de journaliste professionnel ».

Sans faire la revue de détail d’une jurisprudence fournie, on notera que le juge retient généralement, pour reconnaître la qualité de journaliste professionnel (et les droits afférents), le caractère intellectuel et en lien avec l’actualité de l’activité, sa nature d’« activité principale, régulière et rétribuée » dont la personne doit tirer « le principal de ses ressources ». Qu’il s’agisse d’une ou plusieurs entreprises (depuis 1974, la loi dite « Cressard » n° 74-630 du 4 juillet 1974, codifiée à l’article L. 7112-1 du code du travail, étend la qualité de journaliste aux pigistes et reconnaît les collaborations multiples), la nature des organes ou supports d’information dans lesquels les journalistes exercent leur activité constitue aussi un élément essentiel de la définition de la « profession ».La difficulté à cerner les contours du statut de journaliste, ainsi que son caractère évolutif, interrogent quant à la nécessité d’une refonte globale de cette définition. En effet, au regard des développements intervenus dans la production et la diffusion de l’information, « la question de distinguer qui est journaliste et qui ne l’est pas est reposée et est d’importance », comme l’indiquait lors de son audition M. Christope Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF).

Le rapport précité de M. Patrick Bloche évoquait déjà certains outils du statut de journaliste permettant à ceux-ci de faire face à de telles pressions mettant en cause leur intégrité : ainsi, dès 1935, la loi relative au statut professionnel des journalistes, dite « loi Brachart ([11]) », avait instauré la clause de conscience et la clause de cession.

Codifiées à l’article L. 7112-5 du code du travail, ces clauses constituent l’armature de la protection juridique de l’indépendance des journalistes contre les abus et les dérives de leurs employeurs. La clause de cession permet au journaliste de démissionner, tout en bénéficiant de l’assurance chômage, lorsque l’entreprise pour laquelle il travaille change d’actionnaires. La clause de conscience consiste en un mécanisme similaire, dans les cas où le journaliste apporte la preuve d’un « changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal », même en l’absence de transformation de l’actionnariat, créant « pour la personne employée une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux ». L’usage de ces deux clauses est assorti d’un régime indemnitaire spécifique, le montant des indemnités étant soit fixé, pour les journalistes comptant moins de quinze années d’ancienneté, à un mois de salaire par année d’ancienneté ([12]), soit déterminé, pour ceux employés depuis quinze ans et plus, souverainement et sans appel par une commission paritaire arbitrale des journalistes ([13]). Ces deux clauses apparaissent toutefois comme des solutions de dernier recours et conduisent à une forme de renoncement de la part des journalistes, qui, en l’utilisant, actent une rupture définitive avec l’organe de presse auquel ils appartiennent.

L’objectif du droit d’opposition individuel consacré par la loi Bloche pour tous les journalistes consistait donc à intervenir en amont, et d’empêcher ces situations de rupture en préservant mieux l’exercice quotidien des droits du journaliste. L’article premier de la loi Bloche a introduit un article 2 bis dans la loi du 29 juillet 1881, reprenant la définition d’un droit d’opposition individuel préexistant, mais qui ne trouvait jusque-là à s’appliquer que pour les journalistes de l’audiovisuel public. Ce faisant, il a étendu ce droit à tous les journalistes, quel que soit le média pour lequel ils exercent, dans le secteur public ou privé.

Ce droit d’opposition avait été créé par l’additif de l’avenant du 9 juillet 1983 relatif à l’audiovisuel public à l’article 5 de la convention collective nationale de travail des journalistes du 1er novembre 1976, afin de protéger les journalistes des chaînes publiques de possibles pressions politiques. Il avait ensuite été consacré au niveau législatif lors de la réforme des sociétés nationales de programme mise en œuvre par la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Entre 2009 et 2016 existait donc, dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite « loi Léotard », un VI à l’article 44, qui disposait que « tout journaliste d’une société nationale de programme a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d’émission dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ». Ce paragraphe a été supprimé par la loi Bloche, l’article 2 bis nouvellement créé dans la loi du 29 juillet 1881 s’appliquant désormais à l’ensemble des journalistes.

Le renforcement des garanties d’exercice de leur métier ainsi offert aux journalistes ne peut que rencontrer l’approbation des rapporteurs, d’autant plus que la situation antérieure créait, dans les faits, une inégalité de statut entre les journalistes, selon qu’ils exerçaient dans l’audiovisuel public ou dans un autre secteur, dont rien ne laissait penser qu’il était soustrait à des formes, semblables ou non, de pressions.

La loi Bloche a ainsi contribué à renforcer le statut d’indépendance des journalistes, cette volonté de parachever les protections entourant un métier exigeant étant à saluer. On peut toutefois s’interroger sur le caractère suffisant de ce mécanisme, au regard de la rareté de son d’application lorsqu’il ne concernait que l’audiovisuel public, mais également depuis sa généralisation par la loi Bloche.

b.   L’absence d’utilisation du droit d’opposition : la preuve de son efficacité ?

Les représentants des syndicats de journalistes entendus par les rapporteurs lors des auditions ont déclaré qu’ils n’avaient pas connaissance de cas d’utilisation de ce droit d’opposition individuel. Le rapport de M. Patrick Bloche de 2016 invoquait pour preuve de l’efficacité du dispositif, existant alors dans le domaine de l’audiovisuel public, le fait qu’il n’avait jamais été utilisé – une situation témoignant, selon le rapport, de son caractère hautement dissuasif.

On peut toutefois s’interroger sur les raisons de l’absence de recension d’utilisation de ce mécanisme. Pour ce faire, il faut d’abord rappeler à grands traits ses caractéristiques, certaines d’entre elles pouvant fournir des explications à cette absence de recours. Le droit d’opposition étendu par la loi Bloche est très général, puisqu’il consiste en la faculté pour un journaliste de « refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources, de refuser de signer une émission ou une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à son intime conviction professionnelle ».

Outre l’affirmation du respect du secret des sources, sur lequel les rapporteurs reviendront, il est manifeste que les termes choisis demeurent assez vagues et laissent aux journalistes le soin d’apprécier ce que serait une pression ou un acte contraire à leur intime conviction professionnelle. La nécessité de préciser le fondement de cette éthique professionnelle a d’ailleurs conduit le législateur, lors de l’examen de la proposition de loi, à insister davantage sur les chartes déontologiques pouvant offrir un socle à cette conviction (cf. supra). Hormis le refus de signer une production intellectuelle qui aurait subi des modifications non consenties, le droit d’opposition ouvre donc un champ assez large d’application, le rendant néanmoins dans le même temps sujet à de potentielles difficultés d’appréciation et de caractérisation, notamment pour ce qui touche aux formes de « pression » qu’aurait eu à subir le journaliste.

La procédure prévue n’était assortie d’aucune forme de sanction à l’égard des actes eux-mêmes ayant mené à l’usage du droit d’opposition (les pressions exercées ou la modification sans accord préalable des articles ou émissions). Le mécanisme entendait s’inscrire complètement dans le champ du droit du travail – et non du droit pénal : ce n’est que si le journaliste, ayant fait usage de son droit d’opposition, se voyait sujet à des répercussions négatives et directement liées à son opposition (par exemple, un licenciement), qu’était envisagé un recours au juge (pour en établir, dans le cas de l’exemple évoqué, le caractère abusif). Seule la violation démontrée du droit d’opposition pouvait conduire à la suspension des aides publiques dont bénéficient les entreprises de presse, cette possibilité ayant été introduite par l’article 20 de la loi de 2016.

Par ailleurs, ce mécanisme du droit d’opposition individuel devait tenir un équilibre fragile avec la responsabilité éditoriale : il s’agissait en effet de concilier, d’une part, la ligne éditoriale et le principe hiérarchique découlant de l’appartenance du journaliste à un organe de média dirigé par un directeur de la publication (ledit journaliste n’ayant pas fait usage antérieurement de sa clause de conscience ou de cession), avec, d’autre part, la possibilité pour le journaliste de faire usage de son refus de signer ou d’exécuter une directive de sa hiérarchie sans que cela soit qualifié de manquement professionnel. En ce sens, le rapport de M. Patrick Bloche, en première lecture, avançait que « la force principale du nouveau droit [le droit d’opposition individuel généralisé à tous les journalistes] est qu’il pose une règle de principe claire et compréhensible par tous, aisément invocable par les journalistes dans leurs relations de travail quotidiennes avec leurs employeurs, sous le contrôle vigilant du juge en cas de conflit professionnel ».

On peut néanmoins s’interroger sur le caractère véritablement opérationnel ou dissuasif de ce droit individuel, dès lors que le rapport de force entre les journalistes et les éditeurs ou intérêts économiques, jugé dès 2016 comme étant en défaveur des premiers, n’a pas subi de rééquilibrage durant les années écoulées. Le caractère « aisément invocable » de ce droit doit en effet être mis en balance avec la gravité des potentielles conséquences de son exercice, si celles-ci devaient aller jusqu’à une sanction ou un licenciement de la part de l’employeur. Bien que ces décisions puissent être qualifiées ultérieurement d’abusives par le conseil de prud’hommes, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent, dans l’intervalle, entraîner de lourdes conséquences au plan professionnel, le tort ainsi causé ne pouvant être redressé qu’après une procédure prud’homale souvent longue et contraignante.

De plus, selon les représentants des syndicats professionnels interrogés, l’exercice de ce droit, ne peut être le même selon que l’on est un salarié protégé ou un pigiste, que l’on travaille en proximité ou non avec le rédacteur en chef, que l’on dispose d’une certaine ancienneté ou non… Son caractère individuel paraît placer le journaliste en première ligne, alors qu’il se trouve déjà de fait dans une relation de subordination complexe. En pratique, la notion « d’intime conviction professionnelle » paraît d’application délicate dès lors que le salarié doit s’opposer à son employeur. De plus, et comme l’a indiqué un journaliste entendu lors des auditions, « si on est employeur, on peut faire pression, sans laisser de trace ».

c.   De possibles mécanismes d’autocensure

À ces difficultés d’application s’ajoute une forme d’intériorisation de la contrainte par les journalistes, qui vient également limiter leur indépendance.

Déjà perçu en 2016 au moment de l’élaboration de la loi Bloche, le phénomène d’autocensure des journalistes pourrait aujourd’hui se voir renforcé par de nouveaux phénomènes. Dès 2016, M. Patrick Bloche indiquait : « Le simple soupçon d’une censure possible peut pousser des journalistes aux conditions d’emploi et de travail de plus en plus précaires, ou des sociétés de production contraintes de vendre leurs sujets pour survivre, à s’autocensurer en évitant précautionneusement toute investigation susceptible de heurter les intérêts protéiformes des actionnaires des médias. » ([14])

Ce risque identifié en 2016 ne paraît pas avoir reflué. L’intériorisation de certaines contraintes peut ainsi pousser des journalistes à s’abstenir de traiter des sujets, par peur de s’attirer le mécontentement de leur employeur, mais également par volonté de se protéger des possibles répercussions, notamment sur les réseaux sociaux, que pourrait entraîner la publication d’un article dès lors qu’il semblerait défendre certaines positions.

Phénomène relativement récent, les journalistes, souvent présents sur les réseaux sociaux, ont en effet à gérer les réactions parfois très virulentes que peut susciter leur travail, notamment sur des sujets soumis à une très forte polarisation de l’opinion. Les récents conflits en Ukraine ou à Gaza sont ainsi de bons exemples de sujets jugés « délicats » par les journalistes entendus lors des auditions. Face à ce qui peut parfois constituer de véritables campagnes de dénigrement ou de harcèlement, les écoles de journalisme tentent de préparer leurs étudiants à mieux appréhender ces conséquences souvent pénibles, et à les sensibiliser aux démarches à effectuer en cas de cyber-harcèlement par exemple. Leurs représentants indiquaient d’ailleurs prendre en compte, lors de la sélection des élèves à l’entrée de l’école, l’aptitude à faire face à de telles pressions. Les moyens à disposition des journalistes pour se défendre ou résister aux campagnes menées sur les réseaux sociaux, par exemple, restent toutefois assez maigres : les journalistes évoquent surtout la solidarité professionnelle s’exerçant au sein des rédactions et le partage de bonnes pratiques pour se protéger.

Les intimidations provenant de groupes d’intérêts étaient la troisième forme de pression la plus fréquemment évoquée (50 %), suivies des menaces physiques (46 %), de l’intimidation par des groupes politiques (43 %), de la surveillance ciblée (39 %) et des intimidations policières (35 %). À l’aune de ces différentes menaces planant sur l’exercice normal de leur métier, on ne saurait être surpris du caractère très répandu d’une autocensure plus ou moins prononcée : 31 % des journalistes interrogés admettaient ainsi édulcorer des sujets polémiques, 23 % faire de la rétention d’informations et 15 % délaisser/abandonner/renoncer à purement et simplement certains sujets. On ne manquera pas de souligner que ces pressions peuvent néanmoins produire l’effet inverse, puisque 36 % des journalistes indiquaient que les pressions subies les poussaient encore plus à résister à la censure, qu’elle soit le fait de sources extérieures ou la leur propre.

2.   Des dispositions dont l’absence d’application appelle une réflexion sur un droit d’opposition collectif

Lors des auditions, la plupart des journalistes interrogés sur le droit d’opposition individuel ont mentionné l’absence d’exemple à fournir sur son utilisation et les difficultés posées par ce caractère individuel. Par ailleurs, plusieurs d’entre eux ont évoqué des modifications d’articles effectuées sans le recueil de l’avis de leur auteur et destinées à ne pas heurter un actionnaire ou un annonceur régulier de l’organe de presse. Était ainsi évoquée à titre d’exemple la suppression avant publication, et sans l’accord de son auteur, d’une référence historique au sein d’un article portant sur une destination touristique afin de ne pas déplaire à la collectivité territoriale concernée.

Il y a donc lieu de penser que l’absence d’exercice du droit d’opposition individuel ne tient pas tant à son caractère dissuasif, qui préviendrait le type de situations où son usage pourrait être pertinent, qu’au refus des journalistes de s’exposer à de possibles sanctions, quand bien même leur caractère injustifié pourrait ensuite être ultérieurement établi et condamné par la justice.

Face à cette situation d’inaboutissement de la loi Bloche, qui n’est visiblement pas parvenue à garantir comme elle y aspirait l’indépendance des journalistes face aux pressions, nombreux sont les journalistes à mettre en avant l’idée d’un droit d’opposition collectif, qui permettrait à la rédaction constituée en unité juridique de formaliser son désaccord, voire d’ester en justice en cas de besoin.

S’agissant d’un éventuel droit d’opposition des rédactions sur certaines nominations ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial d’un journal, en particulier celle du directeur de la rédaction, plusieurs personnes auditionnées, représentant des services de radio ou de télévision publics comme privés, ont mis en garde sur les risques d’immobilisme, voire de corporatisme, que pourrait susciter une telle mesure. Selon une personne auditionnée, le rôle d’un directeur de la rédaction, outre la gestion quotidienne du média, consiste également en la conduite de réformes, parfois nécessaires sans être populaires au sein de la rédaction.

Proposition  3 : Créer un statut juridique pour la rédaction constituée en collectif.

Proposition n° 4 du rapporteur Iñaki Echaniz : Attribuer à la rédaction un droit d’opposition sur les nominations ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial du journal.

B.   la rÉdaction de chartes dÉontologiques

Alors que l’obligation de négociation de chartes déontologiques – absente de la version initiale de la proposition de loi – s’est imposée au cours de la discussion parlementaire, la question de leur teneur et de leur application a finalement eu plus de retentissement que le droit d’opposition individuel d’abord présenté comme la garantie essentielle apportée par la loi Bloche. L’effectivité des chartes déontologiques continue toutefois de poser question.

1.   Des chartes pour fonder l’intime conviction professionnelle

Le compte rendu des débats parlementaires tenus en commission des affaires culturelles lors de l’examen de la proposition de loi rapportée par M. Patrick Bloche témoigne de la volonté des députés d’adosser la notion « d’intime conviction professionnelle » à des éléments plus tangibles, à des principes plus précis qui pourraient être regroupés dans une charte professionnelle.

Dans l’optique de renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, l’article 1er de la loi Bloche impose donc la rédaction d’une charte déontologique à toute entreprise ou société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle. Cette charte doit être rédigée conjointement par la direction et les représentants des journalistes à l’issue de négociations.

Si aucune charte n’était signée avant le 1er juillet 2017, la loi renvoyait aux « déclarations et usages professionnels relatifs à la profession de journaliste » en cas de litige. Ainsi, à défaut d’accord aboutissant à la rédaction d’une charte propre à l’entreprise, il reste possible de se référer aux chartes existantes, telles que la charte de Munich, sans que la loi ne mentionne pour autant les textes de référence.

Les textes de référence en matière de déontologie journalistique (1)

● La Charte d’éthique professionnelle des journalistes du Syndicat national des journalistes (SNJ) de 1918, remaniée en 1938 et en 2011

● La Déclaration des droits et devoirs des journalistes de la Fédération européenne des journalistes, dite « Charte de Munich », de 1971

● La Charte mondiale d’éthique des journalistes de la Fédération internationale des journalistes, dite « Charte de Tunis », de 2019

(1)    Voir les annexes n° 1, n° 2 et n° 3 du présent rapport.

La loi précise en outre que toute convention ou contrat de travail signé entre un journaliste et une entreprise ou une société de presse ou de communication audiovisuelle entraîne l’adhésion à la charte déontologique (article 1er, alinéa 2). Aux termes de l’article 2 de la loi Bloche, la charte doit être communiquée à tout journaliste lors de son embauche et à tout journaliste déjà employé dans les trois mois suivant l’adoption de cette charte. Le comité d’entreprise doit être informé chaque année du respect de la charte déontologique par l’entreprise (article 3). Selon les différents acteurs interrogés lors des auditions, ces différentes obligations apparaissaient pour le moins diversement respectées.

Il convient de préciser qu’avant l’adoption de la loi Bloche, certains médias étaient d’ores et déjà dotés d’une charte déontologique. Les chartes les plus anciennes datent des années 1990, telle que celle de Ouest France ou du magazine Le Point. Toutefois, l’adoption de la loi de 2016 a contribué à leur généralisation. Ainsi, nombre de chartes sont apparues après 2017 et il y a eu, selon le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), « un effet clair de la loi Bloche » ([15]) à cet égard.

Le CDJM recense 75 chartes déontologiques depuis 2017, dont 46 en ligne, en vigueur dans un grand nombre de médias. Lors de leur audition, les représentants de l’Alliance de la presse d’information générale (l’APIG – l’association des éditeurs de presse) ont affirmé aux rapporteurs que « dans l’immense majorité des cas, les éditeurs de l’Alliance ont mis en place des chartes, en coopération avec les journalistes ».

Pour le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL), alors que « beaucoup de publications ne sont pas soutenues par la puissance publique et donc sans obligation de chartes déontologiques, cela progresse, et devient une habitude des rédactions ». Le SPIIL affirme qu’un gros travail a été fait « pour une proposition de chartes "clé en main" à [ses] éditeurs, qu’ils ont pu reprendre telles qu’elles ou amendées. La grande majorité de [ses] éditeurs ont une charte ».

La loi Bloche a ainsi indéniablement le mérite d’avoir attiré l’attention sur la déontologie journalistique. L’obligation de disposer d’une charte déontologique ne semble toutefois pas toujours bien respectée en pratique.

2.   Une mise en œuvre qui continue de poser problème

En premier lieu, il apparaît difficile de répertorier l’intégralité des chartes déontologiques. Il serait à ce titre utile d’établir un vrai recensement de telles chartes au sein de chaque entreprise de média audiovisuel et de presse et de chaque société éditrice, afin de rendre effective l’obligation de rédaction d’une charte déontologique prévue par la loi pour les entreprises qui ne la respectent pas. Certaines chartes déontologiques ne sont pas facilement, voire pas du tout, accessibles. Il est ainsi impossible de vérifier leur existence et leur application. C’est la raison pour laquelle le CDJM préconise que le site internet de chaque média fasse obligatoirement figurer un lien vers la charte de déontologie dudit média.

Le contrôle du respect de cette obligation prévue par la loi Bloche passe donc d’abord par une évaluation précise du nombre de chartes effectivement adoptées, que les rapporteurs ne sont pas parvenus à se faire communiquer, en dépit des nombreuses auditions menées.

Mme Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles, a ainsi mentionné lors de son audition que « selon les familles de presse, entre 50 et 90 % des titres auraient signé une charte ». Au regard de cette évaluation pour le moins approximative, les rapporteurs souscrivent à l’opinion de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) selon laquelle ces chiffres doivent être pris « avec prudence ».

Proposition n° 5 : Établir un véritable recensement des chartes déontologiques et faciliter l’accès du public aux chartes par un lieu de consultation unique (par exemple, une page du site internet du ministère de la Culture).

En outre, si la loi dispose que les chartes déontologiques doivent être négociées entre la direction et les représentants des journalistes, le Syndicat national des journalistes (SNJ) a attiré l’attention des rapporteurs sur le flou entourant la notion de « représentants de journalistes » (article 1er de la loi, alinéa 3). Selon une interprétation extensive, le rédacteur en chef pourrait entrer dans cette catégorie. Or pour le syndicat, il est impératif que les « représentants des journalistes » soient incarnés par les représentants des syndicats de journalistes. Le SNJ relève à cet égard que les syndicats et les sociétés de rédacteurs n’ont pas toujours été conviés aux négociations. La CFDT précise que lorsque les négociations d’une charte avaient pour fondement la Charte du SNJ, celles-ci ont pu aboutir sans difficulté (ce fut le cas pour le groupe Ouest France par exemple). Toutefois, si la charte déontologique semblait vidée de sa substance, les organisations syndicales préféraient alors s’abstenir de la signer ou constater le désaccord. C’est pourquoi le SNJ a pu, dans un premier temps, s’opposer à la signature d’un certain nombre de chartes.

Les syndicats de journalistes apparaissent plutôt favorables à une charte déontologique unique, commune à tous les médias, sur la base de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du SNJ, la Déclaration de Munich et la Charte de Tunis. Nombre de journalistes dénoncent la multitude de chartes qui entraîne le morcellement de la déontologie journalistique, menaçant ainsi son unité et sa cohérence.

Par ailleurs, la loi Bloche se révèle silencieuse sur le contenu des chartes. S’il s’agissait là d’une volonté délibérée de laisser libre cours à la négociation prévue et de ne pas empiéter sur le contenu déontologique devant émaner des professionnels eux-mêmes, cette grande latitude concernant le contenu des chartes laisse aussi place à une possible forme de moins-disant par rapport aux grands textes déontologiques cités supra. Lors de son audition, le représentant du SNJ a ainsi alerté les rapporteurs sur le contenu de certaines chartes, qui abaisseraient les standards de déontologie journalistique ou ne concerneraient pas directement la déontologie.

À l’aune du flou entourant la négociation et la mise en œuvre des chartes déontologiques, on ne peut que regretter que la loi Bloche, qui dispose que « si aucune charte n’a été conclue avant le 1er juillet 2017, les usages de la profession s’appliquent » (article 1er, alinéa 3), ait omis de préciser dans la loi ce que recouvrent les « usages professionnels relatifs à la profession de journaliste » pouvant être invoqués en cas de litige. Selon la DGMIC, ces usages professionnels s’inscrivent dans la lignée des textes généralement admis par la profession, notamment les trois chartes journalistiques énumérées précédemment (la Charte de Munich, la Charte du SNJ et la Charte de Tunis). Vos rapporteurs estiment cependant qu’une référence claire à ces textes mériterait d’apparaître au niveau législatif afin de leur conférer un caractère plus contraignant et de dégager un véritable socle déontologique commun à toute la profession.

Proposition n° 6 : Préciser dans la loi les textes faisant autorité en matière de déontologie journalistique afin de mieux encadrer le contenu des chartes.

 

La sanction prévue à défaut de négociation d’une charte déontologique – le retrait de certaines aides publiques à la presse pour les titres concernés – n’a pas non plus été appliquée. Selon la DGMIC, cela tient au caractère trop imprécis du texte de la loi sur les conditions de retrait des aides publiques en cas d’absence de charte. La loi Bloche, en ne spécifiant pas l’autorité qualifiée pour juger du bon respect des conditions de négociations ou pour décider du retrait des aides – et déterminer lesquelles pourraient être retirées –, se serait ainsi privée d’une réelle portée contraignante. Selon les rapporteurs, les chartes déontologiques devraient à tout le moins faire l’objet d’une publication visible et aisément accessible : cela faciliterait leur connaissance par le public et le recensement par les acteurs publics concernés.

Mais il apparaît également nécessaire de venir préciser les conditions d’application de la sanction prévue à l’article 20 de la loi Bloche, afin que l’adoption d’une charte déontologique négociée, de simple option, devienne une obligation réelle et effective.

Proposition n° 7 : Préciser les conditions d’application de l’article 20 de la loi Bloche afin d’identifier l’entité publique chargée du contrôle de la négociation des chartes déontologiques dans les organismes de médias soumis à cette obligation. Cette mission, qui pourrait être confiée à la direction générale des médias et des industries culturelles, devra également consister en un examen du contenu des chartes adoptées afin de s’assurer de leur adéquation aux textes déontologiques faisant autorité pour la profession de journaliste, qui devraient être consacrés par la loi (cf. n° 6).

C.   des dÉfis persistants pour le contrôle du respect de la dÉontologie

1.   Les insuffisances du contrôle déontologique interne créé par la loi Bloche

Le droit d’opposition individuel créé par la loi Bloche ne semble pas avoir donné aux journalistes la capacité suffisante de s’opposer à des modifications de nature éditoriale : plus précisément, elle n’a pas permis que tous les journalistes puissent user pleinement de cette faculté, étroitement liée à leur statut, à leur ancienneté ou encore à leur proximité avec la direction de la rédaction. C’est pourquoi des réflexions récurrentes évoquaient, dès avant l’adoption de la loi Bloche, la possibilité de créer des organes de représentation collective au sein des rédactions, plus à même de protéger l’indépendance de celles-ci.

a.   Le débat sur le statut juridique des rédactions

De nombreuses voix s’élèvent aujourd’hui pour que les rédactions puissent être dotées d’un statut juridique collectif et d’une personnalité morale leur permettant notamment d’ester en justice.

Deux propositions de loi ont été examinées sur ce sujet lors des précédentes législatures. Il s’agit tout d’abord de la proposition de loi n° 2555 du 22 janvier 2010 présentée par M. Patrick Bloche et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauches. Cette proposition, rejetée en première lecture à l’Assemblée nationale, visait à consacrer juridiquement l’indépendance des rédactions. Comme le fait observer M. Patrick Bloche dans son rapport précité, la question n’était pas neuve, puisque l’article 14 de la loi n° 84-937 du 23 octobre 1984 visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse prévoyait déjà que toute publication quotidienne d’information politique et générale devait disposer de sa propre équipe rédactionnelle permanente, composée de journalistes professionnels au sens de l’article L. 716-2 du code de travail, cette équipe devant être « suffisante pour garantir l’autonomie de conception de cette publication ». Cette reconnaissance juridique d’un noyau dur de journalistes professionnels susceptibles de défendre l’indépendance éditoriale de leur publication a toutefois été de courte durée, car l’article 14 de la loi du 23 octobre 1984 a ensuite été abrogé dans le cadre de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

La proposition de loi du 22 janvier 2010 de M. Patrick Bloche visait à créer un nouveau statut collectif, s’appuyant sur le constat que le refus de cette reconnaissance juridique des rédactions – en effet écartée par la profession à l’issue des débats des « États généraux de la presse écrite » de 2008 – s’expliquait par la pression exercée par les éditeurs de presse.

La seconde proposition de loi a été déposée au Sénat, le 27 septembre 2014 par Mme Nathalie Goulet ([16]) et n’a pas été examinée. Elle visait à créer une instance collective permettant de conférer la personnalité morale à la rédaction : le conseil de rédaction. Celui-ci aurait été composé des journalistes professionnels contribuant « à la production de contenus journalistiques » ([17]) et aurait pu exercer un droit de regard sur la conformité des contenus produits à la ligne éditoriale définie en accord avec la direction du journal. Le conseil de rédaction aurait pu exercer des fonctions poussées quant au contrôle du respect de l’indépendance des journalistes, notamment en s’assurant au quotidien :

«  que tous les journalistes de l’entreprise de presse concernée peuvent exercer leur travail en toute indépendance des pouvoirs publics, des pouvoirs économiques, notamment ceux qui constituent l’actionnariat du média auquel ils contribuent ;

 que les journalistes qui en sont membres sont à l’abri de pressions ou tentatives des pressions au but d’altérer la pratique indépendante de leur mission d’informer ;

 que les journalistes qui en sont membres ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêt. » ([18])

Il aurait pu également être consulté sur la désignation ou la démission du directeur et de ses adjoints, lorsqu’elle advient du fait du propriétaire du titre et être tenu informé, par exemple, de mouvements capitalistiques importants représentant plus de 5 % du capital ou lors des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire. Certaines de ces attributions sont toutefois actuellement exercées par les instances représentatives du personnel.

La loi Bloche a fait le choix de créer un droit d’opposition individuel, six ans après l’échec de la proposition de loi du même auteur sur la création d’une personnalité juridique des rédactions. Aujourd’hui, la question de doter les rédactions d’une personnalité morale leur permettant d’ester en justice continue de faire débat parmi les journalistes, certains estimant par exemple qu’il relève du rôle des syndicats professionnels, ou des sociétés de journalistes ou de rédacteurs, de veiller au respect de l’indépendance et de la liberté de l’information au sein des entités produisant de l’information.

b.   Le développement des sociétés de journalistes

Faisant le constat de leurs capacités d’action limitées sur la gestion du journal et l’orientation de sa ligne éditoriale, les journalistes ont de longue date constitué des sociétés de rédacteurs ou de journalistes afin d’être associés collectivement aux décisions essentielles concernant la vie et l’orientation de leur publication. Les sociétés de journalistes sont apparues en France pour défendre l’indépendance des rédactions à la fin de la seconde guerre mondiale.

La première société de rédacteurs créée est celle du Monde, en 1951. Une crise entre les associés du journal avait alors conduit à l’attribution de 29 % du capital du journal à cette société créée par l’ensemble des membres de la rédaction. À partir de 1964, un vaste mouvement de création de sociétés de rédacteurs s’est enclenché, au Figaro ou aux Échos par exemple. En 2005, est né le Forum permanent des sociétés de journalistes, alors présidé par le journaliste François Malye, regroupant les sociétés de rédacteurs d’une trentaine de médias français pour veiller au respect des règles déontologiques. Cette organisation est toutefois aujourd’hui inactive.

La dénomination de « société de journalistes » (SDJ), ou de « société de rédacteurs » (SDR), s’applique à des entités juridiques dotées de statuts divers : des sociétés civiles à capital variable, des sociétés en nom collectif ou des associations relevant de la loi de 1901. Leur absence d’activité commerciale leur permet de se constituer en société civile. Elles ne sont pas des entreprises de presse et restent ainsi hors du champ d’application du statut défini par la loi du 1er août 1986.

Dans un ouvrage de 2008 qui leur est consacré ([19]), le journaliste Bertrand Verfaillie les classe en quatre grandes catégories :

– les sociétés de participation : « pour la plupart, des sociétés civiles à capital variable, dont les administrateurs sont aussi les gérants ». Ces sociétés détiennent une part du capital de l’entreprise de presse, elles disposent donc d’un pouvoir d’influence très réel, en disposant d’une assise financière qui peut varier selon les structures. C’est le cas pour les SDR du Monde, du Figaro, de l’Obs ou de Sud-Ouest ;

– les sociétés de personnels et apparentés : elles ont les mêmes statuts que les sociétés de participation, « siègent dans les mêmes instances et bénéficient des ressources correspondantes. Elles sont parties prenantes du capital mais elles représentent la totalité du personnel des entreprises concernées ». Ce type se retrouve dans les journaux Libération ([20]) et l’Humanité ;

– les sociétés « ordinaires » constituées sous la forme d’associations, qui elles relèvent de la loi de 1901. Comme l’explique M. Verfaillie, « la plupart obéissent à ces procédures : l’adhésion doit être volontaire, elle est subordonnée à la possession d’une carte d’identité de journaliste professionnel, d’un contrat à durée déterminée ou indéterminée ou à une pratique régulière de pigiste et souvent, à une certaine ancienneté dans l’entreprise. » Relèvent par exemple de cette catégorie les SDJ des Échos, de l’Express, du JDD, de Marianne, de Paris-Match ou encore du Point ;

 les SDJ de service public : ce sont des associations relevant de la loi de 1901 (comme pour Radio France) ou des collectifs dépourvus de statut (à France 2).

Par l’acquisition d’actions ou de parts sociales de la société éditrice, une société de rédacteurs peut devenir actionnaire de la société éditrice et participer par l’intermédiaire de ses représentants statutairement désignés aux assemblées générales. Si la SDR détient un nombre important d’actions, ses membres pourront devenir administrateurs et si la SDR parvient à acquérir une minorité de blocage dans le capital des sociétés éditrices, elle est en mesure de limiter le pouvoir des propriétaires de journaux et autres actionnaires. La participation à la gestion du journal constitue un canal indirect pour la défense des intérêts moraux de la rédaction. En ce sens, les sociétés de rédacteurs pourraient être considérées comme une forme de prolongement de la clause de conscience.

Les rapporteurs considèrent que les sociétés de rédacteurs constituent un modèle intéressant qui permet aux journalistes de concilier la défense de la ligne éditoriale du journal auquel ils appartiennent et la participation aux choix stratégiques de l’entreprise économique que constitue un organe de presse. La société de rédacteurs du journal Le Monde (cf. supra), souvent citée en exemple, constitue un modèle particulièrement abouti dont les rapporteurs estiment qu’il faut encourager la diffusion au titre de bonnes pratiques susceptibles d’être suivies. Le renforcement des sociétés de rédacteurs dans le sens d’un plus grand pouvoir donné aux journalistes pourrait conditionner l’attribution de certaines aides publiques à la presse.

La société des rédacteurs du Monde : un modèle solide et en évolution

La société des rédacteurs du Monde (SRM) est ancienne, puisque son existence remonte à 1951, avec des rédacteurs copropriétaires du groupe. Souvent citée comme modèle pour préserver l’indépendance éditoriale du quotidien, la SRM regroupe 97 % des journalistes du journal Le Monde. Ont le droit d’adhérer tous les journalistes en CDI, les journalistes en CDD depuis deux ans, les pigistes tirant trois quarts de leurs revenus du Monde depuis deux ans, et les anciens journalistes du Monde.

Les rédacteurs du journal ont toujours élu leur directeur. Aujourd’hui, la SRM dispose d’un double droit de regard sur la nomination ou l’éviction d’un directeur, puisque si le nom de celui-ci est proposé par les actionnaires (dont fait partie la SRM), un directeur ne peut être nommé qu’à condition de réunir 65 % de votes favorables dans les suffrages exprimés. Mme Raphaëlle Bacqué, actuelle présidente de la SRM, insistait lors de son audition sur le fait que « la barre est haute, mais cela donne une légitimité très forte ». Un droit miroir à ce droit d’agrément existe : l’éviction d’un directeur devrait ainsi recueillir l’approbation de 65 % des journalistes pour être effective.

Ces droits de regard sur la nomination et l’éviction du directeur du journal se justifient par le rôle d’incarnation des valeurs du journal endossé par le directeur.

Il faut noter que la SRM dispose également de droits capitalistiques sur le journal, même si le modèle a fait l’objet de transformations au début des années 2010. Cela permet à la SRM de participer activement aux décisions stratégiques pouvant avoir des répercussions sur la ligne éditoriale du journal. Un « pôle d’indépendance » a été créé réunissant la SRM mais aussi la société des personnels du Monde, la société des lecteurs, la société des cadres, les SDR d’autres titres (Télérama, Courrier International, La Vie). L’objectif est de prendre en compte les droits des actionnaires tout en protégeant l’indépendance de la rédaction.

En 2010, le pôle d’indépendance détenait une minorité de blocage de 33,34 % du capital. Toutefois, en 2017, après une recapitalisation, la part détenue par le pôle d’indépendance est tombée à 25,4 % du capital. Le pôle a perdu sa minorité de blocage mais a obtenu que les droits qui y étaient adossés deviennent statutaires et inaliénables (un droit d’agrément prévu à l’article 11.2 des statuts de la SRM et un droit de première offre prévu à l’article 11.4 des statuts). Le pôle est présent dans tous les conseils de surveillance en tant que coactionnaire.

Le pôle d’indépendance a obtenu, en 2019, un « droit d’agrément » qui prévoit que, en cas de changement de contrôle du Groupe Le Monde, le pôle soit consulté et qu’il lui revienne la décision d’agréer le nouvel actionnaire.

Proposition n° 8 : Encourager le développement de sociétés de rédacteurs/sociétés de journalistes aux pouvoirs élargis afin de pouvoir intégrer les journalistes dans le processus de nomination des directeurs de rédaction et dans les choix stratégiques de leur journal.

Dans l’esprit des rapporteurs, les SDJ n’ont pas vocation à remplacer ou à concurrencer les syndicats mais à fournir aux journalistes un outil supplémentaire pour défendre leur indépendance et leurs intérêts moraux.

2.   La question du contrôle déontologique externe

a.   La question de la labellisation/certification

Face aux transformations du paysage informationnel déjà évoquées infra (multiplication de nouveaux acteurs, accélération du rythme de production de l’information, persistance de la méfiance envers les médias « traditionnels ») et aux risques fréquemment analysés que font courir à la démocratie la montée du complotisme et la diffusion de fausses informations, se pose de façon croissante la question de la mise en valeur d’une information produite dans le respect des exigences déontologiques telles qu’énoncées, par exemple, par la Charte de Munich (une information vérifiée, aux sources recoupées, et délivrée en toute indépendance).

Plusieurs initiatives ont été lancées afin de mettre en œuvre des processus de certification ou de labellisation de l’information : auditionné par les rapporteurs ([21]), le directeur général de Reporters sans frontières, avait ainsi exposé la Journalism Trust Initiative (JTI). Pensée comme une réponse à la concurrence directe de contenus manipulatoires particulièrement présents dans l’espace numérique, notamment sous la forme de propagande, publicité, désinformation, la JTI est une norme validée par l’Organisation internationale de normalisation (norme ISO). Elle a été développée par un panel de 130 experts internationaux sous l’égide du Comité européen de normalisation (CEN) et publiée en tant que « Workshop Agreement CWA 17493 ». Reporters sans frontières est à l’initiative du projet, et en reste le pilote. La JTI est cofinancée par la Commission européenne et des organismes privés.

Concrètement, les médias intéressés sont invités à effectuer une auto-évaluation, selon le cadre de référence officiel de la norme, et à publier ensuite le rapport issu de cette évaluation. Ce rapport est ensuite examiné par un organisme d’audit indépendant, qui pourra accorder ou non le label JTI, en fonction du respect des critères de la norme.

La JTI repose sur un examen approfondi du processus de fabrication de l’information, et non sur les contenus produits par les organes de média : il s’agit ainsi d’examiner des indicateurs clés, parmi lesquels l’application d’une ligne éditoriale, la preuve du respect de garanties professionnelles, l’existence de mécanismes de correction, la transparence sur l’identité des propriétaires ou encore les sources de revenus. De nombreux médias français publics et privés ont aujourd’hui obtenu la certification JTI, ce qui leur permet de se prévaloir de la transparence de leur processus de traitement de l’information. Les rapporteurs sont favorables à cette initiative, qui permet de valoriser un processus de fabrication sans se pencher sur la ligne éditoriale des entités médiatiques s’y conformant. Ils sont donc partisans de sa généralisation et pensent nécessaire de prolonger la réflexion sur les conséquences du respect de cette norme. Une partie des aides publiques au secteur des médias pourrait ainsi être conditionnée au respect d’une norme indépendante de production des contenus d’information.

Une telle norme objective et indépendante pourrait en outre servir de support à une politique plus poussée de quotas obligatoires dans les résultats algorithmiques des plateformes numériques. De la même manière que les plateformes audiovisuelles sont désormais soumises à la diffusion de contenus européens et français, on pourrait ainsi imaginer que les plateformes numériques dont l’audience dépasserait un certain niveau soient également tenues de répercuter un certain pourcentage d’informations vérifiées dans les résultats de recherche proposés, dès lors qu’elles jouent véritablement un rôle de nouveaux « gate keepers » ([22]) de l’information.

Proposition n° 9 : Conditionner le versement des aides publiques au respect de normes éthiques de production de l’information.

La JTI reçoit une attention croissante de la part des pouvoirs publics. Ainsi, en septembre 2022, lors du deuxième sommet ministériel pour l’information et la démocratie, qui s’est déroulé en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New‑York, onze pays (sur les 45 États partenaires du sommet), dont la France, se sont engagés à soutenir la JTI. Elle est également citée comme exemple de standard de confiance et de déontologie dans les médias dans la proposition de règlement européen pour la liberté des médias, ainsi que dans le Code de bonnes pratiques contre la désinformation de la Commission européenne ([23]), signé par 34 acteurs du numérique (Microsoft, Vimeo, Tiktok, etc.). Enfin, l’étude annuelle 2022 du Conseil d’État sur les réseaux sociaux ([24]) cite la JTI comme une forme d’autorégulation prometteuse, et suggère, dans sa proposition n° 8, de « soutenir les labels permettant de promouvoir des contenus fiables, de qualité et vérifiés ».

À travers le monde, quasiment 600 médias dans 70 pays sont en phase d’auto-évaluation, et 16 sont déjà certifiés, comme swissinfo.ch en Suisse, LRT (radio et télévision nationales) en Lituanie ou CBC-News au Canada. France Télévisions a été le premier média français à obtenir cette certification en 2022, suivie par d’autres grands groupes qui se sont également engagés dans le processus.

Toutefois, il ne faut pas occulter les débats que suscite la promotion de telles démarches de certification, pour deux ensembles de raisons :

– l’apposition d’un label pourrait créer un biais de confirmation et renforcer, paradoxalement, les partisans de théories complotistes dans leur croyance en une manipulation orchestrée par le pouvoir et en l’existence d’une information « officielle » soumise aux autorités politiques ;

– le principe de neutralité du net et de secret des affaires a jusqu’ici empêché la régulation de la « boîte noire » des algorithmes, même si plusieurs dispositifs ont encouragé les plateformes numériques à mieux valoriser les contenus reconnus comme émanant de sources fiables.

b.   La constitution d’un organe tiers

Face à la montée des enjeux déontologiques et à la nécessité de renforcer les moyens d’un contrôle indépendant, se pose depuis plusieurs années la question de la création d’une instance d’autorégulation de la déontologie des médias, qui pourrait être saisie par le public ou les journalistes lors de cas problématiques pour l’éthique journalistique.

Dès 2006, M. Yves Agnès, ancien rédacteur en chef du Monde, a fondé l’Association pour la préfiguration d’un conseil de presse (APCP), membre de l’Alliance internationale de journalistes. L’APCP, composée de journalistes et de citoyens, visait à réfléchir à la création d’un médiateur national des médias. Cette instance indépendante aurait pu, à l’image du Médiateur de la République, étudier des cas qui lui auraient été soumis afin d’apporter des réponses, d’expliquer et de « sanctionner » symboliquement par la publicité de l’avis rendu. Entre 2006 et 2011, l’APCP a travaillé sur la constitution d’un organe tripartite rassemblant journalistes, représentants du public et éditeurs de presse, mais elle a cessé ses activités en 2015. L’APCP est toutefois à l’origine de la création de l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI) en septembre 2012, alors présidé par M. Patrick Eveno, professeur des universités en histoire des médias à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

L’idée d’instituer une forme de conseil de la presse a ensuite été au cœur du travail conduit par M. Emmanuel Hoog. En 2019, l’ancien président-directeur de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et de l’Agence France-Presse (AFP) a été chargé par Mme Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, de mener une mission d’expertise afin de proposer un cadre pour la mise en place d’une instance d’autorégulation et de médiation de l’information. Le rapport de mission préconisait que l’instance résulte d’une initiative des professionnels, associant des représentants de journalistes, des éditeurs et des personnes issues de la société civile (reprenant en cela les grandes lignes de la proposition de l’APCP). Cette instance couvrirait tous les médias : le secteur de l’audiovisuel (public ou privé), la presse écrite et les sites de presse en ligne inscrits à la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) ainsi que les agences de presse agréées. Dépourvue de pouvoir de sanction, elle pourrait être saisie et s’autosaisir des sujets qui concernent la qualité et la déontologie de l’information, sans pour autant statuer sur la liberté éditoriale du média (restant hors de son champ de compétence).

Une instance d’autorégulation a finalement été constituée à l’initiative de l’Observatoire de la déontologie de l’information : le lundi 2 décembre 2019, l’assemblée constitutive du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) s’est réunie pour la première fois à Paris, et le CDJM a pris la suite de l’ODI qui avait contribué à la préfigurer.

Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation se définit comme « un organe professionnel d’autorégulation, indépendant de l’État, une instance de médiation et d’arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics, enfin, une instance de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics » ([25]). Le CDJM revendique trois objectifs : défendre une information de qualité, rétablir la confiance entre le public et les médias, et faire progresser la déontologie des journalistes. Il s’agit d’une instance tripartite réunissant 47 représentants de journalistes (dont des représentants du SNJ et de la CFDT-Journalistes), des éditeurs et des représentants du public (représentants d’associations de lecteurs telle que celle du Monde ou de Sud-Ouest, des chercheurs etc.), anciennement présidée par M. Patrick Eveno, historien des médias, puis par Mme Kathleen Grosset, directrice de l’agence de presse photographique Rapho. Selon son ancien président, l’instance doit être « une réponse collective à cette défiance envers les médias » ([26]). Il insiste sur le rôle pédagogique du conseil : « Dans les pays où existe un conseil de presse dynamique, notamment dans 20 pays de l’Union européenne (Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, etc.), la confiance du public dans l’information croît. Et la liberté de la presse est plus assurée. »

Le CDJM peut être saisi par le public ou peut s’autosaisir d’un dossier qu’il instruira et qui aboutira à un avis motivé et publié sur son site. Cet avis est non contraignant et non assorti de sanctions. Le CDJM ne peut se prononcer qu’après la diffusion d’un article et ne se prononce aucunement sur les questions de ligne éditoriale ou les choix rédactionnels qui demeurent libres. À la date de l’audition des représentants du CDJM par les rapporteurs, celui-ci comptabilisait 655 saisines depuis ses débuts, portant sur 382 actes (certaines saisines peuvent porter sur le même acte), conduisant à 116 avis publiés. Comme l’ont expliqué lors de leur audition MM. Yann Guégan et Pierre Ganz, respectivement vice-président et secrétaire du bureau du CDJM, l’instance a également publié quatre recommandations, portant sur la rectification des erreurs, le traitement de l’actualité scientifique, les cadeaux et voyages de presse et sur l’utilisation de l’intelligence artificielle. Ces recommandations sont diffusées à l’ensemble des adhérents, et rendues publiques sur le site internet du CDJM et imprimées.

Le rapport Hoog préconisait une articulation entre le conseil de déontologie journalistique et le CSA (aujourd’hui Arcom). En effet, une co-régulation entre les deux instances était jugée « préférable à la seule régulation » par le CSA, « une autorité publique indépendante dont les membres sont nommés par des responsables politiques ». Le rapport renvoie au modèle belge, où le conseil de déontologie journalistique collabore avec l’équivalent de notre Arcom : une plainte qui ne correspond pas aux domaines de compétences d’une des institutions devra être renvoyée à l’autre et les deux instances devront se coordonner si une plainte concerne les deux instances. Aujourd’hui, cette co-régulation n’existe pas entre les deux autorités françaises.

Si la CDJM joue un rôle actif dans le traitement des enjeux déontologiques rencontrés dans les médias, elle ne fait pour autant pas l’unanimité au sein des professionnels de la sphère médiatique. Plusieurs sociétés de journalistes et rédactions ([27]) ont manifesté leur désaccord face à la création du CDJM en expliquant dans un communiqué : « Nous ne sommes pas identiques et c’est très bien ainsi. Le pire service à rendre aux médias aujourd’hui serait de les contraindre à se plier à une norme artificielle de déontologie. Ce sont les lecteurs qui jugent les journalistes, pas les journalistes qui se jugent entre eux » ([28]). En effet, nombre de médias dénoncent une « initiative du gouvernement » à la suite de la publication du rapport Hoog sur demande de la ministre de la Culture. Le président du CDJM s’en défendait en affirmant que le « projet est porté depuis plusieurs années par l’ODI ».

Pourtant, le financement de l’instance pose question. En effet, le rapport Hoog soulignait qu’un financement de l’État, bien que stable et pérenne, pourrait « fragiliser l’institution et son image d’indépendance ». Aujourd’hui, le CDJM reçoit une subvention de la DGMIC, dont les contributions publiques ne peuvent pas dépasser 50 % des ressources totales à partir de la quatrième année, est financé par les cotisations d’adhérents et reçoit aussi le soutien de la fondation Descartes. Le CDJM répond à des appels à projets, notamment de la Commission européenne, afin de continuer à diversifier son financement et d’assurer son indépendance.

Pour certains journalistes, les litiges nés de la pratique journalistique doivent pouvoir se régler devant les juridictions. Ainsi, selon M. Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro : « L’activité des journaux est déjà extrêmement régulée. Nous sommes d’abord responsables devant la loi. La diffamation, l’injure, les délits de fausse nouvelle ou d’incitation à la haine, les modalités du droit de réponse sont régis par le droit de la presse. »

Face aux critiques, MM. Patrick Eveno, ancien président du CDJM, et Pierre Ganz, secrétaire du CDJM, ont affirmé qu’« un conseil de presse ne "régule pas le journalisme", ne met pas les journalistes "sous tutelle" […] Il n’est pas un "ordre des journalistes", parce qu’il est composé de professionnels et de représentants du public, parce qu’il n’a aucune compétence sur l’accès à une profession, parce qu’il ne prononce aucune sanction. » Il ajoute qu’un « conseil de presse n’est pas une instance politique ou administrative. Ses membres sont désignés par les éditeurs et journalistes, pas par le pouvoir politique. Aucun représentant des pouvoirs exécutif, judiciaire ou législatif ne participe à un conseil de presse. » ([29])

Aujourd’hui, si l’activité du CDJM est suivie avec intérêt, notamment par les jeunes journalistes et les écoles de journalisme, son format n’apparaît pas recueillir l’adhésion de journalistes suffisamment nombreux pour pouvoir asseoir une pleine légitimité. Selon les rapporteurs, il convient de réfléchir à nouveau à son articulation avec l’Arcom et les comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes (Chipip), afin de mieux définir le rôle et les pouvoirs relatifs de chaque instance.

Proposition n° 10 : Mener un travail approfondi sur l’articulation entre CDJM, Arcom et comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes afin de renforcer la légitimité de chaque organisme dans le contrôle des obligations déontologiques de la production d’information.

III.   la protection des sources et des lanceurs d’alerte

A.   la protection des sources : un équilibre difficile à trouver

Le renforcement de la protection des sources constituait pour les journalistes l’un des principaux apports qu’aurait pu entraîner l’adoption de la loi Bloche. Ce point a d’ailleurs fait l’objet de nombreux échanges entre le législateur et les représentants de la profession au moment de l’élaboration de la loi. Toutefois, après la censure par le Conseil constitutionnel de son article 4, beaucoup de professionnels évoquent un véritable rendez-vous manqué, et regrettent un statu quo jugé insatisfaisant.

La protection des sources, qui constitue une forme de secret professionnel, est avec la vérification des faits l’un des piliers de la déontologie journalistique. Si, dans la Charte des devoirs professionnels des journalistes français adoptée en 1918 et remaniée en 1938, seule l’obligation de « garder le secret professionnel » est évoquée, la version amendée en 2011 de la Charte, aujourd’hui reconnue comme texte de référence par l’ensemble de la profession, complète cette formulation en énonçant qu’un « journaliste digne de ce nom […] garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations ». La Charte de Munich de 1971, code de déontologie élaboré par la Fédération européenne des journalistes, avait déjà repris en son article 7 le devoir formulé par la Charte française de 1938 en le complétant de telle sorte : « Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ».

1.   La difficulté du projet de loi de 2013 à préciser le cadre instauré en 2010

La loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes avait pour objectif de mieux prendre en considération le « rôle éminent [de la presse] dans une société démocratique, […] la possibilité pour les journalistes de conserver le secret sur l’origine de leurs informations apparaissant nécessaire pour ne pas tarir leurs sources et garantir ainsi la liberté d’information », comme l’a reconnu la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans son arrêt du 27 mars 1996 Goodwin c/ Royaume Uni.

Dans une jurisprudence ultérieure ([30]), la CEDH a également considéré qu’il ne peut être porté atteinte au secret des sources – « pierre angulaire de la liberté de la presse » – sauf pour un « impératif prépondérant d’intérêt public », se fondant sur l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cet article dispose en effet que la liberté d’expression comprend « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Destiné notamment à mieux répondre aux impératifs énoncés par la jurisprudence européenne, le cadre législatif français sur la protection des sources instauré en 2010 a inséré dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un nouvel article 2, afin que le principe de respect du secret des sources des journalistes soit expressément reconnu par la loi ([31]). Cet article définit un principe général de protection des sources en son premier alinéa : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. » Toutefois, le caractère dérogatoire (introduit par le troisième alinéa), permettant d’enfreindre le secret des sources « si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi », est rapidement apparu comme trop large et imprécis.

 

Dans un avis sur la réforme de la protection du secret des sources du 25 avril 2013 ([32]), la Commission nationale consultative des droits de l’homme relevait ainsi que si la loi de 2010 « a indéniablement marqué un progrès dans la protection du secret des sources […] la perception de la loi par l’opinion a souffert de l’affaire dite des "fadettes", qui a vu le procureur de la République de Nanterre requérir un opérateur téléphonique de lui communiquer les factures téléphoniques détaillées de trois journalistes pour découvrir quelle était leur source. Cette affaire a été vécue par l’opinion publique, et surtout par les médias, comme la démonstration de l’insuffisance de la loi pour protéger les sources des journalistes. » Bien que l’application de la loi du 4 janvier 2010 ait eu pour conséquence l’annulation a posteriori des réquisitions du procureur de la République et de toute la procédure subséquente, cette affaire judiciaire a incontestablement créé de nouvelles attentes quant à une protection plus efficace du secret des sources.

C’est pourquoi le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes n° 1127 de 2013 a cherché à préciser et limiter le champ des exceptions au principe du respect des sources et à compléter les dispositions de la loi du 4 janvier 2010. Revenant sur l’affaire mentionnée supra des « fadettes », l’étude d’impact de ce projet de loi indiquait ainsi que « le fait que les actes de procédure portant atteinte au secret puissent être décidés par le magistrat en charge des investigations, en l’espèce le procureur de la République, et que la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public soit relativement imprécise, a permis aux autorités judiciaires de mal interpréter le sens des dispositions légales et de porter une atteinte effective au secret des sources, avant que la procédure ne soit annulée par la chambre de l’instruction et que cette annulation soit confirmée par la Cour de cassation. » Ces observations ne pouvaient que mener le Gouvernement à considérer dans l’étude d’impact qu’une « réforme législative qui définit de façon plus claire et plus limitative les conditions de fond ainsi que les conditions procédurales permettant de porter atteinte à ce secret est dès lors indispensable ».

Le projet de loi du 12 juin 2013 présenté par Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, prévoyait notamment d’interdire toute atteinte au secret des sources, sauf pour « la prévention ou la répression d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation », d’étendre la protection du secret des sources aux collaborateurs de la rédaction ou encore d’interdire la condamnation d’un journaliste pour le délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, d’une violation du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée.

Il faut souligner que l’exception au secret des sources proposée par le projet de loi du 12 juin 2013 s’était considérablement élargie par rapport au projet de texte initial, qui prévoyait qu’il « ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que pour prévenir ou réprimer la commission soit d’un crime, soit d’un délit constituant une atteinte grave à la personne », avec deux conditions cumulatives : que les informations revêtent « une importance cruciale » et qu’elles ne puissent « être obtenues d’aucune autre manière ». Le motif d’exception au secret des sources finalement retenu dans le projet de loi après l’avis du Conseil d’État, à savoir « la prévention ou la répression d’une atteinte grave à la personne ou aux intérêts fondamentaux de la Nation » ne s’avérait en réalité pas très différent du dispositif en vigueur depuis 2010.

Toutefois, certaines avancées, notamment procédurales, auraient pu être entérinées par l’adoption du projet de loi de juin 2013, telle que l’obtention obligatoire préalable, par les procureurs ou les juges d’instruction, de l’autorisation du juge des libertés et de la détention pour porter atteinte au secret des sources.

2.   Les dispositions de l’article 4 de la loi Bloche

Dès lors que le projet de loi n° 1127 présenté par Mme Christiane Taubira n’est pas allé au terme de son parcours législatif, l’examen du texte n’ayant jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat, un article additionnel a été introduit lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer l’indépendance et le pluralisme des médias afin de garantir une meilleure protection du secret des sources des journalistes.

Cet article, introduit en première lecture par la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, a repris les dispositions de l’article 1er du projet de loi du 12 juin 2013, telles qu’elles avaient été très substantiellement modifiées par les amendements adoptés par la même commission au cours de son examen pour avis du projet de loi, le 4 décembre 2013, sur le rapport de M. Michel Pouzol. Or ces amendements avaient pour conséquence de parvenir à un texte beaucoup plus proche de la version initiale du projet de loi de 2013, en limitant strictement les exceptions au respect de la protection des sources.

Le texte de la proposition de loi, adopté en lecture définitive le 6 octobre 2016 par l’Assemblée nationale ([33]), prévoyait ainsi en son article 4 une nouvelle rédaction de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 établissant un dispositif très complet visant à assurer le respect de la protection des sources.

L’article dressait notamment une liste exhaustive des titulaires du droit au respect de ce secret, soit « toute personne qui, dans l’exercice de sa profession de journaliste pour le compte d’une ou de plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne ou de communication audiovisuelle ou d’une ou de plusieurs agences de presse, pratique le recueil d’informations et leur diffusion au public ; toute personne qui exerce des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction pour le compte de l’une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1° », jusqu’au «  collaborateur de la rédaction, soit toute personne qui, par sa fonction au sein de la rédaction dans une des entreprises, publications ou agences mentionnées au 1°, est amenée à prendre connaissance d’informations permettant de découvrir une source et ce, à travers la collecte, le traitement éditorial, la production ou la diffusion de ces mêmes informations ».

L’article 4 mentionnait les exceptions au respect des sources de façon stricte et précise. Ainsi, il ne pouvait être « porté atteinte au secret des sources, directement ou indirectement qu’à titre exceptionnel et seulement si cette atteinte est justifiée soit par la prévention ou la répression d’un crime, soit par la prévention d’un délit constituant une atteinte à la personne humaine puni d’au moins sept ans d’emprisonnement ou d’un délit prévu aux titres Ier ou II du livre IV du code pénal puni d’au moins sept ans d’emprisonnement, soit par la répression d’un de ces délits lorsque celui-ci est d’une particulière gravité en raison des circonstances de sa préparation ou de sa commission ou en raison du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause et lorsque l’atteinte est justifiée par la nécessité de faire cesser le délit ou lorsqu’il existe un risque particulièrement élevé de renouvellement de celui-ci. » De plus, les mesures de nature à porter atteinte au secret des sources devaient « être strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Il est tenu compte, pour apprécier la nécessité et la proportionnalité, de la gravité des faits, des circonstances de la préparation ou de la commission de l’infraction et du nombre et de la qualité des victimes et des mis en cause ainsi que de l’importance de l’information recherchée pour la prévention ou la répression de cette infraction et de son caractère indispensable à la manifestation de la vérité. »

L’article 4 définissait en outre le régime procédural de mise en œuvre de cette exception en modifiant le code pénal et le code de procédure pénale avec l’introduction d’amendes allant jusqu’à 150 000 euros en cas de violation du respect des sources.

Ce régime très protecteur pour l’exercice de la profession de journaliste avait été largement élaboré en concertation avec leurs représentants et offrait pour la première fois un cadre juridique très complet au secret des sources. Mais l’ensemble de l’article 4 a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel.

3.   La censure du Conseil constitutionnel de l’article 4 de la loi Bloche et l’état du droit actuel

Dans sa décision n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a censuré l’ensemble de l’article 4, au motif que par ces dispositions, « le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté d’expression et de communication et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. Il n’a pas non plus assuré une conciliation équilibrée entre cette même liberté et les exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, la recherche des auteurs d’infractions et la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. » ([34])

En effet, alors que la protection des sources n’est pas reconnue comme un principe de valeur constitutionnelle, les nouvelles dispositions introduites par la loi Bloche, en restreignant les possibilités de mener certaines investigations dans le cadre de procédures pénales, pouvaient être considérées comme de nature à entraver la recherche des auteurs d’infractions et la prévention des atteintes à l’ordre public, qui sont, eux, des objectifs de valeur constitutionnelle. En outre, en excluant l’existence d’une responsabilité pénale pour certaines personnes en ce qui concerne les délits de recel de violation du secret professionnel ou de violation du secret de l’instruction et d’atteinte à l’intimité, à la vie privée, ces dispositions étaient de nature à permettre des atteintes aux droits, principes et objectifs constitutionnels protégés par ces délits, tels que le respect de la vie privée, le secret des correspondances, la présomption d’innocence ou la recherche des auteurs d’infraction.

Considérant que l’article 4 visait à créer un cadre global cohérent pour le régime de protection des sources, mais que ce cadre n’offrait pas un équilibre satisfaisant, le juge constitutionnel a censuré l’ensemble de ses dispositions pour revenir à l’état du droit antérieur.

Le régime de protection des sources est donc revenu en 2016 à celui introduit par la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, ce qu’ont regretté les journalistes auditionnés durant la mission d’évaluation, qui considèrent que cette protection est aujourd’hui encore lacunaire.

Selon les rapporteurs, le cadre législatif issu de la loi du 4 janvier 2010 doit faire l’objet d’une réflexion afin de trouver un meilleur équilibre entre la protection nécessaire d’objectifs de valeur constitutionnelle mentionnés dans la décision citée supra du Conseil constitutionnel, et l’assurance pour les journalistes de pouvoir continuer à disposer d’informations fiables grâce au plein respect du secret des sources.

En particulier, l’articulation entre la protection du secret des sources et le secret de la défense nationale pourrait être améliorée, comme l’a illustré, en septembre 2023, le placement en garde à vue, pendant près de quarante heures, de la journaliste de Disclose Ariane Lavrilleux, qui avait participé à une enquête sur une opération de renseignement franco-égyptienne (opération dite « Sirli »). De nombreuses sociétés de journalistes ont protesté contre le traitement réservé à Mme Lavrilleux ([35]) et ont émis le souhait que les états généraux de l’information puissent aboutir à des propositions fortes ; les rapporteurs s’associent à elles.

Proposition n° 11 : Procéder à une évaluation extensive de l’application de la loi du 4 janvier 2010 afin de renforcer la protection du secret des sources.

B.   une ÉphÉmÈre reconnaissance des journalistes dans l’action des lanceurs d’alerte

La notion de lanceur d’alerte, d’origine assez récente, désigne la personne qui, au sein d’une organisation, prend la décision de rendre publics des faits dont il ou elle estime qu’ils compromettent gravement l’intérêt général. En exposant publiquement des faits souvent attentatoires à la réputation de leur organisation d’origine, les lanceurs d’alerte se placent volontairement, au nom de la défense du bien commun, dans une situation de vulnérabilité. Il est donc progressivement apparu nécessaire de définir un statut spécial les mettant à l’abri des répercussions négatives pour eux de leurs révélations, tant en matière professionnelle que personnelle.

Dans le droit français, les premiers dispositifs élaborés pour offrir une protection aux lanceurs d’alerte ont été inscrits dans la loi n° 2013-316 du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ([36]) et ne concernent donc que les deux secteurs spécifiques ainsi mentionnés.

La loi Bloche avait complété par son article 5 la loi du 16 avril 2013, en spécifiant à l’article L. 5312-4-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi de 2013, que le lanceur d’alerte pouvait avoir relaté les faits « soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives », mais aussi, « en dernier ressort, à un journaliste ». L’article 5 de la loi Bloche apportait la même précision à l’article L. 1161-1 du code du travail ayant trait aux licenciements abusifs suite à la dénonciation de faits de corruption. Sur ces deux aspects, les dispositions introduites par la loi Bloche auront été de courte durée, puisque moins d’un mois plus tard, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II » venait abroger l’article L. 5312-4-2 du code de la santé publique ainsi que l’article L. 1161-1 du code du travail. En effet, la loi Sapin II visait à créer un cadre englobant et cohérent concernant le statut des lanceurs d’alerte.

En outre, la modification de l’article 226-10 du code pénal, qui incluait les journalistes dans le champ des personnes récipiendaires de dénonciations calomnieuses, a fait l’objet d’une décision d’inconstitutionnalité le 8 décembre 2016, à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de la loi Sapin II.

Depuis la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, le statut du lanceur d’alerte a été entièrement refondu, notamment pour transposer le droit européen, et a accru la protection offerte par les pouvoirs publics, en ne conditionnant plus l’alerte « externe » (aux autorités judiciaires, administratives ou à un ordre professionnel par exemple) à une préalable alerte « interne » (au sein de l’organisation ou de l’entreprise). On peut toutefois regretter que le rôle spécifique des journalistes, qui s’avèrent souvent jouer le rôle de tiers de confiance pour le recueil des signalements, ne fasse plus l’objet de dispositions spécifiques, et que la divulgation publique (qui pourrait donc passer par les journalistes) ne soit toujours possible que dans certaines situations.

En effet, l’alerte publique ne peut intervenir qu’en cas :

 d’absence de traitement à la suite d’un signalement externe dans un certain délai ;

– de risque de représailles ou si le signalement n’a aucune chance d’aboutir ;

– ou de « danger grave et imminent » ou, pour les informations obtenues dans un cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».

C.   la multiplication des procédures-bÂillons

Les procédures-bâillons ou poursuites-bâillons (désignées en anglais par l’acronyme Slapp pour « strategic lawsuits against public participation ([37]) ») consistent en une action en justice visant à intimider tout individu tentant de s’exprimer dans le débat public. Selon Mme Anne-Marie Voisard, sociologue ([38]), il s’agit de « neutraliser, censurer et réprimer des personnes ou des groupes ayant pris part au débat public dans le cadre de controverses sociales et politiques ». Ces procédures judiciaires « préventives » équivaudraient ainsi à une forme de censure contemporaine visant à entraver la liberté d’expression des associations, des chercheurs, des ONG, des lanceurs d’alerte, ou des journalistes. Ces procédures constituent une autre source d’atteinte à la liberté d’information qui n’avait pas été envisagée dans le cadre de la loi Bloche, et qui a été signalée aux rapporteurs à de nombreuses reprises par les journalistes auditionnés comme constituant une véritable menace.

En pratique, ces procédures se traduisent la plupart du temps par des poursuites en diffamation, mais peuvent également se fonder sur des dispositions juridiques complexes relevant du droit commercial, de la propriété intellectuelle ou du secret des affaires. Lorsqu’elles concernent des journalistes, ces pratiques interviennent souvent à la suite d’une série de pressions et de menaces de représailles judiciaires. Dès lors que ces premières stratégies d’intimidation n’auraient pas porté leurs fruits, le requérant peut décider d’engager des procédures judiciaires lourdes, longues et coûteuses, mais comparativement plus supportables pour la partie qui les met en œuvre. En effet, les procédures-bâillons opposent généralement deux parties aux pouvoirs et aux moyens très asymétriques (par exemple, un grand groupe industriel très doté en capital et susceptible de mobiliser de nombreux experts et conseils juridiques attaque en justice un journal aux ressources financières limitées).

Le sujet des procédures-bâillons a fait l’objet d’une étude commandée en 2021 par la commission des affaires juridiques du Parlement européen ([39]), qui y voit une menace réelle pour la liberté d’information. L’étude menée montre que ces pratiques judiciaires abusives n’ont pas nécessairement vocation à obtenir une victoire juridique sur le fond, mais « à déployer des frais de procédure et des menaces de dommages-intérêts disproportionnés pour réduire au silence le défendeur dans une action donnée, et à avoir un "effet dissuasif " plus large ». Au regard de leurs objectifs, ces poursuites judiciaires peuvent être abandonnées à n’importe quel stade de la procédure, une fois que le requérant est parvenu à réduire au silence les journalistes visés.

Lors des auditions menées par les rapporteurs, des professionnels des médias ont rapporté l’existence de telles procédures contre la diffusion sur le service public d’un reportage concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Pour autant, les autorités publiques ne disposent pas d’une connaissance consolidée du nombre et de la fréquence de ces procédures souvent abusives, ce qui ne facilite pas leur analyse.

Proposition n° 12 : Mener un travail de recension auprès des médias des procédures-bâillons initiées afin de les conduire à retarder ou annuler la diffusion d’un contenu pour mieux évaluer l’ampleur de ce phénomène au niveau national.

La Commission européenne alertait également en 2022, dans son rapport sur l’État de droit dans l’Union ([40]), sur la recrudescence de ces procédures-bâillons et invitait les États membres à mettre en œuvre des garanties procédurales afin de renforcer la sécurité juridique des journalistes. Dans l’édition 2023 du même rapport, la Commission européenne a insisté sur le fait que « des garanties effectives sont nécessaires pour empêcher que ce type de harcèlement ne réduise les journalistes au silence et n’ait un effet dissuasif sur la liberté des médias et la liberté d’expression » ([41]). L’institution note par ailleurs que certains pays de l’Union européenne ont commencé à mettre en place des législations plus protectrices pour le travail des journalistes. Ainsi, une législation portant sur l’autorisation du rejet anticipé des affaires relevant de procédures-bâillons et sur la révision de la responsabilité pénale en matière de diffamation a été adoptée en Lituanie, tandis qu’en Italie des réflexions ont été initiées afin de réformer les dispositions sur la diffamation et la protection du secret professionnel et des sources journalistiques.

Les procédures judiciaires ne doivent pas devenir un moyen détourné de pression empêchant la diffusion de l’information : si ces procédures existaient déjà au moment de l’adoption de la loi Bloche, leur multiplication et l’évident déséquilibre des forces en présence conduit les rapporteurs à souhaiter que soit menée de façon urgente une réflexion au plan national sur ces pratiques qui menacent la liberté d’expression, afin de contribuer pleinement aux discussions européennes en cours.

En novembre 2023 est intervenu un accord politique provisoire entre le Parlement européen et le Conseil sur de nouvelles règles au sein de l’Union visant à protéger les personnes visées par des poursuites abusives altérant le débat public, telles que les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme ou les organisations de la société civile. La directive proposée par la Commission en avril 2022 ([42]) crée un système de garanties procédurales efficaces pour les affaires de poursuites-bâillons transfrontières. L’existence de ces garanties devrait aider les juridictions à traiter les recours abusifs, mais dissuader également les demandeurs potentiels de s’y livrer.

Les nouvelles règles envisagées pourraient comprendre :

– le rejet rapide des demandes manifestement infondées ;

– des mesures pour lutter contre les procédures judiciaires abusives, y compris l’adjudication intégrale des dépens au requérant et l’imposition de sanctions ou d’autres mesures appropriées ;

– la protection contre les décisions de pays tiers qui ne seront ni reconnues ni exécutées dans l’Union.

Proposition n° 13 : Transposer au plus vite les dispositions de la directive relative aux procédures-bâillons afin de sanctionner efficacement les procédures judiciaires abusives visant les journalistes.

IV.   la transparence de l’actionnariat

Lors d’une cession de droits sociaux donnant à un cessionnaire au moins un tiers du capital social ou des droits de vote, ou d’un transfert de propriété ou d’exploitation d’un titre de publication de presse ou d’un service de presse en ligne (SPEL), l’entreprise doit en informer les lecteurs. L’article 19 de la loi Bloche modifiant l’article 6 de la loi du 1er août 1986 précise que cette obligation incombe au cédant. La modification du statut de l’entreprise éditrice et les changements dans les dirigeants ou actionnaires de l’entreprise sont également portés à la connaissance des lecteurs. De plus, en cas de détention par toute personne physique ou morale d’une part supérieure ou égale à 5 % du capital, la composition du capital, l’identité et la part d’actions de chacun des actionnaires doivent être communiquées aux lecteurs ou internautes chaque année. La composition de ses organes dirigeants est aussi communiquée annuellement.

Si une entreprise éditrice contrevient à ces dispositions, au droit d’opposition, à la rédaction d’une charte déontologique ou aux obligations de l’article 5 de la loi du 1er août 1986, les aides publiques dont elle bénéficie peuvent être suspendues totalement ou partiellement (article 20 de la loi Bloche, qui créé l’article 15-1 au sein de la loi du 1er août 1986).

Aujourd’hui, les dispositions de la loi Bloche concernant la transparence de l’actionnariat ne semblent pas poser de problème d’application.


   Deuxième partie : la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias audiovisuels

L’activité du secteur de la presse écrite n’est pas régulée par un organisme extérieur doté de prérogatives légales. Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), association régie par la loi du 1er juillet 1901, est une instance de médiation entre les journalistes, les médias, les agents de presse et le public, non une institution chargée de veiller au respect par la presse écrite de ses obligations légales et réglementaires (cf. supra). Il en va autrement pour le secteur de l’audiovisuel, le législateur ayant confié à une autorité administrative indépendante, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) le soin de veiller au respect, par les services de télévision et de radio, de leurs obligations légales et réglementaires. L’Arcom doit notamment s’assurer du respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes de ces services, en particulier pour les émissions d’information politique et générale (IPG) ([43]).

En 2016, le législateur a étendu les missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ([44]) à la garantie de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent.

I.   L’Arcom, garant de l’honnêteté, de l’indépendance et du pluralisme de l’information

A.   La loi Bloche a entendu protéger l’indépendance et l’honnêteté de l’information au même titre que le pluralisme

Le principe d’honnêteté de l’information a été introduit dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel par la décision n° 86-2017 DC du 18 septembre 1986 ([45]). Dans cette décision, le Conseil constitutionnel, tout en élevant le pluralisme des courants d’expression socioculturels au rang d’objectif de valeur constitutionnelle, a qualifié l’honnêteté de l’information d’« impératif », indissociable du pluralisme. En 1994, le Conseil constitutionnel a défini l’honnêteté de l’information comme une condition du pluralisme : « L’objectif du pluralisme doit s’analyser comme permettant au public de disposer aussi bien dans le cadre du secteur privé que dans celui du secteur public de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractère différent dans le respect de l’honnêteté de l’information » ([46]). Le respect de ce principe exige la diffusion d’informations fiables, précises, dont le bien-fondé et les sources doivent être vérifiés, conformément à l’article premier de la délibération du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information de l’Arcom (cf. infra).

L’indépendance des médias a également été consacrée comme un objectif de valeur constitutionnelle en 2009 ([47]), après que le constituant a décidé de confier au législateur le soin de fixer les règles concernant « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » ([48]). Par la suite, le Conseil constitutionnel a consacré un « objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme et d’indépendance des quotidiens d’information politique et générale » ([49]).

1.   Jusqu’en 2016, le régulateur ne disposait pas de base légale pour faire respecter les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information

Les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information ne disposaient pas de la même assise légale que le principe de pluralisme. L’article 29 de la loi du 30 septembre 1986 prévoyait ainsi que le régulateur devait délivrer les autorisations de diffusion par voie hertzienne « au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socioculturels […] » et en tenant compte, « pour les services dont les programmes comportent des émissions d’information politique et générale, des dispositions envisagées en vue de garantir le caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion, l’honnêteté de l’information et son indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ». Par ailleurs, la délivrance de l’autorisation était subordonnée à la conclusion d’une convention entre le régulateur et l’éditeur, « dans le respect de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes » ([50]).

Bien que le régulateur pouvait assurer le respect des principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information via les conventions signées avec les éditeurs, ces principes ne figuraient pas à l’article 3-1 de la loi précitée et, dès lors, ne bénéficiaient pas de la même protection. M. Patrick Bloche, rapporteur de la proposition de loi, relevait ainsi dans son rapport, fait en première lecture, qu’il résultait des dispositions des articles 28 et 29 de la loi du 30 septembre 1986 « un degré d’intensité très variable des stipulations conventionnelles destinées à garantir ces deux principes ». Le rapporteur notait également que « le CSA n’a ainsi la faculté d’adresser, en application de l’article 3-1 de la loi, des recommandations générales aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle que pour veiller au respect du pluralisme, seul principe explicitement mentionné dans la loi du 30 septembre 1986, tant dans son article 1er où il figure parmi ceux qui, en cas de non-respect, peuvent limiter l’exercice de la liberté de communication audiovisuelle que dans son article 13 qui en précise la portée. En revanche, les principes d’honnêteté et d’indépendance ne sont garantis que dans le cadre de procédures particulières et présentent dès lors un degré de protection inégale selon les éditeurs. »

2.   La loi Bloche a chargé le régulateur de garantir l’indépendance et l’honnêteté de l’information au même titre que le pluralisme

L’article 6 de la loi Bloche a modifié l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose désormais, en son troisième alinéa, que le régulateur – dorénavant l’Arcom – « garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent. À cet effet, elle veille notamment à ce que les conventions conclues en application de la présente loi avec les éditeurs de services de télévision et de radio garantissent le respect de l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. » En outre, elle « s’assure que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes ».

Les articles 7 et 8 de la loi Bloche ont prévu que les conventions conclues entre le régulateur et les services de radio et de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre (article 28 de la loi du 30 septembre 1986), ainsi que les services distribués sur les autres réseaux (câble et satellite, article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986) précisent les mesures à mettre en œuvre pour garantir le respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information.

Enfin, les articles 9 et 10 de la loi Bloche ont modifié les articles 28-1 et 29 de la loi du 30 septembre 1986. Désormais, la reconduction simplifiée (hors appel à candidatures) et le renouvellement des autorisations d’émettre délivrées aux services de radio et de télévision sont conditionnés au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information. Ainsi, l’Arcom peut désormais ne pas renouveler une autorisation de diffusion en cas de manquement à ces principes.

B.   La mise en œuvre prudente par l’Arcom des nouvelles prérogatives résultant de la loi Bloche

1.   L’adoption de la délibération relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent

En application du dernier alinéa de l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ([51]), le CSA a adopté le 18 avril 2018 une délibération n° 201811 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent ([52]), qui précise la portée des obligations que les éditeurs de services audiovisuels doivent respecter en application de la loi Bloche.

Conformément à l’article 18 de la loi du 30 septembre 1986, complété par l’article 13 de la loi Bloche, le rapport annuel de l’Arcom présente un bilan du respect par les éditeurs de services des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des mesures prises par l’Arcom pour mettre fin aux manquements constatés.

L’article premier de la délibération rappelle que « l’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent. Il veille à éviter toute confusion entre information et divertissement. Pour ses émissions d’information politique et générale, l’éditeur fait appel à des journalistes. » Pour respecter le principe d’honnêteté de l’information, l’éditeur doit garantir « le bien-fondé et les sources » des informations diffusées, l’Arcom exigeant que, dans la mesure du possible, l’origine des informations présentées soit indiquée. Quant aux informations incertaines, elles doivent être présentées au conditionnel.

En outre, l’éditeur doit faire « preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne. »

Selon les informations transmises aux rapporteurs par l’Arcom, l’exigence de rigueur implique de contextualiser les informations diffusées. Par exemple, la reconstitution ou la scénarisation de faits réels ou supposés doit être présentée comme telle. En outre, l’éditeur doit veiller à utiliser les images en adéquation avec les propos qu’elles illustrent, notamment en veillant à ce que les montages ne déforment pas le sens des propos ou des images recueillis.

 

L’Arcom analyse au cas par cas la notion de « question prêtant à controverse ». Elle attribue notamment cette qualification aux sujets sensibles ou clivants, qui polarisent l’opinion publique, à l’instar de la vaccination contre le covid-19, la guerre en Ukraine ou le conflit entre Israël et le Hamas. Selon l’Arcom, un équilibre doit être recherché entre une définition trop large de la notion, qui pourrait imposer à l’éditeur l’expression de différents points de vue sur un très grand nombre de sujets et, partant, constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, et une définition trop restrictive, qui rendrait l’obligation sans effet.

L’Arcom est intervenue à plusieurs reprises pour faire respecter les dispositions de l’article premier de la délibération, en se limitant, dans la grande majorité des cas, à des mises en garde ou des mises en demeure (cf. infra). Par une décision du 20 avril 2022 ([53]), une sanction à hauteur d’un euro a été prononcée à l’encontre du service de télévision Cnews, « suite à la diffusion, le 1er février 2022, de l’émission L’heure des pros 2, au cours de laquelle des propos contestables relatifs aux origines du ghetto de Varsovie ont été tenus, sans susciter aucune réaction de la part des personnes présentes en plateau » ([54]). Il s’agit de la seule sanction prononcée par l’Arcom, de 2018 à 2022, sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018 (cf. infra).

S’agissant des mises en demeure, l’Arcom a été amenée à en prononcer plusieurs sur le fondement de l’article premier de la délibération, dont trois en 2022. L’une d’entre elles, prononcée en novembre 2022 ([55]) dans le cadre de l’affaire dite « Lola » avait été particulièrement médiatisée. Sur le plateau de l’émission Touche pas à mon poste !  M. Cyril Hanouna, présentateur de l’émission, avait tenu, selon l’Arcom, « des propos dépourvus de toute mesure concernant, entre autres, les conditions dans lesquelles le procès devait se tenir, la peine à infliger et le profil psychologique de la personne mise en examen […], alors même que l’instruction judiciaire était en cours » ([56]).

Une illustration du pouvoir de sanction du CSA :
une mise en demeure validée par le Conseil d’État

Le 16 décembre 2020, le CSA a prononcé une mise en demeure de la société Diversité TV France, éditeur des services RMC et RMC Story, suite à des propos controversés tenus à l’antenne par le professeur Christian Perronne, relatifs à l’épidémie de covid-19. Le CSA a notamment estimé que « les déclarations de l’invité sur le recul de l’épidémie et de la mortalité ne reflétaient manifestement pas, en l’état des informations alors disponibles, la situation épidémique en France et dans le monde. Or, d’une part, cet invité était le seul membre du corps médical présent en plateau et, d’autre part, ces déclarations n’ont pas fait l’objet d’une contradiction suffisante par les autres participants, ni par les journalistes. Ces derniers se sont en effet limités à réinterroger l’invité et à rappeler l’existence de points de vue opposés au sein du corps médical. » (1)

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État a jugé que les conventions conclues entre le CSA et les éditeurs de services audiovisuels « ne font pas obstacle à la définition par l’éditeur du service conventionné d’une ligne éditoriale qui peut le conduire à faire intervenir à l’antenne des personnalités développant les thèses les plus controversées, dont les propos ne sauraient être regardés comme relevant par eux-mêmes de la présentation et du traitement de l’information par l’éditeur du service. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l’information, concourent à son traitement, même sous l’angle de la polémique, de n’aborder les questions prêtant à controverse qu’en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l’expression de points de vue différents. » Dès lors, la haute juridiction administrative a décidé qu’ « en estimant que ces faits justifiaient que les éditeurs des services concernés soient mis en demeure de se conformer à l’avenir à leur obligation d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information ainsi qu’à leur obligation de veiller à l’expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse, le CSA n’a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu’il tient des articles 42 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi que des stipulations conventionnelles rappelées ci-dessus en matière d’expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse. Il a également estimé à juste titre que les éditeurs des services concernés avaient manqué à leurs obligations de maîtrise de l’antenne. » (2)

(1)    Décision n° 2020-975 du 16 décembre 2020 mettant en demeure la société Diversité TV.

(2)    Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 29 novembre 2022, n° 452762.

L’article 2 de la délibération développe les obligations d’honnêteté et de rigueur que doivent respecter les éditeurs.

Article 2 de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du CSA relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent

L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images, des propos ou des sons ont été recueillis et le sujet qu’ils viennent illustrer. Toute utilisation d’archives est annoncée par une incrustation à l’écran ou, pour les services de radio, par une mention à l’antenne, éventuellement répétées. Si nécessaire, mention est faite de l’origine des archives.

Les images, les propos ou les sons reproduits pour une reconstitution ou une scénarisation de faits réels, ou supposés tels, doivent être présentés comme tels au public.

Dans les émissions d’information, l’éditeur s’interdit de recourir à des procédés permettant de modifier le sens ou le contenu des images, des propos ou des sons. Dans les programmes qui concourent à l’information, sous réserve de la caricature ou du pastiche clairement présentés comme tels au public, lorsqu’il est fait usage de tels procédés, ceux-ci ne peuvent déformer le sens ou le contenu initial des images, des propos ou des sons recueillis, ni abuser le public.

Le recours aux procédés permettant de recueillir des images, des propos ou des sons à l’insu des personnes filmées ou enregistrées doit être limité aux nécessités de l’information du public. Il doit être restreint aux cas où il permet d’obtenir des informations difficiles à recueillir autrement. Il doit être porté à la connaissance du public. Les personnes et les lieux ne doivent pas pouvoir être identifiés, sauf exception ou si le consentement des personnes a été recueilli préalablement à la diffusion de la séquence.

Le recours aux procédés de « micro-trottoir » ou de vote du public, qui ne peut être qualifié de sondage, ne doit pas être présenté comme représentatif de l’opinion générale ou d’un groupe en particulier, ni abuser le public sur la compétence ou l’autorité des personnes sollicitées.

À titre d’illustration, le 7 décembre 2022, l’Arcom a mis en garde France 2 à la suite de la diffusion d’un reportage consacré à la guerre en Ukraine dans le « Journal de 20 heures » du 10 août 2022. Selon l’Arcom, le reportage avait fourni aux téléspectateurs une information erronée, traduisant une inadéquation entre le contexte dans lequel des images avaient été recueillies et le sujet qu’elles venaient illustrer.

L’article 3 de la délibération fixe aux éditeurs un certain nombre d’obligations dans le traitement des affaires judiciaires. Ainsi, la diffusion d’émissions, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires, ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire, « nécessite qu’une attention particulière soit portée au respect de la vie privée, au respect de la présomption d’innocence, ainsi qu’à l’anonymat des mineurs délinquants […] ».

En outre, l’éditeur doit veiller, dans la présentation d’un acte ou d’une décision juridictionnels, « à ce qu’il ne soit pas commenté de manière à jeter publiquement le discrédit dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. »

Enfin, lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée à l’antenne, l’éditeur doit veiller à ce que :

– le traitement de l’affaire soit mesuré, rigoureux et honnête ;

– ce traitement « ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure » ;

– l’ensemble des thèses en présence puissent être présentées, et l’ensemble des points de vue connus.

Plusieurs mises en demeure ont été prononcées par l’Arcom sur le fondement des dispositions de l’article 3 de la délibération. Outre la mise en demeure précitée prononcée à l’encontre de la société C8, dans le cadre de l’affaire dite « Lola » ([57]), une mise en demeure a été prononcée, le 5 juin 2019, à l’encontre de la chaîne NRJ12. L’Arcom reprochait à cette dernière d’avoir, dans le cadre d’une émission consacrée à un homicide, accrédité la thèse de l’une des parties, « sans nuance ni mise en perspective » ([58]).

Le 25 mai 2021, l’Arcom a mis en garde la chaîne de télévision CNews, du fait d’une séquence de l’émission « L’heure des pros 2 » du 9 septembre 2020, consacrée à l’agression d’une jeune fille à Reims, et qui n’avait pas garanti l’anonymat des mineurs exposés.

Les articles 4 et 5 de la délibération fixent des exigences relatives à l’indépendance de l’information au regard des intérêts des actionnaires et des annonceurs dans les services audiovisuels. À la demande de l’Arcom, l’éditeur doit préciser les mesures qu’il met en œuvre à cette fin. En particulier, l’article 4 prévoit que « lorsque l’éditeur présente à l’antenne, en dehors des écrans publicitaires, des activités développées par une personne morale ou physique avec laquelle il a des liens capitalistiques directs ou indirects, il s’attache, notamment par la modération du ton et la mesure dans l’importance accordée au sujet, à ce que cette présentation revête un caractère strictement informatif. À cette occasion, il indique au public la nature de ces liens. » L’article 5 prévoit que « compte tenu de l’enjeu particulier qui s’attache à leur format, les conventions des services de télévision d’information en continu diffusés par voie hertzienne terrestre fixent, en application de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986, les stipulations particulières à chacun d’eux visant à préserver l’indépendance de l’information à l’égard des intérêts des actionnaires. »

Le 9 février 2023, l’Arcom a mis en demeure la chaîne C8 sur le fondement de l’article 4 de la délibération. L’Arcom a jugé que lors de l’émission Touche pas à mon poste ! du 10 novembre 2022, un invité avait été « explicitement empêché d’exprimer en plateau un point de vue critique à l’égard d’un actionnaire du Groupe Canal +, auquel appartient le service de télévision C8. Par suite, l’émission n’a pas été réalisée dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information à l’égard des intérêts économiques d’un de ses actionnaires. » ([59])

Si, en l’espèce, le manquement à l’article 4 était manifeste, le respect du principe d’indépendance à l’égard des intérêts économiques des actionnaires est difficile à évaluer, comme l’a rappelé lors de son audition M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom. Cependant, le respect de ce principe peut être apprécié selon plusieurs méthodes, ainsi que l’a jugé le Conseil d’État dans une récente décision ([60]).

Statuant sur une requête de l’association Reporters sans frontières – RSF – (cf. infra), qui reprochait à l’Arcom de ne pas agir pour faire cesser des « immixtions dans la programmation de la chaîne contraires aux exigences d’indépendance », le Conseil d’État s’est prononcé sur les modalités par lesquelles l’Arcom veille au respect de l’indépendance de l’information. Selon la haute juridiction administrative, il résulte de la loi du 30 septembre 1986 que « les obligations d’un éditeur de service en matière d’indépendance de l’information sont au nombre de celles dont la méconnaissance peut être constatée par l’Arcom non seulement au regard d’un programme donné, mais également au regard de l’ensemble de ses conditions de fonctionnement et des caractéristiques de sa programmation ». Dès lors, le Conseil d’État a jugé qu’« en se bornant, pour rejeter la demande qui lui était adressée sur ce point par l’association requérante, à relever qu’elle ne pouvait intervenir que si la matérialité d’un manquement était établie au cours d’une séquence identifiée, l’Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 ». Dans un communiqué de presse ([61]), le Conseil d’État a précisé que la réponse de l’Arcom à RSF, intervenue le 5 avril 2022, par laquelle l’autorité de régulation avançait avait répondu qu’elle ne pouvait se prononcer sur le respect de l’indépendance de l’information que sur la base d’exemples précis, dans des séquences données, n’était pas satisfaisante : « L’indépendance ne s’apprécie pas seulement au regard d’extraits d’une émission spécifique mais aussi à l’échelle de l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation. Il appartient donc à l’Arcom de se prononcer à nouveau en procédant à cet examen. »

Les rapporteurs saluent la décision du Conseil d’État, qui s’est prononcé en faveur d’une interprétation large des dispositions de la loi du 30 septembre 1986, conforme à l’esprit de cette dernière, À leur sens, le respect de l’indépendance de l’information ne peut s’apprécier uniquement sur la base de séquences données ; ce sont bien les conditions globales de production de l’information qui doivent être prises en compte. Il appartiendra à l’Arcom de pleinement tenir compte de cette décision. Les rapporteurs, pour leur part, en suivront attentivement la bonne mise en œuvre.

2.   La loi confère à l’Arcom un pouvoir de sanction pour faire respecter les obligations fixées aux éditeurs

a.   Le cadre juridique

Les manquements aux principes d’honnêteté, de transparence et de pluralisme de l’information peuvent être sanctionnés par l’Arcom. L’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit ainsi que « les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 », c’est-à-dire, notamment, les principes posés par la loi Bloche.

L’engagement d’une procédure de mise en demeure peut être réclamé à l’Arcom par plusieurs acteurs, tels que les organisations professionnelles et syndicales représentatives du secteur de la communication audiovisuelle, les organismes de gestion collective ou des associations spécialisées. L’article 17 de la loi Bloche a par ailleurs étendu la saisine de l’Arcom aux organisations de défense de la liberté de l’information reconnues d’utilité publique en France ([62]).

Si la personne faisant l’objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l’Arcom peut prononcer une sanction à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l’objet d’une mise en demeure. Aux termes de l’article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, quatre types de sanctions peuvent être prononcés :

– la suspension, pour un mois au plus, de l’édition, de la diffusion ou de la distribution du ou des services, d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ou d’une ou plusieurs séquences publicitaires ;

– la réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ;

– une sanction pécuniaire assortie éventuellement d’une suspension de l’édition ou de la distribution du ou des services ou d’une partie du programme ;

– le retrait de l’autorisation ou la résiliation unilatérale de la convention.

Enfin, l’article 42-10 de la loi précitée prévoit que le président de l’Arcom, pour l’exécution de ses missions et en cas de manquement aux obligations résultant des dispositions de la même loi, peut saisir la justice afin qu’il soit ordonné à la personne responsable du manquement de se conformer à ces dispositions, de mettre fin à l’irrégularité ou d’en supprimer les effets.

Les interventions de l’Arcom à l’égard des services de communication audiovisuelle

Lorsque l’Arcom relève un manquement d’un éditeur à ses obligations légales, réglementaires ou conventionnelles, plusieurs leviers d’intervention, gradués, sont à sa disposition pour faire cesser le manquement constaté :

– la lettre de rappel : lorsqu’un manquement aux obligations est caractérisé dans une séquence, l’Autorité peut adresser un courrier de rappel à l’éditeur concerné, lui demandant de veiller à respecter ses obligations ;

– la mise en garde : lorsque l’Autorité constate la répétition d’un manquement par un éditeur à l’une de ses obligations, elle peut adresser une mise en garde ;

– la mise en demeure : lorsqu’un éditeur déjà mis en garde pour manquement à une obligation répète un manquement similaire, l’Autorité peut prononcer à son endroit une mise en demeure ;

– les sanctions : en application de la loi du 30 septembre 1986, lorsque les éditeurs méconnaissent leurs obligations, l’Autorité peut décider, après une procédure conduite par un rapporteur indépendant, de mettre en œuvre une des sanctions administratives prévues par la loi.

b.   Seulement deux sanctions ont été prononcées par l’Arcom sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018

Les dossiers instruits sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018 représentent une part importante de l’ensemble des dossiers concernant la déontologie des programmes : 48,9 % en moyenne entre 2019 et 2022 ([63]).

Selon les données communiquées par le régulateur aux rapporteurs, le nombre d’interventions de l’Arcom sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018 est largement supérieur aux interventions fondées sur d’autres obligations déontologiques. En 2022, les interventions de l’Arcom sur le fondement de la délibération précitée ont ainsi représenté 72,7 % du total des interventions en déontologie (8 interventions fondées sur la délibération et 3 autres interventions).

Entre 2019 et 2022, 86,1 % des dossiers traités avaient trait aux obligations d’honnêteté, de rigueur et d’expression de différents points de vue sur des questions prêtant à controverse dans la présentation et le traitement de la délibération (article premier de la délibération).

Entre 2019 et 2022, le CSA puis l’Arcom sont intervenus à 36 reprises auprès des éditeurs de services audiovisuels pour des manquements aux dispositions de la délibération du 18 avril 2018. Dix mises en demeure ont été prononcées, onze mises en garde et neuf lettres de rappel ont été adressées aux éditeurs. Une sanction symbolique a été prononcée (cf. supra). Selon les rapporteurs, l’absence quasi-totale de sanctions prononcées, situation insatisfaisante, tient à plusieurs facteurs : d’une part, une interprétation trop restrictive par le régulateur des dispositions de la loi du 30 septembre 1986, et, d’autre part, la complexité et la lourdeur de la procédure de sanction instituée par la même loi.

La détérioration de la confiance des Français dans les médias, soulignée par les rapporteurs dans la première partie du présent rapport d’information, est très préoccupante. S’agissant des médias télévisuels, le niveau de confiance apparaît faible. En 2023, seulement 52 % des Français font confiance aux chaînes d’information en continu. Même si 76 % des Français déclarent regarder ces chaînes pour s’informer, 73 % d’entre eux estiment qu’elles ont tendance à se concentrer sur un seul sujet et à négliger les autres, et 66 % estiment qu’elles donnent trop souvent la parole à des personnes qui ne sont pas expertes du sujet. 56 % seulement des Français jugent qu’elles permettent d’entendre différents points de vue ([64]).

Face à ce constat pour le moins inquiétant, l’Arcom doit pleinement jouer son rôle de garant de l’honnêteté, du pluralisme et de l’indépendance de l’information, trois principes dont seule une application rigoureuse pourra contribuer à restaurer durablement la confiance des Français dans les médias.

Or, depuis l’adoption de la délibération du 18 avril 2018, l’Arcom n’a prononcé que deux sanctions, à l’encontre de la chaîne CNews.

Pour la première fois depuis 2018, une sanction pécuniaire substantielle a été prononcée, au début de l’année 2024, à l’encontre de la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI), titulaire de l’autorisation de diffusion de la chaîne CNews, sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018. La SESI avait été mise en demeure à deux reprises en 2022 et sanctionnée, par une décision précitée du 20 avril 2022, à hauteur d’un euro ([65]).

Lors d’une séquence de l’émission Face à l’info, diffusée le 24 septembre 2022, les résultats d’un « classement » des villes internationales les plus sûres avaient été présentés comme des faits établis, alors même qu’ils étaient dépourvus de caractère scientifique et fondés sur des données non officielles. L’Arcom a relevé que la présentation dudit « classement » « aurait dû appeler à des précautions de la part de l’éditeur, qui ne pouvait présenter les résultats de ce dernier comme des faits établis ». Tel n’a pas été le cas, ce qui a conduit le régulateur à juger que « l’éditeur ne s’est pas conformé à son obligation de faire preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information » et a, partant, « méconnu les stipulations de l’article 2-3-7 de sa convention et les dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie ».

En outre, l’Arcom a relevé un manquement à l’obligation d’expression des différents points de vue sur des questions prêtant à controverse, telle que formulée par l’article premier de la délibération : « Il ressort également du compte rendu de visionnage de la séquence mentionnée au point 4 que les personnes présentes en plateau ont toutes déploré ce résultat et formulé une opinion identique sur la dangerosité de la France et notamment de Paris par rapport à d’autres villes et pays dans le monde, aboutissant à un déséquilibre marqué dans le traitement de ce sujet, a fortiori sur le seul fondement d’un "classement" contestable présenté à tort comme un fait établi ».

Dès lors, l’Arcom a prononcé, le 17 janvier 2024, une sanction pécuniaire d’un montant de 50 000 euros à l’encontre de la SESI.

Les rapporteurs saluent la décision de l’Arcom, qui a rappelé à ses obligations un éditeur déjà rappelé à l’ordre à plusieurs reprises pour des manquements à la déontologie.

Ils souscrivent à l’interprétation du Conseil d’État, qui s’inscrit pleinement dans la lettre de la loi. Selon eux, l’Arcom a été très prudente dans l’application de la loi du 30 septembre 1986, permettant l’émergence des chaînes d’opinion (cf. infra).

C.   Donner à l’Arcom les moyens de mieux garantir les principes d’honnêteté et d’indépendance de l’information

1.   La problématique des chaînes d’opinion

Plusieurs personnes auditionnées par les rapporteurs ont souligné un manque de volontarisme de l’Arcom dans la répression des atteintes aux principes d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information. M. Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, a déploré que l’Arcom accorde davantage d’attention au respect de la liberté de communication qu’au respect du pluralisme et de l’indépendance de l’information. M. Deloire est notamment revenu sur la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) introduite par RSF, que le Conseil d’État a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel ([66]).

La question prioritaire de constitutionnalité de RSF

En avril 2022, RSF a saisi le Conseil d’État d’une QPC, à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir de la décision du 5 avril 2022, par laquelle l’Arcom a rejeté sa demande tendant à ce qu’elle adresse une mise en demeure à la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI), éditeur de la chaîne CNews, sur le fondement de l’article 42 de la loi du 3 septembre 1986. RSF soutenait que le législateur, en consacrant les principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent (article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986), avait méconnu l’étendue de sa compétence en s’abstenant de définir les garanties légales propres à en assurer le respect, en particulier en n’ayant pas prévu de dispositif à même de prévenir les ingérences excessives des actionnaires dans la ligne éditoriale des éditeurs de service.

Dans une décision du 1er juillet 2022, le Conseil d’État a considéré qu’« eu égard aux prérogatives dont, en l’état de la législation, elle est dotée à cette fin, en particulier son pouvoir de mise en demeure et de sanction qu’elle est susceptible d’exercer notamment sur saisine des organisations de défense de la liberté de l’information reconnues d’utilité publique en France ou sur la base des informations transmises par le comité de personnalités prévu par l’article 30-1 de la loi du 30 septembre 1986, et qu’elle exerce sous le contrôle du juge, y compris en cas de carence dans l’exercice de ces prérogatives, l’association requérante n’est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées seraient entachées d’une incompétence négative de nature à priver de garantie légale » l’exercice de la liberté de communication, ainsi que le pluralisme et l’indépendance des médias.

À l’origine du litige, RSF considérait que la chaîne CNews ne pouvait « plus être considérée comme une chaîne d’information » mais devait être regardée comme « un média qui diffuse des opinions de manière massive et orientée – relevant souvent de la discussion de comptoir, au mépris régulièrement de l’indépendance, de l’honnêteté et du pluralisme de l’information » ([67]), alors même que la convention conclue entre le CSA et l’éditeur de la chaîne prévoit que « le service est consacré à l’information » ([68]).

À l’appui de ces accusations, RSF s’appuyait sur une étude de M. François Jost, sémiologue, professeur émérite à la Sorbonne Nouvelle ([69]). M. Jost avance qu’alors qu’en 2008 la chaîne proposait, de 6 heures à minuit, un rappel des titres tous les quarts d’heure et un journal en direct toutes les demi-heures, les titres n’occupent désormais plus qu’une « petite proportion des cases horaires, l’essentiel étant réservé aux débats. Si bien qu’on peut se demander si le qualificatif de "chaîne d’information en continu" décrit bien cette chaîne ou s’il est plus adéquat de parler à son sujet de chaîne d’opinion ». En analysant trois séquences quotidiennes de la chaîne (La Matinale, L’Heure des pros, Face à l’info), il estime que « l’information stricto sensu, comme énonciation de faits, occupe donc 13 % du temps » et que la chaîne hiérarchise particulièrement les informations sélectionnées, « en insistant fortement sur les dangers de l’immigration et de l’insécurité ». M. Jost souligne également la faiblesse du pluralisme parmi les invités de la chaîne : « les invités de gauche représentent 10 % et ceux de LREM [La République en marche] 4 %, les invités de droite et d’extrême droite représentent plus des trois quarts des présences en plateau (78 %). Parmi les invités, l’extrême droite est plus représentée par des journalistes que par des membres de partis (RN ou Reconquête). Les journalistes de Valeurs actuelles sont les plus nombreux (9), puis suivent ceux des rédactions de Causeur et de L’Incorrect. »

Tendance politique des invités de CNews sur deux semaines

Source : François Jost, CNews, un exemple de chaîne d’opinion ?, 2022

M. François Jost conclut par un parallèle éclairant entre la presse écrite et les médias audiovisuels : de la même façon qu’il existe une presse écrite d’opinion, pourquoi n’existerait-il pas également des chaînes d’opinion ? Il relève qu’« historiquement, la télévision ne relève pas de cette logique. Après des décennies de monopole, la nécessité d’un audiovisuel respectant le pluralisme est apparue comme une conquête, en sorte que les cahiers des charges ou les conventions passées avec les chaînes ont mis en avant l’obligation du "pluralisme des courants de pensée et d’opinion". » ([70]) Selon M. Jost, une chaîne d’opinion ne « correspond pas à ce devoir », notamment du fait de la « place marginale » du travail journalistique.

M. David Assouline, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale relative à la concentration des médias en France, a également rappelé dans son rapport que « la rareté des fréquences a conduit à imposer un pluralisme interne pour garantir la neutralité des antennes, sous le contrôle du régulateur, qui vérifie notamment le respect des conventions passées avec les chaînes. Si toutefois, la ligne éditoriale n’est pas l’objet d’un contrôle, le pluralisme des expressions et des idées fait partie des conventions qui sont contrôlées. » ([71])

Cette problématique a été évoquée par M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, au cours de son audition par les rapporteurs. M. Maistre a jugé que ce fait nouveau du paysage audiovisuel français n’avait pas été traité par la loi Bloche. Selon lui, l’origine de la montée en puissance, sur les chaînes d’information, des débats au détriment de l’information stricto sensu, est à rechercher dans la volonté des éditeurs de réaliser des économies – l’animation d’un débat coûtant moins cher que la production d’un reportage –, dans un contexte de concurrence accrue entre quatre chaînes d’information, qui luttent pour sauvegarder leurs ressources publicitaires. Si la loi Bloche a consacré le principe de pluralisme à l’article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, elle n’en a pas précisé les conditions d’exercice. Selon M. Maistre, les règles applicables en matière de pluralisme concernent le pluralisme politique, c’est-à-dire les responsables politiques. De fait, le CSA a adopté en novembre 2017 une délibération relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision ([72]), qui mentionne les interventions du Président de la République, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement, ainsi que des partis et groupements politiques. M. Maistre a affirmé que ces règles de pluralisme étaient respectées par l’ensemble des chaînes, y compris CNews. Dans sa récente décision précitée, le Conseil d’État a, sur ce point, donné tort à l’Arcom.

La décision du Conseil d’État du 13 février 2024 (n° 463162)

Si le Conseil d’État avait rejeté, le 1er juillet 2022, la question prioritaire de constitutionnalité formulée par Reporters sans frontières (cf. supra), il ne s’était pas prononcé sur la requête principale, à savoir le rejet par l’Arcom, le 5 avril 2022, d’une demande de RSF tendant à ce que le régulateur mette en demeure la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI) sur le fondement de l’article 42 de la loi du 30 septembre 1986. Selon RSF, c’est à tort que l’Arcom avait refusé de mettre en demeure la SESI de se conformer à ses obligations en matière d’honnêteté et d’indépendance dans le traitement de l’information, ainsi qu’en matière de pluralisme de l’information. Le 13 février 2024, le Conseil d’État a annulé la décision du 5 avril 2022 de l’Arcom et a enjoint à celle-ci de « procéder au réexamen de la demande de l’association RSF en tant qu’elle porte sur la demande de mettre en demeure l’éditeur du service CNews de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information, et de prendre une nouvelle décision dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision ».

Le Conseil d’État a d’abord refusé de considérer que le service CNews ne respectait pas l’article 3-1-1 de sa convention, qui prévoit qu’il est « consacré à l’information » et « offre un programme réactualisé en temps réel couvrant tous les domaines de l’actualité ». Selon le Conseil d’État, « ce service propose, sous forme de journaux ou d’émissions de plateau, un programme consacré à l’information couvrant l’ensemble des domaines de l’actualité et que la chaîne assure une actualisation régulière de son programme, sous la forme de bandeaux d’information déroulants et de rappels, tous les quarts d’heure, des principaux titres de l’actualité ainsi que, le cas échéant, par la diffusion d’éditions spéciales en lien avec l’actualité ». Bien que le Conseil d’État reconnaisse « la place des émissions de débat dans la programmation de la chaîne », celle-ci n’est pas suffisante, en elle-même, pour remettre en cause la qualité de CNews en tant que service consacré à l’information.

En revanche, s’agissant du respect des obligations en matière de pluralisme de l’information, le Conseil d’État a donné raison à RSF. Tout en rappelant que l’association « faisait valoir que la chaîne n’assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l’antenne, notamment à l’occasion des débats sur des questions prêtant à controverse », le Conseil d’État a relevé que, « pour refuser de mettre en demeure l’éditeur de ce service de se conformer à ses obligations en matière de pluralisme, l’Arcom s’est bornée à apprécier le respect du pluralisme au seul regard du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques, en considérant, comme cela ressort de sa réponse à la demande de mise en demeure ainsi que de ses écritures en défense, que le non-respect allégué de la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés n’était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence ». Ainsi, le Conseil d’État a jugé que le pluralisme de l’information ne pouvait s’apprécier seulement à l’aune du décompte des temps de parole des personnalités politiques : « Suivant des modalités qu’il lui appartient de définir, l’Arcom doit veiller à ce que les chaînes assurent, dans le respect de leur liberté éditoriale, l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions en tenant compte des interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités. »

Les rapporteurs saluent cette importante décision, qui permettra à l’Arcom de faire preuve de davantage de volontarisme dans la garantie du pluralisme de l’information, et qui s’inscrit pleinement dans l’esprit de la loi du 30 septembre 1986. Pour rappel, l’article 13 de ladite loi dispose qu’elle « assure le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale ». Sont visés l’ensemble des programmes, y compris les débats télévisés. Dans ces conditions, il n’apparaît pas nécessaire de compléter la loi du 30 septembre 1986 aux fins de préciser que les émissions de débat sont nécessairement concernées par l’obligation d’expression d’une diversité de points de vue ; la décision du Conseil d’État répond à cet objectif commun des rapporteurs. Il appartient désormais à l’Arcom de réexaminer la demande de RSF et de faire respecter, dans l’ensemble des émissions des services consacrés à l’information, le respect de la pluralité des points de vue. Dans un communiqué de presse du 13 février 2024, l’Arcom a considéré que le Conseil d’État avait « [renforcé] la capacité de contrôle par le régulateur des obligations [des médias audiovisuels] en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, dans le respect de leur liberté éditoriale » ([73]), en ce que l’autorité de régulation pourra désormais, « pour apprécier le respect par un éditeur du pluralisme des courants de pensées et d’opinions, prendre en compte les interventions de l’ensemble des participants aux programmes diffusés, y compris les chroniqueurs, animateurs et invités ».

La définition des modalités concrètes de mise en œuvre de cette obligation, dans les conventions conclues avec les éditeurs en application des articles 28 et 28‑1 de la loi du 30 septembre 1986, sera déterminante.

Enfin, une importante vague d’attribution de fréquences sera lancée par l’Arcom en 2025, quinze autorisations d’émettre attribuées à des services de télévision à caractère national arrivant à échéance. L’article 10 de la loi Bloche a prévu que l’Arcom, pour la délivrance d’une nouvelle autorisation après que l’autorisation précédente est arrivée à son terme, devait tenir compte du respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information ([74]). Il conviendra que l’Arcom, à l’occasion de l’attribution des fréquences précitées, fasse un usage strict de cette disposition, en sanctionnant le cas échéant les éditeurs n’ayant pas respecté leurs obligations. Le régulateur pourra utilement s’appuyer sur les constats et les recommandations de la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, présidée par M. Quentin Bataillon et dont la rédaction du rapport a été confiée à M. Aurélien Saintoul.

2.   La lourdeur de la procédure de sanction

M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA, est revenu au cours de son audition sur la procédure de sanction de l’Arcom, fixée par les articles 42-1 et suivants de la loi du 30 septembre 1986. La lourdeur et la complexité de cette procédure ne permettent pas à l’Arcom de faire preuve de réactivité. Ainsi, la sanction de 50 000 euros susmentionnée, prononcée à l’encontre de l’éditeur de la chaîne CNews, est intervenue plus d’un an après la diffusion de l’émission en cause ([75]).

Cette lourdeur tient en premier lieu au fait que l’Arcom ne peut prononcer des sanctions qu’après avoir mis en demeure les éditeurs. Si les rapporteurs s’associent pleinement à la proposition de la commission d’enquête du Sénat, visant à « inciter l’Arcom à traiter plus rapidement la procédure de mise en demeure et de sanction, dans le respect des règles du procès équitable qui figurent dans la loi du 30 septembre 1986 » ([76]), ils souhaitent aller plus loin en permettant à l’Arcom de sanctionner plus facilement les manquements des éditeurs, lorsque ces derniers ont déjà été mis en demeure pour des manquements analogues. À titre d’exemple, les rapporteurs regrettent que l’Arcom n’ait pas pu prononcer une sanction exemplaire à l’encontre de la société C8 suite aux incidents ayant émaillé l’émission Touche pas à mon poste ! du 10 novembre 2022 ; seule une mise en demeure a été prononcée, sur le fondement de l’article 4 de la délibération du 18 avril 2018 ([77]), alors qu’une mise en demeure avait été prononcée le 16 novembre 2022 sur le fondement des articles 1er et 3 de ladite délibération ([78]). L’objet précis du manquement n’étant pas tout à fait le même, l’Arcom n’a pas pu prononcer de sanction ; pourtant, dans les deux cas, la société C8 a violé la délibération du 18 avril 2018.

En conséquence, les rapporteurs souhaitent qu’un éditeur mis en demeure pour un manquement à ses obligations déontologiques, quel qu’il soit, puisse être sanctionné en cas de nouveau manquement déontologique, de nature différente, afin de renforcer la nature dissuasive et l’effectivité du pouvoir de sanction du régulateur.

Proposition n° 14 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 la possibilité pour le régulateur de prononcer une sanction à l’encontre d’un éditeur en cas de manquement à l’une de ses obligations déontologiques, si cet éditeur a déjà été mis en demeure pour un manquement à une autre de ses obligations déontologiques.

En second lieu, la lourdeur de la procédure de sanction est liée à l’intervention d’un rapporteur nommé par le vice-président du Conseil d’État après avis de l’Arcom, chargé de se saisir des faits susceptibles de justifier l’engagement d’une procédure de sanction, de conduire l’instruction et de proposer à l’Arcom, le cas échéant, de prononcer une sanction ([79]). Selon M. Schrameck, ce rapporteur dispose de pouvoirs excessifs dans la procédure de sanction, qui peuvent nuire à sa célérité. À l’heure des réseaux sociaux et de la circulation extrêmement rapide de l’information, cette situation n’est pas satisfaisante. Aussi, les rapporteurs jugeraient judicieux que le Gouvernement confie à l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) la réalisation d’un état des lieux de cette procédure, accompagné des voies et moyens de son accélération et de sa simplification.

Proposition n° 15 : Confier à l’Inspection générale des affaires culturelles l’identification de solutions tendant à accélérer et simplifier la procédure de sanction de l’Arcom.

II.   La création des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes: un bilan mitigé

La loi Bloche a prévu l’obligation, pour tout service de radio généraliste à vocation nationale ou de télévision qui diffuse, par voie hertzienne terrestre, des émissions d’information politique et générale, de se doter d’un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes (Chipip) ([80]). Ces comités sont chargés de contribuer au respect des principes consacrés par la loi Bloche et peuvent être saisis ou consultés à tout moment par les organes dirigeants du service audiovisuel, par le médiateur lorsqu’il existe ou par toute personne. Il doit informer l’Arcom de tout fait susceptible de contrevenir à ces principes et établit un bilan annuel, rendu public.

Aux termes de la loi, les Chipip sont composés de personnalités indépendantes ([81]), qui s’engagent, à l’issue de leurs fonctions et pour une durée de douze mois, « à ne pas accepter un emploi ou un mandat électif, directement ou indirectement, pour la personne morale éditrice du service de radio ou de télévision en cause, chez l’un de ses actionnaires ou dans une des sociétés dans laquelle cet éditeur ou l’un de ses actionnaires détient une participation ou avec laquelle il entretient une relation commerciale ».

Les modalités de fonctionnement des Chipip sont fixées par la convention conclue avec l’Arcom – pour les éditeurs privés – et par le cahier des charges – pour les sociétés nationales de programme.

A.   L’ambition du législateur : diffuser au sein des services audiovisuels une culture de la déontologie

Dans l’esprit du législateur, les Chipip devaient jouer un rôle complémentaire à celui de l’Arcom. L’autorité indépendante devait assurer la régulation externe, tandis qu’une régulation interne aux médias devait être assurée par les Chipip pour prévenir les atteintes aux principes consacrés par la loi Bloche et, le cas échéant, informer l’Arcom de telles atteintes.

Dans son rapport sur la proposition de loi, M. Patrick Bloche exprimait ainsi sa conviction « qu’il appartient aux médias eux-mêmes, conformément à leur intérêt bien compris, de garantir à leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs la qualité et l’indépendance de l’information et des programmes qu’ils délivrent. Sans cet effort, ils courent le risque de rompre l’indispensable lien de confiance sans lequel la crédibilité même de leurs activités, et par conséquent la pérennité de leur audience, risquent d’être irrémédiablement compromises. »

Selon M. Bloche, ces comités devaient apporter une « réponse au double besoin de disposer d’instances de réflexion et de dialogue permettant à la direction et à la rédaction de débattre des questions éthiques auxquelles elles sont confrontées et de prouver l’indépendance de l’information délivrée aux citoyens grâce à l’intervention d’un regard neutre et objectif ». Dans son esprit, les Chipip devaient satisfaire à trois critères afin d’être utiles :

– comprendre des membres « à l’abri de tout soupçon de collusion avec les éditeurs, leurs actionnaires et leurs annonceurs », gage de crédibilité ;

– avoir la possibilité de « se saisir de toute question faisant naître un doute sur l’honnêteté ou l’indépendance de l’information, d’où qu’elle émane » ;

– être mis en place dans l’ensemble des grands médias diffusant des émissions d’information, selon des règles et des principes homogènes.

B.   Des modalités de nomination insatisfaisantes

Si la loi a prévu un certain nombre de garanties d’indépendance pour les membres des Chipip (cf. supra), celles-ci n’ont pas pu empêcher des difficultés dans la nomination de certains d’entre eux. En l’état, la loi n’interdit pas la nomination au sein d’un Chipip de personnalités entretenant des liens, notamment d’amitié, avec les dirigeants d’un éditeur. Au cours de son audition, M. Olivier Schrameck, ancien président du CSA, a évoqué la nomination de Mme Michèle Reiser au sein du Chipip du groupe Canal Plus, nomination à laquelle le CSA a souhaité faire obstacle, en raison des liens d’amitié entre cette personne et M. Vincent Bolloré, actionnaire principal de Vivendi, dont le groupe Canal Plus est une filiale. Selon M. Schrameck, la composition du Chipip de Canal Plus, qui avait fait l’objet de plusieurs articles de presse ([82]), n’était pas de nature à garantir son indépendance vis-à-vis des organes dirigeants du groupe. Si le CSA avait eu gain de cause en l’espèce, M. Schrameck a estimé qu’il lui aurait été extrêmement difficile de s’opposer à d’autres nominations problématiques, du fait de l’absence de droit de véto du régulateur. En effet, les membres des Chipip des services de médias audiovisuels sont nommés par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance de la personne morale. Si la nomination des membres est notifiée à l’Arcom, cette dernière ne dispose d’aucun droit de regard dans le processus de désignation des membres. M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, a formulé un constat similaire, évoquant des nominations « entièrement à la main des groupes ». M. Maistre a ainsi proposé que le régulateur puisse donner un avis sur les propositions de nomination des groupes ou, à défaut, qu’il nomme directement des personnalités au sein des Chipip.

Pour leur part, les rapporteurs donnent leur préférence à la première solution, qui s’inscrit davantage dans l’esprit de la loi Bloche : la responsabilisation des éditeurs sur les questions éthiques et déontologiques. Les rapporteurs ont pu constater que les Chipip étaient composés de personnalités de qualité et disposant dans leur grande majorité d’une large expérience du monde des médias. Cependant, le législateur doit prévoir tous les cas de figure. Aussi, la nomination des membres des Chipip sur avis conforme de l’Arcom pourrait, sans retirer leur pouvoir de nomination aux organes dirigeants des groupes, garantir la désignation de personnalités indépendante en toutes circonstances.

Proposition n° 16 : Prévoir dans la loi du 30 septembre 1986 la nomination des membres des Chipip des services de médias audiovisuels sur avis conforme de l’Arcom.

C.   Un important déficit de visibilité

Un large consensus s’est fait jour parmi les personnes entendues par les rapporteurs : les Chipip souffrent d’un déficit de visibilité préjudiciable à leur bon fonctionnement et à la pleine mise en œuvre de leurs missions.

1.   La composition des Chipip doit être systématiquement publiée

En premier lieu, il apparaît que la composition des Chipip n’est pas systématiquement consultable en ligne ce qui, mécaniquement, limite la possibilité pour les auditeurs ou les téléspectateurs de les saisir. La composition du Chipip du groupe Canal Plus, par exemple, n’apparaît pas sur le site internet de Canal Plus, pas plus que sur le site internet de la chaîne CNews. Sa composition n’est consultable que sur le site internet du groupe Vivendi, dans une version non à jour ([83]). À l’évidence, cette situation n’est pas satisfaisante et les rapporteurs souhaiteraient inscrire dans la loi :

– le principe de la publication sur le site internet du média de la composition des Chipip ;

– la création systématique sur les sites internet d’un mécanisme de saisine du Chipip facilement accessible et simple d’utilisation.

Proposition n° 17 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 la publication en ligne obligatoire de la composition des Chipip et le principe d’une saisine en ligne facilement accessible par tous.

2.   Une notoriété insuffisante auprès du public et des groupes audiovisuels

À l’issue d’un cycle d’auditions engagé en décembre 2021 avec des représentants des Chipip des groupes M6, France Télévisions, Radio France, Canal Plus, France Médias Monde, NextRadioTV, Europe 1 et TF1, l’Arcom a relevé que « la plupart des comités déplorent manquer de visibilité au sein même de leurs groupes audiovisuels et, ce faisant, sont très peu sollicités. De manière globale, les comités ne bénéficient pas de la notoriété dont ils estiment avoir besoin afin de faire connaître leur rôle auprès du public ».

Les Chipip sont encore trop peu saisis par les organes dirigeants des groupes audiovisuels et leur activité trop peu connue du grand public. Au cours de son audition, Mme Christine Albanel, présidente du Chipip de France Télévisions, a indiqué aux rapporteurs que la présidence de la société ne l’avait jamais saisie. S’agissant du Chipip de Radio France, présidé par Mme Françoise Benhamou, trois saisines de la présidence sont intervenues : l’une sur l’activité politique des conjoints des journalistes de Radio France, l’une sur l’usage des réseaux sociaux et une dernière sur le renforcement du rôle et de la visibilité des Chipip.

Au cours de son audition conjointe avec Mme Christine Albanel, Mme Françoise Benhamou a estimé qu’un dialogue plus approfondi avec la direction du groupe serait utile. Pour leur part, les rapporteurs sont convaincus que l’institutionnalisation de temps d’échange entre les organes dirigeants des groupes audiovisuels et les Chipip permettrait de donner davantage de visibilité et d’impact aux recommandations de ces derniers.

Proposition n° 18 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 le principe de la participation du Chipip à un conseil d’administration du groupe audiovisuel auquel il appartient, une fois par an.

Si les modalités de fonctionnement des Chipip sont déterminées par les conventions passées entre les éditeurs et l’Arcom, la marge de manœuvre de cette dernière pour fixer des modalités de visibilité appropriée est faible. C’est aux organes dirigeants que revient cette tâche. En 2022, par exemple, Mmes Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France, et Françoise Benhamou, présidente du Chipip de la société, ont entamé des travaux pour renforcer la visibilité du Chipip auprès des professionnels de l’audiovisuel et du public. Le rapport annuel 2022 de l’Arcom a fait état des pistes identifiées, qui consistaient en une amélioration de la page du site internet du Chipip ([84]), la rédaction d’une foire aux questions et une clarification des compétences respectives de la médiatrice des antennes et du comité. Interrogée par les rapporteurs, Mme Benhamou a confirmé que les membres du Chipip ne passaient pas à l’antenne de Radio France. En revanche, Mme Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes, intervient régulièrement à l’antenne, ce qui contribue naturellement à valoriser son travail et à faire connaître ses missions auprès des auditeurs. Par ailleurs, cette situation pose la question de la bonne articulation des attributions des Chipip avec celles des médiateurs des antennes, qui se sont développés dans les groupes audiovisuels, et qu’il appartient à ces derniers de clarifier.

Les rapporteurs affirment leur conviction que la visibilité des Chipip pourrait être considérablement renforcée par des passages réguliers à l’antenne. Ils regrettent que les éditeurs n’aient pas choisi cette solution et souhaitent que l’Arcom puisse déterminer avec ceux-ci, dans les conventions conclues avec eux, les modalités de visibilité appropriée de leur Chipip, notamment via des passages réguliers à l’antenne.

Parallèlement, il conviendrait que le cahier des charges des sociétés nationales de programme – France Télévisions, Radio France et France Médias Monde – soit modifié afin d’intégrer des dispositions similaires.

Proposition n° 19 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 que les conventions conclues avec l’Arcom déterminent les modalités de visibilité appropriée du Chipip, notamment via des passages réguliers à l’antenne. Prévoir la même obligation dans le cahier des charges des sociétés nationales de programme.

D.   Des missions insuffisamment définies, un positionnement difficile à trouver

1.   Une activité assez faible

Dans ses deux derniers rapports annuels pour les années 2021 et 2022, l’Arcom a réalisé un bilan d’activité des Chipip. Ces informations, complétées par celles recueillies par les rapporteurs au cours de leurs travaux, mettent en évidence une faible activité.


Bilan d’activité des Chipip (2021 et 2022)

 

Nombre de réunions

Nombre de saisines hors organes du groupe

Avis sur les saisines

 

2021

2022

2021

2022

2021

2022

Radio France

8

5

81

73

1

6

France Télévisions

non renseigné

non renseigné

11

2

2

2

France Médias Monde

3

2

0

0

0

0

TF1

2

2

0

0

0

0

Altice Media

2

2

non renseigné

1

non renseigné

1

M6

non renseigné

3

1

0

1

0

Canal Plus

non renseigné

non renseigné

0

2

0

2

Europe 1

non renseigné

non renseigné

2

0

2

0

Source : Arcom, Sénat, auditions des rapporteurs.

Si le Chipip de Radio France apparaît comme le plus actif (146 saisines en 2020), les autres Chipip n’ont reçu soit aucune saisine, soit un très faible nombre de saisines. Un certain nombre de Chipip ont été sollicités par la direction de leur groupe sur des problématiques d’ordre déontologique, à l’instar du Chipip de Radio France, saisi trois fois par Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale. L’une de ces saisines, intervenue en 2019, a abouti à des recommandations « visant à guider le traitement des situations dans lesquelles les personnels des antennes de Radio France, ou leur conjoint, partenaire ou concubin, décident de se porter candidats à une élection politique » ([85]). En 2019, le Chipip de Radio France a publié un guide des bonnes pratiques pour l’usage des réseaux sociaux par les salariés du groupe, complétant les recommandations qu’il avait publiées en 2019, à la demande de la présidente de la société ([86]). Enfin, une troisième saisine est intervenue en janvier 2024, sur le rôle et la visibilité du Chipip (cf. supra).

2.   L’articulation des missions des Chipip avec celles de l’Arcom

Dans son rapport annuel pour l’année 2022, l’Arcom a relayé les interrogations de plusieurs membres des Chipip « quant à leur légitimité voire leur utilité sur le traitement de certaines saisines qui relèvent également de la compétence de l’Arcom ». L’Arcom a noté que « l’articulation des compétences entre les deux entités n’apparaît pas toujours bien comprise ». Au cours de son audition, M. Roch-Olivier Maistre a évoqué des « frustrations » de certains membres des Chipip dans l’hypothèse d’une saisine parallèle de l’Arcom. Ce cas de figure s’est par exemple produit suite aux propos tenus à l’antenne de France Inter par M. Guillaume Meurice, chroniqueur, le 29 octobre 2023, comparant M. Benyamin Netanyahou, Premier ministre d’Israël, à un « nazi sans prépuce ». Dans sa réponse aux saisines reçues, le Chipip a rappelé l’importance de la « responsabilité des personnalités qui tiennent l’antenne, y compris dans les émissions à vocation humoristique », et a relevé les propos de la présidente de Radio France, qui a adressé, le 6 novembre 2023, un courrier à l’ensemble des salariés du groupe, rappelant l’exigence de responsabilité, de rigueur et de modération qui s’impose sur les antennes de celui-ci. Le Chipip a indiqué avoir transmis les saisines relatives à cette affaire à la présidente de Radio France et a annoncé son intention de les transmettre à l’Arcom. Mme Françoise Benhamou, présidente du Chipip de Radio France, a confirmé au cours de son audition avoir procédé à cette transmission. Cependant, dans son avis, le Chipip ne s’est pas prononcé sur un potentiel manquement à l’éthique et à la déontologie journalistiques, se dessaisissant, en quelque sorte, au profit de la présidente de Radio France, laquelle a adressé un avertissement à M. Guillaume Meurice, et de l’Arcom, laquelle a adressé une mise en garde à Radio France, jugeant que la chronique en cause avait « porté atteinte au bon exercice par Radio France de ses missions et à la relation de confiance qu’elle se doit d’entretenir avec l’ensemble de ses auditeurs » ([87]).

Cette situation peut d’abord tenir à la difficulté pour les Chipip de mettre en cause la déontologie du média auquel ils appartiennent, et qui leur attribue des moyens humains, administratifs et techniques. Au cours de son audition, M. Pierre Ganz, secrétaire du bureau du Centre de déontologie journalistique et de médiation, a ainsi estimé que les Chipip étaient « assujettis à l’entreprise » du fait de leur mode de nomination, d’une part, et étaient coincés entre les intérêts déontologiques et journalistiques et les intérêts de la rédaction, d’autre part.

Si l’articulation des missions des Chipip avec celles de l’Arcom peut sembler problématique au premier abord, il n’apparaît pas aux rapporteurs que cette difficulté soit insurmontable. En effet, le Chipip, instance de régulation interne, peut parfaitement se prononcer sur une question de déontologie tout en la transmettant au régulateur, qui pourra s’appuyer sur les conclusions du Chipip sans être tenu par elles. Une divergence de vues pourrait se faire jour mais cette hypothèse devrait rester rare. Surtout, les avis des Chipip doivent répondre aux saisines des auditeurs ou des téléspectateurs. Bien que ces comités ne disposent pas de pouvoir de sanction à proprement parler, leurs avis peuvent constituer une sanction symbolique. Le principe d’une publication systématique de ces avis pourrait utilement être introduit dans la loi, assorti d’une diffusion à l’antenne, selon des modalités fixées par la convention conclue avec l’Arcom (pour les éditeurs privés) ou par le cahier des charges (pour les sociétés nationales de programme). De cette façon, les Chipip gagneraient en influence au sein de leur groupe audiovisuel.

Proposition n° 20 : Introduire dans la loi du 30 septembre 1986 l’obligation pour les éditeurs privés et les sociétés nationales de programme de publier en ligne les avis des Chipip et, dans des conditions déterminées par la convention conclue avec l’Arcom ou le cahier des charges, la présentation de ces avis à l’antenne.

III.   Le contrôle des concentrations dans les médias audiovisuels : un dispositif à rénover

La loi Bloche n’a pas directement traité de la question de la concentration dans les services de médias audiovisuels. Le contrôle sectoriel des concentrations réalisé par l’Arcom n’a pas été révisé : ni les seuils relatifs à la limitation du cumul des autorisations d’émettre et à la limitation de la détention du capital, s’agissant des services de télévision nationaux, ni les seuils relatifs à la couverture de la population, s’agissant des services de radio, n’ont été modifiés (cf. infra). La procédure d’agrément prévue par l’article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 n’a pas non plus été revue. Seule une disposition de la loi Bloche concernait le contrôle des concentrations dans les médias audiovisuels.

A.   La limitation de la participation des personnes de nationalité extra-européenne au capital des services audiovisuels

L’article 14 de la loi Bloche a modifié l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986, qui limite la participation des personnes extra-européennes au capital des services audiovisuels autorisés par l’Arcom. Le premier alinéa de l’article 40 dispose que « sous réserve des engagements internationaux de la France, l’autorisation relative à un service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française ne peut être accordée à une société dans laquelle plus de 20 % du capital social ou des droits de vote sont détenus, directement ou indirectement, par des personnes de nationalité étrangère. » Cette modification est intervenue en raison d’une décision du Conseil d’État rendue en 2015 ([88]). Dans son rapport sur la proposition de loi, en première lecture, M. Patrick Bloche relevait que le Conseil d’État avait « retenu une interprétation littérale des dispositions de la loi […] Il a en effet estimé qu’elles n’avaient pour objet que d’interdire à une personne de nationalité étrangère d’acquérir plus de 20 % du capital d’une société déjà titulaire d’une autorisation, et non pas d’interdire au Conseil supérieur de l’audiovisuel de délivrer une autorisation nouvelle à une société "déjà détenue à plus de 20 % par une personne de nationalité étrangère". Il a en conséquence annulé la décision du 15 février 2013 par laquelle le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) avait autorisé la société Médi 1 France, dont le capital est majoritairement détenu par le Royaume du Maroc, à exploiter un service de radio par voie hertzienne en mode numérique dénommé "Médi 1 France". » Selon M. Bloche, cette interprétation était problématique en ce qu’elle pouvait être « aisément [contournée] par les personnes étrangères qui décideraient de postuler à l’attribution d’une fréquence. »

L’intervention du législateur a ainsi permis de clarifier les dispositions de l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986 : la limitation de la participation des personnes extra-européennes au capital des services audiovisuels autorisés par l’Arcom s’applique lors de la prise de participation au capital d’une société, comme lors de la délivrance d’une autorisation par l’Arcom.

Si, en 2016, le législateur n’a pas modifié, autrement que sur ce point, le dispositif de contrôle des concentrations dans les médias audiovisuels, il n’en demeure pas moins qu’il a expressément chargé le régulateur de garantir le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent. Pluralisme et concentration entretiennent une relation complexe, un haut niveau de concentration pouvant aller de pair avec le pluralisme des courants de pensée et d’opinion, entendu comme un pluralisme interne aux chaînes, à condition que le régulateur le garantisse efficacement.

B.   L’incidence de la concentration dans les services de médias audiovisuels sur le pluralisme

1.   Radio et télévision : des niveaux de concentration hétérogènes

Plusieurs méthodes existent pour calculer le niveau de concentration d’un marché donné, en particulier l’indice de Herfindahl-Hirschmann (IHH).

L’indice Herfindahl-Hirschmann (IHH)

L’IHH est un indice de concentration du marché, régulièrement utilisé par les autorités de concurrence européennes, notamment l’Autorité de la concurrence française. Il résulte de la somme des carrés des parts de marché des acteurs d’un marché, exprimée en valeur ou en volume. Plus les parts de marché sont élevées, plus l’IHH est élevé, moins le marché est concurrentiel.

L’IHH peut être compris entre 0 (situation de forte concurrence) et 10 000 (situation de monopole). De manière générale, on considère qu’un IHH inférieur à 1 000 correspond à une concentration faible. Un IHH compris entre 1 000 et 1 800 équivaut à une concentration moyenne et un IHH supérieur à 1 800 à une concentration élevée.

Dans un rapport conjoint de mars 2022 ([89]), l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) ont évalué le degré de concentration dans la télévision selon les parts d’audience des groupes audiovisuels, selon le chiffre d’affaires et selon les recettes publicitaires. L’IGF et l’IGAC avancent un IHH inférieur à 2 000 en 2017, « traduisant un niveau de concentration modéré ». Surtout, le niveau de l’indice a diminué de 30 % entre 2012 et 2016, ce qui, selon les deux inspections générales, « témoigne d’une baisse significative du degré de concentration du secteur lié à l’entrée de nouveaux acteurs sur la TNT en 2005 puis en 2012 ». De fait, les trois premiers groupes télévisuels (France Télévisions, TF1 et M6) cumulaient 86 % de l’audience en 2002, contre 70 % en 2020.

En matière de chiffre d’affaires, le degré de concentration apparaît plus élevé : si l’IHH a diminué de 8 % entre 2002 et 2016, il demeure, à cette date, supérieur à 2 000. Enfin, le degré de concentration est particulièrement élevé lorsqu’il est calculé en part de marché publicitaire nette. Selon l’IGF et l’IGAC, cet IHH était proche de 2 800 en 2017, démontrant « un haut degré de concentration malgré une baisse de 16 % entre 2005 et 2017 »

Dans le secteur radiophonique, le niveau de concentration apparaît plus modéré que dans le secteur télévisuel. Les quatre premiers groupes de radio (Radio France, M6, NRJ et Lagardère) concentraient 67 % de l’audience en 2010, contre 69 % en 2020. L’IHH de 2017, calculé selon les parts d’audience, traduit « un niveau de concentration modéré dans le paysage radiophonique hertzien (indice inférieur à 2 000) ».

Enfin, il est à signaler que l’essor du numérique a favorisé le pluralisme des contenus. Par exemple, la télévision ne comptait, avant le lancement de la télévision numérique terrestre (TNT) en 2005, que six chaînes nationales. Elles sont désormais au nombre de trente, auxquelles il convient d’ajouter les quarante‑deux chaînes locales de la TNT, sans compter les chaînes n’utilisant pas les fréquences hertziennes attribuées par l’Arcom (câble, satellite, internet, etc.)

2.   Pluralisme et concentration : une relation équivoque

L’impact des opérations de concentration sur la pluralité des contenus diffusés par les médias audiovisuels est difficile à mesurer. Comme l’ont mis en évidence l’IGF et l’IGAC dans leur rapport précité, « la théorie économique ne formalise pas de lien univoque entre concentration et pluralisme ». En effet, rien ne démontre qu’une pluralité d’éditeurs conduira nécessairement à une pluralité de contenus, puisque « les éditeurs de médias peuvent avoir intérêt, dans la recherche de la plus grande audience possible, à regrouper leur offre au niveau de l’éventail moyen des goûts et attentes du public, plutôt que d’offrir une gamme diversifiée de produits, sans prendre en considération que, ce faisant, ils peuvent capter des consommateurs qui accédaient déjà à des contenus similaires par ailleurs  y compris à partir d’autres médias détenus par ces mêmes éditeurs. » À l’inverse, les deux inspections générales relèvent qu’une situation d’oligopole peut conduire à une pluralité de contenus substantielle : « Une opération de concentration peut aussi bien se traduire par un accroissement de la diversité des contenus proposés, par exemple lorsqu’elle cherche à prévenir l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché en occupant toutes les niches de clientèle existantes  stratégie dite de différenciation et de discrimination. […] Au surplus, une entreprise en situation de monopole poursuit un objectif de maximalisation de l’audience totale et a intérêt à proposer une palette de produits répondant aux goûts et attentes de l’ensemble des consommateurs […] ».

Par ailleurs, les rapporteurs rappellent que le degré de concentration des médias ne peut suffire, à lui seul, pour évaluer le pluralisme des médias audiovisuels. Outre l’existence d’un secteur public de la communication audiovisuelle, dont le cahier des charges des différentes sociétés garantit un haut niveau de pluralisme, il revient à l’Arcom de veiller au pluralisme de l’information et des programmes des médias audiovisuels, d’abord au moment de l’attribution des fréquences hertziennes. La loi du 30 septembre 1986 prévoit ainsi que « l’autorité accorde les autorisations en appréciant l’intérêt de chaque projet pour le public, au regard des impératifs prioritaires que sont la sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels, la diversification des opérateurs, et la nécessité d’éviter les abus de position dominante ainsi que les pratiques entravant le libre exercice de la concurrence. » ([90]) En outre, l’Arcom doit veiller au respect de l’honnêteté et du pluralisme de l’information et des programmes, selon des modalités définies dans les conventions conclues avec les éditeurs, ces règles étant appelées, suite à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024, à se renforcer (cf. supra).

C.   Un dispositif sectoriel de contrôle des concentrations à recentrer sur la préservation du pluralisme

Plusieurs travaux récents, dont ceux de l’IGF et de l’IGAC, ont préconisé une révision du dispositif de contrôle des concentrations dans les médias audiovisuels. En novembre 2023, les états généraux de la presse indépendante, organisés par une centaine de médias, d’organisations et de collectifs, ont proposé de « renforcer, en les abaissant, les seuils de concentration des médias », en intégrant, pour leurs calculs, « l’ensemble des supports papiers et numériques » ([91]). Ces seuils devraient prendre en compte la concentration horizontale (nombre de titres détenus) et verticale (incluant les activités en amont et en aval de la seule production et diffusion d’information), et s’appliqueraient aux niveaux national et régional. De plus, interdiction serait faite à un groupe industriel « dont l’activité principale n’est pas l’information de devenir l’opérateur direct d’un média ».

Ces propositions s’inscrivent dans le cadre existant du contrôle sectoriel des concentrations, qui consiste en une série de seuils limitant les opérations de concentration, d’une part, et en un agrément desdites opérations par le régulateur, d’autre part.

Le cadre juridique du contrôle sectoriel des concentrations

En parallèle du contrôle de droit commun exercé par l’Autorité de la concurrence, l’Arcom exerce un contrôle sectoriel des concentrations dans le secteur des médias. Ce contrôle résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 et de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.

Dans le secteur télévisuel comme dans le secteur radiophonique, une série de seuils anti-concentration sont prévus. Ainsi, en matière télévisuelle, une même personne peut être titulaire, directement ou indirectement, d’un nombre maximal d’autorisations relatives chacune à un service ou programme national de télévision. Des seuils sont également prévus en matière de détention du capital et d’audience. Ainsi, une même personne physique ou morale ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49 % du capital ou des droits de vote d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre dont l’audience moyenne annuelle, tant en mode analogique qu’en mode numérique, dépasse 8 % de l’audience totale des services de télévision.

En matière radiophonique, un plafond national limite les concentrations. L’article 41 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit ainsi qu’une même personne physique ou morale ne peut, sur le fondement d’autorisations relatives à l’usage de fréquences dont elle est titulaire pour la diffusion d’un ou de plusieurs services de radio par voie hertzienne terrestre en mode analogique, ou par le moyen d’un programme qu’elle fournit à d’autres titulaires d’autorisation par voie hertzienne terrestre en mode analogique, disposer en droit ou en fait de plusieurs réseaux que dans la mesure où la somme des populations recensées dans les zones desservies par ces différents réseaux n’excède pas 160 millions d’habitants. En outre, nul ne peut être titulaire d’une ou plusieurs autorisations relatives chacune à un service de radio dont l’audience potentielle cumulée terrestre dépasse 20 % des audiences potentielles cumulées de l’ensemble des services de radio, public ou autorisés, diffusés par voie hertzienne terrestre.

Enfin, l’Arcom peut retirer, sans mise en demeure préalable, une autorisation d’émettre en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation a été délivrée, « notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement ». Le régulateur ne peut agréer une modification du contrôle direct ou indirect de la société titulaire d’une autorisation intervenant dans un délai de cinq ans à compter de la délivrance, sauf en cas de difficultés économiques menaçant la viabilité de cette société. Depuis 2013, tout éditeur de services détenteur d’une autorisation doit obtenir un agrément de l’Arcom en cas de modification du contrôle direct ou indirect de la société titulaire de l’autorisation. Cet agrément fait l’objet d’une décision motivée et est délivré en tenant compte du respect par l’éditeur, lors des deux années précédant l’année de la demande d’agrément, de ses obligations conventionnelles relatives à la programmation du service. Lorsque la modification du contrôle porte sur un service national de télévision autorisé ou un service de radio appartenant à un réseau de diffusion à caractère national, et que cette modification est susceptible de modifier de façon importante le marché en cause, l’agrément est précédé d’une étude d’impact, notamment économique, rendue publique dans le respect du secret des affaires. La procédure d’agrément a été mise en œuvre deux fois s’agissant de la télévision, en 2015 et 2018. Elle n’a pas trouvé à s’appliquer dans le secteur radiophonique.

 

En mars 2022, l’IGF et l’IGAC, dans leur rapport précité, ont jugé le dispositif anti-concentration sectoriel « à la fois obsolète et complexe » et ont proposé de le remplacer par une « appréciation par l’Arcom, au cas par cas, de l’impact des opérations sur le pluralisme », soit un système similaire à celui en vigueur au Royaume-Uni. Ce dispositif s’appliquerait à l’ensemble des médias d’information, y compris la presse écrite, « et l’appréciation de l’impact des opérations sur le pluralisme se ferait sur la base d’une analyse transversale intégrant tous les médias d’information détenus par les acteurs concernés ». Selon les deux inspections générales, il conviendrait que l’analyse de l’impact des opérations de concentration sur le pluralisme soit multifactorielle, suive des lignes directrices publiées et s’appuie sur des indicateurs qualitatifs (diversité des contenus, respect des principes d’indépendance et d’honnêteté de l’information, etc.) et quantitatifs (audience réelle, couverture de la population, parts d’attention), etc. Une telle réforme doit permettre un « réglage fin du secteur que ne permettent pas les seuils du dispositif actuel, par exemple en autorisant une opération sous conditions d’engagements des parties, pouvant être comportementaux (ex : maintien de rédactions séparées) ou structurels (ex : cession d’un titre). Cette nouvelle approche, caractérisée par sa plasticité, est aussi le gage d’un dispositif pérenne, adapté aux futures ruptures technologiques. »

Cette approche rejoint en partie celle adoptée par la Commission européenne dans sa proposition de règlement sur la liberté des médias ([92]), dont l’article 21 prévoit une évaluation des opérations de concentration sur le marché des médias. Aux termes de cet article, les États membres devraient évaluer les concentrations susceptibles d’influer sensiblement sur le pluralisme des médias et l’indépendance éditoriale. L’évaluation tiendrait compte de plusieurs éléments, dont les effets de la concentration sur le pluralisme des médias, les garde-fous protégeant l’indépendance éditoriale, la viabilité économique des acteurs concernés par l’opération.

Selon les rapporteurs, ce système, qui ne fixe ni règles ni seuils spécifiques, apparaît pleinement compatible avec la proposition de l’IGF et de l’IGAC.

Il conviendra, à l’issue de la procédure législative européenne et des états généraux de l’information, qui ont vocation à formuler des propositions dans ce domaine, de lancer le chantier de rénovation du dispositif de contrôle des concentrations. Les rapporteurs entendent y participer pleinement. À leur sens, deux principes devront guider ce travail : le maintien d’un dispositif sectoriel assuré par l’Arcom et la préservation du pluralisme comme critère premier d’autorisation ou de refus des opérations de concentration. Enfin, la mise en œuvre d’un dispositif inspiré des travaux de l’IGF et de l’IGAC requerra la pleine participation du Parlement, qui aura la charge de définir les indicateurs permettant d’apprécier l’impact de ces opérations.

   Troisième partie : l’information à l’ère numérique, de nouveaux enjeux qui bouleversent le modèle économique des médias

I.   Le développement de l’intelligence artificielle

A.   Une définition complexe et des rÉpercussions incertaines sur les médias

1.   Une définition qui peine à recouvrir toutes les potentialités de l’intelligence artificielle

Comme l’a relevé le Conseil de l’Europe : « Si le terme d’"intelligence artificielle" (IA) est entré dans le langage commun et son utilisation devenue banale dans les médias, il n’en existe pas réellement de définition partagée. » ([93])

Envisagée au sens large, l’IA englobe indistinctement des systèmes très différents. Dans son sens courant, ce terme désigne autant les IA « fortes », qui seraient dotées d’une conscience d’elles-mêmes, que les IA « faibles » ou « modérées », qui peuvent exécuter des tâches telles que la reconnaissance de visage, de voix, etc.

Dans un souci de précision et afin de lutter contre ces confusions, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) donne une définition sommaire de l’IA, tout en la complétant par un glossaire plus détaillé : « L’intelligence artificielle n’est pas une technologie à proprement parler mais plutôt un domaine scientifique dans lequel des outils peuvent être classés lorsqu’ils respectent certains critères. » ([94])

Le glossaire de la Cnil précise cette définition en mentionnant les différentes méthodes d’apprentissage des IA, notamment l’apprentissage automatique. Celui‑ci, aussi appelé machine learning, est ainsi défini comme le « champ d’étude de l’intelligence artificielle qui vise à donner aux machines la capacité d’"apprendre" à partir de données, via des modèles mathématiques. Plus précisément, il s’agit du procédé par lequel les informations pertinentes sont tirées d’un ensemble de données d’entraînement. » ([95])

L’IA a également été définie par le Parlement européen comme « la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité. L’IA permet à des systèmes techniques de percevoir leur environnement, gérer ces perceptions, résoudre des problèmes et entreprendre des actions pour atteindre un but précis. L’ordinateur reçoit des données (déjà préparées ou collectées via ses capteurs – une caméra, par exemple) les analyse et réagit. Les systèmes dotés d’IA sont capables d’adapter leurs comportements (plus ou moins) en analysant les effets produits par leurs actions précédentes, travaillant de manière autonome. » ([96])

2.   Des effets encore largement indéterminés sur la sphère médiatique

Les répercussions possibles des différents usages de l’intelligence artificielle sur la production de l’information commencent tout juste à se concrétiser, mais déjà de nombreuses inquiétudes s’expriment dans la sphère médiatique. De la même façon que les éditeurs de presse et journalistes ont eu à affronter les conséquences de la prédominance progressive des grandes plateformes dans la diffusion de l’information, les enjeux liés à la protection des données et au respect du droit d’auteur et des droits voisins se posent dans le contexte d’un affrontement inégal entre un modèle économique fragile et des puissances économiques montantes aux financements abondants.

Le monde médiatique est actuellement partagé entre réticence et adhésion face aux nouvelles potentialités de traitement de l’information offertes par l’intelligence artificielle. Si celle-ci ne semble pas encore tout à fait de nature à remplacer purement et simplement les journalistes – même si certaines expériences existantes s’en approchent, telles la présentation du bulletin météorologique par une présentatrice virtuelle, générée par un logiciel de la start-up HeyGen sur la chaîne suisse M Le Média ([97]) –, elle permet toutefois dès à présent d’effectuer des tâches de tri, de traduction et de traitement autrefois réservées à des professionnels. Des tâches de rédaction simples sont également prises en charge, parfois depuis plusieurs années, au sein de grands organes de la presse américaine : depuis 2016, le Washington Post utilise ainsi une application, Heliograph, pour la rédaction de courts articles sur le sport ou les résultats d’élections. Il est intéressant de noter que cette technologie a été développée en interne par le journal.

L’ensemble des personnes participant à la production de l’information dans les rédactions n’est évidemment pas favorable à la propagation de ces nouveaux outils : ainsi, si le journal Le Monde peut proposer une édition anglaise grâce à la traduction quotidienne par l’intelligence artificielle d’un certain nombre d’articles, un collectif de traducteurs, « En chair et en os », alertait le 3 octobre 2023, par une tribune dans Libération, sur les « pertes immenses en savoir-faire, compétences cognitives, capacités intellectuelles » engendrée par « ce qui peut apparaître comme un progrès » ([98]).

 

Les problématiques liées à l’utilisation de l’intelligence artificielle générative pour la production de contenus à caractère informationnel sont discutées au sein des rédactions, et peuvent mener à la production de chartes ou d’engagements de transparence sur ces utilisations. Le CDJM a ainsi adopté des recommandations concernant l’usage de l’IA dans son guide des bonnes pratiques du journalisme en juillet 2023 ([99]). Ce document vise notamment à examiner comment « les principes des chartes de référence, dont la plus ancienne a plus d’un siècle, peuvent s’appliquer dans ce contexte nouveau et incertain ». Le CDJM choisit d’examiner les bénéfices qui peuvent être attendus de l’usage de l’intelligence artificielle et les difficultés déontologiques qui peuvent survenir dans le travail quotidien des journalistes, en suivant la même démarche, graduée selon la gravité des risques rencontrés, que celle de l’Union européenne dans l’AI Act (cf. infra).

Ainsi, alors que les contenus générés par l’intelligence artificielle se répandent, se pose la question d’une nécessaire supervision humaine en bout de chaîne, la proportion de ces contenus jugés peu fiables demeurant importante.

Mais la participation ou non des médias traditionnels au développement des outils de l’intelligence artificielle passe également par la mise à disposition des bases de données souvent considérables que constituent leurs archives numérisées. Cette mise à disposition permet aux logiciels d’IA de disposer de stocks d’informations vérifiées et fiables, et donc de prévenir un des principaux travers que constitue la viralité accrue de fausses informations dès lors que les intelligences artificielles « s’entraînent » sur des contenus puisés indifféremment sur internet. Elle doit pouvoir faire l’objet de compensations pour les organes de médias, qui pourraient y trouver un surcroît de ressources, sans pour autant perdre la propriété de ces données.

Différents groupes sont actuellement en négociation pour fournir de tels droits d’usages aux entreprises développant des intelligences artificielles. Le groupe de presse allemand Springer a ainsi conclu en octobre 2023 un partenariat commercial avec l’entreprise OpenAI, créatrice de ChatGPT : le groupe met à disposition les articles de ses différents journaux (Bild ou Die Welt) et sites internet (Politico ou Business Insider) contre une rémunération dont le montant n’a pas été dévoilé, mais expérimente également plusieurs outils d’intelligence artificielle destinés à automatiser certaines tâches des rédactions, l’objectif affiché étant de pouvoir réaliser des économies substantielles sur la fabrication de l’information elle-même. Mathias Döpfner, directeur général du groupe de presse Springer, a ainsi annoncé dans un courrier aux salariés cité par le magazine suisse Le Temps « une réduction significative des emplois dans les domaines de la production, de la mise en page, de la correction et de l’administration » en s’appuyant sur les perspectives d’automatisation permises par le déploiement de l’intelligence artificielle.

Selon les rapporteurs, l’Union européenne ne doit pas rester spectatrice de ces débats, et à ce titre, l’avancée relativement rapide des discussions autour de l’AI Act est bien le signe que les pouvoirs publics européens ont saisi l’urgence démocratique à réguler cette sphère.

Le déploiement des IA génératives représente un défi essentiel pour les auteurs de l’audiovisuel, du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant et des nouveaux médias.

L’adoption de l’AI Act apportera des garanties positives pour s’assurer du respect par les fournisseurs d’IA génératives du droit d’auteur et de la mise en place effective d’une obligation de transparence concernant les œuvres utilisées pour entraîner leurs bases de données afin de garantir la rémunération de nos auteurs.

Le rapporteur regrette toutefois l’absence manifeste de volonté du gouvernement français de protéger le droit d’auteur face aux fournisseurs d’IA, dans le cadre des négociations de l’AI Act, rompant ainsi avec la tradition française de soutien à l’exception culturelle.

La rapporteure avait, quant à elle, à la suite de l’adoption de l’AI Act, insisté sur le besoin d’encadrement des IA génératives sous plusieurs angles : le respect de la propriété intellectuelle, la protection des données personnelles et le partage de la valeur. Il lui semble nécessaire d’atteindre un équilibre entre innovation et protection pour instaurer un climat de confiance entre les producteurs de contenus et ceux qui les utilisent à des fins de diffusion et d’entraînement des machines ([100]).

B.   De premières régulations visant à permettre la recherche tout en limitant les externalités négatives de l’IA

1.   L’Artificial Intelligence Act (AI Act)

Le 21 avril 2021, la Commission européenne a publié une proposition de règlement sur l’intelligence artificielle visant à créer un cadre de régulation susceptible de prévenir les risques les plus importants entraînés par l’accroissement des usages de l’IA. L’objectif poursuivi par l’Union européenne était de produire un texte équilibré permettant de développer l’IA, donc de favoriser l’innovation dans l’Union même, mais aussi d’endiguer les différentes menaces que présente l’IA pour le respect des droits fondamentaux et la sécurité. Le projet a abouti le 2 février 2024 à un accord adopté par l’ensemble des États membres de l’Union européenne.

Pour circonscrire son champ d’application, le règlement propose une définition du « système d’intelligence artificielle (système d’IA) ». Il s’agit, au sens du règlement, d’un « logiciel qui est développé au moyen d’une ou plusieurs des techniques et approches énumérées à l’annexe I et qui peut, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels il interagit. » ([101])

Le cadre réglementaire européen définit quatre niveaux de risque en matière d’IA : risque minimal, risque limité, haut risque et risque inacceptable. À chacun de ces niveaux correspond un régime juridique plus ou moins restrictif. Les usages qui entraîneraient des risques inacceptables sont strictement interdits : comme l’indique la Commission européenne, « les systèmes d’IA considérés comme une menace évidente pour la sécurité, les moyens de subsistance et les droits des personnes seront interdits, de la notation sociale par les gouvernements aux jouets utilisant l’assistance vocale qui encouragent les comportements dangereux. » ([102])

Les systèmes d’IA à haut risque doivent satisfaire à des exigences rigoureuses avant leur mise sur le marché. Ces applications touchent à des domaines sensibles comme les infrastructures critiques, l’éducation, les ressources humaines, le maintien de l’ordre. Elles devront répondre à des exigences d’exactitude, de robustesse et de cyber-sécurité. Pour les systèmes d’IA présentant un moindre risque, il s’agit surtout de favoriser l’innovation tout en conservant une obligation de transparence : les entreprises développant des applications utilisant l’intelligence artificielle doivent pouvoir indiquer quelles données d’entraînement sont utilisées par les IA génératives. Cela doit permettre aux auteurs de contenus de demander une compensation légitime dès lors que ces contenus ont été exploités. La publication des données d’entraînement est toutefois conditionnée à certains seuils de puissance de traitement des systèmes, et la France a obtenu, lors des négociations, qu’il soit mentionné que cette publication devra être respectueuse du « secret des affaires ».

2.   Les règlementations états-unienne et britannique

a.   Les États-Unis : un décret présidentiel pour poser les bases de la régulation d’une industrie de pointe

Le 30 octobre 2023, M. Joe Biden, président des États-Unis d’Amérique, a signé un décret visant à établir un cadre de développement sécurisé et fiable pour le développement et l’utilisation de l’intelligence artificielle (intitulé « Safe, Secure, and Trustworthy Artificial Intelligence »). Le décret contient des définitions, des dispositions sur la vie privée, les droits civils, la protection des consommateurs, le droit des patients, etc. Il s’appuie sur le Defense Production Act, texte hérité de la guerre froide, qui confère au président américain un important pouvoir de contrôle sur les industries nationales. Ce nouveau cadre de développement de l’IA exige notamment des principaux développeurs d’intelligence artificielle générative qu’ils partagent les résultats des tests de sécurité et d’autres informations avec le gouvernement.

La section II du décret établit la liste des différents principes qui constituent désormais la base d’un bon comportement dans l’utilisation de l’IA.

Principes guidant l’utilisation de l’IA aux États-Unis

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Source : Executive order on the safe, secure, and trustworthy development and use of artificial intelligence.

Pris quelques mois avant l’adoption de l’AI Act par l’Union européenne, le décret présidentiel américain nécessitera des mesures législatives et règlementaires et, pour l’adoption desquelles la Maison Blanche ne possède pas nécessairement de prérogatives ou de majorité au Congrès. Néanmoins, l’adoption de cette première régulation d’ampleur du secteur vise à affirmer le rôle de prescripteur des États-Unis en termes d’encadrement de l’IA, alors que le pays est déjà le leader mondial de son développement technique et industriel. La vice-présidente Kamala Harris a ainsi déclaré, la veille de sa présence au sommet de Londres sur l’IA : « Nous voulons que les mesures que nous prenons au niveau national servent de modèle pour l’action internationale. » ([103])

Différents organes du gouvernement fédéral sont chargés de l’application du décret. Un Conseil de sûreté et de sécurité de l’IA (AI safety and security board) a été créé et aura pour rôle d’évaluer les risques liés à l’usage de l’IA, notamment sur la santé, le nucléaire, la cyber-sécurité. Le Conseil national de sécurité (National security council) devra se coordonner avec la Maison Blanche pour veiller à ce que les militaires et les services de renseignement utilisent l’IA en toute sécurité et dans le respect de l’éthique dans toutes leurs missions. Le Département du commerce des États-Unis (United States department of commerce) a pour mission d’élaborer des lignes directrices quant à l’authentification des contenus afin de faciliter l’identification de ceux générés par l’IA.

b.   Le Royaume-Uni : la promotion d’une réglementation souple de l’IA

Face au cadre législatif d’ampleur proposé par l’Union européenne pour encadrer les usages de l’IA, le Royaume-Uni tente d’emprunter une voie différente afin de se prémunir des risques de sécurité les plus importants, tout en s’affirmant comme un pays leader de développement de l’intelligence artificielle.

Londres a ainsi accueilli le premier sommet mondial de l’IA en novembre 2023, et promeut une réglementation relativement peu contraignante ([104]), reposant essentiellement sur l’autorégulation des acteurs et des orientations à l’adresse des fournisseurs plutôt que sur des obligations. En mars 2023, le gouvernement du premier ministre Rishi Sunak a publié un Livre blanc prônant une régulation légère de l’IA, favorisant toutes ses potentialités. Le premier ministre a également appelé lors du sommet mondial de Londres à la constitution d’un comité d’experts de l’IA équivalent au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, afin d’éclairer les gouvernements sur les évolutions à venir et les risques potentiels.

En raison des menaces liées à la sécurité que comporte le développement de l’intelligence artificielle, les questions de propriété intellectuelle peuvent apparaître comme passant au second plan dans les premières régulations adoptées aux niveaux nationaux et international, alors même que les conséquences pourraient être d’ampleur dans des secteurs comme celui des médias, et largement dépasser la sphère économique.

II.   la directive de 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique : un bilan contrasté

A.   la crise du modèle économique de la presse est ancienne

La montée en puissance du numérique et l’irruption de nouveaux acteurs sur le marché de l’information ont profondément transformé la chaîne de valeur de la presse et bouleversé durablement son modèle économique. L’émergence de la presse en ligne et l’irruption de grandes plateformes captant une part grandissante de la valeur ont redéfini le rôle et la place de la presse, qui doit faire face à une concurrence accrue dans un univers délinéarisé et désintermédié.

Quelques chiffres suffisent à prendre la mesure de cette crise structurelle, qui s’est accélérée depuis le début des années 2000 :

– la valeur ajoutée de la presse écrite a reculé de 29 %, passant de 6,2 milliards d’euros en 2010 à 4,4 milliards en 2020 ([105]) ;

– la presse représentait 14,4 % du produit intérieur brut (PIB) culturel en 2019 alors qu’elle en représentait 30 % à la fin des années 1990 ([106]) ;

– la presse a enregistré entre 2006 et 2019 une importante chute de son chiffre d’affaires, passé de 11 à 6,2 milliards d’euros, soit - 43 % ([107]).

Le secteur de la presse traverse une crise déjà ancienne, liée en premier lieu à l’érosion du lectorat depuis plusieurs décennies. Entre 1973 et 2018, la proportion de Français ayant lu la presse au moins une fois au cours des 12 derniers mois a diminué de 26 points, passant de 77 % à 51 %. Ce sont les moins de 40 ans qui lisent le moins la presse : 24 % des 15-24 ans et 37 % des 35‑39 ans déclarent lire quotidiennement la presse, contre 44 % des 40-59 ans et 51 % des plus de 60 ans.

Lecture de la presse en France entre 1973 et 2018

(en %)

Source : direction générale des médias et des industries culturelles, 2021.

1.   Le déclin de la presse écrite

Le déclin de la presse écrite a commencé avant l’arrivée d’internet. Le nombre de titres de presse quotidienne nationale (PQN), par exemple, est passé de 26 en 1945 à 12 en 1953 et 9 aujourd’hui, selon les données de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM).

Le nombre de titres de presse quotidienne, quant à lui, est passé de 175 en 1946 à 85 en 1968, 69 en 1986 et 63 en 2023.

Cette crise se manifeste également par la diminution des tirages papier de la presse écrite, qui ont été divisés par deux entre 1985 et 2019 selon la direction générale des médias et des industries culturelles. La plus forte baisse concerne la PQN, dont les tirages ont diminué de 67 % sur la période. Le nombre de points de vente de presse est également en fort recul, en particulier depuis une dizaine d’années : - 24 % entre 2012 et 2020.

Les recettes du secteur de la presse écrite sont en forte baisse depuis 2007. Le chiffre d’affaires diminue en moyenne de 4,3 % par an entre 2007 et 2019, passant de 10,8 milliards d’euros à 6,4 milliards d’euros, soit une diminution globale de 42 %.

Évolution des recettes de la presse depuis 1990 (base 100 en 2000)

Source : enquête annuelle DGMIC

(p) : données provisoires

Le chiffre d’affaires de la presse papier a diminué de 10,4 % en 2020, recul dû en grande partie à la chute des recettes publicitaires ( 20,2 %).

2.   Les plateformes numériques entretiennent des relations commerciales déséquilibrées avec les éditeurs de presse et les concurrencent sur le marché de la publicité

a.   Des recettes publicitaires en berne

Les recettes publicitaires (publicité et annonces) ont fortement reculé pour l’ensemble de la presse depuis 2007, passant de 4,8 milliards d’euros à 1,9 milliard d’euros en 2019. En 2020, elles ont reculé de 20,2 % avant de repartir à la hausse en 2021 (+ 13,9 %), sans toutefois retrouver leur niveau de 2019 (‑ 10,0 % entre 2019 et 2021).

Depuis 2008, la part des recettes liées aux publicités et aux annonces dans la presse payante a diminué : elle représentait près de 43,7 % du chiffre d’affaires en 2008 contre 27,5 % estimé en 2021.

Le secteur le plus fragilisé est celui de la presse quotidienne régionale (PQR), l’Autorité de la concurrence ayant noté en 2011 que les ventes de titres de PQR avaient diminué de 10,6 % entre 2002 et 2009.

Parallèlement à cette chute des recettes, le nombre de journalistes a également diminué. Selon les données de l’Observatoire des métiers de la presse, cette diminution a été très importante dans les années 2010 (- 15 % entre 2009 et 2019), le nombre de journalistes étant désormais inférieur de 8 % au niveau de 2000. La baisse du nombre de journalistes est particulièrement marquée pour la presse magazine (- 24 % entre 2009 et 2019) et pour la presse spécialisée (- 21 %). Entre 2000 et 2019, le nombre de premières demandes de carte de presse a diminué de 48 %.

b.   L’essor des plateformes numériques

Les éditeurs de presse se trouvent aujourd’hui dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes, désormais incontournables s’agissant de l’accès aux contenus produits par ceux-ci.

La relation entre les éditeurs de presse et les plateformes est en effet asymétrique, du fait de la position dominante qu’occupent les plateformes sur le marché des services de recherche généraliste. En 2020 ([108]), l’Autorité de la concurrence a ainsi relevé que « Google est susceptible de détenir une position dominante sur le marché français des services de recherche généraliste. En effet, sa part de marché en nombre mensuel de requêtes est de l’ordre de 90 % à la fin de l’année 2019. Il existe, par ailleurs, de fortes barrières à l’entrée et à l’expansion sur ce marché, liées aux investissements significatifs nécessaires pour développer une technologie de moteur de recherche, et à des effets de réseaux et d’expérience de nature à rendre la position de Google difficilement contestable. »

Le trafic sur les sites des éditeurs est apporté par un nombre réduit de distributeurs de services, comme Google Search (onglet « Actualités ») et par les partages de leurs articles sur les réseaux sociaux. Ainsi, selon les données de l’Autorité de la concurrence, les moteurs de recherche représentent, selon les sites de 32 titres de presse, entre 26 % et 90 % du trafic redirigé sur leurs pages. Les éditeurs doivent ainsi se conformer à la politique d’affichage des plateformes pour ne pas perdre en visibilité.

En avril 2020, l’Autorité de la concurrence a enjoint à Google d’entamer une négociation avec les éditeurs et agences de presse relative à la rémunération due en application de la loi relative aux droits voisins. Confrontés à d’importantes difficultés lors de leurs premières négociations avec Google à l’automne 2019, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM), l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), le Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR), le Syndicat de la presse quotidienne départementale (SPQD), le Syndicat de la presse hebdomadaire régionale (SPHR) et l’Agence France-Presse (AFP) avaient saisi l’Autorité de la concurrence fin 2019.

La procédure initiée devant l’Autorité de la concurrence, clôturée le 21 juin 2022, a permis d’accélérer le processus de conclusion d’accords-cadres pour la rémunération des contenus au titre du droit voisin. Cette décision rend obligatoires, pour une durée de 5 ans, les engagements pris par Google. La plateforme s’engage notamment à entreprendre des négociations sur la base d’informations transparentes, sous la supervision d’un mandataire indépendant dont les avis s’imposeront, avec la possibilité de recourir à un tribunal arbitral en cas de blocage.

c.   La concurrence des plateformes entraîne une diminution des ressources publicitaires des éditeurs de presse

Les plateformes concurrencent les éditeurs de presse sur le marché de la publicité en ligne. Les annonceurs peuvent en effet acheter des espaces publicitaires sur les sites internet et applications des éditeurs ou auprès des plateformes numériques. Les plateformes bénéficient d’un pouvoir de marché considérable : Facebook et Google représentent 76 % des parts de marché de la publicité en ligne en 2019. Les plateformes captent également, au titre de leur rôle d’intermédiaire, une partie des montants investis par les annonceurs pour diffuser des publicités sur le site d’un média. Les éditeurs de presse ne toucheraient ainsi que 40 % de l’investissement publicitaire réalisé sur leurs sites par les annonceurs en ligne, et la rémunération des éditeurs au titre des droits voisins ne pourra pas compenser la perte structurelle de ressources publicitaires.

 

En 2019, une enquête menée à l’échelle internationale par la News Media Alliance ([109]) a apporté un éclairage intéressant ([110]). L’enquête montre que les géants du numérique sont grandement redevables à la presse dans la mesure où une part non négligeable du trafic des plateformes numériques serait approvisionnée par les contenus d’actualité issus de la presse. Environ 40 % des clics sur les requêtes de tendance concernent des contenus d’actualité.

De nombreuses tribunes ont fait à l’époque état de cet écart de valeur et ont dénoncé le manque de responsabilité des Gafam. Des figures de proue du secteur des médias, tel que M. Fabrice Fries, président-directeur général de l’Agence France-Presse, ont exprimé leur inquiétude : « Je ne comprends pas qu’on doive lutter pour ce qui devrait tomber sous le sens : la fin de la reprise de nos contenus sans compensation par des plateformes numériques qui récupèrent la quasiintégralité des revenus publicitaires associés à une production dont elles ne sont en rien à l’origine. » ([111])

La législation alors en vigueur n’incitait pas les plateformes à coopérer avec le secteur de la presse : les règles européennes en matière de droit d’auteur étaient datées et dépassées ([112]). Ainsi, les plateformes numériques ont bénéficié d’un cadre juridique insuffisamment contraignant.

Conformément à la directive européenne 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique ([113]), les plateformes bénéficient d’un régime de responsabilité́ limitée, attaché au statut d’hébergeur, et sont, à ce titre, exonérées d’un certain nombre d’obligations relatives aux contenus présents sur leur espace.

B.   la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins

1.   La protection des droits voisins des entreprises de presse

La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique est le fruit d’une longue série de négociations engagées en 2016, poursuivant l’objectif d’adapter le droit d’auteur de l’Union européenne devenu obsolète à l’ère des grandes plateformes numériques.

Le projet initial, tel que déposé par la Commission européenne en septembre 2016, a d’abord été rejeté par le Parlement européen en 2018. Dans une déclaration commune, plusieurs États membres (Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Italie, Finlande) pointaient alors un déséquilibre entre la protection des titulaires de droits et les intérêts des entreprises de l’Union européenne, et redoutaient des potentielles entraves à l’innovation.

Après avoir cristallisé de vives tensions entre les États membres, les titulaires des droits voisins et les grands acteurs du numérique, les institutions européennes se sont accordées sur un texte permettant de mieux protéger les détenteurs de droits, notamment les artistes créateurs et les éditeurs de presse.

La directive a créé un droit voisin à destination des éditeurs et agences de presse. Les éditeurs de presse doivent négocier des licences payantes avec les plateformes qui utilisent leurs articles, aux fins de partager les revenus générés. Des exceptions sont néanmoins prévues pour les mots isolés ou pour les très courts extraits d’une publication de presse. Les grandes plateformes numériques doivent conclure des accords avec les ayants droit afin qu’ils soient rémunérés. Si des contenus ne respectant pas le droit d’auteur sont publiés, la plateforme est tenue de les retirer, notamment en ayant recours à des technologies de filtrage automatique.

2.   La transposition et l’application de la directive

La France a transposé la directive avec la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

En novembre 2019, plusieurs organisations représentatives des entreprises de presse ont saisi l’Autorité de la concurrence en raison de difficultés dans la poursuite des négociations avec Google. En juillet 2021, l’Autorité ([114]) a prononcé à l’encontre de Google une sanction de 500 millions d’euros, en raison de son manque de transparence et de bonne foi dans les négociations. Depuis, la société américaine a conclu des accords avec :

– l’Alliance de la presse d’information générale (APIG), représentant environ 300 titres de presse ;

– l’Agence France-Presse (AFP) ;

– le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) ;

– la Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques (ADAGP) ;

– différents groupes de presse (Libération, Le Monde, Le HuffPost, Courrier International, La Vie et Le Monde diplomatique, L’Express, Le Figaro, etc.)

En octobre 2023, un nouvel accord a été conclu avec la société des Droits voisins de la presse (DVP).

Si plusieurs accords ont été conclus entre le groupe Meta et les éditeurs de presse, notamment l’APIG, d’autres plateformes ne jouent pas le jeu de la négociation. Microsoft et le réseau social X n’ont à ce jour pas signé d’accord garantissant la rémunération des entreprises de presse au titre de l’utilisation de leur production. En août 2023, l’AFP et plusieurs groupes de presse, dont Le Monde et Le Figaro, ont saisi en référé le tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir de X des éléments leur permettant de négocier l’utilisation de leurs contenus sur le réseau social. Les rapporteurs déplorent que les éditeurs de presse soient contraints de recourir à la justice pour que certaines plateformes respectent leurs obligations légales. Cette situation est d’autant plus inacceptable que les droits voisins de la presse pourraient représenter une source de financement de plusieurs centaines de millions d’euros par an.

Le 13 février 2024, M. Laurent Esquenet-Goxes et plusieurs de ses collègues ont déposé une proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse, constatant que « les entreprises du numérique ne jouent pas le jeu de la négociation. Les éditeurs et agences de presse sont contraints de les poursuivre en justice pour tenter d’obtenir une quelconque discussion. Si cette judiciarisation de la procédure a pu fonctionner, elle reste trop longue et incertaine pour permettre l’effectivité du droit. La seule entreprise véritablement sanctionnée n’a d’ailleurs pu l’être que par sa situation de position dominante sur son marché. » ([115]) La proposition de loi vise à imposer aux plateformes concernées la transmission obligatoire d’un certain nombre d’éléments déterminés par décret, les entreprises de presse manquant de données fiables pour négocier de bonne foi avec ces sociétés. En outre, le texte introduit une procédure de médiation par l’Autorité de la concurrence, en cas d’échec des négociations dans un délai d’un an à compter de leur demande d’ouverture. Les entreprises de presse pourraient saisir l’Autorité de la concurrence, qui chercherait alors une solution de compromis avec l’ensemble des parties prenantes, puis qui fixerait, en cas de désaccord persistant, les modalités de rémunération.

Alors que la directive européenne a été transposée il y a presque cinq ans, les rapporteurs souhaitent que le Parlement se saisisse rapidement de cette proposition de loi, qui devra tenir compte, le cas échéant, des propositions formulées dans le cadre des états généraux de l’information.

 

 

 


   Liste des propositions

Proposition n° 1 : Clarifier le statut de journaliste et réaliser une cartographie de la diversité des métiers participant à la production de l’information afin de mieux identifier les différents acteurs et leurs vulnérabilités spécifiques face aux diverses pressions et difficultés. Sur les chaînes de télévision, distinguer les chroniqueurs et les intervenants des journalistes par l’affichage obligatoire d’un bandeau indiquant la qualité des personnes.

Proposition n° 2 : Lutter contre la précarisation de la profession de journaliste en pérennisant des mesures d’aide aux jeunes pigistes.

Proposition  3 : Créer un statut juridique pour la rédaction constituée en collectif.

Proposition n° 4 du rapporteur Iñaki Echaniz : Attribuer à la rédaction un droit d’opposition sur les nominations ayant des conséquences directes sur le contenu éditorial du journal.

Proposition n° 5 : Établir un véritable recensement des chartes déontologiques et faciliter l’accès du public aux chartes par un lieu de consultation unique (par exemple, une page du site internet du ministère de la Culture).

Proposition n° 6 : Préciser dans la loi les textes faisant autorité en matière de déontologie journalistique afin de mieux encadrer le contenu des chartes.

Proposition n° 7 : Préciser les conditions d’application de l’article 20 de la loi Bloche afin d’identifier l’entité publique chargée du contrôle de la négociation des chartes déontologiques dans les organismes de médias soumis à cette obligation. Cette mission, qui pourrait être confiée à la direction générale des médias et des industries culturelles, devra également consister en un examen du contenu des chartes adoptées afin de s’assurer de leur adéquation aux textes déontologiques faisant autorité pour la profession de journaliste, qui devraient être consacrés par la loi (cf. n °6).

Proposition n° 8 : Encourager le développement de sociétés de rédacteurs/sociétés de journalistes aux pouvoirs élargis afin de pouvoir intégrer les journalistes dans le processus de nomination des directeurs de rédaction et dans les choix stratégiques de leur journal.

Proposition n° 9 : Conditionner le versement des aides publiques au respect de normes éthiques de production de l’information.

Proposition n° 10 : Mener un travail approfondi sur l’articulation entre CDJM, Arcom et comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes afin de renforcer la légitimité de chaque organisme dans le contrôle des obligations déontologiques de la production d’information.

Proposition n° 11 : Procéder à une évaluation extensive de l’application de la loi du 4 janvier 2010 afin de renforcer la protection du secret des sources.

Proposition n° 12 : Mener un travail de recension auprès des médias des procédures-bâillons initiées afin de les conduire à retarder ou annuler la diffusion d’un contenu pour mieux évaluer l’ampleur de ce phénomène au niveau national.

Proposition n° 13 : Transposer au plus vite les dispositions de la directive relative aux procédures-bâillons afin de sanctionner efficacement les procédures judiciaires abusives visant les journalistes.

Proposition n° 14 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 la possibilité pour le régulateur de prononcer une sanction à l’encontre d’un éditeur en cas de manquement à l’une de ses obligations déontologiques, si cet éditeur a déjà été mis en demeure pour un manquement à une autre de ses obligations déontologiques.

Proposition n° 15 : Confier à l’Inspection générale des affaires culturelles l’identification de solutions tendant à accélérer et simplifier la procédure de sanction de l’Arcom.

Proposition n° 16 : Prévoir dans la loi du 30 septembre 1986 la nomination des membres des Chipip des services de médias audiovisuels sur avis conforme de l’Arcom.

Proposition n° 17 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 la publication en ligne obligatoire de la composition des Chipip et le principe d’une saisine en ligne facilement accessible par tous.

Proposition n° 18 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 le principe de la participation du Chipip à un conseil d’administration du groupe audiovisuel auquel il appartient, une fois par an.

Proposition n° 19 : Inscrire dans la loi du 30 septembre 1986 que les conventions conclues avec l’Arcom déterminent les modalités de visibilité appropriée du Chipip, notamment via des passages réguliers à l’antenne. Prévoir la même obligation dans le cahier des charges des sociétés nationales de programme.

Proposition n° 20 : Introduire dans la loi du 30 septembre 1986 l’obligation pour les éditeurs privés et les sociétés nationales de programme de publier en ligne les avis des Chipip et, dans des conditions déterminées par la convention conclue avec l’Arcom ou le cahier des charges, la présentation de ces avis à l’antenne.


   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du 6 mars 2024, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation a examiné le rapport d’évaluation de l’impact de la loi n° 20161524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

 

Cette réunion n’a pas fait l’objet d’un compte rendu écrit ; elle est accessible sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : https://assnat.fr/Lmj3fM

À l’issue de sa présentation, la commission a autorisé la publication du rapport d’évaluation.

 

 


   ANNEXE N° 1 : CHARTE D’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DES JOURNALISTES

Le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelé dans la Déclaration des droits de l’homme et la Constitution française, guide le journaliste dans l’exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre.

Ces principes et les règles éthiques ci-après engagent chaque journaliste, quelles que soient sa fonction, sa responsabilité au sein de la chaîne éditoriale et la forme de presse dans laquelle il exerce.

Cependant, la responsabilité du journaliste ne peut être confondue avec celle de l’éditeur, ni dispenser ce dernier de ses propres obligations.

Le journalisme consiste à rechercher, vérifier, situer dans son contexte, hiérarchiser, mettre en forme, commenter et publier une information de qualité ; il ne peut se confondre avec la communication. Son exercice demande du temps et des moyens, quel que soit le support. Il ne peut y avoir de respect des règles déontologiques sans mise en œuvre des conditions d’exercice qu’elles nécessitent.

La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.

La sécurité matérielle et morale est la base de l’indépendance du journaliste. Elle doit être assurée, quel que soit le contrat de travail qui le lie à l’entreprise.

L’exercice du métier à la pige bénéficie des mêmes garanties que celles dont disposent les journalistes mensualisés.

Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte ou exprimer une opinion contraire à sa conviction ou sa conscience professionnelle, ni aux principes et règles de cette charte.

Le journaliste accomplit tous les actes de sa profession (enquête, investigations, prise d’images et de sons, etc.…) librement, a accès à toutes les sources d’information concernant les faits qui conditionnent la vie publique et voit la protection du secret de ses sources garantie.

C’est dans ces conditions qu’un journaliste digne de ce nom :

• Prend la responsabilité de toutes ses productions professionnelles, même anonymes ;

• Respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence ;

• Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles ;

• Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent ;

• Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révèlerait inexacte ;

• N’accepte en matière de déontologie et d’honneur professionnel que la juridiction de ses pairs ; répond devant la justice des délits prévus par la loi ;

• Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique ;

• Proscrit tout moyen déloyal et vénal pour obtenir une information. Dans le cas où sa sécurité, celle de ses sources ou la gravité des faits l’obligent à taire sa qualité de journaliste, il prévient sa hiérarchie et en donne dès que possible explication au public ;

• Ne touche pas d’argent dans un service public, une institution ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ;

• N’use pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée ;

• Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ;

• Cite les confrères dont il utilise le travail, ne commet aucun plagiat ;

• Ne sollicite pas la place d’un confrère en offrant de travailler à des conditions inférieures ;

• Garde le secret professionnel et protège les sources de ses informations ;

• Ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge.

 

 

 

   ANNEXE N° 2 : DÉCLARATION DES DEVOIRS ET DES DROITS DES JOURNALISTES (MUNICH, 1971)

Préambule

Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain.

Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.

La responsabilité des journalistes vis-à-vis du public prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.

La mission d’information comporte nécessairement des limites que les journalistes eux-mêmes s’imposent spontanément. Tel est l’objet de la déclaration des devoirs formulés ici.

Mais ces devoirs ne peuvent être effectivement respectés dans l’exercice de la profession de journaliste que si les conditions concrètes de l’indépendance et de la dignité professionnelle sont réalisées. Tel est l’objet de la déclaration des droits qui suit.

Déclaration des devoirs

Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont :

1) Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître ;

2) Défendre la liberté de l’information, du commentaire et de la critique ;

3) Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents ;

4) Ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des photographies et des documents ;

5) S’obliger à respecter la vie privée des personnes ;

6) Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte ;

7) Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ;

8) S’interdire le plagiat, la calomnie, la diffamation, les accusations sans fondement ainsi que de recevoir un quelconque avantage en raison de la publication ou de la suppression d’une information ;

9) Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs ;

10) Refuser toute pression et n’accepter de directives rédactionnelles que des responsables de la rédaction.

Tout journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer strictement les principes énoncés ci-dessus ; reconnaissant le droit en vigueur dans chaque pays, le journaliste n’accepte, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction de ses pairs, à l’exclusion de toute ingérence gouvernementale ou autre.

Déclaration des droits

1) Les journalistes revendiquent le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent la vie publique. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut en ce cas être opposé au journaliste que par exception en vertu de motifs clairement exprimés.

2) Le journaliste a le droit de refuser toute subordination qui serait contraire à la ligne générale de son entreprise, telle qu’elle est déterminée par écrit dans son contrat d’engagement, de même que toute subordination qui ne serait pas clairement impliquée par cette ligne générale.

3) Le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou sa conscience.

4) L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée de toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise.

Elle doit être au moins consultée, avant décision définitive, sur toute mesure intéressant la composition de la rédaction : embauche, licenciement, mutation et promotion de journaliste.

5) En considération de sa fonction et de ses responsabilités, le journaliste a droit non seulement au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat personnel assurant sa sécurité matérielle et morale ainsi qu’une rémunération correspondant au rôle social qui est le sien et suffisante pour garantir son indépendance économique.

 

 

 

   Annexe n° 3 : Charte mondiale d’éthique des journalistes

Préambule

Le droit de chacun.e à avoir accès aux informations et aux idées, rappelé dans l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits Humains, fonde la mission du journaliste. La responsabilité du/de la journaliste vis-à-vis du public prime sur toute autre responsabilité, notamment à l’égard de ses employeurs et des pouvoirs publics. Le journalisme est une profession, dont l’exercice demande du temps et des moyens et suppose une sécurité morale et matérielle, indispensable à son indépendance. La présente déclaration internationale précise les lignes de conduite des journalistes dans la recherche, la mise en forme, la transmission, la diffusion et le commentaire des nouvelles et de l’information, et dans la description des événements, sur quelque support que ce soit.

1. Respecter les faits et le droit que le public a de les connaître constitue le devoir primordial d’un.e journaliste.

2. Conformément à ce devoir le/la journaliste défendra, en tout temps, les principes de liberté dans la collecte et la publication honnêtes des informations, ainsi que le droit à un commentaire et à une critique équitables. Il/elle veillera à distinguer clairement l’information du commentaire et de la critique.

3. Le/la journaliste ne rapportera que des faits dont il/elle connaît l’origine, ne supprimera pas d’informations essentielles et ne falsifiera pas de documents. Il/elle sera prudent dans l’utilisation des propos et documents publiés sur les médias sociaux.

4. Le/la journaliste n’utilisera pas de méthodes déloyales pour obtenir des informations, des images, des documents et des données. Il/elle fera toujours état de sa qualité de journaliste et s’interdira de recourir à des enregistrements cachés d’images et de sons, sauf si le recueil d’informations d’intérêt général s’avère manifestement impossible pour lui/elle en pareil cas. Il/elle revendiquera le libre accès à toutes les sources d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits d’intérêt public.

5. La notion d’urgence ou d’immédiateté dans la diffusion de l’information ne prévaudra pas sur la vérification des faits, des sources et/ou l’offre de réplique aux personnes mises en cause.

6. Le/la journaliste s’efforcera par tous les moyens de rectifier de manière rapide, explicite, complète et visible toute erreur ou information publiée qui s’avère inexacte.

7. Le/la journaliste gardera le secret professionnel concernant la source des informations obtenues confidentiellement.

8. Le/la journaliste respectera la vie privée des personnes. Il/elle respectera la dignité des personnes citées et/ou représentées et informera les personnes interrogées que leurs propos et documents sont destinés à être publiés. Il/elle fera preuve d’une attention particulière à l’égard des personnes interrogées vulnérables.

9. Le/la journaliste veillera à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés et fera son possible pour éviter de faciliter la propagation de discriminations fondées sur l’origine géographique, raciale, sociale ou ethnique, le genre, les mœurs sexuelles, la langue, le handicap, la religion et les opinions politiques.

10. Le/la journaliste considérera comme fautes professionnelles graves le plagiat, la distorsion des faits, la calomnie, la médisance, la diffamation, les accusations sans fondement.

11. Le/la journaliste s’interdira de se comporter en auxiliaire de police ou d’autres services de sécurité. Il/elle ne sera tenu de remettre à ces services que des éléments d’information rendus publics dans un média.

12. Le/la journaliste fera preuve de confraternité et de solidarité à l’égard de ses consœurs et de ses confrères, sans renoncer pour la cause à sa liberté d’investigation, d’information, de critique, de commentaire, de satire et de choix éditorial.

13. Le/la journaliste n’usera pas de la liberté de la presse dans une intention intéressée, et s’interdira de recevoir un quelconque avantage en raison de la diffusion ou de la non-diffusion d’une information. Il/elle évitera – ou mettra fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d’intérêts dans l’exercice de son métier. Il/elle évitera toute confusion entre son activité et celle de publicitaire ou de propagandiste. Il/elle s’interdira toute forme de délit d’initié et de manipulation des marchés.

14. Le/la journaliste ne prendra à l’égard d'aucun interlocuteur un engagement susceptible de mettre son indépendance en danger. Il/elle respectera toutefois les modalités de diffusion qu'il/elle a acceptées librement, comme « l’off », l’anonymat, ou l’embargo, pourvu que ces engagements soient clairs et incontestables.

15. Tout-e journaliste digne de ce nom se fait un devoir d’observer strictement les principes énoncés ci-dessus. Il/elle ne pourra être contraint-e à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction et/ou sa conscience professionnelle.

16. Reconnaissant le droit connu de chaque pays, le/la journaliste n’acceptera, en matière d’honneur professionnel, que la juridiction d’instances d’autorégulation indépendantes, ouvertes au public, à l’exclusion de toute intrusion gouvernementale ou autre.

   Annexe n° 4 : Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes qui y concourent

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel,

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication ;

Vu la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ;

Après en avoir délibéré,

Décide :  

La loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias a confié au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission de garantir l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l’article 1er de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication. Cette loi prévoit également que le Conseil doit s’assurer que les intérêts économiques des actionnaires des éditeurs de services de communication audiovisuelle et de leurs annonceurs ne portent aucune atteinte à ces principes. C’est sur la mise en œuvre de ces missions que porte la présente délibération.

Cette délibération s’applique à l’ensemble des services de communication audiovisuelle. L’information et les programmes qui y concourent, au sens de la loi précitée, peuvent comprendre les commentaires sur l’actualité réalisés dans des émissions autres que d’information politique et générale.

Afin de garantir les objectifs fixés par la loi, les éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent les dispositions énoncées ci-après.  

Article 1

L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle doit assurer l’honnêteté de l’information et des programmes qui y concourent.

Il veille à éviter toute confusion entre information et divertissement.

Pour ses émissions d’information politique et générale, l’éditeur fait appel à des journalistes. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas aux services de télévision déclarés au titre du II de l’article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, ni aux services de radio autres que généralistes à vocation nationale (radios de catégorie E) ou thématiques à vocation nationale (radios de catégorie D) qui proposent un projet éditorial au moins en partie axé sur l’information politique et générale et qui prévoient dans la convention conclue avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel au moins quinze heures par semaine d’information (flashs, journaux et magazines) programmées majoritairement dans des tranches d’information en continu.

L’éditeur garantit le bien-fondé et les sources de chaque information. Dans la mesure du possible, l’origine de celle-ci doit être indiquée. L’information incertaine est présentée au conditionnel.

Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.

Il veille au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne.  

Article 2

L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à l’adéquation entre le contexte dans lequel des images, des propos ou des sons ont été recueillis et le sujet qu’ils viennent illustrer. Toute utilisation d’archives est annoncée par une incrustation à l’écran ou, pour les services de radio, par une mention à l’antenne, éventuellement répétées. Si nécessaire, mention est faite de l’origine des archives.

Les images, les propos ou les sons reproduits pour une reconstitution ou une scénarisation de faits réels, ou supposés tels, doivent être présentés comme tels au public.

Dans les émissions d’information, l’éditeur s’interdit de recourir à des procédés permettant de modifier le sens ou le contenu des images, des propos ou des sons. Dans les programmes qui concourent à l’information, sous réserve de la caricature ou du pastiche clairement présentés comme tels au public, lorsqu’il est fait usage de tels procédés, ceux-ci ne peuvent déformer le sens ou le contenu initial des images, des propos ou des sons recueillis, ni abuser le public.

Le recours aux procédés permettant de recueillir des images, des propos ou des sons à l’insu des personnes filmées ou enregistrées doit être limité aux nécessités de l’information du public. Il doit être restreint aux cas où il permet d’obtenir des informations difficiles à recueillir autrement. Il doit être porté à la connaissance du public. Les personnes et les lieux ne doivent pas pouvoir être identifiés, sauf exception ou si le consentement des personnes a été recueilli préalablement à la diffusion de la séquence.

Le recours aux procédés de « micro-trottoir » ou de vote du public, qui ne peut être qualifié de sondage, ne doit pas être présenté comme représentatif de l’opinion générale ou d’un groupe en particulier, ni abuser le public sur la compétence ou l’autorité des personnes sollicitées.  

Article 3

Dans le respect du droit à l’information, la diffusion d’émissions, d’images, de propos ou de documents relatifs à des procédures judiciaires ou à des faits susceptibles de donner lieu à une information judiciaire nécessite qu’une attention particulière soit portée au respect de la vie privée, au respect de la présomption d’innocence, ainsi qu’à l’anonymat des mineurs délinquants au sens de l’ordonnance du 2 février 1945 ou victimes ou en grande difficulté dans les conditions prévues par l’article 39 bis de la loi du 29 juillet 1881, sans préjudice des dispositions de la délibération du 17 avril 2007 relative à l’intervention des mineurs dans le cadre d’émissions de télévision diffusées en métropole et dans les département d’outre-mer.

L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille, dans la présentation d’un acte ou d’une décision juridictionnels, à ce qu’il ne soit pas commenté de manière à jeter publiquement le discrédit dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. Ces dispositions ne s’appliquent pas aux commentaires techniques ni aux actes, paroles, écrits ou images de toute nature tendant à la réformation, la cassation ou la révision d’une décision.

Lorsqu’une procédure judiciaire en cours est évoquée à l’antenne, l’éditeur doit veiller à ce que :  - l’affaire soit traitée avec mesure, rigueur et honnêteté ; – le traitement de l’affaire ne constitue pas une entrave caractérisée à cette procédure ; – la présentation des différentes thèses en présence soit assurée, en veillant notamment à ce que les parties en cause ou leurs représentants soient mis en mesure de faire connaître leur point de vue.  

Article 4

L’éditeur d’un service de communication audiovisuelle veille à ce que les émissions d’information et les programmes qui y concourent soient réalisés dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses annonceurs.

À la demande du Conseil supérieur de l’audiovisuel, l’éditeur précise les mesures qu’il met en œuvre à cette fin.

Lorsque l’éditeur présente à l’antenne, en dehors des écrans publicitaires, des activités développées par une personne morale ou physique avec laquelle il a des liens capitalistiques directs ou indirects, il s’attache, notamment par la modération du ton et la mesure dans l’importance accordée au sujet, à ce que cette présentation revête un caractère strictement informatif. À cette occasion, il indique au public la nature de ces liens.

Article 5

Compte tenu de l’enjeu particulier qui s’attache à leur format, les conventions des services de télévision d’information en continu diffusés par voie hertzienne terrestre fixent, en application de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986, les stipulations particulières à chacun d’eux visant à préserver l’indépendance de l’information à l’égard des intérêts des actionnaires.  

Article 6

Les dispositions de la présente délibération s’appliquent sans préjudice des stipulations particulières qui figurent dans les conventions des services de télévision et de radio.

La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française.   

Fait à Paris, le 18 avril 2018.

Pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel : 

Le président,

N. Curien

 


   ANNEXE n° 5 : Liste des personnes entendues par lEs rapporteurs

(Par ordre chronologique)

       M. Patrick Bloche, conseiller de Paris, ancien député et président de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, et M. Marc Bonneau, collaborateur de cabinet

       Table ronde des syndicats de journalistes

– Syndicat national des journalistes (SNJ) – M. Emmanuel Poupard, premier secrétaire général, et M. Alexandre Buisine, membre du bureau national

– Union syndicale des journalistes CFDT (CFDT-Journalistes) –M. Christophe Pauly, secrétaire national, pôle médias, service juridique, F3C CFDT

       Reporters sans frontière  M. Christian Deloire, secrétaire général

       M. Olivier Schrameck, ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel

       Table ronde des agences de presse

– Agence France presse (AFP)  M. Fabrice Fries, président-directeur général

– SATEV/FFAP * (Syndicat des Agences de Presse Audiovisuelles / Fédération française des agences de Presse)  M. Christian Gerin, président, et Mme Florence Braka, directrice générale

       Table ronde des éditeurs

– Alliance de la presse d’information générale (APIG) * – M. Philippe Carli, président, M. Pierre Petillault, directeur général, Mme Léa Boccara, responsable du pôle juridique, et M. Jean-Pierre de Kerraoul, membre du conseil d’administration et président de la commission juridique

– Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) * –Mme Cécile Dubois, coprésidente

 Syndicat des éditeurs de la presse magazine (SEPM) *  M. Alain Augé, président, et Mme Julie Lorimy, directrice générale

       M. Anthony Requin, inspecteur général des finances, M. Louis de Crevoisier, inspecteur des finances, et Mme Sylviane Tarsot-Gillery, inspectrice des affaires culturelles, co-auteurs du rapport La concentration dans le secteur des médias à l’ère numérique : de la réglementation à la régulation

       Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM)M. Yann Guégan, vice-président, journaliste à Contexte, chargé de l’innovation éditoriale, et M. Pierre Ganz, secrétaire du bureau et membre du collège journalistes

       M. Erik Orsenna

       Société des journalistes des Échos – Mmes Leïla de Comarmond, Isabelle Couet et Isabelle Ficek

       M. Emmanuel Hoog, directeur général des Nouvelles Editions indépendantes, auteur d’un rapport au ministère de la Culture intitulé Confiance et liberté  Vers la création d’une instance d’autorégulation et de médiation de l’information (octobre 2018)

       Table ronde de sociétés de journalistes

– Société des journalistes et des personnels de Libération  M. Fabien Leboucq, journaliste

– Société civile des journalistes Sud-Ouest  MM. Jean-Denis Renard, gérant, Frédéric Sallet et Yann Saint-Sernin, journalistes à Sud Ouest, membres du conseil de gérance de la Société civile des journalistes de Sud Ouest, organe de sa gouvernance

– Société des journalistes Le Figaro  M. Jean-Baptiste Garat, président

       Table ronde des directeurs d’écoles de journalisme

– Centre de formation des journalistes (CFJ Paris) – Mme Stéphanie Lebrun, directrice

– Centre universitaire d’enseignement du journalisme de Strasbourg (CUEJ)  M. Christophe Deleu, directeur

– École de journalisme de Toulouse (EJT)  M. Pierre Ginabat, directeur

– École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) – M. Pierre Savary, directeur général

       M. Erwan Seznec, journaliste

       M. Jacques Hardoin, ancien directeur de publication de La Voix de Nord

       Table ronde des directeurs de l’information des chaines du public

 France télévisions *  M. Alexandre Kara, directeur de l’information, et Mme Lucie Miquel, chargée de relations institutionnelles

– Arte France * – Mmes Renée Kaplan, directrice de l’information, et Adeline Cornet, secrétaire générale

– France Médias Monde * – Mmes Cécile Megie, directrice des stratégies et coopérations éditoriales transverses, et Fanny Boyer, adjointe au directeur en charge des relations institutionnelles

– Radio France *  M. Jean-Philippe Baille, directeur de l’information, et Mme Marie Ménard, chargée des relations institutionnelles

       Table ronde des directeurs de l’information des chaines de radio privées

– Europe 1 * – MM. Donat Vidal-Revel, directeur général et directeur de l’information, et Alain Liberty, directeur des affaires institutionnelles et réglementaires, directeur de l’antenne

– RMC BFM *  M. Karim Nedjari, directeur général de RMC, et Mme Alix de Montesquieu, responsable affaires institutionnelles Altice Media

– RTL * – Mme Karine Blouët, secrétaire générale du groupe M6, et M. Frank Moulin, directeur de l’information

       Table ronde des directeurs de l’information des chaines de télévision privées

 Groupe TF1 *  Mme Julie Burguburu, secrétaire générale, et M. Thierry Thuillier, directeur général adjoint Information

 Groupe M6 *  Mme Karine Blouët, secrétaire générale, M. Stéphane Gendarme, directeur de l’information, Mmes Marie Grau-Chevallereau, directrice des études réglementaires, Cécile Durand Girard, directrice des relations institutionnelles et affaires réglementaires, et Pauline Marin, chargée d’affaires publiques et européennes

– C NEWS * – MM. Thomas Bauder, directeur de l’information, Christophe Roy, directeur des affaires réglementaires, et Mme Amélie Meynard, directrice des affaires publiques

– BFM * – M. Hervé Béroud, directeur général délégué d’Altice Media (BFM, RMC), et Mme Marie Lhermelin, secrétaire générale adjointe (Altice France)

       Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)  M. Roch-Olivier Maistre, président, Mme Justine Boniface, directrice de cabinet, Mme Anne Grand d’Esnon, membre du collège, et M. Guillaume Blanchot, directeur général

       Audition commune

 Comité d’éthique de Radio France *  Mme Françoise Benhamou, présidente, Mme Alice Antheaume, Mme Chine Labbé, M. Alban de Nervaux, et M. Francesco Martucci, membres, et Mme Quitterie Hugonneau Beaufet, chargée des affaires institutionnelles

 Comité d’éthique de France Télévisions *  Mme Christine Albanel, présidente

       Table ronde des plateformes numériques

 Facebook * Mme Elisa Borry-Estrade, public policy manager, et M. Martin Signoux, public policy manager

 Twitch  Mme Philippine Colrat, responsable affaires publiques

 X *  Mme Claire Dilé, directrice des affaires publiques

 YouTube France *  M. Thibault Guiroy, Head of Government Affairs & Public Policy

       Représentants de la presse indépendante

 Fonds pour une presse libre – Mme Charlotte Clavreul, directrice exécutive

 Association Sherpa *  Mmes Tiphaine Beau de Loménie, responsable contentieux et plaidoyer, et Pauline Delmas, chargée de contentieux et plaidoyer

 Médiapart  M. Antton Rouget, journaliste enquêteur

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 

 


([1]) Cette chaîne a pris la dénomination de « CNews » en 2017.

([2]) Délibération n° 2017-62 du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision.

([3]) L’Arcom est l’autorité publique indépendante qui résulte de la fusion le 1er janvier 2022 du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), suite à la publication de la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique.

([4]) Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, M. Patrick Bloche, Assemblée nationale, 2 mars 2016, XIVe législature, n°3542.

([5]) Baromètre Edelman, 16 janvier 2016, https://www.edelman.com/trust/2016-trust-barometer.

([6]) Baromètre Edelman, 23 janvier 2023, https://www.edelman.fr/research/2023-edelman-trust-barometer.

([7]) https://www.kantarpublic.com/fr/barometres/barometre-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media/barometre-2023-de-la-confiance-des-francais-dans-les-media

([8]) Verian est le nouveau nom de Kantar Public.

([9]) L’Observatoire des métiers de la presse a été créé à l’initiative des partenaires sociaux de la filière presse au travers de l’accord collectif national sur la formation professionnelle de la filière de la presse du 7 avril 2005.

La mission principale de l’Observatoire, telle que définie dans l’accord collectif national sur la formation professionnelle, est « d’étudier la situation et l’évolution quantitative et qualitative de l’emploi et des qualifications dans la presse, pour en apprécier l’adéquation aux besoins des entreprises ». https://data.metiers-presse.org/index.php

([10]) Entre 2016 et 2022, le nombre de journalistes en CDI est passé de 26 021 à 23 981 et le nombre de journalistes pigistes est passé de 6 600 à 7 671.

([11]) Loi du 29 mars 1935 relative au statut des journalistes professionnels : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000877368  

([12]) Article L. 7112-3 du code du travail.

([13]) Article L. 7112-4 du code du travail.

([14]) Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, M. Patrick Bloche, Assemblée nationale, 2 mars 2016, XIVe législature, n° 3542.

([15]) Propos tenus lors de l’audition des représentants du CDJM le 6 juillet 2023.

([16]) https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-813.html#timeline-1  

([17]) Article 1er de la proposition de loi n° 813.

([18]) Article 2 de la proposition de loi n° 813

([19]) Bertrand Verfaillie, Sociétés de rédacteurs, sociétés de journalistes, les rédactions ont-elles une âme ?, Alliance internationale des journalistes, mars 2008, p. 10

([20]) Lors de la table-ronde organisée par les rapporteurs dans le cadre de leurs auditions, les représentants de la SDR de Libération ont indiqué réfléchir à une autre forme juridique pour « pérenniser les ressources et les fonds propres de la SDJ, notamment pour les frais d’avocats dans le cadre des négociations, principalement avec l’actionnaire ».

([21]) M. Christophe Deloire a été auditionné le 17 avril 2023, avant de devenir le délégué général des États généraux du droit à l’information.

([22]) L’expression désigne, dans le domaine de la communication, les intermédiaires chargés de gérer l’accès de certaines informations ou événements à la sphère publique, par le choix de la médiatisation.

([23]) https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/library/2018-code-practice-disinformation

([24]) Conseil d’État, Les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique, rapport annuel, 27 septembre 2022.

([25]) https://cdjm.org/presentation/  

([26]) Juliette Labracherie, « Qu’est-ce qu’un conseil de déontologie journalistique ? », La Revue des médias, 4 décembre 2019.

([27]) Il s’agit de l’AFP, Challenges, Europe 1, L’Express, Le Figaro, Franceinfo TV, France 3, France Bleu, France Info, France Inter, LCI, Mediapart, L’Obs, Le Parisien, Le Point, TF1, La Tribune, TV5 Monde et 20 Minutes.

([28]) Communiqué de presse du 20 novembre 2019 publié par les 19 rédactions.  

([29]https://www.liberation.fr/debats/2019/02/17/conseil-de-presse-de-quoi-parle-t-on_1709944/

([30]) CEDH, 2e sect., 27 nov. 2007, Tilack c/ Belgique.

([31]) L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse dispose ainsi que :

« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public.

Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public.

Il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi. Cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources.

Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. »

([32]) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000027534678  

([33]) « Petite loi » n° 820 :  https://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0820.asp

([34]) https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2016/2016738DC.htm  

([35]) https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/?redirected=1

([36]) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000027324252  

([37]) Les professeurs américains George W. Pring et Penelope Canan, premiers chercheurs à conceptualiser le « slapp » ont mené à partir des années 1970 une vaste enquête nationale sur cette pratique judiciaire spécifique, qui leur a permis de recenser des dizaines de milliers de cas de citoyens américains réduits au silence suite à des menaces de poursuites judiciaires.

([38]) Anne-Marie Voisard, « Le droit du plus fort », Écosociété, octobre 2018.

([39]) L’utilisation des poursuites-bâillons pour réduire au silence les journalistes, les ONG et la société civile, commission JURI, Parlement européen, septembre 2021.

https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2021/697288/IPOL_STU(2021)697288_FR.pdf

([40]) Commission européenne, Communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : rapport 2022 sur l’État de droit, 13 juillet 2022.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A52022DC0500  

([41]) Commission européenne, Communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : rapport 2023 sur l’État de droit, 5 juillet 2023.

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52023DC0800  

([42]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives (« poursuites stratégiques altérant le débat public »), COM/2022/177 final, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52022PC0177

([43]) Article 13 de la loi du 30 septembre 1986.

([44]) L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est née, le 1er janvier 2022, de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

([45]) Considérant 11.

([46]) Décision n° 93-333 DC du 21 janvier 1994, considérant 26.

([47]) Décision n° 2009-577 DC du 3 mars 2009, considérant 3.

([48]) Deuxième alinéa de l’article 34 de la Constitution, dans sa rédaction résultant de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

([49]) Décision n° 2015-511 QPC du 7 janvier 2016.

([50]) Article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986.

([51]) « L’autorité peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi. Ces recommandations sont publiées au Journal officiel de la République française. »

([52]) Voir l’annexe n° 4 du présent rapport d’information.

([53]) Décision n° 2022-224 du 20 avril 2022 relative à la procédure de sanction engagée le 16 décembre 2020 à l’encontre de la société d’exploitation d’un service d’information (SESI).

([54]) Rapport annuel 2022 de l’Arcom, 24 mai 2023.

([55]) Décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 mettant en demeure la société C8.

([56]) Rapport annuel 2022 de l’Arcom, 24 mai 2023.

([57]) L’Arcom avait constaté un manquement à l’article 2-3-8 (honnêteté et indépendance de l’information et des programmes) de la convention conclue en 2019 entre le CSA et C8, ainsi qu’aux articles premier et 3 de la délibération du 18 avril 2018.

([58]) Décision n° 2019-252 du 5 juin 2019 mettant en demeure la société NRJ12 en ce qui concerne le service de télévision du même nom.

([59]) Décision n° 2023-64 du 9 février 2023 mettant en demeure la société C8.

([60]) Conseil d’État, 5ème et 6ème chambres réunies, 13 février 2024, n° 463162.

([61]https://www.conseil-etat.fr/actualites/pluralisme-et-independance-de-l-information-l-arcom-devra-se-prononcer-a-nouveau-sur-le-respect-par-cnews-de-ses-obligations

([62]) Il s’agit, par exemple, de l’organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontières, qui a notamment demandé à l’Arcom, en novembre 2021, d’engager une procédure de mise en demeure à l’encontre de la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI), éditeur de la chaîne CNews.

([63]) Ont été instruits sur le fondement de la délibération du 18 avril 2018 : 62 dossiers en 2019 (sur 98 dossiers de déontologie), 79 dossiers en 2020 (sur 124 dossiers), 61 dossiers (sur 122 dossiers), 46 dossiers en 2021 (sur 115 dossiers).

([64]) Baromètre 2023 de la confiance des Français dans les médias, Kantar Public France.

([65]) Décision n° 2024-43 du 17 janvier 2024 portant sanction pécuniaire à l’encontre de la Société d’exploitation d’un service d’information (SESI).

([66]) Conseil d’État, 5ème et 6ème chambre réunies, 1er juillet 2022, n° 463162.

([67]https://rsf.org/fr/affaire-bollor%C3%A9-rsf-saisit-le-conseil-d-etat-contre-l-inaction-de-l-arcom-et-d%C3%A9pose-une-question

([68]) Article 3-1-1 de la convention conclue le 27 novembre 2019 entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la SESI, éditeur du service de télévision CNews.

([69]) François Jost, CNews, un exemple de chaîne d’opinion ?, 2022.

([70]) Cette obligation est inscrite à l’article 2-3-1 de la convention conclue entre le CSA et la SESI : « L’éditeur assure le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion notamment dans le cadre des recommandations formulées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, en particulier de la délibération relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision. »

([71]) Rapport n° 593 de M. David Assouline, enregistré à la présidence du Sénat le 29 mars 2022.

([72]) Délibération n° 2017-62 du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision.

([73]) https://www.arcom.fr/presse/decision-du-conseil-detat-du-13-fevrier-2024-reaction-de-larcom

([74]) 7° de l’article 29 de la loi du 30 septembre 1986.

([75]) La sanction a été prononcée par l’Arcom le 17 janvier 2024, concernant des propos tenus au cours d’une émission du 26 septembre 2022.

([76]) Proposition n° 18 de la commission d’enquête.

([77]) Décision n° 2023-64 du 9 février 2023 mettant en demeure la société C8.

([78]) Décision n° 2022-704 du 16 novembre 2022 mettant en demeure la société C8.

([79]) Conformément à l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986.

([80]) Article 30-8 de la loi du 30 septembre 1986.

([81]) C’est-à-dire « toute personne qui, pendant l’exercice de ses fonctions au sein du comité ainsi qu’au cours des deux années précédant sa prise de fonction, n’a pas pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans la personne morale éditrice du service de radio ou de télévision en cause, à l’égard de l’un de ses actionnaires ou dans une des sociétés dans laquelle cet éditeur ou l’un de ses actionnaires détient une participation ou avec laquelle il entretient une relation commerciale ».

([82]https://www.liberation.fr/futurs/2016/12/20/i-tele-bollore-nomme-un-nouveau-comite-d-ethique-tres-inoffensif_1536452/

([83]) https://www.vivendi.com/communique/composition-comite-dethique/

([84]https://www.radiofrance.com/comite-ethique-de-radio-france

([85]https://www.radiofrance.com/sites/default/files/2019-12/reponse%20du%20CHIPIP%20a%20la%20saisine%20de%20Sibyle%20Veil%20du%2001102019.pdf

([86]) https://www.radiofrance.com/sites/default/files/2022-01/guide_des_bonnes_pratiques_pour_l_usage_des_reseaux_sociaux.pdf

([87]) https://www.arcom.fr/nos-ressources/espace-juridique/decisions/emission-le-grand-dimanche-soir-diffusee-le-29-octobre-2023-france-inter-mise-en-garde

([88]) Conseil d’État, 5ème / 4ème SSR, 4 février 2015, n° 367519.

([89]) IGF et IGAC, La concentration dans le secteur des médias à l’ère numérique : de la réglementation à la régulation, mars 2022.

([90]) Sixième alinéa de l’article 29.

([91]https://fondspresselibre.org/59-propositions-pour-liberer-linfo

([92]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un cadre commun pour les services de médias dans le marché intérieur (législation européenne sur la liberté des médias) et modifiant la directive 2010/13/UE. Un accord entre le Conseil et le Parlement européen est intervenu le 15 décembre 2023.

([93]Conseil de l’Europe https://www.coe.int/fr/web/artificial-intelligence/what-is-ai

([94]CNIL, https://www.cnil.fr/fr/intelligence-artificielle/glossaire-ia

([95]CNIL, https://www.cnil.fr/fr/definition/apprentissage-automatique

([96]) https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:e0649735-a372-11eb-9585-01aa75ed71a1.0020.02/DOC_1&format=PDF p. 1

([97]) Alexandre Piquard et Brice Laemle, « Les médias s’essaient prudemment à l’intelligence artificielle », Le Monde, 21 septembre 2023.

([98]https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/face-a-lia-lacte-de-traduction-est-fondamentalement-humain-20231003_N7EQRQJLQ5AMNLFWS7AP46CV6Y/

([99]) Journalisme et intelligence artificielle : les bonnes pratiques, Conseil de déontologie journalistique et de médiation, 3 juillet 2023 : https://cdjm.org/journalisme-et-intelligence-artificielle-les-bonnes-pratiques/

([100]) Voir la question posée par la rapporteure à la ministre de la culture en séance publique, le 7 février 2024 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/seance/session-ordinaire-de-2023-2024/seance-du-mercredi-07-fevrier-2024#3367921

([101]) https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:e0649735-a372-11eb-9585-01aa75ed71a1.0020.02/DOC_1&format=PDF p. 45

([102]) https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/policies/regulatory-framework-ai  

([103]) https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/31/joe-biden-annonce-un-plan-de-mesures-pour-controler-l-intelligence-artificielle_6197410_3234.html  

([104]) De l’Union européenne au Royaume-Uni, des voies concurrentes pour réguler l’IA https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/10/23/de-bruxelles-a-londres-des-voies-concurrentes-pour-reguler-l-ia_6196058_3234.html

([105]) Statistiques de la culture et de la communication : chiffres clés 2022.

([106]) Laure Turner, « Le poids économique direct de la culture en 2019 », Culture chiffres, vol. 1, n° 1, 2021, pp. 1-20.

([107]) Rapport d’information n° 4902 (XVe législature) de M. Laurent Garcia sur l’application du droit voisin au bénéfice des agences, des éditeurs et professionnels du secteur de la presse, 12 janvier 2022.

([108]) Autorité de la concurrence, décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale et l’Agence France-Presse.

([109]) La News Media Alliance est une association professionnelle nord-américaine qui réunit environ 2 000 journaux aux États-Unis et au Canada.

([110]) https://www.newsmediaalliance.org/wp-content/uploads/2019/06/Google-Benefit-from-News-Content.pdf

([111]) https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2018/09/11/fabrice-fries-les-gafa-doivent-accepter-un-partage-de-la-valeur_5353437_3236.html

([112]) Directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

([113]) Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).

([114]) Décision n° 21-D-17 du 12 juillet 2021 relative au respect des injonctions prononcées à l’encontre de Google dans la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020.

([115]https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2169_proposition-loi#