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Document E1011
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.


E1011 déposé le 13 février 1998 distribué le 18 février 1998 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(1997) 0628 final du 10 décembre 1997, transmis au Conseil de l'Union européenne le 21 janvier 1998)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document a été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne :

    Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.
    (JO L 167 du 22 juin 2001) (Notification d'adoption publiée au JOLD du 21/07/2001 p.11804)

 Base juridique :

Article 57 paragraphe 2, articles 66 et 100 A du traité instituant la Communauté européenne.

 Procédure :

Procédure de l’article 189 B du traité: codécision et vote du Conseil à la majorité qualifiée. Avis du Comité économique et social.

 Motivation et objet :

La proposition de directive tend à fournir un cadre juridique harmonisé et adéquat protégeant les oeuvres mises en circulation et exploitées sur les nouveaux réseaux de communication.

On assiste en effet avec la société de l’information, à la mise en circulation incontrôlée de biens et de services protégés par le droit d’auteur et par des droits voisins (qui protègent les artistes interprètes ou exécutants, les producteurs d’oeuvres cinématographiques, les producteurs de disques et les radiodiffuseurs). La circulation de l’image du son et du texte est radicalement transformée avec l’expansion des technologies numériques qui les rendent accessibles directement par un ordinateur connecté à un réseau. L’environnement numérique signifie également de nouveaux moyens de transmission (transmission numérique par satellite), une amélioration de la qualité de la transmission et surtout, grâce à la facilité de stockage des produits numérisés, l’apparition de nouveaux produits plus performants tels que les vidéodisques, CD-ROM et CD-I (CD interactif). Le contenu numérisé d’une combinaison d’éléments (sons, données informatiques, images, textes), est donc mis en permanence, d’un point du globe à l’autre, à la disposition des utilisateurs via Internet ou d’autres réseaux.

Ces nouvelles possibilités de création et d’exploitation de la propriété intellectuelle au niveau mondial représentent une source potentielle de création de richesses qui nécessitent des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux. Ces investissements ne seront réalisés, en particulier au niveau européen, que si ces productions intellectuelles bénéficient d’une protection juridique efficace. En l’absence de cette protection, les actes de piraterie qui se produisent déjà et qui représentent des pertes financières énormes pour les auteurs d’objets protégés, auraient un effet dissuasif sur la création d’oeuvres destinées au nouvel environnement multimédia.

Pour autant, la protection des droits des auteurs ne doit pas conduire à la paralysie de l’économie de la communication en réseau.

A la demande du Conseil européen de Corfou des 24 et 25 juin 1994, la Commission s’est emparée de ces questions en s’appuyant sur la nécessité de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur dans le secteur du multimédia, en réduisant les distorsions de concurrence induites par les disparités de protection du droit d’auteur entre les Etats membres et sur celle de créer un environnement favorable à la créativité et à l’innovation.

Le Livre vert du 19 juillet 1995 sur «  le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information  » a été suivi d’une large consultation sous forme de contributions orales et écrites, auprès des Etats membres et des parties concernées, qui a abouti à une communication de la Commission du 20 novembre 1996 (COM(96) 568 final), concluant à la nécessité d’harmoniser davantage les aspects du droit d’auteur et des droits voisins touchés par les nouveaux défis posés par la numérisation et le multimédia.

Cette démarche n’est pas exceptionnelle, puisque le droit communautaire comporte déjà des directives harmonisant le droit de reproduction (élément essentiel du droit d’auteur) des programmes d’ordinateur (directive 91/250/CEE) et des bases de données (directive 96/9/CE en cours de transposition).

Le texte soumis à notre examen a également pour objet la transposition de deux nouveaux traités de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) signés en décembre 1996 par plus de cent pays, dont la France, ainsi que par la Communauté européenne, qui visent à améliorer les moyens de lutte internationale contre le piratage en renforçant la protection du droit d’auteur et du droit sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes.

En revanche, la question de la responsabilité relative aux activités réalisées dans un environnement de réseau qui concerne pour partie le droit d’auteur et les droits voisins mais surtout d’autres domaines telle que la diffusion de matériel illégal et préjudiciable, n’est pas abordée par la présente proposition et sera traitée de manière horizontale dans une prochaine directive relative aux services de la société de l’information y compris le commerce électronique.

 Appréciation au regard du principe de subsidiarité :

La Communauté agit dans le cadre de la réalisation des objectifs du marché intérieur, tout en laissant aux Etats membres une certaine liberté quant aux moyens à employer pour y parvenir.

 Contenu et portée :

Le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle rendue nécessaire par l’évolution technologique et la diversification des vecteurs de création, de production et d’exploitation, ne nécessite aucun concept nouveau, mais une adaptation des règles actuelles en matière de droit d’auteur et de droits voisins.

Les mesures législatives proposées, étendent à quatre types d’actes, avec des exceptions, la protection découlant de la propriété intellectuelle: le droit de reproduction, le droit de communication au public, le droit de distribution et la protection juridique de l’intégrité des systèmes techniques d’identification et de protection. La proposition contient également des dispositions sur le principe de l’épuisement des droits et des mesures relatives à l’information sur la gestion des droits.

Le droit de reproduction (article 2)

Les Etats membres devront prévoir le droit exclusif pour les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants les producteurs de phonogrammes, les producteurs de films et les organismes de radiodiffusion, d’autoriser ou d’interdire, la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie, de leur œuvre.

La notion de reproduction indirecte permet de viser toute reproduction, indépendamment de la distance géographique entre la source et le lieu de la reproduction et sans tenir compte du fait qu’il peut y avoir des étapes intermédiaires (comme la diffusion en ligne) entre le premier acte de reproduction et un acte subséquent.

La reproduction peut être permanente, c’est à dire effectuée par la fixation de l’oeuvre sur un support tangible comme un livre ou un support numérisé ou provisoire, par exemple dans la mémoire d’un ordinateur.

Dans tous ces cas la reproduction est soumise à autorisation préalable des titulaires de droits.

Le droit de communication au public (article 3).

Il s’entend, pour les mêmes bénéficiaires, du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la diffusion de l’original ou de la copie d’une oeuvre, que cette communication se fasse par fil ou sans fil.

La notion de communication au public recouvre donc toute communication qui est faite par un autre moyen que la mise à disposition du public d’un exemplaire physique de l’oeuvre ce qui vise en particulier la diffusion en réseau.

Il appartient à chaque Etat membre de définir la notion de public ; toutefois la proposition vise les cas où une personne isolée peut accéder à un service de l’endroit et au moment qu’elle choisit, ce qui est le cas d’une connexion sur Internet.

Le droit de communication au public couvre la mise à disposition des oeuvres dès le stade de leur inclusion dans un service consultable, que la consultation ait lieu ou non.

Enfin la communication au public n’est pas soumise à l’épuisement du droit de distribution qui s’applique à la seule distribution des exemplaires physiques d’une oeuvre. En conséquence, toute communication au public d’une oeuvre, à chaque fois qu’elle est répétée doit faire l’objet d’une autorisation.

Les exceptions (article 5).

Des exceptions à la règle de l’autorisation préalable sont prévues, qui atténuent la portée du droit de reproduction.

Certaines de ces exceptions sont obligatoires, d’autres facultatives. L’exception relative aux actes de reproduction provisoires est obligatoire pour les Etats membres lorsqu’elles font partie intégrante des transmissions sur Internet et ne peuvent donner lieu à une exploitation économique indépendante.

Les autres exceptions aux droits visés aux articles 2 et 3 ont un caractère facultatif pour les Etats membres.

Elles concernent les copies sur papier au moyen de toute technique reprographique, les reproductions sur support sonore visuel ou audiovisuel pour un usage privé et à des fins non commerciales, et certains actes de reproduction effectués par les bibliothèques publiques et les musées et qui ne visent aucun avantage économique ou commercial. Les exceptions de copies privées existent dans la plupart des Etats membres dont la France ; elles sont généralement assorties d’indemnisations des titulaires de droits.

D’autres exceptions facultatives concernent l’utilisation des oeuvres à des fins d’illustration pour l’enseignement et la recherche, l’utilisation par certaines personnes handicapées, l’utilisation d’extraits dans un but d’information, ou de citations dans un but critique ou dans une revue de presse et les utilisations à des fins de sécurité publique ou de procédure judiciaire. Ces exceptions correspondent aux différents systèmes européens de droit d’auteur, chaque Etat restant libre de les introduire ou non dans sa législation. La France, par exemple, ne sera pas contrainte d’adopter l’exception à des fins d’illustration pour l’enseignement et la recherche, qui n’existe pas en droit interne.

Le droit de distribution (article 4).

La proposition accorde un droit exclusif à l’auteur de contrôler toute forme de distribution au public (par la vente ou tout autre moyen) de ses oeuvres originales ou reproduites sur papier, CD-ROM, ou cassettes. Ce droit est épuisé dès la première vente ou le premier transfert de propriété à l’intérieur de l’Union, ce qui signifie que dès que l’auteur aura donné son accord pour la vente de copies matérielles de son oeuvre dans un Etat membre, le droit sera épuisé sur tout le territoire de l’Union.

Les mesures techniques de protection (article 6).

Les Etats membres devront prendre les mesures juridiques appropriées contre toute activité ayant pour objet de tourner les protections techniques d’oeuvres protégées. Parmi ces activités sont visées non seulement le fait de contourner les protections techniques, mais également le fait de fabriquer des moyens de tourner ces protections et de les distribuer, à condition que le fabricant ou le distributeur sache ou puisse raisonnablement savoir, l’usage de détournement qui peut être fait de ces procédés.

Il faut entendre par mesure technique de protection, tout dispositif, tout produit ou tout élément incorporé à un procédé, un dispositif, un produit, qui est destiné à prévenir ou à empêcher la violation du droit d’auteur ou d’un droit voisin.

La protection juridique ne pourra être mise en œuvre qu’à la condition que les mesures techniques de protection utilisées soient efficaces. Les mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’œuvre n’est rendue accessible que grâce à l’utilisation d’un code d’accès ou d’un procédé comme le cryptage.

Ces dispositions relatives aux mesures techniques et à la prévention de la contrefaçon et du piratage s’inspirent largement des dispositions contenues dans les deux traités de l’OMPI.

Les mesures relatives à l’information sur le régime des droits (article 7)

Ces mesures concernent en particulier l’identification des titulaires et des oeuvres protégées afin de savoir qui doit être rémunéré et à quel titre.

Les Etats membres doivent prévoir des dispositions de protection juridique contre tout acte tendant à supprimer ou modifier ces informations ou toute distribution, importation, communication au public d’oeuvres dont ces informations auraient été retirées ou modifiées sans autorisation, à la condition que ces actes ne soient pas autorisés par la loi, comme ce serait le cas par exemple pour la protection de données nominatives .

Il s’agit là aussi de dispositions largement inspirées des traités de l’OMPI.

Enfin s’agissant des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits prévus par la directive, elles sont laissées à l’appréciation des Etats membres qui devront néanmoins faire en sorte qu‘elles aient un caractère effectif, proportionné et dissuasif.

Plusieurs incertitudes et imprécisions peuvent être relevées dans le texte proposé. Elles s’expliquent sans doute, par le désir de satisfaire plusieurs intérêts contradictoires, ceux des auteurs et créateurs, ceux des utilisateurs et ceux des gestionnaires de réseaux, fournisseurs d’accès et fournisseurs d’infrastructures, peu concernés par le contenu des informations qu’ils transmettent .

On peut tout d’abord observer que le système de protection retenu en matière de droit d’auteur est plus souple, en particulier en raison des nombreuses exceptions prévues, que celui adopté pour la protection des bases de données.

La première incertitude porte sur l’exception obligatoire relative aux reproductions temporaires. La portée exacte de cette exception est difficile à apprécier pour deux raisons. Tout d’abord une reproduction temporaire destinée uniquement à la transmission sur Internet peut très bien déboucher sur d’autres types d’utilisations qui constitueraient une exploitation économique de l’œuvre. Ensuite le concept de temporaire est vraiment imprécis et l’intervalle de temps qu’il suppose peut être suffisant pour permettre une exploitation non autorisée. En tout cas, selon cette formulation, une double preuve pèsera sur les titulaires de droits d’auteur qui prétendront que les conditions de l’exception ne sont pas remplies. Ils devront établir que la reproduction a eu une durée « plus que temporaire » et qu’elle a permis une exploitation économique indépendante de la consultation sur Internet.

L’exception facultative qui vise les bibliothèques soulève également des interrogations en raison de son imprécision. S’agit-il des reproductions destinées aux fins propres de la bibliothèque ou pourront-elles être consultées par le public de la bibliothèque ? D’une façon générale, un flou existe autour de l’exception de copie privée , qui risque de ne satisfaire ni les auteurs, ni les utilisateurs, ni les producteurs de matériel électronique.

Une autre incertitude concerne la notion de communication au public. S’il ne fait pas de doute que l’accès individuel à un service ouvert à une collectivité de personnes est couvert par le droit exclusif d’autoriser cette communication, le doute apparaît s’agissant de la transmission à distance de l’œuvre entre deux ou plusieurs utilisateurs privés du réseau. Par ce biais, auquel s’ajoute l’exception de copie privée, un flux important d’œuvres protégées risque d’échapper au contrôle et à la rémunération de leurs auteurs.

Enfin l’efficacité, requise pour les mesures techniques de protection, sans laquelle la protection juridique ne serait pas acquise, est discutable. Cette efficacité est présumée lorsque l’œuvre n’est accessible qu’au moyen d’un code d’accès ou d’un système de décryptage. Mais ces systèmes de protection technique seront vite obsolètes compte tenu de l’avance rapide de la technique.

 Textes législatifs nationaux susceptibles d'être modifiés :

Code de la propriété intellectuelle, dans sa partie relative à la propriété littéraire et artistique.

 Réactions suscitées et état d'avancement de la procédure communautaire :

Le Conseil européen des éditeurs (EPC) affirme que la Commission a agi sous la pression du lobby des entreprises de télécommunications. Il conteste en particulier l’exception concernant la copie temporaire qui autoriserait le déchargement d’un texte d’Internet et sa redistribution vers un autre serveur.

Le Groupement européen représentant les organismes de gestion collective des droits des artistes interprètes ou exécutants juge que la proposition est une base minimum de sécurité juridique, mais que les exceptions au droit de communication au public devront être mieux cernées et que les mesures techniques de protection des droits devront être plus sévèrement protégées.

De leur côté, les opérateurs de télécommunications anticipent sur la prochaine directive relative à la responsabilité en contestant à l’avance la mise en cause de leur responsabilité lorsque du matériel piraté sera transmis dans les réseaux.

France Télécom considère que le champ du droit de reproduction est trop large et ne prend pas en compte les réalités techniques de l’environnement numérique. Il propose, afin d’assurer la flexibilité indispensable au regard des réalités techniques, de supprimer le terme temporaire de la définition du droit de reproduction. A défaut, l’exception de reproduction temporaire devrait être débarrassée de la condition de valeur économique indépendante, qui rend l’exception inapplicable car il serait, en pratique, impossible de démontrer l’existence ou l’inexistence d’une valeur économique. Il rejette également la responsabilité des opérateurs quant au contenu des informations qui transitent sur leurs réseaux et demande dès à présent que le droit de communication au public soit précisé de telle sorte que la fourniture de l’infrastructure dans le but de permettre une communication ne constitue pas en elle même une communication. Autrement dit, l’acte pertinent de communication au public devrait être restreint à la mise à disposition initiale de l’œuvre.

Le Gouvernement approuve la démarche qui consiste à harmoniser et à renforcer la protection du droit d’auteur et des droits voisins face à la généralisation de l’environnement électronique. Il considère toutefois que la proposition s’éloigne de ses objectifs en raison de l’ampleur des exceptions admises, qui risquent de vider de leur contenu les systèmes de protection des droits qui seront mis en place. Il soutient la proposition de la Commission, contre la position des Etats du Nord, sur la question de l’épuisement des droits . Actuellement, cette règle s’applique dans la Communauté européenne pour la mise sur le marché communautaire d’un exemplaire physique d’une œuvre, mais elle ne s’applique pas aux services et l’épuisement des droits ne joue pas pour les actes de distribution effectués à l’extérieur de l’Union européenne. La France souhaite que ces principes soient transposés dans le contexte des produits numérisés et des transmissions en ligne et appliqués par tous les Etats membres. L’interdiction de l’épuisement international des droits devrait être rendue clairement obligatoire par la directive.

 Conclusion :

Sans prendre parti entre les intérêts contradictoires qui opposent les auteurs et les créateurs d’une part et les fournisseurs d’accès et les fournisseurs d’infrastructures d’autre part, votre Rapporteur considère que l’équilibre recherché n’a été réalisé qu’au prix d’incertitudes et d’imprécisions qui nuisent à l’efficacité de tout système de protection juridique. La proposition devra donc être amendée dans le sens d’une clarification du droit de reproduction, du droit de communication au public et d’une meilleure définition des systèmes techniques de protection.

La Délégation a chargé M. Myard d’établir un rapport d’information sur ce document.