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Document E1056
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Projet de règlement CE concernant la réduction de certaines relations économiques avec la République fédérale de Yougoslavie


E1056 déposé le 20 avril 1998 distribué le 27 avril 1998 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(1998) 0250 final du 22 avril 1998, transmis au Conseil de l'Union européenne le 22 avril 1998)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document a été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne :

    Règlement (CE) nº 926/98 du Conseil du 27 avril 1998 concernant la réduction de certaines relations économiques avec la République fédérale de Yougoslavie.
    (JO L 130 du 1er mai 1998) (Notification d'adoption publiée au JOLD du 12/05/1998 p.7136)

Par courrier du 21 avril 1998,  M. le Ministre délégué chargé des affaires européennes a saisi la Délégation d’une demande d’examen en urgence de ce document, transmis dans une version officieuse en français le 20 avril, modifiée par une version en anglais reçue le 21 avril.

Le Ministre délégué indique que la Commission ne présentera sa proposition formelle que le 22 avril, date de la réunion du COREPER où la Présidence espère qu’un accord se réalisera en vue d’une adoption formelle lors du Conseil « affaires générales » du 27 avril.

La proposition de règlement met en oeuvre un régime de sanctions à l’encontre de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à la suite de l’aggravation de la situation au Kosovo.

Cette province yougoslave, peuplée à 90 % d’Albanais, a connu une dégradation continue de sa situation au sein de la République fédérale de Yougoslavie, depuis la suppression, en 1989, de son statut d’autonomie acquis en 1974 et la dissolution des institutions politiques albanaises en 1990. Après la proclamation d’une République du Kosovo en 1991, reconnue par la seule Albanie, à l’issue d’un référendum clandestin, le leader modéré de la ligue démocratique du Kosovo (L.D.K.), M. Ibrahim Rugova, est élu à la présidence en 1992, lors d’un scrutin jugé illégal par Belgrade. Mais les accords de Dayton sur l’ex-Yougoslavie du 14 décembre 1995 ignorent la question du Kosovo et la population s’impatiente de devoir vivre le plus souvent dans l’illégalité, avec des systèmes éducatifs et sanitaires parallèles (6 000 enseignants albanais ont été licenciés en 1991), des journaux interdits et des universités fermées. Aucun avenir n’est offert aux jeunes de moins de trente ans qui composent plus de 60 % de la population. En février 1996, une Armée de libération du Kosovo (U.C.K.) revendique pour la première fois une série d’attaques à la bombe. En septembre 1997, la police serbe réprime durement des manifestations étudiantes et, en novembre, Belgrade refuse d’octroyer au Kosovo un statut spécial demandé par l’Allemagne et la France. Enfin, la tension s’aggrave au premier trimestre 1998 et 80 personnes sont tuées au cours d’affrontements entre la police serbe et la population albanaise.

La communauté internationale est parfaitement consciente que la politique d’intransigeance et de répression du pouvoir serbe pourrait conduire à une guerre civile et même à un embrasement de tous les pays de la région, où sont disséminées des communautés albanaises importantes. Elle a clairement l’intention de ne pas renouveler l’erreur de son attentisme en 1991 face à l’éclatement de la Fédération yougoslave et d’agir, cette fois-ci, préventivement.

Réunis à Londres le 9 mars 1998, les six pays membres du groupe de contact sur l’ex Yougoslavie, comprenant l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume Uni, les Etats-Unis et la Russie, se sont mis d’accord sur un plan d’action prévoyant dans un premier temps l’application immédiate de mesures coercitives à l’encontre des autorités serbes et fédérales. Il comporte : la saisine du Conseil de sécurité en vue de l’adoption d’un embargo sur les armes ; l’engagement de cesser de fournir des équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne ou de terrorisme ; le refus de délivrer des visas aux représentants serbes et yougoslaves responsables de la répression ; un moratoire sur les financements publics à l’exportation et à l’investissement.

Ils ont, d’autre part, lancé un ultimatum au Président Milosevic pour que, dans un délai de dix jours, il mette fin à la répression, retire ses unités de police spéciale, autorise l’accès du Kosovo aux organisations humanitaires, coopère de manière constructive avec le groupe de contact et ouvre le dialogue avec les représentants de la majorité albanaise. Le groupe a jugé inacceptable le recours à la violence par les forces de sécurité et a demandé au procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie de commencer à rassembler des informations sur ces violences susceptibles de relever de sa juridiction, mais il a condamné également les actions terroristes de l’armée de libération du Kosovo. Si le président yougoslave n’obtempérait pas, le groupe a prévenu qu’il imposerait d’autres sanctions, comme le gel des avoirs yougoslaves à l’étranger.

Il a défini, par ailleurs, les principes qui doivent commander le règlement de la question :

- refus de l’indépendance comme du statu quo au Kosovo et nécessité de la définition d’un statut renforcé au sein de la R.F.Y., dans le cadre d’un large degré d’autonomie ;

- appel aux parties pour qu’elles engagent dans les plus brefs délais un dialogue sans conditions, avec participation d’une tierce partie qualifiée de « facilitateur » et représentation des niveaux serbe et fédéral dans la délégation de Belgrade. Il a confié une tentative de médiation à l’ancien chef du gouvernement espagnol, M. Felipe Gonzalez, actuellement chargé de mission spécial de l’OSCE ;

- intégration de la R.F.Y. au sein de la communauté internationale, car la stabilisation du pays et de la région en dépend.

Le groupe s’est réservé enfin la possibilité d’alourdir les sanctions à l’encontre de la R.F.Y. en l’absence de gestes significatifs de Belgrade. La Russie a approuvé la condamnation politique de la répression, tout en se donnant le temps de la réflexion pour adhérer à certaines sanctions.

Le 19 mars, le Conseil de l'Union européenne a adopté dans le cadre de la PESC, sur la base de l’article J2 du Traité U.E., une position commune concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République fédérale de Yougoslavie, en se référant à la déclaration du groupe de contact du 9 mars. La position commune prévoit quatre types de sanctions :

1. L’embargo sur les exportations d’armes vers l’ex-Yougoslavie, établi par la position commune 96/184/PESC du 26 février 1996, est confirmé ;

2. Aucun équipement qu’on pourrait utiliser pour la répression interne ou le terrorisme ne sera fourni à la R.F.Y ;

3. Un moratoire sera appliqué à l’aide financée par les gouvernements aux crédits à l’exportation pour le commerce et l’investissement en Serbie, y compris les financements des gouvernements pour les privatisations ;

4. Aucun visa ne sera accordé aux hauts représentants de la R.F.Y. et de Serbie responsables des actions répressives des forces de sécurité de la R.F.Y. au Kosovo.

Les sanctions définies dans la position commune seront immédiatement réexaminées si le gouvernement de la R.F.Y. prend des initiatives visant à mettre effectivement fin à la violence et s’il s’engage à trouver une solution politique à la question du Kosovo, par un dialogue pacifique avec la communauté albanaise kosovare. En l’absence de progrès sur ces points, d’autres mesures seraient prises, en particulier le gel des fonds détenus à l’étranger par la R.F.Y. et par le gouvernement serbe.

Le Conseil a également nommé M. Gonzalez comme représentant spécial de l'Union européenne, en vue d’accroître l’efficacité de la contribution de l'Union européenne à la solution des problèmes en R.F.Y., y compris au Kosovo.

Depuis ces décisions, la situation au Kosovo a connu un certain retour au calme, mais les quelques avancées observées ne sont pas suffisantes pour justifier la levée des sanctions.

Le groupe de contact, réuni à Bonn le 25 mars, a constaté que certains progrès avaient été accomplis, comme la signature d’un accord de mise en oeuvre de l’accord de 1996 sur l’éducation, prévoyant le rétablissement de l’enseignement en albanais, et l’acceptation par Belgrade de l’ouverture d’un dialogue sur la question du Kosovo. Mais il les a jugés insuffisants, compte tenu des incertitudes quant au retrait réel des unités spéciales de police, de l’absence d’accord sur le retour de la mission de l’OSCE et de l’absence de libre accès à la province. En outre, l’organisation prochaine par la Serbie d’un référendum sur la participation de représentants étrangers au règlement de la question du Kosovo ne constitue pas un signal très positif. Il a donc décidé de reconduire les sanctions décidées à Londres et de se réunir à nouveau à la fin du mois d’avril afin de décider, soit de lever les mesures décidées à Londres, soit d’en adopter de nouvelles.

Le Conseil de sécurité de l’O.N.U. a adopté le 31 mars une résolution n° 1160 prévoyant un embargo total sur les livraisons d’armes à la République fédérale de Yougoslavie.

Enfin, dans une déclaration du 31 mars, le Conseil « affaires générales » a estimé que les mesures prises par les autorités de la R.F.Y. et de la Serbie depuis le 9 mars n’étaient pas suffisantes pour satisfaire l’ensemble des exigences énoncées par le groupe de contact. Il a souligné que les mesures exposées dans sa position commune ne seraient pas levées et que d’autres devraient être envisagées s’il n’était pas intégralement satisfait à ces exigences.

Les pays associés à l'Union européenne, c'est-à-dire Chypre et les dix pays d’Europe centrale et orientale candidats à l’adhésion, se sont ralliés à ces conclusions du Conseil sur le Kosovo, inaugurant ainsi une pratique nouvelle tendant à renforcer la cohérence des positions des différents partenaires.

La proposition de règlement met en oeuvre la position commune adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 19 mars 1998 sur deux points : d’une part, l’interdiction de fourniture de tout matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ou de terrorisme, d’autre part le moratoire sur les mesures de soutien aux échanges et aux investissements sous forme de crédits à l’exportation financés par les gouvernements, y compris le financement public des privatisations en Serbie.

Ce texte appelle trois observations.

Il est, en premier lieu, tout à fait regrettable que la Commission impose aux Etats membres et à leur représentation nationale un délai d’examen aussi court sur un texte concernant l’une des régions du monde les plus sensibles pour l'Union européenne, en vue d’appliquer une décision prise il y a un mois. Il convient d’ailleurs de souligner que, depuis quelques années, presque tous les projets d’actes communautaires concernant la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) ont été transmis au Parlement, avec une demande d’examen en urgence (documents E.721 relatif à la levée de l’embargo sur les relations économiques et financières, E.733 sur l’extension du régime préférentiel autonome de l’Union pour 1996, E.978 sur l’exclusion de ce régime pour 1998). Il convient donc de demander à la Commission de mettre un terme à cette anomalie, inadmissible dans le cas d’un pays dont les relations avec l’Union européenne exigent un examen particulièrement attentif.

Sur le fond, ce texte ne peut qu’être approuvé dans son objectif, car il répond à une démarche équilibrée entre les deux parties, fondée sur une condamnation de la répression comme du terrorisme et sur l’affirmation que les négociations ne peuvent déboucher ni sur l’indépendance et la remise en cause des frontières, ni sur le maintien du statu quo. Une mise en oeuvre effective des mesures décidées le 9 mars, avant la prochaine réunion du groupe de contact, ne peut que renforcer la marge de manoeuvre de l’Union dans cette instance pour apprécier l’opportunité de nouvelles mesures.

Restait néanmoins, jusqu’à la réunion du COREPER du mercredi 22 avril, une incertitude sur le risque d’un transfert furtif de compétences des Etats membres au profit de la Commission sur le contrôle des exportations de « biens pouvant être utilisés à des fins de répression interne ou de terrorisme ».

Cette notion nouvelle pouvait s’appliquer à trois catégories de biens relevant de régimes juridiques distincts : les matériels de guerre soumis à la compétence des Etats membres et aux législations nationales ; les biens à double usage civil et militaire relevant du contrôle des Etats membres dans le cadre d’une double réglementation PESC (n°94-942) et communautaire (n° 3381-94) du 19 décembre 1994 ; des biens de toute nature n’ayant fait l’objet d’aucune définition au niveau national, européen ou international, sur le contrôle desquels un règlement communautaire de 1969 accorde aux Etats membres toute latitude dès lors que leur sécurité est en jeu.

Le texte proposé par la Commission établissait une liste de matériels utilisés pour la répression ou le terrorisme, qu’il était interdit aux Etats membres de fournir ou de vendre à la R.F.Y., et habilitait la Commission à compléter ou modifier cette liste. Il prévoyait, d’autre part, un échange d’informations entre les Etats membres et la Commission sur l’application du règlement.

La France et quelques autres Etats membres, comme les Pays-Bas et la Finlande, ont craint que la Commission ne profite de l’absence de définition juridique des biens pouvant servir à la répression ou au terrorisme , et de la mise en place d’une liste de ces matériels, pour introduire son contrôle sur l’exportation de matériels relevant actuellement de la compétence des Etats membres. Elle a jugé qu’il ne serait pas convenable d’engager une réforme aussi importante à l’occasion d’un texte qui a un tout autre objet.

Le COREPER a entendu ces arguments puisque, sur la base d’un texte de compromis présenté par la présidence britannique, il est parvenu à un accord unanime sur les dispositions suivantes :

- la liste des biens utilisés aux fins de répression ou de terrorisme ne doit pas inclure les matériels de guerre déjà couverts par l’embargo décidé par les positions communes n° 96-184-PESC du 26 février 1996 et n° 98 240-PESC du 19 mars 1998 ;

- le Conseil peut modifier la liste à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, dans le respect des dispositions ci-dessus ;

- la liste n’a qu’une valeur indicative non contraignante ;

- une déclaration du Conseil précisera que l’inscription ou non d’un bien sur la liste n’empêche pas la mise en oeuvre d’autres régimes d’exportation par les Etats membres et que le règlement ne préjuge pas de l’avenir de la réglementation du contrôle des biens à double usage.

La Commission n’accepterait pas ce compromis et s’apprêterait à soumettre le texte en point 2 du Conseil, c’est-à-dire ouvert à la discussion, pour une décision qui doit se prendre à la majorité qualifiée sur le fondement de l’article 228 du Traité CE. Il est cependant douteux qu’elle parvienne à renverser un accord entre Etats membres obtenu à l’unanimité.

M. Alain Barrau a présenté ce texte à la Délégation au cours de la réunion du 23 avril 1998. M. François Loncle, après avoir rappelé qu’il a récemment effectué, avec MM. Pierre Brana et René André, au titre de la Commission des affaires étrangères, une mission en Yougoslavie et notamment au Kosovo, a exprimé son accord avec l’analyse du Rapporteur et déclaré rejoindre la position du Gouvernement. Il a estimé que, s’il n’est pas choquant d’examiner en urgence un texte de cette nature, il est en revanche déplorable qu’une durée d’un mois se soit écoulée entre la position commune du Conseil et la transmission par la Commission de la proposition de règlement. Une telle lenteur pose la question du fonctionnement même de la Commission. M. François Loncle a ensuite évoqué la situation sur place, qu’il a jugée inquiétante : le président Milosevic n’a pas retiré les forces spéciales, le référendum qu’il organise ce jour même est une provocation, destinée à dresser le peuple yougoslave contre toute tentative de médiation internationale. En ce qui concerne les sanctions économiques, il y a lieu de se demander si elles n’ont pas un effet contre-productif, surtout dans un pays non démocratique et sous l’effet d’une propagande appropriée : toute sanction qui touche le peuple se retourne contre ceux qui la prononcent, pour le plus grand profit du pouvoir en place. Cette arme doit être maniée avec précaution. Après avoir approuvé la position de la France et l’intervention de l’Union européenne, M. François Loncle a considéré que l’indépendance pure et simple du Kosovo serait dommageable, car elle menacerait l’équilibre régional. Il serait plus équitable de proposer pour le Kosovo une autonomie réelle au sein de la Yougoslavie. Compte tenu de ces observations, la Délégation, suivant son Rapporteur, a accepté la levée de la réserve d’examen parlementaire sur ce texte.