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Document E1084
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement du Conseil concernant la réduction de certaines relations économiques et financières avec la République fédérale de Yougoslavie et la République de Serbie.


E1084 déposé le 3 juin 1998 distribué le 9 juin 1998 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(1998) 0347 final du 5 juin 1998, transmis au Conseil de l'Union européenne le 5 juin 1998)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document a été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne :

    Règlement (CE) n° 1295/98 du Conseil, du 22 juin 1998, concernant le gel des avoirs détenus à l'étranger par les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de Serbie.
    (JO L 178 du 23 juin 1998) (Notification d'adoption publiée au JOLD du 17/07/1998 p.11008)

Base juridique :

- Articles 73 G et 228 A du Traité CE.

- Positions communes 98/240/PESC et 98/326/PESC définies par le Conseil sur le fondement de l’article J 2 du Traité UE.

Procédure :

Majorité qualifiée au Conseil de l’Union européenne.

Commentaire :

La Délégation a été saisie d’une demande d’examen en urgence de ce projet de texte qui, examiné par le COREPER le 17 juin, doit faire l’objet d’une adoption par procédure écrite le 18 juin ou lors du Conseil Transports le 19 juin.

La proposition de règlement complète le régime de sanctions déjà mis en oeuvre à l’encontre de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de Serbie à la suite de l’aggravation de la situation au Kosovo.

Ce régime de sanctions, défini par le Conseil de l’Union européenne dans sa position commune (98/240/PESC) du 19 mars 1998, comporte quatre types de mesures :

- le refus d’accorder des visas aux hauts représentants de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie responsables des actions répressives des forces de sécurité de la République fédérale de Yougoslavie au Kosovo ;

- la confirmation de l’embargo sur les exportations d’armes vers l’ex-Yougoslavie, établi par la position commune 96/184/PESC du 26 février 1996 ;

- l’interdiction de la fourniture à la République fédérale de Yougoslavie de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ou de terrorisme ;

- l’interdiction de l’aide des gouvernements à la Serbie pour le financement des privatisations et de nouveaux crédits à l’exportation en faveur du commerce et de l’investissement.

Ces deux dernières mesures ont fait l’objet du règlement (CE) n° 926/98 du 27 avril 1998, que la Délégation a examiné en urgence lors de sa réunion du 23 avril.

Le 19 mars, le Conseil de l’Union européenne avait indiqué que les sanctions définies dans la position commune seraient immédiatement réexaminées si le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie prenait des initiatives visant à mettre effectivement fin à la violence et s’il s’engageait à trouver une solution politique pacifique avec la Communauté albanaise kosovare. Il avait également prévenu qu’en l’absence de progrès sur ces points, d’autres mesures seraient prises, en particulier le gel des fonds détenus à l’étranger par la République fédérale de Yougoslavie et par le Gouvernement serbe.

Or, après un relatif retour au calme à la suite de ces décisions, la situation au Kosovo s’est à nouveau brutalement dégradée avec le choix des autorités serbes d’appliquer une politique de force et de répression s’apparentant à un nettoyage ethnique de sinistre mémoire.

Selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (H.C.R.), l’escalade de la violence, tant de la répression serbe que des actions terroristes de l’armée de libération du Kosovo (U.C.K.), a entraîné le déplacement de 65.000 personnes : 45.000 se sont réfugiées à l’intérieur du Kosovo, 12.000 ont fui en Albanie et 8.000 au Monténégro.

Le 7 mai 1998, le Conseil de l’Union européenne a adopté dans le cadre de la PESC, sur la base de l’article J 2 du Traité U.E., une position commune (98/326/PESC) concernant le gel des avoirs détenus à l’étranger par les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie. Le Conseil précise que ces mesures restrictives seront immédiatement réexaminées si les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie en viennent à adopter un cadre pour un dialogue et un accord de stabilisation et que la position commune sera au plus tard réexaminée dans six mois. Il annonce par ailleurs de nouvelles mesures restrictives, en particulier l’interdiction de nouveaux investissements en Serbie, si, d’ici le 9 mai 1998, le dialogue entre les parties est bloqué en raison de l’attitude de refus des gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie.

La présente proposition de règlement soumise par la Commission au Conseil a un double objet :

- d’une part, elle met en oeuvre la position commune du 7 mai 1998 sur le gel des capitaux détenus à l’étranger par les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie ;

- d’autre part, pour des raisons de transparence et de clarté de la législation, elle incorpore les mesures restrictives adoptées précédemment dans le règlement n° 926/98 du 27 avril 1998 et abroge ce règlement.

Depuis la présentation de ce texte par la Commission à la fin du mois de mai, le dossier du Kosovo a subi une double évolution.

Au niveau communautaire tout d’abord, un consensus s’est établi en groupe d’experts entre les Etats membres pour modifier la proposition de la Commission sur trois points :

- le regroupement des sanctions en un seul texte a été rejeté afin de faciliter la progressivité de leur mise en oeuvre comme de leur arrêt. La proposition se limite donc à la stricte application de la position commune du 7 mai 1998 relative au gel des capitaux et n’intègre plus les dispositions du règlement du 27 avril 1998 ;

- les personnes publiques sanctionnées sont strictement définies comme les gouvernements de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie, notamment les administrations et les agences publiques, et le texte ne comporterait plus de liste des entités sous le contrôle de ces gouvernements dont la Commission ne fournissait pas une définition précise ;

- la mise en oeuvre de ces dispositions directement par les Etats membres et non plus par la Commission rend inutile le dispositif de comitologie prévu par le texte.

D’autre part, le Conseil Affaires Générales a adopté le 8 juin dernier une position commune sur l’interdiction des nouveaux investissements en Serbie et la Commission devrait présenter très prochainement au Conseil une proposition de règlement pour sa mise en oeuvre.

La Présidence britannique a indiqué que l’Union européenne cherchait les voies et moyens pour que la République du Monténégro ne soit pas affectée par cette sanction et que celle-ci frapperait sérieusement la Serbie dont le budget se tient en équilibre grâce aux privatisations.

Enfin, le Conseil a approuvé le même jour une déclaration dans laquelle :

- il condamne des attaques qui commencent à représenter une nouvelle vague de nettoyage ethnique et vont bien plus loin qu’une action anti-terroriste ciblée et demande le retrait des unités spéciales de la police et de l’armée serbes ;

- il souhaite le retour des réfugiés dans leurs foyers au Kosovo et s’engage à contribuer au règlement du problème des réfugiés d’une manière globale dans la région ;

- il rappelle que des experts internationaux en matière de justice devraient avoir la possibilité de conduire les enquêtes nécessaires pour clarifier les circonstances dans lesquelles sont morts les civils et que les autorités de la République fédérale de Yougoslavie ont obligation de coopérer avec le tribunal pénal international ;

- il condamne tout recours à la violence à des fins politiques par l’une ou l’autre partie, affirme sa détermination à arrêter le flux d’argent et d’armes à l’armée de libération du Kosovo et appuie l’attribution au Kosovo d’un statut spécial comportant une large autonomie au sein de la République fédérale de Yougoslavie ;

- il affirme que le Président Milosevic porte une responsabilité particulière dans la promotion d’une accord pacifique et qu’il ne doit pas croire que la communauté internationale se laissera faire par des paroles sur la paix, lorsque la réalité sur le terrain est une répression de plus en plus grande ;

- il encourage les organisations internationales de sécurité à examiner toutes les options, y compris celles qui exigeraient une autorisation du Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

Ce dernier avertissement montre que l'Union européenne soutient les préparatifs qui sont en cours à l’OTAN comme à l’ONU dans la perspective d’une intervention militaire.

La communauté internationale constate en effet que le durcissement progressif des pressions diplomatiques et des sanctions économiques n’a nullement infléchi la politique du Président Milosevic.

Le 9 mars 1998, les six pays membres du groupe de contact sur l’ex-Yougoslavie, comprenant l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume Uni, les Etats-Unis et la Russie s’étaient mis d’accord sur l’application immédiate de mesures coercitives comprenant : un embargo sur les armes adopté par la résolution n° 1160 du Conseil de sécurité de l’ONU ; le refus de visas aux responsables de la répression ; un arrêt des fournitures d’équipements pouvant servir à la répression interne ou au terrorisme ; un moratoire sur les crédits à l’exportation.

Le 9 mai, les pays membres du groupe ont décidé le gel des avoirs des gouvernements yougoslaves et serbes à l’étranger et celui des investissements en R.F.Y. et Serbie, mesures mises en oeuvre un mois plus tard par les Etats-Unis et le Canada.

Le 12 juin, le groupe de contact a ajouté une nouvelle sanction : les liaisons aériennes entre la Yougoslavie, les Etats-Unis, le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume Uni sont supprimées. Seule la Russie ne s’est pas associée à cette mesure.

Le même jour, les ministres de la défense de l’Alliance atlantique se sont réunis pour étudier les options militaires possibles et, le 15 juin, l’OTAN a commencé des manoeuvres aériennes en Albanie et en Macédoine pour donner un avertissement significatif à Belgrade et prouver la capacité de l’organisation à projeter rapidement une force à distance.

Dans l’hypothèse où le recours à la force serait inévitable, encore faudrait-il obtenir l’accord préalable du Conseil de sécurité de l’ONU à une action militaire de l’OTAN, même si les Etats-Unis considèrent que cette condition n’est pas indispensable.

Or la Russie s’est opposée jusqu’à présent à une intervention militaire de l’OTAN au Kosovo. Elle avait expliqué sa position en mars dernier en faisant notamment référence à ses difficultés internes en Tchétchénie. Le 9 juin, elle a bloqué un projet de résolution présenté par le Royaume Uni au Conseil de sécurité de l’ONU, autorisant l’usage de la force par l’OTAN au Kosovo.

Elle sait cependant que la rencontre entre les Présidents Eltsine et Milosevic les 15 et 16 juin est la dernière chance d’éviter des sanctions militaires et qu’il lui sera ensuite difficile de résister à la pression de ses partenaires. Or, ses résultats semblent pour le moins ambigus, avec l’engagement du Président Milosevic de renouer le dialogue politique, mais son refus de réduire son dispositif militaire.

La communauté internationale doit maintenant s’efforcer de résoudre dans les pires conditions une crise au Kosovo qu’elle a laissée pourrir sans réagir pendant près de dix ans.

Elle se retrouve ainsi au point de départ de la crise yougoslave puisque la suppression, en 1989, du statut d’autonomie de la province au sein de la R.F.Y. et la dissolution des institutions politiques albanaises en 1990 ont constitué le premier acte de l’éclatement de la Fédération yougoslave. Mais la communauté internationale s’est ensuite désintéressée du Kosovo et a concentré son attention sur le conflit en Bosnie, hormis une menace d’action militaire émise par le Président Bush dans son message de Noël 1992.

Cet immobilisme a eu des conséquences désastreuses :

- il a convaincu le Président Milosevic qu’il pouvait mener sa politique de domination violente en toute impunité et qu’il lui suffisait d’user de manoeuvres dilatoires pour jouer des divisions entre les grandes puissances et étouffer toute velléité d’intervention ;

- la communauté internationale n’a pas saisi la chance offerte par l’élection en 1992 d’un Président du Kosovo modéré, Ibrahim Rugova, et a laissé se développer chez les Kosovars la conviction que seule une réaction violente pourrait retenir son attention ;

- enfin, elle a laissé s’étendre à l’ensemble des voisins une tension qui était circonscrite au départ à la seule province du Kosovo.

La communauté internationale se trouve maintenant au pied du mur face à une crise qui risque d’embraser toute la région et d’être encore plus grave que la crise bosniaque. Elle doit arrêter l’engrenage de la violence, si nécessaire par des moyens militaires, qui seront d’autant plus lourds qu’on n’aura pas agi plus tôt. A cet égard, la communauté internationale a toujours eu « un temps de retard » en matière de sanctions face à un Président capable de mobiliser le peuple serbe et de lui faire accepter tous les sacrifices au nom d’un nationalisme exacerbé.

Mais surtout, il lui faut définir une stratégie à long terme sur le statut du Kosovo et répondre à deux questions essentielles.

La première est de savoir s’il sera encore possible de discuter du rétablissement de la confiance entre les deux communautés puis du statut du Kosovo et de la stabilité régionale avec celui qui fut le grand déstabilisateur régional. A cet égard, les six membres du groupe de contact ont souhaité que le Tribunal pénal international pour la Yougoslavie enquête sur les méthodes de guerre au Kosovo et cet élément nouveau amènera peut-être les autorités serbes à modifier suffisamment leurs orientations pour rester un interlocuteur acceptable.

La deuxième question consiste à se demander s’il est possible de trouver le point d’équilibre entre un statut d’autonomie, même le plus large possible, que les Kosovars semblent ne plus accepter, et un Etat indépendant dont ses voisins ne veulent pas. L’indépendance du Kosovo, voire son union avec l’Albanie, risqueraient de remettre en cause tout l’équilibre régional et les frontières de pays comme le Montenegro ou l’ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) dans lesquels sont disséminées des populations albanaises.

Faute d’avoir été ouverte à temps, la porte de sortie de la crise du Kosovo est aujourd’hui très étroite.

Conclusion :

M. Pierre Brana, soulignant que le Monténégro était engagé dans un processus de démocratisation, a souhaité que - en l’absence d’une disposition spécifique le concernant - toutes les mesures soient prises pour éviter que cette République ne soit affectée par la décision prise par le Conseil le 8 juin d’interdire de nouveaux investissements en Yougoslavie. Il s’est demandé si l’appui du Conseil à l’attribution au Kosovo d’un statut spécial comportant une large autonomie au sein de la République fédérale de Yougoslavie était vraiment opportun, estimant qu’il appartenait aux intéressés eux-mêmes d’engager des négociations et de trouver une solution statutaire.

M. Gérard Fuchs s’est étonné de ce que l’intitulé de la proposition de règlement fasse mention de la République de Serbie, qui n’a pas d’existence au regard du droit international.

M. Pierre Lellouche, partageant l’avis de M. Pierre Brana, a estimé qu’il appartenait aux protagonistes de régler eux-mêmes la question du statut du Kosovo, sans que le Conseil de l’Union européenne ait à indiquer son choix.

A l’issue de ce débat (réunion du 18 juin 1998), la Délégation a accepté de lever la réserve d’examen parlementaire.