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Document E1100
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de règlement (CE) du Conseil instituant un régime communautaire de contrôle des exportations de biens et technologies à double usage.


E1100 déposé le 16 juin 1998 distribué le 23 juin 1998 (11ème législature)
   (Référence communautaire : COM(1998) 0257 final du 15 mai 1998, transmis au Conseil de l'Union européenne le 18 mai 1998)

  • Travaux en Délégation

    Ce document a été examiné

  • Adoption par les instances communautaires

    Ce document a été adopté définitivement par les instances de l'Union européenne :

    Règlement (CE) n° 1334/2000 du Conseil du 22 juin 2000 instituant un régime communautaire de contrôles des exportations de biens et technologies à double usage.
    (JO L 159 du 30 juin 2000) (Notification d'adoption publiée au JOLD du 23/09/2000 p.15024)

 Base juridique :

Article 113 du Traité C.E.

 Procédure :

- Majorité qualifiée au Conseil de l’Union européenne.

- Pas de consultation du Parlement européen.

 Commentaires :

Le contrôle des exportations de biens à double usage civil et militaire doit trouver le juste équilibre entre les préoccupations économiques et commerciales de libre circulation de ces biens et les préoccupations diplomatiques et militaires de non-prolifération.

Dans la mesure où ces biens ne constituent pas des armes à proprement parler et où 95 % des biens contrôlés servent à un usage civil, les entreprises considèrent ces contrôles comme une entrave à leur développement, susceptible de leur faire perdre des marchés au profit de leurs concurrents, et demandent qu’ils soient le plus réduits possible et concentrés sur les produits et les pays vraiment sensibles.

Mais les entreprises européennes ne se contentent pas de demander l’harmonisation des législations des Etats membres pour faciliter les échanges intra-communautaires de ces biens dans le cadre de l’achèvement du marché unique européen. Elles se situent également dans la perspective de la mondialisation et réclament une harmonisation de la législation européenne avec celle des Etats-Unis et du Japon. Elles jugent en effet absurde de perdre un marché pour des raisons de non-prolifération quand leurs concurrents américains ou japonais sont autorisés à vendre ce produit ou cette technologie par leurs propres législations.

Pour leur part, les Etats doivent faire face à un risque de prolifération qui a beaucoup évolué depuis une décennie et a rendu le contrôle plus complexe.

Avec la fin de la guerre froide, l’objectif n’est plus d’isoler économiquement un groupe de pays, mais d’éviter la prolifération des armes de destruction massive et la course régionale à l’armement. Ainsi, le COCOM, dont l’objectif était d’éviter les exportations occidentales de produits de haute technologie vers le bloc soviétique, a-t-il été dissous en 1993 et la Russie ainsi que la plupart des pays de l’Est comptent parmi les membres fondateurs de l’arrangement de Wassenaar, conclu en 1996, qui constitue le principal groupe international de non-prolifération. Celui-ci est complété par des groupes plus spécialisés dans le contrôle de la technologie relative aux missiles, aux fournitures nucléaires et aux produits chimiques et biologiques.

Certes les échanges en ont été facilités grâce à l’allégement du nombre de produits contrôlés et des procédures d’autorisation, mais les pouvoirs publics ont obligé les exportateurs à mieux connaître l’utilisation et l’utilisateur finals du produit. Ce transfert partiel de la charge des contrôles sur les entreprises leur déplaît fortement et elles considèrent qu’il gêne l’accès au marché international des petites et moyennes entreprises, incapables d’assumer ce genre d’investigations.

D’autre part, le développement technologique a banalisé des produits qui auraient été auparavant considérés comme sensibles et les exportateurs européens ont accentué leur pression en faveur d’un réexamen constant des contrôles à l’exportation en fonction de l’évolution technologique et des politiques des pays tiers concurrents.

Enfin, dernier facteur d’évolution, l’achèvement du marché intérieur européen a fortement poussé à l’harmonisation des contrôles à l’exportation vers les pays tiers, afin de supprimer les contrôles entre Etats membres et de permettre la libre circulation des biens à double usage dans la Communauté.

Cet exercice ne pouvait être conduit que progressivement, car il se heurtait à des législations nationales reflétant les divergences des Etats membres sur les produits et les pays à risque et leur souci de préserver leurs compétences technologiques et leurs options diplomatiques.

Le Conseil de l'Union européenne a donc adopté, le 19 décembre 1994, un régime communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage, jusqu’alors régi par les seules législations nationales des Etats membres.

Il s’efforce de trouver un équilibre entre l’objectif de libre circulation de ces biens et celui de non-prolifération. Ce souci se reflète dans son architecture intégrant le premier pilier communautaire de la politique commerciale commune et le deuxième pilier intergouvernemental sur la politique étrangère et de sécurité commune (P.E.S.C.), dans deux textes comportant des références croisées.

Le règlement (CE) n° 3381/94 du Conseil traite essentiellement de l’octroi des autorisations et de la coopération administrative.

La décision n° 94/942/P.E.S.C. du Conseil contient les listes communes des produits soumis à contrôle, la liste commune des pays auxquels s’appliquent des formalités simplifiées et les lignes directrices pour l’octroi d’une autorisation d’exportation.

Ces listes et le principe de reconnaissance mutuelle des autorisations d’exportation sont les deux éléments-clés du régime actuel, entré en vigueur le 1er juillet 1995.

Dans un rapport adressé le 15 mai 1998 au Parlement européen et au Conseil, la Commission dresse un bilan en demi-teinte des deux premières années d’application de ce régime et propose un nouveau règlement dans le but, d’une part, de simplifier et renforcer le régime actuel pour faciliter les échanges licites, d’autre part, de concentrer les moyens sur le contrôle des exportations de produits sensibles et la lutte contre la fraude.

I. - LE BILAN EN DEMI-TEINTE DU RÉGIME ACTUEL DRESSÉ PAR LA COMMISSION

Le régime repose sur les principes suivants :

- la mise en place d’une barrière extérieure commune par l’adoption d’une liste identique de biens et de technologies à double usage (figurant à l’annexe I de la décision P.E.S.C.), dont l’exportation est soumise à autorisation ;

- la reconnaissance mutuelle des autorisations d’exportation : toute autorisation d’exportation délivrée par les autorités compétentes d’un Etat membre « est valable dans toute la Communauté » ;

- la libre circulation des biens à double usage dans la Communauté, à l’exception de restrictions pour certains biens très sensibles (annexe IV de la décision P.E.S.C.) et du maintien des contrôles nationaux par certains Etats membres pour les transferts de certains biens à double usage qu’ils jugent particulièrement sensibles (annexe V de la décision) ;

- une clause « attrape-tout » qui soumet l’exportation des biens à double usage ne figurant pas dans la liste à l’obligation d’autorisation en cas de risque de prolifération.

Fondé sur la « reconnaissance mutuelle » de politiques nationales différentes plutôt que sur le développement d’une véritable politique commune, le régime communautaire actuel de contrôle des exportations comble les écarts entre les politiques et les procédures des Etats membres en s’appuyant sur une coopération administrative entre les autorités nationales, organisée de la manière suivante :

- lorsque les biens ne sont pas situés sur le territoire de l’Etat membre où la demande d’autorisation a été introduite, celui-ci doit, avant de délivrer l’autorisation d’exportation individuelle, consulter l’Etat membre où les biens sont ou seront situés. Il revient à ce dernier d’autoriser ou non l’exportation ;

- un Etat membre peut demander à un autre Etat membre de ne pas octroyer une autorisation ou de la révoquer s’il estime qu’elle risque de porter atteinte à ses intérêts essentiels ;

- les Etats membres s’informent mutuellement lorsqu’ils refusent de délivrer une autorisation d’exportation ou lorsqu’ils annulent, suspendent, modifient ou révoquent une autorisation qu’ils ont déjà octroyée ;

- les Etats membres établissent une coopération directe et un échange d’informations entre autorités compétentes, pour éviter que des disparités dans l’application des contrôles ne provoquent un détournement de trafic ;

- les Etats membres appliquent le règlement n° 1468/81 du Conseil, du 19 mai 1981, relatif à l’assistance mutuelle en matière de législation douanière qui prévoit l’échange d’informations sur les mesures de lutte contre la fraude.

Dans son rapport, la Commission conclut que, si le régime a, en grande partie, atteint ses objectifs en matière de marché intérieur et a permis la libre circulation de la quasi-totalité des biens à double usage dans la Communauté, il n’a pas réussi, en raison du manque de convergence des politiques et des pratiques nationales, à mettre en place un système commun crédible de contrôles à l’exportation accepté par les exportateurs et appliqué au quotidien des douanes.

Dans la pratique, l’application du règlement s’est heurtée à trois obstacles :

> les différences dans les régimes nationaux d’octroi des autorisations ont créé deux difficultés. D’une part la méconnaissance des systèmes d’autorisation des autres Etats membres par les agents des douanes a entraîné des retards décourageant les entreprises d’exporter à partir d’un Etat membre avec une autorisation délivrée par un autre Etat membre. Le problème, résolu pour les autorisations individuelles concernant les produits les plus sensibles et une faible proportion des exportations, se pose surtout pour les autorisations générales (vers certaines destinations) et les autorisations globales (délivrées à une société pour certains produits vers certaines destinations).

D’autre part, les sociétés établies dans plusieurs Etats membres doivent vérifier si la filiale concernée est autorisée à livrer le bien sous le couvert d’une autorisation globale ou générale et s’il existe des obligations supplémentaires telles que la présentation d’un certificat d’utilisation finale. Face à ces difficultés, les sociétés essaient d’obtenir l’autorisation dans l’Etat membre où les biens sont situés et de les exporter directement de cet Etat membre.

> la nouveauté de la clause « attrape-tout » pour la plupart des Etats membres a conduit à un insuffisant échange d’informations sur les utilisateurs finals sensibles entre Etats membres et a désavantagé l’exportateur établi dans l’Etat membre dont les autorités ont lancé un avertissement, par rapport à celui installé dans des Etats membres inconscients du danger et qui n’ont pas empêché l’exportation.

> les échanges d’informations entre Etats membres dans le cadre de la coopération administrative sont trop concentrés sur les refus, finalement assez rares, et ne s’étendent pas aux pratiques dissuasives à l’égard des exportateurs alors qu’elles revêtent un caractère beaucoup plus courant.

La Commission conclut que le régime communautaire actuel de contrôle des exportations se limite, pour l’essentiel, à un exercice de reconnaissance mutuelle de leurs autorisations d’exportation par des Etats membres qui ne sont pas d’accord avec les diverses politiques d’exportation, et qu’à défaut d’accord, aucun régime commun de contrôle des exportations ne pourra fonctionner de manière efficace. La coopération administrative ne peut en effet suffire pour surmonter ces divergences.

Elle constate que le régime actuel, caractérisé par la coexistence de nombreux types d’autorisations nationales globales ou générales, souvent pour les mêmes destinations, mais couvrant un éventail de produits légèrement différent, est trop complexe pour être géré au quotidien par les agents des douanes aux postes frontières, et que l’industrie le juge trop lourd pour être utile dans la pratique. Il provoque des retards aux frontières sans aucun résultat proportionnel au niveau de la lutte contre la prolifération.

La Commission propose donc un nouveau régime plus harmonisé de contrôle des exportations, combinant éléments de politique commune et coopération administrative renforcée.

II. - LE NOUVEAU RÉGIME PROPOSÉ PAR LA COMMISSION

La Commission propose cinq modifications techniques et un changement de la base juridique et de l’architecture « inter-piliers » du système.

a) Introduction d’une autorisation communautaire générale pour l’essentiel des exportations vers certains pays

Actuellement, 12 Etats membres sur 15 ont octroyé une autorisation générale d’exportation pour la grande majorité des biens à double usage expédiés vers les sept pays visés à l’annexe II de la décision P.E.S.C. qui représentent plus de 70 % des exportations de ces biens à partir de la Communauté. Ce sont l’Australie, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suisse et les Etats-Unis.

Cette mesure de simplification traduirait une convergence de fait, tout en excluant les biens à double usage les plus sensibles.

Elle s’étendrait à trois pays d’Europe centrale et orientale avec lesquels les négociations d’adhésion ont débuté le 31 mars 1998 et qui sont aussi très avancés en terme de législation sur les contrôles à l’exportation et d’adhésion aux régimes internationaux de non-prolifération : la République tchèque, la Hongrie et la Pologne.

La liste des pays couverts par la Licence générale communautaire serait constamment réexaminée.

Le mécanisme actuel continuerait de s’appliquer à tous les biens qui ne sont pas couverts par l’autorisation communautaire générale et à toutes les exportations vers d’autres destinations.

b) Extension de la clause fourre-tout à tous les usages finals militaires pour les envois à destination des pays soumis à un embargo des Nations unies

La clause « fourre-tout », selon laquelle tout bien ne figurant pas dans la liste peut être soumis à la présentation d’une autorisation s’il existe des doutes quant à son utilisation finale, est actuellement limitée aux craintes liées aux programmes axés sur les « armes de destruction massive ».

c) Couverture des transferts de technologie par PC, télécopieur et téléphone

Cette mesure colmate une brèche du régime actuel qui limite le contrôle des transferts de technologie aux « formes tangibles » c’est-à-dire aux envois d’un dossier par courrier.

d) Suppression des procédures d’autorisation pour les échanges intra-communautaires

Il est proposé de supprimer l’obligation d’autorisation pour la quasi-totalité des transferts intra-communautaires des biens à double usage énumérés dans les annexes IV et V de la décision P.E.S.C. actuelle.

Néanmoins, reconnaissant la sensibilité particulière de certains biens énumérés à l’annexe IV actuelle, la Commission propose une procédure de notification des transferts de manière à tenir les autorités compétentes informées de tous les échanges intra-communautaires concernant ces produits. En outre, si ces biens doivent être exportés par la suite, l’Etat membre où ils étaient initialement situés doit être consulté et peut s’opposer à l’octroi de l’autorisation, auquel cas l’exportation ne pourra pas avoir lieu.

e) Renforcement de la coopération administrative

Il est proposé de renforcer les échanges d’informations et les consultations entre les Etats membres au sujet des exportations sensibles, qu’il s’agisse des produits de la liste ou des exportations couvertes par la clause « fourre-tout ». Si les Etats membres conservent le droit de décider d’accorder une autorisation d’exportation qu’un autre Etat membre a refusée, la proposition impose des consultations préalables et la motivation, par l’Etat membre, de sa décision d’autoriser une exportation qui a été refusée auparavant.

f) Changement de la base juridique et de l’architecture « inter-piliers » du régime

La Commission invoque deux arrêts rendus le 17 octobre 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes (affaires C-70/94 Fritz Werner Industrie et C-84/94 Peter Leifer) pour remplacer le dispositif « inter-piliers » actuel, fondé sur un règlement communautaire et une décision P.E.S.C., par un dispositif fondé uniquement sur le premier pilier.

Dans ces deux arrêts, la Cour a déclaré que l’article 113 du Traité instituant la Communauté européenne constituait le fondement d’une compétence communautaire exclusive en matière de contrôle à l’exportation des biens à double usage, excluant la compétence des Etats membres sauf habilitation spécifique de la part de la Communauté.

L’article 11 du règlement 2603/69 du 20 décembre 1969, établissant un régime commun aux exportations, autorise les Etats membres à adopter des restrictions quantitatives à l’exportation justifiées notamment par des raisons de sécurité publique.

L’article 113 du traité C.E. n’interdit donc pas les mesures nationales de contrôle des exportations, à condition qu’elles soient prises dans le cadre et les limites de la délégation de pouvoir de la Communauté et qu’elles soient proportionnées.

La Commission déduit de ces arrêts que l’article 113 est la seule base juridique d’un régime communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage et elle en tire les conséquences suivantes :

- les listes communes de biens à double usage, de destinations et de lignes directrices qui constituent des éléments essentiels d’un système efficace de contrôle des exportations et ont été établies par la décision 94/942/P.E.S.C., sont intégrées dans le nouveau règlement ;

- les décisions nationales qui ont une incidence sur les exportations de biens à double usage doivent être arrêtées dans le cadre de la politique communautaire commune, mais le nouveau règlement admet que toutes les mesures touchant à la sécurité, notamment celle de l’octroi des autorisations d’exportation vers des destinations sensibles, restent aux mains des autorités nationales ;

- comme la compétence technique des Etats membres est indispensable pour identifier les marchandises qui doivent être contrôlées, la mise à jour de la liste leur est confiée dans le cadre d’un groupe spécifique, présidé par l’Etat membre exerçant la présidence. Ce groupe se prononcera par consensus et les modifications seront ensuite introduites dans les règlements du Conseil par un règlement de la Commission.

L’élimination de la P.E.S.C. comme fondement juridique du dispositif aurait enfin pour conséquence essentielle de changer les procédures de vote et la composition des groupes de représentants des Etats membres chargés de contrôler le dispositif ; elle pourrait faire prévaloir les préoccupations économiques et commerciales sur les préoccupations diplomatiques et militaires.

Le groupe ad hoc chargé du contrôle de l’exportation des biens à double usage disparaîtrait et serait remplacé par le comité de l’article 113, chargé de la politique commerciale commune, pour le contrôle de l’ensemble du dispositif, à l’exception de la liste des biens soumis à autorisation d’exportation de l’annexe I relevant du groupe spécifique. Or, le groupe actuel est principalement composé des représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Défense et se prononce à l’unanimité, alors que le comité 113 est essentiellement composé des représentants des ministères chargés des affaires économiques, du commerce et de l’industrie et se prononce à la majorité qualifiée.

Enfin, si le régime était entièrement fondu dans le premier pilier, la Commission exercerait un pouvoir d’initiative et d’application beaucoup plus important que si les décisions essentielles relatives aux listes de produits et de pays et aux lignes directrices continuaient à relever du deuxième pilier.

III. - UNE APPRÉCIATION MITIGÉE DES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION :

Les groupes d’experts viennent à peine de commencer leurs travaux et les Etats membres n’ont pas encore défini leur position sur ce texte.

En France, les discussions interministérielles ne sont pas achevées entre la direction des relations économiques extérieures (D.R.E.E.) et le ministère de l’Industrie, qui approuvent largement les propositions de la Commission, et les Ministères des Affaires étrangères et de la Défense, extrêmement réservés.

La première réunion d’experts, qui a eu lieu le 6 juillet dernier, a montré que la Présidence autrichienne et une majorité d’Etats membres semblaient pencher en faveur de la base juridique retenue par la Commission, même si l’Espagne et l’Italie ont paru soutenir les réserves exprimées par la France sur cette solution.

Le service juridique du Conseil doit présenter un avis sur ce sujet à la deuxième réunion d’experts qui aura lieu le 28 juillet.

Pour autant qu’on puisse en juger dans l’état actuel des débats, un certain nombre d’améliorations techniques semble néanmoins recueillir un accord général, tandis que l’élimination de la base P.E.S.C. suscite de plus fortes oppositions.

1) Des améliorations techniques le plus souvent justifiées

Trois mesures reçoivent un accord de principe :

- le renforcement de la coopération administrative ;

- l’extension du contrôle aux nouveaux moyens de communication, même si le contrôle de cette communication « immatérielle » pose encore des problèmes techniques d’application et limite, pour le moment, la portée réelle de cette mesure ;

- la création d’une autorisation communautaire générale pour l’essentiel des exportations vers dix pays.

Cette mesure est très importante pour simplifier et alléger un dispositif que tout le monde s’accorde à reconnaître comme étant trop lourd.

Le Ministère de la Défense l’approuve également, mais souhaiterait que le régime distingue plusieurs types de licences générales en fonction de la sensibilité des produits et des pays destinataires et que cette modulation relève des procédures de décision de la P.E.S.C.

Le Syndicat des industries exportatrices de produits stratégiques (SIEPS) et la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), sont très favorables à l’harmonisation et à l’allégement des procédures proposées par la Commission et approuvent la création de la licence générale communautaire. Cependant, l’ajout de trois pays pour composer une liste de dix pays leur paraît un petit pas très insuffisant par rapport aux Etats-Unis et au Japon qui accordent des autorisations générales d’exportation respectivement pour 180 et 200 pays, et ils réclament un alignement rapide de la liste européenne sur celle des concurrents américains et japonais.

Deux mesures suscitent de plus fortes réserves de la part de certaines administrations.

La suppression des procédures d’autorisation pour les échanges intracommunautaires sur la quasi-totalité des biens à double usage les plus sensibles énumérés aux annexes IV et V de la décision P.E.S.C. actuelle va changer profondément la réglementation française sur ces produits.

La France est en effet l’Etat membre qui a maintenu le plus grand nombre de licences pour les transferts intracommunautaires puisque 92 produits relevant de l’annexe V sont sous licence nationale, alors que l’Allemagne et le Royaume-Uni ne les ont maintenues que pour trois produits.

Le Ministère de la Défense craint que cette mesure ne comporte des risques de réexportation de produits sensibles vers une destination indésirable. Il observe par ailleurs qu’elle va plus loin que le code de conduite de l’Union européenne en matière d’exportation d’armements que le Conseil a adopté le 8 juin 1998, puisque celui-ci limite l’obligation de notification aux deux Etats membres concernés par l’exportation, alors que le nouveau règlement l’étendrait à tous les Etats membres.

Les entreprises françaises concernées soutiennent au contraire un dispositif qui les libérerait des dernières entraves aux échanges intra-communautaires et proposent que les procédures de contrôle applicables aux matériels de guerre s’étendent aux produits les plus sensibles, à condition que leur champ soit strictement délimité.

Enfin, l’extension de la clause fourre-tout à tous les usages finals militaires pour les envois vers des pays soumis à embargo des Nations Unies ne rencontre la faveur ni du Ministère de la Défense, ni des organisations professionnelles, pour des raisons différentes.

Le Ministère de la Défense souligne que la définition des biens à double usage pouvant relever de cette clause est tellement vaste qu’elle pourrait étendre l’obligation d’information généralisée de tous les Etats membres et de la Commission à l’armement conventionnel, qui relève de la compétence nationale des Etats membres en application de l’article 223, paragraphe 1 b) du Traité C.E.

Les organisations professionnelles sont par principe opposées à la clause fourre-tout et remarquent que leurs concurrents américains bénéficient d’un système de contrôle beaucoup plus modulé et ciblé, finalement beaucoup plus clair pour les entreprises. Il repose sur des listes négatives de pays sensibles auxquels elles ne peuvent vendre aucun produit à double usage ou seulement certains d’entre eux, ainsi que sur des listes d’entités sensibles comme des instituts de recherche dans certains pays. Ce système facilite la vie des entreprises mais peut présenter des inconvénients diplomatiques. La diplomatie française part du principe que la France n’a pas d’ennemis et refuse d’établir une liste de pays sensibles. Le régime communautaire actuel suit cette optique puisque la seule liste de pays qu’il comporte est positive et fixe les sept pays auxquels s’appliquent des formalités simplifiées.

2) Une élimination contestable de la P.E.S.C. comme fondement de la réglementation

La Commission ne peut invoquer la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes pour défaire le système « inter-piliers » de 1995 et éliminer sa branche P.E.S.C. La Cour ne s’est en effet prononcée que sur les compétences respectives des Etats membres et de la Communauté dans le cadre du premier pilier, mais pas sur la compétence de l’Union européenne sur les exportations de biens à double usage dans le cadre du deuxième pilier. Elle n’a pu le faire parce que les deux affaires jugées se sont déroulées avant l’avènement de la P.E.S.C., instituée par le Traité de Maastricht et entrée en vigueur le 1er novembre 1993, mais surtout parce que le deuxième pilier intergouvernemental n’est pas soumis à la compétence juridictionnelle de la Cour.

Le transfert du dispositif de la décision P.E.S.C. dans le règlement communautaire se ferait d’ailleurs dans des conditions juridiques singulières, puisque la Commission ne propose pas d’abroger parallèlement la décision n° 94/942/P.E.S.C. du Conseil du 19 décembre 1994 et qu’elle annonce, dans son exposé des motifs, son intention de présenter dans un avenir proche des mesures pour compléter la proposition et traiter dans un cadre P.E.S.C. les questions de non-prolifération.

Il paraît également difficile de prétendre concilier l’objectif de libre circulation avec celui de non-prolifération en écartant du dispositif le pilier poursuivant le deuxième objectif. La non-prolifération ne relève pas de la politique commerciale commune, mais de la P.E.S.C., telle qu’elle est définie par l’article J1 du Traité sur l’Union européenne (et l’article 11 du Traité sur l’Union européenne dans le texte résultant du Traité d’Amsterdam), en particulier dans la poursuite du renforcement de la sécurité de l’Union et de ses Etats membres sous toutes ses formes ainsi que du maintien de la paix et du renforcement de la sécurité internationale.

Cette césure risque non seulement d’affecter l’équilibre interne du régime de contrôle des biens à double usage, mais de le mettre en contradiction avec le code de conduite de l’Union européenne en matière d’exportation d’armements qui prévoit que ses critères et sa procédure de consultation s’appliqueront également aux biens à double usage inscrits à l’annexe I de la décision du Conseil 94/942/P.E.S.C., lorsqu’il existe des raisons de penser que les forces armées ou les forces de sécurité intérieures ou des entités similaires du pays destinataire constitueront l’utilisateur final de ces biens. Comment organiser une bonne articulation entre ces deux régimes si une vision purement économique et commerciale inspire le contrôle des biens à double usage ?

3) La question complémentaire de l’application extra-territoriale de la réglementation américaine des biens à double usage

Les organisations professionnelles appellent l’attention des Etats membres et des autorités communautaires sur l’application extra-territoriale de la réglementation américaine des biens à double usage, qui porte atteinte à leur souveraineté et pénalise fortement les entreprises européennes. Celles-ci sont en effet obligées de demander à l’administration américaine une licence d’exportation pour vendre dans n’importe quel pays du monde, dès lors que le bien inclut 10 % de composants américains sensibles ou 25 % de composants moins sensibles. En cas de violation, les sanctions sont lourdes, puisque l’entreprise est privée de toute fourniture américaine, n’a plus droit d’accéder au marché américain et est frappée d’une amende. L’administration américaine, qui veut garder le contrôle de la technologie, impose sa politique commerciale extérieure à ses partenaires et influe sur la diplomatie européenne.

Il y a une unanimité des industries européennes, mais aussi japonaises et américaines, dont les filiales implantées en Europe sont également très gênées, pour demander que la Commission négocie avec les Etats-Unis, dans le cadre du dialogue transatlantique, la non-application extra-territoriale de la réglementation américaine du contrôle des biens à double usage aux entreprises implantées sur le territoire de la Communauté européenne et qu’elle obtienne la même dérogation que pour les lois Helms-Burton et D’Amato. Les Etats membres appartiennent tous à l’ensemble des groupes internationaux de contrôle des biens à double usage (Wassenaar, Australie...) et sont capables d’assurer un contrôle efficace et suffisant pour éviter le risque de prolifération.

 Conclusion :

Les débats interministériels montrent la difficulté de trancher sur un dossier aussi complexe et de trouver le juste équilibre entre des intérêts contradictoires.

Il semble que la Commission propose dans un premier temps des simplifications et allégements relativement limités pour ne pas effrayer les Etats membres, tout en s’efforçant d’inspirer, pour l’avenir, une vision essentiellement économique et commerciale du dispositif, en vue d’obtenir une politique commune beaucoup moins restrictive que le régime actuel.

Une autre approche aurait pu consister à obtenir dès maintenant des Etats membres une plus grande libéralisation du dispositif permettant de rapprocher la situation des entreprises européennes de celle de leurs concurrentes américaines ou japonaises, tout en maintenant un système « inter-piliers » politique commerciale commune - P.E.S.C. permettant de concilier vraiment la libre circulation des biens avec la non-prolifération.

La Délégation a jugé souhaitable que le Parlement se saisisse de ce dossier dans le cadre d’une mission d’information commune aux commissions des affaires étrangères, de la défense, des finances et de la production, à laquelle la Délégation pourrait participer.