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Document E1293 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 91/308/CEE du Conseil, du 10 juin 1991, relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux.
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Base juridique : Article 95 du traité instituant la Communauté européenne. Procédure : Unanimité au sein du Conseil de l’Union européenne. Avis du Conseil d’Etat : Le projet de directive modifiant la directive du 10 juin 1991 relative à la présentation de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux étend notamment l’obligation d’informer à propos d’activités liées à la criminalité organisée à des professions et entreprises ne relevant pas du secteur financier et qui n’étaient auparavant pas concernées par cette obligation. A ce titre, il comporte des dispositions touchant à des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice d’une liberté publique, qui sont de nature législative. Motivation et objet : Le blanchiment a pour particularité de supposer un concours d’infractions. Il s’appuie, par exemple, au départ sur un trafic de stupéfiants, sur une extorsion de fonds, sur de la contrebande ou sur une atteinte aux biens. Ces opérations de blanchiment peuvent revêtir plusieurs formes. On en distingue traditionnellement trois : le placement, l’empilage et l’intégration. Le placement conduit à convertir les sommes d’argent issues de trafics de devises, d’or, de monnaie scripturale ou électronique, en numéraire. L’empilage interdit toute possibilité de remonter à l’origine des fonds, grâce à un système complexe de transactions financières successives, au recours à des sociétés–écrans et à des paradis réglementaires. L’intégration se traduit par l’investissement de fonds d’origine frauduleuse dans les circuits économiques légaux d’un pays, afin de leur donner une apparence licite. La lutte contre le blanchiment des capitaux intéresse plusieurs enceintes internationales. Au premier rang de celles–ci figure le Groupe d’action financière internationale contre le blanchiment des capitaux (G.A.F.I.), créé en 1989, et qui a adopté 40 recommandations en la matière, ayant fait l’objet d’une actualisation en 1996. Elles portent sur le droit pénal, le droit bancaire et la coopération internationale. Il convient de citer également la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime du 8 novembre 1990. La directive du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux a constitué, à l’échelle de l’Union européenne, une première étape dans la lutte contre l’argent du crime. Mais il est apparu à l’usage que ce texte n’avait qu’un champ d’application limité, puisqu’il prévoyait uniquement l’interdiction du blanchiment des capitaux provenant du trafic de stupéfiants. Or, tant les recommandations du groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux de 1990, déjà citées, que l’article 6 de la convention du Conseil de l’Europe, évoquée ci–dessus, montrent que le blanchiment de capitaux peut provenir d’un large éventail de délits. La recommandation 26, e) du programme d’action de l’Union européenne relatif à la criminalité organisée, adopté par le Conseil du 28 avril 1997 et approuvé par le Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997 fait valoir qu’« il y a lieu d’étendre l’obligation de communiquer des informations, visée à l’article 6 de la directive relative au blanchiment de capitaux, à toutes les infractions liées à des faits criminels graves et à des personnes et des catégories professionnelles autres que les établissements financiers visés par la directive ». Ces lacunes de la directive ont été particulièrement mises en lumière également par le deuxième rapport de la Commission, du 1er juillet 1998, sur l’application de la directive. Celui–ci a eu le mérite de souligner que le renforcement des contrôles dans le secteur bancaire avait incité les « blanchisseurs » à rechercher d’autres moyens pour déguiser l’origine illicite de leurs fonds. Le Parlement européen a revendiqué de son côté une extension du champ d’application de la directive. Le Conseil « justice et affaires intérieures » du 3 décembre 1998 a adopté une action commune concernant l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et du produit du crime. Cette action commune confirme l’accord des Etats membres sur la nécessité d’adopter une approche commune dans ce domaine. Elle étend largement la notion de blanchiment d’argent et les délits graves sont qualifiés d’infractions principales en relation avec le blanchiment des capitaux. La modification de la directive du 10 juin 1991 était imposée enfin par le plan d’action de la Commission pour les services financiers en date du 11 mai 1999, approuvé par le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999. La modernisation des règles prudentielles et de surveillance des opérations financières à laquelle appelait ce plan d’action passe en effet par un élargissement de la définition des infractions principales et par l’extension des obligations déclaratives, dans le cadre de la lutte contre la fraude et le blanchiment de capitaux. La directive de 1991 et la proposition de modification dont nous sommes saisis sont des instruments qui relèvent du premier pilier : elles ont en effet une incidence sur la liberté des mouvements de capitaux, régie par l’article 56 du traité instituant la Communauté européenne et ne comportent pas à proprement parler de dispositions pénales. Contenu et portée : En prenant en compte les modifications des pratiques du blanchiment, la proposition de directive modifie pour l’essentiel la directive du 10 juin 1991 sur trois plans. Elle élargit le champ des infractions à l’origine du blanchiment ; elle étend à certaines activités et professions non financières des obligations imposées exclusivement aujourd'hui au secteur financier ; elle vise enfin à faciliter la coopération internationale contre le blanchiment. – L’article 1er de la directive du 10 juin 1991 est amendé afin que toutes les formes de criminalité organisée et les activités illicites portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés, et non le seul trafic de drogue, soient couvertes par l’interdiction du blanchiment des capitaux. – L’éventail des activités et professions soumises aux obligations de la directive est élargi. Dans la directive du 10 juin 1991, seuls les « établissements de crédit » et les « institutions financières » avaient l’obligation d’informer les autorités de toute transaction suspecte pouvant être liée au blanchiment de capitaux. Les adjonctions apportées à cette liste par la proposition de directive visent le secteur financier, entendu au sens large et le secteur non financier. La modification qui est suggérée inclut en effet dans le champ de la directive les succursales des établissements de crédit et des institutions financières ayant leur siège social dans ou en dehors de la Communauté. Relèveraient également désormais du champ d’application de la directive du 10 juin 1991 : les bureaux de change, les sociétés de transfert de fonds, les entreprises d’assurance agréées réalisant des activités relevant de ladite directive, comme les entreprises d’assurance–vie, les entreprises d’investissement, au sens de la directive du 10 mai 1993 concernant les services d’investissement dans le domaine des valeurs mobilières, à savoir les personnes morales exerçant habituellement une profession ou une activité consistant à fournir à des tiers un service d’investissement à titre professionnel et à des personnes autres que morales, sous certaines conditions. La nouveauté résulte surtout de l’extension du dispositif anti–blanchiment à des professions n’appartenant pas au secteur financier traditionnel. Les spécialistes de la lutte contre le blanchiment ont en effet constaté que le blanchiment de capitaux avait tendance à emprunter d’autres voies que celles des circuits bancaires, qui étaient de plus en plus contrôlées. Comme on l’a vu, la recommandation 26 du programme d’action relatif à la criminalité organisée invitait les Etats membres de l’Union européenne à étendre l’obligation de communiquer des informations à des personnes et des catégories professionnelles autres que les établissements financiers visés par la directive. Dans le rapport du 26 février 1999 sur le deuxième rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’application de la directive relative au blanchiment de capitaux, déjà cité, l’Assemblée de Strasbourg suggérait d’inclure dans le champ des professions soumises aux obligations déclaratives de la directive « des professions susceptibles d’être impliquées dans le blanchiment de capitaux ou d’être exploitées abusivement par les blanchisseurs, comme les agents immobiliers, les négociants en œuvres d’art, les commissaires–priseurs, les casinos, les bureaux de change, les transporteurs de fonds, les notaires, les comptables, les avocats, les conseillers fiscaux et les experts comptables ». Il était demandé d’appliquer à ces professions la directive et le cas échéant de nouvelles dispositions, en tenant compte des particularités de ces professions et en respectant notamment l’obligation de secret professionnel. La Commission a largement suivi le Parlement européen en ajoutant aux établissements de crédit et aux institutions financières, les commissaires aux comptes, les comptables, les agents immobiliers, les transporteurs de fonds, les marchands de pierres et métaux précieux, les gérants, propriétaires et directeurs de casinos. De surcroît, lorsqu’ils représentent ou assistent des clients dans le cadre d’activités immobilières, financières ou touchant au droit des sociétés, les notaires et les autres membres de professions juridiques sont également appelés à figurer sur cette liste. En revanche, la Commission a émis des réserves à l’encontre de l’inclusion d’autres professions juridiques. S’agissant des commissaires–priseurs et des négociants en œuvres d’art, elle ne s’est pas ralliée à la proposition du Parlement européen, évoquant la difficulté de mettre en place un contrôle destiné à vérifier l’application des règles qui leur seraient imposées. Les professions retenues seraient appelées à être assujetties aux obligations d’identification des clients applicables aujourd'hui aux établissements de crédit et aux institutions financières. Elles seraient donc tenues d’identifier leurs clients au moyen d’un document probant, lorsque ceux–ci noueraient une relation d’affaires et lorsque serait en jeu une transaction d’une valeur minimale de 15.000 euros. Les modalités d’identification des clients à distance dans le cas d’opérations financières d’établissements de crédit et d’institutions font par ailleurs l’objet d’une définition en annexe. – Le dernier volet de ce dispositif a trait à la coopération entre Etats membres. Ceux–ci sont invités à échanger des informations dans les cas de fraude, de corruption ou de toute autre activité illicite portant atteinte ou susceptible de porter atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes. C’est dans ce cadre que s’inscrit le dispositif particulier applicable aux professions juridiques indépendantes et plus particulièrement aux avocats. Ces derniers sont habilités à coopérer, en communiquant leurs soupçons à leur barreau ou à un organe professionnel équivalent, à charge pour les Etats membres de définir les modalités de la coopération à établir entre le barreau et les autorités nationales responsables de la lutte contre le blanchiment. Cependant ce principe fait l’objet d’un double tempérament : d’une part, cette procédure ne constituerait qu’une faculté ouverte aux Etats membres et non une obligation ; d’autre part, elle ne jouerait pas lorsque ces informations sont fournies par un client dans le cadre d’une procédure judiciaire mais elle serait applicable, en revanche, dans le cadre d’activités de conseil. Enfin, si les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment des Etats membres sont invitées à collaborer avec la Commission dans les cas de fraude, de corruption ou de toute autre activité illicite portant atteinte, ou susceptible de porter atteinte, aux intérêts financiers des Communautés européennes, ces mêmes Etats membres peuvent exonérer de ces obligations les ordres des avocats et les organes professionnels. Réactions suscitées et état d’avancement de la procédure communautaire : Si l’extension du champ des infractions à l’origine du blanchiment des capitaux s’inscrit dans la logique des constatations faites par les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment, l’intérêt de cette proposition de décision–cadre réside surtout dans l’élargissement de la liste des professions concernées par le dispositif et par la définition de leurs obligations. La difficulté de l’exercice consistera sans aucun doute à faire adhérer les professions juridiques à ce dispositif sans que ce dernier ne leur soit préjudiciable. D’aucuns feront observer que cette pratique de signalement de soupçons par les avocats a déjà un précédent au Royaume-Uni, même si ses effets n’ont pas été évalués. Toutefois, en opérant une distinction entre les activités de défense et les activités de conseil, on ne peut exclure que les professions intéressées ne soient tentées de s’abriter derrière la procédure judiciaire pour échapper aux obligations de coopération avec les autorités responsables de la lutte contre le blanchiment que la proposition de décision–cadre voudrait leur imposer. Les craintes que l’on peut nourrir sur l’efficacité de ces règles sont d’autant plus fondées que les informations susceptibles d’être collectées par les avocats sont transmises au barreau, sans que les modalités de leur transmission ultérieure aux autorités nationales ne soient pour l’instant définies. On peut également s’interroger sur la justification des dispositions de l’article 12. D’une part, celui–ci permet aux Etats membres d’étendre le champ des professions exerçant des activités « particulièrement susceptibles d’être utilisées à des fins de blanchiment de capitaux », d’autre part, il associe la Commission à cette coopération dans la lutte contre le blanchiment des capitaux. Or, en laissant une telle marge de manœuvre aux Etats membres, ce dispositif est non seulement en contradiction avec les principes des directives communautaires posés par l’article 249 du traité instituant la Communauté européenne, mais il risque aussi de favoriser des distorsions contraires à l’objectif poursuivi. En outre, l’association de la Commission à cet échange d’informations entre Etats membres ne paraît pas justifiée. Conclusion : Outre ces imperfections, on peut regretter que l’occasion n’ait pas été saisie pour instituer dans tous les Etats membres de l’Union européenne la règle du renversement de la charge de la preuve de l’origine licite des biens. La Délégation a levé la réserve d’examen parlementaire sur ce texte lors de sa réunion du 2 décembre 1999. |