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Document E2704
(Mise à jour : 12 décembre 2009)


Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.


E2704 déposé le 8 octobre 2004 distribué le 14 octobre 2004 (12ème législature)
   (Référence communautaire : COM(2004) 0607 final du 22 septembre 2004, transmis au Conseil de l'Union européenne le 22 septembre 2004)

Base juridique :

Article 137 du traité instituant la Communauté européenne.

Procédure :

- article 251 du traité (codécision) ;

- avis du Comité économique et social européen ;

- avis du Comité des régions.

Avis du Conseil d'Etat :

Procédant à la modification de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, dont les dispositions sont de nature législative, cette proposition de directive du Parlement européen et du Conseil présente également un caractère législatif.

Fiche d'évaluation d'impact :

Document fourni en addendum à la proposition de directive.

Contenu et portée :

Le 22 septembre 2004, la Commission européenne a proposé un texte visant à modifier la directive 2003/88/CE qui fixe au niveau européen les règles essentielles de protection de la santé et de la sécurité en matière d'aménagement du temps de travail.

La portée de cette initiative est majeure puisqu'elle concerne les principes de base que doit respecter le droit du travail de chaque Etat membre en matière de temps de travail des salariés, à savoir, pour l'essentiel, un repos quotidien de 11 heures, des pauses régulières, un repos hebdomadaire d'au moins 24 heures ininterrompues, quatre semaines de congés par an, une durée maximale hebdomadaire du travail de 48 heures en moyenne ainsi qu'une durée du travail de nuit au plus égale à 8 heures en moyenne par période de 24 heures. Ces principes généraux sont assortis de dérogations concernant certaines catégories ou certains secteurs( 1).

Il s'agit de règles, ou prescriptions, dites minimales : chaque Etat membre de l'Union européenne doit les respecter, mais garde tout autant la faculté de prévoir et d'appliquer, à son niveau, des dispositions plus favorables à ses travailleurs. L'article 23 de la directive précise d'ailleurs, dans le cadre de la clause de non-régression, que la mise en œuvre de ses dispositions ne constitue pas une justification valable pour la réduction du niveau général de la protection des salariés.

La Commission ne propose pas de refonte générale de ce texte, dont l'essentiel des dispositions remonte à 1993 et n'a nullement fait obstacle, en France, à plusieurs modifications relatives à l'aménagement du temps de travail, qu'il s'agisse des 35 heures ou des mesures ultérieures à 2002, mais trois modifications ciblées qui sont dues pour deux d'entre elles, aux clauses de réexamen prévues par le dispositif initial de 1993.

Le texte qu'elle a établi a toutefois été contesté, notamment par l'ensemble des partenaires sociaux.

Il n'a pas fait non plus l'objet d'un accord, parmi les Etats membres, au sein du Conseil.

Le principal point de désaccord est la règle dite d'opt out , qui permet de déroger sur une base individuelle, pour les salariés, au cas par cas, à la limitation à 48 heures, en moyenne, de la durée maximale de travail dans tous les Etats membres de l'Union.

En l'espèce, la procédure de codécision a montré son efficacité puisque le Parlement européen, en première lecture, a adopté, à une large majorité, un dispositif équilibré et assez différent du texte initial, puisqu'il prévoit la disparition de l'opt out .

Il appartient à l'Assemblée nationale de lui manifester son soutien, de manière que la procédure puisse aboutir à un texte favorable à la consolidation du modèle social européen.

I.- La proposition initiale de la Commission n'a pas fait l'objet d'un accord au sein du Conseil

A.- La Commission a proposé trois modifications principales, dont la plus significative concerne l'opt out

Après avoir sans succès consulté les partenaires sociaux en vue de la conclusion d'un accord collectif européen, ce qui lui aurait évité d'avoir à intervenir, la Commission a suggéré trois aménagements principaux portant chacun sur un point précis : la définition du temps de garde ; le calcul de la limite des 48 heures hebdomadaires de travail ; la clause de dérogation individuelle dite d'opt out , par laquelle un Etat membre peut autoriser ses salariés à renoncer au bénéfice de cette même limite de 48 heures.

Sur la question du temps de garde, il s'agissait de résoudre les difficultés posées à propos des médecins par plusieurs arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes ( SIMAP du 3 octobre 2000, Jaeger du 9 octobre 2003 et Pfeiffer du 5 octobre 2004), assimilant le temps de garde en totalité à du temps de travail.

La Commission européenne a proposé de renvoyer la question au niveau national en distinguant, au sein du temps de garde, une période active, considérée en toutes circonstances comme du temps de travail, et une période inactive, laquelle ne serait pas assimilée à du temps de travail, sauf si une disposition législative nationale ou un accord collectif le prévoit.

Sur la question de la période de référence retenue pour apprécier le respect de la limite des 48 heures hebdomadaires, en moyenne, la Commission a proposé d'introduire plus de flexibilité en étendant les modalités permettant d'accroître sa durée maximale de quatre mois à douze mois.

La limitation à 48 heures de la durée maximale hebdomadaire de travail selon la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003

Les dispositions actuellement en vigueur au niveau communautaire ont été établies par la directive 1993/104/ CE du 23 novembre 1993 et reprises dans le cadre de celle de 2003, qui s'y est substituée.

Elles prévoient que pour chaque période de sept jours, la durée moyenne de travail ne doit pas excéder 48 heures, y compris les heures supplémentaires.

Cette moyenne est, en principe, calculée sur une période de référence d'au maximum quatre mois.

Ce maximum peut toutefois être porté à six mois pour certains secteurs ou dans certaines circonstances, par la loi ou par la négociation collective, et même à douze mois, par convention collective ou accord collectif, pour des raisons objectives, techniques ou d'organisation du travail.

Ce calcul des 48 heures en moyenne sur une période de référence ne concerne pas la France. La durée du travail de 48 heures par semaine y est une limite impérative, prévue à l'article L. 212-7 du code du travail. Aucune heure supplémentaire ne peut être effectuée au-delà. Il peut toutefois être dérogé à cette règle, en cas de circonstances exceptionnelles et pour une période limitée, sur autorisation de l'administration du travail et de l'emploi, dans la limite de soixante heures de travail sur une semaine.

Au dispositif actuel, avec ses restrictions et sa complexité, la Commission propose de permettre aux Etats membres de prévoir l'annualisation de la durée de la période de référence, pour le calcul du temps de travail hebdomadaire, pour l'ensemble des salariés, pour des raisons objectives ou techniques ou ayant trait à l'organisation du travail, sous réserve de la consultation des partenaires sociaux et de l'encouragement au dialogue social. La même faculté d'extension serait maintenue par convention collective ou accord entre partenaires sociaux.

S'agissant de l'opt out , à savoir la faculté de déroger de manière permanente et sur une base individuelle à cette même limite des 48 heures hebdomadaires, la Commission a proposé d'en rendre l'accès plus restrictif pour les Etats membres et les entreprises, en subordonnant sa mise en œuvre, lorsque cela est possible, à la négociation collective ainsi qu'en encadrant strictement ses conditions d'application au niveau individuel. Sont ainsi notamment prévues l'interdiction, sous peine de nullité de la clause, d'obtenir du salarié la signature de l'accord d'opt out au moment de son embauche et la tenue d'un registre, communicable à l'administration du travail, mentionnant les heures effectuées dans ce cadre. Constatant également qu'il n'y avait pas d'autre limite à la durée hebdomadaire du travail que celles relatives aux repos minimaux pour les salariés sous opt out , la Commission a estimé nécessaire de prévoir un plafond hebdomadaire à 65 heures par semaine, soit un peu moins de 11 heures par jour en moyenne, à moins qu'une convention ou un accord collectif n'en dispose autrement.

Même s'il elle ne traduit pas une mauvaise intention puisqu'elle vise à fixer un maximum là où il n'y en actuellement pas et à éviter les conséquences fâcheuses d'une durée du travail constamment élevée, cette limite de 65 heures a paru excessive au point que certains commentateurs ont pu parler de directive " travaux forcés ". Il faut convenir de ce que la mention d'un seuil aussi élevé n'est pas d'une grande adresse.

Enfin, dans le cadre de la clause de réexamen, la Commission a mentionné la possibilité d'un examen de la suppression, à un terme toutefois non précisé, de cette dérogation.

Un dernier aménagement concerne le délai d'intervention du repos compensateur en cas de dérogation à la durée maximale de travail, quotidien ou hebdomadaire, ou avec temps de pause. La Commission a proposé un maximum de 72 heures pour que celui-ci soit accordé au salarié.

La proposition de la Commission n'a pas fait l'objet d'un accord des partenaires sociaux, ni au niveau européen, ni au niveau national.

En ce qui concerne les employeurs, au niveau communautaire, l'Union des confédérations de l'industrie et des employeurs d'Europe (UNICE) a souhaité éviter toute initiative permettant une réduction des heures ouvrées et l'Union européenne de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises (UAPME) est attachée à la flexibilité avec l'opt out .

S'agissant des salariés, la Confédération européenne des syndicats (CES) a notamment souhaité, à l'opposé, la suppression de l'opt out .

En ce qui concerne la France, les partenaires sociaux, dans le cadre du Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales (CDSEI) ont rappelé que l'objectif de la directive était la protection de la santé et de la sécurité au travail, ce qui implique la suppression de l'opt out individuel.

B.- Les débats au sein du Conseil ont été difficiles, essentiellement sur l'opt out

Le point d'opposition principal entre les Etats membres, en Conseil, est également l'opt out .

Le Royaume-Uni - qui y a massivement recours, puisque 16 % de ses salariés en relève, soit 4 millions de personnes, dans des conditions d'ailleurs dénoncées par l'étude d'impact de la Commission - ainsi que la Slovaquie, la Pologne la Lettonie et Malte, sont favorables au maintien de l'opt out sur ses bases individuelles actuelles (négociation directe entre l'employeur et le salarié). L'Allemagne, pour sa part, n'est pas hostile au maintien de l'opt out.

A l'opposé, la France, ainsi que la Belgique, l'Espagne, la Hongrie et la Suède sont favorables à la suppression progressive de l'opt out .

Les Etats opposés à l'opt out représentent une minorité de blocage au Conseil, avec 31% des voix, comme l'a indiqué le Premier ministre à l'Assemblée nationale le 6 avril dernier.

Face à un tel blocage, l'avis du Parlement européen a, sur le plan politique notamment, un rôle essentiel.

II.- L'équilibre défini à une large majorité par le Parlement européen, le 11 mai dernier, doit être soutenu par la France, car il est bien plus conforme au modèle social européen que le texte initial

Le rapporteur du Parlement européen, M. Alejandro Cercas, PSE (Espagne), a fait, pour sa part, dès le mois de mars dernier, des propositions relevant du même esprit que les options exprimées par la France lors des réunions du Conseil. Son rapport a été dans l'ensemble suivi par le Parlement européen.

Par 355 voix contre 272, dont la totalité du PSE et des Verts, y compris les travaillistes du Royaume-Uni, et la moitié des membres du PPE, parmi lesquels les Français, de même que la moitié de l'ADLE, le Parlement européen a ainsi adopté en première lecture un texte qui conforte le modèle social européen selon trois points de vue.

D'une part, en prévoyant la suppression de l'opt out dans un délai de trois ans à compter de la transposition de la nouvelle directive, le Parlement européen se prononce contre le maintien d'un régime dérogatoire permanent à limite des 48 heures hebdomadaires. Il confirme ainsi le sens de la directive qui est d'assurer la protection et la santé des travailleurs en fixant une limite raisonnable et économiquement viable aux horaires de travail.

D'autre part, s'agissant de la flexibilité dans l'organisation du temps de travail, il maintient, en complément de la suppression de l'opt out , et dans un esprit de compromis, le principe d'une nouvelle souplesse, avec l'extension des possibilités d'annualiser la période de référence pour l'appréciation de la limite des 48 heures hebdomadaires. Il l'assortit toutefois, et opportunément, de garanties renforcées quant à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs comme à la consultation des partenaires sociaux. Les conditions d'une telle extension sont ainsi plus strictes que dans le texte initial de la Commission.

L'argument d'une insuffisante flexibilité du droit social européen ne peut donc plus être invoqué pour la pérennisation de l'opt out .

En outre, sur le temps de garde, le Parlement européen propose d'inverser la logique de la Commission. Celui-ci serait par principe considéré comme du temps de travail. Une disposition nationale légale ou conventionnelle pourrait toutefois prévoir des modalités spécifiques pour son décompte.

Ainsi, le système français des équivalences qui intéresse de nombreuses professions, notamment dans l'hôtellerie et la restauration, de même que le régime de travail des médecins hospitaliers ne seraient pas remis en question.

Par ailleurs, en ce qui concerne le délai d'intervention du repos compensateur, le Parlement européen renvoie à la loi ou à la négociation collective.

Enfin, certaines dispositions adoptées par le Parlement européen visent à mieux concilier la vie familiale et la vie professionnelle.

Dans l'ensemble, le texte du Parlement européen rejoint les positions de la France et répond à son souci d'une harmonisation par le haut des conditions de travail en Europe, d'une meilleure protection de la santé et de la sécurité au travail ainsi que, sur le plan plus général, de la protection du modèle social européen.

Il offre un compromis raisonnable entre les diverses positions telles qu'elles ont été exprimées, compte tenu des exigences de la protection de la santé et de la sécurité des salariés.

Il est donc d'une grande importance pour engager les pays dont certains salariés ont des durées de travail très supérieures aux nôtres, à les réduire.

Il a d'ailleurs reçu l'appui de la Confédération européenne des syndicats, dont le secrétaire général, M. John Monks, a indiqué : " C'est la preuve que l'Europe sociale existe bel et bien. ", et, s'agissant de la France, l'appui très clair de la CFDT.

Le 1er juin dernier, la Commission a diffusé une proposition modifiée de directive qui diffère de la position du Parlement européen sur deux points :

- d'une part, elle revient au principe initial de la Commission sur le temps de garde. Ses périodes inactives ne seraient pas considérées comme du temps de travail, sauf si la législation nationale ou bien les conventions collectives ou les accords entre partenaires sociaux en décident autrement ; elle a également ajouté une disposition selon laquelle ces périodes inactives ne seraient pas prises en compte pour le respect des repos journaliers ou hebdomadaires ;

- d'autre part, elle permet de prolonger l'opt out sur décision de la Commission aux Etats membres qui en font la demande, au-delà du délai de trois ans à compter de la transposition de la directive. Une telle demande devrait être motivée par les modalités propres au marché du travail de l'Etat demandeur. Par ailleurs, l'opt out serait mieux contrôlé, selon les modalités prévues par le projet initial de la Commission, et la durée hebdomadaire du travail, en cas d'opt out individuel, serait limitée à 55 heures par semaine.

Afin de montrer d'une manière irréfragable que l'Europe ne développe pas la concurrence par le dumping social, il convient donc que le texte qui sera adopté en définitive à l'issue de la procédure de codécision conserve l'essentiel des éléments de la position du Parlement européen, notamment la suppression de l'opt out.

Dans cet esprit, la proposition modifiée présentée par la Commission juste avant le Conseil " Emploi, Politique sociale, Consommation " du 2 juin dernier représente également une base de discussion dès lors que des aménagements y sont apportés, dans le sens d'une meilleure protection de la santé et de la sécurité au travail et que la suppression effective de l'opt out est maintenue, dans son principe.

Conclusion :

Le Président Pierre Lequiller, suppléant M. Edouard Landrain, rapporteur, a présenté ce texte au cours de la réunion de la Délégation du 8 juin 2005.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Délégation a ensuite approuvé , au bénéfice de ces réserves et observations, la proposition de directive et a adopté la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

" L'Assemblée nationale,

- Vu l'article 88-4 de la Constitution,

- Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (document E 2704) ;

- Considérant que l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux prévoit que tout travailleur a droit " à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité " et " à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire ainsi qu'à une période annuelle de congés payés " ;

- Soulignant que la construction européenne doit s'accompagner d'une consolidation du modèle social européen, laquelle repose notamment sur une harmonisation par le haut des conditions de travail dans les Etats membres de l'Union européenne et ainsi des règles touchant à la santé et à la sécurité au travail ;

- Se félicitant de ce que le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 11 mai 2005, une résolution législative équilibrée qui tend, d'une part, à supprimer à un terme précis toute possibilité de déroger au plafonnement à 48 heures en moyenne de la durée hebdomadaire de travail (suppression de l'opt out), et, d'autre part, à renforcer les garanties des salariés pour ce qui concerne le recours à l'annualisation du temps de travail ;

- Soulignant avec satisfaction que cette même résolution vise à reconnaître le temps de garde comme du temps de travail tout en permettant la prise en compte, le cas échéant, de sa spécificité ;

- Considérant que cette résolution législative vise également à assurer dans un délai adapté l'intervention du repos compensateur en cas de dérogation aux repos minima quotidien et hebdomadaire ainsi qu'à permettre aux salariés de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale ;

Estime que le texte qui sera en définitive adopté à l'issue de la procédure de codécision doit conserver les principaux éléments de la position adoptée par le Parlement européen sur les points évoqués, et en particulier maintenir, sur le principe, la suppression de l'opt out. "

(1) Il s'agit pour l'essentiel des catégories suivantes, les cadres dirigeants, la main d'œuvre familiale ou les personnes intervenant dans le domaine liturgique, des secteurs marqués par l'éloignement entre le lieu de travail et le domicile, tels que les activités off shore, les activités de garde, de surveillance et de permanence avec nécessité d'assurer la protection des biens et des personnes, les activités exigeant une continuité du service (hôpitaux, gaz, électricité, etc.), les secteurs susceptibles de connaître un surcroît prévisible d'activité (agriculture, tourisme, services postaux) et le secteur ferroviaire.