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N° 2111

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 juillet 2019

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION D’enquête

sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité,

qu’il s’agisse de la police nationale, de la gendarmerie ou
de la police municipale

 

Président

M. Jean-Michel Fauvergue,

 

Rapporteur

M. Christophe NAEGELEN,

 

Députés

——

 


—  1  —

 

La commission d’enquête sur les moyens des forces de sécurité est composée de : M. Jean-Michel Fauvergue, président ; M. Christophe Naegelen, rapporteur ; Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Josy Poueyto, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Alice Thourot, vice-présidents ; M. Jean-Claude Bouchet, M. Joaquim Pueyo, Mme Nicole Trisse, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon secrétaires ; M. Xavier Batut, Mme Aurore Bergé, M. Ugo Bernalicis, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Rémi Delatte, M. Jean-François Eliaou, M. Yannick Favennec Becot, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Olivier Gaillard, Mme Christine Hennion, Mme Caroline Janvier, Mme Sandrine Josso, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Kuster, M. David Lorion, M. Denis Masséglia, M. Jean-Michel Mis, M. Stéphane Peu, M. Bruno Questel

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du président de la commission d’enquête

Introduction

Synthèse des propositions

I. Une situation critique maintes fois dénoncée

A. L’immobilier et l’équipement, variables d’ajustement du budget des forces de sécurité intérieure

1. Des casernes et des commissariats abandonnés par la puissance publique

a. Un parc immobilier toujours dans une situation critique

b. Des efforts encore insuffisants par rapport aux besoins

i. Un désinvestissement immobilier massif

ii. Des besoins criants mais un chiffrage imparfait

c. Des décisions d’investissement immobilier trop peu lisibles

2. Un équipement de sécurité qui n’est pas à la hauteur des enjeux opérationnels

a. Des crédits d’équipement encore insuffisants

b. Un parc de véhicules vieillissant

c. Des agents insuffisamment protégés dans un contexte opérationnel intense et évolutif

B. Une gestion des ressources humaines coûteuse et source de frustrations

1. Des rythmes de travail atypiques

a. Le casse-tête des heures supplémentaires dans la police nationale

b. Une réforme des cycles horaires qu’il est urgent de faire aboutir

c. Un engagement opérationnel particulièrement intense dans la gendarmerie nationale

d. Des heures supplémentaires qui commencent aussi à s’accumuler dans l’administration pénitentiaire

2. Des difficultés d’attractivité et de fidélisation patentes

a. Les problèmes de fidélisation de la filière investigation

b. La faible attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire

C. Un sentiment partagé de confusion dans les missions

1. La persistance de « tâches indues »

2. Une confusion plus qu’une complémentarité dans les missions

a. Une confusion croissante entre les missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique

b. Une coordination insuffisante entre les forces contribuant à la sécurité publique

c. Des missions nouvelles pour l’administration pénitentiaire

3. Une charge procédurale qui reste insupportable en dépit des réformes successives

a. Des évolutions souvent incomprises par les agents

b. Une dématérialisation très attendue

c. Des réformes souvent inappliquées

II. Une réforme profonde et innovante des forces de sécurité est indispensable

A. Fixer des priorités claires et stables dans le temps

1. Adopter une loi de programmation de la sécurité intérieure, levier d’une profonde réforme

2. « Sincériser » le budget des forces de sécurité intérieure autour des besoins immobiliers réels

a. Prévoir un plan immobilier adapté aux besoins

b. Pour une mise en réserve de précaution pertinente

3. Augmenter les crédits en faveur du renouvellement des véhicules

a. Acquérir des véhicules plus adaptés

b. Offrir de la souplesse grâce à l’externalisation de certaines prestations

4. Engager l’investissement nécessaire à la dématérialisation de la procédure pénale

a. S’assurer du respect du calendrier fixé et évaluer le coût du programme

b. Consolider les systèmes informatiques

c. Assurer l’interopérabilité des logiciels de procédure pénale

5. Mettre en œuvre un programme volontariste en faveur des réserves opérationnelles

a. Fixer des priorités claires à la mobilisation des réserves opérationnelles

b. Faciliter les relations avec les employeurs

c. Permettre aux réservistes les plus expérimentés de conserver leur habilitation d’officier de police judiciaire

d. Ouvrir largement la réserve de la police nationale aux citoyens

B. Alléger enfin la charge procédurale

1. Tirer pleinement parti des possibilités offertes par la numérisation

2. Étendre le recours à la procédure de l’amende forfaitaire

a. Des freins juridiques et techniques qui tardent à être levés

b. Un champ d’application qui pourrait être encore étendu

3. La réduction des « tâches indues »

4. Renforcer les contrôles en prison en simplifiant les exigences pesant sur les surveillants

C. Se doter d’une organisation adaptée aux nouveaux défis

1. Faire confiance aux décideurs locaux en leur donnant plus de marges de manœuvre

a. Donner des marges de manœuvre aux responsables locaux

b. Achever les mutualisations au niveau zonal

2. Poursuivre la mutualisation des services au niveau central pour plus d’efficacité

a. Créer de grandes directions générales pour les fonctions support mutualisées

b. Renforcer l’autorité des directions centrales de la direction générale de la police nationale sur les services de la préfecture de police

c. Créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale

D. Revoir l’organisation du maintien de l’ordre

1. Un nouveau schéma national du maintien de l’ordre

a. Prendre en compte les nouvelles formes de mobilisation sociale

b. Poursuivre la réflexion sur les interpellations en cours de manifestation

c. Faciliter la mise en cause pénale des manifestants violents

2. Pour un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité.

a. Renforcer les compagnies républicaines de sécurité

b. Rendre aux escadrons de gendarmerie mobile leurs effectifs initiaux

3. Pour un plan d’équipement « maintien de l’ordre »

a. Tirer profit des innovations dans l’imagerie et la communication

b. Renouveler les véhicules des escadrons de gendarmerie mobile

E. Moderniser la gestion des ressources humaines

1. Prendre des mesures innovantes pour attirer et fidéliser

2. Faire évoluer la formation des policiers

a. Créer une académie de police commune aux trois corps de la police nationale

b. Remédier aux lacunes de la formation continue

3. Mieux valoriser l’engagement au service de la sécurité des Français

F. Asseoir le rôle et la place des polices municipales

1. Constituer une école nationale de police municipale sous l’égide du ministère de l’intérieur

2. Définir un équipement minimal obligatoire

3. Aménager un accès adapté aux fichiers de police

4. Harmoniser les statuts entre police municipale et gardes champêtres

Examen en commission

Contributions des groupes politiques

Liste des personnes auditionnées par lA COMMISSION d’ENQUÊTE

Déplacements effectués par la commission d’enquête

annexes

I. notes

Annexe 1 : L’évolution de la structure des dépenses des forces de l’ordre

Annexe 2 : Des avancées significatives dans le domaine indemnitaire  en 2016 et 2018

Annexe 3 : La protection fonctionnelle des forces de sécurité intérieure

Annexe 4 : Le recours à des agents de sécurité privée

Annexe 5 : La coopération entre les forces de sécurité de l’État et les polices municipales

II. Analyse par le rapporteur des Résultats de la consultation des membres des forces de sécurité intérieure

III. comptes rendus des auditions

Audition du 6 mars 2019

Audition du 7 mars 2019

Audition du 21 mars 2019

Audition du 21 mars 2019

Audition du 27 mars 2019

Audition du 28 mars 2019

Audition du 2 avril 2019

Audition du 4 avril 2019

Audition du 9 avril 2019

Audition du 10 avril 2019

Audition du 10 avril 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 7 mai 2019

Audition du 14 mai 2019

Audition du 15 mai 2019

Audition du 16 mai 2019

Audition du 16 mai 2019

Audition du 21 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 22 mai 2019

Audition du 23 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 28 mai 2019

Audition du 4 juin 2019

Audition du 4 juin 2019

Audition du 5 juin 2019

Audition du 19 juin 2019


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   Avant-propos
du président de la commission d’enquête

Avant d’être élu député, j’ai consacré la majeure partie de ma vie
– quarante ans – à la sécurité des Français, en les servant au sein de la police nationale.

Au fil des années, j’ai vu la situation des forces de sécurité se dégrader, leur efficacité diminuer, à l’image de leur présence sur la voie publique. Nombreux parmi les femmes et les hommes qui servent dans la police ou la gendarmerie travaillent dans des conditions déplorables, générées notamment par la vétusté des bâtiments et un manque de moyens logistiques et techniques.

Pourtant la situation dégradée des conditions de travail de nos forces de sécurité ne saurait être réduite à des arbitrages budgétaires, dont la mise en œuvre se fait souvent attendre, ou de nouvelles vagues de recrutements, d’autant que certains concours ne font plus recette. La filière « police judiciaire » en est une bonne illustration.

Cette commission d’enquête formule des propositions à l’élaboration desquelles ont contribué chacun de ses membres, mais aussi les services de l’Assemblée nationale : qu’ils soient tous ici remerciés pour leur engagement. Plusieurs de ces propositions sont déjà présentes dans le rapport parlementaire sur la sécurité globale remis au Premier ministre avec Alice Thourot en septembre 2018.

Nos rapports se suivent et se ressemblent : qu’ils soient préparés à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances, commandés par l’exécutif dans le cadre d’une mission parlementaire, ou fruit des travaux d’une commission d’enquête, leurs conclusions convergent vers une nécessaire réorganisation, une meilleure coordination de la sécurité en France : certains services coexistent parfois jusqu’en triple, au sein de la police, de la gendarmerie et de la préfecture de police de Paris par exemple (police judiciaire, renseignement, police technique et scientifique…). La restructuration des forces de sécurité en grandes directions par métier permettrait de redéployer des effectifs sur le terrain, au service de la sécurité du quotidien des Français appelée de ses vœux par le Président de la République.

Les Français le méritent, comme celles et ceux qui veillent sur eux chaque jour, souvent au péril de leur vie. Cette commission d’enquête nous a permis une nouvelle fois d’aller à leur rencontre, d’entendre leurs représentants dans le cadre d’auditions enrichissantes pour l’ensemble des députés. Au nom de mes collègues, je tiens à les remercier du temps qu’ils ont bien voulu nous consacrer en plus de leurs missions quotidiennes, de la sincérité de leurs témoignages, de leur passion pour le métier qu’ils exercent avec courage et dévouement.

 


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   Introduction

Les forces de sécurité intérieure sont confrontées depuis des années à une pression opérationnelle inédite, qui a trois causes principales :

– le maintien de la menace terroriste à un niveau élevé, qui justifie une sécurisation accrue des grands événements sportifs ou culturels ainsi que des gardes statiques ;

– une poussée migratoire historique, avec l’entrée de deux millions de personnes dans l’espace Schengen en 2015, et l’interpellation de plus de 80 000 personnes entrées irrégulièrement sur le territoire entre 2017 et 2018 ;

– la radicalisation de la contestation sociale, qui s’est traduite par des manifestations d’ampleur attirant des groupes violents, présents aussi bien à Notre-Dame-des-Landes, Bure et Kolbsheim qu’à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie, du fait d’un regain de tensions, qu’à Paris, et dans d’autres grandes villes, enfin, à l’occasion des manifestations des « Gilets Jaunes ».

En plus du nombre croissant de sollicitations sur un nombre toujours plus important de théâtres de crise, ce sont véritablement les conditions dans lesquelles les agents des forces de sécurité intérieure, qu’ils soient policiers ou gendarmes, policiers municipaux ou agents pénitentiaires, vivent et travaillent, qui provoquent un sentiment d’abandon. À cela s’ajoute le manque de moyens et l’inadéquation de ceux-ci pour la conduite de leurs missions, qui génère une forme d’exaspération.

Enfin leur frustration grandit aussi, du fait de la multiplication de tâches administratives toujours plus chronophages et complexes les empêchant de se consacrer à leurs missions premières et ce, malgré des réformes qui, bien qu’inspirées par les meilleures intentions ne sont pas appliquées. Il est nécessaire d’ajouter à cela non seulement une procédure judiciaire toujours plus complexe mais aussi une réponse pénale parfois décourageante et démotivante.

La Nation doit enfin donner aux forces de sécurité intérieure les moyens d’accomplir les missions qu’elle leur confie.

La première réponse due aux forces de sécurité intérieure est un cadre d’action clair et des réformes effectives. Une programmation budgétaire est plus que jamais nécessaire, afin de consacrer un ambitieux plan d’investissement immobilier et de renouvellement des équipements.

 

 

L’allégement de la charge procédurale et administrative peine à se concrétiser ; elle pèse sur les agents et les détourne de leur cœur de métier. La simplification de la procédure pénale, plusieurs fois annoncée, doit enfin se mettre en place, en élargissant notamment le recours à l’amende forfaitaire. Afin de remettre les policiers et gendarmes sur le terrain, il est urgent de supprimer les « tâches indues » qui leur sont imposées, en les transférant vers d’autres services de l’État ou vers les collectivités territoriales.

Au-delà des moyens, l’organisation doit être revue pour donner aux décideurs locaux des marges de manœuvre plus importantes, notamment en matière budgétaire. Les responsables d’unités doivent disposer des moyens d’adapter leur fonctionnement aux enjeux de terrain.

Au niveau central, il est nécessaire de poursuivre les mutualisations pour plus d’efficience. Cette réorganisation doit permettre de bénéficier pleinement des possibilités ouvertes par le numérique, mais également de développer la recherche et le développement au profit des deux forces. La réforme serait enfin l’occasion de mettre fin au fonctionnement « en tuyaux d’orgue » de la police nationale. En particulier, la création d’une direction des ressources humaines au sein de la police serait une simplification bienvenue qui permettrait de renforcer le pilotage stratégique de cette fonction.

La question du maintien de l’ordre a beaucoup mobilisé la commission d’enquête car l’intensité opérationnelle des derniers mois a crûment mis en lumière les limites des moyens des unités mobiles. La baisse de leurs effectifs et la vétusté de leurs véhicules, couplées à l’évolution des formes de la contestation sociale et au développement du phénomène des « casseurs » ont fait apparaître des lacunes qu’il faut rapidement combler. Il faut aujourd’hui accorder une priorité budgétaire claire à cette ambition, avec de nouveaux recrutements et un équipement renouvelé qui tirerait pleinement parti des évolutions technologiques. L’exercice croissant de missions relevant du maintien de l’ordre par des unités normalement dédiées à la sécurité publique est un autre point d’attention, qui justifie un programme de formation et d’équipement spécifique.

Le sursaut observé dans le nombre de candidats aux concours de recrutement des forces de sécurité intérieure après les attentats qui ont frappé notre pays ces quatre dernières années témoigne de la vivacité du besoin d’engagement parmi les jeunes Français. Afin de conforter cet élan et pour répondre aux besoins de recrutement, il est essentiel de renforcer l’attractivité des métiers concourant à la sécurité intérieure, en organisant des concours au niveau territorial ou en ouvrant le recrutement de certaines spécialités aux contractuels. La formation initiale et continue doivent être profondément revues, l’une pour développer un véritable esprit de cohésion entre les corps et favoriser une gestion plus souple des ressources humaines ; l’autre pour véritablement entretenir et accroître les compétences, plutôt que de créer les conditions de leur attrition par des contraintes insurmontables.

Dernier sujet d’importance, l’émergence des polices municipales impose des évolutions du cadre légal et de l’organisation des forces de sécurité. Une première étape serait la constitution d’une école nationale de police municipale, afin d’harmoniser les formations reçues par les agents municipaux. L’harmonisation de leur cadre d’emploi avec celui des gardes champêtres permettra de faire émerger une catégorie unifiée d’agents municipaux de sécurité publique chargés de l’exécution des arrêtés du maire. Enfin, étendre l’accès des policiers municipaux aux fichiers de police leur permettrait de remplir leurs missions de police de la route avec plus d’efficacité et dans de meilleures conditions de sécurité.

Après avoir dressé le constat d’une situation critique, maintes fois analysée et dénoncée, des forces de sécurité intérieure, le rapporteur formule des propositions pour une réforme profonde et durable.


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Synthèse des propositions

A.   Des priorités claires et stables dans le temps

Proposition n° 1 : mettre en place une loi de programmation de la sécurité intérieure permettant d’offrir de la visibilité aux futurs investissements indispensables ainsi qu’aux réorganisations nécessaires.

Proposition n° 2 : chiffrer précisément les besoins immobiliers des deux forces qui serviront de base à une programmation cohérente de la remise à niveau du parc, en garantissant un investissement annuel minimal supplémentaire de 50 millions d’euros pour chacune des deux forces.

Proposition n° 3 : calculer le montant de la réserve de précaution uniquement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de leur calcul les budgets alloués aux loyers de la gendarmerie représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

Proposition n° 4 : poursuivre le renouvellement des parcs de véhicules en élargissant le recours à la location ou leasing.

Proposition n° 5 : développer le recours à l’externalisation, et donc l’enveloppe de financement allant avec, pour les petites opérations d’entretien de véhicules afin de donner plus de souplesse aux responsables d’unités.

Proposition n° 6 : investir dans la dématérialisation de la procédure pénale puis veiller à sa bonne mise en application :

– en déterminant les responsabilités respectives entre le ministère de l’intérieur et celui de la justice ;

– en veillant à la sécurisation des systèmes d’information ;

– en assurant l’interopérabilité des logiciels.

Proposition n° 7 : garantir le potentiel d’emploi des réserves des deux forces et développer la réserve opérationnelle de la police en :

– sanctuarisant les crédits dédiés à la réserve à hauteur de 100 millions d’euros ;

– facilitant les relations entre les réservistes et leurs employeurs ;

– étudiant la possibilité de conserver au réserviste               retraité de la police et de la gendarmerie son habilitation OPJ ;

– permettant à des citoyens volontaires d’exercer des missions opérationnelles au sein de la police nationale, sur le modèle de la réserve citoyenne de la gendarmerie ;

B.   ALLÉGER ENFIN LA CHARGE PROCÉDURALE ET ADMINISTRATIVE

Proposition n° 8 : utiliser pleinement les possibilités offertes par le numérique en développant et en imposant l’utilisation de la vidéo-audience, en particulier dans les centres de rétention administrative.

Proposition n° 9 : conforter et étendre le recours à l’amende-forfaitaire en matière délictuelle pour garantir une réponse pénale effective et plus systématique.

– résoudre les difficultés techniques et juridiques qui empêchent l’application de la réforme relative aux amendes forfaitaires dans le champ délictuel ;

– demander un rapport au Gouvernement ou conduire une mission d’information parlementaire sur les causes du faible taux de recouvrement des amendes pénales et sur la part des amendes non recouvrées en application des dispositions relatives à la quotité insaisissable ;

– engager une réflexion sur l’amélioration du taux de recouvrement des amendes pénales, en permettant par exemple de procéder à des saisies sur les ressources financières et/ou sur les biens personnels ;

– ensuite, étendre le champ de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits.

Proposition n° 10 : accélérer la réduction des missions périphériques :

– transférer aux services de l’État l’établissement des procurations pour les élections ;

– transférer, aux municipalités ou aux services de l’État, la gestion de la perte de documents officiels ;

– achever le transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire ;

– externaliser les fonctions de greffe, d’accueil, de transport, ainsi que la sécurité incendie et la gestion administrative des centres de rétention administrative ;

– accélérer la conclusion de conventions entre les agences régionales de santé et les directions départementales de la sécurité publique pour permettre l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police.

Proposition n° 11 : créer les conditions d’une réponse éducative et pénale efficace aux actes de délinquance commis par des mineurs ; expérimenter notamment de permettre au juge de prononcer des peines citoyennes destinées aux majeurs civilement responsables après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

Proposition n° 12 : alléger les procédures administratives imposées aux agents de l’administration pénitentiaire.

C.   SE DOTER D’UNE ORGANISATION ADAPTÉE AUX NOUVEAUX DÉFIS

Proposition n° 13 : donner davantage de marges de manœuvre aux responsables locaux :

– développer le système des cartes d’achat ;

– augmenter les dotations financières aux mains des décideurs locaux.

              Proposition n° 14 : déconcentrer des enveloppes de crédits pour les achats d’équipements spécifiques en urgence dans les SGAMI.

Proposition n° 15 : Poursuivre la création de grandes directions générales sous l’autorité directe du ministre pour les fonctions support mutualisées :

– un service ministériel des achats ;

– une direction générale du numérique ;

– une direction de la recherche et du développement ;

– un service de la communication.

Proposition n° 16 : renforcer l’autorité des directions centrales sur certains services de la préfecture de police pour opérer les mutualisations indispensables et fluidifier les carrières.

Proposition n° 17 : réfléchir à l’opportunité de créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale chargée de mettre en œuvre une gestion cohérente des emplois et des compétences dans les services actifs.

D.   REVOIR L’ORGANISATION DU MAINTIEN DE L’ORDRE

Proposition n° 18 : élaborer un schéma national du maintien de l’ordre permettant de répondre aux nouvelles formes de mobilisation sociale, en consacrant le rôle des unités de sécurité publique.

 

Proposition n° 19 : poursuivre un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité

– renforcer les compagnies républicaines de sécurité pour revenir à un fonctionnement à quatre sections ;

– monter les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile pour porter leur nombre à 125 ce qui représenterait un coût supplémentaire de 32 millions d’euros.

Proposition n° 20 : développer le recours aux techniques d’imagerie modernes et de marqueurs :

– généraliser le recours à la vidéo lors des opérations de maintien de l’ordre à des fins judiciaires mais également opérationnelles et de formation ;

– généraliser l’utilisation de la captation vidéo et des drones par les unités de forces mobiles ainsi que la formation des pilotes ;

– après expérimentation, généraliser le recours aux marqueurs individuels dans la perspective de la mise en cause pénale des manifestants violents.

Proposition n° 21 : prévoir le renouvellement des véhicules de la gendarmerie et de la police dans la loi de programmation de la sécurité intérieure, notamment les VBRG et Irisbus sachant que le remplacement des seuls VBRG par des véhicules nouveaux nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Proposition n° 22 : prévoir des stocks mutualisés de matériel de maintien de l’ordre au niveau des brigades et des commissariats.

E.   MODERNISER LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES

Proposition n° 23 : expérimenter des dispositifs de recrutement innovants pour attirer ou fidéliser certaines compétences-clés :

– expérimenter des concours territorialisés pour certains emplois ;

– faciliter l’emploi de contractuels, notamment dans les métiers du numérique, pour certaines spécialités en tension ou dans certaines zones géographiques en utilisant les nouvelles possibilités offertes par la loi de transformation de la fonction publique.

Proposition n° 24 : créer une « académie de police » destinée à :

– revaloriser le temps de la formation initiale des policiers de tous les corps ;

– unifier la formation initiale des policiers nationaux, tout en organisant des filières ;

– organiser la formation continue ;

– développer la formation sous la forme d’exercices pratiques et de simulations ;

– favoriser l’intervention d’experts et d’associations sur des enjeux précis.

Proposition n° 25 : renforcer l’autorité de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) sur les directions opérationnelles pour mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente et prévisible.

Proposition n° 26 : supprimer certaines obligations réglementaires excessivement rigides comme le régime de renouvellement de l’habilitation à l’usage des « trois bâtons ».

F.   ASSEOIR LE RÔLE ET LA PLACE DES POLICES MUNICIPALES

Proposition n° 27 : faire des polices municipales des acteurs à part entière de la sécurité intérieure :

– créer une école nationale de formation des policiers municipaux sous l’égide du ministère de l’intérieur ;

– élargir les possibilités d’accès des policiers municipaux aux fichiers de police en leur garantissant, pour le fichier des personnes recherchées, l’accès au motif de la recherche ;

– harmoniser les statuts des policiers municipaux et gardes champêtres.

 


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I.   Une situation critique maintes fois dénoncée

Les moyens matériels dont bénéficient les forces de l’ordre n’ont cessé de se dégrader, au point de porter atteinte à l’exercice de leurs missions.

A.   L’immobilier et l’équipement, variables d’ajustement du budget des forces de sécurité intérieure

Le constat de ne plus avoir les moyens de faire leur travail correctement est partagé par de nombreux gendarmes et policiers, tant l’équipement des forces et l’investissement immobilier ont été des variables d’ajustement dans un contexte de rationalisation budgétaire.

Les dix dernières années ont été marquées par une forme de désarmement budgétaire des forces de sécurité intérieure. Face aux contraintes, les dépenses d’équipement et d’investissement ont souvent servi à couvrir les besoins de masse salariale. Les recrutements supplémentaires et les mesures indemnitaires récemment accordées aux forces risquent d’aggraver encore ce phénomène. Les dépenses de personnel occupent ainsi de plus en plus de place dans le budget des forces de sécurité intérieur (87,4 % en 2019 contre 85 % en 2009), ce qui réduit davantage les marges de manœuvre des gestionnaires pour programmer des investissements stratégiques (cf. Annexe 1).

La structure de la dépense publique, retracée sur les programmes budgétaires 152 et 176, très déséquilibrée en faveur des dépenses de personnel (environ 85 %) et au détriment des dépenses de fonctionnement et d’investissement, en témoigne.

 


1.   Des casernes et des commissariats abandonnés par la puissance publique

L’état du parc immobilier est un véritable point noir pour beaucoup de policiers et gendarmes de terrain et constitue un facteur majeur de dégradation de leur moral et d’aggravation des risques psycho-sociaux liés à leur métier.

a.   Un parc immobilier toujours dans une situation critique

L’immobilier des forces de sécurité intérieure est dégradé, au point parfois de nuire à leur capacité opérationnelle et d’offrir des conditions indignes d’accueil pour les victimes ou pour les gardes à vue. Dans certains cas, heureusement rares, ces conditions peuvent même avoir une influence néfaste sur la santé des agents.

Souvent dénoncé, le problème se pose avec une acuité particulière pour les gendarmes, soumis à une obligation de résider en caserne, le plus souvent avec leur famille. Les résultats de la consultation réalisée à l’initiative du rapporteur de la commission d’enquête soulignent l’insatisfaction des personnels vis-à-vis de leurs lieux de travail et de leur logement.

État de satisfaction vis-à-vis des lieux de travail

Source : Consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur (cf. Annexes-II).

État de satisfaction vis-à-vis du logement en caserne

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur (cf. Annexes-II).

Les gendarmes entendus par la commission d’enquête s’accordent pour souligner que la concession de logement pour nécessité absolue de service (CLNAS) constitue, à côté du statut militaire, l’un des deux piliers du « système d’arme » que forme la gendarmerie. Le logement en caserne doit en effet permettre une montée en charge opérationnelle rapide, ce qui est déterminant pour une force qui couvre 95 % du territoire métropolitain.

La concession de logement par nécessité absolue de service (CLNAS)

La concession de logement par nécessité absolue de service (CLNAS) est une spécificité de la gendarmerie nationale qui s’explique par le statut militaire de ses personnels. Elle se fonde sur l’article L. 4145-2 du code de la défense, qui dispose que « les officiers et sous-officiers de gendarmerie, du fait de la nature et des conditions d’exécution de leurs missions, sont soumis à des sujétions et des obligations particulières en matière d’emploi et de logement en caserne ». Cette obligation ne porte que sur les officiers et sous-officiers de gendarmerie, à l’exclusion des personnels civils et des militaires des corps de soutien.

La CLNAS est régie par l’article D. 2124‑75 du code général de la propriété des personnes publiques qui dispose que « les personnels de tous grades de la gendarmerie nationale en activité de service et logés dans des casernements ou des locaux annexés aux casernements bénéficient d'une concession de logement par nécessité absolue de service ». Ce logement est gratuit, les occupants devant néanmoins régler les charges locatives, à l’exception de la consommation d’eau. Or, dans un contexte budgétaire contraint, la gendarmerie a été amenée à diversifier les modes de gestion de son parc pour répondre aux besoins de construction de casernes nouvelles. En plus du parc « domanial » géré directement par l’État, plusieurs dispositifs de location ont été mis en œuvre qui associent collectivités territoriales et bailleurs publics ou privés.

Ces dispositifs de location ont permis de construire l’essentiel des casernes les plus récentes. On constate donc des différences significatives dans l’âge moyen des logements selon qu’ils sont gérés par l’État ou loués à des collectivités ou à des bailleurs.

Répartition par âge et par type de parc (domanial ou privé)
des logements concédés aux gendarmes

Âge

Domaniaux

Locatifs

Global

Moins de 10 ans

1,97 %

30,59 %

17,09 %

10 à 25 ans

16,28 %

23,28 %

19,98 %

26 à 50 ans

59,04 %

40,86 %

49,43 %

51 à 100 ans

20,39 %

3,68 %

11,56 %

Plus de 100 ans

2,32 %

1,59 %

1,94 %

Source : commission d’enquête, à partir des réponses du ministère de l’intérieur.

Environ 80 % des casernes domaniales de la gendarmerie ont ainsi plus de 25 ans, contre 44 % des casernes locatives. L’âge moyen du parc locatif atteint ainsi 30 ans, contre 48 ans pour le parc domanial. Ce parc domanial, faute d’entretien ou d’investissement régulier, est aujourd’hui celui dont l’état est le plus critique.

Répartition par âge et par type de parc (domanial ou privé)
des logements concédés aux gendarmes

Source : graphique élaboré à partir des données fournies par le ministère de l’intérieur.

Les gendarmes auditionnés par la commission d’enquête s’accordent généralement sur le fait que le logement domanial constitue le « parent pauvre » du parc immobilier de la gendarmerie nationale, alors même qu’il représente près de la moitié de ce parc en surface. Ce constat s’explique à la fois par un âge moyen plus élevé et par une forte baisse des crédits alloués à la maintenance, la rénovation et la réhabilitation.

L’enjeu est d’autant plus important pour les gendarmes qu’ils habitent, la plupart du temps, avec leur famille. Le risque est, dès lors, de faire du logement en caserne non plus un avantage mais une charge, voire, pour reprendre les mots de Mme Virginie Rodriguez, vice-présidente de l’Association d’aide aux membres et familles de la gendarmerie (AAFMG), un véritable « sacerdoce » ([1]). Ce problème retentit sur l’organisation opérationnelle de la gendarmerie et nuit aujourd’hui à l’attractivité de certaines régions, voire de la force elle-même.

La consultation directe des gendarmes, dont les résultats sont présentés plus haut, donne d’ailleurs une idée de l’appréciation portée sur l’état du parc. Parmi les réponses obtenues, environ 60 % indiquaient que le logement fourni par l’administration était « insatisfaisant » ou « peu satisfaisant ».

Le parc immobilier de la police nationale, qui comprend très peu de lieux d’habitation, présente des difficultés similaires. Une étude présentée dans le cadre de la stratégie immobilière de la police nationale de 2017 a permis de classer ces emprises selon leur état, de « mauvais état » à « très satisfaisant ».

Les résultats indiquent que, hors préfecture de police de Paris (PP), plus de la moitié du parc immobilier en métropole est dans un état allant de « moyen » à « mauvais ». Pour la préfecture de police, la situation est plus dégradée encore, puisque cette part atteint 66 %.

État de satisfaction vis-à-vis du parc immobilier de la police nationale

(en %)

Source : direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN).

Selon les critères retenus par l’étude, les catégories « très moyen » et « mauvais état » regroupent des immeubles considérés comme vétustes. On compte donc 22 % d’immeubles vétustes pour la direction générale de la police nationale et 28 % pour la préfecture de police.

Le rapporteur ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle un commissariat sur quatre est considéré comme vétuste. La commission d’enquête, en se rendant dans plusieurs commissariats, a d’ailleurs pu constater l’état de délabrement de certains de ces lieux.

L’état calamiteux du commissariat de Fontainebleau

La commission d’enquête s’est rendue au commissariat de Fontainebleau, qui compte sans doute parmi les plus dégradés du parc immobilier de la police nationale. Un mur mitoyen de la zone de stationnement des véhicules personnels des agents s’est effondré, un autre menace de le faire. Le risque de chutes de pierres a imposé la condamnation des vestiaires.

De nombreuses infiltrations ont conduit à condamner certains bureaux, dans l’attente de l’expertise sur le risque d’effondrement du plafond. Les serveurs informatiques sont temporairement installés dans un espace dont le plafond s’émiette et qui était encore couvert de moisissures il y a peu. Un local pour ces serveurs a en effet été aménagé, conformément aux normes en vigueur, mais il a dû être désaffecté immédiatement après sa construction, après une inondation qui a par ailleurs endommagé plusieurs cartons d’archives l’hiver dernier. L’exiguïté des locaux rend les conditions de travail des agents difficiles, en particulier lorsqu’il s’agit d’accueillir des victimes.

Les données transmises par l’administration indiquent que le bâtiment du commissariat est considéré en « bon état », ce qui laisse songeur quant à la pertinence des critères d’évaluation retenus.

L’enjeu est aujourd’hui d’investir de façon résolue dans la rénovation et la réhabilitation du parc immobilier des forces de sécurité intérieure, afin d’offrir des conditions de travail normales à tous les agents, mais également un lieu adapté à l’accueil des victimes et à même d’assurer la dignité des gardés à vue.

Les efforts financiers supplémentaires restent pourtant insuffisants.

b.   Des efforts encore insuffisants par rapport aux besoins

L’état actuel du parc immobilier s’explique pour partie par la baisse importante des crédits alloués à l’investissement immobilier au sein de la police et de la gendarmerie ces dix dernières années.

i.   Un désinvestissement immobilier massif

Les crédits immobiliers au sein de la police et de la gendarmerie sont répartis entre dépenses d’investissement (titre 5), qui financent les opérations les plus lourdes et dépenses de fonctionnement (titre 3), destinées à l’entretien courant.

Les crédits alloués à l’investissement immobilier ont connu une baisse conséquente ces dix dernières années, que ce soit au sein de la police ou de la gendarmerie. En 2018, malgré les efforts initiés depuis 2015, ils restent toujours inférieurs de 32 % à leur niveau de 2009.

Évolution des crédits d’investissement immobilier

(en millions d’euros de crédits de paiement exécutés)

Source : commission d’enquête à partir des réponses transmises par le ministère de l’intérieur.

 

En particulier, comme le soulignait le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, la gendarmerie nationale a connu « un effondrement des investissements immobiliers puisque le budget d’investissement qui s’élevait à 618 millions d’euros en autorisations d’engagement en 2007, a connu un point historiquement bas à 6 millions d’euros en 2013, soit un centième du budget de 2007 » ([2]).

Les crédits alloués à l’investissement dans l’immobilier

Les crédits               alloués par les forces de sécurité intérieures à l’immobilier peuvent être lus de différentes façons.

Les crédits sont d’abord répartis entre autorisations d’engagement (AE) et crédits de paiement. Les AE représentent le potentiel d’investissements nouveaux que les responsables peuvent réaliser une année donnée. Les CP permettent de couvrir les engagements passés, les décaissements étant en général réalisés sur plusieurs années.

Les crédits sont également répartis entre crédits votés et crédits exécutés. Les crédits votés en loi de finances en AE correspondent donc à l’effort supplémentaire auquel le législateur consent sur une année donnée. Ce montant peut différer des AE exécutées du fait de choix de gestion, qu’il s’agisse d’un report de crédits d’une année sur l’autre ou du transfert de crédits, par exemple entre dépenses de fonctionnement et d’investissement. Le schéma est similaire pour les crédits de paiement. Les AE et CP exécutés indiquent donc les sommes finalement consacrées à l’investissement immobilier sur l’année.

Le chiffre de 6 millions cité par le général Tavel correspond à un effort d’investissement en AE voté en loi de finances. Le montant finalement exécuté est plus élevé, puisqu’il atteint plus de 37 millions d’euros, en raison notamment de reports de crédits. En crédits de paiement, les crédits votés atteignent 89 millions cette année-là et les crédits exécutés 83 millions.

Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessus sont présentés en crédits de paiement exécutés, qui représentent la somme effectivement consacrée par la gendarmerie nationale pour couvrir des besoins immobiliers sur une année donnée.

Source : commission d’enquête, à partir de la documentation budgétaire.

Les crédits alloués à l’entretien courant ont, en revanche, connu une évolution à la hausse plus régulière.

Évolution des crédits d’entretien immobilier courant

(en millions d’euros)

Source : commission d’enquête à partir des réponses transmises par le ministère de l’intérieur.

Ces dépenses d’entretien représentent un enjeu très important puisqu’elles financent les dépenses du quotidien et permettent de ralentir la dégradation du parc. L’effort observé depuis 2013 reste à consolider, car les crédits d’entretien courant diminuent de nouveau depuis 2017.

ii.   Des besoins criants mais un chiffrage imparfait

Tant la gendarmerie que la police ont chiffré les besoins financiers nécessaires à une réhabilitation satisfaisante de leur parc immobilier.

Le rapporteur regrette vivement que, malgré ses demandes répétées, l’administration ne lui ait pas fait parvenir ces études, qui auraient été utiles aux travaux de la commission d’enquête. Aussi, la pertinence de la méthode retenue pour l’estimation de ces besoins n’a pas pu être évaluée.

La police nationale s’est dotée d’une stratégie immobilière pour répondre aux besoins prioritaires. Elle reprend les résultats d’une étude réalisée en 2016 par la direction générale de la police nationale (DGPN) qui a identifié 80 grands projets représentant un investissement total de près de 1,1 milliard d’euros. Pour l’essentiel, il s’agissait de réhabilitations lourdes de 35 commissariats et de 22 hôtels de police. Les constructions neuves ne représentaient qu’un quart de ces besoins, soit 20 projets.

Au regard de cette estimation des besoins prioritaires, la programmation immobilière triennale 2018-2020, qui prévoit un effort annuel de 150 millions d’euros, soit un total de 450 millions d’euros, reste insuffisante. En effet, la mise en œuvre du plan de réhabilitation identifié par la DGPN nécessiterait un investissement complémentaire de 650 millions d’euros, soit 150 millions d’euros supplémentaires sur cinq ans.

On peut craindre, de surcroît, que les besoins soient en réalité plus importants que les seules priorités arrêtées, au regard de la part du parc identifiée comme « vétuste » par la direction générale. La DGPN dispose d’un total de 3 274 bâtiments ([3]), dont 22 % peuvent être qualifiés de vétustes d’après l’étude évoquée ci-dessus. Cela permet d’estimer qu’environ 720 sites auraient besoin d’un programme de réhabilitation important, soit un investissement budgétaire probablement bien supérieur au chiffre communiqué par la DGPN.

Par ailleurs, en raison de la possibilité de transférer les crédits entre fonctionnement et investissement, les dépenses prévues initialement au titre de l’investissement immobilier ne sont pas sanctuarisées. Au cours de l’exercice 2018, le directeur général de la police nationale a été conduit à financer 52,5 millions d’euros de dépenses de fonctionnement, à partir de dépenses d’investissement prévues notamment pour la maintenance lourde et la construction, à hauteur de 20 millions d’euros ([4]). Pour partie, les besoins supplémentaires en matière de maintien de l’ordre à la fin de l’année 2018 ont donc été financés sur des crédits initialement prévus pour l’investissement immobilier.

L’effort entrepris par l’État en faveur de l’immobilier de la police nationale, insuffisant dans son ambition, est en pratique conditionné à des choix de gestion que sont conduits à effectuer les responsables de programme.

Le rapporteur souhaite en particulier attirer l’attention sur l’état du parc immobilier des compagnies républicaines de sécurité (CRS). La direction centrale gère un parc de 61 casernements et de 29 cantonnements, ainsi que différents postes autoroutiers.

L’état de ce parc suscite aujourd’hui la plus vive inquiétude. L’administration a ainsi indiqué à la commission d’enquête que le vieillissement du parc immobilier n’était pas « sans conséquence en termes de dépenses, de bien-être, voire de santé des personnels » ([5]). Des cas de légionelle seraient ainsi apparus dans certains cantonnements de région parisienne en raison des dysfonctionnements des réseaux d’eau chaude sanitaire (ECS).

Cette situation, inacceptable pour les personnels, est particulièrement coûteuse, puisqu’elle oblige à payer des nuitées d’hôtel. En 2018, 227 680 nuitées ont été prises en charge, y compris pour des raisons sanitaires et de vétusté des logements, pour un total de 15,7 millions d’euros. En comparaison, la DCCRS indique avoir consacré un peu moins de 3 millions d’euros aux travaux d’aménagement et d’entretien des sites CRS.

Le plan d’urgence pour l’immobilier domanial de la gendarmerie mis en œuvre en 2015 a prévu un effort supplémentaire de 70 millions d’euros par an jusqu’en 2017, porté à 105 millions d’euros à partir de 2018. L’effort supplémentaire représente un total de 525 millions d’euros.

Or, ce plan n’est supérieur à celui de la police que de 16 %, alors même que le parc domanial de la gendarmerie nationale est deux fois plus étendu, comme l’indique le tableau ci-dessous.

Surface du parc immobilier des forces de sécurité intérieure

(en mètres carrés)

Type de parc

Police nationale

Gendarmerie nationale

Immobilier domanial

2,5 millions

5,2 millions

Immobilier locatif (collectivités territoriales, organismes HLM, propriétaires privés…)

497 865

5,6 millions

Total

3 millions

10,8 millions

Source : Commission des finances.

À cet égard, les statistiques évoquées plus haut sur l’âge moyen de l’immobilier de la Gendarmerie sont inquiétantes, puisque 80 % du parc domanial               a plus de 25 ans et 23 % plus de 50 ans.

À la problématique de la vétusté s’ajoute celle de la sécurisation des casernes et commissariats. Cet enjeu est devenu prioritaire, les récentes mobilisations sociales ayant été marquées par des attaques inacceptables contre ces lieux qui représentent l’autorité publique. La commission d’enquête s’est rendue à la caserne Deflandres de Dijon, attaquée à l’occasion d’une manifestation de « gilets jaunes » le samedi 5 janvier 2019. Ces attaques soulèvent des inquiétudes légitimes et visibles chez pour les gendarmes et leurs familles qui vivent sur place.

Le quartier Deflandres à Dijon

Le déplacement de la commission d’enquête au siège de la région gendarmerie Bourgogne-Franche-Comté a permis de constater l’enjeu lié à la sécurisation des casernes.

En effet, le samedi 5 janvier 2019, à l’occasion d’une mobilisation de gilets jaunes, un cortège s’est attaqué à la caserne, arrachant une partie de la clôture d’enceinte et jetant des projectiles sur les gendarmes, dont deux ont été sérieusement blessés, au point d’imposer une interruption temporaire de travail (ITT).

Pour répondre à cet enjeu, un plan annuel de 15 millions d’euros doit permettre de sécuriser 238 sites de la gendarmerie en 2019. Les craintes restent fortes en raison de la faiblesse de ces montants, comme l’indiquait un membre du Conseil supérieur de la fonction militaire gendarmerie (CFMG) : « avec 15 millions par an, il faudrait plus d’une décennie pour assurer la sécurisation complète des locaux. Quand on pense aux mesures de protection que peuvent nécessiter les attaques terroristes, le décalage est flagrant » ([6]) .

La sécurisation des casernes et des commissariats est ainsi devenue une nouvelle priorité de l’investissement immobilier qui s’ajoute aux autres besoins.

c.   Des décisions d’investissement immobilier trop peu lisibles

La gouvernance de la gestion immobilière a été de nombreuses fois critiquée au cours des travaux de la commission d’enquête. Ce sujet concerne essentiellement la gestion du parc immobilier de la gendarmerie puisqu’elle est assurée à la fois par l’État, les collectivités territoriales et par d’autres bailleurs publics et privés.

À côté du parc domanial, qui appartient à l’État, la gendarmerie a développé le recours à la location sous plusieurs formes.

Les dispositifs de location immobilière de la gendarmerie nationale

Le développement du parc locatif de la gendarmerie nationale s’est opéré sous quatre formes :

– des casernes, incluant logements et locaux de service, construites et louées sur la base du décret n° 93-130 du 28 janvier 1993, le plus souvent par des collectivités territoriales ;

– des casernes construites et louées en vertu d’un bail emphytéotique administratif par des collectivités territoriales associées à des organismes privés ;

– des casernes ou des annexes de casernements selon un montage privé ;

– des logements hors caserne.

Ces différents dispositifs de location ont récemment connu des évolutions. Ainsi, le financement en vertu d’un bail emphytéotique administratif, qui devait être mis en extinction au 31 décembre 2017, a été prolongé en loi de finances pour 2018 à l’initiative du Gouvernement, afin de ne pas remettre en cause des projets immobiliers en cours.

Par ailleurs, le décret du 26 décembre 2016, a permis de faciliter l'engagement d'offices HLM dans des opérations immobilières au bénéfice de la gendarmerie nationale, les collectivités pouvant désormais leur octroyer la garantie totale de leurs emprunts.

La diversification des modes de gestion du parc immobilier de la gendarmerie témoigne, en réalité, du désengagement de l’État. Comme le souligne un membre du CFMG auditionné par la commission d’enquête, « il a fallu compléter le domanial, de façon palliative, par un recours au parc locatif ». Le recours à la location s’inscrit dans un contexte de rationalisation budgétaire dans lequel l’État n’a plus les moyens de construire et d’entretenir les casernes de gendarmerie.

La stratégie immobilière de la police nationale soulève ainsi, à juste titre, un paradoxe. Le statut très largement domanial du parc de la police confère « une plus grande marge de manœuvre quant aux arbitrages stratégiques et aux priorisations effectuées quant aux interventions à mener » ([7]), mais il est aussi celui qui nécessite les investissements les plus lourds.

Quant au parc locatif, plus récent, il est généralement considéré de bonne qualité. Ce parc locatif s’inscrit toutefois lui aussi, pour reprendre les mots du général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la Gendarmerie nationale, « dans un cycle de vieillissement ».

 

La commission d’enquête a pu constater que l’état des casernes locatives était très variable selon le propriétaire. Alors que les relations avec certains bailleurs sont bonnes et permettent d’assurer un entretien de qualité, d’autres sont plus dégradées et sources de tensions. La diversité des propriétaires et des circonstances locales rend donc difficile l’évaluation globale de l’état du parc locatif. Le rapporteur s’interroge sur les dispositifs permettant de contraindre ces propriétaires si les travaux d’entretien demandés ne sont pas réalisés.

La création des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’intérieur (SGAMI) devait permettre de mutualiser les fonctions support des forces de police et de gendarmerie. Ainsi, en vertu d’un décret de 2014 ([8]), ces secrétariats généraux sont chargés « de la préparation de la programmation, de l'étude, de l'ingénierie et de la conduite des opérations immobilières de la police nationale […] ainsi que de l'étude, de l'ingénierie et de la conduite des opérations immobilières domaniales de la gendarmerie nationale ».

Contrairement à la police nationale, les SGAMI ne sont donc pas responsables de la programmation immobilière des opérations domaniales de la gendarmerie. Cette situation a été soulignée par le préfet Patrick Dallennes, secrétaire général du SGAMI Ouest : « en ce qui concerne l’immobilier, nous assurons les fonctions d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la police et la gendarmerie. La programmation est réalisée par la gendarmerie et nous n’intervenons qu’au niveau de l’étude et de la conduite d’opérations. En revanche, pour la police nationale, nous sommes partie prenante de la programmation des projets immobiliers » ([9]).

La gendarmerie conserve donc une compétence de programmation immobilière en interne qui limite la compétence du SGAMI à des fonctions d’appui, en matière d’étude ou d’ingénierie alors que, pour la police nationale et pour les préfectures, cette compétence est désormais mutualisée au niveau du SGAMI.

*

En définitive, l’organisation de la gestion du parc immobilier de la gendarmerie apparaît éclatée. Le recours à la location auprès des collectivités ou d’autres bailleurs pose la question de la capacité de l’État à mener un plan de rénovation et de réhabilitation qui serait indispensable, sachant qu’il n’est propriétaire que de moins de 50 % de la surface du parc.

 

Aujourd’hui, la priorité pour les policiers et les gendarmes est l’investissement dans les lieux de vie, qui concernent les familles, mais aussi dans les lieux de travail, qui jouent sur le bien-être des personnels et sur les risques psycho-sociaux. Les conditions parfois déplorables de logement des familles sont, pour la gendarmerie, un facteur déterminant de malaise qui contribue à la perte d’attractivité de la force.

2.   Un équipement de sécurité qui n’est pas à la hauteur des enjeux opérationnels

L’équipement des forces de l’ordre a également fait les frais de la rationalisation budgétaire.

a.   Des crédits d’équipement encore insuffisants

Après plusieurs années de hausse, le ratio des dépenses d’équipement suit de nouveau une tendance à la baisse : de 1,2 % en 2012, il était remonté à 3,1 % en 2016, avant de diminuer à 2,6 % en 2018 ([10]). De fait, en 2018, aucun plan d’équipement spécifique n’a été prévu, contrairement aux années précédentes ([11]).

Évolution du ratio des dépenses d’équipement sur le total des crédits

(en %)

Source : Cour des comptes, NEB Sécurités 2018, mai 2019.

Cette baisse initiée en 2016, couplée à une augmentation des recrutements fait craindre une nouvelle fois que les dépenses d’équipement ne soient sacrifiées au bénéfice des dépenses de personnel. En 2018, en raison du dépassement des crédits effectués sur les autres titres, et notamment les dépenses de personnels, seuls 70 % des CP prévus pour l’investissement ont été consommés. Ce recul est inédit depuis 2012.

La faiblesse des dépenses d’équipement a des conséquences sur l’état du parc automobile des forces de sécurité intérieure mais aussi sur les équipements de protection et d’armement malgré les rattrapages et l’effort budgétaire réalisés depuis 2015 et poursuivi en 2017.

b.   Un parc de véhicules vieillissant

L’état du parc automobile des forces de sécurité reste préoccupant, même si les renouvellements de véhicules se sont récemment accélérés.

Le rapporteur a pu constater la vétusté de tout un pan du parc de véhicules de la gendarmerie. L’état des véhicules des escadrons de gendarmerie mobile est particulièrement préoccupant.

L’état préoccupant du parc de véhicules des EGM

Source : réponses du ministère de l’intérieur.

L’âge moyen de ces trois catégories de véhicules (VBRG, VCT et Irisbus) est significativement supérieur à celui du reste du parc.

La vétusté des véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) a été régulièrement dénoncée au cours des travaux de la commission d’enquête. Les 84 VBRG, stationnés essentiellement au groupement blindé de gendarmerie mobile (GBGM) de Versailles-Satory et en Outre-mer, sont entrés en service en 1974. Leur âge moyen élevé (environ 45 ans), rend difficile le maintien en condition opérationnelle (MCO), ce qui se reflète dans un temps d’immobilisation pour entretien élevé et un taux de disponibilité moyen.

Malgré leur état, ces véhicules sont des éléments importants de la tactique de maintien et rétablissement de l’ordre de la gendarmerie mobile. Ils sont appréciés car ils peuvent évoluer en terrain difficile et permettent de dégager des obstacles ou de libérer des axes de circulation.

Les véhicules de transport de groupe des escadrons, de type « Irisbus » sont également dans un état critique, avec un âge moyen qui atteint plus de 12 ans. Ils offrent moins de flexibilité que les véhicules équivalents des CRS, puisque leur conduite impose la qualification poids lourds.

La situation du parc automobile léger est plus encourageante, l’effort récent de renouvellement automobile ayant permis de ralentir la progression de l’âge moyen du parc de véhicules, voire de le diminuer.

âge moyen des véhicules de la gendarmerie nationale

Source : commission des finances.

Cet effort de renouvellement doit être poursuivi. Comme le soulignait le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, « nous considérons qu’un renouvellement du parc à hauteur de 3 000 véhicules permet de maintenir et rajeunir l’âge moyen. On en voit les effets concrets depuis 2018. Il faut maintenir cet effort. Si on retombait à un niveau inférieur à 2 000 véhicules, on aurait de nouveau une inversion et un vieillissement du parc » ([12]).

Le parc automobile de la police nationale est également un parc vieillissant, l’âge moyen des véhicules progressant de façon continue ces dernières années.

âge moyen des véhicules de la police nationale

Source : commission d’enquête à partir des données du ministère de l’intérieur.

Le vieillissement du parc se poursuit malgré un effort de renouvellement entrepris depuis 2015 : alors que 2 181 véhicules ont été acquis en 2013, 3 077 véhicules ont été renouvelés en 2018, ce qui représente pour cette année un budget de 67 millions d’euros.

c.   Des agents insuffisamment protégés dans un contexte opérationnel intense et évolutif

Le caractère insuffisant des équipements s’est fait sentir dans un contexte opérationnel particulièrement soutenu. Ces dernières années, les forces de l’ordre ont été confrontées à des sollicitations nouvelles et de grande ampleur. Les missions des agents affectés à la sécurité publique et au maintien de l’ordre se sont singulièrement étendues.

La menace terroriste a exigé que l’ensemble des personnels soit préparé à réagir à des tueries de masse. Le nouveau « schéma national d’intervention » fait ainsi des unités de voies publiques des « primo-intervenants », en particulier les policiers des brigades anti-criminalité (BAC) et les gendarmes des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG). Pourtant, comme le soulignait Jean-Pierre Bleuzet, vice-président de l’association GendXXI, « en cas d’attentats terroristes, les brigades territoriales ne sont équipées que de deux casques lourds et de deux gilets pare-balles lourds ; soit deux équipements pour les primo intervenants » ([13]).

La pression migratoire a également focalisé des besoins nouveaux dans certains points du territoire, en métropole et en outre-mer, en lien avec le rétablissement des contrôles aux frontières et la lutte contre les réseaux de passeurs.

L’émergence de nouvelles formes de contestation, liées notamment aux « zones à défendre » ou au phénomène des « black bloc » pose également la question de l’organisation française du maintien de l’ordre, depuis la prise en charge de la manifestation en amont jusqu’aux tactiques de rétablissement de l’ordre. Les opérations de maintien de l’ordre lors des samedis de la mobilisation dite des « Gilets jaunes » ont fortement mobilisé les effectifs sur l’ensemble du territoire.

L’évolution de ces missions s’est accompagnée d’un effort d’équipement encore trop limité. Les travaux de la commission d’enquête ont souligné que de nombreuses unités de voie publique se sont trouvées dans une situation inédite en devant participer à des opérations de maintien de l’ordre pour lesquelles elles étaient mal équipées. La visite à la brigade de gendarmerie de Chaumes-en-Brie a permis au rapporteur de constater que quinze militaires se partageaient deux casques, deux gilets lourds, un unique pistolet à impulsions électriques, un seul lanceur de balle de défense et un seul diffuseur de gaz lacrymogène de grande contenance. Depuis le début du mouvement des « gilets Jaunes », une dizaine d’interventions de niveau intermédiaire ont pourtant été nécessaires autour de cette brigade, mettant en évidence l’insuffisance de cet équipement, en particulier pour se prémunir des jets de projectiles.

Les équipements de maintien de l’ordre distribués en urgence ont été insuffisants.

En matière de maintien de l’ordre, l’effort d’équipement engagé depuis 2014 apparaît d’ailleurs inadapté. Le général Lizurey, DGGN, soulignait que « les moyens matériels tels que les casques lourds ou les boucliers ont été mis en œuvre dans le cadre du plan de lutte antiterroriste. Ils ont donc vocation à équiper la patrouille qui peut être la première à arriver sur les lieux d’un attentat. Ce ne sont pas des équipements destinés au maintien de l’ordre. On peut considérer que pour certains types d’unités et pour certaines zones, ces équipements sont insuffisants. Pour tenir compte des besoins réels, nous établissons une revue capacitaire chaque année afin d’évaluer les besoins et les moyens à utiliser. » ([14]).

L’intensité du contexte opérationnel participe également à l’usure plus rapide équipements. Didier Lallement, préfet de police de Paris, observait, « plus qu’un manque de matériel, une usure plus rapide de celui-ci. C’est tout à fait normal, dès lors que l’intensité est plus forte […] Or, lorsque les fonctionnaires ou les militaires sont couverts de peinture, par exemple, il n’est pas toujours possible de nettoyer les matériels et il faut donc en changer. Leur taux de rotation et leur taux d’usure sont donc bien supérieurs à ce qu’ils étaient précédemment ». Cette sollicitation opérationnelle impose un renouvellement plus rapide des matériels ([15]).

Les efforts budgétaires récents démontrent la prise en compte de cet enjeu par le gouvernement.

En particulier, les acquisitions de gilets pare-balles individuels ont été importantes depuis 2016. Les équipements destinés aux activités de maintien de l’ordre des unités de sécurité publique ont également été renforcés. La gendarmerie a fait le choix d’affecter une trentaine de lots par département pour permettre une intervention d’urgence « dans le cadre de troubles en train de se constituer » ([16]). Le directeur central de la sécurité publique présentait des orientations similaires afin que « les deux tiers des départements français puissent bénéficier d’une formation et d’un équipement en termes de maintien de l’ordre. »

Comme le soulignait Michel Vilbois, préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone de défense Est, « depuis les attentats de 2015, un véritable effort budgétaire a été consenti pour renouveler les équipements de protection et les armes. Ainsi, l’État a acquis pour la police et la gendarmerie près de 80 000 gilets pare-balles au cours des deux derniers exercices budgétaires. Les armes d’assaut ont été largement modifiées et entièrement renouvelées. En outre, nous devons renouveler chaque année 3 000 véhicules pour la police et 2 800 pour la gendarmerie. Cette jauge a été atteinte au cours des trois derniers exercices budgétaires pour ce qui concerne la police nationale. Elle ne l’est pas tout à fait pour la gendarmerie nationale, qui doit faire face à d’autres dépenses » ([17]).

La crise des « gilets jaunes » a d’ailleurs prouvé la réactivité des deux forces, comme l’indique également M. Vilbois : « nous avons été amenés à augmenter le budget de chaque direction départementale pour prendre en compte le contrecoup du mouvement des « gilets jaunes », afin de prendre en charge des équipements locaux décidés par les directeurs départementaux et les frais de déplacement des policiers qui interviennent en renfort dans un autre département que le leur. Ce sont des budgets pris sur la réserve du SGAMI en cours d’exercice ».

Malgré ces progrès, l’équipement des policiers et des gendarmes a trop souvent fait les frais des priorités des gouvernements successifs, qui ont varié au détriment d’une stratégie d’ensemble. L’effort engagé depuis 2014 est salutaire mais repose en partie sur l’accumulation de priorités thématiques sans cohérence, qui participe d’ailleurs au sentiment de confusion des missions pour les forces de l’ordre. Surtout, cet effort diminue de nouveau depuis 2018, alors même que, parallèlement, les recrutements ont progressé. Enfin, la chaîne d’approvisionnement devrait être améliorée, face aux difficultés de livraison de certains matériels qui sont remontées lors des travaux de la commission d’enquête.

Le rapporteur considère aujourd’hui que l’approche en matière d’équipement est à repenser (voir II).

B.   Une gestion des ressources humaines coûteuse et source de frustrations

L’intensité opérationnelle ainsi que, dans une moindre mesure, la faible attractivité de certains métiers, sont à l’origine d’un déséquilibre majeur dans la gestion des ressources humaines des forces de sécurité, et plus particulièrement de la police nationale. Ce déséquilibre s’autoalimente et n’est que très imparfaitement compensé par les primes et indemnités, qui représentent pourtant un coût en constante augmentation.

1.   Des rythmes de travail atypiques

Policiers et gendarmes ont en commun des rythmes de travail atypiques, bien que les règles régissant leur temps de travail soient distinctes et varient selon les spécialités ou unités. Mais quelles qu’elles soient, les missions de police imposent aux agents des sujétions particulières : dépassements horaires, permanences, astreintes, rappels.

a.   Le casse-tête des heures supplémentaires dans la police nationale

Dans la police nationale, les heures supplémentaires ouvrent droit à compensation pour le corps d’encadrement et d’application (gardiens et gradés) et, en cas d’astreinte, pour le corps de commandement (officiers). La compensation des services supplémentaires prend la forme de récupérations d’heures, majorées. Seuls les fonctionnaires de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS) bénéficient d’une indemnisation financière des heures supplémentaires, pour les seules missions réalisées en déplacement.

Du fait de l’intense activité opérationnelle, le stock d’heures supplémentaires augmente continûment. Cette situation porte en germe sa propre perpétuation puisque la majoration des heures récupérables a pour conséquence une diminution du nombre global d’agents disponibles. À l’automne dernier, le directeur général de la police nationale, cité par le sénateur Philippe Dominati ([18]), évoquait à ce propos une « véritable épée de Damoclès opérationnelle », les fonctionnaires pouvant liquider ces heures avant leur départ en retraite. Dans cette hypothèse, ils ne peuvent être remplacés à plafond d’emplois constant, puisqu’étant officiellement en congés et non en retraite.

Évolution du stock d’heures supplémentaires de la police nationale

(en millions d’heures)

 

2014

2015

2016

2017

2018

Stock au 31 décembre en millions d’heures

18,4

19,7

21,1

21,7

23,0

Moyenne d’heures par agent

138

147

155

157

164

Source : avis budgétaires relatifs à la mission « Sécurités » ; réponses du ministère de l’intérieur.

Cette question figure au cœur des discussions qui se tiennent actuellement avec les organisations représentatives des personnels de la police, en application du programme de travail faisant suite au protocole d’accord conclu en décembre 2018 avec le ministère de l’intérieur.

Pour mémoire, deux accords conclus le 11 avril 2016 avaient déjà permis de faire progresser les volumes d’avancement et comportaient plusieurs mesures de fidélisation fonctionnelle et territoriale (cf. Annexe 2). Le protocole d’accord, signé le 19 décembre 2018, après l’intensification des opérations liée aux manifestations des « Gilets jaunes », a permis une revalorisation de l’allocation de maîtrise à hauteur de 40 euros par mois et l’octroi d’un demi-point d’indemnité de sujétion spéciale de police (ISSP) supplémentaire, à partir du 1er janvier 2019. D’autres avancées étaient conditionnées à l’aboutissement d’une « négociation dédiée au chantier de l’organisation du temps de travail, aux heures supplémentaires (stock et flux) et à la fidélisation fonctionnelle ou territoriale ». Il s’agit du versement de deux tranches supplémentaires de 30 euros par mois pour l’allocation de maîtrise, les 1er juillet 2019 et 1er janvier 2020.

Un rachat complet des heures supplémentaires paraît inenvisageable, et ce, pour deux raisons évoquées par le rapport du sénateur François Grosdidier ([19]) :

– d’une part, parce que cela représenterait un coût évalué en 2018 à 272,10 millions d’euros ;

– d’autre part, parce que le système d’information de la DGPN ne permettrait pas de distinguer les heures supplémentaires ayant déjà fait l’objet d’une compensation en temps.

Outre le rachat des heures non compensées, figurent, parmi les solutions évoquées, le passage à un régime d’indemnisation, au moins partiel, des heures supplémentaires, et surtout la résorption du flux d’heures supplémentaires, par la responsabilisation des chefs de service, l’introduction d’une obligation d’utiliser les heures supplémentaires, qui n’existe pas aujourd’hui, et la réforme des cycles de travail, qui doit aboutir prochainement.

b.   Une réforme des cycles horaires qu’il est urgent de faire aboutir

En 2014, la police nationale a engagé une nouvelle réflexion sur les cycles de travail, afin de répondre aux demandes des agents de mieux concilier vie professionnelle et vie personnelle et de prévenir les risques psychosociaux, tout en étant compatibles avec l’activité opérationnelle.

Après une expérimentation menée entre octobre 2015 et avril 2016, six nouveaux cycles ont ainsi intégré le panel réglementaire. Le déploiement des nouveaux cycles a eu lieu de novembre 2016 à novembre 2017. Si les cycles binaires (2/2, 3/3 ou leurs variantes) ont naturellement trouvé leur public, le débat entre les organisations syndicales et le ministère s’est cristallisé sur deux cycles : la « vacation forte » et le cycle « 4/2 compressé ». C’est principalement au sein de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) que les expérimentations ont été les plus variées. Une organisation syndicale mettait particulièrement en avant les effets positifs sur la santé et la vie de famille du cycle dit de « vacation forte » quand la DCSP, anticipant un coût en effectifs de plusieurs milliers d’agents pour permettre son déploiement, a proposé le cycle « 4/2 compressé » comme alternative.

Comparaison des cycles de travail

 Caractéristiques du cycle

Cycle « 4/2 »

Cycle
« 4/2 compressé »

Cycle
« vacation forte »

Architecture

2 après-midi

2 matins

2 repos

 

3 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

4 matins - 1 repos

4 après-midi -
2 repos

 

2 après-midi -
2 repos

3 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

2 matins - 2 repos

3 après-midi -
2 repos

3 matins - 2 repos

Durée de chaque vacation

8 h 10

8 h 21

9 h 31

Congés annuels

23

23

20

Jours attribués au titre de la réduction du temps de travail

5

6,5

0

Confort de vie

1 week-end sur 6

1 week-end sur 3

1 week-end sur 2

Source : commission des finances du Sénat, in M. François Grosdidier, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative à l’état des forces de sécurité intérieure, Sénat, session ordinaire de 2017-2018, n° 612, 27 juin 2018.

149 unités ont adopté la « vacation forte » et 102 unités le « 4/2 compressé ». La juxtaposition soudaine de trois cycles (« 4/2 classique » ou « panaché », « 4/2 compressé » et « vacation forte ») au sein de la DCSP a suscité des tensions assez vives dans les services territoriaux, alors même que les effets de la directive européenne relative à l’aménagement du temps de travail n’étaient pas encore pleinement mesurés.

À l’issue de cette première phase, le directeur général de la police nationale a confié à l’inspection générale (IGPN) une évaluation de la réforme, assortie d’un moratoire.

Après avoir conduit ses propres travaux, la mission de l’IGPN dresse un constat sévère et, à maints égards, inquiétant pour le moral des personnels ([20]).

D’après son rapport, établi en mars 2019, « l’expérimentation des deux cycles a donné lieu à un bilan sans nuances » ([21]). L’IGPN a relevé de nombreuses faiblesses méthodologiques dans ce premier bilan fait par la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN). Elle pointe aussi les conditions délétères dans lesquelles s’est déroulé le déploiement des nouveaux cycles de travail, qui « a été marqué par l’absence – volontaire – d’une organisation nationale unique et la latitude laissée au plan local pour adapter les cycles aux contraintes et charges des services. Pour vertueux qu’il soit, ce dispositif a eu des effets très négatifs : consultation des agents mal maîtrisée, débats parfois houleux sous la pression syndicale très vive, désaveu de la hiérarchie locale par des arbitrages rendus en centrale.» ([22])

L’IGPN a ensuite repris complètement le travail d’évaluation, par une démarche exhaustive, s’appuyant sur de nouveaux indicateurs et des entretiens dans toutes les unités. En conclusion, elle souligne à nouveau les lacunes du bilan réalisé jusqu’alors : « l’expérimentation de 2015-2016 avait laissé espérer que la vacation forte n’ait que des avantages et un inconvénient, le coût des effectifs supplémentaires pour créer une quatrième brigade. Le 4/2 compressé, à l’inverse, n’avait qu’une seule qualité, pouvoir être mis en place à effectifs constants. L’état des lieux qu’en dresse la mission, et l’analyse qu’elle en fait sont tout autres. »

Après une analyse coûts-avantages beaucoup plus nuancée, l’IGPN conclut que la « vacation forte » doit être généralisée pour les unités de nuit, toutes missions confondues, compte tenu de la particulière pénibilité du travail de nuit. Ce cycle permettrait aux unités de jour qui adopteraient, elles, le cycle « 4/2 compressé », de prendre leur service plus tard le matin. Par ailleurs, la mission préconise un rééquilibrage de la dotation de jours attribués au titre la réduction du temps de travail qui pourrait être réalisée en faveur du cycle « 4/2 compressé ».

L’IGPN relève de nombreuses manifestations d’exaspération de la part des agents, de « grandes inquiétudes », un « sentiment d’injustice teinté d’amertume chez ceux qui estiment que leur choix exprimé lors des consultations n’a pas été respecté » ou encore la nécessité de « restaurer l’égalité et la confiance ». Selon les auteurs, ce sentiment d’injustice « trouve son origine dans l’absence de règle et le non-respect des processus censés encadrer le déploiement de l’un ou l’autre des nouveaux cycles. La chaîne hiérarchique en est fragilisée et la confiance des agents dans leur administration, dont ils ne comprennent pas l’action, est entamée. » Ce constat corrobore celui du rapporteur. Les inspecteurs estiment d’ailleurs que la « confiance en l’institution ne reviendra qu’à une double condition, d’une part une règle intangible régissant la mise en œuvre des nouveaux cycles, fondée sur des critères objectifs et d’autre part sur un dialogue social serein, respectant la chaîne hiérarchique, constructif et public. » Il paraît urgent d’apporter de la stabilité à ces personnels très sollicités dans des conditions difficiles.

c.   Un engagement opérationnel particulièrement intense dans la gendarmerie nationale

Les gendarmes sont également soumis à d’importantes sujétions résultant de l’obligation statutaire de disponibilité. La gendarmerie départementale n’assure pas une permanence sur l’ensemble des zones dont elle a la charge mais les gendarmes peuvent être rappelés à tout moment. À cet égard, 2018 a été une année particulièrement intense : en métropole, face aux « zones à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, de Bure et de Kolbsheim ; outre-mer, à l’occasion de fortes tensions à Mayotte, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie.

Depuis le début du mouvement des « Gilets jaunes », le 17 novembre 2018, les gendarmes ont pris toute leur part pour protéger les institutions et la population. Le 8 décembre, le directeur général de la gendarmerie nationale a fait appel à tous les militaires de la gendarmerie, y compris les personnels au repos et en permission : 89 000 membres des forces de sécurité intérieure ont ainsi été engagés, dont 65 500 gendarmes. Cet engagement, qui a perduré pendant près de trois mois et demi, a été très éprouvant.

Cette intensité se mesure aussi à l’aune du nombre de blessés qui connaît une dynamique inquiétante, même si la police a, elle aussi, à déplorer un nombre important de blessés. Entre le 17 novembre 2018 et le 1er juin 2019, la gendarmerie nationale a en effet dénombré 540 blessés (dont 9 réservistes). Au cours de son audition, le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi (DOEGN), a par ailleurs indiqué que le nombre des blessés suite à une agression a augmenté de 30,4 % entre 2014 et 2018 dans la gendarmerie (1 769 faits en 2014, contre 2 306 en 2018), ce qui témoigne de l’agressivité croissante à l’égard des forces de l’ordre ([23]).

d.   Des heures supplémentaires qui commencent aussi à s’accumuler dans l’administration pénitentiaire

L’organisation du service des personnels en surveillance (hors administratifs) repose aussi sur des cycles :

– le cycle avec nuit (CAN), qui présente plusieurs variantes de jours de travail et de repos, génère de la fatigue, réserve peu de week-ends libres mais permet aux planificateurs de maîtriser les heures supplémentaires ;

– le cycle sans nuit (CSN), qui conduit à effectuer de longues journées de 12 h 15, permet de dégager deux ou trois jours de repos et de réserver un week-end sur deux mais il tend à produire des heures supplémentaires.

En décembre 2015, la Cour des comptes a adressé au ministère de la Justice un référé consacré à la gestion des personnels pénitentiaires. Suivant son analyse, du fait d’une durée supérieure à celle prévue par les obligations de service fixées à la suite du passage aux 35 heures, les cycles de travail en vigueur au sein des établissements pénitentiaires génèrent mécaniquement des heures supplémentaires qui ne favorisent pas la répartition de la charge de travail entre les agents. Par ailleurs, la Cour relevait un certain absentéisme ; elle remettait en cause le caractère trop centralisé de la gestion des ressources humaines, notamment sur le plan des affectations et de l’exercice du pouvoir disciplinaire.

La première recommandation de la Cour consistait à « réduire le nombre de cycles et les postes fixes ». Elle préconisait aussi l’expérimentation de « la mise en place d’un concours à affectation régionale pour les surveillants, afin de fidéliser les personnels et déconcentrer la gestion de concours ». La Cour des comptes plaidait en outre en faveur d’une répartition des compétences renouvelées entre le secrétaire général du ministère, les services centraux de la direction de l’administration pénitentiaire, les directions interrégionales des services pénitentiaires et les établissements, afin notamment de renforcer le rôle confié aux directeurs d’établissements pénitentiaires.

D’après les éléments fournis par la direction de l’administration pénitentiaire, au mois de mars 2019, les agents affectés dans les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ) ont réalisé 34 191 heures supplémentaires, soit une moyenne de 33 h 92 supplémentaires par agent. Les régions les plus en tension sont les régions de Dijon, avec une moyenne à 48 heures par agent, et Lyon, avec une moyenne d’heures supplémentaires de 40 heures.

Au-delà du déficit en effectifs, qui est en passe d’être corrigé, il importe d’adapter rapidement l’organisation du travail, et notamment les cycles horaires, sans quoi la situation évoluera vers celle que connaît actuellement la police nationale.

2.   Des difficultés d’attractivité et de fidélisation patentes

Les forces de l’ordre accomplissent un travail difficile. Mais deux métiers présentent aujourd’hui une faible attractivité qui nuit aux recrutements et donc favorisent l’accumulation des heures supplémentaires.

a.   Les problèmes de fidélisation de la filière investigation

Le métier d’officier de police judiciaire (OPJ) suscite de moins en moins de vocations du fait de la complexification de la procédure pénale (voir infra).

Si la filière reste attractive en raison des bonifications indiciaires et indemnitaires qu’elle procure, la désaffection se manifeste après quelques années d’exercice. Comme l’a confirmé Mme Brigitte Jullien, directrice de l’IGPN ([24]), les OPJ sont recrutés en nombre suffisant mais demandent rapidement à quitter les services judiciaires pour intégrer la police de la voie publique ou la police secours, lassés par un travail de bureau aux résultats incertains. La pénurie d’officiers de police judiciaire alimente la surcharge de travail restant pour ceux qui exercent cette fonction.

En visite au commissariat de Drancy, le rapporteur a rencontré des OPJ qui ont effectué jusqu’à quinze permanences au cours de l’année 2018, du fait d’une « pénurie d’OPJ » dans le département de la Seine-Saint-Denis. D’après ces fonctionnaires, il y aurait environ 22 % d’OPJ au sein des effectifs de la police nationale en France, 16 % en région parisienne et 13 % au sein de la DSPAP de la préfecture de police à laquelle appartient le commissariat de police de Drancy. Le nombre de postes ouverts dans le département serait inférieur aux besoins. La fidélisation, surtout, paraît problématique ; 80 % des gardiens de la paix sont originaires d’autres régions que l’Île-de-France mais y sont affectés à plus de 60 %. Ils cherchent donc souvent à retourner en province et la fonction d’OPJ leur permet d’obtenir des mutations plus rapidement.

Les moyens de revaloriser l’attractivité de cette filière, conformément au protocole de décembre 2018, font actuellement l’objet de négociations. Parmi eux est envisagée la refonte du dispositif indemnitaire avec la perception d’une prime OPJ revalorisée pour les seuls personnels exerçant effectivement des fonctions judiciaires. La revalorisation pourrait être financée pour partie par redéploiement de la prime versée aux agents « ayant exercé » vers ceux exerçant effectivement.

Le rapporteur considère pour sa part que les voies et moyens d’alléger la procédure pénale doivent prioritairement être examinés, ainsi que les possibilités de déléguer davantage d’actes de procédures à des adjoints de police judiciaire sous le contrôle de l’OPJ grâce aux nouvelles possibilités offertes par les technologies portables. Le rapporteur fait plusieurs propositions en ce sens dans la deuxième partie du présent rapport.

Il note également qu’une partie de la désaffection des OPJ pour leur métier est alimentée par la part croissante de missions administratives qu’ils exercent, faute de recrutements suffisants de personnels administratifs. Ainsi, en 2018, huit postes étaient ouverts et cinq contractuels ont été recrutés sur l’ensemble de la Seine-Saint-Denis. 101 fonctionnaires du service actif occupent actuellement des fonctions support, ce qui entraîne un coût supérieur à celui des personnels administratifs. Les services de la police nationale en Seine-Saint-Denis ont calculé qu’il faudrait au minimum 430 effectifs administratifs pour assurer le bon fonctionnement du service, contre 240 personnes actuellement. D’après les personnels administratifs consultés, les rémunérations et, surtout, les perspectives de carrière sont peu attractives.

b.   La faible attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire

Le recrutement de l’administration pénitentiaire pâtit depuis longtemps de l’image négative de la prison. Le travail de prévention et de réinsertion est peu connu, les seules images de la vie carcérale diffusée par les médias concernant généralement les violences, les évasions, les trafics et les agressions.

L’administration pénitentiaire doit procéder à d’importants recrutements dans les années à venir pour compenser des départs en retraite massifs et pour assurer les missions d’extractions judiciaires reprises aux policiers et gendarmes. Or, comme l’a indiqué M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire ([25]), le contexte est marqué par une forte concurrence entre les métiers de la sécurité publique et privée.

Certaines filières sont, en outre, en concurrence avec d’autres corps ministériels (police nationale, magistrature). D’après les réponses écrites fournies au rapporteur, le vivier annuel de candidats est toutefois considéré comme suffisant – en particulier pour les filières d’insertion et de probation, de direction et techniques – pour permettre la nomination d’un nombre de lauréats équivalant à la totalité des postes ouverts et présentant un profil de bon niveau.

Le début de l’année 2018 a été marqué par un important conflit social qui a paralysé le fonctionnement de plusieurs établissements pénitentiaires pendant deux semaines. Un relevé de conclusions a été signé le 29 janvier 2019 ; articulé autour de l’amélioration de la gestion des détenus radicalisés et violents, du renforcement de la sécurité des agents en détention, de l’accélération des recrutements et d’un effort de fidélisation, notamment par le renforcement des dispositifs indemnitaires.

Le rapporteur estime que ces métiers connaissent actuellement une évolution majeure qu’il convient d’accompagner (voir infra, I.D.), dans le cadre d’une réflexion globale sur un continuum de sécurité. Par ailleurs, des expérimentations de recrutements territorialisés mériteraient d’être conduites pour attirer des candidats aujourd’hui rebutés par la mobilité géographique (voir infra, II.D).

C.   Un sentiment partagé de confusion dans les missions

Le potentiel opérationnel des policiers et des gendarmes est aujourd’hui fortement réduit du fait de la conjonction de trois facteurs :

1.–  la persistance de missions périphériques (ou « tâches indues ») qui éloignent les policiers et les gendarmes de leur cœur de métier, du fait des défaillances ou des carences d’autres administrations ;

2.– une répartition des missions inefficaces, qui ne facilite ni les synergies, ni les mutualisations, tout en entretenant une confusion qui conduit à l’exercice de missions par des agents insuffisamment formés ou équipés pour celles-ci ;

3.– l’alourdissement de la charge procédurale, si disproportionnée par rapport aux moyens de la chaîne pénale qu’elle risque de favoriser l’impunité.

1.   La persistance de « tâches indues »

La question des missions périphériques ou « tâches indues » est particulièrement bien documentée, puisque, comme le soulignait un représentant de la fédération syndicale de la police nationale-CFDT, entendu au Sénat au printemps 2018, « tous les gouvernements qui se sont succédé ces dernières années se sont saisis du problème, mais rien n'a évolué à ce sujet ! » ([26]).

À l’automne 2015, à partir des travaux d’un groupe de travail et d’une consultation interne, la police nationale a engagé un plan interne de simplification, conforté par un « plan pour la sécurité publique » annoncé par le ministre de l’intérieur le 19 octobre 2016. Des progrès ont été accomplis mais ont été pour partie remis en cause par la multiplication des opérations d’assistance et de gardes engendrées par le contexte de lutte anti-terroriste et de prolongement de l’état d’urgence. Depuis, les progrès concernent essentiellement les missions de gardes de bâtiments publics.

Le volume des tâches indues est encore évalué à 8,7 % de l’activité totale de la police nationale en 2018 ([27]) contre 9 % en 2017. La situation paraît plus favorable dans la gendarmerie (3,2 % en 2018, contre 4 % en 2017) ([28]), expliquée par la réduction, logique mais conjoncturelle, du temps consacré à l’établissement de procurations électorales (– 98,3 %) en 2018.

Évolution de l’indicateur
« Recentrage des forces sur le cœur de métier » depuis 2012

Police nationale (programme 176)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Volume des missions périphériques (en heures)

7 397 834

6 807 104

7 105 853

7 620 642

8 068 931

7 757 932

7 518 095

Taux de missions périphériques dans l'activité totale (en %)

8

8

8,2

8,9

9,12

9

8,7

Gendarmerie nationale (programme 152)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Volume des missions périphériques (en heures)

5 592 563

4 572 442

4 703 617

4 427 272

4 103 529

4 349 774

3 459 047

Taux de missions périphériques dans l'activité totale (en %)

5,8

4,8

4,8

4,1

3,8

4,08

3,2

Source : rapports annuels de performance annexés aux projets de loi de règlement.

L’encadré ci-dessous, extrait du rapport pour avis de la commission des Lois sur le projet de loi de finances pour 2019, montre l’ampleur de la tâche qui reste à mener.

Les « tâches indues » : état des lieux en novembre 2018

 

Plusieurs « tâches indues » ont été effectivement transférées ou supprimées :

– la garde statique des tribunaux : depuis le mois d’avril 2017, plus aucune garde statique de tribunal n’est assurée par des policiers actifs, à l’exception du Palais de justice de Paris ;

– la participation des policiers et gendarmes aux commissions consultatives départementales de sécurité et daccessibilité, limitée aux seuls cas où les enjeux de sécurité le nécessitent par décret du 5 septembre 2016 ;

– la transmission postale des décisions de suspension administrative du permis de conduire, auparavant notifiées en personne par un gendarme ;

– le recueil des déclarations de perte de permis de conduite, transféré aux services préfectoraux ;

lescorte des étrangers en situation irrégulière, limitée aux seuls cas de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.

Dautres missions périphériques sont en cours de transfert :

– les transfèrements judiciaires, confiés aux services du ministère de la justice par une décision interministérielle du 30 septembre 2010. L’administration pénitentiaire s’est vue transférer les effectifs correspondant à ces missions (769 ETP « gendarmerie » et 415 ETP « police » de 2011 à 2018). Le PLF 2019 marque la dernière année de ces transferts, à hauteur de 11 ETP « gendarmerie » et 5 ETP « police » ;

– la médecine légale de proximité (167 ETP « police » en 2017) : des conventions doivent être signées entre les DDSP et les agences régionales de santé pour prévoir l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police. La situation actuelle conduit parfois les policiers et gendarmes à attendre longuement, sur place, l’examen d’une personne gardée à vue par les services d’urgence ;

– les missions de secours sur les plages, relevant des pouvoirs de police du maire, auxquelles participent traditionnellement des effectifs de police issus des CRS (297 ETP dans 63 communes en 2018). Ces effectifs pourraient être redéployés pour la sécurisation des villes touristiques côtières, et mieux répartis sur l’ensemble des côtes françaises. La gendarmerie nationale a pour sa part cessé son concours à ces missions ;

– la garde des bâtiments préfectoraux : 24 préfectures bénéficient toujours d’une présence policière, qui représentait 54 ETP au premier semestre 2018 ;

– lassistance aux opérations funéraires, qui demeure en zone « police », à hauteur de 78 ETP en 2017 ;

– le transport des scellés illicites ou dangereux, dont l’externalisation était prévue par un protocole interministériel du 6 janvier 2011, mais reste inappliquée en l’absence de garanties suffisantes de sécurité ;

– la prise en charge des ivresses publiques et manifestes (66 ETP « police » en 2017).

Des actions restent à initier dans les domaines suivants :

– la gestion des procurations électorales, y compris au sein des établissements pénitentiaires : un système dématérialisé est envisagé à horizon 2021. Le ministre de l’intérieur s’est fermement engagé à mettre fin à cette charge indue (14), mais ce projet reste pour le moment au point mort. En 2017, 1,85 million de procurations ont été établies par les gendarmes ;

– lescorte des détenus aux fins dexamen en milieu hospitalier (21 ETP en 2017), pour laquelle la DGPN est favorable à un transfert à l’administration pénitentiaire ;

– les missions daccueil des retenus et de surveillance et sécurité incendie dans les centres de rétention administrative, dont certaines pourraient être externalisées ;

– la gestion de la perte de documents officiels en l’absence de demande de renouvellement, pour laquelle la DGPN est favorable à un transfert aux services municipaux, comme dans le cas où le renouvellement est demandé.

Source : M. Jean-Michel Fauvergue, Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de ladministration générale de la République sur le projet de loi de finances pour 2019, tome VIII, « Sécurités », Assemblée nationale, XVe législature, n° 1307, 12 octobre 2018, pp. 33 et 34.

Au-delà des gains d’effectifs attendus, la résorption des tâches indues contribuerait aussi à clarifier le cadre d’action des forces de sécurité intérieure et à mieux répartir les missions entre les acteurs de la sécurité.

2.   Une confusion plus qu’une complémentarité dans les missions

La problématique des « tâches indues » est révélatrice d’une confusion dans les missions des agents des forces de sécurité intérieure mais elle n’en est pas la seule manifestation.

a.   Une confusion croissante entre les missions de maintien de l’ordre et de sécurité publique

S’il n’est pas aberrant que les agents de la sécurité publique et du maintien de l’ordre connaissent des pics d’activité ou participent à une grande variété de missions ; il n’est pas acceptable que des agents soient chargés de missions pour lesquels ils n’ont pas été formés et pour lesquels ils ne disposent pas de l’équipement adéquat.

En 2015, le rapport d’une commission d’enquête consacrée au maintien de l’ordre ([29]) avait déjà identifié des mutations essentielles encore à l’œuvre aujourd’hui dans le domaine du rétablissement de l’ordre :

– la part décroissante des grands acteurs traditionnels et de leurs services d’ordre dans l’organisation des manifestations et, corrélativement, la survenue de manifestations sans organisateurs, à l’origine d’une réduction des possibilités de concertation ;

– la présence récurrente de contre manifestants et de groupes structurés sans lien avec la manifestation se livrant à des actes délictuels (délinquance d’appropriation) ou cherchant explicitement à troubler l’ordre public ou la confrontation avec les forces de l’ordre (Black blocs) ;

– la confusion grandissante entre les missions de rétablissement de l’ordre et celles de la sécurité publique, en lien avec, d’une part, l’émergence du phénomène des « zones à défendre » ou « ZAD », actions hybrides entre manifestations et occupations illégales, et, d’autre part, la volonté d’interpeller les fauteurs de troubles infiltrés dans les manifestations pour apporter une réponse pénale adaptée.

Au cours des travaux de la commission d’enquête, le rapporteur a pu constater que ces mutations n’avaient pas encore donné lieu à une refonte du schéma national du maintien de l’ordre, qu’il appelle de ses vœux. Le « brouillage » de la notion de maintien de l’ordre, pressenti par le député Pascal Popelin, dans le rapport précité, est aujourd’hui avéré.

En témoigne la multiplication de blessures graves pendant le mouvement des « Gilets Jaunes » qui a été attribuée à un mauvais usage des lanceurs de balles de défense, résultant du manque de formation d’agents de la sécurité publique appelés en renfort pour procéder à l’interpellation de fauteurs de troubles. Il convient de rappeler que les effectifs des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont atteint un plancher historique en 2019. ([30])

Entendu par la commission d’enquête, le ministre de l’intérieur a lui-même admis que pendant le mouvement des « Gilets Jaunes », des policiers avaient été « obligés d’aller acheter des casques de ski pour, courageusement, faire de l’ordre public ». « Ce n’est pas normal », a-t-il affirmé ([31]).

La gendarmerie nationale a, elle aussi, connu une situation inédite, comme en a témoigné le général Richard Lizurey au cours de son audition : « Il y a six mois, je vous aurais dit que les gendarmes départementaux ont vocation à assurer la sécurité publique et non le maintien de l’ordre. De même, je vous aurais dit que les gendarmes volontaires, qui sont des jeunes recrutés sur des contrats courts d’une durée de un à six ans — chez nous ils restent en moyenne deux ans et demi — n’ont pas vocation à faire du maintien de l’ordre, pas plus que les réservistes. En réalité, dans la situation actuelle, tous sont amenés à participer au maintien de l’ordre, car tous peuvent être les premiers à arriver sur les lieux d’un trouble public. Ils doivent alors prendre les premières mesures et se protéger eux-mêmes, ce qui implique qu’ils disposent d’un certain équipement. » ([32]). La gendarmerie a immédiatement réagi par la distribution des matériels en stock et l’organisation de stages de formation des commandants de pelotons de surveillance et d’intervention (PSIG) au Centre national d’entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier.              

b.   Une coordination insuffisante entre les forces contribuant à la sécurité publique

Comme le relevait un rapport de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sur le maire et la sécurité intérieure de juillet 2017 : « le contexte de risque terroriste, qui a vocation à perdurer à moyen terme, appelle une nouvelle appréhension au plan territorial des responsabilités de chacun. L’État doit ainsi renforcer ses moyens de sécurité étatiques sur des missions prioritaires de protection de la population et de répression des formes de délinquance les plus criminogènes » ([33]).

Dans ce contexte, en application de l’article L.O. 144 du code électoral, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont été nommés parlementaires en mission par le Gouvernement et invités à présenter un rapport sur la définition d’un continuum de sécurité et sur l’articulation des interventions respectives des forces de sécurité de l’État, des polices municipales et des acteurs privés de la sécurité. Publié en septembre 2018, ce rapport dessine les contours d’un cadre qui devra permettre une meilleure articulation des forces étatiques avec les polices municipales et les forces de sécurité privée.

En tout état de cause, ce nouveau cadre devra respecter la jurisprudence constitutionnelle et administrative relative à la protection des libertés individuelles. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé inconstitutionnelle la réforme consistant à autoriser les policiers municipaux à procéder à des contrôles d’identité, au motif que la subordination des agents de police municipale aux maires fait obstacle au principe de la subordination complète à la direction de l’autorité judiciaire des agents exerçant des missions de police judiciaire ([34]).

Les auditions conduites par la commission d’enquête et la consultation publique organisée sur le site de l’Assemblée nationale durant tout le mois de juin 2019 confirment la volonté des policiers municipaux de voir leur statut revalorisé et leur complémentarité avec les forces étatiques reconnue.

Leurs revendications sont d’ordre :

– statutaire et indemnitaire, avec le souhait d’une revalorisation des retraites, jugées trop modestes (une majorité de répondants à la consultation du rapporteur demande l’intégration des primes dans le calcul de la retraite), une reconnaissance du travail réalisé par une revalorisation des grades et des titres (de catégorie C à catégorie B, de catégorie B à catégorie A, etc.) ;

– fonctionnel, avec la revendication de davantage de prérogatives, notamment pour cesser d’être « les souffre-douleur des quartiers difficiles », un meilleur accès aux fichiers et aux réseaux radio de la police et de la gendarmerie nationales, justifié par le fait que les policiers municipaux sont souvent des primo-intervenants ;

– matériel, avec la demande d’un équipement plus adapté et d’un port d’armes systématique, sauf volonté contraire du maire, justifié notamment par la menace terroriste.

En somme, nombreux sont les policiers municipaux qui souhaitent une harmonisation de leur statut, de leur formation, de leurs prérogatives, de leurs uniformes et de leur équipement. Dans cette optique, la compétence du maire se bornerait à fixer leur nombre par catégorie (policiers municipaux, gardes champêtres, ASVP, brigade cynophile…), leur doctrine d’emploi et à moduler leur équipement en fonction du contexte local. L’homogénéisation de la formation des policiers municipaux avec celle de leurs homologues des forces étatiques paraît souhaitable, de même qu’une réflexion sur le contrôle déontologique dont ils devraient faire l’objet.

c.   Des missions nouvelles pour l’administration pénitentiaire

Les missions de l’administration pénitentiaire évoluent de manière significative sous l’influence deux phénomènes :

– la reprise des extractions judiciaires ;

– l’augmentation de la radicalisation et de la violence en milieu carcéral.

La reprise des transfèrements des détenus aux forces de sécurité intérieure est revendiquée certaines organisations représentatives du personnel, sous réserve de disposer d’effectifs suffisants. Ainsi, M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire Force ouvrière direction, soulignait l’intérêt d’assurer une continuité dans le suivi et la prise en charge d’une personne détenue : « on constate déjà que les gendarmes ou les policiers qui prennent en charge un détenu dans le cadre d’une extraction judiciaire ou médicale ne le connaissent pas et peuvent lui appliquer un cadre plus coercitif que celui que nous lui appliquons dans l’établissement, ce qui a pour conséquence de faire monter des tensions entre l’équipe d’escorte et le détenu, et ne sera constructif ni pour elle, ni pour lui, ni pour le personnel pénitentiaire à qui celui-ci sera de nouveau confié. » ([35])

Dans un premier temps, la reprise de ces missions, prévue pour se réaliser entre 2011 et 2013, a donné lieu à l’octroi de 800 équivalents temps plein (ETP), un effectif manifestement insuffisant. D’après M. Yoan Karar, secrétaire général adjoint de FO Pénitentiaire, « cela a engendré de grandes difficultés ; ainsi, la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Rennes est à l’origine de défauts de présentation de détenus devant les magistrats, et donc des vices de procédure qui ont abouti à la libération de ces détenus. » ([36])

D’après les réponses écrites fournies par la direction de l’administration pénitentiaire, une inspection interministérielle a ensuite été menée de juillet à septembre 2012 avec, pour objet, de contrôler les modalités de mise en œuvre de la réforme et de questionner sa pertinence. Sur la base de son rapport, le nombre d’effectifs à transférer a été réévalué à 1 200 ETP hors outre-mer en décembre 2013. Ce chiffre correspondait à l’hypothèse médiane de transfert de charge figurant dans le rapport d’audit, l’hypothèse haute évaluant le nombre total d’emplois à transférer à 1 700 ETP.

Enfin, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement a présenté un amendement pour augmenter de 450 ETP les effectifs de surveillants pour atteindre 1 650 ETP en charge des extractions judiciaires. 150 emplois doivent en plus être créés sur la période 2018-2020 pour porter à 1 800 ETP l’effectif des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ).

D’autres carences sont apparues depuis, avec :

● Des besoins de financement mal anticipés pour l’aménagement de locaux accueillant les PREJ ou l’achat de véhicules. Les crédits de fonctionnement transférés (6,7 millions d’euros par an prévus entre 2011 et 2019) se révèleraient ainsi inférieurs aux besoins (12 millions d’euros en 2018, dont 6 millions pour l’acquisition de véhicules).

● Des gains d’efficience à réaliser grâce à une meilleure organisation et une meilleure formation. Pour ce faire, la Garde des Sceaux a décidé de déployer des équipes de sécurité pénitentiaire sur l’ensemble du territoire. Ces équipes sont composées :

– d’équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP), nouvellement créées ;

– des pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), des équipes exerçant en unités hospitalières (UH) et des équipes nationales de transfèrement (ENT), déjà existants, mais dont les modalités d’intervention sont redéfinies ;

– des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), qui conservent leur doctrine d’emploi.

Il s’agit de répondre au plus près du terrain aux demandes d’extractions, d’harmoniser les conditions de réalisation de ces missions, et d’augmenter leur niveau de sécurisation en formant, habilitant et armant les personnels qui les réalisent. Comme l’a souligné M. Stéphane Bredin, directeur de l’administration pénitentiaire, il s’agit d’une « mission entièrement nouvelle pour l’administration pénitentiaire. Le travail habituel de l’administration pénitentiaire, c’est de surveiller des détenus dans des établissements. Des missions sur la voie publique présentent pour nos hommes et nos femmes des risques spécifiques et nouveaux, et surtout, c’est un métier complètement différent. La création des équipes locales de sécurité pénitentiaire a supposé le développement de missions nouvelles, donc de formations nouvelles pour nos agents, qu’il s’agisse de la sécurisation périmétrique des établissements ou de la sécurisation intérieure de nos prisons. » ([37])

L’augmentation du nombre d’actes de violence physique sur le personnel et les intervenants, et la problématique de la radicalisation des détenus, est aussi à l’origine d’une mutation du métier de surveillant pénitentiaire, qui doit être prise en compte.

À partir du 29 janvier 2018, la direction de l’administration pénitentiaire a augmenté les moyens matériels et techniques concourant à la sécurisation des personnels (gilets pare-lame, gants anti-coupure, trappes passe-menottes, etc.). Certaines organisations syndicales réclament toutefois encore des pistolets à impulsion électrique et des diffuseurs de gaz lacrymogène ou des caméras-piétons.

Comme l’a fait observer M. Stéphane Bredin, la radicalisation islamiste présente des risques entièrement nouveaux : « On a l’impression que l’administration pénitentiaire gère des terroristes depuis plusieurs décennies, puisqu’elle a connu les mouvements d’extrême gauche, les terroristes basques et corses. Elle a aussi connu, depuis le début des années 1990, plusieurs vagues de détenus en raison des attentats terroristes islamistes. Mais que je sache, par le passé, on n’avait jamais observé des détenus en détention tenter de convertir leurs codétenus à leur cause politique et on n’a jamais connu d’attentat commis en détention par des détenus corses ou des militants d’extrême gauche dans les années 1970. Le terrorisme islamiste induit, en matière de sécurité pénitentiaire, des risques totalement nouveaux, directs et majeurs pour l’équilibre de nos détentions. » ([38])

Ainsi, les organisations syndicales de l’administration pénitentiaire ont déploré que la formation initiale à l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) ne comprenne que neuf heures sur la radicalisation. Le caractère trop théorique de cette formation a par ailleurs été souligné. Une classification des établissements en fonction de la dangerosité des détenus paraît à certains nécessaire, tout comme la modification du volet « gestion de la détention » du code de procédure pénale pour empêcher les détenus radicalisés de communiquer entre eux, la systématisation des fouilles et le développement du recours aux « brouilleurs » de communications, notamment.

Si l’objet de la commission d’enquête n’invite pas à formuler des propositions sur l’administration pénitentiaire, le rapporteur considère toutefois que l’amélioration de la situation des forces de sécurité intérieure dépend aussi des gains d’efficience qui pourront être réalisés dans l’administration pénitentiaire, de l’efficacité de la lutte contre le phénomène de surpopulation carcérale et d’une meilleure prise en compte de la radicalisation islamiste.

3.   Une charge procédurale qui reste insupportable en dépit des réformes successives

Les forces de sécurité intérieure déplorent de longue date l’alourdissement de la charge procédurale alors que la réponse pénale, elle, ne leur paraît pas à la hauteur. Ce double ressenti est particulièrement démobilisateur. Comme l’a indiqué M. Jérôme Bonet, directeur central de la police judiciaire, qui préconisait d’ailleurs de remettre notre système juridique à plat ([39]), « notre droit est aujourd’hui de plus en plus “percuté” par la norme anglo-saxonne ; cette sédimentation a complexifié la procédure. »

a.   Des évolutions souvent incomprises par les agents

La durée des procédures dans les directions locales de sécurité publique aurait augmenté considérablement en quelques années, passant de 22 à 28 heures en moyenne, comme l’a rappelé le sénateur François Grosdidier en juin 2018 ([40]).

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice comporte plusieurs mesures bienvenues de simplification de la procédure pénale : possibilité de déposer une plainte en ligne, suppression de formalités administratives comme les prestations de serment et les demandes d’habilitation renouvelées à chaque mutation pour les personnels de la police judiciaire, simplification des règles relatives aux scellés, accroissement des tâches confiées aux agents de police judiciaire pour décharger les officiers de police judiciaire.

Ce projet de loi a donné lieu à une large consultation dans les forces de sécurité, pendant plusieurs mois. C’est pourquoi les policiers et les gendarmes ont été particulièrement déçus de n’y retrouver que certaines de leurs revendications, même si, comme l’a montré le débat parlementaire, des raisons objectives peuvent expliquer les choix opérés. Par exemple, quelque 300 propositions avaient été présentées par la gendarmerie dans ce cadre, et une trentaine seulement a été retenue.

 

Une procédure utile pour améliorer la réponse pénale

La procédure de l’amende forfaitaire contraventionnelle est ancienne puisqu’elle remonte à un décret-loi de 1926 ([41]). Elle a permis d’apporter une réponse simple et rapide à un contentieux de masse, celui afférent au code de la route, par une verbalisation immédiate et automatique de certaines infractions, que le contrevenant peut ensuite contester devant le juge. Initialement prévue pour les contraventions des quatre premières classes, la procédure a été étendue aux contraventions de cinquième classe en 2011 ([42]) mais le décret qui devait fixer le montant de l’amende forfaitaire encourue n’a jamais paru. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle de 2016 a innové en instaurant une amende forfaitaire applicable à certains délits : la conduite sans permis et la conduite sans assurance, hors réitération. La loi n° 2018-957 du 7 novembre 2018 relative à l'accueil des gens du voyage et à la lutte contre les installations illicites a étendu cette procédure au délit d’occupation illicite du terrain d’autrui (article 322‑4‑1 du code pénal). Enfin, l’article 58 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([43]) a étendu cette procédure à six nouveaux délits, le 23 mars 2019.

Extension de la procédure de l’amende forfaitaire à six délits
par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Délits

Référence

Peine prévue antérieurement

Dispositions prévues par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

Amende forfaitaire*

Amende minorée*

Amende majorée*

Vente illégale de boissons dans les foires

Art. L. 3352­‑5 du code de la santé publique

3 750 €

200 €

150 €

450 €

Vente et offre d’alcool à un mineur

Art. L. 3353‑3 du code de la santé publique

7 500 €

300 €

250 €

600 €

Usage illicite de stupéfiants

Art. L. 3421‑1 du code de la santé publique

Un an d’emprisonnement et 3 750 €

200 €

150 €

450 €

Vente à la sauvette

Art. 446-1 du code pénal

6 mois d’emprisonnement et 3 750 €

300 €

250 €

600 €

Transport routier en violation des règles relatives au chronotachygraphe

Art. L. 3315-5 du code des transports

6 mois d’emprisonnement et 3 750 €

800 €

640 €

1 600 €

Délit d’occupation illicite des parties communes d’un immeuble

Art. L. 126‑3 du code de la construction et de l’habitation

2 mois d’emprisonnement et 3 750 €

200 €

150 €

450 €

(*) Ces peines sont quintuplées pour les personnes morales (article 495‑24‑1 du code de procédure pénale).

Source : codes en vigueur.

Le recours à l’amende forfaitaire n’est qu’une faculté. En fonction des circonstances de l’espèce et de la politique pénale locale, le ministère public conserve la possibilité d’engager des poursuites devant le tribunal correctionnel.

À la suite des députés Éric Poulliat et Robin Reda, et des conclusions de leur rapport sur l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants ([44]), le législateur a estimé que cette procédure serait parfois plus dissuasive que les mesures alternatives aux poursuites majoritairement imposées par les magistrats aux auteurs d’usage illicite de stupéfiants et qu’il convenait donc d’ajouter cette procédure à l’éventail des réponses pénales à la disposition de la justice.

Les cinq autres amendes délictuelles concernent des infractions dont l’auteur est aisément identifiable et qui sont souvent peu sanctionnées du fait de la lourdeur de la procédure correctionnelle. Pour ces délits, la procédure de l’amende-forfaitaire devrait apporter la simplicité nécessaire à une réponse plus systématique.

L’allègement du régime de la garde à vue n’a ainsi pas été retenu, puisqu’il est en grande partie issu d’une transposition du droit européen. L’équilibre entre le renforcement des pouvoirs des enquêteurs et les libertés individuelles a fait l’objet de vifs débats au Sénat, notamment. L’oralisation générale des procédures, introduite par voie d’amendement au Sénat, a finalement été abandonnée au profit d’une automatisation de la production de certaines pièces, dans le cadre du chantier de dématérialisation de la procédure pénale. La faculté de recourir à la procédure de l’amende forfaitaire pour de nouveaux délits a d’abord été étendue, par le Sénat, à tous les délits du code pénal réprimés d’une simple peine d’amende avant d’être à nouveau limitée à l’Assemblée nationale, qui a néanmoins retenu un champ plus large que celui du Gouvernement.

L’article 94 de la loi du 23 mars 2019 a par ailleurs transposé en droit français la directive européenne de 2016, dite « directive E » ([45]), qui devait l’être avant le 11 juin 2019. Ces nouvelles dispositions contribuent à accroître la charge procédurale dès qu’une affaire concerne un mineur. Elles prévoient notamment un droit à l’information des parents, du tuteur, de la personne ou du service auquel le mineur est confié, la possibilité pour le mineur d’être assisté par son représentant légal tout au long de la procédure, l’assistance obligatoire d’un avocat et le droit d’être examiné par un médecin. Les auditions doivent faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel obligatoire. Face à cette multiplication des garanties accordées aux mineurs et à la charge procédurale qui en résulte, les policiers comme les gendarmes ont le sentiment que la réponse pénale n’est pas à la hauteur (cf. II. F. 1).

b.   Une dématérialisation très attendue

La dématérialisation a certainement un rôle majeur à jouer dans l’acceptabilité de la charge procédurale. Considérant que « l’alourdissement de la procédure pénale est aussi la conséquence logique d’un accroissement des garanties des droits de la défense » ([46]) et qu’il est, à ce titre, en partie inévitable, M. Jérôme Bonet recommande de s’appuyer sur les nouvelles technologies : « des outils qui permettront aux agents d’alléger leur charge de travail. Des outils d’intelligence artificielle ; l’oralisation de certaines procédures pénales, notamment les plus simples. Nous travaillons également sur l’utilisation d’un logiciel de reconnaissance vocale – pour éviter des tâches extrêmement chronophages. » ([47]) Selon Mme Brigitte Jullien, directrice de l’inspection générale de la police nationale, « un groupe de travail a été créé pour étudier cette question, et deux expérimentations sont menées au parquet de Blois, sur la dématérialisation totale de la procédure ; tous les services de police et la justice ont le même numéro de dossier. […] Supprimer le papier qui encombre les services de police contribuera à alléger la procédure. » ([48]) La dématérialisation pourrait également permettre d’améliorer les relations entre les différents acteurs de la chaîne pénale en permettant aux enquêteurs de voir les conséquences de leur travail : « si nous parvenons, dans la dématérialisation des procédures, à constituer une chaîne complète allant jusqu’à la justice, les services de police auront accès à la suite donnée aux enquêtes. Ce sera un grand progrès, également pour les victimes, avec qui nous avons une proximité qui n’existe pas dans les autres services, et qui demandent régulièrement aux policiers où en est leur affaire. » ([49])

Encore faut-il que cette dématérialisation advienne effectivement. La dématérialisation de la procédure pénale, chantier majeur promu par la loi du 23 mars 2019 précitée, est en réalité une antienne depuis le « plan de numérisation » lancé en 2006. Bien que le législateur ait autorisé la signature électronique et numérique des procédures en 2009 et la transmission électronique des procédures en 2016, le recours aux outils numériques reste inégal, selon les services et les régions. Un rapport de l’Inspection générale des services judiciaires de 2016 identifiait les mauvaises relations entre les services d’enquête et les autorités judiciaires parmi les causes de ce retard.

c.   Des réformes souvent inappliquées

Surtout, les policiers comme les gendarmes constatent que des mesures de simplification ayant déjà trouvé une concrétisation juridique ne sont pas véritablement appliquées :

– soit parce que les textes d’application n’ont pas été pris, souvent en raison de freins techniques sous-tendus par des difficultés budgétaires ;

– soit parce qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une diffusion aux personnels.

Il existe ainsi maints exemples de retard dans l’adoption des textes réglementaires d’application (les mesures simplifiant la restitution procédurale des gardes à vue de la loi du 3 juin 2016, le procès-verbal unique, pourtant prévu par le décret n° 2016-1202 du 7 septembre 2016, etc.).

Pour ne citer qu’un exemple, le rapporteur note que la portée des dispositions de la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, qui prévoyait déjà que deux délits puissent être sanctionnés par des amendes forfaitaires, a été singulièrement limitée, du fait d’« obstacles techniques, et notamment informatiques » ([50]). Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, leur entrée en vigueur est en effet « suspendue jusquà la publication dun arrêté précisant les modalités selon lesquelles les requêtes et les réclamations peuvent être adressées de façon dématérialisée sur le site de lAgence nationale de traitement automatisé des infractions ». L’entrée en vigueur de la procédure s’est heurtée à l’incompatibilité des applicatifs des acteurs de la chaîne de traitement que sont le centre national de traitement (CNT), piloté et géré par l’agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI), le ministère de la Justice, celui de l’Intérieur et celui de l’Économie et des finances. En d’autres termes, la faculté de recourir aux amendes forfaitaires a été étendue alors même que la procédure n’était pas encore applicable.

Certaines réformes se heurtent aussi au manque de moyens patent de la justice. Un gendarme entendu par la commission d’enquête affirmait ainsi que « le traitement en temps réel est, suivant les parquets, problématique. En Gironde, par exemple, pour obtenir une décision relative à une enquête préliminaire – je ne parle pas d’une enquête de flagrant délit, où une ligne téléphonique est dédiée –, il m’est déjà arrivé de rester 45 minutes au téléphone à attendre qu’un magistrat me réponde. Si nous n’avons pas le temps d’attendre, nous envoyons un courrier et la décision nous revient trois mois après » ([51]).

II.   Une réforme profonde et innovante des forces de sécurité est indispensable

À l’issue des travaux de la commission d’enquête, le rapporteur ne peut que constater que les forces de sécurité font le maximum avec les moyens mis à leur disposition mais que la réponse judiciaire, la contrainte administrative et plus largement l’organisation ne sont pas au niveau et nécessitent une réforme d’ampleur. L’organisation des forces de sécurité est manifestement mal adaptée aux nouveaux défis qui sont survenus ces dernières années et à la mise en œuvre des réformes ambitieuses attendues par les agents et leurs concitoyens.

A.   Fixer des priorités claires et stables dans le temps

Les forces de sécurité intérieure ont besoin qu’on leur donne les moyens d’accomplir leurs missions et d’être appuyées par des réserves opérationnelles performantes et en nombre suffisant. Les besoins immobiliers et d’équipement, une fois déterminés, devront faire l’objet de priorités claires et pluriannuelles. L’état des forces de sécurité impose, en effet, de sanctuariser les crédits qui y seront dédiés, afin d’éviter qu’elles ne servent une nouvelle fois de variables d’ajustement.

1.   Adopter une loi de programmation de la sécurité intérieure, levier d’une profonde réforme

Les forces de sécurité intérieure méritent d’être dotées d’une vision stratégique à long terme qui permettrait de fixer des priorités et de mieux responsabiliser les gestionnaires.

Plusieurs mutations à l’œuvre (radicalisation de la contestation sociale, évolution de la délinquance des mineurs, hausse du niveau de violence, radicalité islamiste, cybercriminalité etc.) sont encore insuffisamment prises en compte. En témoignent les lacunes observées en matière de formation ou d’équipement. Un nouveau Livre blanc et une loi de programmation n’auront de valeur que s’ils permettent d’y remédier.

Une telle loi de programmation devrait fixer des objectifs et définir des indicateurs, notamment pour :

– favoriser le rééquilibrage de la structure de dépense, en faveur de davantage d’investissement et d’équipement ;

– « sincériser » les budgets ;

– repositionner les différents corps de fonctionnaires et les militaires sur des missions cohérentes ;

– résorber le flux annuel d’heures supplémentaires et mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ;

– définir une politique de formation cohérente ;

– poser les jalons des grands chantiers de modernisation que sont la dématérialisation de la procédure pénale et le recours aux techniques d’imagerie moderne à des fins tactiques (drones, caméras) ;

– fixer une norme de dépense stable pour la rénovation des locaux de travail et des logements, renouveler le parc de véhicules ;

– gagner en efficience par l’achèvement de la mutualisation des fonctions support et par des réorganisations de structure pour une action des forces de l’ordre plus efficace ;

– veiller à déconcentrer la dépense en conférant des marges de manœuvre suffisantes aux gestionnaires locaux.

Cette feuille de route devrait être coordonnée avec la loi de programmation pour la justice. À terme, le rapporteur considère d’ailleurs que les deux exercices devraient aller de pair, tant les faiblesses de la réponse judiciaire démobilisent ceux qui tous les jours luttent contre la délinquance et suscitent une perte de confiance au sein de la population en général.

Le rapporteur se réjouit de l’annonce, par le Premier ministre, de la préparation d’un Livre blanc et d’une loi de programmation sur la sécurité intérieure dès l’été 2019.

Proposition n° 1 : Mettre en place une loi de programmation de la sécurité intérieure permettant d’offrir de la visibilité pour les futurs investissements indispensables ainsi qu’aux réorganisations nécessaires.

2.   « Sincériser » le budget des forces de sécurité intérieure autour des besoins immobiliers réels

À partir d’une meilleure évaluation des besoins, un plan ambitieux en faveur de l’immobilier doit être mené, dont les crédits seraient préservés par l’application d’une mise en réserve pertinente.

a.   Prévoir un plan immobilier adapté aux besoins

L’évaluation précise et complète de l’état du parc immobilier de la police et de la gendarmerie des besoins est primordiale afin de juger la pertinence des plans d’investissement qui ont été mis en œuvre jusqu’à présent.

La police nationale s’est dotée d’un outil de suivi de l’état du parc immobilier, à la suite d’observations de la Cour des comptes, qui classe les bâtiments selon leur état estimé. Comme exposé plus haut, la commission d’enquête a néanmoins pu se rendre compte que ce classement ne correspondait pas toujours à la réalité. À Fontainebleau, un commissariat considéré en « bon état » selon l’outil de gestion immobilière est en réalité dans un état calamiteux, un mur s’étant effondré peu avant la visite. De façon similaire, les cellules du commissariat de Remiremont, également classé en « bon état », offrent des conditions de détention déplorables.

Les besoins en investissement du parc immobilier de la gendarmerie sont également mal connus. En 2015, la Cour des comptes relevait que « les incertitudes sur l’état du parc sont préoccupantes et ne permettent d’estimer les besoins de crédits nécessaires à la conservation de ce patrimoine immobilier ». ([52])

Le rapporteur s’interroge dès lors sur la capacité du ministère de l’intérieur à programmer des investissements qui répondent aux besoins alors que l’état réel des locaux est mal évalué. Le ministre lui-même a reconnu cette situation devant la commission d’enquête : « Je ne suis pas en mesure de vous dire : voilà la dotation dont nous avons besoin – nous n’avons même pas de référence » ([53]).

Face à cette situation dégradée, les plans d’urgence successifs ne sont que des pis-aller qui ne permettent pas d’offrir à tous les policiers et gendarmes des lieux de travail et de vie dans un état convenable. Les choix de gestion exposés plus haut, consistant à transférer des crédits alloués à l’investissement immobilier vers le fonctionnement courant, illustrent d’ailleurs un manque de vision stratégique des moyens des forces de sécurité intérieur auquel il importe aujourd’hui de mettre fin.

Le rapporteur considère qu’il est nécessaire d’établir une stratégie immobilière volontaire pour les prochaines années, à l’occasion de la loi de programmation pour la sécurité annoncée par le ministre de l’intérieur. Ce document chiffrerait clairement les besoins et programmerait les investissements à réaliser, en fixant des objectifs stratégiques de moyen terme aux gestionnaires.

À titre indicatif, le général Laurent Tavel, directeur des soutiens et des finances de la gendarmerie nationale, considère que « pour l’immobilier, 50 millions d’euros supplémentaires chaque année seraient un effort déjà très conséquent au-delà duquel notre capacité à le traiter ne serait pas garantie. Mais c’est vrai que cet effort nous permettrait d’accélérer la remise en état de nos casernes domaniales ».

La commission d’enquête sénatoriale de 2018 dressait un constat similaire et réclamait déjà l'établissement d'une planification « crédible et sincère » afin de « garantir non seulement le “ moral des troupes , mais aussi de contribuer à l'amélioration réelle de la situation matérielle des forces » ([54]). Le rapporteur considère que cette proposition est plus que jamais d’actualité et qu’il faut passer d’une logique de plans d’urgence parant au plus pressé à une logique de programmation sur le long terme.

Proposition n° 2 : Chiffrer précisément les besoins immobiliers des deux forces qui serviront de base à une programmation cohérente de la remise à niveau du parc, en garantissant un investissement annuel minimal supplémentaire de 50 millions d’euros pour chacune des deux forces

b.   Pour une mise en réserve de précaution pertinente

La baisse de 8 à 3 % du taux de mise en réserve sur les crédits hors masse salariale ([55]) a constitué une avancée majeure dans la sincérisation du budget des forces de sécurité intérieure, en rapprochant le montant des crédits effectivement disponibles pour les gestionnaires de celui des crédits votés en loi de finances.

Cette baisse du taux de la réserve de précaution, en diminuant le montant global des crédits gelés, a permis d’imputer son montant en priorité sur des dépenses dites « pilotables », comme les moyens mobiles, les équipements et les systèmes d’information et de communication et non plus sur le fonctionnement courant, qui constitue une dépense obligatoire. En particulier, il n’y a pas eu de gel des crédits dédiés à la gestion de l’immobilier en 2018.

Néanmoins, cela a eu pour effet mécanique d’accroître la pression sur les crédits considérés comme manœuvrables. Comme l’a indiqué le général Laurent Tavel lors de son audition, « le taux de mise en réserve de 3 % qui s’applique à l’ensemble des crédits hors titre 2, devant être positionné sur les seules dépenses manœuvrables, le pourcentage appliqué à ces dernières peut en réalité représenter beaucoup plus. Parmi les dépenses manœuvrables, figurent par exemple, l’[entretien et l’investissement] immobilier, les achats de véhicules ou le budget de fonctionnement des unités élémentaires » ([56]).

En effet, la gendarmerie, du fait du poids des loyers, supporte des charges fixes plus importantes. Comme le souligne le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, la réserve de précaution « se calcule sur la totalité du budget de la gendarmerie nationale, y compris les dépenses obligatoires, notamment l’immobilier dont les crédits s’élèvent à 500 millions d’euros. Le dispositif est donc asymétrique et conduit à une « double peine » : les dépenses obligatoires produisent de la mise en réserve, laquelle, à juste titre, ne peut pas être prise sur les dépenses obligatoires, de sorte que le reste du budget supporte deux fois la mise en réserve. Il est certain que cela crée des contraintes et conduit à décaler des programmes immobiliers, car l’entretien de l’immobilier et les véhicules constituent des variables d’ajustement ».

En raison des tensions ainsi créées, en particulier pour la gendarmerie, il conviendrait donc de revoir le mode de calcul de la mise en réserve pour qu’elle soit calculée seulement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de son calcul le montant des crédits destinés aux loyers de la gendarmerie (508 millions d'euros en 2018) représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

Proposition n° 3 : Calculer le montant de la réserve de précaution uniquement sur la base des dépenses manœuvrables. Exclure de son calcul le montant des crédits destinés aux loyers de la gendarmerie représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

3.   Augmenter les crédits en faveur du renouvellement des véhicules

L’équipement des forces doit faire l’objet d’une priorité similaire à celle de l’immobilier. Le parc de véhicules des forces de sécurité intérieure a vieilli, même si l’effort d’acquisition de nouveaux véhicules qui a été réalisé au sein des deux forces s’est traduit par une baisse de l’âge moyen du parc de véhicules de gendarmerie. Cet effort doit être consolidé pour les véhicules de la police dont l’âge moyen a continué d’augmenter et atteint 7,35 années en 2018, contre 5,47 en 2012.

a.   Acquérir des véhicules plus adaptés

Au cours des travaux de la commission d’enquête, le caractère inadapté de certains véhicules a souvent été souligné. En particulier, les brigades anti-criminalité (BAC), décrites comme le « couteau suisse » de la police nationale, ne disposent souvent pas d’un véhicule qui leur permette d’emporter l’ensemble du matériel réglementaire, notamment les équipements lourds liés aux interventions antiterroristes.

Les expérimentations de recours à la location récemment mises en œuvre sont une piste intéressante pour élargir le parc de véhicules disponibles et l’adapter aux besoins. M. Hugues Codaccioni, secrétaire général adjoint du SGAMI Sud, indiquait ainsi que « dans la zone Sud, le SGAMI a été sollicité par la direction générale de la police nationale (DGPN) afin de louer des véhicules pour les services d’investigation qui ne sont pas disponibles sur le “Catachat” [catalogue des équipements qui peuvent être commandés par les forces de sécurité intérieure]. La sûreté départementale de Marseille et la police judiciaire procèdent de temps en temps à ces achats sur leur budget propre, mais à la marge. Nous serions intéressés par un marché national avec un loueur ».

Le recours à la location doit être facilité afin de disposer d’un parc de véhicules plus étendu pour les deux forces au bénéfice des services spécialisés ou pour des besoins ponctuels.

Proposition n° 4 : Poursuivre le renouvellement des parcs de véhicules en élargissant le recours à la location ou leasing.

b.   Offrir de la souplesse grâce à l’externalisation de certaines prestations

Les pistes d’externalisation de l’entretien courant des véhicules sont intéressantes. La préfecture de police de Paris (PP) a ainsi passé un marché d’externalisation au profit de ses effectifs policiers et de la Brigade des sapeurs‑pompiers de Paris (BSPP). Comme l’a indiqué M. Stéphane Jarlégand, secrétaire général pour l’administration de la PP, aux membres de la commission d’enquête, ce marché « permet d’effectuer immédiatement de petites réparations sur les véhicules dans 360 centres autour de Paris. Cette externalisation est couplée à une décentralisation de la décision, puisque les agents payent avec une carte d’achat qui simplifie le système de paiement ».

Le rapporteur est particulièrement favorable au développement de cette externalisation pour des réparations limitées, lorsqu’elle est possible. Elle offre en effet plus de souplesse aux responsables d’unités afin de mener leurs petits travaux d’entretien et évite d’envoyer le véhicule au garage mutualisé au niveau du département.

Le secrétaire général pour l’administration de la préfecture de police de Paris dresse d’ailleurs un bilan enthousiaste de cette externalisation qui aurait permis de faire baisser le taux d’indisponibilité des véhicules. Les services apprécieraient également la réactivité du nouveau système ([57]).

Proposition n° 5 : Développer le recours à l’externalisation, et donc l’enveloppe de financement allant avec, pour les petites opérations d’entretien afin de donner plus de souplesse aux responsables d’unités.

4.   Engager l’investissement nécessaire à la dématérialisation de la procédure pénale

La dématérialisation est devenue un enjeu essentiel de simplification de la procédure pénale. Les ministères de la justice et de l’intérieur ont amorcé une démarche commune afin de faire aboutir le projet de « procédure pénale numérique » (PPN), qui doit dématérialiser les échanges entre les acteurs de la chaîne pénale.

a.   S’assurer du respect du calendrier fixé et évaluer le coût du programme

La commission d’enquête a pu constater que des progrès dans ce sens avaient d’ailleurs été réalisés. Jean-Marc Salanova, DCSP, soulignait ainsi que « sous l’autorité du directeur général de la police nationale (DGPN), et du service des technologies et des systèmes d’information (STSI2), en particulier, nous nous engageons résolument dans la dématérialisation et la modernisation : main courante informatisée ; nouveau logiciel de rédaction des procédures ; nouveaux logiciels pour gérer les PC radio ; centres d’information et de commandement (CIC) ; portabilité, avec le système NEO, déployée depuis deux ans maintenant ».

Le programme NEO a effectivement permis d’améliorer l’équipement à la disposition des forces de sécurité intérieure, au bénéfice de la dématérialisation de la procédure.

Le programme NEO pour la police et la gendarmerie

NEO est un programme commun à la police et à la gendarmerie, développé par les deux directions générales en lien avec le STSI², qui constitue une étape importante de la dématérialisation de la procédure pénale.

Le programme est décliné en « Néopol » et « Néogend » mais s’est traduit par un marché unique d’acquisition de terminaux numériques. Par principe, les applications développées sont communes, à l’exception de celles spécifiques à une direction générale ou à une direction centrale de la police nationale.

La sécurisation de ces dispositifs a constitué un enjeu majeur, la solution Néo ayant été bâtie avec des systèmes d’exploitation fournis et mis à niveau par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Source : ministère de l’intérieur.

L’article 50 de la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a modifié plusieurs dispositions du code de procédure pénale, dont principalement l’article 801-1, afin de sécuriser et de faciliter l’essor d’une procédure pénale totalement numérique de l’enquête de police jusqu’au jugement par la juridiction, puis, le cas échéant, l’exécution de la peine. Ces dispositions ont été précisées par décret ([58]) et doivent faire l’objet très prochainement d’un arrêté commun des ministres de la Justice et de l’Intérieur.

Comme l’ont affirmé plusieurs personnes entendues par la commission d’enquête, la dématérialisation de la procédure pénale nécessite un saut technologique majeur. Le rapporteur juge pour le moins ambitieux le calendrier retenu pour la mise en œuvre du programme, qui prévoit le déploiement de la première version de la procédure pénale numérique en 2022.

D’après les réponses écrites du ministère de l’intérieur, une direction conjointe aux deux ministères a bien été constituée et chargée de coordonner les chantiers techniques, juridiques et organisationnels. Des sites d’expérimentation ont été sélectionnés et des « briques applicatives » sont élaborées depuis janvier 2018 pour faire évoluer les logiciels de rédaction des procédures, créer de nouvelles plateformes collaboratives, des solutions de stockage et d’archivage des contenus multimédias ou encore des outils de génération de l’identifiant unique de procédure.

Programme de déploiement de la procédure pénale numérique

La conception et la mise en œuvre du programme procédure pénale numérique s’inscrivent dans le calendrier prévisionnel suivant :

2018

1° Définition des contours du programme par une mission de préfiguration conjointe aux deux ministères.

2° Constitution de la direction de programme conjointe aux deux ministères chargée de coordonner les chantiers techniques, juridiques et organisationnels de la mise en œuvre des orientations de la mission de préfiguration.

3° Préparation des sites expérimentaux.

4° Développements des « briques applicatives » de la cible 2022.

2019-2021

1° Premières expérimentations de procédures dématérialisées.

2° Poursuite des développements et premières livraisons des briques applicatives de la cible 2022.

2022

Déploiement de la première version de la procédure pénale numérique.

 

Source : réponse du ministère de l’intérieur au questionnaire de la commission d’enquête.

D’après les réponses écrites du ministère de la Justice, une expérimentation a débuté le 30 avril 2019 dans le ressort du tribunal de grande instance (TGI) d’Amiens et le 7 juin 2019 au TGI de Blois, conformément au calendrier prévu. Depuis, une vingtaine de procédures contre auteur inconnu, intégralement numériques, auraient été transmise de manière dématérialisée. Une deuxième phase de test a commencé le 14 juin 2019 à Amiens et doit débuter le 16 septembre à Blois, cette fois pour tester la transmission de procédures concernant un ou plusieurs mis en cause pour des faits de nature délictuelle. Enfin, une troisième phase doit commencer à l’automne 2019 pour permettre progressivement le passage au nativement numérique pour l’ensemble des nouvelles procédures ouvertes dans les ressorts expérimentaux et la gestion intégralement dématérialisée de celles-ci. L’objectif est de tester l’organisation et les outils permettant de parvenir à la constitution d’une brigade, d’un commissariat et d’un tribunal numérique. En fonction des premiers enseignements qui seront tirés de l’expérimentation sur les sites pilotes, l’extension de celle-ci à de nouveaux ressorts territoriaux sera envisagée dans le courant de l’année 2020.

Le coût complet du programme est encore en cours d’évaluation. Ce coût recouvre à la fois un volet expérimental correspondant aux projets de dématérialisation sur les sites pilotes, un volet applicatif correspondant aux travaux de construction des nouveaux systèmes d’information et un volet matériel correspondant aux infrastructures, scanners, écrans et autres équipements nécessaires à la mise en place de la dématérialisation. Les premières étapes des volets expérimental et applicatif avaient été partiellement anticipées dans la programmation budgétaire quinquennale de 2017. Pour la totalité du programme, le ministère de la Justice précise qu’en fonction de l’avancée des travaux « et des ambitions pour la construction de la cible 2022, une réévaluation budgétaire pourrait être réalisée d’ici une à deux années, s’il est constaté qu’un budget complémentaire est nécessaire pour atteindre la totalité des objectifs ».

Le rapporteur estime que la plus grande vigilance est de mise pour éviter un dérapage du coût budgétaire de ce programme ou son ralentissement, faute des crédits nécessaires. Le Parlement a vocation à exercer pleinement son rôle de contrôle en la matière.

b.   Consolider les systèmes informatiques

En parallèle de l’investissement dans la dématérialisation, des problèmes techniques devront être réglés. Comme le soulignait Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces « plutôt que de se livrer à une course sans fin aux nouveaux outils, il […] paraît indispensable de consolider les infrastructures : le câblage doit être modernisé dans les commissariats, et les moyens de transmission doivent être actualisés. Les dispositifs de stockage de l’information doivent en outre être chiffrés et sécurisés de façon renforcée, pour résister à de potentielles attaques informatiques ».

Le rapporteur considère qu’il s’agit d’un complément indispensable à toute dématéralisation de la procédure pénale. Il a pu constater, à l’occasion des déplacements de la commission d’enquête, la vétusté et le caractère inadapté des locaux et moyens dédiés à l’informatique, notamment dans le cas du commissariat de Fontainebleau évoqué plus haut. En parallèle d’un programme de dématérialisation, il est indispensable de prévoir une mise à niveau des infrastructures informatiques.

c.   Assurer l’interopérabilité des logiciels de procédure pénale

Le renouvellement des logiciels de rédaction de la procédure pénale est l’occasion de progresser vers la dématérialisation. Le ministère de l’Intérieur s’est engagé dans le développement d’un logiciel commun aux deux forces, qui disposeraient néanmoins de leur interface propre : « Scribe » pour la police nationale et « logiciel de rédaction de procédure de la gendarmerie nationale – nouvelle génération » (LRPGN-NG). Une procédure initiée sur Scribe par un policier pourra directement être poursuivie par un gendarme sur sa propre interface. L’importance de l’interopérabilité des systèmes d’information a été soulignée par le général François Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie nationale (DOEGN) : « aujourd’hui, les outils informatiques sont de plus en plus vastes et les logiciels, auxquels on demande de prendre en compte une multitude d’éléments, conduisent parfois à l’échec. Il me semble donc préférable de travailler sur l’interopérabilité entre les systèmes, afin qu’ils soient adaptés à chacun des intervenants et donc plus performants ».

Or, l’interopérabilité avec le logiciel de rédaction de procédure pénale du ministère de la Justice n’est pas encore acquise, ce qui limite l’intérêt de la mutualisation en cours. La plus-value espérée de la dématérialisation ne pourra pas se concrétiser si les logiciels restent cloisonnés. Les propos de la directrice de l’IGPN laissent présager de telles difficultés : « des problèmes techniques sont à prévoir, puisque Scribe, notre futur logiciel de rédaction de procédures, est en cours de déploiement et qu’il conviendra de le connecter avec celui de la justice, Cassiopée. »

L’enjeu de la dématérialisation est à la fois d’alléger la procédure pénale et d’améliorer la coordination et le suivi des différents acteurs de la chaîne.

Proposition n° 6 : Investir puis veiller à la bonne mise en application de la dématérialisation de la procédure pénale

– en déterminant les responsabilités respectives entre le ministère de l’Intérieur et celui de la Justice ;

– en veillant à la sécurisation des systèmes d’information ;

– en assurant l’interopérabilité des logiciels.

5.   Mettre en œuvre un programme volontariste en faveur des réserves opérationnelles

Les réserves opérationnelles de la police et de la gendarmerie ont toute leur place dans la protection de la sécurité des Français. Elles jouent un rôle fondamental dans l’appui aux forces d’active, en particulier au sein de la gendarmerie nationale qui dispose des forces de réserve les plus importantes.

a.   Fixer des priorités claires à la mobilisation des réserves opérationnelles

La création de la Garde nationale en 2016 avait donné une impulsion importante aux réserves opérationnelles, qui s’est traduite par une augmentation des budgets alloués. Pourtant, cet effort n’a pas résisté aux nouvelles priorités en matière de sécurité, et les crédits destinés à financer la mobilisation des réservistes ont été utilisés pour rémunérer les forces d’active dans un contexte opérationnel tendu.

En effet, comme le souligne la Cour des comptes, malgré une multiplication par près de 2,5 des budgets des réserves entre 2015 et 2018, le décalage est certain entre les besoins réels et les budgets votés. Cela avait conduit pour 2017 à porter le montant exécuté du T2 de la réserve de la gendarmerie à près de 100 millions d’euros pour répondre aux besoins opérationnels.

À partir de juillet 2018, en revanche faute de crédits budgétés, la gendarmerie a dû suspendre le versement des indemnités des réservistes et réduire le nombre de réservistes mobilisés. Alors que la dotation initiale lui permettait d’en déployer 2 800 simultanément, elle a dû réduire leur « empreinte au sol » à 1 800 seulement.

Cette situation est préjudiciable pour les engagés comme pour leurs chefs, qui n’ont plus de visibilité sur les possibilités de mobilisation. Comme l’indiquait le capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, président national de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la Gendarmerie nationale (FNROCGN) lors de son audition par la commission d’enquête, « ce frein budgétaire est aujourd'hui problématique, alors même que le directeur général souhaite consolider notre modèle de réserve […]. Il nuit également à nos chefs opérationnels, puisque le manque de visibilité budgétaire ne leur permet pas de concevoir une manœuvre globale sur l'année ».

Il en va de même pour la réserve de la police nationale : à partir de 2018, les crédits initialement alloués à la réserve ont été redéployés de façon importante afin de financer la rémunération des forces d’active.

Le rapporteur considère que les réserves doivent faire l’objet de priorités budgétaires claires en fonction d’objectifs chiffrés d’emploi de réservistes chaque année et que le montant des crédits consacrés à la réserve en 2017, d’un ordre de grandeur de 100 millions d’euros, devrait constituer une référence.

b.   Faciliter les relations avec les employeurs

Le cumul entre activité professionnelle et engagement dans la réserve est un frein, fréquemment évoqué, au développement de la réserve. Pour des raisons d’organisation du travail, l’employeur peut en effet être réticent à libérer son employé pour qu’il accomplisse ses missions de réserviste. La période de formation initiale est un enjeu particulier, qui pousse certains réservistes, comme l’indiquait le capitaine Renaud Ramillon-Deffarges, à suivre cette formation pendant leurs congés ou les obligent à solliciter un congé sans solde.

Le rapporteur considère que des progrès peuvent être accomplis sur ce point en comptabilisant les périodes de réserve au titre des obligations de l’employeur de participer à la formation continue. L’article L. 4221-5 du code de la défense prévoit en effet que « lorsque l'employeur maintient tout ou partie de la rémunération du réserviste pendant son absence pour formation suivie dans le cadre de la réserve opérationnelle, la rémunération et les prélèvements sociaux afférents à cette absence sont admis au titre de la participation des employeurs au financement de la formation professionnelle continue prévue à l'article L. 6331-1 du code du travail ».

Cette disposition, qui bénéficie aux réservistes de la gendarmerie, n’est pas reprise dans le code de la sécurité intérieure, et n’est donc pas ouverte pour les réservistes de la police nationale. Dans la perspective d’un élargissement de la réserve de la police nationale, cette disposition devrait être étendue à cette dernière.

Un travail plus en profondeur avec les représentants des employeurs doit également être engagé. À cet égard, des progrès sont à souligner concernant le développement des réserves opérationnelles des armées, avec le développement de conventions entre les associations d’employeurs et le ministère de la Défense afin de faciliter l’engagement de réserviste en parallèle de son activité professionnelle. Le MEDEF a ainsi renouvelé son accord avec le ministère de la Défense en septembre 2016 ([59]). Ces conventions pourraient servir de modèle pour le développement des réserves opérationnelles du ministère de l’intérieur.

Des aides ont déjà été mises en place dans le cadre de la création de la Garde nationale, notamment une incitation financière et des réductions d’impôt. En effet, l’entreprise qui favorise l’activité de ses salariés réservistes peut rentrer dans le champ des mesures fiscales prévues en faveur du mécénat ([60]). Ces dispositions ne concernent pas les réservistes de la police nationale.

Les modèles étrangers offrent des pistes de réflexion pour étendre ces aides.

L’incitation à l’emploi de réservistes au Royaume-Uni

Le ministère des armées britannique met en œuvre une politique volontariste d’incitation des employeurs à l’emploi de réservistes, fondée sur le principe de la prise en charge publique des dépenses exposées et la compensation des écarts entre les revenus salariaux et les soldes de réserve.

Ainsi, l’employeur du réserviste n’est pas tenu de maintenir son salaire, qui est pris en charge par le ministère, de même que ses cotisations retraite, maladie et d’assurance vie. En particulier, les PME peuvent demander la compensation de la perte de chiffre d’affaires ou de résultat net et des salaires versés s’ils sont maintenus par l’entreprise.

Source : Cour des comptes, Les réserves opérationnelles dans la police et la gendarmerie, communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, avril 2019.

L’extension des aides attribuées aux entreprises qui embauchent des réservistes contribuerait à faciliter leur engagement et leur formation.

c.   Permettre aux réservistes les plus expérimentés de conserver leur habilitation d’officier de police judiciaire

Le départ en retraite d’un gendarme ou policier qui dispose de l’habilitation d’officier de police judiciaire constitue une perte de ressource précieuse, alors même que l’on constate une désaffection pour ces fonctions. Actuellement, les réservistes opérationnels des deux forces ne peuvent qu’être d’agents de police judiciaire, ce qui limite leurs prérogatives dans le cadre de la procédure pénale.

Comme le soulignait devant la commission Thierry Guerrero, président de l’association Gendarmes et Citoyens, permettre à ces réservistes retraités des deux forces de conserver leur habilitation permettrait de suppléer plus efficacement encore les gendarmes d’actives et « de garder une capacité opérationnelle dans les brigades territoriales », à l’occasion notamment de la sécurisation des sites touristiques.

Cette ressource complémentaire serait, en particulier, bienvenue pour réaliser des opérations dont les délais sont contraints, comme dans le cadre des enquêtes de flagrance. Les réservistes pourraient alors suppléer les forces d’actives sur des tâches chronophages.

Le rapporteur considère qu’il s’agit d’une piste intéressante afin de faire de la réserve opérationnelle une force d’appui encore plus efficace aux forces d’active. La qualification d’OPJ pourrait ainsi être maintenue pour les retraités de la police et de la gendarmerie qui bénéficient de suffisamment d’expérience.

d.   Ouvrir largement la réserve de la police nationale aux citoyens

La police nationale doit se donner les moyens de faire de sa réserve opérationnelle une véritable force d’appoint.

La réserve opérationnelle de la police nationale n’a pas connu le succès de celle de la gendarmerie. Elle compte aujourd’hui environ 6 000 personnels, contre cinq fois plus en gendarmerie. Comme l’a souligné le directeur général de la police nationale, ce vivier « repose essentiellement sur de jeunes retraités de la police nationale. Ce n’est pas une réserve citoyenne, comme peut l’avoir constitué la gendarmerie ».

Or, dans un contexte budgétaire contraint, la mobilisation de la réserve opérationnelle offre une ressource complémentaire appréciée, notamment en cas d’activité opérationnelle intense. Le DGPN l’a d’ailleurs reconnu, en soulignant que « dans le mouvement de contestation sociale qui a lieu actuellement chaque samedi, si les réservistes n’ont pas le droit de participer à l’ordre public, en revanche ils sont utilisés au sein des services de police pour faire de l’accueil, ce qui libère des personnels d’active » ([61]).

Le rapporteur considère donc que la police doit aujourd’hui s’engager fortement sur le développement de sa réserve civile et citoyenne. La souplesse de cet outil le rend particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit de faire face à une sollicitation opérationnelle accrue.

Cela étant, la Cour des comptes s’est montrée très critique à l’égard de la gestion informatique des réservistes de la police nationale dans la mesure où il n’existerait pas de système d’information permettant une gestion harmonisée des réservistes, mais plutôt une multitude de fichiers créés à différents niveaux de gestion, que ce soit la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) ou le SGAMI. Ainsi, « chaque DDSP coordinatrice et chaque direction zonale de police aux frontières (DZPAF) crée ses propres tableaux de bord qu’elle transmet aux SGAMI et, en parallèle, à sa direction métier » ([62]).

L’absence de système d’information permettant de gérer les réservistes de façon simple et harmonisée est un frein réel à une montée en puissance de la réserve de la police qui permettrait de répondre à une activité opérationnelle toujours plus soutenue. Le rapporteur appelle donc, avant tout élargissement du recrutement des réservistes de la police nationale, à prévoir la constitution d’un outil de gestion approprié.

Proposition n° 7 : Garantir le potentiel d’emploi des réserves des deux forces et développer la réserve opérationnelle de la police :

– en sanctuarisant les crédits dédiés à la réserve ;

– en facilitant les relations entre les réservistes et leurs employeurs ;

– en étudiant la possibilité de conserver au réserviste               retraité de la police et de la gendarmerie son habilitation OPJ ;

– en permettant à des citoyens volontaires d’exercer des missions opérationnelles au sein de la police nationale, sur le modèle de la RO1 de la gendarmerie.


B.   Alléger enfin la charge procédurale

Le président de la République s’est engagé à créer 10 000 emplois dans la police et dans la gendarmerie au cours du quinquennat. Au-delà de la lutte contre le terrorisme, l’objectif est de renforcer la sécurité du quotidien qui préoccupe légitimement les Français. Mais une augmentation des effectifs ne sera jamais suffisante si le potentiel opérationnel des policiers et des gendarmes n’est pas optimisé en dégageant des marges d’action – notamment par la réduction des tâches indues, l’allégement de la charge procédurale, le regroupement des unités assignées à la même mission – et en leur donnant les moyens d’être plus efficaces sur le terrain – par exemple en leur permettant de sanctionner immédiatement les infractions les plus simples par des amendes forfaitaires.

1.    Tirer pleinement parti des possibilités offertes par la numérisation

La loi de réforme pour la justice du 23 mars 2019 a conforté la démarche des ministères de la justice et de l’intérieur de s’engager sur la voie d’une dématérialisation de la procédure pénale, un chantier qu’il convient d’appuyer par un effort aussi bien financier que culturel.

Plus particulièrement, le rapporteur est attaché à la poursuite du développement de la visioconférence.

Les débats au sein de la commission d’enquête ont d’ailleurs fait apparaître que la visioconférence permettait aussi aux enquêteurs d’assister à des autopsies à plusieurs centaines de kilomètres de distance, ce qui procure économies financières et gain de temps aux forces de police et réduit également les délais de prise en charge en offrant la possibilité de solliciter des experts éloignés. Une première expérience de ce type a eu lieu le 6 novembre 2017, à l’institut médico-légal de Montpellier. L’autopsie a pu être suivie par cinq structures géographiquement séparées et impliquées dans l’enquête, dont le parquet général de Montpellier et des enquêteurs (policiers et gendarmes) localisés à Rodez.

Bien que déjà possible dans de nombreux établissements pénitentiaires, la vidéoaudience se développe, mais de manière inégale. Comme l’a indiqué Mme Aurélie Jammes, représentant le Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP CFDT) : « il est en effet possible pour les magistrats de solliciter, non pas l’extraction d’une personne détenue pour une présentation physique, mais la présentation de cette personne, depuis l’établissement, via la visioconférence. Ce dispositif existe depuis des années au sein des établissements pénitentiaires, mais il ne s’agissait pas du moyen de communication privilégié par les magistrats. Il le devient avec l’augmentation des impossibilités d’effectuer des extractions judiciaires par l’administration pénitentiaire. À la direction interrégionale des services pénitentiaires (DRSP) de Lyon, les visioconférences ont augmenté de 65 %. […] Tous les établissements pénitentiaires de France sont équipés, a minima, d’une salle de visioconférence. Depuis quelques années, l’administration a la volonté de doubler ces salles dans certains établissements » ([63]).

Encadrées par l’article 706‑71 du code de procédure pénale, les possibilités de vidéoconférence ([64]) ont été élargies par l’article 54 de la loi de programmation et de réforme pour la justice du 23 mars 2019. Il convient de rappeler que la jurisprudence administrative, constitutionnelle ([65]) et européenne a validé le principe du recours à la visioconférence. Le Conseil d’État a estimé que le recours élargi à la vidéoaudience, même sans le consentement du demandeur, ne lui paraissait pas se heurter à un obstacle de principe, de nature constitutionnelle ou conventionnelle.

L’étude d’impact annexée au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice précitée souligne en revanche que la visioconférence « nécessitera davantage de diligences du greffe avant les auditions pour ce qui est de l’installation du matériel et de la préparation de l’audition, qu’au cours des auditions pour effectuer l'enregistrement sonore, et qu'à l’issue des auditions pour procéder au scellement, à l’archivage et à la tenue du registre des visio-conférences. » En matière informatique, « la visioconférence devra être intégrée au sein des événements de Cassiopée auxquels le dispositif est étendu. »

Le rapporteur note qu’en dépit d’un équipement apparemment suffisant, la visioconférence ne connaît pas le même succès dans les centres de rétention administratives (CRA), pour des retenus dont les transferts restent à la charge de la police aux frontières, que pour les détenus des établissements pénitentiaires, dont les transferts sont à la charge de l’administration pénitentiaire. M. Fernand Gontier, directeur central de la police aux frontières, l’a noté au cours de son audition par la commission d’enquête : « la plupart des CRA sont aujourd’hui dotés de vidéo-audiences. Ces dispositifs sont prévus par la loi du 10 septembre 2018, mais ne sont que très peu utilisés pour les présentations de nature judiciaire, que ce soit devant les juges des libertés et de la détention, les cours d’appel (CA) ou devant les tribunaux administratifs (TA). Pourtant, l’utilisation de ces vidéoaudiences nous éviterait de dédier 30 % du personnel de la PAF aux escortes et transferts » ([66]).

Le rapporteur a pu faire lui-même ce constat au CRA de Coquelles dans le Calaisis. Une salle annexe du tribunal de grande instance de Boulogne y est installée qui permet de tenir des audiences délocalisées. Pour des audiences plus lointaines, à la cour d’appel de Douai ou au tribunal administratif de Lille, la visioconférence pourrait être une solution qui n’est pas mise en œuvre par les magistrats, parfois en raison de l’opposition du barreau.

Le rapporteur souhaite donc que le développement de la visioconférence soit poursuivi, tout particulièrement dans les CRA.

Proposition n° 8 : Utiliser pleinement les possibilités offertes par le numérique en développant et en imposant l’utilisation de la vidéo-audience, en particulier dans les centres de rétention administrative.

2.    Étendre le recours à la procédure de l’amende forfaitaire

Afin de garantir une réponse pénale rapide et plus systématique, le législateur a permis, depuis 2016, que certains délits dont la preuve est simple à apporter soient sanctionnés d’une amende forfaitaire (« forfaitisation »). Cette procédure s’appuie sur des technologies portables, qui permettent un traitement rapide du contentieux en question, tout en garantissant au justiciable la possibilité de contester la sanction devant un juge.

a.   Des freins juridiques et techniques qui tardent à être levés

L’application de ces nouvelles dispositions a pris un retard important en raison de difficultés informatiques et juridiques.

Comme l’indiquaient les rapporteurs désignés par la commission des Lois sur le projet de loi de réforme pour la justice précité ([67]), la portée des dispositions de la loi de modernisation de la justice du 18 novembre 2016, qui prévoyait déjà une amende forfaitaire pour deux délits (la conduite sans permis et la conduite sans assurance, hors réitération), a été limitée, du fait d’« obstacles techniques, et notamment informatiques ».

Un autre frein, relevé par nos collègues Éric Pouillat et Robin Reda dans leur rapport précité, tenait à la nécessité d’adapter les moyens du parquet de Rennes, chargé de traiter les procès-verbaux et les réclamations afférentes à ces contentieux. Le ministère de l’Intérieur interrogé par le rapporteur précise que la forfaitisation a d’abord fait l’objet d’une expérimentation, à partir du 5 novembre 2018, avant une généralisation à l’ensemble du territoire national (hors Polynésie et Nouvelle-Calédonie) à partir du 14 janvier 2019. Au 13 mai 2019, 17 000 amendes forfaitaires avaient été dressées, avec un rythme moyen de 140 verbalisations quotidiennes en semaine et jusqu’à 250 par jour, le week-end, en zone police. En zone gendarmerie, 5 517 amendes forfaitaires délictuelles ont été infligées dans le même temps.

En revanche, la verbalisation du défaut d’assurance à partir du contrôle automatisé ne commencera véritablement qu’en 2020, lorsque le fichier des véhicules assurés, récemment créé et expérimenté à partir du 27 mai 2019, sera pleinement utilisable. À ce jour, l’utilisation du fichier se heurterait à une dotation encore insuffisante en « outils de mobilité » (tablettes et téléphones portables équipés du système NEO) et à « l’immaturité » du fichier. De même, la sanction du délit de violation des règles au chronotachygraphe en matière de transport routier nécessite le remplacement du logiciel mis en place par le ministère de la transition écologique et solidaire, incompatible avec les technologies portables NEO de la gendarmerie et de la police nationales. L’installation d’une nouvelle application est programmée pour fin 2020.

Le ministère souligne que d’autres difficultés d’ordre juridique doivent également être surmontées :

– certains textes réglementaires doivent être adaptés et soumis à l’avis de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce qui suppose le respect de délais incompressibles ;

– la caractérisation des éléments constitutifs de certains délits, comme l’occupation illicite des parties communes d’un immeuble, pose des difficultés.

Le ministère pointe par ailleurs que les forces de sécurité intérieure et les magistrats pourraient se montrer réticents à utiliser la nouvelle procédure, au motif de la souveraineté du parquet dans l’appréciation de l’opportunité des poursuites.

En outre, la question de la destruction et/ou de l’analyse de l’origine des produits saisis dans le cadre de la procédure n’est pas encore éclaircie et supposera sans doute aussi un matériel adapté.

Par ailleurs, comme l’ont soulevé plusieurs parlementaires au cours de la discussion du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, le développement de la procédure de l’amende-forfaitaire risque de se heurter à l’insolvabilité de certains usagers. C’est d’ailleurs pourquoi, à l’initiative du député Éric Pouillat, le législateur a diminué le montant de l’amende forfaitaire pour consommation de stupéfiants de 300 à 200 euros.

Le recouvrement des amendes pénales est aujourd’hui trop faible

D’après le sénateur Antoine Lefèvre, dans son rapport d’information consacré au recouvrement des amendes pénales (Sénat, session ordinaire 2018-2019, n° 330, du 20 février 2019), l’enjeu du recouvrement des amendes pénales est mal documenté. En effet, « le Trésor public recouvre, sans les distinguer, les amendes pénales et les droits fixes de procédure dus par toute personne majeure condamnée. » Seule information relative aux amendes forfaitaires : « le taux de recouvrement des amendes forfaitaires majorées des “radars” est de l'ordre de 30 %. » Le rapport note également : « En 2007, votre commission des finances soulignait déjà qu’“entre ministère de la justice et Trésor public, comme entre police, gendarmerie et justice, les interfaces informatiques apparaissent déficientes.” Plus de dix ans après, c'est le même constat qui s'impose à votre rapporteur spécial. »

Le rapporteur souhaite que la réflexion se poursuive. Premièrement, s’agissant de la politique de lutte contre les stupéfiants, il considère qu’il faut sortir d’une approche dogmatique qui ne dissuade pas la consommation – les Français sont ainsi les premiers consommateurs de stupéfiants en Europe – ni ne réduit l’économie souterraine. Deuxièmement, à l’instar de M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique ([68]), il estime nécessaire d’étudier les voies et moyens de procéder à des saisies sur les biens personnels, à l’exception des biens de première nécessité, et de mieux lutter contre l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité, qui prive trop souvent d’effets les sanctions pécuniaires. En particulier, il serait souhaitable de mener une étude approfondie pour comprendre quels sont les justiciables concernés par le non-recouvrement et si les dispositions protégeant une quotité insaisissable du revenu sont fréquemment invoquées.

Le taux de recouvrement des amendes prononcées par le ministère de la Justice (aujourd’hui inférieur à 48 %) doit impérativement être amélioré pour donner une pleine effectivité à la procédure de l’amende forfaitaire en matière délictuelle et garantir le principe d’égalité des citoyens devant la loi.

b.   Un champ d’application qui pourrait être encore étendu

En dépit de ces limites, la procédure de l’amende-forfaitaire reste une solution valable pour alléger la charge procédurale tout en infligeant une sanction dissuasive. La certitude qu’une peine sera prononcée importe en effet davantage que l’éventualité d’une peine plus sévère mais simplement encourue ou, a fortiori, que de simples rappels à la loi.

Au cours de son audition par la commission d’enquête, M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique, s’est dit favorable à l’extension à d’autres délits de la procédure de l’amende forfaitaire : « nous y sommes totalement favorables. Et la technologie – NEO, la portabilité – nous permet de l’envisager. D’ailleurs, dès le mois de septembre, ce sera le cas pour l’infraction d’usage de stupéfiants – et c’est déjà le cas pour les ventes à la sauvette et les occupations illicites de parties communes. Nous pourrions ajouter le vol à l’étalage et d’autres d’infractions dont la preuve est simple à apporter. On peut encore imaginer que certaines infractions puissent, à la première constatation, faire l’objet d’un procès-verbal simplifié, et se transformer, si le dossier venait à se complexifier – pluralité d’auteurs, récidives, etc. –, en procédure traditionnelle, l’auteur étant déféré devant un magistrat » ([69]).

Proposition n° 9 : Conforter et étendre le recours à l’amende-forfaitaire en matière délictuelle pour garantir une réponse pénale plus systématique et effective :

– résoudre les difficultés techniques et juridiques qui empêchent l’application de la réforme relative aux amendes forfaitaires dans le champ délictuel ;

– demander au Gouvernement un rapport ou conduire une mission d’information parlementaire sur les causes du faible taux de recouvrement des amendes pénales et sur la part des amendes non recouvrées en application des dispositions relatives à la quotité insaisissable ;

– engager une réflexion sur l’amélioration du taux de recouvrement des amendes pénales, en permettant par exemple de procéder à des saisies sur les ressources financières et/ou sur les biens personnels ;

– ensuite, étendre le champ de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits.

3.   La réduction des « tâches indues »

Bien que reconnue comme un chantier prioritaire, la réduction des missions périphériques ou « tâches indues » ne progresse que trop lentement. Ce constat émaille l’ensemble des rapports parlementaires consacrés aux forces de sécurité.

En juin 2018, le rapporteur de la commission d’enquête du Sénat consacrée au « malaise des forces de sécurité » ([70]) avait proposé qu’un groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie soit mis en place afin d’établir un inventaire précis des missions périphériques non rattachables à une mission de sécurité publique, d’évaluer la charge opérationnelle induite et de définir une feuille de route pour leur transfert à d’autres administrations ou leur abandon.

En novembre 2018, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, Jean-Michel Fauvergue ([71]) constatait qu’aucune évolution significative n’était intervenue depuis 2017, à l’instar des sénateurs Henri Leroy ([72]) et Philippe Dominati ([73]) ainsi que des députés Nadia Hai et Romain Grau ([74]). Les « tâches indues » mobilisaient alors annuellement plus de 6 000 équivalents temps plein (ETP) par an, selon le sénateur Philippe Dominati.

La consultation publique organisée à l’initiative du rapporteur via le site internet de l’Assemblée nationale témoigne de l’exaspération des forces de sécurité à l’égard de ces tâches indues (cf. ANNEXES – II : résultats de la consultation). Interrogés, les policiers nationaux citent prioritairement la garde des détenus en milieu hospitalier, les gardes statiques et les transfèrements judiciaires parmi les tâches indûes dont ils souhaiteraient être déchargés.

Le rapporteur recommande d’accélérer la mise en œuvre de ces chantiers de réduction des missions périphériques en fixant des priorités.

● La dématérialisation de l’établissement des procurations ou leur transfert aux services de l’État paraît particulièrement urgente, compte tenu des échéances électorales des années à venir. Elle représente près d’un quart des tâches indues des gendarmes et mobilise les commissariats au détriment d’autres missions.

● La poursuite du transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire contribuera à assurer une continuité dans la gestion des détenus, source d’efficacité et de sécurité. Sous l’impulsion de la Garde des Sceaux, il semble que cette réforme soit enfin considérée, non comme un simple transfert de crédits budgétaires mais comme l’attribution d’une nouvelle mission qui suppose une organisation nouvelle et la formation des agents. Par ailleurs, il serait souhaitable d’étudier l’opportunité d’étendre au contrôle des visiteurs les missions des équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) et de s’appuyer sur des dispositifs techniques et d’autres agents pour les palpations de sécurité de ceux-ci.

● L’externalisation de certaines fonctions afférentes à la gestion des centres de rétention administrative doit être favorisée, en lien avec la professionnalisation du secteur de la sécurité privée, déjà entamée. Si, en vertu de la jurisprudence constitutionnelle, les missions de gardiennage ne peuvent être entièrement assurées par des partenaires privés ([75]), il en va autrement des prestations de restauration et d’entretien. Sachant que les CRA manquent de personnel en raison de tableaux d’effectifs incomplets ou d’un fort absentéisme et qu’alors il doit être fait appel à des renforts externes de policiers, dégager des ressources supplémentaires tout en optimisant les dépenses devrait être un objectif.

Les propositions que le rapporteur formule par ailleurs, à propos de la réserve opérationnelle ou du renforcement des prérogatives des policiers municipaux, contribueront aussi à recentrer les forces de sécurité intérieure sur leur cœur de métier.

Proposition n° 10 : Accélérer la réduction des missions périphériques :

– transférer aux services de l’État l’établissement des procurations pour les élections ;

– transférer, aux municipalités ou aux services de l’État, la gestion de la perte de documents officiels ;

– achever le transfert des extractions judiciaires à l’administration pénitentiaire ;

– externaliser les fonctions de greffe, d’accueil, de transport, ainsi que la sécurité incendie et la gestion administrative des centres de rétention administrative ;

– accélérer la conclusion de conventions entre les agences régionales de santé et les directions départementales de la sécurité publique pour permettre l’examen des gardés à vue directement dans les locaux de police.

Comme l’ont mis en évidence nos collègues Jean Terlier et Cécile Untermaier dans un rapport récent ([76]), on constate une tendance à l’aggravation des infractions commises par les mineurs et au rajeunissement de leurs auteurs. Certaines bandes organisées n’hésitent pas à utiliser des mineurs de moins de treize ans – qui ne peuvent être placés en garde à vue – pour des atteintes aux biens (cambriolage, vol à l’étalage) et pour le trafic de stupéfiants.

Il en résulte un accroissement des audiences devant le tribunal pour enfants, qui allonge les délais de jugement, tout comme le manque de place dans les structures éducatives ou dans les centres fermés allonge le délai d’application des peines. Ces délais contribuent à donner aux jeunes les plus engagés dans la délinquance, comme aux primo-délinquants et aux forces de l’ordre qui les appréhendent, un sentiment d’impunité. C’est pourquoi il est essentiel d’accélérer la réponse éducative et pénale à l’égard des mineurs délinquants si on veut qu’elle soit efficace.

Au cours des débats en séance publique sur le projet de loi de programmation et de réforme de la justice ([77]), Mme Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a souligné « la nécessité d’ouvrir ce chantier qui a trop attendu », alors que les dispositions applicables à la justice pénale des mineurs, qui résultent à la fois de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, modifiée à trente-neuf reprises, mais aussi, dans le silence de celle-ci, du code de procédure pénale, se sont complexifiées, ont perdu de leur cohérence et sont devenues « peu compréhensible[s] pour les mineurs et leurs familles », « difficilement utilisable[s] par les professionnels du droit » et « en décalage avec l’évolution de la délinquance des mineurs ».

L’article 93 de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, issu de l’adoption en séance par l’Assemblée nationale, en première lecture, d’un amendement du Gouvernement sous-amendé par M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Maïna Sage (UDI, Agir et Indépendants), avec l’avis favorable des rapporteurs au fond, autorise le Gouvernement à « prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour modifier et compléter les dispositions relatives à la justice pénale des mineurs, dans le respect des principes constitutionnels qui lui sont applicables et des conventions internationales », afin de :

– simplifier la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants ;

– accélérer leur jugement pour qu’il soit statué rapidement sur leur culpabilité ;

– renforcer leur prise en charge par des mesures probatoires adaptées et efficaces avant le prononcé de la peine, notamment pour les mineurs récidivistes ou en état de réitération, ainsi que l’ont souhaité, par voie de sous-amendement, M. Jean-Christophe Lagarde et Mme Maïna Sage ;

– mieux prendre en compte leurs victimes.

Dans ce contexte, le rapporteur préconise d’avoir comme objectif une réponse pénale plus immédiate et significative pour les mineurs. Il préconise de faire de la procédure pénale applicable aux mineurs délinquants une priorité absolue en matière de dématérialisation de la procédure.

D’après le ministère de la Justice, le texte de l’ordonnance est en cours d’élaboration. Il devrait être soumis à l’avis du Conseil d’État au mois de juillet 2019 et présenté en conseil des ministres en septembre. Le projet prévoit à ce stade de simplifier les modes de saisine et de rendre la gamme des réponses (mesures éducatives, peines…) plus lisible, en supprimant certaines mesures jugées obsolètes, comme l’admonestation (incomprise par la plupart des mineurs et de leurs parents).

Le rapporteur estime que cette réforme serait aussi l’occasion de réfléchir à des peines plus innovantes, comme des peines citoyennes applicables aux personnes majeures civilement responsables des mineurs délinquants. Cette idée est actuellement proposée par certains élus de Nouvelle-Calédonie et pourrait faire l’objet d’une expérimentation. En tout état de cause, il s’agirait d’une possibilité laissée au juge après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

Proposition n° 11 : Créer les conditions d’une réponse éducative et pénale efficace aux actes de délinquance commis par des mineurs :

– expérimenter notamment de permettre au juge de prononcer des peines citoyennes destinées aux majeurs civilement responsables après examen de la situation familiale et de la responsabilité éducative.

4.   Renforcer les contrôles en prison en simplifiant les exigences pesant sur les surveillants

Les personnels pénitentiaires réclament un renforcement des règles applicables aux contrôles d’accès des visiteurs se rendant au parloir des établissements pénitentiaires, pour des raisons de sécurité qui sont, encore récemment, apparues de façon dramatique lors de l’attaque de deux surveillants à Condé-sur-Sarthe.

Aujourd’hui, les contrôles d’accès sont opérés par des moyens de détection électronique ou au moyen de palpations de sécurité. Ces dernières peuvent être systématiques, dans certaines conditions, mais sans que l’on puisse y contraindre un visiteur. Si un visiteur refuse le contrôle par palpation ou ne présente pas, par exemple, le certificat médical qui le dispense de passer sous le portique, il ne peut alors entrer dans l’établissement.

Le droit existant, code de procédure pénale et circulaires, ouvre déjà des mesures de contrôle des visiteurs mais qui ne sont pas toujours mises en œuvre, en raison de directives locales ou des pratiques professionnelles suivies par les agents de surveillance, notamment par crainte d’être par la suite mis en cause par le détenu ou sa famille.

Pour renforcer la sécurité des établissements pénitentiaire, une réflexion est en cours sur l’élargissement de la réalisation des palpations de sécurité. Comme l’a indiqué le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin « Le caractère plus ou moins systématique des palpations de sécurité doit être lié au niveau de sûreté des établissements.(…) Il faut adapter le caractère systématique des palpations au niveau de risque réel de la population pénale hébergée ». ([78])

Ces contrôles devraient être possibles, sur décision du chef d’établissement, de façon systématique dans certains établissements, ou à l’égard des visiteurs de détenus dangereux, de manière inopinée à chaque fois qu’il existe une raison sérieuse de soupçonner l’introduction d’un objet prohibé par un visiteur, mais également de manière aléatoire.

Leur efficacité implique cependant que l’action des surveillants ne donne pas lieu à des justifications a posteriori qui dans les faits freinent leur mise en œuvre, à l’image de ce que le rapporteur a pu constater à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis en matière de fouille des détenus.

En effet, si les possibilités de fouille des détenus ont été assouplies par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il reste que les justifications nécessaires pour prouver que les personnels de surveillance se sont bien conformés aux règles applicables sont un frein à leur utilisation, comme l’a souligné la directrice de l’établissement

Cette simplification est d’autant plus nécessaire que les nouvelles techniques de contrôle n’apportent pas une solution miracle. Le directeur de l’administration pénitentiaire a indiqué qu’une réflexion était en cours sur l’installation de portails à ondes millimétriques à l’entrée des établissements, à l’image de ce qui se fait dans les aéroports. S’ils constituent une garantie supplémentaire, leur installation peut toutefois poser des difficultés pratiques dans les établissements qui reçoivent un grand nombre de visiteurs. Le rapporteur a pu constater cette situation à Fleury-Mérogis, où l’installation de tels portiques générerait, selon sa directrice, des temps de passage et des besoins en personnel formé difficilement compatibles avec l’organisation des lieux et la gestion du flux des 750 visites quotidiennes au parloir.

Proposition n° 12 : Alléger les procédures administratives imposées aux agents de la pénitentiaire.

C.   Se doter d’une organisation adaptée aux nouveaux défis

À côté des moyens budgétaires et juridiques, le rapporteur considère qu’il est indispensable de faire enfin confiance aux décideurs locaux, en leur accordant plus de marges de manœuvre budgétaire et opérationnelle. Cette organisation permettra de mieux répondre aux besoins des forces avec, à la clé, un meilleur service rendu au citoyen.

Par ailleurs, il considère que l’autorité des directions centrales chargées des fonctions support, en particulier au sein de la police nationale, est aujourd’hui insuffisante pour mener les réformes rendues nécessaires par l’évolution des métiers et les nouvelles attentes des personnels. Le travail de mutualisation et de déconcentration doit aussi se poursuivre pour permettre des gains d’efficience.

1.    Faire confiance aux décideurs locaux en leur donnant plus de marges de manœuvre

Les policiers et gendarmes de terrain ont trop souvent l’impression d’une hiérarchie distante qui n’est pas à l’écoute de leurs besoins. Or, dans toute organisation, l’intelligence est avant tout locale et ce sont les policiers et gendarmes qui, chaque jour, sont confrontées aux réalités difficiles de leur métier qui connaissent le mieux leurs besoins.

La gendarmerie fait d’ailleurs de cette exigence une priorité. Comme l’indique le général Gieré, directeur des opérations et de l’emploi de la gendarmerie : « la primauté pour nous c’est l’intelligence territoriale, c’est-à-dire l’adaptation locale à l’ensemble de ces missions » ([79]) . Le général Labbé, chef de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, a pu souligner pour sa part que parmi les marqueurs sociologiques du gendarme figuraient l’esprit de corps et la cohésion, l’autonomie et l’intelligence locales.

Le rapporteur considère que cette organisation est un véritable atout qu’il faut renforcer et diffuser afin, aujourd’hui, de faire enfin confiance au terrain. Pour cela, deux réformes sont à mener : l’une au niveau des décideurs locaux et l’autre au niveau zonal des SGAMI.

a.   Donner des marges de manœuvre aux responsables locaux

Bien qu’une mutualisation au niveau central soit souhaitable, il est surtout nécessaire que la marge de manœuvre des décideurs locaux soit augmentée.

Le ministre de l’Intérieur lui-même a reconnu cette nécessité : « la centrale d’achat, vous avez raison, peut avoir comme conséquence que tout soit décidé à Paris et que cela ne corresponde pas aux besoins territoriaux ; c’est une évidence. Il convient donc de déconcentrer des budgets et pour la première fois depuis 2018, 45 millions d’euros de crédits ont été alloués aux chefs locaux de la police. Nous avons un système assez proche pour la gendarmerie nationale, avec une déconcentration de moyens de maintenance. Refaire la peinture d’un commissariat, par exemple, change l’ambiance ». Ces orientations vont dans le bon sens.

Comme l’indiquait le DGPN, « il faut réserver au niveau local la possibilité de faire de “menus achats”, “menus” mais tout à fait importants – il peut être un peu pénible, dans une circonscription à l’autre bout du département, de devoir demander à la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de bien vouloir procéder au remplacement d’un fauteuil de bureau ou d’une ampoule électrique… » ([80]).

Suivant cette logique, le rapporteur préconise de s’appuyer davantage sur les dispositifs de cartes d’achat et d’augmenter le montant des dotations financières des unités élémentaires (DFUE) de la gendarmerie.

Pour mémoire, la DFUE a été mise en place pour améliorer la qualité de vie des gendarmes dans les casernes. Elle n’est pas destinée à assurer l’entretien des casernes qui relève du programme immobilier. Elle est composée de deux enveloppes : l’une est consacrée à l’achat de matériel, l’autre à l’entretien ménager des locaux. Jusqu’en 2013 environ, chaque commandant d’unité décidait de l’affectation de la DFUE concernant l’entretien. Depuis lors, une application rigoureuse du code des marchés publics impose de recourir à un marché national, tant pour les prestations d’entretien que pour les achats de fournitures. Comme le confirmait le général Lizurey, « le résultat est que l’entretien des casernes est beaucoup moins bien fait, comme le confirment les gendarmes, et qu’il coûte plus cher. » ([81]) Le rapporteur recommande de réfléchir à une amélioration des contrats publics pour offrir davantage de souplesse au niveau local. Il préconise toutefois d’augmenter le montant des DFUE, qui dépend du nombre de gendarmes mais reste à un niveau très faible et permet à peine de couvrir la consommation de papier dans certaines brigades.

Les cartes d’achat permettent de simplifier les tâches administratives de gestion tout en payant les entreprises plus rapidement. Dans la région Île-de-France, qui regroupe la préfecture de police, la direction départementale de sécurité publique de la grande couronne et les services associés tels que la PAF ou les CRS, le SGAMI a déployé 538 cartes d’achat essentiellement dans le domaine de l’entretien automobile ou pour l’achat des fluides, autrement dit pour des achats qui peuvent être réalisés localement. À ce jour, la somme des montants réglés par carte d’achat s’élève à moins de 4 % du budget global mais le SGAMI s’est fixé un objectif de 20 %. Un tiers environ des crédits de proximité sont réglés par ce moyen, tandis que certaines dépenses font l’objet d’un mandat administratif classique.

Le rapporteur préconise de développer ce système en déconcentrant davantage la dépense, en passant des marchés nationaux qui permettent cette proximité (ou la rapidité de livraison) et le paiement par des cartes achat. Il ne s’agit pas de remettre en cause le principe des marchés nationaux pour les biens qui s’y prêtent mais plutôt de chercher à retrouver de la souplesse dans leur exécution.

Proposition n° 13 : Donner davantage de marges de manœuvre aux responsables locaux :

– en développant le système des cartes d’achat ;

– en augmentant les dotations financières aux mains des décideurs locaux.

b.   Achever les mutualisations au niveau zonal

Créés en 2014, les secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI) sont dirigés par les préfets délégués pour la défense et la sécurité, placés auprès des préfets de zone. Leur rôle est d’assurer localement les fonctions support des services du ministère de l’Intérieur, c'est-à-dire non seulement de la police et de la gendarmerie nationales mais aussi des préfectures, des sous-préfectures et de certains services de sécurité civile.

Dans la réalité, les SGAMI n’assurent pas l’intégralité des fonctions support de l’ensemble des forces de sécurité intérieure :

– pour la police nationale, ils n’assurent la gestion des carrières des personnels que pour les corps d’encadrement et d’application, des adjoints de sécurité jusqu’aux majors, et pour les personnels civils : la gestion des carrières des personnels appartenant aux corps de conception et de commandement est organisée au niveau national ;

– pour la gendarmerie nationale, ils n’assurent que la gestion des personnels civils, et non celle des personnels militaires ; la gendarmerie assure elle-même l’entretien de ses armes, sa programmation budgétaire et immobilière et conserve la maîtrise de son informatique et de ses radiocommunications.

La mutualisation des fonctions support n’est donc pas complète. Il convient de la poursuivre avec pragmatisme. Par exemple, il ne paraît pas particulièrement choquant que les carrières des personnels appartenant aux corps de conception et de commandement soit gérées au niveau national.

Dans le cas de la mutualisation de l’entretien automobile, considérée unanimement comme une réussite, la situation actuelle reste perfectible, du fait que les « garages automobiles sont constitués en partie par des personnels de la gendarmerie, sur lesquels [les SGAMI n’ont] pas d’autorité hiérarchique » ([82]). Bien qu’ayant la responsabilité fonctionnelle d’un garage, les secrétaires généraux n’ont pas de responsabilité hiérarchique sur une partie des personnels — un même garage pouvant réunir jusqu’à cinq statuts différents. Ils seraient ainsi pénalement responsables d’un accident alors qu’une partie du budget échappe encore à leur responsabilité. Un effort supplémentaire devrait pouvoir être consenti pour achever la démarche de mutualisation dans ce domaine.

La poursuite des démarches de mutualisation doit s’accompagner d’une gouvernance susceptible de répondre efficacement et rapidement aux besoins opérationnels et de susciter de la confiance. Elle doit répondre à un principe de concentration des efforts pour raccourcir au maximum le temps de la transition et ainsi limiter l’insatisfaction des agents.

Sans remettre en cause le principe des achats au niveau national, les SGAMI pourraient être davantage associés à l’expression des besoins et les marchés publics passés au niveau national devraient permettre davantage de souplesse au niveau local. Par exemple, comme l’indiquait Mme Valérie Hatsch, « lorsqu’un éthylomètre utilisé pendant huit ans tombe en panne, il semble inefficient de le réparer si la réparation coûte 2 000 euros alors que l’éthylomètre neuf coûte 2 800 euros ». Pourtant, « les éthylomètres ne sont commandés qu’une fois par an. Ils sont renouvelés au bout de dix ans » ([83]). Il revient aux administrations centrales chargées de l’élaboration des cahiers des charges d’y inclure des clauses offrant de telles souplesses.

 

Autre exemple cité par un des secrétaires généraux : celui des achats de véhicules. « Le SGAMI n’a pas la possibilité d’acquérir en urgence, pas même sur le marché privé, des véhicules neufs ou d’occasion qui correspondraient parfaitement à l’attente des services. […] Dans la zone Nord, nous pouvons être confrontés au trafic d’êtres humains. Le phénomène small boat, c'est-à-dire la traversée de la Manche sur des petites embarcations de 5 à 6 mètres sur lesquelles se trouvent une douzaine de personnes, nécessite de surveiller les plages avec des véhicules spécialisés » ([84]), en l’occurrence des motos légères qui ne sont pas disponibles sur le catalogue d’achat (Catachat). Il serait souhaitable que les SGAMI disposent d’enveloppes permettant, sous réserve des contrôles nécessaires, de répondre aux commandes urgentes et spécifiques des services.

Proposition n° 14 : Déconcentrer des enveloppes de crédits pour les achats d’équipements spécifiques en urgence dans les SGAMI

2.   Poursuivre la mutualisation des services au niveau central pour plus d’efficacité

Certains grands chantiers, comme la numérisation des ministères de l’intérieur et de la justice, la lutte contre la criminalité internationale (trafic de stupéfiants, d’êtres humains, prostitution, terrorisme…) et la cybercriminalité nécessiteraient une organisation mieux coordonnée et, à certains égards, plus centralisée, sans pour autant priver les responsables locaux de marges de manœuvre. Le rapporteur partage ainsi le point de vue des députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, qui, dans leur rapport, précité, affirmaient que « la déclinaison territoriale des politiques partenariales en matière de sécurité sera d’autant plus efficace que, à l’échelon national, les grands acteurs seront organisés de manière à ne parler que d’une seule voix » ([85]). Cela implique néanmoins de maintenir les spécificités statutaires et culturelles des deux forces, indispensables à l’exercice de leurs missions respectives.

L’organisation en « tuyaux d’orgue » de la police nationale est dénoncée depuis si longtemps qu’elle en est devenue une expression consacrée. On ne peut se contenter de le regretter.

Le rapporteur est profondément attaché à la dualité des forces de sécurité intérieure. Il constate néanmoins que les opportunités de mutualisation, créées en 2009 par le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’Intérieur, n’ont pas été suffisamment exploitées.

En somme, il faut repenser l’organisation des forces de sécurité intérieure en termes de subsidiarité.

a.   Créer de grandes directions générales pour les fonctions support mutualisées

Deux directions centrales seront prochainement créées :

– le service ministériel des achats (SMA), le 1er septembre 2019 ;

– la direction générale du numérique (DGNUM).

Le ministère de l’intérieur a besoin d’une grande direction générale du numérique, tant pour sa propre transformation que dans le cadre de ses relations avec d’autres acteurs interministériels tels que la direction générale de l’armement, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) ou le ministère de la Justice. Comme l’a suggéré, M. Thierry Delville, ancien délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, « une grande direction du numérique du ministère de l’intérieur, si elle voyait le jour, ne devrait pas être éloignée des enjeux d’équipement des forces » ([86]).

Ces créations suscitent des inquiétudes, les directeurs généraux ayant peur de perdre la main sur leur équipement. C’est pourquoi la mise en place de ces directions doit faire l’objet de contrats clairs avec les directions opérationnelles. M. Jean Bouverot, chef du service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure, a démontré tous les gains qui pouvaient en résulter ([87]).

Le rapporteur invite également à réfléchir sur l’opportunité de créer une direction de la recherche et du développement (DGR&D) aux côtés du nouveau SMA. Une telle direction permettrait de développer en commun des innovations et leurs doctrines d’emploi, en prenant dès le départ en compte les spécificités de chaque force, évitant ainsi de fastidieux efforts de mutualisation a posteriori.

Le rapporteur s’interroge aussi sur l’opportunité de créer une direction générale de la communication commune à l’ensemble des forces de sécurité intérieure, incluant l’administration pénitentiaire.

Ce sujet n’a guère été évoqué au cours des auditions, alors même que l’avènement des réseaux sociaux et la généralisation du recours aux smartphones modifient considérablement le rapport des citoyens avec les forces de l’ordre. La demande de « redevabilité » (ou accountability) est croissante et les agents souffrent de l’absence d’une réponse pédagogique, apaisée et unifiée en cas de crise. On peut regretter ainsi que la police nationale n’ait pas de porte-parole unique, clairement identifié, qui contribuerait à expliquer ses modes d’action, ses contraintes et les règles applicables, notamment lors des manifestations. Il n’existe pas d’entité chargée de communiquer autour des missions des policiers municipaux, alors même qu’un consensus semble se dessiner en faveur d’une meilleure reconnaissance de leur contribution à la sécurité globale.

Proposition n° 15 : Poursuivre la création de grandes directions générales sous l’autorité directe du ministre pour les fonctions support mutualisées :

– un service ministériel des achats ;

– une direction générale du numérique ;

– une direction de la recherche et développement ;

– un service de la communication.

b.   Renforcer l’autorité des directions centrales de la direction générale de la police nationale sur les services de la préfecture de police

Le rapporteur juge nécessaire de renforcer l’autorité des directions centrales de la police nationale sur certaines composantes de la préfecture de police.

Ni administration centrale, ni totalement service déconcentré, la préfecture de police de Paris a été créée en 1800, c’est-à-dire avant la police nationale. Elle répondait alors à la volonté du gouvernement du Premier empire d’avoir auprès de lui une autorité de police permettant de maîtriser l’ordre public dans toutes ses dimensions. Forte de 43 000 agents, la préfecture de police se compose aujourd’hui de cinq directions de services actifs de police :

– la police judiciaire (2 200 fonctionnaires) ;

– la direction du renseignement (1 800 fonctionnaires) ;

– la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP, 20 000 effectifs), qu’on peut comparer, en termes d’activité, aux directions départementales de la sécurité publique (DDSP) en province ;

– la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC, 5 500 effectifs) ;

– la direction opérationnelle des services techniques et logistiques, qui assure les fonctions support.

S’y adjoignent deux directions plus administratives, la police générale (950 personnes) et la direction des transports et de la protection des populations (600 personnes), ainsi que des organisations plus anciennes, comme l’Institut médico-légal et l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, son laboratoire central, ou encore sa brigade de sapeurs-pompiers (8 000 militaires) qui intervient sur Paris et la petite couronne.

Un secrétariat général pour l’administration assure la gestion des ressources humaines, des finances, de la commande publique, des affaires immobilières et des affaires juridiques.

 

Les ressources de la préfecture de police s’élèvent ainsi à 4 milliards d’euros, dont 3 milliards financés par l’État et 630 millions au titre du budget spécial, pour lequel la ville de Paris contribue à hauteur de 230 millions et l’État à hauteur de 130 millions, la différence étant comblée par les contributions d’autres collectivités locales – conseils généraux de la petite couronne et intercommunalités.

Le préfet de police Didier Lallement a reçu des instructions de la part du ministre de l’intérieur l’invitant à proposer une réforme pour mieux articuler la préfecture de police avec les administrations centrales. Il a indiqué à la commission que sa feuille de route consistait avant tout à ce que « entre la DGPN et la préfecture de police, mais aussi entre la préfecture de police et les autres grandes directions d’administration centrale – je pense à la direction générale des étrangers en France (DGEF) ou à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) – il n’y ait pas de contradiction dans la doctrine, à la fois opérationnelle et organique. Ce que je proposerai sera d’abord sous cette égide-là » ([88]).

Cette réforme, sera ainsi l’occasion :

– d’une part, créer des opportunités de carrière pour tous les policiers nationaux et contribuer à améliorer la formation des personnels ;

– d’autre part, limiter les doublons et favoriser les achats mutualisés pour les équipements.

Proposition n° 16 : Renforcer l’autorité des directions centrales sur certains services de la préfecture de police pour favoriser les mutualisations et fluidifier les carrières

c.   Créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale

Au sein de la direction générale de la police nationale, le rapporteur jugerait opportun de réfléchir à la constitution d’une grande direction centrale des ressources humaines de la police nationale, chargée de pallier les lacunes de la gestion actuelle, qui paraît coûteuse et inefficace.

La création de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN), en 2010 ([89]), a été une première étape qui a été suivie d’une réforme, en août 2017 ([90]). Le recrutement et la formation initiale sont, en effet, depuis janvier 2017, gérés par la nouvelle direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN).

Cette direction pourrait, selon le rapporteur, préfigurer une « académie de police » et devrait permettre d’aller plus loin. Une direction centrale, fruit d’une fusion de la direction du recrutement et de la formation, d’une part, et de la direction des ressources et des compétences, d’autre part, serait en effet mieux à même de remédier aux insuffisances de la formation initiale et continue de la police nationale (voir infra II. D.) et de répondre à la problématique d’un exercice plus fréquent des missions de maintien de l’ordre par des policiers chargés de la sécurité publique.

À l’instar de la direction du personnel militaire de la gendarmerie nationale (DPMGN), une telle direction se concentrerait sur le recrutement, la formation et la gestion du personnel des services actifs, ainsi que sur l’aide sociale, tandis qu’une réflexion pourrait être conduite sur l’opportunité de rattacher la gestion des personnels administratifs à une direction centrale du ministère de l’intérieur pour favoriser la mobilité et ainsi créer des opportunités de carrière.

Proposition n° 17 : Réfléchir à l’opportunité de créer une direction centrale des ressources humaines de la police nationale chargée de mettre en œuvre une gestion cohérente des emplois et des compétences dans les services actifs

D.   Revoir l’organisation du maintien de l’ordre

L’intensification des mouvements sociaux et l’émergence de nouvelles formes de mobilisation, parfois radicales et violentes, invitent à renforcer les effectifs et les moyens des forces mobiles mais aussi à revoir l’organisation des opérations de maintien de l’ordre.

1.   Un nouveau schéma national du maintien de l’ordre

La progression considérable de la sollicitation opérationnelle, les mutations des formes de mobilisations sociales et le développement du phénomène des « casseurs », rendent une révision de l’organisation du maintien de l’ordre indispensable. Le ministre de l’intérieur a ainsi annoncé le 16 juin 2019 l’élaboration d’un nouveau schéma national de maintien de l’ordre pour répondre à ces enjeux.

a.   Prendre en compte les nouvelles formes de mobilisation sociale

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale rappelait, lors de son audition par la commission d’enquête, que la tactique actuelle se fondait très largement sur la déclaration préalable des manifestations : « Nous avions donc en quelque sorte des organisateurs identifiés, des services d’ordre interne constitués, une temporalité et un calendrier qui nous permettaient d’anticiper, notamment d’anticiper le positionnement de forces mobiles au bon endroit au bon moment. Aujourd’hui, l’instantanéité des réseaux sociaux met à mal ce modèle tactique, notamment en termes d’anticipation. […] Tout cela vole en éclats aujourd’hui puisque n’importe quel personnage […] est capable, désormais, grâce aux réseaux sociaux, de convoquer 3 000, 4 000, 5 000 personnes en tout point du territoire, et, pire, de convoquer des manifestations de manière virale sur l’ensemble du territoire » ([91]).

Or, le caractère inédit des mobilisations récentes et leurs effets sur l’emploi des forces de sécurité intérieure ont été soulignés avec force par le directeur général de la gendarmerie nationale : « Il y a six mois, je vous aurais dit que les gendarmes départementaux ont vocation à assurer la sécurité publique et non le maintien de l’ordre. De même, je vous aurais dit que les gendarmes volontaires […] n’ont pas vocation à faire du maintien de l’ordre, pas plus que les réservistes. En réalité, dans la situation actuelle, tous sont amenés à participer au maintien de l’ordre, car tous peuvent être les premiers à arriver sur les lieux d’un trouble public. Ils doivent alors prendre les premières mesures et se protéger eux-mêmes, ce qui implique qu’ils disposent d’un certain équipement » ([92]).

Face au caractère spontané et parfois massif de ces nouvelles formes de manifestation, la mobilisation des unités de sécurité publique sur les opérations de maintien de l’ordre de basse intensité doit être renforcée. Leur rôle de primo-intervenant serait conforté afin de « figer » la situation, dans l’attente d’une éventuelle intervention des forces mobiles.

Proposition n° 18 : Élaborer un schéma national du maintien de l’ordre permettant de répondre aux nouvelles formes de mobilisation sociale et clarifiant le rôle des unités de sécurité publique dans les opérations de maintien de l’ordre.

b.   Poursuivre la réflexion sur les interpellations en cours de manifestation

La doctrine française du maintien de l’ordre, reposant sur le recours à des unités constituées et spécialisées dont l’empreinte au sol est forte et qui sont appuyées par des moyens matériels importants, permet à la fois de protéger les agents et de tenir en respect les manifestants. Comme l’a souligné M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité, ce format répond à « la nécessité de présenter un grand nombre de fonctionnaires, de ne pas les mettre en danger et d’assurer l’efficacité des schémas tactiques ».

Cependant, cette doctrine qui se concentre sur la protection des personnes augmente le risque de dégradations matérielles et limite la sanction pénale des manifestants violents puisque les interpellations, qui immobilisent et exposent les unités, n’y sont pas la priorité. Pour y répondre, des unités de sécurité publique chargées de procéder à des interpellations ont été mobilisées afin de permettre la mise en cause pénale des manifestants violents. Or, ces unités sont généralement peu nombreuses et disposent d’un équipement et d’une formation au maintien de l’ordre limités, ce qui augmente leur vulnérabilité. Ce problème se posait en particulier pour les « détachements d’action rapide » (DAR) de la préfecture de police de Paris.

Face à ce problème, M. Didier Lallement, préfet de police, a modifié le schéma qui reposait sur l’intervention des DAR se déplaçant par petits groupes d’une vingtaine de fonctionnaires en expliquant que « la propre sécurité de ces groupes mobiles n’est pas assurée s’ils ne comptent qu’une vingtaine de fonctionnaires. Nous avons donc changé la taille de ce dispositif pour qu’il compte soixante personnes […]. Les groupes conservent donc leur mobilité tout en étant adossés à une structure d’ordre public plus classique. Ce sera, à mon avis, beaucoup plus pertinent : les unités conservent leur mobilité, tout en ayant une taille critique et une structure professionnelle appuyée sur des moyens éprouvés en matière d’ordre public. C’est un véritable changement de conception de la mobilité du dispositif ».

Le rapporteur s'interroge sur le rôle de ces unités chargées de l'interpellation des manifestants violents pendant les opérations de maintien de l'ordre. La réflexion sur la forme d'intervention la plus appropriée, conciliant efficacité opérationnelle et protection des agents doit être poursuivie. En parallèle, il est essentiel de leur apporter une formation adaptée et de leur fournir un équipement de protection approprié.

c.   Faciliter la mise en cause pénale des manifestants violents

Pour faciliter la mise en cause des manifestants violents, le recours à des marqueurs individuels devrait être développé. Le colonel Jean-Jacques Vichery, coprésident de la Confédération française d’associations de retraités et de pensionnés de la gendarmerie (CFARPG)  soulignait que « ils permettent de marquer les visages et surtout les vêtements, durant une dizaine de jours. Il me semble donc qu’un effort devrait être réalisé pour leur diffusion ». Le rapporteur considère qu’il s’agit en effet de moyens efficaces pour organiser la réponse pénale en cours de manifestations, qui permettent de moins exposer les unités chargées de l’interpellation. Une expérimentation devrait être conduite, sur la base de l’utilisation qui est faite de ces techniques à l’étranger, pour déterminer la forme la plus efficace de marquage.

2.   Pour un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité.

Les forces mobiles ont été particulièrement concernées par les baisses d’effectifs au sein des forces de sécurité ces dix dernières années.

a.   Renforcer les compagnies républicaines de sécurité

Entre 2007 et 2019, le nombre de policiers exerçant en CRS est passé de 13 621 à 10 728, soit une diminution de plus de 20 %.

Cette baisse des effectifs a été réalisée sous la forme d’une réduction du nombre de policiers par compagnie. Pour une unité de service général, l’effectif est passé de 150 à une moyenne actuelle de 125, alors même que la direction centrale se fixe un objectif de référence de 136 pour un fonctionnement normal. Aujourd’hui, 53 des 60 compagnies comptent pourtant moins de 136 hommes, ce qui implique que l’essentiel des CRS est aujourd’hui engagé sous un format « trois sections », alors même que les schémas tactiques restent fondés sur une organisation en quatre sections.

Or, comme le précisait M. Philippe Klayman, directeur central des CRS, « moins les effectifs sont nombreux, plus la compagnie est en difficulté. Nous comptons, depuis le 17 novembre 2018, 293 policiers de CRS blessés. Plus la compagnie est faible en termes d’effectifs, plus la perte de fonctionnaires, même temporairement, est durement ressentie, puisque je n’ai plus la capacité à assurer des relèves ».

M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale, considère qu’« il faudrait revenir à quatre sections, c’est clair, et nous y travaillons, mais cela prendra évidemment du temps ». ([93])  

Le rapporteur considère que le recrutement en CRS est une priorité et que l’effort conséquent que cela représente doit être planifié. Afin de retrouver le fonctionnement initial des CRS (format de compagnie de 145 hommes), il faudrait, en effet, recruter 1 054 effectifs supplémentaires.

À cette fin, les nouveaux effectifs issus du plan de recrutement 2017-2022 devraient être orientés de façon prioritaire vers ces compagnies.

Parallèlement à la baisse des effectifs, les compagnies républicaines de sécurité ont vieilli : l’âge moyen atteint aujourd’hui 43 ans, hors commandement. « Il est évident qu’il existe un problème entre l’âge des fonctionnaires et les missions qui leur sont demandées. Au mois de novembre et décembre, par exemple, certaines unités ont effectué, durant plus de 22 heures d’affilée, du maintien de l’ordre, un combat, avec beaucoup de violence et d’engagement » ([94]).

Dans le cadre de la réflexion sur l’évolution du maintien de l’ordre, il est impératif de s’attacher au renforcement et au rajeunissement des effectifs des CRS. Pour cela, il est possible de s’inspirer du modèle retenu en gendarmerie, où les affectations de sous-officiers en sortie d’école en escadron de gendarmerie mobile sont nombreuses, ce qui permet de bénéficier d’effectifs jeunes qui basculent généralement en gendarmerie départementale après quelques années. Il s’agit d’ailleurs d’une piste retenue par le directeur central des CRS, qui cherche à « orienter l’effectif nécessaire de jeunes gardiens vers les CRS, ce qui leur permettra de se former, d’apprendre à travailler en unités constituées, d’apprendre le maintien de l’ordre, à s’adapter aux nombreuses missions de police, d’être habilités à la plupart des équipements, de recevoir des formations les plus complètes possibles. » ([95])  Les jeunes gardiens qui ne resteront pas feront bénéficier les services de la police nationale de leur expérience et de leur capacité à pouvoir affronter des événements d’ordre public avec une expérience éprouvée.

Le rapporteur considère ainsi que l’affectation en CRS en sortie d’école de police doit être développée afin de renouveler les effectifs des compagnies.

b.   Rendre aux escadrons de gendarmerie mobile leurs effectifs initiaux

Les escadrons de gendarmerie mobile ont également subi des baisses importantes d’effectifs, qui réduisent aujourd’hui leur capacité opérationnelle. Alors qu’il y avait encore 123 pelotons en 2008, ils ne sont plus que 109 dix ans plus tard, soit une suppression nette de 14 escadrons, étant donné qu’un seul a été recréé depuis.

Cette évolution est préoccupante dans un contexte exceptionnel de mobilisation sur l’ensemble du territoire. Certes, des plans de renforcement successifs ont permis d’augmenter les effectifs de 22 escadrons, pour lesquels un cinquième peloton a été créé. Néanmoins, le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale a indiqué à la commission d’enquête qu’une augmentation des effectifs des autres escadrons donnerait de la souplesse au commandant de l’unité et lui permettrait « de faire tourner les effectifs ». À cet égard, le DGGN a évoqué une réflexion visant à augmenter les effectifs des unités de gendarmerie mobile « dans le cadre des effectifs qui [lui] sont alloués. Il s’agit donc de créer des postes dans les escadrons de gendarmerie mobile, dans la limite des effectifs globaux de la gendarmerie, lesquels progresseront de 2 500 postes d’ici 2022, sur les 10 000 prévus pour les forces de sécurités intérieures ». ([96])  

À cet égard, des décisions récentes ont été prises, comme l’indiquait le général Laurent Tavel : « le directeur général a décidé non pas d’augmenter le nombre d’escadron […] mais d’augmenter le nombre de gendarmes par escadron. Aujourd’hui, un escadron est composé de 110 gendarmes et cet été on va passer à 115. Nous avons 109 escadrons, cela représente donc un effectif supplémentaire de 500 gendarmes dont la majorité proviendra de la marge supplémentaire offerte par les vingt-deux pelotons créés il y a trois ans. Ce projet s’inscrit dans une démarche d’autonomisation plus grande des escadrons afin de les rendre plus disponibles ». ([97])


Le rapporteur considère que l’augmentation des effectifs des escadrons de gendarmerie mobile est une priorité absolue pour redonner des marges de manœuvre aux escadrons. Les orientations récentes vont dans le bon sens, mais il faudrait aller plus loin. Les travaux de la commission d’enquête ont fait apparaître qu’un escadron de 125 hommes permettrait de l’engager systématiquement en formation « alpha » qui, en maximisant l’empreinte au sol, est la plus efficace.

Cela nécessiterait un effort de recrutement de 1 090 personnels supplémentaires. Le chiffrage approximatif de cette mesure peut être fait à partir de la rémunération moyenne versée à un sous-officier et du coût de son équipement individuel. Hors contributions sociales et au CAS Pensions, ce sont environ 32 millions d’euros supplémentaires qui seraient consacrés à ces recrutements ([98])

Proposition n° 19 : Poursuivre un effort ambitieux de recrutement au sein des escadrons de gendarmerie mobile et des compagnies républicaines de sécurité

– renforcer les compagnies républicaines de sécurité pour revenir à un fonctionnement à quatre sections ;

– monter les effectifs des escadrons de gendarmerie mobile pour porter leur nombre à 125, ce qui représente un coût supplémentaire d’environ 32 millions d’euros.

3.   Pour un plan d’équipement « maintien de l’ordre »

L’élaboration d’un schéma national de maintien de l’ordre doit être l’occasion de renouveler les moyens matériels alloués aux unités de forces mobiles par un plan d’équipement ambitieux.

a.   Tirer profit des innovations dans l’imagerie et la communication

Les escadrons de gendarmerie mobile disposent déjà de tels moyens, grâce notamment à l’acquisition de caméras-piétons. Néanmoins, comme le souligne le DGGN, « ces images sont souvent inexploitables, parce que ces caméras étant portées sur l’épaule ou sur la poitrine ce qui est filmé n’est pas cadré. Et d’autre part parce que ces images ne peuvent être utilisées que dans un cadre judiciaire ». Les gendarmes se sont ainsi, de plus en plus, équipés de caméras à titre personnel, afin de pouvoir visionner les images. Les escadrons se sont également dotés d’une cellule d’imagerie opérationnelle (CIOP), dont les images sont complétées par celles des drones et des hélicoptères.

Les manifestations liées au mouvement des « gilets jaunes » ont conduit la DGPN à imposer le port de caméras-piéton aux utilisateurs de lanceurs de balles de défense. Si ces caméras n’apportent pas de plus-value en matière de maintien de l’ordre, du fait du port sur la poitrine et d’un champ visuel réduit, elles permettent néanmoins de s’assurer de la légitimité du tir de LBD lorsqu’il existe une contestation.

La consultation des policiers et gendarmes réalisées à l’initiative du rapporteur (cf. ANNEXE – II résultats de la consultation) indique un fort attachement des gendarmes à la généralisation des caméras-piétons : 72 % des répondants y sont favorables. Cette proportion est plus faible au sein de la police, puisque les réponses sont pour moitié seulement favorables. On retrouve des proportions similaires au sein des unités mobiles : alors que les gendarmes mobiles participants y sont favorables à 70 %, la part pour les CRS atteint seulement 55 %.

Le rapporteur y voit néanmoins une tendance clairement en faveur de la généralisation des caméras-piétons, qui fait écho aux échanges qu’il a pu avoir avec les policiers et gendarmes de terrain.

Pour compléter ces moyens vidéo, les unités de forces mobiles doivent également bénéficier pleinement des innovations technologiques. En particulier, les travaux de la commission d’enquête ont fait apparaître l’utilité tactique des drones, qui permettent d’élargir la vision du terrain et des mouvements de la foule.

Le préfet de police de Paris a souligné l’intérêt de ces nouveaux moyens. Les drones et les moyens de marquage permettent en effet « de mieux voir et mieux identifier. […] Le drone est surtout précieux dans le cadre d’une utilisation tactique, lorsqu’il permet à une unité de voir ce qu’il y a au bout ou au coin de la rue. En effet, on ne peut pas avoir d’autonomie tactique sans bénéficier d’une vision de proximité. Or, le dispositif de caméras actuel, qui nécessite que la salle de commandement relaie l’information auprès de l’unité, n’est pas adapté à la souplesse et à la mobilité souhaitées. Des escadrons de gendarmerie l’utilisent déjà de cette manière, et c’est une pratique que je souhaiterais généraliser, même si, pour le moment, notre organisation ne s’y prête pas encore tout à fait ».

Sachant que doter l’ensemble des escadrons de gendarmerie de deux drones revient à un budget total d’environ 300 000 euros pour un coût unitaire de 1 500 euros.

La police allemande a développé, à cet égard, un système plus abouti de captation vidéo des opérations de maintien de l’ordre. Les forces spécialisées disposent de moyens vidéo posés sur des perches télescopiques permettant de couvrir l’ensemble du théâtre des opérations. Des véhicules d’assistance technique leur permettent également d’extraire directement des photographies à partir de la captation vidéo, qui peuvent ensuite être diffusées sur le réseau numérique de la police.

Proposition n° 20 : Développer le recours aux techniques d’imagerie modernes et aux marqueurs :

– généraliser le recours à la vidéo lors des opérations de maintien de l’ordre à des fins judiciaires mais également opérationnelles et de formation ;

– généraliser l’utilisation de la captation vidéo et des drones par les unités de forces mobiles ainsi que la formation des pilotes ;

– après expérimentation, généraliser le recours aux marqueurs individuels dans la perspective de la mise en cause pénale des manifestants violents.

b.   Renouveler les véhicules des escadrons de gendarmerie mobile

M. Michel Labbé, chef de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), a bien résumé le défi que représente le renouvellement des VBRG : « Nous avons besoin de ces véhicules pour la protection de nos gendarmes, pour qu’ils ne soient pas exposés à des tirs d’armes ; ce qui arrive encore sur notre territoire national. Mais nous avons besoin de véhicules blindés de transports équipés d’une lame, afin de pouvoir percuter ou dégager. » Or, ce type de véhicule blindé doté d’une lame à l’avant, qui suppose un moteur à l’arrière, ne se trouve pas sur le marché.

L’administration a indiqué à la commission d’enquête que des discussions étaient en cours avec les industriels concernant le renouvellement de la flotte de VBRG. La direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) s’oriente vers un principe de réaménagement ou « rétrofitage » plutôt que vers des achats de matériel neuf, plus chers. L’objectif serait de disposer de 80 véhicules blindés réaménagés, dont 36 véhicules en outre-mer.

Le rapporteur considère que la nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure doit intégrer pleinement le défi que représente le réaménagement des VBRG et programmer les investissements nécessaires sachant que leur remplacement nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Les véhicules de transport de groupe des escadrons, également dans un état critique, doivent eux aussi faire l’objet d’un renouvellement ambitieux. Les 934 véhicules de type « Irisbus » atteignent aujourd’hui un âge moyen de plus de 12 ans et arrivent, selon le directeur général de la gendarmerie nationale, « en fin de vie ».

Des expérimentations sur une nouvelle gamme de véhicules, évoquées plus haut, sont en cours afin de déterminer un modèle de remplacement adapté. Selon le général Richard Lizurey, « l’objectif est de trouver un véhicule qui corresponde à nos besoins opérationnels mais qui n’oblige pas à avoir le permis poids lourd comme c’est le cas pour les Irisbus. Nos camarades des compagnies républicaines de sécurité (CRS) disposent de véhicules que l’on peut conduire sans ce permis ».

Le renouvellement des véhicules de transports des escadrons de gendarmerie mobile s’impose également comme une priorité.

Proposition n° 21 : Prévoir le renouvellement des véhicules de la gendarmerie et de la police dans la loi de programmation de la sécurité intérieure, notamment les VBRG et Irisbus sachant que le remplacement des seuls VBRG par des véhicules nouveaux nécessiterait un investissement estimé au minimum à 40 millions d’euros.

Le troisième axe du plan consiste à équiper les unités de sécurité publique en fonction des orientations du futur schéma national de maintien de l’ordre.

La contrepartie nécessaire à l’implication croissante des unités de voie publique dans les opérations de maintien de l’ordre est de leur assurer une formation et un équipement adaptés. En effet, comme le soulignait le général Richard Lizurey, « un individu qui n’a pas reçu la formation adéquate peut présenter un danger pour la sécurité des personnes, aussi bien celle des manifestants que celle des forces de l’ordre ».

Ce problème se pose en particulier pour les départements les moins urbanisés où les personnels affectés à la sécurité publique, peu confrontés à des problématiques d’ordre public, y disposent rarement de l’équipement et de la formation appropriés pour faire face, en cas d’urgence, à une mobilisation soudaine.

M. Jean-Marie Salanova, directeur central de la sécurité publique (DCSP), a ainsi présenté à la commission d’enquête le plan élaboré pour que les effectifs des « petits départements, c’est-à-dire les deux tiers des départements français, puissent bénéficier d’une formation et d’un équipement en termes de maintien de l’ordre ». Ainsi, les unités des compagnies départementales d’intervention (CDI) ou des brigades anticriminalité (BAC) sont régulièrement invitées aux formations des CRS, même si « cela nécessiterait plus de formalisme et un caractère systématique » ([99]).

Près de deux millions d’euros ont été dégagés au début de l’année 2019 pour acheter des effets de protection individuelle pour les gendarmes départementaux. Ont ainsi été déployés trente lots de protection individuelle (casques, jambières, boucliers) dans chaque groupement de gendarmerie départementale qui sont ensuite répartis au niveau des compagnies ou des pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG).

Le directeur général de la gendarmerie national indique qu’un stage de formation des commandants de peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) à Saint-Astier a été engagé pour acquérir le socle des connaissances leur donnant les réflexes qui permettent d’intervenir avec discernement et fermeté face à un trouble de l’ordre public ([100]).

Les réflexions actuelles sur l’évolution du dispositif de maintien de l’ordre doivent être l’occasion de prévoir un plan d’équipement et de formation adapté pour les unités de sécurité publiques.

Proposition n° 22 : Prévoir des stocks mutualisés de matériel de maintien de l’ordre au niveau des brigades et des commissariats.

E.   Moderniser la gestion des ressources humaines

Les métiers de la sécurité sont des métiers difficiles, qui confrontent les agents à la violence, à la détresse et à l’injustice. Cette pénibilité doit être d’autant mieux prise en compte que l’activité opérationnelle est soutenue et qu’un climat de violence exacerbée conduit à une hausse continue du nombre de blessés parmi les forces de sécurité. Mais les missions des forces de sécurité sont aussi des missions essentielles, au service de l’État et des citoyens, et les personnels qui les exercent sont animés d’un engagement en ce sens qui mérite d’être salué.

Les recrutements qui ont été opérés depuis 2015 ont apporté des moyens humains supplémentaires indispensables. Ils seront poursuivis comme cela a été annoncé par le président de la République qui a pris l’engagement de faire recruter 7 500 policiers et 2 500 gendarmes supplémentaires d’ici à 2022. Pour 2018, le schéma des créations de 1 500 postes dans la police et 500 postes dans la gendarmerie, soit 1 870 équivalents temps plein travaillé (ETPT), a été globalement atteint.

Cet apport en moyens humains n’épuise pas, pour autant, la question de la gestion des ressources humaines. Celle du temps de travail des forces de sécurité est, en effet, étroitement liée, depuis plusieurs années, à l’enjeu du recrutement et de la fidélisation, à celui des compétences et de la formation, ainsi qu’à celui des conditions de travail du personnel.

1.   Prendre des mesures innovantes pour attirer et fidéliser

Les forces de sécurité intérieure font face à des besoins de recrutement en pleine évolution, dans un contexte de redéfinition de leurs missions et de concurrence entre les différents corps. Trois catégories de personnels paraissent particulièrement concernées par des innovations en termes de recrutement et/ou de fidélisation :

– le personnel de l’administration pénitentiaire ;

– les personnels administratifs de la police nationale ;

– les spécialistes très qualifiés.

L’administration pénitentiaire tente actuellement de répondre aux défis qui lui sont propres en termes d’attractivité et de fidélisation par des mesures indemnitaires et par la création d’un premier concours national à affectation locale, pour lutter contre l’effet parfois dissuasif de la mobilité. Selon le directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, « en contrepartie d’un engagement à servir pendant six ans dans ces établissements peu attractifs, [ce concours] entraînera le versement d’une prime de 8 000 euros échelonné sur six ans, dont la moitié dans l’année d’installation. C’est un début de réponse à la vie chère et aux coûts d’installation peu attractifs dans [certaines] régions. » ([101])

Il existe aussi un problème d’attractivité et de recrutement dans des métiers spécialisés comme ceux de la réparation automobile. Selon Mme Emmanuelle Dubée, préfète déléguée pour la défense et la sécurité pour la zone de défense Sud-Est, « les personnes qui possèdent ces compétences techniques très spécialisées trouvent des emplois plus attractifs ailleurs que dans la fonction publique. L’État ne parvient pas à offrir des conditions suffisamment attractives pour recruter ou fidéliser des personnels mécaniciens » ([102]).

Le rapporteur note que ce sont des contraintes et des réflexions analogues qui ont amené le législateur à adopter, dans la loi de programmation militaire
2019-2025 ([103]), la possibilité d’expérimenter des modes de recrutements innovants, rigoureusement encadrés, dans des spécialités en tension et des régions où il est particulièrement difficile de recruter. Une expérimentation de ce type pourrait permettre d’attirer et de fidéliser des candidats sur des postes administratifs dans la police nationale. Il conviendra d’être attentif aux perspectives d’évolution de ces personnels et à maintenir un régime indemnitaire adapté dans certaines zones géographiques.

Pour d’autres spécialités techniques, typiquement dans les nouvelles technologies de l’information et la lutte contre la cybercriminalité, la volatilité des besoins, liée à l’évolution rapide des techniques, et la concurrence de l’emploi privé rendent le recours à des recrutements de contractuels particulièrement adapté.

Ces défis sont au cœur des discussions du projet de loi de transformation de la fonction publique ([104]) qui prévoit, à ce stade de la discussion parlementaire, un élargissement du recours aux agents contractuels.

Proposition n° 23 : Expérimenter des dispositifs de recrutement innovants pour attirer ou fidéliser certaines compétences-clés :

– expérimenter des concours territorialisés pour certains emplois ;

– faciliter l’emploi de contractuels, notamment dans les métiers du numérique, pour certaines spécialités en tension ou dans certaines zones géographiques en utilisant les nouvelles possibilités offertes par la loi de transformation de la fonction publique.

2.   Faire évoluer la formation des policiers

La police comme la gendarmerie doivent pouvoir compter sur des forces parfaitement formées à l’exercice de leur métier. Ce sujet a constamment été abordé par les interlocuteurs du rapporteur :

– d’abord, parce que la question de la formation au maintien de l’ordre des personnels affectés normalement à des missions de sécurité publique a été posée avec acuité pendant la crise des « Gilets Jaunes » ;

– ensuite, parce que nombreux sont les policiers qui se plaignent de leur formation, aussi bien initiale que continue ;

– enfin, parce qu’une formation initiale renforcée et unifiée est perçue, à juste titre, comme le gage d’un esprit de corps renforcé, susceptible de prévenir les risques psychosociaux et d’améliorer la coordination opérationnelle.

a.   Créer une académie de police commune aux trois corps de la police nationale

L’organisation unifiée de la gendarmerie nationale est fréquemment montrée en exemple. Dans la gendarmerie, la direction des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN) « connaît de toutes les questions touchant au personnel militaire de la gendarmerie. Elle recrute, forme et gère l’ensemble des militaires servant dans la Gendarmerie nationale. » ([105]) La formation est unifiée, de sorte que les militaires partagent un socle de pratiques et de savoirs communs, ce qui confère de la souplesse dans l’emploi des forces, souplesse qui a encore récemment montré toute son utilité.

Dans la police, le recrutement, la formation et la gestion des personnels ont été confiés à une direction centrale, la direction des ressources et des compétences de la Police nationale (DRCPN) en janvier 2017 ([106]), après une évaluation de l’IGPN de décembre 2015 qui a conclu à une « balkanisation de la formation », tant était grand le nombre de structures qui y contribuaient. Comme l’a rappelé M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, « il n’y avait pas de stratégie claire de formation pour la police nationale puisqu’il n’y avait pas de pilote véritable, chacun s’occupant de son pré carré » ([107]).

La gestion distincte de la formation des élèves gardiens de la paix, d’une part, et des élèves officiers et commissaires de police d’autre part, a été considérée par la commission d’enquête du Sénat ([108]), comme ne favorisant pas le développement d’un esprit de corps et d’une culture commune. La commission préconisait donc de réformer la formation, le cas échéant, par la création d’une « académie de police » rapprochant les formations initiales des trois corps de la police nationale, reprenant ainsi une piste déjà évoquée en 2014 par une mission de l’inspection générale pour l’administration (IGA) et de l’IGPN.

De toute évidence, la police nationale est réticente à investir dans un tronc commun de formation trop substantiel, plus coûteux à court terme, compte tenu de la spécialisation observée de facto en sortie d’école. Ainsi, M. Lutz a-t-il exclu d’inclure des modules du bloc OPJ dans la formation initiale des gardiens de la paix : « cela revient à ajouter quatorze semaines de formation supplémentaires à des élèves gardiens de la paix qui sortent de douze mois de formation […] Sur la voie publique, cette formation peut servir mais sa durée est beaucoup trop importante par rapport à l'usage qui en sera fait au quotidien » . Il invite plutôt à recourir aux « modules d'adaptation au premier emploi d’une durée de trois semaines, qui permettent aux fonctionnaires de se spécialiser en fonction de leur premier poste. Le module sur l'ordre public est piloté par les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Un autre est piloté par la DGPAF ».

La recherche légitime d’une spécialisation ne doit pas s’opposer à la mise en place d’un tronc commun significatif de formation initiale. La spécialisation est en effet aussi induite par le fonctionnement en silos de la police nationale. Cette spécialisation serait acceptable si la formation continue remplissait ses promesses. Or, tout semble indiquer que ce n’est pas le cas (voir infra).

Le rapporteur estime que la création de la DCRFPN va dans le bon sens, de même que la rénovation de la formation initiale des gardiens de la paix. Il salue les projets de réforme annoncés qui prévoient davantage de modules d’apprentissages partagés entre les corps, notamment dans le domaine du maintien de l’ordre, et le projet esquissé par M. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité, d’orienter davantage de jeunes gardiens sortis d’école vers les CRS pour les former sur de nombreux équipements, leur apprendre à travailler en unités constituées, à réaliser des missions de maintien de l’ordre, le tout pendant deux ou trois ans, avant de laisser ceux qui le souhaitent rejoindre une autre affectation, où cette expérience leur sera profitable ([109]) .

Toutefois la création d’une académie de police, facteur de cohésion, de cohérence, de continuité opérationnelle et d’économies à long terme semble aujourd’hui incontournable pour s’engager sur la voie d’un véritable changement.

L’académie de police devrait devenir un centre de référence, à l’instar du Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, et développer les échanges avec ce dernier. D’ailleurs, des entraînements communs police gendarmerie permettraient de développer l’interopérabilité et de partager de bonnes pratiques, en particulier pour certaines spécialités peu différenciées au niveau territorial et pour lesquelles la coordination serait une source d’efficacité, comme la police scientifique et technique ou la lutte contre la cybercriminalité.

Comme l’ont suggéré de nombreux policiers au rapporteur, les gardiens de la paix devraient en outre être mieux préparés aux situations difficiles par des exercices concrets. Il existe déjà certaines bonnes pratiques à développer, comme des simulations sur le thème des violences intrafamiliales. Mais davantage d’interventions de policiers de terrain expérimentés, de représentants d’associations, de visites d’instituts médico-légaux et de simulations de manifestations seraient nécessaires, toutes choses que la gendarmerie nationale pratique déjà.

Pour toutes ces raisons, le rapporteur s’interroge sur les effets de la réduction du temps de formation initiale, de douze à huit mois, les quatre derniers mois de formation étant effectués sous forme de stage dans les services. En l’état actuel des effectifs, des contraintes opérationnelles et de la formation continue, il y a fort à craindre que cette réforme ne produise pas les effets escomptés.

Proposition n° 24 : Créer une « académie de police » destinée à :

– revaloriser le temps de la formation initiale des policiers de tous les corps ;

– unifier la formation initiale des policiers nationaux, tout en organisant des filières ;

– organiser la formation continue ;

– développer la formation sous la forme d’exercices pratiques et de simulations ;

– favoriser l’intervention d’experts et d’associations sur des enjeux précis.

b.   Remédier aux lacunes de la formation continue

La formation continue reste la variable d’ajustement des forces de sécurité, même si des progrès importants ont été réalisés dans la gendarmerie depuis 2013.

L’organisation des compagnies républicaines de sécurité semble les préserver d’une dégradation trop importante de leur temps de formation, puisque 75 % des effectifs des unités de service général avaient effectué trois tirs réglementaires et 95 % des effectifs au moins un tir, au 31 décembre 2018. Plus récemment, au 1er mai 2019, plus de 90 % des personnels étaient habilités à l’usage du fusil HKG 36 et plus de 80 % étaient « recyclés » au secourisme opérationnel de premier niveau.

Les résultats de la consultation organisée à l’initiative du rapporteur sur le site internet de l’Assemblée nationale suggèrent que la formation continue est moindre dans la police nationale que dans la gendarmerie nationale.

Nombre de jours de formation déclarés en 2018 dans la police
et la gendarmerie nationales

(en pourcentage du nombre total des réponses à cette question par force)

Note : 5 171 policiers et gendarmes ont répondu à cette question sur le nombre de jours de formation en 2018.

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur. (Cf. Annexes II).

Les gendarmes mobiles et les CRS apparaissent par ailleurs mieux formés que leurs collègues chargés de la sécurité publique.

Nombre de jours de formation déclarés en 2018 selon deux spécialités

(en pourcentage du nombre total des réponses à cette question par appartenance)

Nota : 4 560 répondants relevant des quatre catégories ci-dessus ont répondu à cette question sur le nombre de jours de formation en 2018.

Source : consultation publique réalisée à l’initiative du rapporteur.

Les insuffisances de la formation continue dans les services chargés de la sécurité publique sont connues mais le rapporteur a été particulièrement étonné de la situation du commissariat de Drancy, en Seine-Saint-Denis. Ce département dispose de moins de formateurs que les Hauts-de-Seine, pour des besoins infiniment supérieurs.

Commissariat de Drancy : un cercle vicieux d’attrition de la formation

Du fait du manque de formateurs, le nombre de stages de formation disponibles pour les fonctionnaires du commissariat de Drancy est particulièrement limité. Les fonctionnaires jugent aussi que les stages sont mal répartis dans l’année. Pour certains, en particulier les OPJ, la charge de travail est telle qu’elle rend difficile le suivi d’un stage de plusieurs jours. Dans ces conditions, ces personnels sont enclins à laisser leurs collègues opérant sur la voie publique bénéficier en priorité des formations obligatoires pour le renouvellement de l’habilitation à certaines armes. Une fois l’habilitation perdue, faute de recyclage en temps utile, il faut reprendre une formation longue pour l’obtenir à nouveau, formation pour laquelle peu de fonctionnaires parviennent à se libérer. Dans ces conditions, une part importante des personnels du commissariat de Drancy n’est plus habilitée à l’usage des moyens de force intermédiaire, « d’autant que ces habilitations sont délivrées pour des durées différentes ! Parfois un an, parfois deux, ou trois ! Je défie quiconque de savoir où il en est en matière d’habilitations ! »

Dans le cadre du Grand Paris, par ailleurs, plusieurs formations sont désormais organisées à Paris même. Les fonctionnaires de police de la Seine-Saint-Denis ne sont alors pas particulièrement prioritaires.

Certaines obligations réglementaires sont jugées excessivement rigides par les policiers de terrain, en particulier, le « recyclage » obligatoire de l’habilitation pour l’usage des « trois bâtons ». Les gendarmes n’y sont d’ailleurs pas soumis : l’habilitation obtenue en formation initiale est valable durant toute leur carrière, même si des entraînements sont régulièrement organisés.

M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation de la police nationale, revendique cette différence ([110]). Il considère que ce cadre ne peut être remis en cause et qu’il doit inciter la police nationale à organiser davantage de formations. Le rapporteur préconise pour sa part la suppression de cette obligation trop rigide, en l’accompagnant d’un effort réel en faveur de la formation continue des personnels. Une direction centrale à l’autorité renforcée sur les directions opérationnelles devrait y veiller.

Enfin, les consignes nationales ne sont pas toujours appliquées sur le terrain. Face à des obligations opérationnelles prioritaires, les commandants d’unités, en effet, peuvent avoir des difficultés à profiter des déplacements des CRS pour programmer des formations au tir, entre autres, comme le préconisent les directions centrales. C’est à nouveau une raison pour laquelle la direction chargée des ressources humaines et de la formation continue doit avoir une autorité renforcée sur les directions opérationnelles, de façon à mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente, prévisible et surtout incontestable.

Proposition n° 25 : Renforcer l’autorité de la direction des ressources et des compétences de la police nationale (DRCPN) sur les directions opérationnelles pour mettre en œuvre une politique de formation adaptée, cohérente et prévisible.

Proposition n° 26 : Supprimer certaines obligations réglementaires excessivement rigides comme le régime de renouvellement de l’habilitation à l’usage des « trois bâtons ».

3.   Mieux valoriser l’engagement au service de la sécurité des Français

Le nombre de blessés en mission de police ou en opération augmente de manière inquiétante, comme en témoignent les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur ci-dessous.

Évolution du nombre de blessés dans les forces de sécurité depuis 2014

Gendarmerie nationale

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

3 941

3 789

4 079

4 222

4 788

Blessés en service2

2 496

2 870

2 688

2 990

2 665

Total des blessés

6 437

6 659

6 767

7 212

7 453

Police nationale

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

5 834

5 674

5 767

5 164

6 002

Blessés en service2

  6 616

6 714

6 187

5 940

6 851

Total des blessés

12 450

12 388

11 954

11 104

12 853

Adjoints de sécurité

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

694

497

575

667

694

Blessés en service2

892

922

674

792

892

Total des blessés

1 586

1 419

1 249

1 459

1 586

Personnels administratifs techniques et scientifiques (PATS)

Circonstances

2014

2015

2016

2017

2018

Blessés en mission1

nd

71

33

29

38

Blessés en service2

nd

449

405

400

431

Total des blessés

nd

762

599

638

724

(1) Les dommages physiques en mission surviennent lors de l’exécution d’une opération ou mission de police (au cours d’une intervention, lors d’une interpellation, en service de police de la route, en enquête judiciaire, au maintien de l'ordre, au cours d’un service de prévention de proximité, lors d’un transfèrement, etc.).

(2) Les dommages physiques en service ont lieu durant les heures de travail, de permanence, ou d’astreinte, ou sur le trajet domicile-travail, mais en dehors d’une opération ou d’une mission de police.

Source : réponses du ministère de l’intérieur.

Dans ce contexte, la question de leur protection juridique s’est posée avec acuité.

Le rapporteur est particulièrement soucieux que l’engagement des policiers et des gendarmes soit reconnu à sa juste valeur, ce qui implique justement que la solidarité de la Nation se manifeste sans failles en cas de décès ou de blessure. Il a déposé, le 22 mai 2019, avec une quarantaine de ses collègues de tous horizons politiques, une proposition de loi visant à octroyer le statut de « mort pour le service de la Nation » aux militaires décédés en exercice (et non pas uniquement en opérations ou en mission).

Suivant la même logique, le rapporteur invite à examiner la demande des militaires de la gendarmerie d’élargir le champ de la protection fonctionnelle aux fautes non-intentionnelles.

Aujourd’hui, les dispositions législatives régissant la protection fonctionnelle (cf. Annexe 3) conditionnent son octroi, dans le cas où le militaire est victime en raison de ses fonctions, à l'existence d'un fait générateur intentionnel. Ainsi, les ayants-droits de plusieurs militaires de la gendarmerie ayant trouvé la mort dans des accidents de la circulation, alors qu’ils effectuaient un contrôle ou intervenaient pour porter secours, n’ont pu bénéficier de la prise en charge des frais d’avocat, notamment. Ces règles paraissent en décalage avec la protection dont bénéficient leurs collègues ayant souffert de violences légères ou même d’outrages et nourrissent un fort sentiment d’injustice. Elles sont en décalage aussi avec les mesures récemment mises en œuvre par la direction générale des finances publiques (DGFIP) pour les ayants droit de militaires décédés dans l’accomplissement de leur mission ou victime de blessures reçues dans les mêmes circonstances, cités à l'ordre de la Nation qui, depuis la loi de finances rectificative pour 2015 et la loi de finances pour 2017 bénéficient d'une exonération des droits de succession et donc d’une reconnaissance de l’État. Le rapporteur préconise d’étudier les moyens de remédier à ces insuffisances. Il salue bien évidemment le travail exceptionnel des associations de blessés ou de solidarité des forces de l’ordre pour accompagner les familles dans leurs démarches ou leur deuil. Il n’estime pas pour autant que cette situation soit satisfaisante et souhaite que l’engagement des forces de l’ordre soit reconnu par une protection adaptée.

Par ailleurs, comme le soulignait Mme Virginie Rodriguez, « la gendarmerie n’est plus en mesure de proposer de postes sédentaires – des emplois administratifs – aux gendarmes blessés et déclarés inaptes ». Avec la transformation des postes administratifs en postes civils, elle n’a plus de marge de manœuvre pour placer les gendarmes qui ont sacrifié leur santé ou qui ont été blessés en service. L’enjeu de l’efficacité des dispositifs de reconversion s’en trouve renforcé.

F.   Asseoir le rôle et la place des polices municipales

À la question relative aux raisons pour lesquels les répondants à la consultation menée par le rapporteur s’étaient engagés dans la police municipale, le cas échéant, 33 % ont invoqué le sens du service public et près de la moitié (47 %) la vocation, le sens du respect de la loi ou le contact avec la population.

Or, ces mêmes policiers municipaux dénoncent souvent des situations où ils se sentent de simples supplétifs de l’insuffisance locale des forces de police ou de gendarmerie nationale. M. Pascal Ratel, chef de service de police municipale, CGT Police municipale expliquait à la commission qu’il n’existait pas « de complémentarité systématique, sur le terrain, entre les policiers municipaux et les forces de sécurité de l’État. Les conventions de coordination ou les conventions de coordination renforcées ne sont, globalement, guère satisfaisantes. La plupart du temps, elles ne sont pas appliquées, ou très insuffisamment ».

Les élus locaux eux-mêmes ressentent la nécessité de compléter au moyen de leur police municipale, un service que les forces de sécurité peinent par manque de moyens ou d’équipements à remplir.

Cette situation n’est pas satisfaisante : à partir du moment où une municipalité a décidé de se doter d’une police municipale, celle-ci devrait être confortée comme troisième force de sécurité intérieure, suffisamment équipée et formée et son action articulée avec celle des autres forces.

1.   Constituer une école nationale de police municipale sous l’égide du ministère de l’intérieur

Afin de faire des policiers municipaux la troisième force de sécurité intérieure (cf. Annexes 4 et 5), mais aussi de garantir l’efficacité de leur intervention sur la voie publique et leur propre sécurité, tous les policiers municipaux doivent disposer d’un socle de formation commun et de cursus de formations harmonisés.

Depuis 1999 et la loi relative aux polices municipales, une obligation de formation a été instituée qui est assurée par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). La création d’une école nationale des polices municipales permettrait néanmoins d’aller plus loin dans l’homogénéisation des formations et donc dans la consolidation des compétences des agents. Elle contribuerait également à l’acculturation commune avec les forces de sécurité de l’État en favorisant les échanges.

Cette école qui relèverait du ministère de l’Intérieur, pourrait être constituée à partir des structures actuelles du CNFPT, qui serait associé à son pilotage et à sa gestion. Les services du ministère de l’Intérieur seraient chargés de l’élaboration des différents modules de formation initiale et continue, ce qui contribuerait à les rapprocher de ceux des policiers et gendarmes nationaux. L’association indispensable du CNFPT aux structures de pilotage et de gestion de l’école nationale permettrait de capitaliser sur l’expérience accumulée.

Dans le cadre de la création d’un cadre d’emploi commun (voir infra), cette école prendrait également en charge la formation initiale des gardes champêtres et le développement de leurs modules de formation continue obligatoire.

2.   Définir un équipement minimal obligatoire

Même si les situations locales sont très différentes d’une police municipale à l’autre et si être policier municipal dans un village ou dans une grande ville implique un mode d’exercice du métier différent, les agents sont, ou peuvent être, dorénavant, partout sur le territoire, confrontés au même niveau de violence que les autres forces de sécurité. « Les agressions commises à l’encontre de nos collègues se multiplient. Ces violences peuvent survenir lors d’opérations d’encadrement périphérique des mouvements de contestation ou d’interventions de répression et de prévention de la délinquance quotidienne » ([111]).

Or, les policiers municipaux ne sont pas tous équipés pour y faire face.

La décision de constituer une police municipale pourrait ainsi s’accompagner de l’obligation pour le maire de doter ses agents d’un minimum d’équipement de protection et de défense. Matthieu Volant, délégué régional du syndicat national des territoriaux (CFE-CGC), souhaitait ainsi « qu’un minimum non négociable soit imposé, […] à savoir un générateur de gaz incapacitant, un bâton de défense et un gilet pare-balles ». M. Vincent Beudet, secrétaire adjoint du syndical Interco 21, CFDT Interco, considérait quant à lui que ces équipements de protection devaient intégrer les éléments suivants : « gilets protégeant des balles et des lames, casques de protection et boucliers ».

Le format des équipements à attribuer aux policiers municipaux reste à déterminer, mais il devrait, en tout état de cause, s’approcher au maximum des matériels équipant les unités de voie publique.

La décision d’armer ou pas sa police municipale repose aujourd’hui sur une initiative du maire qui doit être approuvée par le préfet, sous réserve que les agents concernés bénéficient d’une formation suffisante. 84 % des effectifs de police municipale étaient dotés d’une arme, létale ou non, en 2016, et 44 % avaient accès à une arme à feu ([112]). Ces chiffres témoignent de la souplesse laissée au maire en matière d’armement de sa police municipale.

Le rapporteur considère que le régime juridique actuel de l’armement des polices municipales est équilibré et n’appelle pas d’élargissement.

En revanche, afin d’assurer la sécurité des agents, il considère essentiel de prévoir un standard d’équipements de protection adaptés à l’exercice des missions des policiers municipaux sur la voie publique.

Dans ce but, les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance peuvent être mobilisés. Ce fonds créé en 2007 est destiné à « financer la réalisation d’actions dans le cadre des plans de prévention de la délinquance et dans le cadre de la contractualisation mise en œuvre par l’État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville » ([113]). Il contribue ainsi au financement des acquisitions de gilets pare-balles de protection, de radio et de caméras-piétons au profit des polices municipales ([114]). Le fonds a permis de financer 600 000 euros d’équipements en 2017.

3.   Aménager un accès adapté aux fichiers de police

Le décret du 24 mai 2018 a permis aux policiers municipaux et gardes champêtres d’accéder directement à certaines données du système national des permis de conduire (SNPC) et du système d’immatriculation des véhicules (SIV) ([115]) afin d’identifier les auteurs des infractions au code de la route qu’ils sont habilités à constater.

Cette ouverture permet aux policiers municipaux de ne plus être obligés de solliciter la consultation de ces fichiers par un policier ou un gendarme national. Étant donné l’importance des compétences dorénavant confiées aux policiers municipaux en matière de circulation et de code de la route, l’ouverture d’un accès limité à ces fichiers est un véritable progrès qui participe d’une meilleure répartition des rôles.

Accès des policiers municipaux au SNPC et SIV

Concernant le SNPC, l’article L. 225-5 du code de la route prévoit que les agents de police judiciaire adjoints et les gardes champêtres peuvent accéder « aux informations relatives à l’existence, la catégorie et la validité du permis de conduite ». Ces consultations prennent la forme d’un relevé d’information restreint.

Concernant le SIV, l’article L. 330-2 du code de la route prévoit que les informations qu’il contient relatives aux immatriculations peuvent être communiquées aux APJA et gardes champêtres « aux seules fins d’identifier les auteurs des infractions au présent code qu’ils sont habilités à constater ».

Ces consultations ne peuvent être faites que par des APJA et des gardes champêtres individuellement désignés et habilités par le préfet de département sur proposition du maire.

De nouvelles pistes devraient cependant être étudiées. Selon Cédric Renaud, président de l’Association nationale des cadres territoriaux de la sécurité (ANCTS), il est envisageable, en particulier, « d’ouvrir un accès à des modes dégradés du fichier des objets et des véhicules signalés (FOVéS) et du fichier des personnes recherchées (FPR) ».

Le rapporteur considère qu’étendre l’accès des policiers municipaux aux fichiers de police, dans le cadre de leurs prérogatives en matière routière, leur permettrait de remplir leurs missions plus efficacement. Concernant l’accès dégradé au fichier des personnes recherchées, il lui semble que, a minima, le motif de la recherche devrait leur être accessible ne serait-ce que pour garantir leur propre sécurité en leur permettant de savoir à qui ils ont à faire. Les modalités techniques d’accès devraient néanmoins être précisées, afin de leur permettre d’accéder à ces fichiers à distance.

4.   Harmoniser les statuts entre police municipale et gardes champêtres

Les gardes champêtres constituent une force ancienne et originale de la sécurité en milieu rural, qui dépend également du maire. Ils disposent d’ailleurs de pouvoirs de police judiciaire plus étendus que les policiers municipaux. Comme le soulignait Hervé Bénazéra, garde champêtre, devant la commission : « la seule lecture de l'article 24 du code de procédure pénale démontre à elle seule la qualité judiciaire assez exceptionnelle de ce fonctionnaire territorial ». Dans son champ de mission, celui-ci peut en effet procéder à des auditions, à des saisies, à des vérifications d’identités et à des dépistages d’alcoolémie ; il peut aussi accéder aux lieux clos ([116]).

Pourtant, les réformes des dernières décennies qui ont accompagné l’émergence des polices municipales ne se sont pas traduites par un mouvement similaire pour les gardes champêtres. Le rapport des députés Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot souligne pourtant qu’ils constituent une force de sécurité territoriale, qui doit être intégrée au concept de « sécurité globale » et méritent à ce titre « de voir leur statut et leurs conditions de travail évoluer et se moderniser » ([117]).

Le rapporteur reprend à son compte leur proposition de fusionner le cadre d’emploi spécifique que constituent les gardes champêtres au sein de la fonction publique territoriale avec celui des policiers municipaux. Cette mesure permettrait de faire bénéficier les gardes champêtres des évolutions du cadre juridique des polices municipales et de moderniser leur statut.

La fusion des cadres d’emploi suppose de régler certaines questions de prérogatives et de statut. En effet, les gardes champêtres ne sont ni officiers de police judiciaire, ni agent de police judiciaire ou APJA ([118]) mais relèvent de la catégorie des fonctionnaires et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fonctions de police judiciaire ([119]). Comme exposé plus haut, ils disposent de pouvoirs de police judiciaire plus étendus, dans leur champ de compétence, que ceux auxquels les policiers municipaux peuvent prétendre.

Établir un cadre commun permettrait d’élargir les perspectives d’emploi pour les agents des deux forces. Dans cette perspective, la formation initiale et continue des gardes champêtres devra être renforcée. En particulier, ils bénéficieraient d’un socle commun de formation initiale avec les policiers municipaux, avant de suivre des enseignements complémentaires liés aux spécificités de leurs missions. La formation continue des gardes champêtres en poste devrait alors être adaptée aux nouvelles conditions d’emploi.

Proposition n° 27 : Faire des polices municipales des acteurs à part entière de la sécurité intérieure :

– créer une école nationale de formation des policiers municipaux sous l’égide du ministère de l’intérieur ;

– élargir les possibilités d’accès des policiers municipaux aux fichiers de police en leur garantissant, pour le fichier des personnes recherchées, l’accès au motif de la recherche ;

– harmoniser les statuts des policiers municipaux et gardes champêtres.


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